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Quels intérêts français en Nouvelle-Calédonie ?

En 2021, la France s’est intéressée au Pacifique pour deux raisons : d’une part à cause du revirement australien sur le contrat de sous-marins, d’autre part à cause du troisième référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie. Gageons que 2022 connaîtra moins d’intérêt pour la zone car usuellement, la métropole ne porte guère attention à ces régions éloignées.

La Nouvelle Calédonie est éloignée de 16.000 km de la métropole, quasiment à son opposé géographique du globe (aux antipodes). Cette île de 18.000 km² se situe au nord-est de la grande île australienne. Elle appartient donc de fait au continent océanien, tout comme la Polynésie d’ailleurs. C’est d’ailleurs tout le problème…

En effet, l’Océanie est un continent mal perçu. Si l’on retrace l’histoire des continents, on s’aperçoit que leur nombre a évolué : ils sont passés de deux (cf. la Revue des deux-mondes : l’île Afro-asiatique, l’île Amérique) à trois (conception traditionnelle des Grecs avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique) puis à quatre (jonction des deux approches précédentes : Afrique, Amérique, Asie et Europe) puis à cinq (adjonction de l’Océanie) et aujourd’hui à six (car on a découvert que l’Antarctique était un continent). Des six, l’Océanie est le plus problématique car elle est composée d’une agglomération d’îles où la dimension terrestre cède le pas à la dimension maritime. De plus, elle est disposée dans le Pacifique sud, océan lui-même très vaste et peu favorable à la navigation, à cause justement des étendues.

Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est éloignée de 1.400 km de l’Australie, de 1.480 km de la Nouvelle-Zélande. L’île la plus proche, Vanuatu, est à 540 km. A titre de comparaison, la Corse est éloignée de 180 km de Menton, quand il faut parcourir 780 km pour aller de Marseille à Alger. En élevant la perspective, le géographe constate que la Nouvelles Calédonie se situe à 4.500 km de la Chine, soit en gros la distance entre Paris et Abidjan ou près de deux fois Paris-Moscou.

La conclusion est assez limpide : la Nouvelle-Calédonie est d’abord assez isolée dans un continent lui-même isolé. Elle ne fait pas vraiment partie de l’espace indopacifique dont on nous parle tant ces derniers mois. Pourtant, certains n’ont cessé de la citer comme pierre angulaire de nos intérêts dans la zone. Cela pouvait avoir du sens quand elle s’insérait dans un réseau plus vaste. En ce sens, le grand contrat de sous-marins signé en 2016 avec l’Australie contribuait à cet objectif, tout comme les négociations toujours en cours avec l’Indonésie. Depuis l’accord AUKUS de l’été 2021 qui a vu la rupture de l’alliance australienne, cette stratégie est à plat et la Nouvelle-Calédonie est redevenue un isolat stratégique, trop loin de la métropole pour réellement appuyer une stratégie régionale.

La Nouvelle-Calédonie a toujours été négligée par la France. Tardivement colonisée, elle paraissait trop loin (même du temps de l’Indochine) pour susciter l’intérêt. Le dispositif militaire actuel est lui-même très juste : les Forces armées de Nouvelle Calédonie (les FANC) sont maigres : le régiment de service militaire adapté a plus un rôle social que militaire. Ne reste donc côté terrestre que le RIMa du Pacifique-Nlle Calédonie (RIMaP-NC), petit bataillon au matériel vieillissant et accueillant surtout des compagnies tournantes venant de métropole. La base aérienne 186 dispose de quelques appareils eux aussi hors d’âge. Quant à la Marine, elle compte une frégate de surveillance et deux patrouilleurs pour assurer le contrôle d’une zone qui fait la moitié de la Méditerranée. Ces bâtiments sont également obsolètes. Ce dispositif malingre ne démontre pas une grande stratégie, même si les enjeux régionaux ne semblent pas d’abord militaires.

Ils pourraient être économiques au travers du nickel, dont le Caillou est le troisième producteur au monde. Toutefois, le manque d’investissement à mis à mal les sociétés locales alors que le métal est de plus en plus recherché. Cependant, cette production minière permet à la Nouvelle Calédonie d’avoir la plus grande richesse des DOM COM avec un PIB / h de plus de 20.000 €/h. A noter que cette richesse est très inégalement répartie avec des disparités territoriales, ethniques et sociales criantes.

Alors, si la France n’a pas d’intérêt positif à la Nouvelle Calédonie, celle-ci demeure un enjeu. En effet, le débat ne porte pas tellement sur l’Asie orientale (le vrai sujet de ce qu’on appelle Indo-Pacifique) mais sur une partie du Pacifique, celui de la mer de Corail et alentours. Un petit détour par l’histoire s’impose : pendant la Deuxième guerre mondiale, la guerre du Pacifique se déroule à proximité. Guadalcanal est à moins de 1.500 km et les Américains s’installent sur le caillou à partir de 1942, allant jusqu’à déployer 20.000 hommes (deuxième garnison du Pacifique après San Francisco). Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est une base arrière de la lutte d’influence qui se déroule dans l’ouest du Pacifique, entre Micronésie et Mélanésie.

Tuvalu, Nauru, Fidji, Vanuatu, Tonga, Samoa : autant d’ex-colonies devenues indépendantes et qu sont désormais ciblées par le pouvoir chinois. En effet, Pékin ne cherche plus seulement à prendre le contrôle de la mer intérieure, celle qui sépare son rivage de la première chaîne d’îles partant du Japon jusqu’à Taïwan (mer de Chine Orientale) puis vers les Philippines et l’Indonésie (mer de Chine méridionale) : via la poldérisation des Spratleys et Paracels, l’objectif est quasiment atteint. Pékin veut aller plus loin et prendre pied sur la deuxième chaîne d’îles, comprenant notamment celles que je viens de citer. En vassalisant un certain nombre d’entre elles, la Chine desserrerait l’étau américain sur l’océan.

Observons ce qui s’est passé à Vanuatu : il s’agit du nom des anciennes Nouvelles Hébrides, ce condominium franco-britannique devenu indépendant en 1980. L’île de 12.000 km² compte 300.000 habitants et est surtout connue pour le risque qu’elle court de submersion, avec l’élévation des eaux des continents à la suite du réchauffement climatique. Si au début de son indépendance, Port-Vila (la capitale) noua de nombreux accords avec la France, elle se tourna ensuite vers l’Australie et désormais vers la Chine. Celle-ci prend une place de plus en plus importante, investit dans le secteur économique et construit des bâtiments symboliques et très visibles, en échange d’une dette colossale. On parle d’un port en eau profonde et d’un réseau de télécommunication et d’une base militaire , même si Vanuatu dément et rappelle être non-aligné. « De la Papouasie aux Tonga, cette diplomatie de la dette forme une "ceinture" très fermée. Qu’on en juge. D’ouest en est, la République populaire de Chine a installé son pouvoir financier en Papouasie, aux Etats fédérés de Micronésie, au Vanuatu, aux Fidji, aux Samoa, à Tonga, à Niue. Et plus récemment, en 2019, les îles Salomon et Kiribati sont entrées, à leur tour, dans le giron de Pékin » .

Dans cette perspective, la Nouvelle-Calédonie constitue un pion dans la ceinture entourant l’Australie et joignant Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Indonésie. Le soutien probable de la Chine aux indépendantistes kanaks doit être compris à cette aune. Il s’agit bien d’une partie de jeu de go et les îles du Pacifique se prêtent particulièrement à ce calcul.

Ainsi, la Nouvelle Calédonie constitue-t-elle pour la France d’abord un atout passif « je l’ai moins pour ce qu’il me rapporte que par ce que tu obtiendrais si tu l’avais ».

C’est ce qu’on bien compris les indépendantistes. Pour eux, agiter sans cesse le spectre de l’indépendance, trouver les moyens de contester l’incontestable (en l’occurrence la légalité et la légitimité de la série des trois référendums tenus à la suite des accords de Nouméa), permet d’être toujours en position de négocier de nouveaux subsides avec Paris, dans un marchandage délétère qui ne porte aucun projet d’avenir. Et Paris, agacé mais n’en pouvant mais, de mettre la main au portefeuille.

O. Kempf

Colloque bruxellois sur La numérisation et la modernisation économique

J'interviendrai demain à l'occasion de la Conférence annuelle "Voisinages" organisée par nos amis de l'institut d'études européennes de l'Université Saint-Louis de Bruxelles. Elle portera sur le thème suivant : Quid de l’après Covid 19 pour la relation entre l’UE et ses voisinages : compagnonnage renouvelé ou proximité distanciée face aux défis commun ? (détails ici)

J'interviendrai dans la troisième session qui traitera : La numérisation et la modernisation économique : quelle approche partagée ?

Vous lirez ci-dessous les éléments clef de mon intervention.

1/ La pandémie et la crise économique qui s'ensuit ont suscité deux types de démarches :

  • - d'une part une accélération de la transformation numérique des organisations privées et publiques. Le télétravail est devenu massif alors que la plupart du temps, rien n'était préparé : ni dans les procédures, ni dans le soutien technique. L'adaptation sur le tas ne peut pas dire que ce soit très satisfaisant et il manque encore à consolider cette démarche qui n'est pas une parenthèse.
  • - d'autre part, une réflexion approfondie sur la souveraineté et la maîtrise des chaines de valeur. Il devient de moins en moins pertinent de dépendre exclusivement de productions venues de l'autre bout de la planète, d'autant que cette organisation aggrave le réchauffement climatique.

Il s'ensuit deux phénomènes :

  • - une réorganisation profonde des économies avec l'inclusion de plus de numérique et l'invention de nouveaux modes de production décentralisés : fabrication additive ou edge computing mais aussi amélioration des infrastructures de proximité (smart cities, décentrement du travail, 5G) sont ainsi à la pointe de ce phénomène.
  • - une prise en compte accrue de la cybersécurité.

2/ La cybersécurité, facteur d’attractivité économique

Or, l'accélération en 2020 de la transformation numérique s'est accompagnée d'une accélération de la cybercriminalité qui a touché encore plus d'organisations, de toute taille et en profitant justement de leur impréparation. Beaucoup plus de cibles, une automatisation et une industrialisation des attaques en sont la cause. On a vu ainsi de nombreuses collectivités territoriales ou d'hôpitaux se faire agresser.

Ainsi, la multiplication des rançonnage (ransomware) amplifie une vague qui avait commencé en 2018 et qui devient un tsunami. On ne peut plus dire "je suis trop petit pour passer entre les gouttes". Autrement dit, la cybersécurité n'est pas réservé aux gros, elle est un impératif pour tous.

Or, on ne peut pas imaginer développer l'attractivité économique au niveau national, régional ou local sans comprendre qu'une des demandes des entreprises ou des professionnels venant s'installer sera, au même type que l'infrastructure numérique, la qualité de la cybersécurité fournie.

3/ L'UE a pris enfin en compte ces sujets bien qu'ils soient inégalement compris par les Membres ou par les partenaires

Après des débuts hésitants, l'UE a enfin pris en compte l’impératif de la cybersécurité. Elle admet désormais le thème de la souveraineté numérique face aux prédateurs extérieurs. Cela passe bien sûr par la loi. De ce point de vue, les initiatives récentes sont excellentes : Rénovation de la directive sécurité des réseaux informatiques, mise en place du RGPD, adoption avr. 2019 d’un règlement sur la cybersécurité par le Conseil (instauration d'un système de certification de cybersécurité à l'échelle de l’UE, –la mise en place d'une agence de l'UE pour la cybersécurité dotée de compétences plus étendues à Bucarest), projets de Digital Service Act (loi sur les services numériques et les contenus) et Digital Market act (loi sur les marchés numériques pour faire respecter la libre-concurrence par les mastodontes étrangers du secteur)...

Il reste que la prise de conscience au sein de l'UE est inégale car tout ne peut pas se faire au niveau communautaire. La cybersécurité appartient au cœur de souveraineté et c'est à chaque État de la favoriser chez lui.

De même, il faut insister auprès de nos partenaires pour qu'ils la prennent en compte,s 'ils veulent accéder à un marché européen qui se durcit. Là aussi, la prise de conscience est inégale.

O. Kempf

Le continent de la douceur (A. Bellanger)

Aurélien Bellanger est un auteur contemporain important, d’une veine houellebecquienne mais dont les préoccupations tournent autour de l’information (on se souvient d’un remarquable Théorie de l’information) mais aussi de l’espace et de son ordonnancement politique. On avait ainsi adoré L’aménagement du territoire mais aussi Le grand Paris.

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Son dernier opus prend l’Europe comme sujet avec une excellente métaphore, celle d’un pays qui n’existe pas, la principauté de Karst (ex-Yougoslavie). La principauté vit l’invention des machines horlogères à la complication diabolique et l’utilité inconnue, mais aussi accueillit un mathématicien hors pair, dont le souvenir irrigue le roman qui conte l’histoire de la diaspora karste et de la « résurrection » de la principauté.

C’est follement drôle avec beaucoup de références en tout sens, une moquerie gentille de l’UE (la nouvelle machine karstienne), l’inclusion géographique et historique des deux hémisphères européens, un BHL traité pour ce qu’il est, à savoir un personnage farce de roman. On s’amuse beaucoup en se sentant intelligent et cultivé avec une douce ironie, pour ne pas dire moquerie, envers cette Europe qui se croit si importante alors qu’elle n’est plus qu’un doux souvenir.

Le continent de la douceur Aurélien Bellanger, ici

O. Kempf

Quelles postures des services Cyber israéliens dans la lutte contre le COVID-19 ?

''Je suis heureux de publier un texte d'un jeune directeur pays au sein d'une grande société de Défense européenne et officier de réserve au sein des Armées, Romain Queïnnec. Mille mercis à lui. O. Kempf

Le directeur général de l'INCD (comparable à l'ANSSI en France) - Igal Unna - a passé en revue la posture Cyber d'Israël dans le contexte de la crise du COVID-19, à l'occasion du CyberTechLive d'avril 2020

La crise sanitaire mondiale et la course au vaccin que nous vivons actuellement fait naître une crise Cyber aux multiples facettes. D'une part, le contexte est particulièrement favorable aux agresseurs : explosion et déploiement anarchique du télétravail, sécurité affaiblie par la gestion à distance/délais de réactions/procédures non-maîtrisées, utilisateurs stressés moins vigilants, etc. Et, d'autre part, les mobiles d'agressions, quant à eux, sont nombreux et variés : rançons, hacktivisme, espionnage économique, pré-positionnement de dispositifs pour actions ultérieurs, etc.

L'INCD distingue 4 profils rencontrés par leurs équipes lors de la gestion de cette crise Cyber :

  • Cybercriminalité : profiter de la tension liée à la crise sanitaire pour obtenir des rançons.
  • Scriptkiddies et étudiants : "joue" au hacking ou passe-temps pour s'occuper en confinement.
  • Hacktivistes : activités de militantisme politique, religieux, etc.
  • Etatique (direct ou indirect) : espionnage économique, pré-positionnement de dispositifs.

Les 7 missions de l'INCD durant la crise du COVID-19

Bien que déjà en posture d'alerte dans le contexte des élections israéliennes, l'INCD a cependant orienté spécifiquement une partie de ces missions dans le cadre de la crise sanitaire actuelle. Cette posture est doublement renforcée par la célébration par les juifs israéliens de "Pessah" début avril, période habituelle d'attaques Cyber importantes pour ce pays.

Les 7 missions principales que l'INCD a identifiées sont les suivantes :
  • Cybersécurité et continuité d'activité complète du secteur Santé.
  • Cybersécurité des chaînes d'approvisionnements maritimes et aériennes.
  • Cybersécurité des accès à distance aux services "e-Gov".
  • Un accès fluide et continu à Internet malgré le télétravail de masse et l'explosion de la consommation des loisirs numérique durant le confinement.
  • Cybersécurité de la production et de la distribution alimentaire et médical.
  • Assurer une industrie Cyber parfaitement opérationnelle pour soutenir les secteurs publics et privés.
  • Cybersécurité de la R&D autour de l'étude de solutions contre le COVID19 (vaccins et solutions technologiques). Autrement dit, protection contre l'espionnage (y compris économique) des éventuelles découvertes israéliennes.
Les mesures prises par l'autorité Cyber Israélienne

L'INCD a mis en place 8 mesures cyber :

  • Mise en place d'un "Command & Control" dédié à la crise COVID-19 en partenariat avec les "agences habituelles".
  • Alertes et conduites à tenir Cyber publiées sur les sites gouvernementaux (ex: collaboration sur Zoom, télétravail, Vishing et Phising, etc). L'INCD a publié 17 alertes et conseils de conduite à tenir depuis le début de la crise.
  • Conseil et audit de l'application de backtracking "Hamagen" (c.a.d "le bouclier") à destination de la population locale.
  • Coopération internationale : webinar thématique (50 pays, 220 participants, 4 sessions).
  • Mise en place d'un market-place rassemblant environ une centaine de produits/services/solutions Cyber israéliens.
  • La hotline "119" pour signaler les incidents Cyber.
  • Sécurisation des laboratoires liés aux tests ou recherche du coronavirus. Actuellement, 29 laboratoires ont reçu l'aide de l'INCD.
  • Renfort des services et audits ciblés : 136 nouvelles institutions inscrites sur l'outil de scan et d'analyses des risques cyber, 52 organisations passées en niveau "infrastructure critique" (équivalent en France des OIV), 4 audits conjoints menés avec d'autres services, 7 opérations de réponses à incidents menés par les équipes de l'INCD.
Anticipation - Quelles leçons pour demain ?

L'ANSSI israélienne déclare également travailler sur le "day after" et a identifié 6 leçons qui peuvent déjà être retenues de l'expérience de la crise Cyber en cours :

  • Augmenter la capacité de fonctionnement à distance : télétravail, télémedecine, e-learning, service e-gov.
  • Déploiement de la 5G et du cloud pour faire face à la tension sur les infrastructures de télécommunication.
  • Un engagement et une sensibilisation plus large sur la Cyber en cas de crise.
  • Réouverture des discussions concernant la vie privée VS le bien public : géolocalisation, medical, données.
  • Redéfinition de la Cybersécurité comme fournisseur de services critiques.
  • Maitriser des TTP (Tactique, Technique et Procédure) en cas de fonctionnement massif des organisations à distance.
COVID-19 - Opportunité pour notre souveraineté Cyber ?

La posture Cyber israélienne menée par l'INCD est irriguée par la tradition du pays à naviguer entre la gestion de crise et le "day-after", c'est à dire entre l'innovation de contrainte et l'innovation d'anticipation. Bien que temporellement situé au coeur de la crise, il y a un vrai challenge stratégique dans cette innovation d'anticipation, en ce qu'elle est une opportunité de prise de leadership pour demain. Le "chaos fertile" de Sun Tzu.

Pour renforcer et conclure mon propos, je ne peux pas m'empêcher de vous partager cette citation de Mike Rogers (ancien directeur de la NSA américaine) qui répondait à Nadav Zafrir (ancien général de l'unité 8200 - Renseignement militaire Israélien), tous deux participants au CyberTechLive, et liés par leurs activités au sein du think-tank Cyber Team8.

Nadav Zafrir de demander "Les gens sont en train de perdre leurs jobs, comment pouvons-nous penser au futur ?"

Et Mike Rogers de répondre : "Conduisez le changement, ne le subissez pas ! Conduire le changement, c'est sécuriser son futur. Tirez avantage de cette crise et saisissez l'opportunité de créer un monde meilleur".

Meilleur pour qui ?

Conclusion

Au-delà de la pensée "américaine" de Mike Rogers, pour laquelle je laisse chacun avoir son avis, je me demande si effectivement en France et en Europe nous ne sommes pas dans un effet tunnel de gestion de la crise. Mobilisé (à juste titre) sur la continuité d'activité, ne manquons-nous pas des opportunités de conduire activement le changement à court terme ("prendre la main"), et donc des opportunités de prise de leadership à moyen-long terme face à nos challengers stratégiques Cyber ? La crise du COVID-19 n'est-elle pas une opportunité pour le déploiement offensif d'une souveraineté Cyber pour la France et l'Europe ?

Romain QUEINNEC

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Merci à Bernard Barbier, Jean-Noël de Galzain et Julien Provenzano pour leurs relectures et conseils.

La crise accélérateur de l'histoire

La crise est un accélérateur de l'histoire : en fait, elle ne sera probablement pas un point tournant (signifiant une réorientation des choses, d'un point de vue géopolitique du moins) mais un point d'inflexion. Reste alors à discerner quelles sont les tendances géopolitiques qui vont être accélérées.

source

J'en vois plusieurs que je teste avec vous :

- la poursuite de la relativité américaine ou plus exactement : de la sortie de la centralité américaine. L'Amérique restera évidemment une grande puissance, mais de plus en plus relative et donc, reléguée au milieu de ses deux océans. Je ne mentionne pas ici l'hypothèse d'un éclatement américain, qui demeure possible .

- je ne suis pas convaincu de la poursuite de la montée chinoise. Le régime était déjà dans de grandes difficultés, car son modèle économique arrivait à bout de souffle. La crise accélère cette contradiction interne, d'autant qu'à l'extérieur, on va assister à un nouveau regard. De même que les Européens ont découvert l'Amérique de Trump avec un nouveau regard, de même nous allons regarder la Chine de Xi avec un nouveau regard, celui d'une puissance dont nous sommes trop dépendants et qui surtout nous a beaucoup menti.

- sans revenir à la notion de multipolaire, les circonstances permettent un champ des possibles plus ouvert pour l'Europe, pourvu que les Européens cessent de se considérer comme à la traîne, ici des Américains, là des Européens. En fait, il nous faut nous sortir de notre repentance collective, de notre regret d'avoir dominé le monde, de nos complexes. Vous aurez compris que quand je parle de l'Europe, je ne parle pas de l'UE. Cela signifie que les conditions sont possibles pour une nouvelle relation avec la Russie à l'Est et l'Afrique au sud.

O. Kempf

Retour sur l'affaire Legrier

L’affaire Legrier a fait à nouveau parler d’elle en ce creux d’été. En effet, le CEMA a été interrogé à son sujet par la commission de la défense de l’Assemblée et il a eu des mots très fermes à ce sujet (voir ici). D’autres commentateurs se sont crus obligés de commenter, le vernis de leur style cachant mal le vide de leur pensée et leur satisfaction de donner des leçons d’élégance morale et de « j’vous l’avais bien dit ».

Or, cette affaire couvre quatre dimensions, mal isolées par les commentateurs qui confondent souvent tout : Communication, commandement, stratégie et géopolitique sont ainsi les axes de l’affaire (sans même parler de la notion de liberté d’expression, victime collatérale de l’affaire, comme si on n’avait rien appris : mais elle vaudrait à elle seule un développement et elle a déjà été abordée dans ce blog : laissons-la de côté pour l’instant.

Commandement : c’est le principal argument du CEMA et on ne peut ici que lui donner raison. En effet, le colonel Legrier a publié son texte alors qu’il était encore en train de commander son bataillon en opération. Cela pose problème vis-à-vis de ses hommes (ce que relève le CEMA) mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie : faut-il rappeler que le commandement consiste dans un double « dialogue » : du haut vers le bas (les ordres) et du bas vers le haut (le compte-rendu). Or, le colonel Legrier a fait part publiquement de ses impressions avant même d’avoir rendu compte (et donc écouté les arguments contraires de sa hiérarchie.

Accessoirement, la prudence et la maturation imposent un certain temps de latence entre une opération et son analyse. Quiconque a été en Opex sait qu’on s’y agace de beaucoup de choses, que les relations humaines ne sont pas toujours simples, que la tension et la fatigue altèrent le jugement. Aussi n’est-ce pas un hasard si les analyses sont publiées après l’opération, pour permettre au temps de faire son œuvre et au cerveau de décanter, ruminer et produire l’essentiel. C’est ainsi pour ma part que j’ai procédé et que font la plupart des auteurs que je connais qui s’essaient à dégager les leçons qu’ils ont apprises de leur opération : le processus est indispensable et d’ailleurs, distinct du processus codifié du Retour d’expérience, tel qu’il est pratiqué dans nos armées.

Communication : L’accumulation d’erreurs en la matière est confondante : d’une part, la publication de l’article par la revue est maladroite car la RDN aurait dû noter cette question du commandement. Un article publié un mois plus tard, l’affaire aurait été différente. Ensuite, la réaction du cabinet (on ne sait d’ailleurs plus très bien de quel cabinet il s’agit : celui de la ministre, celui du CEMA ?). Demander le retrait d’un article (surtout quand il y a une version imprimée) à l’heure du numérique, c’est immanquablement susciter un effet Streisand, ce qui n’a pas manqué : outre les grands médias nationaux, le Washington Post, le New York Times, Reuters, Sputnik et Al Jazeera ont signalé l’article et analysé la question soulevée. Accessoirement, cela a démenti les propos du CEMA incitant les officiers à écrire et penser, ce qui est une de ses profondes convictions : il a dû entrer dans une casuistique désagréable et tirer des bords pour expliquer dans quel cas ceci dans quel cas cela. La question revient d’ailleurs trois mois plus tard avec cette audition parlementaire où on le sent très agacé au moins autant par le colonel Legrier que par la rémanence de l’affaire.

Stratégie : Là, pour le coup, le débat est ouvert. J’ai entendu un certain nombre de commentateurs évacuer d’un revers de main les arguments du colonel Legrier. J’en ai entendu d’autres, au moins aussi avisés (et en général, plus avertis des affaires stratégiques que les premiers), dire qu’il y avait au moins débat. Ce n’est pas un hasard si le CEMAT belge a diffusé le texte aux officiers de son état-major (ici). Car il y a matière à réflexion. Tout d’abord parce que je ne suis pas persuadé qu’on a autant gagné que ça contre les djihadistes. Ne soyons pas désagréables, n’évoquons pas Barkhane et restons au Moyen-Orient. Sommes-nous si persuadés d’avoir trouvé la bonne méthode face aux Djihadistes ? Sont-ils effectivement éradiqués d’Irak (sans même parler de la Syrie) ? Autrement dit, la stratégie adoptée notamment sous direction américaine a-t-elle été convaincante ?

Tentons de la résumer : beaucoup d’appui feu à des troupes au sol qui combattent par procuration (des proxies), un peu aidées par quelques forces spéciales. Cela a permis d’obtenir des effets sur le terrain, incontestablement et après beaucoup d’efforts, l’Etat Islamique a été chassé de Mossoul et du nord de l’Irak. Mais ce succès est-il durable ? si l’on observe d’autres théâtres (Afghanistan, BSS), il est permis d’en douter. Car au fond, on fait la guerre loin des populations, laissant à d’autres le soin d’aller constater les dégâts au sol, sans trop se préoccuper du volume de ces dégâts. ON est donc très loin de la guerre « au milieu des populations » dont on nous expliquait hier qu’elle caractérisait une approche française, distincte de l’approche américaine. Au fond, telle est la question : y a-t-il encore une approche française de la guerre ?

Par ailleurs, Le débat de l’appui feu renoue avec celui initié, entre les deux guerres, par Giulio Douhet. Celui-ci prétendait que l’arme aérienne allait constituer l’arme fatale, celle qui allait décider du cours des batailles par l’intensité du feu déployé. On sait, près d’un siècle plus tard, qu’il s’agit d’une illusion (pas tout à fait : seule l’arme nucléaire a obtenu ce pouvoir d’anéantissement et d’effroi qui a modifié la stratégie ) ; pour le reste, on demeure dans la guerre dite conventionnelle où l’accumulation d’armes complique la guerre mais ne résout pas l’affrontement premier entre deux camps, le fameux duel de Clausewitz. L’appui feu est un appui, voici ce que rappelle le colonel Legrier : il appuie une force au sol qui va risquer l’essentiel pour prendre l’ascendant moral sur l’ennemi. Observons que ce débat est aussi celui des drones et demain de la robotique de bataille. Autant dire que ce n’est pas un débat aussi anodin que d’aucuns l’ont affirmé.

On peut ici s’interroger sur l’intervention russe en Syrie : là encore, quelques milliers d’hommes et beaucoup d’appui feu : au fond, le même schéma que les Américains. Le résultat global est finalement assez proche de celui obtenu par les Etats-Unis en Irak. Dans les deux cas, on n’a pas l’impression que le gouvernement en place maîtrise pleinement le pays ni que la guerre soit pleinement gagnée (les combats actuels autour de la poche d’Idlib l’illustrent assez bien). De même, la résolution politique de la guerre semble très imprécise. En fait, il semble bien que des puissances d’intervention en opération extérieure n’aient guère le choix : comment concentrer les efforts pour peser tout en conservant une économie de moyens nécessitée par l’enjeu relatif, au vu de l’intérêt national ? Telle est la question posée à des pays aussi différents que la Russie, les Etats-Unis ou la France. L’appui feu semble ici constituer une option raisonnable, même si on sait qu’elle ne résout pas tout. La question stratégique complémentaire devient donc la suivante : comment compléter un appui feu pour transformer des succès militaires localisés en une réussite politique ?

Géopolitique : Voici enfin la dernière question, sous-jacente et qui a probablement provoqué l’ire de beaucoup. Au fond, que faisons-nous au Moyen-Orient ? En Irak, nous sommes appelés par un gouvernement légal et l’aidons à faire la guerre à des rebelles (qui se trouvent être aussi nos ennemis, du moins les désignons-nous comme tels). Nous suivons pour cela une direction américaine où, avec des moyens minimes, nous réalisons de belles performances, laissant logiquement la direction stratégique à nos alliés : Ce n’est pas avec 3% ou 5 % des forces que l’on peut réellement peser sur une stratégie ! Il est donc logique que nous soyons en retrait et qu’il n’y ait donc guère d’autonomie stratégique (mais opérative), ce que semble regretter le colonel Legrier.

Mais un autre débat sous-tend l’affaire : celui de notre présence en Syrie. Force est de constater que la ligne française a particulièrement été maladroite ces dernières années. Qu’on a assisté à un retour à une discrétion de bon aloi ces derniers mois, ce dont il faut se féliciter. Que cependant, nous intervenons en Syrie dans un cadre légal douteux car je n’ai pas entendu dire que le gouvernement légal de Damas (celui qui tient le siège de la Syrie aux Nations-Unies) ait demandé notre venue, y compris contre l’Etat Islamique. De même, l’argument de nos alliés kurdes combattant au sol pose évidemment problème : s’agit-il de combattants « réguliers » avec qui nous aurions passé une alliance ?

Pour conclure : le texte du colonel Legrier pose évidemment beaucoup de vraies questions. Il ne s’agit pas de les évacuer sous des prétextes de forme, même s’il y a eu, reconnaissons-le, beaucoup de maladresses. C’est bien parce que nous les avons pointées que nous pensons pouvoir aller au-delà, à l’essentiel, aux points soulevés par le colonel Legrier. L’heure doit désormais être au débat serein.

O. Kempf

Quelle Europe dans un monde d'empires ?

Le groupe d'études géopolitiques (GEG) est un cercle de réflexion issu de la rue d'Ulm et résolument pro-européen, mâtiné de beaucoup de culture (je n'ose dire qu'il est élitiste). Adossé à un site, le Grand continent, Il envoie chaque fin de semaine une petite lettre qui est souvent intéressante. La dernière (voir ici) m'a toutefois chagriné. Elle publie en effet la lettre d'un intellectuel italien, Alberto Alemanno, professeur titulaire de la chaire Jean Monnet en droit et politiques publiques européennes à HEC Paris, qui réagissait à un discours récent d'un autre intellectuel, américain celui-là, Tymothy Snyder.

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Ce dernier, dans un discours prononcé à Vienne le 9 mai dernier, dénonçait "l'un des malentendus les plus prégnants du débat européen : bien plus qu'une union d'États-nations épuisés par des siècles d'affrontement intestins, l'Europe est née de l'effondrement des empires européens. Loin d'avoir précédé l'Europe, l'État-nation est une construction européenne". A. Alemanno réagissait à ce discours dans un long texte publié par GEG.

Or, ce texte me laisse perplexe. Je ne dois pas être très intelligent ni assez cultivé ni possédant assez de connaissances historiques. Mais quand je lis : " Cela signifierait-t-il que c'est l'Union européenne qui a créé l'État-nation européen et non l'inverse ? – C’était ce que je me demandais. C'était pourtant vrai – je le concédais.", j'avoue ne pas comprendre, et encore moins suivre le raisonnement qui me semble spécieux.

L'Union Européenne, juridiquement, date de 1992. Si on remonte à la construction juridique européenne, on va au choix en 1957 (Rome) ou 1951 (CECA). Les États-nations préexistent depuis longtemps, que ce soit en réalité ou même sous la forme d'un accord juridique (le système westphalien). Il me semble donc qu'il y a une antériorité historique d'une forme sur l'autre.

Il reste alors la question de la concurrence entre la forme impériale et la forme étatique : là, pour le coup, on peut tout à fait observer une concomitance historique, sachant que les derniers empires en Europe prennent fin principalement avec la fin de la 1GM et au-delà avec celle de la 2GM (Reich voir URSS). Quant aux empires coloniaux, ils disparaissent concomitamment avec la construction européenne.

Du coup, on pourrait presque émettre l'hypothèse suivante, à rebours de tout ce qui est dit dans votre texte : l'UE est un processus impérial d'un genre nouveau, qui vient renouveler la vieille concurrence entre l’État-nation et l'empire, ce dernier étant traditionnellement construit atour d'une base nationale, ce qui n'est pas le cas dans le cas européen.

Bref, je reste très peu convaincu par le texte du jour.

On se reportera à ce texte de l'an dernier, "Territoire et empire", qui s'interrogeait déjà sur la notion d'empire. Texte que j'avais prévu de compléter par un développement sur l'UE, justement. Signe que cette interrogation demeure pertinente...

O. Kempf

Une histoire de l'Europe (M. Fauquier)

Voici un livre paru en septembre dont je ne vous parle que maintenant : c'est qu'il y avait plus de 700 pages à lire, voyez-vous ! Pour tout vous dire, j'aurais pu le feuilleter, lire quelques pages ici ou là et me contenter d'un signalement. Et puis j'ai commencé l'introduction, puis le premier nœud, puis le premier chapitre... et il a fallu que j'avance jusqu'au bout, intégralement. Voici donc un ouvrage stimulant, sur une matière que l'on croit connaître ; mais son traitement renouvelle l'approche, paradoxalement.

De quoi s'agit-il ? D'une histoire de l'Europe. Certes, mais encore ? Et bien d'une histoire de l'Europe qui ne renie pas les racines chrétiennes de celle-ci; En fait, les ouvrages d'histoire contemporains veulent tellement être neutres que pour éviter tout éventuel reproche de manquement à la laïcité, minorent consciencieusement cette dimension-là. Or, il n'y a pas de neutralité historique, comme Shlomo Sand nous l'a brillamment expliqué dans son "Crépuscule de l'histoire" (lien ici) (autre ouvrage que j'ai lu cet été et que je m'aperçois ne pas avoir chroniqué, fichtre : il vaut le détour, incontestablement).

L'auteur, Michel Fauquier, a donc le projet d'une histoire européenne qui ne cache pas les fameuses "racines chrétiennes de l'Europe", celles qu'il est malséant de relever car ce serait attentatoire à je ne sais pas très bien quoi. Pour autant, il ne s'agit pas d'une œuvre apologétique, on a depuis longtemps quitté le XIXe siècle et à défaut d'être neutre, l'écriture de l'histoire peut être sérieuse, appuyée sur de multiples références, laissant la part aux discussions, présentant les points de vue opposés. "Au demeurant, la subjectivité - ce mot mal aimé et mal traité qui ne sert plus qu'à dire l'erreur dans un monde qui ne croit plus à la vérité- rappelle simplement que l'historien est sujet de l'histoire qu'il écrit et non un menteur compulsif" (p. 13)

M. Fauquier est Professeur, agrégé, docteur ès lettres, et incontestablement un bel érudit. On sait d'où il parle mais il se garde d'être obtus. Par exemple, il fait très bien le point sur l'expression de "Fille aînée de l’Église", qui est selon lui plus "allégorique qu'historique", contrairement à ce qu'un certain discours voudrait faire accroire (pp. 155-156).

Il organise son ouvrage en quatre parties : Les fondements (Athènes, Rome et Jérusalem), pp.19-134 - Les temps médiévaux : un Occident chrétien (pp. 135- 280) - L'époque moderne : une difficile gestation (pp. 281-498) - L’époque contemporaine : à la croisée des chemins (pp. 499-716). Chaque partie est elle-même divisée en "nœuds", expression qu'il trouve plus appropriée "Nous avons parlé de nœuds et non de tournants car à force de tourner, l'histoire aurait dû revenir d'où elle provenait, ce qu'on ne constate pas". Bref, le mot nœud est préférable à celui de racine, sur lequel il écrit un petit développement intéressant (pp 13 - 14). Chaque nœud fait donc l'objet d'un chapitre. Chaque partie et chaque chapitre se concluent par une bibliographie de "dix titres pour aller plus loin", chaque référence étant commentée.

L'auteur s'intéresse également à la vie des idées : au fond, plus qu'une histoire de l'Europe, c'est presque une histoire philosophique et théologique de l'Europe. Son chapitre sur le "désenchantement du monde" est très représentatif à cet égard. M. Fauquier insère de nombreux extraits des documents au fil du texte. Cela rend l'exposé très riche et très détaillé, notamment sur des périodes moins connues (monachisme, Moyen-Âge voire Renaissance). On le sent moins enthousiaste pour le monde moderne, mais le lecteur l'aura deviné.

Pour finir, notons qu'il s’agit surtout d’une histoire française de l'Europe. On n'y dit quasiment rien de la Russie, de la Scandinavie, des Balkans voire de l'Europe centrale. La question impériale qui touche Italie et Germanie est très approfondie, tout comme la rivalité avec les autres grandes monarchies européennes, Angleterre et Espagne. Le reste est négligé.

Voici donc un ouvrage très personnel et surtout très éloigné de ce que l'on lit habituellement sur le sujet. En ce sens, un ouvrage "radical" qui a les mérites et les défauts des parti-pris. Extrêmement fouillé et érudit, témoignant d'une culture impressionnante, centré sur l'évolution des idées en préalable aux événements, écrit par un auteur catholique et qui ne s'en cache pas, le livre vaut la lecture justement sur ces critères là : quelque chose de différent et (l'auteur nous pardonnera cet adjectif qui ne lui plaira sans doute pas) engagé, utile justement pour ces caractéristiques-là.

Michel Fauquier, Une histoire de l'Europe, Ed; du Rocher, 2018, 750 p. 29 €

O. Kempf

Un peuple et son roi

Nous l'attendions depuis... 2011 : le dernier film de Pierre Schoeller vient de sortir. Pierre Schoeller est l’auteur de "L'exercice de l’État", film dont nous avions dit à l'époque le plus grand bien (voir ici). Nous étions impatient de vérifier que l'opus suivant serait de la même qualité. Il l'est, avec pourtant des variations qui en font un film différent du premier, même si la réflexion politique sous-jacente est elle aussi remarquable.

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Disons d'abord ce que le film n'est pas : ni une biographie des derniers jours de Louis XVI, ni une histoire de la Révolution française. Bien sûr, le film comporte des éléments de ces deux thèmes mais là n'est pas son sujet. Le titre dit tout, finalement : centré sur le peuple, le film cherche à montrer l'évolution du regard du peuple sur son roi. Voici mis en scène le net processus de distanciation à multiples registres entre un peuple (aujourd'hui, on dirait l'opinion publique) et son chef de l’État (avec plusieurs dimensions évidentes : sacrées, mythiques, psychologiques -père du peuple, comme Louis XII - ,...).

Le peuple donc, centré sur une famille élargie du faubourg Saint-Antoine. Confessons que le début est un peu laborieux et qu'on se met à craindre une symbolique trop lourde avec la lumière apparaissant dans la rue, à mesure que les ouvriers font tomber les créneaux de la Bastille. Heureusement, ce style ne dure pas. Le chef de famille n'est pas le père (puisque rappelons-le, le père est le Roi, symboliquement), mais "l'Oncle", formidable Olivier Gourmet que l'on retrouve avec plaisir, sept ans après son rôle de ministre dans l'exercice de l’État. L'intérêt porté à une famille du faubourg permet de suivre les évolutions des consciences et les débats politiques, mais aussi familiaux ou spirituels (car la question de la relation religieuse n'est bien sûr pas absente, même si elle n'est traitée qu'à petites touches).

Le Roi, porté par un Laurent Lafitte crédible, semble distant. Il doit prononcer dix répliques sur l'ensemble du film : non que c'est un personnage secondaire mais justement, son silence dit tout de sa difficulté politique.... même si une larme coulant lors de la signature d'une première Constitution montre une conscience nette du processus en cours, ou surtout un cauchemar (P. Schoeller aime les rêves, on l'a vu dans son opus précédent) où il est aux abois devant les reproches de ses aïeux (Louis XIV, Henri IV et Louis XI) de trahir l'héritage : la puissance, le cynisme et la ruse reprochent à ce Roi débonnaire de ne pas peser sur les événements. Au fond, il se laisse mener par eux et n'a plus de cours sur les événements... métaphore des dirigeants contemporains et reprise de la thématique de l'exercice de l’État.

Voici alors le troisième personnage, celui qui n'est pas indiqué dans le titre et qui occupe un rôle central : l'Assemblée nationale dont on suit les débats successifs au manège (mais aussi les lobbies et groupes d'influence, avec la mise en scène du club des Cordeliers). Marat est terrifiant de vulgarité, beaucoup plus qu'un Robespierre habituellement caricaturé et traité ici comme un glacial intellectuel, se contrôlant en permanence. L'Assemblée qui se transforme en Convention est le lieu des débats, elle est le troisième personnage du film, elle aussi à plusieurs voix, comme le peuple qui assiste des tribunes. Certes, quelques épisodes de la Révolution sont mis en scène (la marche des femmes sur Versailles, les événements du 10 août) et si on voit que Paris et ses habitants pèsent sur le cours politique, là n'est au fond pas ce qui intéresse P. Schoeller.

Les débats législatifs et politiques, leur lente articulation et évolution, la cristallisation d'idéologies successives, la montée en puissance d'un "populisme" (de gauche !) constituent finalement le troisième ressort de ce film : quid de la médiation entre un peuple et son chef d’État ? quid des "représentants", quel est leur rôle ? Comment refléter idées et évolutions du peuple dans un débat public où les outrances trouvent finalement à prendre le pas sur le bien commun, annihilant toute action publique ? Comment articuler "sur les deux jambes", comme le dit un député, le législatif et l'exécutif, pour obtenir l'équilibre ? Questions d'époque, questions bien contemporaines... Elles passionnent le peuple et laisse le Roi indifférent, fataliste qu'il est de son propre destin. Pas besoin de Roi dans une République ? mais après ? les questions demeurent et sont toujours contemporaines.

Voici donc un film assez littéraire, imprégné de philosophie politique, servi par une mise en image raffinée et des jeux d'acteurs sobres. Disons le mot : un des meilleurs films sur la Révolution française. On ne saurait pourtant le réduire à un film d'histoire : là n'est pas l'ambition du réalisateur, qui a voulu se servir de cet arrière-plan pour continuer son interrogation politique sur la pratique du pouvoir. Convenons qu'il ne transporte pas au premier abord mais qu'il convertit peu à peu, au point d'en sortir convaincu.

O. Kempf

De retour de la Malmaison

J'ai été visité cet après-midi le château de la Malmaison, ce qui fut une heureuse surprise. Non pas que je sois un bonapartiste caché, loin de là, je n'ai jamais caché mon scepticisme. J'apprécie plus le général que l'empereur, plus Bonaparte que Napoléon, au risque de choquer beaucoup.

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Bref : le château par lui-même n'est pas des plus gracieux. Mais finalement, ce n'est pas le plus important, mais la qualité de ce qu'on y voit. IL est très rare en effet de visiter un château "historique" où l'on ait beaucoup de choses à voir.

Ici, aussi bien l’aménagement des pièces que l'ameublement sont exceptionnels. En effet, tentures, fresques et aménagements des sols, murs et plafonds sont "comme à l'époque", certaines ayant été remarquablement restaurées.

De même, l'ameublement est sinon complètement d'origine (au sens où il aurait été installé dans le château depuis Joséphine de Beauharnais), au moins vient-il des collections de l'empereur, mobilier national ou Fontainebleau (je précise que je n'ai pas visité ce dernier lieu depuis mon enfance, je n'ai donc aucun repère précis de comparaison).

J'ai particulièrement apprécié le "bureau", une sorte de salle de réunion qui reprend l'allure d'une tente, pour rappeler à l'empereur l'atmosphère des campagnes ; et la bibliothèque... parce que c'est une bibliothèque de belle tenue. Quant aux meubles, le style empire règne mais j'ai noté deux pianoforte (j'ai cru comprendre que l'objet était rare) et surtout un très beau billard.

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Enfin, j'ai été surpris par le nombre de tableaux originaux aussi bien de empereur que de l'impératrice ou de la famille. Gérard et David et Girodet à quasi foison : là, c'est exceptionnel de trouver autant de représentations d'époque du héros du lieu dans un même endroit. Je n'ai pas souvenir de quelque chose de similaire....

NB : le troisième étage est consacré à la vie à Sainte-Hélène, passage muséographique original et intéressant.

Bref, une belle visite, qui vous donnera peut-être un but pour la prochaine journée du patrimoine, le week-end prochain.

O. Kempf

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