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Quels intérêts français en Nouvelle-Calédonie ?

En 2021, la France s’est intéressée au Pacifique pour deux raisons : d’une part à cause du revirement australien sur le contrat de sous-marins, d’autre part à cause du troisième référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie. Gageons que 2022 connaîtra moins d’intérêt pour la zone car usuellement, la métropole ne porte guère attention à ces régions éloignées.

La Nouvelle Calédonie est éloignée de 16.000 km de la métropole, quasiment à son opposé géographique du globe (aux antipodes). Cette île de 18.000 km² se situe au nord-est de la grande île australienne. Elle appartient donc de fait au continent océanien, tout comme la Polynésie d’ailleurs. C’est d’ailleurs tout le problème…

En effet, l’Océanie est un continent mal perçu. Si l’on retrace l’histoire des continents, on s’aperçoit que leur nombre a évolué : ils sont passés de deux (cf. la Revue des deux-mondes : l’île Afro-asiatique, l’île Amérique) à trois (conception traditionnelle des Grecs avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique) puis à quatre (jonction des deux approches précédentes : Afrique, Amérique, Asie et Europe) puis à cinq (adjonction de l’Océanie) et aujourd’hui à six (car on a découvert que l’Antarctique était un continent). Des six, l’Océanie est le plus problématique car elle est composée d’une agglomération d’îles où la dimension terrestre cède le pas à la dimension maritime. De plus, elle est disposée dans le Pacifique sud, océan lui-même très vaste et peu favorable à la navigation, à cause justement des étendues.

Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est éloignée de 1.400 km de l’Australie, de 1.480 km de la Nouvelle-Zélande. L’île la plus proche, Vanuatu, est à 540 km. A titre de comparaison, la Corse est éloignée de 180 km de Menton, quand il faut parcourir 780 km pour aller de Marseille à Alger. En élevant la perspective, le géographe constate que la Nouvelles Calédonie se situe à 4.500 km de la Chine, soit en gros la distance entre Paris et Abidjan ou près de deux fois Paris-Moscou.

La conclusion est assez limpide : la Nouvelle-Calédonie est d’abord assez isolée dans un continent lui-même isolé. Elle ne fait pas vraiment partie de l’espace indopacifique dont on nous parle tant ces derniers mois. Pourtant, certains n’ont cessé de la citer comme pierre angulaire de nos intérêts dans la zone. Cela pouvait avoir du sens quand elle s’insérait dans un réseau plus vaste. En ce sens, le grand contrat de sous-marins signé en 2016 avec l’Australie contribuait à cet objectif, tout comme les négociations toujours en cours avec l’Indonésie. Depuis l’accord AUKUS de l’été 2021 qui a vu la rupture de l’alliance australienne, cette stratégie est à plat et la Nouvelle-Calédonie est redevenue un isolat stratégique, trop loin de la métropole pour réellement appuyer une stratégie régionale.

La Nouvelle-Calédonie a toujours été négligée par la France. Tardivement colonisée, elle paraissait trop loin (même du temps de l’Indochine) pour susciter l’intérêt. Le dispositif militaire actuel est lui-même très juste : les Forces armées de Nouvelle Calédonie (les FANC) sont maigres : le régiment de service militaire adapté a plus un rôle social que militaire. Ne reste donc côté terrestre que le RIMa du Pacifique-Nlle Calédonie (RIMaP-NC), petit bataillon au matériel vieillissant et accueillant surtout des compagnies tournantes venant de métropole. La base aérienne 186 dispose de quelques appareils eux aussi hors d’âge. Quant à la Marine, elle compte une frégate de surveillance et deux patrouilleurs pour assurer le contrôle d’une zone qui fait la moitié de la Méditerranée. Ces bâtiments sont également obsolètes. Ce dispositif malingre ne démontre pas une grande stratégie, même si les enjeux régionaux ne semblent pas d’abord militaires.

Ils pourraient être économiques au travers du nickel, dont le Caillou est le troisième producteur au monde. Toutefois, le manque d’investissement à mis à mal les sociétés locales alors que le métal est de plus en plus recherché. Cependant, cette production minière permet à la Nouvelle Calédonie d’avoir la plus grande richesse des DOM COM avec un PIB / h de plus de 20.000 €/h. A noter que cette richesse est très inégalement répartie avec des disparités territoriales, ethniques et sociales criantes.

Alors, si la France n’a pas d’intérêt positif à la Nouvelle Calédonie, celle-ci demeure un enjeu. En effet, le débat ne porte pas tellement sur l’Asie orientale (le vrai sujet de ce qu’on appelle Indo-Pacifique) mais sur une partie du Pacifique, celui de la mer de Corail et alentours. Un petit détour par l’histoire s’impose : pendant la Deuxième guerre mondiale, la guerre du Pacifique se déroule à proximité. Guadalcanal est à moins de 1.500 km et les Américains s’installent sur le caillou à partir de 1942, allant jusqu’à déployer 20.000 hommes (deuxième garnison du Pacifique après San Francisco). Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est une base arrière de la lutte d’influence qui se déroule dans l’ouest du Pacifique, entre Micronésie et Mélanésie.

Tuvalu, Nauru, Fidji, Vanuatu, Tonga, Samoa : autant d’ex-colonies devenues indépendantes et qu sont désormais ciblées par le pouvoir chinois. En effet, Pékin ne cherche plus seulement à prendre le contrôle de la mer intérieure, celle qui sépare son rivage de la première chaîne d’îles partant du Japon jusqu’à Taïwan (mer de Chine Orientale) puis vers les Philippines et l’Indonésie (mer de Chine méridionale) : via la poldérisation des Spratleys et Paracels, l’objectif est quasiment atteint. Pékin veut aller plus loin et prendre pied sur la deuxième chaîne d’îles, comprenant notamment celles que je viens de citer. En vassalisant un certain nombre d’entre elles, la Chine desserrerait l’étau américain sur l’océan.

Observons ce qui s’est passé à Vanuatu : il s’agit du nom des anciennes Nouvelles Hébrides, ce condominium franco-britannique devenu indépendant en 1980. L’île de 12.000 km² compte 300.000 habitants et est surtout connue pour le risque qu’elle court de submersion, avec l’élévation des eaux des continents à la suite du réchauffement climatique. Si au début de son indépendance, Port-Vila (la capitale) noua de nombreux accords avec la France, elle se tourna ensuite vers l’Australie et désormais vers la Chine. Celle-ci prend une place de plus en plus importante, investit dans le secteur économique et construit des bâtiments symboliques et très visibles, en échange d’une dette colossale. On parle d’un port en eau profonde et d’un réseau de télécommunication et d’une base militaire , même si Vanuatu dément et rappelle être non-aligné. « De la Papouasie aux Tonga, cette diplomatie de la dette forme une "ceinture" très fermée. Qu’on en juge. D’ouest en est, la République populaire de Chine a installé son pouvoir financier en Papouasie, aux Etats fédérés de Micronésie, au Vanuatu, aux Fidji, aux Samoa, à Tonga, à Niue. Et plus récemment, en 2019, les îles Salomon et Kiribati sont entrées, à leur tour, dans le giron de Pékin » .

Dans cette perspective, la Nouvelle-Calédonie constitue un pion dans la ceinture entourant l’Australie et joignant Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Indonésie. Le soutien probable de la Chine aux indépendantistes kanaks doit être compris à cette aune. Il s’agit bien d’une partie de jeu de go et les îles du Pacifique se prêtent particulièrement à ce calcul.

Ainsi, la Nouvelle Calédonie constitue-t-elle pour la France d’abord un atout passif « je l’ai moins pour ce qu’il me rapporte que par ce que tu obtiendrais si tu l’avais ».

C’est ce qu’on bien compris les indépendantistes. Pour eux, agiter sans cesse le spectre de l’indépendance, trouver les moyens de contester l’incontestable (en l’occurrence la légalité et la légitimité de la série des trois référendums tenus à la suite des accords de Nouméa), permet d’être toujours en position de négocier de nouveaux subsides avec Paris, dans un marchandage délétère qui ne porte aucun projet d’avenir. Et Paris, agacé mais n’en pouvant mais, de mettre la main au portefeuille.

O. Kempf

La cybermenace, jusqu’au cœur des territoires (Guy-Philippe Goldstein)

J'ai eu le plaisir de répondre aux questions de Guy-Philippe Goldstein sur la question de la cybersécurité des territoires. IL a publié cet entretien sur son blog de l'usine nouvelle (https://www.usinenouvelle.com/blogs/blogs/cybermenace-sur-le-robinet-d-eau-episode-1.N1060324). Mille mercis à lui. OK

 

 

https://www.usinenouvelle.com/mediatheque/2/3/4/000156432_image_896x598.jpg

 

 

Au cours des douze derniers mois, le nombre, mais aussi le montant des rançongiciels a augmenté [1]. Cette chasse à l’entreprise qui peut payer le plus aurait-elle épargné les entités plus petites et plus désargentées, ou celles du public ? Non. Les collectivités territoriales sont également devenues des proies de choix. En France, la mairie de Toulouse et celle de Marseille et sa métropole ont été victimes de rançongiciels en mars et avril 2020. Après de nombreuses autres victimes, au mois de mars 2021, c’est au tour de la communauté de communes de l’Est lyonnais d’être frappée, avec une demande de rançon de 200 000 euros [2].

Parfois les conséquences dépassent les simples aspects monétaires. Nous avions évoqué sur ce blog la cyberattaque contre l’usine de retraitement d’eaux de la petite ville d’Oldsmar [3], dans la grande banlieue de Tampa, en Floride, gérée par la commune du même nom, et dont le niveau de soude caustique dans l’eau avait été manipulé à distance. Julien Mousqueton, le directeur technique de Computacenter, une entreprise britannique de services du numérique, évoque le cas emblématique de la petite ville d’Aulnoyes-Aymeries (Nord), 9 000 habitants, rançonnée pour 150 000 euros [4]. Entre autres effets, le système informatique du centre administratif de la mairie et de ses satellites (Ehpad, résidence de services, centre aquatique, école maternelle…) se sont retrouvés sans accès téléphonique, le système dédié permettant le lien téléphone étant géré par la mairie [5]. Avec des conséquences sérieuses : le système servait à relayer les appels des malades de l’Ehpad vers les téléphones mobiles des soignants. Comme le remarque Julien Mousqueton, « on ne prend pas toujours en compte tous les risques possibles. Or même une mairie peut gérer les alertes médicales d’un Ehpad. » Et c’est bien un risque tangible, « même s’il s’agissait probablement là d’un dommage collatéral, qui n’avait peut-être même pas été imaginé par l’assaillant ».

L'Institut national pour la cybersécurité et la résilience des territoires (IN.CRT) [6] a été créé en 2020 pour essayer de répondre à cette nouvelle menace. Son vice-président et fondateur, le général de brigade Olivier Kempf, également auteur d’une étude de la Fondation pour la recherche stratégique sur ce sujet (FRS) [7], a répondu à quelques-unes des questions de ce blog sur cette menace grandissante.

Quel est l’état de la menace ?

Une hausse s’est amorcée en 2019, a explosé en 2020 et se poursuit en 2021. Les cibles sont les collectivités territoriales [communes, communautés de communes, communautés d’agglomération, etc., ndla], mais aussi tous les autres acteurs des territoires, des professionnels et artisans aux PME. Ce sont bien les territoires au sens large qui sont attaqués.

Les rançongiciels semblent se focaliser de plus en plus sur les proies qui peuvent payer le plus. Pourquoi alors ces attaques sur de petites cibles ? 

Dans les territoires, nous sommes confrontés à une massification, une « fordisation », du rançonnage. Cette industrialisation est d’autant plus rendue possible que la revente de l’information est facile : on la revend directement au propriétaire initial [plutôt que sur des marchés noirs de l’exploitation de la donnée pour d’autres opérations, ndla] ! À côté de l’industrialisation, il y a également une adaptation de la grille tarifaire. Si je m’attaque à une fromagerie de l’Aubrac, je ne demande « que » 2 000 euros. C’est peu, mais multiplié par 10 000 grâce à l’industrialisation, cela permet au groupe criminel d’atteindre des chiffres intéressants.

Cela traduit-il l’existence de groupes cybercriminels qui se spécialiseraient dans ces cibles faciles, avec gain unitaire minime mais hauts volumes ?

Il y a en gros deux types de groupes qui pratiquent cette activité. Les premiers sont les groupes cybercriminels qui, à côté des opérations contre des cibles « riches », vont s’occuper de manière opportune des cibles dans les territoires – parce qu’après tout, si c’est facile, pourquoi ne pas en profiter ? Et puis il y a un deuxième phénomène, celui d’une grande criminalité classique qui se dit que là, il y a un marché pas compliqué, accessible techniquement et avec très peu de risques. Donc autant s’y mettre. Si on considère les attaquants comme des commerciaux qui cherchent de nouvelles cibles, on a d’un côté des spécialistes de niches qui veulent, sous la pression de la concurrence, étendre leur marché, de l’élitisme au « mass market ». Et on a de « grands distributeurs » traditionnels qui veulent faire « un peu de technologie » et élargissent leur gamme de prestations.

Avez-vous également observé une exploitation politique ?       

Il existe de rares exemples d’effacement de site, de rumeurs sur les maires [avec quelques campagnes d’infox locales – par exemple à Crozon (Finistère), Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) et Metz (Moselle). À ce sujet, lire l’étude FRS [8], ndla]. Mais il s’agit là de manœuvres de subversion au niveau local, par des acteurs locaux. Nous n’avons pas encore vu d’actions organisées comparables, par exemple, à l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine. Les quelques cas identifiés concernent des initiatives très locales. D’ailleurs, on n’a pas, à ma connaissance, documenté d’actions significatives lors des élections municipales de 2020.

Une récente étude du Club de la sécurité de l’information français (Clusif) [9] note que 35 % seulement des collectivités utilisent le chiffrement des données. Comment expliquer ces efforts encore faibles ?

Élargissons à toutes les cibles dans les territoires. Bien souvent, elles pensent qu’elles sont trop petites pour intéresser les groupes cybercriminels. Donc elles ne font rien, elles se font agresser et elles paient. L’explosion est d’autant plus forte que le phénomène a été renforcé par le choc pandémique, qui a forcé ces acteurs à une transformation numérique brutale. Il faut bien comprendre que pour nombre de ces acteurs, penser cybersécurité s’arrête souvent avec l’achat d’un antivirus. La prise de conscience est encore très très faible, y compris auprès de nombre d’édiles, même dans les villes moyennes, voire assez grandes. La prise de conscience du sujet et des actions à mener n’est pas encore réalisée chez la plupart des responsables des territoires.

Quels sont les risques pour les administrés ?

À force de taper de manière massifiée sur toutes ces cibles, on risque de toucher à des données sensibles. Les données du cadastre, l’état civil, les registres de la cantine (y compris qui mange quoi), les données de l’expert-comptable, celles du médecin : tout ceci constitue un ensemble de données sensibles. Par exemple, imaginez un cadastre ou les registres d’un notaire sans redondance : cela serait extrêmement problématique !

Les réponses actuelles sont-elles adaptées ?

Le terrain n’a pas encore effectué sa prise de conscience. D’un autre côté, certaines organisations centrales pourraient avoir une approche trop jacobine. Des actions pourraient avoir lieu au niveau des régions, par exemple, au niveau des 13 régions métropolitaines françaises. Mais cela risque d’être encore trop élevé par rapport à des situations très locales. Les grands groupes industriels risquent quant à eux d’avoir des réponses technologiques trop sophistiquées. D’autant que le budget cyber d’une agglomération de taille significative, voire d’une métropole régionale, ne dépasse parfois pas les 10 centimes par habitant et par an (quand il y a un budget !). Dans tous les cas, nous n’avons pas de réponse efficace sur le premier enjeu, qui n’est pas une histoire de moyens ou de technologies, mais de prise de conscience. Et pour cela, il faudrait une réponse au plus près du terrain.

Quel(s) type(s) de réponses développer ?

On peut saluer les ambitions de sensibilisation contenues dans le nouveau plan cyber du gouvernement français [10]. Ce qui est important pour la suite, c’est de construire des initiatives locales pour combler certains trous et de les élargir par contagion. Par exemple, l’IN.CRT va mettre en place, avec un partenaire local qui partage ses valeurs, un bachelor de cybersécurité des territoires, avec une première promotion à la rentrée 2021. Les Britanniques offrent d’autres exemples intéressants, avec des initiatives très décentralisés établies sur la base de vrais partenariats public-privé locaux. De manière générale, il faudrait compléter la décision d’en haut en encourageant une diffusion locale par une stratégie en peau de léopard.

 

 


[1] https://www.usinenouvelle.com/blogs/guy-philippe-goldstein/cybersecurite-2021-pire-que-2020.N1056369

[2] https://francenewslive-com.cdn.ampproject.org/c/s/francenewslive.com/le-hacker-reclame-une-rancon-de-200-000-e/184653/amp/

[3] https://www.usinenouvelle.com/blogs/blogs/cybermenace-sur-le-robinet-d-eau-episode-1.N1060324

[4] https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/cyberattaques/cyberattaques-les-communes-de-plus-en-plus-victimes-du-ranconnage_4192985.html

[5] https://www.canalfm.fr/news/aulnoye-aymeries-un-mois-apres-la-cyberattaque-33559

[6] https://www.cyberterritoires.fr/

Quelle puissance relative de la France

Voic le lien vidéo (cliquez ici) d'une conférence que j'ai donnée à l'automne dernier sur la puissance de la France.

https://www.diploweb.com/IMG/jpg/couverture-kempf-500.jpg

Texte du résumé ci-dessous grâce à Diploweb (https://www.diploweb.com/Video-O-Kempf-Quelle-puissance-relative-de-la-France.html) . Enfin, on peut aller plus loin en lisant mon ouvrage Géopolitique de la France (ici)

https://products-images.di-static.com/image/olivier-kempf-geopolitique-de-la-france/9782710810001-475x500-1.webp

 

O. Kempf débute cette intervention en définissant la géopolitique comme une question de représentations. La première représentation est cartographique. La seconde est celle qu’un peuple se fait de lui-même et celle que les autres peuples se font de lui, ce peuple pouvant être incarné ou non dans un État. Selon lui, il existe trois angles majeurs à la puissance relative française.

La caractérisation de la puissance française

En effet, la France est une grande puissance géographique, économique, militaire, politique et d’influence. A tort définie comme une puissance moyenne, elle n’est pas pour autant une « hyper » [1] puissance de nos jours.

Dans un premier temps, la France est une puissance géographique mais n’est pas une géographie. La France s’est construite malgré sa géographie. Elle a su tirer profit de sa géographie à partir d’un petit noyau, l’Ile-de-France, anciennement le Vexin. Ce noyau s’est progressivement étendu vers le sud. Il faut prendre en compte la grande verticale entre la Picardie et le Languedoc et rappeler également les nombreuses volontés historiques françaises de repousser les frontières. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas forcément naturelles. La notion de frontière naturelle fut inventée durant la Révolution et fut réaffirmée suite à la mort du Roi, ce n’est pas un hasard. En effet, tout au long de l’Ancien régime, il était question de repousser l’Anglais à l’Ouest, l’Espagnol au Nord (les Pays-Bas espagnol) comme au Sud et d’agrandir le territoire à l’Est. La frontière originale était celle suivant le Rhône et la Saône, puis le territoire français s’est étendu d’environ 200 à 300 kilomètres à l’Est. La France est encore le plus grand pays d’Europe - si l’on écarte la Russie et l’Ukraine - de par sa taille et sa population projetée à 67 millions d’ici 2050. Elle est aussi un unique espace au carrefour du continent européen grâce à ces deux isthmes. Le premier est entre la Méditerranée et l’Atlantique et le second, rarement souligné, est entre la Méditerranée et la Mer du Nord. Enfin, la France est dotée de nombreux et divers écotypes. Une complexité naît de la double diversité des écotypes et du peuple français. Le fil rouge de l’histoire de la France est selon lui, le désir de construire un peuple commun comprenant ces diversités.

Dans un second temps, la France est une grande puissance économique, classée au 6 ou 7ème rang mondial, selon les critères mondiaux retenus. Pourtant, depuis cinquante ans, il nous est répété que la France est en déclin. Finalement, ce n’est pas tant le cas, selon O. Kempf, et ce malgré, l’émergence. Cette puissance est agricole, notamment en raison de son industrie agroalimentaire. Certes, celle-ci est devenue plus faible mais elle reste une grande richesse. Elle est également industrielle, elle compte de très beaux champions, à l’instar d’Airbus et Total. Ces derniers sont une force mais également une faiblesse car ce besoin de champions diminue l’intérêt accordé aux entreprises de taille moyenne. Cette puissance est enfin représentée par le secteur du luxe. LVMH, Kering et l’Oréal sont de grands groupes français mais sont également dans le top 10 mondial.

Dans un troisième temps, elle est une puissance militaire affirmée. La France est incontestablement la première armée de l’UE, une armée d’emploi, n’hésitant pas à aller en opération. Elle bluffe parfois les Américains, notamment lors de la réussite de l’opération Serval, qu’ils n’ont jamais comprise. Enfin, la France possède la bombe atomique et une industrie de défense imposante et respectée à l’échelle du monde. Ces atouts sont majeurs dans le critère de la puissance.

Dans un quatrième temps, la France se caractérise par sa puissance politique aux multiples noms, la « France terre d’asile », la « France des droits de l’Homme », la « France universaliste ». Elle est également l’un des cinq membres permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies ; un des seuls pays à pouvoir encore dialoguer avec le Liban et partie intégrante du groupe de Minsk dans le cadre de la résolution du conflit en Ukraine. Au sein des institutions internationales, nul ne considère la France comme une puissance moyenne. O. Kempf insiste sur le fait que la France n’est pas la puissance dont le peuple rêverait mais elle reste une grande puissance.

Dans un dernier temps, l’influence française joue un rôle crucial dans le rayonnement de la puissance de l’Hexagone. Elle s’exprime au travers de quatre éléments. D’abord ses outre-mer, résultat de l’histoire française mais aussi de son influence dans le monde, relativement représentée au Proche-Orient même si celle-ci s’étiole mais largement établie au Maghreb et finalement en Afrique. Ensuite, sa langue qui est souvent brocardée, sera pourtant la langue la plus parlée au monde d’ici trente à cinquante ans en raison de la croissance démographique de l’Afrique. Puis il est question de son influence maritime, la France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde. Enfin, la culture française est un élément central qui participe à son image, son rayonnement, ses succès économiques et son attrait.

Vidéo. O. Kempf Quelle puissance – relative - de la France ?
Oliver Kempf, général de brigade (2S), docteur en Science politique et chercheur associé à la FRS
Image : James Lebreton

La thématique du déclin a au moins une vertu, celle d’aiguillon, qui incite la France à persister, résister, de réformer et s’adapter

Le déclin français

Pourquoi alors entendons-nous un discours aussi négatif au sujet d’un déclin français ? se questionne O. Kempf. Déjà en 1845, existait ce discours annonciateur de déclin et cela est en quelque sorte rassurant. Cette pensée pessimiste est le reflet de la représentation collective de ce que le peuple français se pense être, une puissance perdue. Pourtant, il semble bon de rappeler certaines figures françaises, telles que Saint Louis qui arbitrait tous les conflits en Europe, Louis XIV ou encore Napoléon même si cela fut bref. Plus récemment, lors du défilé de la victoire de 1919, la France est encore la super puissance qui régit le monde. Ce temps-là est abrogé car depuis est né un sentiment de régression, résultat des deux grandes catastrophes que sont les deux Guerres mondiales. Ce sentiment est particulièrement net à partir de 1940. Le traumatisme est extrêmement fort, il retentit dans toute la France et créé le sentiment que plus rien n’est comme avant. Ce même sentiment se renforce lors des guerres de décolonisation, la puissance garantie par son empire colonial dans les années 1930 n’est plus, ce projet géopolitique s’écroule. Elle subit alors deux grandes avanies, la première à Diên Biên Phu en 1954, annonciateur de la fin de ce projet géopolitique puis la seconde lors de l’expédition de Suez en 1956 où elle s’imagine pouvoir agir et est finalement remise à sa place par les deux nouvelles grandes puissances que sont les États-Unis et l’URSS.

Le général Charles De Gaulle a su, en se basant sur la Vème République redonner espoir aux français. Son discours de la puissance et du rang agit comme une grande thérapie de l’inconscient géopolitique français. Homme d’intuition, il a fait le pari européen, celui des années 1960. Il a parié sur l’Europe communautaire comme nouveau multiplicateur de puissance. Cependant l’Europe communautaire qui est construite ne ressemble pas à celle dont la France rêvait et ne possède pas l’influence voulue.

Enfin apparaît, à la fin de la Guerre froide, la mondialisation, qui a elle aussi bouleversée le modèle français. La peur de la domination de la langue anglaise, de la perte de la culture et de bien d’autres choses sont venus renforcer les doutes. Cette suite d’événements explique pourquoi le thème du déclin est si inlassablement repris. Toutefois, il est important de lui reconnaître une vertu, celle d’aiguillon, qui incite la France à persister, résister, de réformer et s’adapter afin de rester une grande puissance.

Comment exprimer ce rêve de puissance ? Quelle stratégie ?

En septembre 2020, nous vivons un nouveau bouleversement, qu’Olivier Kempf interprète comme celui de l’après après-Guerre froide. L’élection américaine de novembre 2020 est inquiétante non pas à cause d’une possible réélection de Donald Trump mais parce qu’elle va rendre plus visible la division américaine qui est pleine de danger. Le Brexit traduit ’une profonde entaille à la construction européenne. La République populaire de Chine devenue la nouvelle super puissance est au centre de la stratégie américaine. Selon O. Kempf, nous vivons finalement la fin de l’Occident, entendu comme cette alliance euro-atlantique.

Ainsi la France a quatre axes d’intérêts dans lesquels rêver, orienter et définir sa puissance.

Le premier est l’axe de l’UE qui lui confère un confort stratégique et une opportunité. Le vrai sujet n’est pas le pari de l’Europe selon lui, mais la façon dont parier sur l’UE. Est-ce que les structures actuelles sont satisfaisantes ? Faut-il en réinventer de nouvelles ? Si oui, lesquelles ?

Le deuxième est l’axe maritime :puisque la France possède aujourd’hui des bordures terrestres stabilisées, elle a peut-être l’occasion désormais de parier sur la mer. Certes, elle l’a toujours fait mais ce n’était que sa seconde priorité. Différents atouts sont à mettre en lumière, ses façades maritimes en premier lieu, ses territoires d’outre-mer, ses ZEE, en second lieu et surtout en troisième lieu la maritimisation résultante de la mondialisation. Quelle est alors la stratégie maritime à adopter ?

Le troisième est l’axe méditerranéen et africain : la France s’illustre comme pivot européen vers la Méditerranée et l’Afrique. Ce continent connaît une explosion démographique et tend à atteindre la masse critique nécessaire pour faire le poids face aux autres masses critiques que sont les Amériques d’un côté et les Asies de l’autre. Que faire vers ce sud ? Que réinventer ?

Enfin l’axe Asie redevient un pôle de puissance. Reléguée pendant deux siècles, l’Asie est désormais à nouveau incontournable. L’Asie est l’autre extrémité du continent : comment faire articuler ces deux pôles, l’Asie à l’Est et l’Europe à l’Ouest ? quel rôle la France doit-elle tenir dans cette articulation ?

Copyright pour le résumé Mars 2020-Monti/Diploweb.com

Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?

J'interviendrai demain aux Tech Talks de Bordeaux,

https://quiin.s3.us-east-1.amazonaws.com/events/pictures/000/100/920/original/Photo_de_couverture_suite_ajout_d_planning.jpg?1612211842

dans le cadre d'une table-ronde sur le sujet : Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?

Programme et inscritpion sur le site : https://www.frenchtechbordeaux.com/event/tech-talks-2021-maitriser-le-cyberespace-entre-menaces-solutions-et-innovations/

Olivier Kempf

 

Cyber : retour sur 2020

Du point de vue cyber, que penser de 2020 ? Je traite la question un peu tard (février) mais cela a l'avantage d'avoir laissé la poussière retomber et de mieux distinguer les éléments structurants.

Viering van 2020 met futuristische technologische achtergrond van cyber Premium Vector

 

1/ Evidemment, l'élément principal est la pandémie qui a entraîné deux choses : D'une part, une prise de conscience de l'intrication des chaînes d'approvisionnement. Nous y reviendrons quand nous évoquerons ci-après la "supply chain"; D'autre part, avec les confinements et restrictions de mouvements, la généralisation du télétravail, mise en place en urgence, sans préparation et avec donc d'énormes failles  : au niveau des matériels, des processus, sans même parler de la protection des échanges. Ainsi, la pandémie a été l'élément déclencheur de la transformation numérique de la plupart des organisations, ce que l'ancien CDO que je suis a observé avec gourmandise. Aussi ne faut-il pas être surpris de voir que les grandes sociétés informatiques ont tiré d'énormes profits de cette nouvelle situation.

2/ Il s'en est suivi une augmentation massive des cyberagressions. Le premier facteur tient bien sûr à ce que le nombre de cibles faciles s'est considérablement accru. Parallèlement, la technique des rançonnages (ransomware) s'est démocratisée et industrialisée (pour mémoire, il s'agit de chiffrer toutes les données et de demander une rançon à l'organisation piratée pour obtenir la clef de déchiffrement). Les outils sont facilement accessibles à des pirates qui n'ont pas besoin de grandes compétences techniques. Et le rançonnage a une grande utilité : à la différence d'autres techniques de vol de données, il s'agit ici simplement de les chiffrer sans avoir besoin de les revendre : ou plus exactement, l'agresseur ne les revend pas à un acheteur tiers mais au possesseur originel qui veut récupérer ses données. Bref, nul besoin d'organiser un circuit de revente... Dès lors, nulle cible n'est trop petite, toutes suscitent l'intérêt. L'argument "je suis trop petit pour être attaqué" ne tient plus.

3/ Ainsi a-t-on vu la  massification des agressions contre des "petits" acteurs : nous pensons aux hôpitaux (d'autant plus aisés à attaquer qu'ils étaient déjà sous le stress de la gestion de la pandémie) mais aussi aux collectivités territoriales (tendance entamée dès 2018 mais qui a explosé en 2020). La tendance se poursuivra forcément vers l'agression de cibles encore plus petites : TPE, indépendants, notamment les professionnels ayant des données de confiance (médecins, notaires, avocats, experts-comptables, ...). La nécessité de sensibiliser tous  ces échelons devient de plus en plus brûlante.

4/ A l'inverse, la fin de 2020 a été aussi l'année de Solarwinds, en décembre. Alors que nous avions des agressions indsutrialisées, nous voici en présence d'une attaque extrêmement sophistiquée, de l'artisanat de haute couture.... Solarwinds est en effet une société américaine qui développe des logiciels professionnels permettant la gestion centralisée des réseaux, des systèmes et de l'infrastructure informatique. Un de ses produits, Orion, utilisé par des diaines de milliers de clients, a en effet été infiltré de façon particulièrement habile, ce qui a permis d'entrer "par rebond" chez "beaucoup" (nombre encore indéfini) de ses clients. Ainsi, les agresseurs ont pu observer de l'intérieur leurs réseaux dans une vaste opération d'espionnage. La qualité de l'intrusion fait penser à une instance étatique et les regards se sont tournés vers la Russie.

5/ Beaucoup de débats ont eu lieu sur cette "supply chain informatique" qui rend compte de la complexité actuelle des dispositifs. En effet, les grandes organisations externalisent beaucoup de leurs sytèmes avec des produits fournis par des partenaires. A défaut d'attaquer directement ces grands comptes, il est plus futé de passer par leurs fournisseurs qui sont parfois moins bien défendus que les cibles principales : d'où la notion d'attaque par rebond. Cela a plusieurs conséquences : D'une part, comment maîtriser la sécurité des partenaires informatiques ? D'autre part, comme souvent, cette attaque sophistiquée s'est diffusée et des pirates essaieront de la réutiliser contre d'autres cibles, dans d'autres circonstances, avec un phénomène de contagion.

6/ La tendance est alors complémentaire de celle que nous observions avec les rançonnages : celle d'une professionnalisaiton et donc d'une montée en gamme technique des agresseurs. Ceux-ci ne sont pas seulement plus nombreux, ils n'ont pas seulement plus de cibles, ils montent également en compétence ce qui entraîne de devoir augmenter le niveau des défenses. La dialectique du glaive et du bouclier appliquée au cyberspace, dans une course aux armements sans fin, est d'actualité.

7/ Mentionnons enfin la généralisation du cloud. Le dernier baromètre du CESIN, récemment paru (ici), montre que les entreprises ont massivemnt adopté des systèmes d'infonuagiques. Du coup, la question de la maîtrise des sous-traitants et le développement du concept "zéro trust" se pose durablement.

8/ Il faudra suivre enfin les mises en place de technologies qui arrivent à maturité et semblent pouvoir entrer dans des phase d'industrialsiation : IA bien sûr, mais aussi fabrication additive et blockchain.

Olivier Kempf

Source image : : https://nl.freepik.com/premium-vector/viering-van-2020-met-futuristische-technologische-achtergrond-van-cyber_6331677.htm

 

 

Colloque bruxellois sur La numérisation et la modernisation économique

J'interviendrai demain à l'occasion de la Conférence annuelle "Voisinages" organisée par nos amis de l'institut d'études européennes de l'Université Saint-Louis de Bruxelles. Elle portera sur le thème suivant : Quid de l’après Covid 19 pour la relation entre l’UE et ses voisinages : compagnonnage renouvelé ou proximité distanciée face aux défis commun ? (détails ici)

J'interviendrai dans la troisième session qui traitera : La numérisation et la modernisation économique : quelle approche partagée ?

Vous lirez ci-dessous les éléments clef de mon intervention.

1/ La pandémie et la crise économique qui s'ensuit ont suscité deux types de démarches :

  • - d'une part une accélération de la transformation numérique des organisations privées et publiques. Le télétravail est devenu massif alors que la plupart du temps, rien n'était préparé : ni dans les procédures, ni dans le soutien technique. L'adaptation sur le tas ne peut pas dire que ce soit très satisfaisant et il manque encore à consolider cette démarche qui n'est pas une parenthèse.
  • - d'autre part, une réflexion approfondie sur la souveraineté et la maîtrise des chaines de valeur. Il devient de moins en moins pertinent de dépendre exclusivement de productions venues de l'autre bout de la planète, d'autant que cette organisation aggrave le réchauffement climatique.

Il s'ensuit deux phénomènes :

  • - une réorganisation profonde des économies avec l'inclusion de plus de numérique et l'invention de nouveaux modes de production décentralisés : fabrication additive ou edge computing mais aussi amélioration des infrastructures de proximité (smart cities, décentrement du travail, 5G) sont ainsi à la pointe de ce phénomène.
  • - une prise en compte accrue de la cybersécurité.

2/ La cybersécurité, facteur d’attractivité économique

Or, l'accélération en 2020 de la transformation numérique s'est accompagnée d'une accélération de la cybercriminalité qui a touché encore plus d'organisations, de toute taille et en profitant justement de leur impréparation. Beaucoup plus de cibles, une automatisation et une industrialisation des attaques en sont la cause. On a vu ainsi de nombreuses collectivités territoriales ou d'hôpitaux se faire agresser.

Ainsi, la multiplication des rançonnage (ransomware) amplifie une vague qui avait commencé en 2018 et qui devient un tsunami. On ne peut plus dire "je suis trop petit pour passer entre les gouttes". Autrement dit, la cybersécurité n'est pas réservé aux gros, elle est un impératif pour tous.

Or, on ne peut pas imaginer développer l'attractivité économique au niveau national, régional ou local sans comprendre qu'une des demandes des entreprises ou des professionnels venant s'installer sera, au même type que l'infrastructure numérique, la qualité de la cybersécurité fournie.

3/ L'UE a pris enfin en compte ces sujets bien qu'ils soient inégalement compris par les Membres ou par les partenaires

Après des débuts hésitants, l'UE a enfin pris en compte l’impératif de la cybersécurité. Elle admet désormais le thème de la souveraineté numérique face aux prédateurs extérieurs. Cela passe bien sûr par la loi. De ce point de vue, les initiatives récentes sont excellentes : Rénovation de la directive sécurité des réseaux informatiques, mise en place du RGPD, adoption avr. 2019 d’un règlement sur la cybersécurité par le Conseil (instauration d'un système de certification de cybersécurité à l'échelle de l’UE, –la mise en place d'une agence de l'UE pour la cybersécurité dotée de compétences plus étendues à Bucarest), projets de Digital Service Act (loi sur les services numériques et les contenus) et Digital Market act (loi sur les marchés numériques pour faire respecter la libre-concurrence par les mastodontes étrangers du secteur)...

Il reste que la prise de conscience au sein de l'UE est inégale car tout ne peut pas se faire au niveau communautaire. La cybersécurité appartient au cœur de souveraineté et c'est à chaque État de la favoriser chez lui.

De même, il faut insister auprès de nos partenaires pour qu'ils la prennent en compte,s 'ils veulent accéder à un marché européen qui se durcit. Là aussi, la prise de conscience est inégale.

O. Kempf

Les réseaux de connivence

L'IRIS m'a demandé de participer à son quatrième dossier sur "le virus du faux" (j'avis déjà écrit dans le numéro 2 sur l'autorité scientifique disparue). Le thème du mois portait sur les réseaux sociaux (voir [ici : https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2021/01/Dossier-4-Le-virus-du-faux-ok.pdf]). J'ai proposé le texte suivant intitutlé des réseaux de connivence. Vous pouvez le télécharger sur le site de l'IRIS ou le lire ci-dessous.

https://www.iris-france.org/wp-content/themes/iris-th/images/observatoire-desinformation-geopolitique-au-temps-du-covid-19.jpg

Olivier Kempf

Des réseaux de connivence

 

Les réseaux sociaux font l’objet de toutes les accusations : ils seraient antidémocratiques, propagateurs d’infox, prêcheraient la haine en ligne, au point que l’observateur se demande comment on peut encore les tolérer. Dès qu’un gouvernement fait face à un mouvement d’opinion, un mouvement d’humeur ou un mouvement de masse, aussitôt un responsable accuse les réseaux sociaux de toutes les turpitudes et appelle bien sûr à l’édiction d’une loi. Le même observateur se demande d’ailleurs pourquoi les textes régissant la liberté d’expression et donc la censure ne suffisent pas et pourquoi on délègue autant ces fonctions (en bon franglais on parle non de censure mais de modération) aux sociétés qui gèrent ces réseaux sociaux. L’ultime argument consiste à dénoncer l’anonymat qu’ils permettraient, sachant que ledit anonymat est interdit par la loi et qu’on ne parle en fait que de pseudonymat. Or, nous apprenons que le préfet de Police de Paris, M. Lallement, peu suspect d’être léger avec le respect de l’ordre public, aurait un compte « sous pseudo » sur Twitter qui lui permettrait de « suivre ce qui se dit ». Ainsi donc, les réseaux sociaux permettraient aussi de s’informer ? Les pseudonymes seraient utiles, même à des gens qui n’ont rien à se reprocher ? Voici donc bien des contradictions et des paradoxes.

Ils tiennent probablement à une confusion ou une compréhension imparfaite de ce que sont les réseaux sociaux. Cette confusion vient du fait que les réseaux sociaux sont certes des médias de masse, mais non des organes de presse dont le but principal serait d’informer leurs publics.

Les réseaux sont des médias de masse différents

Incontestablement, les réseaux sociaux sont des médias de masse. Ils sont médiateurs en ce qu’ils transmettent des « informations » de tout ordre ; et ils sont massifs, plus encore que tous les autres prédécesseurs, qu’il s’agisse des journaux imprimés, de la TSF devenue radio puis de la télévision. Toutefois, il faut se méfier de cette chronologie qui ressemble à une généalogie, comme si chaque média successif reprenait une partie des attributs du média précédent pour les élargir, mais sans vraiment en changer la logique. Or, tel n’est pas vraiment le cas avec les réseaux sociaux.

Selon Marshall Mac Luhan, éminence de la théorie de la communication, les médias de masse ont quatre caractéristiques : la communication de un vers plusieurs ; l’unilatéralité du message : le public n'interagit pas avec le véhicule du message ; l'information est indifférenciée : tout le monde reçoit la même information au même moment ; l'information est mosaïque et présentée selon des séquences prédéfinies.

Avec les réseaux sociaux, plusieurs de ces caractéristiques s’estompent et disparaissent : la communication se dirige de plusieurs vers plusieurs tandis que le public interagit avec le message, parfois de façon très simple (le bouton « j’aime » de vos RS favoris). L’information est évidemment différenciée et si elle reste mosaïque, elle ne suit aucune séquence prédéfinie. Si le web d’origine pouvait être assimilé à un média de masse, l’avènement des réseaux sociaux et l’expansion de leur audience a probablement changé la donne. Ils diffèrent des premiers médias de masse qui voulaient contrôler ce qu’ils diffusaient, qu’il s’agisse d’information ou de divertissement.

Une logique d’affinité

La logique des réseaux sociaux est différente. Avec un média traditionnel, le récepteur avait le choix entre deux attitudes : regarder ou ne pas regarder ledit média, selon ses goûts et ses affinités. Avec les réseaux sociaux, sa capacité de choix augmente de deux façons : il y a beaucoup plus de plateformes disponibles et il peut lui-même produire du contenu. Au début, cela provoque un éparpillement de l’offre, chacun s’efforçant, plus ou moins, d’imiter les standards (et donc la qualité générale) des médias traditionnels. Mais plus le processus avance, plus cette tendance s’amenuise au point que les consommateurs vont se regrouper par affinité et tolérer de moins en moins les « informations » contradictoires avec leurs opinions d’origine.

Peu à peu, les réseaux sociaux entretiennent les gens dans leurs convictions qui sont peu à peu renforcer, au mépris parfois de la réalité. Tel est le processus psychologique qui aboutit aux dérives que l’on observe aujourd’hui. Cela peut consister à réfuter des vérités scientifiques[1], ce qui explique le succès des antivax ou des platistes. Cela peut aussi conduire à refuser les faits, selon la théorie de l’alt-right ou « autre-vérité ».

De tels propos ont probablement toujours existé. La seule différence tient à ce qu’ils étaient cantonnés dans des cercles très restreints et n’atteignaient pas une audience générale et massive qui était réservé aux médias de masse. Avec les réseaux sociaux, cette massification s’est démocratisée et n’est plus l’apanage des médias traditionnels. Dès lors, les qualités d’une « information » ne suivent plus les standards d’autrefois. On recherchait une certaine vérité ou du moins la certification par des experts du domaine, qui servaient de garde-fous rationnels à l’information diffusée. Ce n’est plus le cas (ou plus exactement, les médias traditionnels ont perdu le monopole relatif dont ils disposaient).

Connivence et socialité

Les réseaux sociaux sont construits sur la connivence. Le lecteur pourra objecter que les médias avaient autrefois une certaine couleur et qu’on ne lisait pas l’Aurore comme on lisait l’Humanité. Cela est vrai mais globalement, chacun tombait d’accord sur les faits racontés simultanément par la presse : les divergences n’apparaissaient qu’au moment de leur interprétation ce qui permettait le débat.

Désormais, même le fait est mis en cause par lui-même. Il ne s’agit plus vraiment de chercher un certain confort idéologique mais de rejoindre un club restreint qui renforce, plus que jamais, le sentiment d’appartenance. En cela, les réseaux sociaux sont la démocratisation de ce qui avait été inventé avec les clubs sociaux de tout type (Jockey club, Automobile Club, dîners du Cercle, …) et qui étaient l’apanage de l’élite, désireuse de se trouver entre-soi. On ne cherche donc plus à obéir aux règles de la société en général mais à celles du club. Le club favorise la connivence, au mépris du réel.

Dès lors, la connivence surpasse la vérité. Il importe moins que ce que nous disions ou lisions soit exact mais que nous le partagions. Il convient ici de s’interroger sur la raison de ce succès. Peut-être est-il dû aux nouvelles conditions de notre vie sociale, où nous rencontrons de moins en moins de personnes et où nous nous trouvons plus seuls. Faisant moins société, étant moins inclus, chacun irait trouver dans les réseaux sociaux la socialité qui lui manque. Quitte pour cela à abandonner au passage la version « officielle » pour adopter celle du club, qui fournit un plus grand sentiment d’appartenance. Cette hypothèse reste à confirmer.

 

Olivier Kempf dirige le cabinet de synthèse stratégique La Vigie. Il est chercheur associé à la FRS.


[1] Voir O. Kempf, « Crise de l’autorité scientifique » in https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2020/11/Dossier-2-Le-virus-du-faux.pdf, IRIS, novembre 2020.

Pandémie et surprise stratégique

Juste pour actualiser la bibliographie (car chaque mois de janveir, j'étabvlis la bibliographi de mes ppublications et interventions de l'année écoulée), je signale ma contribution suivante

https://servimg.eyrolles.com/static/media/2048/9782491222048_internet_w290.jpg

« Pandémie et surprise stratégique » in  « Les crises, accélérateur de la cybermalveillance », ouvrage collectif présenté par Didier Spella et Laurent Chrzanovski aux Editions Thalia NeoMedia, ISBN de l’édition papier : 978-2-491222-04-8 

Août 2020.

9 euros en papier, moins en numérique...

Voir ici https://www.eyrolles.com/Informatique/Livre/les-crises-accelerateur-de-la-cybermalveillance-9782491222048/

Olivier Kempf

Pourquoi passer sur Olvid ?

Beaucoup d'utilisateurs de la messagerie instantanée Whastapp ont décidé de la quitter à la suite d'un récent message d'actualisation des Conditions générales d'utilisation (CGU) qui annonçait un fusionnement des données avec celles de Facebook. Certes, cela ne concernait que les clients américains et professionnels, mais le mal était fait : chacun s'est aperçu que quand un service est gratuit, nous sommes le produit et que décidément les GAFAM sont bien menaçants pour nos libertés publiques. L'important n'est pas la nouveauté de cette annonce mais que la prise de conscience soit générale et entraîne la migration d'utilisateurs vers d'autres plateformes : réjouissons-nous donc.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/fr/thumb/f/f4/Olvid01.png/220px-Olvid01.png

Mais où aller ? Je recommande Olvid : voici pourquoi

 

1/ Evoquons déjà les applications de messagerie disponibles.

Telegram est une application fondée par deux opposants russes à Poutine. Elle est basée à Dubaï et fonctionne selon un logiciel en opensource. Cependant, le protocole de chiffrement (bout en bout) est fermé et propriétaire. (page Wikipedia [ici|https://fr.wikipedia.org/wiki/Telegram_(application)])

Signal est animé par une société, Signal Messenger (peu de données) appuyée par la Signal Foundation, organisation non lucrative américaine. Elle est distribuée comme un logiciel libre, sur une solution opensource avec une architecture centralisée de serveurs.

Pointons les avantages : des solutions opensource, une dimension éthique qui préside à la fondation des deux organisations, de nombreux utilisateurs. Les défauts résident dans une architecture centralisée de serveurs et une nationalité non européenne, donc peu protectrice. Signal stocke désormais des données personnelles chiffrées... Par aileurs, la question des métadonnées se pose. Pour citer Wikipedia ([ici|https://fr.wikipedia.org/wiki/Signal_(application)]) : " Différentes lois permettent aux services de renseignements américains de contraindre l’organisation à communiquer ces métadonnées sans en parler. Les services de renseignement américains peuvent donc potentiellement s’emparer des métadonnées, à savoir avec qui et quand les utilisateurs de Signal communiquent". Rappelons que la CJUE a cassé l'été dernier l'accord Privacy shield qui régissait les échanges de données entre l'UE et les Etats-Unis. Nous sommes donc dans le flou juridique concernant notre protection ultime...

Voici donc la principale difficulté : ces applications reposent sur le fait de faire confiance à des organisations de confiance et à leurs architectures. Elles stockent des données, directes (données personnelles) ou indirectes (métadonnées associés à vos messages). Enfin, elles sont installées dans des pays qui n'assurent pas la protection des citoyens européens.

Accessoirement, la question pose un problème de souveraineté numérique : alors que tout le modne déplore la puissance des GAFAM, pourquoi aller renforcer d'autres plateformes américaines ou non-européennes ? Nous avons chacun une responsbailtié individuelle en la matière. C'est donc la raison qui m'a poussé à choisir Olvid, pour ma messagerie sécurisée sur ordiphone (je précise que d'autres services existent, come Citadel de Thalès qui offre tout un tas d'options supplémentaires mais n'est accessible qu'à des comptes professionnels, quand Olvid est accessible à tout public).

2/ Olvid, qu'est-ce ?

Olvid (page wikipedia [ici|https://fr.wikipedia.org/wiki/Olvid]) est donc un société française, start-up de cybersécurité, qui repose sur un autre principe : aucun message ne passe par ses serveurs et tous les protocoles de chiffrement se font directement entre les deux utilisateurs, qui doivent s'échanger des codes au lancement du contact. C'est donc un soupçon plus laborieux au départ (puisqu'il faut contacter ses correspondants et échanger avec eux son code, idéalement par téléphone) mais une fois ceci fait, tout est ensuite aussi facile que sur Whatsapp ou Signal : chat, mise en place de groupes de discussion, appels vocaux : je parle ici des services gratuits. Les services supplémentaires (appel vidéo notamment) sont payants. Mais pour la plupart des usagers dont moi, cela suffit. Olvid répond évidemment au droit français donc au droit européen, respecte ainsi par construction le RGPD.

Olvid est tellement respectueux que vous devez prendre l'initiative. Sur Signal, j'ai noté qu'on me proposait des contacts qui sont eux-mêmes sur Signal, : est-ce une coïncidence ou une fonction du logiciel qui a donc accès à mon annuaire ?  Je ne sais... Mais sur Olvid, il faut vraiment faire la démarche d'inviter ses contacts (par SMS, message Whatsapp ou autre, mail...). On maîtrise donc les choses. Par exemple, vous devez accepter de rejoindre un groupe auquel vous êtes invité, quand cette disposition n'est pas possible sur Whatsapp (vous êtes invité et vous devez quitter volontairement le groupe si vous ne voulez pas en faire partie).

[ajout 1] : suite à une rafale de commentaires sur mon fil Twitter, je précise que si Olvd a un serveur (pour faire tourner l'application), celui-ci aide uniquement à l'établissement des sessions mais ne voit pas passer les messages qui s'échangent directement entre les ordiphones. Vous trouverez le débat technique entre spécialistes  sous ce fil ici : https://twitter.com/egea_blog/status/1351153946975477763

3/ Objection votre honneur...

Oui mais la popularité de Whatsapp ou Signal  : ce qu'on appelle la loi de Metcalfe affirme que j'ai d'autant plus intérêt à aller sur un réseau que d'autres y sont. Cela peut-être vrai d'un réseau d'information (genre Twitter), ou d'un système dont la performance dépend de la fréquentation (Wikipedia voire Waze). Mais pour une messagerie, cet effet ne joue pas vraiment : je me fiche des 500 Millions, si les 50 personnes avec qui j'échange régulirèemetn y sont. Or, comme je les connais, cela dépend de moi. Donc exit la loi de Metcalfe.

Encore une application ? Certes, cela impose d'avoir un peu de place disponible dans votre ordiphone. Mais si justement cela vous incitait à faire un peu le ménage , à supprimer plein de photos et vidéos débiles ? Avez vous vraiment besoin de Snapchat et d'Instragam ? Car nous sommes d'accord : cette affaire de Whatsapp nous force à nous interroger sur nos usages numériques et sur notre rapport (constant) à notre ordiphone qui occupe tant de place dans nos vies. Un peu de prise de conscience, quoi.... de conscience, au fond...

Vous êtes paranoïaque, Olivier Kempf. Peut-être. Mais se préoccuper de sa sécurité alors que personne ne doute de la nécessiteé de fermer sa voiture ou sa maison à clef ou de protéger les mots de passe de son compte bancaire, est-ce de la paranoïa ? Ce qui est vrai pour vos objets numériques ne l'est-il pas pour vos applications ? D'ailleurs, vous avez bien installé un système d'identification, quand vous ouvrez votre téléphone (code pin, reconnaissance faciale, empreinte digitale) ? c'est proposé en série par votre ordiphone, quelle que soit sa marque. Vous vous y pliez : toujours pas parano ou êtes-vous juste prudent ? Ce qui est vrai pour ça ne le serait pas pour vos messageries ? Bref, soyez prudents...

Je n'ai rien à cacher. Ben si. Vos sentiments, vos préférences sexuelles, vos désirs de voyage ou d'achat compulsif,  vos opinions politiques, et même quelques secrets ou pudeurs que vous ne voulez pas étaler partout dans le monde. Oui mais ce n'est pas partout, je ne suis rien, pas important. Mais si vous êtes important. Dites vous que si c'est gratuit (et Olvid est gratuit pour les services de base, c'est payant ensuite pour les services supplémentaires, ce qui est paradoxalement rassurant), c'est que c'est vous le produit. En analysant vos données et métadonnées, les annonceurs peuvent vous cibler : vous postez un truc sur un réseau social et à votre prochaine recherche, vous voyez une pub pile sur le truc dont vous avez parlé... Car vos données servent à définir votre profil et donc à vous envoyer des publicités ciblées... Nous ne parlons là d'une société libre mais imaginez une société où les libertés publiques sont menacées... Bref, en ce domaine-là aussi, la prudence s'impose.

4/ En conclusion

Je précise que je n'ai aucun intéressement à Olvid (ni en capital ni en mission de promotion ou autre), que je ne connais personne chez eux ni qui y serait directement intéressé. Bref, cet article est du pur militantisme...

Il s'appuie enfin sur une bonne donne de "citoyenneté numérique", si le lecteur me pardonne cette expression : alors qu'on ne cesse de parler de souveraineté numérique menacée par les GAFA (et autres NATU et BATX), alors quo'n ne cesse de dire "en Europe nous n'avons pas de champion du numérique", voici une bonne action à faire : apporter chacun sa petite pierre à l'édifice pour renforcer des acteurs français/ européens à la place des concurrents américains ou asiatiques...

Vous avez les raisons qui me poussent à agir et à soutenir. Voici pourquoi je me suis lancé dans une grande campagne d'évangélisation : cela fonctionne, les gens me suivent... Car enplus, un peu de conviction et les gens suivent. J'ai déjà transféré la plupart de mes contacts et recréé la plupart de mes groupes de discussion. Faites pareil....

Olivier Kempf

A propos des nouvelles règles de Whatsapp

J'interviens ce soir dans le journal de France Culture à 18H00 pour analyser les conséquences des nouvelles conditions d'utilisation promues par Whatsapp (en lien avec Facebook). Bonne écoute.

OK

Stratégie et confinement : Grande stratégie ?

Dans le cadre du dossier annuel d'ER, voici un premier artticle pour cette année. J'ai un peu l'intention de revenir plus souvent... Il faut juste que je trouve le temps....

Thomas (ici) a en effet parcouru le vocabulaire militaire que notre confinement actuel pouvait évoquer : blocus, embargo, endiguement, autant de termes opératifs qui renvoient à notre expérience présente. A un détail près cependant : notre confinement n’a rien de militaire. On peut certes évoquer les hôpitaux de campagne qui ont été mis en œuvre, les liaisons aériennes par hélicoptères ou kits Morphée, les quelques PHA mis en alerte au profit des DOM-COM mais finalement, l’outil militaire a été peu utilisé. Certes, il faudrait aussi évoquer les conséquences opérationnelles du confinement sur les forces : entre les cas qui se sont déclarés sur le Charles de Gaulle ou sur le bâtiment américain Théodore Roosevelt au printemps, ou les mesures de confinement ajoutées à la préparation opérationnelle avant les Opex (ou au retour d’Opex). Rien là finalement qui n’attire l’intérêt au-delà des spécialistes.

 http://www.contretemps.eu/wp-content/uploads/europe-forteresse-2.jpg

Source

Mais du coup, si l’on réfléchissait en termes de grande stratégie, celle qui est au-dessus de la stratégie militaire, celle que doit conduire le stratège politique qui préside aux destinées de la Nation ? Voyons cela...

Les pays fermés

Car le confinement est une stratégie qui peut se décider pour des raisons politiques et pas seulement sanitaires. Deux exemples viennent à l’esprit : la Corée du Nord et le Turkménistan.

Le cas de la Corée du nord est le plus connu. Pyong-Yang a en effet décidé de fermer ses frontières avec l’extérieur et de ne pas autoriser la libre circulation de ses citoyens à l’extérieur, et même à l’intérieur du pays. Mais l’expression de « royaume ermite », utilisée souvent pour désigner le pays, s’applique en fait à toute la péninsule, tant elle a été prise en tenaille entre de multiples puissances expansionnistes : Chine, Japon et Russie, traditionnellement. Depuis le XVIIe siècle, face à tant d’invasions, la Corée se ferme et se méfie de tout ce qui est étranger. En fait, la dynastie Kim reprend une vieille tradition coréenne. Dès lors, malgré l’ouverture de quelques zones franches, le pays vit refermé sur lui-même, ce qui constitue un de ses piliers géopolitiques.

Le Turkménistan est moins connu. A la suite de l’éclatement de l’URSS, le pays devient indépendant sous la houlette d’un dictateur, Saparmurat Niazov (qui meurt en 2006). Ce « Turkmenbachi » (père des Turkmènes) conduit une politique d’indépendance nationale autour de la langue turkmène, à la fois pour se dégager de l’influence russe et pour dépasser la structure tribale de la société. Cependant, malgré d’énormes richesses en hydrocarbures qui en font un eldorado gazier et constituent l’essentiel de ses relations extérieures, le pays s’enferme. Membre à l’origine de la Communauté des Etats indépendants qui a succédé à l’URSS, il en devient un simple « membre associé », afin de manifester une neutralité officielle. Dès lors, la population, jeune et endoctrinée par l’éducation du régime (autour du livre Ruhnama écrit par Niazov et qui a officiellement autant de valeur que le Coran), se voit interdire toute relation avec l’extérieur. Le système est donc moins dur que celui de Corée du Nord, le pays est plus riche grâce au pétrole, mais il reste enclavé et très distant envers toute communication étrangère.

Les pays murés

Une autre forme de confinement consiste à dresser des murs, des clôtures et des barrières à ses frontières. Certaines sont très anciennes (que l’on pense justement à la DMZ entre les deux Corées, qui date de 1953), d’autres bien plus contemporaines, pour des motifs divers. Constatons qu’en ces temps de mondialisation, donc d’ouverture, les murs et clôtures se multiplient, comme s’ils étaient une externalité de cette mondialisation.

Ils ont différentes formes et ne ressemblent pas tous à l’accumulation de grillages autour des présides de Ceuta et Melilla : ainsi, une marche peut constituer une telle barrière : un espace avec un obstacle naturel (ou pas) mais surtout aucun point de franchissement, manifestant la volonté des deux pays de ne pas échanger : par exemple la marche entre Panama et Colombie, ou celle entre Papouasie et Indonésie. De simples grillages peuvent suffire, comme entre Botswana et Zimbabwe (le Botswana a d’ailleurs invoqué des raisons sanitaires pour justifier, en 2003, l’érection de cette barrière électrifiée). Enfin, de véritables ouvrages avec beaucoup de technologie peuvent s’élever, comme aux frontières du Koweït ou celle d’Arabie Séoudite.

Il est vrai que la plupart de ces murs sont destinés à empêcher l’autre de venir. La barrière est alors tournée vers l’extérieur, créant deux zones : une qui serait « protégée », l’autre qui serait ouverte à tout vent. Le discours sanitaire est sous-jacent car l’autre est censé apporter avec lui bien des inconvénients dont on ne veut pas. L’autre est synonyme de danger. Ce peut être pour des raisons de contrebande (motif invoqué par le sultanat de Brunei face à la Malaisie orientale, ou par l’Inde face au Bengladesh), sécuritaires (Chine, Thaïlande, Ouzbékistan, Iran, Maroc) et bien sûr l’immigration (multiples exemples).

Des pays ouverts utilisent largement ces dispositifs : que l’on pense à l’Union Européenne et son dispositif Schengen (avec des zones très équipées, par exemple en Thrace), aux États-Unis (D. Trump a attiré l’attention sur cette barrière qui restait à terminer d’ériger) et bien sûr à Israël, qui a dressé un véritable mur de plusieurs mètres de haut à l’intérieur de son pays pour se séparer des zones officiellement attribuées à l’autorité palestinienne.

La barrière est un moyen de « réduire le risque », notre société contemporaine manifestant une aversion maximale au risque. De ce point de vue, elle obtient l’assentiment de la population qui y voit l’affirmation d’une souveraineté perçue comme menacée. Mais dans un certain nombre de conflits gelés, la barrière peut aussi constituer un signe d’apaisement permettant l’ouverture de négociation. Aussi bien, la barrière n’est pas aussi rigide que certains la présentent souvent. Elle est d’ailleurs efficace à court terme mais elle perd son usage dans le temps. Car l’étanchéité des murs paraît hypothétique notamment sur de longues distances. Élever une barrière ne suffit pas : il faut la surveiller, l’entretenir, être en mesure d’intervenir en cas de problèmes et de repousser « l’autre » qui voudrait passer en force. Autant de moyens humains qui sont indispensables et qui supposent des ressources constantes, rarement allouées dans la durée.

Confinements intérieurs

Dernier exemple de confinement stratégique, celui du confinement intérieur. Il peut affecter une population entière : la pandémie de 2020 nous a montré comment. Plus habituellement, il concerne certains espaces ou certaines catégories de la population.

On peut bien sûr penser aux zones réservées pour des motifs sécuritaires, telles les zones militaires (aux statuts divers, de la simple zone protégée aux zones sous haute surveillance) mais aussi les centrales nucléaires ou autres emprises Seveso. Nous sommes ici à cheval entre des motifs régaliens et des considérations de sécurité publique, sans même parler des clôtures particulières destinées à protéger la propriété privée. Mais au-delà de ces cas courants, il y a des confinements exceptionnels.

Le cas d’Israël construisant un mur intérieur le long de la ligne verte est symptomatique de ce confinement intérieur des espaces. N’oublions pas non plus les dispositifs d’apartheid comme ceux qu’a connu l’Afrique du sud.

Deux autres phénomènes existent, assez proches et admis socialement. D’une part, les zones d’accueil des gens du voyage, disposées partout sur le territoire. Les gens du voyage ont mauvaise réputation, précisément parce qu’ils n’ont pas de domicile fixe. A défaut d’un passeport individuel retraçant leur itinéraire sur le territoire, les autorités ont mis en place des obligations d’accueil géographique aux alentours des agglomérations. Autre phénomène, celui des « parcos », qui désignent en Italie ces regroupements de maisons entourées et gardées pour des raisons de sécurité. Le phénomène se répand notamment aux États-Unis, sous le nom de gated communities (quartier résidentiel fermé). Ces deux exemples retracent les phénomènes observés aux frontières extérieures. Le premier vise à cantonner les extérieurs dans des enceintes réservées (des sortes de frontières intérieures), quand le second vise à se protéger soi-même de l’extérieur en s’isolant. Dans un cas, le confiné est reflué dans l’espace clos, dans l’autre, l’espace clos sert à protéger le confiné.

Ainsi, le confinement constitue une stratégie générale visant à isoler deux populations, l’une « saine », l’autre « dangereuse ». Finalement, il constitue un outil courant permettant de séparer « le même » de « l’autre ». Il s’applique aussi bien aux frontières extérieures, soit qu’il faille empêcher la population de sortir, soit d’empêcher l’étranger d’entrer. Mais le phénomène existe aussi à l’intérieur, avec des sortes de confinements temporaires ou durables, permettant de confiner relativement telle ou telle population.

De ce point de vue, la situation que nous avons connue avec la pandémie et les confinements nationaux mis en place est extraordinaire, au sens premier du mot : En effet, il ne s’agit pas simplement d’empêcher la population de sortir du pays, mais tout simplement de limiter ses déplacements à l’intérieur du pays, à l’encontre d’une liberté de circulation qui apparaissait traditionnellement comme une liberté publique intangible.

Olivier Kempf

La patrie des frères Werner

Voici une BD qui vaut le détour par deux thèmes rarement traités en BD : la RDA (République Démocratique d'Allemagne) d'une part, la géopolitique du football d'autre part.

L'histoire est assez simple : deux frères (le plus vieux à peine adolescent) s'échappent de la chute de Berlin en 1945. Un peu plus tard, ils se font recruter par la STasi, l'agence d'espionnage du nouveau régime communiste est-allemand. Ce sont de bons éléments au point que l'un d'eux est envoyé en "immersion" dans le pays d'en face, la RFA. Il devient membre de l'équipe nationale de football. Son petit frère reste lui au pays et encadre l'équipe nationale de RDA. Mais les deux équipes vont se rencontrer en match de poule dans un affrontement fratricide et hautement politique. Quelles attitudes vont-ils tenir, alors qu'ils ne se sont pas vus depuis dix ans ?

J'ai beaucoup apprécié, le déroulé de l'histoire, qui mêle de façon harmonieuse le débat affectif et politique entre les deux frères mais aussi leurs relations avec leur hiérarchie et surtout, tout l'environnement de l'époque, celui des deux équipes et celui de la société ouest-allemande. C'est parfaitement troussé et on s'interroge jusqu'au bout de ce qui va advenir, aussi bine pour le match de foot que pour le destin de chacun.

Comme tout roman graphique, le dessin est bien fait sans être trop léché, mais pas pour autant négligé. On reconnait notamment très bien les portraits. Pour les amateurs de football, voir Beckenbauer en fayot intransigeant et Paul Breitner en militant gauchiste est un moment succulent (que je ne connaissais pas....

Enfin, cette page d'histoire qui intervient au moment de la détente et juste après l'Ost-Politiik est si rarement traitée en BD qu'elle vaut à elle seule le détour. Dernier point : c'est aussi un voyage à l'intérieur des mécanismes de la Stasi (mais sur ce sujet, il y a plusieurs films qui sont sortis, vous les connaissez sans doute).

Bref, bonne idée de cadeau pour Noël si vous avez un proche amateur de politique et de football... Ou seulement amateur de BD, d'ailleurs;

O. Kempf

Cyber et territoire (INCRT)

J'ai oublié de vous le dire : j'ai fondé l'institut de cybersécurité et de résilience des territoires (INCRT) après une réflexion de quelques mois et en association avec plusieurs amis et partenaires. Je salue notamment le Général (2S) Marc Watin-Augouard, qui a accepté de présider ce nouvel institut, dont vous pouvez trouver les détails à l'adresse : www.cyberterritoires.fr. Outre quelques articles ou études publiés ici ou là (notamment une étude publiée à la FRS, voir ici), j'ai répondu aux questions de l'institut, parmi d'autres (ici). Voici l'article ci-dessous

Mon Général, vous êtes une référence de la cyberstratégie en France. Vous avez publié votre premier livre sur le sujet en 2011, vous dirigez la collection cyberstratégie chez Economica, vous êtes chercheur associé à la FRS et membre du Conseil scientifique du FIC, vous êtes régulièrement consulté sur la question : Qu’est-ce qui pousse un homme de votre expérience à créer et vice-présider un Institut consacré à la cybersécurité et la résilience des Territoires ?

Une observation et une expérience.

L’observation que le dispositif français de cybersécurité s’est mis en place au niveau national depuis une dizaine d’années : création de l’ANSSI, renforcement des moyens au travers des diverses LPM, création de l’OG Cyber, mise en place du Pôle d’Excellence cyber, développement du FIC, croissance d’entreprises de toutes tailles qui bénéficient d’un marché lui-même en forte croissance… Tout ceci est parfait mais encore très centralisé, très parisien, très « grands comptes ». De même, l’UE s’est saisie du problème (Directive SRI, RGPD, définition des OSE). Mais là encore, on ne s’adresse qu’aux gros.

Ici vient l’expérience, qui est double. Les aléas de la vie m’ont conduit à plus pratiquer la « province », ce mot qu’on ose à peine prononcer mais auquel je trouve encore beaucoup de charme. Je l’ai fait pour des raisons privées mais aussi professionnelles. Aussi n’ai-je pas trop été surpris quand la pandémie est survenue et que tout le monde a dû passer d’un coup au télétravail. La Covid a plus fait pour la transformation numérique que toutes les initiatives que j’avais pu lancer dans mes précédentes fonctions. Tant mieux, mais ce faisant les territoires ont énormément augmenté leur surface de risque, d’autant plus qu’ils ont le plus souvent une culture très réduite de la cybersécurité.

Aussi m’a-t-il paru nécessaire de m’intéresser à ces territoires, en partant du bas, du terrain : de ce point de vue, le pragmatisme militaire qui fait partie de ma culture m’y aide beaucoup.

Quels sont les objectifs qu’un homme de votre expérience assigne à ce nouvel outil au service des territoires, quelles sont les valeurs que vous voulez y voir appliquées ?

Le premier principe est de partir du terrain, des besoins. Trop souvent, des vendeurs de solution viennent et débitent leur argumentaire, sans vraiment écouter ce que leurs interlocuteurs ont à dire. Or, chaque territoire est particulier. Une ville moyenne qui s’est spécialisée dans le tourisme n’aura pas le même besoin qu’une autre dans une région viticole ou une troisième qui a encore un gros tissu industriel menacé par la crise économique. Si la cybersécurité est une, s’il y a forcément des points communs, les besoins sont différents et il faut donc d’abord écouter et dresser des diagnostics ensemble, au vu des forces et faiblesses du territoire, avant de proposer des actions. Le deuxième principe est celui de la bienveillance : trop souvent, les victimes voient venir des spécialistes qui leur disent « mais vous n’auriez jamais dû faire ceci ou cela, ce n’est pas bien ». De fait, souvent on blâme la victime, comme si c’était sa faute. Je pense au contraire qu’il faut accompagner les victimes et les futures victimes pour les aider à progresser.

Le dernier principe va de soi mais il convient de le rappeler : il s’agit d’œuvrer pour le bien commun et la cohésion nationale et territoriale. Une fois encore, il faut compléter par le bas ce qui se fait bien au niveau central.

Selon vous, qu’est ce qui explique le retard pris par les territoires et leurs composantes dans la prise conscience de la cybercriminalité et la mise en place de mesure et d’outils de Cybersécurité ?

Le sentiment qu’ils sont trop petits pour être visés (sentiment partagé aussi bien par les CT que par les PME PMI). Accessoirement, une question de ressources disponibles : il y a tellement de besoins par rapport à des moyens limités qu’on ne prend pas les mesures minimales de cybersécurité. On « prend le risque » car on estime qu’il y a d’autres urgences. Celles-ci sont bien sûr légitimes mais il faut désormais faire uen petite place à la cybersécurité. On ne peut plus la négliger.

Le problème, c’est que désormais, tout le monde est visé, la cybermenace ne vise plus seulement les gros. On a connu une vague incroyable de fraudes au président ces dernières années, puis de rançonnages contre des collectivités publiques au cours des 15 derniers mois. Elle dure encore et ne cesse d’enfler. Accessoirement, la pandémie a forcé tout le monde à passer au télétravail, ce qui a ouvert de gigantesques portes aux agresseurs…

La cyber menace ne peut plus être ignorée. Y répondre fait partie désormais des facteurs d’attractivité d’un territoire.

Que propose l’INCRT pour accompagner les territoires dans ce défi, désormais presque quotidien ?

Tout d’abord, une veille et un éveil. Il convient de parler aux territoires mais aussi de les écouter. De ce point de vue, l’institut sera une plateforme qui permettra à chacun de suivre et de rencontrer.

Ensuite, nous irons dans les territoires à la demande des CT afin de présenter et sensibiliser, mais aussi de montrer que des solutions simples existent. Nous agirons bien sûr avec nos partenaires comme cybermalveillance ou la Gendarmerie nationale. Enfin, s’il y a des demandes plus précises, nous voulons aussi être un « do tank » et mobiliserons notre réseau d’experts pour répondre aux besoins exprimés.

Olivier Kempf

Medays 2020

J'ai participé vendredi 1A3 novembre à la table ronde du Medays 2020, organisée sur les réactions à la pandémie, notamment du point de vue numérique.

Vous trouverez un bref compte-rendu de cette table ronde ici.

J'en extrait ceci : Selon Olivier Kempf, directeur de La Vigie, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et directeur de la Collection Cyberstratégie chez Economica, la crise sanitaire a contribué au renforcement des inégalités dans l’utilisation des outils numériques et a augmenté le risque de cyberattaques, appelant ainsi à investir beaucoup plus dans ce domaine en vue de garantir la sécurité des systèmes d’information. Il a dans ce sens mis en exergue l’intérêt de l’Afrique et l’Europe à œuvrer ensemble et mobiliser leurs efforts, à travers un partenariat liant les deux continents et visant à tirer profit de cette révolution numérique. M. Kempf a ajouté que ce partenariat permet aux deux parties d’intégrer un marché potentiel de près de 2 milliards de personnes et de pouvoir ainsi concurrencer la Chine et les États-Unis.

OK

UNe autorité scientifique disparue ?

Cela fait des semaines, des mois que je n'ai pas publié : mille excuses. Je dos être mal organisé ou très pris (au choix). Voici donc un texte paru dans un dossier de l'IRIS sur "le virus du faux" (lien ici). J'y publie un texte sur la disparition de l'autorité scientifique, lisible ci-dessous. OK

La crise de la Covid 19 affecte en profondeur l’année 2020. Cependant, si les conséquences géopolitiques sont relatives, si les conséquences économiques sont énormes, la pandémie a accéléré un autre mouvement, plus discret et moins évident : celui de la perte de confiance envers l’autorité scientifique.

Permanences et accélérations

D’une part, les tendances lourdes du monde d’avant ont persisté. Certes, quelques-uns ont saisi des opportunités, comme la Chine qui en a profité pour accélérer sa maîtrise de Hong-Kong ou l’Arabie Séoudite qui a tenté de s’exfiltrer du Yémen. Le bilan médical de la pandémie sera lourd mais sans constituer par lui-même un choc démographique déstabilisant, à l’image de la Grande peste ou des ravages microbiens lors de l’invasion des Conquistadors. En revanche, les conséquences économiques de l’arrêt de la production mondiale pendant deux mois seront très sensibles et nous mettrons deux ou trois ans à les surmonter.

D’autre part et hormis la question économique, la crise a accéléré des phénomènes qui prévalaient. Mentionnons ici la prégnance accélérée des outils numériques, la radicalisation de la crise intérieure américaine ou encore une radicalisation politique de la gauche mondiale au profit d’une lecture systématique de communautés séparées sur la base de la couleur de peau (ne plus dire race), du genre (ne plus dire sexe) ou de la position victimaire.

Débat scientifique

Au chapitre des accélérations, le débat scientifique est arrivé sur la place publique. Il a pris des détours surprenants pour se concentrer sur les questions de médecine. Il est vrai que le confinement nous y forçait, puisque nous avons tous essayé de comprendre ce virus qui suscitait une réaction aussi radicale que la mise à l’abri de populations entières.

Ainsi, les virus ne sont pas des microbes, la transmission de virus d’animaux à l’homme est chose courante, notre patrimoine génétique s’améliore au fur et à mesure des résistances acquises par la rencontre préalable d’autres virus et maladies, etc. Accessoirement, ces virus se répandent plus facilement grâce à la mondialisation puisque celle-ci passe par des échanges beaucoup plus nombreux que par le passé.

Mais ces explications n’ont pas suffi. Il nous a fallu comprendre comment nous en étions arrivés là : passons sur l’impréparation et la faiblesse des moyens (de lits, de respirateurs, de masques, de tests, ces derniers n’étant toujours pas opérés en assez grand nombre) qui ont suscité leur lot de polémiques ; rapidement, la question a tourné autour des moyens de traiter ce virus, aujourd’hui et demain. Les autorités nous ont promu des tests cliniques de traitement qui étaient faits au niveau européen et dont nous devions avoir les premiers résultats en avril. Constatons que les résultats sont décevants, non seulement parce que les solutions n’ont pas été trouvées mais aussi parce que l’ampleur des tests à déçu.

L’affaire de la chloroquine

Alors est intervenu un personnage haut en couleur, le professeur Raoult, initialement présenté comme un des grands spécialistes mondiaux d’infectiologie. Il prônait un traitement précoce à base de chloroquine et expliquait qu’il obtenait de bons résultats. La planète médiatique prit alors feu. Avec son air de Panoramix, on avait l’impression du druide du village gaulois résistant à l’envahisseur, tandis que les élites poussaient des cris d’orfraie face à cet hérétique qui suivait sa propre voie. Dans cette nouvelle bataille d’Hernani, chacun pouvait avoir son avis d’autant plus que le « Conseil scientifique » mis en place par le gouvernement avait des avis qui semblaient évoluer au gré des circonstances.

Un peu plus tard, une étude tout aussi fracassante était publiée par une revue médicale de renom, the Lancet. Elle s’appuyait sur du Big data et concluait à l’ineptie des traitements par chloroquine. Le Conseil sanitaire décidait aussitôt qu’il fallait interdire la chloroquine (médicament utilisé depuis trois quarts de siècle contre le paludisme en Afrique et dont on ne savait pas qu’il présentait jusqu’alors de si grands dangers). Comme dans tout bon vaudeville, une semaine plus tard on apprenait que l’étude avait été « bidonnée », que les statistiques avaient été inventées par une société plus mercantile que médicale : the Lancet retirait la publication et l’OMS son avis contre la chloroquine.

Précisons ici que nous n’avons aucune idée du bien ou du mal-fondé de ce médicament mais qu’il est révélateur de bien des choses.

Autorité scientifique

Allons au fait : ces affaires, aussi bien celle de la pandémie que de la chloroquine, révèlent la fin de l’autorité scientifique. Voilà une nouveauté dont on discernait pourtant les signes mais qui est désormais établie.

Elle n’est pas surprenante tant les « autorités » traditionnelles se sont affaiblies : ce fut le cas des religions (relisez M. Gauchet sur le désenchantement du monde), des idéologies, des syndicats, des partis politiques ; il y eut le déclin de la presse, celui de l’école, celui de l’hôpital. Toutes ces institutions, toutes ces autorités morales se sont peu à peu affaissées. Voici d’ailleurs une des causes de la fin de l’universalisme.

La dernière autorité restait l’autorité scientifique. Les savants, du fait de leurs longues années d’étude, de leur rare prise de parole publique, de leur rigueur, mais aussi du reliquat d’un certain positivisme, hérité d’Auguste Comte, gardaient leur crédit. Nous croyions tous encore un peu au progrès, avec une part de raison.

Le progrès, toujours le progrès

En effet, nous avons évolué à propos du progrès. Nous avons compris que le progrès scientifique n’entraînait pas, contrairement aux illusions des siècles passés, un progrès social. Pour autant, nous savons bien que le progrès scientifique continue (même s’il est de moins en moins compréhensible) et surtout, nous observons dans notre vie quotidienne l’irruption du progrès technologique. Cela passe bien sûr par les technologies numériques (nous ne parlons pas bien sûr de l’ultime version de votre ordiphone qui appartient plus au domaine du marketing que de la technologie) mais pas uniquement : nos avions, nos voitures, nos outils, nos soins se sont améliorés. Nous attribuons ce progrès technologique au progrès scientifique. Et il est vrai que la science continue son œuvre et que la réponse scientifique à la pandémie a été remarquable, puisqu’on a isolé l’ADN du virus en quelques semaines et que les prototypes de vaccin sont testés partout. Jamais dans l’histoire de l’humanité une maladie nouvelle n’aura été traitée aussi rapidement. Et pourtant…

Impatience et défiance

Par impatience, nous comprenons mal que nous n’y soyons pas arrivés plus vite. Rappelons qu’on n’a toujours pas de vaccin contre le Sida, apparu il y a quarante ans, et qu’on traite difficilement cancer et Alzheimer…

Surtout, nous avons une certaine défiance envers l’aristocratie scientifique. Les premiers signes sont anciens : sans même évoquer les platistes (persuadés que la terre est plate), pensez à la controverse sur le changement climatique ou celle des antivax (anti-vaccins). Des parts toujours plus importantes de la population tiennent des discours (et adaptent parfois leurs comportements) sur la base de conceptions scientifiques manifestement erronées. Encore ne s’agit-il là que d’opinions, considérées comme marginales même si elles ont pris de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux.

Avec la chloroquine (dans un contexte de confinement) c’est la population entière qui a pris parti, sachant que les démonstrations des uns et des autres ne convainquaient pas. De plus, la parole des « experts », qu’il s’agisse des membres des différents Conseils scientifiques ou académies, laboratoires ou universités, a semblé être altérée par des intérêts externes, politiques ou pécuniers ou tout simplement d’egos. Les déclarations flamboyantes de l’un, condescendantes des autres, ont toutes contribué au malaise.

Au fond, la science bénéficiait encore d’une image de neutralité qui lui donnait son autorité. Personne ne lui reproche son incertitude : car son objet consiste justement à dissiper, lentement et à tâtons mais avec méthode, cette incertitude. Mais on reproche à ceux qui s’en prévalent de ne pas toujours respecter cette neutralité qui fonde le bien commun ; de verser dans l’émotion, d’en faire l’objet de parti, donc de partition, donc de division. Ils ont abimé l’autorité, une des dernières qui nous restait. C’est dommage car le mal fait ne pourra être réparé.

Pour conclure

Ce propos n’est-il pas u peu sévère ? la science ne continue-t-elle pas, vaille que vaille, obtenant des résultats sans cesse plus étonnants ? Si, bien sûr, et l’attribution récente du prix Nobel de chimie à une chercheuse française nous le rappelle, elle qui mit au point la technique du CRISPR/Cas9 qui permet de réaliser du génie génétique. Observons que ce travail scientifique se fait dans l’ombre, entre experts qui ne sont pas contestés. Au fond, l’autorité scientifique pâtit d’être propulsée au-devant de la scène publique, que ce soit par le politique, par les médias, par l’émotion. La science poursuit son chemin, elle ne tolère plus en revanche d’être confrontée au débat public qui tourne souvent à la polémique (car voici au fond un des grands défauts de l’époque : celui de ne plus avoir de débat, mais seulement des polémistes qui ne s’écoutent pas réciproquement).

Pour autant, peut-elle s’en abstraire ? Car des débats récents se font jour qui manquent visiblement de culture scientifique : par exemple celui sur l’alternative des énergies renouvelables par rapport à l’énergie nucléaire, ou la curieuse polémique entourant le déploiement de la 5G qui serait anti-écologique et mauvaise pour la santé -on connut un peu la même chose avec les éoliennes ou les compteurs Linky). La science est donc placée au milieu d’une contradiction : celle de ne pouvoir trop interférer dans le débat public mais de ne pas non plus le négliger complètement…

Kisanga (E.

Voici un très bon polar qui nous emmène en RD Congo et la région des Grands lacs.

https://emmanuelgrandfr.files.wordpress.com/2020/05/kisanga-gf.png

L’enjeu : à la fois une opération minière qui allie un géant minier français et de nouveaux investisseurs chinois, le tout servant à illusionner des investisseurs anglo-saxons ; et la recherche d’une opération ratée des services français, dix ans auparavant, du côté du Ruanda et de l’est de la RDC, qui mettrait en cause le dirigeant du groupe français.

On le comprend, le tableau peint une âme humaine bien noire même si le héros, improbable, est un des cadres du groupe qui recherche la vérité au mépris de ses intérêts et au péril de sa vie : on le sent embarqué là un peu par hasard, anti-héros logiquement inattendu mais qui apporte le regard frais sans être pourtant candide. Enfin, on sent cette Afrique profonde du côté du Katanga, avec sa vitalité, ses profondes injustices et ses richesses gâchées.

Kisanga Emmanuel Grand, Livre de poche, 2019. Ici

O. Kempf

Introduction à la sécurité internationale

Ci-joint une fiche de lecture, parue en mars dans la RDN (lien ici), sur un manuel concis et précis. Excellent comme introduction au sujet.

https://www.defnat.com/images/articles/828%20(mars%202020)/Deschaux.jpg

Les manuels de relations internationales ont tendance à se ressembler. Aussi faut-il signaler ce petit ouvrage qui se distingue par une approche plus tournée vers les questions de sécurité, sans verser pour autant dans les études de paix. Autrement dit, un heureux équilibre. L’auteur enseigne à l’université de Grenoble depuis plusieurs années et l’on sent, à la lecture, non seulement une connaissance approfondie des auteurs et thématiques de référence, mais aussi le frottement des théories avec les interrogations des étudiants. Ainsi, le livre ne se cantonne pas à réciter les grandes théories et citer les grands auteurs, il s’intéresse au fait de la guerre contemporaine et s’interroge avec lucidité sur « les guerres du XXIe siècle », comme l’auteure le signale dès l’introduction. Le lecteur sent alors qu’il ne s’agit pas de réciter des certitudes, mais de réfléchir face à un phénomène très changeant, dont les règles ont profondément muté et qui laisse aussi les praticiens dans l’expectative.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première reprend les approches théoriques de la sécurité internationale, décrivant les écoles réaliste, libérale et constructiviste en soixante-dix pages : c’est assez précis pour bien comprendre les grands débats et les principaux courants, sans aller trop loin dans les subtilités théoriques ; il s’agit bien d’un ouvrage d’initiation, à jour des références théoriques sur le sujet. La deuxième partie évoque les principaux acteurs de la sécurité internationale : l’État, qui demeure un « acteur clef » ; les organisations internationales de sécurité collective ; les acteurs régionaux et enfin un chapitre qui décrit « deux acteurs non étatiques, les sociétés militaires privées (SMP) et les ONG ». Remarquons ici que cette évocation des SMP constitue une heureuse surprise, tant elle est rarement évoquée. La troisième partie traite des grands enjeux de la sécurité internationale contemporaine (ce dernier adjectif est important) : un chapitre sur les guerres asymétriques et les nouveaux conflits armés, un autre sur le terrorisme, un dernier sur la cybersécurité internationale.

Le lecteur observera qu’il n’est pas fait mention de la dissuasion nucléaire ni de contrôle d’armement ni de lutte contre la prolifération, par exemple : autant de thèmes qui pourraient faire logiquement partie du sujet. Mais l’auteure a fait des choix : celui de la lisibilité (l’ouvrage fait 250 pages, il constitue bien un petit manuel d’initiation) ; celui surtout du centrage sur la conflictualité contemporaine telle qu’elle se déploie activement ; autrement dit, la guerre (ou le conflit) d’aujourd’hui, et non pas tout le champ de la guerre, y compris celui de l’interdiction de la guerre. Le livre a donc les qualités de ses défauts : il est bref et se concentre pour cela sur un certain nombre de thèmes. Mais du coup, c’est un texte original, qui se distingue des autres et constitue une excellente façon de s’initier au sujet. 

O. kempf

Robot, Combat urbain et éthique

Juste pour signaler un article que j'ai publié il y a quelques mois, dans le numéro de mars de la RDN. (lien vers l'article)

Résumé :

Le combat urbain de demain va obliger à l’emploi accru de robots terrestres. Ceux-ci permettront d’élargir le champ des possibles, tout en préservant la vie des soldats. Les règles d’engagements de ces nouveaux moyens devront s’inscrire dans une réflexion éthique déjà bien avancée.

O. Kempf

 

Autorité des scientifiques

J'ai répondu en mai, au moment de la crise de la Covid, aux questions de Damien Liccia pour ANtidox, revue en lgne qu'il anime (lien vers le numéro concerné).

https://www.actualite24.fr/wp-content/uploads/2020/05/a9ae85739668d140a4a86be106407045.jpeg

Un débat intéressant qui a servi à la rédaction de la lettre La Vigie n°144 qui constatait une "Disparue, l'autorité scientifique".

Depuis le début de la crise, l'exécutif se réfugie systématiquement derrière des médecins et des scientifiques pour justifier ses décisions. La politique est-elle désormais sous tutelle du discours scientifique ? Quid de la légitimité et de la responsabilité de cette parole ?

Il y a effectivement eu cette tentation, notamment au début quand le pouvoir a été surpris par l'irruption imprévue de cette pandémie. Dès lors, les services habituels de l'Etat ont paru débordés et le gouvernement a dû masquer cette difficulté. S'en remettre à des avis scientifiques était une façon de regagner de la légitimité à la suite de la perte de confiance brutale. Mais le rôle d'un pouvoir est de prendre des décisions et dans un régime démocratique, d'obtenir l'assentiment du peuple. La légitimité démocratique étant affaiblie, la légitimité technocratique et bureaucratique ayant failli, il fallait trouver une nouvelle source de légitimité des décisions à prendre (sans même se prononcer sur la nature de ces décisions).

Bref, le gouvernement était dans l'embarras et ce passage par l'avis scientifique a été un expédient. Peu à peu, les critiques se sont élevées là-contre et le pouvoir est revenu à une mécanique habituelle de prise de décision. Car finalement, nous nous sommes aperçus que l'avis scientifique n'était qu'un avis et qu'il ne résolvait que partiellement l'inertitude. Or, c'est le métier du décideur, où qu'il soit (et donc du décideur politique) que de trancher dans l'incertitude. Quand il n'y a pas d'incertitude, il n'y a pas de décision.

Nous sommes donc depuis revenus à un système plus classique où le politque consulte mais à la fin du processus décide, ce qui suscite forcément des mécontents.


Les contradictions des scientifiques en période d'incertitude ne sont-elles pas l'un des facteurs de la montée de la défiance, qui touche autant la science que la légitimité des pouvoirs publics ?
Absolument, car nous nous sommes aperçus, notamment avec le débat sur la chloroquine, que la démarche scientifique, notament dans l'inconnu, n'avait pas de certitude. Je n'ai aucun avis sur la chloroquine et ses vertus face au Covid-19. Mais cela a donné lieu à une polémique publique qui est passée par plusieurs canaux : les médias traditionnels, bien sûr, mais aussi les réseaux sociaux.  Or, cela vient après plusieurs épisodes similaires auxquels nous n'avons pas prêté attention et qui pourtant relèvent du même rapport nouveau, émotif et sémantique, à la science : je pense ici au débat entre climato-sceptiques et collapsologues, par exemple, ou entre pro- et antivax. Le deuxième cas est moins net car il n'y a qu'un côté qui est radical mais dans le cas du climat, ce qui est frappant c'est que des deux côtés, nous avons des "extrémistes".

Avec la chloroquine, nous sommes arrivés, beaucoup plus rapidement d'ailleurs, à cette radicalisation des opinions. Que le débat scientifique soit "contradictoire" pour reprendre le mot central de votre question, quoi de plus normal ? La démarche scientifique est fondée sur le doute et la remise en cause, qui doit bien sûr être appuyée sur des observations et des modèles explicatifs. La chose nouvelle, c'est que ce débat scientifique (comme tout débat intellectuel) perfuse désormais dans l'espace public qui a lui-même radicalement changé de nature, puisqu'il n'est plus tenu par des médias structurés (sans même parler de leur contrôle éventuel par ces groupes de pression) mais par des réseaux sociaux, qui sont véritablement des médias de masse, aussi bien par leur diffusion (les consomamteurs) que par leur émission (les producteurs).

Voici donc cette couche sémantique du cyberespace qui prend une ampleur incroyable et insoupçonnée et où l'émotion règne en maître et vient logiquement affecter des débats qui seraient autrement fondés sur la raison.


Si le télescopage des calendriers est évidemment fortuit, la loi Avia vient d’être adoptée à l’Assemblée. Cependant, que faut-il penser de ce type de dispositifs législatifs et de leur impact sur les réseaux sociaux. Une manière de rendre ces espaces plus rationnels ?

C'est d'une certaine façon une conséquence du dernier phénomène que je viens d'évoquer : la massification des réseaux sociaux et l'augmentation du rôle de l'émotion font que des débats apaisés peinent à se tenir. Très vite, les insultes fusent, sur le modèle du point Godwin. Comment donc contrôler ces expressions et empêcher les excès ?

Il y a un mot pour cela, qui n'est pas à la mode mais qui correspond bien à ce qu'on cherche : la censure. Elle n'est pas néfaste par nature et notre société s'est finalement habituée à des lois qui encadrent la liberté d'expression pour éviter tout négationnisme ou toute haine. Par nature, la censure n'est pas populaire mais elle est pourtant nécessaire dans toute société. La grande question tient à son contrôle car si la censure vise à éviter les excès, comment éviter les excès de la censure ?

Pour en venir à la loi Avia, je vois surtout un autre débat (sans même parler de son efficacité ni des menaces qu'elle fait porter indirectement sur les libertés publiques) : c'est le rôle de la puissance publique. En effet, dans le cyberespace, face aux mastodontes des réseaux sociaux, qui a le pouvoir d'exercer cette censure sur ces médias électroniques ? les plateformes... Or, dans le cyberespace, le code est la loi et dans le cas présent, les "conditions générales d'utilisation" (CGU) sont la vraie loi. De facto, ce sont les plateformes qui exercent cette censure et ce contrôle des expressions radicales. La rigueur de la loi intervient après les décisions des plateformes qui suivent leurs propres règles : observez par exemple la pudibonderie de certaines censures de billets sur Facebook... Le pouvoir politique court après le pouvoir privé qui est lui même un pouvoir technique. 

La loi Avia signale finalement la perte de pouvoir du pouvoir...

O. Kempf

L'échec de la pensée technocratique

Un correspondant m'envoie un texte avec une explication complotiste du confinement. Pas beaucoup d'intérêt, nous sommes d'accord. Mais elle révèle beaucoup de choses, notamment sur notre rapport collectif au discours technocratique venu du haut. Constatons que la gestion de la pandémie, particulièrement en France, démontre de façon sidérante l'inefficacité de l’État (attention, en disant cela, je ne prononce pas l'habituel discours libéral voire libertarien). Il s'agit d'autre chose qui a à voir avec le modèle technocratique.

Source

Le confinement est une mesure irrationnelle prise parce que subitement, la mort est revenue dans nos sociétés. Plus exactement, elle est devenue visible, d'autant que l'hyper médiatisation et les réseaux sociaux ont accentué ce phénomène. Observez cette omnipotence du sujet dans les médias, avec un effet cumulatif. On en parle donc on le craint, on le craint donc on en parle.

Par conséquent la réaction des autorités a été totalement démesurée. On est à 185.000 morts mondiaux, alors qu'une population vaccinée contre la grippe (paraît-il) admet 300.000 morts par an.

Au fond, plutôt que de croire à un complot (sorte d'hyper rationalité), je crois surtout à l’impéritie et à la faillite de la technocratie.

La technocratie est une technique du XXe siècle, (elle est à la base du projet de l'UE, d'ailleurs). Elle suppose que tout est une affaire d'équation et que des experts vont pouvoir la résoudre. Or, aujourd'hui, on constate deux choses :

1/ Le flux d'information fait qu'on ne peut les entrer dans des équations (malgré les illusions du Big Data et de l'IA, autre sujet qu'il faudrait que je développe, ce qui ne signifie pas que les Big Data ou l'IA sont inutiles : mais la pensée magique à leur sujet est typique d'une erreur de pensée).

2/ La parole scientifique démontre toutes ses limites : cf. ce pseudo conseil scientifique dont les opinions varient au fil du temps et des pressions du pouvoir, cf. les polémiques sur le Dr Raoult. On nous promet un vaccin dans 12 mois sachant qu'on n'a pas de vaccin absolu contre la grippe que l'on connaît depuis des siècles, ni contre le Sida apparu en 1983... Imposture. Qui alimente en retour la défiance envers le discours "venu du haut" et donc les explications complotistes, telle celle que je signalai en début de billet.

Or, en se concentrant sur les personnes à risque (plus de 65 ans et comorbidité) on réussirait à contenir aussi bien le virus sans avoir provoqué le foutoir de ce confinement. Mais voilà, nous avons réagi par émotion... Une émotion technocratique !

Olivier Kempf

Cloud Act, GPDR: International Insights on Privacy and Data Management

J'aurais le plaisir d'être le "Discutant" à cette conférence de la FRS (vous ai-je dit que j'y étais chercheur associé ?) qui se teindra le 24 janveir prochain. Détails ci-dessous.

La Fondation pour la recherche stratégique, en partenariat avec l'ambassade des Etats-Unis à Paris, a le plaisir de vous inviter à la conférence : Cloud Act, GPDR: International Insights on Privacy and Data Management, qui se tiendra le vendredi 24 janvier 2020, de 17h30 à 19h00, dans les locaux de la FRS (4 bis rue des Pâtures - 75016 Paris).

Le professeur Peter Swire du Georgia Institute of Technology y présentera ses travaux sur les politiques et législations sur la vie privée en ligne.

Le Pr. Swire, ancien conseiller des présidents Clinton et Obama sur les enjeux liés à la gestion des données privées et la sécurité nationale, exposera la vision américaine de ces problématiques avant que la discussion ne s'ouvre sur la comparaison avec les orientations européennes et françaises en la matière.

Le général de Brigade (2S) Olivier Kempf, chercheur associé à la FRS, sera le discutant.



Les débats seront animés par Nicolas Mazzucchi, chargé de recherche à la FRS.



La langue de travail sera l’anglais, et la séance se déroulera selon la règle de Chatham House.

Inscription auprès de la FRS (places limitées)

Site de la conférence :

Olivier Kempf

Du côté des western

La période de Noël a vu la parution de tout un tas de nouveautés BD. Parmi elles, plusieurs de Westen. J'évoquerai bien sûr le dernier Blueberry mais aussi deux BD débutant des cycles que l'on espère fructueux : Jusqu'au dernier de Félix et Gastine et Lonesome de Yves Swolf.

Jusqu'au dernier, éditions Grand angle (ici)

Félix et Gastine nous offrent ici une belle BD au dessin réaliste avec des couleurs passionnantes. L'histoire est très belle aussi : celle d'un vieux cowboy qui voit la fin de son métier avec l'irruption du train et qui, s'étant pris d'affection pour un gamin simplet, voit ses derniers espoirs basculer dans un drame. Le traitement graphique comme la maîtrise de l'histoire sont remarquables et surtout, permettent beaucoup d'émotions mais aussi la confrontation de tempéraments très opposés, ici nobles, là vils (c'est un western, quand même). Cependant, l’articulation entre "les bons et les méchants" est beaucoup plus subtile et entraîne le lecteur dans une belle histoire, plein de clairs obscurs, aussi bien du dessin que de l'âme. Une histoire complète (pas de suite prévue)

Lonesome, La piste du précheur et les ruffians, Lombard (ici)

Yves Swolfs s'était fait connaître par Durango, déjà un western. Le voici revenir au genre avec cette série (quatre tomes prévus, deux parus depuis 2018) sur un justicier qui affronte une bande d'excités et de pousse-au-crime, aux confins de l'Arkansas, au moment de la Guerre de Sécession. Ici encore, un coup de crayon très réaliste et étonnamment précis, et des méchants vraiment méchants...

Amertume Apache (Blueberry), Dargaud,ici

Qui ne connaît pas Blueberry, un culte absolu de la BD. Mais voilà, depuis le décès de Jean Giraud en 2012, la série n'avait rien connu.? Aussi est-ce avec une impatience gigantesque que tout le monde attendait cet album, proposé par Sfar et Blain. L'histoire se déroule à Fort Navajo, avec des personnages fragiles qu'il s'agisse de notre héros mais aussi du commandant du fort ou des personnages féminins. Au fond, tout le monde est un peu perdu, dans ce coin perdu de l'Ouest. Malgré tout, l'histoire est bien ficelée. Après, comme toute suite, on débattra à l'infini sur l'équilibre à tenir entre imitation et libération par rapport à l'origine. Convenons que les auteurs ont respecté les albums d'origine sans chercher à faire "du Giraud". J'ai pour ma part beaucoup apprécié le dessin, que j'ai trouvé dépouillé, avec une sorte de simplicité qu'on trouvait dans les albums des années 1960. Pour autant, cela n'est pas un album "rétro". Bref, un grand plaisir à retrouver notre personnage attachant. Vivement la suite (2020).

O. Kempf

"L'Otan n'échappera pas à une profonde remise en question"

J'ai donné un entretien à Charles Hequet, pour l'Express, à la suite du sommet de Londres. Il est accessible ici. Vous avez également le texte complet ci-dessous.

Le sommet de l'Otan s'est achevé le 4 décembre. Pour Olivier Kempf, chercheur et spécialiste de l'Otan, l'organisation doit s'interroger sur sa raison d'être.

De ce 70e anniversaire de l'organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan), on retiendra surtout la passe d'armes entre Emmanuel Macron et Donald Trump ou les provocations du président turc Recep Tayyip Erdogan. Mais l'essentiel n'est pas là. Surmontant leurs différends, les 29 pays membres se sont mis d'accord sur une déclaration commune, mardi 3 décembre à Londres, Les apparences sont sauves. Toutefois, des lignes de fracture sont apparues au sein de l'institution. Elles traduisent des divergences profondes, voire existentielles.

À quoi doit servir l'Otan? Qui sont ses ennemis? Que faire lorsque l'un de ses membres - la Turquie - agit à l'encontre des intérêts communs? Pour surmonter cette crise, l'Otan doit se remettre en cause. Revoir ses processus de décision, sa gouvernance, et s'interroger sur sa raison d'être. Général (2S), directeur du cabinet de stratégie La Vigie et auteur de L'Otan au XXIe siècle" (éd. du Rocher), Olivier Kempf nous livre son analyse post-conférence.

1/ Le 70ème sommet de l’Otan vient de s’achever. Quels enseignements peut-on en tirer ?

La déclaration finale, publiée hier après-midi, est remarquable par sa brièveté (9 points au lieu de 79 au sommet de Bruxelles, en 2018). Elle se concentre en effet sur l’essentiel : la réaffirmation de l’Alliance atlantique et, surtout, de l’article 5, qui engage les membres de l’Otan à porter secours à l’un d’entre eux qui serait agressé. C’est un point très important, après les réactions dubitatives de Donald Trump, qui avait affirmé en 2016 que l’Otan était « obsolète » ou, le mois dernier, d’Emmanuel Macron, qui avait déclaré dans le magazine The Economist que l’Alliance était en état de « mort cérébrale ».

Notons également qu’un paragraphe important est consacré au chapitre nucléaire. Il rappelle que « aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire ». Ce point méritait d’être souligné, après le retrait américain du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) et dans le contexte de prolifération nucléaire que nous connaissons aujourd’hui.

On note également un paragraphe sur la question des budgets, ce qui satisfait le président américain.

2/ Le cas de la Turquie, pays-membre de l’Otan depuis 1952, qui achète un système de défense anti-aérienne à Moscou et s’attaque aux Kurdes en Syrie, en totale contradiction avec les intérêts de ses « alliés » occidentaux, n’est pas mentionné…

Non, car il s‘agissait de manifester l’unité. Le communiqué recense plusieurs sujets d’intérêt stratégique - espace, cyberattaques, 5G, puis « les actions agressives de la Russie », ce qui répond aux attentes des alliés de l’Est. Mais plus loin, il évoque « la perspective d’établir une relation constructive avec la Russie », ce qui répond aux attentes de la France ou de l’Italie.

3/ Il n’y a pas d’allusion, non plus, aux profonds désaccords apparus lors de la passe d’armes entre Emmanuel Macron et Donald Trump…

Le président américain est arrivé à Londres avec une seule préoccupation : sa politique intérieure. Il a voulu tirer parti de ce sommet pour montrer aux électeurs américains qu’il est un leader responsable, capable d’assurer un leadership vis-à-vis des autres dirigeants occidentaux. Une question demeure : s’agit-il d’une posture de circonstance ou d’une position durable ?

Le président français a, quant à lui, posé des questions de fond, notamment sur la définition du terrorisme. Ainsi, le communiqué évoque « le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations », ce qui répond aux préoccupations de la France sans répondre précisément à la demande turque de considérer les rebelles kurdes comme terroristes. Il faut bien faire la distinction entre l’entente de façade et les questions structurelles qui n’ont pas du tout été résolues.

Notons à cet égard que les alliés ont demandé au secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, de plancher sur « un processus de réflexion prospective visant à renforcer encore la dimension politique de l’OTAN pour la prochaine réunion ministérielle, qui aura lieu dans quelques mois. On ne pourra échapper à ce travail en profondeur. C’est clairement dire que la question posée par le président Macron est pertinente.

4/ L’Otan peut-il survivre à un second mandat de Donald Trump ?

C’est une excellente question. Même s’il s’est érigé en défenseur de l’Alliance atlantique à Londres, rien ne garantit qu’il tiendra ce cap sur le long terme, surtout lorsque l’on sait ce qu’il pense, à titre personnel, des grands accords multilatéraux. Peut-être, lors d’un second mandat, se sentirait-il suffisamment fort pour rompre définitivement les amarres avec l’Otan.

5/ Pour la première fois, la Chine est évoquée. L’Empire du Milieu a-t-il été identifié comme le prochain ennemi de l’Occident ?

Non, puisque le texte évoque « ’influence croissante et les politiques internationales de la Chine présentent à la fois des opportunités et des défis », ce qui est une première mention de ce pays dans un communiqué : cela répond là encore au souci des Américains, sans pour autant décrire la Chine comme une menace. Cette position équilibrée permet d’aborder le nouveau rôle chinois, sans insulter l’avenir.

O. Kempf

Quel avenir pour l'OTAN ?

J'ai donné un entretien l'autre jour à radio Vatican, à la suite du sommet de l'OTAN. Vous pouvez l'écouter :

ici

O. Kempf

20 ans après la campagne aérienne au Kosovo

J'aurai l'honneur d'intervenir au colloque "20 ans après la campagne aérienne au Kosovo" qui se tiendra le 18 novembre prochain à l'Assemblée Nationale, et qui est organisé par l'armée de l'air, la marine nationale et le service historique de la défense. J'évoquerai notamment la question de la cohésion politique de l’Alliance, mise à l'épreuve pendant les opérations. Détails et inscription ci-dessous.

Du 23 mars au 10 juin 1999, les forces de l’Alliance atlantique mènent une campagne aérienne baptisée Allied Force contre les unités militaires et les infrastructures économiques et stratégiques de la Serbie. Leur objectif est de contraindre le gouvernement serbe à négocier sur la place du Kosovo au sein de la république fédérale de Yougoslavie. Après 78 jours et plus de 37 000 sorties aériennes dont 9 500 missions de frappe, le gouvernement serbe accepte les conditions de l’Alliance et le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1 244 qui organise le retrait des troupes serbes de la province du Kosovo et le déploiement d’une force internationale de sécurité.

La France a pris une part très active à la campagne aérienne de l’OTAN, engageant plusieurs dizaines d’appareils de l’armée de l’air et de l’aéronavale. Cet engagement marque une étape décisive dans l’histoire des opérations militaires et plus particulièrement de la coercition aérienne. En effet, Allied Force s’inscrit dans la continuité de la guerre du Golfe en 1991 et forme avec elle deux des principales opérations marquant cette décennie où la toute puissance aérienne apparaît, selon l’expression de Churchill, comme une forme de puissance militaire supérieure aux autres.

Organisée par l’armée de l’air avec la marine et le Service historique de la Défense, cette manifestation a pour objet de revenir avec les principaux acteurs politiques, diplomatiques et militaires français de l’époque sur cet engagement opérationnel afin de déterminer quelles ont été les modalités, les contraintes et la valeur de l’engagement français dans cette campagne aérienne.

Programme

Lien vers la présentation du colloque sur le site du SHD

Une pièce d’identité vous sera demandée à l’entrée. Inscription obligatoire avant le 13 novembre 2019 sur l’adresse mail cerpa.contact.fct@intradef.gouv.fr en précisant vos civilité, nom, prénom, date et lieu de naissance.

Salle Victor Hugo Immeuble Chaban-Delmas 101, rue de l’Université – 75007 Paris Métro : Assemblée Nationale (ligne 12); Invalides (ligne 8, 13) RER C : Invalides Bus : 24, 73, 84, 63, 69, 83, 93, 94

La réflexion stratégique 2.0

Je participerai, Mercredi 20 novembre prochain, à une conférence sur la Réflexion stratégique 2.0. Elle est organisée à la mairie du 9ème par l'Association des militaires entrepreneurs (AME). Quels sont les effets de la numérisation des supports d’information (sites, newsletters, blogs, réseaux sociaux,...) sur la réflexion stratégique des armées et des entreprises ? Détails ci-dessous.

Soirée Réflexion & Influence - AME-France (site : www.ame-france.com) Mercredi 20 novembre 2019 – de 18h30 à 20h30

THEME :   La Réflexion stratégique 2.0  : Quels sont les effets de la numérisation des supports d’information (sites, newsletters, blogs, réseaux sociaux,...) sur la réflexion stratégique des armées et des entreprises ? 

Discussion avec des influenceurs convaincus  :

  • Frédérique Jeske, DG d’un réseau, auteur du Guide des dirigeants responsables, animatrice du blog Ambitieuse pour l’entreprise
  • Olivier Kempf, général (2s), consultant, auteur, animateur du blog Egea, de la lettre La Vigie
  • Thibault Lamidel, analyste, animateur du blog Le Fauteuil de Colbert (un associé d'Echoradar)
  • Damien Liccia, associé IDS Partners

Avec la participation de deux grands témoins :

  • Caroline Galactéros, dirigeante de Planeting et du Think tank Geopragma, auteur de Vers un nouveau Yalta
  • Yves de Kermabon, général de corps d’armée (2s), ancien conseiller PESD à Bruxelles, associé MARS analogies

Animation : Mériadec Raffray, journaliste et expert des questions de défense & sécurité

Mairie du IXème arrondissement

  • Mairie du 9ème arrondissement,
  • 6 rue Drouot - 75009 Paris
  • Matro : Richelieu-Drouot
  • Salle du Conseil – Escalier D, 2ème étage

Accueil à partir de 18h00 - Les auteurs dédicaceront leurs ouvrages à l’issue

Inscription :  https://www.weezevent.com/soiree-reflexion-strategique-ame-france-20-novembre

Du cyber et de la guerre

Je crois vous l'avoir annoncé, je suis chercheur associé à la FRS depuis quelques mois. J'y ai donc publié ma première note, "Du cyber et de la guerre" (ici). Voici le texte ci-dessous. Version anglaise ici.

Au XXIe siècle, la guerre sera forcément imprégnée de digital. La seule question pertinente reste de savoir si cela constitue une révolution stratégique ou si, comme souvent, il n’y aura pas de bouleversement majeur. Le cyber est aussi l’instrument d’une convergence de luttes dans des champs autrefois distincts. Il y a ainsi de forts liens entre la cyberconflictualité et la guerre économique qui rendent malaisée la juste appréciation du phénomène, pourtant nécessaire pour appréhender une dimension fondamentale de la guerre au XXIe siècle.

Disons un mot rapidement de cette notion de révolution stratégique. Une révolution stratégique change les modalités de la guerre et peut imposer de nouvelles règles stratégiques, sans pour autant que la grammaire de base soit annihilée (que celle-ci trouve son inspiration dans Clausewitz ou Sun-Tsu).

Selon ce critère, plusieurs révolutions stratégiques peuvent être identifiées à partir du révélateur de l’énergie. La vapeur est allée de pair avec le moteur correspondant (locomotive, steamer) qui a influé sur les guerres de la deuxième moitié du XIXe siècle (Guerre civile américaine, Guerre de 1870, mobilisation de 1914, etc.). On inventa alors la guerre industrielle et donc la massification du rôle des fantassins. Avec l’essence vint le trio « camion, char & avion », mis au point au cours de la première moitié du XXe siècle (Seconde Guerre mondiale, Guerre de Corée, Guerre des Six jours) : nul besoin d’expliciter son influence durable (et encore perceptible) sur l’ossature blindée-mécanisée de nombreuses armées contemporaines. La détonation nucléaire de 1945 orienta toute la seconde moitié du XXe siècle, avec la dissuasion et la polarisation de la Guerre froide. Il semble qu’avec la donnée, décrite par certains comme l’énergie de l’âge digital, nous faisions face à une nouvelle révolution stratégique qui conditionnera cette première moitié du XXIe siècle.

Cette mise en perspective permet de relativiser le rôle de ces révolutions stratégiques : elles sont indubitablement importantes, mais n’annihilent pas d’un coup les grammaires stratégiques antérieures. Autrement dit, le digital n’abolira pas la dissuasion qui n’a pas aboli pas le char qui n’avait pas aboli le fantassin suréquipé, etc. Ceci précisé, le digital constitue donc bien une révolution stratégique. Il affecte la conduite de la guerre. Examinons donc les liens entre ce cyberespace et la guerre.

Cyber : Qu’est-ce que cela recouvre ?

Depuis les années 1980, nous avons assisté à plusieurs vagues successives de la révolution informatique, considérée comme un tout continu : la première fut celle des ordinateurs individuels, dans les années 1980. Puis est arrivé l’Internet – dans le grand public -, au cours des années 1990. Ce fut ensuite l’âge des réseaux sociaux et du web 2.0 dans les années 2000. Nous sommes aujourd’hui en présence d’un quatrième cycle, celui de la transformation digitale (TD), qui secoue toujours plus violemment nos sociétés et particulièrement le monde économique. On pourrait bien sûr désigner tout ce monde informatique massif de « cyberespace ».

Ces différents cycles ont eu leurs applications dans le domaine stratégique.

Petite histoire du cyber

Avant l’apparition des notions de numérisation de l’espace de bataille et de guerre réseau-centrée (network centric warfare), l’essor de l’informatique a très tôt suscité des inquiétudes stratégiques.

Si l’on remonte au début des années 1960, les Etats-Unis fondèrent l’ARPA (ancêtre de la DARPA) pour faire face aux efforts remarqués des Soviétiques en calcul et en ce qu’on appelait alors la cybernétique : ce fait mérite d’être rappelé quand on connaît le rôle joué par la DARPA dans l’invention d’Internet. Cette inquiétude fut rappelée plus tard par Zbigniew Brezinski, qui, dès 1970, parlait alors de Révolution technétronique : la puissance informatique est considérée par lui comme le moyen de la victoire sur la puissance soviétique. Plus récemment, il faut se replonger dans les débats des années 1990 sur la Révolution dans les affaires militaires (RMA) : il s’agissait alors de prendre en compte les changements apportés par les ordinateurs individuels, mais aussi par les mises en réseau de masse, autrement dit nos deux premières vagues informatiques. Cyberwar is coming, comme l’affirmaient en 1993 deux auteurs de la Rand.

Tous ces débats n’illustrent finalement qu’une seule perception : l’utilisation de la puissance informatique pour donner de nouveaux moyens aux armées. L’informatique n’est vue que comme un outil, un multiplicateur de puissance. Elle s’applique aux armes comme aux états-majors. C’est d’ailleurs cette même idée qui préside à la définition de la Third offset strategy, lancée par les Etats-Unis depuis quelques années : avancer technologiquement à marche forcée pour ne pas être dépassé par une autre puissance dans le domaine des capacités.

La mise en réseau des états-majors et l’embarquement d’informatique dans les armes a provoqué une augmentation certaine de l’efficacité. On parle aujourd’hui de systèmes d’armes, de systèmes de commandement. Et il est vrai que l’efficacité est obtenue : observez la précision des missiles ou encore les capacités d’un avion de chasse moderne… Désormais, un avion n’est plus un porteur de bombes, c’est un ordinateur qui vole et qui transporte des ordinateurs qui explosent sur leurs cibles préalablement identifiées et désignées par des ordinateurs en réseau.

Cette informatique embarquée est donc la cible naturelle des agresseurs cyber. Face à une bombe qui tombait, on ne pouvait que s’abriter. Désormais, on peut imaginer lui envoyer un code malveillant qui donnerait de fausses informations qui feront dévier le projectile de sa trajectoire.

Mais c’est en matière de commandement que l’évolution est la plus nette. Les Anglo-Saxons utilisent le terme de Command and Control pour le désigner, simplifié en C2.

Au cours des années 1990, l’informatisation de la fonction commandement a conduit à bâtir un C4 puis un C4ISR puis un C4ISTAR et puis… cela s’est arrêté là6. Revenons à notre C4 (la fonction ISR étant particulière au renseignement, et la Target Acquisition au ciblage) : il s’agit non seulement du Command, du Control mais aussi de la Communication et du Computer. On a automatisé les fonctions de commandement grâce à l’informatique en réseau. Il fallait aussi dissiper le brouillard de la guerre mais également accélérer la boucle OODA.

La méthode a pu donner des résultats (que l’on songe aux deux Guerres du Golfe) sans pour autant persuader qu’elle suffisait à gagner la guerre (que l’on songe à l’Afghanistan et à l’Irak).

Au fond, cette guerre en réseau – dans la littérature stratégique américaine des années 1990-2000 on parlait de network centric warfare - est une guerre très utilitaire et très verticale, « du haut vers le bas ». Tous les praticiens savent que bien souvent, les réseaux de commandements servent à nourrir le haut d’informations et au risque d’augmenter le micro-management, tandis que les utilisateurs du bas profitent finalement beaucoup moins du nouvel outil.

Grandeur et imprécision du cyberespace

Quand on parlait de cyberespace à la fin des années 2000, il s’agissait de désigner cette informatique distribuée et en réseau, mais aussi de déceler ses caractéristiques stratégiques. Peu à peu, on a oublié la notion de cyberespace pour passer à celles de cyberdéfense et de cybersécurité que recouvre aujourd’hui dans les organismes chargés de la sécurité et de la défense le préfixe cyber. Ce glissement s’est effectué au cours de la décennie 2010.

Les premiers cas d’agression cyber remontent aux années 1980 (Cuckoo’s egg en 1986, Morris Worm en 1988). Avec des attaques plus systématiques (première attaque par déni de service en 1995, première attaque connue contre le Departement of Defense en 1998, première affaire « internationale » avec Moonlight Maze en 1998), la stratégie s’empare du phénomène. Elle rejoint le débat de l’époque sur la Révolution dans les affaires militaires qui évoque alors la guerre en réseau. C’est la fusion de ces deux approches par Arquilla et Ronfeldt qui leur fait annoncer dès 1993 que « Cyberwar is coming ».

Ces interrogations infusent au cours des années 2000. La création d’un Cybercommand américain en 2009, l’affaire Stuxnet en 2010, les révélations de Snowden sur la NSA (2013) montrent que les Etats-Unis sont très en pointe sur le sujet. En France, dès le Livre blanc de 2008, le cyber est identifié comme un facteur stratégique nouveau, approche encore plus mise en évidence dans l’édition de 2013 et confirmée par la Revue stratégique de 2017. L’OTAN s’empare du sujet à la suite de l’agression contre l’Estonie en 2007, couramment attribuée à la Russie même si, comme quasiment toujours en matière cyber, les preuves manquent.

Jusqu’alors simple sujet d’intérêt, le cyber s’élève dans l’échelle des menaces pour devenir une préoccupation prioritaire. Désormais, une agression cyber pourrait, le cas échéant, provoquer la mise en œuvre de l’article 5 du traité de Washington. Les Alliés s’accordent même à définir le cyber comme « un milieu de combat », au même titre que les autres milieux physiques. Sans entrer dans des débats conceptuels sur l’acuité de cette assimilation, constatons que cette approche globalisante encapsule tout ce qui est informatique dans le terme cyber.

La notion de cyber a évolué

Est-ce pourtant aussi simple ?

Il faut en effet constater que la notion même de « cyber » a évolué. D’autres préfixes et adjectifs lui ont succédé : électronique (e-réputation, e-commerce) ou tout simplement, numérique ou digital. Cette évolution sémantique provoque aujourd’hui un cantonnement du cyber dans le champ de la sécurité, de la défense et de la stratégie. Le Forum de Lille est un Forum international de Cybersécurité, le commandement américain est un Cybercommand.

Au fond, s’il y a dix ans on craignait le peu de prise de conscience de la dangerosité du cyberespace, il faut bien constater que finalement la prise de conscience a eu lieu et que le cyber désigne notamment la fonction de protection qui entoure les activités informatiques de toute nature. Désormais, quand on parle de cyber, on évoque surtout la conflictualité associée au cyberespace, qu’il s’agisse de criminalité ou de défense : d’un côté, on a les caractéristiques de protection et de défense proprement dites, de l’autre les caractéristiques d’agression, classiquement l’espionnage, le sabotage et la subversion. Cette activité s’exerce dans les trois couches du cyberespace (physique, logique, sémantique).

Pour simplifier, le cyber s’occupe désormais de la lutte opposant des acteurs divers utilisant des ordinateurs pour atteindre leurs fins stratégiques ou tactiques. Les réseaux et les ordinateurs sont le véhicule d’armes diverses (vers, virus, chevaux de Troie, DDoS, fakes, hoaxes , etc.) qui permettent d’atteindre le dispositif adverse et de le neutraliser, le corrompre, le détruire ou le leurrer.

Pour conclure sur ce point, la cybersécurité repose sur la maîtrise des réseaux, des données et des flux, ce qui passe souvent par un contingentement de ceux-ci et par des restrictions d'utilisation, qu'il s'agisse d'hygiène informatique ou de dispositifs plus sécurisés, durcis en fonction de l'information manipulée. Autrement dit, la cybersécurité a tendance à restreindre les usages que l’informatique entendait simplifier, automatiser ou libérer.

Il n’y a pas de cyberguerre

Cybersécurité ou cyberdéfense ?

Les notions de cybersécurité et de cyberdéfense sont proches. Les distinguer paraît cependant nécessaire car il existe des liens évidents entre la cybersécurité et la « défensive », tout comme entre la cybersécurité et le ministère de la Défense (aujourd’hui renommé ministère des Armées) : mais ces liens entretiennent une confusion qu’il faut clarifier.

On pourrait tout d’abord considérer que la cybersécurité est du domaine du civil quand la cyberdéfense appartient aux compétences des armées et du militaire. Cette approche est souvent partagée, mais elle est inexacte. Par exemple, dans le cas de la France, c’est l’ANSSI (agence civile) qui est l’autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information. Toutefois, le mot défense est un faux-ami qui entraîne ici des confusions.

On pourrait ensuite estimer que la cybersécurité est un état quand la cyberdéfense est un processus. Afin d’atteindre la cybersécurité (d’être en cybersécurité), il faut assurer une cyberdéfense. Dans un cas un verbe d’état, dans l’autre un verbe d’action. Cette approche, conceptuellement juste, est malheureusement peu suivie par les praticiens. Surtout la cyberdéfense est parfois considérée comme le tout (l’action stratégique dans le cyberespace) et comme une partie de ce tout (la fonction défensive de l’action stratégique dans le cyberespace).

Une approche plus opérationnelle est donc recommandée qui évite le mot de cyberdéfense et ne conserve le mot de cybersécurité que dans un cas très précis (que nous décrirons ci-dessous). D’une façon générale, il convient d’éviter le préfixe cyber apposé devant tout substantif, car les termes sont rarement bien définis et cela introduit de nombreuses confusions.

La cyberguerre n’aura pas lieu

Cyberwar will not take place : voici le titre d’un remarquable petit livre de Thomas Rid, paru en 2013 à Oxford.

Déjà, il remettait en cause la notion de cyberguerre. Or, l’expression « cyberguerre » sonne bien. Elle est régulièrement employée par des journalistes ou des commentateurs peu avisés. Pourtant, elle est fausse, ce qui ne signifie pas que la guerre ignore le cyberespace (il y a au contraire toujours plus de cyber dans la conduite des conflits).

Le problème avec l’expression de « cyberguerre », c’est le mot guerre. Nous nous sommes régulièrement interrogés sur sa signification profonde, celle d’autrefois mais aussi d’aujourd’hui. Si la grande guerre d’autrefois est morte, la guerre mortelle subsiste, souvent à bas niveau même si elle peut être alors très meurtrière. Elle n’est plus le monopole des États. On assiste à une forte montée en puissance et une vraie diversification de la criminalité armée où des acteurs s’affrontent et portent des coups, y compris à des États faibles (nous pensons bien sûr au Mali et à nombre de pays africains).

Quand la guerre n’est plus le fait d’armées organisées et ni le plus souvent nationales, quel est alors son critère distinctif ? La létalité : la mort violente de vies humaines pour des motifs politiques. Désormais, le critère de la guerre qui demeure est celui de l’existence – ou non – de morts humaines touchant soit les parties militaires au conflit, soit les populations environnantes (civiles). On peut bien sûr retenir le nombre de mille morts militaires par an, identifié par les polémologues pour marquer le seuil à partir duquel il y a guerre et non pas conflit armé. Sans aller jusque-là (les noyés en Méditerranée, pour avoir tenté de rejoindre l’Europe, sont-ils victimes d’une guerre ?), constatons que pour l’heure, il n’y a pas de mort directement imputable à une agression cyber. Aujourd’hui, le cyber ne tue pas ; du moins pas encore.

Par ailleurs, il faut se méfier de tout le discours produit sur ce thème : un « cyber-Pearl Harbour » menacerait, le cyberespace serait le cinquième théâtre physique de la guerre, il nous faut des cyberarmées, etc. On reconnaît là un schéma de pensée américain qui militarise tout d’emblée, de façon à justifier des budgets et une approche quantitative et destructrice des oppositions politiques. Sans avoir la cruauté de rappeler les échecs répétés de cette approche depuis plus de soixante-dix ans, signalons simplement qu’il n’y a pas d’échanges d’électrons qui se foudroieraient réciproquement avec des vainqueurs et des vaincus.

Les choses sont plus subtiles que ça.

Cela ne veut pas dire que le cyber ne soit pas dangereux, ni qu’il ne soit dans la guerre. Plutôt que de cyberguerre, parlons de cyberconflictualité. Elle est partout.

Opérations dans le cyberespace

Actions cyber

Le livre de T. Rid rappelait déjà l’essentiel, à savoir que les trois types de cyber agressions sont bien connus (l’espionnage, le sabotage et la subversion), et qu’elles ne justifient pas les excès d’une certaine militarisation du cyber.

L’espionnage cyber constitue la première brique de la cyberconflictualité. En effet, quasiment toutes les actions offensives cyber débutent par une phase d’observation de la cible et donc, dans les cas les plus aigus, d’espionnage. Qu’il s’agisse de défacer un site ou de le bombarder de requêtes (technique basique dite des DDoS : déni de service distribué) ou d’aller, au contraire, beaucoup plus avant dans le système à la recherche d’informations sensibles, il faut délimiter le contour de l’objectif, ses points forts et ses points faibles. C’est la première phase commune à toutes les actions. Soit parce qu’on recherche d’abord l’information, soit parce qu’elle va servir à autre chose. Il s’agit là d’ailleurs d’un point commun à toutes les opérations militaires : quoique vous vouliez faire, vous commencez toujours par vous renseigner. Il reste que le cyberespace a pour essence de manipuler de l’information, soit pour la stocker, soit pour l’échanger avec des correspondants dûment identifiés. Il y a une profonde intrication entre les méthodes de renseignement (ou d’information) et les caractéristiques du cyberespace. Or, le cyberespace démultiplie les capacités d’espionnage. On s’en est largement rendu compte avec les révélations d’Edward Snowden qui a appris au monde le potentiel de la NSA américaine, qui passait son temps à espionner le monde entier, y compris ses alliés et amis.

Or, une propriété commune à la souveraineté et à la liberté d’action est la préservation de ses secrets. C’est évident pour les États, mais c’est également vrai pour les entreprises. Dès lors, un cyberespionnage massif peut modifier les relations internationales ou inter-entreprises. Certes, « on s’est toujours espionné, même entre amis », un argument développé par les défenseurs de la NSA, au premier rang desquels Barack Obama.

À ceci près que l’ampleur des moyens mis en œuvre et la profondeur d’intrusion permise par la technique ont modifié le sens de cette pratique. Le cyberespionnage est bien la première forme d’agression cyber.

Le sabotage cyber constitue la deuxième. Elle est perçue comme l’attaque principale par l’opinion populaire qui réduit souvent l’agression cyber à ces virus qui cassent les systèmes des ordinateurs. De Stuxnet à NotPetya, ces vers, virus et maliciels ont défrayé souvent la chronique (les journalistes ratant rarement l’occasion d’expliquer qu’on n’avait jamais connu une telle agression dans toute l’histoire, pour oublier leur assertion imprudente la semaine suivante). Il y a ainsi un grand discours de la peur autour du sabotage, permettant les meilleurs fantasmes, à l’image des scénarios absurdes de James Bond où des pirates informatiques géniaux détruiraient les systèmes collectifs et provoqueraient des morts en pagaille.

La réalité est plus banale : il y a certes beaucoup d’attaques mais aujourd’hui, on observe surtout des opérations de rançonnage (contre des particuliers ou des organisations, notamment des villes : Atlanta ou Baltimore) où les assaillants bloquent le fonctionnement en échange d’une rançon. Mais cela peut aussi avoir des motifs politiques : l’entreprise saoudienne Aramco a ainsi été bloquée il y a quelques années par des agresseurs, visiblement des voisins iraniens.

La subversion cyber est le troisième mode d’agression. Elle vise à modifier les décisions d’un individu ou d’un groupe, que ce soit par des sabotages (par exemple, le défacement d’un site Internet pour faire apparaître la tête d’Hitler à la place du dirigeant de l’entreprise/pays) ou d’autres procédés, plus ou moins évolués. Beaucoup négligeaient cette agression subtile jusqu’au développement des débats sur la post-vérité et la question des infox.

Ainsi, ces trois procédés sont fréquemment utilisés dans ce qu’il faut bien nommer la réelle cyberconflictualité contemporaine. Relevons deux caractères spécifiques. Le premier est celui des acteurs concernés : désormais, tous les acteurs (individus, groupes, agences ou Etats) peuvent être à la fois les auteurs et les cibles de ces agressions. Le second, par conséquent, est que les motifs des attaques sont extrêmement variés (économiques politiques, culturels, réputations, egos, etc.). Cela donne à ce champ de bataille une dimension hobbesienne, celle du conflit de tous contre tous que l’on pensait avoir réglé avec l’ordre westphalien il y a trois siècles et demi. Cela est plus profond que le multisme politique ou que la notion de guerre hybride.

Réponses stratégiques dans le cyberespace

Nier l’existence de la cyberguerre ne revient pas à nier l’importance du cyber dans la conduite de la guerre, bien au contraire. Le cyber est désormais partout dans les opérations militaires. Il est au cœur des armements : on s’interroge sur la grande autonomie de ces armes, envisageable grâce à la robotisation et à l’intelligence artificielle. Le cyber anime tous les réseaux de commandement et de conduite, qu’on désigne sous le terme de Systèmes d’information et de commandement (SIC).

L’action stratégique dans le cyberespace est une approche générale. Considérons qu’elle est normalement à la portée de toutes les organisations (voire des individus) sauf le cas particulier de l’offensive, qui est une prérogative étatique (et pour le coup, spécifique au ministère des Armées, du moins en France). Autrement dit, les actions offensives non-étatiques sont toutes illégales.

Il y a ainsi, d’abord, une première fonction qu’on désignera sous le terme de défensive, aussi appelée cybersécurité (à proprement parler). Elle constitue pour les praticiens l’essentiel de la cyberconflictualité. Elle recouvre :

  • Les mesures de protection (ou cyberprotection, ou de sécurité des systèmes d’information -SSI- au sens strict du terme), qui consistent en l’ensemble des mesures passives qui organisent la sécurité d’un système (pare-feu, antivirus, mesures d’hygiène informatique, procédures de sécurité). Cette notion de « mesures passives » ne signifie pas qu’on reste inactif, au contraire : un responsable SSI sera sans cesse aux aguets, en train de remettre à jour son système et de mobiliser l’attention de ses collaborateurs.
  • Les mesures de défense (ou lutte informatique défensive, LID) qui comprennent l’ensemble de la veille active et des mesures réactives en cas d’incident (systèmes de sonde examinant l’activité du réseau et ses anomalies, mise en place de centres d’opération 24/7, etc.).
  • La résilience consiste en l’ensemble des mesures prises pour faire fonctionner un réseau attaqué pendant la crise, puis revenir à un état normal de fonctionnement après la crise (y compris avec des opérations de reconstruction, dans les cas les plus graves).

La deuxième fonction est celle du renseignement. Il est évident qu’elle a partie liée à la défensive. Cela étant, le renseignement se distingue comme une activité propre. On distingue ici le renseignement d’origine cyberespace (ROC), qui est celui qui vient du cyberespace mais contribue à nourrir la situation globale du renseignement militaire ; et le renseignement d’intérêt cyberdéfense (RIC) (qui n’est pas forcément exclusivement d’origine cyber) et qui vise à construire une situation particulière de l’espace cyber, aussi bien ami et neutre que surtout ennemi. C’est ainsi un renseignement sur le cyberespace. Il est évident que dans une manœuvre militaire globale, le ROC intéresse plus le décideur tandis que dans le cas d’une manœuvre particulière à l’environnement cyber, le RIC sera prédominant. Le RIC permet en effet de renforcer la défensive mais aussi de préparer l’offensive. A titre d’exemple, les mots de passe des comptes des réseaux sociaux de TV5 Monde, visibles dans un reportage de France 2, constituent du RIC, tandis que les cartes dynamiques de course de l’application Strava, permettant par l’observation de l’activité de soldats, de repérer des sites militaires, sont du ROC.

La troisième fonction est logiquement l’offensive. Sans entrer dans trop de subtilités, elle recouvre aussi bien la Lutte informatique offensive (LIO) que l’influence numérique (la LIN). La première est tournée vers le sabotage, la seconde vers la subversion. S’agissant de l’influence, citons l’ex-chef d’état-major des armées (CEMA), le général de Villiers : Il estime ainsi début 2016 qu’un « nouveau théâtre d’engagement » est celui de « l’influence et des perceptions ». « C’est l’ensemble des domaines – dont le cyber espace – qui permet de porter la guerre pour, par et contre l’information. Ce champ de bataille, qui n’est pas lié à une géographie physique, offre de nouvelles possibilités pour la connaissance et l’anticipation, ainsi qu’un champ d’action pour modifier la perception et la volonté́ de l’adversaire ». La propagande de l’Etat Islamique sur les réseaux sociaux a rendu urgente cette prise en compte de la « bataille des perceptions ».

Environnement cyber

Ces opérations se conduisent dans l’environnement cyber. Ce terme d’environnement permet d’échapper à la notion de milieu, bien qu’elle soit devenue une doctrine OTAN. Parler d’environnement cyber (comme on parle d’environnement électromagnétique) met cette fonction cyber à sa juste place. Elle est au fond une arme d’appui bien plus qu’une arme de mêlée. Cette approche favorise d’ailleurs la résolution avantageuse du dilemme entre les échelons stratégiques et tactiques, dilemme qui suscite encore bien des débats feutrés mais essentiels.

C’est dans ces conditions que le cyber est bien présent dans les opérations militaires, et ce dans les trois couches du cyberespace (physique, logique et sémantique). Si les opérations sont discrètes, elles n’en sont pas moins réelles. Mais cela ne signifie pas que le cyber n’interviendra pas dans d’autres opérations, non-militaires cette fois. Il s’agit alors de bien autre chose, même si cela relève de la cyberstratégie.

Cyber et nouvelles formes de conflit

Nous avons parlé jusqu’à présent des liens entre le cyber et les actions militaires, mais aussi avec quelques actions civiles (notion de cybersécurité). Le cyber est incontestablement dans la guerre, avons-nous démontré. Mais la guerre n’est peut-être plus seulement dans la guerre. Autrement dit, on observe désormais de nouvelles formes de conflictualité interétatique qui sont en dessous du seuil de la guerre : sanctions juridiques, blocus économiques, amendes, guerre économique, actions massives d’influence, les formes en sont énormément variées. Le cyberespace est un remarquable outil pour l’ensemble de ces actions hostiles.

Extension du domaine de la cyber-lutte

En effet, cette cyberconflictualité ne se déroule pas seulement sur le terrain des opérations militaires. Celui-ci permet certainement de mieux comprendre ce qui se passe, de déceler les principes opérationnels : pourtant, il ne saurait cacher que la cyberconflictualité se déroule surtout en dehors d’actions militaires classiques.

L’observateur relève en effet plusieurs traits de cette cyber-lutte : elle est accessible à beaucoup, ce qui ne signifie pas que tout le monde est capable de tout faire. S’il n’y a que dans les romans qu’un individu surdoué réussit à défaire les grandes puissances, il est exact que de nombreux individus peuvent agir – et nuire – dans le cyberespace. Celui-ci a en effet deux qualités qui sont utilisées par beaucoup : un relatif anonymat pour peu que l’on prenne des mesures adéquates (et malgré le sentiment d’omnisurveillance suscité aussi bien par la NSA que par les GAFAM) ; et une capacité à agréger des compétences le temps d’une opération (ce qu’on désigne sous le terme de coalescence).

Dès lors, quel que soit le mobile (motivation idéologique ou patriotique, lucre et appât du gain, forfanterie pour prouver sa supériorité technique), de nombreux acteurs peuvent agir dans le cyberespace (ce qui explique notre prudence dans l’analyse du cas estonien). Autrement dit encore, le cyberespace connaît une lutte générale qui mélange aussi bien les intérêts de puissance (traditionnellement réservés aux États), les intérêts économiques (firmes multinationales, mafias), les intérêts politiques ou idéologiques (ONG, djihadistes, Wikileaks, Anonymous, cyberpatriotes) ou encore les intérêts individuels (du petit hacker louant ses services au lanceur d’alerte Edward Snowden).

Il s’ensuit une conflictualité généralisée, mobilisant tous dans une mêlée d’autant plus vivace qu’elle est relativement discrète. En effet, on n’a pas d’exemples de coups mortels donnés via le cyberespace même si le fantasme d’un cyber-Pearl Harbour est sans cesse ressassé par les Cassandre. Avant d’être témoin d’un éventuel drame extrême, constatons que la cyberconflictualité ordinaire fait rage quotidiennement. Et que surtout, elle est fortement teintée de guerre économique, avant d’être politique.

Cyber et guerre économique : la convergence des luttes

Ne nous y trompons pas : l’essentiel réside dans la guerre économique. Celle-ci est allée de pair avec le développement de la mondialisation, elle-même rendue possible par ce qu’on appelait à l’époque les Technologies de l’information et de la communication (TIC). Cela a du coup radicalement modifié le socle préalable qui régissait le monde économique, celui de la concurrence pure et relativement parfaite. Ce socle n’existe plus et désormais, tous les coups sont permis. Le cyberespace favorise justement ce changement profond. Espionner, saboter et subvertir sont désormais des armes quotidiennement et souterrainement employées.

Que nous a en effet appris Snowden ? Que la NSA, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, espionnait surtout les concurrents des États-Unis. Qu’elle collaborait activement avec les grands acteurs économiques américains, notamment les GAFAM, dans une relation à double sens. Que si ceux-ci devaient coopérer activement avec les services d’Etat (qui a cru sérieusement qu’Apple refusait de collaborer avec le FBI dans l’attentat de San Bernardino ? en revanche, ce fut un remarquable coup marketing), ces derniers n’hésitaient pas à transmettre des informations pertinentes à leurs industriels.

La Chine a quant à elle pratiqué une stratégie opiniâtre d’espionnage économique, par tous les moyens, notamment cyber. Les exemples abondent et les dénonciations américaines en la matière révèlent une probable vérité. Israël a une symbiose très étroite entre ses services spécialisés (autour de la fameuse unité 8200) et son écosystème de jeunes pousses (ayant été le plus loin dans la construction d’une « start-up nation »). On pourrait relever des liaisons similaires en Russie ou à Singapour.

Autrement dit, il y a désormais une certaine convergence des luttes, bien loin de celle imaginée par les radicaux alter en France : entre acteurs (collaboration entre Etats et entreprises, « contrats » passés entre des entreprises et des hackers souterrains) et entre domaines (la géopolitique n’est jamais très loin des « intérêts » économiques : il n’y a qu’à voir le nombre de chefs d’entreprise qui accompagnent les dirigeants lors de leurs voyages officiels). Le cyber permet cette convergence grâce à ses effets en apparence indolores (sera-t-il jamais possible d’évaluer le coût d’informations sensibles qui ont été volées par un concurrent ?), à sa discrétion évidente, à son anonymat confortable.

Une conflictualité englobante

Le cyber est désormais au centre de toutes les stratégies conflictuelles, qu’elles soient militaires ou non. Sa plasticité et sa transversalité permettent en effet le développement d’une multitude de manœuvres par des acteurs de tout type.

Agir dans le cyberespace, que l’on soit chef militaire, responsable politique, dirigeant économique ou simple RSSI (responsable de sécurité de systèmes d’information), impose de prendre conscience de cette dimension générale. Au fond, le cyberespace ne peut se réduire à un simple environnement technologique dont on laisserait la gestion à des responsables techniques mais subordonnés. Le cyberespace permet la mise en place d’une nouvelle conflictualité qui va, d’une certaine façon, fusionner les champs traditionnels des hostilités : aussi bien les guerres militaires que les oppositions géopolitiques ou les concurrences économiques. C’est pourquoi parler de cyberguerre est extrêmement trompeur : c’est tout d’abord faux (car le critère de létalité n’est pas rempli) et surtout réducteur car la conflictualité du cyberespace a certes des dimensions militaires, mais elles sont également plus larges et souvent plus insidieuses que la « simple » manœuvre de force et de coercition à la base des actions militaires.

En ce sens, il y a une globalisation de la cyberconflictualité. En prendre la mesure est la première étape d’une stratégie adaptée, quelle que soit l’organisation dont on a la charge, Etat, armée ou entreprise.

O. Kempf

Les Algériens de France

J'ai publié, dans la revue italienne Limes, un article qu'ils m'avaient demandé pour leur numéro de juin consacré à l'Algérie. Je ne vais pas poster ici la version italienne (voir I mille volti degli Aglierini di Francia) mais le texte français d'origine, plus accessible au lecteur français.

Semaine après semaine, le renouvellement des manifestations à travers l’Algérie a relancé l’intérêt pour ce pays maghrébin. Cependant cet intérêt n’a pas donné lieu à une mobilisation médiatique en France, comme si les Français regardaient d’un air distant ce pays, ancienne colonie qui au fond ne compterait plus, tant elle s’est enfermée dans un nationalisme ombrageux. Dans le même temps, des signes ont montré que les « Algériens de France » s’étaient quant à eux mobilisés, que ce soit par des manifestations répliquant place de la République celles d’outre-Méditerranée, ou par les voyages de ceux retournant régulièrement à Alger pour descendre dans la rue. Autant de réactions qui varient de la négligence à l’implication la plus passionnée et qui illustrent des relations ambiguës, complexes et entrecroisées entre les deux pays et leurs deux peuples. Au point que l’expression « Algériens de France », pourtant utilisée abondamment, recouvre une réalité malaisée à définir, tant on ne sait pas ce que sont ces « Algériens de France », ni si l’expression désigne la même chose à travers l’histoire, ni même si elle a pareil sens en France ou en Algérie. Or, la question est extrêmement sensible tant elle croise des lignes de passion politique qui ont traversé et traversent encore notre pays, qu’il s’agisse de la guerre d’indépendance algérienne, de l’immigration ou de la place de l’islam et de ses variantes radicales. C’est pourquoi ce texte doit l’apprécier sous un triple regard : démographique, politique et géopolitique.

Des immigrations algériennes

Les Algériens de France sont d’abord le résultat de vagues successives d’immigration (1).

Elles existent très tôt, alors même que les trois départements algériens sont sous administration directe de la métropole. On distingue ici plusieurs vagues de cette immigration des populations autochtones et musulmanes (2) (à distinguer donc des colons), vers la métropole. La première vague, de 1905 à 1913, envoie une dizaine de milliers de personnes dans des emplois de main d’œuvre industrielle. Lors de la Première Guerre mondiale, 80.000 travailleurs algériens et 170.000 soldats viennent en métropole. Après la guerre, la France rapatrie 250.000 d’entre eux vers les colonies. Mais l’immigration reprend dès 1920 jusqu’à 1939, puis à nouveau à l’issue de la Seconde Guerre, jusque 1954, notamment pour accompagner la reconstruction et les Trente glorieuses.

Le flux s’interrompt à l’occasion de la Guerre d’Algérie (1954-1962). La fin de celle-ci (accord d’Evian) organise le « rapatriement » qui n’est pas à proprement parler une immigration mais constitue incontestablement un mouvement migratoire d’ampleur. En effet, les populations en question sont pour la plupart de nationalité française (depuis la loi de 1870 pour les juifs, celle de 1889 pour les Européens et celle de 1947 pour les musulmans). Toutefois, il faut bien distinguer les Pieds-Noirs et les Harkis (3) : l’administration française demande en effet à ces derniers une reconnaissance de nationalité. Entre 1962 et 1965, environ un million de Français d’Algérie arrivent en France (dont 100.000 juifs et 45.000 harkis).

Simultanément à ces rapatriés, une immigration algérienne proprement dite se développa dès 1962, elle aussi en plusieurs vagues. Entre 1962 et 1982, la population algérienne vivant en France passe de 350.000 à 800.000 personnes, principalement des travailleurs venus fournir de la main-d’œuvre à la croissance industrielle des Trente Glorieuses. A partir de 1980, les allers et retours ne sont plus possibles et les Algériens travaillant en France veulent y rester : ils font donc venir leur famille. Les entrées sont désormais principalement le fait du regroupement familial même si d’autres phénomènes ont lieu : soit la fuite de la guerre civile au cours de la décennie noire des années 1990, soit des commerçants illicites entre les deux rives (trabendo) soit même des immigrés clandestins (harragas).

Combien sont-ils ?

Il est difficile de connaître avec précision le nombre de ces Algériens de France.

En 2012, selon une estimation de l’INSEE, les immigrés algériens et leurs enfants (au moins un parent né en Algérie) étaient 1.713.000. Selon d’autres spécialistes, le nombre de résidents d’origine algérienne peut être estimé à 4 millions dont deux millions de binationaux. Enfin, Michèle Tribalat, dans une étude de 2015 (4), estime à 2,5 millions les personnes d’origine algérienne sur trois générations : 737.000 immigrés, 1,17 millions de descendants de 1ère génération, 565.000 descendants de deuxième génération. Sur trois générations, ces personnes représentent donc 4,6 % de la population française. Cette étude inclut donc les harkis et leurs descendants mais exclut les descendants des rapatriés.

Les chiffres les plus récents de l’INSEE datent de 2015 (5) : Il y aurait ainsi en France 6,2 Millions d’immigrés (nés à l’étranger) dont 3,8 millions de nationalité étrangère et 2,4 millions de binationaux. 12,8 % seraient nés en Algérie soit 793.000 (486.000 de nationalité algérienne, 307.000 binationaux).

Les descendants de harkis seraient aujourd’hui entre 500.000 et 800.000. Les descendants de pieds-noirs seraient quant à eux au nombre de 3,2 millions en 2012.

Si l’on conjugue toutes ces études, en additionnant les Français d’origine algérienne et ceux ayant des origines pied-noir, on obtient le chiffre de 5,7 millions de personnes ayant des racines directes en Algérie.

Mais ces chiffres ne doivent pas cacher que ces différentes origines et statuts, mais aussi les différences entre les références chronologiques (vagues d’immigration, générations de 1er, 2ème ou 3ème rang), rendent impossible l’unité des réactions de ces différentes populations. Aussi l’expression « Algériens de France » est-elle trompeuse en ce qu’elle suggère une homogénéité et donc la similitude des comportements.

Liaisons historiques

En effet, les Algériens en France ont très tôt eu un rôle dans l’accession à l’indépendance. En 1926, de jeunes immigrés algériens créent, du côté de Nanterre, l’Etoile nord-africaine, premier mouvement indépendantiste algérien. Messali Hadj, son leader, le transforme en Parti du peuple algérien en 1937 puis en Mouvement National Algérien à partir de 1954. Après la Seconde Guerre mondiale, les revendications nationalistes montent en puissance pour aboutir au déclenchement de la guerre d’Algérie (on parle en Algérie de « Révolution algérienne ») en novembre 1954.

Le Front de libération nationale (FLN) crée des régions militaires (des wilayas) pour conduite son combat. A ce titre, la Wilaya 7 est la branche française du FLN, sous le nom de Fédération de France du FLN, qui va sensibiliser la communauté algérienne en France et en Europe. Les premières années, il s’agit de prendre l’avantage sur l’autre mouvement nationaliste, le MNA (Messali Hadj) ce qui entraîne des règlements de compte meurtriers (on parle de 4.000 morts) afin notamment de collecter « l’impôt révolutionnaire ». En 1961, elle organise des manifestations durement réprimées (plusieurs dizaines de morts). Simultanément, des Français, en général des intellectuels de gauche, soutiennent le mouvement indépendantiste (cf. le réseau Jeanson ou encore ce qu’on a appelé les « porteurs de valise »).

Les Algériens en France ou les Français soutenant les Algériens ont donc joué un rôle important au cours de la guerre d’Algérie. Le souvenir en a laissé des traces dans l’histoire politique mais il s’est estompé, notamment en France, au point qu’il n’agit plus aujourd’hui comme une référence dans le débat public. Quasiment deux générations ont passé et les passions d’hier se sont globalement apaisées. D’autres ont pris le relais.

Nouveaux malaises

En juillet 1998, la France gagnait la coupe du monde de football. Certains, prenant appui sur la figure de Zinedine Zidane, parlait de France black-blanc-beur, y voyant le triomphe d’une France multiculturelle et intégrée. En 2001, le premier match de football entre la France et l’Algérie, joué au stade de France, au même endroit que la finale trois ans plus tôt, renversait cette hypothèse : Lors de la diffusion des hymnes nationaux, de nombreux sifflets se firent entendre au cours de la Marseillaise et le match fut arrêté à la 76ème minute, alors que le terrain était envahi par des milliers de supporters. Les « jeunes de banlieues » avaient ainsi démontré leur piètre attachement à leur pays de nationalité, la France. Étaient-ce des Algériens de France ? ou plutôt des Français de France aux racines algériennes ? En tout cas, cela révélait le trouble identitaire de nombreux segments de la population française.

Ces matchs montraient le malaise d’une partie de la population immigrée et notamment celle d’origine algérienne. Quelques années plus tard, la série des attentats terroristes à Paris renforçait cette impression : en effet, la plupart d’entre eux furent commis par des citoyens français, même si leur origine immigrée (et pour le coup, pas spécialement algérienne) leur donnait souvent un point commun. Le malaise quittait le terrain de l’immigration pour aller vers celui de l’islam et notamment de ses versions extrémistes.

Incidemment, cela posait la question de l’organisation de l’islam de France. Ainsi, la Grande mosquée de Paris est juridiquement indépendante mais reste traditionnellement liée, culturellement et culturellement, à l’Algérie. Cependant, la Grande mosquée de Paris perd de l’influence dans la représentation de musulmans de France (alors qu’elle avait une primauté traditionnelle), notamment au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Alors que l’islam algérien avait traditionnellement eu le plus d’influence en France, voici qu’il est désormais minoritaire.

Algérien de France ou Algérien en France ?

Ces différents points montrent un trouble. Pourtant, ce trouble ne semble pas propre aux seuls Algériens de France puisque ces questions d’identité traversent le pays (et même l’ensemble des pays d’Europe). En 2007, juste arrivé au pouvoir, Nicolas Sarkozy décide de créer un ministère de l’identité nationale (intitulé exact : ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire). Cela illustre la difficulté de ce nouveau thème politique de l’identité.

Il ne s’agit pas ici d’écrire une nième dissertation sur le sujet : tout a été dit de ces identités multiples, défiées par les conditions contemporaines de la mondialisation qui intensifie les échanges et les mélanges, qu’il s’agisse des cultures, des idées ou des personnes. Cette intensification est géographique mais elle constitue également une accélération, qui laisse moins de temps à la sédimentation, à l’accoutumance et à l’apaisement. Enfin, un certain relativisme occidental accélère cette dissolution des identités, qu’elles soient nationales, régionales ou individuelles. Le refus de la norme sociale rend plus difficile l’intégration.

S’agissant des immigrés et spécialement des Algériens, on peut également pointer les attitudes différentes entre ceux de première génération, qui ont encore les références de leur pays d’origine, et ceux de deuxième et de troisième génération, pour qui ces références sont plus éloignées et donc fantasmées ou reconstruites.

Nombreux sont les témoignages de ces beurs algériens « retournant » au bled (même à l’occasion de leur premier voyage), qui rêvent beaucoup de ce voyage et sont finalement très déçus de ce qu’ils vivent : il y a un choc culturel intense entre la représentation et la réalité, sans même parler de l’accueil qui leur est réservé et qui n’est pas toujours bon.

Les voici donc obligés de construire une identité composite, à la fois algérienne et française, ou plus exactement Français d’origine algérienne (FOA), même si l’insertion dans la société française est difficile. Très souvent en effet, un FOA fait partie de la France périphérique, celle qui a du mal à joindre les deux bouts et qui s’est révélée aux yeux de tous lors de la manifestation des Gilets Jaunes. Et pourtant, les choses ne sont pas aussi simples : ainsi, on vit peu de beurs au sein de ces Gilets Jaunes, de même qu’on en vit peu lors des grandes manifestations à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo : signe d’une division qui demeure profonde et qui touche la France de l’immigration en général, et plus particulièrement celle d’origine maghrébine, et donc algérienne.

Retournements d’identité

Le cas des binationaux est symptomatique de ces difficultés. Ainsi, un grand débat public eut lieu en 2016 à propos de la déchéance de nationalité des terroristes. Rapidement, le sujet dériva vers la question des binationaux (pas seulement des Algériens). Or, il faut constater leur « double absence » (selon le mot du sociologue algérien Abdelmalek Sayad), ici et là-bas, particulièrement dans le cas des Algériens. Regardés avec suspicion par un certain nombre d’hommes politiques français, ils le sont également par les hommes d’Etat algériens qui dénoncent régulièrement le Hizb frança (le parti de la France), nouvelle cinquième colonne qui agirait cette fois non au profit de l’Algérie mais contre elle. « De ce point de vue, les récents débats contradictoires autour des articles 51 et 73 du nouveau projet de Constitution en Algérie sont bien la preuve que les binationaux ne constituent pas uniquement des victimes expiables dans l’ancien État colonial (la France) mais aussi des boucs-émissaires de l’État anciennement colonisé (l’Algérie). En effet, le pouvoir algérien a présenté récemment un nouveau projet de constitution afin de « démocratiser » et de « moderniser » les institutions politiques du pays. Or, parmi les réformes envisagées, l’une vise précisément à exclure les binationaux de certains mandats électifs et des postes à haute responsabilité engageant la souveraineté de l’État. L’argument principal avancé par les auteurs de la réforme est que la binationalité serait susceptible d’introduire un conflit d’allégeance entre l’État d’origine et l’État d’accueil » (6). Les binationaux sont donc soupçonnés d’être considérés comme peu fiables et pas assez loyaux.

Ils sont ainsi un peu des deux pays mais finalement, ils ne seraient d’aucun des deux ? Qu’y peuvent-ils, d’ailleurs, si le droit leur donne deux nationalités, sans qu’on leur ait demandé leur avis et même si beaucoup y trouvent un avantage ? En fait, « leur statut juridique et symbolique fait problème, en ce qu’il témoigne de la péremption des conceptions traditionnelles de l’État-nation territorial qui se combine paradoxalement à un retour en force des nationalismes fondateurs, ce que l’on pourrait appeler également les nationalismes primordiaux ». Les binationaux sont un problème géopolitique très contemporain.

Dans le même temps, on évoque parfois « les centaines de milliers d’Algériens vivant en Algérie mais ayant secrètement la nationalité française (7) ». Il y aurait ainsi des Algériens Français en Algérie même… Sont-ils Algériens de France ou autre chose ?

D’un autre point de vue, les pieds-noirs sont également des Algériens de France : Mais l’expression pied-noir étant jugée péjorative par certains d’entre eux, ils lui préfèrent l’expression de « Français d’Algérie ». Mais ces Français d’Algérie ne sont-ils pas également des Algériens de France, même si leur rapport avec l’Algérie indépendante est très différent de celui des FOA ?

Une normalisation en cours ?

Ainsi, ces parcours très variés montrent que l’expression « Algériens de France » est bien délicate à manier.

Et pourtant, l’observateur peut déceler une certaine normalisation. Le déroulé du hirak (Mouvement) algérien l’illustre. Ainsi, de nombreux binationaux se sont-ils rendus régulièrement à Alger pour participer aux manifestations, occasion pour eux de participer à la vie politique de leur pays, mais dans le sens d’un rapprochement de nature politique. En effet, l’attente d’une forme de démocratisation du régime semble réunir les deux rives.

Ainsi que nous l’avons montré (8), les Algériens (comme tous les Maghrébins) sont imprégnés de culture française et ils observent la vie politique, médiatique et sportive française quotidiennement, grâce aux télévisions par satellite et Internet. D’une certaine façon, ils vivent en France par procuration. Quant aux Algériens de France, ils représentent d’une certaine façon ceux qui prouvent qu’on peut y arriver, à l’instar des nombreux Français d’origine algérienne qui ont réussi (pour les personnalités récentes (9) : les footballeurs Zidane, K. Benzema, N. Fékir, les chanteurs K. Farah, Sheryfa Luna, les politiciens F. Amara, A. Begag, N. Berra, R. Dati, F. Lamzaoui, L. Aïchi, K. Delli, les acteurs M. Achour, A. Belaïdi, F. Khelfa, Smaïn, Ramzy, L. Bekhti, Dany Boon, Kad Merad, …). C’est d’ailleurs ce qui incite probablement les binationaux à se préoccuper de l’évolution politique de l’autre côté de la Méditerranée, car elle représente une évolution qui permet de réduire les distances entre les deux sociétés.

Vers la cicatrisation …

La France se désintéresse de l’Algérie, écrivions-nous. Peut-être les évolutions en cours annoncent-elles un renouveau, activé par ces Algériens de France qui ont besoin, plus que d’autres, de réconcilier non seulement leurs racines mais surtout deux histoires si proches. Car au fond, beaucoup d’Algériens demeurent attachés à la France, tout comme il y a une part très importante de Français qui conservent des liens avec l’Algérie. Ces Algériens de France constitueront alors une richesse géopolitique permettant un rapprochement entre les deux pays que tout rapproche et que l’histoire a un temps éloigné.

Venant d’un « nulle-part identitaire », ils permettront une alchimie créatrice au profit des deux rives.

(1) Les éléments de cette partie sont tirés notamment de Wikipédia, de l’INSEE et de E. Blanchard, Histoire de l’immigration algérienne en France, La Découverte, 2018, 128 pages. (2) Jusqu’en 1947, les autorités parlent des « musulmans » qui sont des sujets français. On parle à la suite du statut de l’Algérie (adopté en 1947) de Français musulmans d’Algérie. Ils ne deviennent à proprement parler Algériens qu’à la suite de l’indépendance en 1962. (3) Les pieds-noirs désignent les Français d’ascendance européenne originaires d’Algérie. Les harkis sont les anciens musulmans combattants, auxiliaires ou supplétifs de l’armée française au cours de la guerre d’Algérie : on les désigne aussi de Français de souche nord-africaine. (4) Michèle Tribalat, « Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 2011 », Espace populations sociétés, 2015/1-2. (5) https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212 (6) Vincent Geisser, « Une controverse peut en cacher une autre : Les binationaux suspects « ici et là-bas » ? », Migrations Société 2016/1 (N° 163), pages 3 à 12. (7) http://www.slateafrique.com/2063/en-france-la-binationalite-au-banc-des-accuses (8) « L’Algérie, le hirak et la France », Dossier stratégique n° 11, La Vigie, 18 mai 2019, accessible à https://www.lettrevigie.com/blog/2019/05/30/dossier-n-11-lalgerie-le-hirak-et-la-france-gratuit/ (9) Voir https://www.facebook.com/personnalitespubliquesdoriginealgeriennelapage/

Olivier Kempf

Lire les Déracinés de Barrès

Voici un petit billet paru dans le dernier numéro de Conflits. J'y ouvre une nouvelle chronique intitulée "relire les Classiques". Barrès en est le premier sujet. Barrès oublié et négligé, Barrès décrié, mais Barrès grand écrivain quand même, outre l'influence qu'il a eue sur une génération entière.

Maurice Barrès a aujourd’hui très mauvaise réputation. Le chantre du « nationalisme » est forcément soupçonné d’inspirer tous ceux qui se revendiquent de la nation ou de l’identité. Et par les temps qui courent, le point Godwin est très vite atteint. Pourtant, Barrès est mal connu : faites le test autour de vous, bien peu l’ont lu. Or, c’est un grand écrivain. Oublié comme écrivain, s’il est encore connu pour son rôle politique. Car voici un paradoxe : il est à la fois homme de lettres et homme politique (élu député à maintes reprises et ayant eu une influence incontestable dans la fabrique des idées de son temps). Autrement dit, avant la lettre, un « intellectuel », au sens que l’on donne en France à ce mot : « l’intellectuel est celui qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas » (J.-P. Sartre) : celui qui sort de son domaine de compétence pour parler des choses de la cité. Barrès a eu autant d’influence que Sartre…

Rappelons le mot de Blum : « Je sais bien que Monsieur Zola est un grand écrivain ; j'aime son œuvre qui est puissante et belle. Mais on peut le supprimer de son temps par un effort de pensée ; et son temps sera le même. Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable ». Et celui de Malraux : « Il était caporal en politique alors que dans le domaine de la littérature, il était général ».

Sait-on que le jeune député boulangiste de Nancy, élu à 27 ans, se veut socialiste et siège à l’extrême-gauche ? rapidement cependant, il adhère ensuite à la ligue des patriotes de Paul Déroulède et est antidreyfusard. Il prône en fait un nationalisme républicain et garde ses distances avec le monarchisme de Maurras. Il s’agit pour lui de « restituer à la France une unité morale, de créer ce qui nous manque depuis la révolution : une conscience nationale ». N’oublions pas qu’en cette fin du XIXe siècle, en ces débuts de IIIe république, la question du régime politique de la France est encore centrale.

Mais il est au fond fédéraliste, partisan de l’attachement aux régions et au local. D’ailleurs, les Déracinés est un roman « décentralisateur » car se méfiant de Paris et de l’uniformisation décidée par la capitale, qui coupe les Français de leurs racines provinciales locales. Il est autant nationaliste lorrain que nationaliste français. Rappelons enfin que Barrès écrit après la guerre de 1870 : c’est un partisan de la revanche sur l’Allemagne. Mort en 1923, il n’a pas connu le nazisme. L’assimiler à ce courant est non seulement anachronique, mais tout simplement faux.

§§§

Pourquoi lire Barrès aujourd’hui ? je notais l’autre jour le vrai clivage actuel, « entre enracinés et déracinés, dans le sillage des intuitions de Barrès et Simone Weil » (La Vigie, n° 116). Écrivant cela, je constatais que je citais l’un des deux sans l’avoir lu. Il fallait réparer cette lacune. Trouvant le volume au fond de ma bibliothèque, je commençais… Ce fut une surprise saisissante.

Voici en effet un roman de grande allure : un style à la Flaubert, des personnages variés, une intrigue multiple et bien tissée. Le lecteur plonge dedans et ne s’en sépare pas, négligeant les autres lecteurs pour avancer dans celle-là, ravi de retrouver les plaisirs de lecture de l’adolescence, quand on dévorait Balzac, Zola, Arsène Lupin ou Jules Romain dans des grandes enfilades de pages tournées compulsivement au cours d’été sans fin.

Les déracinés racontent l’histoire de sept jeunes lycéens de Nancy, aux origines diverses même s’ils sont tous lorrains, qui suivent l’enseignement de leur professeur de philosophie, kantien et républicain, M. Bouteiller. Ce dernier est muté à Paris et les invite à le suivre. Ils montent à Paris où l’on suit leur formation à la vie qu’il s’agisse de leurs expériences amoureuses, de leur initiation politique, de leur insertion professionnelle ou de leurs débats philosophiques et moraux. C’est aussi l’histoire de leur déracinement puisqu’ils abandonnent une part de leur caractère lorrain pour se transformer et, d’une certaine façon, se perdre, dans le maelstrom parisien. Le sujet est au fond très actuel car la critique de la mondialisation s’articule aujourd’hui au clivage entre métropolisation nantie et France périphérique.

Les déracinés est le premier volume d’une trilogie, le Roman de l’énergie nationale. Il fait la transition avec le cycle précédent (Le culte du moi) qui avait permis à Barrès de connaître le succès. Si on voit poindre les thèmes « nationalistes » (la terre et les morts) qui seront la marque de Barrès, le lecteur doit d’abord le lire pour ce qu’il est : Un grand roman, un roman en soi qui se justifie par lui-même, en oubliant la réputation de l’auteur, fût-elle mauvaise.

O. Kempf

Description des cyberagresseurs (sur RFI)

Désolé de mon silence au cours du dernier mois : la rentrée a été chaude, mais chaude... En clair, j'ai été surchargé de boulot. Je ne m'en plains pas... Mais du coup, j'ai dû délaisser quelque peu égéa, avec pourtant plein de trucs à dire et de nouvelles à signaler.

Bon, je passe demain mardi 8 octobre dans l'émission Décryptage, sur RFI (ici), animée par Anne Cantener (photo ci-dessous), de 18h10 à 18h30, pour évoquer les principaux responsables des cyberattaques, à partir du dernier rapport publié par Thalès et Verint (lire ici, très intéressant).

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Le podcast : ici

A demain. J'essaye d'ici une semaine de rattraper toutes les publications en retard.... J'ai plein de choses à vous dire !

O. Kempf

Le cyberespace est-il une zone de non-droit ?

Le dernier numéro de la revue Conflits est consacré à la guerre du droit (informations ici). J'ai l'honneur d'y signer un article sur le droit dans le cyberespace.

O. Kempf

Le nouveau numéro de Conflits est consacré à la guerre du droit. Affaire Alstom, piège américain, amendes imposées à BNP PARIBAS, le droit est plus que jamais une arme de guerre. Une arme de la guerre économique. Et le droit est utilisé par les grandes puissances, notamment les Etats-Unis, pour faire valoir leur ordre du monde et pour s’imposer à leurs alliés et à leurs adversaires.

Le droit entre ainsi dans une configuration plurielle : il y a la question de la fiscalité, qui est une arme géopolitique au service des Etats ; c’est évidemment la question monétaire et en premier lieu le dollar, concurrencé par le renminbi chinois, ainsi que par l’émergence des crypto monnaies. Le droit pose également la question de la guerre et du droit de la guerre, de cette conception militaire qui a été forgée avec le procès de Nuremberg et qui continue aujourd’hui de prévaloir dans un grand nombre de conflits : peut-on intervenir au nom du droit ? Peut-on faire la guerre pour préserver le droit ? Pour rétablir un droit qui a été aboli ? Cela pose aussi la question des différents territoires, notamment l’espace et la mer.

Le droit est ainsi pluriel et dans cette guerre du droit, ce sont deux visions juridiques différentes qui s’opposent, une tradition anglo-saxonne et une tradition romaine ; deux visions géopolitiques qui montrent que les idées sont toujours à la conduite de la géopolitique et façonnent le monde qui est le notre. Nous avons aussi voulu montrer dans ce numéro consacré à la guerre du droit qu’il y a la question de l’outil militaire, la question du cyber espace, et qu’il y a aussi la possibilité de répondre à cette guerre du droit, de l’affronter, afin de la gagner.

Retour sur l'affaire Legrier

L’affaire Legrier a fait à nouveau parler d’elle en ce creux d’été. En effet, le CEMA a été interrogé à son sujet par la commission de la défense de l’Assemblée et il a eu des mots très fermes à ce sujet (voir ici). D’autres commentateurs se sont crus obligés de commenter, le vernis de leur style cachant mal le vide de leur pensée et leur satisfaction de donner des leçons d’élégance morale et de « j’vous l’avais bien dit ».

Or, cette affaire couvre quatre dimensions, mal isolées par les commentateurs qui confondent souvent tout : Communication, commandement, stratégie et géopolitique sont ainsi les axes de l’affaire (sans même parler de la notion de liberté d’expression, victime collatérale de l’affaire, comme si on n’avait rien appris : mais elle vaudrait à elle seule un développement et elle a déjà été abordée dans ce blog : laissons-la de côté pour l’instant.

Commandement : c’est le principal argument du CEMA et on ne peut ici que lui donner raison. En effet, le colonel Legrier a publié son texte alors qu’il était encore en train de commander son bataillon en opération. Cela pose problème vis-à-vis de ses hommes (ce que relève le CEMA) mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie : faut-il rappeler que le commandement consiste dans un double « dialogue » : du haut vers le bas (les ordres) et du bas vers le haut (le compte-rendu). Or, le colonel Legrier a fait part publiquement de ses impressions avant même d’avoir rendu compte (et donc écouté les arguments contraires de sa hiérarchie.

Accessoirement, la prudence et la maturation imposent un certain temps de latence entre une opération et son analyse. Quiconque a été en Opex sait qu’on s’y agace de beaucoup de choses, que les relations humaines ne sont pas toujours simples, que la tension et la fatigue altèrent le jugement. Aussi n’est-ce pas un hasard si les analyses sont publiées après l’opération, pour permettre au temps de faire son œuvre et au cerveau de décanter, ruminer et produire l’essentiel. C’est ainsi pour ma part que j’ai procédé et que font la plupart des auteurs que je connais qui s’essaient à dégager les leçons qu’ils ont apprises de leur opération : le processus est indispensable et d’ailleurs, distinct du processus codifié du Retour d’expérience, tel qu’il est pratiqué dans nos armées.

Communication : L’accumulation d’erreurs en la matière est confondante : d’une part, la publication de l’article par la revue est maladroite car la RDN aurait dû noter cette question du commandement. Un article publié un mois plus tard, l’affaire aurait été différente. Ensuite, la réaction du cabinet (on ne sait d’ailleurs plus très bien de quel cabinet il s’agit : celui de la ministre, celui du CEMA ?). Demander le retrait d’un article (surtout quand il y a une version imprimée) à l’heure du numérique, c’est immanquablement susciter un effet Streisand, ce qui n’a pas manqué : outre les grands médias nationaux, le Washington Post, le New York Times, Reuters, Sputnik et Al Jazeera ont signalé l’article et analysé la question soulevée. Accessoirement, cela a démenti les propos du CEMA incitant les officiers à écrire et penser, ce qui est une de ses profondes convictions : il a dû entrer dans une casuistique désagréable et tirer des bords pour expliquer dans quel cas ceci dans quel cas cela. La question revient d’ailleurs trois mois plus tard avec cette audition parlementaire où on le sent très agacé au moins autant par le colonel Legrier que par la rémanence de l’affaire.

Stratégie : Là, pour le coup, le débat est ouvert. J’ai entendu un certain nombre de commentateurs évacuer d’un revers de main les arguments du colonel Legrier. J’en ai entendu d’autres, au moins aussi avisés (et en général, plus avertis des affaires stratégiques que les premiers), dire qu’il y avait au moins débat. Ce n’est pas un hasard si le CEMAT belge a diffusé le texte aux officiers de son état-major (ici). Car il y a matière à réflexion. Tout d’abord parce que je ne suis pas persuadé qu’on a autant gagné que ça contre les djihadistes. Ne soyons pas désagréables, n’évoquons pas Barkhane et restons au Moyen-Orient. Sommes-nous si persuadés d’avoir trouvé la bonne méthode face aux Djihadistes ? Sont-ils effectivement éradiqués d’Irak (sans même parler de la Syrie) ? Autrement dit, la stratégie adoptée notamment sous direction américaine a-t-elle été convaincante ?

Tentons de la résumer : beaucoup d’appui feu à des troupes au sol qui combattent par procuration (des proxies), un peu aidées par quelques forces spéciales. Cela a permis d’obtenir des effets sur le terrain, incontestablement et après beaucoup d’efforts, l’Etat Islamique a été chassé de Mossoul et du nord de l’Irak. Mais ce succès est-il durable ? si l’on observe d’autres théâtres (Afghanistan, BSS), il est permis d’en douter. Car au fond, on fait la guerre loin des populations, laissant à d’autres le soin d’aller constater les dégâts au sol, sans trop se préoccuper du volume de ces dégâts. ON est donc très loin de la guerre « au milieu des populations » dont on nous expliquait hier qu’elle caractérisait une approche française, distincte de l’approche américaine. Au fond, telle est la question : y a-t-il encore une approche française de la guerre ?

Par ailleurs, Le débat de l’appui feu renoue avec celui initié, entre les deux guerres, par Giulio Douhet. Celui-ci prétendait que l’arme aérienne allait constituer l’arme fatale, celle qui allait décider du cours des batailles par l’intensité du feu déployé. On sait, près d’un siècle plus tard, qu’il s’agit d’une illusion (pas tout à fait : seule l’arme nucléaire a obtenu ce pouvoir d’anéantissement et d’effroi qui a modifié la stratégie ) ; pour le reste, on demeure dans la guerre dite conventionnelle où l’accumulation d’armes complique la guerre mais ne résout pas l’affrontement premier entre deux camps, le fameux duel de Clausewitz. L’appui feu est un appui, voici ce que rappelle le colonel Legrier : il appuie une force au sol qui va risquer l’essentiel pour prendre l’ascendant moral sur l’ennemi. Observons que ce débat est aussi celui des drones et demain de la robotique de bataille. Autant dire que ce n’est pas un débat aussi anodin que d’aucuns l’ont affirmé.

On peut ici s’interroger sur l’intervention russe en Syrie : là encore, quelques milliers d’hommes et beaucoup d’appui feu : au fond, le même schéma que les Américains. Le résultat global est finalement assez proche de celui obtenu par les Etats-Unis en Irak. Dans les deux cas, on n’a pas l’impression que le gouvernement en place maîtrise pleinement le pays ni que la guerre soit pleinement gagnée (les combats actuels autour de la poche d’Idlib l’illustrent assez bien). De même, la résolution politique de la guerre semble très imprécise. En fait, il semble bien que des puissances d’intervention en opération extérieure n’aient guère le choix : comment concentrer les efforts pour peser tout en conservant une économie de moyens nécessitée par l’enjeu relatif, au vu de l’intérêt national ? Telle est la question posée à des pays aussi différents que la Russie, les Etats-Unis ou la France. L’appui feu semble ici constituer une option raisonnable, même si on sait qu’elle ne résout pas tout. La question stratégique complémentaire devient donc la suivante : comment compléter un appui feu pour transformer des succès militaires localisés en une réussite politique ?

Géopolitique : Voici enfin la dernière question, sous-jacente et qui a probablement provoqué l’ire de beaucoup. Au fond, que faisons-nous au Moyen-Orient ? En Irak, nous sommes appelés par un gouvernement légal et l’aidons à faire la guerre à des rebelles (qui se trouvent être aussi nos ennemis, du moins les désignons-nous comme tels). Nous suivons pour cela une direction américaine où, avec des moyens minimes, nous réalisons de belles performances, laissant logiquement la direction stratégique à nos alliés : Ce n’est pas avec 3% ou 5 % des forces que l’on peut réellement peser sur une stratégie ! Il est donc logique que nous soyons en retrait et qu’il n’y ait donc guère d’autonomie stratégique (mais opérative), ce que semble regretter le colonel Legrier.

Mais un autre débat sous-tend l’affaire : celui de notre présence en Syrie. Force est de constater que la ligne française a particulièrement été maladroite ces dernières années. Qu’on a assisté à un retour à une discrétion de bon aloi ces derniers mois, ce dont il faut se féliciter. Que cependant, nous intervenons en Syrie dans un cadre légal douteux car je n’ai pas entendu dire que le gouvernement légal de Damas (celui qui tient le siège de la Syrie aux Nations-Unies) ait demandé notre venue, y compris contre l’Etat Islamique. De même, l’argument de nos alliés kurdes combattant au sol pose évidemment problème : s’agit-il de combattants « réguliers » avec qui nous aurions passé une alliance ?

Pour conclure : le texte du colonel Legrier pose évidemment beaucoup de vraies questions. Il ne s’agit pas de les évacuer sous des prétextes de forme, même s’il y a eu, reconnaissons-le, beaucoup de maladresses. C’est bien parce que nous les avons pointées que nous pensons pouvoir aller au-delà, à l’essentiel, aux points soulevés par le colonel Legrier. L’heure doit désormais être au débat serein.

O. Kempf

Boris Johnson est-il l'homme de la situation ?

Hier, la Deutsche Welle m'a itnerviewé à propos de l'arrivé de Boris Johnson à la primature britannique. Vous trouverez ici l’enregistrement audio de cet entretien.

ICI

O. Kempf

Les Chrétiens dans Al-Andalus (R. Sanchez Saus)

Cet ouvrage est étonnant : j'avais commencé à le feuilleter et je suis tombé dedans, tant il ouvre beaucoup d'horizons et remet des pendules à l'heure. Disons tout de suite que je connais bien mal la géopolitique et l'histoire de l'Espagne et que simultanément, je méfie de beaucoup de propos sur l'islam, tant la plupart me paraissent biaisés : cela fait partie des sujets que l'on peut très difficilement aborder sereinement sans verser dans une approche idéologique.

Ce préambule est nécessaire car il précise d'où je pars : comme beaucoup, j'en étais resté à une vision un peu idyllique de l'al-Andalus musulmane. Bien sûr, les palais de l’Alhambra à Grenade font partie de ce récit mirifique et il est vrai que cette acropole méridionale, tout comme la grande mosquée de Cordoue, manifestent une civilisation raffinée et digne d'estime. C'est pourquoi j'écoutais aussi le discours sur la chrétienté mozarabe, qui aurait été le modèle d'une coexistence harmonieuse entre musulmans et chrétiens dans un régime médiéval : cela démentissait beaucoup de discours sur l'oppression islamique.

Or, ce discours répandu et partagé constitue probablement une construction géopolitique récente car les choses ne se sont pas passées comme cela : c'est tout l'intérêt de ce livre de nous en dresser minutieusement la chronique, avec beaucoup d'érudition. On apprend ainsi que les conquérants étaient beaucoup moins unifiés qu'on se le représente (avec notamment de profondes hostilités entre les Berbères et les Arabes), que le statut de Dhimmi est allé en s'aggravant et que du coup, l'opression sous ses formes les plus diverses aidant, il y a eu un double processus d'assimilation des populations chrétiennes prévalentes, soit par conversion directe, soit par acculturation des Mozarabes.

De même, la chrétienté wisigothique paraît avoir été très divisée ce qui explique probablement non seulement la défaite face au conquérants mais aussi, peut-être, le manque de solidité par éloignement du reste de l'Eglise. On notera d'ailleurs, à la lecture du livre, que les Musulmans d'al-Andalus se sentent eux-mêmes sur une île, à l'autre bout du monde et très éloignés des centres de pouvoir musulmans de l'époque. Au fond, la péninsule est loin des uns et des autres. Comme le dit l'auteur (p. 469), Al Andalus a été tout le temps pétrie de contradictions, entre une soi-disant origine arabe magnifiée et une réalité berbère méprisée et pourtant nécessaire, renforçant le sentiment d'insularité.

D'ailleurs, la reconquête n'interviendra que quand les royaumes du Nord auront rebâti une structure idéologique avec l'appui notamment des clunisiens et des Français, à partir du XIè siècle.. Au fond, ils réussiront à créer une alternative idéologique (réforme grégorienne, féodalité et croisades) nouvelle et non pas à tenter de reprendre une rénovation wisigothique. C'est sous ces conditions qu'ils pourront reprendre la totalité de l'Hispanie.

Au passage, voyons l'évolution des noms : nous avions une Ibérie romaine, puis une Al-Andalus (déformation du mot Atlantide !) et enfin une Hispanie qui donnera notre Espagne.

Mais au-delà de ces précisions historiques qui permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé, l'enjeu consiste bien évidemment à déterminer l'identité espagnole. Je sais qu'il faut faire attention à ce mot mais le débat a pris de nos jours une acuité importante à travers l'Europe, puisqu'il s'agit du rapport à l'Autre et des notions associées et contradictoires de multiculturalisme, d'assimilation, de métissage, etc. Dans le cas de l'Espagne, la question a deux traits particuliers : la virulence de l'expression mais aussi l'ancienneté de ce processus. Car au fond, le débat consiste à fixer de quand date l’Espagne ? Du tournant de ce siècle (monarchies constitutionnelles du XIXé s.) ou du fin fond du Moyen-Âge ? Autre risque sous-jacent : critiquer al-Andalus reviendrait à critiquer l'islam... Ce n'est pas anodin puisqu'une partie de l'université espagnole refuse de parler de Reconquista.

Ainsi, il y a beaucoup de mythes et d'idéologies portés par cette question d'al-Andalus et de sa soi-disant tolérance. Constatons qu'elle n'a pas eu lieu, ce qui n'empêche pas qu'elle a des trésors architecturaux qui enchantent encore aujourd’hui le visiteur. Ce n'est pas le premier régime tyrannique qui a laissé de beaux bâtiments. Relever la tyrannie ne signifie pas que "tout était mal" ni non plus que "tout était bien" chez ceux qui ont remplacé les califes de Cordoue. Simplement qu'il est temps de faire oeuvre d'historien en se dégageant des subjectivités idéologiques du temps.

Ce livre y contribue.

Rafael Sanchez Saus, Les Chrétiens dans al-Andalus, de la soumission à l’anéantissement, éditions du Rocher, 527 pages, 24 €.

O. Kempf

Quel projet pour l'UE ? (parution)

Heureux d’annoncer la parution d’un ouvrage auquel j'ai contribué, ayant proposé un texte sur “L’évolution de l’OTAN : des fins de l’Alliance à la fin de l’Alliance“. Vous trouverez ci-dessous les détails de cet ouvrage et de ses nombreux contributeurs.

QUEL PROJET DEMAIN POUR L’UNION EUROPÉENNE D’AUJOURD’HUI ?

Sous la direction de Pierre Pascallon

« Notre monde est-il au bord du gouffre ? » On a pu montrer que le monde des années 2010-2015 n’était plus celui de « la mondialisation heureuse » (A. Minc) marqué par « la fin de l’Histoire » (F. Fukuyama), mais le monde d’une « mondialisation dure ». Force est de reconnaître que ces dernières années ont confirmé ce désordre grandissant : on en vient à parler de « l’affolement du monde » (Th. Gomart). On ne s’étonnera donc pas qu’à l’heure du redéploiement des cartes de la puissance mondiale, l’Union européenne nous montre aujourd’hui le visage d’un vieux continent en plein doute qui doit à nouveau s’interroger sur ses contenus et finalités, à l’horizon 2030-35.

Ont contribué à cet ouvrage : Ludmila CHERENKO, le général (2S) Etienne COPEL, l’Amiral (2S) Jean DUFOURQ, le Recteur Gérard-François DUMONT, Jean-Claude EMPEREUR, Jean-Marc FERRY, le général (2S) Gilles GALLET, Thierry GARCIN, Pascale JOANNIN, Philippe MOREAU-DEFARGES, le général (2S) Olivier KEMPF, Hartmut MARHOLD, Sylvie MATELLY, Jacques MYARD, Pierre PASCALLON, Charles SAINT-PROT, Jacques SAPIR, Irnério SEMINATORE, Hans STARK, Pierre-Emmanuel THOMANN, Alexandre VAUTRAVERS, le Recteur Charles ZORGBIBE.

Pierre Pascallon est professeur agrégé de faculté. Ancien parlementaire, il anime depuis une vingtaine d’années le Club Participation et Progrès, structure de rencontre ouverte et reconnue dans le paysage français des organismes et des institutions s’ intéressant aux questions de défense et aux problèmes géo-stratégiques.

Avant-propos Introduction générale : l’Europe d’hier à aujourd’hui Partie I : le projet demain, à l’horizon 2030-2035, d’une Union européenne rebâtie dans un vaste ensemble euro-atlantiste I.1) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain, d’un vaste ensemble euro-atlantiste : présentation I.2) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain à l’horizon 2030-2035, d’un vaste ensemble euro-atlantiste : débat Partie II : le projet demain, à l’horizon 2030-2035, d’une Union européenne recentrée sur un petit noyau fédéral ouest-européen II.1) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain, d’un petit noyau fédéral ouest-européen : présentation II.2) Le projet d’Union européenne dans le cadre, demain, d’un petit noyau fédéral ouest-européen : débat

Pour une prélecture : cliquez ici

Le site de l’Harmattan avec lien direct vers l’ouvrage : cliquez ici

Broché – format : 15,5 x 24 cm ISBN : 978-2-343-17407-5 • 12 avril 2019 • 286 pages

Chercheur associé à la FRS

La Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) m'a fait le très grand honneur de m'accueillir comme chercheur associé. J'y traiterai surtout des questions de cyber mais aussi d'intelligence artificielle et reviendrai vous raconter, en temps utile, les quelques projets que l'on a dans nos cartables.

Lien vers la page de présentation.

O. Kempf

IA, explicabilité et défense

Près d'un mois sans avoir publié sur ce blog, et je m'en excuse. Pour vous récompenser, l'annonce d'un article paru dans un excellent numéro spécial Intelligence Artificielle, dans la Revue Défense Nationale du mois de mai (n° 80). Il s'intitule"IA, explicabilité et défense" (ici). Je l'ai co-écrit avec Eloïse Berthier, jeune Polytechnicienne, actuellement en thèse d'IA....

Résumé : L’IA est une réalité déjà ancienne mais son champ d’emploi ne cesse de s’élargir et accapare des domaines nouveaux, en particulier pour la défense. L’IA est polymorphe et se retrouve confrontée à un problème d’explicabilité. Pourquoi et comment sont les questions qui se posent pour les applications liées au contexte militaire ?

Abstract : AI is in itself old news but its fields of application never cease to expand and capture new ones, particularly in the defence domain. AI takes on many forms and faces a problem of how it should be described. Why? and how? are the questions to be asked about those applications with a military connection.

Premières lignes ci-dessous.

L’intelligence artificielle (IA) est le concept « numérique » dont on parle le plus depuis ces derniers mois. Les grands noms (Elon Musk, Stephen Hawking) s’en émeuvent, les publicistes en vogue écrivent des livres dessus (Luc Ferry, Laurent Alexandre), le gouvernement appelle une médaille Fields pour écrire un rapport sur le sujet (rapport Villani) : autant dire que tout le monde a entendu parler d’IA, sous les atours les plus flatteurs et les plus inquiétants, d’ailleurs pour la même raison : ce serait capable de tout faire mieux que l’humain.

Il faut bien sûr raison garder et se méfier de ces modes qui animent régulièrement le débat public. Observons au passage qu’il s’agit là d’une résurgence (avec d’autres mots) d’un débat très ancien sur le progrès et son rôle dans nos sociétés humaines : le mythe de Prométhée est antique, lui qui vola le savoir divin pour le donner aux hommes. La tension entre le savoir et la connaissance (voire la sagesse) est une question philosophique classique qui trouve ici de nouveaux atours. Ajoutons le mythe de la créature qui prend le pas sur son créateur : là encore, de Pygmalion à Frankenstein puis Dr Jekyll et Mr Hyde, l’humanité a construit beaucoup de modèles inquiétants : sait-on d’ailleurs que Mary Shelley sous-titra son roman « Le Prométhée moderne » ?

La suite à lire dans la RDN

O. Kempf

Transformation digitale : une interview

Le London Speaker Bureau m'a demandé une interview à la fois sur les questions de cyber et de transformation digitale: il était intéressant de relier les deux, c'est si rare. Lien ici, interview ci-dessous.

La chaîne hôtelière Marriott a été récemment victime d’une attaque de piratage qui a causé le vol d’un fichier informatique contenant les données personnelles de 500 millions de clients. Les affaires de piratage informatique à grande échelle font régulièrement la une des journaux. Sommes-nous réellement en mesure de contrer ces cyberattaques ? Sont-elles destinées à s’intensifier ?

Oui, on observe un double phénomène : celui de l’augmentation du nombre d’attaques, mais aussi celui de leur effet puisqu’à la fois elles sont plus évoluées et elles touchent des cibles toujours plus grandes. Malgré leur discrétion, comme la régulation oblige (notamment en Europe) à déclarer ses incidents, notamment touchant les données personnelles, le sujet devient plus visible. Ce qui était autrefois un « secret de famille » devient de notoriété publique, accélérant (heureusement) la prise de conscience du problème. La question de la transformation digitale est aujourd’hui omniprésente dans notre société. Quid de la cybersécurité ? Pensez-vous qu’il y ait une réelle prise de conscience des failles informatiques existantes ?

En fait, la transformation digitale amène toutes les entreprises et organisations à prendre conscience du rôle de leurs données. Pas seulement les données personnelles, mais toutes les données de l’entreprise, ce qui provoque la modification des modèles d’affaire (c’est bien pour cela qu’on parle de transformation). Une des questions collatérales est celle de la maîtrise de la donnée, donc de la protection des données de l’entreprise. De ce point de vue, il y a encore un effort de pédagogie à faire pour que la sécurité des systèmes ne soit pas seulement un problème de spécialistes (le RSSI, la DSI) mais intéresse aussi les autres directions, notamment production, marketing ou finances, qui s’intéressent désormais à la transformation digitale. Bref, l’objectif consiste à conjuguer deux cultures, dans un contexte déstabilisant. Ce n’est à l’évidence pas simple.

Les organisations gouvernementales sont-elles en mesure de faire face aux menaces à la cybersécurité au même titre que les grandes entreprises ou existe-il une course à deux vitesses ?

La différence ne tient pas tellement au secteur (public ou privé) mais plutôt à la taille. J’observe que tous les grands comptes ont des approches très matures et professionnelles, que les organisations de taille intermédiaire se sont saisies du problème mais font évidemment face à une question de moyens, que les petites organisations (par exemple petites villes ou PME) sont souvent désarmées. Mais quelle que soit la taille, tout le monde fait face à une course aux armements, due à l’augmentation de la menace évoquée dans la première question. Des dispositifs existants aujourd’hui auraient été considérés idéaux il y a dix ans et doivent être pourtant améliorés encore et encore…

Vous intervenez en tant que consultant en France et à l’étranger. Selon vous, quelle est la position de la France en termes de compétences en cybersécurité par rapport au reste du monde ?

Sans forfanterie, très bonne. Si on fait la comparaison avec le football, la France fait partie de la première ligue, même si elle ne joue pas le titre, seulement une place européenne. Il y a une véritable prise de conscience et de vrais experts mais évidemment, une limite de ressources, tant financières qu’humaines. Cela étant, la mobilisation des compétences existantes est de bonne qualité et permet à la France de survaloriser ses atouts comparatifs. C’est évidemment en Europe où elle est située en deuxième position, voir première. À l’échelle du monde, on ne se compare évidemment pas aux États-Unis ou à la Chine.

Pouvez-vous nous en dire plus quant au déroulement du processus de transformation numérique de l’armée de Terre ? Quels ont-été les principaux défis auxquels vous avez dû faire face au cours de cette mutation ?

Je me dois de rester discret, ne serait-ce que parce que je ne suis plus aux affaires ! Paradoxalement, une grande facilité a été d’avoir une page blanche et surtout le soutien du numéro un de l’armée de Terre. Du coup, cela aide à vaincre les scepticismes. Car la transformation consiste d’abord à changer les esprits, avant d’être une question de moyens. Bref, il a fallu mener un grand travail de définition du sujet, de conviction, d’identification des premiers projets éclaireurs qui ont permis de répondre à des questions pendantes ; puis de commencer à trouver des relais pour que ce ne soit plus une affaire de petite équipe.

Aujourd’hui, deux projets notamment permettent de répondre aux besoins de l’usager (dans l’armée, c’est le militaire du rang et le cadre de contact) : milistore (une sorte de magasins d’appli dédiées et sécurisées accessibles à partir de mobiles civils) et une appli de gestion des livrets d’instruction, sur l’intranet protégé du Ministère, destiné aux chefs de section. Il demeure deux grands défis (mes successeurs y travaillent) : poursuivre l’articulation avec les besoins de cybersécurité (j’étais également responsable de la politique de cyberdéfense de l’armée de Terre, cela a aidé à conjuguer deux approches en apparence opposées) ; mais aussi « passer à l’échelle », ce qui pose des questions techniques et financières, mais aussi de changement de mentalité et, à terme, de modification de la façon de travailler.

La course à l’innovation s’intensifie et les nouvelles technologies se renouvellent sans cesse. La digitalisation est-il un processus sans fin ?

Oui. La révolution informatique que nous connaissons a débuté il y a une quarantaine d’années avec plusieurs vagues. La première fut celle de l’ordinateur individuel, le PC, au milieu des années 1980. Deuxième vague avec la connexion à Internet, à partir du milieu des années 1990. Puis il y a eu le phénomène 2.0, où l’individu est passé de la consommation de données à la production de données. Puis à la fin des années 2000, il y a eu la prise de conscience de la menace cyber et simultanément l’arrivée de l’IPhone (et la 3G). Ce que nous connaissons depuis cinq ans, la transformation numérique, n’est finalement que la dernière vague de cette révolution, avec l’infonuagique, le Big Data, l’IA, la robotique, la virtualisation…

Cette dernière vague n’est certainement pas la dernière. On ne sait pas quelle sera la prochaine : blockchain, informatique quantique, autre chose ??? Mais on n’a pas fini de bouger, de découvrir, de s’adapter, de changer… La stabilité est une illusion.

Quels sont les leaders qui vous inspirent et pourquoi ?

Je ne vais pas vous citer un héros de la tech, mais plutôt un héros militaire : Leclerc. Ce type-là entre dans la Seconde Guerre mondiale comme capitaine, il en sort général ! Un destin comme au cours des guerres napoléoniennes, un talent fou, et surtout une immense qualité, fondamentale à l’époque mais aussi aujourd’hui : l’initiative. De Gaulle disait de lui : « il a obéi à tous mes ordres, même ceux que je ne lui ai pas donnés ». Autrement dit, il comprenait l’intention de son chef et savait décider au vu des circonstances, dans l’incertitude, assumant donc le risque inhérent à tout destin humain.

C’est une qualité indispensable en temps de transformation ; malheureusement, elle est mal valorisée par les organisations complexes alors qu’elle devient de plus en plus indispensable.

Quelle est votre « citation » favorite ?

« Dux in altium » : avance au large !

La dalle rouge

Les BD politiques sont un genre difficile. Trop souvent en effet elles récitent une vision de l’histoire ou des événements qui est partiale, puisqu’au service d’une lecture et donc d’un parti-pris. Bref, on y voit rarement de nuances ou d’ambiguïté. Aussi sont-elles souvent décevantes. Tel n’est pas le cas de cet album – à ma surprise, confessons-le.

En effet, tout part de deux auteurs de BD (Thomas Kotlarek et Jef) qui constatent une perte généralisée de sens et du détricotage de structures sociales. Ecoutant Michel Onfray, ils le contactent et celui-ci répond favorablement à leur projet, qui est donc initié avant le début du mouvement des Gilets Jaunes.

C’est d’ailleurs ce qui rend l’album si intéressant. Voici en effet le premier tome d’une pentalogie qui nous emmènera jusqu’à notre environnement. Mais si l’action se passe au présent, les quatre premiers tomes sont organisés en flash-back, d’où le nom de la série « Une histoire de France ».

Le premier tome dont il est question s’organise autour de l’arrestation d’un vidéaste de 30 ans qui a filmé, par hasard et avec un drone, un attentat s’étant déroulé à Lyon. Comme il est anarchiste et que la vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux, on le soupçonne de complicité et il est arrêté, son nom étant soumis à la vindicte populaire. Le volume raconte les efforts de son avocat pour trouver des éléments le disculpant, en allant notamment voir ses grands-parents. Or, ceux-ci ont été des résistants pendant la Deuxième Guerre mondiale.

C’est ici que le livre est le plus convaincant. D’abord, parce que les personnages ne sont pas caricaturaux et que les fêlures, les hésitations, les paradoxes se font jour. On est donc loin de l’habituel tableau de la période où tout est en blanc et noir. Cela est vrai de l’époque, mais aussi des personnages du monde actuel, à l’image de l’avocat, habitué des codes parisiens contemporains, au-delà du germano-pratisme et du boboisme qui relativisent tout en assénant pourtant des hectolitres de moraline : peu à peu, on le sent évoluer. C’est enfin vrai de la résistance telle qu’elle est évoquée, une résistance lyonnaise qui n’est pas celle bien connue de Jean Moulin, mais de la galerie Folklore, autour de personnages comme René Leynaud, Jean Martin, Marcel Michaux et avec la présence d’un Albert Camus qu’on ne savait pas avoir été en ces lieux.

Le dessin est intéressant, travaillé avec pourtant une volonté de ligne claire. J’ai apprécié la composition des scènes. Le rendu des visages est assez déroutant mais convainc peu à peu, notamment dans le très bon travail de rendu des visages à 50 ans d’écart : reconnaître le visage de la fraiche jeune fille dans celui de la grand-mère ridée (idem pour le personnage masculin) constitue une prouesse de dessin rarement vue et ici très bien rendue.

Bref, je me méfiais un peu et en refermant le livre, je suis convaincu. Belle histoire, assez subtile, qui anime une vraie BD et non pas un pamphlet militant.

La dalle rouge, éditions du Lombard.

Vers l'avis de décès de l'Alliance ?

Le dernier numéro de la RDN vient de paraître, avec un beau dossier sur "Relancer la défense de l'Europe" (ici).

J'y signe un article sur "Vers un avis de décès de 'Alliance ?" (ici pour l'aperçu et l'achat). Ci-dessous, les premières lignes... L'Alliance tient sa légitimité et sa crédibilité du lien transatlantique fort entre les Etats-Unis et l'Europe, celle-ci ayant sous-traité sa sécurité à Washington. Or, cette situation stratégiquement confortable est remise en cause par Donald Trump, dont l'intérêt pour l'Europe reste limité et qui s'interroge sur l'utilité de l'Otan.

The legitimacy and credibility of NATO stems from the strong transatlantic link between the United States and Europe, the latter having sub-contracted its security to Washington. Yet this strategically comfortable situation has been called into question by Donald Trump, whose interest in Europe is somewhat limited and who questions the usefulness of NATO.

Les récentes déclarations de Donald Trump, début janvier, ont sonné le tocsin auprès de tous les atlantistes : ainsi, le Président américain continuerait d’envisager de se retirer de l’Alliance atlantique ? Il ne s’agit pas simplement d’une des nombreuses crises d’adaptation de l’Alliance : elles portaient sur l’efficacité. Désormais, la question est celle de la nécessité de l’Alliance – et cela change tout, car l’impensable est devenu une option sur la table.

En effet, les raisons traditionnelles de l’Alliance sont aujourd’hui moins assurées que par le passé. Or, un retrait américain signifierait la fin de l’Alliance. Le seul fait d’énoncer cette possibilité constitue une nouveauté stratégique unique dans l’histoire de l’Alliance.

Sans revenir sur les nombreuses anicroches de la dernière décennie, qu’il s’agisse de la remise en cause de l’ordre occidental du monde, la crise financière de 2008, les affaires ukrainienne ou syrienne, la question des attentats terroristes en Europe, la question des réfugiés, l’Alliance a dû faire face à deux questions politiques majeures : le Brexit et la question turque. Pourtant la déclaration américaine constitue une menace d’une autre nature.

Monuments aux morts

Aujourd'hui il y a des monuments aux morts. Avant, c'étaient des arcs de triomphe...

L'hommage a changé.

Je me faisais ma réflexion du changement de perspective. Rendu visible après la 1ère Guerre mondiale, mais décelable dès la guerre de 1870 avec les premiers monuments aux morts .

Au 19eme siècle, on marqué les batailles de Napoléon, notamment pendant la campagne de France de 1814, et surtout on bâtit l'arc de triomphe de l'étoile vers 1836, donc longtemps après sa mort. C'est le dernier arc de triomphe, alors que les Romains avaient lancé la vogue.

Depuis le 20eme siècle, on ne construit comme monuments commémoratifs que des monuments funéraires, peu importe l'issue de la bataille, victoire ou défaite.

D’ailleurs, un intéressant transfert a eu lieu lorsqu'on plaça le soldat inconnu sous la voûte de l'arc de triomphe de l'étoile.

Plus d'attention aux hommes, moins au succès politique. Effet de la République, d'ailleurs ? Mouvement du temps, plus porté vers l'individu ? Je ne sais....

NB : savez vous qu'il y a quatre arcs de triomphe à Paris : voir ici (source photo d'illustration).

O. Kempf

Le cyber est il un objet des relations internationales ?

Ja participerai samedi 13 avril à la Journée de la Diplomatie, organisée par l'association des politistes de la Sorbonne. J'y évoquerai (de 15h00 à 16h00) le sujet suivant : Le cyber est-il un objet des relations internationales ?

S'inscrire pour venir. Tous les détails ici

Programme ci-dessous

// JOURNÉE DE LA DIPLOMATIE - 3ÈME ÉDITION \\

Vous êtes curieux et intéressé par la diplomatie et les relations internationales ? Pour tous les étudiants désireux de mieux comprendre les enjeux de notre monde actuel, les Politistes Sorbonne, en partenariat avec le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, vous invitent à la Journée de la Diplomatie pour sa 3ème édition ! Celle-ci se déroulera le Samedi 13 Avril 2019 de 14h à 18h dans le cadre du programme Quai d’Orsay Hors les Murs. #JDLD

Le programme de l’après-midi :

14h-15h : Conférence Introductive : « Déclin des États, remise en cause de l’ONU, réchauffement climatique… Sommes-nous prêts à entrer dans le nouveau monde ? »

15h15-16h : Deux tables rondes simultanées : « Le cyber est-il un objet des relations internationales ? » « Les relations France-Venezuela dans un contexte de crise économique et politique »

16h15-17h : Deux tables rondes simultanées : « Trois ans après la COP21, une diplomatie verte comme facteur de rassemblement mondial? » « La présence française dans l'Indo-Pacifique et ses enjeux : l'exemple de l'Australie »

Vous pourrez alors échanger directement avec nos intervenants, soit des diplomates ou des chercheurs.

Droits humains et armements (UCO angers)

Je participerai à une master class organisée par l'UCO d'Angers (facultés Théologie/Humanités) dans le cadre du groupe de recherches International network on Peace Studies (Réseau FIUC - Fédération internationale des universités catholiques) avec le soutien de la Chaire Pax Christi France.

Son titre : DROITS HUMAINS ET ARMEMENTS : VERS DE NOUVEAUX DÉFIS ÉTHIQUES (détails)

27-29 mars 2019 amphi Bedouelle | UCO 3 place André Leroy à Angers Inscription angers.uco.fr

Je suis à la troisième journée (demain vendredi) dont voici le programme :

3ème journée - "Nouvelles" armes : cyber et robotique militaire - Matinée | Amphi Bedouelle – Bât. Jeanneteau

9h - 10h | CONFÉRENCE D’OUVERTURE

  • • Brice Erbland (Cabinet du Chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Jacques Bordé (Vice-président Pugwash France) : Science et technologie – Utilisations militaires ou pacifiques

10h - 11h | TABLE RONDE 1 : Nouvelles technologies et systèmes d’armes Présidence - François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

  • • Éric Pomes (Juriste, Institut catholique d’Études supérieures - ICES)
  • • Thierry Lorho et Valérie Fert (Mileva) - L’intelligence artificielle
  • • Stéphane Giron (CNAM) - Nouvelles armes et nouvelles technologies
  • • Général Olivier Kempf (G2S) - Les perspectives de cyber-guerre ; nouvel espace de guerre – attaques sur les systèmes d’information

11h – 12h | TABLE RONDE 2 : Discussion : Éthique des conflits et de l’usage des armes Présidence - Marc Finaud (GCSP)

  • • Nadia Elena Vacaru (Faculté de Théologie, Université de Laval)
  • • Hélène Tessier (École d’Études de conflit, Université Saint-Paul)
  • • Philippe Frin (Consultant en droit international, spécialiste des conflits armés)
  • • François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

12h-12h30 | CLÔTURE •* Monseigneur Marc Stenger (Président Pax Christi France) : Conclusions

  • • François Mabille et Dominique Coatanea : Remerciements et lecture du texte du Recteur
  • Vincenzo Buonomo, Université Pontificale Latran
  • • Marc Finaud et Pierre Gueydier : Synthèse

Des fins de l'alliance à la fin de l'alliance ?

Viens de paraître, dans le dernier "Cahiers de l'IDRP", un de mes derniers articles sur l'Alliance atlantique, à la suite notamment des dernières sorties de Trump au début de l'année. Cela s'intitule :

Des fins de l'alliance à la fin de l'alliance ?

Je le reproduis ci-dessous (10 pages quand même).

O. kempf

Des fins de l’Alliance à la fin de l’Alliance ?

Fin de l’Alliance : deux questions se cachent sous cette expression. Celle de la finalité de l’Alliance atlantique, celle également de sa disparition. Or, il faut répondre à la première question pour pouvoir répondre à la seconde. La grande nouveauté tient à ce que plus que jamais, pour la première fois peut-être, il faille poser sérieusement ces questions. Souvent, les apprentis chercheurs intitulent un de leurs premiers articles en disant du sujet qu’il est « à la croisée des chemins ». Cela permet à la fois de problématiser leur texte mais aussi d’en manifester la supposée importance. Ce tic de langage fait sourire avec indulgence les auteurs plus chevronnés. Il est pourtant aujourd’hui pertinent pour décrire l’Alliance atlantique et les défis auxquels elle est confrontée.

En effet, les raisons traditionnelles de l’Alliance sont aujourd’hui moins assurées que par le passé. L’ordre occidental du monde est remis en cause et les voisinages européens, à l’est ou au sud, peinent à justifier pleinement l’Alliance. Les craquements s’accumulent (Brexit, question turque) ; surtout, Donald Trump semble tout sauf convaincu de la nécessité de l’Alliance. Or, un retrait américain signifierait la fin de celle-ci. Le seul fait d’énoncer cette possibilité constitue une nouveauté stratégique unique dans l’histoire de l’Alliance.

L’ordre occidental du monde

Celle-ci, nous l’avons suffisamment écrit par ailleurs , perpétuait un héritage. Ce fut sa fonction au cours de l’après-Guerre froide, décidée finalement très tôt, dès 1991-1992, sans d’ailleurs que la nouvelle finalité fût énoncée avec précision. On savait que pendant la Guerre froide, l’Alliance servait à « exclure les Soviétiques, inclure les Américains et soumettre les Allemands », selon le mot du premier secrétaire général, lord Ismay. Cette Guerre froide « gagnée », du moins dans l’esprit des vainqueurs, l’Alliance devenait le lieu d’un certain Occident, siège de la démocratie libérale triomphante, à l’époque perçue comme la « fin de l’histoire ». Le livre éponyme de Fukuyama paraît d’ailleurs en 1992 et constitue finalement le programme de l’Alliance rénovée qui traversera les 25 années suivantes avec de petits soubresauts mais aucun accident majeur qui remette en cause le programme.

Petits soubresauts ? Le lecteur nous trouvera bien négligent envers des événements qui ont agité la vie de l’Alliance au cours de ces presque trois décennies : guerre dans les Balkans, élargissement, affaire kosovare, attentats du 11 septembre, affaire d’Irak, intervention en Afghanistan, opération en Libye ont été incontestablement des moments importants dans la vie de l’Alliance d’après la Guerre froide. Rien cependant qui remette profondément en cause l’accord sur l’essentiel, à savoir la domination de cet « Occident » sur la marche du monde . L’Alliance restait le lieu principal où les puissances dominantes, assemblées autour (derrière ?) les États-Unis, perpétuaient un certain ordre du monde qui avait été initié par la deuxième vague de colonisation de la terre, au milieu du XIXe siècle . L’Europe l’avait lancée, l’Amérique l’avait poursuivie, les deux s’étaient unies à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et rien, vraiment rien ne devait mettre en cause cet « ordre du monde », même si les Européens suivaient de loin la puissance globale que demeuraient les États-Unis.

Aussi l’OTAN noua-t-elle de multiples partenariats hors d’Europe (par ordre d’apparition : Partenariat pour la Paix, Dialogue méditerranéen, Initiative de coopération d’Istamboul, Partenaires à travers le monde), du Maroc au Kazakhstan, des Émirats au Japon, de la Colombie à la Mongolie. Que ces structures soient le plus souvent des coquilles creuses importait peu : elles manifestaient la présence au monde des alliés et donc l’entretien d’un regard sur le monde, sous entendant une domination du monde.

Premiers craquements

De premiers craquements se firent entendre assez tôt, cependant : la crise boursière de 2008 n’eut pas d’effets directs même si elle révélait la fragilité du système tel qu’il avait évolué. Sous couvert de mondialisation, le système capitaliste avait muté et s’était éloigné des fameuses valeurs fondatrices de l’Alliance , énoncées dans le bref préambule du Traité de 1949. Mais on ne s’en était guère rendu compte, à l’époque. Les révoltes arabes en 2011 ou l’affaire ukrainienne à partir de 2014 apparurent comme de nouvelles crises, pouvant être gérées comme les précédentes (Balkans, Irak, Afghanistan). Bientôt pourtant, les attentats en Europe puis la crise des réfugiés montrèrent qu’une polycrise affectait l’Europe.

Simultanément, des puissances différentes remettaient en cause l’ordre du monde tel qu’il était, refusant l’ancienne domination d’autant plus vivement que la supériorité de l’Occident apparaissait moins évidente, dans tous les ordres : militaire (puisque l’Amérique en guerre n’avait pas réussi à produire des succès stratégiques probants malgré l’énormité des moyens mis en œuvre), économique (la croissance était le fait des puissances émergentes, quand l’Amérique se noyait sous ses déficits et l’Europe n’arrivait pas à rebondir), politique (l’Occident forçant régulièrement les délibérations du Conseil de sécurité voire s’en passant sans vergogne, sans même parler d’un goût prononcé et irréfléchi pour les changements de régime) et surtout morale (Abou Ghraib et Guantanamo demeurant des taches qu’on ne peut plus appeler des accidents). Aussi, Chine et Russie poussaient leurs pions, profitant plus des faiblesses de l’Occident que de leurs propres forces, habilement mobilisées cependant. Elles obtenaient des succès au point qu’on les désigna de « puissances révisionnistes », expression curieuse par ses sous-entendus mais finalement exacte : oui, ces puissances poussaient à la révision d’un certain ordre du monde.

Cela suffit-il à penser à la fin de l’Alliance ? Il faut rester prudent. Le Saint Empire, fondé par Charlemagne vers l’an 800, disparu officiellement en 1806 sur décision de Napoléon, même si son rôle politique en Europe avait cessé depuis plus de deux siècles. Une structure peut se perpétuer, cela ne signifie pas pour autant qu’elle conserve un rôle moteur dans l’histoire. En fait, l’Alliance pourrait survivre à ces défis. À ceci près que les évolutions de la Grande-Bretagne, de la Turquie et des États-Unis constituent des défis si profonds qu’ils remettent en cause le programme même de l’Alliance.

Faire comme d’habitude

Bien sûr, les activités se poursuivent et les sommets successifs de ces deux dernières années ont été l’occasion de décisions que, comme d’habitude, l’on nous a présentées comme exceptionnelles, réagissant à un monde nouveau, etc., reprenant tous les mauvais tics de langage de communicants passés par les mêmes écoles et ne voyant pas que ces mots ne convainquent plus.

Car il faut ici rappeler la distinction profonde (et d’abord française) entre l’Alliance et l’Organisation. En effet il ne s’agit pas de la même chose. L’Alliance est le cercle politique réunissant des puissances, s’associant ensemble dans un but déterminé. À l’origine, se défendre contre les Soviétiques puis, ceux-ci ayant chuté, réunir dans un club transatlantique les deux rives de l’océan « occidental ». L’OTAN, elle, n’est qu’une organisation, une « superstructure » pour reprendre un vieux concept marxiste.

Un outil, à l’origine simple secrétariat, élargi ensuite à une série d’états-majors (la structure de commandement) voire de forces placées sous son contrôle (la structure de forces). Les puissances se réunissent dans le cadre du Conseil de l’Atlantique nord par leurs ambassadeurs permanents, ou par leurs ministres (5 réunions ministérielles par an) voire par leurs chefs d’État et de gouvernement (les fameux sommets de l’Alliance, tous les deux ans). Ces grandes réunions permettent de « prendre des décisions », manifestées dans des communiqués. Or, force est de constater que les « décisions » ne paraissent pas répondre à la situation stratégique. En témoigne la profonde hésitation entre le danger à l’est et le danger au sud.

Face à l’est ?

À l’est, l’Alliance ferait face à la résurgence russe, manifestée par le conflit ukrainien, l’annexion de la Crimée, le conflit dans le Donbass ou de prétendues manifestations de force, ici des manœuvres, là des vols d’avions qui seraient « trop près » des espaces aériens nationaux. Les communiqués dénombrent ainsi le nombre d’interceptions aériennes de chasseurs russes. Il faut ici rappeler qu’une interception n’est pas un acte de combat mais juste une prise en compte visuelle d’un aéronef (civil ou militaire) par un autre aéronef (militaire) ; que la Russie a régulièrement organisée de grandes manœuvres avec des chiffres impressionnants mais gonflés de troupes mobilisées ; que cette activité arrange les deux parties : l’Alliance car cela permet de grossir la menace ; la Russie car cela lui permet de prouver à sa population qu’elle est de retour parmi les grands, favorisant ainsi le soutien populaire au président Poutine.

Les spécialistes remarquent quant à eux que les pratiques russes restent conformes aux pratiques historiques, perpétuant les codes stratégiques établis lors de la Guerre froide (ce qui n’est pas le cas de bien des alliés, dont le nombre est entretemps passé de 16 à 28). Ainsi, quand l’OTAN organise une grande manœuvre alliée dans les pays baltes, les avions russes volent dans l’espace aérien international à proximité, à l’instar de ce qui fut fait pendant 45 ans de Guerre froide. Accessoirement, Moscou peut se poser des questions quand elle observe des avions à capacité duale (c’est-à-dire pouvant porter des bombes nucléaires) décoller des bases de l’OTAN pour aller faire des entraînement à proximité de ses frontières : il s’agit probablement pour les planificateurs alliés d’une coïncidence (la disponibilité technique étant ce qu’elle est, on prend aujourd’hui les avions disponibles là où ils sont), mais elle est au moins une maladresse qui peut être interprétée comme un message hostile par la partie d’en face.

Il ne s’agit pas ici de défendre les Russes. Notons que ceux-ci sont encore très fragiles, économiquement comme socialement, dépendant principalement de la vente d’hydrocarbures et d’un peu de matériel de guerre. Ils détiennent l’arme nucléaire et en maîtrisent la grammaire stratégique (ce qui n’est pas le cas de nombreux Alliés, même si l’Alliance conserve cette utilité essentielle de donner un peu d’éducation nucléaire à de nombreuses nations européennes). Mais ils n’ont absolument pas la capacité d’envahir l’Europe, contrairement à ce que certains font semblant de craindre. Rappelons que la Russie à un budget de défense qui est au dixième du budget des Alliés et que les autres ratios de force (effectif, armement conventionnel, etc.) varient du tiers au quart. Pourtant, ils bénéficient d’un avantage comparatif extrêmement important : l’unité de volonté et un dispositif de décision politico-militaire assez resserré pour produire une véritable efficacité stratégique : ils l’ont prouvé avec talent en Crimée ou en Syrie, réussissant à obtenir des gains stratégiques conséquents avec des moyens somme toute limités. Il n’est point besoin d’inventer des concepts baroques de « guerre hybride » pour expliquer ces succès : juste de noter l’application rigoureuse de quelques principes stratégiques (unité de manœuvre, concentration des efforts, etc.). Autrement dit, la Russie pourrait être un adversaire sérieux mais elle ne justifie pas le discours fourni par certains qui font d’elle un véritable ennemi. Les Russes sont plus forts que l’analyse du rapport de force l’indique, moins forts que beaucoup le fantasment.

Constatons pourtant l’instrumentalisation de cette menace orientale par beaucoup, avec des motifs légitimes d’inquiétude pour certains alliés, plus de duplicité d’autres. Ainsi, les États baltes ou la Pologne sont fort inquiets du voisinage de l’ours russe. L’histoire ne plaide pas pour ce dernier et si Moscou ne tient pas un discours menaçant, son discours de la force peut être interprété comme suffisamment ambigu pour que cela inquiète. D’autres en rajoutent, pour des motifs bien différents : Les Néerlandais (à cause de l’avion de ligne abattu au-dessus du Donbass) ou les Britanniques (ayant besoin de diversion européenne à l’heure du Brexit) sont des exemples qui viennent à l’esprit. Mais il ne s’agit pas seulement de positions structurées de certaines capitales : au fond, tout un écosystème atlantiste, présent dans toutes les capitales et encore très influent, agite la menace russe car cela permet de justifier l’OTAN, mais aussi l’effort de défense, mais aussi la permanence du club transatlantique.

Dès lors, la rhétorique de la menace poursuit un autre objectif : non seulement mobiliser les esprits dans le cadre d’un effort de défense, mais aussi désigner l’ennemi afin de maintenir une cohérence autrement fragilisée. Alors qu’en apparence l’objectif est militaire (maintenir un rapport de forces suffisant face à un adversaire aux moyens sérieux), le dessein est en fait politique : pérenniser l’unité du club qui autrement se déferait, compte tenu d’objectifs contradictoires. Il y aurait alors inversion de la fin et des moyens : l’outil (l’OTAN) était un moyen pour assurer une fin (la défense collective). Désormais, la sauvegarde de l’outil (l’Alliance) devient la fin pour lequel on invoque un nouveau moyen (la défense).

Ou face au sud ?

Mais au cours de la dernière décennie, la question du sud est venue également : il ne s’agissait plus des grosses interventions comme en Afghanistan, mais de la réaction à une mutation du djihadisme. Celui-ci avait attaqué (11 septembre), on s’était défendu et pour l’Alliance, ce fut en servant la FIAS puis la mission Soutien déterminé (Resolute Support Mission, RSM). Mais les révoltes arabes en 2011 suscitèrent deux réactions : d’une part une opération alliée en Libye qui mena au renversement de Kadhafi, laissant place à un chaos local et régional où les djihadistes gagnèrent de l’influence ; mais surtout, la guerre civile en Syrie marquée par l’apparition de l’État Islamique (EI) en Irak et en Syrie. L’EI força les Américains à mettre sur pied une coalition internationale hors OTAN, à la demande du gouvernement de Bagdad, afin de chasser les djihadistes d’Irak. Certains alliés en firent partie, tandis que l’OTAN appuyait mais n’intervenait pas directement dans la zone (l’Alliance a un partenariat avec l’Irak).

Mais ce qui était cantonné dans des zones porches (Maghreb, Proche- et Moyen-Orient) devint uen question beaucoup plus centrale à partir de 2015 avec la question des réfugiés, qui suscita de profondes différences intra européennes, et le retour d’attentats en Europe (France, Belgique, Allemagne et Turquie).

En l’espèce, la difficulté était ailleurs. D’une part, la nature de l’ennemi différait radicalement de ce à quoi l’Alliance était préparée : en effet, celle-ci a construit un outil, l’OTAN, impeccable pour des guerres symétriques et classiques, jusqu’à l’emploi d’armes nucléaires. Autrement dit, un paradigme guerrier qui s’est retrouvé très mal à l’aise avec les nouvelles conditions de la guerre au XXIe siècle. Il y eut avalanche de concepts (guerre contre le terrorisme, Opérations de contre-insurrection - COIN, guerre hybride) mais avec malgré tout un gros éléphant dans la pièce : la puissance militaire traditionnelle avait du mal à gagner ces conflits-là. Et même si personne ne le disait tout haut, les résultats en Irak, en Afghanistan ou en Libye avaient été décevants. On avait certes remporté la première bataille, celle où justement les conditions étaient remplies pour une bataille , mais nous fûmes très mauvais pour gérer la suite et transformer le succès en victoire politique. Si l’Alliance se décidait à désigner l’ennemi djihadiste comme l’ennemi principal, cela posait d’énormes problèmes : non pas seulement le fait d’organiser deux dispositifs dans des directions différentes, mais surtout de devoir trouver un nouveau paradigme adapté aux nouvelles conditions conflictuelles. L’expérience montrait qu’on ne savait pas trop comment faire et qu’en tout cas, cela induirait une très profonde remise en cause de la superstructure habituelle, héritée du XXe siècle. Elle était peut-être inadaptée mais si confortable, comparée au coût de l’effort à fournir pour une véritable transformation en profondeur.

À cela s’ajoutèrent d’autres considérations plus nationales. Tout d’abord, les tenants de la menace à l’est voyaient d’un très mauvais œil la concurrence de cette menace alternative, d’autant plus qu’elle faisait beaucoup plus de morts en Europe (plusieurs centaines en 2015), à la différence de l’ennemi russe. Surtout, les pays du front méridional avaient des intérêts divergents : Turcs, Grecs, Italiens ou Français n’avaient pas le même point de vue, sans même parler de certains cercles américains interventionnistes qui se chamaillaient avec d’autres cercles de l’établissement washingtonien. Certains préféraient au fond garder cette question du sud sous leur propre contrôle pour éviter d’avoir à partager trop de choses avec les Alliés. En Irak, la coalition suffisait tandis qu’en Libye, Paris et Rome se faisaient concurrence. Quant aux attentats en Europe, ils mobilisaient plus des responsabilités policières que de défense et donc tenaient à des responsabilités nationales non couvertes par le traité .

Aussi, malgré la pression des événements et le rapprochement de la ligne de conflit (on était passé de l’Afghanistan à la Libye et désormais au sol européen), les communiqués de l’Alliance trouvèrent les mots adéquats pour parler du sud sans prendre de véritables mesures. Mais du coup, comme l’âne de Buridan hésitant entre ses deux seaux et mourant finalement de soif, l’Alliance hésitait entre deux directions stratégiques et ne s’accordait pas sur ses buts réels. Un désaccord latent sur les fins de l’Alliance préexistait aux défis de la seconde moitié de la décennie.

Le grand défi du Brexit

Le Royaume-Uni a décidé, lors d’un référendum de juin 2016, de quitter l’Union Européenne. La procédure a été pleine de péripéties et à l’heure où cet article est écrit, on ne sait toujours pas quel tour prendra finalement l’affaire, entre un retour et un Brexit dur. L’observateur inattentif pourrait penser que cela n’a que peu à voir avec l’Alliance. Les choses sont pourtant plus compliquées car deux questions sous-jacentes sont posées : d’une part, celle de l’avenir du Royaume-Uni (qui pourrait profondément muter voire disparaître stricto sensu), d’autre part la question de l’évolution européenne, notamment sous l’angle de la défense.

Du point de vue intérieur, cela a incité Londres à forcer son enracinement européen alternatif : or, pour beaucoup d’Européen mais surtout d’Américains, l’Alliance est une organisation européenne. Quitter l’UE implique de renforcer sa présence dans l’OTAN, selon une formule également recherchée par Ankara. Ceci explique également le durcissement de Londres envers la Russie : si l’ennemi est menaçant, la nécessité ‘une défense collective est évidente et renforce par là le rôle principal que le Royaume a toujours tenu dans l’Alliance, En effet, Londres a toujours conçu l’OTAN comme un multiplicateur de puissance : elle a peu ou prou réalisé le fantasme que les Français ont eu envers l’UE.

Un Brexit risque de poser d’autres problèmes au Royaume. En effet, en cas de Brexit dur (c’est-à-dire sans accord avec l’UE), il est très probable que cela aurait des conséquences sur la structure même du Royaume : L’Irlande du nord pourrait décider de s’unir à la république d’Irlande tandis que l’Écosse pourrait réclamer un référendum sur l’indépendance qui aurait toutes les chances de réunir une majorité de oui. Cela poserait d’évidents problèmes à ce qui serait alors la moyenne Bretagne puisque ses sous-marins nucléaires sont basés à Faslane, en Écosse, ce qui ne plaît guère aux Écossais . Un Royaume Uni croupion conserverait-il alors (même dans le cas d’un accord sur le nucléaire avec Edimbourg) la place qu’il détient actuellement dans la structure de commandement ? Rien n’est moins sûr.

Du côté européen, beaucoup se sont réjoui in petto du départ britannique. Londres était en effet accusé par beaucoup de bloquer les développements de la défense européenne (ce qu’en France on appelle bizarrement « Europe de la défense », expression ne signifiant rien et qu’il est surtout impossible de traduire). Aussi a-t-on vu certains annoncer les plus importants développements de l’Europe de la défense jamais réalisés. L’emphase a pour limite le ridicule, ce qui a dû échapper à certains commentateurs. Il reste que le départ britannique va paradoxalement renforcer le face-à-face franco-allemand, le moteur étant devenu aujourd’hui un blocage (autre éléphant dans la pièce qu’on ne dit pas trop). Par ailleurs, d’autres Européens ne sont pas du tout partisans d’un renforcement de ce chantier européen, qu’il s’agisse des Polonais ou des Danois, sans même parler des Suédois ou des Finlandais qui discutent ouvertement de rejoindre l’Alliance. Paradoxalement, le départ britannique risque de rendre encore plus visible l’impéritie stratégique européenne.

La question turque.

Si le Brexit a lieu, les Britanniques joueront probablement une stratégie « à la turque ». En effet, depuis une grosse décennie, la Turquie a compris qu’elle ne rejoindrait jamais l’Union Européenne. Par conséquent, elle se raccroche à l’Alliance (plus probablement qu’à l’OTAN) qui demeure une institution « européenne » faisant d’elle un pays européen, et cela quelles que soient ses prises de position politiques ou stratégiques par ailleurs. Ceci explique la contradiction apparente entre des pas de deux avec des adversaires des Occidentaux et le maintien d’Ankara dans le club des alliés atlantiques, même si cela pose évidemment de grosses difficultés à Evère, au siège de l’OTAN. Ainsi, la Turquie a des relations très dégradées avec les États-Unis. Rappelons qu’elle ne leur permit pas de partir d’Anatolie dans la campagne de 2003 contre l’Irak de Saddam Hussein. Mais les différends ont pris un nouveau tour à la suite de deux éléments. Le premier est l’affaire syrienne. La Turquie a joué un jeu compliqué, soutenant tout d’abord un certain nombre de rebelles (plutôt alignés sur les Frères Musulmans) en accord avec les puissances du Golfe, jusqu’à provoquer la Russie, alliée de B. el Hassad. Ils demandèrent alors un soutien allié qui passa par la fourniture de batteries Patriot, à la frontière sud du pays. Cependant, les Américains, constatant que la résistance « indépendante » ne résistait ni aux loyalistes, ni aux djihadistes, firent alliance avec les Kurdes en leur donnant pour mission de les débarrasser de l’État Islamique en Syrie, notamment sur la rive gauche de l’Euphrate (pendant que la coalition s’occupait de l’EI en Irak). Or, les Kurdes syriens (le YPG) sont alliés au PKK turc. Du coup, l’affaire extérieure devenait une affaire intérieure. Pour empêcher la constitution d’une bande kurde tout le long de la frontière avec la Turquie (qui aurait pu servir de base arrière au PKK), la Turquie opéra un changement d’alliance et rejoint la Russie, mais aussi l’Iran : pas tant pour appuyer le gouvernement de Damas que pour entraver les progrès kurdes : ainsi dans la poche d’Afrin, ou sur la rive droite de l’Euphrate.

Pour les Alliés, ce retournement fut dur à avaler d’autant que ni Européens ni Américains ne jouent un quelconque rôle dans le processus d’Astana, mis en place par la Russie pour organiser une solution politique en Syrie. Certains alliés notent par ailleurs que la Turquie est « partenaire de discussion » avec l’Organisation de Coopération de Shangaï depuis 2012, qu’elle envisagea d’acheter du matériel chinois et qu’elle acquiert aussi des S400 russes. Cependant, la décision en décembre 2018 de D. Trump de retirer les troupes américaines de Syrie fut vue par Ankara comme un geste fait en sa faveur.

Le deuxième facteur de crispation, hors du champ opérationnel, fut le coup d’État organisé contre R. Erdogan en 2016. Ankara accusa F. Gülen, à la tête d’une confrérie islamique, d’en être l’instigateur. Or, il demeure aux États-Unis et R. Erdogan accusa à demi-mot les Américains d’avoir sinon soutenu, du moins toléré l’organisation de ce coup d’État. Mais un certain nombre d’officiers turcs, en poste dans l’organisation, demandèrent l’asile politique pour échapper à la répression organisée par le président Erdogan, ce qui suscita un grand malaise dans les pays d’accueil, extrêmement gênés devant la brutalité de la réaction d’Ankara. On le voit, les relations entre Turcs et Américains sont très compliquées et irritantes. Cela rejaillit logiquement sur l’OTAN. Pourtant, malgré toutes ces ambiguïtés, la Turquie demeure dans l’Alliance pour affirmer son caractère occidental.

L’hostilité de Trump

Pourtant, la grande difficulté reste l’arrivée de Trump au pouvoir. Il n’a jamais caché son hostilité à l’Alliance et les hiérarques atlantistes ont donc été horrifiés par ce qu’ils entendaient. Car au fond, D. Trump dit que le roi est nu et que l’ordre du monde habituel ne peut plus continuer comme cela. D’où son mot pendant la campagne : « L’OTAN est obsolète ». Ce n’est pas seulement une question d’argent (même si c’est d’abord une question d’argent) et il ne faut pas se focaliser sur la question des 2 % de PIB à consacrer par chaque allié au budget de défense, conformément aux engagements du sommet de Galles.

Au début, D. Trump était conscient qu’il n’y connaissait pas grand-chose aux affaires stratégiques. Il nomma donc des militaires et des gens de confiance, comme le général Mattis ou Rex Tillerson. Ceux-ci prodiguèrent les paroles apaisantes qui rassurèrent un peu les Européens. Le secrétaire général de l’Alliance fit un déplacement à Washington et Trump déclara que l’OTAN n’était plus obsolète. Au sommet de Bruxelles de juillet 2018, il y eut bien quelques ruptures des convenances diplomatiques de la part du président américain mais finalement, ce fut le soulagement, Trump déclarant même à la fin du sommet que l’OTAN était « bien plus forte » et présentant l’OTAN comme « probablement la plus grande alliance de tous les temps, mais que ce n’était pas juste d’attendre des États-Unis qu’ils paient une telle part des coûts ».

Cependant, D. Trump décida de renouveler son équipe. Ainsi, le général Mattis démissionna en décembre 2018 à la suite de l’annonce par le président du retrait des troupes américaines de Syrie. Il s’attendait à partir effectivement fin février, après une ultime réunion des ministres de la défense mais le président en décida autrement et le poussa vers la sortie au 31 décembre pour le remplacer par Patrick Shanahan, son adjoint au pentagone. Quant à Rex Tillerson, il avait cédé sa place de secrétaire d’État depuis longtemps à Mike Pompeo tandis que le faucon Bolton avait pris la tête du Conseil de sécurité nationale (NSC). M. Pompeo rappelait certes en décembre 2018, lors d’un passage à Paris , son soutien à des « organisations internationales dynamiques, qui respectent la souveraineté nationale, qui accomplissent leurs missions déclarées et qui créent de la valeur pour l’ordre libéral et pour le monde ». « Les Alliés de l’OTAN doivent donc tous œuvrer à la consolidation de ce qui est déjà la plus grande alliance militaire de l’histoire (…) et nos liens historiques doivent perdurer ». Cette dernière remarque signifiait-elle qu’ils pouvaient ne pas durer ? On peut se le demander rétrospectivement.

En effet, dès sa première conférence de presse en 2019, le président américain déclarait : « Je me fiche de l’Europe. (…) Beaucoup de pays ont profité de notre armée. Nous accordons une protection militaire aux pays très riches et ils ne font rien pour nous. Vous pouvez les appeler alliés si vous le souhaitez, , mais nombre de nos alliés profitent de nos contribuables et de notre pays. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. (…) Je veux que l’Europe paye. L’Allemagne paie 1%. Ils devraient payer plus que cela. Ils devraient payer 4% ». Aussi le New-York Times du 15 janvier 2018 titrait que le retrait de l’OTAN était à l’ordre du jour à la Maison Blanche. Selon le journal, il semble que tout au long de 2018, le président en ait eu le désir et l’ait confié à des proches, d’autant qu’il ne voyait pas les alliés (notamment l’Allemagne) augmenter drastiquement leurs budgets de défense.

Il faut prendre D. Trump au sérieux, il fait souvent ce qu’il dit : il s’est retiré de nombre d’accords (accord de libre-échange Asie Pacifique, accord sur le nucléaire iranien, accord de Paris sur le climat, bientôt le traité INF) car il se méfie instinctivement des engagements internationaux des États-Unis. Il n’a aucune affection envers les Européens et une profonde défiance envers l’Allemagne (pour lui, pays leader en Europe) qui profite trop, à ses yeux, de la mondialisation qu’il veut remettre en cause. Comme nombre d’Américains, il assimile l’OTAN à l’Europe et un retrait de l’organisation constitue pour lui le moyen de manifester cette défiance, d’autant qu’il n’est pas du tout sensible à la menace russe (peu importent les raisons) ni à la menace djihadiste (plus exactement, il ne voit pas bien ce que les Américains ont à faire au Moyen-Orient, ce qui explique sa décision de retirer ses troupes de Syrie). On peut d’ailleurs s’attendre à ce qu’une décision prochaine sera le retrait des troupes d’Afghanistan et donc la fin de la Mission RSM, qui est quasiment la dernière mission opérationnelle de l’OTAN.

Il va de soi que les atlantistes historiques et les alliés voient cette possibilité comme absolument horrible tant elle remettrait en cause les cadres mentaux prévalant depuis 70 ans.

Vers la fin de l’alliance ?

Il faut alors revenir à la question d’origine : serions-nous à l’aube d’une fin prévisible de l’Alliance atlantique ? Poser la question est douloureux pour tous les atlantistes. Le simple fait de la poser les gêne car l’intangible devient possible, l’inimaginable devient une hypothèse réaliste. La fin de l’Alliance est désormais une option sur la table, ce qui était impensable et n’avait jamais été expérimenté depuis l’origine.

L’Alliance a bien sûr toujours connu des crises. D’ailleurs, l’Alliance constitue en fait une instance de résolution des crises entre des partenaires : découplage, partage du fardeau, euromissiles, crise yougoslave, attaques du 11 septembre : toutes furent des crises très dures, toutes furent présentées comme « existentielles », « à la croisée des chemins ». Pourtant, toutes portaient sur des questions d’efficacité de l’Alliance : comment faire de l’Alliance l’outil efficace dans la rivalité avec l’ennemi soviétique ? Il s’agissait donc de questions très sérieuses, indubitablement, mais finalement pas « existentielles » au sens où l’existence de l’institution en elle-même aurait été menacée. L’efficacité est moins essentielle que la nécessité.

Voici ce qui change radicalement avec le discours de D. Trump : l’existence de l’institution est en jeu. Car qui imagine que l’Alliance puisse perdurer sans les États-Unis ? Car en dépit de ceux qui en France dénoncent la mainmise américaine sur l’institution, celle-ci n’a été créée que pour encadrer justement, autant que faire se peut, l’engagement des Américains en Europe. Mieux, pour le forcer, après les déceptions de la Première Guerre mondiale (arrivée tardive en 1917, non ratification du traité de Versailles) puis de la Seconde (arrivée là encore tardive, fin 1941). Les Européens l’ont longtemps reproché (discrètement) aux Américains et c’est pourquoi la plupart des Européens (sauf certains Français) sont tout à fait satisfaits de l’existence de l’Alliance et de sa direction par les Américains.

Car l’OTAN n’est puissante que grâce aux capacités américaines (conventionnelles et, rappelons-le, nucléaires, ce qui explique la dénucléarisation de l’Europe hors Royaume-Uni et France) : pour les Européens, il est donc normal que les Américains conduisent le camion qu’ils ont quasiment fabriqué et qui tire le fardeau de la défense de l’Europe. Cela leur permet même de faire des économies, réduisant leurs propres budgets de défense puisque les Américains assurent cette externalité positive. C’est d’ailleurs le principal reproche émis par D. Trump : les Européens et particulièrement les Allemands ne payent pas assez pour leur défense. Notons qu’il ne fait que répéter, en des termes plus crus, ce que déjà Georges Bush Jr et B. Obama avaient dit aux Européens, qui ne l’avaient entendu que d’une oreille discrète. Avec D. Trump, le volume sonore a monté tellement que Européens comme Américains de l’établissement l’entendent. Ils s’en désolent mais surtout, à l’instar d’un fil de tweets de l’ambassadeur Shapiro , ils évaluent les conséquences de l’impensable : ce serait, à coup sûr, un paysage stratégique européen ravagé. Sans aller jusqu’à l’invasion de portions de territoire européens par les Russes (cauchemar immanquablement cité), ils observent l’inéluctable montée des tensions entre pays européens, sans compter l’augmentation très forte des dépenses de défense. On s’intéresse subitement à l’article 13 de l’OTAN (celui qui prévoit les modalités de sortie du traité). Quasiment personne n’imagine réellement qu’un départ des Américains déclenche par magie la construction d’une organisation européenne intégrée de défense, dans le cadre de l’UE. Les tensions actuelles sont aujourd’hui telles entre États-membres, les positions si éloignées que seul le parrain américain a permis à l’ensemble de coexister dans l’Alliance. Il serait d’ailleurs plus que probable que de nombreux États européens chercheront des alliances bilatérales avec Washington, quitte à recréer une mini Alliance (sans l’Allemagne ?).

Conclusion : les fins ou la fin ?

Nous n’en sommes pas encore là. Donald Trump ne pratique pas seulement une « stratégie du fou ». Il ne s’agit pas juste pour lui de « monter les enchères », en homme de poker qu’il est. La grande nouveauté, c’est que chacun de ses partenaires reste persuadé qu’il ne bluffe pas. Il reste qu’implicitement, le président américain pose une question stratégique majeure, que l’on a soigneusement écartée depuis quelques années : à quoi sert l’OTAN ? S’il s’agit de défense commune, qui est défendu ? contre qui ? D. Trump n’est pas persuadé que les États-Unis soient défendus . Il n’est pas non plus persuadé de la menace et donc de l’existence d’un ennemi (sans même évoquer l’hypothèse d’une proximité personnelle avec le système russe). Il constate enfin que les Européens pratiquent allègrement la méthode du passager clandestin, payant peu pour leur défense, envoyant des troupes de façon mesurée sur les différents théâtres d’opération, prenant sur place bien peu de risques opérationnels. Pour lui, « le compte n’y est pas ». C’est un homme d’affaire, habitué aux négociations commerciales et doué par ailleurs d’une intuition vive : non un idéologue, mais un homme qui obéit à ses impulsions, à ce qu’il perçoit comme le sens commun qu’il est intimement persuadé partager avec l’Amérique profonde.

L’OTAN a perdu depuis longtemps sa bonne image outre-Atlantique, ne nous y trompons pas. Si elle ne sert plus, à quoi bon la maintenir ? Voici au fond une logique de destruction créatrice : débarrassons-nous du vieil homme, construisons autre chose. L’Alliance est une vieille dame qui fête cette année ses 70 ans : est-elle trop vieille pour le nouveau siècle ? Le vieux programme de Lord Ismay est bien évidemment inadapté. Il faut certes inclure les Américains, mais il ne s’agit plus de soumettre les Allemands. Quant à exclure les Russes, la question reste ouverte tant une autre approche pourrait être envisageable. À défaut de définir de nouvelles fins, l’Alliance pourrait sinon trouver sa fin.

OK

Lundis de la cybersécurité : alliances et cyberespace (18 mars)

Je participerai lundi soir prochain 18 mars (18h30-20h30) aux lundis de la cybersécurité, organisés par l'ami Gérard Peliks et le cercle d'intelligence économique du MEDEF.

Dans le cadre des "Lundi de la cybersécurité" organisés par le Cercle d'Intelligence économique du Medef Hauts-de-Seine, avec ParisTech Entrepreneurs à Télécom ParisTech

Venez assister à l'événement autour du thème : Les alliances dans le cyberespace

Lundi 18 mars 2019 de 18h30 à 20h30, accueil à partir de 18h00

Dans le cyberespace, les États ne comptent pas de vrais amis, seulement des alliés très souvent provisoires, et plus souvent d'autres États dont les intérêts stratégiques ou commerciaux peuvent entrer en concurrence directe. L'espionnage, par des moyens numériques, jusqu'au plus haut niveau, est une pratique courante. Mais tout est feutré jusqu'à ce qu'un média bien informé révèle ces actions inamicales. Parfois même un Etat envoie de fausses informations sur son rival, souvent au moment d'élections, voire essaie de saboter ses infrastructures vitales.

Comment peut-on risquer de toucher une confiance qui est jugée dispensable pour le fonctionnement normal d'une alliance, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale ? Comment une telle alliance peut-elle survivre à de tels événements ? Y a-t-il des alliances spécifiques au cyberespace, ou des modalités particulières à ce milieu ?

Nous essaierons de répondre à ces questions le 18 mars 18h30 avec le général (2S) Olivier Kempf.

Lieu : Télécom ParisTech, amphi B310 46, rue Barrault - 75013 M° Corvisart ou Glacière, ligne 6 Participation gratuite

Inscription obligatoire par mail, voir en : http://www.medef92.fr/fr/evenement/lundi-de-lintelligence-economique-ie-4

Nous vous signalons également un autre évènement sur la cybersécurité : les GS Days, le mardi 2 avril, espace St Martin Paris 3e. Voir en https://www.gsdays.fr/

France et Italie

Je participerai au festival de géopolitique organisé par la revue italienne Limes, ce weekend à Gênes.

Quelques éléments pour comprendre :

J'y évoquerai les difficiles relations entre la France et l'Italie. Sujet d'actualité, direz-vous ? Oui, mais nous avions décidé de ce sujet, avec Lucio Caracciolo, l'été dernier lors de son passage à Paris, alors que nos constations déjà qu'il y avait de la friture sur la ligne. Les récents événements n'ont fait que rendre visible ce qui était déjà patent pour qui savait observer.

Mon intervention aura trois thèmes successifs :

  • des histoires de politique intérieure (des deux côtés des Alpes)
  • une histoire paradoxalement européenne
  • des réalités géopolitiques bien plus profondes et finalement inquiétantes

O. Kempf

Biblio 2018

Bien, je viens de terminer la mise à jour de ma bibliographie. Voici l'extrait pour 2018, pour ceux que cela intéresse.

Source

O. Kempf

Contribution à des ouvrages collectifs

  • Préface de Cyber et drones, par Panpi Etchevary, Economica, 2018.
  • « Ville connectée, données massives et algorithmes prédictifs », avec Thierry Berthier, in Biase, A., Ottaviano, N., Zaza, O. (dir.), (2018), Digital Polis. La ville face au numérique : enjeux urbains conjugués au futur, Paris : L’œil d'or (collection critiques & cités).

La Vigie

  • Publication d’un article bimensuel dans La Vigie (www.lettrevigie.com), lettre d’analyse stratégique.

Publications

  • « Supprimer le liquide ? », Conflits, n° 19, octobre-décembre 2018
  • « Le nucléaire militaire français dans un nouveau contexte stratégique », Politique étrangère, 3/18, Automne 2018.
  • « La France face au numérique : une souveraineté rénovée ? », Revue internationale et stratégique, n° 10, été 2018.
  • « La dépendance numérique, source de fragilité », Perspective méditerranéennes (Maroc), été 2018.
  • « Le nouvel âge des cyberconflits », Conflits n° 18, juillet septembre 2018.
  • « « Cyber and digital transformation », Cybersecurity Trends, Avril 2018.
  • « Des différences entre la cybersécurité et la transformation digitale », Stratégiques, n° 117, été 2018.
  • « La blockchain est-elle un tournant stratégique ? », Revue Défense Nationale, Tribune n° 1011, juin 2019. Lien.
  • « La strategia che non c’è », Limes, n° 3/18, mars 2018.
  • « Giu le mani dalla force de frappe », Limes, n° 3/18, mars 2018.
  • Quel débat stratégique en France en 2018 ?

Tenue régulière du blog www.egeablog.net

Recensions

  • B. Liddle Hart, « La vie du colonel Lawrence » (Economica), RDN, avril 2018.

Colloques

  • Symposium cyber : « EU direct workshop », German Marshall Fund et Stiftung Neue Antwortung, Washington, 16 et 17 décembre 2018.
  • MEDays 2018, Institut Amadeus, 2018, Tanger, intervention sur « A l’ère de la disruption et de l’accélération digitale : est-ce la fin des stratégies ? », Tanger, 8 novembre 2018.
  • Colloque « Centenaire de la Première Guerre mondiale », modération table ronde « La France et le Maroc au cours de la Première Guerre mondiale », Institut Charles de Gaulle, 25 octobre 2018.
  • Forum économique rhodanien, Séminaire « Transformation digitale et impact sociétal, Divonne les bains, 21 septembre 2018.
  • NOVAQ, Festival de l’innovation, Table ronde cyber, 14 septembre 2018, Bordeaux.
  • Forum de la Gouvernance de l’Internet, Paris, 5 juillet 20018, intervention sur « Cyber et transformation digitale ».
  • CREOGN, atelier de recherche de la Gendarmerie, « Blockchain, sécurité absolue ? », Paris, 27 juin 2018.
  • FRS, journée d’études sur l’Internet des Objets, Paris, 15 mai 2018.
  • 9ème Festival international de géopolitique, conférence sur « Les relations entre l’Allemagne et les Etats-Unis », Grenoble, 17 mars 2018, vidéo.
  • Forum de sécurité de Marrakech, 9 et 10 février 2018, intervention sur « L’ennemi ? la piraterie du désert ».

Médias

  • Entretien à « Un jour dans le monde » (France Inter, Fabienne Sintes) le 8 octobre 2018 : attaques cyber.
  • Géopolitique du cyberespace, entretien audio pour Conflits, 29 juillet 2018.
  • Interventions autour du sommet de l’OTAN :
  • • Le11 juillet sur Radio Vatican (voir interview ici) et au journal de 13h00 de RFI.
  • • Le jeudi 12 juillet dans l’émission Les Décrypteurs présentée par Vincent Roux et diffusée en direct sur la home du figaro.fr , de 11h00 à 11h50. Puis à 14h00 sur France 24, Enfin à 18h45 sur LCI, avec Patrick Chêne et D. Cohn-Bendit
  • Entretien (6 pages) donné à Communication et influence, mai 2018 notamment sur les liens entre cyberconflictualité et guerre économique. Téléchargement.
  • Entretien donné le 4 mai 2018 à la RTS sur « La France et ses outremers », lien vers audio.
  • Entretien donné à RFI le 28 mars 2018 sur l’expulsion de diplomates russes par l’OTAN, mp3.
  • Entretien sur France 24 à propos de l’avancement de l’horloge de la fin du monde. 2 février 2018

Cours et encadrement

  • Grenoble Ecole de management , M1, cours sur « Internet et les enjeux de la mondialisation », mars juin 2018 (24 h).

Interventions radio (cyber Europe, Huawei)

J'ai donné deux entretiens radio ces derniers jours.

L'un à Euradio, où j'évoque le cyber, l'UE, la question des alliances : un long format de 15 mn, en ligne le 28 janvier dernier.

Ici

L'autre à France Culture, à la suite des ripostes américaines envers Huawei, dans le journal de 12h30 du 29 janvier (2mn).

Bonne écoute

O. Kempf

Parmi les 100 de la cybersécurité

Je suis très flatté et honoré d'avoir été distingué par L'usine nouvelle comme faisant partie des 100 de la cybersécurité en France.

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O. Kempf

Faire croire et faire douter dans le cyberespace…

Je participerai à une conférence "à trois" le 29 janvier prochain. Elle est organisée par le CSFRS et a pour thème "Faire croire et faire douter dans le cyberespace…: Infox, subversion, cyber-influence". Détails et inscription ICI. Entrée libre mais inscription obligatoire

  • Mardi 29 janvier 2019 - 18:15/20:15
  • ECOLE MILITAIRE / Amphithéâtre DES VALLIERES
  • 1, Place Joffre - 75007 - PARIS

Argument et présentation des thèmes et intervenants ci-dessous.

Avec

  • Olivier KEMPF ; Officier général (2S), docteur en sciences politiques, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, spécialiste des questions de stratégie cyber et digitale.
  • François-Bernard HUYGHE ; Docteur en Sciences Politiques, médiologue, directeur de recherche à l’IRIS, enseignant, spécialisé sur la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, responsable de l’Observatoire Géostratégique de l’Information.
  • Nicolas MAZZUCHI ; Docteur en géographie économique, chargé de recherche à la FRS sur les questions énergétiques, de matières premières et de cyberstratégie
  • Modérateur / Général (2S) Paul CESARI Conseiller militaire du CSFRS

Le cyberespace couvre trois couches : physique (les matériels), logique (les logiciels) et sémantique (l’information qui circulent dans le cyberespace). La couche sémantique est absolument déterminante. Elle constitue à la fois le champ et l’objectif final ou se déploient des stratégies destinées à « faire croire » et « faire douter », au travers d’attaques de types fake news ou infox, d'influence, de subversion, de propagande…

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