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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Iran–Israël. Une escalade en forme de poker menteur

Par : Ziad Majed

L'attaque de l'Iran contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril est venue en réponse au bombardement de son consulat à Damas le 1er avril qui a fait 16 morts, dont des officiers des Gardiens de la révolution. Cette opération soulève plusieurs questions sur la stratégie de Téhéran et de ses alliés dans la région, mais aussi de la Jordanie, ainsi que sur le degré d'autonomie d'Israël par rapport au parapluie américain.

En utilisant plus de 200 drones et une centaine de missiles pour attaquer Israël dans la nuit du 13 au 14 avril, l'Iran envoie un message clair. Si les frappes israéliennes contre ses forces, ses centres militaires et ses sites d'approvisionnement en Syrie ne sont pas nouvelles, le ciblage de sa mission consulaire et diplomatique — protégée par les Conventions de Vienne de 1961 et 1963 — constitue une ligne rouge. Cela explique sa réponse militaire et peut en appeler d'autres, plus élaborées si nécessaire, dirigées directement depuis la République islamique ou par l'intermédiaire d'alliés régionaux et de milices loyales en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen.

En marge de cette même attaque, l'Iran a toutefois clairement indiqué qu'il tenait à éviter une guerre totale avec Israël, et bien sûr avec son allié américain. Annoncée en amont, sa riposte n'avait pas pour but d'infliger à Israël des dégâts considérables ni des pertes humaines qui justifieraient une nouvelle confrontation. Tel-Aviv, Washington et leurs alliés ont eu le temps d'abattre la plupart des 300 drones et missiles détectés sans surprise en provenance du territoire iranien. Après ces représailles, l'Iran tente donc de revenir aux règles d'engagement1 dont les termes ont été violés lors du bombardement contre le consulat. Il a répondu par une démonstration de force dans le ciel de la région, mais sans pertes israéliennes au sol.

Prudence américaine

De son côté, Israël cherche à profiter de la situation pour détourner l'attention de sa guerre génocidaire en cours à Gaza et de ses crimes en Cisjordanie. Il espère aussi mobiliser un nouveau soutien occidental dont il a récemment perdu une partie, ou du moins l'unanimité. Il demeure qu'après cette attaque, Tel-Aviv risque de voir sa liberté de mouvement considérablement réduite dans la région — c'est-à-dire en dehors de la Palestine —, alors que les frappes militaires avaient jusque-là lieu sans crainte de représailles. Cette nouvelle donne devrait le pousser à renforcer sa coordination avec les Américains avant de lancer de nouvelles attaques contre Téhéran.

Ceci nous amène à une autre observation : les États-Unis, ne veulent pas d'une escalade régionale de grande ampleur pendant une année d'élection présidentielle et dans un contexte international très tendu. Ils ont montré qu'ils étaient prêts à défendre la « sécurité d'Israël » sur le terrain. Néanmoins, les annonces de Biden à Nétanyahou montrent que Washington ne souhaite pas participer à de futures opérations israéliennes. La Maison blanche préfère que Tel-Aviv s'abstienne de réagir et ne cherche pas à impliquer les États-Unis. Les recommandations américaines consistent à rester dans les limites de la confrontation qui ont précédé l'attaque du consulat, et à bien anticiper les conséquences de chacune des opérations à venir.

La situation actuelle met également le Hezbollah, principal allié de l'Iran, dans une position très délicate, alors que celui-ci mène une guerre contre Israël à la frontière sud du Liban, depuis le 8 octobre 2023. Tout comme son parrain, le parti chiite libanais ne veut pas d'une guerre totale. Il évite donc d'utiliser son artillerie lourde, uniquement destinée à défendre son existence et le programme nucléaire iranien — dont nul n'est menacé aujourd'hui —, afin de ne pas provoquer des réponses israéliennes dévastatrices. Car l'effondrement économique, les tensions et les divisions politiques internes font que ni le Liban, ni la base du « parti de Dieu » dans le sud ne peuvent assumer une nouvelle guerre contre Tel-Aviv à l'image de celle de 2006. Pourtant Israël augmente progressivement l'intensité de ses attaques. Cela risque d'éroder le pouvoir de dissuasion du Hezbollah, jusque-là garanti par ses missiles et par sa préparation au combat, et de faire glisser la milice vers une confrontation inéluctable.

Le choix de la Jordanie

La dernière observation concerne la Jordanie qui a vu un certain nombre de drones et de missiles iraniens traverser son espace aérien. Le royaume hachémite a participé avec les Américains — ainsi que les Français et les Britanniques — à leur interception. Indépendamment de l'indignation populaire qu'une telle action suscite dans la région, l'initiative jordanienne peut s'expliquer par la crainte d'assister à la transformation de son ciel en une zone ouverte à l'affrontement israélo-iranien. Surtout si l'Iran confie prochainement à des milices irakiennes la mission de lancer des drones depuis la frontière irako-jordanienne. Cette éventualité pourrait affecter la capacité d'Amman à maintenir une marge d'autonomie dans son rôle diplomatique régional, en tant qu'allié des occidentaux et « protecteur des lieux saints musulmans et chrétiens » à Jérusalem. Cela pourrait aussi menacer sa sécurité à un moment où la monarchie est préoccupée par ce qui se passe en Cisjordanie et par les projets de l'extrême droite israélienne de déporter des Palestiniens vers son territoire. En même temps, des doutes persistent — légitimement — sur la capacité et la volonté d'Amman d'attaquer les avions israéliens, si jamais ils pénètrent son espace aérien pour bombarder l'Iran ou ses alliés irakiens.

Les limites du respect par Israël des « recommandations » américaines dans les jours et les semaines à venir restent incertaines. Répondra-t-il à l'attaque iranienne en allant au-delà de ce qui est « acceptable » afin de reprendre l'initiative ? Comment l'Iran réagira-t-il dans ce cas ?

Les complexités s'accroissent et les objectifs des différentes parties s'opposent. D'une part, la droite suprémaciste du gouvernement de Nétanyahou veut étendre la portée de la guerre pour permettre à l'armée et aux colons de commettre davantage de crimes et d'expulsions contre les Palestiniens dans les territoires occupés. D'autre part, le premier ministre israélien voit dans la situation actuelle une opportunité d'affaiblir l'Iran et le Hezbollah. De son côté, Washington fait pression pour contenir la guerre et limiter les dégâts dans la région, mais pas dans la bande de Gaza. Enfin, Téhéran et ses alliés (principalement le Hezbollah) sont contraints de riposter aux frappes israéliennes lorsqu'elles dépassent une certaine limite, sans prendre le risque de transformer la situation en une guerre totale. Si l'on tient compte de tous ces éléments, le risque d'un embrasement sur le terrain dépassant les calculs et les réponses mesurées ne peut être exclu.

Ce qui est certain, c'est que nous sommes dans une phase où la violence et les affrontements — sous diverses formes — se poursuivront encore longtemps. Ils détermineront la suite des événements, que ce soit dans les pays directement concernés ou dans l'ensemble du Proche-Orient.


1NDLR.— Ensemble de directives provenant d'une autorité militaire désignée, adressées aux forces engagées dans une opération extérieure afin de définir les circonstances et les conditions dans lesquelles ces forces armées peuvent faire usage de la force.

A la découverte du keffiyeh “Made in Palestine”

En Palestine, il n'existe qu'une seule fabrique de keffiyehs. Elle est située à Hébron et son propriétaire, Izzat Yasser Hirbawi, a bien du mal à répondre à la demande mondiale […]

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Égypte. Football des pauvres, football des riches

Dans la rue ou sur des terrains vagues, partout dans le pays, le ramadan voit surgir des armées de footballeurs amateurs s'affronter dans des tournois aussi populaires qu'endiablés. Le plus ancien se déroule depuis quarante-huit ans, entre les tours d'un quartier d'Alexandrie. Une tradition qui résiste, malgré l'élitisme de plus en plus criant du football égyptien et le gouffre qui se creuse avec les fans.

« Voilà la balle-chaussette », lâche l'Alexandrin. Mains calleuses, dos courbé mais avec une minutie d'orfèvre, Hamouda entoure d'une épaisse couche de ficelle de boucher un ballon de handball coincé entre ses genoux. La pelote solidement attachée, il se saisit d'un rouleau de ruban adhésif blanc et passe la deuxième couche avec un naturel déconcertant. L'opération est devenue un rituel pour ce vétéran du tournoi de Falaki, fier d'exhiber son œuvre. « Par le passé, lors des premières éditions du championnat, on remplissait un sac en papier de chaussettes ou d'éponges qu'on entourait de ficelle, et ça nous faisait un ballon. Depuis, le nom est resté », se souvient ce capitaine de 57 ans à la peau burinée par le soleil. Dans la plus ancienne compétition de football du ramadan en Égypte comme aiment à le rappeler tous les participants, une balle-chaussette est nécessaire « au moins tous les deux jours », pour résister aux assauts des forçats du ballon rond.

Chaque année depuis 1976, des équipes amateures venues des quatre coins d'Alexandrie s'affrontent tout au long du mois sacré sur l'étroit terrain d'asphalte cerné par les tours d'immeubles du quartier populaire de Moharram Bey. Au Falaki, on joue un football qui sent la poussière, le bitume et la peinture fraîche. L'arène délimitée par les trottoirs d'un côté et des lignes blanches grossièrement tracées de l'autre est à peine plus grande qu'un court de tennis. Elle impose aux deux équipes de cinq un face-à-face rugueux. Plaie rougeoyante au tibia, Oussama, un gaillard d'un mètre quatre-vingts, en sait quelque chose. « La balle arrivait vite et j'ai tiré avant de heurter un adversaire et de tomber au sol. Mais je m'en fiche car j'ai marqué et nous avons gagné 5-2. Dieu soit loué », raconte large sourire aux lèvres le joueur de l'équipe des moins de 18 ans de Lombroso, le pâté de maisons d'à côté. Pour pimenter encore les parties dans la deuxième ville d'Égypte très majoritairement musulmane, les matchs se jouent à jeun, depuis le début de l'après-midi jusqu'au coucher du soleil — cette année, une poignée de minutes passé 18 heures.

Une affaire de garçons

Serrés sur les chaises métalliques empruntées à la maison de quartier, debout derrière les cages ou agglutinés sur les balcons, les supporters sont toujours présents en nombre, jusqu'à plusieurs milliers les grands soirs. « Hier les matchs ont été annulés à cause de la pluie. Les gens étaient tristes. On pouvait le sentir dans la rue », assure Gamal, l'un des arbitres de la compétition. Ici, le ballon rond est au choix une histoire de passion, un divertissement ou un simple passe-temps pendant les interminables heures d'abstinence du ramadan. Morsi, un vieux de la vieille, n'a jamais raté une édition. « Cette coupe permet de rassembler tout le monde, les riches, les pauvres et les petites gens, les jeunes et les plus vieux. C'est ça qui fait sa réussite », vante l'enfant du quartier. À Moharram Bey, le foot reste toutefois une affaire de garçons. Invités à concourir dès l'âge de huit ans et jusqu'à plus de 45 ans, chacun y trouve son compte dans les cinq catégories du tournoi.

31 mars 2024 dans le quartier de Moharram Bey à Alexandrie. Deux générations de supporters en bordure du terrain.

Les organisateurs — toujours les mêmes depuis 48 ans — cultivent un football simple et rustique. « L'inscription coûte aux équipes au maximum 500 livres (10 euros), une broutille », précise le capitaine Mohamed Chahine, dernier survivant des quatre fondateurs, parmi lesquels feu les frères Sayed et Loza Falaki, dont le trophée porte le nom. « On offre aussi une enveloppe aux gagnants, mais rarement plus de 3 000 ou 4 000 livres (60 à 80 euros) à se partager. Pour nous comme pour les joueurs, l'argent n'est pas la priorité », insiste le patron à l'élégante moustache grisonnante. Lors du dernier jour de ramadan, les grands vainqueurs se voient remettre une coupe et une tape dans le dos par un élu local. Un esprit partagé par les tournois cousins qui ont lieu dans tout le pays. À Dakhliya, un canard ou un mouton est remis après chaque match à l'équipe victorieuse. À Fayoum, on distribue des kilos de riz. Et à Damiette cette année, l'homme du match d'un soir, un tout jeune papa, s'est même vu offrir un paquet de couches pour bébé.

Huis clos

À côté, l'image renvoyée par la sélection égyptienne semble à des années-lumière. Le 22 mars, les gars du Falaki étaient rentrés chez eux depuis plusieurs heures lorsque les Pharaons ont foulé pour la première fois la pelouse du Misr Stadium, leur nouvel écrin. L'enceinte flambant neuve est avec ses 93 000 places « le plus grand stade de football du Proche-Orient et le deuxième d'Afrique », se gargarisent les commentateurs. Vu du ciel, l'ouvrage qu'on dit inspiré de la coiffe de Néfertiti brille au milieu des équipements sportifs dernier cri d'Olympic City, la portion dédiée au sport de la « nouvelle capitale administrative » (New Administrative Capital, NAC), monstre de verre et d'acier en cours d'édification en plein désert.

Le onze égyptien lance alors l'Egypt Capital Cup. Un tournoi amical clinquant à l'objectif à peine masqué : faire de la publicité pour la NAC, méga projet phare du maréchal-président Abdel Fattah Al-Sissi, dont l'inauguration ne saurait tarder. Défaits 4 à 2 en finale par la Croatie, les Égyptiens privés de leur maître à jouer Mohamed Salah n'en ont pas profité pour briller eux aussi. Qu'importe, le but était ailleurs pour le régime militaire : montrer au monde entier que l'Égypte, candidate déclarée à l'organisation des Jeux olympiques de 2036, est capable d'accueillir les plus grandes compétitions internationales.

En prenant ses quartiers au Misr Stadium à 50 kilomètres du Caire, la sélection creuse encore un peu plus le gouffre qui la sépare du peuple. Déjà depuis dix ans, les supporters autorisés à se rendre au stade sont triés sur le volet. Qu'il s'agisse des matchs de l'équipe nationale ou du championnat, l'accès est strictement contrôlé par une entreprise proche des services de renseignement baptisée Tazkarti. Ancien ultra d'Al-Ahli, le club le plus populaire d'Égypte, Khaled1 explique désabusé :

Seules 5 000 à 6 000 personnes se voient attribuer une Fan ID leur donnant le droit d'aller au stade. On te demande toutes les informations te concernant, y compris sur ton travail et celui de ta famille. Comme ça, si tu dérapes, on peut te retrouver facilement. Pour l'Egypt Capital Cup, les autorités ont sélectionné en priorité des influenceurs et des célébrités afin de soutenir la propagande autour de la nouvelle capitale.

Douze ans maintenant que le régime surveille comme le lait sur le feu les mouvements de supporters. Depuis le 2 février 2012, les matchs du championnat se jouent à huis clos ou presque. Ce jour-là, 74 fans d'Al-Ahli ont trouvé la mort à Port-Saïd au sortir d'une rencontre contre l'équipe locale, poignardés, roués de coup ou asphyxiés devant les yeux fermés de la police. Aujourd'hui, le doute plane encore sur les raisons de ce massacre, néanmoins tout laisse à penser que les ultras ont payé de leur sang leur mobilisation décisive un an plus tôt sur la place Tahrir, lors de la révolution du 25 janvier 2011.

Khaled était dans les tribunes ce soir-là. Âgé d'à peine 17 ans, il brandissait la banderole d'un jeune groupe de supporters qu'il avait contribué à fonder quelques années plus tôt, les Ultra Red Storm. Celle-ci reste désormais rangée dans un placard verrouillé à double tour. La sortir pourrait lui coûter cher. Douze ans après avoir pénétré un stade pour la dernière fois, son nom est toujours inscrit dans les fichiers de la police. Celui que ses camarades de tribune surnommaient Keks raconte :

Les ultras sont considérés comme des terroristes. Il y a un peu plus d'un an, c'était la COP 27 à Charm El-Cheikh et au même moment, je partais en vacances à Dahab, juste à côté. Quand je suis arrivé, les policiers m'ont interpellé et m'ont longuement questionné avant de me laisser partir. Ils avaient peur que je vienne perturber l'événement.

L'ancien ultra se désole :

Depuis Port-Saïd, je ne regarde plus les matchs. C'est à peine si je vais voir les résultats sur mon portable. Avant, j'étais de tous les déplacements, je pleurais, je vibrais. Mais la passion est morte. Et je ne suis pas le seul.

Si les terrasses des cafés sont toujours bondées les soirs de match, le cœur n'y est plus. « En Égypte, le football n'est plus une passion mais un divertissement pour oublier la dureté de la vie. »

Une question de « wasta »

Regroupés derrière les cages de la Moharram Bey Arena, sobriquet taquin donné au goudron du Falaki, les cinq du quartier de Kom Al-Dikka s'échauffent. Ce soir, ils affrontent Smouha dans la compétition reine, celle qui se joue pendant la demi-heure juste avant la rupture du jeûne, au seuil de l'hypoglycémie. « On va les manger », s'amuse l'un d'entre eux en enfilant sa chasuble jaune floquée du portrait tout sourire d'un député du coin. Le murmure des tribunes vrombit, certains supporters sortent des tambourins, d'autres donnent de la voix. Un voisin avec de la suite dans les idées monnaye les chaises sorties de son garage. Les trottoirs sont bondés. Jadis, on pouvait y croiser les recruteurs des plus grands clubs du pays. « Le tournoi a permis de révéler des talents immenses tels Ahmed Sari, Magdi Ezzat, ou Sami Barras », énumère Mohamed Chahine, des étoiles dans les yeux. « Le plus illustre d'entre eux, Ahmed Al-Kass, est même devenu capitaine de la sélection égyptienne à la fin des années 1990 après une brillante carrière au Zamalek et à l'Ittihad Alexandrie. »

31 mars 2024 dans le quartier de Moharram Bey à Alexandrie. Le portrait tout sourire du député de la circonscription, sponsor distant de la compétition.

L'histoire ne s'est pas répétée, depuis. Même si certains joueurs professionnels de futsal continuent de participer au tournoi, ils font figure d'exception. Comme partout ailleurs, le football égyptien est devenu une histoire de gros sous et de piston, la « wasta » comme on l'appelle ici. Impossible de percer sans être inscrit, dès le plus jeune âge, dans un grand club ou dans une prestigieuse académie dont le coût d'entrée est inaccessible au plus grand nombre. Cairote pur jus, contraint de jeter l'éponge faute de moyens, Ahmed Gouda se rappelle :

Si tu n'as pas de « wasta », on va te demander de l'argent. Mais ça ne te garantit pas de jouer, même si tu es bon. Ils te disent que tu fais un investissement pour ta carrière, que cet argent va être dépensé pour toi. Moi j'étais à l'académie de Zamalek. Ça coûtait 300 livres (6 euros) par mois. Ensuite, si tu veux intégrer les équipes, tu dois encore payer les tests. Ils t'en font passer plusieurs. Si tu es reçu, tu acquittes à l'année une somme qui peut aller jusqu'à 2 000 ou 3 000 livres (40 à 60 euros). Et tu n'as toujours aucune garantie de jouer. Par contre, si tu as la « wasta », tu joues directement sans passer tous les tests et sans payer. Le capitaine sait très bien que ton oncle ou ton père a le bras long.

En Égypte, le football n'est pas synonyme de mobilité sociale. La corruption endémique du pays, bien que remise en cause brièvement dans les années qui ont suivi le mouvement de 2011, façonne les voies d'accès au sport de haut niveau depuis les années 1990. Un phénomène qui a poussé les recruteurs à se détourner des compétitions de rue. D'autant que celles-ci sont beaucoup moins nombreuses en dehors de la période du ramadan. Pour jouer, les Égyptiens louent en soirée des terrains d'appoint souvent installés dans des cours d'école, ou — au prix fort — les gazons synthétiques rutilants des nombreux clubs de sociabilité.

Alors que sur le terrain l'équipe de Kom Al-Dikka inscrit un deuxième but filou, Mohamed Chahine glisse une de ces anecdotes dont il a le secret. « Un jour, au début des années 1980, Adel Imam2 en personne est venu assister à un match. C'était la folie, tout le quartier est descendu pour le saluer. » Le monstre sacré du cinéma égyptien faisait du repérage pour son rôle dans El Harrif (Le Champion, 1983), film de Mohamed Khan devenu culte. Il y incarne un joueur talentueux d'origine modeste perverti par les matchs de rue, au point d'en perdre son travail et sa femme. Depuis, l'image de ce football populaire a largement changé. Dans le tout récent El Harrifa (La Compétition des champions) de Raouf El Sayed (2023), le héros joué par Nour Al-Nabawy suit la trajectoire inverse. Fils de bonne famille, il se retrouve contraint de quitter l'académie renommée dans laquelle il est inscrit après la faillite de l'entreprise de son père. Et c'est dans la poussière des tournois de rue qu'il trouvera sa planche de salut.

Coup de sifflet final. Survoltés après leur nette victoire 2 à 0, les héros du jour retirent la chasuble et foncent s'entasser à l'arrière d'un triporteur. Ils filent en chanson profiter d'un dîner doublement mérité. L'arène est à nouveau déserte lorsque l'appel à la prière retentit. Une bande de petits du quartier s'empare alors de la balle-chaussette. Parmi eux Ahmed, 9 ans. « Mon idole c'est Mostafa Al-Yeoudi, il joue pour le quartier de Hadra », dit le garçon entre deux tentatives de passement de jambe. Au Falaki, les exploits européens de Mohamad Salah ne font plus rêver depuis bien longtemps.


1Le prénom a été modifié.

2NDLR. Un des plus célèbres comédiens égyptiens, dont la carrière a commencé dans les années 1960.

En Palestine, Naplouse la rebelle garde la tête haute

Par : Jean Stern

Coupée du monde par les troupes d'occupation, sous la pression de nombreuses colonies, la grande ville du nord de la Cisjordanie suit de près et avec tristesse l'écrasement de la société gazouie par l'armée israélienne. Incarnant une certaine douceur de vivre mais aussi l'esprit de résistance en Palestine, Naplouse s'interroge sur les chemins de la libération.

De notre envoyé spécial à Naplouse

En ce milieu de matinée, fin mars 2024, la vieille ville de Naplouse, entrelacs clair-obscur de ruelles parmi de fiers palais médiévaux, des terrasses fleuries et odorantes, des placettes agrémentées de paisibles fontaines, s'éveille à peine. Naplouse la douce incarne depuis deux ans en Cisjordanie la ville symbole de celles et ceux qui relèvent la tête. Résistance armée, résistance politique, résistance culturelle, Naplouse a dit non et en a payé le prix. Pour les Palestiniens de Naplouse, ce qu'ils qualifient de génocide en cours à Gaza provoque un « électrochoc mondial », dit un intellectuel. Et ils semblent avoir retrouvé « l'esprit de la résistance » , laissant entrevoir pour Naplouse la rebelle un autre avenir que la guerre.

Les commerces du souk alimentaire sont au ralenti ce matin-là, le rush du ramadan arrive en fin de journée, quand les Naplousins flânent bras dessus bras dessous pour acheter des herbes, des légumes et des douceurs, dont le célèbre knafé, un flan tiède délicieusement parfumé dont les nombreux pâtissiers de Naplouse s'enorgueillissent de faire le meilleur du Proche-Orient. Les étals sont bien garnis. Ici comme ailleurs, tout doit être fastueux et pantagruélique pour la rupture du jeune. Malgré le malheur qui frappe la région depuis des mois, des années, « des siècles » ironise à peine un vieux professeur, la ville se flatte de sa prospérité qui ne tient pas seulement aux berlines allemandes rutilantes paradant en soirée sur les boulevards de la ville moderne. Cité commerçante, capitale régionale du nord de la Cisjordanie, Naplouse tire une partie de sa richesse de son environnement agricole, directement menacé par les colons qui captent les terres et harcèlent les paysans, lesquels alimentent les grossistes de la ville. Les oliviers abondants alentour ont contribué à son savoir-faire légendaire en matière de savons et produits de beauté.

La lourdeur des informations en provenance de Gaza entretient le chagrin de nombreux Naplousins. Beaucoup connaissent personnellement les victimes, en raison d'alliances familiales et de parentèles lointaines que la Nakba, puis la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza n'ont pas réussi à totalement distendre. « Qui parle de notre chagrin ? », dit l'écrivain de Haïfa Majd Kayyal, anéanti comme tant de Palestiniens à Naplouse et ailleurs par l'ampleur du deuil - plus de 32 000 morts à Gaza, et 600 en Cisjordanie.

Cette reine sans couronne, surnom flatteur et ambigu de Naplouse, a certes le cuir endurci. Nœud stratégique sur la route des caravanes puis sur le chemin de fer entre Damas, Jérusalem, Amman et Le Caire, elle a connu bien des occupations au cours de son histoire. Toutefois sa légende assure qu'elle ne s'est jamais soumise. La ville de plus de 270 000 habitants est aujourd'hui surveillée de près par deux bases militaires israéliennes perchées sur les crêtes des montagnes qui l'enserrent. Les nouveaux immeubles grimpent sur les flancs, donnant davantage de force et de beauté à la ville, surtout la nuit. Devenue difficile d'accès à l'automne, depuis que ses principaux checkpoints ont été fermés par l'armée israélienne, Naplouse est cernée par d'innombrables colonies, dont de nombreux avant-postes formés d'une trentaine de préfabriqués et entourés de cercles de barbelés, en attendant des cloisonnements en dur. L'ensemble du dispositif colonial est sous l'autorité des ministres suprématistes et racistes. Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ont la haute main sur la gestion des territoires. Les nouvelles milices coloniales qu'ils ont mises en place et armées, les Kitat Konenut, comptent déjà plus de 11 000 volontaires pousse-au-crime en Cisjordanie.

« Les gens ont cessé de se plaindre »

Soudain, les ruelles de la vieille ville grondent de colère. Les antiques façades de pierres dorées peinent à assourdir les litanies mortuaires et les slogans de vengeance. Naplouse enterre Walid Osta, un jeune homme de 19 ans vivant à Ein, un petit camp de réfugiés de deux mille personnes, non loin du centre-ville. Rien à voir avec Balata, à l'entrée sud de la ville, ni Askar, côté nord, deux camps de réfugiés comptant des dizaines de milliers d'habitants. Walid Osta a été tué la veille à Jénine lors d'un affrontement provoqué par l'armée israélienne. Le visage du jeune homme est apparent, yeux clos, lèvres gonflées. C'est un enfant que la foule de Naplouse porte en terre, une petite foule, trois cents personnes environ. Ici, la répression est sévère, menée avec la complicité active de la police palestinienne. Le danger est réel. Plus encore que dans les villes d'Israël, les Palestiniens craignent de manifester. Israël multiplie les arrestations préventives et les détentions administratives sans procès ni jugement. Malgré tout, « depuis ce qui se passe à Gaza ces derniers mois, les gens ont cessé de se plaindre de leur sort à Naplouse », commente un intellectuel. Israël a franchi un cap, il va falloir en trouver un autre.

Dans les regards des personnes présentes au passage du cortège funèbre, on lit cependant de la tristesse, de la lassitude, de la peur. De l'indifférence aussi. Comme si pour certains, depuis le massacre du 7 octobre, depuis que persiste le pilonnage meurtrier de Gaza, après tant et tant de morts, « il serait temps de passer à autre chose », résume un intellectuel.

Le directeur de Tanweer, une association installée dans la vieille ville qui mène un gros travail social auprès des femmes, Wael Al-Faqih, s'affirme « radicalement favorable à la non-violence » et estime que les Palestiniens devraient s'engager dans cette voie. La violence d'Israël, il l'a subie, tout comme son épouse, avec des séjours en prison « deux fois pour elle, et plusieurs fois pour moi » sous des motifs fallacieux. Il faut en finir avec « le temps des remèdes de charlatan », comme le dit avec une ironie amère un autre de mes interlocuteurs, pour relancer la réflexion sur le futur.

« La mort a depuis trop longtemps été là, et frappé tant de jeunes » poursuit-il, persuadé qu'il faudra bien un jour changer de logiciel. Pour un architecte Naplousin, l'avenir revient à « poursuivre la construction d'une société civile, et à élaborer un projet politique commun pour tous les Palestiniens ». Zouhair Debei, qui a consacré une partie « de sa vie et de son énergie » à un hebdomadaire local indépendant raconte « avoir toujours défendu, et aujourd'hui plus que jamais, l'idée de la non-violence. Il faut construire une alternative pour préserver la mémoire des Palestiniens et surtout améliorer les conditions de vie, notamment au niveau de l'éducation et de l'écologie. On a besoin de planter beaucoup plus d'arbres. L'histoire de Naplouse doit redevenir une leçon de vivre ensemble ».

« Le respect de toute la Palestine »

Les très jeunes militants de la Fosse aux lions avaient choisi en 2022 une autre voie : celle de prendre les armes tout en faisant le buzz sur TikTok1. Ils ont permis à la ville de gagner « le respect de toute la Palestine » en menant la vie dure aux troupes israéliennes. Résistants pour les Palestiniens, « terroristes » pour les Israéliens, ils ont été plus de deux cents combattants, abattus pour la plupart et pour certains en prison. Leurs chromos en armes tapissent les murs de la vieille ville et des camps. La ruelle d'herbes sauvages où a été tué le 9 août 2022 Ibrahim Al-Naboulsi, 18 ans, après un impressionnant déploiement nocturne de l'armée israélienne au cœur de la vieille ville, fait l'objet d'un discret parcours mémoriel.

Portrait d'Ibrahim Al-Naboulsi à l'endroit où il a été liquidé par l'armée israélienne dans la vieille ville de Naplouse, le 9 août 2022.
Jean Stern

« Quelque chose a changé depuis le 7 octobre, et je soutiens les résistances, car c'est le droit d'un peuple sous occupation de se défendre, résume Ibrahim, un jeune intellectuel Naplousin. Sur les 38 personnes que comptait ma classe en 2005, 22 ont depuis été tués ou arrêtés ». Sa douleur l'étouffe, le paralyse parfois. Pourtant, il ne peut envisager de prendre la tangente. Le monde extérieur lui est fermé : Israël gouverne in fine ses choix de vie avec l'occupation, le mur, les blocus, tout ce qui pourrit son quotidien.

Sortir de l'occupation est pour Ibrahim un cauchemar. Il est hanté par le souvenir de l'ami de 13 ans, mort dans ses bras après une agonie de plusieurs minutes à même le trottoir. Il avait pris une balle dans l'œil pendant la seconde intifada, qui a été puissante autant que meurtrière à Naplouse. Alors il est prêt à comprendre la peine et la colère des Israéliens face à « l'horreur » du 7 octobre mais leur demande, comme tout le monde ici, de comprendre sa rage, ancrée depuis si longtemps par l'arbitraire colonial, et ravivée par les deuils de Gaza.

Ibrahim se réjouit de penser que pour l'Israël de Benyamin Nétanyahou qui l'oppresse, c'est « le début de la fin ». La défaite de ce gouvernement et de son armée, qui ne sont parvenus ni à détruire le Hamas ni à libérer les otages, est un constat que la rue de Naplouse partage avec celle de Tel Aviv. La fin d'un pays jusqu'à présent victorieux, en tout cas sous sa forme actuelle, est d'ailleurs envisagée par de nombreuses personnes en Palestine comme en Israël, j'y reviendrai dans un prochain article.

« Une décision du peuple palestinien »

Le pacifiste Wael Al-Faqih estime que le « droit de se défendre » contre l'oppression, contre une situation qui « s'est terriblement dégradée à Gaza depuis plus de quinze ans » n'est pas « une décision du Hamas mais une décision du peuple palestinien. Cela fait 75 ans qu'Israël occulte la réalité de la Palestine aux yeux du monde. Cela aussi, c'est en train de changer, les gens commencent à découvrir le vrai visage d'Israël ». Que le débat sur le choix du modèle de résistance, entre non-violence et lutte armée soit relancé à Naplouse illustre également la réputation intellectuelle de la ville, qui aime les idées tout autant que les rencontres.

Cela n'induit pas pour autant le retour de la confiance des Palestiniens en leurs partis et en leurs institutions. L'un de mes interlocuteurs résume en une phrase le sentiment général : « L'Autorité palestinienne est corrompue et son appareil sécuritaire vendu aux Israéliens. Elle n'a aucun projet et le Hamas est un parti réactionnaire, conservateur, raciste, hostile aux droits des femmes et homophobe ». Selon un sondage de l'institut PSR réalisé début mars 2024 via des centaines d'entretiens en face-à-face à Gaza, Jérusalem-Est et dans les territoires — ce qui constitue un véritable exploit sociologique — seul un tiers des Palestiniens soutiennent le Hamas, soit 9 % de moins qu'en décembre 20232. Le soutien à la lutte armée est également en baisse de 17 %, chutant de 56 à 39 %, tandis que celui à la non-violence monte à 27 %, soit une augmentation de 8 %. Néanmoins, les Palestiniens pensent aussi à 70 % que l'attaque du 7 octobre était justifiée, dans un contexte d'échec du processus de paix, tout en renvoyant dos-à-dos sur le plan politique le Hamas et l'Autorité palestinienne, qui exercent actuellement le peu de pouvoirs laissé par les Israéliens aux Palestiniens, dans un contexte de corruption généralisée à Gaza et en Cisjordanie.

Dans la douceur des soirées printanières du ramadan, les cafés de la vieille ville et du centre moderne de Naplouse se remplissent de jeunes filles et garçons en bandes non mixtes, comme ailleurs dans le monde. Ils jouent aux cartes, fument la chicha, partagent du thé et du knafé. La légèreté est dans les gênes de the old lady, autre surnom affectueux de Naplouse. Cette vieille dame insuffle la fougue de sa jeunesse à l'esprit de résistance, et on ne peut plus lui raconter d'histoires.


1Ce reportage de Louis Imbert pour Le Monde raconte bien ce qu'a représenté la saga de ce petit groupe.

2L'intégralité de ce sondage est visible ici

Sharp Boomerangs of Lost Wars

Par : AHH

Tremendous weakening of the combined West in the Holy Land and the Ukraine has already led to unraveling of odious UNSC sanctions and their enforcement against North Korea, ridiculing of unilateral threats vis-a-vis Russia, and pitiful kowtowing to China in order to obtain breathing room anywhere. The Imperial Vampire Ball transitions to the Danse Macabre

Yaman de Cisjordanie : « Pas un Homme libre n’oublie le visage de son bourreau »

Par : Falasteen

Investig'Action a échangé avec Yaman, un jeune Palestinien de 26 ans originaire de Naplouse, sur les conditions de détention des prisonniers palestiniens. En préparation de cette interview, vous nous avez […]

The post Yaman de Cisjordanie : « Pas un Homme libre n’oublie le visage de son bourreau » appeared first on Investig'action.

L’histoire de la destruction physique de la Palestine

par Jochen Mitschka. Le rejet du sionisme raciste et, à la place, la promotion du judaïsme dans son expression pacifiste auraient permis aux juifs et aux Arabes de continuer à vivre en paix.

War Updates: Al Shifa Hospital & Syria

Par : AHH

Jon Elmer of the Electronic Intifada with his weekly update, focused on guerrilla war around Al Shifa Hospital. Kevork Almassian, originally from Aleppo, Syria, reviews the Anglo-Zionists’ return to bombing Aleppo in coordination with Al-Qaeda, Jordan, and the US base at Al Tanf; back to the sordid future! Does a criminal ever deviate far from a favored MO? Will it matter in the end, as during the last decade?

La connexion Nuland – Boudanov – Tadjik – Crocus

par Pepe Escobar. L'enquête du Crocus semble mener exactement là où Moscou le souhaite : découvrir l'intermédiaire crucial. Et tout semble pointer vers Boudanov et ses hommes de main.

Plusieurs états portent plainte contre Ursula Von der Leyen pour corruption dans le cadre du SMS Gates. Entre entrave politique à l’enquête et recherche de soutien, quel avenir pour Ursula ?

Devant l’impossibilité d’obtenir les SMS, Frédéric Baldan, lobbyiste belge, est parti du principe que les SMS ont été détruits. Le 5 avril 2023, il déposait une plainte pénale avec constitution de partie civile entre les mains de Frédéric Fresnay, juge d’instruction à Liège, contre Ursula Von der Leyen. Les chefs d’accusation étaient usurpation de fonctions et de titre, destruction de documents et prise illégale d’intérêt et corruption. Le juge d’instruction belge partait donc à la recherche des textos.

Très vite, l’affaire Baldan-Von der Leyen pris la tournure d’un combat politique, puisque le lobbyiste a vu ses accréditations suspendues avant d'être radié.

L’article Plusieurs états portent plainte contre Ursula Von der Leyen pour corruption dans le cadre du SMS Gates. Entre entrave politique à l’enquête et recherche de soutien, quel avenir pour Ursula ? est apparu en premier sur Strategika.

The Nuland – Budanov – Tajik – Crocus connection

Par : AHH

The Russian population has handed to the Kremlin total carte blanche to exercise brutal, maximum punishment – whatever and wherever it takes.

By Pepe Escobar at Strategic Culture Foundation.

Let’s start with the possible chain of events that may have led to the Crocus terror attack. This is as explosive as it gets. Intel sources in Moscow discreetly confirm this is one of the FSB’s prime lines of investigation.

December 4, 2023. Former chairman of the Joint Chiefs of Staff, Gen Mark Milley, only 3 months after his retirement, tells CIA mouthpiece The Washington Post: “There should be no Russian who goes to sleep without wondering if they’re going to get their throat slit in the middle of the night (…) You gotta get back there and create a campaign behind the lines.”

January 4, 2024: In an interview with ABC News, “spy chief” Kyrylo Budanov lays down the road map: strikes “deeper and deeper” into Russia.

January 31: Victoria Nuland travels to Kiev and meets Budanov. Then, in a dodgy press conference at night in the middle of an empty street, she promises “nasty surprises” to Putin: code for asymmetric war.

February 22: Nuland shows up at a Center for Strategic and International Studies (CSIS) event and doubles down on the “nasty surprises” and asymmetric war. That may be interpreted as the definitive signal for Budanov to start deploying dirty ops.

February 25: The New York Times publishes a story about CIA cells in Ukraine: nothing that Russian intel does not already know.

Then, a lull until March 5 – when crucial shadow play may have been in effect. Privileged scenario: Nuland was a key dirty ops plotter alongside the CIA and the Ukrainian GUR (Budanov). Rival Deep State factions got hold of it and maneuvered to “terminate” her one way or another – because Russian intel would have inevitably connected the dots.

Yet Nuland, in fact, is not “retired” yet; she’s still presented as Undersecretary of State for Political Affairs and showed up recently in Rome for a G7-related meeting, although her new job, in theory, seems to be at Columbia University (a Hillary Clinton maneuver).

Meanwhile, the assets for a major “nasty surprise” are already in place, in the dark, and totally off radar. The op cannot be called off.

March 5: Little Blinken formally announces Nuland’s “retirement”.

March 7: At least one Tajik among the four-member terror commando visits the Crocus venue and has his photo taken.

March 7-8 at night: U.S. and British embassies simultaneously announce a possible terror attack on Moscow, telling their nationals to avoid “concerts” and gatherings within the next two days.

March 9: Massively popular Russian patriotic singer Shaman performs at Crocus. That may have been the carefully chosen occasion targeted for the “nasty surprise” – as it falls only a few days before the presidential elections, from March 15 to 17. But security at Crocus was massive, so the op is postponed.

March 22: The Crocus City Hall terror attack.

ISIS-K: the ultimate can of worms

The Budanov connection is betrayed by the modus operandi– similar to previous Ukraine intel terror attacks against Daria Dugina and Vladimir Tatarsky: close reconnaissance for days, even weeks; the hit; and then a dash for the border.

And that brings us to the Tajik connection.

There seem to be holes aplenty in the narrative concocted by the ragged bunch turned mass killers: following an Islamist preacher on Telegram; offered what was later established as a puny 500 thousand rubles (roughly $4,500) for the four of them to shoot random people in a concert hall; sent half of the funds via Telegram; directed to a weapons cache where they find AK-12s and hand grenades.

The videos show that they used the machine guns like pros; shots were accurate, short bursts or single fire; no panic whatsoever; effective use of hand grenades; fleeing the scene in a flash, just melting away, almost in time to catch the “window” that would take them across the border to Ukraine.

All that takes training. And that also applies to facing nasty counter-interrogation. Still, the FSB seems to have broken them all – quite literally.

A potential handler has surfaced, named Abdullo Buriyev. Turkish intel had earlier identified him as a handler for ISIS-K, or Wilayat Khorasan in Afghanistan. One of the members of the Crocus commando told the FSB their “acquaintance” Abdullo helped them to buy the car for the op.

And that leads us to the massive can of worms to end them all: ISIS-K.

The alleged emir of ISIS-K, since 2020, is an Afghan Tajik, Sanaullah Ghafari. He was not killed in Afghanistan in June 2023, as the Americans were spinning: he may be currently holed up in Balochistan in Pakistan.

Yet the real person of interest here is not Tajik Ghafari but Chechen Abdul Hakim al-Shishani, the former leader of the jihadi outfit Ajnad al-Kavkaz (“Soldiers of the Caucasus”), who was fighting against the government in Damascus in Idlib and then escaped to Ukraine because of a crackdown by Hayat Tahrir al-Sham (HTS) – in another one of those classic inter-jihadi squabbles.

Shishani was spotted on the border near Belgorod during the recent attack concocted by Ukrainian intel inside Russia. Call it another vector of the “nasty surprises”.

Shishani had been in Ukraine for over two years and has acquired citizenship. He is in fact the sterling connection between the nasty motley crue Idlib gangs in Syria and GUR in Kiev – as his Chechens worked closely with Jabhat al-Nusra, which was virtually indistinguishable from ISIS.

Shishani, fiercely anti-Assad, anti-Putin and anti-Kadyrov, is the classic “moderate rebel” advertised for years as a “freedom fighter” by the CIA and the Pentagon.

Some of the four hapless Tajiks seem to have followed ideological/religious indoctrination on the internet dispensed by Wilayat Khorasan, or ISIS-K, in a chat room called Rahnamo ba Khuroson.

The indoctrination game happened to be supervised by a Tajik, Salmon Khurosoni. He’s the guy who made the first move to recruit the commando. Khurosoni is arguably a messenger between ISIS-K and the CIA.

The problem is the ISIS-K modus operandi for any attack never features a fistful of dollars: the promise is Paradise via martyrdom. Yet in this case it seems it’s Khurosoni himself who has approved the 500 thousand ruble reward.

After handler Buriyev relayed the instructions, the commando sent the bayat – the ISIS pledge of allegiance – to Khurosoni. Ukraine may not have been their final destination. Another foreign intel connection – not identified by FSB sources – would have sent them to Turkey, and then Afghanistan.

That’s exactly where Khurosoni is to be found. Khurosoni may have been the ideological mastermind of Crocus. But, crucially, he’s not the client.

Oleh Tyahnybok, with McCain and Nuland

The Ukrainian love affair with terror gangs

Ukrainian intel, SBU and GUR, have been using the “Islamic” terror galaxy as they please since the first Chechnya war in the mid-1990s. Milley and Nuland of course knew it, as there were serious rifts in the past, for instance, between GUR and the CIA.

Following the symbiosis of any Ukrainian government post-1991 with assorted terror/jihadi outfits, Kiev post-Maidan turbo-charged these connections especially with Idlib gangs, as well as north Caucasus outfits, from the Chechen Shishani to ISIS in Syria and then ISIS-K. GUR routinely aims to recruit ISIS and ISIS-K denizens via online chat rooms. Exactly the modus operandi that led to Crocus.

One “Azan” association, founded in 2017 by Anvar Derkach, a member of the Hizb ut-Tahrir, actually facilitates terrorist life in Ukraine, Tatars from Crimea included – from lodging to juridical assistance.

The FSB investigation is establishing a trail: Crocus was planned by pros – and certainly not by a bunch of low-IQ Tajik dregs. Not by ISIS-K, but by GUR. A classic false flag, with the clueless Tajiks under the impression that they were working for ISIS-K.

The FSB investigation is also unveiling the standard modus operandi of online terror, everywhere. A recruiter focuses on a specific profile; adapts himself to the candidate, especially his – low – IQ; provides him with the minimum necessary for a job; then the candidate/executor become disposable.

Everyone in Russia remembers that during the first attack on the Crimea bridge, the driver of the kamikaze truck was blissfully unaware of what he was carrying,

As for ISIS, everyone seriously following West Asia knows that’s a gigantic diversionist scam, complete with the Americans transferring ISIS operatives from the Al-Tanf base to the eastern Euphrates, and then to Afghanistan after the Hegemon’s humiliating “withdrawal”. Project ISIS-K actually started in 2021, after it became pointless to use ISIS goons imported from Syria to block the relentless progress of the Taliban.

Ace Russian war correspondent Marat Khairullin has added another juicy morsel to this funky salad: he convincingly unveils the MI6 angle in the Crocus City Hall terror attack (in English here, in two parts, posted by “S”).

The FSB is right in the middle of the painstaking process of cracking most, if not all ISIS-K-CIA/MI6 connections. Once it’s all established, there will be hell to pay.

But that won’t be the end of the story. Countless terror networks are not controlled by Western intel – although they will work with Western intel via middlemen, usually Salafist “preachers” who deal with Saudi/Gulf intel agencies.

The case of the CIA flying “black” helicopters to extract jihadists from Syria and drop them in Afghanistan is more like an exception – in terms of direct contact – than the norm. So the FSB and the Kremlin will be very careful when it comes to directly accusing the CIA and MI6 of managing these networks.

But even with plausible deniability, the Crocus investigation seems to be leading exactly to where Moscow wants it: uncovering the crucial middleman. And everything seems to be pointing to Budanov and his goons.

Ramzan Kadyrov dropped an extra clue. He said the Crocus “curators” chose on purpose to instrumentalize elements of an ethnic minority – Tajiks – who barely speak Russian to open up new wounds in a multinational nation where dozens of ethnicities live side by side for centuries.

In the end, it didn’t work. The Russian population has handed to the Kremlin total carte blanche to exercise brutal, maximum punishment – whatever and wherever it takes.

Frantz Fanon, un psychiatre militant

Par : Adam Shatz

À la fin de l'année 1957, et après un bref passage à l'hôpital de la Manouba, Frantz Fanon prend ses quartiers dans les services psychiatriques de l'hôpital Charles Nicolle dans le centre de Tunis. Le pays d'Habib Bourguiba était devenu, depuis son indépendance en mars 1956, la base arrière du Front de libération nationale (FLN) algérien. La proximité de Fanon avec cette organisation et notamment avec sa branche armée, l'Armée de libération nationale (ALN), l'amène à en soigner les soldats. Les traumatismes dont témoignent combattants et réfugiés algériens en Tunisie ne sont pas sans faire écho à l'actualité de la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza. Orient XXI publie les bonnes feuilles de la nouvelle biographie du médecin martiniquais Frantz Fanon. Une vie en révolutions, signée Adam Shatz, en librairie le 21 mars.

Le rôle de Frantz Fanon au sein du Front de libération nationale (FLN) algérien ressemblait à celui du médecin britannique W. H. R. Rivers, qui pendant la première guerre mondiale soigna les soldats souffrant d'obusite, le stress post-traumatique typique des hommes des tranchées, comme le poète Siegfried Sassoon. Il est possible qu'après la mort d'Abane Ramdane, le psychiatre martiniquais ait pu y trouver une certaine forme de consolation. Il avait toujours considéré la médecine comme une pratique politique, et il pouvait désormais utiliser son expertise pour rétablir la santé des combattants et servir ainsi la lutte pour l'indépendance. Son travail avec les soldats de l'ALN l'amenait de plus en plus dans l'orbite de l'armée des frontières, qui n'était plus une bande de guérilleros mais une organisation très professionnelle, composée d'anciens maquisards passés en Tunisie et au Maroc et, de plus en plus, de déserteurs musulmans de l'armée française1.

Fanon finit par développer un attachement non dénué de romantisme pour ces combattants, qu'il vénérait comme des « paysans- guerriers-philosophes »2. Lors d'une visite effectuée en 1959 à la base Ben M'hidi (baptisée du nom du dirigeant assassiné Larbi Ben M'hidi), à Oujda, au Maroc, il fit la connaissance de l'énigmatique commandant de l'ALN, le colonel Houari Boumediène, l'un des plus proches alliés de Boussouf. Né Mohammed Ben Brahim Boukherouba, Boumediène (son nom de guerre) était le fils d'un pauvre cultivateur de blé à Clauzel, un village des environs de Guelma, dans l'est du pays. Il aurait étudié à Al-Azhar, l'université islamique du Caire ; il ne s'exprimait qu'en arabe, mais comprenait le français. Grand et maigre mais doté d'une présence redoutable, avec ses cheveux brun-roux et ses yeux verts, il semblait modeste, n'élevait jamais la voix et ne souriait presque jamais (« Pourquoi devrais-je sourire parce qu'un photographe prend la peine de me photographier ? » disait-il.) Il appréciait le travail de Fanon et s'était pris d'affection pour lui.

Sur la base de ces visites à l'armée des frontières, Fanon en vint à nouer une alliance avec l'état-major, à savoir la même direction extérieure du FLN qui avait éliminé Abane et mis fin à la primauté du politique sur le militaire dans le mouvement. Mais il reçut quelque chose de précieux en retour : un accès privilégié aux combattants de l'ALN qui lui ouvrait une fenêtre exceptionnelle sur l'expérience vécue et les troubles psychologiques des insurgés anticoloniaux. Les hommes qu'il avait pour charge de soigner étaient jeunes, parfois encore adolescents, et pour la plupart issus de milieux ruraux. Ils lui parlaient souvent de membres de leur famille qui avaient été tués, torturés ou violés par des soldats français. Certains exprimaient parfois des sentiments de culpabilité et de honte à propos des violences qu'ils avaient eux-mêmes commises contre des civils européens. Ils souffraient de divers symptômes psychologiques et physiques : impuissance, fatigue, dépression mélancolique, anxiété aiguë, agitation et hallucinations. Pour Fanon, on l'a vu, leurs troubles étaient dus à « l'atmosphère sanglante, impitoyable, la généralisation de pratiques inhumaines, l'impression tenace qu'ont les gens d'assister à une véritable apocalypse. »3

Frantz Fanon et son équipe dans l'hôpital Charles Nicolle à Tunis, 1958.
Wikimedia Commons

Il comptait aussi parmi ses patients des réfugiés algériens vivant dans des camps en Tunisie et au Maroc, à proximité de la frontière algérienne (ils étaient environ 300 000 dans ces deux pays, subsistant dans une extrême pauvreté). Les réfugiés, observait Fanon, vivent dans « une atmosphère d'insécurité permanente », craignant « les fréquentes invasions des troupes françaises appliquant “le droit de suite et de poursuite” ». Incontinence, insomnie et tendances sadiques étaient fréquentes chez les enfants. Quant aux femmes, elles étaient souvent sujettes à des psychoses puerpérales (troubles mentaux consécutifs à l'accouchement) pouvant aller de « grosses dépressions immobiles avec tentatives multiples de suicide » à « une agressivité délirante contre les Français qui veulent tuer l'enfant à naître ou nouvellement né ». Le traitement de ces maux s'avérait extrêmement difficile : « La situation des malades guéries entretient et nourrit ces nœuds pathologiques. »

Ce travail avec les combattants et les réfugiés ramenait Fanon aux écrits du psychanalyste hongrois Sándor Ferenczi sur les traumatismes de guerre. « Il n'est pas besoin d'être blessé par balle pour souffrir dans son corps comme dans son cerveau de l'existence de la guerre », observait-il. Certains des traumatismes psychologiques les plus graves qu'il diagnostiquait concernaient des combattants qui n'avaient jamais été blessés. L'un de ses patients était un membre du FLN souffrant d'impuissance et de dépression parce que sa femme avait été violée par des soldats qui étaient venus perquisitionner chez lui. D'abord furieux de ce qu'il percevait avant tout comme une atteinte à son honneur, il avait fini par comprendre que son épouse avait été ainsi outragée pour avoir refusé de révéler où lui-même se trouvait et fut saisi par la honte de ne pas l'avoir protégée. Bien qu'il ait décidé de la reprendre après la guerre, il n'en ressentait pas moins un profond malaise, « comme si tout ce qui venait de ma femme était pourri ».

Un autre soldat algérien âgé de 19 ans et dont la mère venait de mourir racontait à Fanon que ses rêves étaient hantés par une femme « obsédante, persécutrice même », une épouse de colon qu'il connaissait « très bien » parce qu'il l'avait tuée de ses propres mains. Il avait tenté de se suicider à deux reprises, entendait des voix et parlait « de son sang répandu, de ses artères qui se vident ». Fanon crut d'abord qu'il s'agissait d'un « complexe de culpabilité inconscient après la mort de la mère », à l'instar de ce que raconte Freud dans son essai de 1917 sur le deuil, Deuil et Mélancolie. Mais la culpabilité du soldat était réelle. Quelques mois après avoir rejoint le FLN, il avait appris qu'un soldat français avait abattu sa mère et que deux de ses sœurs avaient été emmenées à la caserne, où elles seraient sans doute torturées, peut-être même violées. Peu de temps après, il participait à un raid dans une grande ferme dont le gérant, « actif colonialiste », avait assassiné deux civils algériens. L'homme était absent. « Je sais que vous venez pour mon mari », lui avait dit sa femme en suppliant les Algériens de ne pas la tuer. Mais pendant qu'elle parlait, le soldat ne cessait de penser à sa propre mère et, avant même de réaliser ce qu'il faisait, il l'avait poignardée à mort. « Ensuite, cette femme est venue chaque soir me réclamer mon sang, poursuivait l'homme. Et le sang de ma mère où est-il ? » Dans ses notes, Fanon écrit que chaque fois que l'homme « pense à sa mère, en double ahurissant surgit cette femme éventrée. Aussi peu scientifique que cela puisse sembler, nous pensons que seul le temps pourra apporter quelque amélioration dans la personnalité disloquée du jeune homme ».

Ces études de cas seront rapportées dans l'un des écrits les plus puissants de Fanon, « Guerre coloniale et troubles mentaux », qui constitue le dernier chapitre des Damnés de la terre. Par leur sensibilité aux détails concrets et à l'ambiguïté psychologique, par leurs portraits d'hommes et de femmes dans des temps obscurs, ils nous laissent entrevoir quel excellent auteur de fiction il aurait pu devenir. Ce sont les récits d'un médecin de campagne à la Tchekhov, mais avec aussi quelque chose de la brutale incertitude des récits de guerre d'Isaac Babel dans Cavalerie rouge. Nous ne savons pas si ces malades seront jamais guéris un jour, et encore moins libérés, lorsque la liberté de l'Algérie sera instaurée, mais nous avons de bonnes raisons d'en douter.

Après la guerre, la mémoire sauvage des violences, des viols et des tortures – de la barbarie subie et infligée – fournira aux romanciers algériens leur matière première, alors même que les dirigeants algériens tenteront d'oublier cette histoire honteuse en la purgeant de la mythologie officielle de la révolution : ne devait rester que la légende d'un peuple vertueux uni contre l'occupant. Fanon fut l'un des premiers à briser les tabous et à mettre en lumière ce qu'il appelait l'« héritage humain de la France en Algérie ». Malgré toutes ses proclamations utopiques sur l'avenir d'une nation algérienne décolonisée – ou ses affirmations sur les effets désintoxiquants de la violence anticoloniale –, il n'escomptait guère que les dommages psychologiques de la guerre soient faciles à réparer. « Nos actes ne cessent jamais de nous poursuivre, écrivait-il. Leur arrangement, leur mise en ordre, leur motivation peuvent parfaitement a posteriori se trouver profondément modifiés. Ce n'est pas l'un des moindres pièges que nous tend l'Histoire et ses multiples déterminations. Mais pouvons-nous échapper au vertige ? Qui oserait prétendre que le vertige ne hante pas toute existence ? »

En tant que porte-parole du FLN, Fanon se faisait un devoir de présenter une image héroïque de la révolution algérienne. Mais, en tant que médecin, il pansait les blessures psychiques des soldats algériens, témoignant de l'horreur que les légendes nationalistes veulent nous faire oublier. Faire les deux choses à la fois était un véritable numéro de funambule.

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Adam Shatz
Frantz Fanon. Une vie en révolutions
Paris, La Découverte, 21 mars 2024
512 pages
28 euros


1Pendant la guerre d'indépendance, les Algériens ont été plus nombreux à combattre dans les rangs de la France, que ce soit directement dans les troupes régulières françaises ou dans des unités auxiliaires appelées harka, qu'aux côtés de l'ALN.

2Claude Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie, Gallimard, coll. Folio, 2009, p.490.

3Les citations de ce paragraphe et des cinq suivants sont tirées de Frantz Fanon, « Guerre coloniale et troubles mentaux », Les Damnés de la terre, pp.623-672. L'analyse de Fanon concernant les traumatismes résultants de la guerre d'Algérie était également prémonitoire. À l'époque, les médecins français rejetaient les témoignages de détresse psychologique parmi les anciens combattants de la guerre d'Algérie en décrivant par exemple un patient comme « bavard, vantard, content de lui [et ses récits] difficilement contrôlables ». (Voir Raphaëlle Branche, Papa, qu'as-tu fait en Algérie ?, La Découverte, 2020, p.314.) Selon un article du Monde publié en 2000, 350 000 vétérans souffriraient du syndrome de stress post-traumatique.

Dans l'ombre des accords d'Évian, des identités nationales en suspens

Les accords d'Évian du 18 mars 1962 ont mis fin à 132 ans de colonisation. L'indépendance de l'Algérie pose alors la question de l'identité des pieds-noirs et des « indigènes » musulmans. Sont-ils Français ou Algériens ? Un peu des deux ? Les négociateurs d'Évian ont voulu répondre à cette question et, plus tard, les législateurs nationaux ont assuré l'exécution de leurs réponses, avec quelques bémols.

Ce dialogue de 1922 entre un étudiant algérois et une étudiante métropolitaine lors du congrès de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) témoigne bien du déni de l'identité des autochtones :


- Ainsi, vous êtes algérien... Mais fils de Français, n'est-ce pas ?
- Bien sûr ! Tous les Algériens sont fils de Français, les autres sont des indigènes !1

L'identité qui leur était confisquée à l'intérieur de l'Algérie, les « indigènes » la recouvraient paradoxalement à l'extérieur. La protection consulaire leur était due parce qu'ils étaient des « sujets protégés ». Mais ces sujets protégés forment en réalité une « catégorie juridique ambivalente [qui] sert de substitut à la nationalité algérienne sur laquelle l'État français ne se prononce pas pour ne pas lui donner crédit »2. Indigènes en Algérie, Algériens parce que sujets protégés à l'étranger, voilà la situation ubuesque dans laquelle ces individus, musulmans ou juifs, étaient enfermés.

Lorsque le nationalisme algérien monte en puissance dans les années 1930-1940, un processus de « bricolage administratif » du lien national des « indigènes » au regard de la nationalité française est mis en œuvre3. Longtemps enfermés dans un statut subalterne, les « indigènes musulmans » ne peuvent s'en extraire qu'en renonçant à leur statut personnel.

Attendu (…) qu'il est manifeste que le terme « musulman » n'a pas un sens purement confessionnel, mais qu'il désigne au contraire l'ensemble des individus d'origine musulmane qui, n'ayant point été admis au droit de cité, ont nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu'il y ait lieu de distinguer s'ils appartiennent ou non au culte mahométan4.

Bref, les « indigènes musulmans » ont longtemps été privés de la citoyenneté française au motif de leur statut personnel. Et lorsqu'ils ont enfin pu y accéder, elle n'était pas entière. Ni l' « acte d'annexion » de 1834, ni la constitution de 1848 n'ont fait des indigènes des sujets nationaux français. Le sénatus-consulte de 1865 leur a ouvert l'accès à la pleine citoyenneté à titre individuel avec abandon du statut personnel. Il a eu peu de succès.

Concernant les indigènes juifs, le décret Crémieux de 1870 les ont collectivement naturalisés. Pour les musulmans, c'est au sortir de la Seconde guerre mondiale, en 1944, que sera admise la naturalisation sans perte de statut personnel au profit de seuls 60 000 indigènes musulmans issus de l'élite. En 1946, la loi Lamine-Guèye généralise la pleine citoyenneté. Toutefois, la portée de cette loi sera réduite à travers le maintien, malgré le Statut de l'Algérie de 1947, de deux collèges électoraux distincts, supprimés en 1958. Ceux que l'on nommait aussi les Français musulmans d'Algérie (FMA) accédaient enfin à la pleine citoyenneté. Mais ils seront immédiatement transformés en une catégorie administrative nouvelle : les « Français de souche nord-africaine » (FSNA)5. Cette distinction atteste en creux de la survivance d'une catégorisation administrative sur une base raciale.

De pieds-noirs à Algériens, l'illusoire utopie

L'expression « pieds-noirs » aurait d'abord désigné les Arabes « chauffeurs de bateaux indigènes, aux pieds nus salis par le charbon »6. C'est seulement à partir de 1954 que les Européens s'appliquent à eux-mêmes cette dénomination sans abandonner l'idée, notamment dans certains milieux culturels, de leur singularité algérienne. Ce curieux chassé-croisé de dénominations va être questionné en raison des dispositions négociées à Évian en faveur des pieds-noirs (juifs inclus).

Dès les contacts secrets de Bâle en octobre-novembre 1961, les représentants français insistent sur le sort des Européens après l'indépendance. Sous quelles conditions et avec quelles garanties allaient-ils rester en Algérie ? Ils exigent la double nationalité automatique à leur profit, ce que refusent les négociateurs algériens, craignant la constitution d'une minorité européenne sous influence politique française. En définitive, les accords d'Évian retiennent une solution hybride : les pieds-noirs peuvent, par le biais d'une procédure simplifiée effectuée sous une période transitoire de 3 ans à compter du 1er juillet 1962, choisir la nationalité algérienne tout en conservant, pendant ce temps, la nationalité française.

En creux, est inscrite la perspective de la perte de la nationalité française. Les pieds-noirs allaient-ils accepter d'endosser la dénomination « Algérien », cette fois-ci non pas comme singularité pour se démarquer des Français de France, mais en tant que lien les ancrant durablement à leur terre de naissance certes, mais surtout à un État et une nation dominée par les ex-« indigènes » ? On connait la réponse : le départ massif et précipité de la très grande majorité des pieds-noirs en réaction à la politique de la « terre brûlée » de l'Organisation armée secrète (OAS). Parmi les moins de 200 000 pieds-noirs encore présents entre 1962 et 1965, très peu optent pour la nationalité algérienne : un millier tout au plus selon Pierre Chaulet, lui-même bénéficiaire de cette nationalité7.

Pourtant, la perspective de la perte de la nationalité française en cas d'option pour la nationalité algérienne avait très tôt été écartée, en contradiction avec les accords d'Évian, par l'ordonnance du 21 juillet 1962 permettant aux pieds-noirs de conserver « la nationalité française quelle que soit leur situation au regard de la nationalité algérienne ». Une partie de l'explication est peut-être à chercher dans le manque d'engouement pour le droit d'option dans la définition même de la nationalité algérienne.

Droit du sang ou droit du sol, la nation algérienne imaginée

Les accords d'Évian ne disaient rien de précis sur le devenir des musulmans naturalisés français sous statut de droit local, c'est-à-dire tous ceux déclarés Français sans avoir renoncé au statut personnel musulman. Les législations de chaque pays sont venues combler le vide.

Pour l'État français, ces personnes perdaient la nationalité française si elles ne se fixaient pas en France et n'y faisaient pas une déclaration recognitive de nationalité auprès d'un juge. On sait aujourd'hui que 60 000 personnes (hors enfants mineurs) ont bénéficié de cette disposition8. C'est peu ne serait-ce qu'au regard du nombre d'immigrés algériens présents en 1962-1963 en France, estimé à 350 000, dont on pouvait penser qu'ils utiliseraient cette formule. Aucune protection particulière en matière de nationalité française n'a en revanche été envisagée, ni par les accords d'Évian, ni par la législation française pour les harkis, sauf s'ils arrivaient à rejoindre la France et à y faire une déclaration recognitive.

De son côté, l'État algérien a promulgué un code de la nationalité le 27 mars 1963. La nationalité d'origine, mètre-étalon de la nationalité algérienne, n'est accordée que sous une triple condition exposée à l'article 34.

Le mot Algérien en matière de nationalité d'origine s'entend de toute personne dont au moins deux ascendants en ligne paternelle sont nés en Algérie et y jouissent du statut musulman.

Ce dernier critère de « statut musulman » renvoyait non pas à une appartenance religieuse, mais au statut colonial des « indigènes musulmans ». En conséquence, l'ensemble des Français sous statut de droit local, c'est-à-dire ceux déclarés français sans renonciation au statut personnel musulman, devenaient Algériens sans aucune formalité. Première observation : cela excluait de la nationalité d'origine les autres musulmans présents qui pouvaient réunir les deux premières conditions, mais pas la troisième puisqu'ils n'étaient pas soumis en droit à ce statut. Deuxième observation : les harkis, restés en Algérie ou partis en France, sont Algériens d'origine. Ils n'ont pas été frappés, comme cela avait été envisagé à l'indépendance, d'indignité nationale et transmettent aujourd'hui la nationalité à leur descendance.

Troisième observation : les accords d'Évian incluaient ceux qui étaient devenus Français avec renonciation au statut personnel musulman dans la catégorie des personnes qui pouvaient soit conserver la nationalité française, soit opter pour la nationalité algérienne (10 000 individus environ en 1962). Le code algérien a fait une entorse et admis toutes ces personnes à la nationalité d'origine. Quatrième observation : les pieds-noirs ne pouvaient prétendre à la nationalité d'origine et devaient, par le droit d'option instauré avec les accords d'Évian, acquérir la nationalité algérienne. Les départs massifs en ont contrarié l'effectivité. Pour ceux restés après l'adoption du code de la nationalité, au refus psychologique de devenir l'égal de celui que l'on dominait en situation coloniale, s'est ajoutée l'appréhension des conséquences de la constitution érigeant l'islam en religion d'État. Ils ont donc été très peu à sauter le pas.

S'affrontaient là deux conceptions de la nationalité. L'une privilégiant le lien du sang, l'autre le lien du sol. L'une mettant en avant l'existence précoloniale d'un groupe ethno-religieux qui a été soumis à la domination d'une minorité « importée ». L'autre, privilégiant le brassage de populations de différentes origines rassemblées par une même terre, source de lien national. L'une considérant que la nation était déjà là avant la colonisation et se caractérisait par l'arabité et l'islamité. L'autre envisageant la nation comme construction multiculturelle agrégeant toutes les populations présentes depuis 1830. La première vision, excluant au passage la dimension berbère, l'emporte sur la seconde et consacre une nationalité fondée sur le lien du sang, reléguant le lien du sol à un rôle d'appoint. Ainsi était scellée la nationalité des populations d'Algérie le 18 mars 1962.


1Guy Perville, « Comment appeler les habitants de l'Algérie avant la définition légale d'une nationalité algérienne ? », Cahiers de la Méditerranée, n°54, p. 55-60, 1997.

2Anne-Marie Planel, « Les ressortissants de la protection consulaire française en pays musulman. Le cas des Algériens de Tunisie sous le Second Empire », Mélanges de la Casa de Velàzquez, 51-1, p. 139-160, 2021.

3Patrick Weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française dénaturée », Histoire de la justice, n°16, 2005.

4Voir Cour d'Alger, 5 novembre 1903, Revue Algérienne 1903.

5Selon la directive du 21 février 1958 sur la nouvelle appellation des Français musulmans d'Algérie (FMA) qui deviennent Français de souche nord-africaine (FSNA) par opposition aux Français de souche européenne (FSE). Voir Jean Nicot, « Inventaire de la série T. État-Major de l'armée de terre (1945-1972) », Service historique de l'armée de terre, 1994.

6Op. cit., Guy Perville.

7Entretien réalisé par Hélène Bracco, consultable sur le site de la Maison méditerranéenne des Sciences de l'homme (MMSH).

8Emmanuel Blanchard, Linda Guerry, Lionel Kesztenbaum, Jules Lepoutre, « La réintégration, une façon de devenir français », Population & Sociétés, n°619, 2024.

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Danny & Pepe: NATO’s march to WWIII

Par : AHH

🚨 China 🇨🇳 and Geopolitics is LIVE with journalist and geopolitical analyst Pepe Escobar TODAY March 8th at 10am eastern, 6pm Moscow!

We discuss a series of events hosted in Russia 🇷🇺 and attended by our guest on multipolarity, and how they contrast with NATO’s march to WWIII which has intensified in recent weeks.

What is the U.S. and its NATO vassals offering via Biden’s SOTU speech and Macron’s threats, and how does it compare to the Russia and China-led alternative?

Journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine

Stop au génocide. Stop à la colonisation. La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine appelle à une journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine le 12 mars 2024. Orient XXI publie son appel.

La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP) est un réseau constitué de chercheur.es, enseignant.es chercheur.es, biatss1, docteur.es et doctorant.es, étudiant.es engagées dans l'enseignement supérieur et la recherche pour mettre fin à la guerre génocidaire et à la colonisation en Palestine. La CUCCP s'insère dans un mouvement transnational de chercheur.es contre la guerre en Palestine (SAWP). Son positionnement est défini dans l'Appel du monde académique français pour la Palestine : arrêt immédiat de la guerre génocidaire !2

Depuis le 7 octobre 2023, plus de 30 000 Palestinien.nes ont été tué.es par l'armée israélienne et plus de 80 % de la population de 2,2 millions de Gazaoui.es est assiégée dans 360 km2. L'armée israélienne a tué 94 professeurs d'université, 231 enseignants et plus de 4 300 étudiants et étudiantes, en plus de détruire l'ensemble des universités gazaouies et 346 écoles. La Cour internationale de justice (CIJ) a alerté contre le risque de génocide menaçant le peuple palestinien à Gaza. La Cisjordanie est soumise à un régime de blocage plus intense que jamais. Le silence n'est pas possible et il est inacceptable.

Face à la complicité active du gouvernement français dans cette guerre génocidaire menée par Israël contre le peuple palestinien et la répression de la liberté d'expression autour de la Palestine, la CUCCP invite le monde académique français à rejoindre l'appel européen pour une journée de solidarité universitaire avec le peuple palestinien le 12 mars 2024. Elle exige :

  • Un cessez-le feu immédiat, inconditionnel et permanent,
  • La levée permanente du blocus de Gaza,
  • La défense du droit palestinien à l'éducation.

Pour cela, nous proposons les moyens d'actions suivant :

  • Pousser nos universités à agir activement contre le régime d'apartheid israélien,
  • Établir des liens académiques avec des universités et des universitaires palestiniens,
  • Soutenir et participer au boycott universitaire visant les institutions académiques israéliennes complices de la violation des droits des Palestinien.nes,
  • Défendre la liberté d'expression et la liberté académique autour de la Palestine, ici et hors de France.

Il est possible d'agir quel que soit notre nombre, tant les moyens d'actions sont multiples : rassemblements, occupation de l'espace universitaire par un « die-in »3, projection de films, lecture de poésie palestinienne, port d'un keffieh, lister les universités détruites, les noms des collègues et étudiants tués, parler de la Palestine dans vos cours, etc. Nous comptons sur votre créativité !

Nous vous invitons à donner de la force à notre mobilisation en partageant massivement sur les réseaux sociaux, en taguant (@cuccp sur Instagram, Facebook, Twitter/X) et en utilisant :

#EndIsraelsGenocide #FreePalestine #EndIsraelScholasticide #March12forPalestine #FrenchscholarsforPalestine #EuropeansholarsStandwithPalestine#Scholarsgainstwar

Faites-nous part des actions réalisées en écrivant à palestinecoordination@gmail.com .


1Acronyme pour bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé.

3NDLR. Forme de manifestation dans laquelle les participants simulent la mort.

Le calvaire étouffé des Palestiniennes

Le 4 mars, l'ONU a publié un rapport sur les viols et agressions sexuelles commises le 7 octobre contre des Israéliennes. Si ce texte a rencontré un vaste écho médiatique, il n'en va pas de même pour un autre rapport des Nations unies qui concerne cette fois le traitement des Palestiniennes, en particulier les viols et les agressions sexuelles subies depuis le début de la guerre contre Gaza.

Huit expertes de l'ONU1 ont sonné l'alarme le 19 février. Dans un communiqué, elles expriment leurs « plus vives inquiétudes » à propos des informations obtenues de « différentes sources ». Elles dénoncent des exécutions sommaires, des viols, des agressions sexuelles, des passages à tabac et des humiliations sur les femmes et les jeunes filles palestiniennes de Gaza, comme de Cisjordanie. Elles évoquent « des allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains », dont les femmes et les filles palestiniennes « sont et continuent d'être victimes »2.

Selon les témoignages, les informations et les images qu'elles ont pu recouper, des femmes et des filles « auraient été exécutées arbitrairement à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants ». « Nous sommes choquées par les informations faisant état du ciblage délibéré et de l'exécution extrajudiciaire de femmes et d'enfants palestiniens dans des lieux où ils ont cherché refuge ou alors qu'ils fuyaient »3, parfois en tenant, bien en évidence, des tissus blancs, en signe de paix. Une vidéo diffusée par Middle East Eye4 et ayant beaucoup circulé montre notamment une grand-mère palestinienne abattue par les forces israéliennes dans les rues du centre de la ville de Gaza, le 12 novembre, alors qu'elle et d'autres personnes tentaient d'évacuer la zone. Au moment de son exécution, cette femme, nommée Hala Khreis, tenait par la main son petit-fils qui brandissait un drapeau blanc.

Des centaines de femmes seraient également détenues arbitrairement depuis le 7 octobre, selon les expertes onusiennes. Parmi elles, on compte des militantes des droits humains, des journalistes et des travailleuses humanitaires. En tout, « 200 femmes et jeunes filles de Gaza, 147 femmes et 245 enfants de Cisjordanie », sont actuellement détenus par Israël, selon Reem Alsalem, rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes auprès de l'ONU. Elle évoque des personnes « littéralement enlevées » de leurs maisons et qui vivent des circonstances de détention « atroces ». Nombre d'entre elles auraient été soumises à des « traitements inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments », détaille encore le communiqué de l'ONU. Des témoignages rapportent notamment que des femmes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage sous la pluie et dans le froid, sans nourriture.

Viols et agressions sexuelles

Viennent ensuite les violences sexuelles. « Nous sommes particulièrement bouleversées par les informations selon lesquelles les femmes et les filles palestiniennes détenues ont également été soumises à de multiples formes d'agression sexuelle, comme le fait d'être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l'armée israélienne. Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées et d'autres auraient été menacées de viol et de violence sexuelle », alertent les expertes. Ces Palestiniennes seraient « sévèrement battues, humiliées, privées d'assistance médicale, dénudées puis prises en photos dans des situations dégradantes. Ces images sont ensuite partagées par les soldats », selon Reem Alsalem. « Des rapports inquiétants font état d'au moins un bébé de sexe féminin transféré de force par l'armée israélienne en Israël, et d'enfants séparés de leurs parents, dont on ne sait pas où ils se trouvent », dénonce le communiqué.

Tous ces faits présumés ayant été perpétrés « par l'armée israélienne ou des forces affiliées » (police, personnel de prison, etc.). Le groupe d'expertes exige une enquête israélienne ainsi qu'une enquête indépendante, impartiale, rapide, approfondie et efficace sur ces allégations dans laquelle Israël coopère. « Pris dans leur ensemble, ces actes présumés peuvent constituer de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, et équivalent à des crimes graves au regard du droit pénal international qui pourraient être poursuivis en vertu du Statut de Rome », préviennent-elles. « Les responsables de ces crimes présumés doivent répondre de leurs actes et les victimes et leurs familles ont droit à une réparation et à une justice complètes », ajoutent-elles.

Dans une interview à UN News5, Reem Alsalem déplore le mépris des autorités israéliennes face aux alertes.

Nous n'avons reçu aucune réponse, ce qui est malheureusement la norme de la part du gouvernement israélien qui ne s'engage pas de manière constructive avec les procédures spéciales ou les experts indépendants.

Elle précise ensuite que « la détention arbitraire de femmes et de filles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza n'est pas nouvelle ».

Ces allégations ont été fermement rejetées par la mission israélienne de l'ONU qui affirme qu'aucune plainte n'a été reçue par les autorités israéliennes et dénigre sur X un « groupe de soi-disant expertes de l'ONU ». « Il est clair que les cosignataires ne sont pas motivées par la vérité mais par leur haine envers Israël et son peuple », peut-on lire.

Pourtant un rapport de 41 pages de l'ONG israélienne Physicians for Human Rights Israel (PHRI), daté de février et intitulé « Violation systématique des droits de l'homme : les conditions d'incarcération des Palestiniens depuis le 7 octobre »6 corrobore les dénonciations de l'ONU. On peut y lire de nombreux témoignages décrivant des « traitements dégradants et des abus graves », y compris des cas non isolés de harcèlements et d'agressions sexuelles, de violence, de torture et d'humiliation. Selon PHRI, le nombre de Palestiniens détenus par le service pénitentiaire israélien (Israel Prison Service) est passé d'environ 5 500 avant le 7 octobre à près de 9 000 en janvier 2024, dont des dizaines de mineurs et de femmes. Près d'un tiers des personnes détenues sont placées en détention administrative sans inculpation ni procès : une prise d'otage, en somme. Le rapport de l'ONG confirme que l'armée israélienne a arrêté des centaines d'habitants de Gaza sans fournir aucune information, même quatre mois plus tard, sur leur bien-être, leur lieu de détention et leurs conditions d'incarcération.

Embrasser le drapeau israélien

Dans le rapport de l'ONG israélienne PHRI, des témoignages de Palestiniens attestent notamment que des gardes de l'Israel Prison Service (IPS) les ont forcés à embrasser le drapeau israélien et que ceux qui ont refusé ont été violemment agressés. C'est le cas de Nabila, dont le témoignage a été diffusé par Al-Jazeera7. Cette femme qui a passé 47 jours en détention arbitraire qualifie son expérience d'« effroyable ». Elle a été enlevée le 24 décembre 2023 dans une école de l'UNRWA de la ville de Gaza où elle avait trouvé refuge. Les femmes ont été emmenées dans une mosquée pour être fouillées à plusieurs reprises et interrogées sous la menace d'armes, si violemment qu'elle affirme avoir pensé qu'elles allaient être exécutées. Elles ont ensuite été détenues dans le froid dans des conditions équivalentes à de la torture.

Nous avons gelé, nous avions les pieds et les mains attachés, les yeux bandés et nous devions rester agenouillées […] Les soldats israéliens nous hurlaient dessus et nous frappaient à chaque fois que nous levions la tête ou prononcions un mot.

Nabila a ensuite été conduite au nord d'Israël, dans la prison de Damon, avec une centaine de Palestiniennes parmi lesquelles des femmes de Cisjordanie. Battue à plusieurs reprises, elle est arrivée à la prison le visage plein d'hématomes. Une fois au centre de détention, les choses ne se sont pas arrangées pour les otages palestiniennes. Lors de l'examen médical, il a été ordonné à Nabila d'embrasser le drapeau israélien. « Quand j'ai refusé, un soldat m'a attrapée par les cheveux et m'a cognée la tête contre le mur », raconte-t-elle.

L'ONG israélienne affirme que des avocats ont présenté des plaintes de violence aux tribunaux militaires. Les juges ont pu voir les signes d'abus sur les corps des détenus mais « à part prendre note des préoccupations et informer l'IPS, les juges n'ont pas ordonné de mesures pour prévenir la violence et protéger les droits des personnes détenues », précise l'ONG israélienne. Pourtant, « des preuves poignantes de violence et d'abus assimilables à de la torture ont été portées à l'attention de la Cour suprême par PHRI et d'autres [...] Cependant, cela n'a pas suscité de réaction substantielle de la part de la Cour », regrette encore l'organisation.

L'un des témoignages rapporté par PHRI fait état d'agressions sexuelles qui se sont produites le 15 octobre, lorsque des forces spéciales sont entrées dans les cellules de la prison de Ktzi'ot (au sud-ouest de Bersabée), et ont tout saccagé tout en insultant les détenus par des injures sexuelles explicites comme « vous êtes des putes », « nous allons tous vous baiser », « nous allons baiser vos sœurs et vos femmes », « nous allons pisser sur votre matelas ». « Les gardiens ont aligné les individus nus les uns contre les autres et ont inséré un dispositif de fouille en aluminium dans leurs fesses. Dans un cas, le garde a introduit une carte dans les fesses d'une personne. Cela s'est déroulé devant les autres détenus et devant les autres gardes qui ont exprimé leur joie », est-il rapporté. Il n'est toutefois pas précisé si ce témoignage concerne des hommes ou des femmes.

Sous-vêtements féminins et inconscient colonial

Les soldats israéliens se sont illustrés sur les réseaux sociaux posant avec des objets et des sous-vêtements féminins appartenant aux femmes palestiniennes dont ils ont pillé les maisons. Des images qui ont fait le tour du monde et provoqué l'indignation générale. Violation de l'intimité, dévoilement du corps, viol des femmes colonisées : la domination sexuelle a toujours été une arme majeure caractéristique des empires coloniaux. « Prendre le contrôle d'un territoire, la violence politique et militaire ne suffit pas. Il faut aussi s'approprier les corps, en particulier ceux des femmes, la colonisation étant par définition une entreprise masculine », explique l'historienne Christelle Taraud, codirectrice de l'ouvrage collectif Sexualités, identités & corps colonisés (CNRS éditions, 2019).

Les Palestiniennes payent un très lourd tribut au génocide en cours à Gaza. L'ONU évalue à 9 000 le nombre de femmes tuées depuis le 7 octobre 2023. Celles qui survivent ont souvent perdu leurs enfants, leur mari et des dizaines de membres de leur famille. Il faut évoquer la condition des femmes enceintes qui étaient plus de 50 000 au moment du déclenchement des hostilités et qui accouchent, depuis, sans anesthésie et, le plus souvent, sans assistance médicale. De nombreux nouveau-nés sont morts d'hypothermie au bout de quelques jours. Les femmes dénutries ont du mal à allaiter et le lait infantile est une denrée rare. Les chiffres évoluent chaque jour cependant au 5 mars, au moins 16 enfants et bébés sont morts de malnutrition et déshydratation8 à Gaza en raison du siège total et du blocage de l'aide humanitaire par Israël.


1Le groupe des huit expertes est composé de la rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, Reem Alsalem, de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, de la présidente du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, Dorothy Estrada-Tanck et de ses membres, Claudia Flores, Ivana Krstić, Haina Lu, et Laura Nyirinkindi. Les expert.e.s des procédures spéciales travaillent sur une base de volontariat. Ils/elles ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils/elles sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.

2« UN experts appalled by reported human rights violations against Palestinian women and girls », Nations unies, 19 février 2024.

3Ibid.

Bensaid Aït Idder, homme libre et résistant marocain

Résistant marocain, dirigeant politique et opposant historique à la monarchie autoritaire, Mohamed Bensaid Aït Idder est mort le 6 février 2024, à l'âge de 99 ans. À ses obsèques, le roi Mohamed VI s'est fait représenter par son frère cadet.

Mohamed Bensaid Aït Idder nait vers 1925 dans la région du Souss, dans le sud-ouest du Maroc, non loin de l'enclave espagnole de Sidi Ifni. Il suit des études coraniques et religieuses traditionnelles dans sa région natale, puis émigre à Marrakech pour compléter ses études secondaires, avant de s'inscrire à la célèbre médersa Ben Youssef (école coranique d'enseignement supérieur), à la fin des années 1940.

Dès la vingtaine, il commence à s'intéresser à la politique grâce à la lecture assidue de revues et journaux en provenance du Proche-Orient arabe. Mais la flamme militante nait en lui sous l'effet des informations diffusées par le service arabe de la BBC et le journal Al-Alam, l'organe de presse du parti de l'Istiqlal, à propos des massacres perpétrés en Palestine en 1948. Durant les années 1950, il fonde un groupe de résistants qui se transforme, un peu plus tard, en l'aile-sud de l'Armée de libération marocaine (ALM).

J'ai entendu parler de Mohamed Bensaid Aït Idder pour la première fois aux abords de mes seize ans. Je garde l'image d'un résistant anticolonialiste qui n'a jamais plié l'échine devant un quelconque pouvoir. À commencer par celui du roi Hassan II, au summum de sa gloire nationale et de sa manie répressive durant les années 1970-1980. Il m'a dit une fois, au début des années 2000 à Casablanca, alors que nous parlions de réconciliation nationale, que le président François Mitterrand avait raison de traiter Hassan II d'« inutilement cruel ».

Nous avions aussi évoqué sa première arrestation quelques années après l'accession du Maroc à l'indépendance : « Ils nous ont torturés comme des forcenés, alors qu'ils avaient toutes les informations sur notre groupe et sur moi personnellement ». « Ils » , ce sont les agents de la sécurité politique créée par Hassan II, avant même qu'il ne monte sur le trône alaouite en 1961. Ils espionnaient, intimidaient, torturaient, et parfois tuaient les opposants. Ils étaient organisés en groupes mobiles qui ressemblaient aux escadrons de la mort des dictatures d'Amérique latine.

Bensaid a ajouté :

Ils nous torturaient juste pour nous faire souffrir un maximum. Afin qu'on perde notre dignité. Ils nous suspendaient en l'air horizontalement avant de nous battre jusqu'au sang. Leur objectif semblait être de nous briser la colonne vertébrale, au sens physique comme moral… Oui, il y a en chaque humain une sorte d'échine morale ; une fois cassée, la personne peut se transformer en un être dénué de dignité. Un être prêt à se mettre au service du plus fort ou du plus offrant.

L'homme des paradoxes

L'affaire de sa vie, ce sont les quatre décennies de son opposition à Hassan II dont il n'appréciait ni la personne ni les politiques. Il soulignait les « accointances » de ce dernier avec les puissances néocoloniales. Mais jamais il n'a prononcé le mot « trahison » à propos du roi, sans doute par respect pour le monarchisme, majoritaire chez les Marocains.

Il m'a néanmoins certifié un jour de 2008 à Rabat, lors d'une conversation à l'Institut royal pour la recherche sur l'histoire du Maroc, qu'il y avait bien eu coalition sur le terrain entre l'armée marocaine officielle et l'armée française, lors de la guerre de libération du Sahara occidental menée par l'ALM dont il faisait partie du commandement.

Un aventureux homme [wahed lasgaâ, ce fut son expression] de mes combattants eut l'idée de surprendre l'armée (officielle) la main dans le sac. Il met aux arrêts l'officier, le chauffeur et les soldats d'un camion militaire sur une route isolée. Il les interroge sans me demander mon avis. Il ressort de leurs déclarations que le camion, plein de provisions, se dirige vers Foum Lahcen afin d'y ravitailler le poste militaire français assiégé par l'Armée de libération.

Il ajoute que Mohamed V ne devait pas être au courant des agissements de son fils, car « il ne contrôlait pas les services »1.

Le système de sacralisation officielle faisant de Hassan II un roi-dieu l'insupportait. L'arrogance méprisante de celui-ci l'agaçait. De fait, le monarque, « à la différence de son prédécesseur et de son successeur, cultivait un mépris pour les Marocains » quel que soit leur rang, les opposants comme ceux qui faisaient allégeance, les serviteurs vénaux ou les fiers patriotes. Selon Bensaid, une telle attitude réduit en esclavage le peuple marocain. C'est sur ce fonds d'incompatibilité comportementale qu'ont eu lieu plusieurs clashs directs et indirects entre le roi et le résistant. Je n'en citerai que deux.

Clash personnel avec Hassan II

Le premier incident, qui en dit long sur le caractère d'homme libre de Bensaid, se déroula durant les années 1980. Le résistant a accepté de faire partie d'une délégation de dirigeants nationaux chargés de défendre la position officielle du Maroc sur le Sahara occidental auprès de l'Organisation de l'unité africaine (Union africaine aujourd'hui). De retour d'Addis-Abeba, Hassan II les reçoit en grande pompe dans son palais de Fès. Le temps passant, les données partielles fournies par certaines archives sont devenues accessibles, et cela me permet de penser que le roi voulait ainsi montrer au peuple que Bensaid était rentré dans le rang. C'est pourtant le contraire qui s'est produit - une grande déception pour Hassan II.

Le roi a donc accueilli lesdits leaders nationaux qui se présentaient devant lui en file comme de coutume. Le monarque était tout sourire, il semblait jouir de ces moments de protocole marquant l'humiliation des grands de la nation. L'un après l'autre, ceux-ci se plient plus ou moins en deux pour embrasser la main royale tendue, sans réserve aucune. Mais lorsque le tour de Bensaid arrive, il salue oralement Hassan II sans s'incliner, se donnant tout de même une contenance en posant la main sur son épaule. Le monarque manque de s'étouffer de colère, et il le fait savoir à Bensaid par le biais du ministre de l'intérieur, Driss Basri.

Quelques années plus tard, en préparation d'une réception au palais, le même Basri dira à Bensaid sur un ton grave que Hassan II exige de lui qu'il se plie au protocole. Aït Idder refuse à nouveau, tout en esquissant une légère inclinaison. Un modus vivendi est finalement trouvé entre les deux hommes.

Il est vrai que les deux dirigeants se détestent. Le roi n'appelle jamais Bensaid par son vrai nom, plutôt par un qualificatif faisant référence à sa région de naissance, Chtouka-Aït Baha. Il faisait de même avec d'autres opposants notoires comme Mohammed Fqih Basri, qu'il affublait du surnom Demnati (de Demnate, petite ville du Haut Atlas). Ce n'était point une manie royale. Il s'agissait dans son esprit de remettre à leur place les dirigeants nationaux qui lui tenaient tête : « Ce ne sont que des locaux », semblait signifier le roi. Dans le même esprit, Hassan II aurait transmis son souhait de voir le fondateur de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) Abderrahim Bouabid se présenter aux législatives de 1977 dans sa région natale, au nord de Rabat. Le leader socialiste optera au contraire pour le lointain sud-ouest, profondément amazigh (berbère). Toutefois, le ministère de l'intérieur veillait au grain. Et les desiderata du roi étant des ordres, le leader sera recalé. Il ne fera pas partie des élus de l'USFP, bien qu'il en soit le plus populaire.

L'affaire du livre irrévérencieux

La seconde anecdote remonte à janvier 1996. Mohamed Bensaid Aït Idder propose à la rédaction du journal critique Anoual dont il est le responsable politique de publier, en extraits successifs, la totalité de mon livre sorti quelques années plus tôt à Paris, La Monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir (L'Harmattan, 1992). Cette publication doit avoir lieu durant le ramadan de la même année, car les lecteurs sont plus nombreux pendant le mois sacré. Or, non seulement l'ouvrage est interdit au Maroc, mais, de nature universitaire, il est perçu par le palais comme irrévérencieux. La rédaction d'Anoual fait part de ses craintes de saisie à Bensaid, qui ne bronche pas. Dès la parution des premières pages, le ministère de l'intérieur menace la rédaction, qui persiste cependant. Basri contacte alors Bensaid par téléphone afin que le journal cesse ses publications. Puis il le rencontre en personne et lui déclare en substance : le roi t'intime l'ordre d'arrêter la publication pour laisser cicatriser les blessures entre le palais et le mouvement national. Sa réponse est sans appel : il n'en est pas question, car il n'y a aucun mal à publier un livre qui évoque des évènements vieux de plusieurs décennies. Le roi ordonne la saisie du journal. C'est chose faite à la publication du septième extrait.

Bensaid m'a relaté cette histoire, qu'il appelait le « clash du livre », en 2001. Quelques années plus tard, en 2008, il rédigera en arabe un témoignage manuscrit (publié ci-dessous) sur l'incident.

Révolutionnaire et monarchiste, Amazigh et nationaliste arabe, militant de la marocanité du Sahara occidental et ami des Algériens, fervent musulman et adepte de la gauche radicale, premier financier de son parti et perpétuel désargenté, éprouvé dès sa jeunesse par des problèmes de santé, Mohamed Bensaid Aït Idder s'est éteint le 6 février 2024, centenaire.


1L'expression en arabe qu'utilise Bensaid est « rijal lmaham sirriya » dont la signification littérale est « les hommes des missions secrètes », qu'on peut traduire par « services ».

Un reportage du New York Times démolit le discours de la «guerre non provoquée» en Ukraine

Pour ceux qui en douteraient encore. L’intérêt n’est pas tant la « révélation » en elle-même que l’Ukraine était transformée depuis 2014 en tête de pont pour des opérations contre Moscou, que le […]

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Netanyahoo’s Armageddon

Par : AHH

Do Netanyahu’s coalition partners want an all-out regional war? Ehud Olmert claims Gaza is just the first step.

Join the discussion with Elijah J. Magnier and Mohamad Hasan Sweidan on the potential “Armageddon”.

Former Prime Minister of Israel Ehud Olmert wrote an article in Haaretz claiming that Netanyahu’s coalition partners want an all-out regional war and Gaza is just the first step. Syriana Analysis discusses the potential “Armageddon” with Elijah J. Magnier and Mohamad Hasan Sweidan.

L’agriculture française face à de graves problèmes de stratégie

Le Salon de l’agriculture s’est ouvert à Paris le 24 février.

Nous sommes dans l’attente des réponses que le gouvernement va donner aux agriculteurs, suite à la révolte qui a éclaté dans ce secteur en janvier dernier. Pour la déclencher, il a suffi d’une simple augmentation du prix du GNR, le gas-oil utilisé pour leurs exploitations, et elle a embrasé subitement toute la France.

Tous les syndicats agricoles se sont entendus pour mobiliser leurs troupes, et des quatre coins du pays, des milliers de tracteurs ont afflué vers Paris pour tenter de bloquer le marché de Rungis qui alimente la capitale. Jamais encore on avait vu une révolte d’une telle ampleur dans ce secteur. Nos agriculteurs considèrent que leur situation n’est plus tenable et qu’ils sont délaissés par les gouvernants.

Ils veulent donc se faire entendre, et pour cela ils ont décidé d’agir très vigoureusement en voulant mettre le gouvernement au pied du mur. Ils se plaignent de ne pas parvenir à gagner leur vie malgré tout le travail qu’ils fournissent. Leur revendication est simple : « nous voulons être payés pour notre travail ». Ils expliquent que leur métier est très contraignant, les obligeant à se lever tôt, faire de longues journées de travail, et prendre très peu de vacances. Ils se révoltent pour que, collectivement, des solutions soient trouvées à leurs problèmes. Des barrages routiers ont été érigés à travers tout le pays.

Un parallèle peut être fait avec le secteur industriel : après s’être mis en grève sans succès pour obtenir des augmentations de salaire, les ouvriers vont occuper leur usine alors que leur entreprise est en train de déposer son bilan.

Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes confrontés à des problèmes sans solution, des personnes désespérées qui n’ayant plus rien à perdre.

Pourquoi le secteur agricole français est-il dans une telle situation ?

 

Des chiffres alarmants

Que s’est-il donc passé ? On avait jusqu’ici le sentiment que la France était toujours une grande nation agricole, la première en Europe. Les agriculteurs nous disent maintenant qu’ils ne parviennent pas à gagner leur vie. Ils sont au bord du désespoir, et effectivement, un agriculteur se suicide chaque jour, selon la Mutualité sociale agricole.

Un premier constat : le pays a perdu 100 000 fermes en dix années, parmi lesquelles beaucoup d’exploitants qui ne parviennent pas à se rémunérer au SMIC, la survie de l’exploitation étant assurée par des aides de l’Europe via la PAC, et par le salaire de l’épouse lorsqu’elle travaille à l’extérieur.

Un deuxième constat : 20 % de ce que nous consommons quotidiennement provient de produits importés. En effet, les importations agricoles augmentent dans tous les secteurs :

  • 50 % pour le poulet
  • 38 % pour la viande de porc
  • 30 % pour la viande de bœuf
  • 54 % pour le mouton
  • 28 %  pour les légumes
  • 71 % pour les fruits (dont 30 % à 40 % seulement sont exotiques)

 

Notre agriculture est-elle donc à ce point incapable de pourvoir à tous nos besoins alimentaires ?

Par ailleurs, les Pays-Bas et l’Allemagne devancent maintenant la France dans l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires, alors qu’elle était jusqu’ici en tête.

Un rapport du Sénat, du 28 septembre 2022 tire la sonnette  d’alarme :

« La France est passée en 20 ans du deuxième rang au cinquième des exportateurs mondiaux de produits  agricoles et agroalimentaires […] L’agriculture française subit une lente érosion. La plupart des secteurs sont touchés : 70 % des pertes de parts de marché s’expliquent par la perte de compétitivité de notre agriculture ».

ll s’agit donc de problèmes de compétitivité, et donc de stratégie qui n’ont pas été traités en temps voulu dans chacun des secteurs, ni par les responsables syndicaux ni par les pouvoirs publics.

 

Des problèmes de stratégie non résolus

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement de l’agriculture française s’est effectué sans que les dirigeants des divers secteurs d’activité aient développé la moindre stratégie pour guider leur action.

L’agriculture française avait alors un urgent besoin de se moderniser : augmentation de la taille des exploitations, mécanisation des cultures, recours aux engrais et aux produits phytosanitaires, amélioration de la formation des agriculteurs.

Mais elle a évolué homothétiquement par rapport au passé, sans aucune pensée stratégique de la part des instances gouvernementales en charge de ce secteur.

Aujourd’hui, les exploitations sont plus grandes qu’autrefois (69 Ha en moyenne), mais ne permettent pas aux exploitants de gagner leur vie correctement. Ils ont pu survivre grâce aux aides européennes via le mécanisme de la Politique agricole commune (PAC) mis en place en 1962, avec pour objectif d’obtenir l’autosuffisance alimentaire de l’Union européenne. La France est le pays qui a le plus bénéficié de ces aides, soit 9,5 milliards d’euros en 2022, accordées au prorata des surfaces. L’objectif d’autosuffisance de l’Europe a bien été atteint, mais ces aides n’ont fait que retarder le moment de se poser des questions sur la façon de faire évoluer chacune des branches de notre agriculture pour rendre nos productions concurrentielles. On ne peut rien faire de bon avec des exploitations de 69 Ha : elles sont soit trop grandes soit trop petites si on reste bloqués sur les manières de cultiver d’autrefois.

 

Les exemples hollandais et danois

Nos voisins ont généralement bien mieux résolu leurs problèmes, tout spécialement les Pays-Bas et le Danemark.

 

Le cas de la Hollande

Malgré la dimension très faible de son territoire, les Pays-Bas sont devenus de très gros exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires. Les exploitants sont intégrés verticalement au sein d’organismes qui assurent la commercialisation.

Les Pays-Bas ont résolu le problème des petites exploitations en les équipant de serres où tous les paramètres (chaleur, lumière et humidité) sont contrôlés en permanence par des ordinateurs. C’est ainsi que sont équipés les maraîchers et les horticulteurs. Il s’agit d’une agriculture de précision, numérique : la région du Westland, notamment, est couverte de serres équipées de lampes led, au spectre lumineux spécifique.

La Hollande est devenue le numéro un mondial dans le domaine de l’horticulture : elle détient 60 % du commerce mondial des fleurs. Royal Flora Holland est le leader mondial de la floriculture avec plus de 10 millions de fleurs et plantes vendues chaque jour. Au plan technique, les Hollandais sont très avancés, et le salon GreenTech à Amsterdam rencontre chaque année beaucoup de succès. Par exemple, dans le domaine floral, les Hollandais ont réussi à créer des roses noires, des rosiers sans épines, des roses qui ne fanent pas, etc. Dans le même temps, la France a perdu 50 % de ses exploitations horticoles en dix ans, et 90 % en 50 ans.

 

Le cas du Danemark

Le Danemark s’est spécialisé dans la production porcine et l’agrobiologie.

Ce petit pays est devenu le second exportateur mondial de porcs, après les États-Unis, les exportations représentant 90 % de la production nationale. Ramenées à la population du pays, les exportations représentent 338 kg/habitant au Danemark, contre 167 kg pour l’Allemagne qui est aussi un très gros exportateur de porcs, et 7 kg pour la France.

La qualité des porcs danois est mondialement réputée, et la productivité des truies est exceptionnelle : 33,6 porcelets sevrés en moyenne par truie. Aussi, DanBred, le grand spécialiste danois de la génétique porcine, vient de s’installer en France (à Ploufragan, en Bretagne) pour aider les producteurs bretons de porcs à améliorer leur productivité. Le porc danois est appelé « cochon à pompons » (pie noir) : c’est un animal musclé, très rustique, et particulièrement prolifique.

 

Le problème français

Dans le cas de l’agriculture française, la question de l’orientation à donner à chacun des grands secteurs de notre agriculture n’a jamais été posée.

Ni les ministres successifs, ni les dirigeants de la FNSEA, le principal organisme syndical des agriculteurs français, n’ont envisagé d’élaborer une stratégie pour chacun des grands secteurs, c’est-à-dire faire des choix en raisonnant en stratèges. On a laissé les choses aller d’elles-mêmes, et on a abouti aux résultats constatés aujourd’hui.

Deux secteurs seulement ont une stratégie précise de différenciation : la viticulture et la fromagerie.

Dans ces deux secteurs, les produits sont très différenciés de ceux de leurs concurrents, et cette différenciation choisie est reconnue mondialement. Les vins français sont réputés et se vendent sur les marchés étrangers à des prix supérieurs à la concurrence. Les fromages français sont très différenciés de leurs concurrents, la façon de les produire est réglementée par la profession, et chaque terroir procède à des actions de promotion nécessaires pour en assurer la promotion.

Dans tous les autres secteurs, il n’y a pas de stratégie, ou du moins ils sont acculés à mener une stratégie de coût sans l’avoir délibérément choisie, donc le dos au mur.

Les pouvoirs publics vont devoir comprendre pourquoi. Nous donnerons deux exemples illustrant ce manque de pertinence dans la façon d’opérer.

 

Le secteur laitier 

Aujourd’hui, dans ce secteur, la norme est à des gigafermes de 1000 vaches laitières, c’est la dimension qu’il faut atteindre pour être compétitif. Ce sont des stratégies de coût. Cette manière de produire du lait de vache est venue des États-Unis, où toutes les fermes laitières ont cette dimension, et parfois bien plus encore. Cette norme s’est imposée en Europe, notamment en Allemagne, avec les vaches Holstein, une race particulièrement productive en lait, et dont la mamelle est adaptée à la traite mécanique.

En France, il n’y a aucune ferme laitière de 1000 vaches. Michel Ramery, un industriel du bâtiment (classé 387e fortune française), a tenté cette aventure, mais a du finalement y renoncer. En 2011, il a voulu créer une mégaferme laitière de 1000 vaches dans la Somme : l’administration a donné son accord, mais très vite des obstacles ont surgi, à commencer de la part de la Confédération paysanne qui refuse l’industrialisation de l’agriculture. La population locale s’est également dressée contre ce projet, suivie de l’opinion publique, puis Ségolène Royal et le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, qui a déclaré : « Ce projet est contraire à l’orientation du gouvernement ». Finalement, Michel Ramery, qui avait réduit son projet à 500 ou 600 vaches laitières, déçu et las de tous ces combats stériles, a fermé son exploitation.

En France, les fermes laitières sont familiales, elles élèvent 80 à 100 vaches, quelques rares exploitations 250 ou 300 laitières. Les coûts de production sont donc élevés.

Le rapport de l’European Milk Board de 2019 donne les chiffres suivants :

  • 52,54 cent/kg en France
  • 47,44 cent/kg en Allemagne
  • 44,54 cent/kg en Hollande
  • 41,44 cent/kg au Danemark

 

La France importe donc de plus en plus de lait, comme le note l’IDELE dans son numéro 537 de février 2023 : « Les importations ont explosé en 2022, +38 % par rapport à 2021 ».

Toutefois, nous restons des exportateurs importants de produis dérivés du lait.

 

Le secteur de la production porcine 

L’Europe est un très gros consommateur de viande porcine. Les deux plus gros producteurs sont l’Allemagne, avec 5,2 MT, et l’Espagne avec 4,6 MT. La France vient en troisième position, loin derrière, avec 2,2 MT seulement.

Selon Pleinchamp :

« La filière porcine est structurellement déficitaire sous l’effet d’un déséquilibre entre l’exportation de produits bruts et l’importation de produits transformés ».

Nous nous approvisionnons tout spécialement en Espagne, qui a développé spectaculairement le domaine du porc ces dernières années, et qui exporte maintenant 60 % de sa production.

Nos éleveurs se sont bien sûr modernisés et spécialisés, mais la moyenne, en Bretagne (région spécialisée dans le porc) est de 3000 têtes/exploitation, contre 5200 au Danemark. En Espagne, 2000 exploitations ont même plus de 8000 cochons, et au Danemark, 4 % des exploitations ont plus de 10000 porcs.

Selon un article de 2012 de Viandes et Produits carnés :

« La filière porcine française est à la peine : elle a un urgent besoin de stratégies concertées faisant appel à des investissements importants au niveau agricole et industriel ».

Selon la coopérative Cooperl :

« Le manque de rentabilité porte en germe des difficultés de renouvellement des éleveurs, avec en filigrane le risque d‘une perte de production à moyen et long terme ».

Certes, dans le secteur porcin, les opérateurs porcins sont de taille beaucoup plus petite que leurs concurrents étrangers : Vion en Hollande, Danish-Crown au Danemark (22 millions de porcs/an), Campofrio en Espagne, etc.

 

Les enjeux de demain

L’agriculture française a fortement besoin de se restructurer et doit pour cela s’organiser elle-même,  car rien n’est à attendre de Bruxelles, sinon des contraintes.

La nouvelle PAC (2023-2027) qui n’a pas moins de dix objectifs divers et variés, et très généraux, est à caractère essentiellement écologique. Bruxelles se soucie avant tout de « renforcer les actions favorables à l’environnement et au climat ». Il n’y a donc rien, au plan stratégique, concernant l’agriculture du pays.

Les difficultés françaises, déjà grandes, vont être amplifiées par l’arrivée de l’Ukraine à qui l’Europe ouvre maintenant grand ses portes. C’est un pays agricole immense dont la surface agricole utilisée est de 41,5 millions d’hectares (contre 26,7 Ha pour la France), avec des terres extrêmement riches (60 % des surfaces sont du tchernoziom). Ce pays a hérité de la période soviétique de structures lui permettant d’être très compétitif, d’autant que la main-d’œuvre y est bon marché.

 

Quelles solutions ?

Pour être compétitifs, il faudrait faire grandir nos exploitations et les transformer en mégafermes pour jouer sur l’abaissement des prix par les volumes, c’est-à-dire chaque fois que des solutions existent, tirer parti des économies d’échelle.

Les Français y sont opposés, et on se heurte, de surcroît, en permanence à Greenpeace qui est très actif. Cette ONG a publié une carte des fermes usines en France, soit autant de combats à mener contre l’« industrialisation » de l’agriculture. Partout, en France comme en Europe, les écologistes veillent au grain. Il faudra donc réhabiliter les produits issus des mégafermes dans l’esprit des Français, car ils se sont laissé convaincre que ces productions nuisent à la santé.

Sur les petites surfaces, et comme l’ont fait nos voisins Hollandais, les exploitants ont la solution de recourir aux serres : tomates, poivrons concombres, fraises, floriculture, etc. C’est de la culture très intensive aux rendements extrêmement élevés, et sans aléas, car tous les paramètres sont contrôlés : par exemple, dans le cas de la tomate, 490 tonnes de tomates par hectare, contre 64 tonnes en plein air, en Italie. Et, à la manière des Hollandais, il faudra que les exploitants s’intègrent dans des structures verticales leur indiquant ce qu’ils doivent produire, et prennent en charge la commercialisation des productions.

Pour l’élevage, pour autant de vaches laitières, de porcs, que de volailles, il y a la solution des fermes-usines.

Pour le lait, la norme est à des mégafermes de 1000 vaches, voire bien plus encore.

Pour les volailles, les élevages intensifs sont la règle, ce qui n’exclut pas que, marginalement, certains fermiers puissent adopter une stratégie de différenciation, comme c’est le cas, par exemple, avec les poulets de Bresse élevés en plein air.

En Espagne, à Sinarcas (près de Valence) a été créée une ferme comprenant sept batteries de 12 étages qui logent 150 000 poules pondeuses, soit un million de poules, les équipements ayant été fournis par Big Deutchman, une firme allemande de Basse-Saxe.

Pour les porcs, les mégafermes sont, là aussi, la solution : en Espagne, il existe un bon nombre de macrogranjas de 2200 truies et 40 000 porcelets.

La Chine, très gros consommateur de viande de porc, en est au gigantisme. Par exemple, à Ezhou, une entreprise privée (Yangseiang) a édifié la plus grande porcherie du monde : un bâtiment de 26 étages pouvant loger 650 000 porcs. La firme Muyuan gère une ferme de 84 000 truies qui produit 2,1 millions de porcelets par an.

Enfin, pour les grandes cultures : blé, orge, avoine, maïs, colza, tournesol nécessitent des exploitations de 250 Ha, et pas moins, car c’est la dimension indispensable pour amortir les gros matériels : tracteurs surpuissants, moissonneuses batteuses, etc.

 

La politique du statu quo

Pour répondre à la révolte des agriculteurs, Gabriel Attal s’est prononcé en faveur de notre souveraineté alimentaire.

Nous n’en sommes pas là, mais des solutions existent pour avoir des prix compétitifs. Le chantier de restructuration de l’agriculture française est colossal. Quels pourraient bien être les acteurs de cette gigantesque révolution ? Il est à craindre que trop peu d’acteurs disposent des moyens financiers voulus. Nos dirigeants, tout comme la FNSEA, paraissent complètement dépassés par l’ampleur des problèmes à résoudre.

Nous allons donc rester là où nous en sommes, plutôt que se lancer dans ce colossal remue-ménage. Cela nécessite simplement que l’on continue à subventionner nos agriculteurs (la PAC, dont la France est le premier bénéficiaire), et que les Français veuillent bien payer plus cher les productions françaises que les produits importés. Ce n’est pas ce qu’ils font, car se posent à eux des problèmes de pouvoir d’achat et de fin de mois. Il faudrait, par conséquent, ériger des barrières douanières pour protéger notre agriculture des importations étrangères : mais l’ Europe l’interdit. C’est la quadrature du cercle ! Alors, que faire ? On ne sait pas ! Pour l’instant, rien ne sera résolu, c’est plus reposant.

On va simplement parer au plus pressé :

  • repousser de dix ans l’interdiction d’emploi du glyphosate,
  • faire une pause dans l’application du Plan Ecophyto,
  • suspendre la mesure de gel de 4 % des surfaces agricoles,
  • reporter à plus tard la signature des accords avec le Mercosur, etc.

 

On demandera aux fonctionnaires de Bruxelles de bien vouloir alléger les procédures pour la taille des haies et le curage des fossés : un pansement sur une jambe de bois !

Transition énergétique: l’exemple emblématique du Danemark

Par : STRATPOL

En 2005, alors en formation d’ingénieur, je suis parti au Danemark pour faire mon stage de fin d’étude à l’Ambassade

L’article Transition énergétique: l’exemple emblématique du Danemark est apparu en premier sur STRATPOL.

Using Psychological Warfare Against The Population With Daniel Estulin

By Maryam Henein “Tavistock is behind every “spontaneous” social movement of the last century, including feminism, sexual “liberation”, the peace movement, the “New Age” movement,...

Using Psychological Warfare Against The Population With Daniel Estulin

Galloway: Israel Has DESTROYED Itself

Par : AHH

Host of the Mother of All Talk [MOAT] Shows and former UK MP George Galloway came on the show to discuss the situation in the Middle East and how the growing opposition to Israel’s war spells doom for Netanyahu and the regime. This conversation took place last month but is just as prescient as Yemen’s Red Sea blockage continues and Iran, Lebanon prepare for broader regional war.

 

Le plan «éducation» d’Israël pour les enfants qui n’ont pas pu être massacrés à Gaza

Le plan d'Israël pour les enfants qui ont survécu aux massacres est toujours «l'éducation». C'est comme un aveu de la façon dont l'idéologie qui tolère l'Israël raciste et génocidaire peut être fournie au niveau mondial.

Meyssan : “Le Ramadan sera l’épreuve-test pour un massacre massif à Gaza”

Thierry Meyssan nous a évoqué dans son interview quinzomadaire les perspectives imminentes pour Gaza. Le gouvernement israélien menace d’intervenir brutalement à Rafah, au sud de la bande de Gaza. La communauté internationale dénonce ce projet. Les Etats-Unis font mine de s’y opposer. Il est très probable que cette intervention, si elle doit avoir lieu, commence en même temps que le Ramadan : le 10 mars. Les conséquences humaines en seront terribles.

Selon Thierry Meyssan :

  • les suprémacistes juifs font pression pour mener les opérations militaires les plus brutales à Gaza, notamment pour favoriser l’exode massif de la population et ainsi réaliser un véritable nettoyage ethnique
  • ce projet peut être accéléré par la perspective d’un retour de Trump au pouvoir, qui a demandé le départ de Netanyahu
  • pour Joe Biden, une opération meutrière à Rafah serait gênante dans la course à sa réélection
  • l’administration Biden multiplie donc les appels à la modération
  • dans le même temps, le Deep State équipe Israël de bombes susceptibles de frapper Rafah
  • le lancement de l’opération est prévu pour le début du Ramadan, le 10 mars
  • en l’état, personne ne sait qui décide dans ce conflit : l’administration américaine ? les suprémacistes juifs ?

Réponse le 10 mars.

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Responsabilité de protéger ! À une exception, le peuple palestinien

par Mohamed El Bachir. À partir du 7 octobre, le mouvement sioniste a mis en place les fondations pour la réalisation de la 3ème étape dont le but stratégique est de faire de l'État palestinien souverain, une chimère.

Des villes aux campagnes, la résistance armée s’étend en Cisjordanie

par Shatha Hanaysha. La résistance armée s’étend. «La résistance à Azzun était auparavant non armée», explique un habitant de la petite ville à Mondoweiss, mais «tout a changé après le 7 octobre.»

Une page censurée de la révolution algérienne

Revenant sur l'épisode de la censure d'un numéro du journal Révolution Africaine en août 1965, Christian Phéline montre comment le régime algérien a, très tôt, combattu une partie de l'héritage de la guerre de libération nationale, pour asseoir l'ascendance du militaire sur le civil.

Le 21 août 1965, Révolution Africaine, l'un des deux journaux du Front de libération nationale (FLN), le parti au pouvoir en Algérie, affiche à la une la photographie d'un combattant agenouillé derrière un parapet, qui tire avec son fusil sur un ennemi invisible. À un jour près, l'hebdomadaire célèbre le dixième anniversaire du sanglant soulèvement populaire du 20 août 1955 survenu dans le Nord-Constantinois. Rien de très habituel dans la commémoration d'un événement iconique de la lutte de libération nationale. Sauf que moins de 24 heures plus tôt, la couverture du journal et sa « cover story », déjà bouclées, étaient consacrées à un tout autre anniversaire : celui de la « plateforme de la Soummam » adoptée en août 1956 par un mini-congrès, qui scelle les grands principes de la révolution algérienne1.

Auteur de plusieurs ouvrages distingués sur l'Algérie coloniale, Christian Phéline passe pour la première fois la frontière de 1962, date de l'indépendance des trois « départements français », pour s'attaquer à un épisode postérieur, largement oublié : le remplacement en quelques heures d'un sujet par un autre à la une d'un journal important. Amar Ouzegane, à l'époque directeur de Révolution africaine, reconnait pour la première fois dans l'article phare être le principal rédacteur de la plateforme de la Soummam. Il met en scène la découverte récente du manuscrit sous le carrelage vieilli d'une masure dans le vieux quartier d'Alger, la Casbah : un texte de 77 pages écrites à la main sur un cahier d'écolier. En quelques heures, les agents de la Sécurité militaire, la police politique du nouveau régime né du coup d'État militaire du 19 juin 1965 qui a renversé le président Ahmed Ben Bella, bloquent la rédaction, éloignent son directeur, isolent l'imprimerie et récupèrent les 20 000 exemplaires déjà imprimés.

Civils et militaires

Personne ne s'en aperçoit. Cette supercherie réussie traduit la peur des militaires devant un texte qui, au contraire du nouveau régime, pose la prééminence des civils sur les soldats dans la hiérarchie politique de l'Algérie nouvelle. Elle montre aussi leur méfiance à l'égard de son auteur, Amar Ouzegane, ancien secrétaire général du Parti communiste algérien, devenu partisan de l'amalgame entre islam et socialisme, connu pour son savoir-faire politique et son ambition de jouer un rôle sur la scène de l'Algérie indépendante. Avant même l'indépendance et après la signature du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, l'armée des frontières fait sentir sa force en quelques semaines et écrase un à un ses rivaux dans la course au pouvoir. Après l'indépendance, ce sont une à une toutes les institutions, de l'université aux syndicats, en passant par les ONG et les mosquées, qui sont épurées et « redressées » par la police politique de Ben Bella, puis celle de Houari Boumédiène, toutes deux soumises aux militaires.

Un demi-siècle plus tard, le spectre de la Soummam revient en force dans l'actualité. Pendant un an, chaque vendredi, des centaines de milliers d'Algériens défilent dans les rues de la capitale, et plus irrégulièrement dans les autres villes du pays. Ils scandent un slogan en faveur d'un « État civil et non militaire » qui reprend le principe de la plateforme de la Soummam relatif à la prééminence du civil sur le soldat. Un scandale pour le chef d'état-major qui assume alors tous les pouvoirs. Dans une postface éclairante, Mohammed Harbi, historien majeur et militant, qui fut directeur de Révolution africaine après Ouzegane, explique les conditions difficiles dans lesquelles se débattaient les tenants d'une ligne politique plus ouverte et progressiste, à la fois avec le président Ben Bella désireux de se renforcer, et contre l'armée qui pesait de tout son poids. Ce livre précis et documenté montre bien que la fossilisation idéologique et politique du système algérien ne date pas d'hier.

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Christian Phéline
Pierre Feuille ciseaux ! Alger, 20 août 1965. La discrète mise au pas de Révolution africaine
Éditions du Croquant
Décembre 2023
140 pages
20 €


1Le congrès de la Soummam est un congrès du FLN qui s'est tenu dans la clandestinité pendant la guerre de libération algérienne, organisé du 13 au 20 août 1956 au village d'Ifri, dans l'actuelle commune d'Ouzellaguen en Algérie.

Sur Israël, les prémonitions au vitriol de Raymond Aron

Il était plus facile il y a quelques décennies de critiquer en France la politique de Tel-Aviv qu'aujourd'hui. Les analyses de Raymond Aron, chroniqueur à L'Express et au Figaro, incisives et dénuées de tout sentimentalisme vis-à-vis de sa judaïté, tranchent avec le tropisme pro-israélien actuel des médias dominants.

Raymond Aron est à la mode. Le penseur libéral, l'universitaire doublé d'un éditorialiste influent par ses éditoriaux dans Le Figaro puis dans L'Express, des années 1950 à 1980, a été convoqué à l'occasion du quarantième anniversaire de sa disparition par des médias de droite à la recherche des références intellectuelles qui leur manquent dans la production actuelle : « un maître pour comprendre les défis d'aujourd'hui », « un horizon intellectuel », « un libéral atypique ».

Curieusement, les prises de position les plus incisives de son œuvre journalistique, à savoir celles consacrées à Israël et à la Palestine, sont absentes des injonctions à « relire Raymond Aron ». Elles n'en restent pas moins d'une actualité brûlante.

On comprend cette gêne si on les relit, effectivement. Certaines de ces idées, exprimées dans une presse de droite par un homme de droite d'origine juive, le feraient classer en 2024 comme « antisioniste » (voire pire) par des médias et des « philosophes » de plateaux télé qui se contentent de paraphraser le narratif israélien.

C'est une véritable réflexion qui se déclenche le 27 novembre 1967, à la suite de la célèbre conférence de presse du général de Gaulle dénonçant, après la victoire éclair d'Israël et l'occupation des territoires palestiniens : « les Juifs (…) qui étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ». Chaque mot de cette déclaration « aberrante » choque Raymond Aron. En accusant « les Juifs » éternels et non l'État d'Israël, de Gaulle réhabilite, écrit-il, un antisémitisme bien français : « Ce style, ces adjectifs, nous les connaissons tous, ils appartiennent à Drumont, à Maurras, non pas à Hitler et aux siens ».

Interrogations sur le concept de « peuple juif »

Mais Aron, en vrai philosophe, ne saurait s'arrêter là : « Et maintenant, puisqu'il faut discuter, discutons », écrit-il dans Le Figaro. Il se lance alors dans une étude socio-historique, adossée à une auto-analyse inquiète qui n'a pas vieilli. Quel rapport entre ses origines et l'État d'Israël ? L'obligent-elles à un soutien inconditionnel ? Et d'ailleurs qu'est-ce qu'être juif ? Ces questions parfois sans réponse définitive, on les trouve dans un ouvrage qui rassemble ses articles du Figaro1 puis, plus tard, dans ses Mémoires2 publiées l'année de sa mort, en 1983, et enfin dans un livre paru récemment qui comporte, lui, tous ses éditoriaux de L'Express3. Les citations de cet article sont extraites de ces trois livres.

Et d'abord, qu'est-ce que ce « peuple » juif comme le dit le président de la République, commence par se demander Raymond Aron. Il n'existe pas comme l'entend le sens commun, répond-il, puisque « ceux qu'on appelle les Juifs ne sont pas biologiquement, pour la plupart, les descendants des tribus sémites » de la Bible. « Je ne pense pas que l'on puisse affirmer l'existence objective du "peuple juif" comme celle du peuple français. Le peuple juif existe par et pour ceux qui veulent qu'il soit, les uns pour des raisons métahistoriques, les autres pour des raisons politiques ». Sur un plan plus personnel, Aron se rapproche, sans y adhérer complètement, de la fameuse théorie de son camarade de l'École normale supérieure, Jean-Paul Sartre, qui estimait qu'on n'était juif que dans le regard des autres. L'identité n'est pas une chose en soi, estime-t-il, avec un brin de provocation :

Sociologue, je ne refuse évidemment pas les distinctions inscrites par des siècles d'histoire dans la conscience des hommes et des groupes. Je me sens moins éloigné d'un Français antisémite que d'un Juif marocain qui ne parle pas d'autre langue que l'arabe…

Mais c'est pour ajouter aussitôt : « Du jour où un souverain décrète que les Juifs dispersés forment un peuple "sûr de lui et dominateur", je n'ai pas le choix ». Cette identité en creux ne l'oblige surtout pas à soutenir une politique. Aron dénonce « les tenants de l'Algérie française ou les nostalgiques de l'expédition de Suez qui poursuivent leur guerre contre les Arabes par Israël interposé ». Il se dit également gêné par les manifestations pro-israéliennes qui ont eu lieu en France en juin 1967 : « Je n'aimais ni les bandes de jeunes qui remontaient les Champs-Élysées en criant : "Israël vaincra", ni les foules devant l'ambassade d'Israël ». Dans ses Mémoires, il va plus loin en réaffirmant son opposition à une double allégeance :

Les Juifs d'aujourd'hui ne sauraient éluder leur problème : se définir eux-mêmes Israéliens ou Français ; Juifs et Français, oui. Français et Israéliens, non – ce qui ne leur interdit pas, pour Israël, une dilection particulière.

Cette « dilection », il la ressent émotionnellement. Lui qui en 1948 considérait la création de l'État d'Israël comme un « épisode du retrait britannique » qui « n'avait pas éveillé en lui la moindre émotion », lui qui n'a « jamais été sioniste, d'abord et avant tout parce que je ne m'éprouve pas juif », se sentirait « blessé jusqu'au fond de l'âme » par la destruction d'Israël. Il confesse toutefois : « En ce sens, un Juif n'atteindra jamais à la parfaite objectivité quand il s'agit d'Israël ». Sur le fond, il continue de s'interroger. Son introspection ne le prive pas d'une critique sévère de la politique israélienne, puisqu'Aron ne se sent aucune affinité avec les gouvernements israéliens : « Je ne consens pas plus aujourd'hui qu'hier à soutenir inconditionnellement la politique de quelques hommes ».

Le refus d'un soutien « inconditionnel »

Cette politique va jusqu'à le révulser. Il raconte comment il s'emporte, au cours d'un séminaire, contre un participant qui clame : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Le digne professeur explose : « Contre mon habitude, je fis de la morale avec passion, avec colère. Cette formule… un Juif devrait avoir honte de la prendre à son compte ». Mais en général, le philosophe-journaliste reste attaché à une analyse froide des réalités du moment. Raymond Aron n'oublie pas qu'Israël est aussi un pion dans la géopolitique de la guerre froide : « S'il existe un "camp impérialiste" [face à l'URSS], comment nier qu'Israël en fasse partie ? » Puis : « Dans le poker de la diplomatie mondiale, comment le nier ? Israël, bon gré mal gré, est une carte américaine ».

Il pousse loin le principe de la « déontologie » intellectuelle. S'il juge qu'en 1967, Israël a été obligé d'attaquer, il peut être bon, pour le bien de la paix régionale, qu'il perde quelques batailles  : « Je jugeai normale l'attaque syro-égyptienne de 1973 », écrit-il, ajoutant même : « Je me réjouis des succès remportés par les Égyptiens au cours des premiers jours », car ils permettraient au président Anour El-Sadate de faire la paix.

Mais Aron reste tout de même sceptique devant l'accord de 1978 entre Menahem Begin et Sadate à Camp David, simple « procédure » qu'il « soutient sans illusion » car il lui manque le principal : elle ne tient pas compte du problème « des colonies implantées en Cisjordanie ». En 1967 (rejoignant, cette fois, les prémonitions du général de Gaulle, dans la même conférence), il décrit l'alternative à laquelle Israël fait face : « Ou bien évacuer les territoires conquis… ou bien devenir ce que leurs ennemis depuis des années les accusent d'être, les derniers colonisateurs, la dernière vague de l'impérialisme occidental ». L'impasse est totale, selon lui : « Les deux termes semblent presque également inacceptables » pour Tel-Aviv.

Ce pessimisme foncier s'exprime dans ses articles écrits pour L'Express dans les dernières années de sa vie. En 1982, il salue la portée « symbolique » et la « diplomatie précise » de François Mitterrand, qui demande devant le parlement israélien un État pour les Palestiniens, en échange de leur reconnaissance d'Israël. Tout en restant lucide : « Mitterrand ne convaincra pas Begin, Reagan non plus ». Selon lui, écrit-il toujours en 1982, Israël n'acceptera jamais de reconnaître l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme seul représentant des Palestiniens. Dix ans plus tard, les accords d'Oslo connaîtront finalement l'échec que l'on sait, et Israël facilitera la montée du Hamas, dans le but d'affaiblir l'OLP.

L'invasion du Liban par Israël en 1982, le départ de Yasser Arafat et de ses combattants protégés par l'armée française donnent encore l'occasion à Raymond Aron de jouer les prophètes : même si l'OLP devient « exclusivement civile (…), d'autres groupements reprendront l'arme du terrorisme (…). L'idée d'un État palestinien ne disparaîtra pas, quel que soit le sort de l'OLP ».

En septembre, il commente ainsi les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila par les phalangistes libanais, protégés par l'armée israélienne :

Israël ne peut rejeter sa responsabilité dans les massacres de Palestiniens (…). Pendant les trente-trois heures de la tuerie, des officiers de Tsahal ne pouvaient ignorer ce qui se passait dans les camps.

Et les prédictions d'Aron, en décembre de la même année, résonnent singulièrement aujourd'hui. À l'époque, le terme d'apartheid est encore réservé à l'Afrique du Sud. Le philosophe évoque un autre mot et une autre époque :

D'ici à la fin du siècle, il y aura autant d'Arabes que de Juifs à l'intérieur des frontières militaires du pays. Les Juifs porteront les armes, non les Arabes. Les cités grecques connaissaient cette dualité des citoyens et des métèques. Faut-il croire au succès de la reconstitution d'une cité de ce type au XXe siècle ?

Oui, il faut relire Raymond Aron.


1De Gaulle, Israël et les Juifs, Plon, 1968.

2Mémoires, tome 2, Julliard, 1983.

3De Giscard à Mitterrand, 1977-1983, Calmann-Lévy, 2023.

La démocrature, principal ennemi des démocraties libérales

La démocratie libérale est un régime politique jeune et fragile. Elle commence véritablement à se concrétiser à la fin du XIXe siècle, et n’existe que dans une trentaine de pays dans le monde. Le primat de l’individu constitue son principal pilier qui est d’abord politique : garantir les droits naturels de l’Homme (la vie, la propriété, la liberté, la vie privée, la religion, la sécurité…) et limiter l’action de l’État¹.

La propriété de soi d’abord, la propriété des choses par le travail ensuite, la pensée critique (libre examen), la tolérance religieuse, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la prééminence du pouvoir législatif parachèvent le libéralisme politique.

Le libéralisme économique constitue l’autre pilier des démocraties libérales : abolir les entraves, encourager l’esprit entrepreneurial, favoriser le libre commerce entre les pays et privilégier les organisations spontanées, sont des objectifs d’une économie de marché. En tant que doctrine économique, le libéralisme protège la concurrence à l’intérieur du pays et défend le libre-échange à l’extérieur. Pour la pensée libérale, le meilleur système social est celui qui laisse aux individus le soin d’adapter leurs conduites aux circonstances.

La démocratie libérale est la rencontre de deux libéralismes, politique et économique. Cette rencontre a constitué la base du développement spectaculaire, non seulement du commerce mais aussi de la science et de l’industrie.

Le protectionnisme et le corporatisme ont menacé et menacent encore la démocratie libérale. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté est d’abord de produire la richesse, libérer les échanges, libérer des entraves de l’esprit des entrepreneurs, et non pas la construction de douanes intérieures et extérieures.

Pour la démocratie libérale, le libéralisme économique est nécessaire mais pas suffisant.

La première crise de la démocratie libérale fut celle de la séparation entre libéralisme économique et libéralisme politique. Déjà, au début du XIXe siècle, avec le rétablissement de l’ordre monarchique en Europe, une continuité fut admise entre libre marché et despotisme. Cette schizophrénie constitue l’un des principaux problèmes pour la pensée libérale, y compris dans le monde contemporain. Pinochet, Videla, Xi Jinping ou encore le modèle singapourien sont certes capitalistes, mais nullement libéraux.

Les temps sont difficiles pour le libéralisme : guerre, terrorisme, crise climatique, protectionnisme, déficit public, augmentation exponentielle des impôts… La liste est à la fois longue et pénible.

Face à la crise, à la fois économique et culturelle, le repli sur soi semble émerger comme une réponse possible, plébiscitée par l’opinion publique. Les exemples abondent : la Chine de Xi Jinping, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, la Hongrie d’Orban et l’Amérique de Trump. Ils peuvent être expliqués comme une réponse à la crise du libéralisme : la démocratie illibérale. Elle a été définie par Fareed Zakaria dans un article en 1997 (« The Rise of Illiberal Democracy ») comme « une démocratie sans libéralisme constitutionnel qui produit des régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et la guerre ».

Comme le note Nicolas Baverez :

« La démocrature désigne aujourd’hui une réalité politique et stratégique très différente par sa nature et sa dimension. Elle définit un mode de gouvernement original qui se revendique comme plus stable, plus efficace et plus apte à répondre aux attentes du peuple que la démocratie, qu’il s’agisse de prospérité, de cohésion sociale ou de sécurité. »

Dans un contexte de montée du nationalisme, l’expression « démocratie illibérale » connaît un succès médiatique, notamment par les déclarations du hongrois Viktor Orban qui s’en est revendiqué. Le discours à l’université d’été de Bálványos le 28 juillet 2018 à Tusnádfürdő en Roumanie mérite d’être analysé attentivement puisqu’il constitue la synthèse contemporaine de la pensée illibérale, base de la démocrature :

« Affirmons tranquillement que la démocratie chrétienne n’est pas libérale. La démocratie libérale est libérale, mais la démocratie chrétienne, par définition, ne l’est pas. Elle est, si vous voulez, illibérale. Nous pouvons le démontrer dans quelques questions importantes, et très concrètement dans trois cas : la démocratie libérale soutient le multiculturalisme, la démocratie chrétienne donne la priorité à la culture chrétienne, ce qui relève d’une pensée illibérale ; la démocratie libérale soutient la migration, la démocratie chrétienne est contre, ce qui est une pensée clairement illibérale ; et la démocratie libérale soutient les modèles de famille à géométrie variable, alors que la démocratie chrétienne soutient le modèle de famille traditionnel, ce qui est aussi une pensée illibérale.

[…]

La démocratie chrétienne ne veut pas dire que nous soutenons des articles de foi, en l’occurrence ceux de la foi chrétienne. Ni les États ni les gouvernements ne sont compétents en matière de salut ou de damnation. Une politique démocrate-chrétienne signifie la défense des formes d’existence issues de la culture chrétienne. Pas des articles de foi, mais des modes de vie qui en sont issus : la dignité de l’homme, la famille, la nation. »

Marlène Laruelle, spécialiste de l’illibéralisme à la George Washington University, le décrit comme :

« Un univers idéologique qui estime que le libéralisme, entendu comme un projet politique centré sur la liberté individuelle et les droits humains, est allé trop loin. Ce rejet s’accompagne de positions politiques plus ou moins clairement établies, s’appuyant généralement sur le souverainisme et la défense de la majorité contre les minorités. La nation est conçue de façon homogène et les hiérarchies traditionnelles célébrées ».

Les principales caractéristiques de la démocrature sont :

  • Hostilité au libéralisme qui réduit l’homme à l’état d’individu.
  • Contestation possible du suffrage universel (assaut du Capitole aux USA).
  • Fascination pour les dirigeants autoritaires et charismatiques.
  • Présentation du peuple comme l’opposé des élites dirigeantes (antiélitisme).
  • Rejet de l’État de droit : Charles Maurras, opposait déjà le pays réel au pays légal.
  • Instrumentalisation de la religion : Modi et l’hindouisme, Erdoğan et l’islam, Trump et les évangélistes, Poutine et le christianisme orthodoxe, Orban et le catholicisme…
  • Contrôle de l’économie planifiée : programme économique du Rassemblement national par exemple.
  • Exaltation du nationalisme et rejet du cosmopolitisme considéré comme une idéologie hors-sol  sans-frontiériste.
  • Droit à l’identité nationale pouvant être défini comme la nécessité pour les groupes ethno-culturels de préserver les particularismes culturels, religieux et raciaux du métissage et de l’indifférenciation.
  • Anti-européisme plus au moins déguisé : l’expression souverainisme apparaît en France en 1996 et a été forgée au sein d’associations en lutte contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam afin d’échapper aux qualificatifs négatifs tels qu’anti-européens.
  • Critique de la légitimité des institutions de l’Union européenne.
  • Dilution de la frontière entre public et privé si chère à Benjamin Constant.
  • Inversion de la priorité du juste sur le bien dont John Rawls faisait l’emblème du libéralisme politique. Alors que la démocratie libérale n’impose pas une conception de la vie bonne, la démocrature impose un modèle culturel hégémonique.
  • Exaltation de l’action contre la pensée : anti-intellectualisme.
  • Rhétorique décliniste simple et efficace.
  • Rejet des Lumières en tant que système philosophique ayant engendré le libéralisme. (économique, politique, philosophique) et comme origine du rationalisme contemporain.
  • Rejet des minorités sexuelles et de la libération des mœurs.
  • Rejet des structures intermédiaires (Parlements, tribunaux, médias, etc.) qui bâillonneraient le peuple.
  • Promotion de l’écologie intégrale, une forme d’instrumentalisation de l’écologie au profit de valeurs conservatrices et contre les progrès de la bioéthique, l’IVG, l’euthanasie, le mariage pour tous…

 

La démocrature a ainsi su imposer un récit selon lequel le libéralisme culturel met en danger les repères naturels de l’homme enraciné dans une culture spécifique. La démocratie illibérale entend bâtir une pensée politique de l’attachement au « chez soi » et de la cohésion sociale à l’échelle nationale.

La crise de la démocratie libérale est en partie liée à l’incapacité à construire un récit allant au-delà de l’économie, à l’incapacité à mener une bataille culturelle capable de contrecarrer la rhétorique réactionnaire.

¹Grotius, Droit de la guerre et de la paix (1625) ; Hobbes, Léviathan (1651) ; Locke, Deuxième traité du gouvernement civil (1690), Rousseau, Du contrat social (1762).

Un Sahel sang et or

Le trafic d’or représente une source de financement pour les groupes terroristes, et plus récemment pour les mercenaires russes de Wagner. De facto, cette manne renforce tous les ennemis et compétiteurs de la France en Afrique de l’Ouest. Pire, elle est un fléau pour tous les pays de la région. Certains, comme la Centrafrique et le Soudan en sombrent. D’autres, comme la Mauritanie et la République Démocratique du Congo (RDC), ripostent.

 

La ruée vers l’or sahélienne : une malédiction pour la région ?

Depuis 2012, la bande sahélienne allant de la Mauritanie à l’ouest du Soudan connaît un boom du secteur aurifère. Le mouvement s’accentue à partir de 2016. Une nouvelle ruée vers l’or voit des groupes armés s’emparer de sites d’extraction d’or artisanaux. Ils profitent de l’absence ou de la faiblesse des structures étatiques dans ces régions, à des fins de financement et de recrutement de nouveaux membres.  

Les trafics illégaux (or, migrants, armes, stupéfiants, etc.) sont un parangon géopolitique de la région. Ils catalysent tous les risques et les scléroses du Sahel et du reste de l’Afrique. Problème, ils entraînent aussi des répercussions en Europe, dont la France, qui en est un des débouchés privilégiés ; et pas uniquement les migrants. Venue d’Amérique du Sud, le Sahel voit en effet passer une part substantielle de la cocaïne à destination du Vieux Continent. 

Le trafic d’or, très rémunérateur, est la dernière mode des trafiquants et il alimente les caisses de groupes armés, qu’ils soient djihadistes ou simplement rebelles. À titre d’exemple, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance de groupes rebelles touareg formée en 2014, exploiterait des mines au nord du Mali. Sur la frontière algéro-malienne, dans la localité de Tin Zaouten, les djihadistes du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) contrôleraient également une fonderie et un site d’orpaillage. La porosité entre ces mouvements politiques ou djihadistes et les simples groupes criminels rend d’autant plus difficile la lutte contre leurs actions.

 

Wagner : les nouveaux pilleurs d’or

Le groupe de mercenaires Wagner, présent dans la bande sahélienne du Mali au Soudan en passant par la République centrafricaine, tire une partie importante de ses ressources du trafic d’or, avec des ramifications jusqu’en Mauritanie. Servant de garde prétorienne à plusieurs dirigeants de la région du Mali au Burkina Faso, le groupe Wagner profite de cette assise territoriale pour développer les trafics lui assurant ses revenus. 

Depuis son arrivée à Bamako, fin 2021, le groupe de mercenaires russes a entrepris des actions tous azimuts pour garantir sa mainmise sur l’or malien : récupération de permis miniers, création de sociétés locales, orpaillage artisanal, trafic via Dubaï. Wagner se fournit également, de façon clandestine, auprès d’orpailleurs mauritaniens, liés à des courants proches des islamistes pour revendre ensuite cet or à Bamako. Des liens étroits sont tissés avec les négociants en or de la ville, au premier rang desquels Kossa Dansoko, mais aussi des organisations proches des Frères musulmans.

Par corollaire, ce trafic contribue à financer des actions de subversions anti-françaises déployées par le groupe Wagner sur tout le continent. Sans compter ses opérations qui déstabilisent toute la région et menacent directement la sécurité de l’Europe. 

 

L’exemple congolo-émirati

Face au risque de déstabilisation que représente le trafic d’or à l’échelle internationale, en étroite imbrication avec les réseaux de criminalité transfrontaliers, plusieurs États réagissent et se donnent les moyens de lutter contre ce phénomène. Les Émirats arabes unis, place mondiale du commerce de l’or, sont régulièrement critiqués pour leur laxisme, même s’ils font le choix de fermer une grande raffinerie. Entre 2012 et 2014, Kaloti, un négociant en or basé à Dubaï est accusé d’acheter de l’or à des réseaux criminels internationaux pour blanchir de l’argent.

L’affaire du négociant Kaloti a mis en lumière les difficultés du contrôle international des transactions d’or : Kaloti a pu vendre de l’or à des grandes entreprises, y compris Apple, General Motors et Amazon, soulevant des questions sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Suite à ce scandale qui mettait en lumière des failles dans la sécurisation du commerce de l’or, les Émirats arabes unis décident d’innover en mobilisant la technologie blockchain.

En janvier 2023, la République démocratique du Congo (RDC) et les Émirats arabes unis signent un partenariat commercial qui comprend l’amélioration de la traçabilité des flux commerciaux d’or, une transparence accrue des activités du secteur, ainsi que la garantie d’un revenu pour les 30 000 mineurs artisanaux, afin de leur éviter la tentation de grossir les rangs de groupes criminels. 

 

La réponse mauritanienne

La Mauritanie, îlot de stabilité dans une région en proie aux troubles, cherche ainsi à éviter un scénario à la soudanaise, où des groupes armés d’obédience islamiste ont traité ces dernières années directement avec des acteurs étrangers et ont tenté de dépouiller le pays de ses ressources. 

En 2020, les autorités mauritaniennes ont mis sur pied un nouveau cadre pour donner un début de réglementation à l’activité des mineurs d’or indépendants, dont la production représente jusqu’à un tiers de celle des compagnies ayant pignon sur rue. Malgré cette mesure, 70% de la production d’or continuerait de quitter le territoire tous les ans via les filières de trafic trans-sahéliennes liées a des mouvements djihadistes, qui réactivent les routes commerciales multiséculaires de l’Ouest africain. 

Face à ce constat alarmant, les autorités de Nouakchott veulent durcir encore le cadre légal régissant le secteur aurifère, ce qui ne manque pas de froisser les orpailleurs, qui mènent des campagnes d’influence agressive. La solution passera probablement en partie par un démantèlement du marché noir et les réseaux de circuit informel à travers une formalisation assez soutenue de la commercialisation de la production artisanale de l’or. Les pouvoirs publics ont commencé ce travail sous le contrôle de l’Agence nationale Maaden à travers un renforcement du dispositif sécuritaire mauritanien dans cette région, mais aussi par un durcissement du dispositif juridique. Nouakchott peut déjà se prévaloir d’une « armée des sables » rompue aux exigences de son terrain et bien entraînée.

En définitive, l’expansion du trafic d’or représente un risque nouveau. Non seulement pour la stabilité et le développement des pays du Sahel, et au-delà, mais aussi pour la sécurité de l’Europe et de la France. De facto, la zone n’a jamais concentré autant de risques pour Paris et Bruxelles. Et pourtant, ce sont aujourd’hui leurs rivaux stratégiques, parfois existentiels, qui y prospèrent et contribuent à faire sombrer un peu plus la région dans le chaos.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Washington compte imposer des sanctions aux soldats de Tsahal opérant en Cisjordanie

L'administration américaine s'apprête à imposer des sanctions aux soldats de Tsahal qui opèrent en Cisjordanie contre les terroristes, selon un rapport interne du ministère des Affaires étrangères, relayé vendredi soir par la chaîne Kan 11.

L’article Washington compte imposer des sanctions aux soldats de Tsahal opérant en Cisjordanie est apparu en premier sur Strategika.

Supplying Israel while it starves Gaza

Par : AHH

The trade corridor amounts to active Arab collusion in the genocidal war

By Abdel Bari Atwan at Rai Al Youm

While Yemen gets pummelled by US and British airstrikes for trying to close the Red Sea to Israeli shipping, other Arab countries have been conspiring to sabotage its valiant effort to support the Palestinians in the Gaza Strip.

The UAE, Jordan, and Saudi Arabia have been complicit in creating a Dubai-Haifa corridor to provide the occupation state with an alternative route for its commerce that bypasses the Bab al-Mandeb strait and Suez Canal or Gulf of Aqaba.

The countries involved have maintained a deafening silence about, or muttered feeble excuses for, this shameful and ominous normalisation move amid Israel’s genocidal war in the Gaza Strip. But the Israeli media haven’t been shy about publicising and hailing it. They’ve shown footage of convoys of freight trucks passing through this route, thereby exposing what the Arab governments are trying to hide from their people.

Last week, Israel’s Channel 13 reported that hundreds of lorries loaded with goods and fresh food have been making their way from the UAE through Saudi Arabia and Jordan to the occupation state and its consumers. This amounts to active collusion, even if indirect, in Israel’s murderous war of extermination in the Gaza Strip.

The Jordanian authorities already committed the outrage of enabling the export of fruits and vegetables from the Jordan Valley to the occupation state despite its assault. Now, some officials are arguing that Jordan does not have the right to prevent the transit of commercial freight through its territory due to the agreements it has signed in this regard and out of fear of being treated in kind by the countries that would suffer from such a decision, namely Saudi Arabia and the UAE.

But since when has Israel ever complied with the provisions of signed agreements or respected other laws and treaties, not least the Wadi Araba and Oslo accords?

It is disgraceful that an Emirati company, Puretrans, is partnering the Israeli firm Trucknet in jointly overseeing the management of this corridor. Supplying Israel and its settlers with goods and food while it deliberately starves more than two million Palestinians in its attempt to make the Gaza Strip uninhabitable amounts to direct participation in that crime.

The Egyptian authorities are doing the same by refusing to open the Rafah crossing by force to allow humanitarian aid to enter, and by charging levies of up to $5,000 on each truck. According to news reports, there are over 2,500 trucks stalled in a 40-km long queue stretching from Arish to the Rafah crossing waiting to deliver aid.

One would have expected the Arab governments complicit in this crime to apply reciprocal treatment by shutting down all crossings to Israel completely, not to mention severing relations with it and closing its embassies on their territory in solidarity with the West Bank and Gaza Strip. They could at least condition the transit of freight through the Dubai-Haifa corridor on Israel lifting the blockade and allowing aid into Gaza.

But that seems too much to hope for. If the killing of more than 30,000 fellow Arabs (thousands of them still buried under the rubble), the injury of some 70,000 others, and the destruction of 86% of Gazan homes does not stir the feelings or consciences of these governments, what can?

We’re not asking Jordan, the UAE, and Saudi Arabia to take the same valiant stance as the Yemenis and confront the US and UK warships trying to break the maritime blockade on Israel. We know they would turn a deaf ear to any such demand. But we do ask them to listen to their people who are seething over this feigned impotence, and follow the lead of non-Arab and non-Muslim countries like South Africa, Bolivia, Chile, and Colombia in severing ties with the occupation state instead of throwing it a lifeline.

The Jordanian people are in an unprecedented and mounting state of agitation these days, first over the massacre of their brethren in Gaza and the West Bank, and second over reports of Jordanian planes joining US aircraft in bombing targets in Iraq in retaliation for the Iraqi Islamic resistance’s attack on a US base in northern Jordan.

The survival and sustainability of the Zionist enterprise were dealt a knockout blow by the al-Aqsa Flood operation. It shattered Israel’s security and stability, cost it over $75 billion so far, and displaced over 500,000 of its settlers. Arab governments and leaders should wake up to this reality and bank on the resistance rather than an occupation state facing genocide charges at the International Court of Justice (ICJ) has condemned for genocide.

If only they could be as bold and courageous as UN Secretary-General António Guterres, leaders from Latin America, Africa, and Asia who have spoken out and severed relations or expelled ambassadors, and the hundreds of millions of people in the West, East, North, and South who have boycotted Israel and taken to the streets to demonstrate against its actions.

Or is that, also, too much to ask?

The 2020 Abraham Accords (AKA Trump Peace Plan):

“Shrinkflation” — A Result of The Shrinking Value of The Dollar

By Daniel McAdams When politicians spend money that they don’t have ($34 trillion+) the Fed has to counterfeit money into existence. Everyone then has to...

“Shrinkflation” — A Result of The Shrinking Value of The Dollar

De la Nakba à Gaza. Poésie et résistance en Palestine

Mahmoud Darwich (1941-2008) est devenu le porte-voix de la cause palestinienne parce que sa poésie est acte de résistance à portée universelle. Mais la poésie palestinienne est multiple et a vu, depuis la Nakba de 1948 jusqu'à Gaza ces derniers mois, plusieurs générations de femmes et d'hommes écrire sur un futur de liberté et d'indépendance.

Dès 1948, la poésie s'est imposée en Palestine occupée face aux autres genres littéraires. Ce n'est pas seulement le signe d'un attachement des écrivains palestiniens à un mode ancien et populaire d'expression dans le monde arabe, mais l'expression d'une volonté de résister aux règles de l'occupation israélienne qui prolongeaient celles du mandat britannique en Palestine (1917-1948). Face aux mesures de répression des forces coloniales, la poésie, qui se transmet et se mémorise aisément, est mieux armée que les autres genres littéraires pour contourner la censure.

C'est d'ailleurs à travers de véritables festivals de poésie ou mahrajanat que la première génération de poètes post 1948 a pu atteindre un large public demeuré sur les terres de Palestine. Parmi les auteurs qui ont participé et se sont révélés lors de ces festivals, se trouvent les grands noms de la poésie palestinienne de cette génération : Taoufik Ziyad (1929-1994), Samih al-Qasim (1939-2014), Mahmoud Darwich (1941-2008), Salim Joubran (1941-2011) et Rashid Hussein (1936-1977). Tous avaient atteint l'âge adulte dans les années qui ont suivi la Nakba de 1948. Ils étaient généralement issus de la classe ouvrière et militaient aussi pour l'amélioration des conditions de vie des ouvriers et des paysans. Ce qui fait de la poésie palestinienne un genre traditionnellement marqué à gauche.

La majorité de ces poètes ont été formés en arabe et en hébreu, en Palestine occupée ou à l'étranger. Seule la poétesse Fadwa Touqan (1917-2003), autodidacte, aurait été initiée à la poésie par son frère Ibrahim Touqan (1905-1941), lui-même poète. Beaucoup étaient des enseignants dans des écoles gérées par les autorités israéliennes. Ces institutions, tout comme les festivals de poésie et d'autres rassemblements publics comme les mariages et les fêtes religieuses, étaient surveillés de près par les services de sécurité coloniaux qui s'efforçaient de contenir le nationalisme palestinien.

À travers leur poésie, ces auteurs ont joué un rôle important dans la production et la diffusion d'idées à portée politique. Leur participation aux festivals était de fait un geste de résistance. Leurs poèmes, écrits le plus souvent dans le respect des codes de la prosodie arabe traditionnelle, étaient faciles à chanter et à retenir. Ils étaient déclamés devant un auditoire nombreux, coupé du reste du monde arabe et des Palestiniens forcés à l'exil, et traumatisé par les massacres commis par l'armée israélienne. Les poèmes exprimaient le plus souvent espoirs et rêves révolutionnaires de liberté et d'indépendance, mais ils abordaient aussi des thèmes plus graves liés au sentiment de dépossession, et aux violences physiques et symboliques subies.

C'est au cours de ces festivals que se développe le concept de résistance, de sumud ou persévérance face à l'adversité, concept qui deviendra un thème majeur de la poésie palestinienne notamment chez Taoufik Ziyad avec son célèbre poème Ici nous resterons dont cet extrait résonne comme un manifeste politique et poétique :

Ici nous resterons

Gardiens de l'ombre des orangers et des oliviers

Si nous avons soif nous presserons les pierres

Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !

Ici nous avons un passé un présent et un avenir1

La participation aux festivals a valu à plusieurs auteurs comme Taoufik Ziyad et Hanna Ibrahim (1927- ) d'être arrêtés puis emprisonnés ou assignés à domicile. Ils n'ont pas renoncé pour autant à composer des poèmes, et la colère et l'indignation traversent de nombreux textes. En témoigne cet extrait d'un poème du charismatique Rashid Hussein que Mahmoud Darwich surnommait Najm ou l'étoile, et auquel Edward Saïd rend un hommage appuyé dans l'introduction de son ouvrage sur la Palestine2 :

Sans passeport

Je viens à vous

et me révolte contre vous

alors massacrez-moi

peut-être sentirai-je alors que je meurs

sans passeport3

Discours de Tawfiq Ziad lors de la Journée de la Terre, le 31 mars 1979. (Wikimedia Commons)

Certains poèmes deviendront des chansons populaires, connues de tous en Palestine occupée et ailleurs, comme celui intitulé Carte d'identité, composé par Mahmoud Darwich, en 1964 :

Inscris

je suis arabe

le numéro de ma carte est cinquante mille

j'ai huit enfants

et le neuvième viendra… après l'été

Te mettras-tu en colère ?4

Si les anthologies et recueil imprimés demeurent assez rares jusqu'aux années 1970 et ne représentent, d'après le chercheur Fahd Abu Khadra, qu'une infime partie des poèmes composés et publiés entre 1948 et 1958, certains poètes auront recours aux organes de presse de partis politiques pour diffuser leurs écrits. Le Parti des travailleurs unis (Mapam) a par exemple soutenu et financé la revue Al-Fajr (l'Aube), fondée en 1958 et dont le poète Rashid Hussein était l'un des rédacteurs en chef. Subissant attaques et censure, la revue sera interdite en 1962.

Les membres du Parti communiste israélien (Rakah) ont pour leur part relancé la revue Al-Itihad (L'Union) en 1948, qui avait été fondée en 1944 à Haïfa par une branche du parti communiste. À partir de 1948, Al-Itihad ouvre ses colonnes à des poètes importants comme Rashid Hussein, Émile Habibi (1922-1996), Hanna Abou Hanna (1928-2022). Ces revues ont joué un rôle crucial pour la cause palestinienne en se faisant les porte-voix d'une poésie de combat. Longtemps regardés avec méfiance et suspectés de collaborer avec les forces coloniales par le simple fait d'être restés, c'est Ghassan Kanafani (1961-1972), auteur et homme politique palestinien qui a redonné à ces auteurs la place qu'ils méritent, en élaborant le concept de « littérature de résistance »5 . Cette littérature est considérée par certains comme relevant davantage d'une littérature engagée que d'une littérature de combat, restreinte par le poète syrien Adonis (1930- ), à tort nous semble-t-il, au combat armé.

Cette poésie a par ailleurs souvent été critiquée pour être davantage politique que « littéraire », comme si l'un empêchait l'autre. À ce sujet, Mahmoud Darwich fait une mise au point salutaire :

Mais je sais aussi, quand je pense à ceux qui dénigrent la « poésie politique », qu'il y a pire que cette dernière : l'excès de mépris du politique, la surdité aux questions posées par la réalité de l'Histoire, et le refus de participer implicitement à l'entreprise de l'espoir6.

Pour finir, il est important de noter que les poèmes de cette période n'évoquent pas seulement la Palestine et son combat pour l'indépendance. Y apparaissent d'autres causes de la lutte anticoloniale, notamment celle du peuple algérien, ou des Indiens d'Amérique. Dans un poème de 1970, Salem Joubran (1941-2011) interpelle ainsi Jean-Paul Sartre qui a défendu la cause algérienne mais reste silencieux quant à la colonisation de la Palestine :

À JEAN-PAUL SARTRE

Si un enfant était assassiné, et que ses meurtriers jetaient son corps dans la boue,

seriez-vous en colère ? Que diriez-vous ?

Je suis un fils de Palestine,

je meurs chaque année,

je me fais assassiner chaque jour,

chaque heure.

Venez, contemplez les nuances de la laideur,

toutes sortes d'images,

dont la moins horrible est mon sang qui coule.

Exprimez-vous :

Qu'est-ce qui a provoqué votre soudaine indifférence ?

Quoi donc, rien à dire ?7

Autre figure souvent citée, celle de Patrice Lumumba auquel on rend hommage après son assassinat par les forces coloniales belges. Rashid Hussein déclame ce poème lors d'un festival de poésie :

L'Afrique baigne dans le sang, avec la colère qui l'envahit,

Elle n'a pas le temps de pleurer l'assassinat d'un prophète,

Patrice est mort... où est un feu comme lui ?...

Il s'est éteint, puis a enflammé l'obscurité en évangile8 .

Cultiver l'espoir et renouveler le combat

Les générations de poètes qui ont suivi celle de 1948 perpétuent les thèmes de résistance et de combat en leur donnant un souffle politique nouveau. À mesure que les guerres se succèdent, que la situation des Palestiniens de 1948 se détériore, que les camps de réfugiés se multiplient et s'inscrivent dans la durée et que la colonisation de la Palestine se poursuit — en violation des résolutions de l'ONU et du droit international - les thèmes abordés renvoient à la situation intenable de tous les Palestiniens où qu'ils soient. Entre dépossession, exils forcés, conditions précaires et inhumaines dans les camps de réfugiés, emprisonnements arbitraires, massacres, faim, mort, tristesse, les textes cultivent également l'espoir comme en échos au fameux poème de Mahmoud Darwich de 1986, Nous aussi, nous aimons la vie  :

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.

Nous dansons entre deux martyrs et pour le lilas entre

eux, nous dressons un minaret ou un palmier9.

En 2011, la poétesse Rafeef Ziadah, née en 1979, compose en réponse à un journaliste qui la somme d'expliquer pourquoi les Palestiniens apprennent à leurs enfants la haine, un poème intitulé Nous enseignons la vie, monsieur We teach life, Sir »), qu'elle récite à Londres et dont la vidéo sera amplement partagée :

Aujourd'hui, mon corps a été un massacre télévisé.

Aujourd'hui, mon corps a été un massacre télévisé qui devait tenir en quelques mots et en quelques phrases.

Aujourd'hui, mon corps a été un massacre télévisé qui devait s'inscrire dans des phrases et des mots limités, suffisamment remplis de statistiques pour contrer une réponse mesurée.

J'ai perfectionné mon anglais et j'ai appris les résolutions de l'ONU.

Mais il m'a quand même demandé : "Madame Ziadah, ne pensez-vous pas que tout serait résolu si vous arrêtiez d'enseigner tant de haine à vos enfants ?

Pause.

Je cherche en moi la force d'être patiente, mais la patience n'est pas sur le bout de ma langue alors que les bombes tombent sur Gaza.

La patience vient de me quitter.

Pause. Sourire.

Nous enseignons la vie, monsieur.

Rafeef, n'oublie pas de sourire.

Pause.

Nous enseignons la vie, monsieur10 .

La poésie se montre critique aussi de l'Autorité palestinienne qui après les Accords d'Oslo se montre défaillante, gère les fonds qui lui sont alloués de manière peu transparente et ne parvient pas à juguler la montée du Hamas que plusieurs poètes palestiniens, traditionnellement de gauche, déplorent. Voici un exemple d'un poème sans concessions et à l'humour corrosif, intitulé L'État de Abbas, rédigé en 2008 par Youssef Eldik (1959-) :

Celui qui n'a pas mal au derrière

Ou qui ne voit pas comment le singe se promène,

Qu'il entre dans l'État de Abbas.

Cet état est apprivoisé –

aucune autorité dans cette « Autorité »

Si un voleur ne se présente pas devant le tribunal

ils le remplacent par son voisin ou sa femme

car le gazouillis de l'oiseau sur les fils téléphoniques

résonnent comme « Hamas ! »

Notre type de justice s'applique à toutes créatures

faisant du singe le semblable de son maître

de l'escroc ….un policier ( …)

Dieu soit loué

Après notre humiliation… notre labeur… sommeil,

nous avons éternué… un Chef d'État

Oh, peuple : sauvons l'État11

Mais si les thèmes se perpétuent, ils prennent aussi une nouvelle dimension, notamment au sein de la diaspora palestinienne vivant en Amérique du Nord, qui désormais écrit en anglais et se met au diapason des nouvelles luttes décoloniales et écologiques internationales. Cette poésie est assez peu connue en France. Quelques poèmes ont été traduits par l'incontournable Abdellatif Laâbi dans une anthologie publiée en 2022 et consacrée aux nouvelles voix mondiales de la poésie palestinienne12. Laâbi avait déjà publié en 1970 une première Anthologie de la poésie palestinienne de combat, suivie vingt ans plus tard de La poésie palestinienne contemporaine.

Dans cette nouvelle poésie contemporaine, on notera les recueils de Remi Kanazi (1981-) poète et performer qui, dans une langue nerveuse et moderne, utilise souvent l'adresse, puise dans le langage moderne des hashtags et des réseaux sociaux, et s'inspire de la rythmique incisive du hip-hop, reprenant peut-être aussi inconsciemment les codes de la poésie arabe de ses prédécesseurs qui déclamaient leurs vers lors des festivals de poésie. Voici deux exemples de sa poésie percutante13. L'un est extrait du poème intitulé Hors saison :

mais vos proverbes ne sont pas de saison

des anecdotes plus jouées

que les contes d'un pays

sans peuple (...)

vous ne voulez pas la paix

vous voulez des morceaux

et ce puzzle

ne se termine pas

bien pour

vous

L'autre poème est intitulé Nakba :

Elle n'avait pas oublié

nous n'avons pas oublié

nous n'oublierons pas

des veines comme des racines

des oliviers

nous reviendrons

ce n'est pas une menace

pas un souhait

un espoir

ou un rêve

mais une promesse

Le thème de la terre traverse bien évidemment l'ensemble de la poésie palestinienne puisqu'elle est au cœur de la colonisation de peuplement dont ils sont victimes depuis 1948. Il est également mobilisé par des poètes de la diaspora mais sous un angle sensiblement différent. Il ne s'agit plus de revenir sur la catastrophe de 1948 pour déplorer une dépossession en des termes qui reprennent la terminologie capitaliste donc colonialiste et d'exprimer d'une volonté de réappropriation des terres. Il s'agit désormais de penser la Nakba en tant que catastrophe et lieu de rupture écologique. Cette rupture écologique a touché la Palestine en 1948 mais elle touche la Planète entière. C'est ainsi que Nathalie Handal (1969- ), dans un hommage qu'elle rend à Mahmoud Darwich, imagine ce que lui dirait le poète disparu dans une veine poétique et universelle :

Je lui demande s'il vit maintenant près de la mer.

Il répond : « Il n'y a pas d'eau, seulement de l'eau, pas de chanson, seulement de la chanson, pas de version de la mort qui me convienne, pas de vue sur le Carmel, seulement sur le Carmel, personne pour l'écouter »14.

Naomi Shihab Nye (1952- ) pour sa part décentre l'humain pour redonner force et pertinence à son propos écologiste. Dans le poème Même en guerre, elle écrit :

Dehors, les oranges dorment, les aubergines,

les champs de sauge sauvage. Un ordre du gouvernement,

Vous ne cueillerez plus cette sauge

qui parfume toute votre vie.

Et toutes les mains ont souri15.

Elle fait le lien entre les oranges, les aubergines, la sauge et probablement des dormeurs sans méfiance, juste avant un raid de l'armée israélienne. Et si les mains sourient, c'est probablement par dépit et pour défier les autorités coloniales et leurs décisions arbitraires. Il n'y a là aucune hyperbole, les autorités israéliennes ayant en effet interdit aux Palestiniens de 1948 de cueillir plusieurs herbes, notamment le zaatar, pour en réserver l'exploitation et la vente aux colons israéliens.

Un homme passe devant une pancarte citant le poète Ghassan Kanafani à Hébron en Cisjordanie occupée, le 8 mars 2023, lors d'une grève générale en protestation contre l'armée israélienne au lendemain d'un raid à Jénine (HAZEM BADER/AFP).

Gaza, poésie et génocide

Depuis octobre 2023, la poésie palestinienne est en deuil, toutefois elle reste au combat. Si la poésie française a eu son Oradour16, chanté et commémoré par des poètes comme Georges-Emmanuel Clancier (1914-2018), la poésie palestinienne ne compte plus le nombre de villages et localités dévastés depuis plus de trois mois auxquels il faut ajouter toutes les guerres et attaques infligées à la bande de Gaza depuis 1948. À la fin du second conflit mondial, le philosophe Theodor Adorno avait affirmé qu'il était impossible d'écrire de la poésie après Auschwitz. Si l'on a retenu cette affirmation, on oublie souvent qu'Adorno est plus tard revenu sur ses propos, considérant que face à l'inhumain, à l'impensable, la littérature se doit de résister.

Avec plus de 23 000 morts et 58 000 blessés dénombrés à ce jour, la littérature palestinienne perd elle aussi des hommes et des femmes. Refaat Alareer (1979-2023), professeur de littérature à l'Université islamique de Gaza et poète, avait fait le choix de la langue anglaise pour mieux faire connaître la cause palestinienne à l'étranger. Il a été tué lors d'une frappe israélienne dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 décembre. Le 1er novembre il a écrit un poème traduit et publié dans son intégralité par Orient XXI et dont voici un extrait :

S‘il était écrit que je dois mourir

Alors que ma mort apporte l'espoir

Que ma mort devienne une histoire

Quelques semaines plus tôt, le 20 octobre 2023, c'est Hiba Abou Nada (1991-2023), poétesse et romancière de 32 ans, habitante de Gaza qui est tuée. Voici un extrait d'un poème, écrit le 10 octobre, quelques jours avant sa mort :

Je t'accorde un refuge

contre le mal et la souffrance.

Avec les mots de l'écriture sacrée

je protège les oranges de la piqûre du phosphore

et les nuages du brouillard

Je vous accorde un refuge en sachant

que la poussière se dissipera,

et que ceux qui sont tombés amoureux et sont morts ensemble

riront un jour17.

Poésie tragique d'une femme assiégée qui offre refuge à l'adversaire. On y retrouve le thème de la persévérance mais aussi de la générosité et de l'amour de la vie en dépit de l'adversité, des violences subies, du génocide en cours et de sa mort imminente.

Fondée en 2022 et basée à Ramallah, la revue littéraire Fikra (Idée) donne voix en arabe et en anglais aux auteurs palestiniens. Depuis le début des exactions contre la population civile de Gaza, elle a publié les poèmes de Massa Fadah et Mai Serhan. Le poème écrit par cette dernière et intitulé Tunnel met en accusation l'Occident et son hypocrisie vis-à-vis de la cause palestinienne :

Piers Morgan ne cesse de poser la question,

« qu'est-ce qu'une réponse proportionnée ? »

Dites-lui que cela dépend. Si c'est une maison

de saules et de noyers, alors c'est à l'abri des balles, un souvenir. Si c'est un mot

c'est un vers épique, et il n'y a pas

de mots pour l'enfant blessé, sans famille

qui lui survit - seulement un acronyme, une anomalie

Dites-lui que si c'est un enfant, il ne devrait

pas hanter ses rêves, l'enfant n'était

pas censé naître d'une mère, mais

d'une terre. Cet enfant est une graine, rappelez-le-lui,

la graine est sous terre, chose têtue,

plus souterraine que le tunnel.

D'autres plateformes, comme celle de l'ONG Action for Hope, s'efforce de donner voix à des poètes palestiniens qui, sous les bombes ou forcés à fuir, continuent d'écrire et de faire parvenir des textes bouleversants de vérité et de courage. À travers l'initiative « Ici, Gaza » (« This is Gaza »), des acteurs lisent des textes en arabe sous-titrés en anglais ou en français. Un livret de poèmes a été mis en ligne en arabe et anglais pour donner à cette poésie une plus grande portée en atteignant des publics arabophones et anglophones.

La poésie refuse de se résoudre à l'horreur mais aussi à tous les diktats, ceux de la langue, de la forme, de la propagande et des discours dominants. Cela a toujours été sa force quelles que soient les époques et les latitudes. Elle a résisté aux fascismes, aux colonialismes et autoritarismes et a payé ses engagements par la mort, l'exil ou la prison. De Robert Desnos (1900-1945) mort en camp de concentration à Federico Garcia Lorca (1898-1936) exécuté par les forces franquistes, de Nâzim Hikmet (1901-1963) qui a passé 12 ans dans les prisons turques à Kateb Yacine (1929-1989) emprisonné à 16 ans par la France coloniale en Algérie, de Joy Harjo (1951- ) qui célèbre les cultures amérindiennes, à Nûdem Durak (1993- ) qui chante la cause kurde et croupit en prison depuis 2015, condamnée à y demeurer jusqu'en 2034, partout où l'obscurantisme sévit, la poésie répond et se sacrifie.

On tremble pour ce jeune poète de Gaza, Haidar Al-Ghazali qui comme ses concitoyens s'endort chaque nuit dans la peur de ne pas se réveiller le lendemain, auteur de ces lignes bouleversantes :

Il est maintenant quatre heures et quart du matin, je vais dormir et je prépare mon corps à l'éventualité d'une roquette soudaine qui le ferait exploser, je prépare mes souvenirs, mes rêves ; pour qu'ils deviennent un flash spécial ou un numéro dans un dossier, faites que la roquette arrive alors que je dors pour que je ne ressente aucune douleur, voici notre ultime rêve en temps de guerre et une fin bien pathétique pour nos rêves les plus hauts.

Je m'éloigne de la peur familiale vers mon lit, en me posant une question : qui a dit au Gazaoui que le dormeur ne souffre pas ?18


1Cité dans The Tent Generation, Palestinian Poems, Selected, introduced and translated by Mohammed Sawaie, Banipal Books, Londres, 2022. (ma traduction).

2Edward Said, La Question de Palestine, Actes Sud, 2010.

3Rashid Hussein, Al-Amal al-shiriyya (Œuvres poétiques complètes), Kuli Shay', 2004. (ma traduction).

4Mahmoud Darwich, Carte d'identité, in La poésie palestinienne contemporaine, poèmes traduits par Abdellatif Laâbi, Écrits des Forges, 1990.

5Ghassan Kanafani, Adab al-Muqawama fi Filastin al-Muhtalla 1948-1966, (La littérature de résistance en Palestine occupée 1948-1966), Muassasat al-Abhath al-Arabiya, 1966.

6Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite et autres poèmes, traduit de l'arabe par Élias Sanbar, nrf, Poésie, Gallimard, 2023.

7Cité dans The Tent Generation, Palestinian Poems, Selected, introduced and translated by Mohammed Sawaie, Banipal Books, Londres, 2022 (ma traduction).

8Rashid Hussein, Al- Amal al-shiriyya (Œuvres poétiques complètes), Kuli Shay', 2004 (ma traduction).

9Mahmoud Darwich, La Terre nous est étroite et autres poèmes, p.227.

10Le poème ainsi que d'autres a donné lieu à un album de poésie déclamé, intitulé We Teach life, Sir, 2015. https://www.rafeefziadah.net/js_albums/we-teach-life/

11Cité dans The Tent Generation, Palestinian Poems, (ma traduction).

12Anthologie de la poésie palestinienne d'aujourd'hui. Textes choisis et traduits de l'arabe par Abdellatif Laâbi. Points, 2022.

13Les deux poèmes sont extraits de Remi Kanazi, Before the Next Bomb Drops. Rising Up from Brooklyn to Palestine, Haymarket Book, 2015 (ma traduction).

14Nathalie Handal, Love and Strange Horses, University of Pittsburgh Press, Pittsburgh 2010, p 8. (Ma traduction).

15Naomi Shihab Nye, 19 Varieties of Gazelle Gazelle : Poems of the Middle East, Greenwillow Books, 2002, p 50 (ma traduction).

16Oradour : le 10 juin 1944, les troupes allemandes massacrent la population entière, 642 habitants, d'Oradour-sur-Glane, village de Haute-Vienne.

17Le poème a été publié dans son intégralité en anglais sur le site de la revue en ligne Protean Magazine

18Texte écrit le 27 octobre 2023, après que tous les moyens de communication ont été coupés, et dont l'auteur ne pensait pas qu'il parviendrait à ses destinataires, mis en ligne par Action for Hope.

Comment Alfred Grosser (1925-2024) a transformé nos dirigeants en eunuques gardiens des intérêts du couple germano-américain

Alfred Grosser, patriarche des études françaises sur l’Allemagne, est mort hier 7 février 2024 à Paris, à l’âge de 99 ans. Je vois beaucoup d’éloges. Mais je n’ai jamais pensé que les oraisons funèbres doivent être des panégyriques – surtout pour des personnages publics. Brisons les idoles. Dans le cas de Grosser, il faut dire les choses: cet homme a dominé et stérilisé à la fois les études françaises sur l’Allemagne des années 1950 aux années 1990. Et cela a eu des conséquences catastrophiques pour la politique de la France face à l’Allemagne. Suivre la méthode grosserienne, qui visait à écarter tous les sujets qui fâchaient entre la France et l’Allemagne, a transformé des générations de dirigeants en eunuques gardiens des intérêts du couple germano-américain.

Quelques souvenirs personnels, pour commencer!

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Gaza. Fabien Roussel : « Je ne suis pas dupe de l'usage du mot terrorisme »

Par : Jean Stern

En répondant en exclusivité à Orient XXI, le secrétaire national du PCF livre une analyse du conflit renvoyant dos-à-dos gouvernement israélien et Hamas. Le député du Nord exhorte la France à sortir de son effacement sur un sujet que le président qualifiait il y a peu - nous révèle-t-il - de second rang. Il parle ici de ce qui divise la gauche : le terrorisme, l'apartheid israélien, la solidarité avec la Palestine.

Orient XXI - Depuis le 7 octobre, un débat autour du Hamas traverse la gauche. Si tout le monde s'accorde au PCF pour parler d'attaques terroristes, il y a des divergences d'analyse pour le qualifier de mouvement terroriste. Peut-on interdire un mouvement qui représente près de la moitié des Palestiniens ?

Fabien Roussel - Tout le monde ne qualifie pas les actes du 7 octobre d'attaques terroristes et je le regrette. Et je dis, avec la même force, qu'elles ne justifient en rien les bombardements massifs et incessants sur Gaza. Pour gagner la paix, il faut cesser le deux poids deux mesures de tout côté. Quiconque affirme porter une perspective de paix doit également dire sans ambiguïté que ce que subit le peuple palestinien à Gaza et dans les territoires occupés est une blessure pour l'humanité, aussi atroce que les crimes commis le 7 octobre. Ma conviction est que le gouvernement d'extrême-droite de Nétanyahou ou le Hamas, quel que soit leur poids dans leurs opinions respectives, ne permettront pas de trouver une solution politique à ce conflit, car tous deux sont opposés à la coexistence pacifique des deux peuples au sein de deux États.

Pour Emmanuel Macron, un conflit de « second rang »

OXXI. - Il y a aussi un grand abandon de Gaza et des Palestiniens, par l'Union européenne, ainsi que par une partie du monde arabe avec les accords d'Abraham. Que faut-il faire pour remettre la question palestinienne au centre du jeu ?

F. R.- Quand le président de la république a réuni les chefs de partis à Saint-Denis le 28 août 2023, bien avant le 7 octobre, cela a duré treize heures au total, dont trois heures de discussions préliminaires sur la situation internationale, l'Ukraine, l'Arménie... À la fin de cet échange, alors que le Président voulait enchainer le débat sur la situation française, je l'ai arrêté et j'ai dit : « Monsieur le Président, il faut parler de la Palestine. La France s'honorerait de prendre une initiative politique pour remettre cette question au cœur de l'actualité internationale car je crains une explosion, c'est terrible ce qui se passe là-bas ». Le Président a balayé ma demande d'un revers de main en disant que cette guerre était un conflit de « second rang », pour reprendre son expression, et que même les pays arabes ne mettaient plus la question palestinienne au rang de leurs priorités, alors pourquoi la France le ferait-elle ? Je regrette ce choix des pays arabes et des États-Unis, mais je regrette tout autant la position de la France, qui n'était pas obligée de s'aligner sur le sujet.

OXXI. - Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à résister se discute-t-il ? Aucune guerre de libération n'a été exempte de l'utilisation d'actions terroristes si l'on définit celles-ci comme des attaques contre les civils. Cela a été notamment vrai en Algérie, au Vietnam…

F. R.- Je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas historien, et je ne veux pas parler à leur place, mais j'ai demandé aux historiens du parti communiste de me sortir les archives pour vous répondre. Le parti communiste français (PCF) a défendu et soutenu le FLN et s'est battu pour la décolonisation de l'Algérie et son indépendance1. Les rares fois où il y a eu des civils délibérément tués, nous nous en sommes désolidarisés. Que ce soit en Algérie, que ce soit au Vietnam, des peuples colonisés ont fait le choix de recourir à la lutte armée pour s'en prendre à une armée mais pas aux civils. Ils n'ont pas organisé des viols, ils n'ont pas délibérément tué des enfants, ils n'ont pas froidement assassiné des civils désarmés par centaines. Quand j'entends, parfois, que le terrorisme c'est l'arme du pauvre, je me soulève contre cette idée. Je ne la partage pas du tout.

Après je ne suis pas dupe de l'usage du mot terrorisme, et je sais aussi que les États-Unis sont les premiers à en abuser. Ils l'ont posé sur le front de Nelson Mandela quand il était en prison, mais ensuite ils sont allés pleurer sur sa tombe. Ils l'ont posé sur le keffieh de Yasser Arafat, puis ils l'ont accueilli à la Maison-Blanche. Aujourd'hui ils font de Cuba un pays terroriste parce qu'il a accueilli les négociateurs de la paix en Colombie. Je connais la charge politique de ce mot. Mais pour nous communistes, qui sommes le parti de la Résistance, nous ne confondrons jamais le combat pour la libération et l'indépendance d'un peuple et des actes de barbarie qui s'en prennent délibérément à des civils.

OXXI. - L'Afrique du Sud a porté devant la Cour internationale de justice (CIJ) une plainte contre Israël pour « actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza ».

F. R.- Je ne crains pas d'employer les mots de « risque génocidaire ». Plus de trente rapports d'organisations des Nations unies parlent très précisément de « risque génocidaire ». La saisine de la Cour internationale de justice par l'Afrique du Sud, un pays qui a réussi à mettre fin à l'apartheid est, outre sa portée symbolique, une excellente initiative. C'est peut-être le moyen de faire prendre conscience à de nombreux pays, notamment ceux de l'Union européenne et les États-Unis, qu'ils pourraient par leur silence être complices de crimes. Ce peut être aussi à court terme un des moyens d'imposer un cessez-le-feu.

Pour ces deux raisons, je salue cette initiative, d'autant que les propos de ministres racistes et suprémacistes israéliens appelant à éliminer le peuple palestinien, traitant les Palestiniens d'animaux doivent nous faire mesurer l'extrême gravité de ce qui se déroule en ce moment dans cette région du monde, et donc du devoir qui est le nôtre de mobiliser nos compatriotes. Il ne peut plus y avoir deux poids deux mesures et d'indignation sélective en matière de droit international.

OXXI. - Plusieurs pays accusent l'Occident et donc la France d'être dans une logique de deux poids deux mesures. Que répond-t-on au président colombien Gustavo Petro, pour qui l'Afrique du Sud incarne désormais le triptyque Liberté, Égalité, Fraternité, ce qui est assez vexant pour la France.

F. R.- Ce n'est pas vexant, c'est une réalité. J'ai aussi interpellé le président de la république à ce sujet, en lui disant que la France s'honorerait d'établir des passerelles diplomatiques globales, car c'est notre histoire. Le PCF a demandé au président de reconnaitre l'État de Palestine, comme l'a fait l'Espagne, pour faire un pas supplémentaire, mais il s'y refuse.

Pour la suspension des accords entre l'Union européenne et Israël

OXXI. - Quel doit être le message de la gauche sur Israël-Palestine aux élections européennes de juin prochain ? On sait qu'Israël est associé à l'Union européenne par de nombreux accords.

F. R.- Je crains l'embrasement généralisé et le chaos dans cette région du monde. La paix ne viendra ni du gouvernement Nétanyahou ni du Hamas. Il faut un cessez-le-feu, une solution à deux États. Ce sont les Nations unies qui ont imposé la création de l'État d'Israël. Ce qui a pu être fait en 1948 peut être fait aujourd'hui pour imposer un État palestinien aux côtés d'un État israélien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale et la décolonisation de la Cisjordanie. C'est parce qu'il manque une perspective politique que la guerre se poursuit. La liste conduite par Léon Deffontaines aux élections européennes portera cette exigence de cessez-le-feu, de libération des otages et de sanctions économiques européennes contre Israël par la suspension de l'accord d'association UE-Israël tant que les bombardements contre Gaza n'auront pas pris fin, et appellera à une solution à deux États. Je le dis parce que tout le monde ne le dit pas.

OXXI. - L'usage du mot apartheid à propos d'Israël a été largement porté par votre parti, notamment par le député Jean-Paul Lecoq, dans une résolution au Parlement que vous avez votée, puis dans une résolution à votre Congrès. Pourtant, un de vos proches Christian Picquet conteste son usage.

F. R.- La résolution du parti porte sur la dénonciation d'un régime d'apartheid à l'encontre du peuple palestinien. En Cisjordanie c'est très concret. Il y a deux catégories de résidents là-bas : des colons qui ont tous les droits, et des colonisés qui n'en ont aucun. Les colonies sont des havres de paix, mais les villes palestiniennes juste à côté vivent l'enfer, les maisons y sont détruites, et les oliveraies y sont saccagées. Donc ne craignons pas d'utiliser ce mot d'apartheid pour caractériser ce qui se passe en Cisjordanie. Mais ce n'est pas le cas en Israël, où des députés communistes et arabes côtoient des élus d'extrême droite…

OXXI. - Pourtant ils se font menacer d'être expulsés de la Knesset. Vous venez d'ailleurs d'en rencontrer quelques-uns en visite en France.

F. R.- Certes mais ils sont élus au Parlement, ce n'est pas une petite nuance. Les communistes israéliens m'ont alerté sur la pression qu'ils subissent de la part du gouvernement. Ainsi, le député Ofer Cassif est menacé d'expulsion de la Knesset pour avoir soutenu l'Afrique du Sud dans sa démarche. Là encore, la France et l'Union européenne ne peuvent pas rester silencieuses. Le drame c'est que la gauche israélienne partisane de la solution à deux États est extrêmement affaiblie. Le drame c'est que ceux qui défendent au sein de l'OLP un État de Palestine libre, laïque et démocratique sont très affaiblis eux aussi. Malgré tout, nous resterons aux côtés des partisans d'une solution à deux États, Israéliens comme Palestiniens, et nous combattrons l'annexion de la Cisjordanie par l'État d'Israël, comme le porte l'extrême droite israélienne. Cependant nous combattrons aussi le projet d'un État islamiste porté par le Hamas qui est une terrible menace pour le peuple palestinien lui-même.

OXXI. – En Israël, les manifestations de la société civile ont repris ces derniers jours. La question de la libération des otages est au cœur de ces protestations, et on a l'impression d'un pays, vous avez employé le mot tout à l'heure, au bord du chaos.

F. R.- J'ai rencontré il y a quelques jours un réserviste israélien sur un plateau de télévision. Je ne partage pas tout ce qu'il a dit mais il fait partie de ces centaines de milliers d'Israéliens qui ont manifesté pendant des semaines contre le gouvernement de Nétanyahou…

OXXI. - Il fait aussi partie de ces Israéliens qui tuent des Palestiniens à Gaza.

F. R.- Je pense qu'il ne faut pas avoir une vision simpliste, en noir et blanc de ce qui se passe là-bas. Je me garderai de juger qui que soit. Si des Palestiniens disent aujourd'hui que le Hamas n'est pas une organisation terroriste, et si un soldat israélien dit je suis allé là-bas mais je combats Nétanyahou, je ne me permettrais pas de les juger, même si j'ai un point de vue différent. Le point de convergence avec ce réserviste israélien, c'est quand il dit : "tant qu'il n'y aura pas de perspectives politiques, la guerre continuera".

OXXI. - Vous comprenez qu'aujourd'hui pour beaucoup de Palestiniens, le Hamas est en train de faire bouger les lignes…

F. R.- Je ne suis pas à leur place, c'est eux qui prennent les bombes. Et c'est le peuple israélien qui a été meurtri dans sa chair. J'ai lu cette autrice franco-israélienne, Laura Moses-Lustiger. Elle dit que la souffrance israélienne la rend aveugle à celle des Palestiniens. Je me garde de porter des jugements sur les uns et sur les autres.

L'accusation d'antisémitisme, « une arme affreuse, horrible, indécente »

OXXI. - L'antisémitisme est un combat historique du Parti communiste français depuis les années 1950. Mais comment décorréler la lutte contre ce fléau des amalgames entre antisémitisme et « antisionisme », mot pratiquement criminalisé mais jamais clairement défini.

F. R.- La lutte contre l'antisémitisme est dans nos gênes. La loi Gayssot qui pénalise le racisme et l'antisémitisme a été écrite par un communiste. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons fait le choix de marcher le 12 novembre 2023 contre l'antisémitisme, même si cette marche était pleine de pièges et que j'en ai voulu aux présidents des deux chambres de la manière dont elle avait été organisée. Pour autant il ne faut pas tortiller pour dénoncer, condamner et lutter contre l'antisémitisme. Ensuite, je dénonce le fait que quand les communistes et d'autres militants prennent des positions pour soutenir le peuple palestinien, ils sont accusés d'antisémitisme. C'est insupportable. Nétanyahou, son gouvernement, sa diplomatie mettent la pression sur la diplomatie française et européenne : s'ils n'apportent pas un soutien inconditionnel à Israël, alors ils sont antisémites. C'est une arme affreuse, horrible, indécente, ignoble que je dénonce. Notre diplomatie a été tétanisée par cela, tout comme beaucoup de responsables politiques français. Pas nous. Il n'y a pas deux peuples que je renvoie dos-à-dos. Il y a un gouvernement israélien qui fait le choix d'occuper le territoire palestinien. Il y a un occupant et un occupé.

Et en même temps, je suis fier d'appartenir à un parti qui a toujours combattu l'antisémitisme, et tous les racismes sans faire de distinction. Et nous continuerons de le faire dans le dialogue que nous avons avec la société française, dans toutes ses composantes, sans jamais confondre la communauté juive avec le gouvernement israélien.

OXXI. - Si vous arrivez au pouvoir, vous abrogez la directive Alliot-Marie qui criminalise en partie les actions de solidarité avec la Palestine ?

F. R.- Il y a une loi, elle est suffisante, c'est la loi Gayssot. Je dénonce la criminalisation de militants qui œuvrent pour la paix, alors que des responsables politiques d'extrême droite font la promotion de Pétain.

OXXI. - Tout en défilant le 12 novembre…

F. R.- ... sans qu'ils ne soient jamais condamnés. J'avais présenté une résolution à l'Assemblée pour que la loi Gayssot soit appliquée avec plus de fermeté et avec des peines d'inéligibilités pour certains élus. Et surtout je veux dénoncer la complicité entre les extrêmes droite israélienne, française et européenne. Aujourd'hui Nétanyahou trouve avec Bardella et Le Pen ses meilleurs soutiens en France. Bardella, dans les réunions de chefs de partis avec le Président dit qu'il ne faut pas réclamer un cessez-le-feu, et que les dirigeants israéliens ont le droit de pourrir la vie des Gazaouis en violant le droit international. C'est extrêmement grave, je suis très inquiet de cette convergence idéologique. Ces extrême-droites menacent la démocratie et la paix du monde.

« Si je suis invité, j'irai au dîner du Crif »

OXXI. - Depuis le 7 octobre, le mouvement de solidarité en France semble assez faible. Le PCF a toujours été un acteur important de la solidarité avec la Palestine. Que faire pour la relancer aujourd'hui ?

F. R.- Pour que la communauté internationale se bouge, il faut que les peuples se manifestent. J'ai constaté comme vous que la mobilisation n'a pas toujours été au rendez-vous. Il y a d'abord eu une répression dure et scandaleuse de la part du ministère de l'intérieur, alors que nous aurions dû aller tous ensemble manifester, et exprimer autant notre soutien au peuple israélien meurtri dans sa chair le 7 octobre qu'au peuple palestinien qui subit une vengeance sauvage. S'il n'y a pas eu ces mobilisations très larges, c'est aussi parce qu'il y a eu des débats à gauche sur la qualification du Hamas et des attentats du 7 octobre, mais aussi à propos de la perspective politique concrète, par exemple la nécessité de reconnaître l'État de Palestine aux côtés de l'État d'Israël. Cela a semé le trouble sur le contenu de ces mobilisations et je le regrette.

OXXI. - Si vous êtes invité au prochain dîner du CRIF, vous y allez ?

F. R.- Si je suis invité, j'irai, bien sûr.

OXXI. - Enfin que répondez-vous à Jean-Claude Lefort, un historique du PCF et de la cause palestinienne, qui démissionne du parti en vous reprochant de ne pas l'avoir soutenu dans sa démarche pour empêcher Darmanin de qualifier Salah Hammouri de « terroriste », accusation israélienne sans preuves.

F. R.- Ce n'est pas vrai, j'ai multiplié les interventions par oral et par écrit auprès du président de la république, auprès de Gérald Darmanin pour défendre les droits de Salah Hammouri. Il est cher au cœur des communistes de se mobiliser et de continuer à le faire pour qu'il puisse jouir de l'ensemble de ses droits.

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Lire également : Gaza. Au Parti communiste français, sérieuses fritures sur la ligne, pa Jean Stern


1NDLR. Jusqu'au milieu des années 1950, le PCF demeure sourd aux revendications indépendantistes du mouvement national algérien. Il vote même les « pouvoirs spéciaux » au gouvernement socialiste de Guy Mollet en mars 1956, qui accorde à l'armée française des pouvoirs très étendus en pleine « guerre d'Algérie ». Voir aussi Guerre d'Algérie. Communistes et nationalistes, le grand malentendu de Jean-Pierre Séréni.

Pourquoi les plans occidentaux pour un autre régime clientéliste palestinien sont voués à l’échec

par Joseph Massad. Les États-Unis et Israël se rendent compte qu’il ne pourra jamais y avoir de dirigeants palestiniens légitimes qui accepteraient le droit d’Israël de rester un État suprémaciste juif de colonisation.

Pepe Escobar on widening war: NATO’s WWIII Scenario?

Par : AHH

 

Journalist and geopolitical analyst Pepe Escobar joins to discuss the latest in the widening U.S. war in the Middle East, a coming Gaza ceasefire, how travels to Russia 🇷🇺, the conflict in Ukraine and much more in the multipolar world!

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Tucker Carlson’s Trip To Liberate Canada

By Neenah Payne Tucker Carlson’s email on January 24 said: “Whatever happened to the truckers who dared to protest Justin Trudeau? Some of them are...

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La violence sexuelle contre les prisonnières palestiniennes depuis le 7 octobre

par Abdelhamid Siyam. Les agressions de nature sexuelle contre les femmes ont atteint un niveau intolérable, et ces pratiques barbares et interdites au niveau international doivent être dénoncées.
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