Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

« Leur but est de saper notre État de droit » grand entretien avec Nicolas Quénel

Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l’information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

Quand le PCC met en scène sa propre légende dans les rues de Paris

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Pouvez-vous décrire les failles les plus alarmantes et les plus inattendues que vous avez mises au jour dans votre enquête ?

Nicolas Quénel – Il n’y a pas vraiment un exemple en particulier qui me revienne en tête. Le fait que la Chine ait pu tourner Fox Hunt, un film de propagande à la gloire du programme de disparition forcée (qui a fait des victimes en France) en plein dans les rues de Paris pendant des semaines sans que personne ne trouve rien à y redire me fascinera toujours par exemple.

On pourrait aussi citer les Indian Chronicles. Une opération d’influence indienne qui avait duré 15 années et durant laquelle les Indiens ont su exploiter les failles de l’ONU pour mener des opérations de dénigrement du Pakistan directement au Conseil des droits de l’Homme.

Plus inattendu encore, l’exemple d’Evguéni Prigojine, le défunt patron des mercenaires de Wagner, qui avait financé une fausse ONG de défense des droits de l’Homme pour faire monter le sujet des violences policières en France quelques mois avant l’élection présidentielle de 2022. Avec un collègue nous avions pu entrer en contact avec un homme qui avait l’audace de se présenter sous le nom de Ivan Karamazov. C’était assez cocasse.

 

Guerre froide 2.0

Samedi 3 février dernier, l’ancien président russe Dimitri Medvedev a publié un long texte sur Telegram appelant à s’ingérer dans les processus électoraux européen et américain en soutenant les partis « antisystème ». Il a notamment écrit : « Notre tâche est de soutenir de toutes les manières possibles ces hommes politiques et leurs partis en Occident, en les aidant apertum et secretum [ouvertement et secrètement], à obtenir des résultats corrects aux élections ». Comment prouver les traces de cette ingérence ? Quelles types d’actions recouvrent ce terme, « secretum » ? 

Il est toujours difficile de prouver l’ingérence d’une puissance étrangère dans un processus électoral. Évidemment, on ne parle pas ici du jeu d’influence classique entre États. Après tout, Vladimir Poutine, quand il invite au Kremlin une candidate à l’élection présidentielle française, et lui accorde un entretien immortalisé par quelques photos, est tout à fait en droit de le faire, et la candidate est libre d’accepter ou de décliner l’invitation en fonction de ce qu’elle juge être le mieux pour son intérêt personnel.

Quand nous parlons d’ingérence électorale, nous parlons communément de ce qu’il était convenu d’appeler les « mesures actives » pendant la Guerre froide, lesquelles désignent l’ensemble des moyens employés pour influencer une situation de politique intérieure d’un pays-cible, ou sa ligne de politique étrangère. Parmi ces moyens, on peut évoquer notamment la désinformation, la propagande, le recrutement d’agents d’influence, ou l’utilisation de faux ou d’idiots utiles.

Ces mesures actives, elles, sont par essence secrètes, et la Russie mène ce type d’opérations en France aujourd’hui comme au temps de la Guerre froide. Si on ne devait donner qu’un exemple pour illustrer l’ancienneté de ces ingérences électorales, ce serait l’élection de 1974 pendant laquelle la « résidence de Paris » (l’antenne du KGB dans la capitale française) s’était vantée d’avoir mené en une semaine seulement 56 de ces opérations en faveur de Mitterrand dans un rapport envoyé à Moscou. Fait amusant, les Soviétiques à Moscou avaient de leur côté mené des opérations pour favoriser Giscard.

Ces opérations ont évidemment évolué depuis la Guerre froide, notamment avec le numérique. Les objectifs, eux, restent inchangés. Ce qui n’a pas changé non plus, c’est le fait que ces opérations restent très difficilement attribuables formellement. On ne trouve presque jamais la preuve ultime de l’implication directe de l’appareil d’État russe. Remonter la piste de ces opérations pour découvrir qui est le commanditaire réel demande parfois des années de travail, et ce travail n’aboutit pas toujours.

 

Agents d’influences et idiots utiles

Quels sont les principaux canaux utilisés par Moscou pour véhiculer sa propagande en France ? Est-ce facile pour le régime de Poutine de recruter des « agents » ? Quels sont leurs profils ?

Il faut faire la distinction entre les agents d’influence et les simples idiots utiles. Quand on parle d’idiots utiles, nous faisons référence à ceux qui répercutent la propagande du Kremlin de manière consciente ou non. Eux ne tirent pas de bénéfices de cela de la part de la Russie, mais se reconnaissent dans cette propagande. Il y a un alignement idéologique entre le discours du Kremlin et leurs convictions profondes. Dans notre pays, des gens sont persuadés que les Arabes vont remplacer les Blancs, que l’homosexualité est un signe de la dégénérescence des sociétés occidentales etc. De fait, ils se retrouvent dans les narratifs du Kremlin, et peuvent sincèrement penser que Poutine est un rempart contre une prétendue décadence.

C’est grotesque, évidemment, mais jusqu’à preuve du contraire, être con n’est pas un délit dans ce pays.

Les agents d’influence, par contre, c’est autre chose. Il s’agit d’individus qui tirent bénéfice de la récitation de cette propagande. Les Russes vont essayer de recruter des politiciens, des journalistes, des avocats… Ceux dont la voix porte, et qui, en plus, ont l’avantage d’être un peu mieux protégés que le citoyen ordinaire, dans le sens où il est plus délicat pour un service de renseignement d’enquêter ouvertement sur ce type de profils. On se souvient de l’affaire Jean Clémentin, le journaliste du Canard enchaîné qui était en réalité un vrai agent d’influence payé par les Soviétiques.

 

La France est dans leur viseur

Outre la Russie, quelles sont les principales puissances qui mettent en œuvre des stratégies de désinformation en France ? Dans quels buts ? Ont-elles des manières communes de procéder ?

Les plus actifs en France en matière d’opérations d’influence sont les Russes et les Chinois. On pourrait ensuite citer l’Iran, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Inde… Tous ont un agenda, des objectifs stratégiques qui leur sont propres. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont globalement tous les mêmes méthodes et surtout apprennent des erreurs des uns et des autres. Et c’est bien parce qu’ils apprennent que nous devons adapter et muscler notre réponse.

 

Une prise de conscience (très) récente

Dans son rapport publié le 2 novembre dernier, la délégation parlementaire au renseignement a souligné la « naïveté » et les « fragilités » de la France, notamment face aux ingérences chinoises et russes. À quoi a servi concrètement la dernière commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences de puissances étrangères clôturée en juin 2023, soit quatre mois avant la publication du rapport de la délégation au renseignement ?

Cette commission a été l’occasion d’entendre différents services de l’État s’exprimer en détails sur ce sujet des opérations d’influence étrangères. Je me souviens notamment de l’audition de Nicolas Lerner, à l’époque directeur de la DGSI, et aujourd’hui passé chef de la DGSE, qui avait été particulièrement offensif contre les élus qui se rendaient dans le Donbass pour observer des processus électoraux fantoches. Il n’a pas hésité à déclarer qu’« accepter de servir de caution à un processus prétendument démocratique et transparent revient à franchir un cap en termes d’allégeance ».

On peut, bien sûr, regretter les ambitions cachées des parlementaires qui ont participé à cette commission. De son côté, le Rassemblement national voulait se blanchir de ses liens avec la Russie de Poutine, et d’autres voulaient profiter de cette occasion pour les enfoncer sur le même sujet. Mais bon. On ne va pas reprocher aux politiques de faire de la politique quand même !

À mon sens, cette commission a surtout été l’occasion d’imposer le sujet des opérations d’influence étrangères dans le débat public. En cela, elle a été très utile, et ce même travail s’est poursuivi avec le rapport de la DPR qui avait aussi pour sujet central ces opérations.

 

Être ou ne plus être une démocratie libérale

Comment les démocraties libérales peuvent-elles s’adapter à cette nouvelle menace sans tomber dans l’autoritarisme ?

La lutte contre les opérations d’influence a un point en commun avec la lutte contre le terrorisme. Dans les deux cas nous sommes face à un conflit asymétrique dans lequel les démocraties libérales sont contraintes dans leur réponse par des limites éthiques, morales et juridiques. Des limites que n’ont évidemment pas les dictatures qui mènent ces opérations d’influence.

En menant ces mesures actives, leur but est de détruire le modèle des démocraties libérales et de saper notre État de droit. Partant de ce principe, on ne protège pas l’État de droit en le sabordant nous-mêmes, et il faut veiller à ce qu’aucune ligne rouge ne soit franchie.

En réalité, le meilleur moyen de lutter efficacement contre ces opérations d’influence est au contraire de renforcer notre modèle démocratique. Cela passera par de grandes politiques publiques d’investissement pour renforcer les moyens de la Justice, de l’Éducation Nationale… Il faut aussi s’atteler sérieusement à répondre à la crise de défiance des citoyens envers l’État, les politiques et les médias.

Ce sera long, coûteux et difficile, mais ce n’est pas comme si nous avions le choix.

 

Les canards de l’infox 

Mercredi 24 janvier 2024 un avion russe s’est écrasé dans l’oblast de Belgorod, près de la frontière ukrainienne. Une semaine après le crash, le président russe Vladimir Poutine affirmait publiquement que ce dernier avait été abattu « à l’aide d’un système Patriot américain ». Dans la foulée et sans vérifications, cette version a été reprise par de très nombreux journaux français. Quelle est la responsabilité de la presse dans la diffusion d’intox ?

Sauf erreur de ma part, nous ne sommes toujours pas au courant des raisons de ce crash. Je garderai alors une certaine prudence sur ce point. Un autre exemple, peut-être plus adapté car nous avons plus de recul à son sujet, est celui des étoiles de David dans les rues de Paris. Les médias, surtout télévisuels, se sont jetés dessus et ont spéculé pendant des jours en y voyant une preuve de la montée de l’antisémitisme en France après les attaques terroristes du 7 octobre en Israël. Seul problème, nous avons appris dans les jours qui suivirent qu’il s’agissait en réalité d’une opération d’influence perpétrée par un couple de Moldaves avec un commanditaire de la même nationalité, connu pour ses positions très proches de la Russie.

Cet événement a pointé très directement les failles de notre système médiatique. L’immédiateté de l’information couplée à la course à l’audience sont de vrais fléaux. Cela pousse des gens pourtant compétents à commettre des erreurs qui viennent décrédibiliser par la suite ces mêmes médias auprès de leur audience, et en bout de chaîne cela vient encore accroître la défiance envers notre profession.

Si cette opération d’influence a particulièrement bien fonctionné, ce n’est pas parce que les Russes ont essayé d’amplifier l’histoire sur les réseaux sociaux avec des faux comptes, c’est parce que les médias se sont jetés dessus sans prendre de précautions.

 

La désinformation au stade industriel

La guerre hybride menée par la Russie pour déstabiliser les démocraties libérales et diffuser un discours anti-Occidental n’a pas commencé le 24 février 2022. Avez-vous cependant constaté un changement d’échelle, d’intensité, dans les tentatives d’ingérences « discrètes » à partir de février 2022 ?

Il est difficile de donner un chiffre ou une tendance sur des opérations qui sont par nature secrètes. On peut supposer sans prendre trop de risques de se tromper qu’il y a une hausse de ces opérations depuis le début de l’invasion de l’Ukraine du 24 février 2022 car il y a un enjeu stratégique pour Moscou à faire cesser le soutien des Occidentaux à Kyiv.

À titre personnel, je pense que l’on va voir dans un avenir proche une multiplication des opérations d’influence qui se reposent sur les outils numériques, car il est aujourd’hui bien plus facile de créer des discours ou des faux sites web grâce à l’intelligence artificielle générative. Créer un deepfake il y a quelques années pouvait prendre des semaines et nécessitait de solides compétences. Aujourd’hui, les outils d’IA permettent d’industrialiser ce type de productions, cela ne prend pas plus que quelques minutes, et il n’y a pas besoin de compétences particulières pour y arriver.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Écrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

[Enquête II/II] Le rôle des instruments d’influence russe en Afrique : le cas des Maisons russes

 

Cet article est le second volet de l’étude « Le rôle et la place des instruments d’influence culturelle et humanitaire russe en Afrique »

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la dislocation du bloc soviétique en 1991, il est important de constater que Moscou reprend pied progressivement en Afrique. Après la fin de la guerre froide, Moscou a perdu son leadership et sa puissance dans le monde, particulièrement sur le continent africain.

Au lendemain des indépendances et jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique, Moscou avait une présence réelle en Afrique, caractérisée par des coopérations dans plusieurs domaines. Durant cette période, la présence russe était matérialisée par l’implantation de centres culturels russes. L’ambition de revenir en Afrique après plusieurs années d’absence est née avec le président Vladimir Poutine lors de sa visite sur le continent, d’abord en Afrique du Sud, puis au Maroc en 2006. Aussitôt, Moscou montre son intérêt et ses ambitions pour le continent africain. Le sommet Russie-Afrique marque un tournant décisif dans les relations entre la Russie et l’Afrique et matérialise le retour de la Russie en Afrique.

Du 22 au 24 octobre 2019 à Sotchi, le président russe Poutine a organisé le sommet russo-africain dans le but de donner le signal pour la reconquête du continent. C’est dans cette stratégie de restaurer l’image et le rayonnement de Moscou dans le monde et particulièrement en Afrique que s’inscrit la mission de la Fondation Russkiy Mir et de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo. Dans la conduite de leur mission d’influence culturelle et humanitaire sur le continent, ces deux structures sont complémentaires.

Les actions de la Fondation Russkiy Mir et de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo s’inscrivent dans la politique de réaffirmation du rang de grande puissance mondiale menée par le Kremlin depuis le début des années 2000. La création de ces instruments du soft power russe montre les véritables ambitions de la Russie. Bien que l’influence médiatique ne soit pas liée à ce sujet, il est utile de rappeler que Moscou a lancé en décembre 2005 la chaîne d’information internationale russe Russia Today de même que Spoutnik en 2014. Tout ce dispositif à la fois culturel et informationnel représente la diplomatie publique russe. Ces instruments du soft power russe jouent un rôle non négligeable dans la politique extérieure russe.

 

Le cas des Maisons russes

Consciente de l’importance et de l’enjeu que représente le soft power dans la conduite de la politique étrangère des États, la Russie mise sur l’implantation de centres culturels russes en Afrique. Plusieurs centres culturels russes ont été ouverts sur le continent africain : au Maroc, en Tunisie, en Tanzanie, en Zambie, en République du Congo et en Éthiopie.

Durant l’année 2022, des Maisons russes ont ouvert leurs portes en Algérie, en Égypte, au Soudan et au Mali. Une Maison russe est en cours de construction en Angola. Elles sont des leviers importants pour la promotion de la langue et de la culture russes en Afrique. Les centres russes sont ouverts sur la base d’accords intergouvernementaux. L’ouverture de ces centres s’inscrit dans une volonté du Kremlin de renforcer sa présence sur le continent africain. Rossotroudnitchestvo leur fournit des matériels et des manuels scolaires afin de faciliter l’apprentissage de la langue russe. Ces centres culturels russes organisent des évènements promotionnels de la langue et de la culture russes.

En République du Congo, la Maison russe de la culture et de la science en Afrique centrale organise des évènements dédiés aux écrivains russes, à l’exemple du poète Alexandre Pouchkine. À cela s’ajoutent les journées du cinéma russe. Le 9 juillet 2023, la chanteuse russe d’opéra Daria Davidova a été invitée par Maria Fakhrutdinova, directrice générale de la Maison russe de Brazzaville. En République du Congo, Rossotrudnichestvo organise des formations continues pour le personnel médical congolais. Des événements de ce genre sont organisés régulièrement par les Maisons russes en vue de renforcer la présence russe dans ces pays d’Afrique.

Le 1er février 2022 marque la cérémonie solennelle d’ouverture de la Maison russe à Bangui en République centrafricaine sous la présence du ministre centrafricain de l’Enseignement supérieur, Laurent Cissa Magale. L’implantation de cette Maison russe témoigne de la volonté des autorités russes de renforcement de l’influence russe en République centrafricaine. Force est de constater que celle-ci peut être considérée comme la vitrine de l’influence russe en Afrique. C’est dans ce pays, où la présence russe est plus visible, caractérisée par le déploiement des mercenaires du groupe Wagner, qui mènent des actions de désinformation et de propagande dans le but d’y accroître l’influence russe. La Maison russe de Bangui permet aux Centrafricains de pouvoir se familiariser avec la culture et la langue russes. Cette Maison russe est dirigée par un acteur incontournable du groupe paramilitaire russe Wagner en République centrafricaine, Dmitri Sytyi.

À la différence des autres pays africains, où l’on trouve des Maisons russes, le cas du Sénégal est assez particulier. À Dakar, le Centre culturel russe a été fermé depuis l’effondrement de l’URSS. Jusqu’en 1992, la coopération entre l’Union soviétique et le Sénégal était caractérisée par l’agence Aeroflot, les collaborations dans le domaine éducatif et le Centre culturel russe, qui se trouvait sur la place de l’Indépendance au-dessus du café le « Rond-Point ».

Durant cette période, les Soviétiques offraient des bourses d’étude aux étudiants sénégalais. Plusieurs cadres sénégalais ont été formés dans les universités soviétiques. Les relations bilatérales entre Dakar et Moscou datent de 1962. Au Sénégal, la langue russe est enseignée depuis les années 1960. L’actuel président du Sénégal, Macky Sall a étudié le russe au lycée Gaston Berger de Kaolack. Il y a quelques années, une association culturelle privée, non gouvernementale et apolitique,  l’« Alliance pour la culture russe Kalinka » a été lancée. Ce Centre culturel russe, différent du modèle des Maisons russes, est l’initiative d’une dizaine de personnes aux profils variés et aux compétences diverses, qui se sont réunies pour créer Kalinka. Ce Centre culturel a pour objectif de familiariser la société sénégalaise avec la culture russe et les valeurs traditionnelles slaves. L’initiative vient de Larissa Kryukova, épouse de l’ancien ambassadeur de la Russie au Sénégal, Sergey Kryukov. La secrétaire générale de Kalinka est Oumy Séne, fille de feu Ibrahima Séne, ingénieur agronome formé en URSS et ancien secrétaire du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT).

 

La coopération dans le domaine éducatif au cœur de la stratégie d’influence russe en Afrique

Depuis quelques années, le nombre d’étudiants africains dans les universités russes ne cesse d’augmenter. Chaque année, dans le cadre de sa coopération éducative avec les pays africains, l’État russe met à leur disposition des bourses d’études. À travers un dépôt de dossier en ligne, l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo sélectionne les meilleurs candidats, ceux qui bénéficieront de la bourse de la Fédération de Russie.

Les étudiants africains sélectionnés sont orientés dans les différentes universités publiques russes. L’université russe de l’Amitié des peuples Patrice Lumumba et l’université d’État de Tambov accueillent le plus grand nombre d’Africains. Durant l’année universitaire 2016-2017 environ 20 000 étudiants africains étudient en Russie, dont 15 000 sont contractuels. Ces chiffres traduisent l’intérêt croissant des étudiants africains pour l’enseignement supérieur russe. Il est important de souligner que les étudiants africains contractuels ont la possibilité de faire leurs études en anglais ou en russe. C’est une des raisons de l’attractivité de l’enseignement supérieur russe. Les domaines de la médecine, les sciences de l’ingénieur, la physique, les mathématiques et les sciences économiques et la philologie sont les plus sollicités.

Au lendemain du sommet Russie Afrique de Sotchi en 2019, le président Vladimir Poutine a promis d’augmenter le nombre d’étudiants africains dans les universités russes. Selon le chef Rossotroudnitchestvo Evgueni Primakov, l’Afrique fait partie des priorités de la structure du fait du nombre considérable d’Africains qui s’intéressent à la langue et à la culture russes.

C’est ce qui explique le nombre considérable de bourses octroyées aux étudiants africains pour faire leurs études dans les universités publiques russes. Le nombre du quota d’étudiants africains dans les universités publiques russes ne cesse de croître, passant de 2,3 mille à 4,7 mille places entre l’année universitaire 2023/24. Au cours de l’année 2022/2023, ce nombre a doublé. On peut citer quelques pays africains qui bénéficient plus de bourses de la Fédération de Russie : la Guinée (450), l’Angola (300), le Mali (290), la République du Congo (250), l’Égypte (250) et le Nigéria (250).

Pour le cas du Sénégal, le quota a beaucoup augmenté ces dernières années, passant d’une dizaine à aujourd’hui 100 bourses destinées aux étudiants sénégalais. Depuis le début des années 2000 jusqu’en 2017, le nombre de bourses mises à la disposition de l’État du Sénégal par la Russie n’a pas dépassé une vingtaine chaque année. Le nombre a commencé à connaître une augmentation considérable à partir de 2020. Pour cette année universitaire 2023/2024, Moscou a octroyé 100 bourses au Sénégal.

Le domaine éducatif occupe une place de choix dans la politique d’influence culturelle et humanitaire de la Russie. L’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo et quatre universités russes lancent une faculté préparatoire gratuite sur le continent africain. Le 1er novembre 2023, la faculté préparatoire pour les futurs étudiants des universités russes, venant d’Éthiopie, de Tanzanie et de Zambie, en ingénierie et profil technique a été lancée. Les quatre universités liées à ce programme sont : l’Université d’État d’électrotechnique de Saint-Pétersbourg V. I. Oulianov Lénine ; l’Université technique d’État de Moscou ; l’Université fédérale du Caucase du Nord ; et l’Université fédérale de l’Oural.

Ce projet vise à renforcer la coopération éducative entre Moscou et ces pays africains. Les cours seront déroulés en ligne par des professeurs d’université. Les enseignants des Maisons russes assureront les cours en présentiel. Au premier semestre, les étudiants apprendront la langue russe, au second semestre des matières scientifiques seront ajoutées au programme pour les préparer. À la fin de l’année, les étudiants recevront des certificats de langue russe et pourront poursuivre leurs études dans les universités publiques russes.

La coopération éducative, en particulier l’attraction d’étudiants africains dans les universités russes est un élément important dans les relations russo-africaines. Le gouvernement de la Fédération de Russie a mis en place un projet baptisé « Exportation de l’éducation ». Ce projet vise à accroître l’attractivité et la compétitivité de l’enseignement supérieur russe sur le marché mondial durant la période de mai 2017 à novembre 2025.

« À la suite de la mise en œuvre du projet, le nombre d’étudiants à temps plein dans les universités russes devrait passer de 220 000 en 2017, à 710 000 en 2025. Le nombre d’étudiants étrangers dans les cours en ligne des établissements d’enseignement russes varie de 1 100 000 à 3 500 000 ».

Le renforcement de la coopération éducative a été au menu des échanges lors de la Deuxième Conférence parlementaire internationale Russie-Afrique, qui s’est tenue à Moscou du 19 au 23 mars 2023. Le thème de l’une des tables rondes portait sur le « soutien parlementaire à la coopération dans le domaine de la science et de l’éducation ». Les autorités russes ont profité de cette occasion pour rappeler l’importance de la coopération éducative entre la Russie et les États africains. Depuis quelques années, Moscou renforce son influence sur le continent à travers sa coopération dans le domaine éducatif. Les deux sommets Russie Afrique, en 2019 à Sotchi, et en 2023 à Saint-Pétersbourg ont été des moments importants pour Moscou de revigorer sa coopération éducative avec les pays africains.

Au-delà de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo, des sociétés russes présentes en Afrique participent à la politique éducative du gouvernement russe en octroyant des bourses aux étudiants africains. C’est le cas par exemple de Rusal, la société russe d’aluminium, qui a lancé en 2022 la bourse Rusal destinée aux étudiants guinéens. Dans le cadre de ce programme, 50 étudiants guinéens pourront être formés gratuitement dans les domaines de la médecine et de la pharmacie à l’université de médecine d’État Krasnoïarsk, et à l’École de pharmacie de Krasnoïarsk. La bourse Rusal vise à former des cardiologues, des chirurgiens, des thérapeutes et des infirmiers. La coopération dans le domaine éducatif est un puissant outil de soft power qui permet de créer une image attrayante de la Russie dans les pays africains en tant que partenaires importants. Dans un contexte de guerre d’influence en Afrique, cette coopération éducative peut contribuer à donner une image positive de Moscou, tout en renforçant sa présence sur le continent africain.

La Russie met en avant sa coopération dans le domaine éducatif pour reprendre pied en Afrique. Depuis quelques années, plusieurs programmes sont lancés dans le but d’accroître l’influence russe sur le continent. Le développement de l’enseignement de la langue russe est une des priorités du Kremlin.

Dans le cadre du renforcement de l’enseignement de la langue russe en Afrique, l’Agence fédérale Rossotroudnichestvo, en collaboration avec l’Institut d’Éducation internationale de l’université russe Rosbiotech, a lancé un programme éducatif visant à renforcer les capacités des enseignants africains de la langue russe sur les méthodes modernes de son enseignement comme langue étrangère. Des enseignants de cette discipline, issus de dix pays africains, ont fait le déplacement à Dakar du 25 au 27 octobre 2023 pour assister à la formation sur les nouvelles méthodes utilisées dans l’enseignement du russe comme langue étrangère. Anna Golubeva, experte de la maison d’édition « Zlatoust » a assuré cette formation sur les nouveaux supports pédagogiques. Cette rencontre a été présidée par l’ambassadeur de la Fédération de Russie au Sénégal Dimitry Kourakov. Vadim Zaichikov, chef du département de l’éducation et des sciences de Rossotroudnitchestvo et Boris Chernyshov, vice-président de la Douma d’État de Russie, président du conseil d’administration de Rosbiotech ont participé en ligne lors de la première journée.

Dans le cadre de la coopération éducative, l’Agence fédérale Rossotrudnichetsvo, en collaboration avec l’Université électronique d’État de Saint-Pétersbourg (LETI), lancent la semaine russe des mathématiques, physique et informatique au Sénégal du 20 au 25 novembre 2023.

Ce projet parmi tant d’autres vise à vendre l’enseignement supérieur russe, et s’inscrit dans le programme « développement de l’éducation » du gouvernement russe en collaboration avec l’association des diplômés soviétiques et russes du Sénégal. Près de 40 cours ont été dispensés durant cette semaine dans les lycées de Dakar, de Thiès et Bambey. Le programme du gouvernement russe a pour objectif l’expansion de l’enseignement supérieur en Afrique dans le but de faire sa promotion dans les domaines de la science et de la technologie.

La diplomatie culturelle portée par l’Agence fédérale Rossotroudnichestvo et la Fondation Russkiy Mir occupent une place de choix dans la politique d’influence de la Russie sur le continent. Depuis quelques années, ces structures lancent plusieurs programmes en Afrique dans le but d’augmenter l’influence russe. Grace à ces deux structures du soft power russe, il est important de constater que Moscou pousse davantage ses pions et renforce sa présence. Les actions de Rossotroudnichestvo et la Fondation Russkiy Mir montrent véritablement l’importance que le Kremlin accorde au soft power dans la conduite de sa diplomatie culturelle et humanitaire. Le soft power est un instrument efficace utilisé par la Russie en vue d’augmenter son influence sur le continent africain, surtout dans ce contexte actuel marqué par une guerre d’influence entre les grandes puissances.

 

Ne résumons pas la présence russe en Afrique à ses volets militaire et informationnel

Dans un monde de plus en plus marqué par la guerre d’influence et les rivalités géopolitiques, les instruments de soft power sont plus que nécessaires.

Les autorités russes ont pris conscience de l’importance et de l’enjeu que représente le soft power dans le monde contemporain. Il est devenu un outil indispensable, incontournable et efficace pour la bonne conduite d’une diplomatie véritable. Les actions de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo et de la Fondation Russkiy Mir sur le continent africain traduisent l’intérêt et l’enjeu que constitue l’Afrique pour la Russie. On a tendance à résumer la présence russe en Afrique à l’aspect militaire ou informationnel, mais depuis quelques années ces deux structures du soft power russe sont en train d’effectuer un travail très efficace dans le renforcement de la présence russe en Afrique.

La politique étrangère russe basée sur le soft power occupe une place de choix dans la stratégie d’influence russe sur le continent. La diplomatie publique russe est de plus en plus présente en Afrique, portée par plusieurs acteurs œuvrant pour le rayonnement de l’influence russe, particulièrement dans les pays où Moscou a des intérêts stratégiques. Ces structures ont joué un rôle non négligeable dans le retour de la Russie sur le continent africain.

Derrière le chaos au Soudan, la main des Émirats arabes unis

Depuis le 15 avril dernier, la lutte pour le pouvoir entre deux généraux rivaux, Burhan et Hemeti, a déjà fait plus de 1800 morts au Soudan. Acteur clef de ce conflit, Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemeti, révèle la place centrale qu’ont pris les Émirats arabes unis dans le pays.

Le général Hemeti est à la tête des Forces de Soutien Rapide, l’une des milices arabes les plus puissantes du Darfour. En 2019, lors de la chute du régime d’Omar el-Béchir, il accède au pouvoir en devenant le numéro deux du Conseil militaire de transition, puis du Conseil de souveraineté. En 2023, il est accusé par l’armée soudanaise d’avoir mené un coup d’État en attaquant différentes bases militaires dans le pays. Dans le même temps, ses milices prennent le contrôle du palais présidentiel, de l’aéroport de Khartoum et de la base aérienne de Jebel Aulia. Or, celui qui aspire à devenir le nouvel homme fort du Soudan est au cœur du réseau émirati au Soudan.

Pour les Émirats arabes unis, le Soudan tient une position stratégique.

Idéalement situé au bord de la mer Rouge, il offre un accès aux routes maritimes vers l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord via le détroit de Bab el Mandab. Sa situation géographique, combinée à des infrastructures portuaires adaptées, lui confère un potentiel pour les chaînes d’approvisionnement en provenance d’Afrique.

Dans une interview accordée à Al Jazeera, Jihad Mashamoun, chercheur soudanais et analyste politique des affaires soudanaises, dans une interview accordée à Al Jazeera analyse ainsi :

« Les intérêts des Émirats arabes unis résident dans le contrôle des ports de la mer Rouge. Les Émirats arabes unis ont des intérêts politiques et économiques en mer Rouge, qui s’étendent également à l’Afrique centrale et occidentale. »

Cela se manifeste par la signature en 2022 d’un accord de six milliards de dollars avec AD Port pour la construction et l’exploitation du port d’Abu Amama, ainsi que par la construction d’une autoroute à péage de 500 km, évaluée à 450 millions de dollars. Ces initiatives font partie d’un investissement plus large d’Abu Dhabi visant à renforcer sa présence en Afrique, en mettant notamment l’accent sur la Corne du continent.

Les Émirats arabes unis ont donc investi dans les ports et le transport maritime, dans le but de renforcer leur influence et de consolider leur rôle en tant qu’acteur régional influent. Cette stratégie implique la mise en place d’un réseau d’avant-postes stratégiques, où le Soudan joue un rôle crucial. Et désormais, Les Émirats sont le principal investisseur dans le pays.

 

L’opération avortée de séduction envers Omar el Béchir

En 2018, leur stock d’investissements était estimé à 7 milliards de dollars. Le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed Al Nahyane, espérait pouvoir influencer la politique d’Omar el-Béchir, alors au pouvoir… En vain. Le dictateur a continué sa stratégie consistant à maintenir un équilibre et à éviter de s’impliquer dans les conflits régionaux. Par exemple, Omar el Béchir s’est bien gardé de participer à l’embargo imposé par l’Arabie saoudite contre le Qatar en 2020.

Mais de toute façon, El-Béchir ne correspondait pas vraiment à l’approche des Émirats arabes unis : proche des Frères musulmans, proche de l’Iran, considéré comme un État terroriste par les Américains… Téhéran et Khartoum coopéraient étroitement dans le domaine de la défense. Et début des années 2010, l’Iran avait même un bataillon des Gardes révolutionnaires au Soudan.

Si le Soudan est stratégique pour la diplomatie émiratie, El-Béchir était donc gênant pour Abu Dhabi. En décembre 2018, les Émirats arabes unis ont interrompu les expéditions de carburant vers le Soudan, entraînant une dévaluation de la monnaie et une augmentation de la dette. Le gouvernement s’est alors vu contraint de réduire les subventions sur le pain, ce qui a inévitablement provoqué des émeutes… Et mis fin au règne de Béchir.

 

Hemeti, l’homme d’Abu Dhabi

C’est à la faveur de ce soulèvement que Hemeti et Abdel Fattah al-Burhane émergent au Soudan.

MBZ, fidèle à une politique pragmatique, a essayé de rester proche de chacun d’entre eux. Toutefois, c’est Hemeti dont la famille royale d’Abu Dhabi est la plus proche. Il est décrit par un diplomate comme « l’agent et le mandataire des Émirats ».

Il aurait consolidé sa position grâce à sa capacité à s’allier avec des dissidents et des concurrents potentiels en les achetant. D’ailleurs, en 2018, quand le Soudan avait envoyé 10 000 hommes au Yémen pour soutenir le conflit mené par l’Arabie saoudite et les Émirats, Burhane se trouve au Conseil militaire de transition, mais c’est Hemeti qui envoie ses hommes et qui reçoit les financements. En 2019, le soutien des Émirats arabes unis s’est manifesté par une livraison d’armes aux FSR de Hemeti.

Ils font également pression pour le placer au conseil de transition. Hemeti est plus spécifiquement à l’Emirat dAbu Dhabi. Il est, par exemple, très lié à MBZ, qui l’a reçu en février 2022 à Abu Dhabi.

 

Le business de l’or sale

Dernier élément à prendre en compte : Mohamed « Hemeti » Hamdan Dagalo est impliqué dans le commerce de l’extraction de l’or via son entreprise, Al Gunade. L’entreprise familiale a fait de lui un des hommes les plus riches du Soudan. Grâce aux Forces de soutien rapide (FSR), il a pris le contrôle de plusieurs mines, dont la mine d’or de Jebel Marra au Darfour, en 2017.

Plusieurs sociétés obscures, étroitement liées aux services de sécurité sous le régime d’El Béchir, contrôlaient d’autres mines à travers le pays. Le parti au pouvoir, le Congrès national, avait sous son contrôle un réseau de mines et des propriétés d’une valeur dépassant le milliard de dollars. Une manne que Hemeti a su récupérer grâce à son influence et ses milices. Il est ainsi devenu le principal bénéficiaire de la plaque tournante mondiale de l’or qu’est devenu le Soudan. Le chef de guerre, qui a des connexions au Darfour, a rassemblé l’or extrait de manière plus ou moins licite dans d’autres pays du Sahel pour ensuite l’exporter vers l’Emirat de Dubaï et la Russie à des prix concurrentiels.

En effet, en 2022, ce sont 16 milliards de dollars d’or qui ont été exportés depuis le Soudan. Un procédé également utilisé par Wagner, qui exploite des mines au Sahel et au Soudan. L’entreprise russe a ainsi été autorisée à s’installer à Dubaï, un moyen efficace de distribuer l’or sale qu’elle extrait.

Ainsi, les recettes de l’or d’Hemeti ont été déposées dans des banques et des sociétés écrans basées aux Émirats arabes unis, à Abu Dhabi. Ces flux de trésorerie lui servent désormais à financer les FSR en armes et camions de bien meilleure qualité que ses rivaux. En soutenant financièrement Hemeti, les Émirats arabes unis assurent un de leurs multiples réseaux dans le pays. Ils suivent ainsi leur politique de délégation en s’appuyant sur un homme qui partage leur point de vue, en installant un régime autoritaire et hostile à l’islam politique.

Comme au Caire ou en Syrie, cette stratégie vise à « stabiliser » la région, quitte à s’associer avec un homme responsable de centaines de morts.

❌