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À partir d’avant-hierContrepoints

Les Houthis et l’Iran vont-ils enflammer le Moyen-Orient ?

Le mouvement yéménite a-t-il l’autonomie et le pouvoir d’amorcer une crise internationale de grande ampleur, ou bien l’Iran est-il le véritable parrain de cette crise ? La priorité consiste à identifier les racines de cette situation, puis le déroulement des attaques récentes en mer Rouge. Enfin, vers quelles perspectives, l’intervention militaire des États-Unis, et diplomatique de la Chine, vont-elles faire évoluer cette situation ?

Le mouvement Houthi n’est nullement le résultat d’une génération spontanée, il est le produit d’un processus historique et d’une rencontre politique contemporaine.

 

Houthis : géographie et histoire

La première spécificité géographique de ce mouvement est de se situer dans la partie extrême sud-ouest de la péninsule arabique, région très montagneuse de l’actuel Yémen. Ses habitants ont été historiquement des guerriers, caractéristique fréquente des populations montagnardes. Vers la fin du premier millénaire, l’Empire perse qui y exerçait son influence, y envoya un religieux afin d’y rétablir la paix. Issu de la branche zaïdite du chiisme, il y répandit ce courant particulier de l’islam chiite. Cette population montagnarde et guerrière se trouva ainsi dotée d’une troisième spécificité, religieuse.

Actuellement leur influence s’exerce sur seulement un quart du territoire du Yémen, celui où se trouve la capitale, Sanaa.

 

Le basculement de 1979

Cette particularité religieuse d’appartenance au courant chiite allait représenter une importance particulière pour les ayatollahs iraniens, chiites, qui prennent le pouvoir à Téhéran en 1979.

La nouvelle stratégie de Téhéran va être dès lors d’utiliser systématiquement, dans tout le Moyen-Orient, majorité (Irak) ou minorités religieuses chiites, au service d’une nouvelle politique iranienne.

C’est dans cette vision stratégique qu’une partie de la famille Houthi, issue de cette région montagneuse et chiite du Yémen, fut invitée à venir vivre en Iran, dans la grande ville religieuse de Qom.

Une quinzaine d’années plus tard, il lui fut proposé de revenir au Yémen. Elle y organisa une montée en puissance politique, et par un jeu d’alliance avec l’ancien président Saleh, prit militairement le pouvoir à Sanaa, à l’automne 2014.

Téhéran mettait ainsi en place un pouvoir politique chiite à la frontière sud de l’Arabie saoudite, son rival sunnite. Elle s’arrogeait aussi indirectement un droit de regard et d’intervention en mer Rouge, comme elle l’a dans le golfe Persique. Elle acquérait ainsi une capacité complète de nuisance sur les deux côtes est, et ouest, de la péninsule Arabique.

 

Le regard iranien vers l’ennemi de l’islam

La stratégie de construction d’un « arc chiite » de Téhéran à Beyrouth en passant par Sanaa, allait être mise au service de l’autre grand objectif de la République islamique d’Iran : la lutte contre Israël.

Dans les années 1970, avant son arrivée au pouvoir, l’Ayatollah Khomeini avait écrit qu’Israël « était l’ennemi de l’islam ». En mai 1979, trois mois après sa prise de pouvoir, il créait le corps des Gardiens de la révolution, et en leur sein, la force Qods (Jérusalem) destinée aux opérations extérieures. Les moyens pour atteindre l’objectif étaient mis immédiatement en place.

En retraçant ainsi toute cette architecture, on constate que l’attaque du 7 octobre est l’aboutissement d’une stratégie patiemment et minutieusement mise en place depuis des dizaines d’années. Cela fut d’ailleurs confirmé par le pouvoir iranien lui-même. Deux jours après l’attaque du Hamas, le conseiller pour les Affaires internationales du Guide suprême, Ali Akbar Velayati (ancien ministre des Affaires Étrangères) a déclaré à la presse iranienne : « Si les États-Unis ont cru, en éliminant le général Soleimani, priver l’Iran de sa capacité d’action extérieure, les évènements récents leur donnent tort ». Par ses paroles, provenant du sommet de l’État, l’Iran a reconnu la paternité des attaques du 7 octobre.

 

Le déclenchement des actions des Houthis

L’analyse de l’intervention des Houthis nécessite de regarder à la fois la carte et le calendrier. Les missiles et drones lancés depuis le Yémen, situé à plus de 2000 km des frontières de l’État hébreu, n’ont pas été mis en œuvre contre Israël, dès les premières heures du 7 octobre. Seuls les mouvements directement au contact du territoire israélien, Hamas, Hezbollah, groupes pro-Iran de Syrie, sont entrés en action. Concernant la chronologie, les premières attaques de navire sont intervenues six semaines après le déclenchement de l’attaque contre Israël, et quatre semaines après l’entrée de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

L’intervention yéménite est donc totalement découplée de l’attaque initiale. Son objectif est lié à l’intervention de Tsahal à Gaza, et vise à forcer Israël à arrêter son opération militaire contre le Hamas. La création d’un désordre dans le trafic maritime mondial a pour but d’amener les pays européens et asiatiques, touchés économiquement par ce désordre, à demander à Israël l’arrêt de son intervention.

 

Les limites du plan iranien

Téhéran demeure l’architecte de cette intervention puisque l’Iran est le seul fournisseur des 160 missiles et drones utilisés à ce jour contre les navires, en mer Rouge et dans le golfe d’Aden.

Cette stratégie de nuisance a certes créé des perturbations, mais ces dernières n’ont pas été suffisantes pour atteindre l’objectif souhaité. Deux interventions sont venues contrarier ce plan, l’une militaire menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, l’autre diplomatique, conduite par la Chine.

L’intervention militaire n’avait pas pour objectif de faire cesser les frappes, mais de les réduire en détruisant simultanément les stocks de missiles et les radars de surveillance maritime. L’intervention de Pékin demandant à Téhéran d’intervenir auprès des Houthis est tout à fait complémentaire.

La Chine s’inquiète de plus en plus de son ralentissement économique intérieur. À ce titre, les exportations revêtent donc une importance encore plus grande. Toute entrave à la circulation maritime vers le marché européen, troisième au classement mondial des exportations chinoises, est donc à proscrire.

 

Que faut-il donc maintenant attendre de cette situation ?

L’Iran ne pourra faire la sourde oreille vis-à-vis de la Chine devenue son premier client pétrolier. Le nombre de missiles lancés depuis le Yémen va donc significativement diminuer, et probablement se concentrer sur des navires militaires, en priorité américains. En effet, d’une certaine façon, un arrêt complet signifierait perdre la face, en se montrant aux ordres de Pékin, tant pour Téhéran que pour les Houthis.

L’arrêt des perturbations en mer Rouge est lié à l’arrêt de l’intervention à Gaza. Si dans les prochaines semaines, voire les prochains jours, une trêve d’une certaine durée se profilait autour de la libération progressive des otages, la circulation maritime vers le canal de Suez devrait retrouver son calme.

Drones et missiles iraniens lancés depuis le Yémen ne seront certainement pas le prélude à un élargissement du conflit au Moyen-Orient. Mais la situation reste instable, surtout après le bombardement d’une base américaine en Jordanie, et l’attente d’une réplique de Washington.

Comment la Russie et l’Iran se servent de l’Afrique pour déstabiliser l’Europe

Ces deux dernières années ont été marquées par des agissements coordonnés de la Russie dans la bande saharo-sahélienne, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mais ces avancées politiques, militaires et économiques russes, au détriment de la France, ne sont pas isolées. Elles sont accompagnées par une démarche géographiquement identique de la République islamique d’Iran. Une troisième stratégie est également à l’œuvre, à travers l’apparition de candidats populistes aux élections dans d’autres pays francophones. La France et l’Union européenne accepteront-elles cette attaque stratégique sur le flanc sud du continent européen ?

Nous assistons depuis deux ans au développement de l’activité du groupe paramilitaire russe Wagner dans trois pays de la bande saharo-sahélienne, au détriment de la présence française dans les domaines politiques et militaires.

 

Un stratégie russe globale et planifiée

Les activités de Wagner, visant à la prise du pouvoir civil par des éléments militaires, constituent la partie très visible de la stratégie russe. Cette dernière s’accompagne d’une action informationnelle au sens large, orientée directement vers la population. Elle repose sur la mise en place de leaders et de relais d’opinion, à l’exemple de Nathalie Yamb (surnommée la Dame de Sotchi) et Kémi Seba. Leur action repose sur l’utilisation intensive des réseaux sociaux, dans lesquels sont diffusées des informations spécialement formatées. Cette stratégie de communication s’appuie également sur une capacité organisationnelle et financière de mobilisation des foules, avec slogans et pancartes ciblant la présence française, dont on a vu la mise en œuvre dans les trois pays du Sahel.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Ce dispositif apparaît donc global, et en conséquence particulièrement organisé. Cela implique l’élaboration d’un véritable plan, avec le temps nécessaire à la préparation de l’ensemble du processus. Ce que nous avons vu au cours de ces deux dernières années a donc été préparé très en amont. Le premier sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 a constitué le lancement visible de la stratégie du retour vers l’Afrique, élargie à l’ouest du continent. Depuis 2016, le Centre pour les Études Internationales et Stratégiques (CSIS), basé à Washington, avait identifié les activités de sociétés militaires privées (SMP) russes en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique et Madagascar. L’établissement du plan global remonte donc très probablement au début des années 2010.

Dans l’ensemble de ce plan vers le Sahel, la Russie n’agit pas seule, elle est en plus accompagnée de son allié, la République islamique d’Iran.

 

Une stratégie iranienne silencieuse

L’Iran a commencé, depuis plusieurs années également, à mettre en œuvre une stratégie politique, économique, et d’influence dans la région Sahélienne.

L’action diplomatique la plus récente vient de se dérouler en ce début d’année avec le Mali, où le Conseil National de Transition (CNT) vient d’annoncer l’ouverture dès cette année de deux facultés de l’Université d’Iran « une technique et professionnelle, l’autre, un centre d’innovation informatique ». Cette annonce a été faite après une rencontre entre le président du CNT et l’ambassadeur d’Iran, M. Salehani. Ce dernier avait été reçu il y a trois mois par le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, un des hommes forts de l’équipe au pouvoir.

À cette même période, le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, recevait à Téhéran le chef de la diplomatie du Niger, Bakary Yaou Sangaré. Ce dernier a rencontré le président iranien Raïssi qui a décrit « la résistance du peuple nigérien contre les politiques hégémoniques européennes comme étant le témoignage du refus du colonialisme par l’Afrique », selon les termes du communiqué de la présidence iranienne. Le positionnement politico-diplomatique anti-français, à l’image de la stratégie du Kremlin, est clair.

En ce qui concerne le Burkina Faso, la République islamique d’Iran a signé, à Ouagadougou, toujours à l’automne dernier, huit accords de coopération. Parmi ceux-ci figure un mémorandum d’entente dans les domaines de la coopération énergétique et minière, la coopération scientifique et technique dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, et le développement de l’enseignement supérieur.

Dans la défense et la sécurité, Ouagadougou et Téhéran ont exprimé « leur volonté de coopérer dans ces domaines et décident de poursuivre les concertations à travers des canaux plus appropriés », a expliqué, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères du Burkina Faso. La prochaine commission mixte de coopération entre les deux pays se tiendra à Téhéran en 2025. La coopération est globale et s’inscrit dans une volonté de continuité.

La diplomatie africaine de Téhéran apparaît donc comme un effet miroir de la politique africaine russe. La stratégie globale de déstabilisation de l’Afrique francophone s’inscrit également dans un troisième volet, celui de la mise en avant de candidat populiste à l’image d’Ousmane Sonko au Sénégal.

 

La perturbation populiste au Sénégal

Le populisme se définit selon Jean-Pierre Rioux, historien de la France contemporaine, comme « l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques, et des partis, qui s’en prétendent des porte-parole, alors qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales supérieures ».

Tel apparaît Ousmane Sonko, opposant au président sortant Macky Sall. Ancien inspecteur principal à l’Inspection générale des impôts et domaines, ancien député, et actuellement maire d’une ville de plus de 200 000 habitants, Ziguinchor.

Homme de rupture, radié de son poste dans l’administration en 2016, pour manquement au devoir de réserve, il s’est politiquement positionné comme « antisystème » alors qu’il en est issu. Dans la ligne de ce positionnement, il n’apparaît pas porteur d’un programme précis, mais se concentre sur une critique systématique du président et du gouvernement.

Dans son discours, le populiste se caractérise par une stratégie d’attaque et de polémique. Telle fut son option lors de la précédente campagne électorale en 2019. Il n’a pas lésiné sur les moyens verbaux pour attaquer directement la personne de Macky Sall, le décrivant comme « un homme malhonnête, un partisan du népotisme et un dictateur qui ôte à son peuple la liberté d’expression » (Étude lexicologique de la campagne – BA Ibrahima Enseignant-chercheur, Dakar). Le président était présenté comme favorisant les intérêts français au détriment des « enfants du pays ». Utilisation, hélas trop connue, de l’argument de la France, exploiteuse des richesses au détriment des habitants. Argument russe, argument iranien…

Les tentatives de déstabilisation de l’Afrique francophone apparaissent donc au confluent de plusieurs stratégies et de plusieurs États, depuis des années. Ne faut-il pas s’interroger sur l’aveuglement et la surdité des services français qui n’ont détecté aucune de ces vibrations, et qui n’ont pu, en conséquence, ni lancer les alertes préalables, ni mettre en place les contre-feux nécessaires.

Avant son remplacement par Stéphane Séjourné, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a sommé l’Iran d’arrêter ses ingérences au Moyen-Orient. Ne conviendrait-il pas d’élargir le champ d’observation au continent africain ?

Article publié par La Tribune le 16 Janvier 2024, offert par l’auteur à Contrepoints.

NB : le ministre français des Affaires Etrangères Stéphane Séjourné vient de rencontrer le ministre iranien des Affaires Etrangères à New York le 23 janvier. Leur poignée de main était chaleureuse et le ministre s’est abstenu de mettre en garde son homologue iranien.

Iran : 40 ans de crimes impunis, 40 ans de résistance pour la liberté

Bien que le récent rapport choquant d’Amnesty International sur les tortures sexuelles infligées aux détenus de la révolte de 2022 en Iran ait mis en lumière la cruauté du pouvoir clérical en Iran, rares sont ceux qui, dans ce pays, aient échappé à cette violence d’État venue du fond des âges.

La première confrontation des combattants de la liberté avec les mollahs remonte à 1980 quand Téhéran et d’autres villes étaient le théâtre d’une lutte pacifique en faveur des libertés et des droits fondamentaux. Lorsque Khomeiny a vu que les femmes et les jeunes rejoignaient massivement les opposants, en particulier l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, l’OMPI, il a ressenti une grave menace.

Dans une allocution publique le 25 juin 1980, après un rassemblement massif de l’OMPI au cœur de la capitale, il a martelé :

« Notre ennemi n’est pas en Amérique, ni en Union soviétique, ni au Kurdistan, mais ici-même, sous nos yeux, à Téhéran. »

À la fois démocratique et musulmane, l’OMPI a attiré des centaines de milliers de jeunes, surtout des femmes, en prônant l’égalité des genres. Cela a posé un défi majeur aux fondations misogynes de la République islamique, instaurée par Khomeiny.

Lorsque la dictature naissante a fait exécuter des adolescentes pendant le soulèvement de l’été 1980, Khomeiny a émis une fatwa stipulant qu’il fallait violer les vierges avant de les fusiller pour leur barrer le chemin du paradis. Le viol ainsi consacré s’est généralisé, n’épargnant aucune génération. Des milliers de filles et de garçons ont été livrés aux poteaux d’exécution sans même avoir été identifiés. Les mollahs sont allés jusqu’à demander aux parents des victimes de payer pour récupérer les corps. C’est à cette époque qu’une fatwa de Khomeiny a annoncé qu’il ne fallait respecter ni la vie ni les biens de toute personne liée à l’OMPI.

 

Quarante années de fatwas

Une autre confrontation majeure a eu lieu en 1988.

Le régime estimait que si les dizaines de milliers de prisonniers politiques qu’il détenait étaient libérés à la fin de leur peine, ils deviendraient un moteur puissant pour mobiliser la population. D’autant plus que les Iraniens étaient laminés par huit années de guerre inutile, et que Khomeiny, dans la défaite, voyait sa chute imminente.

Aussi a-t-il décidé à nouveau de recourir à un massacre massif pour se maintenir en place. Il a lancé une fatwa annoncant que quiconque maintenait son soutien à l’OMPI ou s’opposait au régime devait être exécuté. Il ne savait pas que cette fidélité allait se transformer en emblème de résistance et de liberté. En l’espace d’un été, des procès minutes ont envoyé à la mort quelque trente mille jeunes prisonniers politiques, dont beaucoup avaient déjà purgé leur peine. Les corps ont été ensevelis sans distinction dans des fosses communes secrètes. Ils ont été exécutés, non pas en raison de leurs actions, mais pour leurs opinions opposées à celles de la dictature religieuse.

Il est donc vrai de dire que l’ennemi du régime iranien n’est pas l’Amérique ou Israël, mais la résistance iranienne pour la liberté. Cependant, le massacre est devenu une réalité dans la conscience de la société iranienne. Les parents et les proches des victimes recherchent toujours leurs tombes. Ils restent fascinés par ce qui leur reste, des montres brisées aux aiguilles bloquées sur le moment de l’exécution.

 

Les femmes pionnières de la lutte pour la liberté

Ebrahim Raïssi, actuel président du régime iranien, et d’autres hauts responsables sont impliqués dans ce massacre. C’est lui qui, des années après, a déclaré que ceux qui adhèrent aux idéaux des victimes sont condamnés à mort. Et des individus de son acabit ordonnent des sévices cruels dans les rues, les prisons et les maisons « sécurisées »… Le régime iranien cherche à détruire la résistance pour la liberté.

Face à une telle monstruosité émergeant des ténèbres, les femmes en Iran se sont placées en première ligne de la résistance ; car la survie du régime dépend aussi de l’hostilité envers les femmes et de la discrimination sexuelle. C’est pourquoi les mollahs infligent les pires tourments aux femmes Ce régime clérical n’est pas seulement l’ennemi du peuple iranien, il est aussi en guerre contre l’humanité.

Si l’ampleur des crimes des mollahs, comme le reflète le rapport d’Amnesty International, est illimitée, les sacrifices de la génération qui lutte pour la liberté sont également illimités. L’audace des résistants repose sur le fait qu’ils tentent de viser la tête de l’hydre de l’intégrisme et du terrorisme à Téhéran.

L’impunité du régime iranien

La communauté internationale n’est pas consciente des conséquences de la politique de complaisance avec la dictature religieuse, une politique dont ce régime tire pleinement parti pour faire du chantage, lancer des actes terroristes et prendre en otage les gouvernements occidentaux et leurs principes éthiques. Les événements des derniers mois et la guerre à Gaza, avec des milliers d’enfants innocents tués, sont le résultat direct de cette politique de complaisance. Les mollahs utilisent toujours leur impunité et leurs moyens diplomatiques pour s’ingérer dans les pays du Moyen-Orient et mener leur terrorisme en Occident.

Au niveau international, il est temps de mettre fin à l’impunité de quarante années des mollahs et les traduire en justice pour leurs crimes contre l’humanité. Khamenei, Raïssi et autres responsables du massacre de 1988, ainsi que ceux qui ont ordonné le meurtre de jeunes Iraniens lors des récentes manifestations, en particulier les commandants des pasdarans, doivent être jugés devant la Cour pénale internationale.

L’Iran de Khamenei est un obstacle majeur à la Paix au Moyen-Orient

Lorsque l’hôpital de Gaza a été touché par un missile, causant la mort de centaines d’enfants, le guide suprême du régime iranien Ali Khamenei n’a pas pu cacher sa satisfaction.

Ces événements tragiques n’ont fait qu’intensifier la haine, les envies de guerre et de vengeance. C’était le vendredi précédent que les forces de sécurité iranienne ont tiré sur des manifestants Baloutches, dont des enfants, en utilisant du gaz lacrymogène, et ont procédé à l’arrestation de nombre d’entre eux. Le régime iranien a attisé les flammes de la guerre au Moyen-Orient tout en étant confronté à une insurrection croissante de la part de son propre peuple, avec plus de 5000 unités de résistance et plus de 3000 actions menées en une année contre le régime.

Le soulèvement de septembre 2022 a montré la possibilité d’un renversement du régime. Selon les chiffres du régime, 5000 membres des forces de sécurité ont été blessés pendant ce soulèvement et près de 200 ont été tués. Au début de cette année, 600 exécutions ont été ordonnées par le régime dans le but d’éteindre cette insurrection, mais en vain.

De ce fait, fidèle à ses anciennes méthodes, le régime a cherché à détourner l’attention de sa crise interne en attisant des crises à l’extérieur, déplaçant ainsi le conflit des résidences de Khamenei vers les rues de Gaza et d’Israël. Khamenei a clairement exprimé à plusieurs occasions que si l’Iran ne combattait pas en Syrie, en Irak et à Gaza, il devrait combattre dans les rues de villes telles que Téhéran, Chiraz ou Ispahan. L’ayatollah Khomeini, fondateur de la République islamique, avait pour vision d’établir un « État islamique » en remplacement des gouvernements locaux, ambition à l’origine de nombreux conflits de ces quatre dernières décennies.

Le régime iranien, enraciné dans des croyances religieuses d’une autre époque, peine à répondre aux besoins économiques et culturels de sa population. Ainsi, il se tourne vers des guerres étrangères et des actes de terrorisme pour masquer sa répression interne. La conquête de Jérusalem était perçue par les mollahs comme passant par Karbala en Irak.

Depuis quarante ans, la théocratie iranienne est le principal obstacle à la paix au Moyen-Orient. Pour quiconque aspire à instaurer la paix dans cette région, il est essentiel d’identifier et de combattre les origines des guerres et du terrorisme, tout en soutenant inconditionnellement les aspirations légitimes des peuples palestinien et israélien à fonder deux États souverains. La situation palestinienne reste une épine dans le pied de la paix régionale, et il demeure incertain qu’une solution militaire soit la réponse.

Les accords d’Oslo, entamés par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin en 1993 et guidés par la résolution 242 de l’ONU, offrent une voie vers la résolution du conflit. Cependant, l’expansion des colonies israéliennes a encouragé le régime de Téhéran à pousser à fond son exportation de crises, tout en affaiblissant la position des figures modérées comme le président Abbas, ainsi paver la voie à une augmentation de l’agressivité régionale du régime iranien.

 

Manipulation du conflit palestinien

Khamenei mise sur l’inaction internationale pour mettre en œuvre son sombre dessein.

Son discours du 17 octobre reflète son indifférence flagrante envers les vies civiles. Il est manifeste que les ambitions belliqueuses du régime et ses ingérences dans les affaires des pays voisins dépassent largement les inquiétudes liées à son programme nucléaire. Il se présente comme un protecteur des Palestiniens, alors qu’en réalité, ses actions contredisent leurs aspirations.

Utiliser la question palestinienne comme instrument politique est une tactique adoptée depuis longtemps par la théocratie iranienne. Pendant ce temps, les civils de Gaza sont les plus touchés, subissant pénuries alimentaires, manque d’eau et coupures d’électricité.

L’Iran des mollahs finance le Hamas de l’ordre de quelques 300 millions d’euros par an. En janvier 2023, Ismail Haniyeh, dirigeant du Hamas, a confirmé que l’Iran avait attribué 70 millions de dollars au Hamas pour accroître sa capacité militaire face à Israël, notamment par la mise au point de missiles à Gaza, considérée comme une « capacité stratégique ». À ce moment, l’agitation en Iran ébranlait les bases du régime qui cherchait désespérément une porte de sortie dans la guerre.

 

Affronter le noyau du problème

Malgré les signaux d’alarme répétés lancés par l’opposition iranienne, le Conseil national de la résistance iranienne, l’Occident a longtemps choisi d’ignorer les activités néfastes des Gardiens de la révolution (CGRI) et de leur Force Qods, principaux outils de guerre et de terreur du régime.

À travers une résolution adoptée le 19 janvier 2023, le Parlement européen a appelé l’Europe à reconnaitre le CGRI en tant qu’entité terroriste. Hantée par une politique de complaisance envers le régime des mollahs, l’Union européenne y traine les pieds. Or, depuis une vingtaine d’années, le Conseil national de la résistance iranienne appelle à les nommer ce qu’ils sont : des terroristes.

Reconnaître ces groupes comme des entités terroristes pourrait mettre un frein à l’agressivité du régime iranien, épargnant ainsi des vies innocentes et plus de destruction.

Où en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?

Un article de Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB).

Le 16 septembre 2022, à Téhéran, Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs (gasht-e-ershâd) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (bad hedjâbi). Elle devient l’étendard d’une vague de protestations inédites en République islamique d’Iran.

Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au port obligatoire du voile. Elles sont rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes. Les contestataires se battent pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.

La réponse des autorités, sanglante et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : selon différentes sources, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les minorités ethniques et religieuses s’étant jointes au mouvement général.

Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la militante emprisonnée Nargues Mohammadi pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la libération de la chercheuse Fariba Adelkhah après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal slogan « Femme, Vie, Liberté » ?

 

De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens

Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le brûlant ou se coupant des mèches de cheveux.

Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, violées et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.

Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. Des jeunes hommes portent le voile en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des grèves sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du Kurdistan et du Baloutchistan, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.

Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, situation économique désastreuse, inflation atteignant les 50 %, salaires insuffisants, pénuries de toutes sortes – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.

Ils continuent de ridiculiser le régime ! En solidarité avec leurs camarades et en protestation contre le voile obligatoire et le code vestimentaire imposé aux femmes, des étudiants iraniens se rendent à l’université, en portant un voile ! #Iran #MahsaAmini pic.twitter.com/iVnHrqS0JM

— Farid Vahid (@FaridVahiid) March 13, 2023

De la contestation ouverte à la désobéissance civile

Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan, et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.

En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.

Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste Nazila Maroufian ou de l’actrice Taraneh Alidousti.

Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être condamnée à 74 coups de fouet. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.

Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du hedjâbElnaz Rekabi, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs Sara Khademalsharieh apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de Mitra Hejazipour, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.

Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.

Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, Le Monde a publié les textes écrits et transmis clandestinement par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).

Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. Mehdi Yarrahi a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau Soroode Zan (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de Shervin Hajipour Baraye (« Pour »). Finalement, la chanson Enlève ton foulard de Yarrahi a mené à son arrestation.

 

Une répression multiforme

En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des internements psychiatriques, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des lavages de cadavres à la morgue. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».

Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi « hedjâb et chasteté », qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.

Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visées par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des flagellations. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique a été fermé pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées.

Dans la répression généralisée, le recours à l’intelligence artificielle est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.

Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des attaques chimiques visant à semer la terreur et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».

 

L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi

Le 15 septembre 2023, vingt ans après Shirin Ebadi, Nargues Mohammadi s’est vu décerner le prix Nobel de la paix pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où elle purge une peine de onze ans de prison. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation, ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de « politique et partial » et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté ».

Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment avec la Russie, mais aussi avec l’Arabie saoudite.

Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est largement soupçonné d’avoir été impliqué, tout comme les bombardements de Gaza qui ont suivi ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.

Sur le web.

Ce que la réconciliation irano-saoudienne change pour le Moyen-Orient

Par Jérémy Dieudonné et Elena Aoun.

Le 6 juin, Téhéran rouvrait son ambassade à Riyad, concrétisant un accord annoncé le 10 mars dernier sous la houlette de la Chine.

Sous les flashs des photographes réunis à Pékin, Téhéran et Riyad avaient alors signé une promesse d’échange d’ambassadeurs qui devait mettre fin à sept ans de rupture diplomatique et à plusieurs décennies de tensions.

S’il est incontestable que ce développement suggère une montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, il annonce aussi – et surtout – la mise en place de nouvelles dynamiques propres à la région.

 

Quarante-cinq ans d’une rivalité multidimensionnelle

Avec la révolution iranienne de 1979, l’Iran devenait un rival politique dangereux pour Riyad. Sans être très proches, les deux pays partageaient pourtant jusque-là une relation cordiale, d’autant que tous deux étaient des alliés des États-Unis au Moyen-Orient en pleine guerre froide.

Monarchie ultraconservatrice, structurellement alliée à l’idéologie sunnite wahhabite, répressive de sa minorité chiite (10 % de la population) et étroitement arrimée à Washington, l’Arabie saoudite s’est sentie directement menacée par le nouveau régime de Téhéran, qui promettait d’exporter sa révolution (progressiste dans le paysage régional de l’époque), mobilisant un chiisme radical et considérant les États-Unis comme « le grand Satan ».

Depuis, tant les événements que les choix effectués par les establishments politiques des deux pays les ont amenés à se retrouver dans des camps opposés (et souvent à la tête de ces camps) lors de toutes les crises survenues dans la région.

Cette rivalité s’est radicalisée suite aux Printemps arabes, Téhéran et Riyad ayant presque systématiquement soutenu, directement et ouvertement, des forces politiques opposées réverbérant leur rivalité dans les différents pays concernés, à commencer par la Syrie, où l’Iran s’est fermement rangé derrière Bachar Al-Assad tandis que les Saoudiens ont financé diverses organisations opposées au régime syrien.

Tout s’emballe en janvier 2015 avec l’accession au pouvoir en Arabie saoudite du roi Salmane et la promotion rapide de son fils et successeur désigné Mohammed Ben Salmane (souvent appelé MBS). En mars de cette même année, Riyad intervient au Yémen en soutien au pouvoir en place, accusant l’Iran d’appuyer les rebelles Houthis et ce, malgré l’absence de véritables preuves à ce stade du conflit.

En janvier 2016, Riyad exécute Nimr al-Nimr, important cheikh chiite, provoquant la colère de l’Iran et le pillage de l’ambassade saoudienne à Téhéran et du consulat saoudien à Mashad. En réaction, la plupart des pays du Golfe rappellent leurs ambassadeurs de Téhéran.

Depuis, les seules relations qu’ont eues les deux pays ont été leurs affrontements indirects dans les différents pays de la région : militairement en Syrie et au Yémen, politiquement en Irak, au Liban et à travers la crise du Qatar de 2017.

Même si l’Arabie saoudite n’y est pas partie, la signature en septembre 2020, sous la houlette de Donald Trump, des accords d’Abraham, qui ont permis un rapprochement entre d’une part, Israël et de l’autre, Bahreïn et les Émirats arabes unis, proches alliés des Saoudiens, ont un peu plus tendu les relations, l’Iran affirmant alors qu’il était le seul pays à vraiment se préoccuper de la cause palestinienne, désormais trahie par les monarchies du Golfe. Il en va de même des rebondissements liés au programme nucléaire iranien, qui a toujours été pour l’Arabie saoudite une grande source d’inquiétude.

Sur ces différentes scènes, aucune partie n’a complètement perdu ou clairement gagné ; c’est ce qui permet à chacune d’entre elles de s’engager aujourd’hui sans perdre la face dans une dynamique moins confrontationnelle et, sans doute, moins coûteuse politiquement et financièrement.

 

Les aiguillons de cette percée inattendue

On ne saurait trop insister sur la conjonction des intérêts de la Chine, de l’Iran et de l’Arabie saoudite avec ceux d’acteurs secondaires dans la région.

Pékin est désireux de stabiliser cette région stratégique pour son approvisionnement énergétique et de continuer à s’affirmer dans ce pré carré traditionnel des États-Unis. La Chine était déjà depuis des années un des rares acteurs à réussir l’exercice périlleux de maintenir des relations cordiales à la fois avec l’Iran et l’Arabie saoudite, et c’est bien à elle qu’ils accordent le mérite symbolique d’avoir parrainé leur réconciliation. Le message est limpide : les États-Unis ne sont plus les seuls « brokers » dans la région ni même les seuls pourvoyeurs de sécurité.

L’Iran a longtemps justifié sa rivalité avec Riyad par la soumission du régime saoudien à Washington. Or, à travers cet accord récent, Téhéran parvient à la fois à réduire l’influence américaine dans la région et à accélérer la distanciation entre Washington et Riyad, respectant dès lors parfaitement le « narratif » national. Le rapprochement sert par ailleurs plusieurs des intérêts de l’Iran. Tout d’abord, il permet d’ouvrir une large brèche dans l’isolement dans lequel le pays est tenu par les États-Unis et, dans une moindre mesure, les Européens.

En outre, l’augmentation de ses échanges avec la Chine et la promesse d’investissements saoudiens permettraient un rebond dont l’économie nationale a bien besoin. Par ailleurs, l’apaisement des tensions avec l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe et la nouvelle proximité avec la Chine sont autant de pas susceptibles d’améliorer la sécurité d’un Iran qui serait plus difficile à cibler par Israël ou les États-Unis dans le cadre des bras de fer autour du nucléaire ou des dossiers régionaux.

Enfin, l’entente entre les deux puissances régionales comporte aussi la promesse d’une non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures, ce qui, pour Téhéran, signifie la fin du rôle joué par l’Arabie saoudite, via les différents médias qu’elle finance, dans l’incitation médiatique à son encontre.

Pour l’Arabie saoudite, le rapprochement entrepris avec l’Iran porte la promesse d’une sortie plus favorable du bourbier yéménite, coûteux à tous points de vue, afin de se recentrer sur les réformes du pays et ses perspectives d’avenir, dont la transition économique au travers notamment de la « Vision 2030 » promue par MBS.

En outre, cette démarche nouvelle permet au royaume, dont les relations avec les États-Unis ont été assez houleuses sous les deux dernières administrations démocrates, de diversifier ses alliances et les garants de sa sécurité. D’ailleurs, la désescalade avec l’Iran porte en elle la perspective d’une atténuation des risques sécuritaires. Cette tendance est renforcée par l’accession de Riyad à l’Organisation de coopération de Shanghai au titre de partenaire de dialogue, alors que l’Iran est déjà engagé dans le processus d’accession complète à cet organisme.

 

Vers de nouvelles perspectives

S’il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions définitives et prédire une paix durable entre Riyad et Téhéran, ces différentes annonces viennent briser une logique d’inimitié et de conflictualité qui semblait jusqu’ici dangereusement s’auto-entretenir. Trois tendances intéressantes, et quasiment sans précédent dans l’histoire récente de la région, méritent d’être soulignées.

La première est la volonté de l’Arabie saoudite et de l’Iran de dépasser leur inimitié, souvent représentée comme insurmontable car fondamentalement identitaire, et de coopérer pragmatiquement dans le but de servir leurs intérêts et de réduire les tensions régionales.

Dérivée de la première, la deuxième tendance correspond à une agentivité plus constructive mais aussi moins dépendante des impulsions extérieures, la Chine ayant été plus un adjuvant que la force motrice du rapprochement. Même si ce sont des diplomates chinois qui ont posé avec leurs homologues iraniens et saoudiens devant les photographes immortalisant l’accord, ce sont bien l’Irak et Oman qui ont facilité les négociations entre les deux poids lourds de la région. Ceci ouvre la voie à une gouvernance régionale conduite par les acteurs locaux et allégée du poids des intérêts extérieurs, même si le chemin reste long vu la présence américaine encore massive et l’intérêt chinois grandissant.

Enfin, le contexte même du rapprochement suggère que le temps des absolus pourrait s’étioler : ce développement se fait bien que l’Arabie saoudite soit, aujourd’hui, plus proche d’Israël qu’à aucun autre moment de l’histoire.

Bien évidemment, les passifs restent nombreux, tout comme les crises qui pourraient mettre en péril la tendance amorcée en mars dernier. Les occasions manquées par le passé, comme le rapprochement avorté entre les deux pays à la fin des années 1990, incitent à la prudence. En outre, une telle dynamique d’adversité ne s’effacera pas du jour au lendemain. Mais le rétablissement des relations diplomatiques a au moins le mérite d’offrir une alternative et une porte de sortie vers une logique non plus de surenchère mais bien de concertation dans les affaires de la région.The Conversation

Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain) et Elena Aoun, Professeure en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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