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À partir d’avant-hierContrepoints

L’agriculture française face à de graves problèmes de stratégie

Le Salon de l’agriculture s’est ouvert à Paris le 24 février.

Nous sommes dans l’attente des réponses que le gouvernement va donner aux agriculteurs, suite à la révolte qui a éclaté dans ce secteur en janvier dernier. Pour la déclencher, il a suffi d’une simple augmentation du prix du GNR, le gas-oil utilisé pour leurs exploitations, et elle a embrasé subitement toute la France.

Tous les syndicats agricoles se sont entendus pour mobiliser leurs troupes, et des quatre coins du pays, des milliers de tracteurs ont afflué vers Paris pour tenter de bloquer le marché de Rungis qui alimente la capitale. Jamais encore on avait vu une révolte d’une telle ampleur dans ce secteur. Nos agriculteurs considèrent que leur situation n’est plus tenable et qu’ils sont délaissés par les gouvernants.

Ils veulent donc se faire entendre, et pour cela ils ont décidé d’agir très vigoureusement en voulant mettre le gouvernement au pied du mur. Ils se plaignent de ne pas parvenir à gagner leur vie malgré tout le travail qu’ils fournissent. Leur revendication est simple : « nous voulons être payés pour notre travail ». Ils expliquent que leur métier est très contraignant, les obligeant à se lever tôt, faire de longues journées de travail, et prendre très peu de vacances. Ils se révoltent pour que, collectivement, des solutions soient trouvées à leurs problèmes. Des barrages routiers ont été érigés à travers tout le pays.

Un parallèle peut être fait avec le secteur industriel : après s’être mis en grève sans succès pour obtenir des augmentations de salaire, les ouvriers vont occuper leur usine alors que leur entreprise est en train de déposer son bilan.

Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes confrontés à des problèmes sans solution, des personnes désespérées qui n’ayant plus rien à perdre.

Pourquoi le secteur agricole français est-il dans une telle situation ?

 

Des chiffres alarmants

Que s’est-il donc passé ? On avait jusqu’ici le sentiment que la France était toujours une grande nation agricole, la première en Europe. Les agriculteurs nous disent maintenant qu’ils ne parviennent pas à gagner leur vie. Ils sont au bord du désespoir, et effectivement, un agriculteur se suicide chaque jour, selon la Mutualité sociale agricole.

Un premier constat : le pays a perdu 100 000 fermes en dix années, parmi lesquelles beaucoup d’exploitants qui ne parviennent pas à se rémunérer au SMIC, la survie de l’exploitation étant assurée par des aides de l’Europe via la PAC, et par le salaire de l’épouse lorsqu’elle travaille à l’extérieur.

Un deuxième constat : 20 % de ce que nous consommons quotidiennement provient de produits importés. En effet, les importations agricoles augmentent dans tous les secteurs :

  • 50 % pour le poulet
  • 38 % pour la viande de porc
  • 30 % pour la viande de bœuf
  • 54 % pour le mouton
  • 28 %  pour les légumes
  • 71 % pour les fruits (dont 30 % à 40 % seulement sont exotiques)

 

Notre agriculture est-elle donc à ce point incapable de pourvoir à tous nos besoins alimentaires ?

Par ailleurs, les Pays-Bas et l’Allemagne devancent maintenant la France dans l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires, alors qu’elle était jusqu’ici en tête.

Un rapport du Sénat, du 28 septembre 2022 tire la sonnette  d’alarme :

« La France est passée en 20 ans du deuxième rang au cinquième des exportateurs mondiaux de produits  agricoles et agroalimentaires […] L’agriculture française subit une lente érosion. La plupart des secteurs sont touchés : 70 % des pertes de parts de marché s’expliquent par la perte de compétitivité de notre agriculture ».

ll s’agit donc de problèmes de compétitivité, et donc de stratégie qui n’ont pas été traités en temps voulu dans chacun des secteurs, ni par les responsables syndicaux ni par les pouvoirs publics.

 

Des problèmes de stratégie non résolus

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement de l’agriculture française s’est effectué sans que les dirigeants des divers secteurs d’activité aient développé la moindre stratégie pour guider leur action.

L’agriculture française avait alors un urgent besoin de se moderniser : augmentation de la taille des exploitations, mécanisation des cultures, recours aux engrais et aux produits phytosanitaires, amélioration de la formation des agriculteurs.

Mais elle a évolué homothétiquement par rapport au passé, sans aucune pensée stratégique de la part des instances gouvernementales en charge de ce secteur.

Aujourd’hui, les exploitations sont plus grandes qu’autrefois (69 Ha en moyenne), mais ne permettent pas aux exploitants de gagner leur vie correctement. Ils ont pu survivre grâce aux aides européennes via le mécanisme de la Politique agricole commune (PAC) mis en place en 1962, avec pour objectif d’obtenir l’autosuffisance alimentaire de l’Union européenne. La France est le pays qui a le plus bénéficié de ces aides, soit 9,5 milliards d’euros en 2022, accordées au prorata des surfaces. L’objectif d’autosuffisance de l’Europe a bien été atteint, mais ces aides n’ont fait que retarder le moment de se poser des questions sur la façon de faire évoluer chacune des branches de notre agriculture pour rendre nos productions concurrentielles. On ne peut rien faire de bon avec des exploitations de 69 Ha : elles sont soit trop grandes soit trop petites si on reste bloqués sur les manières de cultiver d’autrefois.

 

Les exemples hollandais et danois

Nos voisins ont généralement bien mieux résolu leurs problèmes, tout spécialement les Pays-Bas et le Danemark.

 

Le cas de la Hollande

Malgré la dimension très faible de son territoire, les Pays-Bas sont devenus de très gros exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires. Les exploitants sont intégrés verticalement au sein d’organismes qui assurent la commercialisation.

Les Pays-Bas ont résolu le problème des petites exploitations en les équipant de serres où tous les paramètres (chaleur, lumière et humidité) sont contrôlés en permanence par des ordinateurs. C’est ainsi que sont équipés les maraîchers et les horticulteurs. Il s’agit d’une agriculture de précision, numérique : la région du Westland, notamment, est couverte de serres équipées de lampes led, au spectre lumineux spécifique.

La Hollande est devenue le numéro un mondial dans le domaine de l’horticulture : elle détient 60 % du commerce mondial des fleurs. Royal Flora Holland est le leader mondial de la floriculture avec plus de 10 millions de fleurs et plantes vendues chaque jour. Au plan technique, les Hollandais sont très avancés, et le salon GreenTech à Amsterdam rencontre chaque année beaucoup de succès. Par exemple, dans le domaine floral, les Hollandais ont réussi à créer des roses noires, des rosiers sans épines, des roses qui ne fanent pas, etc. Dans le même temps, la France a perdu 50 % de ses exploitations horticoles en dix ans, et 90 % en 50 ans.

 

Le cas du Danemark

Le Danemark s’est spécialisé dans la production porcine et l’agrobiologie.

Ce petit pays est devenu le second exportateur mondial de porcs, après les États-Unis, les exportations représentant 90 % de la production nationale. Ramenées à la population du pays, les exportations représentent 338 kg/habitant au Danemark, contre 167 kg pour l’Allemagne qui est aussi un très gros exportateur de porcs, et 7 kg pour la France.

La qualité des porcs danois est mondialement réputée, et la productivité des truies est exceptionnelle : 33,6 porcelets sevrés en moyenne par truie. Aussi, DanBred, le grand spécialiste danois de la génétique porcine, vient de s’installer en France (à Ploufragan, en Bretagne) pour aider les producteurs bretons de porcs à améliorer leur productivité. Le porc danois est appelé « cochon à pompons » (pie noir) : c’est un animal musclé, très rustique, et particulièrement prolifique.

 

Le problème français

Dans le cas de l’agriculture française, la question de l’orientation à donner à chacun des grands secteurs de notre agriculture n’a jamais été posée.

Ni les ministres successifs, ni les dirigeants de la FNSEA, le principal organisme syndical des agriculteurs français, n’ont envisagé d’élaborer une stratégie pour chacun des grands secteurs, c’est-à-dire faire des choix en raisonnant en stratèges. On a laissé les choses aller d’elles-mêmes, et on a abouti aux résultats constatés aujourd’hui.

Deux secteurs seulement ont une stratégie précise de différenciation : la viticulture et la fromagerie.

Dans ces deux secteurs, les produits sont très différenciés de ceux de leurs concurrents, et cette différenciation choisie est reconnue mondialement. Les vins français sont réputés et se vendent sur les marchés étrangers à des prix supérieurs à la concurrence. Les fromages français sont très différenciés de leurs concurrents, la façon de les produire est réglementée par la profession, et chaque terroir procède à des actions de promotion nécessaires pour en assurer la promotion.

Dans tous les autres secteurs, il n’y a pas de stratégie, ou du moins ils sont acculés à mener une stratégie de coût sans l’avoir délibérément choisie, donc le dos au mur.

Les pouvoirs publics vont devoir comprendre pourquoi. Nous donnerons deux exemples illustrant ce manque de pertinence dans la façon d’opérer.

 

Le secteur laitier 

Aujourd’hui, dans ce secteur, la norme est à des gigafermes de 1000 vaches laitières, c’est la dimension qu’il faut atteindre pour être compétitif. Ce sont des stratégies de coût. Cette manière de produire du lait de vache est venue des États-Unis, où toutes les fermes laitières ont cette dimension, et parfois bien plus encore. Cette norme s’est imposée en Europe, notamment en Allemagne, avec les vaches Holstein, une race particulièrement productive en lait, et dont la mamelle est adaptée à la traite mécanique.

En France, il n’y a aucune ferme laitière de 1000 vaches. Michel Ramery, un industriel du bâtiment (classé 387e fortune française), a tenté cette aventure, mais a du finalement y renoncer. En 2011, il a voulu créer une mégaferme laitière de 1000 vaches dans la Somme : l’administration a donné son accord, mais très vite des obstacles ont surgi, à commencer de la part de la Confédération paysanne qui refuse l’industrialisation de l’agriculture. La population locale s’est également dressée contre ce projet, suivie de l’opinion publique, puis Ségolène Royal et le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, qui a déclaré : « Ce projet est contraire à l’orientation du gouvernement ». Finalement, Michel Ramery, qui avait réduit son projet à 500 ou 600 vaches laitières, déçu et las de tous ces combats stériles, a fermé son exploitation.

En France, les fermes laitières sont familiales, elles élèvent 80 à 100 vaches, quelques rares exploitations 250 ou 300 laitières. Les coûts de production sont donc élevés.

Le rapport de l’European Milk Board de 2019 donne les chiffres suivants :

  • 52,54 cent/kg en France
  • 47,44 cent/kg en Allemagne
  • 44,54 cent/kg en Hollande
  • 41,44 cent/kg au Danemark

 

La France importe donc de plus en plus de lait, comme le note l’IDELE dans son numéro 537 de février 2023 : « Les importations ont explosé en 2022, +38 % par rapport à 2021 ».

Toutefois, nous restons des exportateurs importants de produis dérivés du lait.

 

Le secteur de la production porcine 

L’Europe est un très gros consommateur de viande porcine. Les deux plus gros producteurs sont l’Allemagne, avec 5,2 MT, et l’Espagne avec 4,6 MT. La France vient en troisième position, loin derrière, avec 2,2 MT seulement.

Selon Pleinchamp :

« La filière porcine est structurellement déficitaire sous l’effet d’un déséquilibre entre l’exportation de produits bruts et l’importation de produits transformés ».

Nous nous approvisionnons tout spécialement en Espagne, qui a développé spectaculairement le domaine du porc ces dernières années, et qui exporte maintenant 60 % de sa production.

Nos éleveurs se sont bien sûr modernisés et spécialisés, mais la moyenne, en Bretagne (région spécialisée dans le porc) est de 3000 têtes/exploitation, contre 5200 au Danemark. En Espagne, 2000 exploitations ont même plus de 8000 cochons, et au Danemark, 4 % des exploitations ont plus de 10000 porcs.

Selon un article de 2012 de Viandes et Produits carnés :

« La filière porcine française est à la peine : elle a un urgent besoin de stratégies concertées faisant appel à des investissements importants au niveau agricole et industriel ».

Selon la coopérative Cooperl :

« Le manque de rentabilité porte en germe des difficultés de renouvellement des éleveurs, avec en filigrane le risque d‘une perte de production à moyen et long terme ».

Certes, dans le secteur porcin, les opérateurs porcins sont de taille beaucoup plus petite que leurs concurrents étrangers : Vion en Hollande, Danish-Crown au Danemark (22 millions de porcs/an), Campofrio en Espagne, etc.

 

Les enjeux de demain

L’agriculture française a fortement besoin de se restructurer et doit pour cela s’organiser elle-même,  car rien n’est à attendre de Bruxelles, sinon des contraintes.

La nouvelle PAC (2023-2027) qui n’a pas moins de dix objectifs divers et variés, et très généraux, est à caractère essentiellement écologique. Bruxelles se soucie avant tout de « renforcer les actions favorables à l’environnement et au climat ». Il n’y a donc rien, au plan stratégique, concernant l’agriculture du pays.

Les difficultés françaises, déjà grandes, vont être amplifiées par l’arrivée de l’Ukraine à qui l’Europe ouvre maintenant grand ses portes. C’est un pays agricole immense dont la surface agricole utilisée est de 41,5 millions d’hectares (contre 26,7 Ha pour la France), avec des terres extrêmement riches (60 % des surfaces sont du tchernoziom). Ce pays a hérité de la période soviétique de structures lui permettant d’être très compétitif, d’autant que la main-d’œuvre y est bon marché.

 

Quelles solutions ?

Pour être compétitifs, il faudrait faire grandir nos exploitations et les transformer en mégafermes pour jouer sur l’abaissement des prix par les volumes, c’est-à-dire chaque fois que des solutions existent, tirer parti des économies d’échelle.

Les Français y sont opposés, et on se heurte, de surcroît, en permanence à Greenpeace qui est très actif. Cette ONG a publié une carte des fermes usines en France, soit autant de combats à mener contre l’« industrialisation » de l’agriculture. Partout, en France comme en Europe, les écologistes veillent au grain. Il faudra donc réhabiliter les produits issus des mégafermes dans l’esprit des Français, car ils se sont laissé convaincre que ces productions nuisent à la santé.

Sur les petites surfaces, et comme l’ont fait nos voisins Hollandais, les exploitants ont la solution de recourir aux serres : tomates, poivrons concombres, fraises, floriculture, etc. C’est de la culture très intensive aux rendements extrêmement élevés, et sans aléas, car tous les paramètres sont contrôlés : par exemple, dans le cas de la tomate, 490 tonnes de tomates par hectare, contre 64 tonnes en plein air, en Italie. Et, à la manière des Hollandais, il faudra que les exploitants s’intègrent dans des structures verticales leur indiquant ce qu’ils doivent produire, et prennent en charge la commercialisation des productions.

Pour l’élevage, pour autant de vaches laitières, de porcs, que de volailles, il y a la solution des fermes-usines.

Pour le lait, la norme est à des mégafermes de 1000 vaches, voire bien plus encore.

Pour les volailles, les élevages intensifs sont la règle, ce qui n’exclut pas que, marginalement, certains fermiers puissent adopter une stratégie de différenciation, comme c’est le cas, par exemple, avec les poulets de Bresse élevés en plein air.

En Espagne, à Sinarcas (près de Valence) a été créée une ferme comprenant sept batteries de 12 étages qui logent 150 000 poules pondeuses, soit un million de poules, les équipements ayant été fournis par Big Deutchman, une firme allemande de Basse-Saxe.

Pour les porcs, les mégafermes sont, là aussi, la solution : en Espagne, il existe un bon nombre de macrogranjas de 2200 truies et 40 000 porcelets.

La Chine, très gros consommateur de viande de porc, en est au gigantisme. Par exemple, à Ezhou, une entreprise privée (Yangseiang) a édifié la plus grande porcherie du monde : un bâtiment de 26 étages pouvant loger 650 000 porcs. La firme Muyuan gère une ferme de 84 000 truies qui produit 2,1 millions de porcelets par an.

Enfin, pour les grandes cultures : blé, orge, avoine, maïs, colza, tournesol nécessitent des exploitations de 250 Ha, et pas moins, car c’est la dimension indispensable pour amortir les gros matériels : tracteurs surpuissants, moissonneuses batteuses, etc.

 

La politique du statu quo

Pour répondre à la révolte des agriculteurs, Gabriel Attal s’est prononcé en faveur de notre souveraineté alimentaire.

Nous n’en sommes pas là, mais des solutions existent pour avoir des prix compétitifs. Le chantier de restructuration de l’agriculture française est colossal. Quels pourraient bien être les acteurs de cette gigantesque révolution ? Il est à craindre que trop peu d’acteurs disposent des moyens financiers voulus. Nos dirigeants, tout comme la FNSEA, paraissent complètement dépassés par l’ampleur des problèmes à résoudre.

Nous allons donc rester là où nous en sommes, plutôt que se lancer dans ce colossal remue-ménage. Cela nécessite simplement que l’on continue à subventionner nos agriculteurs (la PAC, dont la France est le premier bénéficiaire), et que les Français veuillent bien payer plus cher les productions françaises que les produits importés. Ce n’est pas ce qu’ils font, car se posent à eux des problèmes de pouvoir d’achat et de fin de mois. Il faudrait, par conséquent, ériger des barrières douanières pour protéger notre agriculture des importations étrangères : mais l’ Europe l’interdit. C’est la quadrature du cercle ! Alors, que faire ? On ne sait pas ! Pour l’instant, rien ne sera résolu, c’est plus reposant.

On va simplement parer au plus pressé :

  • repousser de dix ans l’interdiction d’emploi du glyphosate,
  • faire une pause dans l’application du Plan Ecophyto,
  • suspendre la mesure de gel de 4 % des surfaces agricoles,
  • reporter à plus tard la signature des accords avec le Mercosur, etc.

 

On demandera aux fonctionnaires de Bruxelles de bien vouloir alléger les procédures pour la taille des haies et le curage des fossés : un pansement sur une jambe de bois !

La démocrature, principal ennemi des démocraties libérales

La démocratie libérale est un régime politique jeune et fragile. Elle commence véritablement à se concrétiser à la fin du XIXe siècle, et n’existe que dans une trentaine de pays dans le monde. Le primat de l’individu constitue son principal pilier qui est d’abord politique : garantir les droits naturels de l’Homme (la vie, la propriété, la liberté, la vie privée, la religion, la sécurité…) et limiter l’action de l’État¹.

La propriété de soi d’abord, la propriété des choses par le travail ensuite, la pensée critique (libre examen), la tolérance religieuse, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la prééminence du pouvoir législatif parachèvent le libéralisme politique.

Le libéralisme économique constitue l’autre pilier des démocraties libérales : abolir les entraves, encourager l’esprit entrepreneurial, favoriser le libre commerce entre les pays et privilégier les organisations spontanées, sont des objectifs d’une économie de marché. En tant que doctrine économique, le libéralisme protège la concurrence à l’intérieur du pays et défend le libre-échange à l’extérieur. Pour la pensée libérale, le meilleur système social est celui qui laisse aux individus le soin d’adapter leurs conduites aux circonstances.

La démocratie libérale est la rencontre de deux libéralismes, politique et économique. Cette rencontre a constitué la base du développement spectaculaire, non seulement du commerce mais aussi de la science et de l’industrie.

Le protectionnisme et le corporatisme ont menacé et menacent encore la démocratie libérale. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté est d’abord de produire la richesse, libérer les échanges, libérer des entraves de l’esprit des entrepreneurs, et non pas la construction de douanes intérieures et extérieures.

Pour la démocratie libérale, le libéralisme économique est nécessaire mais pas suffisant.

La première crise de la démocratie libérale fut celle de la séparation entre libéralisme économique et libéralisme politique. Déjà, au début du XIXe siècle, avec le rétablissement de l’ordre monarchique en Europe, une continuité fut admise entre libre marché et despotisme. Cette schizophrénie constitue l’un des principaux problèmes pour la pensée libérale, y compris dans le monde contemporain. Pinochet, Videla, Xi Jinping ou encore le modèle singapourien sont certes capitalistes, mais nullement libéraux.

Les temps sont difficiles pour le libéralisme : guerre, terrorisme, crise climatique, protectionnisme, déficit public, augmentation exponentielle des impôts… La liste est à la fois longue et pénible.

Face à la crise, à la fois économique et culturelle, le repli sur soi semble émerger comme une réponse possible, plébiscitée par l’opinion publique. Les exemples abondent : la Chine de Xi Jinping, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, la Hongrie d’Orban et l’Amérique de Trump. Ils peuvent être expliqués comme une réponse à la crise du libéralisme : la démocratie illibérale. Elle a été définie par Fareed Zakaria dans un article en 1997 (« The Rise of Illiberal Democracy ») comme « une démocratie sans libéralisme constitutionnel qui produit des régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et la guerre ».

Comme le note Nicolas Baverez :

« La démocrature désigne aujourd’hui une réalité politique et stratégique très différente par sa nature et sa dimension. Elle définit un mode de gouvernement original qui se revendique comme plus stable, plus efficace et plus apte à répondre aux attentes du peuple que la démocratie, qu’il s’agisse de prospérité, de cohésion sociale ou de sécurité. »

Dans un contexte de montée du nationalisme, l’expression « démocratie illibérale » connaît un succès médiatique, notamment par les déclarations du hongrois Viktor Orban qui s’en est revendiqué. Le discours à l’université d’été de Bálványos le 28 juillet 2018 à Tusnádfürdő en Roumanie mérite d’être analysé attentivement puisqu’il constitue la synthèse contemporaine de la pensée illibérale, base de la démocrature :

« Affirmons tranquillement que la démocratie chrétienne n’est pas libérale. La démocratie libérale est libérale, mais la démocratie chrétienne, par définition, ne l’est pas. Elle est, si vous voulez, illibérale. Nous pouvons le démontrer dans quelques questions importantes, et très concrètement dans trois cas : la démocratie libérale soutient le multiculturalisme, la démocratie chrétienne donne la priorité à la culture chrétienne, ce qui relève d’une pensée illibérale ; la démocratie libérale soutient la migration, la démocratie chrétienne est contre, ce qui est une pensée clairement illibérale ; et la démocratie libérale soutient les modèles de famille à géométrie variable, alors que la démocratie chrétienne soutient le modèle de famille traditionnel, ce qui est aussi une pensée illibérale.

[…]

La démocratie chrétienne ne veut pas dire que nous soutenons des articles de foi, en l’occurrence ceux de la foi chrétienne. Ni les États ni les gouvernements ne sont compétents en matière de salut ou de damnation. Une politique démocrate-chrétienne signifie la défense des formes d’existence issues de la culture chrétienne. Pas des articles de foi, mais des modes de vie qui en sont issus : la dignité de l’homme, la famille, la nation. »

Marlène Laruelle, spécialiste de l’illibéralisme à la George Washington University, le décrit comme :

« Un univers idéologique qui estime que le libéralisme, entendu comme un projet politique centré sur la liberté individuelle et les droits humains, est allé trop loin. Ce rejet s’accompagne de positions politiques plus ou moins clairement établies, s’appuyant généralement sur le souverainisme et la défense de la majorité contre les minorités. La nation est conçue de façon homogène et les hiérarchies traditionnelles célébrées ».

Les principales caractéristiques de la démocrature sont :

  • Hostilité au libéralisme qui réduit l’homme à l’état d’individu.
  • Contestation possible du suffrage universel (assaut du Capitole aux USA).
  • Fascination pour les dirigeants autoritaires et charismatiques.
  • Présentation du peuple comme l’opposé des élites dirigeantes (antiélitisme).
  • Rejet de l’État de droit : Charles Maurras, opposait déjà le pays réel au pays légal.
  • Instrumentalisation de la religion : Modi et l’hindouisme, Erdoğan et l’islam, Trump et les évangélistes, Poutine et le christianisme orthodoxe, Orban et le catholicisme…
  • Contrôle de l’économie planifiée : programme économique du Rassemblement national par exemple.
  • Exaltation du nationalisme et rejet du cosmopolitisme considéré comme une idéologie hors-sol  sans-frontiériste.
  • Droit à l’identité nationale pouvant être défini comme la nécessité pour les groupes ethno-culturels de préserver les particularismes culturels, religieux et raciaux du métissage et de l’indifférenciation.
  • Anti-européisme plus au moins déguisé : l’expression souverainisme apparaît en France en 1996 et a été forgée au sein d’associations en lutte contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam afin d’échapper aux qualificatifs négatifs tels qu’anti-européens.
  • Critique de la légitimité des institutions de l’Union européenne.
  • Dilution de la frontière entre public et privé si chère à Benjamin Constant.
  • Inversion de la priorité du juste sur le bien dont John Rawls faisait l’emblème du libéralisme politique. Alors que la démocratie libérale n’impose pas une conception de la vie bonne, la démocrature impose un modèle culturel hégémonique.
  • Exaltation de l’action contre la pensée : anti-intellectualisme.
  • Rhétorique décliniste simple et efficace.
  • Rejet des Lumières en tant que système philosophique ayant engendré le libéralisme. (économique, politique, philosophique) et comme origine du rationalisme contemporain.
  • Rejet des minorités sexuelles et de la libération des mœurs.
  • Rejet des structures intermédiaires (Parlements, tribunaux, médias, etc.) qui bâillonneraient le peuple.
  • Promotion de l’écologie intégrale, une forme d’instrumentalisation de l’écologie au profit de valeurs conservatrices et contre les progrès de la bioéthique, l’IVG, l’euthanasie, le mariage pour tous…

 

La démocrature a ainsi su imposer un récit selon lequel le libéralisme culturel met en danger les repères naturels de l’homme enraciné dans une culture spécifique. La démocratie illibérale entend bâtir une pensée politique de l’attachement au « chez soi » et de la cohésion sociale à l’échelle nationale.

La crise de la démocratie libérale est en partie liée à l’incapacité à construire un récit allant au-delà de l’économie, à l’incapacité à mener une bataille culturelle capable de contrecarrer la rhétorique réactionnaire.

¹Grotius, Droit de la guerre et de la paix (1625) ; Hobbes, Léviathan (1651) ; Locke, Deuxième traité du gouvernement civil (1690), Rousseau, Du contrat social (1762).

Un Sahel sang et or

Le trafic d’or représente une source de financement pour les groupes terroristes, et plus récemment pour les mercenaires russes de Wagner. De facto, cette manne renforce tous les ennemis et compétiteurs de la France en Afrique de l’Ouest. Pire, elle est un fléau pour tous les pays de la région. Certains, comme la Centrafrique et le Soudan en sombrent. D’autres, comme la Mauritanie et la République Démocratique du Congo (RDC), ripostent.

 

La ruée vers l’or sahélienne : une malédiction pour la région ?

Depuis 2012, la bande sahélienne allant de la Mauritanie à l’ouest du Soudan connaît un boom du secteur aurifère. Le mouvement s’accentue à partir de 2016. Une nouvelle ruée vers l’or voit des groupes armés s’emparer de sites d’extraction d’or artisanaux. Ils profitent de l’absence ou de la faiblesse des structures étatiques dans ces régions, à des fins de financement et de recrutement de nouveaux membres.  

Les trafics illégaux (or, migrants, armes, stupéfiants, etc.) sont un parangon géopolitique de la région. Ils catalysent tous les risques et les scléroses du Sahel et du reste de l’Afrique. Problème, ils entraînent aussi des répercussions en Europe, dont la France, qui en est un des débouchés privilégiés ; et pas uniquement les migrants. Venue d’Amérique du Sud, le Sahel voit en effet passer une part substantielle de la cocaïne à destination du Vieux Continent. 

Le trafic d’or, très rémunérateur, est la dernière mode des trafiquants et il alimente les caisses de groupes armés, qu’ils soient djihadistes ou simplement rebelles. À titre d’exemple, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance de groupes rebelles touareg formée en 2014, exploiterait des mines au nord du Mali. Sur la frontière algéro-malienne, dans la localité de Tin Zaouten, les djihadistes du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) contrôleraient également une fonderie et un site d’orpaillage. La porosité entre ces mouvements politiques ou djihadistes et les simples groupes criminels rend d’autant plus difficile la lutte contre leurs actions.

 

Wagner : les nouveaux pilleurs d’or

Le groupe de mercenaires Wagner, présent dans la bande sahélienne du Mali au Soudan en passant par la République centrafricaine, tire une partie importante de ses ressources du trafic d’or, avec des ramifications jusqu’en Mauritanie. Servant de garde prétorienne à plusieurs dirigeants de la région du Mali au Burkina Faso, le groupe Wagner profite de cette assise territoriale pour développer les trafics lui assurant ses revenus. 

Depuis son arrivée à Bamako, fin 2021, le groupe de mercenaires russes a entrepris des actions tous azimuts pour garantir sa mainmise sur l’or malien : récupération de permis miniers, création de sociétés locales, orpaillage artisanal, trafic via Dubaï. Wagner se fournit également, de façon clandestine, auprès d’orpailleurs mauritaniens, liés à des courants proches des islamistes pour revendre ensuite cet or à Bamako. Des liens étroits sont tissés avec les négociants en or de la ville, au premier rang desquels Kossa Dansoko, mais aussi des organisations proches des Frères musulmans.

Par corollaire, ce trafic contribue à financer des actions de subversions anti-françaises déployées par le groupe Wagner sur tout le continent. Sans compter ses opérations qui déstabilisent toute la région et menacent directement la sécurité de l’Europe. 

 

L’exemple congolo-émirati

Face au risque de déstabilisation que représente le trafic d’or à l’échelle internationale, en étroite imbrication avec les réseaux de criminalité transfrontaliers, plusieurs États réagissent et se donnent les moyens de lutter contre ce phénomène. Les Émirats arabes unis, place mondiale du commerce de l’or, sont régulièrement critiqués pour leur laxisme, même s’ils font le choix de fermer une grande raffinerie. Entre 2012 et 2014, Kaloti, un négociant en or basé à Dubaï est accusé d’acheter de l’or à des réseaux criminels internationaux pour blanchir de l’argent.

L’affaire du négociant Kaloti a mis en lumière les difficultés du contrôle international des transactions d’or : Kaloti a pu vendre de l’or à des grandes entreprises, y compris Apple, General Motors et Amazon, soulevant des questions sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Suite à ce scandale qui mettait en lumière des failles dans la sécurisation du commerce de l’or, les Émirats arabes unis décident d’innover en mobilisant la technologie blockchain.

En janvier 2023, la République démocratique du Congo (RDC) et les Émirats arabes unis signent un partenariat commercial qui comprend l’amélioration de la traçabilité des flux commerciaux d’or, une transparence accrue des activités du secteur, ainsi que la garantie d’un revenu pour les 30 000 mineurs artisanaux, afin de leur éviter la tentation de grossir les rangs de groupes criminels. 

 

La réponse mauritanienne

La Mauritanie, îlot de stabilité dans une région en proie aux troubles, cherche ainsi à éviter un scénario à la soudanaise, où des groupes armés d’obédience islamiste ont traité ces dernières années directement avec des acteurs étrangers et ont tenté de dépouiller le pays de ses ressources. 

En 2020, les autorités mauritaniennes ont mis sur pied un nouveau cadre pour donner un début de réglementation à l’activité des mineurs d’or indépendants, dont la production représente jusqu’à un tiers de celle des compagnies ayant pignon sur rue. Malgré cette mesure, 70% de la production d’or continuerait de quitter le territoire tous les ans via les filières de trafic trans-sahéliennes liées a des mouvements djihadistes, qui réactivent les routes commerciales multiséculaires de l’Ouest africain. 

Face à ce constat alarmant, les autorités de Nouakchott veulent durcir encore le cadre légal régissant le secteur aurifère, ce qui ne manque pas de froisser les orpailleurs, qui mènent des campagnes d’influence agressive. La solution passera probablement en partie par un démantèlement du marché noir et les réseaux de circuit informel à travers une formalisation assez soutenue de la commercialisation de la production artisanale de l’or. Les pouvoirs publics ont commencé ce travail sous le contrôle de l’Agence nationale Maaden à travers un renforcement du dispositif sécuritaire mauritanien dans cette région, mais aussi par un durcissement du dispositif juridique. Nouakchott peut déjà se prévaloir d’une « armée des sables » rompue aux exigences de son terrain et bien entraînée.

En définitive, l’expansion du trafic d’or représente un risque nouveau. Non seulement pour la stabilité et le développement des pays du Sahel, et au-delà, mais aussi pour la sécurité de l’Europe et de la France. De facto, la zone n’a jamais concentré autant de risques pour Paris et Bruxelles. Et pourtant, ce sont aujourd’hui leurs rivaux stratégiques, parfois existentiels, qui y prospèrent et contribuent à faire sombrer un peu plus la région dans le chaos.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

France Inter : radiographie d’un média d’État

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

Conflits d’intérêts et politiques de dépenses : le dessous des cartes économiques

La plateforme Spotify annonce le licenciement de 1500 employés, soit le sixième du total. Twilio, la plateforme d’hébergement de sites web, annonce le licenciement de 5 % de ses salariés. En plus de baisses des cours depuis deux ans, les entreprises perdent l’accès à des financements pour les pertes sur les opérations. Les levées de fonds, à travers le monde, baissent de 100 milliards de dollars par rapport aux niveaux de 2021.

Ainsi, les entreprises ont moins de moyens à disposition. Les gérants gagnent moins de primes. Les actionnaires subissent des pertes en Bourse. Un dégonflement de bulle a lieu depuis le début de hausse des taux.

À présent, l’espoir du retour à l’assouplissement par les banques centrales remet de l’air dans les marchés. La bulle reprend de l’éclat. Selon Reuters, le marché s’attend à une baisse de taux par la Banque centrale européenne de 1,40 % à fin 2024.

En France, le rendement sur les obligations du Trésor baisse depuis octobre. Sur les emprunts à dix ans de maturité, les taux passent d’un sommet de 3,6 %, le 4 octobre, à 2,8 % à présent.

Un retour des assouplissements plaît aux entreprises et aux marchés. Le Nasdaq prend 12 % depuis le sommet pour les taux, en octobre. Le CAC 40 grimpe de 9 %. Les autorités remettent en marche la création d’argent. Pourtant, selon les communications dans la presse, le gouvernement continue la lutte contre les hausses de prix.

Il annonce à présent le gel des tarifs de trains. Il a pris le contrôle des tarifs d’électricité. Il empêche les hausses de prix des péages.

Des ONG demandent davantage de contrôles sur les prix en magasins, avec des limites sur les marges. Les autorités – à l’origine de la création d’argent – prennent le rôle de sauveteurs contre les hausses de prix !

 

Plans de relance : retour des assouplissements

Les plans de relance ont de nouveau la cote autour du monde.

Les taux sur les obligations américaines à dix ans passent de 5 % en octobre, à 4,1 % à présent, en réponse aux déclarations de la Fed sur l’évolution de la politique de taux.

Autour du monde, les autorités préparent des incitations à l’endettement. En Chine, le gouvernement augmente le déficit à 4 % de la taille du PIB, et fournit davantage de garanties au secteur de l’immobilier. Selon la société d’analyse Gavekal, les promoteurs de projets d’immobilier chinois ont des impayés à hauteur de 390 milliards de dollars – envers des sous-traitants, fournisseurs, ouvriers, et créanciers.

La perspective d’un emballement de la dette du gouvernement – en raison des soutiens à l’immobilier – pousse Moody’s à une dégradation de la note de crédit.

Bloomberg donne des détails :

« L’économie de la Chine cherche à reprendre pied cette année, durant laquelle le rebond de l’économie – après la levée des restrictions du zéro covid – a déçu les attentes, et la crise de l’immobilier sème le doute. Les données économiques montrent que l’activité, à la fois dans les services, et l’industrie, chutent sur le mois de novembre, ce qui augmente les chances d’une politique de soutien de la part du gouvernement.

[…]

En octobre, le président chinois, Xi Jinping, a signalé qu’un ralentissement soudain de la croissance, et les risques de déflation, ne vont pas être tolérés, ce qui mène le gouvernement à tirer le déficit au niveau le plus élevé en trois décennies. »

Après un peu de répit à la dévaluation des devises, les autorités mettent à nouveau en marche les planches à billets, via les déficits et l’enfoncement des taux d’intérets.

 

Conflits d’intérêts sur les programmes de dépense

Le gouvernement français vient en aide à l’immobilier. Les ministres créent des mesures d’aide aux emprunteurs. La presse les présente comme un sauvetage du secteur face à la crise.

Vous ne verrez pas beaucoup de questions sur la nécessité de mesures. Peu de gens remettent en cause les programmes de dépenses. En effet, les mesures créent des conflits d’intérêts, en particulier dans la presse, les entreprises, et Think Tanks.

Les entreprises de bâtiment gagnent de l’argent sur la construction de logements. Des promoteurs font des bénéfices sur les volumes de vente aux particuliers. Les journaux font de la publicité et attirent des lecteurs sur le thème de l’investissement en immobilier. Les banques et courtiers génèrent des frais sur l’émission de crédits. Les sociétés de conseil proposent des études et rapports – sur l’impact des mesures – au gouvernement. Les particuliers voient dans l’accès au crédit une forme d’aide à l’achat.

Le même genre de conflit d’intérêts touche la plupart des programmes et interventions. Par exemple, la cybersécurité et l’IA créent des opportunités pour des contrats avec le gouvernement, et des sources de revenus pour les entreprises.

La société CapGemini publie un rapport au sujet de l’entrée en vigueur des normes de l’UE sur les services digitaux.

Dans l’introduction :

« En somme, le règlement DORA est prévu pour résoudre les risques de cybersécurité et de défaillances informatiques, en mitigeant la menace des activités illégales, et la disruptions aux services digitaux, avec des conséquences directes sur l’économie et la vie des gens. »

CapGemini n’ose pas les critiques de la loi. En effet, la société tire beaucoup d’argent des programmes du gouvernement. Selon Le Monde, la société de conseil a tiré 1,1 milliard d’euros de revenus grâce aux contrats avec le gouvernement, de 2017 à 2022 ! Elle ne veut pas courir le risque de perdre des contrats avec les autorités à l’avenir. Le groupe a ainsi un conflit d’intérêts dans l’analyse des décisions par les gouvernements.

De même, avec le projet d’un cadre de normes autour de l’IA, les entreprises et la presse ont des conflits d’intérêts. Elles les passent en général sous silence. Par exemple, Les Échos publie une tribune en soutien à la création de normes sur l’IA.

Selon l’auteur, le projet de loi crée « un cadre nécessaire à la protection et l’innovation ».

Il précise :

« Grâce au projet de règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act), le législateur européen a l’opportunité de doper les investissements dans les secteurs de la culture et de l’innovation en Europe, et de montrer au monde la manière dont les entreprises d’IA peuvent prospérer au bénéfice de tous. »

L’auteur présente la loi comme une protection des artistes et créateurs de contenus contre la réutilisation par des IA, sans rémunération. Les régulations reviennent à bloquer l’activité des gens sous couvert de leur protection, incluant les consommateurs et les artistes.

L’auteur de la tribune, Robert Kyncl, a le même genre de conflit d’intérêts que les sociétés de conseil au sujet des projets du gouvernement. Il occupe le poste de PDG chez Warner Music Group. La société détient les droits d’auteur des catalogues de groupes comme Daft Punk ou David Bowie. Le groupe travaille aussi sur l’exploitation de l’IA pour tirer davantage de revenus des catalogues d’artistes. Il a en préparation un film sur la vie de la chanteuse, Édith Piaf, à base d’IA.

Les règles sur l’usage de l’IA, et la possibilité de barrières à l’entrée, présentent donc un intérêt pour M. Kyncl. Il a un avantage à la création de complications pour la concurrence. Les géants de la musique mettent à profit l’hystérie de la presse autour de l’IA – et l’envie de contrôle de la part des bureaucrates et représentants.

 

Climat : enjeux de centaines de milliards d’euros

L’Ademe publie une étude sur les coûts des dégâts faits à l’économie en raison de la hausse du carbone dans l’atmosphère. Ils estiment le bilan à 260 milliards d’euros par an à l’avenir. Comme le rapporte la presse, l’étude fait partie d’une commande du gouvernement.

Elle revient à une forme de communication en faveur des programmes – et des dépenses à hauteur de 110 milliards d’euros par an, selon les estimations du gouvernement, après 2030.

Une info-lettre que je reçois, au sujet du climat, effectue une campagne de dons. Des journalistes sont présents aux Émirats pour la COP28.

Dans la missive, de la part de Inside Climate News, l’auteur écrit : « Les journalistes sont des témoins. Nous sommes des diseurs de vérités. »

Sur le sujet du climat, les journalistes rapportent les décisions des dirigeants sans beaucoup de scepticisme. L’argent des programmes remplit beaucoup de poches.

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Les maires français demandent plus de décentralisation

Être maire en France est de plus en plus difficile. Depuis juin 2020, on estime le nombre de démissions à environ 1300, soit plus encore que pendant la mandature précédente qui avait déjà atteint un record.

La récente sortie de la dernière vague de l’enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité de l’Association des maires de France, et du CEVIPOF sur les maires de France offre quelques informations utiles pour comprendre ce qu’il se passe.

Pourtant, les éléments qui ressortent semblent à première vue contradictoires.

 

Les maires veulent plus de décentralisation ?

D’un côté, trois maires sur quatre pensent qu’il faut « aller plus loin dans la décentralisation » et, parmi eux, 59 % pensent même qu’il faut « aller beaucoup plus loin vers plus de libertés (ou compétences) locales ». Ils sont 84 % à penser que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité.

Aussi, placés face au dilemme entre différencier les décisions politiques locales au nom l’efficacité, et les uniformiser au nom de l’égalité, 86 % des maires choisissent la première option. Clairement, la décentralisation plaît aux maires, et ils sont prêts à assumer davantage de responsabilités.

D’ailleurs, ils voient les contraintes posées par l’État central comme un obstacle majeur.

Les relations de plus en plus complexes avec les services de l’État sont mentionnées en deuxième position (par 12,3 % d’entre eux) pour expliquer la démission massive qui a touché les maires ces dernières années. Cette complexité de la relation peut en partie s’apprécier par le fait que 64 % d’entre eux pensent qu’il y a trop de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales.

 

Un divorce entre les maires et leurs administrés ?

De l’autre côté, beaucoup de problèmes des maires viennent des administrés.

D’après 71,7 % d’entre eux, le niveau d’exigence des citoyens est trop élevé. Depuis 2020, ce score n’a pas cessé d’augmenter. Ce qui est d’ailleurs la principale raison (selon 13,6 % d’entre eux) pour laquelle ils tendent à massivement démissionner.

Mis côte à côte, ces deux constats affichent une information paradoxale : d’un côté, les maires désirent avoir davantage d’autonomie et de liberté dans leur fonction ; et de l’autre côté, ils désirent être moins tenus pour responsables par leurs administrés, qu’ils considèrent trop exigeants.

Un esprit malintentionné pourrait les soupçonner de vouloir la liberté sans responsabilité, et en faire, en fin de compte, des irresponsables. En réalité, pour ceux qui connaissent la réalité dans laquelle évoluent les maires, ces réponses sont tout à fait logiques, et il n’y a pas lieu d’être soupçonneux.

 

Des maires submergés par l’administratif…

Les réformes territoriales qui ont commencé sous le quinquennat de François Hollande et qui se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui ont modifié par le haut l’organisation et les compétences territoriales. Les communes ont perdu toute marge de manœuvre financière, avec les suppressions successives des taxes qui bénéficiaient aux communes, comme la taxe professionnelle ou la taxe d’habitation. Cette dépendance accrue des revenus de l’État a été associée à la perte d’un grand nombre de compétences qui ont été transférées aux intercommunalités ou à d’autres échelons territoriaux.

Dans l’ensemble, le travail d’un maire n’a pas diminué, mais sa partie purement administrative a augmenté au détriment de sa dimension politique. Avant toute action, un maire doit étudier les milliers de lois, décrets et circulaires qui encadrent l’action des communes, il doit demander l’autorisation de l’État, et parfois des régions et de l’intercommunalité, il doit siéger non seulement au conseil municipal, mais aussi au conseil communautaire.

Pour autant, ces réformes territoriales n’ont pas été suivies par des réformes électorales. Les citoyens votent toujours directement aux élections municipales, et non aux élections intercommunautaires, car ce sont les élus municipaux qui siègent aux conseils communautaires. Or, les citoyens demandent des comptes à ceux qui ont été élus par eux, non aux autres. C’est le principe même de l’élection : rendre les élus responsables devant les électeurs.

 

L’insoutenabilité de la dépendance des maires à l’égard de l’État

Que se passe-t-il quand les élus ne peuvent plus rendre des comptes aux citoyens, simplement parce qu’ils sont privés des compétences pour pouvoir choisir leur politique ?

Tout d’abord, ils souhaitent retrouver les responsabilités suffisantes pour pouvoir rendre des comptes à leurs électeurs. Ou alors, ils souhaitent que l’attribution des responsabilités soit plus claire aux yeux des citoyens, afin qu’ils puissent adresser leurs demandes aux personnes réellement responsables.

Aujourd’hui, il est impossible de prédire l’organisation territoriale française à partir des élections. Du fait de leur invisibilité électorale, certains corps prennent des décisions importantes sans faire face à la sanction électorale – parmi lesquels les conseils communautaires, et plus traditionnellement les préfets. À l’inverse, les maires sont tenus responsables de ce que l’État ne leur permet pas de faire. Il est évident que cette situation est intenable.

 

Vers une décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante ?

Concentrons-nous, alors, sur la demande la plus massive qui ressort de cette enquête.

Pas moins de 84 % des maires souhaitent que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité, en assumant la différenciation entre communes qui s’ensuivrait. Cette demande appelle au principe de la subsidiarité ascendante, qui consiste à initier les transferts de compétences par le bas, plutôt que par l’État central. Ces choix – qui est compétent et pour quoi – sont cruciaux, et les laisser aux maires – qui sont surveillés de près par leurs conseils municipaux, et sanctionnés par leurs électeurs – serait une garantie de bon sens et de transparence dans leur gestion.

Une évolution vers ce type de décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante n’est pas seulement une demande des maires, mais aussi des citoyens.

D’après un sondage du CSA mené il y a trois ans, au début de la pandémie du covid, les mêmes questions posées aux maires l’ont été à un échantillon représentatif de Français. Si 74 % des maires veulent davantage de décentralisation, parmi les citoyens cette opinion identique est partagée par 75 % d’entre eux. Pour une fois qu’aucune fracture est observée dans les opinions des élus et les citoyens, il faut s’en féliciter, et se mettre au travail pour décentraliser la France de façon plus consensuelle.

Les écoles privées ont sauvé l’enseignement en Suède

Un article de l’IREF.

Dès la fin des années 1980, une première série de réformes a été opérée en Suède par le gouvernement social-démocrate, transférant aux municipalités la responsabilité des écoles et leur laissant une grande liberté pour l’affectation et l’utilisation des ressources en fonction du contexte et des besoins locaux. Puis au cours des années 1990, le gouvernement conservateur-libéral a voulu donner aux parents la liberté de choisir l’école de leurs enfants et favoriser la concurrence entre les établissements pour notamment améliorer la qualité de l’enseignement public.

Ainsi, en 1992, il a institué le chèque éducation alloué aux familles pour qu’elles le remettent à l’école, privée ou publique, de leur choix tout en interdisant que ces écoles leur prélèvent des frais de scolarité. Les écoles privées, qui recevaient initialement 85 % de la dotation par élève du public, reçoivent depuis une décision des sociaux-démocrates en 1994 la même dotation que celle des écoles publiques. Parallèlement, des règles libérales ont permis qu’au cours des années 2000 de nombreux établissements privés soient ouverts.

Figure 1. Proportion d’élèves dans les établissements privés (« libres ») dans l’enseignement obligatoire et l’enseignement secondaire supérieur en Suède et à Stockholm, 1999-2017 (en %)

Source : Statistics Sweden

Toute personne physique ou morale peut créer une école sous réserve de remplir les conditions requises par l’inspection scolaire suédoise et d’être agréée par l’Agence nationale de l’éducation. Les premières écoles libres, les friskolor, ont été ouvertes localement par des associations, des parents ou des enseignants. Puis des entreprises ont investi de plus en plus dans ce secteur de l’éducation. En 2017, 68 % des établissements privés d’enseignement obligatoire et 86 % des établissements secondaires supérieurs privés étaient gérés par des sociétés à responsabilité limitée (Alexiadou et al., 2019).

Face à l’ampleur de ce développement a été mis en place un contrôle accru de la performance et de la qualité par l’État. Aujourd’hui, environ 16 % des élèves en primaire et collège et 30 % de ceux du lycée fréquentent des écoles privées alors qu’il n’y en avait que 1% il y a trente ans.

 

La dégradation du système éducatif

La gauche européenne, qui ne comprend pas comment un pays social-démocrate a pu favoriser ainsi les écoles privées, dénonce la qualité de ces écoles libres et affirme que les mauvais résultats PISA des années 2010 sont dus à la privatisation. En réalité c’est l’inverse.

Aux scores PISA, la Suède avait des résultats honorables en 2000 : de 516 (10e au classement général) en compréhension de l’écrit, 510 (16e) en mathématiques et 512 (11e) en sciences.

Ces scores se sont dégradés en 2012 : 483 (37e) en compréhension de l’écrit, 478 (38e) en mathématiques et 485 (38e) en sciences.

Mais ils se sont relevés en 2018 : 506 (11e) en compréhension de l’écrit, 502 (18e) en mathématiques et 499 (20e) en sciences.

Au score Pisa 2022, les résultats sont en baisse à respectivement 482, 487 et 494, comme ceux de presque tous les pays du monde, mais la Suède est 19e, quatre places devant la France

La baisse de qualité de son système éducatif est due principalement à l’immigration massive que la Suède a accueillie sans compter, notamment depuis la fin du siècle dernier. Le nombre d’immigrés non occidentaux en Suède était d’environ 1 % de la population dans les années 1970 et de plus de 10 % en 2015, voire 15 % en incluant les demandeurs d’asile.

Selon l’OCDE, « en 2014-2015, la Suède a vu le plus grand flux de demandeurs d’asile par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE ».

Corrélativement, le nombre d’immigrés sans emploi y était extrêmement important. En 2015, 82,9 % des natifs et 59,6 % des personnes nées à l’étranger, dans la tranche d’âge 20/64 ans, avaient un emploi rémunéré. Ce taux n’était que de 53,6 % chez les immigrés extra-européens.

 

Les vertus de la concurrence

Il est reproché aux entreprises qui gèrent des écoles privées de faire du profit avec l’argent public qui leur est remis par les familles. Mais si elles font du profit, c’est parce qu’elles réussissent à attirer des élèves qui ont le choix d’aller dans des écoles publiques. Si elles y parviennent, c’est parce qu’elles sont meilleures, et si elles font du profit, c’est parce qu’elles sont mieux gérées. La concurrence joue en effet un rôle efficace pour améliorer les résultats. Certes, les écoles publiques communales sont obligées d’accepter des élèves moins bons, notamment les nombreux immigrés ayant afflué en Suède ces dernières années, mais n’est-ce pas aux pouvoirs publics qui ont favorisé cette immigration massive d’en supporter les conséquences ?

Des écoles privées font faillite ou sont obligées de fermer parce qu’elles ne respectent pas leurs obligations. Au demeurant, les écoles privées sanctionnées ne sont pas si nombreuses. Selon Le Monde, l’Inspection scolaire en aurait fermé 25 au cours des cinq dernières années. Un chiffre modeste au regard du nombre d’écoles. En France aussi, nombre d’écoles publiques mériteraient d’être fermées, mais la carte scolaire oblige les élèves à les fréquenter, et l’argent public couvre leurs dépenses quoi qu’il en coûte. C’est précisément la vertu d’un système privé de contraindre les écoles inaptes à fermer.

Pour remédier à l’effondrement de son système scolaire, pourquoi la France n’engagerait-elle pas une vraie privatisation de ses écoles, avec allocation de bons scolaires ?

L’ancien maire conservateur d’Upplands Väsby, Oskar Weimar, cité par M le magazine du Monde, observe :

« Le principe d’une école uniforme ne fonctionne pas. Les enfants ne se ressemblent pas, ils apprennent différemment. Nous avons besoin de diversité et de permettre aux élèves et à leurs parents de choisir l’école qui leur convient le mieux et d’éliminer celles qui ne leur plaisent pas. »

Sur le web.

Disney : quand les réalités du marché remettent les entreprises sur les rails

Début décembre, Bob Iger faisait grand bruit :

« Les créateurs ont perdu de vue ce que devait être leur objectif numéro un. Nous devons d’abord divertir. Il ne s’agit pas d’envoyer des messages. » 

Cette mise au point tardive mais bienvenue de l’actuel PDG de Disney tranche avec la politique menée ces dernières années par ce géant du spectacle, encore renforcé par les rachats de l’univers de super-héros Marvel et de Lucasfilm.

Disney perd de l’argent alors que cette compagnie a longtemps eu l’habitude d’en gagner énormément. La plateforme Disney + a ainsi peiné à convaincre, les séries adaptées de l’univers Marvel étant pour la plupart considérées comme étant particulièrement médiocres, et de nombreux amateurs de Star Wars jugeant que la postlogie de Kathleen Kennedy avait trahi le travail de George Lucas.

Bref, tout n’est pas rose du côté de la firme aux grandes oreilles avec l’essoufflement du genre super-héroïque au cinéma. L’overdose de super slips aura en effet fatigué jusqu’aux amateurs, suites et séries en pagaille rendant cet univers de plus en plus difficilement compréhensible.

Pis encore, la volonté d’« inclusivité » a planté un dernier clou dans le cercueil de ce type de films, Marvel et Disney semblant lutter à chaque instant pour trouver des super-héros de couleur ou d’orientations sexuelles minoritaires censément « représentatifs » de la « diversité ».

Cette politique s’est toutefois traduite par des succès commerciaux. Ce fut le cas de la série de films Black Panther inspirée du super-héros du même nom créé dans les années 1960 et 1970. Désormais personnalité fictive emblématique de la communauté afro-américaine, Black Panther vient du pays imaginaire du Wakanda, îlot de prospérité technologique caché au cœur du continent noir. Dans le deuxième volet sorti en 2022, intitulé Wakanda Forever, le réalisateur Ryan Coogler se permettait d’ailleurs d’amener une intrigue jouant de la rhétorique antifrançaise et faisant passer notre pays pour une État prédateur, colonial et soutien du terrorisme…

Il est amusant de se dire que l’œuvre créée par l’immense Walt Disney est désormais aux mains d’activistes politiques appartenant au pire de la gauche dite « woke » d’Amérique du Nord. Le vieux Walt se retournerait d’ailleurs probablement dans sa tombe s’il avait connaissance de cette forfaiture, lui qui n’aimait rien tant que la magie de l’imagination et du rêve. Disney n’a pas eu besoin de politiques « inclusives » pour proposer des films qui l’étaient par essence. Quoi de plus universel en effet qu’une jeune femme devant déjouer la jalousie d’une rivale plus âgée ? Quoi de plus traditionnel que le message de la transmission paternelle véhiculé par Le Roi Lion ? Mais l’époque est au grand renversement : il faut tuer l’héritage de Disney, l’occulter et le cacher afin de ne pas offenser cette tyrannie des minorités qui domine d’une main de fer l’État de Californie et l’Hollywood contemporains.

Certains films ont même été retirés du catalogue de la plateforme Disney +, à l’image de Peter Pan parce qu’on y trouve des peaux-rouges ou des Aristochats dont le personnage de chat siamois serait insultant pour les Asiatiques…

En revanche, Disney ne se gêne pas pour changer l’ethnie de la Petite Sirène d’Andersen née pourtant au Danemark, pays européen s’il en est. Le monde anglo-saxon semble s’abandonner à une folie révisionniste, voire dans certains cas négationnistes, touchant même les personnages historiques. La BBC n’a par exemple pas hésité à proposer des séries avec des vikings incarnés par des Africains subsahariens. Disney est dans ce genre exemplaire, allant au-delà des attentes de son public le plus radical. Car, au fond, le problème est que Disney ne s’adresse plus aujourd’hui uniquement aux enfants, mais bien à une part croissante du public occidental bloqué dans l’enfance, réagissant hystériquement à chaque sortie de film.

Reste que la résistance passive ou active s’organise. « Go woke, go broke », disent aujourd’hui certains analystes de la vie économique américaine. Avec sa campagne inhabituelle convoquant Dylan Mulvanay, célèbre trans américain, le brasseur Budweiser a perdu énormément de clients.

Cela a aussi été le cas pour Gillette qui a misé sur une campagne inclusive pour… vendre des rasoirs à des hommes.

La règle d’or de la publicité est de s’adresser à ses consommateurs. La règle d’or du commerce est de vendre le produit qu’attendent les clients. Disney doit offrir des films de grand spectacle aux valeurs universelles afin d’entrer dans ses comptes. Les messages politiques le desservent. Gageons que nous retournions vite à la normale, la tyrannie des minorités aura une fin.

L’Europe populiste nous salue bien

On s’habitue sans se résigner, ni peut-être comprendre.

Jadis qualifiées de séisme suscitant la sidération, les victoires de partis qualifiés de populiste, ou d’extrême droite (nationaliste-conservateur serait plus exact) par analystes et commentateurs deviennent habituels en Europe. Une tendance inquiétante, vu la faible appétence de la plupart d’entre eux pour les libertés, ou leur complaisance envers le Kremlin. Mais qui devrait surtout pousser dirigeants et relais d’opinion, au lieu d’évoquer rituellement le « retour aux heures les plus sombres », à se poser LA question fondamentale ; « qu’est-ce qu’on a foiré grave pour que ça tourne ainsi ? ».

La dernière déflagration en date est évidemment venue des Pays-Bas où le parti PVV a triomphé lors des législatives du 22 novembre dernier, avec 24 % des voix, neuf points de plus que le second de centre gauche. Un choc pour une société néerlandaise longtemps prise pour exemple de la « coolitude cosmopolite ». Mais la coolitude, visiblement, on en revient.

Le PVV s’ajoute à une liste qui commence à être impressionnante dans l’Union européenne. Les partis dits populistes figurent désormais, selon les sondages, ou les dernières élections nationales, à la première ou la deuxième place, avec 20 à 25 % des voix, dans plus de la moitié des pays de l’Union européenne, regroupant les trois quarts de la population de l’ensemble. Alors qu’il y a quinze ans ils se trouvaient dans les tréfonds électoraux, sauf en France et en Autriche.

 

L’extrême droite aux deux premières places dans la moitié des pays de l’Union

Ils sont premiers, donc, aux Pays-Bas, mais aussi en France, avec le Rassemblement national, en Italie, où Giorgia Meloni est même chef du gouvernement depuis quatorze mois, en Pologne (PiS, au pouvoir jusqu’aux dernières législatives), en Belgique (N-VA), Slovaquie (Smer), Croatie (HDZ), Autriche (FPO), Hongrie (Fidesz au pouvoir). Et au deuxième rang en Finlande (où ils participent à la coalition au pouvoir), Suède (soutien sans participation), Estonie, Slovénie, Tchéquie, et surtout en Allemagne, où l’AfD, avec 22 % des voix selon les sondages et les dernières élections partielles dans des Länder, n’est plus qu’à 4 points du parti historique, la CDU-CSU. Impensable il y a quatre ans.

Ces quinze pays concentrent exactement 78 % de la population de l’Union européenne.

Les douze pays échappant au phénomène sont Malte, Chypre, Grèce, Irlande, Bulgarie, Lituanie, Lettonie, Danemark, Roumanie et Espagne. Et encore, Madrid n’a-t-il dû de ne pas figurer dans la première liste qu’à l’effondrement durant la dernière campagne des législatives du parti Vox, qui a terminé troisième, alors que les sondages lui laissaient entrevoir une deuxième place aisée.

De quoi cet essor, qui ne semble pas encore avoir atteint son apogée et laisse présager d’élections européennes… dévastatrices au printemps, est-il le signe ?

 

Le populisme, concept intellectuellement paresseux

Le concept de populisme, tout d’abord, n’est pas dénué (tout comme son cousin le complotisme, mais c’est une autre histoire) d’une certaine paresse intellectuelle, et semble surtout servir à discréditer les trublions et tout nouvel entrant sur le marché politique qui menaceraient « les gens en place et les corps en crédit », comme disait Beaumarchais.

Attention à ne pas dénoncer la « populace » avec trop de condescendance, car il ne faut pas oublier que populo désigne le peuple par lequel et pour lequel on gouverne en démocratie (même s’il faut admettre, comme disait Churchill qu’« aucun sentiment démocratique ne peut sortir complètement indemne de cinq minutes de conversation avec un électeur ordinaire »). Certes, populo, qui vient du latin, est moins chic que le grec démos, racine de démocratie, mais ne pas oublier que, à l’inverse, on retrouve démos dans « démagogie », gouverner en jouant sur les peurs et des solutions simplistes qui ne marchent pas.

Or, si les partis dont il est question ici sont clairement démagogues, ils n’ont pas l’exclusivité de la chose, les partis dits mainstream ne rechignant pas à promettre que demain on rase gratis, que le système de retraite par répartition est insubmersible, ou que ce n’est pas bien grave d’aligner 50 exercices budgétaires dans le rouge…

« Parti voulant renverser la table, ou critiquant de manière virulente la classe politique traditionnelle » semblerait donc plus pertinent, quoiqu’un peu long. À moins qu’il ne faille tout simplement les désigner comme « nationaliste », ou « souverainiste ».

 

Contre l’immigration, Bruxelles et la classe politique en place

Au-delà de différences logiques, vu leur diversité géographique et historique (certains sont impeccablement atlantistes, comme la formation de Giorgia Meloni, d’autres admirent Vladimir Poutine, comme les chefs du PVV, du RN, ou de Fidesz), ces partis semblent avoir trois points communs : un rejet viscéral de la classe politique actuelle, de l’immigration, et de l’Union européenne.

Un rejet, dangereuse déclinaison de l’éternel « tous pourris », et injuste envers une bonne partie des élus. Mais cela aiderait si la classe politique en place tendait moins le bâton pour se faire battre par certains discours condescendants, ou déconnectés de ce que vivent « les gens ».

Juste deux exemples parmi mille : le « sentiment d’insécurité contraire aux chiffres » mis en avant par le ministre français de la Justice pour estimer qu’en fait la sécurité est satisfaisante, et la dénonciation d’une « récupération » après le meurtre du jeune Thomas à Crépol, comme s’il devait être interdit aux politiques de s’exprimer sur un fait de société, en l’occurrence l’existence de bandes prêtes à tuer parce qu’elles se sont vu refuser l’entrée à un bal.

Ces partis fustigent aussi l’Union européenne, mais ne vont pas, ou plus, jusqu’à en prôner la sortie. Seul le PVV veut un référendum en vue d’un équivalent néerlandais du Brexit, et il n’est pas certain que ce projet survive aux tractations pour former une coalition.

Il faut toutefois admettre que le projet européen tel qu’il se tricote depuis Maastricht voudrait se faire détester qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Pondant interdits et obligations tatillonnes avec une régularité de poule en batterie, comme si Bruxelles était désormais en roue libre sous le contrôle désinvolte des gouvernements.

Saluons la dernière trouvaille, la tentative d’interdire les boîtes à camembert en bois. Les technocrates et férus de fédéralisme pourraient se douter que cela risque de mal finir, et qu’un jour les électeurs jettent le bébé (la respectable construction européenne de 1957-1992) avec l’eau du bain des règlementations tatillonnes donnant envie de crier « mais foutez-nous la paix ! », alourdie depuis quelques temps par une écologie punitive (qui a suscité l’essor en quelques mois, aux Pays-Bas encore, du parti anti écolo BBB devenu première formation du pays aux sénatoriales, avant de s’écrouler aux législatives de mi novembre, faute de programme national) à l’impact désastreux sur prospérité et emplois.

Mais on dirait que c’est plus fort qu’eux : interdisons, règlementons, imposons, encore et toujours.

 

Trop tard, trop peu

Enfin, et surtout, l’essor des partis nationalistes, ou d’extrême droite, illustre un rejet désormais majoritaire, parfois massif dans l’opinion (et pas seulement à droite), de l’immigration extra-civilisationnelle, c’est-à-dire appelons un chat un chat, en provenance de pays musulmans. Une immigration sur-représentée, malheureusement, dans la délinquance et la violence politique, comme l’illustrent les meurtres, ou attentats commis au cris d’Allah Akbar en France, ou en Allemagne.

Les partis de gouvernement ont compris le message, qui durcissent depuis quelques années leur politique, en mode un pas en avant deux en arrière, à l’image du parti du Premier ministre Mark Rutte, aux Pays-Bas. Trop tard, trop peu aux yeux des Néerlandais, ce qui explique qu’il ait perdu le pouvoir. Noter, toutefois, qu’on peut être dur sur l’immigration sans être « facho » pour autant, comme l’illustre la politique suivie par la coalition de centre gauche au Danemark. Pays où, sans doute pas un hasard, l’extrême droite n’existe quasiment pas. Et un parti de gauche anti-immigration vient d’être lancé en Allemagne.

Enfin, les partis anti-système profitent de l’exaspération générale sur le niveau des impôts (sans proposer eux-mêmes grand-chose de convaincant sur ce point) pour des services publics déficients et l’appauvrissement de la classe moyenne, ou du moins la stagnation en Europe du revenu net disponible hors dépenses contraintes. Selon le cabinet GFk, le revenu brut moyen par habitant dans l’Union européenne était équivalent l’an dernier à 43 245 euros, soit 31 % de plus, inflation déduite, qu’au début du siècle. Une progression d’à peine 1,15 % par an. Aucune autre grande zone économique au monde n’a enregistré un résultat aussi piteux.

 

Le brun n’est malgré tout pas à l’ordre du jour

Tout cela augure-t-il d’une « vague brune », comme le redoutent les éditorialistes ? Encore faudrait-il pour cela qu’ils soient authentiquement « bruns », c’est-à-dire fascistes. Si les mots ont encore un sens, cela impliquerait qu’ils cochent peu ou prou les six principales cases de la définition du fascisme reconnue par les historiens :

  1. Endoctrinement de masse
  2. Chef charismatique
  3. Fusion État/Parti
  4. Refus du multipartisme
  5. Économie au service de l’État/nation
  6. Projet d’expansion territoriale, avec en option l’antisémitisme (le parti de Mussolini ne l’était toutefois pas jusque vers 1935).

 

À peu près aucun des partis concernés ne correspond à cette définition.

S’il n’y a pas lieu de craindre un retour du fascisme, concept hyper dévoyé par des gens à la culture historique quasi nulle, en revanche, cette vague a des aspects inquiétants.

Tout d’abord, s’il est légitime de critiquer les politiques d’immigration, ou de croire très aventureux une société multi-civilisationnelle, ces partis « populistes » s’appuient généralement sur un vieux fond xénophobe. Le racisme affleure derrière les discours devenus policés. En outre, ils sont pour la plupart, hormis en Italie, très indulgents envers le Kremlin, qui n’a clairement pas que la prospérité et la stabilité de l’Europe comme priorité.

Enfin, leurs programmes ne tiennent pas debout sur le plan économique, sauf là encore en Italie (dont le gouvernement Meloni ne s’est pas révélé être fasciste, au grand dam de Libé). En raison de l’insatisfaction légitime des citoyens devant le délabrement des services publics, ou la concurrence des industries étrangères, ils proposent simplement… davantage d’argent pour les services publics, sans s’interroger sur management, concurrence, etc, c’est-à-dire davantage d’impôts et de dette, comme si on n’était pas déjà au taquet là-dessus. Et succombent aux sirènes du protectionnisme sans visiblement réaliser que les pays protectionnistes, généralement, s’appauvrissent.

Bref, il n’existe pas encore de populiste libertarien européen à la sauce Javier Milei, élu président en Argentine, qui viendrait au moins dépoussiérer le débat, voire donner un coup de pied dans la fourmilière…

[Enquête II/II] Les victimes de Wagner au Mali souhaitent le retour de Barkhane

Cet article constitue la seconde partie de mon enquête sur le double ethnocide des Touareg et des Peuls au Mali, dont le premier volet a été publié le 20 novembre. Pour mieux comprendre l’effondrement sécuritaire et humanitaire que traversent les populations peules et touarègues du nord du Mali, j’ai interrogé les victimes de Wagner sur l’évolution de leurs conditions d’existence depuis le départ des Français.

Depuis deux ans, le régime putschiste installé à Bamako ne cesse d’accuser la France, tantôt de « néocolonialisme », tantôt d’« abandon », mettant en avant le slogan de la « souveraineté retrouvée du Mali ». Dans les faits, la junte de Bamako a transféré son autorité aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, et s’aligne publiquement sur les positions du Kremlin.

Au nord du Mali, les témoins Peuls et Touareg ont constaté une « amplification de l’insécurité » depuis le départ de Barkhane. Tous, à leur manière, m’ont confirmé que « les jihadistes ont repris du terrain » et que leurs attaques se sont « multipliées ». D’autre part, ils ont fait la connaissance des « monstres » de Wagner.

 

Les Forces Armées du Mali (FAMa) sous commandement russe ?

Sur le terrain en tout cas c’est limpide. Les témoins des crimes de Wagner ont pu observer à de nombreuses reprises la subordination des soldats maliens aux paramilitaires russes. Si les forces armées maliennes participent aux crimes de guerre des Wagner, il semble que les soldats maliens soient aussi victimes d’exactions de la part des paramilitaires russes.

Lorsque j’ai demandé aux victimes de Wagner de se souvenir comment ces derniers se comportaient avec les FAMa au moment des massacres et des pillages, j’ai entendu des réponses plus ou moins détaillées mais qui allaient toutes dans le même sens que celle donnée par ce berger peul : « les FAMa sont aux ordres des Wagner ».

Certains témoins ont décelé de la « frustration » parmi les militaires maliens tenus à l’écart lors des réunions de commandement ou forcés à obéir sous peine d’être torturés ou exécutés. Le 9 octobre 2023, à Anéfis, plusieurs civils ont vu 6 soldats maliens se faire égorger ou fusiller par des éléments de Wagner à la suite d’un désaccord sur le partage des biens pillés et sur le sort à réserver aux populations locales.

Le régime de Bamako n’a pas retrouvé sa souveraineté en rompant ses accords de coopération militaire avec la France. Il l’a transférée à une milice paramilitaire qui dirige, dans les faits, son armée régulière.

 

« Ne comparez pas Barkhane et Wagner. Ils sont comme l’eau et le lait » 

Les témoins Peuls et Touareg avec lesquels j’ai pu échanger ont vécu à proximité de bases militaires françaises qui ont été investies par le groupe Wagner et les Forces Armées Maliennes (les FAMa) à la fin de l’opération Barkhane. Ils décrivent l’arrivée de Wagner comme un changement de monde. Le professionnalisme de l’armée française a cédé la place à la barbarie des paramilitaires russes :

« La force Barkhane était respectueuse des gens, ils sont bien éduqués, polis. Barkhane aidait les gens. Wagner n’est comparable qu’avec l’armée malienne ou les terroristes. C’est des gens sans foi ni loi. »

« Barkhane ne s’attaque pas aux civils sans armes. Wagner attaque les civils et les animaux. Barkhane respect les droits de l’homme contrairement à Wagner à qui le gouvernement du Mali a donné carte blanche pour exterminer les touaregs et les arabes. »

« Wagner tue à sang froid, alors que barkhane au pire ils arrête et emmène les gens dans leur hélicoptère »

« Wagner et barkhane c’est ni le même comportement ni le même mode opératoire ni la même mission. Barkhane cherchais des terroristes. Tout ceux qui ont des liens avec les terroristes peuvent être arrêtés avec l’espoir de si aucune preuve irréfutable n’as été trouvé ils serrons remis en liberté mais Wagner c’est tout as fait le contraire. Tout ceux qu’elle croise en brousse sont des terroristes ou des rebelles qu’il faut abattre à tout prix. Tels sont les ordres qui leurs ont été donné par les militaires aux pouvoirs. »

« Barkhane donnait des médicaments et finançait des projets. Mais par contre Wagner brûlent, volent et torturent. »

 

Une armée régulière respectueuse des droits de l’Homme : avant son départ, l’armée française avait bâti des liens de confiance avec les populations locales

Au nord du Mali, le démantèlement de Barkhane a entraîné une hausse du chômage et de l’insécurité. Ceux qui ont côtoyé les soldats français témoignent de rapports respectueux et d’actions de solidarité qui contrastent considérablement avec les exécutions, les arrestations arbitraires et les pillages menés par le groupe Wagner :

« Barkhane respectait le DIH [Droit International Humanitaire] en t’arrêtant ils cherchaient d’abord les pièces d’identification, ils passaient tes doigts dans leurs machines ce qui permettait de t’identifier facilement, dès que cela est fait il te posait des questions de routines sur ton voyage, ta personne rien de compliqué. Mais c’est carrément tout le contraire avec Wagner qui est au service du gouvernement, il est en quelques sortes la Main de Guerre de ce gouvernement de Transition qui tue avec lâcheté les paisibles citoyens pour qui leurs seules crimes est l’appartenance au nord du Mali »

« Barkhane chez nous dans région Menaka et contribuait à la stabilite sociale. Elle faisait des patrouilles hors la ville et la ville était bien sécurisée. Ils organisaient des tournois entre eux et les quartiers et les quartiers entre eux même. Au faite l’idée de les chassés était une décision irréfléchie ils ont laissé un grand vide sur tout les plans »

« Les forces barkhane étaient présentes et avaient quelque interactions avec les populations en intervenant dans plusieurs domaine dont le principal était la sécurité mais aussi en faisant des programmes d’aide sociale. »

« Barkhane était dans notre zone. J’étais dans la zone de Bir Khan de 2014 à 2019, et je n’ai vu aucun mal de Barkhane envers les habitants. Au contraire, j’y vois un soulagement et une sécurité pour la zone. Par exemple, il a sécurisé la voie publique, et je ne l’ai jamais vu arrêter un innocent. Je les ai également vus effectuer des patrouilles d’infanterie à Birr presque la nuit. Il était 3 heures du matin, mais aucun d’eux ne m’a parlé. »

« Chez nous a douentza, barkhane finançait les projets, ils sont humains »

« Les forces barkhane nous soutenait, ils nous apportait les nourritures et médicaments »

 

La grande majorité des victimes de Wagner interrogées souhaitent le redéploiement de Barkhane au Mali

Les réponses des victimes de Wagner tranchent singulièrement avec la propagande anti-française de la Russie, et avec les mots durs de la junte bamakoise sur la coopération militaire entretenue ces dix dernières années avec la France.

À la question fermée « êtes-vous favorable à une intervention de l’armée française et des armées européennes pour neutraliser Wagner » je n’ai pas reçu une réponse négative. La grande majorité des témoins que j’ai interrogés m’ont répondu « oui » (« oui, que Dieu fasse », « Oui et dans le plus vite », « Oui, oui, oui, oui, oui », « oui, à 1000 % et je les soutiendrai de toutes mes forces », « totalement, oui »…) sans distinction d’ethnie ni de classe sociale. Qu’ils soient Peuls ou Touaregs, notables en exil, chômeurs, bergers, mères au foyer, les victimes de Wagner et de la junte bamakoise sont favorables au redéploiement de la mission anti-terroriste de Barkhane et ont vécu son retrait comme une « erreur » et un « abandon ». Sur l’ensemble des témoins que j’ai consultés sur cette question, je n’ai pas entendu une réponse négative. Un jeune commerçant et une mère au foyer Touareg ont apporté des nuances à l’élan d’enthousiasme que ma question suscitait chez leurs coreligionnaires. Le premier m’a confié douter que la France n’intervienne. Selon lui « Le problème est que Wagner représente la Russie et aucun pays du monde n’osera s’attaquer au Wagner car s’attaquer au Wagner c’est s’attaquer à la Russie « . La seconde m’a confié qu’elle était plus favorable à une solution diplomatique qu’à la « voie des armes et de la force ».

Il ne s’agit bien sûr que d’un symbole, leurs témoignages (rapportés, qui plus est) ne pouvant servir de mandat. Cependant leurs réponses permettent de nuancer la propagande anti-française déployée par les juntes sahéliennes, par les médias africains anciennement financés par la galaxie Prigogine et par les discours de Moscou présentant la France comme une puissance coloniale en Afrique.

Depuis 2016, la Russie a réinvesti le continent africain en se présentant comme une alternative à l’« impérialisme français » en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso… En instaurant un régime de terreur au nord du Mali, les paramilitaires de Wagner ont contribué à faire renaître un sentiment pro-français. La présence militaire française au Sahel n’a pas été sans bavures, mais contrairement à Wagner, les soldats français respectaient, soutenaient et protégeaient les populations locales. Et elles s’en souviennent.

Pourquoi les activistes mentent-ils ?

Nous entendons toujours les ONG dire que nous ne pouvons pas faire confiance à l’industrie, que nous devons exclure les preuves de l’industrie, ou que les lobbyistes de l’industrie répandent la tromperie et le mensonge. On nous rappelle constamment les quelques cas où des acteurs de l’industrie ont menti ou dissimulé des informations importantes au cours du siècle dernier.

Mais j’ai travaillé dans l’industrie pendant 15 ans et je n’ai rien vu de tel. Au contraire, j’ai vu une application stricte des pratiques éthiques, le respect des codes de conduite, et des efforts sincères pour développer la gestion des produits et le développement durable.

J’ai également vu de nombreux activistes répandre des mensonges à notre sujet. Il est intéressant de noter que ces ONG n’ont pas de personnel ayant travaillé un seul jour dans de grandes entreprises. On aurait pu penser que si elles avaient recruté des exilés, des anciens de l’entreprise dans leur organisation, elles auraient fait défiler ces précieux veaux d’or devant les médias pour qu’ils racontent leurs histoires d’horreur de première main. Si l’industrie était un tel bastion de menteurs malveillants et cupides, les personnes dotées d’une conscience morale auraient certainement quitté l’entreprise et rejoint ces missionnaires pour répandre leur credo vertueux et leur sainteté.

Rien…

Au lieu de cela, nous entendons régulièrement des histoires de dirigeants d’organisations militantes qui quittent des ONG comme Greenpeace, Friends of the Earth ou Extinction Rebellion, désillusionnés par les incohérences avec la réalité et le manque d’intégrité morale (Moore, Tindale, Lynas, Zion Lights…).

 

Pourquoi mentent-ils ?

Il ne s’agit pas seulement des mensonges que les activistes racontent au public sur ce qui se passe à l’intérieur des entreprises, ou des mensonges sur qui finance leur lobbying vert (et de combien).

Les militants mentent quotidiennement sur la viabilité de leurs solutions alternatives, comme par exemple :

  • l’énergie éolienne et solaire peut facilement remplacer l’énergie produite par les réacteurs nucléaires ;
  • les aliments biologiques sont meilleurs pour la santé humaine et l’environnement ;
  • l’interdiction de tous les plastiques est bénéfique pour la société et la nature ;
  • les solutions apportées par les semences ou les modifications génétiques n’offrent aucune valeur agricole ou écologique ;
  • les traces de certains produits chimiques doivent être considérées comme des perturbateurs endocriniens ;
  • l’agroécologie nourrira le monde et arrêtera le changement climatique.

 

Toutes ces affirmations sont des mensonges éhontés, diffusés sciemment et sans relâche. Certains mensonges, comme ceux sur le PVC, les perturbateurs endocriniens et les OGM, sont répétés depuis 30 à 40 ans, tandis que les exagérations sur les risques liés à l’énergie nucléaire durent depuis plus de 60 ans. À force de mentir sur plusieurs générations, ces militants aux cheveux grisonnants doivent être moralement épuisés.

La question se pose donc : ces militants sont-ils des récidivistes immoraux, qui ne jurent que par la tromperie et les subterfuges pour gagner leurs campagnes et répandre leur dogme ? Sont-ils des menteurs invétérés sans aucune conscience ? Pourquoi mentent-ils continuellement et en sont-ils même conscients ? J’ai soulevé cette question lorsque un grand groupe d’ONG a mené une campagne pour que la Commission européenne produise une législation visant à empêcher l’industrie de faire de l’écoblanchiment, tout en semblant complètement ignorer le niveau d’écoblanchiment auquel se livrent leurs propres militants.

J’aimerais penser positivement aux motivations de ce groupe d’acteurs influents et supposer qu’il y a d’autres éléments en jeu que la simple horreur ou la stupidité pure et simple. Tous les défenseurs de l’environnement n’appliquent pas la méthode de communication en dix étapes de Joseph Goebbels. Il existe peut-être plusieurs types de mensonges ou de circonstances mensongères que les zélotes ne reconnaîtraient même pas comme un défi moral.

 

15 explications pour tenter de comprendre pourquoi les militants mentent

 

Des mensonges blancs pour des anges blancs

La vertu est un filtre de faits fascinant. Lorsqu’une personne a le sentiment de faire le bien ou de lutter contre le mal, tout ce qu’elle fait et dit est justifiable, indépendamment du manque de véracité ou de preuves.

Un activiste qui s’attaque à l’industrie est prêt à accepter et à communiquer tout soupçon de doute ou d’incertitude sur une entreprise, un produit ou une substance ciblée. Dans la guerre du bien contre le mal, tout double standard ou hypocrisie peut être excusé. Nous voulons croire ceux que nous considérons comme vertueux et nous sommes supposés douter de toute personne qui ne partage pas notre base de valeurs. C’est le carburant qui alimente la stratégie de l’argumentum ad hominem des activistes : je n’ai pas à prendre en compte vos « faits » parce que vous avez été acheté par l’industrie (autrement dit, vous êtes mauvais).

 

« Ce n’est pas un mensonge si vous y croyez. »

Le sage George Costanza a fait cette observation philosophique dans la série télévisée Seinfeld. Et comme George, les gens peuvent croire beaucoup de choses stupides, surtout s’ils sont vulnérables ou désespérés.

Le manuel de la secte verte fournit un système de croyance complexe à ceux qui cherchent religieusement un sens et une vertu à leur vie. Cela les rend vulnérables aux missionnaires volontaires qui les amènent habilement dans leurs centres d’intérêt. Ces innocents ne peuvent pas imaginer que leurs attaques sur les réseaux sociaux contre ce qu’on leur a dit être des menaces pour toute l’humanité (une fusion nucléaire ou un produit chimique destructeur comme le glyphosate) puissent être fausses.

 

Verrouillage de la réalité narrative

Un autre grand philosophe, Bertrand Russell, a parlé de la façon dont la réalité change lorsque nous voyons le monde à travers des lunettes roses.

Aujourd’hui, nous parlons de la façon dont notre narration crée de la valeur et de la cohérence pour les histoires que nous racontons. Le sens du bien et du mal qui découle de ces histoires filtre alors ce que nous sommes prêts à croire comme vrai ou faux (et défendre ce qui est « vrai » devient une décision morale). Ainsi, si votre récit vous a convaincu que l’industrie ment toujours, qu’elle n’agit que par pure cupidité, et qu’elle ne se soucie pas de la sécurité des êtres humains et de l’environnement, vous amplifierez facilement toute fausse allégation contre les acteurs de l’industrie et ferez de grands efforts pour réfuter ou diminuer toute allégation factuelle que vos opposants pourraient faire.

Ce verrouillage de la réalité narrative fait qu’il est pratiquement impossible pour les individus de reconnaître qu’ils répandent des mensonges.

 

Distorsion dans la chambre d’écho

Les réseaux sociaux ont rendu la diffusion des cultes beaucoup plus facile et plus banale.

Les algorithmes m’ont filtré dans des groupes en ligne de personnes partageant les mêmes idées que moi, m’empêchant d’entendre des opinions contraires ou de poser des questions qui pourraient me donner des réponses inconfortables. Ces chambres d’écho définissent nos vérités et rendent impossible la compréhension d’autres modes de pensée. En buvant le Kool-Aid fourni par nos gourous des réseaux sociaux et en partageant les mensonges, nous n’avons aucune idée de la façon dont notre réalité a été déformée. Dans les premiers temps de la socialisation de l’internet, j’avais parlé de l’Ère de la Stupidité (avec le défi de ne jamais pouvoir discerner si je ne suis pas, en réalité, la personne stupide). Aujourd’hui, c’est simplement la réalité avec laquelle nous devons travailler.

 

Hyperbolisation

Les récits de pêche ont l’habitude de transformer rapidement les vairons en baleines. Plus une histoire est répétée, plus elle est embellie.

Ainsi, un petit risque de cancer dû à un résidu de pesticide, une fois amplifié et partagé des milliers de fois, devient une certitude. Les possibilistes utilisent cette technique pour transformer de lointaines possibilités d’un danger en probabilité réelle d’un risque… invoquant alors le principe de précaution. Avez-vous besoin d’une bonne raison quand vous pouvez effrayer les régulateurs simplement avec une « raison suffisante » ?

Prenons, par exemple, les histoires de peur concernant les perturbateurs endocriniens. On nous dit que nous ne savons tout simplement pas si certains produits chimiques ou plastiques sont des perturbateurs endocriniens possibles (à faibles doses, avec des effets cocktails possibles) et qu’il faut donc prendre des précautions pour tous les produits chimiques de synthèse. Mais il y a aussi une seule tasse de café, un perturbateur endocrinien connu, qui contient plus de 1000 substances chimiques.

Comme l’a dit Bruce Ames :

« Ils ont identifié un millier de substances chimiques dans une tasse de café. Mais sur ce millier, nous n’en avons trouvé que 22 qui ont fait l’objet de tests de cancérogénicité sur des animaux. Et parmi eux, 17 sont cancérigènes. Une tasse de café contient 10 milligrammes de substances cancérigènes connues, soit plus de substances cancérigènes que vous pouvez absorber par les résidus de pesticides pendant un an ! »

Mais comme ces substances chimiques sont naturelles et que nous apprécions les bienfaits de notre tasse de café, personne n’exagérera les risques.

 

L’ingénierie des faits

Les personnes qui estiment qu’elles doivent avoir raison manipuleront les faits pour les faire correspondre à ce qu’elles veulent croire.

Dans la communauté scientifique, cette pratique est parfois connue sous le nom de cherry picking (cueillette de cerises ou picorage). Si vous étalonnez votre chromatographe de la bonne manière et que vous limitez vos paramètres d’essai, vous pouvez prouver ou réfuter ce que vous voulez. C’est ainsi que des études de « qualité Ramazzini » sont produites et publiées sur les risques du glyphosate, de l’aspartame, des PFOS [des polluants éternels], du PVC et d’autres produits chimiques, affirmant qu’ils sont cancérigènes, perturbateurs endocriniens (« chez les souris »), toxiques pour d’autres espèces… et personne ne s’interroge sur les motivations de ceux qui sont à l’origine de ces recherches. Et si cela permet de financer votre laboratoire ou de nuire à une industrie que vous méprisez, c’est tant mieux.

 

Les adeptes de l’exceptionnisme excluante

Mais supposons qu’une trace de glyphosate trouvée dans un bol de céréales présente un risque minime de cancer, ou qu’un revêtement de boîte en plastique puisse, à haute dose, être un perturbateur endocrinien.

Les scientifiques militants qui publient ces résultats savent parfaitement que l’équivalence toxique de ces expositions chimiques est insignifiante par rapport à la cancérogénicité connue ou aux perturbations endocriniennes provoquées, par exemple, par la consommation d’une tasse de café (voir ci-dessus).

Alors pourquoi ne discutent-ils pas de la pertinence de leurs résultats dans le contexte d’équivalences toxiques pertinentes ? Ils excluent les comparaisons avec le monde réel parce que cela n’a jamais été l’objectif de leur recherche ou de leur financement. L’objectif de la recherche militante est de démontrer qu’un produit chimique est présent et qu’il n’est pas sûr à 100 %.

Comme ils ne sont pas des gestionnaires de risques, ces chercheurs estiment qu’il n’est pas de leur ressort de discuter de ce qui est réellement sûr (ou même de ce que signifie « sûr »). Pendant ce temps, les opportunistes qui financent leur recherche citent les résultats de ces études, amplifiant les niveaux de danger pour capitaliser sur les peurs partagées de leurs publics. Je ne vois pas ces scientifiques célèbres se lever pour corriger les déductions de risque scandaleuses émanant de leur travail. Ils n’ont pas été payés pour le faire.

 

Raisonnement anintelligent 

Il existe une différence importante entre l’inintelligence (ne pas être intelligent) et l’anintelligence, définie comme « la capacité d’acquérir et d’exprimer des idées fondées sur des associations limitées, sans informations ou recherches appropriées. Les personnes qui confondent anecdotes et preuves, qui pensent que l’intuition fournit une bonne raison et qui peuvent facilement rejeter les contradictions internes sont anintelligentes.

Les idées anintelligentes ont prospéré avec l’essor des réseaux sociaux, permettant aux personnes vulnérables à la recherche d’un confort intellectuel au sein de leurs communautés tribales de justifier des décisions ou de faire des déclarations sans faits, ressources ou analyse critique. Ce cadre conceptuel faible permet aux groupes militants de répandre facilement des mensonges dans leurs campagnes sans que leurs fidèles anintelligents n’y prêtent attention.

 

Pureté idéologique

Les militants, par définition, sont empreints d’idéologie. Chaque principe de leur dogme doit être cohérent (logiquement et politiquement). Il doit être pur pour être efficace dans les campagnes (l’accent est mis ici sur le mot doit, car cela crée une pression supplémentaire sur le processus cognitif).

Un pragmatique, en revanche, prendra en compte tous les arguments, honnêtement, et essaiera de trouver la meilleure décision, sachant qu’il travaille dans un monde imparfait. Les idéologues pensent déjà connaître la meilleure décision et ne choisissent que les faits qui peuvent la justifier. Les activistes excluront donc toute preuve susceptible de contredire ou de remettre en question leur fondamentalisme.

Les partisans de l’agroécologie, par exemple, lorsqu’ils ont été confrontés aux avantages de l’édition de gènes dans l’amélioration des plantes, ont dû l’exclure de leur doctrine parce qu’elle favoriserait l’implication de l’industrie dans l’agriculture, laquelle n’est pas conforme au dogme. L’OMS a créé une génération de mauvaises recherches contre le vapotage parce qu’elle ne pouvait pas risquer de compromettre ses réalisations en matière de dénormalisation de l’industrie du tabac.

Mais en refusant tout ce qui n’est pas conforme à leur dogme fondamentaliste, ils infligent d’énormes dommages aux personnes et à l’environnement.

 

Animosité viscérale

Trop souvent, les activistes sont animés par une rage déclenchée par un événement personnel. L’un des exagérateurs les plus énigmatiques de Bruxelles est Martin Pigeon. Lors d’un échange avec ce guerrier toxique fumeur à la chaîne, j’ai découvert que ce qui motivait sa haine contre l’industrie n’était pas que les lobbyistes étaient payés pour représenter les entreprises, mais qu’ils étaient mieux payés que lui.

Dans le cadre de son lobbying intensif (pour bloquer le lobbying des entreprises), Pigeon a admis avoir dissimulé des informations sur les personnes qui payaient ses factures au Corporate Europe Observatory (comme lorsqu’il a payé des journalistes tels que Stéphane Horel ou utilisé Chris Portier pour contester l’évaluation des risques de l’EFSA en sachant pertinemment que les dépenses de recherche de ce dernier étaient couvertes par des cabinets d’avocats américains qui profitaient des procès intentés contre Monsanto).

Pour quiconque est rempli d’une telle haine, d’une telle rancœur et d’une telle indignation, le mensonge et la tromperie pour nourrir cette animosité profondément ancrée sont le cadet des soucis.

 

L’opportunisme machiavélique

La fin justifie les moyens et si un militant est en mission (par exemple, pour détruire une industrie que son organisation n’a cessé d’attaquer), il est parfaitement justifié d’être économe de la vérité.

Pour les ONG environnementales, l’objectif de leurs campagnes est de gagner (plutôt que de trouver un compromis pour améliorer la situation). Et si gagner signifie devoir mentir, dissimuler des informations, déformer des faits ou tromper le public, alors c’est ce qu’il faut faire. J’entends souvent des personnes justifier leur comportement malhonnête en disant : « Monsanto ment tout le temps ! ». Lorsqu’il s’agit de gagner, le fanatique ne se soucie pas de savoir si l’environnement ou la santé humaine souffrent des conséquences de ses campagnes (comme les problèmes de sécurité alimentaire liés à ses convictions en faveur de l’agriculture biologique ou la pauvreté énergétique liée à ses actions antinucléaires).

 

Patriarches intellectuels arrogants

Le monde universitaire regorge de « menteurs titularisés » qui ont consacré leur vie à la recherche d’une théorie.

Dans leurs jours de gloire, ils ont formé des générations de post-docs en adoration devant eux qui s’appuient sur l’autorité et le génie de leur professeur pour progresser dans leur propre carrière.

Mais que se passerait-il si l’on découvrait que tout ce qu’ils ont étudié, publié, enseigné… est erroné ? Il faudrait une grande humilité pour que quelqu’un admette qu’il a été prouvé qu’il était dans l’erreur. Étant donné le niveau élevé d’orgueil des universitaires, cela arrive rarement. Au contraire, les preuves légitimes sont souvent supprimées ou déformées pour éviter de nuire à leur réputation, les débats se transformant en attaques ad hominem. La campagne sur les perturbateurs endocriniens, qui entre dans sa troisième génération de patriarcat, en est la preuve la plus évidente. Les grands-pères de cette campagne admettraient-ils un jour les faits qu’ils ont cachés ou passés sous silence afin de préserver leur héritage ? De tristes créatures qui s’accrochent aux branches.

 

Mensonges incitatifs

Suivez la trace de l’argent ! Si un trust ou une fondation vous paie pour créer de l’incertitude, et que vous pensez que tous les autres mentent, alors la tromperie est perçue comme faisant partie du processus.

Aujourd’hui, des scientifiques militants sont financés par des groupes d’intérêt, des ONG et des cabinets d’avocats américains spécialisés dans la responsabilité civile pour mener des études destinées à fournir des preuves prêtes à l’emploi afin d’influencer les politiques, les juges, la perception du public et les processus de production. En l’espace de cinq ans seulement, par exemple, ce financement a transformé 50 années de données de recherche montrant un impact très faible du glyphosate en une glyphystérie selon laquelle l’herbicide est désormais responsable de pratiquement tous les problèmes d’environnement et de santé humaine.

Le monde de l’activisme est rempli d’argent gagné pendant les bulles boursières et cryptographiques, qui se répercute maintenant sur les réseaux connectés. Si l’on jette suffisamment d’argent sur des militants en colère et désorientés, on peut créer des cultes capables de convaincre suffisamment de personnes vulnérables de dire et de faire n’importe quoi.

 

L’intransigeance des zélotes

Imaginez que vous fassiez campagne contre un produit chimique, un processus ou un produit pendant trois décennies sans succès.

Le Riz Doré est commercialisé et célébré, l’énergie nucléaire continue d’être essentielle à la plupart des mix énergétiques, les édulcorants artificiels sont utilisés dans davantage de produits aidant les gens à perdre du poids… Les personnes normales accepteraient de s’en aller si la science ou la volonté du public n’est pas de leur côté. Mais les fanatiques ne peuvent tolérer quoi que ce soit de contraire à ce qu’ils exigent, pas plus qu’ils ne pourraient accepter que quelqu’un contredise leur vision du monde. Ils redoublent donc d’efforts, se battent plus durement et déforment encore plus la vérité. Le meilleur exemple est celui d’un réseau de militants anti-OGM allemands qui continuent à se battre tout en acceptant que la science ne soit pas de leur côté. Le Risk-monger a récemment publié un document stratégique interne montrant comment ces militants reconnaissent que les faits scientifiques jouent en leur défaveur, que les régulateurs assouplissent les restrictions sur l’amélioration des plantes et que leur campagne de plusieurs décennies a échoué.

Alors, en guise de réponse, ces ONG vont-elles s’en aller et faire quelque chose de plus productif de leur temps ? Non, pas du tout. Leur nouvelle approche consiste à redoubler d’efforts, à essayer de changer le discours et à transformer le débat sur les biotechnologies en une question de droits sociaux.

 

Parce qu’ils peuvent s’en tirer sans conséquences

L’un des éléments clés de la confiance est l’intention. Si quelqu’un fait campagne avec ce qui est perçu comme les meilleures intentions, nous sommes moins sévères dans nos jugements (et tenter de sauver le monde est perçu comme une sacrée bonne intention).

Les ONG se présentent comme des organisations de surveillance bénévoles. Si mon chien de garde aboie à la lune 99 fois sur 100, je le tolère car son intention est de me protéger… et le fait d’avoir raison une fois est même célébré. Le principe de précaution correspond à cet état d’esprit « mieux vaut prévenir que guérir ».

En revanche, si les scientifiques de l’industrie commettent une erreur une fois sur un million, c’est tout à fait inacceptable et il faut changer les choses. Sachant qu’ils peuvent s’en tirer en mentant, en exagérant ou en déformant leurs propos, les activistes prennent des libertés avec la vérité que personne d’autre n’oserait jamais prendre, en espérant que, une fois, ils auront raison. Et s’ils se trompent (encore) et que les gens ou l’environnement en pâtissent, cela n’a pas d’importance puisque personne ne les tiendra pour responsables des mensonges qu’ils ont répandus.

 

L’intégrité est-elle importante ?

Dans « La cupidité, les mensonges, et le glyphosate : les Portier Papers », après avoir démontré la méchanceté de certains opportunistes, j’avais conclu que « l’intégrité ne paie pas le loyer ». Quelle que soit la raison pour laquelle les activistes mentent, excluent des informations ou justifient leurs actions opportunistes, à un moment donné, les personnes qui s’efforcent d’être bonnes devraient entendre une petite voix dans leur tête qui leur dit que ce qu’elles font n’est pas juste. C’est l’intégrité qui ronge la conscience d’une personne.

Où est l’intégrité dans ces débats sur l’environnement et la santé où le mensonge est devenu si courant ?

Si vous êtes en colère contre le système, si vous estimez que les pouvoirs en place sont injustes et corrompus, si vous pensez que le monde est dirigé par des menteurs et des voleurs avides, alors cette petite voix dans votre tête est facilement réduite au silence par la perception d’éléments extérieurs. Je comprends et je compatis avec ces personnes qui voient le monde à travers un prisme aussi sombre.

Mais leur rage et leur insensibilité, quelle qu’en soit la raison, ne peuvent justifier que l’on fonde les politiques publiques sur leurs mensonges furieux ou sur une idéologie tordue qui nuira aux agriculteurs, aux consommateurs, à l’environnement et aux personnes les plus vulnérables. Ces fanatiques sont libres de croire et de dire aux gens ce qui les rassure, mais le reste d’entre nous n’a pas à les écouter ou à leur prêter attention (pas plus que nous ne devrions écouter les créationnistes ou les tenants de la terre plate). Les régulateurs n’ont aucune raison de tolérer leurs exagérations émotionnelles et leurs fictions dramatiques dans le processus d’élaboration des politiques.

L’intégrité se trouve dans le respect des faits et de la réalité.

[Enquête] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Le Mali du colonel Assimi Goïta est devenu une colonie de Moscou. Depuis bientôt deux ans, le groupe Wagner, bras armé de l’impérialisme russe en Afrique, y sème la terreur et ne cesse de monter en puissance. Ses actions destructrices ont des conséquences désastreuses pour la stabilité des pays du golfe de Guinée, du Maghreb et du sud de l’Europe.

Cet article représente le premier volet d’une enquête au long cours destinée à être publiée en 2024 sous une forme beaucoup plus exhaustive. L’actualité récente de la prise de Kidal par les terroristes de Wagner le 14 novembre dernier m’a conduit à bouleverser mon calendrier pour sensibiliser le grand public au sujet d’un double ethnocide qui a lieu en ce moment même au sud des frontières européennes, dans le grand voisinage de l’Europe.

 

Pourquoi enquêter sur les victimes de Wagner au Mali

Depuis le retrait de la force Barkhane, le régime putschiste installé à Bamako s’appuie sur le groupe paramilitaire russe Wagner pour se maintenir au pouvoir et régler des comptes historiques avec deux groupes ethniques : les Peuls et les Touareg.

Moura, Hombori, Logui, Tachilit, Ber, Ersane, Kidal, Tonka… ces noms de lieux sont devenus synonymes de carnages pour des milliers de civils issus de ces deux ethnies. Tout se passe exactement comme si le régime d’Assimi Goïta avait planifié et mis en œuvre le massacre systématique de tout individu targui et peul. Hommes, femmes et enfants sont ciblés sans distinction, pourvu qu’ils soient des Touaregs ou des Peuls.

Ces six derniers mois, j’ai pris contact avec des centaines de victimes de Wagner pour recueillir leurs témoignages. Ces témoins sont majoritairement des hommes originaires de Tessalit, Tombouctou, Gossi, Gao, Kidal et Ménaka, communes du nord du Mali qui étaient sécurisées par l’armée française jusqu’en 2021/2022. La plupart d’entre eux ont fui leurs villes et leurs villages pour se réfugier dans des pays limitrophes en Afrique de l’Ouest (Mauritanie, Niger), en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie) et même en Europe du Sud (France). Ceux qui sont restés vivent dans l’épouvante au quotidien. Tous sont polytraumatisés. Leurs récits nous renseignent sur les méthodes sanguinaires de l’impérialisme russe en Afrique. Les citations rapportées sont directes, il n’y a aucune reformulation. J’ai aussi laissé les fautes d’orthographes, lorsqu’elles proviennent de témoignages écrits. Les prises de parole que j’ai retranscrites ou restituées ici émanent toutes d’individus qui ont pris des risques en dialoguant avec moi et en acceptant que leurs récits soient publiés. Il ne s’agit que d’une petite partie des témoignages que j’ai recueillis. Je n’ai volontairement donné aucune indication précise sur les identités et les lieux de vie des témoins, pour ne pas les exposer ni exposer leurs familles à des représailles certaines.

 

Exécutions sommaires, tortures, pillages, viols : récits des premiers actes commis par les Wagner à leur arrivée dans des communes peuplées de Peuls ou de Touareg

Les Wagner dominent par la terreur. Les témoignages de leurs arrivées dans une commune Peule ou Targui comportent de nombreuses récurrences sur leurs modes opératoires. De nuit ou de jour, ils commencent par épouvanter la population locale en tuant des innocents sous couvert de lutte contre le terrorisme. Ensuite, ils détruisent les ressources locales et procèdent à des pillages et à des viols :

« Le jour de leur arrivée ils ont commencé par exécuté 9 personnes dont 3 vieux et 2 enfants. Les autres jours ils entrent dans les maisons pillent les commerces , chaque [jour] ils abattent parmi nos animaux pour leur cuisine. »

« Ils sont venus avec les militaires maliens. Sans chercher à comprendre, ils ont tués des innocents. Ça a été tellement rapide ! Les hommes ont été envoyés loin du village, ensuite les femmes ont été choisies comme des mangues au marché, uniquement pour nous violer. J’ai été violée par 5 hommes pendant 2 h de temps . Mon époux était parmi les personnes tuées. »

« Ils sont venus chez nous après une attaque contre l’armée malienne. Suite aux interrogations, ils ont amenés 14 personnes, des peuls, Touaregs et arabes et jusqu’à présent personne d’entre eux n’est jamais revenu. Bientôt un an Sans aucune nouvelle d’eux. Ils ont des familles, des épouses et des enfants. C’est vraiment déplorable. »

« Ils sont rentrés dans mon village pendant le jour du foire hebdomadaire avec des hélicoptères et chasseurs de DJENNÉ sur les motos , ils ont cernés le village, commencé a tiré sur tout le monde au marché. Ceux qui ont fuit pour se réfugier dans la brousse ont croisés les chasseurs et Wagner et militaires, ils ont été tués immédiatement. Ceux qui se sont réfugiés au village ont été capturés vivants, brûlés vivants sans motif. Chez nous, l’état avait abandonné le lieu pendant 9 ans , tout le monde était sous Influences des djihadistes. Au lieu de nous protéger, ils ont tués des gens comme des animaux. Après avoir tués les gens, ils ont tout pillé et abandonnés les corps dans la brousse et dans les rues. C’était désastreux ! Ceux [Ce] qu’ils disent à la télé n’est que la moitié du nombre de personnes tuées. »

« Quand les wagner sont tombés dans une embuscade sur la route principale de niono , après qu’il y’a eu des morts parmi eux , un convoi s’est dirigé à Ségou pour amener les blessés à l’hôpital et dépose les cadavres a la morgue et le second convoi s’est dirigé dans notre village. Ils ont fait une descende musclée chez un marabout peul qui enseigne les élèves coraniques, après avoir rentré , ils n’ont parler à personne. Ils ont fait le tour de la maison , fouiller les chambres et finit par enlevé 4 élèves coraniques ,tous des peuls , j’ai grandi avec eux au village. Deux ont été amenés à Ségou jamais retourner, et les corps sans vies de deux autres abonnés à la sortie de la ville. C’était la PANIQUE au village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous , ils disaient que notre communauté informait les djihadistes mais c’était faux. Tous les jeunes et vieux ont été ramenés a 3 km de la ville , pour poser des questions que nous n’avons pas eu de réponse . Ils demandaient pourquoi nous informait les djihadistes ? Nous avons répandu que nous ne connaissons pas de djihadistes. Ils ont tiré avec une arme sur les pieds de 3 personnes dont un a succombé après quelques jours, un à perdus son pied et le troisième n’est toujours pas guéri. Ils m’ont frappé avec un bâton, j’ai des cicatrices sur ma tête actuellement. Après leurs auditions, ils n’ont pas laissé un seul animal, ils ont tous pris ».

« Mon ami tamachec à été tué chez lui et sa femme à été violée par les hommes de Wagner. Il n’a rien fait, son seul tord est d’être né avec la peau blanche. Ils l’ont soupçonné d’être en contact avec les djihadistes. C’était faux. »

« Après avoir été attaqués par les djihadistes qui a causés des pertes de vies dans leur rang , ils sont venus pour se venger des peuls sans motif . Brûlés nos champs, nos maisons et emportés nos animaux. »

« Wagner est arrivé dans mon village, ils cherchaient quelqu’un qui avait été indiqué mais absent depuis 6mois. Après avoir finit de questionnés les Villageois, ils voulaient amenés les femmes dans une maison et les violés. Quand nous nous sommes opposés, ils ont abandonnés l’idée en s’attaquant aux jeunes pourqu’ils disent s’ils ont vues l’intéressés. Moi étant le fils du chef de village, ils m’ont amené en brousse, me torturé et me laisser pour mort et continue leur route. Trois jours plutard, nous avions appris qu’ils arrivent, nous avons fuit en laissant tout derrière nous. Ils sont rentrés au village avec les militaires maliens et brûlés le village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous, ils nous ont d’abord demander de nous écarté des animaux. c’etait en brousse ! Lorsqu’ils ont commencés à poser des questions, l’un d’entre nous par peur à voulut s’enfuir, et sans hésiter, ils l’ont tirer à bout portant au dos. Il est mort sur place. Ensuite ils ont demandé à mon frère aîné Mohamed  [le prénom a été changé] de se déshabiller, lui voulait savoir pourquoi, ils ont mis une balle en tête. Je tremblait jusqu’à ce que j’ai pissé sur moi. Ils ont embarqué tous les animaux, et me mettre une balle au pied droit. Comme ce n’était pas loin de la ville, je me suis débrouillé Pour rentré en ville, mais j’avais perdu tellement de sang que je me suis évanoui et me réveiller à l’hôpital. Nos parents ont enterrés les corps. »

« Ma Femme à fait une fausse couche et elle a perdue notre bébé de 4 mois. Plusieurs personnes ont été blessés parce qu’elles voulaient au moins récupéré leurs bien dans les maisons qui étaient entrain d’être brûlés par les Wagner »

 

Vivre sous le joug de Wagner : « la peur est devenue notre quotidien »

Avant l’arrivée de Wagner, les témoins que j’ai interrogés avaient une profession ou étudiaient. Ils étaient bergers, commerçants, comptables, réparateurs de motos, vendeurs en boutique, transporteurs, gardiens, étudiants. Aujourd’hui ils ont perdu leurs emplois et leurs ressources. Les étudiants ne vont plus à l’université. Leurs familles sont détruites : ils ont vu des proches se faire assassiner, violer, torturer. Certains éduquent les « bébés Wagner », ces enfants qui sont nés après les viols.

Voici comment ils décrivent leur quotidien :

« Je n’ai plus de vie, je n’arrive pas à faire enlever les mauvais souvenirs en tête. J’ai vu mes parents et amis brûlés vivants par les hommes blancs, militaires maliens et chasseur. »

« Toujours dans la peur de se faire massacrer. Les Wagner tuent des gens partout où ils passent. »

« Les mercenaires ont changé notre train de vie, Tu ne peux plus penser à voyager à l’intérieur de la Région sans que tu ne crains pour ta vie, ils sont devenu les cauchemar des populations depuis leurs arrivés à Ber dans la région de tombouctou »

« Ma vi cest la dépression, des sentiments de nostalgie, la souffrance psychique »

« L’élément majeur c’est l’asile de tous mon village en Mauritanie. »

« Nous avons souffert de l’expulsion de nos familles vers des camps de réfugiés par peur de l’oppression financière et de l’oppression de Wagner. Nous avons perdu nos emplois, nos villes et nos vies auxquelles nous étions habitués, tout comme nos enfants ont perdu leur éducation. »

« A cause de wagner, notre communauté à été obligée de fuir. Nous sommes victimes de racisme sans nom par ce que nous sommes des Touaregs»

« L’image de la Scène est toujours devant mes yeux. Mon meilleur ami et collaborateur à été tué et sa femme violée. C’est terrible ! »

« Nous n’avons plus de travail, animaux et maisons à cause de Wagner. Ils ont bafoués notre dignité en Violant nos sœurs et épouses sous nos yeux »

« Ils m’ont pris des amis et à cause d’eux les peuls de notre village qui ont cohabiter avec nous pendant plusieurs générations ont fuit. Ce n’était pas des djihadistes. »

« Ils nous ont tout pris. Celui qui brûle ton village t’a humilié et détruit ta vie. »

« Ils m’ont rendus rancunier et fou»

« Wagner à détruit notre avenir. Jamais nous ne pardonnons »

 

Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako

J’ai demandé à tous les témoins que j’ai consultés si pour eux, la Russie était responsable des actions de Wagner. Bien que les sociétés militaires privées soient interdites en Russie, le groupe Wagner a bien été créé pour servir les intérêts de Moscou de façon officieuse. Cette ambiguïté n’existe plus depuis que le président Poutine a signé un décret contraignant les groupes paramilitaires à jurer « fidélité » et « loyauté » à l’État russe, deux jours après la mort du chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine. Il restait à savoir si elle subsistait sur le terrain. Elle n’existe pas. Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako d’être responsables de la terreur qu’elles endurent. Certains témoins ont été informés du rattachement officiel du groupe Wagner à l’État russe publicisé en août 2023. D’autres n’ont tout simplement jamais fait la différence entre les deux :

« La Russie est le premier responsable mais surtout le gouvernement malien. »

« Oui le premier responsable c’est la Russie qui veut transférer sa guerre géopolitique contre l’Occident sur notre territoire, une guerre qui ne nous profite en aucun cas. Le kremlin influence beaucoup sur la gestion du pouvoir au mali »

« Bien sûr récemment avec l’actuel réorganisation de l’organisation après la mort de Prigojine. »

« malheureusement, Wagner est la main de la Russie en Afrique et en est responsable. »

« La politique étrangère de Moscou est lamentable et par ailleurs la Russie y sera toujours pour quelques choses »

« Oui parce que ce sont des russes »

 

« Pas d’avenir autre que la mort » : quel futur pour les Peuls et les Touareg au Mali ?

Pas une victime de Wagner ne pense que justice lui sera rendue. Les témoins ne font état d’aucun espoir et n’envisagent aucune issue à la situation actuelle, si ce n’est l’exil (lorsque c’est possible) :

« L’avenir est vraiment ambigu, très effrayant et sombre. Nous ne pouvons rien attendre de l’horreur de ce que nous voyons et de ce que nous voyons d’injustice et de tyrannie et du silence du monde sur ce qui se passe. »

« Un avenir incertain et plein d’embûches avec la volonté de la junte à faire la guerre utiliser ses drones contre le Peuple Touaregs et peulhs »

« Aujourd’hui l’avenir pour nous est incertain, il est presque sans issue. Je n’ai pas de travail. »

« Nous avons besoin d’assistance sur le plan sécuritaire car le Mali le Niger et le Burkina ce sont donner la main pour tuer tout ceux qui ne sont pas avec eux au sahel »

« L’avenir est incertain, nos maisons sont brûlés et nous n’avons plus de boeuf. »

« Je ne crois plus à l’avenir. J’ai besoin que mes enfants étudient et avoir une vie meilleure »

Les Occidentaux sont-ils vraiment dépendants de l’uranium russe ?

Par : Michel Gay

Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les sanctions économiques mises en place contre la Russie ont épargné l’uranium. Serait-ce à cause d’une trop grande dépendance ? Mais de quoi parle-t-on ? Que place-t-on sous le vocable « uranium » ? Qui est dépendant de qui et de quoi ?…

Les États-Unis voudraient bien se substituer à la Russie, ce qui changerait simplement la dépendance de l’Europe à un autre pays… comme pour le gaz !

 

De quoi s’agit-il ? Il y a uranium et… uranium

Il existe au moins cinq types d’uranium.

Commençons par le début : l’uranium naturel (Unat, issu du sous-sol) contient 99,3 % d’uranium 238 (U238) et 0,7 % d’uranium 235 (U235). Cet Unat est converti en combustible pour les réacteurs en l’enrichissant (UE) (en général jusqu’à environ 5 %), ce qui appauvri le reste de l’uranium appelé… uranium appauvri (Uapp). À noter que ce combustible est peu radioactif (il se manipule à la main) avant d’avoir été utilisé dans un réacteur.

Après avoir été utilisé quelques années dans les réacteurs, la France a fait le choix de retraiter son combustible « usé » radioactif. Elle sépare donc les déchets des matières valorisables, ce qui a permis de réduire considérablement le volume des déchets à traiter.

Les déchets (les produits de fission et les « actinides mineurs ») représentent 5 % du combustible initial. Ils sont conditionnés dans des matrices de verre pérennes appelées à être stockées pour toujours dans des couches géologiques (stockage géologique).

Les matières réutilisables ultérieurement (95 %), c’est-à-dire le plutonium (Pu) et l’uranium restant après traitement (URT) sont réutilisables en réacteur surgénérateur RNR de quatrième génération, ou dans certains réacteurs actuels.

Cette politique de recyclage pratiquée depuis longtemps pour les combustibles nucléaires usés permet, ou permettra, la valorisation énergétique de 95 % (!) des matières initialement présentes.

 

URT, URE, et Russie

Cette URT obtenu après le traitement des combustibles usés contient encore davantage d’U235 fissile (environ 1 %) que l’Unat initial (0,7 %). Il est donc tentant de l’enrichir une nouvelle fois pour obtenir de nouveau un combustible avec cet uranium réenrichi (URE).

Or, au début, la France ne mettait pas encore en œuvre la technique nécessaire pour convertir l’URT en URE car elle enrichissait l’uranium par diffusion gazeuse, ce qui rendait quasiment impossible cette opération.

Une partie de l’URT a donc été envoyée en Russie (qui utilisait la technique d’ultracentrifugation permettant cette conversion compétitive) pour y être à nouveau enrichi et permettre une nouvelle utilisation en réacteur.

Conformément aux pratiques internationales pour de ce type de contrats, la Russie renvoyait l’URE et conservait l’Uapp issu de l’URT, matière nucléaire valorisable (et non un déchet nucléaire), en particulier dans la filière des surgénérateurs à neutrons rapides de quatrième génération (RNR).

 

Les arrière-pensées des États-Unis

La dépendance des Européens au combustible nucléaire russe inquiétait les États-Unis en mars 2023.

Ils s’inquiètent hypocritement aujourd’hui de leur propre dépendance car ils « découvrent » qu’environ 20 % du combustible utilisé dans leur parc de réacteurs nucléaires sont fournis par des contrats d’enrichissement conclus avec des fournisseurs russes. Cette dépendance toute relative a limité la chaîne d’approvisionnement nucléaire américaine en déversant de l’uranium enrichi bon marché sur les marchés mondiaux…

La Russie, qui contrôle près de 50 % de la capacité mondiale d’enrichissement, gêne aujourd’hui les États-Unis. Ces derniers se verraient bien demain prendre sa place, notamment en Europe, après avoir longtemps délaissé le nucléaire au profit du charbon et du gaz.

Actuellement, L’Europe achète cher une profusion de gaz de schiste américain liquéfiée et acheminée par méthanier à travers l’Atlantique pour compenser l’arrêt des livraisons russes…

Les États-Unis livrent aussi du charbon à l’Allemagne qui se fait passer pour vertueuse avec l’affichage de son Energiewende de plus en plus catastrophique fondée sur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques aux productions fatales et intermittentes.

Le chef de la diplomatie américaine (le secrétaire d’État américain Antony Blinken), s’est réjoui en avril 2023 à Bruxelles des mesures prises par l’Union européenne pour réduire sa consommation de gaz russe. Il s’est aussi surtout félicité que les États-Unis soient devenus… le premier fournisseur des 27 pays européens en gaz naturel liquéfié (GNL) qui ont plus que doublé (+140 % en un an) et qui représentent 40 % du gaz importé par bateau en Europe.

Les États-Unis souhaitent, bien sûr, que les liens énergétiques de l’Union européenne avec la Russie se distendent encore davantage ! Ils pressent maintenant les Européens de réduire leurs achats d’équipements et de combustibles nucléaires russes et de diversifier leurs approvisionnements en uranium, de préférence en se fournissant… aux États-Unis.

 

La France serait « sous emprise » russe ?

Malgré le conflit en Ukraine, les relations commerciales continuent dans le domaine nucléaire entre l’Union européenne, notamment la France, et la Russie, car chacun y trouve son compte. Les achats de combustible et de technologie nucléaires russes par l’Union européenne ont même atteint en 2022 leur plus haut niveau depuis trois ans, tandis que, par exemple, la France vend des turbines Arabelle pour équiper les centrales électriques nucléaires russes en construction.

Toutefois, la France ne dépend pas stricto sensu de la Russie pour le bon fonctionnement de ses centrales nucléaires (elle n’a pas les mains liées).

Selon le cabinet de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher :

« La France ne se fournit pas en Russie pour son approvisionnement en uranium naturel ou la préparation du combustible, comme cela est sous-entendu à tort par Greenpeace. […] Nous ne sommes dépendants d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays. […] Les sanctions doivent avoir un impact sur l’économie du pays visé. Or, des sanctions sur la filière nucléaire généreraient un impact modeste sur la Russie. À l’inverse, la résiliation des derniers contrats subsistants qui portent sur le retraitement de combustibles générerait des indemnités plus avantageuses pour la Russie que leur poursuite a minima ».

Et comme toute société commerciale, la compagnie russe Rosatom ne fait pas de cadeau. Elle réclame trois milliards d’euros au groupe énergétique finlandais Fennovoima, qui a mis fin unilatéralement à leur projet commun de la centrale Hanhikivi-1, en mai 2022. Un tribunal international chargé des différends commerciaux a donné raison au groupe russe : il y a bien eu rupture de contrat.

De son côté, la société EDF a diversifié ses sources géographiques et ses fournisseurs en combustible nucléaire, et continue de le faire. Selon son PDG Luc Rémond, elle ne dépend pas de la Russie pour faire fonctionner ses réacteurs nucléaires, même si ce pays est un partenaire commercial important.

EDF indique qu’elle « applique strictement toutes les sanctions internationales tout en respectant les engagements contractuels pris ». EDF n’a « acheté aucun uranium naturel extrait de mines russes, ni de services de conversion de l’uranium naturel en Russie en 2022, ni augmenté sa part d’enrichissement de son uranium naturel non russe réalisé en Russie en 2022 par rapport à 2021 ».

Petits producteurs d’uranium naturel au niveau mondial, la Russie est en revanche active et compétitive pour enrichir l’Unat en U235 (UE ou URE à partir d’URT) et pour le transformer en combustible nucléaire dont elle détient environ 40 % du marché mondial.

Plus de trente pays achètent tout ou partie de leur combustible nucléaire à la Russie. La France a acheté environ un tiers de son uranium enrichi à la Russie en 2022 car c’était plus économique, mais elle peut en acheter ailleurs et / ou augmenter sa propre production.

Et même les États-Unis ont acheté 28 % de leur combustible nucléaire à la Russie en 2021.

Cette dépendance commerciale explique, en partie, pourquoi l’énergie atomique ne fait pas partie des sanctions internationales contre la Russie.

La Commission européenne, encouragée par l’Allemagne (qui ne manque pas d’air après avoir presque tout misé sur le gaz russe…), les pays Baltes, la Pologne, la Finlande, la République tchèque, voulaient inclure le nucléaire dans l’embargo, mais la présidente Ursula von der Leyen a abandonné l’idée. La Hongrie a indiqué qu’elle mettrait son veto : elle dépend du nucléaire russe pour 50 % de son électricité, et la centrale de Paks (où deux nouveaux réacteurs sont en construction) appartient aux Russes.

Or, l’unanimité des 27 États membres est requise sur cette décision.

Les Européens importent pour 200 millions d’euros d’uranium de Russie chaque année. Avec la pression sur les autres sources énergétiques, les importations ont même augmenté en 2022 : +72 % pour la Slovaquie, par exemple.

 

Se passer de l’uranium russe ?

La filière industrielle nucléaire mondiale et quelques pays commencent à réinvestir pour se passer de l’uranium enrichi russe. La faible demande d’uranium ces dernières années avait conduit à fermer des mines et à ne pas investir dans les centrifugeuses (ultracentrifugation) servant à convertir l’uranium en combustible.

Mais (rappel) la Russie détient aujourd’hui plus de 40 % du marché mondial de l’uranium enrichi. Se passer d’elle prendra du temps. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et quelques Européens commencent à vouloir développer des alternatives de long terme qui nécessitent des investissements importants.

Les exportations d’uranium enrichi rapportent environ un milliard d’euros par an à la Russie. C’est peu au regard du pétrole et du gaz qui représentent 200 milliards d’euros.

Cependant, le nucléaire a une dimension plus géostratégique que commerciale.

La Russie est actuellement le plus grand constructeur au monde avec 26 réacteurs en chantier dans dix pays sur les 58 en construction dans le monde qui compte 438 réacteurs en service à ce jour. Elle vend des centrales clés en main (Akkuyu en construction en Turquie ou Paks en Hongrie) et assujettit, par contrat, les pays acheteurs à ses services pour une longue durée (environ un siècle), de la construction au démantèlement, avec une exploitation des réacteurs de 60 à 80 ans.

Le Département américain de l’énergie (DOE) développe depuis quelques mois un programme d’enrichissement supplémentaire d’uranium.

En janvier 2023, la société ConverDyn a reçu quatorze millions de dollars pour convertir de l’uranium en combustible pour les 92 réacteurs nucléaires américains. Elle va réouvrir l’usine située à Metropolis, dans l’Illinois, fermée en 2017 à cause de la concurrence russe.

Depuis janvier 2023, le Royaume-Uni a débloqué 80 millions d’euros pour les industriels qui veulent rendre l’énergie britannique totalement indépendante de la Russie.

 

Souveraineté nucléaire pour la France et les États-Unis

En France, Orano espère aussi capter une part du marché si les dirigeants politiques décident de mettre la Russie au ban des nations. Le groupe vient d’annoncer une extension de son usine d’enrichissement d’uranium au Tricastin (Drôme), afin d’augmenter de 30 % ses capacités de production.

Framatome vient également de signer un accord avec la Bulgarie pour approvisionner une de ses centrales.

Les États-Unis et l’Union européenne sont tout à fait capables de couvrir les besoins actuels du parc nucléaire mondial. Mais ce sera long.

Pour Orano, par exemple, aucun uranium supplémentaire ne sortira du site du Tricastin avant 2030.

EDF a approuvé en 2018 la relance d’une filière robuste et compétitive pour convertir en URE 94 % de l’URT de son parc. Mais là aussi, plusieurs années seront nécessaires.

La dépendance forte à la Russie de quelques pays en Europe de l’Est, telle la Hongrie, est effectivement une réalité pour le fonctionnement de leurs centrales nucléaires (de construction russe) et pour leur approvisionnement en combustible nucléaire.

En revanche, cette dépendance est un mythe pour la France et les États-Unis (une fakenews d’antinucléaires pour décrédibiliser le nucléaire ?). Ces deux pays maîtrisent leur propre technologie, disposent de stocks importants d’uranium et de combustible (plusieurs années), ont diversifié leurs partenaires depuis longtemps, et peuvent s’approvisionner facilement ailleurs dans le monde.

Mars : l’inventivité et l’adaptabilité de l’humain face au problème de la poussière ultrafine

La poussière ultrafine rend difficile, déjà au stade robotique, l’exploration de Mars. Elle risque de poser de sérieux problèmes aux missions habitées et à la vie humaine. Nos ingénieurs recherchent des solutions pour la Lune. Elles bénéficieront aussi à Mars car sur ce plan les deux astres sont semblables. Récemment l’Université d’Hawaï a proposé un tissu, LiqMEST, qui moyennant la dépense d’un peu d’énergie pourrait empêcher l’adhérence aux surfaces. La NASA s’y intéresse aussi bien qu’à d’autres solutions qui lui sont complémentaires. Elle le fait dans le cadre de son initiative générale, « LSII ».

 

La poussière martienne

Rappelons ce qu’est la poussière martienne, de petites particules minérales riches en fer (mais composées aussi de toutes sortes de minéraux, dont des silicates) qui n’ont pas pu se stabiliser ou s’agglomérer parce qu’il n’y a pratiquement pas d’eau liquide sur Mars, sauf à de rares périodes de plus en plus espacées dans le temps (périodes pendant lesquelles le problème est bien sûr temporairement résolu et la diagénèse très active). Elle résulte soit des impacts de météorites, soit de la décomposition de certaines roches au grain très fin accentuée par l’érosion éolienne, soit in fine de la saltation des grains de sable (c’est-à-dire de la dégradation des plus grosses particules en plus petites du fait de leur déplacement et de leur friction avec d’autres grains ou la roche, causés par le vent).

Ainsi cette poussière peut être extrêmement fine. On la distingue du sable également présent dans d’innombrables dunes, en ce que la dimension de ses grains est inférieure à 30 µm. On a pu l’observer « de très près » avec le microscope à force atomique FAMARS* embarqué à bord de la sonde PHOENIX en 2007 et qui a observé l’environnement martien de mai à novembre 2008 par 68° de latitude Nord.

FAMARS a pu distinguer des particules jusqu’à 0,1 µm et a pu constater la très forte abondance des grains autour de 10 µm. Compte tenu de la faible érosion martienne, ces grains sont un peu moins acérés que ceux de la poussière lunaire mais quand même très anguleux. Et comme l’environnement est aride (l’humidité très basse empêche l’évacuation des charges électriques) quoiqu’un peu moins que sur la Lune, l’électricité statique est partout dans l’air et rend ces particules très collantes. On retrouve donc la poussière sur toutes les surfaces, aussi bien les équipements que les vêtements (combinaisons des astronautes).

*La thèse de doctorat de Sebastian Gautsch (Université de Neuchâtel, aujourd’hui adjoint au directeur de la section microtechnique de l’EPFL et toujours vice-président de la Mars Society Switzerland) a été consacrée à la conception de cet instrument.

Sur Mars, par rapport à ce qui se passe sur la Lune, le phénomène est aggravé par l’atmosphère. On sait que cette atmosphère est très ténue (pression de 610 pascals à l’altitude « moyenne », équivalente à celle du niveau de la mer). Mais comme les poussières sont très petites et très peu massives, elles sont portées par elle, bien sûr quand il y a du vent mais pas seulement ; une certaine quantité reste toujours en suspension dans l’air. C’est ce qui donne la coloration rouge/ocre au ciel pendant la journée.

On a pu constater également sur les différents équipements robotiques envoyés sur Mars qu’irrémédiablement et assez rapidement, les surfaces se teintent de cette même couleur, ce qui montre bien que les matériaux les plus lisses ne peuvent éviter d’être revêtus de cette matière diffuse comme s’ils en étaient imprégnés.

Pour le moment, c’est surtout gênant pour les panneaux solaires dont la capacité de captation d’énergie est altérée, et aussi pour les articulations des parties mobiles des rovers. Opportunity a été « tué » par une tempête de poussière qui l’a empêché de recueillir l’énergie minimum qui lui était nécessaire par ses panneaux photovoltaïques totalement enduits. Auparavant, ses deux roues avant avaient été immobilisées, usées certes par les aspérités du sol mais aussi complètement grippées par la poussière.

Plus tard, quand l’Homme vivra sur Mars, il risque de l’importer sur sa combinaison ou ses instruments à l’intérieur des habitats. Une fois son casque de scaphandre retiré, il respirera l’air ambiant chargé de ces particules car très difficiles à aspirer mécaniquement. Elles pourraient lui apporter la silicose et gêner le bon fonctionnement de différents appareils indispensables. Il faudra donc impérativement s’en débarrasser, au plus tard dans le sas d’accès.

 

Quelles solutions pour s’en débarrasser

On cherche donc depuis des années les solutions.

Celles qu’on envisage aujourd’hui sont de trois ordres :

  1. La structure du tissu
  2. Le nettoyage par projection de gaz
  3. Le nettoyage par polarisation électrique

 

Les recherches sont menées par la NASA (plus précisément son Space Technology Mission Directorate) dans le cadre de la LSII (Lunar Surface Innovation Initiative) par l’intermédiaire du LSIC (Lunar Surface innovation Consortium) dirigé par le John Hopkins University Applied Physics Laboratory (JHU/APL).

LSII a été créée en 2019. Il s’agit de stimuler l’intérêt et l’innovation dans les technologies de l’exploration lunaire par missions habitées (identification des besoins et évaluation des travaux, recommandations, centralisation des données et des résultats). L’action est menée via des partenariats ou des collaborations auxquels participent la NASA au côté du JHU (financièrement comme techniquement). Mars est clairement déjà nommée comme l’étape où les technologies découvertes et devenues opérationnelles seront mises en œuvre après la Lune.

L’on espère aussi des retombées sur les activités terrestres. Bien sûr la dust mitigation, que l’on pourrait traduire par « atténuation des nuisances de la poussière », n’est pas la seule ligne de recherches (key capability areas), mais c’est l’une des six qui a été choisie.

Les autres sont :

  • l’ISRU (In Situ Resources Utilization),
  • l’énergie (surface power),
  • l’extraction des minéraux et la construction (excavation and construction),
  • l’adaptation de l’homme et de ses équipements à l’environnement extrême (extreme environment)
  • la capacité d’accès aux sites difficiles (extreme access)

 

La LSIC n’est pas une petite organisation puisqu’elle comporte 2400 participants actifs au sein d’un millier d’institutions ou établissements présents dans tous les états américains et une cinquantaine de pays étrangers.

 

Première solution : la structure du tissu

Un tissu répulsif a été conçu (publication en février 23) par l’Université du Texas Austin (UTA). L’équipe a modifié la géométrie des surfaces planes pour créer un réseau serré de structures pyramidales nanométriques. Ces structures, angulaires et pointues, empêchent les particules de poussière d’adhérer au matériau. Ne pouvant coller à ce support, elles s’agglomèrent entre elles pour rouler ensuite en surface et tomber sous l’effet de la gravité.

 

Deuxième solution : le nettoyage par projection de gaz ultra-froid

Un spray a été conçu (mars 23) par l’Université de l’État de Washington (WSU). Il s’agit de projeter une pulvérisation d’azote liquide (forcément très froid) sur un tissu relativement beaucoup plus chaud que le gaz. Le nettoyage va se faire par effet Leidenfrost.

Cet effet peut être observé lorsque de l’eau froide est versée sur une poêle à frire chaude et qu’elle perle puis se déplace à la surface de la poêle. Par analogie, lorsque de l’azote liquide est pulvérisée sur une combinaison spatiale (même s’il y a isolation thermique, sa température est très largement plus élevée que celle du gaz), les particules de poussière sont extraites par le jet, s’accumulent sans pouvoir attacher et s’éloignent du tissu en flottant avec la vapeur d’azote.

 

Troisième solution, nettoyage par polarisation électrique

Un tissu très réceptif à la polarisation et en même temps souple et extensible a été conçu (octobre 23) par l’Université d’Hawaï Pacifique (PHU). Lorsqu’il est activé, ce LiqMest (Liquid Metal Electrostatic Protective Textile), génère un champ électrique qui empêche la poussière d’adhérer à sa surface. Son concepteur le Professeur Arif Rahman de l’Université de Bangkok a obtenu une subvention de 50.000 dollars de la NASA pour présenter un prototype dans le délai d’un an (mai 24). Le tissu pourrait être utilisé pour la mission Artemis III (2025 ou 2026).

Une variante de cette dernière technologie est l’EDS (Electronic Dust Shield Experiment). Elle est étudiée au sein de la NASA (Kennedy Space Center). Elle a été testée en 2019 dans l’ISS dans le cadre de la série de tests MISSE-11 (Materials International Space Station Experiments).

Elle vise la prévention de l’empoussiérage et le dépoussiérage de toutes sortes de surfaces solides : radiateurs thermiques, panneaux solaires, lentilles d’appareil photo et autre matériel nécessitant une protection contre la poussière.

Elle a fourni des données utiles sur les performances des électrodes, des revêtements et des composants électroniques qui lui sont propres. On sait que l’expérience a été positive* mais malheureusement les résultats ne sont pas encore publiés. NB le programme MISSE existe depuis 2001 (c’est tout l’intérêt de l’ISS). En octobre 2023, nous en sommes à MISSE-18.

Des essais au sol avant le vol ont montré que des électrodes posées sur des plaques de verre pouvaient éliminer « plus de 98 % de la poussière dans des conditions de vide poussé », selon une courte publication de l’équipe du Lunar Dust Workshop de février 2020 (Universities Space Research Association, à Houston).

 

Avis aux pessimistes

Avec ces technologies on a de bonnes probabilités d’obtenir une solution au problème de la poussière, non seulement pour les vêtements mais aussi pour les équipements.

Si comme je l’espère, on développe un jour l’astronomie sur Mars, l’EDS sera incontournable (elle est spécifiquement prévue pour maintenir la propreté des optiques). Mais on peut aussi concevoir de mettre les différents équipements dont on aura besoin sous une bâche de liqMEST, ou peut-être de nettoyer périodiquement les dômes et les surfaces vitrées avec un spray d’azote liquide*. Le nettoyage effectué par des robots équipés d’une caméra sera par ailleurs l’occasion de vérifier l’état du dôme ou des baies vitrées des habitats. Pour les combinaisons spatiales on utilisera probablement les trois technologies ensemble.

*L’impact du gaz sur la surface vitrée, plaques laminées de 1,5 x 2 cm d’épaisseur d’après les calculs de mon ami Richard Heidmann, serait extrêmement bref, mais mes lecteurs physiciens pourront sans doute me dire si le choc thermique serait ou non supportable.

Ceci est une réponse à tous les pessimistes qui pensent qu’aucune technologie n’est envisageable en dehors de celles qui existent déjà. J’ai confiance que des conditions environnementales autrefois rédhibitoires, comme celles de Mars, peuvent devenir vivables si le génie humain s’applique à trouver des solutions ; ceci étant dit en ayant conscience des difficultés. Les sauts technologiques sont toujours possibles mais bien qu’ils ne sortent jamais de nulle part, ils ne sont pas prévisibles et on ne pas compter sur eux.

Pour vivre sur Mars cependant, il me semble que l’on soit arrivé à un point de développement technologique tel que la base interdisciplinaire à partir de laquelle on travaille n’est pas trop éloignée du résultat que l’on veut obtenir.

Liens & références :

Cliquer pour accéder à DARPA%20NOM4D%202022.pdf

https://citeseerx.ist.psu.edu/documentrepid=rep1&type=pdf&doi=15eb88aa339e4f766ade40475a6458af47f246ef

https://interestingengineering.com/innovation/new-tech-solve-lunar-dust-problem

https://www.eurekalert.org/news-releases/980467

https://news.dayfr.com/trends/amp/2746657

https://www.hpu.edu/about-us/the-ohana/article.php nid=nc10162301

Cliquer pour accéder à 20150016160.pdf

https://www.nasa.gov/mission/station/research-explorer/investigation/?#id=8033

Sur le web.

Le soutien de façade des Russes à la guerre en Ukraine

Un article de Vera Grantseva,

« Les Russes veulent-ils la guerre ? » Depuis le 24 février 2022, le monde entier se pose souvent cette question, tentant de comprendre – au vu de sondages effectués dans un contexte de contrôle et de suspicion qui rend très complexe l’analyse de leurs résultats – si la société russe soutient réellement Vladimir Poutine dans son invasion de l’Ukraine.

Vera Grantseva, politologue russe installée en France depuis 2021, a donné ce titre, emprunté à un célèbre poème d’Evguéni Evtouchenko, à l’ouvrage qu’elle vient de publier aux Éditions du Cerf. Il peut sembler, à première vue, que, aujourd’hui, les Russes n’ont rien contre la guerre qui ravage l’Ukraine. Pourtant, l’analyse fine que propose Vera Grantseva, sur la base de l’examen de nombreuses enquêtes quantitatives et qualitatives et de divers autres éléments (émigration, résistance passive, repli sur des communautés Internet sécurisées) remet en cause cette idée reçue. Nous vous proposons ici un extrait du chapitre « Un soutien de façade au conflit ».

 

Il est important de comprendre combien l’attitude de la société vis-à-vis des opérations militaires en Ukraine a changé tout au long de la première année du conflit. Au cours de la période allant de mars 2022 à février 2023, plusieurs phases correspondant aux chocs externes et aux problèmes internes accumulés peuvent être identifiées.

On en retiendra quatre :

  1. Le choc, du 24 février 2022 à fin mars 2022
  2. La polarisation, d’avril à septembre 2022
  3. La mobilisation, de septembre à novembre 2022
  4. La normalisation, de décembre 2022 à l’été 2023

 

Le choc

Commençons par le choc qu’a constitué, pour l’ensemble des Russes, la déclaration de guerre du 24 février 2022. La plupart des gens ne pouvaient pas croire que Vladimir Poutine, malgré la montée des tensions au cours des mois précédents, oserait envoyer des troupes dans un pays voisin. Dans les premiers jours, beaucoup ont refusé de croire à la réalité des combats, que des chars avaient traversé la frontière et attaquaient des villes et des villages en Ukraine, qu’il s’agissait d’une véritable guerre. D’ailleurs, Poutine a présenté tout ce qui se passait comme une « opération militaire spéciale », qui devrait être achevée à la vitesse de l’éclair et presque sans effusion de sang. C’est le discours qu’ont tenu les médias russes, dont la plupart sont contrôlés par le gouvernement, sur la base de rapports militaires.

Le choc initial a paralysé la plupart des Russes, mais il a aussi incité certains à s’exprimer ouvertement. Ce sont ces personnes qui ont commencé à descendre dans les rues des grandes villes pour exprimer leur désaccord. Certes, ils étaient une minorité, quelques milliers seulement. Mais compte tenu de la répression à laquelle ils s’exposaient, leur démarche prend une importance tout autre. Ces quelques milliers de citoyens qui se sont rassemblés les premiers jours ont montré que malgré tous les efforts des autorités et de la propagande, il y avait dans le pays des gens capables, non seulement de critiquer les autorités, mais d’aller jusqu’à risquer leur vie pour le dire lorsque le pouvoir franchit une ligne rouge.

La polarisation

Assez rapidement, le choc a laissé place à une polarisation renforcée. Fin mars, la législation criminalisant l’opposition à la guerre sous toutes ses formes était venue à bout des voix discordantes dans l’espace public. Les dissidents se sont montrés plus prudents, et les discussions politiques se sont déplacées dans les cuisines, comme c’était le cas à l’époque soviétique. Il est rapidement devenu clair que toute position médiane, que toute nuance, que tout compromis était intenable s’agissant d’un sujet comme la guerre en Ukraine.

Nombreuses furent les familles à se déchirer, la fracture générationnelle entre les jeunes et leurs parents ou leurs grands-parents étant la situation la plus fréquente. Pour les uns, la Russie commettait un crime de guerre, pour les autres, la SVO [sigle russe signifiant « Opération militaire russe »] était la condition de son salut. L’option consistant à quitter le pays s’invitant parfois dans les conversations. Une étude de Chronicles a montré que 26 % des personnes interrogées ont cessé de communiquer avec des amis proches et des parents pour des raisons telles que des opinions divergentes sur la politique et la guerre, et la perte de contact avec ceux qui ont quitté le pays ou sont partis pour le front.

Dès lors, deux ordres de réalité se faisaient face, recoupant eux-mêmes un accès différencié à l’information. De nombreux partisans de la guerre ont sciemment choisi des sources d’information unilatérales, principalement gouvernementales, qui leur ont montré une image éloignée de la réalité, mais leur permettaient de maintenir leur propre confort psychologique. Il leur était relativement facile de rester patriotes, de ne pas critiquer les autorités et de ne pas résister à la guerre : après tout, dans leur monde, il n’y avait pas de bombardements de zones résidentielles, il n’y avait pas de tortures ou de violences perpétrées sur les habitants des territoires occupés, aucune ville ni aucun village n’a été rasé et, après tout, aucun crime de guerre n’a été découvert à Bucha et Irpin après le retrait de l’armée russe des faubourgs de Kiev : « Nos soldats n’ont pas pu faire cela, cela ne peut pas être vrai. » Cette barrière psychologique n’a pas été imposée à ces gens ; il faut reconnaître la part du choix personnel leur permettant de vivre comme avant sans avoir à se confronter à la réalité des combats.

À l’inverse, une partie de la population a refusé de fermer les yeux et de se renseigner sur les horreurs du conflit. Ces personnes se trouvent le plus souvent isolées.

[…]

À l’été 2022, l’intensité de la polarisation dans la société russe a commencé à diminuer : l’enthousiasme des partisans du conflit s’estompait tandis que la non – résistance de la majorité de la population se faisait plus pessimiste. Les premiers ont été déçus que la Russie ne remporte pas une victoire rapide sur une nation dont ils niaient la capacité à résister et jusqu’à l’existence même. Quant aux autres, la perspective d’une paix retrouvée et avec elle du retour à la vie normale semble de plus en plus lointaine. De plus, les conséquences économiques de l’aventure militaire se font sentir : l’inflation des biens de consommation courante bat tous les records (atteignant 40 à 50 % pour certains produits), la qualité de vie décline rapidement avec le départ des entreprises occidentales du pays.

[…]

La mobilisation

Le 21 septembre, malgré sa promesse de ne pas utiliser de réservistes civils, le président Poutine a décrété la mobilisation partielle, provoquant un séisme dans le pays. À ce moment-là, les Russes ont enfin compris qu’il serait impossible de se soustraire à la guerre, et que tout le monde finirait par y prendre part. C’était le coup d’envoi de la deuxième plus grande vague d’émigration après celle ayant suivi le 24 février 2022. Cette fois, ce sont les jeunes hommes qui sont partis. Beaucoup d’entre eux ont pris une décision à la hâte, ont fait leurs valises et, dès le lendemain, ont gagné la Géorgie, l’Arménie, le Kazakhstan.

La plupart n’avaient pas de plan, pas de scénario préparé, de connexions, de moyens. Cette vague de départs, contrairement à la première, n’a pas touché que la classe moyenne : les représentants des classes les plus pauvres, même des régions reculées, ont également fui la mobilisation forcée. Ainsi, fin septembre, environ 7000 personnes ont quitté la Russie pour la Mongolie, principalement depuis les régions voisines de Bouriatie et Touva.

À ce moment-là, le reste de la population russe a commencé à recevoir massivement des citations à comparaître : des jeunes hommes ont été mobilisés directement dans le métro, à l’entrée du travail, et même surveillés jusqu’à l’entrée des immeubles résidentiels le soir. Beaucoup d’hommes sont passés à la clandestinité : ils ont arrêté d’utiliser les transports en commun, ont déménagé temporairement pour vivre à une autre adresse et n’ont pas répondu aux appels. Fin septembre 2022, le niveau d’anxiété avait presque doublé par rapport à début mars, passant de 43 % à 70 %.

De nombreux experts s’attendaient à ce que la mobilisation marque un tournant en matière de politique intérieure, poussant la société russe à résister activement à la guerre. Il n’en a rien été.

Malgré le choc initial provoqué par le décret de mobilisation, ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas partir se sont adaptés aux nouvelles réalités, choisissant entre deux stratégies : se cacher ou laisser le hasard agir. Grâce à des lois répressives et à une propagande écrasante, certains Russes, ne ressentant aucun enthousiasme pour la guerre déclenchée par Poutine dans un pays voisin, ont progressivement accepté la mobilisation comme une chose normale. Le gouvernement russe a su jouer sur la peur autant que sur la honte pesant sur celui qui refuse d’être un « défenseur de la patrie » et de se battre « comme nos grands-pères ont combattu » – les parallèles avec la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 ont largement été mobilisés. Et nombreux furent les jeunes Russes à se rendre finalement, avec fatalisme, au bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire pour partir au front.

 

La normalisation

En septembre-octobre 2022, tandis que Kiev multipliait les discours triomphalistes, le soutien à la guerre s’est durci sur fond de recul de l’armée russe dans la région de Kherson et d’augmentation du nombre de victimes militaires. À l’origine de ce nouvel état d’esprit ? La peur.

52 % des personnes interrogées à l’automne pensaient que l’Ukraine envahirait la Russie si les troupes du Kremlin se retiraient aux « frontières de février ». Ainsi se révélaient non seulement la peur de la défaite, mais aussi la peur croissante des représailles pour les crimes de guerre commis. De là un double mouvement : d’une part, la diffusion croissante d’une peur réelle que l’armée russe soit défaite, et de l’autre, une acceptation grandissante au sein de la majorité de la population de la nécessité de la mobilisation, perçue comme une « nouvelle normalité » et reconfigurée sous l’angle de la responsabilité civique et de la solidarité sociale. L’anxiété produite par la perspective de l’enrôlement massif des jeunes hommes s’est finalement estompée fin octobre : l’ampleur de la mobilisation s’est avérée moins importante que prévu.

Ainsi, depuis décembre 2022, la société russe est entrée dans une phase de « normalisation » de la guerre ou, comme le suggèrent les chercheurs du projet Chronicles, d’« immersion dans la guerre ». Pour eux, la dimension la plus frappante des changements de l’hiver et du printemps 2023 a été l’adaptation des attentes du public à la réalité d’une guerre longue. En dépit du risque d’être appelé, la plupart des Russes pouvaient continuer à vivre leur vie normalement malgré la mobilisation partielle. Des études sociologiques ont montré que la proportion de Russes anticipant une guerre prolongée est passée de 34 % en mars 2022 à 50 % en février 2023. Les experts de Chronicles décrivent ainsi une société « immergée » dans la guerre, devenue pour beaucoup le cadre d’une nouvelle existence.

L’historien britannique Nicholas Stargardt distingue quatre phases par lesquelles est passée la société allemande pendant la Seconde Guerre mondiale au cours des quatre années de conflit sur le front de l’Est : « Nous avons gagné ; nous allons gagner ! ; nous devons gagner ! ; nous ne pouvons pas perdre. »

On peut supposer qu’à partir du printemps 2023, la société russe a atteint le troisième stade : « Nous devons gagner ! » Entre autres différences significatives, quoiqu’immergée dans la guerre, la population russe n’en présente pas moins un potentiel de démobilisation non négligeable – et nombreux sont ceux qui aspirent à une paix rapide. En dépit des efforts de la propagande, le soutien idéologique à la guerre demeure faible et, pour un soldat, les objectifs fixés peinent à justifier l’idée de sacrifier sa vie.

Sur le web.

« Quand la peur gouverne tout » de Carine Azzopardi

Carine Azzopardi est une journaliste qui a subi la perte de son compagnon et père de ses deux filles lors de la monstrueuse attaque terroriste du Bataclan. Au-delà de cette tragédie personnelle, à travers cet essai, elle entend dénoncer la peur, le manque de courage, mais aussi les dangereuses compromissions, qui amènent une partie des politiques, médias, associations et autres acteurs de la société à se voiler la face ou à céder face aux assauts idéologiques et manipulations allant à l’encontre de la démocratie.

 

Censure et liberté d’expression

La journaliste commence par montrer de quelle manière s’est faite l’apparition du wokisme, d’abord outre-Atlantique, puis ici, et le temps qu’il a fallu pour que l’on mette un mot dessus, que l’on prenne conscience peu à peu de son ampleur et de ses effets. Mais surtout, outre le nombre croissant d’anecdotes révélatrices à son sujet, elle montre qu’il n’a pas fallu longtemps pour que ceux qui emploient le terme ou l’évoquent soient stigmatisés, catégorisés comme réactionnaires, obsessionnels, ennemis des féministes, antiracistes, anticapitalistes, voire – terme devenu très à la mode et très commode pour faire taire un adversaire –« d’extrême droite ».

Non seulement des formes insidieuses de censure règnent de plus en plus sur énormément de sujets, mais des formes de collusion se sont également développées entre wokisme et islamisme. C’est l’objet de l’essai de Carine Azzopardi.

Quand l’antiracisme devient une aubaine, que des concepts inouïs tels que la « blanchité » sont créés – présentant les Blancs comme des oppresseurs, racistes à leur insu, qu’il faudrait rééduquer pour qu’ils s’éveillent (théories actuellement en vogue aux États-Unis) –, et que la victimisation devient un opportunisme, alors le malaise et la division deviennent de réelles menaces pour notre cohésion. Engendrant également la peur et la paralysie de nos décideurs, engoncés dans le déni.

 

Un fort déni de l’islamisme existe chez certaines élites françaises qui préfèrent fermer les yeux face au réel et analyser chaque événement se rapportant à ce phénomène comme étant le fait de populations discriminées, de délinquants, voire de déséquilibrés. Les actes ne sont reliés ni au discours ni à l’idéologie islamiste. Une analyse relativement commune, c’est qu’il s’agit d’un effet de la misère sociale, de « dominés » qui se rebellent face aux « dominants ». Le journaliste Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, analyse par exemple les attentats de janvier 2015 comme étant le fait de monstres que la société française a engendrés.

 

Certains milieux universitaires et une partie de la presse américaine ont même été jusqu’à analyser les attaques du 13 novembre 2015 à Paris comme une simple conséquence de la « suprématie blanche », et l’attaque au Bataclan comme celle du racisme de l’Occident blanc. Preuve que certains mélangent tout, et inversent les causalités. C’est le résultat du processus de déconstruction à l’œuvre, dans le prolongement de la discrimination positive amorcée dès les années 1960. Ce qui est comparable, estime l’auteur, à l’endoctrinement qui régnait en Chine sous Mao.

La « théorie critique de la race » née sur les campus américains et apparue dans les programmes scolaires américains en est le dernier avatar. Les discriminations raciales y sont considérées comme le facteur explicatif des inégalités sociales. Et à ce titre, elles doivent être éradiquées par des formes d’autocritique et de pratiques nouvelles relevant d’un véritable fanatisme. Comme pour la disparition des cours de musique dans certaines écoles, accusées de promouvoir la suprématie blanche.

 

Les collusions entre wokisme et islamisme

Carine Azzopardi analyse ensuite les rapports étroits qu’entretiennent les mouvements woke, décoloniaux, antiracistes (dont on peut largement douter du bienfondé de la dénomination) et progressistes identitaires (encourageant en réalité les communautarismes), avec l’islamisme.

Une sorte de jeu de dupes dans lequel les islamistes ont appris à maîtriser les codes woke, y voyant une opportunité de faire avancer leur cause, sur un temps long (et c’est bien le problème). Avec en particulier à la manœuvre les Frères musulmans, maîtres dans l’art du double discours (« l’un pour les mécréants, l’autre pour les croyants »), très implantés notamment dans les universités de sciences humaines et sociales, où ils manœuvrent à diffuser leur idéologie antidémocratique en utilisant la rhétorique de la discrimination, de l’antiracisme ou de l’intersectionnalité, avec l’appui de tous les traditionnels « idiots utiles » fidèles au rendez-vous. N’hésitant pas à se parer des vertus du progressisme (jusqu’à défendre de manière très opportune, ce qui peut apparaître comme un surprenant paradoxe, les thèses LGBT).

Maîtrisant parfaitement les codes, les outils numériques, les formats vidéo en vogue sur les réseaux sociaux dans nos sociétés, pour marteler insidieusement leurs véritables messages auprès en particulier des plus jeunes, et promouvoir en outre le séparatisme des musulmans sur notre territoire, ils fascinent et exercent une forte attraction sur les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche et partis politiques à l’image du NPA, leur insufflant l’idée d’ennemis communs. Avec la complicité des mouvements décoloniaux. J’étais d’ailleurs stupéfait de lire ceci :

 

Deux jours après la mort de Samuel Paty, une affiche est montrée place de la République par trois personnes, dont Assa Traoré, qui la poste sur les réseaux sociaux. La pancarte mentionne le nom de l’enseignant assassiné sur lequel des gouttelettes rouges ont été éparpillées et l’expression suivante écrite : « Mort en saignant. » Un jeu de mots d’un goût extrêmement douteux, qui entre ces mains pourrait faire penser à un clin d’œil complice. Les mêmes, qui ont des pudeurs de gazelle lorsque des journaux satiriques comme Charlie Hebdo représentent le prophète Mahomet, n’hésiteront pas à brandir cette pancarte lors d’une manifestation en hommage à un professeur décapité deux jours plus tôt, et à le faire savoir.

 

Par ailleurs, la journaliste parle de « chantage à l’islamophobie » au sujet de ce prétexte très pratique et très utilisé qui consiste à dénoncer, censurer, faire taire, stigmatiser des opposants pour mieux faire régner ses intérêts, à travers une stratégie de victimisation bien orchestrée. Elle y consacre un chapitre à part entière, très documenté, avant de revenir aussi sur l’attitude, non seulement du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne en faveur du voile, mais également d’Amnesty international, qui a défendu le port du voile intégral en Suisse, le présentant comme un symbole de liberté, tout en reconnaissant son caractère oppressif en Iran.

Des positions pour le moins paradoxales, défendues également par des mouvements néoféministes qui, selon la journaliste, n’ont plus grand-chose à voir avec le féminisme. Entre culpabilisation et relativisme, les intersectionnelles et leurs alliées néoféministes semblent aveugles aux faits lugubres que relate le livre quant au sort quotidien de nombreuses femmes, et aux véritables motivations de leur port du voile parfois dès le plus jeune âge, au nom d’une prétendue tolérance en réalité pleine de condescendance, sous couvert de « diversité » et de « résistance au capitalisme », écrit Carine Azzopardi, qui estime qu’il s’agit d’une diabolisation du corps des femmes en général.

 

La liquidation des Lumières

C’est le titre que l’auteur donne à l’un des chapitres, dans lequel elle montre comment l’adoption de plus en plus répandue du discours intersectionnel et son obsession de la recherche systématique d’inégalités et de discriminations en tous genres a pour effet, en réalité, de jouer contre les valeurs de l’universalisme, d’ailleurs accusé par certains d’être celui des hommes « cis blancs ». Un jeu dangereux auquel se prêtent des professionnels du monde artistique ou universitaire, voire des ministres. Qui aboutit, comme nous le savons, à de multiples censures de pièces de théâtre, conférences, œuvres littéraires ou cinématographiques, à l’initiative de militants antiracistes woke. Et en définitive à une célébration des communautarismes.

 

Or, le « droit la différence » ne s’oppose pas à l’universalisme. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain que de le croire, une sorte de caprice d’enfant gâté qui sacrifierait la liberté et l’émancipation au nom du droit des minorités, et de l’appartenance communautaire.

 

… Quand ce ne sont pas les mathématiques elles-mêmes (mais aussi d’autres sciences, y compris la médecine) qui sont remises en cause comme étant développées par les « dominants blancs », selon certains mouvements antiracistes woke là encore !

 

Concrètement, certaines écoles américaines prennent désormais en compte l’origine raciale des élèves, pour ne pas « stigmatiser » des populations « racialisées », qui auraient, par nature, des difficultés avec une matière intrinsèquement blanche, donc raciste. Vous ne rêvez pas. Les premières « classes racisées » ont été mises en place dans la banlieue de Chicago, par exemple, où l’on regroupe les élèves en mathématiques selon la couleur de leur peau.

 

L’idéologie et les croyances en viennent ainsi à remplacer la raison et à dévoyer la science ou l’histoire, mais aussi à œuvrer chaque jour de plus en plus (aux États-Unis pour l’instant) pour purger le langage lui-même. Processus dont on sait où il mène

Le problème, nous dit l’auteur, c’est qu’à vouloir s’attaquer à l’universalisme en tant que soubassement de nos démocraties, c’est à une autre forme d’universalisme que nous laissons place : celui que tentent de promouvoir les islamistes et leur communauté mondiale des croyants. C’est en cela que les armes rhétoriques des antiracistes leur sont particulièrement utiles, s’appuyant sur le droit et les institutions internationales pour mieux s’attaquer insidieusement aux principes démocratiques et imposer peu à peu, de manière très stratégique, l’islam politique.

Pour ne rien arranger – et c’est l’objet d’un autre chapitre également très documenté – Carine Azzopardi montre le vide académique qui existe sur le sujet de l’islamisme. De moins en moins de chercheurs, de plus en plus militants, prennent la place des rares spécialistes qui traitent vraiment du sujet de manière factuelle et réaliste, progressivement isolés ou mis au ban, le langage étant là aussi purgé de tout ce qui fâche. L’ignorance prend ainsi le pas, une fois encore, sur la connaissance, à laquelle est préféré le wokisme, son vocabulaire spécifique et ses concepts foisonnants, la question devenant l’apanage des plus extrêmes.

 

Les dérives des théories du genre

Avec le wokisme, nous assistons au triomphe de la pensée binaire.

Non seulement on peut avoir peur aujourd’hui d’être rapidement traité d’islamophobe, mais on peut tout autant craindre désormais d’être traité de transphobe. Les théories du genre vont de plus en plus loin dans l’offensive, militant pour la « déconstruction », avec la volonté de « s’émanciper du système hétéronormé dominant ».

Une vive opposition existe désormais entre féministes universalistes et différentialistes ou intersectionnelles. Ces dernières assimilent la définition de l’identité sexuelle à un genre comme une norme fasciste. Elles prônent au contraire la « plasticité indéfinie de l’individu » (d’où le sigle LGBTQQIPS2SAA+). Les choses vont très loin en la matière, dans la mesure où utiliser le langage traditionnel à cet égard peut être jugé discriminant et vous valoir des ennuis. Pas tellement encore de ce côté de l’Atlantique, mais avec une vigueur parfois étonnante de l’autre ; avec des visées planétaires.

Là où le bât blesse, c’est que certains tenants de ces théories ont conclu une forme d’alliance rhétorique avec les islamistes, dont les ressorts sont grandement contradictoires avec leurs fondements théoriques respectifs, et résultent d’une grande part d’aveuglement.

Pour finir l’ouvrage, Carin Azzopardi écrit un chapitre dans lequel elle montre comment un antisémitisme décomplexé est réapparu et s’est développé de manière croissante au cours des années 2000, certains allant – même parmi des stars grand public – jusqu’à assimiler Juifs et blanchité et considérer l’Holocauste comme « un crime de Blancs sur des Blancs ». Dans une surenchère haineuse – aux accents clientélistes – de termes révélateurs d’une pensée là aussi très binaire, antimoderniste, voire révisionniste, ou même complotiste, qui ajoute aux confusions, divisions, absence de nuances, clichés, et délires « progressistes » peu à même d’aller dans le sens de l’apaisement, de la coexistence pacifique et de la véritable démocratie, plus que jamais en danger. Là encore accentuée par les dérives préoccupantes… du wokisme.

 

 

À lire aussi :

Où en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?

Un article de Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB).

Le 16 septembre 2022, à Téhéran, Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs (gasht-e-ershâd) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (bad hedjâbi). Elle devient l’étendard d’une vague de protestations inédites en République islamique d’Iran.

Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au port obligatoire du voile. Elles sont rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes. Les contestataires se battent pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.

La réponse des autorités, sanglante et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : selon différentes sources, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les minorités ethniques et religieuses s’étant jointes au mouvement général.

Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la militante emprisonnée Nargues Mohammadi pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la libération de la chercheuse Fariba Adelkhah après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal slogan « Femme, Vie, Liberté » ?

 

De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens

Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le brûlant ou se coupant des mèches de cheveux.

Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, violées et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.

Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. Des jeunes hommes portent le voile en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des grèves sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du Kurdistan et du Baloutchistan, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.

Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, situation économique désastreuse, inflation atteignant les 50 %, salaires insuffisants, pénuries de toutes sortes – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.

Ils continuent de ridiculiser le régime ! En solidarité avec leurs camarades et en protestation contre le voile obligatoire et le code vestimentaire imposé aux femmes, des étudiants iraniens se rendent à l’université, en portant un voile ! #Iran #MahsaAmini pic.twitter.com/iVnHrqS0JM

— Farid Vahid (@FaridVahiid) March 13, 2023

De la contestation ouverte à la désobéissance civile

Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan, et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.

En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.

Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste Nazila Maroufian ou de l’actrice Taraneh Alidousti.

Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être condamnée à 74 coups de fouet. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.

Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du hedjâbElnaz Rekabi, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs Sara Khademalsharieh apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de Mitra Hejazipour, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.

Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.

Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, Le Monde a publié les textes écrits et transmis clandestinement par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).

Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. Mehdi Yarrahi a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau Soroode Zan (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de Shervin Hajipour Baraye (« Pour »). Finalement, la chanson Enlève ton foulard de Yarrahi a mené à son arrestation.

 

Une répression multiforme

En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des internements psychiatriques, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des lavages de cadavres à la morgue. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».

Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi « hedjâb et chasteté », qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.

Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visées par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des flagellations. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique a été fermé pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées.

Dans la répression généralisée, le recours à l’intelligence artificielle est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.

Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des attaques chimiques visant à semer la terreur et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».

 

L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi

Le 15 septembre 2023, vingt ans après Shirin Ebadi, Nargues Mohammadi s’est vu décerner le prix Nobel de la paix pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où elle purge une peine de onze ans de prison. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation, ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de « politique et partial » et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté ».

Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment avec la Russie, mais aussi avec l’Arabie saoudite.

Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est largement soupçonné d’avoir été impliqué, tout comme les bombardements de Gaza qui ont suivi ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.

Sur le web.

Un vent libéral souffle-t-il sur l’Amérique latine ?

Et si une révolution libérale était en maturation en Amérique latine ?

C’est une perspective à ne pas négliger, eu égard à l’actualité politique de trois pays qui, ayant chacun à leurs manières subi les affres du socialisme, pourraient s’apprêter à écrire une nouvelle page de leur histoire en portant au pouvoir des libéraux.

En Équateur, c’est chose faite avec l’élection de Daniel Noboa. Au Venezuela, la présidentielle de 2024 pourrait faire émerger Maria Corina Machado, une centriste libérale, tête de file de l’opposition à Nicolas Maduro. Enfin en Argentine, Javier Milei, qu’on ne présente plus, s’est qualifié au second tour de l’élection présidentielle qui aura lieu en novembre 2023.

 

En Équateur, un libéral élu président

Ce dimanche 15 octobre 2023, les Équatoriens ont élu leur nouveau président au terme d’une campagne qui s’est déroulée dans un climat d’insécurité et de violences politiques, et a été marquée par l’assassinat d’un des candidats (un ancien journaliste qui avait centré son discours sur la lutte contre la corruption).

Les résultats laissent cependant planer un espoir. Pour succéder au conservateur Guillermo Lasso (empêtré dans des affaires d’accusation de corruption), Daniel Noboa, un candidat de centre-droit ouvertement libéral, a remporté 52,1 % des voix contre Luisa Gonzàlez, du Mouvement révolutionnaire citoyen socialiste, le parti de l’ancien président Rafael Correa (2007-2017), pas franchement démocrate, puisqu’il avait réécrit la Constitution en sa faveur, et fait enfermer des journalistes et opposants politiques.

Daniel Noboa est le fils d’Alvaro Noboa, un homme d’affaires ayant fait fortune dans l’exportation de bananes, et candidat malheureux de cinq présidentielles. Marié et père de deux enfants, Daniel Noboa est, à l’âge de 35 ans, le plus jeune président de l’Équateur, malgré son manque d’expérience politique (seulement deux ans de députation).

Jouant la carte de la modernité, Daniel Noboa a surtout été élu sur un programme mettant en avant deux piliers : la sécurité et la défense de la libre-entreprise.

L’Équateur, qui est un des plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, a subi de plein fouet les conséquences de la forte croissance du trafic mondial dans les dernières années. Depuis 2016 et la signature d’un accord de paix entre la Colombie (pays frontaliers de l’Équateur) et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), l’Équateur est devenu un centre névralgique du trafic et un haut lieu des guerres de cartel. S’en est suivie une augmentation de la violence criminelle et une crise pénitentiaire sans précédent.

On comprend pourquoi, dans un tel contexte, le candidat Daniel Noboa a centré sa campagne sur la question sécuritaire, promettant de créer une agence du renseignement national ayant pour but d’organiser et de chapeauter tous les organismes de renseignement du pays. Il a aussi prôné un rapprochement avec les États-Unis afin d’obtenir une aide dans la lutte contre les gangs.

Derrière ce volet sécuritaire, Daniel Noboa a fait la promotion d’un programme économique libéral visant à soutenir les petites et moyennes entreprises, et d’une manière plus générale l’entrepreneuriat, en promettant privatisations, baisse de la fiscalité, facilitation de l’accès au crédit par des incitations fiscales.

Sur le plan institutionnel enfin, Noboa a fustigé la bureaucratie qu’il souhaite fermement combattre.

Bref, un discours libéral et démocrate qui, dans ce pays ravagé par les narcotrafics et des années de socialisme ayant contribué à creuser la dette, autorise les libéraux que nous sommes à un certain optimisme.

 

Au Venezuela, une libérale pour concurrencer le chavisme de Maduro ?

Si les Équatoriens peuvent se féliciter d’ouvrir une nouvelle page libérale pour leur pays et se permettre de rêver, les Vénézuéliens doivent attendre 2024 pour tourner le dos au chavisme et à Nicolas Maduro, qui briguera son troisième mandat.

Arrivé au pouvoir en 2013 après la mort d’Hugo Chàvez dont il est un fervent disciple, Nicolas Maduro a mis en place une politique économique socialiste (contrôle des prix, contrôle des changes, expropriations, sujétion du secteur privé à des militaires…) afin de réaliser une « révolution bolivarienne ». Les résultats désastreux d’une telle politique n’ont pas tardé : entre 2013 et 2018, le PIB a été divisé par deux, et l’inflation a atteint un taux de 130 000 %.

Sur le plan politique, Maduro a tenu le pays d’une main de fer et la répression de l’opposition a connu une accélération inquiétante les dernières années.

En 2018, 131 personnes avaient été arrêtées pour « entrave au plan de relance » de l’économie de Maduro. La même année, le pays comptait 12 000 détenus politiques, dont des enfants. Selon Freedom House, avec un score de libertés globales de 15/100, le Venezuela est l’un des pays les moins libres au monde. Le constat est tout aussi alarmant sur le sujet de la corruption. L’organisation Transparency international le classe 177e sur 180 pays, avec un indice de corruption de 14/100 (0 étant le maximum de corruption), faisant du Venezuela un des pays les plus corrompus au monde.

Plus récemment, Nicolas Maduro a frappé d’inéligibilité la plupart des leaders de l’opposition, dont Maria Corina Machado, une ingénieure de 56 ans, députée depuis 2012, à la tête de Vente Venezuela, le parti qu’elle a fondé. Cette centriste libérale, membre de l’opposition, fait partie des opposants les plus durs au chavisme, affirmant haut et fort qu’elle souhaite en finir avec le socialisme bolivarien. Son programme économique, jugé « ultralibéral » par Le Monde, propose notamment la privatisation de la compagnie pétrolière PDVSA, ainsi que d’autres entreprises publiques.

Malgré une fragile reprise économique encouragée par les réformes de 2019 (face aux résultats désastreux de sa politique économique, Maduro a été contraint de « libéraliser » en mettant en place des coupes budgétaires, en autorisant l’utilisation du dollar comme monnaie…), les conditions de vie des Vénézuéliens restent très difficiles et la contestation sociale est de plus en plus forte.

C’est dans ce contexte politique et social tendu qu’ont eu lieu les primaires de l’opposition vénézuélienne, dont l’organisation s’est faite sans le soutien des autorités locales. Maria Corina Machado a remporté une victoire écrasante en obtenant 93,31 % des suffrages exprimés (soit deux millions d’électeurs).

Si ces résultats laissent entrevoir une possible révolution libérale dans un pays marqué par des années de socialisme aux conséquences désastreuses pour sa population, le chemin est encore long. En effet, pour le moment, rien n’assure que Maria Corina Machado, toujours frappée d’inéligibilité par le pouvoir en place, puisse être candidate à l’élection de 2024.

Une lueur d’espoir toutefois : la communauté internationale fait pression sur Maduro. Après l’échec des négociations de La Barbade, qui se sont tenues sous les auspices de la Norvège, et dont l’objectif était de revenir sur l’inéligibilité des leaders de l’opposition, Washington continue de faire pression en menaçant de prolonger les sanctions si la situation politique ne s’améliore pas. Sans excès d’optimisme, il n’est pas improbable que Maduro soit obligé de reculer face aux sanctions des États-Unis, laissant ainsi une chance aux Vénézuéliens de se débarrasser une bonne fois pour toutes du chavisme.

 

En Argentine, un coup d’arrêt pour Javier Milei ?

Les Argentins aussi se débattent avec leurs vieux démons et ont l’opportunité, lors du second tour de l’élection présidentielle qui se déroulera le 19 novembre 2023, de tourner le dos au péronisme et à sa branche majoritaire, le kirchnérisme (du nom de Nestor et Cristina Kirchner, au pouvoir entre 2003 et 2015).

Mais pour cela, il faut compter sur la défaite de Sergio Massa, le candidat péroniste, et la victoire du candidat libéral Javier Milei. Nous avions consacré dans ces colonnes un long portrait de ce personnage sulfureux, dont les idées libérales séduisent autant que peuvent interroger son populisme démagogique et son conservatisme social. Nous ne reviendrons donc pas sur ce sujet, et nous nous contenterons de considérer que, face à un candidat péroniste, ce genre d’élucubrations est un luxe que le réalisme politique ne nous permet pas d’avoir. En effet, si rien ne nous assure qu’une fois au pouvoir, Javier Milei pourra effectivement sortir l’Argentine de son marasme politique et économique, nous avons l’assurance que, suivant Einstein, selon qui « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », l’élection de Sergio Massa serait une catastrophe pour le pays.

Il convient également de nuancer le discours médiatique dominant à propos de Javier Milei, souvent présenté en France sous ses seuls aspects caricaturaux pour coller au récit simpliste d’un candidat d’extrême droite aisément identifiable aux figures de Trump et de Bolsonaro. Car si l’outrance et le populisme font partie intégrante de la stratégie politique de Milei, la réalité est que l’important est ailleurs, et ses électeurs ne s’y trompent pas.

En effet, les militants de son parti Libertad Avanza (la liberté avance) attendent surtout un sursaut économique. Pas besoin de revenir sur la situation économique calamiteuse de l’Argentine (on renvoie à nouveau vers le portrait cité plus haut), il suffit de citer ce militant, Mauro Mendoza, dont les propos ont été rapportés par Le Monde : « Il nous faut absolument apporter de la stabilité à l’économie, arrêter d’émettre de l’argent ».

Au-delà de l’économie, c’est surtout une volonté d’en finir avec le kirchnérisme incarné par Sergio Massa qui a porté Javier Milei au second tour de l’élection présidentielle. En effet, le libéral s’est fait le porte-voix d’un ras-le-bol qui se fait de plus en plus sentir dans la société argentine.

Si les points de tensions liés à son conservatisme social et son populisme sont légitimes aux yeux des libéraux consistants s’interrogeant sur la cohérence intellectuelle d’un libéralisme (voir un libertarianisme ?) qui ne serait qu’économique au point d’en devenir caricatural[1], la réalité est qu’une fois au pouvoir, ces points de tensions ne seront pas appliqués (on pense par exemple à sa volonté de revenir sur le droit à l’avortement), tandis que son programme économique et sa volonté de lutter contre la corruption, qui sont au cœur de son logiciel politique, pourraient se révéler salutaires pour l’Argentine.

Mais toutes ces réflexions pourraient être inutiles s’il venait à perdre au second tour. Or, la montée en puissance de Javier Milei ces derniers mois, aussi forte qu’inattendue, a connu un coup d’arrêt ce dimanche 22 octobre 2023, lors du premier tour. Sergio Massa est arrivé en tête avec 36,7 % des voix, et Javier Milei en a réuni 30 %. Du côté des militants de Libertad Avanza, les résultats ont eu un goût amer, eux qui étaient persuadés qu’un raz-de-marée libéral déferlerait sur l’Argentine.

Alors, qu’attendre du second tour ?

Pour Javier Milei, la stratégie est toute trouvée. Il doit ouvrir ses bras aux électeurs de la candidate de droite malheureuse du premier tour, Patricia Bullrich, qui a obtenu un peu moins de 24 % des suffrages. Pour ce faire, Milei va peut-être devoir lisser quelque peu son image et son discours afin d’apparaître présidentiable auprès d’électeurs qui, bien que profondément dégoûtés du péronisme, pourraient avoir peur de son extravagance. Il reste que le réservoir de voix est réel, et que rien n’est joué.

Enfin, il faut garder à l’esprit que des élections législatives partielles se tiennent en même temps, et une percée des libéraux est très probable (ils devraient obtenir aux alentours de 40 sièges). Quel que soit le résultat du scrutin du 19 novembre 2023, le vainqueur n’aura probablement pas de majorité, et sera obligé de composer des alliances.

L’avenir de l’Argentine est encore à écrire, et les Argentins disposent de la plume.

 

Conclusion

Ces trois cas signifient-ils que quelque chose se passe en Amérique latine ? Faut-il y voir le début d’une révolution libérale ? Et si tel est le cas, peut-on en attendre une amélioration conséquente de la situation politique, économique et sociale dans ces pays ?

L’observateur libéral sait trop bien qu’un politique ne peut pas tout, et que les facteurs politiques n’expliquent pas seuls la situation de ces pays. Du reste, il est de toute manière trop tôt pour tirer des conclusions.

Contentons-nous donc d’un espoir modéré en constatant un potentiel réveil de ces populations, qui, peut-être, tourneront enfin le dos à un socialisme moribond dont l’histoire a trop souvent montré qu’il était vain d’en attendre quoi que ce soit d’autre qu’absences de libertés et marasme économique.


[1] Nous renvoyons ici nos lecteurs au chapitre 12 de l’ouvrage d’Alain Laurent « La philosophie libérale, histoire et actualité d’une tradition intellectuelle » sur les libertariens, dans lequel il explique bien qu’aucun libéral cohérent ne peut se satisfaire d’un libéralisme qui ne soit pas multidimensionnel : économique, politique & social.

Chine : l’anthropologue ouïghoure Rahile Dawut emprisonnée secrètement

Le 21 septembre dernier, la Fondation Dui Hua a révélé que l’anthropologue ouïghoure Dr. Rahile Dawut (راھىلە داۋۇت, 热依拉 · 达吾提) a été condamnée en 2018 à une peine de réclusion à perpétuité par les autorités chinoises, pour des accusations de mise en danger de la sécurité de l’État. Depuis la disparition de Rahile Dawut en 2017, la Fondation Dui Hua a demandé 28 fois au gouvernement chinois des informations sur son cas, mais n’a reçu confirmation de son sort que très récemment.

La fille de Dawut, Akida Pulat, a déclaré au China Project qu’elle était « révoltée » que sa mère, une anthropologue dont le travail de toute une vie visait à préserver la culture ouïghoure soit traitée si sévèrement.

« Je veux dire au gouvernement chinois : Vous montrez au monde que vous n’avez aucune pitié en donnant à ma mère innocente une peine de réclusion à perpétuité, » a déclaré Akida Pulat depuis son domicile à Seattle. « Je vous demande de faire preuve de clémence ! »

 

Un procès secret caché pendant 5 ans

Ces informations ont été cachées à la famille de Rahile Dawut pendant cinq longues années. Le procès secret et la sentence secrète en disent long sur les crimes du gouvernement chinois.

Le secret même montre qu’il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire ordinaire : il s’agit d’un crime contre les droits humains fondamentaux. Son seul crime était d’être une anthropologue étudiant la culture et l’héritage ouïghours.

Les hommages de collègues, d’anciens étudiants et d’amis ont envahi les réseaux sociaux après que la Fondation Dui Hua a rapporté qu’un tribunal chinois avait rejeté l’appel de Dawut concernant une condamnation de 2018 pour des accusations de « séparatisme » (分裂国家罪 fēnliè guójiā zuì), ou sécession. Comme le rappelle le China Project, l’article 103 du droit pénal chinois impose une peine de « pas moins de 10 ans » et jusqu’à la réclusion à perpétuité pour les personnes reconnues coupables.

Rahile Dawut est originaire du Xinjiang, une région du nord-ouest de la Chine trois fois plus grande que la France, qui subit une stricte répression d’État contre les Ouïghours et les autres peuples turciques principalement musulmans depuis 2016.

Dawut a été arrêtée en décembre 2017 par la police chinoise à l’aéroport Capital de Pékin, après avoir quitté le Xinjiang en route vers une conférence académique dans la ville. Sa disparition déclencha une recherche de 6 années par la Fondation Dui Hua parmi ses contacts en Chine.

Ce n’est qu’en juillet 2021 que ses anciens collègues ont confirmé sa détention. Mais sa famille et ses soutiens, y compris les nombreuses universités américaines où elle avait été chercheuse invitée, étaient toujours maintenus dans l’ignorance quant à l’issue de son procès et son bien-être.

 

Un engagement académique pour la préservation de la culture ouïghoure

Rahile Dawut, une érudite de renommée internationale spécialisée dans le folklore et les traditions ouïghoures, avait consacré sa vie à la préservation et à la diffusion de la culture ouïghoure. Son emprisonnement injuste est non seulement une tragédie pour elle et sa famille, mais aussi une grave perte pour la liberté académique, la préservation culturelle, et les droits humains.

Les contributions de Rahile Dawut à la connaissance ouïghoure et son excellence académique étaient largement reconnues. Elle était professeure associée à l’Institut des Sciences Humaines de l’Université du Xinjiang. En 2007, elle a fondé le Centre de Recherche sur le Folklore des Minorités à l’Université du Xinjiang, dans la capitale du Xinjiang, Ürümqi, où elle a continué à enseigner jusqu’en 2017.

Rahile Dawut était chercheuse invitée à Harvard, Cambridge, l’Université de Pennsylvanie et l’Université de Washington. Ses recherches et initiatives ont même reçu le parrainage et le soutien du gouvernement chinois. En 2018 elle était décrite dans le New York Times comme « l’une des universitaires les plus vénérées de la minorité ethnique ouïghoure dans l’extrême ouest de la Chine. »

Rahile Dawut a écrit de nombreux livres et articles de recherche au fil des ans, mais la publication qui l’a le plus rendue chère aux Ouïghours était son mince volume détaillant les histoires et les emplacements de centaines de mazars, les tombes de saints et de héros bien-aimés des Ouïghours, des sanctuaires parsemant le paysage désertique du Xinjiang.

 

Une destruction systématique de la culture et de l’identité ouïghoure

La confirmation de la sentence draconienne de Rahile est arrivée juste deux jours avant le neuvième anniversaire de la peine de réclusion à perpétuité infligée à un autre universitaire ouïghour éminent, le Dr. Ilham Tohti, professeur associé d’économie à la Central University of Nationalities à Pékin. Ce dernier a été emprisonné pour avoir plaidé en faveur des droits économiques, culturels, religieux et politiques fondamentaux pour les Ouïghours. Ces peines sévères pour les intellectuels ouïghours font partie d’un phénomène plus large de persécution et d’effacement culturel qui constitue un élément important de la campagne génocidaire du Parti communiste chinois dans la région du Xinjiang.

Parmi les personnes détenues figurent des leaders religieux et des centaines d’universitaires, auteurs et poètes. Beaucoup ont été envoyés dans des installations d’internement de masse pour subir une « rééducation. » Des milliers ont été condamnés à des décennies de prison, souvent de manière extrajudiciaire.

Selon le Uyghur Human Rights Project à Washington, D.C., environ 435 chercheurs et universitaires du Xinjiang ont été muselés, arrêtés, emprisonnés, ou ont tout simplement disparu, contribuant à la plus grande répression de la liberté académique en Chine depuis la révolution culturelle. La destruction de l’élite intellectuelle et culturelle ouïghoure relève d’une stratégie pour nuire à l’identité ouïghoure même.

La rhétorique étatique d’un Xinjiang ouvert et « harmonieux » est une propagande honteuse visant à blanchir les politiques d’effacement culturel et d’oppression systématique. Des universitaires innocents comme Rahile Dawut sont écrasés au service de la politique du PCC visant à effacer l’héritage et l’identité distincts des Ouïghours.

À titre d’illustration, en décembre 2017 (ce qui coïncide avec son arrestation à Pékin), le Parti communiste chinois s’attelait à détruire l’Ordam Mazar qui était au cœur de la recherche de Rahile Dawut. Comme expliqué dans un rapport du chercheur Nathan Ruser pour l’ASPI :

« Ordam Mazar (sanctuaire de la ville royale) était un petit village d’environ 50 structures dans le grand désert de Bughra. Situé à mi-chemin entre Kashgar et Yarkant, il était entouré de kilomètres de désert et était célébré comme le lieu d’où l’Islam s’est répandu dans la région.

Il marquait le site où, en 998 après J. -C., Ali Arslan Khan, le petit-fils du premier roi ouïghour musulman est mort lors d’une bataille pour conquérir le royaume bouddhiste de Hotan. Le martyre d’Ali Arslan était marqué par un festival chaque année, attirant des pèlerins ouïghours de tout le sud du Xinjiang au début du dixième mois islamique de Muharram. »

Nathan Ruser relate que des dizaines de milliers de personnes visitaient le site avant que le festival ne soit interdit en 1997. Depuis lors, la zone a été bouclée par le PCC. D’après l’analyse d’images satellites par l’ASPI, entre le 24 novembre et le 24 décembre 2017, l’intégralité du site d’Ordam Mazar a été rasée.

D’après Nathan Ruser, cet effort de destruction d’un site sacré « suggère que la démolition représente non seulement la restriction des libertés religieuses au Xinjiang, mais aussi la coupure délibérée des liens que les Ouïghours entretiennent avec leur patrimoine culturel, leur histoire, leur paysage et leur identité. »

En fin de compte, l’emprisonnement à vie de Rahile Dawut représente donc, non seulement une tragédie personnelle, mais aussi un n-ième élément de l’attaque plus large contre la culture et l’identité ouïghoures. Nous devons faire preuve de solidarité envers Rahile Dawut, sa famille et le peuple ouïghour, et exiger justice, liberté et respect des droits humains fondamentaux face à l’oppression et à la destruction culturelle du Parti communiste chinois.

Pourquoi les soins de santé privés sont en plein essor dans les pays scandinaves

Par Ulyana Kubini.

 

Aux yeux des jeunes électeurs et des socialistes de tous bords, Bernie Sanders est un super-héros qui défend avec passion sa vision d’une utopie socialiste en Amérique. Prenant le Danemark comme exemple, il défend l’idée que les États-Unis devraient s’inspirer des réalisations de pays comme la Suède et la Norvège, en particulier lorsqu’il s’agit de « bénéficier à la classe ouvrière ».

Lors des débats présidentiels de 2016, il a déclaré avec insistance :

« Nous devrions nous tourner vers des pays comme le Danemark, la Suède et la Norvège, et nous inspirer de ce qu’ils ont accompli pour leurs travailleurs ».

Ce sentiment perdure encore aujourd’hui.

Le système de santé nordique a souvent été associé au socialisme, mais un examen plus approfondi révèle qu’il ne correspond pas à sa définition.

Merriam-Webster définit le socialisme comme un système économique égalitaire dans lequel les moyens de production sont détenus collectivement par l’État ou la société.

Toutefois, les modèles économiques des pays nordiques intègrent à la fois des éléments publics, et privés.

 

Une assurance maladie privée au secours du service public

Si les pays nordiques fournissent des soins de santé financés par l’État, ils offrent également à leurs citoyens des options d’assurance maladie privée. Cette assurance privée permet aux individus d’éviter les longs délais d’attente et d’accéder à des soins de meilleure qualité.

En Suède, plus de 643 000 personnes sont couvertes exclusivement par des groupes d’assurance privés.

De même, au Danemark, le programme d’assurance complémentaire privé, Sygeforsikring Danmark, couvre plus de 14 % de la population danoise, 42 % d’entre eux étant au moins partiellement couverts par le secteur privé.

Les entreprises privées de soins de santé, telles qu’Aleris, sont très présentes dans les pays nordiques, ce qui témoigne de la croissance du secteur privé dans la région. Avec sept entreprises privées au Danemark et quatorze autres en Norvège, Aleris opère dans de nombreux pays scandinaves, emploie plus de 4500 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel de près de un milliard de dollars.

Pour être clair, toutes les options de soins de santé privés mentionnées ci-dessus seraient éliminées dans le cadre de l’assurance maladie pour tous. La proposition conduirait donc à une intervention encore plus importante de l’État dans les soins de santé, plus encore que dans les nations dont les socialistes démocratiques font l’éloge.

Les principaux responsables politiques des pays nordiques ont également mis l’accent sur leurs structures économiques axées sur le marché, en soulignant le mélange d’éléments publics et privés au sein de leurs systèmes de soins de santé.

Alors que Bernie Sanders et ses partisans ont fait l’éloge du Danemark pour ses politiques socialistes égalitaires, le Premier ministre danois Lars Løkke Rasmussen a fermement déclaré que son pays est, en fait, une économie de marché (bien qu’existe une réglementation gouvernementale importante dans l’économie, un peu comme aux États-Unis).

L’argument classique contre la médecine socialisée est l’augmentation évidente des temps d’attente, mais de nombreux progressistes considèrent les systèmes nordiques comme la preuve qu’ils peuvent être gérés efficacement par l’État.

 

Mais qu’en disent les Scandinaves eux-mêmes ?

En 2009, quelques années après l’apogée des États-providence dans les pays nordiques, les Danois étaient étonnamment peu nombreux à approuver les temps d’attente dans leur pays. Près de 50 % des Danois interrogés estimaient que les délais d’attente étaient injustes.

Les personnes interrogées ont également noté que l’une des principales raisons de choisir des soins de santé privés était la réduction du temps d’attente ou, en d’autres termes, la diminution du risque de mourir sur une liste d’attente approuvée par le gouvernement.

Ce résultat est d’autant plus choquant que le gouvernement danois a promulgué un projet de loi limitant les délais d’attente à un mois, deux ans avant la fin de l’enquête.

L’État serait-il incapable d’allouer efficacement les ressources, même en matière de soins de santé ? Il semble que le problème du calcul économique s’applique à tous les secteurs, y compris celui des soins de santé.

L’inefficacité de la médecine socialisée suédoise est également évidente.

Même après avoir garanti que les Suédois n’attendraient pas plus de 90 jours pour recevoir des soins médicaux, plus de 46 % des habitants du comté de Jämtland, en Suède, ont encore attendu plus longtemps. Dans certains comtés suédois, le délai d’attente pour une opération de la prostate potentiellement vitale était plus de deux fois supérieur à la moyenne mondiale, avec 271 jours d’attente.

Pour lutter contre ces inefficacités, les soins médicaux privés suédois sont devenus une activité en plein essor. De plus en plus d’hôpitaux sont rachetés et gérés par des groupes de capital-investissement. L’entrée de ces groupes de capital-investissement sur le marché des soins de santé a permis d’accroître la concurrence et d’améliorer les services pour tous les Suédois. Grâce à cette privatisation, le marché suédois du capital-investissement est devenu le deuxième d’Europe, avec une valeur de près de 8 milliards de dollars.

 

Conclusion

Ces observations soulignent que les systèmes de santé nordiques fonctionnent dans le cadre d’une économie de marché, en dépit d’une implication substantielle de l’État et de nombreux monopoles sanctionnés par l’État.

La médecine socialisée s’accompagne manifestement de nombreux effets secondaires, dont beaucoup sont extrêmement désagréables. Les pays nordiques s’en rendent compte, mais il semble que leurs admirateurs aux États-Unis n’en soient pas conscients.

Sur le web

 

Danemark et liberté d’expression : conflit entre valeurs et pressions étrangères

Par William Stehmann.

 

La législation du Danemark a toujours l’une des plus souples d’Europe en matière de liberté d’expression. Mais à la suite de la réaction d’un certain nombre de pays du Moyen-Orient, le nouveau gouvernement social-démocrate de Copenhague s’apprête à réprimer la liberté d’expression.

Qu’est-ce qui est le plus important ? La liberté d’expression des citoyens danois ou le désir de mettre fin à l’indignation suscitée à l’étranger par l’autodafé du Coran ?

C’est le dilemme auquel était confronté le gouvernement danois il y a quelques semaines, jusqu’à ce qu’il décide d’opter pour la seconde solution, et d’affaiblir les lois sur la liberté d’expression au Danemark.

Cette décision fait suite aux réactions négatives de plusieurs pays de l’OCI (Organisation de la conférence islamique) après que le Coran a été brûlé au Danemark et en Suède. Si brûler le Coran n’a rien de nouveau – il s’agit même d’une forme courante de protestation de la part des opposants à l’immigration au Danemark – la réaction du gouvernement est très différente aujourd’hui de ce qu’elle a été par le passé.

Historiquement, le gouvernement danois a été un ardent défenseur des lois nationales sur la liberté d’expression.

L’exemple le plus marquant de cette attitude remonte à 2005, lorsque le Danemark a subi les foudres de l’étranger après qu’un journal danois a publié des dessins satiriques du prophète Mahomet. À l’époque, le gouvernement libéral, dont faisaient partie de nombreux ministres actuels, a tenu bon face à cette réaction.

L’ancien Premier ministre, Anders Fogh Rasmussen, aurait déclaré :

« Il s’agit depuis le début d’une question de liberté d’expression. La liberté d’expression est menacée. »

Cette déclaration contraste fortement avec l’approche du gouvernement actuel qui, dans une déclaration à la presse, a indiqué qu’il étudierait la possibilité d’intervenir dans des situations où « d’autres pays, cultures et religions sont insultés et où cela pourrait avoir des conséquences négatives importantes pour le Danemark ».

Suite à la publication de cette déclaration à la presse, le gouvernement a rapidement rencontré l’opposition de la plupart des partis d’opposition, qui ont critiqué ses actions. Morten Messerschmidt, le chef du Parti du peuple danois, s’est rendu sur Twitter pour déclarer ce qui suit :

Tout d’abord, le gouvernement a supprimé la Grande Journée de Prière. Pour les Danois, les sentiments à l’égard du christianisme étaient moins importants que l’utilité et l’approvisionnement en main-d’œuvre. Le gouvernement a ensuite commencé à restreindre la liberté d’expression. Car les sentiments des… pays musulmans étaient très, très importants pour la réputation du Danemark. Il y a en effet quelque chose qui ne va pas au Danemark.

Et si le Parti du peuple danois n’a qu’une petite voix au Parlement, il a rapidement été rejoint par d’autres partis d’opposition, tels que l’Alliance libérale, dont le chef a tweeté ce qui suit :

Il est inquiétant que les pressions exercées par les pays islamiques nous obligent à restreindre la liberté d’expression au Danemark. Ce sont des principes importants et fondamentaux de notre démocratie libérale qui sont en jeu. Il y a un risque que cela devienne une pente glissante vers de nouvelles restrictions de la liberté d’expression.

Bien qu’aucun sondage n’ait été réalisé depuis la décision du gouvernement, le dernier de Voxmeter.dk a montré que seulement 35 % de la population danoise soutenait le gouvernement. Les critiques venant à la fois à gauche et à droite du gouvernement, il serait surprenant que leur soutien au sein de la population ne soit pas affecté par leur annonce.

Plusieurs organisations ont déjà réagi à la déclaration du gouvernement, notamment l’organisation Danske Patrioter, (Patriotes danois), qui a réagi en organisant une manifestation devant la maison du ministre des Affaires étrangères, où un Coran a été brûlé.

En outre, plusieurs autres personnalités politiques danoises ont critiqué la déclaration du gouvernement en raison de son caractère vague. Mai Villadsen, leader politique d’Enhedsliten, le parti danois le plus à gauche au Parlement, a également exprimé ses inquiétudes quant au fait que cela n’affecterait pas seulement les protestations concernant les pays de l’OCI.

Elle a tweeté ce qui suit :

Nous ne devrions pas modifier notre législation parce que certains régimes despotiques – qui ne respectent même pas les droits de l’Homme les plus élémentaires – menacent les intérêts des entreprises en matière d’exportation. Par exemple, il devrait être possible de déployer un drapeau tibétain lors d’une manifestation, même si cela offense le régime chinois ou le président chinois.

Le gouvernement a reçu des réactions négatives de la part des deux principaux partis politiques et organisations, mais il continue à rédiger des lois qui limiteraient le droit de la population à protester ou critiquer publiquement les régimes étrangers.

Et bien que les réactions négatives puissent provenir d’une grande partie de la population et du Parlement, il n’y a pas d’opposition extérieure à ses projets qui pourrait l’empêcher de légiférer sur les changements proposés, étant donné qu’il détient la majorité des sièges au parlement.

Sur le web

« La vérité a une telle puissance qu’elle ne peut être anéantie » d’Olivier de Kersauson

Olivier de Kersauson est connu pour son franc-parler et sa liberté de parole, et aussi son côté pince-sans-rire. Pour autant, si cette personnalité m’intéresse, j’ai très peu vu l’homme dans les médias, malgré les fréquentes apparitions qu’il a dû y faire, même si cela m’aurait intéressé.

Le lire est ainsi une excellente occasion de le découvrir et d’apprécier l’esprit qui guide une personnalité libre et authentique.

 

Le rejet de la superficialité et de la pensée molle

Fidèle à sa liberté de parole et à son sens de l’ironie (du peu que je le connaisse), Olivier de Kersauson se pose ici en observateur de la société.

Un observateur qui dispose de tout le recul et l’indépendance de parole de celui qui a la chance de pouvoir se mettre régulièrement en retrait, et de prendre ses distances avec l’agitation humaine quotidienne, mais aussi avec le grand cirque médiatique. Et c’est ce recul qui, justement, est intéressant, nous permettant de nous enrichir de la vision d’un être indépendant, qui observe notre société de loin, tout en ne s’en excluant nullement, et en conservant le caractère humble qui le définit (ce qui est une qualité hélas pas toujours la plus partagée) et ne le range aucunement parmi les donneurs de leçons.

Ce qu’il exècre – tout en faisant preuve d’une certaine indulgence envers la faiblesse humaine – est la superficialité, les apparences, l’agitation permanente pour faire parler de soi (le buzz), la flagornerie, la pensée molle (qui passe souvent par le langage convenu), et les impostures de toutes sortes.

Aussi se livre-t-il ici à un certain nombre de confidences sur sa manière de voir le monde, son évolution, ses failles, ses vertus dévoyées, et les illusions qui trop souvent nous entretiennent.

 

Où est passé le bon sens ?

Car, comme il le constate, c’est trop souvent le nivellement par le bas et le manque de réflexion qui caractérisent notre époque.

Les bons sentiments prédominent au mépris du bon sens. Comme en matière d’écologie, apparentée par certains à « une nouvelle religion d’où sortent des messies qui font dans l’incantatoire et se posent en modèles de vertu, alors qu’en réalité ils uniformisent la pensée ».

À cette aune, les médias ne sont pas en reste, puisque :

 

Les médias sont devenus comme le monde qui nous entoure. Jadis, dans les journaux, il y avait les signatures de ceux qui avaient réfléchi, s’étaient cultivés. Aujourd’hui, la plupart des journalistes font au plus court, ils n’ont plus le temps de la réflexion, ils sont des arbitres, ils nous affirment ce qui est de bon ton ou ne l’est pas. Le camp du bien et celui du mal. Chacun vend une manière de penser. Et je n’accorde pas obligatoirement aux stars du petit écran une qualité. Leurs jugements m’intéressent assez peu. Car, bien souvent, ils sont assez peu intéressants. Le bavardage a pris le pas sur tout. Un événement ? Vingt-cinq experts décryptent. C’est miraculeux. Au vrai, ils expliquent à tout le monde ce qu’ils n’ont compris qu’en partie.

 

La bêtise humaine le dispute avec le règne de la victimisation, qui lui inspire cette formule : « Malheur à ceux qui n’en ont pas ». Celle-ci n’étant que l’un des symptômes classiques de notre époque, qui se caractérise aussi par des tendances dangereuses et opposées à ce que nous connaissions auparavant, à l’image de ce phénomène très contemporain qu’il résume ainsi : « Le communautarisme, quel qu’il soit, c’est le rejet de l’autre ».

Comment, alors que nous avons accès à de nombreuses connaissances, pouvons-nous sombrer le plus souvent dans l’irrationnel, les croyances, les artifices du langage et le manque de profondeur ? Au lieu de nous fonder sur nos peurs, interroge Olivier de Kersauson, ne devrions-nous pas réapprendre à réfléchir par nous-mêmes, et moins nous fier au règne des réseaux sociaux, et ce qu’ils véhiculent comme vacuité, qui confine trop souvent à la tyrannie du divertissement ?

C’est d’une vraie crise de l’éducation et de la transmission que, de fait, nous souffrons. Une éducation qui était basée sur le bon sens, la réflexion, une transmission de valeurs fondée sur le respect, le rapport au temps, et non fleurtant avec le culte de l’immédiat et le règne de l’ignorance.

 

Superficialité vs capacité à s’enchanter

En voyageur aguerri, Olivier de Kersauson observe avec regret le changement d’état d’esprit qui caractérise notre époque.

Là où le voyage appelait le rêve, la curiosité, la découverte, l’imprévu et le voyage intérieur, il constate que la plupart des gens ne font en réalité que « se déplacer », sans chercher à comprendre où ils vont, ne faisant que parcourir sans sensibilité particulière, cherchant essentiellement à se distraire en se mouvant dans l’univers de la norme et du surfait, loin des particularismes, au contraire de ce que l’on connaît, qui rassure, qui colle à ses habitudes. Dans un monde mû par la vitesse.

La religion, le temps, la vie, la souffrance, la mort, le sens du dérisoire, les bonheurs simples, la bonne humeur, la capacité à s’enchanter, mais aussi à s’adapter, Olivier de Kersauson nous expose sa vision de l’existence, que je qualifierais d’assez stoïcienne, caractérisée par le refus de sombrer dans le pessimisme et la lamentation, mais plutôt de profiter de chaque instant, de voir ce qu’il y a de beau en lui, de savoir se contenter de ce que l’on a, de considérer la vie comme un privilège. Sans pour autant, naturellement, faire preuve de naïveté.

 

Olivier de Kersauson, Veritas tantam potentiam habet ut non subverti possit, Le cherche midi, novembre 2022, 208 pages.

Scandinavie : la liberté d’expression à l’épreuve de la pression diplomatique

« L’honneur est comme l’œil : on ne joue pas avec lui. »

Les Scandinaves seraient-ils en passe de mettre à mal ce proverbe norvégien ? Car en matière d’honneur, les pays d’Europe du Nord se trouvent aujourd’hui à un carrefour crucial.

Face à une série de manifestations anti-coraniques, la Suède et le Danemark sont depuis la semaine dernière en première ligne d’un conflit diplomatique avec l’Organisation de la coopération islamique (OCI), entité intergouvernementale regroupant 57 États musulmans à travers le monde. Seule organisation de ce type à être ouvertement confessionnelle, l’OCI a décidé d’attaquer diplomatiquement les deux États scandinaves, accusés de ne pas sanctionner les autodafés du livre saint de l’Islam qui se sont multipliés depuis le début de l’été.

Un face-à-face complexe opposant en particulier la Suède et le Danemark à l’Irak, où les minorités religieuses ont infiniment moins de droits qu’en Europe.

Une hypocrisie voire une duplicité sur fond de liberté d’expression et d’ingérence internationale.

 

Une série d’autodafés

L’épicentre de ce conflit se situe dans la capitale suédoise.

Le 28 juin, premier jour de l’Aïd-el-Kebir, un réfugié irakien incendie des pages du Coran devant une mosquée de Stockholm. Trois semaines plus tard, il réitère son acte en piétinant et déchirant un nouvel exemplaire du livre saint de l’Islam devant l’ambassade d’Irak, toujours dans la capitale suédoise.

Le 31 juillet, cette fois accompagné d’un acolyte, il piétine et met feu à un troisième exemplaire lors d’une manifestation appelant à l’interdiction de ce même Coran devant le Parlement suédois.

Parallèlement, fin juillet, de l’autre côté de la mer Baltique, le parti d’extrême droite Danske Patrioter a posté la vidéo d’un homme brûlant à son tour un Coran et piétinant un drapeau irakien, alors que des manifestations similaires se déroulent dans le pays.

 

Des actes « criminels » ?

Rapidement, les autorités irakiennes ont appelé à adopter « une position plus ferme et à mettre un terme à ces pratiques criminelles », alors que le lundi 31 juillet, les représentants des 57 États membres de l’OCI se sont réunis à Djedda, en Arabie saoudite, pour constater l’absence de réaction des Scandinaves, allant jusqu’à appeler, par la voix du secrétaire de l’organisation, le Tchadien Hissein Brahim Taha, l’Union européenne à prendre des mesures « pour que cet acte criminel ne se reproduise plus sous le prétexte de la liberté d’expression ». L’usage, par deux fois ici, du terme « criminel », relève d’une douce ironie alors qu’il est utilisé par des pays dont une bonne partie réprime, elle, de façon concrète et officielle, certaines minorités qui en Europe n’ont pas à subir les mêmes traitements.

Dans la foulée, l’OCI a également appelé les Nations unies à nommer un envoyé spécial contre l’islamophobie.

Cette ingérence de l’OCI dans les affaires internationales n’est pas une première, puisqu’elle avait déjà imposé, avec succès, à l’ONU d’expulser des associations LGBT d’une conférence sur le VIH en 2016.

 

Un conflit irako-irakien

Les actes au cœur de ce conflit diplomatique ont une nature particulière.

En effet, les auteurs de ces profanations, Salwan Momika et Salwan Najem, sont tous deux des réfugiés irakiens. Le premier, 37 ans, est arrivé en Suède il y a cinq ans avant d’obtenir le statut de réfugié en 2021. Il se définit comme un activiste athée. Responsable d’une milice chrétienne proche de l’Iran, il se serait rapproché depuis plusieurs années des Démocrates de Suède, principal parti d’extrême droite local.

Le second, arrivé au pays il y a 25 ans, a obtenu la nationalité suédoise dès 2005, et ne semble pas avoir d’antécédents connus.

Les appels à criminaliser les incendies de livres saints masquent en partie l’importation d’un conflit purement irakien sur le territoire suédois.

 

L’hypocrisie irakienne

Les autorités irakiennes se montrent depuis plusieurs jours particulièrement virulentes à l’égard de ce qu’elles considèrent comme une atteinte faite aux Suédois de confession musulmane.

Rappelons que ces derniers sont, fort heureusement, mieux lotis que certaines minorités religieuses vivant au pays des deux fleuves, où les minorités israélites sont toujours, à l’heure où nous écrivons ces lignes, interdites de carrières militaires et de fonctionnariat. Des persécutions sont également attestées à l’égard des yézidis, des chrétiens, et même des musulmans sunnites.

Il vaut donc mieux être musulman en Suède que juif en Irak.

De façon plus générale, l’état des droits des minorités dans les pays membres de l’OCI appellent à davantage de retenue sur la question, tant les accusations irakiennes relèvent d’une profonde indécence.

 

La liberté en danger

En effet, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Tobias Billström, la Suède a répondu par l’explication du droit de manifester tel qu’appliqué en Europe.

Ceci étant fait, et plutôt que d’affirmer avec force la liberté de manifestation et de conscience, le Premier ministre suédois Ulf Kristersson a évoqué une menace pour la sécurité du pays. Le gouvernement danois a rapidement suivi en indiquant qu’il examinait les moyens de limiter les actes de profanations.

Outre le fait que les autorités de ces pays cèdent à des puissances étrangères au nom de leur sécurité, ce qui est la définition même du terrorisme diplomatique, cette situation nous rappelle les mots écrits par Benjamin Franklin dans une lettre au gouverneur de Pennsylvanie en 1755 :

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

 

Un enjeu de civilisation

Placer ce conflit sur le plan religieux revient à faire une autre erreur d’analyse.

Si l’OCI raisonne par unité religieuse essentialisante, l’Occident fonctionne par nations comme espaces civiques où la législation ne change pas en fonction de la religion des individus.

En outre, on en vient ici à embrasser une forme de collectivisme en protégeant des communautés et des idées au détriment de la liberté individuelle. Une contradiction totale avec notre civilisation dont le philosophe Philippe Nemo a brillamment rappelé les fondements dans son ouvrage sorti en 2004.

Revenir sur ces notions par la bigoterie, qu’elle soit religieuse ici ou woke ailleurs, serait une profonde régression civilisationnelle à laquelle les démocraties ont le devoir de s’opposer le plus fermement possible, que soit par le biais de l’Union européenne, ou tout simplement du Conseil nordique, organisation internationale de coopération entre le Danemark, la Norvège, la Suède, l’Islande et la Finlande fondée en 1952. Les deux organisations, qui se targuent d’incarner les valeurs européennes, ont tout intérêt à répondre fermement aux attaques diplomatiques en contre-attaquant, par exemple, sur la différence dans le traitement des minorités des deux côtés du conflit. Il en va de la crédibilité internationale d’une Europe scrutée par les États-Unis, la Chine et la Russie.

Reste à savoir si les Suédois et les Danois se souviendront suffisamment tôt du proverbe de leurs amis norvégiens et ne joueront pas trop avec leur honneur.

Geoffroy Lejeune au JDD : la liberté de la presse en question

Il y a quelque temps, un certain nombre de magnats des médias ont pris le contrôle d’une revue connue pour ses articles parfois polémiques. La rédaction reprochait l’imposition d’une certaine vision du journal par des propriétaires nommant une nouvelle direction à la rédaction. Cette histoire, celle des Cahiers du Cinéma, ne vous fait penser à rien ?

L’arrivée mouvementée à la tête du JDD le 1er août de l’ancien directeur de rédaction de Valeurs actuelles, licencié pour complaisance idéologique, suscite des interrogations. Une partie de la France se questionne soudainement sur l’impact de la prise de contrôle de médias par des personnalités controversées sur la liberté de la presse.

Ces préoccupations surgissent alors que cette liberté n’a jamais été autant sujette à des pressions politiques, dans un milieu médiatique dominé par la gauche et largement subventionné, alors que la rédaction du JDD se montre incapable de prendre ses responsabilités.

 

Le retour de la gauche pleureuse

Moins d’une dizaine de jours après son départ de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune est désigné par Vincent Bolloré pour prendre la suite d’un autre habitué des plateaux de CNews, Jérôme Béglé, à la tête du JDD.

Dans l’après-midi du 22 juin, par 77 voix pour, une contre et cinq abstentions, les journalistes de l’hebdomadaire racheté début juin par la huitième fortune française ont entamé une grève qui dure désormais depuis presque un mois et demi.

Si la nomination est confirmée dès le lendemain, la grève provoque un tollé dans le monde journalistique hexagonal. Soutenu par une centaine de personnalités du spectacle, de la culture et de l’université, le mouvement monte jusqu’au gouvernement. La ministre de la Culture Rima Abdul Malak s’alarme « pour nos valeurs républicaines ». Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye apporte publiquement son soutien aux grévistes sur l’antenne de Radio J et la rédaction s’est même offert le soutien de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT qui a de son côté décidé d’évoquer la question au plus haut niveau de l’État.

 

L’immixtion du politique

Rarement, dans notre histoire récente et en particulier depuis la fin de l’ORTF, le politique s’est autant mêlé de la question de la liberté de la presse, et plus largement du droit de propriété.

Si la nécessité pour Vincent Bolloré de faire valider le rachat du JDD par la Commission européenne est déjà choquante dans une Europe qui se vante d’être un espace de libertés, le fait que les deux principaux ministres en charge des questions d’informations prennent fait et cause dans le conflit d’une entreprise privée n’en est pas moins un scandale sur le plan de la liberté.

 

La droitisation fantôme

La rédaction craint ainsi une « droitisation » de la ligne éditoriale. La blague pourrait, et même devrait s’arrêter là.

De nombreux médias, plus ou moins sérieux, ont tenté de « démythifier » l’allégation courante de parti pris de gauche de la sphère journalistique française. Se basant sur des visions assez restrictives de la gauche, les gesticulations argumentatives et morales ne résistent pas aux statistiques.

Car en se basant sur les sondages parus ces 25 dernières années, on retrouve un score pour les candidats de gauche au premier comme au second tour des élections présidentielles allant de 52 à 74 % de voix.

Un gauchisme évident lorsqu’on se souvient que la presse française est largement subventionnée. Dans ce sens, n’hésitez pas à venir faire un tour dans notre dossier spécial sur le sujet pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, mais notons ici qu’en 2021, le JDD était le cinquième titre le plus subventionné.

Craindre une « droitisation » – comprendre « hégémonie de droite » – des médias français parce qu’une fortune privée ose enfin, que ce soit par idéologie sincère ou par volonté de disruption du marché de la presse, mettre un peu de concurrence idéologique, et donc de démocratie dans la manière dont l’information est traitée en France, relève au mieux d’une profonde erreur d’analyse, et au pire d’une nouvelle tentative de narratif dont la gauche a le secret pour tenter de maintenir son emprise sur l’expression dans ce pays.

Nous sommes purement et simplement devant une pièce de théâtre destinée à masquer une guerre de contrôle sur le trésor des subventions à la presse, financées par un contribuable français dont les idées sont à l’inverse de plus en plus à droite.

 

Une chasse gardée assiégée

De fait, Geoffroy Lejeune est depuis un mois et demi l’objet d’une véritable chasse aux sorcières menée par une certaine frange, majoritaire donc, du journalisme français, peu encline à accepter la diversité éditoriale.

Il faut dire que le milieu culturel est une chasse gardée de la gauche depuis plus de 40 ans. Un monopole étatique que nous voyons aussi bien au niveau national que local qui semble en passe de se fissurer, mais qui ne pourra être réellement brisé que le jour où nous en finirons enfin avec l’arrosage systématique d’argent public. Un doux rêve…

 

Le cas des clauses de conscience

Mais restons éveillés encore quelques minutes, car il est difficile de ne pas s’interroger sur les issues possibles de cette affaire.

Politiquement et humainement, il est impossible d’imaginer que Bolloré cède aux grévistes. Juridiquement et moralement, hors faute lourde, il est tout aussi impossible de licencier la rédaction du JDD du simple fait d’une grève.

Une autre option s’offre à elle, mais suppose qu’elle prenne ses responsabilités.

En droit français, les journalistes bénéficient depuis 1935 d’une clause de conscience qui leur permet, notamment en cas de changement de la situation juridique de l’employeur, de démissionner sous le régime du licenciement. Concrètement, cela les autorise, comme c’est possible pour tout salarié en cas de démission dite légitime (suivre un parent, un conjoint ou un enfant, faute de l’employeur, création d’entreprise…) de bénéficier de droits au chômage.

 

Vers des démissions massives ?

Toujours dans l’affaire qui nous intéresse, il est largement possible d’envisager qu’une telle décision soit prise massivement.

L’exemple le plus parlant reste celui de Les Cahiers du Cinéma. Après la reprise du journal le 30 janvier 2020 par une vingtaine de personnalités proche du cinéma français, le mensuel fondé en 1951 justement contre ce dernier a été l’objet de la démission de l’intégralité de sa rédaction, cette fois en usant, non d’une clause de conscience, mais d’une clause de cession, clause similaire dont l’usage exige toutefois une obligation de préavis. Encore une fois, la manœuvre n’était pas dépourvue d’intérêt idéologique, Les Cahiers du Cinéma étant connu pour sa ligne très à gauche selon Libération (c’est dire…).

 

Se défaire du théâtre politique

Plutôt que d’en appeler systématiquement à l’État pour se protéger d’une soi-disant menace pesant sur la République par un magnat prétendument d’extrême droite, la rédaction du JDD aurait tout intérêt à prendre ses responsabilités et, peut-être, provoquer une crise au sein du journal dont elle a la charge.

Il est donc aisé d’imaginer une solution qui ne ferait pas appel à la grandiloquence républicaine contre la menace fasciste, rengaine pathétique à en devenir hilarante et masquant en réalité la crainte du crépuscule d’une rente idéologique.

Dans l’attente, Geoffroy Lejeune se prépare à l’entrée en fonction la plus agitée de sa jeune carrière.

Et si tous les travailleurs pouvaient être indépendants…

Un article de l’Iref-Europe

Livreurs à vélo, chauffeurs VTC, professeurs ou psychologues…

Dans l’Union européenne, environ 28 millions de personnes travailleraient sous le statut d’indépendant pour des plateformes comme Deliveroo, Bolt ou Uber. Elles pourraient être 43 millions en 2025. Fonctionnaires et élus européens, surprotégés, ne peuvent pas imaginer que des travailleurs préfèrent leur indépendance au risque de leur inquiétude, être le loup plutôt que le chien de la fable.

 

La technocratie européenne s’évertue à tuer l’innovation

Les eurodéputés ont validé en février dernier une proposition de directive, publiée par la Commission le 9 décembre 2021, puis retravaillée et présentée par le Conseil européen début juin à l’effet d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes.

Alors qu’aujourd’hui, ceux-ci doivent démontrer qu’ils sont, le cas échéant, salariés, si cette directive aboutit, les travailleurs seront légalement présumés être des salariés si dans leur relation avec une plateforme numérique celle-ci remplit au moins trois des sept critères énoncés dans la directive, à savoir que la plateforme :

  1. Détermine les plafonds du niveau de rémunération
  2. Exige de la personne exécutant un travail via une plateforme qu’elle respecte des règles spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail
  3. Supervise l’exécution du travail, y compris par des moyens électroniques
  4. Restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de choisir ses horaires ou ses périodes d’absence
  5. Restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude d’accepter ou de refuser des tâches
  6. Restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants
  7. Restreint la possibilité de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.

 

Cette directive veut donc imposer de nombreuses obligations aux plateformes pour garantir les nouveaux droits des « travailleurs ».

Peu à peu, la technocratie européenne s’évertue à tuer l’innovation et préserver son vieux monde. Elle rend plus chers les services qui venaient augmenter le pouvoir d’achat de tous. Mais surtout, elle viole les droits élémentaires de chacun à travailler selon ses choix.

 

L’Europe ne comprend pas que certains salariés préfèrent être « indépendants »

Et elle refuse de comprendre que le meilleur accomplissement humain est dans la liberté et la responsabilité individuelles.

Elle devrait se ressourcer dans la lecture de Hyacinthe Dubreuil.

Il y a déjà plus d’un siècle, cet ouvrier syndicaliste CGT d’origine, mais chrétien, prônait la transformation du travail salarié en travail indépendant. Il voulait individualiser la situation de chacun en fonction de ses qualités propres. « Notre désordre actuel, ajoutait-il, provient de toute évidence, du fait que l’on veut soumettre l’individu aux lois du groupe en ignorant les siennes ».

Il proposait donc que les entreprises soient organisées en petits ateliers autonomes pour réaliser des tâches successives de fabrication avec des équipes dont les membres seraient rémunérés en fonction de l’efficacité de leur organisation. Les individus seraient ainsi maîtres et responsables de leur travail autant que de leur rémunération. Il voulait en fait que les salariés puissent disposer des moyens d’accomplir leur existence « sur les trois plans économique, intellectuel et moral ». Ce qui supposait pour lui qu’on leur rende leur autonomie et la responsabilité de leur travail. C’est précisément ce que peuvent trouver les individus dans le travail indépendant.

L’Europe aime les fonctionnaires et les salariés. Elle ne comprend pas que certains préfèrent être « indépendants », travailler pour leur compte. Parce qu’elle aime ceux qui ont besoin de sa protection, pas ceux qui aimeraient s’en passer. Elle voudrait donc que tous soient salariés, ou le plus grand nombre. Dans l’esprit collectiviste ambiant qui l’anime désormais, elle n’a de cesse de vouloir remettre tous les travailleurs sous le statut du salariat, soumis à des règles uniformes et publiques.

Au motif de les protéger tous, il s’agit de les assujettir tous à un même moule ; de les obliger à s’assurer auprès d’une sécurité sociale très onéreuse et peu efficace ; de les empêcher de souscrire des retraites par capitalisation pourtant plus protectrices ; de les soumettre à des conventions collectives plutôt qu’à des contrats qu’ils pourraient librement négocier.

Il est prévu que la directive entre en vigueur en 2025. Mais la négociation n’est pas encore achevée. Souhaitons que l’Europe retrouve ses esprits d’ici là.

Sur le web

Derrière le chaos au Soudan, la main des Émirats arabes unis

Depuis le 15 avril dernier, la lutte pour le pouvoir entre deux généraux rivaux, Burhan et Hemeti, a déjà fait plus de 1800 morts au Soudan. Acteur clef de ce conflit, Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemeti, révèle la place centrale qu’ont pris les Émirats arabes unis dans le pays.

Le général Hemeti est à la tête des Forces de Soutien Rapide, l’une des milices arabes les plus puissantes du Darfour. En 2019, lors de la chute du régime d’Omar el-Béchir, il accède au pouvoir en devenant le numéro deux du Conseil militaire de transition, puis du Conseil de souveraineté. En 2023, il est accusé par l’armée soudanaise d’avoir mené un coup d’État en attaquant différentes bases militaires dans le pays. Dans le même temps, ses milices prennent le contrôle du palais présidentiel, de l’aéroport de Khartoum et de la base aérienne de Jebel Aulia. Or, celui qui aspire à devenir le nouvel homme fort du Soudan est au cœur du réseau émirati au Soudan.

Pour les Émirats arabes unis, le Soudan tient une position stratégique.

Idéalement situé au bord de la mer Rouge, il offre un accès aux routes maritimes vers l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord via le détroit de Bab el Mandab. Sa situation géographique, combinée à des infrastructures portuaires adaptées, lui confère un potentiel pour les chaînes d’approvisionnement en provenance d’Afrique.

Dans une interview accordée à Al Jazeera, Jihad Mashamoun, chercheur soudanais et analyste politique des affaires soudanaises, dans une interview accordée à Al Jazeera analyse ainsi :

« Les intérêts des Émirats arabes unis résident dans le contrôle des ports de la mer Rouge. Les Émirats arabes unis ont des intérêts politiques et économiques en mer Rouge, qui s’étendent également à l’Afrique centrale et occidentale. »

Cela se manifeste par la signature en 2022 d’un accord de six milliards de dollars avec AD Port pour la construction et l’exploitation du port d’Abu Amama, ainsi que par la construction d’une autoroute à péage de 500 km, évaluée à 450 millions de dollars. Ces initiatives font partie d’un investissement plus large d’Abu Dhabi visant à renforcer sa présence en Afrique, en mettant notamment l’accent sur la Corne du continent.

Les Émirats arabes unis ont donc investi dans les ports et le transport maritime, dans le but de renforcer leur influence et de consolider leur rôle en tant qu’acteur régional influent. Cette stratégie implique la mise en place d’un réseau d’avant-postes stratégiques, où le Soudan joue un rôle crucial. Et désormais, Les Émirats sont le principal investisseur dans le pays.

 

L’opération avortée de séduction envers Omar el Béchir

En 2018, leur stock d’investissements était estimé à 7 milliards de dollars. Le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed Al Nahyane, espérait pouvoir influencer la politique d’Omar el-Béchir, alors au pouvoir… En vain. Le dictateur a continué sa stratégie consistant à maintenir un équilibre et à éviter de s’impliquer dans les conflits régionaux. Par exemple, Omar el Béchir s’est bien gardé de participer à l’embargo imposé par l’Arabie saoudite contre le Qatar en 2020.

Mais de toute façon, El-Béchir ne correspondait pas vraiment à l’approche des Émirats arabes unis : proche des Frères musulmans, proche de l’Iran, considéré comme un État terroriste par les Américains… Téhéran et Khartoum coopéraient étroitement dans le domaine de la défense. Et début des années 2010, l’Iran avait même un bataillon des Gardes révolutionnaires au Soudan.

Si le Soudan est stratégique pour la diplomatie émiratie, El-Béchir était donc gênant pour Abu Dhabi. En décembre 2018, les Émirats arabes unis ont interrompu les expéditions de carburant vers le Soudan, entraînant une dévaluation de la monnaie et une augmentation de la dette. Le gouvernement s’est alors vu contraint de réduire les subventions sur le pain, ce qui a inévitablement provoqué des émeutes… Et mis fin au règne de Béchir.

 

Hemeti, l’homme d’Abu Dhabi

C’est à la faveur de ce soulèvement que Hemeti et Abdel Fattah al-Burhane émergent au Soudan.

MBZ, fidèle à une politique pragmatique, a essayé de rester proche de chacun d’entre eux. Toutefois, c’est Hemeti dont la famille royale d’Abu Dhabi est la plus proche. Il est décrit par un diplomate comme « l’agent et le mandataire des Émirats ».

Il aurait consolidé sa position grâce à sa capacité à s’allier avec des dissidents et des concurrents potentiels en les achetant. D’ailleurs, en 2018, quand le Soudan avait envoyé 10 000 hommes au Yémen pour soutenir le conflit mené par l’Arabie saoudite et les Émirats, Burhane se trouve au Conseil militaire de transition, mais c’est Hemeti qui envoie ses hommes et qui reçoit les financements. En 2019, le soutien des Émirats arabes unis s’est manifesté par une livraison d’armes aux FSR de Hemeti.

Ils font également pression pour le placer au conseil de transition. Hemeti est plus spécifiquement à l’Emirat dAbu Dhabi. Il est, par exemple, très lié à MBZ, qui l’a reçu en février 2022 à Abu Dhabi.

 

Le business de l’or sale

Dernier élément à prendre en compte : Mohamed « Hemeti » Hamdan Dagalo est impliqué dans le commerce de l’extraction de l’or via son entreprise, Al Gunade. L’entreprise familiale a fait de lui un des hommes les plus riches du Soudan. Grâce aux Forces de soutien rapide (FSR), il a pris le contrôle de plusieurs mines, dont la mine d’or de Jebel Marra au Darfour, en 2017.

Plusieurs sociétés obscures, étroitement liées aux services de sécurité sous le régime d’El Béchir, contrôlaient d’autres mines à travers le pays. Le parti au pouvoir, le Congrès national, avait sous son contrôle un réseau de mines et des propriétés d’une valeur dépassant le milliard de dollars. Une manne que Hemeti a su récupérer grâce à son influence et ses milices. Il est ainsi devenu le principal bénéficiaire de la plaque tournante mondiale de l’or qu’est devenu le Soudan. Le chef de guerre, qui a des connexions au Darfour, a rassemblé l’or extrait de manière plus ou moins licite dans d’autres pays du Sahel pour ensuite l’exporter vers l’Emirat de Dubaï et la Russie à des prix concurrentiels.

En effet, en 2022, ce sont 16 milliards de dollars d’or qui ont été exportés depuis le Soudan. Un procédé également utilisé par Wagner, qui exploite des mines au Sahel et au Soudan. L’entreprise russe a ainsi été autorisée à s’installer à Dubaï, un moyen efficace de distribuer l’or sale qu’elle extrait.

Ainsi, les recettes de l’or d’Hemeti ont été déposées dans des banques et des sociétés écrans basées aux Émirats arabes unis, à Abu Dhabi. Ces flux de trésorerie lui servent désormais à financer les FSR en armes et camions de bien meilleure qualité que ses rivaux. En soutenant financièrement Hemeti, les Émirats arabes unis assurent un de leurs multiples réseaux dans le pays. Ils suivent ainsi leur politique de délégation en s’appuyant sur un homme qui partage leur point de vue, en installant un régime autoritaire et hostile à l’islam politique.

Comme au Caire ou en Syrie, cette stratégie vise à « stabiliser » la région, quitte à s’associer avec un homme responsable de centaines de morts.

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