La société française est malade. Elle souffre d’un mal insidieux dont les symptômes se laissent à peine voir. Ils sont pourtant bien-là et ces derniers jours, deux « polémiques » s’en sont fait l’écho.
C’est Guillaume Meurice, d’abord, convoqué par la police pour « provocation à la haine » après une blague de mauvais goût dans lequel l’humoriste avait comparé, au micro de France Inter, Benyamin Nétanyahou (Premier ministre israélien) à un « nazi sans prépuce ». C’est ensuite le rappeur Freeze Corleone, qui a vu son concert annulé par la préfecture de police, au prétexte que ses références antisémites et complotistes feraient planer des risques « sérieux » de trouble à l’ordre public.
Cette judiciarisation à outrance de la vie sociale, culturelle et politique témoigne d’une France fracturée et pétrifiée par une sensibilité maladive. Certes, les idées ici incriminées sont absolument condamnables. Mais cette condamnation doit se faire dans l’arène du débat d’idée plutôt que dans un tribunal.
Cette paralysie du débat démocratique devrait alerter infiniment plus qu’une blague de mauvais goût. Avons-nous atteint un tel niveau de fragilité ? Sommes-nous à ce point incapables d’accepter la contradiction, de supporter l’expression d’une idée que l’on juge en tout point détestable, voire choquante ? Il n’y a plus vil poison, pour une démocratie, que l’idée fallacieuse selon laquelle les mots pourraient heurter, et que de la parole à l’acte, il n’y aurait qu’un pas.
C’est justement en déplaçant la violence dans le monde des idées et de la parole que les institutions démocratiques sont parvenues à pacifier nos sociétés ! Croire une seule seconde qu’interdire l’expression d’idées bêtes, haineuses ou dangereuses, suffira à les faire disparaître est d’une naïveté confondante. De plus, ces institutions démocratiques ont besoin d’un socle sans lequel elles ne peuvent se maintenir : un corps social imprégné d’un esprit démocratique et libéral, acceptant que la diversité et la différence impliquent l’acceptation de l’expression d’idées choquantes et/ou stupides.
Que l’on puisse être convoqué par la police pour une blague de mauvais goût serait ironique, si ce n’était pas le symbole d’une crise profonde de la liberté en France. Du professeur qui s’auto-censure au citoyen juif qui cache sa kippa, en passant par l’humoriste ayant besoin de consulter un avocat avant de faire une blague, ce sont autant de phénomènes qui renseignent du niveau d’intolérance qui règne dans notre pays. L’ultra susceptibilité mène inévitablement à la limitation de la liberté d’expression.
Du reste, faut-il rappeler, encore et toujours, que la liberté d’expression ne s’arrête pas à la simple sauvegarde de sa propre liberté ? Se battre pour la liberté d’expression, c’est avant tout se battre pour la liberté de ses adversaires politiques, et ainsi défendre leur droit de dire des choses qui nous déplaisent et nous choquent.
C’est parce que je déteste les idées de Guillaume Meurice et de Freeze Corleone que je veux qu’ils puissent les exprimer sans être inquiétés, que ce soit par la main du pouvoir politique ou, plus insidieusement, par la pression sociale. Parce que les libertés sont solidaires les unes des autres, leur liberté est la seule véritable garantie de ma liberté.
Laissons-les s’exprimer, nous aurons tout le loisir de les réfuter.
L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. L’examen par le Parlement européen, dans la quasi-indifférence générale, du « European Media Freedom Act » (acte européen sur la liberté des médias) pensé par la Commission Von der Leyen apparaît comme une énième illustration de ce principe.
De prime abord, les intentions apparaissent fort louables. La révolution numérique ne cesse de bouleverser le secteur des médias, et donne à des problématiques vieilles comme le monde – ingérences des pouvoirs, déstabilisation provenant de puissances étrangères, désinformations et manipulations en tout genre – une nocivité décuplée à l’ère numérique, quand les flux de contenus circulent de manière instantanée à une échelle massive et mondiale. Et nous ne sommes qu’à la préhistoire de l’Intelligence Artificielle qui va apporter tout autant son lot d’exceptionnelles opportunités pour la création de menaces pour notre capacité à distinguer le vrai du faux, le réel du fantasmé, l’information de la manipulation.
Par ailleurs, il apparaît incontestable que le climat ne cesse de se dégrader pour les journalistes, et plus généralement pour ceux qui font de la transmission de l’information leur vocation.
Partout, l’accaparement d’une vaste majorité des revenus publicitaires par quelques plateformes a affaibli le modèle économique des éditeurs et paupérisé tout une profession, pourtant si nécessaire à la démocratie. Pire encore, l’algorithmisation de la distribution des contenus favorise tout ce qui clive, qui clinque et fait cliquer, ce qui constitue une pression de plus pour les contenus de qualité qui doivent se battre pour la visibilité comme pour la rentabilité.
Enfin, plus localement, et principalement en Hongrie et en Pologne, la concentration des médias dans les mains de proches du pouvoir constitue un risque majeur pour le pluralisme des points de vue.
La liberté de la presse demeure ainsi un combat, y compris sur le sol européen.
Pour le mener, encore faut-il bien percevoir les menaces, qui ne sont pas nécessairement celles qui provoquent le plus d’indignation. Or, la principale menace actuelle est celle de l’excès de régulation, qui comme toujours étouffe plus qu’il ne protège. Le Media Freedom Act en est un exemple flagrant.
Si ce règlement européen présente quelques mesures positives afin de garantir la sécurité des journalistes, il n’apporte que peu d’améliorations, notamment par rapport au droit français, déjà très en pointe depuis la vieille mais solide Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Et ce d’autant plus que la mesure concrète la plus protectrice envers les journalistes, qui prévoyait, dans le projet initial de la Commission, l’interdiction de toute utilisation de logiciel espion à leur encontre et celle de leurs familles, a été remise en cause par les États, et n’est pas encore acquise. Cette mesure a été réintroduite par les parlementaires européens. Les trois institutions européennes que sont la Commission, le Conseil et le Parlement vont désormais statuer en réunion trilogue, dans un sens que l’on peut espérer le plus favorable aux libertés individuelles, à la protection des journalistes et de leurs sources.
En attendant que soit confirmée la seule nouvelle mesure qui constituait une avancée libérale, demeure le reste du texte qui introduit une nouveauté inquiétante pour le liberté de la presse : l’European board for media services, le Conseil européen des services de média.
Ce nouveau super régulateur au niveau européen aura pour but de faire respecter la bonne application des règlements de la Commission concernant les médias et la presse. Vaste programme.
Une autorité administrative supposée indépendante au niveau supranational pourra donc soumettre la presse à la tutelle d’une régulation que son statut et sa capacité à s’autoréguler lui évitaient jusque-là. Il s’agirait d’un recul sans précédent et d’une menace pour tous les éditeurs. En soumettant le directeur de la publication à une autorité administrative, et non pas à un juge statuant sur la responsabilité pénale de celui-ci, la Commission s’attaque involontairement par ricochet à un droit fondamental des citoyens, la liberté d’expression.
Le risque est d’autant plus grand que le règlement tel que présenté par la Commission se veut très pointilleux et normatif.
À titre d’exemples, le MFA décrit ce que devra être, dans chacun des pays membres, la procédure de nomination d’un dirigeant de l’audiovisuel public. Il introduit de nouvelles obligations de transparence, qui, dans certains pays, pourraient paradoxalement fragiliser certaines oppositions au pouvoir en place, en dévoilant le nom de leurs soutiens et mécènes. Il s’immisce dans l’organisation interne de chaque média en énonçant des exigences visant à garantir toute décision éditoriale individuelle des journalistes, créant une inutile tension juridique et humaine entre ceux-ci et leurs éditeurs, qui, au-delà de leur responsabilité pénale, sont les garants de la ligne éditoriale et de la stratégie globale d’un titre de presse.
Nous voyons le monstre de bureaucratie et de contrôle que pourrait devenir cette nouvelle autorité sans une définition beaucoup plus claire et limitée de ses missions, et sans des garde-fous absents à ce stade.
La propension naturelle de toute bureaucratie à créer de nouvelles normes et interdictions pour justifier son existence, conjuguée à certaines postures idéologiques et démagogiques du politique – et pas uniquement dans les démocraties dites illibérales – n’est pas de nature à rassurer.
Récemment encore, en France, un think tank, l’institut Rousseau composé de hauts fonctionnaires et d’universitaires, personnes a priori peu loufoques, a rédigé pour les députés une proposition de loi clé en main, ayant pour ambition d’imposer aux médias leur ligne éditoriale.
Là encore au nom d’un objectif louable bien qu’il ne soit en rien du ressort du politique – « améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias » – les experts de l’Institut Rousseau suggèrent d’imposer des normes éditoriales, fondées sur des quotas, contrôlées par l’autorité administrative.
Découvrant le concept de choix éditoriaux et l’influence de la presse dans le débat démocratique, l’Institut regrette que les médias traitent davantage de certaines thématiques plutôt que d’autres, « favoris[ant] l’orientation des programmes électoraux et des prises de positions et engagements politiques vers ces enjeux ». Régulons donc tout ça.
L’environnement est un sujet crucial ?
L’Institut propose qu’en période électorale, un minimum de 20 % des contenus des médias soit consacré « aux enjeux du dépassement des limites planétaires et de la raréfaction des ressources », ou tout du moins « à une représentation des communications traitant, de façon directe ou indirecte de ces enjeux. »
Et naturellement, outre le quantitatif, ce traitement devra être aussi qualitatif, c’est à dire conforme à ce qu’il faut penser, à la bonne opinion (par qui définie ?).
La proposition de loi le précise bien :
« Ne pas publier ou diffuser des prises de position qui contredisent, minimisent ou banalisent l’existence des limites planétaires et de la raréfaction des ressources, de leur origine anthropique et du risque avéré que ces crises représentent pour l’habitabilité des écosystèmes. »
À l’autorité administrative, l’ARCOM en l’occurence, de contrôler et sanctionner ces injonctions floues, subjectives, et qui ne devraient rester que du ressort du débat intellectuel et scientifique.
Il s’agirait là d’une volonté d’ingérence autoritaire du politique dans la liberté éditoriale des médias, déclenchant un infernal engrenage. Demain, suivant les mêmes logiques, un exécutif d’extrême droite exigerait peut-être que 40 % du temps d’antenne soit consacré à l’immigration illégale, ou un pouvoir La France Insoumise imposerait 50 % du temps à la défense du Hamas…
Au nom de la juste cause écologique, des gens sérieux et supposés démocrates s’adonnent à une pulsion totalitaire, certes peu surprenante lorsqu’on choisit de placer ses travaux sous le patronage de Jean-Jacques Rousseau, mais tout de même inquiétante.
Il est fort probable qu’une telle proposition inepte n’aboutisse pas, mais les velléités normatives et puritaines, tant des États-nounous que des pouvoirs démagogues, tant des thuriféraires de l’Empire du Bien que des ennemis de la liberté, font que ce type de mesures législatives ou règlementaires n’est plus à exclure en Europe.
Or, nous comprenons bien, à travers cet exemple hypothétique mais concret, l’immense danger du principe-même de la soumission des médias à des autorités administratives, dès lors que celles-ci sont enjointes par la pouvoir politique à contrôler également leurs choix éditoriaux.
La presse, jusqu’à présent en France, a échappé à ce contrôle administratif grâce à l’excellente loi libérale et protectrice de 1881, qui consacre l’exclusivité du contrôle de la presse par les juridictions et constitue donc une véritable garantie d’indépendance.
Ce que nous pensions acquis est désormais remis en cause par le Media Freedom Act et la création de cette inquiétante autorité de régulation au niveau européen. Les éditeurs français ne s’y sont pas trompés : près de 300 d’entre eux, allant de la presse régionale à la presse spécialisée, s’en sont vivement émus, sans grande écoute.
Ainsi, pour protéger la liberté de la presse, menacée dans certains pays, la Commission européenne a créé un corpus qui pourrait par ses effets pervers l’entraver dans beaucoup d’autres.
Le processus législatif de l’Union européenne est cependant plus complexe et pertinent que ce à quoi ses détracteurs le résument parfois. Le texte de la Commission a déjà été légèrement amélioré par le Parlement, pour ce qui concerne la protection des journalistes et les relations entre éditeurs et plateformes, afin de limiter les censures a priori des premiers par les secondes. Les discussions vont se poursuivre avec le Conseil, c’est-à-dire les gouvernements des pays de l’Union.
Il faut espérer que ces échanges permettront d’obtenir un texte plus équilibré qui évite toute ingérence de la Commission dans les politiques culturelles des États en la matière, et qui, à l’inverse, se concentre sur ce pour quoi l’Union peut faire la force, à savoir notamment les obligations imposées aux toutes-puissantes mais incontournables plateformes. Et que ces débats conduiront également à un règlement qui s’abstienne d’une vision trop stricte et idéologique de la libre concurrence, empêchant tout poids lourd européen du secteur des médias d’émerger au niveau mondial, alors que nous en avons tant besoin pour notre soft power.
Tous ces enjeux seront à surveiller attentivement dans les semaines qui viennent, sous peine de nous retrouver avec une législation dangereuse pour les valeurs de la démocratie libérale.
L’évolution de la presse et du rapport à l’information demeure une question trop fondamentale pour être laissée au seul niveau européen. Les États, chacun avec leurs traditions et défis propres, doivent désormais pleinement s’en saisir.
En France, les états généraux du droit à l’information, qui viennent de débuter, peuvent constituer une formidable occasion en ce sens, à condition de ne pas s’enfermer dans une ornière idéologique ni corporatiste. Le risque n’est pas nul.
Une tribune de #HackLaPolitique
Dès que le mois de juin arrive, le baccalauréat monopolise les titres de la presse. Les médias relatent les fuites de sujets que l’Éducation nationale est incapable d’éviter, vous voyez des reportages sur des jeunes terminales – et notamment le papy de 80 ans ou ledit surdoué de 12 ans, qui présentent leurs méthodes de révision.
Le baccalauréat est un symbole social, culturel, un bout de papier qui fait couler de l’encre, beaucoup d’encre, et peut-être pour pas grand-chose.
Car pour nous, le bac est un sujet important, oui. Mais surtout parce qu’il est l’alpha et l’omega d’un modèle éducatif – le nôtre- d’un autre âge. Nous allons voir pourquoi.
Le constat est assez simple. La vision que l’on se fait de notre modèle éducatif est celui d’un système républicain, mettant en avant l’égalité du savoir, brisant l’ensemble des déterminismes sociaux. Pourtant, c’est aujourd’hui sans conteste un système profondément inégalitaire.
C’est d’ailleurs la conclusion du rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire en 2016, mais aussi du fameux rapport PISA : les élèves défavorisés voient leur niveau baisser, tandis que les élites continuent de réussir.
La question alors à se poser est de savoir comment notre fameux modèle républicain, pourfendeur de l’égalité des chances, a-t-il pu finir si bas, favorisant avant tout les déterminismes les plus primaires ?
Pour le comprendre, il faut tout d’abord étudier le fonctionnement de l’Éducation nationale.
Sa particularité est d’être un système extrêmement centralisé et pyramidal ; que ce soit les programmes, les méthodes d’enseignement, ou encore les budgets, tout se décide plus ou moins dans les bureaux dorés du ministère de l’Éducation nationale et de sa puissante administration.
Une telle centralisation du pouvoir présente des défauts évidents : tout d’abord, c’est l’inadaptation du système à la diversité des enfants. Comment peut-on imaginer qu’une école totalement uniforme sur tout le territoire puisse s’adapter à la diversité des réalités locales ?
Comment voulez-vous que de façon centralisée on puisse décider d’une seule bonne méthode d’enseignement pour chaque enfant ? Entre un élève en difficulté scolaire ou un surdoué, le système éducatif actuel n’offre que très peu d’alternatives d’enseignements.
Or aujourd’hui, les enseignants le disent eux-mêmes, c’est l’Éducation nationale qui décide de tout, y compris des méthodes de travail. Que ce soit les professeurs ou les élèves, tout le monde est enfermé dans un système extrêmement hiérarchisé. Tout part des rectorats, où tout est administré, contrôlé et surveillé.
Les professeurs reçoivent même des notes administratives infantilisantes leur expliquant comment gérer une classe. C’est ne pas leur faire honneur alors qu’ils ont avant tout un savoir à transmettre.
Et dans le même temps, certains manquent de formation, ou d’autres, qui auraient une vocation, ne se jettent pas à l’eau. Et entre nous, les enseignants qui nous ont le plus ennuyé à l’école, sont ceux qui se limitaient à reproduire ce type de petites notes.
Si on veut garantir que l’éducation puisse s’adapter à chaque établissement, à chaque classe et à chaque élève, il faut permettre le développement de méthodes scolaires qui diffèrent de ce que tel ou tel ministre a décidé. Donc, cela nécessite que les professeurs et les établissements puissent sortir du cadre, tenter de nouvelles initiatives de pédagogie, ou des expérimentations locales.
Par exemple, dans un rapport sur le numérique à l’école de 2016, l’Institut Montaigne nous apprend qu’aux Pays-Bas, où le système éducatif favorise les écoles indépendantes, un entrepreneur hollandais, Maurice de Hond, a créé en 2013 via sa fondation 04NT de nouvelles écoles basées sur un apprentissage progressif centré sur l’enfant et facilité par les technologies numériques (chaque enfant a une tablette où figure son programme d’apprentissage et certaines activités associées).
Dans ces écoles Steve Jobs, pas de classe mais des ateliers de travail par tranche d’âge et centrés sur les mathématiques, l’histoire, ou le développement de la créativité par exemple. Chaque enfant a la liberté de décider ce qu’il souhaite apprendre en premier.
Les enseignants sont littéralement appelés coachs, travaillent étroitement avec les parents, et organisent des points d’avancement toutes les six semaines.
Ces écoles ont si bien réussi qu’elles se propagent actuellement dans le tout le pays.
Ce projet est un exemple frappant du fait que des acteurs non publics peuvent prendre en charge de manière bien plus innovante et efficace les besoins de transformation de l’apprentissage des enfants, que ne pourraient le faire des administrations aux routines bureaucratiques parfois trop rouillées.
On le voit, la plupart des réformes scolaires en France s’effectuent surtout à la marge, en bougeant quelques curseurs un peu inutiles (rythmes scolaires, allègement/alourdissement de certaines matières) alors que les initiatives les plus innovantes, il faut le constater, viennent le plus souvent d’acteurs locaux.
Imaginez-vous le ministre de l’Éducation déclarer que les écoles françaises ne fonctionneront plus par classe mais par atelier ? Jamais cela ne se produira. Parce que le monopole condamne à l’immobilisme, qu’il fige les institutions dans une bureaucratie de privilèges, l’État est incapable de sortir de ce modèle napoléonien qui perdure depuis deux siècles.
Le baccalauréat représente très bien ce système où de façon extrêmement uniforme, tous les élèves apprennent exactement la même chose, année après année, avec les mêmes méthodes. Le système actuel qui tend à égaliser tout le monde à outrance produit de faitune uniformisation des esprits qui peut in fine briser la créativité et l’innovation chez les élèves.
Le fameux conformisme des élites dirigeantes (grandes écoles, ENA, etc.) que beaucoup condamnent dans notre pays a été favorisé par les pratiques actuelles de l’Éducation nationale. On ne se distingue pas en France par le talent individuel, mais par la faculté à se caler dans le moule prédéfini par le ministère.
Et c’est pour cela que les déterminismes sociaux sont de plus en plus marqués en France : seuls ceux possédant les moyens financiers de se glisser parfaitement dans le moule, ou de sortir de ce système, peuvent aujourd’hui s’assurer un statut social valorisé, ou développer leurs capacités en dehors de l’école.
Ces inégalités sociales sont souvent renforcées par l’orientation des élèves dans le secondaire, par exemple ; ce qu’on appelle la carte scolaire. Sous couvert d’égalité d’accès aux établissements (chaque élève dispose d’un établissement dans son secteur d’habitation), ce sont en réalité les habitants des quartiers les plus riches qui ont accès aux établissements les mieux réputés se situant dans ces quartiers, et cela automatiquement, par le simple privilège de la naissance, tandis que les plus pauvres sont affectés dans des établissements qui n’ont malheureusement pas bonne réputation, indépendamment du travail qu’ils ont fourni. Avec la carte scolaire, le mérite individuel passe au second plan.
Le problème c’est que nous ne sommes pas prêts de sortir de ce système, car changer un modèle aussi centralisé prend énormément de temps : le nouveau ministre de l’Éducation nationale a annoncé qu’il allait falloir attendre deux ans pour sortir de la réforme des rythmes scolaires.
Il reste donc trois années pour engranger de nouvelles réformes, en espérant qu’une nouvelle majorité ne vienne pas imposer un nouveau calendrier, à l’occasion du mandat suivant, les rythmes scolaires n’étant qu’un détail dans la masse des changements à mettre en place.
L’éducation est un travail de long terme. Or aujourd’hui il ne peut pas y avoir de cap, la seule façon de changer le système étant d’attendre tous les cinq ans que chaque majorité vienne démolir ce qui a été mis en œuvre. L’éducation est un sujet trop important pour le laisser entre les mains des politiciens.
Le baccalauréat est le symbole d’une Éducation nationale ne se préoccupant pas du développement du talent individuel.
L’État conserve la main sur l’Éducation au détriment d’acteurs locaux. Au nom de l’égalité de traitement, le fameux mérite républicain, loin d’être favorisé, permet le maintien des inégalités les plus injustes.
Il est évident qu’une décentralisation bien plus large de l’école est indispensable. Elle permettrait aux acteurs locaux, qu’il s’agisse des professeurs ou des parents, de travailler ensemble pour innover et modifier les méthodes de pédagogie qui ne fonctionnent plus aujourd’hui.
Les free schools, en Angleterre ou dans certains pays nordiques sont assez encourageantes en la matière, non seulement en termes de coopération entre les familles et les écoles, mais aussi concernant les méthodes d’enseignement.
Il faut avoir une vision distante du baccalauréat, bien avant celui-ci. Il n’est qu’un bout de papier. L’éducation est l’affaire d’une vie, de chaque vie, de coopérations volontaires, de projets.
Nous avons tous la possibilité de reprendre la main sur notre éducation, ce n’est qu’une question de volonté. Écartons tous ces politiciens qui souhaitent décider à notre place et nous encombrent pour pouvoir forger maintenant, nous-mêmes, l’école/l’éducation de demain !
Un article publié initialement le 21 juin 2017.