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Hier — 18 avril 2024Analyses, perspectives

« L’Italie sous occupation militaire américaine »

Souveraine et libre l’Italie ? comme de nombreux pays européen, l’Italie se voit toujours largement sous la botte de l’occupation militaire par les troupes américaines. C’est ce que montre cette communication de camarades communiste transalpin. Rappelons que la France est, tout particulièrement en raison de l’action des communistes français dans la suite de leurs actions dans la résistance, l’un des rares pays européens à ne pas comprendre de base américaine sur son sol. Toutefois notre armée reste sous le joug du commandement intégré de l’OTAN

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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Migrations et frontières. Surveiller et punir

Le 14 mars 2024, le naufrage d'une embarcation au large du sud-ouest de la Tunisie faisait 36 morts ou disparus. La veille, 60 migrants avaient déjà disparu en partance des côtes libyennes. Le 15 mars, 22 autres allaient mourir noyés à proximité de la Turquie. S'il ne s'agit là que de derniers cas recensés, la tendance à l'augmentation des drames reste claire. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), 3 105 personnes sont mortes ou disparues en Méditerranée en 2023, nombre jamais atteint depuis 2017.

La même semaine, le 17 mars, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à la tête d'une délégation au Caire, signait un accord de partenariat avec l'Égypte, à hauteur de 7,4 milliards d'euros, comportant un volet migratoire1. L'enjeu est simple : externaliser un peu plus les frontières européennes en soutenant un régime autoritaire pour qu'il gère les flux de population, qu'elle soit subsaharienne, proche-orientale ou même égyptienne. Alors que le silence et surtout l'inaction des institutions européennes sont criants à l'égard du génocide en cours dans la bande de Gaza — l'Union européenne est le principal partenaire commercial d'Israël et nombre d'États membres, dont la France, continuent à livrer de l'armement —, la diplomatie européenne se réduirait-elle à un contrôle de l'externalisation des frontières ? Est-ce là l'ambition internationale des 27 États membres ?

« Gérer les frontières » revient à réifier les migrants, au mieux, si ce n'est à convertir les identités, les vies, les trajectoires en chiffres. Ainsi est posée l'équation. Dès lors que le problème est numérique, il devrait se régler par des chiffres, déboursés à l'occasion pour cette dite gestion. Or pourquoi migre-t-on ? Si les raisons sont diverses (persécution, travail, études, famille, etc.), le débat public se focalise surtout sur l'opposition, binaire, entre réfugiés politiques et migrants économiques. Comme si les premiers étaient davantage légitimes que les seconds. Comme si la persécution définie par la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés ne pouvait pas être interprétée et perçue de manière différente.

À l'heure de la mondialisation des technologies du numérique, d'une hyper connexion mondiale et d'une diffusion instantanée des informations, les inégalités et injustices sont parfaitement identifiées. Et immédiatement. C'est ce que nous explique Nathalie Galesne sur BabelMed dans son article « Tunisie, un pays sous scellés ? ». L'indécence de disposer d'un « passeport rouge », comme on dit en tunisien, pour traverser les frontières, contraste avec la situation des Tunisiens, de plus en plus empêchés de partir. Cela suscite une pulsion de viatique, alimentée par l'impact de la colonisation sur les inconscients ou le fantasme de l'Occident rêvé mais aussi, et surtout, par un quotidien difficile. Pénuries, ségrégation socio-spatiale, violences policières, absence de perspectives : comment ne pas corréler les velléités de départ avec l'augmentation du chômage2, de l'inflation, et de la désillusion politique plus de 10 ans après la révolution comme l'illustre la chute drastique de la natalité3 ?

Or « le malheur des uns fait le bonheur des autres » nous explique Marine Caleb dans son article pour Orient XXI. Le départ massif de jeunes qualifiés, formés en Tunisie, profite aux économies du Nord, malgré des procédures de régularisation complexes. Et on ne peut que décrier l'absence de concertation pour un développement plus circulaire entre les deux rives de la Méditerranée.

De l'autre côté de la rive, l'Europe danse essentiellement sur deux pieds : celui de la militarisation de ses frontières et de l'externalisation de sa politique migratoire. Comme y revient Federica Araco sur BabelMed avec son article « L'ombre portée de la forteresse Europe », « depuis 2014, l'agence européenne de contrôle des frontières Frontex a mené plusieurs opérations militaires pour surveiller et limiter les flux migratoires (Triton, Sophia, Themis, Irini) qui ont rendu les limites de cet immense continent liquide de plus en plus dangereuses pour ceux qui tentent de les franchir ». Y compris avec l'utilisation de drones Héron développés par l'entreprise Israel Aerospace Industries, dont l'armement est actuellement massivement employé contre les Palestiniens dans la bande de Gaza. L'autre volet est celui de l'externalisation de la gestion des frontières extérieures. Avec le système de Dublin, il n'y a aucune solidarité européenne concernant l'asile, et la pression migratoire s'exerce exclusivement sur les pays méditerranéens. En revanche, tous les États européens s'accordent d'une seule voix pour externaliser leurs frontières, de façon à ce que celles-ci soient contrôlées et renforcées directement par les États du sud et de l'est de la Méditerranée. Après la Turquie, la Libye, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, c'est au tour de l'Égypte de bénéficier de financements européens censés empêcher que les migrants ne prennent le large, légitimant de fait un certain nombre de régimes autoritaires qui font peu de cas des violations itératives des droits humains. Avec pour conséquence près de 30 000 migrants morts ou disparus en Méditerranée au cours d'une décennie.

L'article « Dans l'enfer des derniers disparus » de Federica Araco sur BabelMed revient sur les conséquences du durcissement des politiques migratoires, que ce soit sur les trois principales voies maritimes de la Méditerranée (centre, ouest, est) ou sur les voies terrestres, avec la construction de structures de barbelés aux frontières. Loin de restreindre le phénomène migratoire, ces mesures le rendent plus périlleux et s'accompagnent d'une diminution de la qualité de l'accueil sur le sol européen. Le cas de l'Italie, exposé par la journaliste, est à ce titre flagrant. Il illustre bien les vulnérabilités accrues des migrants, entre travail au noir et circuits criminels.

À la frontière entre l'Algérie et le Maroc, le renforcement du dispositif de surveillance par les gardes-frontières et les tours de contrôle a eu pour conséquence de modifier les flux migratoires. Comme le développent S.B et B.K dans leur article « À la frontière algéro-marocaine, traces des drames migratoires entraînés par sa militarisation, les prisons et les risques de mort », pour Maghreb Émergent et Radio M, l'évacuation des milliers de migrants subsahariens d'Oued Georgi à la frontière, « a déplacé ces derniers vers d'autres routes de migration clandestine ». D'autant que l'insécurité aux frontières incitait déjà Subsahariens et Algériens à se diriger vers l'est, notamment vers la Tunisie et la Libye. Ce serait également le cas de Marocains, dont la migration vers l'Algérie, pour des raisons de coût moindre et de traversées plus sécurisées, s'accentuerait.

L'ensemble de ces évolutions n'arrangent en rien les conditions de vie des migrants dans les pays de transit, notamment en Tunisie. Dans son « Reportage au lac 1 : la Tunisie face à l'afflux de Soudanais » pour Nawaat, Rihab Boukhayatia détaille les conditions de vie misérables dans des camps jouxtant les locaux de l'OIM au cœur de la capitale. « Débordé, le HCR n'est pas en mesure de répondre aux attentes des réfugiés sans le soutien des autorités tunisiennes. Les procédures légales tunisiennes font que les demandeurs d'asile et les réfugiés peinent à trouver un travail, un logement ou un accès à l'éducation pour tous les enfants. De surcroît, la Tunisie, bien que signataire de la Convention de Genève, n'a pas encore adopté un système national d'asile, relève le HCR. » 40 % des 13 000 réfugiés et demandeurs d'asile enregistrés auprès du HCR en Tunisie viendraient du Soudan, en proie à un conflit interne depuis un an.

À proximité de Sfax, des migrants de différentes nationalités (guinéenne, burkinabaise, malienne, ivoirienne, camerounaise) vivent et travaillent dans les champs d'oliviers dans des conditions inhumaines. Le reportage « À l'ombre des oliviers d'El-Amra, des crimes incessants contre les migrants » de Najla Ben Salah pour Nawaat montre comment, depuis l'an dernier et la campagne raciste du président tunisien Kaïs Saïed, les expulsions massives de Subsahariens ont poussé plus de 6 000 personnes à se réfugier dans les oliveraies proches de la ville, avec pour espoir de rejoindre l'Italie. Victimes de violences policières, de violences sexuelles, d'arrestations arbitraires et de confiscation de leurs biens, certains sont déportés vers l'Algérie et la Libye, sans aucune garantie juridique. Et les femmes sont les premières victimes.

Même si la société civile, surtout féministe, s'organise, comme le met en exergue Nathalie Galesne dans « Damnés du désert, damnés de la mer » sur BabelMed, la situation reste très tendue sur le terrain. Cela concerne tous les migrants, y compris les étudiants, comme nous le confirme Jean, président d'une association d'étudiants africains en Tunisie. « Depuis le début de l'année, de nouveau, des étudiants sont arrêtés de manière arbitraire4, alors qu'ils sont en règle. La justice fait son travail et ceux-ci sont généralement relâchés, mais ils peuvent être auparavant incarcérés et les frais d'avocat ne sont pas remboursés. » Les différentes associations et ambassades des pays concernés tentent de s'organiser collectivement pour faire davantage pression sur les autorités tunisiennes, avec les maigres résultats que l'on connaît. Dans ce contexte difficile, c'est principalement la solidarité interindividuelle entre migrants, notamment illustrée dans le film Moi, capitaine de Matteo Garrone (2024), également projeté à Tunis, qui redonne un peu d'humanité à ces vies livrées à elles-mêmes.

Du 6 au 9 juin prochain auront lieu les élections au Parlement européen. Comme pour les votes nationaux, le thème de la migration reste crucial et charrie un nombre conséquent d'idées reçues, que ce soit sur les chiffres de l'accueil d'étrangers, sur les effets de « l'appel d'air », sur les profiteurs ou les grands remplaceurs... En France, 15 ans après le débat stérile sur « l'identité nationale », la loi de janvier 2024 « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » a été censurée à plus du tiers par le Conseil constitutionnel. Cette séquence a surtout permis au gouvernement actuel de se mettre en scène sur cette thématique, chère à l'extrême-droite et à la droite, au détriment d'autres priorités politiques et sociales.

Certains sondages évoquent sans surprise une percée de l'extrême-droite lors de ces élections. Comment y remédier ? Faudrait-il rétorquer à Marine Le Pen, qui répète à l'envi la nécessité d'établir un « blocus maritime » en Méditerranée, que ce dernier existe déjà, autour de la bande de Gaza depuis 2007 ? Comment convaincre Fabrice Leggeri, numéro 3 de la liste du Rassemblement national (RN) et ancien directeur de Frontex ? Quid de Giorgia Meloni, cheffe du gouvernement d'extrême-droite en Italie ? Rien ne devrait pourtant opposer l'identité, quelle que soit sa définition, à l'hospitalité et, surtout, aux principes du respect de l'intégrité humaine et de la fraternité.

Cinq ans après un premier dossier du réseau des médias indépendants sur le monde arabe, fruit d'une nouvelle coopération entre médias du nord et du sud de la Méditerranée, ces reportages entendent contextualiser les dynamiques migratoires, déconstruire les préjugés et, a fortiori, redonner une humanité singulière à une tragédie de masse qui n'en finit pas.

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Ce dossier a été réalisé dans le cadre des activités du réseau Médias indépendants sur le monde arabe. Cette coopération régionale rassemble Assafir Al-Arabi, BabelMed, Mada Masr, Maghreb Émergent, Mashallah News, Nawaat, 7iber et Orient XXI.


1L'Italie a aussi récemment signé un accord avec l'Égypte, bien que les proches de Giulio Regeni, étudiant-chercheur italien assassiné par les services de renseignement égyptiens en 2016, n'aient toujours pas obtenu gain de cause.

2Le directeur de l'Institut national de la statistique tunisien, Adnene Lassoued, a été limogé le 22 mars 2024, probablement en raison de la publication des chiffres du dernier trimestre 2023 du chômage, en augmentation, à 16,4 %, et de près de 40 % chez les jeunes de moins de 24 ans.

3Selon l'Institut national de la statistique en Tunisie, l'indice synthétique de fécondité est passé de 2,4 en 2016 à 1,8 en 2021.

4Le 19 mars 2024, Christian Kwongang, président sortant de l'Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie, a été arrêté de manière arbitraire avant d'être relâché.

Qu’il y a-t-il derrière le rapprochement entre Ursula von der Leyen et Giorgia Meloni ?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, semblent avoir noué une relation solide, que certains qualifient de « gagnant-gagnant ». Mais que se cache-t-il derrière leur rapprochement ?

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Yougoslavie 24 mars 1999 : La guerre fondatrice de la nouvelle OTAN

par Manlio Dinucci. Il y a vingt-cinq ans l’OTAN sous commandement US démolissait par la guerre ce qui restait de la Fédération Yougoslave, l’État qui faisait obstacle à son expansion à l’est vers la Russie.

L’insoutenable soutien de Meloni à von der Leyen

Le soutien désormais probable de Mme Meloni et de ses amis à la présidente de la Commission sonnerait le glas de toute volonté de faire évoluer la politique de l’Union de l’intérieur en s’appuyant sur le groupe des conservateurs pour faire pression sur l’exécutif européen. D’ailleurs, ce groupe ECR (Conservateurs et Réformateurs européens) serait fortement menacé de fracture, puisque les conservateurs polonais y sont aujourd’hui majoritaires : compte tenu de ce que la Commission de Bruxelles fait subir à la Pologne depuis cinq ans, il n’est pas question pour eux de soutenir Ursula von der Leyen.

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Italie. Faut-il être un alien pour pouvoir parler du génocide à Gaza ?

Si Angelina Mango a remporté l'édition 2024 du festival de Sanremo, la plus importante compétition célébrant la chanson italienne, la victoire morale revient sans doute à Ghali, chanteur hip hop italien d'origine tunisienne. Il a été en effet le seul à avoir porté le mot « génocide » sur le devant de la scène la plus regardée du pays. Ce qui n'a pas manqué de faire réagir à la fois l'ambassadeur d'Israël et la télévision nationale.

Chaque jour, nos informations et nos programmes relatent, et continueront de le faire, la tragédie des otages aux mains du Hamas et rappellent le massacre d'enfants, de femmes et d'hommes le 7 octobre. Ma solidarité envers le peuple d'Israël et la communauté juive est sincère et profonde.

C'est par les mots de ce communiqué de presse lu en direct sur la principale chaîne de télévision publique italienne que s'achève la controverse soulevée par le Festival de Sanremo, un événement davantage capable de polariser les esprits que ne le feraient les élections. Le message ne se voulait même pas pondéré en commençant par condamner l'attaque du 7 octobre (prémisse incontournable à toute prise de parole sur Gaza aujourd'hui) pour faire ensuite cas des victimes palestiniennes, chiffres à l'appui. Non : ce que l'on a entendu, c'est une déclaration de soutien inconditionnel à Israël, à ses victimes, à ses otages. Pas un mot sur les civils tués, qui ont désormais dépassé la barre des 30 000 morts, dont plus de 10 000 enfants. Des morts invisibles, inexistants. Pour la Radiotélévision italienne (Rai), il ne se passe rien depuis quatre mois à Gaza.

« Et je devais l'utiliser pour quoi cette scène ? »

Ce communiqué signé par Roberto Sergio, administrateur délégué de la Rai, a été diffusé lors de la dernière soirée du festival qui s'est tenu du 6 au 10 février, et ce à la suite de la protestation d'Alon Bar, ambassadeur d'Israël en Italie. Ce dernier n'a pas apprécié la phrase « stop au génocide », scandée par Ghali, un chanteur très populaire dans le pays, « un peu italien, un peu tunisien », comme il se définit lui-même. Traditionnellement, c'est cette dernière soirée qui fait toujours le plus d'audience, même si tout le monde en Italie prétend qu'il ne la regarde pas. Elle se poursuit sans relâche avec les votes des téléspectateurs1 pour finir sur le classement des super finalistes.

« Je considère qu'il est honteux que la scène du festival de Sanremo soit exploitée pour répandre la haine et la provocation d'une manière superficielle et irresponsable », a écrit l'ambassadeur israélien sur X (ex-Twitter) le matin du 11 février, quelques heures après que le rideau est retombé sur Sanremo. Ainsi, demander de ne pas tuer des innocents sans même nommer le coupable représente toujours pour Israël « une incitation à la haine », « une provocation ». Un monde à l'envers, dans lequel est désigné comme coupable celui qui prend la défense de la victime.

« Et je devais l'utiliser pour quoi cette scène ? », a répondu Ghali.

Je parle de cette question depuis que je suis enfant. Cela n'a pas commencé le 7 octobre, cela dure depuis longtemps. Les gens ont de plus en plus peur, et le fait que l'ambassadeur dise ce qu'il a dit n'envoie pas un bon signal. Cette politique de terreur continue, les gens ont de plus en plus peur de dire « arrêtez la guerre », « arrêtez le génocide ». Nous sommes à un moment de l'Histoire où les gens ont l'impression de courir un risque s'ils disent qu'ils sont en faveur de la paix, c'est absurde.

Deux directs parallèles

Sanremo représente une scène hautement politique, dans le sens où ce festival est le baromètre infaillible des humeurs nationales et populaires. Mais c'est une scène de plus en plus traversée par les styles et les notes d'une deuxième génération – les enfants d'immigrés - encore profondément exclue, et largement incomprise.

Pourtant, lors de l'édition 2023, alors que les bombes russes tombaient sur Kiev, la direction n'a pas hésité à ouvrir le festival par la lecture publique d'un message du président ukrainien Volodymyr Zelensky et plusieurs hommages, notamment en chansons, ont été rendus à la tragédie du peuple ukrainien.

L'édition de cette année a ainsi fait tomber le voile sur cette politique du deux poids deux mesures à l'œuvre dans le monde occidental depuis le 7 octobre, y compris dans l'espace public italien dominé par le narratif d'un gouvernement néo-fasciste. La semaine de festivités était d'autant plus choquante qu'elle se déroulait en parallèle des massacres diffusés sur les réseaux sociaux depuis Gaza. Deux directs simultanés, dystopie de notre temps.

Seuls deux artistes sur les 30 en compétition ont tenté de briser ce silence qui entoure la souffrance des Palestiniens. Dargen D'amico d'abord qui, lors de la soirée d'ouverture, a fait une référence générale aux « enfants qui meurent sous les bombes en Méditerranée », puis a répété un simple appel au cessez-le-feu, révélant par là que les mots « Palestine », « Gaza » et « Israël » étaient imprononçables.

« Avons-nous quelque chose à dire ? »

Et puis est venu Ghali (de son nom complet Ghali Amdouni), né en Italie en 1993 de parents tunisiens, et élevé dans une banlieue difficile de Milan. Pendant toute la soirée, il était accompagné par l'extraterrestre Rich, un personnage déguisé à qui il demande à un moment : « Avons-nous quelque chose à dire ? ». C'est alors que son acolyte lui glisse à l'oreille le message que Ghali « répète » dans le micro : « Stop al genocidio » stop au génocide »). La phrase étonne autant qu'elle émeut, tant elle semble inattendue, imprévue, impossible. Pourtant, quelque chose de ce climat général de censure à l'égard de l'actualité palestinienne est déjà perceptible dans la chanson que Ghali présente au concours ce soir-là, « Casa mia » (Ma maison) :

Je n'ai pas envie de faire d'histoire.
Mais comment pouvez-vous dire que tout est normal ici ?
Pour tracer une frontière
Avec des lignes imaginaires, tu bombardes un hôpital
Pour un morceau de terre ou pour un morceau de pain
Il n'y a jamais de paix

Devant lui, dans les gradins, le public applaudit mais sans rien consentir. Il observe d'un regard paternaliste celui qui a réussi mais reste une exception, sous le gouvernement très à droite de Giorgia Meloni qui continue de s'opposer farouchement à tout amendement de la loi qui permettrait l'accession automatique à la citoyenneté italienne pour toute personne née en Italie de parents étrangers.

Cette discrimination a toujours été dénoncée dans les textes de Ghali : « Le journal en abuse/Parle de l'étranger/comme si c'était un alien », dit-il dans l'une de ses chansons les plus populaires, « Cara Italia » (Chère Italie). Cette thématique est également présente dans la chanson qu'il a présentée à Sanremo en compétition cette année :

Le chemin ne va pas chez moi
Si tu es chez toi, tu ne le sais pas
Chez moi
Chez toi
Où est la différence ? Il n'y en a pas
Mais laquelle est ma maison
Mais laquelle est ta maison
Depuis le ciel tout est semblable, je te jure

Un « vrai Italien »… qui chante en arabe

C'est au croisement du racisme et de l'islamophobie, du nationalisme et du soutien inconditionnel à Israël, que l'on peut apprécier la portée des vers chantés par Ghali à Sanremo. Dans un pays qui se perçoit encore comme beaucoup plus « blanc » qu'il ne l'est en réalité, et qui mobilise le narratif des « racines judéo-chrétiennes » propre à la théorie du choc des civilisations, Ghali - avec son visage non-blanc et son accent milanais prononcé - monte sur scène et chante en arabe. Plus encore : il le mélange à l'italien, pour envoyer un message encore plus fort.

Ce mélange se fait grâce à une collaboration avec Ratchopper, nom de scène de Souhayl Guesmi, un artiste talentueux originaire de Jendouba (région du nord-ouest de la Tunisie), ingénieur du son, compositeur et producteur, qui s'est fait connaître d'abord en Tunisie puis à l'étranger, et qui travaille avec Ghali depuis 2022. Ensemble, ils ont signé la première chanson en arabe qui a été chantée sur la scène de Sanremo : « Bayna » (« C'est clair »). C'est ce titre qui ouvre l'album Sensazione Ultra, sorti en 2022, et qui sert aussi de nom au bateau dont l'artiste a fait don à l'ONG Mediterranea, qui a secouru en deux ans plus de 200 personnes qui tentaient la traversée vers les côtes italiennes :

Méditerranée
Entre toi et moi, la Méditerranée
Le visage familier d'un étranger
Imagine le Coran à la radio
On ne dit pas du bien de nous aux informations
Tu rêves de l'Amérique, moi de l'Italie
De la nouvelle Italie

L'artiste commente ainsi son morceau sur les réseaux sociaux :

« Bayna » m'a permis de tenir ma promesse de chanter en arabe sur la scène de Sanremo. Grâce à cette chanson et à Mediterranea, nous avons sauvé des vies dans notre mer. J'aime et je crois en ce pays qui répudie la guerre par sa constitution2 Je suis aussi un vrai Italien3.

L'ultime performance de Ghali durant la soirée de Sanremo se fait alors sous le signe de la réappropriation et du renversement sémantique de la fameuse chanson « L'Italiano » de Toto Cutugno, devenue au fil des années la quintessence de l'approche nationale-populaire la plus provinciale. Ghali lance ainsi son message le plus profanateur. Avec élégance, il s'empare du texte de Cotugno et le retourne contre les détenteurs de discours identitaires, pour qui l'Autre est toujours une menace à contenir.

Un partisan de l'extrême droite à la tête de la Rai

Le nationalisme du gouvernement de Giorgia Meloni et ses alliances avec la Lega4 ne sont d'ailleurs pas sans conséquence sur la télévision publique. Depuis le 15 mai 2023, c'est Giampaolo Rossi qui est à la tête de la Rai. Directeur de la fondation Alleanza Nazionale (Alliance nationale), un parti politique d'extrême droite fondé en 1995, et partisan assumé de la politique israélienne, Rossi est également chroniqueur à Il Giornale, journal d'extrême droite le plus important du pays. Il y affirme par exemple que l'antisémitisme et l'immigration vont de pair, n'hésitant pas à les associer à « l'enracinement dans les pays européens de communautés islamiques irréductibles aux valeurs de l'Occident ».

Le 13 février, deux jours après la diffusion du communiqué de la Rai en réaction au message de Ghali, des rassemblements ont eu lieu devant les bureaux régionaux de la télévision publique à Naples et à Turin, pour protester contre ce qui a été jugé par une partie des téléspectateurs comme de la propagande. Ces sit-in, pourtant pacifiques, ont été brutalement réprimés par la police.

Dans un tel contexte, Ghali apparaît aussi « alien » que sa marionnette, ou que celles et ceux qui essaient de parler de la Palestine, de la nommer, pour qu'elle existe. Et pour prononcer ces quelques mots d'humanité que sont « stop au génocide », il fallait un Italien tunisien, un extraterrestre à côté d'un alien.

« Ici, nous parlons de musique » est le leitmotiv qui vise à interdire tout débat sur l'actualité palestinienne, et pas seulement à Sanremo. Mais l'histoire de la chanson italienne, aujourd'hui traversée par la voix et le positionnement de chanteurs de deuxième génération, en dit beaucoup plus. Les chansons qui ont été présentées sur la scène de Sanremo durant cette édition 2024 ne pourront jamais être réduites à n'être « que des chansons ».

#

Traduit de l'italien par Christian Jouret.


1Les résultats du festival répondent à une arithmétique complexe où interviennent pendant trois soirées un jury radio, le vote des téléspectateurs et un jury salle de presse. Leur combinaison détermine le classement général.

2NDLR. Référence à l'article 11 de la constitution italienne qui stipule : « L'Italie répudie la guerre comme moyen d'attenter à la liberté des autres peuples et comme mode de solution des différends internationaux ».

3NDLR. Référence au titre de Toto Cotugno « Lasciatemi cantare » où le chanteur dit « je suis un Italien, un vrai Italien ».

4La Lega ou la Ligue du Nord est un parti politique italien populiste, d'extrême droite, eurosceptique et xénophobe initialement favorable à l'indépendance de la Padanie.

Les globalistes contre les souverainistes -- Stefano AZZARA

Un conflit entièrement interne aux classes dirigeantes.
Puisque vous êtes marxiste, je commencerai par la critique. L'un des paradigmes interprétatifs qui s'affirme clairement, non seulement parmi les représentants de l'establishment (le directeur du Wall Street Journal, Gerard Baker, l'a déclaré il y a quelques semaines dans une interview au Corriere della Sera) mais aussi parmi de nombreux camarades, concernant la réaction qui monte en Occident contre ceux qui ont gouverné la mondialisation au (...)

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Italie : l’opposition conteste l’ouverture d’une enquête sur la gestion chaotique du Covid

La crise du Covid a eu un impact énorme dans le monde, et l’Italie n’a pas été épargnée par ses conséquences. L’Italie va lancer une enquête sur la gestion de la pandémie de COVID-19, suscitant la controverse politique. Le Parlement italien a approuvé la création d’une enquête officielle sur la gestion de la pandémie de COVID-19, déclenchant la colère des partis d’opposition précédemment au pouvoir. La chambre basse, maintenant dominée par les partis de droite, a voté en faveur de cette mesure.

En Italie, le Parlement italien vient d’approuver avec un vote de 132 voix contre 86 le projet de loi visant à lancer une enquête officielle sur la gestion de la pandémie de Covid-19. Cette décision a provoqué de la colère chez l’opposition, les partis de centre –gauche qui étaient au pouvoir à l’époque. Notons que les résultats de l’enquête devraient être divulgués d’ici 2027, la fin de la législature. En 2023, Giuseppe Conte, l’ancien premier ministre italien, a été visé par une enquête et accusé de négligences lors de la gestion de la crise du Covid-19, mais abandonnée par la suite. Le Parquet de Bergame, ville lombarde du nord de l’Italie l’avait déjà entendu dès juin 2020.

Mise en place d’une enquête officielle Covid

Selon le bilan de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Covid-19 a fait plus de 195.000 décès en Italie. C’est le second pays le plus touché par la pandémie en Europe après la Grande-Bretagne, qui mène actuellement une enquête publique sur sa propre gestion très critiquée de la pandémie. Les mesures prises par l’administration de centre gauche pour contenir le virus ont été largement critiquées par les groupes de droite.

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Pourquoi la Libye ne compte plus un seul juif

Alors que les juifs libyens ont accueilli à bras ouverts l'occupant italien en 1911, espérant en finir avec les discriminations, l'arrivée de Benito Mussolini au pouvoir à Rome a changé la donne. Si au début, ils ont été traités à l'égal des musulmans, et même mieux que leur coreligionnaires italiens, ce répit n'a pas duré. Pas plus que la joie de l'indépendance. Récit d'une éradication.

Il n'existe plus une seule personne juive en Libye. La dernière, Esmeralda Meghani, s'est éteinte à Tripoli en février 2002, selon Mitchell Bard, dirigeant de l'American-Israeli Cooperative Enterprise. Traditionnellement implantés en Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan, les juifs, dont le nombre est estimé à plus de 30 000 au moment de la colonisation italienne en 1911, ont connu des vagues de répression allant de l'Italie fasciste au régime de Mouammar Kadhafi. Si une grande partie de ceux qui ont échappé aux massacres commis durant la seconde guerre mondiale, ils se sont installés en Israël après 1948, d'autres ont fui en Europe, notamment.

Pourtant, leur présence est attestée dès le IVe siècle avant notre ère. Les fouilles des vestiges romains laissent apparaître des restes de synagogues. « En 115, des communautés juives parfaitement organisées sont ancrées à Apollonia, à Ptolémaïs, au nord de Bérénice, non loin de la frontière égyptienne » , explique l'écrivain Moïse Rahmani1. À partir du VIIe siècle, ils vivent comme tous leurs coreligionnaires du monde arabo-musulman sous le statut de la dhimma qui les oblige à s'acquitter d'une taxe, la djizya, en échange d'une protection du pouvoir central islamique. À la fin de cette période, alors que les Ottomans étendent leur pouvoir, la communauté semble plutôt prospérer, surtout à partir du XVIIe siècle avec l'arrivée des Livournais, ces négociants juifs italiens. Mais les autochtones, comparés aux juifs venus d'Europe, vivent le plus souvent dans la misère. « Dans toutes les villes libyennes, les juifs vivent dans des quartiers réservés : la hara. À Jebel Garian et à Tigridie qui comptent trois cent juifs, ils sont confinés dans des caves2 jusqu'à leur exode pour Israël en 1951 ».

Le XIXe siècle est source de changements dans un Empire ottoman sous les coups de butoir des puissances occidentales. Au terme de deux grandes réformes en 1839 et 1856, les juifs obtiennent le statut de communauté religieuse (millet) « qui se substitue à la dhimma. Chaque communauté dispose de son droit religieux, de ses juges, de son système social et scolaire dans le cadre d'une organisation pragmatique la plus libérale de son temps » , selon l'historien Georges Bensoussan3, toutefois sans réel impact sur la vie quotidienne car l'état d'infériorité demeure.

L'Italie, un espoir d'émancipation

Quand les Italiens occupent la Libye, ils découvrent les juifs qui les accueillent à bras ouvert : 20 000 vivent alors à Tripoli, 6 000 à Benghazi, et 4 000 dans le reste du pays. « Des juifs réfugiés sur des navires italiens, orientent les tirs puis guident les unités débarquées. D'autres servent aussitôt d'interprètes et de fournisseurs », explique le géopoliticien André Martel4. Cette collaboration avec l'occupant va susciter durablement le ressentiment des musulmans.

Certes, les juifs tripolitains avaient commencé à s'« italianiser » à la charnière du XXe siècle. Pour preuve L'Echo di Tripoli, premier journal en langue italienne créé par l'un d'entre eux en 1909, inaugurant ainsi la presse colonialiste. Il est vrai que « l'Italie de 1861 à 1938 a offert un des exemples les plus achevés d'intégration des juifs. (…) Ces derniers ont approuvé la conquête de la Libye par solidarité avec leurs coreligionnaires dont ils souhaitent l'émancipation »5. Reste qu'entre le juif colonial et le juif colonisé il y a un abîme culturel, le premier ayant un sentiment de supériorité intellectuelle quand le second est surtout attaché à ses traditions. La solidarité demeure superficielle. L'« occidentalisation » ne touche d'ailleurs qu'une infime partie de ceux qui vivent en Libye, à peine quelques centaines, alors que la majorité demeure très conservatrice de son identité rabbinique.

Européaniser et fasciser

Fin 1922, le pouvoir fasciste qui s'installe à Rome prend la relève et transforme la colonie en Quarta Sponda, le quatrième rivage. L'italianisation à marche forcée des juifs libyens commence. Première mesure coercitive : l'obligation d'ouvrir leurs écoles et leurs magasins le jour du shabbat et de fermer le dimanche. Un coup dur pour cette communauté très religieuse. Les contrevenants risquent de fortes amendes, la résiliation de leur licence commerciale, voire l'emprisonnement. C'est la « crise du shabbat » qui se traduira par l'exil en direction de la Tunisie sous protectorat français. Les choses sont loin de s'arranger par la suite.

Alors que les tensions entre juifs et Arabes s'exacerbent en Palestine, le gouverneur en Libye Pietro Badoglio fait fouetter les fauteurs de trouble des deux communautés sur la place publique à Tripoli. Nonobstant, nouveau changement de cap en 1934. Devenu trop encombrant, Italo Balbo, l'un des quadrumvirs (les quatre instigateurs de la marche sur Rome ayant conduit au pouvoir Benito Mussolini), est envoyé à Tripoli.

Nommé gouverneur en Libye, il n'a pas la même perception négative de la judaïcité que le Duce. Sous son administration, la condition juive s'améliore. Italo Balbo entreprend de grands travaux afin de mener tambour battant la modernisation du pays. « Un réseau routier est créé de toutes pièces, avec pour colonne vertébrale la fameuse strada litoranea, destinée à unir la frontière tunisienne et la frontière égyptienne, et qui fut inaugurée par Mussolini en 1937 »6. Le Duce profite de sa venue pour rendre également visite à la hara de Tripoli. À cette occasion, il fait la promesse solennelle de protéger la communauté. Si le Grand conseil du fascisme, la plus haute autorité du Parti national fasciste (PNF), a donné le feu vert à la ségrégation des 51 000 juifs7 en Italie, la communauté en Libye n'est pas touchée et elle est traitée à l'égal des musulmans. Un étrange deux poids, deux mesures qui ne va pas durer.

Dès le 14 juillet 1938, la machine infernale du racisme se met en marche. À peine sept mois plus tard, en janvier 1939, Rome décide par décret que les quatre districts de la Libye font partie intégrante de la péninsule. Subséquemment, l'État définit une nationalité italienne spéciale pour les musulmans, les juifs en sont exclus. Ils sont systématiquement bannis de tous les corps constitués, du secteur public, etc. Dans le privé, la réglementation devient de plus en plus stricte. Comme l'écrit Marie-Anne Matard-Bonucci, « le fascisme brûla les étapes accomplissant en cinq mois ce que l'allié germanique avait opéré en cinq ans » . Bref, l'année 1938 est une année noire pour la judaïcité italo-libyenne. Mais Balbo retarde l'application des lois raciales arguant que leur adoption serait un obstacle à la modernisation. Cela ne durera pas longtemps. En juin 1940, Balbo disparaît tragiquement.

De l'antisémitisme à la déportation

Du jour au lendemain, les juifs de Libye sont sous la coupe du droit antisémite fasciste. Ils tombent sous la loi de « limitation de capacité des personnes de race juive en Libye » datant du 17 décembre 1940. L'entrée en guerre de Mussolini aux côtés d'Hitler détériore encore un peu plus la situation. Les camps d'internement font leur apparition : trois au total, situés dans le désert. Les juifs non-libyens sont expulsés vers la Tunisie ou internés en métropole. Le travail obligatoire, instauré en mai 1942 en Italie, entre en vigueur un mois plus tard en Libye. Entre 4 000 et 5 000 juifs sont envoyés dans les camps de travail aux conditions sordides. D'autres seront déportés en Italie où pèse l'épée de Damoclès de la solution finale.

Après le putsch contre Mussolini le 24 juillet 1943 et l'occupation de l'Italie par la Wehrmacht, le sort des Libyens est aligné sur celui des autres juifs européens : déportation et extermination. En octobre de la même année, une centaine d'entre eux est déportée vers le camp de concentration d'Innsbruck. En février 1944, deux cent personnes sont internées à Bergen-Belsen. Entre 1942 et 1943, des centaines de juifs fuient de nouveau vers la Tunisie. C'est la seconde grande vague de déplacement vers le protectorat français.

Les affrontements entre les forces de l'Axe et les Alliés en Cyrénaïque aggravent leurs conditions de vie. Les flux et reflux des forces anglaises déchirent la communauté qui est accusée de collaboration avec l'ennemi et subit nombre d'exactions. La présence d'un bataillon juif intégré aux forces britanniques aggrave le ressentiment. Le calvaire prend fin avec l'arrivée de la 8e armée du général britannique Bernar Montgomery, le vainqueur de la bataille d'El-Alamein qui a porté un coup mortel aux blindés allemands venus porter secours à l'armée italienne, en octobre-novembre 1942. Tripoli est libérée le 23 janvier 1943.

La mémoire éradiquée

Entre la migration des juifs italiens et le retour des exilés de Tunisie, leur nombre va s'élever à 36 000. Mais leur chemin de croix est-il pour autant fini ? Loin de là. Le pogrom de Tripoli de 1945 est le plus violent massacre de Juifs en Afrique du Nord des temps modernes8. La création de l'État d'Israël en 1948 et les conflits qui s'ensuivent accroissent les tensions. Le 12 juin 1948, durant la première guerre israélo-arabe ((1948-1949), de violentes émeutes anti-juives ont lieu à Tripoli et dans les localités environnantes9. Au lendemain de cette guerre, 90 % des juifs libyens feront leur alya. L'hémorragie humaine n'empêche cependant pas l'hebdomadaire local Al-Tali‘a d'écrire au début des années 1960 : « l'ennemi de l'humanité est le juif »10. Avec la guerre israélo-arabe de 1967, près de 3 500 personnes prennent le chemin de l'exil.

Lorsque Kadhafi arrive au pouvoir en septembre 1969, le pays ne compte plus de 500 âmes juives. Le Guide de la révolution décide de les interner. Il nationalise également leurs biens. En 1974, il n'en reste que 20. Et aujourd'hui, ils ont disparu, on a rasé les cimetières et transformé les hara. Éradiquer le patrimoine pour effacer la mémoire juive libyenne... Fidèle à l'intitulé du pays, la République arabe libyenne, Kadhafi a réussi à créer une société mono-culturale amnésique de tout un pan de son passé pluriel.


1Moïse Rahmani, Réfugiés juifs des pays arabes, éditions Luc Pire, Bruxelles, p.115.

2NDLR. Ce sont en réalité des caves troglodytiques, et ce n'était pas l'habitat exclusif des juifs.

3Georges Bensoussan, Juifs en pays arabes, le grand déracinement 1850-1975, Taillandier, 2021, p.61.

4André Martel, La Libye 1835-1990, essai de géopolitique historique, PUF, 1991, p.151.

5Idem, p.150

6François Burgat, André Laronde, La Libye, PUF, Paris, 1996, p.48

7Le recensement démographique de 1931 avance le chiffre de 47 825 juifs. Des sources juives le majorent à 51 950

8Du 5 au 7 novembre 1945, plus de 140 Juifs sont tués et plusieurs autres blessés dans des émeutes à Tripoli et dans les localités environnantes. Les émeutes de Tripoli constituent un tournant dans l'histoire des Juifs en Libye et vont conduire cette communauté à émigrer en masse vers Israël entre 1949 et 1952

9Les émeutes conduisent à la mort de 13 à 14 Juifs et 4 Arabes ainsi qu'à la destruction de 280 maisons juives

10Cité par Maurice Roumani, « The final exodus of the Libyan Jews in 1967 », Jewish Political Studies Review, XIX, 3/4, 2007, p. 84

EMILIA ROMAGNA : DE L’ARGENT POUR CEUX QUI ARRÊTENT LA PRODUCTION AGRICOLE. LA RÉGION SE DÉFEND AVEC UNE NOTE

Arrêt de la production agricole en Émilie-Romagne ? À partir de 2024, les agriculteurs seront invités à abandonner leur profession et à quitter leurs parcelles de terre. Le marché est le suivant : 20 ans d'arrêt, en échange de 500 à 1500 euros par an, pour chaque hectare non cultivé.

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Lyon-Turin : un projet ferroviaire titanesque, des opposants à couteaux tirés – Entretien avec le délégué général de la Transalpine

Stéphane Guggino est le délégué général du comité pour la Transalpine, association réunissant les défenseurs du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Aux premières loges d’un chantier qui bouleversera les relations commerciales entre la France et l’Italie et le quotidien de millions d’individus sur les deux versants des Alpes, il a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

« En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie »

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le projet de ligne ferroviaire transalpine Lyon-Turin a été lancé il y a plus de 30 ans. Pourquoi n’a-t-il pas encore vu le jour ? Où en est-on de l’avancée des chantiers ? 

Stéphane Guggino, délégué général de la Transalpine – Ces retards ne sont pas propres au Lyon-Turin. À l’échelle européenne, la construction des grandes infrastructures de transport affichent en moyenne 15 ans de retard. Nous sommes un peu en dessous. Il faut réaliser que c’est un projet d’une grande complexité sur les plans technique d’abord, mais aussi juridique, financier, politique et diplomatique. La particularité du Lyon-Turin est d’être un projet binational. Les procédures juridiques et financières sont différentes entre les deux pays. Et puis au gré des alternances politiques des deux côtés des Alpes, des dissymétries se créent dans la dynamique globale du projet. Quand la France accélère, l’Italie ralentit, et inversement. Les priorités nationales peuvent évoluer épisodiquement.

À cette complexité s’ajoute le fait que l’Europe intervient massivement dans la mise en œuvre du projet, à travers notamment ses financements. Cela fait un étage de plus dans un processus décisionnel qui, dans chaque pays, va des plus hautes autorités de l’État jusqu’aux élus locaux, en passant par l’enchevêtrement peu lisible des administrations qui ont trop souvent une lecture franco-française du projet alors que c’est un programme éminemment européen.

Il y a quelques mois, un Conseil d’orientation a produit un rapport pour éclairer le gouvernement sur la programmation des investissements dans le domaine des transports. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les analyses concernant le Lyon-Turin s’arrêtaient nette à la frontière franco-italienne, sans se soucier du projet différent développé par nos voisins de leur côté. Or, le Lyon-Turin est un programme conçu comme un ensemble composé de sections interdépendantes les unes des autres. Cela exige nécessairement une approche globale et cohérente.

Contrairement à l’époque des grands projets d’avenir structurants, certaines administrations d’État sont rétives aux grands investissements de long terme dans un contexte où l’on recherche des rentabilités rapides. Or, les projets ferroviaires sont très longs à mettre en œuvre et leur rentabilité socio-économique s’inscrit fatalement dans la durée.

Pour autant, il ne faut pas non plus noircir le tableau. Sur le terrain, les choses avancent, en particulier en ce qui concerne le tunnel de 57,5 km sous les Alpes en cours de creusement. Ce tunnel est la clé de voute du programme Lyon-Turin. Sa réalisation orchestrée par le maître d’ouvrage public TELT est désormais irréversible et la montée en puissance du chantier est spectaculaire. 100 % des contrats de génie civil ont été attribués. 22 % du projet global ont été réalisés. 34 km de galeries ont été creusées, dont 13 km du tunnel définitif. Plus de 2500 salariés sont déjà mobilisés sur le chantier en Savoie. Les sept tunneliers vont arriver progressivement à partir de 2024, et le rythme va sérieusement s’accélérer. L’ouvrage devrait être livré en 2032. Ce qui nous préoccupe davantage aujourd’hui, c’est l’aménagement des indispensables voies d’accès au tunnel. En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie.

Forage du tunnel de la Transalpine. Crédits @ValentinCitton

« Le principal axe ferroviaire qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle »

Quel impact aura le lancement de la Transalpine sur les échanges économiques entre la France et l’Italie ?

Les enjeux économiques attendus dépassent la France et l’Italie pour s’inscrire dans une véritable vision européenne. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne a fait depuis longtemps du Lyon-Turin une priorité stratégique. Avec ce grand programme structurant reliant la péninsule ibérique et l’Europe centrale, il s’agit de rééquilibrer l’économie de l’espace européen au profit de l’Europe du Sud. Le Lyon-Turin doit un peu jouer pour l’Europe du Sud le même rôle qu’a joué le tunnel sous la Manche pour l’Europe du Nord.

La France et l’Italie seront naturellement les premières concernées par ces retombées économiques. En 2022, la valeur des échanges entre les deux pays s’est élevée à 132 milliards d’euros. La France et l’Italie sont respectivement le second partenaire commercial de l’autre. Ils représentent près de 30 % des habitants et 30 % du PIB de l’UE. Or, le principal axe ferroviaire fret et voyageurs qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle.

Avec cette nouvelle liaison moderne, il s’agit donc de replacer cet axe au cœur de flux créateurs de valeurs. Pour les voyageurs, la réduction des temps de trajet favorisera les échanges culturels, universitaires, touristiques…

Ce qui est valable pour les voyageurs l’est encore plus pour les marchandises. Mais avec l’objectif impérieux de réconcilier l’économie et l’écologie. Aujourd’hui, la quasi-totalité des marchandises entre la France et l’Italie sont transportées par poids lourds. En proposant aux entreprises un mode de transport de masse décarboné, rapide et fiable sur un axe européen stratégique, l’enjeu est de faire évoluer la chaine logistique vers un modèle plus efficace et plus respectueux de l’environnement.

 

« Localement, les électorats de LFI et d’EELV sont majoritairement favorables à la Transalpine »

La Transalpine est régulièrement présentée comme un projet controversé, pourtant un sondage IFOP révélait l’année dernière une large adhésion des habitants des départements de la région Auvergne Rhône-Alpes concernés par le projet (81 % des sondés étaient favorables au projet). Comment expliquez-vous ce décalage ?

Oui, c’est assez curieux. Le Lyon-Turin est le fruit de trois traités internationaux ratifiés à chaque fois à une large majorité au Parlement. Depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République, quelle que soit leur couleur politique, ont soutenu sans ambiguïté le projet. La quasi-unanimité de collectivités locales concernées par le projet le soutiennent également. Même écho du côté des syndicats de salariés et des organisations patronales.

Le sondage régional réalisé par l’IFOP pour la Transalpine en juin dernier est à cet égard assez illustrant. L’adhésion des populations au Lyon-Turin est non seulement très forte mais relativement homogène par tranche d’âge, par CSP et par sensibilité politique, y compris dans les électorats LFI et EELV qui sont les deux seuls partis à s’y opposer. Contrairement aux cadres de ces partis, leurs électorats sont favorables au projet à plus de 80 %. Sur ce sujet comme sur d’autres, ces résultats démontrent un net décalage entre les sympathisants et les élites partidaires.

Pour autant, aussi minoritaires qu’ils soient, les opposants au Lyon-Turin sont bruyants et attirent l’attention des médias qui reprennent en boucle l’idée du « projet contesté ». Aucun projet ne fait l’unanimité.

Manifestation des Soulèvements de la Terre contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

« Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition au Lyon-Turin s’est nettement radicalisée »

Du côté français, un certain nombre d’associations et de mouvements radicaux (Attac, les Soulèvements de la Terre, Sud Rail, Non au Lyon Turin…) se mobilisent pour bloquer l’avancement de la transalpine. Quel impact ont leurs actions ? Celles-ci se sont-elles intensifiées récemment ? Sont-elles plus violentes en France ? En Italie ? Quels partis et personnalités politiques se font les relais de ces activistes ? 

Il faut bien comprendre que l’opposition au projet est née en Italie, au début des années 2010. Le Mouvement 5 Étoiles, créé par l’humoriste Beppe Grillo, en a fait un étendard et s’est fortement appuyé sur cette contestation locale pour progresser au niveau national. Dans une logique « antisystème », certains diraient populiste, cette opposition s’est cristallisée en partie sur les grands projets d’infrastructure. Par son ampleur, le Lyon-Turin était donc un bon sujet de mobilisation.

Dans les cortèges, ont trouvait des écologistes sincères, des public animés par le syndrome NIMBY et aussi beaucoup de mouvements de la gauche radicale, avec même certains éléments issus des Brigades rouges. Les premiers affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier ont été très violents. Mais au fil du temps, le mouvement s’est essoufflé. Aujourd’hui, ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils se sont radicalisés. Régulièrement, des petits groupes encagoulés attaquent le chantier, protégé en permanence par des policiers et l’armée, avec des pierres et des feux d’artifice.

Les activistes recrutent principalement dans les milieux anarchistes de Turin et de Milan en jouant de la rhétorique de l’intersectionnalité des luttes. Il y a quelques semaines, un rassemblement près du chantier a vu débarquer des éco-féministes, des activistes LGBT et des militants de la cause palestinienne dont on peine à comprendre le lien avec le Lyon-Turin.

En France, l’opposition a commencé à éclore au début des années 2010 mais de manière plus pacifique et confidentielle. Face à la mobilisation des Italiens, les écologistes n’ont pas voulu être en reste. Après avoir soutenu et porté le projet pendant plus de 20 ans, les écologistes ont fait un virage à 180 degrés en 2012. Du jour au lendemain, le Lyon-Turin est passé du statut de projet essentiel à celui de projet dévastateur de l’environnement. Les théoriciens de cette opposition se comptaient pourtant sur les doigts d’une main. Mais ils sont petit à petit parvenus à essaimer leurs arguments dans les réseaux écologistes et de la gauche radicale.

Ce virage a été initié localement par une nouvelle génération de cadres écologistes annonciateurs des mouvements d’activistes plus radicaux que l’on connaît aujourd’hui. En juin dernier, il y a eu une manifestation des Soulèvements de la Terre. De l’aveu même des organisateurs, ils ne connaissaient pas le dossier. Mais au même titre que le nucléaire, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou plus récemment les bassines de Sainte-Soline, le Lyon-Turin est devenu un totem qui mobilise une base d’activistes radicaux. Avant le départ du cortège des Soulèvement de la Terre, les participants ont scandé « Nous sommes tous antifascistes ». Là encore, difficile de comprendre le lien avec le Lyon-Turin. Toujours est-il que cette manifestation, émaillée de violences, était officiellement soutenue par les élus Verts de la région dont beaucoup étaient présents sur place aux côtés de la France Insoumise. Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition sur le Lyon-Turin s’est nettement radicalisée. Jean-Luc Mélenchon lui-même évoque régulièrement le sujet dans ses meetings et interviews.

Certains activistes locaux cherchent à importer en France les éléments radicaux italiens, pour l’instant en vain. Cet été, pour la première fois, deux engins de chantier ont été incendiés. Mais pour l’heure, l’opposition en France reste marginale et non violente, même si on observe des signes de structuration.

Manifestation des activistes italiens de No Tav contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

 

 

« Ces 15 dernières années, trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin ont été inaugurés en Suisse »

Dans un reportage publié en avril 2023, le think tank « citoyen » Mr Mondialisation qualifiait la transalpine de « TGV écocidaire » et d’« aberration écologique et sociale ». Il se trouve qu’en novembre dernier le crime d’écocide a été ajouté à la liste des infractions pénales de l’UE. Les travaux liés aux forages des tunnels sont-ils réellement assimilables à un crime contre l’environnement, à la destruction complète d’un écosystème ? 

Il faut être clair, un chantier de cette envergure a forcément des impacts sur l’environnement. Mais il faut évidemment en mesurer les bénéfices sur le long terme. De ce point de vue, toutes les études démontrent que l’équilibre coûts-bénéfices sera positif. Les effets sur la nature et sur la biodiversité sont très surveillés et relativement limités, puisqu’il s’agit de construire un tunnel sous la montagne. Les Suisses, qu’on peut difficilement accuser de mépriser l’environnement, ont inauguré ces 15 dernières années trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin. Leurs performances en matière de report modal de la route vers le rail sont exceptionnelles. Les écolos suisses y étaient au départ opposés, mais aujourd’hui ils en sont très fiers.

En vérité, le discours écologiste des opposants semble n’arriver qu’au second rang. Pendant la manifestation des Soulèvement de la Terre, la plupart des participants interrogés par les médias étaient incapables d’avoir une argumentation structurée au-delà de quelques poncifs. Le vrai sujet semble être politique. C’est celui de la décroissance et de la lutte contre le capitalisme. Une myriade de mouvements plus ou moins importants s’agrègent autour de cette vision du monde : Sud Rail, Les Amis de la Terre, Extinction Rébellion, Attac… Pour eux, le Lyon-Turin va favoriser les échanges commerciaux en Europe. Et il est trop tard pour attendre les bénéfices du Lyon-Turin qui arriveront dans plusieurs années, bien après le grand effondrement qu’ils prédisent à court terme. Les termes les plus anxiogènes de la novlangue des activistes du climat sont abondamment utilisés. Par exemple, on ne parle plus de « sabotage » mais de « désarmement » des chantiers.

Il est normal que cette opposition s’exprime en démocratie. Ce qui est plus contestable, c’est de désinformer l’opinion en niant l’expertise des scientifiques et de tous les professionnels du rail qui sont unanimes sur l’utilité du Lyon-Turin. D’ailleurs, il est frappant de constater que les opposants ne comptent dans leurs rangs aucun expert du sujet. Leur dernière trouvaille consternante est d’affirmer que le tunnel du Lyon-Turin va « vider l’eau des Alpes qui tombe dans le trou qu’on creuse ».

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est la perméabilité grandissante de ces mouvements à des discours radicaux comme celui du sociologue suédois Andreas Malm, devenu une véritable référence dans ces milieux. Selon lui, les manifestations pacifiques ont montré leur inefficacité. L’urgence climatique légitime donc les actes de désobéissance civile, voire de violence et de sabotages. Entendre des élus de la République valoriser ce type de discours, par ailleurs rejeté par une immense majorité de l’opinion, est quand même très inquiétant.

 

« 92 % des marchandises échangées entre la France et l’Italie transitent par la route et 8 % par le rail »

Le rail est le mode de transport dont l’empreinte carbone est la plus légère. Il ne contribue qu’à 1,2 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports au niveau mondial, alors que le transport routier représente trois quarts des émissions de GES. Selon l’Agence International de l’Énergie « Doubler le transport ferroviaire équivaudrait à supprimer 20 000 poids lourds sur le réseau routier, pour une économie de 450 000 tonnes de CO2 chaque année. ». Combien de tonnes de CO2 pourraient être économisées par la Transalpine, dès la première année de sa mise en service ? 

Le train est non seulement le mode de transport terrestre le moins émetteur de gaz à effet de serre (neuf fois moins que le transport routier), mais il est aussi celui qui génère le moins de pollution aux particules fines. Il est en outre le moyen de transport le plus sobre en énergie, ce qui sera l’une des grandes problématiques des années à venir.

Le Lyon-Turin est une ligne mixte. Il transportera des passagers, mais 80 % de la ligne sera dédiée au fret ferroviaire. 47 millions de tonnes de marchandises franchissent chaque année la frontière entre la France et l’Italie. Seulement 8 % sont transportés par le rail sur une ligne obsolète héritée de Napoléon III, et 92 % par la route.

Cela représente trois millions de poids lourds par an, la moitié par les Alpes du nord et l’autre moitié par la côte méditerranéenne. Avec de bonnes mesures d’accompagnement, l’objectif est de basculer dans un premier temps un million de camions sur le rail et d’éviter le rejet de plus d’un million de tonnes de CO2 par an. Le bénéfice en CO2 devrait être atteint environ 15 ans après la mise en service de la ligne. Cela peut paraître long, mais à l’échelle d’une infrastructure dont l’utilisation sera de plus d’un siècle, c’est avant tout une manière de préparer l’avenir.

 

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Espagne: le retour du masque suscite la polémique

Face à une présupposée hausse des cas covid et des cas de grippe, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) demande aux citoyens du continent qui se sentent malades de rester chez eux. Il recommande aussi le port de masques dans les endroits hautement fréquentés et les établissements de santé. Face à l’évolution de la situation sanitaire en Europe, le gouvernement espagnol compte mettre en vigueur un mandat de port de masque. Alors que l’impact positif de cette mesure durant la crise Covid n’a jamais été démontré, cette nouvelle mesure a déclenché nombreuses réactions négatives.

Face à une présupposée hausse des cas maladies respiratoires, pour limiter la transmission des infections, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies sonne l’alarme, préconisant le port du masque dans les établissements de santé. L’Europe se débat avec des décisions cruciales sur le port du masque, laissant entrevoir des divergences et des tensions. L’Italie et l’Espagne seraient confrontés à un dilemme entre la protection de la santé publique et la résistance aux mesures restrictives.  Néanmoins, dans le passé, une étude Cochrane, au Royaume-Uni (revue d’articles destinée à l’organisation et au partage de l’information dans la recherche médicale) avait déjà révélé que le port des masques faciaux n’offrait pas une protection contre les infections respiratoires comme le Covid-19.

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L’hôpital en France : un secteur en mal de concurrence

Un article de Romain Delisle

Au début du mois d’octobre, Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la Fédération hospitalière de France qui représente les hôpitaux publics, a déclaré un besoin non satisfait par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 de 2 milliards d’euros, et de 1,9 milliard d’euros pour l’année en cours, alors que le total des dépenses allouées aux établissements publics et privés se monte déjà à 98,4 milliards en 2022.

Depuis quinze ans, l’hôpital public est habitué à demeurer sous perfusion de l’État. En 2007 et en 2012, deux plans d’investissement avaient fait tripler sa dette à 29,3 milliards d’euros, qui s’élève toujours à 31,3 milliards d’euros.

C’est cette situation délétère qui a motivé la Cour des comptes à s’intéresser à la question, ainsi qu’à celle de la concurrence privé / public dans le secteur médical, permettant de constater l’incapacité chronique de l’hôpital public à investir dans sa propre modernisation, engendrant un état de vétusté de ses équipements de plus en plus problématique. Cet état des lieux tranche avec celui du secteur privé, bien que la concurrence entre les deux ne puisse, à l’heure actuelle, s’appliquer de manière pure et parfaite.

 

La situation financière des hôpitaux publics leur interdit d’investir pour se moderniser et les place à la remorque de l’État

Depuis 2006, le budget des hôpitaux publics a toujours été plus ou moins déficitaire : à la veille de la crise sanitaire, en 2019, leur déficit annuel se montait à 558 millions d’euros. Un tiers des hôpitaux réussissait à réaliser un bénéfice net, un tiers ne dégageait pas de marges sans tomber dans le déficit, et un tiers possédait des comptes dans le rouge.

Assez logiquement, en 2021, ce même tiers disposait d’une capacité d’autofinancement nette [1] négative (-816 millions) lui interdisant d’investir sans emprunter. Moyennant quoi, peu avant la crise sanitaire, en septembre 2019, l’État avait dû, une nouvelle fois, venir à leur secours via un plan de restauration de leurs capacités financières de 13 milliards d’euros, dont la moitié avait été consacrée au désendettement, et l’autre à des investissements de modernisation.

Opéré de manière désorganisée et parfois farfelue (l’ARS de Corse a alloué tous ses crédits au seul hôpital de Castelluccio), la distribution des subsides publics ne s’est pas réalisée moyennant une amélioration de la performance des établissements de santé, le taux de vétusté de leurs bâtiments (52,9 % en 2021 contre 45,5 % en 2015), et de leurs équipements (80 % en 2021 contre 76 % en 2015) continuant sa lente et inarrêtable ascension.

Lors du Ségur de la santé, l’État avait également mobilisé 15,5 milliards pour soutenir le secteur. Aux dires des magistrats financiers de la rue Cambon, les aides versées pendant la crise sanitaire ont été distribuées sans contrôle par les ARS (Agences régionales de santé) des surcoûts effectifs supportés par les établissements de soins. Par exemple, les sommes engagées liées à la réalisation des tests de dépistage du covid, soit 1,3 milliards au total, ne reposaient que sur des fichiers déclaratifs, et les CHU de Strasbourg estiment avoir reçu 13,9 millions en trop…

À l’inverse des établissements de santé du secteur privé, les hôpitaux publics n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de fréquentation d’avant la crise sanitaire (-1,7 % par rapport à 2019) et leurs charges ont augmenté de 16,5 % entre 2018 et 2021, soit 11,9 milliards (dont 8 milliards pour le personnel). Selon l’OCDE, la part de personnel non-soignant y demeure de 33,5 %, un chiffre toujours largement supérieur à celui, de 22,2 %, observé outre-Rhin.

Les hôpitaux privés ne bénéficient pas des mêmes largesses de la part de l’État et pourtant, leur situation financière s’est mieux remise de la crise sanitaire. Selon la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), leur taux de bénéfice net s’établit à 3,7 % en 2021, en progression de 0,6 point par rapport à l’année précédente, et au plus haut depuis 2006. Les étalissements de santé privé sont donc en situation de consacrer 5,2 % de leurs recettes à leurs investissements.

 

La concurrence entre hôpitaux est imparfaite et entravée par la réglementation

Parmi l’une des sources majeures de financements des établissements de santé, se trouve la tarification à l’acte (T2A) : l’assurance maladie verse une somme fixe [2] pour chaque acte pratiqué, même les hôpitaux privés ne peuvent pas demander une participation financière du patient pour les activités purement médicales. En revanche, les hôpitaux publics perçoivent une dotation de l’Assurance maladie distribuée par les ARS, quand le secteur privé tire ses autres revenus de prestations non-médicales [3] facturées aux patients.

Le secteur public continue de se tailler la part du lion (74,4 %) en ce qui concerne les journées d’hospitalisation complète en court séjour, du fait de la redirection des patients du SAMU et de la prise en charge du transport des patients par le SMUR (Structure mobile d’urgence et de réanimation), publics tous deux.

Comme le note la plus haute juridiction financière hexagonale, du fait de la répartition des autorisations de réanimation (84 % pour les adultes et 94 % pour les enfants), l’hôpital public détient presque le monopole des urgences, ce qui pénalise ses concurrents privés. De fait, ceux-ci se positionnent sur des activités moins urgentes, reprogrammables et plus rémunératrices (53,4 % des séjours en chirurgie par exemple) suscitant, paradoxalement, l’ire des représentants du secteur public.

Deuxième point intéressant : une distorsion de concurrence s’observe sur la question fiscale. L’IGF et l’IGAS (Inspection générale des finances et des affaires sociales) avaient, par exemple, calculé une différence de 5 points s’agissant du taux de versement des cotisations sociales. Les établissements publics sont également exonérés de taxe foncière pour les bâtiments affectés aux soins, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues privés pour lesquels la fiscalité locale, si l’on s’en tient au privé non lucratif, pèserait sept fois plus intensément.

 

Une situation naturellement inique qui ne favorise pas l’amélioration de la qualité des soins

En somme, l’hôpital public apparaît victime d’un acharnement thérapeutique de l’État qui freine sa mise en concurrence. Il faut recommander d’une part de laisser davantage d’autonomie aux établissements de santé publique, en leur permettant eux-aussi de facturer des prestations payantes aux patients ; et d’autre part de les responsabiliser en indexant leur dotation sur l’effort entrepris pour réduire les dépenses purement administratives, ce qui aurait le mérite de commencer à libéraliser un modèle économique qui en aurait bien besoin.

 


[1] Correspond à l’addition des bénéfices nets et des charges diverses d’une organisation, comprenant le montant des capitaux des emprunts à rembourser.

[2] Selon deux échelles différentes dans le public et dans le privé, mais selon le même mode de fonctionnement.

[3] Dites prestations pour exigence particulière, typiquement la mise à disposition de la télévision ou d’internet dans la chambre d’un patient ou les activités de chirurgie esthétique.

Sur le web.

Que s’est-il passé en Italie en 2020 

«Comment le virus supposé a-t-il fait le tour du monde à la vitesse de l’éclair, de Wuhan à la Lombardie, tout en contournant des régions qui n’étaient qu’à une courte distance de la Lombardie ?»

A Carhaix, on recrute un médecin à 1.400€ la demi-journée pour plaire aux élus

Carhaix est une ville de 7.000 habitants située à 45 minutes de Morlaix et de Guingamp, qui dispose d’un hôpital avec un service d’urgence. Problème : l’urgentiste est devenu une denrée rare, et l’un des deux postes à l’hôpital est vacant. Après le terrible décès d’une enfant aux urgences, en septembre, l’ARS a procédé à la fermeture du service. L’État vient de s’engager à recruter un nouvel urgentiste à 1.400€ par jour, soit pratiquement 20.000€ par mois. Beaucoup de communes de la banlieue parisienne rêveraient d’un tel engagement de l’État pour disposer d’un urgentiste. Mais… au nom de l’égalité sur tout le territoire, ce sont une fois de plus les zones où l’on s’entasse le plus qui manquent de moyens pour protéger ceux qui ont la vie la plus agréable.

On connaît la musique : face au suréquipement hospitalier français, et à ses nombreux emplois dont beaucoup sont de plus en plus souvent vacants faute de personnel disponible, les communes rurales bénéficient d’un traitement de faveur. Alors que les zones urbaines doivent se serrer la ceinture, les petits hôpitaux (souvent dangereux) sont maintenus sous respirateur artificiel, au prix d’une ruine pour notre système de santé.

Ces choix illogiques financés par les contribuables des villes sinistrées médicalement viennent de trouver une nouvelle illustration à Carhaix, en Bretagne. Cette commune de 7.000 habitants dispose en effet d’un hôpital. Problème : l’un des deux postes d’urgentistes y est vacant, ce qui rend impossible l’ouverture de l’hôpital 24h sur 24. Les pompiers sont donc chargés, la nuit, de “réguler” les urgences, c’est-à-dire de conduire les patients dans un autre hôpital.

Ce problème est bien connu : la vie en zone rurale impose des sujétions particulières, et les moyens pour y répondre sont très onéreux, dans un système dont le budget représente au total (sur l’ensemble de la protection sociale) plus du tiers de la richesse nationale.

Dans les arbitrages finaux, le poids des élus locaux est déterminant. Le maire de Carhaix, Christian Troadec, est devenu un spécialiste de l’activisme rural breton, grâce à une victimisation systématique. Les gens des zones rurales seraient, en France, paraît-il, mal traités. Curieusement, on en voit peu se battre pour aller s’entasser dans de petits appartements urbains au milieu du stress et des transports en commun.

Grâce à cette stratégie habile, Troadec a obtenu un engagement de l’État dont nous publions quelques extraits. Parmi ceux-ci, l’État annonce des dépenses nouvelles absolument ahurissantes dans ce petit hôpital (voir ci-dessous). Autant de moyens en moins pour les banlieues difficiles. Mais, comme nous le publions plus haut, l’État s’engage aussi à recruter un urgentiste intérimaire, au coût de 1.400€ la demi-journée. C’est pas grave, c’est la Sécu qui paie.

L’atterrissage des finances publiques sera douloureux pour beaucoup de Français persuadés qu’ils ont droit à tout sans contrepartie.

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« L’équité sociale » de Giorgia Meloni : des taxes socialistes

Dans notre imaginaire, l’Italie nous renvoie à Rome et au Colisée, à la Cité du Vatican, ou plus près de nous, à Cinecittà établie sur une idée de Mussolini, grand admirateur des débuts du cinéma soviétique.

Mais on oublie que l’Italie fut le berceau des banques et du capitalisme.

On lui doit, entre le XIIe et le XIIIe siècle, l’invention de la lettre de change ancêtre du chèque, de la comptabilité analytique et des dépôts à l’origine des banques.

Madelin avait coutume de dire qu’en France, quand on était à court d’idées, on avait toujours une idée de taxe. Cet adage pourrait apparemment avoir cours chez nos voisins transalpins où l’on parle de taxation des superprofits des banques italiennes. Mais la Bourse a fait reculer le gouvernement italien.

Parti d’une mise en place prochaine d’une taxe sur les bénéfices des banques dont les revenus ont augmenté en 2022 et 2023 en raison de la hausse des taux, certaines valeurs ayant dévissé de plus de 10 % en une journée à la suite du lâchage par les investisseurs du secteur bancaire italien en bourse, le gouvernement Meloni a sagement descendu le plafond maximal de contribution de 25 % du total de leurs actifs net à… 0,1 %

 

Mesure présentée comme un exemple d’équité sociale

Lors du Conseil des ministres le 7 août, le vice-Premier ministre Matteo Salvini avait pourtant déclaré  vouloir prélever une taxe de 40 % sur les « surprofits de milliards » d’euros des banques pour compenser le coût pour les ménages et entreprises de l’envolée des taux d’intérêt… Avant de revenir en arrière.

Si certaines ONG et organes écologistes réclament une mise en place de taxes sur les profits afin de financer une transition écologique, en Italie, cette mesure est présentée comme un exemple d’équité sociale. Les profits de cette taxe devraient permettre des baisses d’impôts des ménages et des entreprises. Cette taxe des banques devait être réglée d’ici juin 2024, et ne concernait que les exercices comptables 2022 et 2023. Elle devait surtout permettre à Giorgia Meloni de bâtir son prochain budget sur fond de ralentissement économique.

Les recettes provenant de la taxation des « marges injustes des banques » serviront à « financer des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises » qui traversent « une période difficile en raison du coût élevé de l’argent », avait ainsi fait valoir la Première ministre, Giorgia Meloni. « Nous avons décidé d’introduire une taxe de 40 % sur la différence injuste du revenu net d’intérêts », à savoir la différence entre ce que « les banques vous facturent pour vous prêter de l’argent, et ce qu’elles concèdent lorsque vous déposez de l’argent », avait-elle expliqué dans une vidéo postée sur Facebook. « Nous disons depuis des mois que la Banque centrale européenne a tort de relever les taux d’intérêt », et cette taxation en « est la conséquence inévitable », avait renchéri le vice-Premier ministre, Antonio Tajani.

Mais le lendemain de l’annonce de cette décision, les valeurs bancaires de la Bourse de Milan, Intesa Sanpaolo et Unicredit, perdaient respectivement 8,6 % et 5,9 % à la clôture ; monte dei Paschi di Siena a dévissé de 10,8 %, Bper Banca de 10,9 %, et Banco Bpm de 9 %. Les banques italiennes ont en principe perdu 9,5 milliards d’euros de capitalisation en une seule séance, selon l’agence d’informations financières Radiocor ; en principe parce que la valeur n’est réelle qu’au moment de la liquidation.

Face à cette réaction qui a tiré l’indice de la bourse de Milan à la baisse de 2 % mardi, le gouvernement a d’abord fait un premier geste en assurant que la taxe s’appliquerait finalement aux groupes bancaires italiens dont le revenu net enregistré a augmenté de 5 % entre 2021 et 2022, et de 10 % entre 2022 et 2023.

Une annonce qui n’a pas calmé les investisseurs et qui a poussé le gouvernement à un pas en arrière, beaucoup plus conséquent.

Mardi soir, après avoir constaté les dégâts après la clôture de la bourse, les équipes du gouvernement ont annoncé qu’« afin de préserver la stabilité des institutions bancaires », le décret prévoit « un plafond pour la contribution, qui ne peut excéder 0,1 % du total des actifs » d’une banque… contre 25 % annoncé la veille. Ce qui « réduit considérablement l’impact de la taxe », ont commenté ce mercredi les analystes de Jefferies qui estiment désormais le coût total pour les banques à 2,5 milliards d’euros contre 4,9 milliards auparavant.

En outre, les banques qui ont « déjà ajusté leurs taux » en réduisant l’écart entre les taux d’emprunt et la rémunération des comptes courants, « ne seront pas affectées de manière significative » par la taxe, a également promis le ministère de l’Économie mardi soir. En effet, les banques italiennes ont vu s’envoler leurs revenus engendrés par les intérêts dans la foulée de la hausse des taux, sans pour autant augmenter la rémunération des comptes courants de leurs clients dans les mêmes proportions. Selon l’organisation patronale Unimpresa, les banques italiennes rémunèrent les 669 milliards d’euros de dépôts bancaires à hauteur de 0,32 % en moyenne, alors que les taux sur les 1312 milliards d’euros d’emprunts aux familles et entreprises atteignent 4,25 %.

Cette taxe sur les « surprofits » des banques, qui devra être réglée d’ici juin 2024, concernera les exercices comptables de 2022 ou 2023.

Après ce rétropédalage salutaire de la coalition conservatrice au pouvoir, les financiers ont finalement été rassurés. À 12 heures mercredi dernier, Intesa Sanpaolo prenait 3,1 %, Unicredit 4,2 %, Monte dei Paschi 3,7 %, Banco BPM 3,6 %, et BPR Banca 3,4 %.

Précédemment, l’Italie avait déjà visé les grandes entreprises du secteur de l’énergie.

En mai 2022, elle avait fait part de son intention de porter à 25 % la taxe sur les profits engendrés par la hausse des prix due à la guerre en Ukraine. Une mesure intervenue en même temps que celle décidée au Royaume-Uni, avec là aussi, une taxe temporaire de 25 % sur les bénéfices des géants du pétrole et du gaz.

Le chef du gouvernement socialiste espagnol, Pedro Sanchez, a sauté le pas mi-juillet de l’année 2022, et s’est attaqué aux banques et au secteur de l’énergie. L’Allemagne verte et social-démocrate a de son côté adopté une mesure similaire en décembre dernier, en votant une taxe appelée « contribution sociale » des compagnies pétrolières et gazières, en taxant les bénéfices réalisés en 2022 et 2023.

 

La justice sociale présuppose que la société serait « un ordre construit »

Mais au fond, qu’est-ce que la fameuse justice sociale prétexte à toutes ces taxes ?

Pour l’économiste Friedrich Hayek, l’adjectif « social » est le mot qui prête le plus à confusion dans notre vocabulaire politique.

Est social tout phénomène produit par l’interaction de plusieurs hommes. Mais l’on qualifie aussi une action ou une institution de « sociale » pour indiquer que l’on approuve ses effets sur un secteur particulier de la société (les pauvres, les enfants, etc.). Ainsi, l’adjectif a acquis une connotation normative qui s’est graduellement transformée, présomption fatale, en une exhortation « au service d’une morale rationaliste, considérée comme devant supplanter la morale traditionnelle ».

L’expression « justice sociale » possède donc deux acceptions.

Elle peut désigner, soit la justice en société, soit la justice distributive, auxquelles correspondent deux types de droits différents :

  • d’une part, les droits généraux ou droits de base que peut exiger tout membre de la société.
  • d’autre part, les droits particuliers qui naissent des relations spécifiques, par exemple entre parent et enfant, mari et femme, patron et salarié, etc.

 

On utilise généralement le terme « justice » pour désigner les droits de base. L’expression « justice sociale » désigne des droits particuliers auxquels correspondent des devoirs spécifiques envers les travailleurs, ou les catégories sociales défavorisées.

Selon Hayek, le plus grave, c’est que le glissement de la première vers la seconde acception est imputable au libéral John Stuart Mill, une conséquence du développement des thèses socialistes. Mill a eu tort de prendre à cœur les critiques des saint-simoniens et de proposer de mettre en place des institutions favorisant la justice sociale dans le cadre de la propriété privée et de la concurrence.

Hayek nous rappelle que la notion de justice sociale présuppose que la société serait une « organisation », un ordre « construit », alors que l’on doit laisser poindre les harmonies de « l’ordre spontané ».

Hayek avance une explication anthropologique du succès de l’idée de « justice sociale ».

Cette revendication serait une résurgence de la « morale tribale » prévalant dans le « micro-ordre primitif » où quelques individus entretiennent des relations personnelles, par opposition aux relations impersonnelles de « l’ordre de marché ». La recherche de la justice sociale est anachronique, elle exprime « une nostalgie nous rattachant aux traditions du groupe humain restreint des origines, mais qui a perdu toute signification dans la société ouverte des hommes libres. »

Giorgia Meloni devrait relire Roger Scruton dont elle fait l’éloge, mais qui reprend complètement les thèses de Friedrich Hayek quand il dénonce la notion de « justice sociale ».

Pour garder ses frontières, l'Europe se précipite au chevet de la Tunisie

Alors que le régime du président Kaïs Saïed peine à trouver un accord avec le Fonds monétaire international, la Tunisie voit plusieurs dirigeants européens — notamment italiens et français — voler à son secours. Un « soutien » intéressé qui vise à renforcer le rôle de ce pays comme garde-frontière de l'Europe en pleine externalisation de ses frontières.

C'est un fait rarissime dans les relations internationales. En l'espace d'une semaine, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, aura effectué deux visites à Tunis. Le 7 juin, la dirigeante d'extrême droite n'a passé que quelques heures dans la capitale tunisienne. Accueillie par son homologue Najla Bouden, elle s'est ensuite entretenue avec le président Kaïs Saïed qui a salué, en français, une « femme qui dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas ». Quatre jours plus tard, c'est avec une délégation européenne que la présidente du Conseil est revenue à Tunis.

Accompagnée de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du premier ministre néerlandais Mark Rutte, Meloni a inscrit à l'agenda de sa deuxième visite les deux sujets qui préoccupent les leaders européens : la stabilité économique de la Tunisie et, surtout, la question migratoire, reléguant au second plan les « valeurs démocratiques ».

Un pacte migratoire

À l'issue de cette rencontre, les Européens ont proposé une série de mesures en faveur de la Tunisie : un prêt de 900 millions d'euros conditionné à la conclusion de l'accord avec le Fonds monétaire international (FMI), une aide immédiate de 150 millions d'euros destinée au budget, ainsi que 105 millions pour accroitre la surveillance des frontières. Von der Leyen a également évoqué des projets portant sur l'internet à haut débit et les énergies vertes, avant de parler de « rapprochement des peuples ». Le journal Le Monde, citant des sources bruxelloises, révèle que la plupart des annonces portent sur des fonds déjà budgétisés. Une semaine plus tard, ce sont Gérald Darmanin et Nancy Faeser, ministres français et allemande de l'intérieur qui se rendent à Tunis. Une aide de 26 millions d'euros est débloquée pour l'équipement et la formation des gardes-frontières tunisiens.

Cet empressement à trouver un accord avec la Tunisie s'explique, pour ces partenaires européens, par le besoin de le faire valoir devant le Parlement européen, avant la fin de sa session. Déjà le 8 juin, un premier accord a été trouvé par les ministres de l'intérieur de l'UE pour faire évoluer la politique des 27 en matière d'asile et de migration, pour une meilleure répartition des migrants. Ainsi, ceux qui, au vu de leur nationalité, ont une faible chance de bénéficier de l'asile verront leur requête examinée dans un délai de douze semaines. Des accords devront également être passés avec certains pays dits « sûrs » afin qu'ils récupèrent non seulement leurs ressortissants déboutés, mais aussi les migrants ayant transité par leur territoire. Si la Tunisie acceptait cette condition, elle pourrait prendre en charge les milliers de subsahariens ayant tenté de rejoindre l'Europe au départ de ses côtes.

Dans ce contexte, la question des droits humains a été esquivée par l'exécutif européen. Pourtant, en mars 2023, les eurodéputés ont voté, à une large majorité, une résolution condamnant le tournant autoritaire du régime. Depuis le mois de février, les autorités ont arrêté une vingtaine d'opposants dans des affaires liées à un « complot contre la sûreté de l'État ». Si les avocats de la défense dénoncent des dossiers vides, le parquet a refusé de présenter sa version.

L'allié algérien

Depuis qu'il s'est arrogé les pleins pouvoirs, le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a transformé la Tunisie en « cas » pour les puissances régionales et internationales. Dans les premiers mois qui ont suivi le coup de force, les pays occidentaux ont oscillé entre « préoccupations » et compréhension. Le principal cadre choisi pour exprimer leurs inquiétudes a été celui du G 7. C'est ainsi que plusieurs communiqués ont appelé au retour rapide à un fonctionnement démocratique et à la mise en place d'un dialogue inclusif. Mais, au-delà des proclamations de principe, une divergence d'intérêts a vite traversé ce groupement informel, séparant les Européens des Nord-Américains. L'Italie — et dans une moindre mesure la France — place la question migratoire au centre de son débat public, tandis que les États-Unis et le Canada ont continué à orienter leur communication vers les questions liées aux droits et libertés. En revanche, des deux côtés de l'Atlantique, le soutien à la conclusion d'un accord entre Tunis et le FMI a continué à faire consensus.

La fin de l'unanimité occidentale sur la question des droits et libertés va faire de l'Italie un pays à part dans le dossier tunisien. Depuis 2022, Rome est devenue le premier partenaire commercial de Tunis, passant devant la France. Ce changement coïncide avec un autre bouleversement : la Tunisie est désormais le premier pays de départ pour les embarcations clandestines en direction de l'Europe, dans le bassin méditerranéen. Constatant que la Tunisie de Kaïs Saïed a maintenu une haute coopération en matière de réadmission des Tunisiens clandestins expulsés du territoire italien, Rome a compris qu'il était dans son intérêt de soutenir un régime fort et arrangeant, en profitant de son rapprochement avec l'Algérie d'Abdelmadjid Tebboune, qui n'a jamais fait mystère de son soutien à Kaïs Saïed. Ainsi, en mai 2022, le président algérien a déclaré qu'Alger et Rome étaient décidées à sortir la Tunisie de « son pétrin ». Les déclarations de ce type se sont répétées sans que les autorités tunisiennes, d'habitude plus promptes à dénoncer toute ingérence, ne réagissent publiquement. Ce n'est pas la première fois que l'Italie et l'Algérie — liées par un gazoduc traversant le territoire tunisien — s'unissent pour soutenir un pouvoir autoritaire en Tunisie. Déjà, en 1987, Zine El-Abidine Ben Ali a consulté Rome et Alger avant de déposer le président Habib Bourguiba.

L'arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir en octobre 2022 va doper cette relation. La dirigeante d'extrême droite, élue sur un programme de réduction drastique de l'immigration clandestine, va multiplier les signes de soutien au régime en place. Le 21 février 2023, un communiqué de la présidence tunisienne dénonce les « menaces » que font peser « les hordes de migrants subsahariens » sur « la composition démographique tunisien ». Alors que cette déclinaison tunisienne de la théorie du « Grand Remplacement » provoque l'indignation, — notamment celle de l'Union africaine (UA) — l'Italie est le seul pays à soutenir publiquement les autorités tunisiennes. Depuis, la présidente du Conseil italien et ses ministres multiplient les efforts diplomatiques pour que la Tunisie signe un accord avec le FMI, surtout depuis que l'UE a officiellement évoqué le risque d'un effondrement économique du pays.

Contre les « diktats du FMI »

La Tunisie est en crise économique au moins depuis 2008. Les dépenses sociales engendrées par la révolution, les épisodes terroristes, la crise du Covid et l'invasion de l'Ukraine par la Russie n'ont fait qu'aggraver la situation du pays.

L'accord avec l'institution washingtonienne est un feuilleton à multiples rebondissements. Fin juillet 2021, avant même la nomination d'un nouveau gouvernement, Saïed charge sa nouvelle ministre des Finances Sihem Namsia de poursuivre les discussions en vue de l'obtention d'un prêt du FMI, prélude à une série d'aides financières bilatérales. À mesure que les pourparlers avancent, des divergences se font jour au sein du nouvel exécutif. Alors que le gouvernement de Najla Bouden semble disposé à accepter les préconisations de l'institution financière (restructuration et privatisation de certaines entreprises publiques, arrêt des subventions sur les hydrocarbures, baisse des subventions sur les matières alimentaires), Saïed s'oppose à ce qu'il qualifie de « diktats du FMI » et dénonce une politique austéritaire à même de menacer la paix civile. Cela ne l'empêche pas de promulguer la loi de finances de l'année 2023 qui reprend les principales préconisations de l'institution de Bretton Woods.

En octobre 2022, un accord « technique » a été trouvé entre les experts du FMI et ceux du gouvernement tunisien et la signature définitive devait intervenir en décembre. Mais cette dernière étape a été reportée sine die, sans aucune explication.

Ces dissensions au sein d'un exécutif censé plus unitaire que sous le régime de la Constitution de 2014 trouvent leur origine dans la vision économique de Kaïs Saïed. Après la chute de Ben Ali, les autorités de transition ont commandé un rapport sur les mécanismes de corruption du régime déchu. Le document final, qui pointe davantage un manque à gagner (prêts sans garanties, autorisations indument accordées…) que des détournements de fonds n'a avancé aucun chiffre. Mais en 2012, le ministre des domaines de l'État Slim Ben Hmidane a avancé celui de 13 milliards de dollars (11,89 milliards d'euros), confondant les biens du clan Ben Ali que l'État pensait saisir avec les sommes qui se trouvaient à l'étranger. Se saisissant du chiffre erroné, Kaïs Saïed estime que cette somme doit être restituée et investie dans les régions marginalisées par l'ancien régime. Le 20 mars 2022, le président promulgue une loi dans ce sens et nomme une commission chargée de proposer à « toute personne […] qui a accompli des actes pouvant entraîner des infractions économiques et financières » d'investir l'équivalent des sommes indument acquises dans les zones sinistrées en échange de l'abandon des poursuites.

La mise en place de ce mécanisme intervient après la signature de l'accord technique avec le FMI. Tandis que le gouvernement voulait finaliser le pacte avec Washington, Saïed mettait la pression sur la commission d'amnistie afin que « la Tunisie s'en sorte par ses propres moyens ». Constatant l'échec de sa démarche, le président tunisien a préféré limoger le président de la commission et dénoncer des blocages au sein de l'administration. Depuis, il multiplie les appels à un assouplissement des conditions de l'accord avec le FMI, avec l'appui du gouvernement italien. Le 12 juin 2023, à l'issue d'une rencontre avec son homologue italien, Antonio Tajani, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken s'est déclaré ouvert à ce que Tunis présente un plan de réforme révisé au FMI.

Encore une fois, les Européens font le choix de soutenir la dictature au nom de la stabilité. Si du temps de Ben Ali, l'islamisme et la lutte contre le terrorisme étaient les principales justifications, c'est aujourd'hui la lutte contre l'immigration, devenue l'alpha et l'oméga de tout discours politique et électoraliste dans une Europe de plus en plus à droite, qui sert de boussole. Mais tous ces acteurs négligent le côté imprévisible du président tunisien, soucieux d'éviter tout mouvement social à même d'affaiblir son pouvoir. À la veille de la visite de la délégation européenne, Saïed s'est rendu à Sfax, deuxième ville du pays et plaque tournante de la migration clandestine. Il est allé à la rencontre des populations subsahariennes pour demander qu'elles soient traitées avec dignité, avant de déclarer que la Tunisie ne « saurait être le garde-frontière d'autrui ». Un propos réitéré lors de la visite de Gérald Darmanin et de son homologue allemande, puis à nouveau lors du Sommet pour un nouveau pacte financier à Paris, les 22 et 23 juin 2023.

Berlusconi : mort et vie d’un protagoniste

Avec le décès de Silvio Berlusconi s’achève une époque… déjà achevée.

La fin physique du Cavaliere arrive après sa mort politique. Forza Italia, fondée par Berlusconi au début de 1994, est le troisième parti de la coalition qui a amené Giorgia Meloni au Palazzo Chigi. Le patron de la holding Fininvest a eu du mal à accepter de ne plus être le chef de l’alliance de centre-droit qui a pourtant gagné les élections politiques de septembre dernier. Et pour une telle personnalité, la troisième place – après Fratelli d’Italia de Meloni et la Lega de Matteo Salvini – équivalait à une défaite. Berlusconi était le premier ou rien. Son aventure politique avançait tristement vers un déclin inexorable. Son temps en tant qu’homme d’État et de gouvernement était au crépuscule.

Maintenant que la vie terrestre de Berlusconi vient de se terminer, on peut timidement essayer de dresser un bilan de son influence sur la vie culturelle et politique de l’Italie. Il a été brièvement un entrepreneur à succès et un homme politique qui a échoué.

 

Entrepreneur à succès

Berlusconi a débuté son activité dans le bâtiment. Le quartier résidentiel Milano 2 a été une innovation urbanistique qui reste un exemple près de cinquante ans après sa livraison : les piétons et les voitures ne se rencontrent jamais.

Mais le nom de Berlusconi est étroitement lié à la télévision et au football.

Pour comprendre le succès de Berlusconi dans le milieu télévisuel, il faut auparavant saisir le rôle du petit écran dans le processus de construction de la culture des Italiens. Réunie politiquement bien des siècles après la France, l’Italie a eu besoin d’une unification linguistique, qui n’a pas été réalisée principalement par l’éducation nationale, la littérature ou la bureaucratie (comme en France), mais par le tube cathodique, d’où l’importance culturelle et sociale de la télévision.

Berlusconi entrepreneur – c’est-à-dire celui qui comprend avant les autres où sont les opportunités de profit – a compris que la télévision était le moyen le plus sûr pour s’enrichir et devenir populaire. Avant Berlusconi, la télé en Italie était un monopole public de la Rai. Le Cavaliere a eu le génie (et l’absence de scrupules) de bâtir un empire médiatique privé fondé sur l’entertainment (l’amusement), où des jeunes filles pas trop habillées jouaient un rôle faussement accessoire. De cette conquête, l’appellation de sua emittenza (en italien on s’adresse respectueusement à un cardinal comme « sua eminenza », tandis que emittenza désigne le secteur des transmissions, dont la télé). En France, l’histoire de la Cinq n’a pas eu le même succès de Canale 5 en Italie…

Si à cela on ajoute le foot, un autre grand amour des Italiens, on peut se faire une idée de la capacité de Berlusconi à décrypter la société italienne. Il a acheté le Milan AC en 1986, et pendant les 31 années de sa présidence, son club a gagné cinq Ligues des Champions, huit Scudetti, trois titres mondiaux des clubs… Comme il s’est toujours défini lui-même, il a été le président le plus titré de l’histoire du calcio.

Il y a bien sûr des zones d’ombre dans l’essor de Berlusconi.

Dans les années 1970, il est très habituel de s’assurer auprès de la mafia pour être protégé des kidnappings, très fréquents à l’époque (ces mêmes années où le père de Carla Bruni a décidé de quitter Turin pour Paris, pour les mêmes raisons) de s’inscrire à la loge Propaganda due de la franc-maçonnerie, dissoute plus tard en tant qu’organisation criminelle et subversive. Et d’être condamné à quatre ans (dont trois effacés dans le cadre d’une amnistie) pour fraude fiscale. Il a survécu à tout ça.

 

Un politicien désastreux

Berlusconi a créé un parti-entreprise avec Publitalia, la branche de son empire consacrée à la publicité, par laquelle il a démontré qu’il était un formidable vendeur, en affirmant que le public raisonne comme un gamin de huit ans. Berlusconi rend inutile la référence à Schumpeter pour comprendre que la démocratie est fondamentalement un processus de concurrence entre des entrepreneurs politiques pour obtenir les voix des électeurs. Sauf que les électeurs sont censés être au moins majeurs…

En 1994, Berlusconi a promis une révolution libérale (pour les lecteurs français, La Rivoluzione liberale était une revue de culture politique publiée entre 1922 et 1925 par Piero Gobetti, un jeune intellectuel turinois, victime d’une violente agression commise en septembre 1924 sur ordre personnel de Mussolini. Il s’exile à Paris en 1925, où il décède des suites de ces blessures, à l’âge de 24 ans).

Cette révolution, on ne l’a jamais vue. Il y a là un paradoxe : ses adversaires (surtout de gauche) l’ont accusé d’être le champion de la réaction néo-libérale. Les libéraux (s’il y en a en Italie…) lui ont reproché de ne pas avoir eu le courage de mettre en œuvre ses promesses.

À l’étranger, il est surtout connu pour des scandales sexuels et des affaires. Mais si le bilan des presque trente ans de Berlusconi homme politique est négatif, c’est parce qu’il n’a rien fait pour s’opposer au déclin social et économique de l’Italie. Il a sali pour toujours le mot libéral.

 

Des polémiques au-delà de la fin

Une partie de l’opinion publique a contesté la décision du gouvernement de déclarer le deuil national et les funérailles d’État. Berlusconi n’a pas cessé de diviser les Italiens

Le recteur de l’Université pour étrangers de Sienne, Tomaso Montanari, a refusé de mettre les drapeaux en berne. Les étudiants de l’École Normale di Pise ont accroché une bannière « Ce n’est pas notre deuil ».

Quoi qu’il en soit, on peut s’amuser à comparer les obsèques de Berlusconi et celles de Mitterrand. Plus monarchistes étaient celles du Français, avec ses deux femmes et ses enfants ; plus bourgeoises étaient celles du premier, avec deux anciennes épouses, plusieurs ex-fiancées et Marta Fascina, 33 ans, députée à la Chambre, dernière compagne de Berlusconi.

La cérémonie à la cathédrale de Milan a été – comme on pouvait le prévoir – un spectacle, la célébration d’un homme qui a pu rassembler dans la même église les institutions et le showbiz, le président de la République et le dernier des clowns du cirque médiatique de ses chaînes télé.

Si toute esthétique est une éthique, les funérailles de Berlusconi ont montré à l’Italie et au monde entier la représentation d’un univers symbolique dont il faudra interpréter les signes. Berlusconi semble être un phénomène simple à déchiffrer. Il est la manifestation de combien la modernité peut être complexe.

Berlusconi : Poutine perd un ami, l’Europe un vrai Italien

berlusconi poutine

berlusconi poutineSilvio Berlusconi est décédé subitement, même si cela semble étrange en parlant d’un homme de 86 ans atteint de leucémie.

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Naples : le premier scudetto de l'ère multipolaire -- Fabrizio VERDE, Francesco GUADAGNI

A la suite du match nul remporté sur le stade d'Udine, le Napoli a finalement obtenu la certitude arithmétique d'avoir gagné le championnat italien de football, 33 ans après son dernier exploit.
L'écusson si convoité est revenu à Naples, cette fois sans la présence sur le terrain du Dieu du foot, Diego Armando Maradona.
La fête a immédiatement éclaté ; mais pas seulement à Udine et, évidemment, à Naples où on a célébré une sorte de Nouvel An du mois de mai : la fête a été globale. De nombreux Napolitains, (...)

Nos lecteurs proposent / ,

Il y a un siècle : les réussites du socialisme italique

Comme nous pouvons le voir, le parti fasciste italien aime et honore la vie, véritable bénédiction de Dieu, et non la mort. Il aide a donner la vie et non à la supprimer… L’ONMI en est la preuve incontestable. Elle œuvre dans chaque bourgade, même les plus reculées, elle organise des consultations gratuites où mères et enfants reçoivent conseils, directives, soins et médicaments.

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Smotrich et Zemmour derniers avatars du fascisme juif né avec Mussolini

Des juifs ont compté parmi les combattants les plus déterminés dans la lutte contre le fascisme au XXe siècle. Mais d'autres ont ouvertement affiché des idées fascistes. Leur histoire débute en Italie, s'étend en Europe centrale puis en Palestine. Elle se poursuit aujourd'hui en Israël et en France.

Les troupes de Napoléon Bonaparte, parties combattre les Autrichiens qui occupent alors le nord de l'Italie, apportent la liberté politique aux juifs italiens en 1796. Les portes des ghettos sont arrachées et brûlées, les notables juifs peuvent siéger dans les municipalités. La population juive en Italie est alors estimée à 30 000 personnes. Avec la chute de Napoléon, la condition des juifs est remise en question : les autorités catholiques les avaient identifiés aux Français athées. Ils sont alors victimes d'émeutes antijuives tandis qu'on retourne aux lois anciennes les concernant, particulièrement dans les États pontificaux. Ainsi le ghetto de Rome est rétabli.

Protagonistes de la marche sur Rome

La participation de certains juifs à la cause nationale du Risorgimento fut enthousiaste, et des banquiers juifs financent les insurrections anti-autrichiennes dès 1830. Isacco Artom, issu d'une famille aisée du Piémont, volontaire en 1848 contre l'Autriche, devint le secrétaire particulier du comte de Cavour, figure de proue du nationalisme italien. En 1871, onze députés juifs siègent dans le premier parlement de la nouvelle Italie, contre huit au Royaume-Uni, six en France et quatre en Prusse. Le judaïsme italien fournit le premier ministre de la guerre juif de l'histoire moderne : Giuseppe Ottolenghi, et deux premiers ministres : Luigi Luzzati et son prédécesseur Sidney Sonnino. Ernesto Nathan est maire de Rome de 1907 à 1913. Des juifs font bâtir des synagogues monumentales à Turin, puis à Florence et à Rome. En 1911, l'Italie conquiert sur l'empire ottoman les colonies de Cyrénaïque et de Tripolitaine où habite une communauté juive de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Avec la première guerre mondiale, pour la première fois dans l'histoire européenne, des juifs se trouvent engagés dans un combat qui les oppose à d'autres soldats juifs. En effet, 5 000 juifs de l'armée italienne affrontent, sur les champs de bataille, 350 000 juifs de l'armée austro-hongroise, 600 000 soldats juifs russes, 50 000 juifs dans les rangs des Britanniques, autant dans l'armée française et 100 000 dans l'armée allemande.

Benito Mussolini fonde le fascisme à Milan après la première guerre mondiale. Dans les confrontations avec les membres du Parti socialiste entre 1919 et 1922, trois juifs meurent : Duilio Sinigaglia, Gino Bolaffi et Bruno Mondolfo, déclarés « martyrs fascistes » ; 230 juifs participent à la marche sur Rome et 746 sont inscrits pour certains au Parti national fasciste et pour d'autres au Parti nationaliste, qui fusionnera avec le premier. En 1921, neuf députés juifs fascistes sont élus. Ettore Ovazza, banquier et homme d'affaires, membre du Parti national fasciste, anime le journal La Nostra Bandiera (Notre drapeau), dans lequel est affirmé le soutien des juifs italiens au nouveau régime. Sept cent cinquante juifs avaient alors leur carte de membre du parti fasciste.

Margherita Sarfatti devient la conseillère, la financière, la maîtresse, l'égérie du Duce. Rédactrice de Gerarchia, la revue théorique du fascisme, fondée par Mussolini, elle en trace les principes et les objectifs. Se faisant la chantre de la révolution culturelle fasciste, elle proclame que le temps est venu du « retour à l'ordre » et d'une nouvelle figuration puisant aux sources du classicisme. En 1925, le gouvernement français lui offre le titre de vice-présidente du jury international à l'Exposition internationale des arts décoratifs — elle est aussi commissaire pour le pavillon italien — et la décore de la Légion d'honneur. Elle accède à la célébrité internationale avec Dux, son hagiographie de Mussolini, publiée en 1925 d'abord à Londres (en Italie dès 1926) vendue en 25 000 exemplaires dès la première année, puis à des millions d'exemplaires et traduite en 17 langues.

À la suite de la publication de l'ouvrage aux États-Unis, le patron de presse américain William Randolph Hearst offre à Mussolini des contrats faramineux pour des articles qui le présentent sous le meilleur jour et plaident en faveur du réarmement de l'Italie en vue de son extension coloniale. Le contrat est double, il prévoit qu'ils soient écrits par Margherita Sarfatti et signés par le dictateur. Il sera reconduit jusqu'en 1934.

Le tournant de 1938

En 1920, la conférence de San Remo décide de l'établissement d'un « foyer national juif » en Palestine, supervisé par les Britanniques. Cette même année, Chaim Weizmann, né en Biélorussie et citoyen britannique depuis 1910 devient le président de l'Organisation sioniste mondiale (OSM), et le restera presque sans interruption jusqu'en 1946. Le sionisme est en plein essor. En 1922, les sionistes obtiennent 32 élus (sur 47 députés et sénateurs juifs) au Parlement polonais. Weizmann rencontre Mussolini à trois reprises. Lors de la seconde, en 1934, ce dernier déclare que Jérusalem ne peut être une capitale arabe ; Weizmann propose de mettre à disposition de l'Italie fasciste une équipe de savants juifs. Près de 5 000 juifs italiens adhèrent à cette époque au parti fasciste sur une population juive italienne de 50 000 personnes.

Guido Jung est élu député sur la liste fasciste et nommé ministre des finances de 1932 à 1935, alors qu'à Maurizio Rava est confiée la charge de gouverneur de Libye et de Somalie, ainsi que celle de général de la milice fasciste. De nombreux bourgeois juifs participent au financement de la guerre d'Éthiopie. Beaucoup de juifs s'engagent dans les troupes pour lesquelles on crée un rabbinat militaire. Mussolini nomme l'amiral Ascoli commandant en chef des forces navales. La Betar Naval Academy est une école navale juive établie à Civitavecchia en 1934 par le mouvement sioniste révisionniste sous la direction de Vladimir Jabotinsky, avec le soutien de Mussolini. L'école participera à la guerre d'Éthiopie en 1935-1936. Certains futurs officiers de la marine israélienne en seront issus.

La campagne de discriminations racistes et antisémites du fascisme italien débute officiellement en 1938. Les reproches formulés à l'encontre des juifs sont qu'ils se croiraient d'une « race supérieure » et formeraient le terreau de l'antifascisme. Huit mille juifs italiens sont exterminés entre 1943 et 1945 dans la destruction fasciste, raciste et antisémite des juifs d'Europe sur un total estimé à six millions de juifs assassinés.

De Riga à Jérusalem par la violence

À Riga en Lettonie vivaient 40 000 juifs après la première guerre mondiale. En 1923, des étudiants juifs y créent le Betar, une organisation de jeunesse nationaliste juive et anticommuniste. Zeev Jabotinsky en prend la direction. Il est l'objet d'un culte de la personnalité inconnu jusqu'alors dans le sionisme. Les militants du Betar presseront Jabotinsky de créer un mouvement politique pour regrouper la droite nationaliste. Le Betar prend une orientation paramilitaire.

Jabotinsky fonde à Paris en 1925 l'Alliance des sionistes révisionnistes. Le terme « révisionniste » exprime leur volonté de « réviser le sionisme ». En 1928, trois hommes entrent au Parti révisionniste. Ils viennent de la gauche sioniste, mais se sont retournés contre elle et affichent maintenant des sympathies fascistes. Ce sont le journaliste Abba Ahiméir, le poète Uri Zvi Greenberg et le médecin et écrivain Yehoshua Yevin. Ils organisent une faction fasciste et radicale en Palestine mandataire et rêvent d'une organisation de « chefs et de soldats ». Ahiméir fait figure d'idéologue et influence fortement le Betar. Menahem Begin intègre le Betar en 1928, puis en prend la tête en 1939.

David Ben Gourion est l'un des dirigeants de l'aile droite de la gauche sioniste. Il privilégie le nationalisme par rapport au projet de transformation socialiste. En particulier, Ben Gourion s'opposera à ce que des travailleurs non juifs (palestiniens) puissent être organisés au sein du syndicat juif en Palestine, Histadrout. Il est également un des partisans du soutien de la gauche sioniste à Weizmann comme président de l'OSM

Au début 1933, Ahimeir déclare qu'il y a du bon en Adolf Hitler, à savoir la « pulpe antimarxiste ». Ben Gourion traite alors Jabotinsky de « Vladimir Hitler ». Eri Jabotinsky, le chef du Betar en Palestine était le fils de Vladimir Jabotinsky. Ben Gourion redevient en 1935 président de l'Agence juive, et démissionne de son poste au sein de la Histadrout. Il devient alors le principal dirigeant sioniste en Palestine et se rapproche de Jabotinsky. De 1936 à 1939, des Arabes se révoltent contre le mandat britannique. Cette révolte exprime aussi le refus de voir un « foyer national juif » s'installer en Palestine, un des objectifs du mandat.

Durant cette révolte, la Haganah se développe fortement. Groupe armé de défense des juifs de Palestine, officiellement interdite par le mandat britannique, elle était depuis sa création en 1920 sous l'autorité de la Histadrout. Passée en 1931 sous la direction de l'Agence juive, son responsable politique suprême était Ben Gourion.

Jabotinsky décide en 1935 que le parti révisionniste doit quitter l'OSM dominée par les socialistes. Pour obtenir le ralliement des religieux, le parti révisionniste, originellement aussi laïc ou presque que la gauche, prend un virage vers la religion. Dans les années 1970, il bénéficie de cette nouvelle orientation à laquelle il est resté fidèle depuis 1935, ralliant à lui les partis religieux.

Nationalistes et religieux au pouvoir

Ben Gourion et ses alliés incarnent les succès du nationalisme juif radical avec la création d'un nouvel État-nation en Palestine en 1948. Il a imposé son autorité sur les groupes armés, et les a fondus dans une armée nationale unique. Créé la même année par Begin, le parti Hérout reprend l'idéologie nationaliste et colonialiste du parti révisionniste : annexion de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la Jordanie, pour former un « grand Israël » sur les deux rives du Jourdain, libéralisme économique, anticommunisme, hostilité à la gauche, exaltation de l'armée.

En 1973, le Hérout et le Parti libéral fondent un nouveau parti, le Likoud, dirigé par Begin. L'idéologie est surtout celle du Hérout et de l'ancien parti révisionniste. Puis, en 1977, le Likoud remportera les élections, et mettra fin à un demi-siècle de domination politique de la gauche sioniste. En 2022, le Likoud et ses alliés nationalistes religieux remportent une majorité au Parlement, permettant le retour de Benyamin Nétanyahou au poste de premier ministre. Ce gouvernement est le plus à droite et le plus nationaliste et colonialiste de l'histoire du pays, intégrant des partis nationalistes de droite, des ultra-orthodoxes (haredim) et des représentants des colonies juives.

Un déchaînement de violence inouï, inédit, se produit en Cisjordanie occupée. Des centaines de colons juifs israéliens attaquent la ville palestinienne de Huwara, au sud de Naplouse. Des dizaines de maisons et de voitures sont incendiées. Bilan : un Palestinien tué et une centaine de blessés, après la mort de deux colons juifs tués par un Palestinien le 26 février 2023. Le ministre des finances israélien Betsalel Smotrich avait appelé à « anéantir » Huwara. Le 19 mars 2023, Smotrich est venu à Paris, à une soirée de gala, organisée par une association française juive nationaliste radicale et sioniste de droite radicale, Israel is forever.

En France, le nationalisme fleurit

Éric Zemmour n'est pas le premier juif à incarner le nationalisme français. Parmi ses précurseurs, on compte dans les années 1930 l'avocat Edmond Bloch. Il avait mis sur pied l'Union patriotique des Français israélites (UPFI), destinée à combattre la gauche, les communistes, les socialistes et leur chef Léon Blum comme l'a raconté Charles Enderlin.

Pendant l'occupation fasciste du territoire français de 1940 à 1944, Edmond Bloch collabore activement. Il est protégé par le député nationaliste radical Xavier Vallat, premier commissaire général aux questions juives de mars 1941 à mai 1942, qui mettra en œuvre les discriminations antijuives ciblant prioritairement les juifs étrangers. Après la Libération, Bloch sera un des témoins à décharge au procès de Xavier Vallat devant la Haute Cour de justice, lui évitant le peloton d'exécution. Bloch n'a pas changé d'idéologie. En 1954, il écrit : « Pierre Mendès-France (le socialiste, chef du gouvernement) n'engage que lui… Ses coreligionnaires ne demandent à partager avec lui ni gloire ni opprobre ». Converti au catholicisme, Edmond Bloch meurt en 1975 à Paris.

Un grand ami de l'antisémite Jean-Marie Le Pen

Éric Zemmour est issu d'une famille bourgeoise de juifs d'Algérie arrivée en métropole en 1952. Dans cette famille, le patriotisme est une valeur cardinale, et la question de l'identité est centrale. Journaliste, il plaide dès les années 1990 pour l'union nationaliste des droites, fort d'une proximité cultivée avec le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, qu'il est le seul journaliste à appeler « président », et avec son rival Bruno Mégret.

Zemmour a déjeuné, en 2020, avec Jean-Marie Le Pen et Ursula Painvin, fille de Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du IIIe Reich, pendu en 1946 après le procès de Nuremberg. Depuis Berlin, Ursula Painvin encourage Éric Zemmour avec ses « pensées les plus admiratives et amicales ». En 2021, Zemmour annonce le nom de son parti politique : Reconquête. Il fait référence à la reconquête militaire de la péninsule ibérique par des royaumes chrétiens contre les États musulmans du VIIIe au XVe siècle. Reconquête devient le parti des nationalistes identitaires. Le nationalisme raciste, xénophobe et islamophobe de Zemmour contribue à la banalisation du nationalisme radical de Marine Le Pen et de son parti, le Rassemblement national (RN).

Quand les problèmes s'aggravent et que les tensions s'exacerbent, les fascistes se présentent d'un côté comme les troupes de choc du nationalisme, prêts à en découdre avec les traîtres à la patrie, à envahir les parlements ou à les incendier pour mettre fin à petit feu ou brutalement à la démocratie, et de l'autre côté comme les seuls capables de rétablir la grandeur nationale et l'ordre économique, social, moral ou religieux par des régimes illibéraux, autoritaires ou dictatoriaux. Des juifs fascistes comme Betsalel Smotrich et Éric Zemmour incarnent ces combats contre la démocratie et les droits humains.

Lockdowns files en Italie : il fallait “faire peur” pour imposer les restrictions covid

Des lockdowns files britanniques aux lockdowns files italiens : « Il faut faire peur pour imposer les restrictions. » C’est la phrase choc de l’ancien ministre de la Santé italien Roberto Speranza en charge de gérer la « pandémie » covid dans les premiers mois de 2020. Retour sur un scandale d’Etat en Italie qui fait pendant à celui en cours en Grande-Bretagne.

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France-Israël. Un match nul Meyer Habib-Deborah Abisror, et quelques surprises

Par : Jean Stern

Contre le député sortant Meyer Habib invalidé, le parti macroniste Renaissance présente Deborah Abisror-de Lieme dans la 8e circonscription des Français de l'étranger (qui comprend notamment Israël, l'Italie, la Grèce, la Turquie et les territoires palestiniens). Ces deux inconditionnels d'Israël chantent la même chanson et ignorent la crise politique de ce pays. Candidate-surprise, Yael Lerer, soutenue par la Nupes, pourrait les renvoyer dans les cordes. Début du vote en ligne dès le 24 mars 2023.

Ils s'insultent à qui mieux mieux sur l'antenne d'I24News, la chaîne pro-israélienne de Patrick Drahi, se traitant réciproquement de « menteur » et de « mythomane », faisant monter au front leurs avocats respectifs pour des procédures en diffamation à l'issue incertaine. Protagonistes d'une bataille électorale aux enjeux certes mineurs au regard de la tempête parlementaire en France sur l'avenir des retraites, Deborah Abisror-de Lieme (Renaissance) et Meyer Habib (soutenu par Les Républicains), qui vont s'affronter dans les urnes à partir de ce 24 mars 2023 pour une élection partielle dans la 8e circonscription des Français de l'étranger1 ont pourtant bien des points communs. À commencer par leur « amour d'Israël » qu'ils proclament à tour de rôle sur la même chaîne de télé et à qui veut bien les écouter.

Deborah Abisror-de Lieme parlait même il y a quelques semaines de « magnifique démocratie » à propos d'Israël, et n'a pas eu un mot depuis plus de deux mois pour évoquer les centaines de milliers de personnes qui manifestent chaque semaine — pour la onzième semaine consécutive samedi 18 mars — à Tel-Aviv et dans de nombreuses villes pour s'inquiéter de l'avenir de ce pays « formidable », « extraordinaire », « merveilleux »2.

On croirait entendre Meyer Habib. Nulle pique polémique dans ce propos : « On est entièrement d'accord sur la position de Jérusalem comme capitale, vous et moi », lance Deborah Abisror-de Lieme à Meyer Habib, à l'encontre de la position officielle du gouvernement français. Pas plus que sa rivale, Meyer Habib n'a eu un mot pour évoquer les manifestants de Tel-Aviv et d'ailleurs, très remontés contre les projets de réforme judiciaire de Benyamin Nétanyahou et de ses allés d'extrême droite.

Deux candidats en quête de désaccord

Car Meyer Habib, 62 ans, député sortant, est un proche ami du premier ministre israélien et ne manque jamais une occasion de chanter ses louanges. Ses collègues de l'Assemblée l'ont surnommé non sans malice le député du Likoud. Mais la chance semble tourner. S'il est toujours reçu par Emmanuel Macron à Paris et Giorgia Meloni à Rome, Nétanyahou est boudé à Washington.

Pire encore pour Habib, son élection en 2022 a été invalidée par le Conseil constitutionnel pour un certain nombre d'irrégularités électorales, notamment des messages appelant à voter pour le candidat le jour même du scrutin. Habib est par ailleurs visé par une enquête pour détournement de fonds publics, à la suite d'un signalement de Tracfin, les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) soupçonnant des irrégularités dans la rémunération de ses collaborateurs parlementaires.

Habib sent désormais le soufre face à Deborah Abisror-de Lieme, 37 ans, une pousse de la Macronie. Ancienne du cabinet du ministre de la santé Olivier Véran, elle est secrétaire générale du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale, présidée par Aurore Bergé, avec qui elle partage une passion affichée pour Israël, Bergé étant présidente du groupe d'amitié France-Israël. Ancienne dirigeante de l'European Union of Jewish Students (EUJS), elle a vécu un temps en Israël, et y revient fréquemment. En janvier 2023, elle y accompagnait un voyage de quinze députés Renaissance organisé par Elnet France. « On se bat au quotidien en France pour montrer ce qu'est Israël », explique Deborah Abisror-de Lieme, mais elle ne voit pas les fractures d'une société où beaucoup, y compris au sommet de l'État et de l'armée, s'inquiètent de risques de guerre civile. Pendant qu'ils sonnent le tocsin, elle entonne l'angélus…

Yael Lerer, le joker de la Nupes

Face à ce duo ventriloque, Yael Lerer, 56 ans, venue de la gauche israélienne, a proposé sa « contre-candidature » pour sortir de ce match politiquement nul et a été suivie par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes)3. Pour le coup, contrairement à ses rivaux, elle n'est ni sourde ni aveugle sur la situation en Israël et en Palestine. Yael Lerer s'oppose « clairement au nouveau gouvernement de coalition d'extrême droite en Israël et à l'escalade du conflit israélo-palestinien » et entend également « défendre les acquis démocratiques en Turquie qui sont menacés » et se battre « contre l'extrême droite italienne ».

Fondatrice des éditions Andalus à Tel-Aviv, qui publiait en hébreu des classiques arabes, elle sait que l'élection ne se joue pas qu'en Israël, mais aussi dans les autres pays de la circonscription électorale, et en particulier en Italie. Le match retour est loin d'être plié, d'autant que Meyer Habib n'avait devancé Deborah Abisror au second tour en 2022 que de 193 voix. Dans une élection où l'abstention est massive — 86,07 % en 2022 —, il suffit de quelques dizaines de voix pour que Lerer soit en mesure de battre et le sortant et sa rivale théorique. Au premier tour, toujours en 2022, la candidate de gauche avait obtenu 18 % des suffrages, contre un peu moins de 30 % pour les deux challengers du second tour.

« D'inacceptables violences »

Dans le cadre de cette élection, il est désolant de constater que Habib comme Abisror gardent un silence lamentable sur la dérive du gouvernement israélien actuel. C'est d'autant plus frappant qu'une partie de la communauté juive française commence sérieusement à s'inquiéter de l'extrême droite au pouvoir en Israël et de ses projets liberticides.

Depuis juin 2022, Yonathan Arfi préside les destinées du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et vient dans un éditorial peu remarqué, publié le 13 mars 2023, de donner une inflexion notable au soutien inconditionnel que le CRIF apporte à Israël, contre vents et marées, depuis plus de deux décennies. La démocratie, écrit Yonathan Arfi,

s'affaiblit lorsque l'État de droit est débordé par une minorité lors des inacceptables violences à Hawara en vengeance de l'attentat commis quelques heures plus tôt. Quels que soient le deuil et la colère, ces émeutes ont été une atteinte insupportable à la fois aux principes démocratiques et aux valeurs juives. Elle s'affaiblit aussi lorsque surgissent des discours populistes, stigmatisants et haineux dans le débat public israélien, et ce jusque dans les propos de certains ministres en poste. Ils ne sont acceptables dans aucune démocratie.

Un dirigeant communautaire, qui préfère rester anonyme, salue la position nouvelle du président du CRIF en m'expliquant « qu'on ne peut pas être monté au front contre [Marine] Le Pen et [Éric] Zemmour l'an dernier et rester silencieux face à [Bezalel] Smotrich qui est fondamentalement un raciste de la pire espèce ». Le même responsable constate que depuis plusieurs années, une bonne partie de l'opinion juive française « préfère se tenir à l'écart » d'Israël, « contrairement aux communautés nord-américaines, devenues souvent critiques ». L'inquiétude de Yonathan Arfi rejoint celle de plusieurs personnalités influentes du judaïsme français, comme l'avocat Patrick Klugman ou la rabbine Delphine Horvilleur pour qui

non, l'État juif n'a pas gagné contre l'État démocratique… pour la simple et bonne raison que l'un et l'autre sont les immenses perdants du virage actuel. Le judaïsme fait aujourd'hui l'objet d'un kidnapping idéologique, au nom de certitudes messianico-nationalistes qui l'amputent d'une partie de lui-même, de ce qu'il a pu être et ce qu'il pourrait encore dire…

« Pas d'alya vers une dictature »

Plus significatif encore de nouvelles fractures parmi les juifs français, un groupe de personnes ont interrompu à Paris le discours d'Ofir Sofer, ministre israélien de l'intégration, au salon de l'alya dimanche 12 mars 2023 aux cris de « On ne fait pas son alya vers une dictature ». Ils ont été évacués manu militari par les gros bras de la sécurité, mais le ministre a également été exfiltré et n'a pas pu terminer son discours. Secrétaire général du parti d'extrême droite HaTzionout HaDatit, Ofir Sofer est un proche de Bezalel Smotrich, l'actuel ministre des finances, à qui Nétanyahou a donné la responsabilité des colonies, et partage avec lui racisme et homophobie.

Deborah Abisror-de Lieme n'y voit pourtant rien à redire. Bien que travaillant au cœur du parti présidentiel, elle est en désaccord avec sa politique internationale. Certes l'officielle, pas l'officieuse. Pour faire évoluer aux Nations unies la politique de la France sur la Palestine dans un sens plus favorable à Israël, elle assure : « J'irai tous les jours au ministère des affaires étrangères pour demander que le vote de la France change. Je ne lâcherai rien, je suis pugnace ».

Sur le harcèlement du Quai d'Orsay, elle a tout appris de Meyer Habib.


1Cette circonscription comprend par ordre d'importance en nombre d'inscrits : Israël et les territoires palestiniens, l'Italie, la Turquie, la Grèce, Malte, Chypre, Saint-Marin et le Vatican. Le vote par Internet pour le premier tour se déroule du 24 au 29 mars 2023, et dans des bureaux (notamment dans les consulats) le 2 avril.

2Contactée par Orient XXI, Deborah Abisror-de Lieme ne nous a pas répondu.

3Coalition composée du Parti communiste français (PCF), du Parti socialiste (PS), de la France insoumise (LFI), Génération·s et Europe écologie les Verts (EELV.

Italie : le gouvernement Meloni veut légaliser 500.000 migrants en un an

Alors que les partis politiques en sont encore à se renvoyer la balle de la responsabilité du récent naufrage de migrants au large de la Calabre, une déclaration, qui a fait l’effet d’une bombe, a été lancée par le ministre de l’agriculture, Francesco Lollobrigida : “nous travaillerons cette année pour faire entrer légalement presque 500.000 immigrés en situation régulière.”

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Entre l'Algérie et l'Italie, le gaz consolide la lune de miel

Depuis l'invasion de l'Ukraine, l'Italie cherche frénétiquement des fournisseurs de gaz plus fiables que la Russie. Les gouvernements Mario Draghi puis Giorgia Meloni ont trouvé à Alger une grande disponibilité pour satisfaire ces besoins. Depuis lors, la lune du miel est sans nuages, l'Algérie a inclus l'Italie au nombre des pays « amis et frères », et y renforce ses achats d'armes.

Le 5 juillet 2022, à l'occasion des festivités du 60e anniversaire de l'indépendance, un imposant défilé militaire a parcouru la route nationale no. 11 longeant la nouvelle et gigantesque Grande Mosquée d'Alger. Il a non seulement été suivi par des milliers d'Algériens curieux de voir le défilé de l'armée, mais aussi par un certain nombre de chefs d'État étrangers en tant qu'« invités d'honneur » et de délégués d'États considérés par Alger comme « amis et frères ». Seule représentante européenne, la présidente de l'époque du Sénat italien, Elisabetta Casellati. Sa présence était significative, mais aussi symbolique de l'entrée définitive de l'Italie parmi les partenaires essentiels de l'Algérie.

Cette invitation n'avait rien d'anodin, puisque cet anniversaire a été pour le régime algérien l'occasion de réaffirmer et de raviver la légitimité « révolutionnaire » qui sous-tend le système de pouvoir, inchangé depuis 1962. Une invitation plus que naturelle pour ceux qui ont toujours compté sur l'appareil politico-diplomatique (et la puissance militaire) du grand pays nord-africain pour leurs combats (Palestine et Sahara occidental), mais aussi pour ceux qui, comme l'Italie, ont considérablement intensifié ces derniers mois un rapport défini comme « stratégique » basé sur l'approvisionnement énergétique. Tous les autres domaines bilatéraux — politique, historique, commercial, diplomatique — ont dû se réajuster ou se réinventer pour tenir compte de cette priorité.

Les relations énergétiques avec l'Algérie, importantes depuis des décennies, sont devenues vitales pour l'Italie depuis le début de la guerre en Ukraine. L'Algérie, qui était jusqu'en 2021 le troisième fournisseur de l'Italie en est aujourd'hui le premier. Toutefois, il y a peu de certitudes et beaucoup de non-dits sur la capacité réelle des Algériens à approvisionner l'Italie(et dans les plans de l'actuel gouvernement italien et de l'Europe également) via le gazoduc Transmed qui part du Sahara algérien, passe par la Tunisie, le canal de Sicile puis traverse la péninsule italienne jusqu'à la plaine du Pô. En dépit de la signature de plusieurs contrats entre l'Italien ENI (Autorité nationale des hydrocarbures) et l'Algérien Sonatrach, et malgré les déclarations officielles retentissantes qui prévoient une croissance des approvisionnements annuels de 21 milliards de mètres cubes en 2021 à 35 milliards de mètres cubes en 2023.

Le fameux Galsi, un autre gazoduc qui devrait atteindre l'Italie depuis l'Algérie via la Sardaigne et déboucher en Toscane, est en phase de planification/construction depuis le début des années 2000. Le chantier est en panne depuis au moins dix ans.

L'intensification des échanges diplomatiques entre les deux pays s'est d'abord traduite en novembre 2021 par la visite d'État en Algérie du président italien Sergio Mattarella, puis de celle du président algérien Abdelmadjid Tebboune en mai 2022 à Rome. Il a été reçu au Quirinal, la résidence officielle romaine du président de la République. Après l'hommage rituel au monument des martyrs de la guerre d'indépendance (auquel s'est également soumise l'actuelle première ministre Giorgia Meloni lors de la première mission bilatérale de son gouvernement, à Alger naturellement, le 23 janvier 2023), le point culminant de la visite de Sergio Mattarella a été l'inauguration d'un jardin public dans l'élégant quartier d'Hydra dédié à Enrico Mattei, « ami de la Révolution algérienne, défenseur tenace et convaincu de la liberté et des valeurs démocratiques, attaché à l'indépendance du peuple algérien et à sa souveraineté », comme l'indique la plaque inaugurée à cette occasion.

Enrico Mattei, un pétrolier ami des « rebelles »

Enrico Mattei, fondateur d'ENI, a présidé la compagnie italienne de 1953 à 1962, et a joué un rôle pendant la guerre d'Algérie. Membre de la démocratie chrétienne et ancien résistant contre le fascisme, Mattei partageait les idéaux d'émancipation des peuples sous domination coloniale et était un adversaire obstiné de l'hégémonie des multinationales anglo-américaines dans l'exploitation des gisements d'hydrocarbures au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

Après la découverte de pétrole dans le Sahara algérien en 1956, pendant la guerre d'indépendance que mène le Front de libération nationale (FLN), Mattei n'accepte pas de collaborer avec la puissance impériale encore bien installée dans ses départements de l'autre côté de la Méditerranée pour l'exploitation des nouveaux gisements, estimant qu'il lui suffit de négocier un accord avec la future Algérie indépendante. Il établit donc des relations nourries avec certains dirigeants du FLN, notamment Abdelhafid Boussouf, Tayeb Boulahrouf (qui fut délégué du FLN et ensuite ambassadeur d'Algérie à Rome), Saad Dahlab et Benyoucef Ben Khedda.

Ces contacts, tenus secrets par Mattei vis-à-vis du gouvernement italien qui n'a jamais soutenu officiellement la cause algérienne, ont permis une plus grande sensibilisation de l'opinion publique italienne à la guerre en cours, une certaine facilitation du passage des militants du FLN sur le territoire italien, la formation des futurs cadres de Sonatrach dans les écoles de l'ENI à San Donato Milanese et, surtout, des conseils techniques au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) lorsque les négociations pour l'indépendance ont porté sur le dossier du pétrole.

Nul doute que la contribution de Mattei à la guerre d'Algérie a pesé de tout son poids. Le soutien du président de l'ENI n'a cependant pas été déterminant pour le destin du processus d'autodétermination des Algériens, ni même fondamental pour les rapports ultérieurs de la République italienne avec le premier gouvernement de l'Algérie indépendante d'Ahmed Ben Bella. Au contraire, les relations ont été circonspectes et très prudentes, sans parler de celles avec l'ENI qui, après la mort de Mattei le 27 octobre 1962 dans des circonstances mystérieuses1, n'a réussi à signer le premier accord avec Sonatrach qu'après une bonne dizaine d'années. Il aura fallu attendre la nouvelle rhétorique mémorielle du régime Tebboune qui a jugé très utile de récupérer la figure de Mattei comme grand partisan du « peuple » algérien pour satisfaire les besoins stratégiques actuels.

La machine à fabriquer des souvenirs

Depuis son élection, le président algérien, aidé par la direction de l'Armée nationale populaire (ANP), a promu la construction de « l'Algérie nouvelle », sans rien changer réellement à l'écran de fumée du pouvoir, mais en continuant à le légitimer par l'ancrage de la guerre de 1954-1962. Le chef de l'État a ainsi décrété la création d'un nouveau jour férié, le 8 mai : la Journée nationale du souvenir, qui commémore les massacres de Guelma et de Sétif du 8 mai 1945. D'autres initiatives ont été prises, comme le lancement de la chaîne El Dhakira TV (Le souvenir), la création d'un musée et d'une revue qui visent à multiplier les occasions de réexaminer des faits, des événements, des personnalités du passé dans une optique nationaliste.

En réalité, ces initiatives n'ont pas d'ambition historique. Ce ne sont pas des espaces de discussion ouverts pour de nouvelles recherches sur le passé récent de l'Algérie — les archives restent en effet largement inaccessibles aux chercheurs —, mais des moments d'institutionnalisation, de reconstruction et de réajustement en direction du grand public, de la Révolution ou des luttes contre les invasions étrangères au fil des siècles, laissant de côté — ou plutôt occultant — les diversités, contradictions, ombres, ou même simplement les nuances de tout parcours historique.

L'histoire nationaliste (et non du nationalisme) est donc au service de l'appareil du pouvoir et, en particulier, de l'armée qui, dans les occasions officielles, est toujours désignée par défaut sous son appellation constitutionnelle de « digne héritière de l'Armée de libération nationale (ALN) ». Le « nouveau » pouvoir qui se présente comme le seul et authentique descendant moral des moudjahids et chahids (combattants et martyrs) de la Révolution véhicule à sa manière les valeurs nationales, dépoussière les principes pour mieux garantir la pérennité des changements institutionnels en cours. La convocation de l'image de Mattei fait partie intégrante de cette machine à fabriquer des souvenirs. Elle est utilisée pour présenter comme inattaquable à tous égards le renforcement des relations avec l'Italie, ce qui a en soi une portée énorme en termes d'investissements économiques — commerciaux et autres.

Une coopération militaire

Rome se prête sans difficulté à cette évolution, sans se rendre compte que derrière la patine de grandeur et de fierté nationale du riche fournisseur de gaz se cache l'envers d'un décor au nationalisme exacerbé : identification d'ennemis internes contre lesquels il n'y a aucune pitié (les voix opposées ou critiques à l'égard des évolutions actuelles ne sont pas tolérées), ni aucune flexibilité sur le principe de souveraineté et d'intégrité nationales (un mouvement kabyle bien connu vient d'être classé comme terroriste), ni aucun compromis par rapport aux batailles historiques de l'Algérie révolutionnaire comme le droit à l'autodétermination des peuples.

On pourra toujours dire qu'il s'agit d'une question de realpolitik et d'intérêts nationaux, mais ce qui est certain, c'est que s'en remettre à bras ouverts à un pays fournisseur de gaz pour en remplacer un autre qui mène une guerre sans pitié au cœur de l'Europe (l'invasion russe de l'Ukraine n'a jamais été condamnée par l'Algérie). Ne tenir compte que de son poids géopolitique et ignorer sa conduite en matière de respect des droits humains est un film que nous avons déjà vu et dont la fin n'a pas toujours été glorieuse.

L'augmentation des quantités de gaz algérien en direction de la Péninsule a entraîné la signature de plusieurs autres accords encourageant notamment les microentreprises à investir en Algérie, dans l'agroalimentaire et le textile, les infrastructures, l'aérospatiale (un mémorandum a été signé entre les deux agences nationales), les produits pharmaceutiques, le numérique et la marine.

Et puis il y a la question des dépenses militaires et des fournitures d'armes légères et lourdes, dans un pays où l'armée se présente comme le « garant de la démocratie ». Elles ont été doublées en 2023, et l'ANP se présente dans son magazine militaire El Djeich comme étant chaque jour davantage « prête au combat ».

Si la Russie reste le principal fournisseur d'armes de l'Algérie, l'Italie s'affiche de plus en plus comme un producteur fiable et efficace dans ce domaine. Dans le cadre de l'accord de coopération de défense passé entre les gouvernements italien et algérien (en plus de divers protocoles, conventions interministérielles et accords intergouvernementaux) en vigueur depuis le 15 mai 2003, le 13e comité bilatéral Italie-Algérie s'est tenu à Rome entre le 30 novembre et le 1er décembre 2022.

Avec la collaboration des industries italiennes dans ce secteur, telles que Fincantieri, Leonardo, MBDA Italia, Elettronica et Rheinmetall Italia, il a été décidé d'augmenter les échanges et la coopération et de finaliser l'acquisition par l'Algérie des sept premiers hélicoptères AW-139 produits par Leonardo. On est donc en présence d'une relation non seulement énergétique qui semble destinée à perdurer dans le temps, mais aussi de son versant politico-diplomatique et stratégique qui nécessitera pour l'Italie de parvenir à des équilibrages difficiles si ce n'est prudents.

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Traduit de l'italien par Christian Jouret.


1Cette mort a été relatée dans un grand film italien de Francesco Rossi, L'Affaire Mattei (1972).

L'Italie et Union européenne : quelles relations ?

Des années 1950 à 2023, comment comprendre les relations de l'Italie avec la construction communautaire ? L'auteure présente aussi bien le temps long que les évolutions les plus récentes. Un propos nuancé et argumenté.

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Italie : la crise politique résulte d’une offensive néolibérale vieille de plusieurs décennies

Les élections italiennes de cet automne ont vu les électeurs punir une fois de plus les partis de gouvernement en place. Mais derrière le bouleversement du système des partis se cache un rétrécissement du choix politique réel, les intérêts de la classe ouvrière luttant pour trouver une représentation électorale.

Source : Jacobin Mag, Stefano Palombarini
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Matteo Salvini de la Lega, Silvio Berlusconi de Forza Italia, Giorgia Meloni de Fratelli d’Italia et Maurizio Lupi de Noi Moderati lors d’un rassemblement politique sur la Piazza del Popolo à Rome, en Italie, le 22 septembre 2022. (Valeria Ferraro / SOPA Images / LightRocket via Getty Images)

Au cours des trois dernières décennies, les Italiens ont été appelés aux urnes à neuf reprises pour élire un nouveau Parlement. Et neuf fois, les partis soutenant le gouvernement sortant ont été battus. La victoire de Fratelli d’Italia, la seule grande force d’opposition au gouvernement technocratique de Mario Draghi, n’était donc guère imattendue. De même, ce n’est pas une surprise si, lors des élections générales du 25 septembre, le taux de participation, qui était déjà en baisse constante, a atteint le niveau le plus bas de l’après-guerre : à peine plus de trois Italiens sur cinq votent aujourd’hui (près de neuf sur dix le faisaient en 1992).

Ces simples chiffres nous indiquent que la crise qui a débuté avec la dissolution des principaux partis de la « Première République », comme les Italiens appellent l’ordre politique qui a régné de 1946 à 1992, n’est toujours pas résolue. Mais on peut voir le résultat de septembre comme un pas en avant peut-être décisif dans la restructuration du paysage politique italien. Le tableau actuel est tout à fait cohérent avec la domination absolue de l’idéologie néolibérale, qui s’est imposée dans le pays entre les années 1980 et 1990, et qui a largement contribué à produire la crise politique qui dure depuis maintenant trois décennies.

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Migrants. Une mission de sauvetage en Méditerranée à bord de l'« Humanity 1 »

Au début du mois de décembre 2022 et en moins de 48 heures, l'Humanity 1, navire de sauvetage d'une soixantaine de mètres de l'ONG allemande SOS Humanity a secouru 261 naufragés au large des côtes libyennes. Membre de l'équipage du navire, Antoine Le Scolan rend compte de ces trois sauvetages.

L'ONG SOS Humanity est née début 2022 d'une scission avec SOS Méditerranée. La branche allemande a préféré quitter l'Ocean Viking, le navire de SOS Méditerranée, et racheter — grâce aux dons de la société civile — un ancien navire d'expéditions scientifiques pour multiplier les sauvetages tout en menant un plaidoyer politique plus assumé. Outre le capitaine, vingt-sept membres d'équipages, volontaires et marins professionnels, et une journaliste indépendante sont à bord de l'Humanity 1. La plupart viennent de pays européens (Roumanie, France, Belgique, Allemagne, Italie, Espagne), certains de plus loin comme du Mexique ou du Canada. Le bureau de l'organisation, basée à Berlin, fait le lien entre la mer et la terre.

Sauveteur en mer saisonnier à la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), j'ai eu la chance d'apprendre la langue arabe en Jordanie et en Égypte pendant plusieurs années. Je suis chargé de l'interprétariat pendant les sauvetages et, une fois les naufragés secourus, de leur délivrer des informations juridiques ou de traduire les consultations avec l'équipe médicale. Je viens également d'obtenir le diplôme d'avocat. Participer à de tels sauvetages me permet de mieux comprendre les parcours de vie traumatiques de ces gens qui luttent pour leur survie, puis qui lutteront devant les administrations ou juridictions nationales des pays européens pour espérer obtenir des papiers.

Dimanche 4 décembre 2022 à 14 h 30, les équipes du Humanity 1 ont reçu une alerte d'un autre navire humanitaire, le Louise Michel. Ce dernier a repéré une embarcation en détresse à environ 60 kilomètres au large de Tripoli : 103 personnes, dans un bateau pneumatique de fortune. Le Louise Michel, trop petit pour les accueillir sur une longue durée, devait alors attendre l'arrivée du Humanity 1 et distribuer des gilets de sauvetage.

Une altercation en pleine mer avec d'étranges Libyens

Malheureusement, l'eau a progressivement rempli l'embarcation et un bateau des « soi-disant garde-côtes libyens » est arrivé sur place, précipitant un accueil en urgence des naufragés sur le Louise Michel. Les deux annexes semi-rigides rapides du Humanity 1 sont alors arrivés sur place tandis que la dernière personne montait à bord du Louise Michel. Les trois Libyens — dont un homme cagoulé et en treillis militaire — se sont rapprochés avec leur bateau de notre semi-rigide pour connaître nos intentions, mais aucune conversation — si ce n'est des gestes brefs de la main — ne s'en est suivie.

Leur embarcation est plus petite que les vedettes de sauvetage vendues par les Italiens et utilisées généralement par les « garde-côtes » : ils appartiennent donc peut-être à une milice privée. Les deux gros moteurs hors-bord leur permettent toutefois de se mouvoir rapidement sur l'eau. Ils sont là seulement pour voler le moteur du bateau pneumatique. Une altercation a cependant eu lieu lorsqu'un des semi-rigides de l'Humanity 1 s'est trouvé trop proche du pneumatique : les Libyens ont alors sorti leurs armes, des AK47 selon la photographe à bord, pour être laissés seuls et pouvoir décrocher le moteur discrètement, ce qu'ils ont fait. Le moteur, peu puissant, mais en état correct, sera sûrement vendu quelques milliers d'euros à des pêcheurs ou à des passeurs.

En Libye, entre l'attente et la torture

Une procédure de transfert des naufragés du Louise Michel vers l'Humanity 1 s'est ensuite déclenchée, après plusieurs vaines tentatives de contact des autorités maritimes compétentes. Dans la nuit et dans une mer légèrement agitée par la houle, les 103 personnes, dont des femmes enceintes et des enfants, ont été transférées vers l'Humanity-1. La présence d'un requin de plus de deux mètres de long a accentué la tension déjà présente, mais chaque survivant a embarqué dans le navire sain et sauf et a été accueilli par les équipes médicales et humanitaires.

Le lendemain, à la rencontre des naufragés, les discussions fusent et les souvenirs de la veille ressurgissent. Je demande à certains si c'était leur première tentative de départ de Libye. Pour certains, oui. D'autres en étaient à leur cinquième. Je m'en étonne : celui qui n'a essayé qu'une fois me rétorque qu'il est resté de nombreux mois à attendre et qu'il a pu être entre temps longuement torturé. Il est jeune, pas encore la trentaine, vêtu des vêtements neufs que les équipes lui ont donnés à son arrivée sur le bateau. Son visage est fatigué, tanné par une vie trop dure. Son ami qui a essayé cinq fois raconte une de ses tentatives depuis la Tunisie. Avec le même naturel et une voix assurée qui cherche à me faire comprendre ce que je ne peux comprendre, il se livre. Il a vu ses amis mourir devant lui l'année dernière. Son bateau a coulé et les cent passagers se sont retrouvés dans l'eau : la moitié sont morts noyés. Lui et les autres ont eu la chance d'avoir survécu jusqu'à l'arrivée d'un pêcheur tunisien au large des côtes.

Dans la soirée du 5 décembre, sans avoir eu le temps de se reposer, les équipes doivent se préparer à repartir. Une embarcation en détresse a été une fois de plus repérée par le Louise Michel. Le vent balaye la mer et la houle est plus forte que la veille. Les semi-rigides tracent leur sillon dans la nuit jusqu'à la scène d'opération. Pendant les dix longues minutes que dure ce trajet, on a malheureusement le temps d'imaginer le pire et d'avoir peur de devoir ramasser des cadavres. Arrivés sur place, nous observons un bateau en bois de quelques mètres de longueur, rempli d'une cinquantaine de personnes. Le bateau tangue très dangereusement dans la houle.

« Je vais essayer de faire des miracles »

Dragos, un Roumain d'une quarantaine d'années à bord de notre semi-rigide est le coordinateur de l'opération. Fort d'une expérience de plus de 20 missions de sauvetage en mer, il est parfaitement lucide face à la situation. Il nous confirme que le bateau peut chavirer d'un moment à l'autre. Si cela arrive, il y aura très probablement des morts. Il faut agir vite et le moindre mouvement de la part des personnes à l'intérieur du bateau peut être fatal. « Je vais essayer de faire des miracles » indique-t-il à la radio quand Joshua, le capitaine de l'Humanity 1, nous demande de procéder au sauvetage.

Je suis chargé d'être l'interlocuteur entre le semi-rigide et les 49 naufragés, tous arabophones. Il faut d'abord prononcer une phrase rapide en anglais pour leur faire comprendre que nous ne sommes pas Libyens, sinon la panique risque de les gagner et le bateau chavirera. Ensuite, en arabe, j'explique que nous allons les récupérer un par un par l'arrière du bateau. La pression est immense sur les équipes. Durant presque deux heures, en pleine nuit et dans la houle, les sauveteurs de l'Humanity 1 vont réussir à extraire une à une les 49 personnes, sans aucun mort. Un bateau libyen, encore une fois, sera présent autour de la scène. Ils brûleront le bateau en bois dans la nuit, après avoir récupéré le moteur.

Des Égyptiens de plus en plus nombreux

Une fois à bord, les naufragés reprennent leurs esprits et font éclater leur joie. Ils proviennent de l'Égypte majoritairement, mais aussi de la Syrie, du Soudan et du Tchad. Il y a seulement quelques femmes — bien que celles-ci soient de plus en plus représentées parmi les réfugiés tentant la traversée — et principalement de jeunes hommes entre 20 et 30 ans. La présence d'Égyptiens est une caractéristique des dernières évolutions contemporaines du champ migratoire. Ils m'expliquent que de plus en plus d'entre eux fuient le service militaire obligatoire ou la vie économique suffocante de leur pays. Ils passent la frontière à pied, à quelques kilomètres de la côte, dans le désert. Puis, s'ils ne se sont pas fait tirer dessus par l'armée égyptienne ou kidnapper par les milices libyennes, ils partent soit directement de l'est libyen, autour de Tobrouk, soit prennent le risque de faire la route jusqu'aux alentours de Tripoli. Ceux-ci sont partis en mer à l'ouest de Tripoli.

Les rêves de devenir footballeurs

Quelques heures après la fin de ce sauvetage périlleux et alors que le soleil se lève, une nouvelle alerte est donnée. Un bateau pneumatique de 103 personnes a été repéré et le Louise Michel, plus rapide que l'Humanity 1 a encore une fois réussi à arriver rapidement sur place pour stabiliser l'embarcation et distribuer des gilets de sauvetage. Majoritairement francophones, sénégalais et ivoiriens notamment, les naufragés sont paniqués et difficiles à calmer. De l'eau est entrée dans le bateau et il est compliqué d'organiser le débarquement.

Malgré nos précautions, lorsqu'on les saisit par la main, les naufragés se jettent littéralement par-dessus nos corps pour atterrir aux pieds de Robin, le pilote allemand. Durant la manœuvre, nous repérons une autre embarcation à quelques milles nautiques dans une situation similaire. Malheureusement, nous voyons les Libyens arriver sur place, seuls. Comme lors du deuxième sauvetage, nous avons à faire à une vedette des « garde-côtes » libyens, presque de la même taille que le Louise Michel. Le sauvetage terminé, nous apprenons qu'ils ont embarqué de force la plupart des autres naufragés à l'exception de six personnes qui ont préféré sauter à l'eau que de retourner en Libye. Ces personnes seront mises à l'abri sur un radeau de sauvetage par le Louise Michel, puis récupérées par l'Humanity 1. Elles nous raconteront leur bonheur d'avoir pu nous rejoindre, mais aussi leur terreur de savoir certains de leurs proches retournés vers un monde de torture et de malheur.

Le mardi 6 décembre en fin de matinée, ce sont donc 261 personnes qui sont à bord de l'Humanity 1. Le lendemain matin, après les premiers soins d'urgence et la distribution de couvertures pour la nuit, Jutta, la coordinatrice de l'équipe médicale et humanitaire explique à tous que nous risquons de devoir attendre quelques jours, voire quelques semaines à bord. D'abord parce qu'il peut y avoir d'autres sauvetages à réaliser. Ensuite parce que l'Italie ouvre de moins en moins facilement ses portes. Un Nigerian me lance en rigolant que ce n'est pas grave et qu'il n'y a pas de problème pour rester sur le bateau une année s'il le faut tant qu'il ne retourne pas en Libye.

À l'écart, sur le pont supérieur, un groupe de francophones discute en regardant la mer. Un Ivoirien me montre ses pieds et me dit que cela lui a fait du bien de dormir comme ça. « Comment ça, comme ça ? » Il m'explique qu'il a enlevé ses chaussures et qu'il est impossible de dormir sans ses chaussures en Libye, car des gardes ou des voisins peuvent venir n'importe quand pour vous frapper ou vous voler. Il faut pouvoir partir en courant à tout moment.

Sur le pont inférieur, un très jeune adolescent paraît esseulé. Il est sénégalais et veut être footballeur à Marseille. Il est ici avec sa petite sœur. Il l'a vue ce matin, mais ne peut plus la voir quand elle rentre dans sa chambre. En effet, la chambre des femmes et des enfants en bas âge est strictement interdite aux hommes et adolescents. Je n'ose pas lui demander comment il a pu se retrouver ici, seul avec sa sœur. J'imagine. Il y a aussi son homologue égyptien, tout jeune adolescent comme lui. Il est parti seul d'Égypte et veut également devenir footballeur, mais en Allemagne. Il est protégé par un groupe d'Égyptiens qui prend soin de lui.

La Libye, un autre monde

Plus tard, un Gambien me raconte, plein de lucidité, qu'en Europe la police a le droit de t'enfermer, mais qu'il faut un jugement pour cela, alors qu'en Libye on t'emmène directement de la mer à la prison. Il me décrit celle d'Ursh Ufana. Il y aurait des milliers de personnes et des morts tous les jours. Je m'enquiers de cette prison auprès du groupe francophone du pont supérieur, précédemment rencontré. Tous la connaissent. Un Sénégalais m'explique que cet enfer est un ancien dépôt pour animaux et que les gens y sont parqués au sous-sol. Chaque jour, il voyait les Libyens y sortir cinq ou six cadavres. Aussi, un jeune Guinéen me raconte que son petit frère est encore dans cette prison. Après maintes discussions sur la torture et les conditions de vie en Libye, c'est finalement un jeune Ivoirien qui me fera comprendre par des mots simples ce qu'il pense de l'autre côté de la Méditerranée. Il ne considère pas la Libye comme un autre pays, mais comme un autre monde.

L'équipe médicale composée d'un médecin, d'une infirmière et d'une sage-femme nous appelle parfois pour traduire du français ou de l'arabe vers l'anglais. Outre les marques physiques de torture sur leurs corps, la grande majorité des naufragés n'arrive plus à s'alimenter ou à dormir correctement. Lorsqu'on leur demande depuis quand, ils nous répondent par un chiffre en mois ou en années. Et quand on leur demande depuis quand ils sont arrivés en Libye, on se rend compte que les deux chiffres correspondent toujours. Diego, le médecin, mène les consultations, et se met parfois soudainement à me parler en espagnol alors que je ne maîtrise pas cette langue. Il se reprend et continue en anglais. Malgré son professionnalisme, son visage cerné et sa voix traduisent sa fatigue. Plus tard, il m'explique qu'il y a une différence entre entendre « ces histoires » à la télévision ou en lisant des articles de journaux et de vive voix, continuellement, toute la journée.

Un débarquement sous haute surveillance à Bari

Les équipes de l'Humanity 1 sont épuisées et se remettent doucement des scènes apocalyptiques auxquelles elles ont assisté. Renaud, un équipier du semi-rigide dans lequel je me trouvais, m'explique que l'émotion a été trop intense quand il a vu l'intérieur du bateau pneumatique « secouru » par les Libyens et duquel seules six personnes ont pu s'extraire. En effet, des vêtements d'enfants en bas âge jonchaient le sol. Autrement dit, des enfants sont retournés vers l'enfer libyen tandis que d'autres ont eu plus de chance.

Le capitaine de l'Humanity 1, accompagné de ses officiers et d'une observatrice humanitaire, a envoyé plusieurs demandes de « port sûr » pour pouvoir débarquer en Europe. Cinq longues journées après le premier sauvetage, les autorités italiennes ont enfin répondu favorablement et ont assigné le port de Bari comme lieu de débarquement. Si la destination de Bari n'était pas souhaitable étant donné la distance à parcourir jusqu'en mer Adriatique et la tempête à affronter, il n'en reste pas moins que le comportement des autorités a étonné le capitaine qui s'attendait à devoir attendre plus longtemps.

En effet, le mois dernier, plusieurs navires humanitaires comme l'Humanity 1, l'Ocean Viking ou leGeo Barents, avaient dû attendre pas loin de trois semaines. Les 261 naufragés secourus par l'Humanity 1 ont tous, sans exception, subis des traitements inhumains ou dégradants en Libye et sont dans une situation de vulnérabilité aiguë. On aurait tendance à penser qu'une telle situation de détresse ne saurait être politique, seulement humaine. Ces 261 personnes ont eu la chance de pouvoir débarquer plus ou moins rapidement en Europe. Des associations et des policiers en grand nombre étaient là pour les accueillir.

Mais chaque membre de l'équipage sait que les prochaines missions pourront encore pâtir du jeu diplomatique macabre orchestré par les gouvernements européens. Le nouveau gouvernement italien, après s'être vanté d'avoir fermé ses portes à l'Ocean Viking en novembre 2022, a sûrement préféré calmer ses ardeurs xénophobes et jouer le jeu des institutions européennes pour gagner en crédibilité et continuer de bénéficier des accords de transfert de demandeurs d'asile intra-européens. Mais quand est-ce que les portes de l'Europe se fermeront de nouveau ? L'ONG SOS Humanity sait qu'il faudra continuer à se battre pour défendre le droit et le devoir de sauver des naufragés et les conduire en lieu sûr.

Pasolini et les Arabes. Un vaste désert de Sanaa à Ouarzazate

À une époque profondément désacralisée, Pier Paolo Pasolini relit le mythe comme utopie politique et synthèse entre culture archaïque et culture moderne. À partir du milieu des années 1960, le réalisateur tourne son regard vers la culture arabe, non seulement parce qu'elle représente un monde incorruptible, épargné par les mécanismes de la modernisation, mais aussi parce qu'elle constitue une sorte d'Autre absolu, un bastion éthique et esthétique des opprimés autour de la Méditerranée.

Comme l'Arabe dans L'Étranger d'Albert Camus, l'écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini (1922-1975) fut lâchement assassiné sur une plage de la Méditerranée. Le natif de Bologne venait alors d'achever le tournage de Salò o le 120 giornate di Sodoma (Salò ou les 120 journées de Sodome) et envisageait de s'installer définitivement au Maroc. Préoccupé par l'achèvement de Pétrole, roman qu'on soupçonne d'être la cause de son assassinat, Pasolini se dirigea vers des horizons mentaux, poétiques et politiques qui l'éloignèrent totalement du monde romano-chrétien et d'une Europe qui, selon lui, avait perdu le sens du sacré. Sa rupture devint également totale avec les idéologies établies et émergentes (communisme, féminisme, mouvement de Mai 68, etc.), et le modèle de l'intellectuel progressiste, qui selon lui « accepte la démocratie sociale que lui impose le pouvoir » » uniquement pour exploiter les gens du peuple dans le but de mettre en place de nouveaux fascismes totalitaires se basant sur une société de consommation et de divertissement.

Ainsi, en écartant le progressisme de gauche et le développement de droite, Pasolini voulait se rattacher à un autre horizon civilisationnel dans lequel il trouvait le salut du monde moderne. Après la défaite arabe de juin 1967 face à Israël, il écrit :

Je jure par le Coran que j'aime les Arabes presque autant que ma mère. Je négocie actuellement l'achat d'une maison au Maroc et j'envisage d'aller vivre dans ce pays. Peut-être qu'aucun de mes amis communistes ne commettrait un pareil acte à cause d'une détestation ancienne, enracinée et inavouée à l'encontre des prolétaires opprimés et des pauvres… 

Le pacte que Pasolini conclut avec les Arabes, en jurant sur leur livre sacré, peut être compris comme une sorte de nostalgie à son enfance misérable dans laquelle l'image de la langue maternelle est fortement présente. On lit dans un recueil de poèmes publié en dialecte frioulan (sa langue maternelle) en 1954 un poème intitulé « L'Alliance coranique » :

[...] À seize ans
J'avais un cœur rugueux et inquiet
des yeux comme des roses incandescentes
et des cheveux comme ceux de ma mère […]

Pourquoi le turbulent garçon chercha-t-il refuge auprès des ennemis de Dante en les préférant aux Grecs ? Comment fit-il de son œuvre cinématographique une allusion archéologique et onirique dans les contrées arabes ? Et que cherchait-il ainsi nu lors de ce pèlerinage tragique qui le conduisit à la mort ?

Les Ioniens et les Grecs

Contrairement à ce que suggèrent certaines études postcoloniales, Pasolini n'aborda pas les contes et les spécificités arabes uniquement parce qu'il s'agissait d'un domaine vierge, épargné par les outils de la modernisation et des stratégies néolibérales, mais parce que ce monde constituait pour lui l'autre absolu, une forteresse éthique et esthétique exceptionnelle des opprimés du pourtour de la Méditerranée. C'est ainsi que Pasolini distingua entre les Ioniens et les Grecs, tout comme les Arabes l'avaient fait avant lui, et manifesta son penchant pour le mythe arabe. Il déclare dans une interview radiophonique :

Je ne me suis pas intéressé à la mythologie grecque parce qu'elle était devenue d'une certaine façon celle d'une classe, et je ne parle pas ici de l'époque de Sophocle […] Quant à la mythologie arabe, elle est restée populaire sans devenir l'expression culturelle d'une quelconque classe dominante. En guise d'exemple, on ne trouverait pas un Jean Racine arabe…

Cette déclaration est une critique évidente de ce qu'il qualifie comme la mainmise d'une classe sur un patrimoine commun. Les mythes arabes sont restés oralement diffusés auprès du grand public, contrairement à la mythologie grecque, monopolisée par la bourgeoisie occidentale qui l'enferma dans les académies, les opéras, les théâtres et les romans.

Pasolini réduisit la distance entre les mondes antique et moderne à travers le cinéma comme une sorte de « traduction par l'image », une sous-traduction des corps, des sentiments et des conflits, éparpillant les lieux et les temps, manipulant les cartes du nord méditerranéen et du sud. Ainsi il tourna Jérusalem à Matera, Athènes à Ouarzazate, la Thessalie à Alep, Florence à Sanaa… Entre 1963 et 1969, au sein de ce que nous appelons ici la trilogie tragique arabo-grecque, Pasolini voyagea d'abord en Palestine et en Jordanie à la recherche de décors pour tourner L'Évangile selon Saint Matthieu (1964), sans trouver ce qu'il cherchait. Les colonies sionistes avaient couvert la mémoire du Christ et entamé l'effacement des traces de sainteté et de la pauvreté du temps du Nouveau Testament.

Des années plus tard, Pasolini partit pour le Maroc pour réaliser son film Œdipe Roi (1967). Dans une interview avec Alberto Arbasino, il déclare :

Le tournage d'Œdipe a eu lieu au fin fond du Maroc, un pays doté d'une architecture millénaire et ravissante, sans lampadaires et donc sans tous les tracas du tournage de L'Évangile selon Saint Matthieu en Italie. Bien sûr, tout cela avec des roses et une nature verte et merveilleuse, et les amazighs ont le teint presque blanc, mais ils sont « des extra-terrestres », anciens, comme c'est le cas du mythe d'Œdipe chez les Grecs…

Selon Pasolini, l'ancrage des mythes anciens n'est plus possible dans le paysage contemporain de l'Occident dont la splendeur du passé ne s'accorde pas avec le nouveau visage de l'Occident capitaliste, pas dans la langue de ses peuples imprégnés de mode, ni dans sa pâle métropole de béton. Même son rapport au cinéma est devenu celui du spectacle, pas un moteur culturel révolutionnaire pour les peuples.

Dans le film Médée (1969), Maria Callas, la célèbre cantatrice d'Opéra apparaît dans le rôle de la magicienne grecque et se venge de son mari infidèle en tuant leur propre progéniture. En demandant à Callas de jouer ce rôle, le geste de Pasolini est loin d'être innocent et gratuit. Il dépouilla la star gréco-américaine évoluant dans les milieux bourgeois de la modernité et la revêtit des attraits du désert : élégante et stricte en robes brodées, parfois simples et parfois sublimes, comme si elle était la reine de Saba, itinérant dans la section hellénistique de la citadelle d'Alep. En 1971, Pasolini travailla sur le livre Le Décaméron de Giovanni Boccace, et envisagea à nouveau de le tourner loin de l'Europe, entre le Yémen et Naples. Pasolini dit :

Lorsque j'étais en train de tourner des scènes du Décaméron au Yémen, l'idée des Mille et une nuits m'est venue, une idée complètement abstraite […] Au Yémen, on sent un souffle très profond de fantaisie vous venir de cet urbanisme étonnant […] Une fois rentré, je me suis mis à lire très attentivement Les Mille et une nuits. Ce qui m'a le plus attiré dans ma lecture, c'était la complexité des contes, leur imbrication les uns dans les autres, la capacité infinie de narration, raconter pour raconter, et s'arrêter à chaque fois sur un détail surprenant et l'atteinte du paroxysme de l'envie de raconter, et puis l'absence d'une fin quelconque…

Voyages d'hiver et d'été

À la lisière entre l'alphabet et l'image, Pasolini créa ce que l'on peut considérer comme un genre documentaire particulier appelé « notes ». Ce genre s'appuie sur un scénario devenu un point de tension où se heurtent le système des lettres et le système cinématographique, et le conflit s'intensifie entre la stylistique de la littérature et le scénario en tant que document interstitiel et esthétique, renvoyant à la trame cinématographique. Un scénario, selon Pasolini, est une structure qui renvoie à une autre. Nous pouvons classer un ensemble de ses œuvres dans cette perspective, y compris Un Voyage en Palestine (1964), Notes pour un film sur l'Inde (1968), Notes pour un poème sur le tiers-monde (1968), Carnets de notes pour une Orestie africaine (1970), Les Murs de Sanaa (1971), et également La Rage (1963) et Enquête sur la sexualité (Comizi d'amore) (1964) qui sont plus proches de la documentation d'archives et le dialogue, bien que le ton adopté par le premier s'apparente à un communiqué protestataire et polémique ponctué d'une poésie tendue et acérée.

Dans son court métrage documentaire Les Murs de Sanaa, achevé en une journée, alors qu'il tournait Le Décaméron, Pasolini réitère ses piques contre la modernité et l'urbanisation industrielle. Avec une simplicité limpide et acerbe que certains lui reprochent de ne pas l'avoir fait à propos de la géographie sacrée de Jérusalem, il célébra une civilisation immémoriale craignant pour sa disparition. Dans son commentaire audio sur les scènes de Sanaa et des machines de l'entreprise chinoise pénétrant dans son désert, annonçant une modernisation supposée, il déclare :

On ne peut plus, à présent, sauver l'Italie, mais le sauvetage du Yémen est encore possible […] Nous exhortons l'Unesco à secourir le Yémen et le préserver de la destruction qui a en fait commencé avec les murs de Sanaa. Nous lui demandons d'aider le peuple du Yémen à sauvegarder son identité qui est d'une valeur inestimable […] Nous l'invitons à chercher le moyen de faire prendre conscience à cette nouvelle nation que sa patrie est une des merveilles de l'humanité et de la protéger pour qu'elle reste telle quelle. Nous l'appelons avant qu'il ne soit trop tard, à convaincre les classes dirigeantes que l'unique trésor du Yémen est sa beauté […] au nom des gens simples qui sont restés purs du fait de la pauvreté, au nom de la grâce d'antan fois, au nom de la grande puissance révolutionnaire du passé.

De l'Inde qu'il visita en compagnie de son ami intime Alberto Moravia, Pasolini se rendit ensuite en Palestine et au Yémen. Il explora également les gorges de l'Ouganda et de la Tanzanie où il tenta de donner une version africaine des tragédies d'Eschyle. En Palestine, le latin qu'il était semblait déchirer entre deux pauvretés : la pauvreté des Juifs dépêchés par le sionisme, faisant d'eux les zombies du récent État militaire, et la pauvreté des Palestiniens vaincus, aux traits bédouins flétris, et des oreilles sourdes à l'appel de la révolution. Pasolini n'est pas resté neutre, comme certains l'ont cru, mais il chargea son recueil Poèmes en forme de rose d'exprimer son opinion complexe et ambiguë. Entrant dans la peau d'un juif immigré, il dit :

Retourne, oh retourne à ton Europe
En me mettant à ta place
Je ressens ton désir que tu ne ressens pas.

Pasolini n'aimait pas les Arabes de son temps, et sans les favoriser non plus idéologiquement aux dépens des juifs, il trouva des affinités avec eux à travers leur civilisation passée si étrangère à la révolution industrielle. C'est pourquoi il défendit cette civilisation dans son aspect féodal et médiéval, au point qu'il déclara un jour, en marge d'une activité cinématographique à Poitiers, qu'il voulait la victoire des musulmans à la Bataille du Pavé des Martyrs (732 apr. J.-C.) sur les armées de Charles Martel, c'est-à-dire que Pasolini regrettait que les Arabes n'aient pas étendu leur influence sur toute l'Europe, une position adoptée par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche.

Quant à Notes pour un poème sur le tiers-monde (1968), il resta un projet inachevé. Pasolini voulut que ce film hybride, situé entre documentaire et fiction, qu'il fût une œuvre transcontinentale, des religions et de la faim de l'Inde au choc de l'argent et des races en Afrique noire, en passant par le nationalisme et la bourgeoisie dans le monde arabe, puis la guérilla en Amérique du Sud, finissant par l'exclusion et de la violence au sein des ghettos noirs aux États-Unis. Les événements du film commencent et se terminent dans le désert du Sinaï, après la guerre israélo-arabe de juin 1967. Dans un vide rempli de fer et de feu, parmi les chars et les avions détruits, s'entassent des milliers de cadavres en lambeaux. Ce sont les corps des Arabes après le désastre. La caméra s'approche d'un cadavre et le corps commence à ressusciter. C'est le corps d'un jeune homme que Pasolini nomma Ahmed. Le jeune homme semble dormir, puis il se réveille, prêt pour la conversation. Pasolini choisit Assi Dayan, fils de Moshe Dayan, chef d'état-major général israélien, pour jouer le rôle de l'Arabe. Dans le même film, l'arabe et l'hébreu se superposent, les terres occupées transformées par le pouvoir colonial en État industriel, se superposent aussi aux villages de bédouins marginalisés et dévorés par le désir de vengeance. Le corps d'Ahmed, et par la même occasion celui d'Assi Dayan, revient à son état premier : amputé et couvert d'ecchymoses et de coupures. À ce titre, Pasolini voulut condamner toutes les formes de patriotisme qui privent les jeunes de vie et d'avenir pour des raisons historiques et idéologiques…

À propos d'un saint dont personne n'attend le retour

Jusqu'à ses derniers jours, Pier Paolo Pasolini continua à rechercher la sainteté dans le style et la justice dans l'existence par l'intermédiaire de la littérature et du cinéma, et ses positions décisives qui sont indivisibles et interprétatives. Refusant toute forme d'intelligentsia, l'auteur de la Divine Mimésis (1975), malgré les menaces et les poursuites judiciaires, ne cessa de pointer du doigt les failles du progressisme et les dangers du capitalisme. Il aborde également, dans des articles polémiques publiés par le journal milanais Corriere della Sera au début des années 1970, ce qu'il trouvait dans un recul moral et éthique de la société italienne : il s'en prit à la mode des cheveux longs, des jeans, à l'avortement et au divorce. Loin des tentatives contemporaines de le kidnapper et d'en faire une icône publicitaire de l'homosexualité, de la débauche bon marché et des constructions artistiques faciles, Pasolini est fidèle au matérialisme de la réalité dans la brutalité de ses rancunes et de ses querelles, c'est-à-dire dans sa dialectique créative amère, et ne s'empêche pas de dénoncer les illusions de liberté. Le Décaméron est basé sur l'éloge d'Éros, pas sur le sexe et l'hilarité. Pasolini dit : « J'ai réalisé tous ces films pour critiquer indirectement l'époque actuelle, cette époque industrielle et de consommation que je n'aime pas. »

Après Le Décaméron (1971) et Les Contes de Canterbury (1972), Pasolini conclut sa trilogie de la vie avec La Rose des mille et une nuits (1974), un film qui consacre sa fascination pour les contes arabes. Il y emploie un récit graphique plein d'érotisme et de poésie, dans des scènes grandioses des collines, d'habits et de corps naïfs trahis. Pourtant, quelques mois avant sa mort, il renia cette trilogie de la vie, et inaugura le début de la trilogie de la mort. Avec Salò ou les 120 journées de Sodome (1975), Pasolini plaça l'horreur de l'univers du marquis du Sade au centre du conflit intellectuel et politique avec la démocratie chrétienne en Italie, l'accusant de s'allier à la mafia, et de laver le cerveau des citoyens en utilisant la télévision comme arme divulguant la banalité et l'asservissement.

Pasolini se retira dans un château médiéval, dans la région de Tosha, pour terminer son roman Pétrole (1975). Le texte comprenait un chapitre intitulé « Lumières sur l'Agence nationale des hydrocarbures (ENI) », dans lequel il évoquait les coulisses du meurtre de son directeur, Enrico Mattei, et énumérait même les noms de responsables politiques impliqués dans la corruption. Après avoir été assassiné dans la nuit du 2 novembre 1975, le chapitre connu du manuscrit du roman a été perdu, et lui-même fut retrouvé mutilé comme le corps de l'Arabe Ahmed après la déroute de juin 1967.

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Texte traduit de l'arabe par Fawaz Hussain.

Le « deux poids deux mesures » occidental en matière d'asile politique

L'accueil des réfugiés en Occident n'a jamais été exempt de contradictions, mais l'invasion russe de l'Ukraine et la fuite de quelque cinq millions de personnes ont rendu ces contradictions plus explicites. Les politiques gouvernementales créent partout un système de sélection des réfugiés basé sur l'origine ethnique et la religion.

Les politiques gouvernementales occidentales mettent partout en place un système de sélection des réfugiés basé sur l'origine ethnique et la religion : accueil généralisé et accès rapide à la protection pour les « bons » réfugiés ; refus, camps et barbelés pour tous les autres, les « mauvais ». La mutation du droit d'asile semble si grave qu'elle augure de sa mort imminente.

L'asile politique dans la tempête mondiale

L'extrême instabilité politique, économique, sociale et environnementale qui a balayé le monde ces dernières années a entraîné une augmentation sans précédent du nombre de personnes contraintes de quitter leur foyer ou leur pays.

Selon les estimations du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), on dénombrait plus de 84 millions de personnes déracinées et déplacées dans le monde en juin 2021 (personnes déplacées internes, demandeurs d'asile et réfugiés). Ces données ne prennent donc pas en compte les 5 millions d'Ukrainiens qui ont fui après l'invasion russe de février 2022, ni les Afghans qui ont quitté leur pays après le retrait brutal de l'armée américaine et l'installation des talibans en août 2021, ni les Kurdes contraints de quitter leurs foyers par suite de l'intensification des violences militaires à leur encontre, ni évidemment les transfuges russes qui refusent de combattre en Ukraine depuis la mobilisation partielle des réservistes.

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, composante fondamentale de la législation sur les droits humains et tout juste sortie des célébrations de son 70e anniversaire est perçue comme la boussole qui devrait guider les actions des États et des institutions supranationales en matière de protection des réfugiés. Son article 1, basé sur le principe universaliste, établit le devoir des États d'offrir une protection adéquate à toute personne fuyant son pays par crainte de persécution en raison de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le principe de non-discrimination est donc le fondement éthique et juridique de l'asile et la protection accordée aux réfugiés sert à réparer la condition discriminatoire qui a conduit à leur fuite. Sous peine de voir disparaître la Convention de Genève, le droit d'asile ne permet donc pas d'approches sélectives et discrétionnaires fondées sur des hiérarchies raciales, nationales, religieuses, sur des opinions politiques ou autres. Et malgré tout, retentit désormais de toutes parts le glas de la faillite de la Convention de 1951, notamment en Occident où elle a vu le jour.

La politique américaine sélective

Aux États-Unis, les groupes de défense des droits humains ont récemment dénoncé non seulement le nombre record de demandeurs d'asile détenus pendant la présidence Biden (plus d'un million de demandeurs d'asile détenus de novembre 2021 à avril 2022)1, mais aussi la violence policière brutale exercée contre les réfugiés d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud. Les opérations Lone Star de la Garde nationale au Texas et Vigilant Sentry des garde-côtes en Floride représentent les développements les plus inquiétants dans le long processus de militarisation de l'asile aux États-Unis. S'y s'ajoute la discrimination pratiquée selon l'origine des réfugiés : ceux qui viennent d'Haïti, du Mexique, de Cuba, du Venezuela et du Cameroun sont soumis à d'énormes restrictions, tandis que les réfugiés ukrainiens bénéficient d'un bien meilleur traitement, notamment d'un accès accéléré au statut de réfugié et même d'une exemption de l'application du titre 42 du code gouvernemental américain de 1944 qui permet aux autorités fédérales d'empêcher l'entrée dans le pays pour des raisons sanitaires. Cette règle était le plus souvent utilisée par les administrations précédentes, notamment l'administration Trump lors de la pandémie de Covid-19, pour empêcher les demandeurs d'asile d'entrer sur le territoire américain.

Réfugiés et « faux » réfugiés dans la schizophrénie européenne

De l'autre côté de l'Atlantique, le gouvernement britannique promet via Twitter de mener à bien la « politique du Rwanda » mise au point quelques mois plus tôt par le gouvernement de Boris Johnson. Il s'agit de l'accord conjoint signé avec le gouvernement du Rwanda en application duquel Londres pourra expulser vers le Rwanda des demandeurs d'asile en contrepartie d'une dotation de 120 millions de livres sterling (environ 135 millions d'euros). Cet accord est justifié par l'incapacité du Royaume-Uni à accueillir des réfugiés, comme l'a expliqué Boris Johnson lui-même le 14 avril dernier : « Notre compassion est peut-être infinie, mais notre capacité à aider les gens ne l'est pas. »2

Pourtant, les deux gouvernements conservateurs ont promis une aide de 350 livres sterling par mois (environ 400 euros) exonérée d'impôts, pendant un an, à chaque famille britannique prête à accueillir des réfugiés ukrainiens qui sont manifestement considérés comme méritant d'être accueillis. Il convient également de préciser que la « politique rwandaise » n'a pas encore été mise en œuvre, la Cour européenne des droits de l'homme ayant réussi à bloquer les vols aériens prévus. Sans grande originalité, l'ancien premier ministre italien Mario Draghi a répété la même (et fausse) litanie sur la limite de l'accueil italien, lors d'une rencontre bilatérale entre l'Italie et la Turquie le 5 juillet : « À un certain point, le pays qui reçoit ne peut plus faire face. Nous sommes peut-être le pays le moins discriminant et le plus ouvert possible, mais nous avons aussi des limites et nous les avons atteintes. »

Selon les données de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), on décomptait au 30 juin 2022 : 5 856 arrivées en Italie en provenance de Turquie, contre 15 187 de Libye, 5 843 de Tunisie, 472 du Liban et 6 de Grèce. Par comparaison, il y a eu plus de 145 000 réfugiés d'Ukraine depuis le début de l'invasion russe. La limite invoquée par le premier ministre italien de l'époque ne concernait donc pas l'accueil des réfugiés ukrainiens. De même, le « blocus naval » promis pendant la campagne électorale par Giorgia Meloni et Matteo Salvini ne concerne pas les Ukrainiens, mais bien tous les autres. C'est à ces « autres » que le futur gouvernement italien s'apprête à déclarer la guerre : fermeture totale des ports, camps de rétention en Afrique, réduction drastique des fonds d'accueil et législation ultrarépressive. Le tout accompagné d'un déluge hystérique de hashtags, comme l'exige la « gouvernance des tweets » de l'époque.

Le pouvoir discrétionnaire des gouvernements italiens en matière d'asile s'étend également à d'autres domaines, faisant craindre de nouveaux abîmes de racisme institutionnel. Un décret du ministère de l'intérieur de mars 2022 indique que sont a priori « inaccessibles » les actes relatifs à la « gestion des frontières et de l'immigration », y compris la collaboration avec Frontex, intensifiant par là-même l'opacité de l'action institutionnelle en matière d'asile et d'immigration, et portant substantiellement atteinte aux droits des réfugiés, qui finissent par être considérés comme une menace pour la sécurité nationale. Ainsi, la transparence opérationnelle, déjà peu fréquente, des gouvernements et de la police dans la gestion des frontières — façonnée davantage par les circulaires et les accords (semi) secrets que par les lois en vigueur — est réduite à néant, faisant de la gouvernance de l'asile le domaine de l'arbitraire.

Désormais, pour savoir ce qui se passe en haute mer, dans les déserts ou les camps de réfugiés, il faudra se fier à ce que les officiers de service, y compris libyens ou turcs, voudront bien déclarer. Ces derniers, selon l'ultime accord signé entre Draghi et Erdoğan, seront désormais également présents sur les lieux de débarquement et dans les aéroports italiens pour « empêcher les arrivées ».

Le décret ministériel italien exclut également la possibilité de faire toute la lumière sur les innombrables tragédies que connaissent les réfugiés le long des routes méditerranéennes, les plus meurtrières au monde. C'est ce qu'écrit le HCR dans une déclaration datée du 10 juin 2022 :

Malgré la diminution du nombre de traversées, le nombre de morts a fortement augmenté. L'année dernière, environ 3 231 personnes ont été signalées mortes ou portées disparues en Méditerranée et dans l'Atlantique nord-ouest. En 2020, le nombre enregistré était de 1 881, 1 510 en 2019 et plus de 2 277 en 2018. Le nombre pourrait être encore plus élevé, avec des morts et des disparus le long des routes terrestres à travers le désert du Sahara et les zones frontalières éloignées.

Le gouvernement espagnol, en revanche, ne fait rien pour occulter l'information sur les morts violentes de réfugiés. Au contraire, il s'en fait presque une gloire qui vaut avertissement à tous ceux qui voudraient à l'avenir revendiquer le droit de demander l'asile en Espagne. Lorsque le 24 juin 2022, des centaines de réfugiés africains ont tenté de prendre d'assaut la forteresse Europe en escaladant les fils barbelés qui entourent Melilla, la Guardia civil espagnole et la gendarmerie marocaine ont réagi fermement, provoquant la mort de 37 personnes et faisant des centaines de blessés. Au même moment, le gouvernement espagnol et Sanchez lui-même accueillaient 134 000 réfugiés ukrainiens.

Même la politique « zéro asile et beaucoup de barbelés » de la Pologne et de la Hongrie, que nous avons douloureusement vécue ces dernières années, s'est dissoute dans les larmes et dans les appels à la solidarité pour accueillir les réfugiés d'Ukraine. Le gouvernement allemand, qui applique une politique d'asile très restrictive, allant jusqu'à expulser 6 198 réfugiés au cours des six premiers mois de 2022, a généreusement accueilli 900 000 réfugiés ukrainiens, auxquels il garantit une procédure administrative simplifiée, permettant l'accès aux prestations, au travail et au logement. Le même accueil semble être réservé aux transfuges russes, comme l'a récemment expliqué la ministre de l'intérieur Nancy Faeser dans une interview accordée au Allgemeine Zeitung. Le gouvernement français accepte également des milliers de réfugiés ukrainiens sans aucun problème alors qu'il ne cesse de pourchasser les réfugiés africains, asiatiques et du Proche-Orient qui tentent de franchir la frontière à Vintimille.

L'évidente schizophrénie qui est désormais la marque des politiques d'asile des États européens n'est pas étrangère aux institutions de l'UE. Pendant des années, les États ont respecté l'accord passé avec la Turquie, en contrepartie de millions d'euros, pour « libérer » l'Europe des réfugiés du Proche-Orient (principalement des Syriens). Ils ont aussi promu d'autres accords similaires avec des pays africains, mais lorsqu'il s'est agi de garantir la protection des Ukrainiens fuyant la guerre, ils ont décidé comme par magie d'appliquer une règle communautaire délibérément ignorée depuis 21 ans, à savoir l'article 5 de la directive 2001/55/CE qui garantit des droits et une protection temporaire immédiate en cas d'afflux massifs, c'est-à-dire sans bureaucratie inutile ni attente épuisante pour se présenter devant les commissions ou pour chercher un travail et un logement.

Entre politique de pouvoir et racisme d'État

Ce qui est le plus frappant dans cette tendance schizophrénique des politiques d'asile et d'accueil en Occident, ce n'est évidemment pas le traitement bienveillant réservé aux réfugiés ukrainiens, mais le fait de ne pas en faire autant pour les autres. Un droit d'asile sélectif, basé sur la race, la nationalité ou la religion, s'affirme progressivement, avec l'apparition d'une politique du « deux poids deux mesures » entre les réfugiés : camps, répression et refoulement pour les populations non blanches et non chrétiennes, et « accueil généralisé » pour les réfugiés blancs et chrétiens, dans le respect de l'État de droit et de la Convention de Genève. La politique de puissance des États en temps de crise peut expliquer en partie ce qui se passe. C'est Weber qui, le premier, a souligné qu'il n'y avait aucun lien entre l'État de droit et les intérêts de puissance des nations :

Les luttes de pouvoir sont finalement aussi les processus de développement économique qui sont les intérêts de pouvoir de la nation, où ils sont remis en question, les derniers et décisifs intérêts au service desquels leur politique économique doit se tenir […] Et l'État-nation est l'organisation laïque du pouvoir de la nation »3.

Accepter certains réfugiés et en rejeter d'autres est l'expression d'une politique d'État qui a pour objectif premier la réalisation de son propre pouvoir sur la scène internationale, c'est-à-dire l'affirmation de ses intérêts économiques et géopolitiques particuliers. Dans ce cas précis, cela pourrait coïncider avec la nécessité de soutenir le gouvernement ukrainien dans une perspective antirusse, ou avec le positionnement privilégié des entreprises nationales dans la compétition internationale pour la reconstruction de l'Ukraine dans l'éventuelle prochaine après-guerre.

La politique de pouvoir des nations, pour se réaliser, doit nécessairement mettre en jeu le racisme institutionnel, fondé sur un traitement différentiel et arbitraire entre les groupes et les populations. Ce faisant, elles mettent à nu le rôle des États dans la propagation du racisme, qui, comme l'écrivait Jean-Paul Sartre, n'est pas seulement une idéologie, mais une violence qui se justifie d'elle-même :

Le racisme doit se faire pratique : ce n'est pas un réveil contemplatif des significations gravées sur les choses ; c'est en lui-même une violence se donnant sa propre justification : une violence se présentant comme violence induite, contre-violence et légitime défense »4.

L'émergence récente de la schizophrénie occidentale en matière d'asile dévoile le (vieux) caractère raciste des politiques migratoires visant à créer des hiérarchies entre les populations et les individus. La construction sociale des races selon un ordre hiérarchique, explique Satnam Virdee, a toujours pour fonction de mettre en mouvement, partout, « un processus de différenciation et de réorganisation hiérarchique du prolétariat mondial » [[Satnam Virdee (2019). « Racialized capitalism : An account of its contested origins and consolidation »]. Les guerres, la violence, les persécutions et les catastrophes écologiques ne produisent pas seulement la destruction et la mort, elles forment aussi des tsunamis de travailleurs pauvres et désespérés bons à être jetés aux quatre coins du marché mondial du travail qui les préfère évidemment divisés et hiérarchisés.

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Traduit de l'italien par Christian Jouret.


2« Our compassion may be infinite but our capacity to help people is not », 14 avril 2022, discours sur les mesures prises pour enrayer les migrations illégales.

3Max Weber, Der Nationalstaat und Volkswirtschaftpolitik. Akademische Antrittsrede, Akademische Verlagsbuchhandlung, Freiburg i.B.-Leipzig, traduit en français sous le titre L'Etat national et la politique de l'économie politique, in Œuvres politiques, Albin Michel, 2004.

4Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique. Tome I. Théories des ensembles pratiques, Gallimard, Paris, 1960 (p. 677).

Wael Adel Zuaiter, de la dolce vita à la lutte pour la Palestine

Représentant du Fatah à Rome, amoureux de Dante et de Gustav Mahler, mais aussi d'expresso et de chianti, Wael Adel Zuaiter a été abattu devant son domicile de Rome le 16 octobre 1972 par le Mossad. Une pièce de théâtre jouée au Royaume-Uni rend hommage au destin hors du commun de cet intellectuel palestinien.

Wael Adel Zuaiter était le représentant du Fatah à Rome et le premier des dix Palestiniens1 assassinés dans le cadre de l'opération du Mossad « Colère de Dieu » après le meurtre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich par le groupe Septembre noir. Ami de Zuaiter, Mahmoud Hamshari, représentant de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris, était venu à Rome pour ses funérailles et avait dit aux compagnons de Zuaiter : « Je serai le prochain ». Quelques semaines plus tard, il était assassiné à Paris.

Aujourd'hui, Zuaiter revit dans une extraordinaire pièce de théâtre écrite et jouée par l'acteur britannique d'origine palestinienne Bilal Hasna. La pièce, intitulée For a Palestinian, a été jouée à guichets fermés, et va tourner dans les prochains mois au Royaume-Uni. Hasna joue d'abord son propre rôle, celui d'un étudiant palestinien non arabophone de 19 ans vivant à Londres et prompt à s'enthousiasmer. Lorsqu'une invitation à un mariage familial cinq mois plus tard à Jérusalem arrive dans sa boîte aux lettres, venant d'un cousin qu'il connaît à peine, il se lance dans une étude de la Palestine sur Wikipédia et YouTube : « Devenir un expert, vous voyez ? Renouer avec mes racines. »

Les Mille et une nuits et Fellini

Au cours de ses recherches, Bilal Hasna tombe par hasard sur une référence à Zuaiter qui frappe son imagination. Il est déçu de découvrir que même son père, sa référence pour tout ce qui concerne la Palestine, n'a jamais entendu parler de cet homme. « Je commence à trouver des ressemblances avec moi-même… Nous sommes tous deux des Palestiniens vivant en Occident. Et Zuaiter a une sœur », dit-il, ajoutant qu'il a également écrit la première traduction italienne des Mille et une nuits, « et j'ai lu les Mille et une nuits ».

Sur scène, Hasna se transforme en Zuaiter dans la Rome des années 1960. Il a une trentaine d'années, il est poli et doux, amoureux du monde de Federico Fellini, de Luciano Pavarotti, de Giacomo Puccini, de Sophia Loren, des espressos et du vin rouge de Rome. Des guirlandes de ficelles d'oranges séchées coupées en tranches décorent la scène tandis que Zuaiter parle de Jaffa, des oranges et de son enfance au bord de la mer à une peintre dont il ne voit que les pieds chaussés de sandales et une bande de robe jaune derrière un tableau suspendu au plafond.

La peintre dit qu'elle aussi a grandi au bord de la mer — « bleue, Sydney » — et il lui dit qu'ils sont tous deux des gens de la mer qui doivent se retrouver, avant qu'elle ne disparaisse dans la foule.

Puis Bilal Hasna est la logeuse de Zuaiter, Mariuccia, « 79 ans et affichant fièrement chacune de ces années. Belle comme seule la vie peut le faire ». Mariuccia prépare chaque semaine de somptueux dîners pour sa collection aléatoire de locataires et leurs amis.

Hasna est aussi l'agaçante aristocrate anglaise Cori, l'expérimenté Salvatore de Sardaigne, puis à nouveau Zuaiter, rougissant profondément lorsque Janet, l'artiste de Sydney, apparaît pour le dîner. Parmi les conversations confuses sur l'indépendance algérienne, la Palestine, les expositions d'art et autres sujets, Mariuccia parle d'amour, et Hasna fait danser Zuaiter et Janet. Cinq années de vie à Rome se déroulent sous nos yeux, emplies des traductions de Zuaiter, de la peinture de Janet, de chianti, d'espressos et de beaucoup de danse.

Parmi les amis de Zuaiter figurent les écrivains Jean Genet, Alberto Moravia et Pier Paolo Pasolini. Un petit écho de cette époque est capturé dans le film La Panthère rose, de Peter Sellers, sorti en 1963, où il apparaît brièvement dans le rôle d'un serveur qui passe devant l'acteur David Niven.

Combattre avec les mots

Mais le 5 juin 1967, après l'attaque de l'Égypte, de la Syrie et de la Jordanie par Israël,Zuaiter part à 3 heures du matin dans une Fiat 125 avec un ami palestinien, décidé à traverser cinq pays et deux continents afin de combattre les troupes israéliennes ; sous l'œil incrédule de Janet, qui lui fait remarquer qu'il n'est même pas capable d'éliminer les fourmis dans la cuisine.

À Beyrouth, après avoir parcouru plus de trois mille kilomètres en cinq jours, il tombe sur des rues bloquées, car les gens ont quitté leur voiture pour s'embrasser. La guerre est terminée : « Ils disent tous la même chose. Khalas. Khalas. C'est fini ».

Le Sinaï, Gaza, les hauteurs du Golan et la Cisjordanie sont désormais occupés par Israël. Zuaiter retourne à Rome et commence le travail qui lui vaudra finalement la mort : « J'aide la Palestine de la seule manière que je connaisse : en parlant aux gens, aux étudiants, aux chauffeurs de taxi, aux serveurs de cafés. Nous commençons à organiser des réunions dans l'appartement de Mariuccia tous les jeudis ».

Hasna redevient une Mariuccia voûtée et souriante : « Ici ? Dans le salon ? Eh bien, il faut qu'on t'aide à t'installer, non ? On y va ! ».

Puis il redevient Zuaiter. L'homme a changé : « J'enseigne aux gens qui viennent la Nakba (1948) et la Naksa (1967), et tout ce qui se passe entre les deux. Je leur montre des photos de ma maison qui n'est plus la mienne. Des photos des réfugiés, de ma famille ». La solidarité italienne avec la Palestine est restée constante depuis lors.

Au centre d'une installation artistique

Un autre intellectuel palestinien assassiné, Ghassan Kanafani, tué la même année par une voiture piégée du Mossad à Beyrouth avec sa nièce de 17 ans, Lamees Najim, vit aujourd'hui à travers ses livres, qui sont lus par tous les Palestiniens ; ses pièces de théâtre produites dans le monde entier ; et ses portraits sur les murs des rues de Beyrouth.

Avant que Bilal Hasna et Aaron Kilercioglu n'écrivent ce récit romancé de la vie de Zuaiter, le monde entier avait été témoin de sa mort à travers une puissante installation multimédia de l'artiste palestinienne Emily Jacir, intitulée Material for a Film. Cette installation a remporté un Lion d'or à la Biennale de Venise en 2007 et a été exposée au musée Guggenheim de New York, à la Whitechapel Gallery de Londres et à la Biennale de Sydney. L'exposition de Jacir contient en effet des entretiens vidéo avec des amis de Zuaiter, de vieilles photos, des pages de La Divine Comédie de Dante qu'il gardait avec lui (car le livre entier était trop encombrant) et un vieil exemplaire arabe des Mille et une nuits provenant de la poche de sa veste, percé d'une des13 balles tirées en direction de sa tête et de sa poitrine. Unforgettable est une installation de 1000 livres blancs vierges, percés par l'artiste avec un pistolet de calibre 22, comme ceux utilisés par les assassins.

Jacir inclut un souvenir de l'ami de Zuaiter, le musicologue italien Bruno Cagli. En 2005, il lui avait dit :

« Je ne pouvais pas croire que quelqu'un qui a consacré toute sa vie à la réconciliation intellectuelle, culturelle et morale entre les peuples ait pu être visé. Je ne pouvais pas croire qu'il était possible qu'un État étranger puisse envoyer des tueurs dans un pays comme l'Italie, et dans une ville comme Rome, et que l'Italie était sans défense dans ces circonstances. »

Jacir souligne également une phrase du mystique anglais Francis Thompson, cité par Zuaiter à la fin d'un article écrit pour l'hebdomadaire L'Espresso peu avant sa mort : « Que tu ne peux pas remuer une fleur sans troubler une étoile ».

« C'était une terrible erreur », a admis un responsable du Mossad dans une interview quatre décennies plus tard ; selon le livre Lève-toi et tue le premier : l'histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël publié par Ronen Bergman en 20182, un autre estimait que« Zuaiter n'a rien à voir avec le meurtre des athlètes ». Avec sa pièce, Hasna parcourt un demi-siècle pour créer l'inoubliable mémorial d'une vie palestinienne.

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Article original : « Wael Adel Zuaiter : One-man show captures a Palestinian life cut short », Middle East Eye, 7 octobre 2022.
Traduit de l'anglais par Pierre Prier.


1Avec Ahmed Bouchiki, un serveur marocain à Lillehammer, en Norvège.

2Le Livre de poche pour l"édition française.

Italie : Avec les élections, les migrants font face à une recrudescence d’hostilité

À Vintimille, la vie de ceux qui espèrent passer en France est devenue de plus en plus difficile.

Source : The Guardian, Angela Giuffrida
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Delia Bonuomo, devant le Bar Hobbit, qui a fermé en décembre de l’année dernière (Photographie : Delia Bonuomo).

Pour la famille kurde épuisée et les jeunes gens originaires d’Érythrée, du Mali et de Côte d’Ivoire qui se trouvent devant la gare de Vintimille, la vie ressemble à un jour sans fin, une routine invariablement composée de tentatives répétées pour passer la frontière française, de batailles pour trouver de la nourriture et un endroit où dormir.

La ville côtière du nord de l’Italie, populaire auprès des touristes pour son marché du vendredi, est une salle d’attente permanente pour les migrants depuis plus d’une décennie, dont la plupart ont fait le périlleux voyage vers l’Europe en bateau, atterrissant dans le sud de l’Italie avant de se diriger vers le nord.

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Finance : Les fonds spéculatifs parient massivement contre la dette italienne

Les fonds spéculatifs ont lancé le plus important pari contre les obligations des autorités italiennes depuis la catastrophe monétaire internationale, en raison de considérations croissantes sur les troubles politiques à Rome et la dépendance du pays aux importations de combustible russe.

Source : News NCR, Shehnaz Ali
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La valeur totale des obligations italiennes empruntées par les acheteurs pour parier sur une baisse des cours a atteint ce mois-ci son niveau le plus élevé depuis janvier 2008, à plus de 39 milliards d’euros, selon les données de S&P Global Market Intelligence.

L’empressement des acheteurs à parier contre l’Italie s’explique par le fait que le pays est confronté à des difficultés financières croissantes dues à la flambée des prix des carburants en Europe, provoquée par les réductions des approvisionnements de la Russie, et à un climat politique tendu avec les élections qui se profilent en septembre.

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Italie : Bruxelles s’angoisse d’une probable « rechute populiste »

Par : pierre

Le 21 juillet, gouvernement italien est tombé. Lâché par trois des partis qui formaient sa majorité, son chef, Mario Draghi, a présenté sa démission. Alors qu’une semaine auparavant, le président de la République, Sergio Mattarella, avait tenté de refuser cette dernière dans l’espoir d’une combinazione de dernière minute, il n’a eu, cette fois, pas d’autre choix que d’en prendre acte. Les électeurs de la Péninsule se rendront aux urnes le 25 septembre prochain.

C’est peu dire que cet événement provoque des sueurs froides à Bruxelles et parmi les grandes capitales européennes. « Une tempête parfaite » est désormais l’expression qui revient dans les couloirs de la Commission européenne et dans la presse mainstream.

Le Monde notait ainsi, dans un éditorial (21/07/22) : « le moment ne pouvait pas être pire pour l’Italie, pour la zone euro et pour l’Union européenne tout entière ». « Les orages s’accumulent » poursuit le quotidien qui rappelle le contexte : un pays dont l’économie a considérablement pâti du Covid-19, lesté d’une dette publique considérable, touché par des taux d’emprunt qui repartent vivement à la hausse, en proie à une inflation qui grimpe en flèche, et menacé par une pénurie de gaz en provenance de Russie dont il est particulièrement dépendant.

Toute l’Union européenne est certes concernée par ces menaces à des degrés divers. Mais la troisième puissance économique de la zone l’est tout particulièrement. L’Italie est du reste, avec l’Espagne, le plus gros « bénéficiaire » du plan de relance piloté par la Commission européenne : Rome s’est vu promettre 69 milliards d’euros de subventions et 123 milliards de prêts à taux réduit. Seule une petite part de cette somme a été transférée, car Bruxelles procède – comme pour les autres pays – à un décaissement par tranches en fonction de l’avancement des « réformes » que chaque pays membre a promis de mener à bien en échange des subsides.

Un homme personnifiait la garantie de la fidélité aux «recommandations» européennes : Mario Draghi

En Italie, un homme personnifiait la garantie de la fidélité aux « recommandations » européennes : Mario Draghi. Celui-ci, après un passage à la direction du Trésor italien puis chez Goldman Sachs, assura de 2011 à 2019 la présidence de la Banque centrale européenne. Dans la légende européenne, il est décrit comme le magicien qui a sauvé l’euro des attaques spéculatives en 2012. C’est peu dire que sa présence à la tête du gouvernement italien était stratégique pour Bruxelles.

Or les intentions de vote d’ici septembre placent le parti Les frères d’Italie, souvent qualifié de « post-fasciste », en tête, avec la possibilité de diriger une alliance qui associerait deux autres forces de droite : la Ligue, et Forza Italia, de Silvio Berlusconi. Certes, aucune de ces forces ne prônent la sortie de l’UE ni de l’euro, et le mouvement des Frères d’Italie ne cache pas son atlantisme. Mais peu importe : si une telle coalition voyait le jour, et avant même le premier acte d’un tel gouvernement, tous les espoirs bruxellois s’effondreraient. Les éléments constitutifs de l’éclatement de la zone euro – puis de l’UE – seraient réenclenchés.

En février 2018, une vague électorale qualifiée de «populiste» avait balayé l’Italie

On n’en est pas là, mais pour mesurer les enjeux, il faut garder à l’esprit les soubresauts de la politique italienne de la dernière décennie. Un tournant majeur a eu lieu en 2018 : en février de cette année-là, une vague électorale qualifiée de « populiste » a balayé l’Italie, aboutissant à une coalition impensable alliant le grand vainqueur du scrutin, le Mouvement cinq étoiles (M5S), classé « anti-système » de gauche, et la Ligue, souvent étiquetée extrême droite et dirigée par Matteo Salvini.

Après un moment de panique à Bruxelles, l’attelage s’est assagi avant d’être secoué par des contradictions. A l’été 2019, le chef du gouvernement, Guiseppe Conte, proche du M5S (et dont il prendra la direction ultérieurement) opéra un retournement d’alliance en associant ce mouvement au Parti démocrate (dit de centre gauche) – un attelage qui paraissait improbable – et en larguant la Ligue.

Nouveau retournement en février 2021 : M. Conte dut constater que sa nouvelle majorité n’était plus viable. Le très pro-UE président Mattarella manœuvra alors discrètement pour constituer une majorité associant à peu près tous les partis parlementaires, à l’exception des Frères d’Italie. Un peu comme si, à Paris, une « grande coalition » rassemblait de La France insoumise au Rassemblement national. Avec donc, à sa tête, le Dottore Draghi, en sauveur de l’Italie dans l’UE.

Le surgissement « miracle » de ce dernier avait alors rappelé le coup de théâtre de novembre 2011. A ce moment, c’était Silvio Berlusconi qui dirigeait le pays. Certes, ce magnat des médias n’était nullement anti-européen, mais, sous pression populaire, il peinait à mettre en œuvre les « réformes » drastiques imposées par Bruxelles, réformes d’autant plus sévères que l’Italie était alors la proie des spéculateurs. Le cavaliere fut donc dégagé, officiellement « sous la pression des marchés » ; en réalité, Bruxelles, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avaient orchestré en coulisses (lors d’un sommet européen) ce coup d’état rampant. Avec à l’époque déjà un personnage miracle pour prendre la tête du gouvernement : l’ex-commissaire européen Mario Monti. Ce dernier partage avec Mario Draghi au moins trois caractéristiques : les deux hommes n’ont jamais été élus, ils sont en étroite osmose avec le monde des affaires, et, surtout, ils ont été des hommes clés au sein de l’Union européenne.

Du quasi-putsch opéré par l’UE en 2011 date l’hostilité populaire à l’encontre de l’intégration européenne

Ce quasi-putsch opéré de l’extérieur a eu des conséquences profondes au sein du peuple italien. C’est de cette époque que date l’hostilité à l’encontre de l’intégration européenne de la part d’un pays auparavant réputé particulièrement « europhile ». Un peu comme quand les Non français et néerlandais aux référendums de 2015 portant sur le projet de constitution européenne avaient été bafoués – on se souvient qu’un traité équivalent (dit de Lisbonne) avait finalement été imposé.

Pour les dirigeants européens, l’angoisse est réelle face à la « rechute » italienne. Au point que le quotidien La Stampa a cru trouver l’origine de celle-ci : la crise politique à Rome aurait été pilotée de Moscou – une affirmation largement relayée par les médias occidentaux. L’« explication », qui fait l’impasse sur les contradictions politiques du pays, n’est guère crédible. Mais à supposer qu’elle soit vraie, la presse pro-UE est mal placée pour s’indigner de cette supposée ingérence, elle qui avait applaudi des deux mains les parachutages successifs des deux Mario, quasi-ouvertement manigancés par Bruxelles.

Le début de panique des dirigeants européens s’explique aussi par le contraste entre un Mario Draghi qui fut l’un des plus fermes défenseurs de la cause ukrainienne contre Moscou ; et les partis qui viennent de provoquer sa chute, et qui pourraient participer au futur gouvernement issu des élections de septembre : la Ligue et Forza Italia d’un côté, le M5S de l’autre sont tous accusés d’une certaine indulgence « pro-Poutine ». Et ce, dans un pays dont l’opinion publique est décrite comme la moins anti-russe au sein de l’UE.

Il revient «à l’UE d’agir avec doigté pour éviter ce scénario de cauchemar».

Éditorial du Monde (21/07/22)

On comprend dans ces conditions la fébrilité et les conseils du Monde, en conclusion de l’éditorial déjà cité : « aux Italiens pro-européens de se mobiliser et à l’UE d’agir avec doigté pour éviter ce scénario de cauchemar ». L’UE est ainsi appelée à s’ingérer une nouvelle fois. Mais, de grâce, « avec doigté » cette fois-ci…

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