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Hier — 18 avril 2024Analyses, perspectives

Le vivrensemble est en train de se luxer le dos

Par : h16

Les semaines se suivent et se ressemblent en République du Bisounoursland : alors que la violence à l’école devient difficile à camoufler, celle dans la société française ne fait plus de doute.

Ainsi apprend-on, juste après les tragiques incidents de Montpellier dont le fond religieux est évident, qu’une adolescente vient d’être agressée à Achenheim dans le Bas-Rhin pour, là encore, des motifs religieux : ses quatre agresseurs lui aurait reproché de ne pas respecter le ramadan.

Ainsi apprend-on que le gérant d’un Geox (magasin de chaussures) de Strasbourg est à présent menacé de mort (après les habituelles insultes) pour avoir refusé de laisser son employée travailler en portant un voile, le règlement de travail de l’entreprise étant pourtant clair. On ne s’étonnera que modérément du profil de la vendeuse par qui le scandale arrive. En attendant, le gérant est obligé de composer avec ce nouveau vivrensemble à base de vigiles et de patrouilles policières.

Ainsi Bordeaux aura une nouvelle fois profité de l’enrichissement religieux et des enquiquinantes dérives de lames folles qui l’accompagnent parfois alors qu’un individu d’origine afghane a attaqué plusieurs personnes et tué l’une d’elles à coups de couteau, l’agresseur reprochant à ses victimes de boire de l’alcool alors que le ramadan n’est pas fini.

Ainsi un adolescent homosexuel de 15 ans a-t-il été violemment agressé par un groupe de jeunes à Grenoble, en raison de cette homosexualité, directement reprochée par l’un de ses cousins. Rassurez-vous : bien qu’ayant réalisé un enlèvement, une séquestration et des violences avec actes de barbarie, les agresseurs étant mineurs ont été relâchés. Gageons que les suites judiciaires seront exemplaires et que les associations de lutte contre l’homophobie seront présentes, n’est-ce pas.

On pourra noter de façon intéressante l’augmentation du nombre de ces actes reportés par la presse et commentés partout. On peut raisonnablement imaginer qu’en réalité, tout ceci arrive sur une base pluriquotidienne, mais que le nombre considérable d’incidents apporte une certaine lassitude du public.

De la même façon, on notera que la violence présente dans ces quartiers perdus de la République, et qui s’exprimait de façon sporadique contre la classe moyenne précisément absente de ces quartiers, se retourne maintenant progressivement contre ceux qui en sont issus et qui auraient le malheur de vouloir s’en extraire, de s’affranchir de leurs pratiques courantes, ou, pire encore, de composer pacifiquement avec le reste de la société française.

Devant ce qui apparaît pour une augmentation de ces faits, la République se défend farouchement : rapidement, les petits soldats du vivrensemble rappellent leurs évidences (tout ceci est très ponctuel, la violence est tout à fait limitée, mais non il n’y a aucun communautarisme, etc.) et n’en parlons plus.

Malheureusement, les chiffres, même torturés par les politiciens et les médias, n’en finissent pas de pointer sur d’autres évidences, assez peu favorables à l’apaisement.

D’un côté, on observe que les homicides augmentent de façon alarmante, et les tentatives d’homicides, avec 5072 en 2023 contre 2069 en 2011, sont au plus haut depuis 50 ans…

Certains ont de surcroît l’impudence de noter la sur-représentation des étrangers dans les violences commises en France : alors que ces derniers ne représentent que 7,8% de la population totale, on en retrouve 14% mis en cause pour viols hors cadre familial et 19% dans le cadre conjugal.

Pire : certains en viennent à demander que les OQTF soient appliquées et que ceux qui ont violé ou tué en France en soient expulsés, alors qu’au contraire le vivrensemble imposerait (?) plutôt de les accueillir et de les choyer. Là encore, rassurez-vous puisque les autorités ont rapidement placé en garde-à-vue les ultra-fascistes suppôts de Poutine qui osent demander de telles choses.

De cette violence, on peut en faire un problème religieux mais ceci occulte deux causes.

C’est tout d’abord l’illustration que le combat contre la religion séculaire en France (le christianisme) ne s’est pas traduit par une société plus ouverte ou tolérante, au contraire.

En lieu et place de gens qui ne croient plus en Dieu, on a surtout des gens qui croient un n’importe quoi où tout se vaut et où par conséquent, plus rien n’a de valeur. Et lorsque ce blob devient trop mou, tous ceux qui, nombreux, ont besoin d’une colonne vertébrale ou une structure solide sont un terrain fertile pour toute construction sociale répondant exactement à ces demandes.

Dans ce cadre, l’islam est d’autant plus séduisant que, d’une part, le catholicisme français officiel s’est fait un devoir d’être chaque jour plus en phase avec les “fameuses valeurs de la République”, donc toujours plus mou, plus accommodant de toutes les dernières modes niaises poussées par le politiquement correct, et que, d’autre part, cet islam est même chéri par toute une partie de la gauche, au contraire du christianisme farouchement combattu, soupe électorale oblige. Pas étonnant, dès lors, que cette religion naturellement très prosélyte gagne en “parts de marché” des religions en France.

L’autre cause, c’est surtout l’abandon du régalien par l’État, dilué dans le social et un culte à la laïcité complètement stérile. L’État ne fait plus son travail et a même abandonné avec délice toute velléité de le faire.

Au-delà de l’éventuel discours un peu martial d’un préfet ou d’un ministre de l’Intérieur lorsqu’une occasion (attentat, émeutes, etc) le commande, personne n’a rien à faire de l’insécurité en France, de la dégradation complète de l’ambiance générale dans le pays.

En réalité, on sait bien comment juguler ces “incivilités” (qui, pour la plupart, sont des délits voire des crimes) et on sait bien comment garantir la paix et la sécurité dans un pays, mais cela nécessite une police et une justice efficaces dont le gros défaut est de considérer tous les justiciables sur le même plan, ce qui, au pays de l’égalitarisme et des petits aplatissements, passe mal.

Oui, il y a en France tout l’arsenal nécessaire de lois et de police pour revenir à un réel état de droit dans le pays. Mais il n’y a aucune volonté de l’utiliser : il n’y a aucune volonté politique de construire les prisons qui manquent cruellement, il n’y a aucune volonté politique de faire appliquer réellement les lois et les peines existantes, il n’y a aucune volonté politique d’écarter de la société ses éléments les plus dangereux, notamment parce qu’ils contiennent en eux les ferments de peur qui ont permis de tenir fermement la classe moyenne jusqu’à présent.

Cependant, avec la véritable déroute économique actuelle, la classe moyenne est en train de s’évaporer très vite et ce précédent calcul (de très court terme) des dirigeants est en train de jouer contre eux : à mesure que l’insécurité et l’appauvrissement général gagnent, le baratin des politiciens ne suffit plus.

Le vivrensemble est en train de se luxer le dos.

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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

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Le commandant du Commandement central américain (CENTCOM), le général Erik Kurilla, est Israël, où il a rencontré ce 11 avril le ministre israélien de la défense Yoav Gallant et d’autres hauts responsables de l’armée, en prévision d’une réponse iranienne au bombardement du consulat de Téhéran à Damas.

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poutine aid

poutine aidLes organisations musulmanes contribuent grandement au renforcement de la cohésion de la Russie et de l’harmonie interethnique. Le président russe

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Le 25 mars, lors d’une attaque encore plus intense, le siège des services de renseignement ukrainiens à Kiev a été détruit par des missiles russes. Selon Lucas Leiroz dans infobrics:

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La promotion de l'opium du peuple -- Lecteur

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Aux origines d'une « nouvelle laïcité », plus punitive, plus excluante

Le 15 mars 2004, le parlement français adoptait la loi sur « le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». Ce vote faisait suite aux travaux de la commission Stasi à laquelle participait Jean Baubérot, et qui facilitera l'adoption d'une nouvelle conception de la laïcité. C'est son témoignage, recueilli par La vigie de la laïcité, que nous reproduisons ci-dessous, avec une introduction d'Alain Gresh.

Ce que l'histoire retiendra de la commission Stasi, du nom de Bernard Stasi, ancien ministre et ancien député centriste, mise en place le 3 juillet 2003 et qui a remis ses conclusions au président Jacques Chirac le 11 décembre de la même année, c'est qu'elle a prôné l'interdiction des signes religieux dans les écoles. Elle a facilité le vote d'une loi en ce sens le 15 mars 2004, texte que tout le monde désignera comme « loi sur le foulard », malgré son titre officiel, « loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». Alors qu'au départ bon nombre de ses membres étaient hostiles à cette mesure, ils vont s'y rallier au fil des mois et adopter la vision selon laquelle la France ferait face à une « agression », selon les termes du président Chirac.

La commission Stasi, au-dessus de tout soupçon ?

La France vit un printemps 2003 agité, avec des enseignants en grève et des mobilisations contre la loi sur les retraites. Cependant les politiques et les médias préfèrent se focaliser sur des « problèmes de société ». Le 12 juin 2003, Le Canard enchaîné résume la situation sous le titre : « Les mouvements sociaux font bâiller les journaux ». Les médias, en revanche, ont « embrayé » sur le foulard. Il est vrai qu'un tel sujet, poursuit le journaliste du Canard enchaîné, « permet d'aborder certains thèmes en principe plus “vendeurs” : intégrisme, terrorisme, insécurité en tout genre ». Pourtant, un sondage révèle que 68 % des personnes interrogées pensent que les médias ont alors trop parlé du port du foulard.

Paralysé par ses divisions, aphone sur les retraites, coupé du mouvement enseignant, rallié au social-libéralisme, le Parti socialiste (PS) se réunit en congrès à Dijon au mois de mai 2003. Son numéro deux, Laurent Fabius, consacre l'essentiel de son discours à… la laïcité. Enfin un thème « de gauche » susceptible de rencontrer un écho parmi les enseignants. Les délégués, pour une fois capables de surmonter les clivages entre tendances, applaudissent. Ce déchaînement médiatique et politique s'accompagne de nombreuses enquêtes sur « ce qu'on ne peut pas dire sur l'islam ».

Mais on aurait tort de n'y voir qu'une simple diversion. « La guerre contre le terrorisme » et la lutte contre ceux qui chercheraient à mettre en cause la laïcité deviennent les axes des programmes des principales forces politiques. Le Front national (FN, aujourd'hui Rassemblement national) a réussi à imposer à tous la problématique de l'identité.

C'est dans ce contexte que se réunit une commission qui va être manipulée par son rapporteur, Rémy Schwartz. Le haut-fonctionnaire ne cache pas ses préférences pour une loi contre le foulard, et son adhésion à la vision imposée par le pamphlet islamophobe, Les Territoires perdus de la République1, dont il fait l'éloge publiquement. Il veut donc arracher à tout prix une unanimité contre le foulard, question qui n'est pourtant abordée qu'en fin de travaux. Il sélectionne les témoignages pour imposer l'idée selon laquelle les lycées et les hôpitaux seraient les victimes d'une offensive concertée qui « testerait les défenses de la République ». Jean Baubérot, dont nous publions le témoignage ci-dessous2, sera le seul à s'abstenir sur le rapport. Après avoir demandé à plusieurs reprises que l'on auditionne d'autres enseignants que ceux sélectionnés, il se voit opposer une fin de non-recevoir. À aucun moment ne sont auditionnés des chefs d'établissement pour que la question se règle sur le terrain, par la discussion.

Autre membre de la commission, le sociologue Alain Touraine explique comment, malgré son insistance, l'équipe permanente autour de Schwartz n'a jamais pris la peine de chercher des interlocutrices musulmanes. Sans même parler du refus – levé le dernier jour, alors que les jeux étaient déjà faits – d'entendre des femmes portant le foulard. La commission avait pourtant auditionné sans état d'âme le FN. Au final, la commission permettra d'entériner une remise en cause fondamentale de la loi de 1905 et l'imposition d'une laïcité punitive.

Il faudra attendre le mois de juillet 2004 pour que Bernard Stasi le reconnaisse : « La presse et les pouvoirs publics semblent n'avoir retenu, dans le rapport de la commission sur la laïcité, que l'interdiction des signes religieux à l'école, alors qu'il y avait aussi des propositions positives. C'est une erreur que je ne comprends pas et que je regrette »3. Une erreur, vraiment ?

Charles Mercier.Parallèlement à la mission parlementaire Debré, reprenant une suggestion du rapport Baroin (juin 2003), le président de la République, Jacques Chirac, institue en juillet 2003 une commission chargée de « réfléchir à l'application du principe de laïcité dans la République », dont la présidence est confiée à l'ancien député centriste Bernard Stasi. Jean Baubérot, vous avez fait partie de cette commission Stasi, dont vous avez vécu les travaux de l'intérieur. Vous avez d'ailleurs analysé, en sociologue, la dynamique des travaux. Vous qui êtes classé à gauche, est-ce que vous avez hésité avant d'accepter d'intégrer cette commission initiée par un pouvoir de droite ? Comment avez-vous perçu sa manière de fonctionner ?

Jean Baubérot. — Non, je n'ai eu aucune hésitation. Titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l'École pratique des hautes études, j'estimais, étant rétribué sur fonds publics, que je devais accepter les diverses sollicitations du politique. Or, dans la période entre le 11 septembre 2001 et les débats sur la loi de 2004, celles-ci furent nombreuses, de l'extrême gauche à la droite de gouvernement. D'autre part, nous avions tous voté Jacques Chirac, pour éviter Jean-Marie Le Pen, au second tour de la présidentielle de 2002 et cela créait un certain climat « d'axe républicain ». D'ailleurs, dans ce cadre, j'étais déjà un « visiteur du soir » de l'Élysée en vue de préparer le centenaire de la loi de 1905. Avec Régis Debray nous avions soumis de grandioses projets au président de la République, ceux-ci tombèrent à l'eau, suite au vote de la loi du 15 mars 2004. C'est un fait peu connu mais important : au vu des réactions nationales et internationales que cette loi a suscitées, la célébration du centenaire fut confiée à l'Académie des sciences morales et politique afin d'être aseptisée. Enfin, l'Élysée m'avait assuré que la commission serait pluraliste, transpartisane, ce qui a bien été le cas.

Oui, j'ai tenté ensuite d'analyser comment la commission a fonctionné, comment un esprit de groupe et une idéologie dominante se sont constitués, comment et pourquoi il y a eu, à la fin des séances, un processus de persuasion mutuelle4. Quelques points : la commission a passé l'essentiel de son temps à rédiger un rapport et il n'est pas facile pour vingt personnes d'opinions diverses de se mettre d'accord sur un texte ! Certains commissaires se disputaient parfois pour des virgules, dans la croyance un peu naïve que ce rapport serait considéré comme le centre de leur travail. Quant aux recommandations, celle qui a été, de loin, la plus discutée par la commission a été le projet concernant les jours fériés, afin d'y inclure une fête juive et une fête musulmane. Nous voulions présenter une proposition réaliste, tenant compte des contraintes de l'école et de celles des entreprises. Nous y avons réussi mais cela nous a pris pas mal de temps, et le politique n'a pas pris en compte notre proposition.

Ces différents facteurs ont fait que nous avons pris pas mal de retard et la question du voile n'est arrivée en débat que le dernier jour de nos travaux. Mais elle avait été progressivement, et habilement, mise sur orbite par le staff, opérant un court-circuit entre droit des femmes et laïcité. Un seul exemple, très significatif, pour illustrer cela : trois talentueuses jeunes-femmes - elles avaient fait l'École nationale supérieure (ENS) ou l'École nationale d'administration (ENA) - nous servaient, en début de séance, le café et des croissants. Ce fait, assez étonnant, réducteur quant au genre, n'était pas dû au hasard : elles en profitaient pour discuter avec nous et je me souviens que l'une d'entre elles m'a dit, avec un charmant sourire : « Monsieur Baubérot, vous qui êtes féministe, vous allez, bien sûr, voter en faveur de l'interdiction du voile » !

D'une manière générale, si la commission avait abordé frontalement les droits des femmes, elle aurait dû traiter bien d'autres problèmes. La suite l'a amplement prouvée, mais on le savait déjà : en juin 2003, au moment où elle se constitue, est publiée la grande Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff). Effectuée, suite à une demande ministérielle, par une équipe pluridisciplinaire, elle met en évidence l'ampleur de l'omerta qui règne sur les violences faites aux femmes et évalue le nombre de viols annuels à environ 50 000. Pour la laïcité, progressivement, il a été clair qu'aucune modification ne serait faite au subventionnement public des écoles privées sous contrat, et que le contrôle de leurs obligations ne serait pas renforcé ; de même, (suscitant la double protestation d'Henri Pena-Ruiz et de moi-même), on a fait l'impasse sur tout examen sérieux de la situation en Alsace-Moselle, où la loi Jules Ferry laïcisant l'école publique et la loi de 1905 séparant les Églises de l'État ne s'appliquent pas.

Donc, par ce court-circuit entre droits des femmes et laïcité, le port du foulard est, in fine, advenu au premier plan. J'ajouterai que la mise en forme de nos séances et du rapport a été assurée par l'adjoint du rapporteur, un certain… Laurent Wauquiez. J'ai protesté, à plusieurs reprises, sur la façon dont il biaisait nos travaux.

Ch. M.Dans cette commission, vous êtes le seul à vous être abstenu sur la section du rapport préconisant l'interdiction du vote des signes religieux ostensibles. Mais, après la remise du rapport, d'autres membres de la commission, comme René Rémond, ont regretté d'avoir voté le rapport et ont dénoncé le projet de loi du 15 mars 2004. Avez-vous aussi cherché à peser, entre janvier et mars 2004, pour tenter de faire bouger les équilibres ?

J. B. — À la fin des travaux de la commission, le 9 décembre5, j'ai émis deux propositions : la première, pour l'honneur car elle n'avait aucune chance d'être adoptée, consistait à transformer en loi l'avis de 1989 du conseil d'État ; celui-ci tolérait un port non-ostentatoire de signes religieux par les élèves et sanctionnait certains comportements. J'avais travaillé l'élaboration d'une proposition de loi avec un juriste. Ma seconde proposition, plus réaliste au vu de l'évolution de la commission (que l'on peut résumer par la métaphore de l'entonnoir), consistait à indiquer que les « tenues religieuses ostensibles » étaient interdites (mais pas les « signes ») et que, dans le rapport, il serait précisé que le bandana n'en était pas une, donc, n'avait pas à être prohibé comme le port du voile, de la kippa et des pseudo grandes croix. Je reste persuadé que si ce compromis avait été adopté, la suite des événements aurait pu être différente. Mais le staff a refusé de le mettre aux voix et la commission n'a pas protesté. Je me suis donc abstenu, ne voulant pas adopter une mesure mettant le doigt dans un dangereux engrenage, mais ne voulant pas non plus, en votant contre, risquer de me faire instrumentaliser par l'islamisme politique. D'autre part, pour moi, comme d'autres faits sociaux, le port du voile est marqué d'ambivalence.

Cependant, il est intéressant de préciser que, lors du vote, en fin de matinée, nous étions trois à nous être abstenus. Le rapporteur, Rémy Schwartz, déclara alors que nous avions l'après-midi pour changer d'avis. Comme certains m'avaient confié leurs doutes, j'ai déclaré : « Tant mieux, nous serons alors six ou sept à nous abstenir ». Cela amena Schwartz à préciser que le changement de vote possible ne concernait que les trois abstentionnistes ; pour les autres, « c'est fini » indiqua-t-il ! C'est ainsi que, finalement, je me suis trouvé le seul à m'abstenir.

En réponse à votre seconde question : non, je n'ai pas tenté de modifier le cours des choses, au début de 2004, car le discours de Chirac, le 17 décembre 2003, juste après la remise du rapport, montrait que les jeux étaient déjà faits. J'ai d'ailleurs trouvé l'attitude de René Rémond et d'Alain Touraine à ce sujet un peu pathétique. Pour ma part, je me suis plutôt préoccupé de contrer le récit légendaire qu'ils propageaient, prétendant que la commission n'avait pas eu d'autre choix, et nous avons alors échangé des mots assez durs. D'autre part, le ministère des affaires étrangères m'a confié la direction du panel « Religion et politique » dans un forum, organisé par Jacques Chirac, qui réunissait des représentants des gouvernements des deux rives de la Méditerranée et du Golfe arabo-persique. Et il était clair que mon abstention était une des raisons de ma désignation. J'ai été d'accord pour endosser cette responsabilité ; en effet, il m'a semblé important, vis-à-vis de certains pays, de montrer qu'en France on pouvait critiquer la politique du gouvernement sans se retrouver en prison, mais, au contraire, en continuant à recevoir des missions officielles.

Ch. M.Dans l'exposé des motifs de la loi du 15 mars 2004, il est écrit : « Ce texte s'inscrit dans le droit fil de l'équilibre qui s'est construit patiemment depuis des décennies dans notre pays autour du principe de laïcité. Il ne s'agit pas, par ce projet de loi, de refonder la laïcité ». Est-ce que malgré cette déclaration d'intention, la loi n'a pas exprimé et produit une nouvelle laïcité, conçue non plus comme un principe garantissant la neutralité de l'État mais comme un instrument d'acculturation aux valeurs républicaines ? Est-ce que la loi n'a pas accéléré la cristallisation d'un nouvel imaginaire de la laïcité ?

J. B. — La loi de 2004 a-t-elle instauré une « nouvelle laïcité » ? Non et oui. Non car, durant le mandat de Chirac, la loi est restée conforme à l'esprit dans laquelle la commission Stasi l'avait proposée : une exception, limitée par la mention explicite des signes ostensibles interdits à des élèves mineurs, dans une liberté qui restait la règle générale. D'ailleurs, conformément à une autre proposition de la commission, Chirac a créé la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), et celle-ci a soigneusement veillé à ce que la loi ne déborde pas de son cadre. Mais, à la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy l'a emporté sur Ségolène Royal : il a normalisé puis supprimé la HALDE (ce que n'aurait certainement pas fait cette dernière). Ensuite, il fait voter la loi de 2010, interdisant le port du niqab dans l'espace public, et son ministre Luc Chatel a interdit le port du foulard aux mères de familles accompagnant les sorties scolaires. La normalisation, puis la suppression de la HALDE, à mon avis, a joué un rôle essentiel, souvent oublié, dans l'établissement de la nouvelle laïcité.

Cependant, oui, la loi de 2004 marque le début d'un glissement de la neutralité arbitrale de l'État vers des mesures de neutralisation vestimentaire d'individus. La circulaire de Luc Ferry (ministre de l'Éducation nationale en 2004) a d'ailleurs accentué cette dérive. Contrairement à la commission, elle a évoqué la possibilité d'étendre la loi à d'autres signes que ceux explicitement proscrits. Dès lors, la boite de Pandore pouvait être totalement ouverte : port du burqini, de robes longues, du foulard dans les entreprises accomplissant une mission de service public, etc. Effectivement, un nouvel imaginaire de la laïcité a prévalu. Je rappelle ce qu'Aristide Briand avait énoncé en 1905 : aux yeux de l'État laïque, la tenue des prêtres, la soutane, « est un vêtement comme un autre ». Cela signifie que la laïcité ne se préoccupe pas de savoir si un vêtement est religieux ou non, car un vêtement est de l'ordre du réversible, une tenue ne porte pas atteinte à la liberté de conscience. Advient donc, à partir de 2004, et encore plus après 2007, une « nouvelle laïcité » qui tourne le dos à la laïcité historique et se nourrit d'affaires médiatisées ; elle avantage les écoles privées sous contrat en édictant une interdiction valable pour les élèves des seules écoles publiques6.

Ch. M.Y a-t-il un continuum avec les décisions politiques ultérieures sur la laïcité ? Avec 20 ans de recul, peut-on dire que le vote de cette loi initie un nouveau cycle ? Dans quelle mesure la présidence de François Hollande, marquée par la création de l'Observatoire de la laïcité, a marqué une inflexion ? Et celle d'Emmanuel Macron ?

J. B. — En réponse à cette question, j'indiquerai que Sarkozy avait confié le dossier « laïcité » au Haut conseil à l'intégration, ce qui revenait à dire que la laïcité concernait avant tout les immigrés et leurs descendants. Les Franco-français étaient, tel Obélix, tombés dans la marmite laïcité à leur naissance ! François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont enlevé le dossier laïcité au HCI et ils ont créé l'Observatoire de la laïcité, ce qui, avec l'instauration du mariage de personne de même sexe, restera la mesure la plus positive de ce quinquennat. Mais les attaques que l'Observatoire a subies, dès 2016 avec Manuel Valls, et sa fin actée par Macron, en 2021, montrent la puissance du lobby de la nouvelle laïcité. Alors, bien sûr, les attentats terroristes ont joué un rôle déterminant. Reste qu'en pratiquant des amalgames et une laïcité à géométrie variable, donc discriminante (cf. l'attitude différente des autorités envers les lycées Averroès et Stanislas), on met en œuvre une laïcité inefficace, contreproductive : en fait, on sert la soupe à ceux-là même que l'on prétend combattre.

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L'entretien de Jean Baubérot par Charles Mercier est reproduit avec l'aimable autorisation de La vigie de la laïcité


1Georges Bensoussan et Emmanuel Brenner, Les Territoires perdus de la République - antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Les Mille et Une Nuits, 2002.

2Ce même entretien a été publié le 14 mars sur le site de la Vigie de la laïcité.

3Cette citation, comme l'essentiel de ce texte, sont tirés de mon livre L'islam, la République et le monde, Fayard, 2004.

4« L'acteur et le sociologue. La Commission Stasi », Jean Baubérot, dans Delphine Naudier & Maud Simonet (dir.), Des sociologues sans qualité ? Pratiques de recherche et engagements, La Découverte, 2011, pp. 101-116.

5Le 10 décembre a été consacré à « toiletter » le rapport, qui fut remis le 11 au matin à Jacques Chirac.

6Voir Stéphanie Hennette-Vauchez, L'École et la République, la nouvelle laïcité scolaire, Dalloz, 2023.

Inde. Comment Modi attaque de front les musulmans et les sciences

Jouant sur l'islamophobie occidentale et exploitant le relativisme postmoderne, les nationalistes hindous du premier ministre indien Narendra Modi tentent d'opposer un islam conquérant et oppressif à de sages traditions hindoues. Leur hostilité cible tout autant les sciences naturelles que l'histoire, avec la volonté d'imposer aux musulmans indiens, comme au reste du monde, un nouveau récit national.

Le 22 janvier 2024, le premier ministre indien Narendra Modi a inauguré une construction kitsch de style néo-classique à l'emplacement précis de la plus ancienne mosquée moghole du sous-continent, détruite en 1992 par des nationalistes hindous. Fondée par Babour, premier sultan de la dynastie ferghanienne, cette relique avait été vandalisée lors d'émeutes, accompagnées d'un massacre impuni de milliers de musulmans.

Le prétexte invoqué est que la mosquée aurait été érigée sur le lieu de naissance du roi divinisé Rāma, un héros védique ayant vécu il y a 4 000 ans. Or, ce saccage intégriste s'inscrit en fait dans l'agenda nationaliste religieux du Bharatiya Janata Party (BJP) de l'actuel premier ministre. L'aspect raciste de cette offensive, justifiée au nom de la foi, du culte, de l'ordre social et de l'identité hindoue, cible principalement les 225 millions de musulmans (contre 220 millions au Pakistan et 155 millions au Bangladesh), constituant 16 % de la population de l'Inde.

Réécrire les sciences naturelles au nom de la décolonisation

En fait, la campagne coordonnée de réécriture contre la vérité scientifique vise tout autant l'histoire naturelle, physique et biologique que l'histoire sociale et politique. Toutes deux contredisent en effet les vérités sacrées sur la création et l'ordonnancement du monde, de même que l'unicité et l'exclusivité hindoue du roman national.

Cet assaut fondamentaliste est justifié par un même argument : la primauté du savoir traditionnel est menacée par les connaissances occidentales, perçues comme coloniales, et toute légitimité prêtée à l'indo-islamité est elle aussi assimilée à une colonisation. Ce retournement de l'argument anticolonial rappelle celui employé par le Japon militariste des années 1920 et 1930. Humilié par un racisme international bien réel, il a prétexté de l'impérialisme européen pour instaurer sa propre hiérarchie ethnique, encore plus oppressive. Ce mécanisme d'exclusion des principes du progrès occidental au nom d'un particularisme national opprimé est d'ailleurs commun au fascisme italien et au nazisme allemand à la même époque.

Réassurer des dominations anciennes

Cet obscurantisme prive avant tout l'accès des collégiens et lycéens indiens à une information impartiale dans les domaines biologique, géologique, astrophysique, sociaux et politiques, alors que la proportion de scolarisation dans le secondaire est passée de 20 % à 70 % en 50 ans. Face à cette massification de la scolarité, le dévoiement de la lutte contre l'hégémonie coloniale et de l'universalisme eurocentré sert bien au contraire à préserver, renforcer et réimposer la domination bien plus archaïque des castes dominantes, présentées comme nationales, en particulier les brahmanes religieux.

La propagande débilitante du BJP est imposée au peuple avant la spécialisation de terminale. Elle a pour effet de maintenir l'ignorance de chacun dans les domaines qui ne sont pas les siens. Ainsi, la réécriture de l'histoire s'appuie sur le lieu commun selon lequel la civilisation indienne daterait de 5 000 ans (ou plus si affinités). L'argument de l'antériorité et de la continuité d'essence justifierait une prétendue supériorité intrinsèque, en empruntant en réalité à un argument de légitimation national récent et occidental. Ce n'est pas le moindre des paradoxes qu'une propagande réactionnaire utilise des outils occidentaux pour prétendre restaurer un ordre pré et antioccidental.

Écriture indigène, pensée européenne

Pour étayer leur argument de l'antériorité, les promoteurs de la réécriture historique affirment, à l'encontre du consensus scientifique, que la civilisation de l'Indus (XXIVe-XVIIIe siècle avant J.-C.) était déjà brahmane et indo-aryenne. Cette assertion ressuscite la thèse (dépassée) voulant que l'Inde soit le berceau des Indo-Européens, une perspective européenne, raciste et coloniale. Cela a l'avantage d'éviter de situer les Turco-Iraniens musulmans (Ghaznévides, Ghourides, Mamelouks, Turco-Afghans, Timourides, Moghols et Afghans) dans une longue suite d'autres envahisseurs antéislamiques (Scythes, Kouchans, Huns et Turcs). Cette succession millénaire de flux de peuples centre-asiatiques sur une plus ou moins vaste portion du nord de l'Inde ne s'achève que du fait du barrage britannique puis américain qui, de 1838 à 1989, s'attache à bloquer la descente de l'empire russe puis soviétique.

Or, ce processus a justement été initié par les premiers envahisseurs historiques venus d'Asie centrale : ces mêmes Indo-Aryens qui, à la fin de l'âge du bronze, fondent la religion védique, organisent les castes des brahmanes et militaires (kshatriya) et exploitent celle des tributaires (vaishya). Inversement, du côté nationaliste, ce discours aryaniste emprunte à une idéologie coloniale européenne qui opposait les « civilisations indo-européennes » glorieuses aux civilisations « sémitiques » ou « tartares » ontologiquement inférieures. Dès lors, ce n'est pas le moindre des paradoxes qu'une telle convocation d'un imaginaire français et britannique colonial vienne soutenir une lutte prétendument anticoloniale.

Une émotion « scientifique » borgne

Ces attaques coordonnées contre l'éducation non conforme à l'hégémonie nationaliste hindoue ont bien suscité quelques réactions, cependant asymétriques et disjointes. D'un côté, le secteur indien des sciences humaines et sociales, notamment sur l'histoire turco-iranienne et islamique, n'a reçu presque aucun soutien universitaire international. Inversement, s'il y a bien eu des mobilisations éparses dans les milieux étudiant la biologie et la physique, elles n'ont pratiquement jamais évoqué le cas de l'histoire. Le régime de Modi exploite ces cloisonnements universitaires, en particulier le clivage artificiel entre un monde islamophile, suspecté d'être hostile à tout progrès, et un monde des « sciences dures », suspectant le prosélytisme chez les islamophiles, avec un recul très relatif sur ses propres préjugés culturels et idéologiques.

Ainsi, un article de Science1 appréhende l'adoption du concept nord-américain et fondamentaliste chrétien d'intelligent design comme une nouveauté, inattendue en contexte non-abrahamique, qui ne serait pas hostile à la théorie de l'évolution2. Si le mécanisme d'appropriation est valide, la seconde proposition sur l'évolution semble refléter d'emblée les préjugés occidentaux qui tendent à valoriser le polythéisme, et a fortiori les « philosophies orientales », sans avoir à démontrer son hypothèse. Pour autant, les auteurs ont sans doute raison de dire que cette importation repose sur une réécriture ultra-chauvine de l'histoire « prétendant que toutes les grandes découvertes scientifiques peuvent être retracées jusqu'à l'Inde antique », divine et brahmanique. Ainsi, la revue Scientific American3 évoque la suppression du passage d'histoire contemporaine portant sur « la révolution industrielle ». Son auteur Dyani Lewis y explique que, outre la biologie, les livres scolaires sont amputés de chapitres entiers sur les sources d'énergie, la « démocratie », la « diversité » et les « défis à l'encontre de la démocratie ».

Enfin, Nature4 observe à juste titre que « l'Inde n'est pas le seul pays postcolonial à se débattre avec la question de la manière d'honorer et de reconnaître les formes de savoir plus anciennes ou autochtones dans ses programmes scolaires ». L'auteur n'a guère que l'exemple du rapport aux Maoris de la Nouvelle-Zélande, pays complètement occidental. Voilà qui limite la portée de l'argument mettant en exergue que là-bas au moins, « on ne supprime aucun contenu scientifique important ».

Cela étant, Science, Nature et Scientific American n'accordent pas une ligne à la question de l'enseignement de l'histoire ancienne, médiévale et moderne. Ils semblent ne pas avoir été informés, ou être incapables de corréler ces attaques avec celles qui ciblent les sciences humaines, l'histoire de l'islam, et finalement les musulmans dont la survie physique, politique et symbolique est menacée, en même temps que l'avenir de la « diversité » et de la « démocratie » de l'Inde toute entière.

Réactions modérées

Comme le résume dans Deutsche Welle (DW) la journaliste Sushmitha Ramakrishnan5, ni la promotion d'un fanatisme religieux-national, ni l'annihilation de toute compréhension de l'histoire humaine ne semble poser un problème « aigu » aux 2 000 signatures réclamant le retour des théories de l'évolution dans les livres scolaires. Seul importe « le déni de notre compréhension moderne de l'évolution », écrit-elle. Ce dernier est absolument crucial, en effet, mais il est indissociable du discours (a)historique nationaliste hindou qui l'utilise et le sous-tend.

Finalement, dans la moisson de références sur Google, seule une infime partie de la presse (jamais les médias spécialisés en sciences) fait allusion à l'aspect anti-islamique et antimusulman de cette réécriture de l'histoire, toujours dans des paragraphes lapidaires. Ainsi, un article du Financial Times6 évoque seulement l'effacement de la toute dernière dynastie indienne des Moghols (XVIe-XVIIIe siècle) et « l'indignation des milieux académiques », sèche et réductrice allusion que le Irish Times reproduit à partir de la même dépêche.

Réciproquement, il n'y a dans cette remarque aucun rapprochement fait avec l'enjeu majeur porté aux sciences en général, aucune montée en universalité et en commune humanité concernant les sciences humaines et sociales, et par conséquent aucune mise en perspective de ce que cela implique pour les droits sociaux et politiques des centaines de millions de citoyens musulmans de l'Union indienne.

La préparation méthodique d'un ethnocide

De l'autre côté, la chaîne Al-Jazeera7 identifie cette focalisation sur les seuls Moghols en ce qui concerne les sciences humaines. Pour autant, le média qatari s'est inquiété dès 2018 des signes avant-coureurs de cette politique anti-islamique, avec le changement de nom de la grande cité d'Allahabad par le gouvernement provincial d'Uttar Pradesh. Cet État-test est en effet à la pointe de cette politique d'hindouisation forcée. Longtemps au cœur des États du sultanat de Delhi et de l'empire moghol, la population musulmane y est en effet la plus importante d'Inde : 20 % de la province, équivalent à 48 millions d'habitants, soit près du quart de tous les musulmans indiens.

Dirigée par un ministre en chef (chief minister) raciste, le « moine » hindou nommé Yogi Adityanath, cette part de la population a déjà perdu la plupart de ses droits. En 2020, ce dirigeant milite plus ou moins ouvertement pour l'expulsion de tous les musulmans vers le Pakistan. Il déclare d'ailleurs à propos des manifestations contre la pénalisation du divorce de droit musulman de décembre 2019 : « S'ils ne comprennent pas les mots, ils comprendront les balles ». Comparable à son homologue birman (et bouddhiste) Ashin Wirathu à l'encontre des Rohingyas, il a notamment préconisé l'enlèvement de musulmanes en représailles (au centuple) pour tout mariage d'une fille hindoue à un musulman.

Une bonne part du récit nationaliste hindou repose sur la vengeance contre une colonisation islamique millénaire des hindous. Un élément clef de ce discours de persécution est celui des dites « conversions forcées ». Mais le simple fait que les hindous soient encore majoritaires montre qu'il s'agit bien d'un fantasme, en outre contredit par le droit musulman (fiqh) qui a habilement projeté sur les hindous le droit théoriquement limité aux seuls monothéistes de conserver leur religion en échange du paiement d'un « cens », ainsi que le pratique des sultanats locaux.

Yogi Adityanath annonce aussi vouloir installer des dieux hindous « dans toutes les mosquées ». On en conclut que s'il se trouve un mouvement hindouiste pour abattre les mosquées et construire des temples polythéistes, c'est précisément parce qu'il n'y a pas eu de conversion forcée en Inde, contrairement au Mexique désormais catholique à 100 %, et où personne ne veut détruire des églises pour ériger des pyramides néo-aztèques.

Modi se garde bien de relayer cet aspect du processus pour éviter les réactions occidentales. Cependant, au niveau fédéral, sa politique s'illustre notamment par le changement du nom officiel du pays, d'« Hindoustan » en persan médiéval8, à « Bharat ».

Les historiens et les islamisants inaudibles

Contrairement à la presse scientifique, les journalistes d'Al-Jazeera ne se contentent pas de parler de mosquées et de dynasties musulmanes. Ils décrivent toute la révision de l'enseignement dans 14 États fédérés, détaillant, en plus du programme des classes de première, les chapitres des classes de seconde et troisième sur l'évolution, la diversité des organismes, et mentionnent la suppression de la deuxième partie du chapitre « Hérédité et évolution ». Ils citent un professeur indien déplorant que ses élèves perdent ainsi le seul « lieu pour débattre et défier les notions religieuses », l'occasion pour un « enseignant d'amener les étudiants à distinguer la "foi comme moyen de savoir" et la "science comme moyen de savoir" »9.

En somme, la presse islamophile critique clairement la suppression des sciences naturelles irréligieuses dans le secondaire indien, tandis que les médias scientifiques ignorent ou minimisent l'éradication des sciences historiques liées à l'islam. Cette asymétrie avantage l'image internationale du régime indien, qui privilégie la promotion du yoga tout en dissimulant ceux qui, parmi ses troupes, en viennent désormais à menacer ouvertement les symboles universels tels que Gandhi ou le célèbre Taj Mahal.

La dissociation entre la réaction aux atteintes envers les sciences naturelles et les sciences humaines en Inde ne découle pas uniquement des préjugés de biologistes ou physiciens occidentaux. Le silence des milieux universitaires internationaux spécialisés dans les études du sous-continent indien, tant anciennes que modernes, mais aussi des chercheurs en sociétés arabo-musulmanes en général porte une grande part de la responsabilité.

Quand islamophobie se marie avec philo-hindouisme

Les nationalistes hindous progressent justement de l'absence de réaction internationale, en attaquant les vérités biologiques et historiques, mettant en péril la science en général. Les communautés occidentales concernées ont réagi timidement, négligeant l'intersection de leurs disciplines, ce qui a permis à cette menace de croître. Modi adopte volontiers, et de façon réussie, une posture décoloniale avec les hippies, et aryaniste avec les fascistes. Dans ce récit euro-compatible, l'Inde aurait été tout à la fois et successivement un phare scientifique écrasé par l'obscurantisme islamique, puis la victime d'un Occident désanimé.

Le BJP exploite habilement l'islamophobie, l'antidarwinisme, l'anticolonialisme et le philo-hindouisme pour mettre en œuvre son programme de « restauration » réactionnaire, considérant tout apport islamique ou occidental comme des agressions « coloniales » contre l'authenticité et la supériorité ontologique de Bharat.

En activant l'islamophobie occidentale et en exploitant le relativisme postmoderne, Modi et les nationalistes hindous établissent un récit qui peut associer d'une main l'islam à l'oppression et à la régression, et de l'autre les traditions hindoues comme des coutumes et sagesses de peuples premiers à imposer aux droits humains et aux sciences expérimentales. S'ils jouent sur un antagonisme commun envers l'islam, ils s'astreignent à rester discrets sur le bouddhisme - cette autre « philosophie orientale », mais appréciée en Occident -, religion réformée du premier empire indien des Maurya et bannie sous les Gupta, n'ayant dans leur récit que la place du silence gêné.

En conclusion, il parait nécessaire de manifester un tant soit peu de solidarité avec ceux qui luttent sur place pour garder le droit de transmettre les connaissances en biologie, en physique ou en géologie, autant qu'en progrès humain, social et politique dans l'histoire islamique, britannique puis laïque de l'Inde médiévale, moderne et contemporaine.


1« Not teaching evolution is an injustice », L.S. Shashidhara et Amitabh Joshi, Science, 23 juin 2023.

2NDLR. Intelligent design ou le dessein intelligent est une théorie pseudo-scientifique selon laquelle certaines observations de l'univers et du monde du vivant s'expliquent mieux par une cause « intelligente » que par des processus non dirigés tels que la sélection naturelle.

3« India cuts periodic table and evolution from school textbooks », Dyani Lewis, Scientific American, 1er juin 2023.

4« Why is India dropping evolution and the periodic table from school science ? », éditorial, 30 mai 2023.

5« India cuts the periodic table and evolution from school textbooks », DW, 6 février 2023.

6« India drops evolution and periodic table from some school textbooks », John Reed and Jyotsna Singh, Financial Times, 6 juin 2023.

7« Mughals, RSS, evolution : Outrage as India edits school textbooks », Srishti Jaswal, Al-Jazeera, 14 avril 2023.

8Dérivé persan de Sindus (d'où le Sind), désignant le fleuve dont le nom latin est conséquemment « Indus ».

9Le gouvernement justifie également cette révision honteuse ou craintive, en invoquant une « rationalisation » dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

La Révolution conservatrice d’Iran : les exemples de Djâlal AL-e Ahmad, Ali Shariati et Ahmad Fardid

Il y a des fils rouges qui relient les contextes culturels allemand des années vingt et celui iranien des années soixante et soixante-dix. C’est un sujet peu abordé et dont l’approfondissement est pourtant nécessaire pour mieux comprendre l’histoire de l’Iran et la naissance de la République.

L’article La Révolution conservatrice d’Iran : les exemples de Djâlal AL-e Ahmad, Ali Shariati et Ahmad Fardid est apparu en premier sur Strategika.

Transcending Avdeevka

Par : AHH

“… Civilians are the true heroes of the full liberation of Novorossiya, as much as the people scattered across Greater Syria – encompassing Palestine, Syria and Lebanon – Iraq and Yemen … there’s the road followed by the poet, or spiritual warrior, whose soul is the Aeolian harp summoning vast, unseen, miraculous forces.”

by Pepe Escobar at Strategic Culture.

All your seasick sailors, they are rowing home
Your empty-handed armies are going home

Bob Dylan, It’s All Over Now, Baby Blue

Avdeevka. The name sounds like an incantation. Like Debaltsevo, or Bakhmut. The incantation summons the figure of a cauldron.

As it stands, and it’s all moving at lightning speed, it takes only 2 km for the cauldron to be closed. Virtually all roads and muddy trails are under massive Russian fire control. There may be up to 6,000 Armed Forces of Ukraine (AFU) soldiers left. They have nowhere to go. They are already in – or are going straight to – Hell.

“The Butcher” Syrsky, who has just been appointed Commander-in-Chief of the AFU amidst a nasty dog fight in Kiev, immediately got himself a fresh cauldron. Old habits die hard.

The morale and psychological state of AFU fighters is in tatters. Azov batallion neo-nazis are being decimated by massive artillery, FPVs and FABs.

Still, AFU generals are setting up the P.R. stage for another “victory” – a replay of Ilovaisk and Debaltsevo, even as the actual retreat, evacuation or “extraction” will proceed through the Corridors of Hell.

In fact, the only player who has successfully extracted himself from Hell, just in time, was Gen Zaluzhny. To quote Dylan: “Strike another match/ go start anew.”

The Axis of Resistance and its Slavic mirror

During my vertiginous journey across Donbass, only a few days ago, Avdeevka – the incantation – was omnipresent. At a meeting in a secret compound plunged in darkness in the western outskirts of Donetsk, two top commanders of Orthodox Christian batallions, while discussing tactics, noted that the fall of Avdeevka would be a matter of days, maximum weeks

The symbology is quite transcendental. Kiev has been fortifying Avdeevka non-stop for nearly 10 years – essentially to keep shelling civilians in Donetsk and other parts of Donbass with impunity, ad infinitum. Donetsk remains extremely vulnerable – and the shelling persists. The strength, resilience and faith of the residents of this historic mining town – and the surrounding countryside – are deeply moving.

In a very special conversation with Alexander Dugin,  we both made it clear, directly and indirectly, that the working classes of Novorossiya are spiritual brothers of the oppressed in Palestine and Yemen. Yes, the Axis of Resistance in West Asia is mirrored by the Slavic Axis of Resistance in the black soil of the steppes.

As much as Russia may have been drawn to a civilizational war against the collective West, that is also a spiritual war. The proxy war by the Hegemon against Russia in Ukraine is as much a geopolitical gamble as a war of Western nihilism against Russian Orthodoxy.

I did mention the parallel between Orthodox Christianity and Shi’ism to a top commander; he may have been bemused, but he definitely got the message.

After all, he must have instinctively noticed it was the rejected, harassed and bombed in Orthodox Christianity and Islam who have re-awakened the Orthodox and Islamic civilizations for a transcendental war of survival – supported by faith.

Way beyond the Avdeevka incantation – a sort of catalyst of all these times of trouble, as Mother Mary of God eventually comes offering solace – what struck me in this vertiginous journey in Donbass is Almighty People Power. Civilians are the true heroes of the full liberation of Novorossiya, as much as the people scattered across Greater Syria – encompassing Palestine, Syria and Lebanon – Iraq and Yemen.

These are the souls who have endured a Hell on Earth much more toxic and much longer than the Avdeevka cauldron, since Zionism and its subsequent eschatological garrison-settler colonial offspring took over the Holy Land.

The people of Novorossiya, as much as Yemeni Houthis, have Faith imprinted in their DNA. Those deeply committed commanders and soldiers that I met in Novorossiya close to the front lines mirror the popular consensus.

Gamblers on the Highway of Hope

For a baby boomer Westerner, it’s inevitable to refer to Dylan when we’re back on the road: “The highway is for gamblers / better use your sense”. Somehow the ultimate gamblers across the black soil of Novorossiya are these volunteer, contract-signed soldiers who summon the power of unbreakable Faith to defend their land.

As for those pawns in the Western game who will perish or surrender when the cauldron is boiling to the max, it’s a case of “the sky too is falling under you”.

Shelley intuitively understood that we all rebel against oblivion – to which death condemns us. Yet this rebellion can follow two completely different road maps.

The man intoxicated with power wrecks everything before him, and is wrecked in turn (that’s the fate of the current Empire of Lies).

Then there’s the road followed by the poet, or spiritual warrior, whose soul is the Aeolian harp summoning vast, unseen, miraculous forces.

Of course the proxy war in Ukraine won’t end with Avdeevka, and the battle across the Donetsk foothills, nearly a decade old, will continue.

There will be more P.R. terror attacks, the civilian plight may be prolonged for quite a while. But what’s already crystal clear is that any sub-par “rules-based order” chess player who dreams of defeating the Russian soul on thousand-year-old Russian lands is inexorably doomed.

À Lille, le lycée musulman Averroès menacé par une campagne islamophobe

Par : Nadia Daki

Sous contrat avec l'État depuis 2008, le lycée lillois privé musulman Averroès a plaidé devant le tribunal administratif de Lille le 24 janvier 2024 pour obtenir la suspension de l'annulation du contrat entre l'État et le lycée. Une situation ubuesque pour l'établissement, accusé de communautarisme et de promouvoir des valeurs contraires à la République. Et pourtant le tribunal administratif a confirmé ce 12 novembre l'arrêt des subventions, tandis que le lycée Stanislas continue imperturbablement malgré tous ses manquements à la laïcité.

En cette mi-janvier, la vigilance aux entrées de l'établissement privé musulman Averroès à Lille, qui compte un collège avec 352 élèves et un lycée avec 473 autres jeunes, a redoublé. Depuis plus de trois mois, l'établissement est sous les feux des projecteurs. La suppression le 7 décembre 2023 de son contrat avec l'État, à la demande du préfet alors en place, Georges-François Leclerc, a largement été médiatisée. « On est devenus une cible pour certains », glisse Éric Dufour, le proviseur depuis 2022. Des menaces de descente de militants d'extrême-droite sont prises très au sérieux. Avec une certaine lassitude, Dufour explique : « On nous accuse d'être de dangereux islamistes qui endoctrineraient des élèves. Ça ne tient pas debout ».

Des chiffres farfelus

Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, en est pourtant convaincu. « Il nous reproche un financement du Qatar versé en 2014 qu'il feint de découvrir dans le livre Qatar Papers de Christian Chesnot et Georges Malbrunot paru en 2019 », contextualise Éric Dufour. Il en faut peu pour que ce don de 900 000 euros alimente « certains fantasmes ». Alloué à l'achat des locaux, il prend très vite des proportions qui sidèrent Dufour. « Le livre évoque des chiffres farfelus de plusieurs millions d'euros et forcément, en contrepartie il y aurait de l'endoctrinement, poursuit le directeur. Beaucoup ne comprennent pas le principe de la zakat car c'est bien dans ce contexte que nous avons reçu le financement de la fondation Qatar Charity1 ».

Xavier Bertrand décide alors de ne plus verser les 300 000 euros annuels du forfait d'externat. « Un de ses vice-présidents siégeait au conseil d'administration de l'association Averroès qui gère l'établissement, comment pouvait-il alors l'ignorer ? », s'étrangle Éric Dufour. Et depuis trois ans, la Région est systématiquement condamnée par la justice à verser ce forfait.

Le directeur de l'établissement pressentait que le bras de fer n'allait pas se cantonner à la Région et au financement du Qatar. En 2023, la Chambre régionale des comptes (CRC) publie un rapport sur l'établissement. « C'est la première fois que la CRC s'intéresse à un établissement privé, sourit presque Dufour. Un certain nombre de points avaient été soulevés et nous nous sommes efforcés de suivre les recommandations. Même si le rapport de la chambre ne nous est pas particulièrement défavorable, le président de la Région s'en est immédiatement saisi contre nous ». Dans un courrier adressé au président de la CRC que nous avons pu consulter, Xavier Bertrand insiste : « Au regard des remarques et constats que vous formulez dans votre rapport, je m'interroge sur le maintien par le ministère de l'éducation nationale du contrat d'association avec le lycée Averroès qui contrevient aux valeurs de la République et je souhaite une action forte de la part de l'État qui ne peut laisser de telles pratiques perdurer et se doit de protéger les élèves ainsi que les familles qui ont fait confiance à cet établissement ».

Les services de la préfecture s'emballent et Éric Dufour apprend le 18 octobre par voie de presse que le préfet envisage de résilier le contrat. S'ensuit une première rencontre puis une commission se tient fin novembre en présence des représentants du rectorat de Lille, de l'éducation nationale, des conseils départemental et régional et des chefs d'établissements privés catholiques. Et de Xavier Bertrand lui-même. « Lors de cette commission, nous avons été mis en accusation permanente sans la possibilité réelle de nous défendre », s'insurge Dufour.

Le vote est sans appel : 16 sont pour la résiliation et 9 s'abstiennent sur un total de 25. « Nous n'avons pas été écoutés », se remémore Vincent Brengarth, l'un des avocats de l'association Averroès.

Au cours de cette commission, un rapport d'une douzaine de pages est réalisé. Mais comme le révèle Mediapart , le 14 décembre2, sa version finale a entre-temps subi un lifting et compte désormais six pages. Car parmi les faits reprochés, certains concernent le collège, qui lui n'est pas sous contrat avec l'État. Autre fait curieux, un rapport élogieux réalisé par des inspecteurs de l'éducation nationale est passé sous silence. Il pointe notamment la qualité des enseignements et le respect des valeurs de la République. Pourtant, à aucun moment il n'est évoqué dans le rapport final. Pas plus que les bons résultats au bac obtenus par le lycée (en 2022, le taux de réussite au bac est de 98 % avec un taux de mention de 73 %).

Le cours d'éthique pointé du doigt

Parmi les griefs, le plus virulent est celui du cours d'éthique musulmane qui, selon le rapport de la commission préfectorale, serait en « contradiction profonde avec les valeurs de la République ». Là encore, le directeur de l'établissement s'insurge. « Il s'agit avant tout d'un cours facultatif qui propose une connaissance de l'islam. C'est l'équivalent d'une pastorale ou d'une catéchèse en établissement catholique. La mission de ce cours est de déconstruire un discours erroné séparatiste ». Mais pour les autorités, ce cours serait sous l'influence tantôt des Frères musulmans, tantôt des salafistes...

En réalité, il y a peu voire pas d'éléments concrets qui nous ont été communiqués quant à des enseignements qui seraient contraires aux valeurs de la République, remarque l'avocat Vincent Brengarth. De plus, les inspecteurs de l'éducation nationale ont assisté à ce cours et n'en parlent pas comme d'un problème. Cela nourrit l'idée que des choses auraient été découvertes, ce qui n'est pas le cas.

La résiliation du contrat d'association n'est pas anodine pour l'établissement. Déjà en proie à des soucis financiers, il serait alors plongé dans la précarité, plus de 50 % de ses élèves étant boursiers. La Région ne devrait plus verser de forfait d'externat et les élèves ne pourraient plus passer leurs examens en contrôle continu, sans oublier les enseignants qui ne seraient plus rémunérés par l'État. « Xavier Bertrand lui-même s'est demandé comment nous contrôler si l'on nous retirait le contrat. Ce à quoi le préfet a répondu que l'objectif n'est pas de fermer l'établissement mais de ne pas nous verser de financement public. Si l'on est dangereux et qu'on prône une doctrine contraire à la République, pourquoi ne pas nous fermer définitivement ? », s'interroge Éric Dufour.

Deux poids deux mesures

La situation que traverse le lycée Averroès se heurte à celle que connaît un autre établissement privé. Depuis début janvier, le lycée catholique parisien Stanislas défraie la chronique pour d'autres raisons. Pour Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille et soutien de la première heure du lycée lillois :

Il me semblait jusqu'alors qu'on traitait le lycée Averroès de manière inéquitable et disproportionnée. Ce qui se passe avec Stanislas conforte mon sentiment. Des reproches qui reposent sur des pièces sont acceptables et il y a toujours des améliorations possibles. Mais des reproches basés sur une atmosphère, c'est terrible.

Difficile en effet pour les partisans du lycée lillois de ne pas comparer la différence de traitement. « Si l'on fait une symétrie, dans le cas d'Averroès, le rapport de l'inspection générale n'a jamais été rendu public, il est très positif et ne fait pas état de recommandations particulières. D'ailleurs, à aucun moment le préfet n'utilise cette pièce, cela interroge. Pour Stanislas en revanche, le rapport de l'inspection générale a été communiqué à la direction de l'établissement. Dans ce dernier, il y a des recommandations, et des problèmes sont identifiés. Et là, la ministre de l'éducation indique que son cabinet va mettre en place une commission pour vérifier la mise en conformité. Rien de tout cela n'a été proposé à Averroès », constate Pierre Mathiot.

Un message envoyé aux jeunes musulmans

Aux commandes de la réforme du bac sous Blanquer, Pierre Mathiot connaît bien les arcanes du pouvoir. Il connaît également Gérald Darmanin, un de ses anciens élèves à Sciences Po Lille. Il raconte l'avoir contacté en octobre 2023, ainsi que le cabinet de Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation, pour les alerter sur la situation à Averroès. « Je leur ai signalé que ce qui se jouait là était problématique et qu'il fallait faire attention aux effets de bord ». Autrement dit, attention à ne pas enclencher « quelque chose qui mettrait en péril l'enseignement privé en général. Le cabinet d'Attal m'a dit que le dossier lillois relevait du ministère de l'intérieur et qu'il ne ferait rien, alors que pour Stanislas c'est exactement le contraire ».

Pour ce républicain convaincu, l'image de l'État est ternie. « J'ai alerté plusieurs fois le cabinet d'Élisabeth Borne, alors premier ministre, quant au risque de neutralité. L'État se doit d'incarner l'équité et la proportionnalité. Cette décision de rupture du contrat d'association éloigne les musulmans de la République », regrette-t-il.

Difficile pour Imane, en terminale au lycée Averroès de ne pas le prendre de la sorte. « En fait, on nous reprochera toujours d'être musulmans. Le vrai problème est là ». C'est justement sur le risque d'un sentiment de rejet chez une partie de la population française que Pierre Mathiot alerte. « Ce qui se joue ici, c'est la banalisation de l'islam comme étant une religion française. On dit aux musulmans qu'ils ne veulent pas jouer le jeu de la République. Or, quand ils demandent à être associés à l'État, on les rejette. Cette manière de faire est très problématique vis-à-vis des citoyens d'aujourd'hui et de demain », s'inquiète-t-il.

Les avocats de l'établissement lillois ont déposé une requête de plus de 80 pages. En plus de la demande de suspension, un recours en annulation a également été déposé.

La nomination de Bertrand Gaume en tant que nouveau préfet des Hauts-de-France le 17 janvier 2023 est pour certains une source d'espoir. Espoir qu'il mette fin à cette procédure de résiliation au risque de désavouer son prédécesseur. D'aucuns rappellent qu'il a travaillé aux cabinets de Najat Vallaud-Belkacem et de Benoît Hamon. En attendant, le tribunal administratif a confirmé le 12 février l'arrêt des subventions, une sanction qui ne risque pas de frapper le lycée Stanislas.


1zakat : dans l'islam, il s'agit d'une aumône que tout musulman doit payer sur ses biens selon un taux déterminé.

2« Lycée musulman Averroès : comment la préfecture a tronqué son rapport », par David Perrotin.

La folie a bon dos

Par : h16

Samedi matin, un Malien menait une attaque au couteau et au marteau en gare de Lyon à Paris, avec des prétextes particulièrement flous (vaguement teintés de colonialisme). Sans surprise, les autorités ont depuis minimisé ce qui s’est passé, aidées en cela par les médias et l’actualité qui nous poussent à oublier bien vite ce fâcheux événement, d’autant qu’il ne faudrait pas qu’il crée une occasion supplémentaire pour le Rassemblement National de gagner quelques voix, pensez donc !

De toute façon, tout est fort clair pour les forces de police : le criminel est avant tout un malade mental qui nécessite à l’évidence un traitement psychiatrique. Petit-à-petit, la thèse d’un couteau fou (qui fait suite à celle de la voiture folle) semble se dégager.

Cependant, s’il semble assez logique d’imaginer placer en asile psychiatrique tous les individus qui s’attaquent aléatoirement à des passants sous des motifs fumeux – après tout, il ne faut pas être très bien azimuté pour perpétrer ce genre d’actes – on s’étonnera de deux choses.

Tout d’abord, on ne pourra que constater le nombre alarmant de ces attaques perpétrées par des fous ou des individus qui mériteraient certainement un suivi psychologique.

Or, il apparaît aussi, de façon assez stupéfiante, que nombre de titres de séjours sont délivrés pour “raisons médicales” psychiatriques ; on évoque des milliers, et ce alors même que nos hôpitaux psychiatriques débordent déjà de façon connue. À ce constat s’ajoute celui que plus d’un tiers des immigrants, légaux ou non, qui déferlent actuellement sur l’Europe, déclarent des troubles mentaux : une étude menée en 2020 sur les réponses données par 2 999 primo-immigrants hors UE montrait ainsi que 35,91 % d’entre eux déclaraient un trouble psychique.

Voilà qui est gênant, non ? Ne devrait-on pas plus probablement s’occuper de nos ressortissants avant de s’occuper de ceux des autres pays et arrêter d’accueillir des lots de nouveaux cas psychiatriques alors que notre système croule déjà sous les cas autochtones ? Ce serait un acte de bonne gestion minimal, les autochtones payant effectivement d’une façon ou d’une autre les coûts de ces traitements, les migrants non. Or, à toute ressource limitée, des règles d’accès doivent être mises en place quand le marché n’y est pas libre (ce qui, en France, n’est évidemment pas le cas)…

D’autre part, on assiste encore une fois à une évidente minimisation des faits.

En contextualisant cette agression comme celle d’un fou, les autorités tentent de faire passer l’événement d’un problème qui dépend essentiellement de leur responsabilités (étant directement responsables, par nature et par objectif, de la sécurité des biens et des personnes) à un problème de hasard malencontreux, ou, plus exactement, d’une gestion maladroite des cas psychiatriques en France.

En somme, il s’agit de se défausser : ce n’est pas la faute d’une sécurité en berne, ce n’est pas la faute d’un régalien qui devient risible, c’est à la fois la faute à pas de chance et en quelque sorte un malencontreux coup du sort, ou, au maximum, un problème de gestion des cas psychiatriques. Voilà tout, circulez.

Malheureusement, cette analyse ne tient guère.

D’une part, l’utilisation de plus en plus fréquente de l’explication psychiatrique pour les agissements d’artistes du couteau la rend de moins en moins crédible à chaque fois et d’autre part, l’accès facilité aux propos des agresseurs, à leurs comportements habituels et aux signes avant coureurs de l’attaque, notamment sur les réseaux sociaux, montrent qu’ils ne sont pas si fous que cela. On peut facilement leur accorder qu’ils sont fanatisés et dans ce cas, la folie se situe bel et bien dans leurs opinions, dans leur volonté d’en découdre… Mais on est assez loin de troubles psychiatriques graves, de folie ou de démence.

Dans le cas qui nous occupe, il apparaît ainsi que le Malien de la gare de Lyon explique détester la France et les Occidentaux, les rend responsables du malheur qui frappe son pays et lui-même au point d’estimer que se débarrasser de quelques uns d’entre eux constitue un but relativement nécessaire. Ceci n’est pas le discours d’un fou, mais au mieux, d’un inculte ou au pire, d’un fanatisé qui comprend très bien qu’enfiler des coups de couteaux sur des individus va provoquer des blessures graves ou la mort, ainsi que sa responsabilité dans l’affaire.

Malgré ce constat, à la fin s’empare du spectateur l’impression persistante qu’on dégage très souvent de leur responsabilité pénale un nombre croissant d’individus qui, en réalité, sont suffisamment conscients de ce qu’ils font et pourraient donc très bien être jugés comme tels.

Cependant, c’est très pratique : l’agresseur déclaré fou n’aura pas l’occasion d’apparaître à un procès qui, public ou au moins médiatisé, aurait pu exposer ses motivations (aussi fanatiques soient-elles), motivations dont les côtés assez peu vivrensemblesque et encore moins enrichissants culturellement voleraient dans les rondeurs moelleuse du discours ouaté d’inclusivité tous azimuts qu’on nous sert non-stop depuis des lustres.

Autrement dit, la psychiatrisation des agresseurs est un moyen devenu commode pour les autorités d’assurer un classement extrêmement rapide des affaires.

Tout comme Dahbia Benkired, la meurtrière de la petite Lola, ou Abdalmasih Hanoun, le poignardeur de bébés à Annecy, ou tant d’autres avant eux qui se sont pour ainsi dire évaporés de l’opinion publique, on peut gager que notre Malien déclaré fou disparaîtra aussi subtilement des colonnes médiatiques dans les prochains jours. Les commanditaires éventuels, les structures et les individus qui l’ont fanatisé, les mécanismes même de cette fanatisation ne seront surtout pas évoqués, abordés, mis eux aussi au procès. Pas question d’évoquer les associations lucratives avec buts néfastes qui auraient pu se glisser dans le parcours de notre cas psychiatrique et lui aurait tendu les arguments et les explications construisant son ressentiment. Il est fou, il sera irresponsable comme tous ceux qui l’ont accompagné. Emballez, c’est pesé.

On enterrera rapidement tout ça, ce qui permettra au passage d’amoindrir certaines statistiques qui piquent de plus en plus.

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Les Houthis et l’Iran vont-ils enflammer le Moyen-Orient ?

Le mouvement yéménite a-t-il l’autonomie et le pouvoir d’amorcer une crise internationale de grande ampleur, ou bien l’Iran est-il le véritable parrain de cette crise ? La priorité consiste à identifier les racines de cette situation, puis le déroulement des attaques récentes en mer Rouge. Enfin, vers quelles perspectives, l’intervention militaire des États-Unis, et diplomatique de la Chine, vont-elles faire évoluer cette situation ?

Le mouvement Houthi n’est nullement le résultat d’une génération spontanée, il est le produit d’un processus historique et d’une rencontre politique contemporaine.

 

Houthis : géographie et histoire

La première spécificité géographique de ce mouvement est de se situer dans la partie extrême sud-ouest de la péninsule arabique, région très montagneuse de l’actuel Yémen. Ses habitants ont été historiquement des guerriers, caractéristique fréquente des populations montagnardes. Vers la fin du premier millénaire, l’Empire perse qui y exerçait son influence, y envoya un religieux afin d’y rétablir la paix. Issu de la branche zaïdite du chiisme, il y répandit ce courant particulier de l’islam chiite. Cette population montagnarde et guerrière se trouva ainsi dotée d’une troisième spécificité, religieuse.

Actuellement leur influence s’exerce sur seulement un quart du territoire du Yémen, celui où se trouve la capitale, Sanaa.

 

Le basculement de 1979

Cette particularité religieuse d’appartenance au courant chiite allait représenter une importance particulière pour les ayatollahs iraniens, chiites, qui prennent le pouvoir à Téhéran en 1979.

La nouvelle stratégie de Téhéran va être dès lors d’utiliser systématiquement, dans tout le Moyen-Orient, majorité (Irak) ou minorités religieuses chiites, au service d’une nouvelle politique iranienne.

C’est dans cette vision stratégique qu’une partie de la famille Houthi, issue de cette région montagneuse et chiite du Yémen, fut invitée à venir vivre en Iran, dans la grande ville religieuse de Qom.

Une quinzaine d’années plus tard, il lui fut proposé de revenir au Yémen. Elle y organisa une montée en puissance politique, et par un jeu d’alliance avec l’ancien président Saleh, prit militairement le pouvoir à Sanaa, à l’automne 2014.

Téhéran mettait ainsi en place un pouvoir politique chiite à la frontière sud de l’Arabie saoudite, son rival sunnite. Elle s’arrogeait aussi indirectement un droit de regard et d’intervention en mer Rouge, comme elle l’a dans le golfe Persique. Elle acquérait ainsi une capacité complète de nuisance sur les deux côtes est, et ouest, de la péninsule Arabique.

 

Le regard iranien vers l’ennemi de l’islam

La stratégie de construction d’un « arc chiite » de Téhéran à Beyrouth en passant par Sanaa, allait être mise au service de l’autre grand objectif de la République islamique d’Iran : la lutte contre Israël.

Dans les années 1970, avant son arrivée au pouvoir, l’Ayatollah Khomeini avait écrit qu’Israël « était l’ennemi de l’islam ». En mai 1979, trois mois après sa prise de pouvoir, il créait le corps des Gardiens de la révolution, et en leur sein, la force Qods (Jérusalem) destinée aux opérations extérieures. Les moyens pour atteindre l’objectif étaient mis immédiatement en place.

En retraçant ainsi toute cette architecture, on constate que l’attaque du 7 octobre est l’aboutissement d’une stratégie patiemment et minutieusement mise en place depuis des dizaines d’années. Cela fut d’ailleurs confirmé par le pouvoir iranien lui-même. Deux jours après l’attaque du Hamas, le conseiller pour les Affaires internationales du Guide suprême, Ali Akbar Velayati (ancien ministre des Affaires Étrangères) a déclaré à la presse iranienne : « Si les États-Unis ont cru, en éliminant le général Soleimani, priver l’Iran de sa capacité d’action extérieure, les évènements récents leur donnent tort ». Par ses paroles, provenant du sommet de l’État, l’Iran a reconnu la paternité des attaques du 7 octobre.

 

Le déclenchement des actions des Houthis

L’analyse de l’intervention des Houthis nécessite de regarder à la fois la carte et le calendrier. Les missiles et drones lancés depuis le Yémen, situé à plus de 2000 km des frontières de l’État hébreu, n’ont pas été mis en œuvre contre Israël, dès les premières heures du 7 octobre. Seuls les mouvements directement au contact du territoire israélien, Hamas, Hezbollah, groupes pro-Iran de Syrie, sont entrés en action. Concernant la chronologie, les premières attaques de navire sont intervenues six semaines après le déclenchement de l’attaque contre Israël, et quatre semaines après l’entrée de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

L’intervention yéménite est donc totalement découplée de l’attaque initiale. Son objectif est lié à l’intervention de Tsahal à Gaza, et vise à forcer Israël à arrêter son opération militaire contre le Hamas. La création d’un désordre dans le trafic maritime mondial a pour but d’amener les pays européens et asiatiques, touchés économiquement par ce désordre, à demander à Israël l’arrêt de son intervention.

 

Les limites du plan iranien

Téhéran demeure l’architecte de cette intervention puisque l’Iran est le seul fournisseur des 160 missiles et drones utilisés à ce jour contre les navires, en mer Rouge et dans le golfe d’Aden.

Cette stratégie de nuisance a certes créé des perturbations, mais ces dernières n’ont pas été suffisantes pour atteindre l’objectif souhaité. Deux interventions sont venues contrarier ce plan, l’une militaire menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, l’autre diplomatique, conduite par la Chine.

L’intervention militaire n’avait pas pour objectif de faire cesser les frappes, mais de les réduire en détruisant simultanément les stocks de missiles et les radars de surveillance maritime. L’intervention de Pékin demandant à Téhéran d’intervenir auprès des Houthis est tout à fait complémentaire.

La Chine s’inquiète de plus en plus de son ralentissement économique intérieur. À ce titre, les exportations revêtent donc une importance encore plus grande. Toute entrave à la circulation maritime vers le marché européen, troisième au classement mondial des exportations chinoises, est donc à proscrire.

 

Que faut-il donc maintenant attendre de cette situation ?

L’Iran ne pourra faire la sourde oreille vis-à-vis de la Chine devenue son premier client pétrolier. Le nombre de missiles lancés depuis le Yémen va donc significativement diminuer, et probablement se concentrer sur des navires militaires, en priorité américains. En effet, d’une certaine façon, un arrêt complet signifierait perdre la face, en se montrant aux ordres de Pékin, tant pour Téhéran que pour les Houthis.

L’arrêt des perturbations en mer Rouge est lié à l’arrêt de l’intervention à Gaza. Si dans les prochaines semaines, voire les prochains jours, une trêve d’une certaine durée se profilait autour de la libération progressive des otages, la circulation maritime vers le canal de Suez devrait retrouver son calme.

Drones et missiles iraniens lancés depuis le Yémen ne seront certainement pas le prélude à un élargissement du conflit au Moyen-Orient. Mais la situation reste instable, surtout après le bombardement d’une base américaine en Jordanie, et l’attente d’une réplique de Washington.

Décès de Patrick Buisson : « Je dis à mes amis de droite : ne vous laissez pas enrôler dans une croisade contre l’Islam. Vous faites fausse route »

Patrick Buisson, historien et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, est décédé ce mardi 26 décembre 2023 à son domicile des Sables-d'Olonne (Vendée). Il avait 74 ans. Sa disparition survient au milieu de sujets sensibles, tels que l'islam, l'immigration, la laïcité et du conflit Israël-Palestine.

L’islamisation de l’Europe : qu’en est-il vraiment ?

À New York comme au Parlement belge, je rencontre de plus en plus d’interlocuteurs qui se disent convaincus que l’islamisation de Bruxelles — et de Londres, ajoutent-ils fréquemment — est désormais inéluctable et n’est plus qu’une question de temps. C’est un pronostic qui paraît audible, mais qui mérite plus que des nuances.

Commençons par relever, sans nous perdre dans les chiffres, que la progression de la population musulmane, à Bruxelles, est aussi massive que fulgurante. Depuis cinquante ans, le nombre de musulmans ne cesse de croître, et vu l’abaissement des frontières européennes, en fait quand ce n’est pas en droit, le mouvement ne semble pas prêt de s’enrayer.

 

Les chiffres

Toutefois, les chiffres ne sont pas aisés à établir. Si l’on veut rester scientifique et factuel, ce n’est pas en constatant la popularité du prénom Mohamed que l’on avancera. C’est là une fallace statistique classique — dénoncée à juste titre par Nassim Nicholas Taleb : la popularité du prénom Mohamed reste très élevée parmi les musulmans, donc à populations égales il y aura plus de Mohamed que de Pierre, Jan et Eric. Ce qui ne « prouve » strictement rien.

La dernière étude fiable sur le sujet date malheureusement de 2015/2016. C’est l’étude du Pr. Jan Hertogen, généralement considérée comme fiable et reprise par le Département d’État américain. Selon cette étude, le pourcentage de musulmans à Bruxelles était en 2015 de 24 %. Des chiffres plus récents sont fournis par le Pew Research Center, mais seulement pour la Belgique dans son ensemble, sans détail par ville. En 2016, 29 % des Bruxellois se revendiquaient musulmans. Si l’on contemple la courbe de progression, on peut estimer que le pourcentage de musulmans à Bruxelles se situe très probablement aujourd’hui en 2023 au début des 30 %.

Les chiffres n’attestent donc en rien une majorité musulmane à Bruxelles — ni sa réalité ni son imminence. Contrairement aux fantasmes d’une certaine droite qui réfléchit aussi mal que la gauche, en Europe, le taux de fécondité des femmes musulmanes s’est effondré, suivant en cela la courbe générale (même s’il reste plus élevé que chez les « natifs » : la faute à qui ?). Le fantasme d’une fécondité musulmane explosive en Europe est un pur mythe. Les préventions légitimes à l’égard de l’islam comme doctrine politique ne doivent pas nous éloigner des catégories élémentaires du raisonnement.

 

L’immigration

Bruxelles n’est pas majoritairement musulmane, et rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle le deviendra. Car l’immigration n’est pas une donnée invariable, à l’instar de la gravitation universelle. Force est de constater que, dans l’ensemble de l’Europe sauf la Wallonie, nous assistons à l’ascension au pouvoir de partis et personnalités qui tendent vers l’immigration zéro, à tout le moins un moratoire sur l’immigration. Qu’on approuve ou pas cette tendance, c’est un fait.

Car, en dépit des allégations de la gauche, qui présente l’immigration vers l’Europe comme inéluctable, l’immigration n’a strictement rien d’inéluctable. C’est la jurisprudence de la CEDH qui a créé le chaos migratoire actuel, en combinaison avec le Wir Shaffen Das de Angela Merkel.

L’immigration n’est pas une sorte de catastrophe naturelle qui s’abattrait sur l’Europe, inévitablement, à l’instar d’une invasion de sauterelles ou d’un orage d’été. Le chaos migratoire que nous connaissons, en Europe, est un phénomène purement humain, causé par des politiques et des juges.

Or, ce qui a été fait peut être défait. L’afflux de migrants que nous connaissons actuellement peut s’interrompre — après-demain, en neutralisant la CEDH. De ce point de vue, il sera intéressant d’observer ce que fera aux Pays-Bas Geert Wilders, qui a certes mis de l’eau dans son vin, mais qui souhaite mordicus mettre un terme au déferlement migratoire que connaît son joli pays. Sortir de la CEDH est une option — parmi d’autres.

 

La tentation de l’essentialisation

L’implantation massive de populations musulmanes en Europe — 50 millions de personnes en 2030, selon le Pew Research Center — est vécue de façon douloureuse et même dramatique quand dans le même temps une fraction notable de ces populations se radicalise. Par exemple, à la faveur du conflit israélo-palestinien. En France, l’écrasante majorité des actes et agressions antisémites est le fait de musulmans. En Belgique, les préjugés antisémites sont nettement plus répandus parmi les musulmans. Les défilés propalestiniens depuis le 7 octobre sont, trop souvent, le prétexte de slogans antisémites haineux comme nos rues n’en ont plus connu depuis les meetings du NSDAP dans les années trente et quarante du XXe siècle.

Pour autant, il faut se garder de la tentation de cette essentialisation tellement répandue à gauche : l’islam n’est pas une race, ni une fatalité. L’islam est une doctrine politique. On en sort comme on sort du socialisme, de l’écologisme, ou de la religion catholique. Je ne prétends pas que la majorité des musulmans d’Europe reniera l’islam — rien ne permet de le présager — ni que l’islam en Europe se pliera aux normes et valeurs de la civilisation occidentale : là encore, rien ne l’annonce.

Mais considérer que l’islam est une sorte de bloc infrangible, de Sphinx face au temps, qui se maintiendra immuable dans la courbe des siècles, abrogeant tout autre facteur, écrasant toute autre considération, revient à raisonner comme un islamiste, pour qui l’Univers se réduit à l’islam et selon lequel sortir de l’islam est un crime indicible.

Dis autrement, considérer dès à présent que Bruxelles — Paris, Londres — deviendra immanquablement islamique a fortiori islamiste revient à commettre une erreur de fait, et offrir par avance la victoire aux pires extrémistes parmi les musulmans. C’est le type par excellence de cette pensée défaitiste, dont Churchill enseignait dans sa somme magistrale Second World War qu’elle était, dès 1939, plus menaçante que l’ensemble des divisions nazies.

La Résistance islamique en Irak frappe une cible dans le port d’Eilat en Palestine occupée

La Résistance islamique en Irak a annoncé avoir frappé une cible dans la ville d’Umm Rashrash, connue sous le nom d’Eilat, dans la partie sud de la Palestine occupée, en représailles à la guerre génocidaire.

Parcours maghrébins de la construction étatique

Panorama très complet d'un demi-siècle de transformation, Histoire du Maghreb depuis les indépendances aborde de manière transversale les aspects politiques, économiques et sociétaux de ces pays. Malgré leurs expériences différenciées de la colonisation et la nature distincte de leurs régimes politiques, ils sont traversés par des questionnements communs qui entrent en résonance les uns avec les autres.

Karima Dirèche, Nessim Znaïen et Aurélia Dusserre, trois historiens du Maghreb, viennent de signer un ouvrage très utile à la compréhension des évolutions politiques et sociétales depuis les indépendances. Écrit selon un ordre chronologique, le livre est structuré en quatre grands moments : la construction des États (1950-1960), le rôle des leaders dans l'éveil des nations (1970-1980), la mutation des sociétés (1980-2010), et enfin le Maghreb depuis 2011.

Affirmation autoritaire

La construction nationale s'est accompagnée de mythes et de récits nationaux qui ont produit des matrices identitaires et idéologiques. Chacun des États a mobilisé à sa manière la notion d'exceptionnalité, produisant ce que les auteurs appellent un « métarécit sacralisé » et une « histoire-mémoire » articulée autour de figures historiques fondatrices (Hannibal, Massinissa, Tariq Ibn Zyad). Mais ces récits se sont aussi construits en référence à des leaders qui ont joué un rôle important dans l'histoire politique du pays, considérés comme les pères de la nation (Habib Bourguiba, l'émir Abdelkader).

Ces récits qui insistent sur l'exceptionnalité nationale éclairent le lecteur sur des différends anciens qui continuent d'opposer les États de la région. En Algérie, cette exceptionnalité s'est construite autour de la notion de résistance, que ce soit à la confiscation de l'identité des Algériens, à la conquête française par le djihad, ou encore aux violences faites à un héros unique : le peuple.

Au Maroc, le sentiment nationaliste et l'appartenance religieuse sont liés au régime monarchique qui a milité pour l'indépendance du pays. Le roi, qui est aussi le Commandeur des croyants (Amir Al-Mou'minin), est garant de l'unité du pays, tout en incarnant le lien entre l'institution monarchique, le peuple et la religion. Ce récit s'accompagne d'un « imaginaire territorial, par lequel la question des frontières est considérée à travers le prisme d'une autre construction : le “Grand Maroc” ».

Ces récits ont été façonnés et portés par des leaders dont la légitimité est issue du combat pour l'indépendance, et qui ont disposé d'outils précieux pour asseoir leur pouvoir : l'armée au Maroc et en Algérie, tandis qu'en Tunisie Habib Bourguiba a choisi d'appuyer son pouvoir sur la police. Mais ces pouvoirs autoritaires se sont aussi affirmés en contrôlant la presse et plus largement l'information. Les auteurs montrent à quel point Hassan II et Bourguiba ont utilisé la radio et surtout la télévision à des fins de propagande, mais aussi pour communiquer directement avec leurs peuples, et faire passer des messages de grande importance.

Durant ces années, les forces d'opposition sont réprimées, et la contestation est assimilée à la fitna (discorde) à l'ordre établi, puisqu'elle remet en cause l'« unanimisme indépendantiste ». Le champ partisan se trouve alors « apolitisé », sauf pour certains mouvements islamistes dont le pouvoir de contestation se durcit proportionnellement à la répression d'État.

Nationalisation de l'islam

Les années 1980-2010 constituent des années de grande mutation, marquées par une ouverture plus grande au monde qui se fait grâce aux nouvelles technologies de la communication et par un développement économique qui transforme ces sociétés en sociétés de consommation. La période est aussi marquée par un vieillissement de la population et un grand accès à l'éducation. Pour les auteurs, ces facteurs ont participé à une transformation sociologique qui pourrait expliquer la structuration des contestations au Maghreb durant les années 2010. Mais c'est aussi durant cette période que les écarts de richesse s'accusent et que le chômage de masse s'affirme. Une nouvelle catégorie apparaît : les chômeurs diplômés, composés de jeunes éduqués, mais sans moyens réels de promotion sociale, ni même d'intégration dans le système économique. Des franges entières de la population sont rejetées à la marge, victimes des modèles de développement post-indépendance. Ces déclassés viennent grossir les rangs des chômeurs et des mécontents. Les États s'emparent alors du religieux pour court-circuiter le mécontentement et l'exaspération des sociétés, mais ils le font aussi pour neutraliser les oppositions de gauche.

Les trois États ont opéré ce que les auteurs appellent une « nationalisation de l'islam ». Il est inscrit comme religion d'État dans les trois Constitutions, les responsables politiques tiennent un discours sur l'islam national et la promotion d'une identité religieuse nationale. Cette instrumentalisation de la religion s'accompagne d'une religiosité exacerbée, d'un grand conservatisme et d'une moralisation de la société.

L'ouvrage montre que si, après les indépendances, les projets politiques ont été portés par des idéologies arabo-musulmanes qui laissaient peu de place à d'autres dimensions religieuses, dans les années 1990-2000, la conversion de Maghrébins au néo-évangélisme pose la question de la citoyenneté nationale non musulmane. Et plus largement, celle de la conversion dans des sociétés qui se doivent de repenser le rapport au religieux.

Une révolte pour la dignité

Le vent de contestation des années 2010 a transformé le rapport au pouvoir central, en offrant un autre visage de la protestation. Les nouveaux acteurs de ces mouvements se sont démarqués des forces politiques en transcendant les appartenances politiques et idéologiques classiques et en fédérant une opposition. C'est le réveil de sociétés que l'on croyait dépolitisées.

Pour les auteurs, ce « supra-consensus » a permis d'échapper à l'instrumentalisation habituelle des régimes autoritaires qui opposaient volontiers les forces d'opposition les unes aux autres. Aux yeux du monde, cette image du citoyen arabe protestataire qui défie ses dirigeants est inhabituelle. C'est aussi la première fois que le monopole de la communication et de la censure a été impuissant face à la cyberdissidence de ceux qu'on a appelé les « générations Facebook ».

Scandé partout, le mot karama (dignité), a été très important, car il renvoie à la reconnaissance d'une citoyenneté politique fondée sur la liberté accordée par un État de droit. Mais il renvoie aussi à une dignité sociale et économique dans une société juste, égalitaire et un État distributeur de richesses.

Les gigantesques mobilisations de cette dernière décennie ont donné à voir la diversité des sociétés du Maghreb, des sociétés qui ont été transformées par des changements silencieux et qui agissent dans des répertoires d'action peu saisis par l'analyse dominante. Paradoxalement, ces transformations ont eu lieu dans un contexte de religiosité et de conservatisme, largement nourris par l'islam d'État, mais qui n'empêche pas pour autant le processus de sécularisation d'avancer.

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Karima Dirèche, Nessim Znaïen et Aurélia Dusserre
Histoire du Maghreb depuis les indépendances
Armand Colin, coll. Mnémosya
Septembre 2023
432 pages
26,50 euros

Loi immigration : en finir avec l’État-providence ?

Le système de protection sociale français se caractérise par une grande et excessive générosité à l’égard des immigrés. Les récents débats sur la loi immigration, qui a abordé plusieurs volets tels que le travail, l’intégration, l’éloignement ou encore l’asile, ont mis en lumière la difficile recherche de consensus sur la question.

Parmi eux figuraient des propositions telles que la révision de l’aide médicale d’État (AME), la régulation des sans-papiers dans les métiers en tension, le durcissement du regroupement familial et de l’accès à la nationalité française, et d’autres mesures censées encadrer plus strictement l’immigration. Rejetée par l’Assemblée nationale en première lecture et adoptée par le Sénat après modification, la proposition de loi a été envoyée en Commission mixte paritaire (CMP) par le gouvernement.

 

Les limites de l’État providence français

Un constat se dégage : le modèle de l’État-providence a atteint ses limites.

Une nouvelle loi ne pourra résoudre, à elle seule, les problèmes complexes liés à l’immigration sans une réforme structurelle de notre système. Selon un dernier sondage Ifop, l’immigration clandestine, le coût économique de l’immigration, et l’intégration préoccupent le plus les Français lorsque l’on évoque ce sujet. La France a effectivement connu un assouplissement notable de sa politique migratoire depuis les années 1980. L’ère mitterrandienne a posé les prémices de cet État-providence qui favorise la régularisation du plus grand nombre. Aujourd’hui, l’assistance prime sur l’intégration : allocation de demandeur d’asile (ADA) versée pendant la durée de traitement du dossier ; revenu de solidarité active (RSA) pour les étrangers réguliers après cinq ans de détention d’un titre de séjour ; allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) pour les réfugiés de plus de 65 ans ; aide médicale d’État (AME) pour les clandestins présents sur le sol français depuis trois mois ; sans mentionner les multiples autres aides au logement ou facilités pour les transports.

La France se démarque de la plupart des pays européens en octroyant des aides quasiment identiques aux étrangers réguliers et aux nationaux, que ce soit en termes de minima sociaux (RSA), de protection maladie, de logement ou encore d’allocations familiales. Un rapport publié en mars 2023 par le think tank Fondapol démontre qu’il est le plus permissif de l’Union européenne en matière d’asile et d’immigration. Par exemple, elle offre l’ADA la plus élevée parmi ceux qui l’octroient (soit 426 euros par mois en l’absence d’hébergement). Contrairement à des pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, le regroupement familial n’est pas conditionné à la maîtrise du français par le résident ou sa famille. Plus encore : la durée de résidence minimale est la plus faible d’Europe – cinq ans – contre le double en Autriche, en Espagne, en Lituanie, en Pologne, en Slovénie ou en Italie. Quant au taux d’obligations de quitter le territoire français (OQTF), il ne s’élève qu’à 12 % entre 2015 et 2021, contre 43 % dans la moyenne des pays de l’Union. La France est aussi le seul pays à délivrer des cartes de séjour temporaires pour raisons de santé.

 

La question culturelle

Ces politiques n’ont pas que des conséquences financières pour les comptes publics ; elles soulèvent également des difficultés d’ordre culturel.

On ne peut parler honnêtement d’immigration sans prendre en compte la montée de l’islamisme et les problématiques croissantes d’intégration. Les soutiens massifs et décomplexés de l’attaque terroriste du Hamas contre l’État d’Israël illustrent l’importance du fait ethnique et religieux, et l’inconséquence des responsables politiques ayant encouragé une certaine forme d’immigration en faisant fi des incompatibilités culturelles. L’immaturité de notre système politique, marqué par la verticalité, l’opposition permanente et la quasi-impossibilité de parvenir à un consensus, ne fait qu’accroître les crispations au sein de la société française.

La France aurait tout intérêt à s’inspirer de pays plus démocratiques comme la Suisse.

En Helvétie, il est d’usage de considérer que l’effort d’intégration doit venir de l’immigré, et non de la société qui l’accueille. Cette approche est bien plus efficace, puisque contrairement aux idées reçues, près d’une personne sur quatre est de nationalité étrangère (environ 25 % contre 10 % en France), sans que cela ne semble poser de problèmes majeurs. Tout d’abord, l’absence d’État-providence a un impact direct sur la nature de l’immigration : en l’espace de vingt ans, la Suisse a connu un accroissement d’une immigration hautement qualifiée. Ensuite, les initiatives populaires sont au cœur de sa tradition démocratique, de sorte que la population puisse régulièrement s’exprimer sur les politiques migratoires selon les cantons, sans attendre le fait du Prince. Il ne s’agit que de choix politiques.

Hindi : “une menace islamiste forgée depuis le début par les loges anglo-saxonnes”

Dans notre série consacrée aux “révolutions de couleur” fomentées par le Deep State américain et par la CIA, nous ne pouvions pas faire l’impasse sur l’utilisation de l’islamisme, tel qu’il est né du syncrétisme entre le wahabisme et les Frères Musulmans, comme repoussoir ou épouvantail pour opérer certains coups fourrés des services occidentaux, ou pour convaincre l’opinion occidentale d’un danger intérieur imminent qu’il faut combattre par des restrictions de liberté. Youssef Hindi nous retrace l’histoire de cette étrange forgerie qui commence dès le 18è siècle.

Depuis l’Antiquité, l’Arabe est perçu (“construit” pourrait-on dire comme un Nomade, un Bédouin, sans foi ni loi) dans les pays occidentaux. L’arrivée de l’Islam au tournant du VIIIè siècle n’a rien arrangé. Mais c’est à l’époque moderne, après la Renaissance, que l’Islam devient un facteur d’inquiétude géo-stratégique, et tout particulièrement à partir du vingtième siècle.

Comment cette grande angoisse s’est-elle construite ? Youssef Hindi nous aide à le comprendre, et nous aide encore plus à comprendre l’utilité que cette angoisse a pu revêtir pour les gouvernements occidentaux désireux d’affaiblir leurs rivaux (notamment la Russie), mais aussi désireux de contrôler leur propre opinion publique. Alors : les services anglo-saxons, et tout particulièrement américains, ont-ils développé une force islamiste pour pouvoir tenir leur propre population ? La question est posée, et Youssef Hindi pose des jalons historiques pour mieux comprendre l’histoire de cette grande manipulation.

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Antisémitisme. L'extrême droite blanchie par son soutien à Israël

La scène aurait été impensable il n'y a pas si longtemps : des députés et des partisans de l'extrême droite, pour certains compagnons de route du Groupe union défense (GUD), défilant aux côtés de groupes extrémistes juifs comme la Ligue de défense juive (LDJ) et le Bétar, dans la « marche contre l'antisémitisme » du 12 novembre à Paris. Au même moment, une partie de la gauche, qui a accepté de servir de caution à cette manifestation, se faisait huer.

En quelques semaines, les autorités françaises, aidées par nombre de forces politiques et de médias, ont levé le dernier obstacle à la « normalisation » de l'extrême droite dans l'espace politique, en tolérant, voire en se félicitant de la participation du Rassemblement national (RN) et de Reconquête à la marche du 12 novembre contre l'antisémitisme. La haine des juifs n'est donc plus liée aux héritiers du Front national — parti cofondé par un ancien Waffen SS — qui continuent à affirmer que Jean-Marie Le Pen n'est pas antisémite.

Cet antisémitisme n'aurait aucun lien non plus avec Reconquête, dont le dirigeant Éric Zemmour va répétant, malgré ses condamnations, que le maréchal Pétain aurait « sauvé les juifs français ». Désormais, ce racisme se manifesterait notamment par « la désertion de la France insoumise » selon Dov Alfon, directeur de Libération, pour qui « la participation du Rassemblement national à la marche civique » serait simplement « gênante » (sic). Et pour ne pas s'arrêter en si bon chemin, des participantes à cette marche ont, contrairement à ce qu'ont affirmé nombre de médias, arboré des drapeaux israéliens, entérinant ainsi la confusion — trop fréquente, trop systématique, trop dangereuse — entre Israël et les juifs. Un geste qui s'inscrit dans la droite ligne de la volonté déjà affichée par le président Emmanuel Macron en juillet 2017, lors de la commémoration de la Rafle du Vel' d'Hiv' aux côtés de Benyamin Nétanyahou, de faire d'Israël le dépositaire de la lutte contre l'antisémitisme à travers le monde.

Des juifs ? Non, des Israéliens

Car l'exemple est venu de haut. Le gouvernement d'Emmanuel Macron, celui-là même qui affirmait que Philippe Pétain fut « un grand soldat », souhaitait commémorer la naissance de Charles Maurras, défenseur de l'antisémitisme d'État. Quant au ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, il a écrit un livre pour expliquer que Napoléon Bonaparte « s'intéressa à régler les difficultés touchant à la présence de dizaines de milliers de juifs en France. Certains d'entre eux pratiquaient l'usure et faisaient naître troubles et réclamations »1.

Pour le RN, le processus de blanchiment a commencé en 2011 : Marine Le Pen affirmait alors le soutien de son parti à Israël, tandis que Louis Aliot, son compagnon et numéro 2 de ce qui s'appelait encore le Front national, se rendait à Tel-Aviv et dans les colonies pour tenter d'y séduire l'électorat français. De quoi faire oublier l'ardoise du père et rassurer les autorités israéliennes qui, depuis plusieurs années, ne cachent pas leurs accointances avec ces sionistes antisémites, dont le populiste hongrois Victor Orban est un des chefs de file. Récemment, Israël a ouvert un dialogue avec le parti Alliance pour l'unité des Roumains, qui glorifie Ion Antonescu, le leader du pays pendant la seconde guerre mondiale. Il avait collaboré avec les nazis et porte la responsabilité de la mort de 400 000 juifs2. De l'Autriche à la Pologne, Nétanyahou ne compte plus ses alliés d'extrême droite, néofascistes, souvent négationnistes, voire nostalgiques du IIIe Reich.

La classe dirigeante israélienne ne fait en réalité que perpétuer ainsi une tradition qui remonte au temps des pères fondateurs du sionisme : trouver dans les antisémites européens des alliés à leur entreprise, et qui se prolonge à la faveur de la « convergence coloniale ». L'universitaire israélien Benjamin Beit-Hallahmi écrivait, à propos de l'alliance entre son pays et l'Afrique du Sud de l'apartheid dans les années 1960 — 1980, dont le parti au pouvoir depuis 1948 avait eu des sympathies pour l'Allemagne nazie :

On peut détester les juifs et aimer les Israéliens, parce que, quelque part, les Israéliens ne sont pas juifs. Les Israéliens sont des colons et des combattants, comme les Afrikaners3.

Ainsi, trouver des accommodements avec l'antisémitisme européen est depuis longtemps le choix des dirigeants israéliens qui ne s'intéressent à la lutte contre ce racisme que pour faire taire les critiques de leur gouvernement, à l'image de Nétanyahou qui qualifie d'« antisémite » toute velléité de la Cour pénale internationale (CPI) ou de l'ONU d'enquêter sur les crimes de guerre commis par l'armée israélienne. Le journaliste Amir Tibon de Haaretz raconte à quel point cette alliance « est une priorité des forces religieuses de droite en Israël, qui proposent aux nationalistes européens un marché : Israël vous donnera un sceau d'approbation (certains l'ont cyniquement décrit comme un "certificat casher"), et en retour vous soutiendrez les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée »4. On retrouve la même stratégie à l'égard des États-Unis, quand Nétanyahou ferme les yeux sur l'entourage antisémite de Donald Trump, sur l'idéologie des fondamentalistes chrétiens — le lobby pro-israélien le plus puissant à Washington qui le soutient, ou quand il reçoit le patron de X (ex-Twitter) Elon Musk à Jérusalem, quelques jours après avoir cautionné un tweet antisémite de ce dernier. Si le milliardaire américain s'est finalement excusé, sa plateforme a vu augmenter de 60 % les tweets antisémites depuis qu'il en a pris le contrôle.

La Palestine comme catalyseur

C'est précisément autour de la « convergence coloniale » que s'articule le « nouvel antisémitisme » contre lequel marchent, côte à côte, les partis dits républicains et ceux de l'extrême droite. Ses deux cibles ? La gauche décoloniale d'une part, celle qui refuse la hiérarchie des racismes, qui n'en dénonce pas un (l'antisémitisme) pour nier l'existence de l'autre (l'islamophobie), et les musulmanes dans leur ensemble, qu'on appelait hier encore « les Arabes », et dont les aînées marchaient il y a 40 ans déjà contre le racisme d'État. Cette gauche qui a refusé de blanchir le RN est diabolisée, qualifiée d'antisémite à la moindre critique contre Israël, tandis que le ministre de l'intérieur interdit à plusieurs reprises aux soutiens des victimes palestiniennes de manifester ou de se rassembler, au nom de la lutte contre l'antisémitisme, avant d'être rappelé à l'ordre par les tribunaux.

C'est que les Israéliens comme les dirigeants d'extrême droite européens perçoivent les musulmanes comme l'ennemi principal. Le génocide en cours à Gaza sert de catalyseur à cette stratégie. Autour de la défense d'Israël se rencontrent la fachosphère et les soutiens de cet État, tous deux mobilisant l'imaginaire de la « guerre de civilisations » à l'œuvre depuis le 11 septembre 2001. Aux déclarations belliqueuses et eschatologiques de Nétanyahou, parlant d'une bataille du « peuple de la lumière » contre « le peuple des ténèbres » répondent en écho les propos de Gilles-William Goldnadel dans Le Figaro évoquant « la bataille finale » entre « l'être occidental, sa culture paisible et démocratique » et « l'Orient ». Entre la réalité coloniale en Palestine occupée et celle, fantasmée, d'un « ensauvagement » des banlieues (musulmanes, évidemment) dont « les petits blancs » seraient les premières victimes, il n'y a qu'un pas, qu'une partie de plus en plus large de la classe politique franchit allègrement. Des parallèles que relève le journaliste Daniel Schneidermann dans un tweet du 30 novembre :

Civilisés contre barbares : j'ai parfois l'impression qu'on me raconte des histoires comparables quand on me parle de Gaza et quand on me parle de Crépol5.

C'est ainsi que le sénateur Stéphane Ravier, membre de Reconquête, peut déclarer au Sénat le 11 octobre lors d'une séance de questions au gouvernement :

Ces Frères musulmans qui vivent parmi nous à cause de la folle politique d'immigration que vous tous avez soutenue ici, mes chers collègues, par faiblesse ou par conviction, il faut les traiter comme en Israël : par une réplique radicale et impitoyable.

Ainsi, l'ennemi intérieur est là, hier juif, aujourd'hui musulman. Gagné lui aussi par la rhétorique électoraliste de l'extrême droite, le gouvernement français a décidé de faire de la lutte contre l'immigration sa « grande cause », et tente désespérément d'obtenir le soutien des Républicains que rien ne sépare, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, du Rassemblement national. « Aujourd'hui, il y a une volonté d'accord », a déclaré à ce propos la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Depuis son arrivée à la présidence, Macron a transformé — ou plutôt poursuivi la transformation — de la laïcité de 1905 en laïcité punitive contre les musulmanes. Il a agité le spectre du séparatisme en faisant tout pour que les musulmanes françaises ne se sentent pas chez eux sur notre territoire. Si les actes antisémites ont été, à juste titre, dénoncés, aucune parole publique ne s'est élevée contre le déferlement de propos ouvertement arabophobes et islamophobes, voire les incitations au meurtre et à la violence, sur les chaînes de télévision et sur les réseaux sociaux, y compris contre des journalistes musulmanes.

Ce deux poids deux mesures, l'immobilisme de la France et de l'Union européenne devant le génocide en cours à Gaza et le déchaînement de violence islamophobe institutionnelle n'auront qu'une conséquence : creuser le fossé de plus en plus large non seulement entre les pays du Nord et du Sud — et notamment entre la France et le Maghreb —, rendant performatif le discours du « choc des civilisations », mais également au sein même de nos sociétés. La stigmatisation permanente d'une partie de nos concitoyennes et des immigrées, en plus du musellement de toute voix critique à l'encontre de Tel-Aviv n'auront qu'un seul effet : nourrir une colère qui se transformera en haine, et viendra s'abattre aveuglément dans les rues de nos villes.


1Gérald Darmanin, Le Séparatisme islamiste. Manifeste pour la laïcité, L'Observatoire, 2021.

2« ‘Shared Values' : Netanyahu's Israel Cements Another Grim Alliance With Europe's Far Right », éditorial de Haaretz, 29 août 2023.

3Benjamin Beit-Hallahmi, The Israeli Connection. Who Israel Arms and Why, Pantheon Books, New York, 1987. Cité par Alain Gresh dans De quoi la Palestine est-elle le nom ?, Les Liens qui libèrent, 2010.

4Amir Tibon, « Koshering Antisemites : Israel's Shameful Jewish Year », Haaretz, 14 septembre 2023.

5NDLR. C'est à Crépol qu'a eu lieu le meurtre du jeune Thomas lors d'une rixe. De nombreux responsables politiques et éditorialistes se sont saisi de l'incident pour en faire un cas de « racisme anti-blanc ».

L’horreur qui vient

Par : h16

Les autorités redoutent un attentat d’ici la fin de l’année. Elles l’ont d’ailleurs très médiatiquement fait savoir, tant du côté européen que du côté français afin que toute la population soit correctement transie d’inquiétude et de méfiance pour la période des fêtes.

Et donc, que ce soit le résultat d’une action préparée de longue date restée discrète voire secrète au point d’échapper aux renseignements policiers, ou qu’il s’agisse d’un événement quasiment improvisé, selon toute vraisemblance, les prochaines semaines ou, plus probablement, les prochains mois verront un nouvel événement terroriste en France.

Notons que tout aura été fait pour, et qu’on pourra raisonnablement écarter tout hasard dans la préparation des conscience tant est difficile à cacher la volonté pour une bonne partie des politiciens d’importer avec gourmandise le conflit israélo-palestinien en France. Ici, on comprend bien évidemment la mécanique politique à l’œuvre : toute nouvelle tension, toute nouvelle bouffée d’horreur en France servira essentiellement à accroître les prérogatives de l’État et des gens qui le gouvernent, et tout événement violent sera prétexte à accroître les possibilités offertes à ces derniers de pressurer la population, de la museler et de la contraindre dans le sens qui leur plaira.

Il n’y a guère besoin d’extrapoler. Même quelque chose de relativement bénin (voire festif selon certains) comme les Jeux Olympiques d’été permet d’illustrer le point : ces célébrations dispendieuses, largement coupées des préoccupations directes de l’écrasante majorité de la population, servent déjà à passer nombre de lois et de décrets afin de transformer la capitale en véritable enfer carcéral pour ses habitants, et à mettre en place des mesures (notamment numériques) dont on sait qu’elles perdureront bien au-delà de leur raison initiale.

Dans ce contexte, il est facile de comprendre que n’importe quel attentat un peu plus large qu’un simple échange de coups de couteaux (qui ne ferait qu’attiser ce que la classe jacassante appelle maintenant hypocritement l’ultradroite) pourra servir d’une part à terroriser la population (ou tout faire pour) et d’autre part à renforcer le contrôle policier… sur ceux qui pourraient trouver la situation un peu saumâtre et vouloir se défendre (encore l’ultradroite, comme par hasard).

Il semble donc évident qu’un événement majeur, avec à la clé plusieurs (dizaines ?) de morts aura lieu dans les prochains mois, disons pour donner une idée, d’ici Noël 2024. Quelque chose comme ce qui s’est passé en Israël où des villages entiers furent attaqués par de petites troupes de terroristes.

Cela n’a absolument rien de farfelu puisqu’on en a déjà l’ébauche germée dans les cerveaux manifestement sous-dimensionnés de quelques individus qui ont, fort heureusement, réussi à se faire gauler : « On passe à quatre ou cinq, armés, tu tues tout le village en une seule nuit, c’est facile, je te dis que tu peux faire ça, c’est facile ! »

On devra se demander pourquoi les autorités ont jugé bon de faire connaître médiatiquement ces projets d’attentats de ces soi-disants “réfugiés” mais il est clair que ce faisant, outre disséminer l’idée encore un peu plus, cela permet d’établir un précédent, à toutes fins utiles. Dès lors, on peut imaginer que d’autres, un peu plus finauds que ces pieds nickelés du djihadisme, s’organisent déjà avec une meilleure discrétion. Peut-être ceux-là acquièrent-ils lentement des armes personnelles, chacun dans leur coin, la filière ukrainienne servant sans nul doute à les fournir et, un petit matin, ou un soir, ils choisiront de passer à l’action de manière individuelle selon un plan préparé à l’avance et discuté hors des réseaux numériques les plus écoutés.

On imagine sans mal qu’ils débouleront dans l’un de ces villages tranquilles où la gendarmerie est sous-équipée et en sous-effectif chronique d’autant plus que la commune, sans barres HLM, sans racailles et sans gentils clandestins, est très calme et ne nécessite donc que peu de services de proximité que l’État n’a de toute façon aucune volonté de maintenir localement. Les dégâts (en nombre de morts, en blessés) y seront logiquement élevés.

Ceci n’est qu’un scénario possible mais au vu du nombre de candidats potentiels à ce genre d’action, au vu de l’état général des services de renseignements en France, au vu de la compétence moyenne de nos autorités, on avouera que ce n’est pas le scénario le plus fou fou non plus.

On peut aussi garantir que l’action des forces de l’ordre sera spectaculairement foireuse pendant un bon moment avant de pouvoir les stopper. Peut-être même une partie des perpétrateurs pourra – comme par hasard – s’enfuir dans la nature.

Pour donner un ordre d’idée, une poignée d’attaquants, cinq ou six (soit seulement trois de plus qu’au Bataclan) peuvent faire des dizaines de morts et de blessés dans une poignée de villages. À quelques dizaines, le massacre serait rapidement monstrueux face à des populations qu’on a, volontairement et largement, habituées à dépendre totalement de l’État pour sa sécurité, dont on a patiemment limé les dents, les griffes et toute envie de combattre à coup de lois scélérates diminuant toute possibilité d’auto-défense, de (dé)moraline en baril distribuée tous les soirs sur les ondes, et de prunages vexatoires pour la moindre hausse de sourcil un peu trop rapide.

Ici, parier sur l’incompétence totale des autorités françaises à réagir rapidement et efficacement dans ce genre de terrible contexte n’est même pas un pari osé, c’est malheureusement le moins risqué. Du reste, les attentats du 13 novembre 2015 ont amplement montré la désorganisation des forces d’intervention et des autorités. Qui imagine que l’équipe actuelle serait soudainement plus affûtée que celle d’alors ?

En revanche, on peut garantir la bonne compétence de la même brochette pour la récupération d’un tel événement, afin de poser les derniers jalons, les plus sévères, les plus lourds et les plus définitifs d’un véritable État-policier, c’est-à-dire une dictature parfaitement étanche. Cela ne fait aucun doute.

En réalité, c’est précisément pour cela que la menace d’attentats a été clairement annoncée urbi & orbi par nos autorités, l’apeurement des populations étant un des effets directs recherchés. C’est pratique, une population apeurée : bien préparée à une horreur qu’on a quasiment vendue comme inévitable, elle sera à point lorsque l’horreur surviendra.

Quelques centaines de morts d’un côté, un pouvoir quasi-illimité de l’autre : pour des élites parasitaires et parfaitement dénuées de tout scrupule, le calcul est vite fait et la question de la marche à suivre, “elle est vite répondue” pour des dirigeants qui sentent leur fin inéluctable sans la mise en place d’une poigne de fer contre le peuple.

En fait, il n’y a guère lieu d’épiloguer. Gérard Collomb, dans un rare moment de lucidité que permet l’abandon de la politique, expliquait au sujet de certaines populations qu’on vivait actuellement côte à côte, et qu’on risquait vite “de se retrouver face à face”.

Nous y sommes.

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«Israël» est tombé dans un piège dans le nord selon des médias israéliens

Les médias israéliens notent l'influence du Hezbollah dans le nord, et les colons expriment leur hésitation à revenir si la situation ne change pas, nombre d'entre eux envisageant une relocalisation permanente.

Ne sacrifions pas l’Occident pour combattre l’islamisme : réponse à Marion Maréchal

Samedi soir, un terroriste islamiste a semé la mort au pied de la Tour Eiffel. Armand Rajabpour-Miyandoab avait déjà été condamné en 2018 pour association de malfaiteurs terroristes, condamnation qui lui a valu d’être fiché S.

Ce n’est pas le premier terroriste à être passé à l’acte en France alors qu’il était déjà suivi pour ses accointances avec l’islamisme et l’entreprise terroriste. Cette répétition doit évidemment nous interroger sur l’efficacité de notre système de surveillance des individus dangereux, et en particulier des islamistes. S’engouffrant dans la brèche, Marion Maréchal a appelé dans les colonnes du journal Le Figaro à ce que tous les islamistes fichés S soient arrêtés et incarcérés immédiatement. 

 

On ne peut défendre l’Occident en détruisant son génie

S’il est vrai que la grande majorité des terroristes étaient fichés S, tous les fichés S ne sont pas des terroristes.

Marion Maréchal le sait, et ce n’est pas une erreur de logique qu’elle commet. Mais elle propose ni plus ni moins d’abandonner le droit à la sûreté, c’est-à-dire la protection contre les arrestations arbitraires, consacrée aux articles 2 et 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, inspiré de l’Habeas Corpus anglais qui fut la première pierre de la tradition juridique libérale qui caractérise l’Occident. Cette pensée juridique originale née en Occident a illuminé le monde et continue de rayonner auprès de tous les peuples opprimés, y compris par l’islamisme. 

Nous ne défendrons pas l’Occident contre ses ennemis en détruisant son génie. Abandonner la démocratie libérale qu’abhorrent les islamistes et autres illibéraux à la culture viriliste et adulescente qui voient la culture humaniste, non comme une sagesse mais une faiblesse, c’est leur donner la victoire.

En ne protégeant que les clochers, Reconquête! s’enferme dans une vision folklorique de la civilisation occidentale. À l’inverse, dans son chemin vers la « dédiabolisation », le Rassemblement national semble avoir intégré à son discours la défense des minorités sexuelles et des femmes comme partie intégrante de la tradition occidentale. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la gauche abandonne de plus en plus cette défense inconditionnelle du droit à la différence à l’extrême droite, comme elle a abandonné l’hymne et le drapeau, cédant devant la culture intolérante ce qu’elle voit comme les nouveaux damnés de la Terre. 

Par ailleurs, nous ne rappellerons jamais assez que toutes les lois d’exception ont fini par être détournées de leur objectif initial.

 

Les risques de dérives d’une telle mesure

Combien de fois les lois antiterroristes ont-elles été instrumentalisées pour intimider des individus qui n’avaient rien en commun avec le terrorisme islamisme, comme les militants de la ZAD de Notre-Dame des-Landes ? Réprimer les manifestations ? Peut-être devrait-on rappeler à Marion Maréchal que parmi les manifestants de l’ultra-droite descendus dans les rues pour protester contre la mort du jeune Thomas à Crépol, on comptait probablement des fichés S ? Combien de sympathisants de Reconquête! pourraient être inquiétés à la veille d’une élection au simple motif qu’ils ont pu approcher de près ou de loin une idéologie radicale ?

Rappelons que le simple fait de côtoyer sans le savoir un fiché S peut faire de vous un fiché S. Dès lors, la mécanique d’enfermement généralisé pourrait très facilement s’emballer, ou être instrumentalisée par le politique qui n’aurait alors plus aucune limite dans son pouvoir. Consentir à l’arbitraire, même dans l’objectif noble de lutter contre le terrorisme, est la voie la plus sûre vers la tyrannie.

Ce serait d’autant plus une trahison envers notre civilisation que ce serait une solution simpliste adoptée au détriment d’une autre facette du génie occidental : sa capacité de séduction.

 

La plus belle arme de l’Occident : sa capacité de séduction

Notre démocratie libérale, longtemps considérée comme un horizon indépassable de la modernité, ne séduit plus. Non seulement l’Occident n’est plus le phare du monde, mais il est remis en cause en son sein, que ce soit par les descendants d’immigrés qui adoptent l’islamisme que leurs parents ont fui, ou les tenants d’un Occident fantasmé qui voient dans Poutine le « salut de la blanchitude ».

Notre démocratie libérale, qui permet à chaque individu de s’émanciper et de se déterminer, peine à produire une métaphysique commune qui soit accessible au plus grand nombre, qui se tourne alors vers les prêts-à-penser que constituent les idéologies radicales, que ce soit au sein de l’islam politique, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.

Pour se défendre, la démocratie libérale doit se réarmer intellectuellement. Le refus de la radicalité et du populisme, s’il n’est pas justifié pour soi, ne sera jamais à même de peser face aux idées faciles. Mais elle doit aussi être cohérente et défendre cet idéal occidental à chaque fois qu’il est attaqué, comme en Ukraine, et non pas comme en Arménie qui, malgré quelques prises de paroles sentencieuses, a été abandonnée au profit de nos intérêts gaziers.

Enfin, il faut rappeler que si la première mission de l’État doit être d’assurer la sécurité des citoyens et qu’il est indispensable que nous perfectionnions sans cesse notre appareil sécuritaire, seul un régime tyrannique pourrait approcher le risque zéro. Personne ne doute que la Corée du Nord connaît un taux d’homicides (non gouvernementaux) plus faible que le nôtre. En définitive, nous devons assumer que dans une société libre, le risque zéro n’existe pas, et que nous aurions bien davantage à perdre en sacrifiant notre État de droit.

Dimensions entrevues du «Déluge de l’Aksa»

par Père Elias Zahlaoui. Seule, la loi du plus fort a toujours existé, tout au cours de l’histoire universelle. Cette vérité ne peut plus paraître ni irréelle, ni ridicule. Seuls les sots et… les intéressés la nient !

Le Dieu des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans est le même

Dans notre hebdomadaire religieux, nous abordons la question rendue sensible par Eric Zemmour de la civilisation judéo-chrétienne qui serait en guerre contre l’Islam, et la question tout aussi sensible de la relation entre christianisme et judaïsme à travers l’histoire.

Dans ce magazine hebdomadaire consacré à la vie de l’Eglise catholique et aux questions religieuses, vous retrouverez :

  • un point sur la santé du pape François
  • un retour sur la question du judéo-christianisme qui serait en guerre contre l’Islam
  • un rappel sur les relations entre christianisme et judaïsme
  • la question du peuple déicide et Vatican II
  • le rôle de Pie XII au moment de la Shoah
  • la collaboration entre les catholiques et Vichy

N’hésitez pas à nous demander, en commentaires, d’approfondir les points qui vous semblent trop peu traités

Égypte. L'énigme des défaites de la gauche

Si la rue égyptienne a toujours paru favorable à l'émergence d'un pouvoir de gauche, ce courant politique ne cesse, depuis quelques décennies, de perdre la bataille face aux islamistes et au pouvoir. En cause, un manque d'autonomie favorisé par les régimes des présidents Gamal Abdel Nasser et Anouar El-Sadate, ainsi qu'une tendance à mettre en avant les débats « identitaires » au détriment des problèmes socio-économiques.

La rue égyptienne, c'est la gauche. Pourtant, le changement [politique] n'a jamais dépassé les limites d'une révolution radicale à l'intérieur des centres de pouvoir. Cela signifie qu'il n'y a pas encore d'organisation représentant la rue et capable d'apporter un changement dans la société en changeant l'autorité elle-même. Dans la plupart des régions du monde, la rue est nécessairement de gauche, puisqu'elle est le symbole politique des masses ouvrières, des travailleurs agricoles et des couches progressistes de la petite bourgeoisie. Cependant, dans d'autres pays, la rue a ses propres représentants et organisations, et ce sont eux qui s'engagent, de manière pacifique ou dans une confrontation directe avec le pouvoir en place. Quant à la rue égyptienne, elle n'est pas seulement de gauche, elle est « la » gauche.

Ces mots sont ceux de l'éminent écrivain marxiste Ghali Shoukri1, qui réfléchissait, à la fin des années 1970, à l'évolution de la gauche égyptienne dans le contexte des changements politiques majeurs survenus depuis les années 1920. Shoukri a écrit ces mots il y a 45 ans. Pourtant, ses observations permettent de comprendre les contradictions fondamentales de la gauche qui se sont confirmées durant la période de la révolution du 25 janvier (2011-2013). Les idées de ce courant politique sur la justice sociale et économique résonnent fortement dans le champ de la politique contestataire. Cependant, sa capacité d'influence et sa présence dans la vie politique officielle — élections, législations, politique des partis, etc. — est, au mieux, ténue. Le même paradoxe s'est confirmé après la chute du président Hosni Moubarak en 2011 à la suite du soulèvement national, avec une « rue » de gauche omniprésente, mais dépourvue d'organisations représentatives.

Les espoirs des manifestants

Le soulèvement de 2011, dont le slogan central était « pain, liberté et justice sociale », a fait naître l'espoir d'une nouvelle ère politique pour la gauche qui représentait ces revendications populaires en matière de droits sociaux et économiques. Cet espoir n'était pas insensé, ces revendications ayant été un moteur politique avant et pendant le soulèvement du 25 janvier. Grâce à des décennies de politiques conformes au « Consensus de Washington »2, les dernières années du mandat d'Hosni Moubarak ont été marquées par un mécontentement généralisé qui s'est exprimé par la multiplication des mouvements de protestation et de grève. En février 2011, l'action des travailleurs a sans doute été essentielle pour faire pencher la balance en faveur des manifestants de la place Tahrir qui réclamaient le départ de Moubarak. En d'autres termes, la promesse d'une politique de gauche était dans l'air. C'est du moins ce qu'il semblait.

En moins d'un an, une réalité différente est apparue. Les Frères musulmans ont remporté les élections présidentielle et législatives, orientant le débat politique parmi les élites vers la question de l'identité religieuse de l'État. Pendant ce temps, les forces politiques de gauche, qu'il s'agisse de nouveaux venus ou de vétérans, ont obtenu des résultats médiocres lors de chaque scrutin national. Leurs voix et leurs programmes ont souvent été noyés au sein de diverses coalitions laïques unifiées dont le principal objectif était de contrer les courants islamistes, mais qui avaient des orientations économiques diverses, voire contradictoires. En d'autres termes, les contours de la politique nationale organisée ont été dépassés par la bipolarité islamistes contre « laïques », même si la « rue », pour reprendre l'expression de Shoukri, est restée de gauche.

« Plus d'identité, moins de classe »

Le paradoxe de la gauche égyptienne n'est en aucun cas unique. La mise à l'écart progressive des conflits de classe au profit des conflits d'identité dans la politique nationale fait partie d'une tendance mondiale, ou de ce que je décris dans mon livre Classless Politics3 comme « plus d'identité, moins de classe » (« more identity, less class »). Malgré la prévalence des inégalités sociales et économiques et l'obsession des rencontres entre classes dans les médias grand public et la production artistique, les coalitions redistributives et la gauche ont cédé du terrain au populisme de droite et aux mouvements ethnonationalistes dans de nombreuses régions du monde.

S'appuyant sur l'expérience des démocraties industrielles avancées, les chercheurs ont attribué ce phénomène à une série de facteurs, notamment au succès des mouvements populistes de droite dans la conquête du soutien des classes traditionnellement alliées aux partis de gauche, ainsi qu'au rôle de l'immigration, de la diversité culturelle et de l'intégration régionale dans l'alimentation des réactions ethnonationalistes. On peut aussi ajouter l'échec de la « gauche post-matérialiste » à concevoir des alternatives réalistes au statu quo néolibéral.

La particularité du parcours de l'Égypte vers « plus d'identité, moins de classe » en revanche est qu'il n'est pas le produit de développements récents ou contemporains. Il s'étale plutôt sur plusieurs décennies. Certes, on pourrait pontifier à l'infini sur les faux pas des forces de gauche dans l'Égypte d'après 2011 : manque d'organisation pendant les périodes électorales, échec à concevoir des programmes attrayants, incapacité à sortir de leur bulle cairote, faible mobilisation pour contrer le discours anti-ouvrier porté par les élites politiques après l'éviction de Moubarak, soutien au coup d'État d'Abdel Fattah Al-Sissi du 3 juillet 2013, et bien d'autres choses encore.

Au-delà de sa pertinence, ce raisonnement ne tient pas compte de l'histoire. Il part du principe que la faiblesse de la gauche peut être réduite à un ensemble d'actions qui se sont produites en 2011-2013, comme si l'histoire ne commençait que le 25 janvier 2011. Il manque ici une compréhension de la manière dont le champ politique de l'Égypte a penché en faveur des islamistes et contre la gauche. Creuser cette question nous oblige à nous interroger : pourquoi une grande organisation politique de gauche n'a-t-elle jamais émergé en Égypte dans les décennies précédant 2011 ? Et pourquoi une organisation islamiste forte a, elle, réussi à survivre aux turbulences de l'ère Moubarak, pour se trouver dans une position politiquement confortable en 2011 ?

L'héritage de Nasser et de Sadate

Pour répondre à ces questions, il faut plonger dans les contextes et les conséquences de deux interventions historiques qui ont sans doute façonné l'équilibre du pouvoir à long terme entre les forces islamistes et les forces de gauche.

La première est la politique d'Anouar El-Sadate à l'égard du mouvement islamiste dans les années 1970. La seconde est la politique de Gamal Abdel Nasser à l'égard du mouvement communiste au cours de la décennie précédente. La combinaison de ces deux interventions, comme je le développe dans Classless Politics, a eu un impact durable sur la structure contemporaine du champ politique égyptien. En effet, ces politiques ont placé les courants islamistes et de gauche sur des « voies divergentes de développement institutionnel », structurant l'évolution de leurs organisations, notamment en ce qui concerne leur autonomie par rapport à l'État. Comprendre les origines et les effets de ces deux voies divergentes permet de saisir les sources des malheurs de la gauche après 2011.

Alors que le président Sadate était confronté à une forte opposition de gauche à ses tentatives de libéralisation économique et de réorientation des alliances de l'Égypte vers les États-Unis, il a eu recours à ce que j'appelle des « politiques d'incorporation islamiste ». Ce concept analytique désigne l'ouverture de l'espace politique aux courants islamistes dans le but d'écarter et de contenir les opposants de gauche du régime. Les principaux bénéficiaires de cet environnement relativement ouvert ont été le mouvement étudiant islamiste naissant et les Frères musulmans.

Les dirigeants de la confrérie, qui venaient d'être libérés de prison, tentaient de relancer leur organisation après avoir subi des décennies de répression sous Nasser. Grâce à l'attitude laxiste de Sadate, les leaders vieillissants ont pu obtenir le soutien d'une grande partie du mouvement étudiant islamiste. Comme l'explique l'historien Abdullah Al-Arian dans Answering the Call4, c'est cette génération d'étudiants activistes qui a rendu possible le retour de la confrérie sur la scène politique, notamment à un moment où sa survie en tant qu'organisation politique était loin d'être assurée.

De manière tout aussi importante, la confrérie est parvenue à tracer la voie à suivre pour se reconstituer sans compromettre son indépendance vis-à-vis de l'État. Sadate a tenté de la maintenir ainsi que le mouvement étudiant islamiste sous le contrôle de son parti et de son appareil de sécurité. Il a échoué. Cet échec a permis aux Frères musulmans de se développer de manière autonome au cours des décennies suivantes, contrairement à d'autres groupes politiques d'opposition qui sont restés largement dépendants de l'État, y compris les groupes de gauche. Cette indépendance a persisté même après la mort de Sadate, en partie en raison de la dynamique des conflits au sein des Frères musulmans, mais aussi en raison du calcul stratégique du régime de Moubarak.

Des divisions anciennes

La gauche a connu un développement institutionnel très différent, qui l'a maintenue dans la dépendance de l'État et rendue vulnérable à la manipulation et à l'intervention du régime. Une fois de plus, la période de formation des années 1970 a été déterminante. Tout comme il existait un fort courant islamiste sur les campus universitaires — que les Frères musulmans ont réussi à coopter dans leurs efforts de reconstruction organisationnelle —, il existait un courant de gauche prometteur et dynamique. Mais contrairement à l'expérience des courants islamistes, l'énergie de ce mouvement de gauche n'a jamais été canalisée dans une organisation politique unie et pérenne.

En l'absence d'une force politique de gauche crédible et organisée, capable d'unifier l'opposition fragmentée qui contestait les projets économiques et de politique étrangère de Sadate, l'idée que des courants de gauche auraient pu reproduire l'expérience de leurs homologues islamistes était inconcevable. Les organisations communistes qui existaient avant les années 1970 s'étaient dissoutes sous la pression de Nasser, et nombre de leurs dirigeants et militants avaient ensuite rejoint l'organisation de l'avant-garde, bras politique de l'Union socialiste arabe, le parti unique au pouvoir. Le président panarabiste a capitalisé sur les divisions chroniques entre les dirigeants communistes, comme cela avait été le cas au cours des décennies précédentes. Quoi qu'il en soit, la capitulation des communistes face à Nasser en 1965 (date où le Parti communiste s'autodissout) façonnera le destin politique de la gauche pendant des décennies. Plus immédiatement, cela signifiait qu'au début de l'ère de l'infitah5, la gauche était en désarroi, manquant de leadership pour unir une opposition dispersée — bien que faisant beaucoup de bruit — à l'administration de droite de Sadate.

Certes, les groupes communistes clandestins qui ont émergé sur la scène politique contestataire ont réussi à mener une lutte courageuse, en prenant parfois racine au sein des mouvements étudiants et syndicaux, malgré un climat politique défavorable, sans parler du fait que les syndicats avaient été maintenus dans un cadre néocorporatiste restrictif contrôlé par l'État depuis les années 1950. Néanmoins, ces groupes ont été largement contenus, voire écrasés par un appareil de sécurité qui, pendant une grande partie des années 1970, était obsédé par les militants de gauche. Ces derniers ne jouissaient pas de la même latitude que celle accordée à leurs homologues islamistes.

De même, la gauche légale, ou les secteurs de la gauche qui étaient autorisés à participer à la vie politique officielle, comme le parti dit du Rassemblement (Al-Tagammo')6, étaient soumis à la répression de l'État sous le régime de Sadate. La tragédie du Rassemblement était toutefois, dans une large mesure, due au cadre juridique et politique défavorable dans lequel il opérait, et qui a persisté sous Moubarak. Ce cadre a compromis l'autonomie du parti, renforcé sa dépendance à l'égard de l'État et l'a exposé à des interventions du régime qui ont sapé les liens autrefois significatifs du parti avec le monde du travail. Ainsi, son expérience, au début prometteuse, a finalement été réduite à néant.

Alliance avec Moubarak

Au-delà de la question de la répression, le Rassemblement a ensuite subi une transformation interne dans les années 1980, en réponse à l'ascension politique des courants islamistes que ses membres percevaient comme une menace. Cette préoccupation a poussé sa direction à s'allier au régime de Moubarak sous la bannière de la résistance à la « menace islamiste ». Trop préoccupé par la confrontation avec les islamistes sur l'identité de l'État, souvent aux côtés de l'establishment culturel de Moubarak, le Rassemblement a perdu une grande partie de sa capacité à monter une opposition crédible au régime, ou à articuler une alternative significative aux politiques de libéralisation économique menées par l'État. En d'autres termes, la gauche a accepté de centrer le débat, comme le souhaitaient les islamistes, autour de l'identité religieuse de l'État et des guerres culturelles, loin des questions de redistribution et des priorités économiques.

Ainsi, l'histoire de la gauche égyptienne est-elle celle d'un développement institutionnel qui a empêché les organisations de gauche indépendantes d'émerger, de se développer et de survivre sur le modèle des Frères musulmans. Les politiques respectives de Nasser et de Sadate ont exclu la possibilité d'une telle évolution. Le premier a fait pression sur les partis communistes indépendants pour qu'ils s'autodissolvent, en cooptant une grande partie de leurs cadres dans l'appareil d'État. C'est ainsi qu'il a pu obtenir des communistes ce que Sadate n'a jamais pu avoir avec les Frères musulmans : le renoncement à leur autonomie. Ainsi, à la veille de l'infitah, la gauche était mal équipée pour reproduire l'expérience de la confrérie en ravivant sa présence politique et organisationnelle.

La divergence des voies empruntées par les courants islamistes et par la gauche a laissé une marque durable sur la configuration de la politique dans les décennies suivantes, en particulier à la veille de la chute de Moubarak en 2011. On ne peut parler de l'incapacité de la gauche à concurrencer les réussites des islamistes sans revenir à ce contexte historique. Il ne s'agit en aucun cas d'un déterminisme structurel ou d'une négligence des fautes et des erreurs commises par la gauche durant la période révolutionnaire. Mais le champ politique hérité des époques autoritaires précédentes a lourdement pesé.

C'est ce contexte historique qui nous permet d'éclairer cette énigme de la gauche égyptienne, cette tension entre deux réalités. La première est, selon la description de Ghali Shoukri, une rue de gauche qui ne peut se représenter qu'à travers une action politique contestataire. L'autre est une sphère politique institutionnelle qui, dans les moments d'ouverture politique, tend à refléter, non pas la rue, mais le champ politique asymétrique que les anciens autocrates avaient construit.

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Traduit de l'anglais par Sarra Grira.


1Athawra Al mudadda fi Masr, Autorité générale égyptienne du livre, 1978 ; ce livre a été traduit en français en 1978 par les éditions Sycomore sous le titre Égypte. La contre-révolution.

2NDLR. Le Consensus de Washington est un accord tacite visant à conditionner les aides financières aux pays en développement à des pratiques « de bonne gouvernance » telles que définies par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Voir Angela Joya, The Roots of Revolt. A Political Economy of Egypt from Nasser to Mubarak, Cambridge University Press, mars 2020.

3Classless Politics. Islamist Movements, the Left, and Authoritarian Legacies in Egypt, Columbia University press, 2022.

4Answering the Call. Popular Islamic Activism in Sadat's Egypt, Oxford University Press, 2014.

5NDLR. Littéralement « l'ouverture », le mot désigne la politique menée par le président Sadate qui rompt avec la politique socialiste de son prédécesseur Nasser, libéralise l'économie et privatise une partie du secteur public.

6NDLR. Al-Tagammo' ou « le Rassemblement », de son nom complet Parti du rassemblement unioniste progressiste national. Il s'agit d'un des principaux partis de la gauche égyptienne, fondé en 1976 après la dissolution de l'Union socialiste arabe. Son fondateur et leader historique est le communiste Khaled Mohieddine, un des officiers libres « rouges » de la révolution du 23 juillet 1952.

Égypte. L'énigme des défaites de la gauche

Si la rue égyptienne a toujours paru favorable à l'émergence d'un pouvoir de gauche, ce courant politique ne cesse, depuis quelques décennies, de perdre la bataille face aux islamistes et au pouvoir. En cause, un manque d'autonomie favorisé par les régimes des présidents Gamal Abdel Nasser et Anouar El-Sadate, ainsi qu'une tendance à mettre en avant les débats « identitaires » au détriment des problèmes socio-économiques.

La rue égyptienne, c'est la gauche. Pourtant, le changement [politique] n'a jamais dépassé les limites d'une révolution radicale à l'intérieur des centres de pouvoir. Cela signifie qu'il n'y a pas encore d'organisation représentant la rue et capable d'apporter un changement dans la société en changeant l'autorité elle-même. Dans la plupart des régions du monde, la rue est nécessairement de gauche, puisqu'elle est le symbole politique des masses ouvrières, des travailleurs agricoles et des couches progressistes de la petite bourgeoisie. Cependant, dans d'autres pays, la rue a ses propres représentants et organisations, et ce sont eux qui s'engagent, de manière pacifique ou dans une confrontation directe avec le pouvoir en place. Quant à la rue égyptienne, elle n'est pas seulement de gauche, elle est « la » gauche.

Ces mots sont ceux de l'éminent écrivain marxiste Ghali Shoukri1, qui réfléchissait, à la fin des années 1970, à l'évolution de la gauche égyptienne dans le contexte des changements politiques majeurs survenus depuis les années 1920. Shoukri a écrit ces mots il y a 45 ans. Pourtant, ses observations permettent de comprendre les contradictions fondamentales de la gauche qui se sont confirmées durant la période de la révolution du 25 janvier (2011-2013). Les idées de ce courant politique sur la justice sociale et économique résonnent fortement dans le champ de la politique contestataire. Cependant, sa capacité d'influence et sa présence dans la vie politique officielle — élections, législations, politique des partis, etc. — est, au mieux, ténue. Le même paradoxe s'est confirmé après la chute du président Hosni Moubarak en 2011 à la suite du soulèvement national, avec une « rue » de gauche omniprésente, mais dépourvue d'organisations représentatives.

Les espoirs des manifestants

Le soulèvement de 2011, dont le slogan central était « pain, liberté et justice sociale », a fait naître l'espoir d'une nouvelle ère politique pour la gauche qui représentait ces revendications populaires en matière de droits sociaux et économiques. Cet espoir n'était pas insensé, ces revendications ayant été un moteur politique avant et pendant le soulèvement du 25 janvier. Grâce à des décennies de politiques conformes au « Consensus de Washington »2, les dernières années du mandat d'Hosni Moubarak ont été marquées par un mécontentement généralisé qui s'est exprimé par la multiplication des mouvements de protestation et de grève. En février 2011, l'action des travailleurs a sans doute été essentielle pour faire pencher la balance en faveur des manifestants de la place Tahrir qui réclamaient le départ de Moubarak. En d'autres termes, la promesse d'une politique de gauche était dans l'air. C'est du moins ce qu'il semblait.

En moins d'un an, une réalité différente est apparue. Les Frères musulmans ont remporté les élections présidentielle et législatives, orientant le débat politique parmi les élites vers la question de l'identité religieuse de l'État. Pendant ce temps, les forces politiques de gauche, qu'il s'agisse de nouveaux venus ou de vétérans, ont obtenu des résultats médiocres lors de chaque scrutin national. Leurs voix et leurs programmes ont souvent été noyés au sein de diverses coalitions laïques unifiées dont le principal objectif était de contrer les courants islamistes, mais qui avaient des orientations économiques diverses, voire contradictoires. En d'autres termes, les contours de la politique nationale organisée ont été dépassés par la bipolarité islamistes contre « laïques », même si la « rue », pour reprendre l'expression de Shoukri, est restée de gauche.

« Plus d'identité, moins de classe »

Le paradoxe de la gauche égyptienne n'est en aucun cas unique. La mise à l'écart progressive des conflits de classe au profit des conflits d'identité dans la politique nationale fait partie d'une tendance mondiale, ou de ce que je décris dans mon livre Classless Politics3 comme « plus d'identité, moins de classe » (« more identity, less class »). Malgré la prévalence des inégalités sociales et économiques et l'obsession des rencontres entre classes dans les médias grand public et la production artistique, les coalitions redistributives et la gauche ont cédé du terrain au populisme de droite et aux mouvements ethnonationalistes dans de nombreuses régions du monde.

S'appuyant sur l'expérience des démocraties industrielles avancées, les chercheurs ont attribué ce phénomène à une série de facteurs, notamment au succès des mouvements populistes de droite dans la conquête du soutien des classes traditionnellement alliées aux partis de gauche, ainsi qu'au rôle de l'immigration, de la diversité culturelle et de l'intégration régionale dans l'alimentation des réactions ethnonationalistes. On peut aussi ajouter l'échec de la « gauche post-matérialiste » à concevoir des alternatives réalistes au statu quo néolibéral.

La particularité du parcours de l'Égypte vers « plus d'identité, moins de classe » en revanche est qu'il n'est pas le produit de développements récents ou contemporains. Il s'étale plutôt sur plusieurs décennies. Certes, on pourrait pontifier à l'infini sur les faux pas des forces de gauche dans l'Égypte d'après 2011 : manque d'organisation pendant les périodes électorales, échec à concevoir des programmes attrayants, incapacité à sortir de leur bulle cairote, faible mobilisation pour contrer le discours anti-ouvrier porté par les élites politiques après l'éviction de Moubarak, soutien au coup d'État d'Abdel Fattah Al-Sissi du 3 juillet 2013, et bien d'autres choses encore.

Au-delà de sa pertinence, ce raisonnement ne tient pas compte de l'histoire. Il part du principe que la faiblesse de la gauche peut être réduite à un ensemble d'actions qui se sont produites en 2011-2013, comme si l'histoire ne commençait que le 25 janvier 2011. Il manque ici une compréhension de la manière dont le champ politique de l'Égypte a penché en faveur des islamistes et contre la gauche. Creuser cette question nous oblige à nous interroger : pourquoi une grande organisation politique de gauche n'a-t-elle jamais émergé en Égypte dans les décennies précédant 2011 ? Et pourquoi une organisation islamiste forte a, elle, réussi à survivre aux turbulences de l'ère Moubarak, pour se trouver dans une position politiquement confortable en 2011 ?

L'héritage de Nasser et de Sadate

Pour répondre à ces questions, il faut plonger dans les contextes et les conséquences de deux interventions historiques qui ont sans doute façonné l'équilibre du pouvoir à long terme entre les forces islamistes et les forces de gauche.

La première est la politique d'Anouar El-Sadate à l'égard du mouvement islamiste dans les années 1970. La seconde est la politique de Gamal Abdel Nasser à l'égard du mouvement communiste au cours de la décennie précédente. La combinaison de ces deux interventions, comme je le développe dans Classless Politics, a eu un impact durable sur la structure contemporaine du champ politique égyptien. En effet, ces politiques ont placé les courants islamistes et de gauche sur des « voies divergentes de développement institutionnel », structurant l'évolution de leurs organisations, notamment en ce qui concerne leur autonomie par rapport à l'État. Comprendre les origines et les effets de ces deux voies divergentes permet de saisir les sources des malheurs de la gauche après 2011.

Alors que le président Sadate était confronté à une forte opposition de gauche à ses tentatives de libéralisation économique et de réorientation des alliances de l'Égypte vers les États-Unis, il a eu recours à ce que j'appelle des « politiques d'incorporation islamiste ». Ce concept analytique désigne l'ouverture de l'espace politique aux courants islamistes dans le but d'écarter et de contenir les opposants de gauche du régime. Les principaux bénéficiaires de cet environnement relativement ouvert ont été le mouvement étudiant islamiste naissant et les Frères musulmans.

Les dirigeants de la confrérie, qui venaient d'être libérés de prison, tentaient de relancer leur organisation après avoir subi des décennies de répression sous Nasser. Grâce à l'attitude laxiste de Sadate, les leaders vieillissants ont pu obtenir le soutien d'une grande partie du mouvement étudiant islamiste. Comme l'explique l'historien Abdullah Al-Arian dans Answering the Call4, c'est cette génération d'étudiants activistes qui a rendu possible le retour de la confrérie sur la scène politique, notamment à un moment où sa survie en tant qu'organisation politique était loin d'être assurée.

De manière tout aussi importante, la confrérie est parvenue à tracer la voie à suivre pour se reconstituer sans compromettre son indépendance vis-à-vis de l'État. Sadate a tenté de la maintenir ainsi que le mouvement étudiant islamiste sous le contrôle de son parti et de son appareil de sécurité. Il a échoué. Cet échec a permis aux Frères musulmans de se développer de manière autonome au cours des décennies suivantes, contrairement à d'autres groupes politiques d'opposition qui sont restés largement dépendants de l'État, y compris les groupes de gauche. Cette indépendance a persisté même après la mort de Sadate, en partie en raison de la dynamique des conflits au sein des Frères musulmans, mais aussi en raison du calcul stratégique du régime de Moubarak.

Des divisions anciennes

La gauche a connu un développement institutionnel très différent, qui l'a maintenue dans la dépendance de l'État et rendue vulnérable à la manipulation et à l'intervention du régime. Une fois de plus, la période de formation des années 1970 a été déterminante. Tout comme il existait un fort courant islamiste sur les campus universitaires — que les Frères musulmans ont réussi à coopter dans leurs efforts de reconstruction organisationnelle —, il existait un courant de gauche prometteur et dynamique. Mais contrairement à l'expérience des courants islamistes, l'énergie de ce mouvement de gauche n'a jamais été canalisée dans une organisation politique unie et pérenne.

En l'absence d'une force politique de gauche crédible et organisée, capable d'unifier l'opposition fragmentée qui contestait les projets économiques et de politique étrangère de Sadate, l'idée que des courants de gauche auraient pu reproduire l'expérience de leurs homologues islamistes était inconcevable. Les organisations communistes qui existaient avant les années 1970 s'étaient dissoutes sous la pression de Nasser, et nombre de leurs dirigeants et militants avaient ensuite rejoint l'organisation de l'avant-garde, bras politique de l'Union socialiste arabe, le parti unique au pouvoir. Le président panarabiste a capitalisé sur les divisions chroniques entre les dirigeants communistes, comme cela avait été le cas au cours des décennies précédentes. Quoi qu'il en soit, la capitulation des communistes face à Nasser en 1965 (date où le Parti communiste s'autodissout) façonnera le destin politique de la gauche pendant des décennies. Plus immédiatement, cela signifiait qu'au début de l'ère de l'infitah5, la gauche était en désarroi, manquant de leadership pour unir une opposition dispersée — bien que faisant beaucoup de bruit — à l'administration de droite de Sadate.

Certes, les groupes communistes clandestins qui ont émergé sur la scène politique contestataire ont réussi à mener une lutte courageuse, en prenant parfois racine au sein des mouvements étudiants et syndicaux, malgré un climat politique défavorable, sans parler du fait que les syndicats avaient été maintenus dans un cadre néocorporatiste restrictif contrôlé par l'État depuis les années 1950. Néanmoins, ces groupes ont été largement contenus, voire écrasés par un appareil de sécurité qui, pendant une grande partie des années 1970, était obsédé par les militants de gauche. Ces derniers ne jouissaient pas de la même latitude que celle accordée à leurs homologues islamistes.

De même, la gauche légale, ou les secteurs de la gauche qui étaient autorisés à participer à la vie politique officielle, comme le parti dit du Rassemblement (Al-Tagammo')6, étaient soumis à la répression de l'État sous le régime de Sadate. La tragédie du Rassemblement était toutefois, dans une large mesure, due au cadre juridique et politique défavorable dans lequel il opérait, et qui a persisté sous Moubarak. Ce cadre a compromis l'autonomie du parti, renforcé sa dépendance à l'égard de l'État et l'a exposé à des interventions du régime qui ont sapé les liens autrefois significatifs du parti avec le monde du travail. Ainsi, son expérience, au début prometteuse, a finalement été réduite à néant.

Alliance avec Moubarak

Au-delà de la question de la répression, le Rassemblement a ensuite subi une transformation interne dans les années 1980, en réponse à l'ascension politique des courants islamistes que ses membres percevaient comme une menace. Cette préoccupation a poussé sa direction à s'allier au régime de Moubarak sous la bannière de la résistance à la « menace islamiste ». Trop préoccupé par la confrontation avec les islamistes sur l'identité de l'État, souvent aux côtés de l'establishment culturel de Moubarak, le Rassemblement a perdu une grande partie de sa capacité à monter une opposition crédible au régime, ou à articuler une alternative significative aux politiques de libéralisation économique menées par l'État. En d'autres termes, la gauche a accepté de centrer le débat, comme le souhaitaient les islamistes, autour de l'identité religieuse de l'État et des guerres culturelles, loin des questions de redistribution et des priorités économiques.

Ainsi, l'histoire de la gauche égyptienne est-elle celle d'un développement institutionnel qui a empêché les organisations de gauche indépendantes d'émerger, de se développer et de survivre sur le modèle des Frères musulmans. Les politiques respectives de Nasser et de Sadate ont exclu la possibilité d'une telle évolution. Le premier a fait pression sur les partis communistes indépendants pour qu'ils s'autodissolvent, en cooptant une grande partie de leurs cadres dans l'appareil d'État. C'est ainsi qu'il a pu obtenir des communistes ce que Sadate n'a jamais pu avoir avec les Frères musulmans : le renoncement à leur autonomie. Ainsi, à la veille de l'infitah, la gauche était mal équipée pour reproduire l'expérience de la confrérie en ravivant sa présence politique et organisationnelle.

La divergence des voies empruntées par les courants islamistes et par la gauche a laissé une marque durable sur la configuration de la politique dans les décennies suivantes, en particulier à la veille de la chute de Moubarak en 2011. On ne peut parler de l'incapacité de la gauche à concurrencer les réussites des islamistes sans revenir à ce contexte historique. Il ne s'agit en aucun cas d'un déterminisme structurel ou d'une négligence des fautes et des erreurs commises par la gauche durant la période révolutionnaire. Mais le champ politique hérité des époques autoritaires précédentes a lourdement pesé.

C'est ce contexte historique qui nous permet d'éclairer cette énigme de la gauche égyptienne, cette tension entre deux réalités. La première est, selon la description de Ghali Shoukri, une rue de gauche qui ne peut se représenter qu'à travers une action politique contestataire. L'autre est une sphère politique institutionnelle qui, dans les moments d'ouverture politique, tend à refléter, non pas la rue, mais le champ politique asymétrique que les anciens autocrates avaient construit.

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Traduit de l'anglais par Sarra Grira.


1Athawra Al mudadda fi Masr, Autorité générale égyptienne du livre, 1978 ; ce livre a été traduit en français en 1978 par les éditions Sycomore sous le titre Égypte. La contre-révolution.

2NDLR. Le Consensus de Washington est un accord tacite visant à conditionner les aides financières aux pays en développement à des pratiques « de bonne gouvernance » telles que définies par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Voir Angela Joya, The Roots of Revolt. A Political Economy of Egypt from Nasser to Mubarak, Cambridge University Press, mars 2020.

3Classless Politics. Islamist Movements, the Left, and Authoritarian Legacies in Egypt, Columbia University press, 2022.

4Answering the Call. Popular Islamic Activism in Sadat's Egypt, Oxford University Press, 2014.

5NDLR. Littéralement « l'ouverture », le mot désigne la politique menée par le président Sadate qui rompt avec la politique socialiste de son prédécesseur Nasser, libéralise l'économie et privatise une partie du secteur public.

6NDLR. Al-Tagammo' ou « le Rassemblement », de son nom complet Parti du rassemblement unioniste progressiste national. Il s'agit d'un des principaux partis de la gauche égyptienne, fondé en 1976 après la dissolution de l'Union socialiste arabe. Son fondateur et leader historique est le communiste Khaled Mohieddine, un des officiers libres « rouges » de la révolution du 23 juillet 1952.

Les Pays-Bas, excellent échantillon de la mutation populiste en Europe

Geert Wilders, surnommé “Capitaine Peroxyde” par certains, vient de remporter 37 sièges sur 150 au Parlement batave, à la surprise générale. Il forme le premier groupe parlementaire à La Haye, et devrait logiquement tenter de monter une coalition pour former un gouvernement. Jusque-là, c’était plutôt la libérale réfugiée turque Dilan Yeşilgöz-Zegerius, qui était donnée en tête. Elle arrive finalement en troisième position. Les jours et les semaines qui viennent vont permettre de jauger le véritable contenu idéologique d’un leader et d’un parti ennemis avoués de l’Islam et partisans, à une époque, d’un “Nexit”.

Le PVV (parti pour la liberté) de Geert Wilders vient de remporter une écrasante victoire sur ses adversaires, victoire inattendue qui ouvre une nouvelle ère aux Pays-Bas. Les sondages avaient plutôt pronostiqué une continuité avec une victoire probable du parti libéral dont Mark Rutte fut le leader jusqu’à sa démission cet été.

Cette victoire pose plusieurs questions essentielles :

  1. Jusqu’où Geert Wilders ira-t-il dans la lutte contre l’immigration musulmane ? Alors que la dénonciation de l’immigration constitue le véritable substrat idéologique de son parti, ses ambitions seront-elles brisées comme celles de Giorgia Meloni, ou bien contrôlera-t-il effectivement ses frontières, voire fera-t-il refluer l’immigration, notamment marocaine ?
  2. Geert Wilders maintiendra-t-il son projet d’organiser un referendum sur la sortie des Pays-Bas hors de l’Union Européenne ? Ce “Nexit” constituera un bon test de la détermination réelle du leader à lutter contre l’idéologie mondialiste, qui considère l’Union Européenne comme son meilleur aboutissement.
  3. Geert Wilders mènera-t-il une politique économique réellement “libérale”, ou bien s’alignera-t-il sur les poncifs sociaux-démocrates en vigueur parmi ses collègues ? Maintiendra-t-il la ligne “pingre” habituelle des Pays-Bas ?

Rappelons que, de notoriété publique, Geert Wilders est proche des milieux suprémacistes juifs en Israël et s’est même à une époque déclaré agent du Mossad. La ligne politique qu’il défendra illustrera parfaitement la tendance générale que les mouvements conservateurs ou identitaires suivront dans le reste de l’Europe : simple combat contre l’Islam, sans portée réelle, ou bien changement de donne, y compris sur le plan économique ?

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Antisémitisme : les masques tombent, et les œillères aussi

L’antisémitisme est en vogue cet automne. Suite à la guerre déclenchée le 7 octobre par l’attaque du Hamas, des croix gammées apparaissent sur des portes de logements et entreprises de Juifs dans divers pays occidentaux (en Orient il n’y en a presque plus). Des étudiants juifs sont menacés sur des campus américains où certains professeurs ont fait part de leur euphorie après l’attaque des djihadistes.

À Paris, New York, Berlin, ou Londres on arrache les affichettes d’enfants kidnappés par le Hamas. Des manifestations dénoncent Israël à Paris, ou Berlin aux cris de « Allah Akbar » en omettant soigneusement de critiquer les crimes du Hamas, et même d’appeler à la libération des otages.

L’Allemagne se réveille avec la gueule de bois. 3000 personnes ont manifesté dans les rues d’Essen, avec de nombreux drapeaux islamistes et en défendant le califat mondial. 1/2 pic.twitter.com/W51ubq4yWk

— Mathias Ulmann (@MathiasUlmann) November 4, 2023

 

À Sidney, un cortège a appelé à « égorger les Juifs ». Quant à la marche de dimanche à Paris contre l’antisémitisme, bien des acteurs politiques et cultuels ont refusé d’y participer au prix de positions ambiguës et alambiquées. À l’image du Conseil français du culte musulman refusant de s’y associer de peur sans doute d’être en porte-à-faux vis-à-vis de sa base, au prétexte qu’elle ne dénoncerait pas parallèlement… l’islamophobie.

 

Quatre vagues d’antisémitisme depuis 1945

Cet antisémitisme décomplexé s’étend aussi à certains dirigeants politiques un peu partout en Occident, même s’ils ont la prudence, ou l’habileté, de ne pas reprendre des slogans des années Trente, se contentant de refuser de qualifier de terroriste le Hamas, ou le renvoyant seulement dos à dos à Israël. C’est-à-dire mettant sur le même plan l’État hébreu et une organisation terroriste ayant exécuté de sang froid des femmes et des enfants, comme en attestent notamment les vidéos récupérées auprès des combattants du Hamas abattus, ou capturés, visionnées par l’auteur de ces lignes.

Un dos à dos auquel Israël, accusé d’être un État colonial (superficie, l’équivalent de la Bretagne) et réalisant un nettoyage ethnique (si c’était son objectif, vue la puissance de son aviation, il n’y aurait déjà plus âme qui vive à Gaza) est renvoyé par les gouvernements d’une soixantaine de pays du monde, qui représentent les deux tiers de l’humanité. Tandis qu’une trentaine de pays, presque tous d’Afrique du Nord et Proche-Orient, soutiennent carrément le Hamas. Lequel n’est condamné clairement que par les pays occidentaux, en sus de l’Inde et d’une huitaine de pays d’Afrique noire.

Il faudrait être d’une candeur féroce pour être surpris et croire que l’antisémitisme serait mort avec un certain Adolf H. dans un bunker berlinois en avril 1945. Ce jour-là n’a été détruit qu’un projet génocidaire mené par un État industriel. Pas l’antisémitisme, qui resurgit depuis par vagues, au gré des soubresauts du conflit israélo-palestinien, mais pas seulement.

Simon Epstein, historien spécialiste de la question, identifie quatre vagues d’antisémitisme en Occident depuis la Deuxième Guerre mondiale :

  1. Une, à l’instigation apparemment du KGB, en 1959, en Europe occidentale et États-Unis
  2. Une autre, déclenchée par la guerre du Kippour, de 1973 à 1982
  3. Une autre, en Allemagne, France et États-Unis, de 1989 aux accords d’Oslo de 1994
  4. Une dernière, à partir de l’intifada de 2000, qui ne s’est jamais vraiment terminée, et s’accentue encore depuis le 7 octobre

 

Un adulte sur quatre est antisémite

Ailleurs, cela n’a pas vraiment de sens de parler de vagues, pour la simple raison que l’antisémitisme y est stable à un niveau élevé, voire au taquet.

Selon un sondage de l’Antidefamation league mené en 2014 (depuis, plus rien…) dans 102 pays sur cinq continents, un adulte sur quatre dans le monde approuvait au moins six des onze opinions négatives sur les Juifs qui leur étaient proposées. Ce pourcentage ne dépassait pas 15 % en Amérique du Nord, ou en Océanie, mais montait à 24 % en Europe occidentale (17 % en France), comme en Amérique latine, 22 % en Asie (20 % en Chine et Inde… et 6 % au Vietnam), 23 % en Afrique subsaharienne, 34 % en Europe orientale (32 % en Russie) et… 74 % en Afrique du Nord et Moyen- Orient. Aucun pays musulman ne comptait un pourcentage d’antisémites inférieur à 75 %, avec des pointes fréquentes à 98 %, sauf… l’Iran à 60 % !

Ce qui n’a rien de très surprenant. Loin des caméras occidentales, les écoles de nombreux pays musulmans martèlent chez les enfants la détestation des Juifs en citant notamment un hadith (tradition orale de Mahomet et ses compagnons) appelant à les tuer (on peut interpréter différemment le Coran lui-même, aux versets exprimant une défiance certaine envers les Juifs, mais apparemment contradictoires sur la question, comme sur bien d’autres, ce qui explique que, heureusement, tous les musulmans pratiquants ne sont pas antisémites).

 

Antisioniste ou antisémite, beaucoup de ressemblances

Certes, en théorie, il existe une différence entre antisémitisme et antisionisme : on peut en effet juger illégitime l’existence même d’Israël (comme on a pu le faire pour de nombreux autres pays, URSS, RDA, Pakistan oriental, etc), sans détester pour autant les Juifs.

Des Juifs orthodoxes citent même un obscur passage des textes hébraïques proscrivant la création d’un État à Jérusalem.

En pratique, toutefois, la quasi-totalité des antisionistes sont antisémites sur les bords dès qu’on creuse un peu lors d’une conversation, ou comme l’illustre une expérience de pensée ; croyez-vous vraiment qu’une demi-douzaine d’États arabes auraient mené quatre guerres à Israël, et que des manifestations incandescentes dénonceraient ce pays 75 ans après sa naissance si les Israéliens étaient musulmans ?

Sans oublier que ceux qui fustigent Israël n’objectent pas aux différentes oppressions de peuples musulmans ailleurs, Ouïghours en Chine, Rohingyas en Birmanie, etc.

 

L’antisémitisme, principe géopolitique de nouveau structurant

Bref, l’antisémitisme semble être redevenu, pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale un principe géopolitique structurant à l’échelle planétaire.

Et cela risque de s’accentuer avec les victimes collatérales des opérations de l’armée israélienne face à un Hamas se servant des civils comme de boucliers humains. On voit monter partout une émotion (Israël est clairement en train de perdre la bataille des images, voire de l’opinion) poussant nombre de dirigeants à réclamer un cessez-le-feu, à l’image du président Macron, sans toutefois expliquer comment Israël pourrait alors détruire le Hamas. S’opposeraient-ils à toute riposte militaire si un groupe terroriste commettait en France l’équivalent de 70 Bataclan, qui correspond, en proportion de la population israélienne, au bilan de l’attaque du 7 octobre ?

De ce fait, se pose une question essentielle pour la paix civile en Occident : l’antisémitisme pourrait-il devenir incandescent au point d’y provoquer une vague d’affrontements, voire des sortes de pogroms dont les provocations devant les synagogues seraient le prélude ? Une partie des immigrés d’origine musulmane peuvent-ils tenter « d’importer » le conflit chez nous ?

Ce scénario n’est heureusement pas le plus probable, mais mérite d’être pris au sérieux. Le nombre d’incidents antisémites avait déjà augmenté de 40 % l’an dernier dans les pays (États-Unis, Royaume- Uni, France, Allemagne) où des enquêtes sérieuses sont menées. Ils représentent désormais la majorité des incidents à caractère racial ou religieux. Un essor, depuis des années, lié à celui de l’idéologie islamiste, c’est-à-dire de conquête du pouvoir au nom du Coran. S’il existe des islamistes non antisémites, ils ne se sont pas encore exprimés…

 

Un projet plus large de conquête de l’Occident

Cet antisémitisme sous-jacent à l’islamogauchisme a désormais largement supplanté celui, traditionnel, d’extrême droite, souligne Simon Epstein.

Il semble s’être instaurée une alliance de circonstance entre une partie de la gauche voyant en l’islamisme un facteur de destruction du capitalisme, ou adhérant à la vieille association Juifs = Argent (relire les pages antisémites de Karl Marx) et une partie des jeunes d’origine arabo-musulmane.

Mais les slogans et discours de beaucoup d’entre eux dépassent largement le conflit à Gaza, et s’inscrivent dans un projet plus global des islamistes, décrit en détail dès 2005 par un remarquable livre enquête du journaliste suisse Sylvain Besson La conquête de l’Occident, en commençant par l’Europe, considérée comme son « ventre mou ». Un projet qu’expliquent candidement nombre de jeunes islamistes en France, en Allemagne, au Royaume-Uni.

Des petits soldats biberonnés à la nécessité de prendre tout simplement le pouvoir dans les pays occidentaux au nom d’une sourate prédisant qu’un jour l’humanité entière sera musulmane. D’abord pacifiquement, via l’entrisme dans des associations travaillant à une société séparée ou « réorientée », des horaires de piscines aux codes vestimentaires, en passant par les menus à l’école, ou les programmes scolaires, etc.

Puis en misant sur la dynamique démographique pour devenir majoritaire et imposer la valise, la conversion, la dhimmitude ou le cercueil.

MusIim man in Germany:” when MusIims are in majority, we would take over Germany with force.
Sharia law will be instead of Germany laws.
When Germans stand against our sharia they will be attacked.
Christians and Jews have to pay Jizya,Hindus,Buddhists have to leave or be killed” pic.twitter.com/OiN19m6DYR

— Azzat Alsalem (@AzzatAlsaalem) November 4, 2023

 

Un projet auquel adhère une partie, certes minoritaire mais non négligeable de l’immigration d’origine arabo-musulmane. Une enquête de l’institut Pew Research montrait déjà il y a dix ans que parmi les jeunes musulmans d’origine immigrée, 15 à 40 % suivant les villes aux Pays-Bas, en Belgique, au Royaume Uni, en Allemagne, aux États-Unis, considéraient la religion comme au-dessus des lois de leur pays, adhéraient à un agenda islamiste radical, notamment d’une stricte ségrégation homme/femme, voire approuvaient l’exécution des apostats, ou les attentats suicide au nom du Coran.

Un projet formalisé clairement dans la charte des Frères Musulmans, ou par l’influent prédicateur Youssef al-Qaradawi :

Avec vos lois démocratiques nous vous coloniserons, avec nos lois coraniques nous vous dominerons.

Jusqu’à la doctrine d’Al Qaïda dans « Appel à la résistance islamique mondiale » diffusé sur Internet en 2004, d’un théoricien majeur du réseau djihadiste, quoique méconnu en Occident, Abou Musab Al-Suri. Ce dernier vantait la « stratégie des mille entailles » usant, exténuant, hébétant la société occidentale à coups d’attentats et provocations, et préconisait, selon le journaliste Éric Leser, de « viser les Juifs, les policiers, les militaires, les églises, les grands événements sportifs et culturels. Il faut dresser les populations contre les musulmans, et contraindre ainsi ces derniers à choisir un camp ».

Les masques des antisémites tombent donc depuis le 7 octobre, mais aussi, semble-t-il, les œillères de certains de ceux qui se réfugiaient dans le déni « roooh, ils ne sont pas plus de trois excités ».

Le déni, mécanisme classique de protection psychologique, dont on peut s’étonner qu’il fut encore si vigoureux après Mérah, Charlie, le Bataclan, les meurtres de profs, etc. Eh bien non, les antisémites et islamistes (à ne pas confondre avec les musulmans, les premiers mènent un combat politique de soumission et conquête, les seconds vivent généralement leur foi dans leur coin sans enquiquiner personne) sont bien plus que trois à vivre en Europe sans adhérer à son « socle civilisationnel », pas seulement en ce qui concerne les Juifs, mais aussi les femmes, la démocratie, le rapport à la religion, ou l’État de droit.

Avec 300 000 personnes selon la police, le cortège de soutien à la Palestine à Londres, sans aucun slogan contre le Hamas et à l’appel d’une organisation islamiste, samedi, était la troisième plus importante manifestation des vingt dernières années dans la capitale britannique.

 

La politique d’immigration en question d’un point de vue libéral

Ce qui pose forcément la question de la politique suivie depuis une quarantaine d’années en matière d’immigration. Soyons clair, à défaut d’être politiquement correct.

Cette politique a accueilli/suscité une immigration extra civilisationnelle d’ampleur, dont la majorité adhère, certes, à nos valeurs, mais en oubliant que l’Histoire est faite aussi par les minorités violentes et déterminées.

Combien de Russes en 1917 rêvaient de goulag et de bolchévisme ? Combien d’Allemands en 1934 voulaient vraiment une dictature génocidaire engagée dans un projet de conquête mondiale ? Était-il donc judicieux de faire venir tant de gens dont une partie (10 % ?) n’adhère pas du tout à notre socle civilisationnel, voire veut le supplanter ?

Cette politique d’immigration instaurée, malgré le désir de la majorité de la population selon les sondages (y compris de beaucoup d’immigrés intégrés qui craignent qu’à être trop nombreux à « monter dans l’autobus » ça puisse tourner mal), à grand renfort d’éléments de langage « chance pour la France », « la France est comme une mobylette, elle marche au mélange/multiculturalisme », avait pour carburant imprudent :

  • une demande du patronat (l’immigration comme armée de réserve de la main-d’œuvre, ceux qui viennent de pays où le salaire moyen est de 300 euros mettent du temps avant de tirer les salaires vers le haut, afin de pourvoir les boulots dévalorisants dont nos chères têtes blondes ne voulaient plus)
  • une demande de la gauche, expier la culpabilité post coloniale et « ah je ris de me voir si cosmopolite dans ce miroir », sans se demander au passage si on ne privait pas les pays d’origines de précieuses ressources humaines
  • une demande de retraités d’une population jeune et à forte natalité, ce qui risque un jour de faire cher la partie de scrabble.

 

Pour en comprendre les effets lire l’excellent livre Rue Jean Pierre Timbaud, de Géraldine Smith (2016) et La gauche et la préférence immigrée (2011) de Hervé Algalarrondo, journaliste de L’Obs, du temps où il ne mettait pas sur le même plan le Hamas et le (par ailleurs stupide et odieux) Likoud.

Il découlerait de tout cela qu’il serait judicieux de réduire l’immigration tout en travaillant vigoureusement, à l’école ou dans les prétoires, à assurer une reconquête de nos fondamentaux culturels.

Certes, il est embarrassant pour un libéral de critiquer le droit sous-jacent à l’immigration open bar, celui de tout individu à chercher une vie meilleure sous les cieux de son choix.

Mais c’est oublier deux choses.

La première, c’est qu’il ne faut pas oublier, disait Raymond Aron « que l’Histoire est tragique, et qu’il existe des conflits inexpiables », ainsi que des civilisations, fauves puissants dont on ignorerait à son détriment combien elles structurent profondément les relations entre les humains.

La seconde, c’est que le droit de propriété consubstantiel au libéralisme accorde à une communauté humaine, appelons là un pays, un droit de disposer d’un ensemble immatériel (droits, coutumes, institutions), et donc de désigner qui peut en profiter, ou pas. Sans sectarisme ni phobie. Ce n’est pas parce qu’on apprécie quelqu’un qu’on est pour autant obligé de prendre une colocation avec lui…

La proximité entre le Hamas et les djihadistes, une mystification occidentale

Eu égard à la surprise de l'opération, à son ampleur, au nombre de victimes et d'otages, les attaques du 7 octobre 2023 ont rapidement donné lieu de la part des Israéliens, des Européens et des Américains à des comparaisons entre le Hamas, Al-Qaida et l'Organisation de l'État islamiste. Mais elles manquent de rigueur et ignorent tout des divergences entre ces mouvements.

Dès le 7 octobre 2023 s'est imposée, au sein du pouvoir israélien et de ses alliés, la réaffirmation du fait que la lutte contre le Hamas s'inscrit dans une lutte de la civilisation occidentale contre le djihadisme mondial. En 2014 déjà, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à la tribune des Nations unies avait effectué un tel parallèle, pointant du doigt un combat entre la civilisation judéo-chrétienne et l'islam. Avec des attaques volontiers comparées à l'attentat du 11— Septembre commis par Al-Qaida ou encore aux attentats du 13 novembre 2015 perpétrés par l'organisation de l'État islamique (OEI) en France, s'est opéré depuis quelques semaines un glissement sémantique problématique visant à assimiler la lutte des différentes factions palestiniennes aux groupes terroristes dits djihadistes qui ont projeté leur violence à travers le monde, et notamment hors des sociétés musulmanes.

Le 18 octobre, en visite à Tel-Aviv, le président américain Joe Biden déclarait que « le Hamas est pire que Daech ». Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron proposait de mobiliser la coalition militaire internationale montée contre l'OEI pour lutter contre le Hamas. Il importe de sortir de ces raccourcis pour dépassionner le débat et comparer effectivement les doctrines des différents groupes et leur mise en pratique.

Des groupes que (presque) tout oppose au Hamas

Une analyse théorico-empirique nous invite rapidement à contester le principe d'une équivalence : dès sa genèse dans les années 1980, lorsqu'Al-Qaida et l'OEI affirment être des mouvements djihadistes mondiaux, le Hamas s'inscrit dans un paradigme de résistance islamo-nationaliste. En appui à cette affirmation, le fait que le Hamas n'ait entrepris aucune action violente hors de Palestine et d'Israël. Il n'existe aucune ramification du mouvement palestinien hors du théâtre nationaliste, tandis que les mouvements djihadistes globaux sont présents dans une multitude de zones géographiques et y déploient leurs actions.

Existe-t-il néanmoins des similitudes entre le Hamas, Al-Qaida et l'OEI ? Il y a en apparence deux : la première est de recourir à la violence armée en ciblant des civils sans distinction, et la seconde le fait d'être considéré comme des mouvements terroristes par une partie des gouvernements occidentaux. Les similitudes s'arrêtent là.

Concernant le premier point, il est important de noter qu'au sein de la littérature produite par le Hamas, le sens de civil n'est pas celui que l'on entend communément en Occident. Pour le mouvement, un colon ne saurait être considéré comme un civil dénué de toute responsabilité, et un homme ou une femme possédant la nationalité israélienne et ayant donc accompli son service militaire de plusieurs années, astreint à des périodes de réserve, s'extrait de cette catégorie. C'est dans ce cadre que l'on peut inscrire la première intervention de Mohamed Deif, chef des brigades Ezzedine Al-Qassam, au lendemain de l'opération du 7 octobre, qui ordonna de ne pas « tuer les personnes âgées et les enfants ». Et dans le cadre de sa campagne de communication, le Hamas a diffusé plusieurs vidéos montrant des combattants refusant d'attaquer des enfants et des personnes âgées conformément « aux principes islamiques ». Cela n'empêche pas bien sûr que ces meurtres ont bien eu lieu.

Si la question du statut des victimes n'est pas tranchée au sein du mouvement, il en va de même pour ce qui concerne l'usage des images et vidéos des attaques du 7 octobre. Les médias affiliés officiellement au Hamas ont ainsi refusé de mettre en scène l'exécution d'individus qui pouvaient être perçus comme des civils — à l'inverse des pratiques qui ont cours au sein de l'OEI. Les images d'exécutions de civils le 7 octobre ont toutefois été rendues accessibles via les caméras de surveillance ou à partir des caméras GoPro récupérées sur les assaillants.

La position de l'ONU

La seconde similitude concerne donc la perception que certains pays en Occident ont des différentes organisations. L'Union européenne et les États-Unis considèrent ces trois organisations comme terroristes. Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est toutefois refusé à classifier le Hamas comme organisation terroriste, à l'inverse d'Al-Qaida et de l'OEI, car selon lui, la résistance de cette dernière résulte de l'occupation israélienne.

Depuis avril 1993, par suite d'un attentat-suicide en Israël revendiqué par le Hamas, le département d'État américain a ajouté le mouvement sur la liste des organisations terroristes, un classement confirmé en 2000 dans le contexte de la seconde intifada. Le diplomate américain et ancien ambassadeur en Israël Martin Indyk affirmait alors : « le président Bush a clairement étiqueté comme terroristes et ennemies des États-Unis les organisations engagées dans l'intifada palestinienne ».

En 2003, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France ont explicitement refusé de mettre la branche politique du Hamas sur la liste des organisations terroristes, se contentant de la branche militaire, arguant que cet acte entraverait le processus de paix. Mais la même année, l'Union européenne choisit de mettre fin à la distinction entre la branche politique et la branche armée, classant alors le Hamas dans son ensemble sur sa propre liste des organisations terroristes.

Si le qualificatif « terroriste » apposé à Al-Qaida et l'OEI ne souffre aucune contestation parmi les gouvernements des sociétés arabes ou à majorité musulmane, le Hamas n'est en aucun cas considéré comme tel. À l'échelle du monde, les pays le qualifiant comme une organisation terroriste sont l'exception plutôt que la règle. Par ailleurs, nous n'avons jamais vu dans le monde arabe de manifestation significative en faveur de l'OEI ou Al-Qaida, alors qu'elles sont fréquentes pour soutenir la résistance palestinienne incarnée par le Hamas, dont les cadres ont trouvé refuge dans plusieurs capitales comme Damas, Sanaa ou Doha. En revanche, on trouve au sein de la coalition qui avait combattu l'OEI plusieurs pays musulmans au premier rang desquels la Turquie.

Idéologie, programme politique, rivalités

D'un point de vue idéologique, il existe une filiation affirmée dans la charte du Hamas entre le mouvement et la confrérie des Frères musulmans. À l'inverse, l'OEI et, avec certaines nuances, Al-Qaida considèrent l'idéologie de cette organisation au mieux comme un projet hétérodoxe, au pire comme une idéologie apostate. Même s'il demeure au sein de la galaxie islamiste diverses convergences, comme durant le conflit syrien, la rhétorique propalestinienne est beaucoup plus présente dans les discours des Frères musulmans qu'au sein des autres mouvements dits djihadistes.

Un second point qui cristallise les tensions entre le Hamas, l'OEI et Al-Qaida résulte de la relation que le Hamas entretient avec les chiites. Même s'il semble probable que, comme le suggèrent les services du renseignement américain et ainsi que l'a confirmé Hassan Nasrallah dans son discours du 3 novembre, l'Iran n'ait pas été au courant des attaques du 7 octobre, la République islamique est un des soutiens du Hamas depuis de nombreuses années. Il est également reproché au Hamas de s'être allié avec le Hezbollah. Une alliance de circonstance qui tranche avec la vision salafo-djihadiste que portent l'OEI et Al-Qaida.

En ce qui concerne le projet politique des différentes organisations, le Hamas n'a aucune aspiration mondiale. Il n'est mu par aucune ambition califale en vue d'unifier la communauté musulmane, mais s'inscrit dans le cadre d'un projet nationaliste, une approche que les djihadistes contestent vivement. Ainsi, sans occupation israélienne, le recours à la violence deviendrait caduc.

Autre élément de distinction : l'OEI et Al-Qaida n'ont jamais été engagés dans une logique de reconnaissance sur la scène internationale. Le Hamas, lui, a développé une stratégie inverse, cherchant la normalisation, multipliant les entretiens avec les dirigeants, qu'ils soient arabes, musulmans ou occidentaux.

En termes d'organisation, le Hamas se distingue du fait de son implication dans des œuvres caritatives, une dimension sociale que l'on retrouve très peu au sein des mouvements djihadistes. Pour finir, pendant que ces derniers récusent une quelconque participation aux élections et jettent l'anathème sur toute personne justifiant l'usage de la démocratie comme projet politique, Jamal Mansour, dirigeant du Hamas en Cisjordanie, a publié en 1996 un document affirmant que le mouvement tend vers un paradigme démocratique et s'oppose à une vision théocratique. Il y affirme : « Il n'existe pas en islam de notion de théocratie qui prétendrait représenter la volonté de Dieu sur terre ».

Dès lors, le Hamas se présente comme un parti légaliste et pragmatique qui a remporté les élections législatives en 2006, et a fait évoluer sa ligne politique. À la suite de cette victoire, le Hamas a implicitement dépassé ce qui constitue sa charte adoptée en 1987. Il a ainsi validé le document dit « des prisonniers » de juin 2006, qui reconnaît de fait les frontières de 1967 et limite la résistance à l'intérieur des territoires occupés depuis la guerre de juin 1967. Le document des principes généraux et politiques publié et adopté par le conseil consultatif du bureau en mai 2017 est venu entériner ce changement de paradigme.

Des réactions très discrètes

Signe d'une déconnexion confirmant la non-pertinence d'une équivalence entre djihadistes et le Hamas, les attaques visant à terroriser Israël n'ont pas été mentionnées par l'OEI dans son journal du 12 octobre 2023, la une étant consacrée à la lutte contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Syrie. Si Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) s'est pour sa part félicité, dans un communiqué publié le 13 octobre, des évènements en Palestine, elle n'a pas nommé le Hamas, préférant citer les brigades Ezzedine Al-Qassam, sa branche armée. En outre, lors de l'attentat à Bruxelles le 16 octobre 2023 contre des citoyens suédois, l'assaillant avait voué allégeance à Abou Hafs, le calife de l'OEI, et justifié son acte en mentionnant les autodafés du Coran en Suède, sans référence aucune à la situation à Gaza ni aux récents évènements au Proche-Orient.

De même, concernant l'assassin de Dominique Bernard dans le lycée d'Arras, aucun lien ne fut fait par l'assaillant avec la lutte palestinienne, battant en brèche la théorie du « djihadisme d'atmosphère » portée par Gilles Kepel et visant à générer une forme d'amalgame entre les différents mouvements. Dans l'histoire récente, le Hamas a condamné les attentats commis par Al-Qaida ou l'OEI, notamment ceux contre Charlie Hebdo ainsi que ce qu'un communiqué a décrit comme « les actes d'agression et de barbarie » du 13 novembre 2015 à Paris.

Dans ce cadre, il importe de souligner que les différences idéologiques et stratégiques relevées ci-dessus ont aussi impliqué sur le terrain palestinien une confrontation armée. Tel a été le cas en particulier quand le Hamas au pouvoir à Gaza s'est opposé aux salafo-djihadistes en arrêtant des islamistes radicaux ayant des sympathies pour l'OEI ou appartenant à cette organisation. Dans le même temps, cette dernière exécutait des sympathisants du Hamas. Lorsque le journaliste britannique Alan Johnston fut enlevé par le groupe salafiste Jaich Al-islam (Armée de l'islam), le Hamas a exigé et obtenu sa libération, soulignant que ce dernier ne pouvait être tenu comptable des agissements de son gouvernement.

Une opposition militaire sur le terrain

Au mois d'août 2009, Abdellatif Moussa, dirigeant du groupe salafiste Jound Ansar Allah (Soldats des partisans de Dieu), a proclamé un émirat islamique à Rafah au sein de la mosquée Ibn Taymiyya. Le Hamas a donné l'assaut à la mosquée pour rétablir son autorité. Le chef ainsi que 28 membres du groupuscule ont été tués dans la bataille, et pas moins de 150 personnes blessées. Sur le terrain militaire à Gaza, le Hamas s'est donc indéniablement institué en s'opposant à Al-Qaida et à l'OEI, qui ont vu leurs militants fuir vers la Syrie ou le Sinaï égyptien, quand ils n'étaient pas emprisonnés ou tués. Le chef de l'OEI au Sinaï, Hamza ‘Adil Mohammad Al-Zamli, était gazaoui, mais par exemple incapable de trouver dans son propre territoire la latitude pour déployer son activité. Hors de la Palestine, dans le camp palestinien de Yarmouk près de Damas, l'OEI et le Hamas se sont affrontés de manière sanglante. Ce n'est pas uniquement le mouvement palestinien qui s'oppose aux djihadistes radicaux : selon un sondage réalisé en 2015 par le Centre palestinien pour la recherche en politiques et enquêtes (PSR), une écrasante majorité (91 %) en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pense que l'OEI est un groupe radical qui ne représente pas le véritable islam.

Face à ces éléments, il apparait que le comparatif entre le Hamas et les acteurs dits djihadistes sert avant tout à délégitimer la cause palestinienne. Il n'a pas de portée analytique, et par conséquent ne sert ni la quête d'une solution au conflit, ni la protection des civils — quels qu'ils soient. Il entretient au contraire une mystification.

Dès 2010, Henry Siegman, ancien président du Congrès juif américain, affirmait :

Israël voudrait que le monde croie que le Hamas n'est rien d'autre qu'un groupe terroriste, et que sa résistance est au service d'une lutte salafiste globale pour vaincre l'Occident et restaurer le califat islamique. C'est une mystification que de placer Israël à l'avant-garde d'une guerre occidentale contre le terrorisme global, à la seule fin de justifier la demande israélienne à l'Occident de passer outre les mesures illégales qu'Israël dit devoir utiliser si on veut triompher des terroristes.

Youssef Hindi et Rachid Achachi : Le monde arabe est-il condamné au sous-développement ?

par Yoann. Le monde arabe n'arrive pas à retrouver son autonomie stratégique en s'érigeant en pôle géopolitique majeure. Et ce, malgré des richesses autant naturelles qu'humaines incommensurables.

Islam et République : une cohabitation impossible ?

 

Les événements qui se produisent actuellement en Israël ont une forte répercussion sur notre société. Les Français redoutent que de tels actes puissent se produire dans notre pays. Il y a eu les attentats contre Charlie Hebdo, ceux du Bataclan, de l’Hypercacher de la porte de Vincennes, l’assassinat du père Hamel, la décapitation de Samuel Paty, et, récemment, à Arras, un professeur tué d’un coup de couteau, sans compter les troubles apportés chaque jour au fonctionnement de notre environnement (repas halal, jeûne du ramadan, incidents multiples lors de consultations médicales, port de l’abaya à l’école, etc.). Aujourd’hui, on voit bien que notre pays a maille à partir avec l’islam.

 

Une société française fracturée

Depuis la fin de la période coloniale, de très nombreux migrants, musulmans en très grande majorité, en provenance de nos anciennes colonies, viennent s’installer en France. Relevant de la civilisation islamique, une civilisation avec laquelle nous sommes en conflit depuis des siècles, ils ne s’assimilent pas. Au mieux, ils s’intègrent, mais beaucoup ne font que s’inclure, conservent leur identité et les mœurs de leur pays d’origine. Ainsi la société française se transforme.

Dans L’archipel français Jérôme Fourquet écrit :

En quelques décennies tout a changé : depuis 50 ans les principaux ciments qui assuraient la cohésion de la société française se sont désintégrés.

Il explique que le soubassement philosophique constitué par le christianisme s’est effondré, et que le pays est, désormais, « un archipel constitué de groupes ayant leur propre mode de vie, leurs propres mœurs, et leur propre vision du monde ».

La société française est donc devenue hétérogène.

Dans une interview donnée à l’hebdomadaire L’Express, le 18 octobre 2020, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, lauréat du grand prix de l’Académie française, révèle à propos de l’islam :

La France ne comprend toujours pas ce à quoi elle est confrontée.

Il faut bien comprendre que l’islam est une idéologie conquérante, avec ses propres lois inscrites dans le Coran. Dans le livre saint de l’islam, Dieu les incite les musulmans à combattre afin que l’humanité tout entière soit soumise à ses lois qu’il a dictées au Prophète Mahomet, au VIIe siècle, à Médine.

 

La réalité de l’islam politique dans les pays musulmans

Les pays musulmans fonctionnent donc selon ces règles, en les appliquant plus ou moins sévèrement, selon les cas.

Ainsi, en Afghanistan, à Kaboul, le ministère de la Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice vient d’interdire aux femmes l’accès aux gymnases, et aux parcs et jardins de la ville. Entrés le 15 août 2021 dans la capitale, suite au départ précipité des Américains, les talibans ont complètement pris le contrôle du pays. Isabelle Labeyrie, de France Info, encore sur place à cette époque, révélait : « Depuis lundi ils annoncent la stricte application de la charia ».

Dans un rapport récent, Amnesty International alerte :

« Depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays, la vie des femmes et des filles d’Afghanistan est ravagée par la campagne répressive qu’ils mènent contre leurs droits fondamentaux : ils ont violé les droits des femmes à l’éducation, au travail, et à la liberté de mouvement ».

L’islam se révèle là sous un jour qu’en tant qu’observateurs occidentaux nous considérons comme archaïque et totalement anachronique.

En Indonésie, le plus grand pays musulman, un pays traditionnellement modéré, on assiste maintenant à une montée de l’islam radical. L’idéologie islamiste y fait son chemin. Depuis début 2000 la province d’Aceh vit sous le régime de la charia. En 2022, le pays est passé de la 47e place à la 28e à l’index mondial de la persécution des chrétiens.

En Arabie Saoudite, la monarchie s’est dotée en 1992 d’une Loi fondamentale équivalente à une Constitution, qui repose sur la charia. Ce pays est l’un des plus marqués par la loi islamique : le vol, l’homicide, l’adultère, la sodomie, l’homosexualité, l’apostasie… sont passibles de la peine de mort. Fort heureusement, le jeune prince héritier Mohammed ben Salman le modernise. Il s’est lancé dans des réformes économiques et sociales, et vient d’autoriser les Saoudiennes à conduire.

En Iran, pays devenu en 1979 une République islamique chiite dirigée par un Guide Suprême, la loi islamique est appliquée avec rigueur. Les femmes se sont révoltées à la suite du décès de Mahsa Amini, réclament le droit de pouvoir oter leur hidjab ; dans les rues, les jeunes font sauter leur turban aux dignitaires religieux. Une ONG basée à Oslo, Iran Human Rights, révèle qu’au moins 326 manifestants ont été tués depuis septembre 2022, les autorités iraniennes réagissant avec une grande violence.

L’Algérie a elle aussi connu la montée des islamistes : l’armée a toutefois fini par avoir le dessus sur le GIA, mais on estime qu’il y a eu au moins 150 000 morts et de nombreux disparus.

 

Le réveil d’un islam conquérant ?

Après s’être assoupi pendant des siècles, l’islam s’est donc bien réveillé au cours du XXe siècle.

En 1928, Hassan el-Banna, le fondateur de la confrérie des Frères Musulmans engagea les musulmans à s’appuyer sur le Coran pour lutter mondialement contre la domination des pays occidentaux, à commencer par celle des Anglais en Égypte ; Sayyid Qutb, à la tête de la Section de la propagande, lança une campagne virulente contre les Occidentaux et leur civilisation, dissuadant les musulmans de tous les pays d’y adhérer au prétexte qu’il s’agit d’une civilisation diabolique, matérialiste, et sans dieu (la jâhilîya), un piège dans lequel ils ne doivent surtout pas tomber. Ce mouvement de révolte s’est peu à peu étendu à tous les pays musulmans qui avaient été colonisés par des puissances européennes.

Par exemple, en 1936 en Algérie, le cheikh Abdelhamid Ben Badis créa l’association des oulémas algériens, avec pour slogan « l’Algérie est mon pays, l’islam ma religion, et l’arabe ma langue », les oulémas étant des dignitaires religieux très respectables : ce fut le début des luttes pour l’indépendance.

Boualem Sansal nous met en garde, sans mâcher ses mots.

Dans L’Express du 18 août 2022, il nous avertit : « Si je devais choisir un seul mot pour dire le mal de notre temps, je dirais : islam ».

En octobre 2021, dans Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la Terre adressée au Secrétaire général de l’ONU, il écrit que l’humanité doit sortir de l’âge des dieux pour entrer dans celui des hommes : « Il est temps de choisir la vie ».

 

Un islam de france introuvable ?

Alors, que constatons-nous en France, un pays où l’islam progresse à vive allure ?

En 1962, le général de Gaulle avait eu la sagesse de permettre aux Algériens d’accéder à l’indépendance. Ce vaste territoire musulman dont la France avait entrepris de faire une terre française s’était finalement révolté contre la puissance coloniale qui le dominait depuis plus d’un siècle, et une guerre de plus de cinq ans avait éclaté. Dans C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte rapporte que le général lui avait confié qu’il ne souhaitait pas que « Colombey-les-Deux Églises devienne Colombey-les-Deux- Mosquées ».

Mais, après son départ, en 1969, ses successeurs ont pris une orientation diamétralement opposée en ouvrant la porte à l’islam. Comment s’y sont-ils pris ?

Première phase : pour rassurer la population, ils se sont attachés à présenter l’islam comme une religion de paix, nul besoin de s’inquiéter.

En octobre 2013, Marc Ayrault, Premier ministre, en visite à la mosquée de Paris, déclara à l’occasion de l’Aïd : « L’islam de paix et de concorde est partie prenante de notre pays et ses valeurs qui le fondent ». Et sans oublier Jack Lang proclamant avec fougue : « L’islam est une religion de paix et de lumière ».

Puis, ce discours lénifiant n’étant plus crédible avec la multiplication des attentats perpétrés au nom d’Allah, en particulier celui du Bataclan en novembre 2015, (130 morts et plus de 400 blessés), nos dirigeants se virent contraints de changer de discours.

Deuxième phase : nos dirigeants entreprirent de faire de la théologie, expliquant que ces attentats étaient le fait de personnes déformant l’islam. Ils développèrent la thèse selon laquelle l’islamisme n’est pas l’islam, « il est un dévoiement fait par des individus qui veulent mener un combat politique contre notre pays ». On mit donc au ban de la nation les salafistes, c’est-à-dire les musulmans pratiquant un islam radical. Or, dans l’islam on dénomme salafs les premiers compagnons du Prophète.

Enfin, une troisième phase : nos dirigeants finirent par admettre qu’effectivement, l’islam pose bien des problèmes à notre société, et ont indiqué qu’ils allaient s’employer à favoriser un islam de France, c’est-à-dire compatible avec nos valeurs et nos principes démocratiques. C’était donc reconnaître, enfin, mais sans le dire, que les discours tenus précédemment étaient rien moins que trompeurs.

Nous en sommes donc là. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’est attelé à la tâche.

En mars 2023, après avoir été désavoué par le président de la République, le CFCM voulant poursuivre sa mission, se donne de nouveaux statuts accordant plus de poids aux « structures départementales. »

L’islam de France reste à inventer.

Ce que l’on constate, c’est que l’islam et la civilisation islamique pénètrent notre société. Dans Le Frérisme et ses réseaux, l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler dévoile le travail souterrain fait en Europe par les réseaux des Frères Musulmans.

C’est ainsi qu’en 2021, le Conseil de l’Europe a financé une campagne en faveur du hijab. Il est difficile de s’opposer à la pénétration de l’islam dans notre société en raison de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe, qui a pour mission de faire respecter cette charte interdit d’appliquer une politique traditionnelle d’assimilation qui violerait les droits de l’Homme.

 

L’impossible assimilation ?

En effet, s’assimiler à notre société fondée sur le judéo-christianisme signifie changer d’identité. C’est d’autant plus difficile pour les musulmans car ils se trouvent renforcés, dans l’image qu’ils se font de leur identité, par les succès qu’ils ont remporté à la fin du siècle dernier sur les puissances coloniales qui les dominaient, dont évidemment la France, qui les accueille aujourd’hui.

En septembre 2020, un sondage IFOP indiquait ainsi que 57 % des jeunes musulmans français considèrent la charia supérieure aux lois de la république, soit 10 points de plus que dans le précédent sondage.

Nous avons donc bien affaire, à présent, à deux civilisations qui s’affrontent.

Dans Race et histoire, le grand anthropologue Claude Levi-Strauss explique que lorsque deux civilisations en viennent à se trouver en concurrence sur un même territoire, émerge un conflit qui aboutit à deux éventualités : soit désorganisation et effondrement du pattern de l’une des deux civilisations ; soit apparition d’une synthèse originale qui, alors, consiste en l’émergence d’un troisième pattern, lequel devient irréductible par rapport aux deux autres.

La première hypothèse étant à rejeter, on en déduit que va s’opérer, progressivement et insidieusement, une lente mutation de notre civilisation, ce que Claude Lévi-Strauss a appelé « un nouveau pattern irréductible par rapport aux deux autres ».

C’est ainsi que meurent les civilisations.

Islam et immigration : un reniement libéral ?

Pour lire un point de vue différent sur la question, lire l’article d’Yves Montenay : Islam et République : une cohabitation impossible ?

Les libéraux défendent la liberté, et ne devraient donc pas vouloir limiter l’immigration. Or, ce n’est pas ce qu’on observe dans la presse ou au Parlement : la crainte des conflits communautaires et du terrorisme passe avant ce principe fondateur.

La question est plus que jamais d’actualité, d’une part à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration, d’autre part du fait de conflits communautaires, le plus récent et le plus aigu étant celui de Gaza.

Pourquoi cette contradiction ?

 

Le cas des musulmans

Je serai direct : une des contradictions entre les principes et l’attitude de nombreux libéraux en pratique est la crainte d’une forte immigration musulmane, surtout si elle est arabe ou subsaharienne, immigration qui pourrait implanter en France des valeurs non libérales, notamment en arguant que « les lois de Dieu sont supérieures aux lois françaises ».

Or, contrairement à une idée répandue aussi bien chez les musulmans que les non musulmans, il est du devoir de tout musulman de respecter les lois locales. Mahomet, qui, dans la version officielle de l’islam, était un chef de guerre et un chef d’État n’aurait pas plaisanté avec ça.

Cette obligation de respecter les lois locales est régulièrement rappelée par les lettrés, notamment à l’occasion de la consultation demandée par Nicolas Sarkozy à un dirigeant de l’université El Azhar du Caire : un musulman mécontent des lois locales doit les respecter ou émigrer vers un pays lui convenant mieux. Ce n’est bien sûr pas ce qui est prêché dans certaines mosquées, et on voit là un premier problème de notre fonctionnement démocratique…

J’en profite pour rappeler que les musulmans sont plutôt économiquement libéraux, Mahomet ayant également été un commerçant.

Cette attitude des croyants ne doit pas être confondue avec celle des autocrates qui les dirigent souvent, et qui ont tendance à abuser de leur pouvoir pour régir l’économie, avec souvent un vague marxisme comme caution intellectuelle.

C’est d’une part l’air du temps et résulte d’autre part de l’influence de pays alliés, ou de ceux où leurs dirigeants ont fait leurs études, c’est-à-dire souvent l’URSS pour les générations précédentes, la Chine prenant aujourd’hui le relais.

Ajoutons qu’une partie des universités occidentales diffuse les mêmes erreurs.

 

Le rejet de l’immigration par tous, libéraux compris

Le primat de la liberté individuelle devrait mener les libéraux, et notamment le parti Les Républicains supposé incarner les idées libérales, à une grande ouverture à l’immigration.

Or ce n’est pas le cas. En particulier Les Républicains rejette l’article 3 du projet de loi sur l’immigration en débat au Parlement, qui pourrait permettre la régularisation automatique des parsonnes sans-papiers ayant un travail régulier depuis plusieurs années dans les métiers en tension (les modalités ne sont pas encore fixées).

Dans tous les pays, je constate aujourd’hui que l’opinion publique est majoritairement hostile à l’immigration, même pour ceux dont c’est la tradition ancienne, comme les États-Unis ou l’Australie. Dans les démocraties, le souci électoral mène donc les partis politiques à s’opposer à l’immigration… sauf ceux qui, comme La France Insoumise, estiment y trouver un réservoir de voix.

Les politiques favorables à l’immigration sont venues plutôt de gouvernants, et non des peuples, ayant eu à « remplir un pays vide » comme les États-Unis, le Canada, l’Australie… ou pour résoudre une question précise : le roi de Prusse attirant les Huguenots français expulsés par Louis XIV pour développer Berlin, les Tsars peuplant les campagnes russes de la Volga par des colons allemands, le recrutement d’artilleurs souvent français par l’Empire Ottoman…

En France, les gouvernants, conscients de la faiblesse de la fécondité française, ont encouragé plusieurs vagues d’immigration depuis plus d’un siècle.

Ces vagues ont suscité alors de violentes oppositions populaires, qu’on ne comprend plus aujourd’hui : comment avons-nous pu avoir des réactions si hostiles face à l’immigration italienne, espagnole, polonaise, juive, roumaine… dont les descendants sont aujourd’hui bien assimilés, alors qu’on se lamente de l’immigration musulmane ou subsaharienne ?

Il suffit de se rapporter à la presse de l’époque pour voir que ces immigrants étaient jugés inassimilables pour toutes sortes de « raisons évidentes », notamment leur forte foi religieuse jugée archaïque, brutale, et contraire à la laïcité. Bref, les arguments qui sont repris aujourd’hui à l’encontre des musulmans.

Cela illustre mon propos sur la confusion entre assimilation et intégration : aucun migrant ne s’assimile, même le plus francophone des Vietnamiens catholiques : ce sont les enfants ou petits-enfants qui sont assimilés.

Par contre, l’intégration, c’est-à-dire la participation au fonctionnement de la société, est souvent plus rapide, même si on reste psychologiquement étranger. La confusion entre ces deux notions complique énormément toute discussion sur l’immigration.

Une véritable vague de panique se répand dans les milieux libéraux, engendrant des articles anxiogènes, ce qui me paraît être un cercle vicieux dramatique. Pour ne pas me disputer avec des amis, je ne vais pas citer ce qui me paraît être des dérapages contre-productifs, car poussant aux conflits qu’ils proclament vouloir éviter.

Il y a bien sûr deux raisons à cette panique : les communautarisations réciproques et le terrorisme. Ce sont des problèmes extrêmement importants, mais qui ne doivent pas être analysés au détriment des fondements du libéralisme.

Commençons par l’un de ces fondements : la priorité de l’individu sur le groupe.

 

Identité nationale, communautarisme et démagogie

La notion de communautarisme est ressentie négativement par les libéraux puisqu’elle traite un individu non pas en tant que tel, mais en tant que membre d’une communauté. Par contre, l’identité nationale ressentie individuellement est considérée du domaine de la liberté des idées.

On peut élargir cette notion d’identité à la religion, dans un contexte de tolérance bien sûr : l’identité religieuse a longtemps été profonde chez les chrétiens, et l’est encore pour une partie d’entre eux, notamment en Afrique ou chez les orthodoxes. Elle reste encore très profonde aujourd’hui pour une partie des juifs et des musulmans.

On voit que la contradiction n’est pas loin : une identité nationale ou religieuse commune a souvent le communautarisme comme conséquence. En pratique, et surtout chez les démagogues, pour avoir les voix des uns, il faut stigmatiser le communautarisme chez les autres… tout en le flattant chez les électeurs que l’on recherche.

Évidemment, les autres ne sont pas les mêmes d’un parti politique à l’autre. Pour certains, ces autres sont par exemple les musulmans ou les Noirs, pour d’autres ce seront les anciens colonialistes, les racistes, voire, chez certains wokes, les Blancs en général.

Beaucoup de libéraux n’échappent pas à certaines de ces contradictions, Et j’entends des convaincus évoquer « des terroristes déguisés en réfugiés », ou « des envahisseurs » pour l’arrivée à Lampedusa de rescapés du passage de la mer Méditerranée.

On est loin des considérations individuelles qui devraient être celles des libéraux : par exemple, tel passager repêché est, non pas un Noir ou un musulman, mais un individu.

C’est par exemple une Sénégalaise soufie, d’un niveau scolaire moyen, fuyant une société patriarcale. Elle a risqué sa vie après avoir en général subi plusieurs viols, parce qu’elle n’entrait pas dans une des cases administratives fixées par la loi française (être étudiant, rejoindre une famille, exercer un emploi d’au moins 2400 euros par mois) ou parce qu’elle était excédée des lenteurs, voire des brimades des employés des consulats.

C’est bien sûr un tort de ne pas suivre la voie légale, mais ça n’en fait pas pour autant une terroriste ou un envahisseur.

En tant que libéral, je pense que l’idéal serait un traitement individuel et non administratif, par exemple par un employeur potentiel.

Au passage, attention à la caricature « des immigrés bac – 5 » qui ne correspond pas en pratique au migrant-type. Les arrivants sont soit de formation supérieure, et arrivent par les voies légales, soit issus de la classe moyenne suffisamment riche pour payer des passeurs, et ayant donc en général un niveau scolaire convenable.

Et l’immigration illégale n’est probablement  « que » de dizaines de milliers de personnes par an, à comparer à une immigration légale de 200 à 300 000 personnes.

Cela par ailleurs relativise la notion de remplacement. Même en tenant compte d’une émigration de souche importante, mais non chiffrable, nous sommes plutôt dans le domaine d’un remplacement très progressif, de plus d’un siècle sur la base des tendances actuelles.

Et remplacement par qui ? Non pas par un bloc hostile, mais par des individus extrêmement variés, et très désunis même, s’agissant de la partie musulmane de l’immigration. D’autant que l’on qualifie de musulmans les originaires de pays où cette religion est officielle, alors que seule une partie l’est vraiment, et une partie de leurs descendants encore moins.

Nous sommes loin des articles alarmistes qui se multiplient.

 

La sécurité individuelle et nationale

Les libéraux, comme la majorité de la population, sont évidemment très sensibles à la sécurité individuelle et nationale, surtout lorsque des attentats ont lieu en France, ou lorsqu’ils sont particulièrement cruels, comme en Israël le 7 octobre dernier (il ne s’agit pas ici de discuter du conflit actuel, mais de rappeler un fait brut).

Et le pouvoir craint évidemment une radicalisation en faveur de chaque camp et la méfiance, voire les violences, qui pourraient s’ensuivre, alors que les juifs de France ne sont pas plus responsables des actes du gouvernement d’extrême droite israélien que les musulmans de France ne le sont des actes du Hamas.

Mais la question ici est le lien avec l’immigration. Certes la plupart (mais pas tous) des terroristes sont de la « première » ou de la « deuxième » génération». Mais faut-il « tuer tous les rouquins, parce que l’un d’entre eux a commis un attentat ? ».

La sécurité individuelle et nationale est une mission de l’État, même pour la majorité des libéraux.

Plutôt que de l’immigration, nous sommes victimes de notre tolérance démocratique dont certaines modalités sont peut-être à revoir, et de la pression anti-police d’une partie très minoritaire, mais médiatiquement puissante de la population.

Rappelons que la plupart des États, musulmans compris, sont vigoureusement anti islamistes. La répression de ces derniers est tellement forte que certains demandent même le statut de réfugiés en France : nos lois démocratiques postulent effectivement qu’est réfugié toute personne dont la vie est menacée dans son pays, ce qui est leur cas !

Il y a probablement là aussi quelque chose à revoir…

Bref ce problème fondamental de sécurité n’est pas lié à l’immigration, mais à l’islamisme.

Je sais que je vais à l’inverse du ressenti général qui confond les deux, et je note sur des réseaux sociaux ce qui me paraît être des énormités en la matière.

Il faut revenir au fondement du libéralisme, considérer l’individu et non une catégorie ethnique ou religieuse.

 

L’analyse économique… et morale

Comme tout bon libéral, je pense que la morale et l’économie sont liées. Je suis bien conscient que cette idée est minoritaire en France. Le démontrer n’est pas l’objet de cet article, et je me borne à renvoyer à une comparaison avec les autres régimes.

Cela me semble particulièrement vrai pour le fameux article 3 du projet de loi sur l’immigration dont l’objet est de régulariser les personnes sans-papiers travaillant dans des métiers en tension.

L’objectif économique est évident, mais l’objectif moral aussi : qui travaille, par exemple, depuis plus de cinq ans dans une entreprise à la satisfaction de l’employeur n’est a priori pas un voyou.

Les Républicains, parti en principe libéral, craint « un appel d’air » si cet article est adopté. Mais quel appel d’air ? Si cela attire des gens qui pensent travailler à la satisfaction générale pendant cinq ans, c’est plutôt un appel d’air positif.

De toute façon, cette nécessité est tellement évidente que si, pour des raisons électoralistes, cet article est retiré de la loi, il sera remplacé par d’autres textes, ou des instructions aux préfets.

Je remarque d’ailleurs l’hypocrisie de certains gouvernements de l’Europe du Sud, notamment l’Italie, qui se font élire sur la base d’un rejet de l’immigration, mais qui l’autorisent au coup par coup à la demande des entreprises pour ne pas couler l’économie nationale.

Autre constatation économique souvent ignorée : les immigrés soi-disant chômeurs travaillent en général. Ils sont d’ailleurs venus pour ça, ayant des dettes à rembourser ou une famille à soutenir au pays.

Qu’on me permette ce témoignage : habitant près de la gare de Lyon, donc dans un quartier riche en entreprises d’intérim, j’en remarque une qui est occupée par des Subsahariens. Constatant que cette occupation dure, je m’adresse au chef du groupe qui arbore un brassard CGT : « Quel est le problème avec cette agence ? » Réponse : « Elle refuse de nous inscrire avec les papiers des copains, contrairement à ce que font les autres ».

La question ici n’est pas la légalité de la chose, mais la constatation que les soi-disant oisifs travaillent en réalité, et sont demandés par des employeurs. De même pour de nombreux employés de maison ou nounous, indispensables aux mères de famille diplômées faisant tourner l’économie.

Tout cela n’est certes pas légal, mais ce sont souvent les lois, plus que les hommes, qui sont imparfaites.

Plus généralement, on oublie que la grande majorité des actifs immigrés ou issus de l’immigration sont au travail, éventuellement au noir, ou sous une fausse identité.

Or, tenir compte de la valeur de la production de ces actifs renverserait complètement les études sur le coût de l’immigration, qu’elles soient fantaisistes comme la plupart du temps, ou plus précisément chiffrées comme celle de Jean-Paul Gourevitch (Le coût annuel de l’immigration 2022).

 

En conclusion

Rappelons qu’il ne s’agit pas ici de débattre de ce qui est bon ou mauvais en matière d’immigration, mais de voir comment cette question s’articule avec le libéralisme, et pourquoi tant de libéraux sont effrayés par leurs propres principes.

En effet, le libéralisme est pour la liberté de circulation et d’établissement, mais les libéraux ne l’appliquent pas à l’immigration :

  • d’une part du fait d’une méconnaissance de l’activité économique des migrants
  • d’autre part du fait d’une représentation de l’islam comme un bloc hostile, alors qu’on regroupe sous ce nom un éventail d’individus allant des fanatiques aux athées, et profondément divisés en nationalités, ethnies et variantes socio-religieuses
  • enfin parce qu’ils craignent que les différences culturelles ne se reproduisent au fil des générations, alors que l’histoire nous montre que ce n’est pas le cas. Les gangs des immigrations successives n’ont pas empêché les Américains de former une grande nation.

 

Ces raisons expliquent la confusion entre la question de l’immigration et celle de la sécurité personnelle et nationale. La première est complexe, la seconde fondamentale et très simple.

Mais nous y sommes mal préparés par l’inadaptation de nos procédures démocratiques, compliquées par des oppositions idéologiques internes. On peut par exemple penser aux associations qui ont retardé ou fait annuler des décisions d’expulsion d’activistes, dont certains terroristes.

Autrement dit, le vrai problème est celui de l’ordre public. Un problème fondamental certes, mais ce n’est pas celui de l’immigration.

Les convictions personnelles en la matière sont toutes respectables. Mais elles ne sont libérales que si elles donnent primauté à l’individu, et non à sa religion ou à toute définition communautariste.

Les libéraux, le libéralisme et l’islam

Parmi ceux qui, en France, condamnent l’islam et les musulmans, il y a les croyants et les non-croyants.

Or les croyants, d’abord, doivent se souvenir que la religion a besoin de concurrence. À peine la démonstration a-t-elle besoin d’être faite.

Dès 1684, Basnage de Beauval explique que quand une religion n’a point de concurrents à craindre, elle s’affaiblit, se corrompt.

En Angleterre, Voltaire fait cette remarque que la concurrence des religions y est extrêmement favorable à la liberté :

« S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, dit-il, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses ». (Lettres sur les Anglais, 1734, 6e lettre.)

Alexis de Tocqueville consigne presque exactement les mêmes mots dans ses Carnets américains. (Œuvres complètes, t. V, vol. I, p. 70)

Enfin, dans ses Principes de politique de 1806, Benjamin Constant a un chapitre pour prouver les avantages de la concurrence des religions, en particulier sur la pureté de la morale. (Œuvres complètes, t. V, p. 278)

Ceux qui ne croient pas n’ont pas seulement, comme les autres, à dompter et à vaincre les fanatiques, qui menacent de brûler les hérétiques. Ils doivent encore éclairer les superstitieux. C’est que pour eux toute religion pose problème, étant fondée sur le principe d’autorité.

Les commandements de la Bible sont tyranniques au premier degré.

« Suivez mes lois, gardez mes commandements, mettez-les en pratique », c’est ce que le Lévitique donne à lire.

En bon français, cela signifie : que ces commandements vous paraissent bons ou mauvais, utiles ou futiles, vous les respecterez, car j’en suis l’auteur, moi, votre maître. Car le vrai vocabulaire des religions est celui des régimes d’esclavage, de servage, ou du moins de tutelle. Chez les libéraux français, on a pu débattre pour savoir si le catholicisme était compatible avec la liberté. Tocqueville la croyait surtout compatible avec un régime monarchique (Lettre à Ernest de Chabrol, 26 octobre 1831 ; Œuvres complètes, t. XVII, vol. I) ; elle aussi serait donc anti-républicaine ?

On dira que l’islam est une religion moyenâgeuse. C’est une façon de parler : car ce sont les Arabes qui, au Moyen Âge, nous ont révélé le monde gréco-latin. Mais peut-être l’islam serait-il incompatible avec le progrès, la civilisation ?

Tocqueville, qui a séjourné en Algérie, qui a lu le Coran crayon en main, ne le croyait pas :

« La propriété individuelle, l’industrie, l’habitation sédentaire n’ont rien de contraire à la religion de Mahomet […] L’islamisme n’est pas absolument impénétrable à la lumière ; il a souvent admis dans son sein certaines sciences ou certains arts. » (Œuvres complètes, t. III, vol. I, p. 325)

On dira que les musulmans sont dangereux. C’est un propos malséant, pour nous qui ne devons voir que les individus.

Au surplus, Benjamin Constant (qui a passé 30 ans à étudier les religions) enseigne que « l’autorité ne doit jamais proscrire une religion, même quand elle la croit dangereuse. Qu’elle punisse les actions coupables qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables : elle parviendra facilement à les réprimer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir, et si elle voulait remonter jusqu’à l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de vexations et d’iniquités, qui n’aurait plus de terme. » (Œuvres complètes, t. IX, p. 832)

C’est l’idée que défendait déjà Turgot un demi-siècle plus tôt, au milieu des grandes controverses religieuses du temps :

« Une religion qui aurait établi un grand nombre de dogmes faux et contraires aux principes de l’autorité politique, écrivait-il, et qui en même temps se serait fermé la voie pour revenir de ses erreurs qu’elle aurait consacrées, ou qu’elle se serait incorporées, ne serait pas faite pour être la religion publique d’un État : elle n’aurait droit qu’à la tolérance. » (Œuvres de Turgot et documents le concernant, t. I, p. 347)

Mais l’islam est éminemment politique, et les musulmans, sans doute, veulent remplacer nos lois par les leurs.

D’abord, aucune religion ne s’est jamais accommodée des lois qu’elle trouvait établies.

Dieu dit à Moïse :

« Vous n’agirez ni selon les coutumes du pays d’Égypte où vous avez demeuré, ni selon les mœurs du pays de Chanaan dans lequel je vous ferai entrer. Vous ne suivrez ni leurs lois ni leurs règles. » (Lévitique, XVIII, 3)

Naturellement, il ne faut pas le permettre. En son temps, rappelle Édouard Laboulaye, l’Église catholique, « qui était la religion, a voulu être la science, elle est arrivée un jour à être le gouvernement ; on s’est aperçu enfin qu’elle voulait tout envahir. On a secoué le joug, et elle est rentrée dans le temple. » (Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 432)

Pour dompter et vaincre les fanatiques, qui portent atteinte aux personnes ou aux propriétés, il faut la rigueur des lois. Pour éclairer les superstitieux, il faut autre chose : des lumières, du temps et de la bienveillance. C’est-à-dire qu’il faut de la liberté : car d’un côté un « État gendarme » vaut mieux qu’un État qui se mêle de tout et ne remplit pas ses missions ; de l’autre, la diffusion des idées ne peut se faire qu’en milieu libre.

La liberté de circulation des personnes, la tolérance religieuse, sont des principes majeurs du libéralisme. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais renier nos principes et nos valeurs historiques ne peut se faire qu’au prix d’un affaiblissement.

Michèle Sibony : « La construction d’un contre-feu sur le dos des Juifs »

Hôpitaux et camps de réfugiés bombardés, cadavres d’enfants tirés des décombres, des villages détruits… Comment ne pas défendre Gaza, victime des crimes de l’armée israélienne ? En France, le gouvernement Macron […]

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Un dangereux amalgame - Lettre ouverte d'écrivains juifs (nplusonemag)

Un groupe d'écrivains juifs a rédigé cette lettre après avoir constaté qu'un vieil argument gagnait en puissance : l'affirmation selon laquelle critiquer Israël est antisémite. Les rédacteurs d'un grand magazine étaient prêts à publier la lettre, mais leurs avocats leur ont déconseillé de le faire. Les auteurs partagent cette lettre en solidarité avec ceux qui continuent à s'exprimer en faveur de la liberté des Palestiniens. Ajoutez votre nom ici.
Nous sommes des écrivains, des artistes et des militants juifs (...)

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« Quand la peur gouverne tout » de Carine Azzopardi

Carine Azzopardi est une journaliste qui a subi la perte de son compagnon et père de ses deux filles lors de la monstrueuse attaque terroriste du Bataclan. Au-delà de cette tragédie personnelle, à travers cet essai, elle entend dénoncer la peur, le manque de courage, mais aussi les dangereuses compromissions, qui amènent une partie des politiques, médias, associations et autres acteurs de la société à se voiler la face ou à céder face aux assauts idéologiques et manipulations allant à l’encontre de la démocratie.

 

Censure et liberté d’expression

La journaliste commence par montrer de quelle manière s’est faite l’apparition du wokisme, d’abord outre-Atlantique, puis ici, et le temps qu’il a fallu pour que l’on mette un mot dessus, que l’on prenne conscience peu à peu de son ampleur et de ses effets. Mais surtout, outre le nombre croissant d’anecdotes révélatrices à son sujet, elle montre qu’il n’a pas fallu longtemps pour que ceux qui emploient le terme ou l’évoquent soient stigmatisés, catégorisés comme réactionnaires, obsessionnels, ennemis des féministes, antiracistes, anticapitalistes, voire – terme devenu très à la mode et très commode pour faire taire un adversaire –« d’extrême droite ».

Non seulement des formes insidieuses de censure règnent de plus en plus sur énormément de sujets, mais des formes de collusion se sont également développées entre wokisme et islamisme. C’est l’objet de l’essai de Carine Azzopardi.

Quand l’antiracisme devient une aubaine, que des concepts inouïs tels que la « blanchité » sont créés – présentant les Blancs comme des oppresseurs, racistes à leur insu, qu’il faudrait rééduquer pour qu’ils s’éveillent (théories actuellement en vogue aux États-Unis) –, et que la victimisation devient un opportunisme, alors le malaise et la division deviennent de réelles menaces pour notre cohésion. Engendrant également la peur et la paralysie de nos décideurs, engoncés dans le déni.

 

Un fort déni de l’islamisme existe chez certaines élites françaises qui préfèrent fermer les yeux face au réel et analyser chaque événement se rapportant à ce phénomène comme étant le fait de populations discriminées, de délinquants, voire de déséquilibrés. Les actes ne sont reliés ni au discours ni à l’idéologie islamiste. Une analyse relativement commune, c’est qu’il s’agit d’un effet de la misère sociale, de « dominés » qui se rebellent face aux « dominants ». Le journaliste Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, analyse par exemple les attentats de janvier 2015 comme étant le fait de monstres que la société française a engendrés.

 

Certains milieux universitaires et une partie de la presse américaine ont même été jusqu’à analyser les attaques du 13 novembre 2015 à Paris comme une simple conséquence de la « suprématie blanche », et l’attaque au Bataclan comme celle du racisme de l’Occident blanc. Preuve que certains mélangent tout, et inversent les causalités. C’est le résultat du processus de déconstruction à l’œuvre, dans le prolongement de la discrimination positive amorcée dès les années 1960. Ce qui est comparable, estime l’auteur, à l’endoctrinement qui régnait en Chine sous Mao.

La « théorie critique de la race » née sur les campus américains et apparue dans les programmes scolaires américains en est le dernier avatar. Les discriminations raciales y sont considérées comme le facteur explicatif des inégalités sociales. Et à ce titre, elles doivent être éradiquées par des formes d’autocritique et de pratiques nouvelles relevant d’un véritable fanatisme. Comme pour la disparition des cours de musique dans certaines écoles, accusées de promouvoir la suprématie blanche.

 

Les collusions entre wokisme et islamisme

Carine Azzopardi analyse ensuite les rapports étroits qu’entretiennent les mouvements woke, décoloniaux, antiracistes (dont on peut largement douter du bienfondé de la dénomination) et progressistes identitaires (encourageant en réalité les communautarismes), avec l’islamisme.

Une sorte de jeu de dupes dans lequel les islamistes ont appris à maîtriser les codes woke, y voyant une opportunité de faire avancer leur cause, sur un temps long (et c’est bien le problème). Avec en particulier à la manœuvre les Frères musulmans, maîtres dans l’art du double discours (« l’un pour les mécréants, l’autre pour les croyants »), très implantés notamment dans les universités de sciences humaines et sociales, où ils manœuvrent à diffuser leur idéologie antidémocratique en utilisant la rhétorique de la discrimination, de l’antiracisme ou de l’intersectionnalité, avec l’appui de tous les traditionnels « idiots utiles » fidèles au rendez-vous. N’hésitant pas à se parer des vertus du progressisme (jusqu’à défendre de manière très opportune, ce qui peut apparaître comme un surprenant paradoxe, les thèses LGBT).

Maîtrisant parfaitement les codes, les outils numériques, les formats vidéo en vogue sur les réseaux sociaux dans nos sociétés, pour marteler insidieusement leurs véritables messages auprès en particulier des plus jeunes, et promouvoir en outre le séparatisme des musulmans sur notre territoire, ils fascinent et exercent une forte attraction sur les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche et partis politiques à l’image du NPA, leur insufflant l’idée d’ennemis communs. Avec la complicité des mouvements décoloniaux. J’étais d’ailleurs stupéfait de lire ceci :

 

Deux jours après la mort de Samuel Paty, une affiche est montrée place de la République par trois personnes, dont Assa Traoré, qui la poste sur les réseaux sociaux. La pancarte mentionne le nom de l’enseignant assassiné sur lequel des gouttelettes rouges ont été éparpillées et l’expression suivante écrite : « Mort en saignant. » Un jeu de mots d’un goût extrêmement douteux, qui entre ces mains pourrait faire penser à un clin d’œil complice. Les mêmes, qui ont des pudeurs de gazelle lorsque des journaux satiriques comme Charlie Hebdo représentent le prophète Mahomet, n’hésiteront pas à brandir cette pancarte lors d’une manifestation en hommage à un professeur décapité deux jours plus tôt, et à le faire savoir.

 

Par ailleurs, la journaliste parle de « chantage à l’islamophobie » au sujet de ce prétexte très pratique et très utilisé qui consiste à dénoncer, censurer, faire taire, stigmatiser des opposants pour mieux faire régner ses intérêts, à travers une stratégie de victimisation bien orchestrée. Elle y consacre un chapitre à part entière, très documenté, avant de revenir aussi sur l’attitude, non seulement du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne en faveur du voile, mais également d’Amnesty international, qui a défendu le port du voile intégral en Suisse, le présentant comme un symbole de liberté, tout en reconnaissant son caractère oppressif en Iran.

Des positions pour le moins paradoxales, défendues également par des mouvements néoféministes qui, selon la journaliste, n’ont plus grand-chose à voir avec le féminisme. Entre culpabilisation et relativisme, les intersectionnelles et leurs alliées néoféministes semblent aveugles aux faits lugubres que relate le livre quant au sort quotidien de nombreuses femmes, et aux véritables motivations de leur port du voile parfois dès le plus jeune âge, au nom d’une prétendue tolérance en réalité pleine de condescendance, sous couvert de « diversité » et de « résistance au capitalisme », écrit Carine Azzopardi, qui estime qu’il s’agit d’une diabolisation du corps des femmes en général.

 

La liquidation des Lumières

C’est le titre que l’auteur donne à l’un des chapitres, dans lequel elle montre comment l’adoption de plus en plus répandue du discours intersectionnel et son obsession de la recherche systématique d’inégalités et de discriminations en tous genres a pour effet, en réalité, de jouer contre les valeurs de l’universalisme, d’ailleurs accusé par certains d’être celui des hommes « cis blancs ». Un jeu dangereux auquel se prêtent des professionnels du monde artistique ou universitaire, voire des ministres. Qui aboutit, comme nous le savons, à de multiples censures de pièces de théâtre, conférences, œuvres littéraires ou cinématographiques, à l’initiative de militants antiracistes woke. Et en définitive à une célébration des communautarismes.

 

Or, le « droit la différence » ne s’oppose pas à l’universalisme. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain que de le croire, une sorte de caprice d’enfant gâté qui sacrifierait la liberté et l’émancipation au nom du droit des minorités, et de l’appartenance communautaire.

 

… Quand ce ne sont pas les mathématiques elles-mêmes (mais aussi d’autres sciences, y compris la médecine) qui sont remises en cause comme étant développées par les « dominants blancs », selon certains mouvements antiracistes woke là encore !

 

Concrètement, certaines écoles américaines prennent désormais en compte l’origine raciale des élèves, pour ne pas « stigmatiser » des populations « racialisées », qui auraient, par nature, des difficultés avec une matière intrinsèquement blanche, donc raciste. Vous ne rêvez pas. Les premières « classes racisées » ont été mises en place dans la banlieue de Chicago, par exemple, où l’on regroupe les élèves en mathématiques selon la couleur de leur peau.

 

L’idéologie et les croyances en viennent ainsi à remplacer la raison et à dévoyer la science ou l’histoire, mais aussi à œuvrer chaque jour de plus en plus (aux États-Unis pour l’instant) pour purger le langage lui-même. Processus dont on sait où il mène

Le problème, nous dit l’auteur, c’est qu’à vouloir s’attaquer à l’universalisme en tant que soubassement de nos démocraties, c’est à une autre forme d’universalisme que nous laissons place : celui que tentent de promouvoir les islamistes et leur communauté mondiale des croyants. C’est en cela que les armes rhétoriques des antiracistes leur sont particulièrement utiles, s’appuyant sur le droit et les institutions internationales pour mieux s’attaquer insidieusement aux principes démocratiques et imposer peu à peu, de manière très stratégique, l’islam politique.

Pour ne rien arranger – et c’est l’objet d’un autre chapitre également très documenté – Carine Azzopardi montre le vide académique qui existe sur le sujet de l’islamisme. De moins en moins de chercheurs, de plus en plus militants, prennent la place des rares spécialistes qui traitent vraiment du sujet de manière factuelle et réaliste, progressivement isolés ou mis au ban, le langage étant là aussi purgé de tout ce qui fâche. L’ignorance prend ainsi le pas, une fois encore, sur la connaissance, à laquelle est préféré le wokisme, son vocabulaire spécifique et ses concepts foisonnants, la question devenant l’apanage des plus extrêmes.

 

Les dérives des théories du genre

Avec le wokisme, nous assistons au triomphe de la pensée binaire.

Non seulement on peut avoir peur aujourd’hui d’être rapidement traité d’islamophobe, mais on peut tout autant craindre désormais d’être traité de transphobe. Les théories du genre vont de plus en plus loin dans l’offensive, militant pour la « déconstruction », avec la volonté de « s’émanciper du système hétéronormé dominant ».

Une vive opposition existe désormais entre féministes universalistes et différentialistes ou intersectionnelles. Ces dernières assimilent la définition de l’identité sexuelle à un genre comme une norme fasciste. Elles prônent au contraire la « plasticité indéfinie de l’individu » (d’où le sigle LGBTQQIPS2SAA+). Les choses vont très loin en la matière, dans la mesure où utiliser le langage traditionnel à cet égard peut être jugé discriminant et vous valoir des ennuis. Pas tellement encore de ce côté de l’Atlantique, mais avec une vigueur parfois étonnante de l’autre ; avec des visées planétaires.

Là où le bât blesse, c’est que certains tenants de ces théories ont conclu une forme d’alliance rhétorique avec les islamistes, dont les ressorts sont grandement contradictoires avec leurs fondements théoriques respectifs, et résultent d’une grande part d’aveuglement.

Pour finir l’ouvrage, Carin Azzopardi écrit un chapitre dans lequel elle montre comment un antisémitisme décomplexé est réapparu et s’est développé de manière croissante au cours des années 2000, certains allant – même parmi des stars grand public – jusqu’à assimiler Juifs et blanchité et considérer l’Holocauste comme « un crime de Blancs sur des Blancs ». Dans une surenchère haineuse – aux accents clientélistes – de termes révélateurs d’une pensée là aussi très binaire, antimoderniste, voire révisionniste, ou même complotiste, qui ajoute aux confusions, divisions, absence de nuances, clichés, et délires « progressistes » peu à même d’aller dans le sens de l’apaisement, de la coexistence pacifique et de la véritable démocratie, plus que jamais en danger. Là encore accentuée par les dérives préoccupantes… du wokisme.

 

 

À lire aussi :

La menace géopolitique pour la France est l’importation du conflit Hamas-Israël, pas la Russie – Pierre-Emmanuel Thomann

Les assassinats islamistes à Arras en France et à Bruxelles, mais aussi la réactivation violente du conflit israélo-palestinien dont la guerre Hamas-Israël est une composante qui risque de s’importer en France, démontrent que les menaces principales pour la France proviennent de l’arc de Crise au sud, et non pas la Russie dans l’arc de crise à l’est de l’Union européenne. Non seulement des citoyens français meurent dans des attentats islamistes mais une cinquième colonne islamiste issue de l’immigration de masse extra-européenne et susceptible d’être aussi manipulée de l’étranger se développe sur le territoire français. On peut s’attendre à terme à l’éclatement de conflits civils suite à la fracturation géopolitique de la nation.

L’article La menace géopolitique pour la France est l’importation du conflit Hamas-Israël, pas la Russie – Pierre-Emmanuel Thomann est apparu en premier sur Strategika.

Les trois importants mouvements du djihad islamique coordonnent leur action

Par : Faouzi Oki
par Faouzi Oki. Les trois responsables ont évoqué l'importance d'une coordination contre Israël et le déroulement des opérations en cours afin de mettre fin à l'agression contre le peuple palestinien opprimé.

Incidents suite aux hommages à Dominique Bernard : sanctionner, et après ?

Si la France est connue pour être un pays de manifestations violentes, depuis plusieurs années l’émergence de l’expression « pas de vagues », en particulier dans l’Éducation nationale, interroge sur les véritables intentions de ses locuteurs.

Témoin d’une explosion des tensions communautaires, la France connaît depuis plusieurs années un climat social exacerbé, aussi bien sur le plan économique que culturel.

Explicitement rejeté devant l’Assemblée nationale le 17 octobre dernier par le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal lors d’une séance de questions au gouvernement où il fit l’objet de dix interpellations relatives à l’attaque terroriste d’Arras qui a coûté la vie d’un professeur de français, le « pas de vague » revient sur le devant de la scène.

Cependant, au-delà des mesures répressives, les 357 incidents recensés par le ministère de l’Éducation nationale interrogent sur la nécessité d’attaquer les causes profondes des tensions qui traversent l’Hexagone.

 

357 incidents

Fraîchement nommé ministre de l’Éducation nationale en juillet dernier, le jeune Gabriel Attal n’a pas mâché ses mots lors de la séance de questions au gouvernement qui se déroulait le mardi 17 octobre dernier à l’Assemblée nationale.

Après une minute de silence en hommage au professeur Dominique Bernard, assassiné le vendredi précédent, celui que beaucoup voient comme un dauphin du président de la République a prononcé des mots que beaucoup espéraient voir traduit en actes depuis bientôt 30 ans :

« Le pas de vagues, c’est fini ! ».

L’origine de ce ton martial réside dans les 179 incidents remontés aux services du ministère de l’Éducation nationale au lendemain de la minute de silence. Ce nombre, qui est passé à 357 dès le lendemain, du fait du délai de comptabilisation administrative, représente autant de perturbations, de provocations, voire d’insultes à la mémoire du professeur de 57 ans tué par Mohammed Mogouchkov, un jeune tchétchène de 20 ans radicalisé, et dont la famille est bien connue des services de police.

Parmi ces 357 cas, une dizaine relèverait ouvertement de l’apologie de terrorisme.

Une semaine après les événements, le ministère a comptabilisé 183 exclusions d’élèves qui ne feront donc pas leur rentrée le 6 novembre prochain.

Si ce nombre correspond à moins de la moitié des 793 incidents ayant été recensés lors de l’hommage à Samuel Paty, il y a presque trois ans jour pour jour, la consigne a été donnée par Gabriel Attal, dès le lendemain de l’attentat, de signaler systématiquement tout incident.

Dans la majorité des cas, ces perturbations relèvent de simples manques de respect et de maturité. Cependant, un certain nombre évoque des relativisations de la mort de l’enseignant, l’évocation de la cause palestinienne, voire tout simplement de l’apologie de terrorisme ou des menaces de mort.

Le 18 octobre, Gabriel Attal a évoqué 179 saisines du procureur de la République visant directement les fauteurs de troubles.

Les élèves concernés risquent jusqu’à deux ans et demi de prison pour les mineurs et cinq ans pour les majeurs en cas d’apologie de terrorisme.

 

Mila agressée

Toujours dans le cadre de l’hommage national à la mort de Dominique Bernard, la jeune Mila, connue pour avoir été harcelée en 2020 pour des propos critiquant la religion musulmane, aurait été violemment prise à partie lors de l’hommage lyonnais par un cadre de la Jeune Garde, groupuscule d’extrême gauche connu pour avoir abrité en son sein Hamma Alhousseini, condamné en 2020 pour agression, soutien du groupe terroriste djihadiste Boko Haram, ou encore d’agressions envers des personnalités politiques d’extrême droite, voire de féministes antifascistes.

Plus récemment encore, ce dimanche soir, dans un TGV, un homme portant une kippa a été menacé. Un acte parmi les 588 recensés par le ministère de l’Intérieur depuis les attaques du Hamas sur Israël au début du mois, et après une année 2022 qui a vu le nombre d’actes antisémites baisser, selon le Crif.

 

Une explosion des atteintes à la laïcité

Ce climat délétère, accentué par les événements au Proche-Orient, en dit malheureusement beaucoup sur les fractures françaises.

Selon une note des services de l’État que nos confrères d’Europe 1 se sont procurés fin août, depuis l’assassinat de Samuel Paty, en octobre 2020, le nombre d’atteintes à la laïcité signalées dans les écoles n’a cessé d’exploser.

Toujours selon le ministère, cette situation serait le fruit de trois facteurs :

  1. Augmentation du fait religieux dans la jeunesse
  2. Vision anglo-saxonne de la laïcité
  3. Importance du facteur communautaire

 

L’échec du traitement répressif

Depuis bientôt deux semaines, qu’il s’agisse des commentaires de certains articles ou des politiques eux-mêmes, nous assistons à l’ouverture du concours Lépine des mesures répressives, comme si la solution se trouvait dans un traitement symptomatique de cette fracture, et non dans une thérapie de fond.

Depuis bientôt 20 ans, à coup d’interdiction de signes religieux (voile, burka, abaya…) et de répression de discours de haine, le législateur a été incapable d’enrayer la montée de l’islamisme. Cette pensée se nourrit de la misère économique, de la victimisation et d’une complaisance de certains politiques qui voient dans ses partisans une manne électorale.

 

La victoire de la pensée de groupe

Ce phénomène s’appuie sur une pensée holiste, réduisant l’individu à ses groupes d’appartenance. Si la présence de cette pensée est particulièrement évidente dans la mécanique électoraliste, elle l’est tout autant dans la montée de l’islamisme et des doctrines wokes qui s’appuient sur elle.

En effet, la montée du discours communautaire, voire islamiste, permet à un jeune né en banlieue parisienne de parents français de se sentir solidaire du peuple palestinien vivant à plus de 3000 km de là et dont il ne connaît rien, parce qu’ils ont la même religion, même si leur pratique est sans doute bien différente.

Cette même mécanique l’empêche, a contrario, de ressentir de la solidarité avec un professeur tué à moins de 200 km de là, et avec qui il partage sans doute davantage de marqueurs culturels.

 

Une guerre civile froide

Les incidents liés à l’apologie du terrorisme et les atteintes à la laïcité en France soulèvent des inquiétudes. Les réponses répressives actuelles sont loin d’être suffisantes si on ne s’attaque pas aux causes sous-jacentes.

Ne nous cachons pas derrière nos petits doigts : la France vit aujourd’hui, et depuis plusieurs années, une guerre civile froide. Plusieurs catégories de Français se font face et se fuient mutuellement. Cette guerre n’est pas ouverte, mais culturelle et idéologique, à la manière du conflit ayant opposé les États-Unis à l’URSS entre 1945 et 1990.

Comme elle, la branche victorieuse sera celle montrant sa supériorité morale : le repli communautaire et la division de la société par catégories ethniques, religieuses ou sexuelles ; ou le vivre ensemble et l’universalisme marquant la primauté de l’individu au sein du corps social.

Les femmes, actrices cruciales du pouvoir d'Erdoğan

L'AKP de Recep Tayyip Erdoğan a su intégrer les femmes dans le cadre de sa stratégie de conquête du pouvoir. Les militantes du mouvement constituent aujourd'hui la moitié de ses membres et jouent un rôle essentiel au sein du parti à l'échelon local, apportant un soutien sans faille à la politique sociale et aux choix idéologiques du président turc.

Comprendre la place des femmes dans le Parti de la justice et du développement (AKP) nécessite de revenir à l'islam politique turc des années 1980. Le Parti de la prospérité (RP) — première formation islamiste de masse fondée en 1983 dans le sillage du mouvement de la Vision nationale — prône à l'époque un « ordre juste » authentiquement islamique et nationaliste opposé aux valeurs occidentales. Il promeut également la finance islamique et l'assistance aux plus démunis. Entré au Parlement en 1991, le RP s'impose aux élections locales de 1994, qui permettent à son candidat Recep Tayyip Erdoğan de devenir maire d'Istanbul.

Erdoğan a compris très tôt le potentiel stratégique de l'intégration des femmes dans la structure partisane : il a œuvré à la création des commissions des femmes en 1989. Rassemblant d'abord les épouses des hommes du parti, le RP a ensuite recruté parmi la génération d'étudiantes qui militaient contre l'interdiction du port du voile à l'université, puis parmi les femmes des classes populaires. La formation politique a réussi à intégrer un mouvement naissant de femmes pieuses remettant en cause les principes rigides de la laïcité « à la turque » et actives dans le milieu associatif.

La mobilisation au niveau des quartiers

Ces femmes, qui ont adopté les techniques du porte-à-porte et des groupes de discussion à domicile, ont joué un rôle central dans ce que l'anthropologue Jenny White appelle la « politique vernaculaire »1 : une manière de faire de la politique dans les quartiers, au plus près de la vie quotidienne de ses habitants, en utilisant le « parler » locale pour mieux s'insérer dans les réseaux de sociabilité, notamment féminins.

Quand les « réformistes » issus du mouvement islamiste et se présentant comme démocrates-conservateurs et pro-européens ont fondé l'AKP en 2001, ils ont largement repris ce mode de mobilisation à l'échelle des quartiers. Une « branche féminine » a été créée au sein de la formation en 2003. Alors que le Parti de la prospérité comptait un million d'adhérentes à la fin des années 1990, la branche féminine de l'AKP en rassemble aujourd'hui plus de cinq millions (soit la moitié des effectifs du parti, et la plus grande organisation de femmes ayant jamais existé dans le pays). Nombreuses parmi les militantes, les femmes le sont aussi parmi les électeurtrices du parti. Depuis 2002, les enquêtes montrent en effet une surreprésentation féminine dans l'électorat de l'AKP, et plus encore chez les femmes au foyer et celles issues des classes populaires.

Plusieurs éléments permettent de comprendre cette capacité à mobiliser l'électorat féminin. L'AKP a d'abord promis la levée de l'interdiction du port du voile dans les institutions publiques (son argument principal auprès des femmes conservatrices), ce qu'il a fait en 2010. Mais au-delà de la question du voile, on peut penser que ce sont surtout ses discours et ses politiques relatives au « social » qui ont fait la popularité de l'AKP auprès des femmes des classes populaires. Il a en effet largement bâti son succès sur sa capacité à se présenter comme un parti-État au service du peuple.

L'importance des réformes sociales

Plusieurs réformes, comme celles de la sécurité sociale et du système de santé (contestées par la gauche, mais qui ont de facto élargi la couverture sociale à de nombreux groupes qui en étaient exclus), la multiplication des dispositifs d'assistance, la politique du logement — via la puissante Agence du développement du logement social (TOKI) —, l'essor des services sociaux urbains, affectent directement la vie quotidienne et matérielle des classes populaires et moyennes et, en particulier, celles des femmes, qui bénéficient de nouvelles allocations familiales.

Une fine observation des activités et des trajectoires des militantes de l'AKP permet de mieux saisir leur rôle dans ce gouvernement « du social et par le social ». Comparé au temps du Parti de la prospérité, le militantisme féminin au sein du parti est désormais intégré à une organisation bien plus hiérarchisée et professionnalisée. La branche féminine, organe auxiliaire (avec la branche de jeunesse) de la formation islamiste, reproduit de manière parfaitement symétrique les différents échelons du parti, du comité exécutif central aux comités départementaux, de métropole et de district, jusqu'à l'organisation de comités de quartiers et, ce, sur l'ensemble du territoire. À chaque échelon, une présidente coordonne une équipe d'une trentaine de femmes. La structure principale du parti, elle, n'est pas exclusivement masculine, mais la proportion de femmes y reste minoritaire (environ 25 %, tous échelons confondus) — et aucune d'entre elles ne dirige de section départementale.

C'est principalement au niveau local, dans les comités de la base du parti, que les militantes sont les plus actives. Leur répertoire d'action est divers, mais la visite à domicile y tient toujours une place centrale. Elles font en effet du porte-à-porte tout au long de l'année (et pas seulement en période électorale, contrairement aux autres partis), ce qui leur permet de diffuser les idées de l'AKP, de recueillir des informations et des données sur l'électorat, de faire signer des formulaires d'adhésion, et de distribuer des denrées alimentaires.

Elles font aussi des visites plus ciblées au domicile de personnes identifiées comme vulnérables ou précaires (personnes âgées, pauvres, en situation de handicap, etc.) ou lors d'événements importants (naissance, mariage, décès, maladie), dont leurs réseaux locaux leur permettent de se tenir informées. L'objectif, selon les devises chères à l'AKP, est d'« être là dans les bons et les mauvais jours », « du berceau au cercueil ».

Incarner la face humaine du parti

L'importance du travail relationnel dans la construction de liens de confiance et de fidélité entre le parti et son électorat a été théorisée par la branche féminine de l'AKP, et forme un des piliers de la stratégie de mobilisation. Si l'on ajoute à cela la participation des militantes à tous les événements culturels et politiques de leur ville, l'organisation régulière de campagnes d'éducation populaire, ou l'activité intensive sur les réseaux sociaux, on constate qu'elles pratiquent une forme de « politique de la présence » : il s'agit d'occuper le terrain, de devenir des figures familières, et d'incarner la face humaine et charitable de l'AKP.

Pour les militantes de l'AKP, issues pour la plupart des classes populaires (en particulier celles qui se trouvent à la base de l'organisation), s'engager au sein du parti entraîne une transformation de leur mode de vie. Alors que nombre d'entre elles n'ont jamais travaillé et ont arrêté leurs études au collège ou au lycée, devenir militante signifie aussi devenir active, engagée dans un collectif, hors du foyer familial une bonne partie de la journée. Cela leur offre également la possibilité d'acquérir un capital militant quasi professionnel, notamment via les formations dispensées par le parti — prendre la parole en public, rédiger des rapports, animer une réunion. Pour elles, ce militantisme est une activité épanouissante et valorisante, qui permet d'échapper en partie aux contraintes domestiques et familiales.

Une notoriété essentiellement locale

La situation des cadres intermédiaires (présidente d'un comité local par exemple) est un peu différente. Il s'agit dans la plupart des cas de femmes issues des classes bourgeoises qui ont fait des études supérieures. Elles ont souvent une expérience associative ou dans des entreprises proches de l'AKP. Leur poste au sein du parti leur a été attribué du fait de ce capital social : étant donné leurs relations familiales, professionnelles, amicales, elles sont capables de réunir un groupe de femmes, d'accéder aux figures locales, de tisser des liens avec des associations, etc.

Accéder à des responsabilités au sein du parti leur permet rarement de « faire carrière » en politique : si elles deviennent parfois élues municipales (seulement 11 % de femmes), rares sont celles qui parviennent à percer le plafond de verre en politique. Néanmoins, elles peuvent se forger une certaine notoriété locale. Militer à l'AKP leur offre de nouvelles opportunités : bien souvent, elles obtiennent des postes honorifiques dans le secteur associatif ou des emplois au sein des pouvoirs publics locaux, souvent dans le social, qui constituent autant de rétributions en contrepartie de leur engagement.

Ainsi, une enquête au sein des municipalités et de leurs différentes structures révèle la présence régulière de militantes et anciennes militantes de l'AKP à des postes dans le social. Or, observer ces trajectoires permet de comprendre comment, sous l'AKP, de nombreuses femmes sont devenues des intermédiaires pour accéder à des services, à des aides, à des structures publiques ou associatives. Cela est particulièrement vrai dans le secteur social, où l'emploi est fortement féminisé. Le multipositionnement d'un certain nombre d'employées et de bénévoles qui cumulent engagement partisan, emploi dans le social et réseaux associatifs, leur donne accès à la fois à un certain contrôle des ressources et à un contact direct et régulier avec leurs potentiels bénéficiaires.

Le recrutement de militantes de l'AKP dans ces services n'est pas nécessairement un phénomène massif : toutes les employées des services sociaux ne sont pas affiliées au parti, loin de là. Néanmoins, le fait que des postes clés (responsable de centre social, directrice de banque alimentaire, encadrante de programme de formation, etc.) soient occupés par des militantes suffit pour donner une coloration partisane à l'action des pouvoirs publics. Et dans un contexte où les aides sociales sont à la fois vitales, multiples, fragmentées et peu lisibles, le rôle de ces intermédiaires est essentiel dans l'accès aux informations et aux ressources.

L'attention médiatique et universitaire se concentre souvent sur la question du clientélisme, un phénomène parfois analysé de manière mécanique : l'AKP serait un parti qui gagne les élections, distribuant largesses et bénéfices sociaux, en achetant les voix. On peut penser à l'annonce du gouvernement, quelques semaines avant les dernières élections, d'un mois de gratuité du gaz pour les ménages. Mais une observation des activités des femmes permet de préciser cette analyse du soutien populaire à l'AKP. En effet, par leurs positionnements à cheval entre le social et le politique, les femmes du parti mènent au quotidien un travail relationnel et sur le sens donné à l'action sociale, afin que les aides soient à même de susciter un attachement et une loyauté politique.

Un travail d'éclairage et de confiance

Le travail électoral des militantes de la branche féminine de l'AKP est donc complémentaire de celui des professionnelles et bénévoles du social (et il s'agit pour une part des mêmes personnes), et contribue à la perception répandue des aides sociales comme étant liées au parti. Ce sont en partie leurs interventions, au plus près de la vie quotidienne, matérielle et affective des femmes et des familles, qui permettent à l'AKP d'être considéré comme un interlocuteur de confiance, au service du peuple, sur qui on peut compter y compris en situation de crise — comme le confirme la dernière victoire du parti d'Erdoğan, dans un contexte de grave inflation et trois mois seulement après le tremblement de terre qui a frappé le sud-est du pays.

On comprend dès lors que les femmes sont des actrices essentielles du mode de gouvernement de l'AKP, en particulier au niveau local. Faut-il en conclure pour autant qu'elles y détiendraient le « vrai » pouvoir, et incarneraient des figures de l'ombre, comme l'affirment une partie des militantes ? Force est de constater que les positions haut placées au sein du parti et de l'État leur restent largement inaccessibles. À l'intérieur de l'AKP, certaines voix contestent la position subordonnée de la branche féminine, son absence d'autonomie décisionnelle et financière, ou encore la mise à l'écart de femmes jugées trop influentes.

Ces voix sont néanmoins rares, et donnent davantage lieu à des désengagements silencieux de la part de militantes aux ambitions déçues qu'à de réelles prises de position au sein du parti. Alors que l'AKP avait attiré, à ses débuts, des militantes défendant une vision libérale et réformatrice de la place des femmes dans l'islam, ces figures semblent de plus en plus isolées au sein du parti, qui a durci le ton sur les questions liées au genre.


1Jenny White, Islamist Mobilization in Turkey : A Study in Vernacular Politics, University of Washington Press, 2002.

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