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Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

AI Act : en Europe, l’intelligence artificielle sera éthique

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son approche réglementaire peu propice à l’innovation, l’Union européenne est résolue à montrer l’exemple avec son AI Act. Le texte, dont certaines modalités de mise en œuvre restent encore à préciser, peut-il seulement s’imposer en tant que référence ?

 

L’intelligence artificielle, un enjeu économique, stratégique… et règlementaire

L’intelligence artificielle revêt un aspect stratégique de premier ordre. La technologie fait l’objet d’une compétition internationale effrénée dont les enjeux touchent aussi bien aux questions économiques que militaires et sociales, avec, bien sûr, des implications conséquentes en termes de puissance et de souveraineté. Dans un tel contexte, une nation qui passerait à côté de la révolution de l’IA se mettrait en grande difficulté.

Rapidement, la question de la réglementation de l’IA est devenue un sujet de préoccupation majeur pour les États. Et pour cause, les risques liés à l’IA, notamment en matière de vie privée, de pertes d’emplois, de concentration de la puissance de calcul et de captation de la recherche, sont considérables. Des inquiétudes dont les participants à l’édition 2024 du Forum économique mondial de Davos se sont d’ailleurs récemment fait l’écho.

En effet, bien que des régimes existants, comme les règles sur la protection des droits d’auteur, la protection des consommateurs, ou la sécurité des données personnelles concernent l’IA, il n’existe à ce jour pas de cadre juridique spécifique à la technologie en droit international. De plus, beaucoup de doutes subsistent quant à la façon dont les règles pertinentes déjà existantes s’appliqueraient en pratique. Face à l’urgence, plusieurs États se sont donc attelés à clarifier leurs propres réglementations, certains explorant la faisabilité d’un cadre réglementaire spécifiquement dédié à la technologie.

Dans la sphère domestique comme à l’international, les initiatives se succèdent pour dessiner les contours d’un cadre juridique pour l’IA. C’est dans ce contexte que l’Union européenne entend promouvoir sa vision de la règlementation articulée autour de règles contraignantes centrées sur la protection des droits fondamentaux.

 

Un risque de marginalisation potentiel

Le Plan coordonné dans le domaine de l’intelligence artificielle publié en 2018, et mis à jour en 2021, trace les grandes orientations de l’approche de l’Union européenne. Celui-ci vise à faire de l’Union européenne la pionnière des IA « légales », « éthiques » et « robustes » dans le monde, et introduit le concept d’« IA digne de confiance » ou trustworthy AI. Proposé en avril 2021 par la Commission européenne, le fameux AI Act est une étape décisive vers cet objectif.

L’IA Act classe les systèmes d’intelligence artificielle en fonction des risques associés à leur usage. Ainsi, l’étendue des obligations planant sur les fournisseurs de solutions d’IA est proportionnelle au risque d’atteinte aux droits fondamentaux. De par son caractère général, l’approche européenne se distingue de la plupart des approches existantes, qui, jusqu’alors, demeurent sectorielles.

Parmi les grands axes du texte figurent l’interdiction de certains usages comme l’utilisation de l’IA à des fins de manipulation de masse, et les systèmes d’IA permettant un crédit social. Les modèles dits « de fondation », des modèles particulièrement puissants pouvant servir une multitude d’applications, font l’objet d’une attention particulière. En fonction de leur taille, ces modèles pourraient être considérés à « haut risque, » une dénomination se traduisant par des obligations particulières en matière de transparence, de sécurité et de supervision humaine.

Certains États membres, dont la France, se sont montrés particulièrement réticents à l’égard des dispositions portant sur les modèles de fondation, y voyant un frein potentiel au développement de l’IA en Europe. Il faut dire que l’Union européenne fait pâle figure à côté des deux géants que sont les États-Unis et la Chine. Ses deux plus gros investisseurs en IA, la France et l’Allemagne, ne rassemblent qu’un dixième des investissements chinois. Bien qu’un compromis ait été obtenu, il est clair que la phase d’implémentation sera décisive pour juger de la bonne volonté des signataires.

À première vue, le AI Act semble donc tomber comme un cheveu sur la soupe. Il convient néanmoins de ne pas réduire la conversation au poncif selon lequel la règlementation nuirait à l’innovation.

 

L’ambition d’incarner un modèle

Le projet de règlementer l’IA n’est pas une anomalie, en témoigne la flopée d’initiatives en cours. En revanche, l’IA Act se démarque par son ambition.

À l’instar du RGPD, le AI Act procède de la volonté de l’Union européenne de proposer une alternative aux modèles américains et chinois. Ainsi, à l’heure où les cultures technologiques et réglementaires chinoises et américaines sont régulièrement présentées comme des extrêmes, le modèle prôné par l’Union européenne fait figure de troisième voie. Plusieurs organismes de l’industrie créative avaient d’ailleurs appelé les États membres à approuver le texte la veille du vote, alors que la réticence de Paris faisait planer le doute quant à son adoption. Cet appel n’est pas anodin et rejoint les voix de nombreux juristes et organismes indépendants.

Compte tenu des inquiétudes, il est clair que l’idée d’une IA éthique et respectueuse des droits fondamentaux est vendeuse, et serait un moyen de gagner la loyauté des consommateurs. Notons d’ailleurs que huit multinationales du digital se sont récemment engagées à suivre les recommandations de l’UNESCO en matière d’IA éthique.

L’initiative se démarque aussi par sa portée. Juridiquement, le AI Act a vocation à s’appliquer aux 27 États membres sans besoin de transposition en droit interne. Le texte aura des effets extraterritoriaux, c’est-à-dire que certains fournisseurs étrangers pourront quand même être soumis aux dispositions du règlement si leurs solutions ont vocation à être utilisées dans l’Union.

Politiquement, le AI Act est aussi un indicateur d’unité européenne, à l’heure où le projet de Convention pour l’IA du Conseil de l’Europe (qui englobe un plus grand nombre d’États) peine à avancer. Mais peut-on seulement parler de référence ? Le choix de centrer la règlementation de l’IA sur la protection des droits de l’Homme est louable, et distingue l’Union des autres acteurs. Elle en poussera sans doute certains à légiférer dans ce sens. Néanmoins, des ambiguïtés subsistent sur son application. Ainsi, pour que l’AI Act devienne une référence, l’Union européenne et ses membres doivent pleinement assumer la vision pour laquelle ils ont signé. Cela impliquera avant tout de ne pas céder trop de terrains aux industriels lors de son implémentation.

Parc des Princes : l’urgence de la privatisation

Mardi 27 février, Florian Grill, le président de la Fédération française de rugby, menaçait de délocaliser les matchs du XV de France hors du Stade de France à l’occasion d’un entretien à l’AFP. Le bras de fer entre la mairie de Paris et le PSG au sujet du Parc des Princes avait, lui aussi, connu un nouveau rebondissement le mois dernier : l’adjoint écologiste à la mairie de Paris, David Belliard, ne souhaitait pas le voir vendu au Qatar. Le président du PSG Nasser Al-Khelaïfi s’en était ému, accusant à demi-mot la mairie de Paris de racisme. Après avoir menacé de s’installer au Stade de France, le PSG serait désormais à la recherche d’un endroit pour construire un nouveau stade. Cette opération serait une catastrophe pour les Parisiens qui subissent déjà depuis dix ans la fuite en avant financière de la mairie socialiste.

Source : journaldunet.com

Depuis que la coalition socialo-communo-écolo a porté au pouvoir Anne Hidalgo a la tête de la mairie de Paris il y a dix ans, la situation financière de la ville s’est considérablement dégradée.

Profitant des taux exceptionnellement bas, la maire socialiste a dépensé sans compter, et l’endettement de la ville de Paris a été multiplié par deux en dix ans pour atteindre près de huit milliards d’euros. La réalité a commencé à rattraper les Parisiens, et la ville a augmenté la taxe foncière de 62 % l’année dernière pour essayer de colmater les brèches.

Ce n’est pas suffisant : la très forte augmentation des taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation causée par des années de taux ultra-bas, et les déficits massifs enregistrés depuis la crise financière et renforcés par le « quoi qu’il en coûte » imposent un rapide désendettement de la ville de Paris. C’est la condition pour éviter d’écraser les Parisiens d’impôts supplémentaires. Il faut donc que la ville de Paris vende vite et bien le Parc des Princes, et cela veut dire le céder au PSG.

Source : journaldunet.com

Le Paris Saint-Germain est un des rares clubs majeurs européens qui n’est pas propriétaire de son stade. L’acquérir permettrait à la fois de renforcer la position financière du club grâce à un important actif immobilier, ainsi que son contrôle sur les revenus de billetterie et d’hospitalité. Le club deviendrait aussi maître de ses investissements, pouvant les planifier sans interférence de la mairie de Paris.

Du côté de la mairie de Paris, il est essentiel que le PSG devienne acquéreur du Parc pour ancrer le club à Paris. La valeur du Parc des Princes tient essentiellement au fait que le PSG en soit le club résident. Perdre le PSG, c’est s’asseoir sur l’activité que les matchs génèrent et sur la valeur du Parc des Princes. Ce raisonnement s’applique aussi au PSG : un PSG propriétaire du stade ne peut en déménager qu’à condition d’accepter une forte dépréciation de la valeur de cet actif. Ce n’est pas grâce aux concerts qui sont en concurrence directe avec le Stade de France et Bercy que le Parc ne deviendra pas un poids mort pour les Parisiens.

Le Parc des Princes n’est pas le seul actif sportif que la ville de Paris doit céder pour accélérer son désendettement. Elle est aussi propriétaire de Roland Garros, du stade Charlety et du stade Jean Bouin. Ce n’est pas le rôle de la mairie de Paris d’être propriétaire d’infrastructures essentiellement utilisées par des entreprises commerciales au rayonnement national et international. La ville doit rapidement enclencher les discussions pour céder ce parc immobilier à la Fédération Française de Tennis, au Paris FC et au Stade Français, et affecter les revenus à son désendettement.

L’État donne pour une fois l’exemple en cherchant à céder le Stade de France. Une bonne privatisation de celui-ci mettrait fin au modèle de la concession et le cèderait à un consortium composé de la Fédération Française de Football, de Rugby, d’Athlétisme et d’une entreprise spécialisée (comme Vinci). Cela permettrait aux fédérations sportives d’améliorer les revenus tirés de leurs évènements et de les diversifier grâce aux spectacles. L’entreprise concessionnaire apporterait son savoir-faire et probablement une meilleure tenue des comptes que si ceux-ci étaient laissés entièrement aux fédérations.

Privatiser ces infrastructures, c’est faire gagner la France plusieurs fois : des organisations sportives plus solides, des finances publiques assainies et des administrations publiques qui peuvent se concentrer sur leurs tâches essentielles. Pour l’État, comme pour la mairie de Paris, c’est notamment la sécurité des biens et des personnes qui se dégrade de façon inquiétante.

Les vrais chiffres de la balance commerciale 2023 

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les 200 milliards d’euros de déficit pour se « rétablir » en 2023 à -135 milliards d’euros.

Rappelons qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise sanitaire et avant la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, la balance commerciale s’établissait à un déficit de 77 milliards (quand l’Allemagne dépassait les 200 milliards d’excédent commercial).

Pour résumer, en l’espace de deux ans : 2019 à 2022, notre déficit commercial a quasiment triplé et le déficit de 2023 est maintenant équivalent au double de celui de 2019.

 

Une lueur d’espoir ? L’éternelle marotte de la solution par les exportations 

Face à des résultats accablants, l’idée selon laquelle la progression de nos exportations viendrait redresser la balance commerciale continue de perdurer et d’être promue comme la solution de reconquête de notre souveraineté. Est-ce bien réaliste ? Avec des exportations qui progressent mollement (+3 % en un an) et dont la hausse intègre nécessairement l’inflation, peut-on vraiment penser qu’elles seront à même de compenser notre dépendance structurelle aux importations sur la quasi-totalité des secteurs industriels ?

Pour comprendre la réalité de la balance commerciale, reprenons chaque secteur en distinguant les secteurs déficitaires des rares secteurs excédentaires.

 

Les secteurs déficitaires… Toujours plus déficitaires

Énergie : un déficit de 75 milliards, ou comment la France fait passer les intérêts de ses partenaires commerciaux avant les siens

Rappelons que dans les années 2000, date à laquelle la balance commerciale passe dans le rouge, le déficit énergétique s’affiche déjà à près de 25 milliards. En vingt ans, il double pour atteindre les 50 milliards en 2019. Puis de 2019 à 2022, il double à nouveau (quasiment 120 milliards !) et se redresse en 2023 à près de 75 milliards soit 50 % de plus qu’en 2019…

Si l’on entre dans les détails, on comprend bien la folie de notre politique énergétique qui nous place en position de dépendance vis-à-vis du gaz naturel que nous importons à des prix toujours plus élevés, sans pouvoir tirer profit de l’électricité que nous vendons… Au prix auquel nous la produisons !

Prenons notre premier poste d’importations énergétiques : les hydrocarbures naturels (gaz dont gaz de schiste et huiles brutes de pétrole) qui affichent à eux seuls un déficit de 56 milliards d’euros.

La guerre en Ukraine a lourdement marqué notre balance en matière d’hydrocarbures naturels avec une flambée des prix et un recours aux États-Unis très marqué et coûteux : le coût de nos importations a ainsi quasiment triplé de 2019 à 2022 avec un déficit atteignant les 75 milliards en 2022. Déficit qui s’est redressé à plus de 56 milliards en 2023. La situation est donc loin d’être rétablie.

Second poste du déficit énergétique, les produits pétroliers, a quant à lui doublé sur la période 2019-2022 passant de 15 à 30 milliards pour se rétablir à 20 milliards en 2023.

Si notre dépendance en hydrocarbures et produits pétroliers a toujours été avérée, notre force nucléaire, en revanche a toujours constitué un atout majeur.

Malheureusement, pour ce qui est de l’électricité, troisième grand poste de nos dépenses énergétiques, il est clair que nous ne tirons absolument pas avantage de notre force nucléaire dans laquelle nous avons tant investi. En 2022, le mécanisme de l’ARENH nous a fait atteindre une situation ubuesque de déficit commercial en électricité (8 milliards) en devant acheter plus cher à des fournisseurs étrangers un produit que nous devons leur vendre au prix coûtant. En 2023, les choses se rétablissent avec un excédent de 3 milliards qui, on le comprend bien, si nous n’étions pas entrés dans l’ARENH, devrait être nettement supérieur.

En synthèse, l’énergie que nous vendons et achetons se traduit par un solde déficitaire de 50 milliards. Notre position de leader nucléaire historique ne permet en rien de redresser ces résultats du fait des mécanismes de prix fixés par l’ARENH.

 

Le textile et l’habillement

Un redressement en demi-teinte porté par la croissance des exportations de produits de luxe.

Le déficit avait atteint les 12 milliards en 2019, frôlé les 13 milliards en 2022 et s’est contracté à 8 milliards en 2023. Ce rétablissement est entièrement porté par la progression des exportations sur le seul secteur du cuir/bagages/chaussures. En revanche, pour le reste de l’habillement, le montant des importations est en progression avec l’apparition marquée d’acteurs étrangers intervenant en vente directe, sans intermédiation, comme l’emblématique Shein.

 

Le déficit ancré de l’agro-alimentaire : une perte de souveraineté confirmée

Les résultats sont chaque année présentés comme positifs… À tort. En effet, les boissons (vins et spiritueux) viennent corriger ce qui est devenu un déficit structurel de la balance commerciale sur la totalité des produits à l’exception des produits laitiers. Corrigés des seuls chiffres des boissons les résultats sont alarmants : la dépendance aux produits étrangers, pour ce qui est de notre consommation de viande, de conserves, de fruits et légumes, et d’huiles est bel et bien confirmée. Tous ces secteurs sont déficitaires, entre 2 et 4 milliards chacun.

La balance commerciale du secteur agro-alimentaire marque donc, en réalité, un déficit de 10 milliards d’euros (soit 3 milliards de déficit supplémentaire par rapport à 2019).

Ce déficit n’est pas corrigé par la balance commerciale agricole, qui, après une progression en 2022 enregistre un excédent de 1,4 milliard. On peut donc dire que le secteur agricole, hors spiritueux, enregistre des déficits records, proches de 9 milliards !

 

Métallurgie, électronique, machines… : la chute libre

De nombreux autres secteurs historiquement déficitaires continuent leur plongée respective comme l’industrie métallurgique (doublement du déficit de 2019 à 2023 pour atteindre 15 milliards d’euros), les produits en plastique (-10 milliards), les produits informatiques (+50 % de déficit soit -10 milliards), la fabrication d’équipements électriques et de machines (-21 milliards).

 

Les rares secteurs excédentaires… En très fort recul

De façon encore plus inquiétante, on voit également se contracter des secteurs qui avait su rester excédentaires.

Premier concerné : l’industrie du transport (automobile, aérospatiale, navire) qui est passé de 15 milliards d’excédent en 2019 à… 6 milliards ! Cet effondrement est principalement corrélé à l’effondrement du secteur automobile dont le déficit passe de 15 à 25 milliards d’euros et dont les résultats de l’aérospatiale ne parviennent pas à compenser.

Deuxième secteur historiquement fort : l’industrie pharmaceutique qui voit un effondrement dans la balance commerciale que toute personne ayant besoin de se soigner peut constater. L’excédent de 6 milliards de 2019 s’est amoindri à moins d’un milliard en 2023.

Enfin l’industrie chimique, toujours présentée en bonne santé, doit à l’instar du secteur agro-alimentaire et des boissons, être retraitée de la cosmétique. Le solde le plus excédentaire de la balance commerciale, 20 milliards en 2023, se réduit à la peau de chagrin de 2,5 milliards une fois les cosmétiques retirés…

Globalement, sur 2023, en dépit de la contraction du déficit, les tendances lourdes se confirment et semblent ancrées de façon indélébiles dans les chiffres de la balance commerciale et dans la réalité de notre consommation quotidienne.

Au-delà des aides, des subventions, et des « encouragements », il est temps que l’industrie redevienne réellement une priorité nationale. La France doit revoir les normes et dispositifs dans lesquelles elle s’est enfermée au profit de ses partenaires et au détriment de ses propres intérêts commerciaux.

Croissance vs Emploi : les élites marocaines au cœur d’une énigme économique

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engranger des succès. Le ralliement d’un certain nombre de pays qui comptent dans l’échiquier politique international à la position marocaine en est la preuve. L’organisation de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations en 2025, comme en 2030, celle de la Coupe du monde de football, avec l’Espagne et le Portugal, constituent à n’en pas douter des victoires à mettre au profit de ce dynamisme. Sans oublier la prouesse de l’équipe nationale marocaine à la faveur de la dernière Coupe du monde de football organisée au Qatar.

La diversification de l’économie est un puissant facteur de résilience face aux crises à répétition. L’agriculture se modernise, l’industrie s’affirme avec un secteur automobile dont l’intégration locale dépasse les 60 %, et l’aéronautique prend son envol avec un taux d’intégration de près de 40 %. Le tourisme, moteur essentiel de la croissance, attire un flot continu de visiteurs malgré les secousses mondiales. Les atouts du pays, entre patrimoine culturel riche, paysages diversifiés du désert à la montagne, des plages aux plateaux, et une infrastructure de pointe (ports, aéroport, train à grande vitesse, autoroutes), demeurent indéniables.

Par ailleurs, le pays s’est toujours distingué par une ouverture très prononcée de son économie, particulièrement vers les pays occidentaux, comme en témoignent les nombreux accords d’association signés avec certains pays (Union européenne, États-Unis etc.). Les relations avec la France sont fortes et diversifiées. Le Maroc est le premier partenaire commercial de la France en Afrique, et le second dans la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient). 

Depuis peu, cette ouverture s’est poursuivie vers d’autres contrées, surtout africaines. Les investissements marocains dans certains de ces pays (Sénégal, Côte d’Ivoire par exemple) connaissent une évolution ascendante. Pour accompagner ces orientations, les banques marocaines n’ont pas hésité à s’installer dans ces pays, et la compagnie aérienne marocaine (Royal Air Maroc) a tissé un réseau solide, connectant Casablanca, la capitale économique du royaume, à plusieurs villes africaines.  

Les investissements directs étrangers connaissent certes un fléchissement ces dernières années, mais la dynamique d’ensemble demeure, somme toute, positive. Il est à signaler que la France reste l’un des principaux investisseurs étrangers (premier en termes de stock) au royaume du Maroc, dans l’industrie (avec la réussite éclatante du projet structurant de Renault), mais aussi dans l’immobilier, les services et le commerce. 

L’inflation a battu des records en 2022 comme dans la plupart des pays, suite au conflit russo-ukrainien, mais elle a commencé à se stabiliser en 2023. Le déficit budgétaire diminue d’année en année et commence à se consolider (4 % prévu en 2024), et ce malgré les différents chocs internes (sécheresse à répétition, séisme) et externes (covid, guerre). La dette publique demeure soutenable (70 % du PIB), avec une maturité confortable (six ans en moyenne). La diaspora marocaine continue de déverser un flux ininterrompu d’argent pour aider sa famille et participer au développement du pays. Les remises de fonds ont dépassé dix milliards de dollars en 2023, ce qui constitue un record ! La croissance se situe dans la tranche supérieure des pays MENA (pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord), même si le pays ne converge pas vers son sentier de croissance potentielle déterminé par la croissance de la population et celle de la productivité du travail.

 

Un trou dans la raquette

Tout baigne alors. Hé bien non ! Il y a un trou dans la raquette. La croissance marocaine ne crée pas assez d’emplois et même, fait étonnant, elle en détruit !

Malgré tous les atouts précédemment cités, le volume de l’emploi a baissé de 297 000 postes entre le troisième trimestre de 2022 et le troisième trimestre de 2023. Ces données sont aussi inquiétantes qu’inédites. Les conséquences sont immédiates sur le taux de chômage qui demeure préoccupant et le taux d’activité dramatiquement faible. Si le taux de chômage officiel est de 13,5 %, celui des jeunes (15 à 24 ans) enregistre un taux record de 38,2 %, et les diplômés de presque 20 %. Cela signifie que le Maroc ne parvient pas à intégrer sa jeunesse dans le marché du travail malgré une main-d’œuvre riche, entravant ainsi la croissance.

Le Maroc, ayant déjà achevé sa transition démographique, s’apprête à affronter les défis du vieillissement de sa population. L’allongement de l’espérance de vie et la diminution de la fécondité mettent en péril son système de retraite par répartition. Des problèmes de riches dans un pays pauvre. Par ailleurs, les chiffres du chômage contredisent la théorie économique selon laquelle le capital humain protège contre le chômage. Au Maroc, être diplômé accroît la probabilité de chômage, risquant d’encourager le décrochage scolaire, surtout chez les familles défavorisées.

Les inégalités liées au genre aggravent la situation. Celles-ci se reflètent dans les écarts dans le volume de travail annuel et les rémunérations. Une proportion significative de femmes est souvent moins en emploi ou à temps partiel, accentuant ainsi l’inégalité salariale. Cette dernière découle de la distribution inégale des professions entre les sexes, où les emplois féminins diffèrent généralement de ceux occupés par les hommes, tant au niveau des secteurs d’activité que des échelons de rémunération. Cette situation n’est évidemment pas l’apanage exclusif du Maroc.

Si l’on s’en tient au taux de chômage, il avoisine les 20 % pour les femmes contre 13,5 % au niveau national. De plus, le taux d’activité féminine est parmi les plus bas au monde (18,4 % contre 68,7 % pour les hommes), en dépit des preuves empiriques soulignant la productivité accrue des femmes. Quand ces dernières gèrent le foyer, les résultats, en termes de scolarité des enfants ou de la gestion des deniers du ménage, sont largement supérieurs à ceux obtenus par les hommes. De même, les entreprises gérées par les femmes s’en sortent mieux que celles gérées par les hommes. 

Avec une croissance de 3 % en 2023, l’économie marocaine détruit près de 300 000 emplois. Alors qu’auparavant, 1 % de croissance générait 50 000 emplois, aujourd’hui, 1 % de croissance en détruit 100 000. Dès lors, ne faut-il pas se concentrer sur la création d’emplois au lieu de se focaliser sur ce mantra de la croissance économique ? 

 

Mauvaise allocation des ressources 

La création de richesse nécessite capital et travail. Le Maroc possède une main-d’œuvre jeune, bien formée, et pour ne rien gâcher, bon marché. Avec un taux d’investissement impressionnant, l’un des plus élevés au monde (34 %), les ingrédients de la croissance sont a priori réunis. Seulement, on oublie le troisième élément qui a son importance, à savoir la façon de les combiner, une alchimie délicate de valorisation et d’ajustement des facteurs de production. C’est là où le bât blesse. 

D’abord, bien qu’élevé, le taux d’investissement ne reflète pas pleinement l’effort du pays à transformer l’épargne en investissement productif, dépendant de la qualité de cet investissement.

Ensuite, les investisseurs privés ne prenant pas de risque, l’essentiel de l’investissement national est du ressort de l’État, créant ainsi une disjonction entre investissement public et privé. Enfin, quand les investissements directs étrangers augmentent, les investissements privés les suivent (par la création de joint-ventures par exemple). Ces derniers font supporter le risque aux investisseurs étrangers. Une complémentarité s’installe dès lors entre investissement étranger et investissement marocain.

La stratégie marocaine mise sur l’attraction des investissements directs étrangers, en créant un écosystème industriel concentré sur un nombre restreint d’entreprises, négligeant ainsi les PME-PMI, représentant pourtant 90 % des entreprises et la majorité des emplois. Malgré les incitations gouvernementales, telles que des baisses d’impôts sur les sociétés et sur les dividendes, les résultats escomptés tardent à se manifester, créant un paradoxe au cœur de cette stratégie pro-business.

En outre, l’omniprésence et l’omnipotence du secteur informel, absorbant 60 % des emplois, maintiennent les jeunes, en particulier ceux de 18 à 25 ans, issus de zones rurales ou de quartiers défavorisés des grandes villes, dans une fragilité grandissante et une précarité sans nom. Cette mauvaise allocation des ressources n’est en aucun cas le fruit du hasard, loin s’en faut. 

 

Les racines du mal

Ce constat révèle le manque de confiance d’un acteur clé dans le processus de croissance, à savoir le secteur privé. Connaissant les rouages de la création de richesse, il opte pour des investissements dans des niches peu risquées et peu propices à la création d’emplois, reproduisant ainsi le comportement d’une économie rentière.

Attaquer les racines du mal implique de lever les multiples contraintes qui entravent le secteur privé, tel que préconisé par les instances internationales. Ces obstacles comprennent les barrières à l’entrée, les difficultés d’accès aux terrains industriels, les lourdeurs bureaucratiques, un système judiciaire trop complexe, des procédures de marchés publics trop lentes, et un capital social limité. Derrière cette terminologie, se cache le cœur même de toute forme de croissance, la substantifique moelle de tout processus de développement : le système de la prise de décision.

Pour réussir à croître de manière significative et à créer des emplois durables, il est essentiel d’avoir des institutions inclusives, partageant équitablement les opportunités entre les citoyens. Le pouvoir de décision ne devrait pas être l’apanage d’une élite politico-économique cherchant à améliorer son propre bien-être, mais plutôt partagé par le plus grand nombre. Cette distribution équilibrée du pouvoir facilite l’accès à une éducation de qualité pour tous, tout en réduisant les tensions au sein de la société.

L’histoire démontre que les groupes d’intérêt s’opposent généralement à un tel partage. La tâche de construire des institutions inclusives revient aux citoyens eux-mêmes. Un défi colossal, mais un programme nécessaire pour une véritable révolution économique.

« Le risque d’un conflit direct entre la Russie et l’OTAN est à prendre au sérieux » grand entretien avec Aurélien Duchêne

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d’études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

Que représentent les pays baltes pour la Russie de Poutine ?

Aurélien Duchêne Les pays baltes représentent aux yeux du régime russe, comme d’une large partie de la population, d’anciens territoires de l’Empire russe, qui avaient également été annexés par l’URSS des années 1940 jusqu’en 1990. Beaucoup de Russes, notamment dans les élites dirigeantes, n’ont jamais vraiment digéré l’indépendance de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, avec de plus une circonstance aggravante : les pays baltes ont été les premiers à faire sécession de l’URSS, au printemps 1990, et leur soulèvement civique a fortement concouru à l’effondrement de cette dernière.

Les trois nations baltes totalisent une superficie 100 fois plus réduite que celle de la Russie (175 km2) et une population presque 25 fois moindre (6 millions d’habitants) : le fait que de si petits pays aient pu se libérer de l’emprise de Moscou avec le monde entier pour témoin a été une véritable humiliation pour le Kremlin, après des décennies d’humiliations répétées des peuples baltes sous le joug soviétique dans la lignée de la précédente occupation par l’Empire russe. 

La transition rapide des nations baltes vers la démocratie libérale et leur intégration européenne et atlantique restent également un camouflet pour le régime russe. Au-delà du basculement vers le monde occidental de pays censés appartenir à la sphère d’influence russe (si ce n’est à la Russie tout court), c’est l’accession d’anciennes républiques soviétiques au rang de démocraties matures, avec une société libre, qui est aussi intolérable aux yeux de Poutine et de ses lieutenants que ne l’est la démocratisation avancée de l’Ukraine.

Et de même que la Russie de Poutine nie l’existence d’une nation ukrainienne indépendante, elle respecte peu l’identité des peuples baltes qui ont tour à tour été considérés comme des minorités ethniques parmi d’autres dans l’immense Empire russe, puis comme des populations à intégrer de force sous l’URSS. 

Outre l’imposition du communisme qui tolérait par définition mal des identités nationales affirmées, le régime soviétique s’est livré à des politiques de recomposition ethnique qui allaient bien au-delà de la seule politique de terreur stalinienne. À travers des programmes criminels comme l’opération Priboï en 1949, le Kremlin a ainsi orchestré la déportation de 500 000 Baltes entre 1945 et 1955 ! Alors qu’elle déportait des familles entières vers la Sibérie, l’URSS organisait l’installation de Russes ethniques dans ce qui s’est vite apparenté à une véritable colonisation de peuplement.

L’héritage de ce demi-siècle d’annexion à l’URSS, c’est la présence aux pays baltes de fortes minorités de Russes ethniques et de russophones. Ces Russes vivant hors de Russie représentent environ 25 % de la population en Lettonie et en Estonie, et environ 5 % en Lituanie. Les russophones représentent ainsi environ 80 % de la population du comté estonien d’Ida-Viru (où se situe la très symbolique ville de Narva, à la frontière avec la Russie), ou encore plus de 55 % de la région capitale de Riga en Lettonie.

Vu de Russie, ces populations russes et russophones hors de Russie font partie du « monde russe », lequel doit absolument rester dans le giron de Moscou. Les pays baltes n’ont pas la même dimension aux yeux des Russes que la Crimée, voire pas la même dimension que d’autres régions ukrainiennes considérées comme russes du fait d’une prétendue légitimité historique voire démographique. Les 25 à 30 millions de Russes ethniques vivant dans d’anciennes républiques soviétiques qui, du nord du Kazakhstan à la Lettonie, forment la seconde diaspora du monde après celle des Chinois, sont eux, d’une extrême importance aux yeux de Moscou.

L’on se souvient que c’était le devoir pour la Russie de protéger les Russes hors de ses frontières qui avait été invoqué dans les divers conflits contre l’Ukraine depuis 2014. Cette garantie de protection par la Russie de ses citoyens vivant hors de ses frontières (incluant tous les Russes de l’étranger à qui Moscou délivre passeports et titres d’identité) est même dans la Constitution fédérale. Les dirigeants russes n’ont pas besoin de croire eux-mêmes en un quelconque danger envers des Russes à l’étranger pour « voler à leur secours », que ce soit face à un « génocide » des russophones du Donbass inventé de toutes pièces, ou face à un régime nazi imaginaire qui gouvernerait l’Ukraine. Mais tout porte à croire que le Kremlin se préoccupe sincèrement du risque de voir des millions de Russes de l’étranger s’éloigner de la Russie pour s’intégrer, voire s’assimiler aux pays où ils vivent, menaçant ainsi le « monde russe », voire l’avenir du régime russe.

Dans un article publié un an avant l’invasion de 2022, j’avais défendu l’idée que la Russie pourrait envahir dans un futur proche les régions ukrainiennes censées appartenir à ce « monde russe », avant de développer encore ce scénario dans mon livre Russie : la prochaine surprise stratégique ?. J’y détaillais également le risque que la Russie puisse tenter une agression contre des localités baltes à majorité russe ou russophone telles que la ville de Narva, fût-ce sous la forme d’opérations de faible envergure sous le seuil du conflit ouvert.

Le but pourrait être d’obtenir une victoire historique contre l’OTAN et les puissances occidentales, en leur imposant un fait accompli auquel elles n’oseraient supposément pas réagir par les armes, de peur de s’engager dans une guerre contre la Russie avec le risque d’une escalade nucléaire à la clé. Un calcul qui aurait de fortes chances de se révéler perdant et de déboucher sur le scénario du pire, celui d’un conflit direct entre la Russie et l’Alliance atlantique. Je crois plus que jamais à ce risque, des scénarios comparables étant désormais d’ailleurs davantage pris au sérieux dans le débat stratégique. Pour la Russie, les pays baltes ne représentent donc pas une terre irrédente du même type que la Crimée, ni une « question de vie ou de mort » comme le serait l’Ukraine entière dixit Vladimir Poutine, mais un enjeu qui pourrait bien la conduire à prendre des risques extrêmes contre l’OTAN.

 

Que symbolise l’Alliance atlantique pour les pays de l’Est ?

Elle symbolise à la fois leur ancrage dans le camp des démocraties occidentales et leur garantie d’y rester. Sous la domination russe, puis soviétique, les pays d’Europe centrale et orientale se vivaient comme un « Occident kidnappé », pour reprendre les mots de Milan Kundera. Ces pays, qui étaient membres contraints du Pacte de Varsovie, voire de l’URSS dans le cas des pays baltes, se sont vite tournés vers l’Alliance atlantique après l’effondrement de l’Empire soviétique. À l’époque davantage dans le but de parachever leur retour vers l’Occident et leur marche vers la démocratie que dans l’optique de se prémunir d’une menace russe encore lointaine. La Pologne, la Tchéquie et la Hongrie ont rejoint l’OTAN (en 1999) avant de rejoindre l’Union européenne (en 2004) ; les pays baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’OTAN la même année que l’UE (en 2004).

Là où le débat public français distingue largement l’intégration européenne de l’alliance transatlantique, les pays d’Europe centrale et orientale parlent davantage d’une intégration euro-atlantique, bien qu’ils différencient évidemment la construction européenne dans tous ses domaines de cette alliance militaire qu’est l’OTAN. Nous avons tendance en France à résumer la vision de ces pays de la manière suivante : l’Union européenne serait pour eux un bloc économique (un « grand marché ») et politique qui ne devrait guère tendre vers d’autres missions, quand la défense collective serait du ressort de la seule OTAN. Leur vision est en réalité bien plus complexe, ne serait-ce que du fait d’un sincère attachement à la dimension politique et culturelle du projet européen, jusque chez les puissants courants eurosceptiques qui pèsent dans ces pays.

Il n’en demeure pas moins que l’OTAN est pour eux le pilier de leurs politiques de défense. Nos voisins d’Europe centrale et orientale ne voient pas d’alternative crédible à la garantie de sécurité américaine et à la sécurité collective que procure l’Alliance, dans la mesure où l’Europe n’est aujourd’hui pas en capacité de faire face seule à la menace russe. Outre leur puissance, les États-Unis passent pour un protecteur incontournable du fait de leur position historiquement ferme face à l’URSS puis la Russie, là où la France et l’Allemagne, qui ont davantage cherché à ménager la Russie malgré sa dérive toujours plus menaçante, sont souvent perçues comme étant moins fiables. L’attitude de Paris et Berlin au début de l’invasion de l’Ukraine a d’ailleurs renforcé ce sentiment, quoique les choses se soient améliorées depuis que les deux pays ont considérablement renforcé leur soutien à l’Ukraine et durci le ton face à Moscou.

Les pays d’Europe centrale et orientale sont extrêmement attachés à la solidité de l’OTAN et se méfient des projets, portés en premier lieu par la France, de défense européenne distincte de l’OTAN ou d’autonomie stratégique européenne, pour au moins trois raisons. Ils n’en voient pas vraiment l’utilité là où l’OTAN, avec le fameux article 5, et la protection américaine suffisent face aux menaces majeures ; ils craignent qu’une défense européenne concurrente de l’OTAN ne distende les liens avec les États-Unis et conduise ceux-ci à favoriser davantage encore leur pivot vers l’Asie ; ils soupçonnent la quête d’émancipation vis-à-vis de Washington d’être synonyme d’un futur rapprochement avec la Russie, qui se ferait au détriment de l’Europe orientale. Là aussi, les premiers mois de l’invasion de l’Ukraine avaient renforcé ces soupçons, du fait d’un soutien à Kiev bien plus ferme de la part des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni.

Mais la situation s’est également améliorée sur ce point, entre rapprochement de la France et de l’Allemagne avec la position des pays d’Europe centrale et orientale, doutes croissants sur la fiabilité américaine et évolution du débat stratégique en Europe. Nos voisins restent plus attachés que jamais à l’OTAN qui paraît aujourd’hui d’autant plus indispensable à leur sécurité, mais s’ouvrent davantage à une défense européenne complémentaire de l’Alliance atlantique, entre renforcement du pilier européen de l’OTAN, développement des coopérations entre Européens et mise en œuvre de nouvelles politiques de défense de l’UE avec des moyens supplémentaires.

 

Comment l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se préparent-ils à une éventuelle invasion russe ?

Les trois pays agissent à trois niveaux. D’abord par leur soutien matériel à l’Ukraine, qui est l’un des plus élevés de toute l’Alliance atlantique en proportion de leur puissance économique et militaire, et leur travail diplomatique pour renforcer la mobilisation européenne et transatlantique en la matière. En soutenant au mieux la défense ukrainienne face à l’agression russe, les Baltes entretiennent aussi leur propre défense : infliger un maximum de pertes aux Russes, qui mettront parfois des années à reconstituer les capacités perdues, permet à la fois d’éloigner l’horizon à partir duquel la Russie pourrait attaquer les pays baltes, et de mieux dissuader une telle éventualité en montrant à l’agresseur qu’il paierait un lourd tribut.

Ensuite, par un effort de prévention du pire. Si les États baltes se montrent de plus en plus alarmistes quant au risque d’être « les prochains », c’est aussi pour conserver l’attention et la solidarité de leurs alliés, et espérer d’eux qu’ils renforcent encore leur présence dans les pays baltes. En montrant qu’ils prennent au sérieux le risque d’une attaque russe et qu’ils s’y préparent, les Baltes ont aussi un objectif de dissuasion à l’endroit de Moscou.

Enfin, par des préparatifs directs pour résister à une invasion. Cela fait depuis 2014 que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie améliorent leurs dispositifs de défense opérationnelle du territoire, et l’on note une accélération sensible ces derniers mois. L’on apprenait ainsi mi-février que les trois pays prévoient de renforcer encore les fortifications à leurs frontières, avec la construction de plus de 1000 bunkers (600 pour la seule Estonie) et de barrages anti-chars tels que des dents de dragon qui ont montré leur utilité en Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères estonien Margus Tsahkna estimait il y a quelques jours que l’OTAN n’avait que trois à quatre ans pour se préparer à un « test » russe contre l’OTAN, rejoignant notamment l’estimation de certains responsables polonais. S’ils ne s’attendent pas à une attaque imminente, les trois pays baltes partagent la même conviction qu’ils n’ont que quelques années pour se préparer à un conflit majeur.

Ce qui se traduit par un effort budgétaire considérable. L’Estonie a ainsi porté son effort de défense à 2,8 % du PIB en 2023 et prévoit d’atteindre 3,2 % en 2024, bien au-delà de l’objectif de 2 % auquel se sont engagés les membres de l’OTAN en 2014. La Lettonie a quant à elle dépassé les 2,2 % l’an dernier avec un objectif de 2,5 % en 2025. La Lituanie, enfin, a augmenté de moitié ses dépenses militaires en 2022 (elle les a même doublées depuis 2020), et consacrera à sa défense l’équivalent de 2,75 % du PIB en 2024. Avec la Pologne, la Grèce et les États-Unis, les pays baltes sont désormais les États membres de l’OTAN qui fournissent l’effort de défense le plus conséquent en proportion de leur richesse nationale.

La majeure partie de ces dépenses supplémentaires sont des dépenses d’acquisition, finançant de grands programmes. Tirant des enseignements de la guerre d’Ukraine, les Baltes renforcent leur artillerie (de l’achat de HIMARS américains pour les capacités de frappes dans la profondeur, à la commande de canons CAESAR français par la Lituanie), leur défense antiaérienne… Et ils massifient leurs stocks de munitions, lesquels ont aussi été fortement mis à contribution pour aider l’Ukraine. Les dépenses en personnel ne sont pas négligées : les trois pays baltes augmentent leurs effectifs d’active comme de réserve, ainsi que l’entraînement et la préparation opérationnelle de leurs forces.

La préparation de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie à une éventuelle invasion russe passe aussi par une mise à haut niveau de leur défense nationale qui va au-delà du seul renforcement capacitaire. Il convient de souligner à quel point ces trois pays, malgré leur pacifisme et leur souhait de s’épanouir en tant que démocraties libérales européennes, ouvertes sur la mondialisation, ont conservé un ethos militaire. Leur identité profonde se caractérise à la fois par une histoire marquée par les occupations étrangères (l’Empire russe puis l’URSS en premier lieu), un attachement farouche à leur souveraineté (y compris par rapport aux grands États européens alliés), et une vulnérabilité en tant que petits États peu peuplés.

L’Estonie avait instauré la conscription dès 1991, la Lituanie a annoncé son rétablissement en 2015, et la Lettonie a suivi en 2022 avec une entrée en vigueur cette année. Derrière le maintien ou le rétablissement du service militaire obligatoire, les nations baltes développent leur défense nationale sur le plan civique, avec notamment un effort accru d’intégration des minorités de Russes ethniques et de Baltes russophones qui vivent dans les trois pays, et une bataille de tous les jours contre la guerre informationnelle russe et les campagnes de déstabilisation intérieure qu’organise Moscou. Si ces efforts de cohésion nationale et civique ne sont pas tournés en premier lieu vers la préparation à une invasion armée, ils lui sont indispensables. La vulnérabilité de l’Ukraine aux agressions russes en 2014 l’a montré ; sa formidable résistance à l’invasion de 2022 encore plus.

 

Sont-ils capables de tenir un front dans le cadre d’une guerre conventionnelle ?

Sur le papier, pas pour longtemps. Les forces opérationnelles que les trois pays pourraient engager immédiatement en cas d’agression se montent à quelques milliers d’hommes chacun, les effectifs devant être augmentés à plusieurs dizaines de milliers sur un préavis le plus court possible grâce à la mobilisation de conscrits et réservistes par définition moins bien entraînés et équipés. Là où la Russie a déjà engagé plusieurs centaines de milliers d’hommes en Ukraine en deux ans et est capable d’en mobiliser bien davantage, la population de l’Estonie par exemple est d’à peine 1,3 million d’habitants, soit la population de l’agglomération lyonnaise. Aucun de ces pays ne dispose de chars lourds (la Lituanie négocie avec des constructeurs allemands pour en acquérir) ou d’avions de combat (la Lituanie et la Lettonie ont commandé respectivement quatre et un hélicoptère américain Black Hawk), et leur parc d’artillerie actuel est très limité et devrait le rester malgré d’importantes commandes dans ce domaine.

Le renforcement militaire des pays baltes est proportionnellement l’un des plus importants des pays de l’OTAN, et les armées estonienne, lettone et lituanienne de 2025 voire 2030 seront autrement plus fortes que celles de 2020 ; s’ajoute, comme dit précédemment, la fortification des frontières baltes qui compliquera sérieusement une attaque russe. Mais le rapport de force échoirait toujours à la Russie, dont les forces conserveront une masse et une épaisseur bien supérieures à tout ce que les pays baltes prévoient dans le cadre de leur montée en puissance.

Les pays baltes ne se battront évidemment jamais sans leurs alliés de l’OTAN (quoique les Russes pourraient penser le contraire, ce qui les pousserait d’autant plus à tenter un coup de force), et ces derniers renforcent eux aussi considérablement leurs capacités de défense dans la région balte. En 2016, une étude de la RAND Corporation voyait les forces de l’OTAN perdre une opération dans les pays baltes face aux troupes russes qui atteindraient Tallinn et Riga en un maximum de 60 heures, laissant l’Alliance face à un nombre limité d’options, toutes mauvaises. Le spectaculaire échec des premières phases de l’invasion russe de février 2022 dans le nord de l’Ukraine a depuis remis en question toutes les précédentes études de ce type qui décrivaient une armée russe capable de balayer les petites armées alliées dans des offensives éclair.

Sur le terrain, le corridor de Suwalki est depuis 2015 l’objet de simulations de combat en conditions proches du réel des côtés baltes comme polonais : ainsi d’un exercice à l’été 2017 où 1500 soldats américains, britanniques, croates et lituaniens avaient simulé une opération sur le terrain avec un matériel limité. Par comparaison, la même année et dans la même région, l’exercice russo-biélorusse Zapad 2017 avait mobilisé des effectifs largement supérieurs avec plusieurs dizaines de milliers d’hommes et des centaines de véhicules. Là encore, les choses ont considérablement évolué depuis : en témoignent le renforcement des effectifs de l’OTAN dans la région et l’organisation cette année de Steadfast Defender, plus vaste exercice militaire de l’OTAN depuis 1988. La remontée en puissance militaire des alliés reste cependant limitée pour les prochaines années ; la matérialisation des ambitions polonaises, entre doublement programmé des effectifs militaires et commandes géantes d’armement, si elle va à son terme, s’étendra jusqu’à 2030 au moins.

Là où l’OTAN organise depuis 2016 des rotations de forces mécanisées de quelques milliers de soldats entre Pologne et pays baltes et augmente ses capacités de réaction rapide, les forces des districts militaires russes occidentaux pourraient quant à elles engager très rapidement des dizaines de milliers d’hommes et jusqu’à plusieurs centaines de chars opérationnels d’ici quelques décennies si la remontée en puissance militaire poursuit à ce rythme malgré les pertes en Ukraine. S’il faut relativiser l’idée que les armées baltes se feraient écraser, d’une part du fait de leur propre renforcement et de celui des alliés, et d’autre part du fait des faiblesses russes, il ne faut pas non plus pécher par excès de confiance.

 

Le corridor de Suwalki est-il le talon d’Achille des frontières européennes ?

Ce corridor terrestre large d’environ 65 km relie les États baltes à la Pologne et donc au reste de l’UE et de l’OTAN. À l’est de ce passage, la Biélorussie, qui serait en cas de conflit alliée à la Russie ou sous son contrôle ; à l’ouest, l’exclave russe de Kaliningrad, zone la plus militarisée d’Europe en dehors du front ukrainien. Le corridor de Suwalki concentre l’attention des états-majors occidentaux d’une manière comparable à la trouée de Fulda, à la frontière entre les deux Allemagne, au cours de la guerre froide. Concrètement, la Russie pourrait l’exploiter pour créer des situations d’asymétrie visant à réduire l’avantage des forces occidentales. Le terrain, couvert de champs humides volontiers boueux, de forêts et de lacs, rend les déplacements difficiles dans la trouée de Suwalki, d’autant que la moitié de la trouée est constituée d’un massif vallonné ; plus à l’ouest ou au sud, les trésors naturels que sont la région des lacs de Mazurie, le parc national de la Biebrza et la forêt primaire de Bialowieza gêneraient des mouvements de troupes venant du reste de la Pologne. Seules deux autoroutes et une liaison ferroviaire qui seront vite la cible de bombardements russes permettent d’acheminer rapidement des renforts par voie terrestre.

La Russie a créé à Kaliningrad une « bulle A2/AD » particulièrement dense (batteries antiaériennes S-400, batteries côtières SSC-5 Bastion et SSC-1 Sepal, missiles Iskander, artillerie, équipements de guerre électronique…) qui à défaut d’assurer un déni d’accès complet, compromettrait sérieusement les opérations navales et aériennes alliées. Elle y conserve des effectifs conséquents, qu’elle pourrait relever à plusieurs dizaines de milliers d’hommes sur un temps court, en parallèle d’un renforcement en Biélorussie. En attaquant le corridor de Suwalki, les forces russes seraient capables de combiner effet de surprise, supériorité numérique temporaire, logistique solide et capacités de déni d’accès, avec l’objectif d’isoler nos alliés baltes. Si l’OTAN renforce ses capacités de réaction rapide pour empêcher ce scénario, la bataille promet d’être rude. Le corridor de Suwalki n’est pas le talon d’Achille des frontières européennes, d’autant que le réarmement massif de la Pologne va produire ses effets dans les années à venir, mais c’est un point de vigilance.

 

Quel est l’état de la coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes, situés aux avants postes de l’Europe ? Sommes-nous, Européens de l’Ouest, prêts à défendre leur intégrité territoriale ?

La coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes s’effectue au travers de l’OTAN, des coopérations européennes et de relations bilatérales.

Les trois États baltes accueillent des « battlegroups » de l’OTAN, c’est-à-dire des forces multinationales composées de détachements des forces de plusieurs États membres, dans le cadre de l’Enhanced Forward Presence, la « présence avancée renforcée » de l’Alliance. Selon les données officielles de fin 2022, l’Estonie accueillait une présence permanente d’environ 2200 soldats belges, danois, français, islandais, américains et britanniques, le Royaume-Uni étant nation-cadre et la France le principal contributeur européen local avec Londres ; la Lettonie, environ 4 000 soldats albanais, tchèques, danois, islandais, italiens, monténégrins, macédoniens, polonais, slovaques, slovènes, espagnols et américains, le Canada étant la nation-cadre ; et la Lituanie, autour de 3700 Belges, Tchèques, Français, Islandais, Luxembourgeois, Néerlandais, Norvégiens, Suédois (la Suède n’étant pas encore membre de l’OTAN) et Américains, l’Allemagne étant la nation-cadre.

La présence de ces battlegroups multinationaux a d’abord un objectif de dissuasion vis-à-vis de la Russie : si quelques centaines de soldats français, britanniques et américains en Estonie, avec peu d’équipements lourds, ne seraient pas en capacité de repousser une attaque russe d’ampleur, le fait qu’ils auraient à se battre contre les Russes avec des pertes humaines à la clé signifie que les principales puissances militaires de l’OTAN se retrouveraient en conflit direct avec Moscou. La perspective de tuer des soldats américains ou français est censée dissuader la Russie d’engager la moindre opération militaire contre les pays baltes (la présence militaire américaine s’inscrivant aussi dans le cadre de la dissuasion nucléaire élargie de Washington). L’autre objectif est bien sûr de rassurer nos alliés, et de renforcer les relations militaires avec eux au quotidien. S’ajoutent également des missions telles que la police du ciel, à laquelle contribue l’armée de l’Air française.

Depuis la fin des années 2010, suite à l’annexion de la Crimée, la France compte ainsi en moyenne (le nombre fluctue en fonction des rotations) 2000 militaires engagés sur le flanc est de l’OTAN. En Estonie, nos soldats participent à la mission Lynx où ils constituent le principal contingent avec les Britanniques. En Roumanie, la France est la nation-cadre de la mission Aigle mise en place dans les jours suivant l’invasion de l’Ukraine. Cette participation à la défense collective de l’Europe contribue aussi à l’influence française chez nos alliés d’Europe centrale et orientale. Si l’on en revient spécifiquement aux pays baltes, la présence militaire de la France et d’autres pays d’Europe de l’Ouest est significative, quoiqu’elle ne soit évidemment pas à la même échelle que la présence de dizaines de milliers de soldats américains dans des pays alliés, et elle entretient une véritable intimité stratégique.

Dans le cadre des coopérations européennes, les Européens de l’Ouest coopèrent avec les baltes à travers des politiques communes telles que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), la Coopération structurée permanente, ou encore le Fonds européen de la défense. Outre ces politiques directement liées à l’UE, les coopérations se font à travers des projets ad hoc tels que l’Initiative européenne d’intervention lancée par la France, et que l’Estonie est le seul pays d’Europe centrale et orientale à avoir rejointe. 

Cette participation de l’Estonie à l’Initiative européenne d’intervention promue par Paris montre aussi le développement des relations bilatérales de défense entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les États baltes. Ainsi, la participation importante de l’Estonie à l’opération EUFOR RCA (Centrafrique) en 2014 s’expliquait en partie par sa reconnaissance envers la France, qui avait libéré sept cyclistes estoniens pris en otages au Liban en 2011 par le groupe Harakat al-Nahda wal-Islah. L’engagement estonien au sein de la Task Force Takuba (2020-2022) au Sahel avait également été très apprécié par les Français. Si l’Estonie a souvent reproché à la France ses positions jugées ambiguës envers la menace russe et continue de se montrer prudente quant aux projets d’autonomie stratégique européenne en matière de défense, l’on note un rapprochement et un effort de compréhension ces dernières années. Il en va de même pour la Lituanie, où sont également stationnées des troupes françaises, et qui a choisi des canons CAESAR français pour renforcer son artillerie après l’invasion de l’Ukraine (l’Estonie ayant acquis de nouveaux radars français).

Les coopérations militaires entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les nations baltes sont ainsi déjà denses, et elles continuent de se renforcer, du renseignement aux manœuvres militaires conjointes. Qu’en est-il de la disposition des Européens de l’Ouest à entrer en guerre pour défendre l’intégrité territoriale de nos alliés baltes ? Ces derniers se demandent dans quelle mesure nous serions prêts à mourir pour Tallinn, Riga ou Vilnius, là où une partie de l’opinion publique française refusait en 1939 de « mourir pour Dantzig » alors que la menace allemande envers la Pologne se précisait. Entre la faiblesse militaire et la retenue de l’Allemagne et de l’Italie, et la prudence de la France et du Royaume-Uni dont on peut légitimement se demander si elles seraient prêtes à risquer une escalade nucléaire, la question peut en effet se poser.

Un sondage du Pew Research Center de 2020 montrait qu’après le Royaume-Uni (à 55 %), la France était le pays d’Europe de l’Ouest où la population était la plus favorable à une intervention militaire nationale en cas d’attaque russe contre un pays allié (à 41 %, à égalité avec l’Espagne, et loin devant l’Allemagne et l’Italie, et devant même la Pologne à titre de comparaison). Si les données manquent sur l’évolution de l’opinion publique à ce sujet depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, diverses études montrent un renforcement de la solidarité atlantique au sein des opinions publiques ouest-européennes ainsi qu’un durcissement des positions à l’égard de la Russie. S’il est probable qu’une part conséquente de la population des nations d’Europe de l’Ouest continue de s’opposer à une riposte armée de leur pays en cas d’agression russe, ne serait-ce que par crainte d’un futur échange nucléaire, l’on peut estimer que la part des citoyens prêts à ce que leur pays respecte ses engagements en tant que membre de l’OTAN ait augmenté.

Enfin, si la précaution est de mise quant à l’attitude qui pourrait être celle des dirigeants d’Europe de l’Ouest (avec des positions françaises sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire nationale qui ont pu sembler floues au-delà de la part de mystère qu’exige la dissuasion, voire contradictoires), la position officielle est également celle d’un respect de la lettre et de l’esprit du Traité de l’Atlantique nord, et les pays d’Europe de l’Ouest cherchent à rassurer les pays baltes quant à leur disposition à défendre leur intégrité territoriale, et ce d’autant plus depuis l’invasion de l’Ukraine.

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« Nous devons mettre en place une diplomatie de guerre » grand entretien avec Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes occidentales en Ukraine, à l’occasion d’une conférence internationale, lundi 26 février dernier.

 

Hypothèse d’une victoire russe : à quelles répercussions s’attendre ?

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Dans Notre Guerre, vous écrivez : « Les aiguilles de l’horloge tournent sans relâche, associant toujours plus de morts à leur fuite en avant. Mais il arrive aussi un moment où le temps presse. L’Ukraine pourrait mourir. Ce sera de notre faute, et alors le glas de la mort sonnera pour nous. » Quelles seraient les conséquences d’une défaite de l’Ukraine ?

Nicolas Tenzer Elles seraient catastrophiques sur tous les plans et marqueraient un tournant à certains égards analogue mutatis mutandis à ce qu’aurait été une victoire de l’Allemagne nazie en 1945. Outre que cela entraînerait des centaines de milliers de victimes ukrainiennes supplémentaires, elle signifierait que les démocraties n’ont pas eu la volonté – je ne parle pas de capacité, car elle est réelle – de rétablir le droit international et de faire cesser un massacre d’une ampleur inédite en Europe, nettement supérieure à celui auquel nous avons assisté lors de la guerre en ex-Yougoslavie, depuis la Seconde Guerre mondiale.

La crédibilité de l’OTAN et des garanties de sécurité offertes par les États-Unis et l’Union européenne en serait à jamais atteinte, non seulement en Europe, mais aussi en Asie et au Moyen-Orient. Toutes les puissances révisionnistes s’en réjouiraient, en premier lieu la République populaire de Chine. La Russie poursuivrait son agression au sein du territoire des pays de l’OTAN et renforcerait son emprise sur la Géorgie, le Bélarus, la Syrie, certains pays d’Afrique ou même d’Asie, comme en Birmanie, et en Amérique du Sud (Venezuela, Cuba, Nicaragua).

Cela signifierait la mort définitive des organisations internationales, en particulier l’ONU et l’OSCE, et l’Union européenne, déjà minée par des chevaux de Troie russes, notamment la Hongrie et la Slovaquie, pourrait connaître un délitement. Le droit international serait perçu comme un torchon de papier et c’est l’ordre international, certes fort imparfait, mis en place après Nuremberg, la Charte des Nations unies et la Déclaration de Paris de 1990, qui se trouverait atteint. En Europe même, la menace s’accentuerait, portée notamment par les partis d’extrême droite. Nos principes de liberté, d’État de droit et de dignité, feraient l’objet d’un assaut encore plus favorisé par la propagande russe. Notre monde tout entier serait plongé dans un état accru d’insécurité et de chaos. Cela correspond parfaitement aux objectifs de l’idéologie portée par le régime russe que je décris dans Notre Guerre, qu’on ne peut réduire uniquement à un néo-impérialisme, mais qui relève d’une intention de destruction. C’est la catégorie même du futur qui serait anéantie.

C’est pourquoi il convient de définir clairement nos buts de guerre : faire que l’Ukraine gagne totalement et que la Russie soit radicalement défaite, d’abord en Ukraine, car telle est l’urgence, mais aussi en Géorgie, au Bélarus et ailleurs. Un monde où la Russie serait défaite serait un monde plus sûr, mais aussi moins sombre, et plus lumineux pour les peuples, quand bien même tous les problèmes ne seraient pas réglés. Les pays du sud ont aussi à y gagner, sur le plan de la sécurité énergétique et alimentaire, mais aussi de la lutte anti-corruption et des règles de bon gouvernement – songeons à l’Afrique notamment.

 

Peut-on négocier avec Poutine ?

Pourquoi pensez-vous qu’il n’est pas concevable de négocier avec la Russie de Poutine ? Que répondez-vous à l’ancien ambassadeur Gérard Araud qui plaide pour cette stratégie ? C’est aussi le point de vue de la géopolitologue Caroline Galacteros, qui écrit : « Arrêtons le massacre, celui sanglant des Ukrainiens et celui économique et énergétique des Européens . Négociations !! pendant qu’il y a encore de quoi négocier… ». Comment comprenez-vous cette position ? 

Je ne confondrai pas les positions de madame Galacteros, dont l’indulgence envers la Russie est bien connue, et celle de Gérard Araud qui n’est certainement pas pro-Kremlin. Ses positions me paraissent plutôt relever d’une forme de diplomatie classique, je n’oserais dire archaïques, dont je montre de manière détaillée dans Notre Guerre les impensés et les limites. Celles-ci m’importent plus que les premières qui sont quand même très sommaires et caricaturales. Je suis frappé par le fait que ceux, hors relais de Moscou, qui parlent de négociations avec la Russie ne précisent jamais ce sur quoi elles devraient porter ni leurs conséquences à court, moyen et long termes.

Estiment-ils que l’Ukraine devrait céder une partie de son territoire à la Russie ? Cela signifierait donner une prime à l’agresseur et entériner la première révision par la force des frontières au sein de l’Europe, hors Seconde Guerre mondiale, depuis l’annexion et l’invasion des Sudètes par Hitler. Ce serait déclarer à la face du monde que le droit international n’existe pas. De plus, laisser la moindre parcelle du territoire ukrainien aux mains des Russes équivaudrait à détourner le regard sur les tortures, exécutions, disparitions forcées et déportations qui sont une pratique constante, depuis 2014 en réalité, de la Russie dans les zones qu’elle contrôle. Je ne vois pas comment la « communauté internationale » pourrait avaliser un tel permis de torturer et de tuer.

Enfin, cela contreviendrait aux déclarations de tous les dirigeants politiques démocratiques depuis le début qui ne cessent de proclamer leur attachement à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine. Se déjuger ainsi serait renoncer à toute crédibilité et à toute dignité. Je trouve aussi le discours, explicitement ou implicitement pro-Kremlin, qui consiste à affirmer qu’il faut arrêter la guerre pour sauver les Ukrainiens, pour le moins infamant, sinon abject, quand on sait que, après un accord de paix, ceux-ci continueraient, voire s’amplifieraient encore.

Suggèrent-ils qu’il faudrait renoncer à poursuivre les dirigeants russes et les exécutants pour les quatre catégories de crimes imprescriptibles commis en Ukraine, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime de génocide et crime d’agression ? Il faut leur rappeler que le droit international ne peut faire l’objet de médiation, de transaction et de négociation. Il s’applique erga omnes. Le droit international me semble suffisamment affaibli et mis à mal pour qu’on n’en rajoute pas. Cela fait longtemps que je désigne Poutine et ses complices comme des criminels de guerre et contre l’humanité et je me réjouis que, le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale l’ait inculpé pour crimes de guerre. Il est légalement un fugitif recherché par 124 polices du monde. On peut gloser sur les chances qu’il soit un jour jugé, mais je rappellerai que ce fut le cas pour Milosevic. En tout état de cause, l’inculpation de la Cour s’impose à nous.

Veulent-ils signifier qu’on pourrait fermer les yeux sur la déportation de dizaines de milliers d’enfants ukrainiens en Russie, ce qui constitue un génocide, en vertu de la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide ? On ose à peine imaginer qu’ils aient cette pensée. Là aussi, il est dans notre intérêt à donner des signaux cohérents et forts.

Entendent-ils enfin qu’il serait acceptable que la Russie soit dispensée de payer les réparations indispensables pour les dommages de guerre subis par l’Ukraine, qui sont aujourd’hui estimer à environ deux trillions d’euros ? Veulent-ils que cette charge incombe aux assujettis fiscaux des pays de l’Alliance ? Tout ceci n’a aucun sens, ni stratégique, ni politique.

Sur ces quatre dimensions, nous devons être fermes, non seulement aujourd’hui, mais dans la durée. Dans mon long chapitre sur notre stratégie à long terme envers la Russie, j’explique pourquoi nous devons maintenir les sanctions tant que tout ceci n’aura pas été fait. C’est aussi la meilleure chance pour qu’un jour, sans doute dans quelques décennies, la Russie puisse évoluer vers un régime démocratique, en tout cas non dangereux.

En somme, ceux qui souhaitent négocier avec la Russie tiennent une position abstraite qui n’a rien de réaliste et de stratégiquement conséquent en termes de sécurité. Si la Russie n’est pas défaite totalement, elle profitera d’un prétendu accord de paix pour se réarmer et continuer ses agressions en Europe et ailleurs. C’est la raison pour laquelle je consacre des développements approfondis dans la première partie de Notre Guerre à réexaminer à fond certains concepts qui obscurcissent la pensée stratégique que je tente de remettre d’aplomb. Je reviens notamment sur le concept de réalisme qui doit être articulé aux menaces, et non devenir l’autre nom de l’acceptation du fait accompli. Je m’y inspire de Raymond Aron qui, à juste titre, vitupérait les « pseudo-réalistes ».

Je porte aussi un regard critique sur la notion d’intérêt, et notamment d’intérêt national, tel qu’il est souvent entendu. Lié à la sécurité, il doit intégrer principes et valeurs. Je montre également que beaucoup d’analystes de politique étrangère ont, à tort, considéré États et nations dans une sorte de permanence plutôt que de se pencher sur les spécificités de chaque régime – là aussi, la relecture d’Aron est précieuse. Enfin, je démontre que traiter de politique étrangère sérieusement suppose d’y intégrer le droit international et les droits de l’Homme, alors qu’ils sont trop souvent sortis de l’analyse de sécurité. Pourtant, leur violation est le plus généralement indicatrice d’une menace à venir.

 

Sanctions : comment les rendre efficaces ?

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Il semble que la Russie ait mis en place une stratégie de contournement plutôt efficace : depuis 2022, les importations (notamment depuis l’Allemagne) de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi… Sans parler de l’accélération des échanges entre la Russie et la Chine. Que faudrait-il vraiment faire pour isoler économiquement la Russie ?

C’est un point déterminant. Même si les différents paquets de sanctions décidés tant par l’Union européenne que par les États-Unis et quelques autres pays comme le Japon et la Corée du Sud, sont les plus forts jamais mis en place, ils restent encore incomplets, ce qui ne signifie pas qu’ils soient sans effets réels – ne les minimisons pas. Je reprends volontiers la proposition émise par la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, qui proposait un embargo total sur le commerce avec la Russie. Je constate aussi que certains pays de l’UE continuent d’importer du gaz naturel liquéfié russe (LNG) et qu’une banque autrichienne comme Raiffaisen a réalisé l’année dernière la moitié de ses profits en Russie. Certaines entreprises européennes et américaines, y compris d’ailleurs françaises, restent encore présentes en Russie, ce qui me paraît inacceptable et, par ailleurs, stupide dans leur intérêt même.

Ensuite, nous sommes beaucoup trop faibles en Europe sur les sanctions extraterritoriales. Il existe une réticence permanente de certains États à s’y engager, sans doute parce que les États-Unis les appliquent depuis longtemps, parfois au détriment des entreprises européennes. C’est aujourd’hui pourtant le seul moyen pour éviter les contournements. Nous devons mettre en place ce que j’appelle dans Notre Guerre une diplomatie de guerre : sachons dénoncer et agir contre les pratiques d’États prétendument amis, au Moyen-Orient comme en Asie, qui continuent de fournir la machine de guerre russe.

Enfin, nous devons décider rapidement de saisir les avoirs gelés de la Banque centrale russe (300 milliards d’euros) pour les transférer à l’Ukraine, d’abord pour renforcer ses capacités d’achats d’armements, ensuite pour la reconstruction. Les arguties juridiques et financières pour refuser de s’y employer ne tiennent pas la route devant cette urgence politique et stratégique.

 

La nécessité d’une intervention directe

Les alliés de l’Ukraine soutiennent l’effort de guerre de l’Ukraine en aidant financièrement son gouvernement et en lui livrant des armes. Qu’est-ce qui les empêche d’intervenir directement dans le conflit ?

La réponse est rien.

Dès le 24 février 2022 j’avais insisté pour que nous intervenions directement en suggérant qu’on cible les troupes russes entrées illégalement en Ukraine et sans troupes au sol. J’avais même, à vrai dire, plaidé pour une telle intervention dès 2014, date du début de l’agression russe contre le Donbass et la Crimée ukrainiens. C’eût été et cela demeure parfaitement légal en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies qui dispose que non seulement un État agressé peut répliquer en frappant les infrastructures militaires et logistiques sur le territoire de l’ennemi, mais que tout autre État se portant à son secours peut également légalement le faire. Cela aurait mis fin rapidement à la guerre et aussi épargné la mort de plus d’une centaine de milliers d’Ukrainiens, civils et militaires. Cela aurait renforcé notre sécurité et la crédibilité de notre dissuasion.

Si nous, Alliés, ne l’avons pas fait et si nous sommes encore réticents, c’est parce que nous continuons de prendre au sérieux les récits du Kremlin qui visent à nous auto-dissuader. Je consacre toute une partie de Notre Guerre à explorer comment s’est construit le discours sur la menace nucléaire russe, bien avant le 24 février 2022.

Certes, nous devons la considérer avec attention et sans légèreté, mais nous devons aussi mesurer son caractère largement fantasmé. Poutine sait d’ailleurs très bien que l’utilisation de l’arme nucléaire aurait pour conséquence immédiate sa propre disparition personnelle qui lui importe infiniment plus que celle de son propre peuple qu’il est prêt à sacrifier comme il l’a suffisamment montré. On s’aperçoit d’ailleurs que même l’administration Biden qui, au début de cette nouvelle guerre, avait tendance à l’amplifier, ce qui faisait involontairement le jeu de la propagande russe, a aujourd’hui des propos beaucoup plus rassurants. Mais cette peur demeure : je me souviens encore avoir entendu, le 12 juillet 2023, alors que j’étais à Vilnius pour le sommet de l’OTAN, Jake Sullivan, conseiller national pour la sécurité du président américain, évoquer le spectre d’une guerre entre l’OTAN et la Russie. Ce n’est pas parce que les Alliés seraient intervenus, ou interviendraient aujourd’hui, que cette guerre serait déclenchée. Je crois au contraire que la Russie serait obligée de plier.

Là aussi, il convient de remettre en question le discours de la propagande russe selon lequel une puissance nucléaire n’a jamais perdu la guerre : ce fut le cas des États-Unis au Vietnam et, de manière plus consentie, en Afghanistan, et bien sûr celui de l’ancienne URSS dans ce dernier pays. Songeons aussi au signal que, en refusant d’intervenir, nous donnerions à la Chine : cela signifierait-il que, parce qu’elle est une puissance nucléaire, elle pourrait mettre la main sur Taïwan sans que nous réagissions ? Il faut songer au signal que nous envoyons.

Enfin, et j’examine cela dans mon livre de manière plus détaillée, se trouve posée directement la question de la dissuasion au sein de l’OTAN. Celle-ci repose fondamentalement, du moins en Europe, sur la dissuasion nucléaire et la perspective de l’activation de l’article 5 du Traité de Washington sur la défense collective. Elle concerne aussi, par définition, les pays de l’Alliance, ce qui d’ailleurs montre la faute majeure qui a été celle de la France et de l’Allemagne en avril 2008 de refuser un plan d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN lors du sommet de Bucarest. Emmanuel Macron l’a implicitement reconnu lors de son discours du 31 mai 2023 lors de son discours au Globsec à Bratislava.

Une double question se pose donc. La première est celle de notre dissuasion conventionnelle, qui a été en partie le point aveugle de l’OTAN. Je propose ainsi qu’on s’oriente vers une défense territoriale de l’Europe. La seconde est liée au cas de figure actuel : que faisons-nous lorsqu’un pays non encore membre de l’Alliance, en l’occurrence l’Ukraine, est attaqué dès lors que cette agression comporte un risque direct sur les pays qui en sont membres ?

 

Hypothèse d’un retour de Donald Trump

Donald Trump est bien parti pour remporter l’investiture des Républicains en juin prochain. Quelles seraient les conséquences d’une potentielle réélection de l’ancien président américain sur la guerre en Ukraine ? 

À en juger par les déclarations de Donald Trump, elles seraient funestes. On ne peut savoir s’il déciderait de quitter l’OTAN qu’il avait considérée comme « obsolète », mais il est fort probable qu’il diminuerait de manière drastique les financements américains à l’OTAN et l’effort de guerre en faveur de l’Ukraine. Les Européens se trouveraient devant un vide vertigineux. S’il fallait compenser l’abandon américain, y compris sur le volet nucléaire – au-delà des multiples débats doctrinaux sur le rôle des dissuasions nucléaires française et britannique –, les pays de l’UE devraient porter leurs dépenses militaires à 6 ou 7 % du PIB, ce qui pourrait difficilement être accepté par les opinions publiques par-delà les questions sur la faisabilité. Ensuite, cela ne pourrait pas se réaliser en quelques mois, ni même en quelques années sur un plan industriel en termes d’armements conventionnels.

En somme, nous devons poursuivre nos efforts au sein de l’UE pour transformer de manière effective nos économies en économies de guerre et porter à une autre échelle nos coopérations industrielles en matière d’armement au sein de l’Europe. Mais dans l’immédiat, les perspectives sont sombres. Cela sonnera l’heure de vérité sur la volonté des dirigeants européens de prendre les décisions radicales qui s’imposent. J’espère que nous ferons en tout cas tout dans les mois qui viennent pour apporter une aide déterminante à l’Ukraine – nous avons encore de la marge pour aller plus vite et plus fort.

Les États-Unis et l’Europe restent encore à mi-chemin et n’ont pas livré à l’Ukraine toutes les armes, en quantité et en catégorie, qu’ils pouvaient lui transférer, notamment des avions de chasse et un nombre très insuffisant de missiles à longue portée permettant de frapper  le dispositif ennemi dans sa profondeur. Quant au président Biden, il devrait comprendre qu’il lui faut aussi, dans le temps qui lui reste avant les élections de novembre, donner à Kyiv toutes les armes possibles. Il serait quand bien mieux placé dans la course à sa réélection s’il apparaissait aux yeux de se concitoyens comme le « père la victoire ».

 

« La puissance va à la puissance »

La guerre d’agression de la Russie en Ukraine n’est pas un événement isolé. Il semble que l’impérialisme russe cherche à prendre notre continent en étau en déstabilisant nos frontières extérieures. À l’Est, via des actions d’ingérence militaire, de déstabilisation informationnelle, de corruption et d’intimidation qui ont commencé dès son arrivée au pouvoir dans les années 2000, et bien entendu à travers la guerre conventionnelle lancée contre l’Ukraine. Au Sud, la stratégie d’influence russe se développe depuis une décennie. Si elle est moins visible, elle n’en est pas moins nuisible. Ces dix dernières années, Moscou a approfondi sa coopération militaire avec le régime algérien et s’est ingéré dans le conflit libyen à travers des sociétés militaires privées comme Wagner. On a vu le seul porte-avions russe mouiller dans le port de Tobrouk en 2017, mais aussi des navires de guerre russes faire des exercices communs avec des bâtiments algériens sur les côtes algériennes en août 2018, en novembre 2019, en août et en novembre 2021, en octobre et en juillet 2022 et en août 2023. Au sud du Sahara, le régime de Poutine sert d’assurance-vie à la junte installée au Mali depuis 2020 et soutien l’Alliance des États du Sahel (composée des régimes putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger). Quelle diplomatie adopter pour conjurer la menace russe, à l’Est comme au Sud ?

Votre question comporte deux dimensions qui sont à la fois sensiblement différentes et liées. La première est celle de la guerre de l’information et de ses manipulations. Celle-ci se déploie sur quasiment tous les continents, en Europe occidentale autant que centrale et orientale, dans les Amériques, du Nord et du Sud, au Moyen-Orient, en Afrique et dans certains pays d’Asie. Pendant deux décennies, nous ne l’avons pas prise au sérieux, ni chez nous ni dans certains pays où elle visait aussi à saper nos positions.

Malgré certains progrès, nous ne sommes pas à la hauteur, y compris en France, comme je l’avais expliqué lors de mon audition devant la Commission de l’Assemblée nationale sur les ingérences extérieures l’année dernière, et comme je le développe à nouveau dans Notre Guerre. Nous n’avons pas, dans de nombreux pays, une attitude suffisamment ferme à l’encontre des relais nationaux de cette propagande et n’avons pas mise à jour notre système législatif. En Afrique, la France n’a pas pendant longtemps mesuré, malgré une série d’études documentées sur le sujet, ni riposté avec la force nécessaire aux actions de déstabilisation en amont. Moscou a consacré des moyens considérables, et même disproportionnés eu égard à l’état de son économie, à ces actions et ses responsables russes n’ont d’ailleurs jamais caché que c’était des armes de guerre. Nous avons détourné le regard et ne nous sommes pas réarmés en proportion.

La seconde dimension est celle de l’attitude favorable de plusieurs pays envers Moscou, avec une série de gradations, depuis une forme de coopération étendue, comme dans le cas de l’Algérie, du Nicaragua, de l’Iran, du Venezuela, de Cuba, de l’Érythrée et de la Corée du Nord – sans même parler de groupes terroristes comme le Hamas –, une action commune dans le crime de masse – Syrie –, une complicité bienveillante – Égypte, Émirats arabes unis, Inde, Afrique du Sud, mais aussi Israël avec Netanyahou – et parfois active – République populaire de Chine – ou une soumission plus ou moins totale – Bélarus et certains des pays africains que vous mentionnez. Sans pouvoir entrer ici dans le détail, l’attitude des démocraties, qui doit aussi être mieux coordonnée et conjointe, ne peut être identique. Dans des cas comme celui de la Syrie, où nous avons péché par notre absence d’intervention, notre action doit être certainement militaire. Envers d’autres, nous devons envisager un système de sanctions renforcées comme je l’évoquais. Dans plusieurs cas, notamment en direction des pays ayant envers Moscou une attitude de neutralité bienveillante et souvent active, un front uni des démocraties doit pouvoir agir sur le registre de la carotte et du bâton. Nous payons, et cela vaut pour les États-Unis comme pour les grands pays européens, dont la France, une attitude négligente et une absence de définition de notre politique. Rappelons-nous, par exemple, notre absence de pression en amont envers les pays du Golfe lorsqu’ils préparaient le rétablissement des relations diplomatiques avec Damas, puis sa réintégration dans la Ligue arabe. Nous n’avons pas plus dissuadé l’Égypte de rétablir des relations fortes avec Moscou et cela n’a eu aucun impact sur nos relations avec Le Caire. Avec l’Inde, nous fermons largement les yeux sur la manière dont Delhi continue, par ses achats de pétrole à la Russie, à alimenter l’effort de guerre. Quant aux pays africains désormais sous l’emprise de Moscou, le moins qu’on puisse dire est que nous n’avons rien fait pour prévenir cette évolution en amont.

Nous sommes donc devant deux choix politiques nécessaires. Le premier, dont je développe les tenants et aboutissants dans Notre Guerre, est celui de la défaite radicale de la Russie en Ukraine, et celle-ci devra suivre au Bélarus, en Géorgie et en Syrie notamment. Je suis convaincu que si nous agissons en ce sens, des pays faussement neutres ou sur un point de bascule, dont plusieurs que j’ai mentionnés ici, verraient aussi les démocraties d’un autre œil. Elles auraient moins intérêt à se tourner vers une Russie affaiblie. Ce sont les effets par ricochet vertueux de cette action que nous devons mesurer, notamment dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient. C’est notre politique d’abstention et de faiblesse qui les a finalement conduits à se tourner vers la Russie. Si nous changeons, ces pays évolueront aussi. La puissance va à la puissance.

Le second choix, que je développe dans Notre Guerre, consistera à repenser de manière assez radicale nos relations avec les pays du Sud – un sud, d’ailleurs, que je ne crois pas « global », mais profondément différent, et avec lequel nous ne saurions penser nos relations sans différenciation. Ce sont les questions d’investissement, de sécurité énergétique et alimentaire, et de lutte contre la corruption qu’il faudra repenser. La guerre russe contre l’Ukraine est un avertissement et le pire serait, une fois que l’Ukraine aurait gagné et nous par la même occasion, de repartir avec les autres pays dans une sorte de business as usual sans aucun changement.

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« Le coût de la décarbonisation sera très lourd » grand entretien avec Éric Chaney

Éric Chaney est conseiller économique de l’Institut Montaigne. Au cours d’une riche carrière passée aux avant-postes de la vie économique, il a notamment dirigé la division Conjoncture de l’INSEE avant d’occuper les fonctions de chef économiste Europe de la banque américaine Morgan Stanley, puis de chef économiste du groupe français AXA.

 

Y-a-t-il des limites à la croissance ?

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – En France, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une restriction de la production. Ralentissement, croissance zéro, décroissance, les partisans de ce mouvement idéologique partagent une approche malthusienne de l’économie. La croissance économique aurait des limites écologiques que l’innovation serait incapable de faire reculer. Cette thèse est au cœur d’un ouvrage souvent présenté comme une référence : le rapport du club de Rome de 1972 aussi appelé Rapport Meadows sur les limites de la croissance. Ses conclusions sont analogues à celles publiées l’année dernière dans le dernier rapport en date du Club de Rome, Earth for All. Quelle méthode scientifique permet-elle d’accoucher sur de telles conclusions ? À quel point est-elle contestable ? Comment expliquez-vous le décalage entre l’influence médiatique de ces idées et l’absence total de consensus qu’elles rencontrent parmi les chercheurs en économie et la majorité des acteurs économiques ?

Éric Chaney – Les thèses malthusiennes ont en effet le vent en poupe, encore plus depuis la prise de conscience par un grand nombre -surtout en Europe- de l’origine anthropomorphique du changement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre (GES, CO2 mais pas seulement). Le Rapport Meadows de 1972, commandé par le Club de Rome, avait cherché à quantifier les limites à la croissance économique du fait de la finitude des ressources naturelles. Si les méthodes développées au MIT à cet effet étaient novatrices et intéressantes, les projections du rapport originel étaient catastrophistes, prévoyant un effondrement des productions industrielle et alimentaire mondiales au cours de la première décennie du XXIe siècle. Rien de tel ne s’est produit, et malgré de nombreuses mises à jour du rapport Meadows, certes plus sophistiquées, les prévisions catastrophiques fondées sur l’apparente contradiction entre croissance « infinie » et ressources finies ne sont pas plus crédibles aujourd’hui qu’elles ne l’étaient alors.

Contrairement aux modèles développés à la même époque par William Nordhaus (prix Nobel d’économie en 2018), les modèles prônant la croissance zéro ou la décroissance n’intégraient pas de modélisation économique approfondie, pas de prix relatifs endogènes, ni même les gaz à effet de serre dont on sait depuis longtemps que les conséquences climatiques peuvent être véritablement catastrophiques.

Rappelons que Nordhaus publia en 1975 un article de recherche intitulé « Can we control carbon dioxide ». Malgré sa contribution essentielle à l’analyse économique des émissions de GES –Nordhaus est le premier à avoir explicité le concept de coût virtuel d’une tonne de CO2, c’est-à-dire la valeur présente des dommages futurs entraînés par son émission — il est vilipendé par les tenants des thèses décroissantistes, et c’est peut-être là qu’il faut chercher l’origine des dissonances cognitives qui les obèrent. Nordhaus est un scientifique, il cherche à comprendre comment les comportements économiques causent le changement climatique, et à en déduire des recommandations. Il est convaincu qu’à cet effet, les mécanismes de marché, les incitations prix en particulier sont plus efficaces que les interdictions. Il est techno-optimiste, considérant par exemple que les technologies nucléaires (y compris la fusion) lèveront les contraintes sur la production d’énergie. Alors que le camp décroissantiste est avant tout militant, le plus souvent opposé au nucléaire, bien qu’il s’agisse d’une source d’énergie décarbonée, et anticapitaliste, comme l’a bien résumé l’un de ses ténors, l’économiste Timothée Parrique, qui affirme que « la décroissance est incompatible avec le capitalisme ».

Pratiquement, je ne crois pas que ce courant de pensée ait une influence déterminante sur les décisions de politique économique, ni dans les démocraties, et encore moins dans les pays à régime autoritaire. En revanche, les idées de Nordhaus ont été mises en œuvre en Europe, avec le marché des crédits carbone (ETS, pour Emissions Trading System, et bientôt ETS2), qui fixe des quotas d’émission de CO2 décroissant rapidement (-55 % en 2030) pour tendre vers zéro à l’horizon 2050, et laisse le marché allouer ces émissions, plutôt que d’imposer des normes ou de subventionner telle ou telle technologie. De même la taxation du carbone importé que l’Union européenne met en place à ses frontières (difficilement, certes) commence à faire des émules, Brésil et Royaume-Uni entre autres, illustrant l’idée de Clubs carbone de Nordhaus.

 

Liens entre croissance et énergie

L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est-elle proportionnelle à la croissance de la production de biens et de services ?

Au niveau mondial, il y a en effet une forte corrélation entre les niveaux de PIB et ceux des émissions de CO2, à la fois dans le temps, mais aussi entre les pays.

Pour faire simple, plus une économie est riche, plus elle produit de CO2, en moyenne en tout cas. Il ne s’agit évidemment pas d’un hasard, et, pour une fois, cette corrélation est bien une causalité : plus de production nécessite a priori plus d’énergie, qui nécessite à son tour de brûler plus de charbon, de pétrole et de gaz, comme l’avait bien expliqué Delphine Batho lors du débat des primaires au sein des écologistes.

Mais il n’y a aucune fatalité à cette causalité, bien au contraire.

Prenons à nouveau l’exemple de l’Union européenne, où le marché du carbone fut décidé en 1997 et mis en œuvre dès 2005. Entre 2000 et 2019, dernière année non perturbée par les conséquences économiques de la pandémie, le PIB de l’Union européenne a augmenté de 31 %, alors que l’empreinte carbone de l’Union, c’est-à-dire les émissions domestiques, plus le carbone importé, moins le carbone exporté, ont baissé de 18 %, selon le collectif international d’économistes et de statisticiens Global Carbon Project. On peut donc bien parler de découplage, même s’il est souhaitable de l’accentuer encore.

En revanche, l’empreinte carbone des pays hors OCDE avait augmenté de 131 % sur la même période. Pour les pays moins avancés technologiquement, et surtout pour les plus pauvres d’entre eux, la décroissance n’est évidemment pas une option, et l’usage de ressources fossiles abondantes comme le charbon considéré comme parfaitement légitime.

 

Le coût de la décarbonation

Que répondriez-vous à Sandrine Dixson-Declève, mais aussi Jean-Marc Jancovici, Philippe Bihouix et tous les portevoix de la mouvance décroissantiste, qui estiment que la « croissance verte » est une illusion et que notre modèle de croissance n’est pas insoutenable ?

Je leur donne partiellement raison sur le premier point.

Pour rendre les difficultés, le coût et les efforts de la décarbonation de nos économies plus digestes pour l’opinion publique, les politiques sont tentés de rosir les choses en expliquant que la transition énergétique et écologique créera tant d’emplois et de richesse que ses inconvénients seront négligeables.

Mais si l’on regarde les choses en face, le coût de la décarbonation, dont le récent rapport de Jean Pisani et Selma Mahfouz évalue l’impact sur la dette publique à 25 points de PIB en 2040, sera très lourd. Qu’on utilise plus massivement le prix du carbone (généralisation de l’ETS), avec un impact important sur les prix, qui devront incorporer le renchérissement croissant du carbone utilisé dans la production domestique et les importations, ou qu’on recoure à des programmes d’investissements publics et de subventions massifs, à l’instar de l’IRA américain, le coût sera très élevé et, comme toujours en économie, sera payé au bout du compte par le consommateur-contribuable.

Tout au plus peut-on souhaiter que la priorité soit donnée aux politiques de prix du carbone, impopulaires depuis l’épisode des Gilets jaunes, mais qui sont pourtant moins coûteuses à la société que leurs alternatives, pour un même résultat en termes de décarbonation. Le point crucial, comme le soulignent les auteurs du rapport précité, est qu’à moyen et encore plus à long terme, le coût pour la société de ne pas décarboner nos économies sera bien supérieur à celui de la décarbonation.

J’ajouterais que si les statisticiens nationaux avaient les moyens de calculer un PIB corrigé de la perte de patrimoine collectif causée par la dégradation de l’environnement et le changement climatique – ce qu’on appelle parfois PIB vert, par définition inférieur au PIB publié chaque trimestre – on s’apercevrait que la croissance du PIB vert est plus rapide que celle du PIB standard dans les économies qui réduisent leurs atteintes à l’environnement et leurs émissions de GES. Sous cet angle, vive la croissance verte !

Sur le second point, je crois la question mal posée.

Il n’y a pas de « modèle de croissance » qu’on puisse définir avec rigueur. Il y a bien des modèles de gestion de l’économie, avec, historiquement, les économies de marché capitalistes (où le droit de propriété est assuré par la loi) d’un côté et les économies planifiées socialistes (où la propriété de l’essentiel des moyens de production est collective) de l’autre.

Mais ces deux modèles économiques avaient -et ont toujours pour leurs partisans- l’objectif d’augmenter la richesse par habitant, donc de stimuler la croissance. Du point de vue privilégié par Sandrine Dixson-Declève ou Jean-Marc Jancovici, celui de la soutenabilité, le modèle capitaliste devrait être préférable au modèle socialiste, qui, comme l’expérience de l’Union soviétique (disparition de la Mer d’Aral), de la RDA (terrains tellement pollués que leur valeur fut jugée négative lors des privatisations post-unification) ou de la Chine de Mao (où l’extermination des moineaux pour doubler la production agricole causa l’une des plus grandes famines de l’histoire de la Chine à cause des invasions de sauterelles) l’ont amplement démontré, prélevait bien plus sur le patrimoine naturel que son concurrent capitaliste.

La bonne question est celle des moyens à mettre en œuvre pour décarboner nos économies.

Réduire autoritairement la production comme le souhaitent les décroissantistes cohérents avec leurs convictions, demanderait l’instauration d’un régime politique imposant une appropriation collective des entreprises, puis une planification décidant ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Ne parlons pas de « modèle de croissance », mais de modèle économique, et le débat sera bien plus clair. Je suis bien entendu en faveur d’un modèle préservant la liberté économique, mais en lui imposant la contrainte de décarbonation par une politique de prix du carbone généralisée, la difficulté étant de faire comprendre aux électeurs que c’est leur intérêt bien compris.

 

Quand la Chine s’endormira

La tertiarisation de l’économie chinoise et le vieillissement de sa population sont deux facteurs structurant un ralentissement de la productivité. La croissance chinoise a-t-elle fini son galop ?

Oui, le régime de croissance de la Chine a fondamentalement changé au cours des dernières années. Après la libéralisation économique de Deng Xiaoping et l’application au-delà de toute prévision de son slogan, « il est bon de s’enrichir » grâce à l’insertion dans l’économie mondiale et à l’ouverture aux capitaux et technologies occidentales, la Chine a connu un rythme de développement et d’enrichissement (en moyenne, car les disparités villes-campagnes sont toujours profondes) unique dans l’histoire de l’humanité. Les masses chinoises sont sorties de la misère sordide dans laquelle les seigneurs de la guerre, puis l’occupation japonaise, puis enfin le régime maoïste les avait condamnées.

Mais la croissance « à deux chiffres » était tirée par le rattrapage technologique côté offre, l’investissement et les exportations côté demande, et ces moteurs ne peuvent durer éternellement. Côté offre, le rattrapage devient plus difficile lorsqu’on s’approche des standards mondiaux, ce que l’Europe a compris après 1970, d’autant plus que la rivalité stratégique avec les États-Unis réduit encore l’accès à l’innovation de pointe étrangère.

En interne, la reprise en main des entreprises par le Parti communiste, et la préférence donnée à celles contrôlées par l’État, l’obsession du contrôle du comportement de la population, réduisent considérablement la capacité d’innovation domestique, comme le fait remarquer depuis longtemps mon ancien collègue Stephen Roach.

Du côté de la demande, la Chine pourrait bien être tombée dans la trappe à dette qui a caractérisé l’économie japonaise après l’éclatement de ses bulles immobilières et d’actions du début des années 1970, en raison de l’excès d’offre immobilière et de l’immense dette privée accumulée dans ce secteur. Richard Koo avait décrit cette maladie macroéconomique « récession de bilan » pour le Japon. Les dirigeants chinois étaient hantés depuis longtemps par ce risque, qui mettrait à mal l’objectif de Xi Jinping de « devenir (modérément ajoute-t-il) riche avant d’être vieux », mais, paradoxalement, la re-politisation de la gestion économique pourrait bien le rendre réel. Comme la population active baisse en Chine depuis maintenant dix ans, et qu’elle va inévitablement s’accélérer, la croissance pourrait bien converger vers 3 % l’an, ce qui serait à tout prendre encore une réussite pour l’élévation du niveau de vie, voire encore moins, ce qui deviendrait politiquement difficile à gérer.

 

Dépendance au marché chinois

Faut-il anticiper un découplage de l’économie chinoise avec les économies de l’Union européenne et des États-Unis, dont de nombreux marchés sont devenus dépendants des importations chinoises ? Si celui-ci advenait, quels pays concernerait-il en priorité ?

L’économie chinoise occupe une place centrale dans l’économie mondiale, même si elle n’est pas tout à fait l’usine du monde comme on se plaisait à le dire avant 2008. Les tensions stratégiques avec les États-Unis mais aussi avec l’Europe, la réalisation par les entreprises que la baisse de coût permise par la production en Chine avaient un pendant. Je veux parler du risque de disruption brutale des chaînes d’approvisionnement comme ce fut le cas lors de l’épidémie de covid et des décisions de fermetures de villes entières avant que la politique (imaginaire) de zéro-covid ne fut abandonnée, mais aussi du risque d’interférence excessive des autorités chinoises.

La tendance précédente s’en est trouvée rompue.

Jusqu’en 2008, le commerce mondial croissait deux fois plus vite que le PIB mondial, en raison de l’ouverture de la Chine. De 2008 à 2020, il continua de croître, mais pas plus vite que la production. Depuis 2022, le commerce mondial baisse ou stagne, alors que la croissance mondiale reste positive. C’est la conséquence de la réduction du commerce avec la Chine. On peut donc bien parler de découplage, mais pour la croissance des échanges commerciaux, pas vraiment pour le niveau des échanges avec la Chine qui restent et resteront longtemps dominants dans le commerce mondial, sauf en cas de conflit armé.

En Europe, l’économie la plus touchée par ce renversement de tendance est évidemment l’Allemagne, dont l’industrie avait misé massivement sur la Chine, à la fois comme client pour son industrie automobile et de machines-outils, mais aussi pour la production à destination du marché chinois ou des marchés asiatiques. Ajouté au choix stratégique néfaste d’avoir privilégié le gaz russe comme source d’énergie bon marché, l’affaiblissement des échanges avec la Chine entraîne une profonde remise en question du modèle industriel allemand.

 

Impacts respectifs des élections européennes et américaines sur l’économie mondiale

Les élections européennes se tiendront en juin prochain. Les élections présidentielles américaines auront lieu cinq mois après, en novembre 2024. J’aimerais vous inviter à comparer leurs impacts potentiels sur l’avenir des échanges internationaux. Quels scénarios électoraux pourraient déboucher sur un ralentissement économique ? Sur une régionalisation des échanges ? Sur une croissance des conflits territoriaux ?

J’ai conscience que cette comparaison est limitée, l’Union européenne n’est pas un État fédéral, et il ne s’agit pas de scrutins analogues. Cependant, ces deux moments électoraux auront des conséquences concrètes et immédiates sur les orientations macroéconomiques à l’œuvre sur les deux premières économies du monde.

En cas de victoire de Donald Trump le 4 novembre, les échanges commerciaux avec les États-Unis seraient fortement touchés, avec une politique encore plus protectionniste qu’avec Biden, et un dédain complet pour toute forme de multilatéralisme.

Là encore, l’économie la plus touchée en Europe serait l’Allemagne, mais ne nous faisons pas d’illusions, toute l’Europe serait affaiblie. Plus important encore, une administration Trump cesserait probablement de soutenir financièrement l’Ukraine, laissant l’Union européenne seule à le faire, pour son propre intérêt stratégique. Ce qui ne pourrait qu’envenimer les relations au sein de l’Union, et restreindre les marges de manœuvre financières.

Enfin, une victoire de Trump signerait la fin de l’effort de décarbonation de l’économie américaine engagé par l’administration Biden à coups de subventions. Les conséquence pour le climat seraient désastreuses, d’autant plus que les opinions publiques européennes pourraient en conclure qu’il n’y a pas grand intérêt à faire cavalier seul pour lutter contre le changement climatique.

En revanche, les élections au Parlement européen ne devraient pas voir d’incidence significative sur nos économies. Le sujet ukrainien sera l’un des plus sensibles à ces élections, mais le pouvoir de décision restant essentiellement aux États, le changement ne serait que marginal.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Allemagne : les agriculteurs sur les routes, le gouvernement en déroute ?

Pour équilibrer son projet de budget, le gouvernement fédéral allemand a proposé en décembre dernier deux mesures affectant les agriculteurs pour un montant total de près d’un milliard d’euros (la suppression d’allègements fiscaux sur le carburant agricole et sur l’impôt sur les tracteurs). C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans les milieux agricoles déjà en mal-être.

 

À l’origine de la révolte : la nécessité d’équilibrer le budget 2024

En Allemagne, on ne badine pas avec l’orthodoxie budgétaire.

Saisi par des députés CDU-CSU, le Tribunal constitutionnel fédéral, qui siège à Karlsruhe, a rappelé le gouvernement de la coalition des « feux tricolores » – rouge pour le SPD, jaune pour le FDP et vert évidemment pour les Verts – à l’ordre le 15 novembre 2023 : la modification du budget supplémentaire 2021 – le ré-échelonnement des crédits pour la lutte contre la covid non utilisés et leur affectation à un fonds pour le climat – était anticonstitutionnelle.

Cela a créé un trou de quelque 60 milliards par rapport aux ambitions affichées. Il a fallu revoir les projets, couper dans les dépenses et trouver de nouvelles recettes. Début décembre 2023, le gouvernement fédéral s’est retrouvé avec un déficit de 17 milliards d’euros à combler.

 

Ponctionner l’agriculture

Il a été proposé de supprimer une ristourne sur les taxes perçues sur le gazole agricole ainsi que l’exonération de la taxe sur les véhicules, en vigueur pour les véhicules agricoles et sylvicoles.

Coût pour l’agriculture : près d’un milliard d’euros – 900 millions selon cet article d’Agrarheute. Pour une exploitation moyenne à temps plein, le remboursement de 21,48 centimes d’euro par litre de gazole au cours de la campagne 2020/2021 valait au total 2883 euros. La perte estimée pour une exploitation mixte est de 3000 euros, et près de 3900 euros pour une exploitation en grandes cultures. Ce ne sont que des moyennes. Des chiffres bien plus importants ont été articulés ici.

Des craintes ont également été exprimées – par les Verts du Landtag de Bade-Wurtemberg – pour la viabilité des exploitations des double-actifs avec, par exemple, des effets induits sur la protection des paysages et de la biodiversité.

Il est bien sûr illusoire que les agriculteurs puissent compenser la perte par une augmentation des prix. Et cette ponction se traduit par une perte de compétitivité par rapport aux autres États membres de l’Union européenne.

 

Un premier coup de semonce à la mi-décembre 2023

L’ampleur de l’effort mis à la charge de quelque 256 000 entreprises, et sa disproportion par rapport aux mesures affectant d’autres catégories d’acteurs de la vie économique ont mis le feu aux poudres chez des agriculteurs déjà en proie à des difficultés de tous ordres :

  • matérielles, avec notamment une année météorologique peu favorable sinon désastreuse qui, du reste, n’augure rien de bon pour les récoltes des cultures d’hiver en 2024 ;
  • économiques, avec l’inflation des coûts et des prix bas pour les céréales, et un manque de prévisibilité ;
  • administratives, avec le harcèlement réglementaire et les délires bureaucratiques ;
  • et peut-être même sociales : nombre d’agriculteurs ont le sentiment de ne pas être reconnus pour leur contribution à la société.

 

Des manifestations massives ont eu lieu le lundi 18 décembre 2023, partout en Allemagne. C’étaient par exemple 8000 à 10 000 personnes et plus de 3000 tracteurs à Berlin selon l’Union des Agriculteurs Allemands (DBV – Deutscher Bauernverband), 6600 personnes et 1700 tracteurs selon la police.

 

Solidarité et cohésion gouvernementales ?

C’était l’occasion de mesurer la solidarité et la cohésion gouvernementales : le ministre fédéral de l’Agriculture Cem Özdemir a pris la parole pour exprimer sa solidarité avec… les agriculteurs !

Il se serait opposé aux mesures envisagées. « Je sais que la suppression [des exonérations] vous touche plus durement que d’autres secteurs […] Je m’engagerai de toutes mes forces pour que cela ne puisse pas se passer ainsi ! » Dans le même temps – air connu en France – il affirmait que le monde agricole devait prendre sa part.

Par ailleurs, des dirigeants politiques de plusieurs Länder – Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Bavière, Basse-Saxe – se sont clairement exprimés contre la proposition de la coalition gouvernementale.

Ils seront rejoints ultérieurement par les ministres-présidents de la Sarre, du Brandebourg, de la Basse-Saxe et du Schleswig-Holstein, ainsi que du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.

Les oppositions sont donc venues de tous les bords politiques de gouvernement. Même les Verts du Landtag de Bade-Wurtemberg !

 

Un petit pas… trop petit ?

Le président du DBV, Joachim Rukwied, avait prévenu : les manifestations du 18 décembre 2023 seraient un tour de chauffe si les agriculteurs n’obtenaient pas satisfaction.

Le 4 janvier 2024, la coalition annonça une nouvelle proposition, selon un accord conclu entre le chancelier fédéral Olaf Scholz (SPD), le vice-chancelier Robert Habeck (Verts) et le ministre fédéral des Finances Christian Lindner (FDP) : l’exonération de la taxe sur les véhicules serait maintenue, et la ristourne sur la taxe sur le gazole payable en 2024 sur la consommation de 2023 également, mais réduite les années suivantes en trois fractions de 40, 30 et 30 points de pourcentage, respectivement. Les quantités consommées en 2026 ne seraient donc plus subventionnées.

C’est un accord au sommet. Le ministre fédéral de l’Agriculture Cem Özdemir a semblé vouloir sauver la face dans un communiqué de presse :

« … La charge disproportionnée imposée à l’agriculture et à la sylviculture dans le cadre de la nécessaire consolidation budgétaire n’est donc plus d’actualité. »

 

Des manifestations monstres le 8 janvier 2024

La profession agricole n’est évidemment – et à juste titre – pas de cet avis. Insuffisant ! « Au final, cela signifie la mort à petit feu », a aussi déclaré M. Joachim Rukwied. Les professionnels du secteur ont entamé leur semaine d’action le lundi 8 janvier 2024.

Un seul chiffre : il y aurait eu 100 000 tracteurs sur les routes, selon Agrarheute. Les manifestations se sont déroulées dans le calme. Les mots d’ordre des dirigeants et de quelques personnalités influentes ont été entendues.

Mais auparavant, il y avait aussi eu des actions que nous n’aimerions pas voir, ni en Allemagne ni en France. Ainsi, le 4 janvier 2024, des agriculteurs ont tenté d’empêcher un ferry, dans lequel se trouvait le vice-chancelier Robert Habeck, d’accoster à Schlüttsiel, en Schleswig-Holstein.

Parmi les commentaires de M. Cem Özdemir (oui, il y a eu du « en même temps »…) : « La majorité des agriculteurs et agricultrices allemands défendent leurs intérêts par des moyens démocratiques. C’est leur droit. »

Marques de soutien et manifestations communes avec les transporteurs

Comme le rapporte Agrarheute, les manifestations ont été bien accueillies, avec de nombreuses expressions et actions de soutien. Willi l’agriculteur note sur son blog que les gens applaudissaient les manifestants à Cologne et distribuaient du café, et qu’à de nombreux endroits les commerçants locaux approvisionnaient les manifestants.

Selon un sondage de N-TV, toutefois non représentatif, 91 % des répondants approuvaient les revendications des agriculteurs. Mais il ne faut pas se leurrer : sitôt les manifestations terminées, les médias et l’opinion publique passent à autre chose.

Il y a aussi eu des actions en signe de solidarité. Ainsi, près de Minden en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dix péniches ont bloqué le Mittellandkanal. À Munich, si M. Karl Bär, président des Verts à la commission agricole du Bundestag, a été hué, M. Heinrich Traubinger, de l’artisanat bavarois de la boulangerie, parlant aussi au nom d’autres entités, a été applaudi :

« Si on peut compter sur quelqu’un, c’est bien sur les agriculteurs […] Sans les agriculteurs, il n’y aurait pas de boulangeries ! »

Ce n’est pas vraiment anecdotique, mais symptomatique d’un désenchantement, et aussi d’une solidarité de filière : M. Cem Özdemir devait visiter une brasserie le 10 janvier 2024, événement prévu de longue date. Il a été « désinvité » par le patron de la brasserie :

« Par solidarité envers l’agriculture locale, nous avons donc décidé, après mûre réflexion, de retirer notre invitation à la visite de notre brasserie familiale d’Aalen. […] Ici, dans l’Ostalb en particulier, nous vivons de et avec l’agriculture paysanne : c’est d’elle que nous tirons une grande partie des matières premières de notre brasserie, comme l’orge de brasserie ou le blé de brasserie cultivés dans la région. »

 

Une voix dissonante : Greenpeace

Greenpeace s’est manifesté trois fois, les 18 décembre 2023 et les 4 et 8 janvier 2024, avec des arguments douteux :

« Les inondations dues au changement climatique inondent actuellement les champs et les pâturages dans toute l’Allemagne et l’Union allemande des agriculteurs veut continuer à protester contre la protection du climat – c’est incompréhensible. »

« Compte tenu des milliards de subventions accordées à l’agriculture, la suppression prévue des subventions pour le gazole est tout à fait supportable », écrit-elle aussi. Et la solution serait déjà là : « La technique existe, les premiers tracteurs électriques sont déjà en service. »

 

Le gouvernement en difficulté

D’une manière générale, la coalition gouvernementale allemande est un mariage peu harmonieux, souvent réduit à des compromis boiteux. Ainsi, dans le domaine agricole, les Verts étaient contre le renouvellement de l’autorisation du glyphosate, le FDP pour… et le gouvernement s’est abstenu à Bruxelles. La question des nouvelles techniques génomiques divise également… la stratégie « Bio 2030 » d’un Cem Özdemir qui ne voulait pas les évoquer dans le document, ne passe pas la rampe en réunion interministérielle.

Selon un sondage de début décembre 2023, 68 % des répondants trouvaient que le gouvernement faisait mal son travail, mais ils n’étaient que 35 % à estimer qu’un gouvernement mené par la CDU-CSU ferait mieux. Et ils sont 57 % à estimer que le gouvernement ira jusqu’au bout, en 2025.

D’aucuns se font des idées sur des convergences de lutte. Des actions communes sont ainsi prévues par les agriculteurs, les transporteurs et chauffeurs routiers. Les conducteurs de train viennent de se mettre en grève. Les extrêmes se mettent à rêver…

Les prévisions sont certes difficiles, surtout si elles concernent l’avenir. Mais l’Allemagne est (encore ?) résiliente. Et 66 % des sondés ont trouvé que 2023 avait été une bonne année pour eux, 28 % pensant que 2024 sera meilleur, 58 % pareille, et seulement 13 % moins bonne.

Les agriculteurs, en ce moment sur le devant de la scène, ont fait leur maximum, avec succès, pour que leurs manifestations ne soient pas dévoyées. L’épouvantail de l’extrême droite et de la descente aux enfers a été vigoureusement agité, en partie dans une tentative de jeter le discrédit sur les manifestations (ce qui a été vigoureusement dénoncé par le président du syndicat fédéral de la police). Au gouvernement, un Robert Habeck plaide avec éloquence pour le respect des principes démocratiques.

La question qui fâche est maintenant devant le Bundestag, appelé à adopter le budget pour 2024. C’est aussi une question majeure pour l’échéance électorale du renouvellement du Parlement européen.

Industrie française : une récession est imminente – Entretien avec Charles-Henri Colombier (Rexecode)

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE…

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Selon les statistiques du FMI, le PIB de la Chine ne représenterait aujourd’hui que 66 % du PIB des États-Unis, contre 76 % en 2021. Comment expliquez-vous ce décrochage ? Est-il symptomatique d’une tendance durable ?

Charles-Henri Colombier (Rexecode) – Depuis l’avant-covid fin 2019, le PIB chinois en volume et en monnaie nationale a augmenté de 18 %, tandis que le PIB américain a progressé de 7 %. En d’autres termes, la croissance chinoise n’a pas à rougir en comparaison de la croissance américaine, loin s’en faut.

L’explication du comparatif transpacifique des niveaux de PIB défavorable à la Chine depuis 2021 vient plutôt d’un effet de change, et plus spécifiquement de la dépréciation du yuan face au dollar. Le billet vert s’échange actuellement contre 7,10 yuans, quand il en valait seulement 6,35 fin 2021. Le taux de change dollar/yuan dépend pour une bonne part du différentiel de taux d’intérêt entre les deux pays, or la Fed a opéré une brutale remontée de ses taux, sans équivalent en Chine où l’inflation est restée très atone.

 

Sanctions russes : un effet boomerang ?

Y-a-t-il un effet boomerang des sanctions russes sur les économies européennes ? L’Europe est-elle en train de rentrer en récession à cause de l’embargo sur le gaz et le pétrole russe ?

L’interruption de l’approvisionnement énergétique de l’Europe depuis la Russie, concernant le pétrole mais surtout le gaz, a généré un choc d’offre négatif dont les effets ne se sont pas encore dissipés. En témoigne le fait que le prix de marché du gaz naturel coté à Rotterdam est toujours deux fois plus élevé qu’en 2019, tandis que la cotation Henry Hub aux États-Unis est à peu près inchangée.

Une énergie plus chère a trois types de conséquences principales : des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, un prélèvement sur les marges des entreprises, et un déficit de compétitivité prix préjudiciable à l’industrie notamment énergo-intensive. Les Etats-Unis et l’Asie n’ont pas eu à subir les mêmes chocs.

 

Comment la Russie contourne les sanctions commerciales

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Pourquoi sont-elles aussi inefficaces ? Depuis 2022, les importations de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi. Doit-on y voir une stratégie de détournement des sanctions ? Quels pays européens (et quelles industries) participent à ce phénomène ?

L’inefficacité des sanctions occidentales contre la Russie tient d’abord au fait que certains pays tiers se sont substitués aux achats européens d’hydrocarbures russes. Au-delà des relations bien connues de la Chine avec la Russie, l’Inde absorbe désormais près de 40 % des exportations de pétrole russe, contre 5 % seulement en 2021. La manne des hydrocarbures, clé pour les finances publiques russes, a ainsi été préservée.

Par ailleurs, les mesures aboutissant à un retrait des entreprises occidentales de Russie ont parfois eu un effet de stimulation pour les entreprises russes, pouvant se saisir d’actifs bon marché et de nouvelles parts de marché domestiques. Enfin, il est vrai que certaines entreprises européennes contournent les sanctions, amenuisant leur efficacité. Certains pays comme la Turquie jouent un rôle de transit pour les flux commerciaux en question. Pour ne citer que quelques exemples, les exportations allemandes vers des pays comme le Kazakhstan, le Kirghizistan ou la Géorgie ont connu un décollage plus que suspect.

 

Industrie française : une récession est imminente

On constate une chute de l’indice PMI manufacturier en France. Que représente cette dégringolade pour l’économie française ?

L’indice PMI manufacturier mesure le climat des affaires à la lumière du sentiment exprimé par les directeurs d’achats. Le niveau de 42,1 qu’il a atteint en décembre (50 représente le seuil d’expansion) laisse peu de doute quant à l’existence d’une situation récessive pour l’industrie, en France mais aussi en Europe plus largement.

La dépense en biens des ménages avait déjà été décevante en 2023, celle des entreprises devrait désormais emboîter le pas en 2024, la hausse des taux d’intérêt et la contraction du crédit exerçant une pression croissante sur leur situation financière.

 

L’hypothèse d’un découplage économique avec la Chine

Les marchés américain et européen peuvent-ils se passer de la Chine ? Quelles seraient les conséquences d’une hypothétique rupture des relations commerciales entre la Chine et les marchés américain et européens ? Faut-il s’y préparer ?

Une rupture soudaine des relations économiques entre la Chine et l’Occident serait à n’en pas douter catastrophique pour les deux camps, tant les chaînes de valeur sont imbriquées. La Chine est devenue un fournisseur irremplaçable de nombreux intrants industriels, comme les problèmes d’approvisionnement apparus lors de la pandémie l’ont illustré.

Compte tenu des tensions entourant Taïwan, il faut se préparer à un tel scénario de rupture pour en minimiser l’impact. Mais il paraît illusoire d’imaginer que l’Europe puisse se passer de la Chine à court terme.

 

Les conséquences du statu quo de la BCE sur les taux directeurs

Contrairement à la FED, la BCE n’envisage pas de baisse des taux et affiche une ligne dure. Comment expliquez-vous cette divergence ? Quelles répercussions ces décisions auront-elles sur les échanges entre les économies de la zone euro et les États Unis ? Sur la croissance de leurs marchés respectifs ?

Le discours assez rigide de la BCE quant à l’éventualité d’une prochaine baisse des taux paraît surprenante au vu de la situation quasi-récessive de l’économie européenne. De récents travaux de la BCE montrent par ailleurs que l’essentiel de l’inflation observée ces dernières années est venu de facteurs liés à l’offre plutôt que d’un excès de demande qu’il faudrait briser.

Deux éléments permettent toutefois d’expliquer la prudence de la BCE.

Premièrement, le marché du travail européen, dont le degré de tension détermine en partie le dynamisme de l’inflation sous-jacente (l’évolution des prix hors composantes volatiles comme l’énergie), affiche toujours un niveau d’emplois vacants élevé malgré la faiblesse de l’activité. La disparition des gains de productivité du travail et le ralentissement démographique aboutissent au paradoxe que des difficultés de recrutement substantielles peuvent coexister avec une absence de croissance.

Deuxièmement, le contexte géopolitique reste très incertain. Les tensions récentes en mer Rouge ont déjà abouti à un doublement des taux de fret maritime sur les conteneurs, ce qui à terme pourrait souffler de nouveau sur les braises de l’inflation.

 

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Lyon-Turin : un projet ferroviaire titanesque, des opposants à couteaux tirés – Entretien avec le délégué général de la Transalpine

Stéphane Guggino est le délégué général du comité pour la Transalpine, association réunissant les défenseurs du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Aux premières loges d’un chantier qui bouleversera les relations commerciales entre la France et l’Italie et le quotidien de millions d’individus sur les deux versants des Alpes, il a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

« En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie »

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le projet de ligne ferroviaire transalpine Lyon-Turin a été lancé il y a plus de 30 ans. Pourquoi n’a-t-il pas encore vu le jour ? Où en est-on de l’avancée des chantiers ? 

Stéphane Guggino, délégué général de la Transalpine – Ces retards ne sont pas propres au Lyon-Turin. À l’échelle européenne, la construction des grandes infrastructures de transport affichent en moyenne 15 ans de retard. Nous sommes un peu en dessous. Il faut réaliser que c’est un projet d’une grande complexité sur les plans technique d’abord, mais aussi juridique, financier, politique et diplomatique. La particularité du Lyon-Turin est d’être un projet binational. Les procédures juridiques et financières sont différentes entre les deux pays. Et puis au gré des alternances politiques des deux côtés des Alpes, des dissymétries se créent dans la dynamique globale du projet. Quand la France accélère, l’Italie ralentit, et inversement. Les priorités nationales peuvent évoluer épisodiquement.

À cette complexité s’ajoute le fait que l’Europe intervient massivement dans la mise en œuvre du projet, à travers notamment ses financements. Cela fait un étage de plus dans un processus décisionnel qui, dans chaque pays, va des plus hautes autorités de l’État jusqu’aux élus locaux, en passant par l’enchevêtrement peu lisible des administrations qui ont trop souvent une lecture franco-française du projet alors que c’est un programme éminemment européen.

Il y a quelques mois, un Conseil d’orientation a produit un rapport pour éclairer le gouvernement sur la programmation des investissements dans le domaine des transports. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les analyses concernant le Lyon-Turin s’arrêtaient nette à la frontière franco-italienne, sans se soucier du projet différent développé par nos voisins de leur côté. Or, le Lyon-Turin est un programme conçu comme un ensemble composé de sections interdépendantes les unes des autres. Cela exige nécessairement une approche globale et cohérente.

Contrairement à l’époque des grands projets d’avenir structurants, certaines administrations d’État sont rétives aux grands investissements de long terme dans un contexte où l’on recherche des rentabilités rapides. Or, les projets ferroviaires sont très longs à mettre en œuvre et leur rentabilité socio-économique s’inscrit fatalement dans la durée.

Pour autant, il ne faut pas non plus noircir le tableau. Sur le terrain, les choses avancent, en particulier en ce qui concerne le tunnel de 57,5 km sous les Alpes en cours de creusement. Ce tunnel est la clé de voute du programme Lyon-Turin. Sa réalisation orchestrée par le maître d’ouvrage public TELT est désormais irréversible et la montée en puissance du chantier est spectaculaire. 100 % des contrats de génie civil ont été attribués. 22 % du projet global ont été réalisés. 34 km de galeries ont été creusées, dont 13 km du tunnel définitif. Plus de 2500 salariés sont déjà mobilisés sur le chantier en Savoie. Les sept tunneliers vont arriver progressivement à partir de 2024, et le rythme va sérieusement s’accélérer. L’ouvrage devrait être livré en 2032. Ce qui nous préoccupe davantage aujourd’hui, c’est l’aménagement des indispensables voies d’accès au tunnel. En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie.

Forage du tunnel de la Transalpine. Crédits @ValentinCitton

« Le principal axe ferroviaire qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle »

Quel impact aura le lancement de la Transalpine sur les échanges économiques entre la France et l’Italie ?

Les enjeux économiques attendus dépassent la France et l’Italie pour s’inscrire dans une véritable vision européenne. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne a fait depuis longtemps du Lyon-Turin une priorité stratégique. Avec ce grand programme structurant reliant la péninsule ibérique et l’Europe centrale, il s’agit de rééquilibrer l’économie de l’espace européen au profit de l’Europe du Sud. Le Lyon-Turin doit un peu jouer pour l’Europe du Sud le même rôle qu’a joué le tunnel sous la Manche pour l’Europe du Nord.

La France et l’Italie seront naturellement les premières concernées par ces retombées économiques. En 2022, la valeur des échanges entre les deux pays s’est élevée à 132 milliards d’euros. La France et l’Italie sont respectivement le second partenaire commercial de l’autre. Ils représentent près de 30 % des habitants et 30 % du PIB de l’UE. Or, le principal axe ferroviaire fret et voyageurs qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle.

Avec cette nouvelle liaison moderne, il s’agit donc de replacer cet axe au cœur de flux créateurs de valeurs. Pour les voyageurs, la réduction des temps de trajet favorisera les échanges culturels, universitaires, touristiques…

Ce qui est valable pour les voyageurs l’est encore plus pour les marchandises. Mais avec l’objectif impérieux de réconcilier l’économie et l’écologie. Aujourd’hui, la quasi-totalité des marchandises entre la France et l’Italie sont transportées par poids lourds. En proposant aux entreprises un mode de transport de masse décarboné, rapide et fiable sur un axe européen stratégique, l’enjeu est de faire évoluer la chaine logistique vers un modèle plus efficace et plus respectueux de l’environnement.

 

« Localement, les électorats de LFI et d’EELV sont majoritairement favorables à la Transalpine »

La Transalpine est régulièrement présentée comme un projet controversé, pourtant un sondage IFOP révélait l’année dernière une large adhésion des habitants des départements de la région Auvergne Rhône-Alpes concernés par le projet (81 % des sondés étaient favorables au projet). Comment expliquez-vous ce décalage ?

Oui, c’est assez curieux. Le Lyon-Turin est le fruit de trois traités internationaux ratifiés à chaque fois à une large majorité au Parlement. Depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République, quelle que soit leur couleur politique, ont soutenu sans ambiguïté le projet. La quasi-unanimité de collectivités locales concernées par le projet le soutiennent également. Même écho du côté des syndicats de salariés et des organisations patronales.

Le sondage régional réalisé par l’IFOP pour la Transalpine en juin dernier est à cet égard assez illustrant. L’adhésion des populations au Lyon-Turin est non seulement très forte mais relativement homogène par tranche d’âge, par CSP et par sensibilité politique, y compris dans les électorats LFI et EELV qui sont les deux seuls partis à s’y opposer. Contrairement aux cadres de ces partis, leurs électorats sont favorables au projet à plus de 80 %. Sur ce sujet comme sur d’autres, ces résultats démontrent un net décalage entre les sympathisants et les élites partidaires.

Pour autant, aussi minoritaires qu’ils soient, les opposants au Lyon-Turin sont bruyants et attirent l’attention des médias qui reprennent en boucle l’idée du « projet contesté ». Aucun projet ne fait l’unanimité.

Manifestation des Soulèvements de la Terre contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

« Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition au Lyon-Turin s’est nettement radicalisée »

Du côté français, un certain nombre d’associations et de mouvements radicaux (Attac, les Soulèvements de la Terre, Sud Rail, Non au Lyon Turin…) se mobilisent pour bloquer l’avancement de la transalpine. Quel impact ont leurs actions ? Celles-ci se sont-elles intensifiées récemment ? Sont-elles plus violentes en France ? En Italie ? Quels partis et personnalités politiques se font les relais de ces activistes ? 

Il faut bien comprendre que l’opposition au projet est née en Italie, au début des années 2010. Le Mouvement 5 Étoiles, créé par l’humoriste Beppe Grillo, en a fait un étendard et s’est fortement appuyé sur cette contestation locale pour progresser au niveau national. Dans une logique « antisystème », certains diraient populiste, cette opposition s’est cristallisée en partie sur les grands projets d’infrastructure. Par son ampleur, le Lyon-Turin était donc un bon sujet de mobilisation.

Dans les cortèges, ont trouvait des écologistes sincères, des public animés par le syndrome NIMBY et aussi beaucoup de mouvements de la gauche radicale, avec même certains éléments issus des Brigades rouges. Les premiers affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier ont été très violents. Mais au fil du temps, le mouvement s’est essoufflé. Aujourd’hui, ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils se sont radicalisés. Régulièrement, des petits groupes encagoulés attaquent le chantier, protégé en permanence par des policiers et l’armée, avec des pierres et des feux d’artifice.

Les activistes recrutent principalement dans les milieux anarchistes de Turin et de Milan en jouant de la rhétorique de l’intersectionnalité des luttes. Il y a quelques semaines, un rassemblement près du chantier a vu débarquer des éco-féministes, des activistes LGBT et des militants de la cause palestinienne dont on peine à comprendre le lien avec le Lyon-Turin.

En France, l’opposition a commencé à éclore au début des années 2010 mais de manière plus pacifique et confidentielle. Face à la mobilisation des Italiens, les écologistes n’ont pas voulu être en reste. Après avoir soutenu et porté le projet pendant plus de 20 ans, les écologistes ont fait un virage à 180 degrés en 2012. Du jour au lendemain, le Lyon-Turin est passé du statut de projet essentiel à celui de projet dévastateur de l’environnement. Les théoriciens de cette opposition se comptaient pourtant sur les doigts d’une main. Mais ils sont petit à petit parvenus à essaimer leurs arguments dans les réseaux écologistes et de la gauche radicale.

Ce virage a été initié localement par une nouvelle génération de cadres écologistes annonciateurs des mouvements d’activistes plus radicaux que l’on connaît aujourd’hui. En juin dernier, il y a eu une manifestation des Soulèvements de la Terre. De l’aveu même des organisateurs, ils ne connaissaient pas le dossier. Mais au même titre que le nucléaire, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou plus récemment les bassines de Sainte-Soline, le Lyon-Turin est devenu un totem qui mobilise une base d’activistes radicaux. Avant le départ du cortège des Soulèvement de la Terre, les participants ont scandé « Nous sommes tous antifascistes ». Là encore, difficile de comprendre le lien avec le Lyon-Turin. Toujours est-il que cette manifestation, émaillée de violences, était officiellement soutenue par les élus Verts de la région dont beaucoup étaient présents sur place aux côtés de la France Insoumise. Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition sur le Lyon-Turin s’est nettement radicalisée. Jean-Luc Mélenchon lui-même évoque régulièrement le sujet dans ses meetings et interviews.

Certains activistes locaux cherchent à importer en France les éléments radicaux italiens, pour l’instant en vain. Cet été, pour la première fois, deux engins de chantier ont été incendiés. Mais pour l’heure, l’opposition en France reste marginale et non violente, même si on observe des signes de structuration.

Manifestation des activistes italiens de No Tav contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

 

 

« Ces 15 dernières années, trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin ont été inaugurés en Suisse »

Dans un reportage publié en avril 2023, le think tank « citoyen » Mr Mondialisation qualifiait la transalpine de « TGV écocidaire » et d’« aberration écologique et sociale ». Il se trouve qu’en novembre dernier le crime d’écocide a été ajouté à la liste des infractions pénales de l’UE. Les travaux liés aux forages des tunnels sont-ils réellement assimilables à un crime contre l’environnement, à la destruction complète d’un écosystème ? 

Il faut être clair, un chantier de cette envergure a forcément des impacts sur l’environnement. Mais il faut évidemment en mesurer les bénéfices sur le long terme. De ce point de vue, toutes les études démontrent que l’équilibre coûts-bénéfices sera positif. Les effets sur la nature et sur la biodiversité sont très surveillés et relativement limités, puisqu’il s’agit de construire un tunnel sous la montagne. Les Suisses, qu’on peut difficilement accuser de mépriser l’environnement, ont inauguré ces 15 dernières années trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin. Leurs performances en matière de report modal de la route vers le rail sont exceptionnelles. Les écolos suisses y étaient au départ opposés, mais aujourd’hui ils en sont très fiers.

En vérité, le discours écologiste des opposants semble n’arriver qu’au second rang. Pendant la manifestation des Soulèvement de la Terre, la plupart des participants interrogés par les médias étaient incapables d’avoir une argumentation structurée au-delà de quelques poncifs. Le vrai sujet semble être politique. C’est celui de la décroissance et de la lutte contre le capitalisme. Une myriade de mouvements plus ou moins importants s’agrègent autour de cette vision du monde : Sud Rail, Les Amis de la Terre, Extinction Rébellion, Attac… Pour eux, le Lyon-Turin va favoriser les échanges commerciaux en Europe. Et il est trop tard pour attendre les bénéfices du Lyon-Turin qui arriveront dans plusieurs années, bien après le grand effondrement qu’ils prédisent à court terme. Les termes les plus anxiogènes de la novlangue des activistes du climat sont abondamment utilisés. Par exemple, on ne parle plus de « sabotage » mais de « désarmement » des chantiers.

Il est normal que cette opposition s’exprime en démocratie. Ce qui est plus contestable, c’est de désinformer l’opinion en niant l’expertise des scientifiques et de tous les professionnels du rail qui sont unanimes sur l’utilité du Lyon-Turin. D’ailleurs, il est frappant de constater que les opposants ne comptent dans leurs rangs aucun expert du sujet. Leur dernière trouvaille consternante est d’affirmer que le tunnel du Lyon-Turin va « vider l’eau des Alpes qui tombe dans le trou qu’on creuse ».

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est la perméabilité grandissante de ces mouvements à des discours radicaux comme celui du sociologue suédois Andreas Malm, devenu une véritable référence dans ces milieux. Selon lui, les manifestations pacifiques ont montré leur inefficacité. L’urgence climatique légitime donc les actes de désobéissance civile, voire de violence et de sabotages. Entendre des élus de la République valoriser ce type de discours, par ailleurs rejeté par une immense majorité de l’opinion, est quand même très inquiétant.

 

« 92 % des marchandises échangées entre la France et l’Italie transitent par la route et 8 % par le rail »

Le rail est le mode de transport dont l’empreinte carbone est la plus légère. Il ne contribue qu’à 1,2 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports au niveau mondial, alors que le transport routier représente trois quarts des émissions de GES. Selon l’Agence International de l’Énergie « Doubler le transport ferroviaire équivaudrait à supprimer 20 000 poids lourds sur le réseau routier, pour une économie de 450 000 tonnes de CO2 chaque année. ». Combien de tonnes de CO2 pourraient être économisées par la Transalpine, dès la première année de sa mise en service ? 

Le train est non seulement le mode de transport terrestre le moins émetteur de gaz à effet de serre (neuf fois moins que le transport routier), mais il est aussi celui qui génère le moins de pollution aux particules fines. Il est en outre le moyen de transport le plus sobre en énergie, ce qui sera l’une des grandes problématiques des années à venir.

Le Lyon-Turin est une ligne mixte. Il transportera des passagers, mais 80 % de la ligne sera dédiée au fret ferroviaire. 47 millions de tonnes de marchandises franchissent chaque année la frontière entre la France et l’Italie. Seulement 8 % sont transportés par le rail sur une ligne obsolète héritée de Napoléon III, et 92 % par la route.

Cela représente trois millions de poids lourds par an, la moitié par les Alpes du nord et l’autre moitié par la côte méditerranéenne. Avec de bonnes mesures d’accompagnement, l’objectif est de basculer dans un premier temps un million de camions sur le rail et d’éviter le rejet de plus d’un million de tonnes de CO2 par an. Le bénéfice en CO2 devrait être atteint environ 15 ans après la mise en service de la ligne. Cela peut paraître long, mais à l’échelle d’une infrastructure dont l’utilisation sera de plus d’un siècle, c’est avant tout une manière de préparer l’avenir.

 

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Fabrice Le Saché, VP du Medef : « l’accord sur l’IA ne répond pas aux ambitions de départ »

Fabrice Le Saché est le vice-président du Medef en charge de l’Europe. Au cours de cet entretien, nous abordons les répercussions des nouvelles réglementations européennes (IA, minerais stratégiques, taxe carbone…) sur l’industrie française et européenne. Il est aussi question des réponses à apporter à la crise du logement et de l’impact des actions de sabotage des écologistes radicaux sur la croissance et l’emploi en France.

 

Intelligence artificielle

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le 08 décembre dernier, le commissaire européen Thierry Breton a qualifié d’« historique » l’accord de l’UE sur la réglementation de l’intelligence artificielle (IA ACT). Estimez-vous, avec M. Breton, que « L’Europe va devenir le meilleur endroit au monde pour faire de l’intelligence artificielle » ?

Fabrice Le Saché, vice-président du Medef chargé de l’Europe – Je souhaite tout d’abord rappeler un chiffre : 25 % des entreprises européennes utilisent l’intelligence artificielle (IA). Si la démocratie de l’IA est récente, l’IA n’est pas pour autant une technologie inconnue.

Le Medef a salué les ambitions initiales de Thierry Breton d’encadrer l’IA pour construire un écosystème favorable au tissu économique et à l’ensemble des citoyens. Une certaine idée de la régulation qui ne freine pas l’innovation et n’obère pas la compétitivité de nos entreprises. Nous avons toujours rappelé l’importance de maintenir une neutralité technologique et d’avoir une approche globale par les risques. Seul l’usage que l’on fait de l’IA doit définir son niveau de risque, et non les caractéristiques techniques de chaque modèle. Or, l’accord provisoire obtenu début décembre ne répond pas intégralement aux ambitions de départ. L’approche par les risques et le principe de neutralité technologique ont été fragilisés en intégrant des obligations propres aux IA génératives, ce qui ajoute de la complexité juridique. De plus, le texte nécessite de nombreuses lignes directrices et actes délégués de la Commission européenne pour être applicable, entraînant ainsi les entreprises dans une période d’incertitude et de flou juridique.

Dans la course mondiale à l’intelligence artificielle l’Europe est encore à la traîne, loin derrière les géants chinois et américains, mais nous pouvons encore combler notre retard. À condition de s’en donner les moyens, de mettre le pied sur le frein de la surrèglementation, et d’investir dans une politique d’innovation courageuse permettant de faciliter l’accès des entreprises aux financements, aux compétences et aux marchés.

Il est évident qu’aujourd’hui, le développement économique et l’innovation dépendent largement de l’évolution des compétences numériques, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Si notre pays veut jouer un rôle dans la révolution industrielle 5.0, nous devons constamment anticiper et nous adapter aux évolutions technologiques. Le défi pour les entreprises est double : recruter du personnel qualifié tout en veillant à la mise à jour des compétences des salariés. C’est pourquoi la formation doit être au cœur des stratégies d’entreprise.

 

Souveraineté minérale

Début décembre 2023, le Parlement européen a approuvé un texte sur les matières premières critiques, fixant des objectifs pour la production, le raffinage et le recyclage des minéraux indispensables à la transition écologique et numérique. L’Europe est-elle en train de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine ? Cette législation va-t-elle faciliter la production de voitures électriques, de panneaux solaires, d’éoliennes et smartphones en Europe ? Quels effets produit-elle déjà sur le marché du travail ?

Les récentes crises ont démontré à quel point la France était dépendante des chaînes d’approvisionnements mondiales. Nous avons désormais pris collectivement conscience de la nécessité de retrouver un appareil de production performant et une culture industrielle forte. Cette indispensable souveraineté passe par la réduction de nos dépendances extérieures de l’Union européenne vis-à-vis des matières premières critiques. Le monde change, celui dominé par les énergies fossiles laissera bientôt sa place à un monde dominé par les matières premières minérales. Il sera sans carbone, mais riche en métaux : le marché du cuivre va doubler, celui du nickel va tripler, et celui du lithium va quadrupler au cours des dix prochaines années.

C’est pour cela que nous avons – dès mars 2023 – soutenu le règlement sur les matières premières critiques qui permettra d’identifier des projets stratégiques et sécuriser des chaînes d’approvisionnement. Pour garantir notre autonomie stratégique et contribuer au redressement de notre commerce extérieur, il faudra aller encore plus loin.

Tout d’abord, il est impératif de valoriser l’exploitation de minerais stratégiques tant en Europe qu’en France par des dérogations ponctuelles aux Codes minier et environnemental. La France dispose en la matière d’un savoir-faire historique qui lui a longtemps permis de compter parmi les principaux producteurs mondiaux de métaux stratégiques comme l’antimoine, le tungstène et le germanium. Dans ce sens, je salue l’initiative de l’entreprise Imerys qui s’apprête à exploiter la plus grande mine de lithium d’Europe dans l’Allier, capable de fournir assez de matière première pour produire 750 000 batteries par an. Ce projet répond à la fois aux enjeux d’indépendance énergétique, de réindustrialisation – et avec elle de création de richesse partout dans les territoires – et de décarbonation de notre mobilité.

Aussi, l’Europe doit aussi repenser ses relations avec les pays fournisseurs au travers d’une diplomatie des matières premières qui déboucherait sur des accords commerciaux larges et ambitieux, permettant le renforcement des coopérations, la négociation de quotas, ou encore l’élimination de tarifs douaniers. L’Union européenne devrait également chercher à réduire les écarts de compétitivité, en particulier dans les hautes technologies et l’économie numérique, et plus globalement garantir des conditions de concurrence équitables entre les entreprises de l’Union européenne et les concurrents chinois.

Bien évidemment, l’Union européenne et la Chine doivent renforcer leurs liens commerciaux et d’investissement, mais sans naïveté, en recourant aux instruments de défense commerciale pour dissuader la Chine de prendre des mesures unilatérales dommageables.

Enfin, notre stratégie ne pourra faire l’impasse du recyclage, qui doit être considéré comme un pilier essentiel de l’offre en matières premières critiques. Il convient d’une part d’accompagner les entreprises dans les démarches d’éco-conception des produits afin qu’elles réduisent leurs besoins en matières critiques (ou qu’elles les substituent) et d’autre part, d’allonger la durée de vie des produits afin que les matières critiques soient utiles plus longtemps.

 

Taxe carbone aux frontières de l’UE

À partir du 1er janvier 2026, les importateurs européens devront s’acquitter d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Celle-ci va-t-elle renchérir les coûts de production pour les entreprises ? Pensez-vous que cette taxe est de nature à inciter les industriels européens à relocaliser leurs approvisionnements en matières premières à haute intensité de carbone ou, à l’inverse, qu’elle les encouragera à délocaliser leurs productions dans des zones où les normes environnementales sont plus légères, voire inexistantes (Maroc, Turquie..) ?

Le Carbon Border Adjustment Mechanism (MACF) ou la « taxe carbone aux frontières » s’inscrit dans un contexte de crise énergétique et d’un accroissement du différentiel de compétitivité entre l’Union européenne et le reste du monde. Le Medef soutient le principe d’une taxe carbone ambitieuse aux frontières, mais avec une surveillance forte pour éviter son contournement par nos partenaires commerciaux. Le texte de l’Union européenne ne répond toutefois pas entièrement aux inquiétudes des industriels, notamment sur les risques de contournement, et fera peser de nouvelles lourdeurs administratives sur les importateurs.

La mise en œuvre du MACF s’accompagnera d’une élimination progressive des « quotas gratuits » qui pèsera sur la compétitivité des exportations européennes face à une concurrence étrangère qui n’aura pas essuyé le même coût du carbone en amont. Rexecode entrevoit une dégradation des comptes d’exploitation des entreprises de l’ordre de 45 milliards d’euros par an au niveau européen, et 4 milliards en France. Le MACF représente une perte de marges estimée à 2,1 milliards pour l’industrie française (soit une baisse de 2,7 % du résultat courant avant impôts). La mise en route du MACF menacerait plus de 37 500 emplois industriels, soit 1,5 % du total des emplois industriels en France.

Les risques de délocalisation dépendront des mesures adoptées pour lutter contre le contournement. Le MACF ne couvre que quelques grands intrants industriels, et non l’ensemble des chaînes de valeur. Si l’aluminium étranger produit hors de l’Union européenne sera bien taxé à la frontière, un produit fini ou semi-fini à base d’aluminium et transformé hors de l’Union européenne échappera au MACF.

L’importateur européen n’aura donc pas à en acquitter le coût du carbone, ce qui peut l’inciter à opter pour cette solution plutôt que de se tourner vers la filière de fabrication française qui aura payé un coût du carbone dans tous les cas de figure. Dans les prochains mois, il sera donc essentiel de faire un suivi précis et de mener des évaluations régulières pour corriger toute conséquence négative sur notre tissu industriel et les emplois, ainsi que sur notre compétitivité à l’export.

Ce texte est ainsi loin de résoudre toutes nos difficultés. C’est pourquoi il faut mobiliser l’ensemble des leviers pour réindustrialiser notre continent, tels que l’assouplissement des règles sur les aides d’État, le financement de l’innovation bas carbone et l’adaptation des formations pour répondre aux besoins des entreprises.

 

Crise du logement

En 2023, la crise du logement s’est installée en France. Les taux d’emprunt ont continué à monter, les ventes de logements neufs ont chuté de 30 %, les délivrances de permis de construire ont baissé de 23 %, les prix des loyers ont augmenté dans la majorité des grandes villes. Dans le secteur du bâtiment, 180 000 emplois sont menacés dès cette année, 500 000 d’ici à 2025. Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de la situation ? À quel point cette crise affecte-t-elle le fonctionnement du marché européen ? Que préconisez-vous pour sortir de la crise actuelle ?

Le logement, c’est le socle de la cohésion, une condition essentielle du dynamisme économique et du bien-être de nos concitoyens. Sans possibilité de loger à hauteur des besoins nos salariés, nous ne pourrons pas continuer à assumer la volonté de retour au plein-emploi qui est la nôtre.

Dans un contexte économique marqué par le renchérissement du coût des matières premières et la hausse des taux d’intérêts, la situation du logement en France est aujourd’hui critique. La situation ne fait que de s’aggraver, notamment sous le coup de décisions prises sans concertation avec les acteurs économiques : le zéro artificialisation nette (ZAN), la révision tous azimuts des documents de planification urbaine, et la chute de la délivrance des permis de construire.

En un an, la production de logements a chuté de 20 %. Ce sont 100 000 logements manquants qui sont venus s’ajouter aux 600 000 logements abordables non construits. Pour nous, chefs d’entreprise, il nous faut répondre aux besoins en logement des salariés, là où sont les emplois, c’est-à-dire largement dans les métropoles, et ne pas imaginer que les emplois vont miraculeusement se déplacer dans les zones détendues, hors marché, plus difficiles d’accès.

La crise du secteur de la construction se propage dans toute l’Europe, alors que le secteur est un pilier de l’économie, il pèse 6 % du PIB de l’Union européenne et emploie 14 millions de personnes. Le ralentissement est particulièrement marqué en Allemagne où l’indice de production – prenant en compte les logements, mais aussi les magasins, usines et autres bâtiments à usage professionnel – est en chute de plus de 6 points depuis la guerre en Ukraine.

Il est encore temps d’agir pour sortir de la crise et les réponses à apporter devront être en grande partie nationales. C’est pour cette raison que le Medef propose d’organiser avec les pouvoirs publics une conférence annuelle sur le logement avec pour but de passer en revue, territoire par territoire, les objectifs de production, les réglementations contreproductives et les réalisations effectives. Le logement est la pièce maîtresse de nos équilibres économiques, personnels et collectifs. La relance d’une politique de logement est plus que jamais d’actualité.

 

Éco-sabotage

L’année 2023 a été particulièrement marquée par les actions de blocage ou de sabotage d’activités économiques intentées par des collectifs radicaux comme Soulèvements de la Terre ou Extinction Rébellion. Occupations de cimenteries, destructions de mégabassines, mobilisations contre l’autoroute A69, leurs initiatives montent en puissance. Avez-vous estimé le bilan économique et social de leurs destructions ? Représentent-ils un danger réel pour la croissance et l’emploi en France ? En Europe ?

Je tiens à condamner fermement les actions de blocage ou de sabotage d’activités économiques intentées par des collectifs radicaux. Ces actes sont inadmissibles, inquiétants et préjudiciables à tous. Manifester est un droit, saccager est un délit. Il existe des voies de recours légales pour tous les projets d’infrastructures. C’est valable pour l’A69, pour le Lyon-Turin et pour tous les autres projets. Il est très difficile d’estimer précisément le bilan économique des destructions, mais cette flambée de violence a bien évidemment de graves conséquences économiques et sociales. Cela se traduit non seulement par d’irréparables pertes d’exploitation pour les entreprises touchées, pouvant conduire à du chômage partiel, voire à des destructions d’emplois. Cette situation se traduit aussi par une dégradation de l’image de la France qu’il faudra redresser.

Au Medef, cela ne vous étonnera pas, nous ne croyons pas à la thèse de la décroissance. Nous pensons même qu’elle est fondamentalement destructrice pour la cohésion sociale. Pourtant, nos objectifs sont communs : assurer l’avenir de la planète. Mais nos solutions divergent. Nous sommes convaincus que seule une croissance responsable permettra de relever le défi climatique en finançant les investissements et en assurant l’acceptabilité sociale de cette nécessaire transition. La croissance responsable, c’est non seulement la condition absolue pour financer la décarbonation de l’économie mais aussi pour continuer à créer des emplois, soutenir le pouvoir d’achat et maintenir l’équilibre de nos régimes sociaux.

 

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Notre stratégie de croissance pour 2024

Notre modèle était en crise. Il ne l’est plus. Contrepoints revient avec une nouvelle organisation et de nouveaux objectifs, adaptés à ses moyens.

Notre journal n’est pas adossé à un grand groupe et ne reçoit aucune aide publique. Il fonctionne uniquement grâce au soutien de ses lecteurs. Pour garantir sa gratuité, sa régularité et la qualité de ses publications, j’ai proposé au bureau de l’association Libéraux.org, qui détient Contrepoints, de procéder à un ajustement des dépenses et à une cure d’austérité éditoriale.

 

Un article original par jour, tous les jours

Désormais, Contrepoints publiera un article original par jour, chaque jour. C’est le prix à payer pour vous présenter quotidiennement une production exigeante et de qualité (entretiens exclusif, enquêtes, réflexions, analyses) en accès libre. Cette nouvelle formule nous permet de relever nos standards éditoriaux et de valoriser les plumes qui s’expriment dans nos colonnes.

 

L’idéologie de la décroissance et les propagandes d’État néo-impérialistes sont dans le viseur de Contrepoints

En 2023, les idéologues de la décroissance ont réussi un tour de force : ils ont rendu acceptables leurs croyances anticapitalistes. Leurs discours ne cartonnent pas seulement sur internet. Les droits de l’Homme sont contestés au nom des lois de la nature au sein de grandes entreprises, dans de grands journaux, dans les partis politiques, au gouvernement. Il est devenu habituel de voir l’espace public pris en otage par des militants décroissantistes et les mouvements d’éco-sabotage ont multiplié leurs actions illégales dans une quasi-impunité.

Nous ne pouvons plus sous-estimer ce phénomène. Les prophètes de la décroissance ont trop souvent été traités avec la pugnacité d’un moine bénédictin égaré dans un cage de MMA. Cela doit changer. Tout au long de l’année, nous décrypterons leurs discours, leurs méthodes, leurs stratégies, leurs organisations.

Le monde de l’après pax americana a commencé. Il ressemble plus à une jungle ou à un duel mexicain qu’à un nouvel ordre international. Les démocraties libérales sont déstabilisées par la montée en puissance de régimes néo-impérialistes (la Chine, la Russie) qui cherchent à imposer leurs agendas par le rapport de force et la désinformation. Nous renseignerons leurs actions de subversion à l’extérieur de nos frontières et analyserons l’influence des relais de leurs propagandes d’État dans notre espace médiatique et politique.

 

Notre stratégie de croissance pour 2024

Cette année, nous lancerons une série d’initiatives visant à solidifier notre montée en gamme et à démultiplier notre influence : partenariats avec des écoles de sciences économiques et de relations internationales, grands événements, lancement de clubs locaux. Nous vous tiendrons au courant de ces innovations dans les semaines qui viennent.

Aujourd’hui, nous publions un entretien exclusif accordé à Contrepoints par Fabrice Le Saché, vice-président du Medef, sur les répercussions industrielles des nouvelles réglementations européennes. Quant à la publication de demain… je vous laisse la surprise !

 

Loup Viallet

Rédacteur en chef de Contrepoints

La loi ne peut régir la nature qu’avec la main tremblante

Un article de l’IREF.

« Dans la sphère économique, a écrit Bastiat en 1850, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit ».

 

Ce qu’on ne prévoit pas 

Pendant son Grand bond en avant, Mao voulut exterminer de Chine les moineaux qui mangeaient les fruits et graines et réduisaient les récoltes. Toute la population fut dévouée à la chasse des moineaux et bientôt l’opération réussit si bien qu’il n’y en eut quasiment plus. Mais l’homme ne prévoit pas tout. Mao avait oublié que les moineaux mangeaient les insectes nuisibles. Ceux-ci proliférèrent, notamment des nuées de criquets migrateurs qui dévastèrent le pays et causèrent une grande famine en Chine de 1958 à 1962, entraînant selon certaines estimations une trentaine de millions de morts.

Depuis le 1er juin 2022 en France, la loi dite Lemoine est entrée en vigueur. Elle interdit aux assureurs d’interroger sur leur état de santé les ménages souscrivant un emprunt de moins de 200 000 euros dont la fin du remboursement intervient avant les 60 ans des emprunteurs. La conséquence ne s’est pas fait attendre. Les prix de ces assurances ont augmenté de 15 à 20 %, voire 30 %, et nombre de ces contrats ont désormais réduit leur champ de couverture, notamment en supprimant les suites et conséquences des pathologies antérieures.

L’égalitarisme à l’école abaisse le niveau de tous les élèves, sauf ceux qui bénéficient d’une solide éducation à la maison, ce qui accentue l’inégalité.

Les écologistes vont tous nous obliger bientôt à avoir des bacs à compost pour y mettre les résidus alimentaires que nous ne pourrons plus vider dans nos poubelles. Mais déjà ces bacs attirent à Paris et ailleurs une foultitude de rats. Faudra-t-il attendre le retour de la peste pour réagir ?

 

L’homme n’est pas omniscient

« Entre un mauvais et un bon économiste, poursuit Bastiat, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir ».

Trop de gouvernants, élus et technocrates, ne sont sensibles qu’à l’effet visible et immédiat, qui leur permettra une prochaine réélection ou promotion. La démocratie porte en elle ce défaut d’inciter au court terme. Or, ajoute-t-il « il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D’où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai Économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’un petit mal actuel ».

En effet, c’est le rôle des gouvernants et des économistes de prévoir les conséquences de leurs décisions. Et certains économistes sont meilleurs que d’autres, estiment mieux les conséquences des mesures qu’ils proposent. Mais l’homme étant faillible par nature, et n’étant pas omniscient, nul ne saurait tout prévoir.

 

Favoriser l’autopilotage

D’autant que l’être humain a néanmoins une grande qualité qui consiste à savoir s’adapter. Il dispose d’une intelligence et d’une intuition par lesquelles il évalue à tout moment les situations et y réagit. Par sa liberté et sa volonté, il est capable, dans de nombreux cas, d’adopter des décisions ou des comportements inattendus qui vont modifier la chaîne causale de telle ou telle mesure politique ou économique. C’est ce qui rend toute prévision particulièrement difficile et rend nécessaire une souplesse, une liberté d’appréciation et d’adaptation permanentes pour que les systèmes se conforment à tout moment aux actions humaines et se corrigent en fonction des réactions que nous imposent les lois de la nature.

Il faut en quelque sorte un autopilotage, comme ce que Hayek nommait catallaxie pour signifier « l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats ». Cet ordre n’est pas immuable et évolue « par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché ».

Toute planification recèle l’immense risque d’emmener toute une société dans des erreurs monumentales, imprévues et parfois irréversibles. Le communisme en a été le parangon. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien prévoir bien sûr. Mais toute loi impérative, surtout quand elle cherche à modifier l’ordre habituel et/ou naturel des choses, ne doit être prise qu’avec la main qui tremble et laisser toujours la liberté d’y remédier.

Sur le web.

Il faut interdire les déficits publics

Un article de l’IREF.

En 2022, pour alimenter un fonds pour le climat et la transformation énergétique  – KTF – de 212 milliards d’euros, le gouvernement allemand avait puisé à due concurrence dans les réserves non utilisées d’un autre compte, constitué en 2021 pour contribuer à l’amortissement de l’impact du coronavirus. Mais celui-ci avait bénéficié d’une suspension des règles du « frein à l’endettement », en raison de la pandémie. Ce qui ne pouvait plus être le cas du fonds KTF.

La CDU/CSU, les conservateurs dans l’opposition, ont dénoncé un « tour de passe-passe » pour contourner le frein à l’endettement du pays, inscrit dans la Constitution allemande, qui limite le déficit budgétaire fédéral à un maximum de 0,35 % du PIB.

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe leur a donné raison au motif qu’un recours exceptionnel à l’emprunt sans application de la règle du frein à l’endettement doit être « objectivement et précisément imputable » et que les fonds correspondants doivent être utilisés dans l’exercice pour lequel ils ont été prévus. À défaut, le détournement de la règle serait trop simple !

 

Le frein à l’endettement

Selon la Loi fondamentale (ou constitutionnelle) allemande de 1949, les recettes et les dépenses du budget de l’État doivent être équilibrées (article 110).

Elle dispose en outre que, sauf « perturbation de l’équilibre économique global », « le produit des emprunts ne doit pas dépasser le montant des crédits d’investissements inscrits au budget » (article 115). Cette règle d’or n’a pas toujours été respectée.

Mais après la réunification de l’Allemagne en 1989, et l’absorption dans les budgets publics de la RFA des dettes de la RDA, la dette publique allemande est passée de l’équivalent de 623 milliards d’euros en 1991 à 1040 milliards d’euros en 1995 (+ 67 %) et a poursuivi sa croissance. Pour stopper cette course en avant, sur proposition de la commission allemande du fédéralisme (Föderalismuskommission), la Loi fondamentale a été amendée le 1er août 2009. Selon les termes des articles modifiés (109 et 115) de la Constitution, au niveau fédéral comme au niveau des Länder, les dépenses publiques doivent être couvertes par des recettes publiques, un endettement public étant toléré dans les cas exceptionnels au niveau fédéral pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un déficit structurel supérieur à 0,35 % du PIB.

 

Le respect des règles budgétaires

Par sa décision du 14 novembre 2023, la Cour constitutionnelle allemande a rappelé qu’on ne badinait pas avec la Loi fondamentale. Ce frein à l’endettement est sans doute l’une des causes de la vigueur de l’économie du pays depuis quinze ans, même si elle est mise à mal en ce moment par les bêtises de Mme Merkel sur l’immigration et le nucléaire.

L’Europe a, elle aussi, édicté un frein à l’endettement. En effet, depuis 2013 au sein de l’Union, et sauf circonstances exceptionnelles selon le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance aussi appelé pacte budgétaire, « la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent » (article 3). Le problème est qu’elle ne sait pas faire respecter ce qu’elle a elle-même décidé. Sa règle d’or prévoit que le déficit public structurel, hors éléments conjoncturels, d’un pays ne doit pas dépasser 0,5 % de son PIB.

Le déficit structurel correspond au déficit public. Il concerne les dépenses courantes de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale. Hélas, les tribunaux européens se montrent impuissants à faire appliquer la règle.

 

Et la France en profite pour s’endetter à tout-va

L’Agence France Trésor (AFT), la Direction du Trésor en charge des levées de dette publique sur le marché, annonce 285 milliards d’euros d’émission à moyen et court terme en 2024, un record historique après les 270 milliards de 2023, et les 260 milliards de 2022.

Sauf que le taux d’emprunt pour les obligations à dix ans est estimé à 3,4 %, alors qu’on était encore en territoire négatif il y a à peine plus de deux ans. La charge de la dette française montera à 52 milliards d’euros en 2024, 56 milliards en 2025, 61 milliards en 2026, et plus de 70 milliards en 2027. Le gouvernement prévoit que la dette passe de 111,8 % du PIB en 2022 à 108,1 % du PIB en 2027, un niveau très élevé en Europe. Mais les prévisions de l’État sont, d’un avis commun, très optimistes.

Lors de l’examen de la Loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, la commission des Affaires sociales du Sénat n’a pas caché ses doutes sur la sincérité de ce budget qui prévoit une croissance continue du déficit à 11,2 milliards en 2024, après 8,8 milliards en 2023.

Les recettes de l’État continuent d’augmenter et les prélèvements obligatoires se stabilisent, tout au plus, à près de 45 % du PIB. Selon les chiffres d’Eurostat, on serait même plutôt à 47 %, un record au sein de l’OCDE. Mais le gouvernement ne cesse de multiplier les dépenses nouvelles sans jamais en réduire d’autres, sinon à la marge. L’augmentation de la dette et des intérêts pèse aussi. Ainsi, le déficit public se maintient à un niveau de 4,4 % du PIB, très supérieur (de 2,4 %) à celui d’avant covid, malgré la fin de celui-ci. Le déficit, hors dépenses exceptionnelles de crise, augmente : de 72 milliards d’euros en 2022 à 118 milliards d’euros en 2024 !

Puisque les hommes politiques ne savent plus être raisonnables, il faut les forcer à le devenir comme les Allemands y sont parvenus.

Il faut insérer dans la Constitution française une règle d’or pour interdire les déficits publics. Il faut, sauf cas très exceptionnels, interdire tous les déficits, car il n’y a pas d’un côté les bons (déficits d’investissement), de l’autre les mauvais (déficits de fonctionnement) : sur la masse du budget d’un pays comme la France, l’investissement annuel peut trouver sa place sans avoir recours à l’emprunt qui pèse toujours sur les générations futures. Une telle obligation réduirait le poids de l’État et libèrerait l’initiative privée. La croissance en serait favorisée. L’État lui-même pourrait ainsi obtenir à terme de meilleures recettes. Gagnant/gagnant.

Sur le web.

60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature

Un article de Gaëlle Deharo, Enseignant chercheur en droit privé, et Madeleine Janke, Professur für Betriebliches Rechnungwesen.

« Il n’est pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance capitale de cet acte […] parce qu’il ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».

Il y a soixante ans, le 22 janvier 1963, le général Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer signaient ensemble un accord de coopération rédigé en allemand et en français. Destiné à consolider l’amitié franco-allemande, à consacrer la solidarité entre les peuples français et allemand et à renforcer le rôle moteur du couple franco-allemand dans la construction européenne, le texte posait les bases d’une union et d’une coopération politique, économique, en matière de défense, de politique étrangère, d’éducation et de jeunesse. La réconciliation du peuple allemand et du peuple français marquait ainsi la fin de la rivalité historique de la France et de l’Allemagne.

 

Des relations sans équivalent

Depuis a émergé l’expression du « couple » franco-allemand, qui ne renvoie pas uniquement à la proximité géographique entre les deux pays ou à la nécessaire gestion d’une frontière commune. Ce terme témoigne surtout des relations étroites de la France et de l’Allemagne dans de nombreux domaines; depuis la gestion des frontières jusqu’au rapprochement des populations.

Qu’il s’agisse, en effet, de géopolitique, de culture ou encore de coopération universitaire, les relations entre la France et l’Allemagne ne semblent pas connaître d’équivalent. D’abord parce qu’elles s’inscrivent dans une histoire dense et riche, ensuite parce qu’elles intéressent de nombreux domaines. Enfin, parce que la signature du traité de l’Élysée en 1963 ne fut pas un moment dans l’histoire, mais le début d’un long processus régulièrement marqué par la volonté réitérée des dirigeants français et allemand de rappeler l’intensité de la coopération et de l’amitié entre les deux pays.

Ainsi, 40 ans après la signature du traité de l’Élysée, le 22 janvier 2003, le président français Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder ont posé les bases d’une concertation structurée en créant le Conseil des ministres franco-allemand ayant pour mission d’assurer la coopération entre les deux États. Dans chaque pays, un secrétaire général coordonne désormais la préparation de ces conseils, qui se tiennent 1 à 2 fois par an, et assure le suivi des décisions entreprises.

Dans cette perspective, de nombreux axes de coopération ont été définis et mis en œuvre grâce à la création de structures binationales dans de nombreux domaines : concertation politique, défense et de sécurité (CFADS), environnement (CFAE), économie et finance (CEFFA), culture (HCCFA), jeunesse…

 

Un moteur de la construction européenne

Pilier de la construction européenne, le traité de l’Élysée a été réaffirmé, cinquante-six ans plus tard, le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle, par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel. Il s’agissait alors de consacrer le rôle moteur du « couple franco-allemand », non plus dans la construction, mais dans l’intégration européenne qui constitue le fil conducteur de la concertation entre la France et l’Allemagne.

Paris et Berlin entendaient ainsi approfondir et élargir la coopération entre la France et l’Allemagne, « dans le but d’aller de l’avant sur la voie d’une Europe prospère et compétitive, plus souveraine, unie et démocratique » et de « définir des positions communes sur toutes les questions européennes et internationales importantes ».

En d’autres termes, la coopération franco-allemande, loin de se cantonner à une dimension binationale doit être comprise aux niveaux européen et international. Historiquement, en effet, le « couple » franco-allemand s’est construit autour de la résolution des rapports de pouvoirs entre la France et l’Allemagne au niveau interne, comme élément d’équilibre favorisant la construction européenne, comme au niveau externe, renforçant le rôle de l’Europe dans la résolution des difficultés géopolitiques.

 

Un renforcement du poids de l’Europe dans le monde

Moteur du développement européen, la relation franco-allemande reste unique dans et hors de l’Europe, ce qui lui confère un poids politique essentiel dans la définition de la politique étrangère et le développement de la souveraineté européenne. Lors de leur déclaration commune, en 1963, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer avaient déjà souligné le rôle déterminant de la relation franco-allemande qui « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».

Plus récemment, par une déclaration conjointe, la France et l’Allemagne ont réaffirmé leur détermination, aux côtés de leurs alliés et de leurs partenaires du monde entier, « à défendre les valeurs et les intérêts européens ainsi qu’à préserver l’ordre international fondé sur les principes de la Charte des Nations unies ». Mise à l’épreuve des bouleversements géopolitiques, de la pandémie du Covid-19, de la définition d’un modèle énergétique européen ou encore de la politique monétaire, l’intimité du couple franco-allemand ne va cependant pas sans crispation.

Si les déclarations communes rappellent et réaffirment la volonté de renforcer toujours plus les liens entre la France et l’Allemagne, la question se pose de l’avenir de ces relations. Au-delà de la définition des politiques de concertations et de coopération, l’amitié franco-allemande se nourrit en effet des relations entre les citoyens français et allemands.

Lors de la signature du traité de l’Élysée, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer soulignaient l’importance « de la solidarité qui unit les deux peuples tant du point de vue de leur sécurité que du point de vue de leur développement économique et culturel » et le rôle déterminant que la jeunesse se trouve appelée à jouer dans la consolidation de l’amitié franco-allemande.

 

Quel avenir pour l’amitié franco-allemande ?

De fait, de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre pour favoriser les échanges scolaires et universitaires afin de favoriser l’interculturalité, la compréhension de la culture du partenaire et l’acceptation des différences. Par exemple, depuis 1963 l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ – DFJW) a permis à près de 9,5 millions de jeunes de participer à plus de 382 000 programmes d’échanges.

Symbole de l’intégration franco-allemande, le baccalauréat franco-allemand vient par exemple couronner, par un examen passé dans les deux langues, des études binationales et biculturelles. Si seuls trois lycées (Buc, Fribourg, Sarrebruck) préparent aujourd’hui au baccalauréat franco-allemand, l’ouverture d’établissements supplémentaires est à l’étude.

De la même façon, l’université franco-allemande (UFA – DFS) favorise la coopération franco-allemande dans l’enseignement supérieur. Elle a pour mission de promouvoir les relations et les échanges entre établissements d’enseignement français et allemands, en apportant son soutien à des projets binationaux dans le domaine de l’enseignement, tant au niveau des premiers que des seconds cycles, de la recherche et de la formation de futurs chercheurs.

Au niveau collectif, la tendance semble donc bien favorable au renforcement de la coopération franco-allemande. Pour autant, au niveau individuel, la coopération franco-allemande se heurte à la désaffection de l’apprentissage de la langue allemande par les lycéens : la baisse constante des collégiens et lycéens choisissant l’enseignement de l’allemand se poursuit de façon constante et dramatiquement stable depuis plusieurs années.

Sous cet éclairage, les acteurs de l’enseignement supérieur public comme privé ont un rôle majeur à jouer afin de rendre compte non seulement de l’importance politique et géopolitique de la maîtrise des langues allemande et française, mais aussi pour rendre compte du dynamisme économique de la coopération franco-allemande. Sous cet éclairage, parler les deux langues dans un domaine d’expertise apparaît comme un atout majeur pour les candidats au recrutement au niveau européen et international.

À ce jour, les programmes franco-allemands proposés dans l’enseignement supérieur constituent donc pour les étudiants maîtrisant les deux langues la garantie de valoriser une compétence particulièrement recherchée dans le monde professionnel.

Conformément au souhait du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, les cursus franco-allemands témoignent de l’importance de la coopération franco-allemande non seulement aux niveaux culturel et académique mais aussi au niveau économique : aujourd’hui comme il y a soixante ans, l’amitié franco-allemande « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ». Es lebe die deutsch-französische Freundschaft ! (Vive l’amitié franco-allemande !)

Sur le web.

Le compromis de la réforme des marchés européens de l’électricité est-il une victoire à la Pyrrhus ?

Cet article analyse les causes de la flambée des prix de l’électricité et en mesure les conséquences, puis donne une évaluation de l’adéquation des réponses apportées dans le projet de réforme des marchés de l’électricité approuvé par le Conseil européen le 17 octobre dernier, après un long bras de fer entre l’Allemagne et la France sur le sujet de la production nucléaire.

 

Des prix de l’électricité devenus fous, sans rapport avec les coûts de production

Depuis septembre 2021, les prix du gaz en Europe se sont envolés et sont devenus très volatiles. Le gaz étant une des sources de production d’électricité, cela affecte directement le prix spot de l’électricité, basé sur le coût marginal de la dernière centrale appelée pour assurer la sécurité d’approvisionnement, donc la plus chère. Ce phénomène se répercute sur les prix des marchés à terme.

La situation s’est aggravée en 2022 avec la guerre en Ukraine, et plus particulièrement en France, en raison de la chute de 25 % de la production nucléaire, déjà affectée par la fermeture de Fessenheim, puis par un défaut générique fin 2021, qui nous a fait passer pour la première fois en situation importatrice nette : les prix de marché de l’électricité ont atteint des valeurs de 250 à plus de 400 euros/MWh, contre 50 à 80 euros/MWh dans les années antérieures.

Ces prix sont sans aucune mesure le coût de production moyen du mix électrique du parc français, constitué pour l’essentiel de moyens de production décarbonés (nucléaire, hydraulique, éolien, solaire), dont les coûts sont stables et prévisibles, car ils dépendent essentiellement du coût de l’investissement, et peu ou pas du tout du coût d’un combustible :

Source Production prévue en 2023 (TWh) Coût en € / MWh
Nucléaire 315    58 (1)
Hydraulique 55    55  (mix fleuves et barrages – Stations de    Pompage)
Éolien 40   80  (mix terrestre et maritime)
Solaire 16 (2)   70 (mix parcs au sol et toitures)
Biomasse 10  110
Total 436  61,3 (coût moyen pondéré)
  • Dans son rapport de juillet 2023, la CRE évalue le coût complet du parc nucléaire existant à 60,7 €/MWh en € 2022 pour la période 2026-2030, avec un coût moyen pondéré du capital (CMPC) avant impôts de 8,35 %. En fait, dans le cadre d’un prix régulé, minimisant les risques, le coût pondéré du capital (CMPC) pourrait être inférieur. Dans ce coût, l’impact de l’intégration de l’EPR Flamanville 3 (mise en service prévue en 2024) est évalué par la CRE à 2,5 €/MWh.
  • En excluant 4 TWh vendus à 510 €/MWh en obligation d’achat (contrat avant moratoire de 2011)

 

Au total, on peut estimer que le parc de production décarboné français va produire en 2023 près de 90 % des besoins nationaux (495 TWh en intégrant les pertes réseau), à un coût moyen se situant dans une fourchette de 60 à 65 euros/MWh.

 

Des conséquences désastreuses pour les Français et les entreprises

Par voie de conséquence, dans le calcul du tarif régulé de vente d’électricité HT (TRVE) par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) pour 2023 (Délibération de la CRE du 19 janvier 2023 portant proposition des tarifs réglementés de vente d’électricité – CRE), le coût de fourniture ressort à 238 euros/MWh, dans un mix constitué de 45 % de nucléaire à 42 euros/MWh (ARENH), et de 55 % de prix de marché (398 euros/MWh), construit en vertu du principe de « contestabilité » visant à permettre à un fournisseur pur trader de faire une offre concurrentielle.

Deux remarques :

  1. Ce coût de fourniture calculé par la CRE début 2021 était de 50 euros/MWh, dont 47 % d’ARENH, soit un coût moyen d’approvisionnement sur le marché de 55 euros/MWh : on mesure les dégâts !
  2. Sans le plafonnement à 100 TWh du volume d’ARENH, la part de nucléaire serait de 67 %, le rôle modérateur du nucléaire n’est que partiellement utilisé : il vaudrait mieux déplafonner et relever le prix pour éviter qu’EDF vende à perte, comme la CRE l’avait demandé.

 

Les artisans (à l’instar des boulangers) et les entreprises n’ayant pas accès au TRVE sont directement exposés à cette multiplication par 4 à 5 du coût de fourniture, même en intégrant la part de nucléaire auquel ont accès leurs fournisseurs. Cela dégrade leur compétitivité, et menace parfois leur existence, malgré le dispositif « amortisseur » mis en place par le gouvernement dans la loi de finances 2023 pour les PME et les collectivités locales (compensation à 50 % au-delà de 180 euros/MWh) et les TPE (compensation supplémentaire à 100 % au-delà de 230 euros/MWh).

Les particuliers et les TPE qui ont accès au TRVE ont bénéficié du « bouclier tarifaire » mis en place par le gouvernement, limitant la hausse du tarif TTC à 5 % en février 2022. Mais leur pouvoir d’achat subit les conséquences d’une augmentation du tarif de 15 % en février 2023, suivie d’une deuxième augmentation de 10 % en août dernier, qui apparaît peu justifiée au regard des coûts de production d’EDF.

En effet, l’analyse des délibérations de la CRE (délibération de la CRE du 13 avril 2023 relative à l’évaluation des acomptes versés aux fournisseurs d’électricité dans le cadre du second guichet simplifié pour la compensation des pertes de recettes définies à l’article 181 de la loi de finances pour 2023 – CRE ; et délibération de la CRE du 13 juillet 2023 relative à l’évaluation des charges de service public de l’énergie pour 2024, et à la réévaluation des charges de service public de l’énergie pour 2023 – CRE) permet de voir que l’écart à compenser entre le niveau du TRVE HT calculé par la CRE, et le niveau qui résulte du plafonnement de l’augmentation à 15 % est de 143 euros/MWh (!), ce qui signifie que le coût de fourniture implicite dans le TRVE effectivement appliqué en février 2023 est de 95 euros/MWh, toutes choses égales par ailleurs.

Ce niveau de 95 euros/MWh permet à EDF de redresser ses comptes : au 1er semestre 2023, EDF, bien que pénalisé par la vente à perte d’une partie de sa production nucléaire (63 TWh sur un total de 158 TWh), a réalisé un EBITDA de 8,6 milliards d’euros sur ses activités de production et de vente d’électricité en France, représentant une marge opérationnelle moyenne de 40 euros/MWh pour 215 TWh de ventes totales.

Cela s’explique, car EDF bénéficie des mêmes compensations que ses concurrents dans le cadre du bouclier tarifaire, alors que son coût moyen de production est certainement inférieur au coût implicite de fourniture du TRVE (ventes 58 TWh), et EDF prend en compte le niveau des offres de ses concurrents pour déterminer ses offres sur le marché aux entreprises (ventes 64,7 TWh).  (Source présentations résultats S1 2023 EDF).

Sur ces bases, la CRE évalue le coût du dispositif de protection (bouclier et amortisseur) à 23,5 milliards d’euros en 2023 pour les contribuables, partiellement compensé à hauteur de 4,6 milliards  par les remboursements des producteurs ENR qui injectent sur le marché dans le cadre d’un « contrat pour différence », principalement les parcs éoliens.

Après l’augmentation de 10 % du TRVE appliquée en août, et compte tenu de l’augmentation du tarif d’acheminement de l’électricité, l’écart à compenser calculé par la CRE est ramené à environ 127 euros/MWh, correspondant à un coût implicite de fourniture de 111 euros/MWh.

Le mode de calcul du TRVE est devenu une mécanique inflationniste infernale, totalement décorrélée des coûts de production en France, et l’on peut s’interroger sur la pertinence du niveau de compensation dont bénéficient les fournisseurs et qui pèse sur nos impôts, dans le seul but d’assurer une concurrence artificielle.

 

Perspectives pour 2024

Le niveau des prix de marché à terme en France est en diminution depuis l’été 2023 :

Le prix de base à terme pour 2024 est revenu à 140 euros/MWh en raison du repli du prix du gaz, revenu à environ 50 euros/MWh, et du redressement de la production nucléaire d’EDF, qui diminue les risques de tensions sur l’approvisionnement. Le prix en période de pointe (peakload) est bien entendu supérieur, mais ne concerne qu’une part marginale du volume vendu.

Ce niveau de prix est similaire à celui qu’ont maintenu dès le début 2022 l’Espagne et le Portugal, en plafonnant le prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité à 50 euros/MWh (avec une dérogation accordée par l’UE), ce qui leur a permis d’amortir la hausse des prix de l’électricité sur le marché.

Même si ce niveau de prix de marché se maintient durablement (ce qui n’est pas garanti), et permet d’envisager pour 2024 une stabilisation du TRVE tout en supprimant le bouclier tarifaire, il reste environ deux fois plus élevé que le coût moyen du mix électrique français, dominé par le nucléaire.

C’est pourquoi la France réclame depuis le printemps 2022 une réforme structurelle du fonctionnement du marché européen de l’électricité de l’UE, avec l’objectif de disposer d’un prix de l’électricité « qui reflète le coût de production de son mix énergétique », en découplant le prix de l’électricité de celui du gaz.

 

Le projet de réforme du marché européen de l’électricité 

Dans son document, la Commission européenne présente l’accélération du déploiement des sources de production ENR, en particulier l’éolien offshore, et des technologies de flexibilité, comme les meilleures solutions pour réduire de façon structurelle la demande en combustibles fossiles pour la production d’électricité, et ainsi réduire les prix.

Il est parfois fait référence de façon plus large aux « sources bas carbone », mais le nucléaire n’est jamais cité explicitement comme faisant partie de la solution, ce qui explique qu’il ait fallu aux 13 États membres comptant développer des projets nucléaires beaucoup d’insistance pour l’imposer en quelque sorte comme « passager clandestin » de la réforme, pouvant utiliser les instruments destinés à procurer un signal prix à long terme qui sont proposés.

En effet, quel que soit le moyen de production d’électricité bas carbone qui est projeté (à l’exception de la biomasse), son coût de production est déterminé essentiellement par le coût d’investissement, y compris le coût du financement de cet investissement, qui est fonction du niveau de risque encouru : risque marché pendant la durée de vie de l’actif (visibilité sur le prix de vente), et risque projet (coût et délai de construction avant mise en service, puis coût des investissements de maintenance).

Le débat s’est in fine cristallisé sur la possibilité pour la France d’inclure son parc historique de 56 réacteurs dans le dispositif, ce qui est motivé par les investissements très importants qui restent nécessaires pour prolonger la durée de vie au-delà de 40 ans (grand carénage), et au-delà jusqu’à 60 ans (ou plus), sous réserve que la sûreté soit garantie (la faisabilité dépend avant tout de la fiabilité de la cuve du réacteur, seul composant non remplaçable).

La fin de l’article analyse les caractéristiques des deux instruments du projet d’accord offrant une visibilité de prix dans le temps long, ainsi que leur adéquation pour financer le nucléaire, avant de regretter en conclusion qu’aucun instrument de prix régulé n’ait été demandé, ni défendu par la France.

 

Contrats d’achat à long terme

Il s’agit de contrats d’achat entre un producteur et un acheteur (fournisseur d’énergie, industriel), qui garantissent à l’acheteur une stabilité des prix à long terme, et, en contrepartie, apporte au producteur une garantie de débouché à un prix connu, qui lui permet d’engager l’investissement.

L’électricité produite est ainsi vendue hors marché, ce qui est particulièrement intéressant pour les parcs éoliens et solaires, dont la variabilité de production injectée sur le marché spot peut induire des perturbations de prix importantes.

Dans l’article 28 du projet, les États membres sont invités à promouvoir ce type d’accord, supprimer les barrières injustifiées, et sont autorisés à prendre des dispositions pour réduire les risques liés au défaut de l’acheteur dans ses obligations de long terme, et à faciliter l’agrégation de demandes (pool d’acheteurs).

EDF envisage ce type de montage pour la construction d’une partie des EPR2, avec un écho favorable par exemple de TotalEnergies. Mais pour un actif de très long terme dont la durée de construction est au mieux de 10 ans, et la durée d’exploitation de 60 ans, le niveau de risque ne permet pas un financement optimisé, donc un prix compétitif, à moins que l’acheteur (ou un pool d’acheteurs) participe à due concurrence à l’investissement, en échange d’un droit de tirage : la centrale de Fessenheim a été en partie financée de cette manière dans les années 1990, avec ENBW (17,5 %) et un consortium suisse (15 %).

 

Contrats pour différence (CFD)

Le texte de compromis validé en Conseil le 17 octobre dernier dispose dans son article 19b qu’un schéma direct de soutien des prix par un État membre, sous la forme exclusive d’un contrat pour différence bidirectionnel (CFD), peut s’appliquer aux sources d’électricité suivantes, sur la base du volontariat : éolien, solaire, hydraulique au fil de l’eau, géothermie, nucléaire.

Schématiquement, un CFD bidirectionnel fonctionne sur le principe suivant, la production étant écoulée sur le marché (le tarif cible peut être dédoublé avec un plafond et un plancher) :

Le prix minimum garanti, ainsi que le prix plafond destiné à prévenir une rémunération excessive doivent être déterminés en fonction du coût du nouvel investissement, de façon à assurer la viabilité économique à long terme de la centrale de production, tout en évitant toute surcompensation.

Le but est que les revenus des producteurs issus de nouveaux investissements qui bénéficient d’un support public deviennent indépendants des prix volatiles de productions fossiles qui fixent le prix spot.

L’article 30 dispose que, bien que cet instrument soit destiné à financer de nouvelles centrales, il pourra aussi concerner des centrales existantes, nécessitant des investissements de maintenance conséquents pour en accroitre la capacité ou prolonger la durée de vie.

La Commission devra s’assurer que la conception du CFD ne conduit pas à des distorsions de concurrence.

Ce type de contrat s’applique déjà aux nouveaux parcs éoliens et solaires en France issus des appels d’offre depuis 2016 : depuis fin 2021, la subvention versée aux producteurs s’est transformée en remboursements par les producteurs, le prix de marché dépassant les tarifs cibles issus des appels d’offre (de l’ordre de 60 euros/MWh). L’utilisation qui en est faite par l’État consiste à participer au financement du bouclier tarifaire et du dispositif amortisseur : 1,9 milliard d’euros en 2022 et 4,6 milliards prévus en 2023.

 

L’application des CFD au nucléaire n’est cependant pas la solution optimale

La première raison est que le CFD ne permet pas un financement optimisé, car seul le risque marché est pris en compte, alors que le risque projet reste intégralement à la charge de l’opérateur.

En conséquence, le coût moyen pondéré du capital (CMPC ou WACC en anglais) ressort à environ 10%, ce qui est par exemple le cas du financement des deux EPR de Hinkley Point en Grande Bretagne, un CFD conclu entre l’État britannique et EDF Energy (et son partenaire CGN) garantissant un prix de vente du MWh de 96 livres (115 euros) pendant 35 ans.

Pour la deuxième paire d’EPR à Sizewell, le schéma de financement en discussion entre l’État britannique et EDF Energy est un schéma de prix régulé, analogue à celui du financement des réseaux (coût opérationnel + financement de la base d’actifs). Ce schéma, qui transfère le risque projet sur la communauté des consommateurs, permet d’obtenir un financement avec un CMPC de l’ordre de 4 %, car le prix est revu régulièrement sur la base des coûts effectifs, ce qui garantit à l’opérateur le cash flow nécessaire pour investir. Ce schéma devrait permettre d’obtenir un coût du MWh de l’ordre de 60 livres (70 euros)

Voir un précédent article : « Financer le nucléaire sans argent public et sans démanteler EDF : une solution existe ! »

La deuxième raison est que le CFD appliqué au parc nucléaire français, en remplacement d’un prix « régulé » comme l’ARENH, va générer des flux financiers très élevés dans la durée entre l’opérateur et l’État (subvention / remboursement). En pratique, au lieu d’avoir à leur disposition un sourcing nucléaire pour assurer le ruban de base de leur approvisionnement à un prix connu d’avance et relativement stable, les fournisseurs vont s’approvisionner intégralement sur le marché (au-delà de leur propre production), charge à l’État de gérer un mécanisme de redistribution des écarts qui sera forcément imparfait et source de distorsions de concurrence, le tout sous le contrôle attentif de la Commission européenne.

 

Conclusion

L’État n’ayant pas demandé à la Commission d’inclure la possibilité d’un dispositif de prix régulé pour le nucléaire dans la réforme du marché européen, pourrait bien connaître une victoire à la Pyrrhus en ayant arraché la possibilité d’appliquer le mécanisme CFD aux investissements sur le parc nucléaire existant, et au renouvellement du parc, avec un haut niveau d’autosatisfaction.

Cela est probablement dû au « traumatisme de l’ARENH » subi par EDF en raison des défauts congénitaux de ce mécanisme qui n’ont pas été corrigés, et surtout au refus de l’État de mettre en œuvre une régulation effective du prix pour qu’EDF ne vende pas à perte avec des cash flows libres négatifs, la CRE ayant indiqué dans un rapport publié en 2020 que l’ARENH devrait être de l’ordre de 50 euros/MWh.

Il est très dommageable qu’à cause de l’impéritie des gouvernements depuis 2012, l’ARENH soit devenu un bouc émissaire de la crise des prix de l’énergie, alors qu’un véritable prix régulé du nucléaire pourrait constituer le socle pertinent d’une organisation du marché de l’électricité en France, sujet qui sera abordé dans un second article.

L’Allemagne, sur la voie de la rédemption énergétique ?

Par : Michel Gay

Après l’échec cuisant de sa transition énergétique, nommée Energiewende, inefficace et de plus en plus impopulaire, fondée sur des éoliennes et des panneaux solaires, l’Allemagne devra bientôt aller à Canossa en redéveloppant l’énergie nucléaire si elle souhaite vraiment se passer du gaz et du charbon.

Ira-t-elle à genoux ou existe-t-il une sortie honorable ?

 

Deux modèles énergétiques incompatibles

Entre la France pronucléaire et l’Allemagne antinucléaire, pro-renouvelables… (et aussi pro-gaz russe et charbon allemand), la stratégie énergétique pour l’Europe constitue un sujet de discorde. Et ce d’autant plus que Berlin veut imposer son « modèle » énergétique délirant à toute l’Europe.

L’Allemagne fait dorénavant face à une crise énergétique majeure qui ébranle son économie et son industrie. Son Energiewende, tant vantée par les institutions de l’Union européenne sous influence allemande et par certains mouvements écologistes, vacille.

L’Allemagne utilise toujours ses centrales au lignite issu de son sous-sol, un combustible de mauvaise qualité encore plus émetteur de carbone et de CO2 que le charbon. La colère monte dans le pays contre une stratégie coûteuse, voire ruineuse, qui met en péril la souveraineté du pays, et inefficace pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre.

Or, les institutions européennes veulent imposer cette hérésie à l’Union européenne. Peu importe que le prix de l’électricité s’envole, et que cette stratégie soit inefficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : l’Allemagne émet toujours deux fois plus de CO2 que la France par habitant.

De plus, les baisses d’émissions de carbone réalisées par l’Allemagne depuis 1990 résultent surtout des fermetures de vieilles usines polluantes de l’ex-Allemagne de l’Est.

 

Remplacer le charbon par le gaz… russe

Le gaz russe (dont l’Allemagne dépendait pour 52 % avant la guerre en Ukraine) bon marché indispensable à son industrie et au chauffage des habitations, devait constituer la pierre angulaire de la stratégie allemande fondée sur des énergies renouvelables intermittentes (éolien et solaire) et caractérisée par l’abandon du nucléaire.

Dans le domaine de l’énergie, l’idéologie et les sombres calculs politiques prennent souvent le pas sur la réalité.

Déjà, il y a deux ans, la Cour des comptes allemande dénonçait une Energiewende dispendieuse et inefficace. Mais l’Allemagne continue à vouloir l’imposer à l’Europe et à s’opposer au modèle nucléaire français à Bruxelles par tous les moyens.

L’Allemagne continuera donc à s’appuyer sur les capacités traditionnelles de production d’électricité à base de gaz et de charbon !

Les centrales à gaz émettant presque deux fois moins de CO2 (400 g/kWh) que celles à charbon (800 à 900 g/kWh) ont permis à l’Allemagne d’afficher une réduction sensible de ses émissions de CO2 pendant quelques années.

Cette substitution a pu masquer un temps la supercherie de l’Energiewende.

 

Le lignite, encore pire que le charbon

Sur injonction de l’Allemagne, les institutions européennes ont donc placé quasiment sur le même plan l’électronucléaire 100 fois moins émetteur de CO2 (4 g/kWh) que le gaz (400 gCO2/kWh).

Et, cerise sur le gâteau, le gaz est considéré comme une énergie… de transition qui durera certainement très longtemps. Et personne ne semble remarquer cette aberration à la Commission européenne ! De qui se moque l’Allemagne ?

Contrainte d’importer massivement par bateaux du gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis et du Qatar pour remplacer le gaz russe qui arrivait par gazoduc, l’Allemagne doit adapter ses infrastructures, ce qui prendra du temps.

Le 4 octobre 2023, elle a donc annoncé le maintien en fonctionnement de ses vieilles centrales au lignite qui viendront s’ajouter à ses 45 gigawatts de centrales au charbon encore existantes…

 

Une opposition de plus en plus forte

L’Energiewende se heurte à une opposition de plus en plus forte à l’installation de nouvelles éoliennes terrestres.

Le projet de loi obligeant les Allemands à remplacer les chaudières à gaz et à mazout par des pompes à chaleur présenté au printemps par le ministre allemand de l’Économie et codirigeant du parti des Verts (Robert Habeck) a provoqué une levée de boucliers contre le « fascisme vert ».

Environ 80 % des bâtiments allemands sont toujours chauffés par des combustibles fossiles (gaz, mazout et charbon). Et les pompes à chaleur consomment beaucoup d’électricité « carbonée », notamment en hiver, les nuits sans vent…

Par ailleurs, aucune technologie efficace et rentable de stockage d’électricité à grande échelle industrielle n’est en vue pour lisser les productions intempestives éoliennes et photovoltaïques.

 

Paranoïa électrique en Allemagne

La crainte que le nucléaire français fasse de l’ombre à l’industrie allemande tourne à la paranoïa chez certains politiciens allemands.

Depuis plusieurs mois, Olaf Scholz et son entourage ruminent contre le nucléaire français et l’avantage compétitif que l’atome donne à la France. L’Allemagne refuse farouchement d’inclure le nucléaire (français ou non) dans les textes européens traçant l’avenir énergétique de l’Union européenne, et son affolement devant la montée d’une opinion favorable au nucléaire en Europe se transforme en paranoïa.

Ainsi, selon une rumeur qui a circulé au sommet de la chancellerie allemande, EDF aurait démarché des entreprises en Allemagne pour les inciter à s’installer en France en leur proposant des contrats d’approvisionnement électrique de long terme à prix cassé.

Or, EDF n’a aucun intérêt à effectuer une telle démarche alors qu’elle doit financer la relance du parc nucléaire français ainsi que le grand carénage des réacteurs existants.

 

Le criminel abandon du nucléaire par l’Allemagne

Une récente note de l’Institut français des relations internationales (IFRI) souligne les défis du « modèle » allemand :

« La flambée des prix de l’énergie constitue un frein à la production et un problème de compétitivité globale de l’industrie ».

Cela affecte les secteurs à forte intensité énergétique, tels que la chimie, la métallurgie ou la verrerie, qui représentent près du quart des emplois industriels.

Le risque de désindustrialisation de l’Allemagne est grand au regard de l’attractivité du prix de l’électricité en France, et surtout des marchés chinois et américain. Le tiers des entreprises allemandes (32 %) privilégierait les projets d’investissements à l’étranger par rapport au territoire national, soit deux fois plus en une année.

L’Allemagne s’inquiète tardivement après avoir joué à la roulette russe en développant à tout prix les ruineuses énergies intermittentes du vent et du soleil. Elle a fait un choix idéologique irréaliste avec des alliances électorales de court terme. Elle a ainsi détruit sa production d’électricité nucléaire peu émettrice de gaz à effet de serre en s’appuyant sur le charbon et le gaz au détriment du climat, malgré ses annonces fumeuses sur les énergies renouvelables.

Les solutions pour sortir de cette impasse seront-elles nationales ou franco-allemandes avec l’aide de la production électronucléaire française honnie durant près de vingt ans ?

Devant la nécessité (qui fait toujours loi…), l’Allemagne aura bientôt la révélation des avantages du nucléaire. Son chemin de Damas sera douloureux, mais la rédemption de l’Allemagne réhabilitant le nucléaire chez elle et dans toute l’Europe semble proche.

« Surprofits » bancaires : la taxation n’est pas la solution

Les profits exceptionnels réalisés par les banques, en particulier américaines, posent de réelles questions. La voie commode de la taxation leur apporte de fausses réponses.

 

Une économie sous influence

Le vocabulaire employé est un signe parlant de l’inquiétude que suscite outre-Atlantique la concentration du pouvoir financier aux mains d’un nombre très restreint de très gros établissements.

Les huit premiers d’entre eux sont couramment qualifiés par les médias de « seigneurs de Wall Street » mais aussi de « géants de la finance », de « mastodontes » et dans tous les cas de « banques systémiques »[1] capables en cas de faillite d’une seule d’entre elles de déclencher un cataclysme économique comme celui de 2008.

JP Morgan, qui occupe la première place du classement, et dont les profits se sont élevés à 87 milliards de dollars en 2022, ne détient-elle pas la somme colossale de 3200 milliards de dollars d’actifs, soit un chiffre nettement supérieur au PIB de la France ?

Wells Fargo, qui occupe le troisième rang, s’est distinguée en mettant en œuvre des méthodes de cow-boy imaginées par ses dirigeants : en août 2017, ils ont dû reconnaitre avoir vendu des assurances auto à des centaines de milliers de clients sans qu’ils l’aient demandé puisqu’ils en avaient déjà une par ailleurs. Cette banque s’est aussi illustrée entre 2011 et 2016 en ouvrant à ses usagers et sans leur autorisation plus de deux millions de comptes fictifs, mais dont les frais facturés étaient bien réels.

Les financiers ne sont donc guère en odeur de sainteté aux États-Unis où, comme au début du XXe siècle, l’opinion publique se méfie ouvertement du « big money ».

L’ampleur des profits réalisés actuellement par la bande des 8 dans un contexte d’inflation non maitrisée, et de difficultés croissantes pour la majorité de la population a réactivé cette hostilité.

Elle interroge suffisamment pour que la commission bancaire du Sénat des États-Unis se saisisse du sujet.

Le 6 décembre elle auditionnera la fine fleur des « seigneurs de Wall Street » sommés de rendre des comptes au moment où la situation financière des américains se dégrade.

 

L’offensive du Sénat américain

Selon le président de ce comité, les méga-banques « détiennent trop de pouvoir dans l’économie » :

« Elles continuent à engranger des profits record et à récompenser les entreprises qui augmentent les prix sur le dos des américains ».

En ligne de mire se profile, comme dans l’Union européenne, la mise en place d’une taxation exceptionnelle sur les surprofits bancaires. Mus par une sorte de réflexe pavlovien, la réaction des responsables politiques des deux côtés de l’Atlantique est de fait toujours la même face à ce type de situation : TAXER.

Mais c’est confondre les effets avec les causes.

Pour apporter une réponse pertinente, il faut remonter aux racines du problème et commencer par identifier la source de ces revenus stratosphériques. En l’occurrence, plutôt que d’agiter le chiffon rouge des « surprofits », mieux vaudrait parler de profits d’aubaine alimentés par une double opportunité :

  1. Au printemps, la faillite de la banque californienne Silicon Valley Bank a suscité le reflux des déposants vers les plus gros établissements jugés plus sûrs.
  2. Depuis janvier 2022, la forte et rapide hausse des taux directeurs (passés en peu de temps de 0,25 à 5,5 %) a bénéficié aux banques qui ont fait grimper jusqu’à 7 % le taux des emprunts immobiliers, alors qu’elles ne rémunèrent leurs dépôts qu’à 0,45 % en moyenne.

 

Si elles ont été en mesure de tirer pleinement parti de cette conjonction d’évènements, c’est du fait de la position dominante qu’elles occupent dans le gigantesque réseau des activités de production et d’échange, une position qui les met en situation d’exercer une forme très efficace de prédation.

Cela s’inscrit dans le cadre d’un capitalisme de connivence entretenant des liens consanguins et malsains avec le politique qui, par le laxisme de sa régulation, a laissé prospérer cet état de fait. Ce qui est ici en cause est une concentration excessive du pouvoir financier aux mains de quelques-uns, c’est un manque de concurrence et une emprise trop forte de la finance sur l’économie.

Ce qui est aussi en jeu, c’est une série de défaillances de l’État incapable d’assurer ses missions de base que sont la protection des consommateurs et la lutte contre les abus de position dominante.

En taxant, on s’attaque maladroitement aux conséquences et non aux causes du processus qui a donné naissance au paysage financier actuel.

 

Réactiver la concurrence

Pour le reconfigurer, la réponse n’est pas plus d’impôts mais davantage de concurrence.

Apple s’est déjà engouffré dans la brèche en mettant en place un compte d’épargne rémunéré à 4,15%, soit près de dix fois plus que ceux des mastodontes. En six mois son initiative a séduit 10 millions de clients.

Pour aller plus résolument dans ce sens, réactiver la législation anti-trust est une meilleure piste que la taxation. Depuis le vote du Sherman act (1890) puis du Clayton act (1913), l’arsenal existe, mais dans le cas des banques il a été mis en sommeil sous la pression insistante des lobbies de la finance.

Il faut revenir à l’esprit de déréglementation qui a prévalu sous l’administration Reagan et permis de démanteler les oligopoles qui prévalaient dans les secteurs du transport aérien ou des télécommunications. On a ici le cas emblématique d’ATT, dont le quasi-monopole a explosé en 1984 sous les assauts conjugués de l’antitrust, des régulateurs de la Commission fédérale des communications et de la justice. Son démantèlement, un des événements les plus spectaculaires de l’histoire industrielle du XXe siècle, a donné le coup d’envoi de la libéralisation mondiale des services de télécommunications.

AT&T, alias Ma’Bell (« la mère du téléphone ») a dû éclater en huit entités distinctes avec sept opérateurs locaux, les « Baby Bells », totalement indépendants, et un opérateur longue distance, AT&T. La disparition de la contrainte qu’exerçait ATT sur l’ensemble des réseaux a certainement favorisé l’essor d’internet et la révolution numérique.

 

Lutter contre l’obésité bancaire

Dans le même ordre d’idée, il s’agit aujourd’hui de mettre fin à ce qui incite les banques à toujours grossir en rendant plus difficiles les fusions et la prise de contrôle de nouveaux établissements.

C’est le sens de la proposition de loi bipartisane Brown/Scott visant à empêcher les méga-banques de multiplier les acquisitions, et à sanctionner davantage les dirigeants de banques mises en faillite.

En revanche, il faut agir pour sauvegarder la vitalité du tissu très dense de banques locales, qui est un atout majeur de l’économie des États-Unis. S’y est implanté au fil du temps un écosystème performant composé de milliers d’établissements de petite et moyenne dimension accompagnant efficacement les évolutions technologiques.

En 2018, les contraintes de la loi Dodd-Frank taillée pour les plus grosses banques ont été desserrées pour celles qui ont moins de 250 milliards de dollars d’actifs à leur bilan, ce qui va dans le bon sens. Il faut aussi continuer à alléger les obligations réglementaires qui freinent la création de nouvelles banques locales de manière à faciliter l’accès des petits entrepreneurs aux capitaux.

 

Séparation vs diversification

On peut enfin s’interroger sur la voie qui a été suivie depuis la crise financière de 2008.

Pour éviter qu’une telle catastrophe se reproduise, deux pistes d’analyse se sont affrontées.

Le modèle de la séparation a été un temps envisagé en s’inspirant de ce qui avait été mis en place lors de la grande dépression des années 1930. Voté en 1933 le Glass Steagall Act séparait strictement les banques d’affaires et les banques de dépôt.

Peu à peu édulcorées, ses dispositions ont été abrogées en 1999 sous l’administration Clinton. Lorsque l’idée d’une séparation a refait surface, nombre de banquiers ont fait valoir que les interdépendances entre les activités de crédit et les activités de marché étaient désormais si étroites qu’il était devenu techniquement impossible de réaliser la séparation. En tout état de cause, elle aurait selon eux des effets négatifs que l’on a du mal à mesurer, mais qui seraient très importants. Au nom de cet argument de l’imbrication et de la complexité, et sous la pression du très puissant lobby bancaire, on s’est dès lors engagé dans une autre voie.

Le modèle de la très grosse banque a prévalu, en considérant que la protection des activités bancaires contre la volatilité des opérations de la finance de marché peut être obtenue par la constitution d’énormes banques dans lesquelles l’influence des activités de marché serait d’autant plus limitée que les banques devraient respecter des ratios prudentiels renforcés. On peut toutefois douter qu’en cas de sérieux décrochages sur les marchés financiers, les banques, même très grosses, pourront s’en sortir en faisant seulement payer leurs actionnaires.

Ainsi que le suggère un économiste comme Pierre-Noël Giraud, on peut estimer qu’il serait salutaire de revenir à une réflexion approfondie sur la première option :  il ne s’agirait pas de recopier le Glass Steagall Act, mais de dégager des solutions modernes et de mettre en œuvre des modalités adaptées de séparation. Cela permettrait d’atténuer l’emprise des méga banques sur l’ensemble de l’économie occidentale et de limiter les profits que leur position dominante les met en capacité d’accumuler.

 

Laisser jouer la destruction créatrice

En tout état de cause, on peut aussi se demander si la finance décentralisée qui prend aujourd’hui son essor, en même temps que s’affinent, s’enrichissent et se diffusent les technologies de la blockchain, ne viendra pas à bout des mastodontes en les rendant obsolètes.

Dans les années 1970, IBM dominait l’informatique mondiale et semblait invincible. Personne n’imaginait que le nain Microsoft allait détrôner « Big Blue » et rebattre entièrement les cartes.

Sous l’influence globalement bienfaisante de la destruction créatrice, le tissu économique et financier est en perpétuel renouvellement, à condition que les pouvoirs publics le laissent respirer.

 

[1] Huit banques systémiques sont basées aux EU : JP Morgan, Bank of America, Citigroup, Goldman Sachs, Bank of New York Mellon, Morgan Stanley, State Street et Wells Fargo.

Cours criminelles départementales : une inconstitutionnalité manifeste ? (II)

Première partie de cette série ici.

 

Le requérant de la seconde Question proritaire de constitutionnalité soutient comme argument que les cours criminelles départementales violent un « principe de valeur constitutionnelle » selon lequel les jurys sont compétents pour les crimes de droit commun.

Contrairement aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes à valeur constitutionnelle sont très utilisés par le Conseil constitutionnel qui n’hésite pas en découvrir de nouveau, et à modifier leur support textuel. Ce faisant, mentionner ce type d’argument paraît plus crédible que celui des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Et pour cause, le Conseil constitutionnel n’a pas posé de conditions pour découvrir ces nouveaux principes de valeur constitutionnelle.

 

Les principes à valeur constitutionnelle : norme de référence puissante et malléable pour le Conseil constitutionnel

Il convient de revenir sur ces principes de valeur constitutionnelle pour en comprendre leur nature. Pour ce faire, il faut repartir de la distinction entre énoncé et norme, en incluant la notion de source et de règle pour mieux comprendre.

La source juridique est l’élément premier du droit.

Dès lors qu’il s’agit de penser le phénomène juridique, les juristes se réfèrent, non à des normes, mais font d’abord référence à des sources.

La source juridique renvoie à la détermination du droit antérieure à sa mobilisation dans un texte. Elle permet de « poser le droit », un peu comme un peintre qui pose une peinture sur un tableau. Une fois que le peintre l’a fait, la peinture ne lui appartient plus, son travail est fini. C’est aux tiers d’apprécier ce tableau, mais le peintre ne peut revenir dessus.

C’est ici que s’opère la distinction primordiale dans la construction binaire du droit, entre l’énonciation et l’application du droit.

L’auteur qui énonce quelque chose ne peut être celui qui l’interprète. S’il le fait, ce n’est plus en tant qu’auteur, mais en qualité d’interprète. C’est en cela que le droit a un caractère allographique, comme peut l’être la musique ou le théâtre. Il est nécessaire d’avoir deux personnes : l’auteur de l’acte et l’interprète.

Sans approfondir plus en détail ce point que l’on verra après, il s’agit d’esquisser brièvement un schéma d’interprétation afin de mieux éclairer le raisonnement :

Énonciation primaire (auteur) → rattache à une source l’énoncé → est appliqué et interprété par les destinataires de l’énoncé (sujets, juridictions, administrations)

Au fond, l’énoncé est ce qui se trouve contenu dans une source, donc rattaché à elle.

La source est donc le véhicule de la validité d’un énoncé.

L’énoncé est donc une entité langagière insérée dans une situation d’énonciation, par nature singulière.

Dès lors, si l’on renvoie le droit à des énoncés, on le rattache à une opération de langage reliant deux opérateurs juridiques : un énonciateur et un destinataire. Et ce qui unit les deux opérateurs juridiques est une relation de signification. Cette relation de signification passe par l’usage de la source juridique.

L’énoncé est donc émis par un opérateur juridique premier (énonciateur primaire) puis l’opération de production du droit sera reprise par un opérateur juridique secondaire (énonciateur secondaire) lesquels font effectuer un continuum normatif, en ce sens que l’on aura une continuité entre ce qui est énoncé et ce qui est interprété.

Cela revient à dire que l’énoncé primaire ne suffit pas. En effet, ce dernier devra être complété par des énoncés secondaires (d’application et d’interprétation) par des opérateurs juridiques autres.

On voit que le processus de production de signification est binaire et divisé : d’un côté, ceux qui produisent les énoncés et d’un autre côté, ceux qui interprètent ces énoncés en produisant d’autres énoncés, normatifs cette fois.

Un énoncé ne produit pas des normes, mais contient potentiellement des normes en puissance. Même un énoncé descriptif peut, après interprétation, dégager une norme (énoncé : il pleut ; norme : il faut sortir un parapluie). Un énoncé performatif contiendra une pré-norme, qui déterminera plus facilement la signification qu’en donne l’interprète. Mais rien n’empêche l’interprète de s’en dégager, voire de dégager une norme contraire à l’énoncé. Le texte a donc un sens prédéterminé qui préexiste virtuellement à l’interprétation.

Mais l’intentionnalité du texte ne s’impose pas obligatoirement à l’interprète, qui plus est quand ce dernier est authentique. L’interprète va donc « coudre » une signification en s’appuyant sur un sens littéral, la règle.

Enfin, si la norme est le produit de l’interprète, exiger que les énoncés soient normatifs n’a guère de sens. L’interprète, notamment le juge constitutionnel, est un alchimiste : il transforme un énoncé non-normatif en une norme. Exiger donc d’une loi qu’elle soit une norme n’a guère de sens car, même d’une loi purement descriptive, contenant des « neutrons législatifs », le Conseil constitutionnel peut en tirer des normes (il pourrait par contre invoquer des arguments tenant à la sécurité juridique ou de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité ou d’intelligibilité du droit).

On comprend plus aisément que les principes de valeur constitutionnelle sont le produit de la signification des énoncés constitutionnels. C’est parce qu’ils sont le pur produit de l’interprétation qu’ils ne sont mentionnés comme tel dans le « bloc de constitutionnalité ». Les mentionner ainsi ferait consacrer la thèse (ou la réalité) que la Constitution se confond avec son interprète. Ce qui, dans un pays de tradition textualiste, est difficilement concevable.

Par ailleurs, c’est en raison de cette tradition que le Conseil « rattache » les principes de valeur constitutionnelle à des énoncés textuels ou, plus régulièrement, les fait « découler » des énoncés. On voit l’importante des verbes connecteurs pour appuyer la légitimité du Conseil constitutionnel.

Prenons quelques exemples de ces principes de valeur constitutionnelle pour bien montrer la différence entre énoncé et norme.

Le Conseil constitutionnel déduit de l’article 4 de la Déclaration de 1789 une exigence constitutionnelle dont il résulte que, « tout fait quelconque de l’Homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par duquel il est arrivé, à le réparer ».

Tous les juristes assidus auront reconnu l’énoncé de l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382). Or, l’article 4 de la Déclaration ne contient pas cet énoncé. Ce dernier dispose entre autres que, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

On voit donc que l’énoncé de référence (l’article 4) est si vaste que le Conseil constitutionnel peut lui faire dire tout et son contraire.

Autres exemples.

De l’article 2 de la DDHC, il a fait découler les principes de valeur constitutionnelle de liberté du mariage, la liberté personnelle, la liberté d’aller et venir et la liberté de la femme à avorter.

De l’article 16 de la DDHC, il a fait découler les principes de valeur constitutionnelle du droit de la défense, d’un droit à un recours effectif ou encore, de l’impartialité et de l’indépendance des juridictions.

L’avantage des principes de valeur constitutionnelle est leur malléabilité. S’ils peuvent être rattachés textuellement à un énoncé, ils peuvent aussi se rattacher à d’autres énoncés, voire être le produit de plusieurs énoncés en même temps.

Par exemple :

  • la liberté du mariage (art 2 et 4 DDHC) ;
  • principe de publicité des débats en matière pénale (art 6,8,9 et 16 DDHC) ;
  • protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 10 et 11 Préambule 1946).

 

On voit là tout le potentiel des principes de valeur constitutionnelle, la possibilité de se rattacher à n’importe quel énoncé constitutionnel. C’est un argument de poids pour le Conseil, qui n’est pas obligé de satisfaire à des conditions préalables, et peut donc décider librement de ce qu’il met dans les principes de valeur constitutionnelle.

Cette voie sera peut-être celle suivie par le Conseil pour répondre aux arguments. Les motifs d’inconstitutionnalité des cours criminelles départementales sont nombreux et celui-ci, comme argument « théorique », est le plus solide. On pourrait prendre le risque de supposer les fondements textuels d’un tel principe de valeur constitutionnelle, établi sans doute sur les bases des articles 6, 8 et 16 de la DDHC.

La saga du nucléaire français : des années Boiteux aux débats actuels

 

Le 6 septembre dernier, Marcel Boiteux nous quittait. Cet académicien était l’un des économistes les plus respectés au monde, un héros français. Cette triste nouvelle n’a pratiquement pas transpiré dans les medias grand public. Quelle honte !

Marcel Boiteux était un vrai intellectuel, un normalien qui avait fait ses classes lors des campagnes d’Italie et de France de la Seconde Guerre mondiale, ce qui forge plus sûrement un homme d’exception que l’ENA ou la carrière médiatique de nos raisonneurs en chambre.

 

Un peu d’histoire

C’était l’époque où, avec le général de Gaulle, on avait compris très tôt l’importance de l’énergie pour la prospérité d’une nation, et l’impérieuse nécessité de la rendre le plus possible indépendante des aléas internationaux.

Sous l’impulsion de politiques clairvoyants, une équipe d’ingénieurs et de hauts fonctionnaires talentueux conçut un programme d’envergure, comprenant le nucléaire, mais aussi l’hydraulique pour encaisser la variabilité de la consommation.

L’hydraulique avait d’ailleurs un autre but : la régulation des cours d’eau et l’irrigation. On oublie que c’est à cette époque que ces travaux transformèrent le désert provençal en Eldorado maraîcher.

La suite prévoyait encore plus d’indépendance, avec les surrégénérateurs du programme Phénix.

Mais le projet était plus global encore, puisqu’il prévoyait de développer conjointement production et consommation. EDF développa ainsi le chauffage électrique, mais pas n’importe comment : pour y accéder, il fallait isoler. C’est ainsi qu’une grande partie des constructions des années 1970 sont déjà isolées, peut-être moins que celles respectant les normes actuelles, mais il y avait déjà laine de verre, double vitrage, aération contrôlée… Cela ne vous rappelle rien ? Cinquante ans après, on y retourne : voir les normes nouvelles RE 2022 pour les constructions neuves ! On reste encore pantois devant la cohérence du programme.

Marcel Boiteux faisait partie intégrante de l’action. Il mit au point également la tarification au « coût marginal », brandie maintenant comme un must par l’Union européenne… sauf que les fonctionnaires actuels n’ont rien compris aux travaux de l’économiste. Nous y reviendrons.

EDF et Framatome ont alors construit des réacteurs en série, couplant jusqu’à 8 réacteurs au réseau dans l’année. On avait judicieusement choisi la filière : les réacteurs à eau pressurisée. De bonnes bêtes, peu susceptibles de s’emballer. La suite leur a donné raison : ils sont 300 dans le monde, ils tournent depuis plus de 40 ans avec un seul accident : Three Miles Island, la fusion du cœur n’ayant même pas occasionné la moindre fuite de radioactivité à l’extérieur de la centrale.

Tchernobyl n’a rien à voir : un réacteur sans enceinte de protection, conduit en dépit du bon sens. Et Fukushima était un réacteur en fin de vie, mal entretenu, d’une conception différente, à eau bouillante, moins stable ; et il n’a fait, à ce jour, que quelques victimes, devant les 20 000 morts du tremblement de terre.

L’ensemble des projets français a été intégralement payé par les consommateurs, qui, malgré cela, ont bénéficié d’un prix parfois moitié de celui des pays voisins. EDF a tout emprunté sous son nom.

C’était trop beau, pour les Allemands, inquiets de la compétitivité apportée par le programme, pour les décroissants, qui voyaient se dessiner un avenir prospère.

Il fallait donc absolument dérégler la machine. Certains milieux industriels et financiers ont parfaitement utilisé les écolos comme idiots utiles pour faire du profit en luttant contre l’atome, ou c’est l’inverse, ou les deux… Ce qui explique la robustesse du combat contre le nucléaire.

Entretemps, le profil des politiques et des fonctionnaires avait changé : Sciences Po et l’ENA n’aident pas vraiment à comprendre comment fonctionne un réseau électrique.

Nous ne reviendrons pas sur les circonstances lamentables de la destruction systématique de l’avenir de ce beau projet. Il suffit d’aller consulter les comptes rendus de la Commission Schellenberger, ou de visionner la vidéo de Mme Voynet se vantant d’avoir torpillé le nucléaire au niveau européen, alors qu’en sa qualité de ministre, elle était mandatée pour défendre cette cause. Le point final a été l’arrêt sans aucune justification de la fermeture de Fessenheim : de l’abus de bien social pur et simple.

On se demande d’ailleurs quelles suites seront données à la Commission ayant mis en évidence incompétence, fautes caractérisées, et même, dans le cas de Mme Voynet, ce qui peut s’apparenter à une forfaiture… alors même que de nombreux experts hurlaient leur incompréhension dans le désert.

 

Une tardive prise de conscience

La réalité finit toujours par s’imposer.

L’Allemagne a installé plus de 130 GW d’éoliennes et de panneaux solaires alors que sa consommation maximale avoisine 80 GW. Malgré cela, elle continue d’ouvrir des mines de lignite. Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas s’en rendre compte. Son plan, à base d’énergie renouvelable et de gaz, a été réduit à néant avec la guerre en Ukraine. Et les prix de l’électricité, stupidement indexés au gaz, sont maintenant liés aux décisions d’émirs moyenâgeux.

L’actuel gouvernement français, un peu plus réaliste que les précédents, a commencé à opérer un virage. Mais c’est du en même temps : nucléaire et énergies renouvelables. On verra que c’est antagoniste. Et il diffère les nécessaires remises en cause de la loi sur l’énergie et sur la Programmation pluriannuelle (PPE). Mais c’est mieux que rien. Deux EPR tournent en Chine, un EPR en Finlande, et on espère Flamanville pour 2024… Le ciel s’éclaircirait-il pour le nucléaire ? Il y a encore beaucoup d’obstacles.

 

La bête bouge encore

Pour les opposants au nucléaire, le combat est existentiel.

La plupart des associations écologistes ont démarré sur cette opposition, en particulier la plus puissante, Greenpeace, et en ont fait leur mythe fondateur. L’Allemagne, elle, est encore imprégnée (on la comprend) d’un pacifisme absolu, et qui dit nucléaire, dit bombe… même si c’est une association douteuse. C’est la raison essentielle de l’opposition de ses dirigeants et de son opinion publique. On verra si la guerre en Ukraine change vraiment la donne.

Ces deux entités disposent encore de moyens nombreux et puissants pour continuer le combat sur plusieurs fronts.

 

Le combat réglementaire

L’Allemagne a tenté de barrer toute possibilité de subventions et d’autorisation du nucléaire via la taxonomie européenne, c’est-à-dire le « classement écologique » d’activités industrielles au droit de la finance. L’Europe est maintenant divisée entre États partisans et opposés, et le combat n’est pas fini. Les partisans ont gagné une bataille, mais pas la guerre.

 

La présentation de fausses solutions par l’Allemagne

Devant le fiasco du gaz russe et les difficultés de l’éolien, l’Allemagne se tourne vers l’hydrogène via le solaire. Celui-ci fait sans doute partie des solutions à la décarbonation, mais très partiellement. Personne n’y croit vraiment : le soleil en Allemagne, bof… et importer du Maghreb, c’est aller de Charybde en Scylla. Un réacteur nucléaire tournant à 90 % de son temps est en plus le meilleur moyen de rentabiliser un électrolyseur.

 

Le combat via le « marché libéralisé » de l’électricité

L’Union européenne a en effet adopté la théorie de Marcel Boiteux pour la fixation des prix, ce qui entraîne une forte indexation au gaz.

Ce n’est pas anormal pour l’Allemagne, mais idiot pour la France, peu dépendante du gaz. En fait, on considère que le marché est unique, ce qui est faux physiquement : les lignes d’interconnexion sont très limitées. Et dans le cas d’un marché hétérogène et volatile, comme l’est actuellement le marché européen, on montre aisément que la théorie de Marcel Boiteux ne s’applique plus. Et pour éviter un combat frontal avec l’Union européenne, la France a inventé un dispositif encore plus inepte : l’ARENH, qui oblige EDF à brader son électricité à des concurrents non producteurs.

Il y a donc en ce moment à la fois un combat intra-européen et intra-français (État, EDF, Industrie) sur les prix du nucléaire futur dont dépendra la rentabilité d’EDF, et son aptitude à emprunter les énormes fonds nécessaires aux programmes à venir. Pour tout comprendre : une excellente série de trois vidéos.

 

Des forces contraires en interne au nucléaire

  • La désindustrialisation française. Nous manquons d’ingénieurs, de soudeurs, nous n’avons plus que Technip comme grand ensemblier en France (et il est réduit à peu de choses), et nous sommes restés longtemps sans expérience de grands chantiers.
  • L’évolution des normes. L’EPR a été conçu en collaboration avec Siemens, qui, devant son opinion, voulait la ceinture et les bretelles. On a ajouté les normes françaises et allemandes dans le même produit, ce qui l’a complexifié ; et Siemens s’est défilé, après avoir semé le chaos. EDF a perdu des compétences, en métallurgie notamment. Certaines normes sont devenues presque impossibles à respecter, entraînant des irrégularités dans l’assurance qualité. L’entreprise a même accepté de soumettre les centrales existantes à de nouvelles normes, ce qui est très pénalisant pour le « grand carénage » qui vise à prolonger leur durée de vie. Cela ne se fait jamais aux USA, par exemple. C’est même vrai pour l’EPR : certaines normes ont évolué depuis sa conception, entraînant de « fausses » anomalies. Il semble bien que par peur de l’opinion publique, l’IRNS, chargée de la sécurité radiologique, entraîne l’ASN, garante de la sécurité technologique, vers des impasses.
  • Une instabilité politique : le gouvernement est encore bien timide dans son revirement. Et une partie de l’alliance de gauche est toujours bec et ongles contre le nucléaire. En outre, l’acharnement à vouloir développer l’éolien et le solaire pénalise doublement le nucléaire : les fonds utilisés seraient mieux chez lui que chez eux, et l’imposition de leur production aléatoire, quel que soit le besoin, fait arithmétiquement monter le coût du kWh nucléaire, qui est majoritairement fixe.
  • L’activisme écologique, qui peut retarder les projets. Aucun gouvernement n’a encore trouvé de remède au zadisme, qui pourrait bien ralentir les projets.

 

Se mobiliser

Ceci montre qu’il faut encore se mobiliser pour être sûrs que nos enfants et petits-enfants bénéficieront toujours d’une électricité abordable. En rejoignant par exemple PNC-France pour continuer le combat.

C’est un combat de société, Aurélien Barrau, militant écologiste et astrophysicien l’avoue lui-même :

« Le pire scénario possible : c’est de trouver une énergie nouvelle propre et infinie, par exemple la fusion nucléaire. »

Pour ceux qui pensent que les sciences dures vaccinent contre la bêtise. pic.twitter.com/i8om3FJK71

— Pulp libéral (@PulpLiberal) September 13, 2023

 

Le jeu des statistiques officielles de l’inflation : l’exemple édifiant de l’Allemagne

L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) se compose de 12 sous-indices, qui sont pondérés en fonction de leur part dans les dépenses totales des ménages.

Si, par exemple, les produits alimentaires et les boissons non alcoolisées (sous-indice 1) représentent 15 % des dépenses, il convient de leur attribuer une pondération de 15 % dans l’indice global. De cette manière, chaque catégorie de dépenses se verrait attribuer l’importance qu’elle a pour un ménage moyen. C’est ce que prétendent les statistiques officielles.

Mais ici aussi, comme souvent, la réalité est bien différente des intentions affichées.

 

Loyer et factures d’énergie : seulement un quart de vos dépenses ?

En Allemagne, le sous-indice traditionnellement le plus important couvre le logement, l’eau, l’électricité, le gaz et les autres combustibles (sous-indice 4). Il a toujours représenté plus de 21 % de l’indice global depuis le milieu des années 1990.

Entre 2020 et 2022, son poids est passé à un peu plus de 25 %. Les statistiques officielles supposent donc que les ménages allemands consacrent en moyenne environ un quart de leurs dépenses totales à des biens de cette catégorie. Pour certains critiques, c’est trop peu. De nombreux ménages dépensent beaucoup plus pour ce type de biens. Dans les grandes zones urbaines, les ménages consacrent souvent plus d’un tiers de leur revenu au loyer seul. C’est également le cas pour les ménages en France, par exemple en région parisienne. En France, le sous-indice 4 a un poids ridiculement faible depuis un certain temps. Depuis le milieu des années 1990, il n’a jamais dépassé 17,4 %.

Un changement inattendu est intervenu en Allemagne en 2023.

L’Office fédéral de la statistique n’a pas augmenté le poids du sous-indice 4, mais l’a ramené de 25,2 % l’année précédente à 16,5 %. L’Allemagne a donc commencé à suivre l’approche française. Aucune justification valable n’a encore été fournie. Sur le site web de l’Office fédéral de la statistique, on ne trouve que des phrases creuses : « La pandémie de coronavirus, qui sévit depuis 2020, avec ses restrictions de la vie publique et les conséquences qui en découlent, rend nécessaire de modifier le procédé habituel de mise à jour des pondérations pour chaque bien de consommation pour la troisième année consécutive également. »1

Comment justifier un ajustement aussi invraisemblable ?

En fait, l’ajustement signifie qu’à partir de maintenant, les statistiques officielles supposeront que le ménage allemand moyen ne dépense que 16,5 % de ses dépenses totales pour le logement, l’eau, l’électricité, le gaz et d’autres combustibles. Il appartient à chacun de se demander si cette hypothèse est réaliste.

Il est clair que le sous-indice 4 affiche depuis un certain temps des taux d’inflation supérieurs à la moyenne.

Entre 1996 et 2022, il a augmenté de 84 % au total, alors que l’IPCH dans son ensemble n’a augmenté que de 59 %. Seul le sous-indice 2 pour les boissons alcoolisées, le tabac et les stupéfiants a augmenté encore plus fortement au cours de cette période, soit de 115 %.

Durant la phase inflationniste de l’année dernière, ce sont les prix du sous-indice 4 qui ont le plus augmenté. Le taux d’inflation s’est élevé à 13,9 %, soit plus de 5 points de pourcentage au-dessus de l’inflation moyenne officielle. La décision de l’Office fédéral de la statistique de réduire le poids de ce sous-indice a un effet pratique : l’inflation officiellement mesurée sera plus faible.

Mais elle ne mesure pas la réalité.

  1. traduit avec DeepL parce que l’intelligence artificielle est vraiment douée pour traduire le langage bureaucratique

L’islam en Arabie : révolution mentale par le football ? 

Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan sportif en Arabie, en général, et en Arabie Saoudite, plus particulièrement, doit retenir l’attention. Il est gros d’importants changements sociopolitiques futurs, même si leurs manifestations se limitent pour l’instant au plan sportif.

C’est que les transformations radicales sont comme la lave d’un volcan qui met du temps avant l’éruption spectaculaire. Longtemps, elles agissent en un silence apparent qui n’est pas moins déterminant dans les entrailles de ce qui ne serait qu’une centralité souterraine.

Certes, celle-ci semble se limiter actuellement au domaine du football, le pays entendant devenir aussi la Mecque des étoiles de ce sport grâce à ses richesses. Ce qui n’est pas propre au dit pays puisqu’on l’a déjà vu, en péninsule arabique, au moins avec le Qatar qui a réussi à organiser chez lui une historique coupe du monde de football.

 

État des lieux : en sport et en religion  

Il est vrai, l’argent ouvre pas mal de portes, sinon toutes !

Cependant, il n’ouvre pas pour l’instant celles qui devraient compter dans ces contrées manquant de l’essentiel auquel l’humain aspire de tout temps : sa dignité, qui est dans ses droits et ses libertés sans restriction. Or, nul ne contestera que la marque des riches démocraties d’Occident n’a toujours pas droit de cité dans les richissimes monarchies arabes musulmanes du golfe.

D’aucuns pourraient rétorquer que les nationaux de ces pays trouvent leur dignité grâce à leur luxueux standing de vie ; d’autres que les pauvres se satisfont généralement de la richesse spirituelle qu’incarne, en l’occurrence, une terre abritant le lieu de pèlerinage de millions de fidèles d’une foi si prégnante dans les cœurs des nombreux fidèles et convertis de l’islam.

Or, justement, il est un hiatus qui ne cesse de prendre de l’ampleur entre la perception populaire idéalisée de cette religion et sa réalité plutôt miséreuse en termes démocratiques. En effet, le commun des fidèles croit toujours en une foi d’islam selon sa conception pure d’origine, soit de religion de droits et de libertés, révélation libératrice ayant produit une civilisation universelle.

Ce faisant, ils ne font que ressasser un âge d’or évanoui que ne cesse de leur rappeler en soporifique nombre de profiteurs de l’état actuel si désolant de cette religion, notamment ses intégristes et traditionalistes, sans parler des responsables politiques de tous bords qui en usent en opium castrateur du moindre élan vers la contestation de l’ordre inique établi, national comme international.

C’est, au reste ce qui explique l’effervescence constatée dans les milieux intégristes musulmans qui font actuellement feu de tout bois en vue de défendre leur privilège menace d’autorités proclamées et honorées, quoiqu’illégitimes, dans la conception pure de la religion d’origine qui délégitime le moindre intermédiaire entre Dieu et ses créateurs.

Car ils savent que la mentalité chez les masses est en train de changer, qu’on peut désormais parler d’islam et le valoriser, mais pas en tant que religion obscurantiste, mais plutôt de foi de droits, tous les droits humains connus, et de libertés, toutes celles reconnues dans le monde civilisé, sans nulle limitation dogmatique. C’est ce que je nomme NOESI-S, Nouvel Esprit I-slamique et y travaille, comme tant d’autres, pour un islam de son temps, une foi postmoderne

À la vérité, ce qui fait le plus peur aux activistes islamistes, c’est qu’ils savent bien que leur péché originel est de vouloir, au prétexte de combattre une islamophobie, encenser une foi, mais pas celle de de l’imaginaire populaire, foi de droits et de libertés, plutôt ce qu’elle est devenue du fait des avanies de l’histoire et du vol et viol dont la foi spirituelle originelle a fait l’objet : une religion obscurantiste.

 

Un meilleur goal : la révolution mentale 

La peur des intégristes est d’autant plus grande qu’ils savent que leurs complices d’Occident sont soit des complices objectifs, leurs supposés ennemis, soit de vrais démocrates qui ne tarderont pas à prêter l’oreille à l’autre son, inaudible jusqu’ici, qui ne défend pas l’islam au nom d’un particularisme obsolète, mais de son essence véritable précitée, qui est bien celle de l’inconscient collectif des musulmans.

Or, une telle conception, au nom même de l’islam pur, les combat avec leurs propres armes ; surtout, elle met à bas tous leurs tabous, qui ne sont, en vérité que de supposés tabous, mais continuent à défigurer l’islam originel.

Ainsi ne pourra-t-on plus, par exemple, continuer à ne pas admettre l’égalité successorale entre mâle et femelle, inégalité qui n’est que le produit de la cogitation obsolète d’exégètes misogynes, ni prétendre islamique une quelconque vêture, dont notamment le voile, ni maintenir les crimes actuels contre les innocents au nom d’une homophobie inventée illégitimement en islam, ni poursuivre la désinformation sur la seule interdiction en matière d’alcool en islam, qui n’est que d’en boire sans mesure et jusqu’à l’ivresse.

D’ailleurs, sur ces deux dernières questions, on a bien noté l’hésitation des autorités qataries lors de la préparation de leur coupe du monde, ayant été même prêtes, à un certain moment, de cesser l’injuste harcèlement, au nom de l’islam, des supporters étrangers attendus sur leur sol. C’est qu’ils savaient et savent que toutes leurs interdictions supposées morales étaient de fait immorales, étant une lecture biaisée de la foi dont ils assurent s’en réclamer. Au final, s’ils se sont alignés sur l’attitude la moins libérale en la matière, ce fut grâce à la complicité de certains milieux occidentaux bien aisés avec l’état des lieux actuels de l’islam religion rétrograde.

C’est ce qui finira par changer fatalement en usant, comme précédemment précisé, par l’arme même de cette foi, se réclament de son esprit pur et de son texte d’origine, la Révélation première avant son altération par la politique politicienne.

C’est bien la gageure s’offrant à l’Arabie Saoudite d’oser y agir en tant que terre se voulant sacrée du fait de la présence de la Mecque sous sa juridiction. Il s’agit de ne point contrarier le sens de l’histoire, avoir l’intelligence de l’accélérer même dans le domaine religieux même, ainsi que le prince héritier  du royaume s’applique à la faire dans la sphère politique et même des mœurs du pays, quoique plus timidement et à échelle restreinte, se limitant encore aux étrangers.

Autrement dit, en s’appuyant sur le sport, l’engouement des foules pour le football et ses stars occidentales, les autorités saoudiennes veilleraient désormais à régler la montre de la religion officielle du pays sur l’heure des valeurs humanistes universelles comme elles le font, hors islam, dans tous les autres domaines de la vie officielle de leur pays.

En cela, l’on se gardera surtout de faire l’erreur fatale des démocrates arabes, ou supposés tels, qui le font en occidetalocentristes, crypto-islamophobes à la vérité. Ils se devront de le faire en démocrates authentiques sur la base des préceptes d’origine de la religion musulmane réhabilitée en foi libertaire, ce qui est son génie originel.

Assurément, l’Arabie Saoudite usant du fair-play sportif, en faisant du fair-pray, réussira alors son plus beau goal, accélérant la révolution mentale dont l’islam a le plus besoin et qui est en cours, mais si lentement encore.

Cannabis récréatif : l’Allemagne ose le changement

La semaine dernière, la coalition au pouvoir en Allemagne a adopté son projet de loi légalisant le cannabis récréatif en Conseil des ministres. Initié par le ministre de la Justice du parti libéral allemand Marco Buschmann, et repris par le ministre socialiste de la Santé Karl Lauterbach, il sera présenté au Parlement à l’automne et malgré l’opposition des conservateurs, il y a peu de doutes sur son adoption.

La coalition a insisté sur ses deux objectifs prioritaires : la santé publique et la lutte contre la criminalité organisée. Une grande campagne de prévention sera déployée pour sensibiliser les Allemands sur les conduites à risque et l’accès au cannabis des 18-21 ans sera limité. C’est en effet un âge pour lequel la recherche médicale s’accorde sur le fait que le cerveau est encore en développement et qu’une exposition importante au cannabis peut affecter définitivement le développement cérébral. Quant à la lutte contre la criminalité, Olaf Scholz a assuré de la volonté de son gouvernement de permettre au prix de vente de concurrencer celui du marché noir.

 

Ce que prévoit la nouvelle loi allemande

La nouvelle loi prévoit la création d’associations à but non lucratif dont les membres pourront cultiver la plante pour leur seule consommation, et dans une limite de retrait de 25 grammes par jour et d’un maximum de 50 grammes par mois, et 30 grammes pour les 18-21 ans. Le projet de loi prévoit également le lancement d’une expérimentation dans certaines régions d’une production industrielle sous licence. Ce dispositif devait à l’origine être généralisé et constituer le cœur de la réforme allemande, mais le gouvernement s’est vu contraint de reculer devant les protestations de la Commission européenne, sous influence d’intérêts conservateurs.

Le maintien de l’industrialisation sous forme d’expérimentation est la preuve que le gouvernement allemand n’a pas renoncé à son ambition, et comprend que l’enjeu principal d’une telle réforme est d’avoir un marché légal efficient qui puisse remplacer rapidement le marché noir. Or, tous les consommateurs n’ont ni la volonté ni la capacité de cultiver leur propre cannabis et les seuls Cannabis Social Clubs, dont l’encadrement est d’ailleurs jugé trop strict par les associations, ne suffiront pas à mettre fin au marché noir.

Pour s’opposer au très libéral projet initial, la Commission européenne s’est reposée sur la décision-cadre du Conseil du 25 octobre 2014, qui elle-même traduit les engagements de l’Union européenne vis-à-vis de la convention unique sur les stupéfiants de 1961. La décision-cadre impose en effet aux États membres de réprimer le trafic de stupéfiants et prévoit une exception explicite, laissée à la libre appréciation des États, pour l’autoculture, et donc les Cannabis Social Club, déjà légalisés à Malte et en Espagne.

Cependant, plusieurs arguments pourraient être opposés à l’interprétation conservatrice de la Commission européenne. L’article 2 de la décision-cadre dispose que :

« 1.  Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels suivants soient punis lorsqu’ils ne peuvent être légitimés :

  • la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, l’offre, la mise en vente, la distribution, la vente, la livraison à quelque condition que ce soit, le courtage, l’expédition, l’expédition en transit, le transport, l’importation ou l’exportation de drogues; »

 

Or, la CJUE, dans son arrêt Kanavape concernant le CBD, a rappelé que la prohibition internationale des drogues et la Convention de 1961 avaient pour objectif premier la santé publique, et qu’en conséquence, c’était cette considération qui devait dicter les politiques publiques liées au stupéfiants.

Dès lors, un État pourrait « légitimer » l’organisation d’un marché légal par un objectif de santé publique, la légalisation n’étant qu’une option politique parmi d’autres dans la lutte contre les trafics et les addictions. Option politique qui montre, au demeurant, son efficacité dans les pays qui ont mené cette réforme à bien : au Québec, le marché noir s’est effondré, les jeunes expérimentent le cannabis plus tard, et ils sont moins nombreux à en consommer.

Par ailleurs, se pose la question de l’adéquation et la proportionnalité entre l’objectif de santé publique poursuivie et le moyen (la prohibition), dans la mesure où d’autres substances plus addictives et plus toxiques comme l’alcool et le tabac sont autorisées. Certains chercheurs en droit considèrent que les conventions internationales sur les stupéfiants ne peuvent pas être isolées des autres engagements internationaux, notamment ceux liés aux libertés individuelles, et que la légalisation peut être regardée comme un moyen de les concilier.

Enfin, il faut rappeler que l’initiateur et le chien de garde historique de la Convention de 1961 sont les États-Unis. Or, il est manifeste que de plus en plus d’États s’engagent dans la légalisation et que l’État fédéral, même sous la présidence de Donald Trump, n’entend pas les en empêcher. Dès lors que le seul signataire de la Convention qui avait la volonté de lui assortir des sanctions ne la respecte lui-même plus, l’Union européenne ne peut pas se défausser derrière ces engagements internationaux.

 

Vers une légalisation progressive au sein de l’Europe ?

La Commission européenne en est consciente, et sous la pression des nombreux États qui veulent prendre la voie de la légalisation, elle serait en train de réviser sa doctrine.

Le Luxembourg, qui avait suspendu sa réforme durant la crise sanitaire, compte bien la remettre sur la table ; les Pays-Bas, où il existe une dépénalisation de fait du cannabis dans les coffeeshop, mène une expérimentation d’industrialisation pour se débarrasser définitivement du marché noir, voie suivie également par le Danemark… Enfin, le président de la République tchèque, Petr Pavel, à la tête une coalition de centre-droit (chrétiens démocrates et libéraux conservateurs) a récemment promu l’adoption d’un modèle industrialisé dans son pays.

De ce fait, on peut légitimement se demander comment, dans un espace européen ouvert, la France pourrait rester le seul pays prohibitionniste, alors que le cannabis sera progressivement légalisé à toutes ses frontières. Tout laisse à penser qu’en France, la lutte contre le trafic de cannabis n’est plus qu’une entreprise de communication, un totem censé symboliser la fermeté de l’État dans la lutte contre la délinquance, tant il est facile de communiquer sur les centaines de petites saisies faites à travers le territoire. Une politique qui n’a aucun effet, ni sur le marché noir ni sur la consommation des plus jeunes.

La loi prohibitionniste crée sa propre légitimité dans un cercle vicieux où son échec justifie alors toujours davantage de répression. Mais encore, cette politique de répression est un gouffre financier, soutenu au détriment des autres politiques pénales et de la prévention : deux milliards d’euros en moyenne sont affectés chaque année aux forces de l’ordre pour ce seul objectif, contre quatre millions d’euros investis dans la prévention en 2023… Des voix s’élèvent dans la majorité présidentielle, comme Caroline Janvier, tout comme au sein de la gauche, et même des LR.

Mais rien ne pourra changer tant qu’il n’y aura pas de volonté au niveau de l’exécutif de donner la priorité à l’efficacité sanitaire et sécuritaire plutôt qu’au symbole.

Les 3 moteurs du capitalisme, les 3 principes de la liberté

Par Thierry Godefridi.

Corentin de Salle est probablement le principal expert contemporain ès libéralisme et capitalisme de langue française.

Auteur d’un compendium en trois tomes de 500 pages chacun sur la Tradition de la liberté des origines de la pensée libérale à nos jours, il avait été invité à s’exprimer sur l’émergence du capitalisme en Europe dans le cadre des séminaires que le Centre Jean Gol consacre à Bruxelles aux fondements de la société européenne, et dont la trame s’inspire du remarquable livre de Philippe Nemo Qu’est-ce que l’Occident

Docteur en philosophie et juriste, Corentin de Salle démontre une connaissance encyclopédique des idées et, au contraire de nombre d’autres philosophes, il ne s’embarrasse pas de fioritures de langage ou d’expression. Il affiche une clarté d’esprit et de parole qui rend son propos compréhensible aux moins avertis (si ce n’est quand il lit de longs extraits de l’œuvre de Karl Marx, fussent ceux dans lesquels ce dernier encense la bourgeoisie).

De Salle énuméra, comme facteurs de l’avènement du capitalisme, trois moteurs (l’accumulation, le progrès et la nécessité), trois principes (la liberté, la propriété et l’isonomie – l’égalité en droit) et un ordre spontané en guise de superstructure.

Pas de liberté sans prospérité

Quel est le rapport entre le capitalisme et le libéralisme ?

Le libéralisme vise à consacrer et à accroître la liberté. Le capitalisme vise à créer et à développer la prospérité. Ce dernier a réussi à faire en sorte que la prospérité soit la règle, et non plus l’exception, alors que c’était la pauvreté qui était la règle par le passé (de 1820 à nos jours, le seuil de pauvreté est tombé de 85 % de la population mondiale à 20 %, et l’espérance de vie a plus que doublé). Le libéralisme ne se conçoit pas sans le capitalisme. Ventre affamé n’a point de liberté.

Bien qu’il ne s’agisse pas de sous-estimer le rôle du progrès et sa mobilisation de l’intelligence, ni le défi de la nécessité et, pour le relever, l’inventivité qui explique l’opulence relative de pays tels que la Suisse, les Pays-Bas et Hong Kong par rapport à des pays bien mieux pourvus au départ en richesses naturelles (Afrique ou Amérique latine), Corentin de Salle s’attarda à cette notion bien dans l’air du temps – « des riches de plus en plus riches » – et propre à l’activité capitalistique qu’est l’accumulation.

Si l’accumulation relève, certes, du désir humain de s’enrichir, elle correspond aussi, selon de Salle qui se réfère aux paraboles des talents, du jeune homme riche et des ouvriers de la onzième heure (Évangile selon Matthieu), à une exigence de responsabilité qui remonte à la Bible d’engendrer des richesses, et de se prémunir contre les années de vaches maigres en s’abstenant de consommer tout le produit des années de vaches grasses.

Si le pape actuel se fait la caisse de résonance des idées partageuses et rétrogrades de la gauche (des inégalités à la décroissance), les enseignements de Jésus en faisaient un précurseur de la théorie économique de l’école autrichienne.

Pas de prospérité sans liberté

Cela peut paraître l’évidence mais, en cette période de mesures liberticides à tout-va sous tous les prétextes même les plus abscons, sans doute est-il utile de le rappeler : quelle qu’en soit la forme, du serf à l’assujetti, l’esclavagisme constitue le système économique le moins efficace, le seul souci de l’esclave étant de manger le plus possible, et d’en faire le moins possible. De ce point de vue, le capitalisme d’État est un oxymore, car le capitalisme ne peut être sans liberté individuelle, liberté d’entreprendre, et liberté d’échanger.

Se référant aux travaux de l’économiste péruvien Hernando de Soto portant sur le rôle de l’accès à la propriété privée dans l’émancipation et l’enrichissement des populations, de Salle insista dans son exposé sur le principe de propriété comme facteur indispensable de réussite capitaliste : faute d’être proprement cadastré, le capital du tiers monde est du capital mort, limitant l’individu dans sa liberté d’être, d’entreprendre et d’échanger.

Un ordre spontané

C’est le propre du capitalisme d’avoir synthétisé des éléments empruntés à des traditions et activités humaines très diverses et, notamment, le droit romain (contrats, obligations, responsabilité civile, etc.), la monnaie, la banque, l’épargne et le prêt à intérêt, la bourse, l’éthique du travail, la propriété, l’organisation de la production, la spécialisation des tâches, une vision prométhéenne de l’humanité, la rule of law, la comptabilité en partie double, le marketing, etc. sous la forme d’un ordre spontané de type « bottom up », et évolutionniste comme le sont le langage ou le droit, à l’opposé d’une structure de commandement de type « top down » comme l’est, par exemple, un gouvernement.

Et, c’est précisément dans cette absence de dessein délibéré que réside la fragilité de ce système produit par l’action diffuse des hommes.

En entraver la liberté de disposer d’eux-mêmes comme ils l’entendent – par l’intervention et la coercition de l’État – suffirait à condamner le système, fût-il, pour paraphraser Churchill au sujet de la démocratie, « le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres ».

Publié initialement le 10 juin 2016.

Sur le web

L’Allemagne a tué la France et l’Europe a tué l’Allemagne

Par : h16

Sur le papier, et il y a cinquante ans de cela, l’Union européenne semblait une excellente idée. Avec les dernières décennies et, notamment, les cinq dernières années, l’idée a rapidement viré au cauchemar et tout s’y déroule comme si la construction européenne avait été conçue pour ruiner la France puis, maintenant, l’Allemagne.

Pour tous les thuriféraires de la superstructure étatique européenne, il ne fait pas de doute que le réveil sera d’autant plus long qu’il sera brutal et douloureux. Pour les autres, le doute n’a déjà plus sa place, surtout que ces derniers mois, des informations dont seuls les initiés disposaient jusqu’alors commencent à fuiter abondamment.

C’est ainsi qu’on a récemment appris (ou disons, redécouvert) que Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement sous le gouvernement Jospin entre 1997 et 2001, aurait consciencieusement fusillé le nucléaire français, en s’assurant que ce dernier ne serait pas épargné par les malus taxatoires qui touchent le pétrole, le charbon et le gaz.

On pourrait charitablement (ou niaisement) croire que l’action de Voynet contre la filière nucléaire française n’était que le fait d’une erreur de personne ou d’une mauvaise compréhension des enjeux. Il n’en est rien : en réalité, il ne s’agit pas d’une erreur tactique, stratégique ou idéologique, mais cela s’inscrit bel et bien dans un projet de longue haleine visant à affaiblir la France depuis la fin des années 1990.

Ce projet, essentiellement piloté par les Allemands, a consisté à tout faire pour détruire le potentiel industriel de la France en utilisant différents lobbies, puis, depuis 2015, l’agenda 2030, et très notamment son volet écologique pour s’assurer de l’arrêt et du démantèlement de la filière nucléaire française.

Le but pour les Allemands était d’amoindrir, puis d’annuler l’avantage compétitif des Français en matière d’énergie électrique. Le lobbying constant d’associations plus ou moins écologistes, systématiquement en défaveur du nucléaire bien avant les autres énergies (et surtout pas le gaz – le géant du gaz russe, Gazprom, arrosant régulièrement les écolos allemands), l’infiltration de lobbyistes allemands au plus haut niveau des institutions françaises, la mise en place d’un marché de l’électricité fortement défavorable aux opérateurs français, l’imposition de prix de l’électricité fixés arbitrairement pour favoriser les énergies alternatives intermittentes et non-pilotables et divertir une masse considérable d’argent public dans les poches de promoteurs privés amis des politiciens bien placés, tout aura aidé ces dernières années pour garantir des difficultés grandissantes au nucléaire français.

Pour @FabienBougle, expert en politique énergétique, Berlin veut «affaiblir le nucléaire français» pour favoriser son choix des énergies fossiles dans la production d’électricité. Et cela passe par le financement de lobbies sur le sol français. pic.twitter.com/UO5AXXcgix

— Le Figaro (@Le_Figaro) July 21, 2023

 

Et de façon claire, les industriels français ont progressivement perdu l’avantage énergétique à rester en France : une fois les prix de l’électricité de plus en plus proches de ceux d’outre-Rhin, il n’est pas plus intéressant d’être en France qu’en Allemagne, d’autant qu’on y trouve plus facilement une main-d’œuvre mieux formée, et nettement moins de pénibleries paperassières administratives.

Malheureusement, si l’objectif semble rempli pour les Allemands, la survenue du conflit russo-ukrainien a profondément modifié la donne, d’autant qu’il s’est doublé de choix géopolitiques de plus en plus hasardeux des institutions européennes : poussée par un exécutif américain ravi de voir l’Europe se tirer une balle dans le pied, les sanctions économiques, puis le sabotage de NordStream auront durablement modifié la donne énergétique allemande dont l’industrie se retrouve à présent dans une situation tendue.

Sans surprise, le moteur industriel européen, essentiellement allemand, commence à caler : dans un récent article de Politico, on apprend par exemple que la capacité de l’Allemagne à attirer les investissements des entreprises a subi une baisse alarmante l’année dernière, lorsque plus de 135 milliards de dollars d’investissements directs étrangers en sont sortis, et que seulement 10,5 milliards d’euros y ont été enregistrés. Comme les coûts de l’énergie ont explosé, les industries chimique et métallurgique grosses consommatrices d’énergie et piliers de l’économie allemande, ont donc choisi de déplacer leurs usines à l’étranger.

Le bilan n’est pas réellement réjouissant, et on comprend que si la situation devait durer, l’économie allemande pourrait se prendre une gamelle mémorable. Ce qui pourrait n’avoir été qu’un petit mauvais moment à passer, une récession purement technique, est en passe de se transformer en renversement fondamental de situation économique qui pourrait fort bien emporter toute l’Europe avec elle.

Cette désindustrialisation allemande, que l’Italie ou la France sont incapables de compenser (les deux pays pataugeant actuellement dans leurs propres problèmes économiques de plus en plus graves), entraîne des phénomènes nouveaux outre-Rhin, avec par exemple le début d’un exode des travailleurs allemands à l’étranger.

Du point de vue de la construction européenne, cela ressemble de plus en plus à un échec cuisant. En revanche, du point de vue des Américains, cela affirme une tendance déjà en place depuis le tournant du siècle : entre la guerre en Ukraine et les actuelles difficultés économiques majeures du Vieux Continent, l’Europe divisée est une réalité rentable pour les États-Unis dont le niveau de vie a continué à augmenter ces vingt dernières années, au contraire du niveau de vie européen qui a, lui, globalement stagné (au mieux), voire baissé (dans certains pays, notamment en Italie).

À tel point que, comme le soulignait déjà un article de 2019 de FEE et qui n’est pas démenti à ce jour, les 20 % les plus pauvres des Américains sont en moyenne plus riches que la plupart des nations européennes. Les pauvres vivant aux États-Unis ont ainsi accès à davantage de ressources matérielles que la moyenne de la plupart des pays les plus riches du monde…

Le bilan des dernières années est sans appel : à force de lobbying, jouant sur la naïveté française qui croyait en être restée à une entente franco-allemande quelque peu romancée, l’Allemagne a durablement fusillé l’industrie française. Et au moment où elle allait enfin assurer sa suprématie sur tout le continent, la guerre en Ukraine et les décisions européennes qui furent prises à la suite ont fusillé l’industrie allemande.

Bravo : à présent, l’Europe est foutue.

Sur le web

L’Allemagne manipule l’Europe avec son plan hydrogène

Par : Michel Gay

L’Allemagne annonce la construction de presque 24 gigawatts (GW) de centrales « à hydrogène » qu’elle veut faire subventionner par l’Union européenne.

En réalité, ces centrales fonctionneront principalement au gaz « de schiste » importé des États-Unis, puis ensuite au gaz « naturel » de Russie (c’est toujours du méthane) quand les relations politiques avec l’Europe seront meilleures dans quelques années.

 

L’Allemagne gruge les Européens

Le 1er août 2023, le ministre de l’Énergie et la Protection du Climat, Robert Habeck a annoncé qu’un accord de principe a été trouvé avec la Commission européenne sur les conditions-cadres relatives aux aides d’État (subventions) pour la construction de 23,8 GW de futures centrales électriques à hydrogène qualifiées de « climatiquement neutres »…

Comme il est impossible que les quantités d’électricité nécessaires à la production d’hydrogène et de « e-carburant ou e-fuel » (carburant de synthèse avec de l’hydrogène et du CO2) à partir des énergies renouvelables soient disponibles, nos « partenaires » allemands useront de leur position dominante dans l’Union européenne pour déclarer qu’à l’impossible nul n’est tenu afin de justifier cette nouvelle arnaque.

Il est indispensable que notre gouvernement mette son veto à ce projet allemand qui pue l’entourloupe. Il lui reste aussi la possibilité de s’opposer au pipe-line d’hydrogène en provenance du sud de l’Europe voire du Maghreb (et qui devra traverser la France) si notre nucléaire continue à faire l’objet d’obstruction illégitime par l’Allemagne et quelques autres pays.

 

De quoi s’agit-il ?

Après avoir supprimé environ 20 gigawatts (GW) de nucléaire bas carbone (17 réacteurs), l’Allemagne comptait sur les énergies renouvelables intermittentes (EnRI) pour les remplacer.

Mais les productions fatales de ces dernières étant insuffisantes, ce pays a conservé son parc pilotable au gaz et au charbon qui reste indispensable en soutien, en plus de moyens de stockage et de flexibilité de la demande, pour suppléer l’intermittence de la production de l’éolien et du photovoltaïque.

Et l’Allemagne a même augmenté sa production d’électricité provenant de la lignite extraite de son sous-sol pour compenser cette intermittence.

Pour masquer l’échec de sa transition énergétique (Energiewende) et obtenir en plus des subventions de l’Union européenne, l’Allemagne a donc imaginé ce projet ubuesque de 24 GW de centrales électriques, dites « à hydrogène ».

En réalité, ce sont des centrales à gaz capables de brûler aussi de l’hydrogène, mais qui doivent être subventionnées, car leur fonctionnement intermittent en complément des productions elles-mêmes intermittentes des EnRI, va limiter leur rentabilité.

Après l’abandon du nucléaire mi-avril 2023, et son intention de sortir du charbon « dans l´idéal » (??) en 2030, la production pilotable d’électricité de l’Allemagne reposera sur les centrales à gaz dont la capacité est insuffisante pour satisfaire ses besoins.

La construction de nouveaux moyens pilotables au gaz est donc nécessaire pour garantir sa sécurité d’approvisionnement. Elle crée ainsi un écran de fumée avec le « gaz vert » hydrogène pour masquer l’utilisation du méthane qui, après tout, est aussi un gaz !

Dans cet objectif, l’Allemagne prévoit, dès 2024, de lancer des appels d’offres pour près de 9 GW de nouvelles centrales à gaz censées fonctionner dès le départ à l’hydrogène.

Toutefois, l’Association fédérale de l’économie énergétique et des eaux (BDEW) a déclaré que les décisions finales d’investissement ne seront prises que si une exploitation économique est rendue possible par des « conditions-cadres appropriées ».

 

Et d’où viendrait l’hydrogène consommé dans ces centrales « à gaz » ?

Le gouvernement allemand veut faire de l’hydrogène un pilier de son système énergétique neutre en carbone.

Un Plan de déploiement national de l’hydrogène doté de 9 milliards d’euros a été adopté en 2020 pour développer au moins 10 GW d´électrolyseurs d’ici 2030, et produire jusqu’à 28 térawattheures (TWh) d’hydrogène « vert ». Selon l’Allemagne, l’électricité requise serait majoritairement produite par des éoliennes en mer… Les promesses n’engagent que ceux qui y croient !

Le cabinet d’étude McKinsey estime à 30 GW au moins le manque de moyens pilotables en Allemagne à l’horizon de 2030. Ce cabinet d’experts doute que les conditions pour la construction des nouvelles centrales soient remplies en temps voulu. Notamment, la bascule vers un hydrogène « vert » à un prix raisonnable reste incertaine, voire illusoire.

La capacité nationale de production d’énergies éolienne et solaire (estimée à environ 100 TWh en 2030) ne suffira pas à couvrir le besoin d’électricité pour la production d’hydrogène dont les importations seront indispensables, comme les importations de gaz méthane aujourd’hui.

Des éoliennes en mer ou des importations d’hydrogène produit par des panneaux solaires depuis des pays ensoleillés lointains représentent des hypothèses politiques et financières risquées. Et si ces problèmes sont, un jour lointain, résolus, les centrales censées fonctionner à l’hydrogène « vert » auront été amorties depuis longtemps avec du gaz naturel… Et le (mauvais) tour sera joué au détriment de tous les autres pays de l’Union européenne !

 

Obtenir « à tout prix » des subventions européennes

L’Allemagne souhaite que les subventions pour les futures centrales « à hydrogène » s’intègrent dans le cadre des projets de décarbonation de l’Union européenne, ce qui garantirait un montant d’aide plus important.

Or, actuellement en Allemagne, il n’existe pas de production significative d’hydrogène vert idyllique, et il n’y en aura pas avant longtemps, et peut-être jamais.

Environ 60 TWh d’hydrogène « gris » (fabriqué à partir de gaz naturel suivant le procédé de vaporeformage) sont produits pour l’industrie.

La part d’hydrogène « vert » produit par électrolyse est seulement d’environ 5 % (2 à 3 TWh), principalement pour la chimie à forte valeur ajoutée, car cet hydrogène pur coûte cher, contrairement à l’hydrogène « gris ».

Mais comme il est difficile d’obtenir de l’Union européenne des subventions pour construire des centrales à gaz, l’Allemagne les baptise « centrales à hydrogène ».

Malgré la pression de l’Allemagne, la Commission européenne estime toutefois que ce projet de construction de nouvelles centrales à gaz serait nuisible au climat, et ne peut pas être considéré comme une volonté d’élimination progressive des combustibles fossiles.

Pour défendre son projet fumeux, l’Allemagne avancent que ses objectifs climatiques ne seront pas atteints si les chantiers de nouvelles centrales à hydrogène ne sont pas rapidement mis sur les rails.

Pourquoi les Allemands n’y ont-ils pas pensé plus tôt lorsqu’ils ont détruit leurs 17 réacteurs nucléaires ?

 

Le nucléaire français fait de l’ombre à l’Allemagne

Les Allemands craignent que le nucléaire français souligne l’échec de leur energiewende fondé sur les EnRI et accentue la fragilité de leur projet « hydrogène ».

Ils utilisent donc leur position dominante en Europe pour imposer leurs vues, quitte à mentir en niant l’évidence pour préserver leurs intérêts. Plus c’est gros, plus ça passe ?

Même en fonctionnant seulement avec un facteur de charge de 50 % en complément des EnRI, la puissance de 24 GW envisagée fournirait 100 TWh d’électricité par an. Mais pour produire l’hydrogène nécessaire à leur fonctionnement, il faudrait produire par ailleurs (nucléaire ? gaz ? éolien ? solaire ?…) au moins 300 TWh d’électricité en incluant les pertes et les rendements.

Qui peut se permettre d’engloutir 300 TWh d’électricité pour produire 100 TWh d’électricité ?

Il est toujours permis de rêver, c’est bien agréable.

Mais si les subventions pour ces centrales à gaz « dites à hydrogène » sont attribuées par l’Europe, il s’agira de la deuxième arnaque du siècle réussie par l’Allemagne, après avoir fait croire que les énergies éolienne et solaire pouvaient assurer son avenir énergétique !

Pendant ce temps, la France bataille pour que l’Union européenne l’aide financièrement à prolonger ses centrales nucléaires (émettant moins de carbone (4 g CO2/kWh) que l’éolien ou le solaire), et à en construire de nouvelles.

 

L’Allemagne et la Commission européenne sont en train de tuer l’Europe sous les yeux ébahis des Européens.

Le bourrage de crâne de l’opinion publique par l’Allemagne, via des officines et des médias, ainsi que l’incompréhensible aveuglement (volontaire ?) de nos dirigeants sont hallucinants.

L’AfD « Contre le radicalisme de marché et le capitalisme ploutocratique »

Le langage utilisé et le programme de politique économique adoptés par Maximilian Krah, qui vient d’être choisi comme candidat principal aux élections européennes par le parti de droite allemand AfD, ont beaucoup de points communs avec ceux de la gauche politique.

Selon les derniers sondages, le soutien au parti de droite AfD continue de croître. L’AfD est désormais le deuxième parti le plus puissant en Allemagne, avec une part prospective comprise entre 18 et 22 % des voix, et a réussi à consolider sa position dans de nombreux États de l’est de l’Allemagne. Lors du congrès de son parti européen, l’AfD a élu Maximilian Krah, membre du Parlement européen, comme candidat principal pour les élections européennes de l’année prochaine.

M. Krah a récemment publié un manifeste intitulé « La politique de la droite » (Maximilian Krah, Politik von rechts. Ein Manifest, Verlag Antoaios, Schnellroda, 2023) – dans lequel il expose ses objectifs politiques, notamment en matière d’économie.

Ce livre est révélateur car le manifeste officiel de l’AfD a été adopté au printemps 2016, alors que l’aile pro-marché du parti était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. Ce que Krah écrit est susceptible de mieux refléter la pensée dominante actuelle au sein de l’AfD que le programme politique du parti, vieux de sept ans.

À l’instar des hommes politiques de tous les partis allemands – jusqu’à l’aile gauche du SPD et de Die Linke -, Krah s’engage de manière éclatante en faveur de la propriété privée et de l’économie de marché.

Mais plus que ces professions frappantes, ce sont les limites qui importent.

Krach explique :

« La politique de droite, qui s’articule autour de l’enracinement de l’être humain, d’une vie centrée sur l’ego, avec l’identité comme concept fondamental, est donc toujours en tension avec le marché « . Le marché n’a « aucune considération pour la tradition, la nature ou l’identité » et n’a pas de « dignité humaine ». C’est pourquoi, selon lui, les partis de droite doivent s’opposer résolument au « radicalisme du marché ».

Le « radicalisme de marché » est un terme que les anticapitalistes de gauche affectionnent également. Tout comme la gauche, Krah met l’accent sur « la primauté des intérêts politiques » sur le marché. Son manifeste est parsemé de termes typiquement associés à l’anticapitalisme, à l’anticonsumérisme, par exemple lorsqu’il s’attaque aux « déchets et à la saleté de notre société du jetable ». Krah est généralement sceptique quant aux avantages de la prospérité de « l’économie occidentale et libérale », car cette prospérité a marginalisé les personnes situées à droite de l’échiquier politique.

Bien entendu, il ne manque pas de critiquer la « vente de la quasi-totalité des plus grandes entreprises allemandes » aux « capitalistes vautours de BlackRock », faisant ainsi écho aux récentes déclarations du chef de file de la CDU, Friedrich Merz.

M. Krah est tout aussi sceptique en ce qui concerne la mondialisation, car, selon lui, elle va « de pair avec un libéralisme extrême ». Son point de vue sur le libre-échange est similaire. Il déclare son engagement en faveur du libre-échange, puis enchaîne immédiatement avec une longue liste de mises en garde. Les restrictions commerciales sont nécessaires parce que « les produits véhiculent des messages politiques et culturels ». À titre d’exemple, il cite Coca Cola, qui représente le « mode de vie américain » et favorise ainsi la « transformation culturelle ».

Selon lui, les plateformes nationales et régionales devraient prendre la place des marques mondiales telles que Google. La droite politique ne devrait pas non plus hésiter à s’opposer à la « migration des élites », c’est-à-dire aux membres des conseils d’administration des entreprises qui ne sont pas d’origine allemande. De la vodka russe à la place du Coca Cola et une interdiction de travailler pour les cadres sans passeport allemand ?

Krah s’attaque également au « capitalisme ploutocratique ».

Selon lui, il est nécessaire de s’attaquer au fléau des super-riches, surtout lorsque l’accumulation des richesses – comme dans le cas des pionniers de l’internet – s’est faite en une seule génération. Les objectifs de ces super-riches sont « le plus souvent opaques et en fin de compte sinistres ». Il est également mauvais que les entreprises s’efforcent d’acquérir « potentiellement le monde entier comme client ». Sur ce point, il est reconnaissant que « l’économie de droite, cependant, est basée sur l’idée que les États ont des économies, et non pas qu’une économie mondiale a des États comme simples filiales ».

La plupart des affirmations de Krah attireraient probablement aussi le soutien des gens de gauche. À certains égards, elles ne sont pas inhabituelles, mais sont l’expression du consensus anticapitaliste qui s’est développé dans l’Allemagne d’aujourd’hui. La seule raison pour laquelle elles sont remarquables est que les opposants de gauche continuent de critiquer l’AfD pour son radicalisme de marché et son libéralisme économique, même si elle a progressivement abandonné ses positions antérieures en matière de politique économique.

Il se peut qu’il y ait encore quelques partisans isolés de l’économie de marché au sein de l’AfD, mais l’élection de Maximilian Krah est une preuve supplémentaire qu’une position différente prévaut désormais. Cela a donné un coup de pouce à l’AfD lors des dernières élections, en particulier en Allemagne de l’Est, où l’anticapitalisme est encore plus répandu qu’à l’Ouest. Elle a également réussi à gagner des sections de l’électorat de Die Linke et du SPD.

La préface du livre a d’ailleurs été rédigée par le fondateur et président d’honneur de l’AfD, Alexander Gauland :

« Le fait que certaines de ses idées fassent écho à celles de Sahra Wagenknecht (ancienne figure de proue du parti Die Linke), se félicite M. Gauland, rend l’ensemble encore plus passionnant […] Maximilian Krah et Sahra Wagenknecht sont unis par le conservatisme social ».

Nous observons la même tendance en Europe : l’anticapitalisme ne s’intensifie pas seulement à gauche, mais aussi à droite. Dans de nombreux pays européens, comme la France, la droite radicale a adopté des politiques économiques traditionnellement de gauche.

Rainer Zitelmann est l’auteur du livre In Defense of Capitalism.

Loup Viallet : l’auteur qui repense les rapports entre la France et l’Afrique 

« Alimenter la paranoïa, c’est faire le lit d’une guerre civile ».

Loup Viallet aime les formules percutantes. Ce jour-là, au micro de Jean-Jacques Bourdin, il accusait l’avocat français Juan Branco d’être un « receleur de fake news qui n’aura jamais à endurer les conséquences des discours de ses clients », les leaders panafricanistes Kemi Séba et Ousmane Sonko. Cette parole détonne dans un environnement médiatique français souvent tenté par un soutien par défaut aux opposants politiques africains.

Or, ces dernières années, Loup Viallet a construit une parole singulière, aussi incisive dans ses  interventions médiatiques que rigoureuse dans ses écrits : celle d’un analyste engagé dans les débats  contemporains entre la France et l’Afrique.

Sa trajectoire est plutôt insolite.

Au cours de la décennie passée, Loup Viallet a conseillé des personnalités politiques de tous bords.  Tenté dans un premier temps par des courants proches du souverainisme (il a conseillé aussi bien des  personnalités de gauche comme Georges Sarre, ancien ministre de François Mitterrand, que de droite  nationale, comme Marine Le Pen), Loup Viallet a « appris à se défier des idéologies trop radicales et  des analyses aussi séduisantes que simplistes ».

Il entend défendre ses idées au-delà des clivages partisans. Décrypter la stratégie de déstabilisation conduite par la Russie en Afrique ou dénoncer les activités de Wagner relèverait d’un « intérêt régalien » partagé par des courants très variés de l’échiquier politique. En outre, pour ce dernier, « nombre de personnalités et de partis politiques français témoignent d’une conception obsolète des relations avec l’Afrique. Négliger l’influence grandissante de ces dernières peut nuire à l’applicabilité de leurs propositions dans tout une série de domaines : sécurité, défense, immigration, diplomatie, économie, transition énergétique… ».

 

Comprendre les interdépendances euro-africaines

En constatant au cours de ses expériences politiques une profonde méconnaissance du champ des  possibles avec l’Afrique, Loup Viallet a orienté son attention et ses recherches sur des problématiques  africaines entraînant des conséquences en France et sur le continent européen. Cette volonté de  comprendre les réalités africaines l’a conduit à voyager et à intervenir en Afrique de l’Ouest comme  conférencier dans des écoles de commerce et de sciences politiques.

Pour mieux prendre conscience du quotidien des grandes villes, il a pris ses marques à Abobo et à  Mènontin, quartiers populaires d’Abidjan et de Cotonou. Dans les rues sans nom et sans numéro où  habite « le tiers état du tiers monde », Loup Viallet s’est immergé parmi des populations vivant au jour  le jour de petits métiers : apprentis-chauffeurs, vulcanisateurs, vendeurs de sachets d’eau potable et de mouchoirs à l’unité, brouteurs, petits trafiquants d’essence, portiers, mais aussi vendeurs de forfaits  téléphoniques, tailleurs, tenanciers de maquis… Il décrit des existences « en prise à une adversité  permanente », où un micro-événement (une pluie un peu forte, une coupure d’électricité) peut  provoquer des drames collectifs. L’analyste retire de cette approche concrète une plus grande lucidité  sur des objets d’études « qui ne sauraient être réduits à des abstractions théoriques ».

Dans ses écrits, Loup Viallet cherche à décrypter la nouvelle géopolitique africaine avec rigueur et  précision.

« Revenir aux faits, aux informations sourcées et aux analyses précises pour éviter à tout prixde tomber dans les écueils des discours idéologiques et dogmatiques ».

Cela passe par la critique de concepts usés comme ceux de Françafrique ou de pré carré français.

« Ces concepts dépassés empêchent de penser l’actualité des relations franco-africaines telle quelle est. Leur remise en cause s’avère d’autant plus nécessaire dans un moment où les difficultés partagées s’intensifient en même temps que les sources de tensions ».

 

Approche rigoureuse de la gouvernance monétaire ouest-africaine

Issu avant tout d’une filière littéraire, cet ancien khâgneux multi-diplômé s’est formé par lui-même aux questions financières et monétaires.

Son éclectisme lui a permis d’aborder des sujets tels que le franc CFA ou l’extraversion des économies d’Afrique subsaharienne par un biais transversal, touchant aussi bien aux enjeux économiques que politiques ou sociaux. Cet économiste a ainsi pu développer un regard original et transdisciplinaire sur des champs souvent accaparés par des groupes d’experts peu soucieux d’ouvrir leurs disciplines à d’autres publics et à d’autres domaines que les leurs.

Son approche audacieuse n’a pour autant pas desservi la crédibilité de son propos ; son ouvrage sur le franc CFA est d’ailleurs présent dans de nombreuses bibliothèques universitaires à travers le monde.

Dans La fin du franc CFA, il adopte une position à rebours de la plupart des commentateurs panafricains, ou dans les rangs de la gauche française, qui critiquent le franc CFA comme une monnaie coloniale qui grève la croissance de l’Afrique. Il démontre à ce titre que les solutions alternatives mises en avant manquent de sérieux, ou sont inapplicables.

Au contraire, il avance que la parité fixe du franc CFA avec l’euro (précédemment le franc), et sa garantie par la France (et l’Europe), le tout adossée à une gouvernance de haut niveau, sont la garantie de la stabilité de la monnaie, même en cas de crise politique.

Loup Viallet affirme donc que le franc CFA est un avantage comparatif crucial pour les pays  composant l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté  économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) : une clef pour le bon développement de  l’Afrique. A contrario, la dissolution de la zone franc aurait comme conséquence probable la fin d’un des derniers secteurs de stabilité de la région, avec des conséquences funestes pour les continents  africain et européen.

Conscient qu’une doctrine doit se propager et qu’un renouvellement du regard sur les relations franco-africaines est inévitable, Loup Viallet décide donc, à 32 ans, de franchir une nouvelle étape en lançant son propre média.

Via une approche organique située au plus près du terrain, « Les Deux Continents » aura à cœur de décrire les enjeux économiques, politiques et sociaux qui se posent aux deux rives de la Méditerranée. Dés lors, le décryptage des interdépendances favorisera du même coup la compréhension entre deux continents au bord de la rupture.

Électricité : les Français paient le prix d’une politique énergétique aberrante

Par : Michel Gay

Après une hausse de 15 % en février 2023, le prix de l’électricité augmente de 10 % au 1er août 2023.

En 2023, le tarif réglementé de vente, et toutes les offres qui y sont indexées, auront donc augmenté non pas de 25 %, mais de 26,5 % ! Et ce n’est pas fini !

Cette hausse est due principalement à l’incompétence de nos responsables politiques qui ont mené une politique énergétique insensée fondée sur les énergies renouvelables, et qui ont tergiversé pendant vingt années sur le nucléaire. Ils ont même mis à l’arrêt deux réacteurs nucléaires en parfait état de fonctionnement, à Fessenheim en 2020.

Et l’alibi du conflit en Ukraine se révèle bien pratique.

 

Jusqu’où la facture ne montera-t-elle pas ?

Par idéologie et intérêts financiers favorables surtout à l’Allemagne, depuis plus de 20 ans, la Commission européenne impose à la France une politique énergétique allemande suicidaire fondée sur des énergies renouvelables éoliennes et solaires. En acceptant passivement cette politique par incompétence de ses responsables politiques, la France se tire une balle dans le pied.

La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher se débat depuis des mois pour contrer les menées de la Commission européenne, téléguidée par l’Allemagne, visant à détruire la production française d’électricité nucléaire.

Après les importantes hausses successives de ces dernières années qui ont conduit à doubler le prix de l’électricité en dix ans (sans le bouclier tarifaire payé par les contribuables), le gouvernement augmente à nouveau le prix de l’électricité de 10 % le 1er août 2023, et décide aussi la fin progressive du bouclier tarifaire en 2024.

Les Français avaient pourtant compris qu’il n’y aurait pas d’augmentation du prix de l’électricité en 2023 suite à la déclaration alambiquée du ministre de l’Économie le 30 mai 2022 qui avait dit sans le dire que les consommateurs ne verraient aucun rattrapage sur leur facture en 2023… Le site du gouvernement indiquait même le 14 septembre 2022 que la hausse de l’électricité et du gaz serait limitée à 15 % en 2023  !

Il avait annoncé que l’objectif du gouvernement était de « contenir » la hausse des prix de l’énergie nécessaire pour compenser les pertes enregistrées… par les fournisseurs d’électricité en raison des limitations du prix de l’énergie décidées par l’exécutif.

Bruno Le Maire avait annoncé au printemps 2023 que le bouclier tarifaire serait maintenu jusqu’en 2025, mais qu’il serait réduit par étapes. La réduction de la part payée par l’État aboutit à cette hausse de 10 %.

En niant les réalités, en cédant aux émotions momentanées, et en s’attaquant aux effets plutôt qu’aux causes, le gouvernement persiste dans son erreur par incompréhension du système de production d’électricité, et par idéologie mortifère du marché de l’électricité qui ne fonctionne pas. Même les plus hautes autorités de l’État le reconnaissent !

Le bouclier tarifaire, valable uniquement pour les particuliers, contribue à un endettement supplémentaire de l’État de plusieurs milliards d’euros, et masque des prix délirants pour les entreprises. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) propose une augmentation de 75 % de la facture d’électricité !

Vouloir amoindrir les effets sans s’attaquer aux causes ne fait qu’alourdir à long terme le poids de la dette et la charge financière, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises dont les factures d’électricité ont triplé.

 

Quelles solutions ?

Le marché européen de l’électricité actuel est une construction technocratique artificielle établie par l’Allemagne sur le modèle de son « energiewende » créant des « fournisseurs-spéculateurs », qui ne produisent rien, ne transportent rien, et ne distribuent rien. Il fallait satisfaire l’idéologie européenne d’un « marché » censé mieux protéger le consommateur et qui, au final, enrichit des traders.

Les productions intermittentes éoliennes et solaires d’électricité « gratuites » sont largement subventionnées pour assurer une rentabilité. Leur intermittence nécessite en parallèle un autre parc de production stable, essentiellement au gaz importé dont le prix sert de référence pour assurer l’équilibre du marché.

Et c’est ainsi que le prix de vente de l’électricité pour le consommateur, particulier ou entreprise, a atteint des sommets sans rapport avec le coût de production français reposant essentiellement sur le nucléaire et l’hydroélectricité à bas coût.

L’accélération idéologique des installations des énergies éoliennes et solaires a conduit à une augmentation des prix incomprise par les consommateurs, et même par les décideurs politiques.

La volonté de ne plus s’approvisionner en Russie (gaz, pétrole) a accéléré le dérèglement des marchés de l‘énergie observable depuis quelques années. La solution consiste à sortir du marché artificiel pour revenir à des prix reflétant les coûts réels, lesquels sont bas en France, parmi les meilleurs d’Europe, grâce aux infrastructures nucléaires et hydrauliques pour l’électricité.

Et ce serait légal, car il existe des possibilités d’en sortir en cas de problème… et il y a un problème !

Au lieu de cela, la France s’est inscrite dans une discussion sans fin avec ses partenaires européens, en particulier allemands, qui ont des intérêts opposés aux nôtres car les politiques énergétiques respectives des deux pays ont divergé depuis plus de vingt ans.

Il n’y a donc pas de compromis possible ou envisageable ! C’est ce qui a conduit l’Espagne et le Portugal à s’extraire de ce marché artificiel. Si eux l’ont fait, pourquoi pas la France ?

La politique du bouclier représente donc une subvention donnée aux spéculateurs de l’électricité, alors qu’il est possible de revenir au faible coût réel de production-transport-distribution en France.

 

Sortir du marché européen ?

Tant que les responsables politiques refuseront de sortir du marché européen de l’électricité, tous les Français consommateurs et contribuables seront perdants puisqu’ils ont investi judicieusement depuis 40 ans dans des infrastructures nucléaires et hydrauliques rentables qui ne leur profitent plus à cause de mesures technocratiques européennes incompréhensibles.

Or, conformément à la loi votée par le Parlement il y a plus de dix ans, la situation exceptionnelle qui avait été envisagée est arrivée. La France peut donc se retirer du marché de l’électricité.

Cette action simple n’entre pas en contradiction avec les traités européens, car il n’y a pas de politique de l’énergie européenne !

L’Allemagne et d’autres pays peuvent avoir une autre politique, mais la Commission européenne ne doit pas imposer de mener une politique allemande suicidaire pour un autre pays.

En France, une base nucléaire et hydraulique peut fournir 85 % au moins des besoins électriques, et pour moitié moins cher que chez nos voisins.

Qu’attendent nos décideurs politiques pour décider et agir ?

 

D’importantes futures hausses des prix inévitables

Pendant les palabres européennes, les entreprises, qui alimentent la prospérité de la France s’effondrent, car, ne bénéficiant pas du bouclier, elles ne peuvent plus payer leurs factures d’électricité. Cette politique du déni de réalité est mortifère.

De plus, le sentiment général de subir toujours plus de contraintes, d’augmentations, et d’injonctions contradictoires autour de « l’industrie verte » à cause de l’impéritie du gouvernement ne va pas redonner le moral aux Français !

La France a besoin de la puissance publique pour retrouver rapidement sa compétitivité, reposant sur une électricité abondante, bon marché et souveraine, et non d’un marché européen artificiel de l’électricité créé de toutes pièces par un mix d’incompétents et de profiteurs.

La débâcle de la planification écologique

L’Allemagne vient de mettre en enchère des concessions en mer du Nord pour des parcs d’éoliennes.

Le gouvernement allemand touche un pactole sur la vente des droits ! Les géants BP et TotalEnergies ont chacun acheté environ la moitié des concessions, pour un total de 12,6 milliards d’euros pour le Trésor allemand !

Les sommes ne prennent pas en compte les coûts de construction des parcs.

L’estimation de ESFC Investment Group est d’un coût de construction de 4 à 5 millions d’euros par MW de capacité en mer du Nord. Les parcs en perspective doivent atteindre une capacité de 7 GW. Ainsi, en plus du coût des droits, les entreprises paieront peut-être de l’ordre de 30 milliards d’euros pour la construction des éoliennes.

En contrepartie de la mobilisation de tant de capitaux, BP estime générer des rentes de l’ordre de 6 à 8 % sur le projet. En théorie, donc, la vente de l’électricité des parcs au réseau allemand doit rapporter environ 3 à 3,5 milliards d’euros par an.

Néanmoins, la manne des éoliennes ne provient pas de simples ventes d’électricité. Le secteur compte sur la promesse de subventions et garanties d’achat.

 

118 milliards d’investissements 

En France, selon le gouvernement, les dépenses sur les renouvelables et projets en lien avec l’écologie ou la réduction du carbone doivent atteindre 118 milliards d’euros cette année. Le contribuable, disent-ils, porte seulement 20 % de la charge.

En effet, la majorité provient des dépenses des particuliers et entreprises privées.

Ainsi, les sociétés d’énergies comme TotalEnergies construisent davantage d’éoliennes.

Engie, le distributeur d’électricité et de gaz prévoit 13 à 14 milliards d’euros d’investissements dans l’éolien avant 2025. Il mène le projet d’éoliennes au large de l’Île d’Yeu et de Noirmoutier.

De la même façon, le gouvernement compte les dépenses des propriétaires sur la rénovation des logements.

Les travaux comptent dans les objectifs de dépenses pour l’environnement. Néanmoins, l’argent provient des particuliers – en réaction aux lois ou incitations du gouvernement.

Le gouvernement compte aussi les achats de voitures électriques. De même, le particulier paie le gros du prix de la voiture. Néanmoins, le gouvernement attribue jusqu’à 7000 euros en aide à l’achat.

Il compte de plus sur la promesse de soutiens pour accroître d’environ 60 milliards d’euros les investissements et dépenses sur les renouvelables en 2024.

Il promet 7 milliards d’euros d’incitations.

Ainsi, il transforme des lois et garanties de revenus en dizaines de milliards d’investissements par des entreprises ou particuliers.

 

Retour de la planification

La planification de l’économie revient au goût du jour.

Les dépenses du gouvernement – qui forment 58 % du PIB en France – ne représentent même pas la totalité de l’emprise des élus sur l’économie.

Les directives induisent la mobilisation de grandes quantités de capitaux dans le privé.

Le Ellen McArthur Foundation, une ONG, explique comment améliorer l’économie grâce à la planification :

« Une économie circulaire est une approche systémique au développement économique, qui est prévue pour profiter aux entreprises, à la société, et à l’environnement. À l’inverse du modèle prendre-fabriquer-gâcher qui est linéaire, une économie circulaire est régénérative par conception, et vise à découpler la croissance de la consommation de ressources finies. »

Le projet revient à réduire des gâchis de surface.

Les élus interdisent les couverts jetables, sacs plastiques, ou la destruction d’invendus.

Cependant, elle crée par conséquence des gâchis de capitaux, de temps, et de talent. Des ingénieurs travaillent sur des éoliennes en mer du Nord, plutôt que sur une autre manière de générer l’électricité.

Des capitaux vont à la fabrication de panneaux solaires, ou éoliennes, plutôt qu’à un autre usage.

La planification dissuade les gens de trouver de meilleures manières de gérer les ressources, et les pousse à suivre la directive d’un groupe de puissants – dont ils peuvent tirer des subventions.

Néanmoins, la déformation profite beaucoup à certains…

Dans le domaine des startups – la French Tech – les levées de fonds chutent au cours de l’année.

Malgré tout, la cleantech – le domaine des renouvelables et du circulaire – tire son épingle du jeu. Il affiche même une hausse des levées de fonds, pour atteindre 1,17 milliard sur les six premiers mois de l’année, contre 926 millions sur la même période l’année dernière.

 

Le problème des imprévus

La planification réduit la prospérité d’un pays puisqu’elle empêche les particuliers d’exploiter les ressources selon leurs propres jugements.

Des comités et ministres ne disposant pas du savoir ni de la connaissance pour diriger des millions de personnes prennent néanmoins des décisions à la place des individus.

Par exemple, les éoliennes vont demander sans doute davantage de subventions que prévu. En effet, les experts du secteur révèlent qu’elles connaissent des défaillances et des pannes dès leurs premières années d’opération.

L’action de la société de renouvelables Siemens Energy vient de plonger en Bourse d’un tiers, en une journée ! En effet, le 23 juin, elle a révélé des problèmes de pannes de composants, qui vont générer des pertes sur les parcs d’éoliennes.

Dit un expert interrogé par les médias :

« Nous sommes au courant depuis un certain temps que les pannes de génération électrique affectent l’industrie [des éoliennes] plus qu’il n’est généralement admis. »

Les élus continuent d’augmenter les incitations pour les renouvelables. L’UE vient de voter un Pacte vert qui tendra à mener à plus de directives en faveur d’industries comme les renouvelables et les voitures électriques, aux dépens d’autres formes d’activité et d’industries.

Les tentatives de planification génèrent des désastres. L’imposition des renouvelables et des véhicules électriques contient beaucoup de surprises et d’imprévus à l’avenir.

La débâcle pourrait mener à plus de subventions et déficits (à l’instar du bouclier tarifaire)

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La guerre secrète menée par l’Allemagne contre le nucléaire Français

Par : Michel Gay

L’Allemagne trahit les principes européens d’entraide, notamment en finançant des fondations pour saboter méthodiquement l’industrie nucléaire en France.

 

L’Allemagne veut affaiblir la France

L’Allemagne veut affaiblir l’industrie française qui lui fait concurrence, notamment grâce à la production d’électricité nucléaire bon marché d’EDF.

Le gaz fossile représente toujours 27 % de la consommation d’énergie allemande en 2021, dont la moitié (55 %) de l’approvisionnement provenait de Russie. Et l’Allemagne continue à investir massivement dans les centrales électriques au gaz, et à développer ses capacités d’importation de méthane.

Elle exploite la transition énergétique comme un outil politique, industriel et commercial. Elle souhaite toujours devenir le hub gazier indispensable de l’Europe, et renforcer ainsi son rôle de poumon économique de l’Union européenne.

Lors de l’extraordinaire et édifiante audition de l’ancien PDG d’EDF Henri Proglio le 13 décembre 2022 à la Commission parlementaire sur la souveraineté énergétique (à écouter ou à réécouter pendant deux heures…), celui-ci a même déclaré (3 h 24 après le début d’autres auditions) :

« Comment voulez-vous que l’Allemagne qui a bâti sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie, accepte que la France dispose d’un outil aussi compétitif qu’EDF à sa porte ? Depuis 30 ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF ».

C’est ce que dévoile magistralement l’École de Guerre Économique (EGE) qui a publié en juin 2023 un rapport, « Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », pour alerter les autorités françaises sur la manière dont l’Allemagne sabote consciencieusement le nucléaire en France avec l’aide d’agents français et allemands.

L’Allemagne procède via des fondations financées à coups de centaines de millions d’euros par l’État allemand, dont 73 millions uniquement pour la fondation Heinrich-Böll affiliée aux partis écologistes et chargée, parmi d’autres activités, de diffuser en France des rapports antinucléaires.

Ce nouveau rapport, qui fait suite à celui de mai 2021, « J’Attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie », souligne les conséquences néfastes de ces fondations politiques gérées par des écologistes et des militants d’extrême gauche sur la filière française du nucléaire.

Ce rapport de l’EGE s’appuie également sur le rapport d’investigation « Comment l’Allemagne finance l’affaiblissement du secteur nucléaire français ? » publié en avril 2023 par le Comité d’Intelligence Stratégique pour la Souveraineté (CI2S).

 

Des agents de sabotage

L’Union européenne est naturellement le théâtre de nombreux antagonismes.

Toutefois, celui sur l’énergie entre la France et l’Allemagne atteint des sommets, car l’Allemagne interfère de manière insidieuse dans les affaires politiques et économiques de ses partenaires étrangers, notamment de la France, par l’intermédiaire « d’agents d’influences » inféodés à Berlin au sein de « fondations ».

Ces dernières, directement affiliées aux partis politiques allemands, propagent une idéologie antinucléaire et façonnent des élites socio-politiques pour la défense… des intérêts économiques allemands !

Par le biais de diffusions de contenus orientés et par l’organisation de rencontres, le but de ces fondations soutenues par l’Allemagne est d’infléchir la politique énergétique européenne en faveur des intérêts… de l’Allemagne, empêtrée dans le désastre de son « energiewende » et de ses énergies renouvelables.

L’intérêt de l’Allemagne n’est pas de lutter contre le réchauffement climatique, mais de défendre le gaz fossile comme « énergie de transition » (une transition sans doute durable…), et de refuser le qualificatif « vert » à l’hydrogène produit à partir d’électricité nucléaire.

Dans cette optique, l’Allemagne manœuvre pour affaiblir l’industrie nucléaire en France (et donc l’économie française en général) par le verrouillage des institutions européennes afin d’assurer son hégémonie au niveau européen.

Ce manège détestable dure depuis plus de 20 ans, mais il n’y a pas pire sourd et aveugle que celui qui ne veut pas voir ni entendre !

L’Allemagne verrouille également les postes clés de l’Union européenne : la présidence de la Commission européenne (depuis 2004), la présidence du Parlement européen (depuis 2007). Elle mène également une intense activité de lobbying au Conseil européen.

 

Heinrich Böll et Rosa Luxemburg

Au moyen d’opérations d’influence antinucléaire sur le territoire français, les fondations politiques Heinrich Böll et Rosa Luxemburg œuvrent directement au ralentissement du développement de l’atome en France.

La plupart de leurs financements proviennent directement du gouvernement allemand qui soutient leurs objectifs. Il est même aussi le commanditaire de certaines actions. Ces fondations, composées pour partie d’activistes antinucléaires, constituent de redoutables instruments et de précieux leviers au service de la politique étrangère allemande : accès à certaines catégories de populations pour alimenter leurs craintes, défense de leurs intérêts économiques, et renseignement.

Ces fondations travestissent leurs manœuvres nuisibles à la France en les habillant de valeurs d’humanisme pour les légitimer. En réalité, elles s’inscrivent dans une politique d’accroissement de puissance de l’Allemagne.

Conformément à l’aversion dogmatique allemande pour le nucléaire, les ayatollahs du vent et du soleil d’outre-Rhin mènent une lutte messianique contre l’électricité nucléaire bon marché pour miner la compétitivité économique française.

Malgré les récentes rebuffades au sein de l’Union européenne de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, la France semble encore bien passive et naïve devant ces attaques.

 

MIVILUDEFOPOL

Face à ce constat, l’EGE propose la mise en place d’une Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contre les DErives des FOndations POLitiques (MIVILUDEFOPOL), sur le modèle de la MIVILUDES relative au sectarisme.

En plus de coordonner l’action préventive et répressive des pouvoirs publics à l’encontre des dérives des fondations politiques, elle aurait également vocation à sensibiliser le grand public et à limiter l’impact des actions conduites par ces entités.

 

Depuis au moins 20 ans que durent ces actions délétères pour la France et l’Europe, il serait temps que les responsables français ouvrent enfin les yeux sur le fantasme romantique du « couple » franco-allemand dont l’expression n’existe pas en Allemagne. Les Allemands disent le « tandem » : la France pédale derrière tandis que l’Allemagne tient le guidon et tente de lui enlever la selle

Avec l’AfD, la montée d’un anticapitalisme de droite en Allemagne

Selon les derniers sondages d’opinion, le parti de droite Alternative pour l’Allemagne, ou AfD, est actuellement la deuxième force politique en Allemagne après la CDU, avec environ 19 à 20 %.

Depuis les élections fédérales de 2021, où l’AfD avait obtenu 10,3 %, le parti a presque doublé son soutien dans les sondages. Ce parti est particulièrement fort dans l’est de l’Allemagne (c’est-à-dire dans l’ancienne RDA) : en Thuringe, par exemple, il recueille actuellement environ 30 % des voix, ce qui en fait le parti le plus puissant de tous les partis de l’État.

Les raisons de son succès sont multiples.

Si vous demandez à ses électeurs pourquoi ils soutiennent le parti, il est clair que celui-ci profite principalement du mécontentement à l’égard des politiques d’immigration du gouvernement allemand et des politiques climatiques du partenaire de la coalition gouvernementale, le parti vert. La politique d’immigration d’Angela Merkel, qui a ouvert les frontières du pays à des millions de migrants (dont beaucoup ont des motivations économiques), a longtemps été une raison de la montée de l’AfD.

Mais même sous l’actuelle Ampelkoalition (coalition des feux tricolores) composée du parti social-démocrate SPD, des Verts et du parti liberal FDP, des millions de migrants continuent d’entrer dans le pays. Et pas seulement en provenance de l’Ukraine, dont les réfugiés ont tendance à être acceptés en Allemagne dans une bien plus large mesure que les autres migrants, mais aussi d’Afrique et des pays arabes.

Une autre cause de mécontentement est la politique climatique de la coalition gouvernementale qui, en comparaison internationale, est particulièrement radicale. Récemment, le ministre fédéral de l’Économie, Robert Habeck, du parti des Verts, a annoncé un projet de nouvelle « loi sur le chauffage » qui aurait coûté des centaines de milliards d’euros aux citoyens. Son projet a suscité un tollé dans tout le pays. Le FDP, qui forme une coalition avec le SPD et les Verts, a pu éviter le pire, mais d’une manière générale, la politique climatique radicale et planifiée de l’Allemagne est une autre raison de la montée de l’AfD.

Dans de nombreux pays européens, des mouvements populistes de gauche et de droite sont apparus, lesquels, malgré toutes leurs différences, sont unis par leur opposition au libéralisme économique et au capitalisme. Dans certains cas, les partis populistes de droite ont commencé par promouvoir des politiques économiques au moins partiellement libérales, avant de se transformer en partis anticapitalistes.

C’est précisément ce qui s’est passé en Allemagne, où l’AfD a été initialement fondé en 2013 en tant que parti avec un programme économiquement libéral. Certains de ses membres à l’Ouest sont encore pro-capitalistes. Mais par rapport à il y a dix ans, ce sont maintenant les populistes et les anticapitalistes qui ont le plus d’influence, tandis que de nombreux membres pro-marché autrefois influents ont quitté le parti par frustration.

L’anticapitalisme est particulièrement fort en Allemagne de l’Est, où il se nourrit de la notion de patriotisme social et gagne ainsi de nombreux électeurs qui votaient auparavant pour le parti d’extrême gauche Die Linke (la dernière incarnation du SED, qui dirigeait autrefois l’Allemagne de l’Est et a changé de nom à plusieurs reprises au cours des dernières décennies).

L’anticapitalisme de droite a également une base théorique – par exemple, grâce à des auteurs tels que Benedikt Kaiser et Götz Kubitschek du groupe de réflexion de droite Institut für Staatspolitik. Ils s’appuient sur une longue tradition historique d’anticapitalisme de droite en Allemagne, depuis la « révolution conservatrice » de la République de Weimar jusqu’au national-socialisme.

La critique du capitalisme et de ses politiques économiques par la droite anticapitaliste ne diffère que légèrement de celle de la gauche.

Dans ses écrits, Kaiser, le pionnier le plus connu de ce mouvement, cite sans cesse des auteurs de gauche – de Karl Marx et Friedrich Engels à Thomas Piketty, Erich Fromm et Theodor Adorno. Les ennemis, en revanche, sont les « radicaux du marché », les « néolibéraux » et les « libertariens », notamment Ludwig von Mises, Milton Friedmann et Friedrich August von Hayek. Par ailleurs, Kaiser est assistant de recherche auprès de Jürgen Pohl, député de l’AfD, depuis 2023.

 

La gauche et les grandes entreprises sont-elles de mèche ?

La thèse centrale des anticapitalistes allemands de droite est que les idéologues multiculturels de gauche et les grandes entreprises sont de mèche.

Selon eux, les véritables bénéficiaires de l’immigration de masse sont les capitalistes, qui profitent de l’accès à un vaste réservoir de main-d’œuvre bon marché.

Les idéologues de gauche qui réclament l’ouverture des frontières mènent en fait une politique qui sert les intérêts du capital :

« Ce n’est pas la gauche qui est à l’origine de la migration de masse, même si elle l’approuve pour des raisons idéologiques et l’acclame dans les médias. Elle est avant tout le fait de ce que l’on appelait autrefois le big business, sous la forme de fédérations industrielles et commerciales ».

Sur ce point en particulier, des questions subsistent : il est incompréhensible que l’immigration de masse soit dans l’intérêt des grandes entreprises. Oui, le monde des affaires souhaite que des spécialistes qualifiés s’installent en Allemagne, et ce non seulement dans l’intérêt des entreprises, mais aussi dans celui de la société dans son ensemble, car on ne voit pas comment les problèmes démographiques pourraient être résolus d’une autre manière. Mais cette immigration de travailleurs qualifiés, que les chefs d’entreprise appellent de leurs vœux, se heurte à de nombreux obstacles en Allemagne.

C’est pourquoi l’Allemagne connaît depuis des années une immigration de masse de personnes cherchant uniquement à exploiter le système d’aide sociale, ce qui n’est bien sûr ni dans l’intérêt des grandes entreprises ni dans celui des travailleurs – et c’est aussi quelque chose que la majorité des Allemands ne veut pas, comme le montrent tous les sondages. En fait, l’immigration massive de ceux qui ne cherchent qu’à exploiter le système de protection sociale rend encore plus difficile l’immigration nécessaire de travailleurs qualifiés, car les problèmes culturels qui en résultent réduisent l’acceptation de l’immigration dans l’ensemble de la population.

Comme le montre cet exemple, la thèse selon laquelle les idéologues multiculturels de gauche et les grandes entreprises partageraient les mêmes objectifs est absurde, car elle ne fait aucune distinction entre les types d’immigration. Il ne fait aucun doute que les dirigeants d’entreprises d’aujourd’hui se plient souvent avec complaisance à l’esprit de gauche/vert, mais c’est un signe d’opportunisme et non une preuve qu’ils sont la véritable force motrice du glissement vers la gauche.

 

Au mieux, la propriété privée est défendue du bout des lèvres

Tout comme les anticapitalistes de gauche en Allemagne s’engagent en faveur de l’économie sociale de marché, les anticapitalistes de droite se disent opposés au capitalisme, mais pas à l’économie de marché.

Mais leur engagement en faveur de l’économie de marché ne peut être pris au sérieux, car ses caractéristiques essentielles, telles que la propriété privée, sont rejetées catégoriquement. Bien entendu, les anticapitalistes de gauche et de droite professent souvent leur soutien à la propriété privée, mais selon la primauté du politique, ils veulent que l’État fixe des limites très étroites à la propriété.

Kaiser cite avec approbation Axel Honneth, un théoricien de l’école de Francfort, qui se demande « pourquoi la simple propriété des moyens de production devrait justifier une quelconque revendication sur les revenus du capital qu’elle génère ».

En conséquence, certains pans de l’économie devraient être nationalisés.

Götz Kubitschek, l’une des figures de proue de la droite anticapitaliste, estime que « l’État devrait assurer la fourniture de services de base dans les domaines des transports, des banques, des communications, de l’éducation, de la santé, de l’énergie, du logement, de la culture et de la sécurité, et ne pas se contenter de créer un cadre réglementaire pour les prestataires privés, qui se préoccupent avant tout d’écrémer les secteurs les plus rentables ».

Il s’agit donc, selon Kubitschek, de « nationaliser et en même temps de réduire la bureaucratie ».

Kaiser préconise d’envisager la nationalisation de tous les secteurs de l’économie qui sont essentiels au développement du pays, par exemple l’industrie lourde, les produits chimiques et les transports. Il ne voit pas non plus de justification à l’exploitation privée des centrales électriques, des réseaux d’adduction d’eau, etc. En revanche, il concède généreusement que les industries légères et de biens de consommation pourraient rester « des champs d’activité pour l’initiative capitaliste coopérative et privée ».

Marx, Engels et Lénine, auxquels les anticapitalistes de droite se réfèrent souvent, auraient qualifié l’idéologie des anticapitalistes de droite de critique réactionnaire petite-bourgeoise du capitalisme.

Toutes les grandes entreprises et tous les grands groupes sont considérés comme problématiques, tandis que les « communautés de consommateurs, les auberges villageoises coopératives, qui distribuent un dividende sous la forme d’un festin communautaire, et les fermes, qui fournissent gratuitement de la nourriture à leurs petits investisseurs (rendement des actions) » sont idéalisées.

L’Allemagne de l’Est a été choisie comme terrain d’essai pour ces rêves anticapitalistes. En effet, selon Kaiser, des enquêtes montrent que 75 % des Allemands de l’Est sont favorables à un système socialiste, mais estiment qu’il n’a jamais été correctement mis en œuvre.

Autre idée : à la suite d’Otto Strasser, chef de file des « nationaux-socialistes de gauche », Kaiser propose le concept de « fief héréditaire » qui pourrait remplacer la propriété privée. Ainsi, l’État resterait le seul propriétaire des terres et des moyens de production, laissant la gestion à l’individu « selon ses capacités et sa valeur, comme un fief héréditaire ».

 

Les politiques sociales font écho à celles de la gauche

À tous les autres égards, ces propositions de politique sociale sont étroitement alignées sur celles des partis de gauche allemands.

Les riches doivent être davantage sollicités à tous égards, par exemple en augmentant l’impôt sur le revenu des plus hauts revenus et en réintroduisant l’impôt sur la fortune, qui n’a pas été prélevé en Allemagne depuis 1996.

L’image d’une « économie sociale de marché chère et régulée » ou d’une « économie sociale de marché régulée du XXIe siècle » (Kaiser) n’a en fait que très peu de choses à voir avec une véritable économie de marché. L’espoir de la droite anticapitaliste est de rassembler les éléments nationaux et sociaux en un seul mouvement, avec une haine des « riches » commune aux deux.

Kaiser cite avec approbation la demande de l’ancien secrétaire américain au travail, Robert B. Reich :

« Nous devons créer un mouvement qui rassemble la droite et la gauche pour combattre l’élite riche ».

Les anticapitalistes de droite ont d’abord cherché à repousser les éléments économiques libéraux de l’AfD pour faire place au « patriotisme social » propagé par Björn Höcke, le leader de l’aile droite de l’AfD en Thuringe (Allemagne de l’Est).

Il est important de ne pas sous-estimer les anticapitalistes de droite, car ils ont déjà presque atteint leur objectif.

La synthèse du nationalisme et du socialisme exerce un fort attrait sur les électeurs. C’est ce que prouvent non seulement les récents mouvements en France (comme le Rassemblement national de droite ou le mouvement nationaliste de gauche Mélenchon), mais aussi l’histoire de l’Allemagne, qui montre à quel point ce mélange de nationalisme et de socialisme peut devenir explosif. Cela ne veut pas dire que les nouveaux anticapitalistes de droite sont des nationaux-socialistes au sens traditionnel du terme, mais leur mouvement combine certainement les idéologies du nationalisme et du socialisme.

Cette stratégie a été particulièrement efficace en Allemagne de l’Est.

Après plus d’un demi-siècle d’endoctrinement national-socialiste et socialiste, l’anticapitalisme est beaucoup plus fort dans les États de l’Est de l’Allemagne qu’à l’Ouest, comme le confirment de nombreux sondages. Le mélange d’anticapitalisme et de nationalisme, tel que propagé par Björn Höcke et d’autres dirigeants de l’AfD en Allemagne de l’Est, par exemple, a connu un grand succès dans toute la région. De nombreux électeurs de l’Est qui votaient pour le parti de gauche radicale Die Linke votent désormais pour l’AfD.

Die Linke et l’AfD ont un autre point commun : l’antiaméricanisme.

Cet antiaméricanisme est l’une des principales raisons pour lesquelles les deux partis rejettent le soutien militaire à l’Ukraine et minimisent l’impérialisme russe. L’ami de Poutine, l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder (SPD) et le leader de l’AfD, Tino Chrupalla, ont assisté de manière démonstrative à une réception à l’ambassade de Russie à Berlin pour marquer l’anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne hitlérienne.

Une nette majorité d’Allemands de l’Ouest se range du côté de l’Ukraine, mais en Allemagne de l’Est, le soutien à l’Ukraine est accueilli avec beaucoup de scepticisme. C’est un autre facteur qui explique la montée continue de l’AfD dans l’Est.


Rainer Zitelmann est l’auteur du livre Hitler’s National Socialism, récemment publié.

[L’épopée économique de l’humanité] – L’Orient ancien, premier foyer d’homo faber (IV)

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L’âge du bronze

En raison des limites que ses caractéristiques imposent à son usage, la métallurgie du cuivre n’a eu qu’un faible impact social. Un saut qualitatif est franchi lorsqu’homo faber parvient au troisième millénaire à allier le cuivre et l’étain. S’ouvre alors l’âge du bronze, une innovation dont la mise au point a eu des effets structurants puissants sur l’économie et la société.

Sur le plan technique, la caractéristique première de cette période est le perfectionnement d’un ensemble de procédés permettant l’extraction des métaux à partir de leurs minerais. Cela nécessite un savoir-faire très poussé de l’art du feu fondé sur la maîtrise de fours à haute température.

Sur le plan des échanges, l’âge du bronze qui s’épanouit d’abord en Mésopotamie, dans des régions dépourvues de minerais de cuivre ou d’étain marque aussi une rupture avec le passé. Façonner des outils de pierre, tisser ou fabriquer des poteries, nécessitent des produits et des compétences ne relevant que d’une économie locale. Il en va différemment avec la métallurgie car les centres d’extraction des minerais peuvent être très éloignés des centres de production, eux-mêmes éloignés des centres d’échange. En résultent des transactions à grande distance et la création de flux commerciaux plus intenses.

Au sein de cette économie qui devient plus complexe, les activités de production se spécialisent davantage. Elles nécessitent dorénavant des artisans, des mineurs, des forgerons et des marchands œuvrant à plein temps. Il faut donc que d’autres personnes assurent en échange leur subsistance. Dans ce contexte, les compétences nécessaires à la production et la relative rareté des produits génèrent des occasions de profits et font naître une nouvelle organisation sociale. Tombes et mobilier funéraire témoignent d’une hiérarchisation sociale plus marquée liée à la concentration des richesses par une élite.

Dans le même temps, les gisements de minerais et les dépôts de métaux entraînent la convoitise, ce qui favorise les conflits alors que le bronze permet de fabriquer des armes plus meurtrières. Il en résulte davantage d’insécurité et un besoin plus fort de protection. Comme pour répondre aux nécessités de l’époque, vers – 2000 apparaissent au sud de l’Oural les roues à rayons et à jantes qui sont bien plus légères et plus stables que les roues pleines. Leur invention suit de peu la deuxième domestication du cheval dans le nord du Caucase et au sud-ouest des steppes de l’actuelle Russie. Au deuxième millénaire elles équipent des chars de combat tirés par des chevaux qui se répandent rapidement dans toute l’Eurasie. C’est avec leur arrivée que la roue semble faire son apparition pour la première fois en Égypte et en Chine.

 

L’invention de la monnaie

Jusqu’alors on pratique le troc, ce qui suppose de calculer en permanence le prix relatif des biens les uns par rapport aux autres, le prix d’une poterie en termes de blé, le prix d’une mesure de blé en termes de sandales, le prix d’une paire de sandales en termes de semences etc. Dès lors qu’on est en présence de 50 biens échangeables, ce qui est très peu, il faut calculer 50 x 49 /2 = 1225 prix relatifs, ce qui est déjà considérable. Avec un grand nombre de biens on arrive donc très vite à saturation.

Pour dépasser ces contraintes, il faut choisir un équivalent général permettant d’exprimer le prix de tous les autres biens.

L’Égypte ancienne franchit un premier pas dans cette direction en adoptant une unité de compte, le shât, équivalant à 7,5 grammes d’or. En mettant en rapport avec le shât des objets de nature différente on facilite leur échange : « J’ai acquis cette maison à titre onéreux auprès du scribe Tchenti. J’ai donné pour elle dix shâts, à savoir une étoffe d’une valeur de trois shâts ; un lit d’une valeur de quatre shâts ; une étoffe d’une valeur de trois shâts » précise un texte de l’ancien Empire datant d’environ 2600 avant J.-C. Mais du fait de l’énorme importance symbolique attachée à l’or, « chair des dieux » servant à les représenter sous forme d’idoles, et à l’argent, supposé être la matière de leurs os, les Égyptiens de l’Antiquité n’ont pas pu dépasser le stade de ce troc monétaire. Une véritable monnaie basée sur les métaux précieux n’a pu y voir le jour pour des raisons religieuses. Il était inconcevable de les associer à quelque chose d’aussi vulgaire que pouvait l’être une monnaie-marchandise manipulable par le commun des mortels.

C’est à Sumer au Troisième millénaire avant notre ère qu’apparaît la première forme connue de monnaie-marchandise. L’unité choisie est le silà qui correspond à peu près à un litre d’orge. Le silà a une valeur intrinsèque qui rassure son détenteur car il pourra toujours le consommer à défaut de s’en servir comme moyen de paiement. Mais il est périssable et n’a qu’une faible valeur au regard de son volume. Ce n’est donc pas une bonne monnaie. Une étape importante est franchie lorsque l’argent, un métal mou qui ne peut guère servir à autre chose qu’à fabriquer des ornements s’impose comme base monétaire en Mésopotamie. D’un poids de 8,33 g le sicle y devient d’usage courant dans la première moitié du deuxième millénaire1. Unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur il remplit déjà les trois fonctions de la monnaie telles que les définira Aristote.

 

L’apparition des pièces de monnaie.

Les premières furent vraisemblablement frappées autour de -640 par le roi Alyatte de Lydie.

Elles substituent aux lingots d’or des morceaux d’alliage d’or et d’argent, ou électrum, de poids invariable, de forme identique et marqués d’un signe d’authentification. Ce signe identifie l’autorité qui en garantit le bon aloi. La Lydie dispose à l’époque d’importantes ressources en métaux précieux grâce au fleuve Pactole. Située sur le territoire de l’actuelle Turquie, elle fut l’eldorado de la Grèce avec qui elle entretenait de nombreux échanges commerciaux par l’intermédiaire des cités grecques du littoral anatolien.

Cette innovation monétaire, déjà mentionnée par Hérodote, donne à l’économie antique une impulsion décisive. Le nom de Crésus, roi de Lydie entre – 560 et – 546 est toujours associé à l’image de la richesse.

 

L’invention de l’alphabet

L’alphabet est un système d’écriture très performant car il permet d’associer précision et simplicité. Dans l’idéal il relie un signe unique (une lettre) à chaque son élémentaire de la langue (un phonème). Par comparaison, chaque signe écrit de l’écriture sumérienne, ou logogramme, représentait un mot entier.

Il semble que le système alphabétique soit apparu vers 1800 avant J.-C. parmi des locuteurs de langues sémitiques dans une région comprise entre la Syrie moderne et le Sinaï. Tous les alphabets existants dérivent de cette commune origine après avoir suivi différentes lignées.

La plus connue en Occident passe par l’écriture ougaritique2 en usage aux XIVe et XIIIe siècles avant J.-C. puis par les Phéniciens dont la plus ancienne inscription connue date d’environ 1200 avant J.-C. Au VIIIe siècle, elle conduit aux Grecs et aux Étrusques, puis aux Romains lors du siècle suivant. La diffusion de l’alphabet favorise l’essor de la pensée abstraite et donne naissance à tout une série de mutations dans l’ordre des symboles et des représentations.

 

L’âge du fer

Les traits apparus sous l’âge du bronze se retrouvent amplifiés lorsque la métallurgie du fer se diffuse et supplante celle du bronze.

C’est au Proche-Orient et en Europe balkanique que la transition vers l’âge du fer est la plus ancienne. Elle s’y produit entre 1200 et 1000 avant J.-C. Elle a nécessité une évolution technologique des fours permettant d’atteindre des températures nettement plus élevées. Plus percutantes, les armes de fer renforcent la domination des chefs de guerre qui profitent également de chars et d’équipements de cavalerie de plus en plus performants.

Mais l’emploi du fer dans l’outillage agricole permet aussi d’augmenter les rendements des terres en facilitant leur culture et leurs défrichements. L’essor démographique qui en résulte accroît la main-d’œuvre disponible pour les activités artisanales et commerciales, ce qui permet de sortir d’un mode de production autarcique et d’un monde clos sur lui-même.

En parallèle, les arts du feu, ceux du verre et de la céramique, se perfectionnent grâce aux progrès des fours et des techniques de cuisson.

 

Des économies fondées sur la capture

L’Orient ancien est donc le creuset d’une série de mutations aussi bien matérielles qu’immatérielles.

Leur conjonction y favorise la construction d’entités politiques plus vastes capables d’opérer la prédation à grande échelle. Leurs économies sont des économies de la capture. Elles ont pour ressort une pulsion impérialiste visant à l’obtention d’un butin croissant. Elles mettent en œuvre des procédés qui permettent d’en accroître l’importance et d’en assurer la récurrence.

Leur domination a aussi pour effet de fusionner maintes petites cultures en un petit nombre de grandes. Mais elle peut toujours être contestée par un empire rival. En quelques siècles s’affrontent et se succèdent l’empire assyrien, l’empire néo-babylonien et l’empire perse achéménide. Vaste ensemble de territoires qui s’étend de l’Indus à la mer Méditerranée, ce dernier est le premier empire à vocation universelle. Cyrus le Grand, son fondateur, soumet presque tous les peuples du Moyen-Orient à son autorité en respectant leurs dieux et leurs coutumes. Son idéologie se veut inclusive, elle conçoit l’humanité comme une seule et grande famille placée sous la protection des Perses. Cela lui vaut d’être souvent accueilli en libérateur. Darius 1er poursuit sa politique mais éprouve des déboires inattendus avec un petit groupe de cités des bords de la mer Égée. De celles-ci l’Histoire se souviendra bien plus que de la grande Perse…

  1. Soit pendant la période paléo-babylonienne qui va de 2004 à 1595 avant notre ère
  2. La cité commerçante d’Ougarit, redécouverte en 1929 occupait un site situé à 15 km au nord de Lattaquié (Syrie)

Berlin sur les traces de la RDA : les dangers de l’expropriation immobilière

Erich Honecker, président du Conseil d’État de l’Allemagne de l’Est jusqu’en 1989, avait-il raison ? « Ni un bœuf ni un âne ne peuvent arrêter le progrès du socialisme », prédisait-il avec assurance.

Mais il n’aurait probablement jamais imaginé que 33 ans après la fin de la dictature est-allemande, l’expropriation des sociétés de logement serait à nouveau à l’ordre du jour.
Pourtant, une majorité de Berlinois s’est prononcée en faveur de l’expropriation lors d’un référendum organisé dans toute la ville le 26 septembre 2021.

La demande de municipalisation des logements locatifs appartenant aux grandes sociétés immobilières a recueilli 57,6 % des voix. Le gouvernement n’étant pas légalement lié par le résultat du référendum, il a été décidé de nommer d’abord une commission d’ « experts » chargée de clarifier la légalité de la prise en charge par l’État de la propriété des grandes sociétés immobilières. Cette commission a conclu que leur nationalisation était compatible avec la Constitution allemande.

Cette décision n’est toutefois pas une surprise, car la commission était composée de trois représentants de chacun des partis de gauche au pouvoir à l’époque – le SPD, les Verts et Die Linke – ainsi que de trois membres de l’initiative de gauche qui a fait campagne pour le référendum, Expropriate Deutsche Wohnen & Co.

L’expropriation des sociétés de logement aurait un effet désastreux.

D’ores et déjà, de nombreux investisseurs immobiliers se détournent de Berlin, après avoir été déstabilisés par le plafonnement des loyers de la ville, qui obligeait les propriétaires à réduire les loyers convenus par contrat et interdisait leurs augmentations. Bien que le plafonnement des loyers ait été annulé par la plus haute juridiction allemande, la Cour constitutionnelle fédérale, l’incertitude demeure. Les débats plus récents sur l’expropriation à grande échelle ont jeté de l’huile sur le feu de l’incertitude. En cas d’expropriation effective, Berlin serait probablement perçue par les investisseurs de la même manière que le Venezuela.

Les investisseurs internationaux se retirent déjà de plus en plus de l’Allemagne. Pour la cinquième année consécutive, les investissements ont de nouveau diminué l’année dernière, tombant à leur plus bas niveau depuis 2013, comme l’a récemment révélé une étude du cabinet d’audit et de conseil EY. Une étude de l’Institut de l’économie allemande (IW) a révélé qu’en 2022, 132 milliards de dollars d’investissements directs ont été transférés à l’étranger au lieu d’être investis en Allemagne. Il s’agit de la plus importante sortie de capitaux parmi les 46 pays étudiés !

Rien d’étonnant à cela.

Dans le passé, les principaux avantages concurrentiels de l’Allemagne étaient sa main-d’œuvre bien formée, ses infrastructures bien développées et un État de droit offrant un degré élevé de sécurité juridique. Rien de tout cela ne s’applique aujourd’hui. Les travailleurs qualifiés qui émigrent d’Allemagne sont plus nombreux que ceux qui y immigrent. Parmi les pays de l’OCDE, l’Allemagne a le troisième taux d’émigration le plus élevé. De plus, 75 % des personnes qui quittent le pays sont des diplômés de l’université.

L’infrastructure de l’Allemagne est dans un état catastrophique après 16 ans de gouvernance d’Angela Merkel. Les politiques énergétiques idéologiques ont fait grimper les prix de l’électricité plus haut que dans presque tous les autres pays, ce qui a conduit des entreprises comme BASF à donner la priorité aux investissements en Chine. Si les investisseurs internationaux doivent maintenant ajouter le spectre des nationalisations à leurs inquiétudes, cela signifierait la fin de la sécurité juridique et la fin de l’Allemagne en tant que destination attrayante pour les investissements. Quiconque vit à Berlin sait qu’il est pratiquement impossible de trouver un nouvel appartement. Le marché du logement locatif est pratiquement à l’arrêt. Récemment, les loyers ont augmenté plus rapidement que dans n’importe quelle autre ville d’Allemagne. Tout cela est le résultat désastreux des politiques de logement socialistes du SPD, des Verts et de Die Linke.

La nationalisation ne créerait pas un seul nouvel appartement, elle ne ferait que recréer les conditions du marché du logement de l’Allemagne de l’Est socialiste (anciennement RDA).

Les partisans de l’expropriation estiment que le seul bon logement est celui qui appartient à l’État. Les recettes qui ont été expérimentées à Berlin ces dernières années, ou qui vont l’être, remontent toutes à l’époque de la RDA qui appliquait un plafonnement des loyers (qui, il est vrai, a vu le jour sous Adolf Hitler et y a été simplement maintenu). La majorité des appartements locatifs appartenaient à l’État. Et le résultat ?

Après des décennies de régime national-socialiste et socialiste, le parc immobilier de la RDA et de Berlin était dans un état désastreux.

En 1989, lorsque la RDA s’est finalement effondrée, 65 % des appartements étaient encore chauffés avec des poêles à charbon, 24 % n’avaient pas de toilettes et 18 % n’avaient pas de salle de bains. Les ascenseurs, les balcons et les cuisines modernes étaient encore plus rares. Pas moins de 40 % des immeubles d’habitation ont été considérés comme gravement endommagés et 11 % étaient totalement inhabitables. Le socialisme entraîne une pénurie de logements, hier comme aujourd’hui.

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