Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

Steak ou pas steak : le casse-tête de la réglementation sur les protéines végétales

Au pays de Gribouille législateur, il sera interdit de servir un « steak végétal »… sauf si, peut-être, c’est un produit d’importation !

 

Musardons avant d’entrer dans le vif du sujet

Le 7 septembre 2023, M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (mais pas alimentaire) annonçait la fin de la détaxe du GNR (gazole non routier) dont bénéficient notamment les agriculteurs et, indirectement, la compétitivité de l’agriculture française et les consommateurs.

[A LA UNE A 12H]
La détaxe sur le gazole dont bénéficient certaines professions sera supprimée pour les agriculteurs et les entreprises de travaux publics, mais pas pour les transporteurs routiers, afin de préserver leur « compétitivité », a annoncé Bruno Le Maire #AFP 1/5 pic.twitter.com/hYU2dCYFHB

— Agence France-Presse (@afpfr) September 7, 2023

Les transporteurs routiers ne roulent pas au GNR (gazole « non routier »)…

Le 10 septembre 2023, M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, déclarait aux Terres de Jim, que l’aide fiscale au GNR – lire : la détaxe – ne disparaîtra pas.

@MFesneau⁩ confirme au Terre de Jim ⁦@JeunesAgri⁩ que l’aide fiscale au GNR ne disparaîtra pas. Prêts à évoluer et moteur sur la transition, nous ne transigerons pas sur la compétitivité de nos fermes. ⁦@FNSEA⁩ ⁦@BrunoLeMairepic.twitter.com/HQVXclPnST

— Arnaud Rousseau (@rousseautrocy) September 10, 2023

Cacophonie gouvernementale ou, encore une fois, exercice d’acrobatie qui se traduira par des vases communicants (avec le risque que l’« aide fiscale » ne finisse pas au bon endroit) ?

 

Musardons encore, quoique…

Le 17 mai 2023, M. Bruno Le Maire s’est fait le VRP de HappyVore (ex Les Nouveaux Fermiers), que mon moteur de recherche présente comme « La viande végétale & gourmande made in France ».

Le saviez-vous ? 100g de protéines végétales génèrent de 60 à 90 % de gaz à effet de serre en moins que 100g de protéines animales.

— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) May 17, 2023

 

@HappyVore_fr est l’exemple parfait de ce que nous voulons construire avec le projet de loi #IndustrieVerte : développer une activité économique tout protégeant la planète.

— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) May 17, 2023

Dans le même temps – refrain connu de la Macronie – le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire travaillait sur un projet de décret « relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ».

L’un ambitionnait de développer une activité économique et « protéger la planète » – merveilleux slogan… – les autres œuvraient pour protéger une activité économique traditionnelle – qui, elle aussi, protège la planète, mais d’une manière mal connue et surtout mal expliquée.

 

Une loi, un décret, le Conseil d’État…

Tout part d’une loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, qui a créé l’article L412-10 du Code de la consommation :

« Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n’est pas possible. Ce décret définit également les modalités d’application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement. »

Le gouvernement a pris son temps pour mettre cette disposition en application, par le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales. Ce faisant, il avait aussi donné du temps aux industriels des substituts de viande affectés par les nouvelles règles.

Mais, le 27 juillet 2022, le Conseil d’État a fait droit à la requête en référé d’une association, Protéines France, qui demandait sa suspension.

Selon le communiqué de Protéines France :

« Dans son ordonnance du 27 juillet 2022, le juge des référés du Conseil d’État a reconnu l’impossibilité pour les opérateurs de se conformer au décret à la date d’entrée en vigueur du texte, soit le 1er octobre 2022. En conséquence, le Conseil d’État a suspendu la mise en œuvre du décret. »

Le communiqué poursuit :

« … de nombreuses étapes sont nécessaires pour changer le nom d’un produit, telles que l’élaboration de nouveaux noms et l’élaboration de nouveaux noms et univers de marque, la réalisation d’enquêtes auprès des consommateurs, le dépôt de marques en vue de leur protection et la production de nouveaux emballages. Beaucoup de travail en temps normal…. »

Le nouveau décret est censé entrer en vigueur « le premier jour du troisième mois suivant sa publication », sous réserve de dispositions transitoires pour, par exemple, l’écoulement des stocks.

Nos têtes pensantes gouvernementales n’ont apparemment pas compris les enjeux pour l’industrie…

Le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur le fond. Le 13 juillet 2023, il a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur des questions d’interprétation de la réglementation européenne en matière d’étiquetage…

…Et, un mois après, le 23 août, le gouvernement notifiait son projet de décret à la Commission européenne…

 

Ubu législateur

La loi est (presque) claire :

« Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. »

Elle ne prévoit un décret que pour fixer le taux de protéines végétales (en fait très bas) susceptibles d’entrer dans un produit d’origine très majoritairement animale. Le décret de 2022 répondait précisément à cette disposition.

Le projet de nouveau décret comporte une deuxième liste (l’annexe 1), de « termes dont l’utilisation est interdite pour la désignation de denrées alimentaires comportant des protéines végétale ». Le mot « comportant » signifie aussi – à notre sens – « constitué exclusivement ».

Exit donc les steaks, les escalopes, les jambons végétaux, mais aussi – parce qu’ils font l’objet d’une limite pour la présence de protéines végétales, les saucisses, les merguez, les nuggets de substituts de viande.

Mais ce nouveau dispositif ne couvre pas les termes qui ne figurent ni dans l’une, ni dans l’autre annexe. Sera-t-il bien compris qu’en application de la loi, on ne pourra pas parler d’une darne, d’un carpaccio ou d’un tartare de substitut de poisson ou de viande ?

On peut chercher d’autres poux dans cet édifice législatif branlant. Qu’en est-il des flammekueche, des tartiflettes et des cassoulets végétariens ?

Le projet de décret autorise 3 % de protéines végétales dans la knack (2 % dans la knack de volaille). HappyVore commercialise des « knax »… Qu’en pensez-vous ?

 

Pour quel bénéfice ?

Marc Fesneau s’est fait lyrique dans un communiqué de son ministère :

« Ce nouveau projet de décret traduit notre volonté de mettre fin aux allégations trompeuses comme prévu par la loi, en utilisant des dénominations se rapportant à des produits carnés pour des denrées alimentaires n’en contenant pas. C’est un enjeu de transparence et de loyauté qui répond à une attente légitime des consommateurs et des producteurs. […] »

Difficile de faire plus clientéliste en direction du monde de l’élevage !

Parmi les « producteurs », il y a… les producteurs de substituts de viande – dont certains relèvent essentiellement des filières animales ! Ils sont évidemment vent debout. On comprend sans peine. Au-delà des défis importants évoqués ci-dessus, à qui reviendra par exemple la tâche, l’honneur ou le privilège de forger un nom commun se substituant à « saucisse », « steak », etc. ?

Les consommateurs sont-ils vraiment trompés par des dénominations comme « steaks végétaux et gourmands » sur un emballage montrant pour moitié un pavé de simili-viande hachée et pour moitié de graines de légumineuses ?

Les associations de consommateurs semblent prudentes. Elles doivent arbitrer entre l’apparente protection du consommateur et une promotion de la réduction de la consommation de viande – pour des motifs de santé publique, et aussi « pour sauver la Planète » – qui serait péjorée par des changements de dénomination. L’UFC/Que choisir n’a ainsi produit qu’un article d’information.

Sur X (anciennement Twitter), certains de leurs employés sont très critiques.

Mais …😳😩
Combien de fois va-t-on devoir expliquer que les consommateurs ne sont pas stupides et ne se sentent pas floués par un steak *végétal* tant qu’il est clairement étiqueté comme tel ?
1/2https://t.co/nSEG3wEjoX

— Camille Perrin (@Perrin_Cam) September 1, 2023

Sur X également, Mme Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association L214, s’est indignée : « Manipulation exemplaire du ministère de la viande »… L’élevage, ce n’est pas bien, mais refuser aux végétariens et végétaliens (végans) la possibilité d’utiliser des termes de l’élevage et de la boucherie, ce n’est pas bien non plus…

Les milieux de l’élevage et de la boucherie-charcuterie sont sans doute ravis, mais sans triomphalisme. Sans études pratiques comme celles que réalise M. Jayson Lusk aux États-Unis d’Amérique (voir par exemple ici), il est impossible de dire que cette réglementation sera favorable aux productions animales.

La réglementation adoptée dans le cadre de la loi et proposée dans le projet de décret d’application constitue de toute manière une entrave à la concurrence entre filières. Et pour la concurrence entre produits similaires, des règles législatives ou jurisprudentielles imposant une identification claire de la nature des produits serait largement suffisante.

Mais voilà, le clientélisme a sévi à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Quelle surprise !

 

Se tirer une balle dans le pied

Le dernier chapitre n’est pas encore écrit. La Commission européenne devrait répondre au gouvernement français comme elle l’a fait pour le décret de 2022. Elle se serait alors inquiétée que la réglementation puisse « rendre plus difficile la commercialisation des denrées alimentaires à base de protéines végétales ». Elle aurait aussi manifesté sa désapprobation.

Le décret sera publié… contesté… et sans doute suspendu par le Conseil d’État, peut-être pour la même raison que précédemment ou, certainement, parce que la CJUE a été saisie et doit donner un avis sur la portée du droit européen de l’étiquetage. En bref, la question principale est de savoir si la réglementation européenne exclut la promulgation de réglementations nationales.

Mais une chose est (presque) sûre, si ce décret survit :

« Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret. »

Cette disposition pose des problèmes d’interprétation par rapport à l’article L412-10 du Code de la consommation, qui ne prévoit pas de dérogation, et au droit communautaire, qui pourrait préempter le droit national les producteurs étrangers pourront continuer à commercialiser des saucisses et steaks végétaux, en concurrence avec des producteurs contraints d’utiliser des dénominations moins « parlantes ».

Il paraît que le gouvernement s’est engagé à ne plus faire de surtranspositions (un terme qui n’est peut-être pas totalement approprié ici mais décrit bien le problème)…

Libéraux et conservateurs : amis d’un jour, ennemis de toujours ?

L’articulation entre libéralisme et conservatisme est complexe à appréhender, à plus forte raison pour les libéraux eux-mêmes, souvent partagés entre la tentation d’une alliance de raison avec la droite conservatrice, la reconnaissance d’affinités intellectuelles, certes circonscrites, mais bel et bien possibles avec le conservatisme, ou, au contraire, le rejet de toute compatibilité entre ces deux courants philosophiques et politiques.

S’il n’est évidemment pas question ici de brosser un tableau général des relations alambiquées entre libéralisme et conservatisme, il nous semble possible d’en dégager aussi bien certains points de convergence que des différences irréductibles à partir d’une lecture de Demeure. Pour échapper à l’ère du mouvement perpétuel, essai publié en 2018 par le philosophe et député européen (PPE) François-Xavier Bellamy.

 

La machine infernale du mouvement perpétuel

Résumons brièvement le propos de Bellamy.

L’auteur s’inspire des réflexions d’Antoine de Saint-Exupéry dans sa « Lettre au général X », dans laquelle ce dernier affirmait que c’est uniquement sur un terreau de stabilité, d’immobilité et de patience que peuvent germer les liens sociaux qui font eux-mêmes fleurir la civilisation, cette dernière étant « un bien invisible puisqu’elle porte non sur les choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement ».

Or, selon Bellamy, la civilisation moderne détruit ces liens en raison de sa passion pour le mouvement, sa valorisation du changement pour lui-même, source d’un progressisme borné qui perçoit tout souci de ce qui nous préexiste comme un attachement mortifère au passé. Le progrès est bon en lui-même, peu importe le but vers lequel il tend ; les normes, structures et valeurs antérieures n’ont pas de raison particulière d’être conservées.

Ce refus de la continuité atomise ainsi la société, isole les individus et les coupe de leur passé en leur interdisant de jamais se reconnaître dans une « demeure ». Il engendre enfin un relativisme absolu qui rend impossible tout partage de valeurs et de règles communes au sein d’un groupe humain : en effet, si tout a vocation à évoluer, à se transformer pour « rester à la page », cela signifie qu’il n’existe aucune certitude tangible pour de bon, qu’aucune règle morale ou aucun principe ne peut être vrai de façon universelle, ou tout au moins collective.

Il convient donc, sans refuser tout changement (l’auteur récuse cette position réactionnaire), d’appliquer un principe de prudence, de circonspection, face au progrès, et de s’interroger sur son caractère bénéfique, et non de l’embrasser sans examen.

 

Une réflexion conservatrice non dénuée de passerelles avec la pensée libérale

« Être en mouvement est la vertu du moment : être dynamique, littéralement » (p. 12)

Or, cette passion du changement peut se révéler néfaste, dans la mesure où elle alimente, selon Bellamy, la propension à modifier les structures sociales par le haut, sans tenir compte de la fragilité de la stabilité de ces structures, et de leur lente sécrétion par l’ordre spontané.

L’auteur reprend ainsi la dichotomie hayékienne entre kosmos (ordre spontané) et taxis (ordre construit) ; de même, les pages dans lesquelles il souligne la modestie dont devraient faire preuve les penseurs et les dirigeants qui pensent pouvoir changer la société par une action d’ingénierie humaine, en prenant le risque de détruire cet « ordre lentement mûri, et irremplaçable dans sa complexité, sa souplesse, sa richesse, au regard desquelles nos capacités d’organisation sont bien peu de chose… » (p. 130), pourraient fort bien être issues de la plume d’un auteur de la plus pure tradition libérale.

Enfin, les préoccupations de Bellamy s’agissant de l’essor du relativisme peuvent trouver un écho chez des sensibilités libérales, lorsqu’il prône la reconnaissance de règles absolues, vraies de toute éternité (de tout temps, l’esclavage fut immoral), en considérant que « la justice est donc, dans son principe, extérieure au temps, étrangère au mouvement ; elle est éternelle » (p. 161) – réflexions qui ne sont pas étrangères en particulier aux libéraux les plus jusnaturalistes, ou plus simplement à ceux qui estiment que la liberté est un bien universel de l’individu, dont ce dernier a été titulaire de tout temps et en tout lieu.

 

Des points de rupture irrémédiables entre la pensée conservatrice de Bellamy et les principes libéraux

La fracture la plus évidente réside ainsi dans la nature holiste du raisonnement de l’auteur, de plus en plus prononcée au fur et à mesure de l’ouvrage.

En effet, la nuance fondamentale, nous semble-t-il, entre le conservateur et le libéral, est que le premier appelle, de façon plus ou moins explicite, à appliquer à l’ensemble de la société un principe de prudence dont le libéral peut sans doute admettre la pertinence, mais seulement à l’échelle individuelle. S’interrogeant sur la remise en cause croissante du dimanche chômé, tradition remontant à l’empereur Constantin, il invite à en prendre en compte les incidences sur la vie sociale, et rélève sa préférence pour le maintien du statu quo par l’État.

Selon nous, ce raisonnement ne peut satisfaire un libéral, sensible à la liberté de choix de chaque individu, qui doit être libre d’attacher ou non du prix au respect de la tradition et d’effectuer ses propres arbitrages.

En outre, à supposer que la libéralisation du travail du dimanche emporte effectivement des conséquences négatives sur l’ensemble de la société, entraver la liberté des individus afin de les éviter ne saurait être acceptable, à moins que les droits et libertés d’autres individus soient en jeu ; en effet, une telle sclérose volontaire des normes sociales reviendrait à empêcher toute évolution de la société, ce qui est pour le moins illusoire. Et la liberté ne peut pas être limitée au prétexte que de simples intérêts particuliers (en l’espèce, ceux des personnes attachées au respect des traditions, ou bien de certains syndicats) s’en trouvent affectés. Le conservatisme de l’auteur ne prend ainsi pas en compte l’hétérogénéité des préférences des individus, et prétend sortir l’État de sa nécessaire neutralité morale pour faire bénéficier à telle ou telle norme d’un traitement de faveur.

Par ailleurs, la distinction hayékienne entre kosmos et taxis, conjuguée avec sa théorie de l’ignorance, peut justifier ce refus de l’intervention de l’État pour préserver un ordre existant : le kosmos doit pouvoir évoluer au gré des préférences et des relations interpersonnelles des agents. De plus, la radicale individualité de la connaissance, qui suppose que nul ne peut prétendre détenir un savoir exhaustif, incite à l’humilité : en effet, dans ces conditions, qui pourrait définir si tel ou tel progrès est bon ou mauvais, et d’ailleurs pour qui ? pour quoi ? Aucune instance ne peut s’arroger ce droit, et c’est donc au marché des valeurs de trier celles qui passeront à la postérité de celles qui seront reléguées – le plus souvent pour le mieux – au rayon des antiquités. Les pages de Bellamy sur les questions de genre et de sexualité nous paraissent à cet égard peu convaincantes.

Deuxièmement, il nous semble que le pessimisme latent dans le propos de l’auteur entre également en opposition avec une forme d’état d’esprit libéral plus optimiste, ou du moins plus confiant dans les capacités de l’individu.

En effet, il estime que le mouvement perpétuel dans lequel s’inscrit l’individu moderne constitue une passion maladive de la course, l’empêchant, selon le mot repris de Pascal, de « demeurer en repos dans une chambre » ; il nous semble au contraire qu’il s’agit là d’une pulsion positive, une sorte de conatus sous la forme d’une marque de l’esprit propre à l’humanité qui ne se satisfait pas de sa condition initiale et cherche perpétuellement à améliorer son environnement et son mode de vie – quitte à délaisser des normes, des pratiques ou des traditions, fussent-elles séculaires, si elles entravent son libre développement.

Enfin, à titre plus anecdotique – mais ce détail n’est peut-être pas dénué d’importance –, le propos de Bellamy nous semble teinté d’une forme de naïveté à l’égard des conditions de vie au sein des sociétés pré-industrielles, notamment lorsqu’il cite des formules de Charles Péguy dans L’Argent (1913), selon lequel « il y avait [autrefois] dans les plus humbles maisons, une sorte d’aisance dont on a perdu le souvenir. […] On ne gagnait rien ; on ne dépensait rien ; et tout le monde vivait ».

Si l’on peut admettre que la civilisation moderne atomise le travail et accroît la solitude du travailleur, il semble plus que douteux que les conditions de vie aient été meilleures et plus propices au bonheur des individus.

Notre intuition – mais elle mériterait sans doute d’être mise à l’épreuve – est ainsi que les collectivistes, particulièrement à droite, accordent une importance plus grande à la dimension morale ou spirituelle de l’existence qu’à son volet matériel : cette hiérarchisation est palpable lorsque Bellamy écrit que « la crise du logement se résout avec des chiffres ; c’est un problème comptable. Mais quand la demeure est menacée, plane le risque de l’irréparable » (p. 14).

À en lire l’auteur, on croirait que « l’intendance suivra » : mais comment fonder une demeure si l’on ne dispose pas au préalable d’une habitation ? Accusés d’être matérialistes à l’excès, les libéraux semblent en réalité bien plus pragmatiques que les conservateurs.

 

En définitive, en dépit de points de rencontre, sinon de convergence, l’ouvrage de Bellamy met en exergue les différences fondamentales entre les philosophies conservatrice et libérale – mieux comprendre ce qui peut unir, et avant tout ce qui sépare, ces deux courants constitue, à notre sens, une nécessité pour définir une doctrine libérale cohérente et solide.

❌