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À partir d’avant-hierContrepoints

Procès de Google : guerre contre les monopoles ou régulation contre-productive ?

Le procès contre Google pour abus de position sur le marché des moteurs de recherche prend place aux États-Unis.

Le gouvernement vise des amendes et un démantèlement du groupe, dans le but – en apparence – de réduire un excès de concentration dans le marché.

Selon la théorie des dirigeants, la séparation d’une entité comme Google en une poignée de sociétés en concurrence mène à un abaissement des prix de marché et l’amélioration de la qualité des services.

On peut lire dans le quotidien Les Échos :

« Le gouvernement et les États plaignants considèrent que les accords commerciaux passés avec les navigateurs (comme Mozilla), les équipementiers (Apple, Samsung…) et les opérateurs des télécoms pour installer par défaut le moteur de recherche de Google sur les ordinateurs et les smartphones ont illicitement entravé le développement des autres moteurs de recherche – Bing (Microsoft) ou DuckDuckGo n’ont de fait jamais réussi à prendre l’ascendant. »

Selon les médias, à peu près toute société de taille importante dans la technologie a brisé des lois afin d’atteindre son succès. Le marché, disent-ils, requiert l’intervention des autorités contre le succès d’une poignée de géants du web.

Le New York Times rapporte :

« Les litiges [contre Google] font partie d’un vaste effort par le gouvernement de M. Biden et des États afin de rappeler à l’ordre les plus grosses sociétés de technologie.

[Le gouvernement] poursuit aussi un litige séparé d’abus de monopole contre Meta [maison-mère de Facebook]. Des préliminaires pour des procès sont également en préparation pour abus de monopole contre Amazon et Apple. »

Dans l’intervention contre les entreprises, aux États-Unis comme dans l’UE, les dirigeants cherchent en général des sources de statut et d’influence. Ils reçoivent l’attention des médias, et forcent la coopération d’entreprises au moyen de pression et de lois.

Aux États-Unis, la théorie pour l’instauration contrainte de la concurrence remonte au moins aux lois Antitrust de 1890.

En 1911, le gouvernement américain force la scission du géant Standard Oil, le groupe pétrolier sous contrôle de Rockefeller. En résulte une trentaine d’entités, et en principe un accroissement de la concurrence.

En pratique, Standard Oil n’a pas joui de monopole sur le marché du pétrole américain. Il atteint une part de marché de 91 % en 1906, mais chute à 64 % du marché cinq ans plus tard, en raison de centaines de concurrents sur le marché de la production et du raffinage.

Rien ne montre d’impact dans la réalité de la dissolution d’une société, sous l’influence des dirigeants. En somme, l’organisation de l’économie ne requiert pas l’avis des élus sur la taille des entreprises, et le nombre de participants au marché.

 

Normes et paperasse, aux dépens de la concurrence

Par contre, comme la plupart des interventions des dirigeants dans l’activité des entreprises, le procès contre Google crée des opportunités pour le renforcement de l’emprise des dirigeants dans l’économie.

Du côté de l’UE aussi, les procès et amendes contre les géants de la tech, et les régulations sur les produits d’informatique (la Digital Services Act) génèrent des surcoûts et paperasse.

Comme aux États-Unis, les dirigeants accusent les groupes de la tech de monopole. Selon eux, les interventions réduisent la concentration de pouvoir, et fournissent plus d’opportunités à l’émergence de la concurrence.

Un communiqué de la Commission européenne explique :

« La Commission estime donc à titre préliminaire que seule la cession obligatoire, par Google, d’une partie de ses services permettrait d’écarter ses préoccupations en matière de concurrence. »

Les normes contre les sociétés de technologie ont certes des effets. La société de l’iPhone, Apple, vient d’introduire un changement de chargeurs de téléphone pour le lancement du modèle 15, en réponse aux menaces d’interdiction des smartphones sur le continent.

Dans l’ensemble, les géants comme Apple ou Meta ont le plus de moyens pour protéger ou adapter leur activité au gré des demandes de l’UE. Les sociétés moins importantes souffrent en fait le plus des régulations, car elles ont moins de marge de manœuvre et d’influence auprès des élus.

Une étude sur les effets du GDPR, la régulation de 2018 sur le consentement aux cookies, entre autres, réduit les bénéfices de sociétés de petite taille, et n’a pas d’impact apparent sur les géants de la tech.

Selon VoxEU :

« Nous trouvons que les sociétés soumises au GDPR ont connu une baisse moyenne des bénéfices de 8 %, et une baisse des ventes de 2 %. Ces conséquences négatives étaient principalement subies par des sociétés petites ou moyennes. À l’inverse, rien n’indique d’impact négatif quelconque sur les ventes ou les bénéfices chez les plus grosses sociétés de technologie, dont Facebook et Google. »

L’accroissement du nombre de règles pour un domaine d’activité tend à alourdir la paperasse, et les coûts de la mise en conformité.

Les dirigeants donnent les apparences d’une lutte contre les excès des puissants. En réalité, l’ajout de régulations et d’amendes nuit davantage à l’émergence de la concurrence, qui n’a pas les moyens de supporter les demandes des régulateurs.

De plus, les grosses entreprises profitent de la proximité avec le gouvernement, et des contacts avec les régulateurs et législateurs.

En effet, les gouvernements fournissent aussi des baisses d’impôt, subventions et autorisations à une poignée de favoris.

Le quotidien Les Echos rapporte :

« Sur 157 milliards [d’aides aux entreprises en France] en 2019, on dénombre 32 milliards de subventions proprement dites et 125 milliards de baisses de prélèvements obligatoires dont 25 milliards sur les impôts de production, 35 sur l’impôt sur les sociétés et plus de 60 sur les charges sociales. »

Les subventions aux entreprises de semi-conducteurs, batteries, et de voitures électriques au prétexte du climat ajoutent des avantages aux relations avec les élus.

En échange, les politiciens y gagnent des sources de financement de la part d’entreprises en recherche de protection contre des lois ou l’émergence de la concurrence. Les dirigeants des gouvernements – ministres, commissaires de l’UE, ou bureaucrates de carrière – jouissent de l’attention des entreprises et de la presse.

En somme, les autorités cherchent en général des opportunités pour le capitalisme de connivence, et les relations d’influence et d’entraide avec les gérants d’entreprises.

 

Dirigeants européens en quête d’influence

Depuis l’annonce d’une série de restrictions contre les transferts de données hors du continent, au prétexte de risques de piratage en outre-Atlantique, les dirigeants au sommet de l’UE croient monter en statut.

Selon Le Figaro, les propos du commissaire Thierry Breton sur la loi sur les services informatiques :

« La nouvelle loi européenne sur le numérique signe la fin d’une ère de non-droit ».

Le changement d’ère requerrait bien plus de surveillance et de direction de la part de M. Breton…

Le commissaire semble mettre en application son gain d’importance : il impose une visite en personne aux quartiers généraux des géants de la technologie au cours de l’été.

En juin, Euractiv rapporte :

« Le commissaire européen chargé de l’application d’un nouveau texte européen sur les contenus en ligne, Thierry Breton, se rend à San Francisco jeudi (22 juin) pour s’assurer que les plateformes comme Facebook, Instagram et Twitter sont prêtes à le respecter. »

Les dirigeants de la Commission font des coups de théâtre. Ils organisent des réunions avec les célébrités de la Silicon Valley.

Le journal continue :

« Thierry Breton doit rencontrer Mark Zuckerberg, le patron de Meta (Facebook et Instagram), ainsi qu’Elon Musk, qui défend une liberté d’expression à tous crins depuis qu’il a pris la tête de Twitter l’an dernier, y compris quand les contenus sont offensants ou alimentent la désinformation. »

L’UE vise non seulement la régulation de l’usage de données, mais le contrôle des contenus !

« Le commissaire européen prévoit aussi de rencontrer sur la côte ouest des États-Unis Sam Altman, le directeur général d’OpenAI, la start-up derrière le robot conversationnel ChatGPT qui fait sensation depuis son lancement auprès du grand public fin 2022, ainsi que Jensen Huang, le patron du fabricant de processeurs indispensables à cette nouvelle technologie, Nvidia. »

Les startups de l’IA ou le domaine de semi-conducteurs comme Nvidia ne font pas partie du Digital Services Act.

Par contre, les réunions ajoutent peut-être une couche d’importance à la visite des personnalités de la Commission.

En échange, les sociétés peuvent bénéficier de protections contre l’émergence de la concurrence – qui court plus de risques de tomber en travers du nombre de règles et de normes en croissance sans arrêt.

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Le Digital Services Act : entre régulation et répression en ligne

Après le règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2016, l’Union européenne met en place une nouvelle législation de contrôle des plateformes.

Le Digital Services Act (DSA) est entré en vigueur le 25 août 2023.

Il cible plus particulièrement les grandes entreprises réunissant plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels dans l’Union européenne, à savoir : AliExpress, Amazon, Apple Appstore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube et Zalando ; et deux moteurs de recherche, Bing et Google qui doivent également respecter cette réglementation. Ces grandes plateformes sont donc mises au défi de s’adapter à un marché de 450 millions d’usagers.

 

À dater du 17 février 2024, toutes les plateformes, moteurs de recherches et autres intermédiaires seront concernés, quel que soit leur nombre d’utilisateurs dans une version plus light.

Certaines plateformes ont fait appel : après Zalando, le 13 juillet 2023 Amazon contestait à son tour son statut de très grande plateforme. Le géant du net a déposé une plainte auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, considérant ne pas entrer dans les critères… Tous devront toutefois s’y soumettre, le temps que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce…

Le DSA poursuit trois grands objectifs :

  1. Lutte contre les contenus illicites
  2. Transparence en ligne
  3. Atténuation des risques, et réponse aux crises

 

Bien que le Digital Services Act (DSA) vise à renforcer la responsabilité des acteurs du numérique, cette initiative importante comporte également certaines limites, et soulève de nombreuses préoccupations.

L’article 52 du DSA, intitulé « Sanctions », détaille les options à disposition des États membres en cas d’infraction au règlement, et ne plaisante guère. Si les sanctions sont graduées, elles sont pour le moins conséquentes. Sans toutes les citer, elles se veulent dissuasives.

Par exemple, en cas d’infraction jugée grave, outre la possibilité d’interdiction de territoire, le DSA prévoit « une amende dont le montant maximal peut atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial annuel du fournisseur de services intermédiaires ».

D’un point de vue concret, les choses vont être complexes pour les entreprises concernées, et ce pour plusieurs raisons.

Pour n’en citer que trois :

La surveillance va être accrue

De fait, trouver l’équilibre entre la suppression de contenus nuisibles, et la préservation de la liberté d’expression, celle de la vie privée va être délicate. En effet, il peut se révéler difficile de déterminer ce qui est légal ou illégal dans une Europe où subsiste la diversité culturelle.

Le DSA vient s’ajouter à d’autres réglementations

Comme le RGPD, il peut être pour le moins compliqué pour les entreprises européennes de s’y retrouver dans cet agrégat de réglementations, tout comme appliquer le DSA de façon uniforme en Europe va se révéler kafkaien.

Inquiétudes au sujet de l’innovation en ligne

Certains acteurs craignent qu’une réglementation trop stricte ne les entrave. Les entreprises pourraient craindre des sanctions excessives, et être alors moins incitées à développer de nouvelles technologies ou services.

 

Vers une nouvelle régression de la liberté d’expression ?

Au regard des quelques points évoqués, les entreprises peuvent raisonnablement s’interroger quant à la manière dont les règles du DSA seront interprétées et appliquées par leurs autorités respectives.

Cet état de fait va leur rendre difficiles la planification et leur mise en conformité, variables selon les structures. Si la réglementation est complexe et présente des zones d’ombre, les entreprises concernées, conscientes des sanctions lourdes auxquelles elles s’exposent, sont confrontées à des défis de taille : outre le cumul de réglementation, l’incertitude, il ne faut pas oublier que cette réglementation intervient concomitamment avec une montée en puissance de l’IA, et de l’IA offensive,  à savoir la démultiplication – entre autres – de désinformations, de deepfakes extrêmement sophistiquées.

Afin de respecter la loi, outre la mise en place par les plateformes d’une IA défensive efficace, les entreprises peuvent être tentées – pour ne pas dire contraintes – de pousser le curseur de la « censure » encore un peu plus loin, afin de ne prendre strictement aucun risque, ou tout du moins le minimiser.

Tout comme l’IA n’éprouve pas la peur, l’IA n’a pas vraiment le sens de l’humour, ni celui du second degré. Il est à craindre qu’en poursuivant la volonté du « bien » jusqu’à l’outrance, nous finissions par aboutir à un « Meilleur des Internet » totalement aseptisé qui n’aura rien à envier au Meilleur des Mondes, un cyber univers, sans plus de controverse possible, où même l’humour n’aura plus le droit de cité.

Où commenceront demain les contenus nuisibles, qui les définira ?

En Russie, critiquer l’État, une administration, parler de la guerre, est un acte délictueux

Certes, nous n’en sommes pas encore là, mais nous avançons petit pas à petit pas vers la censure et l’autocensure.

Est-ce qu’appeler à manifester sera demain considéré comme un appel à la révolte ? Le hashtag #giletsjaunes serait-il toléré ? Est-ce que demain, nous pourrons citer Ray Charles sans être soupçonnés d’appel honteux à la haine raciale : « Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi… J’aurais pu être noir. »

L’enfer est pavé de bonnes intentions, et je ne peux oublier les mots prononcés par Emmanuel Macron en 2019, qui avait appelé à une « hygiène démocratique du statut de l’information ».

Peut-être avais-je été le seul à frémir ?

Sous couvert de bonnes intentions, le DSA est-il l’arme de guerre hygiénique des États européens pour un contrôle total de l’information conforme et bienséante ?

Cela y ressemble. L’avenir nous le dira.

« Il n’y a pas de limites à l’humour qui est au service de la liberté d’expression car, là où l’humour s’arrête, bien souvent, la place est laissée à la censure ou à l’autocensure. »  Cabu (1938-2015)

 

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