Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

Présidentielle 2024 : coup dur pour la campagne de Biden

La campagne de Joe Biden ne se déroule pas bien. Bien qu’il semble se diriger vers la nomination de son parti, sa cote de popularité ne cesse de chuter, laissant croire que Donald Trump le vaincra s’il obtient la nomination. Son bilan économique mitigé ne sera pas la seule raison pour laquelle plusieurs de ses électeurs en 2020 s’abstiendront ou changeront de camp.

En effet, le récent rapport d’un procureur spécial affirme que Biden a bel et bien été négligent avec des documents confidentiels qu’il a conservés secrètement. Et à l’instar d’Hillary Clinton en 2016, Robert Hur suggère de ne pas entamer de procédures judiciaires… parce qu’un jury ne condamnerait pas « un vieil homme sympathique à la mémoire défaillante. »

De la vice-présidente à la (quasi) totalité des médias, Robert Hur est accusé de parti pris et d’avoir parlé gratuitement de l’état mental du président – alors que c’est la raison pour laquelle il ne suggère aucune accusation. Certains esquivent le problème et pensent que l’âge est une vertu ; d’autres font des courbettes à rendre jaloux le Cirque du Soleil.

La Maison-Blanche n’est pas opposée à la publication des entrevues menées, mais ne ferme pas non plus la porte à la censure de certains passages. Mais l’avocat de Biden ne le fera pas sans se battre.

 

Combat contre la démocratie

Toujours au sujet du Parti démocrate, ses membres martèlent sans cesse que la prochaine élection sera cruciale car, entre les mains de la « mauvaise personne », elle pourrait se terminer en dictature. Mais à voir leurs agissements, pour citer mes parents, ils ne prêchent certainement pas par l’exemple.

Vendredi 10 février, ils ont porté plainte auprès de la commission électorale fédérale en accusant Robert Francis Kennedy Jr. (neveu de John Fitzgerald) de collusion avec un super PAC afin qu’il puisse apparaître sur les bulletins de vote. Il est certain que s’il a vraiment coordonné des actions avec un super PAC, il a commis une faute grave. Par contre, considérant que la collusion alléguée soit simplement pour que Kennedy puisse être sur les bulletins de vote, les Démocrates s’engagent dans un combat anti-démocratique et futile. 

En effet, même s’ils réussissent à franchir les obstacles souvent insurmontables de paraître sur les bulletins de vote, les candidats « autres » peinent à recevoir un pourcentage significatif des votes, bien que leur présence est souvent blâmée pour certaines défaites.

Et même en ce qui concerne Trump, plusieurs États (surtout Démocrates) se battent pour l’exclure du scrutin, plaidant qu’il est exclu, en vertu du 14e amendement de la Constitution qui a bloqué des officiels confédérés de participer au gouvernement.

Malheureusement pour eux, la Cour suprême semble unanimement sceptique face à ces actions – le groupe du Colorado qui a réussi à exclure Trump tente de plaider sa cause. La décision n’est pas arrêtée, contrairement à ce que dit ce tweet, mais tous – y compris les juges nommés par des Démocrates – ont longuement questionné le bien-fondé d’une décision étatique aux répercussions nationales. 

 

Creuser sa tombe

Ainsi, le méchant homme orange n’aurait pas à craindre d’être exclu du scrutin et, tel que mentionné en introduction, se dirige allègrement vers la victoire. Elle est tellement décisive que sa seule autre concurrente, Nikki Haley, a perdu contre « aucun de ces candidats » lors de la primaire au Nevada

Toutefois, une récente attaque de Trump contre l’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud pourrait lui coûter cher. Il est reconnu pour ses attaques personnelles contre tous ceux qui ne sont pas 100 % avec lui. Mais depuis quelque temps, il n’en a que pour l’absence du mari de Nikki… qui est en mission militaire. S’il y a un groupe immunisé contre la critique, surtout dans les milieux conservateurs, c’est bien l’armée et toutes ses branches.

Au sujet des militaires, il semble que Trump persiste à dire que les membres de l’OTAN doivent payer leur « juste part » des dépenses de défense. Sinon, il laisse sous-entendre qu’il ne défendrait non seulement pas les « fautifs », mais encouragerait leur invasion. Il y a une marge entre plaider pour davantage de dépenses et carrément espérer la destruction d’un allié…

Bref, si la tendance se maintient, nous aurons droit à une répétition de l’élection de 2020, soit entre un homme au déclin cognitif de plus en plus évident et un autre qui parle avant de réfléchir. Et bien que ce dernier a tendance à se tirer dans le pied, ses adversaires font tout pour attirer la sympathie des indécis.

Une fuite récente suggère que Biden peste discrètement contre son ministre de la Justice de ne pas avoir décidé d’entamer des procédures contre Trump plus tôt. De quoi alimenter le moulin à conspirations de la chasse aux sorcières. Il semble que Taylor Swift soit son seul espoir…

Mort de Navalny, colère agricole, guerre en Ukraine : ce qu’on retiendra de février 2024

Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette ville que les Ukrainiens avaient repris aux forces soutenues par Moscou il y a dix ans constitue un gain politique pour le Kremlin à un mois d’une présidentielle au demeurant jouée d’avance ; aucun candidat vraiment d’opposition n’a été validé et tous les trouble-fêtes peuvent avoir en tête le sort d’Alexeï Navalny, décédé dans des circonstances qui restent à élucider dans un pénitencier de l’Arctique russe, le genre d’endroit où le régime enferme ceux qu’il ne souhaite pas voir vivre trop longtemps. La reprise d’Adviivka constitue aussi un gain tactique pour le Kremlin, puisqu’il rapproche le front de nœuds logistiques de l’armée ukrainienne.

Si Moscou, qui a perdu beaucoup d’hommes (vraisemblablement 300 000 à 500 000 hors de combats depuis le début de la guerre il y a deux ans), ne semble pas en position de percer la ligne de défense ukrainienne, il pourrait faire perdre du terrain à Kyiv en d’autres endroits, même si les opérations offensives sont désormais très compliquées, puisque le champ de bataille est devenu très transparent à cause de l’utilisation de simples drones d’observations capables de repérer le moindre char d’assaut ou groupe de fantassins. Seul lot de consolation pour l’Ukraine : elle a gagné, loin des projecteurs médiatiques, la « bataille de la mer Noire » en repoussant ces derniers mois les navires russes loin des corridors indispensables à l’exportation de ses céréales, et en coulant plusieurs navires, dont encore un il y a dix jours.

Autre revers pour Kyiv, l’aide cruciale de 60 milliards de dollars sur laquelle la Maison Blanche et les Républicains travaillent depuis des mois, est encalminée au Congrès. Certes, 22 sénateurs républicains sur 48, animés traditionnellement par une solide culture géopolitique héritée de la Guerre froide, et peu sensibles aux intimidations de Donald Trump, ont voté récemment pour ce paquet. Mais la majorité républicaine à la Chambre des représentants bloque toujours le texte sur instruction de Trump. Ce dernier ne veut en aucun cas faire cadeau d’un victoire politique à Joe Biden, à moins de neuf mois de la présidentielle qui verra certainement s’affronter les deux hommes. La Maison Blanche avait, erreur tactique, cru pouvoir obtenir un feu vert sur l’aide à l’Ukraine en la liant à celle à Israël et Taïwan, deux chevaux de bataille des Républicains, en sus de mesures sur l’immigration illégale en provenance du Mexique, sujet prioritaire des électeurs. Mais c’était prendre le risque de voir l’aide à Kyiv devenir otage d’autres sujets, ce qui n’a pas manqué d’arriver. L’administration Biden a, enfin, compris le danger et accepté il y a dix jours de dissocier un peu ces sujets ; mais trop tard, les trumpistes ont compris qu’ils tenaient là de quoi faire mordre la poussière à Biden, au risque de faire un cadeau au Kremlin, sous réserve que le deep state sécuritaire républicain ne se réveille pas.

Vague lueur d’espoir pour Kyiv toutefois, Donald Trump a laissé entendre récemment qu’il n’objecterait pas à une aide militaire à l’Ukraine si elle se faisait uniquement sous forme de prêts (ce qui est déjà le cas, en fait, pour un quart à un tiers de l’aide militaire occidentale). L’Europe va aussi s’efforcer de passer à la vitesse supérieure, malgré ses goulets d’étranglement dans la production, notamment d’obus, comme l’illustre la décision spectaculaire du Danemark, samedi, d’offrir l’intégralité de son artillerie à l’Ukraine, convaincue qu’en fait Kyiv défend le continent face aux ambitions du Kremlin.

Devant ces revers, comme régulièrement depuis le début de la guerre déclenchée il y a deux ans, samedi prochain, de beaux esprits évoquent une « fatigue » dans l’opinion publique occidentale, où pourtant les sondages indiquent toujours un soutien à l’Ukraine oscillant entre 60 et 75 % suivant les pays, ainsi que la nécessité d’une négociation. Certes, mais avec qui et sur quoi ?

En effet, un accord signé avec Poutine vaut-il plus que le papier sur lequel il est écrit ? Il a déchiré la quasi-totalité des traités signés par son pays depuis 1999. Et a assumé, c’est passé inaperçu, lors de son récent entretien avec le journaliste américain Tucker Carlson, qu’il n’avait « pas encore atteint ses buts de guerre en Ukraine ». En clair, l’annexion de quatre régions ukrainiennes ne lui suffit pas. Voilà pour les naïfs, voire pas si naïfs, qui prétendent que le Kremlin serait prêt à signer la paix en échange de quelques gains territoriaux. Ce que veut Poutine est clairement vassaliser l’ensemble de l’Ukraine et ridiculiser l’OTAN.

Dernier sujet préoccupant pour Kyiv, le président Volodymyr Zelensky, a limogé récemment son chef d’état-major, Valery Zaloujny, très populaire dans l’opinion, mais aussi et surtout parmi les soldats, pour le remplacer par Oleksandr Syrsky, unanimement détesté des hommes sur le front. Inquiétant, même si les dissensions sont au demeurant normales par temps de guerre. On oublie par exemple que, malgré l’union sacrée, le cabinet de guerre français a sauté trois fois suite à des désaccords sur la conduite des opérations et les buts de guerre en 14-18… Le défi pour l’Ukraine sera de changer de doctrine de combat, suite à l’échec de sa contre-offensive de juin-août, pour intégrer les nouvelles technologies : drones tueurs, brouillage des fréquences ennemies, ébauche d’utilisation d’intelligence artificielle (des pays occidentaux travaillent à fournir des essaims de drones bon marché opérant de manière synchronisée par utilisation de programmes d’AI simples).

 

Gaza : l’impasse

À court terme aucune issue, ni même une pause dans le conflit entre Israël et le Hamas ne semble être envisageable. Les négociations, qui avaient repris le 6 février au Caire sous médiation qatari, égyptienne et américaine en vue d’une pause de six semaines (à ne pas confondre avec un cessez-le-feu, qui suppose un arrêt indéfini des combats) en échange de la libération de tout ou partie des 100 otages que le Hamas détient encore, ont été interrompues il y a quelques jours. Le Hamas exige aussi la libération de centaines de ses militants détenus en Israël, dont des meurtriers, ce qui est une ligne rouge pour Jérusalem dont la majorité de l’opinion, selon les sondages, juge prioritaire d’éliminer le Hamas plutôt que de libérer les otages.

Le Premier ministre israélien se dit d’ailleurs plus que jamais déterminé à liquider intégralement le Hamas, avec notamment une offensive prochaine sur la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza où se seraient réfugiés les chefs militaires de l’organisation terroriste. Or, des dissensions commencent à se faire discrètement jour au sein de la hiérarchie militaire, et même parmi des ministres sur la possibilité d’éliminer entièrement le Hamas. Trois mois après le début de l’invasion de la bande de Gaza, selon les renseignements américains, Israël n’aurait mis hors de combat qu’un cinquième des quelques 40 000 combattants du Hamas. Certes, Tsahal a évité le piège de type Stalingrad que beaucoup lui promettait, avec des pertes relativement limitées pour trois mois d’opérations en milieu urbain, environ 200 soldats, et a détruit des dizaines de kilomètres de tunnels du Hamas.

Mais les victimes collatérales (le chiffre de 27 000 victimes, en grande majorité femmes et enfants, avancé par le Hamas semble plausible, pour une fois, par recoupement avec diverses données indépendantes) posent de plus en plus problème aux partenaires internationaux d’Israël, surtout les États-Unis, seul allié que Jérusalem écoute traditionnellement. Joe Biden s’est engagé fortement auprès d’Israël après les attentats du 7 octobre, avec déploiement de navires de guerre pour dissuader Téhéran ou le Hezbollah au Liban, approvisionnement en munitions, renseignements satellites. Ce dont l’aile gauche des Démocrates lui en fait grief… au risque de faire élire Donald Trump, soutien absolument inconditionnel de Jérusalem.

Reste le risque d’embrasement régional, évoqué à l’envi depuis quasiment le début de la guerre, le 7 octobre. Heureusement sans concrétisation, pour l’instant. En mode chien qui aboie ne mord pas, le Hezbollah, milice chiite libanaise soutenue par Téhéran, avait promis des représailles terribles « en temps et en heure » à différents raids israéliens, notamment l’élimination du numéro deux de la branche politique du Hamas à Beyrouth. De même, les ripostes des États-Unis et du Royaume-Uni contre les Houthis, missile yéménite soutenue aussi par Téhéran, qui menace de frapper les cargos transitant par le golfe d’Aden. Les frappes américaines sur le sol yéménite lui-même ont suscité des menaces de l’Iran. Sans rien pour l’instant.

 

Présidentielle américaine : Biden en pleine confusion et Trump dans ses trumperies 

Ce ne sera plus tenable longtemps. Si la Maison Blanche a joué les tauliers de l’Occident par une aide décisive (même si on peut aussi lui reprocher d’être « trop tard trop peu ») en Ukraine et un soutien vigilant d’Israël face au Hamas, force est de constater qu’une défaite de Joe Biden le 5 novembre face à Trump parait désormais probable.

Malgré le dynamisme économique, le président américain est terriblement impopulaire en raison de l’inflation. Les sondages le créditent de cinq points de retard sur son rival qui a le vent en poupe, puisqu’il devrait pousser à l’abandon sa dernière rivale, Nikki Haley après la primaire du 24 février en Caroline du Sud. Une victoire à peine six semaines après le début de la campagne des primaires serait sans précédent historique, et explique que si peu de ténors républicains osent tenir le moindre propos susceptible de déplaire aux trumpistes. Les sondages donnent aussi Trump gagnant dans les 5-7 swing states, ceux susceptibles de basculer dans un camp ou un autre, et qui feront l’élection : Arizona, Géorgie, Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin, voire Caroline du Nord et Nevada.

Surtout, est apparu un fait nouveau et qui pourrait bientôt devenir intenable. Joe Biden multiplie les confusions qui ne sont plus seulement embarrassantes, à l’image des gaffes et trous de mémoire qu’il multiplie depuis longtemps. Cela touche désormais à sa capacité de gouverner. Comment croire que cet octogénaire pourrait prendre les bonnes décisions en cas de crise, en quelques minutes dans la war room par exemple, s’il prétend, comme il l’a fait dernièrement, avoir rencontré Mitterrand, décédé en 1995, en lieu et place d’Emmanuel Macron, ou le chancelier Kohl à la place d’Angela Merkel, et déclaré que le président égyptien Al Sissi était en fait celui du Mexique (Donald Trump a fait diffuser une carte du Proche-Orient où était calqué la carte du Mexique avec mention « source : Joe Biden »).

Enfin, une campagne américaine est une épreuve physique redoutable. Joe Biden a tenu le choc lors de la dernière uniquement parce qu’elle n’a pas eu lieu pour cause de covid. Problème, les Démocrates, divisés, indécis, et en panne d’idées et, il faut bien le dire, de lucidité, n’ont pas de plan B. Aucune personnalité connue, dotée d’un minimum de charisme et susceptible de faire consensus parmi les Démocrates n’a émergé en quatre ans, ce qui est une faute. La vice-présidente, Kamala Harris, n’a pas pris la lumière, elle est réputée ne pas avoir la carrure, comme l’illustre son parcours peu convaincant. Surtout, juridiquement, il semble très difficile d’annuler les primaires démocrates, pour lesquelles un certain nombre de délégués pro Biden ont été désignés. Seule issue, un avis médical sollicité par les ministres du président, terrible responsabilité et trahison, pour déclarer qu’il n’est plus en capacité d’exercer ses fonctions, selon la Constitution. Jamais un candidat bénéficiant du désistement au dernier moment du président en exercice n’a gagné la présidentielle…

L’affaire est d’autant plus cruciale que, bien évidemment, l’élection du président du pays le plus puissant du monde, militairement et économiquement, ne concerne pas que les Américains et que Donald Trump a raconté publiquement, il y a dix jours, avoir déclaré à un chef de gouvernement européen (allemand ?) qu’il ne viendrait pas à son secours si la Russie l’attaquait. On peut essayer de se rassurer à bon compte en se persuadant qu’il s’agissait d’un procédé rhétorique, ou d’une technique de négociation un peu rude pour obtenir, légitimement, que les Européens prennent plus au sérieux leur sécurité. Mais force est de constater, et ce discours de Trump représente de ce point de vue un évènement géopolitiquement majeur, malheureusement, tranchant avec une jurisprudence constante à Washington depuis 1949. La sécurité collective de l’Alliance atlantique repose en effet sur le fait que si un quelconque de ses 31 membres est attaqué, chacun des autres volera à son secours de manière inconditionnelle, sans émettre des si et des mais. Tout l’inverse de ce qu’a déclaré Trump qui assume que dans ce cas là il pourrait dire « désolé, je ne suis pas très motivé, regardons d’abord si vous avez réglé vos factures ». De la musique aux oreilles du Kremlin, de nature à le convaincre qu’une aventure en Pologne, ou en pays Balte serait opportune pour discréditer définitivement son ennemi juré, l’Alliance atlantique…

 

Menaces sur l’économie chinoise

Les nuages s’accumulent sur la Chine, deuxième économie mondiale et qui a réalisé depuis 1979 une performance sans équivalent historique, une croissance de 6 à 10 % par an pour un pays à l’époque d’environ un milliard d’habitants.

Sa croissance ralentit et n’aurait même pas dépassé 0,8 % au dernier trimestre. En cause : le vieillissement de la population, conséquence de la politique de l’enfant unique en vigueur jusqu’à récemment en sus de la chute de désir d’enfant, comme en Occident ; le chômage des jeunes au plus haut depuis des temps immémoriaux ; la moindre dynamique des exportations liées à la conjoncture mondiale ainsi qu’à une certaine défiance post covid envers Pékin ; sans doute les imites rencontrées par un système totalitaire à l’ère de l’innovation technologique ; et les menaces sur le système bancaire en raison de l’accumulation de créances douteuses sur le secteur immobilier après des années de spéculation, illustrées par ces images vertigineuses de tours fantômes construites pour être condamnées à la destruction.

La mise en liquidation, le 29 janvier dernier par un tribunal de Hong Kong, du groupe Evergrande, principal promoteur immobilier du pays, après deux années d’agonie est venue rappeler le danger, même s’il n’a pas, pour l’heure, provoqué d’effets dominos comme aux États-Unis la faillite de Lehman Brothers en 2008. Le secteur immobilier pèse pour un tiers du PIB chinois, contre un dixième en France. Les prix des logements ont chuté en deux ans de 30 %, du jamais vu. Les bourses chinoises sont par ailleurs atones et le président Xi Jinping a dû convoquer récemment les régulateurs des marchés financiers pour leur demander de doper un peu la conjoncture, notamment par un allègement des règles de réserves obligatoires des banques. Sans résultat spectaculaire. Un défi politique pour les autorités, puisque les Chinois sont habitués depuis trente ans à des perspectives de progression de leur revenu…

 

Union européenne : les agriculteurs se rebiffent

C’est un événement important dans l’histoire de l’Union européenne qui s’est déroulé ces dernières semaines, à coups de cortèges de tracteurs klaxonnant dans les principales villes d’Europe.

Les agriculteurs, pourtant en majorité très pro-européens, notamment parce qu’ils bénéficient, pour la majorité d’entre eux, du système d’administration des marchés avec prix garantis peu ou prou dans les céréales, certaines viandes, produits laitiers, ont manifesté massivement. À rebours de l’adage « on ne mord pas la main qui vous nourrit », et peut-être parce que ladite main ne nourrit plus tant que ça ceux qui nous nourrissent, comme le résumait un cortège espagnol ; « laissez-nous bosser, carajo ! ». Pas un hasard si le mouvement est parti, il y a presque un an, des Pays-Bas où un plan d’écologie punitive avait prévu, au nom de la désormais omniprésente lutte en Occident contre le réchauffement climatique (une vertu qui permet de massacrer agriculture et industrie sous le regard goguenard ou stupéfait du reste du monde, et qui ne les incite en tout cas pas à nous emboiter le pas), la disparition de la moitié du cheptel.

Les Allemands ont pris le relais début janvier, suivis par leurs confrères français, puis italiens, belges, espagnols, polonais, roumains. Ce mouvement spectaculaire, avec des blocages inédits de centres- villes en Allemagne, et la panoplie habituelle en France de lisier déversé, mais des blocages d’autoroutes sur 400 km (sans précédent) ont pu avoir des motifs divers, prix de vente trop bas (donc, appel, comme d’habitude, à subventions), la concurrence ukrainienne, avaient pour revendication centrale la réduction drastique de la réglementation d’origine, le plus souvent écologique (les associations écologistes ont beau prétendre être les alliées des agriculteurs, ce discours ne convainc pas ces derniers qui savent sous la pression de qui on les bride depuis des années), ou sanitaire au nom d’un principe de précaution devenu absolu. En clair, les agriculteurs ne supportent plus les exigences des plans écolos européens Green Deal et Farm to Fork, même si leurs représentants n’osent pas trop le dire.

Si le gouvernement Attal a su apaiser les grands syndicats agricoles par des chèques et promesses, notamment d’une pause (mais pas annulation) du plan de réduction impératif de 50 % des traitements phytosanitaires d’ici 2030, avec chute des rendements, donc à la clé des revenus, martingale française inépuisable, et si Bruxelles a accordé une dérogation pour les jachères, les agriculteurs se rendent compte que cela ne résout pas du tout le problème « bureaucratie/punitions ». La FNSEA, qui ne se résout pas à s’attaquer aux programmes européens Green Deal et Farm to Fork, menace de reprendre les manifestations à la veille du Salon de l’agriculture, dans quelques jours.

Que le soufflé de cette contestation inédite par le nombre de pays concernés, quoique sans synchronisation, retombe ou pas, il aura déjà eu un mérite : le grand public a découvert le poids dément des règlementations en milieu rural, qui punissent tout et son contraire, la nécessité d’obtenir x autorisations pour tailler une haie, curer un fossé, le calendrier des semis, traitements… comme l’illustre ce slogan d’agriculteurs espagnols « mais laissez-nous bosser, carajo ! ».

 

En France, l’horizon indépassable des règlements partout, tout le temps

Une bataille clé dans la guerre culturelle entre la réglementation tous azimuts, qui ne se confine pas à l’agriculture, comme prétend d’ailleurs l’admettre depuis peu le gouvernement et qu’illustre cette savoureuse révélation, parmi mille autres : un employé de mairie ne peut pas changer une ampoule sans suivre trois jours de formation. Eh oui, nos vies sont régies par une dizaine de codes de 4000 pages, qui s’enrichissent de plusieurs pages chaque jour.

De quoi rappeler le fameux texte de Tocqueville sur « le réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes » édictée par un pouvoir « immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer la jouissance des citoyens et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ».

Tout cela a poussé le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire (qui a dû se résoudre, dimanche soir, à annoncer une révision à la baisse, de 1,4 à 1 % de la prévision de la croissance française en 2024, évoquant la guerre en Ukraine, le Moyen-Orient, le ralentissement économique très marqué en Chine et la récession technique de 0,3 % du principal partenaire commercial de la France, l’Allemagne), à dénoncer « un suicide européen » par les entraves règlementaires, et à promettre il y a quelques semaines, à plusieurs reprises, un vaste effort de simplification… avant d’annoncer aussitôt des contrôles sévères sur la grande distribution, bouc émissaire, pour vérifier qu’elle pratique des marges raisonnables sur les produits alimentaires.

De même, le gouvernement a découvert récemment, sans promptitude excessive, que les normes DPE constituaient une véritable bombe sociale puisqu’elle imposait des dépenses insupportables aux ménages modestes voulant louer un bien pour le mettre en conformité (en attendant d’interdire aussi leur vente, voire, tant qu’on y est dans le fanatisme vert, leur occupation par les propriétaires). Ce qui contribue au blocage spectaculaire du marché de la location depuis deux ans.

Miracle, une étude technique vient démontrer que les DPE ne sont pas fiables pour les logements de moins de 40 m2 ouvrant droit à dérogation. Un peu tartuffe, mais c’est déjà ça… Il faudra surveiller la suite, du fait de la nomination d’un nouveau ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, qui assume vouloir provoquer un « choc de l’offre », en clair stimuler la construction de logements et leur mise à disposition sur le marché locatif. Un discours bienvenu, pour ne pas dire déconcertant, tant il est à rebours de ce à quoi nous habituent les ministres d’Emmanuel Macron.

Selon ses déclarations à l’issue, jeudi, d’une rencontre avec des représentants du secteur, il s’agit de rénover un processus de rénovation énergétique « comportant trop de lourdeurs administratives ». Sur la table, notamment la limitation des obligations de recourir à un accompagnateur agréé aux subventions de rénovation les plus élevées. Il s’agit aussi de permettre aux propriétaires de logements à étiquette énergétique G, a priori aux revenus les plus modestes, qui ne pourront plus être mis en location à partir du 1er janvier 2025, de les aider à commencer à améliorer la performance de leur bien.

 

France-sur-mer : le sujet empoisonné de l’immigration fait son grand retour

Le sujet de l’immigration, en mode sparadrap du capitaine Haddock, hante plus que jamais la politique française, avec un exécutif au sommet du « Enmêmptentisme », chèvre-chou, qui cherche à séduire des électeurs de droite (comme si ceux de gauche classique ne pouvaient pas objecter aux changements fondamentaux à l’œuvre dans notre pays depuis quatre ou cinq décennies, illustrés par une comparaison, au hasard, entre deux photos de classe 2024-1974 ?) sans perdre ceux de gauche. Dilemme d’autant plus sensible que le parti Renaissance est crédité de 18,5 % des suffrages aux européennes de juin, très loin des 29 % attribués, selon un sondage, au Rassemblement national.

L’Élysée a remporté une première manche tactique en demandant aux députés Renaissance de voter pour la loi immigration avec Les Républicains et le Rassemblement nationale… pour aussitôt en déférer les amendements Les Républicains au Conseil constitutionnel. Voter pour un texte qu’on espère anticonstitutionnel, c’est nouveau… Lequel Conseil constitutionnel a eu l’obligeance d’invalider 32 des amendements « droitiers » pour vice de procédure, qui ne se rattachaient pas à un élément précis, un article, du texte proposé. Il avait pourtant validé un amendement sur Mayotte en 2018 dans une loi qui ne traitait pourtant ni de Mayotte ni d’immigration…

Deuxième manche, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est rendu récemment à Mayotte, plus grande maternité d’Europe (25 naissances par jour, cinq fois plus que la seule Corrèze) pour annoncer ce que les élus de tous bords y attendent depuis longtemps : la fin du droit du sol. Au prix, puisqu’une loi ne peut pas être en vigueur dans un département, et pas sur l’ensemble du territoire national selon la Constitution, d’une révision de cette dernière. Ouvrant ainsi une boîte de Pandore, car ce principe d’une territorialisation d’une loi pourrait s’appliquer plus tard sur bien d’autres sujets. Il semble bien qu’il n’ait pas échappé à l’exécutif que la question devenue incandescente, voire civilisationnelle de l’immigration risque de rapporter gros aux élections européennes de juin prochain.

Une réforme du droit du sol sur l’ensemble du territoire n’aurait au demeurant rien de choquant et ne ferait pas basculer la France, contrairement à ce que prétendent les beaux esprits immigrationnistes, dans « les heures les plus sombres de notre histoire », pour la bonne raison que le droit du sang prioritaire est pratiqué par de nombreux pays pas franchement gouvernés à l’extrême droite.

Au demeurant, et cela illustre au passage combien le dossier de l’immigration à Mayotte est instrumentalisé, le droit du sol dit sec, c’est-à-dire l’obtention automatique de la nationalité du pays où l’on naît quelle que soit celle de ses parents et leur propre lieu de résidence et/ou de naissance, n’existe presque plus nulle part au monde. Et notamment pas en Europe, où les pays les plus souples là-dessus, la France, l’Espagne et la Belgique, pratiquent plutôt le « double droit du sol » : on obtient automatiquement, ou sur demande la nationalité française à l’adolescence si un des deux parents étrangers, même en situation irrégulière, est lui-même né en France, même en situation irrégulière, sous réserve qu’il ait séjourné en France un nombre suffisant d’années.

Le problème étant que les habitants des Comores, manipulés en outre par un régime dictatorial voyant dans cette émigration un moyen commode de déstabiliser une « puissance coloniale » à qui ils réclament la restitution de Mayotte, ignorent ces subtilités juridiques et que, motivées par la chimère d’une nationalité française automatique, avec ses droits et avantages pour l’enfant qu’elles portent, des Comoriennes enceintes se ruent à Mayotte pour y accoucher. Face à la désinformation aux Comores (en sus des autres facteurs d’immigration clandestine massive d’hommes jeunes cherchant une terre promise où les salaires sont huit fois supérieurs à ceux en vigueur chez eux à quelques heures de navigation) des ajustements constitutionnels sur le droit du sol, à la majorité, difficile, des trois cinquièmes au Congrès, risquent de ne pas changer grand-chose.

« Le risque d’un conflit direct entre la Russie et l’OTAN est à prendre au sérieux » grand entretien avec Aurélien Duchêne

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d’études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

Que représentent les pays baltes pour la Russie de Poutine ?

Aurélien Duchêne Les pays baltes représentent aux yeux du régime russe, comme d’une large partie de la population, d’anciens territoires de l’Empire russe, qui avaient également été annexés par l’URSS des années 1940 jusqu’en 1990. Beaucoup de Russes, notamment dans les élites dirigeantes, n’ont jamais vraiment digéré l’indépendance de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, avec de plus une circonstance aggravante : les pays baltes ont été les premiers à faire sécession de l’URSS, au printemps 1990, et leur soulèvement civique a fortement concouru à l’effondrement de cette dernière.

Les trois nations baltes totalisent une superficie 100 fois plus réduite que celle de la Russie (175 km2) et une population presque 25 fois moindre (6 millions d’habitants) : le fait que de si petits pays aient pu se libérer de l’emprise de Moscou avec le monde entier pour témoin a été une véritable humiliation pour le Kremlin, après des décennies d’humiliations répétées des peuples baltes sous le joug soviétique dans la lignée de la précédente occupation par l’Empire russe. 

La transition rapide des nations baltes vers la démocratie libérale et leur intégration européenne et atlantique restent également un camouflet pour le régime russe. Au-delà du basculement vers le monde occidental de pays censés appartenir à la sphère d’influence russe (si ce n’est à la Russie tout court), c’est l’accession d’anciennes républiques soviétiques au rang de démocraties matures, avec une société libre, qui est aussi intolérable aux yeux de Poutine et de ses lieutenants que ne l’est la démocratisation avancée de l’Ukraine.

Et de même que la Russie de Poutine nie l’existence d’une nation ukrainienne indépendante, elle respecte peu l’identité des peuples baltes qui ont tour à tour été considérés comme des minorités ethniques parmi d’autres dans l’immense Empire russe, puis comme des populations à intégrer de force sous l’URSS. 

Outre l’imposition du communisme qui tolérait par définition mal des identités nationales affirmées, le régime soviétique s’est livré à des politiques de recomposition ethnique qui allaient bien au-delà de la seule politique de terreur stalinienne. À travers des programmes criminels comme l’opération Priboï en 1949, le Kremlin a ainsi orchestré la déportation de 500 000 Baltes entre 1945 et 1955 ! Alors qu’elle déportait des familles entières vers la Sibérie, l’URSS organisait l’installation de Russes ethniques dans ce qui s’est vite apparenté à une véritable colonisation de peuplement.

L’héritage de ce demi-siècle d’annexion à l’URSS, c’est la présence aux pays baltes de fortes minorités de Russes ethniques et de russophones. Ces Russes vivant hors de Russie représentent environ 25 % de la population en Lettonie et en Estonie, et environ 5 % en Lituanie. Les russophones représentent ainsi environ 80 % de la population du comté estonien d’Ida-Viru (où se situe la très symbolique ville de Narva, à la frontière avec la Russie), ou encore plus de 55 % de la région capitale de Riga en Lettonie.

Vu de Russie, ces populations russes et russophones hors de Russie font partie du « monde russe », lequel doit absolument rester dans le giron de Moscou. Les pays baltes n’ont pas la même dimension aux yeux des Russes que la Crimée, voire pas la même dimension que d’autres régions ukrainiennes considérées comme russes du fait d’une prétendue légitimité historique voire démographique. Les 25 à 30 millions de Russes ethniques vivant dans d’anciennes républiques soviétiques qui, du nord du Kazakhstan à la Lettonie, forment la seconde diaspora du monde après celle des Chinois, sont eux, d’une extrême importance aux yeux de Moscou.

L’on se souvient que c’était le devoir pour la Russie de protéger les Russes hors de ses frontières qui avait été invoqué dans les divers conflits contre l’Ukraine depuis 2014. Cette garantie de protection par la Russie de ses citoyens vivant hors de ses frontières (incluant tous les Russes de l’étranger à qui Moscou délivre passeports et titres d’identité) est même dans la Constitution fédérale. Les dirigeants russes n’ont pas besoin de croire eux-mêmes en un quelconque danger envers des Russes à l’étranger pour « voler à leur secours », que ce soit face à un « génocide » des russophones du Donbass inventé de toutes pièces, ou face à un régime nazi imaginaire qui gouvernerait l’Ukraine. Mais tout porte à croire que le Kremlin se préoccupe sincèrement du risque de voir des millions de Russes de l’étranger s’éloigner de la Russie pour s’intégrer, voire s’assimiler aux pays où ils vivent, menaçant ainsi le « monde russe », voire l’avenir du régime russe.

Dans un article publié un an avant l’invasion de 2022, j’avais défendu l’idée que la Russie pourrait envahir dans un futur proche les régions ukrainiennes censées appartenir à ce « monde russe », avant de développer encore ce scénario dans mon livre Russie : la prochaine surprise stratégique ?. J’y détaillais également le risque que la Russie puisse tenter une agression contre des localités baltes à majorité russe ou russophone telles que la ville de Narva, fût-ce sous la forme d’opérations de faible envergure sous le seuil du conflit ouvert.

Le but pourrait être d’obtenir une victoire historique contre l’OTAN et les puissances occidentales, en leur imposant un fait accompli auquel elles n’oseraient supposément pas réagir par les armes, de peur de s’engager dans une guerre contre la Russie avec le risque d’une escalade nucléaire à la clé. Un calcul qui aurait de fortes chances de se révéler perdant et de déboucher sur le scénario du pire, celui d’un conflit direct entre la Russie et l’Alliance atlantique. Je crois plus que jamais à ce risque, des scénarios comparables étant désormais d’ailleurs davantage pris au sérieux dans le débat stratégique. Pour la Russie, les pays baltes ne représentent donc pas une terre irrédente du même type que la Crimée, ni une « question de vie ou de mort » comme le serait l’Ukraine entière dixit Vladimir Poutine, mais un enjeu qui pourrait bien la conduire à prendre des risques extrêmes contre l’OTAN.

 

Que symbolise l’Alliance atlantique pour les pays de l’Est ?

Elle symbolise à la fois leur ancrage dans le camp des démocraties occidentales et leur garantie d’y rester. Sous la domination russe, puis soviétique, les pays d’Europe centrale et orientale se vivaient comme un « Occident kidnappé », pour reprendre les mots de Milan Kundera. Ces pays, qui étaient membres contraints du Pacte de Varsovie, voire de l’URSS dans le cas des pays baltes, se sont vite tournés vers l’Alliance atlantique après l’effondrement de l’Empire soviétique. À l’époque davantage dans le but de parachever leur retour vers l’Occident et leur marche vers la démocratie que dans l’optique de se prémunir d’une menace russe encore lointaine. La Pologne, la Tchéquie et la Hongrie ont rejoint l’OTAN (en 1999) avant de rejoindre l’Union européenne (en 2004) ; les pays baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’OTAN la même année que l’UE (en 2004).

Là où le débat public français distingue largement l’intégration européenne de l’alliance transatlantique, les pays d’Europe centrale et orientale parlent davantage d’une intégration euro-atlantique, bien qu’ils différencient évidemment la construction européenne dans tous ses domaines de cette alliance militaire qu’est l’OTAN. Nous avons tendance en France à résumer la vision de ces pays de la manière suivante : l’Union européenne serait pour eux un bloc économique (un « grand marché ») et politique qui ne devrait guère tendre vers d’autres missions, quand la défense collective serait du ressort de la seule OTAN. Leur vision est en réalité bien plus complexe, ne serait-ce que du fait d’un sincère attachement à la dimension politique et culturelle du projet européen, jusque chez les puissants courants eurosceptiques qui pèsent dans ces pays.

Il n’en demeure pas moins que l’OTAN est pour eux le pilier de leurs politiques de défense. Nos voisins d’Europe centrale et orientale ne voient pas d’alternative crédible à la garantie de sécurité américaine et à la sécurité collective que procure l’Alliance, dans la mesure où l’Europe n’est aujourd’hui pas en capacité de faire face seule à la menace russe. Outre leur puissance, les États-Unis passent pour un protecteur incontournable du fait de leur position historiquement ferme face à l’URSS puis la Russie, là où la France et l’Allemagne, qui ont davantage cherché à ménager la Russie malgré sa dérive toujours plus menaçante, sont souvent perçues comme étant moins fiables. L’attitude de Paris et Berlin au début de l’invasion de l’Ukraine a d’ailleurs renforcé ce sentiment, quoique les choses se soient améliorées depuis que les deux pays ont considérablement renforcé leur soutien à l’Ukraine et durci le ton face à Moscou.

Les pays d’Europe centrale et orientale sont extrêmement attachés à la solidité de l’OTAN et se méfient des projets, portés en premier lieu par la France, de défense européenne distincte de l’OTAN ou d’autonomie stratégique européenne, pour au moins trois raisons. Ils n’en voient pas vraiment l’utilité là où l’OTAN, avec le fameux article 5, et la protection américaine suffisent face aux menaces majeures ; ils craignent qu’une défense européenne concurrente de l’OTAN ne distende les liens avec les États-Unis et conduise ceux-ci à favoriser davantage encore leur pivot vers l’Asie ; ils soupçonnent la quête d’émancipation vis-à-vis de Washington d’être synonyme d’un futur rapprochement avec la Russie, qui se ferait au détriment de l’Europe orientale. Là aussi, les premiers mois de l’invasion de l’Ukraine avaient renforcé ces soupçons, du fait d’un soutien à Kiev bien plus ferme de la part des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni.

Mais la situation s’est également améliorée sur ce point, entre rapprochement de la France et de l’Allemagne avec la position des pays d’Europe centrale et orientale, doutes croissants sur la fiabilité américaine et évolution du débat stratégique en Europe. Nos voisins restent plus attachés que jamais à l’OTAN qui paraît aujourd’hui d’autant plus indispensable à leur sécurité, mais s’ouvrent davantage à une défense européenne complémentaire de l’Alliance atlantique, entre renforcement du pilier européen de l’OTAN, développement des coopérations entre Européens et mise en œuvre de nouvelles politiques de défense de l’UE avec des moyens supplémentaires.

 

Comment l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se préparent-ils à une éventuelle invasion russe ?

Les trois pays agissent à trois niveaux. D’abord par leur soutien matériel à l’Ukraine, qui est l’un des plus élevés de toute l’Alliance atlantique en proportion de leur puissance économique et militaire, et leur travail diplomatique pour renforcer la mobilisation européenne et transatlantique en la matière. En soutenant au mieux la défense ukrainienne face à l’agression russe, les Baltes entretiennent aussi leur propre défense : infliger un maximum de pertes aux Russes, qui mettront parfois des années à reconstituer les capacités perdues, permet à la fois d’éloigner l’horizon à partir duquel la Russie pourrait attaquer les pays baltes, et de mieux dissuader une telle éventualité en montrant à l’agresseur qu’il paierait un lourd tribut.

Ensuite, par un effort de prévention du pire. Si les États baltes se montrent de plus en plus alarmistes quant au risque d’être « les prochains », c’est aussi pour conserver l’attention et la solidarité de leurs alliés, et espérer d’eux qu’ils renforcent encore leur présence dans les pays baltes. En montrant qu’ils prennent au sérieux le risque d’une attaque russe et qu’ils s’y préparent, les Baltes ont aussi un objectif de dissuasion à l’endroit de Moscou.

Enfin, par des préparatifs directs pour résister à une invasion. Cela fait depuis 2014 que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie améliorent leurs dispositifs de défense opérationnelle du territoire, et l’on note une accélération sensible ces derniers mois. L’on apprenait ainsi mi-février que les trois pays prévoient de renforcer encore les fortifications à leurs frontières, avec la construction de plus de 1000 bunkers (600 pour la seule Estonie) et de barrages anti-chars tels que des dents de dragon qui ont montré leur utilité en Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères estonien Margus Tsahkna estimait il y a quelques jours que l’OTAN n’avait que trois à quatre ans pour se préparer à un « test » russe contre l’OTAN, rejoignant notamment l’estimation de certains responsables polonais. S’ils ne s’attendent pas à une attaque imminente, les trois pays baltes partagent la même conviction qu’ils n’ont que quelques années pour se préparer à un conflit majeur.

Ce qui se traduit par un effort budgétaire considérable. L’Estonie a ainsi porté son effort de défense à 2,8 % du PIB en 2023 et prévoit d’atteindre 3,2 % en 2024, bien au-delà de l’objectif de 2 % auquel se sont engagés les membres de l’OTAN en 2014. La Lettonie a quant à elle dépassé les 2,2 % l’an dernier avec un objectif de 2,5 % en 2025. La Lituanie, enfin, a augmenté de moitié ses dépenses militaires en 2022 (elle les a même doublées depuis 2020), et consacrera à sa défense l’équivalent de 2,75 % du PIB en 2024. Avec la Pologne, la Grèce et les États-Unis, les pays baltes sont désormais les États membres de l’OTAN qui fournissent l’effort de défense le plus conséquent en proportion de leur richesse nationale.

La majeure partie de ces dépenses supplémentaires sont des dépenses d’acquisition, finançant de grands programmes. Tirant des enseignements de la guerre d’Ukraine, les Baltes renforcent leur artillerie (de l’achat de HIMARS américains pour les capacités de frappes dans la profondeur, à la commande de canons CAESAR français par la Lituanie), leur défense antiaérienne… Et ils massifient leurs stocks de munitions, lesquels ont aussi été fortement mis à contribution pour aider l’Ukraine. Les dépenses en personnel ne sont pas négligées : les trois pays baltes augmentent leurs effectifs d’active comme de réserve, ainsi que l’entraînement et la préparation opérationnelle de leurs forces.

La préparation de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie à une éventuelle invasion russe passe aussi par une mise à haut niveau de leur défense nationale qui va au-delà du seul renforcement capacitaire. Il convient de souligner à quel point ces trois pays, malgré leur pacifisme et leur souhait de s’épanouir en tant que démocraties libérales européennes, ouvertes sur la mondialisation, ont conservé un ethos militaire. Leur identité profonde se caractérise à la fois par une histoire marquée par les occupations étrangères (l’Empire russe puis l’URSS en premier lieu), un attachement farouche à leur souveraineté (y compris par rapport aux grands États européens alliés), et une vulnérabilité en tant que petits États peu peuplés.

L’Estonie avait instauré la conscription dès 1991, la Lituanie a annoncé son rétablissement en 2015, et la Lettonie a suivi en 2022 avec une entrée en vigueur cette année. Derrière le maintien ou le rétablissement du service militaire obligatoire, les nations baltes développent leur défense nationale sur le plan civique, avec notamment un effort accru d’intégration des minorités de Russes ethniques et de Baltes russophones qui vivent dans les trois pays, et une bataille de tous les jours contre la guerre informationnelle russe et les campagnes de déstabilisation intérieure qu’organise Moscou. Si ces efforts de cohésion nationale et civique ne sont pas tournés en premier lieu vers la préparation à une invasion armée, ils lui sont indispensables. La vulnérabilité de l’Ukraine aux agressions russes en 2014 l’a montré ; sa formidable résistance à l’invasion de 2022 encore plus.

 

Sont-ils capables de tenir un front dans le cadre d’une guerre conventionnelle ?

Sur le papier, pas pour longtemps. Les forces opérationnelles que les trois pays pourraient engager immédiatement en cas d’agression se montent à quelques milliers d’hommes chacun, les effectifs devant être augmentés à plusieurs dizaines de milliers sur un préavis le plus court possible grâce à la mobilisation de conscrits et réservistes par définition moins bien entraînés et équipés. Là où la Russie a déjà engagé plusieurs centaines de milliers d’hommes en Ukraine en deux ans et est capable d’en mobiliser bien davantage, la population de l’Estonie par exemple est d’à peine 1,3 million d’habitants, soit la population de l’agglomération lyonnaise. Aucun de ces pays ne dispose de chars lourds (la Lituanie négocie avec des constructeurs allemands pour en acquérir) ou d’avions de combat (la Lituanie et la Lettonie ont commandé respectivement quatre et un hélicoptère américain Black Hawk), et leur parc d’artillerie actuel est très limité et devrait le rester malgré d’importantes commandes dans ce domaine.

Le renforcement militaire des pays baltes est proportionnellement l’un des plus importants des pays de l’OTAN, et les armées estonienne, lettone et lituanienne de 2025 voire 2030 seront autrement plus fortes que celles de 2020 ; s’ajoute, comme dit précédemment, la fortification des frontières baltes qui compliquera sérieusement une attaque russe. Mais le rapport de force échoirait toujours à la Russie, dont les forces conserveront une masse et une épaisseur bien supérieures à tout ce que les pays baltes prévoient dans le cadre de leur montée en puissance.

Les pays baltes ne se battront évidemment jamais sans leurs alliés de l’OTAN (quoique les Russes pourraient penser le contraire, ce qui les pousserait d’autant plus à tenter un coup de force), et ces derniers renforcent eux aussi considérablement leurs capacités de défense dans la région balte. En 2016, une étude de la RAND Corporation voyait les forces de l’OTAN perdre une opération dans les pays baltes face aux troupes russes qui atteindraient Tallinn et Riga en un maximum de 60 heures, laissant l’Alliance face à un nombre limité d’options, toutes mauvaises. Le spectaculaire échec des premières phases de l’invasion russe de février 2022 dans le nord de l’Ukraine a depuis remis en question toutes les précédentes études de ce type qui décrivaient une armée russe capable de balayer les petites armées alliées dans des offensives éclair.

Sur le terrain, le corridor de Suwalki est depuis 2015 l’objet de simulations de combat en conditions proches du réel des côtés baltes comme polonais : ainsi d’un exercice à l’été 2017 où 1500 soldats américains, britanniques, croates et lituaniens avaient simulé une opération sur le terrain avec un matériel limité. Par comparaison, la même année et dans la même région, l’exercice russo-biélorusse Zapad 2017 avait mobilisé des effectifs largement supérieurs avec plusieurs dizaines de milliers d’hommes et des centaines de véhicules. Là encore, les choses ont considérablement évolué depuis : en témoignent le renforcement des effectifs de l’OTAN dans la région et l’organisation cette année de Steadfast Defender, plus vaste exercice militaire de l’OTAN depuis 1988. La remontée en puissance militaire des alliés reste cependant limitée pour les prochaines années ; la matérialisation des ambitions polonaises, entre doublement programmé des effectifs militaires et commandes géantes d’armement, si elle va à son terme, s’étendra jusqu’à 2030 au moins.

Là où l’OTAN organise depuis 2016 des rotations de forces mécanisées de quelques milliers de soldats entre Pologne et pays baltes et augmente ses capacités de réaction rapide, les forces des districts militaires russes occidentaux pourraient quant à elles engager très rapidement des dizaines de milliers d’hommes et jusqu’à plusieurs centaines de chars opérationnels d’ici quelques décennies si la remontée en puissance militaire poursuit à ce rythme malgré les pertes en Ukraine. S’il faut relativiser l’idée que les armées baltes se feraient écraser, d’une part du fait de leur propre renforcement et de celui des alliés, et d’autre part du fait des faiblesses russes, il ne faut pas non plus pécher par excès de confiance.

 

Le corridor de Suwalki est-il le talon d’Achille des frontières européennes ?

Ce corridor terrestre large d’environ 65 km relie les États baltes à la Pologne et donc au reste de l’UE et de l’OTAN. À l’est de ce passage, la Biélorussie, qui serait en cas de conflit alliée à la Russie ou sous son contrôle ; à l’ouest, l’exclave russe de Kaliningrad, zone la plus militarisée d’Europe en dehors du front ukrainien. Le corridor de Suwalki concentre l’attention des états-majors occidentaux d’une manière comparable à la trouée de Fulda, à la frontière entre les deux Allemagne, au cours de la guerre froide. Concrètement, la Russie pourrait l’exploiter pour créer des situations d’asymétrie visant à réduire l’avantage des forces occidentales. Le terrain, couvert de champs humides volontiers boueux, de forêts et de lacs, rend les déplacements difficiles dans la trouée de Suwalki, d’autant que la moitié de la trouée est constituée d’un massif vallonné ; plus à l’ouest ou au sud, les trésors naturels que sont la région des lacs de Mazurie, le parc national de la Biebrza et la forêt primaire de Bialowieza gêneraient des mouvements de troupes venant du reste de la Pologne. Seules deux autoroutes et une liaison ferroviaire qui seront vite la cible de bombardements russes permettent d’acheminer rapidement des renforts par voie terrestre.

La Russie a créé à Kaliningrad une « bulle A2/AD » particulièrement dense (batteries antiaériennes S-400, batteries côtières SSC-5 Bastion et SSC-1 Sepal, missiles Iskander, artillerie, équipements de guerre électronique…) qui à défaut d’assurer un déni d’accès complet, compromettrait sérieusement les opérations navales et aériennes alliées. Elle y conserve des effectifs conséquents, qu’elle pourrait relever à plusieurs dizaines de milliers d’hommes sur un temps court, en parallèle d’un renforcement en Biélorussie. En attaquant le corridor de Suwalki, les forces russes seraient capables de combiner effet de surprise, supériorité numérique temporaire, logistique solide et capacités de déni d’accès, avec l’objectif d’isoler nos alliés baltes. Si l’OTAN renforce ses capacités de réaction rapide pour empêcher ce scénario, la bataille promet d’être rude. Le corridor de Suwalki n’est pas le talon d’Achille des frontières européennes, d’autant que le réarmement massif de la Pologne va produire ses effets dans les années à venir, mais c’est un point de vigilance.

 

Quel est l’état de la coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes, situés aux avants postes de l’Europe ? Sommes-nous, Européens de l’Ouest, prêts à défendre leur intégrité territoriale ?

La coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes s’effectue au travers de l’OTAN, des coopérations européennes et de relations bilatérales.

Les trois États baltes accueillent des « battlegroups » de l’OTAN, c’est-à-dire des forces multinationales composées de détachements des forces de plusieurs États membres, dans le cadre de l’Enhanced Forward Presence, la « présence avancée renforcée » de l’Alliance. Selon les données officielles de fin 2022, l’Estonie accueillait une présence permanente d’environ 2200 soldats belges, danois, français, islandais, américains et britanniques, le Royaume-Uni étant nation-cadre et la France le principal contributeur européen local avec Londres ; la Lettonie, environ 4 000 soldats albanais, tchèques, danois, islandais, italiens, monténégrins, macédoniens, polonais, slovaques, slovènes, espagnols et américains, le Canada étant la nation-cadre ; et la Lituanie, autour de 3700 Belges, Tchèques, Français, Islandais, Luxembourgeois, Néerlandais, Norvégiens, Suédois (la Suède n’étant pas encore membre de l’OTAN) et Américains, l’Allemagne étant la nation-cadre.

La présence de ces battlegroups multinationaux a d’abord un objectif de dissuasion vis-à-vis de la Russie : si quelques centaines de soldats français, britanniques et américains en Estonie, avec peu d’équipements lourds, ne seraient pas en capacité de repousser une attaque russe d’ampleur, le fait qu’ils auraient à se battre contre les Russes avec des pertes humaines à la clé signifie que les principales puissances militaires de l’OTAN se retrouveraient en conflit direct avec Moscou. La perspective de tuer des soldats américains ou français est censée dissuader la Russie d’engager la moindre opération militaire contre les pays baltes (la présence militaire américaine s’inscrivant aussi dans le cadre de la dissuasion nucléaire élargie de Washington). L’autre objectif est bien sûr de rassurer nos alliés, et de renforcer les relations militaires avec eux au quotidien. S’ajoutent également des missions telles que la police du ciel, à laquelle contribue l’armée de l’Air française.

Depuis la fin des années 2010, suite à l’annexion de la Crimée, la France compte ainsi en moyenne (le nombre fluctue en fonction des rotations) 2000 militaires engagés sur le flanc est de l’OTAN. En Estonie, nos soldats participent à la mission Lynx où ils constituent le principal contingent avec les Britanniques. En Roumanie, la France est la nation-cadre de la mission Aigle mise en place dans les jours suivant l’invasion de l’Ukraine. Cette participation à la défense collective de l’Europe contribue aussi à l’influence française chez nos alliés d’Europe centrale et orientale. Si l’on en revient spécifiquement aux pays baltes, la présence militaire de la France et d’autres pays d’Europe de l’Ouest est significative, quoiqu’elle ne soit évidemment pas à la même échelle que la présence de dizaines de milliers de soldats américains dans des pays alliés, et elle entretient une véritable intimité stratégique.

Dans le cadre des coopérations européennes, les Européens de l’Ouest coopèrent avec les baltes à travers des politiques communes telles que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), la Coopération structurée permanente, ou encore le Fonds européen de la défense. Outre ces politiques directement liées à l’UE, les coopérations se font à travers des projets ad hoc tels que l’Initiative européenne d’intervention lancée par la France, et que l’Estonie est le seul pays d’Europe centrale et orientale à avoir rejointe. 

Cette participation de l’Estonie à l’Initiative européenne d’intervention promue par Paris montre aussi le développement des relations bilatérales de défense entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les États baltes. Ainsi, la participation importante de l’Estonie à l’opération EUFOR RCA (Centrafrique) en 2014 s’expliquait en partie par sa reconnaissance envers la France, qui avait libéré sept cyclistes estoniens pris en otages au Liban en 2011 par le groupe Harakat al-Nahda wal-Islah. L’engagement estonien au sein de la Task Force Takuba (2020-2022) au Sahel avait également été très apprécié par les Français. Si l’Estonie a souvent reproché à la France ses positions jugées ambiguës envers la menace russe et continue de se montrer prudente quant aux projets d’autonomie stratégique européenne en matière de défense, l’on note un rapprochement et un effort de compréhension ces dernières années. Il en va de même pour la Lituanie, où sont également stationnées des troupes françaises, et qui a choisi des canons CAESAR français pour renforcer son artillerie après l’invasion de l’Ukraine (l’Estonie ayant acquis de nouveaux radars français).

Les coopérations militaires entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les nations baltes sont ainsi déjà denses, et elles continuent de se renforcer, du renseignement aux manœuvres militaires conjointes. Qu’en est-il de la disposition des Européens de l’Ouest à entrer en guerre pour défendre l’intégrité territoriale de nos alliés baltes ? Ces derniers se demandent dans quelle mesure nous serions prêts à mourir pour Tallinn, Riga ou Vilnius, là où une partie de l’opinion publique française refusait en 1939 de « mourir pour Dantzig » alors que la menace allemande envers la Pologne se précisait. Entre la faiblesse militaire et la retenue de l’Allemagne et de l’Italie, et la prudence de la France et du Royaume-Uni dont on peut légitimement se demander si elles seraient prêtes à risquer une escalade nucléaire, la question peut en effet se poser.

Un sondage du Pew Research Center de 2020 montrait qu’après le Royaume-Uni (à 55 %), la France était le pays d’Europe de l’Ouest où la population était la plus favorable à une intervention militaire nationale en cas d’attaque russe contre un pays allié (à 41 %, à égalité avec l’Espagne, et loin devant l’Allemagne et l’Italie, et devant même la Pologne à titre de comparaison). Si les données manquent sur l’évolution de l’opinion publique à ce sujet depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, diverses études montrent un renforcement de la solidarité atlantique au sein des opinions publiques ouest-européennes ainsi qu’un durcissement des positions à l’égard de la Russie. S’il est probable qu’une part conséquente de la population des nations d’Europe de l’Ouest continue de s’opposer à une riposte armée de leur pays en cas d’agression russe, ne serait-ce que par crainte d’un futur échange nucléaire, l’on peut estimer que la part des citoyens prêts à ce que leur pays respecte ses engagements en tant que membre de l’OTAN ait augmenté.

Enfin, si la précaution est de mise quant à l’attitude qui pourrait être celle des dirigeants d’Europe de l’Ouest (avec des positions françaises sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire nationale qui ont pu sembler floues au-delà de la part de mystère qu’exige la dissuasion, voire contradictoires), la position officielle est également celle d’un respect de la lettre et de l’esprit du Traité de l’Atlantique nord, et les pays d’Europe de l’Ouest cherchent à rassurer les pays baltes quant à leur disposition à défendre leur intégrité territoriale, et ce d’autant plus depuis l’invasion de l’Ukraine.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Écrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Les champions (franco)africains du french bashing

« Je déteste tous les Français »

Le 3 février dernier, un immigré malien de 32 ans, Sagou Gouno Kassogue, a attaqué au couteau et blessé grièvement des passagers de la Gare de Lyon. Finalement maîtrisé par l’action conjuguée des passants, des agents de sécurité et des membres de la police ferroviaire, l’homme en garde à vue a été mis en examen pour tentative d’assassinat aggravée et violence avec armes aggravée.

Les premiers éléments de l’enquête dévoilés par le préfet de police de Paris révèlent les discours conspirationnistes d’un individu ayant visiblement prémédité son acte, comme le montre l’activité d’un compte Tik-Tok et d’un compte Facebook à son nom, ainsi que des dizaines de messages postés sur les réseaux sociaux. Il est pourtant encore présenté comme psychiatriquement fragile. Fragile mais capable de préméditer.

Sur son compte Tik-Tok et sur son compte Facebook la même boue habituelle, victimaire et antioccidentale charriée par la fachosphère ouest-africaine : « la France paye, par ce crime, pour le pillage des ressources durant la colonisation », « la France finance le terrorisme », « Emmanuel Macron a fait alliance avec le diable ».

En retour, des déclarations à « son excellence Vladimir Poutine ».

On en passe et des meilleures.

Ce discours on le connaît. Il inonde la Toile depuis des années, parfois émanant de personnes naturalisées ou binationales mais résidant en France : on se demande ce que fait la Justice française devant ce déferlement de haine anti-française…

Ce discours on le connaît aussi parce qu’il est porté depuis des années par des associations ayant pignon sur rue, on le connaît surtout parce que c’est celui des juntes militaires malienne, burkinabé et nigérienne. On le connaît enfin parce que c’est celui que Abdoulaye Diop et Abdoulaye Maïga, membres du gouvernement militaire malien, ont tenu tous deux, sans honte, à la tribune des Nations Unies.

L’attaque au couteau de la gare de Lyon ne sort pas de nulle part et encore moins des brumes cérébrales d’un immigré perturbé.

Cette attaque est l’aboutissement d’un long et lent processus viral né et métastasé sur le Net. Et qui s’est brusquement défictionnalisé en s’incarnant dans une tragédie.

La première sans doute d’une série.

Retour sur les enjeux de la guerre informationnelle menée contre la France, et donc depuis le 3 février, contre chaque Français.

 

Ils vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-même… 

Quatre milliards d’humains votent en 2024, soit la moitié de l’humanité : un fait sans précédent dans son histoire, qui laisse certains penser que la démocratie s’étend dans le monde. Pour autant, toutes les démocraties ne se valent pas, en effet beaucoup de régimes étant des « démocratures », des régimes à élection mais sans les garanties de libertés individuelles qu’offre le système de Westminster.

Encore faut-il rappeler que ces élections vont se dérouler dans un contexte numérique de désinformation massive, également sans précédent dans l’histoire de la démocratie libérale.

Non seulement la désinformation peut influer sur les déterminants du vote et favoriser telle ou telle famille d’idées politiques, mais elle peut aussi renverser des régimes : en Afrique de l’Ouest, notamment, où quatre régimes politiques sont tombés (Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry et Niger), largement sous les coups portés à l’idéal démocratique par des réseaux sociaux alimentant les fausses nouvelles à un rythme effréné.

Derrière ces campagnes de désinformation, des personnalités, des mécanismes, des éléments de langage qu’on arrive maintenant à bien connaître car le Sahel en a été dans le monde francophone un des laboratoires les plus prolifiques et aussi les plus prolixes.

Anti-Français, anti-démocratie, antilibéraux, adeptes de toutes les théories du complot les plus rétrogrades, quand ils ne les fabriquent pas eux-mêmes, ces influenceurs et activistes du Net sont entrés dans une « guerre sans fumée » contre la France. Ils sont capables de faire tomber des gouvernements, voire, comme au Sahel, de renverser des régimes politiques.

Qui a dit à la Radio Télévision Suisse : « […] Chaque soldat français qui tombe en Afrique, c’est un ennemi qui tombe […] » ? Nathalie Yamb, « La Dame de Sotchi ».

Qui a dit : « […] « La seule chose qui nous rapproche des nazis, et que je ne renie pas, c’est qu’ils aimaient l’Allemagne plus que l’Allemagne s’aimait elle-même » […] » ? Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, « L’Étoile Noire », dans un entretien (Rapporté par Jean Chichizola et Gabrielle Gabizon dans Le Figaro, 30/05/2006) ; et il ajoute une charge contre « […] les macaques de l’amitié judéo-noire […] » (2004) précisant ensuite son propos « […] Nous combattons tous ces macaques qui trahissent leurs origines, de Stéphane Pocrain à Christiane Taubira en passant par Mouloud Aounit. […] Les nationalistes sont les seuls Blancs que j’aime. […] » (Propos rapportés par Mourad Guichard, Libération, 18 janvier 2008).

Vous ne les connaissez pas, mais ils vous connaissent très bien et ont fait de vous les boucs émissaires à l’origine de tous les problèmes du monde. Enquêtes au cœur de la galaxie de l’absurde assassin.

 

Choc des civilisations et menace existentielle

Ces gens, ces propos, ne restent pas inertes, cantonnés à la sphère virtuelle : la porosité entre le virtuel et le réel est forte, comme en témoigne par exemple l’alliance de circonstance entre la Ligue de Défense Noire Africaine, mouvement suprémaciste noir microscopique en termes d’adhérents, mais très largement présent sur les réseaux sociaux, et l’association « Vérité pour Adama », dans les manifestations organisées par cette dernière contre les « violences policières ».

Les propos tenus en ligne par les ténors du french bashing se diffusent via les réseaux sociaux bien au-delà des cercles géographiques ou culturels initiaux dans lesquels ils sont produits : par capillarité ils irriguent des sphères voisines, puis se diffusent par le jeu des commentaires et des reposts dans des sphères de plus en plus éloignées. Et finissent dans les cités par donner un vernis idéologique et anti- démocratique à des malaises sociaux ou sociétaux, mais aussi à la haine de la République, de la laïcité, de l’école.

Si les atteintes à la laïcité dans les écoles et les lycées, mais aussi les universités, se multiplient, c’est aussi parce que les réseaux sociaux démultiplient à l’infini les thèses les plus extrémistes, dont beaucoup sont destinées préférentiellement aux populations du Sahel, mais sont récupérées au passage par des membres de diasporas, qui restent à l’écoute de ce qui se passe dans leur pays d’origine, et en irriguent ensuite les conversations à la maison, transmettant en France via leurs enfants jeunes adultes ou adolescents le narratif d’intolérance et de haine qui sont le pain quotidien de ces réseaux sociaux.

Il n’y a plus du frontière entre le local et le global : ce qui est local est global, ce qui est global s’incarne dans du local. Comme il n’y a plus de frontière entre le virtuel et le réel. Nous sommes entrés dans un monde hyper-performatif : hier on disait « dire c’est faire ! » aujourd’hui nous sommes dans un âge où « Lire c’est faire ! » comme les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard nous l’ont montré.

Les voies migratoires sont autant de canaux de diffusion physiques des propos anti-démocratiques, anti-occidentaux et anti-mondialistes tenus sur les réseaux sociaux et auxquels sont littéralement biberonnés les jeunes des grandes métropoles du Sahel, mais aussi ceux des « quartiers », c’est-à-dire les grandes banlieues des métropoles françaises.

Les propos tenus sur les réseaux sociaux destinés aux populations sahéliennes sont rarement produits au Sahel : ainsi Alain Foka, ancien journaliste de Radio France Internationale (RFI), qui après avoir soutenu la chute des régimes démocratiques au Burkina Faso, au Mali et au Niger, et avoir lui aussi fait le déplacement à Bamako, et après son récent départ de RFI s’est illustré au Togo, dictature familiale de la famille Gnasimbé, y a inauguré sa nouvelle entreprise de média, s’interroge ou feint de s’interroger : « Pourquoi la jeunesse africaine rejette l’Occident ? ».

Ou bien @La guêpe, sur X, installée aux États-Unis, ou Fenelon Massala (@rfemassala sur X) installé en Belgique…

La fabrique du french bashing et de la haine de l’Occident est largement produite en Occident. Le cas d’Alain Foka est loin d’être un cas isolé : Claudy Siarr, chroniqueur culture sur RFI et animateur de l’emblématique émission de RFI « Couleurs tropicales » s’est, lui aussi, sur les réseaux sociaux fait une spécialité de défendre le narratif russe dans la guerre en Ukraine, comme de soutenir le régime dictatorial en Centrafrique…

 

La coalescence des galaxies du french bashing : le suprémacisme noir…

Ils sont légion. Mais ils ne sont ni inconnus ni insaisissables. Derrière l’armée des petites mains qui officie sous pseudos sur les réseaux sociaux, et bien sûr derrière l’armée des bots issus des fermes à trolls souvent d’obédience russe (mais parfois chinois ou même iraniens), il y a des têtes d’affiche du french bashing. Et ceux-là, non seulement sont très connus, mais vivent et existent grâce à leurs outrances sur les réseaux sociaux.

Certains d’entre eux vivent et s’enrichissent de cette guerre informationnelle. Par le biais de partis politiques et d’organisations non gouvernementales (ONG) comme Urgences panafricanistes du franco-béninois Stellio Capo Chichi alias Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), ou d’association comme L’Institut de l’Afrique des Libertés du franco-camerounais Franklin Nyamsi, ou par le biais de sociétés : Nathalie Yamb est spécialiste en la matière, ayant fondé en Suisse, dans le Canton de Zoug, une société de consulting, et dans le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis, une société écran révélée (2021) par les Panama papers, Hutchinson Hastings Partners LLC.

Ils évoluent cependant dans des galaxies hier déconnectées, aujourd’hui en voie de coalescence.

Les tenants du kémitisme et du suprémacisme noir

La galaxie du suprémacisme noir est la première à avoir émergé sur la scène médiatique et numérique francophone. Cette galaxie est représentée en France par une myriade d’associations et quelques leaders qui se sont progressivement imposés sur une scène médiatique élargie, alors même que leurs militants se compte sur les doigts de la main. L’audience numérique d’un Sylvain Dodji Afoua, Franco-Togolais qui se fait appeler « Egountchi Behanin » du nom d’un ancien roi du Dahomey, est sans commune mesure avec le nombre d’adhérents de sa Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), moins de 250 adhérents lors de sa dissolution.

L’un des parrains de cette galaxie est le docteur Franklin Nyamsi, Franco-Camerounais, arrivé en France pour y poursuivre ses études supérieures, docteur en philosophie, professeur de l’Éducation nationale, temporairement mis à pied en 2023 pour ses propos tenus en classe, mais maintenu dans la fonction publique. Il vitupère sur les réseaux sociaux contre la France, accusée de tous les maux du continent africain. Sous le pseudonyme de Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika, ses vidéos de moins d’une minute sur Tik Tok, le réseau social chinois, sont vues des centaines de milliers de fois.

Sur sa chaîne YouTube (Plus de 300 000 abonnés) il se présente :

« […] La liberté, la dignité, Le bien- être intégral de l’humanité dans une planète harmonieuse sont mes rêves éveillés. Je veux promouvoir ici comme ailleurs, La justice. […] ».

Jamais en mal d’emphase sur lui-même, le professeur de l’Académie de Rouen n’en n’attise pas moins un feu continu sur le pays qui l’a formé et l’accueille.

C’est ainsi qu’en janvier 2024 sur sa chaîne YouTube où il rappelle son séjour au Niger et sa réception en grande pompe par les autorités militaires qui viennent de renverser le président élu Mohamed Bazoum, il présente son retour à Bamako, « Capitale de l’Alliance des États du Sahel ». Les louanges dans les commentaires sont à la mesure de l’enflure de l’ego de Franklin Nyamsi : ainsi @ognok4196 qui affirme : « […] Soyez béni, Prof Inbougique pour votre contribution louable […] » et ajoute « […] Comme toujours, vive la Russie et le GRAND POUTINE, le président du siècle […] ».

Si après, on conteste encore l’influence russe derrière la sphère suprémaciste noire…

La haine de la France n’est d’ailleurs jamais loin :

« […] nous ne pardonnons jamais à ces locodermes (sic) [Pour leucodermes id est les Blancs], qui ont osés souillés la terre de l’homme et son humanité ! Hotep professeur ! […] » déclare @deazolowry4473 tandis que @Africa_infoTV1994 affirme espérer « […] Les pays de L’A.E.S Transition jusqu’en 2100 […] ». C’est-à-dire pas d’élection jusqu’en 2100 !

Le triptyque haine des Blancs, haine de la démocratie et délire égyptologique est posé. Il fonde le discours du suprémacisme noir. Derrière ces figures d’intellectuels de l’afrocentrisme, émergent des figures plus rustres mais tout aussi populaires de militants. Comme Sylvain Dodji Afoua ou Stellio Capo Chichi.

Sylvain Dodji Afoua, né au Togo, arrivé en France à l’âge de 14 ans après le décès de son père au Togo. Il rassemble autour de son association LDNA plus de 50 000 followers sur Instagram, presque autant sur Facebook : condamné pour viol sur personne vulnérable en 2014, et incarcéré, puis pour intimidation en 2019 envers un élu public, Sylvain Dodji Afoua s’est ensuite régulièrement affiché dans les pays enclavés du Sahel victimes des coups d’État militaires, dont le Mali où il pose aux côtés d’un manifestant portant une pancarte « Mort à la France ».

Stellio Capo Chichi, connu sur les réseaux sociaux sous l’alias de Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), est lui aussi un récidiviste des condamnations, en règle générale pour incitation à la haine raciale et antisémitisme.

Il déclarait notamment :

« [Les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale de la santé sont] tenues par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur Terre. » (2009).

Les médias africains souvent situés dans l’opposition ne sont pas avares de louanges pour Stellio Capo Chichi, confinant parfois à l’admiration homo érotique.

Ainsi Joseph Akoutou (2018) dans BeninWebTV qui déclare :

« […] Ce Franco-Béninois a un physique imposant par sa taille élancée, son épaule rectangulaire, sa démarche de guerrier, son visage grave où l’on lit la fermeté, la colère, la révolte, la rage, une revendication. […] ».

L’éternel retour de la figure de l’homme providentiel.

Engagé dans la branche européenne de Nation of Islam du leader musulman américain Louis Farrakhan, il quitte plusieurs fois le mouvement et décide finalement de rompre avec les religions révélées et fonde divers groupuscules dont Tribu Ka, et maintenant l’ONG Urgences Panafricanistes. Expulsé du Sénégal puis de Côte d’Ivoire, il s’installe au Bénin, et apporte ensuite son soutien aux régimes militaires malien, puis burkinabè, et enfin nigérien. Il organise d’ailleurs un meeting à Niamey dans la foulée du coup d’État militaire perpétré contre le président élu Mohamed Bazoum.

L’ONG Urgences Panafricanistes est fondée en 2015 en partenariat avec Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo et alors en exil, et c’est sans doute là que, dans la sphère suprémaciste noire, les rapprochements commencent avec l’autre galaxie anti-France et anti-démocratie, celle des orphelins de la crise ivoirienne.

Les orphelins de la crise ivoirienne : un composite instable mais soudé par la haine de la France et une survie médiatique sur les réseaux sociaux

La galaxie des influenceurs Web issue de la crise ivoirienne est composite : pour partie elle est constituée des militants de Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire, déféré puis acquitté par la Cour Pénale Internationale (CPI) ; pour partie par les partisans de Guillaume Soro, ennemi de Laurent Gbagbo, mais revenu à de meilleurs sentiments lorsqu’il échoua à son tour dans son coup de force contre le président élu Alassane Dramane Ouattara.

Une galaxie bien fragile en apparence, mais soudée par la haine de la France et très active sur les réseaux sociaux – exil oblige – et architecturée autour de la commune haine contre Alassane Dramane Ouattara (ADO pour ses supporters). Et donc qui verse dans la haine de la France, considérée comme la garante du pouvoir et de la longévité du président ADO.

Alors qu’elle tempête en permanence sur le climat de dictature qui règnerait en Côte d’Ivoire, nombre des artisans de cette galaxie anti-France, résident pourtant en Côte d’Ivoire ou y ont résidé : c’est le cas, on l’a dit, de Stellio Capo Chichi, finalement expulsé, de Nathalie Yamb, expulsée elle aussi, c’est le cas sur X de @amir_nourdine, dit Amir Nourdine Elbachir, qui regroupe plus de 120 000 followers sur X, ou de @DelphineSankara, dit Issa Sissoko Elvis, un homme, en dépit de son pseudonyme, qui vit comme animateur de radio communautaire dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Nathalie Yamb illustre à elle seule les contours très flous d’une galaxie largement inféodée au narratif russe.

Elle est impliquée dans le scandale aux cryptomonnaies organisé par la société Global Investment Trading de Émile Parfait Simb, un autre Camerounais actuellement en fuite. Elle fait l’objet d’une plainte collective des clients de Simb Group dans l’affaire Liyeplimal, une plainte adressée au parquet fédéral du New Jersey, dans laquelle elle figure comme co-accusée aux côtés de personnalités politiques et médiatiques camerounaises. Il lui est reproché d’avoir vanté les mérites de Liyeplimal, gigantesque pyramide de Ponzi numérique, alors que les autorités de régulations financières d’Afrique centrale avaient déjà averti les usagers des irrégularités commises par les sociétés de Simb Group.

Émile Parfait Simb, actuellement mis en examen au Cameroun, et dont la société a son siège social à Dubaï, bénéficie d’un passeport diplomatique de la Centrafrique, premier pays francophone à tomber dans l’escarcelle de Wagner. Il a quitté l’Afrique, d’abord pour la Russie, puis pour une destination inconnue. Ange-Félix Taoudéra, dont les liens avec la société parapublique Wagner et avec la Russie sont forts, est étonnamment exempt de toute critique de la part de Nathalie Yamb.

Surnommée « La Dame de Sotchi » depuis son intervention en 2019 à la première édition du Forum Russie-Afrique où elle a fustigé la France, Nathalie Yamb a depuis apporté son soutien aux juntes militaires burkinabè, malienne et nigérienne, se rendant à Niamey, la capitale politique du Niger, au mois de décembre 2023 où elle est reçue en grande pompe par les nouvelles autorités militaires.

Nathalie Yamb est d’ailleurs souvent citée dans les plaintes qui la visent aux côtés de Jean-Jacques Moiffo, dit Jacky : autre ressortissant Camerounais installé en région parisienne, animateur et fondateur de la Web TV modestement appelée JMTV. Il est arrivé en France à 25 ans et est également impliqué dans la plainte déposé aux États-Unis contre Global Investment Trading SA dans le cadre du scandale Liyeplimal.

La haine de l’Occident sur les réseaux sociaux se fabrique donc d’abord en Occident, par des immigrés qui y sont accueillis et installés, et qui ne comptent visiblement pas s’installer ailleurs…

 

Les prébendiers, intellectuels et artistes en perte de vitesse : le « syndrome Maître Gims »

La recette est assez simple ; quand tu es un artiste ou un intellectuel et que tu perds de l’audience, dis une connerie et tu retrouveras ton audience et ta popularité.

On se souvient des propos lunaires de Maître Gims sur l’électricité et les anciens Égyptiens, sur les tableaux de chevaliers noirs cachés sous le Vatican dans des catacombes (?). La même chose existe bien évidemment au Sahel. Une galaxie de prébendiers de la politique s’est réveillée pour se mettre au service des régimes militaires, c’est-à-dire diffuser le narratif anti-démocratique et anti-français.

Les artistes qui se refont une seconde carrière sur le french bashing

Dernière galaxie à s’agréger à cette nébuleuse du french bashing, celle des artistes et intellectuels sahéliens, plus ou moins ringardisés, et dont la notoriété à été revigorée par leurs prises de positions publiques haineuses à l’égard de la France.

Il en est ainsi du dernier arrivé dans la galaxie des has been de la culture ouest-africaine : Doumbia Moussa Fakoly, dit Tikken Jah Fakoly, reggae man ivoirien, habitué des scènes françaises, n’en n’est pas moins un adversaire acharné, non seulement de la France, mais également de la démocratie. Dernière sortie en date, non pas un album mais une déclaration tonitruante en faveur des régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Quand on sait le sort réservé aux militaires ivoiriens envoyés dans le cadre de la MINUSMA pour protéger la base aérienne de l’ONU au Mali et retenus en otages par les autorités maliennes pendant de longs mois, le ralliement du reggae man étonne… Mais la « jeunesse » ouest-africaine est sensible à ces déclarations à l’emporte-pièces anti-françaises et anti-démocratiques.

Il n’est pas le seul artiste à avoir rallié les régimes militaires : Salif Keïta, qui avait par ses déclarations largement discrédité la démocratie malienne, a intégré le Conseil National de la Transition (CNT) institué par les putschistes maliens avant de s’en retirer pour des raisons de santé trois ans plus tard. Il n’a pourtant jamais cessé, ni avant son entrée au CNT ni après, de vitupérer contre la France et les démocraties sahéliennes, usant de son aura internationale de musicien et de chanteur pour donner une forme de légitimité populaire à la junte militaire malienne.

Las, il a dû aussi annuler en catastrophe un concert prévu à… Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire devant la bronca des réseaux sociaux ivoiriens, ulcérés de voir un des principaux propagandistes de la junte militaire malienne oser paraître devant le public ivoirien, alors que cette même junte avait retenu de longs mois des militaires ivoiriens en otages.

L’entrée de Tikken Jah Fakoly le reggae man sur la scène pro-putschiste avait aussi pour ambition de rallier le public des jeunes Ivoiriens au narratif anti-Ouattara développé par les militaires maliens : les crimes en série commis par Wagner contre les populations civiles, majoritairement peules et touarègues, les coupures d’électricité incessantes dans tout le Mali et notoirement à Bamako, le coût de l’utilisation de Wagner (près de 200 millions de dollars par an au lieu des 120 annoncés initialement, et payés essentiellement en or malien) ont toutefois largement discrédité le régime militaire de Bamako.

Des intellectuels ont également apporté une aide inattendue mais inespérée aux putschistes, notamment au Mali où une large partie de l’intelligentsia s’est ralliée au régime militaire. Aminata Dramane Traoré s’est ainsi ralliée assez facilement au régime militaire. L’Occident francophone, dans les années 1990 et 2000,  avait porté cette femme aux nues pour ses romans et essais anti-occidentaux, culture woke avant le wokisme, et on avait célébré son antimondialisme. Bien qu’elle fasse paraître la totalité de ses ouvrages en France où se trouve l’essentiel de son public, Aminata Dramane Traoré s’est fait une spécialité de dénoncer les supposés méfaits de l’Occident et de la mondialisation en Afrique et notamment au Mali.

Si son ralliement à la junte militaire malienne a surpris, c’est parce que l’engouement initial autour de ses publications avait sans doute masqué une constante dans la trajectoire politique d’Aminata Dramane Traoré : elle a servi tous les régimes et toutes les institutions : étudiante en France, professeur en Côte d’Ivoire, puis fonctionnaire de l’ONU, puis ministre de la jeune démocratie malienne, elle sert aujourd’hui le régime militaire. Il est vrai qu’Aminata Dramane Traoré a toujours su se servir et servir sa famille avant de servir la communauté.

 

Une immense lâcheté

Au Sahel aussi les consciences se sont relâchées comme des ventres. La France a soutenu, et soutient encore, nombre de personnalités qui se sont retournées contre elle, et au-delà, contre les valeurs universelles que sont la démocratie, la protection des minorités, la tolérance, et on en passe. Via des subventions, des visas, des colloques et des conférences financées sur les fonds de l’aide au développement, d’aides à la création culturelle, la France a largement contribué à nourrir des officines et des personnalités qui lui sont désormais hostiles.

En Côte d’Ivoire la situation est la même. Les propagandistes ouvertement profrançais ont fait l’objet d’une répression judiciaire qui apparaît étrange : les propagandistes prorusses sont largement préservés, seules les petites mains sont l’objet d’une surveillance et de poursuites tandis que les ténors restent aussi virulents. La faute en revient d’abord à la crainte qu’ont les régimes de s’aliéner une jeunesse désœuvrée, et qu’on espère distraire en la laissant se nourrir de haine contre un ennemi lointain. Par peur de devoir affronter le courroux de la rue si la France et au-delà l’Occident cessaient d’être le bouc émissaire commode qu’ils sont devenus.

Au-delà de la situation spécifique du Sahel et de ses relations avec la France, c’est toute une politique policière et judiciaire vis-à-vis de la diffusion et de la propagation exponentielle des fausses informations qui doit être revue.

Encore aujourd’hui, la menace que représente pour la démocratie libérale la diffusion massive de fausses informations est considérée comme une menace mineure, alors même que la presse écrite ou les émissions de radio ou de télévision, pourtant devenues des supports marginaux dans l’acte de s’informer, sont l’objet d’une surveillance tatillonne.

La loi existe pourtant pour punir ces dérives informationnelles. Encore faut-il la faire appliquer. Et bien évidemment cesser de laisser la bride sur le cou des services de coopération et d’action culturelle (et les institutions universitaires) afin de resserrer les cordons de la bourse. Lénine avait coutume de dire que le capitalisme vendrait la corde qui servirait à le pendre, au Sahel la France finance et donne les verges qui servent à la battre.

Poutine, Tucker Carlson et les bananes

La Russie de Poutine sera privée de bananes, considérées là-bas comme une source importante et peu chère de vitamines et de protéines. C’est le surprenant effet indésirable du transfert par l’Équateur aux États-Unis de six systèmes de missiles anti-aériens Osa-AKM, qui devraient ensuite être transférés à l’Ukraine. En contrepartie, les États-Unis fourniront à l’Équateur de nouveaux systèmes de défense aérienne américains, accompagnés d’une formation, d’un soutien, de pièces de rechange et d’une assistance technique continue.

En effet, pour contourner le refus des Républicains de voter une enveloppe d’aide à l’Ukraine, Joe Biden cherche partout sur la planète des armements qui pourraient être livrés au pays victime de la barbarie de Poutine, en les faisant transiter par les États-Unis.

Mais… Quel rapport avec les bananes ? 

Le rapport, c’est la stupidité des dirigeants russes qui, à l’annonce de cette information, ont décidé de boycotter l’Équateur qui était jusqu’alors leur principal, sinon l’unique fournisseur (92 à 98 %) de ce fruit dont la forme fait penser à un boomerang allongé.

Comble de l’hypocrisie, le Kremlin a « envoyé Rosselkhoznadzor, son service de contrôle phytosanitaire, vérifier la prochaine livraison de bananes de cinq grandes entreprises agricoles équatoriennes et y a trouvé une mouche à bosse polyphage. »

La Russie espère pouvoir se tourner vers l’Inde, mais les prix ne seraient pas aussi avantageux et rien n’est sûr au niveau des quantités.

Il est vrai cependant que la Russie dispose de milliards de roupies dans les coffres de New Delhi, produits de la vente de pétrole, dont elle ne sait que faire, à cause de l’inconvertibilité en dollars américains des deux devises.

Et la banane est aussi un sujet sociologique en Russie, rien de mieux pour le comprendre que de lire ce qu’un Russe en pense sur Télégram, avec un humour réaliste :

« Le problème ici, ce sont les bananes. Pour les Russes, elles sont devenues un produit de base. L’une des sources les plus accessibles non seulement d’énergie, mais aussi de vitamines et de minéraux. Du calcium, du fer.

L’autre aspect du problème est socio-économique. Pour des segments importants de la population, la banane reste le mets délicat et le dessert le plus abordable. Les ananas et les mangues, vous le savez, sont plus chers, et les oranges le sont désormais aussi. Il s’avère donc que pour les couches sociales les moins riches, la banane la plus ordinaire est le symbole d’un succès minime. Puisque vous pouvez vous permettre une banane, cela signifie que vous n’êtes pas un complet perdant ni un mendiant. »

La liste des pénuries alimentaires va s’allonger pour le pauvre peuple russe opprimé : œufs, viande de bœuf et de poulet, et maintenant bananes.

Sans parler des berlines allemandes, françaises ou japonaises dont ils étaient si fiers de se porter acquéreurs. Pendant ce temps, l’Ukraine inonderait l’Europe de ses poulets et de ses œufs à des prix imbattables. Un comble ! Mais elle ne produit pas encore de bananes.

 

Tucker Carlson, le trumpiste poutiniste

Le célèbre chroniqueur trumpiste expert en fakes et en provocation, qui était arrivé en Russie pour interviewer le maître du Kremlin, n’est pas le bienvenu pour une partie des Russes, qui s’en émeuvent sur les réseaux sociaux, tandis que les ultranationalistes plus fascistes que Poutine lui-même – on peut se demander comment c’est possible – se réjouissent par avance du tort de ce que son travail de sape pourrait faire à Joe Biden.

« Et pourquoi un tel amour pour ce colporteur de faux de haut vol, qui a été licencié de Fox News pour des dommages s’élevant à un milliard de dollars, précisément à cause d’allégations mensongères » s’interrogent les Russes raisonnables, ceux qui ont su préserver leur esprit des ravages de la propagande institutionnelle orchestrée par le FSB ex-KGB.

Le Kremlin a confirmé que Carlson avait bien rencontré le dictateur russe, Poutine ne pouvant bien sûr pas rater cette occasion de faire un pied de nez à l’adversaire de son allié objectif, Donald Trump.

Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré que les médias occidentaux n’essayaient même plus de paraître impartiaux dans leurs reportages sur la Russie, et qu’ils n’avaient plus envie de communiquer directement avec de tels médias.

Il est vrai qu’en matière d’impartialité, la Russie de Poutine coche toutes les (mauvaises) cases.

Le trublion du paysage médiatique américain a annoncé qu’il publierait son interview le 9 février sur son site internet.

Par ailleurs, Carlson prévoit de se rendre à Kyiv pour réaliser une interview, car selon lui, « toutes les interviews précédentes du dirigeant ukrainien avec les médias américains n’étaient pas du journalisme, mais de la propagande. »

À moins qu’un mandat d’arrêt ne soit opportunément lancé… Mais l’Union européenne ne semble pas l’envisager.

États-Unis : bataille constitutionnelle au Texas

Si l’Iowa et le New Hampshire représentent vraiment l’opinion du Parti républicain, alors l’immigration sera le sujet des électeurs en novembre. Et avec la bataille constitutionnelle qui se pointe au Texas, les dialogues de sourds et les attaques fuseront de toute part pour les dix prochains mois.

En effet, las de voir autant « d’illégaux » traverser la frontière au Texas, le gouverneur Greg Abbott a décidé de la fermer à Eagle Pass (sud-ouest de San Antonio) depuis le 10 janvier. Il a utilisé la garde nationale pour installer des barbelés dans un parc qui servait aux agents fédéraux pour traiter les demandes de statut de réfugiés.

Et comme à chaque fois que le Texas met des bâtons dans les roues de l’administration Biden, cette dernière proteste par la voie légale. Encore une fois, elle a eu gain de cause : dans une décision 5-4, la Cour suprême a affirmé que Washington peut retirer les fils barbelés. Mais comme elle n’a pas dicté ce que le Texas peut (ou ne peut) faire, l’administration Abbott persiste et signe, et jure de rétablir tout ce qui sera retiré.

 

Hyperboles et exagérations

Comme presque tout ce qui concerne l’immigration et les frontières, les énormités pullulent.

Tout d’abord, l’invocation constitutionnelle d’Abbott ne tient pas la route. Car lorsqu’on regarde les débats autour de l’adoption de la Constitution, « invasion » signifie vraiment une invasion d’une force étrangère. La Californie avait été recalée sur cet argument en 1996 alors qu’elle se disait débordée par l’immigration. Le Texas a également perdu cet argument récemment en devant retirer des bouées sur le Rio Grande (à la frontière avec le Mexique).

Qui plus est, Abbott flirte dangereusement avec le fascisme en permettant aux forces policières texanes de détenir quiconque est suspecté d’être sans papier. Il affirme aussi que le passage de drogues fait partie d’une invasion et qu’il faut agir coûte que coûte. En d’autres termes, l’habeas corpus peut être suspendu partout et en tout temps sur un coup de tête sans fondement légal ou philosophique. Sans parler des pertes économiques astronomiques de systématiquement inspecter tous les camions entrant aux États-Unis.

 

Une frontière fermée

Aussi, au risque de me répéter et n’en déplaise aux « défenseurs » de la nation, les frontières sont bel et bien fermées. Considérant que le chemin dit légal pour émigrer vers les États-Unis est plus difficile que d’obtenir le laisser-passer A38 – voyez plutôt – les gens qui veulent désespérément améliorer leur situation emploieront des moyens tout aussi désespérés pour y parvenir.

Et plus on restreindra le périmètre « légal » de l’immigration, plus certains recourront au « crime » pour tenter d’émigrer. Regardez simplement la guerre à la drogue : est-elle moins accessible du fait de son illégalité (aux yeux du fédéral du moins)  ?

De toute façon, nonobstant leur façon « criminelle » d’entrer au pays, les personnes sans papiers ne sont pas les « empoisonneurs » comme certains aiment les dépeindre. Leur taux de criminalité est exponentiellement inférieur à celui des « natifs », et ils utilisent Medicaid (assurance-santé publique pour les démunis) à un taux nettement moindre que leur pourcentage de représentation de la population.

Mais les faits n’atteignent pas les nativistes. Ils persistent et signent au sujet de la supposée invasion ; 25 gouverneurs (tous Républicains) ont annoncé un soutien moral et/ou matériel au Texas dans son combat.

Source : https://youtu.be/Tuoff2KCU1w?feature=shared&t=58

Ils se privent ainsi d’un vaste potentiel d’électeurs, dont plusieurs sont pratiquants, conservateurs et très proches de leur famille. Le fait que certains apparaissent sur une liste noire du FBI ne veut strictement rien dire ; pendant un moment, l’agence a considéré les catholiques traditionnels et les parents trop incisifs aux rencontres parents-enseignants comme des extrémistes à surveiller.

 

Des Démocrates opportunistes

Par ailleurs, n’allez surtout pas croire que le parti de Joe Biden est plus compatissant.

Malgré de belles et occasionnelles paroles de certains, les Démocrates sont presque autant faucon quand vient le temps de « défendre » la frontière. De Barack Obama à Joe Biden en passant par Bill Clinton, le parti de l’âne ne fait rien pour ne serait-ce que simplifier un tantinet le processus d’immigration.

Probablement sentant la montée nativiste, Biden a même déclaré qu’il pourrait fermer la frontière si le Congrès le lui demandait. Pourquoi fermer une frontière qui l’est déjà de toute façon ?

Bref, le présent dialogue de sourd à la frontière n’est qu’un énième épisode des inepties xénophobes du XIXe siècle. On affirme que les nouveaux arrivants vont déprimer les salaires, détruire le tissu social, vivre des aides publiques, etc.

Il est plutôt ironique de surtout voir les conservateurs protester contre l’immigration. Ne sont-ils pas ceux qui affirment que nos droits proviennent de Dieu ? La liberté de mouvement (pacifique) en fait partie.

La stratégie de Bruxelles sur l’IA bénéficiera-t-elle d’abord au Royaume-Uni ?

Par : Jason Reed

Voilà maintenant quatre ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne. Depuis le Brexit, la Grande-Bretagne a connu trois Premiers ministres, et d’innombrables crises gouvernementales. Néanmoins, malgré le chaos de Westminster, nous pouvons déjà constater à quel point les régulateurs du Royaume-Uni et de l’Union européenne perçoivent différemment l’industrie technologique. Le Royaume-Uni est un pays mitigé, avec quelques signes encourageants qui émergent pour les amateurs de liberté et d’innovation. L’Union européenne, quant à elle, poursuit une réglementation antitrust agressive sur plusieurs fronts.

 

La Déclaration de Bletchley

Cette tendance apparaît clairement dans le domaine de l’intelligence artificielle, peut-être le domaine d’innovation technologique le plus attrayant pour un organisme de réglementation. Rishi Sunak, Premier ministre britannique, est un féru de technologie et se sentirait comme un poisson dans l’eau dans la Silicon Valley. On le retrouve d’ailleurs régulièrement en Californie où il passe ses vacances. Cette vision du monde se reflète dans l’approche du gouvernement britannique en matière d’IA.

En novembre 2023, Rishi Sunak a même accueilli le premier sommet mondial sur la sécurité de l’IA, le AI Safety Summit. À cette occasion, des représentants du monde entier – y compris des États-Unis, de l’Union européenne et de la France – ont signé au nom de leur gouvernement ce qu’on appelle la « Déclaration de Bletchley ».

Sur la Déclaration de Bletchley, le gouvernement britannique adopte un ton modéré.

Le communiqué officiel indique :

« Nous reconnaissons que les pays devraient tenir compte de l’importance d’une approche de gouvernance et de réglementation pro-innovation et proportionnée qui maximise les avantages et prend en compte les risques associés à l’IA ».

En d’autres termes, la Grande-Bretagne n’a pas l’intention de laisser libre cours à l’IA sur un marché non réglementé, mais ne considère pas non plus l’innovation comme une menace. Elle reconnaît que ne pas exploiter les opportunités de l’IA reviendrait à faire une croix sur les bénéfices que les générations actuelles et futures pourraient en tirer. La Déclaration de Bletchley incarne une approche réfléchie de la réglementation de l’IA, qui promet de surveiller de près les innovations afin d’en détecter menaces liées à la sécurité, mais évite de laisser le gouvernement décider de ce que l’IA devrait ou ne devrait pas faire.

 

Rishi Sunak, Elon Musk et l’avenir de la Grande-Bretagne

La position britannique adopte donc un ton très différent de celui des régulateurs du reste du monde, qui semblent considérer toute nouvelle percée technologique comme une occasion de produire de nouvelles contraintes. Dans l’Union européenne, par exemple, ou aux États-Unis de Biden, les régulateurs sautent sur l’occasion de se vanter de « demander des comptes aux entreprises technologiques », ce qui signifie généralement freiner la croissance économique et l’innovation.

La Grande-Bretagne est sur une voie qui pourrait, si elle reste fidèle à sa direction actuelle, l’amener à devenir un des principaux pôles technologiques mondiaux. Rishi Sunak a même profité du sommet pour interviewer Elon Musk. « Nous voyons ici la force la plus perturbatrice de l’histoire », a déclaré Musk à Sunak lors de leur discussion sur l’IA. « Il arrivera un moment où aucun emploi ne sera nécessaire – vous pourrez avoir un travail si vous le souhaitez pour votre satisfaction personnelle, mais l’IA fera tout. »

De SpaceX à Tesla en passant par Twitter, Elon Musk, bien qu’il soit souvent controversé, est devenu un symbole vivant du pouvoir de l’innovation technologique et du marché libre. En effet, demander à un Premier ministre, tout sourire, de venir le rejoindre sur scène avait sûrement vocation à envoyer un signal au monde : la Grande-Bretagne est prête à faire des affaires avec l’industrie technologique.

 

Bruxelles, Londres : des stratégies opposées sur l’IA

L’approche britannique plutôt modérée de l’IA diffère radicalement de la stratégie européenne. Bruxelles se targue avec enthousiasme d’avoir la première réglementation complète au monde sur l’intelligence artificielle. Sa loi sur l’IA, axée sur la « protection » des citoyens fait partie de sa stratégie interventionniste plus large en matière d’antitrust. Le contraste est limpide.

Si la Grande-Bretagne, en dehors de l’Union européenne, a réussi à réunir calmement les dirigeants mondiaux dans une pièce pour convenir de principes communs raisonnables afin de réglementer l’IA, le bloc européen était plutôt déterminé à « gagner la course » et à devenir le premier régulateur à lancer l’adoption d’une loi sur l’IA.

 

Les résultats de la surrèglementation de l’UE

La Grande-Bretagne post-Brexit est loin d’être parfaite, mais ces deux approches opposées de la gestion de l’IA montrent à quelle vitesse les choses peuvent mal tourner lorsqu’une institution comme l’Union européenne cherche à se distinguer par la suproduction normative. Une attitude qui tranche avec le comportement adopté par les ministres du gouvernement britannique à l’origine du projet de loi sur la sécurité en ligne, qui ont récemment abandonné leur promesse irréalisable d’« espionner » tout chiffrement de bout en bout.

Les résultats de la surrèglementation de l’Union européenne sont déjà évidents. OpenAI, la société à l’origine de ChatGPT soutenue par Microsoft, a choisi de placer sa première base internationale à Londres. Au même moment, c’est Google, autre géant de la technologie mais également leader du marché dans la course aux pionniers de l’IA via sa filiale DeepMind, qui a annoncé son intention de construire un nouveau centre de données d’un milliard de dollars au Royaume-Uni. Ces investissements auraient-ils été dirigés vers l’Union européenne si Bruxelles n’avait pas ainsi signalé aux entreprises technologiques à quel point le fardeau réglementaire y serait si lourd à porter ?

 

Se rapprocher de Washington ?

Malgré des discours d’ouverture et des mesures d’encouragement spécifiques destinés à attirer les startupeurs du monde entier, les bureaucrates européens semblent déterminés à réglementer à tout-va. En plus d’avoir insisté sur la nécessité de « protéger » les Européens de l’innovation technologique, ils semblent également vouloir recueillir l’assentiment d’officiels Américains sur leurs efforts de réglementation.

Le gigantesque Digital Markets Act et le Digital Services Act de l’Union européenne semblaient bénéficier de l’approbation de certains membres de l’administration Biden. La vice-présidente exécutive de la Commission européenne, Margrethe Vestager, a été photographiée souriant aux côtés des fonctionnaires du ministère de la Justice, après une visite aux États-Unis pour discuter de ses efforts antitrust.

 

Un scepticisme partagé à l’égard de la technologie

Lors du voyage transatlantique de Margrethe Vestager, il s’est révélé évident que l’Union européenne et les États-Unis adoptaient une approche similaire pour attaquer la technologie publicitaire de Google par crainte d’un monopole. Travaillaient-ils ensemble ? « La Commission [européenne] peut se sentir enhardie par le fait que le ministère de la Justice [américain] poursuive pratiquement la même action en justice », a observé Dirk Auer, directeur de la politique de concurrence au Centre international de droit et d’économie.

Lina Khan, la présidente de la Federal Trade Commission des États-Unis, connue pour avoir déjà poursuivi des entreprises technologiques en justice pour des raisons fallacieuses, a également indiqué qu’elle partageait le point de vue de l’Union européenne selon lequel la politique antitrust doit être agressive, en particulier dans l’industrie technologique.

Elle a récemment déclaré lors d’un événement universitaire :

« L’une des grandes promesses de l’antitrust est que nous avons ces lois séculaires qui sont censées suivre le rythme de l’évolution du marché, des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques commerciales […] Afin d’être fidèles à cette [promesse], nous devons nous assurer que cette doctrine est mise à jour. »

 

Les électeurs européens sanctionneront-ils la stratégie de Bruxelles sur l’IA en juin prochain ?

La volonté de Bruxelles d’augmenter de manière exponentielle le fardeau réglementaire pour les investisseurs et les entrepreneurs technologiques en Europe profitera au Royaume-Uni en y orientant l’innovation.

Malgré son immense bureaucratie, l’Union européenne manque de freins et de contrepoids à son pouvoir de régulation. Des membres clés de son exécutif – comme les dirigeants de la Commission européenne, telle qu’Ursula von der Leyen – ne sont pas élus. Ils se sentent toutefois habilités à lancer des croisades réglementaires contre les industries de leur choix, souvent technologiques. Peut-être, cependant, seront-ils surpris et changeront-ils d’attitude à la vue des résultats des élections européennes qui auront lieu en juin prochain.

Will the EU AI Act benefit the UK first ?

Par : Jason Reed

It has been four years since the UK formally left the European Union. Since Brexit, Britain has been through three prime ministers and countless government crises. Nonetheless, despite the chaos of Westminster, it is already becoming clear how differently regulators in the UK and EU view the technology industry. The UK is a mixed bag, with some encouraging signs emerging for fans of freedom and innovation. The EU, meanwhile, is pursuing a path of aggressive antitrust regulation on various fronts.

 

AI ‘Bletchley Declaration’

Nowhere is this trend clearer than in artificial intelligence, perhaps the most inviting area of innovation in tech for a regulator to get their teeth into. Rishi Sunak, Britain’s prime minister, is tech-savvy and would not look out of place in Silicon Valley. He is even found holidaying regularly in California. This worldview filters through into the British government’s approach to AI.

Sunak hosted the world’s first AI Safety Summit in November 2023. Representatives from all over the world – including from the US, EU, and France – signed a document he created called the “Bletchley Declaration” on behalf of their governments.

In describing the Bletchley Declaration, the British government strikes a tone of moderation. “We recognise that countries should consider the importance of a pro-innovation and proportionate governance and regulatory approach that maximises the benefits and takes into account the risks associated with AI,” says the official statement.

In other words, Britain has no intention of allowing AI to run wild in an unregulated marketplace, but it also does not see innovation as a threat. It recognises that failing to harness the opportunities of AI would mean letting down current and future generations who might benefit from it. The Bletchley Declaration represents a thoughtful approach to regulating AI which promises to monitor innovations closely for signs of threats to safety but avoids placing government at the centre of the narrative and being prescriptive about what AI should or should not do.

 

Rishi Sunak, Elon Musk, and Britain’s Future

The British position, therefore, strikes a very different tone to activist regulators elsewhere in the world who appear to view any and all new technological breakthroughs as an opportunity to flex their muscles. In the EU, for example, or in Biden’s USA, regulators leap at the opportunity to boast about “holding tech companies to account”, which generally means making economic growth and innovation more difficult.

Britain is on a different path which could, if it stays true to its current direction, mark it out as a future hub of technological and economic activity. Sunak even took the opportunity during the summit to interview Elon Musk. “We are seeing the most disruptive force in history here,” said Musk to Sunak in their discussion about AI. “ »There will come a point where no job is needed – you can have a job if you want one for personal satisfaction, but AI will do everything.”

From SpaceX to Tesla to Twitter, Musk has become a harbinger of the power of technological innovation and the free market. Although he is often controversial, embracing him in this way by having a smiling prime minister speak to him on stage was surely intended to send a signal to the world that Britain is ready to do business with the tech industry.

 

Brussels does things differently

This moderate British approach to AI stands in contrast with the EU’s strategy. Brussels boasts enthusiastically that its AI Act is the world’s first comprehensive regulation on artificial intelligence, focussed on ‘protecting’ citizens from AI and forming part of the EU’s broader interventionist strategy on antitrust. The contrast is clear: Britain is willing to work with tech companies, whereas the EU believes it must suppress them.

While Britain, outside the EU, was able to calmly get world leaders in a room together to agree on sensible common principles for regulating AI, the European bloc was instead determined to ‘win the race’ and become the first regulator to break ground on passing an AI law.

 

The results of EU overregulation

Post-Brexit Britain is far from perfect, but these two contrasting approaches to dealing with AI show how quickly things can go wrong when an institution like the EU gets into its head that it has a duty to regulate more and more with each passing year. There are encouraging signs elsewhere, too. The British government ministers behind the ‘online safety bill’ finally dropped their unworkable promise to ‘spy’ on all end-to-end encryption.

The results of the EU’s overregulation are already becoming clear. OpenAI, the company behind ChatGPT which is backed by Microsoft, chose London as the location for its first international base. Meanwhile, Google, another tech giant which is also a market leader in the AI pioneering race via its DeepMind subsidiary, announced plans to build a new $1bn data centre in the UK. Would these investments have gone to the EU instead if Brussels had not sent the message to tech companies that Europe would be a harsh regulatory environment for them?

 

Cozying up to Washington?

Despite claiming to want to empower a generation of tech entrepreneurs, European bureaucrats seem determined to regulate everything in sight. No antitrust measure is off limits. As well as their insistence on the need to ‘protect’ Europeans from technological innovation, they also seem to enjoy winning attention from across the Atlantic Ocean with their regulatory endeavours.

The EU’s mammoth Digital Markets Act and Digital Services Act seemed to enjoy approval from some appointees of President Biden. European Commission executive vice president Margrethe Vestager was photographed smiling with officials in the department of justice after travelling to the US to discuss her antitrust efforts.

 

A shared scepticism of tech

Around the time of Vestager’s trans-Atlantic trip, it became apparent that the EU and the US were taking a similar approach to attacking Google’s advertising technology out of fears of a monopoly. Were they working together? “The [European] commission may feel emboldened by the fact that the [US] DOJ is pursuing virtually the same lawsuit”, observed Dirk Auer, director of competition policy at the International Center for Law and Economics.

Lina Khan, the activist chairwoman of the US Federal Trade Commission who fills her days by taking tech companies to court for spurious reasons, has also made clear that she shares the EU’s view that antitrust must be active and aggressive in its battles against the tech industry. “One of the great promises of antitrust is that we have these age-old statutes that are supposed to keep pace with market developments, new technologies and new business practices,” she said at a university event recently. “In order to be faithful to that [promise], we need to make sure that doctrine is updated.”

 

What happens next?

Whether the EU’s true motivations are genuine or political, the fact remains that Brussels’ apparent willingness to exponentially increase the regulatory burden for tech investors and entrepreneurs in Europe will only hurt Europeans, and perhaps indirectly benefit the UK by directing innovation there instead.

Despite its immense bureaucracy, the EU lacks checks and balances on its regulatory power. Key members of its executive – such as the leaders of the European Commission, like Ursula von der Leyen – are unelected. They feel empowered to launch regulatory crusades against industries of their choosing, often technological. Perhaps, though, they will be shocked into changing their ways after the results of the European parliamentary elections in a few months’ time.

[Ukraine] Reportage exclusif sur l’affaire Ihor Hrynkevich, emblématique de la lutte anti-corruption de la présidence Zelensky

Alors que les campagnes de désinformation russes au sujet de l’Ukraine se multiplient, le gouvernement Zelensky intensifie sa lutte contre la corruption.

C’est l’un des points de propagande principaux du Kremlin pour démoraliser l’Occident d’envoyer de l’aide en Ukraine : le pays serait corrompu jusqu’à la moelle, et cette aide ne servirait qu’à engraisser certains dirigeants hauts-placés.

Ne faisons pas d’angélisme : la corruption (legs de l’URSS à tous les pays de la région) est présente en Ukraine, comme dans tout l’ex-bloc soviétique.

Cependant, le gouvernement de Volodymyr Zelensky a récemment prouvé qu’il faisait tout pour assainir son entourage. 

Dernier coup d’éclat en date : l’arrestation de l’homme d’affaires de Lviv Ihor Hrynkevych. Ce dernier a été pris dans un scandale de corruption incluant rien de moins que le ministère de la Défense, sur lequel les agents du SBU enquêtent discrètement, voire trop au goût de certains journalistes.

 

Du matériel défectueux

Le businessman est accusé d’avoir obtenu des contrats (au nombre de vingt-trois) avec le ministère de la Défense dont il n’a honoré qu’une partie, tout en étant payé pour la totalité. Pire encore, il aurait fourni pour ces commandes (des vêtements chauds destinés aux troupes cet hiver) des produits de mauvaise qualité, avant d’émarger encore plus, et de partager le gâteau avec ses commanditaires. Le préjudice pour l’armée se situe à plus d’un milliard et demi de hryvnias, soit près de 37 millions d’euros, auquel s’ajoute des retards dans la production et l’acheminement du matériel vers le front.

Apprenant qu’il était sous le coup d’une enquête, Ihor Hrynkevych aurait proposé un pot-de-vin de 500 000 dollars (près de vingt millions de hryvnias) pour étouffer l’affaire.

Une enquête, débutée après la saisie par les douanes ukrainiennes de vêtements destinés aux soldats et Trade Lines Retail LLC, Construction Company Citygrad LLC, et Construction Alliance Montazhproekt LLC, a déterminé qu’aucune de ces entreprises n’avaient les capacités de production, d’entrepôt pour répondre aux contrats du ministère. Sur les 23,6 n’ont pas été remplis, et 7 autres ne l’ont été qu’en partie. Huit autres ont été réglés sur des délais d’entre trois et cinq mois. Rien n’était aux normes.

D’après divers médias ukrainiens, Ihor Hrynkevych se serait ensuite procuré le numéro de téléphone personnel d’un chef-adjoint du SBU et l’aurait contacté sur Signal, expliquant avoir eu son numéro par « des amis communs », demandant une entrevue.

Rendez-vous est pris dans une station service de Kyiv, où Ihor Hrynkevych lui aurait demandé de l’aide pour récupérer les biens saisis par les douanes.

Pas fou, l’enquêteur aurait alors fait un rapport sur leur entrevue. Cependant, n’étant pas du genre à abandonner, le jour de Noël, l’homme d’affaires lui enverra « Le Christ est né, quand nous verrons-nous à nouveau ? », avant d’appeler. Ces tentatives resteront lettre morte. Finalement, un nouveau rendez-vous sera pris, toujours à cette station service, où Ihor Hrynkevych proposera cette fois-ci les 500 000 dollars de pot-de-vin, qu’il lui donnera le 29 décembre, provoquant son arrestation immédiate.

Jugé en pré-comparution, il sera envoyé en détention par le tribunal du district de Pechersk, à Kyiv, en attendant son procès.

Son fils, Roman Hrynkevych (titulaire d’une médaille présidentielle), était alors recherché, avant d’être arrêté à Odessa. Il a été placé en détention jusqu’au 17 mars dernier, suspecté avec cinq autres personnes d’avoir participé au complot de son père. Il nie avoir tenté de traverser la frontière avec la Moldavie, mais s’être trouvé à Odessa « pour affaires », selon des vidéos de son interrogatoire publiées sur des canaux Telegram. Le chef de l’un des départements du commandement des forces de soutien des forces armées ukrainiennes et le directeur d’un fournisseur ont été arrêtés en flagrant délit et placés en détention provisoire.

L’ancien vice-ministre de la Défense est notamment accusé d’avoir fait pression pour la conclusion de contrats pour la fourniture de biens matériels à prix gonflés, des commandes d’équipement de protections individuelles de qualité insuffisante avec un paiement anticipé de 100 %.

Pour l’heure, les actuels responsables des signatures d’appels d’offres effectués avec la famille Hrynkevych ne sont pas encore connus.

Services de sécurité de l’Ukraine SBU

Une famille d’oligarques

Intéressante famille que les Hrynkevych. La femme d’Ihor, Svitlana Hrynkevych, est la co-fondatrice de l’organisation caritative Hope.UA. Ancienne professeure à l’université polytechnique de Lviv, elle participe aussi aux affaires du clan. Elle et sa fille sont les co-fondatrices de Trade Lines Retail LLC, une des entreprises accusées de n’avoir pas rempli les contrats passés avec le ministère de la Défense. Elle est aussi propriétaire terrien : rien qu’en 2023, elle a fait l’acquisition de deux appartements dans le quartier de Pechersk, à Kyiv, pour une valeur totale de 35 millions de hryvnias, soit près de un million d’euros, ainsi que du motel Kateryna, situé près du stade Arena-Lviv, et d’un hectare et demi de terrain dans l’Oblast de Lviv.

Son fils Roman est l’autre fondateur de Hope.UA, et récipiendaire du prix du Cœur d’Or, remis par le président Zelensky. Il a aussi été mouillé dans plusieurs affaires louches, son entreprise, Construction Alliance Montazhproekt LLC, ayant elle aussi été accusée de s’être procurée des contrats de défense de façon malhonnête. 

Elle a en effet commencé à recevoir des contrats de construction dans l’Oblast de Jytomyr, où il se présentera aux élections locales en 2020. 

Cette entreprise est aussi accusée d’avoir détourné des fonds publics dans la construction d’un « centre pour la sécurité citoyenne », pour un contrat de 35 millions de hryvnias, soit une fois et demi les coûts estimés, selon les journalistes de Nashi Groshi. 

Lui aussi propriétaire terrien, Roman Hrynkevych s’est offert en 2023 une maison dans le cossu village de Kozyn, dans l’Oblast de Kyiv, pour la coquette somme de 50 millions de hryvnias (plus d’un million deux cent mille euros), ainsi que, le même jour, de quatre terrains dans ledit village.

D’après l’enquête du SBU, la famille Hrynkevych posséderait en tout dix-sept appartements et maisons, sept propriétés non-résidentielles, et dix-huit terrains.

« J’ai demandé de présenter les développements nécessaires pour que toutes les difficultés entre les représentants du gouvernement, les entreprises et les forces de l’ordre soient éliminées », a pour sa part déclaré le président, Volodymyr Zelensky.

De son côté, le directeur du SBU affirme que « l’enquête n’est pas terminée ». 

Ihor Hrynkevych risque entre 4 et 8 années d’emprisonnement au titre de l’article 369, partie 3, du Code pénal ukrainien. Les biens de sa famille ont été saisis, et tous les contrats d’entreprises qui lui sont affiliés ont été résiliés par le gouvernement, excepté un, pour l’acheminement de nourriture aux militaires des Oblasts de Kherson et Mykolaiv. 

 

La lutte continue

Mais cette affaire, aussi emblématique soit-elle, n’est pas la seule ! Rien que cette semaine, le SBU a opéré une fouille auprès des responsables du ministère de la Défense et des dirigeants de l’arsenal de Lviv, soupçonnés d’avoir détourné près de un milliard et demi de hryvnias destinés à l’achat d’obus. Parmi les personnes impliquées Olekansdr Liev, on retrouve notamment l’ancien chef du département de politique militaro-technique de développement d’armes et d’équipements militaires du ministère de la Défense, mais aussi l’actuel chef de ce département, Toomas Nakhur, ainsi que Yuriy Zbitnev, chef de l’arsenal de Lviv.

Toujours cette semaine, la NAKC (la brigade anti-corruption), a découvert que le chef du département anti-drogue de Kyiv disposait d’actifs non-prouvés d’une valeur de près de 3,9 millions de hryvnias (près de 100 000 euros).

Cependant, chez les journalistes ukrainiens, la même question revient toujours : par qui seront-ils remplacés ?

Si Kyiv envoie des signaux forts, il ne reste plus qu’à espérer que cette lutte soit suivie d’effets.

Source : Державне бюро розслідувань (Services de renseignements ukrainiens)

« Nous devons mettre en place une diplomatie de guerre » grand entretien avec Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes occidentales en Ukraine, à l’occasion d’une conférence internationale, lundi 26 février dernier.

 

Hypothèse d’une victoire russe : à quelles répercussions s’attendre ?

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Dans Notre Guerre, vous écrivez : « Les aiguilles de l’horloge tournent sans relâche, associant toujours plus de morts à leur fuite en avant. Mais il arrive aussi un moment où le temps presse. L’Ukraine pourrait mourir. Ce sera de notre faute, et alors le glas de la mort sonnera pour nous. » Quelles seraient les conséquences d’une défaite de l’Ukraine ?

Nicolas Tenzer Elles seraient catastrophiques sur tous les plans et marqueraient un tournant à certains égards analogue mutatis mutandis à ce qu’aurait été une victoire de l’Allemagne nazie en 1945. Outre que cela entraînerait des centaines de milliers de victimes ukrainiennes supplémentaires, elle signifierait que les démocraties n’ont pas eu la volonté – je ne parle pas de capacité, car elle est réelle – de rétablir le droit international et de faire cesser un massacre d’une ampleur inédite en Europe, nettement supérieure à celui auquel nous avons assisté lors de la guerre en ex-Yougoslavie, depuis la Seconde Guerre mondiale.

La crédibilité de l’OTAN et des garanties de sécurité offertes par les États-Unis et l’Union européenne en serait à jamais atteinte, non seulement en Europe, mais aussi en Asie et au Moyen-Orient. Toutes les puissances révisionnistes s’en réjouiraient, en premier lieu la République populaire de Chine. La Russie poursuivrait son agression au sein du territoire des pays de l’OTAN et renforcerait son emprise sur la Géorgie, le Bélarus, la Syrie, certains pays d’Afrique ou même d’Asie, comme en Birmanie, et en Amérique du Sud (Venezuela, Cuba, Nicaragua).

Cela signifierait la mort définitive des organisations internationales, en particulier l’ONU et l’OSCE, et l’Union européenne, déjà minée par des chevaux de Troie russes, notamment la Hongrie et la Slovaquie, pourrait connaître un délitement. Le droit international serait perçu comme un torchon de papier et c’est l’ordre international, certes fort imparfait, mis en place après Nuremberg, la Charte des Nations unies et la Déclaration de Paris de 1990, qui se trouverait atteint. En Europe même, la menace s’accentuerait, portée notamment par les partis d’extrême droite. Nos principes de liberté, d’État de droit et de dignité, feraient l’objet d’un assaut encore plus favorisé par la propagande russe. Notre monde tout entier serait plongé dans un état accru d’insécurité et de chaos. Cela correspond parfaitement aux objectifs de l’idéologie portée par le régime russe que je décris dans Notre Guerre, qu’on ne peut réduire uniquement à un néo-impérialisme, mais qui relève d’une intention de destruction. C’est la catégorie même du futur qui serait anéantie.

C’est pourquoi il convient de définir clairement nos buts de guerre : faire que l’Ukraine gagne totalement et que la Russie soit radicalement défaite, d’abord en Ukraine, car telle est l’urgence, mais aussi en Géorgie, au Bélarus et ailleurs. Un monde où la Russie serait défaite serait un monde plus sûr, mais aussi moins sombre, et plus lumineux pour les peuples, quand bien même tous les problèmes ne seraient pas réglés. Les pays du sud ont aussi à y gagner, sur le plan de la sécurité énergétique et alimentaire, mais aussi de la lutte anti-corruption et des règles de bon gouvernement – songeons à l’Afrique notamment.

 

Peut-on négocier avec Poutine ?

Pourquoi pensez-vous qu’il n’est pas concevable de négocier avec la Russie de Poutine ? Que répondez-vous à l’ancien ambassadeur Gérard Araud qui plaide pour cette stratégie ? C’est aussi le point de vue de la géopolitologue Caroline Galacteros, qui écrit : « Arrêtons le massacre, celui sanglant des Ukrainiens et celui économique et énergétique des Européens . Négociations !! pendant qu’il y a encore de quoi négocier… ». Comment comprenez-vous cette position ? 

Je ne confondrai pas les positions de madame Galacteros, dont l’indulgence envers la Russie est bien connue, et celle de Gérard Araud qui n’est certainement pas pro-Kremlin. Ses positions me paraissent plutôt relever d’une forme de diplomatie classique, je n’oserais dire archaïques, dont je montre de manière détaillée dans Notre Guerre les impensés et les limites. Celles-ci m’importent plus que les premières qui sont quand même très sommaires et caricaturales. Je suis frappé par le fait que ceux, hors relais de Moscou, qui parlent de négociations avec la Russie ne précisent jamais ce sur quoi elles devraient porter ni leurs conséquences à court, moyen et long termes.

Estiment-ils que l’Ukraine devrait céder une partie de son territoire à la Russie ? Cela signifierait donner une prime à l’agresseur et entériner la première révision par la force des frontières au sein de l’Europe, hors Seconde Guerre mondiale, depuis l’annexion et l’invasion des Sudètes par Hitler. Ce serait déclarer à la face du monde que le droit international n’existe pas. De plus, laisser la moindre parcelle du territoire ukrainien aux mains des Russes équivaudrait à détourner le regard sur les tortures, exécutions, disparitions forcées et déportations qui sont une pratique constante, depuis 2014 en réalité, de la Russie dans les zones qu’elle contrôle. Je ne vois pas comment la « communauté internationale » pourrait avaliser un tel permis de torturer et de tuer.

Enfin, cela contreviendrait aux déclarations de tous les dirigeants politiques démocratiques depuis le début qui ne cessent de proclamer leur attachement à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine. Se déjuger ainsi serait renoncer à toute crédibilité et à toute dignité. Je trouve aussi le discours, explicitement ou implicitement pro-Kremlin, qui consiste à affirmer qu’il faut arrêter la guerre pour sauver les Ukrainiens, pour le moins infamant, sinon abject, quand on sait que, après un accord de paix, ceux-ci continueraient, voire s’amplifieraient encore.

Suggèrent-ils qu’il faudrait renoncer à poursuivre les dirigeants russes et les exécutants pour les quatre catégories de crimes imprescriptibles commis en Ukraine, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime de génocide et crime d’agression ? Il faut leur rappeler que le droit international ne peut faire l’objet de médiation, de transaction et de négociation. Il s’applique erga omnes. Le droit international me semble suffisamment affaibli et mis à mal pour qu’on n’en rajoute pas. Cela fait longtemps que je désigne Poutine et ses complices comme des criminels de guerre et contre l’humanité et je me réjouis que, le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale l’ait inculpé pour crimes de guerre. Il est légalement un fugitif recherché par 124 polices du monde. On peut gloser sur les chances qu’il soit un jour jugé, mais je rappellerai que ce fut le cas pour Milosevic. En tout état de cause, l’inculpation de la Cour s’impose à nous.

Veulent-ils signifier qu’on pourrait fermer les yeux sur la déportation de dizaines de milliers d’enfants ukrainiens en Russie, ce qui constitue un génocide, en vertu de la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide ? On ose à peine imaginer qu’ils aient cette pensée. Là aussi, il est dans notre intérêt à donner des signaux cohérents et forts.

Entendent-ils enfin qu’il serait acceptable que la Russie soit dispensée de payer les réparations indispensables pour les dommages de guerre subis par l’Ukraine, qui sont aujourd’hui estimer à environ deux trillions d’euros ? Veulent-ils que cette charge incombe aux assujettis fiscaux des pays de l’Alliance ? Tout ceci n’a aucun sens, ni stratégique, ni politique.

Sur ces quatre dimensions, nous devons être fermes, non seulement aujourd’hui, mais dans la durée. Dans mon long chapitre sur notre stratégie à long terme envers la Russie, j’explique pourquoi nous devons maintenir les sanctions tant que tout ceci n’aura pas été fait. C’est aussi la meilleure chance pour qu’un jour, sans doute dans quelques décennies, la Russie puisse évoluer vers un régime démocratique, en tout cas non dangereux.

En somme, ceux qui souhaitent négocier avec la Russie tiennent une position abstraite qui n’a rien de réaliste et de stratégiquement conséquent en termes de sécurité. Si la Russie n’est pas défaite totalement, elle profitera d’un prétendu accord de paix pour se réarmer et continuer ses agressions en Europe et ailleurs. C’est la raison pour laquelle je consacre des développements approfondis dans la première partie de Notre Guerre à réexaminer à fond certains concepts qui obscurcissent la pensée stratégique que je tente de remettre d’aplomb. Je reviens notamment sur le concept de réalisme qui doit être articulé aux menaces, et non devenir l’autre nom de l’acceptation du fait accompli. Je m’y inspire de Raymond Aron qui, à juste titre, vitupérait les « pseudo-réalistes ».

Je porte aussi un regard critique sur la notion d’intérêt, et notamment d’intérêt national, tel qu’il est souvent entendu. Lié à la sécurité, il doit intégrer principes et valeurs. Je montre également que beaucoup d’analystes de politique étrangère ont, à tort, considéré États et nations dans une sorte de permanence plutôt que de se pencher sur les spécificités de chaque régime – là aussi, la relecture d’Aron est précieuse. Enfin, je démontre que traiter de politique étrangère sérieusement suppose d’y intégrer le droit international et les droits de l’Homme, alors qu’ils sont trop souvent sortis de l’analyse de sécurité. Pourtant, leur violation est le plus généralement indicatrice d’une menace à venir.

 

Sanctions : comment les rendre efficaces ?

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Il semble que la Russie ait mis en place une stratégie de contournement plutôt efficace : depuis 2022, les importations (notamment depuis l’Allemagne) de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi… Sans parler de l’accélération des échanges entre la Russie et la Chine. Que faudrait-il vraiment faire pour isoler économiquement la Russie ?

C’est un point déterminant. Même si les différents paquets de sanctions décidés tant par l’Union européenne que par les États-Unis et quelques autres pays comme le Japon et la Corée du Sud, sont les plus forts jamais mis en place, ils restent encore incomplets, ce qui ne signifie pas qu’ils soient sans effets réels – ne les minimisons pas. Je reprends volontiers la proposition émise par la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, qui proposait un embargo total sur le commerce avec la Russie. Je constate aussi que certains pays de l’UE continuent d’importer du gaz naturel liquéfié russe (LNG) et qu’une banque autrichienne comme Raiffaisen a réalisé l’année dernière la moitié de ses profits en Russie. Certaines entreprises européennes et américaines, y compris d’ailleurs françaises, restent encore présentes en Russie, ce qui me paraît inacceptable et, par ailleurs, stupide dans leur intérêt même.

Ensuite, nous sommes beaucoup trop faibles en Europe sur les sanctions extraterritoriales. Il existe une réticence permanente de certains États à s’y engager, sans doute parce que les États-Unis les appliquent depuis longtemps, parfois au détriment des entreprises européennes. C’est aujourd’hui pourtant le seul moyen pour éviter les contournements. Nous devons mettre en place ce que j’appelle dans Notre Guerre une diplomatie de guerre : sachons dénoncer et agir contre les pratiques d’États prétendument amis, au Moyen-Orient comme en Asie, qui continuent de fournir la machine de guerre russe.

Enfin, nous devons décider rapidement de saisir les avoirs gelés de la Banque centrale russe (300 milliards d’euros) pour les transférer à l’Ukraine, d’abord pour renforcer ses capacités d’achats d’armements, ensuite pour la reconstruction. Les arguties juridiques et financières pour refuser de s’y employer ne tiennent pas la route devant cette urgence politique et stratégique.

 

La nécessité d’une intervention directe

Les alliés de l’Ukraine soutiennent l’effort de guerre de l’Ukraine en aidant financièrement son gouvernement et en lui livrant des armes. Qu’est-ce qui les empêche d’intervenir directement dans le conflit ?

La réponse est rien.

Dès le 24 février 2022 j’avais insisté pour que nous intervenions directement en suggérant qu’on cible les troupes russes entrées illégalement en Ukraine et sans troupes au sol. J’avais même, à vrai dire, plaidé pour une telle intervention dès 2014, date du début de l’agression russe contre le Donbass et la Crimée ukrainiens. C’eût été et cela demeure parfaitement légal en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies qui dispose que non seulement un État agressé peut répliquer en frappant les infrastructures militaires et logistiques sur le territoire de l’ennemi, mais que tout autre État se portant à son secours peut également légalement le faire. Cela aurait mis fin rapidement à la guerre et aussi épargné la mort de plus d’une centaine de milliers d’Ukrainiens, civils et militaires. Cela aurait renforcé notre sécurité et la crédibilité de notre dissuasion.

Si nous, Alliés, ne l’avons pas fait et si nous sommes encore réticents, c’est parce que nous continuons de prendre au sérieux les récits du Kremlin qui visent à nous auto-dissuader. Je consacre toute une partie de Notre Guerre à explorer comment s’est construit le discours sur la menace nucléaire russe, bien avant le 24 février 2022.

Certes, nous devons la considérer avec attention et sans légèreté, mais nous devons aussi mesurer son caractère largement fantasmé. Poutine sait d’ailleurs très bien que l’utilisation de l’arme nucléaire aurait pour conséquence immédiate sa propre disparition personnelle qui lui importe infiniment plus que celle de son propre peuple qu’il est prêt à sacrifier comme il l’a suffisamment montré. On s’aperçoit d’ailleurs que même l’administration Biden qui, au début de cette nouvelle guerre, avait tendance à l’amplifier, ce qui faisait involontairement le jeu de la propagande russe, a aujourd’hui des propos beaucoup plus rassurants. Mais cette peur demeure : je me souviens encore avoir entendu, le 12 juillet 2023, alors que j’étais à Vilnius pour le sommet de l’OTAN, Jake Sullivan, conseiller national pour la sécurité du président américain, évoquer le spectre d’une guerre entre l’OTAN et la Russie. Ce n’est pas parce que les Alliés seraient intervenus, ou interviendraient aujourd’hui, que cette guerre serait déclenchée. Je crois au contraire que la Russie serait obligée de plier.

Là aussi, il convient de remettre en question le discours de la propagande russe selon lequel une puissance nucléaire n’a jamais perdu la guerre : ce fut le cas des États-Unis au Vietnam et, de manière plus consentie, en Afghanistan, et bien sûr celui de l’ancienne URSS dans ce dernier pays. Songeons aussi au signal que, en refusant d’intervenir, nous donnerions à la Chine : cela signifierait-il que, parce qu’elle est une puissance nucléaire, elle pourrait mettre la main sur Taïwan sans que nous réagissions ? Il faut songer au signal que nous envoyons.

Enfin, et j’examine cela dans mon livre de manière plus détaillée, se trouve posée directement la question de la dissuasion au sein de l’OTAN. Celle-ci repose fondamentalement, du moins en Europe, sur la dissuasion nucléaire et la perspective de l’activation de l’article 5 du Traité de Washington sur la défense collective. Elle concerne aussi, par définition, les pays de l’Alliance, ce qui d’ailleurs montre la faute majeure qui a été celle de la France et de l’Allemagne en avril 2008 de refuser un plan d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN lors du sommet de Bucarest. Emmanuel Macron l’a implicitement reconnu lors de son discours du 31 mai 2023 lors de son discours au Globsec à Bratislava.

Une double question se pose donc. La première est celle de notre dissuasion conventionnelle, qui a été en partie le point aveugle de l’OTAN. Je propose ainsi qu’on s’oriente vers une défense territoriale de l’Europe. La seconde est liée au cas de figure actuel : que faisons-nous lorsqu’un pays non encore membre de l’Alliance, en l’occurrence l’Ukraine, est attaqué dès lors que cette agression comporte un risque direct sur les pays qui en sont membres ?

 

Hypothèse d’un retour de Donald Trump

Donald Trump est bien parti pour remporter l’investiture des Républicains en juin prochain. Quelles seraient les conséquences d’une potentielle réélection de l’ancien président américain sur la guerre en Ukraine ? 

À en juger par les déclarations de Donald Trump, elles seraient funestes. On ne peut savoir s’il déciderait de quitter l’OTAN qu’il avait considérée comme « obsolète », mais il est fort probable qu’il diminuerait de manière drastique les financements américains à l’OTAN et l’effort de guerre en faveur de l’Ukraine. Les Européens se trouveraient devant un vide vertigineux. S’il fallait compenser l’abandon américain, y compris sur le volet nucléaire – au-delà des multiples débats doctrinaux sur le rôle des dissuasions nucléaires française et britannique –, les pays de l’UE devraient porter leurs dépenses militaires à 6 ou 7 % du PIB, ce qui pourrait difficilement être accepté par les opinions publiques par-delà les questions sur la faisabilité. Ensuite, cela ne pourrait pas se réaliser en quelques mois, ni même en quelques années sur un plan industriel en termes d’armements conventionnels.

En somme, nous devons poursuivre nos efforts au sein de l’UE pour transformer de manière effective nos économies en économies de guerre et porter à une autre échelle nos coopérations industrielles en matière d’armement au sein de l’Europe. Mais dans l’immédiat, les perspectives sont sombres. Cela sonnera l’heure de vérité sur la volonté des dirigeants européens de prendre les décisions radicales qui s’imposent. J’espère que nous ferons en tout cas tout dans les mois qui viennent pour apporter une aide déterminante à l’Ukraine – nous avons encore de la marge pour aller plus vite et plus fort.

Les États-Unis et l’Europe restent encore à mi-chemin et n’ont pas livré à l’Ukraine toutes les armes, en quantité et en catégorie, qu’ils pouvaient lui transférer, notamment des avions de chasse et un nombre très insuffisant de missiles à longue portée permettant de frapper  le dispositif ennemi dans sa profondeur. Quant au président Biden, il devrait comprendre qu’il lui faut aussi, dans le temps qui lui reste avant les élections de novembre, donner à Kyiv toutes les armes possibles. Il serait quand bien mieux placé dans la course à sa réélection s’il apparaissait aux yeux de se concitoyens comme le « père la victoire ».

 

« La puissance va à la puissance »

La guerre d’agression de la Russie en Ukraine n’est pas un événement isolé. Il semble que l’impérialisme russe cherche à prendre notre continent en étau en déstabilisant nos frontières extérieures. À l’Est, via des actions d’ingérence militaire, de déstabilisation informationnelle, de corruption et d’intimidation qui ont commencé dès son arrivée au pouvoir dans les années 2000, et bien entendu à travers la guerre conventionnelle lancée contre l’Ukraine. Au Sud, la stratégie d’influence russe se développe depuis une décennie. Si elle est moins visible, elle n’en est pas moins nuisible. Ces dix dernières années, Moscou a approfondi sa coopération militaire avec le régime algérien et s’est ingéré dans le conflit libyen à travers des sociétés militaires privées comme Wagner. On a vu le seul porte-avions russe mouiller dans le port de Tobrouk en 2017, mais aussi des navires de guerre russes faire des exercices communs avec des bâtiments algériens sur les côtes algériennes en août 2018, en novembre 2019, en août et en novembre 2021, en octobre et en juillet 2022 et en août 2023. Au sud du Sahara, le régime de Poutine sert d’assurance-vie à la junte installée au Mali depuis 2020 et soutien l’Alliance des États du Sahel (composée des régimes putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger). Quelle diplomatie adopter pour conjurer la menace russe, à l’Est comme au Sud ?

Votre question comporte deux dimensions qui sont à la fois sensiblement différentes et liées. La première est celle de la guerre de l’information et de ses manipulations. Celle-ci se déploie sur quasiment tous les continents, en Europe occidentale autant que centrale et orientale, dans les Amériques, du Nord et du Sud, au Moyen-Orient, en Afrique et dans certains pays d’Asie. Pendant deux décennies, nous ne l’avons pas prise au sérieux, ni chez nous ni dans certains pays où elle visait aussi à saper nos positions.

Malgré certains progrès, nous ne sommes pas à la hauteur, y compris en France, comme je l’avais expliqué lors de mon audition devant la Commission de l’Assemblée nationale sur les ingérences extérieures l’année dernière, et comme je le développe à nouveau dans Notre Guerre. Nous n’avons pas, dans de nombreux pays, une attitude suffisamment ferme à l’encontre des relais nationaux de cette propagande et n’avons pas mise à jour notre système législatif. En Afrique, la France n’a pas pendant longtemps mesuré, malgré une série d’études documentées sur le sujet, ni riposté avec la force nécessaire aux actions de déstabilisation en amont. Moscou a consacré des moyens considérables, et même disproportionnés eu égard à l’état de son économie, à ces actions et ses responsables russes n’ont d’ailleurs jamais caché que c’était des armes de guerre. Nous avons détourné le regard et ne nous sommes pas réarmés en proportion.

La seconde dimension est celle de l’attitude favorable de plusieurs pays envers Moscou, avec une série de gradations, depuis une forme de coopération étendue, comme dans le cas de l’Algérie, du Nicaragua, de l’Iran, du Venezuela, de Cuba, de l’Érythrée et de la Corée du Nord – sans même parler de groupes terroristes comme le Hamas –, une action commune dans le crime de masse – Syrie –, une complicité bienveillante – Égypte, Émirats arabes unis, Inde, Afrique du Sud, mais aussi Israël avec Netanyahou – et parfois active – République populaire de Chine – ou une soumission plus ou moins totale – Bélarus et certains des pays africains que vous mentionnez. Sans pouvoir entrer ici dans le détail, l’attitude des démocraties, qui doit aussi être mieux coordonnée et conjointe, ne peut être identique. Dans des cas comme celui de la Syrie, où nous avons péché par notre absence d’intervention, notre action doit être certainement militaire. Envers d’autres, nous devons envisager un système de sanctions renforcées comme je l’évoquais. Dans plusieurs cas, notamment en direction des pays ayant envers Moscou une attitude de neutralité bienveillante et souvent active, un front uni des démocraties doit pouvoir agir sur le registre de la carotte et du bâton. Nous payons, et cela vaut pour les États-Unis comme pour les grands pays européens, dont la France, une attitude négligente et une absence de définition de notre politique. Rappelons-nous, par exemple, notre absence de pression en amont envers les pays du Golfe lorsqu’ils préparaient le rétablissement des relations diplomatiques avec Damas, puis sa réintégration dans la Ligue arabe. Nous n’avons pas plus dissuadé l’Égypte de rétablir des relations fortes avec Moscou et cela n’a eu aucun impact sur nos relations avec Le Caire. Avec l’Inde, nous fermons largement les yeux sur la manière dont Delhi continue, par ses achats de pétrole à la Russie, à alimenter l’effort de guerre. Quant aux pays africains désormais sous l’emprise de Moscou, le moins qu’on puisse dire est que nous n’avons rien fait pour prévenir cette évolution en amont.

Nous sommes donc devant deux choix politiques nécessaires. Le premier, dont je développe les tenants et aboutissants dans Notre Guerre, est celui de la défaite radicale de la Russie en Ukraine, et celle-ci devra suivre au Bélarus, en Géorgie et en Syrie notamment. Je suis convaincu que si nous agissons en ce sens, des pays faussement neutres ou sur un point de bascule, dont plusieurs que j’ai mentionnés ici, verraient aussi les démocraties d’un autre œil. Elles auraient moins intérêt à se tourner vers une Russie affaiblie. Ce sont les effets par ricochet vertueux de cette action que nous devons mesurer, notamment dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient. C’est notre politique d’abstention et de faiblesse qui les a finalement conduits à se tourner vers la Russie. Si nous changeons, ces pays évolueront aussi. La puissance va à la puissance.

Le second choix, que je développe dans Notre Guerre, consistera à repenser de manière assez radicale nos relations avec les pays du Sud – un sud, d’ailleurs, que je ne crois pas « global », mais profondément différent, et avec lequel nous ne saurions penser nos relations sans différenciation. Ce sont les questions d’investissement, de sécurité énergétique et alimentaire, et de lutte contre la corruption qu’il faudra repenser. La guerre russe contre l’Ukraine est un avertissement et le pire serait, une fois que l’Ukraine aurait gagné et nous par la même occasion, de repartir avec les autres pays dans une sorte de business as usual sans aucun changement.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Les calculs trompeurs d’OXFAM

La sortie du rapport annuel d’OXFAM était attendue. Au mois de janvier, l’ONG créée en Grande-Bretagne remet traditionnellement ses conclusions sur les écarts de richesse dans le monde. Cette année, OXFAM a constaté que la richesse cumulée des cinq personnes les plus fortunées s’élevait en 2023 à 869 milliards contre 405 milliards en 2023. Dans le même temps, les 5 milliards de personnes les moins riches auraient perdu 20 milliards de dollars. Pour remédier à la pauvreté, OXFAM n’envisage qu’une seule solution : la redistribution des fortunes des plus riches par l’instauration de nouvelles taxes. Porte-étendard de l’idéologie de la décroissance, OXFAM nous trompe et se trompe.

Le premier reproche que l’on peut formuler à l’égard du rapport « Multinationales et inégalités multiples » est le suivant : son analyse sur l’accroissement des richesses sur la seule période allant de l’année 2020 à l’année 2023. Le biais est évident, 2020 étant le point de départ de la pandémie de coronavirus qui a perturbé les principaux marchés boursiers mondiaux et faussé la valeur de nombreuses actions cotées. En toute logique, la valeur du patrimoine capitalistique des cinq plus grandes fortunes mondiales a considérablement augmenté sur la période parce que la bourse a corrigé les baisses artificielles provoquées par la pandémie. Ajoutons aussi que la notion de fortune est par nature fluctuante, dépendante de la confiance que placent les marchés dans les actions TESLA ou LVMH, mais aussi du contexte macroéconomique mondialisé. Ce sont donc des fortunes théoriques, et non des fortunes dont les grands capitaines d’industrie peuvent disposer comme bon leur semble.

L’autre aspect étonnant du rapport est qu’il a pour la première fois utilisé comme critère de comparaison les « cinq milliards de personnes les plus pauvres », alors qu’il traitait naguère des personnes en état d’extrême pauvreté. Et pour cause, l’extrême pauvreté a reculé sur la période. En février dernier, l’Institut économique Molinari dévoilait d’ailleurs des erreurs majeures dans la méthodologie d’OXFAM, accusée de mal définir la notion de richesse comme celle de pauvreté tout en proposant des solutions inefficaces voire dangereuses :

« Pour mesurer l’évolution des inégalités, Oxfam reprend les chiffres du « Global Wealth Databook » publiés chaque année par le Crédit suisse. Dans ce rapport, la richesse nette d’un adulte se définit comme la somme de ses actifs financiers (actions, comptes bancaires etc.) et non financiers (principalement ses biens immobiliers), déduction faite de ses dettes. Avec un tel raisonnement, les chiffres d’Oxfam deviennent tout simplement ubuesques : à les croire, 22 % des adultes vivant aux États-Unis (55 millions) et 14 % de ceux vivant en France (7 millions) appartiendraient au groupe des 10 % les plus pauvres de la planète. Il y aurait même plus de pauvres aux États-Unis, en France, ou en Suisse qu’en Afghanistan, en Syrie ou en Érythrée ».

Comparer les fluctuations boursières des grandes fortunes avec la richesse cumulée des 5 milliards d’êtres humains « les plus pauvres » est intellectuellement malhonnête. Ce qui l’est plus encore, c’est de conclure des données de la période 2020-2023 qu’« il faudra plus de deux siècles pour mettre fin à la pauvreté » en sous-entendant que les plus riches empêchent les moins aisés d’accéder à la prospérité. La réalité est autre, comme le montre l’étude de l’évolution des fortunes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La pauvreté dans le monde n’a cessé de reculer depuis 1945. Au sortir de la guerre, les pays asiatiques étaient les plus pauvres du monde. Coréens ou Singapouriens vivaient plus que chichement, ils étaient misérables. Un peu plus tard, dans les pays qui ont été livrées à la doxa communiste, à l’image de la Chine qui a dû attendre les années 1980 pour entamer sa transition économique. En 40 ans, les Chinois sont sortis de l’extrême pauvreté. Alors qu’ils étaient près de 90 % au début des années 1980 à souffrir de cette situation, ils ne sont plus que 1 % de nos jours. Il n’y a plus de famines en Chine. Pourtant, il y a désormais 562 milliardaires au pays des Mandarins. Ont-ils empêché leurs concitoyens de sortir de la pauvreté ? À l’évidence, non.

Le seul vecteur de la création de richesses est la croissance économique. Elle obéit à des lois mathématiques et non à des chimères éthiques. Du reste, les pays qui n’ont pas de fortunes privées, à l’image des pays communistes, appartiennent toujours au bataillon des plus pauvres. Ils ne sont guère plus égalitaires que les « pays du nord », les possédants s’y trouvant parmi les élites politiques locales qui préemptent à leur seul profit les rares ressources locales.

Au rayon des solutions, OXFAM s’entête dans l’erreur. Le discours mêle décroissance et taxation. Un curieux paradoxe. Comment un État pourrait-il taxer des entreprises qui ne génèrent plus de revenus ? On croirait entendre le député Antoine Léaument qui a proposé à l’Assemblée nationale de « tout prendre au-dessus de 12 millions d’euros dans les successions ». Une mesure totalitaire et confiscatoire qui aurait pour seul effet d’appauvrir grandement la France en provoquant une fuite massive de capitaux. Cela enrichirait plus le Portugal et la Suisse que nos compatriotes. Que certaines fortunes nous donnent le vertige est parfaitement normal, mais la réalité est que l’enrichissement des plus gros coïncide avec celui des plus petits.

Comment la Russie et l’Iran se servent de l’Afrique pour déstabiliser l’Europe

Ces deux dernières années ont été marquées par des agissements coordonnés de la Russie dans la bande saharo-sahélienne, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mais ces avancées politiques, militaires et économiques russes, au détriment de la France, ne sont pas isolées. Elles sont accompagnées par une démarche géographiquement identique de la République islamique d’Iran. Une troisième stratégie est également à l’œuvre, à travers l’apparition de candidats populistes aux élections dans d’autres pays francophones. La France et l’Union européenne accepteront-elles cette attaque stratégique sur le flanc sud du continent européen ?

Nous assistons depuis deux ans au développement de l’activité du groupe paramilitaire russe Wagner dans trois pays de la bande saharo-sahélienne, au détriment de la présence française dans les domaines politiques et militaires.

 

Un stratégie russe globale et planifiée

Les activités de Wagner, visant à la prise du pouvoir civil par des éléments militaires, constituent la partie très visible de la stratégie russe. Cette dernière s’accompagne d’une action informationnelle au sens large, orientée directement vers la population. Elle repose sur la mise en place de leaders et de relais d’opinion, à l’exemple de Nathalie Yamb (surnommée la Dame de Sotchi) et Kémi Seba. Leur action repose sur l’utilisation intensive des réseaux sociaux, dans lesquels sont diffusées des informations spécialement formatées. Cette stratégie de communication s’appuie également sur une capacité organisationnelle et financière de mobilisation des foules, avec slogans et pancartes ciblant la présence française, dont on a vu la mise en œuvre dans les trois pays du Sahel.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Ce dispositif apparaît donc global, et en conséquence particulièrement organisé. Cela implique l’élaboration d’un véritable plan, avec le temps nécessaire à la préparation de l’ensemble du processus. Ce que nous avons vu au cours de ces deux dernières années a donc été préparé très en amont. Le premier sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 a constitué le lancement visible de la stratégie du retour vers l’Afrique, élargie à l’ouest du continent. Depuis 2016, le Centre pour les Études Internationales et Stratégiques (CSIS), basé à Washington, avait identifié les activités de sociétés militaires privées (SMP) russes en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique et Madagascar. L’établissement du plan global remonte donc très probablement au début des années 2010.

Dans l’ensemble de ce plan vers le Sahel, la Russie n’agit pas seule, elle est en plus accompagnée de son allié, la République islamique d’Iran.

 

Une stratégie iranienne silencieuse

L’Iran a commencé, depuis plusieurs années également, à mettre en œuvre une stratégie politique, économique, et d’influence dans la région Sahélienne.

L’action diplomatique la plus récente vient de se dérouler en ce début d’année avec le Mali, où le Conseil National de Transition (CNT) vient d’annoncer l’ouverture dès cette année de deux facultés de l’Université d’Iran « une technique et professionnelle, l’autre, un centre d’innovation informatique ». Cette annonce a été faite après une rencontre entre le président du CNT et l’ambassadeur d’Iran, M. Salehani. Ce dernier avait été reçu il y a trois mois par le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, un des hommes forts de l’équipe au pouvoir.

À cette même période, le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, recevait à Téhéran le chef de la diplomatie du Niger, Bakary Yaou Sangaré. Ce dernier a rencontré le président iranien Raïssi qui a décrit « la résistance du peuple nigérien contre les politiques hégémoniques européennes comme étant le témoignage du refus du colonialisme par l’Afrique », selon les termes du communiqué de la présidence iranienne. Le positionnement politico-diplomatique anti-français, à l’image de la stratégie du Kremlin, est clair.

En ce qui concerne le Burkina Faso, la République islamique d’Iran a signé, à Ouagadougou, toujours à l’automne dernier, huit accords de coopération. Parmi ceux-ci figure un mémorandum d’entente dans les domaines de la coopération énergétique et minière, la coopération scientifique et technique dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, et le développement de l’enseignement supérieur.

Dans la défense et la sécurité, Ouagadougou et Téhéran ont exprimé « leur volonté de coopérer dans ces domaines et décident de poursuivre les concertations à travers des canaux plus appropriés », a expliqué, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères du Burkina Faso. La prochaine commission mixte de coopération entre les deux pays se tiendra à Téhéran en 2025. La coopération est globale et s’inscrit dans une volonté de continuité.

La diplomatie africaine de Téhéran apparaît donc comme un effet miroir de la politique africaine russe. La stratégie globale de déstabilisation de l’Afrique francophone s’inscrit également dans un troisième volet, celui de la mise en avant de candidat populiste à l’image d’Ousmane Sonko au Sénégal.

 

La perturbation populiste au Sénégal

Le populisme se définit selon Jean-Pierre Rioux, historien de la France contemporaine, comme « l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques, et des partis, qui s’en prétendent des porte-parole, alors qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales supérieures ».

Tel apparaît Ousmane Sonko, opposant au président sortant Macky Sall. Ancien inspecteur principal à l’Inspection générale des impôts et domaines, ancien député, et actuellement maire d’une ville de plus de 200 000 habitants, Ziguinchor.

Homme de rupture, radié de son poste dans l’administration en 2016, pour manquement au devoir de réserve, il s’est politiquement positionné comme « antisystème » alors qu’il en est issu. Dans la ligne de ce positionnement, il n’apparaît pas porteur d’un programme précis, mais se concentre sur une critique systématique du président et du gouvernement.

Dans son discours, le populiste se caractérise par une stratégie d’attaque et de polémique. Telle fut son option lors de la précédente campagne électorale en 2019. Il n’a pas lésiné sur les moyens verbaux pour attaquer directement la personne de Macky Sall, le décrivant comme « un homme malhonnête, un partisan du népotisme et un dictateur qui ôte à son peuple la liberté d’expression » (Étude lexicologique de la campagne – BA Ibrahima Enseignant-chercheur, Dakar). Le président était présenté comme favorisant les intérêts français au détriment des « enfants du pays ». Utilisation, hélas trop connue, de l’argument de la France, exploiteuse des richesses au détriment des habitants. Argument russe, argument iranien…

Les tentatives de déstabilisation de l’Afrique francophone apparaissent donc au confluent de plusieurs stratégies et de plusieurs États, depuis des années. Ne faut-il pas s’interroger sur l’aveuglement et la surdité des services français qui n’ont détecté aucune de ces vibrations, et qui n’ont pu, en conséquence, ni lancer les alertes préalables, ni mettre en place les contre-feux nécessaires.

Avant son remplacement par Stéphane Séjourné, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a sommé l’Iran d’arrêter ses ingérences au Moyen-Orient. Ne conviendrait-il pas d’élargir le champ d’observation au continent africain ?

Article publié par La Tribune le 16 Janvier 2024, offert par l’auteur à Contrepoints.

NB : le ministre français des Affaires Etrangères Stéphane Séjourné vient de rencontrer le ministre iranien des Affaires Etrangères à New York le 23 janvier. Leur poignée de main était chaleureuse et le ministre s’est abstenu de mettre en garde son homologue iranien.

Sahel : la convergence des juntes ? 

En moins de trois ans, un quart des pays les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest est passé sous régime militaire : le Mali (19 août 2020), la Guinée-Conakry (5 septembre 2021), le Burkina Faso (24 janvier 2022) et finalement le Niger (26 juillet 2023). Le président de la République, Emmanuel Macron, a qualifié cette succession de coups d’État « d’épidémie », une formule qui a fait florès dans les médias mais qui, comme toutes les métaphores biologiques appliquées au politique, rend mal compte de la situation sur le terrain.

Alors que la République de Guinée (Guinée-Conakry), dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya, a progressivement refusé l’alignement pro-moscovite des juntes militaires maliennes, burkinabé et nigériennes, et s’est sensiblement rapproché de la Côte d’Ivoire, les dictatures militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont annoncé le 16 septembre 2023 la création d’une « Alliance pour les États du Sahel » (AES) et multiplié les rencontres, le « voyage à Bamako » étant devenu le rendez-vous incontournable des élites idéologiques et militaires burkinabé et nigérienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Assiste-t-on à la constitution d’un bloc géopolitique aligné sur la Russie au cœur du Sahara ?

Des liens de convergence forts existent entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger et accréditent cette hypothèse. D’abord une population en forte croissance démographique : avec 23 millions d’habitants, le Burkina Faso a une croissance démographique de + 3 %, le Mali est dans la même situation, le Niger, avec sans doute près de 25 millions d’habitants, a le plus fort taux de fécondité au monde, plus de six enfants par femme en moyenne.

Cette démographie soutenue entraîne des déséquilibres forts dans la pyramide des âges : près de 50 % de la population a moins de 15 ans au Burkina Faso, au Niger 60 % de la population a moins de 20 ans. Des dynamiques démographiques qui expliquent largement le poids de la jeunesse, de ses organisations syndicales et politiques et de son rôle d’armée de réserve des partis politiques et des agitateurs dans les perturbations politiques actuelles dans ces États.

Ces trois pays sont par ailleurs dépendants de l’extraction minière : au Niger, l’uranium, en perte de vitesse, et qui ne représente que 10 % du PIB, contribue cependant à 50 % des ressources propres du gouvernement, servant essentiellement à payer les salaires d’un fonctionnariat pléthorique et largement inefficace, voire corrompu.

 

Tristes tropismes 

On pourrait égrener la litanie des stigmates de la pauvreté qui lient et fragilisent ces trois États : putschs militaires à répétition, domination d’une classe bourgeoise urbaine qui tire sa richesse des porosités entre politique, bonnes affaires et monopole sur le foncier, qu’il soit rural ou urbain. Mais c’est bien évidemment le tropisme russe, mis en scène dans des manifestations de jeunes qui agitent le drapeau de Wagner ou de la Fédération de Russie, qui concentre toute l’attention.

Depuis le coup d’État d’Assimi Goïta, le Mali a fait l’allégeance la plus bruyante et la plus forte à Wagner : le drapeau noir frappé de la tête de mort, emblème du groupe militaire parapublic russe, qui flottait sur la ville de Kidal « libérée » par les mercenaires, en fut l’incarnation la plus récente.

La junte militaire malienne a d’ailleurs largement financé sa guerre contre les séparatistes Touareg en concédant au groupe paramilitaire Wagner l’essentiel des sites d’orpaillage maliens.

Mais le tropisme russe est visible aussi au Burkina Faso, là encore via la concession de sites miniers aurifères, et au Niger où l’égérie des réseaux sociaux, la Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb, surnommée la « Dame de Sotchi », a fait le déplacement à Niamey (décembre 2023), reçue comme un chef d’État, avec tapis rouge et remise de décoration de la part des autorités militaires nigériennes au grand complet. Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, activiste franco-béninois des réseaux sociaux et suprématiste noir, l’avait précédé mais avec moins d’honneurs, ses prises de position de jeunesse contre l’Islam l’ayant desservi.

Dès les premiers jours du coup d’État de Tiani, alors que la situation était encore incertaine pour les putschistes, les drapeaux russes et les drapeaux de Wagner étaient visibles dans les manifestations de jeunes à Niamey, notamment dans celles qui virent le saccage de l’ambassade de France, le blocus de la résidence de l’ambassadeur, Sylvain Itté, et du campus de pavillons diplomatiques français, et le siège de la base aérienne où stationnaient les forces françaises au Niger. Manifestations « spontanées » mais encouragées par le groupe de média Liptako d’Abdourahamane Oumaou, candidat malheureux à la présidentielle de 2021 (0,43 % des suffrages).

 

Trois juntes, une dynamique 

Niamey est devenu le point de ralliement des activistes des réseaux sociaux anti-français : le professeur de philosophie franco-camerounais Franklin Nyamsi, tenant régulièrement son blog sur Mediapart, et encore enseignant de l’Éducation nationale française, a été le dernier grand invité de la junte militaire nigérienne en décembre 2023. Pour lui aussi, la junte militaire nigérienne avait déroulé le tapis rouge et l’avait reçu en grande pompe au palais présidentiel.

Franklin Nyamsi et Stellio Capo Chichi (dit « Kemi Séba ») sont, comme Nathalie Yamb, à des degrés plus ou moins assumés, des acteurs de l’influence russe en France et dans l’Afrique francophone, et des acteurs majeurs de la haine de la France distillée sur les réseaux sociaux auprès de la jeunesse subsaharienne. Mais leur audience s’étend aussi sur les diasporas subsahariennes en France même, participant notamment à diffuser les mensonges russes sur la présence française au Sahel.

La dynamique médiatique et politique des trois juntes est d’ailleurs assez semblable : activisme anti-français sur les réseaux sociaux, coup d’État militaire, manifestations massives de jeunes chômeurs, nomination d’un Premier ministre issu des franges les plus radicales du marxisme africain (Choguel Kokalla Maïga au Mali, Apollinaire Kyélem de Tambèla au Burkina Faso), haine contre la France proclamée par les membres de la junte lors des grands rassemblements internationaux, rupture (Niger) ou quasi rupture des relations diplomatiques (Burkina Faso, Mali), et finalement rapprochement avec la Russie.

Cette convergence des juntes, rendue possible par leurs trajectoires économiques semblables comme leurs comportements diplomatiques récents, est mise en scène régulièrement par des rencontres au plus haut niveau entre les trois régimes militaires : entretien entre Mody, ancien chef d’état-major des Forces Armées Nigériennes, et Assimi Goïta, dernièrement rencontre en décembre 2023 entre les trois Premiers ministres à Agadez, sous parapluie militaire américain.

Tout aussi symbolique, l’envoi par le Niger d’une aide logistique au Mali, lors de l’offensive sur Kidal du groupe Wagner, ou l’envoi d’un contingent réduit de forces spéciales Burkinabè à Niamey pour soutenir le coup d’État militaire au Niger.

 

Pour autant, derrière les mesures symboliques et les protestations d’amitiés, en l’état actuel des choses, la « convergence des juntes » risque de tourner court. En effet, les trois juntes sont arrivées au pouvoir dans des conditions si différentes qu’il semble peu probable de voir naître autre chose qu’une construction médiatique.

 

L’Alliance des États du Sahel : un épouvantail (géo)politique

L’équilibre des pouvoirs dans les trois juntes militaires est très différent, et n’augure pas de trajectoires communes dans le temps moyen. Assimi Goïta est la tête de gondole d’une clique de colonels dont beaucoup sont impliqués dans des affaires de marchés publics litigieux. Chacun d’eux représente un des principaux corps des Forces Armées Maliennes (FAMA) dont la sécurité d’État, organe sensible du renseignement militaire.

Ibrahim Traoré au Burkina Faso, qui s’inscrit dans la geste de Thomas Sankara, capitaine, putschiste et marxiste comme lui, au pouvoir dans les années 1980, joue sur l’image de l’homme providentiel, et s’est débarrassé progressivement de tous ses compétiteurs militaires en les envoyant en stage militaire à Moscou.

Allié idéologique de l’avocat marxiste (formé à Nice), Apollinaire Kyélem de Tambèla, il a été soutenu par les masses désœuvrées de la capitale, Ouagadougou. Il règne sur un paysage politique atone, marqué par les exils successifs des ténors de la classe politique civile. Son atout réside dans un contrôle strict de l’information, l’envoi sur la ligne de front de ses opposants de la société civile, et sur le fait que les deux principales villes du pays, Ouagadougou au centre du pays, et Bobo Dioulasso dans le sud, sont épargnées par les attaques djihadistes et les crimes des forces de défense et de sécurité. Ce qui lui permet de masquer l’échec sécuritaire de son gouvernement.

Abdourahamane Tiani, lui, est dans une position politique beaucoup plus précaire. Cacique de l’ancien régime, son pouvoir est partagé au sein de l’armée entre Mody, ancien chef d’état-major devenu ministre de la Défense, le général Barmou, formé aux États-Unis (et qui représente les intérêts de l’armée) et le tonitruant Tumba, militaire lui aussi, qui véhicule les accusations de complicité de la France avec les terroristes.

Mais seule la capitale a fait allégeance à son pouvoir, et encore ne parle-t-on que des associations politiques de la jeunesse, celles qui ont fait le siège de l’ambassade de France et de la base française sur l’aéroport de Niamey. Les venues successives de Stellio Capo Chichi, de Guillaume Soro (opposant ivoirien en fuite), de Nathalie Yamb et de Franklin Nyamsi s’expliquent par cette volonté de Tiani de garder les organisations de jeunesse de la capitale à ses côtés.

Se concilier les bonnes grâces des mouvements de jeunesse est une nécessité absolue pour la junte militaire nigérienne. Certains de ces mouvements ont bénéficié déjà des largesses financières du régime, par le biais de la redistribution des sommes collectées pour soutenir le gouvernement militaire auprès de la diaspora nigérienne.

Sont à l’affût des figures politiques comme celle d’Abdourahamane Oumarou, fondateur d’un parti marxiste, l’Union des Patriotes Panafricanistes, et PDG d’un groupe média qui mêle presse écrite, radios et chaîne de télévision. C’est d’ailleurs Abdourahamane Oumarou, perpétuellement affublé d’un treillis militaire et d’une casquette cubaine frappée de l’étoile rouge, qui a organisé la venue à Niamey de Nathalie Yamb, et a mobilisé la jeunesse de Niamey, via son groupe de média Liptako.

Mais les périphéries du pays restent encore incertaines. Dans le nord, l’ancien ministre Ag Boula, réfugié au sein des populations touarègues vers Agadez, a monté un gouvernement dissident, alors que les Toubous dans le Djado, autour de Dirkou, viennent eux aussi de former un mouvement militaro-politique hostile à la junte.

Derrière les généraux, tous issus du régime précédent, une cohorte de colonels, plus jeunes et plus pauvres aussi, assure une forme de surveillance du gouvernement, sans que l’on sache qui se cache derrière ses colonels, peut-être d’autres généraux en attente d’allégeance plus nette ou des intérêts russes.

Tiani, initiateur d’un coup d’État opportuniste, semble en équilibre précaire à la tête de l’État, pris en étau entre une armée qui veille à ses intérêts (alors qu’elle a perdu plus de 400 tués les trois premiers mois du régime militaire), et une jeunesse survoltée, dont les réseaux sociaux diffusent les fantasmes les plus fous : sortie du FCFA, sortie de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), création d’une monnaie nouvelle commune aux trois pays, construction de centrale nucléaire…

Au Mali, dans son discours de vœux du nouvel an (janvier 2024), Assimi Goïta vient de clarifier son projet politique : unité nationale et laïcité. Lui qui était venu au pouvoir grâce aux manifestations organisées à Bamako par les imams, dont le médiatique Imam Dicko, semble vouloir se détacher des religieux. Naguère capturé par les mouvements séparatistes touaregs, Assimi Goïta a un compte personnel à régler avec les mouvements sécessionnistes, plus qu’avec les Groupes Armées Terroristes (GAT) qui assurent pourtant un blocus quasi complet autour des villes de Gao et de Tombouctou.

Mais c’est encore son pouvoir qui apparaît le plus assuré. Grâce aux milices Wagner qui garantissent sa protection rapprochée, et à l’épuration systématique des organisations de la jeunesse : « Rose la vie chère » qui dénonçait l’échec économique de la junte militaire malienne a été emprisonnée, de même que Ben Diarra, le créateur du mouvement « Yerewolo – Debout sur les remparts », initiateur de la haine anti-française, ou le rappeur Ras Bath, lui aussi hostile à la France, et coupable d’avoir critiqué le régime militaire. Si ces arrestations ont pu étonner la population de la capitale, aucun mouvement de foule ne s’est constitué pour exiger leur libération.

Pourtant le pouvoir d’Assimi Goïta est aussi de plus en plus instable : la capitale connaît de graves coupures d’électricité récurrentes, imputées à la mauvaise gestion des régimes politiques précédents, alors même que les militaires dirigent le pays depuis trois ans sans que la situation énergétique ne se soit améliorée.

Une classe politique civile, ancienne et bien implantée dans la capitale, reste active, notamment sur les réseaux sociaux, et les imams sont très critiques à l’égard du régime.

La prise de Kidal par les forces de Wagner semble sceller la reconquête du pays, préalable selon les militaires pour organiser des élections. Or, l’unité théorique du pays semble s’être réalisée sans qu’un calendrier d’élection ne soit publié. Au contraire, les activistes pro-junte sur les réseaux sociaux diffusent le mot d’ordre de Nathalie Yamb « Dix ans sans élections ! ». Il sera de plus en plus difficile aux militaires maliens de rester au pouvoir alors que Wagner multiplie les crimes, y compris contre les FAMA, que la faillite sécuritaire est de plus en plus visible, que la crise énergétique semble insoluble.

Les trois régimes militaires utilisent l’AES comme cache-sexe de leurs faillites, et le temps nous dira si cette marionnette médiatique réussira à distraire les masses suffisamment longtemps pour leur permettre de consolider leur pouvoir.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Des compteurs Linky « intelligents »… pour préparer la pénurie d’électricité ?

Par : Michel Gay

Maintenant que le déploiement du compteur électrique Linky présenté comme « intelligent » est quasiment terminé, le rationnement imposé de l’électricité va pouvoir débuter… après plus de 20 ans d’impéritie.

 

C’est « intelligent »

Un projet de décret prévoit d’effectuer, dès cet hiver, un premier test en condition réelle au cours duquel la consommation d’électricité de 200 000 Français notifiés « par voie postale », et équipés d’un compteur Linky, sera plafonnée à 3 kilowatts (kW) au lieu de 6 kW (l’abonnement des particuliers en général) pendant quelques heures.

Avec ce test, le gouvernement souhaite « déterminer » s’il est « techniquement possible de mettre en œuvre un nouvel outil pour sauvegarder le réseau électrique en cas de tension extrême, pour éviter des coupures ».

Et c’est « intelligent » parce que cela aurait pu être pire…

En effet, l’entreprise ENEDIS ne limitera que la puissance délivrée au domicile des particuliers, alors qu’il aurait pu (ou dû) la couper complètement par défaut de production d’électricité !

Il faudrait se réjouir que la puissance de certains soit limitée temporairement (quelques heures pour 200 000 « cobayes ») afin d’éviter une coupure totale et généralisée… Soyons « solidaires » !

Jusqu’à récemment, avant l’ère des ruineuses énergies renouvelables intermittentes, le réseau électrique (pas intelligent) apportait à tous, à un prix raisonnable, toute l’électricité répondant au besoin de chacun, y compris en hiver lors des pointes de froid. C’était à la production électrique, notamment nucléaire, de s’adapter à la demande.

Dorénavant, ce sera à la demande (les clients) de s’adapter aux capacités de production restreintes, surtout en l’absence de vent et de soleil…

 

Idéologie verte, quand tu nous tiens

Avec de meilleures décisions politiques et moins d’idéologie verte antinucléaire peu judicieuse (idiote ?) focalisée sur le vent, le soleil, l’électricité serait toujours vendue aux particuliers aujourd’hui environ 12 centimes d’euros par kilowattheure (12 c€/kWh).

Sous la pression de la Commission européenne, des médias et de puissantes organisations écologistes infiltrées jusqu’au sommet de l’État, le prix de l’électricité augmentera jusqu’à 30 ou 40 c€/kWh… comme en Allemagne.

Cette folle tendance issue de mauvais choix stratégiques ruinera l’industrie (obligée de partir s’installer ailleurs) et les PME, et donc aussi les Français, dont beaucoup peinent déjà à régler leurs factures de chauffage et d’électricité.

Augmenter de 1000 euros (et plus) par an le prix des factures d’énergie par famille (alors que l’ouverture à la concurrence devait réduire les factures, juré promis…), puis distribuer ensuite des chèques de 100 euros ici et là pour amortir le choc des factures en prétendant faire du social est aberrant. Cela revient à appuyer sur l’accélérateur d’une voiture fonçant vers une falaise et prétendre sauver des vies en distribuant quelques airbags juste avant de s’écraser.

Dans les années 1940 jusqu’à 1949, il existait des tickets de rationnement (pas encore qualifiés d’intelligents) pour distribuer la nourriture devenue rare.

Aujourd’hui on qualifie de « smart » ou « d’intelligent » le réseau ainsi que le compteur Linky qui permettra dorénavant le rationnement… parce que de mauvaises décisions ont été prises depuis 20 ans par les gouvernements successifs.

« On n’arrête pas le progrès ! »

Il aurait peut-être été plus « smart » et « intelligent » de ne pas fermer les deux réacteurs nucléaires de 900 mégawatts (MW) de la centrale de Fessenheim en parfait état de fonctionnement ?

Les 1800 MW manquant de cette centrale représentent une puissance d’un kW pour presque 2 millions de familles… ou 3 kW pour 600 000 foyers.

 

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Après la fermeture politique de trois réacteurs nucléaires en parfait état de fonctionnement (Superphénix en 1997 et les deux réacteurs de Fessenheim en 2020) et le retard à l’allumage de l’EPR de Flamanville, la France se prépare maintenant à gérer une pénurie d’électricité devenue rare et chère, alors qu’il aurait fallu mettre en service au moins quatre réacteurs depuis 20 ans.

En 2022, grâce à la fonctionnalité prévue à cet effet dans le compteur Linky, le gouvernement avait déjà voulu tenter de couper l’électricité à 10 000 Français, à distance, et sans leur demander leur avis.

Mais les tests effectués à « petite échelle » ont été désastreux : mécontentement de la clientèle, et surtout échec technique.

En effet, sur les 10 000 compteurs Linky coupés à distance par Enedis, 500 compteurs ne se sont pas réenclenchés automatiquement en fin de coupure volontaire d’électricité.

Résultat : 500 déplacements d’agents Enedis chez les clients concernés pour remettre le courant manuellement.

Ces réenclenchements manuels à distance n’ayant pas fonctionné dans 5 % des cas environ, Enedis n’aurait donc pas pu gérer ces coupures volontaires pour des millions de clients.

Enedis a donc abandonné (semble-t-il) cette méthode et veut maintenant en expérimenter une autre « plus douce », dont la possibilité technique est également offerte par le « compteur intelligent » Linky.

Au lieu de couper totalement le courant, il s’agit cette fois de brider à 3 kilowatts (kW) pendant deux heures la puissance du compteur Linky pour 200 000 abonnés, au moment d’une pointe de froid pendant l’hiver prochain 2023/2024.

Le test obligera les « cobayes » (qui seront, paraît-il, dédommagés de 10 euros) à couper leurs radiateurs électriques pour se limiter à 3 kW afin d’alimenter leurs autres appareils (réfrigérateur, congélateur, pompe de circulation du chauffage central, ordinateur, lumières, et une seule plaque électrique de cuisson).

 

Vous avez dit « équilibrage » ?

Actuellement, l’équilibrage du réseau repose entièrement sur les seules énergies « classiques » (nucléaire, gaz et hydraulique en France).

Le solaire photovoltaïque et l’éolien disposent d’une priorité d’accès au réseau sans rien payer pour gérer leur variabilité aléatoire ou leur intermittence : ni frais de stockage ou d’effacement lorsqu’il n’y a pas de demande, ni le renforcement du réseau nécessaire pour absorber les surplus, ni parfois les prix négatifs en cas de folles surproductions.

Aujourd’hui en France, c’est donc principalement le nucléaire qui paie la facture de l’intermittence de ces sources d’électricité.

Cela revient à faire payer à mon voisin les factures d’entretien de ma voiture, puis de me vanter ensuite que ma voiture me coûte moins cher que la sienne ! C’est bien sûr une situation biaisée.

Mais à mesure que les énergies renouvelables intermittentes (EnRI) se développent, ce coût de gestion croît, et il devient de plus en plus lourd à assumer par les Français !

Si ces EnRI devaient payer la totalité des frais inhérents à cette intermittence, alors elles deviendraient une ruine pour leurs promoteurs dans un marché non faussé par les subventions publiques.

 

Une manne dont certains se gavent

Mon voisin est très heureux de la rentabilité de ses panneaux solaires photovoltaïques sur son toit (3 kWc installés en 2010 qui lui ont coûté 10 000 euros). La revente de son électricité solaire représente pour lui un gain de 2000 euros par an environ au tarif de… 62 c€/kWh indexé sur l’inflation pendant 20 ans ! (EDF vend son électricité 4,2 c€/kWh à ses concurrents).

C’est donc pour lui un excellent placement financier qui rapporte 20 % par an (il s’agit en outre d’un revenu non imposable, sans CSG), beaucoup plus rentable qu’un placement sur un livret A (d’environ 3%)…

Mais ces 2000 euros par an représentent une perte du même montant pour ENEDIS (obligé de lui acheter à ce prix). Ce dernier la répercute sur la facture des Français qui paient dans leur tarif électrique (en augmentation) cette subvention à travers une lourde taxe intérieure sur la consommation de produits pétroliers (TICPE, ex CSPE), elle-même en constante augmentation puisque de plus en plus de Français s’équipent en panneaux photovoltaïques.

C’est aussi une perte pour l’entreprise EDF obligée de diminuer d’autant la production de ses centrales électriques (nucléaires ou non).

Mais EDF est toujours obligée de maintenir autant de centrales « classiques » (nucléaires ou autres) en activité qu’avant ces hérésies, car les jours (et les nuits) sans soleil et sans vent, le besoin d’électricité est souvent aussi important, voire davantage.

Les EnRI avec priorité d’accès au réseau enrichissent des producteurs tout en étant une perte pour la collectivité et les distributeurs. Il y a de gros gagnants malins et beaucoup de petits perdants pigeons.

Bientôt, il n’y aura peut-être plus que de gros perdants

Les punis seront-ils choisis parmi les clients des énergies dites renouvelables (ce qu’elles ne sont pas, car les matières premières qui les composent ne le sont pas), intermittentes (ce qu’elles sont) qui polluent le réseau d’électricité ?

Heureusement qu’EDF réussit encore à alimenter le réseau, principalement avec le nucléaire, pour satisfaire les besoins des clients…

 

Seul Linky doit-il être intelligent ?

Le déploiement du compteur Linky « intelligent » a coûté quasiment le prix d’un réacteur nucléaire EPR.

Or, limiter la puissance électrique de 200 000 clients permettra de gagner au mieux 600 mégawatts (MW), et probablement moins de 400 MW, soit moins du quart de la puissance d’un EPR (1650 MW).

Il aurait été plus… « intelligent » de conserver les deux réacteurs nucléaires de Fessenheim (1800 MW) et de construire plusieurs EPR… plus tôt !

Les Français subissent depuis plus de 20 ans, contraints et forcés, le cruel manque de vision pour la France de nos dirigeants politiques indignes de leur confiance.

La mort de l’internet ouvert : comment l’IA redéfinit notre monde numérique

L’Internet est mort, tout du moins est-il en voie de disparition, pour le meilleur et pour le pire.

Il est établi que des États ont opté pour le Splinternet. Ils ont en effet décidé de formater des intranets nationaux qui « n’altèrent » pas la saine pensée de leurs compatriotes, à l’instar de l’Iran, de la Russie, de la Chine… Si vous ne concevez pas la chose, imaginez dès lors – pour les utilisateurs de ces pays – un Internet partitionné comme le serait un disque dur ; un « Internet » entre les mains de dirigeants qui donnent accès aux ressources qu’ils considèrent comme acceptables.

Il va de soi que, fût-ce dans ces pays, des solutions existent pour contourner les interdictions, à l’instar des VPN qui, pour faire très simple, confèrent à votre ordinateur une autre géolocalisation que celle qui vous est attribuée par votre pays d’appartenance, mais elles sont bien évidemment proscrites. Notons que dans certains pays, cette interdiction ne concerne pas certains profils. En Chine par exemple, « le gouvernement a décrit de manière explicite quels profils sont autorisés à utiliser ce genre de service et dans quel but. »

 

Mort ou seulement mort-vivant ?

L’Internet originel tel qu’il a été pensé n’est plus !

Pour autant, il semblerait (et j’utilise à escient le conditionnel) encore temps pour les usagers en ayant la possibilité de réagir de façon massive pour – s’ils le souhaitent – arrêter de se faire tracer et redevenir les maîtres de leur Internet « accessible », non pas un Internet paupérisé et façonné par leurs requêtes.

Je parle ici naturellement d’avoir à nouveau un accès libre, total, et sans la moindre « coercition » de la partie émergée d’Internet et de sa partie immergée, le Darknet*. L’accès à cet Internet demeure sur le papier possible. Pour ce faire, l’utilisation de VPN, l’utilisation de navigateur anonymisant comme TOR, sont des solutions pour surfer sans être tracé et assailli de publicités et de recommandations… Anonyme pour autant ? Rien n’est moins sûr, c’est un a priori. C’est vrai d’une certaine façon, oui, nous pouvons recouvrer la liberté de surfer sur Internet sans être exposé à des contenus systématiquement conformes à nos attentes. Mais c’est devenu une liberté qui a un prix, nous y reviendrons.

 

L’Internet originel n’est plus, mais à qui la faute ?

L’Internet tel qu’il a été pensé n’est plus !

La vaste porte-fenêtre originelle ouverte sur le monde s’est, au fil du temps, progressivement étiolée puis refermée, jusqu’à devenir pour les plus chanceux un œil de bœuf. Je ne parle pas naturellement des usagers dont l’Internet s’est presque transformé, comme j’ai pu l’évoquer, en un intranet, ou, tout du moins un ersatz d’Internet, cf. le Splinternet.

Au demeurant, si j’affirme que l’Internet originel n’est plus, c’est qu’il s’est progressivement effacé, puis a disparu au profit d’un InternetIA de plus en plus sophistiqué, qui participe au Splinternet à sa façon et de manière plus insidieuse. Dès qu’un usager commence des requêtes sur un moteur, l’utilisation de l’IA sous couvert d’améliorer l’expérience client – ce qui est un fait mercantile – n’a eu de cesse de l’enfermer dans son monde plutôt que de lui permettre de… s’ouvrir sur le monde !

Mais à qui en incombe véritablement la responsabilité ? Il est certes des acteurs qui sont plus responsables que les autres : les États, les marchands ; mais nous autres usagers ne sommes pas non plus innocents, petit à petit à grand renfort d’algorithmes de « client side scanning », etc. nous sommes passés de l’Internet à « l’InternetIA » !

 

Qu’est-ce que l’InternetIA ?

L’internetIA tel que je le conçois est un Internet étriqué, un Internet rabougri, mais conforme aux attentes de chacun, un Internet nous enfermant, si nous n’y prenons garde, dans nos convictions, nos croyances… L’InternetIA, c’est une personnalisation de l’expérience jusqu’à l’outrance.

Sont concernés : les moteurs de recherche traditionnels, les sites web, les applications et les plateformes en ligne qui utilisent des algorithmes pour personnaliser l’expérience utilisateur. Ces algorithmes peuvent être basés sur vos préférences, vos habitudes de navigation, vos historiques d’achat et d’autres données. L’IA aide à analyser ces données en temps réel et à recommander le contenu qui vous conviendra, qu’il soit informationnel ou marchand.

 

Échapper au traçage, possible, oui, mais…

Dès qu’un utilisateur ouvre un moteur de recherche, il sera, de façon de plus en plus affinée en fonction de ses recherches, confronté à des publicités ciblées, des recommandations de contenu, des optimisations de recherches (vous n’êtes pas sans savoir que les moteurs de recherche utilisent des algorithmes d’IA pour comprendre l’intention de recherche des utilisateurs et leur fournir des résultats de recherche plus pertinents et précis), de l’assistance virtuelle (les assistants virtuels basés sur l’IA, tels que Siri, Alexa et Google Assistant, personnaliseront leurs réponses et leurs recommandations en fonction des habitudes et des préférences de l’utilisateur).

Mais aussi du Machine Learning et Apprentissage Automatique permettant aux systèmes en ligne d’apprendre des comportements passés des utilisateurs, et de s’ajuster en conséquence pour fournir une expérience davantage personnalisée. Tout ça ? Oui et naturellement, je ne suis pas exhaustif, alors naturellement tous les prestataires vous diront que c’est avec l’acceptation de l’usager. Toutefois, cette acceptation n’est, d’une part, pas toujours transparente par-delà les lois ; d’autre part, pour avoir accès à tous les services des prestataires, les usagers en mesurent-ils les conséquences ?

Je ne le pense pas.

 

Le pire est déjà là, et depuis « longtemps »…. Refuser d’être tracé… c’est être suspect

Si l’on s’en réfère à l’expérience qu’a mené la sociologue Janet Vertesi, professeur de sociologie à l’université de Princeton, aux États-Unis en 2014, ne pas être tracé à un prix : celui de la suspicion.

Cette sociologue, enceinte, a en effet voulu échapper au traçage de ses données afin de ne pas être exposée au matraquage publicitaire. Elle a donc mené une sorte de double vie, n’achetant rien qui puisse l’identifier sur les sites s’y prêtant, allant jusqu’à supprimer des messages et bannir de ses contacts un proche qui la félicitait… Nous sommes alors en 2014, mais déjà, c’est une attitude étrange qui n’a pas échappé à l’IA… « Comptant acheter une poussette à 500 dollars en cartes-cadeaux, elles-mêmes achetées sur Amazon, la sociologue a vu la transaction refusée par le site Rite Aid, tenu de signaler les transactions excessives aux autorités », peut-on lire dans un article du journal Le Point. La future maman s’est retrouvée sous surveillance policière !

Aussi, en lisant cet article, faites comme bon vous semble. Sachez que dans ce monde de l’enfermement, si vous refusez d’être tracé, vous serez « possiblement » considéré comme suspect. L’internet est de fait non seulement mort, mais depuis longtemps bien enterré.

« Un homme pur doit être libre et suspect. » Jean Cocteau

*Le darknet est une partie émergée qui n’intègre pas le Darknet. Pour rappel, malgré son nom et l’image qu’en donnent régulièrement les médias, le darknet n’a originellement pas été pensé pour la délinquance, mais bien au contraire pour ceux ayant la nécessité – pour des raisons essentiellement politique –  d’avoir recours à tous les outils et services traditionnels du net (création de site, messagerie etc ) en étant parfaitement anonymes.

Il faut interdire les déficits publics

Un article de l’IREF.

En 2022, pour alimenter un fonds pour le climat et la transformation énergétique  – KTF – de 212 milliards d’euros, le gouvernement allemand avait puisé à due concurrence dans les réserves non utilisées d’un autre compte, constitué en 2021 pour contribuer à l’amortissement de l’impact du coronavirus. Mais celui-ci avait bénéficié d’une suspension des règles du « frein à l’endettement », en raison de la pandémie. Ce qui ne pouvait plus être le cas du fonds KTF.

La CDU/CSU, les conservateurs dans l’opposition, ont dénoncé un « tour de passe-passe » pour contourner le frein à l’endettement du pays, inscrit dans la Constitution allemande, qui limite le déficit budgétaire fédéral à un maximum de 0,35 % du PIB.

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe leur a donné raison au motif qu’un recours exceptionnel à l’emprunt sans application de la règle du frein à l’endettement doit être « objectivement et précisément imputable » et que les fonds correspondants doivent être utilisés dans l’exercice pour lequel ils ont été prévus. À défaut, le détournement de la règle serait trop simple !

 

Le frein à l’endettement

Selon la Loi fondamentale (ou constitutionnelle) allemande de 1949, les recettes et les dépenses du budget de l’État doivent être équilibrées (article 110).

Elle dispose en outre que, sauf « perturbation de l’équilibre économique global », « le produit des emprunts ne doit pas dépasser le montant des crédits d’investissements inscrits au budget » (article 115). Cette règle d’or n’a pas toujours été respectée.

Mais après la réunification de l’Allemagne en 1989, et l’absorption dans les budgets publics de la RFA des dettes de la RDA, la dette publique allemande est passée de l’équivalent de 623 milliards d’euros en 1991 à 1040 milliards d’euros en 1995 (+ 67 %) et a poursuivi sa croissance. Pour stopper cette course en avant, sur proposition de la commission allemande du fédéralisme (Föderalismuskommission), la Loi fondamentale a été amendée le 1er août 2009. Selon les termes des articles modifiés (109 et 115) de la Constitution, au niveau fédéral comme au niveau des Länder, les dépenses publiques doivent être couvertes par des recettes publiques, un endettement public étant toléré dans les cas exceptionnels au niveau fédéral pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un déficit structurel supérieur à 0,35 % du PIB.

 

Le respect des règles budgétaires

Par sa décision du 14 novembre 2023, la Cour constitutionnelle allemande a rappelé qu’on ne badinait pas avec la Loi fondamentale. Ce frein à l’endettement est sans doute l’une des causes de la vigueur de l’économie du pays depuis quinze ans, même si elle est mise à mal en ce moment par les bêtises de Mme Merkel sur l’immigration et le nucléaire.

L’Europe a, elle aussi, édicté un frein à l’endettement. En effet, depuis 2013 au sein de l’Union, et sauf circonstances exceptionnelles selon le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance aussi appelé pacte budgétaire, « la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent » (article 3). Le problème est qu’elle ne sait pas faire respecter ce qu’elle a elle-même décidé. Sa règle d’or prévoit que le déficit public structurel, hors éléments conjoncturels, d’un pays ne doit pas dépasser 0,5 % de son PIB.

Le déficit structurel correspond au déficit public. Il concerne les dépenses courantes de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale. Hélas, les tribunaux européens se montrent impuissants à faire appliquer la règle.

 

Et la France en profite pour s’endetter à tout-va

L’Agence France Trésor (AFT), la Direction du Trésor en charge des levées de dette publique sur le marché, annonce 285 milliards d’euros d’émission à moyen et court terme en 2024, un record historique après les 270 milliards de 2023, et les 260 milliards de 2022.

Sauf que le taux d’emprunt pour les obligations à dix ans est estimé à 3,4 %, alors qu’on était encore en territoire négatif il y a à peine plus de deux ans. La charge de la dette française montera à 52 milliards d’euros en 2024, 56 milliards en 2025, 61 milliards en 2026, et plus de 70 milliards en 2027. Le gouvernement prévoit que la dette passe de 111,8 % du PIB en 2022 à 108,1 % du PIB en 2027, un niveau très élevé en Europe. Mais les prévisions de l’État sont, d’un avis commun, très optimistes.

Lors de l’examen de la Loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, la commission des Affaires sociales du Sénat n’a pas caché ses doutes sur la sincérité de ce budget qui prévoit une croissance continue du déficit à 11,2 milliards en 2024, après 8,8 milliards en 2023.

Les recettes de l’État continuent d’augmenter et les prélèvements obligatoires se stabilisent, tout au plus, à près de 45 % du PIB. Selon les chiffres d’Eurostat, on serait même plutôt à 47 %, un record au sein de l’OCDE. Mais le gouvernement ne cesse de multiplier les dépenses nouvelles sans jamais en réduire d’autres, sinon à la marge. L’augmentation de la dette et des intérêts pèse aussi. Ainsi, le déficit public se maintient à un niveau de 4,4 % du PIB, très supérieur (de 2,4 %) à celui d’avant covid, malgré la fin de celui-ci. Le déficit, hors dépenses exceptionnelles de crise, augmente : de 72 milliards d’euros en 2022 à 118 milliards d’euros en 2024 !

Puisque les hommes politiques ne savent plus être raisonnables, il faut les forcer à le devenir comme les Allemands y sont parvenus.

Il faut insérer dans la Constitution française une règle d’or pour interdire les déficits publics. Il faut, sauf cas très exceptionnels, interdire tous les déficits, car il n’y a pas d’un côté les bons (déficits d’investissement), de l’autre les mauvais (déficits de fonctionnement) : sur la masse du budget d’un pays comme la France, l’investissement annuel peut trouver sa place sans avoir recours à l’emprunt qui pèse toujours sur les générations futures. Une telle obligation réduirait le poids de l’État et libèrerait l’initiative privée. La croissance en serait favorisée. L’État lui-même pourrait ainsi obtenir à terme de meilleures recettes. Gagnant/gagnant.

Sur le web.

L’éviction de Madelin du gouvernement Juppé : la droite française face à son illibéralisme

Que dit Alain Juppé dans ses Mémoires à propos du renvoi d’Alain Madelin du gouvernement en 1995 ?

Les lecteurs qui ont vécu la présidentielle de 1995 s’en souviendront. Le 26 août de la même année, le ministre libéral du gouvernement Juppé est limogé. Pourquoi ?

Dans Une histoire française paru en septembre 2023 (Paris, Tallandier, 2023), l’ancien maire de Bordeaux écrit :

« Si je me suis séparé d’Alain Madelin au mois d’août 1995 en acceptant sa démission du gouvernement, ce n’est pas à la suite d’un désaccord de fond sur la conduite de notre politique économique (sic) » (p. 200).

Il ajoute qu’il avait réuni un ensemble de ministres à la fin de l’été en vue de préparer la mise en œuvre de la réforme de la sécu, chacun recevant la consigne de ne pas faire part à l’extérieur du contenu des échanges.

« Le lendemain, écrit-il, j’entendis, sur les ondes d’une radio nationale, Madelin expliquer en détail ce que nous allions faire » (ibid.).

 

Chirac/Juppé vs. Madelin : désaccord intellectuel parfait

Or, si Madelin a présenté sa démission du gouvernement Juppé, c’est aussi et surtout en raison de la nature des propos qu’il a tenus ce jour-là à l’antenne d’Europe 1.

L’ancien ministre de l’Économie avait en effet critiqué les acquis sociaux, la moindre durée de cotisation des employés du secteur public comparativement à celle de leurs homologues du privé, ainsi que les Rmistes qui « gagnent plus que, sur le même palier, la famille où l’on se lève tôt le matin pour gagner le Smic ». Un discours de vérité, conforme au diagnostic socio-économique qu’on est en droit d’attendre d’un politique de droite, mais qui, curieusement, ne semble pas avoir du tout plu au tandem exécutif d’alors…

Comment expliquer une telle réaction ?

On se rappelle que Jacques Chirac avait fait campagne en 1995 sur le thème de la « fracture sociale ». Il existait – et il existe encore – dans notre pays une véritable fracture au sein de la population. Mais pour Chirac et Juppé (qui reprenaient ainsi une vision typiquement socialiste de la réalité), elle opposait les riches aux « exclus », les capitalistes aux travailleurs (cf. Pascal Salin, Français, n’ayez pas peur du libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 69).

Or, ce que révélaient les propos de Madelin, c’est qu’il avait compris que la vraie fracture sociale passe entre les Français qui travaillent, créent, innovent, prennent des risques, s’enrichissent honnêtement, et ceux qui appartiennent à la caste des privilégiés de la fonction publique, qui bénéficient d’avantages de toutes sortes, et jouissent de l’emploi à vie (ibid.).

 

Une droite française historiquement allergique au libéralisme

Pourquoi donc Alain Juppé n’écrit-il pas clairement dans ses Mémoires qu’Alain Madelin était tout simplement beaucoup trop libéral pour lui et pour Chirac ?

Jacques Chirac, et l’ensemble des Premiers ministres qu’il nomma au cours de ses deux mandats, ont en effet bien plus incarné l’étatisme de droite à la française qu’une tradition authentiquement libérale sur le plan économique.

Dans son ouvrage Français, n’ayez pas peur du libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2007), Pascal Salin écrit à propos de la présidence Chirac (qui fut en réalité une présidence social-étatiste sous des dehors de politique de droite) :

« Chirac a des convictions, mais elles consistent systématiquement à exprimer des opinions de gauche […] Toujours prêtà critiquer le capitalisme, la spéculation, la recherche du profit, prêt à distribuer des subventions, à accroître les interventions étatiques, Jacques Chirac ne rate pas une occasion de défendre les idées de la gauche la plus traditionnelle, car elle est le consensus idéologique de la classe politique française. » (p. 73).

Au-delà de Chirac, c’est en réalité quasiment toute la classe politique française de droite qui, historiquement, voit le libéralisme économique d’un mauvais œil.

Ce qui ne l’a pas pour autant empêchée par moments de faire croire qu’elle s’y était convertie, sans doute afin de pouvoir rallier les suffrages de la classe des producteurs et des travailleurs ne supportant plus de voir leurs ressources ponctionnées pour financer la classe des profiteurs et des parasites sociaux.

Si Chirac a remporté la présidentielle de 1995, c’est en grande partie grâce à Madelin, le programme économique de celui-là ayant été inspiré du mouvement Idées-action de celui-ci (Pascal Salin, Le Vrai libéralisme, droite et gauche unies dans l’erreur, Paris, Odile Jacob, 2019, p. 45).

Beaucoup de Français ont alors pensé que les réformes qu’ils attendaient depuis longtemps avaient désormais une chance d’être appliquées.

Mais à l’évidence, Chirac et Alain Juppé ont préféré voir Madelin quitter le gouvernement, plutôt que de courir le risque de mécontenter une partie des Français, ceux appartenant au secteur protégé. Du fait de la crainte d’un tel scénario, la conduite des vraies réformes structurelles dont la France avait pourtant déjà grand besoin – ainsi, par exemple, une réforme fiscale de grande ampleur passant par la suppression de la progressivité de l’impôt – était rendue par là même impossible. Ainsi les Français n’ont-ils finalement eu droit qu’aux traditionnelles réformettes en lieu et place de réelles réformes qui seules leur permettraient de recouvrer leur liberté et leur responsabilité.

 

Une droite française peu crédible ?

Sarkozy a certes été élu président en 2007. Mais la vérité est que Chirac a eu une importante responsabilité dans la déception durable de son électorat vis-à-vis de la droite : se disant libérale quand cela l’arrange pour se faire élire, nous l’avons dit, elle est aussi capable de brusquement cesser de l’être lorsqu’il faut prendre des décisions courageuses susceptibles de remettre en cause les « avantages acquis » extorqués par le public au privé.

« À quoi bon voter pour un candidat de droite si c’est pour qu’il applique ensuite, une fois élu, une politique de gauche ? », ont sans doute pensé depuis lors plus d’un électeur s’étant senti floué par la suite des événements.

Comme l’écrivait déjà très justement Pascal Salin peu après la démission de Madelin, « tous ces hommes et ces femmes qui, jour après jour, s’épuisent à produire et à créer en dépit d’obstacles réglementaires et fiscaux croissants espéraient sincèrement (NDLR : en votant pour Chirac) la reconnaissance à laquelle ils ont droit. Ils sont aujourd’hui victimes d’une terrible trahison » (ibid.).

Il est regrettable qu’Alain Juppé ne reconnaisse pas dans ses Mémoires cette erreur qui a probablement contribué à décrédibiliser la droite aux yeux de son électorat, dans son aptitude à mener des réformes systémiques, profondes et durables, et à appliquer un programme économique de manière fidèle et cohérente.

Contre toute attente, le candidat François Fillon à la présidence de 2017 avait toutefois réussi à remporter largement la primaire face à Alain Juppé, donné initialement vainqueur avec une confortable avance ; peut-être parce que, en reflétant ce qui semblait être devenu chez lui de véritables convictions libérales acquises au fil des dernières années – et non d’énièmes manœuvres de pure tactique électoraliste -, son programme économique mûrement réfléchi avait permis de retrouver la confiance des électeurs qui souhaitaient voir en France l’application d’une vraie politique libérale.

Mais, comme on le sait, ses déboires judiciaires devaient avoir raison de lui. Si un candidat libéral de droite venait à émerger et être élu à la présidentielle de 2027, souhaitons donc pour lui et surtout pour une majorité de nos concitoyens qu’il ne commette pas une erreur analogue à celle de Chirac et Juppé en 1995.

Le communisme électrique planifié par le gouvernement

Un article de l’IREF.

Ceux qui craignaient que les compteurs Linky soient un instrument d’intrusion de l’État dans nos foyers avaient raison. Alors que l’État subventionne à tout-va l’électricité et incite à grands frais les Français à rouler en véhicule électrique, il s’inquiète d’une possible pénurie d’électricité. D’ores et déjà, il veut expérimenter des solutions pour réduire à distance et autoritairement, sans leur accord, la puissance électrique des usagers domestiques.

Le journal La Tribune a publié un projet de décret préparé par le ministère de la Transition énergétique, et à valider par la Première ministre, qui prévoit une « expérimentation d’une mesure de limitation de puissance des clients résidentiels raccordés au réseau public de distribution d’électricité ». L’objectif, indique ce projet, est de déterminer s’il est possible techniquement de mettre en œuvre une nouvelle mesure hors marché en cas de déséquilibre anticipé entre l’offre et la demande d’électricité, par exemple pendant l’hiver, si la disponibilité des moyens de production d’électricité est moindre. Une telle mesure, est-il écrit, pourrait permettre de réduire ou d’éviter le recours au délestage qui reste la solution ultime pour assurer l’équilibrage du réseau électrique. Elle pourrait contribuer ainsi à la sécurité d’approvisionnement pour les foyers français.

Le décret s’appuie sur l’article 37-1 de la Constitution, selon lequel « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

Mais il est juridiquement mal fondé. Il fait référence à l’article L121-1 du Code de l’énergie : 

« Le service public de l’électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l’intérêt général, l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national […] Matérialisant le droit de tous à l’électricité, produit de première nécessité, le service public de l’électricité est géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d’efficacité économique, sociale et énergétique ».

Pourtant, le décret voudrait réduire arbitrairement l’accès à l’électricité des uns ou des autres. L’inverse de ce que garantit l’article L 121-1 cité.

Il invoque encore, comme motivation, l’article L341-4 du même code :

« Les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité mettent en œuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les périodes de l’année ou de la journée et incitant les utilisateurs des réseaux à limiter leur consommation pendant les périodes où la consommation de l’ensemble des consommateurs est la plus élevée ».

Mais le projet de décret ne veut pas inciter, il veut réduire l’alimentation électrique sans demander leur autorisation aux usagers.

On pourrait comprendre que le gouvernement veuille renforcer les mesures incitant à consommer moins lors des périodes de tension et plus dans les autres. Ce que recommande précisément cet article L 341-4 : « La structure et le niveau des tarifs d’utilisation des réseaux de transport et de distribution d’électricité sont fixés afin d’inciter les clients à limiter leur consommation aux périodes où la consommation de l’ensemble des consommateurs est la plus élevée ».

Et ces mesures de tarification incitatives existent déjà.

Mais non, le décret voudrait autoriser les gestionnaires du réseau électrique à gérer à distance les compteurs Linky pour « mettre en œuvre, à titre expérimental et dans les conditions définies par le présent décret, une mesure de limitation temporaire de la puissance soutirée par des clients résidentiels raccordés au réseau public de distribution d’électricité, de puissance inférieure ou égale à 36 kVA ».

Bon enfant, cette expérimentation laissera aux usagers une puissance de 3 kVA (correspondant à un radiateur, un ordinateur portable en charge, un réfrigérateur), et ne durera pas plus de 4 heures par jour entre 6 h 30 et 13 h 30 et entre 17 h 30 et 20 h 30. Les clients concernés en seront avisés, mais ils ne pourront pas s’y opposer, et ne seront pas indemnisés !

Certes, le ministère se veut rassurant en disant que ce serait une option ultime. Il ajoute qu’il a peu de craintes de manquer d’énergie cet hiver. Il n’empêche qu’il aimerait que cette expérimentation soit possible d’ici la fin mars 2024. Il voudrait juste faire un test.

En réalité, ce projet de décret révèle, s’il en était besoin, l’état d’esprit quasiment totalitaire de nos dirigeants et de leur technocratie, qui tordent les textes pour soumettre les individus à leur bon vouloir. Bien sûr, il ne s’agirait que d’une expérimentation, mais c’est sans doute le moyen d’habituer les Français à une telle coercition avant de la généraliser. Il serait sans doute temps que l’État s’occupe moins de produire et distribuer l’énergie, et davantage de faire régner la justice qui veut que les contrats soient respectés.

Si ce décret était mis en œuvre, il serait plus que souhaitable que des usagers s’unissent pour attaquer l’État devant les tribunaux.

Sur le web.

L’Union soviétique en dix moments clés

François Kersaudy est un auteur, historien reconnu, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale et de l’histoire diplomatique. Auteur de De Gaulle et Churchill (Perrin, 2002), De Gaulle et Roosevelt (Perrin, 2004), il a aussi écrit une biographie de Churchill pour Tallandier, et une autre consacrée à Lord Mountbatten pour Payot. Il est aussi l’auteur d’ouvrages consacrés à l’Allemagne nazie.

Tout au long de Dix faces cachées du communisme, Kersaudy explore une série de dix questions variées, principalement liées aux actions de l’URSS des années trente aux années soixante, soit les années du règne de Staline.

Ces questions englobent divers sujets, tels que le sort de l’or espagnol pendant la guerre civile de 1936 ; la propagande soviétique à l’étranger (notamment des déclarations sur la cession de la Ruthénie par le président tchécoslovaque Edvard Benès à l’URSS en 1920, malgré les revendications territoriales entre la Russie et la Pologne) ; le cas de Vlassov et son armée de déserteurs soviétiques (mettant en lumière le fait que les prisonniers russes étaient traités comme des traîtres sur les ordres de Staline, favorisant la croissance de ces forces) ; le devenir du corps d’Adolf Hitler qui a fait l’objet d’innombrables théories et fantasmes alors que les Soviétiques se sont surtout efforcés de conserver son crâne ; le conflit entre Tito et Staline ; ou encore les relations entre Kennedy et Khrouchtchev pendant la crise des missiles à Cuba, qui sont savoureuses.

Si l’Ukrainien était infiniment plus « sympathique » que le monstre Staline, il n’en demeure pas moins que JFK fut marqué par la rencontre : « Je n’ai jamais rencontré un homme comme celui-là, confiera Kennedy. Quand je lui ai dit qu’une guerre nucléaire ferait 70 millions de morts en 10 minutes, il m’a regardé d’un air de dire : et alors ? »

L’ouvrage aborde également les péripéties entourant les mémoires rédigées par Khrouchtchev, la remise en question de la distinction fondamentale entre les crimes du nazisme et du stalinisme, la personnalité de Che Guevara (enfin reconnu comme un vrai criminel), et la biographie de Poutine, couvrant ses actions en Russie, et occasionnellement ses efforts de déstabilisation en Europe et aux États-Unis, notamment lors de l’élection de Donald Trump.

Il décrit particulièrement bien ce nouveau tsar, pur produit de l’URSS et du KGB, coupable d’une guerre qui déstabilise le continent européen pour satisfaire son désir de puissance. En remontant à ses origines de petit mafieux, d’espion moyen de la RDA, mais d’opportuniste assez fin pour profiter du délitement de l’URSS, il explique comment Poutine a su s’imposer dans son pays avant de devenir un danger planétaire.

Les sujets abordés ne sont pas nouveaux et ne révolutionnent pas le genre. Quiconque a déjà lu des ouvrages sur l’URSS sera en terrain familier. Par contre, pour les novices, ce peut être une excellente porte d’entrée, accessible et donnant envie de poursuivre plus en profondeur. Au-delà des événements, c’est une façon pertinente de comprendre les recoins les plus sombres qui animèrent ceux qui pensèrent changer le monde pour en créer un nouveau.

François Kersaudy, Dix faces cachées du communisme, Perrin, août 2023, 432 pages, 22 euros

Les libéraux et la guerre

Paix et liberté (dans cet ordre), fut le slogan et le programme adopté par Frédéric Bastiat en 1849, et il résume l’aspiration commune d’un courant de pensée tout entier.

 

Pourquoi les libéraux sont contre la guerre

Au point de vue utilitaire, la guerre est ruineuse : c’est proprement « une industrie qui ne paie pas ses frais » (Yves Guyot, L’économie de l’effort, 1896, p. 49).

Elle implique des destructions, des crises commerciales, des dettes publiques, qui ruinent les existences, découragent les initiatives et ralentissent le progrès. Aussi peut-on dire de la guerre qu’elle est en contradiction avec l’état social des sociétés modernes, fondé sur le commerce et l’industrie (J.-B. Say, Traité d’économie politique, 1803, t. II, p. 426-427 ; B. Constant, De l’esprit de conquête, 1814, p. 8). À chaque progrès économique, cette contradiction, d’ailleurs, doit s’accentuer (B. Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, 1822, p. 22).

Le passif des guerres a été dressé avec beaucoup de soin par les libéraux français. À côté des hommes qui tombent raide mort, ou qu’une bombe fait voler en morceaux, il y a tous ceux qui gisent longtemps sur le champ de bataille ou au milieu des décombres de villes attaquées, attendant un secours qui ne vient pas, appelant une aide que personne ne peut leur donner. Il y a ces piliers d’hôpital, qui y consument leur existence, ou qu’on renverra peut-être un jour dans leurs familles, amputés, incapables, l’esprit égaré, la pensée flottante dans des envies de suicide ou de meurtre qu’ils assouvissent parfois.

Et si l’on espère résoudre des différends par la guerre, c’est une véritable chimère qu’on poursuit. Car l’emploi des moyens de la violence ne résout rien, et sur les ruines encore fumantes d’un conflit qu’on dit pacificateur, s’élèvent de nouvelles difficultés et de nouveaux conflits (Frédéric Passy, « L’avenir de l’Europe », Journal des économistes, février 1895, p. 163).

 

Pourquoi la guerre ne disparaît pas

Si la guerre et l’esprit de la guerre se maintiennent dans les sociétés modernes, intéressées au plus haut point à leur abolition, c’est qu’il est une sorte de gens dont elle flatte la vanité et dont elle sert discrètement les intérêts. Pour ceux qui rêvent d’accroître les attributions du gouvernement, d’en centraliser l’exercice entre leurs mains, de préparer même les esprits à un règne d’arbitraire et de compression, la guerre est le plus sûr et le plus court moyen (Abrégé de la Démocratie en Amérique de Tocqueville, p. 73).

Le peuple est, quant à lui, dans son extrême majorité, intéressé à la paix : mais deux groupements qui procèdent de lui, marchent pourtant de travers. D’un côté, les fonctionnaires dépendent matériellement de l’État, et ils en adoptent plus ou moins les préoccupations et la morale. D’un autre, les partis qui se présentent pour représenter politiquement ce peuple essentiellement pacifique, organisent en fait une domination politique et ne rêvent que des moyens de l’accroître (Gustave de Molinari, Grandeur et décadence de la guerre, 1898, p. 99).

Il faut encore compter, dit Frédéric Bastiat, avec le tempérament belliciste des journalistes, qui excitent les passions et poussent à la guerre, depuis le coin de leur feu (Œuvres complètes, t. II, p. 198.).

 

La guerre de légitime défense est seule juste

Une seule circonstance rend, dans l’optique du libéralisme, la guerre juste et même morale : c’est la défense du territoire national. Cette mission est l’une des rares que les libéraux entendent confier à l’État ; et ce n’est pas pour qu’il s’en acquitte moins bien, mais mieux.

Mais naturellement, une nation n’a pas davantage de droits qu’un individu. Frédéric Bastiat enseigne bien, dans La Loi, que « si chaque homme a le droit de défendre, même par la force, sa personne, sa liberté, sa propriété, plusieurs hommes ont le droit de se concerter, de s’entendre, d’organiser une force commune pour pourvoir régulièrement à cette défense. Le droit collectif a donc son principe, sa raison d’être, sa légitimité dans le droit individuel ; et la force commune ne peut avoir rationnellement d’autre but, d’autre mission que les forces isolées auxquelles elle se substitue » (O. C., t. IV, p. 343).

Par conséquent, la légitime défense collective découle de la légitime défense individuelle. Pour une nation, se défendre, c’est donc parer l’attaque, la repousser, répondre au danger à mesure et d’après le degré avec lequel il se présente.

Les bornes de ce droit sont, de fait, très restreintes.

Se défendre, en particulier, ne signifie pas attaquer ; les deux notions sont antinomiques. Et Benjamin Constant a raison de critiquer ceux qui jouent sur les mots pour faire accepter leurs desseins coupables.

« Autre chose est défendre sa patrie ; autre chose attaquer des peuples qui ont aussi une patrie à défendre. L’esprit de conquête cherche à confondre ces deux idées. Certains gouvernements, quand ils envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu » (De l’esprit de conquête, 1814, p. 39).

Si l’on peut concevoir que ce soit encore « se défendre », pour une nation, que de pourchasser des criminels, de leur demander de répondre de leurs méfaits, c’est par extension, car ce sont des prérogatives de justice plus que de stricte police. On peut reconnaître ce droit, mais l’organiser par l’arbitrage et la discussion au sein du concert des nations, comme le proposaient Gustave de Molinari et Frédéric Passy.

Dans tous les cas, on doit le borner, sauf à croire que les communistes vietnamiens, par exemple, auraient eu le droit de renverser la républicaine américaine, qui avait envahi son sol, et de la forcer à inscrire dans sa nouvelle Constitution ce que Dupont ou Volney entendaient placer dans celle de France : « que la nation ne se permettra aucune guerre offensive ».

 

Comment construire le pacifisme

Parmi les libéraux, des divisions naissent quand il s’agit de déterminer la politique précise de leur pacifisme.

Il y a, naturellement, l’option de la non-intervention, que l’idéologue Volney résumait dans ces termes : « être indépendant et maître chez soi, et ne pas aller chez les autres, se mêler de leurs querelles ni même de leurs affaires » (Lettre à Th. Jefferson, 24 juin 1801).

Il y a encore la panacée peut-être insuffisante du libre-échange, défendue par Frédéric Bastiat, qui ne craignait pas d’affirmer que « certainement l’abolition de la guerre est impliquée dans la liberté du commerce » (O. C., t. II, p. 153).

D’autres ambitionnent de remplacer la guerre par le droit, et d’utiliser l’arbitrage, soit de puissances intéressées à la paix, soit d’une union des nations. Dans ce camp se rangent l’abbé de Saint-Pierre, Gustave de Molinari, Frédéric Passy, notamment. J’ai rappelé cette conception généreuse dans un article récent.

Quelle que soit la valeur de ces instruments, la question de la guerre ne peut cesser d’intéresser les libéraux. Ils doivent œuvrer en commun pour la vaincre, et substituer la civilisation fondée sur le contrat, à la civilisation fondée sur la force.

Capitalisme et féminisme libéral : architectes de l’émancipation des femmes

Le féminisme libéral est une revendication de justice. Il peut se définir comme l’extension aux femmes des protections de l’État de droit. À ce titre, c’est l’aboutissement d’un long processus historique.

 

Le régime de l’esclavage ou de la propriété des femmes

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la loi ou la coutume n’offre à peu près aucune protection aux femmes. Elles subissent impunément les menaces, les violences, le rapt, le viol, etc. Ce sont des bêtes de somme, des esclaves possédées par des hommes, plutôt que des individus. On les prend, les donne ou les vend, sans requérir aucunement leur consentement.

Charles Comte, dans les quatre volumes de son Traité de législation (1827-1828) livre préféré de Frédéric Bastiat —, rapporte les descriptions tracées par les voyageurs depuis les plages incultes sur lesquelles ils avaient débarqué.

Ainsi, sur l’île de Van-Diémen (la Tasmanie), les mariages se concluent de manière très expéditive. « Un jeune homme voit une femme qui lui plaît ; il l’invite à l’accompagner chez lui ; si elle refuse, il insiste, il la menace même d’en venir aux coups, et, comme il est toujours le plus fort, il l’enlève et l’emporte dans sa cabane. » (Mémoires du capitaine Péron, t. I, 1824, p. 253)

Aussitôt mariée, la femme Hottentote (Afrique du Sud) s’occupe seule de fournir la provision de son ménage et d’assurer les tâches ménagères. Le mari va à la pêche ou à la chasse pour son plaisir, plutôt que pour soulager sa femme ou ses enfants. Les occupations masculines sont de boire, de manger, de fumer et de dormir. (Kolbe, Description du Cap de Bonne-Espérance, t. I, 1743, p. 235)

Au nord du continent américain, lorsque les hommes ont tué une bête fauve, ce sont les femmes qui la rapportent jusqu’à la tente, qui l’ouvrent, qui la dépècent, etc. Quand le repas est apprêté, les femmes servent les hommes comme des domestiques : ceux-ci prennent alors ce qui leur convient, et souvent après eux ils ne laissent rien aux femmes. (Voyage de Samuel Hearne, du fort du Prince de Galles dans la baie de Hudson, à l’océan nord, t. I, 1798, p. 140)

Sur les côtes de Guinée, les femmes tâchent par des caresses de se faire aimer des hommes, sachant trop bien la sorte de dépendance dans laquelle elles se trouvent. (William Bossman, Voyage de Guinée, 1705, p. 211.) À Tahiti, les femmes portent le deuil de leur mari, mais eux ne portent pas le leur. (Bougainville, Voyage autour du monde, 1771, p. 228)

Partout enfin où on les trouve en milieu primitif, les femmes ont généralement l’air plus sombre que les hommes, et elles font voir des cicatrices qui témoignent assez des mauvais traitements qu’elles subissent. (Charles Comte, Traité de législation, 1827, t. II, p. 415 et 425)

 

Le régime de la tutelle

Dans l’Orient, ce premier régime s’est longtemps maintenu. Edmond About raconte que la femme y a une voix criarde et gémissante qui surprend au premier abord, et que ses paroles ne sont que des lamentations. (La Grèce contemporaine, 1854, p. 200). En Crimée puis à Constantinople, Gustave de Molinari décrit aussi les femmes séquestrées dans leurs maisons, voilées à n’en distinguer que les yeux, et qui sont purement et simplement des propriétés. (Lettres sur la Russie, 1861, p. 259 et suiv., p. 376)

Mais dans la France du XIXe siècle, les libéraux observent une situation déjà bien différente : c’est le régime de la tutelle.

Historiquement, on sait que ce n’est pas pour des raisons humanitaires que l’esclavage a été aboli aux États-Unis, ou qu’en Europe, il s’est transformé en servage, avant de disparaître. Cette évolution fut le fruit avant tout de la pression du progrès économique produit par le capitalisme.

C’est aussi le capitalisme qui a permis la première émancipation des femmes, en donnant une valeur sans cesse plus grande aux services de l’intelligence plutôt qu’à la seule force physique. Plus une société a de capitaux, en effet, et moins on a recours à la puissance humaine brute ; moins donc on dépend de l’homme fort. D’abord, on abattait un arbre à mains nues ; ensuite, on usa d’outils rudimentaires ; enfin vinrent les scies mécaniques : et chaque progrès capitaliste augmentait l’utilité intrinsèque du travail des femmes.

Lorsqu’aux premiers temps de l’histoire de l’humanité tout le travail s’accomplit par l’emploi de la force humaine, les femmes et les êtres plus faibles physiquement ne peuvent espérer une rémunération satisfaisante, à moins d’un talent hors pair. Les femmes sont alors économiquement dépendantes. Si l’une d’elle conçoit l’idée de quitter sa cabane pour éviter les mauvais traitements de son mari, raconte l’abbé de Saint-Pierre, et veut « tâter de la solitude », elle n’y reste pas longtemps, devant l’effroi d’une vie de dénuement, dans la crainte de mourir de faim et de froid, et de voir sa vie s’éteindre en effet en peu de temps. (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, t. II, 1713, p. 12)

Jean-Jacques Rousseau, qui a célébré l’âge d’or de la vie sauvage, a poussé plus loin l’inconvenance en jetant l’opprobre sur « le premier homme ayant enclos un terrain », etc. Pourtant, les travaux plus paisibles de l’agriculture, en fournissant un emploi suffisamment productif aux femmes, ont participé à leur meilleure conservation. (Gustave de Molinari, La viriculture, 1897, p. 36) Et tout progrès capitalistique leur a permis d’augmenter leur contribution productive.

 

Le régime de la liberté

L’adéquation entre le régime légal que les intérêts matériels d’une société rendent utiles, et la législation réelle, demande du temps et des efforts. Pour hâter cette transformation, de nombreux libéraux ont défendu la cause de l’extension complète de l’État de droit aux femmes.

Édouard Laboulaye voulait pour les femmes des droits égaux, y compris le droit électoral. (Histoire politique des États-Unis, t. III, 1866, p. 323 et suiv.)

Paul Leroy-Beaulieu pensait que « l’on pourrait juger de l’état d’une société entière d’après la situation qui y est faite à la femme ». (Populations ouvrières, 1868, p. 178) Il voulait que la femme soit protégée par la loi contre les excès de son mari, qu’elle obtienne la libre disposition de son salaire. (Discussion à l’Académie sur le code civil et les ouvriers, 1886)

Yves Guyot surtout, a mené une campagne inlassable, engagée très tôt pour la liberté égale des femmes, y compris le suffrage. « Le christianisme, disait-il, a conquis son influence en promettant à la femme de la relever. Il n’a pas tenu complètement sa promesse. Nous devons la réaliser dans nos pays et aider, chez les autres peuples, les femmes à obtenir une situation meilleure. » (Lettres sur la politique coloniale, 1885, p. 398)

Furent-ils plus nombreux, et avaient-ils en général des idées plus radicales encore ? C’est ce qu’il est permis de supposer. Avril de Sainte Croix observe en 1922 que « Monsieur Yves Guyot est probablement le doyen des féministes. Il a été un féministe quand cette qualité soulevait les railleries des gens qui se prétendaient sérieux… Il n’a cessé de réclamer l’égalité civile, l’égalité économique et l’égalité politique des femmes. » (Conférence du 30 janvier 1922 ; Fonds Guyot, Archives de Paris, D21J 65.) Or ces moqueries ont certainement pu en décourager quelques-uns.

Voyez la colonisation. Quand l’enthousiasme était presque unanime, certains cachaient leur désapprobation. Sortant du bois en 1848, Léonce de Lavergne dit par exemple : « J’avais déjà cette opinion sous la monarchie, quand les millions pour l’Afrique se donnaient sans compter, mais j’hésitais à la produire en présence de l’engouement général, j’attendais… » (Revue de deux-mondes, 1er mai 1848.)

On voit d’ailleurs dans les archives d’Edmond About qu’au seuil de son grand livre sur la liberté, il écrivait qu’elle est due tant aux hommes qu’aux femmes. Mais son éditeur a rayé cette phrase cruciale, et elle n’apparaît pas dans l’imprimé. (Bibliothèque de l’Institut, Ms. 3984)

Il faudrait prendre en compte aussi tout cela, dans la balance qu’on ferait avec les opinions antiféministes de Benjamin Constant, avec les doutes ou les atermoiements de Jules Simon, de Gustave de Molinari.

 

Pourquoi toutes les femmes devraient être libérales

La demande du féminisme libéral est assez simple. Puisque l’État est une sorte de société en commandite établie pour produire la sécurité de tous, il faut que les femmes aient une voix à l’égal des hommes et que leur protection soit assurée comme celle des hommes.

Les anti-libéraux construisent un État omnipotent (en théorie), qui prétend tout régenter, mais n’accomplit rien qui vaille. C’est un gros monsieur qui est tout à tour professeur, médecin, entrepreneur de spectacle, que sais-je encore. Comment n’en oublierait-il pas de bien assurer la sécurité, de bien rendre la justice ?

À l’inverse, la demande d’un État minimal est celle d’un État qui a peu de fonctions, mais qui les remplit. Or les femmes ont, plus encore que les hommes, besoin de cet « État gendarme », qui fasse bien son métier.

Le capitalisme, en outre, marche pour elles.

Le féminisme libéral a moins de puissance verbale que celui qui demande des privilèges de sexe ou des réparations. Il ne dira pas que ce qui est inégal est égal. Mais il protégera chacun, et placera tous et toutes sous la grande loi d’égalité et de justice de la concurrence pour la rémunération des services. Il ne lui manque que d’avoir conscience de sa force persuasive.

 

Compteurs Linky : la sobriété imposée à l’horizon ?

Actuellement, 90 % des usagers du réseau de distribution sont équipés d’un compteur Linky. Les réfractaires seront sans doute pénalisés financièrement. Ils sont en outre régulièrement accusés de complotisme. Il est vrai que ce compteur a été acccusé de provoquer des problèmes de santé liés au rayonnement, et qui sont de pures bêtises.

Mais la raison essentielle pour refuser Linky est ailleurs, et on commence à la voir plus nettement.

 

Un projet de décret qui en dit long

Le journal La Tribune a transmis des informations relatives à un projet de décret qui devait être examiné le 26 septembre par le Conseil supérieur de l’énergie (point 7). Devant certaines interrogations, l’examen est reporté, un texte modifié sera présenté, qui modifie des points d’organisation, mais pas sa finalité.

La présentation du décret : (référence ENER2324392D) fait l’objet d’un rapport dont voici quelques extraits :

« Le projet de décret définit les modalités d’une expérimentation relative à la limitation du soutirage des clients résidentiels raccordés en basse tension. L’objectif de cette expérimentation est de déterminer s’il est possible techniquement de mettre en œuvre une nouvelle mesure hors marché en cas de déséquilibre anticipé entre l’offre et la demande d’électricité. Une telle mesure permettrait ainsi de réduire ou d’éviter le recours au délestage qui reste la mesure ultime pour assurer l’équilibrage du réseau électrique.

Cette réduction est techniquement possible avec les compteurs communicants Linky. Ces derniers permettent, grâce à des ordres envoyés en avance, d’abaisser temporairement le seuil de puissance maximale pouvant être soutirée par le client. Par rapport au délestage programmé, cette réduction permettrait en outre d’élargir l’assiette des usagers résidentiels concernés dans la mesure où, s’agissant d’une intervention au niveau du compteur, l’ensemble des usagers résidentiels peuvent être ciblés. Elle présente également l’avantage de ne pas interrompre l’alimentation d’un client, le seuil de puissance minimal permettant de faire fonctionner les équipements courants peu énergivores. »

Tout est dit !

Le décret porte seulement sur une expérimentation limitée.

En effet, de nombreux points techniques sont encore à éclaircir. Sur un plan commercial et juridique, les choses sont loin d’être limpides également. Mais l’intention est là, et les fonctionnalités de Linky ont été dès le départ prévues pour cela.

 

Un rouage essentiel de la « transition »

Il peut (moyennant parfois quelques modifications de logiciels centraux) renvoyer des informations précises et quasi continues sur la consommation des entités raccordées.

L’analyse de ces données par des algorithmes adaptés permet de tirer une foule d’enseignements sur les habitudes, comportements, et même appareils utilisés (via leur signature d’appels de puissance) chez le consommateur. On peut, si besoin, transformer Linky en un véritable espion du foyer. Évidemment, on en est loin actuellement, mais qui peut prédire les évolutions sociétales, alors qu’on parle déjà de censurer le climatoscepticisme dans l’espace médiatique ?

D’ailleurs, ce danger n’est pas propre à Linky, il peut provenir de tout objet connecté.

Il contient un contacteur télécommandable en centralisé, probablement peu connu du public. Et c’est cette fonctionnalité qui permettrait l’application du décret. On abaisserait temporairement (pendant 4 heures) le réglage de coupure du contacteur, obligeant le consommateur à ne mettre en route que certains appareils.

Des discussions existent déjà sur les coupures pour impayés : elles seront beaucoup plus faciles et « anonymes », car télécommandées, et plus « morales » si on laisse un minimum vital de puissance, réglable aussi à distance, aux foyers concernés.

 

Éviter un black out 

À court et moyen terme, malgré des prises de position rassurantes, certains membres de l’administration et du gouvernement sont bien conscients des risques de black out à venir pour de nombreuses années encore.

Or, couper des zones entières n’est guère possible compte tenu de certaines applications à domicile à caractère vital (respirateurs, dialyse…). Linky permettrait une maille plus fine. Au lieu de s’interroger sur l’offre (pourquoi, malgré l’installation de 36 GW d’énergie renouvelable, on risque toujours de manquer de capacités ?) on préfère contraindre la demande.

À long terme, Linky pourrait participer à une « sobriété heureuse » pas tout à fait consentie.

Linky, un petit nom sympathique pour un mignon petit objet vert présent dans chaque foyer. Dormez bien, braves gens, son œil clignotant veille sur vous.

Pourquoi, au XIXe siècle, les libéraux classiques français étaient-ils opposés à l’avortement ?

Pendant près de trois siècles, la pensée libérale s’est épanouie en France et des auteurs innombrables se sont rendus célèbres par des livres qu’on lit encore, et qui sont traduits à l’étranger.

Aujourd’hui, découvrir leurs opinions sur les sujets les plus brûlants apparaît comme un exercice salutaire. Car ce n’est pas l’archéologie de lieux communs ; c’est le dévoilement du libéralisme pratique, aux différentes sensibilités, dans des conditions historiquement posées.

Ainsi, quand les libéraux classiques français promeuvent l’immigration libre et réclament l’abolition des passeports ; quand les plus radicaux d’entre eux accordent tout de même à l’État une responsabilité pour la protection de l’environnement ; quand Yves Guyot, au milieu de son combat contre l’antisémitisme, critique le projet sioniste, etc., nous sommes forcés de comprendre, de penser.

De même, dans la tradition libérale française l’avortement a eu l’unanimité contre lui. C’est un point d’histoire méconnu, intéressant à élucider.

 

La vie sensible du fœtus

La première explication tient dans l’idée que les libéraux classiques français se faisaient de la vie. Peu d’entre eux possédaient des connaissances approfondies en médecine, et ils étaient comme forcés de faire reposer leur opinion sur l’expertise d’autrui. Cabanis, du mouvement des Idéologues, est l’un des rares médecins de la tradition libérale française. Son ouvrage majeur, Rapports du physique et du moral de l’homme (1803), est bien connu des auteurs libéraux français du XIXe siècle ; Gustave de Molinari, par exemple, le cite fréquemment. (Œuvres complètes, t. V, p. 156, t. VII, p. 214, t. XI, p. 224)

Or, Cabanis explique que chez le fœtus, dont la constitution est à peine ébauchée, l’organe cérébral est déjà en état de fonctionnement, et qu’en effectuant des mouvements qui rencontrent une résistance dans le ventre de la mère, il accumule déjà des perceptions et des sensations. (Rapports du physique et du moral de l’homme, 1802, t. II, p. 430-431 ; Œuvres complètes, 1823, t. IV, p. 295-296. — C. Jolly, Cabanis, p. 112). C’est pour lui une démonstration importante à faire, car l’origine des idées est au cœur du projet intellectuel des Idéologues.

Dans cette perspective alors, la conclusion est forcée : l’avortement brise une existence sensible et réelle, et doit donc être compté au nombre des crimes.

 

L’avortement, un crime pas assez réprimé

C’est aussi ce que considère le législateur du XIXe siècle. Cependant, les statistiques officielles font état de poursuites extrêmement rares.

En Belgique, rapporte Gustave de Molinari, les opérations de la police judiciaire et de la justice criminelle dans la période de 1840-1849 ne font état que de 33 avortements. (L’Économiste Belge, 5 juin 1855.) En France, Paul Leroy-Beaulieu se désole aussi de ne lire que 27 avortements par année, dans la statistique dont il rend compte en 1878. (Journal des Débats, 19 décembre 1878) L’un et l’autre sont d’accord pour dire que le crime d’avortement est facile à cacher.

Vers la fin du XIXe siècle cependant, l’effondrement de la natalité française fait prendre plus au sérieux ce crime plus ou moins silencieux.

« Aujourd’hui, l’on peut considérer que l’impunité, sauf malchance exceptionnelle, est assurée aux avortements », écrit Paul Leroy-Beaulieu en 1913. « On fait 20 à 30 poursuites par année, quand les avortements sont évalués par des médecins sérieux à une centaine de mille et, sur ces deux ou trois dizaines de poursuites, c’est à peine si la moitié aboutit à une répression, les jurys ayant l’habitude d’acquitter ce genre de crimes. » (La question de la population, 1913, p. 441)

Leroy-Beaulieu, au contraire, plaide pour une sévérité accrue, réelle, assumée :

« Il est indispensable, pour l’honneur de la société moderne et le salut de la France, de châtier méthodiquement et efficacement l’avortement au moins autant qu’on châtie soit le vol, soit les coups et blessures… Si au lieu de 20 à 30 poursuites pour avortement devant des jurys bassement complaisants, il y avait un millier ou quelques centaines de poursuites chaque année, au titre de délits, devant les tribunaux correctionnels et que des peines à trois, quatre ou cinq ans d’emprisonnement, ainsi que de fortes amendes, fussent régulièrement infligées non seulement aux ‘faiseuses d’anges’, mais aussi aux mères naturelles ou légitimes que l’on considère comme leurs victimes, on peut être certain que le nombre des avortements diminuerait rapidement de moitié et ultérieurement des trois quarts sinon davantage. » (Ibid, p. 442)

De même, il entendait criminaliser la propagande en faveur de l’avortement, qui s’était donné libre cours et qui s’étalait complaisamment dans les journaux, sous la forme de conseils ou d’annonces pour des objets anticonceptionnels. « Ces annonces doivent être interdites et châtiées de fortes peines pécuniaires et corporelles. » (Idem, p. 441) La loi du 31 juillet 1920 le fera d’ailleurs.

En ce début de XXe siècle, Paul Leroy-Beaulieu traitait du sujet sur fond de tensions géopolitiques et de craintes pour l’avenir de la population française, qu’il savait stagnante, et qu’il entrevoyait bientôt faiblissante, et peut-être remplacée par une immigration qui provoquerait une dénationalisation progressive (voir son chapitre du même livre, sur « la question des étrangers résidant et l’éventualité de la dénationalisation de la France ».) Établissant le constat que l’avortement et l’emploi de préservatifs étaient en train de conquérir la France et s’imposaient dans les campagnes, après avoir déjà accompli la conquête des villes, il était presque naturel, compte tenu de ses craintes, qu’il cherchât des solutions fermes du côté de la correctionnalisation, qu’il demandât de tenir ouvert les yeux des magistrats sur les agissements des sages-femmes, et qu’il prononçât des peines lourdes contre les mères avorteuses.

 

La question de la recherche de la paternité

La réponse courante et traditionnelle du libéralisme français n’était pourtant pas tout à fait celle-ci. Avant que le péril de la natalité décroissante ne vienne compliquer les débats, les libéraux avaient surtout signalé et blâmé le déséquilibre des lois, dont la sévérité était accablante pour les femmes, et presque insensible pour les hommes.

Leroy-Beaulieu lui-même, en 1878, publiait une longue plainte contre cette injustice, et demandait l’abrogation pure et simple de l’article 340 du Code pénal, qui interdisait absolument la recherche de la paternité, sauf le cas de rapt par violence (Journal des débats, 19 décembre 1878).

Cette mesure, dite de la « recherche de la paternité », et qui n’est autre chose que l’exercice forcé de la responsabilité individuelle, était défendue également avec chaleur par Frédéric Passy (Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877) et Gustave de Molinari (« La recherche de la paternité », Revue des Deux-Mondes, 1875).

Frédéric Passy et Yves Guyot demandèrent aussi expressément une modification de l’article 1133 du Code civil, de manière que, sous prétexte « de bonnes mœurs », la loi n’annule plus les engagements contractés par l’homme envers la femme, par exemple lorsqu’il promettrait leur mariage ultérieur, avant qu’elle ne se donne. Ils ajoutaient ainsi, à la recherche ultérieure de la paternité, la sécurité d’une reconnaissance ou d’une constatation préalable. (Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877 ; idem, du 5 décembre 1882.)

Dans l’esprit de tous ces auteurs, il s’agissait tout simplement de faire assumer à chaque individu, au sein d’une société libre, la responsabilité de ses actes. Ces justes dispositions devaient fournir un frein aux avortements, de même qu’aux infanticides et aux abandons d’enfants. Mais quant aux cas qui surviendraient, une fois les réformes faites, ils ne se mettaient pas en peine de les nommer des crimes.

Comprendre et répondre à la baisse mondiale de la fécondité

On écoute enfin les démographes !

Depuis longtemps ils annoncent la diminution prochaine de la population de nombreux pays, puis de l’ensemble de la planète, alors que la mode était plutôt à la crainte de la surpopulation, crainte qui a été relayée et amplifiée, notamment par une partie de l’écologie politique.

Depuis, la mode a changé. On a remarqué la baisse de la population chinoise, qui devrait s’accélérer, et celle de nombreux autres pays.

En France, nous n’en sommes pas là, mais la baisse de la fécondité va nous rapprocher du jour où la population va commencer à diminuer.

Avant d’examiner cette situation française, il faut rappeler le contexte mondial et les principales raisons de cette baisse.

 

Le contexte mondial

La baisse de la fécondité se répand dans le monde entier, et cela dans les trois parties du monde que l’on distingue habituellement :

  1. Celle où la diminution de la population est déjà très sensible, le cas le plus connu est celui du Japon avec 850 000 habitants de moins en 2022. La Chine vient de rejoindre ce groupe, ainsi que de nombreux autres pays.
  2. Celle où la population semble croître, mais dont la diminution va se concrétiser bientôt. C’est le cas de l’Inde, des États-Unis et de la France : la diminution du nombre de parents va automatiquement entraîner celle de la population.
  3. Celle où la population est en croissance rapide, principalement d’Afrique subsaharienne, mais où la fécondité a déjà nettement baissé. Pour l’instant, la rapidité de succession des générations et l’augmentation du nombre de parents font plus que compenser cette baisse de la fécondité, du moins pour encore quelques dizaines d’années.

 

Au passage, il faut signaler une croyance répandue selon laquelle l’islam est une cause de forte fécondité, alors que l’examen montre que c’est le niveau de développement qui est déterminant : les pays musulmans profondément sous-développés, comme ceux du Sahel, ont une fécondité élevée, mais elle n’est que moyenne dans les pays musulmans où le développement est bien amorcé, comme le Maroc, la Tunisie, l’Iran, l’Indonésie…

Et il n’y a pas que des pays musulmans qui ont une forte fécondité, c’est aussi le cas de certains pays chrétiens africains, et de certaines communautés comme les Amish en Pennsylvanie ou les Juifs orthodoxes de New York, et de certains quartiers de Jérusalem.

Certaines causes de cette baisse de la fécondité sont les mêmes dans l’ensemble des pays, et sont bien connues et étudiées. Il s’agit de la scolarisation des filles, des difficultés de logement, du coût de l’éducation, de la diffusion de la contraception. Tout cela se trouve en général dans les grandes villes. On passe ainsi d’une famille villageoise où l’agrandissement de la maison ne coûte pas cher et où les enfants aident les parents dans les champs ou pour l’élevage, à un univers urbain complètement différent.

D’où l’idée généralement répandue que l’urbanisation est la principale cause du déclin de la fécondité à l’échelle mondiale.

Mais, à mon avis, il y en a une autre dont on ne parle pas.

 

Le rôle des systèmes de retraite

Une motivation importante pour avoir des enfants est que quelqu’un s’occupera de vous pendant vos vieux jours. Ce qui explique par ailleurs la préférence pour les garçons dans les sociétés traditionnelles, la fille devant s’occuper de sa famille et de son mari.

Or, à partir du moment où existe un système de retraite, cette motivation disparaît, on est moins enclin à faire des sacrifices financiers pour un deuxième enfant, le premier étant supposé être un garçon, au besoin au prix d’un avortement, ou d’un abandon si c’est une fille.

Pour parler brutalement, avoir une retraite, c’est permettre de ne pas avoir d’enfant et de compter sur ceux des autres. Cela non seulement pour la financer, mais surtout pour pouvoir assurer les prestations nécessaires : on oublie qu’il ne faut pas seulement de l’argent, mais surtout des garde-malades, des infirmiers, des médecins… qui vont manquer justement parce qu’on a moins d’enfants ! Sauf immigration, qui se fera probablement de toute façon pour cette raison, malgré l’hostilité de l’opinion publique.

Par ailleurs, un système de retraite généralisé suppose un certain développement économique, c’est à mon avis un lien qu’on oublie entre la baisse de la fécondité et le développement.

 

L’alerte

Cette baisse de la fécondité a longtemps été ignorée du grand public car la population continue à augmenter. Mais cela parce que l’augmentation du nombre de personnes âgées, conséquences des progrès de la médecine, masquait la diminution du nombre de jeunes, ce qui a largement faussé les idées des écologistes.

Il y a eu quelques lanceurs d’alerte précurseurs, dont le plus ancien est Alfred Sauvy (1916–1990) que j’ai connu à la fin de sa carrière, que je considère comme le père de la démographie moderne et qui a largement contribué intellectuellement à la législation nataliste française. On peut citer également le site Pronatalist.org, qui prévoit un « effondrement de la civilisation ». Ce courant est notamment illustré par Elon Musk, pour qui cet effondrement est « un bien plus grand risque que le réchauffement climatique ». À 51 ans, le nouveau patron de Twitter est déjà père de dix enfants.

 

La situation française

La France était en dépeuplement relatif depuis Louis XIV, et a été battue par la Prusse en 1870, notamment du fait de son infériorité numérique.

Elle s’est trouvée ensuite en dépeuplement  « naturel », c’est-à-dire hors immigration, jusqu’en 1939. Pour le contrebalancer, elle a attiré des immigrants italiens puis polonais, puis des Juifs fuyant le nazisme.

Ensuite, grâce à sa politique nataliste développée de 1938 à 1946 (allocations familiales, parts fiscales diminuant l’impôt sur le revenu…), le baby boom est allé au-delà du rattrapage des naissances perdues pendant la guerre, contrairement aux autres pays où il a été bref et moins intense. Avec le recul, on constate que si les avantages financiers ont joué un rôle, celui-ci a été accentué par une atmosphère favorisant le cumul emploi-maternité. Contrairement à l’attitude traditionnelle alors en vigueur dans les autres pays où la mère de famille est censée rester à la maison.

Ce dernier point a justement été un argument pour les gouvernements de gauche : « favoriser la fécondité est un moyen pour la droite de pousser les femmes à rester à la maison ». Pour cette raison et également par égalitarisme « pourquoi distribuer de l’argent aux riches ? », les incitations financières ont été plafonnées par les gouvernements de gauche, et l’atmosphère générale a été moins favorable.  Le mot « nataliste » est devenu négatif.

Finalement, après des fluctuations, (moindre fécondité dans les années 1980 et 1990, reprise au début des années 2000), on se retrouve avec une baisse des naissances assez prononcée.

En août 2023 on constate une chute de 8 % par rapport à août 2022, selon les chiffres provisoires publiés par l’Insee. Depuis le début de l’année, on comptait déjà environ 35 000 naissances de moins en 2023 qu’en 2022.

L’année pourrait se terminer avec environ 700 000 naissances, soit la pire année depuis 1945.

Une partie de cette baisse est due à l’augmentation continue de l’âge de la maternité : on retarde de plus en plus le moment d’avoir des enfants, ce qui diminue la taille de chaque promotion. L’âge moyen des mères à la naissance est ainsi passé de 30,2 à 31,2 en dix ans.

On peut penser qu’il y aura un rattrapage partiel un jour, lorsque, vers la quarantaine, les femmes verront qu’il ne leur reste que quelques années pour concrétiser leur souhait, qui est en moyenne de plus de deux enfants. Mais avoir des générations creuses aujourd’hui pour en avoir (peut-être) de moins creuses demain ne fait que perturber beaucoup d’activités, à commencer par l’école.

Et la France est relativement en meilleure situation que le reste de l’Europe, avec 1,8 enfant par femme contre 1,3 en moyenne dans les autres pays. Et, comme en France, la chute s’est accentuée encore récemment, sauf au Portugal, avec une baisse de 4,9 % dans l’ensemble de l’Union entre 2021 et 2022. En Estonie et en Grèce, la chute a été de plus de 10 %.

 

Que faire ?

La question est maintenant largement débattue, et de nombreux gouvernements ont voulu imiter la France de 1939 en aidant financièrement les familles.

Les résultats ont été faibles ou nuls. En effet, le problème n’est pas purement financier : par exemple, ce ne sont pas les allocations qui vont augmenter le nombre de logements disponibles et faire baisser leur prix, elles ne feront que renchérir les loyers !

Nous avons vu qu’un des points clés est de faciliter l’organisation des mères de famille qui veulent en grande majorité travailler. Les gouvernements se penchent à juste titre sur le nombre de crèches, mais les crèches officielles ont un taux d’encadrement qui fait qu’on ne peut pas les multiplier… puisque les jeunes ne sont pas assez nombreux. La conséquence est évidemment la création de crèches privées, officielles, ou pas, et dans ce cas moins encadrées ! Ou l’appel à des nounous, massif dans mon quartier et probablement ailleurs, et qui sont très majoritairement issues de l’immigration…

Sur le plan économique, ces crèches et ces nounous permettent à des femmes qualifiées de se consacrer à leur carrière, d’abord parce qu’elles le souhaitent, et ensuite parce que le manque de personnel pour faire tourner l’économie est criant.

Nous avons vu que la généralisation des retraites est également une cause importante de la baisse de la fécondité. Mais personne n’en parle, et on ne voit pas bien quelle conclusion en tirer, personne ne voulant supprimer ce qui est considéré comme une grande conquête sociale dont tout le monde pense bénéficier.

Et pour finir, ajoutons que non seulement le vieillissement va rendre très pénible la nuit des retraités faute de bras, mais aussi la production nationale dans son ensemble. Une enquête diffusée par The Economist ajoute qu’il y aura baisse de la créativité : une étude fondée sur le nombre et la nature des brevets montre que la baisse de la proportion de jeunes, non seulement diminue la créativité, mais surtout freine l’innovation de rupture.

Comme le vieillissement semble inévitable, ce journal estime que le seul remède est d’augmenter le niveau de formation de la population. C’est envisageable dans les pays mal scolarisés, mais il faudrait des réformes profonde en Occident, et particulièrement en France.

 

En conclusion

Avec quelques collègues, je sonne l’alarme depuis des décennies sur les conséquences irréversibles de la baisse de la fécondité. Je suis donc heureux de cette actuelle prise de conscience, qui est due en partie au débat sur les retraites, et navré de voir que les écologistes l’ont retardée avec leur crainte de la surpopulation de la planète.

Mais cette prise de conscience est encore partielle, comme en témoigne le ton un peu sceptique de l’article du journal Les Échos du 16 janvier 2023 sur ce thème. Plus généralement, je ne suis pas cru lorsque je dis que certains pays auront disparu dans moins d’un siècle, dont probablement le Japon et la Corée, mais aussi une bonne part des pays européens.

Tout cela paraît encore bien abstrait et lointain. Mais certaines conséquences sur la production nationale se font déjà sentir, notamment dans les services aux personnes âgées. Il faut donc continuer à expliquer sans relâche que les prestations dont nous bénéficions ne tombent pas du ciel, ne sont pas une question d’argent, mais nécessitent le travail du plus grand nombre de personnes possible. On retombe sur la question du recul de l’âge de la retraite et de l’immigration.

Et de toute façon, il faudrait enclencher une politique nataliste vigoureuse (campagnes, congé maternité mieux indemnisé pour toutes, y compris indépendants, crèches, avantages famille dès deux enfants, réduction d’impôts, etc). De plus, il faudra l’afficher franchement pour casser le pessimisme actuel et l’ambiance antinataliste, tout en étant conscient qu’il faudra des dizaines d’années pour remodeler la pyramide des âges.

Pourquoi l’alliance entre Staline et Hitler ne doit jamais être oubliée

Par Benjamin Williams.

La Seconde Guerre mondiale a été l’une des périodes les plus catastrophiques de l’histoire de l’humanité, marquée par une violence, un génocide et une destruction sans précédent.

Pourtant, alors que le récit de la guerre est dominé par les puissances de l’Axe et les puissances alliées occidentales, le rôle de l’Union soviétique, en particulier sous la direction de Joseph Staline, dans le soutien indirect à la campagne de terreur et de conquête de l’Allemagne nazie, est souvent passé sous silence. S’appuyant sur plusieurs extraits historiques, nous analyserons l’implication de l’Union soviétique dans les efforts de guerre nazis et son incapacité à protéger ou à informer sa population juive des atrocités imminentes.

Le pacte Molotov-Ribbentrop a été signé aux premières heures du 24 août 1939, lors d’une cérémonie surréaliste où les croix gammées flottaient à côté de la faucille et du marteau. Les drapeaux à croix gammée provenaient prétendument d’un studio de cinéma, où ils avaient été utilisés pour des films de propagande antinazie. Le pacte de non-agression de dix ans entre l’URSS et l’Allemagne s’accompagne d’un protocole secret définissant les sphères d’influence de chaque puissance en Europe de l’Est, y compris la partition de la Pologne et l’octroi des États baltes et de la Bessarabie aux Soviétiques.

Staline porte un toast de clôture en déclarant :

« Je sais à quel point la nation allemande aime son Führer ; je voudrais donc boire à sa santé« .

Ce toast était ironique, compte tenu de la position hostile que l’URSS avait précédemment adoptée à l’égard de l’Allemagne nazie. Le premier cadeau de Staline après le pacte a été d’accorder à l’Allemagne environ 600 communistes allemands, dont la plupart étaient juifs. Il les fait extrader vers la Gestapo de Brest-Litovsk, un lieu symbolique chargé d’implications historiques. Parmi les extradés se trouvait Hans David, un compositeur de talent, qui a péri plus tard dans les chambres à gaz de Majdanek, un destin partagé par beaucoup d’autres. Ce processus de remise de prisonniers juifs et/ou communistes aux nazis s’est poursuivi au-delà de 1939.

Margarete Buber-Neumann, ancienne communiste devenue anticommuniste convaincue, a été l’une de ces personnes transférées de la prison soviétique aux mains de la Gestapo en 1940. Survivant aux conditions brutales d’une prison soviétique et d’un camp de concentration nazi, Buber-Neumann a écrit plus tard les mémoires Sous deux dictateurs, détaillant les dures réalités de la vie sous les régimes totalitaires de Staline et d’Hitler.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, après la signature du pacte Molotov-Ribbentrop en 1939, l’Union soviétique et l’Allemagne nazie se sont engagées dans une relation diplomatique qui a permis une expansion territoriale et des manœuvres politiques. Les deux régimes socialistes totalitaires ont formé un partenariat difficile caractérisé par la coopération économique, la rétention d’informations et la non-agression. L’impact de cette alliance sur la population juive, en particulier dans la zone d’occupation soviétique de la Pologne, a été grave et catastrophique.

Le calcul idéologique de la politique étrangère de Staline apparaît clairement lorsqu’il anticipe l’imminence de l’attaque allemande contre la Pologne. Reconnaissant le caractère inévitable de l’intervention britannique et française, Staline y voit une occasion unique de faire avancer la cause du communisme. De son point de vue, un conflit prolongé entre les puissances capitalistes constituait un scénario idéal, semant la discorde et créant des opportunités pour l’expansion de l’influence soviétique.

Staline est explicite dans ses machinations, affirmant que l’URSS, le pays des travailleurs, aurait tout à gagner d’une guerre prolongée qui affaiblirait à la fois le Reich et le bloc anglo-français. Craignant une conclusion rapide de la guerre, Staline souligne l’importance d’aider l’Allemagne afin d’éviter un conflit long et coûteux. Malgré les tensions persistantes avec le Japon en Extrême-Orient, Staline envisage l’entrée de l’URSS sur le théâtre européen au moment le plus avantageux pour les intérêts soviétiques. La vision stratégique du dirigeant soviétique soulignait un pragmatisme impitoyable et un engagement sans compromis en faveur de la cause communiste.

La déportation massive d’environ un million de réfugiés polonais initiée par le NKVD de Lavrentiy Beria en février 1940, dont la moitié étaient des Juifs, met en lumière le premier aspect inquiétant de la collaboration soviéto-nazie. Les déportés, classés sous diverses étiquettes telles que « la contre-révolution nationale juive », ont été envoyés en Sibérie dans des conditions épouvantables ayant entraîné de nombreux décès en cours de route. De nombreux dirigeants et militants juifs figurent parmi les personnes arrêtées, notamment Menachem Begin, un jeune dirigeant sioniste, ainsi que Henryk Ehrlich et Viktor Alter, fondateurs du Bund polonais, le plus grand parti juif de Pologne. Cette déportation massive constitue la « principale méthode administrative de soviétisation ».

Dans le même temps, les autorités soviétiques ont maintenu la population juive dans l’ignorance des atrocités nazies qui se déroulaient juste de l’autre côté de la frontière, entretenant un silence délibéré qui a permis l’avènement de l’Holocauste. Dans le cadre du pacte de non-agression, les organes soviétiques n’ont pas rendu compte des massacres génocidaires perpétrés par les nazis entre 1939 et 1941. Les films antinazis susmentionnés ne sont plus produits. Les journaux soviétiques comme la Pravda ont à peine utilisé le mot « fasciste » de 1939 à 1941. Ce silence s’est poursuivi même après que les nazis ont rompu le pacte et envahi l’URSS, ce qui a précipité l’extermination de 1,5 million de Juifs en Russie blanche et en Ukraine.

En substance, le silence et l’inaction de Staline ont permis à l’Holocauste de se dérouler sans résistance ni contre-action significatives.

En outre, la complicité soviétique a contribué à la normalisation de la violence nazie. Les victimes juives des exécutions de masse étaient régulièrement appelées « Polonais » ou « Ukrainiens » dans les médias soviétiques, occultant ainsi la nature spécifiquement antisémite des pogroms nazis. Malgré un endoctrinement constant, la population soviétique n’a pas été informée de l’antisémitisme nazi ni de son plan de génocide, ce qui a favorisé l’ignorance qui a finalement conduit à une collaboration généralisée contre les populations juives.

Parallèlement à ces politiques, l’Union soviétique a également apporté un soutien économique à l’Allemagne nazie, ce qui a contribué à faciliter la guerre de conquête d’Hitler. L’importance de cette aide ne peut être sous-estimée, car l’URSS a fourni d’importantes quantités de nourriture et de matières premières aux nazis. Par exemple, lors de l’invasion de la France et des Pays-Bas, l’URSS a fourni au Reich 163 000 tonnes de pétrole et 243 000 tonnes de blé ukrainien pour les seuls mois de mai et juin 1940. Lorsque la demande allemande a augmenté au cours de batailles cruciales, comme à Dunkerque, les livraisons de pétrole soviétique ont augmenté pour répondre aux besoins, alimentant ainsi la conquête de l’Europe de l’Ouest par Hitler.

Publiquement, l’Union soviétique a même soutenu l’invasion allemande de la France et des Pays-Bas. Le Parti communiste français reçoit l’ordre de ne pas résister aux Allemands, ce qui entraîne une vague de défections et affaiblit encore la capacité de la France à résister à l’assaut allemand. Malgré les dissensions et la résistance internes, les Soviétiques ont continué à propager des slogans défaitistes, sapant ainsi activement l’effort de guerre contre les nazis.

 

Dans le discours d’aujourd’hui, les apologistes soviétiques ont tendance à faire l’éloge de l’URSS en tant que force unique qui a finalement renversé le régime nazi en 1945.

Bien entendu, cela ne tient pas compte du soutien essentiel apporté par les États-Unis par le biais du prêt-bail. Même Staline a admis que « sans les machines que nous avons reçues grâce au prêt-bail, nous aurions perdu la guerre ». Si les sacrifices consentis par des millions de soldats soviétiques ne doivent pas être oubliés ou balayés sous le tapis, il est vital pour nous d’éclairer simultanément les zones d’ombre de ce passé.

Nous devons résister à la tentation d’ignorer la triste réalité de la complicité de l’Union soviétique. Il ne faut pas oublier que l’alliance initiale forgée entre Staline et Hitler n’était pas fondée sur la nécessité, mais qu’elle a germé dans le terreau de l’idéologie socialiste de Staline. Le poison était tel dans cette tapisserie politique que si Hitler n’avait pas envahi l’URSS en 1941, ou s’il avait choisi de renoncer à cette voie, l’Union soviétique aurait pu continuer à se taire et à soutenir. En détournant les yeux, elle aurait pu rester observatrice et complice de la progression du monstrueux régime nazi à travers l’Europe.

Lorsque nous jetons un regard sur le passé, une ombre de tristesse est projetée, un écho de lamentation pour les victimes autrefois sans voix, résonnant avec un appel pour que l’histoire ne répète pas ses heures les plus sombres. Notre devoir de mémoire exige que nous gardions ces vérités amères à l’esprit et que nous en tirions des leçons si nous voulons honorer l’héritage de ceux qui ont souffert et sont morts à l’ombre des régimes totalitaires.

Sur le web

La culture en péril (12) – Comment va la langue française ?

Il est de bon ton, en particulier en France, de s’afficher comme rebelle, protestataire, réfractaire, ou – vocable à la mode depuis les économistes du même nom – … « atterré ».

En général, tout est dans la posture. Et il ne faut surtout pas oublier de s’en prendre au système ou à ceux qui sont supposés le représenter (par exemple ici, dans le cas des linguistes atterrées, je crois savoir qu’il va être question des Académiciens). Examinons donc ce petit manifeste, pour voir ce qu’il en est exactement et prendre connaissance des motifs de mécontentement des protestataires.

 

Le français va très bien, vraiment ?

Découvrons ensemble pas à pas. Commençons par le titre : « Le français va très bien, merci ».

Voilà qui intrigue… Surtout le simple professeur qui, comme moi (et la plupart des collègues que je côtoie), est confronté tous les jours à des étudiants dont les difficultés à s’exprimer sont bien réelles et parfois assez pénalisantes (syntaxe, orthographe, vocabulaire, contre-sens, confusions multiples, incompréhensions, mélanges de toutes sortes). Et ce n’est que le reflet d’une partie de la population, qui éprouve de réelles difficultés avec la langue française. Mais au moins avec ceux-là espère-t-on pouvoir les faire progresser et les aider à mieux appréhender et se servir du langage. Chose utile lorsqu’on se trouve confronté à de nombreuses situations où l’on s’aperçoit à quel point la mauvaise maîtrise du langage est source de problèmes, de malentendus et de confusion ; voire de violence, car nul n’ignore qu’à défaut de vocabulaire, c’est sur le terrain de la violence que certains compensent leurs difficultés d’expression.

Poursuivons avec les auteurs. Les « linguistes atterrées ». À noter que le dernier « e » est grisé. Symbolisant probablement le langage inclusif (pas encore entré tout à fait officiellement dans l’usage courant, que je sache. D’où la question : si le français va très bien, pourquoi vouloir le compliquer ?… Mais je me doute bien entendu de ce que l’on pourrait me répondre). À ce stade, je n’en sais pas encore plus, car je vais écrire au fur et à mesure que je vais lire ce tract, et je n’en connais pas encore le contenu. Si ce n’est que l’auteur est, semble-t-il, une seule personne, Anne Abeillé, que je ne connais pas encore, parlant probablement au nom d’un collectif. Mais découvrons ce qu’elle a à exprimer, même si je pense avoir a priori une petite idée…

 

Nous, linguistes

La première phrase de ce tract commence ainsi :

« Nous, linguistes, sommes proprement atterrées par l’ampleur de la diffusion d’idées fausses sur la langue française… ».

Cela sonne un peu comme une Déclaration. Il est question de mensonges ou, plus sûrement, d’idées reçues. Appel provenant apparemment d’une autorité morale, mais qui pour le moment reste bien mystérieuse (« Nous, linguistes »). Poursuivons pour en savoir plus.

À la lecture de la première page, je comprends qu’il est question de mise en cause à la fois des programmes scolaires (pourtant très « lâches », il me semble) et de « l’espace médiatique » (que je ne crois pas obnubilé par l’orthographe, les problèmes de la maîtrise de la langue ou autres sujets de cet acabit). Les linguistes atterrées semblent ainsi déplorer « la recherche simpliste des formes sans faute » au détriment de « toute réflexion sur la langue ». Seul « l’usage majoritaire » devrait primer, et la compréhension de « son immense vitalité » est empêchée par « l’accumulation de déclarations catastrophistes ». Je suis tout ouïe. Et déjà un peu sceptique sur cette notion de majorité.

En poursuivant la lecture, il apparaît que la préoccupation de ces linguistes porte sur les évolutions de notre langue, qui est le fruit, il est vrai, d’une histoire. Des formes fautives d’hier sont parfois des formes correctes d’aujourd’hui. Soit. Et les exemples cités par l’auteur ne sont pas inintéressants. Jusque-là, donc, je suis. En me disant, par contre, qu’il me semble bien que l’Académie française, ainsi que les équipes travaillant sur les nouvelles éditions des dictionnaires ont toujours également adhéré à ces principes. Attendons donc de voir ce qu’il en est…

Ah, justement :

« Ce manifeste entend rassembler ce qui fait consensus dans la communauté scientifique. Nous appelons à nuancer les discours omniprésents qui prennent les grammaires et les dictionnaires pour des tables de lois immuables, gravées dans le marbre ».

Nous touchons là à un point litigieux : j’entends chaque année dans les médias des interviews de directeurs de projet (je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de la bonne dénomination), chargés de réfléchir aux transformations progressives du dictionnaire. Travail qui s’élabore, en effet, de manière graduelle pour tenir compte des évolutions de la langue. Je suis donc surpris par l’idée de « tables de lois immuables, gravées dans le marbre ». Je suis rassuré cependant par la suite : l’objectif de ce collectif est de débattre et de trouver des points d’accord. En privilégiant les « saines disputes » et en espérant faire changer d’avis le lecteur de ce tract. Je m’en réjouis.

 

Le déclin de la langue française ?

Le tract vise à remettre en cause certaines idées reçues, démarche qui ne me déplaît pas, bien au contraire. Et certaines remarques, sur la référence par exemple à « la langue de Molière », qui n’a plus vraiment cours depuis belle lurette, me paraissent tout à fait justes. Anecdotes et exemples concrets à l’appui de l’argumentation. La référence, parmi d’autres, aux travaux d’Alain Rey, me convient également. Quant aux multiples rappels historiques concernant la construction de la langue et sa diffusion, j’apprécie.

À chaque idée reçue, une suggestion opérationnelle est faite (autre point appréciable). C’est le cas aussi avec la deuxième idée reçue, selon laquelle il n’y aurait qu’une unique langue française. Décidément, ce tract commence à me surprendre agréablement, là où je m’attendais à tout autre chose (signe qu’il est réussi).

Sur les anglicismes, bien que personnellement il m’arrive de les trouver parfois un peu excessifs, je suis assez d’accord également avec l’idée défendue selon laquelle il ne signe pas pour autant le péril de notre langue, pas plus que sa défaite ou sa soumission. Même si entendre les puristes défendre eux aussi leur point de vue ne me dérange guère. On peut, en réalité, être amoureux de la langue, tout en s’accommodant de quelques fantaisies et usages qui ne remettent pas fondamentalement en cause l’existence de la langue elle-même et sont même souvent éphémères. Anne Abeillé émet d’ailleurs une idée à ce sujet qui, une nouvelle fois, sonne bien à mon oreille, dans la mesure où elle rappelle la critique libérale traditionnellement faite au mercantilisme dans le domaine du commerce :

« Le contact entre les langues ressemble davantage à un jeu à somme positive qu’à une guerre : ce que gagne l’une, l’autre ne le perd pas. De même que le vocabulaire de chacune est illimité : les mots ajoutés (par emprunt) ne remplacent pas les mots existants, ils permettent d’apporter une nuance de sens. »

Une nouvelle fois, le rapport à l’histoire des langues permet de mieux prendre la mesure de la réalité de ses évolutions. Elle est riche d’enseignements et je comprends bien ce que veut dire Anne Abeillé.

 

Qu’en est-il de l’Académie française ?

Si Anne Abeillé ne conteste pas le rôle « d’accompagnement des évolutions de la langue » de l’Académie, qui était sa mission originelle, ce sont les références qui sont faites aujourd’hui à l’Académie française et surtout la manière dont elles sont faites, qui sont sources de réaction de la part des linguistes de ce collectif.

Mais aussi l’abandon, selon eux, de ce rôle originel. Avec en point d’orgue, comme je l’imaginais bien, les problèmes de féminisation de certains mots (personnellement, je préfère dire « Madame le Premier ministre » que la « Première ministre » qui sonne bizarrement à mon oreille, par exemple, de même que vous aurez noté que je dis toujours « auteur » au lieu de « autrice » ou « auteure ». Il est vrai que je suis en cela les recommandations de l’Académie française. Mais je comprends que cela puisse déplaire. Et rien ne dit que je finirai pas par changer d’avis, au moins partiellement). La question de la réforme de l’orthographe, refusée par l’Académie française, est aussi au centre du sujet (là encore, j’aurais tendance à faire confiance à ses membres, qui ne me semblent pas dépourvus de références et débattent régulièrement sur ces sujets).

En réalité, d’autres institutions travaillent sur la langue, et ce que semble souhaiter ce collectif est la remise en cause de cette sorte de monopole qui est alloué à l’Académie dans l’aura collective ou, tout au moins, une réforme de sa composition.

 

Et l’orthographe ?

Quant à l’orthographe, Anne Abeillé précise les raisons pour lesquelles ce collectif de linguistes juge nécessaire une réforme là aussi.

Illustrant son argumentation d’exemples démontrant que les origines, étymologies, ou logiques, derrière les orthographes, ne sont pas toujours évidentes, voire fallacieuses ou même dans certains cas, résultent d’erreurs de recopiage (moines copistes). Laissant ainsi la place davantage à la mémoire qu’à la logique et aboutissant à ce que trop de temps soit nécessaire à son apprentissage, au détriment d’autres enseignements ; à commencer par la langue (la compréhension), conformément à ce que Jules Ferry lui-même prescrivait (aussi attaché puisse-t-on se sentir à la beauté de l’orthographe et de ses accents).

Il s’agirait donc d’insister davantage sur le sens des mots et la grammaire des constructions que sur la recherche de la perfection orthographique. La réforme (progressive) que propose ce collectif relèverait davantage de la mise à jour et de la rationalisation que d’un séisme en la matière. La simplification en serait « une conséquence » et non une cause.

De quoi ouvrir, en effet, le débat… Qui concerne aussi les échanges à l’aide des outils numériques (messageries, réseaux sociaux). Dont Anne Abeillé souligne le caractère massif et incontournable aujourd’hui, mais aussi le caractère spécifique du mode d’expression utilisé, pouvant tout à fait cohabiter avec d’autres modes d’écriture dans d’autres situations, sans qu’il soit forcément régressif, mais simplement l’une de ses variétés. L’enjeu est donc ici plutôt de souligner auprès des plus jeunes (et moins jeunes) les frontières qui existent entre les différents modes de communication et l’importance de savoir s’adapter à chacun d’entre-eux (ce que l’on appelle la pluricompétence). De même que dans le langage oral (dont elle rappelle qu’il a précédé l’écrit), on jouera sur les variations, les registres et les styles. Sans craindre la créativité, dont le pouvoir est plus fort et utile qu’on ne l’imagine.

 

Une langue n’est en danger que si ses emplois se réduisent et se cantonnent à certaines activités humaines. Une langue rend possibles nos interactions et nos pensées ; si on ne l’utilise plus dans certaines situations, sa capacité à être employée dans ces situations se détériore, elle devient lacunaire, elle cesse d’évoluer. Il est donc irrationnel de craindre qu’on puisse l’abîmer autrement.

 

C’est la grande leçon, en fin de compte, de ce tract, qui rejoint ce qui était annoncé plus haut lorsque nous débutions tout juste la lecture et qu’il était question, au sujet de notre langue, de « son immense vitalité ». Au fur et à mesure de la lecture, on comprend mieux. Et l’auteur rappelle d’ailleurs comment un certain nombre de langues a disparu, faute d’usage et de transmission.

 

L’extension du féminin

Anne Abeillé nous invite à dédramatiser les débats.

Je ne demande pas mieux. Et c’est d’ailleurs sans doute l’agressivité des adeptes de l’écriture inclusive et autres lubies du moment qui conduit quelqu’un comme moi à se braquer et à refuser toute forme d’injonction. L’argumentation aura davantage de prise et – qui sait – je finirai peut-être par utiliser certains féminins, par exemple pour des noms de métiers, si le débat raisonné et apaisé, ainsi qu’une argumentation convaincante, parviennent à emporter mon adhésion.

C’est ce que semble faire Anne Abeillé (qui nous apprend au passage qu’au XVIIe siècle, l’usage de la langue était de dire « autrice » pour un auteur féminin. Argument à retenir…). Pour l’écriture inclusive, en revanche, aucune chance de me rallier. Mais notre linguiste ne semble pas en faire particulièrement un cheval de bataille et reste assez neutre sur ce sujet qui, à mon sens, vire clairement au militantisme (mis à part peut-être dans le nom du collectif).

 

En conclusion

Vous l’aurez compris, si je suis parti avec un a priori très négatif et assez hostile quant à la lecture de ce tract (que je n’aurais pas lu si je n’avais pas une idée derrière la tête), j’ai en fin de compte apprécié la démarche intellectuelle d’Anne Abeillé et sa recherche du débat apaisé.

J’ai donc bien fait de le lire. Sans doute ce collectif aurait-il par conséquent intérêt à changer de nom, car il est susceptible de susciter une hostilité et des a priori qui agissent comme repoussoir. Ce qui est dommage si les propos sont ensuite modérés et que la volonté est d’engager le débat. Mais ce choix leur appartient…

 

Les linguistes atterrées, Le français va très bien, merci, Tracts Gallimard, mai 2023, 66 pages.

 

À lire aussi :

 

Déclin des oiseaux ou déclin de l’éthique scientifique ?

Une étude scientifique pour le moins discutable a fait l’objet d’une communication scandaleuse par le CNRS. Le comble ? Le communiqué de presse contribue à jeter le doute sur l’étude.

 

Des allégations sans nuances

Les prêcheurs d’apocalypse et les agribasheurs ont été approvisionnés en munitions par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) le 16 mai 2023.

Son communiqué de presse s’intitulait péremptoirement : « L’intensification de l’agriculture est à l’origine de la disparition des oiseaux en Europe ».

Pour l’obsédé textuel, ce titre signifie que l’« intensification agricole » – une notion à définir mais qui est évocatrice pour le plus grand nombre –  est la seule responsable d’un événement. Et cet événement, c’est la « disparition » des oiseaux. Or, jusqu’à plus ample informé, il n’y a pas de disparition. Et un coupable unique est, au mieux, hautement improbable.

Les faits allégués – qu’il nous faut vérifier – sont partiellement rétablis dans les points à retenir :

« Le nombre d’oiseaux a décliné de 25 % en 40 ans [en fait, c’est 36 ans, de 1980 à 2016] sur le continent européen, voire de près de 60 % [en fait, c’est 56,8 % ± 4,9, de sorte que 55 aurait été une meilleure approximation] pour les espèces des milieux agricoles.

L’agriculture intensive est la principale pression associée au déclin des populations d’oiseaux. »

La mise en cause de l’agriculture est tout aussi cinglante sur Twitter.

https://twitter.com/CNRS/status/1658403474873221121

 

Le troisième point à retenir est un cocorico sur l’ampleur et la complexité de l’étude faisant l’objet du communiqué. La routine pour les services de communication…

Pour l’étude, il s’agit de « Farmland practices are driving bird population decline across Europe » (les pratiques agricoles sont à l’origine du déclin des populations d’oiseaux en Europe) de Stanislas Rigal, Vasilis Dakos, Vincent Devictor et 48 autres auteurs dont la contribution essentielle aura été de fournir des données (et de donner à l’étude l’apparence d’une recherche internationale). L’article avait été publié la veille (outre-Atlantique, avec décalage horaire) dans PNAS.

Ce titre est guère moins nuancé s’agissant de la responsabilité d’un « déclin » – et non plus de la « disparition » ; en revanche, il reste vague sur les « pratiques » et offre même une certaine ouverture, « farmland » ayant pour sens premier les « terres agricoles ». Mais c’est essentiellement cosmétique.

 

Le déclin des oiseaux

Le déclin des oiseaux est devenu un mantra. Pourtant…

Le communiqué de presse du CNRS comporte une série de graphiques dont le plus grand montre l’évolution de l’abondance (des effectifs) des oiseaux entre 1980 et 2016 (leur présentation, quasiment sans repères, est d’une rare indigence). Selon ce graphique, les populations ont décliné de manière abrupte, de quelque 25 %, pendant la première moitié de la décennie 1980 et se sont relativement stabilisées par la suite, c’est-à-dire sur une période de quelque 30 ans.

Il est par conséquent difficile de parler de déclin des oiseaux ! Et de chercher des coupables.


Mieux encore : les auteurs de l’étude ont produit une série de trois graphiques – mais dans les informations supplémentaires et non dans le corps de l’article – sur l’évolution de l’indice multi-espèces, de l’abondance et de la biomasse de 115 espèces d’oiseaux communes (utilisées pour les indices supranationaux parmi les 170 espèces) entre 1980 et 2016 au niveau européen (Union européenne, Norvège, Royaume-Uni et Suisse).

 

Légende des graphiques

Figure S1 : Indice multi-espèces, abondance et biomasse […] des 115 espèces d’oiseaux communes (utilisées pour les indices supranationaux parmi les 170 espèces) entre 1980 et 2016.

  1. L’indice multi-espèces d’abondance relative est calculé en attribuant un poids commun à chaque espèce, quelles que soient son abondance ou sa biomasse, et montre qu’une majorité d’espèces sont en déclin.
  2. L’abondance correspond au nombre d’individus […] La biomasse a été obtenue en multipliant le poids moyen de chaque espèce par l’abondance.
  3. La trajectoire de la biomasse montre une forme convexe interprétée comme une augmentation des oiseaux protégés et rares (souvent des espèces lourdes), tandis que les espèces plus communes (et légères) diminuent.

 

La meilleure courbe de régression pour l’indice est une droite. Mais cet indice est trompeur, car il attribue un même poids à chaque espèce, quel que soit son effectif. Il peut varier dans un sens, alors que les effectifs totaux varient dans un autre. Si une espèce A, avec un million d’individus, a augmenté de 10 %, et une espèce B, avec 10 000 individus, a diminué de 10 %, l’indice reste inchangé, alors que le nombre total d’oiseaux a augmenté de 95 000.

C’est le phénomène que tend à montrer le deuxième graphique : selon la meilleure courbe de régression présentée par les auteurs, les effectifs remontent à partir du milieu de la décennie 2000. À partir de 2000 la remontée est encore plus nette pour la biomasse. Mais l’explication des auteurs laisse un peu perplexe… Beaucoup d’agriculteurs confrontés aux dégâts des corvidés et des pigeons resteront sceptiques.

Cette évolution n’apparaît pas évidente dans les graphiques du communiqué de presse du CNRS. C’est qu’il manque un groupe d’espèces, les « généralistes », lesquels ne sont pas non plus référencés spécifiquement dans l’article scientifique. Ces « oublis » interrogent…

Les généralistes sont en hausse comme le montre un graphique souvent reproduit sur les résultats du STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) en France.

Attention : les bases 100 se rapportent à des effectifs initiaux différents. (Source)

 

Les effets de l’agriculture sur le déclin des oiseaux

Les données de l’article scientifique sur l’évolution de l’avifaune ne sont pas seulement incomplètes, mais aussi problématiques.

Ainsi, le texte annonce des déclins des abondances (sans le chiffre pour les espèces généralistes…) entre 1980 et 2016 et renvoie à des graphiques montrant des évolutions des indices multi-espèces, entre 1996 et 2016, avec des pentes moyennes (indiquées par un code couleurs) issues de courbes de variations qui peuvent être très irrégulières.

Établir des corrélations à l’échelle européenne apparaît comme une mission impossible. Les auteurs affirment pourtant avoir fait mieux, en évoquant des « quasi-causalités »…

Selon leur résumé, notamment :

« Nous constatons que l’intensification de l’agriculture, en particulier l’utilisation de pesticides et d’engrais, est la principale pression à l’origine du déclin de la plupart des populations d’oiseaux, en particulier celles qui se nourrissent d’invertébrés. »

Et, selon le communiqué de presse :

« Si les populations d’oiseaux souffrent de ce cocktail de pressions  – l’évolution des températures, de l’urbanisation, des surfaces forestières et des pratiques agricoles –, les recherches montrent que l’effet néfaste dominant est celui de l’intensification de l’agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectare. Elle a entraîné le déclin de nombreuses populations d’oiseaux, et plus encore celle des oiseaux insectivores. En effet, engrais et pesticides peuvent perturber l’équilibre de toute la chaîne alimentaire d’un écosystème. »

Ici aussi, les travaux sont problématiques.

Les auteurs ont utilisé pour l’agriculture un indicateur comptable, le High Input Farm Cover qui donne la part de surface agricole occupée par les 33 % de fermes dont les dépenses en intrants par hectare sont les plus élevées. Il y a certes un lien avec l’emploi d’engrais et de pesticides, mais lequel, précisément ?

Sur une nouvelle échelle de temps – de 2007 à 2016 – cet indicateur augmente, si nous avons bien compris le texte de l’article, de 2,1 % ± 0,9 (en fait de points de pourcentage) au niveau européen, avec une légère baisse sur quelque quatre ans suivie d’une hausse et d’un plateau à partir de 2014 (selon notre interprétation du mini-graphique). Les évolutions nationales sont très disparates (par exemple, le Danemark enregistre une forte baisse ; la courbe est grosso modo en cloche pour l’Allemagne, et en dents de scie pour le Royaume-Uni).

Libération a mis côte à côte la carte des déclins (allégués) et celle de l’intensification agricole (également alléguée). Le lien de « quasi-causalité » allégué est très loin d’être évident.

On ne saurait nier que les activités économiques et autres se déroulant en milieu rural ont un effet  complexe sur l’avifaune. Mais on voit mal l’effet des engrais et des fongicides. Tout comme un effet qui serait différencié entre les espèces dites « des milieux agricoles » et les espèces « généralistes ».

En revanche, les modifications des habitats et les disponibilités en ressources alimentaires sont des facteurs pertinents, tout comme la météo, la concurrence entre espèces, la prédation, les maladies, etc. Ces facteurs agissent dans un sens ou dans l’autre. Les auteurs ont choisi de les ignorer très largement.

Dans « Oiseaux d’Europe : les populations remontent ! (mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle) », M. Philippe Stoop a écrit :

« Si l’expression n’avait pas pris des connotations politiques nauséabondes, on serait tenté de dire qu’il y a un grand remplacement des espèces spécialistes par les espèces généralistes. Reste à savoir pourquoi. »

Et pour le « pourquoi », l’étude de Rigal et al. n’est pas convaincante.

 

Une étude militante

Si l’on s’en tient à leur texte, l’effet de l’urbanisation est aussi important que celui de la couverture agricole à haut niveau d’intrants (coefficient PLS pour la tendance de l’urbanisation = -0,036 ± 0,015 contre -0,037 ± 0,022 pour le volet agricole).

Mais les auteurs ont choisi de communiquer sur le volet agricole.

Selon le résumé :

« Cet article contribue au plus grand défi politique et technique auquel est confrontée la politique agricole en Europe, qui s’efforce d’équilibrer la productivité élevée des pratiques agricoles intensives avec la protection de l’environnement. Les résultats sont donc cruciaux pour les décideurs politiques, les scientifiques et le grand public concernés par les questions de biodiversité et de changement global. »

Ou encore, en conclusion du résumé, ils soulignent :

« … le besoin urgent de changements transformateurs dans la façon d’habiter le monde dans les pays européens, si l’on veut que les populations d’oiseaux aient une chance de se rétablir. »

Une chance de se rétablir ? M. Philippe Stoop s’est livré à quelques calculs pour la France.

Ils montrent par exemple que l’augmentation des effectifs et de la biomasse des pigeons ramiers depuis 2001 est supérieure à la diminution correspondante de l’ensemble des espèces des milieux agricoles. En Europe, les effectifs de pigeons ramiers ont plus que doublé entre 1980 et 2021

Quels changements ? Pour quels effets ? Nous ne saurons pas.

❌