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Cinq ans plus tard, quel bilan pour la légalisation du cannabis au Canada ?

Un article de Michael J. Armstrong

Avant que le Canada ne légalise le cannabis récréatif en octobre 2018, ses effets potentiels faisaient, comme cela est toujours le cas ailleurs dans le monde, l’objet de nombreux débats.

Aux États-Unis, le gouverneur du Nebraska, Pete Ricketts, a déclaré que le cannabis était une « drogue dangereuse » qui tuerait les enfants. L’homme politique allemand Markus Söder a exprimé des préoccupations similaires alors que le gouvernement s’est accordé au mois d’août autour d’un projet de loi qui ferait de l’Allemagne le deuxième pays de l’Union européenne à légaliser la possession de cannabis. Le candidat à la présidence du Kenya, George Wajackoyah, a même proposé la légalisation et la commercialisation du cannabis comme moyen d’éliminer la dette publique de son pays.

En France le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis au mois de janvier dernier un avis favorable quant à sa légalisation. Une proposition de loi sur le sujet a été déposée au Sénat au mois de juin par le député socialiste Gilbert-Luc Devinaz.

Certains prédisent une « ruée vers l’or  » grâce à la légalisation d’un nouveau marché, tandis que d’autres craignent des « tragédies  » en matière de santé publique.

Mes recherches se sont depuis penchés sur ses effets réels au Canada. Elles mettent en évidence que certaines tendances étaient déjà à l’œuvre avant la légalisation, et se sont simplement poursuivies par la suite. D’autres changements ne sont en revanche pas intervenus comme prévu.

 

Une consommation déjà en hausse

Nombreux sont ceux qui craignaient que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation considérable de la consommation, avec pour conséquence des « hordes d’adolescents défoncés ». Pour les opposants à la légalisation, toute augmentation de la consommation prouverait l’échec de la mesure.

Au Canada, le pourcentage d’adultes consommant du cannabis augmentait déjà avant 2018. Sans surprise, le mouvement s’est poursuivi après la légalisation. Selon des enquêtes gouvernementales, le taux de consommation était de 9 % en 2011, de 15 % en 2017 et de 20 % en 2019. La légalisation a donné un coup de fouet qui va au-delà de la tendance actuelle. Mais il se peut que cela soit en partie dû au fait que les gens parlent plus ouvertement de leur consommation de cannabis.

Par ailleurs, la consommation de cannabis des adolescents n’a pratiquement pas évolué après 2018. Cela suggère que ceux qui voulaient du cannabis pouvaient déjà en acheter facilement auprès de revendeurs.

 

Conséquences néfastes sur les enfants

Les effets sur la santé avaient également été une préoccupation importante lorsque le Canada débattait de la légalisation du cannabis. Stephen Harper, Premier ministre entre 2006 et 2015, affirmait que le cannabis était « infiniment pire » que le tabac. Son successeur, Justin Trudeau, a au contraire déclaré que la légalisation serait « protectrice ».

Dans les faits, le nombre de visites d’adultes à l’hôpital liées au cannabis était, lui aussi, déjà en augmentation avant 2018, et a continué de croître par la suite. Par rapport au début de 2011, le taux dans l’Ontario, par exemple, était environ trois fois plus élevé en 2018, et cinq fois plus élevé en 2021. La croissance après 2018 était, une fois de plus, en partie liée à la légalisation et en partie une tendance qui se poursuivait.

Certains effets sur la santé ont toutefois été plus graves. Le nombre de visites d’enfants à l’hôpital dues à une consommation accidentelle de cannabis a augmenté de manière significative. Chez les enfants de moins de 10 ans, le nombre de visites aux urgences a été multiplié par neuf, et le nombre d’hospitalisations par six.

 

Et sur la route ?

Les forces de l’ordre craignaient en outre que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation de la conduite sous l’emprise de stupéfiants. Les policiers se sont de plus plaints de ne pas disposer de l’équipement nécessaire pour détecter la consommation.

Les recherches visant à déterminer si la légalisation a effectivement entraîné ou non une augmentation de la conduite sous l’influence du cannabis ne sont pas concluantes. Malheureusement, les rapports gouvernementaux ne précisent pas toujours quelles substances sont à l’origine de l’affaiblissement des facultés des conducteurs.

Cependant, nous savons que la conduite sous l’influence de drogues – toute substance à l’exception de l’alcool – a augmenté avant et après 2018. Par rapport à 2011, les arrestations pour conduite sous l’emprise de drogues ont pratiquement doublé en 2017 et quadruplé en 2020. Le nombre de blessés lors d’accidents de la route impliquant du cannabis n’a, lui, cessé d’augmenter. Par rapport à 2011, dans l’Ontario, ils étaient environ deux fois plus nombreux en 2017, et trois fois plus en 2020.

 

Un gain de temps pour les forces de l’ordre ?

La légalisation a également suscité des inquiétudes en matière de criminalité et de justice sociale. Le gouvernement fédéral s’attendait à ce que la légalisation réduise le temps que la police consacre à la lutte contre les trafics de cannabis. Les partisans de la légalisation espéraient également voir diminuer le nombre d’arrestations parmi les groupes marginalisés.

La baisse du nombre d’arrestations provoquées par la légalisation n’a, en fait, pas été très importante. Les arrestations pour possession illégale de cannabis avaient déjà diminué au Canada bien avant la légalisation. En 2018, le taux d’arrestation était déjà inférieur de 71 % à son niveau de 2011. Les arrestations pour des infractions liées à la distribution illégale de cannabis, comme la culture et le trafic, ont chuté de 67 % entre 2011 et 2018. Cette tendance s’est largement poursuivie après 2018.

 

Un marché qui s’équilibre

Les entreprises espéraient que la légalisation entraînerait une ruée vers l’or. Des investisseurs étrangers ont ainsi aidé à financer les entreprises canadiennes de cannabis. Les gouvernements ont également débattu de la manière de répartir les nouvelles recettes fiscales.

Après la légalisation, le commerce du cannabis a connu un certain essor. Alors que la plupart des provinces n’avaient pas assez de magasins dans les premiers temps pour répondre à la demande, il y en a aujourd’hui plus de 3600 au Canada. Les ventes ont bondi de 42 millions de dollars en octobre 2018 à 446 millions de dollars en juillet 2023. Ces valeurs sont désormais à peine deux fois moins importantes que les ventes de bière.

Cependant, certaines régions ont désormais trop de magasins de cannabis, et de nombreuses entreprises luttent pour se maintenir à flot. En conséquence, certaines sociétés et leurs actionnaires ont réalisé de grosses pertes. Seules les agences publiques semblent être constamment rentables.

 

Des leçons pour ailleurs

En somme, trois leçons peuvent être tirées de l’expérience canadienne.

La première est que la recherche sur la légalisation du cannabis doit tenir compte des tendances existantes. Elle ne peut pas s’appuyer sur de simples comparaisons avant/après. Les gouvernements peuvent y contribuer en publiant davantage de données sur le cannabis.

La deuxième leçon est que les décideurs publics dans les États qui ont légalisé le cannabis devraient moins se préoccuper de savoir si la légalisation a causé des problèmes spécifiques mais plutôt s’attacher à les résoudre.

La troisième leçon concerne les autres pays qui envisagent la mesure. Les décideurs politiques devraient examiner leurs propres tendances avant de légaliser, car les résultats ultérieurs ne seront peut-être pas aussi différents qu’ils l’espèrent.

Sur le web.

Hannah Arendt – Socrate et la question du totalitarisme

Par Johan Rivalland.

Pour prolonger un peu la réflexion que j’ai eu l’occasion d’ouvrir il y a quelques mois au sujet du totalitarisme où j’évoquais, entre autres, l’auteur réputé en la matière qu’est Hannah Arendt, voici la présentation d’un petit essai en hommage à la philosophe auquel j’ai fait référence il y a peu, lorsque j’évoquais le problème de l’obéissance aux lois injustes.

Passée la première déception, car je croyais qu’il s’agissait d’un ouvrage d’Hannah Arendt, alors que c’en est un SUR ce grand auteur que j’ambitionnais de lire depuis longtemps, j’ai ressenti beaucoup de plaisir à savourer cet essai très bien écrit et passionnant.

On y découvre une Hannah Arendt ayant tourné le dos à la philosophie en tant que telle, après avoir éprouvé de terribles déceptions à l’égard tant de ceux que l’on qualifie d’intellectuels que de grands philosophes à l’image d’Heidegger, dont elle comprend mal comment un esprit théorique si brillant peut se révéler en pratique insensible au sort de ses semblables persécutés, lui qui s’est rallié au nazisme et s’est rendu complice du mal absolu.

À désespérer de toute philosophie, et à se demander d’où vient le manque de jugement des « penseurs professionnels » dans la « sphère des affaires humaines » (sans négliger des attitudes méprisantes, telles celles d’un Hegel estimant la pensée « pas faite pour la populace »).

 

La banalité du mal

Dès lors, Hannah Arendt refuse l’appartenance au « cercle des philosophes » et se reconnaît davantage dans la démarche socratique et la « théorie politique », elle qui entend percer le mystère de la banalité du mal, ce fléau qui touche si massivement les citoyens, à partir du moment où « ils désertent l’espace publico-politique pour se réfugier dans la sécurité et la chaleur des valeurs privées » (sur ce concept, que j’ai eu la surprise et la satisfaction de retrouver ici, je conseille une nouvelle fois la lecture du magistral Un si fragile vernis d’humanité : Banalité du mal, banalité du bien de Michel Terestchenko, que j’ai déjà eu l’occasion aussi de présenter). Ou lorsqu’ils acceptent d’accomplir des ordres qu’ils désapprouvent « en s’en lavant les mains », quand ils « renoncent à  penser par eux-mêmes pour suivre le mouvement ». Ou, pire encore, lorsqu’ils sont des acteurs importants du système, tels cet Eichmann, au procès duquel Hannah Arendt découvre, à sa stupéfaction, un homme qui n’a rien d’un monstre, n’a pas de tendance au meurtre et n’est ni un idéologue fanatique, ni un antisémite convaincu. Un homme qui s’est simplement démis de toute responsabilité et s’est refusé à tout jugement personnel.

Le totalitarisme intervient ainsi lorsque l’homme peut être considéré par un système comme interchangeable, ou que l’on entend ériger un « homme nouveau » (Hannah Arendt inclut bien dans ses analyses le stalinisme au même titre que le nazisme).

Face à cette situation, l’attitude d’un Socrate, « homme parmi les hommes, citoyen parmi les citoyens », chantre de la pluralité et « demandant seulement le droit de réfléchir à certaines notions rencontrées tous les jours et invitant ses interlocuteurs à en faire autant », influence grandement Hannah Arendt.

En effet :

« Le problème du nazisme ne vient pas de la conduite des nazis eux-mêmes […] mais de l’acceptation de milliers de citoyens ordinaires qui n’étaient pas des criminels, qui n’ont pas agi par conviction et qui ont pourtant suivi le mouvement. »

 

Le rôle de la conscience morale

Ce qui conduit au totalitarisme est l’indifférence, l’obéissance, « la faillite du jugement et la démission de la conscience morale », cette conscience à laquelle je n’oublie pas que se référait Sophie Scholl, à laquelle je ne manque jamais une occasion de me référer.

À cet égard, Socrate n’appartient pas non plus à la catégorie des philosophes et est même ici opposé à Platon, ce qui n’est pas pour me déplaire car j’avais toujours ressenti personnellement cette importante opposition malgré les apparences si l’on se réfère à l’éloge de Socrate dressé par Platon lui-même à travers son œuvre.

Voici ce que dit, en effet, Hannah Arendt au sujet du célèbre philosophe, selon Catherine Vallée :

Platon ne pense donc pas le lien, mais le conflit entre philosophie et politique. Son œuvre creuse l’abîme entre elles deux. Il tire en effet deux conséquences essentielles de la mort de Socrate : celle-ci l’amène à douter de la vie de la cité et donc de la démocratie, et elle le conduit à rompre avec la manière socratique de faire de la philosophie.

Hannah Arendt elle-même poursuit :

Très tôt dans sa recherche, Platon a dû découvrir que la vérité, en tous les cas les vérités que l’on nomme évidentes, contraignent l’esprit et que cette contrainte, bien qu’elle n’ait pas besoin de violence pour être effective, est plus forte que la persuasion et l’argumentation.

Or, ce que recherche Socrate au contraire, grâce à l’échange et la discussion entre citoyens de la Cité (polis), est l’opinion, la persuasion et l’action.

En ce sens, la vérité a un caractère despotique. La tyrannie de la raison et de la vérité ne laissent pas de place à la liberté de refus.

Socrate, est ainsi le seul avec Kant, tout en allant bien plus loin que lui (à qui elle reproche notamment la notion d’ « impératif catégorique »), à avoir distingué pensée et connaissance, la philosophie conduisant à la seconde.

Et si l’on prolonge l’idée, nous dit Catherine Vallée :

En nous délivrant du conformisme et de l’obéissance, la pensée éduque le jugement, c’est-à-dire la capacité à discerner le bien du mal ici et maintenant au regard de la communauté et de l’action à entreprendre.

 

La perte de la compassion

Les vérités absolues (de type philosophiques, notamment celles portant sur les valeurs) perdent ainsi toute leur force confrontées aux situations de crise comme celles de l’époque de la montée du nazisme.

Et bien plus puissant que l’idéologie, le risque est que la plupart des gens sombrent dans cette « banalité du mal » car ne se posant plus de question, ne faisant que répéter des banalités ou des clichés sans exercer leur pensée, quand ce ne sont pas la fabrication d’images (et Hannah Arendt incrimine Platon pour celles qu’il utilise) souvent au détriment des faits, ou du vocabulaire qui détourne du vrai sens des mots ou conduit à répéter sans discernement au quotidien les paroles des autres.

Tel un Eichmann obéissant en bon fonctionnaire aux ordres et à l’autorité politique, ne distinguant plus entre légalité et légitimité, là où le jugement devrait le conduire à la désobéissance civile, et souffrant d’un cruel manque d’imagination et de compassion qui, par son refus de juger, le rendent coupable des millions de morts dus à son inconsistance.

Encore que la bonté et la compassion, comme le montre bien Hannah Arendt (voir aussi Myriam Revault d’Allonnes et son L’homme compassionnel), relèvent de la sphère privée et ne peuvent être érigées voire « exhibées » sur la scène politique, leur généralisation risquant de mener paradoxalement à une cruauté illimitée, à l’image de la Terreur révolutionnaire d’un Robespierre à la recherche de la purification de l’être humain à travers les vertus des valeurs morales. Ce qui amène Hannah Arendt un bref instant à se référer à Machiavel, même si elle a d’autres motifs d’opposition avec lui par ailleurs, en particulier par son refus du « réalisme de l’efficacité », symbolisé par l’idée que « la fin justifie les moyens », elle qui récuse la violence, considérée comme non légitime et antipolitique.

Deux idées encore, pour terminer, mais pour lesquelles il me manque la place pour les présenter, avec d’une part la remise en cause de l’intérêt égoïste comme origine du mal, pourtant souvent évoqué par la tradition philosophique, et d’autre part la dénonciation comme dérive totalitaire de cette tendance du XXe siècle à réécrire l’Histoire comme si certains faits n’étaient que des opinions, ce qui fera le lien avec d’autres lectures comme, entre autres, le Historiquement correct de Jean Sévilla.

Catherine Vallée, Hannah Arendt – Socrate et la question du totalitarisme, Ellipse, collection Polis, juin 1999, 144 pages.

Article publié initialement le 12 avril 2014

Cannabis récréatif : l’Allemagne ose le changement

La semaine dernière, la coalition au pouvoir en Allemagne a adopté son projet de loi légalisant le cannabis récréatif en Conseil des ministres. Initié par le ministre de la Justice du parti libéral allemand Marco Buschmann, et repris par le ministre socialiste de la Santé Karl Lauterbach, il sera présenté au Parlement à l’automne et malgré l’opposition des conservateurs, il y a peu de doutes sur son adoption.

La coalition a insisté sur ses deux objectifs prioritaires : la santé publique et la lutte contre la criminalité organisée. Une grande campagne de prévention sera déployée pour sensibiliser les Allemands sur les conduites à risque et l’accès au cannabis des 18-21 ans sera limité. C’est en effet un âge pour lequel la recherche médicale s’accorde sur le fait que le cerveau est encore en développement et qu’une exposition importante au cannabis peut affecter définitivement le développement cérébral. Quant à la lutte contre la criminalité, Olaf Scholz a assuré de la volonté de son gouvernement de permettre au prix de vente de concurrencer celui du marché noir.

 

Ce que prévoit la nouvelle loi allemande

La nouvelle loi prévoit la création d’associations à but non lucratif dont les membres pourront cultiver la plante pour leur seule consommation, et dans une limite de retrait de 25 grammes par jour et d’un maximum de 50 grammes par mois, et 30 grammes pour les 18-21 ans. Le projet de loi prévoit également le lancement d’une expérimentation dans certaines régions d’une production industrielle sous licence. Ce dispositif devait à l’origine être généralisé et constituer le cœur de la réforme allemande, mais le gouvernement s’est vu contraint de reculer devant les protestations de la Commission européenne, sous influence d’intérêts conservateurs.

Le maintien de l’industrialisation sous forme d’expérimentation est la preuve que le gouvernement allemand n’a pas renoncé à son ambition, et comprend que l’enjeu principal d’une telle réforme est d’avoir un marché légal efficient qui puisse remplacer rapidement le marché noir. Or, tous les consommateurs n’ont ni la volonté ni la capacité de cultiver leur propre cannabis et les seuls Cannabis Social Clubs, dont l’encadrement est d’ailleurs jugé trop strict par les associations, ne suffiront pas à mettre fin au marché noir.

Pour s’opposer au très libéral projet initial, la Commission européenne s’est reposée sur la décision-cadre du Conseil du 25 octobre 2014, qui elle-même traduit les engagements de l’Union européenne vis-à-vis de la convention unique sur les stupéfiants de 1961. La décision-cadre impose en effet aux États membres de réprimer le trafic de stupéfiants et prévoit une exception explicite, laissée à la libre appréciation des États, pour l’autoculture, et donc les Cannabis Social Club, déjà légalisés à Malte et en Espagne.

Cependant, plusieurs arguments pourraient être opposés à l’interprétation conservatrice de la Commission européenne. L’article 2 de la décision-cadre dispose que :

« 1.  Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels suivants soient punis lorsqu’ils ne peuvent être légitimés :

  • la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, l’offre, la mise en vente, la distribution, la vente, la livraison à quelque condition que ce soit, le courtage, l’expédition, l’expédition en transit, le transport, l’importation ou l’exportation de drogues; »

 

Or, la CJUE, dans son arrêt Kanavape concernant le CBD, a rappelé que la prohibition internationale des drogues et la Convention de 1961 avaient pour objectif premier la santé publique, et qu’en conséquence, c’était cette considération qui devait dicter les politiques publiques liées au stupéfiants.

Dès lors, un État pourrait « légitimer » l’organisation d’un marché légal par un objectif de santé publique, la légalisation n’étant qu’une option politique parmi d’autres dans la lutte contre les trafics et les addictions. Option politique qui montre, au demeurant, son efficacité dans les pays qui ont mené cette réforme à bien : au Québec, le marché noir s’est effondré, les jeunes expérimentent le cannabis plus tard, et ils sont moins nombreux à en consommer.

Par ailleurs, se pose la question de l’adéquation et la proportionnalité entre l’objectif de santé publique poursuivie et le moyen (la prohibition), dans la mesure où d’autres substances plus addictives et plus toxiques comme l’alcool et le tabac sont autorisées. Certains chercheurs en droit considèrent que les conventions internationales sur les stupéfiants ne peuvent pas être isolées des autres engagements internationaux, notamment ceux liés aux libertés individuelles, et que la légalisation peut être regardée comme un moyen de les concilier.

Enfin, il faut rappeler que l’initiateur et le chien de garde historique de la Convention de 1961 sont les États-Unis. Or, il est manifeste que de plus en plus d’États s’engagent dans la légalisation et que l’État fédéral, même sous la présidence de Donald Trump, n’entend pas les en empêcher. Dès lors que le seul signataire de la Convention qui avait la volonté de lui assortir des sanctions ne la respecte lui-même plus, l’Union européenne ne peut pas se défausser derrière ces engagements internationaux.

 

Vers une légalisation progressive au sein de l’Europe ?

La Commission européenne en est consciente, et sous la pression des nombreux États qui veulent prendre la voie de la légalisation, elle serait en train de réviser sa doctrine.

Le Luxembourg, qui avait suspendu sa réforme durant la crise sanitaire, compte bien la remettre sur la table ; les Pays-Bas, où il existe une dépénalisation de fait du cannabis dans les coffeeshop, mène une expérimentation d’industrialisation pour se débarrasser définitivement du marché noir, voie suivie également par le Danemark… Enfin, le président de la République tchèque, Petr Pavel, à la tête une coalition de centre-droit (chrétiens démocrates et libéraux conservateurs) a récemment promu l’adoption d’un modèle industrialisé dans son pays.

De ce fait, on peut légitimement se demander comment, dans un espace européen ouvert, la France pourrait rester le seul pays prohibitionniste, alors que le cannabis sera progressivement légalisé à toutes ses frontières. Tout laisse à penser qu’en France, la lutte contre le trafic de cannabis n’est plus qu’une entreprise de communication, un totem censé symboliser la fermeté de l’État dans la lutte contre la délinquance, tant il est facile de communiquer sur les centaines de petites saisies faites à travers le territoire. Une politique qui n’a aucun effet, ni sur le marché noir ni sur la consommation des plus jeunes.

La loi prohibitionniste crée sa propre légitimité dans un cercle vicieux où son échec justifie alors toujours davantage de répression. Mais encore, cette politique de répression est un gouffre financier, soutenu au détriment des autres politiques pénales et de la prévention : deux milliards d’euros en moyenne sont affectés chaque année aux forces de l’ordre pour ce seul objectif, contre quatre millions d’euros investis dans la prévention en 2023… Des voix s’élèvent dans la majorité présidentielle, comme Caroline Janvier, tout comme au sein de la gauche, et même des LR.

Mais rien ne pourra changer tant qu’il n’y aura pas de volonté au niveau de l’exécutif de donner la priorité à l’efficacité sanitaire et sécuritaire plutôt qu’au symbole.

Légalisation du cannabis récréatif : les défis français

Par Khalid Tinasti.

Fin janvier 2023, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un rapport préconisant une commercialisation encadrée du cannabis. En 2021, une mission d’information de l’Assemblée nationale avait elle aussi recommandé une légalisation du cannabis sous contrôle de l’État.

Depuis quelques années, les débats sur le contrôle et la riposte au cannabis se sont multipliés en France. Face à l’augmentation de la consommation, du trafic et des saisies, ces travaux ont en commun d’appeler à abandonner la répression de l’usage récréatif, en suivant l’exemple de pays qui se tournent vers la légalisation et la régulation du marché.

Cette vague atteint doucement l’Europe. Au Luxembourg et à Malte, la production et la consommation personnelles sont régulées. En Allemagne et en Suisse, la légalisation de l’usage récréatif au niveau fédéral commence ses parcours législatifs. Certaines villes néerlandaises et suisses expérimentent la production légale pour fournir leurs coffee-shops ou leurs consommateurs locaux.

En France, avec une importante prévalence d’usage mais également un système plus répressif que chez ses voisins avec des résultats peu probants, le cannabis pose divers problèmes qui requièrent une stratégie de riposte lisible. Ces problèmes sont sécuritaires (du deal visible à la violence armée), économiques (le marché illégal offre des opportunités aux habitants des quartiers prioritaires), ou sanitaires (prévalence d’usage élevée parmi les mineurs et les adultes).

Le débat se divise avec peu de nuances entre les tenants de la répression et les partisans de la légalisation.

 

Quels arguments en faveur de la légalisation ?

La légalisation est en place depuis quelques années en Californie ou au Canada. En supposant que la société accepte la consommation de cannabis comme état de fait, elle se défend par son potentiel à remplacer le marché illégal et à mieux protéger la santé des consommateurs par des régulations concernant la qualité, et des restrictions sur les quantités. Elle offre de surcroît un cadre juridique pour régler les conflits entre les acteurs de ce marché (droit commercial, droit du travail et de la concurrence, par exemple).

En limitant l’accès aux mineurs, en améliorant la qualité des produits disponibles à la vente et en établissant des règles légales claires pour cette filière, la légalisation promet un meilleur contrôle de la substance, de ses différents usages et de ses conséquences sociales, économiques et sanitaires.

Mais compte tenu de son usage diffus, de sa présence dans différentes strates de la société et de son imbrication dans d’autres politiques publiques (de la sécurité, à l’éducation, au travail ou à la santé publique), la légalisation du cannabis peut-elle être considérée sans y intégrer d’autres dimensions clés pour la France ? Par exemple, la politique de la ville et l’effacement des casiers judiciaires pour des actes qui deviendraient légaux ? Ou encore la viabilité même d’un modèle économique d’un marché « nouveau » qui se superpose à un marché illégal résilient et bien installé ? Est-il possible, dans l’état actuel de polarisation du débat, de légaliser le cannabis mais aussi d’adapter en conséquence une myriade de règles durant les années qui viennent ?

Ces questions n’ignorent pas que le droit international interdit la légalisation autre que médicale ou à visée de recherche scientifique du cannabis. Nous nous focalisons ici sur les défis et les objectifs nationaux d’une éventuelle légalisation récréative du cannabis.

 

La reconversion des acteurs du marché illégal

Le modèle de légalisation californien, plus que les divers modèles provinciaux au Canada, est d’intérêt pour la France.

Ce dernier intègre des dimensions de riposte qui se concentrent sur les quartiers prioritaires et sur l’intégration dans le marché légal d’acteurs pénalisés dans le passé. De plus, la loi permet aux élus municipaux d’accepter ou non des dispensaires cannabiques sur leurs territoires. Elle permet également aux personnes avec des casiers judiciaires pour des faits non violents (incluant la consommation, le deal ou le transport de cannabis) de les faire effacer. Ainsi, des villes comme Los Angeles ou Oakland ont essayé de donner des permis de dispensaires en priorité aux anciennes petites mains du marché illégal, afin de leur permettre de s’intégrer dans le nouveau marché régulé.

Loin d’une image caricaturale et hormis la quasi-impossibilité de sa mise en place dans une économie de marché compétitive dans laquelle les investisseurs et entrepreneurs aguerris maîtrisent mieux les règles du jeu, cette disposition juridique est un cas d’études pour la France. Les problèmes visibles et les activités de trafic semblent se concentrer dans certains quartiers prioritaires et au sein de populations éloignées des opportunités de travail légal.

Toutefois, ce point central de la riposte au cannabis n’a été jusque-là mentionné par aucun responsable politique français tenant de la légalisation. Pourtant, le modèle d’une future industrie légale du cannabis dépend en grande partie de l’intégration dans le débat public de cette relation intrinsèque entre le marché illégal du cannabis et l’économie illicite dans les quartiers prioritaires. S’intéresser à cette question permettrait de déterminer la taille et les contours potentiels des marchés légaux et illégaux, d’en réduire les acteurs ou d’y augmenter la concurrence, et ainsi la violence. Cela participerait aussi à définir la qualité, la traçabilité et la puissance des produits disponibles dans le pays.

 

D’une panacée à une autre

Le débat actuel occulte également la difficulté de la mise en place d’un marché légal et de sa capacité à réussir. Comme la prohibition du cannabis qui a été présentée comme une solution pragmatique, unique et réaliste au début du XXe siècle, la légalisation est promue actuellement comme une icône et une solution définitive. De l’espoir que la prohibition serait en mesure d’éliminer l’usage du cannabis par la répression de ses producteurs, ses revendeurs et ses consommateurs, nous assistons à la promotion de la légalisation comme la panacée pour éliminer le marché illégal, son économie et ses acteurs.

Mais la légalisation est bien plus complexe à mettre en place qu’une série de règles édictées par le gouvernement et dont le non-respect est puni. C’est un effort collaboratif où une série d’acteurs et d’intérêts (acheteurs, industriels, agriculteurs, etc.) s’influencent les uns les autres et influencent les résultats du modèle de légalisation lui-même. Dans la chaîne d’approvisionnement de cannabis légal, par exemple, qui définit les standards de qualité que doivent suivre les agriculteurs ? Est-ce l’État qui établit des normes, les spécifications des revendeurs, ou les labels de standardisation privés ? Et qu’est-ce qui influence le plus les comportements des consommateurs dans un marché légal ? Les lois qui établissent les normes sanitaires et les limites de concentration des ingrédients psychoactifs, ou les boutiques qui disposent les produits selon leur valeur commerciale ?

La légalisation a besoin d’une approche graduelle, longue et construite autour des problématiques propres à l’économie illicite. En France, celles-ci relèvent de la sécurité et des affaires sociales pour répondre aux besoins nationaux et minimiser les conséquences inattendues pour les citoyens. La prohibition du cannabis a été un choix de facilité du début du XXe siècle. La légalisation, elle, est la réponse publique la plus exigeante et la plus compliquée à définir et à mettre en place pour contrôler le cannabis. C’est peut-être sur ce point que les stratégies diffèrent le plus. C’est aussi là que réside la plus grande incompréhension dans ce débat.The Conversation

Khalid Tinasti, Chercheur au Center on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Légalisation du cannabis : un maire ouvre le débat

Le débat sur la légalisation du cannabis récréatif revient sur le devant de la scène politique très souvent, et désormais à une fréquence de plus en plus régulière.

Il est relancé une nouvelle fois par le maire de Bègles, qui souhaite faire de sa ville un laboratoire d’expérimentation en faveur de la légalisation. Au début de l’année, il a ainsi adressé une lettre au président de la République pour lui faire part de sa proposition.

 

Une répression qui ne fonctionne pas

Clément Rossignol-Puech, maire écologiste de Bègles, commune située à quelques kilomètres de Bordeaux, souhaite que ses habitants puissent vendre, acheter et consommer du cannabis de façon légale. Il désire faire de sa commune le tout premier territoire en France à expérimenter le commerce encadré et légal du cannabis.

Il s’est donc porté candidat pour cette expérimentation locale, en adressant un courrier à Emmanuel Macron dans lequel il expose les raisons de sa demande.

Les arguments sont déjà bien connus.

Le maire évoque la banalisation grandissante de la consommation de cannabis chez les jeunes, les trafics liés à la vente qui engendrent des problèmes de sécurité, ou encore le niveau de THC (la substance psychoactive du cannabis) qui augmente d’année en année, créant un risque de santé publique.

Dans un entretien accordé à 20minutes, il explique :

« Malgré la mise en place d’un système de prohibition depuis plus de 50 ans, un des plus répressifs d’Europe, la France est le pays de l’Union européenne qui compte en proportion le plus de consommateurs ».

Pour lui, aucun doute, la répression ne fonctionne pas, et on aurait beaucoup de mal à lui donner tort.

Il précise également que son but n’est pas de faire « l’apologie du cannabis », il ne désire pas « développer sa consommation », mais au contraire encadrer tout le processus pour éviter au maximum les dérives et communiquer efficacement avec les fumeurs sur les risques liés à la consommation.

Les objectifs du maire sont multiples : il veut accompagner au maximum les consommateurs, contrôler la qualité du cannabis vendu, ou encore lutter contre les trafics et toutes les violences qui y sont liées. Bien sûr, un argument économique est mis en avant, avec le développement d’une nouvelle filière agricole.

Le groupe de réflexion Terra Nova avait notamment estimé que la légalisation du cannabis rapporterait 1,8 milliard d’euros par an à l’État, aussi bien en taxes sur la vente des produits, que sur les économies réalisées en mettant fin à la répression.

 

Un maire impliqué

Clément Rossignol-Puech n’en n’est pas à son coup d’essai.

En 2023, il était à l’initiative d’une tribune, publiée dans le JDD, où plusieurs maires, mais également des députés, des sénateurs ou des acteurs associatifs, faisaient part de leur souhait d’expérimenter localement « un modèle de légalisation encadrée de production, vente et consommation de cannabis ».

On y retrouvait déjà les mêmes arguments cités plus haut en faveur de la légalisation et des personnalités de tous les horizons politiques (ou presque) avaient signé la tribune. Si le sujet est donc éminemment politique, des hommes et femmes, de gauche comme de droite, sont prêts à franchir le pas.

 

Une Europe qui progresse lentement sur le sujet

Si ce type d’expérimentation n’a encore jamais été mis en place en France, nos voisins suisses s’y essaient déjà.

La légalisation du CBD en Suisse, autre substance issue du cannabis, est arrivée plus tôt qu’en France et les Suisses semblent aussi avancer plus vite que nous pour le cannabis récréatif. Une première expérimentation a débuté à Bâle en février, puis une seconde plus étendue à Lausanne a commencé en mars, et une troisième débutera en août à Zurich.

En octobre 2022, le ministère de la Santé allemand présentait également une feuille de route pour un cadre à la légalisation du cannabis récréatif, effectif pour 2024. Ici, le but est similaire à celui visé par le maire de Bègles : un commerce totalement légalisé, mais un contrôle strict de la chaîne d’approvisionnement, de la production jusqu’à la vente.

Pour l’instant, hormis les Pays-Bas, aucun autre pays de l’Union européenne n’a totalement légalisé le commerce du cannabis. Il y a cependant des avancées un peu partout sur le vieux continent. Par exemple, Malte et l’Espagne permettent à leurs habitants de cultiver quelques plantes pour une consommation personnelle, et le Luxembourg souhaite s’inspirer du modèle maltais.

En revanche, la France reste toujours très prudente et très bloquée sur ce sujet, malgré une politique répressive qui échoue sur tous les plans depuis des dizaines d’années. Emmanuel Macron a simplement indiqué « avoir pris note » de la demande du maire de Bègles… On peut imaginer que les nombreux consommateurs français attendent une réponse pragmatique de leur président.

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