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L'Algérie, le hirak et la France (La Vigie)

J'ai peu publié sur l'Algérie dans Egéa, même si j'ai toujours suivi attentivement ce qui se passait dans ce pays si proche. C'est pourquoi il est important de vous signaler le récent dossier, en lecture gratuite, que La Vigie consacre au sujet avec son dossier stratégique n° 11 : L'Algérie, le hirak et la France (daté du 30 mai 2019).

En effet, La Vigie suit attentivement le dossier maghrébin depuis de nombreuses années. Au centre du Maghreb et dans une relation ancienne à la France, il y a l’Algérie. Ce pays proche est un thème d’études régulier du Cercle euromaghrébin de La Vigie (CEM : lien) que nous conduisons depuis plus de deux ans. Ce Cercle réunit pour un échange de vues mensuel et informel quelques spécialistes ou experts intéressés par les questions euromaghrébines et par la perspective stratégique de la Méditerranée occidentale. Il va de soi que le Hirak (le mouvement) déclenché en Algérie depuis plusieurs mois a particulièrement mobilisé le CEM, d’autant plus qu’il entretient des contacts multiples avec des acteurs et chercheurs sur place, ce qui lui offre une vue précise de la situation en Algérie.

Aussi, après avoir été relativement discrets jusqu’ici à ce sujet (tout de même : deux lorgnettes du LV 112 et 115, un article du LV 117, un billet sur le site), il nous semble aujourd’hui opportun de faire valoir nos vues sur ce dossier qui intéresse la France au premier chef.

C’est pourquoi les deux rédacteurs habituels de La Vigie se sont associés la compétence et l’autorité du professeur Kader Abderrahim, maître de conférences à Science Po et membre du CEM.

Voici donc un texte à trois voix qui parle surtout de l’Algérie, mais aussi du Maghreb et de la France.

Cliquer ici pour télécharger l'étude au format pdf.

Source image

O. Kempf

IA, explicabilité et défense

Près d'un mois sans avoir publié sur ce blog, et je m'en excuse. Pour vous récompenser, l'annonce d'un article paru dans un excellent numéro spécial Intelligence Artificielle, dans la Revue Défense Nationale du mois de mai (n° 80). Il s'intitule"IA, explicabilité et défense" (ici). Je l'ai co-écrit avec Eloïse Berthier, jeune Polytechnicienne, actuellement en thèse d'IA....

Résumé : L’IA est une réalité déjà ancienne mais son champ d’emploi ne cesse de s’élargir et accapare des domaines nouveaux, en particulier pour la défense. L’IA est polymorphe et se retrouve confrontée à un problème d’explicabilité. Pourquoi et comment sont les questions qui se posent pour les applications liées au contexte militaire ?

Abstract : AI is in itself old news but its fields of application never cease to expand and capture new ones, particularly in the defence domain. AI takes on many forms and faces a problem of how it should be described. Why? and how? are the questions to be asked about those applications with a military connection.

Premières lignes ci-dessous.

L’intelligence artificielle (IA) est le concept « numérique » dont on parle le plus depuis ces derniers mois. Les grands noms (Elon Musk, Stephen Hawking) s’en émeuvent, les publicistes en vogue écrivent des livres dessus (Luc Ferry, Laurent Alexandre), le gouvernement appelle une médaille Fields pour écrire un rapport sur le sujet (rapport Villani) : autant dire que tout le monde a entendu parler d’IA, sous les atours les plus flatteurs et les plus inquiétants, d’ailleurs pour la même raison : ce serait capable de tout faire mieux que l’humain.

Il faut bien sûr raison garder et se méfier de ces modes qui animent régulièrement le débat public. Observons au passage qu’il s’agit là d’une résurgence (avec d’autres mots) d’un débat très ancien sur le progrès et son rôle dans nos sociétés humaines : le mythe de Prométhée est antique, lui qui vola le savoir divin pour le donner aux hommes. La tension entre le savoir et la connaissance (voire la sagesse) est une question philosophique classique qui trouve ici de nouveaux atours. Ajoutons le mythe de la créature qui prend le pas sur son créateur : là encore, de Pygmalion à Frankenstein puis Dr Jekyll et Mr Hyde, l’humanité a construit beaucoup de modèles inquiétants : sait-on d’ailleurs que Mary Shelley sous-titra son roman « Le Prométhée moderne » ?

La suite à lire dans la RDN

O. Kempf

Pays du Golfe (S. Boussois)

Voici un livre déconcertant. Au fond, il est mélangé, avec de bonnes choses et quelques unes qui le sont moins. Je n'en suis pas sorti totalement convaincu.

Le titre tout d'abord, qui est finalement assez trompeur. En effet, tout est vu à l'aune de la crise entre l'Arabie Séoudite et le Qatar, déclenchée en 2017. Il s'agit donc moins d'une étude sur les pays du Golfe que sur une crise qataro-séoudienne, qui implique évidemment les autres pays de la péninsule.

Le livre est découpé en une trentaine de courts chapitres, articulés en trois grandes parties : "Aux origines d'une crise", "Une nouvelle guerre froide ?", "D'une crise régionale à une crise mondiale".

La succession de chapitres est finalement assez décousue. Du coup, on se perd un peu à la lecture, sachant que l'appareil de notes est décevant (en plus, reporté à la fin de l'ouvrage, ce qui est profondément agaçant). On n'aperçoit pas de bibliographie ni de carte non plus.

Il reste malgré tout une mine d'informations et de détails qui raviront les spécialistes à l'affut de petites pépites. Mais si l'on cherche un ouvrage de synthèse, permettant un point de situation, il vaut mieux ne pas commencer par cela.

Un autre biais agaçant est le parti-pris de l'auteur, qui charge énormément l'Arabie et se retrouve donc à plaider pour le Qatar. Non pas qu'il faille vouloir établir un équilibre à tout prix, ni même défendre le royaume séoudien et notamment la direction de MBS, qui est comme chacun sait hautement critiquable (brutalité intérieure, interférence au Liban et avec le premier ministre quasi kidnappé, guerre au Yémen, affaire Kashoggi, ... : la liste est longue). Mais du coup, le Qatar est présenté comme un modèle de vertu, ce qui est probablement excessif. Ainsi, le livre de Chesnot et Malbrunot, Nos très chers émirs (ici) n'est pas cité.

Le livre évoque le rôle des Émirats Arabe Unis (on comprend que MBZ est le génie malfaisant derrière MBS) puis très brièvement les autres pays de la région (Oman, Koweït, Barhein). L'Iran ou le Yémen sont rapidement cités, tout comme les États-Unis. Ainsi, l'ouvrage se concentre exclusivement sur une rivalité intra-péninsulaire, ce qui a sa logique mais omet quand même un certain nombre de grands acteurs extérieurs qui auraient mérité une étude plus attentive.

Au final, un livre intéressant, qui vient compléter les connaissances sur un théâtre particulier : encore fait-il avoir des bases assez précises de l'environnement général pour en tirer tout son fruit.

Sébastien Boussois, Pays du Golfe, les dessous d'une crise mondiale, Armand Colin, février 2019, 216 p., 22,9 €. Lien vers l'éditeur

O. Kempf

Transformation digitale : une interview

Le London Speaker Bureau m'a demandé une interview à la fois sur les questions de cyber et de transformation digitale: il était intéressant de relier les deux, c'est si rare. Lien ici, interview ci-dessous.

La chaîne hôtelière Marriott a été récemment victime d’une attaque de piratage qui a causé le vol d’un fichier informatique contenant les données personnelles de 500 millions de clients. Les affaires de piratage informatique à grande échelle font régulièrement la une des journaux. Sommes-nous réellement en mesure de contrer ces cyberattaques ? Sont-elles destinées à s’intensifier ?

Oui, on observe un double phénomène : celui de l’augmentation du nombre d’attaques, mais aussi celui de leur effet puisqu’à la fois elles sont plus évoluées et elles touchent des cibles toujours plus grandes. Malgré leur discrétion, comme la régulation oblige (notamment en Europe) à déclarer ses incidents, notamment touchant les données personnelles, le sujet devient plus visible. Ce qui était autrefois un « secret de famille » devient de notoriété publique, accélérant (heureusement) la prise de conscience du problème. La question de la transformation digitale est aujourd’hui omniprésente dans notre société. Quid de la cybersécurité ? Pensez-vous qu’il y ait une réelle prise de conscience des failles informatiques existantes ?

En fait, la transformation digitale amène toutes les entreprises et organisations à prendre conscience du rôle de leurs données. Pas seulement les données personnelles, mais toutes les données de l’entreprise, ce qui provoque la modification des modèles d’affaire (c’est bien pour cela qu’on parle de transformation). Une des questions collatérales est celle de la maîtrise de la donnée, donc de la protection des données de l’entreprise. De ce point de vue, il y a encore un effort de pédagogie à faire pour que la sécurité des systèmes ne soit pas seulement un problème de spécialistes (le RSSI, la DSI) mais intéresse aussi les autres directions, notamment production, marketing ou finances, qui s’intéressent désormais à la transformation digitale. Bref, l’objectif consiste à conjuguer deux cultures, dans un contexte déstabilisant. Ce n’est à l’évidence pas simple.

Les organisations gouvernementales sont-elles en mesure de faire face aux menaces à la cybersécurité au même titre que les grandes entreprises ou existe-il une course à deux vitesses ?

La différence ne tient pas tellement au secteur (public ou privé) mais plutôt à la taille. J’observe que tous les grands comptes ont des approches très matures et professionnelles, que les organisations de taille intermédiaire se sont saisies du problème mais font évidemment face à une question de moyens, que les petites organisations (par exemple petites villes ou PME) sont souvent désarmées. Mais quelle que soit la taille, tout le monde fait face à une course aux armements, due à l’augmentation de la menace évoquée dans la première question. Des dispositifs existants aujourd’hui auraient été considérés idéaux il y a dix ans et doivent être pourtant améliorés encore et encore…

Vous intervenez en tant que consultant en France et à l’étranger. Selon vous, quelle est la position de la France en termes de compétences en cybersécurité par rapport au reste du monde ?

Sans forfanterie, très bonne. Si on fait la comparaison avec le football, la France fait partie de la première ligue, même si elle ne joue pas le titre, seulement une place européenne. Il y a une véritable prise de conscience et de vrais experts mais évidemment, une limite de ressources, tant financières qu’humaines. Cela étant, la mobilisation des compétences existantes est de bonne qualité et permet à la France de survaloriser ses atouts comparatifs. C’est évidemment en Europe où elle est située en deuxième position, voir première. À l’échelle du monde, on ne se compare évidemment pas aux États-Unis ou à la Chine.

Pouvez-vous nous en dire plus quant au déroulement du processus de transformation numérique de l’armée de Terre ? Quels ont-été les principaux défis auxquels vous avez dû faire face au cours de cette mutation ?

Je me dois de rester discret, ne serait-ce que parce que je ne suis plus aux affaires ! Paradoxalement, une grande facilité a été d’avoir une page blanche et surtout le soutien du numéro un de l’armée de Terre. Du coup, cela aide à vaincre les scepticismes. Car la transformation consiste d’abord à changer les esprits, avant d’être une question de moyens. Bref, il a fallu mener un grand travail de définition du sujet, de conviction, d’identification des premiers projets éclaireurs qui ont permis de répondre à des questions pendantes ; puis de commencer à trouver des relais pour que ce ne soit plus une affaire de petite équipe.

Aujourd’hui, deux projets notamment permettent de répondre aux besoins de l’usager (dans l’armée, c’est le militaire du rang et le cadre de contact) : milistore (une sorte de magasins d’appli dédiées et sécurisées accessibles à partir de mobiles civils) et une appli de gestion des livrets d’instruction, sur l’intranet protégé du Ministère, destiné aux chefs de section. Il demeure deux grands défis (mes successeurs y travaillent) : poursuivre l’articulation avec les besoins de cybersécurité (j’étais également responsable de la politique de cyberdéfense de l’armée de Terre, cela a aidé à conjuguer deux approches en apparence opposées) ; mais aussi « passer à l’échelle », ce qui pose des questions techniques et financières, mais aussi de changement de mentalité et, à terme, de modification de la façon de travailler.

La course à l’innovation s’intensifie et les nouvelles technologies se renouvellent sans cesse. La digitalisation est-il un processus sans fin ?

Oui. La révolution informatique que nous connaissons a débuté il y a une quarantaine d’années avec plusieurs vagues. La première fut celle de l’ordinateur individuel, le PC, au milieu des années 1980. Deuxième vague avec la connexion à Internet, à partir du milieu des années 1990. Puis il y a eu le phénomène 2.0, où l’individu est passé de la consommation de données à la production de données. Puis à la fin des années 2000, il y a eu la prise de conscience de la menace cyber et simultanément l’arrivée de l’IPhone (et la 3G). Ce que nous connaissons depuis cinq ans, la transformation numérique, n’est finalement que la dernière vague de cette révolution, avec l’infonuagique, le Big Data, l’IA, la robotique, la virtualisation…

Cette dernière vague n’est certainement pas la dernière. On ne sait pas quelle sera la prochaine : blockchain, informatique quantique, autre chose ??? Mais on n’a pas fini de bouger, de découvrir, de s’adapter, de changer… La stabilité est une illusion.

Quels sont les leaders qui vous inspirent et pourquoi ?

Je ne vais pas vous citer un héros de la tech, mais plutôt un héros militaire : Leclerc. Ce type-là entre dans la Seconde Guerre mondiale comme capitaine, il en sort général ! Un destin comme au cours des guerres napoléoniennes, un talent fou, et surtout une immense qualité, fondamentale à l’époque mais aussi aujourd’hui : l’initiative. De Gaulle disait de lui : « il a obéi à tous mes ordres, même ceux que je ne lui ai pas donnés ». Autrement dit, il comprenait l’intention de son chef et savait décider au vu des circonstances, dans l’incertitude, assumant donc le risque inhérent à tout destin humain.

C’est une qualité indispensable en temps de transformation ; malheureusement, elle est mal valorisée par les organisations complexes alors qu’elle devient de plus en plus indispensable.

Quelle est votre « citation » favorite ?

« Dux in altium » : avance au large !

La dalle rouge

Les BD politiques sont un genre difficile. Trop souvent en effet elles récitent une vision de l’histoire ou des événements qui est partiale, puisqu’au service d’une lecture et donc d’un parti-pris. Bref, on y voit rarement de nuances ou d’ambiguïté. Aussi sont-elles souvent décevantes. Tel n’est pas le cas de cet album – à ma surprise, confessons-le.

En effet, tout part de deux auteurs de BD (Thomas Kotlarek et Jef) qui constatent une perte généralisée de sens et du détricotage de structures sociales. Ecoutant Michel Onfray, ils le contactent et celui-ci répond favorablement à leur projet, qui est donc initié avant le début du mouvement des Gilets Jaunes.

C’est d’ailleurs ce qui rend l’album si intéressant. Voici en effet le premier tome d’une pentalogie qui nous emmènera jusqu’à notre environnement. Mais si l’action se passe au présent, les quatre premiers tomes sont organisés en flash-back, d’où le nom de la série « Une histoire de France ».

Le premier tome dont il est question s’organise autour de l’arrestation d’un vidéaste de 30 ans qui a filmé, par hasard et avec un drone, un attentat s’étant déroulé à Lyon. Comme il est anarchiste et que la vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux, on le soupçonne de complicité et il est arrêté, son nom étant soumis à la vindicte populaire. Le volume raconte les efforts de son avocat pour trouver des éléments le disculpant, en allant notamment voir ses grands-parents. Or, ceux-ci ont été des résistants pendant la Deuxième Guerre mondiale.

C’est ici que le livre est le plus convaincant. D’abord, parce que les personnages ne sont pas caricaturaux et que les fêlures, les hésitations, les paradoxes se font jour. On est donc loin de l’habituel tableau de la période où tout est en blanc et noir. Cela est vrai de l’époque, mais aussi des personnages du monde actuel, à l’image de l’avocat, habitué des codes parisiens contemporains, au-delà du germano-pratisme et du boboisme qui relativisent tout en assénant pourtant des hectolitres de moraline : peu à peu, on le sent évoluer. C’est enfin vrai de la résistance telle qu’elle est évoquée, une résistance lyonnaise qui n’est pas celle bien connue de Jean Moulin, mais de la galerie Folklore, autour de personnages comme René Leynaud, Jean Martin, Marcel Michaux et avec la présence d’un Albert Camus qu’on ne savait pas avoir été en ces lieux.

Le dessin est intéressant, travaillé avec pourtant une volonté de ligne claire. J’ai apprécié la composition des scènes. Le rendu des visages est assez déroutant mais convainc peu à peu, notamment dans le très bon travail de rendu des visages à 50 ans d’écart : reconnaître le visage de la fraiche jeune fille dans celui de la grand-mère ridée (idem pour le personnage masculin) constitue une prouesse de dessin rarement vue et ici très bien rendue.

Bref, je me méfiais un peu et en refermant le livre, je suis convaincu. Belle histoire, assez subtile, qui anime une vraie BD et non pas un pamphlet militant.

La dalle rouge, éditions du Lombard.

Monuments aux morts

Aujourd'hui il y a des monuments aux morts. Avant, c'étaient des arcs de triomphe...

L'hommage a changé.

Je me faisais ma réflexion du changement de perspective. Rendu visible après la 1ère Guerre mondiale, mais décelable dès la guerre de 1870 avec les premiers monuments aux morts .

Au 19eme siècle, on marqué les batailles de Napoléon, notamment pendant la campagne de France de 1814, et surtout on bâtit l'arc de triomphe de l'étoile vers 1836, donc longtemps après sa mort. C'est le dernier arc de triomphe, alors que les Romains avaient lancé la vogue.

Depuis le 20eme siècle, on ne construit comme monuments commémoratifs que des monuments funéraires, peu importe l'issue de la bataille, victoire ou défaite.

D’ailleurs, un intéressant transfert a eu lieu lorsqu'on plaça le soldat inconnu sous la voûte de l'arc de triomphe de l'étoile.

Plus d'attention aux hommes, moins au succès politique. Effet de la République, d'ailleurs ? Mouvement du temps, plus porté vers l'individu ? Je ne sais....

NB : savez vous qu'il y a quatre arcs de triomphe à Paris : voir ici (source photo d'illustration).

O. Kempf

Le cyber est il un objet des relations internationales ?

Ja participerai samedi 13 avril à la Journée de la Diplomatie, organisée par l'association des politistes de la Sorbonne. J'y évoquerai (de 15h00 à 16h00) le sujet suivant : Le cyber est-il un objet des relations internationales ?

S'inscrire pour venir. Tous les détails ici

Programme ci-dessous

// JOURNÉE DE LA DIPLOMATIE - 3ÈME ÉDITION \\

Vous êtes curieux et intéressé par la diplomatie et les relations internationales ? Pour tous les étudiants désireux de mieux comprendre les enjeux de notre monde actuel, les Politistes Sorbonne, en partenariat avec le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, vous invitent à la Journée de la Diplomatie pour sa 3ème édition ! Celle-ci se déroulera le Samedi 13 Avril 2019 de 14h à 18h dans le cadre du programme Quai d’Orsay Hors les Murs. #JDLD

Le programme de l’après-midi :

14h-15h : Conférence Introductive : « Déclin des États, remise en cause de l’ONU, réchauffement climatique… Sommes-nous prêts à entrer dans le nouveau monde ? »

15h15-16h : Deux tables rondes simultanées : « Le cyber est-il un objet des relations internationales ? » « Les relations France-Venezuela dans un contexte de crise économique et politique »

16h15-17h : Deux tables rondes simultanées : « Trois ans après la COP21, une diplomatie verte comme facteur de rassemblement mondial? » « La présence française dans l'Indo-Pacifique et ses enjeux : l'exemple de l'Australie »

Vous pourrez alors échanger directement avec nos intervenants, soit des diplomates ou des chercheurs.

Un no deal probable ?

Allez, un petit billet sur le #Brexit. Pas tellement pour vous expliquer la scène politique anglaise, à laquelle comme vous je ne comprends pas grand chose. Juste pour dire qu'on va encore avoir une surprise et qu'on n'aura rien vu venir.

source

En clair, si on lit la presse française, on comprend que c'est le désordre et que du coup, on va avoir un deuxième référendum et que cette fois, ci, les Anglais vont être raisonnables et voter le remain.

Personne ne note l'intransigeance des Européens qui ont pris la position la plus raide possible, au motif que s'ils négociaient convenablement, cela pourrait inciter d'autres pays à sortir de l'UE. Or, cette raideur exaspère les Anglais, tous partis confondus.

Dès lors, l'imbroglio aux Communes où les solutions alternatives n'apparaissent pas, va conduire à un raidissement général qui va conduire à un no deal. Et là, on va voir tous les commentateurs (notamment européens) être tout surpris, n'ayant encore une fois rien vu venir.

Sans comprendre que la raison de cette sortie brutale ne tient pas seulement à l'égoïsme ou au manque de vision de la classe politique britannique, mais aussi aux mêmes défauts du côté européen.

Enfin, tout le monde annonce une catastrophe, sans remarquer que la croissance britannique est au RDV depuis deux ans, que le taux de chômage est au plus bas, que la City demeure la place financière mondiale et qu'un no deal ne serait pas forcément si mauvais pour les Brits . Et qu'en revanche, une sortie brute du RU risque d'être une très mauvaise nouvelle pour les Européens, et notamment l'Allemagne qui a, cette année, une mauvaise performance. Bref, cette histoire ne va pas forcément aller dans le sens de ce qu'on nous raconte.

Bref, on a été surpris par le vote du Brexit (forcément la faute des Infox), on risque d'être surpris plus encore par le no deal (forcément la faute des autres).

O. Kempf

Droits humains et armements (UCO angers)

Je participerai à une master class organisée par l'UCO d'Angers (facultés Théologie/Humanités) dans le cadre du groupe de recherches International network on Peace Studies (Réseau FIUC - Fédération internationale des universités catholiques) avec le soutien de la Chaire Pax Christi France.

Son titre : DROITS HUMAINS ET ARMEMENTS : VERS DE NOUVEAUX DÉFIS ÉTHIQUES (détails)

27-29 mars 2019 amphi Bedouelle | UCO 3 place André Leroy à Angers Inscription angers.uco.fr

Je suis à la troisième journée (demain vendredi) dont voici le programme :

3ème journée - "Nouvelles" armes : cyber et robotique militaire - Matinée | Amphi Bedouelle – Bât. Jeanneteau

9h - 10h | CONFÉRENCE D’OUVERTURE

  • • Brice Erbland (Cabinet du Chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Jacques Bordé (Vice-président Pugwash France) : Science et technologie – Utilisations militaires ou pacifiques

10h - 11h | TABLE RONDE 1 : Nouvelles technologies et systèmes d’armes Présidence - François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

  • • Éric Pomes (Juriste, Institut catholique d’Études supérieures - ICES)
  • • Thierry Lorho et Valérie Fert (Mileva) - L’intelligence artificielle
  • • Stéphane Giron (CNAM) - Nouvelles armes et nouvelles technologies
  • • Général Olivier Kempf (G2S) - Les perspectives de cyber-guerre ; nouvel espace de guerre – attaques sur les systèmes d’information

11h – 12h | TABLE RONDE 2 : Discussion : Éthique des conflits et de l’usage des armes Présidence - Marc Finaud (GCSP)

  • • Nadia Elena Vacaru (Faculté de Théologie, Université de Laval)
  • • Hélène Tessier (École d’Études de conflit, Université Saint-Paul)
  • • Philippe Frin (Consultant en droit international, spécialiste des conflits armés)
  • • François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

12h-12h30 | CLÔTURE •* Monseigneur Marc Stenger (Président Pax Christi France) : Conclusions

  • • François Mabille et Dominique Coatanea : Remerciements et lecture du texte du Recteur
  • Vincenzo Buonomo, Université Pontificale Latran
  • • Marc Finaud et Pierre Gueydier : Synthèse

Maïdan in love

La BD peut-elle aborder le genre géopolitique ? On connaît des BD politiques, des BD historiques mais des BD géopolitiques sont plus rares. C'est bien pour cela que cet album attire l'attention et, à la lecture, mérite le détour : car en plus, c'est une bonne BD.

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L'histoire évite surtout le manichéisme qu'on a trop entendu à l'époque dans les médias. C'est d'ailleurs la principale réussite du livre : montrer que tout le monde est un peu dépassé et que les certitudes craquèlent face à la réalité.

Le héros est un apprenti Berkout (CRS ukrainien) qui suit sa petite amie, fille d'ouvrier qui fait des études de sciences politiques et fréquente donc la jeunesse "éclairée" de Kiev. Les émeutes éclatent en 2014 et Bogdan perd la trace d'Oléna. Du coup, il fait tout pour la retrouver, allant jusqu'à la place Maïdan après une série d'aventures haletantes. Une histoire d'amour dans la grande histoire ce qui l'humanise. Bref, le scénario évite d'une part le didactisme, d'autre part la mièvrerie à contre-emploi.

Le rythme y est et l'histoire montre que rien n'est simple, qu'il n'y pas pas des bons contre des méchants (même s'il y a de vrais méchants). De nombreux personnages secondaires viennent enrichir ce portrait général, pour appuyer cette diversité. Le dessin m'a paru original, mélange de ligne claire et d'inspiration américaine (notamment dans le traitement des couleurs, sachant que l'essentiel de la BD se passe de nuit). ON sent qu'il s'est éclaté à rendre le désordre confus de la place Maïdan, qui donne lieu à des scènes épiques et bien rythmées.

Au final, une belle réussite : le deuxième et dernier tome est prévu pour 2020.

Lire aussi : Entretien avec Aurélien Ducoudray, le scénariste.

Aurélien Ducoudray et Christophe Alliel, Maïdan in love, Bamboo, Grand angle, 2019.

O. Kempf

Des fins de l'alliance à la fin de l'alliance ?

Viens de paraître, dans le dernier "Cahiers de l'IDRP", un de mes derniers articles sur l'Alliance atlantique, à la suite notamment des dernières sorties de Trump au début de l'année. Cela s'intitule :

Des fins de l'alliance à la fin de l'alliance ?

Je le reproduis ci-dessous (10 pages quand même).

O. kempf

Des fins de l’Alliance à la fin de l’Alliance ?

Fin de l’Alliance : deux questions se cachent sous cette expression. Celle de la finalité de l’Alliance atlantique, celle également de sa disparition. Or, il faut répondre à la première question pour pouvoir répondre à la seconde. La grande nouveauté tient à ce que plus que jamais, pour la première fois peut-être, il faille poser sérieusement ces questions. Souvent, les apprentis chercheurs intitulent un de leurs premiers articles en disant du sujet qu’il est « à la croisée des chemins ». Cela permet à la fois de problématiser leur texte mais aussi d’en manifester la supposée importance. Ce tic de langage fait sourire avec indulgence les auteurs plus chevronnés. Il est pourtant aujourd’hui pertinent pour décrire l’Alliance atlantique et les défis auxquels elle est confrontée.

En effet, les raisons traditionnelles de l’Alliance sont aujourd’hui moins assurées que par le passé. L’ordre occidental du monde est remis en cause et les voisinages européens, à l’est ou au sud, peinent à justifier pleinement l’Alliance. Les craquements s’accumulent (Brexit, question turque) ; surtout, Donald Trump semble tout sauf convaincu de la nécessité de l’Alliance. Or, un retrait américain signifierait la fin de celle-ci. Le seul fait d’énoncer cette possibilité constitue une nouveauté stratégique unique dans l’histoire de l’Alliance.

L’ordre occidental du monde

Celle-ci, nous l’avons suffisamment écrit par ailleurs , perpétuait un héritage. Ce fut sa fonction au cours de l’après-Guerre froide, décidée finalement très tôt, dès 1991-1992, sans d’ailleurs que la nouvelle finalité fût énoncée avec précision. On savait que pendant la Guerre froide, l’Alliance servait à « exclure les Soviétiques, inclure les Américains et soumettre les Allemands », selon le mot du premier secrétaire général, lord Ismay. Cette Guerre froide « gagnée », du moins dans l’esprit des vainqueurs, l’Alliance devenait le lieu d’un certain Occident, siège de la démocratie libérale triomphante, à l’époque perçue comme la « fin de l’histoire ». Le livre éponyme de Fukuyama paraît d’ailleurs en 1992 et constitue finalement le programme de l’Alliance rénovée qui traversera les 25 années suivantes avec de petits soubresauts mais aucun accident majeur qui remette en cause le programme.

Petits soubresauts ? Le lecteur nous trouvera bien négligent envers des événements qui ont agité la vie de l’Alliance au cours de ces presque trois décennies : guerre dans les Balkans, élargissement, affaire kosovare, attentats du 11 septembre, affaire d’Irak, intervention en Afghanistan, opération en Libye ont été incontestablement des moments importants dans la vie de l’Alliance d’après la Guerre froide. Rien cependant qui remette profondément en cause l’accord sur l’essentiel, à savoir la domination de cet « Occident » sur la marche du monde . L’Alliance restait le lieu principal où les puissances dominantes, assemblées autour (derrière ?) les États-Unis, perpétuaient un certain ordre du monde qui avait été initié par la deuxième vague de colonisation de la terre, au milieu du XIXe siècle . L’Europe l’avait lancée, l’Amérique l’avait poursuivie, les deux s’étaient unies à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et rien, vraiment rien ne devait mettre en cause cet « ordre du monde », même si les Européens suivaient de loin la puissance globale que demeuraient les États-Unis.

Aussi l’OTAN noua-t-elle de multiples partenariats hors d’Europe (par ordre d’apparition : Partenariat pour la Paix, Dialogue méditerranéen, Initiative de coopération d’Istamboul, Partenaires à travers le monde), du Maroc au Kazakhstan, des Émirats au Japon, de la Colombie à la Mongolie. Que ces structures soient le plus souvent des coquilles creuses importait peu : elles manifestaient la présence au monde des alliés et donc l’entretien d’un regard sur le monde, sous entendant une domination du monde.

Premiers craquements

De premiers craquements se firent entendre assez tôt, cependant : la crise boursière de 2008 n’eut pas d’effets directs même si elle révélait la fragilité du système tel qu’il avait évolué. Sous couvert de mondialisation, le système capitaliste avait muté et s’était éloigné des fameuses valeurs fondatrices de l’Alliance , énoncées dans le bref préambule du Traité de 1949. Mais on ne s’en était guère rendu compte, à l’époque. Les révoltes arabes en 2011 ou l’affaire ukrainienne à partir de 2014 apparurent comme de nouvelles crises, pouvant être gérées comme les précédentes (Balkans, Irak, Afghanistan). Bientôt pourtant, les attentats en Europe puis la crise des réfugiés montrèrent qu’une polycrise affectait l’Europe.

Simultanément, des puissances différentes remettaient en cause l’ordre du monde tel qu’il était, refusant l’ancienne domination d’autant plus vivement que la supériorité de l’Occident apparaissait moins évidente, dans tous les ordres : militaire (puisque l’Amérique en guerre n’avait pas réussi à produire des succès stratégiques probants malgré l’énormité des moyens mis en œuvre), économique (la croissance était le fait des puissances émergentes, quand l’Amérique se noyait sous ses déficits et l’Europe n’arrivait pas à rebondir), politique (l’Occident forçant régulièrement les délibérations du Conseil de sécurité voire s’en passant sans vergogne, sans même parler d’un goût prononcé et irréfléchi pour les changements de régime) et surtout morale (Abou Ghraib et Guantanamo demeurant des taches qu’on ne peut plus appeler des accidents). Aussi, Chine et Russie poussaient leurs pions, profitant plus des faiblesses de l’Occident que de leurs propres forces, habilement mobilisées cependant. Elles obtenaient des succès au point qu’on les désigna de « puissances révisionnistes », expression curieuse par ses sous-entendus mais finalement exacte : oui, ces puissances poussaient à la révision d’un certain ordre du monde.

Cela suffit-il à penser à la fin de l’Alliance ? Il faut rester prudent. Le Saint Empire, fondé par Charlemagne vers l’an 800, disparu officiellement en 1806 sur décision de Napoléon, même si son rôle politique en Europe avait cessé depuis plus de deux siècles. Une structure peut se perpétuer, cela ne signifie pas pour autant qu’elle conserve un rôle moteur dans l’histoire. En fait, l’Alliance pourrait survivre à ces défis. À ceci près que les évolutions de la Grande-Bretagne, de la Turquie et des États-Unis constituent des défis si profonds qu’ils remettent en cause le programme même de l’Alliance.

Faire comme d’habitude

Bien sûr, les activités se poursuivent et les sommets successifs de ces deux dernières années ont été l’occasion de décisions que, comme d’habitude, l’on nous a présentées comme exceptionnelles, réagissant à un monde nouveau, etc., reprenant tous les mauvais tics de langage de communicants passés par les mêmes écoles et ne voyant pas que ces mots ne convainquent plus.

Car il faut ici rappeler la distinction profonde (et d’abord française) entre l’Alliance et l’Organisation. En effet il ne s’agit pas de la même chose. L’Alliance est le cercle politique réunissant des puissances, s’associant ensemble dans un but déterminé. À l’origine, se défendre contre les Soviétiques puis, ceux-ci ayant chuté, réunir dans un club transatlantique les deux rives de l’océan « occidental ». L’OTAN, elle, n’est qu’une organisation, une « superstructure » pour reprendre un vieux concept marxiste.

Un outil, à l’origine simple secrétariat, élargi ensuite à une série d’états-majors (la structure de commandement) voire de forces placées sous son contrôle (la structure de forces). Les puissances se réunissent dans le cadre du Conseil de l’Atlantique nord par leurs ambassadeurs permanents, ou par leurs ministres (5 réunions ministérielles par an) voire par leurs chefs d’État et de gouvernement (les fameux sommets de l’Alliance, tous les deux ans). Ces grandes réunions permettent de « prendre des décisions », manifestées dans des communiqués. Or, force est de constater que les « décisions » ne paraissent pas répondre à la situation stratégique. En témoigne la profonde hésitation entre le danger à l’est et le danger au sud.

Face à l’est ?

À l’est, l’Alliance ferait face à la résurgence russe, manifestée par le conflit ukrainien, l’annexion de la Crimée, le conflit dans le Donbass ou de prétendues manifestations de force, ici des manœuvres, là des vols d’avions qui seraient « trop près » des espaces aériens nationaux. Les communiqués dénombrent ainsi le nombre d’interceptions aériennes de chasseurs russes. Il faut ici rappeler qu’une interception n’est pas un acte de combat mais juste une prise en compte visuelle d’un aéronef (civil ou militaire) par un autre aéronef (militaire) ; que la Russie a régulièrement organisée de grandes manœuvres avec des chiffres impressionnants mais gonflés de troupes mobilisées ; que cette activité arrange les deux parties : l’Alliance car cela permet de grossir la menace ; la Russie car cela lui permet de prouver à sa population qu’elle est de retour parmi les grands, favorisant ainsi le soutien populaire au président Poutine.

Les spécialistes remarquent quant à eux que les pratiques russes restent conformes aux pratiques historiques, perpétuant les codes stratégiques établis lors de la Guerre froide (ce qui n’est pas le cas de bien des alliés, dont le nombre est entretemps passé de 16 à 28). Ainsi, quand l’OTAN organise une grande manœuvre alliée dans les pays baltes, les avions russes volent dans l’espace aérien international à proximité, à l’instar de ce qui fut fait pendant 45 ans de Guerre froide. Accessoirement, Moscou peut se poser des questions quand elle observe des avions à capacité duale (c’est-à-dire pouvant porter des bombes nucléaires) décoller des bases de l’OTAN pour aller faire des entraînement à proximité de ses frontières : il s’agit probablement pour les planificateurs alliés d’une coïncidence (la disponibilité technique étant ce qu’elle est, on prend aujourd’hui les avions disponibles là où ils sont), mais elle est au moins une maladresse qui peut être interprétée comme un message hostile par la partie d’en face.

Il ne s’agit pas ici de défendre les Russes. Notons que ceux-ci sont encore très fragiles, économiquement comme socialement, dépendant principalement de la vente d’hydrocarbures et d’un peu de matériel de guerre. Ils détiennent l’arme nucléaire et en maîtrisent la grammaire stratégique (ce qui n’est pas le cas de nombreux Alliés, même si l’Alliance conserve cette utilité essentielle de donner un peu d’éducation nucléaire à de nombreuses nations européennes). Mais ils n’ont absolument pas la capacité d’envahir l’Europe, contrairement à ce que certains font semblant de craindre. Rappelons que la Russie à un budget de défense qui est au dixième du budget des Alliés et que les autres ratios de force (effectif, armement conventionnel, etc.) varient du tiers au quart. Pourtant, ils bénéficient d’un avantage comparatif extrêmement important : l’unité de volonté et un dispositif de décision politico-militaire assez resserré pour produire une véritable efficacité stratégique : ils l’ont prouvé avec talent en Crimée ou en Syrie, réussissant à obtenir des gains stratégiques conséquents avec des moyens somme toute limités. Il n’est point besoin d’inventer des concepts baroques de « guerre hybride » pour expliquer ces succès : juste de noter l’application rigoureuse de quelques principes stratégiques (unité de manœuvre, concentration des efforts, etc.). Autrement dit, la Russie pourrait être un adversaire sérieux mais elle ne justifie pas le discours fourni par certains qui font d’elle un véritable ennemi. Les Russes sont plus forts que l’analyse du rapport de force l’indique, moins forts que beaucoup le fantasment.

Constatons pourtant l’instrumentalisation de cette menace orientale par beaucoup, avec des motifs légitimes d’inquiétude pour certains alliés, plus de duplicité d’autres. Ainsi, les États baltes ou la Pologne sont fort inquiets du voisinage de l’ours russe. L’histoire ne plaide pas pour ce dernier et si Moscou ne tient pas un discours menaçant, son discours de la force peut être interprété comme suffisamment ambigu pour que cela inquiète. D’autres en rajoutent, pour des motifs bien différents : Les Néerlandais (à cause de l’avion de ligne abattu au-dessus du Donbass) ou les Britanniques (ayant besoin de diversion européenne à l’heure du Brexit) sont des exemples qui viennent à l’esprit. Mais il ne s’agit pas seulement de positions structurées de certaines capitales : au fond, tout un écosystème atlantiste, présent dans toutes les capitales et encore très influent, agite la menace russe car cela permet de justifier l’OTAN, mais aussi l’effort de défense, mais aussi la permanence du club transatlantique.

Dès lors, la rhétorique de la menace poursuit un autre objectif : non seulement mobiliser les esprits dans le cadre d’un effort de défense, mais aussi désigner l’ennemi afin de maintenir une cohérence autrement fragilisée. Alors qu’en apparence l’objectif est militaire (maintenir un rapport de forces suffisant face à un adversaire aux moyens sérieux), le dessein est en fait politique : pérenniser l’unité du club qui autrement se déferait, compte tenu d’objectifs contradictoires. Il y aurait alors inversion de la fin et des moyens : l’outil (l’OTAN) était un moyen pour assurer une fin (la défense collective). Désormais, la sauvegarde de l’outil (l’Alliance) devient la fin pour lequel on invoque un nouveau moyen (la défense).

Ou face au sud ?

Mais au cours de la dernière décennie, la question du sud est venue également : il ne s’agissait plus des grosses interventions comme en Afghanistan, mais de la réaction à une mutation du djihadisme. Celui-ci avait attaqué (11 septembre), on s’était défendu et pour l’Alliance, ce fut en servant la FIAS puis la mission Soutien déterminé (Resolute Support Mission, RSM). Mais les révoltes arabes en 2011 suscitèrent deux réactions : d’une part une opération alliée en Libye qui mena au renversement de Kadhafi, laissant place à un chaos local et régional où les djihadistes gagnèrent de l’influence ; mais surtout, la guerre civile en Syrie marquée par l’apparition de l’État Islamique (EI) en Irak et en Syrie. L’EI força les Américains à mettre sur pied une coalition internationale hors OTAN, à la demande du gouvernement de Bagdad, afin de chasser les djihadistes d’Irak. Certains alliés en firent partie, tandis que l’OTAN appuyait mais n’intervenait pas directement dans la zone (l’Alliance a un partenariat avec l’Irak).

Mais ce qui était cantonné dans des zones porches (Maghreb, Proche- et Moyen-Orient) devint uen question beaucoup plus centrale à partir de 2015 avec la question des réfugiés, qui suscita de profondes différences intra européennes, et le retour d’attentats en Europe (France, Belgique, Allemagne et Turquie).

En l’espèce, la difficulté était ailleurs. D’une part, la nature de l’ennemi différait radicalement de ce à quoi l’Alliance était préparée : en effet, celle-ci a construit un outil, l’OTAN, impeccable pour des guerres symétriques et classiques, jusqu’à l’emploi d’armes nucléaires. Autrement dit, un paradigme guerrier qui s’est retrouvé très mal à l’aise avec les nouvelles conditions de la guerre au XXIe siècle. Il y eut avalanche de concepts (guerre contre le terrorisme, Opérations de contre-insurrection - COIN, guerre hybride) mais avec malgré tout un gros éléphant dans la pièce : la puissance militaire traditionnelle avait du mal à gagner ces conflits-là. Et même si personne ne le disait tout haut, les résultats en Irak, en Afghanistan ou en Libye avaient été décevants. On avait certes remporté la première bataille, celle où justement les conditions étaient remplies pour une bataille , mais nous fûmes très mauvais pour gérer la suite et transformer le succès en victoire politique. Si l’Alliance se décidait à désigner l’ennemi djihadiste comme l’ennemi principal, cela posait d’énormes problèmes : non pas seulement le fait d’organiser deux dispositifs dans des directions différentes, mais surtout de devoir trouver un nouveau paradigme adapté aux nouvelles conditions conflictuelles. L’expérience montrait qu’on ne savait pas trop comment faire et qu’en tout cas, cela induirait une très profonde remise en cause de la superstructure habituelle, héritée du XXe siècle. Elle était peut-être inadaptée mais si confortable, comparée au coût de l’effort à fournir pour une véritable transformation en profondeur.

À cela s’ajoutèrent d’autres considérations plus nationales. Tout d’abord, les tenants de la menace à l’est voyaient d’un très mauvais œil la concurrence de cette menace alternative, d’autant plus qu’elle faisait beaucoup plus de morts en Europe (plusieurs centaines en 2015), à la différence de l’ennemi russe. Surtout, les pays du front méridional avaient des intérêts divergents : Turcs, Grecs, Italiens ou Français n’avaient pas le même point de vue, sans même parler de certains cercles américains interventionnistes qui se chamaillaient avec d’autres cercles de l’établissement washingtonien. Certains préféraient au fond garder cette question du sud sous leur propre contrôle pour éviter d’avoir à partager trop de choses avec les Alliés. En Irak, la coalition suffisait tandis qu’en Libye, Paris et Rome se faisaient concurrence. Quant aux attentats en Europe, ils mobilisaient plus des responsabilités policières que de défense et donc tenaient à des responsabilités nationales non couvertes par le traité .

Aussi, malgré la pression des événements et le rapprochement de la ligne de conflit (on était passé de l’Afghanistan à la Libye et désormais au sol européen), les communiqués de l’Alliance trouvèrent les mots adéquats pour parler du sud sans prendre de véritables mesures. Mais du coup, comme l’âne de Buridan hésitant entre ses deux seaux et mourant finalement de soif, l’Alliance hésitait entre deux directions stratégiques et ne s’accordait pas sur ses buts réels. Un désaccord latent sur les fins de l’Alliance préexistait aux défis de la seconde moitié de la décennie.

Le grand défi du Brexit

Le Royaume-Uni a décidé, lors d’un référendum de juin 2016, de quitter l’Union Européenne. La procédure a été pleine de péripéties et à l’heure où cet article est écrit, on ne sait toujours pas quel tour prendra finalement l’affaire, entre un retour et un Brexit dur. L’observateur inattentif pourrait penser que cela n’a que peu à voir avec l’Alliance. Les choses sont pourtant plus compliquées car deux questions sous-jacentes sont posées : d’une part, celle de l’avenir du Royaume-Uni (qui pourrait profondément muter voire disparaître stricto sensu), d’autre part la question de l’évolution européenne, notamment sous l’angle de la défense.

Du point de vue intérieur, cela a incité Londres à forcer son enracinement européen alternatif : or, pour beaucoup d’Européen mais surtout d’Américains, l’Alliance est une organisation européenne. Quitter l’UE implique de renforcer sa présence dans l’OTAN, selon une formule également recherchée par Ankara. Ceci explique également le durcissement de Londres envers la Russie : si l’ennemi est menaçant, la nécessité ‘une défense collective est évidente et renforce par là le rôle principal que le Royaume a toujours tenu dans l’Alliance, En effet, Londres a toujours conçu l’OTAN comme un multiplicateur de puissance : elle a peu ou prou réalisé le fantasme que les Français ont eu envers l’UE.

Un Brexit risque de poser d’autres problèmes au Royaume. En effet, en cas de Brexit dur (c’est-à-dire sans accord avec l’UE), il est très probable que cela aurait des conséquences sur la structure même du Royaume : L’Irlande du nord pourrait décider de s’unir à la république d’Irlande tandis que l’Écosse pourrait réclamer un référendum sur l’indépendance qui aurait toutes les chances de réunir une majorité de oui. Cela poserait d’évidents problèmes à ce qui serait alors la moyenne Bretagne puisque ses sous-marins nucléaires sont basés à Faslane, en Écosse, ce qui ne plaît guère aux Écossais . Un Royaume Uni croupion conserverait-il alors (même dans le cas d’un accord sur le nucléaire avec Edimbourg) la place qu’il détient actuellement dans la structure de commandement ? Rien n’est moins sûr.

Du côté européen, beaucoup se sont réjoui in petto du départ britannique. Londres était en effet accusé par beaucoup de bloquer les développements de la défense européenne (ce qu’en France on appelle bizarrement « Europe de la défense », expression ne signifiant rien et qu’il est surtout impossible de traduire). Aussi a-t-on vu certains annoncer les plus importants développements de l’Europe de la défense jamais réalisés. L’emphase a pour limite le ridicule, ce qui a dû échapper à certains commentateurs. Il reste que le départ britannique va paradoxalement renforcer le face-à-face franco-allemand, le moteur étant devenu aujourd’hui un blocage (autre éléphant dans la pièce qu’on ne dit pas trop). Par ailleurs, d’autres Européens ne sont pas du tout partisans d’un renforcement de ce chantier européen, qu’il s’agisse des Polonais ou des Danois, sans même parler des Suédois ou des Finlandais qui discutent ouvertement de rejoindre l’Alliance. Paradoxalement, le départ britannique risque de rendre encore plus visible l’impéritie stratégique européenne.

La question turque.

Si le Brexit a lieu, les Britanniques joueront probablement une stratégie « à la turque ». En effet, depuis une grosse décennie, la Turquie a compris qu’elle ne rejoindrait jamais l’Union Européenne. Par conséquent, elle se raccroche à l’Alliance (plus probablement qu’à l’OTAN) qui demeure une institution « européenne » faisant d’elle un pays européen, et cela quelles que soient ses prises de position politiques ou stratégiques par ailleurs. Ceci explique la contradiction apparente entre des pas de deux avec des adversaires des Occidentaux et le maintien d’Ankara dans le club des alliés atlantiques, même si cela pose évidemment de grosses difficultés à Evère, au siège de l’OTAN. Ainsi, la Turquie a des relations très dégradées avec les États-Unis. Rappelons qu’elle ne leur permit pas de partir d’Anatolie dans la campagne de 2003 contre l’Irak de Saddam Hussein. Mais les différends ont pris un nouveau tour à la suite de deux éléments. Le premier est l’affaire syrienne. La Turquie a joué un jeu compliqué, soutenant tout d’abord un certain nombre de rebelles (plutôt alignés sur les Frères Musulmans) en accord avec les puissances du Golfe, jusqu’à provoquer la Russie, alliée de B. el Hassad. Ils demandèrent alors un soutien allié qui passa par la fourniture de batteries Patriot, à la frontière sud du pays. Cependant, les Américains, constatant que la résistance « indépendante » ne résistait ni aux loyalistes, ni aux djihadistes, firent alliance avec les Kurdes en leur donnant pour mission de les débarrasser de l’État Islamique en Syrie, notamment sur la rive gauche de l’Euphrate (pendant que la coalition s’occupait de l’EI en Irak). Or, les Kurdes syriens (le YPG) sont alliés au PKK turc. Du coup, l’affaire extérieure devenait une affaire intérieure. Pour empêcher la constitution d’une bande kurde tout le long de la frontière avec la Turquie (qui aurait pu servir de base arrière au PKK), la Turquie opéra un changement d’alliance et rejoint la Russie, mais aussi l’Iran : pas tant pour appuyer le gouvernement de Damas que pour entraver les progrès kurdes : ainsi dans la poche d’Afrin, ou sur la rive droite de l’Euphrate.

Pour les Alliés, ce retournement fut dur à avaler d’autant que ni Européens ni Américains ne jouent un quelconque rôle dans le processus d’Astana, mis en place par la Russie pour organiser une solution politique en Syrie. Certains alliés notent par ailleurs que la Turquie est « partenaire de discussion » avec l’Organisation de Coopération de Shangaï depuis 2012, qu’elle envisagea d’acheter du matériel chinois et qu’elle acquiert aussi des S400 russes. Cependant, la décision en décembre 2018 de D. Trump de retirer les troupes américaines de Syrie fut vue par Ankara comme un geste fait en sa faveur.

Le deuxième facteur de crispation, hors du champ opérationnel, fut le coup d’État organisé contre R. Erdogan en 2016. Ankara accusa F. Gülen, à la tête d’une confrérie islamique, d’en être l’instigateur. Or, il demeure aux États-Unis et R. Erdogan accusa à demi-mot les Américains d’avoir sinon soutenu, du moins toléré l’organisation de ce coup d’État. Mais un certain nombre d’officiers turcs, en poste dans l’organisation, demandèrent l’asile politique pour échapper à la répression organisée par le président Erdogan, ce qui suscita un grand malaise dans les pays d’accueil, extrêmement gênés devant la brutalité de la réaction d’Ankara. On le voit, les relations entre Turcs et Américains sont très compliquées et irritantes. Cela rejaillit logiquement sur l’OTAN. Pourtant, malgré toutes ces ambiguïtés, la Turquie demeure dans l’Alliance pour affirmer son caractère occidental.

L’hostilité de Trump

Pourtant, la grande difficulté reste l’arrivée de Trump au pouvoir. Il n’a jamais caché son hostilité à l’Alliance et les hiérarques atlantistes ont donc été horrifiés par ce qu’ils entendaient. Car au fond, D. Trump dit que le roi est nu et que l’ordre du monde habituel ne peut plus continuer comme cela. D’où son mot pendant la campagne : « L’OTAN est obsolète ». Ce n’est pas seulement une question d’argent (même si c’est d’abord une question d’argent) et il ne faut pas se focaliser sur la question des 2 % de PIB à consacrer par chaque allié au budget de défense, conformément aux engagements du sommet de Galles.

Au début, D. Trump était conscient qu’il n’y connaissait pas grand-chose aux affaires stratégiques. Il nomma donc des militaires et des gens de confiance, comme le général Mattis ou Rex Tillerson. Ceux-ci prodiguèrent les paroles apaisantes qui rassurèrent un peu les Européens. Le secrétaire général de l’Alliance fit un déplacement à Washington et Trump déclara que l’OTAN n’était plus obsolète. Au sommet de Bruxelles de juillet 2018, il y eut bien quelques ruptures des convenances diplomatiques de la part du président américain mais finalement, ce fut le soulagement, Trump déclarant même à la fin du sommet que l’OTAN était « bien plus forte » et présentant l’OTAN comme « probablement la plus grande alliance de tous les temps, mais que ce n’était pas juste d’attendre des États-Unis qu’ils paient une telle part des coûts ».

Cependant, D. Trump décida de renouveler son équipe. Ainsi, le général Mattis démissionna en décembre 2018 à la suite de l’annonce par le président du retrait des troupes américaines de Syrie. Il s’attendait à partir effectivement fin février, après une ultime réunion des ministres de la défense mais le président en décida autrement et le poussa vers la sortie au 31 décembre pour le remplacer par Patrick Shanahan, son adjoint au pentagone. Quant à Rex Tillerson, il avait cédé sa place de secrétaire d’État depuis longtemps à Mike Pompeo tandis que le faucon Bolton avait pris la tête du Conseil de sécurité nationale (NSC). M. Pompeo rappelait certes en décembre 2018, lors d’un passage à Paris , son soutien à des « organisations internationales dynamiques, qui respectent la souveraineté nationale, qui accomplissent leurs missions déclarées et qui créent de la valeur pour l’ordre libéral et pour le monde ». « Les Alliés de l’OTAN doivent donc tous œuvrer à la consolidation de ce qui est déjà la plus grande alliance militaire de l’histoire (…) et nos liens historiques doivent perdurer ». Cette dernière remarque signifiait-elle qu’ils pouvaient ne pas durer ? On peut se le demander rétrospectivement.

En effet, dès sa première conférence de presse en 2019, le président américain déclarait : « Je me fiche de l’Europe. (…) Beaucoup de pays ont profité de notre armée. Nous accordons une protection militaire aux pays très riches et ils ne font rien pour nous. Vous pouvez les appeler alliés si vous le souhaitez, , mais nombre de nos alliés profitent de nos contribuables et de notre pays. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. (…) Je veux que l’Europe paye. L’Allemagne paie 1%. Ils devraient payer plus que cela. Ils devraient payer 4% ». Aussi le New-York Times du 15 janvier 2018 titrait que le retrait de l’OTAN était à l’ordre du jour à la Maison Blanche. Selon le journal, il semble que tout au long de 2018, le président en ait eu le désir et l’ait confié à des proches, d’autant qu’il ne voyait pas les alliés (notamment l’Allemagne) augmenter drastiquement leurs budgets de défense.

Il faut prendre D. Trump au sérieux, il fait souvent ce qu’il dit : il s’est retiré de nombre d’accords (accord de libre-échange Asie Pacifique, accord sur le nucléaire iranien, accord de Paris sur le climat, bientôt le traité INF) car il se méfie instinctivement des engagements internationaux des États-Unis. Il n’a aucune affection envers les Européens et une profonde défiance envers l’Allemagne (pour lui, pays leader en Europe) qui profite trop, à ses yeux, de la mondialisation qu’il veut remettre en cause. Comme nombre d’Américains, il assimile l’OTAN à l’Europe et un retrait de l’organisation constitue pour lui le moyen de manifester cette défiance, d’autant qu’il n’est pas du tout sensible à la menace russe (peu importent les raisons) ni à la menace djihadiste (plus exactement, il ne voit pas bien ce que les Américains ont à faire au Moyen-Orient, ce qui explique sa décision de retirer ses troupes de Syrie). On peut d’ailleurs s’attendre à ce qu’une décision prochaine sera le retrait des troupes d’Afghanistan et donc la fin de la Mission RSM, qui est quasiment la dernière mission opérationnelle de l’OTAN.

Il va de soi que les atlantistes historiques et les alliés voient cette possibilité comme absolument horrible tant elle remettrait en cause les cadres mentaux prévalant depuis 70 ans.

Vers la fin de l’alliance ?

Il faut alors revenir à la question d’origine : serions-nous à l’aube d’une fin prévisible de l’Alliance atlantique ? Poser la question est douloureux pour tous les atlantistes. Le simple fait de la poser les gêne car l’intangible devient possible, l’inimaginable devient une hypothèse réaliste. La fin de l’Alliance est désormais une option sur la table, ce qui était impensable et n’avait jamais été expérimenté depuis l’origine.

L’Alliance a bien sûr toujours connu des crises. D’ailleurs, l’Alliance constitue en fait une instance de résolution des crises entre des partenaires : découplage, partage du fardeau, euromissiles, crise yougoslave, attaques du 11 septembre : toutes furent des crises très dures, toutes furent présentées comme « existentielles », « à la croisée des chemins ». Pourtant, toutes portaient sur des questions d’efficacité de l’Alliance : comment faire de l’Alliance l’outil efficace dans la rivalité avec l’ennemi soviétique ? Il s’agissait donc de questions très sérieuses, indubitablement, mais finalement pas « existentielles » au sens où l’existence de l’institution en elle-même aurait été menacée. L’efficacité est moins essentielle que la nécessité.

Voici ce qui change radicalement avec le discours de D. Trump : l’existence de l’institution est en jeu. Car qui imagine que l’Alliance puisse perdurer sans les États-Unis ? Car en dépit de ceux qui en France dénoncent la mainmise américaine sur l’institution, celle-ci n’a été créée que pour encadrer justement, autant que faire se peut, l’engagement des Américains en Europe. Mieux, pour le forcer, après les déceptions de la Première Guerre mondiale (arrivée tardive en 1917, non ratification du traité de Versailles) puis de la Seconde (arrivée là encore tardive, fin 1941). Les Européens l’ont longtemps reproché (discrètement) aux Américains et c’est pourquoi la plupart des Européens (sauf certains Français) sont tout à fait satisfaits de l’existence de l’Alliance et de sa direction par les Américains.

Car l’OTAN n’est puissante que grâce aux capacités américaines (conventionnelles et, rappelons-le, nucléaires, ce qui explique la dénucléarisation de l’Europe hors Royaume-Uni et France) : pour les Européens, il est donc normal que les Américains conduisent le camion qu’ils ont quasiment fabriqué et qui tire le fardeau de la défense de l’Europe. Cela leur permet même de faire des économies, réduisant leurs propres budgets de défense puisque les Américains assurent cette externalité positive. C’est d’ailleurs le principal reproche émis par D. Trump : les Européens et particulièrement les Allemands ne payent pas assez pour leur défense. Notons qu’il ne fait que répéter, en des termes plus crus, ce que déjà Georges Bush Jr et B. Obama avaient dit aux Européens, qui ne l’avaient entendu que d’une oreille discrète. Avec D. Trump, le volume sonore a monté tellement que Européens comme Américains de l’établissement l’entendent. Ils s’en désolent mais surtout, à l’instar d’un fil de tweets de l’ambassadeur Shapiro , ils évaluent les conséquences de l’impensable : ce serait, à coup sûr, un paysage stratégique européen ravagé. Sans aller jusqu’à l’invasion de portions de territoire européens par les Russes (cauchemar immanquablement cité), ils observent l’inéluctable montée des tensions entre pays européens, sans compter l’augmentation très forte des dépenses de défense. On s’intéresse subitement à l’article 13 de l’OTAN (celui qui prévoit les modalités de sortie du traité). Quasiment personne n’imagine réellement qu’un départ des Américains déclenche par magie la construction d’une organisation européenne intégrée de défense, dans le cadre de l’UE. Les tensions actuelles sont aujourd’hui telles entre États-membres, les positions si éloignées que seul le parrain américain a permis à l’ensemble de coexister dans l’Alliance. Il serait d’ailleurs plus que probable que de nombreux États européens chercheront des alliances bilatérales avec Washington, quitte à recréer une mini Alliance (sans l’Allemagne ?).

Conclusion : les fins ou la fin ?

Nous n’en sommes pas encore là. Donald Trump ne pratique pas seulement une « stratégie du fou ». Il ne s’agit pas juste pour lui de « monter les enchères », en homme de poker qu’il est. La grande nouveauté, c’est que chacun de ses partenaires reste persuadé qu’il ne bluffe pas. Il reste qu’implicitement, le président américain pose une question stratégique majeure, que l’on a soigneusement écartée depuis quelques années : à quoi sert l’OTAN ? S’il s’agit de défense commune, qui est défendu ? contre qui ? D. Trump n’est pas persuadé que les États-Unis soient défendus . Il n’est pas non plus persuadé de la menace et donc de l’existence d’un ennemi (sans même évoquer l’hypothèse d’une proximité personnelle avec le système russe). Il constate enfin que les Européens pratiquent allègrement la méthode du passager clandestin, payant peu pour leur défense, envoyant des troupes de façon mesurée sur les différents théâtres d’opération, prenant sur place bien peu de risques opérationnels. Pour lui, « le compte n’y est pas ». C’est un homme d’affaire, habitué aux négociations commerciales et doué par ailleurs d’une intuition vive : non un idéologue, mais un homme qui obéit à ses impulsions, à ce qu’il perçoit comme le sens commun qu’il est intimement persuadé partager avec l’Amérique profonde.

L’OTAN a perdu depuis longtemps sa bonne image outre-Atlantique, ne nous y trompons pas. Si elle ne sert plus, à quoi bon la maintenir ? Voici au fond une logique de destruction créatrice : débarrassons-nous du vieil homme, construisons autre chose. L’Alliance est une vieille dame qui fête cette année ses 70 ans : est-elle trop vieille pour le nouveau siècle ? Le vieux programme de Lord Ismay est bien évidemment inadapté. Il faut certes inclure les Américains, mais il ne s’agit plus de soumettre les Allemands. Quant à exclure les Russes, la question reste ouverte tant une autre approche pourrait être envisageable. À défaut de définir de nouvelles fins, l’Alliance pourrait sinon trouver sa fin.

OK

Lundis de la cybersécurité : alliances et cyberespace (18 mars)

Je participerai lundi soir prochain 18 mars (18h30-20h30) aux lundis de la cybersécurité, organisés par l'ami Gérard Peliks et le cercle d'intelligence économique du MEDEF.

Dans le cadre des "Lundi de la cybersécurité" organisés par le Cercle d'Intelligence économique du Medef Hauts-de-Seine, avec ParisTech Entrepreneurs à Télécom ParisTech

Venez assister à l'événement autour du thème : Les alliances dans le cyberespace

Lundi 18 mars 2019 de 18h30 à 20h30, accueil à partir de 18h00

Dans le cyberespace, les États ne comptent pas de vrais amis, seulement des alliés très souvent provisoires, et plus souvent d'autres États dont les intérêts stratégiques ou commerciaux peuvent entrer en concurrence directe. L'espionnage, par des moyens numériques, jusqu'au plus haut niveau, est une pratique courante. Mais tout est feutré jusqu'à ce qu'un média bien informé révèle ces actions inamicales. Parfois même un Etat envoie de fausses informations sur son rival, souvent au moment d'élections, voire essaie de saboter ses infrastructures vitales.

Comment peut-on risquer de toucher une confiance qui est jugée dispensable pour le fonctionnement normal d'une alliance, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale ? Comment une telle alliance peut-elle survivre à de tels événements ? Y a-t-il des alliances spécifiques au cyberespace, ou des modalités particulières à ce milieu ?

Nous essaierons de répondre à ces questions le 18 mars 18h30 avec le général (2S) Olivier Kempf.

Lieu : Télécom ParisTech, amphi B310 46, rue Barrault - 75013 M° Corvisart ou Glacière, ligne 6 Participation gratuite

Inscription obligatoire par mail, voir en : http://www.medef92.fr/fr/evenement/lundi-de-lintelligence-economique-ie-4

Nous vous signalons également un autre évènement sur la cybersécurité : les GS Days, le mardi 2 avril, espace St Martin Paris 3e. Voir en https://www.gsdays.fr/

France et Italie

Je participerai au festival de géopolitique organisé par la revue italienne Limes, ce weekend à Gênes.

Quelques éléments pour comprendre :

J'y évoquerai les difficiles relations entre la France et l'Italie. Sujet d'actualité, direz-vous ? Oui, mais nous avions décidé de ce sujet, avec Lucio Caracciolo, l'été dernier lors de son passage à Paris, alors que nos constations déjà qu'il y avait de la friture sur la ligne. Les récents événements n'ont fait que rendre visible ce qui était déjà patent pour qui savait observer.

Mon intervention aura trois thèmes successifs :

  • des histoires de politique intérieure (des deux côtés des Alpes)
  • une histoire paradoxalement européenne
  • des réalités géopolitiques bien plus profondes et finalement inquiétantes

O. Kempf

Interventions radio (cyber Europe, Huawei)

J'ai donné deux entretiens radio ces derniers jours.

L'un à Euradio, où j'évoque le cyber, l'UE, la question des alliances : un long format de 15 mn, en ligne le 28 janvier dernier.

Ici

L'autre à France Culture, à la suite des ripostes américaines envers Huawei, dans le journal de 12h30 du 29 janvier (2mn).

Bonne écoute

O. Kempf

Faire croire et faire douter dans le cyberespace…

Je participerai à une conférence "à trois" le 29 janvier prochain. Elle est organisée par le CSFRS et a pour thème "Faire croire et faire douter dans le cyberespace…: Infox, subversion, cyber-influence". Détails et inscription ICI. Entrée libre mais inscription obligatoire

  • Mardi 29 janvier 2019 - 18:15/20:15
  • ECOLE MILITAIRE / Amphithéâtre DES VALLIERES
  • 1, Place Joffre - 75007 - PARIS

Argument et présentation des thèmes et intervenants ci-dessous.

Avec

  • Olivier KEMPF ; Officier général (2S), docteur en sciences politiques, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, spécialiste des questions de stratégie cyber et digitale.
  • François-Bernard HUYGHE ; Docteur en Sciences Politiques, médiologue, directeur de recherche à l’IRIS, enseignant, spécialisé sur la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, responsable de l’Observatoire Géostratégique de l’Information.
  • Nicolas MAZZUCHI ; Docteur en géographie économique, chargé de recherche à la FRS sur les questions énergétiques, de matières premières et de cyberstratégie
  • Modérateur / Général (2S) Paul CESARI Conseiller militaire du CSFRS

Le cyberespace couvre trois couches : physique (les matériels), logique (les logiciels) et sémantique (l’information qui circulent dans le cyberespace). La couche sémantique est absolument déterminante. Elle constitue à la fois le champ et l’objectif final ou se déploient des stratégies destinées à « faire croire » et « faire douter », au travers d’attaques de types fake news ou infox, d'influence, de subversion, de propagande…

Institutions régionales au Maghreb

Le dernier numéro du Magazine de géopolitique, Conflits, est consacré au Maghreb (n° 20, janvier-mars, disponible en kiosque (ou sur le site ici) pour 9,9 €).. J'ai l'honneur d'y signer un article qui fait le point des différentes institutions maghrébines ou incorporant des États maghrébins. A lire ci-dessous.

Comme beaucoup de régions, le Maghreb est traversé d’institutions internationales : comme souvent désormais, elles sont bien souvent peu pertinentes.

La première est évidement l’Union du Maghreb Arabe (UMA), créée en 1989 et réunissant les cinq Etats du Maghreb. Toutefois, elle n’a suscité aucune avancée concrète et elle reste bloquée à cause du conflit du Sahara Occidental et donc de la dispute entre l’Algérie et le Maroc. Il s’agit finalement de l’organisation sous-régionale africaine qui est la plus bloquée, alors que les cinq pays ont déjà une civilisation en commun et qu’une intégration économique régionale permettrait un développement important de la zone. Il faut citer l’ONU, présente dans la zone au travers de la MINURSO au Sahara occidental mais aussi de son rôle en Libye.

Institutions arabo-musulmanes

Les pays du Maghreb partagent énormément de fondements culturels et civilisationnels. Pourtant, aucune des institutions du monde arabo-musulman ne leur a donné réellement satisfaction pour développer leurs échanges.

Les cinq pays maghrébins sont membres de la Ligue arabe, qui a été créée en 1945. La Libye rejoint l’organisation en 1953, la Tunisie et le Maroc dès 1958 à la fin du protectorat, l’Algérie en 1962 dès son indépendance, la Mauritanie enfin en 1973. Il ne faut pas méconnaître cependant le sentiment de supériorité des pays du Machrek envers ceux du Maghreb, même si le siège de la Ligue a été installé à Tunis de 1979 à 1990. Si le panarabisme a eu un rôle politique important au cours de la Guerre froide, il est aujourd’hui en panne, les pays arabes peinant à trouver des convergences politiques.

Aussi quelques pays signent en 2001 l’accord d’Agadir (Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie, rejoints par Liban et Palestine en 2016) qui crée une zone de libre-échange arabe. Il entre en vigueur en 2007 et est soutenu par l’UE. Cependant, des difficultés demeurent et il peine à croître. Il s’agit d’une version réduite du Conseil de l’unité économique arabe, créée en 1957 dans le cadre de la Ligue arabe et qui n’a pas donné de résultats. L’organisation de la coopération islamique (OCI) a été créée en 1969 à l’instigation de l’Arabie Saoudite. Les 5 pays maghrébins en sont membres fondateurs. Toutefois, cette organisation religieuse mais aussi politique et culturelle n’est pas un grand cadre de coopération intra-maghrébine

Institutions méditerranéo-européennes

Les pays du Maghreb se sont d’abord tournés vers le nord de la Méditerranée et notamment les pays européens. Les anciennes puissances coloniales de la zone (Espagne, France, Italie) conservent en effet de profonds intérêts. Mais au-delà des nombreux accords bilatéraux, les initiatives institutionnelles donnent peu satisfaction.

Le partenariat Euromed, ou processus de Barcelone, a été créé en 1995 et inclut un certain nombre de pays méditerranéens, dont Algérie, Maroc et Tunisie, ainsi que la Mauritanie depuis 2007 (la Libye a un statut d’observateur). Il constitue le volet méditerranéen de la politique européenne de voisinage (PEV). L’UE distribue ainsi quelques aides financières aux pays bénéficiant d’un statut avancé (Maroc et Tunisie). Le processus de Barcelone a été « renforcé » à partir de 2008 avec la création de l’Union pour la Méditerranée, réunissant tous les pays de l’UE et les pays riverains (la Libye est observateur). Un certain nombre de programmes sont labellisés (transport, énergie, économie bleue, etc…) mais il est à la fois très institutionnel et peu centré sur les problématiques particulières du Maghreb.

Pour justement se concentrer sur la Méditerranée occidentale, les cinq pays de l’UMA ainsi que les cinq riverains du nord (Espagne, France, Italie, Malte, Portugal) créent en 1990 le dialogue 5+5. Les conversations régulières portent sur des sujets sectoriels (intérieur, transports, défense, migrations, finance, enseignement…). Là encore, il s’agit de rencontres formelles avec peu d’effets concrets.

Le dialogue méditerranéen est le partenariat de l’Alliance atlantique dédié « au sud » : y participent l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie (ainsi que d’autres pays du pourtour : Égypte, Israël, Jordanie). Créé en 1995 (l’Algérie ne l’a rejoint qu’en 2000), il n’a pas instauré une dynamique collective et les quelques actions sont principalement bilatérales (OTAN + 1).

Institutions africaines

C’est pourquoi on observe une sorte de mouvement vers l’Afrique. Les cinq sont membres de l’Union Africaine, maintenant que le Maroc à rejoint l’organisation en 2017, après l’avoir quittée en 1984. Le plus intéressant demeure pourtant la question des organisations sous-régionales. Ainsi de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) créée en 1975 (PIB de 817 G$, population de 360 Mh). Avec son retour dans l’UA, le Maroc a demandé dès 2017 l’adhésion à la CEDEAO. Celle-ci a donné son accord de principe mais les modalités de détail traînent. La Mauritanie qui en était membre a quitté l’organisation en 2000 mais a signé un accord d’association en 2017. On observe que la constitution d’un grand bloc commercial à l’ouest de l’Afrique constituerait un puissant facteur de développement, une fois la question de la monnaie résolue.

Le Marché commun de l'Afrique orientale et australe aussi connu sous son acronyme anglais COMESA, a été fondé en 1994 et inclut depuis 2005 la Libye et 2018 la Tunisie (des négociations sont en cours avec l’Algérie). Il s’agit d’un marché commun (677 G$ et 475 Mh). Pour mémoire, citons la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) a été créée en 1998. Elle comprend 29 États dont les pays maghrébins sauf l’Algérie. Elle a pour ambition d’établir une union économique globale mais aussi de développer les réseaux de transport. On voit ainsi se constituer des blocs sud-sud. Alors que l’histoire et la géographie militent pour une intégration latérale entre les cinq pays du Maghreb, le blocage de l’UMA et une certaine négligence européenne incitent les États maghrébins à développer des stratégies autonomes, principalement en direction du sud, avec un satellite occidental (Maroc et Mauritanie vers la CEDEAO) et un autre oriental (Libye et Tunisie vers la COMESA). Les stratégies sont d’abord économiques mais aussi sécuritaires (notamment le sujet de la coopération sur la question des migrations : on rappelle ici que la Mauritanie appartient au G5 Sahel). L’Algérie reste un peu isolée dans ce mouvement général.

Olivier Kempf dirige la lettre stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com). Il a publié « Au cœur de l’islam politique » (UPPR, 2017).

La nouvelle doctrine de Lutte Informatique Offensive (LIO)

Une nouvelle doctrine "cyber" a été rendue publique aujourd'hui : il s'agit en fait d'une doctrine d'emploi de la Lutte Informatique Offensive, (LIO dans le jargon). Un petit billet pour mieux comprendre l'enjeu.

Qu'y a-t-il de nouveau avec cette doctrine cyber qui a été rendue officielle aujourd'hui. Plus exactement : dont l'existence a été annoncée, même si la doctrine demeure "secrète", dixit le CEMA.

D'abord, cela fait longtemps que la France a admise le principe de la LIO (Lutte informatique offensive). Elle était déjà annoncée brièvement dans le LBDSN de 2008 (même si peu l'avaient remarqué à l'époque) et plus explicitement évoquée dans le LBDSN de 2013.

Le MINDEF (comme on disait à l'époque), JY Le Drian, avait d'ailleurs exposé quelques mois plus tard les principes de mise en œuvre de cette #LIO : riposte et proportionnalité. Pour le reste, on était resté très discret.

Du coup, on ne savait pas trop comment ça se conduisait, qui le conduisait. On en déduisait que c'étaient des services spéciaux (chut, ne pas prononcer le nom, c'est une légende de bureau). Mais finalement assez loin de l'emploi opérationnel des armées.

La nouveauté du jour, annoncée donc par la ministre et le CEMA, c'est l'emploi opérationnel de cette #LIO. Autrement dit, elle n'est pas seulement mise en œuvre par une instance où il y a beaucoup de militaires, mais au profit des armées et de leurs opérations Donc, alors que la #LIO suivait un régime spécial (afférent aux services spéciaux), désormais elle entre dans un cadre plus commun, celui des opérations militaires (mais toujours exceptionnel du droit commun).

De plus, cet appui opérationnel présente une autre particularité qui mérite d'être dûment relevée : le bénéficiaire opérationnel est du niveau stratégique ou tactique (et en fait, comme on le comprend, opératif). Il y a donc une réelle déconcentration de cette #LIO , que ce soit pour des missions de renseignement, de neutralisation ou de déception (action dans la couche sémantique).

On n'en saura pas plus, ce qui est normal. Mais cela traduit une réelle évolution de la doctrine qui n 'est plus seulement la doctrine étatique mais désormais une doctrine opérationnelle, donc militaire, de la #LIO.

  • Quelques commentaires ici, ou ici ou encore ici.
  • Le discours de la ministre ici

O. Kempf

Brexit ? Hard....

Une réaction immédiate au vote sur le plan de Brexit présenté par Theresa May, et fortement rejeté ce soir par la chambre des Communes.

Source

1/ Le vote (230 voix d'écart) atteint des niveaux imprévus et radicaux... Cela montre à quel point les petits calculs politiques des uns et des autres ont joué, bien plus que ce qu'on escomptait. On devinait que le plan ne serait pas adopté, mais un rejet à ce niveau est significatif aussi de la fatigue politique du pays. Mais elle vient de loin : rappelons que Cameron avait promis un référendum pour se débarrasser de son aile droite qui déjà, mettait le désordre.

2/ Les options sont connues : un nouveau gouvernement très probablement de transition. Mais il est très improbable que Londres puisse négocier quoique ce soit avec l'UE : l'ampleur de l'échec montre que ce n'est pas politiquement tenable.

3/ On se dirige donc vers de nouvelles élections, très incertaines. On ne discerne pas quelle majorité peut surgir tant Labour comme Tories sont divisés.

4/ Autre option, très probable : un Hard brexit. Mais les conséquences sont connues (passées la cure d'adaptation que cela provoquera) : Géopolitiquement, on peut surtout prédire une réunification de l'Irlande et une indépendance de l’Écosse : le Royaume serait très désuni et se réduirait à une Moyenne-Bretagne (Angleterre + pays de Galles).

5/ Un nouveau référendum serait très aléatoire : si c'est un nouveau Brexit, retour à la case départ, avec un hard Brexit à la clef. Si c'est un remain, on aurait alors un gouvernement britannique qui serait encore plus dur dans ses négociations avec Bruxelles : vous n'avez pas favorisé le Brexit, donc si on est là, vous allez le payer. On ne sait pas ce que c'est qu'un pays bloqueur : malgré sa réputation, le RU savait construire de bons compromis et ne bloquait pas tout, loin de là. Paradoxalement, pour un UE déjà très fragile, le retour du RU la queue basse serait une très mauvaise nouvelle.

Voici les quelques éléments que l'on peut déduire de la période hautement incertaine qui s'ouvre devant nous. Peu à peu, les choses vont se décanter.

Sic transit teresa maius

Olivier Kempf

Atlas historique de l'Afrique

Poursuivant ma collection d'atlas, je chronique celui-ci, publié au Rocher par Bernard Lugan. L'homme est controversé : rejeté par l’université française, il connaît par ailleurs un beau succès auprès d'un public fidèle. Il faut lui reconnaître une très profonde connaissance de l'Afrique, notamment de son histoire. De ce point de vue, ce dernier ouvrage rejoint une bibliothèque qui n'est pas très fournie. Nous pensons bien sûr à l'incontournable "atlas des peuples d'Afrique" de Jean Sellier (ici), mais aussi "L'atlas histoire de l'Afrique" de Jean Jolly (ici).

Cet ouvrage nous semble la 2ème édition d'un premier atlas, paru en 2001, déjà au Rocher. Mais alors, le livre ne comptait que 263 pages quand cette édition ci en offre 423. Curieusement, cette caractéristique n'est pas mentionnée : il est probable que l'auteur a refait toute la cartographie, ceci expliquant cela.

L'ouvrage est divisé en sept périodes : La terre et les hommes, Des origines à la conquête arabo-musulmane, De la conquête arabe à la découverte portugaise, De la découverte portugaise à la veille de la colonisation, La période coloniale, La décolonisation, La période contemporaine. S'y ajoutent une longue bibliographie d'une vingtaine de page et un index d'une dizaine de pages.

Chaque sujet fait l'objet d"une double page, avec texte à gauche et carte à droite : cette organisation très simple et très claire permet un maniement facile.

Les cartes sont simples et peu évoluées. On sent bien qu'elles ne sont pas l’œuvre d'un cartographe mais qu'il s'agit des conceptions de l'auteur. Elles rendent toutefois le service que 'lon en attend, celui d'informer en plaçant sur une représentation graphique les principaux lieux géographiques. Cette rusticité est le prix à payer pour un ouvrage exhaustif et au prix modéré (25,9 €). Mais c'est aussi la principale faiblesse du livre, il faut la mentionner.

Pour le reste, voici un ouvrage qui donne une foule de renseignements qu'on aurait certes pu obtenir par d'autres médias, livres ou sites. L’avantage, c'est que tout est là sous la main et permet d'entrer rapidement dans une sujet, qu'il s'agisse de l'empire du Ghana, de l'islamisation de la vallée du Nil ou de la maîtrise de l'atlas.

Un ouvrage de fond de bibliothèque

Atlas historique de l'Afrique, des origines à nos jours, B. Lugan, Éditions du Rocher, 423 p, 25,9 €.

O. Kempf

Le refus de la Victoire, maladie française

Je poursuis la réflexion entamée la semaine dernière (voir billet) ou celle de Michel Goya sur son blog (ici) et reviens sur cette non commémoration de la Victoire décidée par l’Élysée et balancée, à ses yeux, par le voyage mémoriel qu'il compte effectuer, rendant hommage aux combattants.

Source

Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas de discuter des sujets annexes qui ne sont pas ici essentiels :

  • ni la question d'un éventuel défilé ou parade (traditionnellement, le 11 novembre fait l'objet d'une prise d'armes de pied ferme autour de l'Arc de Triomphe et personne n'a demandé un défilé particulier).
  • ni la question de la mise à l'honneur des maréchaux de la Première Guerre mondiale (je rappelle qu'ils furent nombreux : Foch, Joffre, Galliéni, Lyautey, Franchet d'Esperey, Fayolle, Maunoury, et Pétain, celui qui pose problème...).
  • ni la question de la négociation avec l'Allemagne de ces modalités (car après tout, il est compréhensible qu'on use de tact et de diplomatie en la matière).

Selon l’Élysée : "Le sens de cette commémoration, ce n'est pas de célébrer la victoire de 1918". Voilà le point dur, celui qui cause problème, plus encore que les propos inutiles d'un conseiller mémoire qui n'a pas de mémoire sur "les civils que l'on a armés".

Ne pas célébrer la victoire. Que célébrer, alors ? La "fin d'une guerre" ? Mais ne comprend-on pas qu'il n'y a pas de fin de guerre si l'un des adversaires n'accepte le résultat de la fortune des armes ? Il y a un anachronisme persistant à considérer, par un crypto-pacifisme, que "la guerre c'est mal et que donc toute guerre est mauvaise". Les guerres sont douloureuses, nul n'en disconvient mais si les États, si les parties (dans le cas de guerres irrégulières) décident de les faire, c'est bien parce que leurs raisons sont à leurs yeux plus impérieuses que les incontestables catastrophes qui les accompagnent. Oui, la guerre est catastrophique et pourtant, on la fait. Ce n'est d'ailleurs pas parce qu'on ne se veut pas d'ennemis qu'on n'en a pas. Souvent, c'est l'ennemi qui décide, les djihadistes nous l'ont montré récemment (c'est d’ailleurs parce qu'ils ont pris l'initiative que nous parlons désormais à tout bout de champ de "guerre").

On la fait pour de bonnes raisons, par exemple pour défendre sa liberté (une des trois valeurs de la devise de la République). Peut-on quand même rappeler à certains que trois départements étaient en 1914 annexés contre la volonté des peuples depuis plus de 45 ans, et que pendant la guerre, justement, dix départements français, de l'Est et du Nord du pays, soit deux millions de personnes quand même, vivaient sous la domination du Reich. La victoire a permis que ces territoires-là soient libérés et elle a évité qu'au lieu d'avoir trois départements annexés, il n'y en ait eu cinq ou dix. Ce n'est pas rien.

Car eussions nous été défaits, nous aurions vécu sous une domination étendue. La défaite de 1870 n'avait pas laissé que des bons souvenirs, faut-il le rappeler (juste une histoire de mémoire...).

Alors, de quoi ce refus de la victoire est-il le nom ?

Si l'autre nous déclare la guerre, nous devons la conduire. Sinon, comment comprendre les déclarations de nos gouvernants répétant sans relâche que "nous sommes en guerre" ? L'absence de réflexion sur le sens de la guerre fait qu'on ne désigne pas l'ennemi : non, on "fait la guerre contre le terrorisme", du président précédent reprise par le président actuel. Mais alors, qu'y a-t-il, selon eux, au bout de cette guerre ? Si le terroriste est notre ennemi, ne devons-nous pas "vaincre" ? sinon, quel est le but ?

Si donc nous sommes en guerre aujourd’hui, c'est que nous acceptons le mécanisme de la guerre. Parfois, la force doit prévaloir afin qu'elle crée le droit.

S'agit-il alors de cet étrange goût français pour célébrer les défaites ? : on célèbre Sidi-Brahim, Bazeilles, Camerone ou Dien-Bien Phu, on se souvient d'Azincourt et Crécy plus que de Castillon qui pourtant nous donna la victoire, à la fin de la Guerre de cent ans. Heureusement que les Cyrards fêtent encore le 2S en l'honneur d'Austerlitz... Mais la tradition militaire aime les glorieuses défaites, celles où le panache est mis en avant, où l'on célèbre la lutte jusqu'au bout, le sacrifice suprême. Mieux vaut la manière (l'héroïsme) que le résultat.

En l'espèce, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Nul célébration de vertus militaires. C'est juste que la victoire, ça sonne trop guerrier. Et puis il y a ce côté moderne qui trahit en fait un sentiment refoulé de supériorité : on refuse de célébrer sa victoire "car l'on est au-dessus de ça", on oublie Austerlitz mais on va fêter Trafalgar. On se croit humble et généreux, on est juste orgueilleux et méprisant, sans même s'en rendre compte, plein de bons sentiments, d'autant plus que l'autre se fiche de nos abaissements, lui n'hésite pas à célébrer ses victoires. Car il ne s'agit pas de triompher, mais de célébrer. Nuance. La victoire de 1918 n'est tout de même pas une exaction... Le XXème siècle en a connu bien d'autres, ailleurs qu'en France.

Au fond, ce refus de célébrer la victoire est une pensée anachronique, une trahison du devoir de mémoire, un vain calcul politicien contemporain. Il faut revenir à Renan et sa définition de la Nation. On rappellera (avec Wikipedia -ici-, qu'on ne peut accuser de déviation idéologique) que Renan insiste sur la conception française contractuelle de la formation de la Nation, à l'opposé d'une vision allemande (eh oui!) beaucoup plus essentialiste, venue notamment de Fichte. J'ai écrit par ailleurs (dans mon livre "Géopolitique de la France", voir ici) la dialectique entre les deux approches et comment le nationalisme allemand est né à la suite de la Révolution française.

Pour Renan, être une Nation "c'est avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore dans l'avenir". Mais encore faut-il se souvenir des belles choses faites ensemble.

Le terrible sacrifice de nos grands-parents en fait partie, quoi qu'on en dise. Certes, la France sort épuisée de la Guerre, certes le défilé de la Victoire (qui a lieu le 14 juillet 1919) commence par les blessés, estropiés et gueules cassées, certes les anciens combattants affirment "plus jamais ça", mais pas un ne regrette le combat ni le sacrifice, car victoire il y a eu. Alors, il peut y avoir réconciliation.

Il n'y a pas de paix s'il n'y a pas un vainqueur et un vaincu, n'en déplaise aux conseillers de l’Élysée . La guerre est une chose d'abord politique car la guerre fait l’État avant que l’État ne fasse la guerre (voir Charles Tilly et le billet sur la question). Vouloir la paix, ce n'est pas refuser l'idée même de guerre, c'est la regarder sereinement, avec justement le recul de l'histoire.

Il y eut donc une victoire. On ne peut la célébrer sans la passer sous silence. Se souvenir permet de construire justement d'autres destins. Interpréter, c'est trahir, y compris l'avenir.

Un coup de tête jamais n'abolira le passé.

O. Kempf

Ces "civils que l'on a armés" (colère)

Je continue à m'étrangler de l'étrange formule "des civils que l'on a armés" utilisée par le "conseiller mémoire" de l’Élysée pour parler des combattants de 14 et des vainqueurs de 18. On lira bien sûr le billet de Michel Goya ou encore la Lorgnette que nous venons de publier sur le sujet dans La Vigie.

source

J'ajouterai une chose : en refusant à ces hommes d'être des soldats, en refusant d'accepter la victoire et donc que la guerre se résolve par des vainqueurs et des vaincus, on aplatit toute chose, on croit équilibrer alors qu'on affadit. On dénie à l'autre son altérité, on le fond dans un mauvais amalgame, on lui dénie finalement son humanité.

La tradition guerrière de l'Europe, qui la fait si différente de la tradition américaine, est de considérer l'ennemi comme un autre mais qui nous est ressemblant. Pour les Américains, l'autre est le mal qui doit être éliminé. En refusant à l'autre son existence, en refusant deux millénaires d'histoire au cours desquels nous avons fait la guerre, abominé l'autre pour finalement réapprendre à dialoguer avec lui, ce conseiller mémoire montre qu'il n'a pas de mémoire et qu'il joue anti-européen.

Voulant aplanir les choses, il renforce ce qu'il croit combattre, le populisme.

Je reste très en colère contre autant de bêtise...

O. Kempf

Supprimer le liquide

Voici le texte de ma chronique parue dans le dernier numéro de Conflits, consacré au Brésil.

C’est une musique lancinante, qui revient sans cesse malgré la réticence des commentateurs : il faudrait cesser les paiements en liquide, officiellement pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Les plaies du moment ont bon dos, car beaucoup soupçonnent en fait des puissants, qui ne sont pas ceux qu’on croit, avoir bien d’autres desseins.

Certes, l’argent liquide est parfait pour la fraude fiscale : voici un instrument de paiement légal et anonyme ! Bannir l’argent liquide, c’est donc le rendre illégal et empêcher l’anonymat. L’anonymat, voilà l’ennemi.

C’est d’abord l’ennemi des gouvernements, puisque le liquide permet allégrement la fraude fiscale. Ceci explique la décision surprise, en novembre 2016, du gouvernement Modi (Inde) de démonétiser les coupures en circulation. Le liquide permet de thésauriser en monnaie étrangère, ce que font les Vénézuéliens (pour contrer l’hyperinflation) et qui a donc incité le président N. Maduro à mettre en place une nouvelle monnaie. A chaque fois, un système économique profondément altéré.

D’autres motifs sont à l’œuvre : tout d’abord, l’épuisement des politiques « d’assouplissement quantitatif » qui sont à l’œuvre depuis dix ans pour lutter contre la crise financière. Or, ces facilités monétaires suscite l’accumulation de liquidité, ce qui ne suffit plus. Il faut donc aller plus loin dans l’endettement général en passant par les taux négatifs, notamment sur l’épargne. Le cash protège contre cette politique. Supprimons le cash, on pourra taxer l’épargne ! On pourra surtout verrouiller tout le fonctionnement de l’économie « si besoin s’en faisait sentir », comme quand la Grèce avait restreint l’accès au cash, en 2015.

Autres puissants intéressés : les géants du numérique qui déjà scrutent nos comportements et pourront, si nous sommes obligés de passer au tout électronique, observer vraiment tout ce que nous faisons.

L’absence de cash et donc le passage à une monnaie exclusivement électronique sont finalement de profondes menaces envers notre démocratie. Les technophiles mentionnent l’hypothèse de monnaies alternatives, fondées par exemple sur les blockchains (bitcoin, éthereum) : mais ces monnaies sont déjà justement surveillées par les autorités et en passe de devenir illégales.

Voici donc des intérêts autrement plus puissants, ceux de l’alliance entre Wall Street et la Silicon valley, qui se conjuguent contre le liquide. La thématique sécuritaire habituelle (lutte contre le terrorisme ou la criminalité armée) ne fera pas oublier que la NSA travaille surtout pour l’espionnage économique. Cela doit nous inciter à payer en liquide, manière pratique de défendre nos libertés quotidiennes : le liquide est aussi pratique que la carte bleue et surtout, il permet encore une qualité aussi rare que l’air pur à Pékin : l’anonymat !

O. Kempf

Egea sur France Inter

Je serai ce lundi 8 octobre sur invité à l'émission Un jour dans le Monde présentée par Fabienne Sintès. Nous y parlerons des attaques cyber et de la cyberconflictualité. J'y serai au côté de mon ami et complice Thierry Berthier, collègue d'Echoradar et animateur du blog Cyberland. A vos grandes ondes entre 18h15 et 18h35.

O. Kempf

La transformation digitale des entreprises (A. Dudézert)

Voici un petit livre de la collection Repères à La Découverte. L'auteur est une professeur de l'université de Pairs Sud et elle anime un Club sur a digitalisation avec un certain nombre de responsables d'entreprise en charge de la transformation digitale et de l'innovation. Voici donc un ouvrage qui fait l'aller-retour entre des approches théoriques et le retour des praticiens sur le terrain, ce qui constitue son principal intérêt.

A défaut de donner une définition de la Transformation digitale (ce qui est regrettable), l'introduction permet de préciser ce qu'elle n'est pas (ni une numérisation, ni même une informatisation) tout en recouvrant plusieurs champs: la notion de changement d'échelle, celle de la prédominance du client, celle de nouvelles pratiques sociales (mobilité, instantanéité, ubiquité, gratuité, personnalisation), celle de technologies "à portée de main", celle d'une "flexibilité adaptative", celle des nouvelles données, d'usages libérés mais aussi de difficultés à définir les tâches des collaborateurs, celle d'économie collaborative et donc les transformations internes de l’entreprise.

La première partie s'intéresse donc à la transformation digitale et ses enjeux, partant de l'appropriation de technologies de l'information "créatrices" pour traiter de la reconfiguration des pratiques de travail puis les mythes de la transformation digitale. Au fond, la TD remet en cause le vieux rapport entre Capital et Travail au sein de l'entreprise (p 36). Le livre met en valeur le rôle de la réputation dans la mise en œuvre de la TD (p 41). Enfin, le mythe de l'entreprise décloisonnée évacue tout enjeu de pouvoir (p 49) quand l'autre mythe du panoptique pose la question de la manipulation et de la liberté du collaborateur (p 53).

La deuxième partie s'interroge sur la mise en œuvre de la transformation digitale. Si l'élément déclencheur est la peur de l'ubérisation, le texte décrit les différents modus operandi de la TD puis s'intéresse aux responsables de celle-ci (et leur rôle ô combien ingrat dans l'entreprise, je sais bien de quoi elle parle). Plus que l'ubérisation, il faut comprendre que la TD est déclenchée par 4 facteurs : le client, le salarié, le coût et le concurrent. Les méthodes proposées ressortissent souvent de l'injonction paradoxale et il faut pour cela des leaders qui soient à la fois insérés et en marge : là encore, position paradoxale qui n'ouvre pas à leurs titulaires de belles perspectives de carrière, quel que soit l'enjeu transformationnel voulu par les dirigeants.

La troisième partie traite de la nouvelle équation managériale : le changement de posture dans les métiers (focus sur le DSI et le DRH), la valorisation de nouvelles compétences, la transformation de la fonction managériale (section qui mérite le détour puisqu'elle pose la question de l'autorité du manager de contact et des niveaux intermédiaires, très souvent oubliés dans les démarches de TD, p 100 sqq), enfin l'absence de cadre juridique clair.

Au final, un petit ouvrage qui se lit facilement, au carrefour des sciences de gestion, de la théorie du management, de la sociologie des organisation mais aussi, un peu, de la gestion des systèmes d'information. Appuyé sur des références académiques solides sans être trop nombreuses, faisant la part belle à des témoignages (divers et donc inégaux, mais c'est la loi du genre), il constitue une bonne entrée en matière au sujet. Tourné vers l'entreprise (plutôt la grande), il oublie ainsi les autres organisations (administrations, ONG) et les PME, mais qui ne font pas réellement partie de son champ d'étude.

Aurélie Dudézert, La transformation digitale des entreprises, Repères La Découverte, 2018, 127 pages.

O. Kempf

Réalité diminuée et médias

L'autre jour, je regarde 28mn, émission intelligente sur Arte : Ce soir là (ici), débat sur les migrations à propos de l'Aquarius. On y houspille Renaud Girard qui dit qu'il y a des différences culturelles entre les pays d'origine et les pays d'arrivée (36'55 : "les êtres sont des êtres culturels"). Visiblement, l'assistance (outre Elisabeth Quin, deux journalistes plus deux autres invités) le regardent avec dépit.

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Trois minutes plus tard, changement de séquence, les deux journalistes écoutent (à partir de 39'05) le sympathique Xavier Mauduit disserter avec talent sur Matteo Rici au XVIe siècle en Chine et la subtilité des jésuites qui savaient adapter la religion au substrat culturel des régions qu'ils évangélisaient ("Matteo Ricci a compris quelque chose de fondamental, qu'il faut adapter le christianisme à la culture et à l’environnement", 41'13) même s'il constate que la méthode jésuite n'a pas marché : peu de Chinois se sont convertis. Là, on devine de la part de l'auditoire une approbation sur le différentialisme qui permet d'accepter l'autre tel qu'il est.

Suis-je le seul à avoir aperçu que les deux disaient la même chose, ou plus exactement partaient du même constat de la différence mais qu'à l'un on distribuait des mauvais points, à l'autre des bons ?

Bref, le discours que l'on entend sur les réseaux sociaux ou les médias est toujours augmenté de la perception "morale" de ce qui est dit. Je mets morale entre guillemets car il ne s'agit pas d'une vraie morale, mais d'une moralette ou moraline, d'une sous morale superficielle mais qui ressort de l'arc réflexe, sans contrôle de la raison.

Remarquons d'ailleurs que ce biais est partagé par tous ceux qui s'expriment, comploteurs ou sermonneurs, de quelque camp qu'ils soient.

Mais que du coup, cela obscurcit sacrément la compréhension de la réalité. Au fond, la scène médiatique actuelle est celle d'une réalité diminuée par ces filtres qui opacifient le monde.

O. Kempf

Atlas Géopolitique mondial 2019

Vous connaissez ma collection d'atlas. Avec cette rentrée, j'en ai récupéré plusieurs : attendez-vous donc à quelques fiches de lecture à suivre, qui intéresseront les amoureux des cartes mais aussi de la géopolitique. Commençons par cet Atlas géopolitique mondial, publié aux éditions du Rocher, comme chaque année.

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On peut s'interroger sur l'utilité d'un atlas annuel, mais au fond, il ne s'agit pas d'un atlas permanent comme vous avez des atlas géographiques ou historiques dont la matière ne change pas. Il s'agit en fait du recueil bien agencé de plusieurs articles parus dans la revue Carto et réunis dans ce livre, ce qui justifie donc un caractère annuel et que donc chaque année cela soit différent de l'année précédente.

Mais, direz-vous, en quoi est-ce géopolitique puisque l'on pensait que la géopolitique visait à dégager un certain nombre de permanences qui expliquent les conflictualités du monde (au passage, vous admirerez cette définition alternative de la géopolitique qui vient de sortir de mon clavier) ?

C'est d'ailleurs ce côté "permanent" qui rend, paradoxalement, les atlas classiques de géopolitiques si ressemblants les uns aux autres, puisque chacun est obligé de montrer les différentes représentations du monde (le monde vu de...), d'avoir une petite partie historique, puis de décrire les grands affrontements géopolitiques avec l'accent donné sur tel ou tel facteur (militaire, culturel, économique, démographique, historique etc.).

Voici finalement l’intérêt de cette série d'atlas et plus particulièrement de cette édition-ci : considérer que toutes ces choses sont connues et relativement acquises pour aller porter des focales sur des points particuliers ou négligés, le plus souvent par manque de place ou d'intérêt dans les autres atlas, mais aussi de creuser des sujets qui sont habituellement présentés mais trop succinctement. Parfois aussi, il s’agit de sujets d'actualité qui nécessitent une attention circonstanciée. Or, des points particuliers, il y en a pléthore ce qui justifie une édition annuelle.

Ces articles sont classés par grandes régions. Comme articles d'actualité, on notera par exemple la question de l'indépendance de la Catalogne, le cadenas de la frontière franco-italienne entre Menton et Vintimille, ou encore Quel territoire pour les Kurdes dans le conflit syrien ?

Mais l'atlas peut aller chercher des sujets plus exotiques : Ainsi le focus sur le Svalbard (que vous connaissez peut-être sous le nom de Spitzberg), l'extension territoriale de Monaco, l'Uttar Pradesh, le Sahara, front pionnier des chercheurs d'or ou La Californie peut-elle se séparer des États-Unis.

CEs quelques exemples illustrent ce que j'ai trouvé passionnant dans cette atlas : plus encore que pour un atlas traditionnel, l'incitation à tourner la page pour aller voir l'article suivant et être, le plus souvent, surpris. On notera à la fin une petite série de cartes historiques qui sont elles aussi fort intéressantes (par exemple les blessures de la guerre d'Espagne, 80 ans après), ou encore le long dossier de 12 pages sur les tensions de la péninsule arabique.

Ajoutons des cartes de grande qualité, colorées et avec des aplats de couleur qui les rendent très lisibles, et des textes assez précis : l'ensemble est de belle tenue et mérite le détour.

J'attends déjà l'édition 2020. La seule difficulté consistera au fond à posséder une table pluriannuelle des articles car à fore, la collection deviendra très riche...

Atlas géopolitique mondial 2019, sous la direction d'A. Bautzmann, éditions du Rocher, 22,50 €. Vous pouvez l'acheter par exemple ici mais pas chez Amazon car il faut faire un peu de résistance numérique...

O. Kempf

Forum economique rhodanien et Transformation digitale

Je participerai vendredi prochain au Forum Économique Rhodanien (lien), qui rassemble des chefs d'entreprise du grand Rhône (jusqu'en Suisse). Il se tiendra cette année à Divonne les bains.

Le thème de cette année : Transformation digitale et impact sociétal : quels défis ?

J'interviendrai lors d'une table ronde du matin qui aura pour thème : L’industrie et le digital. Mutations industrielles et employabilité du futur.

La participation est gratuite mais il faut s'inscrire ici.

Usages et pratiques sociales de la génération digitale

Poursuivons notre analyse de la transformation digitale, tout d'abord en insistant sur son aspect social, qui précède finalement l'impulsion technologique (nous reviendrons sur celle-ci, il ne s'agit pas de la négliger).

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Beaucoup de commentateurs ont glosé sur la génération Y ou encore celle des millenials. Les mêmes parlent aujourd’hui d’une « génération digitale », traduction de l’américain digital natives. L’académicien Michel Serres en avait eu l’intuition quand il avait écrit dès 2012 un ouvrage sur le sujet . A l’époque, les téléphones avaient encore des claviers et les adolescents pianotaient sans cesse dessus pour s’envoyer des monceaux de textos. Nous sommes entretemps passés aux ordiphones, qui offrent encore plus de fonctions mais qui se commandent toujours du doigt. La génération de "petite Poucette" (l'héroïne de M. Serres) a grandi et s’est étendu à la société entière. Les traits que l’on reconnaît à cette génération digitale ont en fait infusé à toute la société. Les voici car ces pratiques sociales constituent le terreau qui rend possible la transformation digitale.

Nos contemporains veulent ainsi une hyper-connectivité : quel que soit mon emplacement, quelle que soit la situation, l’accès au réseau doit être présent. Cela encourage une mobilité accrue : nous sommes toujours en mouvement, nous voulons tout à portée de main, où et quand nous le souhaitons.

Cet accès permanent au réseau technologique permet l’accès au réseau humain. La société contemporaine est toujours sociale et interconnectée, car nous cherchons à rester en liaison avec ceux qui nous ressemblent ou avec qui nous partageons quelque chose (un centre d’intérêt, une relation d’affaire, …). Cela introduit, du moins en apparence, l’illusion de l’accessibilité et de l’ouverture : le monde entier est à notre portée. Cela étant, ce peut être une illusion. Les réseaux peuvent renforcer au contraire l’effet de club : je ne me connecte qu’avec mes pairs et me désintéresse des autres, au risque de développer une certaine endogamie qui renferme psychologiquement.

La génération digitale serait plus encline au partage, elle aurait un nouveau rapport à la propriété. Il y aurait une distanciation envers la société de consommation, une attirance pour le marché de seconde main et le partage d’un bien sous-exploité. Ceci explique d’une part le développement du marché de la location (la propriété d’un bien n’est plus forcément un signe de statut social élevé), du low-cost, ou encore le succès des plateformes de partage qui permettent d’offrir de nouveaux « biens » qui peuvent être l’usage temporaire d’une chambre de son appartement ou d’une place de sa voiture lors d’un trajet. Cependant, les critiques notent que ces pratiques existaient et étaient hors marché : d’une certaine façon, Blablacar a tué l’autostop, AirBnB les auberges de jeunesse. L’illusion du partage serait en fait l’entrée de logiques capitalistes dans des domaines jusque-là privés.

Autre caractéristique, celle de l’instantanéité. Comme tout est toujours accessible n’importe quand (conséquence de la permanence digitale), alors nous vivons dans l’instant et nous devenons impatients. Notre rapport au temps évolue et nous ne sommes plus capables de « perdre du temps » ou de « prendre le temps de vivre ».

En revanche, l’avantage de cette connexion prolongée est celle de la diffusion accélérée de l’information. Les réseaux sociaux ou les fils de presse des grands médias nous « poussent » sans cesse des informations. Cela étant, l’autorité des grandes instances traditionnelles est contrebalancée par l’autorité des pairs. La connaissance est plus partagée et horizontale.

La génération digitale aurait une quête de sens plus appuyée que ses aînées. Elle cherche donc avant tout un épanouissement (la notion d’expérience que nous avons déjà relevée). Cela affecte le contrat social en général, notamment au travail. Le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) n’est plus requis, le jeune salarié veut la combinaison de plusieurs facteurs : intérêt, rémunération, conditions de travail, libre organisation du temps. Il est d’ailleurs prêt à changer très rapidement de postes et à zapper s’il n’atteint pas ses objectifs. Logiquement, cela entraîne des comportements qui peuvent paraître capricieux ou une intolérance à l’opiniâtreté. Mais cet esprit critique accentué est très exigeant en termes de rapports humains. La hiérarchie n’est plus acceptée en tant que telle, la confiance se mérite mais elle obtient en retour un engagement fort.

O. Kempf

Novaq, forum de l'innovation d'Aquitaine

J’interviendrai demain soir vendredi 14 à une table ronde sur le Cyber à Novaq, le forum de l’innovation organisé par la région Aquitaine, à Bordeaux, hangar 14, dans le cadre de l’université du futur.

Sur le festival : lien ici.

Sur la table ronde cyber, qui sera animée par D. Pourquery, directeur de theconversation : lien ici

A demain !

La montée en puissance du « tout numérique » dans notre environnement et celle de l’intelligence artificielle produisent de la valeur et accélèrent l’économie mondiale. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis qui engagent notre avenir, notre sécurité et qui nous interrogent : Comment aborder cette révolution numérique en tenant compte des nouvelles menaces ? Comment protéger nos intérêts nationaux, industriels et culturels sans renoncer à notre souveraineté numérique ? Comment concilier sécurité numérique et respect des données personnelles ? Trois grands experts de la cyber aborderont ces questions passionnantes de manière simple, à travers des exemples concrets.

Animateur : Didier Pourquery, journaliste et directeur de la rédaction de The Conversation.

Participants à la Table Ronde :

Thierry Berthier Chercheur et expert en cyberdéfense et cybersécurité à l’Université de Limoges

Olivier Kempf Consultant en stratégie cyber et digitale, membre EchoRadar, directeur de la collection cyberstratégie chez Economica, animateur de la lettre stratégique La Vigie

Eric Hazane Cofondateur EchoRadar, membre de la chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr, co-animateur du groupe cybersécurité Hub France IA

Yannick Harrel Responsable de département Cyber chez T&S, membre EchoRadar, membre de la chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr

Questions de la salle

Conclusion Université du Futur

Entrée libre

De retour de la Malmaison

J'ai été visité cet après-midi le château de la Malmaison, ce qui fut une heureuse surprise. Non pas que je sois un bonapartiste caché, loin de là, je n'ai jamais caché mon scepticisme. J'apprécie plus le général que l'empereur, plus Bonaparte que Napoléon, au risque de choquer beaucoup.

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Bref : le château par lui-même n'est pas des plus gracieux. Mais finalement, ce n'est pas le plus important, mais la qualité de ce qu'on y voit. IL est très rare en effet de visiter un château "historique" où l'on ait beaucoup de choses à voir.

Ici, aussi bien l’aménagement des pièces que l'ameublement sont exceptionnels. En effet, tentures, fresques et aménagements des sols, murs et plafonds sont "comme à l'époque", certaines ayant été remarquablement restaurées.

De même, l'ameublement est sinon complètement d'origine (au sens où il aurait été installé dans le château depuis Joséphine de Beauharnais), au moins vient-il des collections de l'empereur, mobilier national ou Fontainebleau (je précise que je n'ai pas visité ce dernier lieu depuis mon enfance, je n'ai donc aucun repère précis de comparaison).

J'ai particulièrement apprécié le "bureau", une sorte de salle de réunion qui reprend l'allure d'une tente, pour rappeler à l'empereur l'atmosphère des campagnes ; et la bibliothèque... parce que c'est une bibliothèque de belle tenue. Quant aux meubles, le style empire règne mais j'ai noté deux pianoforte (j'ai cru comprendre que l'objet était rare) et surtout un très beau billard.

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Enfin, j'ai été surpris par le nombre de tableaux originaux aussi bien de empereur que de l'impératrice ou de la famille. Gérard et David et Girodet à quasi foison : là, c'est exceptionnel de trouver autant de représentations d'époque du héros du lieu dans un même endroit. Je n'ai pas souvenir de quelque chose de similaire....

NB : le troisième étage est consacré à la vie à Sainte-Hélène, passage muséographique original et intéressant.

Bref, une belle visite, qui vous donnera peut-être un but pour la prochaine journée du patrimoine, le week-end prochain.

O. Kempf

Pour un module cybersec dans le SNU

La question du service national universel a suscité quelques débats et beaucoup d'incertitudes. Il reste que la volonté du président de la République a conduit à sa mise en place prochaine, d'autant que son principe devrait être inscrit dans la Constitution, selon le projet de révision en cours d'examen au Parlement (voir ici).

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Il durerait un mois et concernerait toute une classe d'âge, garçons et filles, soit environ 800.000 jeunes âgés de 16 ans. Mais on ne sait pas trop ce qu'il y aura dans ce mois. Il me semble qu'une initiation à la cybersécurité serait un bon élément du programme avec des avantages multiples : développons.

En effet, il y a beaucoup d'incertitudes concernant le contenu de ce mois. On parle du BAFA (attention, pas GAFA), d'instruction civique et d'initiation aux premiers secours. Cela paraît un peu maigre.

Or, une initiation aux gestes et pratiques de la cybersécurité constituerait une formidable initiative. D'abord parce que la population française est très mal éduquée à l'hygiène numérique ; ensuite parce que les jeunes que l'on vise sont depuis leur plus tendre enfance imprégnés de culture digitale (on parle bien de "génération digitale") : ils n'en connaissent que les usages et avantages, mais personne ne leur parle des dangers et des risques.

Enfin, une telle initiative donnerait une couche incontestablement moderne à ce service national qui sinon aurait du mal à se distinguer de l'association patriotique mélangée à de l'apprentissage aux premiers secours : très bien, fort utile mais un peu compassé.

Avoir un module de deux à cinq jours d'initiation à la cybersécurité rendrait incontestablement la nation plus résiliente. Au fond, il y aurait un côté "défense" dans ce service sans que pour autant cela pèse sur les militaires, qui ont bien d'autres missions à accomplir. Enfin, l'image projetée à l'international serait remarquable et nul doute que nous serions rapidement imités : cela entrerait parfaitement dans la stratégie numérique exposée par le PR dans son discours de la Sorbonne.

Accessoirement, les jeunes deviendraient rapidement des prescripteurs auprès de leur entourage qui considère la cybersécurité avec "distance". La diffusion d'une culture cyber serait facilitée.

Ajoutons enfin que pour mettre en place cet enseignement, il faudrait développer un corps d'instructeurs qui pourraient rapidement devenir des professionnels travaillant au profit des PME, qui constituent aujourd’hui le maillon faible de notre dispositif. Or, les PME ne peuvent pas se payer des RSSI à plein temps. En revanche, prendre appui sur un réseau de professionnels indépendants et proches de ces entreprises (or, comme le SNU sera réparti sur tout le territoire, il faudra des instructeurs répartis également partout) devrait permettre là encore d'améliorer les choses.

Dernière cerise sur le gâteau : le développement de cette cohorte de professionnels permettrait d'alimenter les besoins des armées (mais à terme des grandes administrations nationales ou territoriales) en réservistes cyber, y compris opérationnels. Cela renforcerait les armées et donc la défense de la Nation, ce qui est normalement l'intérêt d'un Service national. La boucle serait bouclée...

Autrement dit, un module Cybersécurité au sien du SNU pourrait déclencher un cycle extrêmement vertueux et utile qui légitimerait encore plus ce SNU, encore aujourd'hui controversé.

O. Kempf

Définir la Transformation digitale

Il est temps désormais de proposer une définition de la transformation digitale.

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La transformation digitale est un processus utilisant de nouvelles technologies informatiques mobilisant des usages mobiles à grande échelle et très simples, ce qui procure un levier de puissance par la maîtrise de très gros volumes de données.

Cette définition nécessite quelques précisions de vocabulaire.

Digital ou numérique ?

Le lecteur aura pu s’agacer de notre utilisation du mot digital. En effet, la traduction française de l’américain digital est « numérique ». Pour être puriste, il faudrait donc parler de transformation numérique. Pourtant, ce n’est pas notre choix ce qui mérite quelques explications. Constatons tout d’abord que l’origine du mot américain vient du latin digit, le doigt. En effet, on comptait à l’origine sur ses doigts, ce qui explique l’association du mot à la notion de chiffre. Cette racine latine fait que le mot digital possède aussi un sens en français : ce qui est lié au doigt. Le français peut ainsi utiliser les deux mots : digital et numérique.

Pourquoi dès lors choisir l’un plutôt que l’autre ? Selon nous, le numérique est centré sur la technologie, le binaire (0 et 1), l’informatique, la dématérialisation. Le numérique indique une approche qui est d’abord technicienne. Or, le lecteur l’aura sans doute remarqué, ce n’est pas ce qui nous semble caractériser d’abord la transformation digitale. D’un autre côté en effet, le digital indique l’attention portée au le doigt, à l’écran tactile, donc à l’usage, donc à l’individu. L’adjectif digital suggère ici la prééminence du facteur social et humain de la TD, bien plus que sa caractéristique technicienne.

Ceci nous conduit à discuter justement l’expression de transformation digitale.

D’abord digital, ou d’abord transformation ?

La transformation digitale n’est-elle pas un effet de mode ? S’agit-il d’une tendance de fond, de l’établissement d’un nouveau standard ? Ne s’agit-il pas simplement d’une simple évolution technologique ?

Posons que le mot le plus important est celui de transformation : en effet, la transformation digitale est fondée sur la transformation des pratiques et des comportements, individuels et collectifs. Elle entraîne la transformation des organisations et notamment des entreprises mais aussi des administrations et autres ONG. Il ne s’agit donc pas d’une simple adaptation, d’une évolution techno-économique : c’est plus profond.

C’est pourquoi le mot important n’est pas digital, c’est bien transformation. Ne voir dans la TD qu’une vague technologique omettrait une part importante du phénomène. Pour autant, il va de soi qu’il a été rendu possible grâce aux conditions technologiques.

Digitalisation, ou transformation digitale ?

Souvent, certains parlent de digitalisation. L’inconvénient de ce mot teint à ce qu’il suggère qu’il ne s’agit que d’un processus technique, et non pas d’un phénomène plus large qui modifie non seulement les organisations mais aussi les comportements. D’ailleurs, la traduction de l’anglais digitalization est bien la numérisation : il s’agit du processus qui consiste à transformer une information analogique en information numérique. Cela peut toucher les documents (la numérisation des fichiers papiers, ce qu’on appelle la dématérialisation), mais aussi des processus plus complets (sans pour autant que l’on touche à la structure du processus.

Or, cette numérisation a déjà été mise en œuvre dans le passé. Cela fait plusieurs décennies que les entreprises et organisations se sont engagées dans des processus d’informatisation qui consistent, principalement, en une digitalisation de leurs activités. C’est pourquoi le mot de digitalisation ne rend pas compte exactement de la charge transformante de la TD. Les deux mots ne sont donc pas synonymes.

Transformer : mais quoi ?

Si le mot important est donc la « transformation », il vient immédiatement la question : quoi transformer ?

Il peut s’agir tout d’abord de transformer un processus professionnel, quitte à le désarticuler ou à proposer une nouvelle approche. Par exemple, un carnet de véhicule peut à la fois contenir des informations administratives (sur l’utilisation du véhicule, les responsables de son emploi), des informations de localisation (le véhicule est allé tel jour de tel endroit à tel autre) et des informations techniques (nombre de kilomètres parcourus, carburant consommé). Ce qui tenait dans une carnet papier, remarquable de simplicité il y a cinquante ans, n’a pas forcément besoin d’être mis sur la même application. On peut ainsi imaginer un processus administratif (tel responsable donne l’instruction à tel agent d’utiliser tel véhicule pour telle mission), un processus d’enregistrement de la localisation (grâce aux systèmes GPS qui sont aujourd’hui extrêmement courants), enfin un processus d’enregistrement des données techniques. Or, ces trois processus ne nécessitent pas forcément le même outil informatique ni le même capteur. On pourra ici utiliser un système propre à l’organisation, là une application utilisable par l’ordiphone personnel de l’agent, là enfin installer un dispositif de recueil des informations techniques sur les véhicules de la flotte.

Dès lors, la transformation digitale va toucher toutes les organisations : civiles (entreprises, ONG) ou publiques (administrations, collectivités locales, services publics divers). Les modalités seront différentes à chaque fois mais les principes demeureront, sachant que de toute façon, la transformation digitale suppose une adaptation au cas d’espèce.

Cela étant, cette transformation est double. Elle provient d’une part des nouvelles sociétés qui se placent d’emblée sous les principes de fonctionnement de cette transformation digitale : pour elle, tout est apparemment facile puisqu’elles partent de rien et que leur objet consiste précisément à défier les situations existantes, à trouver de nouveaux modèles économiques. Il s’agit évidemment des jeunes pousses (start-up en anglais), dont l’éclosion constitue le plus puissant levier de changement. Elle affecte d’autres part les sociétés existantes, qui font face à cette nouvelle concurrence, exacerbée et avec de nouvelles règles qui passent outre les barrières à l’entrée traditionnelles. C’est d’ailleurs cette vaste impulsion d’adaptation de sociétés « brick and mortar » au « clic and mortar » ,qui fait de la transformation digitale un mouvement massif depuis 2013 et 2014. Les organisations publiques s’y sont mises à leur suite car chacun comprend bien que l’adaptation est un gage de survie.

Ceci introduit la possibilité d’un changement systémique de la société. Constatons que la diffusion des ordiphones a d’ores et déjà modifié en profondeur les pratiques sociales de nos contemporains. Notre rapport aux autres s’en trouve modifié en profondeur, que nous en ayons consciences ou non. D’ailleurs, de nouveaux problème surgissent, notamment dans la sphère politique (débat en Amérique et en Europe sur les fausses nouvelles et les manipulations de l’information, mais aussi apparition en Chine d’un contrôle social des populations).

La transformation digitale s’applique donc à plusieurs niveaux, suivant le degré de focalisation que l’on recherche.

O. Kempf

Israel, l'obsession du territoire (J. Fuentes-Carrera)

Comment parler géopolitiquement d'Israël sans verser dans la montée très rapide à l'émotion, à l’idéologie, à la polémique, aux accusations ?, Peut-être en revenant à une analyse géopolitique fondée sur la géographie et faire travailler un auteur mexicain, assez éloigné donc des clivages émotifs du sujet. C'est ce mélange inédit qui nous propose ce livre rare et indispensable permettant un regard enfin distancié sur la question israélo-palestinienne.

Il faut dire que l'auteur est accompagné d'un des plus grands géographes français, Philippe Subra. Cela aide évidemment à apporter distance et rigueur d'analyse mais aussi expérience géographique.

Au fond, toute la stratégie territoriale d'Israël ne se réduit pas au territoires occupés ni à la construction du mur, ce à quoi on la réduit trop souvent. L’intérêt du livre consiste à montrer que le principal angle de compréhension est ce que nous appelons en France "l'aménagement du territoire". Cet angle, plus neutre, laisse toutefois apparaître une politique presque séculaire puisque remontant à la période pré-étatique, de 1890 à 1948.

Le livre montre ainsi la fabrication de frontières à l'intérieur d'Israël (dès avant le Mur) - chap 1 ; tout le travail de colonisation, d'aménagement et de maîtrise de l'espace (chap 2); que cette politique d'aménagement israélienne, ne cache pas de profondes division juives (chap 3); le livre s'attarde ensuite sur le système électoral (chap 4) puis sur Rawabi, "la ville du futur" palestinienne, (chap 6).

Bref, au-delà des guerres et des conflits, au-delà des murs et des "colonies", le livre montre aussi l'évolution des réseaux routiers ou des découpages administratifs, ou encore les séparations de communautés entre centres et périphéries des villes israéliennes.

L'ensemble dresse un tableau particulièrement instructif, sourcé et académique (je n'ose dire neutre), qui démontre une permanence des objectifs territoriaux de l’État d'Israël, confronté à une exiguïté qui rend cette question des limites essentielle. On en déduit logiquement que ce qui n'était qu'un moyen est devenu une fin en soi et que l'extension des frontières va de pair avec un enfermement psychologique et obsidional.

On note également la question de la densité démographique (et des zones désertiques), ou encore de la lutte pour les ressources en eau, avec un déterminant environnemental qui prend une importance croissante. Autant de sujets "techniques" qui militent pour des décisions "techniques", celles-ci contribuant, "par hasard" à concourir à un plan plus général d’occupation de l'espace.

L'ouvrage est illustré de très nombreuses cartes originales qui accompagnent le texte et le rendent intelligible. Voici donc un livre indispensable et distancié, loin des anathèmes habituels sur le sujet, mais qui permet de se construire son opinion : Désaltérant. A recommander chaudement.

Julieta Fuentes-Carrera (avec la collaboration de Philippe Subra, Israël, l'obsession du territoire, Armand Colin, 2018, 222 p. Lien éditeur

O. Kempf

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