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Hier — 28 mars 2024Analyses, perspectives

UN MONDE QUI CHANGE ENTRETIEN AVEC ERIC DENECE

Eric Dénécé est un spécialiste français du renseignement et de l’intelligence économique. Directeur du Centre français de Recherche sur le Renseignement, qu’il a fondé. SOMMAIRE : I) Analyse de l’attentat de Moscou II) Instabilité stratégique et dissuasion nucléaire III) Le… Lire la suite
À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Yémen. Le socialisme dilué dans le séparatisme sudiste

De la République populaire et démocratique du Yémen, unique État marxiste dans le monde arabe, au mouvement sécessionniste sudiste, la trajectoire du socialisme au Yémen apparaît bien singulière. Le passage au pouvoir jusqu'en 1990 n'a empêché ni le désenchantement ni la relégation. Le parti socialiste s'est depuis trois décennies largement enfermé dans des logiques identitaires, instrumentalisées par les puissances régionales.

La gauche au Yémen, comme ailleurs dans le monde arabe, est un objet devenu fuyant. Elle s'est graduellement vu marginaliser, ne comptant plus vraiment aujourd'hui en tant que force politique de premier plan. Restent la nostalgie, quelques atavismes et parfois des positionnements géopolitiques baroques lui permettant de survivre sans jamais réellement peser.

L'une des spécificités du Yémen est liée à une longue expérience socialiste au pouvoir. Pendant deux décennies, alors que le pays était divisé en deux entités indépendantes héritières des découpages de l'ère coloniale, le Parti socialiste yéménite (PSY), créé en 1978, et ses prédécesseurs issus du soulèvement anticolonial débuté en 1963 contre les Britanniques, ont présidé de façon autoritaire aux destinées du Yémen du Sud. Depuis la capitale Aden, autrefois port de rayonnement international et joyau de l'Empire, les dirigeants socialistes ont exercé de 1967 à 1990 un pouvoir centralisé, fortement idéologisé. Celui-ci était porté par une volonté d'exporter leur révolution, en particulier dans l'Oman voisin et la région du Dhofar, ainsi qu'au Yémen du Nord, à travers le soutien fourni à la guérilla du Front national démocratique à la fin des années 1970. Les socialistes ont œuvré pour transformer la société et l'économie du Yémen du Sud à coup de nationalisations et de purges, et grâce à l'appui des parrains extérieurs est-allemands, soviétiques et chinois. Aden était alors un phare du camp socialiste, lieu de refuge et d'entraînement de militants, parfois armés tels ceux du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) emmené par Georges Habache, ou de l'Allemand Hans-Joachim Klein et du Vénézuélien Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos.

L'État marxiste défait

Mise sous pression par le projet socialiste, la société traditionnelle locale — dans laquelle les tribus et les acteurs religieux sont centraux — a toutefois survécu, en particulier dans les campagnes et dans la région orientale du Hadramaout. Les structures n'ont en réalité guère évolué, faute de ressources, mais aussi en raison de la faiblesse de l'urbanisation et d'une importante population émigrée (en particulier dans les monarchies du Golfe), qui a trouvé hors du Yémen une protection face aux politiques volontaristes socialistes, souvent brutales, et des moyens de préserver ses intérêts financiers.

Malgré sa vulgate progressiste, la République populaire et démocratique du Yémen était elle-même traversée par des tensions inter régionales déguisées en divergences idéologiques. Cela a notamment abouti en janvier 1986 à un épisode d'une violence rare, faisant plusieurs milliers de morts, et dont l'impact est encore fort parmi les élites du Sud. Cette brève guerre civile1 a entraîné l'exil de certains et un fort ressentiment. Une opposition est née de l'époque, entre le groupe dit Al-Zoumra dirigé par Ali Nasser Mohammed (président du Sud de 1980 à 1986) et plus marginalement Abd Rabbo Mansour Hadi (président de 2012 à 2022) qui trouve ses principaux soutiens dans la région d'Abyan d'un côté, et la faction alors victorieuse surnommée Al-Toughma conduite par Ali Salim Al-Bidh dont la base principale se trouve dans le Hadramaout de l'autre. Cette opposition continue de structurer les débats et les inimitiés au sein de la gauche sudiste.

Cet échec du pouvoir marxiste n'a jamais été totalement digéré. Il a fini par reconfigurer la place des socialistes en tant que mouvement d'opposition depuis la fin de la Guerre froide, l'unification des deux Yémen le 22 mai 1990, et la chute de l'État socialiste. Plutôt que d'incarner une alternative politique claire, fondée sur le plan économique par des stratégies différentes de celles proposées par Ali Abdallah Saleh, président du Yémen unifié jusqu'en 2012, le parti socialiste yéménite s'est largement transformé en défenseur d'une identité sudiste qu'il a volontiers cherché à définir comme spécifique, distincte de l'identité nationale et donc opposée à celle dite du Nord. La défense des classes laborieuses s'est largement mue en construction d'une nation sudiste.

Sur la route de l'exil

Au lendemain de l'unité, cette logique, adossée à la volonté des leaders socialistes de sauvegarder leurs prérogatives et leur accès aux ressources de l'État, a grandement structuré l'attitude du Parti socialiste yéménite. Pendant quatre années, l'accord entre le Nord et le Sud a préservé une phase de transition qui offrait des postes de commandement aux socialistes, notamment le rang de vice-président à Ali Salem Al-Beidh, en plus du maintien des forces armées du Sud sous commandement autonome.

Certes, l'unité du Yémen a acté la domination du Nord, entraînant des spoliations et des discriminations au moment de la reprivatisation des terres, cependant les élites socialistes n'ont pas reconnu leur défaite — tout d'abord économique — en maintenant des attentes peu réalistes. L'égalité était de fait impossible, ne serait-ce qu'en raison d'un déséquilibre démographique : l'ex-Yémen du Sud demeure environ trois fois moins peuplé que le Nord. Dans ce contexte, la guerre de 1994, au lendemain de la déclaration de sécession de l'ex-Yémen du Sud en mai 1994, a précipité une nouvelle défaite socialiste, militaire cette fois, poussant Ali Salem Al-Beidh vers un exil définitif à Oman puis en Autriche, et entraînant une marginalisation définitive de la gauche en tant qu'alternative.

Après 1990, la bouée de sauvetage que le leadership socialiste avait alors cru trouver auprès des monarchies du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite qui cherchait en lui un affaiblissement du Yémen, n'a pas suffi. Leur reconnaissance de l'État sudiste nouvellement proclamé en 1994, les promesses d'aide financière par les rois et émirs n'ont pas effacé un processus historique profond, incarné dans une défaite militaire conduisant au sac d'Aden par l'armée du Nord, alliée aux islamistes et aux hommes de tribus revanchards, le 7 juillet 1994. La séquence a néanmoins souligné les compromissions géopolitiques des dirigeants de gauche, loin des discours anti impérialistes qui avaient guidé la création du parti et de l'État socialistes.

Construire l'alternance avec les islamistes

Il demeure évidemment quelques exceptions et le jugement soulignant un égarement de la gauche au Yémen s'avère quelque peu sévère. L'assise du parti socialiste au nord, avant comme après l'unité de 1990, n'est pas nulle. À travers la guérilla du Front national démocratique, le parti a su mobiliser et donner naissance à des cadres qui étaient pour partie autonomes vis-à-vis de l'État sudiste. Le plus brillant est Jarallah Omar Al-Kuhali, originaire de la région d'Ibb et secrétaire général adjoint du PSY. Autour de Taez, troisième ville du pays, le parti socialiste avait également une base non négligeable et a su, après 1994, se réinventer partiellement. De même, en dehors de la structure partisane née au Sud, le Yémen a connu des figures de gauche, comme les poètes Abdallah Al-Baradouni et Abd Al-Aziz Al-Maqalih, ou encore les militantes féministes Amal Bacha et Raoufa Hassan.

Au cours des trois dernières décennies, deux dynamiques au sein du parti socialiste semblent avoir coexisté, sans jamais donner naissance à des scissions formelles, pourtant coutumières au sein des gauches arabes : l'une inscrite dans le cadre large de l'État unifié, l'autre œuvrant pour la sécession. Bien qu'assassiné en décembre 2002 dans des conditions non élucidées alors qu'il assistait au congrès du parti Al-Islah (branche yéménite des Frères musulmans), Jarallah Omar Al-Kuhali a su imposer une option singulière pour le parti socialiste : l'alliance entre oppositions. En 2003 puis en 2006, la présence de candidats uniques à travers la plateforme du Dialogue commun (Al-liqa al-mouchtarak) face au parti au pouvoir d'Ali Abdallah Saleh, a permis au parti socialiste de se maintenir. Il a également pu apporter son concours à un dépassement de la confrontation entre islamistes et gauche qui, partout ailleurs dans le monde arabe, a renforcé les pouvoirs autoritaires. Le journal Al-Thawri et l'Observatoire yéménite des droits humains, liés au PSY, ont été l'incarnation de cette option finalement fructueuse.

C'est en partie grâce à cette logique que le soulèvement révolutionnaire de 2011 a pu atteindre sa masse critique et aboutir, avec un niveau de violence limité, à la chute d'Ali Abdallah Saleh. Cependant, la phase de transition, marquée par la montée des enchères au sein de chaque groupe politique, a aussi montré les limites de l'approche fondée sur le consensus qu'incarnait le Dialogue commun. Le secrétaire général du PSY, Yassin Said Noman, qui était une figure largement respectée, s'est alors retiré de la politique, acceptant le rôle d'ambassadeur à Londres en 2015, un rang qu'il continue d'occuper début 2024.

Le socialisme dilué

La dynamique sudiste au sein du parti socialiste a donc acquis une place prépondérante au moment même où les rebelles houthistes prenaient le contrôle de Sanaa fin 2014 et où la confrontation armée débutait. Depuis 2015 et l'intervention saoudienne pour rétablir le président Abd Rabbo Mansour Hadi, ancien socialiste honni par ces derniers, le devenir de la gauche n'est clairement pas un enjeu de premier plan. Socialiste ou non, elle n'incarne à aucun niveau une alternative sérieuse. Les quelques socialistes restés à Sanaa se sont alignés sur les positions anti saoudiennes des houthistes, d'autres sont en exil et ont délaissé le label socialiste du fait de sa démonétisation.

C'est ainsi que le PSY s'est pour l'essentiel dilué dans le mouvement sudiste. Il a toutefois été marginalisé dans la mesure où une nouvelle génération a remplacé la figure longtemps tutélaire d'Ali Salem Al-Beidh, exilé depuis 1994 mais qui continuait jusqu'au début de la guerre actuelle à être l'un des leaders du mouvement. Les faits d'arme de combattants salafistes lors des affrontements contre les houthistes en 2015 à Aden ont favorisé une alliance de fait avec une partie des socialistes. Tous deux se sont depuis lors retrouvés dans le Conseil de transition sudiste, fondé en 2017 avec l'appui continu des Émirats arabes unis. Soutenus par l'État capitaliste par excellence et soumis à des leaders religieux, les socialistes ne sont même pas représentés au sein du Conseil présidentiel composé de huit membres qui a succédé à Hadi en avril 2022. Dans l'armée comme au sein des milices, ils ne comptent plus et ne semblent subsister qu'à travers d'anciens cadres, parfois formés dans les anciennes républiques socialistes d'Europe et mus par une nostalgie désespérée. Certes, il reste bien l'étoile rouge du socialisme sur le drapeau derrière lequel se rallient les partisans de la sécession sudiste, néanmoins c'est là un bien maigre héritage si l'on pense aux ambitieux slogans portés par la République populaire et démocratique du Yémen dans les années 1970.


1NDLR.— La guerre civile au Yémen du Sud s'est déroulée du 13 janvier au 24 janvier 1986. Le bilan de ces onze jours de combats est estimé entre 4 000 et 10 000 morts.

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Juin 1940 – mai 1945, Charles de Gaulle et la France dans la guerre

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Charles de Gaulle - appel du 18 juinLa France vient de subir la défaite la plus humiliante de son histoire, capitulant en quelques semaines devant l’armée allemande,

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L’ancien Premier ministre de Gorbatchev, Ryjkov, est décédé à 94 ans

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Maroc. « La mère de tous les mensonges », jeu de pistes familial sur une répression oubliée

Par : Jean Stern

En juin 1981, la répression des émeutes du pain fait des centaines de morts à Casablanca. Avec des figurines d'argile et une maquette construite par son père, la réalisatrice Asmae El Moudir reconstitue dans sa propre famille cette sombre page de l'histoire marocaine. La mère de tous les mensonges imprégné de colère et de magie, sort en France ce 28 février 2024. Un film soutenu par Orient XXI.

Une vieille femme marocaine sourde à qui sa petite-fille installe un appareil auditif ouvre le film. De caractère acariâtre, on comprend vite qu'elle règne d'autorité sur sa maisonnée. « Quand ma grand-mère parle, tout le monde a peur », dit la petite-fille, qui elle non plus n'a pas sa langue dans sa poche. Sourde, la vieille femme refuse toute contradiction et n'aime pas les photos. Il n'y en a pas à la maison « parce que c'est péché ». La seule photo qu'elle tolère est un portrait d'Hassan II, son roi préféré, mort en 1999, et qui faisait régner la terreur dans son pays comme elle-même sur sa famille.

Dès les premières minutes du film, on devine un secret de famille que la vieille femme veut cacher à sa petite-fille, trop curieuse. Il existe peut-être, pourtant le vrai secret est plus vaste, plus terrible aussi. Ce n'est pas celui d'une famille, mais d'un pays tout entier, d'un régime. Sourde, la grand-mère devient soudain muette. Est-ce la peur, la honte ou l'indifférence qui sont responsables de ce silence ? La recherche de vérité de sa petite-fille, la réalisatrice du film Asmae El Moudir, l'exaspère, et elle fera tout pour l'empêcher.

Des cadavres enlevés à leurs familles

Casablanca, Maroc, juin 1981. Sous le règne d'Hassan II, le pays connait une grande misère. La sécheresse est rude depuis quelques années et les pauvres ont faim. Le régime décide malgré tout d'augmenter le prix de la farine, et par conséquent du pain. Les syndicats protestent, en vain. Les 20 et 21 juin, des milliers de personnes descendent dans la rue, provoquant de véritables émeutes. La répression est féroce : plus de 600 morts, selon les bilans officieux. Un massacre, une boucherie, pire encore. Car non seulement la police et l'armée tuent sans discernement, mais font disparaitre les corps des victimes pour empêcher que les enterrements ne deviennent à leur tour des manifestations. Les maisons sont brutalement perquisitionnées afin d'enlever les cadavres aux familles. Ce sera le cas chez des proches voisins des El Moudir. Pour eux, pas de deuil. Et à la peur de la répression s'ajoutera la honte de ne pas pouvoir honorer ses morts. « Je ne veux plus me souvenir de tout cela, je veux oublier », dit l'un des personnages à propos de son séjour en prison, où des dizaines de personnes arrêtées sont mortes à côté de lui, dans sa cellule. Dans une scène bouleversante, il en fait le récit, puis s'effondre.

LARE DE TOUS LES MENSONGES - Bande-annonce - YouTube

Depuis, ce moment tragique des « années de plomb » marocaines est tombé dans l'oubli. Ce n'est que 25 ans plus tard que les fosses communes seront exhumées. Née en 1990, la réalisatrice Asmae El Moudir n'a rien connu de ces émeutes. Comment alors raconter une histoire invisible, presque sans traces ? Elle parvient cependant à en tirer un film, La mère de tous les mensonges, qui sort en salles ce 28 février. Astucieux et inventif, ce documentaire ancre la réussite actuelle du cinéma indépendant marocain, qui n'a pas peur des sujets forts, ni des mises en scène novatrices.

La mère de tous les mensonges porte sur les secrets de l'histoire que l'on dissimule à ses descendants, même — et peut-être surtout — si l'on en a été acteurs. Histoire familiale et histoire nationale se confondent d'abord autour d'une photo et d'un lieu. L'image est celle d'une adolescente, Fatima, 12 ans, qui habitait le quartier de la famille El Moudir. Elle a été tuée par les forces de l'ordre le 20 juin 1981 et son corps n'a jamais été retrouvé. L'endroit est la rue du quartier populaire de Casablanca où Fatima a grandi, celle-là même de la demeure des El Moudir. Le père de la réalisatrice, un ancien maçon aux rêves enfantins de footballeur, va mettre son obstination d'artisan – on ne peut s'empêcher de penser ici au couturier maniaque du Bleu du caftan de Maryam Touzani - au service de sa fille, et construire une vaste maquette en plâtre de la rue et de leur maison, incroyablement réaliste, qu'il peuple de figurines d'argile peintes et habillées avec un extraordinaire souci du détail.

Faire sortir des brides de vérité

Car ce qui anime la réalisatrice et bouscule sans ménagements sa famille, surtout sa grand-mère taiseuse bien que fort bavarde, c'est de saisir, à travers la reconstitution de son quartier, ce qui s'est réellement passé en juin 1981. Elle tente de comprendre comment, pour ces gens ordinaires de Casablanca, l'oubli est à la fois une forme de négation et une souffrance sécrète. Elle ne cesse de poser des questions, de tanner son père, sa mère, sa grand-mère et ses autres proches pour obtenir des bribes de paroles, saisir des nuances psychologiques, faire sortir des vérités cachées derrière « tous les mensonges », à commencer par ceux de sa grand-mère.

C'est là la force du film : faire d'un simple (mais surprenant) décor le théâtre de tant de colères refoulées. Chaque personnage, chaque maison, chaque bribe d'histoire est décortiquée avec un soin maniaque par la réalisatrice. Rien n'est laissé au hasard dans ce dispositif exceptionnel, artificiel, et pourtant incroyablement humain. D'autres maquettes complètent et amplifient la profondeur de ce très subtil jeu de pistes cinématographique : la prison, le cimetière, le jardin d'enfants...

Avec La mère de tous les mensonges, Asmae El Moudir réalise un film exceptionnel et bouleversant. Elle montre que, malgré les milliards de dollars dépensés par les tycoons des plateformes mondialisées pour lisser les goûts et les images, le cinéma est depuis les frères Lumière un art du bricolage obstiné sur pellicule, un jeu de clair-obscur qui aime la lumière. La réalisatrice donne d'ailleurs à voir de nombreux détails de l'élaboration de son dispositif, film dans le film où les figurines, en particulier celle de la grand-mère, ont toute leur importance dans des scènes sublimes de franchise et d'intelligence. Les variantes dans les éclairages et la large palette des prises de vue de la maquette offrent à La Mère de tous les mensonges les allures d'un conte de fées, fait d'éblouissements et de malice. La s'hour magie » en arabe marocain) qui irradie au Maroc est l'un des fils rouges de ce film, profondément marocain par sa pudeur comme par ses hardiesses, mais aussi totalement universel par les thèmes qu'il porte, en particulier la peur.

Ce documentaire éclaire aussi d'un nouveau jour l'histoire politique et sociale du Maroc. En dévoilant les mensonges par oubli, il donne une nouvelle lumière à cette tarte à la crème des temps modernes qu'est le devoir de mémoire.

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La mère de tous les mensonges
Film d'Asmae El Moudir
2023
1h37
Sortie en France le 28 février 2024

ANCE EN PARTENARIAT AVEC ORIENT XXI
Le mardi 5 mars à 20h à Paris au Grand Action
suivie d'une discussion avec Jean Stern.
Prix spécial pour les lecteurs et lectrices d'Orient XXI : 6,50 euros.

La Révolution conservatrice d’Iran : les exemples de Djâlal AL-e Ahmad, Ali Shariati et Ahmad Fardid

Il y a des fils rouges qui relient les contextes culturels allemand des années vingt et celui iranien des années soixante et soixante-dix. C’est un sujet peu abordé et dont l’approfondissement est pourtant nécessaire pour mieux comprendre l’histoire de l’Iran et la naissance de la République.

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1938 – 1940 : de Munich à Rethondes

Conférence de Munich, 30 septembre 1939

Conférence de Munich, 30 septembre 1939L’ascension inexorable du Führer n’a pas été prise au sérieux par les pays européens qui ne voulaient pas voir les

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CONFLIT MONDIAL VIDEO N°77

Semaine chargée sur le front ukrainien avec la chute d’Avdivka. Qu’il faut plutôt qualifier de déroute puisque l’ordre officiel de retraite n’a été donné que pour masquer ce qui ressemblait à une débandade. Le fameux bataillon Azov qu’on avait envoyé… Lire la suite

Sur Israël, les prémonitions au vitriol de Raymond Aron

Raymond Aron est à la mode. Le penseur libéral, l’universitaire doublé d’un éditorialiste influent par ses éditoriaux dans Le Figaro puis dans L’Express, des années 1950 à 1980, a été convoqué à l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition par des médias de droite à la recherche des références intellectuelles qui leur manquent dans la production actuelle : « un maître pour comprendre les défis d’aujourd’hui », « un horizon intellectuel », « un libéral atypique ».

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Maroc. Les dernières ruines de la dynastie des Goundafis

Les Goundafis ont régné d'une main de fer pendant plus d'un siècle, de 1830 à 1951, sur la province du Haouz, au sud-est de Marrakech. Taïeb Goundafi a d'ailleurs été l'un des caïds sur lesquels s'est appuyé le protectorat français pour asseoir son pouvoir. Mais les ultimes vestiges de cette dynastie, la résidence d'Imgdal et la Kasbah Tagountaft, se sont effondrés avec le séisme du 8 septembre 2023.

Toutes les régions de la province du Haouz n'ont pas abrité sur leur territoire une forteresse, un château, un riad ou une kasbah qui témoigneraient de l'histoire et de l'influence exercée par la tribu Goundafa (Tagountaft en berbère). Il faudra parcourir un peu plus de soixante-dix kilomètres par une route escarpée depuis Marrakech pour rencontrer le premier vestige de cette tribu, dans un bourg appelé Imgdal, sur les montagnes du Haouz. Imgdal (« les gardiens » en berbère) a autrefois hébergé Si Mohammed Ou Brahim Goundafi, l'avant-dernier de la tribu Goundafa. Il y a bâti une résidence dominant l'oued N'Fiss qui coule vers l'actuel lac du barrage Yacoub Al-Mansour1. « Charmante et miroitante au milieu des jardins et des champs cultivés… », c'est en ces termes que le colonel Léopold Justinard décrit la demeure dans sa biographie consacrée au caïd Taïeb Goundafi2.

Cette bâtisse d'Imgdal témoigne, avec la Kasbah Tagountaft à 45 kilomètres plus au sud, des grandeurs et décadences de cette seigneurie. Mais depuis le séisme du 8 septembre 2023 qui a frappé le Haouz, le riad d'Imgdal s'est effondré, et la mosquée de Tinmel n'est plus que ruines.

Pendant plus d'un siècle, le pouvoir des Goundafis s'est étendu sur toute la vallée du N'Fiss, depuis le col du Tizi N'Test, sur la route de Taroudant au sud, jusqu'à la commune d'Asni au nord. Une petite dynastie dans la grande, celle du Makhzen3, qui a régné d'une main de fer sur cette partie du Haut Atlas occidental. Originaire du Sahara marocain, l'aïeul des Goundafis se serait installé tout d'abord dans le Souss, avant que l'un de ses descendants, Lahcen Aït Lahcen, ne devienne imam au XVIIIe siècle à Tagountaft, près de Tiznit. Amghars (chefs de tribu, ou cheikhs) de père en fils, les Goundafis prirent ensuite le pouvoir en tant que caïds à partir de la moitié du XIXe siècle, non sans avoir livré des batailles rangées contre des notables rivaux : caïds, amghars et autres dignitaires de l'époque. Mais les Goundafis finirent par s'imposer au Makhzen comme une autorité locale sur laquelle le pouvoir central pouvait compter pour asseoir son pouvoir dans la région.

L'apogée des grands propriétaires terriens

L'épopée de cette tribu commence avec les amghars Haj Ahmed Aït Lahcen et Mohamed Aït Lahcen : deux personnages clés à l'origine de l'ascension politique et militaire de la tribu et de sa puissance économique. Après avoir acheté l'intégralité des habous4 de la vallée du N'Fiss, ils deviennent des grands propriétaires terriens. Le sociologue Paul Pascon analyse dans sa thèse sur le Haouz5, comment, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, l'État marocain doit lever de nouveaux impôts sous la pression des puissances européennes. Il faut pour cela s'appuyer sur des caïds puissants :

Mais ce que ceux-ci prennent dans leur propre tribu pour leur compte et celui de l'État réduit d'autant la part des anciens notables. Comme il n'est pas possible d'augmenter la production, il ne reste plus à la tribu qu'à aller piller ses voisines. C'est ainsi que le domaine des caïds s'agrandit, d'autant plus que ceux-ci disposaient de l'artillerie européenne moderne6.

Le pouvoir local des Goundafis s'est ainsi constitué au prix de longues batailles, d'alliances et de ruses. Et le caractère de Mohamed Aït Lahcen a été déterminant dans cette conquête. L'historien Naciri Slaoui le décrit comme un personnage « plus circonspect qu'un corbeau et plus difficile à surprendre qu'un vautour »7.

À l'époque, le col du Tizi N'Test, à 2 200 m d'altitude, était un passage géographiquement stratégique, reliant le Haut Atlas à la plaine du Souss. Quiconque dominait ce point culminant devenait maître de cette montagne, tant au niveau social, politique qu'économique.

En 1873, Tagoutaft Mohamed Aït Lahcen devient le maître absolu de la région après avoir laminé tous ses adversaires. Ne lui manque plus qu'à obtenir la bénédiction du pouvoir central, le Makhzen, sous le règne du sultan Moulay Hassan (1873-1894) dans la capitale de Fès, pour conquérir une légitimité politique - certes symbolique mais nécessaire à la pérennité de sa puissance et de ses intérêts. Car sans cette soumission au Makhzen central, il est considéré comme un dissident à combattre. À partir de 1876, il devient caïd et porte le patronyme de Goundafi. Pour célébrer leur entente, le sultan lui envoie un émissaire demander la main de ses filles. Demande illico acceptée. Les mariages ont lieu à Fès : l'aînée échoie au petit-fils du sultan Sidi Mohamed Ben Abderrahmane, la cadette au célébrissime grand vizir Ahmed Ben Moussa surnommé Ba H'mad, et la benjamine à Bachir Jamaï, cousin du vizir Mokhtar Jamaï.

L'alliance des grands caïds avec le protectorat

Cette alliance familiale avec les dignitaires du pays scelle une fois pour toutes la réconciliation avec le Makhzen, et donne un coup de fouet à l'hégémonie sans partage des Goundafis dans la région.

Surgit alors un personnage central dans la lignée des Goundafis : Taïeb Goundafi (1855-1928). Caïd comme son père à partir de 1883 — Le caïdat se transmettait à l'époque par voie héréditaire —, il poursuit l'œuvre de la tribu, cette fois-ci sous le protectorat de la France. À partir de 1912, le premier résident Hubert Lyautey lance la politique dite des grands caïds pour rallier à lui les Goundafis. Déjà, au temps du sultan Moulay Lhassan (1836-1894), le caïd Taïeb a participé à presque toutes les harkas pour mater les dissidences, en particulier celles de Tafilalet en 1893, et de Tadla en 1894.

Le colonel Justinard qui côtoiera le personnage pendant les cinq années de sa mission à Tiznit écrit :

Taïeb était, en 1912, lors de notre arrivée au Maroc, un de ceux qu'on appelait les grands caïds du Sud : un Arabe, Aissa Abdi ; trois chleuhs le Glaoui, le M'tougui, et lui, Goundafi (…) Il était trop avisé pour ne pas comprendre que, les Français étant à Marrakech, il n'avait plus qu'à faire au plus tôt sa soumission. D'ailleurs, ses ennemis l'avaient déjà faite. Il y a là un des ressorts puissants de la politique des grands caïds. Il fallait sans tarder un instant rejoindre le train.

Âgé de la cinquantaine lorsqu'il fait sa connaissance, le colonel français brosse un portrait plutôt attrayant de Si Taïeb, le Goundafi qui a le plus marqué sa tribu.

La rude existence menée par ce sec montagnard du N'Fiss l'avait conservé. Une figure fine, entourée d'un collier de barbe. Des yeux superbes. Il avait conservé une légère boiterie…Abidar le boiteux, surnom que lui donnait Mtouggi. Pour essayer de mieux le dépeindre, j'ai cru le voir un jour, à Florence, au mur des Offices, dans le portrait de Jules II, ce pape qui rossait les époques, avec lequel il devait avoir des traits communs. Avec, toujours, un très haut sentiment de la grandeur. Un seigneur dépaysé dans notre siècle. Tel était Si Taïeb…

Une légion d'honneur polémique

Les Goundafis ont régné sur le Haouz de 1830 à 1951, période durant laquelle sept caïds se sont succédé. Le dernier en date, Lahcen Ou Brahim Goundafi (de 1947 à 1951), sonnera le glas du règne de la dynastie. Néanmoins, la disgrâce de cette tribu ne date pas de 1951. Elle remonte à 1924, du temps du puissant caïd Taïeb, quand le régime du protectorat dépossède ce dernier de son pouvoir réel et direct pour en faire un caïd honoraire. La dernière étape de ce plan « machiavélique », comme le dénonce Omar Goundafi, le petit-fils de Taïeb, dans sa biographie de ce dernier, a été la dépossession de cette famille de certains de ses biens fonciers situés dans la zone de leur commandement, « en créant de toutes pièces des opposants à ces titres »8.

L'auteur défend la thèse selon laquelle les Goundafis ont toujours été fidèles au sultan, avant et pendant le régime du protectorat, mais que ce dernier a toujours manœuvré pour les déposséder de leur pouvoir politique et administratif, et de leur patrimoine foncier. À aucun moment, conclut le petit-fils de Taïeb, les Goundafis n'ont été des collaborateurs du protectorat français, moins encore Taïeb, qui a toujours « formulé des critiques et des boutades » à leur encontre, « selon des rapports confidentiels de ce régime », assène-t-il. Mais la vérité est toute autre : Taïeb a été élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur en décembre 1920, selon un rapport confidentiel du protectorat, cité par le colonel Justinard, « en raison des services éminents qu'il rend à la cause française et au Makhzen depuis plus de quatre ans dans la province de Tiznit ». On ne peut être plus clair.

Aujourd'hui, les descendants des Goundafis se défendent de cette « injuste » accusation de collaboration avec le protectorat français. Rencontré dans sa fastueuse résidence à Targa, Brahim Goundafi, fils de Mohamed Ou Brahim (caïd entre 1930 et 1946), accuse le parti nationaliste de l'Istiqlal d'avoir « fomenté toute cette propagande malsaine. Les Goundafis ont toujours été fidèles au trône », affirme-t-il. Les descendants actuels de Thami El-Glaoui ne disent pas autre chose de leur aïeul dont on connait parfaitement la génuflexion au protectorat français, avec la signature à quatre mains de la déposition du sultan Ben Youssef (futur roi Mohamed V)9.

Un projet touristique abandonné

À 110 kilomètres de Marrakech, à Tinmel, épicentre du séisme du 8 septembre, un autre monument témoignait jusqu'à récemment de la grandeur et de la décadence de la dynastie des Goundafis : la Kasbah Tagountaft. Perchée comme un nid d'aigle au flanc d'une colline, elle a servi comme forteresse aux Goundafis qui l'ont eux-mêmes bâtie pour se défendre contre leurs ennemis. Érigée sur trois niveaux et s'étalant sur une superficie de 40 hectares, elle fait face, de l'autre côté de la route goudronnée menant au col du Tizi N'Test, à un autre monument : la mosquée de Tinmel.

Si la première tombait depuis des décennies en ruines, ne trouvant personne pour la restaurer, la seconde, fondée aux temps des Almohades au XIIe siècle, a pu être sauvée et restaurée dans les années 1990. Les velléités d'appropriation de la forteresse par des investisseurs dans le tourisme n'ont pas manqué. L'un d'eux, Mohamed Zkhiri, consul honoraire de Grande-Bretagne à Marrakech, propriétaire d'un fleuron de la restauration marocaine dans la ville ocre, Al-Yaqout, est parvenu à l'acquérir en 2001.

L'ambition du nouvel acquéreur était de transformer cette forteresse en hôtel-restaurant. Pour réaliser son rêve, il a mis de gros moyens, et des chargements de matériel de construction (bois, ciment, acier…) ont commencé à arriver depuis Marrakech. Pour faciliter le transport de ses futurs hôtes, il prévoyait aussi une piste d'atterrissage pour les hélicoptères. Cependant, le projet a tourné court, tant le délabrement du monument de Tinmel était avancé. L'argent investi pour le restaurer a fondu comme l'eau sur le sable, et la mort du nouvel acquéreur, en 2017, est venue mettre fin à cette folle ambition.

Le 8 septembre 2023, jour du séisme, la bâtisse construite dans les années 1920 s'est effondrée comme un château de cartes, rendant impossible toute éventuelle restauration. En face d'elle, de l'autre côté de la montagne, se loge la mosquée de Tinmel. Bien qu'elle ait été à moitié détruite le 8 septembre, l'espoir d'une restauration persiste.


1NDLR. Le Roi Mohammed VI a inauguré, mi-mai 2008, dans la commune rurale de Ouirgane, le barrage Yacoub Al-Mansour

2Léopold Justinard, Un grand chef berbère, le caïd Goundafi, éd. Dar Al-Aman, Rabat, 2015.

3NDLR. Le Makhzen désigne le pouvoir marocain et par extension l'administration.

4NDLR. Les habous peuvent être des biens mobiliers ou immobiliers. Il peut s'agir d'une récolte, ou d'un débit horaire de l'eau d'une source, etc. On peut les classifier en trois types : publics, privés ou mixtes.

5Paul Pascan, Le Haouz de Marrakech, Éditions marocaines et internationales, 1977, 2 volumes.

6Jean-François Clément, Le Haouz de Marrakech, Revue française de sociologie, 1978.

7Naciri Slaoui, Kitab al-istiqsa li-akhbar douwal al-Maghrib al-aqsa (2001), en français « Recherches approfondies sur l'histoire des dynasties du Maroc »

8Omar Goundafi, Un caïd du Maroc d'antan, Taïeb Goundafi (1855-1928), Marsam, Rabat, 2013.

9Abdessadeq El Glaoui, Le ralliement, le Glaoui mon père, Marsam, Rabat, 2004.

L’anticommunisme, c’était mieux avant…

Alors comme ça, Macron aurait inséré dans son vibrant hommage de Missak Manouchian, la mention de comment qu’il était pas trop gentil puisqu’il était communiste. J’ai pas suivi. On m’a envoyé le discours de Fabien Roussel en mode Bisounours 1e… Lire la suite

13-15 février 1945 : Dresde, un crime de guerre des Alliés

À partir du 13 février 1945 et pendant trois jours, les Anglo-Américains perpètrent le crime des crimes, à Dresde. La capitale de Saxe est une ville ouverte : elle n’abrite ni usine, ni militaire et ne présente aucun intérêt stratégique. Au contraire, des centaines de milliers d’Allemands, fuyant les crimes de l’Armée rouge, se sont réfugiés dans la ville ; de nombreux blessés sont soignés dans les 25 hôpitaux de la ville. C’est un véritable choix terroriste qui a décidé les gouvernements criminels alliés à attaquer la ville.

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Manouchian au Panthéon : la surprise de Léon Landini

Léon Landini est contrarié. Il a bientôt 98 ans et il est le dernier membre survivant de l’organisation des FTP MOI, l’organisation combattante mise en place par le parti communiste français pendant l’occupation pour lutter à la fois contre l’occupant… Lire la suite

Radio Diploweb. Comment la guerre russe en Ukraine transforme-t-elle l'UE ?

L'Union européenne est-elle - enfin - sortie de son hébétude géopolitique et stratégique sous la pression de la guerre russe en Ukraine ? L'Europe communautaire avait un ADN contraire à la guerre et à la puissance par voie militaire, et l'UE se retrouve avec un conflit majeur en Europe géographique et d'importants sujets sur la table.

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Pourquoi le keffieh est-il le symbole de la résistance palestinienne ?

Porté en écharpe, en foulard, en châle, et pour les âmes révolutionnaires romantiques, recouvrant le visage, façon fedayin, il est de toutes les manifestations sur la Palestine. Le keffieh palestinien est devenu depuis des décennies le symbole de l'identité – et donc de la résistance – palestinienne. Il a été popularisé par des icônes comme Leila Khaled, militante du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et première femme à avoir participé à un détournement d'avion en 1969, ou encore par le leader palestinien Yasser Arafat qui en a fait son couvre-chef permanent et, à l'instar du béret d'Ernesto « Che » Guevara, le complément de son uniforme militaire.

Un outil de la Grande révolte

On retrouve plusieurs déclinaisons du keffieh dans les pays voisins, comme la version jordanienne en rouge et blanc, aux motifs toutefois différents, appelée « hatta », adoptée aussi par les membres du FPLP. On le croise également en Syrie, ainsi que de l'autre côté de la frontière, dans le centre et le sud de l'Irak, ou encore en Arabie saoudite, rouge aussi, sous le nom de « chemagh », mot dérivé d'« ach makh », littéralement « couvre-tête » en sumérien.

Traditionnellement, le keffieh est, en Palestine, la coiffe des paysans. Il est maintenu par un agal, un cerceau noir qui entoure la tête. Son motif représenterait les filets des pêcheurs, mais la thèse n'a pas été scientifiquement confirmée.

En 1936 éclate en Palestine mandataire la Grande révolte arabe, à la fois contre le mandat britannique et contre le rôle des Anglais dans l'encouragement de la colonisation sioniste en vue de la création d'un foyer national juif. Les paysans palestiniens portent la contestation jusque dans les villes. Parmi eux, les combattants qui mènent des opérations armées contre le pouvoir mandataire se cachent le visage avec leur keffieh. Or, les Palestiniens des villes portent à l'époque le tarbouche ottoman, une coiffe rouge verticale qu'on retrouve jusqu'au Maghreb. De fait, les paysans coiffés de keffiehs étaient des suspects facilement identifiables par l'empire colonial. Pour permettre aux combattants palestiniens de se fondre dans la masse, les leaders de la révolte publient un communiqué le 27 août 1938 demandant à tous les hommes palestiniens sans distinction d'adopter le keffieh. Un slogan surgit dans les manifestations : « Cinq sous le prix du keffieh, Et au traître, le tarbouche sied » (« El koufiyeh b'khamsé ‘rouch, Wel khayen yelbass tarbouch »). C'est la naissance d'un symbole à la fois national et de classe.

La signature des fedayin

Après la guerre de juin 1967 et l'interdiction du drapeau palestinien dans la bande de Gaza et en Cisjordanie – qui ne sera officiellement levée qu'avec les Accords d'Oslo -, le keffieh devient une bannière alternative pour les Palestiniens des territoires occupés.

Les commandos palestiniens qui se créent au lendemain de la défaite de 1967, notamment ceux du Fatah, et qui reprendront la désignation de fedayin, contribuent à populariser ce tissu dont ils se couvrent la tête et le visage. L'icône du guérillero palestinien, fusil à la main et keffieh protégeant son anonymat est née. En 1969, Yasser Arafat, devenu une figure du chef militaire grâce à la bataille de Karameh, prend la tête de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et consacre le keffieh comme l'accessoire du résistant palestinien. Celui-ci est notamment très présent aux côtés du drapeau palestinien, cousu à la main, durant la première intifada, en 1987.

Dans la culture populaire

Depuis, le keffieh palestinien est devenu un outil pour afficher sa solidarité avec les Palestiniens, comme l'a fait Nelson Mandela ou encore Roger Waters, chanteur des Pink Floyd, connu pour son soutien à la Palestine. Plus généralement, il est devenu un symbole universel de la culture de résistance. On le retrouve également dans la culture populaire, dans la poésie ou les chansons palestiniennes. On citera par exemple le poème de Mahmoud Darwich « Carte d'identité », où il écrit :

Inscris
je suis arabe
cheveux… noirs
yeux… marron
signes distinctifs
sur la tête un keffieh tenu par une cordelette1

En 2013, le chanteur palestinien originaire de Khan Younès, dans la bande de Gaza, Mohamed Assaf remporte la victoire lors de la deuxième saison de l'émission de télécrochet panarabe Arab Idol avec un classique du folklore palestinien ‘Alli el koufiyeh Lève le keffieh »), qui lui a valu un très large succès dans tout le monde arabe.

الأداء - محمد عساف - على الكوفية -Arab Idol - YouTube

1Traduction d'Abdellatif Laâbi dans La poésie palestinienne contemporaine, Le Temps des Cerises, 2002.

CONFLIT MONDIAL VIDEO N°76

Vidéo N°76 assez copieuse. On va y trouver du Macron qui poursuit ses discours lunaires, du Séjourné toujours inepte, des ganaches de plateau, des propagandistes et des menteurs professionnels. Confection d’une garde-robe assez fournie. On parle aussi de Navalny, d’Assange… Lire la suite

Une page censurée de la révolution algérienne

Revenant sur l'épisode de la censure d'un numéro du journal Révolution Africaine en août 1965, Christian Phéline montre comment le régime algérien a, très tôt, combattu une partie de l'héritage de la guerre de libération nationale, pour asseoir l'ascendance du militaire sur le civil.

Le 21 août 1965, Révolution Africaine, l'un des deux journaux du Front de libération nationale (FLN), le parti au pouvoir en Algérie, affiche à la une la photographie d'un combattant agenouillé derrière un parapet, qui tire avec son fusil sur un ennemi invisible. À un jour près, l'hebdomadaire célèbre le dixième anniversaire du sanglant soulèvement populaire du 20 août 1955 survenu dans le Nord-Constantinois. Rien de très habituel dans la commémoration d'un événement iconique de la lutte de libération nationale. Sauf que moins de 24 heures plus tôt, la couverture du journal et sa « cover story », déjà bouclées, étaient consacrées à un tout autre anniversaire : celui de la « plateforme de la Soummam » adoptée en août 1956 par un mini-congrès, qui scelle les grands principes de la révolution algérienne1.

Auteur de plusieurs ouvrages distingués sur l'Algérie coloniale, Christian Phéline passe pour la première fois la frontière de 1962, date de l'indépendance des trois « départements français », pour s'attaquer à un épisode postérieur, largement oublié : le remplacement en quelques heures d'un sujet par un autre à la une d'un journal important. Amar Ouzegane, à l'époque directeur de Révolution africaine, reconnait pour la première fois dans l'article phare être le principal rédacteur de la plateforme de la Soummam. Il met en scène la découverte récente du manuscrit sous le carrelage vieilli d'une masure dans le vieux quartier d'Alger, la Casbah : un texte de 77 pages écrites à la main sur un cahier d'écolier. En quelques heures, les agents de la Sécurité militaire, la police politique du nouveau régime né du coup d'État militaire du 19 juin 1965 qui a renversé le président Ahmed Ben Bella, bloquent la rédaction, éloignent son directeur, isolent l'imprimerie et récupèrent les 20 000 exemplaires déjà imprimés.

Civils et militaires

Personne ne s'en aperçoit. Cette supercherie réussie traduit la peur des militaires devant un texte qui, au contraire du nouveau régime, pose la prééminence des civils sur les soldats dans la hiérarchie politique de l'Algérie nouvelle. Elle montre aussi leur méfiance à l'égard de son auteur, Amar Ouzegane, ancien secrétaire général du Parti communiste algérien, devenu partisan de l'amalgame entre islam et socialisme, connu pour son savoir-faire politique et son ambition de jouer un rôle sur la scène de l'Algérie indépendante. Avant même l'indépendance et après la signature du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, l'armée des frontières fait sentir sa force en quelques semaines et écrase un à un ses rivaux dans la course au pouvoir. Après l'indépendance, ce sont une à une toutes les institutions, de l'université aux syndicats, en passant par les ONG et les mosquées, qui sont épurées et « redressées » par la police politique de Ben Bella, puis celle de Houari Boumédiène, toutes deux soumises aux militaires.

Un demi-siècle plus tard, le spectre de la Soummam revient en force dans l'actualité. Pendant un an, chaque vendredi, des centaines de milliers d'Algériens défilent dans les rues de la capitale, et plus irrégulièrement dans les autres villes du pays. Ils scandent un slogan en faveur d'un « État civil et non militaire » qui reprend le principe de la plateforme de la Soummam relatif à la prééminence du civil sur le soldat. Un scandale pour le chef d'état-major qui assume alors tous les pouvoirs. Dans une postface éclairante, Mohammed Harbi, historien majeur et militant, qui fut directeur de Révolution africaine après Ouzegane, explique les conditions difficiles dans lesquelles se débattaient les tenants d'une ligne politique plus ouverte et progressiste, à la fois avec le président Ben Bella désireux de se renforcer, et contre l'armée qui pesait de tout son poids. Ce livre précis et documenté montre bien que la fossilisation idéologique et politique du système algérien ne date pas d'hier.

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Christian Phéline
Pierre Feuille ciseaux ! Alger, 20 août 1965. La discrète mise au pas de Révolution africaine
Éditions du Croquant
Décembre 2023
140 pages
20 €


1Le congrès de la Soummam est un congrès du FLN qui s'est tenu dans la clandestinité pendant la guerre de libération algérienne, organisé du 13 au 20 août 1956 au village d'Ifri, dans l'actuelle commune d'Ouzellaguen en Algérie.

Gaullistes et communistes, une drôle d’histoire

Aujourd’hui en France, tout le monde se dit gaulliste et c’est à peu près n’importe quoi. Les Présidents de la république qui ont émargé au budget des « Young leaders » américains » sont évidemment gaullistes. François Hollande se précipitant… Lire la suite

L’antisémitisme politique en France au XIX ème siècle

Afin de rééditer ses ouvrages et, en particulier, ses analyses sur les Protocoles des Sages de Sion, l’association fonde une « Société des amis d’Édouard Drumont » qui se charge de ce travail éditorial. L’association devait aussi décerner un prix annuel pour récompenser l’auteur de la meilleure publication sur Drumont et son œuvre.

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CONFLIT MONDIAL VIDEO N°75

LES ÉCLAIRAGES DE VUDUDROIT GUERRE EN UKRAINE & PALESTINE VIDÉO NUMÉRO 75 Régis de Castelnau Hervé Carresse SOMMAIRE : I) Quid de la situation en Palestine – Israël ? II) Ukraine. Quid des évolutions économiques ? III) Ukraine. Quid de… Lire la suite

« LE LOGICIEL IMPERIAL RUSSE » Entretien avec Jean Robert Raviot

Poursuite de notre tour du monde en 80 vidéos… Au moment de la fameuse interview de Vladimir poutine par Tucker Carlson, nouveau passage par la Russie avec un entretien que nous a accordé Jean Robert Raviot à l’occasion de la… Lire la suite

1914 – 1933… du Kaiser au Führer

Adolf Hitler dans la foule à Munich en 1914

Adolf Hitler dans la foule à Munich en 1914Août 1914, à Munich en Bavière, c’est la mobilisation. La première guerre mondiale commence… Dans la foule un autrichien inconnu

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Pourquoi la Libye ne compte plus un seul juif

Alors que les juifs libyens ont accueilli à bras ouverts l'occupant italien en 1911, espérant en finir avec les discriminations, l'arrivée de Benito Mussolini au pouvoir à Rome a changé la donne. Si au début, ils ont été traités à l'égal des musulmans, et même mieux que leur coreligionnaires italiens, ce répit n'a pas duré. Pas plus que la joie de l'indépendance. Récit d'une éradication.

Il n'existe plus une seule personne juive en Libye. La dernière, Esmeralda Meghani, s'est éteinte à Tripoli en février 2002, selon Mitchell Bard, dirigeant de l'American-Israeli Cooperative Enterprise. Traditionnellement implantés en Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan, les juifs, dont le nombre est estimé à plus de 30 000 au moment de la colonisation italienne en 1911, ont connu des vagues de répression allant de l'Italie fasciste au régime de Mouammar Kadhafi. Si une grande partie de ceux qui ont échappé aux massacres commis durant la seconde guerre mondiale, ils se sont installés en Israël après 1948, d'autres ont fui en Europe, notamment.

Pourtant, leur présence est attestée dès le IVe siècle avant notre ère. Les fouilles des vestiges romains laissent apparaître des restes de synagogues. « En 115, des communautés juives parfaitement organisées sont ancrées à Apollonia, à Ptolémaïs, au nord de Bérénice, non loin de la frontière égyptienne » , explique l'écrivain Moïse Rahmani1. À partir du VIIe siècle, ils vivent comme tous leurs coreligionnaires du monde arabo-musulman sous le statut de la dhimma qui les oblige à s'acquitter d'une taxe, la djizya, en échange d'une protection du pouvoir central islamique. À la fin de cette période, alors que les Ottomans étendent leur pouvoir, la communauté semble plutôt prospérer, surtout à partir du XVIIe siècle avec l'arrivée des Livournais, ces négociants juifs italiens. Mais les autochtones, comparés aux juifs venus d'Europe, vivent le plus souvent dans la misère. « Dans toutes les villes libyennes, les juifs vivent dans des quartiers réservés : la hara. À Jebel Garian et à Tigridie qui comptent trois cent juifs, ils sont confinés dans des caves2 jusqu'à leur exode pour Israël en 1951 ».

Le XIXe siècle est source de changements dans un Empire ottoman sous les coups de butoir des puissances occidentales. Au terme de deux grandes réformes en 1839 et 1856, les juifs obtiennent le statut de communauté religieuse (millet) « qui se substitue à la dhimma. Chaque communauté dispose de son droit religieux, de ses juges, de son système social et scolaire dans le cadre d'une organisation pragmatique la plus libérale de son temps » , selon l'historien Georges Bensoussan3, toutefois sans réel impact sur la vie quotidienne car l'état d'infériorité demeure.

L'Italie, un espoir d'émancipation

Quand les Italiens occupent la Libye, ils découvrent les juifs qui les accueillent à bras ouvert : 20 000 vivent alors à Tripoli, 6 000 à Benghazi, et 4 000 dans le reste du pays. « Des juifs réfugiés sur des navires italiens, orientent les tirs puis guident les unités débarquées. D'autres servent aussitôt d'interprètes et de fournisseurs », explique le géopoliticien André Martel4. Cette collaboration avec l'occupant va susciter durablement le ressentiment des musulmans.

Certes, les juifs tripolitains avaient commencé à s'« italianiser » à la charnière du XXe siècle. Pour preuve L'Echo di Tripoli, premier journal en langue italienne créé par l'un d'entre eux en 1909, inaugurant ainsi la presse colonialiste. Il est vrai que « l'Italie de 1861 à 1938 a offert un des exemples les plus achevés d'intégration des juifs. (…) Ces derniers ont approuvé la conquête de la Libye par solidarité avec leurs coreligionnaires dont ils souhaitent l'émancipation »5. Reste qu'entre le juif colonial et le juif colonisé il y a un abîme culturel, le premier ayant un sentiment de supériorité intellectuelle quand le second est surtout attaché à ses traditions. La solidarité demeure superficielle. L'« occidentalisation » ne touche d'ailleurs qu'une infime partie de ceux qui vivent en Libye, à peine quelques centaines, alors que la majorité demeure très conservatrice de son identité rabbinique.

Européaniser et fasciser

Fin 1922, le pouvoir fasciste qui s'installe à Rome prend la relève et transforme la colonie en Quarta Sponda, le quatrième rivage. L'italianisation à marche forcée des juifs libyens commence. Première mesure coercitive : l'obligation d'ouvrir leurs écoles et leurs magasins le jour du shabbat et de fermer le dimanche. Un coup dur pour cette communauté très religieuse. Les contrevenants risquent de fortes amendes, la résiliation de leur licence commerciale, voire l'emprisonnement. C'est la « crise du shabbat » qui se traduira par l'exil en direction de la Tunisie sous protectorat français. Les choses sont loin de s'arranger par la suite.

Alors que les tensions entre juifs et Arabes s'exacerbent en Palestine, le gouverneur en Libye Pietro Badoglio fait fouetter les fauteurs de trouble des deux communautés sur la place publique à Tripoli. Nonobstant, nouveau changement de cap en 1934. Devenu trop encombrant, Italo Balbo, l'un des quadrumvirs (les quatre instigateurs de la marche sur Rome ayant conduit au pouvoir Benito Mussolini), est envoyé à Tripoli.

Nommé gouverneur en Libye, il n'a pas la même perception négative de la judaïcité que le Duce. Sous son administration, la condition juive s'améliore. Italo Balbo entreprend de grands travaux afin de mener tambour battant la modernisation du pays. « Un réseau routier est créé de toutes pièces, avec pour colonne vertébrale la fameuse strada litoranea, destinée à unir la frontière tunisienne et la frontière égyptienne, et qui fut inaugurée par Mussolini en 1937 »6. Le Duce profite de sa venue pour rendre également visite à la hara de Tripoli. À cette occasion, il fait la promesse solennelle de protéger la communauté. Si le Grand conseil du fascisme, la plus haute autorité du Parti national fasciste (PNF), a donné le feu vert à la ségrégation des 51 000 juifs7 en Italie, la communauté en Libye n'est pas touchée et elle est traitée à l'égal des musulmans. Un étrange deux poids, deux mesures qui ne va pas durer.

Dès le 14 juillet 1938, la machine infernale du racisme se met en marche. À peine sept mois plus tard, en janvier 1939, Rome décide par décret que les quatre districts de la Libye font partie intégrante de la péninsule. Subséquemment, l'État définit une nationalité italienne spéciale pour les musulmans, les juifs en sont exclus. Ils sont systématiquement bannis de tous les corps constitués, du secteur public, etc. Dans le privé, la réglementation devient de plus en plus stricte. Comme l'écrit Marie-Anne Matard-Bonucci, « le fascisme brûla les étapes accomplissant en cinq mois ce que l'allié germanique avait opéré en cinq ans » . Bref, l'année 1938 est une année noire pour la judaïcité italo-libyenne. Mais Balbo retarde l'application des lois raciales arguant que leur adoption serait un obstacle à la modernisation. Cela ne durera pas longtemps. En juin 1940, Balbo disparaît tragiquement.

De l'antisémitisme à la déportation

Du jour au lendemain, les juifs de Libye sont sous la coupe du droit antisémite fasciste. Ils tombent sous la loi de « limitation de capacité des personnes de race juive en Libye » datant du 17 décembre 1940. L'entrée en guerre de Mussolini aux côtés d'Hitler détériore encore un peu plus la situation. Les camps d'internement font leur apparition : trois au total, situés dans le désert. Les juifs non-libyens sont expulsés vers la Tunisie ou internés en métropole. Le travail obligatoire, instauré en mai 1942 en Italie, entre en vigueur un mois plus tard en Libye. Entre 4 000 et 5 000 juifs sont envoyés dans les camps de travail aux conditions sordides. D'autres seront déportés en Italie où pèse l'épée de Damoclès de la solution finale.

Après le putsch contre Mussolini le 24 juillet 1943 et l'occupation de l'Italie par la Wehrmacht, le sort des Libyens est aligné sur celui des autres juifs européens : déportation et extermination. En octobre de la même année, une centaine d'entre eux est déportée vers le camp de concentration d'Innsbruck. En février 1944, deux cent personnes sont internées à Bergen-Belsen. Entre 1942 et 1943, des centaines de juifs fuient de nouveau vers la Tunisie. C'est la seconde grande vague de déplacement vers le protectorat français.

Les affrontements entre les forces de l'Axe et les Alliés en Cyrénaïque aggravent leurs conditions de vie. Les flux et reflux des forces anglaises déchirent la communauté qui est accusée de collaboration avec l'ennemi et subit nombre d'exactions. La présence d'un bataillon juif intégré aux forces britanniques aggrave le ressentiment. Le calvaire prend fin avec l'arrivée de la 8e armée du général britannique Bernar Montgomery, le vainqueur de la bataille d'El-Alamein qui a porté un coup mortel aux blindés allemands venus porter secours à l'armée italienne, en octobre-novembre 1942. Tripoli est libérée le 23 janvier 1943.

La mémoire éradiquée

Entre la migration des juifs italiens et le retour des exilés de Tunisie, leur nombre va s'élever à 36 000. Mais leur chemin de croix est-il pour autant fini ? Loin de là. Le pogrom de Tripoli de 1945 est le plus violent massacre de Juifs en Afrique du Nord des temps modernes8. La création de l'État d'Israël en 1948 et les conflits qui s'ensuivent accroissent les tensions. Le 12 juin 1948, durant la première guerre israélo-arabe ((1948-1949), de violentes émeutes anti-juives ont lieu à Tripoli et dans les localités environnantes9. Au lendemain de cette guerre, 90 % des juifs libyens feront leur alya. L'hémorragie humaine n'empêche cependant pas l'hebdomadaire local Al-Tali‘a d'écrire au début des années 1960 : « l'ennemi de l'humanité est le juif »10. Avec la guerre israélo-arabe de 1967, près de 3 500 personnes prennent le chemin de l'exil.

Lorsque Kadhafi arrive au pouvoir en septembre 1969, le pays ne compte plus de 500 âmes juives. Le Guide de la révolution décide de les interner. Il nationalise également leurs biens. En 1974, il n'en reste que 20. Et aujourd'hui, ils ont disparu, on a rasé les cimetières et transformé les hara. Éradiquer le patrimoine pour effacer la mémoire juive libyenne... Fidèle à l'intitulé du pays, la République arabe libyenne, Kadhafi a réussi à créer une société mono-culturale amnésique de tout un pan de son passé pluriel.


1Moïse Rahmani, Réfugiés juifs des pays arabes, éditions Luc Pire, Bruxelles, p.115.

2NDLR. Ce sont en réalité des caves troglodytiques, et ce n'était pas l'habitat exclusif des juifs.

3Georges Bensoussan, Juifs en pays arabes, le grand déracinement 1850-1975, Taillandier, 2021, p.61.

4André Martel, La Libye 1835-1990, essai de géopolitique historique, PUF, 1991, p.151.

5Idem, p.150

6François Burgat, André Laronde, La Libye, PUF, Paris, 1996, p.48

7Le recensement démographique de 1931 avance le chiffre de 47 825 juifs. Des sources juives le majorent à 51 950

8Du 5 au 7 novembre 1945, plus de 140 Juifs sont tués et plusieurs autres blessés dans des émeutes à Tripoli et dans les localités environnantes. Les émeutes de Tripoli constituent un tournant dans l'histoire des Juifs en Libye et vont conduire cette communauté à émigrer en masse vers Israël entre 1949 et 1952

9Les émeutes conduisent à la mort de 13 à 14 Juifs et 4 Arabes ainsi qu'à la destruction de 280 maisons juives

10Cité par Maurice Roumani, « The final exodus of the Libyan Jews in 1967 », Jewish Political Studies Review, XIX, 3/4, 2007, p. 84

Interview Poutine/Carlson: le décryptage (1)

Nous mènerons cette semaine un décryptage de l’entretien accordé par Vladimir Poutine à Tucker Carlson et diffusée le 9 février. Ce lundi 12 février, nous nous demandons pourquoi Vladimir Poutine a passé 25% de l’interview à réexpliquer l’histoire des relations entre la Russie et l’Ukraine. Inhabituel chez un chef d’Etat: où voulait-il donc en venir? Le président russe a envoyé trois messages: (1) l’Ukraine propose une interprétation ethniciste fascisante des origines de la Russie alors qu’elle partage un passé avec cette dernière. (2) L’Ukraine a déjà été, au XVIIè siècle un enjeu entre l’est et l’ouest et un compromis a été trouvé entre la Russie et ses adversaires. (3) Loin d’être un peuple autochtone, les Ukrainiens d’aujourd’hui sont une création artificielle imaginée par Lénine et Staline. Nous n’avons pas à juger de la validité des thèses historiques défendues par le président russe: mais force est de constater que Vladimir Poutine a bien compris que l’histoire était un instrument politique entre les mains de tous les belligérants: il n’entend pas céder de terrain à ses adversaires, qu’il accuse de réécrire l’histoire de l’Ukraine.

Tucker Carlson a marqué un étonnement un peu agacé après l’entretien. Preuve que tout ne s’est pas passé exactement comme il s’y attendait. Il est vrai que Vladimir Poutine lui a demandé au départ: “S’agit-il d’un ‘talk show’ ou d’un entretien sérieux?”. Toujours est-il que, lorsque Carlson lui demande de donner son point de vue sur les origines de la guerre d’Ukraine, le président russe se livre à une leçon d’histoire qui dure une bonne vingtaine de minutes – sans que l’intervieweur ose véritablement interrompre.

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