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UN MONDE QUI CHANGE ENTRETIEN AVEC ERIC DENECE

Eric Dénécé est un spécialiste français du renseignement et de l’intelligence économique. Directeur du Centre français de Recherche sur le Renseignement, qu’il a fondé. SOMMAIRE : I) Analyse de l’attentat de Moscou II) Instabilité stratégique et dissuasion nucléaire III) Le… Lire la suite
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Derrière l'assassinat de la philosophe Hypatie d’Alexandrie, un sombre complot politique

Non contente d’avoir été la plus grande philosophe de son Alexandrie natale à la fin du 4e et au début du 5e siècle de notre ère, Hypatie fut également l’une des plus éminentes penseuses de l’Antiquité tardive. À elles seules, ces deux prouesses appelaient une perpétuation de son nom à travers les âges, mais l’Histoire en décida autrement.

Si l’on se souvient d’Hypatie, c’est principalement pour l’assassinat terrible perpétré par une foule de chrétiens fanatiques dont elle fut la victime en 415. Des sources contemporaines racontent en détail sa mise à mort. Les auteurs chrétiens Socrate le Scolastique et Jean de Nikiou, ainsi que des auteurs païens tels que le philosophe néoplatonicien grec Damascios, offrent des descriptions concordantes de sa mort. On la tira hors de son char et on la conduisit de force au Césaréum, un sanctuaire transformé en église. Là, elle fut dépouillée de ses vêtements, écorchée et brutalement assassinée. Après avoir démembré son corps, la foule brûla ses restes.

Selon d’autres récits, la foule s’en serait pris à elle alors qu’elle donnait un cours puis, après l’avoir conduite à l’église, l’aurait traînée dans les rues. On dit aussi que Cyrille, patriarche (archevêque) d’Alexandrie, aurait édifié un complot en vue de son assassinat, puis ordonné la mise à exécution de celui-ci. Quelle que soit la version la plus exacte, on croit depuis longtemps déjà qu’elle fut assassinée par une foule de chrétiens fanatiques en raison de ses croyances philosophiques ; elle avait commis l’affront de ne pas soutenir le christianisme dans un monde ou chrétiens et païens avaient maille à partir. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

 

ALEXANDRIE L’ANTIQUE

Au temps de la naissance d’Hypatie, vers l’an 360 de notre ère, l’important centre culturel et intellectuel qu’était son Alexandrie natale déclinait. Fondée par Alexandre le Grand en 331 avant notre ère, cette grande cité abritait un célèbre phare, qui était l’une des Sept Merveilles du monde antique, et le Mouseîon, où se trouvait la non moins célèbre bibliothèque de la ville, qui aurait servi à la formation des meilleurs écrivains, médecins, scientifiques et philosophes du monde antique.

Après avoir été conquise et partiellement brûlée par Jules César en l’an 48 avant notre ère, Alexandrie entama un lent déclin. En l’an 364 de notre ère, l’Empire romain se scinda et Alexandrie demeura dans sa partie orientale, dont la capitale était Constantinople (actuelle Istanbul). Autour de cette époque, des conflits éclatèrent entre les différentes obédiences chrétiennes de la ville. Ainsi que le remarqua un auteur antique, aucun peuple n’aimait plus se battre que celui d’Alexandrie. En l’an 380, l’empereur Théodose Ier fit du christianisme la religion officielle de l’Empire romain, Alexandrie y compris, et ordonna que l’on punisse les mécréants. Les tensions entre chrétiens et non-chrétiens s’exacerbèrent.

 

JEUNESSE D’HYPATIE

Dans ce contexte de luttes religieuses et politiques, Hypatie reçut une excellente éducation sous l’égide de son père Théon, mathématicien et astronome réputé qui enseignait au Mouseîon. Il lui fit découvrir une vaste gamme de sujets intéressant les mathématiques, l’astronomie, la philosophie et la littérature. Assez tôt, Hypatie fit preuve de capacités intellectuelles exceptionnelles et d’une passion pour l’apprentissage. Elle produisit des commentaires détaillés sur les grandes œuvres des mathématiques et de l’astronomie qui avaient été produites à Alexandrie des siècles auparavant, au temps des Ptolémée (305 av. J.-C. à 30 ap. J.-C.).

Cependant, ce n’est pas le talent d’Hypatie pour les mathématiques et l’astronomie, ni même ses inventions, qui influencèrent le plus sa trajectoire, mais son adhésion à une certaine école de pensée : le néoplatonisme. Cette philosophie, qui réinterprète les idées de Platon, célèbre philosophe de la Grèce antique, émergea au 3e siècle de notre ère. Mélange de spiritualité et de science, elle applique les mathématiques et l’astronomie à la philosophie afin de comprendre l’Univers et la place que l’être humain y tient. Ces disciplines scientifiques étaient alors considérées comme autant de chemin vers l’Un, l’être suprême duquel toute chose émanerait. Bien que la philosophie d’Hypatie fût considérée comme hérétique, les chrétiens identifiaient l’Un à leur Dieu et, de ce fait, païens comme chrétiens étaient susceptibles d’adhérer à ce cadre philosophique.

Enseignante à l’École néoplatonicienne de philosophie, Hypatie attira lors de ses leçons un large public composé de païens autant que de chrétiens. Il ne semble pas qu’elle ait été une païenne fervente, ni qu’elle ait pratiqué la théurgie, rite mêlant magie et oracles en lequel de nombreux néoplatoniciens voyaient un autre chemin vers l’Un. Tandis qu’autour d’elle chrétiens et païens prenaient part à des affrontements qui déchiraient la ville d’Alexandrie, elle maintint, semble-t-il, une position neutre.

Hypatie se tint probablement à distance des événements qui, en 391, culminèrent dans la destruction du temple antique du Sérapéum d’Alexandrie par des chrétiens. D’autres intellectuels païens prirent une part active dans la défense de ce grand temple dédié au dieu Sérapis et se vantèrent même d’avoir tué des chrétiens.

Ainsi l’on s’aperçoit que l’hypothèse traditionnelle suivant laquelle la mort violente d’Hypatie aurait été le fruit d’un conflit idéologique entre païens et chrétiens n’est pas exhaustive. Une autre approche a davantage de sens.

 

LES SUSPECTS

Une chose claire ressort en ce qui concerne l’assassinat d’Hypatie. L’acte fut ritualisé, une caractéristique que partagent la mort violente de deux patriarches alexandrins : le cruel évêque des ariens Georges de Cappadoce, qui fut tué en 361, et Protérius, qui fut tué en 457.

Bien que les circonstances entourant la mort de ces évêques diffèrent de celles de la mort d’Hypatie, les trois assassinats suivent des schémas similaires. Les cadavres des patriarches furent, à l’instar de celui d’Hypatie, exhibés par leurs assassins sur la Voie canopique, principale artère alexandrine. Les corps des victimes furent démembrés et des parties de leurs dépouilles furent transférés vers chacun des quartiers de la ville pour y être incinérés. Il est intéressant de remarquer qu’en 391, après l’attaque du Sérapéum, la statue du dieu gréco-égyptien Séparis fut elle aussi soumise à la même violence ritualisée.

Vue ainsi, la mort d’Hypatie pourrait être interprétée comme un assassinat plutôt que comme un acte spontané perpétré par une foule assoiffée de sang. Il est possible que la philosophe ait servi de pion dans une manœuvre politique entreprise alors. D’ailleurs, un affrontement tout à fait caractéristique semble correspondre à cela. En effet, Hypatie s’était trouvée impliquée dans une confrontation entre deux hommes, tous deux chrétiens : Cyrille, le patriarche d’Alexandrie, et Oreste, gouverneur romain d’Alexandrie.

 

LES MOBILES DU CRIME

À cette époque, Cyrille exerçait son pouvoir politique de manière implacable afin d’éradiquer l’influence païenne à Alexandrie. Il n’hésitait pas à recourir à la violence pour parvenir à ses fins. Il prit également part à l’expulsion des Juifs d’Alexandrie à la suite des attaques que ces derniers perpétrèrent contre des chrétiens.

Là intervient le préfet romain Oreste qui, dans le cadre des tentatives de l’administration impériale de préserver la stabilité d’Alexandrie, dut compter sur le soutien de l’aristocratie municipale, qui vénérait en majorité des dieux païens. Ce dernier dut également éviter de susciter une réaction d’opposition de la part des Juifs tout en engrangeant le soutien des chrétiens qui s’opposaient à Cyrille et à ses méthodes violentes. Oreste, à l’inverse de Cyrille, dut en appeler à un groupe divers de personnes.

Oreste se tourna naturellement vers son amie Hypatie. Celle-ci faisait figure d’intermédiaire idoine de par son statut de philosophe et parce qu’elle s’était gardée de défendre activement le polythéisme. Elle était bien vue de ceux qui, au sein de l’élite alexandrine, n’étaient ni des agitateurs œuvrant au profit d’un camp ou de l’autre, ni des partisans de la violence. Un autre aspect distinguait Hypatie : au fil des années, elle avait cultivé un réseau. Parmi ses fréquentations figuraient d’anciens étudiants officiant dans de puissants cercles chrétiens, à la fois à Constantinople (siège de l’Empire romain) et à Alexandrie. Cyrille vit ainsi en Hypatie une menace potentielle à sa mainmise sur les chrétiens de la ville.

 

LE COMPLOT

Pour neutraliser Hypatie, il semble que Cyrille ait organisé une campagne de diffamation l’accusant de pratiquer la magie noire et la décrivant comme une dangereuse sorcière se servant de sorts pour attirer le public à ses leçons. On prétendit qu’elle avait ensorcelé Oreste pour qu’il n’aille pas à la messe et accueille des non-chrétiens chez lui. Socrate le Scolastique remarque ceci : « Parce qu’elle s’entretenait fréquemment avec Oreste, la populace chrétienne la calomnia en soutenant que son influence empêchait ce dernier de se réconcilier avec Cyrille ». Tous ces clichés, qui furent répétés à travers les époques pour discréditer les femmes qui occupent des places autres que celles, traditionnelles, de femme et de mère, visaient à présenter Hypatie comme une dangereuse ennemie publique.

Cyrille ne pouvait commettre lui-même l’assassinat, et il n’avait d’ailleurs pas besoin de le faire. Il pouvait à la place compter sur ses parabalanis. À l’origine, ce groupe de chrétiens laïques menait des œuvres caritatives et prenait soin des personnes les plus nécessiteuses de la ville. Mais lorsque Cyrille arriva au pouvoir, les parabalanis étaient devenus une sorte de milice armée au service du patriarche. Bien qu’il n’existe pas de preuve que Cyrille ait ordonné l’assassinat d’Hypatie, tout indique qu’il avait beaucoup à gagner à la voir disparaître et que les parabalanis s’en chargèrent pour lui.

Son assassinat mit fin à la menace qu’elle représentait pour Cyrille de par son soutien à la politique de tolérance d’Oreste. Sa mort fut le point de rupture entre l’autorité religieuse incarnée par le patriarche Cyrille et l’autorité civile incarnée par le préfet Oreste. Ce fut ce premier qui triompha.

Toutefois, la mort d’Hypatie ne fut pas une défaite pour les païens. Chrétiens et païens continuèrent à coexister à Alexandrie durant plus d’un siècle. Le néoplatonisme prospéra jusqu’à la conquête arabe de l’Égypte au 7e siècle et compta parmi ses adhérents des chrétiens aussi bien que des païens. Au 6e siècle, le directeur de l’école était un païen, Ammonios, tandis que son adjoint et éditeur de ses œuvres était un chrétien, Jean Philopon. Après l’assassinat d’Hypatie, on n’entendit plus parler d’Oreste. Bien que les chefs chrétiens n’aient pas éradiqué la philosophie païenne de la ville, ils réprimèrent sévèrement les autorités séculières.

 

UNE LUMIÈRE INEXTINGUIBLE

L’histoire d’Hypatie perdura. Son caractère et son intellect furent même reconnus par des auteurs chrétiens hostiles. Au 18e siècle, Voltaire la prit en exemple pour condamner une Église excessivement zélée. L’homme d’Église anglais Charles Kingsley composa un roman qui porte son nom. Elle est aussi la protagoniste du péplum espagnol Agora, sorti en 2009, dont l’intrigue fictionnelle la voit sauver la bibliothèque d’Alexandrie des fanatiques chrétiens. Son endurance au sein de cette société patriarcale en fait une héroïne féministe de nos jours encore, et elle mérite bien plus de reconnaissance dans l’Histoire que la sensation que fit son horrible assassinat.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Une civilisation inconnue peuplait l’Amazonie il y a 2 500 ans

Depuis trente ans, Stéphen Rostain arpente la jungle humide de l’Équateur. À force d'investigation, il a fini par comprendre qu’un peuple important avait un jour habité ce coin d’Amazonie. Dans la vallée de l’Upano, au pied de la cordillère des Andes, il a trouvé ce qui s’apparente à une grande cité antique. Ça et là, des plateformes de terre, monticules de 2 à 3 mètres de haut, s’organisent autour d’un axe rectiligne central et creusé - « les Champs-Élysées locaux » selon les mots de l’archéologue. 

Perchées sur ces promontoires, des habitations étaient construites en bois. On les devine aujourd’hui grâce aux trous que les poteaux ont laissés dans le sol. Juste en bas de ces monticules, l’archéologue a découvert des champs où l’on cultivait du maïs, des haricots et du cacao voilà 2 500 ans, entre 500 avant J.-C. et 600 après J.-C. 

« C’est une cité-jardin, comme Angkor Wat, au Cambodge ou les sites mayas. Les habitants cultivaient sans doute en bas de chez eux, et s’aidaient des canaux qu’ils avaient creusés dans le sol pour drainer l’eau de cette région humide. Nous avons aussi retrouvé des grains de maïs à l’intérieur de jarres de cette époque. Ils buvaient un breuvage à base de maïs légèrement fermenté. Une sorte de bière épaisse et nutritive, peu alcoolisée (deux degrés d’alcool) que l’on trouve chez la plupart des populations autochtones encore aujourd’hui, ce qui étaye cette hypothèse » indique le chercheur. 

Autre constat, sur le terrain : certains des grands axes poursuivent leurs courses dans l’épaisse végétation. Mais impossible de les suivre. Pendant plusieurs décennies, l’archéologue s’est heurté à cette énigme. Où mènent ces routes ?

Tout a changé en 2021. À bord d’un petit avion équipé de la technologie Lidar – un laser capable d’afficher les moindres reliefs du sol – une équipe a parcouru près de 600 km² dans cette région. Quand il a finalement découvert les images réalisées durant ce survol, l’archéologue était stupéfait. « J’ai pris conscience du gigantisme de ce qui avait été construit ». Sur le terrain, il avait vu une seule grande cité. Là, depuis les airs, ce sont cinq « villes » et dix « villages » qui se dévoilaient, un peu sur le même modèle que la première cité découverte. Ces bourgs apparaissent connectés par des routes « parfaitement droites ». L’archéologue constate aussi que les grands axes continuent de filer au-delà des 600 km² scannés par le laser. 

Cette mystérieuse civilisation se serait étendue sur près de 1000 km² (la taille du Val d’Oise). Voilà qui balaie, s’il fallait encore le faire, la croyance d’une forêt amazonienne vierge de toute habitation, peuplée seulement par une poignée de chasseurs-cueilleurs. Ces découvertes ont été publiées en début d’année dans la revue Science. « Au sein de la quinzaine de bourgs, on recense en tout près de 6500 plateformes » poursuit Stéphen Rostain. Difficile de savoir pourtant combien d’habitants ont vraiment vécu là, pendant plus de mille ans, dans ces cités-jardins non loin de la rivière Upano. Plusieurs milliers de personnes au moins, estime Stéphen Rostain. Pour préciser ce chiffre, lui et son équipe s’attellent à calculer la productivité des champs.

Une chose est sûre, néanmoins. Il s'agissait d'une société complexe, sûrement hiérarchisée, qui s’est épanouie au pied de la cordillère des Andes, à l’ouest de l’Équateur actuel. En témoignent ces monticules d’une centaine de mètres de large, présents dans chacune des villes et chacun des villages, bien plus importants que les autres plateformes. « Ce sont des œuvres publiques, collectives, sans doute édifiées pour des réunions. Des constructions en bois existaient au sommet, mais elles ont disparu » relate Stéphen Rostain. 

Ces grandes réalisations, en plus des routes parfaitement rectilignes, supposent l’existence de géomètres. Voilà 2500 ans, ces mathématiciens enchaînaient les visées pour mener à bien les constructions. « Chacun son domaine de spécialisation. Certains étaient paysans, d’autres pêcheurs, d’autres encore prêtres ou chamans. Des marchands se rendaient à l’extérieur des cités pour échanger avec les autres, y compris avec d’autres peuples » explique l’archéologue.

Une civilisation d’ampleur, donc, organisée, complexe… Pourquoi est-elle restée si longtemps dans l’ombre ? Les recherches dans la forêt amazonienne sur les ancêtres des Amérindiens ont longtemps suscité peu d’intérêt, en comparaison de celles menées en Mésoamérique, sur les Mayas ou les Aztèques. Ces derniers ont laissé des bâtiments en pierre, au contraire des constructions en bois de cette civilisation inconnue, qui ont disparu. Stéphen Rostain ajoute une raison à cette relative indifférence. « Lors de la colonisation espagnole, débutée vers la fin du 16e siècle, les virus exogènes ont provoqué une véritable hécatombe. De nombreuses sociétés autochtones ont disparu avant même que l’homme blanc n’ait pu les voir. Quand les premiers Européens ont exploré la forêt amazonienne, elle était déjà quasiment vidée de ses habitants. On a tendance à oublier cette pandémie. Et on pense aisément que les Amérindiens d’aujourd’hui ressemblent à ceux d’autrefois, en ignorant complètement la diversité des modes de vie possibles dans la forêt avant la colonisation ».

Perchés sur leurs plateformes, ces mystérieux habitants ont peuplé ce coin de forêt amazonienne pendant plus de 1000 ans avant de disparaître. « Leur fin semble assez brusque. J’ai d’abord pensé à une mega-éruption volcanique, car ils étaient installés au pied d’un volcan très actif. Mais les dates ne correspondent pas. Est-ce un changement climatique, un phénomène El Niño persistant qui aurait bouleversé cette société très dépendante de son agriculture ? Une civilisation qui a tout simplement implosée ? » s’interroge Stéphen Rostain, toujours au travail. L’archéologue compte bien continuer d’écrire l’histoire méconnue de la forêt amazonienne avant la colonisation. 

Retrouvez notre reportage sur les Mayas dans le numéro 294 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Au Machu Picchu, des travailleurs "immigrés" servaient l’empereur inca

Elles ont été retrouvées toutes les deux côte à côte. Une mère et sa fille, enterrées sous la terre du Machu Picchu, dans des tombes sans faste. La première a grandi dans la forêt amazonienne. Sans doute emmenée de force au Machu Picchu pour servir la royauté, elle a élevé sa fille sur ces hauts plateaux péruviens, à plus de 2400 m d’altitude, dans cet endroit qu’elle n’avait sûrement pas choisi.

C’est une histoire que raconte l’analyse de leur ADN. Une équipe de recherche internationale s’est penchée sur la génétique d’une trentaine d’hommes et de femmes enterrés au Machu Picchu. Résultat dix-sept d’entre eux venaient de coins reculés de l’empire inca, comme le dévoile une étude parue dans la revue Science Advances, notamment de la côte péruvienne et des régions amazoniennes du Pérou, de la Colombie ou même de l’Équateur. Treize d’entre deux avaient des origines mixtes, parfois brésiliennes ou paraguayennes.

Ces hommes et ces femmes ont donc pu parcourir plus de 2000 km pour se rendre au Machu Picchu. Grâce à l’étude des sources historiques et archéologiques, notamment les récits des colons espagnols, les scientifiques ont établi que c’était pour servir la royauté au Machu Picchu. L’empereur et sa cour venaient profiter de ce palace aux beaux jours, entre mai et octobre. Les serviteurs, eux, vivaient à temps plein dans cette cité perchée au sommet des montagnes andines, s’occupaient des lieux, organisaient les festins, les cérémonies et les parties de chasse... Jusqu’à finir leur vie sur place, comme en témoignent les tombes retrouvées. Les scientifiques estiment que 250 de ces serviteurs reposent juste à l’extérieur des murs de la cité royale, enterrés entre 1420 et 1532. La simplicité de leurs tombes, dépourvues de décorations (ou seulement quelques céramiques venues d’autres régions de l’empire) tranche avec les luxueuses sépultures de l’empereur et de sa cour : ces derniers étaient inhumés à Cuzco, la capitale. 

Les scientifiques ignoraient l’ampleur du chemin parcouru par ces serviteurs pour arriver jusqu’au Machu Picchu. Ils se doutaient que ces « immigrés » venaient de loin, au vu les objets retrouvés dans leurs tombes. Les récentes analyses ADN ont précisé leurs origines. 

« Nous ne nous attendions pas à une telle diversité » relève Lars  Fehren-Schmitz, anthropologue à l’Université de Santa Cruz, en Californie, et l’un des co-auteurs de l’étude. En tout, un tiers des trente-quatre personnes du Machu Picchu dont l’ADN a été analysé avaient une origine amazonienne. Élargir le champ d’étude au-delà des trente-quatre personnes n’était cependant pas possible, l’ADN des autres corps n’étant plus exploitable.

Si la royauté inca est allée chercher ces serviteurs si loin, c’est sans doute pour obtenir l’appui de travailleurs qualifiés, recherchés pour leurs compétences. « Certains étaient peut-être spécialisés dans la métallurgie ou le textile, d’autres devaient œuvrer comme conseillers politiques, sans doute pour renseigner l’empereur sur les us et coutumes des régions qu’il dominait » poursuit Lars  Fehren-Schmitz. Voilà pourquoi on trouve une telle diversité génétique dans les tombes des cimetières juste à l’extérieur du Machu Picchu. 

« S’il s’agissait de construire des routes ou de travailler dans les champs, la royauté n’aurait sans doute pas fait la fine bouche, et aurait "importé" en masse des travailleurs d’une seule région ou bien elle se serait appuyée sur la population locale. D’ailleurs, ce sont les villageois qui vivaient autour du Machu Picchu qui travaillaient aux champs et produisaient les denrées alimentaires » explique Lars Fehren-Schmitz. 

En comparaison de ces paysans locaux, les « immigrés qualifiés » étaient relativement bien traités puisqu’ils étaient proches de la royauté et profitaient parfois des biens de luxe. Beaucoup sont morts vieux (selon les standards de l’époque) et n’ont pas souffert de mauvaises conditions de travail – c’est en tout cas ce que laissent penser leurs squelettes.

Reste que selon les récits des colons espagnols, ces hommes et femmes - surnommés yanacona et accla – ont tout de même été déplacés brutalement de leurs lieux de naissance par le pouvoir inca. « Mais peut-être que les Espagnols ont raconté cela pour justifier leur propre brutalité lors de la colonisation, on ne sait pas » tempère Lars Fehren-Schmitz. 

Pourquoi donc se mettre au service de l’empereur inca ? Les scientifiques travaillent désormais à tracer les contours du destin de ces « immigrés » du Machu Picchu.

Retrouvez notre reportage sur les Mayas dans le numéro 294 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Le nettoyage de printemps remonte à l'Antiquité

Alors que l’hémisphère nord entre dans le printemps, une envie contagieuse d’épousseter les toiles d’araignée et de mettre de l'ordre se fait sentir. Le nettoyage de printemps, qui consiste à nettoyer sa maison de fond en comble, est une tradition ancrée dans les sociétés du monde entier, qui remonte à l’Antiquité.

Cette tradition revêt également une signification symbolique. Considérée comme un nouveau départ, elle symbolise la transition entre la léthargie de l’hiver et la croissance dynamique du printemps. En désencombrant sa maison et en y mettant de l’ordre, on crée un espace de vie plus propre et on libère son espace mental.

« À chaque coup de balai et de chiffon, nous honorons une tradition qui transcende le temps, nous unissant aux générations passées dans une quête commune de renouvellement et de rajeunissement », raconte Danielle Patten, directrice des programmes créatifs et des collections au Museum of the Home de Londres.

 

LES AVANTAGES DU NETTOYAGE DE PRINTEMPS

Le comportement humain est fortement influencé par les cycles de la nature. Pendant les mois les plus froids, nous avons moins d’énergie à consacrer à des tâches comme un nettoyage approfondi. Nous ne sommes pas paresseux : le manque de lumière du jour stimule la mélatonine, une hormone qui favorise l’endormissement.

« À cause de cette importante production de mélatonine, nous avons plus de mal à nous mettre à la tâche. Au changement de saison, notre apathie diminue, nous retrouvons de l’énergie et nous trouvons la motivation pour nous lancer dans un grand nettoyage de notre espace de vie », explique Eloise Skinner, autrice et psychothérapeute. « Lorsque nous donnons un coup de frais à notre environnement, nous pouvons avoir l’impression d’entamer un nouveau départ, ou de ressentir un regain d’énergie et d’ambition. »

Des études ont également démontré que le ménage pouvait être thérapeutique, comme en témoigne la nouvelle génération de « cleanfluencers » (contraction des mots anglais clean et influencer, soit les influenceurs ménage) qui prend d’assaut les réseaux sociaux. Des millions de personnes les regardent fourrager des maisons crasseuses et donner des conseils de nettoyage.

« Lorsque nous faisons le ménage, nous devons souvent être présents à la tâche, ce qui peut nous amener à vivre le moment présent et à nous sentir plus conscients, plus engagés et plus observateurs. Sans oublier que le caractère répétitif de l’activité peut avoir des effets apaisants », explique Skinner.

 

DES ORIGINES RELIGIEUSES ET CULTURELLES 

On trouve l’une des premières références à un grand nettoyage dans la tradition juive de la Pâque, dite Pessa’h, qui a lieu chaque année en mars ou en avril. Les juifs enlèvent toute trace de hametz, ou pain levé, qui est interdit pendant la fête. Cette chasse au hametz symbolise la hâte avec laquelle les Israélites ont fui l’Égypte, incapables d’attendre que leur pain lève avant leur voyage vers la liberté.

De même, les catholiques nettoient les autels dans les églises le Jeudi saint avant le Vendredi saint, qui a lieu chaque année au printemps, en mars ou en avril. Pour les Iraniens, Norouz, célébré vers l’équinoxe de printemps en mars, nécessite de suivre une tradition appelée khane-takani, soit littéralement le fait de « secouer la maison ». Pour se préparer à cette fête vieille d’environ 3 000 ans, qui remonte au zoroastrisme, l’une des premières religions monothéistes du monde, ils lavent leurs vêtements, les couvertures et les textiles.

En Chine, avant le Nouvel An lunaire, il est courant de nettoyer la maison pour la purifier de la malchance et du malheur. Ce rituel de nettoyage traduit littéralement par « balayer la poussière », fait place à la chance et à la prospérité pour la nouvelle année, explique Patten. Ce nettoyage doit être effectué avant la fête, généralement en janvier ou février, car faire le ménage après les festivités serait synonyme de perte de chance. En Thaïlande, pendant la fête du Songkran, en avril, il est de coutume de procéder à un grand nettoyage dans les maisons, les écoles et les espaces publics pour les purifier avant le Nouvel An thaïlandais. Les Thaïlandais se jettent de l’eau dans les rues pour se débarrasser de la malchance de l’année précédente et aspergent également les statues de Bouddha pour s’assurer la bonne fortune pour l’année à venir.

Bien que le concept de nettoyage de printemps précède la technologie moderne, des progrès tels que l’électricité et les appareils ménagers ont influencé sa pratique. Par exemple, avant l’arrivée de l’électricité, on utilisait le feu provenant de la combustion du charbon, du pétrole et du bois pour s’éclairer et se chauffer, ce qui occasionnait une quantité importante de suie. Les fenêtres étaient solidement fermées pour éviter qu’un courant d’air mortel ne s’engouffre dans les habitations.

Au printemps, il était pragmatique d’ouvrir les fenêtres pour aérer les maisons, enlever la saleté et réparer les dégâts survenus pendant les mois d’hiver. Depuis, des inventions telles que l’aspirateur, la machine à laver et les produits d’entretien ont rendu le processus plus efficace et plus commode, permettant un nettoyage plus poussé et plus complet des espaces de vie.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise. 

Norouz, la célébration du printemps et de la nouvelle année du calendrier persan

Dans l’hémisphère Nord, le 20 mars marque cette année le début du printemps. Pour trois cents millions de personnes à travers le monde, c’est également le début d’une nouvelle année. Norouz – qui signifie « nouveau jour » – est une fête traditionnelle qui marque l'arrivée du printemps et le premier jour de l'année en Iran, dont le calendrier solaire débute avec l’équinoxe vernal.

Les Iraniens du monde entier commémorent cette fête depuis plus de trois mille ans. Elle prend ses racines dans le zoroastrisme, une religion de la Perse antique qui considérait l’arrivée du printemps comme une victoire sur les ténèbres. La fête a à la fois survécu à la conquête islamique de la Perse au 7e siècle et au déclin du zoroastrisme. À travers les âges, la diaspora perse a réussi à perpétrer la tradition aux quatre coins de la planète. 

 

COMMENT LA FÊTE DE NOROUZ EST-ELLE CÉLÉBRÉE ?

Les préparatifs pour la fête de Norouz, célébrée traditionnellement le jour de l’équinoxe du printemps, commencent des semaines avant. On se met à danser et, pour éloigner le mauvais œil, on remplit les seaux d’eau, synonyme de bonne santé.

Le dernier mercredi avant Norouz, beaucoup célèbrent également Tchaharchanbé-Souri ou fête du feu, une nuit au cours de laquelle, on saute par-dessus les flammes ou frappe aux portes avec des cuillères sur les portes pour éloigner la malchance. On visite également les cimetières pour apporter des offrandes aux morts. Certains croient que les esprits des ancêtres rendent visite aux vivants pendant les derniers jours de l’année.

Fertilité et nouvelle vie sont au cœur de cette fête du printemps, ce qui explique pourquoi de nombreuses familles célèbrent son arrivée avec des graines et des œufs. Dans chaque maison, les familles dressent des tables couvertes de sept objets symboliques qu'ils appellent haft siin. Ces sept éléments (haft signifiant « sept ») dont les noms commencent par la lettre « s » ou siin de l’alphabet persan sont la tradition principale de Norouz. Ils comprennent le sabzeh (pousses de blé, d’orge, de lentilles et d’autres graines, symboles de renaissance), le senjed (fruit séché du jujubier, symbole d’amour), le sir (ail, symbole de protection), le sib (pomme, symbole de fertilité), le sumac (symbole d’amour), le serkeh (vinaigre, symbole de patience) et le samanu (crème obtenue par une cuisson prolongée de jeunes pousses de blé préalablement moulues, symbole d’abondance). On décore également la table avec d’autres objets comme le Coran, des œufs, des miroirs et des recueils de poèmes.

Si la tradition de Norouz remonte à des milliers d’années, celle de la table, elle, est récente. Elle n’a été adoptée qu’au cours du dernier siècle, écrit A. Shapur Shahbazi dans Encyclopedia Iranica.

 

QUI FÊTE NOROUZ ?

Norouz a également tenu tête à l’ère moderne. Après la révolution islamique de 1979, le nouveau gouvernement a essayé d’abolir la fête, de crainte qu’elle ne porte atteinte à la religion d’État. Ses tentatives ont cependant été vaines et le Norouz est désormais un jour férié officiel en Iran.

C’est également un jour férié en Afghanistan, en Albanie, en Azerbaïdjan, en Géorgie, au Kurdistan irakien, au Kazakhstan, au Kosovo, au Kirghizistan, dans la province de Bayan-Ölgii en Mongolie, au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan. Norouz est également une fête populaire en Turquie, en Inde et dans d’autres pays marqués par l’Empire perse.

En 2009, l’UNESCO, bras culturel des Nations unies, a inscrit cette fête sur sa Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, notant qu'elle « promeut les valeurs de paix et de solidarité entre les générations et au sein des familles, ainsi que la réconciliation et le bon voisinage. » Le 21 mars est officiellement reconnu comme la Journée internationale de Norouz, bien que la fête soit célébrée entre le 19 et le 22 du mois, en fonction des calendriers et de l’équinoxe du printemps.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise le 19 mars 2020 et a été adapté.

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Porcie, la seule femme dans le secret du complot contre Jules César

Alors que Jules César était sur le point d’adopter un mode de gouvernement autoritaire, deux hommes se posèrent en défenseurs absolus de la République romaine : Caton le Jeune, qui mena la résistance contre César au Sénat, et son neveu, Marcus Junius Brutus, qui organisa le complot pour assassiner César. Mais quelqu’un d’autre joua un rôle clé dans les événements tumultueux qui conduisirent à la fin du pontifex maximus : une femme qui finit par devenir un symbole de résistance face à la pression et de loyauté sans faille. Fille de Caton et épouse de Brutus, Porcie (73-43 av. J.-C. environ) fut « la seule femme dans le secret du complot », ainsi que le formula l’historien romain Dion Cassius.

Le courage de Porcie, son esprit logique et son sens du sacrifice furent célébrés par les historiens romains et, des siècles plus tard, en 1599, immortalisés par William Shakespeare dans une tragédie intitulée Jules César. De nombreuses circonstances façonnèrent cette femme extraordinaire, mais deux se distinguent particulièrement : le climat politique volatile de l’époque et les enseignements qu’elle reçut de son père.

 

ÉDUCATION STOÏCIENNE

On doit la grande majorité de nos connaissances sur Porcie à l’historien grec Plutarque, plus particulièrement à ses ouvrages sur Brutus et Caton, à Dion Cassius, notamment à son Histoire romaine, ainsi qu’à quelques mentions faites dans d’autres œuvres. Selon Judith P. Hallett, professeure émérite de lettres classiques de l’Université du Maryland et autrice de Fathers and Daughters in Roman Society : Women and the Elite Family, toutes les références antiques s’en « souviennent comme d’un membre de la famille de Caton le Jeune dévoué à la cause de son père ».

Le père de Porcie, Caton le Jeune (ainsi nommé pour qu’on puisse le distinguer de son arrière-grand-père Caton l’Ancien) était un aristocrate et républicain de la vieille garde conservatrice. Inconditionnel de la philosophie stoïcienne, Caton plaçait la vertu et la responsabilité civique au-dessus de tout autre chose, un idéalisme inflexible qui influença profondément sa fille.

Au début du 2e siècle de notre ère, Plutarque écrivit que Porcie avait développé « une assuétude à la philosophie » et il loua sa « sobriété et sa grandeur d’âme » conformes au rejet du luxe et au dévouement envers la justice qui caractérisent le stoïcisme. Cette description fait dire à beaucoup que Porcie fut la première femme stoïcienne.

 

MARIAGES ET DIVORCES

Alors qu’elle était encore très jeune, Porcie fut mariée à un allié politique de son père. Elle donna deux enfants à Marcus Calpurnius Bibulus avant qu’une pratique romaine particulière ne vienne compliquer leur relation. En plus d’arranger des mariages, l’élite romaine arrangeait également des divorces et n’hésitait pas à mettre fin à une union pour en sceller une autre, plus avantageuse.

Porcie avait vingt ans environ lorsqu’une reçut une telle demande. Un autre allié de son père, Quintus Hortensius Hortalus, demanda à l’épouser. Ce veuf vieillissant et sans descendance voulait faire de Porcie son épouse afin qu’elle lui donne un héritier. Dès qu’elle aurait donné naissance, promit-il, il la rendrait à Bibulus.

Ce dernier, qui goûtait peu l’idée, refusa. Caton n’était pas non plus disposé à rompre le contrat qui le liait à Bibulus. Pour éviter de s’aliéner Hortensius, Caton accepta de divorcer de sa propre femme, Marcia, et la lui offrit à la place. Hortensius accepta et son plan fut mis en œuvre. À la mort de ce dernier, Caton épousa de nouveau Marcia.

La famille renommée de Porcie prit une part plus qu’active dans la guerre civile romaine de 49 av. J.-C., année où César refusa de céder ses armées et ses territoires à la République. Rome allait se scinder en deux factions, l’une menée par César et l’autre par Pompée.

Les conservateurs Caton et Bibulus se rallièrent tous deux à Pompée, du côté qui perdrait la guerre. Bibulus, chef de la flotte de Pompée sur l’Adriatique, mourut de maladie vers l’an 48 av. J.-C. Quant à Caton, il se suicida à Utique (en actuelle Tunisie) quand les troupes de César remportèrent, non loin de là, la bataille de Thapsus, en 46 avant notre ère.

À Rome, Porcie observait impuissante César accumuler du pouvoir. Plutôt que de se résigner à la dictature, elle continua à croire en la vieille république. En 45 avant notre ère, elle épousa Marcus Junius Brutus, ancien allié de César qui devint célèbre pour s’être retourné contre lui. Durant la guerre, Brutus s’était rangé du côté de Pompée, mais après celle-ci, César l’avait pardonné et l’avait même fait gouverneur de la Gaule cisalpine (nord de l’actuelle Italie). Cependant, les sympathies de Brutus pour l’ancienne république n’avaient pas faibli. Épouser la fille de Caton (et divorcer de sa femme Claudia) fut pour lui un moyen de réaffirmer son engagement.

 

PROJETS ET COMPLOTS

Dans les mois qui suivirent, Brutus, accompagné d’autres sénateurs préoccupés par les ambitions de César, se lancèrent dans un complot visant à l’assassiner. Bien que la politique fût essentiellement un domaine masculin dans la culture romaine, Porcie jura d’aider son époux en raison des convictions de sa famille. Selon Plutarque, elle remarqua un changement chez ce dernier et l’interrogea. Devant son impassibilité, elle se blessa à la cuisse délibérément à l’aide d’un couteau. L’acte était une supplique pour qu’il lui accorde confiance et respect : « Brutus, je suis la fille de Caton, et j’ai été introduite dans ta maison non comme simple concubine pour partager ta couche et ta table uniquement, mais pour être partenaire dans tes heurs, et partenaire dans tes malheurs. »

Brutus lui révéla le projet d’assassinat de Jules César. Et, écrit Plutarque, Porcie l’incita à mener ce complot à son terme. « Quand il vit la blessure, Brutus, stupéfait, et levant les mains au ciel, pria pour réussir dans son entreprise et ainsi se montrer un mari digne de Porcie. »

Après la mort de César le 15 mars 44 de notre ère, Brutus fuit Rome pour éviter les représailles des partisans du dictateur, tandis que Porcie resta dans la capitale. Les fortunes de son époux, qui défendait la République contre Octave, héritier de César et allié de Marc Antoine, furent les siennes. Mais elle finit par recevoir une mauvaise nouvelle : Brutus avait été défait lors de la bataille de Philippes (42 av. J.-C.) et, à l’instar de son père Caton, s’était donné la mort.

On ne sait pas exactement ce qu’il se passa ensuite. Selon les récits les plus dramatiques, Porcie se serait suicidée, soit en avalant des charbons ardents, soit en inhalant du monoxyde de carbone.

Selon la version du poète Martial, Porcie, à la recherche d’une arme pour mettre fin à ses jours (des serviteurs les avaient cachées), se serait écriée : « "Vous ignorez encore qu’on ne peut s’opposer à la mort : je pensais que mon père, par le destin qu’il eut, vous avait enseigné ce principe." Sur ces mots, elle avala avec empressement les charbons ardents. » Plutarque raconte une histoire similaire.

 

SYMBOLE DE FORCE

Toutefois, un élément clé jette le doute sur le suicide de Porcie : en l’an 43 avant notre ère, Cicéron, homme d’État et orateur, déplora dans une lettre adressée à Brutus la mort de Porcie, ce qui signifie que celle-ci mourut avant son époux. Les mots de Cicéron sous-entendent une mort de causes naturelles.

Si la légende d’un suicide violent apparut plus tard, elle ne manqua pas de s’enraciner dans l’imaginaire populaire. Plutarque fait dire ceci à Brutus au sujet de son épouse : « Bien que dépourvue de la force des hommes, elle est aussi vaillante et active pour le bien de de son pays que les meilleurs d’entre nous. »

La lecture du portrait de Porcie par Plutarque inspira grandement William Shakespeare. En plus d’être présente sous le nom de Portia dans la pièce Jules César, son nom figure également dans Le Marchand de Venise (1596-98), pièce dans laquelle celui-ci est donné à une femme brillante résolue à s’affirmer dans un monde masculin en se faisant passer pour un avocat.

Symbole de courage et de loyauté, l’histoire de Porcie trouva un écho dans l’Histoire. Abigail Adams, femme de John Adams, deuxième président des États-Unis et premier vice-président du pays, signait ses lettres « Portia », en reconnaissance du « sacrifice patriotique » de l’épouse stoïcienne de Brutus.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Libération en mode « Je suis partout ».

On pensait que la liberté d’expression procédait de l’application de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme. Qui prévoit que l’on peut dire ce que l’on veut, sauf si pour des raisons d’intérêt général la Loi a prévu… Lire la suite

Résoudra-t-on un jour ces cinq mystères archéologiques ?

Qu’il s’agisse de pierres dressées, de monticules indéfinis ou de lignes tracées dans la terre, les anciennes civilisations ont laissé derrière elles des vestiges de leur existence auxquels elles attribuaient sans doute une signification profonde, signification qui nous est désormais inaccessible tant le temps a passé. Nous, habitants de cette terre et descendants de ces civilisations, n’avons hérité que de questions : qui, quoi, où et quand ? Les archéologues ont réussi à faire parler bon nombre de ces talismans géographiques d’importance, mais certains résistent et ne veulent pas révéler leurs secrets. Voici quelques exemples.

 

LES SCULPTURES ET L’ÉCRITURE DE L’ÎLE DE PÂQUES 

L’île de Pâques, Rapa Nui dans la langue de son peuple, est l’un des endroits les plus isolés sur Terre. Il y a plus de mille ans, ses habitants érigèrent des centaines de monolithes de plusieurs tonnes, des moaïs, qui fascinent les archéologues depuis leur découverte il y a 300 ans environ.

Principalement sculptées dans du tuf volcanique à l’aide d’outils, les statues furent transportées, on ne sait comment, puis positionnées sur des plateformes de pierre. Quelle pouvait bien être leur raison d’être ? Comment a-t-on déplacé ces monolithes ? Selon les Rapanuis, ces statues marchaient. Et à en croire certains auteurs fantasques, les moaïs n’auraient pu être positionnés ainsi que par des civilisations disparues ou par des extraterrestres. Des sources plus académiques suggèrent qu’ils auraient pu être transportés sur des sortes de rails.

Récemment, des archéologues ont montré que les Rapanuis disaient peut-être vrai quand ils affirmaient que les statues marchaient. Une vingtaine de personnes peuvent, à l’aide de cordes, imprimer un mouvement de bascule à un moaï et, en le faisant osciller sur sa base courbe, le faire « marcher » vers l’avant. Quand les explorateurs européens arrivèrent, la plupart des moaïs étaient renversés et leur signification était inaccessible à la mémoire. Il s’agissait peut-être de symboles de pouvoir entre groupes en guerre. Ou bien de statues érigées dans un but religieux et pacifique.

Des tablettes de bois et de pierre découvertes sur l’île épaississent le mystère. Elles contiennent un texte non déchiffré en rongorongo. Ces glyphes curieux se lisent de gauche à droite, puis de droite à gauche quand on retourne la tablette. Comme les statues, ceux-ci résistent pour le moment à toute tentative d’explication.

 

LES ALIGNEMENTS DE CARNAC 

Non loin du village de Carnac, près de 3 000 pierres dressées auquel le vent et la pluie ont donné une forme courbée forment de longues avenues. Cet ensemble composé de monolithes (menhirs) et de groupes de pierres multiples (dolmens) s’étire sur trois kilomètres environ. Bien que les pierres se tiennent là depuis des millénaires, les archéologues ne sont toujours pas parvenus à retracer leur origine, ni à déterminer la raison pour laquelle on les a érigées.

Des générations successives de Bretons ont vu dans ces mégalithes des structures sacrées. Les Romains de l’Antiquité sculptèrent les effigies de leurs dieux sur des surfaces de granite ; les chrétiens y ajoutèrent plus tard leurs propres symboles. D’après une légende, les menhirs seraient les vestiges rocheux d’une armée de païens qui auraient chassé saint Cornély vers la mer ; acculé, ce dernier aurait transformé ses poursuivants en pierre.

En réalité, ces pierres sont bien plus anciennes que le christianisme et datent probablement de la période néolithique pré-celtique de la Bretagne, qui a duré de 4500 à 2000 avant notre ère environ. Furent-ils érigés en l’honneur d’anciens dieux ? En l’honneur d’ancêtres ? Permettent-ils de suivre l’alignement du soleil ou des étoiles ? Ces armées grises continuent pour l’instant de taire leur secret.

 

LE TUMULUS DU GRAND SERPENT

Le tumulus du Grand serpent, qui mesure 396 mètres de long, six à huit mètres de large environ et un à deux mètres de haut, ondule à travers les collines du sud de l’Ohio et est le plus grand tertre figuratif du monde. Sa queue se termine en une élégante spirale, et sa tête semble être en train d’avaler un œuf géant.

L’identité de ses bâtisseurs ainsi que sa signification demeurent aujourd’hui encore inconnues. Décrit pour la première fois dans les années 1840, ce tumulus sinueux fut tout d’abord attribué aux Adenas, qui vécurent dans la région de 500 à 200 avant notre ère environ et dont les restes furent découverts dans des sépultures voisines.

Des datations au carbone 14 suggèrent que celui-ci est plus récent et qu’il aurait été construit il y a 900 ans environ, à l’époque de la civilisation de Fort Ancient. La culture de Fort Ancient fut influencée par la culture mississippienne, qui aimait à mettre en avant des serpents à sonnette dans son iconographie ; de nombreuses civilisations amérindiennes attribuaient aux serpents des pouvoirs spirituels.

Certains archéologues font remarquer que la tête du tumulus en forme de serpent est en phase avec le solstice d’été et a pu servir un but astronomique ou cérémoniel. Mais en l’absence de tout artefact et de toute trace écrite, le tumulus demeure une vaste énigme serpentine.

 

À QUOI SERVAIENT LES GÉOGLYPHES DE NAZCA ?

Il y a deux mille ans, dans le désert qui borde le littoral du sud du Pérou, furent gravées dans la terre plus d’un millier de silhouettes à la taille démesurée. Quadrangles, trapézoïdes, spirales, fines lignes et contours suggérant les formes de créatures géantes s’étirent sur des milliers de kilomètres carrés de plateaux arides massés entre les villes de Nazca et de Palpa. Dans les années 1920, des pilotes transandéens redécouvrirent ces énormes géoglyphes et inaugurèrent des décennies de recherches dont le but serait de répondre à la question suivante : à quoi pouvaient-ils bien servir ? 

Au fil des années, une multitude d’hypothèses furent émises, puis rejetées. Nous savons que ces géoglyphes furent principalement l’œuvre de la civilisation nazca qui prospéra de 200 avant notre ère à l’an 600 de notre ère environ. Des personnes ayant étudié ces silhouettes avancent tour à tour qu’elles représentent des lignes d’irrigation, un calendrier astronomique, des routes incas, des icônes visibles depuis des montgolfières archaïques ou encore, de manière tout à fait improbable mais non moins persistante, des spatioports destinés à des vaisseaux extraterrestres.

L’explication la plus en vue aujourd’hui est plus simple : ces glyphes formaient peut-être des chemins processionnels au sein d’un paysage sacré. En effet, de nombreuses silhouettes sont associées à la pluie ou à la fertilité, et des traces de pas sont encore visibles le long des contours.

 

DÉCOUVRIRA-T-ON UN JOUR EL DORADO ?

À l’origine, El Dorado était un homme et non une ville. Des explorateurs espagnols présents en Amérique du Sud eurent vent de cette légende dès le début du 16e siècle. Quelque part dans les Andes, leur dit-on, les Muiscas, un peuple autochtone, initiait ses nouveaux chefs en les saupoudrant d’or de la tête aux pieds et en jetant de l’or et des émeraudes dans un lac sacré.

Enivrés par la cupidité, des aventuriers espagnols, allemands, portugais et anglais s’enfoncèrent dans les impitoyables régions sauvages de la Colombie, de la Guyane et du Brésil, et dans tout lieu qui semblait prometteur, pour découvrir ce trésor mythique. Au fil du temps, El Dorado, qui était dans la légende un homme, est devenue une vallée pavée d’or, attendant juste d’être découverte.

Parmi ces aventuriers se trouvait Sir Walter Raleigh, dont le fils Watt mourut en 1617 en tentant de découvrir El Dorado, et qui fut lui-même exécuté à son retour en Europe pour avoir désobéi aux ordres du roi. De nombreuses personnes, des Amérindiens autant que des Européens, trouvèrent la mort dans ces quêtes brutales. Et aucun trésor tel ne fut jamais découvert.

Cependant, cette légende comporte peut-être une part de vérité. Le lac dont il est fait mention dans le récit muisca pourrait être la laguna de Guatavita, située dans les hauteurs des Andes, près de Bogotá, en Colombie. Certains objets et bijoux dorés ont été sortis de cette étendue d’eau et d’une autre située non loin de là, mais les tentatives de drainer le lac et de récupérer ses richesses supposées ont échoué. Quel qu’il soit, le trésor enfoui là-bas demeure intact.

Des portions de cet article figurent dans l’ouvrage 100 Greatest Mysteries Revealed de Pat Daniels. Copyright © 2023 National Geographic Partners, LLC.

De l’Europe à l’Asie, évolution de la géopolitique russe

Par : STRATPOL

Vladivostok

VladivostokIl est toujours difficile d’établir l’identité et de tracer les scénarios géopolitiques d’une nation, en particulier de la Russie qui

L’article De l’Europe à l’Asie, évolution de la géopolitique russe est apparu en premier sur STRATPOL.

Île des Faisans : le plus petit condominium au monde est tour à tour français et espagnol

La Bidassoa, fleuve du Pays basque, fait office de frontière naturelle entre la France et l’Espagne. Non loin de son embouchure et près de la baie de Chingoudy, enclavé entre la commune espagnole d'Irún et Hendaye côté français, se trouve un petit îlot inhabité de 200 mètres de long sur 40 mètres de large.

Cette île a plusieurs noms : île des Faisans, île de la Conférence ou isla de los Faisanes en espagnol, et Konpantzia en basque. Mais contrairement à ce que son appellation pourrait faire croire, sa particularité ne vient pas de sa faune. « Il n’y a pas de faisans sur l’île des Faisans, qui n’est qu’une façon de plateau vert. Une vache et trois canards représentent les faisans ; comparses loués sans doute pour faire ce rôle à la satisfaction des passants », regrettait d’ailleurs Victor Hugo dans son Voyage de Bayonne à Saint-Sébastien. Cette toponymie trompeuse pourrait venir d’une erreur de traduction, dans la mauvaise interprétation d'un mot français lié au « passage » ou au « péage ».

Ce qui rend l'île aux faisans singulière, c’est son statut de condominium le plus petit du monde. Elle est administrée à la fois par la France et par l’Espagne, avec un changement d’administration tous les six mois. Ainsi, elle est française du 1ᵉʳ août au 31 janvier, et devient espagnole du 1ᵉʳ février au 31 juillet. 

« L’île représente les bonnes relations entre nos deux pays et en dit beaucoup sur notre unité. Nous devons entretenir ce lien fort », affirme Javier Diez De Rivera, commandant de la station navale de Saint-Sébastien, en charge de l’île lorsqu’elle est Espagnole. 

 

UNE TERRE DE TRAITÉS ET DE MARIAGE ROYAUX

L’emplacement géographique du petit îlot, entre le Royaume de France et d’Espagne, en a fait le lieu parfait pour de multiples rencontres diplomatiques. En 1526, François Iᵉʳ qui avait été fait prisonnier par Charles Quint lors de la bataille de Pavie en 1525, y est échangé contre ses deux fils.

En 1615, on procède à un échange de princesses : l’infante d’Espagne Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne promise à Louis XIII, et Elizabeth, fille du roi de France Henri IV, promise à Philippe IV d’Espagne.

Autre fait marquant, la signature du traité des Pyrénées. Celui-ci entérine définitivement la fin de la guerre franco-espagnole, conflit militaire entre les deux puissances qui a démarré en 1635 par l’intervention française dans la guerre de Trente Ans. Un premier traité de paix avait été signé en 1648, le traité de Westphalie. Mais la France et l’Espagne n’ont pas réussi à mettre fin à leurs hostilités mutuelles. Il fallut plus de vingt-quatre réunions, tenues sur l'île des Faisans, pour trouver un consensus entre les deux puissances. Le Cardinal Mazarin et Don Luis Menendez de Haro y Sotomayor en furent les principaux négociateurs. Finalement, le traité a été signé par Louis XIV et le roi Philippe IV d’Espagne, le 7 novembre 1659. En raison du grand nombre de négociations tenues sur l’Île, elle prend le nom d’« Île de la Conférence. »

En 1659, Louis XIV y rencontra Marie-Thérèse d’Autriche, sa future épouse. Ce projet de mariage avait pour but de sceller la paix entre l’Espagne et la France. Le 9 janvier 1722 eut lieu un nouvel échange de princesses : l’infante d’Espagne Marie-Anne-Victoire rencontra son fiancé Louis XV, roi de France ; les fiançailles furent rompues en 1723. En parallèle, Louise-Elisabeth d’Orléans, fille du Régent Phillipe d’Orléans, rencontra le prince des Asturies et futur roi d’Espagne, Louis Ier, mariage qui resta sans postérité.

 

UN STATUT HYBRIDE

En 1856, le Traité de Bayonne établit définitivement le statut de condominium, sous l’autorité indivise de la France et de l’Espagne. L’article 27 stipule ainsi que « l'île des Faisans, connue aussi sous le nom d'île de la Conférence, à laquelle se rattachent tant de souvenirs historiques communs aux deux Nations, appartiendra, par indivis, à la France et à l'Espagne ».

Ce traité, dont les verbatims sont aujourd’hui désuets, confère le titre de vice-roi pour chaque représentant de l’administration de l'île. Pour l’Espagne, il est porté par le commandant de la station navale de Saint-Sébastien, Javier Diez De Rivera et pour la France, par la directrice adjointe de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) des Pyrénées-Atlantiques, Pauline Potier. Le titre peut faire sourire, et est maintenu en France, malgré le fait que ce soit une République, pour respecter une certaine homogénéité avec l’Espagne qui est une monarchie constitutionnelle. « On n'utilise plus du tout ce titre en Espagne », précise Javier Diez De Rivera.

En ce qui concerne les « droit de police et de justice », la gestion du territoire est précisée par une convention signée le 27 mars 1901, et mise en application par un décret le 29 août 1902. L’article 1 y précise notamment que « Le droit de police dans l’île des Faisans sera exercé par la France et par l’Espagne tour à tour, pendant six mois, dans l’ordre que déterminera le sort. » Une fois par an, au moment de la passation de pouvoir de l’Espagne à la France le 1er août, une petite cérémonie est organisée sur l’île. Les représentants de chaque pays y sont présents. On y joue l’hymne français, espagnol « et même un troisième hymne, celui de l'île des Faisans, composé par l’Espagnol Juan Flaquer », ajoute le commandant. 

Dans les faits, seuls quelques employés de mairie se rendent sur l’île, principalement pour tondre le gazon et maintenir l’île en bon état. Ces employés se relaient évidemment tous les six mois en fonction du pays en charge. 

Aujourd’hui, l’île est interdite au public et il est uniquement possible de l’apercevoir depuis la berge des deux côtés de la frontière, ou depuis le Pont international qui relie la France et l’Espagne. « Cette interdiction est avant liée à des raisons de sécurité », explique Javier Diez De Rivera. « Les courants de la rivière rendent tout accès dangereux. De plus, il n’y a pas de quai pour y amarrer, et il n’y a pas de service de sécurité déployé aux alentours de façon permanente. »

Si vous souhaitez absolument la visiter, il vous faudra attendre les journées du patrimoine en France, pour espérer fouler cette terre au statut unique.

CONFLIT MONDIAL VIDEO N°78

Notre vidéo hebdomadaire qui reviendra évidemment sur les rodomontades puériles de notre kéké national en mode chihuahua dont les jappements suraigus font ricaner le monde entier. Qui se demande interloqué, comment le peuple français peut-il accepter les quotidiennes humiliations que… Lire la suite

Comment les artistes noirs ont participé à l'essor de la musique country

Francesca Royster raconte s’être réveillée le lendemain du Super Bowl avec de nombreux SMS enthousiastes de ses amis : Beyoncé venait de sortir deux nouveaux singles aux airs de country, et son prochain album (le deuxième acte de sa future trilogie Renaissance) serait une célébration de la musique country.

« Ça a suscité un énorme débat », soutient Royster, professeure d’anglais à l’université DePaul et autrice du livre Black Country Music, paru en 2022. « Des étudiants, des amis, de vieux camarades de fac m’ont appelée pour discuter de la country qui, pendant longtemps, était un peu restée une passion inavouée. »

Si de nombreux auditeurs de musique contemporaine ont découvert la musique country afro-américaine avec le tube « country-trap » de Lil' Nas X « Old Town Road » en 2018, les Afro-Américains écrivent, interprètent et enregistrent de la musique country depuis les années 1920, période à laquelle ce style musical est devenu populaire. À vrai dire, la musique country n’existerait pas telle qu’elle est aujourd’hui sans les contributions et les innovations des musiciens afro-américains.

« L’un des plus gros mensonges racontés par les États-Unis a été de dire que les Afro-Américains ne faisaient pas de country », a écrit le critique culturel Taylor Crumpton dans les jours qui ont suivi l’annonce de Beyoncé. « Les Afro-Américains ont toujours vécu à la campagne. C’est là que nous avons prié. C’est là que nous avons chanté. C’est là que nous avons vénéré. »

Alors que de plus en plus de jeunes artistes country sont acclamés et mis en avant, espérons que l’engouement actuel pour la country dépasse le stade de la simple tendance et pérennise une représentation plus inclusive de la musique country. 

 

L’HÉRITAGE DES AFRO-AMÉRICAINS DANS LA MUSIQUE COUNTRY

La présence des Afro-Américains dans la musique country, bien qu’elle ne soit pas connue de tous, n’est pas vraiment un secret. Le son caractéristique de la Carter Family, la « première famille de la musique country », a été influencé dans les années 1920 par Lesley Riddle, un guitariste et folkloriste Noir américain spécialisé dans le blues et le gospel. Dans les années 1930, alors qu’il était encore enfant, Hank Williams se forma auprès du guitariste noir Rufus "Tee Tot" Payne, tout comme le fit Johnny Cash auprès du musicien afro-américain Gus Cannon une vingtaine d’années plus tard.

L’harmoniciste afro-américain DeFord Bailey fut le premier à se produire au Grand Ole Opry et contribua à faire de Nashville un haut lieu de la musique country. Grâce au travail de sensibilisation inlassable des musiciens Rhiannon Giddens et Dom Flemons, nous connaissons les racines africaines du banjo et son importance dans les débuts de la musique folklorique noire. En outre, des musiciens tels que Charley Pride et Darius Rucker brisèrent de nombreuses barrières en devenant deux des premières superstars afro-américaines de la musique country.

Mais ce que l’on sait moins, c’est que les chanteurs Noirs américains, tous genres confondus, se sont toujours essayés à la country. Beyoncé est loin d’être la première. Ray CharlesSolomon Burke, Bobby WomackEsther PhilipsOtis WilliamsMillie Jackson et Tina Turner (pour n’en citer que quelques-uns) ont enregistré des albums de country. Plus récemment, les artistes de rap et de R&B LudacrisLL Cool JNelly et Snoop Dogg ont collaboré avec des superstars de la musique country. Malgré cela, l’idée fausse selon laquelle les Noirs seraient par nature hostiles à la musique country a persisté au fil des ans.

« En tant que fan de musique country, je ne me sentais pas en sécurité dans les espaces de musique country », raconte Holly G., fondatrice de Black Opry. « Ça ne m’étonne pas que les Afro-Américains hésitent à y aller. »

On ne peut pas dire que l’industrie de la musique country, tout comme certains fans de country blancs, aient beaucoup aidé les artistes de couleur, entre la sélection des artistes autorisés à figurer dans les hit-parades de country, les refus de diffuser certains artistes sur les radios de country ou l’exhibition de drapeaux confédérés lors de prestigieux festivals de musique country (une pratique qui n’a été interdite que récemment).

 

LES NOUVEAUX VISAGES DE LA COUNTRY

Fondé en avril 2021, Black Opry était à l’origine un site web mettant en avant des artistes de country, de folk et d’americana de la communauté noire. En janvier 2022, Holly et Tanner Davenport ont cofondé la Black Opry Revue, un collectif d’artistes qui se produit aux États-Unis.

« J’espère qu’ils vont voir qu’il existe un moyen de consommer de la country en toute sécurité et avec des gens qui vous ressemblent », déclare Holly.

Holly se souvient qu’elle tombait toujours sur les mêmes noms quand elle faisait des recherches en ligne quelques mois avant la création de Black Opry sur les « artistes de country afro-américains ». Aujourd’hui encore, l’attention des médias continue de se porter sur une poignée de superstars comme Kane BrownMickey Guyton et Darius Rucker, alors que le champ de la musique country noire est aujourd’hui très vaste.

Alors que des artistes émergents comme Dalton DoverMichael WarrenChauncey JonesRodell Duff et Aaron Vance se tournent vers un son country plus traditionnel et acoustique, d’autres chanteurs comme BrelandWillie JonesRVSHVD et Tanner Adell mélangent des éléments de trap et de R&B à la country ; une alchimie musicale que l’on retrouve dans la chanson « Texas Hold 'Em » de Beyoncé.

Reyna Roberts, chanteuse et compositrice de 26 ans, qui emprunte autant à la country qu’au rock et à la pop, attribue son son particulier au large éventail de musique auquel elle a été exposée dans son enfance. « J’ai grandi en écoutant de tout : de la country, de la trap, du hip hop, de la musique classique, de la pop… », explique-t-elle. « Mais en tant qu’autrice-compositrice, je me suis rendu compte que nombre des chansons que j’écrivais étaient des chansons country. »

Roberts explique avoir vu le nombre de ses auditeurs et de ses abonnés sur les réseaux sociaux augmenter considérablement après l’annonce de Beyoncé au Super Bowl, puisqu’elle a gagné près de 400 000 nouveaux followers.

Le nombre d’écoutes et de téléchargements d’autres artistes de country et de roots afro-américaines, comme Tanner Adell, qui a sorti le morceau trap-country « Buckle Bunny » à l’été 2023, et Linda Martell, la première artiste afro-américaine en solo à avoir joué au Grand Ole Opry, a également fortement augmenté ces dernières semaines. 

Holly G, de Black Opry, espère que l’engouement actuel pour la country de Beyoncé continuera de motiver les auditeurs et les critiques à se renseigner sur les nombreux autres artistes de country afro-américains aux multiples talents, idées et styles divers, qui sont là depuis le début.

« Il y a énormément de diversité, même au sein de la musique country noire », dit-elle. « J’espère que les gens finiront par le voir et par l'admettre. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Ces trois femmes samouraïs ont marqué l'histoire du Japon féodal

Le Japon fut un État guerrier pendant des siècles et comptait dans ses rangs des femmes parmi les plus redoutées du pays. Sauf au cours d’une brève période au 14e siècle, l’empereur n’était rien de plus qu’un prête-nom ; c’est le shogun, le commandant militaire du pays, qui jouissait de tous les pouvoirs.

Au 12e siècle, sous le premier shogun Yoritomo Minamoto, les femmes faisaient office d’agents de police locaux et remplissaient des obligations militaires en approvisionnant les soldats et en défendant elles-mêmes des domaines féodaux. Sous le règne de la famille Minamoto (connu sous le nom de shogunat de Kamakura), les filles et les fils jouissaient généralement de droits de succession égaux.

« Le shogunat de Kamakura n’aurait sans doute pas existé sans les femmes », observe Mike Wert, maître de conférences en histoire de l’Asie de l’Est à l’université Marquette et auteur du livre intitulé The Samurai: A Concise History (Une brève histoire des samouraïs).

Les femmes samouraïs ont perdu en importance après la fin du shogunat de Kamakura, leur rôle restant principalement cantonné à des manœuvres politiques par le mariage. Mais pendant les guerres civiles de la période Sengoku (du 15e au 17e siècles), où les sièges étaient fréquents, il était de la responsabilité de la maîtresse des lieux de superviser la défense du château en l’absence de son mari. Celle-ci et son entourage s’entraînaient à utiliser un poignard pour se défendre, et si tout était perdu, pour préserver leur honneur à tout prix.

L’apprentissage des arts martiaux aux femmes samouraïs variait grandement d’une famille à l’autre. Certaines le voyaient comme un moyen de s’acquitter d’un rôle spirituel les préparant à leur vie de femme mariée et à la maternité. D’autres, notamment les femmes samouraïs d’Aizu, prenaient l’entraînement militaire très au sérieux.

« Les guerrières d’Aizu recevaient des cours de combat approfondis et apprenaient notamment à manier la hallebarde », a écrit Diana E. Wright dans son livre Female Combatants and Japan’s Meiji Restoration: the Case of Aizu (Femmes combattantes et restauration de Meiji au Japon : l’exemple de Aizu). « Elles étaient éduquées pour manier aussi habilement “la plume et l’épée” ; elles étaient également endoctrinées avec la croyance que leur devoir était d’abord de protéger leur domaine et leur seigneur, puis leur famille. »

 

TOMOE GOZEN, UNE GUERRIÈRE TRANSFORMÉE EN LÉGENDE

Si Tomoe est sans doute l’une des guerrières les plus célèbres du Japon, certains aspects de sa vie demeurent incertains. Elle aurait joué un rôle important dans les victoires du seigneur samouraï Yoshinaka Minamoto pendant la guerre de Genpei face au clan Taira.

A-t-elle seulement existé ? Tomoe n’est en effet mentionnée nulle part dans l’Azumi Kagami, la principale source d’informations pour la guerre de Genpei. « La biographie de Tomoe relève tant de la légende qu’il est impossible de déterminer où s’achève la réalité historique et où commence le récit littéraire », observe Steven T. Brown.

Certaines sources s’accordent toutefois dans l’ensemble sur des moments clés de sa carrière militaire. Tomoe serait ainsi entrée au service de Yoshinaka Minamoto (surnommé Kiso) en 1181, lorsque les deux guerriers avaient entre vingt et trente ans.

Selon le Genpei seisuiki, une version étendue de la chronique originale intitulée Le Dit des Heike, elle a ramené sept têtes de sa première bataille et est devenue l’un des principaux subordonnés de Kiso, menant un millier de ses cavaliers à la victoire face au clan Taira à Tonamiyama en 1183.

Son exceptionnelle carrière militaire a pris fin en 1184 à Awazu, non pas contre le clan Taira, mais contre une autre branche du clan Minamoto. Après que Kizo s’est emparé de la capitale et a brûlé le palais, son cousin Yoritomo décida de s’opposer à lui près de la ville d’Otsu.

Contre toute attente, et avec Tomoe à ses côtés, Kiso a combattu jusqu’au bout face aux troupes de son cousin. Selon certains témoignages rapportés dans Le Dit des Heike et voyant qu’il ne restait plus qu’une poignée de ses partisans, il ordonna à la guerrière de fuir. Avant d’ôter son armure pour toujours, Tomoe parvint à accomplir une dernière prouesse.

Elle aurait défié un habile samouraï dénommé Moroshige Onda avant de le désarçonner et de le décapiter net.

Le victorieux Yoritomo établit le premier shogunat à Kamakura et donna naissance à l’ère des guerriers. Quant à Tomoe, elle aurait vécu, selon une source, jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans après la défaite des troupes de son seigneur.

 

HANGAKU GOZEN, AUSSI BELLE QUE REDOUTABLE

Après la guerre de Genpei, Hangaku est demeurée fidèle au clan Taira vaincu et a pris part à la tentative manquée de coup initiée contre le clan Minamoto en 1201. Conscients que le shogun enverrait l’armée pour les capturer, les conspirateurs se réfugièrent au nord dans le bastion du clan, peut-on lire dans l’Azuma Kagami. Le neveu d’Hangaku rassembla les troupes à l’extérieur du château familial à Torisaka, tandis que la samouraï organisait la défense de l’édifice.

L’armée de son neveu fut écrasée, et Hangaku dut repousser l’armée du shogun seule. Torisaka était une structure en bois assez modeste, qui n’offrait qu’une protection limitée à sa petite garnison.

Se défendant bec et ongle, Hangaku et ses partisans parvinrent à déjouer les attaques pendant trois mois. Faisant honneur à sa réputation de formidable archère, elle aurait décoché 100 flèches durant le siège, qui atteignirent toutes leur cible.

Le château finit par tomber aux mains de l’ennemi après que la guerrière a été touchée par une flèche dans la cuisse. Elle fut ensuite arrêtée et faite prisonnière, puis ramenée à la capitale de Kamakura. L’historien et auteur japonais Kochiro Hamada explique que son arrivée fit beaucoup de bruit. L’un des domestiques les plus proches du shogun, pensant qu’une telle guerrière enfanterait de dignes héritiers, souhaita l’épouser.

Le shogun, amusé par sa demande, lui aurait répondu : « Qui peut aimer une femme aussi belle que redoutable ? », avant de donner son accord.

Les historiens savent cependant peu de choses de la vie d’Hangaku après cette date. Elle aurait passé le restant de ses jours à Kai, une région montagneuse située à l’ouest de Tokyo.

 

TAKEKO NAKANO, L’UNE DES DERNIÈRES FEMMES SAMOURAÏS

L’histoire de Takeko est l’une des dernières de l’ère des guerriers. Après le renversement du shogunat par les partisans de l’empereur, le domaine féodal d’Aizu et d’autres au Nord continuèrent de résister.

En infériorité numérique et surpassés en puissance de feu, les habitants d’Aizu s’organisèrent en un patchwork de milices pour résister à l’assaut de l’armée impériale en 1868. Si un petit nombre d’entre eux possédaient des armes modernes importées de l’Ouest, la plupart devaient se débrouiller avec des équipements plus primitifs, comme des lances ou des mousquets à platine à mèche. S’ils parvinrent à repousser les premières attaques malgré de lourdes pertes, ils ne purent résister longtemps à l’armée de l’empereur.

Certaines femmes se suicidèrent pour éviter d’être capturées ou de devenir un fardeau pour le bastion. Seule une poignée décida de prendre les armes.

Parmi elles, Takeko, vingt et un ans, pratiquait les arts martiaux depuis son enfance. Experte dans le maniement des naginata, sorte de perche surmontée à son extrémité d’une lame, la jeune femme enseignait dans une école d’arts martiaux, selon Kochiro Hamada.

Avec une vingtaine d’autres guerrières, elle fonda un groupe baptisé à titre posthume les Joshitai, ou « l’armée des femmes » en français.

Ces samouraïs se battaient avec une armure et des armes d’un autre âge. Avec leur coupe à la garçonne, les Joshitai ressemblaient de loin à leurs homologues masculins. Profitant de la surprise de leurs opposants de se retrouver face à des femmes, elles prirent brièvement l’avantage sur l’armée impériale lors d’une bataille au pont Yanagi.

Takeko tua cinq soldats ennemis avant d’être mortellement blessée. Sa sœur Masako, âgée de seize ans, parvint à la sortir de la mêlée. Refusant que sa tête soit prise en trophée, Takeko demanda à sa benjamine de la lui couper. Aidée d’un soldat, Masako, épuisée, s’exécuta. Elle emporta ensuite la tête de sa sœur pour l’enterrer dans un temple voisin.

L’histoire de Takeko a marqué la fin d’une ère. Les derniers résistants au nouveau régime furent éliminés quelques mois plus tard, à Hokkaido. La restauration de Meije donna lieu à d’importantes réformes, dont l’abolition de la classe des samouraïs. Pour certaines femmes commençait un nouveau combat : celui de trouver leur place dans l’ordre nouveau.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Lincoln a été assassiné sous leurs yeux... leur supplice ne faisait que commencer.

Si ses vacances s’annonçaient reposantes, Henry Rathbone était tout sauf détendu. Nous étions au mois de décembre 1883 et lui et sa famille – son épouse Clara Harris et leurs trois jeunes enfants – séjournaient en Allemagne.

Ainsi qu’en ont témoigné plus tard des amis et membres de leur famille, la crainte d’une catastrophe imminente ne les quittait pas, la crainte d’une catastrophe semblable à celle qu’ils avaient connue voilà près de vingt ans. En effet, en 1865, Henry Rathbone et Clara Harris étaient assis dans la loge présidentielle du théâtre Ford lorsque Abraham Lincoln fut assassiné.

Ce soir-là, Henry Rathbone avait été incapable de sauver le président américain, un épisode qui le tourmentait encore. Pour le couple, la violence de cette nuit-là ne fut toutefois qu’un préambule.

 

GAGNER L’AMITIÉ DES LINCOLN

Témoins de l’un des drames les plus marquants de l'histoire américaine, Henry Rathbone et Clara Harris étaient demi-frère et demi-sœur et venaient tous deux des familles les plus éminentes d’Albany, capitale de l’État de New York. À l’âge adulte, leurs liens devinrent des liens d’amour et ils se fiancèrent.

En 1865, tous deux habitaient Washington. Henry Rathbone, qui avait officié dans l’armée américaine lors de certaines des batailles les plus sanglantes de la guerre de Sécession, occupait un poste administratif dans la hiérarchie militaire, tandis que Clara Harris était arrivée dans la capitale après que son père, Ira Harris, devint sénateur de l’État de New York en 1861.

En sa qualité de fille de sénateur, Clara Harris côtoyait la haute société washingtonienne et comptait parmi ses amies une certaine Mary Todd Lincoln. Ainsi qu’elle l’écrivit en avril 1865, elle et la Première dame « avaient l’habitude de se faire conduire à l’opéra et au théâtre ensemble ».

Il n’était pas rare que les Lincoln invitent Clara Harris et son fiancé à assister à une pièce de théâtre. Celle jouée ce 14 avril était intitulée Our American Cousin.

Le jeune couple n’était toutefois pas le premier choix des Lincoln ce soir-là. En effet, le couple présidentiel avait initialement prévu de se faire accompagner par Ulysses S. Grant et par son épouse Julia. Mais ces derniers se désistèrent et les Lincoln durent leur trouver des remplaçants au pied levé.

Leur choix se porta finalement sur Clara Harris et Henry Rathbone qui acceptèrent avec joie l’invitation. La joyeuse troupe arriva au théâtre Ford à 20h30.

 

UNE SOIRÉE AU THÉÂTRE

Mary Todd Lincoln se reposa contre son époux et lui laissa lui tenir la main, qu’importe qu’ils ne fussent pas seuls dans la loge présidentielle.

« Que va penser Miss Harris du fait que je m’accroche ainsi à vous ? », demanda Mrs. Lincoln à son époux. 

« Elle n’en pensera rien », la rassura-t-il.

Il s’agit peut-être là des derniers mots d’Abraham Lincoln.

À 22h30 environ, John Wilkes Booth se glissa dans la loge présidentielle et tira une balle dans la tête du président américain.

Henry Rathbone réagit aussitôt. Il tenta d’appréhender l’assassin, mais ce dernier sortit un couteau et lui lacéra le bras, lui sectionnant une artère. Le sang de Henry Rathbone jaillit sur sa fiancée, et John Wilkes Booth réussit à s’enfuir.

Henry Rathbone et Clara Harris prirent conscience de ce qui venait d’arriver à Abraham Lincoln. Ils se mirent à crier que le président venait d’être abattu. La panique s’empara de la salle, et des médecins se résolurent à emmener le président dans la pension qui se trouvait de l’autre côté de la rue.

Alors que le chaos régnait autour d’elle, Clara Harris, tachée du sang de son époux, tenta de réconforter Mary Todd Lincoln. Mais chaque fois qu’elle s’approchait d’elle, la veuve s’écriait : « Oh ! Le sang de mon mari, le sang de mon époux adoré ! »

Pendant ce temps, Henry Rathbone s’affaiblissait à cause du sang qu’il perdait. Clara Harris lui confectionna un garrot de fortune avant qu’il ne s’évanouisse. Il fut emmené au pas de charge au domicile de Clara Harris où un chirurgien, aidé de cette dernière, soigna sa blessure presque fatale et lui sauva la vie.

Près de deux semaines plus tard, elle fit état de ces scènes frappantes qui la tourmentaient encore dans une lettre adressée à une amie. « Je ne parviens pas à me concentrer sur quoi que ce soit d’autre », écrivit-elle.

 

TENTER DE VIVRE À NOUVEAU

Après l’assassinat, Henry Rathbone et Clara Harris firent ce qu’ils purent pour recoller les morceaux de leur vie. Ils se marièrent le 11 juillet 1867.

Malgré tout, l’horreur de ce dont ils avaient été témoins, l’horreur de n’avoir rien pu faire pour Lincoln, pesait sur le moral de Henry Rathbone. Il contracta des troubles respiratoires et était accablé par des palpitations cardiaques, des affections auxquelles on ne parvint pas à attribuer de causes physiques.

Alors que trois enfants étaient venus agrandir la jeune famille, l’état anxieux de Henry Rathbone empira. Il vivait dans la peur que son épouse et ses enfants soient en danger.

En 1883, son état s’était considérablement détérioré. Comme le rapporta l’Elmira Daily Adviser, Henry Rathbone était devenu « morose, mélancolique, irritable et follement jaloux de son épouse » et était persuadé qu’elle allait le quitter. Bientôt, il se montra violent.

 

UN ULTIME MEURTRE

Le 23 décembre 1883, alors que les Rathbone séjournaient en Allemagne, Henry se troubla. Craignant apparemment que ses enfants lui soient soustraits, il tenta d’entrer dans leur chambre, armé d’un pistolet chargé.

Prise d’une vive inquiétude, Clara ordonna qu’on ferme à clé la chambre où les enfants s’étaient réfugiés, et Henry fut pris d’une crise. Il abattit son épouse et la poignarda avant de retourner le poignard contre lui. Elle mourut sur leur lit.

Lui survécut, quoique dans un état de confusion permanente, d’après certaines informations. Ainsi que le rapporta quelques jours après le meurtre le Sunday Morning Tidings, journal de la ville d’Elmira, dans l’État de New York, Henry Rathbone « croit que ses enfants ont été enlevés, et qu’il a été blessé en luttant avec leur ravisseur ». Il n’avait aucun souvenir d’avoir tué son épouse.

Henry Rathbone fut jugé en Allemagne où il fut reconnu coupable et incarcéré à l’asile Hildesheim d’Hanovre. Il y mourut le 14 août 1914, quarante-six ans après la soirée du théâtre Ford qui l’avait tant tourmenté.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Royaumes mayas : un nouveau monde s'ouvre à nous grâce au Lidar

Retrouvez cet article dans le numéro 294 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Durant des dizaines d'années, les deux archéologues et Explorateurs pour National Geographic ont travaillé dans les forêts tropicales d’Amérique centrale. Ils ont dû supporter la chaleur et l’humidité écrasantes, et faire face à des animaux mortels et à des pilleurs armés pour exhumer des trésors laissés par les anciens Mayas, dont la civilisation a prospéré pendant des millénaires avant d’être mystérieusement engloutie par la végétation.

Il y a donc quelque chose de paradoxal à ce qu’ils aient fait leur plus grande découverte devant un ordinateur, dans des locaux climatisés, à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Quand Marcello Canuto et Francisco Estrada-Belli, tous deux de l’université Tulane, ont ouvert la photo aérienne d’une zone forestière du nord du Guatemala, il n’y avait rien d’autre à voir sur l’écran que la cime des arbres. Mais le cliché avait été pris avec un lidar.

Cet appareil de télédétection embarqué à bord d’un avion envoie des milliards de pulsations laser vers le sol, puis mesure celles qui sont renvoyées. Le petit nombre de pulsations traversant le feuillage fournit assez de données pour obtenir une image des sols forestiers.

En quelques clics, Marcello Canuto a retiré la végétation, révélant une image 3D du terrain. Cette zone avait toujours été supposée inhabitée ou presque, même à l’apogée de la civilisation maya, il y a plus de 1 100 ans.

Pourtant, ce qu’ils voyaient comme de simples collines a soudain révélé des réservoirs, des terrasses de culture et des canaux d’irrigation, bâtis de la main de l’homme. Ce qu’ils prenaient pour de petites montagnes était en réalité de grandes pyramides surmontées d’édifices rituels. Des cités que des générations d’archéologues avaient considérées comme des capitales régionales n’étaient finalement que les banlieues de métropoles précolombiennes bien plus vastes dont personne ne soupçonnait l’existence, reliées entre elles par des chaussées pavées et surélevées.

« Je crois que nous avons ressenti à peu près ce qu’ont éprouvé les astronomes face aux premières images prises par le télescope Hubble en découvrant soudain le néant rempli d’étoiles et de galaxies, raconte Thomas Garrison, un autre membre du projet. Cette immense forêt tropicale, tenue pour quasi vierge, laissait d’un coup apparaître, une fois les arbres enlevés, des signes de présence humaine partout. »

Le recours au lidar révolutionne l’archéologie maya: non seulement cette technique guide les chercheurs vers des sites prometteurs, mais elle leur donne aussi une vue d’ensemble des paysages d’alors. Des dizaines de relevés au lidar –dont ceux de 2018, dévoilés à La Nouvelle-Orléans et financés par la fondation guatémaltèque pour le Patrimoine culturel et naturel maya (Pacunam)– ont remis en cause certaines idées tenaces sur une civilisation qui a prospéré dans une des régions les moins hospitalières du monde. 

« Le nouvel élan offert par le lidar à l’archéologie maya est pour ainsi dire incommensurable, souligne l’archéologue guatémaltèque Edwin Román-Ramírez. Nous devrons toujours faire des fouilles pour comprendre les peuples à l’origine de ces constructions, mais cette technologie nous montre exactement où et comment mener celles-ci. » 

Les Pays-Bas ont-ils vraiment acheté Manhattan pour 24 dollars ?

L’Histoire est émaillée de ventes audacieuses et de marchés outranciers. L’un des plus célèbres, selon la légende, fut conclu à Manhattan lorsque des Amérindiens vendirent leur île aux Néerlandais pour une poignée de perles et l’équivalent de vingt-quatre dollars en monnaie sonnante et trébuchante.

Mais l’on est en droit de se demander si cela fut bel et bien le cas. Voici comment les colons européens mirent réellement la main sur Manhattan et pourquoi la transaction elle-même demeure un mystère.

 

LES PREMIERS HABITANTS DE MANHATTAN

À l’époque où les colons européens pénétrèrent dans la région de l’Hudson, l’endroit était depuis déjà longtemps peuplé par les Lenapes, qui avaient nommé Manhatta, « île vallonnée », cette terre verdoyante située sur les rives de l’Hudson. Les Lenapes, qui parlaient un dialecte algonquien et commerçaient avec une multitude de peuples amérindiens, menaient une existence saisonnière sur cette île aux ressources naturelles foisonnantes et à la faune abondante.

Cette faune, notamment composée de castors, attira l’attention des Européens qui rencontrèrent les premiers les Lenapes et découvrirent Manhatta à partir du 15e siècle. À vrai dire, pour les Européens, l’attrait de l’Amérique du Nord résidait au début en grande partie dans les peaux d’animaux qu’on y trouvait et qui servaient à la production de couvre-chefs à la mode et d’objets de luxe destinés aux consommateurs européens ; les Européens avaient presque totalement éradiqué les animaux à fourrure sur leur propre continent à force de les chasser.

Attirés par l’abondance de fourrure de castors dans la région, les négociants néerlandais commencèrent à faire commerce avec les Lenapes et, bientôt, revendiquèrent un territoire s’étirant de l’actuel Delaware jusqu’à Rhode Island au nom de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, qui établit un monopole sur le commerce atlantique. En 1621, l’entreprise fonda la Nouvelle-Néerlande, ce qui permit d’étendre la domination néerlandaise à l’ensemble de la région de l’Hudson. Dès 1624, des Néerlandais allèrent peupler Manhatta, plus tard renommée Manhattan, et fondèrent une colonie qu’ils nommèrent la Nouvelle-Amsterdam.

La charte de la Compagnie néerlandaises des Indes occidentales habilitait ses membres à conclure des contrats avec les « princes et autochtones » de la région, à échanger des biens et des devises contre le « peuplement de ces contrées fertiles et inhabitées » ; des endroits qui étaient déjà des terres ancestrales. Ainsi la société entreprit non seulement de coloniser les terres en question mais également d’en acquérir autant que possible auprès des autochtones.

 

LES DÉTAILS TROUBLES DE LA VENTE DE MANHATTAN

Il semble que ce soit précisément ce qu’aient fait les Néerlandais en 1626. Dans un rapport adressé à la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, le colon Pieter Schagen affirma que les Néerlandais avaient « acquis l’île Manhattes auprès des Indiens pour la valeur de soixante florins ». Bien que des traces documentaires indiquent également que les Néerlandais achetèrent bel et bien l’île aux Lenapes, aucun autre acte, ni aucune autre correspondance intéressant la vente ne furent jamais découverts. En outre, le montant payé, et la nature même de la transaction, font l’objet de débats depuis près de 400 ans.

La confusion semble en partie résulter d’une légende du 19e siècle. Dans les années 1840, l’historien Edmund Bailey O’Callaghan entreprit de mettre au jour des documents concernant le passé néerlandais de New York et rédigea la première histoire académique de l’État et devint d’ailleurs par la suite archiviste d’État. Parmi les découvertes de ce dernier figure la lettre écrite par Pieter Schagen en 1626. « [Les Amérindiens] reçurent pour cette étendue splendide la bagatelle de soixante florins, soit vingt-quatre dollars », commenta l’historien.

Les lecteurs prirent au pied de la lettre cette somme de vingt-quatre dollars mais aussi d’autres histoires racontées par Edmund Bailey O’Callaghan concernant l’échange de perles contre des marchandises de valeur dans la région : une légende était née. On ne sait toutefois pas avec certitude si l’échange impliqua réellement de l’argent ou bien des marchandises, ou les deux. Les historiens contemporains attirent l’attention sur le fait que soixante florins valaient à l’époque bien plus que vingt-quatre dollars, cette somme équivalait en fait à un petit millier de dollars moderne, soit à peu près la même somme en euros. Et si d’aventure il fut question d’argent, cette somme fut vraisemblablement accompagnée de fourrures, de perles et autres marchandises précieuses.

Des transactions similaires viennent étayer cette interprétation. L’acte final scellant l’acquisition de Staten Island par les Néerlandais, signé en 1670 avec les Munsees, conserve la trace d’âpres négociations. Enfin, les Néerlandais donnèrent plus de 100 000 perles de wampum ainsi que de grandes quantités de vêtements, d’outils, d’armes et de munitions en échange de ce futur borough. Ils promirent en outre de renouveler cet acte annuellement en signe d’amitié mutuelle.

Mais en ce qui concerne Manhattan, il n’existe aucun acte de cette nature. Et selon l’historien Paul Otto, qu’il y ait eu ou non échange d’argent, de biens, ou des deux, les Lenapes y virent vraisemblablement une « appréciable affaire ».

 

MANHATTAN A-T-ELLE VRAIMENT ÉTÉ VENDUE ?

Toutefois, cette « appréciable affaire » ne fut pas pour autant nécessairement une vente : Paul Otto fait observer que les Lenapes et d’autres peuples Améridiens n’avaient probablement pas la même conception de la propriété privée que les Européens et qu’ils ne reconnaissaient aucunement les droits individuels sur la terre ; bien plutôt, les habitants autochtones de la région devaient penser qu’ils acceptaient de partager la terre avec les Néerlandais ou de la leur louer. Selon l’historien Jean Soderlund, bien que les Lenapes eussent une réputation de nation pacifique, « ils n’étaient ni craintifs, ni faibles » et leurs façons de faire reflétaient toujours leur dévouement envers leur propre souveraineté et leur désir de protéger leurs droits à commercer.

Les Néerlandais croyaient quant à eux avoir acquis cette terre et entreprirent de la peupler avec l’aide de leurs colons mais aussi d’Africains réduits en esclavage, de marchands de diverses nations et de personnes fuyant la persécution religieuse. Le commerce des castors connut un essor tel qu’on accepta les peaux de cet animal comme monnaie d’échange dans toute la Nouvelle-Néerlande. En 1664, la Nouvelle-Amsterdam comptait 1 500 habitants et on y parlait pas moins de dix-huit langues. La ville était alors célèbre pour son mur d’enceinte, construit par des esclaves. Sur ses vestiges finit d’ailleurs par voir le jour la célèbre Wall Street.

 

UN AUTRE COMMERCE HISTORIQUE

Mais le mur ne suffit pas à protéger les Néerlandais d’une prise de pouvoir forcée qu’ils subirent à leur tour : en août 1664, des soldats britanniques prirent d’assaut la Nouvelle-Amsterdam ; un mois plus tard, après la reddition de son gouverneur Pieter Stuyvesant, la colonie multiculturelle fut renommée New York.

Dans le même temps, Néerlandais et Anglais se disputaient le pouvoir ailleurs dans le monde dans le cadre de la deuxième guerre anglo-néerlandaise et, en 1667, ces premiers envahirent la colonie anglaise du Suriname, en Amérique du Sud. La même année, les deux pays en guerre signèrent un traité officialisant la concession de la Nouvelle-Néerlande / New York en échange de plusieurs possessions coloniales au rang desquelles figuraient l’actuel Suriname et Run, une minuscule île indonésienne productrice de noix de muscade.

Pendant ce temps, le peuple qui considérait Manhattan comme sa terre ancestrale fut expulsé. Guerres, traités et expulsions par la contrainte s’ensuivirent et, dès les années 1860, la plupart des Lenapes avaient été repoussés vers l’actuel Oklahoma. De nos jours, si les tribus lenapes sont reconnues au niveau fédéral par les États-Unis, d’autres Lenapes poursuivent la lutte pour être reconnus.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Abracadabra : découvrez les mystérieuses origines de la formule magique

« Abracadabra. » Il suffit d'entendre cette formule pour comprendre qu'il y a de la magie dans l'air, une métamorphose, peut-être, ou un simple tour. Aussi singulière soit-elle, cette succession de lettres est devenue le signe quasi-universel de l'improbable. Même si les experts s'interrogent encore sur son origine précise, une chose est sûre : le terme est ancestral.

La première apparition d'abracadabra remonte à plus de 1 800 ans sous la plume de l'érudit Quintus Serenus Sammonicus ; la formule était alors employée comme remède magique contre la fièvre, symptôme du paludisme et affection potentiellement mortelle à une époque prédatant l'émergence des antibiotiques. Il était le tuteur de Geta et Caracalla, deux enfants devenus empereurs de Rome, et cette position privilégiée au sein de la noblesse romaine donnait de l'importance à ses mots.

Au 2e siècle de notre ère, dans un ouvrage intitulé Liber Medicinalis (Le Livre de Médecine), Serenus conseillait à ses lecteurs d'inscrire la formule magique sur une amulette à suspendre au cou du malade. Il recommandait d'écrire le mot sur plusieurs lignes, en enlevant une lettre à chaque ligne de façon à former un triangle inversé :

ABRACADABRA
ABRACADABR
ABRACADAB

AB
A

L'inscription devait donc comporter 11 lignes, jusqu'à épuisement des caractères. Ainsi, assurait Serenus, la fièvre disparaîtrait.

 

CHASSE AUX MAUVAIS ESPRITS

D'après une étude récente, une formule similaire figurerait sur un papyrus égyptien écrit en grec et datant du troisième siècle, avec une légère variation : abracadabra est remplacé par un palindrome composé des voyelles grecques dont les première et dernière lettres disparaissent à chaque nouvelle ligne. Les chercheurs ont également identifié le processus dans un codex copte, avec un autre mot.

Pour les Grecs, ce triangle pointant vers le bas représentait un cœur ou une grappe de raisins. Selon Serenus, la technique était le moyen idéal de retranscrire une tradition orale qui consistait à vaincre un esprit maléfique en répétant et en réduisant son nom jusqu'au silence complet. Selon les croyances de l'époque, ces esprits semaient la maladie et ces deux versions d'abracadabra étaient censées guérir la fièvre et d'autres maux.

Abracadabra était un « mot apotropaïque, utilisé pour conjurer le mauvais sort », explique Elyse Graham, historienne de la langue à l'université Stony Brook, ajoutant que ses origines font l'objet d'un débat de longue date.

Certains pensent que la formule proviendrait de l'hébreu « ebrah k’dabri » qui signifie « Je crée avec la parole », alors que d'autres lui préfèrent une origine araméenne à travers la phrase « avra gavra », « Je créerai l'homme », les mots prononcés par Dieu au sixième jour de la création. Bien entendu, les fidèles de la saga Harry Potter ne manqueront pas de reconnaître une similarité avec le sortilège de la mort, Avada Kedavra, qui selon J.K. Rowling signifierait « que cela soit détruit » en araméen.

Pour Don Skemer, historien du Moyen Âge spécialiste de la magie et ex-conservateur des manuscrits de la bibliothèque de Princeton, abracadabra proviendrait de l'expression « ha brachah dabrah », qui signifie en hébreu « Nom du Béni » et faisait office de formule magique.

« Je pense que cette explication est plausible, car les noms divins sont d'importantes sources de pouvoir surnaturel de guérison et de protection, comme en témoigne la magie antique, médiévale ou moderne », indique Skemer. Chez les premiers chrétiens, « les noms dérivés de l'hébreu jouissaient d'une grande estime, car c'était la langue de Dieu et de la création », ajoute-t-il.

 

DE REMÈDE ORAL…

Abracadabra semble avoir conservé sa fonction de remède magique contre la maladie pendant plusieurs siècles. Un manuscrit hébreu du 16e siècle en provenance d'Italie fait état d'une variante du sortilège inscrite sur une amulette protégeant de la fièvre ; et l'écrivain britannique Daniel Defoe écrit dans son Journal de l'année de la peste que la formule était d'usage à Londres au 17e siècle pour éviter l'infection : « Comme si la peste n'était pas dans la main de Dieu, mais résultait d'une sorte de possession par un esprit malin, et que l'on pût l'écarter au moyen de signes de croix, de signes du zodiaque, de papiers liés de tant de nœuds, portant certains mots ou figures, tel en particulier le mot abracadabra formé en triangle ou en pyramide. »

Le mot semble avoir perdu sa valeur de remède au fil du temps pour apparaître au 19e siècle dans une pièce de William Thomas Moncrieff, où il ne sert qu'à illustrer les formules murmurées par les magiciens. Son unique référence notable au 20e siècle nous vient de la religion Thelema fondée par Aleister Crowley au début des années 1900. Cet adepte de l'occultisme utilise à plusieurs reprises le mot « abrahadabra » dans son ouvrage Liber AL vel Legis (Livre de la Loi) pour désigner un nouvel âge de l'humanité ; un nom dérivé, selon son créateur, de la Kabbale hermétique, un système numérologique qui l'aurait conduit à remplacer le C par un H.

 

… À TOUR DE PASSE-PASSE

L'historienne Graham précise que la magie était jugée utile comme remède uniquement avant l'avènement de la médecine moderne : « La magie était utilisée à différentes fins, mais la médecine s'est améliorée entretemps. » La formule abracadabra a ainsi été reléguée à la scène et aux tours entre amis : « De nos jours, il n'y a de magie que dans le spectacle et le divertissement. »

Si abracadabra n'a toujours pas perdu de sa superbe, c'est peut-être grâce au mystère qui entoure la formule. « Une formule magique donne du pouvoir au magicien, face à un observateur qui ne la comprend pas », indique Graham. « Aux yeux du spectateur, le magicien tire son talent de cette formule. » Abracadabra, la formule semble dépourvue de sens, et c'est bien ce qui fait son succès : « Si elle n'était pas aussi mystérieuse, elle ne serait pas aussi magique. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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VIDÉO N°77BIS ENTRETIEN AVEC ALEXANDRE ROBERT DE LA CHAÎNE HISTORY LEGENDS

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Juin 1940 – mai 1945, Charles de Gaulle et la France dans la guerre

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Charles de Gaulle - appel du 18 juinLa France vient de subir la défaite la plus humiliante de son histoire, capitulant en quelques semaines devant l’armée allemande,

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Les Chiens de Mer élisabéthains, corsaires au service de sa Majesté

L’histoire de la coopération officielle entre chefs d’État et pirates est longue et souvent sordide. Les Chiens de Mer élisabéthains font à ce titre figure d’exemple remarquable et renseignent sur le visage de la piraterie atlantique au 16e siècle. Commissionnés par la reine Élisabeth Ire (r. 1558-1603) afin de renforcer la présence navale dans la région, ils jouèrent un rôle important dans le développement de l’Atlantique anglais et se taillèrent une réputation vile auprès des Espagnols dont les flottes étaient leurs principales cibles.

Les Chiens de Mer officiaient en tant que corsaires soumis à l’autorité de la reine. Toutefois, deux choses distinguaient les Chiens de Mer et autres corsaires des pirates : le côté de la barrière duquel ils se trouvaient et une lettre de marque. Une lettre de marque, délivrée par la couronne, rendait le pillage de navires espagnols techniquement légal selon la loi anglaise bien que les deux pays ne fussent pas officiellement en guerre ; mais les Espagnols voyaient cela d’un autre œil, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans le cas des Anglais, une lettre de marque n’était d’ailleurs pas toujours nécessaire.

Les tentatives de réguler la piraterie à l’ère élisabéthaine furent à tout le moins timides. Tant que l’attaque avait lieu sur des navires étrangers, en particulier sur des bâtiments espagnols, la couronne avait tendance à passer outre l’absence de lettre de marque. Ceci valait particulièrement pour la noblesse et les fonctionnaires du West Country anglais. Bien que ces derniers eussent pour tâche officielle de lutter contre la piraterie, il n’était pas rare qu’ils fassent libérer des pirates présumés ou qu’ils ne les appréhendent tout simplement pas du tout. Aux yeux de nombreux sujets anglais, les actes des Chiens de Mer étaient patriotiques, car il s’agissait d’un moyen de promouvoir la religion protestante et de consolider la Royal Navy alors en pleine croissance. En revanche, les Espagnols ne voyaient en ces hommes que des pirates et les traitaient en tant que tels devant leurs tribunaux.

 

PARRAINAGES INTERLOPES

Si toute personne mue par une soif de pillage et disposant d’un navire pouvait solliciter un parrainage auprès de la reine Élisabeth Ire ou une commandite auprès d’investisseurs, d’entreprises ou d’actionnaires afin d’aller s’attaquer aux bâtiments espagnols, ceux qui prenaient effectivement la mer venaient généralement des échelons les plus hauts de la sociétéSir Francis Drake (1540-1596), Sir John Hawkins (1532-1595), Sir Martin Frobisher (vers 1534-1594), Sir Walter Raleigh (vers 1554-1618) et d’autres Chiens de Mer éminents naquirent dans la noblesse ou y furent élevés.

Grâce à leurs antécédents et à leurs liens avec le monde maritime, ils développèrent un savoir-faire en matière de pillage en haute mer qui donna naissance au phénomène de la « piraterie discriminatoire ». Ils officiaient dans l’ensemble du monde atlantique, en particulier entre les colonies espagnoles du Nouveau Monde. Les Espagnols affublèrent ces corsaires du surnom de Chiens de Mer, ne les considérant comme rien d’autre que des corniauds exécutant les ordres de leurs maîtres.

En tant que corsaire, le profit n’était pas garanti ; à vrai dire, sur un navire de corsaires, il était très rare que l’équipage gagne un salaire. On y fonctionnait en réalité selon le système du « prey for pay » (« chasser pour gagner ») par lequel l’équipage recevait une fraction des biens pillés durant leur assaut. Ce système incitait à la capture de navires battant pavillon de quelque nation que ce soit, y compris de la sienne.

Lorsqu’elles n’étaient pas soutenues par la reine Élisabeth Ire en personne, les entreprises des Chiens de Mer étaient souvent parrainées par des tiers, ce qui permettait à la couronne de prendre ses distances avec les corsaires tout en continuant à renforcer les intérêts nationaux. Le périple de Thomas White sur la côte des Barbaresques en 1560 fait à ce titre figure d’exemple parlant. Faisant fi des directives de son sponsor, il s’empara de deux bateaux-trésors espagnols transportant de l’argent en provenance des colonies américaines de l’Espagne et les ramena en Angleterre. À Londres, forcées de constater la profitabilité de l’attaque, les autorités fermèrent les yeux sur l’absence de lettre de marque et sur l’acte évident de piraterie qui avait été commis, ce qui permit aux investisseurs de Thomas White comme au gouvernement anglais, à qui revenait de droit une part du butin, de bénéficier de la décision unilatérale du pirate.

 

SUCCÈS DE CORSAIRES

Tous les efforts faits par la couronne espagnole pour fortifier ses ports coloniaux n’empêchèrent pas les Anglais de faire des incursions sur le territoire de Philippe II. Sir Francis Drake fit des Espagnols l’une de ses cibles de choix et s’en prit à leurs points les plus vulnérables.

En 1572, il embarqua avec l’idée de faire main basse sur Nombre de Dios, importante ville du Panama occupée par les Espagnols où des trésors d’argent et d’or étaient apportés du Pérou afin d’être récupérés par les flottes de Philippe II. Il y arriva accompagné de soixante-treize hommes seulement répartis sur deux vaisseaux, le Pascha et le Swan. Il tenta de capturer la ville mais fut blessé à la suite d’un accrochage avec une milice espagnole locale et fut contraint de battre en retraite avec ses hommes. Il demeura toutefois dans la région tout au long de l’année qui suivit et joignit même ses forces à celle du boucanier français Guillaume Le Testu afin de s’emparer de 20 000 livres Sterling en or et en argent en dévalisant un train muletier.

Cet article a été adapté de l’ouvrage Pirates de Jamie L.H. Goodall. Copyright 2023 © National Geographic Partners, LLC.

Les camps d’Algérie, dernier tabou de la guerre

À seulement 13 ans, Malek Kellou a vu son village se transformer en camp. Des barbelés électrifiés ont été installés tout autour des maisons, surveillées, désormais, par des soldats de l’armée française. Le village n’avait plus que deux portes : l’une, à l’est pour aller chercher de l’eau, l’autre, à l’ouest, pour aller enterrer les morts. Pas de sortie avant 8h du matin, retour obligatoire avant 18h.  

En plus de cette liberté confisquée, l’adolescent a dû partager son pain, son eau et ses peines avec quatre autres familles venues s’installer au sein même de son foyer. Leurs propres maisons, nichées dans les hameaux alentours, avaient été détruites par l’armée française. Ils ont été relogés de force à Mansourah, village devenu un camp de « regroupement ». Ses nouveaux colocataires, issus de tribus différentes, ne parlaient pas la même langue que lui. « Je me souviens de ce jour comme si c’était aujourd’hui. Le village a complètement changé de visage. Avec ces camps, la misère totale s’est installée. Nous étions affamés » retrace-t-il aujourd’hui. 

L’armée française avait brûlé les récoltes pour qu’elles ne tombent pas dans les mains des combattants du Front de Libération Nationale (FLN). Seul un peu de blé avait échappé au feu. Malek Kellou se souvient encore de cette semoule au goût de mazout, saveur qui ne partait jamais malgré les multiples lavages et le séchage du blé. Ces camps de regroupements ont été, selon lui, le point de départ « d’une vie brisée par la guerre qui nous a donné droit à l’errance et à l’immigration ». Voilà ce qu’il a confié à à sa fille, Dorothée-Myriam Kellou, autrice de Nancy-Kabylie, qui plonge dans cette mémoire.

Comme plus de trois millions de personnes, soit environ la moitié de toute la population rurale algérienne, ce réalisateur d’aujourd’hui soixante-dix-neuf ans a vécu les « regroupements », des camps ou des villages placés sous surveillance de l’armée française. Si Malek Kellou n’a pas eu à partir de chez lui, la plupart des habitants ont dû emménager loin de chez eux, contre leur gré. 

Cette politique de déplacements forcés de civils est l’une des plus massives du 20e siècle. « Ces « camps de regroupement » pouvaient prendre des formes très différentes : des tentes, des baraquements de fortune ou des villages déjà existants qui deviennent des camps de surveillance. La population variait, de 50 habitants jusqu’à 10 000, mais la misère était le dénominateur commun » souligne Fabien Sacriste, historien et auteur du livre Les camps de regroupement en Algérie.

La promiscuité et la sous-nutrition déciment les rangs. 

« La plupart des regroupements sont situés loin des terres cultivées déclarées zones interdites. Les paysans sont ainsi coupés de leurs moyens de subsistance – troupeaux, volaille, récoltes – surtout qu’il ne connaissent pas leur nouvel environnement, les points d’eau, les zones où l’on trouve du gibier, les secteurs où pousse la végétation. Les paysans deviennent ainsi dépendants de l’armée française pour se nourrir car ils ont perdu leur bétail dans le déplacement et abandonnent progressivement leurs terres, trop difficiles d’accès.  Ils sont réduits à l’assistance mais les rations distribuées sont insuffisantes, en particulier pour les populations vulnérables » souligne Dorothée-Myriam Kellou. 

Dans certains camps, les conditions de vie sont si précaires que les enfants meurent sous les yeux de leurs parents. Dans un rapport paru en 1959, Michel Rocard, alors membre du parti socialiste SFIO, écrit : « Une loi empirique a été constatée : lorsqu’un regroupement atteint 1 000 personnes, il y meurt à peu près un enfant tous les deux jours. » 

« Même en utilisant les chiffres de propagande de l’armée, et en les comparant aux chiffres de mortalité infantile avant les camps, on peut conclure à une surmortalité infantile au sein des camps » ajoute Fabien Sacriste. En 1961, la Croix Rouge publie un rapport aux conclusions sans appel : la situation dans ces camps est catastrophique, sans équivalent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi ? Il s’agit avant tout de couper la population du Front de Libération Nationale et de la placer sous surveillance militaire française. « L’armée entendait ainsi priver les maquisards du soutien de la population. Cette dernière était toujours jugée suspecte, parfois parce que les populations avaient des liens familiaux avec le Front de Libération Nationale (FLN), parfois simplement parce qu’ils étaient Algériens » explique Fabien Sacriste. 

Malek Kellou voit aussi une autre raison : « C’était une manière de nous soumettre, de nous pousser à nous engager du côté des harkis », ces supplétifs musulmans de l’armée française. « S’engager de ce côté-là pendant la guerre, c’était l’assurance d’un salaire confortable, une porte de sortie de la misère ». 

Bien souvent, l’armée ne déplaçait pas les populations manu militari, mais classait des zones entières en « zones interdites ». Une manière de dire que ces endroits pouvaient être bombardés à tout moment. Les populations se déplaçaient alors pour chercher refuge : l’armée qualifiait ces mouvements de « déplacements volontaires ».

« Certains responsables ont aussi voulu présenter cette politique de déplacements forcés de civils comme l’outil d’une modernisation des campagnes. En réalité, la création arbitraire et non planifiée de ces "nouveaux villages" a accéléré la dépaysannisation et la déstructuration d’une société algérienne déjà bouleversée par un siècle et demi de colonisation, dont les effets sont toujours perceptibles aujourd’hui » souligne Fabien Sacriste.

Des effets toujours perceptibles… qui demeurent pourtant entourés de silences. Dorothée-Myriam Kellou n’avait jamais entendu parler des camps de regroupement avant ses vingt-sept ans, quand son père s’est décidé à affronter sa mémoire. « J’ai jusqu’à très tard évité de me confronter à toute situation qui aurait pu troubler ma nouvelle vie ici » retrace Malek Kellou, installé à Nancy depuis plus de quarante ans et marié à une Française. « C’est douloureux de se replonger dans cette histoire. Avec l’exil, je voulais oublier » explique-t-il. 

Il n’est pas seul dans ce cas. « J’ai une amie qui a tenté de faire un film sur sa grand-mère, qui a aussi connu ces camps-là. Mais c’était trop difficile de remuer ces souvenirs. Elle a dû abandonner » souligne Dorothé-Myriam, qui a mis, elle, près de huit ans pour réaliser À Mansourah, tu nous a séparés, son film sur l’histoire intime des regroupements dans le village de son père. À cette occasion, Malek Kellou est retourné à Mansourah pour la première fois depuis cinquante ans. L’occasion de diffuser, enfin, ce témoignage pour l’Histoire.

L’ancien Premier ministre de Gorbatchev, Ryjkov, est décédé à 94 ans

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ryjkov decedeNikolaï Ryjkov, qui a dirigé le gouvernement soviétique de 1985 à 1991, est décédé à l’âge de 95 ans, a

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Néandertal réalisait les premières gravures pariétales il y a plus de 57 000 ans

En juin 2023, d’intrigantes gravures pariétales tracées au doigt sur les parois de la grotte de la Roche-Cotard, dans le département français de l’Indre-et-Loire, ont fait l’objet d’une étude de datation tout à fait remarquable qui révolutionne la chronologie des vestiges pariétaux.

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs internationaux, sous la direction de l’archéologue français Jean-Claude Marquet de l’université de Tours, a déterminé qu’elles avaient été tracées il y a plus de 57 000 ans, période à laquelle l’entrée de la grotte s’est retrouvée bouchée par les sédiments issus des crues de la Loire et provenant du plateau. Ces dessins auraient été réalisés il y a environ 75 000 ans, soit plus de 35 000 ans avant la migration des premiers Homo sapiens en Europe. 

 

LES PLUS ANCIENNES GRAVURES DE L'HUMANITÉ 

Les tracés singuliers qui ornent les murs de la grotte de la Roche-Cotard sommeillent depuis des temps ancestraux. Dessinée du bout des doigts, une multitude de formes non-figuratives constituées de points et de traits a été détaillée par de mystérieux artistes sur les parois alors recouvertes d’un résidu tendre et malléable. Les archéologues ont relevé ces gravures en huit emplacements distincts, qui laissent encore clairement apparaître le mouvement des doigts, lequel semble avoir été savamment pensé. 

« Le travail scientifique qui a été réalisé à l’intérieur de cette grotte s’inscrit dans le temps long » intervient Jean-Claude Marquet, fasciné depuis le début de sa carrière par ces étonnantes gravures. La Roche-Cotard a été mise au jour en 1846 et a commencé à être explorée en 1912. Peu à peu, les archéologues découvrent que cette petite grotte d’une trentaine de mètres de long a abrité différents locataires au cours de son histoire. Des ours, des hyènes, le grand lion des cavernes, mais également l’un de nos cousins disparus : l’Homme de Néandertal. Plusieurs indices en témoignent. 

D’une part, deux couches différentes d’outils néandertaliens ont été retrouvées. La plus récente, datée d’environ au moins 80 000 ans, comprend des outils faits de silex, notamment des bifaces moustériens de tradition acheuléenne (MTA). En dessous, dormaient d'autres outils typiquement moustériens (à débitage Levallois) encore plus anciens. Le Moustérien correspond à l’une des facettes culturelles et technologiques propre aux Hommes du Paléolithique moyen en Europe, reconnaissable grâce à des « industries lithiques faites de silex taillés, uniquement attribués à Néandertal », explique Jean-Claude Marquet.

D’autre part, ces traces retrouvées sur les parois de l’une des trois chambres de la grotte, appelée « chambre du pilier », ont fait l’objet d’une datation publiée en juin dernier, qui a permis de confirmer que des Néandertaliens en étaient les auteurs. Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont voulu comprendre l’histoire du lieu dans son ensemble. Ils sont donc partis du constat que l’accès à la Roche-Cotard était condamné, sans aucune possibilité d’y entrer jusqu’en 1846, date de sa découverte. Pendant des milliers d’années, les crues répétées de la Loire ont déposé une accumulation de sédiments fluviaux, lesquels ont fini par condamner l’entrée de la grotte, scellant les secrets qu’elle renfermait. 

Les datations qui ont été réalisées par une équipe danoise, se sont concentrées sur ces couches de sédiments à l’entrée de la grotte. En utilisant une technologie de luminescence stimulée optiquement (OSL) qui permet de dépasser la limite de datation au carbone 14 à 40 000 ans, ils sont parvenus à décrypter des informations contenues dans les minéraux. « Quand les sédiments s’accumulent sur le sol, ils reçoivent la lumière solaire et donc des rayonnements cosmiques ». 

« La datation par luminescence stimulée optiquement est une méthode chronologique absolue qui détermine quand les sédiments ont été exposés pour la dernière fois à la lumière du jour », détaille l’archéologue en chef. Lorsqu'ils sont recouverts par de nouvelles couches de sédiments, ils se retrouvent coupés de la lumière du soleil. « Le signal de luminescence, sans apparaître, commence à s'accumuler dans les grains minéraux contenus dans les sédiments en raison de l'interaction avec les rayonnements ionisants émis principalement par les séries Uranium et Thorium naturelles, le Potassium-40 et les rayons cosmiques », détaille le scientifique. 

Les quartzs et autres feldspaths possèdent en effet dans leur structure quelques défauts qui piègent les électrons excités par la radioactivité naturelle. C’est à partir du calcul des quantités de charges ainsi piégées que ces couches sédimentaires ont été datées. Les résultats prouvent que la grotte s’est refermée il y a 57 000 ans. Ces tracés digitaux ont donc été réalisés par Néandertal il y a vraisemblablement plus de 75 000 ans, et sont les plus anciens découverts à ce jour. 

 

NÉANDERTAL, UN ARTISTE TROP SOUS-ESTIMÉ  

Sapiens n’est donc pas le seul artiste dans l’histoire du genre Homo. C’est en 1976 que Jean-Claude Marquet met pour la première fois les pieds dans cette grotte. « À cette époque-là, je n’ai pas osé demander à un spécialiste d’art préhistorique de venir voir ces tracés », se souvient l’archéologue. « On m’aurait pris pour un malade si j’avais demandé s’ils pouvaient avoir été faits par Néandertal, qui était alors considéré comme une brute épaisse, sans aucun esprit imaginatif ». Cela ne fait en effet qu’une trentaine d’années environ que la communauté scientifique reconnaît et étudie la complexité culturelle et mentale des Néandertaliens.

Pendant plus de vingt ans, le chercheur garda toutefois en tête l’idée de poursuivre l’étude de ces tracés digitaux. En 2008, Michel Lorblanchet venait valider le très grand intérêt de ces panneaux et demandait un relevé rigoureux de ceux-ci ainsi que leur datation. Une étude photogrammétrique permettait déjà de confirmer qu’il s’agissait bien de tracés humains réalisés intentionnellement dans le but de marquer les parois de la grotte. Cette étude a permis d’écarter la possibilité d’une origine animale, accidentelle ou involontaire, ou encore que les panneaux puissent avoir été réalisés après la découverte de la grotte. 

À la surface du tuffeau qui compose les parois, se trouve un film de deux à trois millimètres d’épaisseur. Selon les chercheurs, il s’agirait potentiellement d’un composé d’altération suffisamment modelable pour que les Hommes de Néandertal y plongent le bout de leurs doigts et y tracent diverses formes non figuratives. Les panneaux que l’on peut observer à la Roche-Cotard, notamment le « panneau triangulaire » qui est l’un des plus intéressants avec ses tracés tous parallèles et un travail certain sur des effets de relief, sont « faits avec une intentionnalité extrêmement forte », insiste Marquet. 

Les archéologues s'interrogent également sur une éventuelle signification dans l’agencement des trois salles qui composent cette grotte. Plus on s’y enfonce, moins on trouve de traces des activités de la vie quotidienne. Les fouilles montrent que l’Homme de Néandertal devait principalement vivre dans la première salle ainsi qu’à l’entrée où se tenait autrefois un foyer. C’est dans cette zone que la totalité des outils moustériens en silex se trouvaient regroupés.  

« Dans la deuxième et la troisième salles, il n’y avait pas d’outils. Il y a comme une impression de vide », fait remarquer l’archéologue. Mais c’est dans la dernière salle, la « salle du pilier », que les archéologues ont retrouvé les huit panneaux gravés. Il semble que rien n’y ait été laissé au hasard, ni dans les tracés des parois, ni dans l’occupation de cette pièce dont l’accès était peut-être restreint pour différentes raisons rituelles ou spirituelles. Ces suppositions sont aujourd’hui à l’étude. 

La confirmation de l’origine néandertalienne de ces gravures ajoute une pièce supplémentaire au puzzle des origines de l’intelligence et de la sensibilité humaine. Qu’est-ce que les occupants de la grotte de la Roche-Cotard cherchaient à représenter ou exprimer ? Les recherches autour de cet énigmatique legs se poursuivent. Mais ces empreintes qui ont traversé les millénaires sont actuellement les plus vieux témoins d’une obsession très humaine : laisser une trace de son passage dans la grande roue du temps et des évènements. 

Retrouvez notre grand reportage sur l’art pariétal algérien dans le numéro 293 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

1938 – 1940 : de Munich à Rethondes

Conférence de Munich, 30 septembre 1939

Conférence de Munich, 30 septembre 1939L’ascension inexorable du Führer n’a pas été prise au sérieux par les pays européens qui ne voulaient pas voir les

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Pompéi : y a-t-il eu des survivants à l’éruption du Vésuve ?

Cette éruption volcanique est sans doute la plus célèbre de l'histoire. En l’an 79 de notre ère, la ville de Pompéi a été ensevelie sous une avalanche de débris volcaniques. Bien qu’il n’y ait toujours pas de consensus chez les historiens concernant la date exacte de l'éruption du Vésuve, elle est traditionnellement identifiée comme étant le 24 août.

On s’est longuement intéressé aux victimes de la colère du volcan, dont les derniers soubresauts ont été préservés d'abord par les cendres, puis dans des moulages en plâtre créés au 19e siècle.

Pourtant, si Pompéi est considérée comme une ville figée dans le temps, tout le monde n'a pas péri dans la catastrophe. En réalité, les chercheurs ont trouvé des preuves que des survivants étaient parvenus à quitter Pompéi et à reconstruire leur vie dans des communautés voisines.

 

POMPÉI À L’AUBE DE SA DESTRUCTION

Pompéi n'était peut-être pas le centre du monde romain antique dans son ensemble, mais elle était néanmoins un centre important de la Campanie, région qui borde la baie de Naples. Elle abritait entre 6 400 et 30 000 habitants et attirait également les élites antiques, qui achetaient des propriétés dans les environs.

Les tremblements de terre faisaient partie du quotidien des Campaniens. En l'an 79, Pompéi était encore en phase de reconstruction à la suite d’un puissant séisme qui avait secoué la ville dix-sept ans plus tôt et endommagé, voire détruit de nombreux bâtiments.

Aussi, lorsque le sol se mit à trembler à plusieurs reprises à la fin du mois d'août, la plupart des citoyens ne s’inquiétèrent pas immédiatement.

Toutefois, le 24 août, il devint évident que le Vésuve s’agitait.

 

FUIR LA CATASTROPHE

Lors de l’éruption, Pline le Jeune, dont les écrits sont un aperçu direct de la vie du monde romain antique, avait environ dix-huit ans. Il se trouvait alors avec sa mère dans la villa de son oncle à Misène, une ville située de l'autre côté de la baie de Pompéi et à trente kilomètres à l'ouest du mont Vésuve.

Dans ses textes, Pline expliqua avoir vu un nuage de gaz et de débris s'échapper du Vésuve le 24 août. Il compara ce curieux panache de fumée à « un pin ».

Les habitants de Pompéi, à dix kilomètres du volcan, auraient vu le même nuage étrange et inquiétant. S'ils avaient complètement ignoré les secousses des jours précédents, ils ne pouvaient pas faire abstraction de ce panache. Ceux qui fuirent immédiatement Pompéi à ce moment-là avaient encore une chance de survivre. Pour ceux qui hésitèrent ou restèrent en arrière, la mort était assurée.

Dans l'après-midi, il se mit à pleuvoir des pierres ponces sur Pompéi. Elles détruisirent les bâtiments et frappèrent tous ceux qui tentaient de s'échapper à la dernière minute. Dès le lendemain, des cendres, des gaz toxiques et des débris avaient enseveli la ville.  

Pline et sa mère firent partie de ceux qui fuirent vers la baie de Naples. Il raconta le chaos qui régnait alors que l'obscurité et la cendre s'installaient sur les survivants.

On pouvait « entendre les cris perçants des femmes, les appels au secours des enfants, les cris des hommes ; les uns recherchaient en criant des parents, d'autres leurs enfants, d'autres encore leur conjoint, et tentaient de les reconnaître à la voix. »

La scène était probablement similaire à ce que vécurent les personnes qui s’échappaient de Pompéi.

Une fois le volcan apaisé, Pline et sa mère retournèrent à Misène. Ils avaient eu de la chance. Les survivants de Pompéi n’avaient eux plus de maison.

 

SUR LES PAS DES SURVIVANTS

On estime que l’éruption a fait 2 000 morts à Pompéi. Des milliers d'autres personnes ont donc survécu. Où sont-elles allées ?

Les autres villes de Campanie constituaient des destinations évidentes pour les survivants. Ils y retrouvaient des amis et des membres de leur famille qui pouvaient leur offrir un toit.

Neapolis, l'actuelle Naples, était probablement l'une d'entre elles. L'une des preuves venant appuyer cette hypothèse est un ancien autel commémoratif situé en actuelle Roumanie, qui rend hommage aux soldats tombés au combat. Un officier militaire dont le nom a été perdu y figure. Il est identifié comme ayant vécu à Pompéi et à Naples, ce qui peut laisser supposer qu'il s'est installé dans la ville après la catastrophe.

Ces dernières années, le spécialiste des lettres classiques Steven L. Tuck a découvert qu'au moins cinq familles de Pompéi s'étaient installées à Neapolis après l'éruption. Il a minutieusement retracé la migration des potentiels survivants grâce à leurs noms de famille, propres à Pompéi. Ces noms figuraient également sur des inscriptions de tombes à divers endroits de la Campanie après l'an 79 de notre ère. Cumes et Pouzolles font partie des communautés ayant accueilli des survivants de Pompéi. 

Tuck a également trouvé des preuves que des familles de Pompéi sans lien de parenté s’étaient mariées après l'éruption. Les familles Licinii et Lucretii, par exemple, semblent s'être unies par le mariage à Cumes, ce qui suggère qu'elles faisaient peut-être partie de la communauté pompéienne de cette ville.

 

L’AIDE HUMANITAIRE

Le gouvernement romain fournit également de l’aide aux survivants de Pompéi. 

Quand la nouvelle de l’éruption du Vésuve atteignit Rome, Titus, empereur de 79 à 81 de notre ère, réagit immédiatement. Selon Suétone, biographe antique, Titus « n’était pas seulement inquiet en tant qu’empereur, mais il exprima également un amour paternel, en offrant sa sympathie ainsi que toute l’aide financière possible [aux victimes]. »

Tuck mentionne également le soutien de Titus à des projets de reconstruction permettant d’accueillir l’afflux de survivants partout en Campanie. Parmi ces projets, l’édification d’un temple dédié à des dieux comme Vulcain et Isis, que les citoyens de Pompéi avaient l’habitude de vénérer.

Bien que la lave du Vésuve ait détruit la vie qu’ils connaissaient, les survivants pompéiens parvinrent à en recréer une après la catastrophe.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Ce qu’il faut savoir sur l’histoire du Japon pour comprendre Shogun

Nouvelle adaptation du roman éponyme de James Clavell, Shōgun est une grande fresque d’aventure, de stratégies politiques et de mort commençant en 1600 dans le Japon féodal, quelques mois avant la bataille de Sekigahara. Comme d’autres romans de James Clavell, l’intrigue et plusieurs personnages sont basés sur des événements réels, qui lui servent de cadre.

Le personnage du daimyo Toranaga est ainsi inspiré de Tokugawa Ieyasu, shōgun impitoyable, déterminé et chanceux, qui accéda au pouvoir en 1603 et unifia le Japon après des siècles de guerres civiles et de conflits entre samouraïs. Le Japon du 17e siècle de Shōgun est dépeint à travers les yeux du marin anglais John Blackthorne, inspiré du navigateur William Adams, maître-pilote d'une flotte de cinq navires envoyé par les forces hollandaises vers l'Extrême-Orient en 1598, qui vécut au Japon et devint samouraï.

Lorsque son navire, l’Erasmus, échoue sur les côtes japonaises, John Blackthorne et les quelques survivants hollandais de sa flotte sont capturés par Omi Kasigi, un samouraï en charge de cette localité. Considérés comme des barbares, ils sont laissés plusieurs jours dans un puits, avant que Blackthorne ne soit interrogé et ne devienne l’objet de toutes les curiosités.

 

LES ENJEUX EUROPÉENS EN ORIENT

Pour comprendre les tensions que pouvait faire surgir la présence d’un Britannique, protestant de surcroît, dans le Japon féodal des années 1600, il faut tracer les contours du commerce Nanban. Nanban-bōeki-jidai (南蛮貿易時代), littéralement l’« époque du commerce avec les Barbares du Sud », a duré de 1543, année de l’arrivée des premiers Européens au Japon, jusqu’à leur exclusion de l’archipel en 1650 avec la promulgation de lois interdisant aux étrangers l’entrée sur le territoire. 

Jusqu'au milieu du 16e siècle, l’archipel du Japon était inconnu des Européens. Dans sa Chronique des armes à feu (1606), l’une des sources historiques les plus célèbres du Japon, le moine zen Bunshi Genshô décrit ainsi les marchands portugais et missionnaires jésuites qui débarquèrent au sud de l’archipel : « apparut un grand vaisseau [à Tanegashima]. Nul ne savait d'où il venait. Il portait plus d'une centaine de personnes à bord, toutes avec une physionomie différente de la nôtre, qui parlaient des langues aux sons incompréhensibles. Tous ceux qui les virent furent stupéfaits. Parmi eux, se trouvait un lettré confucéen venu de Corée [qui écrivit avec son bâton sur le sable] "ces hommes sont des marchands de la race des barbares du pays du nanban. Ils ont une conception rudimentaire des relations fondamentales entre les maîtres et leurs sujets, mais ignorent le cérémonial des bonnes manières. Ils boivent de l'eau dans un gobelet, mais ne font jamais la politesse de l'offrir. Ils mangent avec les mains, sans se servir de baguettes. Ils ne connaissent pas les caractères et encore moins les enseignements qu'ils transmettent. Il s'agit de gens qui, dès qu'ils arrivent en un lieu, se mettent à commercer en échangeant ce qu'ils possèdent contre ce qu'ils n'ont pas." » 

Outre le désir d’expansion coloniale, l'occident était persuadé de sa mission civilisatrice auprès des autres peuples et va tenter, dans le dynamisme de la Contre-réforme catholique européenne, de convertir les peuples rencontrés ou conquis au christianisme. À l’instar de l’Espagne, le Portugal était alors une grande puissance coloniale et cette ère d’échanges commerciaux et culturels avec le Japon porte aussi le nom de « siècle des chrétiens ». Sylvie Morishita raconte dans ses travaux comment saint François Xavier, l'un des fondateurs de la compagnie de Jésus, posa le pied sur le sol de l'archipel nippon. Avec deux autres compagnons jésuites, ils s'installèrent dans un pays dont ils ne connaissaient ni la langue ni les usages et en proie à la guerre civile. Pour les jésuites, l’enjeu était d’intégrer les élites sociales japonaises pour évangéliser les populations. Si l’accueil fut très timide en Inde et en Chine, la mission jésuite connut un relatif succès au Japon, ce qui nourrit beaucoup d’espoirs en Occident. 

« En Inde ou en Chine, ou dans les pays du sud-est asiatique d'ailleurs, les Occidentaux restaient confinés dans des comptoirs, qu'ils n'avaient pas le droit de quitter » explique Guillaume Carré, directeur du Centre de recherches sur le Japon à l'École des hautes études en sciences sociales, auteur d'Avant la tempête : la Corée face à la menace japonaise. « En réalité les Portugais arrivés au Japon ne firent que s'insérer dans un commerce maritime, qui se développait énormément en Asie orientale à partir des années 1520. Au-delà du désir d'évangéliser les âmes perdues, ce qui intéressait les Portugais, c'était les formidables minerais d'argent dans le sud-ouest de l'île de Honshu. » Les marins portugais s'approvisionnaient en argent au Japon en échange de marchandises chinoises, puis ils retournaient en Chine, où l'argent servait à acheter des denrées qu'ils vendaient après dans toutes les îles maritimes.

La chrétienté se diffusa néanmoins dans l’archipel et au début du 17e siècle, on estimait à 300 000 le nombre de chrétiens vivant au Japon. « Les jésuites vont profiter du morcellement du pouvoir en visant les élites locales, et notamment les daimyos, les seigneurs locaux. Une fois converti, le seigneur décrétait que son fief était chrétien, ce qui ne signifie pas pour autant que toutes les âmes du fief étaient devenues chrétiennes » modère Julien Peltier, spécialiste du Japon féodal et auteur de nombreux livres, dont le dernier en date, Une autre histoire des samouraïs, vient de paraître.

L’évangélisation du Japon ne se fit pas sans heurts. Toyotomi Hideyoshi, deuxième des trois unificateurs du Japon durant la période Sengoku, « l’âge des provinces en guerre », se méfiait des missionnaires et des convertis au christianisme. « Juste avant sa mort, Hideyoshi durcit le ton car il s'inquiétait de voir se former une coalition de seigneurs chrétiens qui pouvaient menacer son pouvoir » relève Julien Peltier. Il condamna à l’exil Takayama Ukon, un samouraï converti au catholicisme, puis sur ses ordres, vingt-six chrétiens, des Japonais et des missionnaires étrangers, franciscains et jésuites, moururent par crucifixion le 5 février 1597 : c’est le Grand martyre de Nagasaki. 

« Tokugawa Ieyasu, qui a très largement inspiré le personnage de Toranaga dans Shōgun, avait une position relativement médiane au début de son règne [concernant les chrétiens] » estime Julien Peltier. « Comme dans le roman, il fit bon accueil aux protestants, qu’il instrumentalisa contre les catholiques. Ce qui lui plaisait chez les protestants, c’est qu’ils se détachaient expressément de toute œuvre évangélisatrice. Leur priorité, c’était vraiment le commerce. »

Dans les années 1610, la stratégie des Occidentaux colonisateurs était désormais mieux connue et Tokugawa avait fini par se méfier des chrétiens, qui étaient nombreux dans les rangs des derniers rebelles d’Osaka. « Où va la loyauté fondamentale d'un samouraï converti ? » interroge Julien Peltier. « Est-ce que, comme on l'attend, elle va d'abord à son seigneur ou à Dieu ? Il y a là un conflit de loyauté qui va être tranché après le siège d’Osaka. »

 

GUERRES CIVILES ET REPLI SUR SOI

Si la christianisation du Japon fut lente, c’est en partie parce que l’archipel n’est pas un territoire où la nouveauté s’impose par la force. Au 15e siècle, c’est par ailleurs un espace fragmenté où chaque potentat féodal impose sa loi dans un contexte politique constamment troublé par des rivalités régionales.

Cet âge des provinces en guerre, qui commence selon l'historiographie traditionnelle en 1467 et se prolonge jusqu'à l'amorce du processus de réunification de l'archipel au début des années 1560, est un siècle complet de guerres civiles féroces, de fragmentation du pouvoir central qui favorise l'émergence de pouvoirs locaux rivaux. Certains guerriers de rangs inférieurs, voyant que leurs suzerains ne remplissaient plus leurs devoirs féodaux, décidèrent même de s’affranchir pour former des organisations plus horizontales. 

« C'est vraiment une période de grande mobilité sociale, de chaos et en même temps d'opportunités formidables que vont saisir les trois grands unificateurs du Japon, Nobunaga, Hideyoshi, et Tokugawa Ieyasu, qui sort vainqueur de la bataille de Sekigahara » explique Julien Peltier.

Tokugawa Ieyasu survécut à la fin turbulente de la période sengoku et prit le contrôle du pays en devenant shōgun à l'âge avancé de soixante ans. À l’époque, les daimyos juraient fidélité à l'empereur, qui était essentiellement une figure symbolique et religieuse. C'est le fondateur du shōgunat, Yoritomo, et ses successeurs qui exerçaient le véritable pouvoir exécutif. Si en apparence l’on pourrait associer le shōgunat à un pouvoir très centralisé, ce système hiérarchique fut plusieurs fois éprouvé par la rébellion de daimyos. L’anarchie atteint son paroxysme avec la guerre d'Onin (1467-1477), un conflit de succession pour le shōgunat qui déclencha une guerre civile.

Au début du 17e siècle, « plusieurs générations de shōguns ashikaga s’étaient eux-mêmes discrédités. Il n’y avait plus de pouvoir central, ni impérial ni shōgunal. Il faut attendre l'avènement de Tokugawa Ieyasu pour assister au retour d'un pouvoir fort. Il va mettre sous sa coupe la cour impériale, s'assurant qu'elle ne fera plus jamais d'ingérence dans les affaires politiques » illustre Julien Peltier. 

Il s’assure aussi de la fidélité des daimyos, qu'il considère comme une source d’instabilité du pouvoir. « Il réorganisa la carte politique du pays », souligne Guillaume Carré. Il saisit les terres des seigneurs vaincus à la bataille de Sekigahara, les offrit à ses généraux les plus fidèles ou les conserva pour le shōgunat. Il déracina même les puissants tozama daimyos, seigneurs féodaux non héréditaires pour les disperser dans tout le Japon et ainsi mieux les surveiller. « Et surtout, poursuit Guillaume Carré, il prépara ce que n'avait pas eu le temps de faire Hideyoshi puisque son héritier est né trop tard : il prépara sa succession. »

Tokugawa Ieyasu, qui avait assisté à l’ascension et à la chute de Nobunaga et Hideyoshi et en avait tiré les leçons, ne se contenta pas de ce nouveau pouvoir. Il décida qu’il le transmettrait à ses descendants. « Le projet dynastique était la principale faiblesse de ses prédécesseurs. Il eut de nombreux enfants, et s’assura d’ajouter à son arbre généalogique plusieurs branches qui pourraient lui survivre. Cette véritable politique familiale a été un atout considérable pour consolider sa position » souligne Julien Peltier. En 1607, il cède le titre de Shogun à son héritier, Tokugawa Hidetada, tout en continuant à détenir la réalité de pouvoir jusqu'à sa mort en 1616.

Tokugawa Ieyasu réduisit également les possibilités de rébellion en empêchant les daimyos de posséder plus d'une forteresse dans leur fief. Institutionnalisée par ses successeurs, cette politique a conduit à la destruction de plus de six cents fortifications et citadelles à travers le Japon, quand la forteresse des Tokugawa à Edo n'a, elle, cessé de s'agrandir, grâce aux matériaux récupérés dans les domaines saisis. C’est dans cette forteresse que les daimyos furent contraints de séjourner à tour de rôle, ce qui entraînait pour ces seigneurs féodaux des dépenses considérables et limitait de fait leur capacité à financer des opérations militaires ou de rébellion.

Alors que la mission catholique enregistrait de nouveaux succès, dont la construction d’une cathédrale à Nagasaki pour les 40 000 fidèles catholiques, le shōgun décida de mettre fin à la mission catholique, désormais jugée dangereuse pour le pays. L’édit du 27 janvier 1614 instaura un syncrétisme de bouddhisme, de shintô et de confucianisme pour supplanter le christianisme. Les missionnaires furent expulsés vers Macao et Manille, l’apostasie fut imposée aux chrétiens japonais, les églises et les livres de l’imprimerie jésuite furent détruits. Des missionnaires résistèrent et se cachèrent au Japon pour encourager les fidèles à persévérer dans leur foi, ce qui donnera lieu à un second décret en 1616, ordonnant des persécutions et encourageant les dénonciations.

« On peut imaginer que Tokugawa Ieyasu avait une certaine conscience des enjeux européens, parce qu'il s'entretint longuement avec les étrangers [présents au Japon], notamment avec William Adams, qui l’a documenté. Il était très curieux de savoir comment s'organisaient les nations d'Europe à l'autre bout du monde. 

« Tokugawa Ieyasu était très intéressé par le développement du commerce avec les étrangers, à condition de garder la main et d'en récolter les bénéfices » abonde Guillaume Carré. « Sous son impulsion, il y a eu une expansion des échanges avec l'extérieur. C'est ce qui explique par exemple que parmi les membres de son Conseil privé, on retrouvait des Occidentaux, dont William Adams, devenu samouraï et un des conseillers diplomatiques de Tokugawa Ieyasu. »

Cette tendance va progressivement s'inverser et le petit-fils de Tokugawa Ieyasu, Iemitsu Tokugawa, instaura le sakoku, littéralement « fermeture du pays », se traduisant par l'expulsion des missionnaires chrétiens, puis la limitation des ports ouverts aux étrangers. 

L’archipel se ferma à toute influence étrangère en 1650, vivant en auto-suffisance pendant plus de deux-cents ans, jusqu’en 1853.

Shōgun, disponible en streaming sur Disney+ le 27 février 2024.

The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.

CONFLIT MONDIAL VIDEO N°77

Semaine chargée sur le front ukrainien avec la chute d’Avdivka. Qu’il faut plutôt qualifier de déroute puisque l’ordre officiel de retraite n’a été donné que pour masquer ce qui ressemblait à une débandade. Le fameux bataillon Azov qu’on avait envoyé… Lire la suite

Cet ancien journal révèle comment les Égyptiens ont construit les pyramides de Gizeh

Situé sur littoral de la mer Rouge, en Égypte, le ouadi el-Jarf est de nos jours un endroit calme et sans prétention. Ici, les arides sables du désert et l’eau bleue et placide s’étirent à perte de vue ; par-delà les flots, on peut même apercevoir la péninsule du Sinaï. Cette apparente tranquillité ne trahit rien du carrefour animé qui se trouvait là il y a plus de 4 000 ans. L’importance historique du ouadi el-Jarf fut établie une bonne fois pour toutes en 2013 lorsque l’on y découvrit trente papyrus, les plus anciens jamais découverts, cachés dans des grottes de calcaires artificielles.

Hormis leur ancienneté, ces Papyrus de la mer Rouge, ainsi qu’on les appelle, se distinguent par leur contenu. En effet, ceux-ci révèlent non seulement le lointain passé de port animé du ouadi el-Jarf, mais ils contiennent également les récits d’un homme répondant au nom de Merer qui prit part en son temps à la construction de la pyramide de Khéops.

Le site du ouadi el-Jarf fut découvert en 1823 par un voyageur et antiquaire anglais, John Gardner Wilkinson, qui croyait avoir affaire aux ruines d’une nécropole gréco-romaine. Dans les années 1950, deux pilotes français férus d’archéologie, François Bissey et René Chabot-Morisseau, découvrirent de nouveau le site par hasard. Ils émirent alors l’hypothèse qu’il ait pu autrefois s’agir d’un centre de production du métal. Mais la crise du canal de Suez, survenue en 1956, retarda leurs fouilles.

Ce n’est qu’en 2008 que le travail sur le site put reprendre. L’égyptologue français Pierre Tallet y conduisit une série de fouilles qui permirent de confirmer définitivement que le ouadi el-Jarf avait été un port important en activité il y a 4 500 ans, à l’époque du règne de Khéops et de la construction de la grande pyramide du pharaon. Les équipes de Pierre Tallet révélèrent que le ouadi el-Jarf avait été un centre économique vivant situé au carrefour du commerce des matériaux ayant servi à bâtir les pyramides, situées à 240 kilomètres de là environ. Une découverte majeure corrobora les résultats de leurs investigations archéologiques : le journal de Merer, qui se trouvait parmi les papyrus mis au jour.

 

LE PORT DES PYRAMIDES

Le site du ouadi el-Jarf se compose de plusieurs zones différentes étalées sur plusieurs kilomètres entre le Nil et la mer Rouge. Proche du Nil, la première zone, située à 5 kilomètres des côtes environ, recèle une trentaine de grandes chambres en calcaire qui servaient à l’entrepôt de navires. C’est dans ces grottes que les papyrus furent découverts.

À 450 mètres de là vers l’est, c’est-à-dire vers la mer, apparaissent une série de camps, et après ceux-ci un grand édifice de pierre divisé en treize sections parallèles. Les archéologues émirent l’hypothèse qu’il ait pu s’agir là d’une résidence. Enfin, sur la côte, se trouve le port lui-même avec ses habitations et davantage d’entrepôts. Grâce à des poteries et à des inscriptions découvertes là, les archéologues purent faire remonter le complexe portuaire à la 4e dynastie d’Égypte, qui régna il y a 4 500 ans environ. Selon eux, le port aurait été inauguré à l’époque du pharaon Snéfrou et abandonné vers la fin du règne de son fils, Khéops. Celui-ci fut actif pendant une courte période durant laquelle il servit uniquement à la construction du tombeau de Khéops, que les Égyptiens appelaient Akhet-Khufu, c’est-à-dire l’« Horizon de Khéops ». 

En plus des papyrus, de nombreuses découvertes archéologiques réalisées là révèlent l’importance de ce port. De larges édifices, comme le débarcadère en pierre de 180 mètres de long, dénotent un important investissement matériel dans la zone. Pierre Tallet et son équipe y découvrirent 130 ancres environ, dont la présence trahit l’activité du port.

En partance du port, que les Égyptiens d’alors appelaient « Le Buisson », les navires du pharaon traversaient la mer Rouge pour rallier la péninsule du Sinaï, abondante en cuivre. Le cuivre était le métal le plus dur disponible alors, et les Égyptiens en avaient besoin pour découper les pierres de la colossale pyramide de leur pharaon. Quand les bateaux égyptiens rentraient au port, ils étaient chargés de cuivre. Entre les voyages, les embarcations étaient entreposées dans les chambres de calcaire.

 

DES TRÉSORS DANS LES CAVERNES

Des archives montrent qu’après la désaffectation du port du ouadi el-Jarf à l’époque de la mort de Khéops, une équipe fut envoyée de Gizeh pour refermer les espaces de stockage sculptés dans le calcaire. Celle-ci se faisait appeler l’Escorte de l’« Uræus de Khéops Est Sa Proue », surnom qui fait vraisemblablement référence au navire arborant l’Uræus (le cobra protecteur) à sa proue. Lors du remblaiement des grottes de calcaire, les documents en papyrus de Merer, obsolètes, se coincèrent probablement entre les blocs de pierre.

Ceux-ci demeurèrent exposés à l’air désertique durant quatre millénaires et demi jusqu’à ce qu’ils soient redécouverts lors d’une expédition menée par Pierre Tallet en 2013. Le premier lot des Papyrus de la mer de Rouge fut retrouvé le 24 mars de cette année-là, près de l’entrée d’un espace de stockage désigné par la référence G2. Le second ensemble de documents, plus important, fut découvert dix jours plus tard, logé entre des blocs de l’espace G1.

Si les Papyrus de la mer Rouge se composent de plusieurs types de documents, ce sont bien les écrits de Merer qui suscitèrent le plus d’enthousiasme. Chef d’escouade, Merer consigna ses activités dans son journal. Il s’agit d’une archive quotidienne du travail entrepris par son équipe sur une période de trois mois lors de la construction de la pyramide de Khéops.

Son équipe se composait de 200 ouvriers qui parcouraient l’Égypte et avaient des responsabilités dans toutes les tâches relatives à l’édification de la grande pyramide. Les blocs de calcaire ayant servi au parement de la pyramide font à cet égard figure de cas particulièrement intéressant. Merer consigna avec force détails comment l’équipe allait les extraire dans les carrières de Tourah et les transportaient par bateau jusqu’à Gizeh.

Les hommes de Merer chargeaient les blocs de calcaire sur des navires, descendaient le Nil, puis passaient la nuit dans une zone administrative pour s’assurer que ces derniers y aient bien été enregistrés avant d’être emmenés à Gizeh. Un fragment du journal décrit ce voyage de trois jours de la carrière jusqu’au site de la pyramide : 

Jour 25 : L’inspecteur Merer passe la journée avec son za [son équipe] à transporter des pierres à Tourah-sud ; passe la nuit à Tourah-sud. Jour 26 : L’inspecteur Merer quitte Tourah-sud avec son équipe en bateau, avec le plein de blocs de pierre, pour rallier Akhet-Khufu [la grande pyramide] ; passe la nuit à She-Khufu [zone administrative où était entreposée la pierre de taille, juste avant Gizeh]. Jour 27 : Embarquement à She-Khufu, voyage en bateau jusqu’à Akhet-Khufu avec le plein de pierres, passe la nuit à Akhet-Khufu.

Le lendemain, Merer et ses ouvriers retournaient à la carrière pour récupérer une nouvelle cargaison de pierres :

Jour 28 : Départ en bateau d’Akhet-Khufu le matin ; remontée du fleuve vers Tourah-sud. Jour 29 : L’inspecteur Merer passe la journée avec son za à transporter des pierres à Tourah-sud ; passe la nuit à Tourah-sud. Jour 30 : Inspecteur Merer passe la journée avec son za à transporter des pierres à Tourah-sud ; passe la nuit à Tourah-sud.

Le journal de Merer fournit même des renseignements sur l’un des architectes de la pyramide. Ânkhkhâf, demi-frère de Khéops, occupait le poste de « chef de tous les ouvrages du roi ». Sur l’un des fragments du papyrus, on peut lire : « Jour 24 : L’inspecteur Merer passe la journée avec son za à transporter [texte manquant] avec d’éminents fonctionnaires, des équipes de construction et le noble Ânkhkhâf, directeur du Ro-She Khufu. »

 

DES HOMMES À L’OUVRAGE

Merer consignait également scrupuleusement les paies reçues par ses hommes. Puisqu’il n’y avait pas de monnaie dans l’Égypte des pharaons, les salaires étaient généralement prodigués en céréales. L’unité de base était la « ration », et l’ouvrier en recevait plus ou moins selon l’échelon administratif qu’il occupait. Selon les papyrus, les aliments de base du régime des ouvriers étaient le hedj (du pain au levain), le persem (du pain plat), diverses viandes, les dattes, le miel et certaines légumineuses, le tout arrosé de bière.

Si cela fait bien longtemps que l’on admet qu’il fallut une importante main-d’œuvre pour bâtir la pyramide de Khéops, les historiens n’en débattent pas moins du statut de celle-ci. En effet, nombreux sont ceux qui avancent que ces ouvriers avaient dû être réduits à l’état d’esclaves. Mais les Papyrus de la mer Rouge contredisent cette idée. Les comptes détaillés de Merer prouvent que ceux qui ont construit les pyramides étaient des ouvriers qualifiés qui étaient rémunérés en échange de leurs services.

Mais les lignes de ces papyrus fragiles recèlent une chose plus extraordinaire encore. Les mots de Merer nous offrent le témoignage direct d’une personne qui assista non seulement à la construction des pyramides mais dont l’équipe joua en outre un rôle crucial dans l’accomplissement de cette tâche pharaonique au quotidien. Grâce à cette découverte, les égyptologues disposent d’un aperçu détaillé (et quelque peu prosaïque) des étapes ultimes de l’édification de la grande pyramide de Gizeh.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

L’anticommunisme, c’était mieux avant…

Alors comme ça, Macron aurait inséré dans son vibrant hommage de Missak Manouchian, la mention de comment qu’il était pas trop gentil puisqu’il était communiste. J’ai pas suivi. On m’a envoyé le discours de Fabien Roussel en mode Bisounours 1e… Lire la suite

Cette stèle vieille de 2 200 ans est la première mention d’une année bissextile

Tous les quatre ans, nous ajoutons un jour supplémentaire au calendrier pour tenir compte de la durée réelle de l’année solaire, qui est de 365,25 jours, et non de 365 jours seulement. Mais depuis combien de temps l’année bissextile existe-t-elle ? Depuis au moins 2 262 ans ; une découverte spectaculaire réalisée dans le désert égyptien.

La stèle de Tains est un bloc de calcaire haut de plus de deux mètres et large de près d’un mètre qui fut découvert en 1866 par un groupe de savants allemands en visite sur le site de l’ancienne ville égyptienne de Tanis, sur le delta du Nil. De même que la célébrissime pierre de Rosette, elle porte une inscription en deux langues qui sont l’égyptien (écrit en hiéroglyphes et en démotique) et le grec ancien. Cette stèle, produite en l’an 238 avant notre ère, consigne un décret du pharaon Ptolémée III et est fidèle aux normes de l’époque en ceci qu’elle comprend des louanges à l’endroit du pharaon, une description de campagnes militaires et la stipulation qu’une copie du décret devra être érigée dans chaque temple important.

Ce qu’il y a de proprement original quant à cet arrêté, qu’on appelle décret de Canope, du nom de la ville égyptienne où il fut proclamé, réside dans les instructions relatives au calendrier : 

« Qu’il soit ainsi fait en sorte que les saisons correspondent à jamais à l’ordre établi de l’Univers, et que l’on ne célèbre jamais l’été certaines fêtes publiques se tenant l’hiver, car le Soleil se décale d’un jour chaque fois que quatre ans passent… [Voilà qui était sur le point d’être résolu.] Que l’on ajoute dorénavant, tous les quatre ans, aux cinq jours supplémentaires qui précèdent la nouvelle année, un jour intercalaire de fête en l’honneur des dieux […], de sorte que chacun sache désormais ce qui faisait défaut dans l’aménagement des saisons. »

 

POURQUOI NOUS AVONS BESOIN D’UNE ANNÉE BISSEXTILE

D’après Adrienn Almàsy-Martin, égyptologue de l’Université d’Oxford, les premières références à un calendrier de 365 jours, qui implique une année de douze mois de trente jours complétée par cinq jours épagomènes (des « jours sans mois » ajoutés au calendrier afin que celui-ci congrue approximativement à l’année solaire) se trouvent dans les archives des 4e et 5e dynasties d’Égypte (2 600 av. J.-C. environ). L’imprécision ainsi introduite suffit à causer une lente dérive des saisons au fil des années calendaires.

Les Égyptiens avaient remarqué une coïncidence céleste qui se produisait annuellement en même temps que le Nil entrait en crue : l’apparition de Sirius, la plus brillante étoile du ciel nocturne. Par le même phénomène qui fait que certaines constellations ne sont pas visibles toute l’année, Sirius disparaissait chaque année pour les Égyptiens lors des mêmes soixante-dix jours consécutifs, car elle était trop près du Soleil. Chaque fois, après cette absence annuelle, Sirius réapparaissait à l’orient, au point du jour, jamais loin du Soleil qu’elle ne précédait que de peu ; un phénomène connu sous le nom de « lever héliaque ».

La civilisation égyptienne dépendait des crues du Nil pour obtenir le riche limon qui fertilisait ses terres arables. La réapparition de Sirius, alors associée à la vitale crue du Nil, qui se produisait elle aussi au solstice d’été, était scrutée, et annonçait le début de la nouvelle année dans l’Égypte ancienne. En mesurant le temps écoulé entre chaque lever héliaque annuel de Sirius, les astronomes s’aperçurent finalement que l’année solaire durait un quart de jour plus longtemps, soit 365,25 jours. Bien que l’on se soit vraisemblablement rendu compte de cela bien plus tôt dans l’Histoire, le décret de Canope de 238 avant notre ère est la plus ancienne preuve de l’instauration d’une année bissextile dont nous disposions.

Selon Adrienn Almàsy-Martin, de multiples copies du décret de Canope auraient existé à l’Antiquité, et six versions complètes ou fragmentaires du décret nous sont parvenues. Les deux exemples les mieux préservés, la stèle de Tanis de 1866 et celle du site de Kom el-Hisn (Imaout) de 1881, se trouvent au Musée égyptien du Caire. Bien qu’on les découvrît après le déchiffrement de la pierre de Rosette en 1822, les meilleures versions du décret de Canope présentent un grand nombre de hiéroglyphes et leur étude termina de dissiper les doutes qui subsistaient quant au déchiffrement proposé par Champollion. Pour cette raison, on considère que leur contenu ne vient qu’en seconde place après la pierre de Rosette lorsqu’il s’agit de comprendre l’égyptien ancien.

Nous savons que l’ordre donné par Ptolémée III d’ajouter un jour supplémentaire au calendrier tous les quatre ans se solda par un échec, mais nous ignorons pourquoi son ordre ne fut pas suivi et à quel moment on décida de l’ignorer. Il est possible que les prêtres qui contrôlaient le calendrier n’aient pas souhaité amender leurs traditions ou qu’ils aient pensé que la dérive des saisons dans le calendrier était imperceptible au cours d’une vie typique de quarante années.

Nous savons en revanche que lorsque les Romains annexèrent l’Égypte en l’an 30 avant notre ère, les Égyptiens utilisaient un calendrier de 365 jours, et que dès l’an 22 avant notre ère, soit quelques années après que le calendrier julien d’inspiration égyptienne eut été mis en place à Rome, l’empereur Auguste avait réintroduit l’année bissextile pour les Égyptiens.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Quel rôle Einstein a-t-il vraiment joué dans la mise au point de la bombe atomique ?

Albert Einstein doit une grande partie de sa célébrité auprès du grand public à l'équation E=mc2, qui a mis en évidence l’interchangeabilité de l'énergie et de la masse, ouvrant ainsi la voie à l'énergie nucléaire et aux armes atomiques.

Son rôle dans le drame de la guerre nucléaire aurait pu s'arrêter là. Mais dans les années 1920, alors qu'il vivait à Berlin, le physicien collabora avec le Hongrois Leo Szilárd pour mettre au point et breveter un réfrigérateur écoénergétique. Bien que leur projet n'ait jamais été commercialisé, le travail du duo impliqua Einstein, fervent pacifiste, dans la course à la création d'une bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Plus tard dans sa vie et alors même qu’il luttait contre les conséquences mortelles de sa création scientifique, Einstein plaida avec véhémence en faveur de l'interdiction des armes nucléaires dans le monde entier.

« Son génie a causé sa perte », explique Ari Beser, explorateur National Geographic. « La révolution scientifique qu’a constitué la fission de l'atome exigeait également une révolution morale. »

 

LA LETTRE D’EINSTEIN À ROOSEVELT

Même après que Szilárd et Einstein ont mis fin à leur association pour ces appareils, les deux scientifiques restèrent en contact.

En 1933, l’année où Adolf Hitler devint chancelier d'Allemagne, Szilárd découvrit la réaction en chaîne, un processus qui libère l'énergie enfermée dans les atomes pour créer d'énormes explosions. En 1939, il était convaincu que les scientifiques allemands se servaient des progrès scientifiques en cours afin de mettre au point une arme atomique.

Il contacta donc son ancien collègue, alors devenu le scientifique le plus célèbre au monde, et lui demanda d'avertir le président américain Franklin Delano Roosevelt.

Szilárd rendit visite à Einstein à New York avec deux autres réfugiés, Edward Teller et Eugene Wigner, physiciens hongrois. Lorsqu'ils lui parlèrent de la possibilité d'une réaction nucléaire en chaîne, Einstein fut choqué par le danger que représentait sa théorie de la relativité restreinte de 1905.

« Il n'envisageait absolument pas cette théorie comme une arme », explique Cynthia Kelly, présidente de l'Atomic Heritage Foundation, une organisation à but non lucratif qu'elle a fondée dans l’objectif de préserver et interpréter le projet Manhattan et son héritage plus large. Mais « il comprit rapidement le concept ».

Avec d'autres scientifiques, Einstein rédigea une lettre adressée à Roosevelt pour le mettre en garde contre ce qui pourrait se passer si les scientifiques nazis devançaient les États-Unis dans la fabrication d'une bombe atomique.

« Il semble pratiquement certain [qu'une réaction nucléaire en chaîne] pourra être [atteinte] dans un avenir proche », écrivit-il, tirant la sonnette d'alarme au sujet de « bombes extrêmement puissantes d'un nouveau genre » et conseillant à Roosevelt de financer une initiative de recherche sur l'énergie atomique.

Roosevelt prit l'avertissement au sérieux. Le 21 octobre 1939, deux mois après avoir reçu la lettre et quelques jours après l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, le comité consultatif sur l'uranium nommé par Roosevelt se réunit pour la première fois. Il s'agissait du précurseur du projet Manhattan, projet gouvernemental ultra-secret qui permit la mise au point une bombe atomique fonctionnelle.

 

UN HÉRITAGE CONTROVERSÉ

Le comité n'ayant reçu que 6 000 dollars (soit un peu plus de 100 000 dollars actuels) de financement, Einstein continua d’écrire au président, aidé par Szilárd, qui rédigea une grande partie des lettres. Dans l’une d'entre elles, il prévenait même qu’il publierait des découvertes nucléaires essentielles dans une revue scientifique si l'initiative n’était pas mieux financée.

Ainsi, Einstein contribua à lancer le projet Manhattan, explique Kelley, mais « son implication réelle fut très marginale ». Le dossier du FBI sur ce scientifique au franc-parler, ouvertement opposé au racisme, au capitalisme et à la guerre, s’étendit finalement sur plus de 1 400 pages.

« Compte tenu de ses antécédents radicaux », écrivait le FBI, « ce bureau ne recommanderait pas d’employer le Dr. Einstein pour des projets de nature secrète ». En fin de compte, Einstein ne fut jamais autorisé à travailler sur le projet Manhattan.

Pourtant, son nom est à jamais lié à l'arme née de sa plus grande découverte. Il fut dévasté par la nouvelle du bombardement d'Hiroshima et humilié par une couverture du TIME, en 1946, où figurait une photo de lui devant un champignon atomique sur lequel figurait sa célèbre équation.

Bien qu'Einstein se soit efforcé, jusqu’à la fin de sa vie, de prévenir le monde des dangers de la prolifération nucléaire, il eut du mal à prendre conscience de sa responsabilité.

« Il est le père » de la bombe atomique, dit Beser, le petit fils du seul militaire américain parmi l’équipage à bord des deux avions qui ont transporté les bombes atomiques au Japon.

À travers ses récits, Beser tente d’illustrer les conséquences de l'usage des armes nucléaires. Il a par exemple visité Auschwitz avec un survivant de Nagasaki, qui a été stupéfait des liens entre la bombe, qui a tué et blessé des centaines de milliers de civils, et l'Holocauste, autre horreur de l’Histoire. 

« J'étais parfaitement conscient du danger effroyable qui menaçait l'humanité tout entière si ces expériences aboutissaient », écrivit Einstein, dans un magazine japonais en 1952, à propos du développement de la bombe. « Je ne voyais pas d'autre issue. »

Pour Beser, le dilemme d'Einstein est un parfait exemple des contradictions de la condition humaine : « la fission de l'atome a tout changé, sauf notre façon de penser », déplore-t-il.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Comment l’humanité a-t-elle survécu au petit âge glaciaire ?

Des milliers de personnes qui marchent et s’amusent sur la Tamise gelée. Des soldats à cheval qui s’emparent de navires bloqués dans la glace. Des populations indigènes, raquettes aux pieds, qui tentent de déjouer les intrusions des Anglais. Des jugements de femmes accusées d’être des sorcières alors que leurs communautés s'efforcent d'expliquer les mauvaises récoltes et le froid extrême.

Voilà quelques-unes des images qui définissent le petit âge glaciaire, une période, au cours du dernier millénaire, qui a duré plusieurs siècles pendant lesquels certaines parties de l'hémisphère Nord étaient confrontées à un froid persistant. Quelles en étaient les causes ? Combien de temps a-t-il duré ? Comment les populations se sont-elles adaptées à cette emprise glaciale, et quelles leçons pouvons-nous en tirer alors que nous entrons dans notre propre période de changement climatique ?

 

QU’EST-CE QUE LE PETIT ÂGE GLACIAIRE ? 

Le petit âge glaciaire n’était pas un véritable âge glaciaire : le refroidissement moyen ne fut probablement que de l'ordre de 0,5 degré Celsius, soit 1 degré Fahrenheit, et le froid n’était pas constant. Dagomar Degroot, professeur d'histoire de l'environnement associé à l'université de Georgetown et auteur de l'ouvrage The Frigid Golden Age (L'âge d'or glacial), a décrit cette période comme une série de « petits âges glaciaires ».

Bien que certains chercheurs soutiennent qu'elle aurait pu commencer plus tôt, selon la définition donnée par la NASA, cette période débuta vers 1550 et consista en trois pics de froid, vers 1650, 1770 et 1850, entrecoupés d'intervalles relativement chauds.

Les scientifiques n'ont pas encore élucidé les causes exactes du petit âge glaciaire. Les théories vont de la diminution de l'activité solaire à l'augmentation des éruptions volcaniques, en passant par le génocide des populations indigènes d'Amérique du Nord. Les forêts remplacèrent les terres agricoles et environ sept milliards de tonnes de carbone furent éliminées de l'atmosphère. Selon une étude réalisée en 2022, l'élément déclencheur initial fut, contre toute attente, un afflux d'eau extrêmement chaude qui remonta des tropiques vers le nord à la fin des années 1300 et fit disparaître les glaces de l'Arctique dans l'Atlantique Nord.

 

DES CONSÉQUENCES À GRANDE ÉCHELLE

Quelles qu'en soient les causes, les conséquences du petit âge glaciaire se répercutèrent dans l'Histoire. La question de leur ampleur est controversée.

Le froid permit sans aucun doute au roi suédois Charles X Gustave de faire traverser un détroit gelé à ses troupes afin de s'emparer de l'île danoise de Fionie en 1658, et aux troupes françaises de s'emparer d'une flotte hollandaise qui s'était figée dans la glace en 1795, un événement décrit comme étant la seule fois dans l'histoire où des hommes à cheval purent s’emparer d'une flotte de navires. La peur et l'anxiété que les mauvaises récoltes à répétition suscitaient provoquèrent une vague de « procès en sorcellerie » et d'antisémitisme en Europe.

Le petit âge glaciaire pourrait, dans une moindre mesure, avoir joué un rôle dans l'effondrement de la dynastie Ming en Chine, en partie à cause des pénuries alimentaires qui entraînèrent des soulèvements paysans. La baisse des températures et l'augmentation simultanée de la couverture de glace sur terre et sur mer aurait également contribué à la disparition des colonies nordiques du Groenland. L’hypothèse que le son unique des violons Stradivarius était dû au fait que le bois utilisé par Antonio Stradivari était plus dense qu'à l'accoutumée en raison du froid, a également été mise en avant.

Au-delà des grandes vagues historiques qu'il a pu déclencher, le petit âge glaciaire fut particulièrement brutal pour les paysans et les citadins pauvres. Dans son livre The Little Ice Age, l'auteur Brian Fagan décrit des « villageois alpins [vivant] de pain fait de coquilles de noix broyées mélangées à de la farine d'orge et d'avoine ». Un autre récit de 1648 fait état des « cris et larmes des pauvres, qui professent qu'ils sont en train de mourir de faim ».

Certaines périodes du 17e et du début du 18e siècle furent particulièrement difficiles. Selon Ariel Hessayon, du Goldsmiths College de l’Université de Londres, l'hiver 1684 fut si rigoureux que le roi Charles II autorisa une collecte solidaire, à laquelle il contribua lui-même. Cela permit à l'Angleterre de mieux résister à l'hiver que certains de ses voisins. Malgré cela, écrit Hessayon, « des citoyens de tout le pays moururent, ainsi que des bêtes, des oiseaux et des poissons. Les enterrements furent suspendus parce que le sol était trop dur à creuser. Les arbres se cassaient et les plantes périssaient. »

 

L'ADAPTATION AU FROID

Il faut noter que certains parvinrent à s'adapter. À Londres, la Tamise gela à plusieurs reprises à cause du froid, à tel point que des « foires hivernale » furent organisées. On y jouait au football, assistait à des combats d'ours ou participait à des concours de tir à l'arc au milieu d'étals qui vendaient de tout, du chocolat chaud aux tartes.

Le gel de la Tamise aurait pu être un désastre pour les bateliers de la ville, qui « offraient essentiellement un service de taxi fluvial le long de la rivière », explique Hessayon lors d'une interview. Ceux-ci profitèrent donc des foires pour développer d'autres sources de revenus. « Ils s'adaptèrent en faisant du commerce sur la glace et n'avaient plus à payer de loyer sur la Tamise gelée. »

De leur côté, les Mojaves, dans l'actuelle Californie, firent face à une plus grande variabilité climatique aux 16e et 17e siècles en « développant une culture commerciale remarquablement décentralisée », explique Degroot. Ils créèrent également des paniers, des poteries et d'autres récipients résistants afin de transporter des marchandises sur de longues distances, « de sorte qu'en cas de pénurie de nourriture dans une région, ils pouvaient compenser en faisant du commerce avec une autre ».

La réponse des Mojaves au changement climatique fut reproduite à plusieurs milliers de kilomètres de là par les Provinces-Unies, qui connurent un « âge d'or » pendant les années les plus difficiles du petit âge glaciaire, en grande partie grâce à la mise en place d'un système commercial résistant et diversifié, explique Degroot.

« Ils pouvaient transporter des marchandises provenant de nombreuses régions différentes, y compris, et surtout, des céréales qui venaient de différents ports de la Baltique », explique-t-il. Par conséquent, lorsque des conditions météorologiques extrêmes entraînaient une pénurie de céréales, « ils étaient en mesure d'exploiter cette situation en important des produits de base des régions où ils étaient cultivés ».

En Nouvelle-Angleterre, les nations Wabanaki profitèrent des hivers froids et enneigés pour lancer des attaques, en raquettes, sur les colons anglais, jusqu'à ce qu’au début du 18e siècle, ces derniers adoptent la technologie et l'expertise indigènes et envoient des centaines d'« hommes en raquettes » patrouiller sur les terrains de chasse Wabanaki.

 

DES ENSEIGNEMENTS À TIRER

Il est surprenant de constater que les zones de l'Arctique où l’on chassait la baleine furent les régions où le commerce s'améliora et où les conflits s’atténuèrent, explique Degroot. « Lorsqu'il se mit à faire plus froid et que la glace s'étendit, les ressources furent plus proches les unes des autres et plus accessibles », explique-t-il. En conséquence, les conflits armés qui avaient caractérisé la chasse à la baleine dans l'Arctique diminuèrent.

Il y a peut-être là une leçon à tirer pour ceux qui observent le changement climatique actuel, dit-t-il avant d’ajouter qu’il s’agit « exactement du contraire de la façon dont l'Arctique est souvent discuté dans les cercles de sécurité nationale aujourd'hui, où les gens supposent que le dégel de l'Arctique pourrait entraîner beaucoup plus de concurrence et de conflits dans la région ».

Malgré l'importance des effets du petit âge glaciaire, Degroot note que l'ampleur du refroidissement fut moindre par rapport au réchauffement que nous connaissons actuellement. Hessayon estime qu'il est d'autant plus important de comprendre cette période et la manière dont les populations s'y sont adaptées.

« Il existe une très grande quantité de matériel potentiel à étudier et qui nous apprend beaucoup sur le passé et, espérons-le, sur les façons de gérer la crise actuelle », explique-t-il.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
 

Pourquoi nos ancêtres avaient-ils les dents mieux alignées que nous ?

Un Français sur deux aurait déjà eu recours à l’orthodontie, d’après un sondage de l’IFOP et du Syndicat des Orthodontistes de France (SODF). La nature, qui fait pourtant bien les choses d’habitude, semble défaillante sur ce point. Mais pourquoi ? 

« La majorité des problèmes dentaires actuels, notamment chez les enfants, proviennent du fait que les mâchoires deviennent de plus en plus petites au cours de l’évolution du genre Homo. », résume Jean-Jacques Jaeger, Paléontologue et professeur à l’Université de Poitier. Selon lui, cette évolution est en partie liée à « l’absence de sélection naturelle », car « ces anomalies se perpétuent de génération en génération. »

Autre raison avancée par les scientifiques : le changement de régime alimentaire. Il y a 3 à 4 millions d’années, les Australopithèques étaient principalement végétariens, d’après ce que les scientifiques ont pu déduire à partir des fossiles mis au jour. À partir de 2 millions d'années, la consommation de viande devient plus régulière, acquise par charognage, puis les Hommes du paléolithique deviennent chasseurs-cueilleurs.

La domestication du feu par l’Homo erectus, il y a environ 790 000 ans, couplé à l’invention de nouveaux outils et le développement de l’agriculture, ont profondément modifié le régime alimentaire des humains

À partir de 10 000 à 4 000 ans avant notre ère, la culture du blé et des céréales ainsi que l’élevage des principaux animaux de rente apparaissent au Proche-Orient, et se développent ensuite en Europe. L’Homo sapiens se sédentarise à partir de cette époque, pour prendre soin de son champ et de ses animaux. Avec l’arrivée des céréales et de la viande cuite, l’alimentation devient plus molle et la mastication moins longue. Et ce phénomène s’accentue encore davantage à partir du 18ᵉ et 19ᵉ siècle, avec l’industrialisation de la production alimentaire. 

Or « plus on va manger des aliments peu cuits qui nécessitent une mastication importante, plus on va avoir de l’espace dans notre arcade dentaire », indique Sandrine Prat, Paléoanthropologue au Muséum National d’Histoire Naturelle et Directrice de recherche au CNRS. Selon elle, la mastication « offre un large éventail de mouvement de la mandibule », ce qui entraîne « des mouvements de latéralité au cours du cycle de la mastication, qui va faciliter l’élargissement des arcades dentaires. »

Mais dans les régimes modernes d’aujourd’hui, « on mange des aliments relativement cuits, hachés, mixés, donc qui ne demandent pas beaucoup de mastication, cela provoque un rétrécissement de la mâchoire. », explique la paléoanthropologue. Les os de la machoire  ne travaillent pas autant qu’à l’époque de nos ancêtres.

Pour en avoir le cœur net, la chercheuse Noreen Von Cramon-Taubadel a publié en 2012 une étude dans laquelle elle a documenté la variation de mandibule entre des chasseurs-cueilleurs venant de Mongolie et d’Alaska, avec des Italiens et Japonais dont l’alimentation était issue de l’agriculture intensive. Lors de ses travaux, elle s’est rendu compte qu’il y avait bien une différence de forme de la mandibule entre les deux groupes, qu’elle a pu lier à la différence de comportement alimentaire. 

 

UN MANQUE DE PLACE

La composition de nos dents est restée la même depuis 200 millions d’années. « Elles sont faites de dentine recouverte d'émail pour les couronnes et d'os pour les racines », indique Jean-Jacques Jaeger. La raison de cette longévité est simple : « l’émail est un tissu très dur, fortement minéralisé (Hydroxyapatite) qui se conserve très bien. »

La taille de nos dents n'a, elle non plus, pas beaucoup changé. « La taille des dents, qui étaient bien plus grandes il y a 2 -1 million d'années […] a diminué progressivement, mais moins vite que leur place dans les mâchoires, d'où les problèmes », ajoute le spécialiste. « Et cela ne peut que s'accentuer au cours des siècles à venir, une tendance évolutive s'inversant rarement, sauf si les conditions de milieu changent de manière drastique. »

Ce n'est donc pas la taille de nos dents qui augmente, mais bien la taille de notre mâchoire qui diminue. L’exemple type est celui de la dent de sagesse, aussi appelée troisième molaire. Elle « existe chez les primates primitifs depuis plus de 55 millions d’années », relate Jean-Jacques Jeager. Elles font irruption entre dix-huit et vingt-cinq ans et de nombreux autres cas de figure, il est nécessaire de les enlever. « Les problèmes causés par les dents de sagesse sont clairement liés à la diminution de la taille de nos mâchoires, ce qui réduit la place nécessaire à leur éruption et conduit à des pathologies et à leur extraction », explique Jean-Jacques Jaeger. Avec le temps, Sandrine Prat estime même que l’« on va vers ce qu’on appelle une "perte de la troisième molaire" », c’est-à-dire dire une absence de formation des dents de sagesse

Nos dents sont également de plus en plus touchées par les maladies infectieuses, comme les caries. Selon Sandrine Prat, cette abondance de caries est récente. « Il y a eu des analyses génétiques sur le tartre sur des populations anciennes du néolithique et après la révolution industrielle. Certains chercheurs ont constaté qu’il y avait une bactérie responsable des caries, qui a commencé à envahir les bouches, il y a plus de 200 ans. » Cette bactérie, c’est le Streptococcus mutans. Si elle a pu se développer aussi rapidement, c’est en partie lié à « une chute de la diversité de notre flore bactérienne qui laisse la place à la domination des souches bactériennes qui sont responsables de caries. Cette bactérie transforme le sucre en acide lactique, qui attaque l’émail dentaire. » La prolifération des caries n’est donc pas uniquement liée à la forte teneur en sucre de notre alimentation moderne. 

Manouchian au Panthéon : la surprise de Léon Landini

Léon Landini est contrarié. Il a bientôt 98 ans et il est le dernier membre survivant de l’organisation des FTP MOI, l’organisation combattante mise en place par le parti communiste français pendant l’occupation pour lutter à la fois contre l’occupant… Lire la suite

CONFLIT MONDIAL VIDEO N°76

Vidéo N°76 assez copieuse. On va y trouver du Macron qui poursuit ses discours lunaires, du Séjourné toujours inepte, des ganaches de plateau, des propagandistes et des menteurs professionnels. Confection d’une garde-robe assez fournie. On parle aussi de Navalny, d’Assange… Lire la suite

Les Gaulois furent les premiers à conquérir Rome

Au début du 4e siècle avant notre ère, la République romaine était en plein essor. Riche et puissante, elle venait de battre la cité étrusque de Véies, d’amasser un immense trésor de guerre et de doubler la taille de son territoire. Mais alors, de nulle part, l’impensable s’abattit sur la République : l’occupation par un peuple celte, les Gaulois. C’était la première fois que Rome et la Gaule se faisaient face.

Au cours des siècles suivants, Romains et Gaulois s’affrontèrent à maintes reprises. Mais cette première défaite concédée en 387 avant notre ère resta pour Rome un traumatisme collectif qui persista des générations durant et façonna l’attitude des Romains à l’égard de l’ensemble des peuples du nord.

 

PREMIÈRES CONFRONTATIONS

En 600 avant notre ère, les Insubres, peuple de la Gaule, s’étaient déjà installés au sud des Alpes, où ils avaient fondé Mediolanum (l’actuelle Milan). Au cours des deux siècles suivants, d’autres peuples gaulois firent de même et s’étendirent vers le sud et l’ouest de l’Europe. Vers l’an 400 avant notre ère, les Sénons s’installèrent sur les rives de l’Adriatique, dans la région que les Romains appelleraient plus tard l’ager gallicus. Mais cette cité était encore à bonne distance de Rome, et de l’autre côté des Apennins, qui forment l’épine dorsale montagneuse de la péninsule italienne.

Une décennie plus tard, les Sénons traversèrent ces montagnes et attaquèrent la ville étrusque de Clusium, à 145 kilomètres environ au nord de Rome. Plus de quatre siècles plus tard, l’historien romain Tite-Live décrivit cette expansion gauloise et la façon dont les habitants de Clusium appelèrent Rome à l’aide (aide qui leur fut refusée). Les historiens romains décrivirent quant à eux les Gaulois à grands traits, de manière vraisemblablement exagérée. Les Gaulois étaient grands, pâles, avaient les cheveux longs, étaient blonds et moustachus. Selon l’historien grec du 1er siècle Diodore de Sicile, certains s’éclaircissaient les cheveux avec de l’« eau de chaux ».

Il existe plusieurs théories pour expliquer pourquoi ils firent cette incursion dans la péninsule italienne. De manière générale, les sources romaines suggèrent que les Gaulois étaient moins développés en tant que société que les habitants d’Italie et qu’ils convoitaient leurs terres arables, et plus particulièrement leur vin. Au 1er siècle de notre ère, des siècles après la précoce expansion gauloise, l’érudit grec Plutarque écrivit que lorsque les Gaulois goûtèrent du vin pour la première fois, ils furent « si ravis du plaisir nouveau » qu’ils « se portèrent du côté des Alpes pour chercher cette terre qui produisait un si bon fruit, et auprès de laquelle tout autre terre leur paraissait stérile et sauvage ». Bien que le penchant des Gaulois pour le vin avait en effet tendance à être exagéré, il y avait tout de même là un fond de vérité. Plus tard, les négociants en vin italiens et romains entrèrent en Gaule comme les précurseurs pacifiques des légions qui suivraient.

 

GUERRIERS CHEVRONNÉS

Les Gaulois avaient une allure frappante à cause de leurs vêtements qui étaient teints de couleurs vives. À l’inverse des Romains, les hommes portaient des pantalons (des braies, bracae en latin), un vêtement typique des cavaliers nomades des steppes eurasiennes. Les Grecs et les Romains trouvaient cela barbare, voire efféminé, que des hommes se vêtissent ainsi. Chez les Gaulois, l’élite se parait de bijoux, et plus particulièrement de torques, d’épais colliers en or ou en argent, ouverts sur le devant et torsadés comme des tresses. En 361 avant notre ère, quelques années après l’attaque de Rome, un jeune romain du nom de Titus Manlius se retrouva face à un guerrier gaulois géant lors d’un duel. Malgré l’immense taille du Gaulois (dans les légendes romaines, on souligne constamment la taille des Celtes), Titus le vainquit, s’empara de son torque, et on l’appela à partir de ce moment Torquatus, un surnom qu’il transmit à sa descendance.

Quant aux protections dont on se parait durant les conflits, bon nombre de guerriers gaulois ne portaient rien de plus qu’un bouclier oblong et un casque orné de plumes. Ils étaient généralement armés d’une longue épée on ne peut plus propice à la lacération. De nombreux stéréotypes apparurent concernant la férocité avec laquelle les Gaulois se battaient ; celle-ci était paraît-il plus intimidante que celle d’autres adversaires des Romains. Au 1er siècle avant notre ère et au 1er siècle de notre ère, l’historien grec Strabo l’explique en ces termes :

Tous les peuples appartenant à la race dite gallique ou galatique sont fous de guerre, irritables et prompts à en venir aux mains, du reste simples et point méchants : à la moindre excitation, ils se rassemblent en foule et courent au combat […] Cette force dont nous parlions tout à l’heure tient en partie à la nature physique des Gaulois, mais elle provient aussi de leur grand nombre. »

Selon des sources classiques, les Gaulois attaquaient en masse au son de leurs cornes de guerre sans recourir à aucune formation tactique, ni à aucun réserviste. Strabon pensait qu’il serait plus facile sur le long terme pour les Romains de conquérir la Gaule que l’Hispanie, berceau des Ibères. Tandis que les Gaulois avaient tendance à « tomber sur leurs adversaires tous à la fois et en nombre prodigieux », ce qui signifie qu’ils pouvaient être « vaincus d’un seul coup », les Ibères « géraient leurs ressources et se répartissaient les luttes, menant la guerre à la manière de brigands, différents hommes à différents moments au sein de divisions distinctes. »

 

BATAILLE DE L’ALLIA

Les Étrusques de Clusium appelèrent Rome à l’aide. Le Sénat envoya trois ambassadeurs qui supplièrent Brennus, chef des Sénons gaulois, de se retirer. Brennus refusa et les ambassadeurs, au lieu de retourner à Rome, rejoignirent les rangs de Clusium pour tenter de repousser les Gaulois. En apportant si ouvertement leur soutien aux Clusiens, ils enfreignirent le droit des gens, l’équivalent du droit international actuel. Cette décision donna à Brennus un prétexte pour déclarer la guerre la Rome. Après avoir vaincu les Clusiens, Brennus conduisit ses troupes vers Rome. Tite-Live décrivit ainsi leur procession terrifiante : « Partout, en face et autour des Romains, le pays était couvert d’ennemis ; et cette nation, qui se plaît par goût au tumulte, faisait au loin retentir l’horrible harmonie de ses chants sauvages et de ses épouvantables clameurs. »

Une armée romaine marcha vers le nord et intercepta les Gaulois à moins de 15 kilomètres de la ville, sur les rives de l’Allia, un affluent du Tibre. C’était la première fois que les légions combattaient contre les Gaulois, et le résultat fut désastreux. Les Romains se trouvèrent en infériorité numérique, une situation qui se produisit souvent dans leurs confrontations avec les Gaulois.

En conséquence, les tribuns de rang consulaire qui commandaient l’armée romaine redéployèrent les soldats sur les flancs. Le centre, avec ses rangs décimés, ne tarda pas à rompre, et les Gaulois avancèrent de manière irrésistible. Les légionnaires du flanc gauche fuirent vers la ville voisine de Véies, à 16 kilomètres au nord-ouest de Rome, tandis que ceux situés à droite battirent en retraite et se retranchèrent dans la capitale elle-même.

Trois jours plus tard, Brennus et son armée de Gaulois se tenaient devant les portes de Rome. La cité était exposée, car elle n’avait pas de mur d’enceinte complet. Le gros de la population prit la fuite, même les vestales, gardiennes du feu sacré de la ville. Sans opposition, les Gaulois envahirent Rome et pillèrent la ville. Des sénateurs âgés de haut rang, qui avaient refusé d’être évacués, s’assirent dans leurs sièges curules au milieu du Forum ou, selon certaines sources, dans les atriums de leurs maisons.

Selon des sources romaines, quand les premiers Gaulois arrivèrent, ils furent stupéfiés par la dignité et le sang-froid de ces hommes d’États d’un âge certain. Un envahisseur aurait tiré sur la longue barbe blanche du sénateur Marcus Papirius pour voir s’il s’agissait d’une statue. Ce dernier réagit en le frappant avec sa canne. Le Gaulois tua ensuite Marcus Papirius avec son épée, et ses compagnons massacrèrent les autres. Les hommes de Brennus pillèrent et détruisirent la cité sous le regard médusé de la populace. À ce sujet, Tite-Live écrivit : 

Partout où les cris de l’ennemi, les lamentations des femmes et des enfants, le bruit de la flamme et le fracas des toits croulants, appelaient leur attention, effrayés de toutes ces scènes de deuil, ils tournaient de ce côté leur esprit, leur visage et leurs yeux, comme si la fortune les eût placés là pour assister au spectacle de la chute de leur patrie, en ne laissant rien que leur corps à défendre.

Certains Romains avaient réussi à trouver refuge sur la colline du Capitole et étaient cachés en lieu sûr. Mais les Gaulois repérèrent, allant vers l’amont de la colline, des empreintes de pas appartenant à un messager que les Romains avaient envoyé à Ardée pour quérir de l’aide. Les Gaulois suivirent le même chemin et envoyèrent un groupe détaché vers l’amont le soir même. Ni les gardes romains, ni leurs chiens de garde ne les entendirent arriver, mais des oies sacrées de la déesse Junon qui vivaient là les entendirent. Leurs cris d’alarme alertèrent les défenseurs de Rome qui prirent leurs armes et repoussèrent leurs assaillants.

 

MALHEUR AUX VAINCUS

Sept mois passèrent et les Gaulois n’avaient toujours pas levé le siège. Mais ils commençaient à pâtir. Selon Tite-Live : « Les Gaulois étaient de plus en plus en proie aux maladies pestilentielles. Campés dans un fond entouré d’éminences, sur un terrain brûlant que tant d’incendies avaient rempli d’exhalaisons enflammées, l’excès de cette chaleur, insupportable pour une nation accoutumée à un climat froid et humide, les décimait comme ces épidémies qui ravagent les troupeaux. »

Enfin, on négocia un accord. Les Gaulois acceptèrent de lever le siège en échange de mille livres d’or. Les défenseurs retranchés descendirent de la colline du Capitole chargés de trésors et les pesèrent dans le Forum devant leurs conquérants. Quand le tribun Quintus Sulpicius remarqua que les Gaulois plaçaient de faux poids sur les balances afin d’accaparer davantage de richesses, il s’en plaignit. Brennus lâcha sa propre épée sur une balance et s’exclama : « Vae victis ! » (« Malheur aux vaincus ! »). Résignés, les Romains concédèrent encore plus d’or pour compenser le poids de l’épée.

Les historiens divergent quant à la façon dont le siège gaulois prit fin. Selon Plutarque et Tite-Live, Marcus Furius Camillus (Camille), général en exil, aurait répondu à l’appel à l’aide de Rome. Il aurait été nommé dictateur et se serait servi de son pouvoir pour expulser les forces gauloises. Au 2e siècle avant notre ère, l’historien Polybe ne fait aucune mention de Camille ou d’une expulsion des Gaulois. Au lieu de cela, dans son récit, Rome paie une rançon et les Gaulois se contentent de partir.

Les sources classiques contiennent à n’en pas douter des détails factuels, mais des éléments légendaires et des exagérations y sont intégrés. Il existe des preuves montrant que Rome a subi une défaite et un sac vers l’an 387 avant notre ère : des auteurs grecs comme Aristote et Héraclide du Pont, qui écrivirent peu de temps après les événements, font mention d’une invasion. Cependant, les archéologues ne disposent pas de preuves de destruction de masse et d’incendies aussi terribles que ceux décrits dans l’œuvre de Tite-Live. Rome semble s’être remise très rapidement au cours des années qui suivirent, ce qui serait invraisemblable si les dégâts avaient été aussi graves que ceux mentionnés. Des faisceaux d’indices suggèrent que plutôt qu’une armée gauloise occupante, les envahisseurs n’étaient qu’une bande de guerriers qui attaquèrent Rome lors d’un raid rapide. Ils pillèrent probablement ce qu’ils purent mais ne démolirent aucun édifice, ni ne mirent la ville à feu. 

L’histoire de l’invasion gauloise telle que redite dans les récits écrits des siècles plus tard témoignent du metus gallicus, une peur exagérée des Gaulois et d’autres peuples du nord. Ce préjugé se cristallisa à la fin du 2e siècle avant notre ère alors que des groupes de Cimbres et de Teutons poussaient vers le sud en territoire romain. Le metus gallicus allait devenir une force motrice de la politique expansionniste de Rome. La menace perçue servit de prétexte aux campagnes de Jules César en Gaule au 1er siècle avant notre ère, et cela explique également pourquoi ses victoires sur les Gaulois furent célébrées par quinze ou vingt jours de réjouissances inouïes lors de son retour à Rome.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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Adolf Hitler dans la foule à Munich en 1914Août 1914, à Munich en Bavière, c’est la mobilisation. La première guerre mondiale commence… Dans la foule un autrichien inconnu

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Alexandre le Grand et Héphaestion étaient-ils plus qu’amis ?

Aujourd’hui encore, on considère Alexandre le Grand comme l'un des bâtisseurs d'empire les plus puissants de l'histoire. Pourtant, il n'a pas bâti son empire seul puisqu’il avait à ses côtés une armée de généraux, d'amis et d'alliés.

La nouvelle série dramatique de Netflix, Alexandre le Grand : Au rang des dieux analyse l'une des relations les plus importantes et les plus controversées d'Alexandre, celle qu'il entretenait avec Héphaestion, son compagnon d'armes le plus proche.

 

QUELLE RELATION ALEXANDRE ET HÉPHAESTION ENTRETENAIENT-ILS ?

Le futur Alexandre le Grand naquit en juillet 356 avant notre ère et hérita du trône de Macédoine deux décennies plus tard. Pendant treize ans, il forgea un empire qui s'étendait de la Méditerranée à l'Inde.

Il fut épaulé, tout ce temps, par son bras droit, Héphaestion.

Selon l'historien romain Quintus Curtius Rufus, celui-ci avait à peu près l'âge d'Alexandre. Personne ne sait exactement quand et comment ils se sont rencontrés pour la première fois, mais ils auraient tous deux reçu les enseignements du philosophe grec Aristote à partir de l'âge de treize ans environ.

L’écrivain Arrien consacra une partie de ses écrits aux deux hommes au cours du 2e siècle, environ 450 ans après la mort d'Alexandre.

Hélas, nous n’avons pas retrouvé de récits de témoins oculaires au sujet d’Alexandre, bien que les textes dont nous disposons soient basés sur des documents antérieurs, perdus depuis. Le texte le plus ancien qui nous soit parvenu serait celui de l'historien Diodore de Sicile, probablement écrit dans les années 30 avant notre ère, quelques siècles après la mort d'Alexandre.

PLUS QU’UNE AMITIÉ ?

Les relations sexuelles entre hommes étaient pratique courante au sein des élites de Macédoine antique. Selon l’historien Daniel Ogden, il est donc probable qu’Alexandre ait « participé à la culture bisexuelle liée à la martialité de la cour de Macédoine. »

Toutefois, les auteurs antiques ne décrivaient pas de façon irrévocable la relation d’Alexandre et d’Héphaestion comme de l’amour. Claudius Aelianus, écrivain romain du troisième siècle, le sous-entendait en affirmant qu'Héphaestion « était l'objet de l'amour d'Alexandre », bien qu'il ait écrit environ 550 ans après la mort d'Alexandre. 

En raison de cette ambiguïté, les savants modernes évitent de définir précisément la nature de cette relation. Néanmoins, un grand nombre d’entre eux concluent qu’ils étaient potentiellement amants. 

 

HÉPHAESTION, HONORÉ PAR ALEXANDRE

Nous savons qu'Alexandre avait élevé Héphaestion au rang de « chiliarque », une fonction qui n'était surpassée que par lui-même, vers 330 avant notre ère.

Il aurait également souhaité officialiser sa relation avec lui par le biais de liens de parenté. Selon Arrien, Alexandre arrangea le mariage d'Hephaestion à la sœur de sa femme, Drypétis, afin que « les enfants d'Hephaestion soient unis aux siens par affinité. »

Le destin empêcha ces projets quand Héphaestion tomba soudainement malade et mourut en octobre 324 avant notre ère.

Sa mort plongea Alexandre dans un profond désespoir. Il se serait jeté sur son cadavre, aurait refusé de se nourrir, se serait coupé les cheveux et aurait organisé des funérailles en grande pompe.

Moins d'un an plus tard, Alexandre retrouvait son compagnon dans la mort.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Ces anciens nomades utilisaient la peau de leurs ennemis pour en faire du cuir

D’anciens nomades connus sous le nom de Scythes utilisaient de la peau humaine pour porter leurs flèches, ce qui confirme le récit de l'historien grec Hérodote, dont les récits fantastiques qu'il a consignés il y a plus de 2 400 ans sont souvent mis en doute. 

« Nos recherches semblent confirmer les dires sinistres d'Hérodote », déclarent les chercheurs à l'origine de cette découverte, récemment publiée dans la revue scientifique PLOS ONE.

Selon Hérodote, les Scythes ne se contentaient pas de boire le sang du premier homme qu'ils tuaient et de récupérer le cuir chevelu de leurs ennemis. « Plusieurs aussi écorchent, jusqu'aux ongles inclusivement, la main droite des ennemis qu'ils ont tués, et en font des couvercles à leurs carquois. La peau d'homme est en effet épaisse ; et de toutes les peaux, c'est presque la plus brillante par sa blancheur », écrivait l'historien au 5e siècle avant notre ère..

Les chercheurs ont confirmé cette affirmation après avoir analysé quarante-cinq morceaux de cuir et deux de fourrure provenant de treize tumuli scythes, ou kourganes, vieux de 2 400 ans et situés dans le sud de l'Ukraine. Pour ce faire, ils ont employé une technique appelée empreinte de masse peptidique qui a permis d’examiner les protéines distinctives des fragments, le collagène pour la peau et la kératine pour la fourrure, et d’identifier l'espèce animale de trente-six des quarante-cinq fragments de cuir. Deux provenaient sans aucun doute de l'Homo sapiens. Ils étaient, comme le décrivait Hérodote, présents sur des carquois de flèches.

« Nous avons deux exemples, ce qui est déjà mieux qu’un seul ou que rien », explique Margarita Gleba, archéologue à l'université de Padoue, en Italie, et principale autrice de l'étude. « Ce que nous dit Hérodote est donc fondé, et nous sommes sûrs que les Scythes utilisaient la peau humaine pour fabriquer des objets culturels. »

La petite taille des morceaux de cuir ne permet pas de déterminer s'ils ont été façonnés par des mains humaines, mais une future analyse de l'ADN pourrait révéler l'origine des personnes dont ils sont issus.

Selon Gleba, il semble que la peau humaine n'ait été utilisée que pour le haut des carquois, tandis que les parties inférieures étaient fabriquées à partir de cuir plus « ordinaire » de bétail ou d'animaux sauvages tels que le renard.

« Ils combinaient très souvent des cuirs provenant de différents animaux, et parfois aussi d'humains », explique-t-elle. « C'était selon ce qu’ils avaient sous la main. »

 

DES GUERRIERS NOMADES

Hérodote a dédié presqu’un livre entier de ses Histoires en neuf volumes aux Scythes, qui étaient ses contemporains au 5e siècle. Il les décrivait comme des nomades vivant dans les territoires au nord de la mer Noire. Toutefois, des preuves de la présence des Scythes et d’autres groupes auxquels ils étaient liés ont été trouvées sur la steppe eurasienne de l’Ukraine, à l’ouest de la Chine. 

Selon Guido Gnecchi Ruscone, archéogénéticien de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste à Leipzig, en Allemagne, qui a étudié les Scythes mais n’a pas participé à la recherche, ils semblent être originaires des montagnes de l'Altaï, dans l'est du Kazakhstan, vers 900 avant notre ère.

Hérodote écrivait que les Scythes étaient réputés pour leur comportement de guerriers et que les arcs courts, qui leur servaient à la fois pour la guerre et la chasse, étaient un objet caractéristique de leur quotidien.

Barry Cunliffe, archéologue de l’université d’Oxford et spécialiste des Scythes qui n’a pas participé à la recherche, explique qu’Hérodote tenait probablement ces informations de sa visite, vers 444 avant notre ère, d’Olbia du Pont, une colonie grecque située sur la rive nord de la mer Noire. 

« Il a dû parler à de nombreuses personnes sur place et assembler les histoires qu’il avait recueillies », explique Cunliffe. Par conséquent, ce qu'Hérodote a rapporté était probablement vrai, mais tous les Scythes n'ont peut-être pas toujours eu les mêmes pratiques : « Il fusionne [dans ses textes] tout un amas d’informations. »

Cunliffe suggère que l'utilisation de la peau humaine sur les carquois pourrait avoir été une tentative, semblable à une pratique magique, d'imprégner les flèches à l'intérieur : « en ayant un peu de peau de l’ennemi sur les flèches, vous contrôlez son pouvoir. »

 

PÈRE DE L’HISTOIRE, PÈRE DES MENSONGES

L'orateur romain Cicéron appelait Hérodote « le père de l'Histoire », mais ce dernier a également été surnommé « le père des mensonges » par des spécialistes des lettres classiques pour certains de ses récits les plus farfelus, dans lesquels il mentionnait notamment des fourmis chercheuses d'or de la taille d'un renard, des serpents ailés et un peuple d’Européens borgnes qui volaient l'or des griffons.

Toutefois, cette dernière découverte donne raison à Hérodote, affirme Carolyn Dewald, professeure d'études classiques associée au Bard College, qui n'a pas participé à la dernière étude.

Dewald, éditeur du guide de lecture anglais Cambridge Companion to Herodotus et de versions des Histoires, fait, par exemple, état de recherches qui suggèrent que la célèbre description des fourmis chercheuses d'or pourrait avoir pour origine un mot persan désignant les marmottes, qui auraient parfois déterré de la poussière d'or dans les contreforts de l'Himalaya.

Autre exemple, des archéologues ont découvert dans un port d'Égypte ancienne une épave de navire qui correspondait précisément à une description faite par Hérodote de la construction inhabituelle d’un certain type de navire. Enfin, la découverte de cannabis dans des tombes scythes pourrait expliquer sa description d'un rituel au cours duquel les nomades inhalaient la fumée de plantes et « [hurlaient] de joie ».

Hérodote a souvent rapporté différents récits qu’il a toujours attribués à d'autres, explique Dewald. « Il n’y avait, selon lui, pas d’histoire "vraie", dont tous les faits peuvent être expliqués. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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