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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Michel Pinton explique comment l’art d’influencer les élections en France est apparu

Michel Pinton n’est pas très connu du grand public. Fondateur de l’UDF, il a pourtant joué un rôle essentiel dans l’élection de Giscard en 1974. Grâce à lui, le jeune candidat a importé en France (il fut le premier) les techniques de “psychologie sociale” utilisée aux Etats-Unis, notamment par Robert Kennedy, dont il fit la campagne avant son assassinat. Michel Pinton nous explique comment Giscard a révolutionné l’art électoral. Un enseignement indispensable pour comprendre l’élection d’Emmanuel Macron en 2017…

De ce long entretien avec Michel Pinton, il faut retenir plusieurs éléments :

  • Giscard est, au tournant des années 70, le premier (en France) à comprendre l’art “d’orienter” les élections en utilisant des “data”
  • Ces data sont issues de sondage d’opinion, elles permettent d’affiner les thèmes de campagne
  • La campagne de Giscard mise sur un investissement stratégique inspiré par la campagne “moderne” de Robert Kennedy aux USA
  • Giscard recrute Michel Pinton qui avait fait l’expérience de ce type de fonction et d’organisation dans le staff de campagne de Robert Kennedy
  • Giscard gardera sa supériorité technique en 1981
  • en revanche, il n’a pas su concilier les contradictions de son électorat, dont Emmanuel Macron héritera en partie, idéologiquement
  • les data ne font donc pas tout…

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Marseille, douloureux sas des juifs arabes vers Israël

Entre 1948 et 1966, des dizaines de milliers de juifs originaires du Maghreb ont transité quelques semaines par le camp du Grand Arénas à Marseille avant de rejoindre Israël. Ils y connaitront parfois de sérieuses déconvenues qui préfigureront celles qu'ils connaitront après leur installation en « terre promise ».

Du camp du Grand Arenas de Marseille il ne reste aujourd'hui plus rien. Seuls deux piliers marquent l'ancienne entrée du lieu, désormais un terrain vague abandonné, et la mémoire balayée du rôle de la France dans l'émigration juive arabe vers Israël. En 1944, l'Agence juive projette d'installer un million de juifs en Palestine en deux ans. Son président David Ben Gourion, futur fondateur de l'État d'Israël, en fait la priorité du mouvement sioniste. En 1950, le parlement israélien vote la « loi du retour » qui garantit à tout juif le droit d'immigrer en Israël.

Le potentiel démographique des juifs d'Afrique du Nord convainc l'Agence juive d'envoyer des émissaires au Maghreb. Mais dès la fin des années 1940, l'arrivée en Israël des juifs orientaux — mizrahim en hébreu — interroge l'identité du nouvel État. Cette main-d'œuvre travailleuse ne parle pas encore hébreu mais arabe, et sa future intégration dans la société israélienne se fera d'abord, non sans difficultés, au sein de camps de transit.

Dans le sud de Marseille, dans le quartier de la Cayolle niché contre les calanques, le camp du Grand Arénas gagne le surnom de « camp des juifs ». Pendant plus de vingt ans, on y acculture des dizaines de milliers de juifs arabes pour en faire de futurs Israéliens. Ce « petit bout d'Israël » sur le territoire français est géré par l'Agence juive qui envoie juifs marocains, tunisiens et parfois égyptiens rejoindre une terre qu'on leur promet.

Un camp édifié pour les prisonniers

À la fin des années 1990, deux historiens marseillais éveillent la mémoire oubliée du Grand Arénas. Une archive après l'autre, Nathalie Deguigné et Émile Témime reconstituent le quotidien du camp et de ses milliers de migrants maghrébins en transit.

Vivre dans les baraquements se révèle une rude épreuve, accentuée par les intempéries. L'hiver, ceux-ci, mal isolés et chauffés par des poêles à charbon, laissent pénétrer le froid et l'humidité. L'été, la chaleur y est insupportable...1

De 1948 à 1955, près de 40 000 juifs marocains sur un total de 250 000 partent en Israël, et la grande majorité d'entre eux passe par le camp marseillais. « À Marseille, on ferme les yeux sur la présence irrégulière de ces transitaires. Leur transit ne doit pas, en principe, dépasser un mois ».2

Un bureau d'émigration est ouvert à Casablanca pour enregistrer les départs des juifs via Marseille. En 1956, les indépendances du Maroc et de la Tunisie relancent une vague de départs. De janvier à octobre, près de 40 000 migrants passent par le camp. Édifié par l'État français en 1945, le Grand Arénas accueille d'abord des prisonniers allemands dans l'attente de leur rapatriement, ou encore des travailleurs indochinois placés sous la surveillance des autorités. Mais c'est l'afflux de milliers d'émigrants gérés par l'Agence juive qui donnera le nom de « camp des juifs » au lieu.

Très peu de juifs algériens passent par le Grand Arénas en raison de l'histoire coloniale française. Naturalisés français depuis le décret Crémieux en 1870, ils s'installent dans leur majorité en métropole après l'indépendance de l'Algérie en 1962 : « En dépit du souvenir du comportement de Vichy qui les dépouilla de leur qualité de Français (…) les Juifs d'Algérie s'identifiaient à la France et c'est vers ce pays qu'ils émigrèrent au moment du grand bouleversement ».3

Le mépris des employés de l'Agence juive

« Arénas, c'est un épiphénomène de ce qui s'est passé en Israël ».4 En effet, les employés de l'Agence juive sont en majorité ashkénazes, et les premiers contacts avec les mizrahim présagent les difficultés d'intégration en Israël.

Ils regardent souvent de haut le mode de vie, la condition sociale, le manque d'instruction d'une partie des émigrants marocains. (...) Préventions et comportements qui se manifesteront bientôt en Israël même, dans un contexte plus large.5

Les émigrants maghrébins, de milieux modestes, sont confrontés au mépris des autorités israéliennes comme le soulignent certains rapports :

Nous avons constaté avec peine que, dans l'ensemble, la qualité d'olim6 que nous avons vue au camp n'est pas très belle. Ce n'est pas un très beau cadeau que nous faisons à Israël en leur envoyant des olim de ce genre7.

Un stage intensif d'acculturation à la future patrie leur est imposé. Encadrés par les services israéliens, ils doivent apprendre les danses et chants de l'État d'Israël avant de s'y installer.

Certains malades patientent parfois plusieurs mois au sein du camp, piégés en raison des clauses d'émigration sélective. Beaucoup de juifs marocains originaires de l'Atlas sont touchés par la tuberculose, la teigne ou encore le trachome. Plusieurs meurent au camp du Grand Arénas, alors qu'ils attendaient un visa de sortie vers Israël.

Lors des repas, « les émigrants doivent présenter une carte personnelle pour récupérer leur ration distribuée par des employés, au travers de petits guichets », rapportent Nathalie Deguigné et Émile Témime. Mais au quotidien, c'est surtout la promiscuité qui gêne les émigrants. Dans les baraquements, il n'existe aucune cloison de séparation pour isoler les familles. Les sanitaires sont installés à l'extérieur des abris. Ce manque d'intimité est vécu comme un déclassement brutal : « On n'avait pas l'endurcissement des réfugiés. (...) Pour eux, c'était un camp de luxe, pour nous qui venions d'une vie normale, c'était un choc ». Ils préparent le départ avec hâte. Devant le portail du camp, des commerçants français « déballent des marchandises destinées à l'équipement de ces futurs citoyens d'Israël ». Des télévisions, des radios, de la literie. « Enfin, toutes les choses qu'on peut proposer à des gens qui vont commencer une nouvelle vie ».

La tragédie de l'« Exodus »

Avant 1948, les premiers juifs arabes qui s'installent sont recrutés comme combattants pour affronter l'Armée de libération arabe au terme du mandat britannique sur la Palestine. Après la création de l'État d'Israël, les flux d'émigration s'accentuent, au premier chef de juifs marocains et tunisiens. Et pour les organiser, les autorités israéliennes bénéficient de l'accord de la France d'opérer sur son territoire.

Déjà pendant la guerre, Marseille était devenue un refuge pour des juifs européens. Des personnalités permettent à des milliers d'entre eux de fuir les persécutions, à l'image du journaliste américain Varian Fry. Agissant dans la clandestinité, ce dernier permet à 4 000 juifs de fuir vers les États-Unis. Le médecin George Rodocanachi fournit quant à lui des milliers de certificats médicaux justifiant leur départ pour New-York, ce qui lui vaudra d'être déporté puis assassiné au camp de Buchenwald en 1944.

Mais c'est la tragédie du navire Exodus en juillet 1947 qui secoue l'opinion publique. À l'époque, les organisations sionistes multiplient les opérations d'émigration clandestine vers la Palestine mandataire. Le 11 juillet, 4 500 survivants de la Shoah embarquent sur l'Exodus au départ de Sète8. Son débarquement sur les côtes palestiniennes est un échec : les autorités anglaises renvoient ses passagers dans trois bateaux-prisons vers la France. Ils sont ensuite bloqués en rade de Port-de-Bouc à l'ouest de Marseille pendant plusieurs semaines, avant de devoir lever l'ancre pour l'Allemagne. Cette affaire met en lumière l'essor de l'émigration juive au Proche-Orient. Une émigration qui s'affirme avant même le vote du plan de partage de la Palestine par les Nations unies le 29 novembre 1947.

L'assignation mizrahi

« Je ne savais pas que c'était comme ça. Si je savais que c'était comme ça, je ne serais pas venu ». En 1962, un journaliste de l'ORTF, suit la traversée de plusieurs juifs arabes au départ du camp du Grand Arénas vers Israël9.

Une fois débarqués, certains s'installent dans des kibboutz, fermes autogérées à l'organisation collective. Mais leur arrivée se teinte de désillusions. Manque de travail, difficultés d'intégration, barrière de la langue : certains songent déjà à repartir. « Les juifs orientaux étaient perçus comme prisonniers d'un carcan traditionnel. Pour les ‘‘israéliser'', il convenait de les faire entrer dans l'ère moderne. Ce passage nécessitait de rompre avec une culture orientale perçue comme arriérée »10.

La politique d'Israël à l'égard des juifs arabes du monde musulman est en effet pensée en termes de modernisation. « L'identité israélienne, fabriquée par les colonisateurs sionistes, définissait pour des Juifs diversifiés leur mode d'appartenance ». Dans son dernier ouvrage La Résistance des Bijoux11, la chercheuse israélienne d'origine algérienne Ariella Aïsha Azoulay décortique ce saccage des écheveaux transculturels des communautés juives :

L'invention de la catégorie « mizrahi » fut nécessaire à l'enrôlement de ces Juifs qui émigrèrent du Maghreb - du monde arabo-berbéro-musulman - et à leur socialisation par identification à une entité fabriquée plus large : le peuple juif, ce mythos unitaire au nom duquel toute pluralité devait être abandonnée.

Une mémoire pour l'oubli de l'expérience émigrée judéo-arabe aujourd'hui encore instillée dans les divisions communautaires de l'État d'Israël.


1« Le camp du Grand Arénas, l'étape française des émigrants du Maghreb en route vers Israël (1952-1966) », Nathalie Deguigné et Émile Témime, Archives juives, vol. 41, n°2, 2008.

2« Immigrants d'Afrique du Nord en Israël : évolution et adaptation », Doris Bensimon-Donath, Anthropos, p. 115, 1970.

3Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian, Les Juifs d'Algérie : une histoire de ruptures, Presses universitaires de Provence, 2015.

4Ibid.

5Ibid.

6Terme hébreu désignant les juifs qui font leur alya, c'est-à-dire qui sont « montés » en Israël.

7Immigrants d'Afrique du Nord en Israël, évolution et adaptation, Doris Bensimon-Donath, Anthropos, 1970.

8NDLR. Une histoire mythologique de ce voyage sera donnée par un best-seller de Léon Uris, Exodus (1958), et un film d'Otto Preminger (1960), avec Paul Newman dans le rôle principal.

9« Une terre qui leur est promise », Radiodiffusion Télévision Française.

10« L'identité israélienne à l'heure des mobilisations communautaires », Élisabeth Marteu et Pierre Renno, Critique internationale, vol. 56, n°3, 2012.

11Ariella Aïsha Azoulay, La Résistance des Bijoux, Rot-Bo-Krik, 2023.

« Bye bye Tibériade ». La mémoire familiale, archive de la Palestine

Après un premier documentaire dédié à sa famille paternelle venue d'Algérie, la réalisatrice Lina Soualem remonte dans son deuxième film l'arbre généalogique de sa famille maternelle. Elle pose sa caméra entre Paris et la Galilée. Un fil est tiré, et toute l'histoire coloniale de la Palestine se déroule.

Oum Ali, Neemat, Hiam et Lina. Comment raconter l'histoire d'une lignée de femmes dont on est issue, et dont la vie a sans cesse été rythmée par la grande Histoire ? C'est à la résolution de cette équation que s'est attelée, dans son dernier documentaire Bye bye Tibériade qui sort ce mercredi 21 février 2024, la réalisatrice Lina Soualem, née à Paris d'une mère palestinienne de l'intérieur.

Puisqu'il est question de cinéma, l'équation se traduit d'abord par l'image. Du début à la fin, c'est un habile tissage qui nous est donné à voir. Il est composé de scènes intimes — de joie et de deuil — filmées par la réalisatrice, ainsi que d'archives familiales : des images de vacances tournées par le père de Lina Soualem au début des années 1990, des bobines de super huit immortalisant un mariage au village, des portraits familiaux en noir et blanc qu'on colle au mur. Mais il y a aussi des archives historiques : celles de la Palestine mandataire, de la Nakba, de Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés palestiniens en Syrie, rasé en 2018 par l'armée de Bachar Al-Assad… Si ces documents servent d'images d'illustration, ils se mêlent aisément au récit très personnel d'une famille palestinienne originaire de Tibériade, et qui en sera chassée en 1948. Dans la grammaire de cette écriture, où la dialectique entre l'intime et l'Histoire est sans cesse à l'œuvre, la réalisatrice s'est accompagnée du regard d'une autre femme : la cinéaste Nadine Naous, avec qui elle a la Palestine comme héritage commun.

Bye Bye Tibériade - Bande annonce - YouTube

Partir, c'est céder un peu ?

Est-il important de souligner que dans cette lignée de femmes dont il est question, la mère de la réalisatrice n'est autre que l'actrice Hiam Abbas ? Peu importe en réalité, tant il n'est ici question ni de performance, ni de composition. Dans ce dialogue avec l'Histoire, la géographie prend toute sa place, et Abbas n'a de cesse de le rappeler, d'ancrer le village de Deir Hanna, qui a été le point de chute de ses grands-parents après la Nakba dans la carte régionale. Elle pointe dans les différentes directions « la mer » (le lac de Tibériade), le Liban, la Syrie, la Jordanie… Toutes ces terres qui lui ont été pendant longtemps interdites, cet environnement arabe naturel dont les Palestiniens de 1948 ont été coupés au lendemain de la création de l'État d'Israël, qui a dessiné pour eux une nouvelle frontière, jadis poreuse.

Changer de lieu dans cette région du monde, franchir une frontière, ne peut être qu'un acte politique. Hiam « est née à une époque où il était interdit de prononcer le mot de "Palestine" », c'est-à-dire durant la période (1948 – 1965) où les Palestiniens d'Israël étaient placés sous régime militaire. Elle étouffe dans ce village de Galilée qui ne peut contenir tous ses rêves : devenir actrice, faire son propre chemin, aimer et vivre avec qui bon lui semble, sans être soumise au diktat des conventions sociales. Mais dans ces poches où la présence palestinienne persiste en plein cœur d'Israël, et où les mariages se terminent sur des chants patriotiques, partir revêt un autre sens. Si l'existence des Palestiniens de 1948 est en soi une forme de résistance, et un rappel quotidien du nettoyage ethnique sur lequel s'est construit l'État d'Israël, quitter ces lieux ne serait-il pas en quelque sorte céder un peu ? Renoncer à cette terre ancestrale, à « un lieu menacé de disparaître à tout moment » ? Autour de la maison familiale à Deir Hanna, tout rappelle le rapport colonial avec les Israéliens : une base militaire de l'armée, un village – « une colonie », dit l'actrice – récemment construit sur des terres confisquées, en haut de la colline qui surplombe Deir Hanna, comme c'est souvent le cas des villes israéliennes jouxtant les cités palestiniennes à l'intérieur d'Israël.

Pourtant, c'est bien en partant que la mère de la réalisatrice peut enfin se connecter avec le reste du monde arabe, qu'elle peut retrouver sa tante à Yarmouk, ce bout de Palestine en Syrie, et fouler de ses pieds toutes ces villes — si proches mais jusque-là hors de portée — dont elle égrainait les noms comme on le ferait avec des contrées lointaines.

L'intimité de femmes propulsées dans l'Histoire

Parce que la géographie comme l'histoire passent par les liens de sang, c'est la naissance de sa fille Lina qui pousse Hiam à renouer avec les siens et à revenir au village. S'ouvre alors un autre rapport dialectique, cette fois à la mémoire : transmettre ou se taire. La tension passe par la langue, le français qui domine à Paris, l'arabe palestinien qui reprend ses droits en Galilée. Et ici et là, l'arabe littéraire qui s'invite dans les textes, tout aussi constitutif de l'identité palestinienne et de la mémoire familiale : « Qu'est-ce que j'aurais aimé que tu le connaisses ! », s'exclame la mère à l'adresse de sa fille.

« Ma mère m'a transmis un bout de langue », répond Lina Soualem, déterminée à explorer ce passé familial jonché de silences. Elle est tantôt réceptacle de confidences, simple observatrice, tantôt démiurge qui, faisant jouer à sa mère et à sa tante les scènes du passé, transforme son film en une mise en abîme cathartique. Mais dans cette histoire de femmes, il est aussi question de leurs victoires : la grand-mère Neemat, si fière de sa carrière d'institutrice, bien que la guerre de 1948 ait mis fin à ses études ; la mère, Hiam, devenue une actrice internationalement reconnue. Et dans l'intimité de ces femmes, dont la vie a été rythmée par les séparations, persiste encore la chaleur de leurs confidences, des rapports si précieux entre grands-mères et petites-filles, le souvenir brûlant de leurs retrouvailles, la complicité qui perdure entre sœurs, malgré les distances. Des femmes propulsées, malgré elles, en plein cœur de l'Histoire, mais qui ont su y prendre leur part.

Pourquoi le keffieh est-il le symbole de la résistance palestinienne ?

Porté en écharpe, en foulard, en châle, et pour les âmes révolutionnaires romantiques, recouvrant le visage, façon fedayin, il est de toutes les manifestations sur la Palestine. Le keffieh palestinien est devenu depuis des décennies le symbole de l'identité – et donc de la résistance – palestinienne. Il a été popularisé par des icônes comme Leila Khaled, militante du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et première femme à avoir participé à un détournement d'avion en 1969, ou encore par le leader palestinien Yasser Arafat qui en a fait son couvre-chef permanent et, à l'instar du béret d'Ernesto « Che » Guevara, le complément de son uniforme militaire.

Un outil de la Grande révolte

On retrouve plusieurs déclinaisons du keffieh dans les pays voisins, comme la version jordanienne en rouge et blanc, aux motifs toutefois différents, appelée « hatta », adoptée aussi par les membres du FPLP. On le croise également en Syrie, ainsi que de l'autre côté de la frontière, dans le centre et le sud de l'Irak, ou encore en Arabie saoudite, rouge aussi, sous le nom de « chemagh », mot dérivé d'« ach makh », littéralement « couvre-tête » en sumérien.

Traditionnellement, le keffieh est, en Palestine, la coiffe des paysans. Il est maintenu par un agal, un cerceau noir qui entoure la tête. Son motif représenterait les filets des pêcheurs, mais la thèse n'a pas été scientifiquement confirmée.

En 1936 éclate en Palestine mandataire la Grande révolte arabe, à la fois contre le mandat britannique et contre le rôle des Anglais dans l'encouragement de la colonisation sioniste en vue de la création d'un foyer national juif. Les paysans palestiniens portent la contestation jusque dans les villes. Parmi eux, les combattants qui mènent des opérations armées contre le pouvoir mandataire se cachent le visage avec leur keffieh. Or, les Palestiniens des villes portent à l'époque le tarbouche ottoman, une coiffe rouge verticale qu'on retrouve jusqu'au Maghreb. De fait, les paysans coiffés de keffiehs étaient des suspects facilement identifiables par l'empire colonial. Pour permettre aux combattants palestiniens de se fondre dans la masse, les leaders de la révolte publient un communiqué le 27 août 1938 demandant à tous les hommes palestiniens sans distinction d'adopter le keffieh. Un slogan surgit dans les manifestations : « Cinq sous le prix du keffieh, Et au traître, le tarbouche sied » (« El koufiyeh b'khamsé ‘rouch, Wel khayen yelbass tarbouch »). C'est la naissance d'un symbole à la fois national et de classe.

La signature des fedayin

Après la guerre de juin 1967 et l'interdiction du drapeau palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie – qui ne sera officiellement levée qu'avec les Accords d'Oslo -, le keffieh devient une bannière alternative pour les Palestiniens des territoires occupés.

Les commandos palestiniens qui se créent au lendemain de la défaite de 1967, notamment ceux du Fatah, et qui reprendront la désignation de fedayin, contribuent à populariser ce tissu dont ils se couvrent la tête et le visage. L'icône du guérillero palestinien, fusil à la main et keffieh protégeant son anonymat est née. En 1969, Yasser Arafat, devenu une figure du chef militaire grâce à la bataille de Karameh, prend la tête de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et consacre le keffieh comme l'accessoire du résistant palestinien. Celui-ci est notamment très présent aux côtés du drapeau palestinien, cousu à la main, durant la première intifada, en 1987.

Dans la culture populaire

Depuis, le keffieh palestinien est devenu un outil pour afficher sa solidarité avec les Palestiniens, comme l'a fait Nelson Mandela ou encore Roger Waters, chanteur des Pink Floyd, connu pour son soutien à la Palestine. Plus généralement, il est devenu un symbole universel de la culture de résistance. On le retrouve également dans la culture populaire, dans la poésie ou les chansons palestiniennes. On citera par exemple le poème de Mahmoud Darwich « Carte d'identité », où il écrit :

Inscris
je suis arabe
cheveux… noirs
yeux… marron
signes distinctifs
sur la tête un keffieh tenu par une cordelette1

En 2013, le chanteur palestinien originaire de Khan Younès, dans la bande de Gaza, Mohamed Assaf remporte la victoire lors de la deuxième saison de l'émission de télécrochet panarabe Arab Idol avec un classique du folklore palestinien ‘Alli el koufiyeh Lève le keffieh »), qui lui a valu un très large succès dans tout le monde arabe.

الأداء - محمد عساف - على الكوفية -Arab Idol - YouTube

1Traduction d'Abdellatif Laâbi dans La poésie palestinienne contemporaine, Le Temps des Cerises, 2002.

Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle

L’auteur : Yoann Nabat est enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux

Dans quelle mesure les différentes générations sont-elles plus ou moins sensibles à la notion de surveillance ? Un regard sur les personnes nées au tournant des années 1980 et 1990 montre que ces dernières abandonnent probablement plus facilement une part de contrôle sur les données personnelles, et n’ont sans doute pas eu totalement conscience de leur grande valeur.

Peut-être qu’à l’approche des Jeux olympiques de Paris, avez-vous vaguement protesté lors de la mise en place d’un fichier vidéo algorithmique ? Et puis avez-vous haussé les épaules : un fichier de plus. Peut-être par résignation ou par habitude ? Comme d’autres, vous avez peut-être aussi renseigné sans trop vous poser de questions votre profil MySpace ou donné votre « ASV » (âge, sexe, ville) sur les chats Caramail au tournant des années 1990-2000, et encore aujourd’hui vous cliquez quotidiennement sur « valider les CGU » (conditions générales d’utilisation) sans les lire ou sur « accepter les cookies » sans savoir précisément ce que c’est.

En effet, peut-être faites-vous partie de ce nombre important d’individus nés entre 1979 et 1994 et avez-vous saisi au vol le développement de l’informatique et des nouvelles technologies. Et ce, sans forcément vous attarder sur ce que cela impliquait sur le plan de la surveillance des données que vous avez accepté de partager avec le reste du monde…

 

World Wide Web

Pour se convaincre de l’existence de cette habitude rapidement acquise, il suffit d’avoir en tête les grandes dates de l’histoire récente de l’informatique et d’Internet : Apple met en 1983 sur le marché le premier ordinateur utilisant une souris et une interface graphique, c’est le Lisa.

Puis le World Wide Web est inventé par Tim Berners-Lee en 1989, 36 millions d’ordinateurs sont connectés à Internet en 1996, Google est fondé en 1998 et Facebook est lancé en 2004. L’accélération exponentielle, d’abord des machines elles-mêmes, puis des réseaux, et enfin du partage de données et de la mobilité a suivi de très près les millennials.

La génération précédente, plus âgée, a parfois moins l’habitude de ces outils ou s’est battue contre certaines dérives initiales, notamment sécuritaires. La suivante, qui a été plongée immédiatement dans un monde déjà régi par l’omniprésence d’Internet et des réseaux, en connaît plus spontanément les risques (même si elle n’est pas nécessairement plus prudente).

Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ?

Notre nouvelle série « Le monde qui vient » explore les aspirations et les interrogations de ceux que l’on appelle parfois les millennials. Cette génération, devenue adulte au tournant du XXIe siècle, compose avec un monde surconnecté, plus mobile, plus fluide mais aussi plus instable.

 

Un certain optimisme face à l’informatique

Probablement du fait de ce contexte, la génération née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990 est aussi celle qui est la plus optimiste face au développement des technologies.

Cet état de fait apparaît d’autant plus clairement que la « génération Z », plus jeune, est marquée généralement par une plus grande apathie, voire un certain pessimisme, notamment quant au devenir des données personnelles.

En effet, aujourd’hui, les plus jeunes, déjà très habitués à l’usage permanent des réseaux sociaux et aux surveillances de toute part, se trouvent très conscients de ses enjeux mais font montre d’une forme de résignation. Celle-ci se traduit notamment par le « privacy paradox » mis en lumière par certains sociologues et qui se traduit par une tendance paradoxale à se réclamer d’une défense de la vie privée tout en exposant très largement celle-ci volontairement par l’utilisation des réseaux sociaux.

A contrario, cette confiance en la technologie se manifeste spécialement par une forme de techno-optimisme, y compris lorsqu’il s’agit de l’usage de données personnelles. Cet état d’esprit se traduit dans de nombreux domaines : lorsqu’il s’agit de l’usage des données de santé, par exemple, ou plus généralement quant à l’utilisation des technologies pour régler des problèmes sociaux ou humains comme le réchauffement climatique.

 

La priorisation de valeurs différentes

Cet optimisme est aussi visible lorsqu’il s’agit d’évoquer les fichiers policiers ou administratifs.

S’il n’existe pas de données précises sur l’acceptation des bases de données sécuritaires par chaque tranche d’âge, il n’en demeure pas moins que la génération des 30-45 ans n’est plus celle de l’affaire Safari dont l’éclatement, après la révélation d’un projet de méga-fichier par le ministère de l’Intérieur, a permis la naissance de la CNIL.

Au contraire, cette génération a été marquée par des événements clés tels que les attentats du 11 septembre 2001 ou la crise économique de 2009.

 

La CNIL fête ses 40 ans

D’après les études d’opinion récentes, ces événements, et plus généralement le climat dans lequel cette génération a grandi et vit aujourd’hui, la conduisent à être plus sensible aux questions de sécurité que d’autres. Elle entretient ainsi un rapport différent à la sécurité, moins encline à subir des contrôles d’identité répétés (qui sont bien plus fréquents chez les plus jeunes), mais plus inquiète pour l’avenir et plus sensible aux arguments sécuritaires.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une encore plus grande acceptation des fichiers et des dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, par exemple à l’occasion de l’organisation des futurs Jeux olympiques et paralympiques en France, ou rendus utiles pour permettre la gestion d’une pandémie comme celle du Covid-19.

 

De l’acceptation à l’accoutumance

Les deux phénomènes – optimisme face au développement des technologies et sensibilité à la question sécuritaire – sont d’autant plus inextricables qu’il existe un lien important entre usages individuels et commerciaux des technologies d’une part, et usages technosécuritaires d’autre part. En effet, les expériences en apparence inoffensives de l’utilisation récréative ou domestique des technologies de surveillance (caméras de surveillance, objets connectés, etc.) favorisent l’acceptabilité voire l’accoutumance à ces outils qui renforcent le sentiment de confort tant personnel que sécuritaire.

La génération actuelle des trentenaires et quadra, très habituée au développement des technologies dans tous les cadres (individuels, familiaux, professionnels, collectifs, etc.) et encore très empreinte du techno-optimisme de l’explosion des possibilités offertes par ces outils depuis les années 1990 est ainsi plus encline encore que d’autres à accepter leur présence dans un contexte de surveillance de masse.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une encore plus grande acceptation des fichiers et aux dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité.

La pénétration très importante de ces dispositifs dans notre quotidien est telle que le recours aux technologies même les plus débattues comme l’intelligence artificielle peut sembler à certains comme le cours normal du progrès technique. Comme pour toutes les autres générations, l’habituation est d’autant plus importante que l’effet cliquet conduit à ne jamais – ou presque – remettre en cause des dispositifs adoptés.

 

L’existence de facteurs explicatifs

Partant, la génération des 30-45 ans, sans doute bien davantage que celle qui la précède (encore marquée par certains excès ou trop peu familiarisée à ces questions) que celle qui la suit (davantage pessimiste) développe une forte acceptabilité des dispositifs de surveillance de tous horizons. En cela, elle abandonne aussi probablement une part de contrôle sur les données personnelles dont beaucoup n’ont sans doute pas totalement conscience de la grande valeur.

Au contraire, les réglementations (à l’image du Règlement général sur la protection des données adopté en 2016 et appliqué en 2018) tentant de limiter ces phénomènes sont parfois perçues comme une source d’agacement au quotidien voire comme un frein à l’innovation.

Sur le plan sécuritaire, l’acceptabilité de ces fichages, perçus comme nécessaires pour assurer la sécurité et la gestion efficace de la société, pose la question de la confiance accordée aux institutions. Or, là encore, il semble que la génération étudiée soit moins à même de présenter une défiance importante envers la sphère politique comme le fait la plus jeune génération.

Demeurent très probablement encore d’autres facteurs explicatifs qu’il reste à explorer au regard d’une génération dont l’état d’esprit relativement aux données personnelles est d’autant plus essentiel que cette génération est en partie celle qui construit le droit applicable aujourd’hui et demain en ces matières.

Vous pouvez retrouver cet article ici.

ALERTE : l’UE prépare une loi autorisant la saisie de vos données personnelles auprès de toutes les entreprises

Innocemment, vous utilisez votre carte Carrefour, votre carte Monoprix, vous répondez à des sondages sur des sites Internet ? Voilà une belle collection d’informations sur votre compte qui intéresse la police ! et quelques autres acteurs comme la Banque Centrale Européenne. Pour mieux vous espionner, et sous le couvert fallacieux de “l’équité de l’accès aux données et de l’utilisation des données”, le Conseil européen vient de valider un projet de règlement (que l’Union appelle désormais “loi”) qui prévoit le transfert obligatoire des données personnelles détenues par des entreprises vers les gouvernements ou vers la Banque Centrale. Bien entendu, cette disposition ne peut servir que dans des circonstances exceptionnelles, comme une pandémie, par exemple. Ou encore pour “accomplir une mission d’intérêt public”. On connaît la musique.

Donc, en cas d’urgence publique, ou bien pour accomplir une mission d’intérêt public, la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, les organes de l’UE, mais aussi les organismes du secteur public pourront réquisitionner les données personnelles des habitants de l’UE. Toutes les entreprises devront obéir à cette réquisition, qui peut être décidée dans des circonstances exceptionnelles (une pandémie, une attaque terroriste, etc.). Bref, chaque fois que l’Etat se considérera en danger, il pourra exiger de toutes les entreprises, y compris les micro-entreprises, de disposer des données personnelles qu’il souhaite.

Voilà une belle violation totalitaire de nos libertés. On en reste sans voix. Ils ne se cachent même plus.

Il va devenir urgent de réagir.

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Tous contre Google : les géants de la technologie vont-ils rendre des comptes ?

Le géant de la technologie est sur la sellette, mais le « combat sera rude », prévient l’expert antitrust Mark Glick.

Source : Institute for New Economic Thinking, Lynn Parramore
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Comme le savent tous les observateurs dans le secteur des technologies, le plus grand procès fédéral antitrust du XXIe siècle est actuellement en cours et vise la branche moteur de recherche de Google. Un deuxième procès impliquant l’entreprise, cette fois concernant l’affichage de la publicité, est prévu pour l’année prochaine.

Google est sur la sellette, mais jusqu’à présent, a réussi à échapper à la plupart des efforts visant à limiter son pouvoir.

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Qu'est-ce que la bande de Gaza ?

Qu'est-ce que la bande de Gaza ? Ou plutôt « qu'était-ce ? ». Nul ne sait ce qu'il restera de ce territoire entièrement clos par l'armée israélienne, coincé entre Israël, l'Égypte et la Méditerranée. Il mesure 41 km en longueur et de 6 à 12 km en largeur, soit une superficie de 365 km².

Dans cet espace s'entassent 2,23 millions d'habitants (6 000 habitants au km², l'une des densités les plus élevées au monde) dont 1,7 million de réfugiés. On y trouve aussi un millier de chrétiens, avec leurs églises dont l'une a été bombardée en octobre 2023. Huit camps de réfugiés, de constructions de fortune au bord de rues étroites, mais aussi des villes, dont celle de Gaza et ses quelque 780 000 habitants. Univers en réduction, la bande de Gaza, c'était aussi des routes, des hôtels, des restaurants de poisson grillé, des tours en verre, des plages, des écoles, des universités, des librairies, des hôpitaux, des jardins, des vergers, des souks, des petites entreprises. Ce sont aussi des écoliers en robe rayée bleu et blanc pour les filles, chemises bleues pour les garçons : l'uniforme des 500 000 élèves des établissements de L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). La pauvreté et le chômage sont massifs : près de 80 % de la population survit grâce à l'aide humanitaire.

Les Gazaouis ne pouvaient sortir qu'en tout petit nombre — quelque 18 000 travailleurs étaient autorisés à se rendre quotidiennement en Israël avant le 7 octobre. Même filtrage au compte-gouttes par l'Égypte au terminal de Rafah, au sud du territoire. Un seul passage, Kerem Shalom, permettait l'importation de biens, en quantité insuffisante.

Un territoire dessiné par les conflits

La bande de Gaza, territoire très anciennement peuplé, situé au carrefour des routes et des empires dès l'Antiquité, a été dessinée par les conflits modernes. Après la première guerre mondiale, elle passe de l'empire ottoman au mandat britannique. À la création d'Israël en 1948, elle est administrée par l'Égypte, mais garde un statut « autonome ». La ligne d'armistice de 1949 est transformée en frontière durable.

Gaza est brièvement occupée par Israël en 1956-1957. Les Palestiniens résistent et les affrontements font un millier de morts. Elle est conquise par les Israéliens pendant la guerre de 1967. Des colons s'y installent en 1970. Leurs maisons, leurs serres et leurs jardins verdoyants — ils pompent la plus grande partie de l'eau — interdisent l'accès à la mer à de nombreux habitants.

C'est dans la bande de Gaza que la résistance palestinienne armée après 1967 est la plus active, menée par le Fatah de Yasser Arafat. Il faudra l'offensive menée par le général Ariel Sharon, futur premier ministre, pour en venir à bout. Mais l'opposition à l'occupation reste puissante, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) s'y renforce, tandis que les Frères musulmans restent à l'écart. C'est à Gaza qu'éclate en 1987 la première Intifada, la « révolte des pierres » qui sera durement réprimée, comme en Cisjordanie. Événement capital, les Frères musulmans locaux fondent alors le Hamas, qui décide de s'impliquer dans la lutte nationale.

Sous blocus

En 1994, à la suite des accords d'Oslo (1993), c'est à Gaza que Yasser Arafat retourne pour établir le premier siège de l'Autorité palestinienne, qu'il déplacera ensuite à Ramallah. Le Hamas se lance dans des attentats-suicides en Israël, tandis que le processus d'Oslo s'enlise. Mais l'armée et les colons partent en 2005 : Israël veut se concentrer sur la colonisation de la Cisjordanie. Devenu premier ministre, Sharon a en effet décidé de se retirer du territoire, ce qui entraîne le départ des 8 000 colons. Sans aucun soldat israélien à l'intérieur, Gaza reste, selon la définition des Nations unies « un territoire occupé », ou comme le disent les Palestiniens, une « grande prison à ciel ouvert dont les geôliers sont à l'extérieur ».

Bastion du Hamas, Gaza aide celui-ci à gagner les élections législatives palestiniennes de 2006. L'Autorité palestinienne et les États occidentaux refusent de reconnaître le résultat de ce scrutin pourtant démocratique, et le Hamas, après de violents affrontements avec le Fatah, installe son pouvoir dans la bande côtière en 2007. Les Israéliens vont jouer sur cette division entre la Cisjordanie et Gaza, instaurer un blocus total contre le territoire, tout en permettant à cette « entité hostile », de survivre, notamment grâce au transfert de fonds réguliers du Qatar.

En 2018 et 2019, c'est la « Marche du retour ». Des Gazaouis, femmes et hommes de tous âges, manifestent contre la clôture israélienne. Ils se font abattre comme au stand de tir par les snipers israéliens. Bilan : 230 morts et plus de 7 000 blessés par balles, souvent amputés.

Ce dramatique épisode confirme qu'à Gaza aussi, toute manifestation pacifique est écrasée par les armes. Différentes guerres (en 2006, 2008-2009, 2012, 2014, 2021, au printemps 2023), opposent Israël et le Hamas, soutenu par ses alliés, notamment le Djihad islamique, avant celle, d'une dimension inégalée, qui a entraîné un nombre de morts et de destructions sans précédent.

Pour aller plus loin
Jean-Pierre Filiu, Histoire de Gaza, Fayard, 2015
Amira Hass, Boire la mer à Gaza, chronique 1993-1996, La Fabrique éditions, 2001

Israël-Palestine. Le roman d'un « présent-absent »

Auteur entre autres de La Porte du soleil, l'écrivain libanais Elias Khoury signe son dernier opus chez Actes Sud, L'Étoile de la mer, dont Orient XXI propose ici un extrait. L'ouvrage met en scène Adam, un Palestinien d'Israël, né et grandi à Lod (ex-Lydda), dans la banlieue de Tel-Aviv, où les Israéliens tuèrent des centaines de civils en 1948. Hanté par les spectres du passé, il a choisi, encore adolescent, de quitter le foyer maternel pour se forger de nouvelles vies.

Stella Maris, ou l'Étoile de mer, c'est la terrasse de Dieu qui surplombe la blanche colombe baignant dans l'eau que nous appelons Haïfa.

Sur cette terrasse, là où la colline du prophète Élie nous conduit au miracle, Adam Dannoun, le héros et narrateur de cette histoire, découvre les multiples visages qu'il possède, il se réconcilie avec ses patronymes et tisse son histoire. Ici, il a savouré son premier baiser, il a connu les plaisirs et les affres de l'amour. Ici, il a juré fidélité à la jeune fille qu'il aimait et a appris l'alphabet de la trahison afin d'effacer les blessures de son cœur par de nouvelles blessures.

Quand il était taraudé par les souvenirs de la « terrasse de Dieu », alors qu'il tentait de dessiner sa propre image avec l'encre des mots, il contemplait Haïfa tomber dans la mer depuis les hauteurs du mont Carmel, étendre ses ailes, comme si les flots constituaient son espace. La ville plongeait dans l'eau, flottait, devenait le refuge du jeune homme dont le seul gîte était le sentiment que sa vie était l'ombre de la vie de quelqu'un d'autre qui, à son tour, était l'ombre d'une histoire sans auteur.

Maintenant, une immense nostalgie le ramenait vers Stella Maris où il s'asseyait, solitaire, avec la sensation d'être absent, invisible. Le temps de l'absence lui manquant, il a recours au pronom de la troisième personne pour écrire son absence.

Là, au mont Carmel, où l'Histoire s'est jouée des histoires du lieu, Adam II est né sur une terrasse. Il meublait sa solitude grâce à la mer, se rinçait les yeux avec le coucher du soleil à l'horizon et se noyait dans le silence de l'air marin qui imprégnait son visage du goût du sel.

Les fantômes des expulsés

Adam Dannoun, fils de Hassan et de Manal Dannoun, né dans le ghetto de Lod en 1948, décida que son histoire était née quand il s'était assis sur la terrasse de Dieu qu'on appelait Stella Maris, afin de humer l'air de sa liberté qui montait de la mer. Il passait de longues heures sur le banc de pierre qui était son refuge favori pour échapper au souvenir de sa mère, de son séjour au garage ou du grand appartement abandonné de Wadi-l-Salib, un cadeau du propriétaire du garage pour ses seize ans. À son amie Rifqa, qui lui proposait d'aller y faire l'amour pour la première fois, il répliqua qu'il craignait les fantômes qui hantaient les maisons abandonnées et ajouta qu'en rentrant chez lui, il marchait sur la pointe des pieds pour ne pas éveiller les fantômes des absents qui avaient été expulsés et que la mer avait engloutis. Il dit aussi qu'il entendait le son de leurs voix lovées entre les pierres de la maison, qu'il voyait leurs visages recouverts de l'obscurité de l'absence déambuler dans la maison comme s'ils faisaient leurs adieux au lieu ou en reprenaient possession.

Adam Dannoun ne possédait pas le langage adéquat pour dire à Rifqa qu'il craignait les propriétaires de la maison dont il avait fait connaissance grâce aux photos accrochées aux murs, qu'il redoutait en particulier le regard de la jeune femme qui portait un bébé dans les bras car, dans le coin des yeux de cette femme dont il ignorait le nom, il avait vu la souffrance, la peur qui se diffusait dans le blanc et la lumière qui étincelait dans les pupilles.

Adam n'avait pas le courage d'admettre qu'il était incapable de tromper cette femme dans sa propre maison. Une semaine après que M. Gabriel lui eut dit que cette maison était désormais la sienne, le garçon enleva des murs toutes les photos de la famille haïfaïenne qui vivait là et les relégua dans l'une des pièces. Leur emplacement fut occupé par les fantômes blancs des absents, il dut vivre avec les empreintes pour éviter le regard des anciens propriétaires qui emplissaient son âme d'une étrange sensation d'appréhension et de culpabilité. Pourtant l'image de la jeune femme ne le quitta pas un instant, il la reprit, l'accrocha à la place d'honneur de la maison, lui demanda pardon et lui donna le nom de Chahla. L'image de Chahla et de son enfant, qu'il appela Naji, devint sa compagne dans cette maison grouillante des fantômes des absents.

Si Adam connaissait la signification de l'amour il aurait dit que Chahla était son premier amour, mais comment un jeune garçon de seize ans aurait-il su raconter une histoire d'amour digne de constituer un chapitre du Collier de la colombe, écrit par l'Andalou Ibn Hazm, qui y évoquait les incroyables formes de l'amour et racontait dans l'une de ses histoires comment la passion de l'image se métamorphose en désir et cause le désespoir de l'amoureux, représentant ainsi le degré le plus élevé de l'amour ?

Chasser les souvenirs

La femme de la photo ressemblait beaucoup à Manal, sa mère. Le passage du temps n'avait laissé aucune marque sur sa jeunesse claquemurée dans la tristesse, alors qu'elle serrait dans ses bras un bébé qui restera éternellement un enfant, car les absents ne grandissent pas et ne meurent pas. Chahla, accrochée au mur du souvenir dans une maison à Wadi-l-Salib, fut-elle son premier amour ? Ou simplement une photo suspendue sur le blanc de sa mémoire ?

À Stella Maris, Adam Dannoun décida de chasser les souvenirs nichés dans sa vie et de recommencer comme s'il venait de naître. Il vivait seul après avoir déposé le passé dans une caisse enterrée sous terre. Haïfa en serait le terrain, il oublierait tout, il enterrerait l'histoire de Lod, ses souffrances, les contes de ses amoureux dans la caisse de l'oubli, puis il s'en irait.

La question qui perturbe l'auteur de ces récits est de comprendre comment les absents écrivent ? Un absent pouvait-il raconter son histoire à la première personne et l'écrirait-il alors comme s'il se souvenait, ou devrait-il recourir au pronom de la troisième personne pour écrire à sa place ? Le jeu des pronoms dans la langue arabe est extraordinaire et n'a d'équivalent dans aucune autre langue. Les lettres qui prennent la place des personnes s'appellent « consciences », or la conscience est aussi le scrupule moral invisible, comment alors les romanciers pouvaient-ils écrire en utilisant la conscience de l'absent ? Et puis, que signifie cette idée que la conscience doit s'absenter afin de pouvoir raconter ?

« Le pronom occulté »

À l'instant où Adam quitta la maison de sa mère à Haïfa, il eut le sentiment de choisir l'absence. Il n'eut que le choix de se scinder en deux : une moitié pour la présence et une autre pour l'absence. La première vit actuellement à New York, où il est absent du lieu et présent dans le texte, alors que la seconde vit à Haïfa, c'est-à-dire qu'il est toujours présent dans un lieu occulté. Ce présent-absent, ou cet absent-présent, voudrait reconnaître aux Israéliens leur supériorité, ne serait-ce que dans un seul mot. En créant de toutes pièces le terme « présent-absent », le législateur israélien fit montre de génie, surpassant l'imagination de tous les écrivains réunis du théâtre de l'absurde en désignant tout un peuple par un titre absurde 1.

Les linguistes arabes appellent le pronom de la troisième personne « le pronom occulté » et l'auteur de cette histoire se voit obligé de se dissimuler. Il parlera d'Adam comme s'il le découvrait. Il oubliera l'enfant trouvé presque mort sur la poitrine de sa mère, sous un olivier sur la longue route entre Lod et Ni‘lin. Il regardera la vie avec des yeux neufs. Il jouera avec l'absence jusqu'au bout. Il disparaîtra pour écrire à propos des lieux abolis, mais son émerveillement pour les yeux de Chahla dans l'image de la mémoire lui révélera l'absurdité de son jeu, car l'absence de cette femme derrière son regard mordoré éveillera en lui la nostalgie de sa petite mère qu'il n'est jamais parvenu à oublier.

Au cours de cette étrange nuit de décembre, alors que les nuages voilaient les étoiles du ciel, il fit l'amour avec Rifqa sous le regard jaloux de Chahla, il découvrit que la vie n'était qu'un leurre, qu'il fallait un leurre similaire pour l'affronter et ne pas être écrasé par la mémoire de la nostalgie et de la peur, évitant ainsi de devenir un fantôme qui vivrait avec les fantômes grouillants dans les maisons branlantes de Wadi-l-Salib.

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Élias Khoury
L'Étoile de la mer
Traduit de l'arabe (Liban) par Rania Samara
Sindbad/Actes Sud, Arles
Octobre 2023
384 pages
24 euros


1NDLR. Cette expression désigne une catégorie de Palestiniens (futurs citoyens d'Israël) qui durent en 1948 quitter leurs terres, situées sur le territoire du nouvel État israélien, pour fuir les combats et s'abriter provisoirement dans des localités voisines. Considérées « vacantes », ces terres furent saisies par les forces israéliennes puis transférées à l'État. La « loi sur la propriété des absents », instaurée en 1950 et toujours en vigueur, les prive du droit de les récupérer.

La Nakba palestinienne dans les manuels scolaires, une représentation stéréotypée ?

Banni des ouvrages scolaires en Israël, le mot « Nakba » (catastrophe) a fait son apparition dans les manuels français du secondaire il y a quelques années, après l'entrée du conflit israélo-palestinien au programme d'histoire. Pour autant, ces manuels n'échappent ni aux clichés ni aux lacunes, comme le montrent les choix iconographiques concernant l'exode massif des Palestiniens en 1948, consécutif à la création d'Israël.

Si les programmes scolaires français introduisent pour la première fois le conflit israélo-palestinien dans les filières générales en 2011, les populations civiles palestiniennes souffrent alors, selon l'historien Benoît Falaize, d'une forme d'« invisibilité » dans les manuels1. La situation change avec la réforme de 2019 : bien que les nouveaux programmes de terminale générale placent la focale sur la « naissance de l'État d'Israël », les documents d'accompagnement produits par le ministère de l'éducation et les manuels ne font plus l'impasse sur ses conséquences concrètes pour les Palestiniens. Quelques témoignages écrits et surtout des photographies s'attachent à illustrer concrètement la Nakba2 dans les manuels : ce sont ces cinq images que nous nous attachons ici à analyser. Ces images sont tirées de cinq manuels scolaires parus en 2020 : le Belin, dirigé par David Colon, le Hatier par Martin Ivernel et Matthieu Lecoutre, le Magnard par Jean-Marc Vidal, le Nathan par Sébastien Cote et le Nathan par Guillaume Le Quintrec. Les deux autres : le Hachette dirigé par Michaël Navarro et Henri Simonneau et Lelivrescolaire.fr coordonné par Florient Besson ne recourent pas à l'iconographie pour traiter de la Nakba.

Absence de contextualisation

Dans le manuel Nathan Le Quintrec
Légende originale : « Exode des Palestiniens d'Acre sur la pression des forces israéliennes en 1948 ».

Le premier constat qu'on peut dégager d'une étude comparative est la quasi-absence d'informations sur les photographies reproduites. Aucune n'est datée précisément ; seule figure généralement l'année : « 1948 » et une seule est véritablement localisée : « Palestiniens d'Acre ». Il est donc extrêmement difficile de replacer ces images dans un contexte historique plus précis que la guerre israélo-arabe de 1948-1949. Par ailleurs, l'identité du photographe (ou de l'organisation pour laquelle il travaillait éventuellement) n'est jamais spécifiée. Il ne s'agit pas là d'un problème propre au conflit israélo-palestinien : à quelques exceptions près (des pages méthodologiques exclusivement consacrées à l'analyse iconographique — le manuel Belin propose par exemple une double page (p. 126-127) consacrée à une photographie de Robert Capa, intitulée La communauté juive de Tel-Aviv fête l'indépendance d'Israël et prise le 14 mai 1948. Les élèves sont invités à analyser « comment Robert Capa entreprend de légitimer le nouvel État d'Israël. »—, toutes les photographies des manuels ne comportent pas ces précisions. Il ne s'agit pas de jeter l'anathème sur les auteurs des ouvrages scolaires, qui doivent faire face à de multiples contraintes : diversité des types de documents par double page, nombre de caractères limité, délais restreints de livraison du travail, etc. pour un objet dont il faut bien souligner la nature avant tout commerciale.

Dans le manuel Hatier
Légende originale : « Des Palestiniens fuyant Israël en octobre-novembre 1948 ».

Si, d'après l'universitaire Vincent Chambarlhac, les manuels ne peuvent plus être considérés comme de simples « livres d'images » et que l'institution s'attache à proposer une « éducation au regard », ces lacunes empêchent néanmoins de « faire de l'histoire à partir des images3 » . Ces dernières ne s'offrent que dans le cadre d'une interprétation déjà constituée par le cours donné par l'enseignant ou par la légende des documents (qui donne une fausse impression d'évidence) : les Palestiniens représentés « sont expulsés de force » ou « s'enfuient » à cause des violences de la guerre. Les manuels emploient généralement des termes ambigus et parfois contradictoires : « départ » ou « exode », pour certains, « expulsions de force » pour d'autres… La plupart se gardent de se prononcer clairement sur le caractère volontaire ou contraint de l'exil des Palestiniens en 1948, quand bien même la question a été tranchée par l'historiographie. Une véritable analyse d'images semble donc superflue. Cela s'observe également si on s'intéresse aux questions posées aux élèves dans les manuels, qui demeurent très générales : elles invitent toutes à se pencher sur les « conséquences » du conflit à partir de l'étude de la photographie. Il semble difficile de faire l'économie d'une réponse stéréotypée soulignant que les civils sont pris dans la tourmente de la guerre et doivent fuir les combats.

Une origine difficile à retracer

La page de crédits, qui indique la provenance de l'ensemble des illustrations, n'est pas non plus d'un grand secours. En effet, elle renvoie simplement vers différentes banques d'images (Getty Images, Bettman, Akg-images, Pictures From History, etc.), lesquelles ne proposent pas plus d'informations sur leurs sources. Il apparaît dès lors quasiment impossible pour l'enseignant de retracer l'origine de ces photographies et de les recontextualiser sans l'aide extérieure de spécialistes. Or l'exercice est instructif : tandis que certaines images sont issues d'institutions internationales — la Croix-Rouge pour celles du manuel publié par Belin, les Nations unies ou la Croix-Rouge encore pour celle du manuel des éditions Nathan, dirigé par Guillaume Le Quintrec —, d'autres proviennent des archives de l'État israélien, comme le manuel de Nathan coordonné par Sébastien Cote.

Dans le manuel Magnard
Légende originale : « L'exode de la population palestinienne (1948) ».

Il est évident que ces différents acteurs n'ont pas les mêmes objectifs lorsqu'ils commandent des photographies. Les autorités sionistes (avant 1948) puis israéliennes peuvent par exemple les utiliser comme un instrument de propagande à destination de leur opinion publique ou de la « communauté internationale ». Les grandes organisations internationales ou les ONG humanitaires se placent quant à elles plutôt dans une optique de documentation des événements et/ou dans le contexte d'une campagne de levée de fonds (au service de laquelle la photographie s'impose comme un moyen privilégié à partir des années 1920).

Pour autant, si le « langage photographique » de la photographie humanitaire tend à mettre « en avant la détresse des enfants, la vulnérabilité des femmes, la misère des réfugiés4.  », il ne faudrait pas en conclure qu'il est toujours uniforme. L'historienne Stéphanie Latte Abdallah montre ainsi que les clichés de réfugiés pris par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine et du Proche-Orient (UNRWA) et par les Quakers5 traduisent deux conceptions opposées de l'assistance. La première, qui entend déconnecter l'aide humanitaire de tout enjeu politique, tend ainsi à représenter des « groupes d'hommes et de femmes formant une masse indistincte et passive » et à les réduire à leur seule identité de réfugiés « victimes d'une catastrophe a-politique et a-temporelle »6 : ces Palestiniens photographiés en 1948 pourraient tout aussi bien être issus d'un autre pays ou d'une autre époque.

L'UNRWA insiste parfois simplement sur la culture chrétienne de la Terre sainte (quand bien même les Palestiniens de confession chrétienne sont très minoritaires) dans le but d'inciter les chrétiens américains à contribuer aux appels à dons. D'après Stéphanie Latte Abdallah, cette dimension est particulièrement mise en avant dans les films de l'UNRWA. On peut également voir ce type de représentations dans l'ouvrage de Bruno Cabanes, où la photographie d'une jeune Palestinienne allaitant son bébé, prise près de Bethléem en janvier 1954, fait allusion à l'image de la « Vierge à l'Enfant » (p. 71). Les Quakers se fixent eux comme objectif de rétablir la paix : ils veulent témoigner d'un conflit armé précis « dont les protagonistes sont identifiés » et montrent les Palestiniens comme des « personnes singulières dotées d'une identité collective et individuelle7 ». Ce ne sont pas de simples réfugiés anonymes, mais des hommes et des femmes dotés d'une capacité d'action.

Susciter la compassion du spectateur

S'il n'est pas possible, en l'état, de contextualiser ces images relativement similaires, on peut toujours s'interroger sur ce qui a poussé les éditeurs à les choisir (au-delà de leur accessibilité ou de la question des droits de reproduction) ainsi que sur leur potentielle réception par les élèves. On peut diviser en deux grandes catégories ces cinq images.

Dans le manuel Belin
Légende originale : « Femmes et enfants fuyant leur village, 1948 ».

Les photographies des manuels de Belin, d'Hatier et de Magnard (et dans une moindre mesure du Nathan Le Quintrec) sont assez similaires. En dépit du nombre généralement restreint de personnes (entre une dizaine et une trentaine, sauf pour le Nathan Le Quintrec), le groupe apparaît comme une masse indistincte dont on ne peut distinguer les visages, à l'exception des réfugiés situés au premier plan. Quelques hommes, souvent des adolescents (dans le Nathan Le Quintrec), sont parfois présents sur les clichés, mais les sujets photographiés sont très majoritairement des femmes et des enfants. Leur état de dénuement (souvent pieds nus, transportant à la main quelques maigres affaires) est flagrant et ils évoluent dans un décor relativement hostile (paysage aride, carcasses de voiture, etc.). On retrouve ici les caractéristiques du langage photographique mis en lumière par l'historien Bruno Cabanes : tout est fait pour susciter la compassion du spectateur. La quasi-absence d'hommes adultes serait intéressante à étudier : traduit-elle une réalité historique (les hommes n'auraient fui que dans un deuxième temps, à l'issue de la défaite militaire) ou un choix artistique (ils seraient moins susceptibles de susciter la compassion du spectateur occidental) ?

Dans le manuel Nathan Cote
Légende originale : « Entre 1947 et 1949, des centaines de milliers de Palestiniens sont expulsés de force ou s'enfuient à cause des violences ».

En dépit de quelques points communs (comme l'effet de foule), le manuel Nathan Cote propose quant à lui une vision tout à fait différente de la Nakba : des hommes sont en train de charger des affaires personnelles sur des camions au milieu d'un village tandis que les femmes et les enfants semblent attendre sur le bas-côté de la route. Non seulement des hommes adultes sont cette fois-ci représentés, mais l'ensemble donne l'impression d'un départ organisé et planifié plus que précipité. S'il n'est pas possible d'en tirer des conclusions définitives, en l'absence d'informations précises sur l'histoire de cette photographie, force est de constater que cela pose implicitement la question de la nature volontaire ou contrainte de l'exode.

Pour aller plus loin

« Une image ne sert-elle qu'à illustrer ? », Sociétés & Représentations, no 50, juillet 2020, Éditions de La Sorbonne, Paris. Un numéro qui aborde les enjeux liés à l'utilisation de sources iconographiques en histoire. À lire, l'article de Vincent Chambarlhac, « Les livres d'histoire (scolaire) sont-ils des livres d'images ? ».

➞ Bruno Cabanes, Un siècle de réfugiés. Photographier l'exil, Seuil, Paris, 2019. Cet ouvrage propose de nombreuses photographies de réfugiés (du début du XXe siècle à nos jours), avec une mise en contexte pour chaque chapitre (tant sur les événements historiques photographiés que sur l'évolution de la photographie humanitaire elle-même).

➞ Stéphanie Latte Abdallah, « Regards, visibilité historique et politique des images sur les réfugiés palestiniens depuis 1948 », dans Le Mouvement social, no. 219-220, avril 2007, pp. 65-91, La Découverte, Paris. Un article fouillé qui analyse les évolutions des représentations des réfugiés palestiniens, dont l'histoire est celle de la conquête de la visibilité politique et historique. »

➞ Henry Laurens, La Question de Palestine. Tome troisième : l'accomplissement des prophéties (1947-1967), Fayard, Paris, 2007. Un livre très dense qui retrace en détail l'histoire (surtout militaire et diplomatique) du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien.


1Compte-rendu par Guillaume Lavaud de l'intervention de Benoît Falaize aux Rendez-vous de l'histoire de Blois, le 13 octobre 2011.

2Utilisé en 1948 par l'historien syrien Constantin Zureik dans son essai The Meaning of the Disaster, ce terme désigne l'ampleur du désastre que constitue la défaite des armées arabes lors de la première guerre israélo-arabe de 1948-1949. Il est progressivement associé à l'expulsion de 800 000 Palestiniens des territoires conquis par Israël au mépris du plan de partage des Nations unies adopté en 1947.

3« Les livres d'histoire (scolaire) sont-ils des livres d'images ? », Sociétés & Représentations, no 50, juillet 2020, Éditions de la Sorbonne, Paris.

4Bruno Cabanes, Un siècle de réfugiés. Photographier l'exil, Seuil, Paris, 2019.

5Les Quakers (officiellement Société religieuse des Amis) font partie d'un mouvement protestant prônant notamment le pacifisme. Ils vinrent en aide aux populations civiles de Palestine après la seconde guerre mondiale.

6Stéphanie Latte Abdallah, « Regards, visibilité historique et politique des images sur les réfugiés palestiniens depuis 1948 », Le Mouvement social, no 219-220, avril 2007, pp. 65-91.

7Stéphanie Latte Abdallah, op. cit..

Le juif arabe, une identité intime au delà du récit sioniste

En partant de sa propre histoire familiale, Asaf Hanuka tente de faire face à celle de son pays, et déconstruit le discours nationaliste israélien jusqu'à refonder une mythologie. Les souvenirs lointains, images, paroles ou non-dits enfouis dans les tréfonds de la mémoire créent avec cette bande dessinée de merveilleuses pages, parfois intrigantes.

Tout commence avec la couverture. Le titre, Le Juif arabe, utilise une expression devenue presque un oxymore dans l'Israël d'aujourd'hui. « Cela renvoie à un moment de l'histoire où les juifs provenant d'une culture arabe ont dû faire un choix, à cause de la construction de l'identité nationale. Cette complexité ne pouvait plus exister. Et dans la façon dont on raconte notre récit national, on a tendance à effacer l'identité des juifs arabes » dit l'auteur, Asaf Hanuka.

Et si le titre suggère un personnage, l'image en montre deux : un homme et un petit garçon. L'aîné est en tunique et en fez, narguilé à main gauche — l'Arabe ? Sur l'une de ses jambes, le plus jeune, sage, les mains sur les genoux, casquette à l'européenne sur la tête — le juif ? Ou l'inverse ? Ou un peu des deux — ou alternativement ? Le livre entier repose sur ces renversements, entremêlements, ces nœuds gordiens que les nationalismes et les frontières ont démêlés à coup de hache.

De la Palestine de 1929 au Tel-Aviv de 2001

Au commencement, tout semble simple. La planche gauche est en noir et blanc, la droite en couleur, chaque côté rapportant le récit familial à deux générations d'écart. Le noir et blanc ne représente pas le passé le plus lointain, mais au contraire un quotidien très proche, celui de l'auteur qui rentre au pays en 2001 après avoir étudié à Paris. Asaf Hanuka ne se sent à sa place ni en Europe ni en Israël, et se demande bien ce qu'il va pouvoir faire de sa vie. Et c'est bel et bien un passé plus lointain qui est reconstitué en couleurs riches : la Palestine de 1929.

Au-delà du récit familial et du questionnement identitaire, le livre raconte l'histoire d'une filiation. Qui est le fils ? Qui est le père ? Qui est l'enfant naturel, qui est l'adopté ? Les uns et les autres alternent les rôles. Le père d'Asaf est d'abord bavard. Il perd ensuite l'usage de la parole, et c'est le fils qui se trouve contraint à trouver les mots et partir à Tibériade, là d'où vient sa famille. En parallèle se déroule l'histoire d'un autre père et d'un autre fils, ceux en couverture de la bande dessinée, comme si celle-ci constituait la première case de l'ouvrage.

En réalité, c'est une photo prise à Jaffa en 1929, à l'époque des émeutes arabes en Palestine mandataire. Asaf Hanuka la retrouve par hasard dans un carton, dans le premier magasin d'Abraham Yeshoua, l'homme en tunique et fez sur la couverture et arrière-grand-père maternel d'Asaf. Quand la photo est retrouvée, le bel ordonnancement de la bande dessinée déraille. Les deux lignes temporelles se rencontrent, la couleur se mélange au noir et blanc, comme l'histoire personnelle se mêle à la collective.

Abraham Yeshoua est un commerçant juif de Tibériade. Il a recueilli le second, un orphelin arabe, qui se donne le nom de Ben Tsion — fils de Sion — et veut rejoindre la Haganah. Alors qu'il faisaient la route de nuit, ils tombent dans une embuscade. Le père adoptif sauve la vie de son fils. Et quelques pages plus tard, c'est le fils qui sauve la vie du père. Pourtant, un parent d'Asaf lui explique que lors de la grande révolte arabe de 1936, le fils adopté tua le père adoptif…

Et la bande dessinée retrouve les rails de son double récit. Cette virtuosité narrative est le fruit d'un long travail sur le récit de soi, avec la bande dessinée Le Réaliste, sortie dans les années 2010.

C'était un journal autobiographique, où j'ai publié une page, une fois par semaine, pendant dix ans. Un laboratoire d'où j'ai tiré nombre de conclusions, comme celle qui m'a fait réaliser que j'étais moins intéressé par l'esthétique du dessin que de développer une approche personnelle de la narration. Pour Le Réaliste, le thème du questionnement de l'identité revenait beaucoup, et j'ai décidé d'aller plus en profondeur avec ce livre. J'espère avoir trouvé une réponse, même si je n'en suis pas si sûr.

1929 comme 2001 ne sont pas des années anodines. Elles correspondent toutes deux à des soulèvements palestiniens, l'un à l'époque du mandat britannique, l'autre contre l'occupation israélienne — la seconde intifada. Les deux dates sont aussi celles d'une arrivée. Asaf Hanuka débarque à Tel-Aviv en 2001, tandis que son grand-père Saül s'est installé à Tibériade en 1922, après un voyage à dos d'âne en provenance du Kurdistan irakien. Sa famille a participé à la révolte que le clan des Barzani mène depuis le XIXe siècle, d'abord contre l'empire ottoman, puis contre les Britanniques, dans cette région montagneuse, refuge de nombreuses communautés, sectes soufies, chrétiens orientaux… et juifs.

La possibilité d'une réconciliation

Le récit prend alors une nouvelle dimension. Asaf Hanuka veut d'abord écrire une charge contre le sionisme, mais se trouve contredit par son père, et revient à son questionnement identitaire. Le récit du passé prend une allure d'épopée, racontant l'histoire de Saül, jeune homme aux yeux bleus qui se marie avec la fille d'Abraham, Léah, après une cérémonie durant laquelle l'époux danse avec une bougie sur la tête sans la faire tomber. Le couple ne parvient pas à avoir d'enfants. Au bout de quelques années, les rabbins lui expliquent qu'il peut prendre une seconde femme, mais le jeune homme s'obstine. Et après maintes péripéties, Léah tombe enceinte.

La légende en couleurs se poursuit, et l'auteur enquête sur Ben-Tsion, l'enfant arabe adopté par Abraham, qui se nomme en réalité Saïd. La grande révolte palestinienne de 1936 commence. Saïd/Ben-Tsion est tiraillé entre ses deux familles. Est-il celui qui a tué son père adoptif ? L'auteur, dans une conclusion haletante où se produisent, une fois de plus, des retournements mêlant passé et présent, choisit une réponse. « Plutôt qu'une autobiographie, il s'agit d'une autofiction. Notre famille a plusieurs interprétations de cette histoire, et je n'en connaîtrai jamais le fin mot. Je propose donc une version », tranche Asaf Hanuka.

En explorant le passé et en refondant une « mythologie familiale », selon l'expression de l'auteur, il montre que le présent, aussi bien d'Israël et de la Palestine que de sa propre famille, pourrait être autre, et laisse entrevoir la possibilité d'une réconciliation, en mélangeant à nouveau ce qui fut séparé. Dans les temps actuels, avec à la tête du pays un gouvernement composé de suprémacistes juifs, c'est un message salutaire.

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Asaf Hanuka
Le Juif arabe
Éditions Steinkis
96 pages
20 euros en France

Le mégacentre de données de Zuckerberg en Espagne nécessitera 600 millions de litres d’eau par an

Le développement par Meta d’un grand centre de données dans la région de Tolède (Castilla-la-Mancha), suscite l’inquiétude en raison de sa consommation estimée à plus de 600 millions de litres d’eau potable dans une région où l’eau est rare. 

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La Promesse trompeuse de ChatGPT – Noam Chomsky

Jorge Luis Borges a écrit un jour que vivre à une époque de grands dangers et de grandes promesses, c’est faire l’expérience de vivre à la fois la tragédie et la comédie, avec « l’imminence d’une révélation » pour nous comprendre nous-mêmes et comprendre le monde. Aujourd’hui, nos prétendus progrès révolutionnaires dans les domaines de l’intelligence artificielle sont à la fois sources d’inquiétude et d’optimisme. De l’optimisme parce que l’intelligence à notre science et dégrader notre éthique en instillant une conception fondamentalement erronée du langage et de la connaissance dans notre technologie.

Source : The New York Times, Noam Chomsky, Dr. Roberts – Jeffrey Watumull
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

ChatGPT d’OpenAI, Bard de Google et Sydney de Microsoft sont des merveilles de l’apprentissage automatique. En gros, ils prennent d’énormes quantités de données, y recherchent des modèles et deviennent de plus en plus performants pour générer des données statistiquement plausibles – comme un langage et une pensée apparemment analogues à ce que l’on trouve chez les humains. Ces programmes ont été salués comme les premières lueurs à l’horizon de l’intelligence artificielle généralisée – ce moment longtemps prophétisé qui voit les esprits mécaniques surpasser les cerveaux humains non seulement quantitativement en termes de vitesse de traitement et de taille de la mémoire, mais aussi qualitativement en termes de perspicacité intellectuelle, de créativité artistique et de toute autre faculté spécifique à l’être humain.

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Smotrich et Zemmour derniers avatars du fascisme juif né avec Mussolini

Des juifs ont compté parmi les combattants les plus déterminés dans la lutte contre le fascisme au XXe siècle. Mais d'autres ont ouvertement affiché des idées fascistes. Leur histoire débute en Italie, s'étend en Europe centrale puis en Palestine. Elle se poursuit aujourd'hui en Israël et en France.

Les troupes de Napoléon Bonaparte, parties combattre les Autrichiens qui occupent alors le nord de l'Italie, apportent la liberté politique aux juifs italiens en 1796. Les portes des ghettos sont arrachées et brûlées, les notables juifs peuvent siéger dans les municipalités. La population juive en Italie est alors estimée à 30 000 personnes. Avec la chute de Napoléon, la condition des juifs est remise en question : les autorités catholiques les avaient identifiés aux Français athées. Ils sont alors victimes d'émeutes antijuives tandis qu'on retourne aux lois anciennes les concernant, particulièrement dans les États pontificaux. Ainsi le ghetto de Rome est rétabli.

Protagonistes de la marche sur Rome

La participation de certains juifs à la cause nationale du Risorgimento fut enthousiaste, et des banquiers juifs financent les insurrections anti-autrichiennes dès 1830. Isacco Artom, issu d'une famille aisée du Piémont, volontaire en 1848 contre l'Autriche, devint le secrétaire particulier du comte de Cavour, figure de proue du nationalisme italien. En 1871, onze députés juifs siègent dans le premier parlement de la nouvelle Italie, contre huit au Royaume-Uni, six en France et quatre en Prusse. Le judaïsme italien fournit le premier ministre de la guerre juif de l'histoire moderne : Giuseppe Ottolenghi, et deux premiers ministres : Luigi Luzzati et son prédécesseur Sidney Sonnino. Ernesto Nathan est maire de Rome de 1907 à 1913. Des juifs font bâtir des synagogues monumentales à Turin, puis à Florence et à Rome. En 1911, l'Italie conquiert sur l'empire ottoman les colonies de Cyrénaïque et de Tripolitaine où habite une communauté juive de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Avec la première guerre mondiale, pour la première fois dans l'histoire européenne, des juifs se trouvent engagés dans un combat qui les oppose à d'autres soldats juifs. En effet, 5 000 juifs de l'armée italienne affrontent, sur les champs de bataille, 350 000 juifs de l'armée austro-hongroise, 600 000 soldats juifs russes, 50 000 juifs dans les rangs des Britanniques, autant dans l'armée française et 100 000 dans l'armée allemande.

Benito Mussolini fonde le fascisme à Milan après la première guerre mondiale. Dans les confrontations avec les membres du Parti socialiste entre 1919 et 1922, trois juifs meurent : Duilio Sinigaglia, Gino Bolaffi et Bruno Mondolfo, déclarés « martyrs fascistes » ; 230 juifs participent à la marche sur Rome et 746 sont inscrits pour certains au Parti national fasciste et pour d'autres au Parti nationaliste, qui fusionnera avec le premier. En 1921, neuf députés juifs fascistes sont élus. Ettore Ovazza, banquier et homme d'affaires, membre du Parti national fasciste, anime le journal La Nostra Bandiera (Notre drapeau), dans lequel est affirmé le soutien des juifs italiens au nouveau régime. Sept cent cinquante juifs avaient alors leur carte de membre du parti fasciste.

Margherita Sarfatti devient la conseillère, la financière, la maîtresse, l'égérie du Duce. Rédactrice de Gerarchia, la revue théorique du fascisme, fondée par Mussolini, elle en trace les principes et les objectifs. Se faisant la chantre de la révolution culturelle fasciste, elle proclame que le temps est venu du « retour à l'ordre » et d'une nouvelle figuration puisant aux sources du classicisme. En 1925, le gouvernement français lui offre le titre de vice-présidente du jury international à l'Exposition internationale des arts décoratifs — elle est aussi commissaire pour le pavillon italien — et la décore de la Légion d'honneur. Elle accède à la célébrité internationale avec Dux, son hagiographie de Mussolini, publiée en 1925 d'abord à Londres (en Italie dès 1926) vendue en 25 000 exemplaires dès la première année, puis à des millions d'exemplaires et traduite en 17 langues.

À la suite de la publication de l'ouvrage aux États-Unis, le patron de presse américain William Randolph Hearst offre à Mussolini des contrats faramineux pour des articles qui le présentent sous le meilleur jour et plaident en faveur du réarmement de l'Italie en vue de son extension coloniale. Le contrat est double, il prévoit qu'ils soient écrits par Margherita Sarfatti et signés par le dictateur. Il sera reconduit jusqu'en 1934.

Le tournant de 1938

En 1920, la conférence de San Remo décide de l'établissement d'un « foyer national juif » en Palestine, supervisé par les Britanniques. Cette même année, Chaim Weizmann, né en Biélorussie et citoyen britannique depuis 1910 devient le président de l'Organisation sioniste mondiale (OSM), et le restera presque sans interruption jusqu'en 1946. Le sionisme est en plein essor. En 1922, les sionistes obtiennent 32 élus (sur 47 députés et sénateurs juifs) au Parlement polonais. Weizmann rencontre Mussolini à trois reprises. Lors de la seconde, en 1934, ce dernier déclare que Jérusalem ne peut être une capitale arabe ; Weizmann propose de mettre à disposition de l'Italie fasciste une équipe de savants juifs. Près de 5 000 juifs italiens adhèrent à cette époque au parti fasciste sur une population juive italienne de 50 000 personnes.

Guido Jung est élu député sur la liste fasciste et nommé ministre des finances de 1932 à 1935, alors qu'à Maurizio Rava est confiée la charge de gouverneur de Libye et de Somalie, ainsi que celle de général de la milice fasciste. De nombreux bourgeois juifs participent au financement de la guerre d'Éthiopie. Beaucoup de juifs s'engagent dans les troupes pour lesquelles on crée un rabbinat militaire. Mussolini nomme l'amiral Ascoli commandant en chef des forces navales. La Betar Naval Academy est une école navale juive établie à Civitavecchia en 1934 par le mouvement sioniste révisionniste sous la direction de Vladimir Jabotinsky, avec le soutien de Mussolini. L'école participera à la guerre d'Éthiopie en 1935-1936. Certains futurs officiers de la marine israélienne en seront issus.

La campagne de discriminations racistes et antisémites du fascisme italien débute officiellement en 1938. Les reproches formulés à l'encontre des juifs sont qu'ils se croiraient d'une « race supérieure » et formeraient le terreau de l'antifascisme. Huit mille juifs italiens sont exterminés entre 1943 et 1945 dans la destruction fasciste, raciste et antisémite des juifs d'Europe sur un total estimé à six millions de juifs assassinés.

De Riga à Jérusalem par la violence

À Riga en Lettonie vivaient 40 000 juifs après la première guerre mondiale. En 1923, des étudiants juifs y créent le Betar, une organisation de jeunesse nationaliste juive et anticommuniste. Zeev Jabotinsky en prend la direction. Il est l'objet d'un culte de la personnalité inconnu jusqu'alors dans le sionisme. Les militants du Betar presseront Jabotinsky de créer un mouvement politique pour regrouper la droite nationaliste. Le Betar prend une orientation paramilitaire.

Jabotinsky fonde à Paris en 1925 l'Alliance des sionistes révisionnistes. Le terme « révisionniste » exprime leur volonté de « réviser le sionisme ». En 1928, trois hommes entrent au Parti révisionniste. Ils viennent de la gauche sioniste, mais se sont retournés contre elle et affichent maintenant des sympathies fascistes. Ce sont le journaliste Abba Ahiméir, le poète Uri Zvi Greenberg et le médecin et écrivain Yehoshua Yevin. Ils organisent une faction fasciste et radicale en Palestine mandataire et rêvent d'une organisation de « chefs et de soldats ». Ahiméir fait figure d'idéologue et influence fortement le Betar. Menahem Begin intègre le Betar en 1928, puis en prend la tête en 1939.

David Ben Gourion est l'un des dirigeants de l'aile droite de la gauche sioniste. Il privilégie le nationalisme par rapport au projet de transformation socialiste. En particulier, Ben Gourion s'opposera à ce que des travailleurs non juifs (palestiniens) puissent être organisés au sein du syndicat juif en Palestine, Histadrout. Il est également un des partisans du soutien de la gauche sioniste à Weizmann comme président de l'OSM

Au début 1933, Ahimeir déclare qu'il y a du bon en Adolf Hitler, à savoir la « pulpe antimarxiste ». Ben Gourion traite alors Jabotinsky de « Vladimir Hitler ». Eri Jabotinsky, le chef du Betar en Palestine était le fils de Vladimir Jabotinsky. Ben Gourion redevient en 1935 président de l'Agence juive, et démissionne de son poste au sein de la Histadrout. Il devient alors le principal dirigeant sioniste en Palestine et se rapproche de Jabotinsky. De 1936 à 1939, des Arabes se révoltent contre le mandat britannique. Cette révolte exprime aussi le refus de voir un « foyer national juif » s'installer en Palestine, un des objectifs du mandat.

Durant cette révolte, la Haganah se développe fortement. Groupe armé de défense des juifs de Palestine, officiellement interdite par le mandat britannique, elle était depuis sa création en 1920 sous l'autorité de la Histadrout. Passée en 1931 sous la direction de l'Agence juive, son responsable politique suprême était Ben Gourion.

Jabotinsky décide en 1935 que le parti révisionniste doit quitter l'OSM dominée par les socialistes. Pour obtenir le ralliement des religieux, le parti révisionniste, originellement aussi laïc ou presque que la gauche, prend un virage vers la religion. Dans les années 1970, il bénéficie de cette nouvelle orientation à laquelle il est resté fidèle depuis 1935, ralliant à lui les partis religieux.

Nationalistes et religieux au pouvoir

Ben Gourion et ses alliés incarnent les succès du nationalisme juif radical avec la création d'un nouvel État-nation en Palestine en 1948. Il a imposé son autorité sur les groupes armés, et les a fondus dans une armée nationale unique. Créé la même année par Begin, le parti Hérout reprend l'idéologie nationaliste et colonialiste du parti révisionniste : annexion de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la Jordanie, pour former un « grand Israël » sur les deux rives du Jourdain, libéralisme économique, anticommunisme, hostilité à la gauche, exaltation de l'armée.

En 1973, le Hérout et le Parti libéral fondent un nouveau parti, le Likoud, dirigé par Begin. L'idéologie est surtout celle du Hérout et de l'ancien parti révisionniste. Puis, en 1977, le Likoud remportera les élections, et mettra fin à un demi-siècle de domination politique de la gauche sioniste. En 2022, le Likoud et ses alliés nationalistes religieux remportent une majorité au Parlement, permettant le retour de Benyamin Nétanyahou au poste de premier ministre. Ce gouvernement est le plus à droite et le plus nationaliste et colonialiste de l'histoire du pays, intégrant des partis nationalistes de droite, des ultra-orthodoxes (haredim) et des représentants des colonies juives.

Un déchaînement de violence inouï, inédit, se produit en Cisjordanie occupée. Des centaines de colons juifs israéliens attaquent la ville palestinienne de Huwara, au sud de Naplouse. Des dizaines de maisons et de voitures sont incendiées. Bilan : un Palestinien tué et une centaine de blessés, après la mort de deux colons juifs tués par un Palestinien le 26 février 2023. Le ministre des finances israélien Betsalel Smotrich avait appelé à « anéantir » Huwara. Le 19 mars 2023, Smotrich est venu à Paris, à une soirée de gala, organisée par une association française juive nationaliste radicale et sioniste de droite radicale, Israel is forever.

En France, le nationalisme fleurit

Éric Zemmour n'est pas le premier juif à incarner le nationalisme français. Parmi ses précurseurs, on compte dans les années 1930 l'avocat Edmond Bloch. Il avait mis sur pied l'Union patriotique des Français israélites (UPFI), destinée à combattre la gauche, les communistes, les socialistes et leur chef Léon Blum comme l'a raconté Charles Enderlin.

Pendant l'occupation fasciste du territoire français de 1940 à 1944, Edmond Bloch collabore activement. Il est protégé par le député nationaliste radical Xavier Vallat, premier commissaire général aux questions juives de mars 1941 à mai 1942, qui mettra en œuvre les discriminations antijuives ciblant prioritairement les juifs étrangers. Après la Libération, Bloch sera un des témoins à décharge au procès de Xavier Vallat devant la Haute Cour de justice, lui évitant le peloton d'exécution. Bloch n'a pas changé d'idéologie. En 1954, il écrit : « Pierre Mendès-France (le socialiste, chef du gouvernement) n'engage que lui… Ses coreligionnaires ne demandent à partager avec lui ni gloire ni opprobre ». Converti au catholicisme, Edmond Bloch meurt en 1975 à Paris.

Un grand ami de l'antisémite Jean-Marie Le Pen

Éric Zemmour est issu d'une famille bourgeoise de juifs d'Algérie arrivée en métropole en 1952. Dans cette famille, le patriotisme est une valeur cardinale, et la question de l'identité est centrale. Journaliste, il plaide dès les années 1990 pour l'union nationaliste des droites, fort d'une proximité cultivée avec le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, qu'il est le seul journaliste à appeler « président », et avec son rival Bruno Mégret.

Zemmour a déjeuné, en 2020, avec Jean-Marie Le Pen et Ursula Painvin, fille de Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du IIIe Reich, pendu en 1946 après le procès de Nuremberg. Depuis Berlin, Ursula Painvin encourage Éric Zemmour avec ses « pensées les plus admiratives et amicales ». En 2021, Zemmour annonce le nom de son parti politique : Reconquête. Il fait référence à la reconquête militaire de la péninsule ibérique par des royaumes chrétiens contre les États musulmans du VIIIe au XVe siècle. Reconquête devient le parti des nationalistes identitaires. Le nationalisme raciste, xénophobe et islamophobe de Zemmour contribue à la banalisation du nationalisme radical de Marine Le Pen et de son parti, le Rassemblement national (RN).

Quand les problèmes s'aggravent et que les tensions s'exacerbent, les fascistes se présentent d'un côté comme les troupes de choc du nationalisme, prêts à en découdre avec les traîtres à la patrie, à envahir les parlements ou à les incendier pour mettre fin à petit feu ou brutalement à la démocratie, et de l'autre côté comme les seuls capables de rétablir la grandeur nationale et l'ordre économique, social, moral ou religieux par des régimes illibéraux, autoritaires ou dictatoriaux. Des juifs fascistes comme Betsalel Smotrich et Éric Zemmour incarnent ces combats contre la démocratie et les droits humains.

Surveillance de masse : L’armée américaine acquiert un outil qui prétend couvrir plus de 90 % du trafic Internet mondial

La plateforme « Augury » comprend des données de réseau très sensibles que Team Cymru, une entreprise privée, vend à l’armée. « Tout est là. Rien d’autre à capturer si ce n’est l’odeur de l’électricité », a déclaré un expert en cybersécurité.

Image : Smederevac

Source : Vice, Joseph Cox
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Plusieurs branches de l’armée américaine ont acheté l’accès à un puissant outil de surveillance d’Internet qui prétend couvrir plus de 90 % du trafic Internet mondial et qui, dans certains cas, permet d’accéder aux données de messagerie, à l’historique de navigation et à d’autres informations telles que les cookies Internet sensibles des individus, selon des données contractuelles et d’autres documents examinés par Motherboard.

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Comment les Renseignements occidentaux infiltrent Internet pour manipuler et détruire des réputations – Glenn Greenwald

L’une des nombreuses histoires brûlantes qui restent à raconter à partir des archives Snowden est la façon dont les agences de renseignement occidentales tentent de manipuler et de contrôler les échanges en ligne en recourant à des stratégies extrêmes de duperie et de destruction de réputation.

Une archive de Glenn Greenwald de 2014 toujours aussi passionnante à (re)découvrir !

Source : The Intercept, Glenn Greenwald
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Au cours des dernières semaines, j’ai collaboré avec NBC News pour publier une série d’articles sur les tactiques de « coups bas » utilisées par l’unité précédemment secrète du GCHQ [ le service gouvernemental du Royaume-Uni responsable du renseignement d’origine électromagnétique et de la sécurité des systèmes d’information, NdT], le JTRIG (Joint Threat Research Intelligence Group). Ces articles se fondaient sur quatre documents classifiés du GCHQ présentés à la NSA et aux trois autres partenaires de l’alliance anglophone « Five Eyes ». Aujourd’hui, à The Intercept, nous publions un autre nouveau document du JTRIG, dans son intégralité, il est intitulé « The Art of Deception : Training for Online Covert Operations. » [L’art de la désinformation : formation pour des opérations secrètes en ligne, NdT]

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Scandale aux États-Unis : Les douaniers ont fiché les données personnelles de milliers d’Américains

Les contacts, les journaux d’appels, les messages et les photos de près de 10 000 téléphones de voyageurs sont enregistrés chaque année dans une base de données gouvernementale.

Source : The Washington Post, Drew Harwell
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les tribunaux ont donné aux autorités frontalières le pouvoir de fouiller les appareils des gens sans mandat ni soupçon de crime. Ci-dessus, l’aéroport JFK à New York.

Les responsables du gouvernement américain ajoutent chaque année des données provenant de 10 000 appareils électroniques à une base de données massive qu’ils ont constituée à partir des téléphones portables, des iPad et des ordinateurs saisis sur des voyageurs dans les aéroports, les ports maritimes et les postes-frontières du pays, ont déclaré les responsables du service des douanes et de la protection des frontières [CBP pour Customs and Border Protection, NdT] lors d’une réunion d’information organisée cet été à l’intention du personnel du Congrès.

L’expansion rapide de la base de données et la possibilité pour les 2700 agents du CBP d’y accéder sans mandat – deux détails qui n’étaient pas connus auparavant – ont suscité des inquiétudes au Congrès quant à l’usage que le gouvernement a fait de ces informations, dont une grande partie provient de personnes non suspectées de crime. Les responsables du CBP ont déclaré au personnel du Congrès que les données sont conservées pendant 15 ans.

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Votre santé, un trésor très convoité – ARTE

En investissant le secteur médical, les géants du Web se positionnent comme une alternative à des systèmes de santé publics et privés à bout de souffle. Enquête sur les dessous d’un modèle galopant, qui mobilise technologie et collecte de données.

Source : Arte, Youtube

« Guérir et éliminer toutes les maladies d’ici la fin du siècle » : c’est l’ambition du patron de Facebook Mark Zuckerberg et de sa femme, la pédiatre Priscilla Chan, à travers leur fondation, la Chan Zuckerberg Initiative. Depuis plusieurs années, les géants du Web investissent massivement l’univers de la médecine. Tandis que Google développe une intelligence artificielle capable de rivaliser avec les meilleurs praticiens, Apple permet à chacun de contrôler son état de santé grâce aux objets connectés, quand Amazon s’empare des marchés de la télémédecine et des mutuelles via Amazon Care, son service d’assistance. Ces mastodontes de la tech, auxquels se joignent de nombreuses start-up, misent sur l’exploitation des données de santé, le « nouvel or noir », pour améliorer les soins, diminuer les coûts et prévenir les maladies. Mais peut-on leur confier ces informations les yeux fermés ? Si l’Union européenne réglemente jusqu’à présent la confidentialité des données personnelles, leur gestion aux États-Unis et au Royaume-Uni est cédée à des entreprises au moyen de lucratifs contrats. Entre progrès médical et course aux profits, comment appréhender ce nouveau modèle ? En quoi va-t-il changer le rôle des médecins ?

Business juteux

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L'encyclopédie en ligne de la « question de Palestine »

Conçue par l'Institute for Palestine Studies dans le cadre d'un projet conjoint avec le Palestinian Museum de Birzeit, l'Encyclopédie interactive de la question de Palestine a pour objet d'offrir au public le plus large, en arabe et en anglais, une histoire engagée de la Palestine moderne, de la conquête ottomane à nos jours. En espérant qu'elle connaitra bientôt une version française.

L'Institute for Palestine Studies (IPS) cherche depuis une vingtaine d'années à présenter à un large public les connaissances et les documents accumulés depuis sa création en 1963 sur l'histoire de la Palestine. L'idée de base — inspirée du modèle Wikipédia — était de publier en ligne une série de courts textes informatifs plutôt pédagogiques, et une chronologie du « processus de paix » qui serait progressivement étendue pour couvrir d'autres sujets liés à la question palestinienne.

La Welfare Association/Taawon, partenaire de longue date de l'IPS, se préparait de son côté à lancer son projet phare, le Palestinian Museum. En 2012-2013, l'IPS et la Welfare Association cherchent ensemble ce qui pourrait être utile à la fois aux futurs programmes culturels du musée et à faire avancer la mission de l'IPS. Les deux organisations s'accordent sur la nécessité d'établir une chronologie des événements politiques et militaires qui ont façonné la Palestine depuis le milieu du XIXe siècle, reliée à des documents historiques et complétée par quelques articles de fond sur les principaux thèmes liés à la question palestinienne.

De la conquête ottomane à la colonisation israélienne

Début 2014, au cours de sa première phase d'élaboration, environ 1000 entrées chronologiques et 30 highlights (épisodes ou faits marquants) sont déjà prêts. Deux ans plus tard, s'appuyant sur l'expérience acquise, l'IPS développe des chronologies thématiques. La couverture des highlights a été élargie pour inclure non seulement les questions politiques et militaires, mais aussi les questions sociales et culturelles. Sont ajoutées dans la foulée des biographies d'intellectuels, d'artistes, de dirigeants, de combattants et de politiciens palestiniens qui ont marqué l'histoire de la Palestine au cours du XXe siècle. Puis un système de localisation géographique des villes et villages détruits, cités sur les cartes historiques de la Palestine.

En arabe et en anglais, le site se présente aujourd'hui comme une plateforme bilingue destinée aux universitaires, aux étudiants, aux journalistes et au grand public. Sa colonne vertébrale est une chronologie générale et détaillée — probablement la plus complète qui existe —, composée de quelque 2000 entrées. Elle commence avec la conquête du Levant par les Ottomans en 1516 et se termine — pour le moment — le 31 décembre 2018 sur un énième compte-rendu de l'avancée de la colonisation israélienne en Cisjordanie. Elle est subdivisée en treize grandes périodes historiques dont la dernière commence en janvier 2017.

Chaque événement mentionné est un lien qui aboutit à une fiche résumée et renvoie à un article signé d'analyse approfondie, suivi d'une bibliographie sélective et d'autres liens sur des événements complémentaires et des faits marquants. Chaque fait historique est également qualifié en fonction de sa nature à l'aide d'un ou deux termes : « contextuel », « action populaire », « institutionnel », « socio-économique », violence, « diplomatique », « juridique », « politique », « colonisation », « programme politique », « biographique », « culturel ». Le fait qu'ils ne soient pas cliquables ne permet pas, en revanche, d'afficher l'ensemble des documents qu'ils qualifient. Ils fonctionnent donc plutôt comme autant de surtitres.

On les retrouve dans les chronologies thématiques qui explorent l'histoire de manière transversale avec, par exemple, l'histoire de la diplomatie et des relations internationales, celle de l'OLP, les différentes étapes des guerres israélo-arabes et des cycles de négociations.

Ces multiples classements et cette pléthore d'hyperliens peuvent parfois donner le vertige et sembler très directifs. On comprend cependant qu'ils sont là dans un souci pédagogique, illustré par l'affirmation un tantinet contradictoire selon laquelle l'Encyclopédie a été voulue à la fois comme « objective » et « engagée ».

Les archives ne disparaissent pas

On peut aussi accéder directement à la page consacrée aux highlights, tous rédigés par des universitaires. Dans la centaine d'épisodes qui y sont présentés figurent notamment la réorganisation territoriale ottomane, le droit pénal dans la Palestine mandataire, la judaïsation de la Galilée, le Parti communiste palestinien, les réfugiés, ou encore les transformations des significations de la Nakba au cours du temps.

« Biographies » permet d'explorer la vie et l'œuvre de quelques « grands hommes » palestiniens — il n'y a que vingt femmes sur 109 profils —, et « Lieux » propose une carte de localisation des centaines de villages détruits par Israël pendant la Nakba. Chaque nom de village est un hyperlien qui conduit à une fiche le situant sur une carte locale, fournit des photos et des chiffres sur le nombre d'habitants, de propriétaires et sur les terres cultivables, décrit sa configuration d'avant 1948, son remplacement par des habitations juives le cas échéant et ce qui en reste aujourd'hui. Les événements historiques de la chronologie qui le concernent à divers titres sont également accessibles par des liens.

La section « Documents » est sans doute la plus riche en termes de ressources et constitue la principale manifestation du très long et minutieux travail d'archivage effectué par l'IPS depuis sa création. Des centaines de photos, de documents historiques, de cartes et de graphiques numérisés sont ici librement accessibles via un système de recherche et de tri par titre, date ou type de document. L'intérêt que cette section présente, notamment pour les universitaires ou les journalistes, est indiscutable.

Ce trésor archivistique et documentaire fonctionne, à l'image du site et du projet encyclopédique qui en est à l'origine, comme en miroir — sinon en réponse — à la question de l'effacement quasi annoncé de la Palestine qui forme le treizième et dernier chapitre de sa chronologie, sombrement intitulé : « Avec une impasse de plus en plus insurmontable, fin de la Palestine ? » (« With a growingly intractable deadlock, wither Palestine ? ») : les archives, elles, continuent de témoigner de son existence dans le temps et l'espace.

Les GAFAM veulent contrôler nos émotions. Peut-on les arrêter ?

Maurice Stucke, auteur et professeur de droit, explique pourquoi les pratiques de Google, Amazon, Facebook et Apple sont si dangereuses et ce qu’il faut vraiment faire pour les maîtriser. Indice : les propositions actuelles ont peu de chances de fonctionner.

Source : Institute for New Economic Thinking, Lynn Parramore
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Google. Amazon. Facebook. Apple. Nous vivons dans les mondes numériques qu’ils ont créés et, de plus en plus, nous avons peu de chances d’y échapper. Ils connaissent nos personnalités. Ils enregistrent si nous sommes impulsifs ou sujets à l’anxiété. Ils comprennent comment nous réagissons aux histoires tristes et aux images violentes. Et ils utilisent ce pouvoir, qui découle de l’exploitation incessante de nos données personnelles, tous les jours, pour nous manipuler et nous rendre dépendants.

Maurice Stucke, professeur de droit à l’université du Tennessee, fait partie d’une avant-garde progressiste et anti-monopole d’experts qui se penchent sur la vie privée, la concurrence et la protection des consommateurs dans l’économie numérique. Dans son nouveau livre, Breaking Away : How to Regain Control Over Our Data, Privacy, and Autonomy [Se libérer : comment regagner le contrôle sur nos données personnées, notre intimité et notre autonomie, NdT], il explique comment ces géants de la technologie se sont métastasés en « monopoles de données », qui sont bien plus dangereux que les monopoles d’hier. Leur invasion de la vie privée est sans commune mesure avec ce que le monde a jamais vu, mais, comme l’affirme Stucke, leur potentiel de manipulation est encore plus effrayant.

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Pillages, racisme, expulsions... La conquête de la Palestine racontée par les combattants

Nombre d'histoires de la première guerre israélo-arabe (1948-1950) ont été écrites. Mais c'est sans doute la première où un historien fait parler, à travers leurs lettres, les combattants des deux camps. Ce courrier montre les divisions interarabes et jette une ombre sur le comportement des soldats israéliens, leur brutalité et leur racisme, non seulement envers les Arabes mais à l'égard des juifs marocains et irakiens venus combattre pour Israël.

Dear Palestine, l'ouvrage de Shay Hazkani, historien israélien de l'université du Maryland, constitue une des toutes premières études sociales de la guerre qui, entre 1947 et 1949, opposa d'un côté les milices armées du yichouv (la communauté juive dans la Palestine mandataire britannique) puis l'armée de l'État d'Israël après sa création, le 15 mai 1948, et de l'autre les milices palestiniennes et surtout des groupements armés mobilisés dans les pays environnants, puis les armées arabes (essentiellement l'égyptienne et la jordanienne).

Dans ce livre, le lecteur apprendra peu du déroulé évènementiel de cette guerre. Mais il apprendra beaucoup de ce que masquent souvent les récits chronologiques et factuels des guerres : à savoir le contexte socioculturel dans lequel baignent leurs protagonistes. Pour le dévoiler, l'auteur privilégie deux sources majeures : d'une part la formation des troupes et les argumentaires (propagande incluse) des états-majors de chaque camp, de l'autre le regard porté par les combattants sur cette guerre et ce qu'il dit de sa réalité. Hazkani le fait en partie en s'appuyant sur les discours des responsables militaires, mais surtout — c'est la principale originalité du livre — sur les lettres des soldats à leurs familles, telles qu'elles ont été préservées après la lecture de la censure dans diverses archives militaires. Celles-ci sont souvent plus riches du côté israélien, mais l'auteur parvient malgré tout à mener une étude relativement équilibrée entre les deux camps.

Volontaires de l'étranger

Il consacre une place importante aux recrues auxquelles les chefs militaires ont fait appel hors de leur pays. D'un côté les Volontaires de l'étranger (dont l'acronyme hébraïque était Mahal), de jeunes juifs qui s'engagèrent en Europe, aux États-Unis et aussi au Maroc pour aider militairement l'État d'Israël émergent, puis constitué. On verra que ce groupe offre un regard sur la guerre souvent différent de celui des « sabras », les jeunes nés et éduqués dans le yichouv. De l'autre, diverses milices de recrues arabes enrôlées en Syrie, en Transjordanie, en Irak et au Liban pour soutenir les Palestiniens. Il privilégie, en particulier, la plus active, l'Armée de libération arabe (ALA, en arabe Armée arabe du Salut), commandée par Fawzi Al-Kaoudji. Là encore, le regard sur la guerre et son environnement porté par ces recrues est souvent inattendu.

L'étude des lettres comme l'analyse des discours des responsables militaires fait ressortir une évidence. Au-delà du rapport des forces militaire, l'unité et la clarté des objectifs étaient du côté israélien, la désunion et la confusion du côté palestinien – hormis l'idée maitresse du refus d'une partition de la Palestine, jugée soit injuste soit profondément inégale (les juifs, 31 % de la population à l'époque, se voyant allouer 54 % du territoire palestinien). Quelles que soient leurs dissensions internes, les forces sionistes entendaient toutes ériger un État duquel seraient exclus le plus grand nombre possible de ses résidents palestiniens (le plan de partition prévoyait que l'« État juif » inclurait… 45 % de Palestiniens !) Hazkani montre combien la direction politique et militaire de l'État juif était déterminée, avant même qu'il ait été déclaré, à le « nettoyer » le plus possible sur le plan ethnique, et aussi combien cette ambition était acceptée par la grande majorité de ses troupes.

Divisions entre Arabes et Palestiniens

Et il montre, par nombre d'exemples, combien la division et la méfiance régnaient dans le camp des Palestiniens et de leurs alliés. Comme l'écrira dès février 1948 Hanna Badr Salim, l'éditeur à Haïfa du journal Al-Difa (La défense) : « Nous avons déclaré la guerre au sionisme, mais nous n'étions pas préparés, occupés à nous battre entre nous. » Les responsables de l'ALA se méfiaient des forces palestiniennes dirigées par Abdel Kader Al-Husseini. Un haut gradé de l'ALA recommanda ainsi de nommer des officiers égyptiens, syriens ou irakiens à la tête des régiments, mais pas de Palestiniens, dont il se défiait. De son côté, Husseini préférait limiter sa mobilisation à de petits groupes de seules recrues palestiniennes sûres. De fait, l'attitude des forces arabes externes envers les Palestiniens était souvent peu amène. Des lettres de soldats arabes évoquent les brutalités commises par ces troupes contre des gens qu'elles étaient supposément venues délivrer.

Mais la défiance était essentiellement d'ordre politique. Du côté palestinien, la préoccupation primordiale était évidemment la préservation de la Palestine. Du côté des intervenants extérieurs, aux forces plus fournies, les préoccupations étaient beaucoup plus diverses et ambiguës. « Certains se battaient pour aboutir à un meilleur accord avec les sionistes, d'autres voyaient dans ce combat une première étape pour le renversement des régimes alliés au colonialisme occidental, d'autres encore entendaient envoyer leurs opposants combattre en Palestine pour réduire leur influence. » Entre le Syrien Salah Bitar, fondateur du Baas en 1947, un nationaliste arabe qui entendait faire de la Palestine le tremplin d'une « nouvelle civilisation arabe » et un Nouri Saïd, homme lige des Britanniques en Irak, qui cherchait à utiliser le combat propalestinien pour dériver la mobilisation populaire contre Londres (et donc contre lui-même), la différence d'intérêts était totale. Sur le terrain des opérations, note Hazkani, les chefs de l'ALA étaient « pour la plupart plus préoccupés de faire en sorte que la ferveur anticoloniale des volontaires arabes ne se transforme pas en un combat ultérieur contre les régimes arabes ».

Quant à la propagande utilisée par les forces arabes, contrairement à la thèse présentée par les vainqueurs israéliens, « mes travaux, écrit Hazkani, suggèrent que l'antisémitisme était négligeable dans l'ALA ». Il en donne quelques exemples, mais les juge peu présents dans les lettres des combattants arabes. De même, « les lettres montrent que la plupart d'entre eux étaient loin d'être des obsédés du djihadisme radical ». Mais, signale-t-il, plus la défaite pointe, et plus la dimension de guerre sainte contre les juifs ressort de ces lettres. Cependant, Hazkani conclut à leur lecture que des termes comme « extermination » ou « jeter les juifs à la mer » y sont absents. De même, il infirme totalement l'argument si souvent avancé par Israël après cette guerre selon lequel les dirigeants arabes auraient appelé les Palestiniens à fuir pour leur laisser le champ libre. Au contraire, le 24 avril 1948, alors que les Palestiniens ont connu peu avant des échecs désespérants — en une semaine, Abdel Kader Al-Husseini est tué au combat, la bataille pour la Galilée tourne au profit des forces juives et le massacre de Deir Yassine a lieu – Kaoudji publie un ordre traitant de « couard » tout Palestinien qui fuirait son foyer.

Un usage immodéré de la Bible

De leur côté, dans le domaine de la formation des troupes — y compris idéologique — les milices juives puis l'armée israélienne se montrèrent immensément mieux préparées que leurs adversaires. Copiant la logique de l'Armée rouge, le camp sioniste instaure la dualité entre l'officier et le commissaire politique (le « politruk »). Dès 1946, un ouvrage de l'écrivain soviétique Alexander Bek sur la défense de Moscou en 1941 est traduit et diffusé au sein des forces israéliennes pour y conforter « l'esprit de corps » (en français dans le texte) et la détermination à utiliser tous les moyens pour vaincre. En août 1948, Dov Berger, chef de la hasbara (la propagande israélienne), distribue aux officiers des « manuels éducatifs » dans lequel les recrues reçoivent tous une formation politique identique. On notera que les responsables militaires, à l'époque quasi tous issus du milieu sioniste-socialiste, font un usage immodéré de la Bible pour structurer l'hostilité de la troupe au monde arabe environnant, assimilé déjà à « Amalek et les sept nations », ces tribus décrites comme les plus hostiles aux Hébreux dans la Bible. « La suggestion que la guerre de 1948 était comparable aux guerres d'extermination apparaissant dans la Bible n'était pas une vision marginale ; elle était répétée dans BaMahaneh  », le journal de l'armée israélienne, indique l'auteur.

Dès lors, on ne s'étonnera pas du succès acquis auprès de la troupe par le « politruk » Aba Kovner. L'homme était un héros, rescapé du ghetto de Vilno où il avait tenté sans succès d'organiser une révolte contre les nazis comme celle du ghetto de Varsovie. Membre de l'Hachomer Hatzaïr (la Jeune Garde), la frange prosoviétique du sionisme, il était parvenu à s'enfuir et à rejoindre les colonnes de l'Armée rouge. Poète de talent et cousin germain de Meïr Vilner, le chef du Parti communiste, Kovner devint en 1948 responsable de l'éducation de la célèbre brigade Givati. Citant ses Bulletins de combat, Hazkani montre combien il attise les sentiments les plus cruels des soldats et aussi les plus racistes, justifiant par avance les pires crimes. « Massacrez ! Massacrez ! Massacrez ! Plus vous tuez de chiens meurtriers, plus vous vous améliorez. Plus vous améliorez votre amour de ce qui est beau et bon et de la liberté. » De hauts gradés récuseront ses appels constants au massacre d'Arabes, civils inclus. Mais les propos de Kovner continuèrent d'être reproduits dans le journal de l'armée israélienne. Ce n'est qu'à la fin de la guerre, indique Hazkani, que l'état-major exigea « une application plus stricte des règles contre le meurtre et la brutalité » par la troupe.

Ni le socialisme ni la morale

Contrairement à des auteurs qui l'ont précédé, Hazkani estime que les exactions israéliennes ont été plus systématiques qu'on ne l'a cru jusqu'ici. Nombre de villages palestiniens sont rasés dès le « nettoyage » de leur population terminé. Des massacres de civils ont eu lieu. Il cite une note de la censure militaire israélienne de novembre 1948 : « Les victoires et les conquêtes ont été accompagnées de pillages et de meurtres, et nombre de lettres de soldats montrent un certain choc. » Mais la plupart des sabras avalisent ces actes dans ce que le Bureau de la censure nomme une « intoxication de la victoire ». En novembre 1948, après un déchainement de violences, inquiet du risque de perte du contrôle sur la troupe, l'état-major ordonna que cessent ces crimes et ces pillages. Le soldat David écrit à ses parents : « Ce n'était ni le socialisme, ni la fraternité entre les peuples, ni la morale, c'était on vole et on se tire ». La soldate Rivka abonde : « Tout a été saccagé. On a pris de la nourriture, de l'argent, des bijoux comme butin. Certains soldats ont fait une petite fortune. »

Dans les rangs, quelques combattants s'offusquent. Parmi eux, les volontaires étrangers occupent une part importante. Leurs lettres décrivent leur stupéfaction, et même leur dégoût, face au comportement des sabras, qu'ils perçoivent comme de l'insensibilité à l'égard des Palestiniens. Un sondage commandé par l'état-major à la fin de la guerre constate que 55 % des volontaires juifs étrangers ont une vision très négative des jeunes Israéliens, perçus comme arrogants et brutaux. « Les sabras sont affreux », écrit Martin, un juif américain, qui ajoute : « Un Golem se met en place ici1 Les Juifs israéliens ont troqué leur religion pour un révolver ». « Je ne veux plus jouer ce jeu et rentrer dès que possible », écrit Richard, un volontaire sud-africain.

Conscient des réticences exprimées par une partie de la troupe, le département de l'éducation de l'armée lui avait distribué un fascicule, intitulé Réponses aux questions fréquemment posées par les soldats. La première était : « Pourquoi n'acceptons-nous pas le retour des réfugiés arabes durant les accalmies ? » Réponse des éducateurs militaires : « Nous comprenons mieux que personne la souffrance de ces réfugiés. Mais celui qui est responsable de sa propre situation ne peut exiger que nous résolvions son problème. » Avec un tel blanc-seing, comment s'étonner de la lettre d'un de ces sabras qui, au même moment, écrit à sa famille : « Il nous faut encore une période de batailles pour parvenir à expulser les Arabes qui restent. Alors, nous pourrons rentrer chez nous. »

Le dernier aspect novateur du livre est celui qu'Hazkani consacre aux « juifs orientaux » dans cette guerre, plus particulièrement aux juifs marocains, qui en furent à l'époque l'incarnation, mais aussi aux juifs irakiens. Les Marocains, on le sait peu, constituèrent 10 % des juifs qui arrivèrent en Palestine puis en Israël en 1948-1949. Très vite, ils furent confrontés à un racisme souvent ahurissant de la part de leurs congénères ashkénazes (originaires d'Europe centrale), qui constituaient 95 % de l'immigration jusque-là. En juillet 1949, la censure note que « les immigrants d'Afrique du Nord sont le groupe le plus problématique. Beaucoup veulent retourner dans leur pays d'origine et préviennent leurs proches de ne pas émigrer ». De fait, les lettres de soldats issus du Maroc montrent une amertume souvent considérable.

Les juifs marocains ? « Des sauvages et des voleurs »

Yaïsh écrit que « les juifs polonais pensent que les Marocains sont des sauvages et des voleurs » ; le conscrit Matitiahou se lamente : « les journaux écrivent que les Marocains ne savent pas se servir d'une fourchette ». « Nous sommes juifs et ils nous traitent comme des Arabes », écrit le soldat Nissim à sa famille, résumant ce sentiment courant lui-même mêlé de racisme. Hazkani note que « la vision de ces immigrants changeait rapidement » une fois arrivés en Israël. « Les juifs européens, qui ont effroyablement souffert du nazisme, se voient comme une race supérieure et considèrent les sépharades comme des inférieurs », écrit Naïm. Yakoub ajoute : « Nous sommes venus en Israël en croyant trouver un paradis. Nous y avons trouvé des Juifs avec des cœurs d'Allemands ». De fait, Hazkani cite une longue enquête du journal des élites israéliennes Haaretz, laquelle jugeait que les Juifs venus d'Afrique du Nord, atteints de « paresse chronique », sont « à peine au-dessus du niveau des Arabes, des noirs et des Berbères ».

On trouve aussi dans les lettres des conscrits juifs maghrébins une adhésion aux objectifs de la guerre. « Certains soldats marocains tirent une grande fierté d'avoir tué des douzaines d'Arabes » et de l'avoir raconté à leurs familles, notera même avec satisfaction le chef d'état-major Yigael Yadin – qui par ailleurs avait traité les juifs orientaux de « primitifs ». Mais l'inquiétude des dirigeants israéliens était telle, indique Hazkani, que les autorités confisquaient les passeports originaux de ces immigrés récents pour éviter leur retour. Quant aux soldats originaires d'Irak, le même général Yadin exprima publiquement son souci : ils « ne manifestent pas à l'égard des Arabes le niveau d'animosité que l'on attend d'eux »

Enfin, s'il reste encore un élément important à retenir de ce livre très riche, c'est que l'immense défaite du camp palestinien, succédant à celle de sa révolte contre l'occupant britannique en 1936-1939 eut indubitablement un impact fondamental sur le bilan politique des Palestiniens : celui de se fier d'abord à eux-mêmes à l'avenir. Ainsi Burhan Al-Din Al-Abbushi, poète d'une grande famille de Jénine est évidemment sévère avec l'ennemi traditionnel, l'Anglais et le sioniste. Mais Hazkani montre que « sa critique la plus dure est réservée aux dirigeants palestiniens et arabes ». Antoine Francis Albina, un Palestinien chrétien expulsé de Jérusalem, offre une critique radicale : « Nous ne devons accuser personne sauf nous-mêmes ». La plus grande erreur des Palestiniens, selon lui : avoir fait confiance aux régimes arabes. Quant aux Israéliens, « dans le monde post-holocauste, la plupart des soldats d'ascendance ashkénaze se convainquirent que le mariage du judaïsme et de l'usage de la force était une nécessité, et ils ont célébré l'émergence d'un « judaïsme musclé » »->4828]

Il a fallu une quinzaine d'années aux Palestiniens pour commencer à surmonter la « catastrophe » de 1948. Quant aux Israéliens, 70 ans plus tard, ashkénazes et séfarades confondus célèbrent dans leur grande majorité le triomphe de ce judaïsme musclé. Et leurs critiques israéliens contemporains en sont plus que jamais effarés.

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Shay Hazkani, Dear Palestine. A Social History of the 1948 War
Stanford University Press, 13 octobre 2021
352 pages


1Figure mythologique, le Golem est une un personnage surpuissant, mi-humain mi-robot, imaginé au XVIe siècle pour protéger les juifs de Prague et qui retourne sa violence contre eux.

A propos des nouvelles règles de Whatsapp

J'interviens ce soir dans le journal de France Culture à 18H00 pour analyser les conséquences des nouvelles conditions d'utilisation promues par Whatsapp (en lien avec Facebook). Bonne écoute.

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Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l'assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu'entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

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Algorithmic Feudalism

 Stiegler insists, however, that authentic thinking and calculative thinking are not mutually exclusive; indeed, mathematical rationality is one of our major prosthetic extensions. But the catastrophe of the digital age is that the global economy, powered by computational “reason” and driven by profit, is foreclosing the horizon of independent reflection for the majority of our species, in so far as we remain unaware that our thinking is so often being constricted by lines of code intended to anticipate, and actively shape, consciousness itself. 

- Via TruthDig: Fighting the Unprecedented ‘Proletarianization’ of the Human Mind

As the share price of Google parent company Alphabet soared to new highs in the U.S. equity market last week, several articles were published detailing just how out of control and dangerous this tech behemoth has become.

First, we learned Google is in the process of secretly sucking up the personalized healthcare data of up to 50 million Americans without the permission of patients or doctors. This was followed by a detailed report in the Wall Street Journal outlining how the search giant is meddling with its algorithms far more aggressively than executives lead people to believe. Despite these revelations, or more likely because of them, the stock price jumped to record levels. This is the world we live in.

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