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À partir d’avant-hierLe blog de Seb Musset

#confinement jour 24 : leçon du silence

R. prend le soleil à la fenêtre de la chambre. A. joue de la harpe. J’épluche mes légumes. La vie confinée, organisée autour des apparitions du soleil dans les interstices des façades, a de lointains airs de vacances. Aurais-je pu imaginer il y a trois semaines apprécier ces jours intérieurs ? A l’intérieur, hormis la distance physique avec L. que nous manageons via un long appel téléphonique à l’heure de l’apéro, nous passons à travers le temps un peu plus sereinement. Dans le monde des grands, la situation gouvernementale et sanitaire n’a strictement pas évolué. Ça cafouille, ça gesticule dans le vide, ça fait peur. Le club CE1 informatique et macramé Castaner met trois semaines à développer un formulaire d'attestation en ligne. Appelez-moi Monsieur Ancien monde, mais je m'y suis fait à l'attestation papier rédigée à la main, léger exercice calligraphique plutôt bon pour les articulations, sans parler de mon total manque de confiance numérique envers ces niquedouilles.

Quand tu vois déjà qu'il y a rupture de stock sur les lingettes de Cannes à Dunkerque, tu penses bien qu'on ne verra pas la couleur d'un masque avant des plombes. La partie est finie. On va gentiment se contaminer chacun à notre rythme en évitant les grands rassemblements. Ils ne peuvent pas le dire, mais on va y aller. A vrai dire on y est.

Je croise parfois sur l’écran l’hallucinante indécence des experts politiques qui multiplient les directs sur les plateaux des d’infos pour culpabiliser les parisiens qui osent sortir parce qu’il fait beau.

« - En venant ici en taxi dans votre émission, j’en ai vu plein qui se baladaient dans Paris. C’est irresponsable. » (Sic)

Irrépressible désir de bazarder ces indéboulonnables « experts » dans une cuvette à virus et de tirer la chasse. Le discours de culpabilisation d’où qu’il vienne, mais surtout d’eux, commence à me chauffer sérieusement. En plus d’être inévitablement infectés un jour ou l'autre, on devrait avoir un quotidien de souffrance, histoire de ne faire qu'un avec les malades. On peut sortir et être prudents, non au lieu de cela on est sermonné h24 comme des gamins. Hier ils nous faisaient la leçon sur les coupes budgétaires à réaliser dans les hoptiaux, aujourd’hui ils nous pointent du doigt quand on sort et nous appellent à communier dans un claping au balcon tous les soirs en soutien au personnel hospitalier. Ils ont besoin de masques et de pognon pas d'encouragements. 

Rassurons-les. Un beau temps à Paris en avril peut être annonciateur de 70 jours de pluie en continu jusqu’à la mi-juillet. C’est donc aujourd’hui ou jamais, et l’histoire a prouvé qu’il est toujours plus tard que tu ne le penses : il fait trop beau pour passer la journée à se morfondre devant l'info feuilleton sur la fin du monde ou les prouts lexicaux de Sibeth.

Je sors pour un footing sous un ciel cristallin inédit dans la capitale grâce à trois semaines d’absence automobile. Au milieu de la chaussée sur une artère que le piéton ose à peine traverser en temps normal même lorsqu'il bénéficie du feu vert. Trois voies pour moi tout seul et un soleil de face sur des centaines de mètres. C’est au-delà du luxe. La seule voiture à l’horizon est une compacte bombardée de fientes de pigeons. Gêné par mon bâillon, je finis par l’enlever. C’est la première fois que je respire sans filtre dans la rue depuis des semaines. J’en ai assez des culpabilisations des uns et des autres, des infantilisations de nos dirigeants en carton pâte. On fait de notre mieux, à distance, et ça ira sans eux.

Après la confection du flan dominical, nous ressortons dans la journée faire un peu de corde à sauter dans le dédale tranquille du quartier aux allures du village du prisonnier dans la série avec Patrick Mac Goohan. The sound of silence de Simon et Garfunkel s’échappe de la fenêtre ouverte d’un vieil immeuble dans une ruelle ombragée. Quelques flâneurs dans les flaques de soleil déambulent sans  autre but que d’éviter les autres flâneurs. Des « bonjours » lancés d’un trottoir à l’autre. Des riverains prennent des bains de lumière au bas des immeubles un livre à la main. Des discussions dithyrambiques sur ce « formidable voisin qui nous a aidés et dont j’ai oublié de demander le nom » et la qualité du. pain chez tel artisan improvisé du coin. Le son des instruments de musique depuis les appartements et celui des conversations au balcon. Le quartier s’est métamorphosé en trois semaines. Ils veulent nous terroriser, c’est peu à peu l’inverse qui se met en place. La confiance en nous, le circuit court, la connivence dans la même galère, avec nos baillons en écharpe, nos masques cousus main qu’on ne prend même plus la peine de mettre devant notre bouche. Et tant pis pour les délateurs zélés, ou ces silhouettes masquées qui passent d’un pas pressé en grommelant une insulte : on n’est pas loin du jour parfait.

Dure de se dire qu’au fond, malgré cette existence resserrée à quelques pâtés de maisons et le hit-parade quotidiens du croque-mort Salomon sur les chaines d’info feuilletonnant l’acharnement thérapeutique d’une nation, nous vivons actuellement « les jours heureux ». Si on poursuit trop longtemps avec ce confinement absurde, d’ici septembre, après s'être fait sucrer le droit du travail et les grandes vacances, beaucoup de Français se retrouveront au chômage avec un paquet de nouilles à 15 euros. L'économie d'après-guerre sera durablement déglinguée dans des proportions que pas grand-monde ne semble encore réaliser. De la peste aux raisins de la colère sans passer par la case congés payés, tout ça à cause d'une gestion sanitaire d'état avec une enclume dans une main et des bouts de sparadrap dans l’autre. Les pouvoirs successifs n’ont eu de de cesse de flinguer les services publics depuis 30 ans, toujours en nous culpabilisant et en nous infantilisant. Exactement comme ils le font aujourd’hui.

Comment espérer un nouveau monde s’ils sont encore là après ? Cette crise du virus est la confirmation king-size du vieux dicton : les radins finissent toujours par tout payer le triple du prix. Comptent-ils encore sur le peuple pour payer au centuple la facture ?

Probablement oui, ils n’ont aucune imagination hors du carcan étroit de leurs dogmes économiques qui n'ont conduit jusque dans cette merde.




Les jours d'avant :
Jour 2 - Jour 3 - Jour 4 - Jour 5 - Jour 6 - Jour 7 - Jour 8 -  Jour 9 - Jour 10 - Jour 11 - Jour 12  - Jour 13 -  Jour 14 - Jour 15 et 16 -  Jour 17 - Jour 18 - Jour 19 - Jour 20  - Jour 21Jour 22 et 23

#confinement jour 22 et 23

Enième flou des repères temporels. Je perds la trace du vendredi avec sa promesse de forêt.

A. à marche rapide dans la tranchée, l'autre nom des rues sans voitures.  R. râle car elle porte le sac de sa soeur et qu’il fait trop chaud. Elles ont pris leur marque. Elles manœuvrent désormais dans la privation de liberté et la précarité du temps libre comme des carpes en eau tranquille.

Achat de légumes et fruits frais. Avant même de les croquer les fruits, cette abondance de couleurs dans la corbeille me réveille.

Discussions avec des voisins en tongs lors de mon trafic d'agrumes en cagette. La météo, la santé, qui l’a ou pas. « Mon fils il l’a et ça va bien ». « Ma soeur l’a déjà eu en janvier ». « Le père de la gamine est mort il y a cinq jours, les pauvres. ». La résignation comme le virus et s’installe en nous tranquillement. 
L’absence policière constatée, et rapportée dans d’autres coins de Paris, nous questionne. Elle est à l’inverse de ce qui se passerait dans d’autres régions. Peur des contrôles du côté policier qui eux non plus n'ont pas assez de masques, et donc droits de retrait ? Volonté politique d’être un peu plus souple sur Paris pour, un peu, accélérer sans l'avouer l’immunisation collective dans un bocal délimité par le périphérique ? Sommes-nous simplement tellement bien disciplinés que notre cas est classé ? 

«  - en fait, on est bloqué chez nous parce qu’ils sont nuls. Macron nous punit parce qu’il est impuissant » me lance R. alors que nous marchons en solitaire le long de la tranchée rectiligne en bordure du cimetière en guise de vacances.

Elle a tout compris de l’insoluble équation des impuissants.

Dans cette situation, ils sont perdant à tous les coups. Il leur reste juste à négocier la qualité de l’adjectif utilisé à leur sujet dans les futurs livres d’histoire. Pour le moment, à en juger la réthorique guerrière utilisée pour masquer sa misère par le locataire de l’Elysée, il est très impuissant.

La nouvelle petite musique du gouvernement « scientifique » depuis quelques heures, c’est la soudaine importance de porter des masques. Les propos gouvernementaux tenus il y a quelques semaines sur « les masques qui ne servent à rien » deviennent des « invitations » à porter des masques même artisanaux à chaque sortie, si nous le souhaitons. 22 jours de confinement, de tortillages constipés sur tabouret pour nous chier du bout du cul une évidence qui expédient leurs propos suffisants des semaines passés à la rubrique « mensonge d’état ». Selon toute logique administrative d’ici deux semaines, à défaut de nous les fournir, l’état nous verbalisera pour sortie sans masque. Et ils voudraient de la confiance...

Ces gens ne méritent que nos postillons.

Pour l'instant, accompagnés par le chant des oiseaux, père et fille poursuivent la randonnée en circuit court au bal masqué. Certes il y a la joie continue du nouveau calme parisien, une vague odeur de campagne sur le boulevard mais il y a aussi ce début de défiance, de grondement de fond. La peur chez les uns, un début de colère chez d'autres. Dès que l’on sortira la tête du guidon et que l’on réalisera concrètement dans son porte-monnaie le drame économique et les funestes perspectives d’un pays flingué par overdose de conneries au sommet des technocrates, il est possible que l’humeur change un peu ici-bas.

R. a un peu froid. Nous faisons un peu de corde à sauter et rentrons cuisiner. 

J’apprends dans la soirée que P., hospitalisé depuis plusieurs mois pour une autre pathologie, est testé positif. Les visites étaient déjà interdites, le virus est arrivé par un infirmier.

Le covid est désormais familier.




Les jours d'avant :
Jour 2 - Jour 3 - Jour 4 - Jour 5 - Jour 6 - Jour 7 - Jour 8 -  Jour 9 - Jour 10 - Jour 11 - Jour 12  - Jour 13 -  Jour 14 - Jour 15 et 16 -  Jour 17 - Jour 18 - Jour 19 - Jour 20  - Jour 21

#confinement jour 21 : mieux que rien

Ça se rapproche.

Course triste. Manque d’envie, probablement pas mangé assez de fruits. Les filles s’habituent à mon passage matinal devant les fenêtres de C.. A. ne vient même plus me saluer. Le stress diminue, mais l’abattement larve. Thierry Crouzet ne manque pas d’optimisme sur son blog (malgré sa saine colère contre un gouvernement de technocrate qui compense sa nullité en glissant tranquillement dans la dictature).

Pour être débarrassé de ce virus, il faut soit resté confiné, soit être vacciné, ou que les 2/3 tiers de la population soient infectés et immunisés.

1 / Le vaccin c'est pour dans un an, voire deux.

2 / Comment veux-tu être immunisé si tu restes confiné ? Tu n'es qu'un futur infecté qui aura passé six mois enfermé. Sans compter que tu perds peu à peu tes défenses immunitaires.

A un moment, il va falloir regarder les choses en face et arrêter de collectivement se suicider à petit feu. Le confinement permet de protéger le système de santé, de ralentir le carnage, de sauver des vies, mais le confinement n’est pas une solution. A son issue, on en revient au jour 0. Prolongé, on détruira  plus qu’on ne sauvera. C’est un labyrinthe construit dans l’urgence par des gens qui n’ont pas le plan de sortie. C’est l’option perdant-perdant la moins pire quand tout a raté. Quatre décès sur cinq dus à ce virus surviennent dans la zone, et au-dessus, de l’espérance de vie des Français. A-t-on à ce point oublié que vivre tue ?

Le soir le Premier Ministre, au bout du rouleau, lance une énième opération « le gouvernement contrôle » à la télé dans la lignée du démerdez-vous show de Macron du 12 mars. On y apprend rien, ou plutôt discrètement que l’on va bientôt manquer de médicaments. C’est ballot, on a les meilleurs labos mais on fait tout fabriquer en Chine. Ces gens ne contrôlent plus grand-chose. Alors ils feront ce qu’ils savent faire : des déclarations à la télé et de la paperasse. Ça vous allez en avoir de belles attestations BP77 alinéa 3121 avec exception dans le cas susmentionné dans l’article 319, et dans des délais bien plus courts que la livraison de masques.

Je croise encore des types sans masques dans la rue (en plein "pic"), la majorité. J’intercepte une bribe de conversation à l'épicerie de l'autre côte du trottoir :

- La semaine dernière, ils disaient que les masques ne servait à rien. Il parait que l’on peut s’en faire en tissus c’est mieux que rien.

Voilà où on en est. « C’est mieux que rien ». Etre ici c'est mieux que de ne pas y être. Il n’y a plus d’avant, pas d’après, il y a juste des attestations dérogatoires de sortie pour respirer.

On va s'en sortir. Sans eux. Ils sont finis.

Update : finalement la plante va bien.


Les jours d'avant :
Jour 2 - Jour 3 - Jour 4 - Jour 5 - Jour 6 - Jour 7 - Jour 8 -  Jour 9 - Jour 10 - Jour 11 - Jour 12  - Jour 13 -  Jour 14 - Jour 15 et 16 -  Jour 17 - Jour 18 - Jour 19 - Jour 20

#confinement Jour 20

Après le déni, la peur, la suractivité, la colère, c'est au tour de l’abattement. Combien de temps cette connerie de confinement va-t-elle durer ? Neverending gueule de bois plus prononcée à mesure que chaque jour passe. Oui, se laisser émerveiller comme c'est marqué dans horoscope, ne pas se projeter mais retomber aussi sec dès que t'additionnes 2 + 2. Il n’y a pas de printemps, il n’y aura peut-être pas d’été non plus sauf peut-être, pour ceux qui n'auront pas été licenciés d'ici-là, aller travailler tête baissée le temps qu’un vaccin soit trouvé. L’idée fait petit à petit son chemin. 

1 / Le confinement c'est la solution de l'enclume pour écraser une mouche parce qu'on n'a pas jugé bon de fabriquer une tapette. 

2 / Pas de déconfinement total efficace sans tests généralisés, dixit à peu près tout le monde.

3 / à ce jour 30.000 tests / quotidien en France.

4 / en restant à ce fabuleux rythme le déconfinement total se profilerait en France vers 2027.

5 / à ce jour les morts liés au virus représentent 0,01 % de la population nationale.

6 / Nous serons plus nombreux à mourir d'autre chose que du virus d'ici là, notamment des conséquences indirectes du virus. (La baffe économique et sociale qui arrive ne correspond à rien de ce qu'on a vécu).

7 / D’autres voix soulignent que, après le déconfinement, nous pourrions être à nouveau confinés car nous nous serions trop bien confinés la première fois. ("le taux d'immunisé étant trop faible, le virus pourrait repartir" A.Flahaut épidémiologist, FranceInfo)

8 / Nous en revenons au 1 / Besoin massif de masques et de tests pour espérer sortir « normalement ». Jour 20. Je n‘en vois toujours pas la couleur d’un.

9 / En voulant la mettre au soleil, j’ai malencontreusement renversé ma pousse de salade-coquelicot. J’ai rempoté en catastrophe. Elle va peut-être crever parce que j’en ai pris soin.

10 / Le mieux est l’ennemi du bien. 


Les jours d'avant :
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#confinement jour 19

En rédigeant mon attestation de déplacement dérogatoire quotidienne me vient à l’esprit que c’est de l’état que nous devrions exiger un dédommagement de 135 euros pour chacune de nos sorties SANS MASQUE pour se ravitailler en denrées de première nécessité ou pratiquer une activité sportive individuelle.

Si l’erreur d’évaluation est collective, nous ne sommes pas élus pour anticiper. Nos gouvernants si. 19 jours de confinement et pas l’ombre d’une protection pour moi et mes proches autre que le bâillon à l’écharpe. Des médecins se protègent avec des masques de plongée Décathlon. Un ministre de l'action et des comptes publics d'un gouvernement qui a supprimé l’ISF, qui s’assoit chaque année sur des dizaines de milliards d’évasion fiscale et qui a dilapidé des crédits d'impôts "compétitivité" en pure perte, appelle à "une grande solidarité nationale" (une cagnotte à vot' bon coeur) pour lutter contre le virus.  Et on me bassine avec l’Europe depuis mon enfance ? Nous sommes un putain de pays du tiers-monde en puissance.

Gardons cette colère pour plus tard. J'ai déjà des idées encore à l'état d'ébauche mais aux perspectives stimulantes.

Suggestion : l'androïde en slip Decathlon catapulté dans une piscine de virus à l'état visqueux.

- ahblouggllg...sauvez-moi...blougblup.

- T'as pas besoin de bouée Manu, les bouées c'est pour le personnel soignant !  Et puis tu ne saurais pas t'en servir.

Blourp. (bulle d'air contaminé qui éclate à la surface).

* * *

Le nombre de morts parait-il augmente en flèche, principalement sur Paris. Je m’en tiens à deux fois dix minutes d’information par jour. Au-delà c’est sérieusement compromettre son équilibre mental. C’est un des gestes barrières les plus importants.

Dix minutes ça suffit. D’un côté de l’info spectacle version macabre : les mêmes gueules d’experts autoproclamés depuis vingt ans (voire quarante) qui se batailleront encore sur les plateaux télés le décryptage de la référence biblique dans le dernier discours de Macron, trois minutes avant la fin du monde. De l’autre côté :  les nouveaux prophètes incontestés en blouse blanche. Ceux-là pourraient nous dire de sauter par la fenêtre avec l’espoir d’être immunisé, on est pour le moment dans un tel état de stupeur qu’on le ferait.

Courir à l’aube, se ravitailler aux heures creuses. Si ce n’est la terreur sur certains visages masqués et quelques silhouettes qui se détournent dès qu’elles m’aperçoivent à moins de vingt mètres, je ne perçois rien  de "la vague d’infectés". Une ambulance attend coffre ouvert un malade devant un immeuble. Rien de bien spectaculaire. Le silence toujours. C’est sur les réseaux, par les récits bouleversants et les commentaires factuels, que je sens la maladie roder et s’approcher. C’est là, de plus en plus affirmé, encore contenu à des cercles pas trop proches.

Rien à même de gâcher ma course matinale, presque honteuse lorsqu'on la superpose aux témoignages des soignants et des malades. Rester prostré c’est se laisser bouffer. Courir rend euphorique. Se confiner et avoir peur, c’est la double peine. C’est à la fois subir la privation de liberté et la terreur de ne plus être prisonnier. La peur nourrit la peur. Ces escapades pour faire du sport sont essentielles. Si ce mois devait être le dernier, le mois d’incarcération qui le précèderait serait la plus médiocre des conclusions.

Un type qui fait sa gymnastique contre un lambeau de façade ensoleillé me lance un "bonjour !" souriant comme si on se connaissait depuis des années. Des petits riens réchauffent nos journées.  Il y a deux types principaux de comportements dans les rues de confinés. Ceux qui filent têtes baissées, rationalisant même leur souffle, et ceux dont les yeux pétillent en vous regardant. On passe surement chacun de l'un à l'autre au gré des jours et de nos tourments.

Au téléphone des signes de détresses intérieures à "seulement" deux semaines pour la plupart. Ce confinement nous pousse au propre comme au figuré dans nos retranchements, au bout de nos failles, de nos contradictions mais aussi de nos forces intimes, des forces peu utilisées, insoupçonnées, dans notre monde de la démonstration.

* * *

L'après-confinement m’inquiète plus que ces semaines de retraite forcée. Nous ne reprendrons pas tous, et pas tous au même moment, une vie qui mettra de toutes les façons des mois à se caler sur une routine sanitaire composée de distance et de propreté. Autant dire que la vie à Paris va non seulement être compliquée mais définitivement absurde, la ville devenant une coquille vide purement contraignante. L’après-confinement c’est aussi un pays redéfini avec des zones fermées, et des poches de disruption locale : un retour à la terre, aux initiatives artisanales, industrielles mais aussi des « Banlieues 13 ». Autant le regarder en face : les voyages à l’étranger, en Europe, en France, la plage l’été, l’après boulot en terrasse, le boulot tout court pour certains, le nouvel Iphone tous les ans, le petit ciné avec les potes, les concerts et spectacles à plus de douze dans la salle, une croisière Costa Branletta all inclusive en mer âgée avec Christophe Barbier et toute la rédaction de Valeurs Actuelles…. Tout ça c’est fini pour un moment.

L’après confinement ne s’opérera qu’à la condition de tests généralisés. Là aussi, les prêches présidentiels cachent mal l'impuissance politique et quelques règles mathématiques : ce process va prendre des mois.

Suivre les conseils de L. et ne pas se projeter. Vivre l’instant, s'enrichir d'une expérience hors d’une époque qui nous ne satisfaisait pas. C’est à nous de reprendre la main sur ce "monde d'après" dont seules les grandes lignes sécuritaires semblent pour le moment se dessiner. Je ne sais pas de quoi ce monde sera fait, je sais en revanche qu’il ne faut pas l’aborder sous l’angle de la peur. Si nous y entrons effrayés, nous aurons tout perdu.


Les jours d'avant :
Jour 2 - Jour 3 - Jour 4 - Jour 5 - Jour 6 - Jour 7 - Jour 8 -  Jour 9 - Jour 10 - Jour 11 - Jour 12  - Jour 13 -  Jour 14 - Jour 15 et 16 -  Jour 17 - Jour 18

#confinement jour 18

J’ai pourtant une bonne endurance dans le domaine, adolescent j’ai passé des étés entièrement seul dans une grande bâtisse loin de tout, j’ai expérimenté les joies de la retraite isolée dans un coin paumé les deux premières années de ma trentaine, j’évite le plus souvent les rassemblements de plus de trois personnes et je ne parle pas de la majeure partie de mes journées des deux dernières décennies qui ressemblent à s’y méprendre, quelques sorties pour courir en moins, à cette période de confinement. Mais ici tout à une autre saveur : celle de l’attestation, de la dérogation, de l’autorisation, du flicage, de la peur, la peur  des autres et celle construite heure après heure jour après jour en nous par nous.

Ce rythme réduit de trois jours de garde alternée est salvateur. J’ai sous-estimé la dureté de vivre, en continu avec ses enfants. Je dis "enfants", je pourrais écrire femme, homme, ami, parent n’importe quel individu. La solitude de groupe imposé est un châtiment subtil. L’enfer c’est les autres Jean-Paul a dit. Toute relation à proximité permanente d’un être pourtant adoré atteindra inévitablement un niveau d’insupportabilité. 

Au-delà du virus, cette période aura des dégâts psychologiques sur nous tous, on n’a pas fini de payer notre aveuglement. Les effets secondaires sur l’économie et notre psychisme causeront bien plus de morts que la maladie elle-même, c’est écrit mais c’est moins vendeur. A partir de combien de morts estime-t-on envisageable de ne pas se massacrer intimement de la sorte ? D’autant qu’à l’issue de la période de confinement (lointaine issue), on évoque une possibilité de prolongement « à la carte » après les tests personnalisés (encore plus lointaine issue). Certains auront des semaines de rab’ en stade aménagé ou hôtel particulier en guise de vacances, avec option mort par asphyxie.

Le temps est néanmoins parfait pour rester confiné. Soleil pour la bonne humeur et fraicheur pour décourager d’aller à l’extérieur. Depuis la chaise longue, j’observe les allers et venus de moins en moins fréquents dans le quartier. Peu ou plus d’enfants, ou alors en bas âge. Où sont les adolescents ? Enfermés depuis des jours ? Quel carnage ! Je fixe une bonne demi heure, hypnotisé, ce toit en tôles. Je sors par bribes de ma transe en BTP grâce aux claquements métalliques et aléatoires d’une barrière en fer sous la bise. Je reste là,  inconfortablement bercé par les frottements rêches des papiers gras qui tourbillonnent sur le pavé. La capitale appartient aux canards et aux papiers gras. L’astre de feu range sa superbe derrière les barres d'immeubles. Les ombres s’allongent et s’évanouissent dans le gris. La fin du jour dissous les échos déjà lointains d’un résidu d'agitation honteuse. Il n’y a plus de légèreté. J'ai un peu froid. La dix huitième journée s’achève. Le confinement va recommencer.



#confinement jour 17 : Le pic d'inutilité

R. me réveille à l’aube pour que nous sortions courir. Emmitouflés et à moitié endormis, nous improvisons un jogging à basse tension dans les rues aux rideaux de fers baissés. Esquiver les fraiches rafales du nord, viser la moindre rue dans l’axe du soleil.

Passage par la rue de C. qui nous salue du balcon. Les fenêtres de vie laissent échapper les échos des nécros sur la chaine d’info. Comme à chacun de mes passages matinaux, le voisin du dessus ouvre ses volets pour nous scruter. A. a une bonne foulée, R. est à la peine, mais cette sortie après deux jours d'enfermement nous fait le plus grand bien.

Le SDF, et son histoire rangée dans une succession de cartons, occupe toujours le coin de cette rue que je prends tous les matins pour aller travailler. En ce dimanche figé, il est à lui seul l’humanité.

Nous ne croisons dans le périmètre autorisé que deux policiers sans masque à l’angle de la rue anciennement commerçante. La faible présence policière constatée ici contraste totalement les contrôles sauvages et sans respect dans certains quartiers et villes de banlieue dont je lis les rapports sur les réseaux sociaux.

A bien y regarder, il y a ici moins de présence policière qu’en temps normal. Le peuple se confine, s’auto-discipline et se police tout seul. Nous devenons chinois. Je me rappelle les deux derniers mois sur le chemin du travail (dans le quartier chinois parisien) avec une baisse continue de la densité démographique. Le quartier chinois se vidait progressivement. J’ai d’abord mis ça sur le compte d’une vague phobie des parisiens alors qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’un auto-confinement préventif des résidents bien au fait de la réalité de la crise sanitaire par-delà la muraille de la com.

Nous avons bien fait de profiter du soleil, la grisaille d’un long dimanche plombe une capitale qui passe à l’heure d’été dans l’indifférence générale.

Nous préparons notre traditionnel flan du dimanche. C’est à la fois délicieux et nourrissant, une vraie pâtisserie de crise. Je découvre un second dessin animé de Myasaki, Ponyo sur la falaise, c’est le programme parfait pour la période. Du rêve et de la couleur sans mièvrerie, et un sous-texte écologique de chaque instant. Je m’entraine à jouer le Perfect Day de Lou Reed au piano. On se plaignait de ne jamais avoir le temps de faire ceci ou de réaliser cela. D. m’envoie un message pour me supplier de ne pas sortir de chez moi. Il y a trois semaines on prenait des pots entassés en terrasse en relativisant, dans les meilleurs des cas, les drames de nos voisins qui l'avaient bien cherché. Trois semaines après, du fond de nos cellules, on se relaye par SMS la propagande d'état. Nous continuerons à sortir. Comment faire autrement ou sinon se suicider pour ne pas avoir à mourrir ?

Au téléphone, L. est en colère "contre tout ça", l'absurdité, l'impossibilité de nous retrouver pour une simple histoire de mauvaise anticipation, d’amateurisme collectif et d’incompétence au sommet. Canaliser la colère et la retourner sur l’action, agir, écrire, dessiner, aider mais aider au plus juste sans être chaperonné ou homologué par l’état soucieux désormais de surcontrôler d’une main ceux et celles qu’il a lâchés de l’autre. Certitude ancrée que rien ne pourra faire taire cette colère après, chaque jour de confinement nous confirmant un peu plus qu’ils ne sont plus rien, que nous avons les cartes entre les mains, que nous n’avons que trop contribué en spectateur-votant à l’info-feuilleton du pouvoir.

Ce moment est la plus cinglante démonstration de leur inutilité, voire pire. Le pouvoir n’est intéressé que par le pouvoir, le peuple il s’en lave les mains. On va obéir, que faire d'autre ? On va obéir, oui, mais combien de temps encore ?

Hasard ou pas, je la lisais hier, Annie Ernaux ce matin sur France interhttps://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-30-mars-2020








#confinement jour 15 et 16

C’est officiel on se prend quinze jours supplémentaires de confinement, très probablement relancés de quinze le 15 avril. Comme prévu malgré les annonces on attend toujours les masques et les tests. Comme murmuré depuis un moment, il est très probable que nous soyons beaucoup à être infectés, bien plus que les chiffres validés. 

Le plus étonnant dans cette crise de panique planétaire, où drame et absurde danse le tango sur le fil de plus en plus mince de nos certitudes, c’est le peu de cas qui est accordé aux causes de tout cela. Pathétiques moulinades de nos « puissants » a vouloir régler tout cela en branlant du patriotisme, de l’esprit collectif et du soutien ému au corps médical, notions qui leur font horreur le reste du temps. 

Rien sur la contamination initiale, l'abruti qui bouffe du pangolin à l’urine, la surconsommation, le libre-échange en valeur suprême, les importations massives, le transport aérien en open bar (il y a encore quelques jours on pouvait librement voyager sans être controlé entre ces pays scrupuleusement attachés à faire respecter le confinement aujourd’hui ). Rien sur le rôle de la Chine non plus. Après nous avoir refourgué cette merde, la Chine est en passe de réussir sa bataille de la communication quant à façon "exemplaire" de traiter le problème. Le pays endossera bientôt le rôle du bon samaritain avec ses exportations massives de masques magiques que nous sommes incapables de produire ici au terme d'un demi-siècle de desindustrialisation de trucs utiles. Rien donc sur notre complicité de consommateurs et de nations aux déséquilibres planétaires qu'ils soient sociaux, écologiques ou financiers. Rien sur nos complicités d'électeurs, fonçant vote après vote vers toujours plus d'austérité et de respect des pactes de stabilité.  Non, aujourd'hui, la priorité c’est de trouver des lits en réanimation. Effort de guerre dont on se demande si le gouvernement, disrupté par un microbe, voudra sortir un jour tant le mécontentement s’amplifie dans la population. « Viendra le temps du procès ». En attendant le nuremberg des cons, on paye l’addition. Certains meurent,  les autres vivent dans leurs placards (dont le confort et la superficie ne font que reproduire les écarts de classe normalement constatés en temps de paix). 

Nouvel effet du temps. Si les journées passent lentement, en revanche leur souvenir s’efface immédiatement. J’ai perdu le fil du journal sans m’en rendre compte. J’ai sauté une journée. Cela m’arrive rarement en temps « normal ». Nous passons un joli samedi confiné, un de ces jours repos classiques après une semaine usante où l’on a la flemme de sortir. Ce jour nous ne sentons même pas coupable d’être flemmards. Nous nous remettons tous à jouer de la musique. Depuis dix jours, nous n’écoutions que peu de disques et jouions peu de nos instruments de peur peut-être de provoquer le virus. Piano, guitare, harpe, le trio tricote des morceaux maladroits mais enchantés. J’avance dans le quarto gallimard d’Annie Ernaux. A ce rythme j’aurais lu l’intégralité de son oeuvre avant la fin du confinement. 

« Ecrire la vie, non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie et le deuil ».

C'était il y a quelques mois ou années. Je crois avoir croisé Annie Ernaux dans la rue pas très loin d’ici. C’était une longue rue, je l’ai vu arriver de loin avec une enfant qu’elle tenait par la main. Je n’étais pas sûr que ce soit elle, et même si je l’avais été je ne l’aurais pas abordée. Quoi dire : J’ai dévoré votre vie ? Nous nous sommes croisés, il faisait beau. J’étais bien ce jour là, je revenais de courir, je me souviens de son expression apaisée, pas loin du sourire. Regards accrochés une demie seconde. Nous avons continué nos chemins d’inconnus connus, devenant peut être un personnage l’un pour l’autre. 

J’ai peut-être tout simplement rêvé tout cela, mais ça me suffit pour que ce soit vrai.






#confinement jour 14

Seule sortie de la journée : le running matinal dans le quartier fantôme entre Tchernobyl, la planète des singes et le fils de l'homme. Le film de science-fiction que nous traversons depuis deux semaines jauni peu à peu, ça commence à ressembler à un documentaire façon frères Dardenne. C'est l'histoire de Seb Musset qui cherche un pack de lait demi-écrémé en tentant d'éviter les infectés. Va-t-il y arriver ? Si oui, ces coupons réductions pré-pandémie vont-ils encore fonctionner ? Alors que je longe la succession des panneaux électoraux du funeste premier tour des municipales, une sonnerie d'école déchire le silence. Les traces papiers du monde d’avant flétrissent et laissent place aux affichages sanitaires flambants neufs : restez chez vous, lavez-vous les mains, combattez l’ennemi invisible. Les boyaux d’un rat écrasé au milieu de la rue sont dépiautés par un couple de corbeaux. Un début de file d’attente se forme devant la boulangerie, un par un c'est marqué. Je lève la main pour saluer de loin un petit vieux de mes voisins, seul et non protégé. Je vois qu’il ne me reconnait pas derrière mon masque bricolé, d’autant qu’il a le soleil dans l’oeil, mais il me répond un joyeux « Bonjour Monsieur ! » qui résonne quelques secondes sur les façades aux stores baissés que transpercent des regards inquisiteurs.  J'appuie sur l'horodateur pour savoir où j’en suis : il me reste douze minutes de sortie dans la zone autorisée. Cette crise confirme sans détour ce que l’on sait déjà : nous sommes tous à la fois fliqués et abandonnés par l’état.

Les chiffres sont tombés grâce à l’ouverture des datas d'un opérateur téléphonique : un million de franciliens ont quitté le grand Paris en quelques jours. C’est une catastrophe pour certaines régions sous dimensionnées au niveau hospitalier et une "petite" bulle d'air dans le bocal de microbes parisien. Voilà peut-être la raison de ce début d’« air de vacances » qui flotte sur une capitale creuse mais qui reste sous tension larvée. Nous devinons l’issue provisoire de tout cela dans quelques semaines, en espérant que la propagation sera efficacement ralentie grâce à nos assignations à résidence. Il restera néanmoins, dans ce meilleur des cas, l’impératif de vigilance et la distance. 

Les vacances d'été vont avoir une drôle de gueule avec nos déambulations en slip de bain et masque intégral. Il en ira de même au turbin : tous au bal masqué pendant plusieurs semaines. 

C’en est fini pour longtemps de la bise et de la poignée de mains, c'était tellement XXe siècle. 





#confinement jour 13

Les jours tracent tête baissée et ils ne sont découvriront probablement pas d’un fil en avril. Vue de ma fenêtre, la France et l’Ile-de-France en particulier se préparent à « la vague » avec une certaine indolence printanière. Déni, résignation, incrédulité ou rienàfoutrisme, un peu de tout cela. A l’image de cette famille de canards qui s’est échappée du Parc Montsouris et se balade décontractée dans le quartier ensoleillé, nous vaquons, un peu moins angoissés, à nos circonscrites occupations : manger, dormir et plus si dérogation. Le président tente de se rassurer lui-même lors d’un direct depuis l’hôpital de campagne de Mulhouse. Nous avons une belle armée et des TGV suréquipés pour transporter les malades les plus graves. Je n’en ai jamais douté. Mais nous on veut des masques.

Comme pour les cours d’A. et R. grâce à l’investissement (dans tous les sens du terme) des enseignants, le télétravail prend son rythme de croisière. Si le confinement nous confirme  individuellement ce que nous sommes, le télétravail, pour les chanceux qui peuvent l’accomplir, les informera de la façon la plus cinglante sur les structures et les mentalités des entreprises pour lesquelles ils oeuvrent. A-t-il été anticipé depuis longtemps ? Le matériel a-t-il été fourni ? Avait-il tout simplement été envisagé ou sa philosophie se résume-t-elle encore aujourd’hui pour nombre d’entreprises de service à celle des propos d’un RH rapportés par un cousin lointain qui le tient du copain de la comptable qui l’a entendu en lisières de l’espace détente de la compagnie P. après les annonces de Macron : « - non mais sans déconner on va quand même pas les payer pour qu’ils restent chez eux à glander ! ». S’ils glandent comme vous dîtes du haut de votre salaire bien épais, c’est d’abord qu’ils sont mal dirigés et qu’à l’évidence vous êtes trop payé.

Il en va du télétravail comme du travail en général. Il y a ceux qui font le boulot et ceux qui font tout pour ne pas le faire. Le télétravail est une extension du rapport de confiance entre l’employeur et le salarié, avec des clauses et un contrat carré. 

Marrant comme le teletravail terrorise souvent les employeurs. De ce que j’ai observé, chez moi ou ailleurs, le télétravail peut facilement vous conduire à être beaucoup plus productif qu’une présence physique dans les locaux.

Déjà, il contribue a diminuer le auto-branling-collectif de nouille qui constitue une bonne moitié du temps de travail dans les secteurs « non essentiels » de notre économie. 

Deuxièmement, le salarié s’évite en moyenne une à deux heures de transport par jour, ces cinq à dix heures par semaine de temps perdu que le salarié a intégrées comme étant « normales ». Le plus souvent de très mauvaise qualité (pollution, promiscuité, risque croissant d’attraper des virus à la con) ce temps perdu ne profite ni au salarié ni à l’entreprise.

Ensuite, pour peu que vous aimiez votre travail, l’absence même de contrainte horaire conduit très logiquement au « débordement ». En décodé : une fois que vous ne pointez plus, contrairement à ce que pense le patronat du XXe siècle, vous avez plutôt tendance à vous dépasser plus qu’à esquiver. C’est à mon sens le plus gros danger du télétravail pour le salarié : la réponse aux mails hors des horaires, le surcroit d’initiatives pour montrer qu’on existe, les petites charges de travail qui l’air de rien se diluent bien au-delà des 35 heures et l’invitation quasi constante du travail à domicile, lieu censé être neutre. Autre avantage non négligeable (pour les plus grosses entreprises), il contribue à l’individualisation du salarié et au dézingage du collectif. Allez faire une manifestation devant la boite du mail du patron, c’est tout de suite moins menaçant.

Plus que le salarié (qui va s’y retrouver au mieux avec un peu plus en qualité de vie), ce sont les entreprises qui ont en fait énormément à gagner avec le développement du télétravail.

La période que l’on vit va inévitablement changer les points de vue des uns et des autres sur le télé-travail. Bien sur nombreux sont ceux qui vont enfin réaliser que leur job est en réalisable tout aussi bien, voire mieux, depuis chez eux en moitié moins de temps par semaine. D’autres, plongés sans préparation dans le bain du labeur en ligne, vont vite s’autonomiser hors des cadres classiques et des sentiers historiques balisés par la direction omnisciente.

Une chose est sûre, après un ou deux mois à ce régime, les choses ne seront plus tout à fait comme avant quand chacun retournera dans son bureau lever le doigt et répondre « présent ! ».

Et ça c’est plutôt une bonne nouvelle, elles sont rares en ce moment.

#confinement jour 12

Silence et beau temps sur la quartier, le climat est trompeur sur Paris. Je reconnais presque mon ciel perdu de la côte charentaise. Un nouvel ami à la maison : un escargot me tient désormais compagnie sur le mur de la cuisine. Par où est-il rentré, comment a-t-il grimpé aussi haut ? J'y vois le signe d'un changement positif du climat sur Paris à l'air purifié.

L’événement people de la journée, c’est la descente au ravitaillement. Tel un héros de Prison Break, je me suis tatoué sur l'avant bras le plan du SuperBouffe Market. Mon but : accumuler des vivres, ne croiser personne, ne pas me gratter le nez, survivre quoi. Mes passages ici sont assez rares pour que je constate une légère flambée des prix 5 à 10% sur pas mal de produits en deux semaines.

Plusieurs commerçants du quartier n’acceptent plus les clients physiques, il faut commander sur internet. D’autres s’auto placent en couvre-feu. Horaires de guerre : 7h-17h. Je n’aime pas du tout l’ambiance dans laquelle on glisse très tranquillement, les mains propres, surlavées au gel hydro-alcoolique. Il parait que dans les campagnes, faute de main d'oeuvre, les légumes partent à la benne. Paradoxalement, et alors que les frontières (comme les marchés ouverts) sont fermées, je trouve encore des tomates espagnoles au supermarché. Le ministre de l’agriculture appelle les neo-chômeurs pour cause de confinement à travailler dans les champs, en totale contradiction avec les mesures annoncées au même moment par le premier Ministre. On marche collectivement cul par dessus tête (sans masque) sur une base désormais horaire.

La rumeur table sur six semaines d’enfermement. Certains parlent de deux ou trois mois, les demandent même. Je n’en reviens pas d’un tel renoncement volontaire à nos libertés fondamentales sans fondement scientifique autre que ceux "vus à la télé". Notre soumission, à laquelle je contribue bien volontiers, m'effraye encore plus que cette contagion. L’esprit est court-circuité, tétanisé. Macron n'en espérait surement pas autant. Je suis prêt à parier que cette improbable histoire de confinement ne lui plaisait pas (d'où les atermoiements du début) et qu’il ne sait plus à désormais plus à quel saint scientifique ou économique se vouer.

Le bilan de son quinquennat sera exactement l’inverse de ce que pourquoi il a été élu : il renationalisera à tour de bras, le pays va se prendre une gamelle de PIB historique, il aura défoncé tous les pactes de stabilité et aura été le premier président à payer des semaines les gens à rester chez eux. La cause est grande c’est entendu, mais il aura été le premier président à foutre l’intégralité du pays à l’arrêt. D’autant que c’est sans fin, il n’y aura pas d’issue heureuse. Il y aura des morts de ce virus, on ne sait juste pas combien ni sur combien de temps puisqu’on ne sait pas les compter. Comment conclure un tel cycle ? Comment redémarrer comme avant ?

Même si nous sommes copieusement mis à contribution et que nous sommes tous concernés (les Français sont inquiets à 87%, et 73% à considérer, malgré les mesures, que La France n’est pas prête à faire face au virus*), Macron sait que la patience aura des limites, (le barnum autour du professeur marseillais en est le premier révélateur) et que le peuple va progressivement y laisser sa peau mentale. Pour l’instant nous dansons, en intérieur, sur une bombe qui tôt ou tard lui explosera à la gueule quand on sera las d’applaudir chaque soir à 20h comme seule activité physique de la journée.

Il sait aussi que quoi qu’il arrive son quinquennat sera marqué par ce premier semestre 2020 (qui tombe au milieu de son mandat) et qu’il est cramé. Quelle meilleure solution de ne pas perdre les élections que de simplement ne plus les organiser ? Nous n’en sommes pas là. Et pourtant. Qui aurait seulement pu imaginer, il y a encore trois semaines, cette assignation nationale à bouffer des chipsters sur canapé pour combattre un ennemi invisible ? Qui aurait pu imaginer que l’on observerait, à la place des publicités sur les abris bus parisiens, des affiches à slogan unique (sur fond de couleurs douces) nous ordonnants de nous laver les mains et de rester à la maison ? Il y a l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre notre peur légitime et la totale perte de contrôle collective, planétaire. L’évaporation de la démocratie nous attend au tournant et le pire c’est qu’on ne sait même plus voir où se situe ce tournant tant chaque jour nous plaque un peu plus la gueule par décret dans les eaux visqueuses du non-retour.

"Il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de le remettre dedans".

Il faut vite sortir de cycle sanitaire qui nous fait glisser dans un autre monde confiné. Le durcissement ou le prolongement est un faux débat. Une quarantaine c’est quarante jours. Au-delà, c’est que l’on à d’autres intentions et/ou que l’on obtiendra d’autres résultats.

*sondage Elabe/BFM du jour


#confinement jour 11

A. et R. sont rodées. Grâce au suivi serré de l’instituteur et de certains professeurs, j’arrive à maintenir un semblant d’école et de disciplin, même le dimanche (celui ci ne voulant plus rien dire).

Le temps confiné en décor unique permet de décrocher de la notion d’horaires. Si ce n’est pour les applaudissements de vingt heures, nous évoluons dans une longue plage floue d’occupation de l’espace s’organisant autour du soleil. Je me trimballe avec mon pot de terre et sa pousse de coquelicot, le matin d’un côté de l'appartement, l’après-midi de l’autre. Nous ne regardons plus la télé, n’écoutons que peu de musique. Le silence est apaisant, pour l'instant. Si ce n’était pas pour cette petite interdiction de sortie cela ressemblerait presque à un long week end de vacances. L. me dit au téléphone qu’elle n’a plus envie de sortir, c’est un peu pareil de mon côté. Les rats des villes s’habituent à leur cage dorée.

Le soir venu, nous faisons le bilan des occupations de la journée, A. ne sait plus si on n’a fait tel ou tel exercice de fitness ce matin ou hier. Tout se confond, tout est à la fois lent dans l’instant et fugitif dans le souvenir. L’autre bout du monde, c’est trois rues derrière. Le virus n’est plus qu’une chimère, nous ne voulons rien en percevoir. A quoi bon ? A chaque fois que je vois la tête de l’androïde et de son parterre de teubés, je me sens devenir haineux. Mieux vaut éviter. Je craignais une restriction du jogging et j’apprends que le Premier ministre vient de passer l’autorisation de 30 minutes à une heure en complément de la fermeture des marchés ouverts qui pourront quand même ouvrir s’il est décidé en local de ne pas les fermer (si si vous avez voté pour ces connards).

Un confinement total n’a pas de sens sans test généralisé. Un confinement total est impossible sans ravitaillement alimentaire. Un confinement total est illusoire sans policiers protégés. Le gouvernement est pour le moment incapable d’assurer les trois. Un confinement total est surtout une preuve d’échec, la démonstration par l’exemple de la faillite des gestions néo-libérales des nations, dont les chefs de service, fidèles à leur tradition, font désormais payer le prix de leur nullité à chaque citoyen.

L'espoir d'une "amélioration" ne tient qu’à la responsabilité des Français et à leur capacité à encaisser cette aventure intérieure. Quel sera le point de bascule ? Pour l’instant nous avons l’air responsables et motivés, en résumé : nous avons tous plus ou moins peur pour nous et nos proches. Mais qu’en sera-t-il dans deux semaines, trois, un mois ou deux ? Quel sera le point de bascule de l'équilibre fragile entre cet effondrement intime et collectif, notre psychologie d’intérieur puis l’économie dévastée d’un pays, et le nombre de vies sauvées ? D’autant que ce nombre ne sera, par définition, jamais assez et qu’il tourne dans le vide tant que l’intégralité de la population n'est pas testée.

Dire que l'on raillait avec le plus grande morgue il y a encore un mois ceux qui s’aventuraient à évoquer, à minima, une fermeture des frontières si la danger était à ce point sérieux. Vous vouliez de l’échange ? Et bien restez chez vous maintenant.

A bien y regarder, j'ai l'impression que cette pousse de coquelicot n’est qu’une vulgaire salade.


A lire : https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/et-maintenant-on-culpabilise-les-citoyens

#confinement jour 10 : L'intime collectif

J’entends les critiques de Twitter (que sait faire Twitter à d’autre ?) sur les diaristes en herbe, ces privilégiés qui romancent l’épidémie en retrouvant la plume et leur héros préféré, eux-mêmes, "sans avoir à s’embarrasser des figurants" comme l’écrit très justement Pacôme Thielemans.

J’aime les journaux intimes, tous même les mauvais, leur lecture est quelque part rassurante, leur rédaction apaisante. Ecrire le quotidien est mon autre drogue avec la course en solitaire, si proche : rigueur quotidienne, maintien d’une pratique physique et intellectuelle, oxygénation. De ce côté la renaissance actuelle des blogs et des journaux de confinement sur les réseaux est un petit bonheur imprévu.

Ecrire, une façon de signifier pour un semblant d’éternité que tout d’une journée, l'esquisse d'un sourire, la couleur d'une fleur, la peur à l'intérieur, même et surtout l’ennui, est précieux.

Le journal a toujours ma préférence littéraire. Depuis le collège, les fictions m’emmerdent. J’aime Balzac pour ses portraits d'une époque à travers la description d'une poignée de porte et Proust pour sa faculté à tourner 3000 pages autour du pitch (le cul d'Albertine). L’histoire m’importe peu, traverser la rue vaut mille fresques en trois tomes.

Je traverse la rue et je retrouve mon seul vrai boulot : élever mes filles. Circuler avec des enfants devient de plus en plus mal vu. Comme je le présentais la semaine dernière, il faudra slalomer la semaine prochaine entre ceux qui se contrefoutent toujours du virus au supermarché et ceux qui sont prêts à te dénoncer parce qu’ils t’ont vu par la fenêtre. Courir sera probablement supprimé dans les heures qui viennent vu l’hystérie des experts médicaux à la parole divine sur les plateaux télés. Ils te veulent obèses devant la TV, manger 5 séries et JT par jour.

En attendant, on se remet au fitness, cette fois sur du Cure.

"I never thought tonight could ever be
This close to me"

C’est étrange de l’écrire mais, mettant de côté la non possibilité de sortir, nous passons un de ces dimanches de confort moderne classique : ratatouille bio, récupération des devoirs en retard, confection d’un flan, sessions de croquis et de portraits et visionnage d’un Disney en anglais.
Les échos d’un nouveau scandale médical impliquant Macron et sa garde rapprochée d’incompétents monte sur les réseaux. Ne nous énervons pas. Ils rendront des comptes en temps voulu.

Accrochons-nous à ces petites satisfactions quotidiennes, cette crise aura au moins deux effets positifs : L’UE, démontrant à grande échelle sa totale inutilité, s’autodétruit sous nous yeux et, pour l'instant, nous mangeons mieux.

#confinement jour 9

On parle de phase d’adaptation. Je n'y suis pas encore. Double peine des confinés en ville : cumuler l’isolement et la crainte de la promiscuité. Si on sort un jour de ce merdier, je développerai un plan B pour la prochaine pandémie. Il est hors de question que moi et mes proches crevions dans cette ville de merde avec la probabilité non négligeable d'avoir comme seule vision à l'arrivée du dernier soupir ce mur décrépi puant le pipi et fort opportunément tagué « aller niqué vos races en enfer » .

Frissons toute l’après-midi, je me crois atteint (évidemment), mais je pense que c’est juste la fatigue et le ciel gris. Aussi prévoyant que le gouvernement, je n’ai pas de thermomètre. Il s’est passé quatorze jours depuis mes vraies dernières prises de risque de contamination à savoir l'aéroport de Barcelone.

Suis-je contaminé asymptomatique, non contaminé ? Nul ne le sait, pas de test évidemment. On n’est déjà pas foutu de fabriquer des masques en tissu alors des tests pour chacun, on les aura entre Pâques et la semaine de l'inauguration de la nouvelle version de Notre-Dame. Non, pour un pouvoir usé, qui se refait une santé dans l'opinion, mieux vaut continuer à culpabiliser les individus et confiner en collectif. Ma seule évaluation : suis-je encore capable ou pas de faire du sport ? La réponse est oui donc je vais bien.

Je n’écoute que très peu les infos, me bloquant du matin au soir sur FIP avec quelques effrayants sauts de puce sur les chaines information.

Il parait que le climat législatif va se durcir. Vais-je seulement pouvoir alterner la garde de mes filles tous les trois jours comme nous l’avions envisagé alors que nous habitons tous les deux dans le même quartier ? Va-t-on devoir tous réhabiter ensemble, s’entasser plus pour supporter le confinement ? Si la logique sanitaire reste à prouver (j’espère qu’elle le sera), nous glissons peu à peu dans l’absurde. Pourquoi confiner si l’on peut continuer à travailler ? Pourquoi rester chez soi toute la journée, si inévitablement on se retrouve entassés à un moment dans les supermarchés métamorphosés en bouillon de culture ? Et comment confiner des immeubles avec cent appartements où tout le monde peut circuler ? Dans quel état désastreux va-t-on récupérer les couples qui se tapent déjà sur la gueule, les familles à 5 dans 40m2, celles et ceux seules dans une studette sans fenêtre (ah Paris…) ? Va-t-on devoir mourir d’une carie non soignée parce que la priorité c’est la pandémie ? Va-t-on devoir rester bloquer deux mois dans un ascenseur en panne, parce que « dépanneur » est devenu une activité « non essentielle » ? Va t-on devoir mettre un militaire derrière chaque civil ?

Si les sacrifices d’un confinement de quelques semaines sont nécessaires, il faut s’interroger sur les conséquences sociales, mentales, physiques et économiques d’un prolongement de la durée ou d’un durcissement. Quelle est la logique finale d’un confinement total ? Finir par tirer à vue sur les gens pour les protéger d’eux-mêmes ? Que des policiers sans masque mettent en prison pour leur santé des types à plusieurs dans la même cellule ? Quelle est la logique économique d’un suicide pour éviter l’hécatombe ? Tout cela parce qu’on n’est pas foutu de fournir des tests pour identifier des porteurs sains. Retournons tous dans nos cages regarder des publicités pour un monde dont on ne plus profiter. Nous sommes tétanisés par la peur et prêts à obéir. Nous voulons l’armée, nous voulons sacrifier nos libertés, nous encensons un pouvoir que nous détestions il y a deux semaines.

Mon quartier (les limites de notre nouveau monde) pourtant respecte plus ou moins les règles et se discipline jour après jour. Il y a toujours des exceptions ça et là, mais de moins en moins jour après jour. On se parle de loin en achetant une baguette, mais on se parle encore. Est-ce trop encore ou doit-on déjà se considérer comme criminel de guerre ? Dans ce cas-là, j’en connais d’autres sur la liste, bien plus haut placés, qui ont permis à des milliers de parisiens plus thunés dirons-nous, d’aller contaminer en SUV hybride le territoire entier.

Derrière les exemples désastreux d’apéros clandestins ou de barbecue sur les plages, j’espère (encore un peu) que le gouvernement et les maires feront un peu plus confiance au sens de la responsabilité de l’écrasante majorité des Français.


#Confinement jour 8

Attestation manuscrite au poing, je descends à l’aube courir dans les rues du quartier. Je n’ai pas couru depuis quinze jours hormis quelques séances d’appartement. Je peux me passer de la cigarette de l’alcool, plus difficilement de la course. Je ne croise pratiquement personne à cette heure-là. Ou plutôt si. Deux sans abris, îlots de vie au bas des rues désertes où l’on entend à cette heure-là que le croisement des corbeaux et le claquement des volets comme dans les ghost-towns des vieux westerns.

L’isolement de ceux auxquels on ne fait plus attention depuis longtemps crève les yeux maintenant.
Les oiseaux me narguent désormais à quelques centimètres, pianotent de petits bons sur les rambardes des balcons. Les rares fois où je passe dans l’allée, ils ne décollent plus aussi sec comme avant mais prennent le temps de me regarder de haut. Les oiseaux ne se cachent plus pour nous dire :

- On fait moins les malins maintenant, hein les humains ?

Pour l'instant les humains, eux, restent conditionnés au trottoir. Distance de sécurité ou pas, peu marchent au milieu de la chaussée. Les rues sont réservées au piéton de fait, et pourtant les piétons continuent à y laisser la priorité à des bolides imaginaires. Ceci dit, on n’est jamais à l’abri d’un livreur Uber eats, relique incongrue de la start-up nation, kamikazant pour un bol de nouilles en scooter électrique. Ce serait bien con de mourrir écraser dans une ville sans voiture.

C’est l’heure de vérité. Après une longue observation des lieux et des us par la fenêtre et une étude de marché de l'heure la plus appropriée en fonction des livraisons, j'entre pour la première fois dans la supérette en temps de "guerre sanitaire".

Des palettes d'articles jonchent les allées, les manutentionnaires et le personnel ne chôment pas pour réapprovisionner les étalages. Certains portent des gants d’autres non, un des vendeurs me reconnait malgré mon bâillon et me demande comment je vais. Je lui fais un V avec le main. Ces mecs sont inconscients ou très courageux, mais dans les deux cas pas loin d’être des demi dieux à mes yeux. A la différence de plein de jobs que nous avons le confort de pouvoir exécuter en télé-travail, leur métier est essentiel. Comme souvent dans ce monde d’avant qui marchait cul par dessus tête, plus une tâche est indispensable à la collectivité moins elle est rémunérée.

Ça marche avec presque tout :
Des urgentistes qui sauvent des vies ? Pas important, ça ne vaut rien, les gens ça doit mourrir quand ça doit mourrir.

Les enseignants en charge de l’éducation de centaines d’enfants simultanément ? Penses-tu, des feignants.

Les chercheurs ? Pas assez rentables les chercheurs, ils ne trouvent pas assez souvent.

Le type qui t’apporte ta bouffe et nettoie ta merde ? Pas de Bac +12 pour ça, à quoi bon le payer correctement ?

Voilà le monde qu’on a voulu, celui qui pour lequel on a voté, celui auquel même si l’on se trouve « pas assez con pour voter » on contribue jour après jour depuis notre naissance avec nos renoncements, nos offres promos par paquets de douze, nos commandes en ligne. De nos smart-phone à nos cure-dents en passant pas nos fruits tous importés de l’autre bout du monde, fabriqués, cultivés, assemblés au plus faible coût financier donc au plus lourd coût humain et écologique.
Mais je m’emballe, où est ma liste de courses ?

Merde, j’ai fait tomber le papier. Tant pis je vais arpenter les rayons calmement en tentant de garder mes distances. J’ai répété la scène dans l’appartement : mon gros sac sur l’épaule droite, ma main droite nue maintenant le sac mais ne devant jamais toucher à rien d’autre, je dois saisir les articles avec ma main gauche enrobée d’un gros gant de ski (c’est tout ce que j’ai trouvé dans l’appartement, étrange je n’ai pas skié depuis cinq ans).
Ce n’est pas la pénurie générale mais il n’y a plus aucun produit de lavage ou d’entretien, plus d’oeufs, et je prends les dernières bouteilles de lait. Le rayon des pâtes est devenu communiste : c’est un alignement warholien d’une même marque sur dix mètres. Une marque avec un nom italien genre " Bastafioni " probablement tout aussi bidon que la qualité gustative du machin. C’est trop bon marché pour être de qualité.
Le principe des distances de sécurité est à peu près respecté par tous, hormis quelques petits vieux, ceux au dos courbé et dont tu peux compter les vertèbres à travers le manteau rapé comme je l’ai lu dans un commentaire sur Facebook. Eux et elles ne changent rien à leur routine quotidienne : un petit cabas de secours, de quoi tenir un ou deux jours pour eux et leur animal de compagnie. Les choses se compliquent à la caisse avec la manipulation des articles dans tous les sens. On ne perd pas le rythme, toutes les consignes de sécurité sont soudainement balayées, il faut abattre du client et que ça défile. Nos articles se mélangent entre clients après le scan. Nous sommes tous à moins d’un mètre les uns des autres, la plupart sans masque.
Au tapis d’à côté, je reconnais un célèbre philosophe médiatique qui ravitaille également entre sérénité et empressement. Food for thoughts. Je ne l’aimais pas particulièrement, mais je lui reconnais au moins ça : il est là au milieu de nous alors qu’il avait surement mille endroits plus plaisants où aller vivre sa quarantaine.
J’enroule un kleenex sur mon doigt pour composer le code de la carte, le tout avec une main, celle gantée étant condamnée. Curieuse gymnastique digitale où la moindre erreur conduit à devoir ramasser le précieux sésame bancaire sur le sol très possiblement contaminé.

Je sors de ma première excursion à la supérette avec le même niveau de fatigue qu’après mes trois kilomètres de course du matin. Je vais désormais privilégier les « petits » commerçants du quartier bien plus strictes sur l’hygiène, aux articles souvent plus chers mais plus locaux et très souvent de meilleure qualité. Cet épisode va creuser toutes les inégalités alimentaires, éducatives, culturelles.

Processus de désinfection à mon retour à la cellule même si je suis loin d’être parfait, je laisserai le sac quelques heures avant de le toucher et de manipuler son contenu. Douche, j’ai désormais des mains calleuses de vieux marin à force de me les laver. Ce nouveau quotidien un peu mieux maitrisé, je suis plus efficace dans le télé-travail, moins de temps perdu qu’en temps normal finalement.

Ce gouvernement pour qui « le travail c’est la santé », mais pas les masques, s’apprête à supprimer les 35 heures et raccourcir les vacances en entubant massivement les français confinés qui devront prendre une partie cette peine de réclusion en « congés payés ». Nous vivons déjà une perte de liberté, nous pourrions bien vivre dans les mois qui viennent une régression des droits sociaux sans précédent. La stratégie du choc s’opère sous nos yeux et nous y contribuons pour notre santé et celle de nos proches, oserions même nous affirmer avec la plus belle fougue libérale des jours de grève que nous sommes "pris en otage" ou tout au moins prisonniers. Tout se paiera androïde, tout se paie toujours. Quoi qu’il en coûte.

L. au téléphone. Nous étions tous les deux persuadés d’être un jeudi, mais non c’est bien vendredi. La dilatation du temps commence à opérer. Nous sommes en week-end de pacotille. Nos voix numériquement recomposés autour d’un apéro chacun à son balcon. Se souvenir de chaque instant, chaque sensation, être là l'un pour l'autre dans les pleins et les creux, se nourrir d'hier, imaginer les après sans se laisser trop emporter par demain.

Nous vivons notre séance de cri de 20 heures par le balcon en simultané.

D'autres apéros en ligne qui réchauffent avec les amis sur Skype qu'on réapprend à faire fonctionner.
Je m'en retourne à la confection de plats pour la semaine, sans passer un instant par la case écran ou info alors que c'est mon carburant en temps normal. Ce qui m'importe pour l'instant c'est que j'ai vu un peu grand : me voilà avec une ratatouille pour vingt.

Dommage que je ne puisse pas vous inviter.




#confinement jour 7

A. me rejoint à l'aube. Je suis réveillé depuis deux bonnes heures. Je lui propose une sortie rien que pour nous deux avant le réveil de sa grande soeur. La routine sanitaire est acquise. Gants et Baillons en polaire rouge, laisser-passer dans la poche. Descendons sur la piste Corona en prenant garde de ne pas accrocher les portes.

Main dans la main, nous sommes les spectateurs privilégiés de la symphonie matinale sur la petite place arborée, propriété exclusive des oiseaux. A. pointe du doigt les premières fleurs sur les branches, c’était au programme d’une de ses dernières leçons.

Une pyramide de gros pains rustiques à la boulangerie du coin de la rue. Il n’y en a jamais eu autant à cette heure. Les maraichers, les bouchers et les boulangers redoublent d’effort pour fournir de l’abondance au coin de nos rues désertes.

L'école en temps de confinement. Je constate une réelle différence entre le primaire et le secondaire. L’instituteur d’A. a organisé une boucle mail, simple et touchante. On y donne exercices et leçons à réviser, quelques conseils et une phrase d’encouragement. A. est très attachée à son instituteur. Même quand il n’est pas là, à ses yeux en termes d’instruction, c’est lui qui fait la loi. Dans le secondaire, c’est plus compliqué. Le logiciel tant vanté par un ministre fonctionne mal et il est différemment suivi par les professeurs. J’apprends à R. à se dépatouiller des fichiers .PDF, comment zipper et dezipper une présentation et autres basiques de la vie numérique. Je croise les doigts pour qu’elle continue à être sérieuse et ne glisse pas dans le laisser-aller vu la situation et la piètre ergonomie du logiciel. Je n’ose imaginer la situation scolaire d’enfants qui sont déjà en quasi décrochage à l’école alors qu’ils se retrouvent confinés parfois à plusieurs, et / ou sans ordinateurs.

Nouvelle crise d’A. parce qu’elle s’est trompée dans ses exercices. Seule solution pour la calmer, le bain, ce spa des confinés. Cela fonctionne, nous nous occupons chacun à nos travaux, chacun dans notre coin.

Le soleil revient en force sur nos façades blanches. R.ouvre la fenêtre et joue de la guitare pour la rue. Je conviens d’un rendez-vous à mi-chemin avec C. pour lui déposer les enfants à la mi-journée. Tant que c’est possible nous allégerons les alternances de garde à trois jours.

La pâté de maison, notre seul horizon, ressemble aux reconstitutions américaines en studio des rues « si typiques » de Paris (à savoir sans voiture et sans piéton dans l’imaginaire mondia). Tout ceci a des saveurs de The Handmaid’s tale. En six jours, on s’y est globalement plié. Pour certains et j’en suis, on demande même plus de fermeté avec les contrevenants, plus d’hygiène à chaque instant. Il va falloir être vigilant sur nous, notre entourage, nos réactions communes, notre condition physique mais aussi mentale. On se prend a rêver sur le monde qui va changer après, mais il ne faut surtout pas rêver. Il y aura un avant et un après, oui, mais il y a surtout un pendant, nous définissons la suite.

Ma cellule cosy est désormais comme toutes celles de la cour : les fenêtres grandes ouvertes la journée. Quelques voix résonnent brièvement, quelques impatiences d'enfants et les oiseaux, des mouettes un moment et l’écho limpide d’un clocher. Mon quartier parisien ne s’est pas transformé en ville de province, tendez l’oreille c’est un village de campagne. Les peurs s’effacent provisoirement, demain n’existe plus jusqu’à la prochaine fois.

Les objectifs sont simples : terminer la cuisson des légumes, ne rien gâcher, se laver les mains, répondre aux questions du boulot, prendre des nouvelles des siens.

J’envoie un message à mon père plus pour lui donner un peu de nouvelles plus que pour en prendre des siennes, j’en connais les grandes lignes. De ce qu'il m'a été rapporté, il ne réalise pas vraiment ce qui se passe en ce moment. Lui est déjà isolé depuis des mois à l’hôpital, et n’est connecté au monde que par un écran de télé où tout n’est plus qu’une fiction éphémère où le télé-crochet des bibelots de Sophie Davant a la même valeur que le bodycount de la pandémie. On a tout imaginé depuis des mois à son sujet, il a tout traversé débonnaire et sans mémoire, et aujourd’hui l’absurde : Toute visite est interdite pour sa sécurité, ce n'est plus son corps mais l'extérieur qui est un danger.

Mes colères sont en pause. Toute sauf une. Ce scandale d’un pouvoir qui, plus de trois mois après le départ du virus, n’a toujours de masque à distribuer à son corps médical comme à sa population. Je ne comprends pas la complexité de cette tâche pour un exécutif si prompt à donner des leçons sur le travail des autres, alors qu'il y a encore cinq jours dans n’importe quel Mac Donald’s du territoire français on offrait un Avengers en plastique, fabriqué à douze mille kilomètres de là, pour chaque Happy meal à quatre euros commandé.

La semaine dernière est un monde englouti, la prochaine une chimère. Tout nous parait incertain, on avait juste oublié que tout l'a toujours été.

Ce que j’ai écrit hier est contredit à ma fenêtre le soir même. A 20 heures, c’est l’ensemble de la cour qui est sa fenêtre pour applaudir, dix minutes de joie balayée chaque minute par le faisceau bleuté de la tour fantôme. Je découvre ces façades que je connais pourtant depuis dix ans. Les hurlements, les sirènes pour les infirmiers, les docteurs, le personnel hospitalier, mais cette émotion collective ne leur est pas uniquement destinée. C’est notre point de rencontre, la façon la plus sécurisée de se prendre dans les bras et de tous s'encourager.


#confinement Jour 6


- Tu vois qu'on a bien fait de laisser le chat à la campagne et ne pas le garder à l'appartement. Il est plus heureux là-bas. Maintenant on est comme était le chat ici : on ne peut plus sortir et rentrer quand on veut.

Matinée entrecoupée des cris de A. parce que l’opération « n’est pas faite dans la bonne colonne ! ».

Mon pouvoir de mobilisation sur n’importe quelle autre tache est de 15 secondes à tout casser les gamines me sollicitant sans arrêt du réveil au coucher. Je dois avouer aussi ma confusion à prioriser et à mettre en pause mon constant état d’alerte. Même si nous nous améliorons dans l’organisation, ce reboot de Loft Story avec deux enfants sans terrasse ni jardin est un escape game sans fin.

Nous ne sommes pas sortis depuis dimanche. Les effets de la promiscuité commencent à se faire bien bien sentir. Ce n’est pas tant une question de place que de bruit, de papillotement constant et de perpétuelles engueulades entre les soeurs.

- On a le temps de tout faire, mais on ne sait plus quoi faire, me dit A.

La solution serait les écrans, mais je ne veux pas tomber là-dedans, d’autant qu’elles ne sont pas réellement en demande. Nous ne regardions plus que très peu la télé depuis quelques mois.

Je les lance sur l’écriture d’un scénario tandis que je sors en bas du bâtiment pour un échange à la sauvette kilos de poireaux contre clopes duty-free presque comique.

Nous mangeons paradoxalement mieux, un autre voisin restaurateur nous ayant rechargé en légumes frais. Je me souviens encore de cette conversation légère avec lui dans l’ascenseur sur le virus il y deux semaines, soit six mois en équivalent Corona-Time. Je me rappelle également de la conversation avec T. dans ce même appartement, il y a deux semaines et six mois aussi, sur l’importance de prendre de la distance avec cette ville, avoir son petit terrain cultivable. A l'époque, début mars donc, nous n'avions même pas fait le lien avec le virus.

L’agressivité palpable du quartier ces derniers jours mute progressivement en une routine anti-sociale et sanitaire, plus ou moins respectée. Beaucoup de gens du quartier sont partis. Il ne reste ici que les revenus modestes et les familles sans résidences secondaires et quelques autres qui ne comprennent pas encore trop le pourquoi et le comment des contrôles policiers. De ma fenêtre, je vois quelques terrasses orientées plein sud abandonnées par leurs propriétaires.

J’avais sous estimé l’exode parisien de dimanche et lundi qui propulsera n’en doutons pas le virus dans les territoires qui sont déjà des déserts médicaux avec les conséquences que l’on sait. Comment leur en vouloir ? J’aurais eu l’opportunité : j’aurais probablement fait pareil.

Nous coupons les écrans et les informations et je ne vais plus que parcimonieusement sur les réseaux sociaux. C’est le retour en force du silence, du champ des oiseaux, du roucoulement des pigeons qui ne m’ont jamais semblé aussi beaux, c’est dire mon niveau de fatigue. Je trouve les pigeons désorientés d’ailleurs par cette perte soudaine de perte sèche de détritus à becqueter. L’on n’entend plus d’autres signe de civilisation que les échos, pour l’instant lointains, des sirènes d’ambulances et de voiture de police.

A l’heure du soleil dans le salon, je me penche au balcon pour prendre ma dose et un shoot d’amis au téléphone. J’entends parler d’élan de solidarité et d’acclamations aux fenêtres chaque soir pour remercier les soignants qui après avoir couté "un pognon de dingue" font "un travail exemplaire". C’est encore timide ici. Certains en sont encore à jeter leurs kleenex sales et leurs boites de whiskas vides par la fenêtre comme d’habitude, pas de dérogation pour ça.

Vers 18 heures, on tente une sortie. Deux tours de paté de maisons. On se protège le bas de visage avec nos masques de fortune : des écharpes en polaire rouges assorties. Première marche en trois jours dans notre quartier fantôme juste parsemé de quelques primeurs, boulangers et bouchers qui attendent le client masqué.

Je ne sais pas ce qui suivra, mais c’est une expérience déstabilisante de découvrir des lieux de tous les jours, en l’occurence une artère commerçante, vidés et muets. On n’ose même plus parler tant on est certains que chacun chez lui peut nous entendre dans les trois cents appartements autour de nous.

En bordure du parc des enfants, certains n’ont pas nos pudeurs de confinés. Dans un recoin caché sur la pelouse, un couple allongé n’est pas loin de passer à l’acte. On n’y fait même plus gaffe, tant on est heureux de respirer cet air que je n’avais connu à Paris. Les apôtres du tout bagnole ont une cinglante démonstration. Même le nez derrière nos écharpes, on fait clairement la différence avec ce que l’on respirait il y a encore quelques jours.

On croise un joli chat dans la rue qui miaule vers nous et se frotte à nos jambes, je retiens A.

- Ne le caresse pas.

Au retour, j’achète des pommes dans l’épicerie désertée. On se parle de loin, on se désinfecte les mains, on paye sans contact.

Nous les partageons à la fin du souper alors que le soleil rouge rase les toits.

Après cette journée chaotique et claquemurée, en mâchant la pomme fondante, nous avons tous les trois au même moment la même réaction :

- Qu’est-ce que c’est bon !




#confinement jour 5

A quelques heures du confinement officiel, R. compte les passages dans la rue des gens avec et sans masque.

Le ratio protégé/non protégé est encore très, très faible. A huit heures devant la supérette, curieux spectacle de quelques personnes qui s’agglutinent en respectant encore timidement les consignes de sécurité. Pas de file, juste un éparpillement « allégé » devant le seul accès du magasin. Au fil de la journée, la file se forme avec un espace raisonnable entre chaque consommateur cueilleur à carte bleue.

N’ayant rien compris au discours de Macron, je regarde les consignes de Castaner. On dirait le remake d’un film apocalyptique de Roland Emmerich avec Michel Galabru dans le rôle principal. Ceci écrit il est plus concret que le patron de la start-up nation dont le virus a d’ores et déjà eu la peau. Il est donc question d’un papier à imprimer pour faire pisser son cleps (je regrette soudain de ne pas en avoir).

Je lève les pieds sur le footing et les sorties « inutiles » moi qui fais presque chaque jour entre 5 et 10 kilomètres à pied. Je vais en rester au ravitaillement une ou deux fois par semaine et éventuellement quelques marches autour du block tôt le matin. Je suis surtout catastrophé pour les enfants qui vont devoir rester cloitrés 99,9% du temps. Ça n’a pour l’instant pas l’air de les troubler. Business as usual.

Côté scolaire nous avançons mieux. La matinée se cale sur les leçons et les devoirs fournis par divers moyens par les professeurs tandis que je travaille de mon côté. On glisse immobile doucement dans le dur. Quatorze jours, peut-être le double, le triple. Et pour quel résultat ?

On en est là avec nos doutes, nos envies de renouer contact, de retisser les liens que l’on a laissé se distendre. Un mot, un commentaire, une voix peut sauver des minutes, et les minutes font des vies. Nous sommes trois naufragés d’intérieur qui se découvrent à partir de mardi midi avec eux comme seule perspective. On rit, on lit à voix haute l’un contre l’autre du Marcel Aymé dans la chaise longue, on fait du sport, beaucoup, c’est incroyable tout ce que l’on peut faire dans un salon une fois les meubles enlevés. On compte la nourriture, les mots à apprendre en anglais, le vocabulaire de la poésie, les billes dans le jeu d’Awalé, le nombre de jours qui nous séparent de mai et les week-end qui disparaissent.

Douceur de la proximité oubliée avec les enfants comme aux premières années. Quelques colères entre soeurs, qui s’attirent et se déchirent sans cesse déjà en temps normal. C’est par la musique que paradoxalement nous nous isolons le mieux chacun à nos postes, l’écran des réseaux pour moi, la partie de carte imaginaire pour A. et les messages aux copines pour R. Nous prenons le rayon de soleil de la journée à la fenêtre une petite heure, en écoutant le champ des oiseaux. Un air apparemment pur nous caresse les joues. Le soleil gagne du terrain lentement, trop lentement. Il fait encore froid. Mars est le plus traitre des mois. On danse dans le salon sur des vieux disques à l’heure de l’apéro à l’eau.

"Let the sunshine in !"

L. est de l'autre côté de la ville. Je crois qu’elle gère mieux que moi l’angoisse plus ou moins larvée de chaque instant. Nous y serons confrontés ensemble dans notre coin, à tour de rôle en silence, avec nos petits rites et en nous aimant. Chacun sur notre rive, avec nos enfants, sans trop rêver, en prenant soin de profiter de chaque instant.

Je crois que suis entrain de progressivement reprendre mon premier blog. Il s’appelait les jours et l’ennui.

#confinement jour 4

Malgré mon endurance à la solitude, j’appréhende comme tout le monde les semaines à venir. Je serai isolé une semaine sur deux (si nous arrivons à assurer l’alternance de la garde des filles), je ne vais probablement pas revoir L. avant… avant je ne sais pas. On va y arriver, mais j’avoue que je suis un peu à sec d’euphorie à l’instant présent. La première journée d’école à la maison m’accapare plus que je ne le pensais. Heureusement, les filles sont presque plus attachées que moi au respect des horaires, (d'autant qu'il faut manager AUSSI les cours, les récrés, la cantine, les ateliers et l'étude).

Vu les comportements du week-end, nous allons vers le couvre-feu. Ce sera dur, et surtout compliqué à faire respecter à l’intérieur d’immeubles comme le mien. Je me retiens toute la journée de faire des stocks de nourriture, vu ce que je vois par la fenêtre. J’ai de quoi tenir quelques jours. La supérette du quartier est depuis quelques jours l’épicentre de mon attention avec ses allers et venues sans aucune protection, sans distance de sécurité, avec des caissières sans masques, des types qui prennent des risques pour acheter UNE baguette, ou alors remplissent trois caddies complets de packs d’eau (MAIS PUTAIN POURQUOI FAIRE ?). Je ne peux même pas leur en vouloir, nous faisons société. Si nous allions tous à la même vitesse de compréhension, d’acceptation ou juste d’attention à soi et à autrui, ça se saurait et Paris serait un territoire d’harmonie. Je constate déjà dans quel état de désordre je suis moi-même au bout de trois jours. On bricole comme on peut avec ce qu’on est et ce qu’on a.

D'ici là Il va falloir avoir des nerfs en titane. SI ça se passe bien, il faudra s'adapter à la sérénité forcée, retrouver cet état que j'avais lorsque j'habitais dans ma petite maison au bord de la mer il y a longtemps. Sans le jardin ni le soleil, avec juste le contentement du télé-travail fait, la joie d’être là à écrire, le plaisir de lire et vous lire, l'immense bonheur d'écouter de la musique, beaucoup de musique, et accueillir satisfait mon ennui quand il s'invite.

- T’inquiètes pas Papa, ça va aller.

Après des heures de tergiversations stériles, et quelques larmes, je sors au milieu de la rue avec les filles, visages emmitouflées jusqu’aux yeux comme moi. Nous marchons juste pour marcher en prenant soin systématique de nous écarter de tout individu, connu ou pas, ce qui est paradoxalement encore plus compliqué que dimanche et conduit à des situations ubuesques. Avec ma double écharpe, je ressemble à un taliban. On me regarde encore de travers avec un je-ne-sais-quoi de culpabilisation parce que précisément je me protège et les protège. Ça va changer. Les mêmes dans deux semaines nous engueuleront parce qu’on sera à moins de deux mètres d’eux dans la file d’attente du carrefour market, officine parisienne standard d’alimentation de proximité d’une contenance sanitaire de 3 personnes maximum en simultané. (durée prévue des courses : 6 heures)

Nous regardons en famille le journal de Macron du soir. Le gros problème de son allocution est qu’il ne s’adresse qu’à ceux qui ont bien compris la dramatique équation, et fait la morale aux autres (ce qui ne sert à rien) alors qu’il est très loin d’avoir le cul propre dans ce fiasco. Un pays qui n’est pas capable d’assurer des masques, du gel et des gants en quantité suffisante au premier jour du stade 3 d’un virus identifié depuis des mois a un sérieux problème d’industrie et de management.

Il ne prononce pas le mot « confinement ». On n’a le droit de voir personne mais on a le droit d’avoir des « initiatives avec ses voisins ». Une balade avec sa gamine : non. Une partouze en live stream gratuit de Jacquie et Michel : oui. Je ne doute pas que d’ici quelques jours, tout cela va se durcir encore plus. Je m’attendais à ce qu’on essaye un peu plus de dictature dès maintenant.

J’ai peur pour ceux que j’aime et celle que j’aime, mes filles, mes amis, mes parents, j'ai peur pour ceux et celles qui prennent concrètement des risques pour un salaire dérisoire pour nous sauver, j’ai peur pour ces gens que je ne connais pas, pour ceux avec qui je me suis engueulé. En attendant je vais bien fermer ma gueule et obéir aux consignes. Et je n’oublierai rien quand tout ça sera terminé.
Je pense à nous tous quand l’on se retrouvera. Nos rires, nos pleurs, nos étreintes et nos engueulades. Je pense à ce monde nouveau qui nous attend après cette merde. Si l’on ne change pas de cap économique, social, industriel, bref humain et philosophique après ce bordel planétaire, alors oui je ne donne plus cher de notre espèce.

2020 c’est soit la pire saison de Black Mirror, soit l’an 01.

En attendant, distance et hygiène mes braves.


#Confinement (ou presque) jour 3

C’est le pire qui pouvait arriver : un premier joli dimanche de printemps

Autorisation générale d’aller voter donnée par un pouvoir qui n’est pas foutu après trois mois d’alerte de faire fabriquer et livrer des masques à sa population et aux médecins (à noter que le premier ministre de la France est lui-même candidat à la mairie du Havre. On ne sait jamais : si d’aventure il s’ennuyait avec les évènements du moment).

La première belle journée de l’année, douce et bleue, après trois mois de pluie. Je me torture toute la matinée après 48h enfermé, mais je ne peux m’empêcher de sortir les filles en leur ressassant toutes les précautions d’usage : les mains dans les poches, rester à trois mètres de tout individu. Nous improvisons un parcours au milieu de la chaussée qui compose avec les rayons du soleil et l’évitement systématique de ceux qui nous regardent encore les yeux ronds. Nous nous retranchons dans les allées tranquilles du cimetière Montparnasse, loin de la tension. La tombe de Jacques Chirac est un inattendu sanctuaire ou nous oublions le virus quelques instants.

Nous croisons de loin quelques silhouettes solitaires et un couple d’allemands assis sur un banc avec valises et masques. Ils attendent probablement la navette pour l’aéroport. A leur visage fixe, je vois que eux ont très bien compris la situation.

De ce que je capture sur les réseaux sociaux, à l’image de l’insouciance des rues autour, les parisiens s’entassent dans les rues marchandes et les parcs, ne changeant rien à l’égoïsme total qui les caractérisent. Des buvettes sont même encore ouvertes malgré l’interdiction. J’avoue que j’ai toujours mal compris ce penchant local pour l’entassement bruyant. Alors en période de pandémie...

Paris ne panique pas encore. Paris est une fête. J’ai l’impression de vivre dans mon mur Facebook s’il y a dix jours. Je me souviens aussi du journal de Paul Léautaud relatant la vie paisible du quartier (le même) au printemps 1940 alors que l’été et les nazis approchent de Paris. Balek total de parisiens pédants perdus dans les polémiques du moment et qui n’y croient pas vraiment tant qu’ils n’ont pas vu la couleur d’un tank. Puis soudain, c’est l’hystérie générale et, en 24h, Paris se vidait (temporairement, les Parisiens revenants petit à petit puisqu’il suffisait de ne pas être juif pour se croire immunisé).

Nous ne ressortirons plus de la journée et probablement de la semaine, nous n’avons croisé personne à moins de trois mètres avec notre randonnée à courbes et angles droits. Le danger vient par surprise de notre propre immeuble. Des types fument dans les parties communes « pour ne pas enfumer leur appartement ».

Espérons que le couvre-feu qui ne manquera pas d’advenir dans de brefs délais vu notre déni et notre impossibilité collective à respecter les règles, renforcera à la fois nos défenses humaines et notre souci de l’autre.

Je mets donc à faire mon footing en appartement, je deviens professeur de maths et de solfège (si on m’avait dit ça il y a encore quatre jours) et j’entame une première semaine de télé-travail en m’estimant heureux de pouvoir attraper un rayon de soleil en fin de journée en me penchant par le balcon : c’est un luxe à Paris.

Les plus grands souvenirs de 2020 vont bientôt tenir à pas grand-chose.

#Confinement jour 2

Le vrai danger c’est la proximité. Depuis le départ. Des que tu as ça en conscience tu peux sortir mais TOUJOURS rester à distance. Au moment où j’écris je vois encore par la fenêtre des groupes dans la rue (jeunes, vieux) qui se parlent à 30 cms les uns des autres.

La question des élections c’est certes contradictoire mais les mecs naviguent au jour le jour comme souvent (y a qu’à voir les consignes opposées dans l’éducation nationale ce week end, c’est délirant). Ce qui était encore valable hier peut être et sera contredit demain.

Improvisation de l’exécutif + administration kafkaïenne + situation qui évolue d’heure en heure + incivisme + oubli des règles de bases de l’hygiène, le tout sur fond de coupes budgétaires : oui on peut aller vers une catastrophe mais ce ne sera pas seulement la faute d’untel ou unetelle, on a tous collectivement pris ça à la légère, moi le premier.

Conseil : apprenez à bricoler des masques parce que vous allez encore les attendre longtemps.


Le coffret 1999 de Prince : 1982 en 2019

C'est noël le 29 novembre pour tout fan de Prince qui se respecte. Ce vendredi sort le coffret "deluxe expanded édition" de l'album 1999 de Prince : 10 vinyles et un DVD, rien que ça. Après Piano and a Microphone et Originals, 1999 expanded édition est le troisième effort discographique de la Warner à destination des fans en moins d'un an. Et cette fois, il y a du vraiment massif. 


Reprenons depuis le début.

Fin 1982. Un an et demi avant le ras de marée planétaire de Purple Rain, 1999 est le double album qui a rendu Prince populaire aux Etats-Unis. C'est avec ce clip d'un inconnu ligoté par deux femmes sur un lit, diffusé un soir de 1983 sur Antenne 2 dans l'émission Sex Machine de Jean-Pierre Dionnet et Philippe Manoeuvre que je découvre Prince. Calibré à la soupe du Top 50, le garçon de 11 ans ne comprend pas immédiatement ce qu'il voit et entend mais il sent bien que la vérité est par là, et qu'il lui faut convaincre un monde incrédule que plus rien ne sera pareil après :



L'album 1999 est passé « relativement » inaperçu en Europe à la différence du Thriller de Michael Jackson sorti la même semaine. Composé à l’hiver 81/82, entièrement réalisé dans le sous-sol de la maison de Prince, minimaliste, parfois pop, souvent très électronique, home-studio avant l'heure, 1999 vise à dépasser la seule audience noire américaine (les classements musicaux, passages radio, sont encore très compartimentés aux Etats-Unis à cette époque). Avec l'essor de MTV et des clips un peu chauds, l’alchimie électrique et sensuelle va fonctionner : l’album et la tournée qui va suivre seront un triomphe.


1999 est l’album de Prince que j’ai le plus acheté. Une fois en cassette en 87, puis en CD dans sa version simple à la fin des années 80, puis dans sa version complète dans les années 2000, puis en vinyle double quelques années après, puis en vinyle simple l’an dernier pour le Record Store Day puis enfin cette semaine avec ce coffret 10 vinyles qui propose :
- le double album remasterisé,
- un double album de face B,
- un double album de 24 chansons inédites enregistrées durant la période de la conception de l’album,
- deux doubles albums d’un concert de la tournée à Detroit,
- un dvd d’un concert de la tournée à Houston.


La première surprise de cette réédition, c’est l’album lui-même. Le nouveau mix de 1999 fait ressortir des nuances jusque-là inédites. 1999 est le sixième album de Prince à seulement 23 ans, mais c'est le premier vraiment composé au cordeau, moins spontané que les précédents mais plus audacieux aussi, où la place de chaque morceau est étudiée. Le son de 1999 suit deux tendances : une très synthétique, certains diront new-wave voire techno (Détroit n’est pas loin de Minneapolis où l’album est enregistré) et l’autre plus organique et soul avec Free ou International Lover. Les titres sont longs, hors formats classiques (entre 5 et 10 minutes d’où le double album), souvent hypnotiques, basés sur la répétition et des paroles assez crues. Y figurent plusieurs hits : le titre phare 1999 (un morceau prolifique débordant de sons que Prince compose en quelques minutes dans une chambre d’hôtel après avoir vu un documentaire sur Nostradamus), le torride Little Red Corvette ou l’antienne DMSR (Dance Music Sex Romance, qui aurait pu être l’autre nom de l’album).



La compilation des faces B et des différents mix, même si elle est cohérente, a peu d’interêt sauf pour les quatre perles qui s’y perdent. How come U dont call me anymore, Horny Toad et Irresistible Bitch sont des faces B d’une telle qualité qu’elles auraient méritées de figurer sur de vrais albums. Idem pour le « dance mix » de Little Red Corvette qui a, parait-il, lancé la mode des maxi 45t.

Le véritable intérêt de cette édition pour les fans ce sont les deux double albums de chansons inédites extraites du coffre fort de Prince et toutes enregistrées entre fin 1981 et début 1983. Même si les fans en connaissaient certaines, dans ces versions ou d’autres, nous en découvrons beaucoup dont même les archivistes les plus pointus ignoraient jusque-là l’existence : Rearrange, Money don't grow on trees, No Call U, Vagina ou Colleen. Cette abondance de morceaux inédits, inégaux, déroutants pour certains, témoigne d’abord d’un éclectisme fou. A l'époque Prince déstockait son excédent musical au travers d'autres artistes qui lui servaient de couverture : le groupe masculin The Time et celui féminin de Vanity 6. On connaissait donc déjà ce côté touche-à-tout chez lui, mais c'est encore un autre univers, ou plutôt des passerelles entre chacun de ces univers que l'on découvre ici.



La quintessence du son 1999 se retrouve sur les fabuleux Purple Music (repris 25 ans plus tard sur la scène du New Morning), Possessed ou Moonbeam Levels. D’autres titres prennent des chemins de traverse, voguent vers la pop ludique, les rivages de la country, voire du reggae. Prince aurait-il souhaité qu'ils sortent en l'état ? C'est une question à laquelle je n'ai qu'une réponse "- tu n'avais qu'à laisser un putain de testament !". En attendant il y a de quoi se régaler dans ce coffret. On découvre par exemple au milieu de la compilation des ébauches déjà bien affirmées d’un album qui sortira huit ans après, Grafitti Bridge (et dont il semble désormais évident avec des dernières pièces à conviction qu’il est quasiment exclusivement composé de « vieux » morceaux ré-assaisonnés au son des nineties).

Des prises alternatives enregistrées « live » en studio (International Lover, How come U ou un medley autour de Lady Cab Driver) fascinantes de maitrise et d’émotion, complètent ces disques. C’est le plus grand interêt à mon sens de cette compilation qui aurait pu même consacrer un ou deux disques complets à ces prises directes.



On regrettera l’absence d'Extraloveable, morceau indispensable enregistré à cette époque. La crainte par Warner d’une cabale #MeToo pour une rime sur le viol a déchiré tout espoir de réhabilitation discographique. Mais pas de panique à Puritanisme Park, la bite dessinée par Prince sur la pochette se dresse toujours sur le coffret. 


Le titre interdit en question (parce que what the fuck)

Le disque final du 1999 tour à Détroit (fin 82 donc), bien qu’inédit, est plus anecdotique pour les fans, puisque nombre d’enregistrements de qualité existent d’autres dates. En revanche, pour celui qui découvre le son 1999 et de sa tournée il faut impérativement commencer par là : l’album et le concert sont des versions différentes sur les mêmes thèmes (alors qu’une poignée de mois seulement séparent les deux enregistrements).


extrait du DVD du concert de Houston du 30 /11/82

Ce coffret qui vise à satisfaire tous les niveaux de fans est une réussite. 1999 c’est aussi un de ces albums de Prince qui ne prend pas une ride des décennies après sa sortie tant il est précurseur et a inspiré des générations de producteur. Il ne reste plus à attendre que Warner archives et Sony Legacy, fassent la même chose avant la fin du monde avec les... 39 albums officiels restants.

A écouter le podcast "The story of 1999" (en anglais)

Comment Jean-Michel Blanquer détruit le bac et renforce les inégalités sociales et territoriales

Prenons quelques secondes pour expliquer la mascarade qu'essaye de faire avaler à l'opinion publique le ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer, au sujet de sa réforme du bac et du lycée. 

L'arnaque de Blanquer avec le "choix" des options pour les lycéens est assez simple. Tu es "libre" de choisir des options qui te font plaisir. Youpitralala le lycée, ça devient sympa !

Seulement le système de sélection des études, lui, n'a pas changé. Enfin si dans sa méthode. Ça s'appelle désormais "ParcourSup", une base de données RH qui applique les méthodes de surbooking des compagnies low-cost. 

Donc avec tes options qui te font plaisir, tu te retrouveras peut-être avec une scolarité et un Bac qui t'écarteront d'office de certaines études. (SPOILER : si t'as pas des maths dans ta sélection t'es mal).

Et là Blanquer, ou le clone libéral suivant, te dira : "- Tu veux faire astronaute ? Bah non ce sera coiffeur. C'est de ta faute mon grand, tu as fait ton choix en 3e !". Mince, c'est pas très tralala ça, on m'avait dit pourtant que c'était l'école de la confiance, mais j'avais pas lu les petites lignes en bas du contrat !

Le système de filières et d'initiés existe toujours, il est même renfoncé, mais il est camouflé et surtout, surtout, tu deviens l'acteur de ta discrimination (par un choix effectué en 3e sur lequel tu ne pourras plus revenir). En Macronie, quand ça ne marche pas : cherche pas, c'est de ta faute. 

(PS : Pour peu que ton lycée soit dans une "zone" l'affaire est pliée directe puisqu'avec l'évaluation tout au long de l'année le bac perd sa dimension nationale et devient local. Il n 'aura pas la même valeur d'un bahut à l'autre).


Grand débat et fiscalité : la bullshit therapie

Parmi les distractions du "grand débat pour occuper les médias", nous notons la baisse souhaitée de la fiscalité par les français (tout de suite interprétée par notre gouvernement en volonté de baisse de l’impôt sur le revenu).

Avec toutes ses imperfections, l’impôt que l'on paye à proportion de ses revenus est juste (dans le principe). La moitié des français est d'ailleurs trop pauvre pour en payer, à la différence de la TVA payée par tous (y compris les plus pauvres). Le SDF et Vincent Bolloré s'acquittent du même montant de TVA que ce soit sur leur paquet de nouilles ou leur Porsche Cayenne.

De réduction de la TVA il en est pourtant nullement question dans les conclusions gouvernementales. J'ai même croisé sur une chaîne de télé hier soir une Sibeth Ndiaye, toute honte bue, nous expliquant comment une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité appauvrirait au final les français.

Il s'agit à travers ces gesticulations (dans le prolongement du prélèvement à la source) de progressivement faire disparaître l’impôt sur le revenu des esprits, précisément pour faire disparaître l’impôt des plus gros revenus, et excuser ainsi (accélérer serait plus juste) destruction du service public et privatisations galopantes en s'appuyant sur « la parole des français ».

Ces derniers intègrent peu à peu (depuis trente ans que les gouvernement successifs et la majeure partie des médias leur rabâchent) que :

 - il faut réduire les dépenses publiques (naître ou sauver une vie ça doit être rentable, c'est comme ça puisqu'on te le dit)

- la hausse des salaires est impossible (petits ou moyens bien sûr, les gros y a encore de la marge), que, bref, la seule variable de gain de pouvoir d'achat c'est la baisse de l’impôt sur le revenu.

Passons sur le fait que cette « restitution de la parole populaire » (de 83000 personnes) survient à deux jours du début de la période de déclaration de revenus. Quand on aime on ne compte pas.

L'autre problème avec Macron l'androïde

L'autre problème avec Macron l'androïde est qu'il n'a rien à perdre. 

A l'inverse de nos hommes et femmes politiques traditionnels qui ont une trajectoire de terrain et une carrière ancrée dans le "sérail" (on le leur a assez reproché) et dont la moindre décision est influencée par le coup d'après et leur futur personnel, Macron est hors-sol politique. C'est une boutique éphémère construite autour d'une opportunité (la médiocrité ambiante) à l'aide d'un plan com' efficace. Avant d'être président : il n'a pas été élu, il ne sera pas plus après. L'imagine-t-on se contenter d'un strapontin au Conseil Constitutionnel ?  A l'instant où il ne sera plus président il traversera la rue du faubourg St-Honoré et on lui trouvera un siège confortable de consultant en optimisation de rienabranling (avec Golden welcome inclus pour service rendu à la finance) dans une banque planétaire quelconque. Pour la gloriole, il continuera aux quatre coins de la planète des messes TedX à la sauce Ron Hubbard sur les techniques d'abrutissement de masse.

Pour ces mêmes raisons, Macron n'intègre pas les conséquences personnelles de son impopularité croissante. En d'autres termes, votre avis c'est comme nos vies : il s'en branle. Nous sommes son stock. Ajoutons à cela que Macron est le genre de pragmatique radicalisé qui serait capable de rajouter son nom en bas de la liste du grand plan social national histoire de faire quelques économies de plus.

La politique de restriction budgétaire, de libéralisation générale et d’annihilation du service public se joue sur 30 ou 40 ans et pas un quinquennat. Chaque président y va depuis deux décennies de sa réforme et de son recul, mais tous vont rigoureusement dans la même direction. Le reste n'est que cosmétique, une question de style personnel. Avec Macron vous avez juste élu la continuité en plus extrême, la ligne dure, la version No Future, en marche rapide vers le mur.

Prince et la leçon de piano

On peut mettre à part l'édition Purple Rain Deluxe de l'an passé, le 21 septembre 2018 est distribué le premier réel album posthume de Prince, Piano and a Microphone. C’est en apparence un choix déconcertant de la Warner que d’avoir exploité le contenu d’une cassette audio d’une session au piano de Prince dans son home studio en 1983 pour en faire un album. Après tout, c’est le genre de choix improbable que Prince aurait pu faire.

A l’écoute c’est la claque. On y est. Force du toucher, précision de la voix et justesse dans la dinguerie, malgré le packaging l’album est tout sauf lugubre, c’est un brillant aperçu de la créativité et de la maîtrise du jeune Prince. Dur de ce dire que ce mec n’avait que 25 ans quand il balance sans une fausse note 30 minutes d’improvisation au piano en mêlant chant traditionnel, titres inédits, reprise de Joni Mitchell ou ébauches de futurs hits. 


Ce type a passé sa vie à travailler la musique et ça s’entend déjà à 25 ans. Le contenu était certes connu d'un grand nombre de fan, l'enregistrement pirate de cette session circulant depuis une vingtaine d'années mais pas dans une aussi bonne qualité. Le titre de l'album reprend le nom de l'ultime tournée (également au piano) de Prince où pour la première fois il revenait sur ses jeunes et cette année charnière de 1983. Il était alors à la veille de devenir une star planétaire.

Le plus dingue c’est de se dire que des milliers d’heures de la sorte nous attendent et qu’il n’y aura pas assez d’une vie pour les apprécier.


Pourquoi Macron s'attaque-t-il aux retraités ?

"A l’augmentation de la CSG, entrée en vigueur le 1er janvier et non compensée pour 60 % des retraités, est venu s’ajouter un quasi-gel des pensions pour 2019 et 2020, annoncé fin août par le premier ministre, Edouard Philippe." Le Monde, 19.09.2018

S'attaquer aux retraités est une ligne de code comme une autre de la présidence Macron.

Les aides descendantes des "seniors" vers leurs enfants et petits-enfants compensent en partie, pour certains, jusqu'à tard dans la vie des salaires trop bas ou des aides sociales trop maigres.

Assécher les prestations sociales d'un côté, réduire les aides familiales et inter-générationnelles de l'autre : la ligne de code gouvernementale est d'une cohérence implacable. La conséquence,ou l'objectif, de cette prise en étau : contraindre le quidam, nous, à traverser la rue, pour accepter n'importe quel boulot à n'importe quel prix.

Si cela s'inscrit parfaitement dans sa logique d'austérité comptable, politiquement c'est suicidaire. En s'attaquant aux retraités, la macronie fait peut-être sa plus grosse connerie.
 

Le président logiciel


Je dois m’incliner. Je voyais Macron  comme un conseiller clientèle d’organisme de crédit avec un peu de bagout, bref un petit con d’HEC, ayant fait option théâtre et un Mooc "scientologie et dynamique de groupe", qui serait balayé comme un papier gras par le vent de la première contestation. Vous avez en fait élu ce qui se fait de plus redoutable en matière d’intelligence artificielle. 

Macron est un androïde avec une gouvernance logicielle (et un petit plug-in cynisme) dont le principe algorithmique est la réduction budgétaire aveugle. Margaret Thatcher dans le corps de Daniel Craig.

On le voit dans la moindre de ses mesures, et désormais le moindre de ses propos :

Peu importe si le nombre d’élèves par classe explose. Virons 1800 profs pour une "meilleure gestion".
Peu importe tes études : tu feras ce qu'on te dit (Parcoursup).
Peu importe ton boulot : tu dois en avoir un.
Tu veux du travail ? Traverse la rue
Peu importe ton métier : ordre t’es donné de te reformer en continu pour t’adapter au marché.
Peu importe la cause commune, le collectif et encore moins l’intérêt du plus grand nombre : dans la start-up nation chacun doit devenir comptable de sa destinée, et tout rapport à l'autre se doit d’être facturé.
Peu importe le citoyen : nous devons être des concurrents.
Peu importe si tu en meurs : il faut rationaliser.
L'humain n'a aucune place dans le système d'exploitation Macron. Tout y est binaire. Une logique de 1 et de 0. Tu dois rentrer dans une case, peu importe ton désir ou ta personnalité.

Vous avez élu Terminator en petit costume de comptable. 

Mais le pire n’est même pas là car, vous savez quoi : Macron n’est pas la cause de nos malheurs.
Il est la conséquence directe de nos renoncements. 

Avec un androïde au pouvoir suprême, un problème majeur se pose à nous autres humains : rien ne sert de discuter avec une machine. Le combat est perdu d'avance.

S’y retrouver dans les 23 albums Post-Warner de Prince (1995-2010)


Avec la "libération" de 23 albums de Prince sortis entre 1995 et 2010 et jusque-là inédits sur les plateformes de streaming (et la plupart introuvables dans le commerce), ceux qui ne connaissent pas l'étendue de l’œuvre de Prince après 1995 (après les années de hits, et un divorce laborieux avec sa maison de disques Warner) ont une chance assez dingue : Ils vont pouvoir découvrir des albums aussi riches et différents que The Rainbow Children, The Truth, One Nite Alon" ou Crystal Ball en une journée. J'avoue que je les envie. Devant cette profusion, un petit audio-guidage s'impose. Commençons donc la série avec le premier album de la seconde partie de carrière de Prince : The Gold Experience (1995). 

[1/23] THE GOLD EXPERIENCE ou le retour gâché

« All that glitters ain’t gold… »
 
L'album devait être son "Purple Rain 2" et a été fusillé à la fois par la Warner, sa maison de disques n'ayant pas trop apprécié ses récentes émancipations discographiques sur d'autres labels et sous d'autres noms, et Prince lui-même qui s'est comme souvent lassé du projet (la sortie a été bloquée durant 2 ans). Éclectique, nerveux et inspiré : Gold Experience est le parfait album pour commencer à écouter du Prince, on y retrouve un peu de tout ce qui a fait sa marque audio dans les années 90 : des ballades électriques calibrées sex (Shhh, Eye Hate U), une touche de rap (Pussy Control, Now), de rock (Endorphine Machine), du funk clintonien (Billy Jack Bitch) et des morceaux un peu plus dénudés (Shy)


Titres favoris : Billy Jack Bitch, Eye Hate U, Shhh
Le Sachiez-Tu : On y entend brièvement Ophélie Winter et Lenny Kravitz.


[2/23] COME ou quand Prince se dédouble

"Come. You Should Do That, Baby"

Comme c’est Prince et que « chaos » et « désordre » sont les maitres-mots de sa discographie, cette série Prince Post Warner 1995-2010 n’est déjà plus respectée dès le 2eépisode avec un album sorti en 1994 chez Warner. Mais on ne peut parler de Gold Experience sans évoquer COME, son album jumeau aussi sombre que Gold est lumineux.


Come et Gold étaient pensés par Prince pour sortir le même jour en 1994. Come sous le nom de Prince et Goldsigné d’un symbole imprononçable. Sur la pochette de Come sont d’ailleurs indiqués naissance et mort de Prince : 1958-1993. C’est à cette époque que l’on voit Prince arborer un « SLAVE » sur sa joue. Prince cherche alors à reprendre le contrôle de son nom et sortir comme bon lui semble ses albums (c'est-à-dire 1 tous les 3 mois). Mais il est contractuellement lié pour plusieurs années à la Warner qui n’a pas la même vision de la distribution. Les relations entre les deux sont exécrables. Prince va honorer son contrat en « lâchant » pour la major une série d’albums d’apparence bâclés mais qui contiennent chacun leurs pépites. Come est le premier de la série. C’est un de ses albums les plus courts, et hors-formats habituels (un titre a capella, un autre de 11 minutes…), avec peu de possibilité de singles là ou Goldest un album étiré mais très accessible avec 4 ou 5 hits potentiels. Prince avait tout misé sur Gold, Warner sortira Come. Les anciens amis ne s’aiment plus.

Titres Favoris : Papa,  Solo et Let it Go (pas celui de la reine des neiges hein)
LeSachiezTu : On entend des gémissements sur le dernier morceau Orgasm. Sont-ce ceux de Vanity (Denise Matthews), enregistrés dix ans plus tôt ? Si oui, dans quelles conditions ? Et pourquoi les réutiliser à ce moment-là en concluant cette ode à la jouissance sur un "I love You" ? Le débat reste ouvert.  Ils ont emporté leur secret dans l’afterworld, les deux sont décédés à 3 mois d’intervalle en 2016.


[3/23] CHAOS AND DISORDER ou quand Prince claque la porte

"I Rock, Therefore I am !"
Le bien nommé Chaos & Disorder est sorti à l’été 1996. Probablement enregistré en quatrième vitesse, l’album fait partie de ceux que Prince jetait à la Warner pour honorer son contrat. « C & D » est passé inaperçu personne ne daignant en assurer la promotion.  Si la compilation est plutôt cohérente et épurée (c’est probablement le plus « rock » de ses albums avec The Undertaker 1993), la plupart des morceaux comme I like It There ou Zanaleeprenaient réellement leur dimension en live. La pochette est symbolique de cette époque ou l'image de Prince (embourbé dans ses litiges juridiques et artistiques sur son nom et ses disques) se brouille complètement dans le public, au point de disparaitre des radars. Avec son côté "Je m'en bats les couilles", Chaos & Disorder est en tout point l’antithèse de l’album que Prince prépare au même moment et qui sortira sous un autre label à l’automne 1996. 1996, une année charnière à plus d’un titre dans la carrière et la vie intime de Prince. Mais ça nous en parlerons demain. 

Titres favoris : The Same December, Zanalee, Had U.
LeSachiezTu : Le dernier titre Had U (au choix « je t’avais » ou « je t’ai eu ») ne parle pas d’une femme, mais bien de ses 15 années chez Warner : « Kissed U, Disappoint U, Fuck U, Had U… »



[4/23] EMANCIPATION ou quand Prince se libère. Vraiment ?

"- Free ! Don’t Think I Ain’t."
On allait voir ce qu’on allait voir. Frustré de ne pas pouvoir distribuer autant de musique qu’il le voulait chez Warner, Prince sort chez EMI 36 chansons sur 3 CD de 1h pile chacun pour célébrer son amour et sa liberté artistique retrouvée. L’épais Emancipation, sorti en novembre 1996, est un tournant dans la production princière. Il y explore plus qu'avant plusieurs genres (Salsa, RnB, Rap, disco même) et, première, s’aventure dans des reprises de standards US (Bonnie Raitt, Joan Osborne, les Stylistics et les Delfonics). Si cette somme est incroyablement riche, la production n’est parfois pas à la hauteur de la créativité de certains titres (l’absence de cuivres sur Face Down reste un mystère) mais on y trouve son lot de bons grooves, de morceaux bien déglingués et un bel enchainement de ballades mélancoliques.


Emancipation fait également parti des opus « intimes » où Prince se livre le plus sur sa vie privée. Le disque 2 est intégralement consacré à son couple (il s’est marié avec Mayté Garcia). Le morceau Sex in The Summer est d’ailleurs rythmé par les battements de cœur de son enfant à naître. Emancipation est donc un album joyeux, résolument optimiste. La joie sera de courte durée. Son enfant, Amir, décèdera au bout de quelques jours, peu avant la sortie du disque dont il assurera quand même une longue promotion (ce qui n’était plus le cas depuis plusieurs années). Dans sa récente interview sur Schkopi-tv, Mayté revient sur l’importance qu’avait pour Prince ce disque. Elle l’a donc accompagné sur cette tournée promo malgré la peine. Prince disait que ses chansons étaient comme « ses enfants ». Pourtant quelque chose est cassé et son couple ne s’en remettra pas. C’est à cette époque, pour notre plus grand bonheur, qu’il s’embarque dans des tournées fleuves aux États-Unis et en Europe pour financer son association caritative « Love 4 one another ». Jusqu’à la fin, Prince ne jouera plus que très rarement des titres d’Emancipation sur scène. Paradoxalement cet album sur la liberté marque le début de son enfermement personnel et musical sur lui-même dans son gigantesque studio-blockhaus de Paisley Park « The White Mansion » à un moment où beaucoup de nouveaux sons et tendances musicales transforment la planète pop-rock. C'est aussi le début du bazar dans la distribution de sa musique, à partir de là il négociera disque par disque avec différents labels, quand il ne distribuera pas lui-même ses albums.


Titres favoris : Emancipation, Saviour, Joint 2 Joint, The Love We Make
LeSachiezTu : On entend Kate Bush sur le titre My Computer dont le thème est l’addiction à internet (10 ans avant la création de Facebook !). 


[5/23] CRYSTAL BALL ou quand Prince se pirate lui-même

"- You never would have drank my coffee if I had nerver served you Cream"

Prince est probablement, encore aujourd’hui, un des artistes les plus piratés : Les enregistrements des concerts bien sûr, le fameux Black Album, mais aussi des centaines de titres inédits ont circulé dès la fin des années 80. Ce marché parallèle atteignait un tel niveau que certaines paroles de chansons supposément inédites étaient parfaitement connues des fans qui les reprenaient durant les concerts. 

Au milieu des années 90, Prince veut reprendre la main sur les "bootleggers" et profiter des possibilités de l' internet naissant pour distribuer lui-même sa compilation de pirates. Crystal Ball est sa première ambitieuse démarche dans ce sens.

Disponible en 1998 uniquement en commande par téléphone ou via son site internet, Crystal Ball est un triple album dont le seul concept est d’offrir dans le désordre des morceaux inédits tirés du fameux "vault" (son coffre-fort à Paisley Park). L’emballage est sommaire avec une vague note rédigée par Prince où il explique le pourquoi et le comment de chaque titre.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69843042

On ne va pas chipoter, Crystal Ball est une mine d’or. Une mine qui se divise en trois catégories :
- Des morceaux de 1986 (Dream Factory, Last Heart, Sexual Suicide, Crucial ou le mythique Crystal Ball un titre résolument jazz de 11 minutes qui devait introduire un quadruple album refusé par la Warner).
- Des titres plus rock et RnB des années 90 (Aknowledege Me, The Ride, Interactive, Poom Poom, Calhoun Square…) qui auraient pu trouver leur place sur ses plus récents albums.
- Des curiosités : une séance à la batterie avec son comparse Morris Day, un poème  et des versions remixées.

S’il n’a pas vraiment de cohérence sonore, Crystal Ball montre plus que tout autre album la diversité de la production princière entre 1985 et 1995 et contient des classiques incontournables pour les fans.
Même s’il a été furtivement commercialisé en France sous le label Night and Day, ce triple album gâchant un peu son potentiel, autant dans l’assemblage bordélique que par sa distribution confidentielle, est symptomatique du sentiment ambigu que nous ressentions à l’époque. Nous avions d’un côté la satisfaction de pouvoir enfin entendre tout ça avec un bon son tout en déplorant que personne d’autres en dehors du cercle des fans ne le puisse. C’est enfin possible aujourd’hui. Profitez.

Titres favoris : Crystal Ball, Hide The Bone, Crucial, Days O Wild


Le SachiezTu : Crystal Ball est en fait un quintuple album. La version originale contient deux disques supplémentaires : un album instrumental improbable Kamasutra (qui n’est pas disponible dans la liste des 23 albums en streaming) et aussi The Truth un album acoustique à la guitare dont nous parlerons demain.


[6/23] THE TRUTH ou quand Prince est seul à la guitare

"- When the voices you hear command you to entertain the absurd..."

Fin des années 90, Prince est tiraillé entre son désir de revenir sur le devant de la scène comme à l’époque de Purple Rain (tout en sachant pertinemment que ce sera impossible) et sa volonté de faire la musique simplement pour un cercle plus restreint, ses amis ou ses fans de longue date, ou « fams ». Il va donc durant dix ans alterner des albums calibrés visant le grand public et des sorties ultra confidentielles pour son "audience rapprochée".

The Truth c’est 12 titres où Prince est seul à la guitare sèche, savamment accompagné de quelques effets sonores. Sans pochette et distribué en cadeau avec Crystal Ball en 1998, à l’évidence Prince n’avait aucune prétention d’exploser les charts avec cet unplugged. The Truth se glisse discrètement entre plusieurs albums largement surproduits avec, eux, de réelles ambitions commerciales (Emancipation et New Power Soul). Avec le recul on peut voir cette stratégie comme une erreur.
Cette volonté de se rapprocher des fans se poursuivra quelques années encore avec la création d’un « club » en ligne et des « célébrations » avec des concerts plus intimes (et acoustiques) chez lui à Paisley Park


Il faut voir aussi dans The Truth sa première affirmation discographique pour remettre en avant « la vraie musique par de vrais musiciens », un leitmotiv qui ne le quittera plus par la suite. Et preuve est faite avec cet album que Prince est un grand guitariste. De par sa simplicité et son authenticité, The Truth passe très bien l’épreuve du temps et serait probablement un carton s’il sortait aujourd’hui.


Titres favoris : The Truth, Fascination, Comeback, Welcome 2 The Dawn
LeSachiezTu : Animal Kingdom est une chanson pro-vegan offerte à l’association pour la défense des animaux PETA à l’occasion de son vingtième anniversaire.


[7/23] NEW POWER SOUL ou quand les disques de Prince commencent à devenir des prétextes à concerts

"- Freaks On This Side !"
1998 est une année princière faste. En plus de Crystal Ball, The Truth et Kamasutra, Prince sort un autre album sous le nom de son groupe le NPG (New Power Generation). Le NPG est une formation à géométrie variable et membres interchangeables (tous ont d’ailleurs repris la scène ensemble à la mort de Prince). 

Avec un son synthétique dans la continuité d’Emancipation, NewPowerSoul, avec son mélange heavy funk et guimauve, déroute sur certains titres. Une fois encore, c’est un album inégal dont la production laisse parfois dubitatif. L'album fait partie d’un triptyque le « NewPowerPak » composé de deux autres disques produits par Prince mais interprétés par deux de ses idoles de jeunesse : Chaka Khan et Larry Graham le bassiste de Sly and The Family Stone. Si Prince ne signe pas New Power Soul de son nom, il en assure néanmoins la promotion et plusieurs clips sont réalisés (dont The One par son épouse Mayté)

A écouter ici : http://tidal.com/us/store/album/61536195

L’album a été distribué en Europe dans le principal but de servir d’appui à une longue tournée le « Jam Of The Year Tour » qui a ressoudé les rangs des fans qui commençaient à se clairsemer. A Paris, ou il n’avait pas joué depuis quatre ans, l’année de ses 40 ans, Prince remet les pendules à l’heure et nous offre 2h30 de concert fabuleux et prouve avec force solo et grand écart qu’il est au sommet de son art. NewPowerSoul est l’exemple type de l’album dont on aime se souvenir pour les concerts et les longs jams qui y sont associés.

Titres Favoris : Push it Up, Come On, Mad Sex


Le SachiezTu : Il existe deux autres albums où Prince se cache derrière le groupe NPG : Goldnigga (1993) et Exodus (1995). A la différence de NewPowerSoul où il est en avant sur la pochette, il n’y est fait aucune mention de Prince ou alors via des messages cachés. Mais c’est bien lui aux commandes et qu'on entend sur la majeure partie des titres.


[8/23] THE VAULT : OLD FRIENDS 4 SALE ou quand Prince déstocke à prix cassé des pièces de collection

"- And they'll show you the friends that they're not"

Sorti à la fin de l’été 1999 The Vault : Old Friends 4 Sale est la dernière livraison contractuelle et à contrecœur (comme le montre la pochette) de Prince à la Warner. C'est un album à l’exact opposé du précédent NewPowerSoul. Selon le même schéma que Chaos And Disorder ou Come, Old Friends 
est très court, mais cette fois orienté smooth jazz et très accessible.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/90953

Cette collection de morceaux enregistrés entre 1986 et 1994 et d’extraits d’une musique de film jamais sortie (I’ll do Anything) s’avère une excellente surprise. Alternant les titres enlevés et plus sombres, on y retrouve enfin un Prince musicien au milieu d’autres musiciens, sans artifices électroniques et avec une vraie cohérence entre chaque titre. On regrette juste l’absence des autres titres de la BO d’I’ll Do Anything qui y auraient parfaitement trouvé leur place. Il n’y aura aucune promotion ni vidéo pour cet album.

On se met à rêver alors qu’il poursuive dans cette direction jazzy et intimiste sur scène mais, au tournant du millénaire, c’est dans un registre totalement différent que Prince prépare son (troisième) comeback.

Titres favoris : It’s about that walk, When the lights go down
LeSachiezTu : 5 Women est un titre à l’origine écrit pour Joe Cocker et figure dans son album Nightcalls en 1991.

[9/23] RAVE UNTO/INTO THE JOY FANTASTIC ou quand Prince rêvasse.

"- Don't hate me 'cause I'm beautiful !"
 Rave UNto The Joy Fantastic sort sur le label Arista en novembre 1999. L’album est symptomatique d’un travers qu’aura Prince durant 10 ans : il délaisse ce qui a fait sa marque de fabrique, des albums concepts et transgressifs, pour chercher à tout prix artistique à distribuer un album "catalogue" brassant différents genres avec pour chaque genre un titre formaté. Quand on cherche à plaire à tout le monde, il y a de grandes chances qu’on ne séduise vraiment personne. C’est le cas avec Rave Unto pourtant adossé à une impressionnante tournée promotionnelle en Europe (Prince ira jusque sur le plateau de Jean-Pierre Foucault !). 

Rap, ballade, clin d’œil à James Brown, solo au piano, rock fm… l’album part dans tous les sens et sonne comme une prétentieuse tentative de prouver qu’il maitrise tout mieux que tout le monde « I don’t follow trends, they just follow me ». Comme il s’agit de Prince les collaborations annoncées, que ce soit avec Gwen Stefani ou Sheryl Crow, n’en sont pas réellement et, cerise sur le pudding, le packaging n’a aucune âme (en un sens c’est raccord avec le contenu). Malgré tout, comme souvent avec Prince, on pioche deux ou trois titres magnifiques dans la bouillabaisse des 2 versions de l’album.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842702

Car, ce serait trop simple, un an plus tard une nouvelle version de l’album, nommée Rave INto The Joy Fantastic, est distribuée en CD via son site internet. Elle comprend des versions longues ou remixées, plus ou moins heureuses et un nouveau titre envoutant qu’on écoute alors en boucle : Beautiful Strange

A écouter ici (version 2) : https://www.deezer.com/fr/album/69843052

Bref, on sent à cette époque que Prince
1 / ne s’intéresse plus à ses albums en tant que tel (il mise de plus en plus sur la distribution en ligne, titre par titre, et le futur prouvera qu’il a raison)
2 / est clairement préoccupé par autre chose (on apprendra avec son prochain album qu’il s’agit de religion).

Pour les fans, plus que jamais, c’est désormais sur scène que ça se passe.


(reprise de Jimi Hendrix en décembre 1999. Extrait du DVD "Rave Unto the year 2000"

Titres favoris : Eye Love U But Eye Don’t Trust U Anymore, Beautiful Strange, Wherever U Go Whatever U Do.
Le SachiezTu : Le titre Rave Unto The Joy Fantastic a été enregistré en 1988 (à l’époque de Batman), soit 11 ans avant la sortie de l’album.


 [10/23] THE RAINBOW CHILDREN ou quand Prince prie en musique

"- I'm willing to do The Work Tell me now what about you ?"

Prince aura eu jusqu'à la fin la faculté de nous cueillir là où on ne l’attendait pas. Après quelques déceptions discographiques, à l'été 2001 il nous percute avec un album radicalement différent de tout ce qu'il a fait jusque-là sur le fond, la forme et la distribution.

Sur la forme, avec The Rainbow Children Prince assume enfin son penchant jazz d’un bout à l’autre d’un album. Il renoue également avec « l'album concept ». John Blackwell son nouveau batteur a précisé que l'album avait entièrement été réalisé avec seulement eux deux dans le studio. L’album peut déconcerter à la première écoute, mais c’est un classique et pour certains fans son dernier grand album.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842772

Sur le fond, fini l'équivoque ou la dualité sexe et spiritualité, The Rainbow Children gravite entièrement autour de la religion (même si tout reste cryptique). Jamais des psaumes n’ont sonné aussi funky. Ce disque est l’aboutissement artistique du travail spirituel que Prince entreprend sous l'influence de Larry Graham qu'il a rencontré peu après la mort de son enfant. Le bassiste de Sly and the Family Stone, très « investi » dans la religion, inspirera son « baby brother » à rejoindre les témoins de Jehovah. Certains en veulent à Graham pour cette « dérive ». Je pense, mais ça ne tient qu’à moi, qu’aussi déroutante qu’elle puisse nous paraitre ce détour a probablement rallongé d’au moins quinze ans la vie de Prince. La religion a par ailleurs toujours été présente dans ses disques à des degrés divers sous un axe plus profane ou blasphématoire.

Au début du siècle sur scène Prince est donc moins « dirty » et plus « mind », les « explicit lyrics » sont édulcorés, la chanson Sexuality est rebaptisée Spirituality et d’autres morceaux comme Sexy Mother Fucker ou Irresistible Bitch disparaissent de son répertoire. Côté promo, Prince ne fait plus une interview sans parler de la bible au milieu d’un charabia difficile à suivre.

Malgré son coup sur la cafetière, nous allons entrer avec cet album, et ceux qui vont suivre autour de son nouvel assemblage du NPG, dans une de ses meilleures périodes en concert.

Alors que l’industrie du disque dans sa quasi-totalité se méfie d’internet comme de la peste, l’album est disponible en téléchargement gratuit (nous sommes en 2001 !) sur le NPG Music Club, un site que Prince vient d’ouvrir et sur lequel il distribuera désormais sa musique. L’album sortira par la suite en CD et vinyle en France où il aura joli succès d’estime. Dix-sept ans après The Rainbow Children reste un album intemporel, et on entend toujours chaque soir ses premières notes au milieu d’autres standards dans le générique du Club JazzaFip. 


Titres Favoris : Rainbow Children, Mellow, 1+1+1=3, Everywhere
LeSachiezTu : Dans le cadre de la promotion de l’album et du NPG Music Club, Prince est le premier artiste de renommé à avoir donné l'exclusivité d'un titre (The Work) à Napster, le site d’échange de fichiers mp3 qui était dans le collimateur de l’industrie musicale.


[11/23] ONE NITE ALONE… ou quand Prince jouait du piano assis


Début des années 2000, Prince s’investit énormément dans le développement de son site internet, le NPG Music Club. Pour un abonnement annuel de 100$ les fans y ont accès à son blog, une émission mensuelle (précurseur des podcasts) et surtout des chansons et des vidéos inédites chaque mois, voire des albums (The Rainbow Children). Il y distribuait aussi des CD physiques comme Rave Into The Joy Fantastic ou ce One Nite Alone, son 25e album.

Après The Truth, One Nite Alone est le second album « unplugged » de Prince. Alors que depuis une dizaine d’années, l’autodidacte de la musique délaisse le piano sur ses disques et sur scène (nous avions tous en mémoire les longs passages de la tournée Lovesexy où il retournait un stade en quelques notes), il nous livre avec One Nite Alone 33 minutes émouvantes où il est seul face à l'instrument. Conséquence de ce qu’il vit à l’époque ? Son père, pianiste de jazz, est mort quelques mois plus tôt.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842782

One Nite Alone est son album le plus épuré, le plus triste, celui où on a le sentiment d’être le plus proche de lui (on l’entend quitter la pièce à la fin). L’album, bien que confidentiellement distribué, donne son nom à une tournée mondiale où nous retrouvons un Prince sur scène au piano à queue mais pas que. Et ça nous en parlerons demain.

Titres favoris : One Nite Alone, Avalanche, Arboretum
LeSachiezTu : Prince admirait Joni Mitchell. One Nite Alone contient une reprise de A Case of U. Une autre version est présente dans l’album Piano and a Microphone 1983 qui sortira le 25 septembre prochain chez... Warner.


[12/23] Le coffret ONE NITE ALONE LIVE ou quand Prince est en concert dans ton salon

"- If you came to put your purple rain coat on, you're in the wrong house

Même s’il vendait moins de disques dans la seconde partie de sa carrière Prince a toujours rempli les salles, du petit club réservé à l’arrache à 1h du matin au Stade de France booké seulement un mois avant le show. Et, soyons un peu objectifs, même un concert éventuellement « moins bon » de Prince dépassait de loin à peu près tout le reste de ce que j’ai vu avant, pendant et depuis. Si les fans le sont restés aussi longtemps malgré la difficulté à le suivre sans nom dans sa croisade anti-major et le labyrinthe mystico-bulshitesque de son bon-vouloir, c’est avant tout grâce à ses concerts et aux enregistrements de ses concerts, enfin les enregistrements pirates de ses concerts.

Car en déjà 25 ans de carrière, mis à part quelques programmes vidéo et le film Sign of the Times, Prince n’a jamais officiellement sorti de « live ». Il devait donc être sacrément fier de la tournée One Nite Alone pour en faire un triple-album. Le coffret One Nite Alone Live est distribué à la fin 2002 alors que Prince termine la tournée en Europe. Cette tournée, avec Prince et son groupe en costards, est exceptionnelle pour sa set-list sortant des hits attendus. L’album a été enregistré lors de la partie américaine autour d’une formation « jazz » (avec John Blackwell et Maceo Parker) et l’on y retrouve le son et les titres de The Rainbow Children et des morceaux moins connus (Extraordinary, Anna Stesia…) revisités sur le même mode.

Le second disque reprend le concept de son album précédent et on l’entend longuement seul au piano. Malheureusement l’enchainement des titres au piano est trop rapide pour vraiment créer une émotion. Le tout est même presque trop « lisse » par rapport à ce que nous avons expérimenté sur cette tournée.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842722

Le troisième disque ONE NITE ALONE LIVE… THE AFTERSHOW : IT AIN’T OVER ! est un collage de titres enregistrés lors d’aftershows dans des petits clubs sur cette même tournée. Car un concert de Prince c’était souvent l’angoisse d’un second concert surprise de Prince ailleurs dans la nuit. On ne compte plus ceux qui ont raté un premier concert dans l’espoir d’une bonne place au second qui n’aura finalement pas lieu (ou ailleurs) et ceux qui, à l’inverse, par le plus grand des hasards se sont retrouvés aux premières loges d’un concert surprise de Prince dans une boite de nuit alors qu’ils étaient venus pour une soirée mousse. Le son de ce troisième disque est donc différent, plus électrique, plus funk, plus décousu aussi, on y croise George Clinton, Larry Graham ou Musiq Soulchild, et une longue version à la guitare saturée d’une de ses plus belles chansons : Joy In Repetition. Tout cela est très bien mais il manque le principal : y être.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842892

Titres Favoris : Xenophobia, Strange Relationship, Anna Stesia, 2 Nigs United 4 West Compton, Dorothy Parker
LeSachiezTu : Il existe un DVD officiel de cette tournée, à regarder d’un œil seulement. One Nite Alone Live in Las Vegas est filmé avec les pieds (c’est l’époque où Prince filme tout lui-même au camescope parce que ça coute moins cher). Le DVD dure une heure et ne rend pas hommage ni à ce concert (qui en faisait trois) ni à cette tournée.




[13 et 14/23] XPECTATION et NEWS… ou quand Prince est à la croisée des chemins



Pas de répit, ce n'est jamais fini. La tournée One Nite Alone s’achève en décembre 2002 et le coffret Live vient tout juste de sortir et, pour les abonnés du NPG Music Club, l’année 2003 commence par un cadeau. Le matin du 1er janvier Prince offre un nouvel album en téléchargement : XPECTATION.
C’est une double révolution. C’est le premier album de Prince entièrement dématérialisé (il n’y aura jamais de version CD) et, si l’on met à part les 2 albums du groupe Madhouse (un de ses nombreux alias) sortis cher Warner dans les années 80 et 90, XPectation est le premier album entièrement instrumental qu’il signe de son nom. 

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842762

Entouré des musiciens de la tournée (John Blackwell, Candy Dulfer, Rhonda Smith) auxquels est invitée à se joindre la violoniste Vanessa Mae, Xpectation est une prolongation plus radicale du son jazz qu’il a initié deux ans plus tôt avec Rainbow Children. Il ne cherche ni le consensus ni à atteindre le grand public. Le sous-titre de l’album est explicite : New Directions in Music From Prince. L’album est une « expérience », inspirée dans la démarche par les disques de Miles Davis que Prince admirait. Le résultat est une succession de morceaux plus ou moins réussis aux allures de « jams » en studio. La distribution ultra confidentielle indique que Prince n’était, pour une fois, pas trop sûr de son coup et qu’il attendait des réactions de ses fans. Ceux-ci sont mitigés.

Il va poursuivre l’expérience avec un autre album instrumental NEWS qui sort dans la foulée en mai 2003 en version CD commercialisée à grande échelle. Cette fois c’est le saxophoniste Eric Leeds qui rejoint la formation. L’album a été enregistré en une prise et une journée. Il est composé de 4 morceaux (North, East, West, South) de 14 minutes chacun et sont pensés pour être écoutés en une seule fois à la suite.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842902

Malgré son joli packaging où Prince n’apparait pas (son nom est écrit en petit, perdu dans la pochette), News est encore moins commercial qu’Expectation, mais il est aussi plus intéressant et plus envoutant. News sera la plus mauvaise vente de disque de Prince.

Sa période jazz aura duré près de trois ans. Si Prince l’a incontestablement appréciée et qu’il a voulu donner des « preuves » à on ne sait qui qu’il était d’abord un musicien (ce que nous savions), on sent aussi qu’il se cherche musicalement, qu'il doit se réaffirmer commercialement et que nous sommes donc, en toute logique princière, à la veille de quelque chose de nouveau…

Something big is coming.


[15 et 16/23] THE CHOCOLATE INVASION et THE SLAUGHTERHOUSE ou quand Prince solde les comptes

- The chocolate invasion strats here !

 Début 2004. L’aventure NPG Music Club touche à sa fin. Les fans ont parfois eu la dent dure avec le club, mais avec le recul c’était une expérience fabuleuse. Durant 3 ans nous avons eu un contact plus « direct » avec la musique de Prince au fur et à mesure qu’il l’enregistrait.

Alors qu’un grand projet discographique et scénique pour le grand public se dessine (l’album et la tournée Musicology), un nouveau site est ouvert. Plusieurs albums sont mis en ligne sur le Musicology Download Store. A commencer par ces deux volumes regroupant les NPG TRAX, les chansons que Prince distillait chaque mois de 2000 à 2002 sur internet.

Il faut donc voir ces 2 volumes comme des compilations, jouables en mode shuffle à destination première de ses fans, pour marquer de façon plus officielle un moment de sa carrière où il a privilégié la musique en ligne, et non des albums « pensés ». La plupart des morceaux sont des chutes d’albums abandonnés. S’il y a une dominante funk-electro cohérente sur Chocolate Invasion, on y trouve des morceaux plus doux comme When I Lay My Hands on U ou U Make My Sunshine, un duo avec Angie Stone.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842442

"- How can a non-musician discuss the future of music from anything other a consumer point of view ?"

La recette est la même pour le volume 2, The SlaughterHouse, qui a peut-être un meilleur niveau global et sonne un peu plus techno. Le son y est de nouveau surproduit et la tonalité se veut futuriste.
Ces deux compilations ne sont jamais sorties en CD et, à quelques notables exceptions près, la plupart des titres des deux volumes n’ont pas été joués sur scène. Pourtant les clips de plusieurs chansons ont été tournés.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842402

Titres favoris : 2045 Radical man, Northside, Judas Smile, SexMeSexMeNot
LeSachiezTu : sur cette compilation figurent deux titres inspirés/écrits par/pour un film de Spike Lee, Bamboozled (Judas Smile et Radical Man). Ce n’est pas la première fois que Prince travaillait avec Spike Lee. Il avait déjà signé la BO de son film Girl 6 et avait participé au financement du biopic sur Malcolm X. Au générique de fin du récent Blackkklansman on peut également entendre un classique de la musique noire américaine repris au piano en 1983 : Mary Don’t U Weep. Spike Lee a également réalisé plusieurs vidéos pour Prince.


[17/23] C-NOTE ou quand Prince improvise

"- Now how am I gonna fill this empty room?"


Mars 2004, le troisième album distribué en téléchargement sur le Musicology Download Store est une perle. Pour la décoder, il faut revenir en arrière à l’automne 2002 sur la tournée One Nite Alone. En plus des titres et des podcasts, les abonnés du NPG Music Club avaient alors accès à la billetterie des concerts et des aftershows en avant-première mais aussi le privilège d’assister aux répétitions des concerts. Et, avec Prince, répétition équivaut parfois concert et souvent un concert différent de celui qui va suivre. C’est ainsi qu’à Paris, en amont des deux heures de concert puis des deux heures d’aftershow au Bataclan, 200 fans français ont assisté à un concert privé d’une heure dans un Zénith vide. Le summum est atteint au sportpaleis d’Anvers avec un soundcheck de 2h qui reste un de mes meilleurs souvenirs de cette époque et la seule fois où j'ai vu prince habillé en type lambda, dans une posture totalement décontractée, jouant les titres qu’on lui demandait.

C-Note revisite, trop brièvement, ces moments magiques. C’est une compilation de 5 morceaux dont 4 instrumentaux improvisés enregistrés à Copenhague et au Japon. Le disque est court (33 minutes) mais c’est un sans-faute. Les milliers d’heures d’enregistrements pirates qui circulent le prouvent : Prince était particulièrement doué pour ces exercices d’improvisation. La majeure partie de ses chansons sont nées sur scène, construites au fil de ces jams d’avant concert puis améliorées de preshow en show.

C-NOTE contient également la première version officielle d’une émouvante chanson « inédite » bien connue des fans depuis dix ans, Empty Room, dont on s’est toujours demandé pourquoi il ne l’avait pas sortie sur un album avant. Peut-être est-ce tout bêtement par ce que le titre (« salle vide ») prend sur cet album toute sa signification.
Il n’a jamais réitéré cette expérience « planifiée » de réelle proximité avec les fans, mis à part pour quelques «Celebrations» à Paisley Park et quelques chanceux au fil des tournées, pourtant il semblait l’apprécier.

Une pièce rare dans tous les sens du terme.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842552


[18/23]  MUSICOLOGY ...ou quand Prince fait le tour de la révolution

"- Kick the old school joint, for the true funk soldiers !"

Prince a multiplié les comeback plus ou moins réussis entre 1995 et 2003. En avril 2004, il se donne enfin les moyens commerciaux de ses ambitions.
Prince annonce à la fois la sortie de l'album Musicology et une très longues tournée américaine durant l'été. Première mondiale, le CD de Musicology est inclus dans le prix de vente du billet et sera distribué physiquement à l'entrée des concerts.
Cette fois, tout ceci est appuyé à un vrai plan média : superbe prestation avec Béyoncé aux Grammy Awards où ils reprennent Let's Go Crazy et Purple Rain, tournage d'un vrai vidéo-clip, une emission-concert à New York diffusée sur MTV et une prestation légendaire au Rock n'Roll Hall Of Fame avec Tom Petty. Il sera également le premier artiste à organiser une retransmission live du concert de lancement dans les salles de cinéma américaines.



Le Musicology Tour est une de ses tournées « greatest hits » la plus formatée avec, toujours (c'est Prince quoi), de grands moments et un long set acoustique à la guitare au milieu du public. C'est également une tournée sans effets où une grande place (scène centrale) est donnée aux musiciens : "real music by real musicians"



A l'exception du titre phare (hommage funky à James Brown et à la musique de son enfance) qui débute le concert, l'album Musicology a peu de rapport avec le concert du même nom. Peu ancré dans les sons du moments, l'album est un portfolio de genre divers (funk, pop, balades, rock...). Si l'ensemble montre proprement l'aisance et la diversité du musicien, Musicology laisse à l'époque une impression d'éparpillement. Plusieurs titres tiennent pourtant très bien les années et sont des merveilles de production.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842532

Si Musicology n'est pas un summum de créativité, ce sera en revanche un très gros succès commercial. Grâce à son coup de génie marketing (un cd vendu d'office dans une tournée à guichet fermé), Prince renoue avec les sommets des ventes de disques aux États-Unis. Il est enfin de retour sur les écrans et dans les esprits. L'aventure Musicology est la preuve que Prince comprend avant les autres que le rapport scène/vente de disque s'inverse à l'heure de la musique en ligne et du piratage. De surcroît, la recette lui permet de s’émanciper, avec une pointe de fierté, des "majors" du disque. Il fera désormais plus d'argent en concert qu'en cherchant à vendre des CD. Chaque album sera le pivot d'une tournée offrant l'opportunité d'une distribution ingénieuse de l'album qui, en retour, fera parler de la tournée.
 
La boucle est bouclée entre le petit Prince qui, pour s'entrainer à la guitare, achète un vinyle dans un "record store" au début de la vidéo de Musicology, et la dévalorisation du support CD symbolisée par la distribution gratuite de l'album à l'entrée du concert d'un Prince devenu grand... La musique n'est pas une question de formats mais d'émotions.



Titres favoris : Musicology, Call My Name, Dear Mr Man
LeSachiezTu :Dear My Man est une des rares chansons "politiques" de Prince (Other Titles In This Category Include : Baltimore, America et Sign Of The Times).


[19/23] 3121 ou quand Prince va en vacances

- You can come if you want to, but you can never leave"

Après sa longue tournée américaine de 2004 et une exposition médiatique comme il n’en avait pas bénéficié depuis une bonne dizaine d’années, pour la première fois de sa carrière, Prince souffle un peu. Pas de disque, pas de tournée en 2005.

L’indépendance retrouvée, Prince suit enfin le rythme que lui a dicté en vain la Warner pendant des années (une forte exposition pendant six mois pour le nouvel album et la tournée, puis un silence radio d’un ou deux ans avant le prochain album).
Celui qui est pourtant attaché à son Minnesota natal passe l’essentiel de cette année à Los Angeles dans la grande maison du 3121 Antelo Road. Il y organise des soirées où se pressent les people d’Hollywood. On retrouve quelques traces de ces nuits et concerts privés dans le livre photo de Afshin Shahidi : Prince A Private View… 

C’est le même Afshin qui réalise la pochette du 31e album de Prince : 3121. L’album sort en mars 2006 chez Universal, accompagné d’un beau plan marketing et de plusieurs prestations télé aux États-Unis et en Angleterre.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842852

L’album est, une fois encore, un collage de morceaux divers et légers dans l’esprit de Rave Unto The Joy Fantastic. Et, comme souvent depuis quelques années, on n’en ressort pas convaincu sur le moment, avant de lui trouver des qualités au fil des années.

La tournée à venir sera immobile, Prince décide de s’établir à Las Vegas sur la scène de l’Hôtel Casino Rio pour une série de shows durant toute l’année 2006. Il rode ici un concept qui traversera l’Atlantique l’année suivante.

Titres Favoris : 3121, Black Sweat, Get On The Boat

LeSachiezTu : Sur le CD de 3121 est sous-titré « The Music ». 3121 est aussi un film que Prince voulait distribuer en DVD avec l’album avec le sous-titre « The Movie ». Devant l’indigence narrative et formelle de la chose à côté de laquelle Grafitti Bridge ressemble à Citizen Kane, Universal a dû juger bon de brûler les copies. Le film restera inédit. Ce n’est pas une première expérience cinématographique pour Prince. Dans la foulée de Purple Rain, Prince a réalisé trois longs métrages, et durant vingt ans il a tourné (ou fait tourner) des centaines de clips et de programmes musicaux à Paisley Park. Si certains ont été diffusés (Sacrifice of Victor, Love 4 One Another, Beautiful Experience…), la plupart n’ont jamais été distribués, ni même vus.


[20/23] Planet Earth ou quand Prince occupe Londres

"- I love you baby, but not like I love my guitar"
Été 2007. Définitivement remis sur orbite marketing avec sa prestation historique à la mi-temps du Superbowl, Prince revient conquérir l'Europe qu'il avait délaissé pendant près de cinq ans. Il va allier le modèle de distribution expérimenté sur Musicology avec le principe de la tournée en résidence inauguré avec 3121. Inclus dans le prix du billet, l’album Planet Earth sera distribué à l’entrée du concert de la tournée européenne Earth Tour. 21 dates dans un lieu unique : l’O2 à Londres. Durant l’été tous les fans européens convergent donc en pèlerinage à Londres, certains pour une date, d’autres pour douze.



Même s'il est plutôt bien accueilli, on garde de meilleurs souvenirs de ces concerts que de l’album. Des disques kaléidoscopiques et sans concept, prétextes à tournée, égrainés par Prince de 2000 à 2010, Planet Earth est le moins inspiré (Oui, Guitar ressemble quand même BEAU-COUP au Back In USSR des Beatles). 2 ou 3 titres surnagent d’un ensemble très, trop, facile d’écoute et donc pas désagréable mais qui s’oublie très vite.

Mais, avec ces deux mois invraisemblables de concerts à l’O2, un main show modifié chaque soir et une douzaine d’aftershows, tout lui était pardonné à la fin de l’été.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69843302

Titres Favoris : Planet Earth, Chelsea Rodgers, Resolution



LeSachiezTu : Pour le lancement de la tournée, l’album sera distribué en Angleterre avec le journal Mail-On-Sunday. C’est une première pour un artiste de cette renommée.


[21/23] INDIGO NIGHTS ou quand, à l’heure du mp3, Prince sort le cd au boitier le plus encombrant du monde

« - Inside I’m still the same, but something else has changed »

Terminée l’époque de la course aux aftershows, la tournée Earth tour de l’été 2007 offre la possibilité de réserver des tickets pour l’aftershow qui aura lieu à 50 mètres du premier concert au Club Indigo. Sa présence n’est pas garantie, mais au final cet été londonien sera riche en concerts princiers d’anthologie autour de formations variables du NPG (des formations rock avec le couple Dunham, d’autres plus funk, latino ou encore plus jazz avec Renato Neto et Maceo Parker).
En 2008, le disque Indigo Nights est une sélection d’extraits de ces soirées, reflétant plusieurs de ces tendances.

A écouter : https://www.deezer.com/fr/album/69842942

Après avoir sorti un parfum pour l’album 3121, Prince décide d’accompagner le CD d'un livre de photos, ou plutôt l'inverse. Pour avoir le disque, il fallait acheter par correspondance le coffee table book de 5 kilos (pas très Planet Earth comme initiative).

Pour les habitués des enregistrements pirates et, plus encore pour ceux qui ont assisté aux concerts, une impression bizarre d’un mix trop propre se dégage de cet enregistrement. On regrette aussi ce choix de titres lorsqu’on connait le contenu des autres concerts. Mais tel est le fan de Prince : jamais content spécialement lorsqu’il est gâté.

Ce disque reste pourtant intéressant à plus d’un titre. Déjà pour les quelques morceaux rarement joués, pour ses reprises (Led Zeppelin, Aretha Franklin, Mother’s Finest) ainsi que pour le monologue central de Prince (qui s’étend sur 4 morceaux de Girls and Boys à Just Like U) où il évoque son rapport à la célébrité, sa jeunesse, des aveux à la fois drôle et pointant de réelles angoisses.

D’ailleurs, si le livre Indigo Nights est une succession de photos à sa gloire, cliché après cliché, l’artiste enfermé dans son hôtel y étale d’abord, consciemment ou non, son extrême solitude.


Titres Favoris : Indigo Nights/Get on The Boat, Misty Blue/Baby love, The One/Question Of U

LeSachiezTu : Plusieurs guests sont montées sur scène à l’Indigo, notamment Amy Winehouse et Will I Am. Ce n’est que le second live officiel de Prince en 30 ans de carrière. Ce sera le dernier de son vivant.


[22/23] LOTUS FLOW3R + MPLS SoUND ou quand Prince est plus incontrôlable que jamais

"-Donwload a future full of isolated boys and girls..."

Au fil de la première décennie des années 2000 Prince propose des albums « faciles » pour tenter de conquérir une autre audience que celle de ses fans, des albums « formatés » pour les radios … radios qui ne les diffusent pas. Les albums un peu plus pointus, eux, sont distribués sous d’autres modes. Le disque n’est plus qu’un support dans lequel il ne se projette plus vraiment. C’est n’est vraiment plus que sur scène qu’on l’apprécie, et qu’il s’améliore. Alors que sa production (officielle tout du moins) décontenance les fans, Prince multiplie dans la même période des prestations scéniques fabuleuses à un rythme toujours plus soutenu.

Chaque album est un coup marketing et le théâtre d’un évènement scénique que Prince gère en artisan, certains diront en amateur. Force est de constater qu’il est plutôt doué pour faire parler de lui. En 2009, pour son lancement, le triple album Lotus Flow3r est l’objet de trois concerts consécutifs le même soir à Los Angeles dans trois salles différentes. En parallèle, LotusFLow3r est vendu en exclusivité à prix cassé aux États-Unis dans une chaine de supermarché, Target (un peu comme si Johnny avait donné l’exclu de son album à Monoprix).

En Europe, la stratégie commerciale (s’il y en a une) est basée sur le plaisir de Prince de créer des évènements uniques. En juillet 2009, Prince s’invite au dernier moment au festival de Montreux pour deux concerts différents le même soir. La tournée promotionnelle d’octobre 2009 (le triple album est distribué en France par le label Because) sera l’occasion d’une des semaines de concerts princiers les plus intenses survenues sur le sol français. En assistant à la fashion-week, Prince décide de jouer sous la nef du Grand Palais. Organisés en quelques jours, et complets en une heure, ces deux concerts du 11 octobre 2009 sont un sommet de magie princière, à la fois pour le bordel général de l’entreprise (il n’y a quasiment eu aucunes répétions et la balance est faite en direct lors du premier concert), et la beauté du moment (pour le premier concert entre chiens et loups et les allers retours des pigeons d’un bout à l’autre de la verrière). Il remettra le couvert dès le lendemain à la Cigale avec un set plus funk à destination des abonnés de son nouveau site (succédant au NPGMC, puis au Musicology, puis au 3121). On sent pourtant lors de cette tournée quelques signes de faiblesse physique.


Si on a l’impression depuis quelques temps que non seulement le contenu des albums de Prince peut-être écouté dans n’importe quel ordre et que les titres sont également interchangeables d’un album à l’autre, LotusFlow3r échappe un peu à la règle. Déjà, il prend le temps d’offrir trois visions musicales. Le premier disque, « organique » est un condensé des dernières années musicales de Prince, un peu de jazz instrumental, une pointe de rock. Le tout est plutôt réussi.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842742


Le second disque MPLS Sound se veut un retour au son de ses débuts, plus électronique, le son de Minneapolis qu’il a contribué (avec d’autres) a lancé au début des années 80. Là à l’exception d’un Old Skool Company, particulièrement efficace, c’est moins concluant.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69843262

Le troisième album, Elixer (He Licks Her), met en avant sa protégée du moment, Bria Valente. Ce troisième album n’est mystérieusement pas disponible en streaming. C’est dommage c’est le plus intéressant du package. Il en interprétera des passages sur la scène du festival de jazz de Montreux.
Prince va bientôt entrer dans une nouvelle période, la dernière. Dans ce qui apparait avec le recul comme une fuite en avant, il multipliera les concerts comme jamais, tout en s’isolant humainement et musicalement.

Titres Favoris : Boom, Colonized Mind, Elixer, Old Skool Company

LeSachiezTu : Inspirée de ses tournées statiques à Londres et Las Vegas, Prince était en discussion à l’époque pour faire une nouvelle résidence à Paris. Elle se serait limitée à sept jours dans sept salles différentes parmi elles l’Olympia et Bercy … Entre le New Morning, la Cigale, le Grand Palais et le Stade de France, ce projet se sera finalement à moitié réalisé de 2009 à 2011.


[23/23] 20TEN ou Quand Prince renait en Europe

" I love everybody and everybody loves me"
2010 sera une année européenne pour Prince. Désormais l’artiste tourne dans les gros festivals d’été et pour l’occasion il distribuera son nouvel album 20TEN gratuitement via des magazines dans chaque pays visité, la veille même ou le jour même du concert.

Opération de la hanche ou painkillers ? Ce qui surprend lors de son passage au Main Square Festival d’Arras, neuf mois après le Grand Palais, c’est sa vitalité retrouvée. Si la set-list n’évolue guère depuis quelques temps (majorité de hits d’avant les années 2000), l’énergie et l’optimisme sont de retour.


L’album 20ten, probablement sorti des mêmes sessions d’enregistrements dans lesquelles il a puisé pour Planet Earth, 3121 et LotusFlow3r, est le plus abouti de la série. Sans prétention, plus inspiré, avec un peu plus de groove que les albums précédents et une bonne humeur communicative sur fond d'électronique, 20Ten est un « MPLS sound » réussi. Certains titres pourraient même figurer sur Controversy ou Dirty Mind. Le tout est une pop festive ne trahissant pas ce qu’il a fait il y a vingt ans, sans pour autant verser dans la nostalgie, et au contraire en donnant envie d’avoir la suite. Si le disque a un concept, c’est bien celui éphémère d’être écouté pour la première fois sur le chemin du concert, histoire de s’échauffer.

A écouter ici : https://www.deezer.com/fr/album/69842972

Nous n’avons pourtant pas perçu à l’époque que nous changions de paradigme princier. Celui qui s’était toujours battu pour faire vivre ses albums, s’en désintéressait désormais totalement. Une preuve parmi d’autres : après s’être battu dix ans pour reprendre possession ses masters et les réenregistrer, il n’en a rien fait une fois les avoir récupérés. C’est aussi une époque où Prince s’englue à nouveau dans une communication opaque, multiplie des prises de position clivantes (anti-internet par exemple, alors qu’il a été précurseur dans le domaine) et produit des contenus web de plus en plus amateurs et déroutants (à voir comme une nouvelle preuve du système autarcique dans lequel il se complaisait). De même, la profusion de tournées et de concerts (toujours complets) qui se sont enchainés par la suite à travers le monde (principalement aux États-Unis) contribuera à mettre sous le tapis une inquiétante anomalie dans ses bientôt 40 ans de carrière : il ne s'est jamais passé plus d'une année entre la sortie de deux albums de Prince.

Son album suivant, Art Official Age, qui déjà de son vivant a des vibrations testamentaires, ne sortira que 4 ans après en 2014 (O ironie et boucle bouclée) chez Warner.

De son propre aveu, dans les derniers mois de sa vie, celui qui ne dormait jamais et avait déjà vécu deux ou trois vie de plus que le commun des mortels, commençait à retrouver le sommeil. Il l’envisageait peut-être comme le signe de la fin de sa carrière. Alors que nombre de fans le pensait assagi, prêt pour entamer un nouveau pan de sa carrière plus « cool » dans des clubs de jazz ou des salles prestigieuses, il surprendra jusque dans sa sortie. Entre deux réclusions dans son bunker blanc où il n’échangeait plus qu’en mode « cryptique » avec une poignée de fans sur Instagram, Prince s’est livré sur scène jusqu’à la fin dans un récital au piano où il revisitait dans la joie et surtout la peine les souvenirs d’une jeunesse qu’il n’a au fond jamais quittée.

« …and there’s always a rainbow at the end of every rain »

Titres favoris : Future Soul Song, Lavaux, Laydown
LeSachiezTu : 20ten n’est sorti que dans la presse européenne (en France, dans le Courrier International). C’est un album inédit dans le reste du monde.

La play-liste de l'article (5h40 tout de même)



Solitude du cycliste con en sa station

Enfin ! Échoué en solitaire en ce jour de pont non-avoué à la station en bas de chez moi, il trônait là, humble et vert anis, sèchement rangé dans son rack comme un toast oublié dans son grille-pain disjoncté.
En près d'un an d'interminables travaux, d'absence de service, et dysfonctionnements divers, j'ai perdu l'automatisme du geste. Mais le Velib c'est comme le vélo : ça ne s'oublie pas. Carte au poing, nourri du naïf espoir d'une mobilité urbaine à prix réduit, je m'élance aérien et majestueux, quoi qu'encore troublé des conséquences digestives d'un Mojito frauduleux trop vite avalé la veille, vers la station aride.
Tout s'annonce bien, je n'ai besoin d'appuyer qu'a trois reprises sur le bitoniau pour que l'écran m'indique une possibilité de prise de cycle. Je passe donc ma belle carte Metropole-Velib-Smovengo-HidalgoDemission sur l'écran LCD de type Gameboy-Tetris-1989 prévu à cet effet. Au terme des trente secondes de moulinage réglementaires, il m'affiche enfin un - Go ! - aussi inhabituel qu'encourageant. Prenant bien soin de ne pas être regardé et d'ainsi ne pas attiser les convoitises ("- Oh Putain l’enculé de sa mère, il a réussi a avoir un Velib : vite attrapez-le !"), je tire l'air de rien sur l'engin vélocipédique à indicateur de vitesse intégré et verrouillage électronique centralisé plus connu dans nos lointaines provinces par-delà la frontière interdite de la Porte d'Orléans sous le nom de "vélo". C'était trop beau, l'objet me résiste, j'insiste et je sens monter dans mes veines le vinaigre de cette colère qui pousse parfois les plus gauchos-metrosexuels d'entre nous à hurler la pire prose de réac en pleine rue et révéler ainsi à la ville blasée le timbre testostéroné de leur voix la plus masculine possible, quelque part entre Arnold et Willy : 

"- PUTAIN DE BORDEL DE MERDE A LA CON DE VELIB DE MERDE QUI ROULE JAMAIS, CASSE LES COUILLES CHIER !"

La prise de position est suivie d'un petit coup de pied, discret mais efficace, dans la roue arrière de la carcasse bloquée du truc cher et inutile dont j'aperçois sur l’écran qu'il me décompte du temps d'utilisation. La morale de cette histoire qui me met en jambes pour la journée sera : Velib,ce n'est pas parce que vous en voyez encore qu'ils fonctionnent parfois.


Jawad et la lol barbarie

PTDR, MDR, Des barres ! Oui oui il est rigolo le neuneu. Trop fort. On se marre bien avec Jawad Bendaoud et les retranscriptions du procès du logeur des terroristes qui ont tué 130 personnes et en ont blessé 410 autres au Bataclan, au Stade De France et aux terrasses des cafés parisiens en novembre 2015.

Et dire que nous sommes les premiers, citoyens de première classe internationale, à se moquer d’un Trump dangereux parce qu’abruti. Alors oui le Nabilla de la tuerie de masse est si drôle, de l'essence à buzz, du générateur de mèmes... Et grâce aux live tweet des journalistes, en oubliant son CV de criminel quand on rappelle systématiquement le sien à Bertrand Cantat dès qu’il s’exprime publiquement, le procès de Jawad devient le premier exercice de lol justice en temps réel, un nouveau genre entre BFM et Rires et Chansons. Drame sur le drame, vu la débilité de l’époque et le capital sympathie que le truand emmagasine : il y a désormais un risque non négligeable que Jawad Bendaoud devienne chroniqueur chez Cyril Hanouna. 

A la question du moment : La naïveté de Jawad Bendaoud est-elle feinte ou non ? J’en rajoute une autre : Est-ce que cela doit changer notre regard ? Soit ce type est assez naïf (mais adulte responsable jusqu'à preuve du contraire) pour ne pas s'être rendu compte qu’il hébergeait des terroristes et c’est très grave. Soit ce type savait, a fermé les yeux, et il nous manipule depuis le début et c’est très grave. Dans les deux cas, sous la forme de nos ricanements cons, lui bénéficie maintenant de notre complicité.
 

La communication téléphonée et consensuelle de Jean-Michel Blanquer

Dans la galaxie des ministres de Frère Emmanuel reconnaissons l’habileté du ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, dont le timing et le contenu de la prise de parole sont au diapason des attentes médiatiques. Malgré sa ligne « en même temps » libérale (l'école ce sera mieux demain) et réactionnaire (l'école c'était mieux avant), l'ex-boss de l'ESSEC avance en esquivant le conflit, mieux, en générant du consensus. Quitte à se répéter, il bat la cadence d’un agenda média en rassemblant sur du « bon sens ». Exemple : sa récente prise de position sur l’interdiction du portable à l’école qu'il nous ressort pour la troisième fois en huit mois. En mars 2017, Macron dans son programme promet d’interdire le portable à l’école. En septembre 2017, Blanquer déclare dans L'Express qu’il veut interdire le portable à l’école. En décembre 2017, Blanquer réaffirme, cette fois-ci sur RTL, qu’il va interdire le portable à l’école.


Blanquer ne s'y trompe pas, comme pour le retour des chorales (qui ne sont jamais parties) et de l'uniforme à l'école, cette thématique de proximité est à la fois la garantie de bonnes ventes pour les quotidiens et de bonnes audiences pour les talk-shows qui mettront le sujet en Une. De la gauche à l’extrême droite, l’écrasante majorité des Français est pour cette interdiction. Le sondage Ifop du 14 décembre confirme que 94% des Français sont favorables à l'interdiction du téléphone portable à l'école. Comme souvent avec les sondages, tout est dans la question. On demanderait aux mêmes  : "Laisseriez-vous aller votre enfant seul à l'école sans téléphone portable ?" et on obtiendrait  le même score de 94% de "Non". Tout le monde semble s’accorder sur le fait que c’est à l’école de corriger des comportements et des pratiques non-corrigées, subventionnées, voire encouragées par la famille.

L’arbre du bon sens qui cache la forêt de la réforme

Nul n’est censé ignorer la loi et surtout pas un ministre. L’interdiction du téléphone portable dans les classes existe depuis 2010 (Art. 183 de la loi 2010-788 du code de l’Éducation). Dans sa quête pas très discrète du consensus, l'ami de l'institut Montaigne aurait pu tout aussi bien interdire l'usage ou des armes ou de la drogue à l'école.

En l'état, appliquer cette interdiction du téléphone est impossible. Les enseignants n’ont pas le droit de fouiller les élèves et le taux d’encadrement dans les écoles françaises est le plus faible des pays de l’OCDE. Il faudrait donc employer massivement du personnel dédié, bref engager des vigiles du privé puisque les mêmes gouvernants nous rabâchent qu’il y a trop de fonctionnaires. Comment justifier que l’on engage massivement pour l'école des personnels qui n’ont à priori rien à voir avec l’enseignement ou même l'univers scolaire alors que le nombre de postes proposés en 2018 aux concours des enseignants baisse dans toutes les matières, jusqu'à 25% dans certaines [1] ?

Si l’on opte pour une détection automatisée, il faudrait donc installer des portiques de détection à l’entrée de chaque établissement scolaire et que chaque élève passe en ligne comme à l’aéroport. Pour un bahut de 600 élèves avec début des cours à 8h, cela impliquerait une arrivée à 6h. Les parents veulent-ils vraiment ça ? Se pose également la question de la consigne et de la gestion des téléphones avec construction (et entretien) de casiers individuels. Là aussi : qui, comment, combien ? Interdire le téléphone à l'école va coûter cher, très cher.

Alors quelle est la raison d’un tel barnum médiatique autour d'une interdiction incantatoire et inapplicable (à moins d’entamer de grands frais à l’encontre des dogmes de rigueur), le tout pour une question qui tient plus de l'éducation à la maison que de la législation scolaire ? Pour ne pas trop s'attarder sur une ligne idéologique qui pourrait fâcher : privatisation rampante de l’Éducation nationale, disparition du bac, mise en concurrence des établissements scolaires et, indirectement, en favorisant les dysfonctionnements sur le terrain, l'accompagnement du business en pleine croissance du soutien scolaire payant et des écoles privées.

Parce que oui l'école va mal : elle n'est pas assez rentable pour beaucoup de monde.

Le logement social au-dessus de tout soupçon


"Paris : l’élue France insoumise Danielle Simmonnet occupe un logement RIVP loué très en-dessous du prix du marché" France-soir, 26/10/2017


Avalanche de réactions indignées en ligne. Non pas sur le prix du marché braves gens, mais bien que l'on puisse habiter (une élue de gauche qui plus est) dans un appartement qui ne respecte pas cette logique de marché.

Le cas Simmonnet, qui n'est d'ailleurs pas dans un logement social, et les commentaires outrés sur ce que doit être ou ne pas être un HLM, ont le mérite de nous interroger sur la question de la mixité sociale.

Quels logements sociaux voulons-nous ?

L’argumentaire de Danièle Simonnet "ne voulant pas se loger dans le privé" car ce serait "enrichir un propriétaire privé et participer à la spéculation immobilière" se justifie pleinement à Paris. Que l'on ne se rende plus compte que ce n’est pas un loyer à 1300 euros pour 80m2 qui est injuste, mais bien le tarif moyen du parc locatif parisien qui est un scandale, montre à quel point nos esprits sont soumis à la logique du bourreau. Je vous renvoie aux kilos tonnes de pages d’articles pondus sur ce blog, chatoyant kaléidoscope des teintes de saloperie décomplexée observée chez certains bailleurs privés de cette ville qui, avec la passive complicité quand ce n'est pas avec l'aide fiscale, des gouvernements successifs, volent et précarisent des locataires coincés par le dieu marché. La note du 5 octobre 2017 de Natixis, pas spécialement un organe de propagande gauchiste, confirme que la baisse du pouvoir d'achat des Français est liée non pas à l’accroissement des inégalités des revenus mais à la hausse des prix de l'immobilier, et que les Français ont le sentiment de s'appauvrir à cause des prix du logement.


Doit-on définitivement accepter que les zones d’habitation se définissent en fonction des revenus ? 

Mettons de côté les quelques chanceux héritiers, s’il n’y avait pas le parc HLM à Paris, la capitale serait stratosphériquement déconnectée des revenus des Français. Le salaire médian français est de 1730 euros, le loyer moyen à Paris est de 1130 euros. Do the maths. C’est valable pour d’autres villes, mais avec les loyers parisiens (on parle de 1000 euros pour 25m2) on est déjà dans un autre monde, et ce depuis quinze ans, sans que cela trouble trop les gouvernements successifs.

D'un autre coté, les logements sociaux sont prisonniers d’une double image qui date. Ils doivent être réservés aux pauvres, et en conséquence être relégués à la périphérie de nos villes, et tous groupés au même endroit ce serait mieux. Alors que 65% des Français sont éligibles à un logement social, l'écrasante majorité n'en fait pas la demande. Pire, les logements sociaux personne n’en veut à côté de chez lui. Pour avoir fait un gros tour du foncier ces dernières années, je garantie (pour Paris) qu’ils sont plus fonctionnels et dans un meilleur état général que la plupart des logements privés que j’ai visités, pour ne pas dire tous.

Notons que la crapulerie de baisse des APL de l’androïde Macron va dans ce sens. La baisse des APL compensée en ponctionnant directement les bailleurs sociaux n’aura pas d’autres conséquences qu’une dégradation des conditions de vie des locataires du parc HLM. Et on a récemment vu à travers l'incendie de la tour Greensfell en Angleterre l'horrible conséquence de ce type de politique.
En respectant un quota et avec des loyers adaptés aux revenus, il est normal, même judicieux, que des revenus moyens voire supérieurs habitent dans les zones à forte densité de logements sociaux, comme il est impératif que des revenus modestes habitent décemment dans les zones que les riches se conservent jalousement (à travers la construction de nouveaux bâtiment, ou par l’entrée de la ville dans les copropriétés au gré des remises en vente). C’est dans l’intérêt du parc social et de la vie de la cité en général. Le débat sur la mixité scolaire est par ailleurs vain tant que l'on n'a pas avancé sur la diversité à l'intérieur des zones d'habitations.

Illustration : Gian Maria Volonte dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, d'Elio Petri (1970)

Vers le nouvel âge de Facebook ?


De la Serbie au Guatemela, la petite entreprise de Mark Zuckerberg réalise actuellement de très instructifs tests.

Il s’agit de séparer du fil d’actu des comptes Facebook (à base d'"amis"), les contenus issus des pages Facebook (commercial, au sens très large).

Là, on se dit tous (sauf les community-manager) : - Cool, c’est à terme moins de contenus sponsorisés dans mon fil d’actualité !

Sauf que c’est oublier que Facebook c'est tout sauf le cool. C'est une entreprise libérale d’obédience carnassière, une gigantesque régie pub avec 2 milliards de clients auto-fichés dans sa nasse. C’est oublier la vision de nos progressistes amis de Palo Alto : vous êtes consommateur ou annonceur.

La seule ligne éditoriale du média Facebook est de faire rentrer le pognon. Entreprises comme particuliers sont quotidiennement bougés comme des pions selon les critères d’optimisation de cette ligne. L’algorithme de Facebook est modifiable sans préavis selon ses impératifs de rentabilité. Rien à redire là-dessus : chacun fait ce qu’il veut chez lui. Et malgré les apparences quand vous êtes sur votre compte Facebook, vous êtes chez Facebook et non chez vous. Cela a des avantages (c’est pas cher), mais aussi des inconvénients (mise à la porte sans sommation, changement unilatéral et aléatoire du règlement intérieur).

Pour les entreprises qui misent l’essentiel de leur communication numérique sur Facebook, ces tests sont un sérieux avertissement. Si la portée organique des pages est flinguée à grande échelle, la compétition va se durcir sur le marché de la présence dans vos fils d’actu, et les prix augmenter. Jusqu’à présent, certaines s’en sortaient avec de la créativité et la viralité sans trop débourser. Ça ne suffira plus.

Côté consommateur, en cas de généralisation de l'expérience, ne vous attendez pas à voir disparaitre les contenus des pages de vos fil d’actu. Les annonceurs qui mettront le prix continueront à s’afficher. Vous allez toujours en bouffer du Conforama et de l’offre C Discount pour votre anniversaire. Tous les autres pages en revanche, moins ou pas commerciales, les pages associatives etc… seront digérées dans le dédale de la confidentialité numérique.

Pourquoi s’arrêter là ? (Attention, vous entrez en territoire SF)

La prochaine étape pourrait être de faire raquer les particuliers, pas en mode abonnement comme tentent de parfois de le faire croire des chaines de mails dont le frisson d’angoisse qu’elles génèrent à la première lecture et la rapidité de leur propagation nous informent tout de même sur la sévérité de notre état de dépendance numérique.

Non, pourquoi ne pas adapter, dans une sorte de B2B (ou P2P) de l’intime, une bonne vieille technique de dealer ? Une fois qu’il est devenu hégémonique sur le quartier et qu'il t'a bien rendu accro à sa came, le dealer ferme le robinet et met les doses aux enchères pour toi et une sélection de tes copains les plus affamés.

Tu veux être lu et continué à être liké ? Entre ton numéro de CB.

Facebook fait d’abord son business de nos faiblesses dans une époque (que la compagnie a en partie enfanté) où chacun devient l’entrepreneur névrosé de la représentation la plus populaire possible de sa singularité.

Ce n'est qu'une hypothèse, l'environnement est technologiquement imprévisible et soumis aux bonnes vieilles ruptures générationnelles (Facebook est déjà un réseau de « vieux »). Mais, partant du fait qu’il y a encore dix ans peu d’entre nous imaginaient la prédominance actuelle de ce média (et de l’égo-bombing qui va avec) dans nos modes de communication en ligne, la plus grande partie du chemin n'est-elle pas déjà parcourue ?

"- Quoi mais c’est vraiment trop injuste ce monde libéral de merde !"

Oui mais non, au fond rien de neuf. Les annonceurs vont transférer des budgets d’un média à l’autre. Ceux qui n'ont pas d'argent pour faire de la pub n'en feront pas. Et les spectateurs resteront des consommateurs. Quel que soit le média.

Que Facebook se dévoile un peu plus à travers ces tests, admettant de se transformer peu à peu en média classique de télé-achat descendant (avec une fonction "interactivité entre amis") est une bonne chose. En revanche, les individus qui font l’erreur de trop privilégier Facebook pour communiquer et débattre devraient commencer à se diversifier, et progressivement migrer sur d’autres plateformes collaboratives ou personnelles, commerciales ou auto-financées.

Ou bien, retourner à leur blog.

Illustration : Black Mirror, S3E1, Netflix

Flexibilité : Quand Macron et Collomb jouent aux Playmobils


Bande de riens. Gérard Collomb et Emmanuel Macron ont raison : vous êtes vieux et immobiles.

La vraie France de la Win ne se plaint pas. Elle est en marche. Elle fait des séminaires de remotivation le dimanche. Elle prend son petit déjeuner à Lyon vers 7h, déjeune sur le pouce à la cantine de Matignon, avant de faire quelques tournées l'après-midi en Uber (les chaises à porteur du XXIe siècle, la disruption est totale) dans les usines populacières de nos colonies de lointaine province pour sermonner aux feignants, virés au bout de 30 ans de boulot, comment mieux travailler pour moins cher à 5 heures de route de chez eux. Attention, il est important d’être armé pour affronter la bêtise crasse du salarié désemparé, un costume de chez Jonas et Cie fera l’affaire. C’est important pour être respecté, d'autant que c'est filmé. N’allez pas chercher la sophistication, puisque vous êtes chez les pauvres : un simple modèle à un SMIC fera l’affaire. 

Mais l’hyper-mobilité de la modernité en marche n'empêche pas de se détendre un peu. Vers 18h, la France de la Win se réunit à Cannes pour un afterwork constructif avec les derniers soutiens de gauche encore dans la secte. Le sujet : comment mieux récompenser ceux qui ont déjà tout, et leur assurer une meilleure sécurité dans ce monde de flexibilité ? Les tapas seront servis par Bruno Roger Petit.

Il est déjà 22h. Voilà un lundi bien rempli : 15h de boulot. Mais ça fait déjà trop "droit acquis" de compter ses heures, la France de la Win compte en kilomètres : 1840 kms dans la journée. Petite forme. Il est l'heure de se reposer. La journée de travail de demain risque d'être dérangée par les fonctionnaires. Mardi 10 octobre, les cyniques rétrogrades arpenteront en guenilles les rues de France pour la défense de quelques privilèges du monde ancien (salaire, retraite et autres luxes qui bouffent la marge nette de l'actionnaire). Don't care. La France de la Win est flexible, elle restera donc inflexible, et poursuivra son brainstorming sur la casse du code du travail par Google Hangout.

Du monarque à l'androïde

Il s'appelait Sarkozy. Entre blogueurs, nous l'appelions "le monarque ". Une grande partie de la presse le soutenait. Il remportait la présidentielle de 2007 en partie sur la dynamique de l'enrichissement par le travail individuel coupé du collectif ("travailler plus pour gagner plus") mais aussi grâce à l'antipathie croissante des Français (jusque dans son propre camp) envers sa rivale, féminine. A peine élu, il déversait les cadeaux fiscaux sur les riches (pléonasme). Puis, assez rapidement, il carbonisait son capital sympathie en commençant à traiter les gens de "pauvre con'" et en laissant de plus en plus souvent transparaitre sa vraie nature, assez méprisante envers toute forme de contestation et ceux ne disposant pas d'une fortune personnelle conséquente (étant établi que si vous figuriez simultanément dans ces deux catégories, vous n'étiez qu'un crasseux plouc, feignant et illettré). 

Il aura fallu cinq mois à Libération pour émettre l'hypothèse que, peut-être, dix ans plus tard, les français ont encore élu le pire des libéraux affublé de la personnalité la plus prétentieuse, hautaine et déconnectée possible. A la différence qu'en comparaison au Perlinpinpinator du Touquet, l'androïde de la casse sociale à empathie zéro, Sarkozy apparait soudainement humain.

Rappelez-vous

Rappelez-vous. Sarkozy vantait en son temps "le mouvement" en opposition au reste d'un monde social qui serait donc figé et poussiéreux. Frère Emmanuel, novateur en marche, oppose sa relative jeunesse aux "forces du monde ancien" (comprendre syndicats, service public, droit du travail en général...).
 
Il est à la nouveauté ce qu'un vaisselier période Louis-Philippe et son jeu de 48 cuillères en argent sont à la modernité.

Le retour de Purple Rain


Et soudain 33 ans après, Purple Rain ressort dans les bacs et sur les plateformes de streaming dans un coffret à prix cassé. 

Comme je lis quelques commentaires blasés ici et là, faisons le point :
En toute objectivité, cette réédition est un évènement musical. Point.

Retour en arrière pour ceux qui ont raté les dernières minutes : 
Purple Rain est d’abord un film, tourné fin 83 dans la banlieue de Minneapolis avec un budget art et essai et qui sera le gros carton de l’été 84. Un projet fou sur le papier décidé par Prince Rogers Nelson, 25 ans et déjà 5 albums à son actif mais à la diffusion un peu trop limitée à son gout. Prince va se construire purement et simplement sa mythologie sur celluloïd. Un peu sur le modèle de Rocky tourné quelques années plus tôt, le film faussement autobiographique et totalement autoprophétique, raconte l’histoire d’un musicien surdoué, un peu badass et au melon surdimensionné qui va dépasser ses démons, la concurrence et son entourage pour devenir une star. Star, Prince va effectivement le devenir grâce au film et à sa musique composée presque en même temps que le tournage. L’été 1984, le film, l’album et ses singles seront simultanément en tête des classements publics et critiques dans le monde entier. L'ouragan parfait à l'époque du "vidéoclip" roi : le film donnait envie d’acheter le disque, le disque poussait à aller voir le film, et en ressortant du film ceux qui avaient déjà le disque achetaient le maxi-single de Let's go Crazy.

Pour ceux qui ne connaissent pas l’album original, Purple Rain par "Prince and the Revolution" c’est 9 titres dont 9 hits, dans des registres différents liés par un son électrique. Même si ce n’est paradoxalement pas le plus révolutionnaire de ses albums, Purple Rain est un précipité d’énergie, de souffre (le label Explicit Lyrics a été créé à cause de la chanson Darling Nikki), de mélodies et d’efficacité, avec une exécution zéro défaut.

Purple Rain c'est désormais un coffret de 4 disques.

Les 11 morceaux inédits du second disque offrent enfin au plus grand nombre un autre point de vue (moins calibré) sur l’artiste et la diversité des registres qu'il était capable d'aborder sur une période relativement courte (environ deux ans). En marge de la production officielle déjà abondante (un album par an pendant près de quarante ans), nombre de fans le sont restés grâce à une exploitation parallèle d’enregistrements "pirate" et d'une myriade de chutes de studio. On en retrouve quelques unes ici (Wonderful Ass ou Electric Intercourse) avec un son enfin parfait, ainsi que d’autres morceaux jusque là inconnus (notamment une version à tiroir d’une dizaine de minutes de We Can Fuck qui a elle seule justifie le coffret). La sélection des titres inédits ou des versions privilégie moins l’unité musicale que la cohérence avec l’environnement sonore du film (pourtant absent de cette édition). Plusieurs morceaux comme Possessed ou Father’s Song sont entendus dans le film mais ne figuraient pas sur l’album original. Quelque sonorités dans We Can Fuck ou Katrina Paper Dolls évoquent des passages du film.

Le troisième disque se concentre sur les versions "maxis" et les face B de cette période (rien de nouveau pour les fans, mais encore quelques "classiques" à découvrir pour les autres God, 17 days, ou Erotic City).

La cerise sur le gâteau de ce coffret est un DVD du concert de Syracuse filmé en 1985 (lors de la tournée fleuve dans la foulée du film). Plus qu’avec l’album, j’ai compris comme beaucoup d’autres en voyant ce concert dans les Enfants du Rock la même année qu’on dealait là avec quelqu’un d’exceptionnel dans toutes les dimensions du show : chant, improvisation, danse, multi-instrumentiste et un gout prononcé pour la provocation qu'elle soit sexuelle, religieuse ou artistique. Ça ne s’est jamais démenti, du moins sur scène, avec des propositions musicales sans cesse renouvelées, parfois difficiles à suivre, durant plus de trente ans.

Purple Rain sera a double tranchant pour Prince. Si le film et l'album lui ont permis d’acquérir une notoriété internationale, une assise financière et une légitimité artistique illimitée, le record pourpre serait indépassable. Purple Rain devenait aussi un piège, une référence obligée à la moindre évocation de son nom, alors que Prince est tellement plus que « seulement » Purple Rain


Prince est mort l'an passé. par surprise, à l'image de sa carrière, comme un nouveau concept album. Il n’aurait probablement pas approuvé ce coffret (il avait juste signé pour le remastering de l’album, le disque 1) comme il n’approuvait pas (euphémisme pour "procédure judiciaire systématique") les multiples enregistrements pirates, ni même la simple diffusion sur internet de sa musique. Avec ce coffret, la boite de Pandore est, timidement, ouverte. Nous allons probablement avoir accès à d’autres nouveautés qui se conjugueront toujours au passé. A l’exception de ses concerts, Prince ne regardait pas en arrière. Quand il sortait un album, il en sabordait souvent la promotion. C’était souvent déjà de l’histoire ancienne pour lui, il avait déjà trois ou quatre nouveaux albums enregistrés d’avance radicalement différents. C’est aussi cette énergie, qui semblait inépuisable, qui fascinait ses fans tout autant qu'elle les maintenait dans une dépendance plus ou moins larvée prête à se débrider à la moindre esquisse de sortie d’album ou d'annonce d'une tournée. 

L’été de la mort de Michael Jackson, j’avais une conversation avec une amie sur l’éventualité du décès de Prince (hypothèse proprement inconcevable). Je lui répondais que l’on aurait alors l'amère joie d'avoir le reste de nos vies pour enfin tout écouter pai-si-ble-ment et en découvrir encore  plus. Voilà on y est. Le spectacle est fini, l’œuvre est achevée, les lumières sont rallumées. On va rester encore un peu là. Histoire de voir s’il y n’aurait pas un truc imprévu qui déboulerait. 

"Tu sais avec Prince, on ne sait jamais".  

Purple Rain Deluxe Expanded, sorti le 23 juin, Warner/NPG, 3 CD/1 DVD, 21.99 euros.
Pour en savoir + : 
Purple Fam, histoire d’une addiction à Prince Raphaël Melki
The Rise of Prince (1958-1988), Alex Hahn, Laura Tiebert (en anglais)

Le "nouveau" gouvernement : 50 nuances de droite


Depuis l’annonce du nouveau gouvernement d’Edouard Philippe, premier de l'ère de Frère Emmanuel, il semblerait que des "gens de gauche", fins stratèges, ayant payé pour voter Juppé à la primaire de droite afin de virer Sarko, avant de voter Macron à la présidentielle pour se retrouver avec des Sarko boys dans son gouvernement (entre douze Bayrouistes et treize Juppéistes), se mettent subitement à pondre des posts et statuts Facebook dithyrambiques sur la clairvoyance unificatrice et transclivage de la nouvelle équipe.

Ne paniquez pas, ne jugez pas. Il s'agit d'une hémiplégie politique temporaire. Laissez faire le temps. D'ici quelques mois, ils devraient avoir récupéré toutes leurs facultés cognitives.

Il convient néanmoins de faire un petit point, la contamination étant également médiatique. En survolant quelques journaux télévisés, l'esprit embrumé pourrait même caresser l'idée que ce gouvernement est pris d’assaut par la jeune garde de l’anticapitalisme à tendance flowerpower.

Reconnaissons-le : ce gouvernement jetable à 100% électoraliste (voir le post précédent sur les législatives) est très ouvert. Très ouvert à tous les genres de droite. Il vise d'abord à rassurer le spectateur de Michel Drucker qui, à l'approche des prochains scrutins, est le vrai client cible de la jeune Macronie (de la start-up nation de la win de ceux qui s’achètent des costumes chic).

Perso, j'ai un truc pour jauger d'entrée l'orientation du gouvernement (et ça marche toujours) : je regarde qui est nommé à l’économie. Par exemple, quand Ayrault a choisi Moscovici pour Bercy (avec son étonnant passif Anti Hollande, et multiples déclaration d'amour à Merkel), j’ai tout de suite su que c’était mort pour les cinq prochaines années. Et bien là, c’est Bruno Lemaire, ministre sous Sarkozy et auteur d'un magnifique 2,4% à la primaire de droite, qui s’y colle, un pur LR totalement Macro-compatible (pêle-mêle : pour la suppression de l'impôt sur la fortune, pour la réduction des indemnités chômage, pour les bullshit jobs sous-payés pour les bénéficiaires de minima sociaux...). Le ministre de la fonction publique disparait pour devenir celui de « l’action et des comptes publics  » (aka : des fonctionnaires rentables) sous la coupe de Gérald Darmanin, ex porte-parole de Nicolas Sarkozy et, au passage, pro-manif pour tous : du vrai hippie altermondialiste (et gay friendly). Jean-Michel Blaquer, idéologue autoritaire du management scolaire chez qui tous les candidats de droite ont pioché leurs idées sur l’école est nommé à l’Éducation nationale. Bayrou l’inutile devient Garde des Sceaux (je ne critique pas, dans ce paysage c’est presque le plus à gauche). Que dire de Nicolas Hulot à la transition écologique ? Il se murmure déjà qu'une ligne de pari est ouverte chez Betclic pour miser sur le jour de sa démission, tant la ligne du gouvernement auquel il appartient est aux antipodes de ce qu'il défend. On trouvera bien une ou deux barons socialistes en fin de course, pour permettre la titraille  sur "l'ouverture". Enfin "de gauche"...  de la droite de la gauche du centre (à tendance modérée).  

Bref, il manquait Fillon à la justice et Hannibal Lekter aux affaires sociales et on était pleinement opérationnel pour une révolution complète. 

Les électeurs de gauche peuvent donc être un peu perdus dans les prochains jours. Ne vous inquiétez pas, même s'ils ont encore quelques réparties mécaniques comme "ah mais c'était ça où les fascistes" et autres sursauts de naïveté à base de "t'es pessimiste" ou "on va bien voir" et autres "oh mais il faut leur laisser leur chance, on sait jamais" : ils devraient bientôt retrouver la raison. 

Le sevrage sera certes douloureux. Comprenons. Ils pensaient avoir élu le plus jeune des présidents français, ils réaliseront qu'ils ont porté au pouvoir le plus jeune Juppé de la Ve République. 

Les coulisses cool d'une victoire

 

Je vous invite (ou pas) à voir ce sympathique film publicitaire d'1h30 sur la campagne de notre nouveau président miraculeusement diffusé en prime-time sur TF1 (à la place de Camping Paradis)  le lendemain de son élection  :

Les coulisses d'une victoire (Lien VOD)

Il faut battre les foules tant qu'elles sont encore chaudes et continuer à vendre le produit dans la perspective des législatives. Des millions de gens ont voté Macron par peur de Le Pen, sans adhérer au projet ou sans trop savoir ce qu'il défend ou entend casser. Ces trois catégories constituent l'écrasante majorité de ses voix au second tour. 

Pour eux, aucune réponse autre que l'énergie communicative du candidat en mouvement. Dans ce film, il n'est quasiment jamais question du projet économique, fiscal et social de Macron, ça serait peut-être un peu trop clivant. "Jamais" est inexact, la question du temps de travail y est réglée en mode "casual brainstorming" autour d'un Latté avec Daniel Cohn-Bendit, et on entend notre force de vente nationale promettre à des handicapés que leur structure ne fermera pas. C'est à peu près tout. Certes, Macron ne va pas à Whirlpool pour "faire des selfies" comme MLP, mais il y emmène un réalisateuret sa caméra qui fait les belles images. Comme dit ma fille : "c'est plus stylé".

Le film n'est que forme, forme brillante avec son lot de répliques fun et courtes calibrées pour internet. Sous couvert de "making of" façon Les yeux dans les bleus (avec un off de pacotille, puisque sous contrôle du principal intéressé) les codes du dynamisme, du "team building" et de l'abnégation au travail (spécialement pour les jeunes) sont parfaitement dilués avec la pointe de cynisme (d'autres appelleront ça de "la transparence" du mec qui sait très bien qu'une caméra le filme (avec en prime un poster de Kennedy qui apparait souvent dans le cadre).

Je ne sais pas ce que Macron vaut comme Président, mais en com' il a compris l'époque et son public. Il sait que l’État de grâce sera expéditif, la construction d'une nouvelle dynamique passe en partie par le récit de sa précédente conquête.

Enfin... Le cine-story-telling (qui aurait tout aussi bien pu s’appeler "Je vais vous faire m'aimer") a beau être de qualité : je n'ai pas voulu du produit en avril et en mai, je n'en voudrai pas plus en juin.

[Trucs et astuces] Que voter pour cette élection présidentielle ?


Reprenons un instant ce blog pour faire le point sur ce carnaval présidentiel à quelques jours du premier tour...

Concentrons-nous sur le quatuor de tête des sondages :
Choix 1 : La pâte-à-modeler des patrons ?
La poupée du lobby bancaire qui crache en costard sur le code du travail, celui qui veut couler chaque français en société individuelle de service pour tous les auto-entretenir dans une concurrence cannibale jusqu’à la négociation du prix de leur cercueil arriverait semble-t-il à convaincre un quart d’entre nous. On rappellera aux convertis de l’écran plat que choisir Macron, c’est poursuivre encore un peu plus profond ce qui est en cours depuis trente ans, c'est libéraliser toujours plus au seul sens Medefien du terme, c’est choisir l’esbroufe à vide d’un Sarkozy et y coller la soumission d’un Hollande, le rire en moins. Opter pour cet ersatz de renouveau qui promet tout et son contraire pour faire l’inverse et vice versa, c’est seulement repousser Le Pen de cinq ans, comme on repousse sous le tapis le tas de crasse qui ne cesse de croître.

Choix 2 : Le croquemitaine démocratique ?
J’avais l’âge de ma fille, j’entendais déjà le couplet sur « la menace Le Pen ». Ce sera qui après ? La nièce et le petit-fils ? Lassés des paroles creuses, désabusés par l’impuissance successive des pouvoirs, beaucoup concluront légitimement que la meilleure façon d’être débarrassé de « la menace Le Pen » est encore de l’avoir aux manettes. Peut-on encore parler de « menace » lorsque dans n’importe quelle assemblée, même parisienne, où vous réalisez un petit sondage au pif, vous trouverez toujours une personne sur cinq qui avoue voter Le Pen et deux autres que ce choix ne scandalise pas ? Si nous avions des hommes et femmes politiques efficaces et un minimum en phase avec la société, le FN ferait des scores à la Cheminade. Ce qui serait embarrassant pour ceux qui depuis le départ ont fait le calcul du combat face à face avec le FN au second tour. Raisonner les électeurs du FN ? Ça ne marche pas. Les traiter de racistes ? Ça ne marche pas. Arrêter de les prendre pour des truffes ? T’es fou, c’est trop risqué : on n’est pas bien là avec notre « menace Le Pen » ?

Choix 3 : L’assisté anti assistanat ?
Le serial-fraudeur de la Sarthe a au moins le mérite de nous avoir bien fait marrer. Enfin la rigolade risque d’être écourtée. Des quatre principaux prétendants, Fillon est le seul à pouvoir décrocher une majorité aux législatives. Ce type est une arnaque diluée sur quatre décennies, sous l’emprise d’un conflit psychologique intime carabiné à la puissance Freud, coefficient 34. Il est déconnecté du monde réel et n’a honte de rien : il a donc toutes les qualités requises pour être 1 / président 2 / grand leader de droite auquel se rallieront dans les minutes suivant sa victoire tous ceux qui l’ont lâché au fil des affaires. C’est l’avantage avec la droite : même au fond de la cuvette, elle est capable de cette unité que la gauche foire toujours.

Interlude : et les programmes alors ?
On va se calmer. A part les fanatisés et ceux qui ont du temps libre : tout le monde s’en cogne des programmes. On ne sait pas qui les écrit, personne ne les lit et chaque président les trahi. Pour les trois candidats susmentionnés c’est limpide : les programmes sortent du même moule libéral avec quelques variantes de vocabulaire et sur l’intensité des coups de latte à donner sur le service public. D’ailleurs on ne vote pas pour un programme, on vote pour une personnalité : c’est la cinquième république Baï-bay. Et par défaut, sur les quatre prétendants il n’y en a qu’un qui m’a l’air "plus proche" des intérêts du plus grand nombre.

Choix 4 : L'insoumis pas content ?
Autant l'annoncer aux utopistes : Mélenchon décevra, c’est consubstantiel à l’exercice. Mais, au moins, je pars avec lui sur quelques fondations communes, ce qui n'est pas le cas avec les trois autres. Et puis, c'est son moment : son analyse faite il y a bientôt dix ans est plus que jamais pertinente. Il est enfin sorti de son tropisme sud-américain et a dépassé sa dualité productivisme / écologie. L’effroi dans lequel l’hypothèse de sa victoire plonge l’aristocratie est un délice. On touche à quelque chose de fondamental, de l'ordre du "choc". Ils le craignent pour la plupart bien plus que le croquemitaine de Montretout. Fiscalement parlant. Le reste, ils s'en foutent. A moins d’un évènement majeur d’ici là (4 jours c'est une éternité à l'échelle du WTF de l'actu), c’est pour lui que je voterai au premier tour. Sans colère ni espoir surdimensionné, et sans aucune amertume s’il n’est pas qualifié pour la suite. Il aura de toutes les façons dans ce contexte merdique accompli la meilleure campagne possible sur le fond et la forme, sans changer de cap d’une phrase à l’autre, en cherchant à élever le débat et sans mise en examen. Triple exploit.

Si vous ne vous retrouvez pas dans un de ces quatre là, il vous en reste toujours sept autres dans un spectre plutôt TRÈS large. Faites ce que vous voulez et rappelez-vous qu’il n’y a qu’un seul "vote utile" : le vôtre. 

Point de rentrée sur l’auto-entreprise

Tiens donc. J'apprends dans Le Parisien du jour que certains auto-entrepreneurs conduisant pour/par Uber le font désormais "au noir" au motif que la plateforme (mot moderne pour "société sans salariés") a changé ses conditions générales d'exploitation et que bon bah c’est pas si rentable que ça pour les chauffeurs au final.


Bossant illégalement, les conducteurs de leur destinée risquent également de se faire avoir une deuxième fois par le fisc et l’Ursaff, même si le nombre d’inspecteurs du travail (pourtant les fonctionnaires les plus rentables pour l’État) reste dramatiquement bas face à l’étendue de la "révolution" de l’"économie collaborative" (expression moderne pour "chacun pour sa gueule, et tout l'argent pour moi").

Il aura fallu sept ans pour que chacun (enfin ceux qui bossent) convienne que l’auto-entreprise est une fumisterie. Peu de mesures sociales auront eu un impact aussi violent et rapide sur le monde du travail sans l'améliorer (hormis une baisse mécanique du taux de chômage. Même si ce n’était pas le but recherché, c’est toujours ça de pris pour les gouvernements successifs histoire de prouver l’efficacité de leurs autres réformes couteuses et/ou inefficaces.

Moi-même j’ai tenu tant que j’ai pu, j’ai cédé à l'AE. Dépassons le cas Uber, qui aura au moins eu le mérite d'exposer l'indécence au grand jour, dans certains secteurs on ne peut tout simplement plus travailler autrement. Nombre de connaissances sont maintenues dans cette zone grise à précaires, voire à précariser.

Si on comprend l’avantage pour les entreprises qui remplacent ainsi de la main d’œuvre salariée, en main d’œuvre à moitié prix ou moins encore, corvéable à merci, disponible sur demande et se concurrençant elle-même à la baisse, pour le travailleur individualisé le statut d'AE est une arnaque du sol au plafond.

C'est une destruction :

- De ses droits (pas de garanties, sécurité sociale au rabais, pas de médecine du travail, pas de cotisation retraites, pas de défense syndicale…)

- Du travail (sans jeter la pierre à nombre de gens qui font bien leur boulot, suivant les métiers c’est la porte ouverte à n’importe quoi. C’est également l’entrée de l’hypothèse d’un travail permanent et sans fin dans notre quotidien, et jusqu'à notre dernier souffle).

- De la solidarité (Mettre chaque individu en concurrence était le fantasme des néo-libéraux pour La France, c’est en passe de réussir au-delà de toutes les espérances).

- C’est également préjudiciable pour les petites entreprises. Elles-mêmes obligées de composer avec cette armée de francs-tireurs non-soumise aux mêmes règles.

Comme quoi, on peut faire beaucoup avec un bon titre marketing. La ruse sémantique étant d’avoir collé "entrepreneur" sur l’emballage. "Auto-servage" c’était moins vendeur. L’auto entrepreneur n’est qu’une main d'œuvre à prix cassée, socialement délocalisée et physiquement disponible.

Mais essayons d'être positifs. Même si cette boîte de Pandore n’aurait jamais dû être ouverte, l’auto-entreprise est un statut qui peut être intéressant :

1 / Comme complément de revenus, salaire ou retraite (même si à l’ère du chômage de masse, permettre à ceux qui gagnent quelque chose de gagner plus en prenant du travail à ceux qui n’en ont pas, ne semblait pas être LA priorité).

2 / Le statut peut s’envisager comme un tremplin vers autre chose. Le salariat ou la création d’entreprise.

Après tout, si l’AE remplace le stage peu ou pas payé (qui est l’autre grande fumisterie du monde du travail depuis un quart de siècle), on pourrait presque le considérer comme une amélioration. Encore mieux, il pourrait déboucher sur un emploi. Ne pas se leurrer : c’est encore trop rarement le cas.

Pour la création d'entreprise, l'AE permet de se constituer une expérience et surtout des clients (mais une entreprise c'est fiscalement très différent et ça nécessite un bon pécule de départ. Avec moins de 32000 euros – 25% par an, dans le meilleur des cas et à condition de ne rien manger et de ne pas avoir de loyer, convenons-en : c’est pas le top).

Dans les deux cas, il faut en sortir au bout d'un an ou deux. Et là surprise : c'est moins simple que d’y rentrer. Entre ceux qui n’ont pas les moyens, les épaules ou tout simplement l’envie de passer en entreprise et ceux qui, même devenus salariés, ont du mal à se réaligner sur le régime général (le RSI étant aussi opaque qu’ingénieux à vous garder dans ses filets), l’auto-entreprise confirme encore sa nature piégeuse. 

J’espère me tromper, j’ai bien peur que ce débat soit écarté des prochaines élections présidentielles.

Pendant ce temps, Uber planche déjà sur des voitures sans chauffeur, débarrassées de leurs entrepreneurs auto-proclamés et grevant encore trop les marges auto-défiscalisées de la société.


P.S : je n'évoque pas ici les cas très nombreux d'AE ne faisant AUCUN chiffre d'affaire.

Articles en lien :
Ils roulent pour Uber au black
Uber veut lancer des voitures sans conducteur
Comment Uber ne paie pas d’impôt

Où étais-tu la nuit dernière ?

 
Journal, 21 avril 2016 > Toute la journée en montage. Je coupe les infos. A peine le temps de voir en fin d'après-midi, un partage Facebook au sujet d'un corps sans vie retrouvé à Paisley Park. Je ne m’inquiète pas plus que ça. Les filles rentrent vers 19h. En leur mettant des dessins animés sur la télé, j’aperçois un extrait de Purple Rain sur France 5. A 19h20, Prince sur une chaine nationale ? Lui qui (comme la bonne musique en général) est tricard des heures de grande écoute sur les médias depuis si longtemps. Je n’ai pas besoin de lire le synthé. Je comprends.

Prince est mort à 57 ans.

Ce moment, je ne le redoutais même pas tant il est inconcevable, surtout depuis que Prince entre apaisé dans une nouvelle phase de sa carrière et que je l’imaginais atterrir en douceur d’ici vingt ans dans des croisières souvenir pour ses anciens fans, ou dans un club de jazz, ou les deux. Je ne pleure pas. Je m’étonne même d’être totalement froid. Le téléphone vibre sans cesse. Des condoléances. Des cœurs. Des SMS. Je n’en ai jamais reçu autant et aussi vite. Je ne pensais pas avoir fait autant étalage de ma passion auprès de mon entourage et sur les réseaux. J’ai du mal à partir aux 50 ans de Jegoun. Je suis quand même sonné, ça monte. Gildan m’envoie un message :

- Tu sais ?
- Yep.

Le repas à la Comète n’est qu’un flottement cotonneux d’où je ne perçois que les échos du best-of de Michael Jackson que le patron a jugé bon de passer en boucle. Dans le brouhaha, sur l’écran d’une chaine d’info, j’aperçois Raphaël. Il a les mots justes et relève le niveau bien mal engagé tout à l’heure avec Eric Dahan qui n’a pas attendu dix minutes après l’annonce du décès de Prince pour piétiner son œuvre.

J’entraîne Gildan à la soirée hommage organisée en une heure par Schkopi au Réservoir. La première fois que j’y retourne depuis 2012 et le concert de The Family (les premiers interprètes de Nothing compres 2U). C'était le soir des 60 ans d’Eric Leeds. J’étais comme un fou, je discutais avec des légendes de mon adolescence qui ont collaboré avec Prince à des moments clés, et je filmais leur concert. Devant la salle, des visages sombres que je connais et d’autres visages, le regard tout aussi perdu, croisés au fil des années de concert en concert. J’ai presque honte de ne rien sentir, de ne rien afficher à part une décontraction de façade. Something does not compute. Nous pénétrons dans le club aux sombres éclairages pourpres alors que raisonne de la façon la plus glauque du monde sa chanson la plus triste : Sometimes it snows in april.

Sometimes it snows in april,
Sometimes I feel so bad,
Sometimes I wish life was never ending,
but all good things, they say, never last.

J’ai envie de partir.

Comment va-t-on faire ? Comment vais-je faire ? Comment ne pas parler de sa musique au passé alors que sa musique c'est lui ? Comment faire vivre tout ça ? Comment laisser la place à du nouveau tant il est inégalable ? 

Bientôt des souvenirs m’assaillent dans tous les sens : Des concerts évidemment, ceux auxquels j’ai eu le privilège (cher parfois) d’assister, mais aussi ceux que j’ai raté (ça fait partie de l’expérience, et finalement j’en garde aussi un bon souvenir. Je l’ai d’abord aimé grâce à ces centaines de concerts dont je ne connais que les enregistrements). Plein de flashs sans aucune hiérarchie sur ces petits moments qui n’ont rien et tout à voir avec lui, ces trente-trois dernières années où il m’a accompagné chaque jour. Je me souviens précisément du moment et de l’endroit où je l’ai découvert, aux balbutiements de mon adolescence. La déconcertante et magique première écoute d'Around the world in a day l'année suivante. Ce moment où j’ai clairement basculé, deux ans plus tard, avec la sortie de Sign of the Times et cette émission sur la toute jeune Skyrock diffusant l’intégralité du double album le soir même de sa sortie, les cassettes de compilation faites au collège, les paroles sur mes cahiers, les vinyles achetés à Londres en 1987 lors d'un week-end de gavage princier (disques stupidement revendus des années après), mon premier concert au Parc des princes en 90 (peut-être le moins bon de tous, et qui pourtant a été un déclencheur supplémentaire), les discussions entre fans sur Minitel, 3615 code stars, mes dessins, des heures de dessin autour de son univers (là il m’a vraiment aidé à passer des moments difficiles). Mon premier enregistrement pirate acheté 500 francs à un revendeur hollandais le Small club 2nd show that night, écouté en boucle cet été de solitude 1990 et qui est encore là sous mes yeux au moment où j’écris ces lignes. C’était tellement décoiffant musicalement, différent de ses hits et d’une qualité audio si parfaite que j’ai d’abord cru à un « fake ». Ma course aux bootlegs, mes pochettes recomposées, ces heures en sa compagnie auxquelles je ne faisais plus attention tant elles étaient naturelles, ces voyages en Europe et aux États-Unis que je planifiais toujours autour de ses concerts durant dix ans. Ces longues répétitions au palais des sports d'Anvers où il était habillé pour une fois (presque) en civil et jouait les morceaux que nous lui demandions. Cette inoubliable et improbable nuit dans un petit club à Las Vegas en 1999 après laquelle je me suis dit : « OK c’est bon. Ce que je viens de vivre pendant des heures est indépassable ».

Le New Morning dix ans après me prouvait que, oui, cela pouvait encore être dépassé.


Même si parfois il m’énervait, et que je m’en éloignais, il était toujours dans mon air. Ayant une défiance pour la vénération aveugle, je me suis toujours défendu d’être le "vrai fan" (ce qui m’a d’ailleurs connement fait rater pas mal de concerts y compris une fois juste en bas de chez moi) sans toutefois jamais cacher ma passion pour sa musique et son énergie (elles étaient trop consubstantielles de ma vie pour pourvoir les dissimuler). Mais cette nuit, au fil des heures les enchainements du DJ ReverendP et l’alcool font leur effet.

How can you just leave me standing  ? Alone in a world that's so cold.

Je craque sur une chanson "inoffensive" Beautiful, loved and blessed, une de ces ballades récentes sur lesquelles, entre les démos, les avalanches d’enregistrements inédits, de concerts, mon attention glissait jusqu’à présent. Cette nuit, cette chanson est une flèche tirée de l'au-delà qui me perce le cœur. Je pleure et bats la mesure. La joie et la peine, comme le sentiment amoureux. L’être aimé n’est jamais assez là. Même quand il est là. C’est exactement ce que je ressens. C'est ce que j’ai toujours ressenti avec Prince, avec des débordements parfois, une distance raisonnée à d’autres moments, ou en le refusant, tout simplement parce qu’un amour trop intense vous empêche parfois de vivre.

Body don’t wanna quit, gonna get another hit.

Dans les larmes, je bricole une cohérence à tout cela : cette dernière tournée énigmatique où il joue seul au piano (je dois avouer que ce trop-plein soudain m’agaçait alors qu’il snobait stupidement en live cet instrument dans lequel il excelle aussi bien, voire mieux, que dans les autres) et la reprise de Heroes depuis quelques semaines (lui qui n’a jamais joué du Bowie) sur cette même tournée. Même les paroles que je considérais être son seul point faible prennent une autre dimension, de Let’s go Crazy aux dernières secondes du dernier morceau de son dernier album. Je ne m’étais pas inquiété sur sa santé. Je m’inquiétais sur ses choix artistiques et commerciaux récemment, mais j’étais déterminé à rester insensible à sa personne (toujours ma vigilance à ne pas tomber dans le fanatisme), et je n’ai pas prêté d'importance à ce que j’interprète maintenant comme des signes. Sauf bizarrement la veille de son décès, où j’écoutai religieusement une émission de FIP qui lui était consacrée, en postant sur Twitter un commentaire sur chaque chanson (ce que je ne fais jamais). Expérience décalée qui ajoute au côté surréel de ma nuit blanche.

I’m gonna dance my life away.

Nous écoutons très fort sa musique jusqu’à très tard. On danse, on rit, on pleure. Comme dans un concert de Prince, plein d'inconnus sont au diapason de la même émotion. C’est ce qu’il fallait. Un énorme merci à Raphaël. Nous marchons à l’aube. Comme d’hab. Comme après le concert surprise  du Bataclan, toujours en 99, où à peine sorti, usé mais heureux, il fallait reprendre une journée de montage dans la foulée. Je dis au revoir à Gildan à Bastille. Il me rend mon casque qu’il avait gardé dans son sac. Et j'écoute encore celui que j'écoute au moins une fois par jour depuis trois décennies.

En me demandant de quoi demain sera fait.



Articles connexes : 

Qui sont vraiment les "insiders" ?


Comme anticipé l'escadrille médiatique des VRP de la réforme libérale s'est mise en formation pour dézinguer sur les ondes la mobilisation du 9 mars contre l'infâme loi VallsElKhomri. Étonnant comme ceux qui se targuent de vouloir adapter le code du travail à un monde moderne se gaussent d'un million de signatures en ligne. Les journaux télévisés qui sont déjà à la limite du regardable en temps normal donnent envie de savater l'écran (césar d'honneur à David Pujadas qui a chaque prestation pro-Medef gonfle la pétition de 50000 signatures).  Il va falloir tenir car ils vont marteler, amadouer, tenter de nous avoir à l'usure en jouant du calendrier, d'autant qu'ils ont la quasi-intégralité des éditorialistes multisupports avec eux et qu'ils vont nous vendre, pour une fois, l'argument de la lutte des classes en prétendant que la contestation est bourgeoise, entendre diplômée (comme si cela préservait du chômage longue durée).  

Pour ceux qui ont battu le pavé ce 9 mars à Paris, un constat s'impose : les cortèges sont différents des manifestations habituelles. Bien plus de jeunes, mais aussi un calme déconcertant, une détermination palpable dans des regards sombres. Les phrases qui revenaient souvent : "Ça va au-delà de la loi travail", "c'est la mesure de trop", "ils sont bien décidés à nous faire payer la crise par encore plus de casse sociale...." Le niveau de conscience des raisons de lutter est parfaitement mis à jour, il n'y a pas de manipulation ici, mais des trajectoires personnelles et de l'exaspération. On n'est pas dans le pessimisme de 2010, quelque chose s'est levé là qui déstabilise un gouvernement à cran (le volume de la présence policière autour des ministères rappelle fortement les heures sarkozystes). Comme me le rappelait un syndicaliste l'autre jour : c'est la première fois que l'union se fait aussi vite sur le terrain. "En mai 68, il a fallu attendre quinze jours pour que les syndicats se mêlent de la contestation des jeunes". Ici en quinze jours, nous avons déjà des centaines de milliers de personnes dans la rue (jeunes, salariés du privé et du public, front syndical...).

Hors de sa morgue standard, la seule réponse du pouvoir à ce jour est l'éventualité de "taxer les CDD pour encourager les CDI" (énième pirouette puisque de fait le projet de loi détruit CDI ET CDD en instaurant sans le dire un CDE généralisé contrat à durée éphémère). La rengaine des pro Khomri est simple : les salariés sont des "insiders", des "privilégiés. Tu ne peux pas réduire le chômage ? Détruisons donc le travail. La troisième étape de cette arme de destruction salariale (la première étant la création de l'auto-entrepreneur) sera l'attaque frontale des fonctionnaires. Le récent acharnement du parquet à poursuivre les syndicats en justice (Goodyear, Air France) s'inscrit avec cohérence dans ce grand dynamitage.

Éditorialistes à un Smic par jour et en CDI depuis des décennies d'un côté, politiques déconnectés de l'autre ne connaissant pas plus l'entreprise que le travail et voguant d'un poste à l'autre depuis la sortie de l'ENA, chacun nous vantant la nécessité (pour les autres) de ne pas trop s'accrocher au contrat de travail à durée indéterminée. Se rendent-ils seulement compte de l'indécence ? 

Je ne sais pas s'ils ont l'air du temps avec eux, mais ils ont clairement derrière eux trente années d'échecs dans leurs prescriptions économiques.


Illustrations : S.Musset

La #loitravail ou la fin du salariat


15 jours. C’est le temps jugé nécessaire par le premier ministre pour que nous comprenions mieux, bande crétins que nous sommes, la loi travail de Madame El-Khomri.

15 jours. C'est le temps jugé suffisant au microcosme parisien mediatico-politco-patronal, enfin rentré des sports d’hiver (comme quoi les congés payés c’est pas si mal), pour décrédibiliser le million de signatures de la pétition contre ce projet de loi merdique et empêcher la cristallisation des contestations. Bon, rappelons ici à ce pouvoir qu'il a cédé en quelques jours face à 30000 likes de #pigeons sur Facebook.

C'est pourtant limpide. 

Dans le parfait prolongement du virage soc-lib de Hollande et du quinquennat hystérique de Sarkozy, on peut résumer ce projet de loi en une phrase. Phrase non écrite, mais qui suinte de chaque article : la fin du salariat.

La loi Khomri donne un cadre juridique à la disparition des salariés.
La possibilité de licencier sans justification économique signe de fait la fin du CDI, mais aussi du CDD. On peut reconnaitre pour une fois à Hollande son caractère révolutionnaire. Il est allé plus vite et plus loin que ce que prévoyaient la droite et le MEDEF : notre entrée de plein pied dans une société du travail où le prestataire de service remplacera le salarié. On pourrait discuter du bien-fondé, économique et philosophique, de la chose (j’ai assez tapé sur le salariat), le problème majeur est ici la brutalité du changement qui laissera inévitablement des millions de personne sur le carreau avec la certitude d’un contrecoup majeur pour la société dans sa globalité en termes de qualité de vie et de santé (et ne comptez pas trop vous enrichir non plus). 

L’économie rêvée des Gattaz et compagnie a besoin de prestataires, corvéables à merci et sur demande, qui se maintiennent eux-mêmes dans une concurrences tirant leurs tarifs vers le bas au lieu de penser collectif, et anesthésiant ainsi grâce au dieu marché toute velléité de révolte. Le tout sans "charges" ni responsabilités pour le donneur d'ordre.

Ça ne réduira pas le chômage mais on s'en fout, vu qu'il n'y aura plus de salariés, il n'y aura plus de chômeurs non plus. Ce seront "les miracles" anglais, allemand et américain enfin réunis sur sol français.

La loi El-Khomri est la phase deux du démantèlement concret du salariat commencée avec la propagation de l’auto-entreprise sarkozyste porte ouverte à l'uberisation joyeuse (du taxi pour le moment, et qui ira de l'école jusqu'au traitement de votre cancer). Sous prétexte de permettre à chacun de se créer une activité à moindre frais, l'auto-entreprise a surtout permis de nous faire travailler pour moins cher en renonçant de nous-mêmes à des droits sociaux, tout en nous sortant des statistiques du chomdu. 

La loi El Khomri est le sarcophage (côté salarié) du code du travail qui le protégeait tant bien que mal jusque-là. C’était un monde où le travailleur, enfin surtout ses prédécesseurs, avaient conquis des droits et allaient vers le progrès, en ayant le temps de bénéficier des fruits de leur labeur. Ce ne sera plus le cas, hors du champ « autorisé » de la consommation.

Il va de soit bien sûr que nous ne demandons pas 15 jours de réflexion pour mieux comprendre. Nous avons parfaitement compris ce que vous attendez de nous :

La ferme, active-toi, consomme où on te dit et péris sans bruit (mais à crédit). 

Articles connexes :

Les gueux et les geeks à l'assaut de la #loitravail ?



A défaut d'inverser les courbes, encore une fois, notre clairvoyant gouvernement innove et frappe fort : 

Augmenter les heures de travail des salariés va réduire le chômage. 

Imparable logique arithmétique de l'avant-projet de loi El-Khomri (certes légèrement murmurée par le MEDEF à l'oreille des nigauds gouvernementaux ne connaissant la vie de l'entreprise que via leur brèves excursions biannuelles en tour-opérator sous l’œil des caméras).

Et oui, encore lui, c’est bien ce gouvernement qui a déjà dilapidé 40 milliards (les vôtres) pour acheter 2000 pin’s nous allons créer 1 million d’emplois au dit MEDEF qui se mêle encore une fois d'économie et, pire encore, de temps de travail alors qu'il n'a visiblement que très peu de compétences pour la première et aucune expérience du second. 

Le projet de loi El-Khomri, c'est Orwell,  Philip K.Dick et Francis Veber réunis, avec le gouvernement dans le rôle de François Pignon dans le diner de cons. Sarkozy n'avait pas esquissé la moitié du tiers de ce que ce gouvernement goguenard est en train de détruire au nom du "progrès".

L'avant-projet El-Khomri est le rêve humide à portée de loi de tout ce que la droite n’a pas osé faire au pouvoir (par peur de la rue) en matière d’esclavagisation des masses. De l’idéologie en barre en surfant sur la culpabilisation de l’inactif ? Ça on commence à être habitué : trente ans que l'on vous assène que vous êtes une sous-merde si vous n'avez pas un boulot alors vous avez fini par l'intégrer.  Non, là où les socialistes en carton innovent un chouilla c'est sur la culpabilisation de l’actif. Définition de l'actif : privilégié pas assez productif et trop payé (imaginez que certains à moins de trente ans ont encore quelques euros en poche après avoir payé le loyer de leur colocation, c'est proprement scandaleux). Au passage, j'invite le MEDEF à lire cet article sur ce que coûte au final le "présenteisme" aux entreprises.

 J’ai beau avoir tapé sur les patrons ici même, la plupart de ceux que je rencontre depuis quelque temps (plutôt de la TPE, je reste timide) sont atterrées par la bêtise de cette loi qui ne créera pas un seul emploi tant elle tape à côté. Pire, grâce à elle, les autres boites, les grosses ou celles gérées par des salopards vont pouvoir s’autoriser à être encore plus dégueulasses sous couvert de "modernité" comme dirait Valls  (note que ça rime).  

Résumons à dix ans le paysage social français passé au tamis de la Tchatchérisation sauce Hollande : d'un côté les grosses boites avec leurs armadas d'experts fiscalistes et lobbyistes et qui se goinfreront toutes les aides publiques en pure perte, et les Uberisés de l'autre qui se feront baiser dans tous les sens, trop fiers d'être entrepreneurs (mais à 90h par semaine et sans protection, ce que ne vont pas tarder à devenir les salariés si les porn-libéraux, se servant du socialisme comme diversion pour passer les acquis sociaux au Round-up, poursuivent à ce rythme). Du côté des non-entrepreneurs ce sera plus simple : il y aura les travailleurs qui accepteront TOUT et les chômeurs qui n'auront RIEN. Bref, la société Vallso-macronoEl-Khomrinique ne sera pas celle de Trepalium, mais plutôt cellede Sacdecouchagium: ceux en sac de couchage sous les ponts, et ceux en sac de couchage qui dormiront au boulot.

Vient le bon côte des choses. 

Après ses erreurs, ses cascades de renoncements, de minables calculs politiciens, ces trahisons maladroites, celles assumées, le pouvoir pensait que cette abjection supplémentaire passerait toute seule entre une déchéance de nationalité et un procès de Cahuzac repoussé. Manque de bol le timing est aussi mauvais que le malaise profond : c'était les vacances. Il faut croire que pendant que l’élite de l’analyse économique skie, il ne reste aux crevards, chômeurs ou salariés, qu’une connexion internet pour se défouler. Le pouvoir et ses relais ne s’attendaient pas à une telle lever de boucliers : 8000000 signatures contre la loi travail recueillies sur internet en une semaine : sale coup pour "les modernes".

Ces jours-ci se joue non pas le futur du gouvernement ou l'énième retour de Martine Aubry (ou tout autre détail technique totalement inintéressant vers lequel le microcosme journalistique tend à réduire le débat), mais bien la direction vers laquelle nous voulons que la société aille. C'est plus un choix philosophique qu'économique (en termes d'économie, c'est un non-sens). Au cœur de nos désillusions et de nos abattements, de nos isolements, le passage ou non de cette loi est un test grandeur nature de résistance commune face à la prétentieuse et contreproductive crétinerie des dogmes libéraux. 

Et idéologiquement, ils ont déjà gagné beaucoup trop de batailles.   

[Update 11h59 : Au moment où j'écris cet article, j'apprends que le gouvernement va annoncer un report de la présentation du projet de loi Travail en Conseil des ministres d'après des sources gouvernementales de l'AFP.]>>> Un report n'est pas un retrait. Le combat s'inscrit dans la durée.



L’an 01

Faut pas déconner un anniversaire ça se fête, et puis y a tout un business à faire tourner (de la presse, des livres et des émissions spéciales avec de la pub avant après et pendant). Le spectacle de l'émotion et de la peur sur TNT HD, le duo de choc action + larmes avec le pouvoir en guest-star si fier de sa sécurité (alors que bon hein).

Si vous voulez revoir Cabu et Wolinski (et d'autres) vivants repenchez plutôt sur l’an 01 de Jacques Doillon. A la différence des reconstitutions du 7 janvier 2015 qui tournent en boucle (comme si tout ça était déjà derrière nous), ce film n’est probablement pas passé trois fois à la télé en quarante ans. Son utopie est plus que jamais pertinente. Non, urgente.

Allez cadeau. Et Bonne année !

Régionales 2015, round 2 : ne t'en fais pas, les meubles vont bien

"Rien ne sera plus jamais comme avant"... jusqu'à la prochaine fois.

Here we are folks. Après une campagne hors-sol, d'abord inexistante médiatiquement puis hystérique, totalement imbibée par la politique nationale, les résultats des régionales c'est l’école des fans. Ceux qui devaient gagner ont perdu, ceux qui pensaient tout perdre s’en sortent bien, les vainqueurs le sont grâce aux voix des perdants et la région la plus importante de France glisse des mains du candidat socialiste comme une savonnette au sauna de Solférino.

Détaillons en dix points :

1 / Parce que c’est ma région et que j'ai un peu la haine, je commence par là. En Ile-de-France, Claude Bartolone du PS échoue face à une figure de l’incompétentosphère de la bourgeoisie de droite. C’était imperdable bordel ! A moins de ne pas vouloir gagner. Le bon côté, c’est que Le Petit Journal a une ligne éditoriale assurée pour les six prochaines années, parce que des grosses pécrèsseries, je vous le signe ici : il va y en avoir par kilotonnes sur une base quotidienne.

2 / Les socialistes "sauvent les meubles". Il y a encore un mois, je leur donnais zéro région. (cf point 8)



3 / Après une non-campagne où il a été question de tout sauf de l’impact concret sur notre quotidien de l’action des conseils régionaux, c’est un succès apparent de la campagne de second tour sur le dos du FN. Le parti de Marine Le Pen se prend une tarte dans toutes les régions. MAIS…

4 / Jusqu’à quand cette politique du « front républicain » répondant dans l’urgence à l’inertie programmatique des partis de gouvernement ? Réponse : tant que ça n’échouera pas. Le piège est enclenché. Vous vouliez des idées et du renouveau pour 2017 ? Dommage, vous aurez une bataille des candidats pour arriver au second tour face à Marine Le Pen et, automatiquement, gagner. Attention. A force de "sauver les meubles", on va peut-être finir par légitimement avoir envie de les brûler.

5 / Le FN, la petite entreprise qui ne connait pas la crise. 350 nouveaux conseillers régionaux et un positionnement clair : ils sont l’opposition. Ils métastasent et se solidifient laborieusement dans le paysage.

6 / Ne jamais crier victoire avec un loustic pareil (hyper hermétique à l'humilité), mais on pourrait cette fois être débarrassé du teigneux de Neuilly. Ratage au premier tour, grattage des voix de gauche au second, tout en appelant piteusement au "ni-ni" : Sarkozy est le grand perdant des régionales.

7 / A l’inverse, en plus de sa victoire dans le Nord-Pas-de-Calais, Xavier Bertrand a marqué des points dans son discours d’ouverture dimanche soir. Depuis deux ans quand je dis que ce type sera le prochain (ou le prochain prochain) président, on me lance des soupirs amusés d’intensité à peu près équivalente à ceux lancés en 2011 lorsque j’évoquais la possible victoire d’Hollande l’année suivante. Celui qui fait oublier qu’il a été ministre de Sarkozy s’est également démarqué des têtes de son parti qui ont utilisé cette soirée médiatique comme tremplin perso pour la campagne des primaires à droite.

8 / Le ras-le-bol de la politique gouvernementale ? Pas si sûr. Le meilleur score socialiste est obtenu par un ministre du gouvernement (qui n’a même pas fait campagne qui plus est). La droite appelle a accélérer les réformes, l’exécutif "n’entend pas changer de cap".

9 / Que les abstentionnistes d’Ile-De-France ne viennent pas pleurnicher dans les mois qui viennent. Lutter contre l’arrestation abusive de militants écolos (ce qui n’est pas du ressort de la région) en donnant les clés de la gestion des écoles, des routes à un conseil régional de droite (à dominante Manif pour tous), j’ai vu moins couillon (même dans l’équipe de Pécresse).

10 / Le « changement de logiciel » s’impose. Là au moins, nous serons tous d’accord. Ils l’ont tous répété hier soir. Il y a d’un côté la bataille des idées, mais aussi le casting. Celui-ci ne prend  pas en compte la diversité sociale et professionnelle de ce pays (FN compris) et ne se renouvelle pas (elle est sympa cette boîte où même quand tu es viré tu peux repointer sans cesse). De ce côté-là, rien n’arrivera en attendant les bras croisés. C’est le challenge du moment, d'autant qu'il y a un boulevard pour une opposition constructive. Nous sommes nombreux à avoir envie de voter "pour" et non plus "contre".

Régionales 2015, round 1 : jusqu'ici tout allait bien

La baffe des #Régionales2015 est pire que prévue. Le 6 décembre 2015 relègue le 21 avril 2002 au rayon d'accident de tir sur un stand d'animation folklorique pré-estival.

Le FN triomphe avec des candidats parachutés mais médiatiques. Le PS est sanctionné en local pour la politique nationale. LR perd le leadership de l'opposition et la défaite est cinglante pour Sarkozy qui non seulement ne capte plus le vote FN comme par le passé (c’était à peu près sa seule qualité) mais en plus divise ses troupes. La gauche, rongée par son archaïsme communicationnel et/ou ses batailles intestines, est inaudible. Les abstentionnistes sont fiers d'eux. Nord et Paca (entre autres) basculent à droite (avec un FN à 40% dans le Nord et un PS pulvérisé). La politique d’austérité du gouvernement (bien silencieux en ce dimanche de rouste) explique bien plus ce score (et la démobilisation qui va avec) que les récents attentats de Paris. Dans la capitale, le FN ne dépasse  pas les 10%. Pourtant, j'ai bien peur que la réponse soit la poursuite et l'accélération dans cette course à l'échec, avec un climat de guerre là-dessus pour unir le pays contre l'ennemi.

La France est à bout de souffle démocratique, au bout de ses scléroses, de ses non-renouvellements de personnels, d’idées et nous (qui par fatalisme, cynisme ou confort, avons également renoncé pour la plupart à nous investir) nous sombrons dans cette absurdité : nous sanctionnons le gouvernement pour sa politique de droite libérale par une forte vague de droite réac (notons d'ailleurs que, pour Les Républicains, une gauche même molle est pire qu'une droite dure). 

Si ce premier tour des régionales est l’échec de Valls et Sarkozy (pour avoir l’un et l’autre persisté dans leurs obsessions), il faut dépasser leur petits cas personnel (l'histoire va les digérer, et moi aussi j'ai envie de dire à l'unisson du pays : "C'est bien fait") : à partir du 13 décembre ce sont les gens en local qui vont trinquer. C’est le plus terrible dans ce délire national : des Français vont payer au quotidien pour les turpitudes d’une élite qu’ils dénoncent par ailleurs en installant une autre micro-élite, nullissime en gestion et pourrie idéologiquement. 


Le calendrier électoral est désastreux. A la différence des différentes mairies conquises par le passé et dont la gestion a tourné vinaigre, si le FN récupère des régions (et notamment le Nord-Pas-de-Calais pour sa présidente), le délai sera trop court avec la présidentielle pour que l’on puisse tirer l’an prochain un bilan négatif de son action.
 
Si maintenant vous n'avez pas compris que si vous ne vous mêlez pas de politique, elle finit par se mêler de vous, alors effectivement vous n'avez plus qu'a prendre un bol de popcorn et confortablement vous installer devant BFM pour les prochaines soirées électorales à dominante bleu marine.
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