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À partir d’avant-hierContrepoints

Paris vaut mieux qu’un coup de comm’

Une fois de plus, Anne Hidalgo a transformé deux bonnes idées en un échec cinglant. Les Parisiens expriment depuis longtemps leur souhait d’être écoutés par leurs élus sur des enjeux locaux au cours du long mandat municipal de six ans. C’est particulièrement vrai pour les enjeux de densification et de mobilité qui sont au cœur du dynamisme d’une ville comme le rappelle Alain Bertaud, urbaniste de renommée mondiale et directeur de recherche à l’Université de New York. Il n’était a priori pas absurde de solliciter les Parisiens sur ces sujets.

La consultation sur le coût du stationnement des véhicules lourds a pourtant fait un flop avec 78 000 votes sur 1,3 million d’inscrits, soit 30 % de suffrages exprimés en moins que pour la consultation sur les trottinettes. 42 415 voix en faveur de la proposition, c’est presque deux fois plus de bulletins que pour Anne Hidalgo à la présidentielle. Ce nombre de votes reste néanmoins ridicule à l’échelle de la capitale. Chaque bulletin dans l’urne a coûté plus de cinq euros au contribuable parisien dans ce scrutin à 400 000 euros.

Rappelons-nous que cette idée de consultation est sortie du chapeau municipal en pleine tempête du Tahiti Gate. Malgré la tragédie du 7 octobre libérant une vague effrayante d’actes antisémites à Paris, la maire de Paris était partie en Afrique, puis en catimini à l’autre bout du monde, le tout pour quasiment quatre semaines (du 11 octobre au 6 novembre). Son service de comm’ avait tenté de maquiller son absence par la reprise d’une vieille vidéo sur les berges. Il avait ensuite déroulé des justifications confuses, variant les versions au fil de révélations sur cette odyssée à six pour un coût de 60 000 euros se terminant par des vacances familiales pour la maire. Il est probable que la formulation de la question a été improvisée dans l’urgence sur un coin de table pour détourner de toute urgence l’attention des médias.

La mairie n’avait évidemment pas eu le temps de réaliser une étude d’impact préalable, ni de réfléchir à une proposition pertinente et conforme à la loi. Il fallait communiquer fort et vite. Les habitants se sont sentis floués par l’ineptie de la question. Dans le viseur se trouvait le poids des véhicules (ce qui semble illégal, au passage) et pas du tout les émissions de CO2 ou les seuls SUV, comme annoncé. Le surcoût punitif prévu, jusqu’à 225 euros de stationnement pour six heures, visait aussi les véhicules hybrides et électriques. Le débat, réduit à quelques semaines d’échanges sur les réseaux sociaux et son lot d’intox, a tout de même révélé que la mesure allait faire mal aux familles possédant ces fameux véhicules disposant de cinq, six ou sept sièges, souvent lourds (monospaces ou SUV).

La gauche espérait réactiver la lutte des classes en opposant les riches aux classes populaires, et ajouter une dimension d’écologie punitive également clivante. Elle a très partiellement atteint son but en soulignant l’opposition entre l’ouest parisien majoritairement opposé, et l’est favorable à ce triplement tarifaire. Mais en ne mobilisant que 3 % des inscrits en faveur de sa mesure, le score de 54,5 % n’a rien d’un plébiscite. Anne Hidalgo doit admettre qu’elle s’est plantée.

Après avoir ignoré le résultat de sa consultation du 17 avril au 28 mai 2023 sur la fermeture d’une voie du périph’ qui avait révélé 85 % d’opposition, elle gâche une fois de plus un bel outil de démocratie directe. L’enjeu de la mobilité méritait mieux qu’une mesure gadget pour un simple coup de communication.

Nous sommes plusieurs à réfléchir à l’instauration d’un outil de vote en ligne pour consulter les Parisiens. Des questions claires concernant Paris et les arrondissements pourraient ainsi être adressées régulièrement aux habitants inscrits sur les listes électorales. Un tel cadre devrait laisser le temps nécessaire au débat entre la question posée et le vote afin que chacun puisse écouter les différents arguments et creuser le sujet pour se constituer une opinion.

La Suisse pourrait nous aider dans la mise en place d’un tel outil de démocratie directe en complément de la démocratie représentative municipale. Le taux de participation à ses votations oscille entre 40 et 60 % selon l’intérêt des sujets soumis à l’appréciation des électeurs.

Cet outil nous semble important pour affiner la politique parisienne de circulation qui nous préoccupe tant. Les habitants sont nombreux à souhaiter une réduction de la place de la voiture, mais tous souffrent des désagréments dus au chaos découlant du dogmatisme de la mairie de Paris et de ses plans infernaux de circulation. Les aspirations contradictoires deviennent explosives par le stress général qu’elles génèrent, par leurs conséquences sur l’activité sociale et économique de la capitale. Des consultations seront probablement nécessaires pour détricoter ces injonctions contradictoires et élaborer un plan de mobilité d’ensemble avant de le dérouler en fonction des exigences dominantes quartier par quartier. Axes circulants, quartiers protégés, rues piétonnisées pour préserver un marché alimentaire ou une école, stationnement en surface articulé avec celui des parkings souterrains, les aspects liés à traiter ensemble sont nombreux.

Bref, l’enjeu de la mobilité ne peut se réduire à des mesures gadgets promises au rejet par la justice administrative, d’autant que le dogmatisme et l’improvisation font très mauvais ménage. L’absence de vision d’ensemble, d’évaluation et de concertation mène la capitale et la petite couronne à la catastrophe. Le seul espoir est de changer de trajectoire aux prochaines municipales en 2026.

« Le coût de la décarbonisation sera très lourd » grand entretien avec Éric Chaney

Éric Chaney est conseiller économique de l’Institut Montaigne. Au cours d’une riche carrière passée aux avant-postes de la vie économique, il a notamment dirigé la division Conjoncture de l’INSEE avant d’occuper les fonctions de chef économiste Europe de la banque américaine Morgan Stanley, puis de chef économiste du groupe français AXA.

 

Y-a-t-il des limites à la croissance ?

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – En France, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une restriction de la production. Ralentissement, croissance zéro, décroissance, les partisans de ce mouvement idéologique partagent une approche malthusienne de l’économie. La croissance économique aurait des limites écologiques que l’innovation serait incapable de faire reculer. Cette thèse est au cœur d’un ouvrage souvent présenté comme une référence : le rapport du club de Rome de 1972 aussi appelé Rapport Meadows sur les limites de la croissance. Ses conclusions sont analogues à celles publiées l’année dernière dans le dernier rapport en date du Club de Rome, Earth for All. Quelle méthode scientifique permet-elle d’accoucher sur de telles conclusions ? À quel point est-elle contestable ? Comment expliquez-vous le décalage entre l’influence médiatique de ces idées et l’absence total de consensus qu’elles rencontrent parmi les chercheurs en économie et la majorité des acteurs économiques ?

Éric Chaney – Les thèses malthusiennes ont en effet le vent en poupe, encore plus depuis la prise de conscience par un grand nombre -surtout en Europe- de l’origine anthropomorphique du changement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre (GES, CO2 mais pas seulement). Le Rapport Meadows de 1972, commandé par le Club de Rome, avait cherché à quantifier les limites à la croissance économique du fait de la finitude des ressources naturelles. Si les méthodes développées au MIT à cet effet étaient novatrices et intéressantes, les projections du rapport originel étaient catastrophistes, prévoyant un effondrement des productions industrielle et alimentaire mondiales au cours de la première décennie du XXIe siècle. Rien de tel ne s’est produit, et malgré de nombreuses mises à jour du rapport Meadows, certes plus sophistiquées, les prévisions catastrophiques fondées sur l’apparente contradiction entre croissance « infinie » et ressources finies ne sont pas plus crédibles aujourd’hui qu’elles ne l’étaient alors.

Contrairement aux modèles développés à la même époque par William Nordhaus (prix Nobel d’économie en 2018), les modèles prônant la croissance zéro ou la décroissance n’intégraient pas de modélisation économique approfondie, pas de prix relatifs endogènes, ni même les gaz à effet de serre dont on sait depuis longtemps que les conséquences climatiques peuvent être véritablement catastrophiques.

Rappelons que Nordhaus publia en 1975 un article de recherche intitulé « Can we control carbon dioxide ». Malgré sa contribution essentielle à l’analyse économique des émissions de GES –Nordhaus est le premier à avoir explicité le concept de coût virtuel d’une tonne de CO2, c’est-à-dire la valeur présente des dommages futurs entraînés par son émission — il est vilipendé par les tenants des thèses décroissantistes, et c’est peut-être là qu’il faut chercher l’origine des dissonances cognitives qui les obèrent. Nordhaus est un scientifique, il cherche à comprendre comment les comportements économiques causent le changement climatique, et à en déduire des recommandations. Il est convaincu qu’à cet effet, les mécanismes de marché, les incitations prix en particulier sont plus efficaces que les interdictions. Il est techno-optimiste, considérant par exemple que les technologies nucléaires (y compris la fusion) lèveront les contraintes sur la production d’énergie. Alors que le camp décroissantiste est avant tout militant, le plus souvent opposé au nucléaire, bien qu’il s’agisse d’une source d’énergie décarbonée, et anticapitaliste, comme l’a bien résumé l’un de ses ténors, l’économiste Timothée Parrique, qui affirme que « la décroissance est incompatible avec le capitalisme ».

Pratiquement, je ne crois pas que ce courant de pensée ait une influence déterminante sur les décisions de politique économique, ni dans les démocraties, et encore moins dans les pays à régime autoritaire. En revanche, les idées de Nordhaus ont été mises en œuvre en Europe, avec le marché des crédits carbone (ETS, pour Emissions Trading System, et bientôt ETS2), qui fixe des quotas d’émission de CO2 décroissant rapidement (-55 % en 2030) pour tendre vers zéro à l’horizon 2050, et laisse le marché allouer ces émissions, plutôt que d’imposer des normes ou de subventionner telle ou telle technologie. De même la taxation du carbone importé que l’Union européenne met en place à ses frontières (difficilement, certes) commence à faire des émules, Brésil et Royaume-Uni entre autres, illustrant l’idée de Clubs carbone de Nordhaus.

 

Liens entre croissance et énergie

L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est-elle proportionnelle à la croissance de la production de biens et de services ?

Au niveau mondial, il y a en effet une forte corrélation entre les niveaux de PIB et ceux des émissions de CO2, à la fois dans le temps, mais aussi entre les pays.

Pour faire simple, plus une économie est riche, plus elle produit de CO2, en moyenne en tout cas. Il ne s’agit évidemment pas d’un hasard, et, pour une fois, cette corrélation est bien une causalité : plus de production nécessite a priori plus d’énergie, qui nécessite à son tour de brûler plus de charbon, de pétrole et de gaz, comme l’avait bien expliqué Delphine Batho lors du débat des primaires au sein des écologistes.

Mais il n’y a aucune fatalité à cette causalité, bien au contraire.

Prenons à nouveau l’exemple de l’Union européenne, où le marché du carbone fut décidé en 1997 et mis en œuvre dès 2005. Entre 2000 et 2019, dernière année non perturbée par les conséquences économiques de la pandémie, le PIB de l’Union européenne a augmenté de 31 %, alors que l’empreinte carbone de l’Union, c’est-à-dire les émissions domestiques, plus le carbone importé, moins le carbone exporté, ont baissé de 18 %, selon le collectif international d’économistes et de statisticiens Global Carbon Project. On peut donc bien parler de découplage, même s’il est souhaitable de l’accentuer encore.

En revanche, l’empreinte carbone des pays hors OCDE avait augmenté de 131 % sur la même période. Pour les pays moins avancés technologiquement, et surtout pour les plus pauvres d’entre eux, la décroissance n’est évidemment pas une option, et l’usage de ressources fossiles abondantes comme le charbon considéré comme parfaitement légitime.

 

Le coût de la décarbonation

Que répondriez-vous à Sandrine Dixson-Declève, mais aussi Jean-Marc Jancovici, Philippe Bihouix et tous les portevoix de la mouvance décroissantiste, qui estiment que la « croissance verte » est une illusion et que notre modèle de croissance n’est pas insoutenable ?

Je leur donne partiellement raison sur le premier point.

Pour rendre les difficultés, le coût et les efforts de la décarbonation de nos économies plus digestes pour l’opinion publique, les politiques sont tentés de rosir les choses en expliquant que la transition énergétique et écologique créera tant d’emplois et de richesse que ses inconvénients seront négligeables.

Mais si l’on regarde les choses en face, le coût de la décarbonation, dont le récent rapport de Jean Pisani et Selma Mahfouz évalue l’impact sur la dette publique à 25 points de PIB en 2040, sera très lourd. Qu’on utilise plus massivement le prix du carbone (généralisation de l’ETS), avec un impact important sur les prix, qui devront incorporer le renchérissement croissant du carbone utilisé dans la production domestique et les importations, ou qu’on recoure à des programmes d’investissements publics et de subventions massifs, à l’instar de l’IRA américain, le coût sera très élevé et, comme toujours en économie, sera payé au bout du compte par le consommateur-contribuable.

Tout au plus peut-on souhaiter que la priorité soit donnée aux politiques de prix du carbone, impopulaires depuis l’épisode des Gilets jaunes, mais qui sont pourtant moins coûteuses à la société que leurs alternatives, pour un même résultat en termes de décarbonation. Le point crucial, comme le soulignent les auteurs du rapport précité, est qu’à moyen et encore plus à long terme, le coût pour la société de ne pas décarboner nos économies sera bien supérieur à celui de la décarbonation.

J’ajouterais que si les statisticiens nationaux avaient les moyens de calculer un PIB corrigé de la perte de patrimoine collectif causée par la dégradation de l’environnement et le changement climatique – ce qu’on appelle parfois PIB vert, par définition inférieur au PIB publié chaque trimestre – on s’apercevrait que la croissance du PIB vert est plus rapide que celle du PIB standard dans les économies qui réduisent leurs atteintes à l’environnement et leurs émissions de GES. Sous cet angle, vive la croissance verte !

Sur le second point, je crois la question mal posée.

Il n’y a pas de « modèle de croissance » qu’on puisse définir avec rigueur. Il y a bien des modèles de gestion de l’économie, avec, historiquement, les économies de marché capitalistes (où le droit de propriété est assuré par la loi) d’un côté et les économies planifiées socialistes (où la propriété de l’essentiel des moyens de production est collective) de l’autre.

Mais ces deux modèles économiques avaient -et ont toujours pour leurs partisans- l’objectif d’augmenter la richesse par habitant, donc de stimuler la croissance. Du point de vue privilégié par Sandrine Dixson-Declève ou Jean-Marc Jancovici, celui de la soutenabilité, le modèle capitaliste devrait être préférable au modèle socialiste, qui, comme l’expérience de l’Union soviétique (disparition de la Mer d’Aral), de la RDA (terrains tellement pollués que leur valeur fut jugée négative lors des privatisations post-unification) ou de la Chine de Mao (où l’extermination des moineaux pour doubler la production agricole causa l’une des plus grandes famines de l’histoire de la Chine à cause des invasions de sauterelles) l’ont amplement démontré, prélevait bien plus sur le patrimoine naturel que son concurrent capitaliste.

La bonne question est celle des moyens à mettre en œuvre pour décarboner nos économies.

Réduire autoritairement la production comme le souhaitent les décroissantistes cohérents avec leurs convictions, demanderait l’instauration d’un régime politique imposant une appropriation collective des entreprises, puis une planification décidant ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Ne parlons pas de « modèle de croissance », mais de modèle économique, et le débat sera bien plus clair. Je suis bien entendu en faveur d’un modèle préservant la liberté économique, mais en lui imposant la contrainte de décarbonation par une politique de prix du carbone généralisée, la difficulté étant de faire comprendre aux électeurs que c’est leur intérêt bien compris.

 

Quand la Chine s’endormira

La tertiarisation de l’économie chinoise et le vieillissement de sa population sont deux facteurs structurant un ralentissement de la productivité. La croissance chinoise a-t-elle fini son galop ?

Oui, le régime de croissance de la Chine a fondamentalement changé au cours des dernières années. Après la libéralisation économique de Deng Xiaoping et l’application au-delà de toute prévision de son slogan, « il est bon de s’enrichir » grâce à l’insertion dans l’économie mondiale et à l’ouverture aux capitaux et technologies occidentales, la Chine a connu un rythme de développement et d’enrichissement (en moyenne, car les disparités villes-campagnes sont toujours profondes) unique dans l’histoire de l’humanité. Les masses chinoises sont sorties de la misère sordide dans laquelle les seigneurs de la guerre, puis l’occupation japonaise, puis enfin le régime maoïste les avait condamnées.

Mais la croissance « à deux chiffres » était tirée par le rattrapage technologique côté offre, l’investissement et les exportations côté demande, et ces moteurs ne peuvent durer éternellement. Côté offre, le rattrapage devient plus difficile lorsqu’on s’approche des standards mondiaux, ce que l’Europe a compris après 1970, d’autant plus que la rivalité stratégique avec les États-Unis réduit encore l’accès à l’innovation de pointe étrangère.

En interne, la reprise en main des entreprises par le Parti communiste, et la préférence donnée à celles contrôlées par l’État, l’obsession du contrôle du comportement de la population, réduisent considérablement la capacité d’innovation domestique, comme le fait remarquer depuis longtemps mon ancien collègue Stephen Roach.

Du côté de la demande, la Chine pourrait bien être tombée dans la trappe à dette qui a caractérisé l’économie japonaise après l’éclatement de ses bulles immobilières et d’actions du début des années 1970, en raison de l’excès d’offre immobilière et de l’immense dette privée accumulée dans ce secteur. Richard Koo avait décrit cette maladie macroéconomique « récession de bilan » pour le Japon. Les dirigeants chinois étaient hantés depuis longtemps par ce risque, qui mettrait à mal l’objectif de Xi Jinping de « devenir (modérément ajoute-t-il) riche avant d’être vieux », mais, paradoxalement, la re-politisation de la gestion économique pourrait bien le rendre réel. Comme la population active baisse en Chine depuis maintenant dix ans, et qu’elle va inévitablement s’accélérer, la croissance pourrait bien converger vers 3 % l’an, ce qui serait à tout prendre encore une réussite pour l’élévation du niveau de vie, voire encore moins, ce qui deviendrait politiquement difficile à gérer.

 

Dépendance au marché chinois

Faut-il anticiper un découplage de l’économie chinoise avec les économies de l’Union européenne et des États-Unis, dont de nombreux marchés sont devenus dépendants des importations chinoises ? Si celui-ci advenait, quels pays concernerait-il en priorité ?

L’économie chinoise occupe une place centrale dans l’économie mondiale, même si elle n’est pas tout à fait l’usine du monde comme on se plaisait à le dire avant 2008. Les tensions stratégiques avec les États-Unis mais aussi avec l’Europe, la réalisation par les entreprises que la baisse de coût permise par la production en Chine avaient un pendant. Je veux parler du risque de disruption brutale des chaînes d’approvisionnement comme ce fut le cas lors de l’épidémie de covid et des décisions de fermetures de villes entières avant que la politique (imaginaire) de zéro-covid ne fut abandonnée, mais aussi du risque d’interférence excessive des autorités chinoises.

La tendance précédente s’en est trouvée rompue.

Jusqu’en 2008, le commerce mondial croissait deux fois plus vite que le PIB mondial, en raison de l’ouverture de la Chine. De 2008 à 2020, il continua de croître, mais pas plus vite que la production. Depuis 2022, le commerce mondial baisse ou stagne, alors que la croissance mondiale reste positive. C’est la conséquence de la réduction du commerce avec la Chine. On peut donc bien parler de découplage, mais pour la croissance des échanges commerciaux, pas vraiment pour le niveau des échanges avec la Chine qui restent et resteront longtemps dominants dans le commerce mondial, sauf en cas de conflit armé.

En Europe, l’économie la plus touchée par ce renversement de tendance est évidemment l’Allemagne, dont l’industrie avait misé massivement sur la Chine, à la fois comme client pour son industrie automobile et de machines-outils, mais aussi pour la production à destination du marché chinois ou des marchés asiatiques. Ajouté au choix stratégique néfaste d’avoir privilégié le gaz russe comme source d’énergie bon marché, l’affaiblissement des échanges avec la Chine entraîne une profonde remise en question du modèle industriel allemand.

 

Impacts respectifs des élections européennes et américaines sur l’économie mondiale

Les élections européennes se tiendront en juin prochain. Les élections présidentielles américaines auront lieu cinq mois après, en novembre 2024. J’aimerais vous inviter à comparer leurs impacts potentiels sur l’avenir des échanges internationaux. Quels scénarios électoraux pourraient déboucher sur un ralentissement économique ? Sur une régionalisation des échanges ? Sur une croissance des conflits territoriaux ?

J’ai conscience que cette comparaison est limitée, l’Union européenne n’est pas un État fédéral, et il ne s’agit pas de scrutins analogues. Cependant, ces deux moments électoraux auront des conséquences concrètes et immédiates sur les orientations macroéconomiques à l’œuvre sur les deux premières économies du monde.

En cas de victoire de Donald Trump le 4 novembre, les échanges commerciaux avec les États-Unis seraient fortement touchés, avec une politique encore plus protectionniste qu’avec Biden, et un dédain complet pour toute forme de multilatéralisme.

Là encore, l’économie la plus touchée en Europe serait l’Allemagne, mais ne nous faisons pas d’illusions, toute l’Europe serait affaiblie. Plus important encore, une administration Trump cesserait probablement de soutenir financièrement l’Ukraine, laissant l’Union européenne seule à le faire, pour son propre intérêt stratégique. Ce qui ne pourrait qu’envenimer les relations au sein de l’Union, et restreindre les marges de manœuvre financières.

Enfin, une victoire de Trump signerait la fin de l’effort de décarbonation de l’économie américaine engagé par l’administration Biden à coups de subventions. Les conséquence pour le climat seraient désastreuses, d’autant plus que les opinions publiques européennes pourraient en conclure qu’il n’y a pas grand intérêt à faire cavalier seul pour lutter contre le changement climatique.

En revanche, les élections au Parlement européen ne devraient pas voir d’incidence significative sur nos économies. Le sujet ukrainien sera l’un des plus sensibles à ces élections, mais le pouvoir de décision restant essentiellement aux États, le changement ne serait que marginal.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Javier Milei face à une tâche herculéenne en Argentine

Le libertarien Javier Milei a été élu président de l’Argentine le 19 novembre, avec 55,7 % des voix. Mais les choses ne seront pas faciles pour Milei.

Le 24 novembre, quelques jours après l’élection, j’ai rencontré Nicolás Emma, responsable de la section de Buenos Aires du parti de Javier Milei, au siège du parti dans la capitale argentine. Plusieurs autres organisateurs du parti étaient également présents, notamment Gustavo Federico et Facundo Ozan Carranza. Au cours des conversations avec ces personnes et d’autres personnalités du parti de Milei, des représentants de groupes de réflexion et des journalistes argentins, il est apparu clairement que Milei était confronté à une tâche véritablement herculéenne.

 

Milei est en infériorité numérique au Sénat et à la Chambre des députés

Les défis sont nombreux et redoutables, le principal étant le taux d’inflation à trois chiffres du pays. Le parti de Milei ne compte que 35 députés sur les 257 que compte la Chambre des députés (Cámera de Diputadas).

Ses adversaires les plus acharnés, les péronistes de gauche et la gauche dans son ensemble, en détiennent 105.

Au Sénat (Senado), le parti de Milei ne compte que huit membres sur 72. Cela m’a d’abord surpris, mais c’est parce que seulement la moitié des sièges de la chambre basse étaient à pourvoir cette fois-ci. Il faudra attendre encore deux ans pour que les autres sièges soient disputés. Au Sénat, seul un tiers des membres ont été nouvellement élus. Milei peut émettre des décrets présidentiels pour imposer certains changements politiques, mais toute réforme fiscale devra être approuvée à la fois par la Chambre des députés et par le Sénat. Il peut également recourir aux référendums pour mobiliser l’opinion publique, mais ceux-ci ne peuvent être organisés que sur certaines questions, et ne sont pas contraignants.

 

Le problème des syndicats péronistes

Au cours de mes entretiens, les représentants du parti de Milei ont désigné à plusieurs reprises les syndicats argentins comme leurs principaux adversaires. Les syndicats sont extrêmement puissants en Argentine, très politisés et fermement tenus par les péronistes. Les partisans de Milei s’attendent à une opposition particulièrement forte en réponse à ses projets de privatisation du principal organisme public de radiodiffusion de son pays. Le plus grand défi auquel Margaret Thatcher a dû faire face au Royaume-Uni dans les années 1980 a été de surmonter l’opposition des syndicats de gauche, qui ont paralysé le pays par des grèves qui ont souvent duré des mois.

Les partisans de Milei disent qu’il y a des centaines de milliers d’employés dans la fonction publique qui ne font rien d’autre que de percevoir leur salaire et défendre les péronistes jour après jour. Dès que leur emploi sera menacé, il y aura nécessairement une résistance massive.

 

Les Argentins auront-ils la patience suffisante ?

Une question essentielle que je n’ai cessé de poser est de savoir si le peuple argentin aura suffisamment de patience pour les réformes de Milei, surtout si la situation se dégrade dans un premier temps.

L’expérience d’autres pays (par exemple, les réformes de Thatcher au Royaume-Uni dans les années 1980, les réformes de Leszek Balcerowicz en Pologne dans les années 1990) montre que les réformes de l’économie de marché entraînent toujours une détérioration de la situation dans un premier temps. Les subventions sont supprimées, le chômage caché devient un chômage ouvert. Ce n’est qu’après une première période de vaches maigres, qui peut durer deux ans dans le meilleur des cas, que les choses commencent à s’améliorer. La réponse de l’entourage de Milei : il a déjà souligné à plusieurs reprises qu’il faudrait au moins trois mandats pour mener à bien ses réformes, et redonner à l’Argentine le goût du succès.

La principale préoccupation des Argentins, comme le montrent tous les sondages, est la lutte contre l’inflation. Augustin Etchebarne, du groupe de réflexion Libertad y progreso, estime que la dollarisation de la monnaie promise par Milei n’aura pas lieu avant au moins les deux premières années, d’autant plus que les banques opposent une forte résistance et que le ministre de l’Économie et le directeur de la banque centrale seront probablement nommés par des partisans de Macri. Il ne reste plus qu’à réduire radicalement les subventions afin de stabiliser le budget.

Une autre question est de savoir dans quelle mesure les partisans de Maurico Macri, avec qui Milei a formé une alliance pour remporter le second tour de l’élection, se montreront loyaux à long terme. Et quelle est l’influence des nationalistes de droite dans les rangs du parti libertaire de Milei ?

En outre, Milei doit d’abord établir une véritable base politique à l’échelle nationale. Il existe actuellement plusieurs branches indépendantes du parti dans les différentes régions du pays. J’ai rencontré à Buenos Aires les personnes qui s’efforcent de créer les conditions juridiques nécessaires à leur fusion en un seul parti.

Le fait est que même si Milei réussit à mettre en œuvre ses réformes, bien qu’il n’ait pas de majorité à la Chambre des députés ou au Sénat (premier obstacle), tout dépendra de la patience dont fera preuve la population argentine pour supporter la période de vaches maigres nécessaire aux réformes de l’économie de marché (deuxième obstacle).

Européennes : Mélenchon panique, la NUPES passe l’arme à gauche

Sorti en 2012 et développé par le studio finlandais Supercell, le jeu mobile Clash of Clans est un incontournable. Il a généré 1,4 milliard d’euros de recettes en 2018.

Parmi ses utilisateurs se trouvent peut-être des élus de la NUPES. Dix ans après la partie de Scrabble du député socialiste Thomas Thévenoud en plein débat sur la loi légalisant le mariage homosexuel, nos élus semblent un peu trop friands de jeux sur téléphone mobile durant les sessions parlementaires.

C’est ce qu’on pourrait croire lorsqu’on entend qu’une « guerre de clans » est dénoncée par le patriarche des Insoumis. À neuf mois des élections européennes, la gestation d’une union de la gauche sur le modèle de celle qui concourut aux élections législatives semble difficile.

Si les communistes et les écologistes ont d’ores et déjà désigné leurs têtes de liste en les personnes du secrétaire général des jeunesses communistes Léon Deffontaines et de l’activiste Marie Toussaint, la réaction socialiste achève de mettre en évidence les tensions au sein de la gauche française.

 

Un Parti socialiste divisé

« Sectaire aux sénatoriales, diviseur aux européennes, le Parti socialiste fait payer à toute l’union populaire le prix de ses synthèses internes. Mais elles finissent elles aussi en guerre de clans. Incorrigible », fustigeait sur X (ex-Twitter) Jean-Luc Mélenchon ce mercredi 6 septembre.

En langage mélenchonien, le chef de file des Insoumis indique qu’il est terrifié.

Qu’est-ce qui pourrait faire si peur à ce vieux routard ? La veille, le bureau national du Parti socialiste a adopté à l’unanimité un texte d’orientation prévoyant une candidature autonome aux européennes, et présenté aux quelque 45 000 adhérents (deux fois moins que LR) au début du mois prochain.

Après le PCF et EELV, le Parti socialiste est la troisième et dernière formation de la NUPES à choisir de faire cavalier seul.

Si les soutiens majoritaires du premier secrétaire du parti Olivier Faure restent partisans d’une entente, deux noms ressortent parmi les opposants : les édiles de Rouen et Vaulx-en-Velin Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy.

L’unanimité du bureau national du mouvement met à mal la position d’un premier secrétaire déjà en difficulté après la dénonciation des résultats du congrès de Marseille, en janvier, et qui ont entraîné la mise en place d’une direction collégiale.

 

Entre espoirs et divisions de fond

En l’espèce, le cœur du débat a été clairement désigné par le maire de Rouen : les positions eurosceptiques et russophiles de LFI, qui gangrènent le projet d’union dès son origine.

En effet, la NUPES constitue la troisième tentative d’union de la gauche de la Cinquième République après celles de 1973 et de 1997. Selon les partis en présence, la motivation principale est l’absence de candidat de gauche au second tour de l’élection présidentielle, pour la deuxième fois consécutive, malgré un Emmanuel Macron social-démocrate, et une Marine Le Pen au programme économique aux relents soviétiques…

 

Une gauche en quête d’unité

Ce constat entraîne la rédaction d’un programme partagé de gouvernement, 50 ans après le programme commun.

Les radicaux ne sont toutefois pas de la partie, cette fois en raison de désaccords partagés par la Hollandie, créant La Convention en juin dernier sous l’égide de l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve.

La NUPES revendique 95 % d’accords entre ses formations, essentiellement sur les habituelles propositions antédiluviennes : renationalisations diverses et lutte contre l’évasion fiscale en tête.

Cette nouvelle union de la gauche se distinguait toutefois par son intégration renforcée, puisque la NUPES présenta des candidatures uniques, dont 57 % des investis proviennent de LFI en raison de l’arithmétique électorale au soir du premier tour de l’élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon avait en effet représenté deux tiers des voix de gauche, hors LREM.

Au sortir des élections législatives, si l’utopique cohabitation n’est pas advenue, la NUPES est devenue la première force d’opposition durant quelques heures, avant que les quatre partis de l’alliance ne forment chacun un groupe distinct, contre l’avis de Jean-Luc Mélenchon, et en laissant au RN la part du lion de l’opposition.

Quelques mois plus tard, une nouvelle union se met en place en vue des élections sénatoriales qui se tiendront le 24 septembre prochain. Cette union exclut d’office les Insoumis, malgré l’appel en juin dernier des mouvements de jeunesse des quatre membres de feu la NUPES à rebâtir un front commun.

 

Entre divergences et polémiques

« Feu », car la NUPES semble bel et bien en pleine agonie. Depuis un an, LFI semble être l’objet d’une indifférence touchant au mépris. Cela s’explique par deux facteurs.

Le premier est l’éclatement des divisions au sein de l’alliance.

Ainsi, LFI est rapidement lâchée par ses partenaires sur les motions de censure à répétition, et globalement sur la stratégie d’obstruction et de refus de débat sur l’article 7 de la réforme des retraites, cœur du projet relevant l’âge de départ à 64 ans.

Résultat : le RN est aujourd’hui perçu comme faisant un meilleur travail d’opposition que les élus NUPES.

À ces divergences de forme s’ajoutent rapidement des divergences de fond. Les 5 % de divergences mises sous le tapis durant les élections n’ont pas tardé à refaire surface : vote de l’envoi de chars à l’armée ukrainienne par le Parti socialiste et EELV contre l’avis du PCF et de LFI, désaccords sur les accords de libre-échange, défense nationale, industrie verte, et même plus récemment sur la laïcité à l’école.

Le second facteur de division tient dans les polémiques à répétitions frappant la formation mélenchoniste. Outre le soutien tacite à Vladimir Poutine et l’antisémitisme latent, les noms de Taha Bouhafs, de Thomas Portes, ou encore d’Adrien Quatennens illustrent particulièrement bien le malaise provoqué par LFI auprès de ses alliés. Le dernier nom est sans doute le plus parlant. Condamné en décembre à 4 mois de prison avec sursis et 2000 euros de dommages et intérêts pour violences conjugales après avoir plaidé coupable, le député du Nord n’a pas arrangé les relations au sein de l’union. Le PS et EELV ont en effet mis un veto à son retour au sein de l’intergroupe.

 

Dix mois après les élections législatives, le bilan est tiré par le secrétaire national du PCF Fabien Roussel dès avril : « La Nupes est dépassée ».

 

Perspectives d’une gauche fragmentée

Si cet éclatement interroge sur ce à quoi aurait pu ressembler un gouvernement NUPES, la pression exercée par LFI sur la gauche non-macronienne l’oblige à tenter de retrouver de l’espace politique.

Et la question ne manquera pas de se poser lors des prochaines élections municipales.

En ce sens, le programme de la NUPES pour les collectivités donne un indice sur ce à quoi nos villes devront s’attendre en cas de victoire de coalitions de gauche en 2026.

 

En 1967, six ans après l’érection du mur de Berlin, l’écrivain François Mauriac s’exclamait : « J’aime l’Allemagne. Je l’aime tellement que je suis ravi qu’il y en ait deux ».

55 ans plus tard, autorisons-nous à aimer tellement la gauche que nous soyons ravis qu’il y en ait quatre.

Rentrée politique : la démocratie française face à ses vieux démons

À l’instar des petites têtes blondes qui vont retrouver, ce lundi 4 septembre, le chemin de l’école, nos politiques font leur rentrée. Universités d’été, discours de rentrée, annonces politiques « fortes », chaque camps place ses cartes et déjà l’on sent peser sur la vie politique française l’ombre… de 2027.

 

Un échiquier politique fracturé

Au sein de la majorité, Gérald Darmanin a lancé les hostilités dans son fief de Tourcoing, avec un discours de rentrée dont les intentions ne font pas de doutes. Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter et, bien qu’il soit au début de son second mandat, les héritiers putatifs s’engagent déjà dans une guerre de succession qui ne fait que débuter et qui touchera assurément au-delà du camp macroniste (Bernard Cazeneuve, Édouard Philippe…).

À gauche comme à droite, le tripartition de la vie politique et l’instabilité du bloc centriste imposent un choix politique auxquels les ténors des partis de « l’ancien monde » peinent à répondre : faut-il se rapprocher d’un centrisme réformateur occupé aujourd’hui par le parti présidentiel, ou au contraire se radicaliser vers la droite et la gauche ?

Chez Les Républicains, Éric Ciotti semble avoir fait le choix de la seconde option en poussant, lors de son discours dans la salle de Le Cannet (Alpes-Maritimes), la question migratoire et sécuritaire. Cette stratégie de droitisation, qui consiste à offrir une alternative « compétente » et « responsable » au Rassemblement National et à Reconquête tout en allant sur leur terrain, est un pari risqué, contesté par certains à droite. Dans une interview donnée au journal Le Figaro, Jean-Pierre Raffarin prône plutôt un rapprochement vers le centre, et donne en filigrane son soutien à Édouard Philippe et son parti Horizon.

À gauche, les fractures sont encore plus profondes. La tentative de constitution d’une liste commune aux prochaines législatives européennes ajoute un nouvel acte à la pièce tragique, classique de la Cinquième République, qu’est l’union de la gauche. Lors de son discours à l’Université d’été du Parti socialiste, Olivier Faure a ainsi déploré que l’union lui semblait impossible, renvoyant la responsabilité à la décision des communistes et des écologistes de faire bande à part. Dans ce paysage aux airs apocalyptiques, un zombie de la politique française a même tenté un énième retour, dont il faut au moins saluer l’audace. Invitée des Universités d’été de La France Insoumise, Ségolène Royal, la candidate malheureuse de 2007, s’est dit prête à mener une liste d’union de la gauche aux européennes de 2024.

 

L’obsession de 2027 : symptôme d’un hyperprésidentialisme à bout de souffle

Ces luttes de pouvoir au sein même des différentes familles politiques sont inévitables dans des systèmes pluralistes, en ce qu’elles constituent une première « étape démocratique » où s’effectuent des arbitrages « internes » d’ordres politique, philosophique et stratégique.

La droite sécuritaire, conservatrice et sociale, qui prône un État fort autant sur les questions régaliennes qu’économique, et met l’accent sur une politique migratoire stricte et restrictive, se différencie en effet d’une droite libérale plus progressiste exigeant un désengagement de l’État.

De la même manière, la gauche identitaire qui célèbre Médine n’a plus grand-chose en commun avec la gauche sociale-démocrate et laïcarde, comme le montrent les récents débats autour de l’interdiction du port de l’abaya à l’école.

Bref, les luttes de pouvoirs au sein des familles politiques sont partie intégrante du jeu démocratique.

En France toutefois, toute la vie démocratique est centrée autour d’un moment qui concentre toutes les passions : l’élection présidentielle.

Alors même que la prochaine échéance arrive dans un peu moins de quatre ans, chaque politique, chaque journaliste, chaque citoyen a les yeux rivés sur 2027. Il suffit d’observer à quel point les partis qui ne reposent pas sur une figure forte et charismatique sont presque systématiquement sanctionnés électoralement, pour mesurer à quel point la personnalisation du pouvoir gangrène notre vie politique. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle 2022 vont dans ce sens : les trois blocs se sont constitués autour de trois personnalités, que sont Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

En France, l’instabilité et les divisions qui traversent les trois camps politiques ne sont pas le produit des mécanismes de création du compromis par les institutions, comme cela devrait l’être dans une démocratie fonctionnelle, mais bien de l’absence de leader naturel. Plutôt que de se diviser sur le fond, la vie partisane française est centrée autour d’un objectif unique : préparer et gagner l’élection présidentielle.

Dans cette obsession présidentialiste réside, je le crois, le cœur de la pathologie démocratique qui affecte la France.

 

Rencontre Macron-Oppositions : l’absolutisme inefficace dans toute sa splendeur

Dans un ouvrage qui a fait date, Jean-François Revel a forgé l’expression d’absolutisme inefficace. Il entendait dénoncer un paradoxe caractéristique de la Cinquième République : l’hyperprésidentialisme et l’extrême concentration et centralisation du pouvoir, desquels on serait en droit d’attendre une efficacité accrue, s’accompagnent en réalité d’une inertie qui pousse à l’immobilisme, et tue dans l’œuf toute tentative de réforme ambitieuse.

Le parti présidentiel, qui n’a de parti que le nom puisqu’il repose en réalité sur l’unique personnalité du chef de l’État, a poussé jusqu’au paroxysme cette logique malheureuse, comme en témoigne la succession de « gadgets » politiques et d’annonces en tout genre qui donnent le sentiment qu’une révolution est En marche, alors qu’en réalité rien ne change. La « rencontre de Saint-Denis », qui a eu lieu ce mercredi 29 août, entre le président de la République et les onze chefs des partis représentés au Parlement, est une manifestation éclatante de cet absolutisme inefficace.

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a vu dans cette rencontre un moment « qui pourrait bien marquer l’histoire démocratique de notre pays », et s’est enthousiasmé que « des gens qui ne se parlent pas, qui ne s’entendent pas, qui ne se comprennent pas, qui ne pensent pas la même chose et même se combattent […] ont décidé de se parler à huis clos, ont décidé d’échanger, ont décidé de partager des accords, des désaccords et ce jusqu’au milieu de la nuit ».

En se félicitant ainsi d’avoir réinstauré un dialogue, le porte-parole du gouvernement donne, sans le vouloir, la meilleure preuve du malaise démocratique que traverse le pays.

En effet, dans son Introduction à la philosophie politique, Raymond Aron explique très justement que le propre des systèmes démocratiques est de créer du compromis par le jeu institutionnel. Or, l’espace privilégié de cette institutionnalisation du compromis, c’est le Parlement, et non un huis clos au sein duquel des représentants politiques discutent de l’avenir du pays !

Une démocratie en bonne santé ne devrait pas avoir besoin de ce genre de rencontres, puisqu’il existe déjà des institutions chargées d’organiser ce dialogue.

 

De la démocratie représentative à la tyrannie de la majorité : le danger de la passion référendaire

Enfin, la volonté affichée, de la part de l’opposition et de la majorité, de recourir à des référendums sur différents sujets est un signe supplémentaire de la déliquescence de la démocratie représentative et de la délégitimation du Parlement, plus que jamais condamné à l’impuissance.

Il faut ici distinguer les causes institutionnelles de l’hyperprésidentialisme des causes culturelles, même si les premières influencent les secondes, et inversement. En effet, la dérive présidentialiste des institutions de la Cinquième République va de pair avec une quête ininterrompue et toujours déçue d’un homme providentiel.

Cette culture politique se caractérise également par cet étrange mariage entre le culte de 1789, qui fait que le peuple français se vit fièrement comme le peuple révolutionnaire par excellence, et une attitude résolument conservatrice qui pousse chacun à refuser tout changement lorsque celui-ci passe du slogan au texte de loi. Si dans les manifestations, les Français ne manquent pas de réclamer le changement au nom de l’intérêt général, ils se montrent beaucoup plus réticents s’il doit se faire au détriment de leurs intérêts propres : « oui à plus de taxes, seulement si je ne suis pas concerné… »

De fait, la vie politique française est rythmée par des épisodes pseudo-insurrectionnels (Gilets jaunes, réforme des retraites, émeutes des banlieues…) ou les Français « jouent » à la Révolution. Le décalage entre ces appels répétés au changement radical et la réalité de l’immobilisme chronique de notre système politique crée chez les citoyens un sentiment de frustration et de dépossession du pouvoir.

Pour répondre à cette insatisfaction, le référendum, par sa simplicité, apparaît comme l’outil providentiel permettant de redonner du sens à la souveraineté populaire : le peuple vote, l’État exécute. Mais c’est oublier bien vite que l’outil référendaire peut être un instrument au service d’un pouvoir ou de décisions autoritaires. Au XIXe siècle déjà, Alexis de Tocqueville avait analysé comment la démocratie pouvait soit être libérale, soit être despotique.

L’échec des institutions représentatives pourrait signifier l’entrée de la France dans la seconde catégorie, la confrontant au risque de la tyrannie de la majorité.

 

Conclusion

L’absolutisme inefficace débute sur ces lignes :

« Il a, dans l’exercice de la fonction présidentielle, su conjuguer, en un désastreux et paradoxal mariage, l’abus de pouvoir et l’impuissance à gouverner, l’arbitraire et l’indécision, l’omnipotence et l’impotence, la légitimité démocratique et le viol des lois, l’aveuglement croissant et l’illusion de l’infaillibilité, l’État républicain et le favoritisme monarchique, l’universalité des attributions et la pauvreté des résultats, la durée et l’inefficacité, l’échec et l’arrogance, l’impopularité et le contentement de soi. »

Jean-François Revel parlait à l’époque de François Mitterrand. On ne peut s’empêcher de penser que cette critique s’applique parfaitement à Emmanuel Macron. C’est pour cette raison que Revel avait raison de poursuivre : « le coupable de ces maux n’est pas l’homme, c’est l’institution ».

C’était en 1992, et l’analyse n’a pas pris une ride.

Alors, que faire ?

Parce que les causes institutionnelles et culturelles se confondent, la résolution de l’immaturité démocratique française n’appelle pas de réponse unique et évidente. Il reste que, si l’on ne peut pas modifier comme bon nous semble la culture et les mœurs politique d’un peuple, on peut réformer les institutions d’un pays.

La fin de l’élection du président de la République au suffrage universel direct serait un premier pas bienvenu pour enfin débuter notre sevrage de la drogue présidentialiste. Cela permettrait également de redonner au Parlement toute l’importance qu’il devrait avoir, en faisant de l’élection législative le grand moment démocratique.

Pour le moment, et sans excès de pessimisme, rien n’indique que les conditions soient réunies pour un tel changement institutionnel. De plus, on peine à trouver le parti politique duquel pourrait émerger des propositions allant en ce sens.

David Lisnard, avec son parti Nouvelle Énergie pour la France, survient peut-être comme une éclaircie dans un ciel ombrageux. Le maire de Cannes, qui tente d’occuper la place au centre-droit de l’échiquier politique, a fait sa rentrée politique sur la chanson I’m free du groupe britannique The Who.

Libéral assumé, il s’est fait remarquer lors de la rentrée du Medef en s’opposant aux aides aux entreprises, affirmant qu’il fallait « supprimer les 145 milliards d’aides aux entreprises et supprimer au moins d’autant la fiscalité des entreprises », puisqu’elles représentent un « boulet de compétitivité au pied par des surprélèvements ».

Son entretien donné à Valeurs Actuelles est également encourageant : réduction des dépenses publiques, lutte contre la bureaucratisation, décentralisation… Mais cela suffira-t-il à faire bouger les lignes ?

Permettons-nous de douter.

Darmanin : le gaullisme social, héritier paradoxal mais naturel du macronisme

« Il ne faudrait pas que l’on remette notre avenir entre les mains de la technique et des techniciens ».

Cette phrase n’est étonnamment pas celle d’un opposant au président de la République le plus techno de la Cinquième République. Bien au contraire, puisqu’elle est sortie de la bouche de l’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Ces propos, rapportés par nos confrères du journal Le Figaro, sont donc ceux d’un homme qui semble avoir oublié la nature du gouvernement dont il est une figure de proue.

Après Édouard Philippe, et sans doute avant le « moment Attal », c’est bien le ministre qui a demandé et fait exécuter le plus de dissolutions d’associations depuis neuf décennies qui est aujourd’hui considéré comme le futur incontournable de la prochaine élection présidentielle. Adoubé par Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin est, dans un gouvernement qui n’est qu’image, le mirage du dernier président de la République de droite que la France ait connue, comme Bruno Le Maire est celui de feu Jacques Chirac : des caricatures destinées à exciter la sympathie d’un électorat nostalgique de la vieille droite.

Pourtant, au-delà du mirage, Gérald Darmanin incarne parfaitement ce que pourrait être l’avenir de la Macronie, usant des mêmes méthodes, tout en adoptant une posture antagoniste.

 

L’éternelle peur du Rassemblement national

Dans des propos rapportés vendredi par Le Figaro, Jean-Luc Mélenchon, patriarche des Insoumis toujours prompt à voir l’autoritarisme partout sauf dans ses rangs, qualifiait Gérald Darmanin de « jonction de la droite et de l’extrême droite ».

L’extrême droite – ou droite anticonformiste, pour ménager les sensibilités -, le ministre de l’Intérieur la voit au pouvoir dans quatre ans. Ce n’est pas la première fois qu’une telle perspective est évoquée. Brandir la menace RN est le meilleur gage de mobilisation autour du camp dit « républicain ».

Gérald Darmanin ne s’y trompe pas : en appelant à l’unité face à cette menace, il rappelle à son camp qu’il en connaît la crainte immédiate et qu’il est prêt à assumer la charge de l’en débarrasser. Voici donc un remake du « c’est moi ou le chaos » déjà bien utilisé par le président actuel.

En cela, il est un successeur tout trouvé d’Emmanuel Macron.

 

La communication dans l’inaction

Un successeur d’autant mieux placé que, comme celui qu’il qualifiait de bobopopuliste quelques mois seulement avant de le rallier, Gérald Darmanin est un professionnel de la communication dans l’inaction.

Soutien des forces de l’ordre contre son collègue Éric Dupond-Moretti, il ira jusqu’à critiquer sa propre politique sans le dire. Le ministre de l’Intérieur est un spécialiste des effets d’annonce et des lois sécuritaires qui augmentent la pression, non sur les délinquants, mais toujours sur le quotidien des Français.

Dans ce sens, il perpétue un climat policier et une dérive autoritaire du pouvoir amorcée bien avant la présidence actuelle.

 

Un ministre à côté de la plaque

À côté de cette posture et de cette application de la politique sécuritaire présidentielle, Gérald Darmanin n’hésite pas à relativiser les chiffres de la délinquance de la Saint-Sylvestre et à attribuer les échauffourées en marge du match Real Madrid-Liverpool au Stade de France aux supporters anglais, préférant l’incident diplomatique aux émeutes, alors que les troubles étaient vraisemblablement le fait de jeunes de Seine-Saint-Denis qui n’avaient rien de hooligans ayant abusé de la Guinness.

 

Le gaullisme social comme posture consensuelle

Ayant des paroles dures sur les beatniks de Sainte-Soline et sur l’ultragauche d’Extinction Rebellion, Gérald Darmanin est avant tout un homme de posture dans une sphère macronienne qui en a fait son ADN.

Le potentiel futur candidat à l’élection présidentielle se positionne depuis longtemps comme un gaulliste social, à l’instar d’un Jean Castex, d’un Xavier Bertrand, ou même d’un Arnaud Montebourg. Cette pensée, qui était à l’origine celle de Philippe Seguin, est aujourd’hui celle des hommes politiques qui veulent se montrer proches du peuple, tout en jouant sur la nostalgie de la souveraineté nationale qui aurait été injustement volée par une poignée de fonctionnaires bruxellois.

Se dire gaulliste social, c’est trouver un qualificatif qui clivera le moins possible. C’est une forme de centrisme, et ce depuis les débuts de la Cinquième République. Les gaullistes sociaux ont une vision césariste de la social-démocratie. À la manière de René Capitant et Jacques Chaban-Delmas, ils se positionnent dans un arc allant du centre droit au centre gauche.

En somme, le gaullisme social est un de ces nombreux précurseurs du macronisme tout en constituant une antithèse parfaite. Il n’est ni de droite ni de gauche. Cependant, si le macronisme défend les cadres et les rentiers d’État dans une perspective europhile, le gaullisme social se focalise sur les classes populaires dans une perspective eurocritique.

En défendant ce positionnement, Gérald Darmanin reste dans l’arc social-démocrate initié par le président de la République, tout en pouvant s’en détacher en vue de conquérir un électorat qui a développé une véritable aversion pour la figure d’Emmanuel Macron sans parvenir à lui trouver un véritable opposant.

 

Une stratégie limitée

Se positionnant, dans les mots, comme un adversaire du président de la République, alors qu’il est un des piliers de son gouvernement, Gérald Darmanin est aujourd’hui dans une posture contradictoire si tant est qu’elle soit sincère, ce dont nous ne pouvons que douter.

Imaginons un instant qu’elle le soit. Gérald Darmanin serait en quelque sorte « prisonnier » de ce gouvernement, comme Emmanuel Macron aurait été prisonnier de la Hollandie il y a 10 ans. Dans ce cas, il ne pourra en sortir qu’en tuant le père, c’est-à-dire en démissionnant purement et simplement de l’exécutif.

Une manœuvre rendue compliquée pour l’ancien maire de Tourcoing. Ce dernier n’a pas, pour le moment, de machine politique lui permettant de s’émanciper de l’orbite d’Emmanuel Macron, contrairement à Édouard Philippe, déjà bien lancé dans la course pour l’héritage du président de la République, avec en ligne de mire l’élection de 2027.

Se limitant à des petites phrases et à la construction d’une image consensuelle tout en étant en contradiction apparente avec celui du macronisme, Gérald Darmanin est donc bien davantage un héritier d’Emmanuel Macron que ce que le tapage médiatique tente de faire croire.

Référendums et avortement : l’Amérique divisée

Bien peu de pays industrialisés se tiraillent encore autant sur la question de l’avortement que les États-Unis. Depuis la décision Dobbs, qui a annulé l’arrêt Roe vs. Wade, c’est le branle-bas de combat dans les États pour (dé)serrer les lois sur la procédure controversée.

Ce sujet brûlant a sans doute eu une influence sur les élections de mi-mandat en 2022 – les sujets locaux ont généralement préséance. Pourrait-ce être le cas en 2024 ?

On en discutera sûrement en Ohio. Un référendum récent a rejeté la proposition, soutenue par les Républicains, mettant un seuil de 60 % pour amender la Constitution de l’État. Ladite proposition visait à mettre des bâtons dans les roues d’un autre référendum à venir en novembre, où l’on demandera si l’avortement devrait être consacré dans la loi suprême de l’État.

Jusqu’à présent, seul le Maryland a prévu un référendum sur la question en 2024. La quasi-totalité des autres États ont déjà leurs lois, mais comme les lois référendaires sont spécifiques à chacun, d’autres pourraient avoir des consultations plus tard.

 

Complaisance républicaine?

Par ailleurs, du côté républicain, ça semble être le silence radio sur l’avortement.

Le site Internet principal du parti montre que les principales résolutions depuis 2020, outre honorer certaines personnes, ont davantage à voir avec la « guerre culturelle » qui sévit qu’à faire avancer un quelconque agenda.

Oh, une résolution l’hiver dernier a bien été adoptée, montrant leur support inébranlable « pour la vie », où l’on encourage tout candidat à crier sa position sur tous les toits à l’approche des élections de 2024.

Toutefois, le moteur de recherche des communiqués de presse n’offre même pas ce sujet en accès rapide. Et depuis le 28 octobre dernier, il n’y a eu qu’un seul communiqué de presse sur l’avortement. Il révèle toutefois des sondages très intéressants, commandés par le parti, qui devraient faire passer un message aux extrémistes qui refuseraient l’avortement en toute situation – ce qui a coûté la victoire au Michigan.

Le sondage montre donc que les indépendants (pas officiellement Démocrates ni Républicains) supporteront un candidat – probablement Républicain – qui permet des exceptions à l’avortement en cas de viol, d’inceste, ou de danger immédiat pour la mère (ou même jusqu’à 15 semaines de grossesse) dans une proportion de deux contre un. On affirme même que les Républicains qui supportent ces exceptions ont été élu depuis Roe vs. Wade.

Le même sondage montre aussi que seuls 15 % des électeurs soutiennent la position apparente des Démocrates pour l’avortement à n’importe quel moment de la grossesse, et pour n’importe quelle raison. Les conclusions du sondage invitent les candidats à questionner leurs opposants pour connaître leur position et les pousser pour savoir s’ils appuient l’avortement sur demande.

Mais les conseils aux candidats ont conclu en affirmant que « la majorité des votes seront décidés par l’économie et une montée du crime. »

Bref, si les Républicains veulent de meilleures chances en 2024 (et 2023 au niveau de certains États), ils devront suivre leur propre conseil : ne pas transformer les femmes en fabrique à bébés. Des sondages internes montrent que des exceptions raisonnables – et même jusqu’à 15 semaines – sont plus populaires qu’un avortement à une heure de l’accouchement.

Reste à voir qui sera le candidat. S’il a plusieurs accusations contre lui, sa présidence pourrait être trouble. Et reste à voir si le GOP adoptera les stratégies démocrates comme le vote par correspondance et l’aide à la récolte de ces votes. Cela évitera les désastres comme la dernière élection en Arizona.

L’affaire de la Géorgie contre Trump

Par : Reason

Par Ilya Somin.

L’acte d’accusation déposé par l’État de Géorgie à l’encontre de Donald Trump pour ses efforts visant à renverser les élections de 2020 dans cet État comprend des accusations similaires à celles figurant dans le récent acte d’accusation fédéral déposé par l’avocat spécial Jack Smith.

Mais il ouvre également de nouvelles perspectives.

Dans la mesure où les accusations portent sur des questions similaires, la Géorgie est, à mon avis, bien fondée à poursuivre Donald Trump, pour les mêmes raisons que le gouvernement fédéral. Toutefois, certains des chefs d’accusation soulèvent des questions juridiques techniques que je préfère laisser aux commentateurs ayant une plus grande expertise en la matière.

Certaines des charges retenues contre M. Trump et 18 autres dans l’acte d’accusation de la Géorgie sont similaires à des charges fédérales récemment déposées.

Par exemple, les deux comportent des accusations de fraude liées au projet de M. Trump de remplacer les grands électeurs de Géorgie par des listes de faux électeurs, et de faire pression sur les fonctionnaires de l’État pour qu’ils falsifient le décompte des voix. Bien que certains détails techniques divergent, le dossier juridique à l’encontre de Trump sur ces questions est solide, et il existe de solides arguments en faveur de poursuites fondées sur la nécessité d’un châtiment et d’une dissuasion.

Comme dans l’affaire fédérale, les lois géorgiennes sur la fraude (qui portent sur la fraude à l’égard du gouvernement et la fraude électorale) ne se limitent pas aux délits contre les biens. Et, comme dans cette affaire, M. Trump n’est pas poursuivi pour avoir simplement prétendu qu’il avait gagné l’élection ou qu’il y avait eu fraude. L’acte d’accusation détaille plutôt une longue liste de stratagèmes visant à substituer de faux électeurs aux vrais et à contraindre et frauder les fonctionnaires de l’État.

D’aucuns pourraient se demander pourquoi les fonctionnaires de l’État peuvent poursuivre M. Trump pour les mêmes délits que les autorités fédérales.

Après tout, la clause de double incrimination du Cinquième amendement interdit aux accusés d’être deux fois « mis en péril » pour « la même infraction ». Une partie de la réponse réside dans le fait que M. Trump n’a pas encore été jugé (et encore moins condamné ou acquitté) pour les accusations fédérales.

Mais en outre, la Cour suprême considère depuis longtemps qu’il existe une exception de « double souveraineté » à la clause de double incrimination – une règle récemment réaffirmée par la Cour dans sa décision 7-2 dans l’affaire Gamble v. United States (2019). Parce que les États et le gouvernement fédéral sont des entités souveraines distinctes, la Cour a estimé qu’ils étaient autorisés à juger chacun la même personne pour ce qui est en substance le même délit.

 

À mon avis, les opinions dissidentes des juges Ruth Bader Ginsburg et Neil Gorsuch dans l’affaire Gamble, qui soutiennent que la doctrine de la double souveraineté est erronée, ont beaucoup de mérite. Mais il est peu probable que la Cour renverse cette règle de sitôt. Ainsi, la Géorgie et les autorités fédérales peuvent toutes deux poursuivre M. Trump (et peut-être d’autres personnes) pour des délits similaires liés aux élections. Si M. Trump est acquitté dans une procédure, cela ne lui donne pas un laissez-passer pour l’autre. Les conservateurs et autres personnes qui n’aiment pas cela peuvent blâmer la Cour suprême.

Outre ces similitudes avec les accusations fédérales, il existe également des différences essentielles.

Bon nombre des chefs d’accusation retenus contre M. Trump et d’autres défendeurs relèvent de la loi de l’État de Géorgie sur les organisations influencées par le racket et la corruption (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act, ou RICO). Je suis sûr que beaucoup de nouveaux experts RICO commentent sur Twitter et ailleurs. Mais je ne vais pas prétendre être l’un d’entre eux, et je vais donc devoir laisser cette question à d’autres.

Il existe également un certain nombre d’autres accusations spécifiques à la Géorgie, telles que les allégations selon lesquelles certains des co-conspirateurs de Trump ont accédé illégalement aux données électorales de l’État. Je laisserai également cette question aux experts concernés.

La principale différence entre les actes d’accusation du gouvernement fédéral et ceux de la Géorgie réside peut-être dans le fait que ces derniers concernent 19 accusés, alors que les premiers se limitent à M. Trump (bien que le gouvernement fédéral puisse engager des poursuites contre d’autres personnes dans le cadre d’une procédure distincte).

Certains des coaccusés de Géorgie sont les mêmes que les co-conspirateurs non inculpés de Trump dans l’acte d’accusation fédéral, notamment Rudy Giuliani, Jeffrey Clark, John Eastman et Sidney Powell. D’autres sont des personnalités moins connues, dont certaines dont l’implication dans la fraude électorale semble s’être limitée à la Géorgie. L’inclusion de 19 accusés au total risque d’allonger et de compliquer le procès et la procédure d’appel. Jack Smith a peut-être choisi d’inculper Trump séparément pour éviter ces problèmes.

Si le temps le permet, j’en dirais plus sur certains des co-accusés de Trump dans de futurs articles.

L’un d’entre eux – Eastman – est une personne que j’ai connue pendant de nombreuses années en tant que professeur de droit. Mais je dois souligner (au cas où des procureurs liraient ceci !) que je n’ai aucune connaissance interne de son implication dans les plans de Trump visant à renverser l’élection.

Les experts sont divisés sur la question de savoir si Trump peut éventuellement forcer le renvoi de l’affaire de Géorgie devant un tribunal fédéral.

S’il y parvient, il pourrait éventuellement obtenir un jury plus favorable et revendiquer l’immunité pour tout ou partie des chefs d’accusation au motif qu’il n’a fait qu’exercer ses fonctions officielles. Je doute fortement que cette dernière stratégie fonctionne, même si la première réussit. Il est évident que Trump a agi pour promouvoir ses intérêts privés en tant que candidat, et non pour s’acquitter de ses responsabilités officielles. Mais il s’agit là aussi d’une question qu’il vaut mieux laisser à ceux qui ont une plus grande expertise.

Enfin, il convient de noter que le président ne peut gracier les personnes inculpées en Géorgie, car il s’agit d’infractions commises au niveau de l’État et non au niveau fédéral. Le gouverneur de Géorgie, Brian Kemp, ne peut pas non plus les gracier, car le pouvoir de grâce dans cet État est contrôlé par une commission indépendante, et non par le gouverneur. Et même cette commission ne peut accorder une grâce qu’après un délai d’au moins cinq ans à compter de la date à laquelle le demandeur a purgé sa peine.

En résumé, le dossier de la Géorgie contre Trump aggrave les risques juridiques qui pèsent sur lui, et au moins certaines des accusations semblent convaincantes. Pour d’autres, je dois m’en remettre à l’évaluation de commentateurs plus compétents.

Sur le web

Espagne : les électeurs sanctionnent le mauvais bilan socialiste

À l’occasion des élections municipales et autonomiques du dimanche 28 mai 2023, le Parti socialiste espagnol (PSOE) et la gauche ont subi un revers important.

En effet, les socialistes ont perdu le gouvernement de quatre communautés autonomes, dont les îles Baléares et Valence, laboratoires des alliances entre la gauche espagnole et les nationalismes périphériques. À Madrid, Isabel Diaz Ayuso a obtenu une écrasante majorité absolue, consacrant ainsi le succès de sa stratégie d’opposition frontale à Pedro Sanchez.

 

La première défaite socialiste aux élections municipales et autonomiques de mai

À l’échelle municipale, le Parti populaire (PP) l’a emporté dans 42 des 79 capitales de provinces et obtenu une majorité absolue dans près de 460 municipalités, y compris des capitales de provinces comme Madrid, Málaga, Santander, Logroño, Cadiz ou Córdoba. Seules les capitales de Catalogne, du Pays basque et de Galice, où la nouvelle alliance entre gauche et séparatistes s’est consolidée, ont fait exception.

Prétextant « assumer en première personne les résultats » du 28 mai, Pedro Sanchez s’est empressé de dissoudre le Parlement et d’avancer au 23 juillet les élections législatives, initialement prévues en décembre. En prenant de court l’ensemble du paysage politique, il espérait sans doute :

  • Éviter d’exhiber le pourrissement de sa coalition gouvernementale ;
  • S’épargner une trahison pré-électorale des partis nationalistes sur lesquels les socialistes se sont reposés pour gouverner durant ces dernières années, et qui doivent feindre la dissidence pour contenter leur électorat ;
  • Favoriser la démobilisation électorale de la droite en organisant des élections en pleines vacances d’été, fait inédit en Espagne, sous une chaleur de plomb : à ce titre, il est important de rappeler qu’en Andalousie, plus grande région d’Espagne, il est interdit d’organiser des élections autonomiques entre le 1er juillet et le 31 août en raison de la chaleur ;
  • Un gain d’influence internationale : comme Emmanuel Macron en avril 2022, Pedro Sanchez battra campagne au début de la présidence espagnole de l’Union européenne et s’assurera un regain d’influence internationale.

 

Malgré ses calculs, Pedro Sanchez ne devrait pas parvenir à contenir la sanction électorale qu’il mérite, tant il a exaspéré nombre d’Espagnols, sur la forme comme sur le fond.

 

La forme : le mensonge comme méthode de gouvernement

Durant ces cinq ans passées à la tête du Gouvernement, Sanchez a fait du mensonge son identité politique. Voici une liste non-exhaustive des mensonges proférés par Pedro Sanchez qui ne fait aucun doute sur le cynisme du personnage :

  1. En septembre 2019, durant la campagne électorale, Pedro Sanchez nie l’éventualité d’une alliance gouvernementale entre socialistes et Podemos : « Comme des milliers d’Espagnols, je ne pourrais fermer les yeux la nuit si cela arrivait ».  Le 30 décembre, un accord de coalition gouvernementale est signé entre les socialistes et Podemos.
  2. En 2014, Pedro Sanchez affirme qu’il a honte de « voir des politiciens qui gracient d’autres politiciens » et s’oppose aux grâces pour des motifs politiques. Durant la campagne électorale pour les élections législatives de 2015, il promet de durcir les peines pour corruption et détournement de fonds publics. Durant la campagne électorale de 2019, il promet de ramener Carles Puigdemont en Espagne afin que ce dernier y soit jugé et se montre favorable à ce que les séditieux catalans condamnés pour l’organisation d’un référendum d’indépendance de la Catalogne en 2017 purgent l’entièreté de leur peine. Le 22 juin 2021, défendant une mesure de « réconciliation » et de « concorde », il gracie les neufs dirigeants politiques condamnés en 2019 à des peines allant de 9 à 13 ans de rétention. En décembre 2022, il supprime du Code pénal le délit de sédition, pour lequel avaient été condamnés les indépendantistes catalans, qu’il remplace par un délit aux peines moins lourdes, et allège le délit de détournement de fonds publics, pour lequel ils avaient été ausi condamnés.
  3. En 2015, Pedro Sanchez déclare que les socialistes ne négocieront rien avec le parti Bildu, formation politique héritière de l’organisation terroriste ETA : « Si vous voulez, je vous le répète vingt fois », insiste-t-il auprès d’un journaliste. En 2015, il s’engage à ne pas laisser la clé de la gouvernabilité de l’Espagne dans les mains de partis indépendantistes. En 2019, à l’approche des élections législatives, il persiste et signe : « Il n’y pas d’accord à avoir avec Bildu », souligne-t-il. En 2021, le gouvernement socialo-communiste obtient le soutien des nationalistes catalans et des héritiers politiques de l’ETA pour son projet de loi de finances.

 

Le mois dernier, l’excellent journaliste Carlos Alsina (Onda Cero) interrogeait Pedro Sanchez sur ses mensonges récurrents : « Monsieur le Président, pourquoi mentez-vous autant ? ». Avec beaucoup de culot, Pedro Sanchez réfutait cette appellation : « Je n’ai pas menti, j’ai eu des changements d’opinions politiques sur certains sujets ».

Pourtant, à la lecture d’une telle liste de mensonges éhontés, n’importe quel électeur socialiste doté d’un minimum d’honnêteté intellectuelle admettrait volontiers que son vote s’est davantage transformé en un vote pour Podemos que pour un parti social-démocrate. D’autant plus que sur les 7 réformes « transpartisanes » du programme électoral de Pedro Sanchez en 2019 (santé, sciences, industrie, culture, lutte contre la dépopulation, transports, etc.), aucune n’a été lancée en quatre ans de gouvernement.

 

Sur le fond : la colonisation socialiste des institutions

Sur le fond, Pedro Sanchez et ses alliés ont travaillé à substituer au pacte constitutionnel démocratique de 1978 une Espagne aux institutions balkanisées, dans laquelle la droite se retrouverait sans possibilités d’incarner une alternative politique.

Tout d’abord, le gouvernement n’a eu de cesse d’éroder délibérément l’indépendance, la crédibilité et la légitimité de grand nombre d’institutions. En voici quelques exemples frappants :

  • 2020 : nomination de Dolores Delgado, ministre de la Justice et députée socialiste, à la fonction de Procureur général de l’État espagnol, qui requiert pourtant un profil indépendant et moins politique.
  • 2020 : destitution par le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, du lieutenant-colonel de la Garde Civile, Diego Pérez de los Cobos. Ce dernier avait refusé d’obéir à un ordre illégal du ministre de l’Intérieur ;
  • 2022 : nomination comme juges au Tribunal Constitutionnel de magistrats aux profils particulièrement politisés à gauche ;
  • Refus réitéré de réformer la loi sur l’indépendance du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire encouragée par le commissaire à la justice de l’Union européenne, afin de mettre fin à 5 ans de blocages politiques dans la nomination de ses membres.

 

Cet affaiblissement de l’indépendance des institutions s’est accompagné d’un affaiblissement de la force de l’État sur l’ensemble du territoire national :

  • Réduction significative des effectifs de la Garde civile et de la Police nationale au Pays basque, en Catalogne et Navarre ;
  • Affaiblissement de l’arsenal juridique sanctionnant des comportements attentant à l’unité de l’État par la suppression, en 2022, des délits de sédition et de détournement de fonds publics, pour lesquels avaient été condamnés plusieurs hommes politiques catalans après avoir organisé le référendum illégal en 2017.
  • Multiplication des critiques à l’encontre de la Couronne comme institution garante de l’unité nationale par les ministres de Podemos.

 

En parallèle de ce processus d’affaiblissement de l’État de droit, Pedro Sanchez s’est inscrit dans la continuité de la politiques d’alliances avec les partis nationalistes ouverte par l’ancien président du gouvernement José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011). En plus d’avoir entamé des négociations injustifiables avec une ETA de plus en plus en difficulté face à la répression de l’État, les socialistes avaient souscrit en 2003 au pacte du Tinell, qui consistait en une coalition gouvernementale en Catalogne entre la gauche nationaliste (Esquerra Republicana de Catalunya), les socialistes et les écologistes, à condition que ces partis s’engagent à ne jamais parvenir à un quelconque accord avec le PP, tant au niveau national que local, afin d’éloigner la droite espagnole du pouvoir.

En cinq années, le gouvernement de Pedro Sanchez a également procédé à d’innombrables concessions aux partis nationalistes : grâces accordées aux politiciens catalans, suppression ou allègement des délits de sédition et de détournement de fonds publics du Code pénal, diminution de la présence policière nationale en Catalogne, au Pays basque et en Navarre, concession d’aménagements de peines par l’administration carcérale pour les terroristes de l’ETA, etc. Un tabou a même été rompu avec les nombreux accords trouvés entre les socialistes et la formation Bildu, héritière politique du terrorisme de l’ETA, qui compte dans ses files de nombreuses personnes condamnées pour des crimes de sang.

En parallèle, la gauche a poursuivi sa stratégie de démonisation de la droite par l’intensification de la guerre mémorielle, ouverte en son temps par Zapatero avec la loi de mémoire historique. La promulgation de la loi de mémoire démocratique, que j’avais évoquée dans un précédent article, en est un exemple parfait.

En agitant ainsi l’épouvantail du retour du franquisme, les socialistes parviennent à stimuler la participation électorale et à contraindre le PP, parti taraudé par son complexe d’infériorité morale vis-à-vis de la gauche, à se distancier de son partenaire naturel : Vox.

 

La droite n’a plus qu’à se montrer à la hauteur

Face à ce sordide bilan, la victoire de la droite est plus que probable, comme semblent le montrer les sondages, qui donnent à une éventuelle coalition entre le PP et Vox la majorité absolue. Pourtant, les stratégies électorales des deux partis divergent et créent des frictions dans une élection qui pourrait sembler gagnée d’avance.

Le candidat du PP, Alberto Nunez Feijóo, cherche à recentrer son parti afin d’aspirer la frange constitutionnaliste des socialistes et récupérer l’électorat centriste de Ciudadanos, formation désormais disparue. S’il assumait sa proximité avec Vox, le PP d’Alberto Nunez Feijóo aurait plus de mal à capter ces voix et risquerait de surmobiliser un électorat de gauche toujours prompt à jouer son petit numéro d’alerte antifasciste. Le PP se retrouve ainsi dans une situation d’équilibriste, où il doit se distancier suffisamment d’un électorat qui pourrait très bien être le sien sans pour autant décevoir ses électeurs.

Pour Vox, l’enjeu est de conforter sa place au Parlement national et de s’imposer comme une force politique essentielle à la gouvernabilité, comme c’est désormais le cas dans plusieurs communautés autonomes (Valence, Baléares, Castille-et-Léon, Extrémadure). Faisant fi de toute subtilité afin de faciliter une entrée future dans un gouvernement, ses dirigeants préfèrent multiplier les outrances sur les sujets de société qui mobiliseront la gauche (avortement, idéologie de genre, violences domestiques) et purger le parti de ses éléments les plus libéraux, au profit de la frange la plus réactionnaire de la formation. C’est ainsi que les membres du Yunque, une organisation secrète ultra catholique dont l’objectif est de « faire triompher le règne du Christ sur Terre », se sont imposés au sein de Vox.

A l’échelle autonomique, les accords de gouvernement entre le PP et Vox sont de très bon augure sur des questions relatives au respect de la Constitution, comme les politiques linguistique et éducative.

Le 23 juillet, les résultats nous diront si Alberto Nunez Feijóo a réussi son pari de recentrer le PP afin d’apaiser l    e climat politique tendu créé par les politiques clivantes de Sanchez, et si les outrances de Vox n’ont pas fait le jeu de la gauche. Si tel est le cas, la droite n’aura plus qu’à être à la hauteur du rendez-vous pour en finir avec Pedro Sanchez et garantir le respect de la Constitution et des institutions démocratiques.

Élections européennes 2024 : quel avenir pour l’Union européenne ?

Depuis le 17 mai dernier, on connait la date des prochaines élections européennes : le 9 juin 2024. Bien que ces élections soient encore loin des préoccupations des électeurs du vieux continent, les partis politiques sont, quant à eux, déjà tournés vers cette échéance.

 

Les enjeux nationaux

Tout particulièrement en France, où les européennes seront les seules élections intermédiaires du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Ainsi, chaque famille politique se met en ordre de bataille pour ce scrutin transformé en une sorte de mid-term, tout comme en 2019.

 

Du côté de la gauche, l’enjeu principal est la constitution ou non d’une liste unique de la NUPES. Mais à peine évoquée, cette liste d’union apparaît d’ores et déjà enterrée.

En effet, le 2 juillet dernier, le conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts a présenté les premiers candidats de sa liste. Les Verts emboitent le pas au Parti communiste, qui avait annoncé la veille Léon Deffontaines comme leur tête de liste.

Le choix de ces formations de faire bande à part n’a pu être que renforcé par les premiers sondages portant sur les élections européennes. Ceux-ci montrent que la gauche obtient systématiquement un meilleur score divisée (au-dessus de 30 %) qu’unie (autour de 25 %).

De surcroît, ce scrutin pourrait être l’occasion de renverser le leadership de La France Insoumise sur la gauche française, d’autant plus qu’il s’agit d’une élection traditionnellement favorable à EELV (13,5 % aux européennes de 2019 contre 4,5 % à la présidentielle de 2022). Le parti écologiste est d’ailleurs donné en tête des partis de gauche avec environ 10 % des intentions de votes, suivi de près par le PS et LFI.

 

À droite de l’échiquier politique, le Rassemblement national apparaît comme le grand favori pour l’emporter. Le parti de Marine Le Pen est donné en tête avec 26 % des intentions de vote dans le dernier sondage IFOP.

A contrario, Les Républicains sont dans une position bien plus délicate. Le parti n’a toujours pas convenu d’un positionnement clair afin de lui permettre d’exister entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national, et ce malgré un premier bureau politique consacré au sujet le 29 juin dernier. LR espère ne pas revivre le traumatisme des dernières européennes où la liste de François-Xavier Bellamy était arrivée quatrième avec à peine 8 % des voix. Le parti obtient actuellement péniblement 10 % des intentions de vote dans les derniers sondages.

Cette situation précaire n’est pas améliorée par la très probable constitution d’une liste Reconquête. Le parti d’Éric Zemmour, fort de ses 7 % à la présidentielle, dispose déjà de quatre élus à Bruxelles (dont Nicolas Bay et Gilbert Collard). Reste à déterminer qui sera à la tête de cette liste, le nom de Marion Maréchal est régulièrement évoqué.

 

Le centre n’est pas non plus épargné par les manœuvres en vue du scrutin européen. Renaissance et ses alliés pourraient se voir menacés par une potentielle liste UTILE, du nom de l’association fondée par les membres du groupe LIOT à l’Assemblée nationale.

Depuis leur mobilisation contre l’usage du 49.3 pour adopter la réforme des retraites ce printemps, le groupe centriste tente de créer un espace politique pour une alternative modérée (et qui sait libérale) à la majorité présidentielle. Les élections européennes apparaissent comme l’occasion parfaite de se confronter une première fois aux urnes, et venir rogner sur les 20-22 % dont Renaissance est actuellement crédité dans les sondages.

 

Cependant, c’est bien au niveau européen que les élections de 2024 révèlent le plus d’enjeux majeurs pour l’avenir de l’Union, et même pour ce qui constitue notre continent.

 

Les enjeux européens

Deux enjeux principaux se dessinent d’ores et déjà à Bruxelles.

 

D’une part, que va-t-il advenir de cette législature et de cette Commission qualifiées de « politique ». Effectivement, depuis 2019 l’Union européenne s’est engagée dans de nombreux projets d’ampleur comme la régulation des plateformes, la lutte contre le changement climatique, ou encore la défense de l’État de droit. Une telle intervention législative marque une rupture dans l’histoire de la construction européenne.

De nombreux sujets restent à ce jour sur la table, comme la réforme des règles budgétaires, les questions migratoires ou bien la création d’une politique industrielle au niveau communautaire. Mais la prochaine législature sera-t-elle aussi proactive que sa prédécesseur ?

Encore faudrait-il pour cela qu’une majorité stable se dégage au soir du 9 juin afin de pouvoir adopter ces ambitieuses réformes. C’est ici que réside la principale interrogation en vue des prochaines européennes : le Parlement européen deviendra-t-il ingouvernable ?

 

En effet, depuis quelques mois le PPE, regroupant les partis de la droite chrétienne-démocrate et conservatrice, emmené par son chef Manfred Weber, mène une politique agressive au Parlement. Tant et si bien qu’on considère la grande coalition entre les sociaux-démocrates de S&D et le PPE, qui gouvernait à Bruxelles depuis 1979, comme appartenant au passé.

Le PPE semble vouloir désormais se tourner vers les Conservateurs et Réformistes Européens (ECR), le groupe de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni et du PiS polonais, pour former une future majorité à Bruxelles. Mais cette alliance des droites ne ravit pas tout le monde au sein de son camp. À commencer par la présidente de la Commission Ursula von der Layen, qui n’a toujours pas fait part de sa volonté ou non d’exercer un second mandat.

Bien que les dernières projections montrent une dynamique certaine du côté d’ECR et d’ID (le groupe du RN, de la Lega de Mateo Salvini et de l’AfD), cette union des droites ne disposerait que d’environ 250 sièges sur les 705 du Parlement.

Le groupe centriste Renew Europe serait donc indispensable pour donner une majorité à cette nouvelle coalition. Mais la question fait tout autant débat au sein du groupe des libéraux et démocrates européens, dont de nombreux membres connaissent des difficultés au niveau national. Un éclatement du PPE et de RE n’est donc pas à exclure si cette révolution des alliances venait à voir le jour.

 

La désignation des spitzenkandidaten (tête de liste en bon français) par le PPE et RE sera donc à surveiller de près pour savoir quelle ligne l’emporte sur ce sujet.

Il semblerait cependant que cette tradition instaurée en 2014 puisse ne pas survivre à ces élections. Pour l’instant, seuls les Verts et la gauche ont débuté leur processus de sélection. Le PPE, RE et même S&D ne semblent plus considérer cette nomination comme un impératif.

 

Ainsi, bien qu’encore loin de nos esprits, les élections européennes de 2024 semblent ouvrir de véritables questionnements sur l’avenir de l’Union.

D’un côté la demande d’une Europe plus interventionniste de la part de la gauche et de certains États membres. De l’autre, une potentielle alliance des droites qui viendrait remettre en cause la défense de l’État de droit et de la libre circulation des personnes comme fondement de l’UE.

Cependant, on peut déjà parier que la campagne en France ne se fera pas sur ses enjeux, mais bien autour d’une course de petits chevaux où seule compte la liste arrivée en tête (en témoigne l’attitude de LFI en faveur d’une liste unique à gauche).

Face à la construction d’un véritable débat public européen, la France semble rester dans son obsession majoritaire.

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