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À partir d’avant-hierLa voie de l'épée

Des cycles et des guerres

Publié dans Défense et sécurité, n°151, janvier-février 2021

Une armée est toujours en tension entre les missions que l’échelon politique lui ordonne d’exécuter et ce qu’elle est réellement en mesure d’effectuer.

Les missions données dépendent souvent de l’endroit où l’on perçoit les plus fortes menaces ou éventuellement les plus grands intérêts à conquérir ou préserver. Pour un pays comme la France, ces endroits stratégiques sont au nombre de trois : la nation elle-même, l’«arène» où s’affrontent les États du « système-monde » décrit par Fernand Braudel et Immanuel Wallerstein, comme le groupe de puissances qui domine et structure le reste du monde, et enfin la périphérie de ce même système-monde. Cela correspond sensiblement aux trois cercles d’intérêt stratégique décrit par Lucien Poirier.

Ce qu’est capable de faire réellement une armée dépend de son capital de compétences et d’équipements ainsi que des ressources allouées pour qu’il puisse fonctionner. Ce capital doit normalement correspondre à l’emploi prévu, mais pour peu que les ressources diminuent et/ou que cet emploi change brutalement et une armée se trouve en décalage avec les besoins stratégiques. Or, les emplois changent souvent, au rythme des variations du contexte politico-économique du système-monde.

Un changement de priorité tous les vingt ans

De la fin des guerres de Premier Empire à celle de la Première Guerre mondiale, l’emploi des forces armées françaises est manifestement corrélé avec l’activité économique générale selon les cycles mis en évidence par Nikolaï Kondratieff en 1926, avec leur phases de croissance (phase A) et de dépression (phase B) d’une vingtaine d’années chacune, car cette activité économique influe beaucoup sur les relations entre les puissances européennes.

Après la période belliqueuse de la Révolution et de l’Empire, qui correspond à une phase de croissance économique (phase A de Kondratieff), les grands États européens, et particulièrement la France, sortent épuisés et crise économique (phase B). Ils ne se font plus la guerre et tentent de réguler leurs relations dans le système de sécurité collective de la Sainte-Alliance. Dans ce cadre général, les préoccupations politiques du régime de la Restauration puis de la Monarchie de juillet sont essentiellement intérieures. L’armée y est d’abord une force de maintien de l’ordre, mission principale qui se double parfois de petites expéditions à l’étranger, dont certaines, en Grèce ou Belgique, relèvent déjà d’opérations de police internationale puisqu’il n’y a pas d’ennemi désigné et que les combats y sont rares. La grande guerre de l’époque est périphérique et se déroule en Algérie.

À partir de la fin des années 1840, la tendance économique s’inverse (phase A). Les États européens se raffermissent et commencent à disposer de ressources importantes qui leur permettent d’en consacrer une part importante à poursuivre des ambitions extérieures. La France du Second Empire multiplie les expéditions lointaines de guerre du Sénégal à la Corée en passant par le Mexique, ou «à but humanitaire» comme en Syrie. Elle intervient surtout dans l’arène des puissances qui réapparaît. De 1853 à 1871, France affronte successivement la Russie, l’empire d’Autriche et les États allemands.

La «grande dépression» qui débute en 1873 s’accompagne d’une décroissance guerrière dans une Europe qui retrouve des règles collectives de gestion de crises. Les ressources des États diminuent. La France réorganise son armée et prépare la «revanche», mais la posture est défensive en Europe et offensive dans le reste du monde. L’empire colonial est conquis à 80 % de 1880 à 1900. Alors que la phase de dépression est au plus bas au tournant du siècle, les problèmes sociaux sont aussi à leur maximum et l’armée est engagée dans des missions de maintien de l’ordre pendant quelques années critiques.

Dans les années qui suivent, le retour de la prospérité en Europe avec une nouvelle phase A voit aussi le retour du nationalisme et la réapparition des conflits jusqu’à la Première Guerremondiale. Le budget militaire français remonte et la priorité est clairement à la guerre contre l’Allemagne. La Première Guerre mondiale survient presque au pic de la phase de croissance.

Toutes les puissances européennes évoluant dans le même contexte, les politiques militaires ont tendu à se ressembler et même à former des «courses» (aux armements, aux colonies) dangereuses dans l’arène lors des phases de croissance ou dans la périphérie lors des phases de dépression.

Des anomalies dans les cycles

La période qui suit la Première Guerre mondiale semble d’abord obéir aux tendances précédentes. C’est une phase B. La tendance dans les démocraties est à la réduction drastique des armées et à la «mise hors la loi de la guerre». On croit à nouveau à la régulation internationale des conflits. Les accords de Locarno en 1925 normalisent apparemment les relations avec l’Allemagne.

Pour les armées françaises si la menace allemande est écartée, il faut s’engager activement dans des opérations de stabilisation (Hongrie, Silésie, Ruhr) ou de guerre périphérique (Odessa, Rif, Syrie) jusqu’en 1927. Une grande partie des ressources comptées est ensuite consacrée à la construction d’une grande ligne défensive. À ce moment-là, personne ne songe à une nouvelle guerre entre puissances.

Dans la logique des cycles précédents, la guerre entre les puissances aurait dû réapparaître dans les années 1950. Elle réapparaît plus tôt, car certains États ne «jouent pas le jeu». L’Union soviétique n’est pas soumise aux mêmes fluctuations que les économies capitalistes et en Occident la crise contribue à l’arrivée au pouvoir en Allemagne d’un autre régime totalitaire qui, de manière apparemment contracyclique, investit dans l’outil militaire. On constate alors que dans certaines circonstances «beurre et canon» ne sont pas forcément incompatibles. Forcées par la nouvelle menace, les démocraties investissent aussi dans leurs forces armées, mais plus tardivement et avec réticences. Leur politique d’«apaisement» ne fait que stimuler l’agressivité d’Hitler jusqu’à la guerre et le désastre.

La Seconde Guerre mondiale est donc une anomalie puisqu’elle se déroule en plein bas d’une phase B. À son issue, la croissance économique repart à la hausse avec une phase A longue et très soutenue jusqu’au début des années 1970. Dans la logique des cycles précédents, ce sont les conflits périphériques que l’on aurait dû voir dans les années 1940. Ils apparaissent avec quelques années de décalage. L’armée française combat en Indochine puis en Algérie. Ce dernier conflit peut même apparaître comme une autre anomalie puisqu’il intervient au moment où la puissance coloniale bénéficie à plein de la croissance économique et peut soutenir un effort de guerre important. Le «sens de l’histoire» n’est pas forcément celui de l’économie.

L’arène des puissances est rouverte depuis la fin des années 1940, mais elle s’effectue en «ambiance nucléaire». Par un effet gravitationnel inverse qui tend à écarter le risque d’agression majeure de toute nation qui la possède, l’arme nucléaire maintient les deux blocs en une longue apesanteur guerrière, mais pas les tensions et les confrontations «sous le seuil».

Dans les années 1960, la France redéploie son effort militaire de manière typique du contexte politico-économique en se consacrant sur la défense du territoire et de ses approches face à la puissance soviétique, mais de façon originale par une opération des moyens. La création d’un arsenal nucléaire et des forces conventionnelles associées constituent en effet alors une fin en soi stratégique, puisque l’objectif premier est de dissuader. On conserve une capacité d’intervention au loin, mais cette fonction est alors marginale.

La phase B du cycle Kondratieff commence en 1973 pour se terminer à la fin du siècle. Les ressources diminuent et le modèle de forces français est de plus en plus difficile à soutenir financièrement. Dans le même temps, le nombre de missions périphériques s’accroit, qu’il s’agisse de lutter contre des organisations armées, de se confronter à certains États comme la Libye ou l’Iran ou, de plus en plus, d’effectuer des missions de police internationale (maintien de la paix, ingérence humanitaire, stabilisation). Plus de vingt ans après la guerre d’Algérie, on engage même les forces armées sur le territoire national par intermittence d’abord puis de manière permanente à partir de 1995. Ce sont des tendances finalement assez typiques des phases B. Elles s’accentuent encore plus après l’effondrement de l’Union soviétique.

En 1991, l’arène des puissances disparaît d’un coup au profit d’une hégémonie américaine. Le «nouvel ordre mondial» régule les relations d’un monde de plus en plus unifié selon le modèle libéral démocratique. En France, la mission première de défense des frontières par la dissuasion se réduit d’autant plus vite que les ressources manquent. La 1re armée française est dissoute et la force nucléaire réduite de moitié. Seules les opérations périphériques sont envisagées que ce soit dans le cadre de coalitions contre des États-voyous ou, préférentiellement, pour mener des opérations de gestion de crise. Après plus de 15 ans de guerres de décolonisation, et presque 30 ans de dissuasion, on se lance pour un long cycle d’intervention.

Dans le nouveau siècle

Le tournant du XXIe siècle est aussi un retournement de cycle. Le nombre de conflits entre États atteint un niveau historiquement bas, mais le nombre de conflits internes opposant des États affaiblis à des organisations armées renforcées par la mondialisation s’est accru. Ce nouveau cycle A favorise le développement ou le retour des puissances comme la Chine ou la Russie, mais aussi, et c’est nouveau, celui d’organisations armées non étatiques. L’année 2011, avec le désengagement des grands conflits périphériques en Irak et en Afghanistan contre des organisations armées, et la dernière guerre contre un État-voyou, le régime du colonel Kadhafi, clôt une époque. Assez logiquement, on assiste donc à une nouvelle compétition des puissances, toujours sous contrainte nucléaire. Après une longue crise, la France réinvestit dans ses forces armées, pour continuer le combat contre les organisations armées et se confronter à d’autres États.  

Il ressort de ce panorama que les contextes politico-économiques internationaux changent assez fortement selon des cycles de 20 à 30 ans. Chacun de ces cycles correspond à une mission prioritaire donnée aux forces armées accompagnée souvent d’une ou deux missions secondaires. Il existe donc deux problèmes. Le premier est celui de la conjonction de plusieurs emplois simultanés différents et souvent concurrents. On a pu concevoir un modèle de forces spécialisées, armée coloniale ou gendarmerie mobile par exemple, mais c’était une solution riche, une solution de phase A. Dans les phases B, on a souvent préféré un modèle polyvalent capable de passer rapidement d’une mission à l’autre, mais au risque, deuxième problème, d’avoir à gérer des crises d’adaptation. Quand on a par exemple des systèmes d’armes qui durent 60 ans de la conception au retrait, il faut s’attendre à ce qu’ils traversent plusieurs cycles stratégiques.

Les années 2020 semblent à cet égard particulièrement délicates. Au tournant d’un cycle haut, il faudra vraisemblablement faire face à de fortes tensions entre grands États avant de parvenir dans les années 2030 à de nouvelles formes de coopération face à une situation économique et écologique difficile. Cette situation sera probablement porteuse de nouvelles crises périphériques dans lesquelles il faudra intervenir. Ce sont des défis difficiles à relever, avec des budgets qui ne peuvent manquer de stagner. Il faudra donc, plus que jamais, faire preuve d’intelligence.

Immanuel Wallerstein, Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des système-monde, Editions La Découverte, 2006.

Luigi Scandella, Le Kondratieff-Essai de théorie des cycles longs économiques et politiques, Economica, 1998.

Bernard Wicht, Guerre et hégémonie-L’éclairage de la longue durée, Georg Editeur, 2002.

Joshua Goldstein, Long Cycles: Prosperity and War in the Modern Age, Yale University Press, 1988.

Sang et or. La crise comme facteur de création de monstres

Publié le 27/11/2011


Il est souvent fait référence à la crise économique de 1929 pour décrire la dépression actuelle ; or, par un enchaînement tragique, la crise de l’époque a conduit, par ses conséquences sociales puis politiques, au désastre de la Seconde Guerremondiale. Il paraît donc légitime, si on veut poursuivre l’analogie jusqu’au bout, de s’interroger sur le caractère belligène de la situation actuelle. Le capitalisme peut-il se sauver par l’impérialisme, selon les idées de Lénine ? Ne peut-on considérer, au contraire, que l’affaiblissement des puissances libérales peut stimuler l’agressivité de régimes hostiles ou conduire à des « implosions » qu’il sera impossible d’ignorer ? Pour appréhender ces rapports entre situation économique et situation stratégique, complexes mais pas nouveaux, il est intéressant d’interroger l’histoire.


La crise comme facteur de paix entre les peuples


Dans La prospérité du vice, l’économiste Daniel Cohen reprend les théories du temps long et les corrélations que certaines d’entre elles avaient établies entre les cycles économiques et les guerres, depuis les débuts de la Révolution industrielle (1).A la suite de Gaston Imbert (2), il distingue ainsi quatre grandes phases de 1815 à 1914. La période qui va, en France, du IerEmpire à la guerre de Crimée (1853-1856) se caractérise par un cycle long de dépression économique qui privilégie les conservateurs sur les progressistes et offre moins de ressources à l’Etat et à son armée. A partir des années 1840, la tendance économique s’inverse. L’Etat commence à disposer de ressources importantes qui lui permettent d’en consacrer une partie importante à des efforts collectifs et à poursuivre ses ambitions propres à l’extérieur. Le « concert européen » se délite et les grandes guerres européennes réapparaissent (Crimée, Italie, guerres « prussiennes »). En revanche, la « grande dépression » qui débute en 1873 s’accompagne d’une décroissance guerrière dans une Europe qui retrouve des règles collectives de gestion de crises. Au début du siècle suivant, le retour de la prospérité en Europe voit aussi le retour du nationalisme et la réapparition des conflits jusqu’à la Première Guerre mondiale. Loin du « doux commerce » évoqué par Montesquieu, la prospérité semble donc plus belligène que la dépression par la combinaison de confiance collective et de ressources qu’elle suscite.


La crise comme facteur de sécrétion de monstres


Comme dans Fondation, le roman d’Isaac Asimov, il arrive toutefois que les « lois » historiques soient violées par des « anomalies ». Dans la période qui suit la Première Guerremondiale et la gestion de ses conséquences immédiates, la tendance est à la réduction drastique des armées et à la « mise hors la loi de la guerre ». La crise de 1929 accentue encore le phénomène de repli sur soi jusqu’à ce que les tensions internes qu’elles suscitent, toujours favorables à la recherche de boucs émissaires, conduisent à l’arrivée au pouvoir du parti nazi, en Allemagne. Ce nouveau régime totalitaire, qui porte en lui la guerre, peut consacrer des ressources importantes à son outil militaire, d’autant plus que, keynésien avant l’heure, il constate que « beurre et canon » ne sont pas forcément incompatibles, et surtout que les puissances adverses restent, elles, paralysées par la crise. Les politiques d’ « apaisement » ne font que stimuler l’agressivité d’Hitler jusqu’au désastre final qui voit également l’apparition d’une autre « anomalie » historique : l’arme nucléaire.


Des grandes guerres des « trente glorieuses » aux petites guerres des « trente piteuses »


Par un effet gravitationnel inverse qui tend à écarter le risque d’agression majeure de toute nation qui la possède, l’arme nucléaire permet de maintenir les deux blocs en apesanteur guerrière mais n’affecte pas ce qu’on désigne alors comme le Tiers Monde. L’affaiblissement des puissances européennes commence par profiter aux mouvements de décolonisation jusqu’à ce que la croissance retrouvée leur permette de retrouver des forces. Même si les enjeux n’y sont pas les mêmes, le contraste est flagrant entre la guerre d’Indochine (1946-1954), menée dans une certaine indifférence par la France, avec des professionnels équipés par les Américains, et la guerre d’Algérie (1954-1962), qu’elle finance seule et où elle engage le contingent. Cette même croissance permet ensuite à la France de transformer une nouvelle fois son armée en la dotant d’un arsenal atomique. L’intervention américaine au Vietnam, en parallèle de la coûteuse course à la Lune, conclut la période des « trente glorieuses ».


La crise économique qui suit voit le repli américain succéder au repli européen post-colonial et l’initiative passe aux Etats communistes (expédition chinoise au Vietnam et surtout soviétique en Afghanistan en 1979) ou pétroliers (invasion irakienne de l’Iran en 1980). Les tensions intérieures s’accroissent (terrorisme en Europe, coups d’état en Amérique latine, guerre civile libanaise) et débouchent parfois sur des affrontements interétatiques comme l’aventure argentine aux Malouines en 1982 face à un Royaume-Uni que l’on croit affaibli. Mais même en crise, les puissances capitalistes sont plus résistantes que leur adversaire communiste, dont le système économique finit par s’effondrer. Grâce, en partie, au « blocage nucléaire », cette crise communiste s’achève par la transformation de l’Union soviétique et de la Chine et non par une fuite en avant militaire. Les Etats-Unis triomphent par abandon mais ils sont quand même obligés de demander l’aide de leurs alliés pour financer leur première grande intervention militaire post-guerre froide, face à l’Irak en 1991.


Capitalisme partout, sécurité nulle part 


Fin des blocs, limitation des ambitions par faiblesse économique, « nouvel ordre mondial » structuré par la puissance américaine, les conditions semblent réunies en 1991 pour un apaisement du monde. Effectivement, les premières années 1990 sont celles des « dividendes de la paix » et de la diminution du nombre des conflits (de 40 % de 1991 à 2005 (3)) ainsi que les budgets militaires. L’hypothèse d’une « fin de l’histoire », par l’unité idéologique du monde, fait son apparition en même temps que la croissance pour les bénéficiaires de ce décloisonnement. Ce n’est pas un phénomène nouveau (4). Lors de la première mondialisation, à la fin du XIXesiècle, l’idée d’une communauté de culture entre les puissances et leur imbrication économique avait produit des visions similaires. En réalité, les nouveaux moyens de transport et de communications avaient exacerbé les identités (5). La première mondialisation a ainsi conduit à la Première Guerremondiale.


Force est de constater que le monde des années 1990 n’est pas aussi « plat » que le souhaiterait certains et que des « saillants » apparaissent un peu partout, à l’intérieur même de ces Etats affaiblis et qui ne se font plus que rarement la guerre (6). Si on peut désormais se rendre dans n’importe quel pays, on ne peut que rarement s’y déplacer partout en toute sécurité tant les zones de non-droit se sont multipliées dans les banlieues, bidonvilles géants, ghettos ethniques, territoires occupés, zones tribales et mêmes espaces côtiers.


Ces « poches de colère (7)» sont propices au développement d’organisations non étatiques, le plus souvent locales et réactionnaires, mais parfois à vocation internationale comme Al Qaïda, qui introduit une nouvelle « anomalie » le terrorisme massif, finalement peu destructeur, mais à très forte charge émotionnelle. L’apparition de cette menace terrorisme déclenche à son tour le retour des grandes expéditions militaires américaines, rendues possibles par les bénéfices de cette même mondialisation. Mais ces opérations, comme celles d’Israël, révèlentaussi la résistance des organisations nichées dans les « poches de colère » comme le Hezbollah, les néo-talibans ou l’armée du Mahdi.


Simultanément, la croissance nouvelle offre des ressources à des nations émergentes qui n’ont certainement pas l’intention de se contenter d’un statut de « nouveau riche », à l’instar du Japon, et dont certains, comme la Chineou la Russiedoublent leur budget de défense tous les cinq ans.


La nouvelle guerre de trente ans


La crise actuelle réduit momentanément les ambitions. Les Etats-Unis ne peuvent plus se payer des guerres qui n’engagent pas des intérêts vitaux tout en coûtant deux milliards de dollars par semaine et le président Barack Obama se lance clairement dans un processus de désengagement. Al-Qaïda, de son côté, est victime de sa folie et de son rejet du monde arabe autant que des coups américains. L’élimination de ses derniers grands leaders lui porterait sans doute un coup fatal et faciliterait par là-même le repli américain. A court terme, la tendance semble donc plutôt à l’apaisement du monde même si, on l’a vu, le retrait des puissances occidentales peut aussi être une incitation à l’agressivité de certains Etats.


A plus long terme, tout le problème stratégique de la crise économique actuelle réside dans sa durée. S’il s’agit d’une parenthèse violente dans un cycle long de croissance, on verra se dessiner une nouvelle géopolitique multi-polaire, qui, sauf à établir un nouveau système de gestion collective des crises, aboutira dans un contexte de ressources limitées pour des puissances en plein développement, à des affrontements. Ceux-ci resteront, il faut l’espérer, contenus par le blocage nucléaire et seront donc très indirects. S’il s’agit au contraire du point de départ d’un long marasme, on peut anticiper des fortes tensions internes dans de nombreux pays et pour les plus instables, le chaos de type somalien ou la réapparition de régimes dangereux. Dans tous les cas, les opérations militaires auront lieu dans le « monde intermédiaire » entre les puissances, plus particulièrement dans ses « zones grises » et sous forme, dite encore, par habitude, « irrégulière » alors que cela tend à devenir la règle. La situation économique conditionnera simplement les rapports de force. 


Quoiqu’il advienne de la crise économique actuelle, le monde à venir sera plus dangereux pour une France dont le poids relatif économique et démographique décline inexorablement, au sein d’un ensemble européen qui semble lui-même de plus en plus vulnérable par son manque de dynamisme. Il n’est peut-être pas encore trop tard pour en tirer vraiment les conséquences pour notre outil de défense, qui, de variable budgétaire, peut devenir aussi le moteur intérieur et le garant extérieur de nos intérêts dans cette nouvelle « guerre de trente ans ».



(1) Daniel Cohen, La prospérité du vice, Albin Michel, 2009. Voir aussi Luigi Scandella, Le Kondratieff, Economica, 1998 et Bernard Wicht, Guerre et hégémonie : l’éclairage de la longue durée, Georg Editeur, 2002.
(2) Gaston Imbert, Des mouvements de longue durée Kondratieff, La Pensée Universitaire, Aix-en-Provence, 1959.
(3) Rapport de l’Human Security Center d’octobre 2005 repris par Philippe Bolopion, « Depuis la fin de la guerre froide, les conflits sont moins meurtriers », in Le Monde, 18 Octobre 2005.
(4) Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, 1993.
(5) De presque identiques au début du XIXe siècle, les costumes traditionnels de la Bretonneet de l’Alsacienne se différencient au fur et à mesure du « rapetissement » de la France par les nouveaux moyens de communication. Voir Christian Grattaloup, Géohistoire de la mondialisation : le temps long du Monde, Armand Colin, 2006.
(6) Thomas Friedman, La Terreest plate : une brève histoire du XXIe siècle, Saint-Simon, 2006.
(7) Arjun Appaduri, Géographie de la colère, Payot, 2007.
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