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[PODCAST] Milei peut-il sauver l’Argentine ? – avec Nathalie Janson

Épisode #45

Nathalie Janson est professeur associé d’économie au sein du département Finance à NEOMA Business School. Ses recherches portent sur les questions de politiques monétaires, de régulation bancaire et les cryptomonnaies. Dans la tradition libérale autrichienne en économie, elle s’intéresse particulièrement aux alternatives monétaires et bancaires dans une perspective historique, ainsi qu’à l’époque actuelle. Elle est présente dans les médias depuis la crise grecque en 2015, et depuis 2019 particulièrement sur les questions de cryptomonnaies. 

Dans cet entretien nous parlons exclusivement des questions économiques qui concernent l’Argentine, dans le passé comme dans le présent avec la toute récente élection de Javier Milei à la présidence de la République. Enregistré le 16 décembre 2023 à Versailles. 

Pour écouter l’épisode, utilisez le lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page ou cliquez directement sur ce lien.

Programme :

L’économie argentine, une histoire mouvementée – 1:51

Le péronisme argentin – 3:30

Les défauts de remboursement sur la dette extérieure – 7:19

Des fonds vautours pour dépecer l’Argentine ? – 11:29

Le sauvetage par le FMI : trop généreux ou trop violent ? – 14:11

Le contrôle des capitaux puis le currency board – 18:38

Comment l’Argentine s’est-elle embourbée dans l’inflation ? – 22:52

Javier Milei : un économiste devenu homme politique – 23:59

Le programme économique de Javier Milei – 29:49

Abolir la banque centrale pour de bon ? – 34:46

Pourquoi vouloir se dollariser ? – 38:13 

Et pourquoi pas le bitcoin pour l’Argentine ? – 50:42

Pour aller plus loin : 

Pourquoi le nouveau président de l’Argentine Javier Milei n’est pas d’extrême droite – (La Tribune, 13 décembre 2023)

Les leçons du krach de 2008 – (Podcast avec Nathalie Janson)

Javier Milei peut-il vraiment fermer la banque centrale argentine ? – (Contrepoints, 8 décembre 2023)

Javier Milei face à une tâche herculéenne en Argentine – (Contrepoints, 29 novembre 2023)

Décryptage du programme économique de Javier Milei – (Interview de Pierre Schweitzer pour le Rdv des Stackers)

Javier Milei investi président en Argentine : une inspiration pour la France ?

Un article de Benjamin Gomar

Ce dimanche 10 décembre 2023 à 11 heures (heure locale) Javier Milei a été officiellement investi président de la République d’Argentine. Le pays est en ébullition. Mais faisons un petit retour en arrière.

Lors de la soirée du 19 novembre dans la capitale argentine Buenos Aires, Sergio Massa, second candidat en lice pour l’élection présidentielle, annonce de façon anticipée sa démission du gouvernement et laisse entendre sa défaite : « … les résultats ne sont pas ceux que l’on attendait… » dit-il lors de son dernier discours.

Un peu plus tard ce soir-là, le résultat final du scrutin est publié : 55,95 % pour Javier Milei, 44,04 % pour Sergio Massa. Les péronistes sont en larmes, Milei est élu avec une majorité écrasante qui le positionne comme le président élu avec le plus de voix depuis le retour à la démocratie. Un événement d’ores et déjà gravé dans l’Histoire.

 

Les réactions d’une gauche désorientée

Les médias argentins ne perdent pas de temps et n’hésitent pas à poursuivre leur cabale contre le candidat libertarien. Ils s’inquiètent de la réaction du secteur économique et relaient les réactions des sympathisants péronistes sur les réseaux sociaux. En effet, ceux-ci ne tardent pas à publier leur mécontentement. Par tweet, vidéos ou messages vocaux, ceux qui ont voté Sergio Massa partagent leur angoisse à l’idée de perdre les aides sociales dont ils bénéficient, et paniquent devant la fin annoncée de la toute-puissance de la fonction publique.

Au niveau politique, les réactions sont mitigées. Si de nombreux chefs de gouvernement latino-américains saluent et félicitent Javier Milei pour sa victoire, d’autres exposent leur inquiétude et déception.

Nicolas Maduro, le chef d’État du Venezuela, et héritier d’Hugo Chavez n’hésite pas à écrire que « l’extrême droite néonazie a gagné en Argentine ».

D’autres dirigeants publient des messages ambigus, peut-être pour ne pas compromettre leurs relations avec le pays.

La presse française subventionnée ne tarde pas à donner son avis : « économiste ultra-libéral », « candidat d’extrême droite », « ultra conservateur misogyne », les journalistes s’en donnent à cœur joie dans une succession d’anathèmes que l’on n’avait plus connue depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

De façon cocasse, certains médias, pourtant bien discrets lorsqu’il s’agit de dénoncer les risques liés à la mise en place de l’identité numérique européenne, s’inquiètent d’une possible dérive autoritaire du nouveau président argentin.

Mais qu’en est-il réellement en Argentine, Javier Milei fait-il vraiment si peur ?

 

À qui Javier Milei fait-il peur ?

Oui il fait peur, mais principalement à l’establishment péroniste, aux politiciens professionnels et à tous ceux qui depuis trop d’années vivent des subsides de l’État.

Il est bien normal que les kleptocrates et les malhonnêtes aient peur : avec plus de 20 millions d’Argentins vivant sous le seuil de pauvreté, dont 4,5 millions de sans-abri, le résultat de la gestion socialiste du pays est sans appel.

Leur peur n’est pas injustifiée, ils sentent bien que l’heure a sonné pour le système corrompu qui leur a donné richesse et puissance au détriment des autres. Leur machine à imprimer de l’argent risque bien de disparaître sous la tronçonneuse de Milei !

En deux ans seulement, Javier Milei est passé d’économiste dont tout le monde moquait le style fantasque et le caractère extravagant à président élu avec le plus de voix depuis les années 1980.

Et contrairement aux inquiétudes des médias, depuis sa victoire, tout ne va pas si mal. Certaines actions du pays ont connu jusqu’à 42 % de hausse, de nombreuses multinationales annoncent leur retour en Argentine, et en une semaine seulement, la valeur des entreprises argentines aux États-Unis a augmenté de 12 milliards de dollars.

C’est un reflet tangible qui prouve l’intérêt du marché pour la victoire d’un programme économique libéral, et un signe important pour que Javier Milei puisse mener à bien ses réformes.

 

Quelle équipe pour réaliser son programme ambitieux ?

Le programme de réformes de Javier Milei est très ambitieux et celui-ci est bien conscient qu’un seul homme ne pourra jamais réaliser toutes les actions promises. Pour cela il faut une équipe, équipe que le candidat Milei avait commencé à former avant les élections.

Le nouveau président a souhaité composer celle-ci de professionnels dont certains ont fait de très bonnes carrières dans le secteur privé, à l’image de la ministre des Affaires étrangères Diana Mondino qui a notamment travaillé chez Standard and Poor’s et au sein de la banque Supervielle, ou de Luis Caputo, ancien trader à succès à Wall Street, qui devient ministre de l’Économie et sera chargé de mener les réformes économiques telles que la fermeture de la banque centrale.

D’autres profitent d’un long parcours dans le secteur public, comme Patricia Bullrich, arrivée troisième au soir du premier tour et qui s’est associée à Milei entre les deux tours de la présidentielle. Elle devient ministre de la Sécurité, un poste qu’elle avait déjà occupé sous la présidence de Mauricio Macri. Citons aussi Sandra Pettovello qui débute le nouveau ministère du capital humain, regroupant la santé, l’éducation, le développement social et le travail. Mariano Cuneo Libarona, avocat, prend en charge le portefeuille de la Justice, et Guillermo Ferraro, un entrepreneur, devient ministre de l’Infrastructure.

Notons que Javier Milei a tenu sa promesse de limiter son gouvernement à neuf ministères.

L’équipe maintenant formée, il reste à savoir si les personnes désignées par le président Milei seront à la hauteur du défi qu’elles ont devant elles : reconstruire le pays et faire de l’Argentine une puissance mondiale.

Bien qu’il puisse y avoir des inquiétudes, des doutes et beaucoup de spéculations, le premier président ouvertement libertarien du monde garde sa volonté de faire avancer ses réformes « sans donner un mètre aux gauchistes ». Seul le temps nous dira si el Leon réussira à changer définitivement le destin de l’Argentine.

Mais vous vous demandez sans doute en quoi cette victoire nous interpelle ?

 

La victoire de Javier Milei : une inspiration pour la France ?

Alors que les regards du monde entier se tournent vers Buenos Aires, l’émergence du libertarianisme en Argentine offre une opportunité unique de réfléchir sur la pertinence de ces idées dans le contexte français. Les aspirations partagées pour une société plus libre, transparente et prospère résonnent au-delà des frontières nationales, et l’impact de cette élection peut servir de catalyseur pour une réflexion profonde sur le chemin que nous souhaitons emprunter ici en France.

Notre pays est complètement polarisé et aveuglé. La catastrophe de la dette, la réglementation et les démarches administratives abusives, ainsi qu’une fiscalité confiscatoire rendent très rude l’entrepreneuriat. Nous nous demandons si cette liberté promise par notre devise est bien réelle.

La centralisation du pouvoir et la concentration de celui-ci aux mains d’une élite technocratique, l’absence de représentativité des syndicats, un système de santé en faillite et une Éducation nationale défaillante, sans compter le système de retraite étatique au bord du gouffre, sont des problèmes bien réels en France, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Malgré tout, l’élite au pouvoir s’efforce de maintenir le statu quo et continue d’entretenir un système fait de prébendes et d’entre-soi. Peut-être est-il temps pour les Français d’embrasser eux aussi les idées de la liberté, de prendre leur destin en main, et d’arrêter d’espérer que l’État viennent résoudre tous leurs problèmes.

Ne vaut-il pas la peine de se battre pour un futur où la liberté individuelle et l’autonomie sont célébrées et non restreintes ?

Le succès de Javier Milei et de ses partisans en Argentine démontre que les principes libertariens ne sont pas simplement des concepts théoriques, mais bien des forces dynamiques capables de générer des changements concrets. Les politiques axées sur la responsabilité individuelle, la libre entreprise et la limitation du pouvoir gouvernemental ont déjà montré leur efficacité, il est désormais temps de faire résonner ces idées inspirantes au sein de notre propre pays.

En tant que défenseur des idées de la Liberté, vous êtes déjà conscient des défis auxquels notre pays est confronté. Cependant, l’ascension de Javier Milei en Argentine devrait servir de source d’inspiration, renforçant notre conviction que le libertarianisme peut également prospérer en France. C’est un appel à l’action, une invitation à s’engager activement dans la promotion des idéaux qui animent notre mouvement.

Ne restons pas les bras croisés, notre silence pourrait être notre perte, il est l’heure de construire la liberté. Il est l’heure de défendre la plus petite minorité qui existe, celle de l’individu. Il est l’heure de travailler pour une France qui progresse et se dynamise et laisser derrière nous cette France statique et funèbre. La liberté est là, toute proche et elle n’attend que vous.

VIVE LA LIBERTÉ BON SANG !

Javier Milei peut-il vraiment fermer la banque centrale argentine ?

Un article de Daniel Lacalle.

Le trou fiscal et monétaire monumental que les péronistes Sergio Massa et Alberto Fernández ont laissé à Javier Milei est difficile à reproduire. L’ex-président Mauricio Macri lui-même a expliqué que l’héritage reçu par Milei est « pire » que celui qu’il avait reçu de Cristina Fernández de Kirchner.

Le péronisme laisse un pays en ruine et une énorme bombe à retardement pour la prochaine administration.

 

Un pays en ruine et une situation économique désastreuse

Les énormes problèmes économiques de l’Argentine commencent par un déficit budgétaire primaire de 3 % du PIB, et un déficit total (y compris les charges d’intérêt) dépassant 5 % du PIB.

De plus, il s’agit d’un déficit structurel qui ne peut être réduit sans une diminution des dépenses publiques. Celles-ci représentent déjà 40 % du PIB et ont doublé sous le kirchnerisme. Si l’on analyse le budget argentin, on constate que jusqu’à 20 % des dépenses sont des dépenses purement politiques. Selon l’Institut argentin d’analyse fiscale, l’administration de gauche précédente n’a réduit que les dépenses liées aux pensions, qui représentaient la moitié de l’ajustement en termes réels.

Les politiques interventionnistes et le contrôle des prix de Massa et Fernández ont entraîné une pénurie de viande et d’essence dans un pays pourtant riche en pétrole et en bétail, démontrant une fois de plus ce que disait Milton Friedman :

« Lirons-nous ensuite que le contrôle des prix par le gouvernement a créé une pénurie de sable dans le Sahara ? »

Il ne faut pas oublier que l’administration Fernandez laisse l’Argentine avec un taux d’inflation annuel de 140 % suite à une augmentation folle de la base monétaire de plus de 485 % en cinq ans, selon la Banque centrale d’Argentine.

Ces politiques fiscales et monétaires confiscatoires et extractives ont créé un désastre dans les réserves de la banque centrale. Fernandez laisse une banque centrale en faillite avec des réserves nettes négatives de 12 milliards de dollars, et une bombe à retardement de passifs rémunérés (Leliqs) qui dépassent 12 % du PIB et signifient effectivement davantage d’impression monétaire et d’inflation à l’avenir, lorsqu’ils arriveront à échéance. Avec un risque pays de 2400 points de base, le gouvernement autoproclamé du « socialisme du XXIe siècle » a laissé l’Argentine et sa banque centrale officiellement en faillite, avec 40 % de la population dans la pauvreté, et une monnaie en faillite.

Milei doit maintenant affronter cet héritage empoisonné avec détermination et courage. Mauricio Macri, qui a souffert de l’erreur du gradualisme, a récemment affirmé qu’il n’y avait pas de place pour les mesures légères, et il a raison.

Milei a promis de fermer la banque centrale et de dollariser l’économie. Mais est-ce possible ?

 

Dollariser l’économie : une proposition applicable ?

La réponse est oui. Absolument.

Pour comprendre pourquoi l’Argentine doit se dollariser, le lecteur doit comprendre que le peso est une monnaie en faillite, que même les citoyens argentins rejettent. La plupart des Argentins épargnent déjà ce qu’ils peuvent en dollars américains et effectuent toutes leurs principales transactions dans cette monnaie, car ils savent que leur monnaie locale sera dissoute par l’interventionnisme du gouvernement. Celu-ci dispose de 15 taux de change différents pour le peso, tous faux, bien sûr, et qui n’ont qu’un seul objectif : voler aux citoyens leurs dollars américains à un faux taux de change.

La banque centrale est en faillite, avec des réserves nettes négatives, et le peso est une monnaie en faillite. Par conséquent, il est essentiel de fermer la banque centrale, et le pays doit se doter d’un régulateur indépendant n’ayant pas le pouvoir d’imprimer de la monnaie et de monétiser tout le déficit fiscal, et qui doit éliminer la possibilité d’émettre le Leliq (dette rémunérée) insensé qui détruit la monnaie aujourd’hui et à l’avenir.

La fermeture de la banque centrale exige une solution immédiate et forte aux Leliqs, qui devra inclure une approche réaliste du décalage monétaire dans un pays où le « taux de change officiel » est la moitié du taux réel du marché par rapport au dollar américain. Prendre une mesure audacieuse pour reconnaître ce décalage monétaire, fermer la banque centrale et mettre fin à la monétisation de la dette sont trois étapes essentielles pour mettre un terme à la destruction d’un pays comparable à celui du Venezuela. Milei comprend cela et sait que les dollars américains que les citoyens épargnent avec d’énormes difficultés devraient revenir dans l’économie nationale en reconnaissant la réalité monétaire du pays, et en faisant du dollar américain une monnaie légale pour toutes les transactions.

La question monétaire n’est qu’un côté d’une médaille extrêmement problématique. Le problème fiscal doit être abordé.

 

Le problème du déficit budgétaire

Javier Milei doit mettre un terme au déficit budgétaire excessif, ce qui nécessite un ajustement qui élimine les dépenses politiques sans détruire les pensions.

Cela implique de vendre certaines des nombreuses entreprises publiques inefficaces et hypertrophiées, ainsi que les dépenses excessives en subventions purement politiques.

Deuxièmement, Milei doit mettre fin au déficit commercial ridicule. L’Argentine doit supprimer les lois protectionnistes et interventionnistes malavisées si les péronistes veulent s’ouvrir au monde et exporter tout ce qu’ils peuvent. Pour ce faire, elle doit mettre un terme au ridicule « blocage des taux de change » et aux 15 faux taux de change que le gouvernement utilise pour exproprier les citoyens et les exportateurs de leurs dollars par des taux injustes et des confiscations.

Les impôts doivent être abaissés dans un pays qui en compte 165, et où le coin fiscal est le plus élevé de la région, les petites et moyennes entreprises payant jusqu’à 100 % de leur chiffre d’affaires.

L’Argentine doit changer ce qui est actuellement un État confiscatoire et prédateur. En outre, les barrières bureaucratiques, les mesures protectionnistes et les subventions politiques doivent être supprimées. Milei doit garantir la sécurité juridique et un cadre réglementaire attrayant et fiable, où le fantôme de l’expropriation et du vol institutionnel ne reviendra pas.

Les défis de Javier Milei sont nombreux et l’opposition tentera de saboter toutes les réformes favorables au marché, car de nombreux politiciens argentins sont devenus très puissants et riches, transformant le pays en un nouveau Venezuela.

Si l’Argentine veut devenir une économie florissante qui renoue avec la prospérité, elle a besoin d’un système macroéconomique et monétaire stable. Elle doit reconnaître qu’elle a une monnaie défaillante et une banque centrale en faillite, et mettre en œuvre les mesures urgentes qui s’imposent le plus rapidement possible. Ce sera difficile, mais pas impossible, et le potentiel de l’économie est énorme.

L’Argentine était un pays riche rendu pauvre par le socialisme. Elle doit abandonner le socialisme pour redevenir riche.

Sur le web.

Javier Milei face à une tâche herculéenne en Argentine

Le libertarien Javier Milei a été élu président de l’Argentine le 19 novembre, avec 55,7 % des voix. Mais les choses ne seront pas faciles pour Milei.

Le 24 novembre, quelques jours après l’élection, j’ai rencontré Nicolás Emma, responsable de la section de Buenos Aires du parti de Javier Milei, au siège du parti dans la capitale argentine. Plusieurs autres organisateurs du parti étaient également présents, notamment Gustavo Federico et Facundo Ozan Carranza. Au cours des conversations avec ces personnes et d’autres personnalités du parti de Milei, des représentants de groupes de réflexion et des journalistes argentins, il est apparu clairement que Milei était confronté à une tâche véritablement herculéenne.

 

Milei est en infériorité numérique au Sénat et à la Chambre des députés

Les défis sont nombreux et redoutables, le principal étant le taux d’inflation à trois chiffres du pays. Le parti de Milei ne compte que 35 députés sur les 257 que compte la Chambre des députés (Cámera de Diputadas).

Ses adversaires les plus acharnés, les péronistes de gauche et la gauche dans son ensemble, en détiennent 105.

Au Sénat (Senado), le parti de Milei ne compte que huit membres sur 72. Cela m’a d’abord surpris, mais c’est parce que seulement la moitié des sièges de la chambre basse étaient à pourvoir cette fois-ci. Il faudra attendre encore deux ans pour que les autres sièges soient disputés. Au Sénat, seul un tiers des membres ont été nouvellement élus. Milei peut émettre des décrets présidentiels pour imposer certains changements politiques, mais toute réforme fiscale devra être approuvée à la fois par la Chambre des députés et par le Sénat. Il peut également recourir aux référendums pour mobiliser l’opinion publique, mais ceux-ci ne peuvent être organisés que sur certaines questions, et ne sont pas contraignants.

 

Le problème des syndicats péronistes

Au cours de mes entretiens, les représentants du parti de Milei ont désigné à plusieurs reprises les syndicats argentins comme leurs principaux adversaires. Les syndicats sont extrêmement puissants en Argentine, très politisés et fermement tenus par les péronistes. Les partisans de Milei s’attendent à une opposition particulièrement forte en réponse à ses projets de privatisation du principal organisme public de radiodiffusion de son pays. Le plus grand défi auquel Margaret Thatcher a dû faire face au Royaume-Uni dans les années 1980 a été de surmonter l’opposition des syndicats de gauche, qui ont paralysé le pays par des grèves qui ont souvent duré des mois.

Les partisans de Milei disent qu’il y a des centaines de milliers d’employés dans la fonction publique qui ne font rien d’autre que de percevoir leur salaire et défendre les péronistes jour après jour. Dès que leur emploi sera menacé, il y aura nécessairement une résistance massive.

 

Les Argentins auront-ils la patience suffisante ?

Une question essentielle que je n’ai cessé de poser est de savoir si le peuple argentin aura suffisamment de patience pour les réformes de Milei, surtout si la situation se dégrade dans un premier temps.

L’expérience d’autres pays (par exemple, les réformes de Thatcher au Royaume-Uni dans les années 1980, les réformes de Leszek Balcerowicz en Pologne dans les années 1990) montre que les réformes de l’économie de marché entraînent toujours une détérioration de la situation dans un premier temps. Les subventions sont supprimées, le chômage caché devient un chômage ouvert. Ce n’est qu’après une première période de vaches maigres, qui peut durer deux ans dans le meilleur des cas, que les choses commencent à s’améliorer. La réponse de l’entourage de Milei : il a déjà souligné à plusieurs reprises qu’il faudrait au moins trois mandats pour mener à bien ses réformes, et redonner à l’Argentine le goût du succès.

La principale préoccupation des Argentins, comme le montrent tous les sondages, est la lutte contre l’inflation. Augustin Etchebarne, du groupe de réflexion Libertad y progreso, estime que la dollarisation de la monnaie promise par Milei n’aura pas lieu avant au moins les deux premières années, d’autant plus que les banques opposent une forte résistance et que le ministre de l’Économie et le directeur de la banque centrale seront probablement nommés par des partisans de Macri. Il ne reste plus qu’à réduire radicalement les subventions afin de stabiliser le budget.

Une autre question est de savoir dans quelle mesure les partisans de Maurico Macri, avec qui Milei a formé une alliance pour remporter le second tour de l’élection, se montreront loyaux à long terme. Et quelle est l’influence des nationalistes de droite dans les rangs du parti libertaire de Milei ?

En outre, Milei doit d’abord établir une véritable base politique à l’échelle nationale. Il existe actuellement plusieurs branches indépendantes du parti dans les différentes régions du pays. J’ai rencontré à Buenos Aires les personnes qui s’efforcent de créer les conditions juridiques nécessaires à leur fusion en un seul parti.

Le fait est que même si Milei réussit à mettre en œuvre ses réformes, bien qu’il n’ait pas de majorité à la Chambre des députés ou au Sénat (premier obstacle), tout dépendra de la patience dont fera preuve la population argentine pour supporter la période de vaches maigres nécessaire aux réformes de l’économie de marché (deuxième obstacle).

Le libertarien Javier Milei, nouveau président de l’Argentine

Il l’a fait. Javier Milei, ce candidat excentrique qui, il y a quelques mois encore, apparaissait comme un outsider en qui personne ne croyait, tant son profil et son discours étaient loufoques, a remporté le second tour de l’élection présidentielle avec 55,6 % des voix, et devient donc le nouveau président d’Argentine.

Pourtant, les résultats du premier tour et les sondages qui ont suivi laissaient croire à une probable victoire de son adversaire, Sergio Massa. La stratégie de modération pour lisser son image, ainsi que le soutien de la droite et du centre-droit, ont très certainement participé à la victoire de Milei. Il faut croire que les Argentins, lassés du péronisme et assaillis par une situation économique désastreuse et une inflation qui n’en finit pas, ont décidé d’enfin tourner le dos au dirigisme, au protectionnisme et à l’étatisme. Il était temps !

Qu’on enterre des méthodes politiques et économiques dont le seul mérite est d’avoir fait preuve de constance dans l’échec devrait, logiquement, nous réjouir. Cependant, un rapide coup d’œil au traitement médiatique de l’élection de Javier Milei nous fait rapidement déchanter…

Mais par-delà la réception de son élection en France, nous connaissions le « candidat Milei », qui sera et qu’attendre du futur « président Milei » ?

 

Un traitement médiatique caricatural qui manque le sujet principal

La presse française, en général peu prolixe sur le sort de l’Amérique latine, qui subit pourtant depuis des décennies les affres de l’illibéralisme, ne manque pas de qualificatifs pour s’indigner de l’élection du nouveau président argentin. En effet, un vent de panique souffle depuis ce matin sur les rédactions, persuadées d’assister à un nouvel épisode de l’avancée de l’extrême droite populiste dans le monde : après Donald Trump, Boris Johnson, Jair Bolsonaro ou encore Viktor Orbán, Javier Milei rejoint la liste des infréquentables réactionnaires faisant progresser l’extrême droite dans le monde.

Le journal Le Monde annonce par exemple l’élection d’un « candidat d’extrême droite », et Guillaume Erner, au micro de France Culture, parle d’un « économiste ultralibéral fan de Donald Trump ». Sur France Info, c’est encore l’association à Donald Trump qui est mise en avant dans le chapô de l’article. Et l’on pourrait multiplier les exemples.

À nouveau, l’étiquette libérale est associée à tout un tas d’idées qui ont comme dénominateur commun de porter une connotation péjorative : « ultralibérale », « populiste », « polémiste », « climato-sceptique », « anti-avortement », « antisystème ». Cette nébuleuse de représentations négatives permet de construire un homme de paille facile à délégitimer, tout en négligeant de mentionner le vrai sujet : l’avenir de l’Argentine et des Argentins.

Dénoncer ce traitement malhonnête et caricatural ne signifie pas que les libéraux soutiennent sans réserve Javier Milei. La réalité est même tout autre : le « camp libéral » se trouve divisé face à l’interprétation à donner du personnage, de ses idées, et de sa capacité à résoudre les crises qui frappent l’Argentine. Une majorité de libéraux n’est pas dupe des faiblesses de Milei, et ont peu de difficultés à garder un regard critique sur son côté démagogique et excentrique, sur ses positions sur l’avortement, ou encore sur son climato-scepticisme. En revanche, quelle que soit notre opinion sur le personnage et son discours, il apparaît clairement comme la moins mauvaise alternative.

Le péronisme et ses méthodes ont ruiné l’Argentine, et la victoire de Milei est avant tout une sanction (certes tardive…) de ce bilan catastrophique. Que l’économiste soit « libéral », « ultralibéral », « libertarien » ou « anarcho-capitaliste » importe finalement peu, et dissimule l’enjeu principal, c’est-à-dire la nécessité d’une rupture profonde avec le dirigisme économique et politique qui règne sur le pays depuis des années. C’est par exemple le sens du tweet de Ferghane Azihari, qui reconnaît sans difficultés que « le scepticisme à l’endroit de Milei est justifié », mais qui invite surtout les commentateurs à se demander pourquoi « l’un des pays jadis les plus riches de l’humanité est sorti de l’histoire ».

https://twitter.com/FerghaneA/status/1726488502638874869

La confusion des genres entretenue par le traitement médiatique de l’élection de Javier Milei passe donc complètement à côté du sujet principal, au profit d’un récit dans lequel l’Argentine tomberait dans les mains de l’extrême droite et de « l’ultralibéralisme » antisocial. On reconnait ici l’abécédaire des mauvaises critiques du libéralisme.

Faut-il rappeler à tous ces commentateurs peu rigoureux qu’il existe pourtant une contradiction profonde entre les idées libérales et les idées d’extrême droite, caractérisées par un fort dirigisme et protectionnisme économique et des idées fondamentalement étatistes ? Ou encore, que la pensée libérale et la pensée libertarienne ne se confondent pas, et qu’il est donc absurde de qualifier Milei d’être à la fois libertarien, libéral, anarcho-capitaliste, d’extrême droite, réactionnaire…

Le RN, étatiste et dirigiste, est considéré comme d'extrême-droite. Le nouveau président argentin Javier Milei, libertarien, est aussi considéré par nos commentateurs comme d'extrême-droite. Cette contradiction ne dérange personne? Je n'ai guère de sympathie pour Milei mais…

— Laetitia Strauch-Bonart (@LStrauchBonart) November 20, 2023

Bref, le sort des Argentins n’intéresse toutes ces bonnes âmes que lorsqu’elles peuvent l’instrumentaliser pour tenir un discours antilibéral. La véhémence des jugements portés sur Milei contraste avec la faiblesse des condamnations du péronisme, prouvant à nouveau qu’en matière de morale et de politique, l’indignation à géométrie variable règne en maître.

 

Du candidat Milei au président Milei : qu’attendre ?

Alors, qu’attendre de cette victoire ? Quel type de président Javier Milei sera-t-il ?

Il est évidemment difficile de répondre de manière définitive à ces questions. Si le fait que Javier Milei soit un Objet Politique Non Identifié, on peut néanmoins postuler que (et c’est normal) le « président Milei » ne se confondra pas avec le « candidat Milei ».

Le « candidat Milei » était définitivement libertarien plus que libéral, et c’est pour cette raison que son populisme assumé n’entrait pas en contradiction avec le reste de son discours. En effet, le libéralisme classique s’accommode peu d’un discours populiste, en ce que la philosophie libérale est, depuis John Locke, une pensée de l’État ancrée dans le réel, cherchant à concilier la protection de l’individu des excès de l’arbitraire et du pouvoir avec la naissance des États modernes.

En revanche, la pensée libertarienne est une philosophie profondément utopiste qui assume défendre un idéal et des positions principielles, en faisant peu de place à la question de la possibilité de son avènement dans le réel.

Comme l’explique Sébastien Caré dans son ouvrage La pensée libertarienne :

« La valeur de l’utopie libertarienne est essentiellement négative, et s’éprouve dans la fonction critique que Ricœur assignait à toute doctrine utopique » (p. 337).

Cette utopie libertarienne remplit une « fonction heuristique salutaire dans le débat démocratique ainsi que dans la discussion philosophique contemporains » (p. 338).

Autrement dit, les idées et la posture libertariennes s’accommodent parfaitement des exigences électorales qu’impose le statut de « candidat », et sa victoire finale ce dimanche 19 novembre vient nous le confirmer. De plus, la dimension subversive, antisystème et anti-élite du libertarianisme s’accorde assez bien avec une posture politique populiste. C’est ce qu’incarnait le candidat Milei.

Le « président Milei », lui, sera certainement contraint par la réalité du pouvoir d’abandonner les habits confortables de l’utopie pour enfiler ceux du réalisme politique.

Perdant de sa radicalité et de sa pureté intellectuelle, il se rapprochera certainement, dans sa méthode de gouvernement, des positions d’un libéralisme classique, davantage armé pour répondre aux exigences de la responsabilité du pouvoir. Cette interprétation rend encore plus ridicules les inquiétudes partagées par l’ensemble de la presse française, qui juge davantage le candidat que le président.

Car sur le plan économique et politique, on ne peut qu’accueillir positivement son programme, et on espère qu’il réussira à libéraliser l’Argentine. Des questions restent toutefois en suspens, notamment sur sa capacité à pouvoir tout appliquer.

Par exemple, il est probable que sa volonté de dollariser l’économie se heurte à la réalité du déficit massif du pays et à l’absence de réserves suffisantes dans le cas de l’adoption du dollar comme monnaie légale. L’inflation subirait un coup d’arrêt, mais l’économie argentine n’aurait plus de marge de manœuvre pour lutter contre la déflation. En outre, sa politique monétaire dépendrait entièrement des décisions de la Fed pouvant être contradictoires avec les besoins des marchés argentins.

Enfin, son libéralisme et son antiétatisme sont difficilement conciliables avec sa volonté d’être intraitable sur les questions sécuritaires. Si ce positionnement est compréhensible tant la criminalité et la corruption sont des poisons en Argentine, on est en droit de s’interroger sur le rôle qui sera donné à l’État dans cette quête sécuritaire.

 

Cela explique certainement pourquoi les libertariens adhèrent, dans l’ensemble, au discours et au personnage du « candidat Milei », quand les libéraux classiques le soutiennent avec davantage de réserves, et ont le regard tourné vers ce qu’accomplira le « président Milei » confronté au réel.

Révolution libérale, populaire et démocratique en #Argentine

Il était temps de tourner la page du kirchnerisme qui a plongé la moitié de la population dans la pauvreté et lègue un pays au bord d'une des pires crises économiques de son histoire.

La tâche de #Milei est titanesque pic.twitter.com/ZLVU5JvzRX

— Maxime Sbaihi (@MxSba) November 20, 2023

Il nous reste donc à rappeler que non, malgré son excentricité et son populisme, Javier Milei n’est pas plus un Trump Bis qu’il n’est d’extrême droite. Il est simplement le visage d’un ras-le-bol, contre le péronisme et l’étatisme, et d’une volonté, celle d’enfin libéraliser un pays qui en a bien besoin. Pour ces raisons, on est en droit de considérer que dans ce contexte, Javier Milei est la meilleure chose (ou la moins mauvaise) qui puisse arriver à l’Argentine.

Mais cet optimisme doit être raisonné et lucide, et les libéraux seront les premiers à rappeler à l’ordre Javier Milei s’il n’est pas à la hauteur du rendez-vous : rien de plus que l’avenir du pays.

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Présidentielle en Argentine : un entre-deux-tours électrisant

Un article de Gabriel A. Giménez Roche, Enseignant-chercheur en économie, Neoma Business School.

Le 22 octobre dernier, le premier tour de l’élection présidentielle argentine a donné lieu à des résultats surprenants. La dynamique politique change rapidement dans ce pays de 45 millions d’habitants dont le poids économique, malgré les crises, reste considérable en Amérique du Sud.

La non-qualification plus ou moins inattendue pour le deuxième tour de la représentante de la droite traditionnelle, Patricia Bullrich, la « remontada » de Sergio Massa (candidat de la coalition de centre gauche sortante) et la performance moins bonne que prévu de l’ultra-libéral Javier Milei, favori des sondages mais arrivé en seconde position ont été les points saillants de cette compétition électorale qui culminera ce dimanche avec le second tour opposant Massa à Milei.

À quelques jours du scrutin, l’issue paraît fort incertaine.

 

La remontée de Sergio Massa

Dans un climat économique tendu, caractérisé par une inflation persistante, une croissance de la pauvreté, une dette publique en perpétuelle négociation, et un manque chronique d’attractivité pour les investisseurs internationaux, Sergio Massa, en tant que ministre de l’Économie en fonction, s’est retrouvé dans une position peu enviable aux yeux de l’opinion publique.

Souvent identifié comme l’incarnation des tribulations économiques nationales, Massa a cependant réussi une performance remarquable lors du premier tour. En août dernier, lors des primaires – une consultation propre au système politique argentin, durant laquelle les électeurs étaient appelés à présélectionner à la fois les partis qui seraient en lice au premier tour et leurs candidats –, il était arrivé en troisième position, derrière Milei et Bullrich, avec 27,27 % des voix. Mais le 22 octobre, avec 36,7 % des suffrages exprimés, il est passé devant tous ses adversaires, Milei récoltant 30 % des voix et Bullrich 23,8 %.

En prenant ses distances avec les responsables politiques ayant engendré la frustration populaire, et en particulier avec Cristina Kirchner (vice-présidente sortante du président Alberto Fernandez, en poste depuis 2019 et ex-présidente de 2007 à 2015), Massa a réussi à se redéfinir. Il réduit ainsi son image de symbole des déboires économiques, mais se pose comme le garant d’une certaine continuité des politiques sociales péronistes, délesté du poids de l’image de corruption associée au cercle « K » (en référence à Kirchner).

🗳 L'#Argentine 🇦🇷 devra départager, ce dimanche, #SergioMassa et #JavierMilei, les deux candidats qualifiés pour le second tour de l'#élection #présidentielle.

Ce dimanche, ils se sont rendu coup sur coup lors d'un débat télévisé ⤵ pic.twitter.com/rDzwQBQxID

— FRANCE 24 Français (@France24_fr) November 13, 2023

Il convient de souligner que, pour rallier des électeurs, il n’a pas hésité à user de promesses populistes de dernière minute. Son Plan Platita (plan « argent de poche ») comporte des engagements variés, allant de l’allégement fiscal pour les PME à des primes pour les retraités et les chômeurs. Ce plan, qui comprend quinze mesures différentes, générerait de nouvelles dépenses publiques et, par conséquent, un déficit accru – lequel, en Argentine, se traduirait probablement par une hausse de l’inflation, étant donné que son financement nécessiterait l’émission de monnaie supplémentaire.

Un autre facteur de la remontée de Massa est l’inquiétude suscitée par les discours incendiaires et radicaux de Javier Milei et de ses partisans. En promettant de mettre fin à toutes les subventions, de privatiser à grande échelle et de dollariser l’économie, le candidat libertarien a semé la crainte d’une flambée incontrôlable des prix parmi les Argentins. Cette appréhension a été partiellement alimentée, de manière discutable, par les alliés du gouvernement en place, qui n’ont pas hésité à prédire une dérégulation des prix subventionnés dans les transports publics, tels que les trains, en cas d’élection de Milei ou de Bullrich.

 

Les raisons de l’échec de Patricia Bullrich

Patricia Bullrich, qui avait initialement obtenu une solide deuxième place aux élections primaires avec 28,27 % des suffrages, a été, nous l’avons dit, évincée de manière inattendue au premier tour, ne recueillant que 23,8 % des voix. Les analystes politiques estiment que son élimination résulte d’une série d’erreurs stratégiques, notamment son attitude de mépris affiché envers les figures influentes des régions de Mendoza et de Córdoba, qui auraient pu lui apporter un soutien significatif au-delà de l’agglomération de Buenos Aires.

Un autre écueil majeur de sa campagne a été son incapacité à se positionner de manière crédible comme une candidate réformatrice, surtout face à un Javier Milei au discours plus tranché et à l’image plus convaincante de candidat anti-establishment.

Cependant, c’est peut-être l’ambiguïté du soutien de l’ancien président Mauricio Macri (2015-2019), figure de proue du parti Propuesta Republicana (PRO) et soutien de Bullrich, qui a le plus nui à sa candidature. Représentant des intérêts économiques argentins, Macri a semblé hésitant quant à la capacité de Bullrich à remporter les élections et n’a pas dissimulé son ouverture à une alliance électorale avec Milei avant même le premier tour, semant le doute sur son engagement envers Bullrich.

 

La campagne mouvementée de Javier Milei

Les résultats du premier tour ont marqué un coup d’arrêt pour Javier Milei, qui, après une percée surprenante aux primaires d’août, semble avoir atteint son apogée. En dépit d’une hausse de la participation de 69 % à 78 %, son score est resté stagnant autour de 30 %, révélant les limites de son expansion électorale au-delà de sa base de jeunes, surtout provinciaux, désabusés par la politique traditionnelle de Buenos Aires.

L’appel à une réforme économique séduit une partie de la population argentine, mais les propositions radicales de Milei, notamment sa volonté de procéder à des réductions budgétaires drastiques et immédiates, ont suscité une inquiétude palpable parmi les citoyens et les PME dépendantes des aides gouvernementales. Ses mises en scène provocatrices, où il manie des tronçonneuses symbolisant sa volonté de « couper dans le budget », ainsi que son style rhétorique agressif et souvent vulgaire, n’ont pas su convaincre un électorat modéré et indécis.

De plus, la position de Milei sur la scène internationale, en particulier sa menace initiale de rompre les liens commerciaux avec les principaux partenaires de l’Argentine, à savoir le Brésil et la Chine, en les qualifiant de « communistes », a été source de controverses. Face aux critiques, il a par la suite tempéré ses déclarations, mais le malaise persiste quant à l’impact potentiel qu’auraient les politiques qu’il promeut sur une économie argentine déjà fragile.

La candidature de Javier Milei a également été mise à l’épreuve par ses propres alliés, dont certains se sont révélés être des figures encore plus controversées. Parmi eux, sa colistière pour la vice-présidence, Victoria Villarruel, se distingue par un ultra-conservatisme marqué.

Contrairement à Milei, qui se revendique libertarien et généralement plus progressiste sur les questions de société, Villarruel porte l’héritage d’une famille impliquée dans la dictature militaire argentine (1976-1983). Son père a même pris part, à la fin des années 1980 à une rébellion contre le gouvernement démocratiquement élu de Raúl Alfonsín. Elle n’a jamais renié son attachement à cette période sombre de l’histoire argentine. Ses prises de position contre l’avortement et le mariage homosexuel, et en faveur du rétablissement de la conscription en Argentine se reflètent, de manière plus ou moins subtile, dans le discours de Milei. Cependant, Villarruel a dû tempérer ses propos dans le but de séduire un électorat plus modéré.

Les interventions les plus dommageables pour Milei lors du premier tour ont cependant émané de Lilia Lemoine et du duo père-fils Alberto Benegas Lynch. Lemoine, cosplayer, influenceuse et styliste personnelle de Milei, s’est illustrée par des prises de position anti-vaccins, terreplatistes et antiféministes, allant jusqu’à déclarer, quelques jours avant le premier tour, qu’en tant que députée potentielle du mouvement La Libertad Avanza, elle envisagerait de présenter un projet de loi autorisant les hommes à refuser la reconnaissance de paternité d’enfants nés hors mariage.

Quant aux Benegas Lynch, issus d’une famille de libéraux éminents en Argentine, ils ont suscité la controverse par leurs propositions sur le commerce d’organes humains et la privatisation des mers. Mais c’est leur plaidoyer pour la rupture des relations avec le Vatican, le pape actuel étant trop à gauche pour eux, qui a provoqué le plus de remous, attirant même les critiques de l’archevêque de Buenos Aires, Jorge García Cueva.

Suite à l’accueil mitigé des résultats du premier tour, l’équipe de campagne de Javier Milei a exhorté ses porte-parole à adopter une approche plus discrète pour ne pas compromettre les chances de leur candidat dans la course au second tour. Cette stratégie de retenue a été renforcée par l’appui de Patricia Bullrich et des figures de proue du parti Propuesta Republicana (PRO), qui, après une analyse post-premier tour, ont décidé de soutenir Milei. Mauricio Macri, à la tête du PRO, cherche à apaiser ses électeurs en présentant un Milei assagi comme l’alternative idéale pour déloger le péronisme du pouvoir. Cette situation a conduit à une collaboration quelque peu inconfortable des Macristes à la campagne de Milei.

Présidentielle en Argentine: Milei reçoit le soutien de Bullrich, l'opposition implose https://t.co/rtvpkk8d7L pic.twitter.com/nkpnXoZDup

— RFI – Amériques et Haïti (@RFIAmeriques) October 26, 2023

Bien que les voix du PRO soient cruciales pour briser le plafond de verre de Milei, les partisans de la première heure craignent que cette alliance n’entraîne une modération excessive de leur candidat et l’infiltration de ce qu’ils considèrent comme la « caste » des politiciens traditionnels – une « caste » que Milei a souvent critiquée avec véhémence. En effet, Milei a été contraint de faire des concessions à cette « caste » du PRO, notamment en présentant des excuses à Bullrich pour les attaques personnelles émises lors des débats présidentiels, en minimisant ses propositions de dollarisation de l’économie et en écartant ses porte-parole les plus controversés. Ces ajustements stratégiques posent le risque de diluer l’essence même de l’image anti-establishment, qui a été jusqu’ici au cœur de son attrait électoral.

Bien que le ralliement de Bullrich et Macri puisse, sur le papier, assurer à Milei une majorité absolue des voix au second tour, la réalité politique est nettement plus complexe. La coalition Juntos por el Cambio, qui soutenait Bullrich, est une alliance entre le PRO et l’Unión Cívica Radical (UCR), un parti traditionnel, adversaire de longue date du péronisme.

L’UCR, avec ses racines socio-libérales et socio-démocrates, est porteur d’une idéologie qui contraste avec les critiques acerbes de Milei à l’égard du gouvernement de Raúl Alfonsín, le premier président élu démocratiquement après la dictature, et sous lequel la junte militaire avait été jugée.

Alors que le PRO de Bullrich et Macri a choisi de se ranger derrière Milei, l’UCR reste réticente et envisage même de soutenir Sergio Massa, malgré les liens de ce dernier avec le kirchnérisme. Il est important de noter que le PRO, bien qu’étant le partenaire dominant de Juntos por el Cambio, ne représente pas l’ensemble de l’électorat de la coalition. Avec plus de 20 % d’abstentionnistes au premier tour et un nombre similaire d’indécis, dont beaucoup pourraient se sentir plus proches de l’UCR, le paysage électoral reste ouvert. Ainsi, même si Milei semble mathématiquement en tête, son avance sur Massa est ténue et loin d’être assurée.

 

Le vainqueur aura la tâche ardue

Quel que soit le futur président, il devra faire face à la réalité implacable de l’économie argentine, qui nécessite des réformes immédiates, en particulier pour réduire le déficit public, moteur clé de l’inflation. L’Argentine continue d’être marginalisée sur les marchés internationaux de capitaux, ce qui complique encore la situation. Ni Milei ni Massa ne pourront s’appuyer sur une majorité parlementaire autonome au Congrès argentin. Pour obtenir une majorité absolue, des alliances seront indispensables avec les législateurs de Juntos por el Cambio, qui représente la deuxième force au Congrès après l’Unión por la Patria de Massa.

Dans ce contexte, un président Massa serait contraint de négocier avec l’opposition et d’entreprendre des réformes au sein de la structure gouvernementale actuelle. Un président Milei, quant à lui, se verrait incapable de réaliser ses réformes les plus extrêmes sans le soutien du Congrès. L’option d’un plébiscite, évoquée par Milei, ne relève pas du pouvoir exécutif mais du législatif, et son utilisation est strictement encadrée par le Congrès. En somme, la gouvernance de l’Argentine post-élections exigera un exercice d’équilibre et de compromis, quel que soit le vainqueur.

Sur le web.

EELV contre la rénovation de l’École polytechnique : haro sur le progrès

Tout, absolument tout est bon pour protester en France. Même quand il s’agit de projets positifs. Ainsi, jeudi 9 novembre, une trentaine d’anciens élèves de la prestigieuse École polytechnique se sont réunis pour… manifester. Ils ont, à la manière des syndicalistes, déployé des banderoles et soulevé des pancartes pour s’opposer à la poursuite des travaux prévus pour la création d’un futur centre de conférence international, projet qu’ils jugent « pharaonique et inutile ». Ils ont bien sûr reçu le soutien de quelques élus Europe Ecologie Les Verts du Ve arrondissement parisien, l’école se trouvant au 5, rue Descartes.

Le site, aujourd’hui occupé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est devenu le QG de l’association des anciens élèves en 1976, après la délocalisation du campus à Saclay dans l’Essonne. Quelques élèves, une trentaine sur plusieurs centaines au fil des ans, ont donc décidé de manifester contre un projet financé sur fonds privés qui prévoit, oh malheur, la construction d’un amphithéâtre de 500 places. Pharaonique, c’est bien le terme… Les protestataires formulent d’autres reproches, arguant que la transformation du bâtiment irait à « contre-courant » des enjeux fixés par la ville de Paris dans le cadre de son Plan local d’urbanisme bioclimatique…

Tous ces arguments ne seraient-ils pas plutôt d’opportunité face à la crainte des anciens élèves et des élus de la gauche parisienne de voir le groupe LVMH et la famille Arnault présider à l’avenir de l’école ? Le front s’est en tout cas constitué, avec pour première ligne la présidente du groupe écologiste du Conseil de Paris, madame Fatoumata Kondé qui a déposé un vœu pour que l’adjoint à l’urbanisme Emmanuel Grégoire « prenne position sur le sujet ». Mais en France, il existe des procédures légales, et cet acte de mécénat proposé par Bernard Arnault en tant qu’ancien élève, et approuvé par la direction de l’école, a été concrétisé par la délivrance d’un permis de construire en 2019.

Les fouilles archéologiques ayant été achevées, le chantier est donc lancé.

Il n’y a ici d’ailleurs, à en juger par les déclarations constantes des mécènes confirmées par la direction de l’école, aucune velléité commerciale du groupe LVMH, puisque le lieu transformé servira de Centre de conférence international dans l’idée de faire rayonner l’excellence de la formation de Polytechnique, et par là même de la France, si la chose compte encore. Mieux encore, les installations deviendront la pleine propriété de l’École polytechnique, sans que l’État, et donc le contribuable, ne dépensent un euro pour cela. On se doute d’ailleurs bien que le bâtiment respectera scrupuleusement les normes les plus strictes en matière de respect de l’environnement…

Bref, voici une opération qui ne peut que bénéficier à Paris, à Polytechnique, mais aussi à la France. Qu’un centre d’activités moderne et restauré existe en plein cœur du Quartier Latin ne pourra qu’attirer les plus grands scientifiques, capitaines d’industrie, innovateurs et artistes. Le tout « gratuitement ». De quoi se plaignent donc les écologistes parisiens et les anciens élèves ? Leur déconnexion du monde actuel n’a d’égale que leur dogmatisme.

Javier Milei profite de la perte de confiance en l’État des Argentins

Le 19 novembre est le jour du second tour des élections en Argentine entre le péroniste Sergio Massa et l’anarcho-capitaliste Javier Milei.

Dans les années à venir, l’Argentine pourrait être gouvernée par un pro-capitaliste passionné. Ce serait un évènement qui marquerait un changement fondamental dans l’attitude des Argentins vis-à-vis de l’économie de marché et du rôle de l’État. Mais ce changement, en réalité, se profile à l’horizon depuis un certain temps.

Au cours des deux dernières années, j’ai étudié le mouvement libertarien dans 30 pays. Je n’ai rencontré dans aucun de ces pays un mouvement libertaire aussi fort qu’en Argentine. En temps normal, lorsqu’un pays traverse une crise grave, un grand nombre de personnes ont tendance à se tourner vers l’extrême gauche ou l’extrême droite de l’échiquier politique. En Argentine, les libertariens sont les phares de l’espoir, en particulier pour les jeunes. Parmi les électeurs de moins de trente ans, une majorité a voté pour Milei.

Les élections se déroulent dans le contexte d’une crise économique dramatique, avec un taux d’inflation de plus de 100 %, l’un des plus élevés au monde. Il n’y a probablement aucun pays qui se soit dégradé de manière aussi spectaculaire au cours des 100 dernières années que l’Argentine. Au début du XXe siècle, le revenu moyen par habitant était l’un des plus élevés au monde, comme en témoigne l’expression, courante à l’époque, de « riche comme un Argentin ». Depuis, l’histoire de l’Argentine est marquée par l’inflation, l’hyperinflation, les faillites d’État et l’appauvrissement. Le pays a connu neuf faillites souveraines au cours de son histoire, la dernière datant de 2020. Une histoire tragique pour un pays si fier qui était autrefois l’un des plus riches du monde. L’inflation a été à deux chiffres chaque année depuis 1945 (sauf dans les années 1990).

 

L’Argentine a été dirigée par des étatistes pendant des décennies et il est aujourd’hui l’un des pays les moins libres du monde sur le plan économique.

Dans l’indice de liberté économique 2023 de la Heritage Foundation, l’Argentine se classe 144e sur 177 pays – et même en Amérique latine, seuls quelques pays (en particulier le Venezuela) sont moins libres économiquement que l’Argentine. À titre de comparaison : bien que sa position se soit dégradée depuis l’arrivée au pouvoir du socialiste Gabriel Boric en mars 2022, le Chili est toujours le 22e pays le plus libre économiquement au monde, et l’Uruguay est le 27e (les États-Unis sont 25e).

Pour l’opinion populaire cependant, de nombreux Argentins en ont tout simplement assez du péronisme de gauche et se détournent de l’étatisme qui a dominé leur pays pendant des décennies. Dans un sondage que j’ai réalisé l’année dernière, l’Argentine faisait partie du groupe de pays où les gens étaient les plus favorables à l’économie de marché. Du 12 au 20 avril 2022, j’ai demandé à l’institut d’études d’opinion Ipsos MORI d’interroger un échantillon représentatif de 1000 Argentins sur leur attitude à l’égard de l’économie de marché et du capitalisme.

Tout d’abord, nous avons voulu savoir ce que les Argentins pensent de l’économie de marché.

Nous avons présenté aux personnes interrogées en Argentine six énoncés sur l’économie de marché dans lesquels le mot capitalisme n’était pas utilisé. Il s’est avéré que les affirmations en faveur d’une plus grande influence de l’État ont recueilli le soutien de 19 % des personnes interrogées, et que les affirmations en faveur d’une plus grande liberté du marché ont été approuvées par 24 % d’entre elles.

En Argentine, l’affirmation « Dans un bon système économique, je pense que l’État ne devrait posséder des biens que dans certains domaines ; la majeure partie des biens devrait être détenue par des particuliers » a reçu le plus haut niveau d’approbation. L’affirmation « La justice sociale est plus importante dans un système économique que la liberté économique » a reçu le plus faible niveau d’approbation.

Nous avons mené la même enquête dans 34 autres pays et n’avons trouvé que cinq pays (Pologne, États-Unis, République tchèque, Corée du Sud et Japon) dans lesquels l’approbation de l’économie de marché était encore plus forte qu’en Argentine ; dans 29 pays, l’approbation de l’économie de marché était plus faible.

En outre, tous les répondants se sont vu présenter 10 termes – positifs et négatifs – et ont été invités à choisir ceux qu’ils associaient au mot capitalisme, ainsi qu’à répondre à 18 autres questions sur le capitalisme.

Le niveau de soutien au capitalisme n’était pas aussi élevé que dans la première série de questions sur l’économie de marché, où le terme capitalisme n’était pas utilisé. Mais même lorsque ce mot était mentionné, notre enquête n’a trouvé seulement sept pays sur 35 dans lesquels l’image du capitalisme est plus positive qu’en Argentine, contrairement à 27 pays dans lesquels les gens ont une opinion plus négative du capitalisme qu’en Argentine.

C’est pourquoi un partisan avoué du capitalisme comme Javier Milei, professeur d’économie autrichienne, a des chances de remporter les élections dans le pays.

Milei est entré en campagne électorale en appelant à l’abolition de la banque centrale argentine et à la libre concurrence entre les monnaies, ce qui conduirait probablement à ce que le dollar américain devienne le moyen de paiement le plus populaire. Il a également appelé à la privatisation des entreprises publiques, à l’élimination de nombreuses subventions, à une réduction des impôts ou à la suppression de 90 % d’entre eux, ainsi qu’à des réformes radicales du droit du travail. Dans le secteur de l’éducation, Milei a demandé que le financement soit remplacé par un système de bons, comme l’avait proposé Milton Friedman.

Par ailleurs, l’Argentine est un exemple de l’importance des groupes de réflexion (think-tanks) pour ouvrir la voie à des changements intellectuels, qui sont ensuite suivis par des changements politiques. En Argentine, par exemple, il s’agit de la Fundación para la Responsabilidad Intelectual et de la Fundación para la Libertad ou Federalismo y Libertad.

J’ai rencontré des groupes de réflexion libertaires dans 30 pays, mais ils sont rarement aussi actifs que ceux d’Argentine. Reste à voir si les graines qu’ils ont semées porteront leurs fruits le 19 novembre.

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Un vent libéral souffle-t-il sur l’Amérique latine ?

Et si une révolution libérale était en maturation en Amérique latine ?

C’est une perspective à ne pas négliger, eu égard à l’actualité politique de trois pays qui, ayant chacun à leurs manières subi les affres du socialisme, pourraient s’apprêter à écrire une nouvelle page de leur histoire en portant au pouvoir des libéraux.

En Équateur, c’est chose faite avec l’élection de Daniel Noboa. Au Venezuela, la présidentielle de 2024 pourrait faire émerger Maria Corina Machado, une centriste libérale, tête de file de l’opposition à Nicolas Maduro. Enfin en Argentine, Javier Milei, qu’on ne présente plus, s’est qualifié au second tour de l’élection présidentielle qui aura lieu en novembre 2023.

 

En Équateur, un libéral élu président

Ce dimanche 15 octobre 2023, les Équatoriens ont élu leur nouveau président au terme d’une campagne qui s’est déroulée dans un climat d’insécurité et de violences politiques, et a été marquée par l’assassinat d’un des candidats (un ancien journaliste qui avait centré son discours sur la lutte contre la corruption).

Les résultats laissent cependant planer un espoir. Pour succéder au conservateur Guillermo Lasso (empêtré dans des affaires d’accusation de corruption), Daniel Noboa, un candidat de centre-droit ouvertement libéral, a remporté 52,1 % des voix contre Luisa Gonzàlez, du Mouvement révolutionnaire citoyen socialiste, le parti de l’ancien président Rafael Correa (2007-2017), pas franchement démocrate, puisqu’il avait réécrit la Constitution en sa faveur, et fait enfermer des journalistes et opposants politiques.

Daniel Noboa est le fils d’Alvaro Noboa, un homme d’affaires ayant fait fortune dans l’exportation de bananes, et candidat malheureux de cinq présidentielles. Marié et père de deux enfants, Daniel Noboa est, à l’âge de 35 ans, le plus jeune président de l’Équateur, malgré son manque d’expérience politique (seulement deux ans de députation).

Jouant la carte de la modernité, Daniel Noboa a surtout été élu sur un programme mettant en avant deux piliers : la sécurité et la défense de la libre-entreprise.

L’Équateur, qui est un des plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, a subi de plein fouet les conséquences de la forte croissance du trafic mondial dans les dernières années. Depuis 2016 et la signature d’un accord de paix entre la Colombie (pays frontaliers de l’Équateur) et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), l’Équateur est devenu un centre névralgique du trafic et un haut lieu des guerres de cartel. S’en est suivie une augmentation de la violence criminelle et une crise pénitentiaire sans précédent.

On comprend pourquoi, dans un tel contexte, le candidat Daniel Noboa a centré sa campagne sur la question sécuritaire, promettant de créer une agence du renseignement national ayant pour but d’organiser et de chapeauter tous les organismes de renseignement du pays. Il a aussi prôné un rapprochement avec les États-Unis afin d’obtenir une aide dans la lutte contre les gangs.

Derrière ce volet sécuritaire, Daniel Noboa a fait la promotion d’un programme économique libéral visant à soutenir les petites et moyennes entreprises, et d’une manière plus générale l’entrepreneuriat, en promettant privatisations, baisse de la fiscalité, facilitation de l’accès au crédit par des incitations fiscales.

Sur le plan institutionnel enfin, Noboa a fustigé la bureaucratie qu’il souhaite fermement combattre.

Bref, un discours libéral et démocrate qui, dans ce pays ravagé par les narcotrafics et des années de socialisme ayant contribué à creuser la dette, autorise les libéraux que nous sommes à un certain optimisme.

 

Au Venezuela, une libérale pour concurrencer le chavisme de Maduro ?

Si les Équatoriens peuvent se féliciter d’ouvrir une nouvelle page libérale pour leur pays et se permettre de rêver, les Vénézuéliens doivent attendre 2024 pour tourner le dos au chavisme et à Nicolas Maduro, qui briguera son troisième mandat.

Arrivé au pouvoir en 2013 après la mort d’Hugo Chàvez dont il est un fervent disciple, Nicolas Maduro a mis en place une politique économique socialiste (contrôle des prix, contrôle des changes, expropriations, sujétion du secteur privé à des militaires…) afin de réaliser une « révolution bolivarienne ». Les résultats désastreux d’une telle politique n’ont pas tardé : entre 2013 et 2018, le PIB a été divisé par deux, et l’inflation a atteint un taux de 130 000 %.

Sur le plan politique, Maduro a tenu le pays d’une main de fer et la répression de l’opposition a connu une accélération inquiétante les dernières années.

En 2018, 131 personnes avaient été arrêtées pour « entrave au plan de relance » de l’économie de Maduro. La même année, le pays comptait 12 000 détenus politiques, dont des enfants. Selon Freedom House, avec un score de libertés globales de 15/100, le Venezuela est l’un des pays les moins libres au monde. Le constat est tout aussi alarmant sur le sujet de la corruption. L’organisation Transparency international le classe 177e sur 180 pays, avec un indice de corruption de 14/100 (0 étant le maximum de corruption), faisant du Venezuela un des pays les plus corrompus au monde.

Plus récemment, Nicolas Maduro a frappé d’inéligibilité la plupart des leaders de l’opposition, dont Maria Corina Machado, une ingénieure de 56 ans, députée depuis 2012, à la tête de Vente Venezuela, le parti qu’elle a fondé. Cette centriste libérale, membre de l’opposition, fait partie des opposants les plus durs au chavisme, affirmant haut et fort qu’elle souhaite en finir avec le socialisme bolivarien. Son programme économique, jugé « ultralibéral » par Le Monde, propose notamment la privatisation de la compagnie pétrolière PDVSA, ainsi que d’autres entreprises publiques.

Malgré une fragile reprise économique encouragée par les réformes de 2019 (face aux résultats désastreux de sa politique économique, Maduro a été contraint de « libéraliser » en mettant en place des coupes budgétaires, en autorisant l’utilisation du dollar comme monnaie…), les conditions de vie des Vénézuéliens restent très difficiles et la contestation sociale est de plus en plus forte.

C’est dans ce contexte politique et social tendu qu’ont eu lieu les primaires de l’opposition vénézuélienne, dont l’organisation s’est faite sans le soutien des autorités locales. Maria Corina Machado a remporté une victoire écrasante en obtenant 93,31 % des suffrages exprimés (soit deux millions d’électeurs).

Si ces résultats laissent entrevoir une possible révolution libérale dans un pays marqué par des années de socialisme aux conséquences désastreuses pour sa population, le chemin est encore long. En effet, pour le moment, rien n’assure que Maria Corina Machado, toujours frappée d’inéligibilité par le pouvoir en place, puisse être candidate à l’élection de 2024.

Une lueur d’espoir toutefois : la communauté internationale fait pression sur Maduro. Après l’échec des négociations de La Barbade, qui se sont tenues sous les auspices de la Norvège, et dont l’objectif était de revenir sur l’inéligibilité des leaders de l’opposition, Washington continue de faire pression en menaçant de prolonger les sanctions si la situation politique ne s’améliore pas. Sans excès d’optimisme, il n’est pas improbable que Maduro soit obligé de reculer face aux sanctions des États-Unis, laissant ainsi une chance aux Vénézuéliens de se débarrasser une bonne fois pour toutes du chavisme.

 

En Argentine, un coup d’arrêt pour Javier Milei ?

Les Argentins aussi se débattent avec leurs vieux démons et ont l’opportunité, lors du second tour de l’élection présidentielle qui se déroulera le 19 novembre 2023, de tourner le dos au péronisme et à sa branche majoritaire, le kirchnérisme (du nom de Nestor et Cristina Kirchner, au pouvoir entre 2003 et 2015).

Mais pour cela, il faut compter sur la défaite de Sergio Massa, le candidat péroniste, et la victoire du candidat libéral Javier Milei. Nous avions consacré dans ces colonnes un long portrait de ce personnage sulfureux, dont les idées libérales séduisent autant que peuvent interroger son populisme démagogique et son conservatisme social. Nous ne reviendrons donc pas sur ce sujet, et nous nous contenterons de considérer que, face à un candidat péroniste, ce genre d’élucubrations est un luxe que le réalisme politique ne nous permet pas d’avoir. En effet, si rien ne nous assure qu’une fois au pouvoir, Javier Milei pourra effectivement sortir l’Argentine de son marasme politique et économique, nous avons l’assurance que, suivant Einstein, selon qui « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », l’élection de Sergio Massa serait une catastrophe pour le pays.

Il convient également de nuancer le discours médiatique dominant à propos de Javier Milei, souvent présenté en France sous ses seuls aspects caricaturaux pour coller au récit simpliste d’un candidat d’extrême droite aisément identifiable aux figures de Trump et de Bolsonaro. Car si l’outrance et le populisme font partie intégrante de la stratégie politique de Milei, la réalité est que l’important est ailleurs, et ses électeurs ne s’y trompent pas.

En effet, les militants de son parti Libertad Avanza (la liberté avance) attendent surtout un sursaut économique. Pas besoin de revenir sur la situation économique calamiteuse de l’Argentine (on renvoie à nouveau vers le portrait cité plus haut), il suffit de citer ce militant, Mauro Mendoza, dont les propos ont été rapportés par Le Monde : « Il nous faut absolument apporter de la stabilité à l’économie, arrêter d’émettre de l’argent ».

Au-delà de l’économie, c’est surtout une volonté d’en finir avec le kirchnérisme incarné par Sergio Massa qui a porté Javier Milei au second tour de l’élection présidentielle. En effet, le libéral s’est fait le porte-voix d’un ras-le-bol qui se fait de plus en plus sentir dans la société argentine.

Si les points de tensions liés à son conservatisme social et son populisme sont légitimes aux yeux des libéraux consistants s’interrogeant sur la cohérence intellectuelle d’un libéralisme (voir un libertarianisme ?) qui ne serait qu’économique au point d’en devenir caricatural[1], la réalité est qu’une fois au pouvoir, ces points de tensions ne seront pas appliqués (on pense par exemple à sa volonté de revenir sur le droit à l’avortement), tandis que son programme économique et sa volonté de lutter contre la corruption, qui sont au cœur de son logiciel politique, pourraient se révéler salutaires pour l’Argentine.

Mais toutes ces réflexions pourraient être inutiles s’il venait à perdre au second tour. Or, la montée en puissance de Javier Milei ces derniers mois, aussi forte qu’inattendue, a connu un coup d’arrêt ce dimanche 22 octobre 2023, lors du premier tour. Sergio Massa est arrivé en tête avec 36,7 % des voix, et Javier Milei en a réuni 30 %. Du côté des militants de Libertad Avanza, les résultats ont eu un goût amer, eux qui étaient persuadés qu’un raz-de-marée libéral déferlerait sur l’Argentine.

Alors, qu’attendre du second tour ?

Pour Javier Milei, la stratégie est toute trouvée. Il doit ouvrir ses bras aux électeurs de la candidate de droite malheureuse du premier tour, Patricia Bullrich, qui a obtenu un peu moins de 24 % des suffrages. Pour ce faire, Milei va peut-être devoir lisser quelque peu son image et son discours afin d’apparaître présidentiable auprès d’électeurs qui, bien que profondément dégoûtés du péronisme, pourraient avoir peur de son extravagance. Il reste que le réservoir de voix est réel, et que rien n’est joué.

Enfin, il faut garder à l’esprit que des élections législatives partielles se tiennent en même temps, et une percée des libéraux est très probable (ils devraient obtenir aux alentours de 40 sièges). Quel que soit le résultat du scrutin du 19 novembre 2023, le vainqueur n’aura probablement pas de majorité, et sera obligé de composer des alliances.

L’avenir de l’Argentine est encore à écrire, et les Argentins disposent de la plume.

 

Conclusion

Ces trois cas signifient-ils que quelque chose se passe en Amérique latine ? Faut-il y voir le début d’une révolution libérale ? Et si tel est le cas, peut-on en attendre une amélioration conséquente de la situation politique, économique et sociale dans ces pays ?

L’observateur libéral sait trop bien qu’un politique ne peut pas tout, et que les facteurs politiques n’expliquent pas seuls la situation de ces pays. Du reste, il est de toute manière trop tôt pour tirer des conclusions.

Contentons-nous donc d’un espoir modéré en constatant un potentiel réveil de ces populations, qui, peut-être, tourneront enfin le dos à un socialisme moribond dont l’histoire a trop souvent montré qu’il était vain d’en attendre quoi que ce soit d’autre qu’absences de libertés et marasme économique.


[1] Nous renvoyons ici nos lecteurs au chapitre 12 de l’ouvrage d’Alain Laurent « La philosophie libérale, histoire et actualité d’une tradition intellectuelle » sur les libertariens, dans lequel il explique bien qu’aucun libéral cohérent ne peut se satisfaire d’un libéralisme qui ne soit pas multidimensionnel : économique, politique & social.

La dollarisation de l’Argentine ne favorisera pas la liberté

Par Simon Wilson.

 

La performance sensationnelle de Javier Milei lors des primaires de l’élection présidentielle argentine confirme la possibilité très réelle qu’un anarchocapitaliste qui cite Rothbard et Mises devienne le prochain président de l’Argentine.

S’il est élu, il ne fait guère de doute que Milei mettra en œuvre des propositions visant à remodeler en profondeur l’économie argentine selon les principes du marché libre.

Malheureusement, l’idée controversée d’une dollarisation complète de l’économie argentine semble être devenue sa politique de prédilection. Cette idée est en contradiction avec le reste de son programme.

 

Flashback : la Fed se moque de l’Argentine

Dans les années 1990, l’Argentine a mis en place un système de « convertibilité » quasi-dollarisé qui liait le peso au dollar. Ce système s’est terminé de manière désastreuse, avec une crise douloureuse en 2001-2002 qui a entraîné l’effondrement de l’ensemble de l’économie. La principale faille ? La Fed sert les intérêts des seuls États-Unis, et non ceux de l’Argentine, ou de qui que ce soit d’autre.

Dans un premier temps, la convertibilité a permis de réduire l’inflation, tandis que les crédits assortis de faibles taux d’intérêt américains ont alimenté la croissance. À la fin des années 1990, cependant, l’économie américaine était en surchauffe, et la Fed a relevé ses taux. La banque centrale argentine (la BCRA) n’a eu d’autre choix que de s’aligner sur les taux américains élevés, ce qui a eu pour effet d’écraser le PIB.

Aujourd’hui, Milei propose la dollarisation, alors que la Fed est à nouveau en phase de resserrement. Si elle était mise en œuvre, l’économie argentine serait à nouveau enchaînée à une politique monétaire désynchronisée par rapport à son propre cycle économique, qui dépend par ailleurs davantage du Brésil et de la Chine que des États-Unis.

 

La dollarisation ne réduit pas la dette

La dollarisation d’une économie ne remédie pas à l’expansion monétaire et à l’endettement qui en découle si la monnaie n’est pas garantie. Dans l’hypothèse d’une dollarisation dure, l’Argentine ne dispose que de trois options pour faire entrer des dollars dans son économie :

  1. Les exportations
  2. Les investissements étrangers
  3. Les emprunts

 

Étant donné que les excédents commerciaux sont rares pour l’Argentine, et que les investissements étrangers sont inconstants (voir la section suivante), le pays en viendrait à dépendre fortement de l’émission de dettes pour financer son activité économique.

Comme dans les années 1990, les banques de Wall Street seraient heureuses d’intervenir et de créer des crédits presque sans risque (les mauvais prêts peuvent être transférés à la Fed en tant que prêteur en dernier ressort). Les banques argentines suivraient le mouvement, emprunteraient des dollars et les prêteraient à prix d’or, bien qu’elles ne soient pas éligibles aux plans de sauvetage de la Réserve fédérale. La seule véritable contrainte à l’expansion du crédit serait la réticence des emprunteurs à s’endetter davantage en dollars. L’Équateur, qui s’est dollarisé en 2000, est un exemple à suivre : sa dette publique est passée de 16 milliards de dollars à 75 milliards de dollars.

Troisièmement, et c’est le plus grave, une grande partie de ces sorties de dollars est recyclée en bons du Trésor américain et en réseaux d’autres actifs, tels que l’immobilier, les terrains et même les actions, que la Fed soutient en imprimant de l’argent. En fin de compte, la fonction des marchés de capitaux américains n’est pas d’orienter l’épargne vers des investissements productifs réels, mais de percevoir une rente économique. La dollarisation incitera l’Argentine à soutenir ce « marché » et, une fois sa monnaie stabilisée, facilitera la fuite des revenus générés en Argentine vers l’économie rentière des États-Unis au détriment de la production nationale, un processus connu sous le nom de « fuite des capitaux ».

Là encore, l’exemple de l’Équateur est instructif : la dollarisation n’a pas incité les investisseurs à réaliser des investissements en capital fixe à long terme, tels que des usines et des infrastructures de transport, qui auraient pu profiter à l’économie équatorienne, mais elle les a encouragés à profiter de l’essor de l’immobilier et des marchés boursiers américains, avec une sortie nette moyenne de près d’un milliard de dollars par an depuis l’an 2000.

 

Politisation

Les systèmes bancaires étrangers ne sont pas automatiquement éligibles au renflouement de la Fed, mais les banques centrales des principaux pays bénéficient de certains privilèges. Pendant la crise financière de 2008, la Fed a mis en place des lignes de swap pour fournir des dollars à la Banque centrale européenne, à la Banque d’Angleterre et à la Banque du Japon, mais a exclu les banques des pays périphériques comme l’Argentine. La Fed peut accorder une aide à l’Argentine en cas de pénurie de dollars, mais uniquement par le biais de prêts conditionnels qui ne contredisent pas les intérêts stratégiques américains.

Si la BCRA est complètement abolie (l’objectif déclaré de Milei), le système bancaire argentin dollarisé serait tributaire des conditions de prêt de plus en plus politisées fixées par les banques privées liées à la Fed. Récemment, l’Équateur et le Belize ont accepté de céder des pans entiers de leur territoire à des programmes de conservation de l’environnement et de souscrire à un certain nombre d’objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise (ESG) en échange d’un allègement de leur dette en dollars. Milei, qui ne semble pas se soucier de l’ESG et qui s’est exprimé sur l’idéologie du genre et d’autres sujets conservateurs brûlants, a été dépeint comme un « fasciste » dans les médias américains. À l’heure où le gouvernement américain et sa communauté du renseignement estiment que les plus grandes menaces hémisphériques sont des hommes forts de droite comme Trump et Bolsonaro, le pouvoir de rationner les dollars pourrait être utilisé contre Milei personnellement.

 

Les dirigeants ne survivent pas à leur politique de dollarisation

Les tentatives passées de dollarisation en Amérique latine se sont toutes soldées par une perte de pouvoir pour le parti qui les mettait en œuvre. Même en Équateur, où la politique est restée en vigueur, une période d’ajustement douloureuse a suivi, au cours de laquelle le président Mahuad a été éjecté du pouvoir, ouvrant la voie à Rafael Correa et à une décennie de « socialisme du vingt-et-unième siècle ». La première quasi-dollarisation de l’Argentine a été la cause immédiate de l’arrivée au pouvoir des socialistes Kirchner. À moins qu’il ne se déroule sans accroc, le plan devrait cette fois-ci voir Milei écarté et ses idées discréditées, préparant le terrain pour une nouvelle ère de régimes anti-marché.

 

Conclusion

Milei mérite d’être félicité pour avoir fait progresser les idées libertaires dans toute l’Amérique latine. Mais sa proposition de dollarisation contredit l’esprit libertarien et les idées sur l’ordre mondial des banques centrales développées par des penseurs tels que Rothbard et Hoppe. Cela signifierait que l’Argentine soutiendrait davantage l’imperium américain par son travail et laisserait son destin économique et politique entre les mains de la Réserve fédérale et des élites bancaires qui président au système du dollar.

Plutôt que de s’engager dans une politique qui risque d’entraîner des catastrophes et de profiter à des intérêts particuliers, le programme de Milei devrait – comme l’a fait Ron Paul en 2012 – faire porter le poids de l’ajustement structurel sur les puissants, et non sur les pauvres. Cela pourrait signifier, par exemple, la promotion d’un système bancaire libre basé sur l’or ou le crédit communautaire plutôt que sur les réserves en dollars.

En fin de compte, cependant, Milei – et tous ceux qui viendront après lui – doivent comprendre la véritable raison pour laquelle la philosophie du marché libre n’a pas réussi à s’enraciner en Amérique latine : son alliance perçue avec le privilège et la réaction. Les attaques de Milei contre la gauche lui ont permis de gagner beaucoup d’adeptes pour l’instant, mais le seul moyen pour le libertarianisme de triompher à long terme est de démontrer sa capacité à atteindre les objectifs déclarés de la gauche – mettre fin aux privilèges, soulager la pauvreté, défendre la dignité humaine et mettre fin à l’impérialisme – de manière beaucoup plus efficace que les politiques socialistes n’ont jamais pu le faire.

L’électorat naturel du libertarianisme en Amérique latine est la classe ouvrière, dont le droit à la liberté économique est quotidiennement bafoué par l’État. En mettant l’accent sur le volontarisme – le droit de tous, en particulier des pauvres et des marginalisés, de contrôler leur corps et les biens qu’ils ont justement acquis sans nuire à autrui – plutôt que sur des politiques comme la dollarisation qui établissent ou renforcent les hiérarchies, les libertariens peuvent répondre aux besoins réels des masses et mettre un terme à l’éternelle récurrence du socialisme dans les Amériques.

Sur le web

L’Argentine, désarmée et fragilisée

Par François Soulard1.
Un article de Conflits

Étoile mondiale du ballon rond, l’Argentine jouit d’une position beaucoup moins glorieuse sur le plan géopolitique et stratégique.

Quarante années de démocratie (depuis la fin de la dernière dictature militaire) ont été célébrées discrètement en 2023 et semblent avoir miraculeusement survécu à l’évolution que vit le pays depuis plusieurs décennies. Érosion profonde de l’appareil politico-stratégique, théâtres d’ombres des partis reconvertis en coalitions circonstancielles, économie au bord du précipice, société ouverte mais défiante et fragmentée.

 

La chute de l’Argentine

Forgée il y a un peu plus de deux siècles à l’issue d’un puissant élan fondateur, richement dotée aussi bien en étendue géographique qu’en ressources, la nation argentine est aujourd’hui en panne de numen politique et culturel, en dehors d’elle-même, et livrée aux vents de la globalisation.

Intégrée au G20, son économie enregistre l’une des plus faibles évolutions du PIB par habitant de l’ensemble de l’Amérique latine sur la période 1999-2022, tandis que près de 40 % de la population vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté (moins de 10 dollars par jour selon le référentiel local).

L’hyperinflation flirte aujourd’hui avec une dette externe équivalente au montant du produit intérieur brut (comme celle de la France d’ailleurs). Le mouvement péroniste, qui sut habilement consolider les bases d’un État industriel durant les décennies 1950-1960, s’est transformé, d’abord sous la présidence de Carlos Menem puis celle de Néstor et Cristina Kirchner en une franchise politique, noyautée par ses factions radicales, dépositaires de l’idéologie castriste révolutionnaire.

Les motifs invoqués pour expliquer cette situation sont variés.

D’aucuns évoquent les arguments somme toute classiques de corruption institutionnelle, d’absence de cohésion des élites, ou d’erreurs réitérées de pilotage économique.

D’autres recherchent des justifications dans le retour à un passé glorifié, les postures de culpabilisation ou le balayage des « impuretés » politiques.

À l’instar d’autres sociétés fracturées, la perte de repères explicatifs apparaît ici comme un problème s’ajoutant aux autres, l’espace politico-informationnel n’étant plus vraiment en mesure de fournir un discernement des dynamiques internes du pays et de son insertion conflictuelle dans la mondialisation. Or, pour comprendre l’itinéraire de cette ramification de l’extrême Occident, il faut justement s’abstraire du langage convenu des sciences sociales et politiques, et basculer dans un cadre d’interprétation fondamentalement conflictuel et polémologique.

Dans les faits, la nation argentine continue d’essuyer les revers d’un affaissement stratégique depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et de dynamiques conflictuelles qu’elle n’est pas parvenue ni à anticiper ni à maîtriser. Ces dynamiques ont été modelées par les rapports de force durant la Guerre froide en Amérique latine, puis amplifiées par les modalités de confrontation contemporaine au sein desquelles la dimension immatérielle joue un rôle éminemment stratégique.

 

Le problème du marxisme

La première dynamique conflictuelle, héritée directement du monde bipolaire, provient du choc long et irrégulier, à partir de 1955, entre l’appareil étatique libéral et la lutte armée marxiste-léniniste dans l’ensemble de l’Amérique latine.

Les foyers révolutionnaires se développant sur le sol argentin sont particulièrement actifs, mais voués à l’écrasement du fait de l’aberration idéologique du foquisme qui les sous-tend. Leur radicalisation au début des années 1970 forme la trame d’une guerre civile qui force l’État argentin à s’arc-bouter sur sa sécurité intérieure et à phagocyter sa démocratie.

De 1976 à 1983, le régime militaire ressort épuisé de la confrontation, y compris économiquement. Comme ailleurs en Amérique latine, la lutte armée a été vaincue sur le plan militaire, mais son avant-garde n’abandonne pas l’idéologie et sa vocation révolutionnaire. En collusion paradoxale avec le Royaume-Uni qui a ouvert un front militaire dans l’Atlantique Sud, elle va réinvestir progressivement trois autres terrains d’opération, à savoir l’information, la justice et la politique, avec l’objectif ultime de conquérir le pouvoir.

 

Tenter une réconciliation

Le retour à la démocratie en 1983 rouvre justement cet espace informationnel et politique, avec l’impératif de mettre en œuvre une réconciliation adaptée au contexte antérieur de guerre civile.

Des atrocités ont été commises de part et d’autre. Une seconde déflagration militaire vient d’avoir lieu dans l’Atlantique Sud, que Londres s’affaire à prolonger sous la forme d’une « guerre par le milieu social ». L’intelligence britannique introduit, par le truchement du juriste argentin Carlos Nino – enseignant à l’université d’Oxford – une approche de réconciliation fondée, non pas sur la justice militaire, sinon sur le pouvoir judiciaire civil et le droit pénal. Cette approche est célébrée comme une innovation sur la scène locale et internationale, comparativement à d’autres démarches de réparation post-conflictuelle (Cambodge, ex-Yougoslavie, Nuremberg, etc.).

En pratique, elle sera conduite de manière extrêmement sinueuse et sélective au cours de quarante années d’activisme politico-judiciaire. À l’issue d’un processus très controversé, les forces armées et la Junte militaire seront effectivement condamnées, tandis que les auteurs de la lutte armée, sanctionnés dans un premier temps, seront graciés et indemnisés dans les années 1990.

Les germes d’une guerre à front renversé et d’un premier encerclement cognitif sont ainsi semés.

D’un côté, l’approche judiciaire biaise la nature du processus de pacification postérieur à la dictature et ampute l’État de ses forces armées.

De l’autre, un prosélytisme des droits de l’Homme est insufflé à l’intérieur même de la société, afin de cerner le milieu militaire et d’expier sur lui la responsabilité de la violence.

Une guerre de l’information soutient ce modelage cognitif. La Junte devient l’unique synonyme de « terrorisme d’État », de « crime contre l’humanité » et de « génocide » ayant engendré « 30 000 victimes », tandis que l’Argentine est élevée en modèle international de réconciliation de droit civil.

L’encerclement mental et judiciaire coupe en deux le processus de pacification qui pouvait être attendu à l’égard d’une guerre civile qui a laissé dans l’ombre 17 000 victimes (morts et blessés) et plus de 22 000 actes violents perpétrés par la lutte armée (les chiffres officiels font état d’environ 9000 victimes fatales de la main du régime militaire). L’offensive est soutenue financièrement en coulisse par les agences britanniques et américaines. Le vecteur d’insémination repose notamment sur un agent local ambigu ayant travaillé à la fois pour les formations révolutionnaires, le gouvernement militaire et le royaume de Sa Majesté. Elle est relayée au niveau international par la sociale-démocratie européenne et s’imbrique de façon fluide avec les termes de l’influence globaliste (droits de l’Homme, indigénisme, genre, société ouverte, etc.).

Plus encore, la perméabilité favorisée par ce modelage de l’arène démocratique sculpte un environnement favorable à la relance d’un agenda de lutte subversive qui s’étend à l’ensemble du sous-continent.

 

Le cas des Malouines

La deuxième dynamique conflictuelle, intimement liée à la séquence précédente, a son origine dans la guerre ouverte de l’Atlantique Sud en 1982.

La Junte militaire a agité l’idée nationaliste d’une Argentine bicontinentale et d’une reconquête des îles de la Géorgie du Sud et des Malouines. À ce stade de la Guerre froide, Londres perçoit qu’une victoire militaire dans le cadre d’une guerre limitée pouvait lui être bénéfique, à la fois sur le plan militaire et sur le plan informationnel. L’état-major américain a assuré son soutien à la Junte militaire en cas de conflit. L’armée argentine, peu préparée en amont, et sans conscience du rapport de force militaire, s’engage alors tête baissée dans le piège tendu par l’Angleterre. La présence d’un navire civil argentin sur l’île de Géorgie du Sud, autorisée en amont par les affaires étrangères britanniques, sert d’incident provocateur. Après un court épisode de négociation, l’affrontement armé se solde par la débâcle de Buenos Aires.

Là aussi, l’affrontement militaire, entouré de manœuvres informationnelles, est une phase parmi d’autres séquences imbriquées dont la portée stratégique est tout aussi insidieuse.

Le régime argentin, décrédibilisé sur plusieurs fronts, se désagrège, tandis que Londres active au sein de la société argentine un endiguement normatif et cognitif qui vise à amputer durablement sa capacité stratégique. Deux lignes le composent : l’appui en sous-main à l’action subversive de la mouvance révolutionnaire et le soutien à la politique des droits de l’Homme (comme mentionné plus haut) dont l’un des objectifs communs est de neutraliser les forces armées (interdiction par loi pour les forces armées de se mêler des affaires intérieures) ; l’influence des traités internationaux pour favoriser les intérêts britanniques dans l’Atlantique Sud, dont le Chili sera bénéficiaire.

Au fil des années, et au gré des flux et reflux créés par les crises politiques, la mouvance néomarxiste parviendra à reconquérir l’espace politique et développera un agenda étrangement fonctionnel au démantèlement de l’appareil politico-stratégique argentin, sous couvert de progressisme droit-de-l’hommiste et de rhétorique souverainiste, processus qui s’est déroulé sous le regard bienveillant de la puissance nord-américaine.

Pour l’heure, cette contradiction n’a été ébranlée sérieusement par aucune formation politique. Les gains économiques de l’ancien Empire britannique sur le domaine maritime des îles Malouines s’élèvent à hauteur d’un équivalent en surface du territoire continental argentin, la pêche et sa gestion illégale en connivence avec d’autres puissances étrangères générant d’abondants dividendes (plus de 600 millions de dollars annuels).

La démocratie argentine est ainsi le théâtre d’une nouvelle et d’une autre guerre non armée, intérieure, endogène, souvent indéchiffrable et invisible.

Celle-ci n’est pas soluble dans les seuls renoncements ou capitulations dont ont fait preuve les générations de cadre politique successives face aux dommages conflictuels hérités du passé. Cet état de guerre interne, à caractère foncièrement offensif, résulte d’un modelage cognitif de la société argentine et d’un nouveau choc entre une nouvelle matrice subversive, rejeton du marxisme-léninisme, et une matrice libérale attachée à la fabrique républicaine du pays. Ce choc a lieu dans l’arène de la démocratie même et dans son espace économique, informationnel, normatif et juridique.

 

Corruption politique

La première matrice a su prendre un avantage stratégique durant les trois dernières décennies.

Elle a pratiqué efficacement l’entrisme des partis politiques traditionnels (de droite comme de gauche) et orchestré une active guerre de l’information, entrelacée à des opérations judiciaires, économiques ou violentes, en étant capable de mettre à profit les nombreuses contradictions conceptuelles et stratégiques de son adversaire libéral. Son arrivée au pouvoir en 2002, avec Néstor Kirchner, a insufflé un État dual, faisant cohabiter le maintien d’une façade institutionnelle et d’une économie anémique, soutenue par des populations captives, une matrice clientéliste en connivence avec l’univers illicite, s’exhibant désormais aux puissances les plus offrantes (Chine). Les flux d’argent captés par la corruption endémique sont estimés à 10 % de la richesse nationale.

Il existe donc une convergence objective entre l’influence exercée par le Royaume-Uni et les États-Unis et le projet néomarxiste actuellement à l’œuvre au pouvoir. Les deux ont érodé la capacité stratégique de l’État argentin et aliéné ses moteurs politico-culturels. Depuis quelques années, cette dynamique en « étau » pose une nouvelle contradiction dans la mesure où elle entraîne Buenos Aires dans l’aire d’influence de Pékin.

Le résultat de cette confrontation est un état de semi-dislocation de la société argentine, traversée de part en part par des lignes de faille culturelles, politiques et identitaires. Son comble est qu’elle a précisément désarmé une bonne partie des citoyens argentins eux-mêmes, dans la mesure où leur esprit, à savoir le paysage perceptif et les outils de compréhension stratégique de la réalité, sont devenus l’une des cibles principales de l’affrontement. L’incapacité à saisir à bras-le-corps ce contexte, quelles que soient les couleurs politiques, est manifeste, y compris bien sûr pour les partis enlisés dans le possibilisme et la modération, et quand bien même existe-t-il des initiatives travaillant à percer ce blindage perceptif. Dans ce sens, la victoire aux élections primaires, en août 2023, du jeune outsider Javier Milei vient d’indiquer une demande de transition.

L’absence de préoccupation du monde académique et intellectuel sur la physionomie de cette guerre systémique et immatérielle contribue indirectement à la perpétuer. Pourtant, des cas similaires existent de par le monde, et des connaissances existent sur ce domaine moins balisé des guerres immatérielles. Y a-t-il d’autres choix pour la nation sanmartinienne que d’apprendre à se réarmer par elle-même et à bâtir, depuis sa propre histoire et à la lumière des meilleures expériences internationales, un nouvel art du combat ?

Sur le web

  1. auteur de Une nouvelle ère de confrontation informationnelle en Amérique latine (Ciccus, 2023)

Non, les petits pays ne sont pas désavantagés en économie

Par Lipton Matthews.

Certains analystes affirment que la taille peut être un obstacle à la prospérité économique, et que les petits États sont donc particulièrement vulnérables aux chocs économiques et environnementaux. En général, les petits États sont abordés sous l’angle de leurs limites, et des défis qu’ils doivent relever. Même leurs dirigeants décrivent sincèrement leur dimension comme un obstacle au progrès futur. L’idée que la petitesse est un obstacle à surmonter est devenue parole d’évangile dans certains milieux.

Les dirigeants des Caraïbes ont coutume de rappeler à la communauté internationale que leurs pays se trouvent dans une situation précaire en raison de l’augmentation des niveaux d’endettement et des obligations liées au changement climatique. Toutefois, avec l’aide d’agences mondiales, les petits pays ont eu accès à des possibilités de financement. Les acteurs mondiaux sont très réceptifs au lobbying des petits États des Caraïbes. Certains soutiennent même les appels à l’allègement de la dette afin de libérer la marge de manœuvre budgétaire de ces petits États.

 

Les pays des Caraïbes sont confrontés à d’autres obstacles

Après tout, ils sont exposés à de graves catastrophes naturelles, et leur économie sont encore en pleine évolution.

Mais ces obstacles ne devraient pas les empêcher d’atteindre des niveaux de prospérité plus élevés. Dans les Caraïbes, on a malheureusement tendance à porter la souffrance comme un insigne d’honneur. En fait, les dirigeants caribéens sont très respectés lorsqu’ils attribuent les problèmes régionaux à des chocs extérieurs.

Plutôt que de tirer les leçons du spectacle offert par les tigres asiatiques, les dirigeants des Caraïbes préfèrent s’apitoyer sur leur sort et se plaindre que la géographie les a malmenés. Ils font pression avec véhémence pour obtenir de l’aide, mais lorsqu’on les encourage à soutenir les accords commerciaux, certains affirment que leurs pays n’ont pas grand-chose à exporter. C’est une piètre excuse, car la Suisse et le Japon sont de grands exportateurs de produits à valeur ajoutée, bien qu’ils soient des pays pauvres en ressources.

Les petits pays n’ayant pas de marchés intérieurs de taille suffisante, ils n’ont d’autre choix que de se mondialiser.

Le commerce y représente une part plus importante du produit intérieur brut, et ils s’en sortent mieux dans un régime de libre-échange. Singapour, la Finlande et l’Irlande sont souvent cités comme des exemples de petits pays qui ont stimulé leur croissance économique en tirant parti de la mondialisation. En adoptant des technologies clés et en investissant dans le capital humain, plusieurs petits pays sont devenus des acteurs majeurs de l’économie mondiale.

La recherche a même réfuté l’idée selon laquelle les petits États sont plus vulnérables aux fluctuations économiques mondiales en raison de leur plus grande dépendance à l’égard du commerce extérieur.

En s’engageant dans le commerce mondial, et en développant des marchés de niche, les petits États deviennent plus productifs, et réduisent ainsi leur exposition aux retombées économiques. Les petites nations peuvent construire des économies diversifiées qui génèrent des taux de croissance élevés, et leur revenu par habitant n’est en moyenne pas inférieur à celui des grandes nations. De nombreuses nations au revenu par habitant élevé sont des pays exceptionnellement petits et, dans le monde développé, certains des pays les plus riches sont relativement petits, comme la Suède et le Danemark. Les grands pays comme l’Allemagne et les États-Unis sont des exceptions dans le monde riche.

Sur le continent africain, les petits États se distinguent par leur liberté économique et la qualité de leurs institutions.

D’après les indicateurs de qualité de vie, les pays les plus performants d’Afrique sont de petite taille, comme l’île Maurice et le Botswana, plutôt que le Nigeria et l’Afrique du Sud. Sur le plan social, les réalisations des petits États sont tout aussi impressionnantes. Leur homogénéité cultive la confiance, un ingrédient nécessaire à la croissance économique et à la distribution des biens. Les petits pays étant moins peuplés et moins diversifiés que les grands, ils sont plus faciles à gouverner, et mieux gérés.

 

Dans un rapport de 2014 comparant les performances des petits et des grands pays, le Crédit Suisse conclut que les petits pays obtiennent de meilleurs résultats dans la plupart des domaines. Les petits pays obtiennent de meilleurs résultats en matière de mesures institutionnelles, fournissent des services sociaux de qualité, et enregistrent des adultes plus riches. Les petits pays obtiennent systématiquement de bons résultats dans les classements internationaux, et leur taille ne peut donc pas être un inconvénient comme le prétendent certains d’entre eux.

Les pays des Caraïbes sont petits, mais politiquement stables, diplomatiquement liés à d’importantes puissances occidentales et dotés de ressources ; il n’y a donc aucune raison pour qu’ils ne soient pas compétitifs. Leur incapacité à l’être est le reflet d’un leadership terne et rétrograde plutôt que d’une exposition aux chocs mondiaux ou à l’héritage du colonialisme.

Sur le web

Javier Meili : « Un président économiste ultralibéral d’extrême droite » en Argentine

Un article de la Nouvelle Lettre

On l’a qualifié de tous les noms, en général pour le disqualifier d’avance : Javier Meili pourrait être élu président.

Avec 30 % des suffrages, il est le mieux placé à l’issue des primaires ouvertes et obligatoires qui se sont déroulées en Argentine dimanche dernier.

À tout prendre, c’est le quotidien Libération qui a proposé le portrait le plus complet du candidat : il s’agit d’un « économiste libéral d’extrême droite ».

Mais la presse française a pu aller plus loin : « ultralibéral » bien sûr, et « l’extrémisme de marché ». De plus, le candidat se déclare lui-même « anarcho-capitaliste » et «libertarien » (c’est le nom de son petit parti), et il ose enfin citer Bolsonaro et Trump : trop c’est trop, on ajoutera qu’il est hargneux, vulgaire, sans épouse ni enfant, et catholique à sa manière, un peu illuminée, mais décidé à se convertir au judaïsme.

Pour que les choses soient claires, je dois d’abord rectifier une erreur commise par certains commentateurs qui ont assimilé les élections de dimanche dernier à nos fameuses « primaires » de partis (tellement ridicules chez nous). Voter est obligatoire pour les Argentins, mais ils peuvent ne pas se prononcer (seul le vote de 70 % des inscrits a été enregistré). À l’issue de ces « primaires » ouvertes, simultanées et obligatoires (PASO) les deux autres candidats restants en lice pour les élections du 22 octobre sont, d’une part Patricia Ullrich, de la droite traditionnelle, arrivée en deuxième position avec 10 % de voix en moins, et Sergio Massa, ministre de l’Économie du gouvernement socialiste en place actuellement. La victoire de Meili est donc très probable.

Bien évidemment, cette perspective révolte la quasi-totalité des commentateurs, d’après ce que j’ai lu ou entendu.

La conjonction de l’ultralibéralisme et de l’extrême droite permet d’assimiler Meili et Le Pen, de rapprocher le libéralisme du fascisme. Il se trouve aussi que Meili est à certains égards conservateur, et un libéral conservateur est sans doute encore pire qu’un libertarien. Bref, il est de bon ton de trouver tous les travers à quelqu’un qui serait non seulement libéral, mais ultralibéral et conservateur. Il est vrai que Meili se réfère à Trump, mais sa politique économique est dans le sens de l’ouverture des frontières, alors que Trump a été protectionniste et souverainiste. Il s’est référé à Bolsonaro, que les officiels et le peuple français ont rejeté pour saluer la réélection de Lula, un communiste brésilien emprisonné pour corruption – mais à la différence de Bolsonaro, il estime que le mariage peut être pour tous.

Toutes ces considérations empêchent peut-être d’aller à l’essentiel, qui se rapporte non seulement au sort actuel des Argentins, mais aussi à la place que le libéralisme peut retrouver dans les pays qui veulent acquérir ou conserver la liberté.

 

Candidat de l’anti-système

Les électeurs argentins ont émis un vote de colère et d’espoir, colère contre la classe politique qui s’est succédé au pouvoir depuis les années 1930.

L’Argentine a été dominée par le péronisme, dictature populiste inspirée par Mussolini et Franco. L’Argentine s’est trouvée coupée du reste du monde, alors qu’au début du XXe siècle, elle avait tiré sa richesse de son commerce avec l’Europe.

Les coups d’État vont se succéder, les parenthèses démocratiques vont se raccourcir, sur fond de crimes politiques et de corruptions (comme les dix ans de présidence de Carlos Menem).

Enfin, on ne peut minimiser le fait que la lutte des classes est animée depuis les années 1960 par la théologie de la révolution professée par l’Église latino-américaine. Ces désordres politiques, sociaux, militaires (comme la guerre des Malouines contre l’Angleterre) ont progressivement bloqué la croissance et appauvri le peuple.

La situation actuelle est dramatique : l’inflation est actuellement de 115 %, la dette publique en dollar est de quatre fois le montant du PIB, et le FMI n’accepte plus l’argument des dirigeants argentins : on ne remboursera pas (comme le disent tant d’experts et de politiciens français).  

« On est face à la fin du modèle de la caste […] Nous sommes ceux qui incarnent un véritable changement », dit le candidat.

L’espoir vient du soutien de la jeunesse, de la rhétorique directe mais vulgaire de ce député encore inconnu à l’étranger il y a quelques mois, alors qu’il a participé à de multiples rencontres internationales, dont Davos. C’est une offre politique nouvelle : les électeurs suivent ce leader apparemment sans soutien financier, sans compromission.

 

Programme économique

Comme les libéraux du monde entier, je me fais un devoir de juger le programme économique de Javier Meili. Il peut paraître utopique à la quasi-totalité des Français, et c’est normal, puisque notre peuple n’a jamais compris ni connu le libéralisme économique.

Je m’en tiens aux points essentiels :

Le principe de l’État minimum

C’est le premier critère d’un programme libéral. Meili va même jusqu’à suggérer que les missions régaliennes que conserve un État minimum peuvent être assumées partiellement avec des entreprises privées.

La privatisation des services publics non régaliens

Le marché fait toujours mieux que la bureaucratie, la responsabilité transforme et améliore le comportement des fonctionnaires.

La suppression du SMIC

Elle est indispensable pour réduire le chômage et réhabiliter le contrat de travail sans l’hypothèque syndicale.

La suppression de la Banque centrale

Elle est un impératif pour tous les économistes libéraux. Les banques centrales financent aujourd’hui les déficits budgétaires et fabriquent l’inflation, qui diminue le pouvoir d’achat mais surtout réduit la croissance. Meili préconise la « dollarisation », le peso n’a plus d’avenir.

Disparition des restrictions au commerce extérieur et aux investissements étrangers

Il ne doit plus y avoir de frontière économique. Cela est en effet au contraire de la politique Trump, et la réglementation commerciale et financière est surdéveloppée en Argentine.

 

Le programme sociétal

Javier Meili est présenté à juste titre comme un conservateur.

Cela ne veut pas dire qu’il soit opposé à tout changement, mais qu’il demande que des institutions, fruits de l’ordre spontané, soient de nature à faciliter les relations entre personnes. Il est vrai que certains « libertariens » ont tendance à considérer toute règle sociale comme liberticide.

1° L’institution libérale par excellence est le droit de propriété privée, le libéralisme exclut tout collectivisme

2° C’est au nom de la propriété de l’embryon sur son propre corps que l’IVG devrait être interdite

3° Par contraste, ce qui concerne la vie privée n’a pas à être soumis aux décisions de l’État. Ainsi en est-il du « mariage pour tous », et des relatons entre genres (ce qui était au contraire exclu du programme de Bolsonaro)

4° Le réchauffement climatique « est un mensonge socialiste », dit Meili. Ce climatoscepticisme radical est partagé par de nombreux libéraux qui dénoncent l’écologisme radical fondé sur la transition énergétique, la décarbonation, et la décroissance.

 

Un bon air libéral

Je reconnais avoir proposé une lecture partielle et partiale du programme du candidat Javier Meili.

Ma lecture est partielle, parce que je n’ai pas toutes les informations nécessaires sur l’Argentine actuelle.

J’ai été invité à Buenos Aires au début de l’ère Menem, au moment où l’on a cru que le libéralisme allait rompre avec la tradition péroniste, travailliste, socialiste, dictatoriale. J’en sais assez pour avoir admiré ce pays qui, des chutes d’Iguazù jusqu’à la Patagonie, de Mar de Plata à la petite Suisse des Andes, révèle une nature de toute beauté. J’ai connu assez Buenos Aires pour aimer cette belle ville qui alterne immeubles haussmanniens bourgeois et place de Boca où se danse le tango de Carlos Gardel.

En revanche, les informations de toutes sortes sur l’Argentine nous parviennent actuellement déformées par le prisme antilibéral de la pluipart des médias européens et américains, et j’aurais besoin d’en savoir davantage, et mieux, sur ce qui se passe dans le pays actuellement.

Ma lecture est partiale, parce que j’imagine ce qui pourrait se produire en France si l’utopie libérale venait animer le débat politique. Pour l’instant, l’air de Paris est très chargé de nuages socialistes et de réchauffements écologiques. Il me semble que le climat est meilleur pour la liberté en Argentine : nous pouvons percevoir ce qui souffle pour l’instant à Buenos Aires : un bon air libéral.

Que faut-il penser de Javier Milei, le candidat libéral à l’élection présidentielle en Argentine ?

Il ne devait être qu’un phénomène médiatique. À la surprise générale, il s’est transformé en candidat sérieux de la prochaine présidentielle argentine, en terminant à la première place des élections primaires ce 13 août 2023.

Les médias français ne manquent pas de qualificatifs pour évoquer Javier Milei, le candidat « ultralibéral », « populiste », « climatosceptique », « réactionnaire », « sulfureux », « antisystème » ou encore d’« extrême droite »… Face à une telle profusion d’attributs contradictoires, le libéral ne sait quoi penser : faut-il se féliciter de la percée électorale d’un économiste qui se proclame libertarien, ou au contraire regretter que l’étiquette du « libéralisme » soit associée à une figure populiste comparée à Trump ou Bolsonaro et aux positions parfois caricaturales, dans un contexte où les libéraux doivent constamment travailler à se défaire des parodies que leurs adversaires dressent d’eux ?

Singulier, Javier Milei l’est assurément.

Né à Buenos Aires en 1970, ce fan de rock a suivi des études d’économie à l’Université de Belgrano. C’est en 2014 qu’il devient un personnage médiatique, en tenant un discours de rejet radical de l’interventionnisme étatique, du socialisme et de la « justice sociale ». Ajoutons à cela un ton agressif, un langage grossier et un look atypique marqué par une coiffure dont il a fait un objet de communication (comme un certain Boris Johnson), et on obtient un cocktail détonnant.

 

Javier Milei : un électrochoc pour l’Argentine ?

Pour comprendre le personnage et sa percée électorale, il faut d’abord bien appréhender la situation politique et économique de l’Argentine.

Comme nous l’explique Alexis Karklins-Marchay, auteur de Pour un libéralisme humaniste :

« L’Argentine est aujourd’hui l’un des pays les plus en difficulté économiquement et socialement, malgré ses atouts indéniables. En réalité, elle connaît une véritable descente aux enfers entre inflation à trois chiffres, fuite des investissements étrangers et activité atone. Dans ce contexte, il est tentant de croire à la nécessité d’un électrochoc car tant le camp de centre-droit, avec Mauricio Macri (président de 2015 à 2019) que le camp de gauche néo-péroniste au pouvoir depuis 2019 avec Alberto Fernandez et Cristina Kirchner, ont été incapables de redresser l’économie. […] L’Argentine est l’exemple même du pays merveilleux qui a tout gâché par démagogie, clientélisme et politiques ineptes. »

Ce contexte est essentiel et explique pourquoi le cœur du projet de Javier Milei est, sans aucun doute, son programme économique. Le candidat libéral est sur ce point intraitable : la priorité est de réduire drastiquement les dépenses publiques en s’attaquant à diverses aides sociales, en mettant fin à l’éducation gratuite, en réduisant le nombre de fonctionnaires, ou encore en supprimant le ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité. L’économiste souhaite également la suppression de la banque centrale argentine ainsi que la dollarisation de l’économie.

Ce libéralisme économique s’accompagne d’un libéralisme politique caractérisé par la lutte contre la corruption et la « caste politique qui parasite et dépouille l’Argentine ». Sur les questions sociétales, Javier Milei est plus ambigu, et campe une position à la fois libertaire et très conservatrice. S’il est pour la libéralisation de la vente d’armes et de la vente d’organes, il veut également revenir sur le droit à l’avortement.

 

Pourquoi Javier Milei ne fait pas l’unanimité au sein des libéraux français ?

Vu de France, le personnage étonne autant qu’il fascine. Il n’existe pas d’équivalent de Javier Milei dans le paysage politique de l’Hexagone.

Pour Alexis Karklins-Marchay :

« Il échappe à toute classification au sens européen : libertarien sur le plan économique (c’est un grand lecteur de Murray Rothbard), il n’est en rien fasciste puisqu’il veut un État qui se désengage de tout et souhaite même l’adoption du dollar pour remplacer le peso. Il n’est opposé ni au libre-échange, ni à l’immigration du moment qu’elle ne coûte rien aux contribuables argentins, ni aux couples libres. Lui-même déclarait il y a peu que la différence entre un conservateur et un libéral, c’est que le deuxième se moque de qui dort dans votre lit ! »

Pourtant, c’est bien ce conservatisme qui dérange beaucoup de libéraux que nous avons interrogés. L’ancienne député et enseignante-chercheuse Valérie Petit, par exemple, voit dans Javier Milei un « exemple de plus de l’hémiplégie libérale, cette maladie bien connue qui consiste à se dire libéral juste quand il s’agit d’économie », tout en campant sur des positions « réactionnaires (que je distingue de conservateur) sur le plan des mœurs ».

Son antiféminisme, qui mélange combat contre « l’idéologie du genre » (dont une critique intelligente peut être légitime) et sa volonté de revenir sur le droit à l’avortement, nous invite à nous questionner sur la cohérence du libéralisme de Javier Milei.

L’intellectuel et universitaire italo-argentin Daniel Borrillo le juge tout aussi durement :

« Il se dit libertaire mais sur le plan moral il est très conservateur. […] Pour moi, il est plus proche du populisme que du libéralisme. »

Même son de cloche chez le journaliste libéral Yves Bourdillon, pour qui il n’est pas exagéré de dire que l’économiste est « réactionnaire, puisqu’il veut interdire l’avortement, ce qui n’a vraiment rien de libéral, encore moins libertaire ».

Le deuxième point de tension tient à ses positions sur la question climatique.

Yves Bourdillon considère qu’il est « légitime d’interroger, comme lui, le catastrophisme climatique ambiant et refuser l’écologisme punitif en vogue ». Pour Valérie Petit en revanche, son climatoscepticisme est indéniable, et dépasse la simple critique de l’écologie politique, ce refus de la science le disqualifiant d’entrée pour aspirer à gouverner efficacement à l’heure de la crise environnementale. En effet, si la critique de l’écologie politique est une nécessité (et nous ne nous en privons pas dans ces colonnes), déclarer que le changement climatique serait « une invention socialiste » relève d’une rhétorique ouvertement complotiste et dessert certainement le combat libéral, en ce qu’il participe à donner des armes à nos adversaires, trop heureux de pouvoir nous caricaturer ainsi.

Cette tendance aux discours conspirationnistes se manifeste sur d’autres sujets que le climat.

Il tient par exemple un discours révisionniste sur les crimes de la dictature militaire (1976-1983), point sur lequel Yves Bourdillon pose un jugement plus sévère :

« C’est grave qu’il minimise les crimes sous la dictature de 1976, ce qui, à propos d’Amérique latine, renvoie au reproche souvent fait aux libéraux du fait que Friedman avait eu un bref entretien avec Pinochet (il s’était étonné, non sans humour, que personne ne lui ai reproché d’avoir rencontré Mao). »

 

Pourquoi Javier Milei suscite tout de même de l’espoir, voire de l’enthousiasme ?

Ces positions anti politiquement correctes qui dérivent parfois vers une rhétorique conspirationniste font écho à une caractéristique importante de Javier Milei : une stratégie populiste assumée.

S’il est souvent victime de caricatures de la part de ses adversaires politiques, il est ici difficile de contester ce point, tant il semble être un élément central et réfléchi de sa communication politique. Il n’a en effet aucun problème à assumer sa filiation avec des personnages comme Jair Bolsonaro ou Donald Trump, et n’a pas hésité à afficher sa proximité avec le parti espagnol d’extrême droite Vox.

Ce populisme, c’est aussi un style et une façon de s’exprimer, parfois grossiers et agressifs. Il s’en était par exemple pris à Horacio Rodriguez Larreta, chef du gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires, en le traitant de « putain de gauchiste ».

Il n’empêche que ce populisme s’appuie toutefois sur un combat légitime.

En effet, lorsque Javier Milei dénonce les « politiques inutiles, parasites, qui n’ont jamais travaillé », c’est bien à la corruption endémique qui sévit en Argentine qu’il s’attaque. Pour Maxime Sbaihi, directeur des études France à l’Institut Montaigne et chroniqueur à L’Opinion, malgré ses penchants « trumpistes », Javier Miléi est « intéressant » en ce qu’il « permet d’aérer le débat » et d’éloigner l’Argentine « du péronisme qui ne jure que par l’État, le protectionnisme et le clientélisme ».

Christophe Seltzer, directeur du think-tank GenerationLibre, invite à relativiser cette condamnation de populisme et se montre même enthousiaste :

« Populiste, quel homme politique ne l’est pas ? Il ne semble pas devoir se ranger dans la catégorie de l’extrême droite. C’est un libéral classique, très (trop ?) classique, comme on n’en voit plus beaucoup. Si les accents anti-élites de ses discours et sa glorification du peuple le rapprochent d’un Donald Trump ou d’un Jean-Luc Mélenchon, il ne semble se montrer ni fasciste ni anticapitaliste, ni progressiste, ni conservateur […] Réjouissant et incroyable aux yeux d’un Français : un populisme non étatiste est possible ! ».

Alexis Karklins-Marchay partage cette analyse :

« Non, Milei n’est pas idéologiquement « fasciste » et il est même tout le contraire sur le plan économique puisqu’il est partisan d’un État minimal… […] Un libertarien décomplexé, sans doute caricatural et excessif, mais qui porte des idées économiques rares dans le champ politique ».

Mais ce regard bienveillant de libéraux qui ne peuvent s’empêcher de trouver jouissif qu’un tel discours soit tenu avec tant d’aplomb doit être tempéré par la réalité politique de l’Argentine.

En effet, si Yves Bourdillon trouve que « la vidéo où on voit Javier Milei arracher sur un tableau les étiquettes des innombrables administrations et ministères inutiles en criant « fuera » (dehors) est assez jubilatoire », il reste toutefois très prudent sur la capacité du candidat à sortir le pays de la crise :

« Pour autant, même s’il faut débureaucratiser Santé et Éducation, liquider ces ministères est ridicule. Quant à supprimer les aides sociales, pourquoi pas, mais il faut quand même aider les malchanceux, par exemple via le brillant impôt négatif défendu par Milton Friedman, dont il ne parle pas. En revanche, pour un pays oscillant entre banqueroute et hyper inflation depuis des décennies en raison de l’irresponsabilité des dirigeants, sa proposition de supprimer la banque centrale et dollariser l’économie, comme l’Équateur l’a fait en 2000, est intéressante. Mais je ne sais pas si c’est faisable techniquement et acceptable, en termes de souveraineté, par les Argentins ».

Alexis Karklins-Marchay ne dit pas autre chose, lorsqu’il dit que « certaines de ses propositions sont économiquement peu crédibles (la suppression de la banque centrale argentine) et socialement douteuses (le retrait complet de l’État paraît difficile à imaginer) ».

Enfin, la même prudence est de mise pour Maxime Sbaihi, pour qui ses « idées sont trop utopistes pour être réalisées en Argentine », même s’« il ne peut faire que du bien dans le débat ».

 

Une chance pour l’Argentine et la cause libérale ?

Que retenir, alors ?

Javier Milei est indubitablement un « personnage » dont les excès peuvent légitimement refroidir. Mais il semble que ses débordements font partie d’une stratégie de communication politique qui consiste à bousculer les lignes, créer de la polémique pour qu’on parle de lui et des idées qu’il porte, surtout si ces dernières sont marginales dans le paysage politique.

Si la radicalité de certaines propositions interroge, notamment sur leur applicabilité, le cœur du projet de Milei réside dans sa volonté de provoquer un électrochoc économique, politique et institutionnel dans un pays profondément sclérosé. Pour le dire autrement, ses positions polémiques n’ont peut-être qu’un rôle instrumental afin d’exister politiquement et médiatiquement, mais l’essentiel de son programme se situe ailleurs.

La réalité de la politique est qu’aucun candidat ou parti ne peut, une fois au pouvoir, réaliser entièrement son projet : c’est particulièrement vrai dans les régimes de démocratie libérale où le pouvoir du politique est contrôlé et limité.

Si Javier Milei allait au bout de son coup de poker en gagnant l’élection présidentielle, l’Argentine ne deviendrait certainement pas un pays anarcho-capitaliste, libertarien ou minarchiste. Mais peut-être que cela permettrait, si l’on s’autorise à être des rêveurs raisonnables, que ce coup de pied dans la fourmilière étatiste qu’est l’Argentine amorcerait un début de changement. Mais à quel prix, si cela s’accompagne d’un recul des libertés dans d’autres domaines, notamment pour les femmes, avec la possibilité d’un retour en arrière sur le droit à l’avortement ?

Vu du petit pays des libéraux français, il n’est pas certain que Javier Milei contribue à redorer le blason du libéralisme. Ses frasques et le traitement médiatique (par des médias de gauche comme de droite) du candidat participent à créer une affiliation entre la pensée libérale et le populisme, l’extrême droite, le conservatisme réactionnaire, le climatoscepticisme…

Yves Bourdillon, qui se montre plutôt enthousiaste face au succès de Javier Milei, et Daniel Borrillo, beaucoup plus critique, s’accordent tout de même sur un point. Pour le premier, « le risque qu’il discrédite, par association, le libéralisme classique est non négligeable », et pour le second, « Milei ne rend pas service au libéralisme… »

Mais sommes-nous à une caricature près ?

La Jamaïque adoptera-t-elle une véritable réforme économique ?

Par Lipton Matthews.

La Jamaïque se trouve à un moment critique de son histoire, et le monde la regarde.

Longtemps considérée comme une puissance du monde en développement, la Jamaïque est en passe de devenir une république. Comme dans les années 1950 et 1960, la décolonisation se prépare et les anciennes colonies britanniques veulent rompre les liens avec leur ancien suzerain. La Jamaïque a donc mis en place un comité de réforme constitutionnelle afin d’accélérer le processus de transformation en république.

 

En tant que processus politique, la réforme constitutionnelle sera exposée aux groupes de pression. Des révolutionnaires proposeront que la nouvelle Constitution soit dissociée des influences britanniques. Cependant, ces hostilités doivent être tempérées par la logique. La réforme constitutionnelle n’est pas un exercice culturel, mais une occasion de créer une Jamaïque plus prospère. Les Britanniques sont devenus la première nation industrielle du monde, et la Jamaïque a beaucoup à apprendre de son ancien colonisateur.

La réforme constitutionnelle ne doit pas avoir pour but de préserver la fierté nationale. L’obsession d’une culture obsolète a conduit de nombreuses nations à l’échec. La culture doit être rajeunie par des forces créatives, sinon elle devient stérile et régressive. Les pays qui hésitent à évoluer parce qu’ils veulent préserver leur culture locale condamnent souvent leur population à la stagnation.

Dans son livre Conquêtes et cultures, Thomas Sowell explique que l’incapacité à apprécier les pièges de la culture locale est une stratégie éprouvée qui permet aux pays de rester en retrait. L’homologue de la Jamaïque en Asie, Singapour, n’avait aucune prétention quant au caractère sacré de la culture locale et s’est plutôt lancé dans une campagne pour l’indépendance afin d’apprendre de pays tels que le Japon et Israël. Le dirigeant de Singapour de l’époque, Lee Kuan Yew, était également suffisamment intelligent pour adopter les vertus de la common law britannique. La Jamaïque a un passé de sous-performance économique et devrait suivre l’exemple de Singapour au lieu d’entretenir une rhétorique illusoire.

La réforme constitutionnelle est une occasion en or pour la Jamaïque de devenir aussi performante que l’Angleterre ou ses ramifications telles que l’Amérique, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Les pays occidentaux restent la référence en matière de gouvernance et d’innovation. Ces pays ont une culture commerciale et, en tant que retardataire, la Jamaïque devrait utiliser le processus de réforme pour créer une Constitution qui oriente le pays vers les affaires. Bien qu’elle soit un pays pauvre, la liberté économique n’est pas une priorité dans le processus de réforme.

Il est surprenant de constater qu’elle n’est même pas discutée. La plupart des experts ne semblent intéressés que par la destruction de la Grande-Bretagne. Toutes sortes de frivolités sont mises en avant au détriment du commerce. La Constitution américaine contient plusieurs dispositions relatives à la liberté économique et, étant donné que la Jamaïque est un pays ayant désespérément besoin d’une renaissance économique, la compréhension de ces dispositions devrait être l’objectif du comité de réforme.

 

Les entrepreneurs jamaïcains sont soumis à des réglementations qui violent les droits de propriété et la liberté économique.

Dans l’industrie sucrière, jusqu’à récemment, la Jamaica Cane Product Sales Limited avait le monopole de la commercialisation du sucre, malgré les préférences des agriculteurs et des fabricants. Les entrepreneurs sont contraints de se conformer à des réglementations insensibles pour apaiser les bureaucrates du gouvernement. Bien que les réglementations soient défavorables au commerce et portent atteinte aux droits de propriété en dictant la manière dont les entrepreneurs utilisent les ressources, peu d’entre eux les considèrent comme une violation des droits de propriété, et d’autres sont trop timides pour s’y opposer.

La passivité des entrepreneurs a enhardi l’État, au point que les fabricants peuvent être accusés d’avoir fait passer du sucre raffiné dans le commerce de détail. Les bureaucrates affirment que lorsque les fabricants importent du sucre raffiné en franchise de droits pour la fabrication, et le vendent au détail, ils détournent les recettes de l’État. Les bureaucrates n’ont pas à dire aux fabricants comment tirer parti des opportunités qui s’offrent à eux.

Les entrepreneurs doivent distribuer le sucre raffiné dans le commerce de détail si c’est rentable. Le fait que l’État veuille protéger l’industrie sucrière locale en limitant l’utilisation du sucre raffiné dans le commerce de détail ne les concerne pas. L’industrie sucrière jamaïcaine est sous-performante depuis des années, et il est vain d’essayer de sauver un projet inefficace sans innovation. Seule une plus grande innovation peut empêcher le sucre de sombrer davantage dans l’abîme.

De même, les réglementations pèsent sur le café. Les lois sur les quotas obligent les entreprises à incorporer du café local dans le processus de fabrication, même si cela n’apporte aucune valeur ajoutée. Une entreprise, Salada Foods, a porté la question devant les tribunaux, sans succès. Malheureusement, un pays pauvre comme la Jamaïque ne peut se permettre de telles réglementations.

C’est pourquoi le comité de réforme constitutionnelle doit veiller à ce que la nouvelle Constitution renforce la liberté économique et les garanties en matière de droits de propriété. Ce serait une parodie si la Jamaïque gaspillait ce moment de l’histoire pour se concentrer sur des questions politiques et sociales au détriment de son avenir économique.

Sur le web

Conflit d’intérêts flagrant : Lula nomme son propre avocat au Tribunal suprême

La justice brésilienne et le président Luiz Inácio Lula da Silva ont toujours formé un couple compliqué, avec des relations d’adversité, mais aussi, parfois, d’étranges complaisances.

Aujourd’hui, Lula démontre avec un évident plaisir sa volonté de faire de la justice une institution à sa botte en nommant, le 1er juin, son propre avocat, Cristiano Zanin, juge à la plus haute instance judiciaire du pays, le Tribunal suprême fédéral. Les pouvoirs de cette institution sont nombreux et déterminants, agissant comme une Cour constitutionnelle, un tribunal électoral et un contrôleur des enquêtes judiciaires.

 

Une nomination de Lula qui pose un conflit d’intérêts évident

Cristiano Zanin, 47 ans, l’avocat de Lula depuis 2013, a obtenu la libération de l’ex-président en novembre 2019, quand ce dernier était prisonnier après sa condamnation à neuf ans et six mois de détention pour blanchiment d’argent et corruption. Pour cet exploit judiciaire, Zanin méritait une récompense et celle-ci suppose la loyauté du nouveau juge envers son ancien client. L’indépendance de la justice en prend un coup.

Prononcée en 2017 par le juge fédéral de première instance, Sergio Moro, cette condamnation de Lula fut ensuite annulée en 2021 par le tribunal suprême fédéral avec pour argument l’absence de compétence du tribunal de première instance pour juger Lula.

En 2021, le même tribunal fédéral suprême déclare que l’action du juge Sergio Moro, devenu ministre de la Justice sous la présidence de Jaïr Bolsonaro, avait été partiale, et toutes les charges contre Lula sont annulées.

Dans ce spectaculaire retournement judiciaire, on devine un combat juridique inédit.

 

La guerre juridique

Et l’on comprend que Cristiano Zanin est un « guerrier » du droit. Avec quelques confrères, il signe un livre intitulé Lawfare, uma introdução. Ce terme de Lawfare, que l’on peut traduire par « guerre juridique » définit un usage stratégique du droit afin de mettre en cause la légitimité de l’ennemi, de l’affaiblir ou de l’éliminer.

Dans une interview publiée sur un site d’avocats brésiliens, Cristiano Zanin affirme que la condamnation de Lula en 2017 est l’un des exemples de cette « guerre juridique ». Selon lui, le scandale de Petrobras, surnommé lava jato (lavage sous pression) considéré par la justice brésilienne comme une vaste machine à laver l’argent sale de la politique et des affaires, serait « un outil de la guerre juridique, et non un processus pénal servant la justice et la vérité ». Il ajoute que les « procureurs de Curitiba ont empêché le combat contre la corruption »…

Il n’empêche que le chef de ces procureurs, Deltan Dallagnol, interrogé en 2017 par l’AFP, déclarait que cette enquête constituait « un îlot de justice et d’espoir dans un océan d’impunité ». Le ministère public fédéral (MPF) en charge de l’enquête estimait que des milliards de reales (la monnaie brésilienne) étaient sortis des coffres de Petrobras en l’espace d’une décennie.

Quoiqu’en dise Zanin, armé de son beau concept de « guerre juridique », la corruption a existé sous Lula.

En 2005, deux ans après sa première élection, éclate un énorme scandale de pots-de-vin baptisé Mensalão car la prévarication suivait un rythme mensuel. Il s’agissait d’acheter avec des fonds publics les voix de parlementaires prêts à voter les lois du gouvernement pour que ce dernier, minoritaire, puisse disposer d’une majorité de circonstance.

Quand l’affaire éclate, elle fait grand bruit et vingt-huit hauts dirigeants du Parti des travailleurs sont condamnés à de longues peines de prison. Mais dans cette sinistre affaire, où se jouent la morale et la démocratie, le président Lula n’intéresse pas la justice. Pourquoi ? Mystère. Peut-être n’a-t-elle pas voulu interférer avec le processus électoral, alors que Lula était plus populaire que jamais et qu’emportés par son charisme et son populisme, les Brésiliens lui ont offert en octobre 2006 un deuxième mandat ?

Puis viendra, en mars 2014, sous la désastreuse présidence de Dilma Rousseff – en faveur de laquelle Lula a mené campagne- , le scandale Petrobras. Et là encore, on sait désormais que les sous-traitants de Petrobras formaient un « club privé » au sein duquel était désignée la société qui remporterait un appel d’offres, à quel prix, et avec quelle marge à se partager ensuite entre les membres du « Club ».

Ces tristes vérités sont anéanties sous le feu du « guerrier juridique » Cristano Zanin et de ses affiliés. Il sera l’obligé de son maître, Lula, et cette soumission ne sera pas glorieuse. Enfin, la justice et son indépendance sont les grandes perdantes de cette « guerre du droit » qui sape les bases de la fragile démocratie brésilienne.

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