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Arms Control in Germany: The Bundestag Finally Wakes Up

By Hans Berger In what has been seen as a victory for the German pacifist movement, the German Bundestag resoundingly rejected a proposal by the...

Arms Control in Germany: The Bundestag Finally Wakes Up

« Telk Qadeya », l'hymne d'une rupture avec le monde occidental

La chanson « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») du groupe égyptien Cairokee connaît un succès exceptionnel depuis sa sortie fin novembre 2023. En dénonçant l'indignation sélective du discours occidental qui se prétend à la pointe des combats progressistes mais n'a aucune considération pour le génocide en cours à Gaza, le titre traduit un ressentiment largement partagé dans le monde arabe.

C'est l'histoire d'une valse à trois temps qui est en train de devenir l'hymne d'une jeunesse arabe. « Telk Qadeya » (« Ceci est une cause ») est le dernier single de Cairokee, groupe de rock égyptien « avec une touche de fantaisie » (« with a twist »), selon leur propre expression. La chanson est sortie le 30 novembre 2023, presque deux mois après le début de la guerre génocidaire sur Gaza. L'annonce en a été faite sur les comptes officiels du groupe sans fioriture ni discours grandiloquent. Mais la chanson a fait plus d'un million de vues sur la seule chaîne YouTube du groupe, et a été reprise fin décembre par la chaîne libanaise Al-Mayadeen, illustrée par des vidéos de bombardements à Gaza. Si les mots « Gaza » ou « Palestine » ne figurent nulle part dans le texte, tout le monde sait bien de quoi il est question, et quel ordre mondial — mis à nu par la situation dans les territoires occupés — cette chanson vient pointer du doigt.

Cairokee - Telk Qadeya كايروكي - تلك قضية - YouTube

Largement partagé depuis sa sortie, le titre se retrouve sur les comptes des réseaux sociaux des Palestiniens de Gaza, adopté par ceux-là même dont il souhaitait porter la voix. Le groupe a d'ailleurs été invité à l'interpréter sur scène durant la cérémonie de clôture du festival égyptien du film d'El-Gouna, le 21 décembre 2023, où, contrairement au Red Sea Film Festival de Djeddah programmé quelques jours plus tôt, l'actualité palestinienne était fortement présente.

De la révolution égyptienne à la Palestine

À travers son nouveau titre « Telk Qadeya », Cairokee renoue ainsi avec sa tradition de chanson politique. Formé en 2003 au Caire, le groupe a commencé à connaître un large succès en 2011, en signant la chanson qui deviendra la bande originale de la révolution du 25 janvier 2011, « Sout Al Horeya » (« La voix de la liberté »), en collaboration avec l'acteur et chanteur Hany Adel, à l'époque membre du groupe Wust El Balad. Le clip a été filmé sur la place Tahrir au lendemain du départ de Hosni Moubarak.

Sout Al Horeya صوت الحريه Amir Eid - Hany Adel - Hawary On Guitar & Sherif On Keyboards - YouTube

Depuis, Cairokee a connu de nombreux succès sans cependant échapper à la censure, notamment pour son album No'ta Beeda Point blanc ») en 2017 qui n'a pas été commercialisé en Égypte. Car contrairement à d'autres, le groupe a refusé toute compromission avec le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi. Et c'est dans la fidélité à ses premiers engagements que sort aujourd'hui la chanson « Telk Qadeya », dont les paroles sont signées Mostafa Ibrahim, le « poète mélancolique de la révolution égyptienne ».

Exclus de l'espèce humaine

Au fil des vers, la chanson dresse un état des lieux cru de la situation politique pour souligner l'étendue du fossé qui s'est creusé depuis le 7 octobre :

Être un ange de blanc vêtu
Avec une moitié de conscience
Faire cas du mouvement des libertés
Faire fi des mouvements de libération
Aux morts prodiguer son affection
Selon leur nationalité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Les paroles ne se contentent pas de relever l'indignation sélective et les doubles standards d'un monde occidental qui a exclu les Palestiniens de l'espèce humaine, « comme si la terre qui les revêt/Ne venait pas de la planète terre ». Elles pointent également la logique inhérente à cette partie du monde qui se gargarise de combats sociétaux devenus les marqueurs d'une évolution morale dont l'Occident aurait l'exclusivité, tout en restant insensible au sort d'êtres humains en dehors de sa sphère culturelle. « Ça c'est une chose/Et ça c'en est une autre », martèle la chanson face à celui qui va « secourir des tortues marines/Et tuer des animaux humains »1, ou à cet autre qui appelle « son concierge "gardien" Aux côtés d'une armée qui abat des écoles »2.

Rupture consommée

La bande originale de ce constat est servie par la voix grave et posée du leader du groupe Amir Eid qui, pendant la première partie du morceau, interpelle l'Autre. Mais à mesure que la musique va crescendo, qu'un rythme oriental vient se mêler à celui de la valse et que les violons entrent en scène, la voix du chanteur monte dans les aigus. Son interlocuteur change d'identité : il ne s'adresse plus à celui qui « renvoie dos à dos/La victime et le bourreau/En tout honneur, intégrité/Et en toute neutralité » — référence sarcastique au discours médiatique qui se drape d'objectivité pour justifier l'invisibilisation des massacres en cours —, il parle avec celui qui « surgit des décombres » et lui dit :

Tu rassembles tes restes et tu te bats
Et tu montres à ce monde hypocrite
Comment fonctionne la loi de la jungle
Par où passe le chemin de la liberté
Et par où on attaque un char

En faisant explicitement référence à la lutte armée, la chanson interroge les normes légales que l'Occident a lui-même mises en place, et qu'il est le premier à contester. Elle entérine le refus de dépendre des détenteurs d'un discours creux n'ayant que de piètres condamnations à présenter « pour arrêter le carnage ».

Il n'est nullement question ici d'appeler à la démission. Juste ne plus rien attendre du camp d'en face : « Qu'importe que le monde se taise/Tu mourras libre et sans te rendre ». Deux paradigmes s'opposent, « Car ça c'est une chose/Et là c'est un combat », conclut la voix du chanteur, avant de s'évanouir dans un solo à la guitare électrique empreint de notes de blues.

Dès la sortie de « Telk Qadeya », la traduction anglaise du poème a été diffusée par Cairokee avec la chanson. L'image illustrant le single montre un buste de la statue de la Liberté à deux têtes, dénotant le double discours, au milieu d'un tableau rouge sang. Un message on ne peut plus limpide pour qui veut bien l'entendre.

Traduction du texte de la chanson par Nada Yafi.

Secourir des tortues de mer
Tuer des animaux humains
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Être un ange de blanc vêtu
Avec une moitié de conscience
Faire cas du mouvement des libertés
Faire fi des mouvements de libération
Aux morts prodiguer son affection
Selon leur nationalité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment être civilisé
Satisfaire à tous les critères
Avoir un langage mesuré
Se plaire à embrasser les arbres
Appeler son concierge « gardien »
Aux côtés d'une armée qui abat des écoles
Se voir éclaboussé de sang
Et dire que tout le monde est victime
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment puis-je croire en ce monde
Qui vous parle d'humanité
Quand une mère pleure son enfant
Mort de faim
Ou sous les bombes
Un monde qui renvoie dos à dos
La victime et le bourreau
En tout honneur, intégrité
Et en toute neutralité
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Comment pourrais-je dormir en paix
Comment me boucher les oreilles
Lorsqu'une famille entière
Est enterrée dans sa maison
Et qu'on empêche les secours
Comme si la terre qui les revêt
Ne venait pas de la planète terre
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Habiter une vaste prison
Aux cellules de feu et de cendres
Et pouvoir surgir des décombres
En s'arrachant à ses blessures
Pour rendre gorge à l'assaillant
Pour dire à ce monde hypocrite
C'est là votre loi de la jungle
Trouver la voie de la liberté
Savoir pulvériser un char
Ça c'est une chose
Et ça c'en est une autre

Qu'importe que le monde se taise
Tu mourras libre et sans te rendre
Pour que des générations à venir
Apprennent à défendre une cause

À quoi bon adjurer le monde
Pour qu'il dénonce et qu'il condamne
Il peut condamner à sa guise
Mais pour arrêter le carnage
Réduire la poudre et le fracas
Ramener la lumière du matin
Condamner ne suffira pas

Car ça c'est une chose
Et là c'est un combat


1L'expression est une référence au ministre de la défense israélien Yoav Galant qui a qualifié les Palestiniens d' « animaux humains ».

2Le terme « gardien » étant plus politiquement correct que celui de « concierge ».

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L'Iran fait un malheur avec une chanson culte

Sur une idée du Guide suprême Khameini, la chanson « Salâm farmândeh » (Salut commandant), lancée ce printemps 2022, est un succès foudroyant en Iran. Aussitôt exportée dans les mondes chiites, le tube donne lieu à une multitude de versions locales. Leur tonalité reflète les adhésions et les réserves face à la puissance de l'Iran.

L'émotion qu'il suscite et une campagne de promotion bien orchestrée sur les réseaux sociaux ont forgé le succès d'un nouvel objet de propagande, un clip vidéo. Avec des paroles où s'imbriquent le politique et le religieux, « Salut commandant » (Salâm farmândeh) vise le public des enfants, vus comme la future armée du messie attendu par les chiites, le Mahdi… et de son représentant Ali Khamenei. En Iran, puis partout où se trouvent des communautés chiites, « Salut commandant » s'est répandu comme une trainée de poudre ces derniers mois, devenant viral sur le Net. Toutefois, le modèle iranien y est adapté, revisité dans de multiples versions, et parfois contesté. L'hégémonie de l'Iran a ses limites et ses détracteurs.

Le clip dans sa version originale

Entre la chanson à gestes pour enfants et l'hymne national, « Salut commandant » se présente, dans sa version originale devenue une sorte de matrice, comme une performance réalisée par un chanteur et un groupe d'enfants que l'on voit arriver un à un, pour former le chœur ; filmée, elle devient un clip. La mélodie se retient facilement, l'instrumentation est simple, tout comme les paroles et les rimes, les gestes faciles à reproduire.

Ils commencent par un salut militaire, répété dès que les paroles reprennent, Salâm farmândeh. Toute l'ambiguïté du chant est là : farmândeh signifie commandant en persan et ce n'est pas, habituellement, la manière dont les fidèles s'adressent à l'Imam du temps, le Mahdi, ni en Iran ni ailleurs. Ici le locuteur — un enfant — interpelle à la fois Ali Khamenei (« Guide de la Révolution » et chef des armées) et le Mahdi à qui il exprime amour et dévotion, mais aussi allégeance et obéissance jusqu'au sacrifice. Il se déclare prêt à accueillir l'Imam du temps et se porte volontaire dans l'armée des 313 soldats que celui-ci dirigera contre les tyrans pour rétablir la justice sur terre.

Bien que je sois petit, je te promets de devenir le commandant de ton armée.
Mon âme, la vie est dénuée de sens sans toi…
Je te salue, sur la ligne des 313 soldats.
Je fais le serment de devenir ton Qassem quand tu auras besoin de moi…
de devenir ton serviteur comme Bahjat… et les martyrs inconnus.

Ces noms font référence à des personnages fameux : Qassem Soleimani, commandant de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution, tué dans une frappe américaine en 2020, à Bagdad ; le cheikh Bahjat, autorité religieuse et mystique iranien décédé en 2009 ; les martyrs des guerres menées par l'Iran.

La presse iranienne elle-même le relève, le chant « brouille magistralement les pistes entre l'Imam caché et son député qui est l'ayatollah Khamenei ». Le texte est à la fois un engagement théologique où le fidèle renoue son pacte avec l'Imam et un credo politique où il fait le serment de servir le régime, voire de donner sa vie pour lui. L'émotion est intense, bon nombre d'enfants en pleurent et les caméras ne ménagent pas les gros plans sur les plus expressifs d'entre eux.

Un chant destiné aux enfants

À plusieurs reprises depuis 2014, Ali Khamenei avait appelé son entourage à se mobiliser et demandé aux artistes d'imaginer un chant que pourraient fredonner les enfants sur le chemin de l'école. Conscient du pouvoir de persuasion de la culture populaire si prégnante dans le chiisme, il affirmait vouloir ainsi toucher la génération des années 1390 du calendrier persan, qui commence en 2011, c'est-à-dire des enfants âgés d'une dizaine d'années.

La réponse à ses appels émana d'un obscur chanteur de la région du Gilan, Abuzar Ruhi et du groupe Mah. Ils présentèrent « Salâm Farmândeh » pour la première fois dans leur ville de Langrud à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Mahdi, en mars dernier. Puis Abuzar Ruhi entama une tournée en Iran et se produisit dans les lieux les plus symboliques de l'histoire du pays et du chiisme : Jamkarân, Takht-e Jamshit (Persépolis), Qom, Ispahan, Shiraz, etc. Le 26 mai, dans le stade Azadi de Téhéran, une foule de 100 000 personnes, des enfants et leurs familles portant des drapeaux iraniens ou arborant des tee-shirts Salâm Farmândeh vinrent chanter ensemble en lisant les paroles sur un énorme prompteur.

La campagne de promotion était lancée : Abuzar Ruhi alla chanter auprès d'enfants cancéreux à l'hôpital, les rassemblements se multiplièrent, générant autant de clips filmés qui se diffusèrent sur la toile, et « Salâm Farmândeh » se transforma, comme le releva la presse officielle, en un véritable phénomène social en Iran.

Cependant, les réactions ne se firent pas attendre. Alors même que le chant et ses promoteurs déplaçaient les foules à Téhéran, la colère grondait, par suite de l'effondrement d'un immeuble à Abadan qui fit des dizaines de victimes et à la répression des manifestations qui s'ensuivirent. Les gens qui se plaignaient de la cherté de la vie et des difficultés du quotidien n'étaient pas touchés par cet « hymne du ciel », comme l'appela le commandant des pasdarans. Si certains observateurs louaient la pudeur des filles chantant dûment voilées dans leurs tchadors, des Iraniens et des Iraniennes, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, réagirent à ce puritanisme sur les réseaux sociaux en postant des parodies de la performance, avec force danses, mimiques éloquentes, ou dévoilements provocateurs.

Détracteurs et humoristes ne manquèrent pas de s'emparer de cette facette du phénomène Salâm farmândeh. À l'extérieur de l'Iran, d'autres critiques fusèrent sur l'idéologie véhiculée par un chant vu comme un cheval de Troie iranien, l'instrumentalisation et l'endoctrinement des enfants, le caractère hollywoodien de la diffusion, la privation des communautés chiites extérieures de leur identité.

À travers les mondes chiites

« Salâm farmândeh » fut aussi exporté par ses promoteurs et se répandit rapidement dans les mondes chiites durant l'été, tel un phénomène de mode. Très tôt, les clips issus des rassemblements iraniens furent sous-titrés en arabe, en anglais ou en ourdou pour en élargir le public. Ensuite, Abuzar Ruhi partit en tournée au Pakistan, au Liban, en Irak et, ailleurs, des performances calquées sur le modèle iranien furent organisées grâce aux relais de l'Iran — centres culturels, centres islamiques, écoles, etc.

Les paroles de « Salâm farmândeh » furent traduites ou adaptées dans des langues diverses (arabe, turc, turkmène, azéri, ourdou, pashto, balti, haoussa, swahili, russe, anglais, etc.) et sa mise en scène reproduite à différentes échelles, en fonction de la taille et des moyens des communautés, mais aussi de leur proximité avec l'idéologie de la République islamique. Le résultat est une production foisonnante de versions qui sont pour certaines conformes au modèle original et aux codes de sa mise en scène (gestuelle ; portraits de Khamenei, de Soleimani, de Khomeini ; tchador pour les filles, parfois uniformes paramilitaires pour les garçons), alors que d'autres le nuancent, s'en éloignent, voire le détournent et le concurrencent pour marquer une prise de distance avec la Révolution et son Guide. Cette production reflète une géographie des positionnements par rapport à l'Iran comme à l'idéologie qu'il prêche et donne une large palette des manières de concevoir le chiisme et, particulièrement, la dévotion au Mahdi.

Des performances du Nigeria à l'Azerbaïdjan

Des communautés proches de l'Iran reprirent « Salâm Farmândeh » dès le mois de juin, à Kargil, au Cachemire, en Turquie, au Nigeria, où les enfants d'une école furent regroupés pour chanter en haoussa, en présence du cheikh Ibrahim Zakzaky, leader du Mouvement islamique du Nigeria. Plusieurs performances furent enregistrées à Bakou, dont une où les chanteurs étaient masqués : il n'est pas facile de prôner un chiisme politique militant, aujourd'hui, en Azerbaïdjan. « Salut mon imam » fut chanté en version russe à Derbent au Daghestan.

Version cachemire

En Syrie, des enfants et des jeunes des villages de Nubl et Zahra chantèrent la version arabe du modèle original en tenant des portraits de leaders iraniens et de Hasan Nasrallah. Puis ceux du quartier Zayn al— ‘Abidin, à Damas, firent de même pour réaliser un clip qui se termine par l'image d'un jeune homme faisant un salut militaire devant le mausolée de Sayyida Zaynab.

Version syrienne

Au Liban, rompu aux opérations de communication, le Hezbollah produisit un clip qu'il présenta comme la version officielle libanaise et les scouts du Mahdi organisèrent des rassemblements des partisans dans la Bekaa (Hermel), la banlieue sud de Beyrouth ou le Sud-Liban. La version du Hezbollah, dans ses paroles comme dans les portraits brandis par les participants, prend modèle sur la version iranienne et y ajoute ses héros (Hasan Nasrallah, Imad Moughniyeh, Ragheb Harb, etc.). « Ce n'est pas un chant, c'est une frappe de missile !.. » lança un cheikh proche du parti, ajoutant, dans une rhétorique bien rôdée, que cette opération déjouait les conspirations de l'arrogance mondiale.

D'autres communautés chiites ne se sont pas strictement alignées sur le modèle iranien, soit par crainte des représailles ou souci de discrétion vis-à-vis de leurs autorités locales, soit pour prendre des distances avec l'Iran, tant politiques que culturelles. Il s'agissait, aussi, d'ancrer le chiisme dans le pays. À Londres, les paroles de la version anglaise furent dépolitisées.

Version anglaise

À Dar-Es-Salam, les paroles furent adaptées en swahili et transformées ; les chanteurs agitaient le drapeau tanzanien, s'adressant au Mahdi : « Nous nous sommes unis, tu peux apporter la paix ». Aucun référent politique dans leur prestation qui attire les congratulations d'usage, sur internet. Pas plus de contenu politique dans la version française : si le modèle iranien en est la matrice, les paroles ont été arrangées. Tournée au pied de la tour Eiffel ce qui, comme d'autres versions, affiche une situation géographie claire si ce n'est stéréotypée, elle est signée « la jeunesse chiite de France », un groupe qui ne dit pas son nom.

En arabe, face à la version du Hezbollah qui revendique deux millions de vues en ligne, une autre version affiche, elle, 12 millions de vues : un clip produit en juin de manière très professionnelle par des chiites du Bahreïn qui véhicule des images de paix et de douceur (une femme fait voler une colombe au bord de la mer, les enfants sont vêtus de blanc et les paysages sereins).

Celui-ci n'utilise pas de référents politiques, mais des codes renvoyant aux rituels chiites : les enfants se nouent mutuellement un ruban vert autour du poignet, ils portent de grands drapeaux blancs « Ô Mahdi », ne font pas le salut militaire, mais lèvent le bras en avant. La teneur du discours est à l'avenant, uniquement théologique, centrée sur le pacte de fidélité envers l'imam et l'attente de son retour. Cette version s'est imposée sur le Net et est devenue un modèle concurrent dont le texte est traduit ou adapté en d'autres langues.

Le cas irakien

Dans les mondes chiites, les réactions d'adhésion, d'accommodement, ou de rejet de l'emprise iranienne sont souvent plus subtiles qu'il n'y paraît. Le « grand frère iranien » est d'emblée vu comme le fer de lance du chiisme avec lequel chaque communauté entretient des liens plus ou moins serrés, fondés sur des accointances linguistiques, historiques, culturelles, ou politiques, qui génèrent une forme de diplomatie particulière. Quant au régime iranien, après avoir œuvré pour exporter sa Révolution, il a opté pour une politique de soft power vers l'extérieur, mais ne s'empêche pas des formes d'intrusion plus énergiques.

L'Irak voisin, considéré comme « pouvoir chiite » après 2003, en a fait l'expérience puisque l'Iran y projette son État profond et y entretient des milices vouées à sa cause. On a vu, depuis les slogans contre la mainmise de l'Iran lors des manifestations populaires de 2019 jusqu'aux tensions récentes, que la pression politique et économique iranienne ne s'y exerce pas sans heurts. Si l'on ajoute les discrètes, mais fermes réserves de la marja‘iyya (l'autorité religieuse) face à l'Iran dans le contexte de la préparation de la succession d'Ali Sistani, on comprend tout l'intérêt de s'arrêter sur la réception de l'opération Salâm farmândeh en Irak.

Une version irakienne

Les premiers rassemblements furent organisés en juin à Basra par les partisans des milices du Hachd al-cha‘bî (mobilisation populaire) constitué à la suite de la fatwa d'Ali Sistani appelant à défendre le pays contre l'organisation de l'État islamique (OEI). Toute l'ambiguïté du Hachd, donc certaines factions sont très proches de l'Iran, voire actionnées par lui, mais qui clame son allégeance à Sistani, transparaît dans les nombreux clips réalisés. Les participants portent des tenues militaires, montrent des portraits de Qassem Soleimani et d'Abou Mahdi Al-Muhandis (tué avec le précédent dont il était l'alter ego irakien), affichant ainsi leur allégeance à l'Iran, mais, en même temps, ils montrent aussi des portraits de Sistani.

L'allusion à « Sayyid Ali », dans « Salut mon imam du temps », ne renvoie pas à Khamenei comme dans le modèle iranien, mais à Sistani, en rappelant la fatwa qui permit la création du Hachd. Toutefois, même si le drapeau que brandissent les participants est celui de l'Irak ou du Hachd, cette version reflète, pour bon nombre d'Irakiens, la présence iranienne dans le pays. Quant à Ali Sistani, son désaccord avec les milices pro-iraniennes est connu. Une autre performance de la même veine fut organisée dans la mosquée de Sahla, à Koufa, dont la tradition dit qu'elle sera le lieu de résidence du Mahdi à sa réapparition. Sans compter la tournée d'Abuzar Ruhi, de Kirkouk à Karbala en passant par Bagdad et Samarra, où il fut filmé en train de chanter « Salâm farmândeh » lors de sa visite du sanctuaire, face contre la châsse du tombeau de l'imam.

À Karbala, il donna une performance, toujours en persan, dans le vaste espace qui se situe entre les deux sanctuaires de Hussein et de ‘Abbas, haut lieu de la piété chiite et de la convivialité pèlerine. « L'Iran, le Liban et l'Irak ne peuvent être séparés ! », déclara-t-il avant sa prestation. Face à lui, le public avait surtout apporté des drapeaux irakiens et des portraits de Sistani…

La religiosité mise en avant

Un clip fut réalisé par Karbala TV, avec Mohamed Ghuloom, le même chanteur que la version bahreïnie, entouré d'enfants. Il se déroule à Karbala, près d'un mausolée dédié au Mahdi et d'autres sanctuaires de la ville. Ni drapeaux ni portraits, mais des rubans verts, des bougies, quelques garçons vêtus à l'ancienne, le châle vert des sayyid enroulés sur des tarbouches comme les serviteurs des lieux saints. Piété et légitimité religieuse sont mises en avant.

Les célébrations de l'Achoura en août auraient pu détourner l'attention, mais ce ne fut pas vraiment le cas. « Salâm farmândeh » a continué de faire l'objet de réappropriations. La mélodie et le scénario de base mettant en scène des enfants ont été utilisés pour la production d'autres performances et d'autres clips dont, cette fois, le sujet est Hussein, tel « Husayn mawlânâ » (Hussein notre maître), produit au Bahreïn et ensuite repris au Liban par les scouts du mouvement Amal… L'histoire de cette chanson culte n'est pas terminée.

Faraj Suleiman, nouvelle bande-son de la Palestine

Après un album de chansons pour enfants et Second Verse en 2019, Faraj Suleiman, talentueux pianiste de jazz palestinien, récidive. En tournée européenne pour son dernier album Better Than Berlin (2020), écrit avec l'auteur — palestinien lui aussi — Majd Kayyal. Il se produit au Cabaret sauvage à Paris ce mercredi 18 mai. Un concert unique à ne pas manquer.

Ceux et celles qui ont assisté au concert de jazz instrumental de Faraj Suleiman à l'été 2021 au Parc floral à Paris le découvriront cette fois dans un style différent, plus grand public certes, mais tout aussi exigeant musicalement. Dans Better Than Berlin, le pianiste mêle son talent de compositeur et de chanteur à celui du journaliste et écrivain palestinien Majd Kayyal, qui avait collaboré à l'album précédent. En plus de la ville d'Haïfa qui fait presque office de personnage dans cet opus — c'est elle qui serait « plus jolie que Berlin » —, les deux jeunes hommes ont en commun un engagement politique indéniable et un humour décapant.

Sorti fin 2020 en plein contexte pandémique, Better Than Berlin en porte la trace dans sa genèse même, puisque le compositeur était chez lui à Haïfa pendant l'enregistrement, tandis que les musiciens qui l'accompagnaient étaient à Paris, et c'est sur Zoom qu'ils ont conjugué leurs efforts. À sa sortie, l'album est d'abord présenté le 6 décembre 2020 via un Facebook live, puis partagé sur les différentes plateformes de streaming. Si le jazz est incontestablement son fil rouge, les morceaux jouent sur les registres humoristique, romantique, poétique… avec une dimension politique toujours là, en filigrane. Peut-on y échapper quand on est un Palestinien de l'intérieur ?

Un chez soi-ville

Pourquoi Berlin ? La ville est depuis quelques années prisée par beaucoup de jeunes Palestiniens de 1948 pour son cosmopolitisme et son ouverture. Obtenir un visa et un titre de séjour y est aussi plus facile qu'en France ou au Royaume-Uni. Chantés par Faraj Suleiman, les vers de Majd Kayyal évoquent avec sarcasme la contradiction animant leurs compatriotes qui ne rêvent que de partir, mais sont très vite rattrapés par un sentiment de nostalgie. Dans Melodies no more1, dont le style rappelle l'ambiance des comédies musicales jazzy avec la participation d'un chœur et d'un couple de chanteurs qui se donnent la réplique, on entend :

Nous avons fini de chanter
Nous voulons immigrer à Berlin
Et après deux mois là-bas
Nous publierons un statut sur la nostalgie

Dans la chanson Questions in my mind, titre phare de l'album, on écoute le monologue téléphonique d'un immigré palestinien d'Haïfa à Berlin. Le temps d'un appel à son ex-petite amie, nous voilà plongés dans cette ville du nord de la Palestine historique qu'on a soudain l'impression de voir sous nos yeux, même sans y avoir jamais mis les pieds. On sent presque l'odeur du pain de la boulangerie d'Oum Sabry qui réveille chez le personnage tant de souvenirs, on partage la rage d'Hassan qui « continue à crever les pneus de celui qui a pris sa place de parking », et on fuit comme les autres devant la police israélienne qui « continue toutes les nuits à faire chier les enfants arabes ». En 4 minutes, le tandem Majd Kayyal et Faraj Suleiman restitue l'ambiance d'une ville, ses bars qui ferment à l'aube et où les débats politiques se prolongent à n'en plus finir. Mais où l'on affectionne toujours les siens, quels qu'ils soient, malgré cette société que l'intimité a désertée, où « chaque balcon est plus proche de l'autre que ne peuvent l'être deux lèvres », ce quartier « qui ne change pas/Qui jette toujours la pierre à la femme, mais ne demande jamais des comptes au mec ».

L'album revendique un « chez soi-ville » dont il chante l'éloge, qu'il s'agisse d'Haïfa ou de Jaffa, ces lieux à taille humaine et empreints de présence et culture palestinienne en plein cœur d'Israël, qui conservent une mémoire collective, dont les rues restent encore un terrain de jeu pour les enfants face au moule de la ville cosmopolite, aux slogans progressistes, mais au regard empreint d'exotisme, charrié par la gentrification :

Qui s'est mis à vendre le mjaddara2 comme si c'était un plat gourmet ?
Pourquoi l'assiette de houmous coûte 30 [shekels] et personne ne s'en étonne ?
[…]
Ils veulent que je quitte le quartier pour transformer ma maison en bar
Repeindre la rue en jaune, masquer les couleurs sombres
La boulangerie de mon oncle est devenue une galerie
Ils disent que ça fait authentique3

Une révolte froide

La plume et la voix qui parlent étant palestiniennes, le contexte social et économique (« Si le capitalisme t'a en ligne de mire/Personne ne te sauvera ») croise forcément le contexte politique et colonial. Le chanteur s'interroge dans cette même chanson intitulée « Les rues de Jaffa » (en anglais « Hymn to Gentrification ») :

Qui nous a volé la nature
Pour nous demander de prendre soin de l'environnement ?
Qui a placé le marché dans un centre commercial ?
Qui nous a chassés de nos maisons ?
Qui les a divisées pour nous louer
Des studios plus petits qu'un cercueil ?
Qui est venu de Tel-Aviv ?
Je veux dire qui est venu de Pologne ?
Qui a construit des tours en verre
Et a détruit nos balcons ?

Sur un ton plus recueilli qui détonne avec le reste de l'album, « Elégie pour un martyr solitaire » prolonge sur une note funèbre ce sentiment de révolte froide. Sur une trompette à la mélodie orientale et des tambours battant une marche martiale, la voix de Faraj Suleiman s'élève telle une prière mélancolique, dans un style qui rappelle celui des chants religieux orthodoxes.

Du jazz burlesque

Toutefois, non dépourvus l'un et l'autre d'autodérision, Faraj Suleiman et Majd Kayyal s'attaquent aux institutions sociétales — matrimoniale, familiale —, notamment à travers le morceau « Marriage disposal », une sorte de pendant cynique à la chanson Marriage proposal de l'album précédent, Second Verse. Dans un style jazz burlesque, le tableau de la famille idéale recouvert du vernis du « coaching » et du développement personnel en prend pour son grade. Suleiman félicite ce mari parfait qui « pratique plus d'un sport/Fait le ménage à la maison et a même en tête le calendrier d'ovulation » de sa femme, puis s'adresse à celle-ci :

À quoi sert ton mari ?
À te soutenir dans ta carrière professionnelle ?
Tu ne deviendras jamais Angela Merkel
Ni même Ismaïl Haniyeh4
Je ne veux pas d'une success story
Je veux un espoir qui ne nous déçoive pas
Je ne veux pas bouffer la terre entière
Je veux juste qu'on mange quelque chose de bon

C'est que le tandem aime s'attaquer aux grands principes grandiloquents pour les démystifier. Dans la chanson « Bala ta'meh » (« Tasteless »), Kayyal a recours à l'allégorie gastronomique pour moquer les discours politiques fallacieusement progressistes ou le féminisme opportuniste :

On apprend tous à cuisiner
Pour impressionner une fille
Et montrer qu'on a des principes
De liberté qu'on affiche
Mais quand on est sous pression
On ouvre les boîtes de conserve
On essuie les miettes du changement
Et on reste droit dans ses bottes

Ici et là, entre deux strophes, des bouts de phrases parlées débordent des vers chantés et ne sont pas sans rappeler le style du libanais Ziad Rahbani5. Raccourci trop facile dès lors qu'il s'agit de musique arabe jazzy ? C'est Faraj Suleiman lui-même qui confirme l'influence quand il reprend sur scène « Bala Wala Chi » (Sans rien du tout), célèbre balade jazzy du musicien libanais, interprétée par Sami Hawat.

« Et si je continuais à nager au-delà de la ligne ? »

Dans un style piano-bar, le chanteur nous emmène ensuite à travers la chanson « Tal El-Samak » (La colline du poisson) dans un pur moment de poésie, entre l'image d'une jeune femme qui « s'est vêtue de soleil jusqu'à la fin de la semaine », et ce jeune homme sur la plage qui se demande :

Et si je continuais à nager au-delà de la ligne ?
Et si je redevenais un petit garçon qui n'a pas encore peur de l'espoir ?
Et si la vie demeurait cette suite de jours guidés par la folie ? […]
Et si on n'avait pas baptisé la lumière de nos vies
Avec la nuit de l'encre d'une seiche ?

Ou encore cet amoureux nostalgique de « Night Wander » dont le cœur errant :

À la lueur de l'aube,
Monte sur le vélo de l'imagination
Sur les toits des vieilles maisons
Et ouvre par effraction la porte du questionnement

Car derrière la façade de l'humour et du sarcasme, beaucoup d'émotion accompagne l'album Better Than Berlin depuis sa sortie, interprétée avec l'accent si reconnaissable des Palestiniens de Galilée6 — et donc de l'intérieur — qui fait chaleureusement sourire leurs compatriotes de Gaza ou de Cisjordanie. À chaque concert, le public palestinien ou plus largement arabe, dans la région ou en exil, reprend en chœur les morceaux les plus célèbres de l'opus, sans rater une seule note. La petite tournée européenne (Berlin — Londres — Paris) de la troupe (une quinzaine de personnes) ayant lieu dans le contexte du meurtre de la journaliste palestinienne Shirin Abou Akleh par l'armée israélienne — à laquelle Faraj Suleiman n'a pas manqué de rendre hommage sur scène, le soir même, à Berlin — rappelle que le succès mérité de l'album tient évidemment à sa qualité, mais aussi à la symbolique d'une injustice politique qui n'en finit pas de mobiliser, et contre laquelle la création artistique demeure, par le fait même d'exister, une forme de résistance.


1L'album est en arabe palestinien, mais la plupart des titres sont bilingues.

2Plat populaire de la cuisine levantine à base de riz et de lentilles.

3En anglais dans le texte.

4Ancien Premier ministre palestinien et dirigeant du Hamas.

5Chanteur et musicien libanais, fils de Fairouz.

6C'est dans cette région que vivent la majorité des Palestiniens d'Israël.

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