Valérie Pécresse, candidate LR-UDI-MoDem aux élections régionales en Île de France vient d’avoir une brillante idée que Le Point qualifie même “d’idée choc” :
Valérie Pécresse (Les Républicains) a lancé jeudi la proposition « un peu iconoclaste » de faire interdire les « délinquants multirécidivistes » dans les transports en commun […]. « Je ferai de la lutte contre la fraude dans les transports ma priorité avec la proposition un peu iconoclaste d’interdire dans les transports en commun les délinquants multirécidivistes », a indiqué la tête de liste de la droite pour les élections régionales en Ile-de-France.
« L’idée serait de modifier la loi pour que le juge puisse prononcer une peine complémentaire pour les délinquants multirécidivistes, par exemple les pickpockets dans le métro, pour qu’on puisse les interdire de revenir dans le métro, un peu comme les interdictions de stade pour les hooligans », a précisé Valérie Pécresse, qui présentait son programme devant la presse. « Les services de sécurité arrivent à reconnaître les pickpockets quand ils sont sur les voies. Simplement, on les reconnaît, mais on ne peut rien faire », a-t-elle ajouté, précisant qu’« un pickpocket dans le métro, c’est 1 000 actes par an ».
Passons sur cette dernière statistique estampillée Institut National de Pifométrie (rappelons qu’en 2014, la justice a jugé 83492 vols, recels, destructions et dégradations tout confondu[1], visiblement, une poignée de pickpockets en font la quasi totalité), passons sur le fait que la Région n’a aucune compétence en matière législative, domaine du Parlement. Ce n’est pas comme si madame Pécresse était députée et pouvait donc en tant que telle déposer une telle proposition de loi plutôt qu’en faire un argument électoral. Cela n’a aucune importance, car devinez quoi ? La loi permet déjà de prononcer une telle mesure. Même sans attendre qu’ils soient récidivistes (je me demande d’ailleurs pourquoi ce laxisme chez Mme Pécresse). C’est l’article 132-45, 9° du code pénal, qui peut être prononcé comme modalité d’un sursis avec mise à l’épreuve (l’interdiction de paraître dans les transports en commun ne peut être prononcée comme accessoire d’une peine d’emprisonnement ferme, l’incarcération impliquant l’interdiction de paraître en tout lieu autre que son établissement pénitentiaire), ou… d’une contrainte pénale.
Alors, madame Pécresse, on dit merci Mme Taubira, et on se concentre sur ce qui relève du domaine de la région.
La tête de liste LR-UDI-MoDem aux régionales a par ailleurs développé son plan pour « des lycées sans drogue ». « Je me considère comme responsable vis-à-vis des parents, je veux des lycées sanctuaires », a-t-elle expliqué, en détaillant son plan de lutte : le financement par la région de tests de dépistage que serait chargé d’organiser un « référent addiction » dans les lycées, uniquement si le conseil d’administration donne son accord.
« Les résultats ne seront communiqués qu’au lycéen et à ses parents s’il est mineur », a ajouté Valérie Pécresse.
« Le proviseur aura l’information sur la classe. S’il s’aperçoit qu’il y a une trop grosse consommation de drogue dans la classe, il peut déclencher le plan anti-dealer avec vidéo-protection, intervention éventuelle de la police nationale à l’entrée du lycée pour fouiller les cartables et empêcher les dealers de pénétrer dans le lycée. »
Hmmm… Finalement, il vaut peut-être mieux pas.
Communiquer les résultats au lycéen est une bonne idée, mais quelque chose me dit qu’il était déjà au courant. Et s’il est majeur, lui seul en est informé. Bien bien bien. Heureusement que ces dépistages en masse ne coûteront rien, n’est-ce pas ?
J’aime beaucoup le plan anti-dealer, avec fouille des cartables, et intervention de la police pour empêcher les dealers d’entrer dans l’établissement (merci à eux de ne pas oublier d’amener leur pancarte “Je suis un dealer” pour faciliter le travail de la police). Je ne doute pas que les lycéens, qui ne se fournissent jamais ailleurs que dans leur bahut, ne trouveront jamais la parade diabolique qui consiste à se fournir ailleurs et à planquer leur shit autre part que dans leur cartable.
L’affaire de la condamnation de Jacqueline Sauvage en décembre dernier, et de la grâce partielle dont elle vient de faire l’objet provoque beaucoup de commentaires, laudatifs ou non, et surtout beaucoup d’interrogations sur cette affaire, qui est présentée hélas avec beaucoup de complaisance sur certains médias. Quand une affaire devient le symbole d’une cause, ce n’est jamais bon signe pour la personne jugée, qui passe trop souvent au second plan. Faisons donc un point sur cette affaire et sur la situation de cette dame, qui n’est pas simple.
Les faits remontent au 10 septembre 2012, quand Jacqueline Sauvage abat son mari Norbert Marot de trois balles de fusil de chasse, tirées dans son dos. Elle expliquera avoir agi ainsi pour mettre fin à l’enfer que lui faisait vivre son mari, et ce depuis 47 ans, s’en prenant régulièrement à elle mais aussi aux trois filles qu’ils ont eu ensemble. Ces trois filles d’ailleurs soutiendront sans faille leur mère et confirmeront le caractère violent de la victime, que personne n’a jamais contesté au demeurant. Incarcérée dans un premier temps, elle est remise en liberté et comparaît libre devant la cour d’assises d’Orléans en octobre 2014. Elle est déclarée coupable de meurtre aggravé (car sur la personne du conjoint) et condamnée à 10 ans de prison et aussitôt incarcérée, la condamnation à de la prison ferme par la cour d’assises valant de plein droit mandat de dépôt. Elle a fait appel de cette décision, et le 4 décembre 2015, la cour d’assises d’appel de Blois confirme tant la condamnation que la peine.
Pourquoi diable deux cours d’assises ont-elles condamné Jacqueline Sauvage à cette peine, ce qui suppose, pour être précis, que sur les 15 jurés populaires et 6 juges professionnels ayant délibéré, en appliquant les règles de majorité qualifiée, au moins 14 aient voté la culpabilité, et 12 la peine de 10 ans d’emprisonnement[1] ? Comment expliquer une peine aussi lourde pour une femme expliquant être la victime d’un tyran domestique violent et ayant même agressé sexuellement leurs filles ?
Parce que l’examen des faits provoque quelques accrocs à ce récit émouvant. Sans refaire l’ensemble du procès, le récit des faits présenté par l’accusée lors de son interpellation a été battu en brèche par l’enquête (aucune trace des violences qu’elle prétendait avoir subi juste avant, hormis une trace à la lèvre, aucune trace dans son sang du somnifère qu’elle prétendait avoir pris, l’heure des faits ne correspond pas aux témoignages recueillis). De même, s’il est établi que Norbert Marot était colérique et prompt à insulter, les violences physiques qu’il aurait commises n’ont pas été établies avec certitude. Si l’accusée et ses trois filles ont affirmé leur réalité, en dehors de ce cercle familial, aucun voisin n’a jamais vu de coups ni de traces de coups, et les petits-enfants de l’accusée ont déclaré n’avoir jamais vu leur grand-père être physiquement violent avec leur grand-mère. Aucune plainte n’a jamais été déposée, que ce soit pour violences ou pour viol. Une des filles du couple expliquera avoir fugué à 17 ans pour aller porter plainte, mais avoir finalement dérobé le procès verbal et l’avoir brûlé dans les toilettes de la gendarmerie. Mais aucun compte-rendu d’incident n’a été retrouvé. De même, le portrait de Jacqueline Sauvage, femme sous emprise et trop effrayée pour porter plainte et appeler à l’aide ne correspond pas au comportement de l’accusée, qui a par exemple poursuivi en voiture une maitresse de son mari qui a dû se réfugier à la gendarmerie, qui a été décrite comme autoritaire et réfractaire à l’autorité des autres par l’administration pénitentiaire durant son incarcération. Une voisine a même déclaré à la barre avoir vu Jacqueline Sauvage gifler son mari. Dernier argument invoqué par les soutiens de l’accusé : le suicide du fils du couple, la veille des faits, qui aurait pu faire basculer Jacqueline Sauvage, mais il est établi qu’elle ne l’a appris qu’après avoir abattu son mari. Ajoutons que le fusil en question était celui de Jacqueline Sauvage, qui pratiquait la chasse.
Tous ces éléments et d’autres encore débattus lors des deux procès expliquent largement la relative sévérité des juges. Ajoutons à cela qu’en appel, la défense de Jacqueline Sauvage a fait un choix audacieux et dangereux : celui de plaider l’acquittement sur le fondement de la légitime défense, à l’exclusion de toute autre chose. Or il est incontestable que les conditions juridiques de la légitime défense n’étaient pas réunies, faute de simultanéité entre l’agression (dont la réalité était discutable) et la riposte, et la proportionnalité de celle-ci (trois balles dans le dos, contre un coup au visage). Pour pallier cette difficulté, la défense invoquait le syndrome des femmes battues, traumatisme psychologique empêchant la prise de décisions rationnelles, mais sans avoir cité le moindre expert psychiatre à l’appui de cette thèse. Cette stratégie n’a pas payé, puisque l’avocat général a été suivi dans ses réquisitions. Et c’est là que le bat blesse.
Dans ses réquisitions, à l’appui de la peine qu’il demandait, l’avocat général a usé d’un argument puissant sur l’esprit des jurés : il leur a indiqué la date probable de sortie de l’accusée en annonçant qu’elle se situerait, en suivant ses réquisitions et avec le jeu des réductions de peine et de la libération conditionnelle, environ un an après le procès (il a donné la date de janvier 2017). Les jurés sont sensibles à ce critère, qui est dans leur esprit l’effet réel de leur décision, le passé ne comptant guère pour eux dans une affaire qu’ils découvrent à l’audience. Fatalitas, cette information était erronée, et fatalitas fatalitatum, la défense, les yeux fixés sur l’acquittement, n’a pas rectifié cette erreur.
Le droit de l’application des peines est un droit technique, complexe, et méprisé par l’opinion publique et les politiques, la première n’y voyant qu’une expression du laxisme et les seconds, un moyen de gérer le stock des détenus sans avoir à financer de nouveaux établissements. Alors que son fondement, et son utilité, réelle, est de réinsérer et de prévenir la récidive, bref, de protéger la société. On ne manque jamais de fustiger ses échecs, mais le taux de récidive des détenus ayant pu bénéficier de l’adaptation de leur peine aux circonstances postérieures à leur condamnation est bien plus bas que ceux n’ayant pu en bénéficier. Ce n’est pas l’empilement des lois sécuritaires inutiles qui lutte vraiment contre la récidive. Ce sont les juges des applications des peines, et leurs petites mains, les conseillers d’insertion et de probation.
Peu d’avocats s’y connaissent en la matière, tant il est vrai que les détenus n’ont pas le réflexe de faire appel à un avocat pour gérer l’après condamnation. Et c’est un tort, car l’application des peines peut permettre de sauver une affaire où on s’est pris une mauvaise décision. Et même chez les magistrats, ceux qui n’ont pas été juges de l’application des peines ou procureur à l’exécution des peines n’ont de ce droit que des notions et n’ont pas les réflexes que seule donne la pratique quotidienne de cette matière.
Démonstration ici.
Quand une peine de prison ferme est amenée à exécution, on lui applique un crédit de réduction de peine (CRP). Depuis 2004, ces réductions de peine n’ont plus à être prononcées par le juge de l’application des peines (JAP), mais il peut les retirer en cas de comportement problématique du détenu. Cela a soulagé leur charge de travail, ils ne passent plus des heures à signer des ordonnances de réduction de peine, mais n’interviennent qu’en cas de retrait. Ce crédit, prévu par l’article 721 du code de procédure pénale, est de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes, et pour les fractions inférieures à un an, de 7 jours par mois, dans la limite de deux mois. Si le détenu manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale (notamment par des études ou des formations qualifiantes en détention), le juge de l’application des peines peut lui accorder des réductions de peine supplémentaires (RPS) dans la limite de 3 mois par an et de 7 jours par mois pour les fractions inférieures. Et quand le détenu arrive à mi-peine, il peut demander à bénéficier d’une libération conditionnelle, c’est à dire de finir de purger sa peine en liberté, en étant suivi régulièrement par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et en étant contraint de se soumettre à des obligations (comme le port d’un bracelet électronique) et interdictions (comme de quitter son domicile en dehors de certaines plages horaires) dont la violation peut entraîner (et de fait entraîne très facilement) son retour en détention.
Jacqueline Sauvage avait effectué au jour du verdict d’appel 32 mois de détention (j’arrondis). Or je ne vois pas comment l’avocat général pouvait arriver à janvier 2017. Le calcul est le suivant : condamnée à 10 ans le 4 décembre 2015, fin de peine le 4 décembre 2025. Application des crédits de réduction de peine : 3 mois + 9 fois deux mois soit 21 mois, fin de peine le 4 mars 2024. Puis on impute les 32 mois de détention provisoire, fin de peine le 4 juillet 2021. Ça fait une mi-peine mi septembre 2018. Certes, elle peut bénéficier jusqu’à 30 mois de réduction de peine supplémentaire, mais c’est un peu audacieux de supposer qu’elle les aura, rapidement qui plus est, et de calculer ses réquisitions sur cette hypothèse.
D’autant qu’un deuxième obstacle surgit.
Nous sommes dans une affaire de meurtre aggravé. Or pour ce crime, la période de sûreté de l’article 132-23 du code pénal, qui interdit toute mesure de remise en liberté, y compris la moindre permission de sortie, avant un délai égal à la moitié de la peine prononcée, hors réduction de peine, s’applique automatiquement… dès que le quantum de la peine atteint 10 ans. Si la cour avait prononcé une peine de 9 ans, 11 mois et 29 jours, le calcul de l’avocat général, pour hypothétique qu’il fût, se défendait. Mais à 10 ans, il ne tient plus. Il y a 5 ans de période de sûreté, donc il reste 28 mois d’emprisonnement sec inévitables (5 ans font 60 mois, moins 32 mois déjà effectués). Puis ce délai d’épreuve expiré, seulement alors la libération conditionnelle peut s’envisager, avec généralement des phases préparatoires de permissions de sortie suivies de retour en détention. En tout état de cause, la libération conditionnelle ne pouvait intervenir avant avril 2018. Enfin, ne pouvait : en droit, l’impossible est rare (demandez à mes clients…). On peut demander à être relevé de la période de sûreté par le tribunal de l’application des peines (la cour peut aussi décider de la lever, l’abréger ou au contraire la prolonger mais la question ne semble pas avoir été posée), et d’ailleurs Jacqueline Sauvage avait d’ores et déjà saisi ce tribunal, mais obtenir un tel relevé quelques mois après la décision d’appel, confirmative qui plus est, était une gageure.
C’est en cet état que la grâce présidentielle entre en scène.
La grâce est un pouvoir que la Constitution donne au président de la République (article 17) soumis au contreseing du premier ministre et du ministre de la Justice (art. 19). Son effet est précisé aux articles 133-7 et 133-8 du code pénal : elle est une dispense d’exécuter la peine mais laisse subsister la condamnation, qui figure telle quelle sur le casier, peut constituer le premier terme de la récidive, et ne fait en rien obstacle aux droits des victimes d’être indemnisées. Il est rarement utilisé depuis la réforme constitutionnelle de 2008 qui a mis fin aux grâces collectives traditionnellement prises le 14 juillet. Il ne reste que des grâces individuelles.
Le droit de grâce jouait un rôle considérable à l’époque où la peine de mort était en vigueur, grâce qui pour le coup était une dispense d’exécution au sens propre. Toutes les condamnations à mort étaient soumises au président de la République, donc il n’est pas une exécution capitale qui n’ait été validée par le président en exercice. Depuis l’abolition, elle a perdu de son intérêt, et chacun de ses rares usages entraîne le même rappel de l’origine monarchique de ce pouvoir, comme si c’était un argument pertinent. Le droit de grâce existe dans la plupart des démocraties, notamment aux États-Unis, en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni, et j’en passe. C’est un contre-pouvoir, et les contre-pouvoirs sont toujours heureux en démocratie. Il n’est pas discrétionnaire puisqu’il est soumis à contreseing et que le premier ministre peut s’y opposer en refusant le contreseing. La grâce a un effet très limité : une dispense d’exécuter tout ou partie d’une peine, sans la faire disparaître, contrairement à l’amnistie, qui pose plus de problèmes, mais n’a plus été utilisée depuis 2002 et semble promise à une quasi-désuétude. Il n’est pas scandaleux que la plus haute autorité de l’État puisse imposer la clémence, du moment qu’il ne peut en aucun cas imposer la sévérité (contrairement au roi qui lui, pouvait prendre un jugement d’acquittement et le transformer en condamnation à mort, ce qui bat en brèche l’argument du résidu monarchique), et cette affaire en est une bonne illustration. On l’a vu, si le principe de la condamnation de Jacqueline Sauvage souffre peu la discussion, n’en déplaise aux militants d’une cause qui dépasse l’accusée, le quantum de la peine semble avoir été décidé par une cour d’assises mal informée sur la portée réelle d’une telle peine. Or il n’existe à ce stade aucune voie de recours sur ce point. La révision n’est possible qu’en cas d’éléments remettant en cause la culpabilité. La peine n’est plus soumise à discussion. Le droit de grâce est la seule échappatoire. Ne nous privons pas de ce garde-fou.
Ainsi, le président de la République a décidé d’accorder à Jacqueline Sauvage une grâce partielle qui, nous allons voir, prend précisément en compte les éléments qui ont vraisemblablement échappé à la cour. La grâce porte en effet sur 2 ans et 4 mois, et sur l’intégralité de la période de sûreté. Ainsi, l’erreur des dix ans est (partiellement, on va voir) corrigée et la période d’épreuve de 5 ans ne s’applique plus, ce qui n’a rien de scandaleux puisque l’avocat général lui-même n’a jamais envisagé qu’elle s’appliquât. La grâce de 2 ans et 4 mois rapproche la fin de peine à début mars 2019, et la mi-peine à janvier 2018, cette date pouvant encore se rapprocher par l’effet de réductions de peine supplémentaires. C’est pourquoi à ce stade j’avoue mon incompréhension quand j’entends parler de perspectives de libération dès avril prochain. Outre un obstacle juridique supplémentaire certain, j’y arrive, en l’état, un retour à la liberté me paraît difficilement envisageable avant un an, quand le reliquat de 2 ans lui permettra d’obtenir un placement à l’extérieur lui permettant de purger sa peine sans être détenue (comme ce dont a bénéficié Jérôme Kerviel, qui n’a été détenu que 150 jours sur une peine de 3 années), conformément à l’article 723-1 du code de procédure pénale, avant d’enchaîner sur la libération conditionnelle. Quelque chose doit m’avoir échappé, et je ne doute pas que des lecteurs plus éclairés que moi pointeront mon erreur dans les commentaires, et je vous mettrai les explicitation dans un paragraphe inséré ci-dessous.
Paragraphe inséré : la clé de l’énigme se trouve aux articles 720-2 et 732-7 du code de procédure pénale. Le premier exclut toute mesure de sortie pendant la période de sûreté sauf le placement sous bracelet électronique (on parle de placement sous surveillance électronique). Le second permet d’ordonner un placement sous surveillance électronique probatoire un an avant la fin de la période de sureté. Ce qui ouvrait la possibilité de libération sous surveillance électronique un an avant la fin de la période de sureté en avril 2018, soit avril 2017. L’erreur de l’avocat général n’est donc plus que de 3 mois, ce qui n’est pas si mal vu les céphalées que ce billet est en train de me donner. L’obstacle de la période de sureté étant levé, et une grâce portant sur 2 ans et 4 mois, ça fait 35 mois à effectuer, soit 17,5 mois pour la mi-peine, donc liberté conditionnelle possible en avril 2017, et placement sous surveillance électronique probatoire en avril 2016, nous voilà retombés sur nos pieds.
Un autre obstacle se dresse encore devant la porte de la prison de Jacqueline Sauvage. L’article 730-2 du code de procédure pénale, créé par une des lois sécuritaires de l’ère Sarkozy, celle instituant aussi les jurés en correctionnelle, une autre grande réussite, impose que les personnes condamnées à 10 ans ou plus pour un des crimes mentionnés à l’article 706-53-13, liste créée par une autres des lois sécuritaires de l’ère Sarkozy, celle créant la rétention de sûreté, liste où figure le meurtre aggravé, que ces personnes donc fassent l’objet d’un double examen devant la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. C’est la loi. Et la grâce présidentielle s’applique au temps de détention mais pas aux mesures de sûreté entourant la remise en liberté. Donc, quand bien même une remise en liberté pourrait s’envisager dès avril, en pratique, il est impossible que ces examens aient lieu dans un laps de temps aussi bref. Mon confrère Étienne Noël, bien meilleur spécialiste que moi en matière pénitentiaire, évalue ce délai à neuf mois au moins, et je lui fais confiance.
Je vous avais dit que le droit de l’application des peines était un droit technique ; et encore, je n’ai abordé que la surface de la matière, et je crains d’avoir déjà été indigeste. C’est une des matières liées au pénal la plus touchée par l’empilement sans rime ni raison de textes sécuritaires votés pour des effets d’annonce, sans recherche d’une cohérence et d’une lisibilité qui seraient pourtant de bon aloi, aboutissant à des usines à gaz que même les professionnels maitrisent mal, hormis ceux plongés dedans au quotidien. C’est un retour de bâton que se prennent les politiques, quand leur monstre de Frankenstein se retourne contre eux en frappant une personne, ici Jacqueline Sauvage, à cent mille lieues du profil rêvé du criminel d’habitude caricatural qu’ils ont à l’esprit. Je vous présente la réalité. Elle a toujours plus d’imagination que le législateur.
[1] En première instance, 6 jurés et 3 juges siègent, et il faut que la culpabilité soit votée par 6 voix au moins, la peine étant décidée à la majorité absolue, soit 5 voix moins ; en appel, la culpabilité doit être votée par 8 voix au moins des 9 jurés et 3 juges, et la peine l’est à la majorité absolue, soit 7 voix.
Le hasard de mes lectures m’a fait découvrir un fort beau texte écrit par Eduardo Juan Couture Etcheverry (1906-1956), juriste uruguayen et doyen de l’Udelar, l’Université de Montevideo, qui est le décalogue de la profession d’avocat. Ses conseils sont aussi juste qu’ils l’étaient il y a 60 ans et le seront encore dans mille ans et sont pour la plupart aussi valables pour ceux qui embrassent la profession de magistrat. La traduction est de votre serviteur. Il se compose de 10 verbes à l’impératif. Le tutoiement est d’origine et est naturel en espagnol.
Aime ta profession. Tâche d’exercer le barreau de telle façon que le jour où ton enfant te demandera conseil pour choisir sa future profession, tu considères comme un honneur de lui proposer de devenir avocat.
Étudie. Le Droit se transforme constamment. Si tu ne suis pas son pas, tu seras chaque jour un peu moins avocat.
Combats. Tu dois lutter pour le Droit, mais le jour où il sera en conflit avec la Justice, choisis toujours le camp de la Justice.
Oublie. Le barreau est une lutte de passions. Si à chaque bataille tu chargeais ton âme de rancœur, un jour viendrait où la vie te sera devenue impossible. Une fois le combat achevé, oublie aussi vite ta victoire que ta défaite.
Pense. Le Droit s’apprend en étudiant, mais il se pratique en pensant.
Sois loyal. Loyal avec ton client, que tu ne dois pas abandonner sauf si tu réalises qu’il est indigne de toi. Loyal avec ton adversaire, même s’il est déloyal avec toi. Loyal avec le juge, qui ignore les faits et doit pouvoir se fier à ce que tu lui dis, et qui s’agissant du droit, doit pouvoir se fier à ce que tu invoques. Tâche d’être loyal avec tout le monde et tout le monde tâchera d’être loyal avec toi.
Aie la foi. La foi dans le Droit comme le meilleur instrument pour la cohabitation des humains, dans la Justice, comme destination naturelle du Droit, dans la Paix, comme soutien bienveillant de la Justice ; et surtout aie foi en la liberté, sans laquelle il n’est ni Droit, ni Justice, ni Paix.
Aie patience. Le temps se venge des choses qui se font sans sa collaboration.
Tolère. Tolère la vérité des autres dans la même mesure que celle dont tu souhaites que la tienne soit tolérée.
Travaille. Le barreau est une dure tâche car il est au service de la Justice.
Pas de vacances pour les démagogues, qui profitent toujours du calme de l’actualité politique pour exercer leur passion : montrer leur tête à la télé.
Dans ce rôle où pourtant il ne nous avait pas trop habitué se trouve Thierry Solère, qui a fait usage du droit que lui donne sa fonction de député pour aller visiter un établissement pénitentiaire, ce qui est sur le principe une excellente idée. Il a opté pour Fleury-Mérogis, ce qui en est une meilleure encore, tant la situation du plus grand centre pénitentiaire d’Europe est préoccupante, quand bien même une longue période de travaux vient de s’achever qui a donné une nouvelle jeunesse à cette prison qui en avait bien besoin, du fait de son taux d’occupation. De fait, ce gouvernement, présenté de manière pavlovienne comme laxiste, détient le record du nombre de personnes détenues. Mais personne n’a jamais accusé l’opposition de nourrir une passion dévorante pour les faits.
Comme c’était prévisible, il en est sorti indigné. Hélas pas pour ce qu’on aurait pu croire, c’est le sort d’UN détenu parmi les 4000 (pour 2855 places) qui l’a ému, et parce que ses conditions de détention serait, on a du mal à le croire en l’écrivant, trop bonnes. Tout s’explique par la personne du détenu en question, Salah Abdeslam, suspecté d’avoir pris part à l’organisation et à la commission des attentats du 13 novembre dernier[1].
Fleurant le bon coup médiatique et ne voulant laisser à personne d’autre le soin de dire des âneries dans un micro, Éric Ciotti a sauté sur l’occasion pour s’indigner encore plus fort. Il faut dire qu’il joue sur du velours : l’horreur qui nous a saisis lors de ces attentats n’a pas disparu, et la colère qui nous habite peut aisément inhiber notre Raison, et Éric Ciotti doit son élection au fait que la première prend si aisément le pas sur la seconde.
Que nous vaut ce grand numéro d’ire de l’alopécique de la Baie des Anges et de l’hirsute des Hauts-de-Seine ? Le fait que Salah Abdeslam jouirait d’une salle de sport à son usage exclusif, aménagée dans une cellule de son quartier d’isolement, alors même que, comme on l’a vu, la maison d’arrêt est pleine à craquer. Taubira démission. Ah non zut c’est déjà fait.
Passons sur le fait que cette préoccupation des conditions de détention des autres détenus, dans la partie surpeuplée de la prison, est ce qu’on appelle un sentiment soudain. Il n’est jamais trop tard pour se préoccuper de ces choses-là même si je redoute que cette attention ne soit qu’éphémère. Voyons les raisons (non ce n’est pas un gros mot) qui ont poussé l’administration pénitentiaire à prendre ces dispositions, et profitons-en pour examiner les conditions de détention réelles de M. Abdeslam. Comme le rappelle Judge Marie dans son très bon billet sur la question, écrit du point de vue d’un magistrat, « ce qu’il subit, ce qu’on lui accorde, c’est dans notre intérêt à tous bien plus que dans le sien ».
Salah Abdeslam n’est pas un détenu comme les autres. C’est une évidence, me direz-vous, mais visiblement pas pour MM. Solère et Ciotti. C’est pourtant un premier indice qui pourrait expliquer son régime de détention exorbitant, et certainement pas favorable. Salah Abdeslam a été placé, par décision de l’administration pénitentiaire, au régime dit de l’isolement. On parle donc d’isolement administratif, car décidé par l’administration, par opposition à l’isolement sollicité par le détenu lui-même, qui est levé à sa demande. L’isolement est un régime qui implique que le détenu soit complètement coupé du reste de la population carcérale. Les promenades ont lieu dans des cours dédiées (de 8m sur 3,50 m à Fleury, source CGLPL), entièrement ceintes de murs et recouvertes d’un grillage) où le détenu est seul, et toute activité de type bibliothèque ou culte a lieu à des heures où les autres détenus n’ont pas accès à ces lieux. Dans le cas de Salah Abdeslam, l’administration pénitentiaire, craignant une évasion, un suicide (ce qui est pour elle une variante de l’évasion) ou une agression, a décidé d’un régime renforcé, avec surveillance 24h/24 par des caméras, et surtout de ne jamais l’emmener dans des endroits fréquentés par des autres détenus, de crainte que des messages ne soient transmis (un papier plié et dissimulé, ou le simple déplacement d’objets peuvent constituer un code, les détenus ne manquent pas d’imagination, il faut dire qu’on leur laisse beaucoup de temps libre pour réfléchir à ça).
Je vous laisse méditer un moment sur ce point : Salah Abdeslam ne voit personne d’autre que les surveillants, qui ont pour consigne de ne pas engager de dialogue avec lui. Et ce tous les jours. Réjouissez-vous si vous avez un tempérament de tortionnaire qui ne demande qu’un alibi pour s’exprimer fièrement, mais convenez en tout état de cause que ce n’est pas un traitement de faveur, loin de là.
Cet isolement absolu interdit que les cellules voisines soient occupées ; de fait, qu’aucune cellule à portée de vue ou d’oreille ne soit occupée par un autre détenu, sous peine de perdre toute efficacité. Il est donc seul dans son couloir, là encore, pas pour son confort personnel. Une des cellules a été aménagée pour la surveillance vidéo. C’est là que se trouvent les moniteurs de contrôle et qu’un fonctionnaire les surveille 24 heures sur 24. M. Ciotti, ardent partisan de la viséosurveillance, se plaindra sans doute qu’on veille trop à sa sécurité.
Reste donc le scandale de la salle de sport. Ladite salle de sport est en fait une des cellules inoccupées dans laquelle a été posé… un rameur. Un rameur, c’est tout, même si un autre équipement, pas encore précisé, est annoncé (je suppute un tapis de course). Pour vous donner une idée de ce dont on parle, voici la photo de l’espace aménagé au sein de l’unité dédiée aux détenus radicalisés de la prison d’Osny.
Et pourquoi donc ce déballage ostentatoire d’équipements somptuaires ? Parce que c’est la loi. La loi prévoit une obligation d’activité (ne vous laissez pas abuser par le terme de condamné, ce droit s’applique à toute personne détenue), pas un droit à une activité, une obligation, activité fixée par le directeur d’établissement, et qui doit viser à la réinsertion du détenu. Si le détenu ne maitrise pas le français ou est illettré, ce sera prioritairement un enseignement de la langue. Sinon, une gamme d’activités est offerte, dont des activités sportives, plusieurs fédérations ayant signé un partenariat avec l’administration pénitentiaire, dont des fédérations de sports de combat tels que le karaté et la boxe française savate. Pourvu que M. Ciotti ne l’apprenne jamais. La direction, tenue de lui proposer une activité, a donc eu recours à la plus simple à mettre en place et qui ne supposait pas de contact avec un tiers : le sport.
Au-delà de cette obligation légale, permettre à un détenu confiné à ce point une activité est indispensable, pour des raisons de santé tout simplement. Et oui sa santé compte, tout simplement si on veut qu’il soit physiquement présent à son procès (les autorités ont une trouille bleue d’un éventuel suicide). Il faut avoir un schéma mental sacrément déficient pour considérer un rameur dans un cagibi comme une faveur. Sa mise à disposition exclusive est due à des motifs de sécurité, comme on l’a vu, pas de convenance personnelle (je suis persuadé que Salah Abdeslam ne demande qu’une chose, à part être remis en liberté, c’est être mélangé aux autres détenus). Et lui refuser toute activité physique au point de voir sa santé physique se dégrader lentement, outre le fait que cela entrainerait des frais de prise en charge médicale bien plus élevés qu’un rameur, aboutirait immanquablement à la condamnation de l’État pour traitements inhumains ou dégradants (l’avocat de M. Abdeslam est particulièrement vigilant aux droits de son client, hommage lui soit rendu). En tant que contribuable, avez-vous envie de voir l’argent de l’État finir dans la poche de M. Abdeslam, juste pour le plaisir de le priver d’un rameur, outre l’humiliation de la condamnation ?
Si malgré cela vous vous indignez encore qu’on traite humainement quelqu’un que l’on soupçonne d’avoir participé à un crime si terrible, je vous rappelle que c’est précisément ce qui nous distingue de nos ennemis autoproclamés. Nous refusons de maltraiter nos ennemis, non pas parce que nous n’avons pas encore trouvé de fin assez noble qui le justifie, mais parce que, en toute circonstance, la méthode est contraire à nos valeurs. Si cela vous répugne, alors vous êtes plus proche d’eux que vous ne le soupçonnez.
Ah et un dernier mot pour ceux qui invoquent les victimes ou leur famille pour dire qu’il n’a pas à se plaindre de quoi que ce soit. Vous insultez les victimes et leur famille en les invoquant pour justifier un traitement inhumain sur quelqu’un qui ne vous a rien fait à vous. Vous en faites sans la moindre honte des alibis à votre perversité. Vous devriez être député.
[1] Précision de vocabulaire à l’attention des lecteurs toujours prêts à porter atteinte à l’honneur d’un diptère : j’emploie le terme “suspecté” car le terme “accusé” à ce stade est impropre, puisque la mise en accusation formelle n’a pas encore eu lieu ; la loi m’interdit de le présenter comme coupable tant qu’il fait l’objet de cette instruction, le terme “inculpé” est désuet depuis 1993, le terme soupçonné étant plus approprié au stade de l’enquête de police préalable à la mise en examen, et le terme “présumé” étant réservé au mauvais journalisme ; donc ce sera suspecté.
À l’occasion des manifestations de policier, un élu de l’opposition a remis sur le tapis une de ses propositions récurrentes, présentée comme un cadeau aux policiers et un signe de la confiance que l’exécutif leur accorde — confiance telle que le même exécutif estime inutile de les doter de matériel adéquat et moderne pour leur mission, c’est beau une telle confiance— à savoir instaurer une présomption de légitime défense au profit des policiers faisant usage de leurs armes dans l’exercice de leurs fonctions. Un des arguments soulevés est que cela reviendrait à aligner le statut de la police nationale sur celui de la gendarmerie nationale qui bénéficierait d’une telle présomption (spoiler alert : c’est faux), et un des arguments parfois lu contre une telle mesure est que cela instaurerait un permis de tuer, ou pire que tout, que cela ferait de la police française un clone de la police américaine, car rien n’est pire pour certains que d’être américain ou que de leur ressembler. En fait, une telle mesure serait, en pratique, totalement inutile, et probablement pernicieuse.
Inutile, pourquoi ?
Rappelons brièvement ce qu’est la légitime défense, thème dont j’ai déjà eu l’occasion de parler. La légitime défense fait partie des causes d’irresponsabilité pénale ; c’est à dire qu’une infraction intentionnelle a été commise, mais que les circonstances dans lesquelles elle a été commise font que la loi l’excuse et lui fait perdre son caractère d’infraction. Ces conditions sont posées à l’article 122-5 du code pénal, et sont :
Ainsi, il ne peut y avoir de légitime défense face à la police qui emploierait la force dans l’exercice de ses fonctions (une dispersion d’attroupement par exemple) ; il ne peut y avoir légitime défense si l’agression a cessé et que l’agressé revient se venger ; il ne peut y avoir légitime défense si vous ouvrez le feu sur une personne qui vous a souffleté.
Procéduralement, les causes d’irresponsabilité pénale sont ce qu’en droit on appelle des exceptions, c’est à dire des moyens de défense dont la preuve incombe à celui qui s’en prévaut. La présomption d’innocence n’oblige pas à présumer la légitime défense dès que l’auteur des faits s’en prévaudrait sous prétexte que ça l’innocenterait. La présomption d’innocence est une règle de preuve : c’est sur le parquet que pèse la charge de prouver l’infraction, point. Une fois cette infraction caractérisée, c’est à son auteur d’apporter la preuve qu’elle est excusée par la loi. Notons que cela n’interdit pas non plus au parquet de caractériser lui-même la légitime défense, quand elle lui apparaît assez manifeste. Cela peut être un motif de classement sans suite, ou si une instruction a été ouverte (obligatoire en matière de crime), de requérir un non lieu pour ce motif.
La difficulté à laquelle se heurte la défense est précisément celle d’apporter la preuve de la légitime défense. Par nature, elle est imprévisible, donc on ne peut pas prendre de précautions pour se constituer une preuve (filmer la scène par exemple) ; on a rarement des témoins ; et l’auteur de l’agression racontera une version des faits qui lui est forcément favorable, sans oublier que l’état de stress intense inhérent à une situation de légitime défense ne permet pas d’avoir des souvenirs précis et fiables, pour des raisons neurologiques tout simplement : le cerveau n’est pas en mode concentration, il est en mode survie, et sollicite des zones totalement différentes. Le récit risque fort, sans être mensonger, d’être incohérent, incomplet, décousu, et de paraître aisément suspect.
La loi a pallié partiellement à cette difficulté en créant des présomptions de légitime défense. Le mot présomption a plusieurs sens en droit ; ici, cela signifie que la loi renverse la charge de la preuve. Si les circonstances qu’elle édicte sont réunies, vous êtes dispensé d’apporter la preuve que vous étiez en légitime défense : la loi dit que vous l’étiez, sauf preuve contraire apportée contre vous. Vous êtes dans une situation bien plus confortable : l’absence de preuve des circonstances précises des faits ne vous nuit pas.
Ces circonstances qui font présumer la légitime défense sont à l’article 122-6 du code pénal :
La différence est donc que la nuit, on n’exige pas que des violences soient commises : le seul fait de vouloir forcer l’entrée chez vous ou un tiers justifie une réaction violente.
Notez bien que ces présomptions sont uniquement liées aux circonstances, pas à la qualité de la personne se défendant. Jamais la loi n’a conféré à la fonction de quelqu’un un reversement de la charge de la preuve en matière de légitime défense. Ce serait aller loin dans la fiction de sagesse et d’infaillibilité. Notez aussi que ces deux présomptions ont aussi vocation à s’appliquer à des policiers agissant dans l’exercice de leurs fonctions. Si un individu tente de défoncer votre porte à une heure du matin, la police bénéficiera en arrivant sur les lieux de la même présomption de légitime défense de l’article 122-6, 1°. De même si elle arrive sur les lieux où un attroupement se livre au pillage de magasins en défonçant les vitrines, elle est présumée en état de légitime défense pour employer la force, sauf en cas d’homicide volontaire (car atteinte aux biens et non aux personnes), qui ne deviendrait justifié que si la foule se retournait contre elle et l’agressait (on serait dans une hypothèse d’atteinte aux personnes).
Ceci posé, pourquoi cette présomption générale liée à la fonction serait-elle inutile ?
Pour une raison fort simple : contrairement à un particulier surpris par une agression qu’il ne saurait avoir prévu, la police agit dans un cadre qui fait qu’on a toujours une abondance de preuves de ce qui s’est passé. Tout d’abord, un policier n’agit jamais seul. Les patrouilles se font au moins en binôme, ou en équipage de trois policiers voire plus. Si ces collègues ne sont pas forcément témoins direct de l’acte de défense, ils peuvent confirmer les circonstances de l’intervention, et caractériser ainsi la réalité de la menace pesant sur chacun d’eux. De plus, les policiers confrontés à une situation où l’emploi de la force est nécessaire sont formés à ces situations, et acquièrent une expérience de terrain qui leur donne un meilleur contrôle de soi. Les récits des policiers des interventions qu’ils effectuent, même les plus périlleuses, restent toujours très détaillés, construites, et sont de vrais documents de travail. De plus, pendant les événements, ils rendent compte de ce qui se passe dès que possible à leurs autorités et aussi régulièrement que possible, par radio, et en cas d’usage des armes, aussitôt que la situation est stabilisée. Ces échanges sont enregistrés et horodatés. Dès lors, on a d’emblée confirmation du cadre dans lequel les policiers sont intervenus, les témoignages des policiers présents sur place, recueillis dans un temps voisin des faits, et séparément, généralement sous le régime de la garde à vue pour protéger leurs droits et éviter toute concertation, et les échanges radios, connus à la seconde près. Croyez-moi, les magistrats rêveraient d’avoir autant d’informations dans tous les dossiers d’homicide.
Dès lors que l’on a une telle abondance d’informations, la présomption de légitime défense n’a plus guère d’intérêt pratique. Rappelons que cette présomption est une présomption simple, c’est à dire qu’elle peut se renverser. Or tous ces éléments d’information disponibles permettront rapidement de renverser une telle présomption si les faits révèlent un usage abusif de la force ou au contraire confirmeront très rapidement la légitime défense. En tout état de cause, s’il y a mort d’homme, une instruction judiciaire menée par un juge d’instruction est inévitable, outre une enquête interne administrative, et il y aura discussion sur les circonstances exactes de l’usage de la force, pour savoir si cet usage était nécessaire, proportionné et immédiat, présomption de légitime défense ou pas. Vous le voyez, le résultat est le même.
Les policiers qui croient voir en une telle présomption une immunité a priori contre des poursuites en seront pour leurs frais. Enfin, pour les frais de la préfecture puisque c’est elle qui règle les honoraires de leur avocat.
Inutile, cette présomption, mais pas seulement. Elle peut aussi être pernicieuse. Une certitude d’impunité, fût-elle erronée, et elle l’est souvent, est dangereuse. La pensée que le geste défensif que l’on se propose d’effectuer pourrait attirer des tracas peut retenir un geste que l’on sait au fond de soi excessif, tandis que face à une menace réelle, on agit, on ne réfléchit pas. Ce barrage psychologique peut disparaître si ceux investis du pouvoir d’user de la force pensent que cet usage n’est plus contrôlé en aval, ou moins. Peu importe que la réalité, par la suite, leur donne tort : le geste est accompli. Voter une telle disposition envoie un mauvais message. Pas celui que l’on ne fait pas confiance aux policiers : on leur fait confiance puisqu’on leur confie des armes mortelles. Celui qu’on leur fait une confiance aveugle, et qu’ils sont les seuls juges de la violence à employer. C’est inacceptable dans une société démocratique et un État de droit. La contrepartie du fait qu’on leur confie des armes et le monopole de la violence légale, c’est qu’ils doivent rendre compte de l’usage qu’ils en font. Toute mesure dont la portée symbolique signifie : « On n’exercera pas ce contrôle » porte en elle-même les germes de la catastrophe.
Un dernier mot sur le régime applicable à la gendarmerie nationale. Les gendarmes n’ont pas un régime de légitime défense différent que les policiers. C’est rigoureusement le même. La différence est que les gendarmes, qui sont des militaires, censés être plus formés à l’usage des armes, bénéficient d’autorisations de la loi pour employer la force armée dans des circonstances où leur vie n’est pas directement menacée. C’est l’article L.2338-3 du Code de la défense :
1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés (on retrouve ici la légitime défense);
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de ” Halte gendarmerie ” faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.
On est donc ici hors sujet : une présomption de légitime défense ne changerait rien à cet état du droit. En l’état actuel, l’extension de ces autorisations à la police nationale ne me paraissent pas se justifier. Et nul ne semble les réclamer dans la police nationale.
Le parti Les Républicains organise ce dimanche le premier tour des primaires dites “de la droite et du centre”, curieuse dénomination quand aucun candidat centriste n’y figure, alors qu’il y a un candidat d’extrême droite. La pratique des primaires est assez récente en France, et n’est prévue par aucun texte législatif, ce qui donne immanquablement envie au juriste de chausser ses bésicles et d’en faire une analyse juridique, exercice auquel je me propose de me livrer sans désemparer.
Avant toute chose, évacuons un cliché que j’abhorre comme vous le savez : celui du vide juridique. Le droit, tel la nature, a horreur du vide, et où que vous alliez, vous trouverez le droit. Serais-je en train de dire que les primaires, bien que prévues par aucun texte, auraient une base légale ? Comme le disait mon regretté confrère Cicéron : “un peu mon neveu”.
À tout seigneur tout honneur, la Constitution, qui consacre le rôle des partis dans son article 4 :
Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.(…)
Les partis fonctionnent comme ils le veulent, en respectant les principes de la démocratie. Dès lors, une primaire, qui est la désignation par suffrage du candidat que ce parti soutiendra à une élection, relève de sa liberté de fonctionnement, et est conforme à la démocratie s’agissant d’un scrutin.
Un parti politique est une association à but non lucratif (ne riez pas : c’est le parti qui n’a pas la volonté de s’enrichir, non pas ses dirigeants) relevant de la loi du 1er juillet 1901, avec quelques adaptations liées à ses caractéristiques (notamment les lois sur le financement, et des règles fiscales et comptables spécifiques, nous n’entrerons pas dans les détails ici). Une association est un contrat qui crée une personne morale, et les modalités de fonctionnement sont fixées par ses statuts, qui n’est autre que le contrat d’association rédigé. Ces statuts fixent les modalités de fonctionnement du parti, et désigne les organes compétents pour prendre les décisions non déjà tranchées par les statuts. Les statuts sont un peu la Constitution du parti.
Les partis désignent comme ils l’entendent leur candidat à l’élection présidentielle. Pendant longtemps, le principe était que le candidat naturel était le dirigeant du parti, et sa désignation revenait à opter aussi pour un candidat. Le système des primaires s’impose peu à peu depuis 10 ans. D’abord fermées, c’est à dire réservées aux seuls militants à jour de leur cotisation (primaire du PS de 2006 qui a opposé Dominique Strauss-Khan, Laurent Fabius et Ségolène Royal, primaire de l’UMP de la même année, qui a tourné court, tous les adversaires de Nicolas Sarkozy ayant alors renoncé, les temps changent…), elles sont devenues ouvertes c’est à dire que toute personne inscrite sur les listes électorales nationales (donc pouvant voter à la présidentielle) peuvent y participer selon des modalités fixées par le parti. La première primaire ouverte, celle du Parti socialiste en 2011 a fixé la pratique : les personnes participant au scrutin signent une charte des valeurs du parti, et s’acquittent d’une contribution modeste pour couvrir le coût de l’organisation de la primaire, un ou deux euros selon les cas.
Ces élections, si elles imitent le fonctionnement et le décorum des élections nationales (listes d’émargement, isoloirs, urne transparente, bureau de vote) n’en sont pas : ce sont des élections internes à une personne morale de droit privé. Voilà qui éclaire le juriste : nous sommes dans le domaine du droit privé, exit le code électoral, il ne s’applique pas ici, et bienvenue Code civil, le seul dont nous aurons besoin (gardons néanmoins à portée de la main le Code pénal, on trouve toujours à s’en servir).
Le parti propose à qui le souhaite de participer à une élection. Ceux qui l’acceptent signent une Charte et s’acquittent d’un écot. À la lecture de ces mots, le juriste frétille.Si vous avez un juriste dans votre famille, essayez, vous le verrez frétiller, je vous garantis. “C’est un contrat !” s’exclamera-t-il. Et il aura raison. Il y a une offre (les juristes disent pollicitation, avec deux L, parce que nous avons horreur d’être compris par les mékéskidis), une acceptation conforme, qui crée des obligations réciproques : pour l’association Les Républicains, vous laisser participer à la primaire et prendre votre vote en compte à égalité avec tous les autres, dans le respect de sa confidentialité, et pour vous, payer deux euros.
Et la Charte, qu’en faites-vous, demanderez-vous, éveillant l’attention des amateurs de contrepèterie ? Eh bien je m’interroge sur la portée juridique de la fameuse “Charte de l’alternance”. Non pas que sa validité légale soit en doute, ce n’est nullement le cas. Mais un engagement auquel on adhère ne crée des obligations que si ces obligations sont explicites. Or rappelons le terme de cette charte, qui comme son nom l’indique, n’est que cela : une Charte, c’est à dire une proclamation de principes. Et cette charte, à laquelle le votant affirme adhérer, est rédigée ainsi :
Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France.
Ce texte contient une affirmation, celle de partager les valeurs républicaines de la droite. Que peut-on en déduire ? A contrario, vous n’êtes pas obligé de partager les valeurs non républicaines de la droite. A fortiori, cela semble vous exclure si vous prônez la collectivisation des moyens de production et la dictature du prolétariat. En dehors de ça, et n’en déplaise à ceux qui veulent caricaturer la droite française comme l’antichambre du satanisme, les valeurs républicaines de la droite sont de nature à être partagées par le plus grand nombre.
Il contient enfin un engagement, en faveur de l’alternance afin de réussir le redressement de la France. Outre ceux qui souhaiteraient que la France s’enfonce dans le marasme et la crise, cet engagement ne semble exclure que ceux qui ont la ferme intention de voter pour François Hollande, ce qui serait contraire à un engagement pour l’alternance. Hormis cela, avoir l’intention de voter pour quelqu’autre candidat que ce soit est conforme à cet engagement pour l’alternance.
Je laisse de côte l’épineuse question de la charge de la preuve de ce qu’en son for intérieur, tel participant à la primaire n’est pas réellement désireux d’une alternance ou ne partage pas les valeurs républicaines de la droite. Je présumerai que la plupart des participants sont honnêtes et sincères et que cela ne concerne qu’un si petit nombre que les résultats de la primaire ne sauraient être altérés.
Bref, un engagement tellement vague qu’il ne contient même pas l’engagement de voter pour tel candidat que la primaire désignera. De fait, vous pourrez voter le 23 avril prochain pour un candidat d’un autre parti, hormis François Hollande, et ne pas avoir violé votre engagement. Rappelons le règle en la matière d’interprétation de contrat. Nous sommes ici en présence d’un contrat d’adhésion, par opposition à contrat de gré à gré : vous n’avez pas pu négocier les termes de votre engagement avec LR, c’est la Charte décidée par LR ou rien. En ce cas, l’article 1190 du code civil nous dit :
Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé.
C’est à dire qu’en cas de conflit d’interprétation de la portée de cet engagement, le juge doit opter pour l’interprétation qui vous engage le moins et engage le plus LR.
Autant vous le dire, il n’y a rien à tirer de cette Charte côté obligation juridique. Elle ne relève que de l’opinion, mâtinée d’un brin de morale, bref, terres stériles pour le droit, dont le juriste se retire sans traînasser.
Je comptais rajouter un paragraphe sur le droit pénal, mais je découvre que @Judge_Marie s’en est déjà occupé, et fort bien. Je partage ses conclusions : même voter alors qu’en connaissance de cause on n’adhère pas à cette Charte (auquel cas vous devez vous sentir malheureux sur ce blog fort républicain) ne tombe sous le coup de la moindre infraction pénale. À la rigueur, si LR pouvait prouver votre duplicité (mais comment diable ?), vous pourriez être condamné à lui verser des dommages-intérêts, dont le montant serait symbolique faute de pouvoir établir un préjudice certain et actuel du fait de votre vote noyé parmi plus d’un million d’autres. Sachant que le fait d’être un militant de gauche convaincu et affiché ne serait pas suffisant pour prouver votre duplicité, car vous pourrez toujours arguer que quand bien même vous n’aviez nulle intention de voter LR au premier tour (ce à quoi la Charte de l’alternance ne vous engageait nullement rappelons-le), vous avez désiré opter pour un candidat de droit le plus conforme à vos idées possible en prévision d’un second tour LR - FN qui est hélas d’une forte probabilité.
Bref, allez voter en paix, si vous êtes républicain, cela va de soi.
Aujourd’hui, je cède la plume à Gray Fox, juge d’instruction, qui a assisté, pour des motifs personnels, au procès de Berkane Makhlouf et Cécile Bourgeon, affaire qui, comme cela arrive parfois, a pris le nom non des accusés mais de la victime, Fiona, fille de la seconde. Je précise que Gray Fox n’a jamais eu à connaître de cette affaire à titre professionnel.
Eolas
J’ai décidé voilà plusieurs semaines de prendre dix jours de congés afin de suivre le procès de Berkane Makhlouf et de Cécile Bourgeon. L’opinion publique parle en effet d’affaire « Fiona » mais juridiquement, il s’agit de juger la mère et le beau-père, mis tous deux en examen dans le cours de l’instruction pour coups mortels sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité / ascendant, et en réunion, outre divers délits connexes.
Pourquoi un juge d’instruction prendrait-il des congés afin d’aller aux assises du Puy-de-Dôme ? Je me suis interrogée. Etait-ce une forme de voyeurisme ? J’ai sondé, moi aussi, ma conscience. Et me suis dit que c’était tout d’abord parce que ma famille et mes amis vivent dans la région. Parce que je suis amie avec des avocats qui se trouvent être dans le dossier, que je pourrais donc voir durant les suspensions. Parce que c’est un dossier que j’ai pu côtoyer à titre professionnel. Et aussi parce qu’en tant que juge d’instruction, je suis toujours intéressée par le traitement oral qui est fait d’un dossier pensé à l’écrit durant la phase préalable à la mise en accusation. Et qu’il est parfois malaisé d’aller voir les audiences de ses propres dossiers. Finalement, les accusés ne m’intéressaient qu’à titre infiniment subsidiaire.
C’est là que j’ai compris que je ne faisais pas partie de la majorité. De ceux qui parlaient d’eux comme des « monstres ». De ceux qui chaque jour postent sur la page Facebook de Cécile Bourgeon, hélas pour elle encore publique, d’odieux messages d’insultes et des menaces de mort et d’autres crimes qui pourraient faire l’objet de poursuites.
Riom est une ville de 18000 habitants, où l’on vit très bien. Pas de problèmes socio-économiques majeurs. Une proximité avec Clermont-Ferrand au sud et Vichy au nord. Quelques procès intéressants à la Cour d’appel ou aux assises, le tribunal de grande instance ayant été fermé suite à la réforme Dati, mais rien qui en général ne déplace d’autres personnes que les proches des parties et les habitués du prétoire. Là, où que j’aille durant mes 10 jours dans cette ville, j’entendais les bruissements de haine. Même chez mes proches. Même ma grand-mère, qui « la » pensait coupable. Pourquoi, Mamy ? « parce que c’est la mère. Et une mère ne tue pas son enfant ». Je me suis retenue, j’aime ma grand-mère. Retenue d’expliquer ce que dit le droit. De la nécessité d’établir les preuves des coups, et de leur lien direct et certain avec le décès.
J’ai l’habitude de voir les gens vêtus de jaune et bleu les jours de matchs de l’ASM, fierté locale. Je n’avais pas anticipé le fait qu’une même ferveur collective pouvait s’être instaurée afin d’assister au châtiment judiciaire de ceux qu’ils voudraient voir guillotinés.
Aux assises, on voit souvent des étudiants en droit. Des retraités qui ont une passion pour les faits-divers et avec qui l’on peut discuter. Je sais que dans le TGI où j’exerce, ces derniers ont sympathisé avec les avocats et commentent leurs plaidoiries. Il m’arrive moi-même de m’adresser à eux pour savoir où en est l’audience. On y croise aussi des journalistes. Des avocats venant soutenir leurs confrères dans ce difficile exercice qu’est l’adresse aux jurés, que l’on soit côté partie civile ou côté accusé. Et quelques curieux, plus ou moins nombreux selon les particularités des dossiers.
Pour le procès de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, une foule se pressait. Grâce à certains journalistes qui ont live-tweeté l’audience, j’ai pu apprendre que les premiers étaient présents dès 06h du matin, et 04h30 le dernier jour. Que l’on proposait de payer afin de pouvoir rentrer. En sortant prendre l’air un jour à 17h30, j’ai vu une queue d’une quarantaine de personnes souhaitant rentrer. Dans la salle, je voyais un grand nombre de gens se lever et se coller aux vitres afin de pouvoir assister à l’arrivée des accusés, durant les quelques secondes où les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire les escortaient du véhicule jusqu’aux geôles de la Cour. Malaise : on aurait dit la visite d’un zoo.
Durant l’audience, je n’ai rien entendu de spécial. Je ne me suis pas rendue compte là encore que j’étais dans une sorte de bulle, entre les chroniqueurs judiciaires fins connaisseurs de la procédure, bien plus habitués d’ailleurs que moi aux Assises, un doctorant et les avocats qui venaient régulièrement discuter. Et qui me faisaient bien remarquer que ma lecture du procès tel qu’il se construisait jour après jour était fortement déformée par le prisme professionnel.
Par contre sur les réseaux sociaux, je constatais que l’ambiance était électrique. Que certains de ceux qui avaient participé aux marches blanches, qui avaient mis une bougie à la fenêtre pour penser au « petit ange parti trop tôt », avaient déjà jugé. J’ai vu une pétition pour que les accusés soient condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, peine qui n’était même pas encourue dans le cadre du crime de coups mortels aggravés.
Parce que certains ont déduit du mensonge du couple quant à « la disparition » de Fiona au parc Montjuzet en mai 2013, - pour lequel ils ont tous deux été condamnés du chef de dénonciation calomnieuse -, qu’ils mentaient sur tout. Et qu’ils ne pouvaient pas avoir oublié ou ne plus se rappeler où était le corps. Et qu’ils ne pouvaient pas ne pas avoir tué. Quand bien même les experts psychologues et psychiatres sont venus exposer, et notamment brillamment comme l’a fait le docteur Blachère, la possibilité d’une sidération empêchant un souvenir précis sur le lieu des faits. Qu’importe les ressorts des explications qu’ils ont données, il en est ressorti d’une manière unanime qu’il était possible qu’il y ait impossibilité de se souvenir de l’endroit où ils avaient mis en terre le corps de l’enfant. Mais non. La « France de Fiona », comme l’a appelée Pascale Robert-Diard dans un article paru dans Le Monde du 27 novembre 2016 (€), ne pouvait l’entendre.
Quelquefois la salle a réagi. Lorsque l’accusée a indiqué vouloir d’autres enfants. Ou lorsqu’elle a voulu exercer son droit au silence. Rien de criminel, mais ça ne plaisait pas avec l’image que certains s’en étaient faite. Ou bien lorsqu’elle indiquait ne pas pouvoir pleurer sur commande, quand une avocate d’une association partie civile lui reprochait d’avoir pleuré à l’évocation de membres de sa famille mais pas en parlant de sa fille.
Comme s’il fallait montrer un comportement en particulier. Oublier que les accusés sont soumis à une camisole chimique depuis leur incarcération. Qu’ils se présentent derrière un box, entourés de plusieurs membres de l’administration pénitentiaire. Qu’ils sont soumis aux questions, voire à la question, de la Cour, de l’avocat général et de nombreux avocats. Que dès lors, il n’y a aucun comportement « normal » à rechercher. Comme si déjà il existait un comportement « normal ». Un peu à l’instar de ceux à qui l’on reproche de pas avoir, ou pas avoir assez, pleuré à un enterrement. Signe selon l’opinion publique qu’ils ne sont pas réellement tristes.
J’ai senti qu’il allait se passer quelque chose en voyant une demi-douzaine de fonctionnaires de police supplémentaires se poster dans la salle au moment où nous avons été prévenus du délibéré. Le président leur a indiqué d’expulser quiconque manifesterait un mouvement d’humeur pendant ou après la lecture du verdict. A l’annonce de l’acquittement de Cécile Bourgeon du chef de coups mortels aggravés, quelques voix se sont levées, mais personne n’a été bouté hors du prétoire : les mécontents ont quitté la salle.
J’entendais de là où j’étais des bruits dehors, mais je n’y prêtais pas davantage attention que cela, occupée à comprendre le verdict avec les collègues et avocats présents. À l’issue de l’audience sur intérêts civils, les condamnés ont été conduits au véhicule de l’ARPEJ (Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires, service de l’administration pénitentiaire en charge des escortes de détenus entre les établissements et les palais de justice - NdEolas).
Et là, la foule s’est déchaînée. Les gens se sont mis à hurler leur haine à l’égard de Cécile Bourgeon. Insultes, menaces de mort, menaces de viol. Les images captées par les journalistes et des badauds ont été mises en ligne : on y voit une quarantaine de personnes, parfois montées en hauteur sur des éléments urbains, vociférant à l’encontre de l’acquittée, par ailleurs condamnée pour les délits connexes pour lesquels elle était en outre renvoyée. Une scène glaçante et effrayante.
Rapidement, les réseaux sociaux ont été submergés de commentaires de la haine la plus abjecte à l’encontre de Cécile Bourgeon, et des magistrats et jurés populaires qui l’avaient acquittée. Un « Je suis Fiona » est devenu image de profil. J’ai dû expliquer, en pleine nuit, le droit. Sans avoir la motivation de la Cour sur l’acquittement, mais avec ce que j’avais entendu, m’étant mise dans la peau d’un assesseur. La notion de charges, celle du doute. J’ai tenté d’expliquer que non, on ne « prenait pas 5 ans en tuant son enfant » : on ne prenait « que » 5 ans justement parce qu’on n’avait pas tué son enfant, mais été déclarée coupable de délits et condamnée à de l’emprisonnement en conséquence.
On parle parfois de vérité « judiciaire ». Personne n’était là lors des faits. Vérité judiciaire ou vérité tout court, cela importe peu : en l’absence d’appel, Cécile Bourgeon est acquittée. N’a pas tué sa fille. Quand bien même il y aurait appel, elle redeviendrait présumée innocente. J’essaye d’expliquer qu’il faut essayer de voir les choses à l’envers. Qu’il s’agit d’une femme qui a, comme le père de Fiona, perdu sa fille, décédée des coups de son compagnon de l’époque, reconnu coupable de tous les chefs (à l’exception de la circonstance aggravante de réunion, devenue sans objet). Qu’en outre, elle est devenue la femme la plus détestée de France. Qu’on la traquera très certainement à sa sortie de prison.
J’essaye de comprendre cela. Je suis bien consciente que des gens ont perdu du temps pour participer aux recherches de Fiona suite à sa prétendue disparition à Montjuzet. Qu’ils se sont sentis floués lorsque le couple a reconnu cette mise en scène. Mais après ? Est-ce eux qui ont souffert la mort d’un enfant ? Doivent-ils vivre avec cette blessure à l’instar du père de la fillette ? L’ont-ils découverte décédée, comme Cécile Bourgeon ? En quoi le fait d’avoir été trompés leur donne-t-il le droit de savoir mieux qu’une cour d’assises ce qui s’est passé ? Je reste subjuguée par cette appropriation de l’affaire par la France entière. Par les « marches blanches » auxquelles se greffent, sous le coup de l’émotion, un peu tout le monde, et même ceux qui ne sont eux-mêmes pas irréprochables (voir ainsi l’excellent Laëtitia ou la Fin des Hommes de Ivan Jablonka, prix littéraire du Monde et prix Médicis 2016)
Je pense aux jurés. Que les magistrats soient critiqués suite à une décision, c’est habituel. C’est loin d’être plaisant de se voir, parfois dans la presse, attaqué pour un prétendu « laxisme », mais, malheureusement, on sait que ça fait partie du métier. Mais les jurés. Qui ont vécu 15 jours durant l’horreur des faits, et qui ont été forcés par la loi de se prononcer sur une affaire juridiquement compliquée, et dans laquelle l’émotion menaçait de l’emporter sur la raison, alors même que l’article 353 du Code de procédure pénale ne mentionne que cette dernière. J’espère qu’on ne leur demandera pas de se justifier. Leur serment les protège, mais quand même. Qu’ils n’auront pas à subir des commentaires désobligeants de la part de leurs proches ou de leurs collègues, voire de ceux qui ont insulté l’acquittée et qui les reconnaîtraient en ville.
Je pense également aux journalistes. Durant l’audience, je me suis essayée au live-tweet, parce que certains me l’avaient demandé. Et j’ai réellement trouvé cela intéressant, y voyant des liens avec l’activité de retranscription des cabinets d’instruction, mais très complexe. Cependant, n’étant « suivie » que par un nombre restreint de personnes, je n’ai pas eu à subir les réflexions et commentaires désobligeants que recevaient les chroniqueurs judiciaires. Je voyais quelques grands noms de l’exercice, des médias nationaux, dont Corinne Audouin (France Inter), Salomé Legrand (Europe 1), Delphine Gotcheaux (France Info), Vincent Vantighem (20Minutes), ou locaux comme Olivier Vidal (France Bleu pays d’Auvergne) et les journalistes de La Montagne répondre parfois en pleine nuit à ceux qui jugeaient sans avoir assisté aux débats, ou qui s’insurgeaient contre le verdict. Je salue la manière dont ils ont pu tenter d’expliquer les raisons qui ont pu conduire la Cour à un acquittement.
Aussi usant finalement que cela puisse être, j’aimerais pouvoir expliquer toujours davantage les décisions. Pourquoi ce qui peut paraître simple d’un point de vue complètement extérieur peut être extrêmement plus complexe à l’audience. Alors, oui, on motive nos décisions pour le justiciable concerné, les avocats et la Cour d’appel. Mais rien pour le public qui verra cela possiblement sur un réseau social et qui, sans connaître aucunement l’affaire, ne pourra qu’être tenté par les raccourcis et par les références à d’autres dossiers, qu’ils pensent similaires, dans lesquels l’issue a été tout autre. J’aimerais pouvoir dire que le droit ce n’est pas de la morale, mais je crois que dans ce dossier-là, c’est peine perdue. L’émotion créée par la disparition de la fillette a érigé certains de ceux qui se sont mobilisés en véritables censeurs estimant qu’il doit exister une justice qui ne s’embarrasse pas de détails comme les charges suffisantes et le doute raisonnable.
Pour les personnes qui ne sont pas abonnées au Monde, un lien vers une émission de France Culture du samedi 26 novembre 2016, où Pascale Robert-Diard et Corinne Audouin échangent sur leur ressenti vis-à-vis de ce procès hors normes.
La justice est rendue publiquement. C’est un des piliers de la démocratie, qui permet à tout citoyen, au nom de qui la justice est rendue, d’aller voir par lui-même comment elle est rendue. Et c’est le devoir et l’honneur de la presse que d’aller assister à ces procès, et d’en rendre compte pour le plus grand nombre qui n’ont pu assister audit procès.
Mais en pratique, il faut bien le reconnaître, les bancs du publics sont le plus souvent clairsemés, et vides en fin d’audience, car seules les parties aux affaires jugées du jour sont présentes. Parfois, un correspondant de la presse quotidienne régionale est présent pour faire un entrefilet sur l’affaire sortant du lot que le hasard de l’audiencement aura programmé ce jour. La présence d’un chroniqueur judiciaire est rare, et il faut saluer l’initiative du site Épris de justice, consacré à ce genre journalistique, et qui ne couvre que des dossiers d’anonymes, même si certains sont plus connus que d’autres…
En revanche, pour certaines affaires, c’est tout le ban et l’arrière-ban qui vient. Tous les journaux locaux, mais aussi la presse nationale.
La question du critère de choix de ces affaires qu’il faut couvrir contre celles qui n’ont que peu d’intérêt relève de la souveraineté des rédactions. Mais ces critères se devinent facilement. Les procès qui attirent en nombre la presse sont les procès où les parties sont des célébrités, titre qui est distribué de plus en plus aisément de nos jours (Affaire Nabilla, par exemple) ; les procès dont les faits constitutifs ont fait les titres de la presse à l’époque, ce qui se rapproche, sans se confondre pour autant, avec le critère précédent (procès des Femen, qui donne en outre un prétexte déontologiquement correct au rédac’chef de diffuser des images de nichons à des heures de grande écoute, ça ne fait pas de mal à l’audimat) ; mais aussi des critères plus nobles comme les affaires à portée historique (Procès Papon ou Barbie), et enfin les affaires à mystère, où on ne sait pas ce qui s’est passé, où la cour devra trancher face à l’incertitude, et où des coups de théâtre peuvent survenir. C’est là le cœur de la chronique judiciaire : narrer ces histoires banales qui ont basculé dans l’inouï, à cause des circonstances extraordinaires ou des personnalités en cause. La chronique judiciaire partage avec le roman que l’intrigue, les personnages et le mystère font vendre.
Ainsi, ces derniers jours, le procès Fiona a retenu toute l’attention de la presse car elle remplit tous les critères de la dernière catégorie en piochant aussi dans la seconde. Dans un degré de gravité moindre, deux affaires mettant en cause des policiers ont récemment bénéficié aussi d’une large couverture, même si elles demeurent sans comparaison avec la première : celle dite du lycée Bergson, où un policier a été condamné pour avoir frappé violemment un lycéen mineur, et du Flashball, où un policier est poursuivi pour avoir fait usage de cette arme sans raison valable.
Un autre procès s’est ouvert cette semaine, qui attire l’attention de la police mais pas tellement de la presse. Le procès de Malamine Traoré pour le meurtre de deux policiers sur le périphérique parisien le 21 février 2013, Boris Voelckel, 32 ans et Cyril Genest, 40 ans, et pour avoir grièvement blessé le lieutenant Frederic Kremer, qui en a gardé des séquelles.
Sur Twitter, plusieurs policiers et gendarmes ont exprimé leur amertume et leur incompréhension face à cette faible couverture d’une affaire qui eux, les bouleverse. Surtout par contraste avec la couverture dont ont bénéficié les procès “Bergson” et “Flashball”. Et d’y percevoir un signe de deux poids deux mesures à leur détriment, et de leur statut de mal-aimé.
Vous l’avez compris, je ne partage pas cette analyse sur les causes de cette différence. À mon humble avis, le fait que les circonstances sont simples et connues et qu’il n’y a pas de mystère, l’auteur des faits ayant été identifié, a joué un plus grand rôle dans cette désaffection que le métier des victimes. L’audience sera surtout un lieu d’émotion des victimes et de leurs proches relatant cette terrible nuit. Et cette souffrance, terrible dans son intensité et par sa fausse banalité (car de tels faits ne doivent jamais devenirs banals) mérite pourtant d’être entendue par le plus grand nombre, non par voyeurisme (la télévision s’occupe désormais de rassasier cette pulsion), mais par empathie, et pour comprendre la réalité de cette angoisse qui étreint tout policier quand il quitte son domicile pour gagner son travail, cette incertitude sur le fait d’être là ce soir pour embrasser ses enfants.
Et il faut savoir gré à Chris_PJ d’avoir pris sur ses temps de repos pour aller à cette audience et, avec sa sensibilité de flic (car oui, les flics sont sensibles, il faut entendre leurs sanglots quand je fais annuler leurs procédures), avec sa subjectivité assumée et c’est bien, de nous raconter ce qu’il entend et ce que ça provoque chez lui, et sans doute chez tous les hommes et femmes en bleu qui liront ces lignes. C’est à lire sur son blog invité, sur le site de France Info.
La Cour de justice de la République (CJR) a rendu ce lundi son arrêt dans le volet ministériel de l’arbitrage Tapie. L’ancienne ministre de l’économie a été reconnue coupable du délit de l’article 432-16 du code pénal, à savoir avoir permis, par sa négligence la destruction, le détournement ou la soustraction d’un bien public, en l’espèce des fonds publics, contre les réquisitions du parquet, mais dispensée de peine, avec cet ajout que cette condamnation, comme le permet la loi, ne sera pas mentionnée casier judiciaire, pas même le bulletin n°1, le plus complet, réservé à la justice.
Mon ami Authueil a traité cette affaire du point de vue politique, dans un billet très critique et documenté. Judge Marie, qui n’est pas moins mon amie, a traité sur son blog l’aspect juridique. Il me serait bien difficile d’écrire des choses plus intelligentes qu’eux, et vous épargnerai de la paraphrase, puisque je rejoins en tout point leurs conclusions. La dispense de peine ne me paraissait pas juridiquement possible, non pas tant du fait que la victime n’a pas été indemnisée, mais parce que le trouble à l’ordre public n’a pas cessé. Quant à prononcer une déclaration de culpabilité contre les réquisitions du parquet, mais dispenser et de peine et de B1, c’est à dire ne donner strictement aucune portée à cette condamnation n’a aucune explication juridique.
Je vais donc me risquer à une hypothèse pour trouver un sens à cette décision d’une cour composée, rappelons-le, majoritairement de politiques : douze juges sur quinze sont des parlementaires, députés ou sénateurs, et les décisions se votent à la majorité ; autant dire que les trois magistrats sont réduits à la portion congrue quant au sens de la décision mais la France n’ayant jamais fait sienne la tradition de l’opinion dissidente, ils sont obligés d’être solidaires de la décision quoi qu’elle dise.
Tout au cours du procès, Christine Lagarde a opposé une défense qui laisse Authueil, fin connaisseur des arcanes de l’État, circonspect, pour le moins. Et les douze juges politiques ont dû être tout aussi réservés sur le fait que ce dossier ait pu échapper de son écran radar. Le plus probable est que ce dossier a dû être retiré de sa compétence par le n+1 et le n+2 de Christine Lagarde, c’est à dire le premier ministre et le président de la République d’alors, du fait du caractère sensible du dossier et du caractère intrusif dudit chef. Christine Lagarde a probablement reçu l’ordre de ne pas intenter ce recours. Mais le dire revenait à se fâcher avec l’ancien et le prochain président de la République, ce qui ne se fait pas quand on veut faire carrière. Elle a d’ailleurs expressément assuré que ce n’était pas le cas, et que François Fillon et Nicolas Sarkozy ont donc appris sa décision de ne pas faire de recours en lisant la presse, sans doute.
Cette condamnation sans condamnation, alors que le parquet a requis la relaxe, peut s’interpréter comme une façon de dire “nous ne sommes pas dupes de votre histoire, mais nous comprenons que vous n’aviez pas votre mot à dire”. Ça n’a rien de juridique, et de fait le juriste perdra son latin avant de trouver un sens juridique à cette décision, mais politiquement, ça a du sens. Ça n’en fait certainement pas une bonne décision, et devrait être, espérons-le, l’arrêt de mort de cette juridiction d’exception dont il n’est jamais rien sorti de bon.
Dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Fillon, une étrange argumentation juridique a fait son apparition qui, au-delà du fond de l’affaire, sur laquelle je me garderai bien de me prononcer, du moins avant d’avoir reçu une solide provision sur honoraires, me laisse pour le moins pantois.
Rappelons brièvement les faits : des révélations successives par la presse ont mis au jour le fait que le candidat LR à la présidence de la République a longtemps salarié son épouse grâce à l’enveloppe attribuée à chaque député pour pouvoir salarier des assistants parlementaires, que ce soit à l’assemblée pour le travail parlementaire proprement dit ou dans la circonscription pour assurer une présence permanente de l’élu. Ce qui en soit est critiquable mais, en l’état des textes, légal. Là où le bat blesse, c’est qu’il semble n’y avoir eu aucune contrepartie réelle à un salaire largement au-dessus des montants habituels, les explications fournies par l’intéressés ou ses soutiens (dans le sens où la corde soutient le pendu) étant embrouillées, contradictoires, et parfois accablantes.
Le parquet national financier a donc ouvert une enquête préliminaire sur ces faits, qui est encore en cours au moment où j’écris ces lignes.
Et c’est dans ces circonstances qu’une tribune de juristes courroucés a été publiée sur Atlantico (oui, je sais, Atlantico…), prétendant opposer des arguments juridiques à l’existence même de ces poursuites (promesse rarement tenue vous allez voir). D’ailleurs, les soutiens plus ou moins affichés à François Fillon se sont tous bien gardés de reprendre à leur compte ces arguments, se contentant de dire “Si autant de juristes le disent, ça ne peut pas être inexact”. Etant moi-même juriste, je suis flatté de l’image d’infaillibilité qu’ils souhaitent ainsi conférer à ma discipline, mais je crains que cette prémisse ne soit fausse. Les juristes se trompent, parfois volontairement, car c’est leur devoir de se tromper pour qu’une contradiction ait lieu. Mais jamais la signature du plus éminent des juristes n’a été la garantie de la véracité irréfutable de ce qu’il avance. Écartons donc l’argument d’autorité, qui est haïssable par principe, et inadmissible en droit.
Voyons donc en quoi consiste cette démonstration.
D’emblée, les auteurs, craignant sans doute le reproche de la modération, qualifient cette affaire de “Coup d’État institutionnel”. Rien que ça. Un coup d’Etat consiste à renverser par la force les institutions d’un régime afin d’y substituer un pouvoir provisoire non prévu par les textes en vigueur. N’en déplaise à ces augustes jurisconsultes, M. Fillon n’est que candidat déclaré, accessoirement député de Paris, mandat qu’il a exercé avec parcimonie, et s’en prendre à lui en cette qualité de candidat, fût-ce illégalement, ne saurait s’apparenter à un coup d’Etat, puisqu’on ne saurait renverser un simple impétrant. Néanmoins, ce texte dit que ce terme “définit parfaitement” les “manœuvres” employées pour l’empêcher de concourir à l’élection. Ce n’est pas une métaphore ni une hyperbole : c’est une “définition parfaite”. Voilà qui commence mal.
Passons sur les passages complotistes des deux paragraphes suivants, car oui, c’est un complot, et le coupable est désigné : c’est François Hollande, qui fait cela pour que son “héritier” Benoît Hamon soit élu. Visiblement, ces juristes connaissent aussi mal la loi que les mœurs du parti socialiste, car imaginer un complot de Hollande pour porter Hamon au pouvoir, pour qui sait l’état des relations des deux hommes, prête à sourire. Voici les arguments de droit :
1 - On imputerait à François Fillon des faits qui ne tombent pas sous le coup de la loi pénale car le délit de détournement de fond public ne pourrait être juridiquement constitué.
Tout d’abord, si j’en crois le communiqué du parquet national financier, l’enquête porte sur des faits qualifiés de détournements de fonds publics, abus de biens sociaux et recels de ces délits, or la tribune de ces juristes passe sous silence ces dernières qualifications.
Sur le détournement de fonds publics, les auteurs rappellent que ce délit ne peut être reproché qu’à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, ce qui selon eux n’inclurait pas les parlementaires.
Cette affirmation mériterait d’être étayée, ce qu’elle n’est pas. Et pour tout dire, elle est douteuse.
La loi ne donne pas de définition d’une personne chargée d’une mission de service public. Mais cette notion se retrouve dans d’autres délits, tels que l’outrage, ou dans des circonstances aggravantes, comme pour les violences. Si une brève recherche ne m’a pas permis de trouver un arrêt de la cour de cassation consacrant qu’un parlementaire serait une personne chargée d’une mission de service public, je n’ai trouvé aucun arrêt rejetant cette possibilité. Dire qu’un représentant de la Nation (ou des territoires pour le Sénat), chargé de voter la loi et de contrôler l’exécutif, qui a le pouvoir de se faire ouvrir sans préavis tout lieu de privation de liberté pour qu’il puisse le contrôler, et bénéficie du fait de ses fonctions d’une immunité et d’une inviolabilité ne remplirait pas une mission de service public, tandis qu’un président d’une fédération départementale de chasseurs (Crim. 8 nov. 2006, no 05-86.325), un interprète agissant sur réquisitions (Crim. 20 nov. 1952, Bull. crim. n°276) ou les responsables d’une association exerçant une activité de formation financée par des fonds publics (Crim. 11 oct. 2000, n° 00-81.879) oui, serait insultant pour le parlement. En tout cas ça mériterait une démonstration plus élaborée qu’un simple “évidemment”, qui est l’intégralité de la démonstration des auteurs.
Et comme le rappelle le professeur Beaussonie sur son blog, quand bien même cet outrage serait fait aux parlementaires que nous retomberions dans le droit commun de l’abus de confiance, puni certes seulement de trois ans de prison et non dix, mais qui n’exige aucune qualité particulière de l’agent. Une simple requalification réglerait le problème juridique, s’il y en avait un.
2 - Il serait “plus que douteux” que les sommes versées à un parlementaire pour organiser son travail de participation au pouvoir législatif et au contrôle du pouvoir exécutif puissent être qualifiés de fonds publics.
Là encore, ce “plus que douteux” n’est pas étayé. Pour ma part, je suis dubitatif sur le fait que des fonds, tirés du budget de l’assemblée (lui même abondé par l’impôt), remis à des élus pour l’exercice de leur mandat ne seraient pas des fonds publics.
Mais soit. Admettons un instant que ces fonds soient, on ne sait comment, privés. Eh bien peu importe. L’article 432-15 du code pénal punit le détournement de fonds “publics ou privés” dès lors qu’ils ont été remis à une personne chargée d’une mission de service public à raison de sa mission, ce qui s’agissant de l’enveloppe salariale pour les assistants parlementaires me paraît difficilement contestable.
4 - La procédure pénale serait engagée illégalement.
Oui, je sais, il n’y a pas de 3. En fait si, il est plus loin car il sera le cœur de ce billet et lui a donné son titre.
L’argument est ici plus étayé. Les auteurs rappellent que le domaine d’action du parquet national financier est fixé par l’article 705 du code de procédure pénale, qui dispose, en version élaguée, que
Le procureur de la République financier (vrai nom du procureur national financier, NdEolas), le juge d’instruction et le tribunal correctionnel de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte [des règles habituelles] pour la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions suivantes :
1° Délits prévus aux articles 432-10 à 432-15,[…] du code pénal, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent […].
Or, s’exclament nos jurisconsultes, cette affaire ne relève d’aucun de ces délits (puisqu’ils contestent que le délit de détournement de fonds publics de l’article 432-15 soit constitué) et en tout état de cause ne sont pas d’une grande complexité. Dès lors, selon eux, le procureur national financier a excédé ses pouvoirs, et ces poursuites sont illégales.
Well, allow me to retort.
Première question : quelles poursuites ? À ce jour, aucune poursuite n’est engagée. Le Parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire qui vise à déterminer ce qui s’est passé, mettre les preuves des faits à l’abri de toute broyeuse facétieuse, afin que, dûment éclairé, il pût décider d’engager ou non, des poursuites. Engager des poursuites signifie que le parquet prend la décision irrévocable de confier le dossier à un juge. Soit directement la juridiction de jugement, soit un juge enquêteur, le juge d’instruction, qui continuera la recherche de la vérité avec des moyens juridique accrus, mais décidera des suites à donner sans que le parquet puisse s’y opposer autrement qu’en donnant son avis.
Deuxièmement, nos éminents juristes font une confusion de débutant, en appliquant au parquet les règles de compétence des juges. Rappelons qu’en droit, le mot compétence a un sens précis qui n’a rien à voir avec les qualités de juriste. La compétence est le pouvoir de juger telle affaire, pouvoir conféré par la loi. Si je dis à un juge qu’il est incompétent, il n’est pas outragé, au contraire, il est ravi, puisque je lui offre la possibilité de se débarrasser d’un dossier.
Pouvoir de juger, donc qui ne concerne que les juges. Et pour eux c’est une règle essentielle : un jugement rendu par un juge incompétent est nul. C’est une limite essentielle au pouvoir du juge. La compétence est traditionnellement divisée en deux types : la compétence matérielle et la compétence territoriale. La compétence matérielle est celle qui définit les attributions de tel ou tel juge. Un juge aux affaires familiales peut vous divorcer, il ne peut pas vous envoyer en prison. Le juge correctionnel, lui, peut vous envoyer en prison, mais pas vous divorcer. La compétence matérielle détermine aussi la procédure applicable pour lui soumettre une demande qu’il est obligé de traiter. Cet acte, qui consiste à mettre un juge dans l’obligation de statuer, s’appelle saisir un juge. Une demande adressée à un juge incompétent ne peut être reçue par lui, elle est dite irrecevable. Le juge la rejette sans même l’examiner, car la loi ne lui donne pas le pouvoir de trancher. La compétence territoriale est purement géographique. De tous les juges aux affaires familiales de France, un seul peut effectivement vous divorcer : celui du tribunal où est la résidence de la famille. Cette règle a aussi son importance : elle empêche de choisir son juge, puisque la loi s’en occupe. Dans certaines situations, plusieurs juges peuvent être compétents territorialement. Dans ce cas, on peut saisir n’importe lequel, sachant que ce choix est irrévocable.
S’agissant du ministère public, la question de la compétence matérielle ne s’est jamais posée. Le ministère public est compétent pour tout. Il peut même s’inviter dans votre divorce s’il le veut, comme partie jointe, pour donner son avis. Il est le bienvenu partout, et même les salles d’audience civiles ont un bureau prévu pour que le procureur vienne s’y asseoir s’il le souhaite (c’est rare, je ne vous le cache pas). Seule se pose la question de sa compétence territoriale. Le ministère public est divisé en parquets, un par tribunal de grande instance et par cour d’appel, où il prend le titre de parquet général et chapeaute les parquets des tribunaux de son ressort. Ces dernières années ont vu des réformes créant des exceptions à cette division géographique bien sage, avec la création de la section antiterroriste dans les années 80, du pôle financier et santé publique de Paris en 2000, des JIRS, les Juridictions Inter-Régionales Spécialisées en 2004, et des pôles de l’instruction en 2007, qui font échapper les affaires complexes aux petits tribunaux de grande instance. Le procureur national financier est la dernière des ces exceptions, créé en 2013. Dans notre affaire, les parquets naturellement compétents pour engager des poursuites seraient ceux de Paris (siège de l’assemblée, où les fonds ont été confiés) et du Mans (domicile du détourneur, domicile de la bénéficiaire, et lieu du détournement, constitué par le dépôt sur un compte de l’agence du Crédit Agricole de Sablé Sur Sarthe). Le procureur national financier tire quant à lui sa compétence de la qualification de détournement de fonds public (ou privé), compétence concurrente, conflit qui a été réglé par l’ouverture de la préliminaire : premier à avoir agi, il reste en charge de ce dossier, et ses collègues parisien et manceau n’ont aucun moyen d’exiger que ce dossier leur soit transmis (je doute qu’ils en aient envie, cela dit).
Mais quelle est la sanction du non respect de ces règles de compétence territoriale ? La cour de cassation a répondu à la question en 2008 par un attendu lapidaire : un justiciable soulevait la nullité du réquisitoire introductif ayant saisi le juge d’instruction en disant que le procureur de la République était territorialement incompétent ; la cour lui répond ” seuls peuvent être annulés les actes accomplis par un juge manifestement incompétent” : Crim. 15 janv. 2008, n°07-86.944.
La question de la compétence matérielle du ministère public ne s’est jamais posée pour les raisons ci-dessus rappelées : le ministère public est partout chez lui dans le prétoire. Les auteurs de cette tribune tentent de la soulever, en considérant que la compétence prévue par l’article 705 serait prévue à peine de nullité. C’est audacieux, reconnaissons-le, de créer une compétence matérielle du parquet, et j’avoue apprécier beaucoup en tant qu’avocat de la défense l’idée de pouvoir interdire à un procureur d’agir ; mais hélas ça ne tient pas. D’abord, il n’y a pas de nullité sans texte ; or jamais la loi du 6 décembre 2013 n’a posé cette sanction au domaine d’action du procureur national financier et jamais le législateur ne l’a envisagé, dont François Fillon qui a voté le texte prévoyant la création du procureur national financier.
Poser la question à ce stade est d’ailleurs absurde et juridiquement prématuré. Absurde, car comment peut-on savoir si des faits sont ou non des détournements de fonds, et particulièrement complexes (et à partir de quel stade de complexité est-ce particulièrement complexe ?) avant d’avoir enquêté sur eux ? Si l’enquête révélait des faits délictueux mais d’une simplicité enfantine, le parquet national financier pourrait se livrer au sport favori des parquetiers : refiler le dossier à des collègues territorialement compétents, discipline très pratiquée et qui porte le nom de shootage de dossier. L’enquête qu’il aura menée n’en sera pas affectée dans sa validité et pourra être utilisée telle quelle par le procureur local naturellement compétent. Prématuré enfin car cette question ne peut être posée qu’au moment où le dossier arrive pour la première fois devant un juge, que ce soit pour le jugement au fond, ou devant le juge d’instruction si celui-ci est saisi. C’est la loi. Oui, c’est agaçant quand on est avocat de voir une belle nullité en garde à vue et de devoir attendre plusieurs mois pour pouvoir la soulever devant un juge, soit bien après la fin de la garde à vue même manifestement illégale. Mais c’est la règle que le législateur a instauré pour les contestations des procédures. Contestation qui, comme je l’ai expliqué, aura fort peu de chances de prospérer.
3 - Cette enquête serait contraire aux principes constitutionnels, à savoir la séparation des pouvoirs
C’est cette critique, plusieurs fois entendue, qui a retenu mon attention et a donné le nom à cet article. Parce que là, on touche au crime de Lèse-Montesquieu, et avec moi, on ne touche pas à Montesqueu et à Beccaria.
L’argument consiste à dire : “C’est un député, c’est le pognon de l’Assemblée nationale, donc tout ça, c’est le pouvoir législatif, le judiciaire n’a pas le droit de s’y intéresser”, sinon c’est la tyrannie. C’est un vrai élément de langage, d’ailleurs, la “dictature de la transparence” propre au despostisme (car qui connait un pays plus transparent que la Corée du Nord, en vérité ?).
La séparation des pouvoirs est bien un principe essentiel de la République démocratique. Rappelons toutefois le sens exact de cette expression. Et pour cela un peu d’histoire s’impose.
L’Ancien Régime n’a pas été deux millénaires d’absolutisme. Loin de là. L’absolutisme fut en fait une invention récente et ne couvre le règne que de trois rois. En fait, pendant l’essentiel de l’ancien régime, le pouvoir royal, qui va peu à peu prendre en importance, a toujours été limité, non par des règles écrites et clairement définies, mais par la tradition et les usages, qu’un roi n’aurait pu transgresser sans provoquer bien des troubles intérieurs. Ainsi, le roi sera longtemps considéré comme tenu de gouverner après avoir pris conseil, ces conseillers étant issus de la haute noblesse et du clergé. C’est l’époque dite du gouvernement à grand conseil. Il y avait même un cas de conseil très élargi réunissant sur convocation du roi des représentants de toute la population du royaume, pour prendre les décisions les plus graves comme la création d’un nouvel impôt : les États Généraux. Immanquablement, la haute noblesse va tirer de ce droit de conseiller le roi l’idée que finalement elle ne vaut pas moins que lui, et ma foi serait peut-être à son aise sur ce trône, ou à tout le moins, assises à côté en permanence. Les guerres de religion sont une occasion pour les plus puissants de lorgner sur le trône (coucou le Duc de Guise) et un point de non retour est atteint avec la Fronde. Le jeune Louis XIV ne pardonnera pas sa révolte à la noblesse et va consacrer son règne à la domestiquer. C’est sous son règne que naît l’absolutisme de droit divin : le roi est roi car Dieu l’a voulu, et le contrecarrer, c’est contrecarrer Dieu, rep a sa la noblesse.
Le roi absolu est législateur, il fait la paix et la guerre, gère son royaume, et est fontaine de justice : les juges jugent en son nom et par délégation (voilà pourquoi les magistrats de la cour de cassation portent encore aujourd’hui le manteau royal d’hermine), et il peut décider de juger lui-même n’importe quelle affaire, Nicolas Fouquet en fera les frais. Et c’est cet absolutisme que les Lumières vont critiquer, dont tonton Charles, Montesquieu lui même. Notons que les Lumières n’étaient pas majoritairement pro-démocratie. Il faut se souvenir que la majorité du peuple était illettrée et sans éducation, et l’idée de lui confier la souveraineté était peu attirante pour les bourgeois et la petite noblesse dont étaient issus les philosophes. Ainsi, le modèle de bien des philosophes des lumières est le despotisme éclairé (par des philosophes), ou, pour Montesquieu, un retour de l’aristocratie aux côtés du roi, l’aristocratie incluant les noblesses d’épée, la plus ancienne, mais aussi celle de robe, à laquelle, tiens, quel hasard, appartenait Montesquieu. L’évolution de l’Angleterre, avec ces rois soumis au Parlement, était la référence (cela changera plus tard avec la Révolution américaine qui montrera que la bourgeoisie terrienne, lettrée et éduquée, est parfaitement apte à se prendre en main, et c’est ce modèle qui inspirera le début de la Révolution française).
Dans son Esprit des Lois, il distingue les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (Livre XI, chap 6) :
Il y a, dans chaque État, trois sortes de pouvoir : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du choix des gens et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil. […] Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; […] il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice.
Et pose le principe que
“C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir” (Livre XI, chap. 4).
Et pour cela, il faut que ce ne soit pas la même personne qui exerce chacun de ces pouvoirs, car on ne peut se contrôler soi-même (puisqu’on est porté à abuser de son pouvoir, soyez à ce qu’on vous dit).
Voilà le sens de la séparation des pouvoirs : ils sont exercés par des entités séparées POUR POUVOIR SE CONTRÔLER RÉCIPROQUEMENT. L’expression “équilibre des pouvoirs” est d’ailleurs plus proche de la pensée de Montesquieu que le mot séparation, qui n’est qu’un moyen de parvenir à cet équilibre. Les américains ont parfaitement compris Montesquieu et leur Constitution est un modèle de ces checks and balances, le président Trump vient d’en faire l’expérience. La France s’est fourvoyée d’emblée et est poursuivie par cet atavisme : depuis la révolution, la séparation des pouvoirs implique que chacun fait ses affaires dans son coin sans regarder ce qui se passe chez l’autre. Ainsi, la loi des 16 et 24 août 1790, qui posera le principe en son article 13 :
Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations du corps administratif ni citer devant eux les administrateurs en raison de leurs fonctions.
De là l’idée, encore vivace aujourd’hui, que le gouvernement et la légifération sont des choses trop sérieuses pour que les juges puissent en connaître, et devraient être des zones de non-droit, qui, contrairement à celles des périphéries, ne posent aucun problème républicain.
Mais à y réfléchir, c’est totalement incompatible avec un autre principe essentiel en démocratie : l’égalité devant la loi. Comment peut-on admettre qu’une catégorie de personnes, qui n’ont de cesse de présenter leurs fonctions comme un service du peuple et de la république, presque un sacrifice, les dispenserait de respecter la loi et les mettrait à l’abri de la loi pénale ? Même l’immunité présidentielle absolue de notre Constitution est critiquable ; quant au privilège de juridiction dont jouissent les ministres avec la Cour de Justice de la République, je crois que la récente affaire Lagarde a condamné cette anomalie. Que certaines immunités attachées aux fonctions existent, soit. Ainsi en est-il de l’immunité de parole dont jouit un parlementaire en séance (immunité non absolue, il encourt des sanctions disciplinaires prononcées par l’assemblée, mais ne peut être condamné pour injure ou diffamation par exemple). Les avocats jouissent de la même immunité à la barre d’ailleurs. Mais comment justifier une absence de contrôle de la dépense de l’argent de l’État ? Comment soutenir que les députés pourraient faire bénéficier leurs proches de l’argent qui leur est confié pour l’exercice de leur mandat, voire à leur propre profit, non parce que ça serait légal, mais parce qu’il serait interdit de leur reprocher de l’utiliser à d’autres fins sous peine de mettre fin à la démocratie ? Imaginons qu’un député irritable et mécontent de son assistant parlementaire l’abatte froidement dans son bureau. Invoquera-t-on la séparation des pouvoirs pour refuser qu’on le juge pour meurtre ? Absurde, n’est-ce pas ? C’est pourtant ce raisonnement que proposent les auteurs de cette tribune.
Aujourd’hui, cette séparation des pouvoirs s’exprime essentiellement par le jeu des incompatibilités : un ministre ne peut être député ou sénateur (même si la réforme de 2008 lui permet de récupérer son siège sans élection quand il démissionne) ; un magistrat élu député cesse provisoirement d’exercer ses fonctions (la magistrature s’est débarrassée de quelques boulets grâce à la politique). Les contrôles réciproques existent : l’exécutif peut dissoudre l’assemblée, l’assemblée peut renverser le gouvernement. Le fameux 49.3 s’inscrit dans ce système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs, quoiqu’on en dise, puisque l’exécutif met le législatif face à ses responsabilités, en disant “c’est cette loi ou moi”. Soit le législatif renverse le gouvernement, soit il ne le fait pas, et dans ce cas, il est regardé comme ayant adopté la loi casus belli. Mais il ne peut refuser au gouvernement les moyens de son action tout en prétendant le soutenir (ce qui était le mode de fonctionnement habituel de la IVe république).
Et le judiciaire est là pour assurer l’égalité de tous face à la loi, à commencer par ceux qui la votent et qui sont d’autant plus inexcusables de ne pas la respecter.
Ainsi, l’enquête visant un député, fut-il candidat, loin de violer la séparation des pouvoirs, en est une excellente application, de conserve avec un autre principe essentiel qui fait que notre république mérite malgré tout ce titre : l’État de droit, dont le pouvoir judiciaire est le gardien.
Un éditorial de l’Opinion, sur lequel mon ami Bruce d’e-penser (ce “de” est bien sûr une particule) a attiré mon attention, réussit l’exploit de condenser l’essence de l’incompréhension des non-juristes sur la logique juridique, qui est toute pardonnable, et des clichés que cette incompréhension peut susciter pour peu que l’aveuglement idéologique s’en mêle, ce qui l’est moins, pardonnable. Bravo à Olivier Auguste donc pour ce tour de force. Pour les esprits un peu plus curieux qui voudraient comprendre avant de se faire une opinion, sans majuscule celle-ci, je propose quelques mots d’explication qui je l’espère vous feront comprendre que dans cette affaire, non seulement la Cour de cassation ne pouvait faire autrement que de statuer ainsi, mais qu’en outre, c’est très bien qu’elle ait statué ainsi, eu égard aux enjeux, qui dépassent, et de loin, un trottoir devant la propriété de notre héros malgré lui dans cette affaire.
Avouez que mes phrases interminables vous avaient manqué.
Voici les faits, tels qu’ils ressortent de la décision de la Cour de cassation, c’est à dire ceux que toute personne un peu curieuse, comme un journaliste est censé l’être, pouvait savoir rien qu’en la lisant. Il suffisait de cliquer sur le lien “en savoir plus” sur la page qui a inspiré cet éditorial à notre ami Olivier Auguste.
Sébastien X. est l’heureux propriétaire d’un lot dans le Lot, sur lequel se trouve une maison d’habitation et un garage. On y accède par un portail donnant sur la voie publique, par lequel une automobile peut passer afin de rejoindre le garage. Le trottoir devant cet accès est abaissé, formant ce que l’on appelle une entrée carrossable et plus couramment un bateau.
Un jour, mû par la flemme ou peut-être parce qu’il ne comptait pas rester longtemps chez lui, peu importe, Sébastien X. a garé sa voiture devant l’accès à sa propriété, au niveau du bateau. “Que diable, a-t-il dû se dire, je ne gêne pas puisque seul moi ai vocation à utiliser cet accès. Or en me garant ainsi, je manifeste de façon univoque que je n’ai nulle intention d’user de ce dit passage”. Oui, Sébastien X. s’exprime dans un langage soutenu, ai-je décidé.
Fatalitas. Un agent de police passant par là voit la chose, et la voit d’un mauvais œil ; sans désemparer, il dresse procès-verbal d’une contravention de 4e classe prévue par l’article R.417-10 du code de la route : stationnement gênant la circulation. Sébastien X., fort marri, décide de contester l’amende qui le frappe, fort injustement selon lui.
C’est ici qu’une pause s’impose.
Une contravention est une infraction, la première et la moins grave des trois catégories que connait le droit pénal, on en a déjà parlé. Elle n’est punie que de peines d’amendes depuis 1994 et la fin des peines de prison contraventionnelles. La circulation routière est une source féconde de ces infractions, mais elle est loin d’être la seule (pensons à la police des transports, c’est à dire les contrôleurs qui égayent nos voyages en train et en autobus) ; mais c’est sans doute celle à laquelle le plus de Français sont confrontés, ce qui fait que les mots contravention et procès verbal sont entrés dans le vocabulaire courant comme synonyme d’infraction routière et d’avis de contravention, le petit rectangle de papier laissé sous l’essuie-glace pour informer le possesseur du véhicule qu’il va à son corps défendant contribuer à résorber le déficit budgétaire. En principe, une contravention relève du tribunal de police, siégeant à juge unique, selon une procédure assez proche de la correctionnelle. On est en matière pénale, que diantre.
Mais en matière routière, vu la masse considérable de contraventions constatées (on parle de plusieurs millions par an), un système dérogatoire du droit commun a été mis en place qui donne à ces contraventions de faible gravité de plus en plus le caractère d’une sanction administrative : la procédure dite de l’amende forfaitaire, prévue par les articles 529 et suivants du code de procédure pénale.
Ainsi, la plupart des contraventions routières ne passent pas devant un juge, ni même devant un magistrat du parquet.
Je ne vais pas rentrer dans les détails, qui sont aussi passionnants qu’une notice de montage Ikea, les dessins en moins. Pour faire simple : on vous propose de payer une somme réduite, paiement qui éteint l’action publique, c’est-à-dire que vous ne pouvez plus être poursuivi pour ces faits, comme si vous aviez déjà été jugé (alors que par définition, vous ne le fûtes point). Si vous payez spontanément dans un délai de généralement 45 jours, vous payez une amende forfaitaire minorée dont le montant est fixé par décret. Au-delà, vous passez à l’amende forfaitaire normale, en raison du surcoût du traitement du dossier. Si la contravention est mise en recouvrement forcée, c’est une somme majorée qui vous est réclamée. Dans le cas de notre ami Sébastien, le stationnement gênant est une contravention de 4e classe. L’avis de contravention l’invitait à s’acquitter de la somme minorée de 35 euros, sous peine de devoir payer l’amende forfaitaire de 68 euros, l’amende majorée étant de 180 euros.
La loi prévoit cependant une possibilité de recours. Fichu pays de droitdelhommiste, on ne peut être condamné sans avoir droit à défendre sa cause devant un juge.
La procédure de l’amende forfaitaire est interrompue par l’envoi d’une requête au ministère public, qui dans ce cas doit porter l’affaire devant la juridiction compétente, aujourd’hui le tribunal de police, mais à l’époque la juridiction de proximité, juridiction supprimée depuis. Les juges de proximité sont nés d’une de ces mesures gadget que les présidents nouvellement élus affectionnent tant, laissant le soin à leurs ministres de gérer son caprice et à son successeur d’y mettre fin. En l’occurrence, c’était l’idée du président Chirac de recruter des juges non professionnels, fort mal payés, pour siéger dans les affaires les plus simples, un peu comme les anciens juges de paix. Ils jugeaient les affaires civiles jusqu’à 4000 euros, et les contraventions des classes 1 à 4. Ils pouvaient aussi compléter une formation correctionnelle collégiale.
Sébastien X. présente sa requête, qui aboutit devant le juge de proximité de Cahors, qui y fait droit et le relaxe le 18 octobre 2016, au motif “qu’il n’est pas contesté que l’entrée carrossable devant laquelle était stationné le véhicule de M. X. est celle de l’immeuble lui appartenant qui constitue son domicile et dessert son garage, et que le stationnement de ce véhicule, sur le bord droit de la chaussée, ne gêne pas le passage des piétons, le trottoir étant laissé libre, mais, le cas échéant, seulement celui des véhicules entrant ou sortant de l’immeuble riverain par son entrée carrossable, c’est à dire uniquement les véhicules autorisés à emprunter ce passage par le prévenu ou lui appartenant”.
Le code de procédure pénale prévoit que l’appel n’est possible que d’un jugement prononçant une peine, ce qui par définition n’est pas le cas d’un jugement de relaxe. L’officier du ministère public, qui représente le parquet devant les juridictions de proximité et le tribunal de police, et qui était un fin juriste, s’est étranglé en lisant cela et a formé le seul recours possible contre cette décision : le pourvoi en cassation.
Et bien lui en a pris car le 20 juin dernier, la cour de cassation a cassé, c’est-à-dire annulé ledit jugement. Et là encore conformément à la procédure en vigueur depuis Napoléon, a renvoyé l’affaire pour être à nouveau jugé devant une juridiction identique à celle dont la décision vient d’être cassée et que la cour désigne dans sa décision, en l’occurrence le tribunal de police de Figeac.
Pourquoi la cour de cassation a-t-elle mis à l’amende ce jugement ? Pour deux séries de motif dont chacun à lui seul justifiait la cassation.
Le premier, et donc le plus important, est une violation par le juge de l’article R. 417-10, III, 1° du code de la route, ce qu’un coup d’œil à l’article nous apprend qu’il dispose : “Est également considéré comme gênant la circulation publique le stationnement d’un véhicule :
1° Devant les entrées carrossables des immeubles riverains.”
Or, nous dit la cour de cassation, les mots “circulation publique”, désignent aussi celle des véhicules de secours ou de sécurité, et ainsi le stationnement, sur le domaine public, devant les entrées carrossables des immeubles riverains, est également applicable aux véhicules utilisés par une personne ayant l’usage exclusif de cet accès. Le juge de proximité s’est planté grave (ça c’est de moi, je résume).
Le second est un problème procédural qui fait les cauchemars des avocats plaidant devant les tribunaux de police : la force probante des procès verbaux en matière de police de la circulation. Alors que le principe, fort méconnu des magistrats il est vrai, est qu’un procès-verbal constatant une infraction n’a valeur que de simple renseignement (art. 430 du code de procédure pénale), en matière de police, ils font foi jusqu’à preuve contraire qui ne peut être apportée que de deux façons : par écrit ou par témoin (art. 537 du code de procédure pénale, très bien connu des magistrats celui-là). Il faut comprendre que les faits constituant une contravention sont par nature matériellement très simples (le feu était rouge, la voiture garée sur une piste cyclable, etc.). Les constater ne demande aucune analyse en droit, aucune interprétation des faits, juste de les constater. En conséquence, la loi donne à cette constatation une force probante qui suffit à triompher de la présomption d’innocence. Si le prévenu conteste, ce n’est pas parole contre parole, la loi dit que la preuve a été rapportée. Il faut dans ce cas battre cette preuve en brèche, en apportant la preuve que ce qui est constaté est inexact, soit en produisant un témoin des faits, soit un écrit qui prouve que les faits ne se sont pas produits comme le dit le procès-verbal. Or Sébastien X. n’a produit ni écrit ni témoin prouvant que son stationnement n’était pas gênant pour la circulation, contrairement à ce que dit le procès-verbal. Dans ces conditions, le juge de proximité ne pouvait pas se contenter de dire qu’il n’est pas contesté par l’officier du ministère public que le stationnement ne gênait ni la circulation des automobile ni celles des piétons. Le juge devait exiger que cette preuve fût rapportée, par écrits ou par témoin. En ajoutant au procès-verbal des précisions qu’il ne contenait pas, le juge de proximité a violé l’article 537 du code de procédure pénale.
Bref, ce jugement violait deux textes de loi. Et il faudrait s’émouvoir qu’un recours ait été formé pour l’annuler ?
Eh bien oui, visiblement, puisque cela a ému notre ami Olivier Auguste qui ne trouvant les mots pour démontrer son indignation, récite la vulgate libertarienne de son journal : “Il y aurait de quoi en rire si le cas n’était pas symptomatique d’une administration qui justifie son hypertrophie en produisant règlements, procédures, obligations, interdictions, puis réclame encore plus de « moyens » pour sanctionner leur non-respect (les chefs d’entreprise, agriculteurs, directeurs d’hôpitaux ou maires de petite commune ne nous démentiront pas). Au passage, il est légitime de se demander combien a pu coûter à l’Etat la mobilisation d’un agent de police judiciaire, d’une juridiction première instance, de quatre magistrats et un greffier de la Cour de cassation, et bientôt d’un nouveau tribunal pour rejuger l’affaire cassée, dans l’objectif de récupérer une amende à… 35 euros.”
Wow. Du calme, Olivier. Ce cas n’est pas “symptomatique d’une administration” prétendument hypertrophiée, puisque l’administration, qui est le bras séculier de l’exécutif, n’a rien à voir avec une affaire judiciaire. Et crois-moi, pour la fréquenter depuis 20 ans, je peux te le dire : l’autorité judiciaire est tout sauf hypertrophiée. Elle est même en état d’atrophie chronique depuis avant ta naissance. Alors oui, elle réclame plus de moyens, vu qu’elle est en sous-effectif, n’a pas de budget de fonctionnement suffisant pour l’année, paye ses créanciers avec beaucoup de retard, ce qui ne se fait pas et peut remettre en cause leur survie économique. Les chefs d’entreprise, agriculteurs, directeurs d’hôpitaux ou maires de petite commune ne nous démentiront pas. Bref, elle se comporte pire que bien des sociétés en cessation des paiements dont elle ordonne la liquidation judiciaire.
Il est légitime de demander combien a pu coûter à l’Etat le temps de travail de tous ceux qui se sont penchés sur la question ? Difficile à dire. Moins qu’un hélitreuillage présidentiel dont le seul objet était de servir d’opération de comm’ à celui-ci, sans nul doute. Mais là où tu te trompes encore plus que sur le reste, c’est en disant que l’enjeu était de 35 euros. Outre qu’il est en réalité de 750 euros, maximum de l’éventuelle condamnation du contrevenant, puisque la procédure forfaitaire a pris fin à la demande du prévenu, outre le fait qu’on peut s’étonner que tu t’étrangles face au recours fait par l’officier du ministère public sans rien trouver à redire que notre ami Sébastien ait le premier fait un recours contre une amende à 35 euros, l’enjeu véritable est en réalité de taille.
En droit comme en économie, il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Cette formule n’est pas de moi, c’est de quelqu’un qui est plutôt bien vu dans ta rédaction. Et je vais te faire une confidence, à toi et à tous les lecteurs qui me lisent. Le fait que l’enjeu était de 750 euros maximum et que l’affaire ne va probablement pas être rentable pour l’Etat n’a pas échappé au président Guérin, ni à M. Parlos, conseiller rapporteur, ni à M. Straehli, conseiller de la chambre ; ni à l’excellente Mme Guichard, greffière de chambre, ni à M. l’avocat général Cuny qui tous ont dû se pencher sur la question. Mais la question n’était pas financière, elle était juridique.
La loi, en interdisant de se garer devant un bateau, ne crée pas un privilège pour les occupants de la propriété concernée leur allouant à perpétuelle demeure une fraction du trottoir réservée à leur usage personnel. Elle ne crée pas une place de parking gratuite et réservée aux propriétaires fonciers. Comme le précise la cour de cassation, l’obligation de laisser cet accès libre est aussi destinée à permettre le cas échéant l’intervention des services de secours et d’urgence ; par exemple en cas d’incendie, le portail grand ouvert, au besoin par la force, permettra de faire passer tous les tuyaux et au personnel de circuler rapidement et aisément, pour évacuer des blessés. C’est cela que protège avant tout la loi, et cela protège toute personne se trouvant dans la propriété, qu’elle soit la seule personne usant le garage ou non. Cela peut paraître évident mais en fait ça ne l’est pas, et pas mal de gens croient à tort qu’ils peuvent se garer devant leur garage, puisque ça ne peut gêner personne d’autre qu’eux même. Dame ! Le juge de proximité de Cahors lui-même a fait cette erreur. Le problème est que laisser cette décision subsister, ne fut-ce que par pragmatique souci de faire des économies, crée une décision judiciaire validant cette erreur. Que ne commettra pas la juridiction voisine. Ce que ne comprendront pas les citoyens : pourquoi à Cahors peut-on se garer devant son garage et pas à Figeac ou à Guéret ?
L’égalité devant la loi est un principe fondamental. Les révolutionnaires, qui comme leur nom ne l’indique pas étaient de sacrés libéraux, l’ont dit eux-même un 26 juillet 1789 : la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 5. Et oui, cela s’applique même aux règles de stationnement. Car si chaque citoyen commence à considérer que chacun peut adapter la loi à sa sauce, que le “bon sens”, ce sens qui curieusement nous donne toujours raison même quand on a tort, l’emporte sur les “réglementations”, ce sont rien de moins que la fondation de la société qu’on attaque. Sans hyperbole. Cela promeut l’idée que ceux qui suivent les règles sont au mieux des naïfs psychorigides et au pire des idiots. C’est une évidence qu’il faut pourtant rappeler : le respect généralisé de la loi est mieux que son irrespect généralisé (une simple ballade en voiture dans Catane en Sicile vous le démontrera) et ce respect généralisé repose sur une condition préalable : que ce respect soit imposé à tous de la même façon. Et c’est là l’essence du rôle du pouvoir judiciaire, depuis son invention par les Lumières.
Comme vous le voyez, les enjeux derrière cette décision dépassent largement Sébastien X., Cahors, ou 35 ou 750 euros. C’est pourquoi, sans même avoir besoin de les consulter, je peux vous dire que ni le président Guérin, ni M. Parlos, conseiller rapporteur, ni M. Straehli, conseiller de la chambre ; ni Mme Guichard, greffière de chambre, ni M. l’avocat général Cuny n’ont eu l’impression de perdre leur temps en rendant cette décision.
I concur.
Mise à jour du 21 août :
Olivier Auguste a pris la peine de rédiger une réponse à ce billet, qu’il a choisi de publier sur Facebook. En voici le lien.
Aujourd’hui, la profession d’avocat, mais pas qu’elle, il y aura d’autres professions judiciaires à ses côtés, manifeste. C’est assez rare dans son histoire, encore que ces dernières années, ça devient récurrent. Et cet après-midi, c’est avec joie et fierté que je serai à côté de centaines de mes confrères, venus de toute la France dans le cadre de cette journée justice morte, pour porter la colère croissante d’année en année qui nous anime.
Mais battre le pavé, c’est bien. Cela attire l’attention des médias, donc du gouvernement, mais se présente aussitôt une difficulté de taille. Faire comprendre à nos concitoyens, nos égaux, nos frères dans la République, pourquoi nous défilons, et en quoi c’est un peu pour nous, et beaucoup pour vous. Une réforme de la justice, c’est un catalogue de mesures, sans lien entre elles hormis un : faire des économies de bouts de chandelles pour pousser un système déjà à bout de souffle à faire un peu plus pour beaucoup moins. Donc les revendications deviennent aisément une liste de doléances, qui chacune méritent une explication, car en face, l’argumentation est toute faite : on vous promet de la simplicité et de la gratuité, faites-nous confiance. Vous savez, comme Facebook.
Ainsi donc, une nouvelle fois, et je le redoute, pas la dernière, des milliers d’avocats vont, une fois de plus, et pro bono cette fois, défendre vos droits. Rappeler cette vérité têtue, aussi inflexible que l’obstination des gouvernements successifs à refuser de la voir ; la justice française est famélique et indigne de la place que la France prétend occuper dans le monde. La France consacre à la justice un budget par habitant de 64 euros. Le Luxembourg, 139. Les Pays-Bas, 122. La Suède, 103. L’Allemagne, 96. La France consacre aux plus démunis 300 millions au titre de l’aide juridictionnel. Le Royaume Uni a sabré son budget de Legal Aid sous David Cameron, en l’abaissant à… deux milliards. Et toute la communication gouvernementale qui met en avant les augmentations du budget de la justice d’une année à l’autre oublie de vous dire que l’administration pénitentiaire, qui a vu ses missions se diversifier considérablement, absorbe la quasi intégralité des ces moyens.
Il y a des centaines de postes de juges ou de procureurs vacants. Cela veut dire une surcharge de travail pour les autres, et une répercussion sur les délais de traitement des dossiers. On en est à plus de deux ans pour l’appel de dossiers de licenciements. Sans oublier la souffrance humaine qui est derrière, ceux qui ont connu des charges de travail excessifs avec la pression de la hiérarchie pour tenir des chiffres arbitraires comprendront. Pas seulement pour les magistrats, mais selon la théorie du ruissellement, cela impacte aussi, et plus lourdement, les professions, appelons les de soutien faute de mieux, que sont les greffiers et les adjoints administratifs, les petites mains sans qui rien ne se fait. Un mot pour les greffiers, alors même qu’ils mériteraient un livre. Les greffiers ne sont pas les secrétaires des juges. Ils ne sont pas leurs subordonnées, ils en sont indépendants (ils ne sont même pas notés par eux) mais sont les garants de la procédure et de la sincérité des actes de la justice. Un jugement n’est qu’une feuille de papier imprimée tant que le greffier n’a pas apposé dessus le sceau de la République (la Liberté sous forme de Junon, que curieusement ont appelle la Marianne) et sa signature. C’est le greffier qui s’assure que le juge rend sa décision au terme d’un processus fidèlement décrit pour que chacun puisse en apprécier, et au besoin en contester, la légalité. C’est le contre-pouvoir du juge. Et toutes ces réformes de bout de ficelle, ce sont elles et eux qui se les prennent dans la figure. Nous, avocats, on ne se prend que les ricochets, et déjà on chancelle sous l’impact. Pour ma part, je ne suis pas sûr que je pourrais encaisser ce que le greffe encaisse depuis des années. Greffiers, et greffières, vous avez mon respect et mon admiration. Voilà, c’est dit.
Et donc comme d’habitude, plutôt que de lancer la seule réforme dont la justice a besoin, une augmentation drastique de ses moyens sur une période de quelques années, car soyons clairs : en 5 à 10 ans, on pourrait se doter d’une justice efficace, rapide, qui ferait l’envie de bien des pays, et sans grever le budget de l’Etat, car la Justice, c’est 6,980 milliards d’euros par an (en incluant la pénitentiaire), c’est à dire, 1,8% du budget national, pour un pouvoir régalien essentiel qui concerne tous les citoyens au quotidien.
Voilà ce que nous voulons avant tout : une justice de qualité, qui a assez de moyens humains pour consacrer à votre affaire le temps nécessaire et parvient à la trancher dans un délai raisonnable. Bien sûr, cela aura un impact plutôt agréable sur ma pratique professionnelle au quotidien, je ne vous le cache pas. Mais pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que ne plus avoir à gérer les angoisses d’un client dans une situation personnelle critique qui attend le jugement qui y mettra fin a surtout un impact positif pour le client dans une situation critique. Et ce client, ce sera peut-être vous un jour.
Et au lieu de ça, quel est l’inventaire à la Prévert que nous a annoncé la Chancellerie ?
La suppression de la justice d’instance, celle qui traite les affaires de moins de 10.000 euros, à la procédure simplifiée, sans avocat obligatoire mais ce n’est pas une bonne idée de s’en passer surtout s’il y en a un en face, pour en faire une chambre détachée du tribunal de grande instance. “On ne fermera aucun lieu de justice” nous répète la chancelelrie comme un mantra. Elle ne parle même plus de tribunal : c’est un simple lieu.
Et pour cause, les petits litiges seront traités en ligne. Et tant pis pour ceux qui n’ont pas internet ou ne sont pas à l’aise avec un ordinateur, ils ne sont pas StartUp Nation Ready. Ils iront dans un “lieu de justice” ou une borne interactive les attendra. Et si vous vous plantez ? Vous découvrirez l’autorité de la chose jugée. C’est comme le droit à l’erreur, mais en exactement le contraire.
La réforme se propose aussi de retirer à la justice des contentieux comme celui des révisions de pensions alimentaires, pour la confier à la Caisse d’Allocation Familiale. En quoi une caisse de sécurité sociale a les compétences pour fixer une dette civile, on s’en fout c’est moins cher (en vrai, ce sera un algorithme que fixera ça mais vous n’en saurez rien, la formule ne sera jamais publiée). Et de rendre obligatoire avant tout procès une tentative de règlement amiable, médiation (payante), conciliateur de justice, et à terme des sociétés privées agréées qui règleront ça à coups d’algorithmes (payants), la nouvelle drogue des comptables qui nous dirigent. La médiation, c’est comme le sexe, c’est bien, mais à condition que ce ne soit pas forcé. Obliger des gens qui ne le souhaitent pas, ou ont déjà essayé mais échoué, est une perte de temps, qui retarde d’autant la prise d’une décision qui tranche le litige. Sans oublier qu’une fois un procès lancé, la recherche d’une solution amiable est toujours possible, et même peut la faciliter quand une partie sent le sol se dérober sous ses pieds une fois que les preuves sont produites et argumentées.
Au pénal, c’est la cour d’assises qui est dans le collimateur. On veut créer un tribunal criminel qui jugera les crimes sans les jurés. Eh oui, même vous, citoyens appelés à participer à l’œuvre de justice, vous êtes un coût dont on veut se débarrasser. Et comme même quand on vous poursuit, vous dérangez, on vous met dans des cages, des cages partout (même les interprètes seront en cage au nouveau palais à Paris), ça permet d’économiser sur les escortes ; ou mieux encore, des visioconférences depuis les prisons, dans des pièces vides qui résonnent, où vous verrez votre liberté se jouer sur un écran. Hop, un transfèrement d’économisé. En attendant qu’un algorithme règle tout ça, probablement.
Des rustines, des gadgets, du bricolage, aucune ambition.
Donc cet après midi, je marcherai, car les rustines, c’est bon pour les vélos, mais pas pour la justice, qui en démocratie est la seule forme valable de règlement des litiges, qui les tranche non par le recours à la force et la violence, mais par le débat, par le droit, par l’argumentation et fondamentalement par la Raison.
Un peu pour moi, beaucoup pour vous.
Aujourd’hui, j’accueille sur mon blog un confrère, BetterCallBen, qui a voulu exprimer par écrit son désarroi après avoir assisté en garde à vue un mineur interpellé lors de la manifestation du 1er mai dernier. Voici son récit, que je commenterai ensuite dans une postface. Bonne lecture.%%Eolas
Je suis avocat. D’aucuns diraient un jeune avocat puisque je n’exerce que depuis un peu plus de 3 ans. Je pratique essentiellement le droit des étrangers et le droit pénal, que j’enseigne par ailleurs à l’Université depuis plusieurs années. Au travers de ces enseignements, je distille modestement à mes étudiants un certain nombre de principes, dont certains me semblaient jusque-là immuables et inscrits dans le marbre de l’évidence : le principe de légalité, impliquant que nul ne peut être poursuivi ni condamné sans texte ; le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui veut que celle-ci soit claire et intelligible pour que personne ne puisse être poursuivi ou condamné pour un comportement qui ne serait pas strictement prescrit ; ou encore le droit à la sûreté, entendu comme la garantie de ne pas être poursuivi, condamné ou détenu arbitrairement. En somme, le sceau de la confiance des citoyens en une réaction de l’État justifiée, nécessaire et proportionnée. Erigés au rang de droits de l’Homme en 1789, héritage de la pensée précurseure de Cesare Beccaria, je n’avais naïvement que peu de doute dans leur parfaite effectivité, tant ils relèvent aujourd’hui de l’évidence.
Or, sans doute tout aussi naïvement, j’ai pu récemment faire le constat de mon erreur en croisant le chemin de celui que l’on appellera Paul, un mineur de 15 ans, privé pendant plus de 50 heures de sa liberté pour avoir simplement décidé, un mardi 1er mai 2018, de se rendre à sa première manifestation.
Paul a 15 ans donc. Il vit dans un milieu social en apparence confortable, en banlieue parisienne. Précoce à la curiosité débordante et doté d’une maturité certaine pour son âge, Paul se passionne pour nombre de sujets qui croisent son quotidien, un jour la mécanique, un autre la photo, et ce jour ce fût les mouvements sociaux se cristallisant en cette grande messe annuelle qu’est le 1er mai. « Je veux y aller pour défendre tes droits » dira-t-il à sa mère. Il veut surtout y aller par goût de la curiosité, de la découverte du monde des adultes, l’envie de jouer les reporters en culotte courte et sans doute aussi par le caractère transgressif de la contestation sociale, fût-elle légalement orchestrée. Derrière son côté tête brûlée, Paul reste raisonnable et se renseigne sur Internet sur ce qu’implique la participation à une telle manifestation, sa première ! Il découvre les risques d’échauffourées, les groupuscules extrémistes sources de violences et de dégradations, et la réaction étatique au goût âcre et asphyxiant des lacrymos. Prudent, il décide donc de se munir d’un masque de ski et d’un masque de chantier pouvant filtrer l’air ambiant, celui que l’on trouve à la quincaillerie du coin de la rue, rudimentaire mais qui fait le job.
Et le voilà parti pour Paris, accompagné de son Sancho Pança, à la conquête de l’assouvissement de sa curiosité juvénile. Il se mêle à la foule, sous les banderoles de la CGT. Il filme la foule, en immersion avec sa Go Pro, se sentant l’âme d’un journaliste d’investigation. Quand soudain, son périple le conduit dans une masse plus sombre, plus enragée, plus vindicative. Et tout s’accélère. Il voit la masse se mettre à courir, s’en prendre au mobilier urbain, envahir et mettre à sac un fast-food, piller une concession automobile, tout ça au vu et au su de tous. Mais où est passé l’État ? Notre Bernard de la Villardière en herbe constate les stigmates de ces invasions barbares au moment où les CRS interviennent enfin, exhortant les badauds présents à se réunir à distance des assaillants, entre deux rangées de l’unité d’intervention.
Ai-je croisé le chemin de Paul à l’occasion de cette manifestation, dans ce groupe de rescapés ? Non, je n’y étais pas. J’avoue que cela ne m’intéresse guère et pour en avoir vu le déroulement, je loue mon désintérêt. Puis, je ne l’aurais sans doute jamais remarqué. Ou bien si, et je l’aurais sans doute jugé du haut de son mètre soixante et à son air de poupon. Jugé sa présence à un tel évènement, sur fond d’une morale sans origine ni fondement, dictant qu’il serait trop jeune, qu’il n’aurait rien à faire, « mais que font ses parents ?! » Bref, une morale qui n’a finalement que peu lieu d’être, la sagesse n’attendant pas le nombre des années et, en tout état de cause, la loi n’interdisant pas une telle présence à un tel évènement. Non. J’ai croisé le chemin de Paul en garde à vue après avoir reçu un appel me désignant pour l’assister dans le cadre de cette procédure.
Car la prétendue oasis de protection formée par les unités d’intervention se mua progressivement, sans crier gare, sans violence ni d’un côté ni de l’autre, sans heurts, sans cris, en une nasse d’interpellation, arbitraire, indifférenciée, impartiale, conduisant tout ce beau monde en fourgons vers le SAIP (service d’accueil et d’investigation de proximité) compétent. Ils partirent 34.500 ; mais par un prompt renfort, ils se virent 102 à payer le prix fort. 102 placés en garde à vue. Taclé de toute part pour sa carence dans la gestion des violences et dégradations, l’exécutif a fait le coq en s’enorgueillissant de ce chiffre brandi comme une panacée. 102 parmi lesquels Paul, 15 ans. Première manifestation, première garde à vue, grosse journée pour notre assoiffé de curiosité.
Motifs de la garde à vue ? Participation à un groupement en vue de commettre des violences et/ou dégradations, d’une part, alors qu’il n’était qu’un marcheur passif, qu’un témoin malgré lui ? et port d’arme catégorisée d’autre part. Comment ? une arme ? Ah oui, ce qui sera considéré comme un masque à gaz, soit ce qui s’analyse en une arme défensive (Catégorie A-2) suivant le procès d’intention aux termes duquel la détention d’un tel objet est la preuve d’une volonté de participer à un groupement dont les agissements sont de nature à entrainer la projection de gaz et donc susceptible de commettre des violences et/ou dégradations. CQFD, la boucle est bouclée, au trou le présumé forcené.
Et c’est donc là que j’interviens enfin, « dès le début de la garde à vue », suivant les prescriptions de l’article 63-3-1 du Code de procédure pénale ? Si seulement.
Car voyez-vous, le scénario n’est pas nouveau et se déroule de façon similaire à l’issue de chaque mouvement social, de chaque manifestation. Arrestations en masse, engorgement du commissariat compétent, nécessité d’un « dispatching » des gardés à vue dans d’autres commissariats de la capitale aux geôles vacantes et donc transport subséquent des susnommés pour qu’enfin l’effectivité des droits de la défense puisse pleinement s’exprimer. Si on n’est pas au milieu de la nuit et si on n’a pas d’autres chats à fouetter.
Bilan : un mineur de 15 ans (il n’est pas vain de le rappeler), placé en garde à vue vers 18h, dont l’avocat est prévenu vers 19h, et qui cherche en vain à joindre un service compétent et rencontrer son client, mineur, de 15 ans, jusqu’à ce qu’il apprenne la localisation de ce dernier 10h plus tard, soit à 4h du matin, tandis que l’audition matérialisant la substance même de la garde à vue ne se fera que 10 nouvelles heures plus tard, soit à 14h, donc 20h après le début de la garde à vue, par des services débordés et exsangues, également victimes de ces décisions d’arrestation massive et irréfléchie et contraint de multiplier la paperasse pour des dossiers vides de tout fondement infractionnel.
Et Paul subit cette mesure, dans l’incompréhension la plus totale, ses parents ayant été prévenus de façon sibylline quelques heures après le début de la mesure, les laissant dans la même ignorance et incompréhension, quand d’autres ne furent informés que par un message furtif laissé sur un répondeur sur les coups de 4h du matin, soit plus de 10h après le début de la mesure, 10h à ignorer où leurs progénitures étaient passées et se morfondre en conséquence.
Je découvre alors un garçon fluet, un esprit mature dans un corps d’enfant, un ado à la nature hyperactive qui, enfermé entre 4 murs depuis près de 20h, cherche des réponses à des questions qu’il ne connait pas et qu’il se doit d’inventer, se dessine des griefs pour donner un sens à une mesure qui n’en a pas, intellectualise l’inique pour ne pas perdre la raison. Et, alors que son audition touche à sa fin et que le glas des 24h tinte déjà au loin, l’évidence d’une libération s’impose tant cette garde à vue paulienne n’a de sens. Une querelle de clochers intra/extramuros se fait alors jour au sein du ministère public : à un ordre parisien de prolongation répond un ordre ultrapériphériquien de classement 21 (infraction insuffisamment caractérisée ; en d’autres termes, il n’y a pas d’infractions, pas de motifs, nada, peanut), battu en brèche du quasi tac au tac par un contrordre capital imposant la prolongation. Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus. Du jamais vu. D’autant plus que la prolongation dans une garde à vue de mineur est un fait relativement rare, qui se doit d’être justifié par l’impérieuse nécessité de réaliser des actes d’enquêtes cruciaux pour la révélation de la vérité, souvent en réaction à la gravité ou la complexité des faits reprochés. Ici, le fait d’avoir manifesté et d’avoir pris les précautions nécessaires pour le faire. Crime de lèse-majesté.
Si le doute eut pu être permis jusque-là, il n’en est plus rien. L’opportunisme supplante la raison, le coup de filet se mue en coup de com’ numérique. Ils partirent 102, mais par un prompt renfort, ils se virent 43 à en subir le sort. 43 prolongations, quasi exclusivement des mineurs dans le commissariat dans lequel j’interviens tandis que la plupart des majeurs sortent. Mais 43 prolongations sur lesquelles on ne manquera pas de communiquer, de gloser, de pavaner comme une fierté du devoir étatique accompli.
En définitive, la garde à vue de Paul est levée au bout de 46 heures d’enfermement et de privation de liberté, après qu’une exploitation de ses appareils d’enregistrement ait révélé des photos de lui avec son chat, un cliché d’une blessure soignée par 5 points de suture après une chute à vélo qu’il conserve comme un trophée, et quelques photos et vidéos de la mobilisation en journaliste d’investigation du dimanche qu’il était, maigre butin qui le conduira à poser régulièrement la question « c’est grave d’avoir pris ces photos ? Je vais avoir des ennuis ? » se voyant déjà devant un juge, puis envoyé en foyer. Il psychote, il délire, on le rassure, on le tempère face à l’hérésie de ces hypothèses incongrues.
Pourtant, l’épilogue de ces 46 heures sonne comme un coup de théâtre. Du classement 21 envisagé avant la prolongation, on passe à un déferrement pour rappel à la loi qui se muera en réparation pénale, soit un stage de citoyenneté de 2 jours, mesure bénigne en apparence mais empreinte d’une symbolique nauséabonde, celle d’un ministère public s’arrogeant le monopole de la morale au-delà du droit, au-delà de la vacuité des faits reprochés. Rappel à la loi, mais quelle loi ? Réparation pénale, mais réparation de quoi ?
Si la pédagogie doit rester le leitmotiv de toute intervention de la justice répressive, cette pédagogie ne peut être effective sans que la sanction soit comprise et que donc que la procédure engagée à l’encontre d’un individu et les raisons sous-jacentes à celle-ci soient entendues et assimilée par ce dernier, qu’il y ait donc une cohérence et une proportionnalité entre les faits et la réponse. Comme j’ai pu le lire « il aura compris la leçon comme ça ». Oui mais quelle leçon ? Quel est le contenu de cette leçon ? Ne participe pas à des manifestations publiques et légalement organisées ? Ne te retrouve pas au mauvais endroit au mauvais moment ? Cette leçon m’échappe tout autant qu’elle échappe au droit.
Si la mésaventure de Paul peut sembler anodine et si elle sera peut-être un jour le point de départ du récit quasi héroïque d’un militantisme naissant, ou restera une simple anecdote de vie, elle est le reflet, espérons ponctuel et isolé, mais non moins alarmant, d’une justice instrumentalisée à des fins de communication politique que l’on fait peser sur les épaules d’un gamin de 15 ans, un axiome de la démonstration d’un exécutif omnipotent et répressif, et conduit à remettre en cause la confiance que chacun se devrait d’avoir dans la justesse de la réaction étatique, ce droit à la sûreté proclamé il y a près de 230 ans qui, force est de constater, ne relève toujours pas de l’évidence.
Merci à BetterCallBen pour ce témoignage. Quelques commentaires de ma part, pour anticiper d’éventuelles questions et remarques de mes lecteurs, on se connait bien depuis le temps.
Rappelons d’abord pour les mékéskidis que la garde à vue est l’état d’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit passible de prison. Sur le principe, nul ne conteste que la police judiciaire, chargée de rechercher les infractions, d’en réunir les preuves et d’identifier leurs auteurs, doit avoir les moyens légaux de s’assurer de la personne d’un suspect pendant un laps de temps nécessaire à sa mission. Le problème est ailleurs. Il est dans l’arbitraire dans lequel baigne cette mesure. J’y reviendrai.
La place de Paul était-elle à cette manif ? En tant que parent, j’opinerais que la place d’un mineur n’est en principe pas dans des endroits potentiellement dangereux, ce qu’est toujours une foule en colère. En tant que juriste, j’opinerai qu’aucun texte ne l’interdit, et que la manifestation publique au soutien d’une cause est une façon légale et légitime d’exprimer et soutenir cette cause, et qu’il serait absurde de vouloir qu’un mineur se mue en citoyen actif et éclairé le jour de ses 18 ans mais ne soit pas autorisé à exprimer une quelconque opinion avant cette date. Ainsi, le droit est du côté de Paul.
Le masque à gaz est-il une arme ? Oui, de catégorie A2, 17°, armes et matériel de guerre. Sa détention est punie de 5 ans de prison, autant qu’un fusil d’assaut. Mais il est douteux qu’un masque de peinture, dont le port est obligatoire sur les chantiers, soit qualifiable de matériel spécialement conçu pour l’usage militaire de protection contre les agents chimiques, sauf à faire des magasins de bricolage des dépôts d’arme. Mais lors pourquoi cette garde à vue ? Excellente question. J’y reviendrai.
Pourquoi la querelle de clocher entre deux parquets ? J’ai déjà connu une situation similaire en 2013, lors de la manif pour tous du mois de mai qui a dégénéré esplanade des Invalides. Beaucoup de manifestants interpellés (plus de 200), au point de saturer les commissariats parisiens, et du coup certains ont été envoyés en banlieue, donc dans des ressorts périphériques (Bobigny, Nanterre ou Créteil). Du coup leur parquet devenait compétent pour surveiller la mesure. Sauf que les déferrements (pour des rappels à la loi, seule fois de ma vie que j’ai vu cela) ont bien eu lieu à Paris. J’aime autant vous dire qu’une telle procédure devant un tribunal aurait eu une espérance de vie inférieure à celle d’un débat serein sur Twitter.
Ce que ce récit montre, une fois de plus dirai-je, est le problème fondamental de la garde à vue. Elle a une tare congénitale : elle a été conçue pour violer les droits de la défense. Elle est née d’une pratique apparue avec la loi de 1897 qui a fait entrer l’avocat dans le cabinet des juges d’instructions, qui à l’époque du code d’instruction criminelle instruisait quasiment toutes les affaires pénales, hormis les contraventions. C’était le juge de la mise en état du pénal, l’instruction pouvant se résumer à une audition, avec ordonnance de renvoi rendue dans la foulée. En 1897, après un siècle de tranquillité, les avocats arrivent dans les cabinets d’instruction. Fureur des juges d’instruction, qui perçoivent cette mesure comme dirigée contre eux, et y voient la fin de la répression et l’aube de l’ère du crime impuni (oui, la même ritournelle qu’en 2011 lors de l’arrivée de l’avocat en garde à vue, on a l’habitude d’être mal accueillis). Et pour contourner la loi, ils vont avoir une idée géniale. Le code d’instruction criminelle, comme le code de procédure qui lui a succédé désormais, prévoit que le mis en examen (l’inculpé, à l’époque) ne peut être interrogé que par le juge d’instruction, la police se contentant de recueillir les témoignages. Or le suspect, avant d’être coupable de son crime, en est forcément le témoin. Il peut donc être entendu comme témoin avant d’être inculpé et qu’un vilain avocat ne vienne déranger une si belle machine à punir. Voilà la naissance de la garde à vue. Qui, par retour de karma, va devenir la norme avec la généralisation de l’enquête préliminaire, et a fait que le juge d’instruction ne s’occupe plus que de 5% des procédures, et a rendu possible d’envisager sa suppression en 2008.
Cette tare congénitale a encore des effets sensibles aujourd’hui. La garde à vue est conçue comme le règne de l’arbitraire, pudiquement dissimulé sous des paillettes et des fanfreluches juridiques pour faire semblant que c’est rigoureusement encadré. Par exemple, en empilant des droits inutiles, qui alourdissent inutilement la tâche des enquêteurs (et du coup rallongent la garde à vue), comme l’obligation de recueillir les observations du gardé à vue sur une éventuelle prolongation. Vu qu’il est contraint de rester là, on se doute qu’il n’est pas d’accord, et qu’il le dise ne changera rien. À Paris, on lui notifie même les droits liés à une arrestation en haute mer. Oui, à Paris. (C’est sur le PV de notif, entre le droit de faire des observations et la remise du document prévu par l’article 803-6 qu’en fait on ne lui a pas remis mais on lui fait signer un papier qui dit que si). La jurisprudence veille à protéger cet arbitraire, même si la CEDH tente d’y mettre bon ordre, et y parviendra, quitte à ce que ça mette le temps. Ainsi, la cour de cassation fait de la décision de placement en garde à vue une décision souveraine, ce sont ses mots, de l’officier de police judiciaire. Pas de contrôle de nécessité ou de proportionnalité.
La garde à vue a lieu sous le contrôle du procureur de la République, sauf quand elle a lieu dans le cadre d’une instruction. Oui, le juge d’instruction, qui seul peut interroger les mis en examen, chapeaute leur audition par les services de police tant qu’ils ne sont pas mis en examen. La loi a consacré leur rébellion de 1897 et a fait de cette tartufferie la loi.
Ce contrôle suppose l’information immédiate du procureur. Qui à Paris se fait par… l’envoi d’un fax. Qui entre 19 heures et 9 heures arrivera dans un bureau vide. Mais la cour de cassation juge que cette information est suffisante. Le procureur a ensuite des compte-rendus téléphoniques avec l’OPJ. Il ne lit aucun PV (et certainement pas les observations de l’avocat). Ça ne lui est pas interdit, il n’a pas le temps. Il ne sait du dossier que ce que l’OPJ lui en dit. C’est là le seul contrôle que prévoit la loi. Il n’existe aucune action permettant de contester devant un juge une privation de liberté en cours pouvant aller jusqu’à 48 heures, et même dépasser cette durée, mais cette fois avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, devant qui le gardé à vue comparaît. Tout va bien alors ? Ahah. Devinez qui n’est pas invité ? L’avocat. Oui, le JLD rend une décision sur un maintien de privation de liberté sans que l’avocat ne soit entendu, ce même si le gardé à vue en a choisi un dès le début.
L’avocat, enfin, qui peut assister son client lors des auditions et confrontations, mais depuis 2011 seulement, les lecteurs de ce blog auront suivi ce combat en direct. Sa présence a été imposée par la CEDH. Mais le législateur a veillé à entraver au maximum sa tâche, en lui interdisant l’accès au dossier. Pourquoi ? La réponse figure aux débats parlementaires de l’époque, et se trouve dans la bouche du garde des Sceaux de l’époque : mais parce que le dossier n’existe pas en flagrance. D’où mon combat pour un usage plus répandu du droit de garder le silence : l’OPJ aura accès à mon client quand j’aurai accès à son dossier. Donnant donnant.
Enfin, cerise sur le gâteau : vous ne pouvez contester la légalité d’une garde à vue que devant la juridiction de jugement. Ce qui implique nécessairement une chose et en suppose une autre. Cela implique que la garde à vue est nécessairement terminée, donc aussi illégale fut-elle, elle sera allée à son terme sans que vous n’ayez rien pu y faire ; et cela suppose qu’un tribunal soit effectivement saisi, faute de quoi, vous n’avez aucun recours (mais hey vous dira-t-on, de quoi vous plaignez-vous, vous n’êtes pas poursuivi ?). C’est précisément le cas de Paul, qui au terme de sa garde à vue a semble-t-il accepté une alternative aux poursuites, c’est à dire accepté une sanction, donc reconnu sa faute, donc admis que sa garde à vue était justifiée, en échange de quoi cette mesure alternative, qui n’est pas une peine, n’est pas inscrite à son casier judiciaire. Aucun juge ne connaitra jamais de cette procédure.
Ceci est le mode normal de fonctionnement de la garde à vue, et, hormis les avocats, personne ne trouve à y redire, tant le “on a toujours fait comme ça” est un argument puissant dans le monde judiciaire. La loi prévoit que votre liberté peut être suspendue discrétionnairement, arbitrairement, sans recours, pendant 48 heures, sans que vous n’ayez aucun moyen de le contester.
Ceci, BetterCallBen a raison, viole le droit à la sûreté proclamé par les Révolutionnaires. Nous sommes indignes de leur héritage.
Retrouvez BetterCallBen sur Twitter : @BetterCallBen
Comme après chaque attentat, des démagogues relancent l’idée, en apparence frappée au coin du bon sens, de priver de liberté d’une façon ou d’une autre les « fichés S » au nom du réalisme et du pragmatisme, qui en réalité sont les cache-sexes de leur idéologie.
Face aux objections qui leur sont faites, notamment que cette mesure serait inefficace et gravement attentatoire aux droits de l’homme, leur réplique est toute prête : eux sont prêts à assumer des mesures fermes qui nous protégeraient.
Cette mécanique aussi fiable qu’un coucou suisse me lasse depuis longtemps. Il est temps d’en finir avec les fiches S, une bonne fois pour toutes. Non pas en les supprimant, elles ont leur utilité, qui est faible, mais qui a le mérite d’exister. En comprenant de quoi il s’agit et pourquoi l’internement des fichés S serait une idée profondément stupide, tellement stupide qu’elle devrait faire perdre à celui qui la professe tout espoir de poursuivre une carrière politique.
Alors de quoi parle-t-on exactement ?
Une fiche fait partie d’un fichier, comme l’aurait dit monsieur de la Palice. En l’occurrence, du Fichier des Personnes Recherchées (FPR). Ce fichier existe depuis fort longtemps, à tel point que nul ne saurait le dire avec exactitude, du fait que les premiers fichiers de police étaient créés par simple circulaire interne et ne faisaient l’objet d’aucun encadrement. Aujourd’hui, le FPR repose sur le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées. C’est un fichier informatisé, accessible aux services de police et de gendarmerie. Il est en principe consulté lors des contrôles d’identité, des contrôles routiers, et de toute procédure où l’identité d’un suspect est enregistrée, comme une garde à vue. Chaque fiche relève d’une catégorie, il y en a 21, dont l’objet varie grandement (voyez l’article 2 du décret pour un aperçu). Elle indique l’identité complète de la personne (pour éviter toute confusion avec un homonyme), et c’est un point essentiel, la conduite à tenir en présence de l’individu et l’autorité ayant ordonné l’inscription, pour lui en référer.
À titre d’exemple, il existe les fiches M, concernant les mineurs en fugue, les E, qui concernent les étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire, les V, qui concernent les évadés, les AL, pour aliénés, qui font l’objet d’une hospitalisation sous contrainte mais se sont échappés, on y trouve même les fiches T, pour débiteurs du Trésor, et les fiches PJ, qui sont celles auxquelles je suis le plus souvent confronté, qui concernent la justice. Pas nécessairement les mandats d’arrêt, qui font bien sûr l’objet d’une telle fiche, mais aussi les personnes sous contrôle judiciaire. Ainsi, un conjoint violent, placé sous contrôle judiciaire dans l’attente de son jugement, sera inscrit au FPR avec la mention des lieux où il a interdiction de paraître et les personnes qu’il lui est interdit de rencontrer. S’il est contrôlé dans un de ces lieux ou en présence d’un de ces individus, la conduite à tenir précisera qu’il faudra l’appréhender et informer le parquet de tel tribunal pour une éventuelle révocation du contrôle judiciaire et placement en détention.
Les fiches PJ sont donc créées sur ordre de la justice, mais ce n’est pas le cas de toutes.
Et notamment des fiches S, pour sûreté de l’État.
Les fiches S sont créées à l’initiative des services de renseignement (principalement, la Direction Générale de la Sûreté Intérieure, la DGSI). Notamment donc, mais pas seulement, les services antiterroristes. Les fiches S ne concernent pas seulement les djihadistes, mais aussi l’extrême droite et l’extrême gauche, dont certains éléments sont susceptibles d’actions violentes qui ne s’inscrivent pas dans une démarche terroriste au sens du code pénal.
Ce que ne comprennent pas, ou feignent de ne pas comprendre nos thuriféraires de l’internement, c’est que ce ne sont pas des fiches de recherche dans le sens de “nous savons que cet individu se prépare à commettre un attentat, il faut le retrouver avant qu’il ne passe à l’acte”. C’est une fiche de surveillance. La conduite à tenir en présence d’un fiché S est toujours peu ou prou la même (il existe 16 variantes de la fiche S) : laisser repartir l’individu et signaler les date, heure et lieu de ce contrôle à tel service de renseignement. Cela permet à ces services d’être “pingué” comme ont dit en informatique, c’est à dire qu’on leur envoie l’information que tel individu sur lequel ils gardent un œil a été vu tel jour à tel endroit. Si c’est en bas de son domicile, le signalement sera archivé (mais gardé, ça peut toujours servir de savoir où il était ce jour-là dans une enquête future). Si c’est loin de chez lui, mais à proximité du domicile d’une autre personne surveillée, ou à proximité d’un objectif potentiel, ce “ping” peut donner lieu à ouverture d’une enquête, en tout cas attirer l’attention des services de renseignement sur lui. Les fiches S, dont le nombre exact est inconnu, mais semble tourner autour des 20 000 dont 10 500 liés à la mouvance djihadiste1, permettent aux services de renseignement de placer sous surveillance un grand nombre de personnes repérées comme potentiellement dangereuses sans mobiliser des milliers de fonctionnaires sur la tâche alors que la plupart de ces personnes ne commettront aucun acte terroriste.
Lorsqu’un attentat est perpétré, on découvre assez souvent que l’auteur, ou les auteurs, étaient fichés S. Si je ne m’abuse, sur les 32 personnes ayant commis un attentat en France depuis 2012, en comptant celui de la rue Monsigny, 21 étaient fichées S.
Ce qui veut dire a contrario que 11 ne l’étaient pas, ce qui fait 34%, mais surtout que 99,79% des fichés S ne sont pas passés à l’acte ces six dernières années. Ce sont des pourcentages qui devraient déjà faire réfléchir les amateurs de solutions simplistes.
Mais surtout, puisque même 99,79% de marge d’erreur n’est pas de nature à effrayer ceux qui sont sûrs (à tort ou à raison) de ne pas faire partie des victimes collatérales, tant «on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » est un proverbe de mangeurs d’omelettes mais pas un proverbe œuf, la surveillance d’un grand nombre de suspects opérée par le FPR-S suppose une condition sine qua non pour être un tant soit peu efficace : il faut que l’intéressé ne sache pas qu’il fait l’objet d’une telle fiche. Il est indispensable qu’un fiché S contrôlé dans la rue se voit rendre sa carte d’identité avec un “merci monsieur, tout est en ordre” par le policier et puisse vaquer à ses activités pendant que le signalement remonte aux services de renseignement.
Or l’internement dans un centre serait, arrêtez-moi si je me trompe, un indice certes subtil mais assez révélateur qui pourrait faire déduire à la personne internée qu’elle fait l’objet d’une telle surveillance. Ainsi, l’internement des fichés S, qui est matériellement irréaliste, juridiquement infaisable, serait en outre un coup porté au renseignement intérieur dont le rôle est de déjouer les attentats en préparation, et un cadeau royal fait aux cellules terroristes, en leur révélant lesquels de leur sympathisants sont repérés et a contrario lesquels ne le sont pas. Autant leur donner une copie du fichier S, ça coûterait moins cher pour le même résultat.
Face à la menace terroriste, nous devons, sans cesse, garder à l’esprit un point essentiel. Le terrorisme ne vise pas à nous anéantir. Il en est incapable. Abou Djaffar le dit mieux que je ne saurais le faire, alors je lui emprunte la conclusion de son billet que je vous invite à lire, car j’en partage jusqu’à la moindre virgule :
le succès d’un attentat se mesure à ses conséquences politiques, pas à son bilan initial, qui relève de l’opérationnel. Plus un attentat est meurtrier, évidemment, et plus ses conséquences seront importantes en raison de l’émotion suscitée, mais le dernier mot appartient, in fine, aux victimes, aux élus et à nous tous, communauté nationale. Face à une menace jihadiste très élevée, durable et évolutive, nous sommes les acteurs de notre survie en tant que société. Celles et ceux qui hurlent à la mort, écrivent des horreurs définitives après chaque tragédie sans rien en connaître (souvenez-vous des saillies de Manuel Valls après Münster) et appellent à de (fausses) solutions foulant au pied l’État de droit et les valeurs pour lesquelles nous nous battons et pour lesquelles nous sommes attaqués sont plus que les idiots utiles de nos ennemis : ils en sont, selon une tradition solidement établie dans ce pays, les collaborateurs candides et zélés.
Source : déclaration de Manuel Valls, alors premier ministre, sur le plateau du Petit Journal, 24 novembre 2015. ↩︎
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- Transversaux / Géographie, Géopolitique, Histoire, Etat, Paradis fiscaux, Superficie, Zone économique exclusive (ZEE), Décolonisation, Pacifique, Géographie économique, Micro-Etat, Organisation des Nations Unies (ONU)Ah, sapristi de saperlipopette, quelle évolution depuis le mois de juin ! Rappelez-vous, c’était ce mois où, frappé d’une lucidité minutieusement calculée, le président Macron « découvrait » que les dépenses de l’État représentaient « un pognon de dingue » pour, en face, un résultat franchement médiocre…
Après cette fugace prise de conscience, on s’attendait donc à la mise en place de mesures en rapport : allait-on lancer des économies drastiques ? Allait-on auditer les services de l’État et des administrations pour les remettre au niveau de l’argent prélevé ? Allait-on commencer à couper dans les services les moins utiles, les fonctions les plus discutables, les rentes les plus établies et les moins justifiées ? Allait-on se concentrer, enfin, sur l’essentiel et laisser tomber les palettes de superflu ?
Il y avait, on le comprend, mille et une façons de procéder.
Dans ces mille et une façons, insister pour le prélèvement à la source, le Pass Culture ou les limitations à 80 km/h échappe quelque peu à la logique d’ensemble. En revanche, envisager fermement de réduire la voilure considérable de l’État un peu partout dans la vie du citoyen, sur le territoire ou au travers de ses millions de taxes, cerfas et règlements rigolos, cela rentre parfaitement dans ce cadre.
On ne sera dès lors qu’assez peu étonné de lire de temps en temps l’annonce d’une suppression de postes dans l’une ou l’autre administration du Leviathan. Et dernièrement, à la faveur d’un remaniement ministériel écolo-propulsé, on a appris la volonté du chef de l’État de supprimer 1600 postes au ministère des Sports.
Comme de bien entendu, la nouvelle a fait l’effet d’une catastrophe majeure : tout indique, « étude » d’ « économiste » à l’appui, que ce nombre est bien trop élevé, que le ministère ne s’en remettra pas et que le sport, en France, va péricliter dans un petit couic misérable si jamais ces suppressions devaient effectivement avoir lieu.
Parallèlement, c’est avec la même stupeur et la même panique lisible dans les yeux humides de toute la politicaillerie française qu’on découvre qu’est conservé – malgré tout – l’objectif initial de supprimer 120.000 postes de fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat de Macron.
Coupes sombres abominables, austérité sans précédent, destruction de nos services publics, privatisation effrénée, « on est à l’os » : aucune expression ne nous sera épargnée pour bien faire comprendre l’ampleur de ce véritable massacre de la fonction publique !
Et quand bien même les uns et les autres s’accordent mollement à dire qu’il faudra pourtant faire des économies quelque part, tant les gabegies, les dettes, déficits et autres dérives comptables s’empilent dans le pays depuis trop longtemps, personne en revanche ne semble prêt à se retrousser les manches pour mettre en place la moindre mesure concrète de réduction des dépenses. Les coupes de personnel, c’est un peu comme les éoliennes : c’est moche, ça fait du bruit et personne n’en veut dans son pré carré.
Du reste, le nombre de 120.000 postes semble gros mais cache pourtant l’essentiel : la fonction publique, en France, c’est plus de 5.4 millions d’individus, soit 1 emploi sur 5 en France (oui, 20%). La suppression, parfaitement hypothétique à ce stade, de 120.000 postes représente un petit 2.2% en quatre ans, ce qui est tout sauf énorme et se traduit essentiellement par un non renouvellement des départs à la retraite. Question douleur, ce sera en réalité fort modéré.
D’autant que les années passées, la masse salariale dépendante de l’État et de ses administrations nationales ou locales n’a pas cessé d’augmenter, et dans des proportions qui font passer ce 2.2% très ponctuel comme une aimable plaisanterie au regard du cumul, années après années : en 1980, l’emploi public ne représente alors que 17,5% de l’emploi total (pour moins de 4 millions d’agents concernés) et il lui a donc fallu grossir pour dépasser les 5 millions et les 20% de l’emploi total.
En comparaison, les 1600 postes du ministère des sports ou les 120.000 destinés à disparaître sur les quatre prochaines années paraissent bien timides.
Et ils le resteront : en pratique, il n’est qu’à voir les précautions oratoires déjà utilisées pour tempérer ces ardeurs dégraissantes pour comprendre qu’il y a fort loin de l’objectif affiché à la réalisation concrète : ces réductions ne sont pas « l’alpha et l’omega » de la politique gouvernementale, et puis de toute façon, une majeure partie de ces réductions devraient être opérées par les collectivités territoriales qui – comme c’est commode – ont une certaine liberté d’administration. Ce qui veut dire que pour la partie nationale, rien n’est écrit dans le marbre, et pour la partie locale, attendez-vous à de gros ajustements.
En somme, l’État obèse va peut-être faire un effort, mais ce n’est pas dit. Et vous reprendrez bien un peu de dette ?
Apeuré par le départ précipité de Hulot, Macron n’a pas voulu tenter le diable en s’opposant à Philippe et Darmanin au sujet du prélèvement à la source. Tout comme les mesures idiotes sur la limitation à 80 km/h finiront par coûter cher au pouvoir en place, cette « réforme » qui prend de plus en plus tournure en méforme fiscale va provoquer la colère de beaucoup de Français qui pourront tester, en direct, la puissance de l’État informaticien lorsqu’il calcule et ponctionne l’impôt.
Ainsi, plutôt que de vraies réformes de fond (et de fonds), courageuses et profondes, Macron s’est rapidement embourbé dans les bricolages technocratiques propulsés par Philippe, sa clique énarchique et les pesants ronds-de-cuir l’accompagnant (dont Darmanin représente l’archétype frisé). En lieu et place d’une sévère cure d’amaigrissement de l’État, Macron s’est très promptement rangé aux mesures les moins piquantes, les pilules les plus faciles à faire passer. Sabre au clair et monté sur son petit poney électoral, il a vaillamment trottiné les premières semaines de pouvoir, mais s’est épuisé bien vite. À présent, le voilà broutant en rase campagne, déclamant des discours creux croyant que ceux-ci intéressent la prairie autour de lui.
Au bout d’un an, la République qui croule sous les dettes, les déficits, la perte de repères et les abandons de toutes parts est à nouveau orpheline de toute volonté de remettre les choses d’équerre. Les objectifs fixés en début de quinquennat sont tous revus à la baisse les uns après les autres, passant de modestes à humbles et s’approchent maintenant du pusillanime avec une application qui frise la psychiatrie lourde.
De même qu’il n’y a pas davantage de réformes que de simplification de quoi que ce soit, il n’y a pas davantage d’économie et d’austérité que de beurre en broche. La fête continue, sans faiblir.
Dès lors, ce pays est foutu.
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Youpi, en matière d’internet, les choses bougent ! Youpi, l’Union Européenne s’occupe des internautes ! Double-youpi, l’État français aussi ! Nous sommes franchement gâtés ce mois-ci et vraiment heureux de constater que les libertés offertes par les nouvelles technologies sont minutieusement étouffées pour éviter toute joie trop forte qui augmente, on le sait, risques d’infarctus, AVC et autres embolies.
Pour la France, c’est décidé : le salut de nos artères et le calme de nos tempéraments passeront par la mise en place d’une réglementation (comment ça, une de plus ?) pour éviter l’addiction aux réseaux sociaux.
Oui, je subodore fortement que vous ne le saviez pas, mais si, la dépendance des écrans est à la fois connue, avérée et dangereuse.
Connue, puisqu’on en parle dans les journaux et chacun sait que ces derniers émettent toujours une information scientifique, minutieusement relatée et parfaitement équilibrée.
Avérée puisque des millions, que dis-je, des milliards d’études scientifiques extrêmement bien menées prouvent sans le moindre doute que l’augmentation des écrans dans notre quotidien accroît mécaniquement les addictions et les troubles mentaux. Il n’est qu’à voir le nombre de déséquilibrés qui sévissent actuellement pour comprendre l’ampleur du désastre sociétal.
Quant aux bénéfices possibles de ces écrans qui permettraient de contrebalancer les dangers qu’ils provoquent, oublions-les tant ils sont insignifiants (à tel point qu’on se demande même pourquoi ces écrans, ces réseaux sociaux et ces technologies ont été inventés).
Et devant la trop grande liberté prise par tous, autant que nous sommes, de profiter de ces nouveautés, le gouvernement se devait donc d’agir. Comme Mounir Mahjoubi, dont la rumeur insiste qu’il serait secrétaire d’État au Numérique, n’aurait servi absolument à rien s’il n’avait pas présenté une loi, voilà donc un projet fièrement lancé avec une question, aussi stupide que répétitive chez les hommes d’État : « Quel cadre imposer aux acteurs numériques en vue d’assurer la protection des personnes ? »
Parce qu’il faut un cadre, il faut l’imposer, et parce que la protection des personnes n’appartient qu’à l’État (comme les personnes elles-mêmes du reste — après tout, au-delà de 50% d’imposition, est-on autre chose qu’un esclave ?). Il faut en effet comprendre que les individus, oscillant vaguement entre le statut de contribuable et celui d’usager, ne sont pas beaucoup plus que des larves sans colonne vertébrale, sans volonté et incapables de gérer leurs occupations, auxquels seul l’État permet en leur fournissant un cocon (moyennant finance et serment allégeance indéfectible) de faire chrysalide et de se transformer en beaux papillons citoyens.
Mounir et sa clique vont donc lancer une consultation truc machin, à la suite de quoi une loi sera votée pour réguler bien fort le temps que les larves en question passent à bricoler sur Facebook, Youtube ou Instagram au lieu d’aller regarder la télé et lire les journaux officiels où la bonne parole gouvernementale se répand sans fake news.
Youpi, décidément.
Parallèlement, il eut été dommage de passer sous silence les efforts encore plus majestueux qu’a déployés l’Union Européenne pour transformer l’internet en véritable champ de mine juridique où le petit internaute pourra rapidement se faire éparpiller en charpie au moindre faux-pas.
Avec l’instauration de la RGPD, on avait déjà eu un avant-goût de ce que donne un grand pouvoir dans les mains de parfaits irresponsables : grâce à l’effort conjugué de parlementaires pas du tout à jour techniquement, le vieux Continent, croyant forcer les grandes entreprises de l’internet, majoritairement américaines, à mieux protéger les internautes aura abouti à donner encore plus de levier à ces dernières, seules en mesure de suivre les embarrassantes contraintes techniques que le texte provoque, sans changer d’un cachou la protection des données des internautes.
Se berçant sans doute des mêmes illusions, ces mêmes parlementaires viennent à présent de voter une mise à jour des droits en matières de droit d’auteur et de droits voisins, suivant avec application servile les recommendations consternantes des lobbies les plus enragés des grosses entreprises de gestion de ces droits. Ces dernières ont en effet réussi le tour de force de faire croire aux députés européens que ce faisant, ils allaient aider les petits artistes (ce qui est un bobard de force 9), tout en se tirant une copieuse volée de plomb dans les pieds : tout indique que l’entrée en force des articles 11 et 13 de cette nouvelle directive va donner des leviers supplémentaires aux acteurs majeurs d’internet qui n’en avaient pourtant pas besoin.
En effet, ces articles aboutissent (comme le détaillent de nombreux articles documentés que nos parlementaires n’ont pas lu et n’auraient de toute façon pas compris, n’étant pas équipés pour) essentiellement à la mise en place de filtres massifs sur les plateformes d’hébergement de contenus pour s’assurer qu’aucune publication n’enfreint de droit d’auteurs. Inutile de dire que les petits éditeurs n’auront jamais les moyens de mettre ces techniques en place, et que la moindre poursuite à leur encontre se terminera avec pertes et fracas.
De la même façon, les droits voisins — qui imposeraient par exemple à Google News de rémunérer les éditeurs de presse pour les vues générées — vont se retourner violemment contre ces derniers. Si Google peut fort bien se passer de ces éditeurs (les rentrées publicitaires grâce au moteur de recherche sont amplement suffisantes pour lui), l’inverse n’est en revanche pas vrai du tout. Google aura tout intérêt à moduler l’accessibilité des nouvelles fraîches en fonction des retours que ces éditeurs pourront lui octroyer, sous forme d’encarts publicitaires par exemple. Non seulement, ces éditeurs vont accroître leur dépendance à ces plateformes, mais en plus y ajouteront-ils une connivence aussi servile qu’obligatoire.
Les prochaines années promettent d’être croustillantes et seuls pourront s’en tirer ceux dont le trafic est organique, c’est-à-dire généré par un retour de lecteurs réguliers. Les autres vont encore devoir accélérer la foulée dans la course à la visibilité. Comme, en France notamment, la presse est massivement subventionnée et donc déconnectée d’un vrai lectorat, la qualité du contenu risque de s’en ressentir…
Ce qui, finalement, est une excellente nouvelle !
Mounir et sa brochette de rigolos ministériels n’auront finalement pas beaucoup d’efforts à faire pour détourner les Français de réseaux sociaux dont le contenu va progressivement se vider de toute substance intéressante à mesure que plateformes et éditeurs se sépareront. Au rythme où vont les choses et grâce aux règles idiotes mises en place par une technostructure complètement inapte et totalement vendue aux intérêts des lobbies de la propriété intellectuelle, les applications et autres réseaux sociaux lourdement contingentés n’auront bientôt en Europe plus aucun intérêt pour personne.
Depuis quelques années, on est en droit de se demander si l’intelligentsia européenne ne désire pas fusiller durablement la culture et l’économie européenne. Cependant, était-il vraiment utile de hâter à ce point la déconfiture du vieux continent ?
L’Europe a-t-elle tant besoin de se mettre de nouveaux boulets aux pattes avant d’aller trotter sur le marché mondial où Américains et Asiatiques galopent vivement sans s’embarrasser de ce genre de considérations idiotes ? Est-il réellement utile de se donner de tels handicaps dans la course mondiale dans une démonstration à la fois de vertu ridicule (« sauvons les petits artistes ! ») et à la fois d’une force imaginaire sur le mode « ce ne sont pas les GAFA qui décideront pour nous, non mais ! » alors que tout indique que, précisément, c’est sous leur coupe qu’on vient de se ranger avec cette nouvelle directive ?
En France, est-il à ce point nécessaire de faire intervenir, une fois encore, l’État dans un domaine qu’il ne maîtrise absolument pas et dans lequel il a toujours démontré, sur les cinq dernières décennies, n’être qu’un empoté cataclysmique et coûteux ? Est-il absolument nécessaire de légiférer, réglementer encore un domaine qui a déjà subi un véritable carpet bombing législatif, administré par une brochette de tireurs parkinsoniens au strabisme atavique ?
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Article initialement paru le 28.09.2014
En France, le temps passe et les choses changent peu. En quatre années, le billet ci-dessous n’a bien sûr pas vieilli. Pire : l’actualité récente semble lui faire écho puisqu’on redécouvre de nouvelles luttes pour certains magasins et leurs ouvertures tardives contrariées par ordre de justice, la notion d’adultes consentants n’existant plus dans le pays depuis un moment.
On le sait, la France est un pays particulièrement difficile à gouverner d’autant que ses dirigeants sont trop souvent pusillanimes et de plus en plus déconnectés de la réalité de terrain. L’actuelle situation économique et politique de la France doit beaucoup à la succession de bras cassés et d’escrocs approximatifs qui ont pris le pouvoir ces dernières décennies. Cependant, même en tenant compte de la brochette de clowns dont nous avons hérités aux commandes, et à la lumière, faible mais persistante, de l’actualité, on ne peut pas écarter le rôle du peuple dans la désignation d’une aussi piètre élite.
C’est en effet en tombant sur des articles comme celui-ci, de la Tribune, qu’on en vient à constater l’incroyable démission du bon sens dans ce pays. D’après l’article, et selon un de ces sondages dont l’intelligence commande de ne le prendre qu’avec des pincettes, il semblerait qu’une majorité des Français souhaitait que la mesure sur l’encadrement des loyers intégrée dans la loi ALUR soit maintenue.
Pour rappel rapide, cette loi fut propulsée par une Cécile Duflot aussi dogmatique qu’incompétente sur la route franchement chaotique d’un parcours législatif rigolo et parsemé d’embûches rocambolesques. Elle déclencha (la loi et la Duflot) une telle poussée d’urticaire chez les acteurs du marché immobilier qu’avant même ses décrets d’application, de beaux effets pervers ne tardèrent pas à faire jour, avec un repli maintenant constaté de la construction, de la vente et de la location. Apparemment, les dispositions envisagées (qui comprenaient, notamment, un encadrement des loyers, des prêts à taux zéro alambiqués, des contraintes de constructions cyclopéennes) n’avaient pas l’heur de plaire, ni aux potentiels acheteurs, ni aux vendeurs, ni aux constructeurs, ni aux propriétaires, ni aux locataires. Prestement, la loi fut donc euthanasiée, sans fleurs ni couronnes, par un docteur Valls en petite forme.
Malgré ce four, et malgré un nombre conséquent d’études économiques (ici, ici, ici ou là), de cas historiques et d’exemples vibrants d’actualité que l’encadrement des loyers ne fonctionne pas, jamais, nulle part, même pas en rêve ou sur un malentendu, plusieurs maires de villes de France, entendant l’appeau électoral siffloter dans ce genre de mesures, s’empressèrent d’expliquer à leurs concitoyens que, même la loi enterrée, l’encadrement des loyers lui survivrait, au moins chez eux, nananère.
À la suite de quoi, le sondage nous apprend que ces maires, finauds, ont bien senti le vent du non-changement : en réalité, pour 44% des Français sondés, l’abandon de l’encadrement des loyers prévu par la loi est « une mauvaise chose », et un cinquième (21%) estiment qu’il fallait la supprimer. Mieux : une majorité de Français (56%) pense au contraire qu’il faudrait étendre ce dispositif à un maximum de grandes villes.
Mais voilà : non, ceci n’est pas une coïncidence, un hasard, un malentendu ou une méprise.
Cette majorité de Français qui, manifestement, ne comprennent rien à rien à l’économie basique, et qui réclament plus de lois, plus de règles, plus d’encadrements, cette majorité n’est pas fortuite. Elle existe partout, dans différents domaines, sur différents sujets. Ainsi, cette majorité, pétillante de joie que seule l’innocence d’une parfaite ignorance apporte, se retrouve derrière ces lois qui, on l’a vu, finissent par faire le code de l’immobilier, ou qui font déjà le code fiscal, celui de la sécurité sociale, celui du travail, de la vexation routière ou tout autre qu’il leur plaira de plier à leur vision enfantine de la réalité.
Et là encore, un bref coup d’œil à l’actualité permet de s’en convaincre : alors même que ce pays croule sous les chômeurs, alors même que, depuis le plus petit salarié jusqu’au plus grand patron, de la plus modeste entreprise unipersonnelle jusqu’à la multinationale rutilante, tous devraient s’organiser et se battre pour créer de l’emploi, accroître la compétitivité du pays et créer de la richesse, seule voie par laquelle les pauvres s’extraient de la misère, alors même que la situation économique du pays, normalement connue de tous, ne laisse absolument aucune latitude ni aucune voie d’interprétation sur le mode « Bah, même pas mal », tout un pan du pays semble s’employer à saboter méthodiquement les efforts déployés par les uns et les autres.
Regardez ces beaux syndicats se dressant contre des salariés dont ils sont prétendûment les défenseurs ! Alors que le travail de nuit était réclamé par ces derniers dans une boutique de luxe sur les Champs-Élysées, nos fiers syndicalistes, finement aidés d’un code du travail et d’une Cour de Cassation commodément d’accord avec eux, ont réussi à en interdire purement et simplement le principe. Encore une fois, la majorité (celle qui fut derrière les votes des députés qui écrivirent le code) a tranché : des adultes qui décideraient, de leur plein gré, vouloir travailler jusqu’à 21H sont des enfants inconscients auxquels il convient d’interdire leur activité. C’est tout.
Regardez ces beaux syndicats de pilotes, ces pilotes eux-mêmes, qui, tout frétillant d’aise que leur procure leur pouvoir de nuisance, persistent dans une grève alors que les motifs s’en sont pourtant évaporés ! Alors que le développement de Transavia apparaît de plus en plus comme indispensable à la survie d’une société qui n’aura pas su prendre le tournant des compagnies low-cost et qui est restée coincée dans le monde merveilleux de l’aérien des années 70, la partie la plus privilégiée de la société (selon toutes les métriques) se bat à présent pour que, concrètement, les coûts de fonctionnement de cette nouvelle entité soient les plus élevés possibles, réduisant à néant toute perspective d’avenir pour Transavia, et, par voie de conséquence, pour Air-France et donc pour eux-mêmes à plus ou moins long terme.
Tout ceci est bel et bon, mais on peut aller encore plus loin dans la consternation. Pendant que les uns s’emploient clairement à réduire chez les autres toute velléité de faire quelque chose d’utile, de productif ou d’innovant, c’est bien depuis les entrepreneurs eux-mêmes que le coup de grâce arrive lorsqu’on apprend, via un autre sondage consternant, la liste de leurs personnalités politiques préférées.
Pour ces chefs d’entreprise, c’est Alain Juppé qui est la personnalité la plus à même « d’appliquer un programme économique de relance de l’économie française ». Oui, vous avez bien lu, Alain Juppé, le repris de justice, celui-là même qui a prouvé, en 1995, qu’on peut très bien retourner sa veste et baisser son pantalon tout en restant droit dans ses bottes. Celui qui aura cédé, après une grève mémorable, à toutes les revendications de syndicats iniques, y compris celles liées au paiement des jours de grève (un comble !), celui qui aura cédé alors que la France aura subi, au travers de cette grève dure, la plus honteuse des mise à mort : à la suite de ce renoncement, que dis-je, de cette branlée minable en rase campagne, les politiciens ont choisi de passer au point mort pour n’en plus sortir et y être encore, quasiment 20 ans plus tard. Et c’est donc cette carpette, ce triste roublard qui arrive même à se faire proprement mettre en boîte par un ex-ambassadeur chinois, qui serait donc la personnalité politique de nos chefs d’entreprises, accompagné, il est vrai, de gros calibres comme Sarkozy (le gros relou) ou encore Baroin (dont le stage photocopies/café dans les coulisses de Matignon est pourtant terminé depuis longtemps).
Vous l’avez compris : ces faits, indiscutables, montrent l’ampleur du problème. Si le pays est ingouvernable, c’est précisément parce que son peuple ne veut pas être gouverné. Il veut être dorloté. Il veut être cajolé, rassuré par des discours, et mitonné avec des petites taxes et des petits impôts sympathiques, faits « pour son bien », qui taperont Les Méchants (les riches, les possédants, ceux qui fraudent, qui trichent, qui ne jouent pas le jeu, les pas beaux et les vilains, quoi), et qui aideront Les Gentils.
Et ainsi, ce peuple réclame toujours plus de lois, de règlements. Ce peuple rouspète et fait la grève alors que la situation est catastrophique. Et ainsi, une partie du peuple va choisir d’imposer à l’autre des contraintes invraisemblables pour qu’enfin, ce soit le paradis pour lui (et puis l’autre est trop stupide, de toute façon, puisqu’il pense que le peuple, c’est lui – quel con !). Et ainsi, le peuple va se choisir des dirigeants qui l’ont déjà floué, parce que cette fois, ce n’est pas pareil, c’est la bonne. Il va se choisir des gens qui savent lui parler, lui susurrer les bons mots doux et l’embobiner comme il l’aime.
Et tout ça porte un nom : c’est un doux collectivisme, un socialisme démocrate et doux au toucher. Et tout le monde le réclame. Parce que, c’est sûr, cette fois, ça va marcher !
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Voilà voilà, mes petits amis, c’est décidé, c’est lancé, plus raison de paniquer, enfin le Grand Plan Qui Se Déroulera Sans Accrocs vient d’être lancé par Manu La Présidence et sa fine équipe de plombiers fiscaux ! Ouf, il était temps : la pauvreté est bientôt quelque chose du passé parce qu’Emmanuel Notre Président à Tous a pris le sujet à bras le corps.
C’est ainsi que le jeudi 13 septembre 2018, la République Française aura marqué d’une pierre blanche l’une de ses victoires les plus décisives avec l’allocution du Chef de l’État visant à lancer le Plan Pauvreté qui, comme son nom ne l’indique pas, n’est pas officiellement un plan destiné à la répartir la plus également possible, mais bien à la combattre, âprement, pied à pied, vaille que vaille et surtout, bien sûr, coûte que coûte.
J’écris « bien sûr » parce qu’il faut comprendre que mener une guerre contre la pauvreté, cela ne sera pas gratuit. D’autant qu’en détaillant le plan de bataille, le Président Macron n’a pas fait mystère des sommes qui seront engagées.
On pouvait s’y attendre : tous les dossiers les plus brûlants de cette pauvreté qui sévit en France sont ainsi méticuleusement abordés par le chef de l’Etat qui a bien décidé de pilonner avec acharnement toutes les poches de pauvreté identifiées. Jugez plutôt :
Bref, il va y avoir du sérieux, du lourd, du gros montant : on parle en effet ici de 8 milliards d’euros sur 4 années, ce qui fait tout de même une jolie somme, et ce d’autant plus qu’actuellement, ce n’est pas comme si l’argent coulait à flot.
Cependant, ce plan appelle quelques questions.
D’une part, il y a bien sûr le souci purement marketing, le « branding » comme on dit hardiment de nos jours : n’est-il pas particulièrement symptomatique que ce plan soit ainsi appelé « Plan Pauvreté » ? Peut-on, doit-on réellement planifier la pauvreté ? Pourquoi diable n’ont-ils pas choisi de faire plutôt un Plan Richesse ? Outre un optimisme nettement plus évident, cela permet de clairement identifier le problème qui n’est pas qu’il y ait des pauvres, mais bien qu’ils le restent.
Bien sûr, on peut mettre ce choix sur le compte d’une boulette de communication. Après tout, il n’est qu’à voir la dernière trouvaille de l’Élysée qui cherche maintenant à vendre des mugs et des t-shirts à la gloire du Président pour se rappeler qu’en matière de n’importe quoi mal troussé, tout est possible et souvent le pire.
Mais plus probablement, le nom montre surtout le véritable tabou qui existe en France au sujet de la richesse et sa création : c’est tout un état d’esprit qui permet de créer de la richesse, de viser celle-ci pour tous, et cet esprit est fondamentalement différent de celui qui consiste essentiellement à combattre les effets (la pauvreté) sans s’attaquer aux causes (à commencer par l’étatisme galopant et son pendant, le collectivisme pervasif).
D’autre part, on ne pourra s’empêcher de noter qu’avec 8.5 millions de pauvres en France, répartir 8 milliards d’euros en quatre ans soit donc deux milliards à l’année, cela nous fait un bon petit 235€ par pauvre et par an. Soit, tout calcul fait, environ 64 centimes d’euros par personne et par jour. Ce plan, aussi volontaire soit-il, permet tout juste de fournir à ces 8.5 millions de personnes le beurre d’un jambon-beurre.
Dit autrement, il suffit de repasser la liste des propositions pour comprendre qu’on ne risquera pas d’obtenir un effet quelconque avec le saupoudrage épileptique d’une somme finalement fort peu élevée au regard de la masse de citoyens concernés. Si le chiffre de 8 milliards d’euros semble gros, c’est par un effet de loupe (on regroupe les 4 années de budget, on mélange les choux des services avec les carottes des réductions diverses, des créations d’emplois ou des distributions budgétaires plus ou moins calibrées).
Et bien évidemment, cela cache l’essentiel : que ce soit 2 milliards par an ou 8 en quatre, l’argent devra bien sortir de quelque part. Selon toute vraisemblance, les étables à licornes de la République étant maintenant à cours de canassons miraculeux, on ne pourra pas en extraire cette richesse attendue. L’État ne produisant jamais de richesse directement, il lui faudra donc faire appel – je vous le donne en mille – au contribuable.
Surprise et rigolisme : une partie non négligeable de ceux qui paieront pour ce Plan Pauvreté seront ceux qui souhaiteront en bénéficier. Et une partie de ceux qui n’en bénéficieront pas au début pourront y prétendre à la fin, la ponction correspondante ayant contribué à les pousser dans la pénible catégorie.
Car oui, cela ne fait aucun doute : comme l’essentiel des taxes et autres impôts sont finalement prélevés sur le corps le plus large des contribuables, donc les classes moyennes et modestes, ce plan Pauvreté sera donc financé (au moins en partie) par ceux auxquels il s’adresse. Malin ?
On se le demande, parce qu’en parallèle, les domaines où l’État doit piocher pour trouver des financements s’étendent tous les jours un peu plus : les taxes sur les carburants (comme le fioul par exemple) continuent de grimper vigoureusement. La redevance télévisuelle portera bientôt mal son nom si elle doit s’étendre aux tablettes, ordinateurs et autres supports…
Et question tabous, si la richesse en France en est un, la fiscalité sur l’héritage, en revanche, n’en sera pas : la majorité veut s’y attaquer très prochainement. Or, en la matière, force est de constater que la fiscalité sans tabou, c’est un peu comme la sodomie sans vaseline, sans prévenir et sans consentement : ça laisse de mauvais souvenirs.
Bref, ce « Plan Pauvreté », tout empreint d’un volontarisme macronien d’apparence, n’en reste pas moins un simple transfert de « moindre-pauvreté » des classes modestes vers les classes les plus dénuées, sans aucune volonté d’aller créer de la richesse en premier lieu. Or, avant de distribuer l’argent qu’on n’a pas, on devrait déjà faire en sorte de créer des richesses, ou, plus exactement, que chacun puisse en créer sans être systématiquement entravé par des ponctions, règlements et interdictions tous azimuts.
Encore une fois, on a complètement inversé la charrue, les bœufs et leur chargement.
Forcément, ça va bien se passer.
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En application méticuleuse du concept écolo, je prends tous les jours mon vélo pour aller travailler. Avec l’habitude, il ne me faut pas plus de deux minutes pour le plier dans mon coffre de voiture. Le gouvernement, lui aussi, l’a bien compris : si l’avenir de l’homme c’est la femme, en France, celui de la voiture c’est le vélo.
C’est probablement pourquoi il a lancé, en grande pompe à vélo et très récemment, un grand Plan Vélo dont la teneur a été patiemment épluchée par nos journalistes de garde. À la lecture attentive des mesures prônées, aucun doute n’est possible : c’est du lourd, du solide, du tout-terrain même.
Plus d’une vingtaine de mesures visent ainsi à tripler la part du vélo dans les déplacements quotidiens des Français d’ici à 2024 (soit 9% au lieu de 3% actuellement). Et pour cela, le gouvernement entend favoriser le développement des infrastructures (marquage au sol, aménagement des pistes) – pour 350 petits millions d’euros, ce serait dommage de se priver, non ? – et en accroître la sécurité, pour s’assurer d’une part de la bonne survie des pédaleurs (ce sont des contribuables pour la plupart, ne l’oublions pas), et d’autre part la diminution du vol, véritable fléau sur le territoire (la police n’étant plus exactement au top).
Et à ce sujet, force est de constater que le gouvernement veut se donner les moyens : marquage des vélos (réalisé par des professionnels), établissement d’un fichier national du biclou, suivi des achats/ventes de ces engins même en occasion, tout est fait pour que la Petite Reine soit enfin régulée en République du Bisounoursland.
Il était temps : tous ces vélos, volés ou non, qui s’échangent, qui roulent sans permis, sans limite et sans restriction, cela nous rappelle les heures les moins youpi-tralala de notre Histoire, dans lesquelles de solides taxes ne peuvent être collectées et de vigoureuses amendes distribuées. Avec ce Registre Des Vélos, on va enfin pouvoir créer un permis de pédaler (à point, forcément), des infractions idoines, des amendes logiques et des taxes juteuses.
Enfin, notons la mise en place d’un dispositif, « Savoir rouler » destiné à améliorer la maîtrise du vélo par les jeunes. Il est vrai que pour ce qui est de savoir rouler, le gouvernement en connaît un rayon de bicyclette, la question restant souvent de savoir qui et dans quelle farine.
Tout ceci est extrêmement charmant, alors même que Paris fut le théâtre de la Journée Sans Voiture du 16 septembre, sous les vivats d’une foule extatique à l’idée de pédaler dans les rues de la capitale débarrassée de ses vilains automobilistes. La synchronicité des annonces gouvernementales et des sauteries festives de la mairie de Paris ne doit rien au hasard, pas plus que celle avec le fumeux fameux « Plan Pauvreté ».
Tout ceci participe en effet d’une forme subtile de décroissance qui, si elle n’est certes pas assumée ni officialisée, semble entrer doucement dans les esprits. Alors que des millions (des milliards ?) d’êtres humains s’extraient de la pauvreté et qu’un nombre croissant peut maintenant acquérir la force mécanique à prix raisonnable s’affranchissant ainsi de l’effort musculaire direct, le gouvernement français, peut-être lucide sur sa capacité réelle à inverser la tendance économique du pays, opte sobrement pour le trajet inverse, à savoir le retour du jarret frétillant, des efforts pénibles et des vitesses de plus en plus modérées ; le pays ne court pas à la ruine, mais y pédale.
Or, si le vélo n’a pas le pouvoir de réduire réellement la pollution en ville (on évoque, pendant les journées sans voitures, une baisse fort modeste de seulement 25% – 75% étant donc d’une autre origine que les méchantes voitures), il a au moins l’avantage de préparer physiquement et mentalement les pédaleurs à la brutale diminution de leur train de vie pour cause (entres autres) d’énergies surtaxées inabordables, de malus écolo sur les voitures, de normes antipollutions vexatoires et de routes endommagées.
C’est peut-être aussi pour cela que, dans cette lutte permanente contre l’individu autonome et de sa voiture, archétype indépassable d’un individualisme vrombissant et socialement corrosif, la Maire de Paris entend rendre piétonnier le centre de la capitale un dimanche par mois à partir du 7 octobre prochain.
Avec la fermeture des quais sur berge, la multiplication des restrictions diverses à la voiture dans la Capitale continue donc de plus belle. Joie, bonheur et rats dodus qui trottinent : cette piétonnisation forcenée va permettre, outre la baisse évidente des « accidents » provoqués par des voitures « déséquilibrées », de redonner des couleurs à Vélib, ce service de vélos citoyens dont les récentes déconfitures ont émaillé la chronique cycliste et les taxes foncières parisiennes (ainsi que ces colonnes).
Trois stations #velib trois vélos en panne. Merci @smovengo pour la #JourneeSansVoiture pardon, #journéesansvélib pic.twitter.com/Q8xS82XnJS
— VASILE DAMIAN (@VASILEDAMIAN) September 16, 2018
Certes, il reste quelques efforts à fournir tant les « journées sans voitures » ressemblent encore pour le moment à des « journées sans Vélib aussi », mais on ne pourra s’empêcher de s’enthousiasmer sur le fin calcul économique de la Maire Hidalgo : puisque le Vélib se plante lamentablement, interdisons de plus en plus la voiture, cela va certainement aider.
Ah, décidément, qu’il est doux de vivre dans ce pays où les élites se penchent augustement sur le bien-être de sa population en lui proposant tous les jours plus d’activités sportives amusantes ! Qu’il est sympatoche de voir qu’on mobilise ainsi l’argent du contribuable pour lui imposer toujours plus de contraintes et de vexations ! Et quand ce n’est pas l’aspersion à fonds complètement perdus de 8 milliards d’euros pour faire semblant d’aider « les pauvres », voilà un plan pour favoriser « les vélos » !
Heureusement que les sujets d’importance ont été épuisés, qu’aucun économiste ne déplore l’immobilisme gouvernemental catastrophique qui semble devenu la norme depuis des années, et qu’aucune crise financière majeure ne soit envisageable dans les prochains mois !
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