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Comment se débarrasser de 3 000 milliards d’euros de dette ?

Tout porte à croire que nos « premiers de la classe » ont évité de se prendre à nouveau une mauvaise note car, après la dégradation de la note de la dette française par l’agence Fitch en avril, l’agence Standard and Poor’s maintient finalement le AA de l’État français.

 

Dette et notes…

Lorsque la dette publique d’un pays augmente, non seulement en pourcentage du produit intérieur brut, mais surtout en pourcentage de ses recettes fiscales – qui sont la vraie mesure de sa capacité de remboursement – la probabilité que l’État fasse défaut augmente.

Ce risque de défaut pèse sur les détenteurs d’obligations. Leurs actifs n’ont pas autant de valeur intrinsèque que de valeur faciale. En d’autres termes, on ne peut pas dire qu’une dette de 100 euros vaut cette valeur s’il existe 3, 5 ou 10 % de probabilités qu’elle ne soit pas remboursée.

En conséquence, si une banque pouvait valoriser le titre de la dette souveraine de 100 euros du Bélouchistan inférieur pour 100 euros dans son bilan, elle tromperait ses actionnaires.

Si le Premier ministre du Bélouchistan inférieur déclare que les caisses du Trésor sont vides, notre banque devrait donc enregistrer une perte en conséquence dans ses comptes de résultats et de bilan.

Il doit donc exister un mécanisme pour décoter certaines obligations d’État.

La Banque des règlements internationaux (BIS) préconise une technique comptable en conséquence (ici et ) dont on peut d’ailleurs déplorer la mansuétude à l’égard des dettes publiques…

L’idée est d’utiliser les services d’agences de notations (NRSRO) privées et indépendantes et d’appliquer une pénalité comptable aux « mauvaises dettes ».

 

Hausse du coût des emprunts

À chaque dégradation de la note de la France, l’État doit payer un peu plus que les autres pays qui ont une dette moins élevée ou une meilleure note.

À plus de 3000 milliards d’euros de dette publique, toute hausse, même minime, des taux d’intérêt se transforme vite en milliards d’euros.

Un pays qui aurait moins de dettes publiques, en pourcentage de son économie, paierait un taux plus bas à ses créanciers.

Pour cette raison, la France paie un taux d’intérêt sur ses obligations à dix ans substantiellement plus élevé que l’Allemagne :

Comme nous pouvons le voir, le passage à l’euro a été l’occasion d’un resserrement des taux entre la France et l’Allemagne.

Pendant une longue période, qui a duré jusqu’à la crise grecque, il n’y avait pas vraiment de différence, en pratique, entre la signature allemande et la signature française.

Puis le sarkozysme est arrivé, – une gabegie d’argent public avec près de 622 milliards d’euros de dettes supplémentaires tandis que le reste de l’Europe essayait de contrôler ses dépenses. Le taux des obligations d’État françaises est monté à 1,5 % au-dessus de l’Allemagne.

 

Un coût réel

Depuis, le différentiel n’est jamais retombé à zéro.

S’il a l’air minime, à peine 0,56 % en avril avant la dégradation de Fitch, il est quand même non négligeable dans le sens où ces 0,56 % s’appliquent en partie à 3 000 000 000 000 euros.

Il est difficile de chiffrer la facture exacte car la dette française a une maturité moyenne de neuf ans. Elle est composée de produits à très court terme, d’obligations à 10 ans et de quelques titres à presque 50 ans.

Ceci dit, clairement, si l’on regarde la courbe, la défiance des marchés et des agences de notation envers la dette française a coûté plus de 100 milliards d’euros depuis la crise grecque.

 

Des agences accommodantes

Comme nous l’évoquions ici lors du passage de la France à 3000 milliards de dettes publiques, « les agences de notations sont toujours très en retard sur les marchés mais elles réviseront inévitablement la note de la dette française ».

C’était une semaine avant la dégradation de la note française par Fitch.

Les agences réagissent des mois après que les situations financières des États ou des entreprises se dégradent.

En ce sens, l’abaissement de la note française par Fitch hier, ou probablement de Standard and Poor’s et Moody’s demain, est ainsi plus ou moins inévitable.

Le maintien de la note AA par Standard and Poor’s n’est à coup sûr que temporaire compte tenu des actes économiques irrationnels passés des principaux dirigeants français ainsi que de la récession mondiale qui s’annonce plus sévère que prévue.

En fait, les agences sont extrêmement laxistes : il est absolument évident que l’État français ne remboursera jamais ses 3000 milliards de dettes en termes réels.

Je mets au défi quiconque de m’expliquer comment on rembourse 3000 milliards d’euros de dette publique avec 293 milliards de recettes fiscales lorsque l’on dépense 455 milliards chaque année…

Au mieux, les investisseurs ne pourront récupérer cette somme qu’en valeur nominale, c’est-à-dire en euros qui seront complètement dévalués. Au pire, il arrivera un moment où il faudra restructurer la dette française en appliquant une décote aux valeurs nominales, en disant, par exemple que le Trésor ne pairera que 60 ou 70 centimes pour chaque euro de dette.

 

Se protéger

Cette facture sera payée par tous les actionnaires des compagnies d’assurance et des banques, et par tous ceux qui détiennent directement ou indirectement des titres d’État, pensant qu’ils sont moins risqués qu’ils ne le sont vraiment…

Beaucoup de Français, qui ne comprennent pas vraiment les rouages de la finance, seront frappés de plein fouet lorsqu’ils prendront la mesure de l’exposition de leurs produits financiers favoris, vendus par des commerciaux ignares ou désinvoltes.

 

Une faillite inéluctable ?

Il y a quelques années, alors que nous discutions en petit comité de ce triste état de fait, un grand économiste français a déploré le fait que « nous sachions pourtant très bien ce qu’il faudrait faire ».

Ma réaction initiale a été l’incrédulité dans le sens où je ne pense pas que la trajectoire puisse être infléchie, à ce point.

Mais après tout, si nous pouvions instantanément enseigner les finances publiques à ceux qui refusent la réalité de la physique, de la biologie, et qui considèrent que les mathématiques sont discriminatoires, savons-nous vraiment ce qu’il convient de faire ?

Comment se débarrasser de 3000 milliards de dette publique ?

Si nous commençons par rejeter l’idée farfelue de sortir de l’euro de façon à pouvoir les rembourser en « nouveaux nouveaux francs » en faisant tourner la planche à billets, il ne peut s’agir que de diluer cette somme pharamineuse de 3000 milliards dans une économie dont la taille réelle – et pas seulement nominale – a doublé ou triplé.

D’abord faudrait-il que cette somme cesse immédiatement de grossir. Il faudrait ramener la dépense publique exactement au niveau des recettes et s’interdire toute émission de dette nouvelle. Ceci implique de comprimer les 455 milliards de dépenses nettes du budget général et de les ramener aux 293 milliards de recettes.

En d’autres termes, il faudrait se passer d’au moins un bon million de fonctionnaires, ramenant ainsi la fonction publique de la France au niveau de celle de l’Allemagne, per capita. La tâche serait politiquement ardue mais économiquement facile tant il est vrai qu’il y a beaucoup plus de fonctionnaires qui travaillent que de fonctionnaires qui produisent…

À l’évidence, les impôts ont atteint un tel point qu’ils étouffent l’activité des individus. Il faudrait donc drastiquement les baisser pour augmenter l’activité. Tout aussi nocifs que les impôts, les réglementations en tout genre – dont le Cerfa est le symbole – devraient disparaître à un rythme soutenu. Enfin, il faudrait arrêter de tout subventionner, des éoliennes aux cantines scolaires, des transports en commun aux entreprises d’État…

Enfin, il faudrait massivement privatiser tout ce qui peut l’être – l’État a des actifs immobiliers considérables – pour faire émerger une nouvelle classe d’actionnaires et de propriétaires. Il est impossible d’avoir une croissance élevée sans engager des masses importantes de capital.

En somme, il faudrait adopter le Code du travail suisse, le Code des impôts singapourien, et l’entrepreunariat américain.

Ce serait douloureux à court terme, mais bien moins que l’effondrement brutal des finances publiques dans le désordre et la violence…

Guerre en Ukraine, c’est par où la sortie ?

La fin de la guerre en Ukraine est la question géopolitique clé de l’année. Le gel du conflit, comme entre les deux Corée, ne paraît souhaitable pour personne. Une issue négociée semble impensable tant les positions de départ de Kiev et Moscou sont antagonistes, d’autant plus qu’il serait imprudent de faire confiance à Poutine. Ne reste donc qu’une option sérieuse, une victoire militaire. Celle de l’Ukraine grâce aux armes occidentales.

 

Quelle fin envisageable pour la guerre en Ukraine ?

C’est la question, cruciale, que tout le monde se pose depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, il y a quinze mois : c’est par où la sortie ? Comment la guerre prendra-t-elle fin ?

Par définition, une guerre s’arrête seulement suivant trois scénarios ; un gel des hostilités sans règlement politique pour autant, la victoire d’un protagoniste, ou une issue négociée. Le premier et le troisième semblent impossibles.

 

Pas de scénario coréen

Évacuons le scénario dit « coréen » d’un gel de facto des opérations militaires.

Cela ouvrirait la « riante » perspective d’une balafre en Europe, source de tensions, avec risque de reprise de la guerre dès que l’un des deux protagonistes aurait reconstitué ses forces. D’ailleurs, si les combats n’ont pas repris depuis 1953 entre Pyongyang et Séoul, c’est parce que les États-Unis ont conservé 40 000 soldats en Corée du Sud. Des milliers de soldats américains déployés à quelques kilomètres d’une armée russe revancharde seraient dangereux pour tout le monde.

En outre, par définition, un conflit gelé n’est pas réglé et ne peut donc déboucher sur une normalisation des relations. Les sanctions occidentales contre Moscou resteraient donc en place durant des décennies. Pénible pour les Occidentaux et catastrophique pour la Russie : elle vendait les deux tiers de ses hydrocarbures aux Occidentaux qui fournissaient l’essentiel des produits industriels et technologiques dont elle a besoin. Elle ne pourrait vraisemblablement pas trouver de partenaires alternatifs, sauf au prix de rabais gigantesques et d’une vassalisation par Pékin.

 

Les négociations impossibles

Quant à l’option des négociations, évoquées obsessionnellement à Paris, elle semble tout autant impossible. D’abord parce que qui, à Kiev ou dans les capitales occidentales, peut accorder le moindre crédit à la parole de Vladimir Poutine ? Un président décorant un bataillon coupable de crimes de guerre à Boucha, qui ment comme il respire, ou semble enfermé dans une réalité alternative. Et qui a déchiré sans hésiter le mémorandum de Budapest de 1996 par lequel les frontières de l’Ukraine étaient garanties en échange de sa restitution des armes nucléaires héritées de l’URSS.

Ensuite, les positions de Kiev et de Moscou sont plus qu’antagonistes. Toutes les prises de position publiques et les sondages le montrent, l’Ukraine ne renoncera jamais à la reconquête des quatre régions, Lougansk, Donetsk, Kherson, Zaporijjia, annexées en octobre par Moscou, voire de la Crimée, ni à l’abandon de poursuites pour crimes de guerre contre des militaires et responsables russes. Il faudra aussi régler la question de la reconstruction des villes bombardées, pour un coût estimé entre 470 et 700 milliards d’euros : on voit mal les contribuables occidentaux sollicités massivement mais pas les Russes à l’origine de ce désastre.

Or, le Kremlin ne signera jamais un accord lui imposant des réparations, ou de renoncer à l’annexion des régions ukrainiennes : celle-ci est désormais inscrite dans la Constitution et évoquer ne serait-ce qu’une ébauche de début d’abandon de territoire, comme devraient forcément le faire les négociateurs du Kremlin, est désormais un crime puni par cinq ans de prison à Moscou.

 

Une victoire de l’Ukraine difficile mais crédible

Ne reste donc plus que le scénario d’une victoire militaire.

Celle de la Russie semble désormais impossible. Elle a perdu la moitié de ses chars modernes, consommé la grande majorité de ses missiles, perdu quatre fois plus d’hommes que durant dix ans de guerre en Afghanistan et, malgré la mobilisation de 300 000 recrues en octobre censée fournir un rouleau compresseur, n’a depuis lors conquis que Bakhmout, l’équivalent de Charlevilles-Mézières. L’incompétence de ses officiers, la corruption de sa chaîne d’approvisionnement, l’obsolescence de la majorité de ses armes et le manque de motivation de ses soldats soumis traditionnellement à des brimades et engagés dans un conflit absurde n’est plus à démontrer.

La victoire de l’Ukraine, c’est-à-dire la reconquête des territoires perdus depuis le 24 février, avec la Crimée en option, serait, certes, difficile. Normal, la guerre est rarement facile. Mais elle est tout à fait possible au vu de la détermination de soldats défendant leur pays menacé sinon d’annihilation, de l’agilité tactique de ses officiers et des armes fournies par les Occidentaux. Ces dernières comptent désormais des missiles, GLSDB américaines et Storm shadow britanniques, capables de détruire en profondeur les sites de carburant et munitions russes, de chars Challenger et Leopard ultra modernes. Quant à la triple ligne de défense russe à base de mines, tranchées et « dents de dragons » (plots de ciments empêchant la progression de chars mais qui seraient simplement posés au sol) elle est sans doute moins formidable qu’on ne le croit sur 900 km.

Dernier point : il se disait, surtout à Paris et Berlin où longtemps régnait une certaine candeur envers le Kremlin, que s’il fallait empêcher l’armée russe de gagner, il importait aussi d’éviter qu’elle ne perde vraiment. Les éléments de langage en ce sens évoquaient généralement « trouver à Moscou une porte de sortie », ou « aider Kiev à instaurer un rapport de force pour mieux s’asseoir à la table des négociations ».

Discours obsolète désormais, les dirigeants occidentaux parlant désormais sans ambages d’une défaite russe. S’il ne faudrait évidemment pas que cette dernière conduise à l’éclatement du pays, il faut se rappeler que la Russie a survécu à dix fois pire en mille ans d’Histoire et que toutes les grandes puissances se sont remises d’aventures extérieures ayant mal tourné. Quant à une éventuelle lassitude des Occidentaux dans leur soutien à l’armée ukrainienne, elle ne saute pas aux yeux dans les sondages ni dans l’establishment diplomatico-militaire. Ce qui peut se comprendre à la fois en raison du syndrome du « passager attendant l’autobus » (dommage de renoncer après avoir investi tant de temps alors que le bus va peut-être arriver) et parce que l’aide militaire à l’Ukraine représente moins de 0,1 % du PIB d’une coalition pesant pas loin de 60 % du PIB mondial.

Le « deep state » sécuritaire a aussi fait ses comptes à Washington : son aide militaire à Kiev, équivalente à moins d’un vingtième du budget annuel du Pentagone, a déjà permis, sans risquer la vie d’un seul « boy », d’éliminer la réputation et la moitié des armes lourdes de son grand rival géopolitique durant quarante ans de guerre froide et dont le régime se révèle aujourd’hui dangereux. Sans oublier un message de fermeté et d’efficacité adressé à Pékin. Plus rentable que cela sur le plan géopolitique, je n’ai pas en magasin.

L’offensive ukrainienne, lancée très vraisemblablement d’ici début juillet, permettra vite d’évaluer les perspectives d’une issue, mettons, d’ici un an. Certains font toutefois valoir que le Kremlin n’acceptera jamais cette défaite. En oubliant que, l’Histoire le montre, quand vous perdez une guerre, on vous demande rarement votre avis.

L’enfer est pavé de bonnes intentions (20) : L’homme déconstruit

Frédéric Beigbeder est un homme médiatique et, par certains côtés, sans doute souvent excessif. Pour autant, il dispose de certaines qualités et est capable aussi d’introspection. À travers son dernier livre, son témoignage est celui d’un repenti, qui affirme chercher à confesser – non sans une bonne dose d’humour et de provocation – ses erreurs ou dérives passées. Faisant preuve, de la sorte, d’une certaine sagesse et surtout de réflexion.

 

Refuser les formes de censure

Il commence par expliquer comment des individus – à la grande frayeur de ses enfants en bas âge – se sont introduits en pleine nuit dans son jardin en 2018, puis ont enduit sa maison et sa voiture de peinture et de tags le traitant de violeur et de salaud, pour avoir signé une pétition contre la pénalisation des clients de prostitués. Lui, amoureux des livres et des débats d’idées, préférerait de loin, dit-il, engager le débat avec eux autour d’un verre, plutôt que de devoir endurer une violence qui, comme dans le cas de Salman Rushdie, qu’il cite, peut aller très loin dans la démesure et l’horreur.

 

Si les livres ne peuvent plus raconter les crimes et délits, comment allons-nous sonder l’âme de l’homme ? Est-il raisonnable de penser qu’un art moral peut améliorer les humains ? Pol Pot a sincèrement essayé de « rendre les hommes plus purs » en exterminant les porteurs de lunettes. 1,7 million de morts plus tard, la poésie khmère n’a pas énormément progressé… et il y a toujours des Cambodgiens myopes. La purification des œuvres ne nous empêchera jamais d’être humainement faillibles.

 

En cette époque où le wokisme et autres formes de censure sévissent de manière très inquiétante, il est donc en effet souhaitable de chercher à défendre une culture en péril face aux assauts répétés de ceux qui entendent la dépouiller de toute aspérité jusqu’à l’affadir ou l’orienter dans la direction qu’ils entendent imposer.

Frédéric Beigbeder poursuit son pamphlet en évoquant quelques faits marquants de victimisation qui l’ont touché comme d’autres, entretenus par certains médias complaisants et aux méthodes peu orthodoxes. Se trouvant acculé à devoir évoquer brièvement sans s’y attarder comment la vie d’un hétérosexuel blanc âgé de plus de 50 ans et, circonstance sans doute aggravante, né à Neuilly, n’est pas ou n’a pas été forcément la vie idyllique que d’aucuns pourraient imaginer. Loin de là. Sans tomber pour autant totalement dans l’impudeur, mais en temporisant surtout les excès de victimisation dans l’air du temps.

 

On est tous victimes de quelque chose ou de quelqu’un. Ceux qui n’ont pas été violés ont été battus. Ceux qui n’ont pas été battus ont été abandonnés. Ceux qui n’ont pas été abandonnés ont été pauvres. Ceux qui n’ont pas été pauvres ont vu leurs parents se déchirer. Ceux qui n’ont été ni violés, ni battus, ni abandonnés, ni pauvres, ni témoins de violences conjugales ont perdu toute leur famille dans un accident de voiture, ou avaient un père alcoolique, ou une mère toxicomane, internée à Sainte-Anne. Il n’y a pas d’un côté des victimes et de l’autre des bourreaux. Il n’y a que la phrase de Sartre : « L’important n’est pas ce qu’on fait de nous mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. »

Si on ne souhaite pas rester une victime jusqu’à sa mort, on peut aussi sortir de ce statut et se reconstruire. Le message de ce livre est clair : je préfère être une ancienne victime qu’une victime professionnelle.

 

Le tribunal médiatique

Derrière l’humour, on sent la détresse d’un homme médiatique, dont la vie n’a pas été le long fleuve tranquille que certains présument, mis en demeure de devoir perpétuellement se justifier, procéder à son autocritique, répondre aux assauts de tel « écoféministe », tel journal, tel ou tel accusateur lui reprochant de simples prises de position, voire une conversation privée remontant à de nombreuses années, en oubliant au passage ses actions antisexistes lui ayant parfois valu sa place, et confondant pour nombre d’entre eux l’amour et la guerre ; quand d’autres encore ne nient pas tout simplement la différence des sexes.

Ce que réclame Frédéric Beigbeder, c’est le débat. L’immense majorité des mâles hétérosexuels ne demandent pas mieux que d’envoyer en prison les agresseurs sexuels, insiste-t-il. Mais dans le respect des principes fondamentaux du droit, et non en rendant justice sur un plateau de télévision, en « balançant des noms sans preuve sur les réseaux sociaux » et en ne respectant aucunement la présomption d’innocence, en se situant sur le terrain de la posture médiatique.

 

Tourner le dos au conformisme

Ce qui est intéressant dans le livre de Frédéric Beigbeder est à la fois le regard d’un homme sur lui-même et son passé, arrivé à un âge charnière (la cinquantaine), mais aussi et peut-être surtout la manière dont il prend conscience de son « conformisme » (c’est le terme qu’il utilise), alors qu’il s’était toujours voulu « transgressif » (il n’hésite pas à l’assumer également).

Loin d’être une fête permanente, la vie est bien plus fragile et profonde que ce que l’on veut bien en faire lorsqu’on se sent encore jeune et relativement insouciant. Et au-delà de l’humour relativement sombre, c’est plutôt à la confession d’un homme révolté que l’on a plutôt le sentiment d’assister. Celle aussi d’un homme qui a versé dans les excès et s’en repend aujourd’hui, mettant en garde ses lecteurs contre l’idée de suivre un chemin analogue (il évoque d’ailleurs l’attrait pour la ravageuse et mortelle cocaïne qu’ont pu constituer pour lui des films, romans ou chansons des années 1980, avant de tomber sous l’influence de son entourage et… du conformisme, souvent caractéristique de la jeunesse influençable plus encore que les autres classes d’âge).

De confession, il est bien question. Le reste du livre est composé de chapitres d’une crudité presque sans limites, entre ironie et mea culpa. Le mea culpa d’un homme mi-pessimiste, mi-déprimé, à l’ornière de deux générations, qui fait mine de se repentir de ne pas être parvenu à être un homme « déconstruit ». Faisant référence à plusieurs reprises à Virginie Despentes et Annie Ernaux, il dresse un portrait assez pathétique et plein d’autodérision de l’homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans, faisant mine d’entrer dans leur jeu. Mais il s’adresse avant tout aux femmes et aux hommes qui ont une conception moins idéologique de la vie, leur laissant malgré tout un message porteur d’espoir et non dénué d’un sens profond de l’ironie.

 

Frédéric Beigbeder, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Albin Michel, avril 2023, 176 pages.

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À lire aussi :

Pour se reconstruire après la guerre, l’Ukraine devra lutter contre la corruption

L’Ukraine mène une deuxième guerre, intérieure celle-ci, contre la corruption.

En janvier 2023, le gouvernement ukrainien a été éclaboussé par des scandales de corruption impliquant le vice-ministre de la Défense et le vice-ministre des Infrastructures. Il se trouve que juste avant la guerre, le président Zelensky avait poussé à un tournant anti-corruption. L’Ukraine elle-même était déjà l’un des pays les plus corrompus du continent. Selon Transparency International, son indice de perception de la corruption pour 2022 était encore de 33 /100, ce qui la plaçait au 116e rang sur 180 pays. Il s’agit bien sûr d’une mauvaise nouvelle pour l’environnement des affaires et une concurrence saine dans le pays.

 

La corruption contre la reconstruction

De tels niveaux de corruption n’augurent rien de bon pour les perspectives de reconstruction après la guerre. L’agression russe a rasé de nombreuses localités, gravement endommagé les infrastructures, perturbé l’activité économique et réduit le nombre d’hommes disponibles. L’Ukraine repartira avec un niveau de richesse bien inférieur à celui qu’elle avait avant la guerre.

En outre, des millions d’euros et de dollars affluent dans le pays pour soutenir ses efforts de guerre contre l’invasion russe. Quelle que soit la justification morale évidente du soutien aux efforts de guerre, depuis des décennies, l’aide internationale a peu fait ses preuves en favorisant l’inefficacité et la corruption dans les pays dotés d’institutions fragiles. De plus, il est fort probable que le pays recevra également une aide à la reconstruction.

Le risque, c’est que la corruption freine les efforts de reconstruction, qui ont besoin d’un environnement des affaires sain pour se déployer avec succès. Le moment est donc bien choisi pour s’attaquer à ce problème. En mars, une conférence organisée par l’Institut pour le leadership économique, basé à Kiev, en coopération avec le bureau du président, a abordé certaines des racines du problème. Soutenue par les efforts de Tom Palmer, d’Atlas Network, pour réunir des experts internationaux en pleine guerre, la conférence a proposé des solutions sous un angle inhabituel : en examinant le système fiscal complexe du pays, qui encourage la corruption.

 

La liberté au service du redressement

Cette tâche est essentielle si le pays veut réduire sa dépendance à l’égard de l’aide et des subventions étrangères – ce qu’une partie de sa classe politique est prête à faire – et s’appuyer sur sa propre croissance économique fondée sur l’investissement intérieur et la capacité à attirer les investissements étrangers. À l’instar du Wirtschaftswunder en Allemagne dans les années 1950, lorsque le pays avait décidé de mettre fin au contrôle des prix et aux autres conseils de politiques publiques émanant de l’administration étrangère américaine inspirés par la planification centralisée, l’Ukraine doit libérer son économie.

La résilience des Ukrainiens est aussi étonnante que leur bravoure face à l’agression : les entreprises continuent de fonctionner et le président Zelensky a demandé aux gens d’aller travailler, d’aller au restaurant et de « gagner de l’argent ». Il ne fait aucun doute que le choc de la guerre a créé une « volonté de vivre », ainsi qu’une fraternité qui se prolonge dans un désir d’égalité devant la loi et une intolérance à l’égard de la corruption et des « complications » injustifiées sur la voie de la prospérité personnelle provenant d’une bureaucratie et d’un corps politique corrompus.

Ce dont le pays a besoin, c’est donc d’une plus grande liberté économique. Comme l’énonce l’Institut Fraser, un important think tank qui défend ce concept :

« Les individus jouissent de la liberté économique lorsque les biens qu’ils acquièrent sans recourir à la force, à la fraude ou au vol sont protégés contre les invasions physiques d’autrui et qu’ils sont libres d’utiliser, d’échanger ou de donner leurs biens tant que leurs actions ne violent pas les droits identiques d’autrui. Les individus sont libres de choisir, de commercer et de coopérer avec les autres, et de rivaliser comme ils l’entendent ».

La liberté économique est une étape cruciale pour la prospérité. Et une fiscalité moins lourde et plus transparente y contribue largement.

 

L’effet Laffer

La « révolution Reagan » de 1980 aux États-Unis était en partie basée sur la célèbre courbe en cloche de l’économiste Arthur Laffer sur l’effet économique de la fiscalité.

Son message était simple : au-delà d’un certain niveau de taux d’imposition dans l’économie, la fiscalité devient contre-productive, car des taux plus élevés génèrent moins de recettes fiscales pour l’État. La raison ? Les incitations au travail et à l’investissement sont importantes, surtout lorsque les taux marginaux d’imposition sont élevés. Les travailleurs préfèrent donc substituer les loisirs au travail. Des taux d’imposition trop élevés sur les bénéfices ont un effet dissuasif sur les entreprises. En effet, de nombreux pays ont pris conscience de l’importance de l’effet Laffer et ont modifié leur système fiscal en conséquence dans les années 1980 (Royaume-Uni ou États-Unis) à 2000 (Irlande).

Toutefois, dans les pays les plus pauvres, les gens ne peuvent pas se permettre de ne pas travailler. Ils réduisent leur activité officielle et font des affaires « clandestines » pour échapper à l’impôt. Et c’est précisément la situation en Ukraine : les entreprises évitent de payer des impôts.

Selon un sondage réalisé par les organisateurs de la conférence, en juin 2022 (c’est-à-dire après le début de la guerre), selon 68 % des personnes interrogées, le système d’évasion fiscale le plus populaire dans leur secteur respectif consistait à payer les salaires en espèces. Ainsi, 30 % ont déclaré ne payer officiellement que la moitié des salaires, et 21 % ne payer que la moitié de l’impôt dû sur les sociétés. Les « fausses dépenses » représentent près de 40 % des réponses.

Certains pays ont mis en place une fiscalité allégée, avec des résultats probants en termes de recettes fiscales. La Bulgarie a abaissé ses taux à 10 % pour l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques, tandis que l’Irlande a augmenté ses recettes fiscales de 50 % après avoir réduit de moitié son taux d’imposition sur les sociétés en 2000-2003.

En Ukraine aussi, la leçon de l’effet Laffer pourrait être mise en œuvre. Plus de la moitié des personnes interrogées déclarent qu’elles seraient prêtes à payer des impôts officiellement s’ils étaient moins élevés, et 28 % qu’elles augmenteraient leur part des salaires officiels. Moins de 2 % des personnes interrogées déclarent qu’elles éviteraient de toute façon de payer des impôts. Comme dans d’autres pays ayant mis en œuvre des réformes fiscales radicales, les recettes fiscales pourraient augmenter.

 

Simplicité fiscale

La baisse de la fiscalité n’est cependant pas la seule pièce du puzzle.

La simplicité et la transparence fiscales sont également importantes. La fiscalité est une question de confiance en l’État. Dans le contexte d’une société de défiance et d’une faible capacité de l’administration fiscale, les régimes fiscaux sont souvent sous-optimaux. Ils s’appuient sur des taxes et impôts moins efficaces du point de vue économique, tels que les taxes sur le chiffre d’affaires, le commerce ou les intrants. Ceux-ci sont précisément choisis pour éviter l’évasion fiscale, que des impôts moins inefficaces, tels que l’impôt sur les bénéfices, peuvent plus facilement permettre. Comme le rappellent l’économiste Simeon Djankov et le député ukrainien Maryan Zablotskyy, c’est précisément le cas de l’Ukraine.

Ils ajoutent que le régime fiscal ukrainien crée des distorsions car le Code des impôts n’est pas respecté dans la pratique. Bien sûr, il y a l’économie souterraine : on estime que 42 % des entreprises ukrainiennes opèrent de manière non officielle. Mais la situation est encore plus délicate : les pratiques non officielles de perception de l’impôt équivalent à des négociations directes entre les entreprises et les autorités fiscales, ce qui donne à ces dernières une grande marge de manœuvre. Non seulement cela conduit à des taux d’imposition effectifs « négociés » plus bas, mais cela ouvre également la porte à la corruption. Djankov et Zablotskyy préconisent donc une simplification du système avec un taux uniforme.

En matière de transparence fiscale, un autre pays post-soviétique, l’Estonie, est probablement le meilleur exemple.

Depuis neuf ans, elle est classée comme le meilleur système fiscal par la Tax Foundation, basée aux États-Unis. Le pays balte, qui a introduit un impôt à taux unique en 1994 (et qui a été légèrement « progressivisé » depuis 2018 avec l’introduction de nouvelles tranches), dispose d’un système fiscal très transparent, prévisible et facile à utiliser. Il n’est pas étonnant qu’il réduise le coût du paiement des impôts ainsi que les inefficacités économiques, mais qu’il génère également davantage de confiance civique – une condition préalable au bon fonctionnement d’une démocratie qui gérera ensuite ses dépenses publiques de manière avisée.

 

Quel futur ? 

Les scénarios futurs dépendent de forces d’inertie à la fois internes et externes.

Premièrement, la guerre peut cristalliser un sentiment national d’égalité et de responsabilité, et donc réduire la tolérance à l’égard de la corruption et faciliter l’acceptation des réformes, mais elle peut aussi déclencher davantage de corruption, et les récents scandales semblent confirmer cette dernière crainte.

Deuxièmement, l’immobilisme de l’administration fiscale elle-même pourrait être un obstacle, car les vieilles habitudes ont la vie dure, malgré les nouvelles incitations offertes par la réforme. Mais les intérêts particuliers pourraient précisément ralentir le processus de réforme.

Troisièmement, compte tenu du niveau de l’aide internationale, les entités étrangères auraient probablement leur mot à dire ou disposeraient d’un certain pouvoir de lobbying. Des organisations telles que l’OCDE ne sont pas de grandes adeptes de la flat tax ou de la concurrence fiscale. Toute théorie du complot mise à part, les organismes internationaux de prêt ont également intérêt à maintenir une certaine dépendance à l’égard de la dette publique. Or, si des impôts plus bas et plus transparents en Ukraine sont compensés par une dette publique croissante après la guerre (comme on l’a vu dans plusieurs pays), il manquerait alors une partie de l’équation de la redevabilité et de la bonne gestion démocratique.

 

Cet article a été originellement publié en anglais par gisreportsonline.com, republié pour Contrepoints en français avec l’autorisation de l’auteur.

Immigration en France : entre nécessité démographique et défi culturel

L’immigration est une problématique complexe comportant des aspects démographiques, économiques, culturels mais aussi purement politiques au sens étroit du terme, l’électoralisme.

Le laisser-faire a dominé depuis 50 ans dans ce domaine par suite de désaccords entre partis. C’est en réalité un tout petit nombre de personnes, la strate dirigeante des partis, qui a imposé sa loi à une population qui aurait souhaité un peu de clarté, c’est-à-dire une véritable politique de l’immigration.

 

Sans immigration, la population diminuerait depuis des décennies

Personne ne l’ignore, mais le sujet est presque tabou : le cœur du problème est démographique. L’INSEE a précisé récemment qu’en remontant sur trois générations, un tiers de la population française de moins de 60 ans a un lien avec l’immigration, soit environ 16 millions de personnes en s’appuyant sur les tableaux de population de l’INED. Ce lien signifie que l’ascendance sur trois générations comporte au moins un immigré. L’apport démographique de l’immigration est donc considérable.

En rapprochant ce chiffre de l’évolution du taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer), on comprend intuitivement que sans l’immigration la population française aurait diminué dès la seconde moitié du XXe siècle. Il faut un taux de 2,1 pour maintenir la stabilité de la population. L’indice de fécondité était proche de 3 en 1950 et il est descendu à 1,8 en 2020. Il est constamment inférieur à 2 depuis le milieu des années 1970.

L’immigration a donc empêché une diminution et un vieillissement accéléré de la population française. Le raisonnement pourrait être étendu à l’ensemble des pays de l’Europe de l’Ouest.

 

Éludons le plus important, parlons d’autre chose…

Cet aspect démographique a évidemment un corollaire économique.

Une population vieillissante est moins dynamique, moins innovante et comporte un grand nombre de retraités représentant une charge considérable pour les actifs. L’immigration permet donc de réduire sensiblement l’impact économique de la baisse de la natalité. Mais ces deux aspects fondamentaux  – démographique et économique – sont en général éludés dans le débat public sur l’immigration au profit de problématiques morale et culturelle (dites identitaires). C’est ici qu’intervient l’énorme manipulation politique du sujet.

On sent en effet qu’en matière d’immigration, les leaders politiques sont comme des enfants disposant de quelques pièces de monnaie devant une vitrine de confiseur. C’est trop bon !  Il ne faut surtout pas rater l’opportunité.

 

Immigration chrétienne et immigration musulmane

L’aspect culturel ou civilisationnel est indéniable.

L’immigration européenne antérieure (Italiens, Espagnols, Portugais, Polonais, etc.) s’est soldée par une très bonne assimilation en deux générations. Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait de chrétiens et que nos racines culturelles sont chrétiennes. Il suffit pour le comprendre de parcourir la littérature (le mariage religieux, le péché, etc.) l’architecture (les églises, les monastères), le peinture (exclusivement religieuse au Moyen Âge, très largement jusqu’au XVIIIe siècle), la sculpture (même chose), la musique elle-même.

Les Français et les Européens d’ancienne implantation sont donc imprégnés d’une culture chrétienne, qu’ils soient croyants ou non. C’est une réalité objective. La population immigrée d’origine africaine n’a pas du tout le même arrière-plan culturel. Les flux les plus importants étant constitués de musulmans, l’Islam joue pour cette population immigrée le même rôle que le christianisme pour les Français établis de longue date. Le monde musulman comporte dans tous les domaines de la culture une richesse équivalente à celle de la chrétienté. Mais c’est un autre monde : la civilisation islamique.

Il est impossible de ne pas ressentir in petto une appartenance culturelle. Nous ne choisissons pas, nous sommes des héritiers. Chrétien, musulman, juif, etc. Mais parfois l’ascendance est duale. L’appartenance à deux cultures peut être une grande richesse mais aussi un déchirement si le poison de la nécessité de choisir s’immisce dans les esprits.

 

Identitarisme et politique

À l’échelle de la société globale, cet aspect culturel est exploité politiquement en manipulant le concept d’identité.

Insérés dans une civilisation, nous avons tous une identité culturelle. Mais le XXe siècle a montré que « nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortelles » (Paul Valéry, 1919). Les évolutions rapides des XIXe et XXe siècles, les guerres mondiales, les idéologies fascistes et marxistes ont bousculé les civilisations établies depuis des siècles ou des millénaires et fait naître un sentiment de précarité culturelle. Au XXIe siècle, le radicalisme déconstructiviste d’obédience totalitaire, dont la traduction militante est nommée wokisme, visant à décrédibiliser toute pensée différente et à interdire son expression n’a fait que conforter ce sentiment d’incertitude sur l’avenir.

Un tel climat apparaît comme une opportunité pour les tendances politiques réactionnaires.

Aussi, en France comme dans tous les pays occidentaux, des partis de la droite nationaliste ont utilisé le concept d’identité pour propager des promesses de retour à la stabilité d’antan. L’immigration est alors désignée comme le facteur unique de remise en cause de l’identité occidentale. La lutte contre l’immigration, voire la suppression de toute immigration, est présentée comme la solution.

Bien évidemment, devant une évolution multifactorielle que personne ne maîtrise vraiment, il ne s’agit là que d’électoralisme. Le fondamentalisme islamique et ses horreurs terroristes, la démission des élites musulmanes pour le cantonner, là encore pour des raisons politiques, n’ont fait que conforter le repli sur l’identité occidentale en Europe. L’identitarisme est une première instrumentalisation politique de l’immigration, mais pas la seule.

 

Le camp du bien : un cœur grand comme ça !

Il en existe une autre, moins bien perçue mais tout aussi perverse.

La gauche dans son ensemble n’a jamais voulu traiter rationnellement la question de l’immigration. Pourquoi ? Parce que la sensibilité de beaucoup d’électeurs de gauche relève d’un altruisme revendiqué. Savoir s’il est réel est une autre affaire. La gauche et tous ceux qui prétendent lui appartenir considèrent que l’égoïsme est de droite et l’altruisme de gauche. L’insensibilité et la rapacité financière sont de droite, la solidarité et la générosité envers les faibles sont de gauche. Une personne de gauche se pense comme appartenant au camp du bien. Cette perception résulte de la place occupée par le marxisme dans l’émergence de la gauche contemporaine. La lutte des classes reste présente et renvoie à l’image du riche bourgeois exploitant le pauvre prolétaire qu’il s’agit de défendre. L’horizon était la société sans classes ; c’est aujourd’hui la société solidaire et écologiquement vertueuse dans laquelle les phénomènes de domination auront disparu.

Or, l’immigration évoquée ici est celle qui provient de pays pauvres à destination de l’Occident, de pays sans État de droit vers des pays en possédant un. Il est clair que la mentalité de gauche ne peut imaginer autre chose que de tendre la main aux « migrants », pauvres et parfois persécutés. Sinon, appartiendrait-on encore au camp du bien ?

Les leaders des partis, qui sont à peu près tous des personnages cyniques et ambitieux, ne pouvaient que suivre la sensibilité de leurs troupes. Il n’était pas question de les informer des réalités démographiques et économiques. L’immigration ne peut donc pas être une simple nécessité économico-démographique. Elle doit être une occasion de rencontres enrichissantes avec « l’autre », un échange culturel conduisant certainement à plus ou moins long terme à un avenir radieux et peut-être à la paix universelle. Elle est aussi une occasion de tendre la main aux plus démunis et de faire la démonstration de sa supériorité morale. C’est pourquoi, lorsqu’en 2015 Angela Merkel a laissé entrer en Allemagne 1,6 million de demandeurs d’asile (de nombreux Syriens du fait de la guerre), la gauche a scandé unanimement qu’elle avait sauvé l’honneur de l’Union européenne. En réalité, l’Allemagne avait un besoin important de main-d’œuvre et a saisi une opportunité économique.

Les dirigeants de la gauche française sont des réalistes qui instrumentalisent la conviction de leurs électeurs d’appartenir au camp du bien. Ils suivent de très près les indicateurs démographiques et économiques, mais prétendent toujours en public que l’immigration ne pose aucun problème d’identité culturelle ou civilisationnelle.

Cette attitude permet de reléguer dans le camp du mal absolu tous ceux qui appréhendent le sujet sous un angle plus utilitariste. L’hypocrisie de la gauche ne vaut guère mieux que la focalisation de la droite nationaliste sur la civilisation occidentale éternelle.

 

Une réalité simple mais complexe à gérer

La vérité est toujours proche de la réalité.

Nous avons besoin d’immigrés pour ne pas devenir des peuples vieillissants et décadents. Mais l’aspect culturel, et en particulier l’arrière-plan religieux qui est au fondement même des civilisations, joue un rôle majeur dans le sentiment d’appartenance d’une population. Voilà une réalité intangible, quelles que soient les platitudes idéologiques woke ou nationalistes, et les violences des activistes.

La seule solution à peu près cohérente consiste donc à promouvoir une politique sélective de l’immigration de façon à ce que celle-ci apparaisse comme économiquement nécessaire à l’ensemble de la population. Nous pouvons regretter que le monde soit organisé aujourd’hui en territoires étatiques séparés par des frontières, mais c’est aussi une réalité qui ne disparaîtra pas de sitôt.

Il faut donc faire respecter ces frontières. Sinon, l’incompréhension de la population est assurée et des problèmes politiques graves peuvent naître. Une politique de l’immigration suppose donc des quotas, des contrôles, des sanctions fortes et dissuasives. Elle suppose enfin beaucoup d’ouverture d’esprit pour comprendre ceux qui ont d’autres racines culturelles et ne pas les enfermer dans des identités rigides et fantasmées.

Article publié initialement le 8 juin 2023.

Sources

L’INSEE, cf. le paragraphe intitulé « La majorité des descendants d’immigrés de 3e génération n’ont qu’un seul grand-parent immigré » vers la fin du document : « Si 33 % des personnes de moins de 60 ans ont un lien à l’immigration sur trois générations… »

L’INED, pour 2019, il y avait 15,58 + 32,35 millions de moins de 60 ans. Si on en prend un tiers, cela représente 15,97 millions de personnes.

Les impôts ont-ils vraiment baissé pour les classes moyennes ?

Le 15 mai, Emmanuel Macron, le prestidigitateur en chef de la République française, a annoncé « deux milliards de baisses d’impôts pour les classes moyennes ».

Qu’en est-il vraiment ?

Tout d’abord, si la somme est coquette à l’échelle d’un individu, ou même à celle d’un État qui ne réalise pas tout à fait qu’il est en faillite complète, c’est une minuscule goutte d’eau – de moins de 0,1 % du produit intérieur brut – à l’échelle du pays.

Mais c’est surtout, une fois de plus, une moquerie d’énarque envers des électeurs qui sont généralement trop peu curieux pour rechercher les quelques chiffres clefs du budget du pays.

Et, bien sûr, cette nouvelle supercherie peut compter sur une presse complètement servile composée de scribouillards qui n’iront jamais remettre les pendules à l’heure.

Au contraire, on peut compter sur ces êtres subventionnés à grands frais pour répéter ici ou que grâce à une longue série de réformes, « tous les contribuables ont vu leur charge fiscale diminuer depuis 2017 » ou que « la pression sur les ménages a subi une cure d’amaigrissement depuis 2017 ».

 

Pour 3 hausses, 2 baisses d’impôts…

La vérité est tout autre.

Les recettes fiscales nettes de l’État sont passée de 287 milliards en 2018 à 322 milliards d’euros en 2022.

À lui seul, l’impôt sur le revenu – dont tout le monde sait qu’il a baissé, surtout pour les riches, je l’ai vu à la télé ma bonne dame ! – est passé de 73 à 82 milliards d’euros de recettes. Soit une hausse de 12 % en cinq ans.

Tous les Français ne s’y trompent pas : selon un récent sondage, ils sont seulement 28 % à penser que leurs impôts ont baissé entre 2017 et 2023.

En fait, le macronisme est surtout l’art de cacher trois hausses d’impôts discrètes grâce à deux petites baisses annoncées à grands renforts de médias.

Pour Frédéric Bastiat, « l’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Le président Macron a simplement transformé ce qui était une simple remarque en manuel de politique…

 

Inflation

On me rétorquera que la hausse des recettes de 287 milliards en 2018 à 322 milliards d’euros en 2022 a surtout été due à l’inflation.

Cependant, d’une part les barèmes sont supposés être indexés ; et d’autre part, ceci illustre parfaitement l’existence d’un autre impôt dont personne ne parle jamais, l’« impôt d’inflation ». En tant qu’émetteur de mauvaise monnaie inflationniste, l’État bénéficie de cette manne indirecte.

Lorsque le chef de l’État évoque « les Françaises et les Français qui […] ont du mal à boucler la fin du mois » […] parce que le coût de la vie a monté, parce que la dynamique des salaires n’est pas toujours là » – à qui la faute ? Il met le doigt sur ce problème : ces deux milliards de réformette ne compenseront pas du tout la perte de pouvoir d’achat subie par les ménages.

Ces derniers consomment plusieurs centaines de milliards d’euros. Ils viennent de perdre plus de 10 % à cause de l’inflation. Ce ne sont pas deux milliards qui vont restaurer leur situation économique.

 

Flou artistique sur la baisse d’impôt

Comme la décision a vraisemblablement été prise à la va-vite pour avoir quelque chose à dire lors d’une homélie télévisée, deux semaines plus tard, on ne connaît toujours pas les modalités de cette baisse.

Y aura-t-il un allègement du barème de l’impôt sur le revenu ou un allègement de charges sur les bas salaires ?

Dans les deux cas, les deux milliards d’euros d’allègement auront un effet économique minime car ils ne changeront pas grand-chose aux taux marginaux auxquels font face les individus.

Or, il est un fait économique important, central dans toute analyse : les décisions économiques sont toujours prises à la marge.

Si l’on voulait concevoir la réforme fiscale la plus inefficace possible – celle qui laissent inchangés l’offre de travail et les investissements en capital – nous choisirions, bien évidemment, une réforme qui diminuerait le taux moyen d’imposition tout en laissant inchangés les taux marginaux.

Curieusement, après le passage des experts de Bercy, les saupoudrages du ministre, les arbitrages du Premier ministre, et les ukases du président, ce sera exactement le produit final de ce comité d’énarques, deux milliards pour rien…

Les banques prêtent moins d’argent, et c’est une recette pour la récession

Par Ryan McMaken.

 

Les banques ont resserré leurs normes de prêt et prévoient de continuer à le faire pendant le reste de l’année. La semaine dernière, le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale a publié un nouveau rapport sur la mesure dans laquelle les banques prévoient d’accroître ou de resserrer leur activité de prêt au cours des prochains mois. Ce rapport, intitulé « Senior Loan Officer Opinion Survey on Lending Practices », révèle que les banquiers s’attendent à une détérioration de la situation économique en 2023, tant pour eux-mêmes que pour leurs clients.

S’il est exact, ce rapport est une indication de plus que l’économie américaine se dirige vers la récession. En fait, il s’agit de l’un des indicateurs les plus convaincants de l’inéluctabilité d’une récession. En effet, comme le montre la théorie autrichienne des cycles économiques, un ralentissement des prêts bancaires va de pair avec un ralentissement de la croissance monétaire, qui est en corrélation avec les récessions économiques.

 

Que dit l’enquête de la Fed ?

Selon l’enquête de la Fed :

« Les banques, dans l’ensemble, ont déclaré avoir resserré leurs politiques de prêt pour toutes les catégories de prêts [immobiliers, commerciaux] au cours de l’année écoulée, les changements les plus fréquemment signalés ayant trait à des écarts plus importants entre les taux de prêt et le coût des fonds des banques, ainsi qu’à des ratios prêt/valeur plus faibles […]

Les banques ont cité des perspectives économiques moins favorables ou plus incertaines, une tolérance au risque réduite, une détérioration de la valeur des garanties et des préoccupations concernant les coûts de financement et les positions de liquidité des banques.

Les banques ont indiqué qu’elles s’attendaient à un durcissement des normes dans toutes les catégories de prêts. Elles ont le plus souvent cité une détérioration attendue de la qualité de crédit de leurs portefeuilles de prêts et de la valeur des garanties des clients, une réduction de la tolérance au risque et des préoccupations concernant les coûts de financement des banques, la position de liquidité des banques et les sorties de dépôts comme raisons pour lesquelles elles s’attendent à resserrer les normes de prêt pendant le reste de l’année 2023. »

Le rapport poursuit en notant que le plan de la banque pour restreindre les prêts s’étend à l’immobilier résidentiel, aux lignes de crédit hypothécaires, aux prêts automobiles et aux cartes de crédit.

Ces baisses attendues des prêts sont dues à la fois aux baisses anticipées de la demande de prêts et aux inquiétudes des banquiers concernant leurs propres liquidités et obligations financières. Il est important de noter que les banquiers ont indiqué que les craintes concernant les conditions économiques futures se concentrent sur « la détérioration de la qualité du crédit, la détérioration de la valeur des garanties et la réduction de la tolérance au risque ».

À cela s’ajoutent les inquiétudes croissantes des banques concernant les flux de leur trésorerie qui sont confrontés à une hausse des intérêts, et donc à des coûts d’emprunt plus élevés pour elles-mêmes. Dans le même temps, elles perdent l’accès aux liquidités car les déposants retirent leurs dépôts à des taux historiquement élevés pour les placer dans d’autres investissements qui rapportent des intérêts plus élevés que ceux quasi nuls versés par les banques commerciales.

Comme l’indique le rapport :

« Les plus grandes banques ont exprimé des inquiétudes pour leurs coûts de financement, leur position de liquidité et les sorties de dépôts ».

D’un point de vue historique, ce resserrement du crédit a déjà atteint des niveaux de récession. À l’exception d’une fausse alerte en 1998, une augmentation rapide des normes de resserrement pour les entreprises (grandes et petites) a coïncidé avec la récession dans chaque cycle de récession depuis au moins 35 ans.

Nous pouvons observer une tendance similaire dans les prêts aux ménages pour les cartes de crédit et les prêts automobiles.

 

L’importance du crédit bancaire dans le cycle d’expansion et de récession

Pourquoi ce lien entre le crédit et la récession ?

Il y a plusieurs décennies, Ludwig von Mises a décrit comment un boom inflationniste – qui décrit notre économie actuelle – ne peut être soutenu que par des injections supplémentaires d’argent non garanti ou de « médias fiduciaires ».

Dans un premier temps, les entrepreneurs augmentent leur production sur la base de faux signaux concernant la demande et l’épargne qui proviennent de taux d’intérêt artificiellement bas. Dans notre économie actuelle, ces taux d’intérêt sont abaissés par les banques centrales, en partie grâce à l’inflation monétaire.

Les entrepreneurs augmentent alors la production et l’embauche, ce qui entraîne également une hausse des prix. Pour faire face à celle-ci, les entrepreneurs ont alors besoin de plus d’argent facile. Les prêts bancaires sont un élément clé de ce processus. Les banques centrales sont en effet au cœur du processus inflationniste en ce sens qu’elles incitent les banques à prêter de manière inconsidérée, et qu’elles contribuent également à faire baisser les taux d’intérêt, à accélérer l’octroi de prêts bancaires et à abaisser les normes de prêt. Si les banques deviennent frileuses en raison de la détérioration de la valeur des garanties ou de la hausse des taux d’intérêt, elles ne coopéreront pas à ce processus inflationniste et le cycle s’inversera.

Mises l’explique de la manière suivante :

« Afin de poursuivre la production à l’échelle élargie par l’expansion du crédit, tous les entrepreneurs, ceux qui ont étendu leurs activités comme ceux qui ne produisent que dans les limites où ils produisaient auparavant, ont besoin de fonds supplémentaires, car les coûts de production sont désormais plus élevés. Si l’expansion du crédit consiste simplement en une injection unique et non répétée d’un montant défini de moyens fiduciaires sur le marché des prêts et qu’elle cesse ensuite complètement, le boom doit très vite s’arrêter. Les entrepreneurs ne peuvent pas se procurer les fonds dont ils ont besoin pour poursuivre leurs activités.

[…]

Du fait que la demande et les prix augmentent, les entrepreneurs tirent la conclusion qu’il est rentable d’investir et de produire davantage. Ils continuent, et leurs activités intensifiées entraînent une nouvelle hausse des prix des biens de production, des taux de salaire et, par conséquent, des prix des biens de consommation. Les affaires prospèrent tant que les banques accordent de plus en plus de crédits.

[…]

Le boom ne peut durer qu’aussi longtemps que l’expansion du crédit se poursuit à un rythme toujours plus rapide. Il prend fin dès que des quantités supplémentaires de supports fiduciaires ne sont plus jetées sur le marché du crédit. »

Ce problème pourrait-il être résolu par une action de la banque centrale visant à faire baisser les taux d’intérêt et à encourager l’octroi de prêts bancaires pour toujours ?

Malheureusement, les réalités politiques s’y opposent.

Tant que ces politiques inflationnistes se poursuivent, l’inflation des prix devient un problème croissant, comme nous l’avons vu depuis 2022, lorsque l’inflation des prix a atteint des sommets en 40 ans. L’augmentation de l’inflation des prix est impopulaire sur le plan politique et constitue un danger économique dans la mesure où l’augmentation des prix – en particulier à des niveaux élevés – rend les entrepreneurs de plus en plus incapables de planifier la production et l’investissement.

Cela conduit à ce que Mises appelle le « crack-up boom« , c’est-à-dire lorsque l’effondrement économique et la forte inflation des prix coïncident. Les booms inflationnistes doivent donc prendre fin d’une manière ou d’une autre :

« Le boom ne pourrait pas durer éternellement, même si l’inflation et l’expansion du crédit se poursuivaient à l’infini. Il se heurterait alors aux barrières qui empêchent l’expansion illimitée du crédit en circulation. Cela mènerait à l’explosion du crack-up et à l’effondrement de l’ensemble du système monétaire. »

Comme le note Frank Shostak, la crise qui résulte d’un ralentissement de la création monétaire n’est pas causée par les variations de la masse monétaire en tant que telle. La récession résulte d’une diminution de l’épargne et de l’investissement causée par des bulles inflationnistes, elles-mêmes causées par l’inflation monétaire.

Le lien exact entre le ralentissement de la création monétaire et les récessions ne change rien au fait que les baisses des prêts bancaires sont étroitement liées aux récessions. Ce n’est qu’une indication de plus qu’une économie comme la nôtre ne peut tout simplement pas survivre dans sa forme actuelle sans de nouvelles injections incessantes d’argent facile.

 

Traduction Contrepoints

Sur le web

Sam Altman : la régulation de l’IA au service de ChatGPT ?

Devant le Congrès américain, Sam Altman a semblé, comme j’ai pu l’évoquer dans un précédent article, vouloir se faire passer pour un lanceur d’alerte en appelant concomitamment de ses vœux une régulation par le politique.

Notre bien étrange lanceur d’alerte menaçait de retirer l’ensemble de son activité de l’Union européenne si le texte sur la régulation de l’IA sur laquelle cette dernière travaillait : The Artificial Intelligence Act (AI Act), était adopté en l’état.

 

Paradoxe ? Pas le moins du monde 

Lors de son intervention devant le Congrès américain, en fin stratège, Sam Altman poursuivait au moins deux objectifs :

  1. Se mettre à l’abri de toute poursuite en cas de dérives des outils développés par son entreprise, et se poser en force de proposition.
  2. Être intégré dans une réflexion sur une régulation à venir qui ne perturberait pas les objectifs de sa structure.

 

Un troisième point pourrait être postulé : en intégrant – peut-être demain – les instances américaines qui réfléchiront à une régulation, je ne pense pas que monsieur Altman sera très soucieux de l’avenir de sa concurrence potentielle. Il serait alors en bonne place pour ériger des barrières limitant ou rendant impossibles l’entrée de nouvelles firmes sur ce marché à très haut potentiel.

Pour rappel, la société d’analyse GlobalData estime que « le marché mondial de l’intelligence artificielle (IA) devrait croître à un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 21,4 %, passant de 81,3 milliards de dollars en 2022 à 383,3 milliards de dollars en 2030. »

Ceci ayant été rappelé, que notre lanceur d’alerte en appelle à la régulation outre-Atlantique, et s’oppose vigoureusement à la régulation qui se profile en Europe, pourrait apparaître comme un paradoxe ? Pas le moins du monde, et pour cause.

 

Législation sur l’Intelligence Artificielle

L’AI Act, pour Artificial Intelligence Act est un projet de régulation de l’IA qui est actuellement examiné par plusieurs comités au Parlement européen.

Il est accessible en ligne ici.

Selon Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, ce texte « devrait être voté en séance plénière en avril au Parlement ». Une fois voté et mis en place, l’AI Act pourrait servir de référent pour les autres pays, et ce au même titre que le Règlement Général sur la Protection des Données.

Les IA génératives sont-elles à « haut risque » ?

Sam Altman a œuvré aux États-Unis pour être un acteur majeur des modalités d’une régulation… Sachant qu’avant son coup d’éclat ciblant l’Union européenne, il était totalement hors-jeu pour ce qui concerne les contours de l’Artificial Intelligence Act.

C’est à mon sens ce qui explique son attitude : pouvoir infléchir le texte.

Sam Stalman est vent debout contre le General Purpose AI System (GPAIS).

Une régulation européenne, oui, mais une régulation qui ne freine pas son développement et les intérêts de sa structure.

En effet, les entreprises comme la sienne qui conçoivent des outils « IA générative » seraient- à ce stade d’avancement du projet de régulation, contraintes de révéler la teneur de tout matériel protégé par des droits d’auteur…  Pire encore, pour son activité, le texte en l’état souhaiterait hiérarchiser les risques liés à une IA, sur une échelle allant de « bas » à « inacceptable », en passant par une étape intermédiaire, « le haut risque ».

L’objet serait alors de mettre en place une régulation adaptée. Toutes les infrastructures les plus critiques – éducation, forces armées (cf. robots tueurs) que j’ai pu évoquer, devraient ainsi être soumises à un niveau de régulation des plus durs…

Ce qui gêne profondément monsieur Altman, c’est la tournure que prend le texte, et qui touche directement son activité… Dans le texte, il est notamment fait mention d’une nouvelle catégorie d’IA : le General Purpose AI System (GPAIS). À ce stade, les parlementaires hésitent encore à classifier cette activité à « haut risque »… Cette catégorie permettrait de pouvoir caractériser les intelligences artificielles pouvant avoir plusieurs applications, à l’instar des IA génératives comme GPT-4, Midjourney, Einstein GPT, ou Ernie.

Les choses ne sont pas encore actées : « Les parlementaires réfléchissent à la possibilité ou non de considérer automatiquement tout GPAIS à « haut risque » ! »

La stratégie de Sam Altman sera-t-elle efficace ? Devant la manne financière, devant sa menace de retrait, les parlementaires reculeront-ils ? Sam Altman sera-t-il intégré à la réflexion en cours ? L’histoire nous le dira. À suivre.

 

« La connaissance du pays où l’on doit mener sa guerre sert de base à toute stratégie. » Frédéric II de Prusse

Valeurs actuelles au cœur de la guerre des droites

L’épouse du président Paul Doumer, Blanche Richel, était une fille de la classe moyenne avant d’épouser un fils d’employé des chemins de fer assassiné un soir de mai 1932 par un immigré russe.

Celle qui vit 4 de ses 5 fils mourir au front de 1914 décédera moins d’un an après l’ancien président dans sa chambre d’hôpital de la clinique située au 23 de la rue Georges Bizet, dans le XVIe arrondissement de Paris, à seulement un kilomètre du Trocadéro.

Ce n’est pas le numéro 23, mais le suivant, le numéro 24, qui est depuis plusieurs mois le théâtre d’une guerre, journalistique cette fois. Le 2 juin dernier, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, a été mis à pied et informé d’un entretien préalable à licenciement qui s’est déroulé dix jours plus tard, le 12 juin.

Pour le journal, c’est le début d’une bataille médiatique et sans doute judiciaire sur fond de guerre des droites.

 

Un jeune prodige du journalisme de droite

Né en 1988 à Avignon, Geoffroy Lejeune est aujourd’hui un habitué des plateaux télévisés. Après des études à l’École supérieure de journalisme de Paris dont il sortit en 2011, il fait ses premières armes au journal Le Point lors de l’élection présidentielle suivante avant de devenir, dès juin 2013, rédacteur en chef adjoint de Valeurs actuelles, qu’il représentera rapidement sur de nombreux plateaux, et dont il sera le plus jeune directeur de rédaction d’un journal français à cette époque.

Proche de Marion Maréchal Le Pen et auteur, en 2015, d’un livre prophétisant une candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle, Geoffroy Lejeune assumait donc, dès l’origine, une posture droitière.

Une posture qui ne semble pourtant pas du goût de tout le monde.

 

Un échange tendu

En effet, selon des témoins, les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés le 31 mai dernier.

Ce mercredi, veille de parution de l’hebdomadaire dans les kiosques, se tenait une conférence de rédaction en présence du nouveau président de la maison-mère du magazine, le groupe Valmonde, un certain Jean-Louis Valentin, arrivé à son poste le lundi précédent.

Rapidement, les choses se seraient envenimées.

« C’est ma rédaction, tu n’as rien à faire là. Tu sors !

– Tu n’es pas sur un plateau de Cnews. »

Ces propos, rapportés par des témoins, ont conduit à la mise à pied et à la convocation du directeur de la rédaction une dizaine de jours plus tard. Elle a surpris, même dans les rangs du journal.

 

Un proche d’Éric Ciotti à la tête du journal

Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur le profil des antagonistes en présence.

Jean-Louis Valentin est ancien énarque et directeur de cabinet de Jean-Louis Debré alors que ce dernier était à la tête de l’Assemblée nationale entre 2002 et 2007. Conseiller municipal LR de Valognes, dans la Manche, il sera président de la Communauté d’agglomération du Cotentin de 2017 à 2020, après la fusion des neuf communautés de communes du nord du département. Un fief qu’il est important de garder à l’esprit. Nous y reviendrons plus tard.

Valentin est également proche de Charles Villeneuve, directeur du service des sports de TF1 de 2004 à 2008, et président du PSG entre 2008 et 2009, époque durant laquelle Jean-Louis Valentin se rapproche du milieu footballistique, puisqu’il sera nommé en septembre 2008 directeur délégué auprès de l’équipe de France de football.

Valentin et Villeneuve ont conservé des liens jusqu’à aujourd’hui, puisque le second est aujourd’hui membre du conseil de surveillance de Pidevmedias France, la holding de Valmonde, propriétaire de Valeurs actuelles, en compagnie de Francis Morel, magnat de la presse ayant précédemment travaillé pour Le Figaro, le JDD et Le Parisien.

Propriétaire du journal, le groupe Valmonde est donc quant à lui la propriété de Pridevmédias France, elle-même composante de Prinvest Médias, une filiale du groupe Privinvest holding.

Cette dernière entreprise est un géant international de l’armement et de la construction navale détenue ni plus ni moins par la deuxième fortune du Liban, un certain Iskandar Safa.

Ce dernier a en effet racheté le journal Valeurs actuelles au groupe Pierre Fabre en 2015. Réputé proche d’Éric Ciotti, le chef d’entreprise franco-libanais est notamment propriétaire des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), dont les chantiers se trouvent à Cherbourg-en-Cotentin, plus grande ville et chef-lieu de la communauté d’agglomération du Cotentin évoquée plus tôt et… dirigée donc jusqu’en 2020 par Jean-Louis Valentin, choisi il y a quelques jours comme président de Valmonde.

Si l’homme est quasi explicitement chargé de « dé-zemmouriser » l’hebdomadaire, il n’est pas le premier à s’y frotter. Il est le troisième en moins d’une année, puisque fin octobre, Iskandar Safa a déjà tenté de nommer Jean-Michel Salvator pour remplacer Geoffroy Lejeune. Renonçant face aux soutiens dont bénéficie le directeur de la rédaction en interne, l’ancien directeur de la rédaction de BFMTV a été remplacé un mois plus tard par Charles-Antoine Rougier, président des CMN.

Encore une fois, la tentative fut un échec, puisque ce dernier se rapprochera rapidement de la rédaction. Jugé trop complaisant, il est donc remplacé par Jean-Louis Valentin fin mai.

 

Un délit d’opinion

Il est reproché à Geoffroy Lejeune la droitisation du journal, laquelle a sans doute pourtant rapporté davantage qu’elle n’a coûté à Valeurs actuelles.

En novembre, l’hebdomadaire était condamné en appel à 1000 euros d’amende avec sursis pour injure publique à caractère raciste après la parution d’une fiction imaginant le voyage de la députée LFI Danielle Obono au temps du commerce triangulaire d’esclaves.

Cette condamnation pour un délit d’opinion fait suite à plusieurs autres, déjà advenues du temps d’Yves de Kerdrel, directeur de la publication jusqu’en 2018, allant d’une représentation voilée de Marianne à un dossier consacré aux Roms intitulé « Roms, l’overdose », le 22 août 2013.

Plus récemment, Valeurs Actuelles s’est illustré par des entrevues de manifestants nationalistes et royalistes.

Ce positionnement s’accompagne toutefois d’une augmentation des ventes et d’un rajeunissement du lectorat du magazine.

Entre 2012 et 2017, sans discontinuer, Valeurs Actuelles a reçu plusieurs étoiles à l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), récompensant les titres de presse les mieux vendus.

 

La guerre des droites aura bien lieu

À la manière d’une guerre froide, la bataille qui se joue chez Valeurs Actuelles semble être une projection d’une guerre entre LR et Reconquête. Le second, qui a préempté la plupart des grands médias de droite (Cnews et Europe 1 en tête) se voit disputer ces prises de guerre, étant entendu que l’information fait l’opinion.

Bien heureux sera celui qui pourra dire quel camp l’emportera dans ce qui s’apparente déjà à une guerre des droites entre proches d’Éric Ciotti et proches d’Éric Zemmour.

Il y a fort à parier que, compte tenu du soutien de la rédaction de Valeurs Actuelles à son directeur, la guerre s’annonce rude.

Le principe pollueur-payeur au service de la transition énergétique

La publication du rapport de France Stratégie sur les incidences économiques de l’action pour le climat est une étape importante de la prise de conscience nécessaire des voies et moyens associés à la transition énergétique.

Malgré les incertitudes sous-jacentes, on peut le résumer ainsi : il faut investir massivement pour substituer aux modes de production et de consommation fossiles actuels des modes moins émetteurs de gaz à effet de serre (GES) : de l’ordre de deux points de PIB supplémentaires par an (67 milliards d’euros).

Dans un premier temps, flécher (et donc partiellement substituer) les investissements vers ceux visant à réduire l’intensité en émissions au lieu de ceux susceptibles d’augmenter la productivité aura un effet négatif mécanique sur cette dernière (-0,25 % par an) mais cet effet pourra être au moins partiellement compensé à terme sur le niveau de croissance par le choc positif de demande associé à la hausse de l’investissement.

L’État devra intervenir financièrement pour inciter/soutenir/mettre en œuvre ces choix d’investissements et les rendre socialement acceptables (aides ciblées). Cela entraînera une hausse des dépenses publiques (25 à 34 milliards annuels en début de période, soit 13 points de pourcentage d’ici 2050), mais aussi une baisse potentielle des recettes (dont 35 milliards d’accises sur les énergies fossiles compensées par les taxes carbone et 8 points de pourcentage consécutifs à la baisse de croissance potentielle).

Le rapport propose un financement via la réallocation des dépenses « brunes » actuelles, un accroissement de l’endettement et une taxe « temporaire » sur l’épargne financière de type ISF. Ces derniers éléments appellent quelques remarques.

La question de l’endettement

En premier lieu, il convient de signaler que nonobstant les chiffres élevés annoncés, les enjeux économiques restent gérables : de l’ordre de 40 milliards par an soit 2,6 % des dépenses publiques 2022.

Le deuxième point porte sur la proposition d’endettement. Au regard d’une hypothèse de normalisation de l’inflation et des politiques monétaires quantitatives, il est raisonnable de penser que les taux d’équilibre seront proches du taux de croissance et ne présenteront pas d’opportunités d’arbitrage. Dans un monde où, d’après le programme de stabilité, la charge d’intérêt est appelée à augmenter de 1,9 % à 2,4 % du PIB en 2027 (avant ces investissements de transition), ce choix n’est pas anodin et obèrerait les marges de manœuvres budgétaires futures. De plus, il repose sur le financement d’investissements dont le rapport lui-même doute du niveau de productivité. Ce serait donc prendre le risque de transférer une charge nette à la prochaine génération de contribuables.

Troisième point, la proposition de taxation des épargnants aisés nous paraît débattable. Bien sûr, le problème des inégalités financières existe, et bien sûr que la transition fait porter un risque de renforcement de celles-ci. Il est donc nécessaire de prévoir des dispositifs de correction.

 

Le problème de l’ISF

Le problème de l’ISF est qu’il ne respecte pas le principe pollueur-payeur.

Il y a bien un lien statistique indéniable entre niveau de revenu et bilan carbone (via le niveau de consommation) mais baser une fiscalité sur un lien statistique est discutable. Une personne aisée très attentive à sa consommation peut très bien avoir un bilan carbone modeste.

Pour prendre un exemple, c’est comme si on taxait la consommation en eau de tous les agriculteurs quelles que soient leurs cultures, sous prétexte qu’il existe un lien statistique entre le métier d’agriculteur et la consommation d’eau.

Par ailleurs, l’ISF a historiquement présenté un rendement faible en raison de la mobilité du capital.

Parce que c’est un principe de justice et parce que ce moyen est plus efficace, notamment pour inciter aux bonnes pratiques via le signal-prix, il faut taxer les consommations polluantes, et non les revenus indifférenciés.

Pour mettre en œuvre un mécanisme socialement équitable, deux exemples de solutions nous paraissent pouvoir être étudiées.

La première est une taxation progressive de ces consommations. Une tarification négative de l’eau et de l’énergie serait appliquée jusqu’à un seuil où la taxation deviendrait fortement progressive. L’inconvénient de ce mécanisme est qu’il n’est pas applicable à tout (essence par exemple).

La deuxième solution est l’association d’un « revenu de transition » pour les revenus modestes à une taxe unique mais très élevée sur les consommations polluantes. Le « revenu de transition » serait calibré pour couvrir l’ensemble des taxations associées aux consommations polluantes « de base » mais resterait incitatif (le consommateur ayant intérêt à optimiser son budget).

 

En conclusion, il paraît important de maintenir des dispositifs de financement en relation avec l’objectif environnemental de transition énergétique, en veillant bien sûr à ne pas aggraver les inégalités sociales. Mais les outils de traitement à la racine des deux sujets ne sont pas identiques. Le signal-prix est indispensable aux politiques climatiques et la correction (cruciale) des inégalités relève d’un champ de solutions qui, sans nécessairement exclure la taxation, doit être bien plus large pour être efficace.

L’inflation est-elle une taxe ?

Par Peter Jacobsen.

 

J’ai reçu une question intéressante de la part de Heath B. Il dit :

« Il s’agit d’une question concernant votre article intitulé Pourquoi la Réserve fédérale vise-t-elle un taux d’inflation de 2 % ?

Milton Friedman a déclaré un jour que « l’inflation est une taxation sans législation ». Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur cette affirmation ? Si c’est vrai, pourquoi nous, citoyens américains, permettons-nous que cela se produise ? L’une des raisons pour lesquelles nous avons mené la guerre révolutionnaire était la taxation sans représentation. »

 

Les deux parties de la question de Heath m’intéressent. La réponse courte est oui, Friedman a raison. Mais comment fonctionne la taxe sur l’inflation et, pour reprendre les termes de Heath, pourquoi la tolérons-nous ?

 

La taxe d’inflation

En quoi l’inflation est-elle une taxe ? Pour comprendre, il faut d’abord se demander comment le gouvernement peut dépenser de l’argent. Le gouvernement n’est pas comme vous et moi, il ne gagne pas d’argent en produisant des biens et des services et en les vendant à des prix fixés d’un commun accord.

Au lieu de cela, il dispose essentiellement de trois moyens pour obtenir de l’argent et le dépenser : peut en le taxant, en l’empruntant ou en l’imprimant.

L’impot est le moyen le plus facile à comprendre, car nous payons tous des impôts. Le gouvernement vous fait payer une certaine somme pour obtenir des revenus, dépenser de l’argent, avoir un parent qui meurt, posséder des biens, ou faire quoi que ce soit, en fait. Vous payez, ou vous êtes condamné à une amende encore plus élevée, voire à de la prison.

L’État peut également emprunter de l’argent. Pour ce faire, il vend ce que l’on appelle une obligation. La personne ou l’organisation qui l’achètent donnent aujourd’hui de l’argent au gouvernement et, en échange, celui-ci promet de lui restituer davantage d’argent à l’avenir (le principal plus les intérêts). C’est de là que proviennent les déficits annuels, et la dette nationale elle-même.

Enfin, lorsqu’un gouvernement utilise une monnaie fiduciaire, il peut en dépenser en l’imprimant davantage. En réalité, la procédure suivie par le gouvernement américain est un peu plus confuse. Le gouvernement ne paie pas ses factures avec des dollars fraîchement imprimés. Au lieu de cela, la Réserve fédérale achète des obligations d’État à des organisations privées (par exemple des banques) avec de l’argent qu’elle crée de toutes pièces.

Comment cela produit-il des revenus ? Pour comprendre, imaginez avoir ce pouvoir. Imaginez que vous puissiez créer vos propres dollars et les utiliser uniquement pour acheter des obligations d’État. Le feriez-vous ? Oui, si vous vouliez un tas d’argent et si cela ne vous dérangeait pas de nuire à d’autres personnes. N’oubliez pas que la dette publique paie des intérêts. Ainsi, lorsque vous achetez des obligations avec de l’argent imprimé, vous échangez simplement l’argent que vous avez créé de toutes pièces contre un actif qui vous rapporte de l’argent.

Mais si le gouvernement est l’organisme qui paie les intérêts à la Réserve fédérale, comment cela se traduit-il par une augmentation des recettes pour le gouvernement ? Eh bien, après avoir déduit certains coûts, la Réserve fédérale reverse historiquement les intérêts au Trésor américain.

En d’autres termes, le Trésor a contracté un prêt (émis une obligation), la Réserve fédérale achète l’obligation au groupe ayant accordé le prêt au gouvernement, et la Réserve fédérale rend au Trésor tous les intérêts qu’il doit payer sur le prêt. Il s’agit en quelque sorte d’un prêt sans intérêt que le gouvernement a pu s’accorder à lui-même, et cela n’est possible que grâce à la création de monnaie par la Réserve fédérale.

Mais il s’agit de création monétaire, qu’en est-il de l’inflation ? L’inflation et la création monétaire vont de pair. Lorsque vous augmentez l’offre d’un bien quelconque, son prix diminue par rapport à ce qu’il serait si vous n’aviez pas augmenté l’offre. La création monétaire se traduit par un taux d’inflation relativement plus élevé. C’est pourquoi Milton Friedman a décrit l’inflation des prix comme étant « toujours et partout un phénomène monétaire ».

Ainsi, la banque qui revend une obligation à la Réserve fédérale reçoit de l’argent nouvellement imprimé. Cet argent frais est dépensé et, à mesure qu’il est dépensé, il fait augmenter les prix des biens et des services.

En fait, l’inflation aide davantage le gouvernement car, à mesure qu’elle augmente, le coût réel de la dette diminue puisque les soldes nominaux restent inchangés. Et, comme nous le savons tous, le gouvernement américain est lui-même un peu débiteur.

Le résultat est limpide. Le gouvernement dispose de plus d’argent grâce à la création monétaire. Et à mesure que l’inflation augmente, l’épargne des citoyens américains (ou de toute personne détenant des dollars américains, d’ailleurs) est grignotée. Il s’agit d’un transfert de richesse des épargnants vers le gouvernement américain.

Certains affirment qu’il ne s’agit pas d’une taxe en raison de détails techniques de définition, mais lorsque l’action du gouvernement transfère la richesse d’un groupe de personnes à elles-mêmes, il semble juste de l’appeler une taxe. Ainsi, dans la mesure où l’inflation est due à l’augmentation de la masse monétaire, à mes yeux, il s’agit bien d’une taxe !

 

Peuvent-ils continuer à s’en sortir ainsi ?

Cela nous amène à la deuxième question de Heath : comment les contribuables américains laissent-ils le gouvernement s’en tirer à si bon compte ?

Pour répondre à cette question, il est important de souligner que certaines parties bénéficient de la création monétaire.

Souvenez-vous que lorsque la Réserve fédérale achète des obligations, elle les achète à des organismes privés. Ceux-ci vendent les obligations à un taux qu’ils estiment rentable, sinon ils ne les vendraient pas en premier lieu. Lorsque cette organisation vend les obligations,  elle reçoit de l’argent nouvellement imprimé. Cet argent, qui entre sur le marché pour la première fois, n’a pas encore provoqué de hausse des prix.

En d’autres termes, le premier bénéficiaire de l’argent frais l’obtient avant que l’inflation ne réduise le pouvoir d’achat de la monnaie. Il y a un avantage à recevoir de l’argent frais en premier. Les économistes appellent cela l’effet Cantillon.

Qui reçoit l’argent frais en premier ? Ce sont souvent les grandes institutions financières, comme les banques. Elles sont bien organisées et comprennent l’avantage qu’il y a à obtenir de l’argent frais. Nous devrions donc nous attendre à ce qu’elles soient prêtes à dépenser des ressources pour s’assurer que la politique de la Réserve fédérale leur soit profitable.

D’autre part, qui souffre de l’inflation ? Eh bien, les coûts sont répartis entre des millions de personnes qui détiennent des dollars américains. Étant donné que ce coût est réparti entre un groupe aussi vaste et inorganisé, on peut s’attendre à ce qu’il soit trop coûteux pour qu’une seule personne puisse consacrer du temps à lutter contre ce type de politique.

Cela illustre ce que l’économiste Mancur Olson a appelé la logique de l’action collective. Étant donné que les avantages sont concentrés sur un petit groupe et que les coûts sont dispersés sur un grand groupe, il est plus facile pour le petit groupe de s’organiser en faveur de la politique.

Les économistes Louis Rouanet et Peter Hazlett expliquent comment, dans plusieurs cas, des groupes d’intérêts particuliers ont réussi à orienter les politiques des banques centrales à leur profit et au détriment de la société. Ils documentent ce phénomène dans le cas de la réponse de la Réserve fédérale à la crise financière de 2007, de la réponse de la Réserve fédérale au covid et du développement de l’euro.

Et bien que la politique de la Réserve fédérale puisse s’écarter de l’explication de base ci-dessus dans ces cas particuliers, le point fondamental illustré par Rouanet et Hazlett est le même. La Réserve fédérale est en mesure d’utiliser son dispositif de création monétaire pour satisfaire des groupes d’intérêts particuliers au détriment de tous les autres.

 

Traduction Contrepoints

Sur le web

Face à Parcoursup, le bac a-t-il encore une valeur ?

Par Charles Hadji.

 

Le baccalauréat a-t-il toujours une valeur ? Et sert-il encore à quelque chose ? Nombreuses sont les péripéties ayant marqué la réforme du bac actée en 2019, instaurant 40 % de contrôle continu et la fin des séries de bac général S (scientifique), ES (économique et social) et L (littéraire) au profit d’une combinaison de spécialités – maths, histoire-géographie, langues, humanités, etc. – dont les épreuves finales sont organisées dès le mois de mars en terminale.

La mise en place de cette nouvelle formule a été secouée tant par la crise du Covid-19 que par des résistances d’ordre syndical, ou idéologique, conduisant à interroger le sens de l’examen lui-même. La hauteur des derniers taux de réussite, jugés excessifs par beaucoup, ne conforte-t-elle pas l’idée que cet examen ne vaut plus rien ? Et la place prise par Parcoursup, et son calendrier, à conclure qu’il ne sert plus à rien ?

Pour trancher, il nous faut comprendre ce qui est en jeu, et être attentifs à la confrontation entre plusieurs logiques de nature conflictuelle. En passant ainsi d’une vision statique à une vision dynamique du problème.

 

La montée de la logique du concours

Le baccalauréat n’est pas un concours. Dans son travail consacré à La société du concours, Annabelle Allouch fait observer que, d’une façon générale, le renforcement du poids des concours s’accompagne d’une « dévalorisation du diplôme ». Le bac est un examen, qui atteste, en tant que diplôme, que l’on a suivi avec succès des études secondaires. Il témoigne de la réussite à une série d’épreuves de contrôle. Un concours est une modalité de sélection qui permet de classer les candidats à un poste, ou une fonction, dans le cadre d’une politique de numerus clausus.

Le concours et l’examen diplômant imposent donc tous les deux le recours à des épreuves, mais avec des finalités différentes.

Le diplôme certifie un niveau d’études. D’une certaine façon, il départage les reçus et les recalés, ceux qui atteignent le niveau requis et ceux qui ne l’atteignent pas. Mais il n’a pas pour fin de sélectionner.

Le tri opéré par le concours est beaucoup plus sévère, car sa fin propre est de sélectionner pour un nombre de places limité dès le départ. À l’examen, il faut réussir ; au concours, « réussir mieux que les autres ». Ce n’est pas du tout la même chose…

Bac 2022 : les épreuves écrites des spécialités, une première (France 3 Grand Est).

Dans ces conditions, on peut se demander si l’entrée en jeu de Parcoursup ne chamboule pas les règles du jeu, au point de « tuer » le baccalauréat, selon un titre du Monde en juillet 2022, ce qui marquerait le triomphe du concours sur le diplôme. Car Parcoursup a été créé pour ajuster des souhaits individuels avec des offres institutionnelles de formation, ce qui impose une analyse en termes de rencontre. Or, en fin du secondaire, la correspondance entre les demandes des élèves et l’offre de places disponibles est loin d’être harmonieuse.

De facto, la sélection se trouve placée au cœur du système, en tout cas pour les « filières de prestige, ou bien « en tension ». Dans un contexte, qui plus est, d’inflation des taux de réussite au bac, pour les lycéens, l’essentiel n’est pas d’obtenir son bac, mais de voir ses vœux satisfaits sur Parcoursup. C’est la logique de concours qui finit par l’emporter, au détriment de la logique du diplôme dans laquelle s’inscrit le bac.

 

Un visa pour l’enseignement supérieur ?

Le risque de voir Parcoursup venir « tuer » le bac est d’autant plus fort que, précisément, la logique des concours vient rencontrer et renforcer (conforter) la logique de construction de parcours qui est à l’œuvre dans toute histoire scolaire.

La société s’efforce de réguler les flux d’élèves en structurant le système scolaire de façon à offrir différentes possibilités de parcours débouchant sur des diplômes qui sont, pour différentes raisons, de valeur inégale. Le jeu de la reconnaissance sociale se traduit ainsi par la mise sur le « marché » d’un ensemble de diplômes hiérarchisé, parmi lesquels le bac. Dans ce système, chacun s’efforce, en fonction de ses conditions matérielles d’existence, et de certaines dispositions d’origine individuelle, ou sociale, de s’inscrire dans un parcours de réussite conforme à ses aspirations.

Dans l’idéal, les logiques de développement individuel se déploient harmonieusement au sein d’un système scolaire rationnellement structuré. Dans la réalité, certaines ambitions entrent en collision. Il y a des points de passage où l’on se bouscule. Et c’est là qu’il est particulièrement nécessaire de réussir mieux que les autres.

Apparaissent ainsi des moments cruciaux où le flux des élèves tentant de s’orienter au mieux de leurs intérêts vient buter contre les écluses et les digues mises en place par la société pour canaliser les parcours de formation. L’entrée dans l’enseignement supérieur, après le bac (et grâce à lui), est l’un de ces principaux moments. Car le bac est à la fois un diplôme, valant reconnaissance sociale de son niveau, et un passeport permettant d’accéder au territoire des formations supérieures.

Dans une logique de distribution de diplômes, la reconnaissance sociale dont leur possession témoigne ne manque pas d’importance. De nombreuses études ont souligné leur rôle protecteur en matière de chômage et d’insertion sociale. Mais, en tant que passeport, le bac s’est démonétisé car il ne comporte pas les « visas » qui permettraient de s’orienter vers l’espace d’études de son choix. Visas que, désormais, Parcoursup est seule à délivrer…

C’est pourquoi la logique individuelle de construction d’un parcours de réussite passe aujourd’hui beaucoup moins par l’obtention du bac, d’ailleurs pratiquement à la portée de tous (91 % de réussite en 2022) que par des stratégies de positionnement sur Parcoursup, et la recherche des offres de formation jugées les plus « payantes » en matière de construction d’un capital culturel, et de future insertion socioéconomique.

 

Les défis de l’orientation scolaire

Finalement, pour celui qui s’inscrit dans un parcours scolaire, le problème principal, et récurrent, est de savoir bien s’orienter. En ce sens, le chef de l’État a sans doute eu raison d’affirmer qu’il nous faut «  repenser profondément l’orientation de nos adolescents et de nos jeunes ». Mais une chose est d’éclairer les choix ; une autre est de mettre concrètement tous les choix à la portée de tous.

Tant qu’il y aura une hiérarchisation sociale des formations et des filières, et tant que tous n’auront pas accès à tous les choix (société idéale que postulent ceux qui réclament la suppression sans remplacement de Parcoursup), les ambitions viendront buter sur des points de passage où, de fait, une sélection s’impose. Ces points de passage sont ainsi des lieux où une dynamique de formation se heurte à une exigence de sélection. En tout cas, tant que le nombre de places disponibles dans les unités de formation ne sera pas significativement supérieur au nombre de candidats…

Pour les individus, le problème est donc comme pour la société : optimiser la rencontre entre des dynamiques d’orientation pilotées individuellement, et des mécanismes de tri dont la présence et le jeu sont imposés par l’organisation, et par l’État, du système social de formation.

Dans ces conditions, on comprend que l’on puisse raisonner en termes de bonne ou de fausse monnaie. Du point de vue de l’accès aux filières « lucratives » du supérieur, le bac est devenu de la fausse monnaie. Il est un diplôme dont la valeur utilitaire est désormais minime. C’est Parcoursup, où se joue l’accès aux formations à plus forte plus-value (classes préparatoires, Sciences Po), qui impose son agenda.

Faut-il alors conserver le bac ? Oui, sans doute, comme rituel symbolique d’accession à la « maturité » (son nom dans la plupart des autres pays). Mais en prenant acte du fait, aujourd’hui fondamental, que « la sélection compte comme une certification symboliquement et monétairement plus forte que le diplôme ».

Le bac remplit toujours, très formellement, la fonction d’écluse qu’il faut passer pour accéder à la haute mer des formations du supérieur. Dans la réalité, cette fonction d’écluse, à double valeur de sélection et d’orientation, est désormais dévolue à un mécanisme de type Parcoursup qui, dans l’état actuel des choses, signifie bien le crépuscule du baccalauréat…

 

 

Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Taxer les riches n’est pas la solution pour financer la transition énergétique

Dans un rapport de France Stratégie remis à la Première ministre le 22 mai 2023, et intitulé « Les incidences économiques de l’action pour le climat », Jean Pisani-Ferry, économiste proche du président Macron, et l’inspectrice générale des finances, Selma Mahfouz, tirent la sonnette d’alarme sur la nécessité de s’attaquer véritablement à la question de la transition climatique : « Il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans1 ».

Contrairement aux écologistes les plus radicaux, les auteurs du rapport estiment que le monde ne court pas nécessairement à sa perte : « La neutralité climatique est atteignable2 ».

On est rassurés ! Ils estiment même que nous ne sommes pas « durablement condamnés à choisir entre croissance et climat », car « à long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune3 ».

En d’autres termes, une politique écologique peut être porteuse de croissance. Le discours est connu et utilisé à toutes les sauces par les politiques.

Dans cet article, nous nous concentrerons sur l’analyse des mesures préconisées par les auteurs du rapport de France Stratégie pour financer la « nécessaire » transition énergétique.

 

Recours massif à l’endettement et retour de l’impôt sur la fortune

Selon les auteurs, parvenir à la neutralité climatique suppose « une grande transformation d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé. Mais au regard de celles-ci, cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés.4 »

Tout est dit dans cette affirmation, pourtant non démontrée. Avec un tel postulat qui, au passage, fait fi des deux grands moteurs du développement économique des sociétés libérales depuis la révolution industrielle, les auteurs peuvent se livrer à leurs préconisations très dirigistes.

Selon le rapport de France Stratégie :

« Le supplément de dépenses publiques induit par la transition climatique devrait être à l’horizon 2030 compris entre 25 et 34 milliards d’euros par an, selon que l’on raisonne à part du financement public constante ou que l’on considère une adaptation des dispositifs de soutien en vue d’assurer le meilleur usage des fonds publics des deux points de vue de l’efficacité et de l’équité.5 »

Pour financer ces investissements considérables sur les trois décennies à venir, le rapport n’hésite pas à lever le tabou de la dette en faisant appel à un recours massif à l’endettement (de 250 à 300 milliards de dettes cumulées à l’horizon 2030) et préconise de mettre en place un « impôt exceptionnel et temporaire » sur le patrimoine financier des 10 % de Français les plus aisés, à hauteur de 5 milliards d’euros par an.

Bref, rien de nouveau en matière de gestion des finances publiques à la française : de la dette et un nouvel impôt sur la fortune.

Il est intéressant de noter que le produit fiscal du nouvel impôt serait proche de l’ex ISF supprimé par le président Macron. Alors que la suppression de l’ISF avait été justifiée par la nécessité d’éviter la fuite des capitaux et des riches, cet impôt pourrait être rétabli pour le financement de la transition énergétique au motif de la nécessaire équité : « Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti6 ».

 

… et de leurs conséquences néfastes

Évidemment, on ne voit pas très bien en quoi le fait que le rétablissement de l’ISF serve à financer la transition énergétique de manière équitable retiendrait les Français riches en France. Le risque avec une telle mesure serait de relancer la délocalisation de l’épargne à l’étranger alors qu’elle est tellement nécessaire en France.

Enfin, le recours massif à la dette n’arrangera pas l’équilibre fragile de nos finances publiques. En déclarant qu’« il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique7» les auteurs dédouanent à l’avance le gouvernement. Mais avec de telles annonces, on risque tout simplement d’accréditer l’idée que la France renonce à maîtriser son endettement, ce qui aura forcément un impact sur le rating de notre dette par les agences de notation. L’annonce récente de la dégradation de la dette souveraine française par l’agence Fitch devrait servir de signal.

Au total, le rapport de monsieur Pisani-Ferry et de madame Selma Mahfouz sur les incidences économiques de l’action pour le climat ne pouvait pas tomber mieux.

En effet, au prétexte de la lutte contre le réchauffement climatique, il dédouane le gouvernement de la maîtrise de la dette publique et donne une justification écologique au retour de l’ISF. Nul doute que l’aile gauche de la majorité; et bien évidemment la NUPES vont s’emparer de ce rapport pour peser sur les choix de politique financière du gouvernement et demander davantage de contrôles.

 

Mépris de la régulation par le marché et l’innovation technologique

Au-delà des préconisations financières contestables et peu innovantes de ce rapport, il convient d’insister sur le fait que les auteurs évacuent d’emblée la régulation par le marché et l’innovation technologique pour avancer sur le chemin de la transition énergétique.

Pourtant, c’est bien par les mécanismes de marché et la régulation par les prix que les économies occidentales se sont constamment adaptées aux changements de la société. En augmentant le prix de l’énergie, on peut inciter les consommateurs à l’économiser, et à changer nos pratiques. En favorisant l’innovation technologique, on peut aussi réduire le gaspillage et mieux consommer. Bref, d’autres voies sont possibles que le recours à la dette et aux impôts.

Alors pourquoi ne pas faire confiance au marché ? Pourquoi charger ainsi la barque des finances publiques et augmenter encore et encore la pression fiscale, alors que la France détient le record des prélèvements dans l’OCDE ? Pourquoi infliger à notre économie chancelante (il suffit de regarder notre balance commerciale) un tel traitement unilatéral alors que la France pèse aujourd’hui moins de 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et que les auteurs du rapport reconnaissent que l’effort national d’atténuation du changement climatique n’aura qu’une incidence marginale sur les émissions mondiales, car celles-ci dépendent avant tout des actions de l’ensemble des autres pays ?

 

Un article publié initialement le 10 juin 2023.

  1. Jean Pisany-Ferry, Selma Mahfouz, Les incidences économiques de l’action pour le climat, France-Stratégie, mai 2023, p. 14.
  2. Ibid, p. 13.
  3. Ibid, p. 14.
  4. Ibid, p. 13.
  5.  Ibid, p. 113.
  6. Ibid, p. 15.
  7.  Ibid, p. 15.

Écologie : « C’est des entreprises, pas des préfectures que viendront les solutions ! »

Contrepoints : Dans votre étude pour la fondapol, vous notez que les politiques écologiques sont victimes d’une hyper-bureaucratisation ? Qu’entendez-vous par cette expression, et comment expliquez-vous ce phénomène ?

Frédéric Masquelier : L’écologie, comme de nombreux autres secteurs, est frappée par la bureaucratisation de la société. Cela veut dire que les décisions échappent le plus souvent aux élus au profit des experts dans le cadre de bureaux à qui on attribue des compétences, des prérogatives, et la capacité de donner des autorisations.

Ce qui amène à être constamment dans des processus d’autorisations préalables, avec tous les maux bien connus de la bureaucratie, c’est-à-dire la lenteur, le cloisonnement et une distance absolue avec toute considération financière.

Concrètement, cela signifie par exemple que des projets aussi simples que des dispositifs de lutte contre les inondations prennent des années avant de pouvoir être mis en œuvre. Les dispositifs de réutilisation des eaux usées, qui permettraient de laver les rues avec de l’eau usée et retraitée plutôt que de l’eau potable, sont également très longs et complexes à mettre en place. Et ceci sans qu’il y ait même de responsables identifiés. C’est ce que j’appelle la bureaucratisation de l’écologie.

 

Contrepoints : Est-ce une spécificité française ?

Frédéric Masquelier : La bureaucratie est un phénomène mondial. La Chine par exemple, est une dictature bureaucratique au sens le plus pur du terme. Donc, malheureusement, on constate ce phénomène de bureaucratisation partout, même si elle se fait à des degrés différents.

En France néanmoins, on s’aperçoit qu’on a des ratios de bureaux administratifs et de tâches administratives qui sont très importants, car on a une culture de la précaution, de la prévention, de la réglementation, de la législation qui est bien supérieure à ce que l’on peut retrouver dans les autres États européens.

C’est sûrement aussi dû à une espèce d’obsession de l’égalité et de la légalité, qui fait que tout doit passer sous les fourches caudines de l’administration. C’est un mal français, comme disait Alain Peyrefitte !

 

Contrepoints : Vous faites mention des dangers des outils numériques et de l’IA, qui sont à la fois des alliés précieux pour résoudre certaines problématiques environnementales, et en même temps des outils très dangereux lorsqu’ils sont dans les mains de la bureaucratie.

Frédéric Masquelier : Tout à fait. On a connu la bureaucratie inefficace, on entre maintenant dans l’air de la bureaucratie efficace car automatisée.

Si on donne aux titulaires d’un pouvoir de contrôle et de surveillance des outils qui peuvent les rendre extrêmement efficaces, hé bien ça risque d’être très attentatoire à la liberté.

Nos amis Chinois nous donnent à peu près ce qui peut se faire de pire dans le domaine, avec le contrôle social et des outils d’intelligence artificielle qui sont beaucoup plus développés là-bas. Ils ont un maillage et un encadrement de la société qui peuvent être très stricts et extrêmement efficaces, mais qui se font au prix des libertés fondamentales. Ce sujet mériterait d’être davantage porté dans le débat public en France, car le danger est réel.

 

Contrepoints : Dans votre étude, vous pointez du doigt le fait que la bureaucratisation soit devenue le bras armé de l’écologie politique. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment ça se manifeste concrètement ?

Frédéric Masquelier : Je dirais qu’il y a une espèce de tendance à céder à toutes les revendications, y compris les plus radicales, sous peine de passer pour un écolo-sceptique, et d’aller à l’encontre de l’air du temps.

Je me désole qu’il n’y ait pas eu de grand débat public sur ces sujets, et en particulier sur la question de la conciliation des libertés, de l’efficacité économique et de la préservation de nos matières premières, de nos ressources, et de l’écologie en général. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de préserver notre environnement, mais il faut maintenant discuter des moyens à employer !

Et sur ce point, il y a une tendance à céder aux plus extrêmes, avec pour conséquences des grignotages permanents sur nos libertés, sans toujours une grande rigueur scientifique quand il y a une contrainte écologique. Or, il faut être très prudent sur les mesures restrictives de nos libertés, car quand on perd une liberté, il est rare qu’on la retrouve.

 

Contrepoints : Vous insistez sur la nécessité de repolitiser les enjeux écologiques. Vous dites que l’écologie doit redevenir un objet de débat. Vous venez de mentionner l’idée selon laquelle il est très difficile aujourd’hui dans le débat public de tenir un propos qui sorte un peu des discours convenus sur l’écologie. Comment réinsérer cette politisation de l’écologie, qui est un domaine qui contient des aspects scientifiques et normatifs qui parfois se mélangent et se confondent ?

Frédéric Masquelier : Déjà, en l’évoquant, en donnant une alternative. Quand on parle avec des scientifiques, on s’aperçoit que tous les sujets ne font pas l’unanimité et que plusieurs voies sont possibles ; que l’arme de la réglementation permanente n’est pas forcément celle qui doit s’imposer, que la restriction à la liberté n’est pas automatique, que le doux voile des théories de la décroissance qu’est la sobriété n’est pas forcément une solution… On peut opposer à cela l’adaptation, la capacité d’innovation !

On s’aperçoit aujourd’hui que des concepts extrêmement politiques guident les politiques écologiques. Je pense par exemple au concept de solidarité : « jusqu’où doit être poussée la solidarité ? » est une question politique ! Mais cela ne permet pas de répondre à des questions pratiques.

En réalité, la question essentielle est la suivante : est-ce efficace ?

Cela pose des questions qui devraient être l’objet d’un débat public, et à propos desquelles je constate que nous avons finalement très peu d’échanges. Sur le concept de sobriété, on a eu très peu de débats. Tout le monde le prend comme si c’était une évidence ! Mais ici, on confond sobriété et bonne gestion des ressources.

 

Contrepoints : Ce que vous dites ici me fait penser au fait que toutes les solutions par le marché sont par définition exclues par l’écologie politique. Comment imaginez-vous cette débureaucratisation que vous appelez de vos vœux ? Contre cette écologie centralisée et planificatrice, vous opposez plutôt une écologie citoyenne, décentralisée, libérale. Pourriez-vous tracer les grandes lignes d’un tel programme ?

Frédéric Masquelier : Je crois d’abord qu’il faut sortir de la morale et de l’égalitarisme, qui sont deux maux bureaucratiques. À partir du moment où l’administration a la conviction d’avoir raison, on retrouve la formule de Montesquieu selon laquelle « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Il faut donc limiter ce pouvoir bureaucratique.

On a effectivement une réflexion globale sur le fonctionnement de l’État qui ne doit pas se limiter à des questions budgétaires, comme ça a été le cas jusqu’à présent.

Mais je pense qu’il faut surtout faire confiance à l’innovation, et donc au marché. Car c’est des entreprises, pas des préfectures que viendront les solutions à des problèmes très concrets. On constate que nos difficultés résultent souvent de choix politiques malavisés ; je pense par exemple à la question nucléaire qui est la source de nos problèmes énergétiques aujourd’hui.

Donc sur ce sujet-là, le contrôle citoyen doit être plus important, et pas seulement confié à une minorité de militants écologistes.

Et enfin, il existe, je crois, un problème de culture scientifique qui est trop absente de l’enseignement scolaire.

Web immersif : et si nous ressentions Internet ?

Par Ahmed Azough.

 

Si, aujourd’hui, nous sommes habitués à surfer sur Internet, partie émergée d’un énorme iceberg de données interconnectées, les évolutions technologiques récentes devraient bientôt nous permettre de nous immerger dans cet océan bouillonnant de big data.

L’immersion vise à procurer à l’utilisateur un sentiment de présence en utilisant des technologies de captation et restitution sensorielle : l’utilisateur se sent transporté dans l’environnement digital créé par des technologies numériques, à tel point qu’il ressent ces objets numériques virtuels comme faisant partie de sa réalité.

De leur côté, les systèmes numériques détectent et interprètent de mieux en mieux les comportements et les émotions de leurs interlocuteurs, à tel point que l’humain a l’impression que ce système est conscient de sa présence et interagit volontairement.

Les films Matrix et plus récemment Ready Player One reflètent bien cette idée : s’interposer entre les récepteurs sensoriels de l’homme et la réalité afin de créer un monde nouveau, que l’on appelle parfois le « métaverse ». Ce concept est déjà utilisé depuis plusieurs années pour les simulateurs d’aviation ou de conduite, ou pour des parcs de loisirs (L’Extraordinaire Voyage au Futuroscope par exemple).

Le web immersif fait suite à trois générations du web : du web 1.0 statique qui ressemble à une « vitrine » d’affichage, au web 2.0 participatif qui intègre les utilisateurs dans la création du contenu, et au web 3.0 dit « sémantique », qui introduit de l’ingénierie de connaissance pour structurer les données.

Cette quatrième génération, le « web 4.0 » ou « web immersif », doit être très accessible grâce aux réseaux haut débit 5G et à l’internet des objets (IoT). Le couplage du web et de la 5G nous fait entrer depuis le début des années 2020 dans l’ère d’un web « ambiant », pervasif et ubiquitaire, où de nombreux objets sont connectés et communiquent de manière autonome.

homme avec des gants à retour haptique et lunettes de RV
Les gants à retour haptique captent les sensation tactiles et en fournissent à l’utilisateur. Ils permettent notamment de se former à la manipulation d’équipement dangereux.
XR expo, Unplash, CC BY

Les technologies immersives de réalité virtuelle, augmentée ou mixte sont considérées par plusieurs acteurs comme la quatrième révolution du numérique (après les ordinateurs personnels, les ordinateurs portables et les smartphones). Elles devraient permettre une importante métamorphose de la pratique du Web, dont les fonctionnalités risquent d’évoluer plus ou moins rapidement selon le niveau d’adoption de la technologie, du dispositif utilisé, mais aussi selon l’évolution des réglementations relatives à la protection des données.

 

À quoi ressemblera Internet avec le web immersif ?

Les agents conversationnels virtuels (comme ChatGPT) répondent de manière naturelle et précise aux requêtes des utilisateurs. Dans le cadre d’un moteur de recherche, les requêtes n’ont plus besoin d’être constituées de mots clés, mais deviennent des discussions naturelles.

Ce type de conversations plus naturelles pour les humains pourrait avoir d’autres applications : un prototype de thérapies de groupe dans le milieu scolaire a par exemple été testé par 134 étudiants à l’université National Tsing Hua University à Taïwan en 2021. Des systèmes similaires sont testés pour des entretiens d’embauche ou des assistants industriels.

Les réponses des moteurs de recherche pourraient être des objets 3D virtuels transférés à l’utilisateur, ou des visites d’environnements virtuels. Les technologies immersives sont même considérées comme une technologie de rupture qui révolutionne la gestion et le marketing du tourisme.

Par ailleurs, les réseaux sociaux, les chats et les forums sont en train d’être transformés en métavers (second life, Meta Horizon worlds). Les visioconférences peuvent évoluer en « holoportation » : un système développé en 2016 par Microsoft, qui permet de la reconstruction 3D de haute qualité et en temps réel d’un espace entier, y compris les personnes, les meubles et les objets qu’il contient, à l’aide d’un ensemble de nouvelles caméras de profondeur. Cette technologie a également été testée dans le domaine de l’éducation à travers quelques prototypes, et a permis de mettre en évidence le rôle important de la présence (et de la téléprésence) dans l’enseignement supérieur.

Des casques de réalité mixte autonomes plus légers et plus puissants pourraient permettre l’adoption de cette technologie à grande échelle, avec par exemple le casque Meta Quest 3 présenté par Mark Zuckerberg le 1 juin 2023.

Côté santé, la chirurgie a connu de nombreuses avancées technologiques, depuis la première téléchirurgie en 2001. Les chirurgiens peuvent travailler à distance avec un écran tridimensionnel, via des jumelles haute définition – mais la latence moyenne, autour de 700 millisecondes, privilégie les usages d’entraînement et de planification. La première opération chirurgicale collaborative de l’épaule au monde à l’aide de la réalité mixte a été réalisée en 2017 à l’hopital Avicenne AP-HP en France. Le retour haptique permet la transmission des informations tactiles aux chirurgiens, ce qui permet de sentir la consistance du tissu et la tension dans les sutures.

Aujourd’hui, plusieurs prototypes de soins médicaux faisant appel à des dispositifs haptiques et de capteurs corporels connectés permettent aussi d’envisager le diagnostic et les soins à distance. Récemment, la NASA a même envoyé virtuellement des médecins sur l’ISS pour aider les astronautes à rester en forme.

L’e-commerce pourrait aussi bénéficier des technologies immersives : des caméras 3D et des capteurs connectés permettraient de transmettre les mensurations exactes des clients et d’essayer (virtuellement) leurs choix dans des chambres d’essayage virtuelles sans se déplacer.

On envisage également que la navigation GPS devienne la navigation « VPS » (pour Visual positioning system) : avec des lunettes de navigation basée sur la réalité augmentée, ainsi que des retours sonores et haptiques, elle deviendrait plus intuitive. Un tel prototype ciblant les personnes âgées a été développé en 2018 à Telecom ParisTech en France.

Enfin, et bien qu’elle en soit à ses balbutiements, la recherche dans le domaine de la « saveur augmentée » vise à développer des dispositifs olfactifs pour sentir des parfums ou goûter des plats à distance.

 

Que peut-on virtualiser ?

Tous les sens font l’objet de récents progrès scientifiques et technologiques : la vision, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût, mais aussi les sens du mouvement, de l’équilibre, de la chaleur, par exemple. Dans ce sens, une interface olfactive souple, miniaturisée et sans fil a été ainsi développée pour la réalité virtuelle à l’université de Hong Kong en 2023.

Dans la modalité visuelle, les dispositifs varient en niveau d’immersion : des écrans de smartphone peu immersifs, à des dispositifs semi-immersifs comme les écrans incurvés et casques de réalités mixtes, jusqu’aux dispositifs immersifs comme les casques VR (virtual reality). Plus ces casques deviennent économiquement abordables, légers et autonomes, plus l’adoption de cette technologie augmente. La communauté anticipe que le casque de réalité mixte nouvelle génération Apple Vision Pro annoncé le 5 juin 2023 lors de l’Apple Worldwide Developers Conference constitue un pas majeur vers l’adoption de la technologie immersive par le grand public, comme l’a constitué l’iPhone 2G en 2007 pour l’adoption des smartphones.

La modalité sonore accompagne souvent ces dispositifs d’immersion visuels à travers le son spatialisé 3D (le son stéréo traditionnel est diffusé en deux canaux seulement, gauche et droite). Le son spatialisé ajoute une dimension supplémentaire en introduisant des informations de localisation sonore verticales, horizontales et en profondeur. Cette technologie est aujourd’hui bien maîtrisée et largement utilisée dans le domaine des jeux vidéo.

Pour le toucher, il existe des dispositifs dits « intrusifs » (car encombrants) comme les gants haptiques et les combinaisons corporelles ; et d’autres dispositifs moins invasifs ultra-minces ainsi que des peaux artificielles connectées sont en développement.

D’autres dispositifs plus ludiques comme les bouches artificielles connectées ou des sex-toys connectés laissent présager du développement à venir de l’industrie « adulte » sur l’internet de demain.

 

Les risques du web immersif

Aujourd’hui, les technologies immersives posent déjà des défis éthiques importants, avec des risques potentiels pour la santé mentale, notamment le trouble de dépersonnalisation/déréalisation. Elles sont aussi sujettes à de sérieuses préoccupations liées à la négligence personnelle du corps (réel) des utilisateurs, et des environnements physiques réels. Elles peuvent également être utilisées pour enregistrer des données personnelles qui pourraient être déployées de manière à menacer la vie privée et à présenter un danger lié à la manipulation des croyances, des émotions et des comportements des utilisateurs.

Ces défis se trouveront accentués avec le web immersif. Même si des initiatives existent pour encadrer éthiquement l’usage de la réalité virtuelle, l’aspect addictif du web et l’aspect intrusif de l’IoT posent de nouveaux défis et exigent plus d’effort pour la protection des usagers.

L’insécurité, l’intrusion à la vie privée, l’isolement social, les crimes pornographiques, les délits virtuels, les maux de têtes, les blessures physiques ou l’addiction, tous ces dangers se verront accentués et devront attirer l’attention à la fois des designers et des représentants des usagers pour une utilisation plus sûre et plus éthique.The Conversation

 

 

Ahmed Azough, Professeur de Réalité Virtuelle et Vision par Ordinateur, Pôle Léonard de Vinci

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

L’inflation normative en France : un fléau croissant sous la présidence de Macron

Inventer de nouvelles normes est un sport national. Selon les chiffres gouvernementaux qui viennent d’être publiés, 93 899 articles législatifs et 253 118 articles réglementaires étaient en vigueur au 1er janvier 2023, en hausse presque chaque année depuis 20 ans.

Au total, cela représente respectivement 14,1 millions et 31,1 millions de mots, soit 45,2 millions ! Si quelqu’un avait pour job de les compter manuellement, au rythme d’environ 1000 mots par heure, soit 35 000 mots par semaine de 35 heures, soit environ 1 645 000 mots par an, il mettrait 27 ans pour arriver au bout ; sauf qu’entretemps, des millions de nouveaux mots auraient probablement surgi…

À cela, il faudrait ajouter le poids des actes administratifs (circulaires et directives, en légère baisse ces derniers temps), des ordonnances (en hausse, 200 000 mots nouveaux en 2022), des principes généraux du droit (résiduel), du bloc de conventionnalité (pour le droit de l’UE voir-ci-dessous, pour les traités, ils sont en hausse mais leur poids reste modéré, étant en général déjà appliqués via la loi au moment de leur ratification) et enfin du bloc constitutionnel (résiduel mais ô combien important).

En tête des usines à gaz normatives, on trouve le Code du travail qui a fêté en 2022 son millionième mot, le Code de l’environnement (1,1 million) et le champion, le Code de la santé publique : 1,77 million de mots, 9 fois le nombre de mots du Code civil qui fait lui-même (jurisprudence comprise) déjà plus de 3000 pages.

 

Emmanuel Macron un auteur très publié… au Journal officiel

Une analyse de cette inflation normative à mi-mandat de son premier quinquennat montre que cette inflation normative n’est pas imputable à l’Europe.

En outre, les chiffres de 2019 suivaient la même tendance que nous retrouvons dans les chiffres d’aujourd’hui : les textes réglementaires et législatifs, codifiés ou non, gonflent presque tous les ans et sont en grande partie responsables de l’inflation normative française.

Voici deux graphiques du site du gouvernement (lien plus haut) :

Voici le tableau par quinquennat réalisé à partir de ces données :

Quinquennat Nombre net de nouveaux mots dans le droit législatif en vigueur (arrondi) Nombre net de nouveaux mots dans le droit réglementaire en vigueur (arrondi)
Chirac 2 (2002-2007) 1 800 000 2 900 000
Sarkozy 1 500 000 4 000 000
Hollande 2 400 000 3 000 000
Macron 1 (2017-2022) 2 300 000 3 300 000

Preuve, s’il en fallait encore, que tous les présidents récents ont mené des politiques alourdissant fortement la bureaucratie normative. On constate que Macron ne fait pas exception à la règle : plusieurs millions de mots supplémentaires sont apparus durant son premier quinquennat. D’ailleurs, ce ne sont pas moins de 83 000 pages qui ont été publiées au Journal officiel en 2021, un record absolu.

Plus précisément, sur la législation codifiée, voici le tableau de l’évolution nette du nombre de mots (arrondi) dans certains codes et par quinquennat :

Quinquennat Code civil Code de la construction et de l’habitation Code de l’urbanisme Code du travail Code général des impôts Code de la santé publique Code de l’environnement
Chirac 2 (2002-2007)  14 000    111 000     28 000   66 000  199 000 505000 203000
Sarkozy  11 000      80 000       8000  -23 000  108 000 218000 404000
Hollande    8000    112 000     19 000  153 000   60 000 164000 165000
Macron 1 (2017-2022)  11 000    101 000     35 000  100 000   43 000 245000 177000

On remarque qu’Emmanuel Macron a poursuivi l’inflation normative de ses prédécesseurs dans tous ces codes, avec quelques mentions spéciales : le Code de la construction et de l’habitation, alors que la crise du logement neuf atteint son paroxysme ; les Codes de l’urbanisme et de l’environnement dont l’inflation actuelle est essentiellement liée à l’obsession du réchauffement climatique, alors même que la France n’est responsable que pour une très faible part des émissions de GES dans le monde.

« Nous vivons un nouveau paradoxe : alors que la crise [du logement neuf] s’installe durablement, nous assistons parallèlement à un empilement de contraintes administratives et à une surenchère normative, alors même que nos logements neufs sont déjà les plus performants d’Europe » explique le patron de la Fédération des promoteurs immobiliers, Pascal Boulanger, pour BFM.

 

En Allemagne, il existe un organisme chargé de la simplification normative !

Cette inflation est à comparer à ce qui se passe dans d’autres pays.

En Allemagne, par exemple, il existe un organisme spécialement chargé de la simplification au niveau fédéral : le Normenkontrollrat, avec pour résultat une baisse de 25 % du nombre de normes pour les entreprises.

Aux Pays-Bas, une politique de simplification a été menée à partir de 2010. Pareil en Suède depuis 2011.

Avec les mêmes effets à chaque fois : diminution des coûts et de la pression normative pour les entreprises, diminution annuelle des coûts administratifs, amélioration de la lisibilité des textes en vigueur…

En France, des alertes sonnent régulièrement : rapports du Sénat, de la Cour des comptes, articles dans les médias, mais elles ne suscitent guère de réactions. Les Français élisent toujours et encore des bureaucrates dont l’appétit pour les normes semble sans limites.

Le haut fonctionnaire Christophe Eoche-Duval écrit dans Le Monde :

« Plutôt que de perpétuer l’inflation normative, la France gagnerait à mieux appliquer les textes existants. »

Pour inverser la tendance, on pourrait également s’inspirer de l’analyse récente de Dorothée Belle et d’Audrey Frut Gautier qui proposent des pistes de simplifications pour en finir avec cet excès de normes.

Mettre fin à cette inflation normative est un projet qui mérite mieux que des déclarations d’intention. Cette lutte est essentielle pour retrouver notre liberté, notre dignité mais aussi notre efficacité, car dans leur immense majorité, ces normes sont contre-productives.

Ainsi que le note Nicolas Lecaussin :

« Le poids de l’État et des administrations est devenu insoutenable et il serait bon de suivre ces exemples en réduisant drastiquement toutes les réglementations qui pèsent sur les entreprises. Leur donner de l’air ce n’est pas seulement baisser les impôts et les charges, mais aussi supprimer des milliers de réglementations. »

Sur le web

Résilier un contrat en ligne : une nouvelle liberté ?

Un article de La Nouvelle Lettre.

 

Le 1er juin 2023 marquera-t-il une date clé de l’histoire de France ? Cette date est la mise en application de la loi du 19 août 2022, et précisément de son article 15 : il sera désormais possible à toute personne de résilier un contrat avec un simple clic en ligne.

À ce jour, la loi et cette « nouvelle liberté » offerte au peuple n’ont pas été clairement jugées : pour les uns il s’agirait d’une disposition normale, d’un simple progrès technique dû au numérique, pour les autres c’est un grand progrès de société conforme à la justice sociale. Pour les libéraux, c’est à mon sens un pas de plus sur la voie d’une révolution totalitaire inspirée par l’ignorance et l’idéologie.

 

Quelle innovation ? 

Pour juger clairement, il faut d’abord rappeler ce que n’est pas cette innovation.

Elle a été saluée par beaucoup de Français comme une réaction aux abus de certains contrats, et en particulier ces contrats d’assurance aux mille clauses illisibles par le commun des mortels. Il y a aussi cette accumulation d’abonnements mensuels qui finissent par ruiner la famille et dont on se sent prisonnier. Voilà donc quelque chose de populaire.

Le mérite en reviendrait au gouvernement, dont la mission serait de libérer le peuple de l’asservissement à de grands groupes, à des entreprises qui auraient forcé la main des consommateurs.

D’ailleurs, il suffit de lire sur Légifrance.fr la très longue explication donnée concernant le décret du 31 mai 2023 (mercredi dernier) « Décret n° 2023-417 du 31 mai 2023 relatif aux modalités techniques de résiliation des contrats par voie électronique ». C’est de la vraie bureaucratie française, c’est pour moi aussi incompréhensible qu’un contrat d’assurance. Mais, à la différence des contrats, les citoyens ne peuvent pas résilier un décret, ni un gouvernement d’ailleurs.

En résumé, voici ce que contient le décret :

  1. Tous les contrats sont concernés sans aucune exception, et en particulier tous les abonnements.
  2. Toutes les personnes physiques ou toutes les sociétés sont concernées, à l’exception des mutuelles.
  3. Peu importe que le contrat ait été passé en ligne, par téléphone ou par écrit.
  4. Les entreprises avec lesquelles le contrat a été passé vont désormais offrir une « fonctionnalité nouvelle et gratuite » : dans l’espace client elles devront prévoir un bouton « résilier son contrat ».

 

Le décret est donc bien conforme au texte de la loi dans son article 15 : les entreprises ont obligation de « mettre à la disposition du consommateur une fonctionnalité gratuite permettant d’accomplir, par voie électronique, la notification et les démarches nécessaires à la résiliation du contrat. »

Ces précisions n’ont peut-être pas été jugées ni connues du grand public. Elles portent en réalité trois erreurs liberticides : erreur sur le contrat, erreur sur l’entreprise, erreur sur la liberté.

 

Erreur sur le contrat

Un grand débat auquel ont participé de très nombreux économistes et juristes a porté sur l’ambiguïté des relations contractuelles : y a-t-il égalité entre les parties, entre l’entreprise et le consommateur (et peut-être plus généralement entre le vendeur et l’acheteur ?) ?

On s’est interrogé sur « l’asymétrie » du marché : l’un sait ce qu’il vend, l’autre ne sait pas ce qu’il achète.

Le consommateur serait donc nécessairement influencé, manipulé par le producteur. Il s’agit d’une fable, démontée par George Akerlof avec sa référence aux lemons (citrons). S’il existe un contrat d’apparence asymétrique, c’est bien celui des voitures d’occasion. L’acheteur d’un véhicule neuf bénéficie d’une information très complète, il se fait aussi une opinion d’après ce qu’il a observé dans son entourage. Mais la voiture d’occasion a, a priori, une mauvaise réputation : sans que ce soit visible, elle a pu être « pressée comme un citron », il peut lui rester pas grand-chose dans un proche avenir. Akerlof s’interroge alors : pourquoi le marché de la voiture d’occasion est-il si important partout et toujours ?

C’est que le risque contractuel est assumé par l’acheteur, au point que dans certains des États-Unis (comme la Californie) la rupture de contrat par l’acheteur l’oblige à indemniser le vendeur ! En d’autres termes, le vendeur a tout intérêt à être honnête et à proposer une juste transaction. Évidemment, il en est ainsi parce que le marché est libre, c’est-à-dire qu’il y a concurrence entre tous les offreurs.

En revanche, dans les cas de monopoles ou de cartels, l’asservissement du consommateur ou de l’usager est possible. Encore faut-il préciser que les monopoles et cartels ne sont durables que s’ils sont protégés par la puissance publique, à travers ses réglementations et ses subventions.

Entre personnes privées (individus et sociétés) un contrat signifie une confiance mutuelle. Il a donc une dimension morale et sociale incontestable. Cette relation est spécifique à l’être humain, comme l’échange volontaire. L’honnêteté est la base de la vie en commun. La corruption est souvent le tribut du pouvoir.

 

Erreur sur l’entreprise

Il se trouve qu’en France on réduit généralement l’entreprise à sa fonction financière : la « rentabilité » serait le seul souci de l’entrepreneur ou de l’actionnaire, personnage d’ailleurs vilipendé parce que bénéficiaire d’une « rente ». Seul le petit artisan ou commerçant trouvent grâce aux yeux du public, tandis que les grandes entreprises s’emploieraient à grossir leurs marges au détriment des consommateurs.

C’est évidemment ignorer la logique de l’économie, qui est la science de l’échange, échange qui est le propre de l’être humain.

J’utilise volontiers l’étymologie du verbe entreprendre :

Entre signifie que l’entreprise se situe entre les besoins à satisfaire et les moyens de les combler, on pourrait presque dire entre demande et offre.

Prendre traduit l’activité essentielle de l’entreprise : trouver les facteurs de production nécessaires à obtenir le bien ou le service : le travail et le capital. Cette activité est un art, l’art d’entreprendre, appelé entrepreneurship.

On peut être un bon entrepreneur sans travailler ni investir. Certes, dans beaucoup d’entreprises c’est l’entrepreneur qui travaille (par exemple entreprise individuelle ou auto-entrepreneur), et/ou c’est l’entrepreneur qui apporte les fonds sur son propre patrimoine (sans recours au crédit pour investir). Mais même dans ces cas, très fréquents bien sûr, il ne faut pas éliminer tout le mérite de celui qui entreprend. Mais quel est ce mérite, quel est cet « art d’entreprendre » ?

La réponse des ignorants, mais de bonne foi, c’est le risque. Ainsi, le profit serait-il la rémunération du risque pris : l’entrepreneur serait celui qui ose engager son argent (ou celui qu’il emprunte) au lieu de le placer tranquillement auprès d’une caisse d’épargne ou en obligation (comme des bons du Trésor).

L’entreprise serait un jeu de casino, où l’on tente sa chance.

Israël Kirzner a démonté cette thèse et a expliqué très simplement que l’entrepreneur a pour mission d’observer le marché et d’en tirer les enseignements, puisque le niveau des prix et des profits est un indicateur de pénurie ou d’excédent.

L’art d’entreprendre est donc de percevoir ce qu’attendent les gens ; la vigilance, la clairvoyance de l’entrepreneur (alertness) lui permettent d’innover. Il a une « anticipation d’information », donc il prend moins de risques, il n’est pas un superman parce qu’il a une idée que personne n’a eu avant lui.

Kirzner conclut que n’importe qui peut devenir entrepreneur : il lui suffit de chercher le travail et le capital dont il a besoin, et ce peuvent être les siens). Cette présentation de l’entreprise est validée, non seulement par l’histoire de quelques entrepreneurs célèbres, mais aussi par l’analyse statistique des résultats de l’entreprise : la valeur du produit est largement supérieure à l’addition de la valeur du travail (salaires payés) et du capital (principal et intérêts versés).

Les comptables et statisticiens parlent souvent de ce mystérieux « facteur résiduel » qui n’est ni le travail ni le capital. Il n’y a en fait aucun mystère : l’art d’entreprendre est rémunéré parce que le produit de l’entreprise correspond au meilleur service de la communauté, à ce que les gens attendent, ce pour quoi ils sont prêts à payer en fonction de leurs préférences personnelles. Mais évidemment, cette évidence échappe à ceux qui parlent offre et demande sans s’interroger sur la façon de les adapter, sans prêter attention ni parfois sans comprendre ce qu’est le marché (sauf sur la place du village).

L’erreur sur l’entreprise s’est cristallisée depuis quelques décennies en France avec le concept d’entreprise sociale et solidaire (ESS).

Ce sont des entreprises qui n’en sont pas, puisqu’il s’agirait de mutuelles, de coopératives, d’associations, de fondations qui s’interdisent de réaliser et capitaliser des profits et sont généralement en partie publiques. Les ESS devraient employer environ deux millions de personnes.

Mais précisément, la loi du 19 août 2022 élargit le cercle des ESS pour affirmer que toute entreprise a une vocation sociale. Cette idée court depuis longtemps. Elle a été lancée par le président Valéry Giscard d’Estaing : dès son élection en 1974 il a voulu faire appliquer le « rapport Sudreau » qui assignait aux entreprises une mission sociale, très au-delà de leur mission financière.

Cette mission devait être définie avec les syndicats, dont la responsabilité devait être élargie dans la gestion de l’entreprise. Les idées à la mode étaient celles de la cogestion, dans sa version allemande (mitbestimmung) ou dans sa version socialiste (Michel Rocard et les soixante-huitards).

Aujourd’hui, cette dimension sociale de l’entreprise a déjà été intégrée dans le droit du travail, elle a conquis la classe politique et médiatique : l’art d’entreprendre est l’art de politiser, syndicaliser et étatiser l’entreprise.

 

Erreur sur la liberté

La liberté ne peut pas être organisée par l’État. L’État a pour mission de protéger la liberté, c’est-à-dire de faire en sorte que chacun puisse librement exercer ses propres capacités dans le cadre du contrat et de l’entreprise.

Puisque l’entreprise a pour mission d’améliorer le service de la communauté en répondant aux besoins révélés par le marché, son rôle social est évident. Mais là-dessus, les pouvoirs publics ont inventé le droit du travail, qui échappe à la logique du contrat. Ils ont multiplié les réglementations, les subventions, les niches fiscales, les prélèvements dits sociaux, de sorte que l’on a du mal à comprendre l’entreprise, l’entrepreneur et les actionnaires.

En fait la référence au « social » est une manière élégante de poursuivre dans la voie de la lutte des classes. Grâce à notre président Emmanuel Macron, elle a maintenant le beau nom d’Économie sociale et solidaire, que je qualifierai de pléonasme puisque l’économie est par définition sociale et solidaire. Mais les hommes d’État et l’élite éclairée de ce pays ne peuvent s’empêcher de mettre leur grain de sel et doivent rappeler que rien ne peut s’exercer sans eux.

Leurs idées prolongent naturellement celles de Marx et du socialisme, qui ne voient l’économie que comme l’affrontement entre le capital et le travail.

L’entreprise, c’est le capital, l’organisation du prolétariat et le syndicalisme, c’est le travail.

De là découlent toutes les illusions et les contradictions internes de la participation obligatoire, des partenaires sociaux, etc. Est supprimée toute liberté pour l’entreprise d’organiser sa propre gestion, d’harmoniser travail et capital en fonction du service du client et du consommateur. Mieux encore : avec le décret du 31 mai, la version traditionnelle de la lutte des classes prend maintenant la forme de l’oppression du consommateur par l’entrepreneur.

Finalement, je conclus que ce décret révèle non seulement une erreur sur la liberté, mais la détruit et nous engage dans la voie du totalitarisme : c’est une porte ouverte, non seulement sur la ruine, mais sur la révolte, la haine, l’affrontement : tout le contraire de la solidarité.

La solidarité n’est pas sociale, elle est personnelle. Au cœur de l’économie, entreprendre c’est servir la communauté.

Sur le web

Redresser l’économie française en 10 ans : un pari impossible ?

La sixième édition de Choose France vient de s’achever, et a été à nouveau un succès.

Avec 13 milliards d’euros de nouveaux investissements annoncés, les grands industriels étrangers réunis à Versailles restent confiants dans la France. Le redressement de notre économie ne pourra se faire que par la voie de la réindustrialisation, et celle-ci va nécessiter beaucoup de capitaux. Aussi, n’en déplaise aux souverainistes, le recours aux capitaux étrangers est essentiel, car les capitaux français ne suffiront pas. Avec ces fonds étrangers, le pays est sur la bonne voie, mais sera-t-il capable de se réindustrialiser à un rythme suffisant ? Rien n’est moins sûr : il y va pourtant du redressement de toute l’économie, et de notre capacité à maitriser la dette extérieure.

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la France s’est très fortement désindustrialisée, ce qui a considérablement affaibli son économie.

Tous les clignotants de l’économie sont au rouge :

  • taux de chômage anormalement élevé
  • budget de la nation en déficit chaque année
  • dépenses publiques et prélèvements obligatoires extrêmement importants et beaucoup plus élevés que dans tous les autres pays européens
  • balance commerciale déficitaire chaque année
  • dette extérieure sans cesse croissante au point de devenir supérieure au PIB

 

L’Agence de notation Fitch a déjà dégradé deux fois la note du pays : une première fois en faisant passer la France de AAA à AA, et une seconde fois, tout récemment, en rétrogradant notre pays d’un cran, avec la note AA-.

 

Une économie aux très mauvaises performances

Le service des statistiques des Nations Unies a produit une étude comparative des performances économiques d’un certain nombre de pays sur une longue période. En Europe, la France a réalisé les moins bonnes performances, ce que montre le tableau ci-dessous, auquel nous avons ajouté le cas d’Israël, qui est tout à fait exceptionnel :


(ONU : Statistics Division)

Durant toute cette période, les performances économiques de la France ont été bien inférieures à celles des autres pays européens. Il aurait fallu être au minimum au multiplicateur 4,0, ce qui aurait conduit notre PIB à être environ 30 % plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Notre taux de dépenses publiques serait alors de 40 %, c’est-à-dire identique au taux moyen des dépenses publiques de l’Union européenne (42,5 %), et notre taux d’endettement se trouverait ramené à 78 % par rapport au PIB.

En revanche, les dépenses publiques n’ont pas cessé de croître régulièrement : elles sont au niveau de celles des pays d’Europe aux économies les plus avancées.

Dépenses par habitant en dollars (Sources : banque mondiale)

Les dépenses publiques françaises sont celles de pays ayant des PIB par habitant 50 % supérieurs. C’est notre PIB qui n’a pas augmenté au rythme voulu.

De cette distorsion entre la croissance des dépenses publiques et celle du PIB est résulté un accroissement régulier de la dette :

Dette extérieure du pays en % du PIB (Source)

La dette française est maintenant supérieure au PIB, alors que pour respecter les règles de la zone euro, elle devrait être en dessous de la barre de 60 % du PIB. Le traité de Maëstricht n’est donc pas respecté, ni pour les déficits budgétaires annuels ni pour la dette, ce que nos partenaires européens ne cessent de nous reprocher.

Il est tout à fait incompréhensible que les dirigeants du pays aient laissé notre économie se dégrader ainsi. Il serait souhaitable qu’une commission parlementaire soit créée pour déterminer les responsabilités.

Le secteur industriel a fondu, passant de 6,5 millions d’emplois à la fin des Trente Glorieuses à 2,7 millions aujourd’hui, alors que l’industrie est l’activité qui crée le plus de richesse.

Le taux d’industrialisation se situe maintenant à seulement 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. Nos dirigeants se sont laissés abuser par le cliché voulant qu’une économie moderne soit une économie postindustrielle dont les activités ne sont plus constituées que par des services : c’est la conclusion erronée que les sociologues ont cru pouvoir tirer des travaux de Jean Fourastié, qui avait publié, en 1969, Le grand espoir du XXe siècle, un ouvrage qui a beaucoup marqué les esprits.

Cet économiste avait montré qu’un pays qui se développe passe du secteur agricole au secteur industriel, puis du secteur industriel au secteur des services : les effectifs du secteur industriel diminuent dans la dernière phase du développement, mais du fait de la croissance rapide de la productivité dans l’industrie, la valeur ajoutée de ce secteur secondaire ne régresse pas, et continue à représenter entre 20 % et 25 % du PIB.

La pensée de Jean Fourastié a été déformée car il s’était exprimé en termes d’emplois, et non pas de valeur ajoutée, ce qui n’a pas été compris. Cette erreur a été fatale à l’économie française : persuadés que le pays était sur la bonne voie en se désindustrialisant, les dirigeants ont laissé partir toute notre industrie.

 

Esquisse d’un plan pour redresser l’économie en 10 ans 

Le redressement de notre économie passe par la réindustrialisation du pays.

La solution souvent proposée, et consistant à réduire les dépenses publiques, est illusoire : ce serait soigner les conséquences du mal, mais pas la cause. De surcroît, elle n’est pas réaliste, car la population est maintenant habituée à l’État providence et n’accepterait pas de régression en ce domaine.

En effet, de toutes parts, il est demandé davantage de policiers, de soignants dans les hôpitaux, de juges, de gardiens de prison, d’enseignants, etc. Et il faudrait également augmenter la rémunération de tous ces personnels. Par ailleurs, avec la réapparition de l’inflation, l’État se voit contraint de venir en aide aux personnes les plus défavorisées.

La population demande « toujours plus », nous avait déjà expliqué François de Closets en 19841.

Nous avons procédé à des simulations pour voir selon quels processus la réindustrialisation du pays pourrait s’opérer en dix ans. Il va falloir remonter à 18 % la participation du secteur industriel à la formation du PIB, alors qu’elle n’est plus que de 10 % aujourd’hui, pour aboutir aux résultats suivants :

  • Contribution de l’industrie à la formation du PIB : 18 %
  • Création d’emplois industriels : 1 000 000 d’emplois au rythme de 100 000 annuels
  • Investissements à réaliser : 350 milliards d’euros
  • Recours aux investissements étrangers (IDE) : 150 milliards
  • Investissements entreprises françaises : 20 milliards
  • Investissements entreprises étrangères : 15 milliards

 

Selon ce plan, les effectifs du secteur industriel atteindraient le chiffre de 3,7 millions de personnes en fin de période, chiffre à comparer aux 7,5 millions de salariés en Allemagne dans ce même secteur.

Pour être en mesure de soutenir un tel rythme, il faudra nécessairement des aides très importantes de la puissance publique. C’est d’ailleurs ainsi que vient de procéder le président Joe Biden aux États-Unis avec l’IRA. Ces aides sont d’autant plus nécessaires que l’environnement, tant national qu’international, n’est guère favorable.

Sur le plan intérieur, des freins à la réindustrialisation sont mis par les écologistes, et le gouvernement se plie continuellement à leurs exigences. Le droit du travail est rigide et pénalisant pour les chefs d’entreprise, la fiscalité tarde à être en harmonie avec celle de nos voisins, les réglementations européennes bloquent les initiatives que pourrait prendre l’État français pour réindustrialiser le pays, et le coût du travail est considérablement plus élevé que dans les anciens pays de l’Est maintenant intégrés dans l’Union européenne.

Sur le plan international, la guerre en Ukraine a fait fortement grimper le coût de l’énergie en Europe, ainsi que les mesures incitatives prises par le président Joe Biden pour investir sur le continent américain.

Autant de difficultés qu’il va falloir affronter…

 

Le plan Macron sera-t-il suffisant ?

Ce n’est que par le hasard de la crise liée au Covid-19 qu’Emmanuel Macron a réalisé combien notre pays était désindustrialisé.

Il a donc lancé en octobre 2021 son plan France 2030 auquel seront consacrés 30 milliards d’euros. Ce plan s’inscrit dans la ligne des Programmes d’investissements d’avenir, de sorte que les moyens mis en œuvre pour la réindustrialisation vont finalement s’élever à 54 milliards d’euros.

Le 11 mai dernier, à l’Élysée, devant une assemblée composée de ministres et d’industriels, le président a donné des précisions sur la feuille de route.

Il a annoncé des aides de l’État sous forme de crédits d’impôts pour l’implantation d’industries vertes, la réduction de moitié des délais pour les procédures  administratives de création de nouvelles usines, l’aménagement de nombreux sites industriels clés en mains, une pause de Bruxelles dans le domaine des normes environnementales, et le renforcement, à tous les niveaux, des moyens de formation professionnelle.

Il a débuté sa conférence en affirmant que « la bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique ». Il parait donc maintenant tout à fait convaincu de la nécessité de réindustrialiser le pays.

Mais il est bridé par la Commission européenne qui privilégie le soutien aux industries vertes.

Le rythme de la réindustrialisation est, pour l’instant, extrêmement lent. La journaliste Bertille Bayart nous dit, dans Le Figaro du 10 mai dernier, que depuis six ans, 90 000 emplois industriels ont été créés. C’est extrêmement peu.

Pour accélérer, l’État va devoir renforcer considérablement son soutien à l’investissement dans le secteur industriel. Dans d’autres articles, j’évoque une aide directe fondée sur la création d’emplois industriels, et quel que soit le secteur, articulée de la façon suivante : 20 000 euros par emploi les cinq premières années, puis 10 000 euros les cinq années suivantes, soit 150 000 euros par emploi.

Certes, ce montant est très important, mais l’intensité en capital est aujourd’hui très élevée dans les industries modernes du fait de la numérisation. Ainsi, les aides de l’État s’évalueraient à 150 milliards, étalées sur 20 ans. Ce coût est relativement modeste pour le pays, au regard des enjeux, puisqu’il ne s’agirait pas moins que de remettre sur pied notre économie.

Pour l’heure, Emmanuel Macron est paralysé par la Commission européenne qui bloque les subventions. Il faudra qu’il argumente sur l’état de la France, un pays sinistré, le plus désindustrialisé d’Europe, avec la Grèce. Si un redressement rapide ne s’effectuait pas, la dette du pays continuerait d’augmenter, conduisant le pays sur une voie dangereuse, ce qui n’est guère l’intérêt de ses partenaires de la zone euro.

On est très loin d’être en mesure de créer 100 000 emplois industriels par an. Un tel rythme ne pourra être obtenu qu’avec des aides très substantielles de la puissance publique, au moins du niveau indiqué plus haut. Il est hélas à craindre que les autorités de Bruxelles n’y consentent pas, laissant donc l’économie française continuer à se dégrader. Alors la feuille de route tracée plus haut ne pourra pas être suivie, elle est sans doute une ambition irréalisable.

  1.  François de Closets, Toujours plus !, Paris, B. Grasset, 1982.

L’OTAN, une organisation de concurrence militaire

Le 4 avril 1949, le traité de l’Atlantique Nord pose les bases d’une coopération dans le domaine militaire entre les Alliés.

Les objectifs sont les suivants : « empêcher la montée du nationalisme militant et constituer le fondement de la sécurité collective qui favorisera la démocratisation et l’intégration politique de l’Europe ».

Aujourd’hui, l’OTAN est une alliance de 31 pays souverains, ses effectifs sont de 145 000 hommes au total, avec une puissance de frappe de 25 000 hommes. Cette alliance implique une forme de concurrence entre les forces armées des pays membres : les armements de pointe, comme les chars Leopard 2, véhicules blindés de combat les plus puissants au monde, sont livrés dans le cadre de la guerre en Ukraine, par exemple. De leur côté, les Russes ont fait le choix de l’étatisation, un choix qu’ils paient cher à présent.

 

De la Bosnie-Herzégovine à l’Ukraine : l’envoi des armes les plus performantes avec l’OTAN

La mise en concurrence des armées de l’OTAN a permis de réaliser, avec succès, de nombreuses opérations militaires.

La guerre de Bosnie-Herzégovine en 1992, durant laquelle les forces serbes ont lancé plusieurs offensives meurtrières contre les séparatistes albanais de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), a été la première grande opération de combat de l’OTAN. Dans le but d’éviter une extension du conflit dans les Balkans, plusieurs opérations ont été menées contre les chasseurs-bombardiers bosno-serbes (Deadeye, Deliberate Force, Joint Endeavour). Elles ont bénéficié d’un matériel de qualité fourni par différents membres de l’Organisation de défense.

Les bombardements en 1995 ont ainsi mobilisé des avions de combat américains F16 et F18 qui provenaient de la base aérienne d’Aviano, dans le nord-est de l’Italie ; des porte-avions à propulsion nucléaire de l’US Navy (USS Theodore Roosevelt, USS America) ; des chasseurs-bombardiers français (Mirage 2000N) ; mais aussi des chars britanniques (Challenger 2). Ces opérations ont permis de déboucher sur les accords de Dayton la même année.

La guerre en Ukraine illustre là aussi les bénéfices de la concurrence dans l’industrie de l’armement. Du fait de l’invasion par la Russie, l’article 4 du traité sur la défense collective a été invoqué par des pays comme la Pologne, la Bulgarie ou la République tchèque dès février 2022. Il prévoit des consultations en cas de menace contre l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité d’un membre de l’OTAN. Les parties peuvent donc mettre en œuvre une stratégie de soutien militaire défensif.

S’il n’y a pas d’intervention directe de l’OTAN, rien n’empêche les pays membres d’envoyer à l’Ukraine leurs équipements militaires les plus performants : missiles antichars américains (GM-148 Javelin, Stinger) et suédois (NLAW), obusiers allemands (RCH 155), britanniques (M777) et américains (M119), lance-roquettes Himars envoyés par les États-Unis, fusils d’assaut de type AK-47 fournis par la République tchèque, mortiers LMP-2017 envoyés par la Pologne, ou encore chars allemands (Leopard 2, Leopard 1A5) envoyés par le Danemark, les Pays-Bas et l’Allemagne.

 

Quand la centralisation nuit à l’innovation : l’exemple de la Russie

À l’inverse, l’armée russe illustre les problèmes liés à une trop forte centralisation, déjà pointée du doigt dans les années 2000 par l’ancien ministre de la Défense, Sergei Ivanov, selon lequel 70 % du budget militaire était alloué aux troupes et aux bureaucrates.

La Russie a vendu ses dernières armes de l’ère soviétique et a progressivement perdu la puissance de son complexe militaro-industriel, les grandes industries ayant soit fait faillite, soit s’étant reconverties à l’exportation. En 2005, les dépenses en R&D de la Russie étaient 30 à 50 fois inférieures à celles des États-Unis, et 10 fois inférieures à celles des pays de l’OTAN. La Russie a multiplié les abandons de ses programmes d’armement depuis la fin de la Guerre froide. Ce fut le cas du programme 2007-2015, dont l’objectif était de remplacer 9 à 11 % de son armement, mais aussi du programme d’acquisition pour la période 2010-2020, dont l’objectif était d’augmenter les dépenses militaires de 11 % et de renouveler 70 % de l’équipement opérationnel et logistique militaire terrestre.

Ce retard majeur s’est amplifié avec la guerre en Ukraine. Contrainte de ressortir de vieux chars soviétiques T-54 et T-55, la Russie est également freinée par les sanctions occidentales sur les puces électroniques et les semi-conducteurs, fabriqués majoritairement aux États-Unis, en Europe, à Taïwan et au Japon.

Cette dépendance russe à l’innovation occidentale ne date pas d’hier : les équipements militaires soviétiques, en particulier les semi-conducteurs, utilisaient déjà à l’époque de la guerre froide des copies de puces américaines. Pour tenter de combler ses lacunes, la Russie n’a eu d’autre choix que de conclure des accords avec des pays industrialisés : achat de drones auprès d’Israël, tentative d’achat de porte-hélicoptères français Mistral, acquisition de blindés Lynx auprès du constructeur italien Iveco, et plus récemment achat d’avions de chasse Sukhoï Su-35 à l’Iran. Mais cela ne permet pas à Moscou de compenser le retard. L’espion et la diplomatie ne sauraient remplacer l’entrepreneur et la dynamique innovante des marchés.

Sur le web

Déclin des oiseaux ou déclin de l’éthique scientifique ?

Une étude scientifique pour le moins discutable a fait l’objet d’une communication scandaleuse par le CNRS. Le comble ? Le communiqué de presse contribue à jeter le doute sur l’étude.

 

Des allégations sans nuances

Les prêcheurs d’apocalypse et les agribasheurs ont été approvisionnés en munitions par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) le 16 mai 2023.

Son communiqué de presse s’intitulait péremptoirement : « L’intensification de l’agriculture est à l’origine de la disparition des oiseaux en Europe ».

Pour l’obsédé textuel, ce titre signifie que l’« intensification agricole » – une notion à définir mais qui est évocatrice pour le plus grand nombre –  est la seule responsable d’un événement. Et cet événement, c’est la « disparition » des oiseaux. Or, jusqu’à plus ample informé, il n’y a pas de disparition. Et un coupable unique est, au mieux, hautement improbable.

Les faits allégués – qu’il nous faut vérifier – sont partiellement rétablis dans les points à retenir :

« Le nombre d’oiseaux a décliné de 25 % en 40 ans [en fait, c’est 36 ans, de 1980 à 2016] sur le continent européen, voire de près de 60 % [en fait, c’est 56,8 % ± 4,9, de sorte que 55 aurait été une meilleure approximation] pour les espèces des milieux agricoles.

L’agriculture intensive est la principale pression associée au déclin des populations d’oiseaux. »

La mise en cause de l’agriculture est tout aussi cinglante sur Twitter.

https://twitter.com/CNRS/status/1658403474873221121

 

Le troisième point à retenir est un cocorico sur l’ampleur et la complexité de l’étude faisant l’objet du communiqué. La routine pour les services de communication…

Pour l’étude, il s’agit de « Farmland practices are driving bird population decline across Europe » (les pratiques agricoles sont à l’origine du déclin des populations d’oiseaux en Europe) de Stanislas Rigal, Vasilis Dakos, Vincent Devictor et 48 autres auteurs dont la contribution essentielle aura été de fournir des données (et de donner à l’étude l’apparence d’une recherche internationale). L’article avait été publié la veille (outre-Atlantique, avec décalage horaire) dans PNAS.

Ce titre est guère moins nuancé s’agissant de la responsabilité d’un « déclin » – et non plus de la « disparition » ; en revanche, il reste vague sur les « pratiques » et offre même une certaine ouverture, « farmland » ayant pour sens premier les « terres agricoles ». Mais c’est essentiellement cosmétique.

 

Le déclin des oiseaux

Le déclin des oiseaux est devenu un mantra. Pourtant…

Le communiqué de presse du CNRS comporte une série de graphiques dont le plus grand montre l’évolution de l’abondance (des effectifs) des oiseaux entre 1980 et 2016 (leur présentation, quasiment sans repères, est d’une rare indigence). Selon ce graphique, les populations ont décliné de manière abrupte, de quelque 25 %, pendant la première moitié de la décennie 1980 et se sont relativement stabilisées par la suite, c’est-à-dire sur une période de quelque 30 ans.

Il est par conséquent difficile de parler de déclin des oiseaux ! Et de chercher des coupables.


Mieux encore : les auteurs de l’étude ont produit une série de trois graphiques – mais dans les informations supplémentaires et non dans le corps de l’article – sur l’évolution de l’indice multi-espèces, de l’abondance et de la biomasse de 115 espèces d’oiseaux communes (utilisées pour les indices supranationaux parmi les 170 espèces) entre 1980 et 2016 au niveau européen (Union européenne, Norvège, Royaume-Uni et Suisse).

 

Légende des graphiques

Figure S1 : Indice multi-espèces, abondance et biomasse […] des 115 espèces d’oiseaux communes (utilisées pour les indices supranationaux parmi les 170 espèces) entre 1980 et 2016.

  1. L’indice multi-espèces d’abondance relative est calculé en attribuant un poids commun à chaque espèce, quelles que soient son abondance ou sa biomasse, et montre qu’une majorité d’espèces sont en déclin.
  2. L’abondance correspond au nombre d’individus […] La biomasse a été obtenue en multipliant le poids moyen de chaque espèce par l’abondance.
  3. La trajectoire de la biomasse montre une forme convexe interprétée comme une augmentation des oiseaux protégés et rares (souvent des espèces lourdes), tandis que les espèces plus communes (et légères) diminuent.

 

La meilleure courbe de régression pour l’indice est une droite. Mais cet indice est trompeur, car il attribue un même poids à chaque espèce, quel que soit son effectif. Il peut varier dans un sens, alors que les effectifs totaux varient dans un autre. Si une espèce A, avec un million d’individus, a augmenté de 10 %, et une espèce B, avec 10 000 individus, a diminué de 10 %, l’indice reste inchangé, alors que le nombre total d’oiseaux a augmenté de 95 000.

C’est le phénomène que tend à montrer le deuxième graphique : selon la meilleure courbe de régression présentée par les auteurs, les effectifs remontent à partir du milieu de la décennie 2000. À partir de 2000 la remontée est encore plus nette pour la biomasse. Mais l’explication des auteurs laisse un peu perplexe… Beaucoup d’agriculteurs confrontés aux dégâts des corvidés et des pigeons resteront sceptiques.

Cette évolution n’apparaît pas évidente dans les graphiques du communiqué de presse du CNRS. C’est qu’il manque un groupe d’espèces, les « généralistes », lesquels ne sont pas non plus référencés spécifiquement dans l’article scientifique. Ces « oublis » interrogent…

Les généralistes sont en hausse comme le montre un graphique souvent reproduit sur les résultats du STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) en France.

Attention : les bases 100 se rapportent à des effectifs initiaux différents. (Source)

 

Les effets de l’agriculture sur le déclin des oiseaux

Les données de l’article scientifique sur l’évolution de l’avifaune ne sont pas seulement incomplètes, mais aussi problématiques.

Ainsi, le texte annonce des déclins des abondances (sans le chiffre pour les espèces généralistes…) entre 1980 et 2016 et renvoie à des graphiques montrant des évolutions des indices multi-espèces, entre 1996 et 2016, avec des pentes moyennes (indiquées par un code couleurs) issues de courbes de variations qui peuvent être très irrégulières.

Établir des corrélations à l’échelle européenne apparaît comme une mission impossible. Les auteurs affirment pourtant avoir fait mieux, en évoquant des « quasi-causalités »…

Selon leur résumé, notamment :

« Nous constatons que l’intensification de l’agriculture, en particulier l’utilisation de pesticides et d’engrais, est la principale pression à l’origine du déclin de la plupart des populations d’oiseaux, en particulier celles qui se nourrissent d’invertébrés. »

Et, selon le communiqué de presse :

« Si les populations d’oiseaux souffrent de ce cocktail de pressions  – l’évolution des températures, de l’urbanisation, des surfaces forestières et des pratiques agricoles –, les recherches montrent que l’effet néfaste dominant est celui de l’intensification de l’agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectare. Elle a entraîné le déclin de nombreuses populations d’oiseaux, et plus encore celle des oiseaux insectivores. En effet, engrais et pesticides peuvent perturber l’équilibre de toute la chaîne alimentaire d’un écosystème. »

Ici aussi, les travaux sont problématiques.

Les auteurs ont utilisé pour l’agriculture un indicateur comptable, le High Input Farm Cover qui donne la part de surface agricole occupée par les 33 % de fermes dont les dépenses en intrants par hectare sont les plus élevées. Il y a certes un lien avec l’emploi d’engrais et de pesticides, mais lequel, précisément ?

Sur une nouvelle échelle de temps – de 2007 à 2016 – cet indicateur augmente, si nous avons bien compris le texte de l’article, de 2,1 % ± 0,9 (en fait de points de pourcentage) au niveau européen, avec une légère baisse sur quelque quatre ans suivie d’une hausse et d’un plateau à partir de 2014 (selon notre interprétation du mini-graphique). Les évolutions nationales sont très disparates (par exemple, le Danemark enregistre une forte baisse ; la courbe est grosso modo en cloche pour l’Allemagne, et en dents de scie pour le Royaume-Uni).

Libération a mis côte à côte la carte des déclins (allégués) et celle de l’intensification agricole (également alléguée). Le lien de « quasi-causalité » allégué est très loin d’être évident.

On ne saurait nier que les activités économiques et autres se déroulant en milieu rural ont un effet  complexe sur l’avifaune. Mais on voit mal l’effet des engrais et des fongicides. Tout comme un effet qui serait différencié entre les espèces dites « des milieux agricoles » et les espèces « généralistes ».

En revanche, les modifications des habitats et les disponibilités en ressources alimentaires sont des facteurs pertinents, tout comme la météo, la concurrence entre espèces, la prédation, les maladies, etc. Ces facteurs agissent dans un sens ou dans l’autre. Les auteurs ont choisi de les ignorer très largement.

Dans « Oiseaux d’Europe : les populations remontent ! (mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle) », M. Philippe Stoop a écrit :

« Si l’expression n’avait pas pris des connotations politiques nauséabondes, on serait tenté de dire qu’il y a un grand remplacement des espèces spécialistes par les espèces généralistes. Reste à savoir pourquoi. »

Et pour le « pourquoi », l’étude de Rigal et al. n’est pas convaincante.

 

Une étude militante

Si l’on s’en tient à leur texte, l’effet de l’urbanisation est aussi important que celui de la couverture agricole à haut niveau d’intrants (coefficient PLS pour la tendance de l’urbanisation = -0,036 ± 0,015 contre -0,037 ± 0,022 pour le volet agricole).

Mais les auteurs ont choisi de communiquer sur le volet agricole.

Selon le résumé :

« Cet article contribue au plus grand défi politique et technique auquel est confrontée la politique agricole en Europe, qui s’efforce d’équilibrer la productivité élevée des pratiques agricoles intensives avec la protection de l’environnement. Les résultats sont donc cruciaux pour les décideurs politiques, les scientifiques et le grand public concernés par les questions de biodiversité et de changement global. »

Ou encore, en conclusion du résumé, ils soulignent :

« … le besoin urgent de changements transformateurs dans la façon d’habiter le monde dans les pays européens, si l’on veut que les populations d’oiseaux aient une chance de se rétablir. »

Une chance de se rétablir ? M. Philippe Stoop s’est livré à quelques calculs pour la France.

Ils montrent par exemple que l’augmentation des effectifs et de la biomasse des pigeons ramiers depuis 2001 est supérieure à la diminution correspondante de l’ensemble des espèces des milieux agricoles. En Europe, les effectifs de pigeons ramiers ont plus que doublé entre 1980 et 2021

Quels changements ? Pour quels effets ? Nous ne saurons pas.

L’État entrepreneurial est une chimère

L’État entrepreneur est un concept popularisé par l’économiste Mariana Mazzucato dans un livre éponyme. Celui-ci se veut une réaction à la rhétorique courante selon laquelle un État bureaucratique et inepte s’oppose à un monde entrepreneurial dynamique. Au contraire, Mazzucato prétend que la plupart des innovations actuelles, de l’iPhone aux biotechs en passant par Internet, sont dues à l’action de l’État. Sa conclusion est claire : l’État est l’innovateur le plus important pour résoudre les grands problèmes de ce monde, et c’est un concept d’avenir si les politiques ont le courage de le défendre.

Pourtant, si l’idée est séduisante, Mazzucato joue sur les mots et tord l’histoire économique pour défendre une chimère.

« Moonshot ». L’expression est restée pour désigner un grand projet très ambitieux lancé par un visionnaire. Le nom vient de la mission Apollo, lancée à la suite d’un discours du président américain John Kennedy en 1962 visant à envoyer un homme sur la Lune en le ramenant vivant, avant 1970. Ce projet représente la quintessence du projet à mission dans lequel un leader courageux et visionnaire définit un objectif ambitieux et charge la société de le réaliser. Il fut une grande réussite avec le vol Apollo 11. Le 21 juillet 1969, le monde entier assiste en direct à l’extraordinaire spectacle de l’alunissage de la capsule et des premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune. Ce projet est devenu la référence absolue, l’étalon-or de tous ceux qui voient en l’État le guide de l’innovation : un objectif et un pilotage par la puissance publique avec l’aide d’industriels exécutants.

 

La réussite de ce type de projet peut-elle pour autant justifier un État entrepreneur ?

Loin s’en faut, et pour plusieurs raisons.

Ce type de projet n’est pas du tout entrepreneurial

Apollo était un projet politique. Il fut décidé pour des raisons de prestige. Il s’agissait, par un coup technologique, de reprendre le leadership politique sur l’URSS qui avait humilié l’Amérique avec le lancement du satellite Sputnik, puis avec le fiasco de la baie des Cochons, et qui semblait prendre l’ascendant dans la course des grandes puissances.

D’ailleurs Kennedy le dit très honnêtement :

« Nous choisissons de le faire parce que c’est difficile. »

Cela ne signifie pas qu’il était inutile ou qu’il n’aurait pas fallu le faire, loin de là. Juste que faire quelque chose pour le prestige et pour la seule raison que c’est difficile, voilà qui n’est vraiment pas entrepreneurial.

Il ne faut pas confondre R&D et entrepreneuriat

On voit la différence avec Internet, un autre exemple cité abondamment par Mazzucato.

À l’origine, Internet (qui s’appelle alors Arpanet) est un réseau financé par l’Armée américaine. Dans les années 1970, le relai est pris par une agence de recherche civile. Indéniablement, toute la partie initiale est donc lancée par la puissance publique.

De là, peut-on conclure que c’est l’État qui a permis Internet ? Pas vraiment. Lorsque l’État américain cesse de jouer un rôle dans Internet dans les années 1980, le réseau est minuscule, équipé de moins de 100 000 nœuds, principalement des universités et quelques très grandes entreprises. Les militaires ne savaient pas quoi en faire, et l’agence civile n’avait pas beaucoup plus d’idées.

Autrement dit, si l’État a incontestablement joué un rôle dans la naissance d’Internet, ce dernier n’est guère qu’un objet technique mineur sans véritable usage lorsqu’il passe la main. Internet commencera à avoir un impact lorsque la société civile, et notamment les entrepreneurs de la Silicon Valley, puis du reste du monde, s’en empareront à partir des années 1990.

La partie en amont n’est pas plus facile que la partie en aval

Selon Mazzucato, « l’État a accepté d’investir dans les phases les plus incertaines en amont pour ensuite laisser le privé sauter dans le train en marche pour la part la plus facile du trajet en aval ».

Il y a là un biais technologique anti-marché très surprenant qui considère qu’il suffit d’inventer pour qu’un produit se vende, et que cette invention est la partie noble de l’ensemble. Si c’était vrai, les fonctions marketing et commerciales n’existeraient pas !

L’immense majorité de l’investissement total dans Internet de ses débuts à ses premières années de réseau de masse, disons l’an 2000, est privée. Elle se fait après que l’État américain a passé la main.

L’innovation produit souvent des résultats inattendus

C’est le principal risque des projets moonshot. Le temps qu’ils soient achevés, le monde a changé.

À l’origine, Internet était conçu pour être un réseau militaire résistant à une attaque nucléaire. Aujourd’hui il sert à peu près à tout : jeux, messagerie, vidéo-conférence, etc. Sauf à ça. Cela montre la limite de l’idée de moonshot, et celle selon laquelle l’action de l’État entrepreneurial devrait être définie par une mission claire. Le seul cas où la mission peut être claire et le rester, c’est si le projet est inutile et gratuit, comme avec Apollo, car la mission ne va pas dépendre des changements de marché ou de société.

 

État entrepreneurial vs état d’esprit

La limite des propos d’auteurs comme Mazzucato, c’est que l’innovation est le produit d’un état d’esprit.

Les Grecs connaissaient le principe de la vapeur et étaient, théoriquement, en capacité de s’en servir, mais ils ne l’ont pas fait. Il a fallu attendre près de 2000 ans pour cela. La révolution de la machine à vapeur ne doit rien à la recherche fondamentale, ni encore moins à l’État entrepreneurial, et tout à l’état d’esprit (modèle mental) entrepreneurial qui se développe à partir du XVIIe siècle, symbolisé entre autres par James Watt.

Autrement dit, si l’invention est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Il ne suffit pas qu’Internet soit « inventé » par l’État entre les années 1960 et 1980 pour qu’il ait l’impact que nous lui connaissons aujourd’hui. Or, c’est l’impact qui compte, pas l’invention. Les cimetières sont remplis d’inventeurs géniaux qui n’ont jamais réussi à avoir le moindre impact.

Dans le même ordre d’idée, l’ex-URSS était un modèle de R&D pilotée par l’État, étant en pointe sur des technologies comme l’aéronautique, le nucléaire, ou l’espace. Mais hors du domaine militaire, l’impact de cette R&D de qualité a été très limité, car le pays n’avait pas de classe entrepreneuriale.

 

L’insignifiance de l’action entrepreneuriale publique ?

Alors qu’on célèbre à n’en plus finir la vision du moonshot de Kennedy, on oublie qu’au même moment naissait, très discrètement, l’industrie de l’ordinateur personnel.

Contrairement à Apollo, elle est entièrement un fait entrepreneurial.

Cette révolution n’a pas été lancée en fanfare par un État visionnaire, mais initiée par une flopée d’entrepreneurs hippies, et elle a eu autrement plus d’impact qu’Apollo. Bien sûr, la Silicon Valley a tiré parti à son origine de la présence d’industries de défense liées à la Seconde Guerre mondiale, ce qui souligne à nouveau le rôle utile de l’État. Mais c’est un rôle très indirect (en gros, ces industries permettent la création de HP qui ensuite permet la Silicon Valley).

Par ailleurs, il existe de nombreuses régions à forte présence d’industries de défense qui pourtant n’ont jamais créé de Silicon Valley. On voit donc bien que, en soi, l’investissement public ne suffit pas. S’il n’y a pas d’état d’esprit entrepreneurial, l’investissement est stérile.

Si l’action de l’État ne suffit pas, est-elle cependant nécessaire ?

Qu’elle soit utile ne fait aucun doute. Mais nécessaire ? L’argument souvent avancé est que son action est indispensable pour le développement de technologies très coûteuses que lui seul peut financer. Cela a pu être vrai dans le passé, avec le nucléaire ou le spatial. Mais ces dernières années, le monde financier privé a développé une capacité d’investissement colossale qui annule l’argument. Par exemple, SpaceX a levé 10 milliards de dollars en 29 tours successifs.

Si l’idée de l’État entrepreneurial est que les entreprises privées tirent parti de la recherche publique, cela n’a rien d’original. Et contrairement à ce qu’affirme Mazzucato, c’est un bon deal qui profite à la société tout entière. L’incroyable vitalité du tissu entrepreneurial américain, qui s’appuie sur une recherche privée et publique forte, est la source de la richesse considérable du pays. L’investissement en amont génère des emplois et des contributions fiscales en aval. Il est faux de dire que les dépenses sont faites par l’État et que les bénéfices sont accaparés par le privé. Quant à prétendre que l’iPhone n’existe que grâce à l’État, c’est confondre l’invention et la recherche de technologies fondamentales avec l’entrepreneuriat.

Dire que l’État ne doit pas être entrepreneurial ne signifie pas qu’il ne doit avoir aucun rôle, bien au contraire.

Au regard des exemples évoqués (Internet, Apollo, informatique), c’est une erreur de concevoir son rôle en tant que pilote déterminé par des objectifs précis. Envoyer un homme sur la Lune, c’est précis, c’est difficile, mais c’est à peu près inutile. Ce que suggère l’histoire de l’innovation, c’est plutôt que l’État a un rôle à jouer dans le développement de technologies fondamentales. Ces technologies nécessitent des investissements sur le long terme, et leurs applications sont très incertaines. Il y a là une part de risque et de gratuité, au sens où ça ne servira peut-être à rien, qui peut justifier un investissement public. C’est précisément lorsque le but n’est pas clair et que l’entreprise n’a aucune utilité apparente que l’État peut jouer un rôle utile.

Mais la notion d’État entrepreneurial n’est qu’un verbiage qui sert de faux nez à une tentative – une de plus – de placer l’État au centre de la vie économique. On sait que ça ne marche pas, et tordre l’histoire pour faire croire le contraire n’y changera rien.

Sur le web

Conflit d’intérêts flagrant : Lula nomme son propre avocat au Tribunal suprême

La justice brésilienne et le président Luiz Inácio Lula da Silva ont toujours formé un couple compliqué, avec des relations d’adversité, mais aussi, parfois, d’étranges complaisances.

Aujourd’hui, Lula démontre avec un évident plaisir sa volonté de faire de la justice une institution à sa botte en nommant, le 1er juin, son propre avocat, Cristiano Zanin, juge à la plus haute instance judiciaire du pays, le Tribunal suprême fédéral. Les pouvoirs de cette institution sont nombreux et déterminants, agissant comme une Cour constitutionnelle, un tribunal électoral et un contrôleur des enquêtes judiciaires.

 

Une nomination de Lula qui pose un conflit d’intérêts évident

Cristiano Zanin, 47 ans, l’avocat de Lula depuis 2013, a obtenu la libération de l’ex-président en novembre 2019, quand ce dernier était prisonnier après sa condamnation à neuf ans et six mois de détention pour blanchiment d’argent et corruption. Pour cet exploit judiciaire, Zanin méritait une récompense et celle-ci suppose la loyauté du nouveau juge envers son ancien client. L’indépendance de la justice en prend un coup.

Prononcée en 2017 par le juge fédéral de première instance, Sergio Moro, cette condamnation de Lula fut ensuite annulée en 2021 par le tribunal suprême fédéral avec pour argument l’absence de compétence du tribunal de première instance pour juger Lula.

En 2021, le même tribunal fédéral suprême déclare que l’action du juge Sergio Moro, devenu ministre de la Justice sous la présidence de Jaïr Bolsonaro, avait été partiale, et toutes les charges contre Lula sont annulées.

Dans ce spectaculaire retournement judiciaire, on devine un combat juridique inédit.

 

La guerre juridique

Et l’on comprend que Cristiano Zanin est un « guerrier » du droit. Avec quelques confrères, il signe un livre intitulé Lawfare, uma introdução. Ce terme de Lawfare, que l’on peut traduire par « guerre juridique » définit un usage stratégique du droit afin de mettre en cause la légitimité de l’ennemi, de l’affaiblir ou de l’éliminer.

Dans une interview publiée sur un site d’avocats brésiliens, Cristiano Zanin affirme que la condamnation de Lula en 2017 est l’un des exemples de cette « guerre juridique ». Selon lui, le scandale de Petrobras, surnommé lava jato (lavage sous pression) considéré par la justice brésilienne comme une vaste machine à laver l’argent sale de la politique et des affaires, serait « un outil de la guerre juridique, et non un processus pénal servant la justice et la vérité ». Il ajoute que les « procureurs de Curitiba ont empêché le combat contre la corruption »…

Il n’empêche que le chef de ces procureurs, Deltan Dallagnol, interrogé en 2017 par l’AFP, déclarait que cette enquête constituait « un îlot de justice et d’espoir dans un océan d’impunité ». Le ministère public fédéral (MPF) en charge de l’enquête estimait que des milliards de reales (la monnaie brésilienne) étaient sortis des coffres de Petrobras en l’espace d’une décennie.

Quoiqu’en dise Zanin, armé de son beau concept de « guerre juridique », la corruption a existé sous Lula.

En 2005, deux ans après sa première élection, éclate un énorme scandale de pots-de-vin baptisé Mensalão car la prévarication suivait un rythme mensuel. Il s’agissait d’acheter avec des fonds publics les voix de parlementaires prêts à voter les lois du gouvernement pour que ce dernier, minoritaire, puisse disposer d’une majorité de circonstance.

Quand l’affaire éclate, elle fait grand bruit et vingt-huit hauts dirigeants du Parti des travailleurs sont condamnés à de longues peines de prison. Mais dans cette sinistre affaire, où se jouent la morale et la démocratie, le président Lula n’intéresse pas la justice. Pourquoi ? Mystère. Peut-être n’a-t-elle pas voulu interférer avec le processus électoral, alors que Lula était plus populaire que jamais et qu’emportés par son charisme et son populisme, les Brésiliens lui ont offert en octobre 2006 un deuxième mandat ?

Puis viendra, en mars 2014, sous la désastreuse présidence de Dilma Rousseff – en faveur de laquelle Lula a mené campagne- , le scandale Petrobras. Et là encore, on sait désormais que les sous-traitants de Petrobras formaient un « club privé » au sein duquel était désignée la société qui remporterait un appel d’offres, à quel prix, et avec quelle marge à se partager ensuite entre les membres du « Club ».

Ces tristes vérités sont anéanties sous le feu du « guerrier juridique » Cristano Zanin et de ses affiliés. Il sera l’obligé de son maître, Lula, et cette soumission ne sera pas glorieuse. Enfin, la justice et son indépendance sont les grandes perdantes de cette « guerre du droit » qui sape les bases de la fragile démocratie brésilienne.

Comment la musique permet de lutter contre les effets de Parkinson

Par Loïc Damm, Benoît Bardy et Valérie Cochen de Cock.

 

Battements de notre cœur, flux d’air dans nos poumons, prosodie de notre voix ou mouvements de nos jambes… Notre corps est une mer de rythmes différents. Aucun des systèmes biologiques qui les génèrent n’est isolé : chacun interagit avec son environnement, constitué d’autres systèmes à l’intérieur ou à l’extérieur de notre corps qui ont leur propre rythmicité.

Le mouvement est un bel exemple d’interactions entre rythmes. Le simple fait de marcher, pas après pas, est en effet une construction complexe ! Que cette construction se grippe, et le mouvement en pâtit. D’où cette question : peut-on redonner du rythme à ceux qui le perde ? Oui, suggèrent certaines recherches. Petite explication, en partant des fondamentaux…

Si notre cerveau est à la manœuvre, tout un ensemble de structures nerveuses gouverne les cycles associés : des réseaux situés dans la moelle épinière insufflent les alternances d’activations musculaires nécessaires à sa genèse, mais ce sont les centres cérébraux supérieurs qui amènent la plasticité puisque c’est à leur niveau que se planifie l’initiation du mouvement ou la prise en compte des conditions de sa bonne exécution (évitement d’obstacles, etc.).

Le programme de base issu des réseaux de la moelle épinière est ainsi remodelé en fonction des exigences de l’environnement, retranscrites par nos sens… S’opère ce que les neuroscientifiques appellent le « couplage perception-action » : parce qu’il commande nos muscles et intègre les informations auditives ou visuelles, le système nerveux est capable de coupler nos sens à nos comportements.

C’est ce qui se passe lorsque nous jouons de la musique en groupe, où la coordination temporelle de nos gestes avec ceux de nos partenaires nous permet d’être à l’unisson. Cette synchronisation est possible par l’ajustement entre les rythmes auditifs/perçus et moteurs/exécutés. Cela signifie que les structures plutôt dédiées à la perception, et celles plutôt dédiées au mouvement, voient leurs liens se renforcer, formant un réseau fonctionnel dans le cerveau.

En d’autres termes, les structures cérébrales qui nous font bouger sont aussi celles qui nous font percevoir. Lors de l’écoute de morceaux de musique, qui combinent des séquences structurées de durées, de timbres et d’accents, la perception de la pulsation est l’événement psychologique qui revient le plus régulièrement.

 

Quand la maladie fait dérailler la machine

Des pathologies peuvent entraver la production de ces rythmes. C’est le cas de la maladie de Parkinson pour laquelle les difficultés à se déplacer sont le premier handicap rapporté.

Les patients sont sujets à un « gel de la marche », c’est-à-dire une difficulté dans son initiation et sa progression à l’approche d’un obstacle ou d’un virage. Ces deux séquences majeures du mouvement sont affectées par la perte progressive des neurones sécrétant de la « dopamine » – un neurotransmetteur, soit une molécule assurant la transmission de l’information entre les cellules nerveuses.

Une structure cérébrale dite profonde, car enfouie sous les hémisphères cérébraux, les ganglions de la base (ou noyaux gris centraux), est particulièrement touchée. Or, ils gèrent la transition d’une étape à l’autre d’un mouvement : l’altération de leur fonctionnement va donc affecter toute la production de mouvements rythmiques en perturbant les rythmes cérébraux nécessaires au déclenchement des sous-mouvements composant une action.

Une marche hachée est symptomatique de cette difficulté de passer d’un sous-mouvement à l’autre. Si un patient dont la marche est irrégulière peut continuer à pédaler de façon plus fluide, c’est parce que le pédalage est moins dépendant du traitement séquentiel des informations sensorielles.

Le cycle de marche exige en effet la prise en compte de nombreuses informations sensorielles (par le cortex prémoteur) qui rendent compte tant des contraintes de l’environnement que de la bonne exécution du mouvement en cours : ce processus porte le nom d’intégration. La bonne connexion entre cortex et ganglions de la base permet l’adaptation de la marche aux spécificités de l’environnement – virage à anticiper, escalier à négocier, rue à traverser…

La perte des neurones à dopamine inhérente à la maladie de Parkinson empêche l’établissement de ces connexions (on parle de circuitopathie). Un large spectre d’effets moteurs en est la manifestation, de la locomotion à l’élocution.

 

Les effets de la musique

Pourtant ce déficit peut être surmonté par une stratégie simple : en tirant simplement profit de l’appétence du cerveau pour des rythmes « pertinents », ceux avec lesquels nous pouvons synchroniser nos mouvements.

L’utilisation d’une horloge externe fournissant des repères réguliers, comme des stimulations auditives périodiques, permet de compenser les difficultés d’initiation et de maintien du mouvement en redonnant une structure temporelle aux actions. Cette stratégie est appelée « indiçage ».

Les patients bénéficient de cet indiçage qu’il soit visuel, tactile ou auditif – ce dernier permettant plus facilement de discriminer les rythmes envoyés. En témoigne une augmentation de la cadence et de la longueur des pas ainsi qu’une correction des asymétries de la démarche. Le patient marche plus vite et sa stabilité accrue réduit le risque de chute. Cette amélioration traduit le meilleur couplage entre flux auditif et appareil locomoteur au niveau du cerveau. Ces bénéfices se prolongent au-delà des séances de marche en musique.

Il y a deux explications possibles (qui ne sont pas exclusives) à ces améliorations :

  1. L’activation résiduelle des ganglions de la base
  2. La mise en place de mécanismes compensatoires qui reposeraient sur le cortex et le cervelet. L’hyperactivation du cervelet a d’ailleurs été rapportée chez des patients lors de tâches de coordination sensori-motrice.

 

Un élément majeur a été émis en évidence : la précision de la perception du rythme détermine la force du couplage entre la locomotion et la musique.

Des tests ont été développés pour évaluer nos capacités de perception d’une part, et nos capacités de synchronisation de nos mouvements avec la musique d’autre part. Par exemple remarquons-nous le décalage entre un métronome désynchronisé et les pulsations de la musique ? Sommes-nous capables de battre la mesure de morceaux à la rythmicité plus ou moins évidente ?

La précision de la perception du battement et de sa régularité est représentative des capacités de coordination, et peut être comparée à des normes établies. Ce qui permet d’en quantifier l’altération et peut parfois de servir d’aide au diagnostic.

 

Une rééducation possible

Il existe une apparente contradiction entre l’influence bénéfique de l’indiçage et la détérioration de la perception des patients.

L’évaluation concomitante des capacités de perception et de la démarche sous l’influence de stimulations auditives a permis de clarifier ce point. Les patients qui bénéficient le plus de l’indiçage sont ceux qui ont préservé leurs capacités perceptives. Cela renforce l’hypothèse de la primauté de la force du couplage audio-moteur pour prédire les bénéfices de l’indiçage.

Les conséquences de la dégradation de la perception ne sont cependant pas une fatalité. Un réentraînement est possible grâce à des jeux sérieux au cours desquels le patient réapprend à se synchroniser avec la musique, à la danse qui est une activité de synchronisation sensorimotrice par excellence, etc.

Si la marche est améliorée par des indices auditifs délivrés au bon tempo, l’interactivité de ces stimulations est aussi un facteur essentiel à considérer pour améliorer la force du couplage.

Nous avons montré que le contrôle en temps réel de la relation entre les pulsations musicales et les pas du patient, par l’adaptation en continu du tempo musical, garantit un couplage audio-moteur idéal. Associés aux effets positifs de la musique, neurochimiques par la libération des hormones du plaisir, et psychologiques par le sentiment d’évasion qu’elle procure, les effets de la stimulation sur la marche sont immédiats. Les bénéfices de l’indiçage s’en trouvent encore améliorés.

L’un des défis actuels est d’évaluer les effets à long terme d’une telle approche.

 

Des perspectives à moyen et long termes

La pleine perception de la musique passe par des structures motrices : n’a-t-on pas besoin de mettre tout notre corps en mouvement pour battre la mesure d’un morceau difficile ? Le recouvrement entre les structures de notre cerveau qui nous permettent de percevoir, et celles qui nous font bouger, ouvre une opportunité thérapeutique.

La rééducation du mouvement par la musique renforce en effet les liens entre la perception auditive rythmique et le comportement moteur. La musique s’immisce dans les réseaux moteurs du cerveau et peut compenser certains déficits créés par la maladie de Parkinson. Cette approche peut contribuer à améliorer la qualité de vie des patients et à réduire leur dépendance aux médicaments. Il s’agit donc d’un puissant outil de rééducation complémentaire de la thérapie pharmacologique.ré

D’autres pathologies présentant des déficits de la motricité sont également concernées. Sclérose en plaques, suite d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore diabète de type II sont en cours d’études au sein de notre équipe.

 

 

Loïc Damm, Postdoctoral Researcher, Université de Montpellier; Benoît Bardy, Professeur en Sciences du Mouvement, fondateur du centre EuroMov, membre de l’Institut Universitaire de France (IUF), Université de Montpellier et Valérie Cochen de Cock, Docteure en neurologie, chercheuse HDR au sein de l’unité EuroMov Digital Health in Motion, Université de Montpellier – IMT Mines Ales, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Les indices boursiers sous l’emprise des ETF : une distorsion du marché

CAC 40, Nasdaq ou Dow Jones pour ne citer que les plus connus, les indices sont l’outil le plus simple pour comprendre en une fraction de seconde le comportement des marchés boursiers. Ou du tout du moins, c’est la vision traditionnelle que nous avons à leur sujet…

Prenons par exemple le CAC 40 : comme tous les investisseurs le savent, cet indice représente les 40 valorisations les plus élevées de la bourse française. Tandis que celui-ci vient d’atteindre un plus haut historique à l’heure de l’écriture de ces lignes, la logique voudrait que ces 40 valeurs soient dans une forme resplendissante. Mais est-ce vraiment le cas ? Pas vraiment…

En réalité, sous l’effet des champions du CAC que sont LVMH, Hermès ou L’Oréal (près de 40 % de la capitalisation totale à eux trois), le CAC 40 doit maintenant plutôt être considéré comme un indice du luxe que comme une mesure de l’économie française.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour le comprendre, il est nécessaire de se pencher sur l’inexorable ascension des ETF et de la gestion indicielle.

 

Les ETF profitent beaucoup aux grandes valeurs

Beaucoup moins chargés en frais que les fonds d’investissement classiques, les ETF (ou trackers) sont des supports automatisés qui répliquent automatiquement les performances d’indices. Or, statistiquement, ces ETF obtiennent de meilleures performances que les fonds d’investissement humains près de 9 fois sur 10. Pourtant, l’objectif des fonds actifs est justement de battre ces indices…

En combinant simplicité et performances, il est donc facile de comprendre l’engouement pour les ETF et leur part croissante dans les portefeuilles de tous les gestionnaires de la planète.

Toutefois, une conséquence à l’achat d’ETF est que beaucoup d’investisseurs font dorénavant l’économie d’analyses fastidieuses à la recherche des meilleures valeurs du marché. En lieu et place, ces investisseurs achètent des packs de valeurs prêts à l’emploi. Or, cet afflux massif d’argent profite naturellement aux valeurs qui se taillent déjà la part du lion dans ces indices. Par conséquent, les écarts de valorisation entre le haut et le bas du panier augmentent mécaniquement.

Autrement dit, alors qu’auparavant, la valorisation d’une entreprise reposait essentiellement sur ses perspectives de croissance, les flux drainés par les ETF profitent aveuglément aux premières valorisations d’un indice, engendrant un effet boule de neige pour celles-ci.

Ainsi, sur le CAC 40, les trois premières valeurs que sont LVMH, L’Oréal et Hermès représentent près de 40 % de la valorisation totale de l’indice ! Certes, ces sociétés sont des modèles de rentabilité, mais combien d’investisseurs en ETF CAC 40 savent qu’en réalité, près de 40 % de leur placement est capté par ce trio de tête ? Parmi les investisseurs débutants qui découvrent la bourse à travers les ETF, le doute est de mise.

Dans ces nouvelles conditions de marché, il est difficile d’interpréter les variations du CAC 40 sans prendre en compte la distorsion induite par les ETF par rapport aux critères de valorisation passés…

 

Apple et Microsoft au firmament

De l’autre côté de l’Atlantique, cette dynamique sur les ETF est aussi très palpable, avec des conséquences assez inattendues.

Ainsi, alors que l’on pensait l’acronyme GAFAM (Google – Apple – Facebook – Amazon – Microsoft) particulièrement bien installé, la concentration est également à l’œuvre !

En effet, d’après le Wall Street Journal, la part combinée d’Apple et Microsoft a atteint 13,30 % du S&P 500 en mars 2023, l’indice des 500 plus grandes capitalisations américaines. Les valeurs les plus importantes deviennent des valeurs refuges, non plus seulement pour leurs caractéristiques intrinsèques, mais aussi grâce à cette nouvelle dynamique des flux, alimentée en grande partie par les ETF.

Pourtant, les difficultés qui ont touché Google, Amazon ou Facebook (avec des chutes de capitalisation de près de moitié) étaient aussi à l’ordre du jour du côté d’Apple et Microsoft. Pour ces raisons, de nombreux analystes n’hésitent pas à affirmer que tant que les valorisations de Microsoft et surtout Apple ne se retournent pas brutalement, il n’y aurait pas matière à sérieusement s’inquiéter dans le cas d’une baisse brutale des marchés financiers.

Mais si un tel scénario devait arriver, il est sûr que les marchés actions traverseraient une forte période de turbulences, le temps que le marché se crée de nouveaux repères. Peut-être au profit de valeurs délaissées, parce que situées en bas des indices ?

Dans le contexte actuel, de nombreux analystes pensent en effet que de très bonnes affaires sont à réaliser dans ce compartiment dans le cadre d’un stock picking, même si à ce jour, une liquidité amoindrie sur ces valeurs en cas de choc boursier est le principal inconvénient aux yeux des investisseurs institutionnels.

 

Conclusion

En théorie, investir sur les marchés boursiers via des ETF, que ce soit via un compte-titres ou une assurance vie, a beaucoup de sens. Mais si l’espace d’un instant, tous les investisseurs ne procédaient que via des ETF, la conséquence immédiate serait que la bourse ne pourrait plus jouer son rôle de filtre entre les valeurs. Elle perdrait donc son utilité !

Que conclure ?

Bien que nous soyons très loin de ce scénario, les flux d’argent apportés par les ETF constituent néanmoins une lame de fond qui complexifie la compréhension des marchés financiers. De plus, les valeurs gagnantes dans leurs indices respectifs (Apple, LVMH notamment) pourront-elles continuer de grimper indéfiniment ? Cela viendrait heurter de plein fouet l’adage selon lequel les arbres ne montent pas jusqu’au ciel…

Émettre un avis serait particulièrement hasardeux. Mais une chose est sûre, les investisseurs, experts comme débutants, ont tout intérêt à comprendre le poids croissant des flux ETF dans la composition des indices si leur objectif premier est justement de diversifier…

Contre la croissance de la décroissance, faut-il se tourner vers le progrès technologique ?

Le concept de décroissance est de plus en plus présent en France : au cœur des débats politiques, dans les médias, les corps intermédiaires, le tissu associatif, les milieux des arts et de la culture, la recherche, les universités et les grandes écoles.

On ne compte plus les conférences, colloques, salons, séminaires sur la décroissance présentée sous toutes ses formes et vertus : les décroissances carbone, verte, radicale, partielle, anticapitaliste, imposée, choisie, sectorielle, industrielle, numérique, technologique, globale, unilatérale… Toutes les options sont disponibles sur la table.

Il suffit d’un peu d’imagination et de courage politique pour les mettre en œuvre en s’appuyant sur une doctrine, un rapport du GIEC, une charte ISR, un support RSE, une initiative de Team building ou une fresque du climat réalisée avec rigueur.

Ce foisonnement d’itinéraires potentiels vers la décroissance nous montre que le sujet, au moins en France et chez les plus jeunes générations, a su traverser toutes les crises majeures (pandémie covid, inflation, guerre aux portes de l’Europe) sans perdre de sa puissance.

 

La décroissance, un concept français en pleine croissance

Il est parfaitement adapté à la montée de l’éco-anxiété et d’une forme de pessimisme générationnel né d’une planète en surchauffe à laquelle s’ajoutent souvent quelques frustrations personnelles.

Par ailleurs, la décroissance bien packagée se vend plutôt bien, si l’on se réfère aux rémunérations de 2000 euros à 7000 euros l’heure de conférencier chez les stars du domaine. Ce dernier point met en lumière un premier décalage sémantique avec un concept « chimiquement pur » de décroissance anticapitaliste qui fait l’objet ici d’un peu de « dilution ».

L’adaptation locale du dogme est nécessaire car : « les temps sont durs pour tout le monde, il faut bien vivre, et ce sont les odieux capitalistes qui osent s’offusquer de la croissance des conférences de décroissance, dans le but d’interdire tout débat ». La lutte des classes reste la meilleure des alliées quand il s’agit de se justifier après avoir succombé à quelques tentations capitalistes.

Mais revenons à l’idée de décroissance.

Un concept dénué de champ d’application est condamné à s’évaporer dans l’espace des idées. Il perd rapidement son intérêt auprès du grand public. Il faut donc lui donner corps à travers un projet politique, une mesure sociale, une norme ou une borne. Ainsi, pour incarner la décroissance à l’échelle nationale puis européenne, certains théoriciens proposent de travailler sur une double limitation imposée :

À l’échelle individuelle

Il s’agit d’une limitation inférieure positive garantissant un revenu minimal à tout Européen actif ou non. Cette mesure ressemble fort à la mise en place d’un revenu universel, qui n’est pas sans intérêt face aux effets schumpétériens attendus de la double révolution technologique de l’intelligence artificielle et de la robotique.

À l’échelle nationale

Il s’agit d’une limitation supérieure négative en instaurant, unilatéralement, un PIB maximal à ne plus dépasser. C’est un peu comme le taux maximal d’alcool dans le sang pour conduire, ou une limitation à trois vols en avion par vie humaine.

On demande à la France de limiter son développement économique, financier, technologique sous la barre d’un PIBmax. Le concept de PIBmax unilatéral doit se comprendre en complément des limitations déjà proposées dans les transports, l’aéronautique, le spatial, l’industrie, la construction, le BTP, l’agriculture, le numérique. On instaure des bornes sectorielles couvrant l’ensemble des activités humaines, puis on complète ce corpus par une borne globale de PIBmax.

Du côté des anticapitalistes décroissants, on estime que la France, à l’avant-garde de la décroissance universelle, serait le premier pays à faire preuve de courage et d’abnégation en installant unilatéralement le PIBmax. Ceci fait, elle partirait ensuite en croisade pour convaincre le reste du monde de l’imiter.

 

Conséquences directes et effets collatéraux

Partons de cette hypothèse PIBmax et essayons d’imaginer les conséquences directes et les effets collatéraux d’une telle mesure.

En toute rigueur, il faudrait construire un simulateur numérique à partir d’un modèle, et le laisser tourner sur cette donnée d’entrée. Sans l’aide de ce simulateur, on peut tout de même imaginer quelques effets immédiats, avec toutes les précautions utiles dans ce genre d’exercice de prévision.

Il faut distinguer les effets courts termes/longs termes, nationaux/internationaux.

Un gouvernement s’engageant dans une politique de PIBmax devrait l’avoir préalablement inscrit dans son programme et avoir été élu pour le mettre en place. On peut penser que ce gouvernement l’aurait astucieusement associé à l’instauration du revenu universel (RU). L’association RU et PIBmax pourrait objectivement séduire une majorité d’électeurs lassés des crises économiques, de la précarité, de l’inflation et du déclassement.

Passons cette étape, et imaginons que la double mesure soit votée.

Comment l’appliquer concrètement ? Il faut financer le RU sans compter sur la croissance économique, puisque celle-ci a été artificiellement limitée.

Comment limiter ensuite le PIB ? Doit-on arrêter toute activité humaine au 250e jour de l’année lorsque PIBmax est atteint ? Doit-on redistribuer le PIB excédentaire interdit ? si oui, vers qui ou quoi ? au détriment de qui ? Comment les catégories actives, les forces vives de la nation pourraient accepter ce « shut down » économique ? les entreprises, startups, ETI, grands groupes pourraient-ils s’adapter à cette discontinuité ? La création de valeur ne serait-elle pas immédiatement transférée aux pays voisins qui n’ont pas fait le choix de PIBmax ? Individuellement, les talents, ingénieurs, chercheurs, créateurs de pépites industrielles ne seraient-ils pas tentés par la délocalisation ?

Bien entendu, nous n’avons pas la prétention d’apporter des réponses à ces questions. Nous en dressons seulement une liste qui pourrait accompagner la construction d’un simulateur d’impact.

Poursuivons notre réflexion.

La France installe le double dispositif RU-PIBmax. Comment faire face à l’afflux de réfugiés économiques qui, de manière très rationnelle, vont rapidement frapper à la porte et prétendre au RU ? Comment le financer si, par ailleurs, on a coupé le robinet des recettes par la limitation PIBmax ?

C’est à l’échelle internationale que les effets du PIBmax seraient les plus dévastateurs : l’industrie française résiduelle, celle qui n’aurait pas délocalisé ses moyens de production et de vente, ne serait plus en mesure d’être compétitive sur le marché mondial. Elle sortirait des mécanismes de marché et devrait se contenter du marché intérieur, lui aussi fortement impacté par la règle du PIBmax et par les turbulences sociales face à une promesse de RU non tenue dans le temps. On imagine où se situerait la note de la France sur les marchés financiers et le niveau de la dette française post PIBmax…

En dehors de nos frontières, comment espérer convaincre 98 % de la population mondiale des bienfaits de la décroissance ?

Comment expliquer au gouvernement du Nigeria qu’il faut décroître ? Comment parler aux pays d’Afrique de l’Ouest qui ne sont plus les amis naturels de la France ? Comment convaincre l’Inde,  l’Asie, l’Amérique du Sud, les BRICS que les chemins du progrès technologique, de la croissance économique ne mènent nulle part et que seule la France sait comment ils doivent corriger leurs trajectoires dans une planète qui brûle ? Quelles seraient alors leurs réponses ?

À l’heure actuelle, la décroissance n’est pas une option acceptable dans 95 % du monde. La partition Chine – USA, la guerre russo-ukrainienne nous ramènent aux rapports de forces géopolitiques qui ont produit les deux guerres mondiales.

Chaque camp se prépare à la confrontation dans une croissance absolue, universelle, qui se situe à l’opposé de ce qu’on imagine dans certains salons parisiens. L’arrogance française, bien connue au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie serait immédiatement dénoncée. On entendrait alors ce type de reproches : « Mais qui sont ces Français donneurs de leçons qui ont profité de la croissance pendant plusieurs siècles et qui veulent nous l’interdire ? » ; « Quelle est la légitimité de la France (et de la vieille Europe) dans le choix stratégique du développement de l’Asie, de l’Afrique, du Moyen-Orient ? »

Comment oserions-nous donner des leçons au reste du monde alors que nous avons du mal à gérer notre propre déclassement ?

L’idée d’une croisade planétaire affirmant les bienfaits de la décroissance est une forme de néocolonialisme cognitif arrogant. C’est une utopie idéologique destructrice pour le rayonnement et la crédibilité de la France à l’étranger.

D’un point de vue strictement comptable, avec 1 % de la production mondiale de CO2, une décroissance forcée de type PIBmax n’aurait par ailleurs aucun impact dans le bilan mondial.

 

La décroissance n’étant pas la solution, que faire ? 

Il existe une autre voie que celle de la décroissance unilatérale pour lutter contre le réchauffement climatique.

Cette voie est celle du progrès technologique mis au service de la résolution du défi climatique. C’est précisément la stratégie choisie par la Chine et l’Amérique du Nord pour limiter, puis résoudre la crise.

Il y a fort à parier qu’à l’horizon 2050 nous disposerons des premiers outils technologiques de maitrise physicochimique de l’atmosphère, déployables à l’échelle planétaire. Il s’agit initialement de prévisions de la NASA, et de l’astrophysicien Carl Sagan réévaluant l’échelle de Kardachev proposée en 1964 pour la classification des civilisations technologiques. La maitrise de l’atmosphère est l’une des sous-conditions de développement des civilisations de type I, avec la conquête du système solaire, de ses sources d’énergie et de ressources.

Bien entendu, les théoriciens de la décroissance répondront immédiatement qu’il ne s’agit que de promesses relevant d’un technosolutionnisme béat face au défi climatique. Ils décrètent que le progrès technologique n’est pas et ne sera jamais une solution efficace.

Cette réponse est aujourd’hui quasi automatique chez les anticapitalistes technophobes. Là aussi il y a un verrou idéologique à dépasser. À la base de tout progrès scientifique, il y a toujours une phase de technosolutionnisme. C’est la phase du « Allo Houston, on a un problème. On va le résoudre ! ». La solution technologique viendra après, car il n’existe aucune raison objective pour que cette solution n’apparaisse pas.

Quel visage aura la France dans 10 ans ?

Je suis récemment intervenu dans le cadre d’un groupe de réflexion où l’on m’a demandé de me livrer à un petit exercice de prospective sur « La France dans 10 ans » dans mes domaines d’expertise, à savoir la démographie et l’économie. Je me suis dit que ces réflexions pouvaient également intéresser mes lecteurs, d’où cet article.

Disons-le d’emblée : à moins de véritables miracles, la situation en France dans 10 ans sera pire qu’aujourd’hui !

Toutes les données stables sont en effet mauvaises, la démographie comme la productivité. Mais comme un homme averti en vaut deux, ce qui suit a pour objectif de déclencher des réactions pour « faire des miracles ».

Commençons par ce qui est presque certain.

 

La pyramide des âges française

Si nous considérons la pyramide des âges telle qu’elle est aujourd’hui, nous remarquons que les classes creuses sont celles de 1973 à 1999, c’est-à-dire des adultes qui ont entre 24 et 50 ans aujourd’hui. Ils auront donc entre 34 et 60 ans dans dix ans. Inversement, les classes pleines rassembleront les plus de 60 ans.

Bref, ce sera pire dans dix ans.

Cette pyramide des âges sera déformée par l’immigration et l’émigration.

 

L’immigration telle qu’on la craint

Je n’aime pas le mot « immigration » car il est employé très loin de sa définition, et souvent pour faire peur.

Nota bene : ci-après, je parlerai de « flux » et de « stock » alors que les deux termes sont souvent confondus dans le langage courant et par des journalistes. Cela fera plaisir aux scientifiques mais peut intriguer les autres. Explication par l’exemple : si le flux d’immigration est de 200 000 par an, le stock correspondant est de 800 000 au bout de quatre ans. 

À son sens propre, l’immigration, c’est le nombre de personnes devenant résidents français chaque année, donc un flux. L’ordre de grandeur est de 200 000 par an, auquel s’ajoute un nombre inconnu par définition de migrants clandestins.

Je n’ai pas dit « sans-papiers » à dessein : ces derniers sont recensés et sont en attente d’une réponse à leur demande d’asile… pour souvent plonger dans l’informel dans un deuxième temps, si elle est refusée.

Mais ce mot « immigration » a un sens courant très différent de son sens propre, surtout chez les démagogues qui veulent exploiter l’inquiétude des Français dans ce domaine : ils parlent de l’immigration pour évoquer le stock des migrants et de leurs descendants. C’est la raison pour laquelle il vaut mieux dire, comme le font certains commentateurs sérieux, la population « issue de l’immigration ».

Cette population est difficile à évaluer, et elle est souvent gonflée par des démagogues, ou sous-évaluée par d’autres démagogues d’idéologie inverse. Les premiers pensent que l’assimilation est impossible, et les seconds qu’elle n’est pas souhaitable par respect des cultures d’origine.

À mon avis, les deux se trompent.

Ceux qui pensent que l’assimilation n’est pas souhaitable et que le multiculturalisme sera un progrès devraient jeter un œil sur le Liban : ce pays, qui était comparé à la Suisse, a sombré dans de multiples guerres civiles qui ont fait fuir les élites, et en particulier les chrétiens francophones.

Cela se terminera probablement par un gouvernement islamiste dépendant du Hezbollah, « le parti de Dieu » soutenu par l’Iran. Un pas dans ce sens est l’interdiction ce mois de mai 2023 du maillot de bain sur la grande plage de Saïda.

Ceux qui pensent que l’assimilation est impossible n’ont qu’une vue très partielle : ils ne remarquent que les non assimilés, c’est-à-dire la première génération, ce qui est bien naturel, et une partie de la deuxième.

Ne soyons pas hypocrites : ils ciblent les populations d’origine arabe ou musulmane, en oubliant qu’elles ne représentent qu’une partie, certes importante, de la population issue de l’immigration. En particulier, les chiffres de stock qui circulent sont ceux de l’ensemble de la population issue de l’immigration non européenne, qui comprend bien d’autres composantes.

L’erreur est de penser que ces populations étaient musulmanes dans leur totalité lors de leur entrée en France, et que la religion va se transmettre indéfiniment au fil des générations.

Or, l’expérience montre que l’assimilation est un mécanisme quasi-automatique : les parents ou les grands-parents découvrent un jour que leurs descendants sont français. Dans certains groupes, c’est le cas dès la deuxième génération, dans d’autres surtout dans la troisième.

Cette assimilation est accélérée par les mariages mixtes, qui sont fréquents.

Bref, dans dix ans, l’assimilation aura grosso modo compensé les nouvelles arrivées, si elles restent au niveau actuel. Bien sûr, n’étant pas prophète, je ne peux pas vous garantir qu’il n’y aura pas de panique migratoire ou antimigratoire qui pourrait changer cela.

Quant à l’action très réelle des mouvements islamistes, des mafieux et autres perturbateurs, c’est un problème d’ordre public. Sujet très délicat, qui n’est pas celui de cet article démographique et économique.

 

L’immigration telle qu’on la souhaite

Presque tous les métiers sont à court de personnel, et l’économie française est bloquée à tous les niveaux, des moins qualifiés aux plus qualifiés.

Nous avons vu que la pyramide des âges nous dit que ce blocage ne fera que s’accentuer.

Or, il est patent que les Français ne veulent pas travailler davantage : dans les dix ans qui viennent, aurons-nous un gouvernement qui reviendra sur les 35 heures, les cinq semaines de congés payés, la retraite à 62 ans en moyenne, comme en témoignent les violents remous contre le passage à 64 ans d’une partie des promotions concernées ?

Un miracle à espérer !

Il ne reste donc mathématiquement que deux solutions : une vigoureuse croissance de la productivité et l’immigration.

Or, l’émigration des Français va encore aggraver le problème démographique.

 

L’émigration

Elle est très importante : dans ma famille, et dans celles de beaucoup de personnes que je fréquente, les enfants partent à l’étranger, et on ne sait pas s’ils reviendront un jour.

Et même s’ils reviennent, « le stock » de Français à l’étranger, déjà important, va croître rapidement.

Cette émigration n’est pas mesurable, puisque quand vous quittez la France vous ne laissez aucune trace statistique disant que vous partez pour la journée ou pour la vie. Et comme elle n’est pas mesurée, on en parle peu, alors que c’est un élément très important.

J’avais déjà tiré la sonnette d’alarme en 2014 dans mon article « Émigration : chut… la France se vide », et cela n’a fait que s’accentuer depuis, notamment du fait de la mondialisation de l’information qui permet à chacun de saisir des opportunités à l’étranger.

Les conséquences économiques et identitaires sont évidemment catastrophiques.

 

La productivité

L’économie française, et celle de nombreux autres pays, est profondément perturbée par la baisse de la fécondité depuis des décennies, et donc aujourd’hui par celle de la population active.

Dans le cas de la France, cette baisse est plus limitée qu’ailleurs, mais son effet est renforcé par le fait que nous travaillons beaucoup moins que nos concurrents.

Comment faire face à cette insuffisance quantitative du travail français si nos concitoyens restent imperméables à la nécessité de travailler davantage ?

Mathématiquement, il faudrait augmenter notre productivité bien au-delà de celle de nos voisins.

Or, la productivité ne se décrète pas.

C’est le résultat d’un travail de fourmi dans chaque entreprise, dont le résultat dépend du niveau de formation des employés et du progrès technique, notamment la numérisation.

En sens inverse, la productivité est freinée par les dégâts de la bureaucratisation générale du secteur public et de certaines grandes entreprises. Par expérience professionnelle, je suis très sensible à cette bureaucratisation qui est un phénomène humain naturel, contre lequel il faut lutter sans arrêt.

La bureaucratisation est particulièrement envahissante en France du fait de notre centralisation, qui nous amène à multiplier les lois générales et les réglementations, pour s’apercevoir dans un second temps qu’elles s’appliquent mal dans certains cas avant de les compliquer ensuite par des exceptions.

Si chaque loi part d’une bonne intention – c’est du moins ce qui est affiché – leur cumul devient alors inextricable.

J’ai des amis experts-comptables qui passent ainsi leur mois de janvier, puis une bonne partie des mois suivants, à changer les programmes et les paramètres pour tenir compte des nouveautés de la gestion du personnel ou des nouvelles taxes, ou de nouvelles exceptions. Et qui assistent navrés aux fraudes et au trafic que cette complexité permet.

Le problème est analogue chez les pharmaciens qui passeraient plusieurs heures par jour, malgré l’aide des logiciels spécialisés, à régler non seulement les mêmes contraintes administratives que les autres Français, mais aussi le suivi des variations des règles de la sécurité sociale, ainsi que les enquêtes et renseignements sur la viabilité des ordonnances (dont les conditions varient dans le temps) et le suivi de certains produits utilisables par des toxicomanes…

À côté de cela, il y a tout ce qui touche les programmes scolaires et l’organisation scolaire plus soucieuse de l’égalité sociale que du maintien du niveau. Or, le déclin des compétences des élèves français est une des raisons de la stagnation de notre productivité.

Il y a également les réglementations environnementales et l’application des trouvailles de la bureaucratie européenne. Les agriculteurs subissent le cumul des deux, avec 40 % des dossiers à remplir destinés à Bruxelles.

Certes, l’administration française est dans l’ensemble bien numérisée, mais je me demande parfois si ça n’a pas un effet pervers.

De l’avis des intéressés, comptables, pharmaciens, agriculteurs et tous les autres… certaines complications seraient inapplicables sans ordinateur. Bref, la numérisation permet des complications réglementaires qu’il aurait été impossible de mettre en place sans elle.

De toute façon, je ne vois pas d’évolution importante prévisible dans les dix ans à venir touchant les principaux facteurs de productivité : même des réformes importantes de l’enseignement mettront des dizaines d’années à se répercuter dans la pyramide des âges.

Il faudra donc un miracle, par exemple des réformes fondamentales en matière d’autonomie locale et de décentralisation.

Autre miracle possible : une rupture technologique.

On parle par exemple beaucoup d’intelligence artificielle et récemment des robots conversationnels… Mais la première réaction de certains est de les bloquer !

De toute façon, il faut du temps pour transformer les structures professionnelles en conséquence. On se souvient qu’il a fallu un siècle pour que l’électricité transforme la vie quotidienne et l’industrie, et que ce n’est toujours pas fini pour les véhicules ! Il a également fallu des dizaines d’années pour que la numérisation soit efficace.

Nous voici donc une fois de plus ramenés à la soupape de l’immigration.

Mais cette nécessité mathématique n’est pas acceptée.

 

En conclusion : vers une hypocrisie sur l’immigration ?

Mon optimisme naturel m’amène à prévoir des miracles.

Un premier « miracle » est prévisible. L’homme est adaptable, il travaillera plus ou moins clandestinement pour obtenir ce qui manque : aide aux parents dans la famille, action bénévole et charitable à l’extérieur, vrai travail après la retraite, mais au noir, sauf si les gouvernants ont la sagesse de libérer totalement le cumul emploi-retraite, robots de compagnie…

On réalisera peut-être alors qu’on s’est fait rouler dans la farine par des démagogues vantant le miracle d’avoir à la fois davantage de temps libre et autant de services de la part du reste de la société. Je pense bien sûr aux plus tonitruants comme Mitterrand et Mélenchon.

Un deuxième miracle serait que l’un des blocages ci-dessus disparaisse, le plus important étant peut-être celui de l’enseignement. Les réformes de l’apprentissage vont dans le bon sens, ainsi que l’action conjointe d’Emmanuel Macron et du maire socialiste de Marseille pour des écoles plus autonomes. Mais elles sont rejetées par les syndicats d’enseignants.

Un autre miracle est possible : une meilleure gestion économique, juridique et surtout psychologique de la question migratoire.

Au Festival de géopolitique de Grenoble en 2019, j’exposais que les pays les plus opposés à l’immigration pour des raisons identitaires, dont, à l’époque, la Hongrie, seraient amenés à être hypocrites en la matière ou à faire disparaître leurs peuples pour « sauver leur identité », comme le Japon demain, ou la Chine après-demain.

C’est exactement ce qui est arrivé : la politique officielle reste la « fermeture migratoire », mais les entreprises sont cruellement à court de main-d’œuvre, les jeunes n’étant soit pas nés, soit partis en Allemagne. Ces pays font donc venir de nombreux étrangers, avec probablement la complicité passive des pouvoirs politiques.

On nage en pleine hypocrisie : on voudrait bénéficier du travail de la population issue de l’immigration, mais on ne supporte pas sa présence !

Les politiques auront cette contradiction à gérer.

Je ne critique pas les Français, car tous les pays ont une opinion publique opposée à l’immigration, du Japon à l’Afrique du Sud et au Chili. C’est donc dans ce domaine qu’un miracle serait très utile.

L’exemple des Allemands qui ont eu à gérer un brusque afflux de Syriens ne connaissant même pas l’alphabet latin nous montre que c’est possible. Et la Grande-Bretagne a connu plus de 600 000 arrivées nettes (immigration moins émigration) en 2022, dont plus de 400 000 principalement en provenance de l’Inde et du Pakistan, si on enlève les Ukrainiens et les Chinois de Hong Kong fuyant la répression de Pékin. Le Premier ministre conservateur, le chef du parti indépendantiste écossais et le maire de Londres sont d’ailleurs issus de l’immigration indopakistanaise !

Sur le web

Quand la haine des riches égare les scientifiques

Un article de l’Iref-Europe

 

Une étude de l’Institut des politiques publiques réalisée à partir des données de 2016 et sortie le 6 juin a découvert un moyen de soutenir que les riches ne payent pas assez d’impôts : elle attribue aux dirigeants et actionnaires d’entreprises des revenus qu’ils n’ont pas perçus.

 

Une escroquerie intellectuelle

Pour calculer l’imposition des plus riches, les auteurs de l’étude en question ajoutent à leurs revenus imposables des revenus fictifs : les cotisations sociales non contributives d’une part, et les bénéfices des sociétés dont les foyers fiscaux détiennent plus de 10 % du capital d’autre part.

Ils prennent en compte au titre des impôts la quote-part d’impôt sur les sociétés payée par le contribuable concerné (au prorata de sa participation dans le capital de chaque société) et une part minimale de coût de donation du capital correspondant sous le bénéfice d’un pacte Dutreil. Ces élucubrations, totalement factices et erronées, sont établies de manière sciemment minorée (le pacte Dutreil n’est pas toujours possible, ils calculent sur la base des donations mais pas des successions…). En outre, ils ne tiennent pas compte des autres impôts payés par les entreprises, pas plus que des impôts de succession que les particuliers payent sur leurs autres actifs, et des droits d’enregistrement et taxes immobilières locales ou autres qu’ils supportent.

Surtout, ils ne prennent pas en compte les impôts que les riches paieraient si les bénéfices qui leur sont affectés leur étaient distribués. Car alors ils paieraient sur ces dividendes le prélèvement forfaitaire unique de 30 %. Les auteurs savent bien qu’ils font un faux calcul. Ils le reconnaissent à mi-mot en notant au détour d’une courbe que si les bénéfices non distribués des sociétés contrôlées étaient pris en compte, le taux d’imposition des plus riches monterait à 59 %.

Mais le mal est fait. Leur étude a fait le buzz et le tour des journaux qui n’ont pas bien compris le tour de passe-passe ! C’est bien de l’escroquerie intellectuelle.

D’autant plus qu’au demeurant, même avec leurs calculs truqués, ils ne parviennent pas à démontrer grand-chose. Ils notent que « 95 % des 378 000 foyers au sein du top 1 % des revenus paient des impôts personnels importants du fait de la progressivité du barème. […] les 37 800 foyers fiscaux aux revenus les plus élevés (le top 0,01 %) bénéficient d’un taux global d’imposition plus faible », le taux d’imposition passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches (les « milliardaires »).

Ils reconnaissent d’ailleurs que ce constat tient au fait qu’ils ont intégré les revenus (fictifs) des sociétés, la grande majorité des revenus des 0,01 % des ménages les plus riches pris en compte par l’étude provenant de la manipulation faite par ladite étude pour intégrer dans le revenu de ces contribuables une quote-part des profits des entreprises dont ils sont actionnaires.

Il y a là évidemment une méconnaissance totale du fonctionnement de l’économie.

D’abord parce qu’un actionnaire ne contrôle pas une société avec 10 % de son capital mais plutôt avec 50 % ou, dans les plus grandes sociétés cotées, avec plus de 30 % en général, et selon le critère retenu par la bourse.

Ensuite, parce que les profits non distribués sont destinés à être mis en réserve et utilisés pour le développement de l’entreprise, pour payer ses besoins de fonds de roulement (c’est-à-dire le cash nécessaire pour supporter les besoins de financement requis généralement par le développement du chiffre d’affaires) et les besoins d’investissements.

Par ailleurs, les auteurs de l’étude tiennent compte des profits, mais pas des pertes.

Ils méconnaissent surtout que les entreprises payent bien d’autres impôts que l’impôt sur les sociétés : les impôts de production par exemple, qui se montaient à 78,1 milliards d’euros en 2016 – l’année de l’étude. Par comparaison, le produit de l’impôt sur les sociétés pour 2016 a été de 30 milliards !

Alors pourquoi prendre le seul impôt sur les sociétés dans l’étude de l’IPP ?

Pour parvenir au résultat désiré, bien entendu. Ce n’est plus une étude universitaire, mais une tentative de perversion construisant des arguments bancals pour soutenir les préjugés d’enseignants, dits chercheurs, payés par nos impôts. C’est une tromperie de grande envergure, à la Piketty, qui ose prétendre, comme Marx en son temps, à une analyse scientifique quand il ne s’agit que d’une mascarade idéologique.

S’ils avaient été logiques avec eux-mêmes, les auteurs de l’étude auraient dû d’ailleurs réintégrer aussi dans les revenus les cotisations retraites qui représentent pour leurs bénéficiaires des avantages à terme, comme les profits non distribués. Mais les falsificateurs ne retiennent jamais que les faits susceptibles de parler à leur avantage.

 

La vraie justice

Certes, on peut s’étonner qu’en France tant de niches fiscales, improprement appelées en langage techniques des « dépenses fiscales », permettent à tant de gens de s’exonérer d’impôts et de charges sociales. Ce sont autant d’injustices créées par la puissance publique elle-même qui dispense, à son gré, les uns ou les autres de l’impôt ou de charges.

Mais de la même façon, la progressivité, dont les tranches et les taux sont fixés de manière tout aussi arbitraire, crée des injustices au bon vouloir de la puissance publique.

Les auteurs de cette note de l’IPP rappellent que la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 définit un principe de répartition de la charge fiscale, « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Ils s’étonnent que ce texte ne fixe pas de taux de progressivité. Par-là, ils méconnaissent qu’en langage de la fin du XVIIIe siècle « en raison » signifie « à proportion », ce qui veut dire que l’impôt, selon la déclaration de 1789, devrait être un impôt proportionnel et non progressif.

Sur la base des revenus fiscaux de référence, ils notent qu’en 2016, les revenus imposables ne représentaient en France que 1000 milliards d’euros alors que les revenus effectifs, avant abattements fiscaux et application des 500 à 700 niches fiscales et sociales recensées, devraient représenter environ 1600 milliards d’euros. Cette analyse est exacte. Mais pas les conclusions qu’ils en tirent.

La solution est sans doute d’établir un impôt proportionnel à un taux raisonnable (15 % ?) au-delà d’une franchise proche des abattements familiaux et conjugaux actuels, et de supprimer toutes les niches fiscales. Nous retrouverions alors une vraie justice fiscale et chacun, riche ou moins riche, paierait à proportion de ses revenus réels.

Sur le web

I.A -t-il un pilote dans l’avion ?

Le DragonFly (libellule) est un modèle d’avion biplace de tourisme conçu par l’ingénieur aéronautique Elbert Leander Rutan, dit Burt Rutan. Jusque-là, pas de quoi affoler les passionnés d’aviation, bien au contraire, et encore moins les équipages professionnels.

Mais DragonFly, c’est aussi un projet initié par Airbus et sa filiale dédiée à l’innovation AirBus UpNext.

Selon l’avionneur, DragonFly vise à améliorer encore la sécurité de ses passagers. Ce dernier expérimente en effet depuis plusieurs mois un long courrier A350 – 10001, un système permettant à l’appareil de se poser sans aucune assistance des pilotes.

En janvier 2023, Airbus annonçait ainsi avoir réussi la prouesse de dérouter et faire atterrir l’avion sans pilote… Si l’information fait parler, il est utile de rappeler que quatre ans auparavant, en décembre 2019, Airbus avait déjà réalisé, non pas un déroutage et un atterrissage, mais un décollage 100 % automatique de l’un de ses appareils : « Huit vols automatiques ont ainsi décollé de l’aéroport de Toulouse-Blagnac le 18 décembre 2019 ».

Certes, il y avait alors des pilotes à bord. À l’époque, ces tests s’inscrivaient dans un projet d’automatisation d’Airbus, ATTOL (Autonomous Taxi, Take-Off & Landing), qui visait, comme le rapportait Alexandre Boero (Clubic), à « faire rouler, décoller et atterrir un avion commercial de façon autonome »…

Plus avant, le 10 août 2020, l’ambition semblait bien différente de celles que l’avionneur avance aujourd’hui. Airbus expliquait alors, « avoir conclu avec succès sa campagne de projet d’avion de ligne autonome,  ATTOL », en testant un vol complet sans pilote sur un A 350, intégrant le roulage, le décollage et l’atterrissage, ce qui est éloigné du discours de sécurité aujourd’hui avancé pour ce qui est de DragonFly…

 

Si les pilotes de ligne s’inquiètent et alertent « d’être un jour remplacés par l’intelligence artificielle », le constructeur quant à lui assure que les recherches menées n’ont pas cette vocation.

Airbus affirme travailler sur des technologies au service d’une sécurité à bord accrue. Pour autant, en 2023, comme je l’ai évoqué, et au vu des différentes réussites précédentes, l’avionneur peut se prévaloir de pouvoir faire rouler, décoller, dérouter et atterrir un avion de sa flotte de façon autonome.

Quels que soient les discours que tient la firme pour rassurer les pilotes, le développement à vitesse supersonique de l’IA ne peut qu’accélérer encore la fiabilité de vols sans pilotes, qui, hormis rassurer les passagers, seront de moins en moins indispensables.

À l’instar de la voiture autonome, il est tout à fait vraisemblable – en attendant une acceptation sociale – que la réduction de personnel puisse advenir. Il n’est pas utopique d’imaginer que la fiabilité de l’IA entraînera des évolutions majeures au niveau des équipages, notamment et dans un premier temps – ce que craignent les pilotes –  la suppression du poste de copilote. Quant à savoir si cela entraînera une évolution encore plus radicale de la profession de pilote, qui… à terme, restera au sol… L’histoire de l’aviation nous le dira.

 

Des passagers-pionniers de l’avion autonome en 2030 ?

Que l’avionneur dise vrai (cf. sécurité augmentée), peut-être. Que les pilotes s’inquiètent, c’est fondé.

Une autre question est déterminante : l’acceptation par le public d’une telle évolution.

En quelle année 366 personnes monteront sereinement dans un avion, où une voix annoncera… « Préparez-vous au décollage, il n’y a pas de pilotes dans l’avion… » ?

Il s’écoulera encore quelques années. Pour autant, une étude menée en 2019 par la société Ansysrévélait que « les deux tiers des voyageurs seraient prêts à monter dans un avion autonome une fois dans leur vie ».

Ce pourcentage est toutefois à relativiser, la même étude révélant que « seulement 58 % envisageraient de franchir le pas dans les dix prochaines années, tandis que 12 % préféraient attendre plus de dix ans ». Ce qui indique donc aux avionneurs des premiers passagers « compatible IA », dans les années 2029-2030… Autant dire demain.

De la voiture autonome à l’avion autonome, il n’y a donc plus qu’un pas. Par-delà le discours du constructeur, l’inquiétude des pilotes que j’ai pu évoquer… Il est des faits tangibles : cela a été pensé, c’est réalisable.

Plus encore, cela ne constituerait qu’une évolution d’usage supplémentaire de l’IA, déjà omniprésente dans le transport aérien : pour réduire les coûts et mesurer les performances, améliorer la gestion des risques, optimiser l’utilisation de l’espace aérien, optimiser les réservations, etc.

Cependant, et, quand bien même l’avion autonome sera vraisemblablement assez rapidement opérationnel pour assurer des vols traditionnels en sécurité, si cela peut un peu rassurer les pilotes, et à l’instar de la voiture autonome, se poseront alors des problèmes inextricables d’assurance en termes de responsabilité… et même si je ne l’ai pas développé, qui dit IA, en éventuelle absence de pilote, aussi sécurisée soit-elle, dit un nouveau risque non négligeable : celui du hack.

Rendez-vous en 2030.

 

« Dans quelques années, les avions seront pilotés par un commandant et un chien. Le travail du chien sera de surveiller les boutons pour que le pilote ne touche à rien. » Scott Adams

 

  1. Un long courrier A350 – 1000 dispose de deux pilotes et de huit membres d’équipage de cabine au minimum selon sa configuration, sa longueur est de 74 mètres, sa masse maximale au décollage (MTOW) est de 316 tonnes ; il peut accueillir 366 sièges dans une configuration 3 classes standard et son autonomie est de 14 800 km…)

La diabolisation du RN ne fonctionne plus

En juin 2022, le Rassemblement national a fait entrer 88 députés à l’Assemblée nationale alors même que les règles du scrutin majoritaire à deux tours ne lui étaient pas favorables.

Ce succès a confirmé l’avancée de Marine Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles avec un score qui a progressé de plus de 2,6 millions de voix quand Emmanuel Macron perdait plus de deux millions de suffrages. Ce que la candidate du Rassemblement national a qualifié d’« éclatante victoire » n’en a pas moins été un échec. Pour éviter une nouvelle défaite en 2027, le parti qu’elle incarne doit absolument sortir de son isolement en devenant l’artisan et le principal bénéficiaire d’une recomposition de toutes les forces situées à droite de l’échiquier politique à un moment ou LR est en position de grande faiblesse.

 

L’érosion du cordon sanitaire

La tâche n’est pas insurmontable, mais n’a rien d’évident tant les autres composantes d’une éventuelle union des droites sont fragmentées et divisées.

Pour y parvenir, le parti mène depuis des années une entreprise de dédiabolisation qui n’est pas arrivée à son terme dans la mesure où le cordon sanitaire qui en fait un paria tient toujours. Vieux de 37 ans, il a été mis en place en 1986 alors que grâce au scrutin proportionnel institué par François Mitterrand, le Front national avait obtenu 35 sièges de députés et pu constituer un groupe parlementaire

Comme l’écrit Jean-Marie Le Pen dans le tome 2 de ses mémoires :

« Chirac réagit aussitôt. Il lança contre notre remarquable équipe, que la géographie de l’Assemblée plaçait à l’extrême droite du président de séance, la consigne de l’isoler par un cordon sanitaire […] Les députés de sa majorité ne devaient ni voter les textes que nous proposerions ni nous adresser la parole » .

Depuis bientôt 4 décennies, le cordon a tenu, mais il est de plus en plus fragile. Le parti LR, qui autrefois structurait la droite et une partie du centre, est en perte drastique d’influence et nombre de ses responsables sont de plus en plus réceptifs à un projet global de recomposition du paysage politique. Face à cette « montée des périls » les attaques redoublent mais sont mal ciblées, empruntant toujours les deux mêmes voies rebattues de la morale et du droit.

 

Les impasses de la voie judiciaire

Le tribunal médiatique siège en permanence, mais s’épuise à déterrer des affaires à porter en justice pour détériorer l’image du Rassemblement.

Depuis 2014, les enquêtes visant le Front national puis le Rassemblement national se sont multipliées. Celle ouverte en 2014 portait sur le financement des campagnes pour les législatives et la présidentielle de 2012. La dernière affaire en date repose sur un rapport de l’Office anti-fraude de l’Union européenne. Transmis en mars 2023 à la justice française, il accuse la candidate du Rassemblement national d’avoir personnellement détourné près de 140 000 euros d’argent public du Parlement de Strasbourg quand elle était eurodéputée.

Mais qu’il s’agisse de financement de campagnes, d’éventuels subsides de la Russie, de suspicion d’emplois fictifs ou d’accusations de détournement de fonds, force est de constater qu’aucune des casseroles accrochées aux basques de ceux qui incarnent le Rassemblement national n’a freiné l’ascension du parti sur la scène politique.

Pour consolider la digue qui se fissure, reste le recours aux arguments moraux dont on peut renforcer l’impact en les associant aux procès en malhonnêteté.

 

Les limites du « reductio ad hitlerum » 

C’est tout le sens du dernier assaut qui mêle procès en sorcellerie fasciste et accusations de tripatouillages financiers.

Le 6 mai dernier, deux proches de Marine Le Pen, jouant ou ayant joué un rôle important dans la communication et le financement de la galaxie Rassemblement national ont été accusés, l’un d’avoir soutenu, et l’autre d’avoir participé à un défilé commémorant la mort d’un militant nationaliste survenue en 1994 en marge d’une manifestation organisée par le GUD.

Comme l’a rappelé la préfecture de Paris, cette manifestation était autorisée et, comme les précédentes, elle s’est déroulée sans incident. Il n’en reste pas moins que comme le relève le journal Le Monde, les deux personnes mises à l’index sont ou étaient liées au Rassemblement national par le biais d’e-politic, une entreprise de communication dont ils sont actionnaires, mais aussi par des contrats d’impression signés au niveau européen avec Unanime une entreprise fondée par la femme de l’un d’eux. L’article doit toutefois reconnaitre que ces contrats multiples « n’ont rien d’illégal ».

Dans ces conditions, il était facile aux responsables du Rassemblement national de répondre à cette offensive, et de s’appuyer sur elle pour franchir une étape supplémentaire du processus de dédiabolisation.

 

Le retour de bâton

Marine Le Pen a eu beau jeu de répondre que « les gens qui sont des prestataires ou l’ont été, et qui s’exposent dans des manifestations qui portent des idées radicalement différentes de celles du Rassemblement national, doivent s’attendre à en tirer les conséquences, du moins à ce que le Rassemblement national en tire. ».

Ce que confirme Jordan Bardella (« On ne peut pas être proche du Rassemblement national quand on milite derrière des croix celtiques ») en ajoutant sur France Info : « Si on en est là c’est que vous n’avez plus grand chose à nous reprocher ».

La réductio ad hitlerum, ce procédé rhétorique consistant à disqualifier les arguments d’un adversaire en les associant à Adolf Hitler, est devenu contre-productif. Les ennemis du Rassemblement national s’épuisent désormais en arguties juridiques qui ne font plus mouche en se demandant gravement si les manifestants du 6 mai avaient bien le droit de défiler masqués.

Quand Emmanuel Macron assure en conseil des ministres que « Le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des arguments moraux », il a raison. C’est bien par ses incohérences qu’il faut décrédibiliser le Rassemblement national.

 

Le problème, c’est le programme

Or d’incohérences, le programme de ce parti n’en manque pas.

C’est bien en s’appuyant sur elles qu’on devrait l’affronter, ce que les organisations de gauche ne sont pas en mesure de faire, car le projet du Rassemblement national est sur bien des points très similaire à celui de LFI. Pour se dédiaboliser et devenir un parti attrape-tout, le Rassemblement national a de fait remis en musique les marottes égalitaristes de la gauche la plus obtuse. Dans les deux cas, il s’agit de projets profondément antilibéraux qui sacrifient allègrement toutes les libertés économiques restantes.

En 2017, le projet présidentiel de madame Le Pen conspuait l’UE et se débarrassait de l’euro.

En 2022, le Rassemblement national conspue toujours l’UE, mais il n’est plus question d’en sortir.

Quant à l’euro, on le garde en le chargeant de tous les maux. De telles positions sont intenables. Pour ce qui est des dépenses publiques, on envisage sérieusement de charger plus encore une barque financière qui prend l’eau de toutes parts, ce qui est le plus sûr moyen de la faire couler. Autre aberration au regard des évolutions démographiques : revenir sur le report de l’âge légal de départ en retraite condamnerait à la faillite un système par répartition que par ailleurs on prétend sauver.

Comment peut-on encore soutenir des programmes de ce type au vu de la situation calamiteuse de l’économie française, plombée par une dette publique abyssale (près de 3000 milliards d’euros en 2022), un déficit budgétaire sans précédent en temps de paix et une balance commerciale dont le solde a plongé à -164 milliards d’euros l’année dernière ?

Ce n’est explicable que par la profonde inculture économique de la majorité de nos concitoyens.

Il faut répondre à l’angoisse du déclassement que ressentent un grand nombre de Français. Mais on ne peut plus le faire par le recours à l’argent magique, les finances publiques étant à sec. Il faut donc explorer une autre voie réhabilitant l’esprit d’initiative, l’esprit d’entreprise et la créativité individuelle, autrement dit recourir enfin à des solutions libérales.

Madame Le Pen nous montre une lune et nous regardons le doigt pour savoir s’il se situe ou non dans le prolongement d’un bras bien tendu. Il est temps d’ouvrir les yeux et de réaliser que cette lune n’est qu’un miroir aux alouettes.

La prostitution devrait être un métier comme les autres !

Il y a un an, la Belgique est devenue le premier pays européen à reconnaître la prostitution comme une activité professionnelle méritant les mêmes droits et obligations que tout autre travail indépendant. Aussi, les parties tierces ne sont plus sanctionnées (un loueur, une banque qui fait un prêt, quelqu’un qui fournit un véhicule…) puisque la loi énonce que « tous les tiers qui soutiennent leur activité ne peuvent plus être poursuivis, sauf en cas de profit anormal ».

Ce choix de la Belgique va à l’opposé de celui de la France qui demeure un pays abolitionniste.

En effet, la loi du 13 avril 2016 visant à « renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » fait de tous les clients des délinquants, et de l’ensemble des prostitués des victimes.

 

Le bilan de la situation française est plus que décevant

En décembre 2019, après une évaluation approfondie de l’application de la loi, un rapport officiel a mis en lumière à la fois une aggravation de la précarité des personnes qui se prostituent dans la rue, et un transfert du sexe tarifé vers le Web.

Aussi, Médecins du Monde a pu constater que « la santé des travailleuses du sexe s’est détériorée non seulement parce qu’elles sont moins en mesure d’imposer le port du préservatif, parce que l’accès à la prévention et aux outils de réduction des risques est rendu plus compliqué par l’isolement, mais également parce qu’elles travaillent plus et plus longtemps pour gagner moins, ce qui les place dans une grande précarité économique et fragilité ».

L’étude effectuée par les sociologues N. Gaudy et H. Le Bail (CNRS-Sciences Po Paris) arrive aux mêmes conclusions.

Face à un tel constat d’échec, le moment est arrivé de problématiser la prostitution autrement.

Il importe de prendre au sérieux la revendication des associations des travailleurs et travailleuses du sexe selon lesquelles l’échange d’argent pour des services sexuels constitue un travail. Désormais, la prostitution devrait être considérée comme un métier dont la pratique résulte d’un choix et d’une quête d’autonomie et de contrôle sur son propre corps. De surcroît, la reconnaissance légale du service sexuel permet de mieux combattre la prostitution forcée et surtout celle des mineurs, d’éliminer les situations d’abus et d’assurer des conditions dignes de travail en matière de sécurité et de santé. Comme tout travail, la prostitution peut être libre ou subie, le seul moyen efficace de mettre fin à l’exploitation est de rendre les prostitués, hommes et femmes, libres de leur force de travail, soumettant ainsi cette activité aux mêmes règles de droit auxquelles est assujetti tout acteur économique.

C’est exactement ce qui vient de proposer le rapport de Génération Libre que j’ai cosigné avec Cybèle Lespérance et Édouard Hesse.

Après l’analyse comparative de différents pays, le document rappelle la distinction fondamentale entre exploitation sexuelle et travail du sexe. D’aucune façon l’exploitation issue du commerce sexuel ne saurait être compatible avec une logique libérale, fondée sur le primat du consentement individuel.

Faire entrer le travail sexuel dans le droit commun implique comme préalable de regarder la liberté sexuelle à la fois comme expression de la libre disposition de soi et du respect à la vie privée. Disposer de sa propre personne implique de disposer également de ses attributs parmi lesquels se trouve la sexualité. Dans une société démocratique, la liberté sexuelle consiste en la capacité de l’individu à agir érotiquement sans contraintes. L’autonomie de la volonté et le consentement constituent les piliers de cette liberté.

 

L’absence de statut professionnel dans le milieu de la prostitution

Dès lors qu’on écoute les travailleuses et travailleurs du sexe, on s’aperçoit que la plupart des problèmes qu’ils rencontrent sont étroitement liés à l’absence de statut professionnel.

Paradoxalement, bien que le travail sexuel ne soit pas reconnu comme un travail en France, l’administration fiscale exige le paiement d’impôts. En contrepartie, les travailleuses et travailleurs du sexe ne bénéficient que très partiellement des droits liés à l’emploi.

C’est pourquoi le rapport propose de faire entrer la prostitution dans le droit commun, plus précisément dans le droit civil des contrats, le droit des sociétés, et enfin le droit du travail.

Le contrat de prestation de service sexuel pourrait ainsi être défini comme la convention par laquelle une personne (le professionnel du sexe) s’oblige à une prestation sexuelle avec une autre personne (le client) moyennant une rémunération (le prix). Outre le contrat individuel (droit civil), le travailleur du sexe pourrait choisir l’exercice en groupe de professionnels réunis dans une entreprise commune qui conviennent par un contrat (la société de services sexuels) d’affecter des biens (un appartement ou un hôtel, par exemple) et des compétences particulières (les prestations sexuelles) en vue de partager les bénéfices qui peuvent en résulter (droit commercial). Enfin, les travailleurs et travailleuses du sexe peuvent également opter pour le statut de salariat. Un tel dispositif implique la remise en question de la notion de proxénétisme (sans contrainte ni abus). Le « proxénète » devient ainsi un entrepreneur.

Selon le rapport de Génération Libre, le contrat de travail sexuel pourrait prendre plusieurs formes : le CDI, le CDD ou celle, par exemple, du « chèque emploi-service sexuel » permettant à un particulier employeur de déclarer simplement la rémunération des salariés pour des activités de services à la personne rendus au domicile du particulier, au domicile du travailleur du sexe ou hors du domicile.

Le rapport finit en soulignant :

« Bien que régulé par le droit commun, la spécificité du service sexuel devra être prise en compte en incluant dans le contrat certaines clauses (rétractation, non-discrimination, interdiction d’exonération rémunérative, nullité des clauses abusives du droit du travail…) permettant de garantir l’intégrité physique et économique des travailleurs et travailleuses du sexe : limitation d’heures, contrepartie financière à verser après la rupture du contrat de travail, formations payées par l’employeur, mobilité géographique, interdiction des clauses d’exclusivité ou de non-concurrence, etc.

 

Conclusion

Le seul moyen de mettre fin à l’exploitation et aux discriminations liées à la prostitution, c’est de la considérer comme un métier.

Sa régulation permettra également de changer l’image stigmatisante à laquelle renvoie encore cette activité. Dans une approche pragmatique, libérée de tout a priori idéologique, l’appréhension du phénomène prostitutionnel par l’État appelle une régulation, et non une pénalisation au nom d’une victimisation supposée des travailleurs et travailleuses du sexe.

Des livres de jeunesse pour parler de harcèlement scolaire

Par Eléonore Cartellier  et Sylvie Farré.

 

Un enfant qui perd le sourire, fait des cauchemars, a des colères plus fréquentes, devient susceptible, se plaint de douleurs inexpliquées… Un écolier, un collégien, un lycéen dont le niveau scolaire baisse, a une capacité d’attention diminuée, manifeste parfois une attitude provocante vis-à-vis de ses camarades. Ou, au contraire, s’isole. Voilà des signes qui peuvent alerter sur une situation de harcèlement et qu’il ne faut pas minimiser en tant que parent, enseignant ou professionnel de l’enfance.

Alors, comment lutter contre ce fléau qui touche un élève sur dix ? Comment sensibiliser les classes, prévenir les risques mais aussi prendre en charge les victimes, comme l’annexe de la loi du 8 juillet 2013 nous y invite ?

La littérature de jeunesse peut être un médium intéressant et précieux pour échanger et amener les jeunes à prendre conscience de faits perçus ou vécus. Albums, bandes dessinées et romans permettent de mettre des mots et des images sur ce qui se passe et développer de l’empathie pour les autres.

 

Du côté des albums

Le lien entre littérature de jeunesse et harcèlement scolaire est présent dès le premier titre qu’on peut rattacher au genre du roman scolaire, Tom Brown’s Schooldays, publié en 1857. Le personnage principal, envoyé en pensionnat pour ses années de collège et lycée, se confronte rapidement au harcèlement à travers la figure de Flashman qui tyrannise physiquement et émotionnellement les jeunes élèves.

Depuis ce temps, de nombreux romans scolaires et ouvrages jeunesse ont exploré ce sujet, aidant les jeunes lecteurs à prendre du recul et à exprimer leur propre vécu.

Dan Olweus, professeur de psychologie à l’université de Bergen, explique qu’un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est « soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la part d’un ou plusieurs élèves »

Tyranono.
Ed. La Bagnole

Un cas de figure qui structure par exemple l’album Tyranono de Gilles Chouinard. Dans la cour de récréation, un jeune théropode endure les moqueries, intimidations et bousculades à répétition de ses camarades. Il devient triste, incompris de ses parents et s’emmure dans le silence. Mais en deuxième partie, l’histoire bascule car, malgré les humiliations subies, le jeune tyrannosaure, n’écoutant que son courage, n’hésite pas à sauver celui qui le maltraite, au péril de sa vie. Tyran devient alors son ami et le sauve à son tour.

Ce récit porté par des couleurs vives et des personnages expressifs met bien en avant le ressenti des protagonistes. Il offre aux plus jeunes la possibilité de prendre conscience de ce processus de harcèlement qui s’amplifie parfois très vite. Il peut aussi aider la victime à trouver en lui la force, la solution pour que les choses s’arrêtent. Des séquences pédagogiques peuvent aussi être mises en place par les enseignant en grande section de maternelle autour de cet album.

éd. Didier Jeunesse

Autre lecture qui peut susciter la parole, cette fois avec des élèves de primaire : Rouge de Jan de Tinder, qui raconte l’histoire d’Arthur, un garçon timide qui rougit facilement. Cet album expose à la fois les faits mais aussi le ressenti de la narratrice, mettant bien en avant le rôle que joue souvent le leader de la classe que personne n’ose affronter.

L’auteur joue à la fois avec les techniques graphiques très nombreuses (fusain, aquarelle, papiers collés) mais aussi une palette de couleurs, réduite pour évoquer les émotions des personnages. Il utilise le hors cadre afin de stimuler l’imaginaire du lecteur mais également pour accentuer certains effets comme la méchanceté de Paul.

Rouge est un magnifique album qui s’adresse à la fois aux victimes, aux harceleurs mais aussi aux témoins, invitant chacun à réfléchir à ses paroles, ses actes et leurs conséquences.

 

BD et romans graphiques

Du côté des bandes dessinées, dans la collection des Max et Lili de Dominique de Saint Mars et Serge Bloch, le numéro 67 porte sur le harcèlement scolaire. Après avoir fait une bêtise en classe, Max se retrouve insulté, bousculé et exclu pendant les récréations. La solution au calvaire que vit Max arrive quand celui-ci en parle à sa sœur puis en classe grâce au « conseil » où tous les élèves discutent ensemble pour résoudre des conflits. Dans la série des Ariol d’Emmanuel Guibert et Marc Boutavant, on peut lire aussi L’affaire Pouyastruc, qui pose la question de l’intervention des parents.

Seule à la récré d’Ana Bloz et Noémya Grohan dépeint avec humour des situations compliquées avec la famille ainsi que l’institution scolaire qui peine à trouver une solution convenable et explicite le triangle victime-bourreau-témoin.

Jane le renard et moi.
Editions de La Pastèque

L’adolescence est une période de transition, de changements physiques, de mutation, où le passage de l’enfance vers l’âge adulte n’est pas sans complexité et vécu de façon différente par chacun. S’accepter, se retrouver, reconnaître l’autre dans sa différence, autant de questions que nous invite à nous poser un très beau roman graphique : Jane le renard et moi d’Isabelle Arsenault et Fanny Britt.

Accessible dès le CM2, l’ouvrage met en scène l’histoire d’Hélène, une jeune fille qui subit les insultes et les moqueries, orales et écrites, de ses camarades à cause de son aspect physique. Son unique refuge : la littérature et plus précisément le roman Jane Eyre, de Charlotte Brontë. Par la suite, lors d’un séjour avec sa classe, en extérieur, elle fera deux rencontres qui vont redonner des couleurs à sa vie : celle d’un renard dont le regard la bouleverse et celle de Géraldine pour qui elle a le sentiment d’exister et qui deviendra son amie.

La plume de Fanny Britt transcrit de manière subtile les tourments de l’adolescence et développe la réflexion autour de l’acceptation de soi. La mise en page, avec un jeu de cadrage et décadrage, permet de donner un effet cinétique que nous retrouvons aussi dans le choix de la taille et le rythme des images qui varient, d’une page à l’autre selon ce que l’auteur veut mettre en avant dans le récit. Le livre existe aussi en version audio.

Didier Jeunesse

Des Bleus au cartable de Muriel Zürcher est un roman pour jeunes adolescents qui a l’intérêt de montrer le harcèlement à travers trois points de vue : Lana, la victime, Ralph, le bourreau et Zélie, la témoin. La focalisation interne change à chaque chapitre, permettant au lecteur de s’identifier aux trois personnages tour à tour.

Ce livre permet donc non seulement de comprendre la situation de harcèlement du point de vue de la victime et du témoin mais aussi, et ceci est plus rare, du point de vue du bourreau. En effet, toute situation de harcèlement comporte au moins un bourreau et il est intéressant d’analyser les raisons qui poussent un enfant à devenir le bourreau d’un autre et quelles solutions existent pour faire cesser ce cercle vicieux.

Pour aller plus loin sur la question du harcèlement scolaire, de nombreuses vidéos sont disponibles sur la plate-forme éducative Lumni. Des ouvrages tels que Le Harcèlement scolaire en 100 questions permettent aussi d’apporter des réponses aux questions les plus fréquemment posées sur le harcèlement, et d’apporter des solutions.

 

 

Eléonore Cartellier, Docteur en littérature britannique, Université Grenoble Alpes (UGA) et Sylvie Farré, Doctorante en littérature, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Légalisation du port d’armes : sécurité ou danger ?

Un article de l’Iref-Europe

 

En France, le port d’armes est interdit depuis 1939 et la législation est aussi restrictive que chez la plupart de nos voisins européens.

Les citoyens ordinaires se voient nier ce que d’aucuns considèrent comme un droit fondamental alors que, parallèlement, on constate une hausse des homicides par arme à feu depuis une dizaine d’années dans des villes comme Marseille, sur fond de trafic de stupéfiants.

Marseille n’est pas la seule ville concernée : fusillade le 18 mai dernier à Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, fusillade le 13 mai à Villerupt, en Meurthe-et-Moselle, fusillade le 9 mai à Valence, dans la Drôme, fusillade le 1er mai à Cavaillon, dans le Vaucluse, etc. L’attaque du 9 juin à Annecy a également relancé le débat sur le port d’armes pour se protéger de l’insécurité et des agressions.

Quelles conclusions en tirer ?

 

Disponibilités des armes à feu et taux d’homicides : la corrélation loin d’être établie

Il est difficile d’évaluer l’impact des armes à feu : les statistiques ne distinguent pas toujours les homicides, les suicides, les accidents de chasse ou domestiques, les décès faisant suite à l’usage d’une arme à feu par les forces de l’ordre.

En France, les statistiques sur la criminalité publiées par le ministère de l’Intérieur et celles de l’INSEE ne fournissent pas de données précises. Concernant les homicides, le système de classification statistique internationale des maladies (CIM-10) inclut une catégorie dite « lésions traumatiques infligées par un tiers dans l’intention de blesser ou de tuer » (X85-Y09), mais sans distinguer le moyen employé, et il ne comporte que deux catégories relatives aux armes à feu : les agressions par fusil, carabine et arme de plus grande taille (X94) et les agressions par des armes à feu autres, sans plus de précisions (X95).

Dans la littérature scientifique, la question récurrente porte sur la relation directe entre une plus grande disponibilité des armes à feu et les taux d’homicides.

Or, là aussi, la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît. A priori, on pourrait croire que c’est dans les pays dont la législation sur les armes à feu est la plus permissive qu’il y a le plus d’homicides.

En réalité, la corrélation est loin d’être évidente.

Aux États-Unis, où le taux de détention de ces armes pour 100 habitants est le plus élevé au monde (120,5), il y a eu 13 624 homicides par armes à feu en 2020. La situation est bien différente dans d’autres pays comme la Finlande, dans le top 10 des pays les plus armés, sans que cela ne semble avoir une incidence sur le nombre d’homicides par ce moyen (cinq en 2019).

De la même manière, les citoyens suisses sont parmi les plus armés, et on ne compte que neuf homicides par arme à feu en 2020.

Lecture : Pays avec le plus d’armes à feu pour 100 habitants
Source : Estimating global civilian held firearms numbers – Small Arms Survey (2018)

 

Les armes à feu servent surtout en cas de légitime défense, et non pour commettre des crimes

Dans les débats sur le port d’armes, on a tendance à négliger, voire ignorer, un objectif pourtant majeur : la dissuasion.

Par définition, un criminel est peu soucieux de ce qui est légal ou de ce qui ne l’est pas. S’il lui faut une arme, il trouvera toujours un moyen de se la procurer : il connaît les réseaux clandestins. Le citoyen lambda, lui, se retrouve donc très vulnérable.

Cet aspect de la question a été évalué par l’économiste américain John Lott dans un article intitulé « More Guns, Less Crime » publié en 1996. Il a collecté des données venant de plus de 3000 comtés aux États-Unis pendant une période de 15 ans, et analysé l’impact du port d’armes sur neuf types différents de crimes.

Résultats : dans les États où il était autorisé, le taux d’homicides avait baissé de 8,5 %, le taux de viols de 5 %, le taux de vols de 3 %, ces effets étant notables au bout de trois ans. Dans les États dotés d’une législation sur le port d’armes dissimulées, le taux de meurtres de masse dans les lieux publics était inférieur de 69 % à celui des autres États. Cette loi a une influence sur les États voisins qui ne l’ont pas promulguée : le taux de criminalité a tendance à augmenter. Logique : les criminels sont plus à l’aise dans les États où les citoyens n’ont pas les moyens de se défendre eux-mêmes.

L’étude de John Lott s’accorde avec des données beaucoup plus récentes.

À New York, le nombre de permis d’armes a été multiplié par 3 entre 2007 et 2016, et il s’est accompagné d’une chute du nombre de meurtres de 25 %.

Au Brésil, le nombre de citoyens armés a été multiplié par 2,3 après la libéralisation du port d’armes par l’ancien président Jair Bolsonaro. La société brésilienne est-elle devenue plus violente ? Non : le taux d’homicide a chuté, de 34 pour 100 000 habitants en 2019 à 18,5 en 2023.

Un accès bien plus facile à des armes, de surcroît moins chères, n’est certainement pas pour rien dans ces statistiques.

D’autres données vont dans le même sens : une enquête menée auprès de 54 000 résidents américains en 2021 a révélé qu’une arme à feu avait été utilisée dans environ 1,67 million de cas de légitime défense chaque année, et qu’aucun coup de feu n’avait été tiré dans 81,9 % des cas.

 

L’approche libérale : une question de principe

Comme nous venons de le voir, la question du port d’armes est trop complexe pour être cantonnée aux tragiques tueries de masse qui horrifient évidemment l’opinion, et un plus grand accès aux armes à feu n’implique pas nécessairement un plus grand nombre d’homicides.

Un autre chiffre vient appuyer une réalité peut-être contre-intuitive, mais incontestable : si l’on en croit le rapport 2018 de Small Arms Survey, fin 2017, il y avait dans le monde près de 857 millions armes à feu détenues par des civils pour, et c’est l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui l’énonce, quelque 238 000 homicides par arme à feu la même année : soit 27,77 homicides pour 100 000 armes à feu.

D’un point de vue libéral, le port d’armes citoyen est surtout une question de principe : le droit de résistance à l’oppression, un droit naturel consacré par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, dépasse les batailles de chiffres sur la létalité. Bien sûr, ce droit ne signifie pas absence totale de contrôle. Dans la plupart des pays, la détention d’une arme n’est accordée que sous conditions. En Suisse, en République tchèque ou en Autriche par exemple, certaines armes peuvent être détenues après vérification des antécédents judiciaires, un examen médical, et un examen sur le maniement des armes à feu. Comme souvent, le problème n’est pas l’arme en elle-même, mais bien celui qui la porte et le droit qui encadre sa détention.

Pourquoi les 12 propositions de la loi visant à instaurer une majorité numérique sont inapplicables

Article disponible en podcast ici.

 

« Les combats très intimes que nous menons […] sont à chaque fois bousculés parce que des contenus qui disent exactement le contraire circulent librement sur les plateformes… »

Cette phrase ne provient ni de Poutine ni de Xi Jinping, mais de Macron lui-même dans le dossier de presse de la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne ».

Nos députés vont avoir la chance de débattre d’une loi fourre-tout qui souhaite censurer la liberté d’expression, combattre le cyberharcèlement, stopper la pornographie, résister à AirBnB et bien d’autres.

Puisque nos députés sont trop occupés à vider le bar de l’assemblée, nous allons voir par nous-mêmes si les 12 propositions sont techniquement applicables.

(Les rubriques Problème et Proposition viennent directement du dossier de presse)

 

1. Créer un filtre de cybersécurité antiarnaque

Problème : après avoir reçu un faux SMS de l’assurance maladie l’invitant à cliquer sur un lien, l’internaute risque d’y déposer ses coordonnées bancaires.

Proposition : au moment de cliquer sur le lien, il recevra un message lui indiquant que le site vers lequel il se dirige est compromis.

Analyse : se pose déjà un gros problème constitutionnel. Comment peut-on informer que le site est nuisible sans espionner les messages des citoyens ? La loi relative au renseignement de 2015 oblige déjà les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) à espionner les citoyens pour lutter contre le terrorisme. Cette proposition ne généralise-t-elle pas insidieusement cette écoute à tout internet ?

De plus, un site web avec un nouveau nom de domaine se construit en seulement 10 minutes. Les sites d’arnaques n’auront aucun mal à changer d’adresse autant de fois que nécessaire s’ils sont blacklistés ; sans même parler des raccourcisseurs d’URL comme bit.ly qui pourront être utilisés pour cacher l’URL de l’arnaqueur dans les messages.

 

2. Choisir librement son moteur de recherche, son navigateur, sa messagerie

Problème : pour communiquer avec ses proches qui ont installé une application comme WhatsApp ou Olvid, il est nécessaire d’installer la même application qu’eux.

Proposition : comme c’est déjà le cas pour les mails, il sera possible de communiquer avec ses proches sans avoir à disposer de la même messagerie qu’eux.

Analyse : voilà que le gouvernement veut normer les applications de messageries ! Mais se pose un problème technique car les mails utilisent le même protocole, ce qui les rend interopérables. Or, une application comme Olvid ne communique pas de la même manière que WhatsApp.

Le projet open source matrix.org souhaite justement faire une sorte de pont entre toutes les apps. Un autre projet nostr veut reproduire un protocole unique comme les mails, mais pour les messageries.

L’État français sombre dans une administration absolue qui veut normer jusqu’au protocole de messagerie. Ce n’est pas son rôle.

 

3. Bannir des réseaux sociaux les personnes condamnées pour cyberharcèlement

Problème : une personne condamnée pour cyberharcèlement sur un réseau social peut continuer à y propager la haine.

Proposition : le juge pourra prononcer une peine complémentaire de suspension de l’accès au compte du réseau social pendant six mois, et un an en cas de récidive.

Analyse : n’importe qui peut créer autant de comptes anonymes en ligne. Un cyberharceleur pourra toujours créer un autre compte s’il est banni du premier.

Macron a déjà fait part de son dégoût pour l’anonymat : « Dans une société démocratique, il ne peut pas y avoir d’anonymat ». Cette proposition est le cheval de Troie pour mettre fin à l’anonymat en ligne.

Mais cela ne sera même pas suffisant, l’interdiction de l’anonymat ne sera applicable que pour les citoyens français. Or, sur internet, il suffit d’utiliser un VPN (comme protonVPN) pour enjamber les frontières et les législations. Le harceleur devra juste passer par un VPN.

 

4. Encadrer les nouveaux types de jeux en ligne

Problème : le cadre juridique d’interdiction par défaut pénalise l’innovation numérique dans les jeux et le divertissement sans protéger efficacement les utilisateurs.

Proposition : la France demeurera une terre d’innovation, tout en étant l’un des premiers pays à adopter une législation protectrice des utilisateurs de jeux fondés sur le Web3.

Analyse : au milieu de tout ce fourbi, il n’est pas étonnant de trouver une énième réglementation des cryptomonnaies. Car oui, le web3 désigne les nouveaux sites web qui utilisent des cryptomonnaies pour fonctionner. Pour plus de détails, consulter cet article consacré au web3.

Le web3 est décentralisé. Le paiement se fait en cryptomonnaie et les données sont sur des blockchains. Donc, nul besoin de laisser son identité pour louer un serveur en ligne ou accepter les cartes bancaires.

Je souhaite donc bonne chance au gouvernement pour réguler un site décentralisé.

 

5. Mettre fin à l’exposition des enfants aux contenus pornographiques en ligne

Problème : les sites pornographiques ne mettent pas en œuvre les solutions techniques de vérification d’âge existant pourtant sur le marché.

Proposition : les sites qui persisteront à contrevenir à la loi pourront être bloqués sous un mois et redevables d’une amende allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial.

Analyse : entre les livres érotiques de Schiappa ou de Bruno Le Maire, ce gouvernement semble obnubilé par le porno. Les techniques de vérification d’âge existantes ne permettent pas de protéger l’identité de l’utilisateur. Les sites pornos n’en veulent pas, au risque de perdre une partie de leurs clients.

Et encore une fois, si la France met une limite d’âge sur les sites pornos, un simple VPN permet de changer de législation.

 

6. Retirer plus rapidement les contenus pédopornographiques en ligne

Problème : les prestataires hébergeurs doivent participer à la lutte contre la diffusion de contenus pédopornographiques. Mais les défaillances sont impunies.

Proposition : en 24 heures, les hébergeurs défaillants pourront être poursuivis pour non-respect d’une demande de retrait présentée par la police ou la gendarmerie.

Analyse : cette proposition retente la loi Avia pourtant retoquée par le Conseil consitutionnel. Il s’agissait de sanctionner les plateformes hébergeant des contenus pédophiles, terroristes, ou laissant faire le harcèlement. En termes de temps de réponse et d’amende, les contraintes entraîneraient une censure par les plateformes.

On pourrait croire au rôle magique de l’IA pour analyser le contenu. Sauf que celle-ci n’est pas aussi fiable. Et il existe déjà des méthodes qui ajoutent du bruit dans les images pour duper les IA.

Avec cette proposition, c’est un véritable travail de Sisyphe qui attend les plateformes. Le seul gagnant sera l’État qui pourra facturer 250 000 euros par contenu non retiré à temps.

 

7. Interdire la publicité ciblée sur les mineurs ou utilisant des données sensibles

Problème : les mineurs sont considérés comme des consommateurs précoces et directement ciblés sur la plupart des réseaux sociaux.

Proposition : les plateformes auront l’interdiction absolue de pratiquer le ciblage publicitaire en direction des mineurs, sous peine de lourdes sanctions.

Analyse : c’est une bonne chose, il est scandaleux que le parti au pouvoir crée un compte Tiktok pour endoctriner les jeunes. Cela ressemble aux pratiques de régimes totalitaires. Toutefois, cette proposition ne s’adresse pas à la pratique macronienne.

Imaginons qu’une influenceuse à Dubaï arnaque les enfants français sur une plateforme chinoise comme Tiktok. Le problème est déjà de savoir dans quel pays porter plainte : en France, aux Émirats ou en Chine ?

Et encore une fois l’administration française met les pieds en dehors du régalien. Elle se substitue à l’éducation des parents sur les dangers et menaces qui entourent leurs enfants.

 

8. Interdire aux géants du numérique de privilégier leurs services sur leurs plateformes

Problème : les grandes plateformes abusent de leur position dominante d’intermédiaires pour avantager commercialement leurs propres offres.

Proposition : la réglementation commerciale la plus ambitieuse depuis un siècle, adoptée pendant la présidence française de l’UE, protégera nos entreprises grâce à une concurrence équitable.

Analyse : une fois encore, on passe du coq à l’âne dans cette loi, des marketplaces aux navigateurs en passant par l’hébergeur cloud, alors que chaque cas est différent.

  • La plupart des marketplaces n’ont pas de monopole. On peut installer une app android sans passer par Google Play, acheter un jeu vidéo sans passer par Steam. Le seul acteur qui ne respecte pas la libre concurrence est Apple qui impose son store pour installer une app sur iPhone. Inutile de faire une loi, il suffit de condamner Apple.
  • Rien de plus simple que de changer de moteur de recherche. Au lieu de se rendre sur google.com, il suffit de taper duckduckgo.com, c’est tout. Google est donc à un clic de la concurrence.
  • Pour les hébergeurs cloud, nous voilà devant un épineux problème de choix des technologies d’infrastructure.

 

Il existe des alternatives pour tout. Si vous prenez une base de données DynamoDB sur Amazon Web Service, alors oui, vous allez être coincé chez eux. Mais si vous choisissez une Postgres, vous pouvez la migrer où vous voulez. Tout dépend de vos choix technologiques.

Plutôt que de pondre des lois, le gouvernement devrait montrer l’exemple et arrêter de courir chez Microsoft pour tous ses besoins. L’État utilise Microsoft pour tout, y compris pour stocker les données de santé des Français.

 

9. Réduire la dépendance des entreprises aux fournisseurs de cloud

Problème : pour changer de fournisseur cloud, une entreprise doit payer des frais équivalents à 125 % de son coût d’abonnement annuel.

Proposition : aucun frais de transfert ne sera facturé en changeant de fournisseur. Le non-respect de cette interdiction sera sanctionné d’une amende allant jusqu’à un million d’euros, et deux millions en cas de récidive.

Analyse : cela ressemble à la proposition précédente. Il n’existe aucune taxe à la migration vers un autre cloud. Le prix provient du travail pour changer le code ou les données vers la nouvelle plateforme. Encore une fois, des technologies open source couvrent 99 % des besoins informatiques (linux, docker, kubernetes, postgres, redis, etc) et qui sont disponibles dans tous les clouds, y compris français, tels OVH ou Scaleway.

 

10. Soutenir les collectivités dans la régulation des meublés de tourisme

Problème : pour une collectivité, notamment à faibles moyens, il est coûteux et complexe de faire appliquer la régulation des meublés de tourisme.

Proposition : grâce à la création d’un intermédiaire chargé de standardiser et partager les données, la régulation sera plus efficace et moins coûteuse.

Analyse : difficile d’analyser une proposition aussi floue : « création d’un intermédiaire chargé de standardiser et partager les données ». Il s’agit encore d’une énième Haute autorité de machin ou d’un Conseil régional de truc ?

Pourquoi l’État se bat contre AirBnB tout en détruisant la location classique ? Son DPE vient de rendre inlouable des millions de logements. Tout est fait pour rendre la location déficitaire et encourager AirBnB.

 

11. Interrompre la diffusion de médias étrangers faisant l’objet de sanctions internationales

Problème : des médias frappés par les sanctions européennes peuvent continuer à relayer leur propagande grâce à des rediffusions indirectes sur internet.

Proposition : l’ARCOM pourra leur enjoindre de faire cesser la diffusion des contenus sanctionnés sous 72 heures. En l’absence d’exécution, l’ARCOM pourra ordonner le blocage du site concerné.

Analyse : encore une fois un VPN permettra de regarder le média interdit en France.

 

12. Lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux

Problème : les actions de lutte contre la désinformation et les ingérences numériques étrangères ne sont pas coordonnées entre les pouvoirs publics, l’industrie et les organismes de recherche.

Proposition : les principales plateformes en ligne, les acteurs du secteur de la publicité, les organisations de recherche et de la société civile collaboreront plus efficacement pour lutter contre la désinformation.

Analyse : il fallait bien conclure ce chef-d’œuvre par un bouquet final. La loi Avia réapparaît clairement en proposant de censurer internet au nom de la désinformation. Ce texte oublie le principal sujet. Qui définira une information comme fausse ?

 

Conclusion

L’autoritarisme de Macron se retrouve dans chaque mesure. Pour les appliquer, il faudrait :

  • interdire les VPN et isoler l’internet français de l’internet mondial, comme en Chine.
  • interdire l’anonymat avec une carte d’identité numérique, comme en Chine.
  • scanner le contenu de chaque Français, comme en Chine, afin d’éviter les arnaques, la pédocriminalité ou les annonces AirBnB.
  • imposer les technologies définies par le Parti pour les messageries ou le cloud, comme en Chine.

 

Finalement, ces lois inapplicables ne seraient-elles pas une première étape avant de sombrer dans le totalitarisme pour en justifier la mise en place ?

Nous traitons la dette comme un déchet nucléaire 

Il existe deux types de déchets non recyclables et mortifères : le nucléaire et la dette. Comme on ne sait pas se débarrasser ni de l’un ni de l’autre, on fait comme si le danger n’était pas imminent, ou bien on les éloigne de notre vue.

Depuis qu’Eve puis Adam ont croqué dans le pomum, l’Homme a une dette infinie envers son créateur. L’Homme de type economicus a plus de chance, il n’est débiteur que de ce qu’il a emprunté. Mais c’est déjà beaucoup pour lui. La preuve, il n’arrive même pas à honorer sa dette.

De l’État américain au consommateur chinois en passant par l’entreprise française, tous les agents économiques, d’où qu’ils viennent, participent à la dette. Tous s’endettent pour financer toujours plus de projets. De l’investissement des entreprises aux biens immobiliers des ménages, des déficits budgétaires de l’État jusqu’aux exubérances des marchés. On s’endette même pour rembourser de la dette.

Certains semblent d’ailleurs complètement désinhibés sur le sujet.

Parmi les meilleurs, le Japon avec ses 440 % de dette sur PIB (dette privée et publique) ; la France n’est pas loin avec ses 350 %, les États-Unis derrière à 290 % ; même la Chine est à l’honneur, à 265 %.

La France est donc aux avant-postes, mais elle peut faire beaucoup mieux.

Si par exemple, on s’intéresse à la progression enregistrée depuis 2007, juste avant les crises financière, souveraine, puis sanitaire, alors la France se montre la plus zélée avec une hausse de son ratio de dette sur PIB de près de 125 %. Cette hausse spectaculaire s’explique principalement par la sphère publique, et son recours intensif et assumé à l’endettement afin de financer les plans de sauvetage et de relance. Les amateurs se régaleront de la formidable base de données mise à disposition par le FMI.

Tout le monde s’endette, et s’endette de plus en plus.

En 50 ans la dette mondiale (publique et privée) est passée de près de 100 % du PIB à environ 250 % (FMI : global debt monitor). Certes, l’année 2021 témoigne d’une baisse historique de près de 10 % du ratio de dette sur PIB, mais il s’agit d’une baisse trompeuse car essentiellement liée à la hausse spectaculaire du PIB en valeur. En d’autres termes, le ratio de dette sur PIB a baissé, non pas parce que la dette a diminué, mais parce que le PIB a rebondi. Or, le PIB n’est pas censé rebondir chaque année.

 

L’insoutenable question de la soutenabilité de la dette

Ce n’est pas cet article qui tranchera de la soutenabilité ou pas de la dette. La littérature sur le sujet est aussi riche que celle sur le sens de la vie.

Et il semble d’ailleurs que nous en sommes restés au même point : on ne sait pas.

Il est vrai que l’arithmétique de la dette est plutôt évasive : « la dette croît tant que les revenus ne permettent pas de financer les dépenses, mais la dette croît jusqu’où ? » On ne sait pas. Mais on a failli savoir. C’était en 2008, après la publication du climatérique « This time is different ». Les auteurs identifiaient alors des niveaux d’endettement à ne pas dépasser sous peine de croissance molle. Sauf que depuis, le soufflet est retombé. Un pan de la recherche académique a reproché aux auteurs quelques libertés dans les données utilisées, et dans les tests statistiques effectués.

La dette est donc soutenable, ou pas.

C’est probablement le marché qui décidera, comme d’habitude. D’ailleurs, avons-nous vraiment le choix ? À voir la dérive de la dette depuis 50 ans partout dans le monde, il semblerait que nos économies soient devenues inaptes à fonctionner sans la dette, elles ne savent plus faire. Elles ont besoin de ce supplément d’âme depuis que leurs revenus sont devenus inférieurs à leurs dépenses. En somme, rien de bien nouveau depuis la cigale et la fourmi.

 

En attendant la catastrophe

Et puisque la catastrophe ne semble pas arriver, alors on continue de s’endetter.

Le jugement de fait (assertif) devient un jugement de droit (assertorique) : la catastrophe n’est pas arrivée, mais elle aurait pu devient la catastrophe n’arrivera pas. Une fois convaincu, le débiteur endurci a les idées claires, et se voit proposer une feuille de route assez sommaire : « Si vous trouvez la dette moche ou émétique, détournez le regard et bouchez-vous le nez… Si vous trouvez la dette encombrante, cachez-la ou envoyez-la balader ». Curieusement, il semblerait qu’il s’agisse exactement de la même feuille de route que celle proposée pour la gestion des déchets nucléaires.

Aujourd’hui, la meilleure solution pour se débarrasser des déchets nucléaires consiste à les enfouir sous terre. De la même manière, on pourrait considérer que la dette exubérante est aujourd’hui cachée dans les bilans centraux, suite à leur politique de rachats d’actifs durant les périodes de crises récentes. La deuxième solution serait d’envoyer tout balader dans le ciel, dans l’espace pour les déchets nucléaires, dans une obligation perpétuelle pour la dette.

Mais cette solution est confrontée à des problèmes techniques qui limiteraient considérablement son utilisation : la taille de la fusée pour les déchets, la « taille » de l’obligation pour la dette. En fait, il existerait bien une troisième solution : annuler la dette. Mais l’analogie avec les déchets nucléaires pourrait alors nous faire imaginer un champignon atomique.

Évidemment, si aucune de ces solutions n’était retenue, il reste une option écartée jusqu’à présent, mais qui reste valide a priori : rembourser la dette.

De « Dr Google » à « Dr ChatGPT », quels sont les risques de l’autodiagnostic en ligne ?

Le but de ChatGPT n’est PAS de vous aider, mais d’avoir l’air crédible.
DR, Fourni par l’auteur

 

C’est une scène que tout le monde peut vivre. C’est le matin, vous êtes encore au lit et vous ne vous sentez pas bien. Vous êtes fiévreux et la seule lumière du jour suffit à vous donner mal à la tête. Vous mettre assis déclenche une telle douleur dans votre nuque que vous en vomissez. Aller chez le médecin, ou pire : aux urgences, vous semble insurmontable… Mais en même temps, forcément, vous êtes inquiet.

Heureusement, votre téléphone est à portée de main et avec lui Internet, royaume de l’autodiagnostic médical.

Premier réflexe : Google. Vous tapez « mal à la tête, vomissement, fièvre, douleurs ». Une liste de liens apparaît, lequel choisir ? Des forums, Doctissimo, Ameli… Il faut cliquer, lire, comparer… Trop d’efforts. Dans votre état, vous voudriez quelqu’un pour vous guider, vous rassurer.

Alors pourquoi pas la nouvelle coqueluche des médias, ChatGPT ? Le chatbot, ou agent conversationnel, d’OpenAI qui a réponse à tout ? Il est possible d’écrire ou de simplement dicter ses questions : « J’ai mal à la tête, je vomis, j’ai un peu de fièvre et la lumière me dérange. Qu’est-ce que j’ai ? »

ChatGPT parle de migraine ou de grippe
Réponse de ChatGPT à la question « J’ai mal à la tête, je vomis, j’ai un peu de fièvre et la lumière me dérange. Qu’est-ce que j’ai ? »
DR, Fourni par l’auteur

 

Plutôt que des listes sans fin de sites plus ou moins fiables et d’avis peu vérifiables, plutôt que d’attendre interminablement une interaction humaine (à distance) dans le monde réel, l’assistant virtuel est disponible à tout instant et sa réponse tient en quelques lignes. Rassuré, vous vous dites que, oui, c’est sans doute la grippe et vous restez donc au chaud.

Avez-vous eu raison ?

Après « Dr Google », peut-on faire confiance à « Dr ChatGPT » ? L’autodiagnostic en ligne a ses défauts qu’il est important de connaître afin d’éviter les erreurs potentiellement tragiques – comme ici. Car cette question était un test pour vérifier s’il allait reconnaître les signes d’une méningite

 

D’où vient ChatGPT ?

Pour comprendre les biais et erreurs de ChatGPT, un petit retour en arrière est utile.

L’arrivée d’Internet pour tout le monde, à la fin des années 1990, début des années 2000, et surtout l’accès aux moteurs de recherche gratuit comme Google, Bing, Yahoo !… ont rendu accessibles des quantités d’informations formidables, quelles qu’en soient la qualité, la fiabilité.

La santé étant un sujet de préoccupation fréquent, les recherches concernant une maladie, des symptômes, un traitement sont monnaie courante. Forums de patients, sites plus ou moins spécialisés… Les sources d’information sont variées, de tout niveau, et ne mettent pas en relation avec un professionnel de santé : ce ne sont pas des téléconsultations.

Un minimum de culture du numérique et en santé est donc nécessaire pour s’y retrouver – voire pour s’autodiagnostiquer sans risque.

Plus tôt encore, dès les années 1960-1970, les chercheurs avaient mis au point des « systèmes experts » : des programmes, des algorithmes décisionnels basés sur le savoir d’experts médicaux et leur démarche diagnostique. Ces systèmes montraient dans certains cas des performances comparables à celles d’un médecin. Coûteux à développer et très spécialisés, ils n’étaient pas accessibles au public.

Puis s’est développée l’idée de « laisser apprendre » les algorithmes, à partir de données fournies – on leur dit simplement quand ils se trompent ou réussissent à reconnaître un chat ou un chien, une grippe ou une méningite : on parle d’apprentissage automatique.

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Depuis que l’on parle « d’intelligence artificielle », se pose la question de savoir quand de tels programmes parviendront à notre niveau. Un test célèbre, que l’on doit au mathématicien anglais Alan M. Turing (le « jeu de l’imitation », 1950), propose qu’un humain interroge à l’aveugle via du texte soit un autre humain, soit une machine. La machine « gagne » si l’humain ne parvient pas à dire avec qui il « parle ».

En soi, il ne s’agit pas d’intelligence, mais d’une capacité à imiter un comportement considéré comme notre apanage. ChatGPT se présente comme un excellent candidat à ce test.

 

ChatGPT n’est PAS un médecin…

ChatGPT n’est pas intelligent, il ne « sait » rien, il ne « raisonne pas » : il est conçu pour donner l’illusion d’une personne capable de comprendre votre question, son contexte, et d’apporter des réponses qui paraissent naturelles et pertinentes. Des réponses vraisemblables. Mais vraisemblable n’est pas véritable.

Peu importe à ChatGPT que ce qu’il dit soit vrai ou inventé, le principal est que ça ait l’air vrai.

ChatGPT s’appuie sur ce qu’on appelle un LLM – Large Language Model (grand modèle de langage), ici GPT3.5 ou 4 selon la version en cours. Quand on lui donne un mot, il est capable de proposer le mot suivant le plus probable selon les milliards de données textuelles qui lui ont été fournies. Il est également capable de « contexte », c’est-à-dire de se baser sur ce qui a été produit avant – jusqu’à un certain point. Et des humains sont intervenus dans son élaboration, afin de classer les propositions les plus vraisemblables générées par l’IA.

Nous sommes donc face à un programme dont le but est de paraître crédible…

Or, nous savons que nous avons tendance à davantage croire une information présentée de façon éloquente et avec aplomb, ou quand elle confirme ce que l’on souhaite entendre – nous sommes facilement victimes de nos biais cognitifs. En santé, les conséquences peuvent être dramatiques.

 

La « démarche diagnostique » de ChatGPT

OpenAI, société qui commercialise ChatGPT, ne veut pas risquer de mettre en danger son image de marque : donc oui à ce que l’on parle de ChatGPT dans tous les médias (+1 ici !), non à une plainte, un décès.

Des humains ont ainsi été massivement impliqués pour limiter artificiellement certaines propensions que pourraient avoir tant le programme que ses utilisateurs à produire des contenus dits « sensibles », ou susceptibles d’inciter à des comportements à risque. Interrogez-le sur des symptômes et vous aurez systématiquement, en encadrement de la réponse générée, des précautions comme quoi « il n’est pas médecin », que « sa responsabilité ne saurait être engagée », etc.

Réponse de ChatGPT : « Il est important de noter que je ne suis pas un professionnel de santé »
Réponse de ChatGPT à la question « Je m’interroge sur ta place et ta fiabilité quant aux personnes qui voudraient s’autodiagnostiquer… ».
DR, Fourni par l’auteur

 

ChatGPT vous expliquera aussi qu’il ne saurait être totalement fiable parce qu’il n’a pas accès à toutes les informations nécessaires à l’établissement d’un diagnostic… mais il le fera quand même, de façon générale, car il veut vous plaire. En l’occurrence, il ne peut pas procéder à un examen physique ni à des analyses de laboratoire, il n’a pas vos antécédents personnels (médicaux et familiaux) comme il l’indique lui-même quand on lui demande ses limites.

Or, en l’état actuel de la médecine, une démarche diagnostique humaine va toujours mobiliser ces différents éléments jusqu’à aboutir à un diagnostic… vraisemblable !

Car il y a tout de même trois aspects par lesquels médecin et l’agent conversationnel se rapprochent et où l’humain peut être dépassé par la machine :

La mémoire

En effet, la sélection d’entrée en médecine se fait sur elle plutôt que sur les capacités de raisonnement.

La protocolisation des démarches diagnostiques

Leur caractère est opposable en termes juridiques dans le cas où une plainte serait déposée. L’homogénéisation des prises en charge rendent une partie croissante de la pratique médicale algorithmique.

Le raisonnement médical

Dans sa partie diagnostique, il s’agit d’une démarche associative et probabiliste : on cherche et recueille les signes qui, pris ensemble, se rattachent à une ou plusieurs maladies possibles. Autrement dit, on procède par vraisemblance, sur la base de ce qu’on a appris, et de façon adaptée à un contexte donné.

 

Dans une certaine mesure, l’IA progresse et la médecine s’avance vers elle. Les verra-t-on se rejoindre ? Nous n’y sommes en tout cas pas encore. Pour reprendre le cas fictif évoqué en ouverture de cet article, Dr ChatGPT aurait pu vous tuer.

 

Cas concret : les erreurs de ChatGPT

Revenons à notre exemple initial. Nos biais cognitifs nous poussent souvent à privilégier la réponse que nous préférons parmi celles proposées – ici, la grippe.

Or, ChatGPT pouvait vous en donner d’autres… Si on lui pose plusieurs fois la même question, d’autres options peuvent d’ailleurs sortir ! Il peut ainsi finir par évoquer la méningite (la bonne réponse ici), ou en tout cas, un diagnostic qu’il est important d’envisager.

Toutefois, le programme ne l’évoque qu’au milieu de quatre possibilités principales, au même niveau qu’une migraine. Médicalement parlant, toutes ne sont pas équivalentes en termes de gravité.

Pire : même en précisant d’autres symptômes, par exemple le fait d’avoir mal au cou, ChatGPT n’est pas meilleur. En l’occurrence, il peut repartir sur des infections ou inflammations des voies respiratoires supérieures (rhume, grippe, sinus…).

L’agent conversationnel ne revient vers la méningite qu’avec l’ajout d’un dernier symptôme, qui peut apparaître lorsque la bactérie responsable de cette pathologie est passée dans le sang (ce qui signifie un danger de mort dans les heures qui viennent en l’absence de traitement antibiotique) : la présence de « taches » sur les jambes. Même alors, il reste très élusif : « Les taches peuvent avoir différentes causes, allant des affections cutanées bénignes aux problèmes de circulation sanguine ou aux infections », « Certaines infections, telles que les infections bactériennes ou virales, peuvent provoquer des éruptions cutanées ou des taches sur les jambes. Par exemple, la méningococcie peut provoquer des taches rouges violacées sur la peau, qui ne s’effacent pas sous la pression », etc.

Et si l’on opte pour une approche directe en indiquant qu’on pense être atteint de méningite, ChatGPT reste prudent pour les raisons évoquées plus tôt.

ChatGPT reste très prudent, la méningite « potentiellement grave », etc
Réponse de ChatGPT lorsque le diagnostic de méningite est avancé par l’auteur.
DR, Fourni par l’auteur

 

Pour arriver à la méningite, le chemin a donc été laborieux et fuyant. Il a fallu que le demandeur fasse lui-même l’examen objectif de ses symptômes et oriente le logiciel. Or, nous ne sommes pas formés à cela : observer et chercher les signes pertinents fait partie de la formation du médecin. Et l’exercice est d’autant plus compliqué lorsque l’on est malade.

Le but du programme n’est pas de nous aider, il veut juste ne pas nous contrarier ni prendre de risque… Un (non) choix doublement dangereux en santé.

 

Les différences médecin-ChatGPT

Même si la démarche diagnostique du médecin peut présenter des similarités avec le mode de fonctionnement de ce type de logiciel, il reste des différences fondamentales.

Le programme ne fonctionnera que par vraisemblance maximale, et pourra inventer n’importe quoi si « le plus vraisemblable » retenu n’existe pas. Il peut arriver au bon résultat, une méningite, mais ce n’est pas dû à une enquête, une démarche médicale.

Si le médecin se réfère aussi, bien sûr, à la vraisemblance de ses hypothèses… il ne raisonnera pas uniquement en ces termes. Il évalue la gravité potentielle des alternatives moins probables, mais qui ne sont ni improbables ni impossibles. Lui vérifiera donc avant tout que vous n’avez pas une méningite, et pratiquera notamment une ponction lombaire, ce que ChatGPT aura du mal à réaliser.

Si on se résume, ChatGPT est à ce jour avant tout :

Un séducteur

Il veut vous donner une « bonne réponse » et est influencé par la façon dont vous posez la question.

Une girouette

Il est capable de dire une chose et son contraire, voire d’inventer selon la façon dont vous l’orientez même involontairement. Vous pouvez donc « choisir » votre diagnostic.

Un hypocrite

Il dit ne pas pouvoir produire de diagnostic pour votre sécurité, mais si vous lui proposez une liste de symptômes, il en fournira un ou plusieurs.

Subjectif

Il est aveugle au conditionnement par l’intervention humaine qui se fait au cours de son apprentissage. Ses précautions systématiques et très formatées quant à son utilisation comme assistant à l’autodiagnostic sont probablement des garde-fous introduits par l’humain, plutôt qu’une production totalement libre de sa part. Pourtant, si vous lui demandez, il niera en bloc.

Bref, au risque lié à l’autodiagnostic en ligne, préférez l’avis du médecin humain – même si vous trouvez ChatGPT plus sympathique et plus empathique qu’un médecin !

Thomas Lefèvre, Maître de conférences – praticien hospitalier, Université Sorbonne Paris Nord

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Derrière le chaos au Soudan, la main des Émirats arabes unis

Depuis le 15 avril dernier, la lutte pour le pouvoir entre deux généraux rivaux, Burhan et Hemeti, a déjà fait plus de 1800 morts au Soudan. Acteur clef de ce conflit, Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemeti, révèle la place centrale qu’ont pris les Émirats arabes unis dans le pays.

Le général Hemeti est à la tête des Forces de Soutien Rapide, l’une des milices arabes les plus puissantes du Darfour. En 2019, lors de la chute du régime d’Omar el-Béchir, il accède au pouvoir en devenant le numéro deux du Conseil militaire de transition, puis du Conseil de souveraineté. En 2023, il est accusé par l’armée soudanaise d’avoir mené un coup d’État en attaquant différentes bases militaires dans le pays. Dans le même temps, ses milices prennent le contrôle du palais présidentiel, de l’aéroport de Khartoum et de la base aérienne de Jebel Aulia. Or, celui qui aspire à devenir le nouvel homme fort du Soudan est au cœur du réseau émirati au Soudan.

Pour les Émirats arabes unis, le Soudan tient une position stratégique.

Idéalement situé au bord de la mer Rouge, il offre un accès aux routes maritimes vers l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord via le détroit de Bab el Mandab. Sa situation géographique, combinée à des infrastructures portuaires adaptées, lui confère un potentiel pour les chaînes d’approvisionnement en provenance d’Afrique.

Dans une interview accordée à Al Jazeera, Jihad Mashamoun, chercheur soudanais et analyste politique des affaires soudanaises, dans une interview accordée à Al Jazeera analyse ainsi :

« Les intérêts des Émirats arabes unis résident dans le contrôle des ports de la mer Rouge. Les Émirats arabes unis ont des intérêts politiques et économiques en mer Rouge, qui s’étendent également à l’Afrique centrale et occidentale. »

Cela se manifeste par la signature en 2022 d’un accord de six milliards de dollars avec AD Port pour la construction et l’exploitation du port d’Abu Amama, ainsi que par la construction d’une autoroute à péage de 500 km, évaluée à 450 millions de dollars. Ces initiatives font partie d’un investissement plus large d’Abu Dhabi visant à renforcer sa présence en Afrique, en mettant notamment l’accent sur la Corne du continent.

Les Émirats arabes unis ont donc investi dans les ports et le transport maritime, dans le but de renforcer leur influence et de consolider leur rôle en tant qu’acteur régional influent. Cette stratégie implique la mise en place d’un réseau d’avant-postes stratégiques, où le Soudan joue un rôle crucial. Et désormais, Les Émirats sont le principal investisseur dans le pays.

 

L’opération avortée de séduction envers Omar el Béchir

En 2018, leur stock d’investissements était estimé à 7 milliards de dollars. Le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed Al Nahyane, espérait pouvoir influencer la politique d’Omar el-Béchir, alors au pouvoir… En vain. Le dictateur a continué sa stratégie consistant à maintenir un équilibre et à éviter de s’impliquer dans les conflits régionaux. Par exemple, Omar el Béchir s’est bien gardé de participer à l’embargo imposé par l’Arabie saoudite contre le Qatar en 2020.

Mais de toute façon, El-Béchir ne correspondait pas vraiment à l’approche des Émirats arabes unis : proche des Frères musulmans, proche de l’Iran, considéré comme un État terroriste par les Américains… Téhéran et Khartoum coopéraient étroitement dans le domaine de la défense. Et début des années 2010, l’Iran avait même un bataillon des Gardes révolutionnaires au Soudan.

Si le Soudan est stratégique pour la diplomatie émiratie, El-Béchir était donc gênant pour Abu Dhabi. En décembre 2018, les Émirats arabes unis ont interrompu les expéditions de carburant vers le Soudan, entraînant une dévaluation de la monnaie et une augmentation de la dette. Le gouvernement s’est alors vu contraint de réduire les subventions sur le pain, ce qui a inévitablement provoqué des émeutes… Et mis fin au règne de Béchir.

 

Hemeti, l’homme d’Abu Dhabi

C’est à la faveur de ce soulèvement que Hemeti et Abdel Fattah al-Burhane émergent au Soudan.

MBZ, fidèle à une politique pragmatique, a essayé de rester proche de chacun d’entre eux. Toutefois, c’est Hemeti dont la famille royale d’Abu Dhabi est la plus proche. Il est décrit par un diplomate comme « l’agent et le mandataire des Émirats ».

Il aurait consolidé sa position grâce à sa capacité à s’allier avec des dissidents et des concurrents potentiels en les achetant. D’ailleurs, en 2018, quand le Soudan avait envoyé 10 000 hommes au Yémen pour soutenir le conflit mené par l’Arabie saoudite et les Émirats, Burhane se trouve au Conseil militaire de transition, mais c’est Hemeti qui envoie ses hommes et qui reçoit les financements. En 2019, le soutien des Émirats arabes unis s’est manifesté par une livraison d’armes aux FSR de Hemeti.

Ils font également pression pour le placer au conseil de transition. Hemeti est plus spécifiquement à l’Emirat dAbu Dhabi. Il est, par exemple, très lié à MBZ, qui l’a reçu en février 2022 à Abu Dhabi.

 

Le business de l’or sale

Dernier élément à prendre en compte : Mohamed « Hemeti » Hamdan Dagalo est impliqué dans le commerce de l’extraction de l’or via son entreprise, Al Gunade. L’entreprise familiale a fait de lui un des hommes les plus riches du Soudan. Grâce aux Forces de soutien rapide (FSR), il a pris le contrôle de plusieurs mines, dont la mine d’or de Jebel Marra au Darfour, en 2017.

Plusieurs sociétés obscures, étroitement liées aux services de sécurité sous le régime d’El Béchir, contrôlaient d’autres mines à travers le pays. Le parti au pouvoir, le Congrès national, avait sous son contrôle un réseau de mines et des propriétés d’une valeur dépassant le milliard de dollars. Une manne que Hemeti a su récupérer grâce à son influence et ses milices. Il est ainsi devenu le principal bénéficiaire de la plaque tournante mondiale de l’or qu’est devenu le Soudan. Le chef de guerre, qui a des connexions au Darfour, a rassemblé l’or extrait de manière plus ou moins licite dans d’autres pays du Sahel pour ensuite l’exporter vers l’Emirat de Dubaï et la Russie à des prix concurrentiels.

En effet, en 2022, ce sont 16 milliards de dollars d’or qui ont été exportés depuis le Soudan. Un procédé également utilisé par Wagner, qui exploite des mines au Sahel et au Soudan. L’entreprise russe a ainsi été autorisée à s’installer à Dubaï, un moyen efficace de distribuer l’or sale qu’elle extrait.

Ainsi, les recettes de l’or d’Hemeti ont été déposées dans des banques et des sociétés écrans basées aux Émirats arabes unis, à Abu Dhabi. Ces flux de trésorerie lui servent désormais à financer les FSR en armes et camions de bien meilleure qualité que ses rivaux. En soutenant financièrement Hemeti, les Émirats arabes unis assurent un de leurs multiples réseaux dans le pays. Ils suivent ainsi leur politique de délégation en s’appuyant sur un homme qui partage leur point de vue, en installant un régime autoritaire et hostile à l’islam politique.

Comme au Caire ou en Syrie, cette stratégie vise à « stabiliser » la région, quitte à s’associer avec un homme responsable de centaines de morts.

Remaniement gouvernemental : la course contre la montre pour Macron

Nouvelle tête à Matignon, nouveau gouvernement… Que faire pour le chef de l’État et surtout, quand le faire ? Le mercato d’été a commencé et crée de la fébrilité parmi les ministres.

 

Remaniement du gouvernement : le mercato d’été a commencé

En pleine crise de l’inflation après la réforme des retraites, la piste d’un remaniement avant l’été est privilégiée par l’exécutif. Ce remaniement est souhaité par le président lui-même, mais aussi par la plupart de ses alliés et amis, dont François Bayrou ou Stéphane Séjourné, le secrétaire général du parti Renaissance. Ceux-ci le pressent de ne pas attendre le 14 juillet, la fin des « 100 jours » de sursis accordés à Élisabeth Borne.

Le chef de l’État a chargé le gouvernement d’une feuille de route au moins jusqu’à la fête nationale. À cette date, Élisabeth Borne devra dresser le bilan de sa première année passée à Matignon. Cette perspective coupe court à tout remaniement avant la rentrée prochaine, mais le changement pourrait être plus rapide que prévu.

À en croire Le Parisien, les conversations ont déjà commencé entre lui et la Première ministre. L’Express ajoute qu’Emmanuel Macron a pris conseil auprès de Nicolas Sarkozy lors d’une entrevue le 6 juin.

Victorieux en début de semaine, après avoir résisté à une 17e motion de censure, le gouvernement Borne a obtenu un peu de répit. Mais pour combien de temps ?

Le remplacement d’Élisabeth Borne à Matignon semblait être la principale motivation d’un prochain remaniement.

En cause, le manque de popularité de la Première ministre ayant joué les fusibles lors de l’adoption de la réforme des retraites. Des noms reviennent régulièrement pour celui qui pourrait devenir le nouveau locataire de Matignon : Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale, Julien Denormandie, ancien ministre de l’Agriculture, ou encore Sébastien Lecornu, actuel ministre des Armées. Mais ces fidèles du président ne sont pas très vendeurs pour l’opinion publique. Alors, le chef de l’État aurait approché des personnalités du monde de l’entreprise, ou de la société civile. L’absence de personnalité en mesure d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale pourrait assurer un peu de sursis à la Première ministre.

 

Le grand chamboulement devrait concerner aussi la composition du gouvernement

Sur les 41 ministres actuels, seuls quatre ou cinq poids lourds, fidèles d’Emmanuel Macron, devraient être reconduits ou promus : Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Gabriel Attal ou encore Olivier Véran. Les ministres gênés par leurs déboires judiciaires pourraient en revanche être sur la sellette et mis à l’écart : Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice ou Olivier Dussopt, ministre du Travail, ainsi que Marlène Schiappa, qui a multiplié les polémiques ces dernières semaines. Les ministres les plus discrets, Pap Ndiaye, et François Braun, n’ont pas convaincu et sont sur un siège éjectable.

Comme toujours, pour s’installer dans les ministères, les prétendants ne manquent pas.

La jeune garde de la Macronie à l’Assemblée nationale espère bien récupérer un maroquin : Maud Bregeon, élue des Hauts-de-Seine, Benjamin Haddad, député parisien, ou encore Charles Sitzenstuhl, député du Bas-Rhin… Aurore Bergé (présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée) court, elle aussi, depuis longtemps après un portefeuille ministériel. Toujours parmi les députés, on cite : Guillaume Kasbarian (président de la commission des Affaires économiques), Sacha Houlié (président de la commission des Lois), Florent Boudié ou encore Marie Lebec. Au Sénat – qui sera renouvelé de moitié en septembre – certains placent également leurs pions. Mathieu Lefèvre et Louis Margueritte pourraient être dans la course.

 

Le chef de l’État hésite entre un rapprochement plus net avec la droite et un scénario minimaliste permettant de resserrer le gouvernement. Mais à moins de quatre ans de la fin du second quinquennat, la Macronie n’a toujours pas de banc de touche et le poste de ministre ne fait plus autant rêver.

Anniversaire d’Adam Smith : l’économie de marché au service des plus modestes

Nous savons très peu de choses sur Adam Smith. Nous ne connaissons même pas la date de naissance du célèbre Écossais. Tout ce que nous savons, c’est la date de son baptême, le 5 juin 1723 (calendrier julien), ce qui signifie que, selon notre calendrier grégorien, il a été baptisé le 16 juin. Il n’a pas connu son père, fonctionnaire des douanes, mort à 44 ans, quelques mois avant sa naissance.

Parmi ceux qui n’ont jamais lu ses livres, certains le considèrent comme un partisan de l’égoïsme ultime, voire peut-être, comme le père spirituel du capitalisme extrême à la Gordon Gekko, qui s’exclame « Greed is good ! » dans le film Wall Street. C’est une image déformée qui découle de l’importance pour Smith de l’intérêt personnel des acteurs économiques dans son livre La richesse des nations.

 

Smith partisan de l’égoïsme ultime ?

Mais cette image est sans aucun doute erronée.

Le premier chapitre de son livre Théorie des sentiments moraux commence par une section intitulée « De la sympathie », qu’il définit comme « le fait de se sentir solidaire d’une passion, quelle qu’elle soit ».

Aujourd’hui, nous utiliserions probablement le mot « empathie » :

« Quel que soit le degré d’égoïsme de l’homme, il est évident qu’il existe dans sa nature certains principes qui l’intéressent à la fortune des autres et qui lui rendent leur bonheur nécessaire, bien qu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de le voir. C’est de ce genre que relève la pitié ou la compassion, l’émotion que nous ressentons pour la misère d’autrui, soit que nous la voyions, soit qu’on nous la fasse concevoir d’une manière très vivante ».

La sympathie de Smith allait surtout aux moins fortunés. De diverses sources de revenus il gagnait 900 livres par an, soit trois à quatre fois le salaire d’un professeur d’université. Mais à la lecture du dernier testament d’Adam Smith, son neveu David Douglas est déçu. Le testament confirme ce que les amis d’Adam Smith soupçonnaient depuis longtemps : il hérite beaucoup moins que ce qu’il espérait car Smith avait fait don de la quasi-totalité de sa fortune aux plus pauvres, la plupart du temps en secret. Sa générosité lui avait même valu, à un moment donné, de rencontrer des difficultés financières.

Si vous lisez ses deux principaux ouvrages, La richesse des nations et La théorie des sentiments moraux, vous aurez du mal à trouver un seul passage où il parle des riches et des puissants en termes élogieux. Les marchands et les propriétaires sont presque exclusivement dépeints sous un jour négatif, principalement comme des personnes égoïstes et avides de monopoles.

« Nos marchands et nos maîtres-fabricants se plaignent des effets néfastes des salaires élevés qui augmentent les prix et diminuent ainsi la vente de leurs marchandises, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Ils ne disent rien sur les effets néfastes des profits élevés. Ils ne disent rien des effets pernicieux de leurs propres gains. Ils ne se plaignent que des autres ».

Ou encore :

« Les gens du même métier se réunissent rarement, même pour se distraire, mais la conversation se termine par une conspiration contre le public ou par un stratagème pour faire monter les prix ».

Le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels contient davantage de critiques positives sur les capitalistes que n’importe quel ouvrage d’Adam Smith : Marx et Engels écrivent avec admiration que la bourgeoisie crée constamment des forces de production plus puissantes que toutes les générations précédentes réunies.

 

Adam Smith : entre critique des riches et compassion envers les pauvres

Aucune trace d’une telle admiration dans l’œuvre de Smith. Au contraire, les riches sont la cible d’une critique caustique. Les défenseurs de Smith affirment que cela ne reflète pas un quelconque ressentiment général à l’égard des entrepreneurs ou des riches, mais plutôt le fait que Smith prône la libre concurrence et s’oppose aux monopoles. C’est certainement en partie vrai, mais à la lecture de ses deux principaux ouvrages, il semble qu’en fin de compte, Smith aime les riches autant qu’il n’aime pas les hommes politiques. Même lui n’était pas exempt du ressentiment traditionnellement entretenu par les intellectuels à l’égard des classes possédantes.

À l’inverse, de nombreux passages témoignent de sa sympathie pour la condition des plus modestes,  c’est-à-dire de la grande majorité de la population qui doit échanger son travail contre un salaire afin de gagner sa vie.

Dans Adam Smith’s America, Glory M. Liu passe en revue la perception d’Adam Smith et l’état de la recherche, quasi unanime à conclure que pour Smith, la caractéristique la plus importante de la société commerciale était qu’elle améliorait la condition des pauvres.

Citons un passage célèbre de La richesse des nations :

« Aucune société ne peut être florissante et heureuse si la plus grande partie de ses membres est pauvre et misérable. Il est d’ailleurs équitable que ceux qui nourrissent, vêtent et logent l’ensemble du peuple aient une part du produit de leur propre travail qui leur permette d’être eux-mêmes raisonnablement bien nourris, vêtus et logés. »

Aujourd’hui, ces mots sont parfois interprétés à tort comme un plaidoyer en faveur d’une redistribution des richesses par le gouvernement. Ce n’était pas son intention, et il n’appelait certainement pas à une révolution sociale. Mais selon lui, la pauvreté n’était pas inéluctable, et surtout, il ne faisait pas confiance aux gouvernements.

Dans le chapitre 8 de La richesse des nations, il souligne que la croissance économique continue est le seul moyen d’élever le niveau de vie et d’augmenter les salaires, car une économie stagnante entraîne baisse des salaires, et donc du niveau de vie.

Selon lui, « la famine n’a jamais eu d’autre cause que la violence d’un gouvernement tentant, par des moyens inappropriés, de remédier aux inconvénients d’une disette ».

Nous savons parfaitement à quel point il avait raison 250 ans plus tard, après des centaines, voire des milliers de tentatives infructueuses de maîtrise de l’inflation par le contrôle des prix.

 

Adam Smith vs Karl Marx

Karl Marx, quant à lui, pensait avoir découvert plusieurs lois économiques qui conduiraient nécessairement à la chute du capitalisme, telles que la « tendance à la baisse du taux de profit » ou l’appauvrissement du prolétariat.

Avant l’apparition du capitalisme, la plupart des habitants de la planète vivaient dans une extrême pauvreté.

En 1820, environ 90 % de la population mondiale vivait dans la pauvreté absolue. Au cours des dernières décennies, depuis la fin du communisme en Chine et dans d’autres pays, le recul de la pauvreté s’est accéléré à un rythme inégalé dans l’histoire de l’humanité. En 1981, le taux de pauvreté absolue était de 42,7 % ; en 2000, il était tombé à 27,8 % et il est aujourd’hui inférieur à 9 %.

Smith avait prédit que seule l’expansion des marchés pouvait conduire à une prospérité accrue.

C’est précisément ce qui s’est produit depuis la fin des économies planifiées socialistes. Rien qu’en Chine, l’introduction de la propriété privée et les réformes du marché ont permis de réduire le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté de 88 % en 1981 à moins de 1 % aujourd’hui.

À ma question de savoir en quoi Adam Smith était pertinent en Chine, Weiying Zhang, économiste spécialiste du marché libre à l’université de Pékin, m’a répondu :

« Le développement économique rapide de la Chine au cours des quatre dernières décennies est une victoire du concept de marché d’Adam Smith. Contrairement aux interprétations qui prévalent en Occident, la croissance économique et le recul de la pauvreté en Chine n’ont pas eu lieu à cause de l’État, mais malgré l’État, et ont été permis par l’introduction de la propriété privée. »

Alors que Karl Marx pensait que la condition des pauvres ne pouvait être améliorée qu’en abolissant la propriété privée, Smith croyait au pouvoir du marché.

Il n’était pas partisan d’une utopie libertaire sans État – il estimait que les gouvernements avaient des fonctions importantes à remplir.

 

L’importance de l’intérêt personnel

Néanmoins, en 1755, deux décennies avant la parution de La richesse des nations, il a lancé un avertissement lors d’une conférence :

« L’homme est généralement considéré par les gouvernements et les planificateurs comme le matériau d’une sorte de mécanique politique. Les planificateurs dérangent la nature dans le cours de son évolution dans les affaires humaines ; il ne faut rien de plus que les laisser tranquilles, leur donner libre cours dans la poursuite de leurs fins, pour qu’elles puissent établir leurs propres desseins […] Tous les gouvernements qui contrarient ce cours naturel, qui forcent les choses dans une autre voie, ou qui s’efforcent de freiner le progrès à un point particulier, sont contre nature, et pour se soutenir, sont obligés d’être oppressifs et tyranniques ».

Ces paroles étaient en effet prophétiques. La plus grande erreur des planificateurs a toujours été de s’accrocher à l’illusion qu’il est possible, théoriquement, de planifier un ordre économique. Ils croient que quelqu’un, assis derrière un bureau, peut façonner un ordre économique idéal et qu’il ne reste plus qu’à convaincre suffisamment d’hommes politiques de le mettre en pratique.

Aujourd’hui, on reproche souvent à Smith d’avoir souligné l’importance de l’intérêt personnel. En effet, il a souvent insisté sur le poids de l’égoïsme, précisément parce que les individus ont constamment besoin de l’aide d’autrui. Toutefois, il pensait qu’il ne fallait pas compter uniquement sur cette bonne volonté. C’est dans ce contexte qu’il a utilisé l’expression main invisible, qui l’a rendu si célèbre, bien qu’elle n’apparaisse que trois fois dans l’ensemble de son œuvre (ce que l’on retrouve avec Schumpeter et l’expression destruction créatrice, qu’il n’a utilisée que deux fois) :

« Comme chaque individu s’efforce donc, autant qu’il le peut, d’employer son capital au soutien de l’industrie nationale et de diriger cette industrie de manière à ce que son produit ait la plus grande valeur, chaque individu s’efforce nécessairement de rendre le revenu annuel de la société aussi élevé qu’il le peut. En général, en effet, il n’a pas l’intention de promouvoir l’intérêt public, ni ne sait dans quelle mesure il le promeut […] Et il est, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, conduit par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de son intention. Et ce n’est pas toujours le pire pour la société que cela ne fasse pas partie de ses intentions. En poursuivant son propre intérêt, il promeut souvent celui de la société plus efficacement que lorsqu’il a réellement cette intention. Je n’ai jamais vu beaucoup de bien fait par ceux qui affectaient de commercer pour le bien public ».

Les idéologies totalitaires cherchent à réduire le moi. Elles ne veulent rien d’autre que le subordonner au nous, comme le démontrent deux des maximes du national-socialisme :

« Du bist nichts, dein Volk ist alles » (tu n’es rien, ton peuple est tout) et « Gemeinwohl vor Eigenwohl » (l’intérêt public avant l’intérêt personnel)

Dans un discours prononcé en novembre 1930, Adolf Hitler a déclaré :

« Dans toute la sphère de l’économie, l’intérêt public est plus important que l’intérêt personnel : dans toute la sphère de la vie économique, dans toute la vie, il faut en finir avec l’idée que l’intérêt individuel est l’essentiel et que l’intérêt de la collectivité repose sur celui de l’individu, c’est-à-dire que ce dernier est à l’origine de l’intérêt de la seconde. L’inverse est vrai : le bénéfice du collectif détermine le bénéfice de l’individu. Si ce principe n’est pas reconnu, alors l’égoïsme s’installe inévitablement et déchire la communauté ».

Cette conviction est celle de tous les penseurs totalitaires, révolutionnaires et dictateurs, de Robespierre à Lénine, Staline, Hitler et Mao.

Hannah Arendt, l’un des plus grands penseurs du XXe siècle, a écrit dans La révolution :

« Ce n’est pas seulement dans la Révolution française, mais dans toutes les révolutions que son exemple a inspirées, que l’intérêt commun est apparu sous les traits de l’ennemi commun, et la théorie de la terreur, de Robespierre à Lénine et Staline, présuppose que l’intérêt de l’ensemble doit automatiquement, et même en permanence, être hostile à l’intérêt particulier du citoyen. »

Oui, de manière absurde, Arendt prétend que le désintéressement est la plus haute vertu, et que la valeur d’un homme peut être jugée par la mesure dans laquelle il agit contre son propre intérêt et sa propre volonté.

La gauche social-démocrate de retour ?

La gauche française va-t-elle enfin vivre son Bad Godesberg ? Le fameux congrès de 1959 avait signé, pour le Parti social-démocrate allemand (SPD), une rupture claire et officielle entre les tenants du socialisme réformiste et les tenants du marxisme révolutionnaire. En France, l’union de la gauche semble avoir gardé son pouvoir de séduction. Les déboires autour de la candidature de Fabien Roussel à l’élection présidentielle de 2022, vécue par la France Insoumise comme une division inutile responsable de la défaite de la gauche, témoignent bien de la persistance de cette idée.

Car c’est un vieux débat que relancent Bernard Cazeneuve et son mouvement La Convention. Ce samedi 10 juin 2023 à Créteil, l’ancien Premier ministre a, dans un discours d’un peu plus d’une heure, appelé de ses vœux le retour d’une gauche responsable et réformiste, dont on comprend qu’elle se construit en totale opposition à la gauche représentée par la NUPES.

À quoi pourrait ressembler ce « renouveau » de la gauche ? Serait-ce un simple renouvellement de la marque PS qui tairait son nom, ou La Convention présente-t-elle une véritable innovation de la social-démocratie à la française ? Va-t-on assister à la naissance de deux gauches bien identifiées, une à tendance réformiste, dont l’objectif serait de gouverner de manière responsable, l’autre à tendance révolutionnaire, dont les discours subversifs appelleraient à changer radicalement de modèle ?

 

Une gauche réformiste… et nostalgique ?

François Hollande, Jack Lang, Pierre Bérégovoy, François Mitterrand, Charles De Gaulle, Hippolyte Carnot, Jules Ferry, Édouard Herriot… Autant de figures invoquées par Bernard Cazeneuve qui dessinent les contours de l’héritage social-démocrate et républicain dans lequel veut s’inscrire en continuité le nouveau mouvement.

Le socialisme de La Convention est d’abord universaliste, républicain et laïque. Il voit dans les Lumières et les débuts de la IIIe République une forme d’idéal-type indépassable et, s’il se veut résolument progressiste, l’observateur averti ne manquera pas de remarquer que, comme tout réformisme, c’est un socialisme légèrement conservateur, parfois même nostalgique qui est défendu ici.

La Convention, c’est aussi une gauche qui assume aimer son pays. C’est une certaine idée de la France et de l’esprit français. Il y a d’abord une langue, nous dit l’ancien Premier ministre, reflet d’une culture riche, brillante : celle des grands écrivains des XVIIIe et XIXe siècles, qui font du patrimoine culturel français un modèle indépassable et reconnu. Évidemment, la politique n’est jamais loin : c’est à travers ces grands textes que le génie français, caractérisé par les valeurs universalistes et républicaines, prend corps.

Pour monsieur Cazeneuve, la France doit être un phare de la liberté et des droits de l’Homme contre toutes les oppressions. Partout où elles imposent leurs chaînes aux corps et aux âmes, la France doit se tenir au côté des opprimés. Cette mission civilisatrice de l’universalisme français dans le monde n’échappera pas aux critiques de néocolonialisme et d’impérialisme soft qui ne dirait pas son nom, notamment de la part de la gauche identitaire et décoloniale.

 

Une gauche anti-nupes

Si le poncif qui consiste à afficher sa volonté de lutter contre l’extrême droite est posé comme préalable, c’est bien contre la gauche de la NUPES que se construit le mouvement.

En effet, ce qui fonde La Convention et revient comme un véritable fil directeur de son programme, c’est la volonté d’en finir avec les fractures inutiles afin de réaliser enfin l’union de la nation : on sent ici toute l’influence du républicanisme français qui pose l’indivisibilité comme principe fondamental. Cette volonté d’union est une attaque ouverte à l’égard de la radicalité de la NUPES, accusée par son irresponsabilité d’être une véritable machine à division.

Paradoxalement, cette volonté d’union s’accompagne d’une intention assumée de couper tout lien avec la « nouvelle gauche » incarnée par LFI et Europe Ecologie les Verts, que l’on appellera, pour plus de pédagogie, la gauche révolutionnaire. Sur chaque point abordé par Bernard Cazeneuve dans son discours, la divergence avec les positions de la gauche révolutionnaire saute aux yeux. Ainsi, si La Convention souhaite recréer du lien au sein de la République, ils souhaitent surtout rompre définitivement avec toute une partie de la gauche.

La ligne de fracture apparaît clairement : face à l’extrême gauche utopique, révolutionnaire et violente, La Convention incarne une gauche de gouvernement responsable et réformatrice. Le temps d’une journée, Créteil s’est métamorphosée en Bad Godesberg.

Mais à quoi ressemble ce fameux « programme de Créteil » présenté par Bernard Cazeneuve et son mouvement ?

Si elle s’accorde sur l’ensemble des valeurs à défendre – rejet de la haine, de l’injustice, des inégalités, du racisme, du réchauffement climatique etc. – elle se distingue clairement sur les solutions à apporter. À travers, par exemple, sa vision de l’école laïque, sa défense des valeurs républicaines s’oppose fondamentalement à la critique de la laïcité et de l’idéal républicain de la NUPES. Sa défense de la valeur-travail comme élément central de toute possibilité de mobilité sociale tranche franchement avec le constructivisme prôné par LFI et EELV, qui récusent totalement le concept de méritocratie, considérée comme un instrument au service des dominants.

Sur l’écologie, même topo.

Si elle s’accorde sur la finitude du monde et la nécessité de protéger ce qu’elle nomme les « biens communs », La Convention condamne violemment l’écologie radicale, culpabilisante et décroissante. Elle appelle plutôt à l’émergence d’une écologie innovante et technophile, qui ferait confiance aux entreprises afin de créer les conditions de la croissance verte, seule capable de s’accorder avec le besoin de justice sociale. Cette position réaliste et responsable se matérialise dans son soutien sans ambiguïté à l’énergie nucléaire, qu’elle juge indispensable en vue d’une réindustrialisation décarbonée.

Toutes ces critiques s’articulent autour d’une idée relativement simple : la gauche NUPES, par son communautarisme, son ambiguïté dans le combat contre le totalitarisme islamiste, son néo-féminisme qui s’apparente à une « guerre des genres », sa culture de la confrontation et sa surenchère de radicalité, participe à la fracture de l’idée de fraternité. Non seulement elle saperait ce qui construit l’identité même de la gauche française républicaine, mais en plus ceci profiterait, en dernière instance, au Rassemblement national.

On notera que ces critiques ne proviennent pas seulement de la gauche de gouvernement social-démocrate. On pense par exemple à Fabien Roussel, candidat communiste en 2022 représentant d’une « vieille » gauche davantage concentrée sur la lutte des classes que la lutte des races. Plus récemment, au sein même de la NUPES, le député François Ruffin affirmait privilégier le « social » au « sociétal » en déclarant qu’une loi sur le changement de genre ne devait pas être au cœur du projet de la gauche.

 

Une gauche moins antilibérale ?

Sous certains angles, cette gauche social-démocrate peut apparaître comme relativement libérale comparée à la gauche révolutionnaire.

Dans son discours, Bernard Cazeneuve a par exemple fait une référence timide mais notable à la liberté d’entreprendre, a appelé à la décentralisation, à une plus grande participation des corps intermédiaires, et a mis en garde sur les dangers de la dette, au sujet de laquelle il serait « irresponsable de continuer à fermer les yeux ».

Bien sûr, ces maigres concessions dont on doit, selon une conception réaliste de la politique, se réjouir, ne peuvent cacher le caractère naturellement illibéral du reste de la doctrine socialiste du mouvement. On pense par exemple à la condamnation d’une conception « individualiste » de la liberté, au soutien à l’ISF et à la taxation des plus riches, à l’éloge de l’État providence et de la « planification » à la française…

Mais en démocratie, ces désaccords sont légitimes et bienvenus : on ne peut attendre de la gauche socialiste qu’elle défende l’importance du marché et la baisse drastique des dépenses publiques. Cette gauche réformiste défend toutefois une idée qui nous semble fondamentale : le débat démocratique ne peut avoir lieu que dans le cadre donné par l’État de droit, et toute personne ou mouvement politique qui se déroberaient à cette règle font preuve d’une volonté totalitaire d’imposer une vision politique par la contrainte et la violence.

Les agissements de l’association Les soulèvements de la Terre, qui s’est récemment illustrée par la violation de propriété privée en s’en prenant au site expérimental de Point-Saint-Martin, ont été soutenus par la gauche révolutionnaire, qui, en cohérence avec sa dimension révolutionnaire, voit dans ces modes d’actions non respectueux de l’État de droit un moyen légitime de défendre ses idées. La gauche réformiste ne saurait accepter ces modes d’actions.

 

Une gauche réformiste pourra-t-elle s’imposer dans la durée ?

Du reste, on ne peut pas faire l’économie du sentiment de « déjà-vu » que nous évoque le programme tracé par Bernard Cazeneuve. En assumant un tel héritage et une posture de responsabilité, La Convention prend le risque d’apparaître « mollement » de gauche en ne proposant rien d’autre qu’un remake du quinquennat Hollande, et de perdre ainsi toute l’attraction que les discours subversifs exercent sur des électeurs en quête de changement. Aucune idée véritablement nouvelle ne ressort du lot. Si l’originalité n’est pas, par principe, un gage de qualité en politique (vaut mieux une bonne vieille idée, qu’une mauvaise idée originale…), le risque de passer pour une gauche « dépassée » et à contre-courant du « sens de l’histoire » est, à tort ou à raison, bien réel.

Le manque d’originalité et de nouveauté de cette social-démocratie, que les Français semblent avoir rejeté en 2017, peut-elle encore séduire l’électorat macroniste de gauche tout en ramenant dans son giron les éléments les plus centristes de la NUPES ? Rien n’est moins certain.

De manière plus générale, pour la bonne santé de notre vie démocratique, il serait souhaitable de sortir de la tripartition de la vie politique dans laquelle nous sommes enfermés depuis six années maintenant. Si Bernard Cazeneuve réussit son pari risqué, alors nous entrerons dans une situation où le peuple de gauche aura enfin le choix entre un projet ouvertement révolutionnaire et un projet ouvertement réformateur.

Mais notre système institutionnel, notre absence de culture partisane et notre addiction aux « leaders » pourraient tuer dans l’œuf cette tentative de Bad Godesberg à la française.

Ce serait malheureux, tant l’antagonisme entre réformisme et révolution est un élément central et constitutif de la politique contemporaine depuis la Révolution française, à droite comme à gauche, chez les libéraux comme chez les socialistes ou chez les conservateurs. Le retour de cette opposition à l’intérieur même des grandes familles politiques serait démocratiquement salutaire.

Considérer l’argent comme du temps peut améliorer votre vie

Qu’est-ce que l’argent ? Si vous vivez aux États-Unis, vous pensez probablement à l’argent sous la forme de billets de banque. Les Japonais pensent peut-être au yen. Les Français, les Allemands et les Italiens pensent sûrement à l’euro.

Pour les économistes Milton Friedman et Allan Meltzer, la monnaie est « une marchandise acceptée d’un commun accord comme moyen d’échange économique. C’est le moyen par lequel les prix et les valeurs sont exprimés ; en tant que monnaie, elle circule anonymement d’une personne à l’autre et d’un pays à l’autre, facilitant ainsi le commerce, et elle est la principale mesure de la richesse ».

Et si vous pensiez à l’argent un peu différemment ? Lorsque vous y pensez, essayez de remplacer ce mot par « mon temps », car le temps est souvent ce à quoi vous devez renoncer pour avoir de l’argent.

 

Échanger des récoltes contre un téléphone

Supposons qu’un agriculteur veuille un nouveau téléphone. Il connait son métier, mais ne peut pas fabriquer son propre téléphone. Il sacrifie de son temps pour cultiver des plantes qu’il peut vendre à d’autres en échange d’argent. Une fois qu’il a obtenu cet argent, il peut acheter un nouveau téléphone. La propriétaire d’un magasin d’électronique consacre son temps de travail pour gagner de l’argent. Que fait-elle avec cet argent ? Elle peut acheter les produits de l’agriculteur à l’épicerie. L’argent n’est qu’un intermédiaire pour le temps de l’agriculteur et du propriétaire du magasin d’électronique.

Bien qu’il s’agisse d’un exemple simpliste, c’est ainsi que se déroulent de nombreuses transactions dans notre société. Si vous commencez à considérer l’argent comme du temps, vous serez peut-être plus sage avec le vôtre. Son usage plus judicieux pourrait vous permettre d’être plus efficace dans l’utilisation de votre temps !

 

Comment l’appliquer à votre vie

Voici un scénario réel dans lequel vous pourriez utiliser cet argent comme capital-temps.

Selon Kelley Blue Book, en novembre 2022, une voiture neuve coûtait environ 48 681 dollars. L’économie est une affaire de coûts d’opportunité. Si vous dépensez cette somme pour acheter un nouveau véhicule, ce sont 48 681 dollars dont vous ne disposez pas pour acheter autre chose. Supposons que votre salaire horaire moyen s’élève à 32,80 dollars. Nous pouvons déterminer le nombre d’heures que vous devriez échanger pour l’achat d’un nouveau véhicule en divisant 48 681 dollars par 32,80 dollars : 1484 heures ! Cela représente environ huit mois à raison de 40 heures par semaine (si l’on tient compte des impôts, le nombre d’heures est encore plus élevé).

Alors que, normalement, vous vous demandez si la voiture vaut 48 000 dollars, demandez-vous plutôt si elle vaut 1484 heures de travail. Êtes-vous prêt à consacrer 74 % (1484/2000) d’une année de travail à l’achat de ce nouveau véhicule ? Si la réponse est « oui », foncez et profitez de votre nouveau véhicule. Si la réponse est « Hmmm, je pense que je pourrais utiliser ces 1484 heures plus efficacement ailleurs », alors conserver votre véhicule actuel pourrait vous permettre d’utiliser votre temps de manière plus pertinente.

Je me trouve actuellement dans cette situation. Je conduis une Prius 2011 qui n’a que 75 000 miles. Elle fonctionne très bien, n’a pas besoin de réparations majeures et offre une autonomie d’environ 50 miles/gallon. Je n’ai pas besoin d’un nouveau véhicule, mais j’ai été séduit par le Rav4 2023 et la Prius 2023. J’ai utilisé ce raisonnement et j’en ai conclu qu’il me faudrait trop d’heures de travail pour acheter un véhicule plus récent dont je n’ai pas besoin. Je préfère utiliser ces heures pour passer du temps avec mes amis et ma famille, écrire des articles de blog, créer des vidéos YouTube et rester en bonne santé en jouant au beach volley et au pickleball.

 

Des mots pour apprendre à vivre

Vous pouvez utiliser ce raisonnement dans de nombreux cas de figure.

Prenez simplement le prix de ce que vous envisagez d’acheter et divisez-le par votre salaire horaire. Vous saurez ainsi combien d’heures il vous faudra travailler pour financer votre prochain gros achat. Décidez ensuite si vous êtes d’accord avec ce compromis.

Voici l’une de mes citations préférées du livre The Psychology of Money de Morgan Housel :

« La possibilité de faire ce que vous voulez, quand vous le voulez, avec qui vous le voulez, aussi longtemps que vous le voulez, n’a pas de prix. C’est le dividende le plus élevé de l’argent ».

Veillez à gérer votre argent avec sagesse afin de profiter pleinement de votre temps !

 

 

Traduction Contrepoints

Sur le web

Les animaux, ces inventeurs de génie

Par Mathilde Tahar.

 

Les animaux ne cessent de nous étonner pour le meilleur ou pour le pire, comme on l’a vu récemment avec ces attaques d’orques contre des bateaux en Espagne dont on ne connaît pas encore les causes. Ce qui est certain c’est que les animaux sont capables de développer des comportements inhabituels, voire réellement nouveaux.

Depuis plusieurs décennies, les biologistes observent de nouveaux comportements extraordinaires. Ces comportements ne sont explicables ni seulement par la génétique ni seulement par l’interaction avec l’environnement. Il semble que les animaux les aient inventés.

Cette faculté d’invention vient donc bouleverser notre conception de l’animalité, non seulement sur le plan scientifique, mais aussi philosophique. Si la philosophie a accordé, au cours des siècles, sensibilité, faculté de choix, capacité de signifier, et même d’apprendre aux animaux, la créativité a toujours été considérée comme l’apanage de l’être humain. Pourtant, les animaux inventent. Et c’est sur ce phénomène fascinant que portent mes recherches depuis 2022. Dans un travail à la croisée entre philosophie et biologie du comportement animal, je cherche à comprendre comment les animaux inventent, ce que cela change pour eux, mais aussi pour notre compréhension du monde vivant.

 

Mésanges, macaques ou hérons : des animaux inventeurs

Depuis un siècle, les éthologues s’intéressent aux inventions et innovations animales. On parle d’invention quand les animaux manifestent un comportement nouveau. Une innovation est une invention qui s’est répandue et stabilisée dans la population.

Le premier cas d’innovation identifié est celui des mésanges et des bouteilles de lait, dans le sud de l’Angleterre. Dans les années 1920, les bouteilles de lait étaient livrées devant les maisons, scellées par des opercules. Mais bien souvent, lorsque les gens récupéraient leur bouteille, ils découvraient l’opercule percé et le lait entamé. On a fini par découvrir que des mésanges charbonnières et des mésanges bleues étaient responsables de ce méfait. Cette innovation, observée pour la première fois à Swaythling en 1921, s’est répandue sur plus de trente sites vingt ans plus tard.

Le lavage des patates douces par les macaques de l’île de Kōshima/Issekinicho.

Un autre exemple connu est celui du lavage de patates douces par les macaques de l’île de Kōshima au Japon. Pour faire sortir les macaques, les chercheurs laissaient des patates douces sur la plage. Les singes les récupéraient, enlevaient le sable, et les mangeaient. Cependant, en 1953, une jeune femelle, Imo, a été observée en train de laver ses patates dans la rivière. Ce comportement inédit s’est rapidement répandu au sein de la communauté. Et Imo ne s’est pas arrêtée là : elle a ensuite commencé à emmener ses patates à l’océan et à les plonger dans l’eau salée avant chaque bouchée (pour le goût ?), transformant ainsi sa première invention.

Depuis, les exemples se sont multipliés. On pourrait citer les hérons qui font tomber des objets dans l’eau pour attirer les poissons.

Parce que certaines inventions se répandent et se stabilisent dans la population et que quelques-unes sont adaptatives, elles jouent un rôle dans les dynamiques écologiques et transforment parfois les pressions sélectives. Ainsi, ces découvertes complexifient considérablement notre compréhension de l’évolution. Mais mes travaux cherchent également à comprendre comment elles bouleversent notre approche philosophique de l’animalité.

 

L’animal, l’invention et le jeu

Cela fait longtemps que l’on ne pense plus l’animal sur le modèle cartésien de l’animal-machine. On sait que l’animal peut sentir, signifier, et même choisir son action. On reconnaît volontiers qu’il y a bien un machiniste dans la machine. Cependant, l’animal ne saurait inventer.

La tradition philosophique veut, en effet, que l’invention soit le privilège de l’être humain. Ce privilège repose sur notre capacité à prendre de la distance et à jouer avec les éléments de notre environnement. L’invention ne peut survenir que s’il y a un décalage entre la perception et l’action, si les comportements typiques ne sont pas automatiquement déclenchés par le milieu. C’est ce décalage qui nous permet de détourner et de réinventer la relation habituelle avec l’environnement. Or, ce n’est possible que si le rapport avec le monde est ambigu, si les objets du monde n’ont pas un sens univoque, nous imposant une action unique. C’est cette non-univocité qui nous permet de faire preuve d’invention en détournant les objets de leur sens premier (par exemple lorsqu’on utilise une loupe pour faire du feu).

Et c’est justement ce que la tradition philosophique refuse aux animaux. L’animal se déplacerait dans un milieu non ambigu, sans virtualité, toujours dans le présent de son action concrète.

À l’inverse, la spécificité de notre conscience serait d’ouvrir un monde chargé d’imaginaire, de virtuel. Preuve en est : l’être humain est capable de faire semblant, c’est-à-dire de jouer avec le réel, de détourner les objets, les mots, les situations pour leur donner une signification nouvelle. Selon la logique de cette tradition philosophique, qui semble avoir oublié les pages émouvantes que Montaigne consacrait au jeu avec sa chatte, les animaux devraient être incapables de jouer.

Et pourtant ils jouent. Ou du moins la plupart d’entre eux jouent : les mammifères terrestres et marin, les oiseaux ou les reptiles, aussi bien les animaux domestiques que les animaux sauvages. Le jeu donne ainsi à voir chez des animaux cette faculté de se détacher du rapport immédiat avec l’environnement que les philosophes ont identifiée comme condition de l’inventivité et qui était censée être l’apanage de l’être humain.

 

Le jeu, terrain de recherches privilégié

Ainsi, mes recherches sur l’invention animale m’ont amenée à étudier le jeu.

Il est une activité motrice qui ne semble pas avoir de bénéfices adaptatifs à court terme, qui est initiée de façon spontanée, et dans laquelle des schémas moteurs provenant d’autres contextes sont utilisés sous des formes modifiées (les mouvements prennent une forme différente, souvent exagérée) et/ou selon une séquence temporelle altérée (les mouvements ne sont pas effectués selon l’ordre habituel). Compte tenu de son inutilité, le jeu se produit lorsque les animaux se sentent en sécurité.

Dans le jeu, les animaux se meuvent dans une situation fictive : le chat joue comme si la balle était une souris, les louveteaux jouent comme s’ils étaient en train de chasser, les hyènes jouent comme si elles étaient en train de se battre.

Ce comme si ne résulte pas d’une erreur de jugement de la part des animaux, puisque certains sont capables de communiquer la dimension fictive de la situation. C’est le cas notamment chez les hyènes : par un ensemble de signaux, notamment en présentant à leur partenaire une bouche ouverte, un peu relâchée, la hyène peut communiquer à son partenaire qu’il ne s’agit pas d’un combat réel, mais ludique.

Le jeu manifeste donc bien la création active d’un virtuel, une prise de distance avec le concret qui est la condition de possibilité de l’invention. Et en effet, dans le jeu, non seulement les comportements sont détournés de leurs fonctions, mais ils sont très flexibles, et prennent parfois des formes réellement nouvelles. Le jeu est ainsi un terrain de recherche privilégié pour étudier l’invention non humaine. Mais c’est aussi certainement un terrain de recherche privilégié pour l’animal lui-même. Étant donné que le jeu ne se produit que dans des situations non dangereuses, il permet aux animaux de tester de nouveaux comportements sans courir de risques.

 

Perspectives de recherche

Des chercheurs ont fait l’hypothèse que le jeu permettrait à l’animal d’accroître sa flexibilité comportementale, et de s’entraîner à répondre de manière innovante à des situations imprévisibles. Sans aller jusqu’à dire que le jeu a évolué pour cette fonction, mon hypothèse est qu’il est en effet probable que les activités ludiques favorisent l’adaptabilité de l’individu en développant sa capacité d’invention. Le jeu pourrait ainsi faciliter l’apparition d’innovations qui n’auraient peut-être pas vu le jour autrement.

La chasse coopérative des baleines à bosse/National Geographic Wild France.

Un exemple pour l’instant hypothétique est celui du filet de bulles utilisé par les baleines à bosse lorsqu’elles chassent en groupe. Une baleine forme un tube de bulles, à l’intérieur duquel elle piège les poissons qui ne peuvent passer au travers des bulles épaisses. Pendant ce temps, les autres baleines nagent vers la surface à l’intérieur du filet, engloutissant au passage leurs proies. Cet ingénieux piège peut prendre des formes plus ou moins sophistiquées. Si on sait que ce comportement n’est pas inné, nous n’avons pas encore identifié son origine. Mais étant donné que de nombreux cétacés utilisent des bulles pour jouer, il est vraisemblable que ce comportement prédateur ait été inventé au cours du jeu.

Si l’hypothèse se vérifiait, cela signifierait que le jeu pourrait faciliter l’apparition de nouveaux comportements adaptatifs. Ainsi, les individus (et/ou les espèces) les plus joueurs seraient aussi les plus susceptibles d’envahir de nouvelles niches. L’étude du jeu animal nous permettrait à la fois de mieux comprendre le processus d’invention chez les animaux, et d’enrichir notre compréhension des processus adaptatifs.

 

 

Mathilde Tahar, Docteure en philosophie de la biologie, ATER, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Fifi : la magie émancipatrice d’une rencontre

*Film réalisé par Jeanne Aslan et Paul Saintillan avec Céleste Brunnquell, Quentin Dolmaire.
Sortie mercredi 16 juin 2023.

 

C’est le début des vacances d’été. Fifi habite chez sa mère un appartement HLM de la banlieue de Nancy.

La cohabitation avec son petit frère, ses sœurs, dont la plus grande a un bébé, et le compagnon de sa mère est mouvementée. Fifi, étonnamment mature pour ses 15 ans, semble échapper aux passions du quotidien qui animent cette joyeuse famille. Débrouillarde et pragmatique, elle participe à la vie domestique, à mi-chemin entre l’agacement et le détachement.

Lorsqu’elle rencontre une ancienne camarade de classe qui l’invite à prendre un verre dans sa belle maison, juste avant de partir en vacances, Fifi ne peut résister : elle subtilise un jeu de clefs en un geste quasi automatique, fait-précipice bretonnien.

Pensant pouvoir se réfugier dans le calme de cette harmonieuse maison d’architecte, Fifi n’avait pas prévu le retour de Stéphane, 23 ans, le fils de la famille.

S’ensuit une rencontre toute en subtilités entre ces deux personnages que ni leur âge ni leur milieu n’étaient censés rapprocher.

Au-delà de l’histoire et de son déroulé rohmérien, c’est le traitement de la question sociale qui est ici original et franchement rafraichissant. Loin de tomber dans les clichés du film social, les réalisateurs s’attachent à dépeindre des milieux certes différents, mais fonctionnels et attachants.

Pas d’ostentation de mépris ou d’indifférence chez les plus aisés ; eux aussi ont leurs lots de problèmes existentiels, tel l’ami de la famille de Stéphane qui essaye de prendre avec légèreté l’hostilité de sa fille adolescente. La culture leur est offerte, mais sont-ils à la hauteur de cette facilité ?

Chez les plus pauvres, pas de victimisation : la cité hlm n’est pas misérable, l’ascenseur fonctionne, l’appartement n’est pas petit, même s’il l’est trop pour la famille. Chacun participe aux combines qui permettent d’assurer le quotidien.

Le désir d’émancipation de Fifi ne ressemble en rien à de la jalousie. La justesse sociale sans le spectre vindicatif de la justice sociale ! Quel bonheur de se laisser porter par ce film à la mise en scène impeccable, aux dialogues soignés, porté par des acteurs remarquables. Fifi est interprétée par Céleste Brunnquell. Elle est ici un peu plus jeune que dans la série En thérapie et par Quentin Dolmaire qui jouait un assistant lunaire dans la série OVNI. Même les seconds rôles sont tous excellents.

Premier film d’un couple de réalisateurs plus tout jeunes qui, après des années de galère, ont enfin trouvé un producteur, Fifi a obtenu le premier prix, à l’unanimité du jury, dans la catégorie « nouveaux réalisateurs » au festival de San Sebastian.

Berlusconi : mort et vie d’un protagoniste

Avec le décès de Silvio Berlusconi s’achève une époque… déjà achevée.

La fin physique du Cavaliere arrive après sa mort politique. Forza Italia, fondée par Berlusconi au début de 1994, est le troisième parti de la coalition qui a amené Giorgia Meloni au Palazzo Chigi. Le patron de la holding Fininvest a eu du mal à accepter de ne plus être le chef de l’alliance de centre-droit qui a pourtant gagné les élections politiques de septembre dernier. Et pour une telle personnalité, la troisième place – après Fratelli d’Italia de Meloni et la Lega de Matteo Salvini – équivalait à une défaite. Berlusconi était le premier ou rien. Son aventure politique avançait tristement vers un déclin inexorable. Son temps en tant qu’homme d’État et de gouvernement était au crépuscule.

Maintenant que la vie terrestre de Berlusconi vient de se terminer, on peut timidement essayer de dresser un bilan de son influence sur la vie culturelle et politique de l’Italie. Il a été brièvement un entrepreneur à succès et un homme politique qui a échoué.

 

Entrepreneur à succès

Berlusconi a débuté son activité dans le bâtiment. Le quartier résidentiel Milano 2 a été une innovation urbanistique qui reste un exemple près de cinquante ans après sa livraison : les piétons et les voitures ne se rencontrent jamais.

Mais le nom de Berlusconi est étroitement lié à la télévision et au football.

Pour comprendre le succès de Berlusconi dans le milieu télévisuel, il faut auparavant saisir le rôle du petit écran dans le processus de construction de la culture des Italiens. Réunie politiquement bien des siècles après la France, l’Italie a eu besoin d’une unification linguistique, qui n’a pas été réalisée principalement par l’éducation nationale, la littérature ou la bureaucratie (comme en France), mais par le tube cathodique, d’où l’importance culturelle et sociale de la télévision.

Berlusconi entrepreneur – c’est-à-dire celui qui comprend avant les autres où sont les opportunités de profit – a compris que la télévision était le moyen le plus sûr pour s’enrichir et devenir populaire. Avant Berlusconi, la télé en Italie était un monopole public de la Rai. Le Cavaliere a eu le génie (et l’absence de scrupules) de bâtir un empire médiatique privé fondé sur l’entertainment (l’amusement), où des jeunes filles pas trop habillées jouaient un rôle faussement accessoire. De cette conquête, l’appellation de sua emittenza (en italien on s’adresse respectueusement à un cardinal comme « sua eminenza », tandis que emittenza désigne le secteur des transmissions, dont la télé). En France, l’histoire de la Cinq n’a pas eu le même succès de Canale 5 en Italie…

Si à cela on ajoute le foot, un autre grand amour des Italiens, on peut se faire une idée de la capacité de Berlusconi à décrypter la société italienne. Il a acheté le Milan AC en 1986, et pendant les 31 années de sa présidence, son club a gagné cinq Ligues des Champions, huit Scudetti, trois titres mondiaux des clubs… Comme il s’est toujours défini lui-même, il a été le président le plus titré de l’histoire du calcio.

Il y a bien sûr des zones d’ombre dans l’essor de Berlusconi.

Dans les années 1970, il est très habituel de s’assurer auprès de la mafia pour être protégé des kidnappings, très fréquents à l’époque (ces mêmes années où le père de Carla Bruni a décidé de quitter Turin pour Paris, pour les mêmes raisons) de s’inscrire à la loge Propaganda due de la franc-maçonnerie, dissoute plus tard en tant qu’organisation criminelle et subversive. Et d’être condamné à quatre ans (dont trois effacés dans le cadre d’une amnistie) pour fraude fiscale. Il a survécu à tout ça.

 

Un politicien désastreux

Berlusconi a créé un parti-entreprise avec Publitalia, la branche de son empire consacrée à la publicité, par laquelle il a démontré qu’il était un formidable vendeur, en affirmant que le public raisonne comme un gamin de huit ans. Berlusconi rend inutile la référence à Schumpeter pour comprendre que la démocratie est fondamentalement un processus de concurrence entre des entrepreneurs politiques pour obtenir les voix des électeurs. Sauf que les électeurs sont censés être au moins majeurs…

En 1994, Berlusconi a promis une révolution libérale (pour les lecteurs français, La Rivoluzione liberale était une revue de culture politique publiée entre 1922 et 1925 par Piero Gobetti, un jeune intellectuel turinois, victime d’une violente agression commise en septembre 1924 sur ordre personnel de Mussolini. Il s’exile à Paris en 1925, où il décède des suites de ces blessures, à l’âge de 24 ans).

Cette révolution, on ne l’a jamais vue. Il y a là un paradoxe : ses adversaires (surtout de gauche) l’ont accusé d’être le champion de la réaction néo-libérale. Les libéraux (s’il y en a en Italie…) lui ont reproché de ne pas avoir eu le courage de mettre en œuvre ses promesses.

À l’étranger, il est surtout connu pour des scandales sexuels et des affaires. Mais si le bilan des presque trente ans de Berlusconi homme politique est négatif, c’est parce qu’il n’a rien fait pour s’opposer au déclin social et économique de l’Italie. Il a sali pour toujours le mot libéral.

 

Des polémiques au-delà de la fin

Une partie de l’opinion publique a contesté la décision du gouvernement de déclarer le deuil national et les funérailles d’État. Berlusconi n’a pas cessé de diviser les Italiens

Le recteur de l’Université pour étrangers de Sienne, Tomaso Montanari, a refusé de mettre les drapeaux en berne. Les étudiants de l’École Normale di Pise ont accroché une bannière « Ce n’est pas notre deuil ».

Quoi qu’il en soit, on peut s’amuser à comparer les obsèques de Berlusconi et celles de Mitterrand. Plus monarchistes étaient celles du Français, avec ses deux femmes et ses enfants ; plus bourgeoises étaient celles du premier, avec deux anciennes épouses, plusieurs ex-fiancées et Marta Fascina, 33 ans, députée à la Chambre, dernière compagne de Berlusconi.

La cérémonie à la cathédrale de Milan a été – comme on pouvait le prévoir – un spectacle, la célébration d’un homme qui a pu rassembler dans la même église les institutions et le showbiz, le président de la République et le dernier des clowns du cirque médiatique de ses chaînes télé.

Si toute esthétique est une éthique, les funérailles de Berlusconi ont montré à l’Italie et au monde entier la représentation d’un univers symbolique dont il faudra interpréter les signes. Berlusconi semble être un phénomène simple à déchiffrer. Il est la manifestation de combien la modernité peut être complexe.

Le baccalauréat, un bout de papier qui ne nous apprend rien

Une tribune de #HackLaPolitique

 

Dès que le mois de juin arrive, le baccalauréat monopolise les titres de la presse. Les médias relatent les fuites de sujets que l’Éducation nationale est incapable d’éviter, vous voyez des reportages sur des jeunes terminales – et notamment le papy de 80 ans ou ledit surdoué de 12 ans, qui présentent leurs méthodes de révision.

Le baccalauréat est un symbole social, culturel, un bout de papier qui fait couler de l’encre, beaucoup d’encre, et peut-être pour pas grand-chose.

Car pour nous, le bac est un sujet important, oui. Mais surtout parce qu’il est l’alpha et l’omega d’un modèle éducatif – le nôtre- d’un autre âge. Nous allons voir pourquoi.

 

Un système inégalitaire

Le constat est assez simple. La vision que l’on se fait de notre modèle éducatif est celui d’un système républicain, mettant en avant l’égalité du savoir, brisant l’ensemble des déterminismes sociaux. Pourtant, c’est aujourd’hui sans conteste un système profondément inégalitaire.

C’est d’ailleurs la conclusion du rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire en 2016, mais aussi du fameux rapport PISA : les élèves défavorisés voient leur niveau baisser, tandis que les élites continuent de réussir.

La question alors à se poser est de savoir comment notre fameux modèle républicain, pourfendeur de l’égalité des chances, a-t-il pu finir si bas, favorisant avant tout les déterminismes les plus primaires ?

 

Un système éducatif centralisé et pyramidal

Pour le comprendre, il faut tout d’abord étudier le fonctionnement de l’Éducation nationale.

Sa particularité est d’être un système extrêmement centralisé et pyramidal ; que ce soit les programmes, les méthodes d’enseignement, ou encore les budgets, tout se décide plus ou moins dans les bureaux dorés du ministère de l’Éducation nationale et de sa puissante administration.

Une telle centralisation du pouvoir présente des défauts évidents : tout d’abord, c’est l’inadaptation du système à la diversité des enfants. Comment peut-on imaginer qu’une école totalement uniforme sur tout le territoire puisse s’adapter à la diversité des réalités locales ?

 

Une fabrique de l’uniformisation

Comment voulez-vous que de façon centralisée on puisse décider d’une seule bonne méthode d’enseignement pour chaque enfant ? Entre un élève en difficulté scolaire ou un surdoué, le système éducatif actuel n’offre que très peu d’alternatives d’enseignements.

Or aujourd’hui, les enseignants le disent eux-mêmes, c’est l’Éducation nationale qui décide de tout, y compris des méthodes de travail. Que ce soit les professeurs ou les élèves, tout le monde est enfermé dans un système extrêmement hiérarchisé. Tout part des rectorats, où tout est administré, contrôlé et surveillé.

Les professeurs reçoivent même des notes administratives infantilisantes leur expliquant comment gérer une classe. C’est ne pas leur faire honneur alors qu’ils ont avant tout un savoir à transmettre.

Et dans le même temps, certains manquent de formation, ou d’autres, qui auraient une vocation, ne se jettent pas à l’eau. Et entre nous, les enseignants qui nous ont le plus ennuyé à l’école, sont ceux qui se limitaient à reproduire ce type de petites notes.

 

Favoriser l’initiative

Si on veut garantir que l’éducation puisse s’adapter à chaque établissement, à chaque classe et à chaque élève, il faut permettre le développement de méthodes scolaires qui diffèrent de ce que tel ou tel ministre a décidé. Donc, cela nécessite que les professeurs et les établissements puissent sortir du cadre, tenter de nouvelles initiatives de pédagogie, ou des expérimentations locales.

Par exemple, dans un rapport sur le numérique à l’école de 2016, l’Institut Montaigne nous apprend qu’aux Pays-Bas, où le système éducatif favorise les écoles indépendantes, un entrepreneur hollandais, Maurice de Hond, a créé en 2013 via sa fondation 04NT de nouvelles écoles basées sur un apprentissage progressif centré sur l’enfant et facilité par les technologies numériques (chaque enfant a une tablette où figure son programme d’apprentissage et certaines activités associées).

 

Les écoles Steve Jobs

Dans ces écoles Steve Jobs, pas de classe mais des ateliers de travail par tranche d’âge et centrés sur les mathématiques, l’histoire, ou le développement de la créativité par exemple. Chaque enfant a la liberté de décider ce qu’il souhaite apprendre en premier.

Les enseignants sont littéralement appelés coachs, travaillent étroitement avec les parents, et organisent des points d’avancement toutes les six semaines.

Ces écoles ont si bien réussi qu’elles se propagent actuellement dans le tout le pays.

Ce projet est un exemple frappant du fait que des acteurs non publics peuvent prendre en charge de manière bien plus innovante et efficace les besoins de transformation de l’apprentissage des enfants, que ne pourraient le faire des administrations aux routines bureaucratiques parfois trop rouillées.

 

Le rôle des acteurs locaux

On le voit, la plupart des réformes scolaires en France s’effectuent surtout à la marge, en bougeant quelques curseurs un peu inutiles (rythmes scolaires, allègement/alourdissement de certaines matières) alors que les initiatives les plus innovantes, il faut le constater, viennent le plus souvent d’acteurs locaux.

Imaginez-vous le ministre de l’Éducation déclarer que les écoles françaises ne fonctionneront plus par classe mais par atelier ? Jamais cela ne se produira. Parce que le monopole condamne à l’immobilisme, qu’il fige les institutions dans une bureaucratie de privilèges, l’État est incapable de sortir de ce modèle napoléonien qui perdure depuis deux siècles.

Le baccalauréat représente très bien ce système où de façon extrêmement uniforme, tous les élèves apprennent exactement la même chose, année après année, avec les mêmes méthodes. Le système actuel qui tend à égaliser tout le monde à outrance produit de faitune uniformisation des esprits qui peut in fine briser la créativité et l’innovation chez les élèves.

 

Conformisme au sommet

Le fameux conformisme des élites dirigeantes (grandes écoles, ENA, etc.) que beaucoup condamnent dans notre pays a été favorisé par les pratiques actuelles de l’Éducation nationale. On ne se distingue pas en France par le talent individuel, mais par la faculté à se caler dans le moule prédéfini par le ministère.

Et c’est pour cela que les déterminismes sociaux sont de plus en plus marqués en France : seuls ceux possédant les moyens financiers de se glisser parfaitement dans le moule, ou de sortir de ce système, peuvent aujourd’hui s’assurer un statut social valorisé, ou développer leurs capacités en dehors de l’école.

Ces inégalités sociales sont souvent renforcées par l’orientation des élèves dans le secondaire, par exemple ; ce qu’on appelle la carte scolaire. Sous couvert d’égalité d’accès aux établissements (chaque élève dispose d’un établissement dans son secteur d’habitation), ce sont en réalité les habitants des quartiers les plus riches qui ont accès aux établissements les mieux réputés se situant dans ces quartiers, et cela automatiquement, par le simple privilège de la naissance, tandis que les plus pauvres sont affectés dans des établissements qui n’ont malheureusement pas bonne réputation, indépendamment du travail qu’ils ont fourni. Avec la carte scolaire, le mérite individuel passe au second plan.

 

L’avenir de la réforme

Le problème c’est que nous ne sommes pas prêts de sortir de ce système, car changer un modèle aussi centralisé prend énormément de temps : le nouveau ministre de l’Éducation nationale a annoncé qu’il allait falloir attendre deux ans pour sortir de la réforme des rythmes scolaires.

Il reste donc trois années pour engranger de nouvelles réformes, en espérant qu’une nouvelle majorité ne vienne pas imposer un nouveau calendrier, à l’occasion du mandat suivant, les rythmes scolaires n’étant qu’un détail dans la masse des changements à mettre en place.

L’éducation est un travail de long terme. Or aujourd’hui il ne peut pas y avoir de cap, la seule façon de changer le système étant d’attendre tous les cinq ans que chaque majorité vienne démolir ce qui a été mis en œuvre. L’éducation est un sujet trop important pour le laisser entre les mains des politiciens.

 

Le bac, symbole de la domination de l’État

Le baccalauréat est le symbole d’une Éducation nationale ne se préoccupant pas du développement du talent individuel.

L’État conserve la main sur l’Éducation au détriment d’acteurs locaux. Au nom de l’égalité de traitement, le fameux mérite républicain, loin d’être favorisé, permet le maintien des inégalités les plus injustes.

Il est évident qu’une décentralisation bien plus large de l’école est indispensable. Elle permettrait aux acteurs locaux, qu’il s’agisse des professeurs ou des parents, de travailler ensemble pour innover et modifier les méthodes de pédagogie qui ne fonctionnent plus aujourd’hui.

Les free schoolsen Angleterre ou dans certains pays nordiques sont assez encourageantes en la matière, non seulement en termes de coopération entre les familles et les écoles, mais aussi concernant les méthodes d’enseignement.

Il faut avoir une vision distante du baccalauréat, bien avant celui-ci. Il n’est qu’un bout de papier. L’éducation est l’affaire d’une vie, de chaque vie, de coopérations volontaires, de projets.

Nous avons tous la possibilité de reprendre la main sur notre éducation, ce n’est qu’une question de volonté. Écartons tous ces politiciens qui souhaitent décider à notre place et nous encombrent pour pouvoir forger maintenant, nous-mêmes, l’école/l’éducation de demain !

 

Un article publié initialement le 21 juin 2017.

Les jeunes se moquent-ils de l’orthographe ?

Par Hélène Le Levier.

 

Avec l’avènement d’internet et des smartphones, la communication écrite s’est enrichie de tournures informelles. Écrire à quelqu’un, ce n’est plus nécessairement adopter les codes de la lettre. Ce qu’on appelle souvent le « langage SMS » connait un succès certain, même si son emploi est loin d’être généralisé, même dans les écritures numériques.

On associe souvent ces usages alternatifs aux pratiques d’écriture des jeunes, même s’ils ne sont réservés à aucune génération. Parallèlement, le recul du niveau en orthographe des élèves scolarisés en France depuis quelques dizaines d’années est bien documenté. Il serait alors tentant de faire un lien entre les deux : les jeunes générations n’auraient-elles pas conscience de l’utilité sociale de l’orthographe ? Des pratiques d’écriture moins normées, liées aux usages numériques, influenceraient-elles leur rapport à l’écrit ?

Une enquête menée, dans le cadre d’une thèse, auprès de 178 étudiants préparant un BTS (brevet de technicien supérieur) tertiaire en 2017 permet d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Il s’agit d’un échantillon limité mais qui présente l’intérêt d’être varié en termes d’origine scolaire puisqu’il regroupe des bacheliers généraux, technologiques et professionnels.

Par ailleurs, il s’agit d’étudiants s’apprêtant à exercer un métier où l’écrit joue un rôle important puisqu’ils se forment pour devenir assistants de direction, travailler dans le tourisme ou le support informatique aux organisations. Il était donc particulièrement intéressant de recueillir leurs représentations concernant le rôle social de l’orthographe.

 

Donner une bonne image de soi

Les étudiants enquêtés ont été interrogés sur l’importance accordée à l’orthographe en contextes scolaire, professionnel et privé. L’importance scolaire de l’orthographe est reconnue puisque 46 % d’entre eux la considèrent nécessaire et 47 % importante pour réussir aux examens. Mais l’importance professionnelle d’une bonne maitrise de l’orthographe semble encore plus marquée à leurs yeux, puisque 57 % la déclarent nécessaire, et 38 % importante pour réussir dans la vie professionnelle.

Certains enquêtés se trouvaient d’ailleurs exposés dans leur formation à des cours d’orthographe répondant à ce besoin professionnel. Si certains en contestent les modalités, parfois perçues comme infantilisantes, aucun n’en remet en question l’utilité.

Les entretiens montrent que cette importance accordée à l’orthographe en contexte professionnel est liée à l’idée que l’orthographe influe sur l’image que le lecteur se fait de l’auteur du message. Un étudiant utilise une métaphore assez parlante à cet égard : « avoir une bonne orthographe, c’est comme être bien habillé dans la vraie vie ». Il s’agirait donc, dans les situations de communication médiées par l’écrit, de respecter la norme qui permettra d’être perçu comme un professionnel sérieux.

Les types d’écrits évoqués par ces étudiants en voie de professionnalisation sont parfois des écrits professionnels (lettres, rapports, etc.), mais surtout les écrits associés aux processus de recrutement qui les concernent au premier chef : le CV et la lettre de motivation. Leur regard sur l’orthographe au sein de ce processus se révèle d’ailleurs particulièrement pertinent puisqu’il a été montré que les erreurs orthographiques influent très négativement sur la façon dont les recruteurs jugent ces documents.

 

S’adapter au contexte de communication

En contextes professionnel et scolaire, les enquêtés ont donc parfaitement conscience du rôle social de l’orthographe et ils sont extrêmement peu nombreux à le remettre en cause.

Mais qu’en est-il dans le domaine privé ? Et en particulier dans les pratiques d’écritures numériques, telles que les réseaux sociaux ou les SMS ?

L’attachement à une orthographe normée s’illustre aussi dans cette partie de l’enquête. Ils sont environ 40 % à déclarer faire toujours attention à l’orthographe dans les SMS, quel que soit le contexte. Ils sont moins de 10 % à déclarer n’y faire attention que rarement, ou jamais. Les 50 % restant ont répondu y faire parfois attention.

Les entretiens ont permis de montrer qu’il s’agit majoritairement d’une adaptation au destinataire des modalités de la communication. Les échanges avec des personnes peu familières, des adultes et, a fortiori, des enseignants ou des professionnels se font ainsi le plus souvent dans une orthographe normée. Ces étudiants démontrent ainsi qu’ils sont conscients de la nécessité d’adapter la communication au destinataire.

Il est par ailleurs notable que ceux qui déclarent avoir recours à des procédés alternatifs tels que l’abréviation ne l’assimilent absolument pas à une négligence orthographique. Certains déclarent au contraire rester attentifs aux accords même s’ils s’autorisent des formes abrégées. Il s’agit d’adapter le code utilisé aux contraintes matérielles d’une communication qui se doit d’être rapide.

Plus globalement, les choix orthographiques apparaissent liés au réseau social, au sens large, dans lequel s’inscrit la communication. Comme on pouvait s’y attendre, certains disent être plus détendus avec leurs amis parce qu’ils savent que ceux-ci accordent peu d’importance à l’orthographe. Mais la situation inverse existe aussi, et une étudiante dit même avoir progressé en orthographe au collège grâce aux échanges par SMS avec sa meilleure amie qui avait une excellente orthographe et dont l’influence lui a ainsi permis de progresser.

 

Les défis d’un système orthographique très complexe

Il en va de même des échanges en ligne qui peuvent prendre des formes diverses, dont certaines sont favorables au développement des compétences orthographiques. Dans notre corpus, c’est particulièrement vrai des quelques étudiants qui déclarent participer à des forums Role play game.

Cette pratique du jeu de rôle en ligne implique en effet de faire exister des personnages textuellement. Elle s’appuie donc sur une pratique d’écriture, et de lecture, qui souffre d’une orthographe non normée. Tous les étudiants concernés témoignent ainsi de la pression mise par les coordinateurs de ces forums sur les participants pour qu’ils se conforment à la norme orthographique.

À l’échelle de notre corpus, les pratiques d’écriture numériques n’apparaissent donc pas comme un obstacle au développement des compétences orthographiques. Le respect de la norme ne dépend pas du support mais du contexte social et, conformément à ce qu’on sait du rapport des francophones à l’orthographe, celui-ci est souvent favorable à une orthographe normée.

Le paradoxe demeure cependant que notre enquête a aussi confirmé ce par quoi nous ouvrions notre article, c’est-à-dire la difficulté de ces étudiants scolarisés en France à produire des textes dénués d’erreurs orthographiques, notamment en ce qui concerne l’orthographe grammaticale.

Si celle-ci ne procède pas d’un désintérêt pour l’orthographe, s’ils ont une conscience aiguë du rôle que l’orthographe pourrait avoir dans leur vie professionnelle, d’où vient cette difficulté ? Nos résultats incitent à penser qu’il ne s’agit pas de négligence, mais de difficultés à mettre en œuvre le système orthographique du français, reconnu comme extrêmement complexe. On peut légitimement s’interroger sur les conséquences pratiques de ce décalage entre conscience forte d’une demande sociale et difficulté effective à y répondre.

 

Hélène Le Levier, Maitresse de conférences en sciences du langage à l’INSPÉ de Strasbourg, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Thomas Hobbes et la curiosité, ou pourquoi l’innovation est le propre de l’Homme

Déterminer ce qui différencie fondamentalement l’Homme de l’animal est une question aussi ancienne que l’Homme lui-même, et les idées à ce sujet sont nombreuses.

Un éclairage particulièrement intéressant est fourni par le philosophe Thomas Hobbes pour qui la curiosité est l’une des rares capacités qui différencient les êtres humains des animaux. C’est cette curiosité naturelle qui explique pourquoi l’innovation est le propre de l’Homme.

Avec Machiavel, Thomas Hobbes fait partie des philosophes qui ont mauvaise réputation en raison de sa vision parfois pessimiste – certains diraient réaliste – de l’être humain. Dans sa volonté de décrire l’Homme tel qu’il est, et non tel qu’il devrait être, il évoque une caractéristique selon lui spécifiquement humaine, la curiosité, définie comme un « appétit de connaissance ».

Le concept de curiosité a été diversement apprécié dans la philosophie et la morale, signifiant soit une soif inappropriée d’informations (comme par exemple l’attrait pour les ragots), capturée par l’expression « la curiosité est un vilain défaut », soit un appétit intellectuel admirable représenté par l’image du lettré, du savant, et de « l’honnête homme ».

 

Futurs possibles

Pour Hobbes, la curiosité est à l’origine à la fois de la science et de l’égoïsme.

Elle pousse en effet les humains à envisager une vaste étendue de futurs possibles, et donc d’objectifs personnels. La soif de savoir les pousse à réfléchir aux relations causales potentielles et conduit à une anxiété pour le futur, qui à son tour « dispose les hommes à s’enquérir des causes des choses » – un cercle vicieux de prévisions et d’investigations craintives qui condamne tous les hommes à « un état semblable à celui de Prométhée », dans lequel leur cœur est éternellement « rongé par la crainte de la mort, de la pauvreté ou d’une autre calamité » qui pourraient advenir.

Car la curiosité fait naître la conscience du temps : elle amène à penser à ce qui pourrait se passer dans le futur. Une fois imaginable, l’avenir devient un motif de conflit et d’anxiété puisqu’il peut être insatisfaisant, et que le futur de mon voisin peut être plus favorable que le mien. Cette anxiété est étrangère aux animaux, car ils ne s’intéressent qu’à l’anticipation des schémas de causalité qu’ils ont déjà observés, et non à l’inférence de nouvelles possibilités à partir d’expériences passées.

Si la curiosité est définie comme un appétit de connaissance, Hobbes en propose une définition plus technique, qui n’est pas seulement un plaisir pour les causes, mais un appétit pour un type particulier de connaissance originale : celle des effets jusqu’ici inexpérimentés des causes connues (les moyens dont je dispose). Hobbes oppose en effet la curiosité pour les effets de causes connues (que puis-je faire avec ce bâton ?) à l’intérêt prudentiel pour les causes d’effets connus (comment puis-je capturer cette proie ?).

Selon Hobbes, ce qui diffère chez les humains est en effet l’intérêt pour des effets qui, en eux-mêmes, ne sont pas la cible d’une passion ou d’un appétit, autrement dit qui ne sont pas directement utiles.

En ce sens, la curiosité a un aspect gratuit tout à fait caractéristique que l’on ne retrouve pas chez les animaux. Un effet est poursuivi pour lui-même. On s’intéresse à ce qui peut advenir. Tous les animaux désirent connaître les relations de cause à effet qui sont pertinentes pour leur bien-être, et cherchent également les moyens d’effectuer des changements conformes à leurs objectifs. La faim pousse l’animal à chasser une proie. L’objectif détermine les moyens nécessaires à son atteinte (faim ->proie). Les objectifs restent relativement stables dans le temps, et les moyens également. Il n’y a pas d’innovation parce que les objectifs sont le point de départ et qu’ils changent peu. Le jeu est en quelque sorte fermé.

L’impératif d’utilité immédiate rend impossible l’innovation : il y a un problème à résoudre, on peut le résoudre de manière créative, mais seule sa résolution nous intéresse.

 

Connaissance désintéressée

La curiosité va donc au-delà de la connaissance intéressée.

Ce faisant, elle modifie le fonctionnement de la connexion des idées, remplaçant une structure téléologique (objectif éloigné qui détermine des moyens nécessaires pour l’atteindre) par un processus plus ouvert dans lequel l’objectif n’est ni la synthèse (définition des étapes d’une cause à un effet connu) ni l’analyse (le tracé des étapes d’un effet connu à ses causes), mais la découverte de nouvelles relations de causalité.

La curiosité, quant à elle, s’accompagne de la capacité, non seulement de se souvenir des relations causales observées, mais aussi d’imaginer tous les résultats possibles d’une cause donnée.

Hobbes écrit :

En imaginant une chose quelconque, nous recherchons tous les effets possibles qu’elle peut produire ; nous imaginons ce que nous pouvons en faire une fois que nous l’avons.

La curiosité conduit à la création de nouvelles associations.

Impossible de ne pas reconnaître ici l’approche entrepreneuriale de l’effectuation, selon laquelle un entrepreneur part de ses moyens disponibles et imagine les effets possibles.

Ce que Hobbes suggère, c’est que ce que nous décrivons comme une approche entrepreneuriale est en fait universelle. C’est une posture humaine au sens large qui existe depuis la nuit des temps. Autrement dit, l’innovation, au sens de l’exploration gratuite d’effets possibles nouveaux et inattendus, est un trait profondément humain.

L’être humain ne cherche pas seulement à résoudre des problèmes, il ne peut s’empêcher d’imaginer de nouveaux effets à partir des causes (moyens) dont il dispose.

Le chimpanzé prend une branche pour extraire les fourmis du tronc d’arbre, ce qui est une preuve d’intelligence. L’être humain résout aussi ce type de problème, mais il va au-delà et se demande ce qu’il peut faire avec cette branche : creuser un trou, taper sur son voisin, faire du bruit, apprendre à jongler, s’en servir de béquille, etc. Toutes ces considérations n’intéresseraient pas le chimpanzé, mais ouvrent de nouveaux possibles.

Le paradoxe est que cette recherche de connaissance désintéressée est celle qui s’est révélée la plus utile depuis les origines. L’être humain innove parce qu’il ne peut pas s’en empêcher et il ne peut pas s’en empêcher parce ce qu’il est curieux, et que la curiosité est sa nature. C’est un vilain défaut qui lui amène plein d’ennuis, mais c’est aussi une qualité extraordinaire qui explique pourquoi nous ne vivons plus dans des cavernes depuis longtemps.

Sur le web

Le wokisme est un complotisme (sans comploteurs)

Qu’est-ce que le wokisme ? Commençons par définir le terme : le wokisme est une idéologie qui perçoit les sociétés occidentales comme étant fondamentalement régies par des structures de pouvoir, des hiérarchies de domination, des systèmes d’oppression qui auraient pour but, ou en tout cas pour effet, « d’inférioriser » l’Autre, c’est-à-dire la figure de la minorité sous toutes ses formes (sexuelle, religieuse, ethnique etc.) par des moyens souvent invisibles. Le « woke » est celui qui est éveillé à cette réalité néfaste et qui se donne pour mission de « conscientiser » les autres.

 

En quoi serait-ce un complotisme ?

Il faut d’abord essayer de comprendre la psychologie dissidente.

Trois principes gouvernent la psyché du dissident :

  1. Je pense que je suis bon (principe d’estime de soi/élitiste).
  2. Je sais que le monde est mauvais (diagnostic sociétal).
  3. Je suis contre ce monde (principe d’opposition).

 

Combinez deux d’entre elles sous forme de postulats et vous serez systématiquement obligés d’accepter la troisième en conclusion. L’estime de soi du dissident dépend donc de la nocivité fondamentale du monde, ce qui interdit tout émerveillement ou gratitude, et favorise grandement le ressentiment.

Cette posture possède néanmoins plusieurs avantages.

En parlant de la branche indigéniste du mouvement woke le philosophe Pierre-André Taguieff souligne la déresponsabilisation que permet cette manière de penser, car l’individu est poussé à externaliser ses échecs afin de les mettre sur le dos « du système » : « La responsabilité individuelle est évacuée : c’est le système qui dirige tout, les pensées, les sentiments et les actions des individus, simples marionnettes. ».

Elle offre également la possibilité de se mettre à distance de ce « système » – entité maléfique et floue, aux forces aussi difficilement cernables qu’omnipotentes – tout en se trouvant une raison d’agir dans le monde : agir contre ce monde. Ce faisant, on peut se respecter moralement, et à relativement peu de frais.

 

Le Système nous ment

Cette logique « systémique » se révèle omniprésente dans le logiciel woke.

Il faut se tourner pour mieux le comprendre vers le concept de « Savoir-Pouvoir » chez Michel Foucault :

« Le pouvoir produit du savoir (et pas simplement en le favorisant parce qu’il le sert ou en l’appliquant parce qu’il est utile) ; que pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; qu’il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir ».

La lecture woke faite de cet extrait ressemble furieusement au fameux slogan complotiste « ce que ILS ne veulent pas que vous sachiez ». Le pouvoir, le système, censure tout ce qui « dérange ».

Ainsi, dans l’esprit de certains penseurs des « disability studies », c’est « le système » qui fait que l’on perçoit les troubles psychologiques comme étant « anormaux » et qui véhicule des idées néfastes.

Une activiste de ce domaine affirmait par exemple :

« Je ne crois pas qu’il faille donner le pouvoir au complexe médico-industriel et à son monopole de définir et de déterminer qui est considéré comme autiste et qui ne l’est pas ».

Car ce système nous ment forcément, et l’on voit ici que la cohérence interne du complotisme est moins importante que la posture dissidente. Ainsi, on a pu constater récemment que lorsque les extraterrestres n’étaient pas mentionnés par le gouvernement états-unien, c’était la preuve qu’ils existaient, tandis que désormais, leur mention serait presque en soi la preuve de leur non-existence ; une tactique de « diversion » de la part des politiques pour « nous cacher les vrais sujets » (dont faisaient partie hier encore les extraterrestres).

Pour le formuler autrement, si la cohérence positive interne des militants dans les deux cas n’existe pas réellement, ils possèdent néanmoins une unité négative : « la lutte contre le système ».

 

Le Complot est une poupée russe

De la même façon, le complotiste ne croit pas à un complot juif, à un complot franc-maçon, et à un complot reptilien qui entreraient en conflit.

Les complots doivent s’emboîter verticalement, et non simplement s’additionner horizontalement. D’une certaine façon, pour le complotiste, les complots n’existent pas, car ils sont dissous dans Le Complot, qui Lui existe bien. Le complot juif aide le complot franc-maçon, qui lui-même est tenu par les reptiliens. Ils doivent former un tout cohérent, voire hiérarchique, sans dissensions internes, et aux intérêts parfaitement convergents.

Tout ceci s’aperçoit aisément au sein du schéma intersectionnel.

Il n’y a pas d’un côté le « réseau masculin » qui lutterait pour davantage de pouvoir face à la « tribu hétérosexuelle » et contre le « clan blanc », mais plutôt une espèce d’hydre masculino-hétéro-blanche qui dominerait tous les opprimés, qui se retrouvent eux aussi fusionnés d’un même geste de résistance en un ensemble cohérent. Ces nouveaux Damnés de la Terre (bloc dont l’unité est naturellement, elle aussi, très largement imaginée) ont pour devoir de lutter contre « le système hétéro-patriarcal blanc », facteur explicatif de toutes leurs souffrances.

Cette clef de lecture totalisante permet à celui qui la possède de croire à sa supériorité morale et intellectuelle. Celui qui a compris peut toiser de haut ceux qui n’ont pas compris ; celui qui est éveillé mépriser ceux qui sont endormis. Ces derniers, qu’ils soient classés dans le camp des bourreaux ou des victimes, ne peuvent globalement rien apporter de sensé à la conversation.

Comme dans tout complotisme, la possibilité d’un désaccord bienveillant ou étayé est rejetée d’avance.

 

Sauver les « dominés », qu’ils le veuillent ou non

En effet, le « dominant » qui n’est pas d’accord est naïf et ignorant, car il a grandi dans des sociétés occidentales sexistes et racistes, et tel le poisson qui ne perçoit pas l’eau dans laquelle il a toujours baigné, il serait incapable de percevoir le mal dont il est issu et qu’il propage.

Dans certains cas, ses paroles seront réduites à des stratégies pour conserver son pouvoir et ses « privilèges ». Le « dominé » qui affiche son désaccord avec l’idéologie qui se permet de parler en son nom sera quant à lui accusé de souffrir d’une forme de syndrome de Stockholm, ou alors d’avoir intériorisé les dogmes du système en place au point de ne plus pouvoir s’en défaire.

Ainsi, une femme qui sera en désaccord avec une théorie woke souffrira probablement « d’internalised misogyny », tout comme un noir anti-woke aura intégré le racisme de la classe dominante. Le ad hominem devient officiellement un argument valide, et l’infalsifiabilité du propos s’institutionnalise au sein de la logique intersectionnelle. Celui qui conteste la théorie sera systématiquement naïf/ignorant ou cynique/cruel.

Cette posture moralo-intellectuelle se révèle non seulement arrogante, mais profondément addictive, à tel point que celui qui l’apprivoise aura bien du mal à s’en défaire, même lorsque sa théorie entrera en conflit avec ceux qu’elle prétend plaindre et défendre.

Prenons l’exemple de la Théorie Critique de la Race, particulièrement influente aux États-Unis (voire désormais en France). Cette dernière n’est autre qu’une théorie du complot qui défend l’idée selon laquelle les blancs, à la fois par le passé (ce qui pourrait se défendre) mais également aujourd’hui (ce qui est faux), auraient organisé la société spécifiquement afin de faire en sorte qu’elle produise des disparités raciales (le « racisme systémique ») en leur faveur. Outre le fait qu’on pourrait parfaitement remplacer « les blancs » par « les Juifs » pour se rendre compte de la teneur réelle du propos, elle met régulièrement ses théoriciens en porte-à-faux avec leurs cibles.

Aux États-Unis – pays censé être dominé par ce « racisme systémique » omnipotent, étouffant, créé par et pour les blancs – les Asiatiques et les Juifs se débrouillent pourtant remarquablement bien.

Comment est-ce que le wokisme réagit face à cette réalité dérangeante ?

C’est ici que ce mouvement révèle sa nature profonde, car il témoigne d’une volonté de « sacrifier » ces minorités pour mieux préserver sa cause. Les Asiatiques et les Juifs en Amérique sont désormais traités de « white adjacent », c’est-à-dire de de « proto-blancs », de quasi-blancs, déjà proche de la « blanchité », qui fait office de mal suprême. Symboliquement, cette proximité les déchoit de leur statut de « minoritaire ». Le racisme anti-asiatique et l’antisémitisme pourraient ainsi progressivement à terme être perçus comme de courageuses postures dissidentes à l’encontre du « système blanc ».

 

Complot sans comploteurs

Cette hypothèse du « racisme systémique » postule ainsi que le racisme, système totalisant plutôt que comportement individuel, peut fonctionner sans racistes.

De la même façon, le « sexisme systémique » ne nécessite pas de sexistes pour se perpétuer. Toute disparité statistique dans un domaine donné sera jugée comme une preuve en soi du problème « systémique » dudit domaine. Nous voyons là la particularité du wokisme parmi les complotismes : son complot peut fonctionner sans comploteurs.

Évidemment, un rapide coup d’œil sur Twitter permettra rapidement de voir qu’ils ne sont pas pour autant allergiques à un bon vieux phénomène de boucs émissaires et d’annulations, mais il n’en demeure pas moins que les forces de l’ombre peuvent maintenir ou accroître leur puissance sans « mangemorts » à temps plein. Cela offre à l’idéologie woke un avantage non-négligeable car elle permet de « s’absoudre » de la charge de la preuve ; on a plus besoin de donner d’exemples d’actes ou de comportements racistes pour user de cette étiquette infâmante une fois qu’elle est transformée en système. Pour filer la comparaison, le complotiste ici peut expliquer la pertinence de sa théorie sans avoir besoin de « l’étayer » en faisant référence à des actes précis de Bill Gates ou de Rockefeller.

De ce point de vue, l’essor concomitant du complotisme woke et des autres complotismes annonce non pas un monde « désenchanté » au sens wéberien du terme, mais plutôt « réenchanté négativement ». Des forces obscures tirent les ficelles en arrière-plan tout en dissimulant les traces de leur influence maléfique au sein du « Système », cette entité obscure qu’elles auraient créé à leur image. Pour ces militants, la jolie scène cache nécessairement des coulisses peu reluisantes.

Ils semblent dire à chaque instant : « Ce que je perçois n’est qu’une façade, je compte la démasquer, afin de percevoir ce qu’il y a derrière tout cela ».

L’émerveillé et le naïf ne font qu’un. Esprit critique et cynisme permanent se confondent. À eux, on ne la fait pas.

Enfin, pour terminer, le complotisme comme le wokisme fonctionnent comme des trains sans frein. Pour le dire autrement, la notion « d’aller trop loin » leur est nécessairement étrangère. Lorsqu’un complotiste vous dit que nous ne sommes pas allés sur la Lune, vous pourrez toujours lui répondre d’un air sceptique : « La « Lune » … ? ». Il s’empressera alors de ne pas se laisser déborder et de détailler la nature purement holographique de cette dernière.

De la même façon, le wokisme ne peut que se radicaliser, et celui qui fera l’éloge des transitions de genre à dix-huit ans risquera rapidement de se faire dépasser par des propositions de transition à quinze, treize, neuf, six ans etc.

 

Pourtant, il suffirait d’un peu de courage pour s’opposer à ces idéologies infalsifiables. Mais ça, « ILS » ne veulent pas que vous le sachiez…

 

Un article publié initialement le 18 juin 2023.

Pourquoi libéralisme et social ne doivent pas être opposés

La philosophie libérale est relativement méconnue en France. Et nous sommes nombreux à l’avoir découverte un peu par hasard. J’observe que pour certains lecteurs, par exemple, c’est en tombant sur un article de Contrepoints qu’ils disent avoir découvert et pris conscience de ce qu’est le libéralisme. Mais aussi de ce qu’il n’est pas…

Dix-neuvième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».

 

L’idée de progrès social

Il se peut que j’aie découvert le libéralisme à travers la lecture des ouvrages de Jean-François Revel. Mais avais-je pour autant mis un mot sur les idées que je m’étais en partie appropriées, pas si sûr. À vrai dire, je ne m’en souviens plus très bien.

Il me semble plutôt que c’est en tombant sur un exemplaire de « la Nouvelle lettre », parution hebdomadaire et actuellement bi-mensuelle de l’ALEPS, association qui existe depuis plus de cinquante ans, que j’ai ensuite découvert cette philosophie en tant que telle.

Or, que signifie ALEPS ? Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social. Autant dire que l’idée de progrès social est bien inscrite dans les gènes du libéralisme et constitue l’une de ses finalités essentielles.

Car c’est bien en faisant confiance aux individus et à la liberté que l’on peut souhaiter qu’ils aient en matière de création, de commerce, d’échange, d’économie entre autres, que l’on peut espérer créer les conditions qui permettront de parvenir au progrès social.

Le libéralisme étant un tout, rappelons-le, ne prenant pas en considération, loin de là, que la dimension économique, qui n’est absolument pas la seule préoccupation des libéraux – cette série en témoigne – même si elle est en revanche essentielle.

Et c’est donc en favorisant la liberté d’entreprendre, de circuler, d’échanger, de s’exprimer, que l’on parvient à encourager le développement, ainsi que l’épanouissement des individus, de sorte que le maximum d’entre eux puissent ensuite jouir des progrès qui en résultent.

 

Des progrès bien réels

Même si la crise liée au covid engendre des reculs momentanés, avec une montée du chômage et de la pauvreté, le mouvement de fond qui a prédominé au cours des deux derniers siècles, et qui s’est accéléré au cours des toutes dernières décennies, va dans le sens d’un recul très net de la pauvreté, aussi bien que des maladies et de l’âge de mortalité (espérance de vie), ou encore de l’analphabétisme, de la sous-alimentation, des guerres, et même – quoi que certains en disent – des taux de pollution. Tandis que les guerres, violences, inégalités (quoi qu’on en dise là encore) régressent là aussi.

Tous éléments que vous pouvez aisément retrouver de manière très bien expliquée par exemple dans l’excellent et très réjouissant ouvrage de Johan Norberg Non, ce n’était pas mieux avant, dont je vous conseille une nouvelle fois vivement la lecture.

Mais bien sûr, il ne faut jamais perdre de vue que ces bienfaits demeurent fragiles. Or, qu’est-ce qui semble clairement aller dans le sens de ces progrès ? Ceux avant tout des libertés fondamentales, ainsi que de celles évoquées plus haut, toutes constitutives de ce que l’on nomme le libéralisme.

Aussi limitées soient-elles ; car quoi qu’en pensent là encore certains, nous sommes loin d’évoluer dans un monde dominé par le libéralisme.

 

Libéralisme et progrès social ne sont pas incompatibles

En 2014 déjà, Vincent Delhomme développait dans ces colonnes l’idée que le libéralisme n’est pas antisocial. Il démontait ainsi un certain nombre d’idées reçues sur ce que beaucoup attribuent à tort à cette philosophie. À l’instar de ce que nous avons déjà eu l’occasion d’affirmer, il montrait en quoi le libéralisme défend l’émancipation de chaque individu, et non comme on voudrait nous le faire croire de manière parfaitement grossière, des « riches ».

Loin de considérer que les pauvres ne doivent leur sort qu’à leur paresse ou à leur manque d’initiative – affirmation attribuée à tort aux libéraux – le libéralisme cherche au contraire à améliorer les conditions susceptibles de permettre le recul de la pauvreté. Et donc du nombre de pauvres.

Cela est sans doute moins immédiatement visible et moins « généreux » en apparence que ce que d’aucuns organisent, généralement avec l’argent des autres – sans forcément mettre en place les conditions propices au développement économique qui bénéficiera au plus grand nombre – mais est bien plus responsable que des systèmes artificiels et interventionnistes qui n’aboutissent que bien trop souvent au développement de véritables trappes à pauvreté.

Car ce n’est pas par les subventions, les incitations, la répression, ou encore le protectionnisme, que les libéraux entendent créer les conditions indispensables à l’amélioration de la condition de chacun. Ni par la dépense publique ou la redistribution.

Pas plus que par la loi qui, à l’image du SMIC dont on sait depuis longtemps qu’il empêche l’embauche de personnes très peu qualifiées, de la même manière que les réglementations trop rigides sur le licenciement, n’ont pour effet que de perturber la plupart du temps le marché et créer de la misère de fait. Sous couvert de bonnes intentions ou de cette très théorique et illusoire question de la « justice sociale ».

Sans même évoquer la question du système de retraites par répartition, condamné par essence à péricliter, et qui en attendant n’assure que des performances bien médiocres au regard de la capitalisation, tout en ne permettant pas la force d’entraînement sur l’économie (et donc sur nos conditions) qu’autoriserait cette dernière.

Mais c’est plutôt par l’appel de tous au sens de l’initiative, de la responsabilité, par la création des conditions propices à la liberté de créer et d’entreprendre que l’on peut au contraire espérer stimuler les forces d’entraînement qui dynamisent l’activité et permettent ainsi de créer des emplois, de la richesse, du bien-être.

Et lorsque cela ne suffit pas, ou en attendant, par des systèmes d’entraide, la charité privée, voire pourquoi pas des systèmes limités d’aide mais sous certaines conditions et strictement réservés aux plus démunis ou accidentés de la vie, ou encore via toute autre forme de fraternité, de système d’assurance ou de solidarité volontaire.

 

À lire aussi :

 

Un article publié initialement le 28 décembre 2020.

Ariane 6, l’arlésienne de l’industrie spatiale européenne

On en parlait déjà en 2010, on en parle toujours en 2023, on y travaille depuis 2014.

Le premier vol prévu en 2020 a été reporté à fin 2023, et il est maintenant probable qu’il n’aura lieu qu’en 2024. La fusée Ariane 6 est bien l’arlésienne de l’industrie spatiale.

Pour comparaison, sa concurrente principale, la fusée Falcon 9 de SpaceX, a été étudiée à partir de 2005 et son premier vol a eu lieu en juin 2010. Depuis cette date, 228 lancements ont été effectués et 200 lanceurs ont été récupérés tandis que le prédécesseur d’Ariane 6, Ariane 5, n’a été lancée que 116 fois sur la période 1998 à avril 2023. Elle n’a jamais été récupérée et elle est à bout de souffle. Elle n’a effectué que trois vols par an en 2020, 2021, 2022 ; un seul en 2023 ; sept les bonnes années. Rien qu’en 2023, SpaceX a lancé 34 Falcon 9. Le dernier lancement d’Ariane 5 est prévu pour ce 16 juin et sa remplaçante, Ariane 6, qui devait être prête en 2020 n’a toujours pas fait un seul vol d’essai. Comble de la honte, l’ESA a dû se résoudre à faire appel à SpaceX pour lancer sa mission spatiale « Euclid » en juillet 2023.

Il y a visiblement inadéquation de l’offre à la demande et il y a donc urgence à y remédier.

 

Quels sont les problèmes ?

D’abord, Ariane 5 est un vieux lanceur. Conçu dans les années 1990, il est non modulable. Utilisé principalement pour placement de satellites en orbite géostationnaire, pour que le prix de son lancement déjà élevé ne soit pas prohibitif par rapport à celui de ses concurrents, américains, chinois, russes ou ukrainiens, il doit pouvoir remplir sa coiffe pour idéalement atteindre 10 tonnes de charge utile. Comme les charges unitaires sont généralement inférieures à cette masse, cela a souvent contraint à allonger les délais pour un premier client en attendant qu’un second se présente afin que le prix reste « raisonnable ».

Le deuxième étage d’Ariane 5 ne peut pas être rallumé après une première ignition alors que celui des concurrents le peuvent. Ce défaut ne permet pas les ajustements d’orbite, souvent nécessaires.

L’absence de modularité de la puissance est mal adaptée pour le placement sur des orbites très différentes GEO (orbite géostationnaire) ou LEO (Low Earth Orbit) et avec des charges de masses très différentes.

Le lanceur n’est pas réutilisable. La raison est simplement que l’ESA et les responsables d’Arianespace n’en voyaient pas l’intérêt et doutaient d’ailleurs de sa faisabilité.

Elon Musk en voulant absolument y parvenir apparaissait comme un amateur pas très sérieux. Le CNES avait certes proposé en 2010 de travailler sur un lanceur réutilisable brûlant du méthane dans de l’oxygène. Mais en 2015 l’ESA avait mis fin à cette réflexion, soi-disant parce que la réutilisabilité n’était pas viable. La base du raisonnement était que si la réutilisabilité se faisait 12 fois dans l’année, on ne produirait plus suffisamment de moteurs et qu’ils coûteraient donc trop cher (!?). Il n’y avait dans cette approche simpliste et malheureuse aucune anticipation quant à la croissance possible du marché !

Ariane 5 est le fruit de la coopération de 16 pays européens, ce qui est beaucoup trop. Même si avec Arianespace la France possède 74% du capital [1], les décisions supposent une concertation préalable, très coûteuse en fonctionnaires et en argent avec les partenaires, ce qui est très difficile. Ensuite, il découle de ce caractère multinational une dispersion des centres de production qui pose aussi des problèmes de coordination et de multiples transports. Ce qui ralentit aussi les processus et coûte cher, sans compter que si la construction et l’assemblage se font en Europe, les lancements se font en Amérique du Sud.

Le coût final d’un lancement place Ariane 5 très au-dessus du coût des fusées concurrentes. Elle ne peut voler que grâce aux subventions de l’ESA et parce que, pour une raison ou l’autre, les clients sont captifs de l’ESA. Dans les années 2020, la pression concurrentielle a fini par entraîner la réduction drastique du nombre de vols (tombés à deux ou trois par an contre sept les meilleures années).

 

Quelles sont les améliorations supposées apportées par Ariane 6 ? 

Il fallait donc passer à un nouveau lanceur baptisé Ariane 6.

La prise de décision fut longue et laborieuse et le début d’exécution encore plus long. On est maintenant « dans la dernière longueur » avant le premier vol et la mise en service de ce nouveau lanceur. Il y aurait déjà 28 pré-contrats de lancements signés (mais il faudra les honorer). Cela doit-il donner espoir aux Européens ?

La réponse est tout simplement de pallier autant que possible les difficultés mentionnées ci-dessus. Et effectivement, il y aura plusieurs modifications au niveau du système de la propulsion, mais malheureusement pas de révolution :

Le moteur du lanceur (un seul, fonctionnant à l’hydrogène liquide brûlant dans LOX) sera toujours le Vulcain d’Ariane 5 (Vulcain 2.1 au lieu de Vulcain 2). Le second étage (un seul moteur, H2 et LOX – oxygène liquide) sera équipé du nouveau moteur, Vinci (déjà prévu pour équiper la dernière version d’Ariane 5, « 5ME », arrêté en 2014). Le Vinci peut être rallumé, ce qui permettra de réduire le temps de mise sur orbite.

Il y aura deux versions du lanceur : l’une avec quatre boosters latéraux (« P120 », développés pour le petit lanceur italien Vega) au lieu de deux ce qui permettra d’adapter la poussée à la charge. Ariane 62 aura deux P120 (4,5 t in GTO et 10,35 en LEO) ; Ariane 64 aura quatre P120 (11,5 t en GTO et 22,5 t en LEO).

Voilà donc des nouveautés techniques qui n’en sont pas vraiment.

Avec cela, l’ESA et les dirigeants d’Ariane espèrent diviser par deux le coût unitaire d’un lancement et porter la capacité de lancements de 7 à 11 fusées par an. Mais on parle de concevoir et construire un lanceur réutilisable pour les années 2030.

 

Les problèmes persistants ont des causes profondes et rédhibitoires

Il est toujours question de faire mieux mais sans succès. Pour preuve le retard de trois années sur la date de lancement prévu pour Ariane 6 et le faible niveau d’innovation. Le fait que ni l’impression 3D ni la réutilisabilité ne seront encore possibles pour faire baisser les coûts en sont l’expression la plus criante.

Outre la complexité résultant de l’actionnariat et des associations multiples, la qualité de la direction est peut-être aussi une partie de l’explication. Stephane Israël, le PDG d’Arianespace, est normalien et énarque. En fait, Arianespace souffre de ne pas être dirigée par un entrepreneur. Du côté de SpaceX ou de Blue Origin les patrons prennent des décisions et assument des risques. À la tête d’entités qui sont l’expression du capitalisme étatique, les hommes passent, les discussions s’éternisent, l’argent manque toujours.

De son côté, l’ESA est l’équivalent de la NASA, une énorme administration soumise à de multiples contraintes politiques et avec des hommes à leurs têtes qui ne sont pas animés par la passion de la conquête de l’espace et certainement pas par les vols habités. Joseph Aschbacher, directeur général de l’ESA est un scientifique, docteur en sciences naturelles. Donc aucun souffle ne peut venir de ce côté-là pour diriger une révolution technologique.

Arianespace est la démonstration qu’une administration ou une entité parapublique dirigée par un énarque n’est pas et ne sera jamais une véritable entreprise. Il y a une frilosité et un manque d’imagination intrinsèques à la formation des dirigeants. Même si de temps en temps Elon Musk commet des erreurs (conception de la plateforme de tirs du Starship), SpaceX a de beaux jours devant elle et le portefeuille des Européens va continuer à saigner pour un lanceur toujours à la traîne.

 

[1] Arianespace est filiale d’ArianeGroup (anciennement Airbus Safran Launchers, co-entreprise d’Airbus et de Safran).

Voir Succession avec Ayn Rand : les Roy, anti-héros du capitalisme

Fin de la série Succession, peinture mi-tragique mi-grotesque d’une fratrie prête à toutes les bassesses pour s’emparer de l’empire laissé par leur père. Comme toujours lorsque les États-Unis s’intéressent aux turpitudes du monde des affaires, l’ombre d’Ayn Rand, romancière ultracapitaliste, n’est jamais loin. Les protagonistes de Succession ressemblent à ses personnages, mais certainement pas à ses héros.

 

Rituellement citée comme une inspiration pour les milliardaires de la Silicon Valley ou les capitalistes en herbe, l’ombre d’Ayn Rand plane sur la série Succession de Jesse Armstrong, chef-d’œuvre de HBO qui s’est clos le 28 mai.

Ayn Rand a fui l’URSS en 1926 pour devenir une romancière à succès outre-Atlantique, et un totem du capitalisme. Son exaltation de l’égoïsme rationnel, des libertés et de la figure de l’entrepreneur, dans des romans tirés à des dizaines de millions d’exemplaires comme La Source vive (1943) ou La Grève (1957), en ont fait une figure incontournable aux États-Unis.

Dans Succession, on aurait tôt fait de voir dans la soif de pouvoir de la fratrie Roy l’incarnation d’un personnage randien. Logan Roy, tyrannique patron de médias conservateur, n’est pas éloigné du Gail Wynand de La Source vive, qui construit un empire médiatique par esprit de revanche.

Le point culminant serait le discours du fils aîné, Kendall Roy, à l’enterrement de son père.

Face à un parterre de milliardaires, du old money new-yorkais au startupper suédois, en passant par un (futur ?) président américain rappelant Trump, Kendall se lance dans une apologie de l’argent, « le sang et l’oxygène de cette merveilleuse civilisation que nous avons fait sortir de la boue […] qui fait frémir de désir tous les hommes et les femmes, qui décuple leur ambition de posséder, de fabriquer, d’échanger, de gagner, de bâtir et de progresser. »

Dans La Grève, le personnage de Francisco d’Anconia, lui-même héritier d’une fortune colossale, se lance dans un monologue similaire : « Aimer l’argent, c’est accepter qu’il soit la résultante de ce que vous avez de meilleur en vous. […] Dans l’expression « faire de l’argent » réside l’essence de la morale humaine. »

On pourrait aussi voir dans Shiv, seule fille Roy, l’ombre de l’héroïne de La grève, Dagny Taggart, qui hérite de l’entreprise ferroviaire de son père. Comme Dagny, Shiv se retire un temps du business familial, n’y reconnaissant plus ses valeurs. Mais, comme ses frères, au moindre espoir d’obtenir les rênes de la Waystar Royco, elle accourt au mot tendre d’un père tyrannique. Alors que Dagny Taggart se bat pour sauver son entreprise, Shiv tente de la vendre au plus offrant.

Les Roy contreviennent à tous les préceptes de Rand, dont aucun héros n’est obsédé par le pouvoir :

« Un homme doit être motivé par le désir de créer, pas d’écraser les autres. »

Ils ne cessent de se trahir, moins par ambition que par désir de voir leurs semblables échouer : c’est le schéma auquel obéit presque chaque épisode.

Dans les bureaux de Waystar Royco, l’entrepreneur est réduit à du jargon d’articles LinkedIn et des pitchs vides de sens, à mi-chemin entre The Office et l’absurde du théâtre de Beckett. Là où les héros de Rand innovent et ne doutent jamais, s’affranchissent du regard d’autrui et sont guidés par leur raison, les Roy changent d’avis comme de chemise et ne prennent que de mauvaises décisions. Élevés dans le cynisme, les Roy ne croient en rien ; élevés sans amour, ils ne croient même pas en eux-mêmes, et sont prêts aux pires bassesses pour un atome de reconnaissance. Là où l’égoïsme des héros randiens les pare d’une honnêteté absolue et d’une intégrité morale qu’ils ne renieraient pour personne, les Roy et leur entourage sont prêts à trahir tout le monde, tout le temps.

 

« N’enviez pas un héritier sans valeur »

Il faut lire la reprise des codes randiens au second degré, dans une série qui camoufle sa maîtrise de l’absurde dans le luxe des décors et le sérieux des enjeux qu’elle aborde. Dans la sinistre « merveilleuse civilisation » de Succession, Kendall est l’incarnation de tout ce qui manque à un héritier pour être un héros capitaliste. Au même titre que James Taggart dans La Grève, il veut être respecté sans avoir accompli quoi que ce soit, et être aimé sans donner la moindre raison de l’être.

Comme dit Rand, il est « selfishness without the self », un égoïste sans ego. L’égoïsme de Rand est créateur et visionnaire, celui des Roy est stérile et pathétique, incarnation du « capitalisme de connivence » que la romancière méprisait. Comme dit Logan Roy à ses enfants : « Build your own f*cking pile ».

Enfin, Rand écrivait dans La Grève :

« Seul l’homme qui n’a pas besoin d’argent, celui qui est capable de faire fortune par lui-même, est digne d’en recevoir en héritage. N’enviez pas un héritier qui ne vaut rien. »

Elle n’aurait d’estime pour aucun des personnages de la série.

 

Le clin d’œil aux antihéros de Rand

En revanche, les personnages partagent beaucoup de caractéristiques des antihéros randiens, au point que ça ne semble pas être un hasard de la production.

Tom, le mari de Shiv, et le cousin Greg, incarnent l’archétype du « parasite » que Rand fustige dans ses écrits, celui qui vit pour se faire apprécier du plus puissant.

Magnat des médias, Logan Roy ressemble à Wynand, modèle positif de réussite, mais tout autant au journaliste Ellsworth Toohey dans le même ouvrage, dont le vice s’incarne par la volonté de manipuler l’opinion publique – l’envers du code moral randien.

Connor Roy, qui se rit des « élites » du haut de sa richesse d’héritier oisif, se dit libertarien, mouvement dont Rand fut une des inspiratrices mais qu’elle méprisait, traitant ses membres de hippies irresponsables. La fratrie Roy, comme le personnage de Peter Keating dans La Source vive, compte réussir par hérédité et piston, sans jamais cultiver le moindre talent.

Succession est une série formidable, à bien des niveaux de lecture. La regarder avec l’œuvre de Rand sous la main ne fait que rappeler à quel point ses héros sont tout ce que les personnages de Succession ne seront jamais. C’est aussi l’occasion rêvée, pour le public français, de découvrir les modèles positifs de la culture capitaliste américaine, au-delà de nos stéréotypes français.

 

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