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Conseil européen : Viktor à la Pyrrhus…

Par : pierre

Le 1er février, plus d’un millier de tracteurs convergeaient vers Bruxelles en provenance de différents pays de l’UE. Les agriculteurs voulaient ainsi prolonger la mobilisation qui s’est développée dans une dizaine de pays ces dernières semaines, notamment en Allemagne et en France.

La Commission a été contrainte d’annoncer des concessions notamment la mise au frigo de certaines dispositions du « Pacte vert », la diminution de la paperasserie bureaucratique, ou bien la suspension du processus devant aboutir à un traité de libre échange avec le Mercosur (quatre pays d’Amérique du sud).

Pour autant, le mouvement ne semble pas terminé. Des manifestations sont apparues ces jours-ci dans de nouveaux pays, comme l’Espagne et l’Italie. Car au-delà des revendications à court terme, les exploitants agricoles, notamment les petits et les moyens, ont un objectif fondamental : pouvoir vivre de leur travail plutôt que de subventions, et cela grâce à des prix rémunérateurs protégés de l’intenable concurrence mondiale.

Les organisateurs de la manifestation à Bruxelles n’avaient pas choisi la date au hasard. Les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement avaient en effet prévu ce jour-là un sommet extraordinaire. C’était donc l’occasion de se faire entendre au plus haut niveau, même si l’ordre du jour du Conseil, en l’occurrence le déblocage de dizaine de milliards d’euros en faveur de Kiev, n’avait que peu de rapport avec les revendications du monde rural.

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Conseil européen : Viktor à la Pyrrhus

Par : pierre

Le 1er février, plus d’un millier de tracteurs convergeaient vers Bruxelles en provenance de différents pays de l’UE. Les agriculteurs voulaient ainsi prolonger la mobilisation qui s’est développée dans une dizaine de pays ces dernières semaines, notamment en Allemagne et en France.

La Commission a été contrainte d’annoncer des concessions notamment la mise au frigo de certaines dispositions du « Pacte vert », la diminution de la paperasserie bureaucratique, ou bien la suspension du processus devant aboutir à un traité de libre échange avec le Mercosur (quatre pays d’Amérique du sud).

Pour autant, le mouvement ne semble pas terminé. Des manifestations sont apparues ces jours-ci dans de nouveaux pays, comme l’Espagne et l’Italie. Car au-delà des revendications à court terme, les exploitants agricoles, notamment les petits et les moyens, ont un objectif fondamental : pouvoir vivre de leur travail plutôt que de subventions, et cela grâce à des prix rémunérateurs protégés de l’intenable concurrence mondiale.

Les organisateurs de la manifestation à Bruxelles n’avaient pas choisi la date au hasard. Les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement avaient en effet prévu ce jour-là un sommet extraordinaire. C’était donc l’occasion de se faire entendre au plus haut niveau, même si l’ordre du jour du Conseil, en l’occurrence le déblocage de dizaine de milliards d’euros en faveur de Kiev, n’avait que peu de rapport avec les revendications du monde rural.

Quoique. Parmi les exigences paysannes figure la remise en place de barrières douanières sur les exportations agricoles ukrainiennes. Les énormes quantités de céréales, mais aussi de fruits et légumes et de viande, constituent une concurrence particulièrement déloyale pour les pays en première ligne (Pologne, Roumanie, Hongrie…) puisque les exploitants ukrainiens ne sont soumis à aucune des règles et contraintes (notamment sanitaires et phytosanitaires) qui prévalent dans l’UE. Mais les pays de l’ouest tels que la France sont également victimes de cette situation, comme en témoigne la hausse considérable des achats de volaille par les grands industriels et les centrales d’achat.

Finalement, les Vingt-sept envisagent de réintroduire quelques protections face à l’afflux de produits ukrainiens, une concession qui n’aurait jamais vu le jour sans la colère des agriculteurs. Bruxelles avait en effet retiré ces droits de douane l’année dernière pour afficher sa « solidarité sans faille » avec le gouvernement de Kiev. Les conséquences désastreuses pour les paysans de l’UE étaient pourtant prévisibles (ce qui donne une idée des effets cataclysmiques si un jour l’Ukraine adhérait en bonne et due forme à l’Union).

Le 1er février, le point unique à l’ordre du jour était le transfert vers l’Ukraine de 50 milliards d’euros

On sait que l’activisme pro-Kiev des dirigeants européens est sans limite : sanctions anti-russes, fourniture d’armes, d’équipements et munitions… Le 1er février, le point unique à l’ordre du jour était le transfert vers l’Ukraine de 50 milliards d’euros (33 milliards de prêts à taux réduit, et même 17 milliards de dons purs et simples). Cette perfusion financière considérable, programmée sur quatre ans, vise en fait à maintenir la tête hors de l’eau au régime de Kiev, dont l’économie est exsangue – et le restera. Elle s’inscrit dans la modification en cours du budget pluriannuel (2021-2027) de l’UE.

Cette dernière, selon les chiffres de la Commission, a déjà déversé 85 milliards sur ce pays depuis 2022 hors aide militaire proprement dite… L’objectif géopolitique est d’abord de tenir face à la Russie. Mais aussi d’envoyer un message de fierté et d’encouragement au président américain : celui-ci bataille face à la chambre des représentants, dominée par les amis de Donald Trump, qui bloque pour l’instant les transferts financiers de Washington vers Kiev.

Mais les dirigeants européens avaient un problème : lors de leur précédent sommet, le 14 décembre dernier, la modification du budget pluriannuel, et donc le déblocage des fonds promis à l’Ukraine, s’était heurté à l’opposition du premier ministre hongrois, alors que l’unanimité était nécessaire. Viktor Orban avait certes fini par accepter tacitement le démarrage des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, mais était resté ferme contre le versement des milliards.

Il avait ainsi semé la consternation et la fureur parmi ses pairs, qui l’accusent régulièrement d’être une « marionnette » de Moscou. Ainsi, en fin d’année dernière, le dirigeant hongrois avait osé serrer la main de Vladimir Poutine face aux caméras. « La Hongrie n’a jamais voulu affronter la Russie » avait-il alors déclaré en précisant que son pays « a toujours poursuivi l’objectif de construire et de développer la meilleure forme de communication » avec Moscou.

Pour les dirigeants européens, cette déclaration iconoclaste constitue un crime supplémentaire de celui qui est devenu, au fil des ans, la bête noire de Bruxelles. Une procédure est du reste en cours depuis des années contre la Hongrie accusée par la Commission et l’europarlement de violer l’« Etat de droit ». Conséquence : Budapest, qui, comme chaque Etat membre, est normalement destinataire de fonds bruxellois (notamment du plan de relance communautaire), attend toujours. Ou plutôt attendait.

Selon une méthode bruxelloise bien connue, quand on échoue une fois, on essaye à nouveau jusqu’à obtenir la « bonne » réponse

Car la veille du sommet du 14 décembre, la Commission avait fait un geste (à la fureur des ultras) en débloquant 10 milliards sur les 30 promis. Et ce, dans l’espoir que Viktor Orban assouplirait sa position. Ce qui fut donc le cas pour la perspective des négociations d’adhésion, mais pas pour les subsides en faveur de Kiev.

Mais, selon une méthode bruxelloise bien connue, quand on échoue une fois, on essaye à nouveau jusqu’à obtenir la « bonne » réponse. D’où le sommet de rattrapage du 1er février. Quelques jours avant la tenue de celui-ci, les conjectures allaient donc bon train : le dirigeant hongrois allait-il persister dans son veto ? Les pressions sur Budapest se sont alors multipliées. L’ambassadeur américain dans la capitale hongroise les a ouvertement soutenues.

Le Financial Times dévoila même un document selon lequel le Conseil allait annoncer que la Hongrie, si elle ne se soumettait pas, pourrait dire adieu pour longtemps à l’argent européen. But avoué de la note théoriquement confidentielle et de sa révélation opportune : saboter l’économie hongroise en effrayant les marchés financiers. Le pays serait alors privé d’investissements, donc oumis à des déficits croissants et à la chute de sa monnaie (la Hongrie n’a pas adopté l’euro). Le Conseil a mollement démenti, indiquant qu’il ne s’agissait que d’un document de travail…

La manœuvre aura-t-elle été efficace ? Alors que les diplomates et journalistes prévoyaient un sommet à rallonge et d’interminables bras de fer, le président du Conseil annonçait, un quart d’heure seulement après l’ouverture de la réunion, qu’un accord était trouvé au sein des Vingt-sept : le paquet de 50 milliards était validé, avec même la perspective d’un premier virement de 4,5 milliards début mars.

En échange, M. Orban obtenait trois concessions : la Commission devra établir un rapport annuel sur l’utilisation des fonds par Kiev ; un point sera fait dans deux ans si les Vingt-sept le demandent ; et, s’agissant des fonds communautaires gelés devant revenir à la Hongrie, le pays sera traité de manière « juste et équitable », confirmation implicite que, jusqu’à présent, le blocage de ces fonds constituait bien un pur moyen de pression politique.

Qu’un accord ait finalement pu être trouvé en quelques minutes laisse à penser que le « deal » et sa dramaturgie avaient été préparés en amont. Sans doute pour y mettre une dernière main, une réunion le matin même avait mis en présence en petit comité les dirigeants de trois pays (Allemagne, France, Italie), les chefs du Conseil et de la Commission, et M. Orban. Quoiqu’il en soit, au vu de ces maigres contreparties obtenues par ce dernier, ses nombreux adversaires n’ont pas tardé à triompher, arguant qu’il avait capitulé en rase campagne.

Est-ce si simple ? Bien sûr, les pressions n’ont pas été sans effet sur la conclusion – provisoire – de l’affrontement. Mais il serait erroné de décrire le dirigeant hongrois comme un adversaire de l’Union européenne, ou bien comme un fidèle du président russe, même s’il refuse toujours que son pays expédie ou laisse transiter des armes vers l’Ukraine.

Il fait plutôt figure de fin tacticien, défenseur de ce qu’il estime être les intérêts hongrois. Et il a toujours su ne pas prendre le risque d’un affrontement massif avec Bruxelles dans lequel le rapport de force ne pourrait pas être en faveur d’un pays de 10 millions d’habitants face au reste du bloc. Ainsi, il a laissé passer les douze paquets de sanctions visant Moscou, dont l’adoption requiert l’unanimité.

Mais il a su aussi imposer ses propres « lignes rouges » : le pays importe toujours ses hydrocarbures de Russie, et empêche a fortiori que des sanctions européennes touchent sa coopération avec Moscou dans le domaine de l’énergie nucléaire. Cela devrait être encore le cas pour le treizième paquet, imminent.

Et en lâchant du lest sur le bras de fer des 50 milliards, M. Orban reste dans le jeu pour tenter d’influer sur les prochaines décisions. C’est ce que ses nombreux adversaires européens nomment son « pouvoir de nuisance ». Ces derniers enragent face à cette épée de Damoclès, et n’osent même plus discuter de questions stratégiques à Vingt-sept, de peur, affirment-ils, que les secrets des Européens soient transmis à Vladimir Poutine.

Viktor Orban peut défendre une position moins va-t-en guerre que ses pairs parce qu’il s’appuie sur une aspiration pacifiste

Pour l’heure, deux éléments méritent d’être soulignés après cet épisode. D’une part, la confirmation que les dirigeants de l’UE n’hésitent à exercer aucune pression pour tenter de faire rentrer un pays dans le rang. Ce qui est nouveau, c’est qu’ils s’en vantent.

D’autre part et surtout, Viktor Orban peut défendre une position moins va-t-en guerre que ses pairs parce qu’il s’appuie sur une aspiration pacifiste de son peuple, une aspiration qui est partagée dans d’autre pays. Cela vaut particulièrement en Slovaquie, voire en Autriche, où les gouvernements ne sont pas les plus russophobes. Cela vaut également en Italie ou en Bulgarie, malgré le tropisme ultra-atlantistes des gouvernants actuels.

En dernière analyse, c’est bien l’état d’esprit des peuples qui sera de plus en plus déterminant. D’où la nervosité bruxelloise.

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Le « tournant social » de la Commission, un poisson d’avril avant l’heure…

Par : pierre

Besoin de remplir des pages quand l’actualité économique et sociale est réputée en pause ? Inquiétude devant le scepticisme populaire sur la poursuite de la « grande aventure européenne » ? Ou dernier coup de chapeau de l’année décerné à Bruxelles avant de clore 2023 ?

Toujours est-il que Le Monde, dans son édition datée des 31 décembre et 1er janvier, a publié une chronique signée de la sociologue Dominique Méda pour vanter le « tournant social de l’Union européenne ». Après avoir pris la précaution de vérifier qu’il s’agit bien du 1er janvier et non du 1er avril, la curiosité est grande de découvrir les traits de cette révolution qui avait manifestement échappé aux simples citoyens.

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Le « tournant social » de la Commission, un poisson d’avril avant l’heure

Par : pierre

Besoin de remplir des pages quand l’actualité économique et sociale est réputée en pause ? Inquiétude devant le scepticisme populaire sur la poursuite de la « grande aventure européenne » ? Ou dernier coup de chapeau de l’année décerné à Bruxelles avant de clore 2023 ?

Toujours est-il que Le Monde, dans son édition datée des 31 décembre et 1er janvier, a publié une chronique signée de la sociologue Dominique Méda pour vanter le « tournant social de l’Union européenne ». Après avoir pris la précaution de vérifier qu’il s’agit bien du 1er janvier et non du 1er avril, la curiosité est grande de découvrir les traits de cette révolution qui avait manifestement échappé aux simples citoyens.

L’auteur cite d’abord l’étude d’un économiste américain selon lequel « la mondialisation porte – avec le libre-échange, la libéralisation des capitaux et l’automatisation – (la) responsabilité essentielle, (…) depuis les années 1990, (de la) forte insécurité économique pour certaines populations ». « La désindustrialisation, les délocalisations, la déformation du partage entre capital et travail se sont opérées au détriment » de ces groupes sociaux, précise pour sa part la sociologue.

Celle-ci pointe des conséquences politiques : « cette situation aurait dû logiquement profiter à la gauche, mais les dirigeants politiques d’extrême droite ont réussi à la retourner à leur avantage ». Pour faire échec au parti de Marine Le Pen, il faut donc d’urgence « rompre avec une mondialisation conçue en fonction des besoins du capital afin d’obtenir un rééquilibrage en faveur du travail ».

Hélas, soupire Dominique Méda, le gouvernement français « n’a pas choisi cette voie, bien au contraire ». Mais heureusement, il y a l’Union européenne, car s’enthousiasme-t-elle : « ce sont la Commission et le Parlement européens qui semblent amorcer un tournant social ».

Les institutions de l’UE ont impulsé et organisé la déréglementation du marche du travail, et donc créé les conditions du développement des firmes Uber et consorts

Elle cite trois exemples qui devraient achever de convaincre les lecteurs du quotidien des élites libérales françaises. Le premier concerne la directive relative à l’amélioration des conditions de travail des personnes dont le revenu dépend d’une plate-forme numérique. Pour mémoire, le texte en question énumère les critères qui devraient permettre à certains « faux indépendants » de réclamer un statut de salarié.

L’ubérisation porte en elle-même une logique de « dumping social auquel se livrent les nombreuses plates-formes qui échappent aux obligations du droit du travail et font perdre à la Sécurité sociale des centaines de millions d’euros de cotisations » note à juste titre Dominique Méda, qui se réjouit que la future directive européenne puisse ainsi repêcher certains esclaves des temps modernes.

Elle omet cependant un détail : ce sont précisément les institutions de l’ UE – Commission, Conseil, Parlement – qui ont de concert impulsé et organisé la déréglementation du marche du travail, et donc créé les conditions du développement des firmes Uber et consorts. En France, la loi El Khomri, votée en 2016, avait provoqué une mobilisation syndicale de masse (hélas vaine) contre la « flexibilisation » du droit du travail. Ladite loi découlait directement des « recommandations » adressées à la France par Bruxelles.

Aujourd’hui encore, la même Commission fait dépendre le versement des subventions post-Covid destinées aux Etats membres du zèle avec lequel ces derniers mettent en œuvre les « réformes » néo-libérales. Ces dernières n’ont pas exactement pour but la protection des droits des travailleurs…

Bruxelles se fait le fer de lance non seulement de la défense des prolétaires du Vieux Continent, mais aussi des déshérités du monde entier…

Le deuxième exemple donné est analogue. Il porte sur la « directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité » (le choix des mots est un bel exemple de poésie technocratique). Ledit texte appelle les entreprises à « respecter les droits humains et l’impact environnemental sur l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement ». Bruxelles se fait ainsi le fer de lance non seulement de la défense des prolétaires du Vieux Continent, mais aussi des déshérités du monde entier…

Ravie de cette soudaine croisade bruxelloise, la sociologue dénonce « la manière dont la libre circulation des capitaux et des marchandises avait permis aux entreprises transnationales de s’émanciper des responsabilités sociales et environnementales qui pesaient auparavant sur elles à travers les droits nationaux ». Mais omet de rappeler que la libre circulation des capitaux et des marchandises constitue le plus emblématique fil rouge de l’intégration européenne. Avec celle de la main d’œuvre et des services, la « quadruple liberté » de circulation figure même dans les traités fondateurs.

La libre circulation des capitaux et des marchandises constitue le plus emblématique fil rouge de l’intégration européenne

Le troisième exemple est tiré du futur règlement européen encadrant l’intelligence artificielle. Le texte en question établit une typologie entre domaines « à risque inacceptable », « risque élevé » et « risque limité » ; et fixe des objectifs de transparence sur les algorithmes. Mais l’auteur vante surtout « plusieurs dispositions contribuant à améliorer les conditions de travail ». Lesquelles ? De qui ? Hélas, faute de place certainement, elle ne le précise pas…

Enfin, se réjouit-elle, « une dernière avancée mérite d’être mentionnée. Il ne s’agit certes que d’une résolution du Parlement européen – non contraignante –, mais elle dessine une voie novatrice ». Ladite résolution appelle l’UE notamment à investir dans une « transition écologique qui sera créatrice d’emplois de qualité ». Car, selon les eurodéputés, « 1,4 million d’emplois faiblement ou moyennement qualifiés ainsi que 450 000 emplois hautement qualifiés seront créés à la suite de l’augmentation des investissements dans la rénovation des bâtiments et de la réduction de la consommation d’énergie des combustibles fossiles pour le chauffage ».

Des chiffres – dont la méthode de calcul est inconnue – à comparer à d’autres, cités en 2020 par Luc Triangle, un dirigeant syndical belge alors à la tête de la fédération européenne IndustriAll. Cette dernière (qui n’a vraiment rien d’un syndicat anti-européen)  pointait alors les conséquences du « Green Deal » concocté par Bruxelles pour « sauver la planète » : « nous parlons ici d’environ 11 millions d’emplois affectés directement dans des industries extractives, à haute intensité énergétique et automobile ».

Alors, Bruxelles chevalier du progrès social face aux Etats récalcitrants ? L’affirmation prête à sourire. Et à supposer même qu’elle ne soit pas absurde, ceux qui y croient oublient qu’aucune conquête sociale ne peut être octroyée d’en haut ; elle ne peut être obtenue que par la lutte.

Ce qui n’empêche pas le serpent de mer de « l’Europe sociale » de refaire surface très régulièrement. En 1997, le parti socialiste européen tenait congrès à Malmö en arborant déjà ce slogan. Avec l’arrivée d’Anthony Blair au pouvoir à Londres, de Lionel Jospin à Paris, puis celle, imminente, de Gerhard Schröder à Berlin, la social-démocratie allait balayer les derniers obstacles à l’Europe sociale…

Déjà une décennie plus tôt, François Mitterrand, alors qu’il venait d’être élu président, déclamait solennellement : « l’Europe sera sociale ou ne sera pas ».

On connaît la suite.

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Un sommet des faux-semblants…

Par : pierre

Ce devait être un Conseil européen crucial, explosif et à rallonge. Ce fut un sommet des faux semblants. Les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept, réunis les 14 et 15 décembre, avaient à leur menu deux dossiers, en particulier, qui promettaient des affrontements sérieux. Au point que plusieurs participants avaient confié qu’ils s’étaient munis de nombreux chemises ou corsage pour tenir plusieurs jours – jusqu’à Noël avaient même plaisanté l’un d’entre eux.

Finalement, la réunion s’est achevée dans les délais initialement prévus. Les deux points controversés – l’un et l’autre concernant particulièrement l’Ukraine – ont finalement été traités dès la première journée, avec un point commun : les décisions (ou non décisions) pourront être inversées début 2024…

Le premier dossier concernait l’élargissement de l’UE. Le Conseil européen a ainsi donné son feu vert au lancement des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, la Moldavie, mais aussi avec la Bosnie-Herzégovine. Les deux premiers pays s’étaient vu accorder le statut officiel de pays candidat en juin dernier (le troisième l’avait déjà).

Il y a cependant un « mais » : les discussions ne pourront être réellement lancées que quand les « recommandations » que leur avait fixées la Commission européenne en novembre seront remplies (il reste « du travail » à faire, selon Bruxelles, notamment sur les lois anti-corruption à mettre en place), et que les Vingt-sept l’auront formellement constaté, à l’unanimité, au premier trimestre 2024. Autant dire que les feux verts accordés sous les projecteurs médiatiques sont plus symboliques que réels.

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Un sommet des faux-semblants

Par : pierre

Ce devait être un Conseil européen crucial, explosif et à rallonge. Ce fut un sommet des faux-semblants. Les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept, réunis les 14 et 15 décembre, avaient à leur menu deux dossiers, en particulier, qui promettaient des affrontements sérieux. Au point que plusieurs participants avaient confié qu’ils s’étaient munis de nombreux chemises ou corsage pour tenir plusieurs jours – jusqu’à Noël avaient même plaisanté l’un d’entre eux.

Finalement, la réunion s’est achevée dans les délais initialement prévus. Les deux points controversés – l’un et l’autre concernant particulièrement l’Ukraine – ont finalement été traités dès la première journée, avec un point commun : les décisions (ou non décisions) pourront être inversées début 2024…

Élargissement : les feux verts accordés sous les projecteurs médiatiques sont plus symboliques que réels

Le premier dossier concernait l’élargissement de l’UE. Le Conseil européen a ainsi donné son feu vert au lancement des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, la Moldavie, mais aussi avec la Bosnie-Herzégovine. Les deux premiers pays s’étaient vu accorder le statut officiel de pays candidat en juin dernier (le troisième l’avait déjà).

Il y a cependant un « mais » : les discussions ne pourront être réellement lancées que quand les « recommandations » que leur avait fixées la Commission européenne en novembre seront remplies (il reste « du travail » à faire, selon Bruxelles, notamment sur les lois anti-corruption à mettre en place), et que les Vingt-sept l’auront formellement constaté, à l’unanimité, au premier trimestre 2024. Autant dire que les feux verts accordés sous les projecteurs médiatiques sont plus symboliques que réels.

Cela n’a pas empêché les uns et les autres de pousser des cris de joie. A commencer par le président ukrainien (photo, en vidéo lors du Conseil) qui s’est écrié : « c’est une victoire pour l’Ukraine, une victoire pour toute l’Europe, une victoire qui motive, inspire et renforce ». Le président du Conseil européen, Charles Michel (photo, à droite), s’est réjoui d’un « signal politique très fort », tandis que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qualifiait la décision de « stratégique » (le plus haut compliment dans le jargon bruxellois).

La plupart des participants se sont exprimés à l’unisson. « Une décision historique » a salué de loin la Maison-Blanche, l’Oncle Sam considérant manifestement qu’il est un peu chez lui à Bruxelles.

Viktor Orban a accusé ses collègues de piétiner délibérément leurs propres règles

Comme attendu, la seule fausse note publique est venue du premier ministre hongrois. Viktor Orban a qualifié la décision d’« insensée ». Il a accusé ses collègues de piétiner délibérément leurs propres règles, à savoir l’ouverture de négociations sur la seule base du « mérite », autrement dit en examinant si les conditions requises sont remplies. Au lieu de cela, les participants n’ont pas caché vouloir, par cette décision, envoyer un « message à Moscou », à savoir : l’Ukraine appartient à la sphère occidentale.

Deux types de raisons peuvent expliquer ce cavalier seul de Budapest. D’une part, de nombreux observateurs estiment qu’il s’agit de négocier le versement des 22 milliards que Bruxelles doit à la Hongrie, mais qui ont été gelés par la Commission tant que le gouvernement de ce pays viole « l’état de droit » (notamment en matière d’indépendance de la justice). Du reste, Bruxelles avait débloqué partiellement (10 milliards) quelques jours avant le sommet, espérant ainsi assouplir la position hongroise – une concession dénoncée par de nombreux eurodéputés, qualifiant cette concession de « pot de vin » accordé à M. Orban.

D’autre part, ce dernier est bien conscient des conséquences économiques et sociales catastrophiques qu’une adhésion de pays particulièrement pauvres aurait pour l’UE en général, pour les pays d’Europe centrale en particulier.

Du reste, les cadeaux déjà offerts à l’Ukraine provoquent en ce moment même la révolte des chauffeurs routiers polonais, qui, victimes de cette concurrence nouvelle, bloquent de nombreux poins de passage aux frontières. Quant à la politique agricole commune, elle « s’effondrerait si nous (la) laissions telle qu’elle est et que nous élargissions l’UE à l’Ukraine, à la Moldavie et aux pays des Balkans occidentaux », a estimé le ministre allemand de l’agriculture.

Plusieurs capitales se réjouissent discrètement du veto hongrois

Ce qui explique que plusieurs capitales ne sont en réalité guère enthousiastes à l’idée que l’adhésion de l’Ukraine se réalise un jour. Elles préfèrent prétendre officiellement le contraire… mais se réjouissent discrètement du veto hongrois.

« Veto » ? De fait, le feu vert à l’ouverture des négociations d’adhésion nécessite l’unanimité des Vingt-sept. Mais à Bruxelles, on ne manque pas d’imagination. Au moment où la décision devait être prise, Viktor Orban a opportunément quitté la salle de réunion, dans un scénario évidemment préparé à l’avance. Résultat : aucun vote contre n’a été enregistré, et le Conseil a pu ainsi offrir son cadeau tant attendu à Volodymyr Zelensky.

De son côté, le dirigeant hongrois peut clamer qu’il n’a pas perdu la face, ni participé à une décision qu’il réprouve. Budapest a en outre rappelé qu’il y aurait « 75 occasions » de stopper le processus si celui-ci démarre, en plus de l’évaluation (à l’unanimité) des conditions préalables début 2024…

Budapest a refusé le « paquet budgétaire », au grand dam des autres pays

Viktor Orban, encore lui, a été plus carré dans le deuxième dossier « chaud » : l’augmentation du budget pluriannuel de l’UE en cours (2021-2027). Le choc économique provoqué par le Covid, puis surtout le soutien économique et militaire à Kiev ont vidé les caisses bruxelloises plus vite que prévu. Faut-il dès lors les renflouer, et dans quels domaines prioritaires ? Ou bien faut-il opérer des « redéploiements », c’est-à-dire des coupes dans certains domaines budgétaires ?

Le premier point de vue est soutenu par les pays du sud, dont l’Italie, mais aussi par la France. Et, classiquement, les pays dits « frugaux » – les Nordiques, les Pays-Bas, l’Autriche, menés par l’Allemagne – sont dans le camp d’en face. Cependant, la plupart d’entre eux font une exception pour l’Ukraine : celle-ci doit, selon eux, recevoir les 50 milliards d’aide (17 milliards de dons, 33 milliards de prêts préférentiels) qui lui ont été promis.

Dans ce contexte, vingt-six pays avaient fini par trouver un compromis : plutôt que les 100 milliards initialement proposés par la Commission, le supplément budgétaire s’élèverait à 73 milliards qui seraient alloués à la protection des frontières, à la politique migratoire, à la recherche technologique, à l’industrie d’armement, et… aux remboursements de l’emprunt commun de 750 milliards souscrit en 2020, dont le coût devient bien plus élevé que prévu.

Le compromis comprenait donc les 50 milliards de soutien « macroéconomique » à Kiev (qui viendraient s’ajouter aux 85 milliards déjà versés par l’UE et ses Etats membres depuis février 2022). Concrètement, il s’agit d’assurer par exemple une partie des salaires des fonctionnaires, et éviter ainsi que l’Etat ukrainien – notoirement corrompu – se retrouve en faillite.

C’est ce « paquet budgétaire » que Viktor Orban a refusé, au grand dam de ses collègues. Une  phrase laconique figure donc dans les conclusions : « le Conseil européen reviendra sur cette question au début de l’année prochaine ». Et, dans les coulisses, on prévoit un « plan B » pour financer l’Ukraine si la Hongrie maintient son refus. A condition bien sûr que d’autres capitales ne rejoignent pas Budapest d’ici là.

L’enfer subi par les Gazaouis ne trouve aucun écho dans les conclusions des Vingt-sept

Le sommet a également attribué le statut de pays candidat à la Géorgie. Et a traité d’autres points qui figuraient à son menu : politiques migratoires, « sécurité et défense », perspectives de réformes institutionnelles, relations avec la Turquie (les négociations d’adhésion avec Ankara ont été ouvertes en… 2005 et sont au point mort).

Mais les conclusions commencent par plus de trois pages pour « condamner résolument la guerre menée par la Russie et (affirmer la) solidarité inébranlable avec l’Ukraine et sa population ». Elles confirment un douzième paquet de sanctions contre Moscou et abordent la perspective de mettre la main sur les intérêts des avoirs russes gelés.

En revanche, elles se contentent d’indiquer : « le Conseil européen a tenu un débat stratégique approfondi sur le Proche-Orient ». L’enfer subi par les Gazaouis ne trouve aucun écho dans le texte.

Bilan du sommet : les deux points qui s’annonçaient explosifs restent entiers. La perfusion pour Kiev a été bloquée, mais demeure sur la table des Vingt-sept pour début 2024. Quant aux négociations d’adhésion, elles sont officiellement ouvertes, mais ne commenceront pas avant un nouvel examen.

En outre, le Conseil a omis un détail : l’adhésion proprement dite supposerait que l’Ukraine gagne la guerre – seule hypothèse que l’UE envisage. Mais cela n’est pas exactement ce qui se dessine sur le terrain.

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Nouvelles bisbilles au sommet : sur les gros sous, et sur Gaza…

Par : pierre

Le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept qui s’est déroulé les 26 et 27 octobre est passé (presque) inaperçu. Il a pourtant apporté un nouveau lot de dossiers sur lesquels les Vingt-sept laissent apparaître leurs divisions. Après l’énergie, l’immigration et l’élargissement, deux domaines – et non des moindres – risquent de s’avérer explosifs : les questions de gros sous, et la politique extérieure notamment face au Moyen-Orient.

Le premier point n’est pas vraiment nouveau : l’élaboration du « cadre financier pluriannuel » provoque, tous les sept ans, des bras de fer homériques entre les Etats membres. Schématiquement, les pays baptisés « radins » par Bruxelles (les Pays-Bas, l’Autriche, les Nordiques…) tentent de réduire au maximum le budget communautaire, auquel ils apportent une contribution nette ; tandis que les pays, souvent à l’Est, qui reçoivent plus qu’ils ne payent, militent au contraire pour une expansion des dépenses.

Cette fois cependant, c’est particulier : il s’agit d’amender le budget en cours (qui couvre la période 2021-2027). Et c’est la Commission européenne qui est à l’initiative. Celle-ci pointe en effet l’écart croissant entre les recettes initialement prévues, et les nouvelles ambitions affichées par l’UE.

Bruxelles plaide ainsi pour « renforcer la compétitivité européenne » face au soutien public massif que les Etats-Unis offrent aux entreprises présentes sur leur sol, notamment (mais pas seulement) dans les « industries vertes ». Des aides tellement attrayantes que de nombreuses grandes firmes européennes préparent ou envisagent des délocalisations outre-Atlantique, quitte à sacrifier des dizaines de milliers d’emplois sur le Vieux continent. Montant de cette rallonge réclamée par Bruxelles pour ladite « compétitivité » : 10 milliards d’euros, au grand dam de Berlin et de La Haye.

La Commission veut aussi 15 milliards supplémentaires pour financer la régulation des flux migratoires – un dossier sur lequel les Vingt-sept ne cessent de s’écharper. Autre point litigieux : le surplus de financement qui s’annonce nécessaire avant de faire entrer les pays candidats au sein de l’UE.

Mais c’est l’« aide » à Kiev qui constitue le plus lourd dossier, pour lequel les contribuables des Etats membres risquent d’être le plus ponctionnés. C’est aussi celui auquel le sommet consacre les trois premières pages de ses conclusions… quelques jours après l’embrasement du Moyen-Orient. On peut notamment lire : « l’Union européenne continuera de fournir un soutien financier, économique, humanitaire, militaire et diplomatique fort à l’Ukraine et à sa population aussi longtemps qu’il le faudra ».

La rallonge budgétaire est chiffrée à 50 milliards d’euros, auxquels devraient s’ajouter, hors budget, 20 milliards d’aide strictement militaire (équipements, munitions, formations et entraînements). Cependant, l’unanimité n’est plus tout à fait de mise : les premiers ministres hongrois et slovaque ont annoncé leur opposition. On saura en décembre – échéance à laquelle la modification budgétaire devrait être adoptée – s’ils joignent le geste à la parole.

Bref, au total la Commission réclame 100 milliards supplémentaires… Rien que ça ! Le tiers serait emprunté sur les marchés financiers, alors même que, notamment du fait des décisions de la Banque centrale européenne, les taux d’intérêt grimpent en flèche (ce qui entraîne déjà un accroissement considérable du coût de l’emprunt communautaire de 2020 finançant le plan de relance). Et les deux tiers des 100 milliards seraient financés par des contributions des Etats membres.

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Du sommet de l’UE à celui de l’OTAN, les divergences entre Occidentaux se confirment

Par : pierre

A la veille du sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet, les Occidentaux sont divisés sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique, mais aussi à l’UE. Dans ce dernier cas, les différences se sont fait jour lors du Conseil européen des 29 et 30 juin sur cette question, mais des querelles se sont surtout confirmées sur plusieurs autres dossiers, dont les politiques migratoires.

Heureusement qu’il y a l’Ukraine : au moins les Vingt-sept ont-ils ainsi un dossier pour lequel ils peuvent se réjouir d’un consensus… En réalité, cette affirmation n’a jamais été complètement exacte. Car la Hongrie a toujours fait entendre sa différence face à l’agressivité anti-russe caricaturale dont l’UE fait preuve depuis – au moins – février 2022.

Certes, Budapest a entériné les onze paquets de sanctions successifs visant Moscou. Mais le premier ministre, Viktor Orban, prône plutôt une désescalade, et a freiné ou limité un certain nombre de mesures restrictives que ses vingt-six partenaires auraient voulu imposer. Ce qui n’a pas manqué d’agacer au plus haut point certains de ceux-ci. Globalement cependant, l’UE pouvait se vanter de son « unité » face à l’« agresseur » désigné.

Après le Conseil européen des 29 et 30 juin (au déjeuner duquel s’est joint le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg – photo), cette unité sur ce dossier et sur ces conséquences est apparue fragilisée. Certes, dans leur déclaration finale, les chefs d’Etat et de gouvernement ont affirmé que « l’Union européenne continuera de fournir un soutien financier, économique, humanitaire, militaire et diplomatique fort à l’Ukraine (…)  aussi longtemps qu’il le faudra ».

Mais concrètement, en matière d’accélération de l’aide militaire, les dirigeants européens sont restés dans le vague. Et pour cause : nombre d’outils et d’instruments ont déjà été mis en œuvre. Outre les aides financières, les programmes d’achats communs d’armes, de fabrication de munitions, d’aides aux industries de défense sont déjà lancés. Le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a précisé que 24 000 soldats ukrainiens avaient déjà été formés par des instructeurs européens, et qu’il convenait d’amplifier cet effort. Et les Vingt-sept ont entériné une hausse du plafond de 3,5 milliards pour leur budget militaire officieux (« Facilité européenne pour la paix »).

Ursula von der Leyen a évoqué le chiffre faramineux de 50 milliards supplémentaires pour Kiev dans le cadre du budget communautaire pluriannuel

Pour sa part, la présidente de la Commission européenne a préconisé un doublement à long terme du financement militaire fourni à Kiev. Ursula von der Leyen a même évoqué le chiffre faramineux de 50 milliards supplémentaires dans le cadre du budget communautaire pluriannuel 2024-2027 en voie de révision. « Insuffisant », ont d’ailleurs immédiatement réagi la Pologne et les Etats baltes. « Absurde » a martelé, à l’inverse, Viktor Orban, de la part d’une UE « en faillite », et qui n’a pas de contrôle sur l’utilisation des aides militaires déjà versées à Kiev.

Mais c’est sur la stratégie à long terme que les divergences se sont discrètement révélées. Quels « engagements de sécurité » fournit-on à Kiev après la phase active des combats ? Ledit concept d’« engagements de sécurité » avait été lancé par le président français le 31 mai lors d’un discours à Bratislava. Ce dernier avait alors surpris en proposant d’accélérer l’intégration de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN, l’inverse de la position traditionnelle française. L’année dernière encore, Emmanuel Macron estimait que l’adhésion à la première prendrait des décennies…

Ce changement de discours pourrait bien être tactique, le but étant de faire pression pour imposer des réformes institutionnelles internes de l’UE aujourd’hui bloquées. Quoiqu’il en soit, le maître de l’Elysée a mis mal à l’aise certains pays qui restent attachés (dans une petite mesure) à leur neutralité militaire. L’Autriche, l’Irlande, mais aussi Chypre et Malte ont ainsi fait inscrire dans les conclusions communes que lesdits engagements de sécurité en faveur de Kiev devraient être proposés « sans préjudice du caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ».

Paradoxalement, les ultra-atlantistes comme Varsovie ou les Baltes n’ont pas non plus montré d’enthousiasme face aux suggestions macroniennes, considérant que les « garanties de sécurité » devaient être offertes aux dirigeants ukrainiens dans le cadre prioritaire de l’OTAN. Un sommet de l’Alliance se tient du reste les 11 et 12 juillet à Vilnius ; cette réunion devrait être houleuse (en coulisses) d’autant que Washington, qui avait milité en 2008 pour une adhésion rapide de l’Ukraine à l’OTAN, a aujourd’hui inversé sa position – sans doute pour éviter de donner raison à Moscou qui n’a cessé de dénoncer ce chiffon rouge.

Emmanuel Macron a pris de court même Berlin, non associé à cette volte-face française, ce qui ne fait qu’alourdir encore un peu plus le contentieux entre les deux capitales. D’autant qu’en perspective se profile un autre enjeu plus global : comment faire face au choc considérable que représenterait l’élargissement de l’UE à une dizaines de pays supplémentaires. Car l’Ukraine n’est pas la seule candidate : pas question d’oublier la Moldavie voisine, ni les pays des Balkans, dont certains ont le statut de pays candidat depuis plus de dix ans. Surtout, les faire encore attendre serait laisser la place libre à l’influence russe, ne cesse de proclamer Bruxelles.

D’un autre côté, aucun de ces pays ne répondent, et de loin, aux normes européennes. L’Ukraine, par exemple, s’était vu imposer sept conditions, en juin 2022, avant que ne débute les « négociations » d’adhésion. Seules deux d’entre elles sont jugées remplies aujourd’hui – et certainement pas celle qui concernait la corruption.

Et ces Etats candidats sont particulièrement pauvres. Leur faire de la place priverait près d’une vingtaine de pays membres actuels de leur état de bénéficiaires nets de subventions communautaires, puisque le budget n’est pas extensible. Un véritable tremblement de terre si un jour cette perspective se concrétisait.

C’est sur le dossier des migrations que la querelle la plus explicite a éclaté le 29 juin

Si les fissures entre les Vingt-sept sont ainsi discrètement apparues dans le domaine géopolitique, les divergences entre eux se sont confirmées, lors du sommet du 30 juin, sur d’autres dossiers. Les positions des uns et des autres sont juxtaposées dans les conclusions. Il faut ainsi être ferme avec Pékin… mais la Chine doit rester un partenaire commercial majeur. Il faut soutenir une « politique industrielle » commune volontariste… mais préserver le règne prioritaire de la concurrence.

Et dans les mois qui viennent, les affrontements risquent d’être rudes (y compris entre Paris et Berlin) sur la réforme de la « gouvernance économique », en particulier du Pacte de stabilité. Sans même évoquer les contradictions émergentes découlant des objectifs radicaux du « Pacte vert » (environnement et climat).

Mais, pour l’heure, c’est sur le dossier des migrations que la querelle la plus explicite a éclaté le 29 juin. Début juin, les ministres des Vingt-sept s’étaient mis d’accord sur un mécanisme de « solidarité obligatoire », une procédure imposant aux pays non riverains de la Méditerranée d’accueillir des quotas de réfugiés – ou bien de payer des pénalités.

La Pologne et la Hongrie, farouchement opposées à ce principe, n’avaient pu empêcher le lancement du processus législatif. Lors du sommet, les premiers ministres de ces deux pays ont bloqué l’adoption de conclusions communes, Viktor Orban refusant que l’UE impose une politique migratoire. Mateusz Morawiecki, son collègue polonais, annonçait de son côté un référendum sur cette question dans son propre pays, en même temps que les élections générales prévues cet automne.

A l’évidence, les mois qui viennent s’annoncent difficiles pour les partisans de l’intégration européenne.

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Du sommet de l’UE à celui de l’OTAN, les divergences entre Occidentaux se confirment…

Par : pierre

A la veille du sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet, les Occidentaux sont divisés sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique, mais aussi à l’UE. Dans ce dernier cas, les différences se sont fait jour lors du Conseil européen des 29 et 30 juin sur ce dossier, mais des querelles se sont surtout confirmées sur plusieurs autres thèmes, dont les politiques migratoires.

Heureusement qu’il y a l’Ukraine : au moins les Vingt-sept ont-ils ainsi un dossier pour lequel ils peuvent se réjouir d’un consensus… En réalité, cette affirmation n’a jamais été complètement exacte. Car la Hongrie a toujours fait entendre sa différence face à l’agressivité anti-russe caricaturale dont l’UE fait preuve depuis – au moins – février 2022.

Certes, Budapest a entériné les onze paquets de sanctions successifs visant Moscou. Mais le premier ministre, Viktor Orban, prône plutôt une désescalade, et a freiné ou limité un certain nombre de mesures restrictives que ses vingt-six partenaires auraient voulu imposer. Ce qui n’a pas manqué d’agacer au plus haut point certains de ceux-ci. Globalement cependant, l’UE pouvait se vanter de son « unité » face à l’« agresseur » désigné.

Après le Conseil européen des 29 et 30 juin (au déjeuner duquel s’est joint le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg – photo), cette unité sur ce dossier et sur ces conséquences est apparue fragilisée.

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Insoumission accomplie ? (éditorial paru dans l’édition du 28/06)

Par : pierre

Fin de partie. Après des mois de campagne, quelques grandes tendances se dégagent des quatre tours des élections. A commencer par une abstention record au sein de laquelle le refus de vote prend une place notable. D’autre part, les urnes, qui avaient offert en avril une reconduction sans gloire au maître de l’Elysée, ont infligé, en juin, un retentissant revers à ses amis politiques. A l’inverse, le Rassemblement national, fort d’un score en nette hausse à la présidentielle, a transformé l’essai deux mois plus tard et apparaît comme la seule force politique en progrès.

Enfin, la NUPES, créée par Jean-Luc Mélenchon qui a agrégé ses modestes alliés autour des Insoumis et feint de viser Matignon, a réussi à transformer une stagnation en voix (si l’on compare avec les scores cumulés en 2017 par les partis alliés) en percée en sièges – plus modeste cependant qu’espéré par les stratèges de LFI. Une partie décisive de l’électorat de cette dernière se recrute désormais parmi les couches aisées intellectuelles des centres-villes, celles-là mêmes qui avaient majoritairement assuré la percée d’Emmanuel Macron il y a cinq ans. Et dont l’insoumission reste résolument dans les limites de l’idéologie dominante, en l’occurrence euro-écolo.

Force est de constater une nouvelle fois l’absence de débat sur l’intégration européenne. La publication par Bruxelles, le 13 juin, des « recommandations par pays » aurait pourtant dû fournir une ultime occasion de mettre en lumière le rôle déterminant de l’UE dans l’austérité imposée. La Commission demande notamment à la France de « se tenir prête à adapter les dépenses courantes à l’évolution de la situation ; (…et de) réformer le système de retraite ».

Certes, les Insoumis avaient inscrit la possibilité de « désobéissance » à l’UE. Ce qui avait amené la Macronie à dénoncer la volonté supposée des dirigeants nupessiens de « sortir de l’Europe ». Dieu nous en garde, avaient en substance rétorqué ces derniers, qui n’ont eu de cesse de minimiser la portée de cette « désobéissance » envisagée. Du reste, ont-ils argué, tant la France que Bruxelles font déjà des entorses à leurs propres règles – un rappel qui dégonflait illico la portée subversive de cette illusoire insoumission. Pour Pierre Khalfa, un idéologue proche de LFI, l’UE a deux visages : celui des politiques néolibérales, un contenu qu’il faut combattre ; et celui des valeurs et des institutions communautaires, qui doivent s’imposer aux souverainetés nationales : « il est bon que l’existence des droits démocratiques soit garantie au niveau européen et ne puisse pas être remise en cause par une Cour constitutionnelle nationale » écrivait ainsi l’intellectuel dans une tribune parue dans Le Monde (03/06/22). Bref, dégagée de sa gangue néolibérale, la soumission des peuples à une autorité supranationale est bienvenue.

« Si nécessaire, on trouvera le moyen de transposer le droit européen par voie de décrets et non de lois » – Alain Lamassoure

C’est dans ce contexte qu’Alain Lamassoure a commenté la possible paralysie de l’Assemblée nationale. L’ancien ministre des affaires européennes formula négligemment cette suggestion : « si nécessaire, on trouvera le moyen de transposer le droit européen par voie de décrets ». Apparemment, ça n’a choqué personne, tant il semble naturel que l’ordre bruxellois prévale sur la représentation nationale.

Si, par hypothèse d’école, la coalition dirigée par Jean-Luc Mélenchon l’avait emporté, la configuration politique aurait évoqué celle qui prévalut en Grèce à l’issue des élections de janvier 2015 : Alexis Tsipras devint premier ministre après avoir mené une campagne anti-austérité, tout en affichant son refus de quitter le giron communautaire. Après quelques mois de bras de fer avec Bruxelles, le chef du gouvernement provoqua en juillet un référendum sur les politiques restrictives imposées par l’UE, le gagna… et finit par capituler, deux semaines plus tard, en acceptant le mémorandum qui scella des reculs sociaux d’une brutalité sans précédent. L’ultime argument de M. Tsipras était qu’il fallait à tout prix préserver l’appartenance à l’Union européenne.

Cet attachement est partagé par les composantes de la NUPES. La seule inconnue réside dans le délai qu’eût pris l’abdication en cas de victoire mélenchonesque le 19 juin. A tout prendre, la poursuite du règne macronien comporte au moins l’avantage de ne point porter d’illusions. D’autant que la prévisible détresse parlementaire du président qui a placé son règne sous la bannière européenne laisse finalement ouvert un espace pour débattre d’une option plus cruciale que jamais : accomplir réellement l’insoumission.

C’est-à-dire réaliser la rupture avec l’UE.

Pierre Lévy

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L’inutilité de l’Europe démontrée par Macron (éditorial paru dans l’édition du 23 février)

Par : pierre

Éditorial paru dans l’édition du 23/02/2022, soit avant l’entrée des troupes russes en Ukraine

Misère de l’euro-macronisme. On se souvient qu’Emmanuel Macron avait pris ses fonctions au son de l’hymne de l’UE. Cinq ans plus tard, il chante toujours les louanges de l’intégration européenne : pour peu qu’elle soit unie, l’Europe peut assumer un rôle majeur dans le monde – tel est le credo lyrique du maître de l’Elysée, en parfaite harmonie avec le catéchisme bruxellois. Il vient pourtant lui-même de faire la démonstration du contraire dans deux dossiers brûlants et cruciaux.

Le premier concerne sa décision de mettre fin à la présence de soldats français au Mali. L’annonce a certes été mise en scène, le 17 février, en associant partenaires européens et africains. Mais qui doute un instant que c’est à Paris qu’a été prise la décision de « réarticuler » l’opération Barkhane ? Et de sonner le glas, par voie de conséquence, de la mission Takuba qui associait pourtant des forces spéciales d’une dizaine d’Etats européens (Italie, Estonie, Tchéquie, Suède…).

Ce choix contraint laisse évidemment ouverte la question de la lutte contre l’islamisme radical qui n’a cessé de métastaser au Sahel puis en Afrique de l’Ouest. Il constitue en tout cas l’aboutissement d’une dégradation rapide des rapports entre Paris et Bamako, dès lors que l’« aide » armée s’est accompagnée de la persistance (voire du renforcement) de l’arrogance et de l’ingérence. Ce que les pays africains supportent de moins en moins.

La diplomatie française n’a ainsi pas eu de mots assez durs vis-à-vis de la junte malienne arrivée au pouvoir dans la foulée des coups d’Etat d’août 2020 puis de mai 2021. Elle a mis en cause la légitimité des officiers désormais à la tête du pays – qui bénéficient pourtant d’un large soutien populaire – et exigé d’urgence des élections, avec l’appui de Bruxelles qui a fait ce qu’il sait bien faire : imposer de lourdes sanctions, allant jusqu’au blocus du pays. Comment s’étonner dès lors qu’une large partie du peuple malien ait fêté le départ des soldats français ? Ce même rejet des réprimandes infligées par l’ex-puissance coloniale se retrouve au Burkina Faso et en Guinée, où des militaires ont chassé des régimes corrompus ou impuissants.

Et ce n’est certes pas le sommet UE-Union Africaine des 17 et 18 février (dont Ruptures rendra compte dans une prochaine édition) qui aura regagné les bonnes grâces des peuples africains. 150 milliards d’euros d’investissements ont été promis, en déclamant que le lien Europe-Afrique constitue « le grand projet géopolitique des décennies à venir ». Evidemment sous condition de « transparence », de « bonne gouvernance », et d’écologie. Ce qui n’augure pas d’une coopération d’égal à égal.

A Bruxelles, on ne cache pas qu’il s’agit en réalité de faire pièce aux grands projets chinois d’infrastructures (dits « routes de la soie »), et à une présence militaire russe souhaitée par plusieurs capitales africaines. En coulisse se joue aussi une rivalité entre Paris et Berlin dès lors qu’il s’agit d’accéder aux immenses ressources et marchés africains (la chancelière Merkel avait fait plusieurs tournées fructueuses sur le Continent noir, y compris dans le « pré carré » français).

Quand c’est important, l’UE ne peut faire que de la figuration, le cas échéant en aboyant.

Que les Etats reprennent la main lorsque le défi est essentiel, le président français l’a également démontré dans le second cas, la crise ukrainienne. Il s’était ainsi rendu à Moscou en proclamant vouloir être un « faiseur de paix » par le rapprochement des points de vue. Dans ce dossier, l’Union européenne, dont les Etats membres dissimulent difficilement leurs divergences, ne sait qu’ânonner ad nauseam les éléments de langage belliqueux élaborés à Washington. Et personne ne croit sérieusement qu’Emmanuel Macron ait fait le déplacement en tant que « président de l’UE » (ce qu’il n’est nullement, la France coordonne seulement, ce semestre, les travaux des Conseils des ministres des Vingt-sept). Vladimir Poutine l’a reçu, comme il l’a fait pour le chancelier allemand, mais a évidemment snobé le vrai président (permanent) du Conseil européen, Charles Michel. Quand c’est important, l’UE ne peut faire que de la figuration, le cas échéant en aboyant.

Las, le maître de l’Elysée a jugé bon de se concerter mille fois, avant et après son déplacement, avec ses pairs européens ainsi qu’avec l’Oncle Sam, comme s’il redoutait finalement de parler au nom d’une France majeure et indépendante. S’il l’avait fait, peut-être aurait-il réussi avec son hôte une percée diplomatique en faveur de la paix, et évité le camouflet final de Moscou.

N’est pas de Gaulle qui veut.

Pierre Lévy

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Le grand doute (éditorial paru dans l’édition du 24/01/22)

Par : pierre

« Europe, Europe, Europe ! »… Qui ne se souvient du Général de Gaulle moquant la posture de qui « saute sur sa chaise comme un cabri » en invoquant sa foi européenne ? Imaginait-il que l’un de ses lointains successeurs illustrerait jusqu’à la caricature ce mantra des classes dominantes ? Emmanuel Macron veut en fait profiter de la présidence tournante du Conseil de l’UE, qui échoit pour six mois à la France, pour assurer sa réélection. Non que les partisans de l’intégration européenne soient majoritaires dans le pays, très loin de là, mais ils constituent le socle de son électorat de 2017 sur lequel il entend s’appuyer.

En décembre de l’année dernière, il annonçait un triptyque quelque peu ésotérique – « relance, puissance, appartenance » – et énumérait pêle-mêle les domaines « prioritaires » où il entendait briller : salaire minimum, réglementation du monde numérique, réforme de l’espace Schengen, taxation carbone aux frontières, et promotion d’une Europe diplomatique et militaire « souveraine ». A Bruxelles, on a évidemment souri en coin : la présidence semestrielle n’a en fait guère d’autre prérogative que d’impulser des textes ou initiatives déjà engagés.

Mais ce marketing macronien ne relève pas seulement de l’esbroufe ; il est sous-tendu par une idéologie délétère comme l’illustre le discours que le maître de l’Elysée a tenu, le 19 janvier, devant les eurodéputés. Le chef de l’Etat a renoué avec l’arrogance lyrique dont il usa en 2017 en vantant l’Europe comme « une civilisation à part », une « civilité, une manière d’être au monde, de nos cafés à nos musées, qui est incomparable ». Dès lors que le chauvinisme n’est pas national mais européen, il paraît une vertu à la mode… Et le président n’omet pas de répéter ce non-sens historique selon lequel la construction communautaire a « mis fin aux guerres civiles de notre continent ». Cerise sur le drapeau (étoilé) il flatte l’Assemblée de Strasbourg comme « l’incarnation de notre peuple (européen) rassemblé ». Or même les plus fédéralistes se désespèrent de l’absence d’un « peuple européen ».

Il pointe cependant trois « promesses » de l’Europe qui seraient présentement « bousculées ». La première est le « progrès », dont il cite les aspects qui lui tiennent le plus à cœur : le « défi climatique », la « révolution numérique » et « nos sécurités » – ainsi va le « progressisme » à la Macron. La deuxième est « la paix », dans le contexte d’un « dérèglement du monde ». Face à cela, la vocation de l’Europe est de s’ériger en « puissance d’équilibre », car notre modèle a « une vocation universelle » (que n’entendrait-on pas si les présidents russe ou chinois tenaient de tels propos ?). D’où le plaidoyer pour une « nouvelle alliance avec le continent africain » (on imagine dans quel rapport de forces), et pour arrimer les pays des Balkans occidentaux (essentiellement l’ex-Yougoslavie). Et dire qu’à Bruxelles, on ne cesse d’accuser Moscou de penser le monde en termes de zones d’influence…

L’« Etat de droit » est un concept de la philosophie politique allemande qui place les règles en surplomb du peuple

Enfin et surtout, la troisième « promesse » à chérir et à défendre est « la démocratie » que l’orateur assimile à l’Etat de droit, « notre trésor ». Celui-ci est menacé par un retour aux régimes autoritaires que prôneraient des puissances à nos portes (suivez mon regard) et même des Etats membres de l’UE. Il faut rappeler que l’Etat de droit est un concept de la philosophie politique allemande (« Rechtsstaat »), qui place les règles en surplomb du peuple, là où la tradition française promeut à l’inverse la souveraineté populaire comme légitimité en dernier ressort. Emmanuel Macron le confirme implicitement lorsqu’il affirme que « les droits universels de l’homme doivent être protégés des fièvres de l’histoire ». Comprendre : du peuple. De même, le modèle vanté d’« Etat providence » (le terme n’est pas neutre) est d’essence anglo-saxonne (« Welfare state »), là où la France (comme d’autres pays) s’est au contraire structurée à travers des luttes sociales.

En réalité, il ne peut y avoir de peuple européen parce qu’il n’y a pas de culture politique commune – ce qui n’a rien de dramatique. Sauf pour Emmanuel Macron, nostalgique de sa jeunesse qui fut celle, déclame-t-il devant les eurodéputés émus, de « l’évidence européenne ». Il a ensuite « vécu, comme beaucoup d’entre vous ici, le grand doute européen ». Et de citer au premier chef de cette descente aux enfers le référendum de 2005. Bel aveu. Comme les innombrables partisans (de tous bords) d’une « autre Europe », il en appelle donc à « refonder » celle-ci.

C’est trop tard, Manu.

Pierre Lévy

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Fulgurances eurocratiques (éditorial paru dans l’édition du 28 mai)

Par : pierre

Un chef d’œuvre. S’il existait un concours de langue de bois pétrie d’écriture automatique, les Vingt-sept, réunis le 8 mai à Porto, eussent sans conteste remporté le Grand Prix. Leur texte conclusif porte aux nues la future « transformation en vue d’une reprise équitable, durable et résiliente (…) collective, inclusive, rapide et fondée sur la cohésion (qui) renforcera la compétitivité, la résilience, la dimension sociale et le rôle de l’Europe sur la scène mondiale ». Le tout afin de « réaliser une convergence sociale et économique ascendante ». Et les chefs d’Etat et de gouvernement d’asséner : « nous sommes déterminés à continuer d’approfondir la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux ». Pour les distraits, ledit socle avait été solennellement adopté en novembre 2017 dans la ville suédoise de Göteborg.

A l’époque, Emmanuel Macron, alors fraîchement élu, affirmait que le modèle social français devait s’inspire de la Suède pour « réduire la conflictualité » entre partenaires sociaux. Quatre ans plus tard, le maître de l’Elysée, à l’unisson de Bruxelles, n’en démord pas : « les partenaires sociaux (doivent être) associés à la construction de l’Europe sociale de demain ». Le 29 avril, afin de préparer le sommet de Porto, il réunissait tous les leaders syndicaux et patronaux français, sans qu’un seul manque à l’appel.

S’il n’y avait la réalité des millions d’ouvriers, d’employés, de chômeurs, de jeunes plongés dans les difficultés ou l’angoisse du lendemain, la réapparition régulière de l’arlésienne « Europe sociale » serait cocasse. En 1997 déjà, les socialistes européens, qui accédaient aux responsabilités au Royaume-Uni, en France et bientôt en Allemagne, tenaient leur congrès à Malmö avec un mot d’ordre : « l’Europe sera sociale ou ne sera pas ». On connaît la suite.

L’Europe sociale est une imposture. D’abord parce que l’intégration européenne a été conçue d’emblée dans l’intérêt des oligarchies économiques en vue de déconnecter les peuples de leur souveraineté politique. Ensuite parce que tout syndicaliste sait – ou devrait savoir – qu’aucune avancée pour le monde du travail n’a jamais été conquise que par la lutte, et certainement pas octroyée d’en haut.

Autre récent trait de génie eurocratique visant à « créer du consensus » : la conférence sur l’avenir de l’UE, solennellement lancée le 9 mai à Strasbourg. Une initiative « historique » et « sans précédent » visant à « renforcer la connexion avec nos citoyens », s’est extasiée Dubravka Suica, commissaire à la démocratie et à la démographie (sic !). Et quand il s’agit de fantasmer sur son propre futur, l’Union met en place une usine à gaz dont elle a le secret : une assemblée plénière de 108 députés nationaux, de 108 eurodéputés, de 54 représentants des Etats, de délégués de la Commission, du comité des régions, du comité économique et social, des partenaires sociaux, des ONG. Plus 108 simples citoyens. La plénière sera dotée de panels, d’une plateforme informatique, d’un comité exécutif, d’une présidence tricéphale… Le tout devant aboutir au premier semestre 2022, c’est-à-dire sous présidence française (et juste avant le scrutin présidentiel).

Ces pathétiques gesticulations soulignent en creux le désarroi des élites face à la désaffection populaire quant à leur projet d’intégration européenne

Emmanuel Macron se targue d’avoir été l’initiateur de ce coup de génie (comme déjà en 2018, lors d’un grand débat à l’échelle de l’UE dont nul ne se souvient), et prévoit une préparation hexagonale dudit débat : à l’automne, des conventions régionales devraient réunir des citoyens tirés au sort. Exactement comme lors de ladite « convention citoyenne sur le climat ». A l’époque, la question était de savoir « comment » (et non « si » il fallait) réduire les émissions de CO2. De manière analogue, il s’agira désormais de savoir comment il faut embellir l’UE – et certainement pas s’il faut remettre en cause son existence même.

Ces pathétiques gesticulations sont réjouissantes : elles soulignent en creux le désarroi des élites face à la désaffection populaire quant à leur projet d’intégration européenne. Ce que Michel Barnier souligne à sa manière : l’ancien négociateur européen en chef du Brexit bat actuellement la campagne en mettant en garde contre l’idée que la sortie du Royaume-Uni serait un accident. Selon lui, s’il est trop tard pour ce pays, il est encore temps d’éviter une tentation de sortie dans d’autres Etats, à condition de prendre cette « menace », en France en particulier, au sérieux.

Pour sa part, celui qui entra à l’Elysée en 2017 en héraut de l’Europe exhorte désormais à « résister au défaitisme ambiant ».

Quel aveu…

Pierre Lévy

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L’Europe impuissante ? Heureusement ! (éditorial paru dans l’édition du 27/10/2020)

Par : pierre

C’est leur nouveau totem. Les dirigeants européens veulent une « Europe puissance » qui sache s’imposer dans le monde. A vrai dire, de telles velléités ne sont pas nouvelles. En 2003 déjà, le chef de la diplomatie de l’UE d’alors, Javier Solana, qui fut également secrétaire général de l’OTAN, présentait une « stratégie européenne de sécurité » ayant notamment pour objectif de « répandre la démocratie » à l’échelle du globe. Désormais cependant, l’affaire semble prendre une nouvelle dimension : en inaugurant son mandat à Bruxelles il y a un an, Ursula von der Leyen affirmait vouloir présider une Commission « géopolitique ».

Il y a d’abord l’émergence de la Chine. Pékin est qualifié de « rival systémique ». Josep Borrell, l’actuel Haut représentant de l’UE pour la politique extérieure, illustrait récemment ce concept (Le Monde du 16/10/20) ainsi : « l’Afrique choisira-t-elle un modèle autoritaire à la chinoise ou un modèle démocratique à l’européenne ? ». Qui imposera son modèle – tel semble donc l’enjeu, vu de Bruxelles. Il y a ensuite l’Oncle Sam. Au grand désespoir de ses traditionnels vassaux atlantiques, celui-ci paraît se désintéresser du Vieux continent, voire mener à son encontre des guerres commerciales. Une tendance qui ne devrait pas disparaître même si Donald Trump était battu dans les urnes.

Il y a enfin la Russie, le « suspect habituel », ou plutôt le coupable systématique. Du dossier Crimée à l’affaire Navalny en passant par le vol malaisien MH17, les Vingt-sept ont la réponse : des sanctions, toujours et encore. Quant au conflit meurtrier qui vient de se réactiver entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, Moscou aurait fait preuve, cette fois, de… trop de retenue en ne maîtrisant pas les deux ex-Républiques soviétiques. Heureusement en tout cas que le Kremlin existe : il fournit un adversaire grâce auquel les Vingt-sept parviennent parfois à l’unanimité. Car dans beaucoup d’autres domaines, les dirigeants européens se lamentent de leurs divisions et donc de leur « impuissance ».

Ainsi de l’attitude à adopter face à la Turquie. De la Grèce et de Chypre qui plaident pour la plus grande fermeté jusqu’à la Bulgarie, qui se targue des meilleures relations avec Ankara, il y a tout un nuancier de postures, au sein desquelles Paris et Berlin s’opposent. Autre brillant succès de l’action extérieure de l’UE : celle-ci formait l’armée malienne depuis des années. Avant que les chefs de cette dernière ne renversent le très impopulaire président, au grand dam du parrain européen.

La politique extérieure d’un bloc supranational ne peut être que celle d’un empire : périlleuse pour la paix, et sans égard pour les intérêts nationaux de ses membres

L’impuissance et les échecs de « l’Europe puissance » ne doivent pas étonner. Car si des gouvernements nationaux peuvent défendre un intérêt national (défini par l’histoire, la géographie, l’économie), il n’existe en revanche aucun « intérêt européen » intrinsèque. C’est ce que concède M. Borrell lui-même en pointant la difficulté de définir des positions communes « car l’histoire, la culture, les réflexes identitaires font que nous ne partageons pas la même vision du monde ». Mais c’est pour préciser aussitôt qu’une politique extérieure n’est rien d’autre qu’une « projection d’identité ». Or qu’est-ce que l’« identité » de l’UE, si ce n’est la libre circulation des capitaux, la libre concurrence ? Autrement dit, à l’échelle mondiale, la guerre économique permanente.

L’impuissance et les échecs de « l’Europe puissance » ne doivent pas non plus attrister tous ceux qui sont attachés à l’indépendance, à la souveraineté et aux coopérations – seules bases solides sur lesquelles peut être fondé un ordre international pacifique. Si d’aventure Bruxelles était systématiquement appuyé par des Etats membres unanimes, cela se traduirait par une ingérence agressive accrue, du Moyen-Orient (Syrie, Liban) jusqu’en Amérique latine (Venezuela, Cuba), pour ne prendre que ces exemples.

La politique extérieure d’un bloc supranational ne peut être que celle d’un empire : périlleuse pour des relations internationales pacifiques, et sans égard pour les intérêts nationaux de ses membres. En témoigne l’entretien accordé au Monde (08/10/20) par le président (CDU) de la commission des affaires étrangères du parlement allemand. Norbert Röttgen, qui rêve de succéder à Angela Merkel, enfonce le clou en martelant que « l’Europe doit absolument s’affirmer comme puissance géopolitique ». Reprochant à Emmanuel Macron sa supposée complaisance vis-à-vis de la Russie, il lâche cet aveu : « si chaque pays mène sa politique, l’Europe est en danger ».

Que chaque pays mène sa propre politique ? Manquerait plus que ça !

Pierre Lévy

(Illustration : Ludovic Suttor-Sorel)

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Europe : le mensonge par omission du président-Cupidon

Par : pierre

Dans son entretien du 14-Juillet, Emmanuel Macron a affirmé en substance : « l’Europe paiera ». Mais il s’est bien gardé d’évoquer le Conseil européen des 17 et 18 juillet.

On sait que le président français, élu en mai 2017, aimait s’imaginer en Jupiter, maître des dieux et de l’univers. Plus prosaïquement, il entendait ainsi installer ce que d’aucuns nomment sous d’autres cieux la « verticale du pouvoir ».

Mais en trois ans, le maître de l’Elysée a subi de très fortes tempêtes. Son action et son attitude n’ont pas manqué de provoquer, de la part de nombreux citoyens, l’hostilité, et même la détestation – il l’a reconnu lui-même lors du long entretien télévisé qu’il a accordé le 14 juillet, à l’occasion de la fête nationale.

Avec un double message : je garde le cap, mais je veux essayer, par une nouvelle méthode, plus compréhensive et plus douce, de reconquérir la confiance du peuple, et pourquoi pas son amour… Voilà donc Jupiter s’essayant désormais en Cupidon. La tâche risque cependant d’être rude, d’autant que l’horizon de son mandat n’est plus si éloigné – 600 jours environ.

L’opération de charme tentée devant des millions de téléspectateurs a évoqué un nombre impressionnant de thèmes, de l’épidémie au chômage, de l’industrie à l’environnement, du remaniement ministériel au féminisme.

le point le plus remarquable est que le président n’a presque pas parlé d’Europe – lui qui avait pris ses fonctions au son de l’hymne de l’Union européenne

Pourtant, le point le plus remarquable est qu’il n’a presque pas parlé d’Europe – lui qui avait pris ses fonctions au son de l’hymne de l’Union européenne, et qui se promettait de « refonder » cette dernière, notamment lors de son plaidoyer solennel prononcé le 7 septembre 2017 non loin de l’Acropole d’Athènes.

Du reste, le discours de politique générale prononcé le lendemain 15 juillet par Jean Castex, le nouveau premier ministre, intervention qui fait office de programme pour les vingt mois qui viennent, n’a pas été plus bavard sur ce sujet pourtant central.

Ce 14 juillet, Emmanuel Macron n’a fait qu’une seule allusion à l’UE : questionné sur la manière dont seront financés les 100 milliards d’euros supplémentaires que le président veut consacrer à la relance, celui-ci a en substance répondu : « l’Europe paiera ». On aurait dit du Viktor Orban (le chef de gouvernement hongrois).

Mot à mot, cela donne : « et ces investissements je vais les financer comment ? D’abord parce que nous sommes en train de nous battre à l’Europe pour avoir justement des financements européens, parce que nous avons obtenu durant cette crise l’une des plus grandes avancées européennes des dernières décennies : l’accord franco-allemand du 18 mai dernier ».

Le président fait en réalité allusion au plan de relance, à hauteur de 750 milliards d’euros, présenté le 27 mai par la Commission européenne. Les deux tiers de cette somme seraient distribués sous forme de dons prioritairement aux pays membres les plus touchés par le coronavirus et le tsunami économique, le tiers restant via des prêts.

Bruxelles prévoit que la France percevrait ainsi 39 milliards d’euros. Ledit plan s’est inspiré d’une proposition franco-allemande rendue publique le 18 mai, celle-là même dont parle le chef de l’Etat français : cette proposition suggérait notamment un emprunt commun que la Commission réaliserait sur les marchés financiers au nom des Etats membres.

Deux tout petits détails…

Il y a cependant deux tout petits détails que l’hôte de l’Elysée a omis de citer. Le premier est que le plan de la Commission doit encore être modifié et adopté unanimement par les vingt-sept Etats membres, ce qui est, à ce jour, loin d’être le cas. Le Conseil européen du 19 juin a, une nouvelle fois, échoué, mettant en lumière les contradictions et les disputes entre ceux-ci.

Certes, il est probable qu’un compromis verra finalement le jour, mais rien n’indique que celui-ci sera trouvé lors du Conseil européen de ces 17 et 18 juillet, présenté comme « capital » pour l’Union européenne (ce qui rend le silence présidentiel sur l’Europe encore plus étonnant…). Un accord lors de ce sommet est possible, mais pas certain. Un échec cette fois-ci serait d’ailleurs une gifle tant pour Angela Merkel que pour Emmanuel Macron.

L’autre « détail » oublié par le chef de l’Etat est plus important encore. A supposer que le compromis que trouveraient les Vingt-sept s’approche du schéma présenté par la Commission, Paris recevrait 39 milliards. Mais, en tant qu’Etat membre co-emprunteur sur les marchés financiers, la France devra ensuite rembourser une part des 750 milliards. Or le principe est que chaque pays rembourse non à hauteur des sommes qui lui seront versées, mais en fonction de sa richesse.

Emmanuel Macron a omis de préciser que la France devra rembourser le double des sommes perçues

Autrement dit, le remboursement devrait se faire en fonction d’une clé proche des contributions au budget communautaire. Après l’Allemagne, la France est le deuxième « contributeur net » de l’UE, c’est-à-dire qu’elle verse plus au pot commun qu’elle n’en reçoit. Elle contribue à hauteur de 11% au budget communautaire. Elle pourrait donc avoir à rembourser plus de 82 milliards – sans compter les intérêts qui seraient dus dès 2021 (Berlin, de son côté pourrait rembourser 106 milliards, pour 29 milliards reçus via Bruxelles).

La seule chose qu’Emmanuel Macron ait donc dite à propos de l’UE est que cette dernière paierait. En omettant de préciser que la France devra rembourser le double des sommes perçues.

Cupidon n’a pas brillé par son honnêteté.

 

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Les deux piliers de l’UE vacillent (éditorial paru dans l’édition du 31/03/20)

Par : pierre

Trop tard. Mi-mars, après moult atermoiements, la Commission européenne s’est résignée à invoquer la « clause dérogatoire générale », encore jamais utilisée, qui suspend officiellement l’austérité. Les Etats sont autorisés à dépenser sans compter. C’est la seule chose que Bruxelles pouvait faire de bien : ne plus surveiller, ne plus menacer, ne plus sanctionner – en un mot, la boucler.

Sauf que le mal est fait. Pendant ses vingt-trois ans d’existence, le pacte de stabilité a constitué une arme de destruction massive des dépenses publiques des Etats membres, avec les services publics en première ligne. D’où le désastre tragique en matière de santé publique. En France par exemple, le nombre de lits d’hospitalisation par habitant a été… divisé par deux en trois décennies. Ni le chaos, ni la panique, ni le confinement ne seraient survenus si le pays avait disposé des masques, des tests, des respirateurs, et des personnels nécessaires – bref, si le gouvernement, et tous ses prédécesseurs engagés dans la logique européenne, avaient pris en compte les revendications de l’hôpital public plutôt que de le laminer.

Ce n’est sans doute pas un hasard si l’Italie est au cœur du cyclone. L’hebdomadaire allemand Freitag rappelait récemment comment l’UE avait exigé de Rome, en 2011, une diminution des capacités de soin de 15%, justement au moment où Bruxelles remplaçait Silvio Berlusconi, jugé trop mou, par l’ancien Commissaire européen Mario Monti.

Les Vingt-sept, paniqués par le double tsunami sanitaire et économique, ont donc « suspendu » l’austérité. Mais pour combien de temps ? Car sans le corset du pacte de stabilité, la monnaie unique ne peut tenir longtemps.

Avec l’euro, l’espace de libre circulation Schengen constitue le second pilier célébré par les Européistes. Déjà ébranlé lors de la crise des migrants, il vacille désormais sur ses bases. En l’espace de quelques jours, pas moins de quinze pays – dont l’Allemagne – ont repris le contrôle voire bouclé leurs frontières dites « intérieures », piétinant ainsi les règles les plus sacrées. Le président français fut l’un de ceux qui, jusqu’au 12 mars, affirmaient qu’il convenait de laisser celles-ci ouvertes. Avant, quelques jours plus tard, de décider avec ses pairs de fermer les frontières dites extérieures. Curieux virus, décidément, qui semble faire la différence entre pays membres du club européen et les autres.

Dans la débandade générale, on a vu Paris et Berlin décréter que les précieux masques de protection devraient être prioritairement consacrés à leurs services de soin nationaux – un réflexe logique, qui témoigne que la nation reste ancrée comme le cadre de protection par excellence, mais qui a mis Bruxelles en transes – tandis que Prague subtilisait les masques envoyés à l’Italie par la Chine. L’Italie, justement, qui s’est vu offrir des empathiques condoléances par l’UE ; et des matériels, des personnels soignants et des militaires logisticiens par Pékin, donc, mais aussi par la Russie et par Cuba… Sur les réseaux sociaux de la Péninsule tournent en boucle des millions de messages avec une seule idée : on s’en souviendra. Le ministre des Affaires étrangères, Luigi di Maio, n’a pas dit autre chose.

Jacques Delors confie que l’UE « court un danger mortel », tandis que le président français estime que la « survie du projet européen est en jeu »

Depuis quelques semaines, pour les partisans de l’intégration européenne qui commençaient à réaliser avec terreur que le Brexit pourrait bien être une réussite, il ne pouvait y avoir pire scénario. Le Monde concédait dans un éditorial (20/03/20) que « le chacun pour soi qui prévaut au sein de l’UE n’(a) rien qui puisse donner des regrets aux Britanniques » d’avoir quitté le bloc. Pour sa part, l’hôte de l’Elysée évoquait le 12 mars, pour l’après, une « réflexion sur un changement de modèle » où il conviendrait de « reprendre le contrôle ». Ironie de l’histoire : l’expression est la traduction mot pour mot du slogan central des Brexiters… Même si son appel à « construire une France, une Europe souveraine », contradictoire dans les termes (deux souverainetés concurrentes ne peuvent cohabiter), confirme son attachement au dogme.

Mais l’angoisse monte. Alors que le fameux couple franco-allemand a disparu des radars, le quotidien du soir alertait à nouveau le 28 mars : « l’UE joue sa survie ». Peu avant, Bruno Le Maire évoquait un test crucial pour l’UE. Deux jours plus tard, Jacques Delors confiait qu’elle « court un danger mortel ». Un effroi réitéré par le président français estimant que la « survie du projet européen est en jeu ».

Une épidémie peut en cacher une autre. Bien plus réjouissante.

 

Pierre Lévy – @LEVY_Ruptures

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L’actualité ne se résume pas au virus : Ruptures poursuit son travail d’information

Par : pierre

Tout le pays est désormais « confiné » suite aux mesures contraignantes arrêtées mi-mars. Le but est de tenter de ralentir l’épidémie de Coronavirus.

Les médias audiovisuels (chaînes de télévision, stations radiophoniques) rendent compte largement de cette situation, de l’évolution sanitaire et des conséquences sur la vie sociale. Ce qui est normal.

En revanche, ces médias ont désormais totalement cessé d’informer sur l’actualité internationale. Plus un mot, plus une allusion. Comme si, hors épidémie, il ne se passait plus rien. Comme si le monde s’était subitement arrêté de tourner.

Certes, nul ne conteste la gravité de la maladie qui touche la France, de même que la plupart des autres pays. Mais faut-il pour autant cesser de s’intéresser à l’actualité sur les cinq continents ?

Les migrants coincés à la frontière turco-grecque n’ont pas disparu comme par enchantement, et l’activité diplomatique liée aux décisions d’Ankara se poursuit. Les menées étrangères pour affaiblir la Syrie continuent. Les tensions irano-américaines s’accentuent, notamment sur le sol irakien, avec une escalade des attaques.

En Algérie, au Liban, en Irak, les mouvements s’interrogent sur leur avenir. Au Sahel et plus au sud, les massacres perpétrés par les groupes djihadistes n’ont pas cessé, pas plus que les horreurs de la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yemen.

En Slovaquie, des élections viennent d’avoir lieu ; et les primaires aux Etats-Unis avancent dans des conditions particulières. Les négociations sur un futur accord entre Londres et Bruxelles ont été gelées, mais les enjeux demeurent.

De France Inter à TF1 ou France 2, d’Europe 1 à BFM, de France Culture à Arte, le devoir d’informer sur la marche du monde ne devrait pas avoir disparu.

Pour sa part, Ruptures poursuit son travail. Notre mensuel entend continuer à vous informer sur l’actualité européenne ainsi que sur les grands enjeux géopolitiques.

Pour des raisons évidentes, la chaîne YouTube Le Point de Ruptures a suspendu ses enregistrements. La dernière émission reste bien sûr disponible, et vaut le détour.

Dans ces circonstances, nous donnons plus que jamais priorité à l’édition papier

Mais, dans ces circonstances, nous donnons plus que jamais priorité à l’édition papier.

Sauf cas de force majeure (arrêt de l’imprimerie, non prévu à ce jour…), la prochaine édition sera bouclée le 30 mars, et devrait donc parvenir aux abonnés aux alentours du 2 avril (car le journal prévoit de rendre compte du Conseil européen des 26 et 27 mars). A noter cependant que des retards postaux peuvent perturber la distribution.

Nous remercions tous nos abonnés pour leur fidélité. Et tous ceux qui ne se contentent pas de l’information monothématique seront les bienvenus : c’est le moment où jamais de s’abonner.

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En 2020, une nouvelle Commission intrusive et démissionnaire

Par : Grégoire

La nouvelle Commission d’Ursula von der Leyen marquerait le retour du politique en faveur d’une Europe-puissance ? Un scénario improbable pour 2020…

Par Marie-Françoise Bechtel, vice-présidente de la fondation Res Publica

En 2020, l’installation de la nouvelle Commission européenne, née des amours contrariées d’une majorité parlementaire qui croyait détenir le candidat légitime et de deux gouvernements nationaux désirant le passage en force, signerait-elle le retour au primat du politique ? L’auteur de ces lignes ne demanderait qu’à le croire : ne pourrait-on passer, après tout, par profits pertes l’ADN démocratique douteux d’un organe – la Commission – mi-législatif, mi-exécutif, qu’aucune instance légitime ne contrôle ? Et ce pour permettre enfin à l’Union européenne de définir le périmètre d’une souveraineté retrouvée ?

Cette évolution serait ô combien utile : dans le monde instable qui est celui de ce premier tiers du XXIeme siècle, il faut considérer l’enjeu de la puissance économique, voire financière, d’une zone qui, potentiellement, pourrait être un acteur majeur. Cette analyse est indispensable au regard du bénéfice que pourrait en tirer nos peuples.

Le monde est encore dominé par une puissance américaine plus arrogante que jamais, plus dangereuse aussi pour la paix

Las, les ententes gouvernementales à deux ou trois Etats (à les supposer réelles) ne suffiront pas à reverser la tendance. Dans un monde encore dominé par une puissance américaine plus arrogante que jamais, plus dangereuse aussi pour la paix, les projets et annonces de la nouvelle Commission restent marqués, avec un style différent, par la soumission à l’extérieur de l’UE et l’arrogance à l’intérieur.

Restriction des aides publiques

C’est Margrethe Vestager, vice-présidente, chargée de la concurrence et du numérique qui d’emblée (1) annonce, en guise de nouvelle politique de la concurrence, la révision du système de prohibition des aides publiques. Fort bien ! se dit-on… Car le recours à de telles aides constituent un sujet majeur pour le développement économique des territoires nationaux et régionaux. Hélas ! Il ne s’agit pas, dans l’esprit de la Commissaire, de libérer les initiatives nationales mais au contraire d’intégrer plus encore le contrôle des leviers étatiques en réduisant « la liste des secteurs que les Etats pourront aider à compenser le surcoût occasionné (…) à cause du green deal ».

Pas question donc, bien au contraire, de pousser enfin au développement des industries nationales. Quant aux fusions (pour ceux qui croient aux « champions européens »), la Commissaire qui s’est rendue célèbre par un despotique verdict sur la fusion Alstom-Siemens prévient d’emblée : le projet de fusion PSA-Fiat-Chrysler « sera regardé ». Pas au point toutefois de s’étonner de voir le futur groupe choisir le statut fiscal néeerlandais : ce type de concurrence interne, un des plus nocifs, n’a jamais ému la Commission et l’on sent bien que cet état de fait est appelé à durer.

Langue de bois

Enfin la concurrence des pays tiers soutenant leurs entreprises jusqu’en Europe doit-elle donner lieu à une politique spéciale de la Commission ? « C’est un problème, c’est vrai », reconnaît gravement l’éminente experte. Mais « nous n’avons pas de règles qui nous permettent de nous y attaquer ». Heureusement, « nous y réfléchissons ». Tout cela se passe de commentaires tant le renoncement à toute volonté de type étatique se conjugue avec l’imperium sur les Etats nations, soumis, de par le bon vouloir des traités, à une telle philosophie.

Dans son entretien avec Donald Trump, la présidente de la Commission a fait acte d’allégeance

Quant à la présidente de la Commission (qui devrait, si l’on comprend bien, faire, à la tête de cette institution, preuve d’une réussite qu’elle n’a pas connue dans son pays d’origine…), qu’en attendre ? Ursula von der Leyen a certes confié aux Echos (2) que « l’Europe doit faire la course en tête ». La belle déclaration que voilà… Si certaines de ses positions – acceptation du mix énergétique de chaque Etat, par exemple – semblent moins impériales que celles de son incontrôlable prédécesseur, son absence de soutien à la taxe Gafa, encore confirmée dans son entretien avec Donald Trump à Davos le 22 janvier, laisse les Etats, en premier lieu la France, dans la situation humiliante de rétropédaler en attendant le mécanisme (de longue date annoncé) qui serait demain préconisé par l’OCDE. Ne mentionnons même pas l’abaissement de l’Europe dans le conflit Etats-Unis/Iran comme un fait nouveau : dans son entretien avec Donald Trump, la présidente de la Commission a fait acte d’allégeance. Cette attitude est bien plutôt le témoignage que rien n’a changé depuis l’installation de la nouvelle « dream team »   (« équipe de rêve ») à la tête de l’UE.

« Dream team » ? Il en faudra plus, beaucoup plus pour que les peuples éprouvent ce minimum de fierté sans lequel il n’est même pas besoin de parler d’un « nouveau départ »…

Les analyses publiées dans la rubrique Opinions constituent des contributions aux débats. Elles n’engagent pas la responsabilité de la rédaction du site.

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1 Entretien dans Le Monde du 20 décembre 2019

2 Entretien dans Les Echos du 27 décembre 2019

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2020 : l’année où l’on passera de « malgré le Brexit » à « grâce au Brexit »

Par : Grégoire

En ce qui concerne le Royaume-Uni, 2020 sera l’année où l‘« apocalypse » annoncée fera place, dans les discours publics, au « miracle britannique »

 

Par Charles-Henri Gallois, responsable national de l’UPR pour l’Économie et auteur de l’ouvrage qui vient de paraître : Les Illusions économiques de l’Union européenne, Fauves éditions

Une certitude : 2020 sera l’année où l’on passera, dans les discours publics et peut-être même dans les médias, de « malgré le Brexit » à « grâce au Brexit » ; et de « l’apocalypse » au « miracle britannique » ! Cette certitude s’impose à observer le fossé qui existe, depuis le référendum de 2016, entre les commentaires catastrophistes d’une part et le parcours économique réel du Royaume-Uni d’autre part.

Tous les pseudo-experts, partisans de l’UE, avaient en effet annoncé une apocalypse si les Britanniques osaient quitter cette dernière, c’est-à-dire choisissaient de se libérer de l’UE. Cette apocalypse devait avoir lieu, paraît-il, dès le lendemain du vote. Le référendum se déroula le 23 juin 2016, et 51,9 % des Britanniques ont voté pour la sortie.

Le lendemain, il n’y eut étonnamment pas d’invasion de sauterelles à Westminster, les nouveaux-nés étaient sains et saufs au Portland Hospital et la Tamise ne s’est pas changée en sang.

Il n’y eut que de très faibles averses vers 13 h le 24 juin 2016, ce qui est un tour de force quand on parle de Londres et du Royaume-Uni.

De toutes les prophéties apocalyptiques, aucune n’a eu lieu

Les pseudo-experts ont ensuite scruté l’activité économique dans l’espoir de déceler le moindre signe d’effondrement. Les impies devaient payer.

Manque de chance, de toutes les prophéties apocalyptiques (exode de la City, effondrement de la livre, affaissement des marchés financiers, récession du PIB, hausse du chômage, débâcle des investissements, explosion de l’inflation et baisse massive des prix de l’immobilier…), aucune n’a eu lieu.

Pis encore, la période a été rythmée par de bonnes nouvelles puisque la production manufacturière a augmenté, les investissements ont continué, le chômage a fortement diminué, les marchés immobiliers et boursiers ont crû, la croissance a continué, et pas même 7 000 emplois ont quitté la City, contre les 75 000 pertes « attendues » avant le référendum. Toutes ces données positives étaient accompagnées dans tous les médias français, et certains médias britanniques pro-UE avec la réserve de rigueur « malgré le Brexit ». Comme s’il était sûr et certain que le Brexit serait une catastrophe, du moins c’est l’idée qu’il fallait transmettre au public pour l’effrayer.

Une pluie de bonnes nouvelles en 2020

Manque de chance pour tous les prophètes d’apocalypse, les bonnes nouvelles continuent de pleuvoir pour le Royaume-Uni en ce début d’année 2020 et à quelques jours de la sortie officielle le 31 janvier.

Le gouvernement britannique a annoncé une hausse spectaculaire du SMIC. Outre que cette décision tord totalement le cou à ceux qui prétendaient que le Brexit serait par essence ultralibéral, le SMIC horaire britannique va désormais dépasser le SMIC français (10,24 euros de l’heure au Royaume-Uni contre 10,15 euros en France) au 1er avril 2020 [1]. Cette hausse du SMIC de 6,2 % représente une hausse de 930 £ (environ 1 090 euros) par an pour un temps plein.

Il faut remonter à 1981 pour voir une telle hausse en France. Pendant ce temps-là, les grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ) de la Commission européenne exigent tous les ans à la France de geler le SMIC. La préconisation est d’ailleurs sagement appliquée depuis 2012.

34 milliards de livres supplémentaires pour la santé

L’autre coup dur pour ceux qui parlaient d’un Brexit par essence ultralibéral est l’annonce faite par Boris Johnson d’une dotation supplémentaire de 34 milliards de livres supplémentaires allouée au NHS (National Health Service, équivalent de la branche santé de notre Sécurité sociale) [2].

Sajid Javid, chancelier de l’Échiquier (équivalent de notre ministre des Finances), a brisé une autre illusion européiste. On explique toujours aux Français : « heureusement qu’il y a l’UE pour financer notre agriculture ». C’est vite oublier que la France comme le Royaume-Uni sont des contributeurs nets de l’UE. Cela signifie donc que l’argent versé par l’UE n’est que l’argent des Français et des Britanniques.

Sajid Javid a officialisé le caractère mensonger de cet « argument » en annonçant qu’ils continueront à verser les 3,4 milliards de livres de la PAC après le Brexit [3]. Il y aura autant d’argent qu’avec la PAC, sauf que ce ne sera plus la PAC, ce qui permettra de verser les fonds plus rapidement et de façon plus juste en intégrant des critères tels que la préservation de l’environnement et de la biodiversité plutôt que le critère de taille de l’exploitation de la PAC.

De Facebook à Airbus, le choix du Royaume-Uni

Non seulement il n’y a pas eu d’exode de la City, mais on a appris le 20 janvier que plus de 1 000 banques, gestionnaires d’actifs, société de services de paiements et assureurs vont ouvrir des bureaux dans le Royaume-Uni post-Brexit [4].

Le 21 janvier, Facebook a annoncé qu’il allait engager 1 000 personnes cette année à Londres pour des postes de sécurité et de développement de produits. Et la société américaine va continuer après le Brexit à y développer son plus gros centre d’ingénierie en dehors des États-Unis [5].

Dans la même lignée, Airbus qui avait menacé de quitter le Royaume-Uni avec le Brexit, s’est finalement non seulement engagé à rester mais à développer ses activités outre-Manche [6].

En 2020, la croissance britannique sera supérieure à celle de l’Allemagne et de la France.

Enfin, la nouvelle sans doute la plus importante : le FMI met fin au « projet de la peur », qui consistait pour toutes les institutions officielles à agiter les menaces d’effondrement de l’économie britannique. L’institution annonce que la croissance du Royaume-Uni sera supérieure à celle de la zone euro en 2020 et 2021, soit après la sortie officielle [7]. La zone euro devrait croître de 1,3 % en 2020 et de 1,4 % en 2021 tandis que le Royaume-Uni aurait une croissance de 1,4 % en 2020 et 1,5 % en 2021. Sa croissance serait supérieure à celle de l’Allemagne et de la France.

Une grande claque pour les eurofanatiques qui encaissaient les bonnes nouvelles en alléguant que « de toute façon, cela ne veut rien dire, ils ne sont pas encore sortis ». Ces affirmations étaient, là aussi, d’une mauvaise foi à toute épreuve car les entreprises et les différents acteurs économiques ont déjà intégré le Brexit depuis longtemps. Le moins que l’on puisse dire est que la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu.

Le chômage disparaît, l’emploi se consolide

Depuis le référendum sur le Brexit, les meilleures nouvelles sont sur le front de l’emploi, et cela est confirmé par le rapport de l’ONS (Office for National Statistics, équivalent britannique de l’INSEE) de janvier 2020 [8]. Le chômage était de 5 % en juin 2016. Il est désormais de 3,8 %, soit le plus bas depuis l’hiver 1974, soit depuis 45 ans.

Le redressement est encore plus spectaculaire pour le taux d’emploi, puisque ce rapport de janvier montre qu’il est passé à 76,3 %, ce qui constitue un record historique. Il était de 74,2 % avant le référendum, soit donc une hausse de 2,1 points. Le plus intéressant étant que les emplois créés depuis le référendum ne sont pas du tout des contrat zéro heure ou du temps partiel mais des contrats à temps plein. Entre juin 2016 et décembre 2019, 1,2 million d’emplois ont été créés alors même que le nombre de contrats à temps partiel a diminué de 19 500. La part d’emploi à temps partiel dans l’emploi total est passée de 36,9 % à 35,1 %.

Prise de conscience

Les faits, les données vont ainsi continuer, mois après mois, en 2020, à donner tort à tous ceux qui juraient que toutes les plaies de la crise et de la récession s’abattraient sur le Royaume-Uni, emporté par le Brexit. Il en sera alors fini des illusions européennes. Espérons que le phénomène ouvre les yeux à nos compatriotes pour qu’ils trouvent la force et le courage de se libérer de l’UE et de l’euro par le Frexit. N’ayons plus peur et cessons d’écouter ceux qui se sont trompés sur à peu près tout depuis 40 ans.

Les analyses publiées dans la rubrique Opinions constituent des contributions aux débats. Elles n’engagent pas la responsabilité de la rédaction du site.

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[1]https://www.capital.fr/economie-politique/le-salaire-minimum-va-augmenter-de-6-au-royaume-uni-et-depasser-notre-smic-1358685

[2]https://www.telegraph.co.uk/politics/2019/12/18/boris-johnson-put-nhs-heart-domestic-agenda-queens-speech/

[3]https://euobserver.com/tickers/147015?fbclid=IwAR1MU3qwEcEwtbkY342FMV_qKfaw5axTHpbvSeOQ96e_eUYmBpQ6JWh9i-E

[4]https://uk.reuters.com/article/us-britain-eu-banks/a-thousand-eu-financial-firms-plan-to-open-uk-offices-after-brexit-idUKKBN1ZJ00D

[5]https://www.reuters.com/article/us-facebook-europe-business/facebook-targets-uk-growth-with-1000-hires-this-year-idUSKBN1ZK0G4?fbclid=IwAR1rrbOylzwstJN0Y7LjhYw0eTOWNHekJYaVDGB-R9Vs4Xf3JTGMIpb8rFs

[6]https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-01-08/airbus-chief-faury-pledges-expansion-in-the-u-k-after-brexit

[7]https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2020/01/20/weo-update-january2020

[8]https://www.ons.gov.uk/employmentandlabourmarket/peopleinwork/employmentandemployeetypes/bulletins/uklabourmarket/january2020/pdf

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Pourquoi la victoire de Boris Johnson est une bonne nouvelle

Par : Grégoire

La victoire de Boris Johnson est celle de la démocratie contre l’establishment. Dans la foulée du scrutin, il faut toutefois surveiller le risque d’éclatement du Royaume-Uni et l’intensification des tensions régionales en Europe.

Par Jean-Michel Quatrepoint, journaliste, auteur notamment de Délivrez-nous du bien, halte aux nouveaux inquisiteurs, éditions de l’Observatoire, 2018.

« Get Brexit done ! » (« Que le brexit soit ! ») Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Avec un slogan aussi simple que concret, Boris Johnson a savouré son triomphe aux élections législatives anticipées. Les conservateurs obtiennent leur plus large majorité depuis Margaret Thatcher. Le Labour subit une défaite historique. Tout comme les européistes du parti libéral-démocrate. Ce vote marque d’abord une victoire sans appel des Brexiters. Et, en corollaire, une défaite de tous ceux qui rêvaient de faire revoter les Britanniques sur leur sortie de l’Union européenne.

Depuis le vote du Brexit, le 23 juin 2016, les opposants, à Londres aussi bien qu’au sein de l’Union européenne, ont tout fait pour contraindre les Britanniques à revenir sur leur décision. On ne quitte pas cette Union. Quand on y entre, c’est un engagement à vie. Si jamais un peuple manifeste des velléités de ne pas épouser la Doxa, on le fait revoter ou on lui impose, par une autre voie, le texte qu’il a rejeté. Les Français en savent quelque chose depuis le référendum de 2005.

Lobbying de l’establishment

Tout au long de ces trois dernières années, on a tenté d’enfermer les Britanniques dans un carcan. Theresa May s’est d’abord vu imposer par les Vingt-sept un accord qui revenait à vider le Brexit de sa substance. L’Angleterre ne sortait qu’en apparence. Elle n’avait plus les avantages d’être dans l’Union, mais elle en avait les inconvénients. Les milieux économiques, les cercles londoniens, l’establishment ont ensuite fait pression sur les parlementaires britanniques, en nourrissant le secret espoir qu’in fine, on déboucherait sur un nouveau référendum.

L’intelligence de Boris Johnson aura été de revenir à l’essentiel : respecter le vote populaire

Avec une bonne campagne de communication, ils se faisaient fort de faire basculer les quelques pourcents nécessaires pour inverser le vote. Enfin, ces mêmes milieux ont intensifié leur lobbying sur les parlementaires tories pour qu’ils refusent un « hard Brexit ». Résultat : affaiblie, incapable d’imposer son accord et son autorité, Theresa May a jeté l’éponge.

L’intelligence de Boris Johnson, bête noire des médias bien-pensants, notamment en France, aura été de revenir à l’essentiel : respecter le vote populaire et laisser le Brexit se faire. Il a renégocié certains points de l’accord conclu par Mme May et demandé au peuple souverain de trancher. Non pas à l’occasion d’un nouveau référendum, mais de législatives anticipées. Même s’il a fait Eton, l’équivalent de notre ENA, et qu’il est issu d’une famille de la gentry, Boris Johnson n’est pas un conservateur traditionnel. C’est un souverainiste. Un populiste, selon ses détracteurs, pour qui ce terme est une injure.

Question culturelle plutôt qu’économique

Il a compris que le Brexit était avant tout une question culturelle. La volonté d’une majorité des Britanniques d’être maîtres chez eux, de pouvoir contrôler l’immigration, avec une meilleure sécurité au quotidien. Dans les motivations des Brexiters, des classes populaires, l’économie, le social venaient au second rang. Toutes les prévisions apocalyptiques faites par l’establishment sur les conséquences économiques du Brexit sont donc tombées à plat.

D’autant que le programme électoral des conservateurs, lorsqu’on le regarde de près, n’a rien de néo-libéral. Il a même une approche protectionniste, voire étatiste. Il concerne le quotidien des Britanniques. À commencer par les services publics de base en déshérence à l’image du système de santé et des chemins de fer. Boris Johnson promet des constructions d’hôpitaux, des embauches massives, voire même une renationalisation du rail. Bref, une politique qui doit être au service « des gens ordinaires et pas seulement des élites ». Au passage, on remarquera bien des similitudes avec la situation en France.

Les voix de Farage siphonnées

Boris Johnson a réussi à unifier les souverainistes. Il a siphonné l’électorat de Nigel Farage, qui fut l’artisan du Brexit en forçant David Cameron à organiser le référendum. Issu des rangs des Tories, ce Thatchérien, ultra-libéral et même d’extrême droite, avait obtenu, avec son parti UKIP, 12,7 % des voix aux législatives de 2015. Aux dernières européennes de 2019, UKIP, transformé en parti du Brexit, était même arrivé en tête. Mais les positions extrémistes de Farage rendaient impossible son accession au pouvoir.

En prenant clairement position pour le Brexit et en affichant son souverainisme, Boris Johnson offrait à l’électorat conservateur une alternative crédible. Nigel Farage a compris qu’il avait moins à perdre en soutenant Johnson qu’en présentant ses propres candidats. Ce dernier a ainsi obtenu que UKIP se désiste là où il y avait un député conservateur sortant. Le camp du Brexit a joué uni. D’autant qu’à gauche, les électeurs travaillistes, qui avaient voté pour le Brexit, ont peu apprécié l’attitude ambiguë de leurs dirigeants sur cette question. Dans les régions périphériques de l’Angleterre, les petites villes et villes moyennes désindustrialisées, qui avaient massivement voté pour le Brexit, le Labour s’est effondré au profit des conservateurs.

Les Britanniques nous donnent une leçon de civisme

Le vote britannique est exemplaire. C’est une victoire de la démocratie et les Britanniques nous donnent à cet égard une leçon de civisme. C’est aussi, selon la formule de Christophe Guilly, « la victoire du soft power des classes populaires ». C’est a contrario une défaite des élites et des médias, qui ont été constamment dans le déni, préférant reproduire les opinions des « bobos » londoniens, plutôt que d’ausculter le pouls de l’Angleterre profonde.

Risques de désunion

Boris Johnson et les souverainistes britanniques ont gagné une bataille. Ils sont loin cependant d’avoir gagné la guerre. Si la victoire est éclatante en Angleterre, celle des nationalistes écossais est tout aussi spectaculaire. Quarante-huit sièges sur cinquante-neuf. Déjà, Nicola Sturgeon, premier ministre d’Écosse, demande la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Ce que refuse Boris Johnson. Or, les Écossais étaient en majorité contre le Brexit. Ils veulent rester dans l’UE. Pour des raisons économiques, mais aussi au nom de la vieille rivalité avec l’Angleterre.

En Irlande du Nord, les Républicains partisans de l’unification avec l’Irlande du Sud ont fait une percée plus que symbolique. Le Royaume Uni risque désormais la désunion. D’autant qu’en Europe, certains vont jouer la politique du pire. Pour se venger de Boris Johnson, ils vont pousser l’Écosse à l’indépendance. Même chose pour l’Irlande du Nord, où on ne peut pas exclure que le Sinn Fein reprenne les attentats, en espérant que Londres lâchera Belfast et se résoudra à l’unification de l’Irlande. Le tout sur fond de guerre de religions. N’oublions pas que l’Écosse est catholique, tout comme l’Irlande du Sud et une partie de l’Irlande du Nord.

Effet de domino régionaliste

Si l’Union européenne soutient l’Écosse dans sa volonté d’indépendance, elle aura bien du mal à ne pas appuyer les irrédentistes catalans. Ces derniers n’attendent que cela. Avec un risque d’effet domino sur une Espagne, minée par la question catalane. L’Europe des régions est un vieux rêve des fédéralistes européens et des mondialistes. Ils y voient le moyen de rompre avec l’Europe des nations, en jouant sur l’égoïsme régional et les particularismes locaux (langues, culture, etc.).

Plus les régions seront autonomes, indépendantes, plus les grandes nations seront réduites, amputées de certaines de leurs provinces, plus on élargira à de micro-États dans les Balkans, et plus le pouvoir au sein de l’Union européenne sera, de facto, concentré sur les institutions communautaires. Pour la plus grande satisfaction des multinationales et de tous ceux qui ne veulent pas d’une Europe indépendante, d’une Europe puissance, qui puisse s’affirmer face aux États-Unis et à la Chine.

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Lire aussi Derrière le triomphe de Boris Johnson, vers un bouleversement du paysage politique

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Brexit : pourquoi le Royaume-Uni va sortir gagnant

Par : Grégoire

Les scénarios catastrophes promis par les opposants au Brexit ne sont pas advenus : du marché de l’emploi à la croissance, les voyants restent au vert.

Dernière minute : Boris Johnson et le Brexit remportent une victoire écrasante

Par Charles-Henri Gallois, responsable national de l’UPR pour l’Économie et auteur de l’ouvrage qui vient de paraître : Les Illusions économiques de l’Union européenne, Fauves éditions

Les élections générales au Royaume-Uni auront lieu ce jeudi 12 décembre 2019. Il s’agira de l’élection la plus importante de ce siècle puisqu’elle va déterminer l’avenir du Brexit. Pour résumer les positions, il y a d’un côté le Parti conservateur de Boris Johnson et le Parti du Brexit de Nigel Farage qui font campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, respectant ainsi la volonté du peuple, et de l’autre côté les Liberal-Democrats et le SNP écossais qui sont pour une annulation pure et simple du Brexit. Le Parti travailliste de Jeremy Corbyn, principal opposant au Parti conservateur, a une position peu limpide qui prolongerait l’incertitude : négocier un autre accord que celui de Boris Johnson, chose peu probable, puis le soumettre à référendum avec l’option de rester dans l’UE.

La position du Parti travailliste montre que les européistes ont voulu complètement retourner le sens du vote des électeurs de juin 2016. Ces derniers ont voté pour le Brexit et se fichaient bien qu’il y ait un accord ou pas. Le sujet ne figurait du reste pas dans les termes du référendum et les partisans du maintien dans l’UE n’ont eu de cesse que de menacer d’une sortie sans accord pendant cette campagne. Cette option était donc présente dans les esprits lors du vote. Si le maintien l’avait emporté, inutile de dire qu’il n’y aurait plus aucun débat sur le type de maintien décidé.

« Projet de la peur »

La « danger » d’une sortie sans accord n’était pas la seule menace des partisans du maintien dans l’UE, les ‘remainers’. Leur argument était simple, efficace et tout trouvé : « si vous votez non, ce sera une catastrophe économique dès le lendemain du vote ». Les partisans de la sortie, les brexiters, dénonçait de « projet de la peur » : il s’agissait d’effrayer les électeurs pour qu’ils votent bien, c’est-à-dire pour le maintien dans l’UE.

La Banque d’Angleterre, David Cameron, George Osborne, son ministre des Finances, et même Barack Obama ainsi que Christine Lagarde, qui se targuait ici de bonne ingérence, annonçaient des catastrophes imminentes : effondrement de la livre, affaissement des marchés financiers, récession du PIB, hausse du chômage, débâcle des investissements, explosion de l’inflation et baisse massive des prix de l’immobilier. L’intimidation était totale.

Observons maintenant la réalité depuis le vote en faveur du Brexit lors du référendum du 23 juin 2016, où 51,9 % des Britanniques ont voté pour sortir de l’UE. Avec une participation de 72,2 %, il s’agissait de l’une des plus grandes participations démocratiques de l’histoire moderne du Royaume-Uni, avec 33 568 184 votants. Seules les élections générales de 1992 avaient amené plus de Britanniques sur le chemin des urnes.

Une industrie britannique plus dynamique

La livre sterling a certes perdu de sa valeur à la suite du référendum et de la victoire du Brexit. Le 23 juin 2016, le taux de change était de 0,76 livre pour un euro. Au 7 décembre 2019, ce taux était de 0,84 livre pour un euro. Cela représente une dépréciation de 10,5 %. Voilà qui n’a rien d’insurmontable : entre avril 2014 et mars 2017 l’euro s’est lui-même déprécié de 25 % sans que personne ne hurle à l’apocalypse.

Les illusions économiques de l'UE

Le livre de Charles-Henri Gallois, qui vient de paraître, détaille tous ces éléments dans son chapitre V

Au contraire, la baisse de la livre sterling a favorisé la production sur le territoire britannique. Entre mars 2016 et mars 2017, la production manufacturière a augmenté de 2,7 %, et la production industrielle de 3,2 %. Un tel rebond n’avait pas été observé depuis 2010. Sur l’année 2017, la hausse a été de 1,8 % [1]. Sur la période 2016-2018, la hausse a été en moyenne de 1,2 %, alors que, sur la période 2001-2015, la production industrielle était en régression de 0,8 %. Les commandes industrielles en novembre 2017 ont d’ailleurs été au plus haut depuis près de trente ans (1988) [2] !

Bourse en hausse

Pour ce qui est des marchés financiers, le principal indice boursier britannique, le FTSE 100, équivalent de notre CAC 40, cotait à 6 338,10 le 23 juin 2016 au soir. L’indice a perdu 3,15 % le vendredi 24 juin, puis 2,55 % le lundi 27 juin. Il repartait à la hausse dès le mardi 28 juin, avec une augmentation de 2,64 %, puis dépassait son niveau d’avant le vote dès le mercredi 29 juin, à 6 360,06, avec une hausse journalière de 3,58 %. Le 7 décembre 2019, il cote désormais à 7 239,66, soit une hausse de 14 % depuis l’avant-référendum. Là aussi, on est très loin de l’effondrement annoncé.

Trois années plus tard, on attend encore la récession promise par les ‘remainers’

La catastrophe n’a pas non plus eu lieu dans le domaine de la croissance et du chômage. Dès 2016, une récession devait se produire après le vote pour le Brexit. Or en 2016, la croissance était la deuxième plus forte de tous les pays du G7, à 1,8 %. Elle avait même été revue à la hausse… après le référendum ! La croissance a été de 1,7 % en 2017 et de 1,3 % en 2018. Trois années plus tard, on attend encore la récession promise par les ‘remainers’ !

Sur la période 2016-2018, la croissance est similaire à celle de la France. Alors que d’une part l’Italie n’a pas de croissance depuis l’adoption de l’euro et sombre actuellement dans la récession, et que d’autre part l’économie allemande, en train de ralentir, se trouve également au bord de la récession, on peut même constater que le Royaume-Uni ne s’en sort pas trop mal !

Le retour de vrais emplois

Mais la plus grande claque pour tous les prophètes d’Apocalypse a sans doute été l’évolution du taux de chômage.

Ce que l’on constate, selon l’Office for National Statistics (ONS, équivalent britannique de l’INSEE), c’est que le chômage était de 5 % avant le référendum et qu’il est tombé à 3,8 % à la fin de mai 2019, soit le taux le plus bas depuis plus de quarante-quatre ans, depuis l’hiver 1974. Dans le même temps, le taux d’emploi est, lui, passé de 74,2 % à 76,1 %, ce qui constitue un record historique.

Les mauvaises langues, qui n’ont pas étudié en profondeur la question, expliquent que ce taux de chômage baisse grâce aux petits boulots et aux emplois zéro heure. Si cela a pu être vrai par le passé, c’est l’inverse que l’on observe depuis le verdict de juin 2016. Les emplois à temps partiel sont passés de 8,564 millions (27 % des emplois) à 8,562 millions (26,3 % des emplois). Cela veut donc dire que beaucoup des emplois créés l’ont été à temps plein.

Augmentations salariales

On apprenait également en septembre 2019 que les salaires ont augmenté de 4,0 %, et le pouvoir d’achat de 2,1 % sur un an pour la période mai-juillet 2019 [3]. De telles augmentations de salaire et de pouvoir d’achat n’avaient plus eu lieu depuis 2008, soit onze ans. On aimerait réellement vivre à notre tour une telle catastrophe en France !

Ironiquement, certains des plus gros investisseurs au Royaume-Uni ont été des entreprises de l’UE comme Siemens

Autre pronostic : les investissements devaient aussi s’effondrer. Là encore, rien de tel n’est advenu. L’enquête annuelle sur les tendances de l’investissement réalisée par le cabinet de conseil international EY en 2019, place même pour la première fois le Royaume-Uni au premier rang mondial des destinations d’investissement, dépassant même extraordinairement les États-Unis, une économie bien plus vaste que le Royaume-Uni.

L’investissement étranger direct (FDI, pour Foreign direct investment) a augmenté de 6 % en 2017, selon les derniers chiffres disponibles, par rapport à l’année précédente. Il y a eu 1 205 nouveaux projets, contre 1 138 en 2016 et seulement 700 en 2012. Lorsqu’ils ont été interrogés sur le Brexit, 6 % des investisseurs ont déclaré qu’il diminuait leur attrait pour le Royaume-Uni, tandis que 7 % ont déclaré qu’il augmentait leur attrait.

Ironiquement, certains des plus gros investisseurs au Royaume-Uni ont été des entreprises de l’UE comme Siemens ou la société espagnole CAF. Celles qui ont le plus investi sont les entreprises américaines : Boeing, Apple, Google, Facebook, Amazon, Snapchat, McDonald’s, Subway, McCain Foods, etc.

Mauvaise foi et catastrophisme

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, mais elle témoigne de l’absence totale de lucidité et de bonne foi de la part de ceux qui annonçaient l’effondrement du Royaume-Uni et cherchent maintenant à se raccrocher aux quelques mauvaises nouvelles courantes pour faire croire que ce serait la catastrophe.

Londres est la première destination européenne des investissements en capital-risque dans les nouvelles technologies, d’après une étude du cabinet PitchBook [4] publiée à l’ouverture de la semaine de la tech de Londres. Le Royaume-Uni avait d’ailleurs aussi été classé par le célèbre magazine Forbes comme le meilleur pays pour faire des affaires en 2018 [5].

Ces investissements ne sont pas des investissements engagés sur deux ou trois mois mais pour plusieurs années. Les investisseurs au moment de ces choix avaient déjà intégré le Brexit.

L’immobilier reste en forme

L’inflation était de 2,7 % en 2017 au Royaume-Uni. Elle n’était plus que de 2 % en 2018. Rien de catastrophique. Les salaires, eux, ont augmenté de 3,3 % en 2018 [6]. Il y a donc eu un gain de pouvoir d’achat. Il y a eu une perte de pouvoir d’achat très temporaire à la fin de 2017, mais tout cela est de l’histoire ancienne puisque en 2019 les salaires augmentent bien plus vite que l’inflation. Le gain moyen de pouvoir d’achat est de l’ordre de 1,5 %.

George Osborne, ancien chancelier de l’Echiquier, agitait une autre peur : les prix de l’immobilier devaient baisser de 18 %. Ils n’ont en réalité jamais décroché. Selon l’ONS, les prix de l’immobilier ont même augmenté de 5,2 % en 2016, de 4,5 % en 2017 et de 2,0 % en 2018. D’une baisse de 18 % annoncée, on passe en réalité à une hausse de 12 % de 2016 à 2018. En outre, Paris et Francfort attendent toujours les 10 000 à 30 000 financiers qui devaient traverser la Manche pour se réfugier en France ou en Allemagne.

Les mêmes qui ont asséné toutes ces prophéties apocalyptiques devraient se faire tout petits

Le projet de la peur s’est révélé complètement faux ! Les mêmes qui ont asséné toutes ces prophéties apocalyptiques devraient se faire tout petits. Et pourtant, le discours continue en France, dans les grands médias. Ceux précisément qui se sont trompés sur toutes leurs prévisions avant le référendum préparent le deuxième étage de la fusée projet de la peur et disent que la catastrophe aura lieu après la sortie effective. Comme si toutes les entreprises n’avaient pas déjà intégré depuis longtemps cette sortie…

La seule situation terrible est politique : observer des élus et toute l’oligarchie britannique refusant d’accepter le vote du peuple anglais rappelle furieusement l’attitude de toute l’élite française après le référendum de 2005. Ce sont les politiques européistes qui ont créé le climat d’incertitude en voulant bafouer le vote.

Légitimité du Brexit renouvelée

Les médias en France tentent même de nous faire croire que les Britanniques regretteraient leur vote. Or, aux élections européennes de 2019, c’est le Parti du Brexit qui est arrivé largement en tête avec 30,7 % des voix, contre 19,7 % pour le second parti.

On est donc loin d’un rejet massif du Brexit. L’opinion est partagée, comme elle l’était avant le vote. Notons tout de même qu’à l’époque la sortie avait récolté 1,3 million de voix en plus que le maintien, ce qui donne toute la légitimité démocratique nécessaire à la sortie.

Boris Johnson, selon mes pronostics, va gagner ces élections et réaliser le souhait du peuple britannique : reprendre le contrôle et être à nouveau un pays libre et indépendant. Ceux qui doivent redouter le Brexit, ce ne sont pas les Britanniques mais les peuples qui restent dans l’UE. Ce n’est pas pour rien que l’Allemagne a toujours freiné une sortie sans accord.

L’UE a voulu que le Royaume-Uni souffre pour ne pas donner aux autres l’envie de sortir

L’UE a tout à perdre, d’où sa position de fermeté totale et de sa volonté de faire un exemple. Plutôt que de vouloir faire un accord gagnant-gagnant pour sauvegarder ses intérêts économiques, l’UE, à commencer par l’eurofanatique Emmanuel Macron, a voulu que le Royaume-Uni souffre pour ne pas donner aux autres l’envie de sortir. Au fond, cette attitude est celle d’une secte qui veut punir l’adepte qui souhaite reprendre sa liberté.

L’UE peut être la grande perdante car le Royaume-Uni est massivement déficitaire au niveau des échanges de biens. Son déficit commercial était en 2017 de près de 110 milliards d’euros avec l’UE.

La France visée au portefeuille

Surtout, les pays contributeurs nets restants devront payer le manque à gagner au budget de l’UE. La contribution nette de la France au budget de l’UE est de 10 milliards d’euros en 2019. Après la sortie du Royaume-Uni, elle pourrait passer dans les années qui viennent à 14 ou 15 milliards d’euros par an. Alors que les services publics de base comme l’hôpital, ou l’entretien de nos routes et de nos ponts, manquent de moyens, on continue d’aligner les billets en pure perte pour la secte UE. 15 milliards d’euros, cela représente la construction de 375 hôpitaux ! Ce qui représente aussi 909 euros par an et par foyer fiscal payant l’impôt sur le revenu.

Bon vent à nos amis britanniques, qui sortiront tout début 2020 et s’en sortiront très bien. Il est grand temps de suivre leur exemple, de ne plus avoir peur de ces illusions économiques, de se libérer de la secte UE par le Frexit et de reprendre notre liberté et notre démocratie.

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[1] Office for National Statistics (ONS).

[2] Indice mensuel de la fédération patronale CBI (Confederation of British Industry) mesurant les commandes en carnet.

[3] ONS.

[4] Étude de juin 2019 du cabinet PitchBook.

[5] Forbes, décembre 2017.

[6] ONS.

 

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Les ultimes aigris du Brexit : procédure contre le Royaume-Uni, et quatre écrivains britanniques en tournée

Par : pierre

Le nouvel exécutif bruxellois, adoubé par les Vingt-sept, entrera en fonctions le 1er décembre. Douze jours plus tard, le Parlement britannique sera renouvelé, ouvrant la voie à une rapide dénouement du Brexit. Mais quatre romanciers à succès (photo ci-dessus) font une tournée sur le Vieux continent pour dire leur rancœur contre leurs concitoyens.

Le Conseil de l’UE (les ministres des Vingt-huit) a approuvé, ce lundi 25 novembre, la liste définitive des membres de la future Commission européenne. La règle veut que chaque Etat choisisse une personnalité pour siéger au sein de celle-ci, mais trois candidats désignés avaient été retoqués par les eurodéputés durant le mois d’octobre.

En remplacement de sa première proposition – un ancien ministre jugé trop proche du chef du gouvernement, Viktor Orban – la Hongrie a finalement désigné son ancien ambassadeur à Bruxelles, Oliver Varhelyi, qui a dû jurer ses grands dieux que jamais il ne prendrait de consignes à Budapest. Le nouveau gouvernement roumain a promu une ex-eurodéputée PNL (droite), Adina Valean, en lieu et place de la sociale-démocrate initialement désignée. Et, pour la France, Thierry Breton hérite du large portefeuille (marché intérieur, politique industrielle…) initialement destiné à Sylvie Goulard. M. Breton n’a gagné son ticket que par un vote très serré, certains ayant fait remarquer que la firme dont il était PDG travaille massivement avec des financements de l’UE.

La nouvelle Commission européenne devrait être avalisée le mercredi 27 novembre par un vote global de l’europarlement, dernière étape avant sa prise de fonctions, le 1er décembre. Soit avec un mois de retard sur le calendrier prévu, du fait des trois vetos mis par les eurodéputés, toujours avides de croire qu’ils jouent un rôle essentiel.

Procédure contre le Royaume-Uni

Seule ombre désormais au tableau, une procédure a été engagée contre le Royaume-Uni qui était dans l’obligation de désigner un commissaire. Bruxelles peut toujours courir, avait répondu en substance Boris Johnson.

Le premier ministre britannique sortant mise sur les élections du 12 décembre pour disposer d’une majorité absolue à la Chambre des communes, et pouvoir ainsi réaliser le Brexit en quelques semaines. Par ailleurs, les Conservateurs se sont engagés à mettre fin à l’austérité et à investir massivement. De son côté, le chef des Travaillistes a souligné que son programme – notamment fiscal, et de nationalisation – était le plus radical depuis 1945.

Mais Jeremy Corbyn a surtout promis de renégocier avec l’UE l’accord de divorce arraché au finish par son prédécesseur (une hypothèse totalement improbable), puis d’en soumettre le texte à un nouveau référendum. Une perspective qui prolongerait encore de nombreux mois l’interminable saga du Brexit alors que la majorité des citoyens ne demande qu’à en finir au plus vite, afin que soit enfin respectée la volonté populaire exprimée en juin 2016.

« Je ne suis pas un grand fan du Royaume-Uni, c’est un pays absurde et frustrant, c’est pourquoi j’ai déménagé aux Etats-Unis » – Lee Child

De manière surréaliste, un petit noyau au sein des élites rêve encore d’annuler cette dernière. C’est notamment le cas de quatre écrivains à succès qui ont entamé une tournée sur le Vieux continent dans cet esprit, faute sans doute de pouvoir convaincre leurs propres concitoyens.

L’un d’entre eux, Lee Child (de son vrai nom Jim Grant), a notamment déclaré, de passage à Berlin : « je ne suis pas un grand fan du Royaume-Uni, même si j’y suis né. C’est un pays absurde et frustrant, c’est pourquoi j’ai déménagé aux Etats-Unis ».

Et c’est sans doute également pour cela qu’il milite pour que son pays d’origine reste sous la coupe de Bruxelles ?

Tous les détails sur ces informations à découvrir dans l’édition du mensuel Ruptures à paraître le 29 novembre. Il n’est pas trop tard – ni top tôt – pour s’abonner

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Les traditions constitutionnelles des Etats contre la marche de l’Europe

Par : Grégoire

En s’appuyant fermement sur sa Constitution, la France peut encore peser sur la transposition des textes européens. Pour peu que les autorités nationales fassent preuve d’un peu de courage politique.

Par Marie-Françoise Bechtel, ancienne vice-présidente de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, vice-présidente de la Fondation Res Publica

On a souvent l’impression que la marche de l’Europe telle que voulue par les Traités est totalement impossible à arrêter sauf, pour le pays qui l’a décidé, à sortir de l’UE. Et il est vrai que le mouvement puissant qui a porté l’installation du néolibéralisme au cœur du pouvoir en Europe revêt rétrospectivement le caractère d’une marche implacable. Jean-Pierre Chevènement a ainsi très bien montré non seulement la logique interne de ce cheminement mais aussi le poids du facteur politique – celui de l’hégémonie américaine porteuse de la volonté d’installer le néolibéralisme. Ce poids a été décisif faute d’avoir rencontré face à lui une volonté politique équivalente (1).

Ce facteur politique reste indispensable pour redresser demain l’Europe, la sortir de la vassalité mais aussi du consensus à l’ordre libéral, qui sont les deux faces d’une même volonté.

Défense des valeurs constitutionnelles

Des forces politiques qui voudraient repenser de fond en comble l’Europe de demain en s’appuyant sur la souveraineté des peuples pourraient trouver un appui solide dans une stratégie de confrontation des modèles nationaux autour de la défense de leurs valeurs constitutionnelles.

On l’oublie en effet trop souvent : la Constitution a une valeur supérieure aux traités. C’est bien la raison pour laquelle les transferts de souveraineté ont exigé, dans notre pays comme dans d’autres, la révision préalable du texte fondamental aux fins de donner une autorisation du Constituant aux avancées de l’Europe. Autorisation d’ailleurs réversible : l’Etat national souverain dispose de la « compétence de la compétence », c’est-à-dire que le pouvoir de transférer ses compétences n’existe que parce que l’Etat est détenteur de la compétence suprême qui lui permet de déléguer certaines de ses attributions.

La souveraineté externe des Etats nations

Le tribunal constitutionnel allemand, la cour de Karlsruhe, l’a exprimé avec une grande netteté dans un arrêt du 30 juin 2009 : dès lors qu’il n’existe pas un peuple européen, la souveraineté reste détenue au sein de la nation et les transferts de compétence au profit de l’Union européenne sont réversibles. En bref l’UE, si elle présente certains caractères d’un Etat (existence d’un exécutif, capacité de se donner des lois de portée générale, monnaie, Cour de Justice), ne peut en aucune façon être regardée comme un Etat de plein exercice.

La souveraineté externe des Etats qui la composent n’est pas, dans son principe, atteinte. C’est pourquoi d’ailleurs l’article 50 du Traité, invoqué parfois à tort et à travers, ne ligote pas les Etats autant qu’on le dit. Theresa May avait justement exprimé cela au plus fort des débats devant le Parlement britannique en disant : même si aucune des solutions proposées n’aboutit, il existe une règle, un principe, qui fait que si nous voulons sortir, nous sortirons. C’est le principe, non écrit mais qui surplombe tout, de la souveraineté externe des Etats nations.

Rien, absolument rien ne peut brider la liberté d’un Etat souverain de reprendre des compétences qui n’ont jamais cessé en droit de lui appartenir

Il reste bien sûr le prix à payer dans les négociations futures dès lors qu’un traité de voisinage touchant au commerce et à la circulation des personnes apparaît nécessaire. Mais de telles négociations sont extérieures au mécanisme du traité de Rome. Rien, absolument rien ne peut brider la liberté d’un Etat souverain de reprendre des compétences qui n’ont jamais cessé en droit de lui appartenir.

Certes tout ce qui précède repose surtout sur des considérations de principe (hormis tout de même le Brexit lui-même). Peut-on sur cette base, envisager une action concrète de la France vraiment porteuse de changement envers l’ordre européen ? Oui, si l’on en vient à une autre constatation : quoique rongée par les transferts « consentis », la Constitution française peut encore, même telle qu’elle a été modifiée, être un rempart contre l’inexorable montée des eaux – les « eaux glacées du calcul égoïste ». Si un gouvernement le voulait…

Des directives trop touffues

Comment agir sur cette base ? Deux voies sont envisageables.

Tout d’abord un peu de courage de la part des autorités nationales aiderait à faire le partage entre ce que les textes européens, à traité constant, peuvent légitimement nous demander et ce qu’ils ne peuvent exiger. Sans être un bouleversement, ce serait déjà quelque chose, ne serait-ce que comme affichage de la volonté nationale.

Un espoir était né en 2004 lorsque le Conseil constitutionnel (alors présidé par un gaulliste, Pierre Mazeaud) avait indiqué qu’on pourrait opposer à la transposition d’une directive l’«identité constitutionnelle » de la France. Mais cela est resté une possibilité théorique. Certes, les commentateurs autorisés estiment que la laïcité pourrait être opposée à un texte européen, mais l’exemple, si important soit-il, n’en reste pas moins un peu isolé. Et on attend encore que la juridiction suprême constate que, conformément à la lettre du traité (« les directives lient les Etats membres quant aux résultats à atteindre »), une directive n’a pas à guider la loi dans le moindre détail sur les moyens à mettre en œuvre. Or aujourd’hui les directives, corps épais et touffus, viennent guider le législateur jusque dans le détail. Que devient l’objectif constitutionnel de lisibilité de la loi ? Il a fait parfois censurer des textes de loi votés par le Parlement national et pourrait parfaitement être opposé à la constitutionnalité d’une loi transposant une directive en dizaines de pages, paragraphes et renvois parfaitement inaccessibles au citoyen.

La Commission des affaires européennes créée à l’Assemblée nationale est une véritable salle de catéchisme européiste

Le Parlement ne fait pas davantage son devoir. La Constitution, depuis 2008, lui permet au moins de donner un avis préalable lors de la transmission des projets d’actes législatifs ou autres actes européens – faible gage donné à l’occasion de la ratification du traité de Lisbonne et dont ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat ne font usage. Ces avis pourraient pourtant faire du bruit. Mais la Commission des affaires européennes créée à l’Assemblée nationale, véritable salle de catéchisme européiste, n’exerce aucun regard critique sur les projets issus des instances européennes, frappés au départ à ses yeux d’un label de respectabilité.

Un gouvernement insuffisamment directif

Quant au gouvernement lui-même, hors les grandes messes que sont les sommets européens, il omet la plupart du temps de donner des instructions aux hauts fonctionnaires dépêchés à Bruxelles pour négocier les règlements et directives : il est fréquent, depuis trente ans, de voir ceux-ci revenir à Paris après avoir entériné les textes préparés par les fonctionnaires hors-sol de la Commission.

Mais que l’on n’utilise pas les outils existants ne prouve pas que, demain, un gouvernement volontaire ne pourrait donner une impulsion en sens inverse.

Révision constitutionnelle

Une autre voie, plus ambitieuse, serait celle de la révision constitutionnelle permettant pour l’avenir de faire prévaloir notre modèle national en lui donnant, par cette inscription, une valeur supérieure aux traités. Certes, pour mettre le modèle français à l’abri des appétits du tout concurrentiel il eût fallu y penser plus tôt (2).

C’est ce qu’a fait à sa manière l’Allemagne qui, dès Maëstricht a renforcé dans son texte fondamental la règle du non-déficit budgétaire ainsi que la règle de la limitation de l’endettement : nec plus ultra de l’ordolibéralisme, ces dispositions préservent le modèle de l’identité allemande. La constitution allemande prévoit aussi un contrôle du Parlement pour tout nouvel engagement financier du pays : on l’a vu lorsque le Bundestag a saisi la Cour de Karlsruhe lors de la mise en jeu du Mécanisme européen de stabilité (MES). On l’a vu encore lorsque la négociation entre les ministres de l’économie français et allemand sur le budget européen a échoué il y a quelques mois.

Pérenniser les services publics

Mais la France peut encore se prémunir, au moins pour le futur, contre les excès de libéralisation qui menacent son modèle. En inscrivant dans la Constitution l’obligation de garantir la pérennité de ses services publics incluant la desserte égale du territoire ; en prévoyant la propriété publique d’au moins un service public dans le domaine de l’énergie, du transport et du numérique, nous nous prémunirions contre la privatisation de la SNCF et d’EDF et obligerions l’Etat à exercer un contrôle effectif sur les prestations d’Orange.

Il ne serait pas inutile de songer à une constitutionnalisation de l’obligation pour l’Etat d’assurer un aménagement équilibré du territoire

Cette proposition (qui a été mise sur la place publique (3)) ferait beaucoup pour l’avenir car l’obligation d’assurer l’égalité et la continuité du service public, devenue constitutionnelle, pourrait être opposée dans le futur aux contraintes issues des règlements et directives européennes, fondés sur des traités de valeur, on l’a vu, inférieure, notamment celles touchant aux prix concurrentiels et à la répartition géographique des opérateurs. Il ne serait pas non plus inutile de songer à une constitutionnalisation de l’obligation pour l’Etat d’assurer un aménagement équilibré du territoire ; cela rendrait pour le futur inattaquables les décisions d’aide conditionnée à l’installation d’entreprises ou le soutien à des secteurs particuliers.

Référendums sur les traités commerciaux

Enfin la révision constitutionnelle devrait intégrer l’obligation de consulter le peuple par referendum avant l’adoption de tout traité impliquant un transfert de compétences mais aussi pour tout engagement commercial avec un autre continent, dont la négociation est aujourd’hui confiée à la Commission avec les résultats que l’on voit.

Il est clair qu’un exécutif national qui voudrait avancer de façon décisive vers une UE totalement différente de ce qu’elle est aujourd’hui pourrait déjà s’appuyer sur de tels changements qui montreraient, derrière son choix de renégocier des pans entiers des traités, la volonté souveraine du peuple dont il est le mandataire.

Les analyses publiées dans la rubrique Opinions constituent des contributions aux débats. Elles n’engagent pas la responsabilité de la rédaction du site.

(1) Jean-Pierre Chevènement, La France est-elle finie ? Fayard  – 2011

(2) D’autant que la France a su le faire au moins une fois en inscrivant dans un article de la Constitution son droit absolu à octroyer l’asile, limitant ainsi la portée des accords de Dublin qu’elle avait signés

(3) Marianne du 28 juin 2019, également consultable sur le site

Cet article est publié par le site de Ruptures. Le « navire amiral » reste cependant le mensuel papier (qui propose bien plus que le site), et ses abonnés. C’est grâce à ces derniers, et seulement grâce à eux, que ce journal peut vivre et se développer.

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Prochaine tribune (à paraître le 15 novembre) :
Les taux d’intérêt négatifs favorisent les ultra-riches et le capitalisme financier,
par Jean-Michel Quatrepoint, journaliste

 

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Ursula von der Leyen confirmée à la tête de la Commission européenne : la boucle est bouclée ?

Par : pierre

Elle ne sera donc pas chancelière – une perspective jadis crédible, mais qui avait pâli depuis quelques années. Pas non plus Secrétaire général de l’OTAN, un poste pour lequel son nom circulait dans les milieux de l’Alliance atlantique, sans doute parce qu’elle a été le premier ministre allemand de la Défense ayant accru le budget militaire (+40% en six ans).

C’est finalement la présidence de la Commission européenne qu’Ursula von der Leyen a obtenue. Après de laborieux marchandages, elle avait été désignée à ce poste par le Conseil européen du 2 juillet sur l’initiative conjointe d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Le 16 juillet, elle a été confirmée dans cette fonction par un vote de l’europarlement. Elle prendra ses fonctions en novembre.

Elle a obtenu 383 voix, soit seulement neuf de plus que la majorité absolue qui lui était nécessaire. Elle aurait théoriquement pu compter sur 444 votes, si les eurodéputés des trois groupes qui la soutenaient officiellement avaient tous voté en sa faveur. Un échec était cependant très peu probable, tant il aurait déclenché une crise institutionnelle inextricable.

Depuis deux semaines, la bulle bruxelloise jouait à se faire peur

Mais, depuis deux semaines, la bulle bruxelloise jouait à se faire peur. Car beaucoup, au sein de l’Assemblée de Strasbourg, n’ont pas digéré l’humiliation infligée par le Conseil. Celui-ci avait en effet jeté aux orties la méthode revendiquée par les europarlementaires selon laquelle le candidat présenté par la formation arrivée en tête aux élections européennes devait prendre la tête de la Commission. Sous pression de Paris notamment, Manfred Weber, le champion du Parti populaire européen (PPE, droite, auquel appartient Mme von der Leyen) avait pourtant été écarté.

Au sein même de cette formation, de nombreux grincements s’étaient alors fait entendre. La colère était forte également chez les sociaux-démocrates européens, qui avaient un temps cru pouvoir pousser en avant leur propre candidat. Et la Danoise Margrethe Vestager, Commissaire star à Bruxelles, portait les espoirs des Libéraux.

Du coup, depuis le 3 juillet, Mme von der Leyen n’a pas épargné sa peine pour consoler et séduire les uns et les autres. Intervenant finalement juste avant le vote, elle a beaucoup promis : une Europe « plus sociale », avec un salaire minimum, et qui créée plus d’emplois pour les jeunes ; plus d’efforts pour la santé, l’éducation, et contre la pauvreté ; une lutte contre les violences faites aux femmes ; le sauvetage des migrants en mer ; un engagement « sans transiger » en faveur de l’ « Etat de droit »…

Bien sûr – c’est désormais une exigence idéologique majeure des élites oligarchiques de l’UE – sa première priorité sera « l’urgence climatique »

Et bien sûr – c’est désormais une exigence idéologique majeure des élites oligarchiques de l’UE – sa première priorité sera « l’urgence climatique », sous la forme d’un « green deal européen », et moyennant un nouveau durcissement des objectifs de réduction de CO2. Elle a ainsi plaidé pour la « neutralité carbone » (mais certainement pas géopolitique…) d’ici 2050.

Cela n’a pas suffi au groupe des Verts pour la soutenir. Son co-président, Philippe Lamberts, s’est plaint d’avoir été « relégué en bout de table puis finalement écarté » dans les négociations initialement engagées en vue d’une « grande coalition » à quatre. « Nous sommes une force politique respectable, nous avons été traités de manière insultante », s’est indigné M. Lamberts.

Mme von der Leyen s’est également dite prête à accepter un nouveau recul de la date de sortie du Royaume-Uni, si Londres le demande (ce qui n’est en aucune manière le cas), se faisant huer au passage par nombre d’eurodéputés britanniques.

Finalement, elle a réussi à rallier certaines voix venues du groupe des « Conservateurs et réformistes européens » (ECR) où siègent notamment les ultraconservateurs au pouvoir en Pologne (PiS) – Angela Merkel serait discrètement intervenue auprès de Varsovie, selon certaines sources – ainsi, plus étonnant encore, que de certains eurodéputés du Mouvement cinq étoiles italien.

Fiction grotesque

Pour les familiers de Bruxelles et Strasbourg, la séquence était passionnante. En revanche, elle a évidemment laissé de marbre l’écrasante majorité des citoyens des différents pays de l’UE. D’autant que le spectacle était affligeant et pathétique : les différentes promesses prodiguées par la future patronne ressemblaient à celle d’un « gouvernement » en début de mandat. Une fiction grotesque.

Le choix de Mme von der Leyen est sans grande influence sur les contradictions explosives auxquelles l’UE est confrontée depuis quelques années, et qui ne peuvent que s’aggraver.

Dans ces conditions, le choix de la personnalité finalement élue – forcément au sein d’un panel idéologiquement homogène, en tout cas fidèle à la « foi européenne » – n’a qu’une importance limitée. Il est sans grande influence sur les problèmes et contradictions explosives auxquels l’UE est confrontée depuis quelques années, et qui ne peuvent que s’aggraver.

Ainsi, le thème de l’arrivée des migrants continuera à susciter controverses et antagonismes entre pays membres. La crise économique pourrait rebondir et resurgir dans la prochaine période, d’autant que la première puissance économique de la zone voit sa croissance caler.

Les oppositions entre gouvernements partisans d’une orthodoxie budgétaire stricte (dont Mme von der Leyen constitue un beau spécimen) et ceux accusés par ces derniers de laxisme devraient s’aiguiser, notamment au sein de la zone euro.

Et certains gouvernements de l’Est devraient continuer à jouer les frondeurs en matière d’« Etat de droit », narguant ainsi leurs homologues occidentaux – sans toutefois déclencher de guerre ouverte, tant les fonds en provenance de Bruxelles restent importants pour Varsovie ou Budapest.

A ce sujet, les négociations en vue du futur budget pluriannuel de l’UE (2021-2027) ne vont pas manquer d’être explosives, a fortiori avec l’ardoise que devrait laisser le Royaume-Uni en sortant…

Toutes ces bombes à retardement reflètent en réalité la contradiction majeure fondamentale : celle qui ne cesse de croître entre les partisans d’une « Europe plus juste et plus unie » (selon les termes de la future chef de Bruxelles)… et les peuples qui, de manière plus ou moins consciente, sentent que « l’aventure européenne », par sa nature même, ne mène qu’à plus de casse sociale et à la confiscation de la démocratie.

Les dirigeants sont parfois victimes de leur propre propagande

Mme von der Leyen veut aller toujours plus loin dans l’intégration, par exemple en proposant une « conférence » sur l’avenir institutionnel de l’UE (comme demandé par Emmanuel Macron), ou bien en abandonnant la règle de l’unanimité en matière de politique étrangère. Peut-être même croit-elle que cela répond à une attente populaire. Après tout, les dirigeants sont parfois victimes de leur propre propagande, un peu comme George W. Bush imaginait que les boys seraient accueillis avec enthousiasme à Bagdad. On connaît la suite.

En 2014, l’actuel président, Jean-Claude Juncker, avait lancé son mandat en martelant que sa Commission serait celle « de la dernière chance ». Sous son règne, les crises n’ont pas manqué. Il n’y avait pas eu d’Allemand à la tête de la Commission européenne depuis Walter Hallstein, qui inaugura ce poste lors de la fondation de la CEE, en 1958. Qui sait si, par une facétieuse ruse de l’Histoire, Ursula von der Leyen ne sera pas, finalement, la dernière à l’occuper, avant liquidation ?

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L’amour se fait attendre (éditorial paru dans Ruptures n°86)

Par : pierre

Aplomb pyramidal ou méthode Coué ? A l’issue du 26 mai, trois légendes urbaines ont été répandues en boucle par les commentateurs europhiles. Primo, les citoyens européens auraient témoigné – « enfin ! » – leur attachement à l’intégration européenne en se précipitant nombreux dans les bureaux de vote. Etrange sophisme puisque, dans plusieurs pays, la hausse de la participation électorale a nourri des forces se proclamant anti-Bruxelles. En outre, ceux qui ont voté l’ont fait quasi-exclusivement sur des enjeux nationaux. Enfin, dans plusieurs pays, les européennes étaient organisées simultanément à des scrutins régionaux, à des référendums, voire à des élections nationales, ce qui a mécaniquement réduit l’abstention.

Surtout, cette hausse est pour le moins à relativiser puisque, dans l’UE, un électeur sur deux (49,1%, contre 57,4% en 2014) a continué de boycotter les urnes. Et ce, malgré les campagnes de dramatisation littéralement sans précédent, multiples et dispendieuses. En France, Cfdt et Medef s’associèrent pour l’occasion. Des directions de grandes multinationales se sont adressées à leurs salariés, ce prosélytisme étant encore plus massif outre-Rhin. Et jusqu’aux archevêques français, allemands et du Benelux exhortant, dans un texte solennel, leurs ouailles à aller voter…

l’électorat vert est sociologiquement typé : très fort parmi les classes urbaines et aisées, réduit dans le monde ouvrier et parmi les classes populaires

La deuxième « fake news » vise à accréditer l’image d’une « vague verte » qui aurait balayé l’Union européenne. L’examen des chiffres devrait faire revenir à plus de mesure : les partis écologistes ne progressent que dans sept pays sur vingt-huit, stagnent, voire régressent dans plusieurs autres (dont la Suède, emblématique patrie de l’égérie du climat), et sont même inexistants ou marginaux dans une majorité d’entre eux. La progression du pourcentage écolo en France (loin cependant de son niveau de 2009) et plus encore en Allemagne accroît mécaniquement le score vert global puisque ces deux pays sont les plus peuplés de l’union.

On notera qu’en France en particulier (mais cela vaut aussi outre-Rhin), l’électorat vert est sociologiquement typé : très fort parmi les classes urbaines et aisées, réduit dans le monde ouvrier et parmi les classes populaires. Politiquement, les cartes électorales montrent une proximité entre les votants écolos et ceux favorables à Emmanuel Macron. Du reste, la grande porosité entre ces deux mouvances s’est traduite au dernier moment par une fuite de la seconde vers la première.

Enfin, la troisième antienne répétée depuis le 26 mai au soir est que les partis « populistes » ou d’« extrême droite » ont été « contenus ». Outre que lesdites forces sont pour le moins hétérogènes, l’affirmation semble plus relever de la pensée magique, qui plus est sur le thème « c’est moins mal que si ça avait été pire ».

trois hommes sortent objectivement grands vainqueurs du scrutin : Nigel Farage, Matteo Salvini, et Viktor Orban

La réalité est que trois hommes sortent objectivement grands vainqueurs du scrutin : le chef du Parti du Brexit, Nigel Farage, qui réussit un spectaculaire retour ; le vice-premier ministre italien Matteo Salvini (Ligue) qui rassemble plus du tiers des votants (17% en 2018) ; et le premier ministre hongrois Viktor Orban qui attire 52% de ses compatriotes, dix ans après son arrivée au pouvoir. Quelles que soient leurs arrière-pensées, ces trois là incarnent un rejet affiché de Bruxelles, qui le leur rend bien.

Certes, les socialistes Frans Timmermans et Pedro Sanchez ont aussi quelques raisons de se réjouir pour leurs scores respectifs aux Pays-Bas et en Espagne. Mais, outre que le reste de leur famille politique est littéralement en capilotade, les deux hommes pourraient bien se retrouver très vite face à face. Car le second n’a toujours ni gouvernement, ni majorité, et donc encore moins de budget – c’est en présentant son projet de loi de finances qu’il est tombé, en février dernier. Or la Commission dans laquelle officie le premier (il souhaite même bientôt la présider) va renouer avec sa vigilance austéritaire, maintenant que l’échéance électorale est passée.

Après le divertissement électoral, les choses sérieuses reprennent

Cela ne concerne pas seulement Madrid, mais à très brève échéance Rome, que le commissaire sortant Pierre Moscovici vient à nouveau de menacer. Bref, après le divertissement électoral, les choses sérieuses reprennent. Et il n’est pas sûr que l’actuel « mercato » à suspense visant à désigner les futurs pontes bruxellois suffise à alimenter l’amour présumé des citoyens pour l’« idée européenne ».

Certainement pas, en tout cas, du côté des salariés de GE-Belfort, et de tous ceux qui sont menacés par l’après-européennes et ses vagues de licenciements.

De véritables vagues, cette fois.

Pierre Lévy

 

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Première émission du Point de Ruptures – Rôle des médias, vote écolo, souveraineté bafouée, etc. : le décryptage des européennes

Par : pierre

Votre mensuel lance une chaîne vidéo qui proposera chaque quinzaine une émission, Le point de Ruptures, balayant l’actualité européenne.

La première vient d’être mise en ligne : Etienne Chouard, Coralie Delaume et Pierre Lévy débattent du résultat des européennes, mais aussi du rôle des médias, du vote écolo des catégories aisées, de la souveraineté bafouée des peuples…

Cette première émission est complémentaire à l’édition du mensuel qui sera chez les abonnés le 6 juin, avec des analyses complètes des résultats électoraux et des conséquences.

Pour aider à financer cet investissement vidéo, le moyen le plus efficace est de s’abonner au mensuel sans attendre !

L’équipe de Ruptures a décidé de consacrer des moyens importants à la production de l’émission. Or le journal n’a d’autres ressources que le produit des abonnements. Pour aider à financer cet investissement, le moyen le plus efficace est de s’abonner sans attendre !

De plus, le prélèvement mensuel peut être arrêté à tout moment. Cette formule permet ainsi de faire connaissance avec le journal sans s’engager sur la durée.

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Les dirigeants européens, réunis à Sibiu, s’approchent du sublime ridicule

Par : pierre

Décidément, ces dirigeants européens sont vraiment impayables. Particulièrement quand ils sont pris, si ce n’est de panique, du moins d’une extrême fébrilité.

Tel est le cas avec l’approche des élections renouvelant les eurodéputés. Le scrutin est programmé du 23 au 26 mai, et pourrait bien marquer une nouvelle étape dans la progression continue de l’abstention, une tendance qui gagne régulièrement en ampleur depuis 1979. A cette époque, la participation globale était de 62% ; en 2014, elle n’était plus que de 43%. Cette année, un nouveau record pourrait bien être battu.

De nombreuses raisons peuvent expliquer cette chute. La principale n’est jamais citée par les discours officiels et les médias dominants : l’Assemblée de Strasbourg usurpe le nom de « Parlement ». Car l’essence d’un Parlement est de représenter un peuple ; or il n’existe pas de « peuple européen ». Et, plus ou moins distinctement, de plus en plus de citoyens en ont l’intuition : on leur demande de donner, à travers le vote, un semblant de légitimité à une institution qui n’en a en réalité aucune ; et d’accorder, un vernis démocratique à une Union européenne dont la raison d’être est précisément de priver chaque peuple de la liberté de ses choix politiques, c’est-à-dire le droit de faire des choix éventuellement radicalement différents de ceux des pays voisins.

Pour conjurer le spectre du boycott massif des urnes, les grands médias se mettent en ordre de bataille. Arte bat des records, et devient une véritable chaîne de propagande continue. Et la « société civile » est mobilisée : quasiment pas un seul jour ne se passe sans qu’un appel pathétique soit rendu public sur le thème : « peu importe pour qui vous votez, mais votez ! ».

Le 29 avril, Le Monde publiait un texte commun signé notamment par le Medef et la CFDT exhortant les citoyens à « se mobiliser »

En Allemagne, plusieurs PDG de grands groupes avaient donné le ton en mars, parmi lesquels ceux de E.ON, de RWE, de Thyssen-Krupp qui s’étaient directement adressés à leurs salariés. Plus d’une centaine de grands patrons et de hauts cadres français les avaient imités en avril. Le 29 avril, Le Monde publiait un texte commun signé en France par les présidents des organisations patronales (dont le Medef) et les chefs de certaines organisations syndicales (dont la CFDT) exhortant les citoyens à « se mobiliser » pour « l’Europe que nous voulons ».

Le 1er mai, c’était au tour des archevêques catholiques d’Allemagne, de France, de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg qui conjuraient leurs ouailles de voter pour s’opposer aux « menaces du Brexit, du populisme et du nationalisme ». La liste des textes analogues est interminable, jusqu’à un article du petit groupe politique français baptisé Sauvons l’Europe, arguant que voter pour l’UE constitue « une dette à honorer face aux victimes du nazisme ».

Lettre ouverte

Bien sûr, les dirigeants eux-mêmes ne sont pas en reste. Dans une lettre ouverte publiée le 9 mai, vingt-et-un chefs d’Etat de l’UE se montraient tout à la fois scandalisés et terrorisés : « pour la première fois dans l’histoire de l’intégration, il y a des voix qui réclament de revenir sur la libre circulation ou d’abolir les institutions communes ». Mais ils concluaient, sur le ton de l’adjudant de service : « il ne peut y avoir de retour en arrière ». (Dans les sept autres pays, les chefs d’Etat sont des têtes couronnées qui n’étaient pas habilités à se joindre à cette tirade).

Mais ce sont bien les dirigeants politiques – chefs d’Etat ou de gouvernement – des Vingt-sept qui se sont retrouvés ce même 9 mai dans la ville roumaine de Sibiu. Le principe de ce sommet informel avait été décidé dans la panique qui avait suivi le référendum britannique du 23 juin 2016. Pour les dirigeants européens, la priorité était d’éviter que l’UE ne s’effondre comme un château de cartes. La réunion devait initialement se tenir au lendemain de la sortie officielle du Royaume-Uni. Celle-ci ayant été différée (jusqu’au 31 octobre au plus tard), c’est finalement le jour de la « fête de l’Europe » qui a été choisi.

L’exercice consistait donc à afficher une unité de façade – alors que les divergences et tensions n’ont jamais été aussi fortes – et de se mettre d’accord sur une adresse aux citoyens, suppliant ceux-ci de se rendre dans les bureaux de vote. Et c’est là que la prose officielle touche au sublime. D’abord par la modestie des propos.

« Depuis sa genèse, l’Union européenne a assuré la stabilité et la prospérité en Europe, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières », proclament en toute humilité les Eminences

« Une Europe réunifiée dans la paix et la démocratie ne constitue qu’une réalisation parmi de nombreuses autres », proclament en toute humilité les Eminences. Qui poursuivent sans ciller : « depuis sa genèse, l’Union européenne, mue par ses valeurs et libertés, a assuré la stabilité et la prospérité en Europe, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières ». Bref, grâce à Bruxelles, les peuples au sein de l’UE mais aussi ceux du reste de l’Europe ont connu des décennies de bonheur aussi intense que paisible.

Emportés dans leur élan, les hôtes de Sibiu se sont « à l’unanimité » fixé « dix engagements ». Parmi ces derniers figure ainsi la promesse de « rester unis, envers et contre tout ». Contre les réticences des peuples, en particulier ? « Nous nous attacherons à obtenir des résultats là où cela compte le plus », poursuit cette version moderne des Dix commandements. Et les auteurs de marteler : « nous continuerons d’être attentifs aux préoccupations et aux espoirs de tous les Européens, rapprochant l’Union de nos citoyens, et agirons en conséquence, avec ambition et détermination ». Nous voilà rassurés.

Et le meilleur : « nous aiderons toujours les plus vulnérables en Europe, faisant passer les hommes et les femmes avant la politique ». Déprécier ainsi la politique est assurément le moyen de redonner le goût de voter…

Enfin, jurent les Vingt-sept, « nous protégerons nos citoyens et nous assurerons leur sécurité en investissant dans notre pouvoir de convaincre et notre pouvoir de contraindre ». On appréciera le « nous » seigneurial (« nos citoyens »), qu’on retrouve bizarrement dans un autre engagement : « nous continuerons à protéger notre mode de vie ». « Nous », les chefs d’Etat ?

« Programme stratégique »

Les participants au sommet ont également avalisé les grandes lignes d’un « programme stratégique » prévu pour être adopté formellement lors du Conseil européen des 20 et 21 juin. Parmi les grandes orientations figurent l’ambition de « protéger les citoyens et les libertés » ; de développer le « modèle économique européen pour l’avenir » (dont la libre concurrence et l’euro) ; de « construire un avenir plus vert, plus équitable et plus inclusif » (dont l’aide aux « communautés pour gérer la transition écologique » ; et de « promouvoir les intérêts et les valeurs de l’Europe dans le monde » (et pour cela notamment : « intensifier les investissements de l’UE en matière de défense et renforcer la coopération y compris avec l’OTAN) ».

Enfin, les Vingt-sept ont prévu de se retrouver en sommet extraordinaire le 28 mai. Avec pour ordre du jour : commencer le grand marchandage pour les postes des futurs présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, et du chef de la diplomatie de l’UE. D’ores et déjà, les couteaux sont tirés. Et ce, malgré l’un des engagements solennels : « nous parlerons d’une seule voix ».

Les dirigeants européens s’engagent à respecter les dix commandements proclamés le 9 mai 2019, quel que soit le résultat des élections du 26 mai (et des élections nationales à venir)

En conclusion de leur déclaration, les dirigeants européens promettent : « les décisions que nous prendrons respecteront l’esprit et la lettre » des dix commandements proclamés ce 9 mai 2019, car « tel est notre engagement pour les générations futures ».

Et ce, quel que soit le résultat des élections du 26 mai (et des élections nationales à venir). On ne pouvait mieux définir la « démocratie » à l’européenne.

La prochaine édition de Ruptures analysera les résultats du scrutin européen dans les vingt-huit Etats membres et les résultats du sommet prévu le 28 mai. Elle paraîtra début juin. Il n’est pas trop tard pour s’abonner

 

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Sur RT, Pierre Lévy fait le point sur le Brexit après le report de six mois décidé par le Conseil européen

Par : pierre

Le Conseil européen extraordinaire du 10 avril a décidé de reporter de six mois l’échéance de la sortie du Royaume-Uni. Theresa May avait demandé une prolongation plus courte, mais différents dirigeants européens souhaitaient un délai plus long, de l’ordre d’une année.

Le pays devra en principe participer aux élections européennes, à moins qu’un accord au parlement britannique ne vote majoritairement en faveur de l’accord de divorce d’ici là.

La sortie aura bien lieu, mais ni ses conditions ni sont échéance n’ont été éclaircies.

Invité du journal de RT le 11 avril, Pierre Lévy, rédacteur en chef de Ruptures, revient sur ce feuilleton d’apparence complexe, mais dont le fond est finalement beaucoup plus simple…

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Le nouveau report du Brexit, décidé par le Conseil européen, exacerbe la colère des citoyens britanniques

Par : pierre

Les Vingt-sept ont décidé de décaler la sortie de l’Union européenne jusqu’en octobre au plus tard. Le feuilleton semble incompréhensible, mais le fond de l’affaire est simple : une majorité de citoyens veut sortir de l’UE, une majorité de députés était opposée à ce choix.

Ce sera donc le 31 octobre. Ou bien peut-être avant. La date de sortie du Royaume-Uni, initialement fixée au 29 mars, puis une première fois décalée au 12 avril, a donc été à nouveau reportée, cette fois de six mois, d’un commun accord entre les vingt-sept dirigeants de l’UE et le premier ministre britannique.

La décision a été prise lors du Conseil européen qui s’est prolongé tard dans la nuit du 10 avril, selon la tradition typiquement bruxelloise des « sommets de crise ». Theresa May avait demandé un délai seulement jusqu’au 30 juin. Le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, militait en faveur d’un report beaucoup plus long, par exemple d’une année. Et ce, dans l’espoir à peine dissimulé (mais vain) que, les mois passant, le Brexit pourrait bien être enterré.

Une bonne quinzaine de chefs de gouvernement, dont Angela Merkel, partageaient cette même position. A l’inverse, le président français, soutenu par trois ou quatre des ses homologues, avait affiché son intransigeance, et affirmé qu’une sortie sans accord et sans nouveau délai était envisageable. Entre Paris et Berlin, il y avait probablement un jeu de rôles et de postures ; mais il faut aussi noter que les intérêts sont divergents, notamment en termes d’échanges commerciaux.

Le Brexit pourrait être effectif avant l’échéance annoncée si les députés britanniques approuvaient d’ici là l’accord de divorce

Le compromis trouvé coupe donc la poire en deux. Il précise que le Brexit pourrait être effectif avant l’échéance annoncée si les députés britanniques approuvaient finalement l’accord de divorce qu’ils ont jusqu’à présent refusé trois fois. Un élément nouveau est cependant apparu : Mme May vient d’engager des discussions avec le chef de l’opposition travailliste dans l’espoir de trouver un compromis susceptible de recueillir finalement une majorité parlementaire. Et si une telle issue était trouvée avant le 22 mai, le pays pourrait même se dispenser d’organiser les élections européennes qu’il s’est engagé à tenir le 23 mai. Un scrutin particulièrement baroque dans un pays en passe de quitter l’UE, quand bien même la date de sortie reste aléatoire.

Enfin, les Vingt-sept comptent sur une attitude de « bonne foi » du Royaume-Uni, qui devrait s’engager à ne pas profiter de sa présence prolongée au sein de l’UE pour perturber la vie interne de celle-ci, notamment le renouvellement de ses instances, au printemps et à l’automne, ou pour bloquer des décisions importantes. Emmanuel Macron voulait des « garanties » à cet égard, mais il s’est retrouvé quelque peu isolé : il est en effet difficile juridiquement de contraindre ou de réduire au silence un pays toujours membre, a fortiori son parlement national ou ses eurodéputés.

Le Conseil européen de juin fera le point. Et celui prévu en octobre actera les évolutions survenues dans le paysage et les décisions politiques britanniques. A ce stade, un accord entre la direction des Tories et celle du Labour paraît peu vraisemblable : d’un côté, Jeremy Corbyn a peu de raisons de faire la courte échelle à Mme May ; de l’autre, si cette dernière fait trop de concessions, elle risque l’implosion de son propre parti. Et sans accord, il et peu probable que la Chambre des Communes approuve les termes du divorce qu’elle a déjà rejetés.

Les « lignes rouges » que les Vingt-sept s’interdisaient de franchir ont été régulièrement repoussées

Cependant, force est de constater que, depuis des mois, ce qui était improbable un jour est subitement devenu possible le lendemain. Les « lignes rouges » que les Vingt-sept s’interdisaient de franchir ont été régulièrement repoussées ; et il en va de même pour la chef du gouvernement britannique. Dès lors, bien malin qui peut prédire les prochains rebondissements politiques de l’autre côté de la Manche.

Même le scénariste le plus fou n’aurait pas imaginé les rebondissements du « feuilleton » engagé il y presque trois ans. Une des conséquences est la colère qui se répand parmi les citoyens britanniques. Ceux qui avaient voté pour sortir (52%) sont scandalisés que leur décision ne soit toujours pas appliquée. Et même certains de ceux qui voulaient rester ne comprennent pas les retards et atermoiements face à un verdict incontestable. Du coup, même si l’improbable deuxième référendum dont rêvent les pro-UE depuis le résultat du 23 juin 2016 se tenait, il n’inverserait pas forcément ce dernier, contrairement à ce que suggèrent les dirigeants européens et la presse « mainstream ».

Effet boomerang

Quoiqu’il en soit, le ras-le-bol face à une histoire qui paraît sans fin se répand parmi les citoyens britanniques. Et leurs voisins continentaux, pour beaucoup d’entre eux, n’y comprennent plus rien.

Pourtant, si les rebondissements et surprises donnent l’apparence d’une insondable complexité, le fond de l’histoire peut se résumer très simplement : les électeurs anglais se sont majoritairement exprimés pour sortir, mais une majorité de leurs députés était d’avis inverse. Et une partie de ceux-là ne rêvent que de remettre en cause le verdict populaire.

Quant aux dirigeants européens, certains continuent à espérer pouvoir inverser ce dernier, comme ils l’avaient fait en France et aux Pays-Bas, au Danemark et en Irlande. Sauf que l’époque n’est plus où les peuples se résignaient à ce déni de démocratie : depuis quelques années, l’Union européenne suscite des réticences nouvelles, voire un rejet croissant.

la priorité des chefs d’Etat et de gouvernement a d’emblée été de tout faire pour « pourrir la vie » des Britanniques

En tout cas, la priorité des chefs d’Etat et de gouvernement, comme de Bruxelles, a d’emblée été de tout faire pour « pourrir la vie » des Britanniques afin de dissuader d’autres peuples d’emprunter la même voie. Un peu comme quand un membre veut sortir de la secte : celle-ci n’hésite pas à employer tous les moyens pour le « punir » (menaces, chantage, attaques…) et dissuader ainsi d’autres velléités.

Mais en accumulant ainsi difficultés, imbroglios et menaces sur le chemin choisi par les Anglais, les dirigeants européens subissent désormais un « effet boomerang » : c’est toute la vie institutionnelle de l’UE qui se trouve phagocytée et minée par le Brexit. Pire : de l’aveu même de certains proches d’Emmanuel Macron, le spectacle conforte l’impression que la Grande-Bretagne est retenue contre son gré, et renforce ainsi le sentiment – à quelques mois des élections européennes – que l’Union est une « prison des peuples ».

L’image n’est pas très éloignée de la réalité. Dès lors, le problème de Bruxelles pourrait bien un jour s’aggraver : il ne s’agira plus seulement de retarder l’évasion d’un détenu, mais bien d’empêcher une mutinerie générale.

Toute l’analyse et les détails dans l’édition de Ruptures à paraître fin avril. Il n’est pas trop tôt, ni trop tard, pour s’abonner

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Gilets jaunes, Macron, Union européenne, médias mainstream… L’entretien avec Étienne Chouard

Par : fabien

Le mouvement des Gilets jaunes a éclaté mi-novembre 2018. Parti à l’origine de la colère contre une taxe écologique supplémentaire sur les carburants, cette mobilisation, totalement inédite et remarquablement déterminée, a très vite associé les exigences sociales et démocratiques.

En haut de la liste des revendications prioritaires des Gilets jaunes, figure en particulier le Référendum d’initiative citoyenne (RIC), une idée qu’Étienne Chouard, professeur d’économie et de droit, a largement contribué à populariser.

Ruptures a rencontré ce blogueur citoyen, qui s’est notamment fait connaître dans la campagne pour le Non au projet de Constitution européenne, en 2005. Il est aujourd’hui considéré comme une référence du mouvement des Gilets jaunes, et fait l’objet d’attaques virulentes de la part de la presse dominante.

Il s’exprime ici sur la mobilisation et ses enjeux, sur l’Europe contre la souveraineté, et sur les perspectives possibles pour 2019. Entre autres sujets abordés lors de l’entretien, Étienne Chouard revient sur le concept de « souveraineté européenne » porté par Emanuel Macron (à partir de 31 min 16 sec).

Sur les péages d’autoroute, sur les ronds-points comme dans les manifestations souvent improvisées, le drapeau tricolore et la Marseillaise ont fait partout leur apparition caractérisant l’état d’esprit des citoyens mobilisés, et largement soutenus, qu’on pourrait résumer par ce slogan « nous sommes le peuple ».

Lors de l’entretien, Étienne Chouard a notamment réagi aux intentions de certains d’inscrire le mouvement des Gilets jaunes aux élections européennes de mars 2019.

https://twitter.com/Ruptures_fr/status/1080929467898490881

Lire aussi : Gilets jaunes : la genèse d’un mouvement qui pourrait marquer l’Histoire de la France

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Des Gilets jaunes à l’ « empire européen » (éditorial paru dans l’édition du 28 novembre)

Par : pierre

Impressionnant : la mobilisation des « gilets jaunes », qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de citoyens le 17 novembre et se poursuit, revêt une ampleur sans précédent dans l’Histoire de France pour un mouvement sans organisateur institué. Les développements à venir restent incertains, mais il est déjà possible de pointer les composantes de cette colère jaune, portée par des acteurs dont c’était pour beaucoup la première manif, et qui jouit d’un soutien populaire écrasant.

Son déclencheur mérite attention : la détermination gouvernementale à augmenter les taxes sur le carburant, particulièrement sur le diesel, repose explicitement sur la volonté d’imposer un changement des comportements et des modes de vie, nommé « transition énergétique ». Que près de deux sondés sur trois estiment que le pouvoir d’achat doit passer avant la conversion écologique constitue une claque d’une violence inouïe infligée au pilonnage multi-quotidien quant à l’obligation de « sauver la planète ». La « sobriété heureuse » commence à apparaître pour ce qu’elle est : le faux nez de l’austérité contrainte.

Evidemment, au-delà de l’essence, c’est le pouvoir d’achat qui a mobilisé. Alimentation, carburant, électricité, gaz, assurances, loyer : des millions de ménages sont pris à la gorge. Les protestataires sont massivement issus du monde du travail, tandis que le mouvement est accueilli avec circonspection (au mieux) parmi la bourgeoisie urbaine.

Facteur supplémentaire : la rage de se sentir ignoré par « ceux d’en haut ». Cela vaut pour le social : on a beau travailler dur, on n’y arrive plus ; mais aussi pour le politique : on a beau renvoyer les sortants, les orientations restent les mêmes. Le souvenir du référendum inversé de mai 2005 est encore cuisant. Le mantra macronien de ladite « souveraineté européenne » a objectivement aggravé les choses : il est ontologiquement incompatible avec la souveraineté du peuple.

Les femmes et les hommes réunis autour des braseros ne se recrutent pas parmi les enthousiastes de l’Union européenne (donneuse d’ordre en matière de « paquet énergie-climat »)

Certes, on n’a pas vu brûler de fanion européen le 17 novembre. Mais le drapeau tricolore et la Marseillaise étaient à l’honneur. Dans leur grande majorité, les femmes et les hommes réunis autour des braseros ne se recrutent pas parmi les enthousiastes de l’Union européenne (au demeurant donneuse d’ordre en matière de « paquet énergie-climat », l’europarlement vient d’ailleurs d’en rajouter). Et si les citoyens mobilisés manifestent leur défiance quant aux responsables politiques nationaux en passe de perdre leur légitimité, cela concerne a fortiori des institutions supranationales qui en sont par nature dénuées.

Les syndicats ne sortent pas indemnes de l’épreuve. Des dirigeants de la CFDT et de la CGC se sont lamentés qu’un tel mouvement exclue le « dialogue social » en court-circuitant les « corps intermédiaires ». Quant à la direction de la CGT, elle a d’abord dénoncé un mouvement piloté en sous-main par l’« extrême droite » (mais nombre de ses militants se sont joints au mouvement). Il faudra un jour se pencher sur le rôle du soi-disant « antifascisme » dans l’abandon des fondamentaux « de classe » : sur l’Europe, sur les migrations, ou bien même sur l’appel à voter Macron au second tour, les reniements sont systématiquement justifiés par la peur de se retrouver « au côté de Marine Le Pen », faisant ainsi à cette dernière une publicité qu’elle ne mérite guère, et lui dégageant un espace rêvé.

Bruno Le Maire plaidait récemment, dans le grand quotidien allemand des affaires, pour que l’Europe devienne un « empire »

Alors même que le refrain officiel prétend voir poindre le péril d’un « retour aux années 30 », et pendant que les gilets jaunes se préparaient à prendre le bitume, Bruno Le Maire plaidait, dans le grand quotidien allemand des affaires, pour que l’Europe devienne un « empire ». Un empire « pacifique » précise-t-il (tout de même muni de la « véritable armée européenne » rêvée par le chef de l’Etat), mais qui pourrait enfin faire valoir sa puissance face aux autres grands acteurs mondiaux.

Au moins le locataire de Bercy a-t-il le mérite de dévoiler crûment le sens véritable de la mondialisation – celle-là même qui était finalement l’accusée ultime du 17 novembre : une dynamique de dominations et de rivalités qui écrase les manants et soumet les peuples. Et qui pourrait bien un jour les jeter les uns contre les autres : n’est-ce pas là la nature même des empires, ces entités qui par définition ne se connaissent pas de limite ?

Certes, faire le lien entre le prix du gazole et les dangereuses ambitions géopolitiques n’est pas spontané. Mais le maître de l’Elysée devrait se méfier. Les gilets jaunes, ça réfléchit.

C’est même fait pour ça.

Pierre Lévy

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