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Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l’Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

Pour beaucoup, c’est un non-sujet. Car le gouvernement, dit-on, tire surtout sa légitimité du président qui le nomme et « gouverne tant qu’il n’est pas renversé », comme le déclarait Pompidou en 1966, en inaugurant en tant que Premier ministre ce premier refus de se soumettre au vote de confiance de l’Assemblée, pourtant assez clairement prévu à l’article 49.1 de la Constitution (Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme).

L’absence de soutien affirmé de l’Assemblée, suivie de l’échec de la censure ne sont cependant pas sans conséquences. Cela place ce gouvernement dans une inconfortable zone grise, quelque part entre une confiance inatteignable et une défiance improbable, ni complètement apte ni totalement inapte à appliquer sa politique, et jouissant d’une légitimité démocratique à la fois avérée et sujette à débat. Ce gouvernement d’entre-deux a tout de même un signe distinctif : il s’articule très mal avec l’Assemblée et mérite à ce titre le qualificatif d’incongruent.

Depuis 18 mois, l’exécutif s’emploie à masquer ou dédramatiser cette situation d’incongruence, par ses actions comme dans sa rhétorique. Les gouvernements n’ont jamais été aussi minoritaires (une quarantaine de sièges manque pour atteindre la majorité absolue, contre 14 sous Rocard) mais on n’a jamais autant parlé de majorité, tantôt présidentielle, tantôt relative.

« Les majorités texte par texte, ça marche » renchérit souvent Yaël Braun-Pivet lors de ses interviews, pour signifier que la procédure législative reste efficace, ce qui est indéniable. Et puis, comme chacun le sait maintenant, la Cinquième République dote l’exécutif d’un véritable arsenal (le 49.3 entre autres) pour légiférer contre ou sans le Parlement. Et si la loi est trop incertaine, qu’à cela ne tienne, on peut faire sans.

« On passe trop par la loi dans notre République » assénait Emmanuel Macron le 22 mars 2023. Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire, et a donc toute sa capacité d’administration de l’État.

 

Mais alors pourquoi est-il si important qu’un gouvernement se dote de la confiance de l’Assemblée ?

Parce qu’un État ne doit pas simplement être administré, mais également gouverné, et que la confiance de l’Assemblée apporte la garantie que le gouvernement a les moyens de sa politique.

Si la très grande majorité des Constitutions de nos voisins en Europe (y compris la Russie) obligent les nouveaux gouvernements à disposer de la confiance explicite de la chambre, c’est simplement pour que le peuple soit dirigé avec la stabilité, l’efficacité et la prévisibilité qu’il est légitimement en droit d’attendre. Il s’agit de s’assurer que les pouvoirs exécutif et législatif sont suffisamment bien articulés pour offrir un cap fiable et raisonnablement performatif aux citoyens, aux administrations, aux entreprises, à nos partenaires commerciaux, à l’Europe, ou même aux agences de notation. Un vote de confiance réussi vient légèrement atténuer le fort degré d’incertitude dans lequel tous les pays sont naturellement plongés.

En revanche, l’absence de confiance alourdit cette incertitude, elle limite la capacité de l’exécutif à tenir un cap clair et durable, et rend la politique du pays imprévisible et vulnérable aux caprices de quelques demi-opposants (on pense notamment aux députés LR).

La Loi immigration offre un exemple frappant : personne ne pouvait prévoir l’orientation finale du texte jusqu’au jour de son adoption. Depuis 2022, la production législative est si aléatoire que même le rôle des ministres a été progressivement modifié : on leur demande de cautionner collectivement des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire, exigeant d’eux une grande plasticité d’esprit…

Autoriser un gouvernement à se maintenir sans soutien majoritaire de l’Assemblée comporte un autre inconvénient, peut-être encore plus préoccupant : le débat parlementaire se transforme en marchandage (on pense par exemple à cette mystérieuse promesse d’Elisabeth Borne de réformer l’AME en échange du soutien de LR sur la Loi immigration) et tous les stratagèmes et outils du parlementarisme rationalisé sont utilisés à plein pour faire adopter le programme et les budgets.

Le cynisme devient l’unique méthode d’un exécutif acculé, qui en est réduit à outrepasser tout ce qui peut l’être, se jouer de la Constitution, contourner ou ignorer les corps intermédiaires, voire se montrer insincère, pourvu que les titubations parlementaires emmènent le pays dans la direction qu’il souhaite. Cette posture exalte ses soutiens autant qu’elle indigne ses opposants, et ainsi aggrave la défiance envers les institutions et les élus tout en attisant la polarisation de la société.

En demandant au Premier ministre de présenter une feuille de route gouvernementale tout en assumant d’être minoritaire, le président de la République préfère la discorde à l’apaisement, et la pureté de son projet à sa réalisation concrète, ce qui est typique des idéalistes radicaux, et non des pragmatiques.

Aucune coalition (vraiment) majoritaire, aucun changement de calendrier électoral, aucun rééquilibrage institutionnel n’étant prévus, cette nouvelle forme de régime est bien partie pour durer. Les prochains présidents élus en 2027 ou 2032 sont donc probablement condamnés d’avance à promettre l’hégémonie habituelle lors de la campagne, puis à gouverner immédiatement en situation d’incongruence, avec peut-être un soutien parlementaire encore bien moindre qu’aujourd’hui. La partition politique et la polarisation territoriale morcellent en effet cruellement l’Assemblée et semblent interdire tout fait majoritaire à moyen terme.

Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif. Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique. La clarification de l’article 49.1 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle.

Baisses d’impôts : quand les promesses d’Attal se fracasseront sur le mur de la réalité

Lors de son discours de politique générale, Gabriel Attal a annoncé deux milliards d’euros de baisses d’impôts pour les classes moyennes, financées par la solidarité nationale.

En langage courant, cela signifie payé par les riches. Les classes moyennes ne devraient pas se réjouir trop tôt : François Hollande avait déjà opéré ce type de transfert fiscal au début de son quinquennat et pour lui, être riche commençait à 4000 euros par mois. Le jeune Gabriel Attal était à cette époque membre du cabinet de Marisol Touraine. Le fruit ne tombe pas loin de l’arbre.

Le gouvernement dispose de trois pistes pour déshabiller Paul afin d’habiller Pierre.

La première – et la pire – est l’abolition ou l’augmentation de la flat tax sur les revenus du capital. En pénalisant l’investissement dans l’économie réelle et en punissant les investisseurs qui réallouent leur capital vers de nouveaux projets, c’est la croissance déjà atone de la France qui ralentirait, et avec elle les salaires et les recettes futures de l’État. Ce qui apparaît à court terme fiscalement neutre se révèle à long terme coûteux. Nul doute que la facture finale reviendrait aux classes moyennes.

La seconde piste est l’augmentation de l’IFI, mais considérant que cela nécessiterait de le doubler, il est peu probable que le gouvernement s’engage sur cette voie.

La dernière piste est l’augmentation des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, voire la création d’une nouvelle. Or, s’il y a un impôt par lequel la soi-disant solidarité nationale s’exerce particulièrement, c’est bien l’impôt sur le revenu.

En effet, en 2022, le montant moyen payé par 82,5 % des foyers est inférieur à 300 euros, 13 millions de foyers recevant même de l’argent plutôt que d’en payer. À l’inverse, les 1,3 % des ménages les plus riches s’acquittaient de près de 36 % de la facture totale de l’impôt sur le revenu : 30 milliards d’euros. Le gouvernement prévoit-il d’augmenter leur contribution de 6 % pour essayer de sauver les élections européennes ? Ce serait une bien mauvaise nouvelle pour la France.

Dans son étude comparative de la fiscalité des pays européens parue en 2023, la Tax Foundation a classé la France dernière. Parmi les critères utilisés pour dresser ce classement se trouve la fiscalité individuelle. Bien que n’ayant pas les taux affichés les pires d’Europe (le Danemark et l’Autriche décrochent cette triste médaille), la France se situe dans le bas du classement à cause de sa fiscalité qui punit fortement le travail. Le rapport entre le coût marginal – celui de gagner un euro de plus – de la fiscalité du travail et le taux moyen est de 1,55 en France. L’augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu accentuera ce mauvais résultat. L’augmentation de la fiscalité des classes supérieures – celles qui épargnent le plus – aurait les mêmes conséquences sur la croissance que l’abolition de la flat tax. Comment Gabriel Attal compte-t-il « desmicardiser la France » si l’impôt encourage les bas revenus et freine la progression des salaires ?

Gabriel Attal promet que cette baisse d’impôt sera entièrement financée.

Tout observateur sérieux sait que c’est au mieux un mensonge, au pire, une incompétence crasse. Tout d’abord, comme le constate le rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, Jean-Francois Husson, le budget de 2024 consacre l’entrée de la France dans l’ère des déficits extrêmes.

Comment le Premier ministre peut-il prétendre que cette mesure sera entièrement financée quand 30% du budget de l’État ne l’est pas ? Le PLF 2024 prévoit 491 milliards d’euros de dépenses pour 350 milliards de recettes, c’est-à-dire que 141 milliards d’euros de dépenses ne sont pas financées.

Cela soulève deux questions.

Tout d’abord, pourquoi le gouvernement ne choisit-il pas tout simplement d’augmenter le déficit de l’État de 1,4 %, ce qui aurait moins d’impact sur les recettes futures qu’une mauvaise hausse d’impôt ?

Surtout, pourquoi est-il incapable de réduire les dépenses d’un pitoyable 0,4 % pour réellement financer sa baisse d’impôt ? Ce ne sont pourtant pas les coupes faciles qui manquent, à commencer par les ubuesques primes pour rapiécer les vêtements, réparer les vélos ou les lave-linges. Le tentaculaire audiovisuel public coûte à lui seul 3,8 milliards d’euros par an, il suffirait d’en privatiser la moitié pour financer la mesure.

La Cour des comptes publie quasi quotidiennement un rapport qui nous rappelle le gaspillage et la gestion hasardeuse des deniers publics.

Une réforme de l’impôt sur le revenu est nécessaire pour relancer la France et récompenser le travail, et c’est possible à périmètre fiscal constant.

La plus audacieuse d’entre elles est la suppression de l’impôt sur le revenu financé par l’élargissement de la base de la TVA. Selon la Tax Foundation, la TVA ne perçoit que la moitié de son potentiel, de nombreux produits étant soumis à un taux réduit, voire nul.

Une seconde réforme moins audacieuse reviendrait à instaurer une flat tax sur l’ensemble des revenus. Avec 1322 milliards de revenus déclarés, son taux ne s’élèverait qu’à 7,1 % ! Bien sûr, la vraie réforme serait de baisser tout simplement les dépenses publiques de 6 %, ce qui serait toujours supérieur à l’avant covid.

Impossible pour Gabriel Attal, incapable qu’il est de trouver deux milliards.

Les champions (franco)africains du french bashing

« Je déteste tous les Français »

Le 3 février dernier, un immigré malien de 32 ans, Sagou Gouno Kassogue, a attaqué au couteau et blessé grièvement des passagers de la Gare de Lyon. Finalement maîtrisé par l’action conjuguée des passants, des agents de sécurité et des membres de la police ferroviaire, l’homme en garde à vue a été mis en examen pour tentative d’assassinat aggravée et violence avec armes aggravée.

Les premiers éléments de l’enquête dévoilés par le préfet de police de Paris révèlent les discours conspirationnistes d’un individu ayant visiblement prémédité son acte, comme le montre l’activité d’un compte Tik-Tok et d’un compte Facebook à son nom, ainsi que des dizaines de messages postés sur les réseaux sociaux. Il est pourtant encore présenté comme psychiatriquement fragile. Fragile mais capable de préméditer.

Sur son compte Tik-Tok et sur son compte Facebook la même boue habituelle, victimaire et antioccidentale charriée par la fachosphère ouest-africaine : « la France paye, par ce crime, pour le pillage des ressources durant la colonisation », « la France finance le terrorisme », « Emmanuel Macron a fait alliance avec le diable ».

En retour, des déclarations à « son excellence Vladimir Poutine ».

On en passe et des meilleures.

Ce discours on le connaît. Il inonde la Toile depuis des années, parfois émanant de personnes naturalisées ou binationales mais résidant en France : on se demande ce que fait la Justice française devant ce déferlement de haine anti-française…

Ce discours on le connaît aussi parce qu’il est porté depuis des années par des associations ayant pignon sur rue, on le connaît surtout parce que c’est celui des juntes militaires malienne, burkinabé et nigérienne. On le connaît enfin parce que c’est celui que Abdoulaye Diop et Abdoulaye Maïga, membres du gouvernement militaire malien, ont tenu tous deux, sans honte, à la tribune des Nations Unies.

L’attaque au couteau de la gare de Lyon ne sort pas de nulle part et encore moins des brumes cérébrales d’un immigré perturbé.

Cette attaque est l’aboutissement d’un long et lent processus viral né et métastasé sur le Net. Et qui s’est brusquement défictionnalisé en s’incarnant dans une tragédie.

La première sans doute d’une série.

Retour sur les enjeux de la guerre informationnelle menée contre la France, et donc depuis le 3 février, contre chaque Français.

 

Ils vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-même… 

Quatre milliards d’humains votent en 2024, soit la moitié de l’humanité : un fait sans précédent dans son histoire, qui laisse certains penser que la démocratie s’étend dans le monde. Pour autant, toutes les démocraties ne se valent pas, en effet beaucoup de régimes étant des « démocratures », des régimes à élection mais sans les garanties de libertés individuelles qu’offre le système de Westminster.

Encore faut-il rappeler que ces élections vont se dérouler dans un contexte numérique de désinformation massive, également sans précédent dans l’histoire de la démocratie libérale.

Non seulement la désinformation peut influer sur les déterminants du vote et favoriser telle ou telle famille d’idées politiques, mais elle peut aussi renverser des régimes : en Afrique de l’Ouest, notamment, où quatre régimes politiques sont tombés (Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry et Niger), largement sous les coups portés à l’idéal démocratique par des réseaux sociaux alimentant les fausses nouvelles à un rythme effréné.

Derrière ces campagnes de désinformation, des personnalités, des mécanismes, des éléments de langage qu’on arrive maintenant à bien connaître car le Sahel en a été dans le monde francophone un des laboratoires les plus prolifiques et aussi les plus prolixes.

Anti-Français, anti-démocratie, antilibéraux, adeptes de toutes les théories du complot les plus rétrogrades, quand ils ne les fabriquent pas eux-mêmes, ces influenceurs et activistes du Net sont entrés dans une « guerre sans fumée » contre la France. Ils sont capables de faire tomber des gouvernements, voire, comme au Sahel, de renverser des régimes politiques.

Qui a dit à la Radio Télévision Suisse : « […] Chaque soldat français qui tombe en Afrique, c’est un ennemi qui tombe […] » ? Nathalie Yamb, « La Dame de Sotchi ».

Qui a dit : « […] « La seule chose qui nous rapproche des nazis, et que je ne renie pas, c’est qu’ils aimaient l’Allemagne plus que l’Allemagne s’aimait elle-même » […] » ? Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, « L’Étoile Noire », dans un entretien (Rapporté par Jean Chichizola et Gabrielle Gabizon dans Le Figaro, 30/05/2006) ; et il ajoute une charge contre « […] les macaques de l’amitié judéo-noire […] » (2004) précisant ensuite son propos « […] Nous combattons tous ces macaques qui trahissent leurs origines, de Stéphane Pocrain à Christiane Taubira en passant par Mouloud Aounit. […] Les nationalistes sont les seuls Blancs que j’aime. […] » (Propos rapportés par Mourad Guichard, Libération, 18 janvier 2008).

Vous ne les connaissez pas, mais ils vous connaissent très bien et ont fait de vous les boucs émissaires à l’origine de tous les problèmes du monde. Enquêtes au cœur de la galaxie de l’absurde assassin.

 

Choc des civilisations et menace existentielle

Ces gens, ces propos, ne restent pas inertes, cantonnés à la sphère virtuelle : la porosité entre le virtuel et le réel est forte, comme en témoigne par exemple l’alliance de circonstance entre la Ligue de Défense Noire Africaine, mouvement suprémaciste noir microscopique en termes d’adhérents, mais très largement présent sur les réseaux sociaux, et l’association « Vérité pour Adama », dans les manifestations organisées par cette dernière contre les « violences policières ».

Les propos tenus en ligne par les ténors du french bashing se diffusent via les réseaux sociaux bien au-delà des cercles géographiques ou culturels initiaux dans lesquels ils sont produits : par capillarité ils irriguent des sphères voisines, puis se diffusent par le jeu des commentaires et des reposts dans des sphères de plus en plus éloignées. Et finissent dans les cités par donner un vernis idéologique et anti- démocratique à des malaises sociaux ou sociétaux, mais aussi à la haine de la République, de la laïcité, de l’école.

Si les atteintes à la laïcité dans les écoles et les lycées, mais aussi les universités, se multiplient, c’est aussi parce que les réseaux sociaux démultiplient à l’infini les thèses les plus extrémistes, dont beaucoup sont destinées préférentiellement aux populations du Sahel, mais sont récupérées au passage par des membres de diasporas, qui restent à l’écoute de ce qui se passe dans leur pays d’origine, et en irriguent ensuite les conversations à la maison, transmettant en France via leurs enfants jeunes adultes ou adolescents le narratif d’intolérance et de haine qui sont le pain quotidien de ces réseaux sociaux.

Il n’y a plus du frontière entre le local et le global : ce qui est local est global, ce qui est global s’incarne dans du local. Comme il n’y a plus de frontière entre le virtuel et le réel. Nous sommes entrés dans un monde hyper-performatif : hier on disait « dire c’est faire ! » aujourd’hui nous sommes dans un âge où « Lire c’est faire ! » comme les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard nous l’ont montré.

Les voies migratoires sont autant de canaux de diffusion physiques des propos anti-démocratiques, anti-occidentaux et anti-mondialistes tenus sur les réseaux sociaux et auxquels sont littéralement biberonnés les jeunes des grandes métropoles du Sahel, mais aussi ceux des « quartiers », c’est-à-dire les grandes banlieues des métropoles françaises.

Les propos tenus sur les réseaux sociaux destinés aux populations sahéliennes sont rarement produits au Sahel : ainsi Alain Foka, ancien journaliste de Radio France Internationale (RFI), qui après avoir soutenu la chute des régimes démocratiques au Burkina Faso, au Mali et au Niger, et avoir lui aussi fait le déplacement à Bamako, et après son récent départ de RFI s’est illustré au Togo, dictature familiale de la famille Gnasimbé, y a inauguré sa nouvelle entreprise de média, s’interroge ou feint de s’interroger : « Pourquoi la jeunesse africaine rejette l’Occident ? ».

Ou bien @La guêpe, sur X, installée aux États-Unis, ou Fenelon Massala (@rfemassala sur X) installé en Belgique…

La fabrique du french bashing et de la haine de l’Occident est largement produite en Occident. Le cas d’Alain Foka est loin d’être un cas isolé : Claudy Siarr, chroniqueur culture sur RFI et animateur de l’emblématique émission de RFI « Couleurs tropicales » s’est, lui aussi, sur les réseaux sociaux fait une spécialité de défendre le narratif russe dans la guerre en Ukraine, comme de soutenir le régime dictatorial en Centrafrique…

 

La coalescence des galaxies du french bashing : le suprémacisme noir…

Ils sont légion. Mais ils ne sont ni inconnus ni insaisissables. Derrière l’armée des petites mains qui officie sous pseudos sur les réseaux sociaux, et bien sûr derrière l’armée des bots issus des fermes à trolls souvent d’obédience russe (mais parfois chinois ou même iraniens), il y a des têtes d’affiche du french bashing. Et ceux-là, non seulement sont très connus, mais vivent et existent grâce à leurs outrances sur les réseaux sociaux.

Certains d’entre eux vivent et s’enrichissent de cette guerre informationnelle. Par le biais de partis politiques et d’organisations non gouvernementales (ONG) comme Urgences panafricanistes du franco-béninois Stellio Capo Chichi alias Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), ou d’association comme L’Institut de l’Afrique des Libertés du franco-camerounais Franklin Nyamsi, ou par le biais de sociétés : Nathalie Yamb est spécialiste en la matière, ayant fondé en Suisse, dans le Canton de Zoug, une société de consulting, et dans le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis, une société écran révélée (2021) par les Panama papers, Hutchinson Hastings Partners LLC.

Ils évoluent cependant dans des galaxies hier déconnectées, aujourd’hui en voie de coalescence.

Les tenants du kémitisme et du suprémacisme noir

La galaxie du suprémacisme noir est la première à avoir émergé sur la scène médiatique et numérique francophone. Cette galaxie est représentée en France par une myriade d’associations et quelques leaders qui se sont progressivement imposés sur une scène médiatique élargie, alors même que leurs militants se compte sur les doigts de la main. L’audience numérique d’un Sylvain Dodji Afoua, Franco-Togolais qui se fait appeler « Egountchi Behanin » du nom d’un ancien roi du Dahomey, est sans commune mesure avec le nombre d’adhérents de sa Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), moins de 250 adhérents lors de sa dissolution.

L’un des parrains de cette galaxie est le docteur Franklin Nyamsi, Franco-Camerounais, arrivé en France pour y poursuivre ses études supérieures, docteur en philosophie, professeur de l’Éducation nationale, temporairement mis à pied en 2023 pour ses propos tenus en classe, mais maintenu dans la fonction publique. Il vitupère sur les réseaux sociaux contre la France, accusée de tous les maux du continent africain. Sous le pseudonyme de Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika, ses vidéos de moins d’une minute sur Tik Tok, le réseau social chinois, sont vues des centaines de milliers de fois.

Sur sa chaîne YouTube (Plus de 300 000 abonnés) il se présente :

« […] La liberté, la dignité, Le bien- être intégral de l’humanité dans une planète harmonieuse sont mes rêves éveillés. Je veux promouvoir ici comme ailleurs, La justice. […] ».

Jamais en mal d’emphase sur lui-même, le professeur de l’Académie de Rouen n’en n’attise pas moins un feu continu sur le pays qui l’a formé et l’accueille.

C’est ainsi qu’en janvier 2024 sur sa chaîne YouTube où il rappelle son séjour au Niger et sa réception en grande pompe par les autorités militaires qui viennent de renverser le président élu Mohamed Bazoum, il présente son retour à Bamako, « Capitale de l’Alliance des États du Sahel ». Les louanges dans les commentaires sont à la mesure de l’enflure de l’ego de Franklin Nyamsi : ainsi @ognok4196 qui affirme : « […] Soyez béni, Prof Inbougique pour votre contribution louable […] » et ajoute « […] Comme toujours, vive la Russie et le GRAND POUTINE, le président du siècle […] ».

Si après, on conteste encore l’influence russe derrière la sphère suprémaciste noire…

La haine de la France n’est d’ailleurs jamais loin :

« […] nous ne pardonnons jamais à ces locodermes (sic) [Pour leucodermes id est les Blancs], qui ont osés souillés la terre de l’homme et son humanité ! Hotep professeur ! […] » déclare @deazolowry4473 tandis que @Africa_infoTV1994 affirme espérer « […] Les pays de L’A.E.S Transition jusqu’en 2100 […] ». C’est-à-dire pas d’élection jusqu’en 2100 !

Le triptyque haine des Blancs, haine de la démocratie et délire égyptologique est posé. Il fonde le discours du suprémacisme noir. Derrière ces figures d’intellectuels de l’afrocentrisme, émergent des figures plus rustres mais tout aussi populaires de militants. Comme Sylvain Dodji Afoua ou Stellio Capo Chichi.

Sylvain Dodji Afoua, né au Togo, arrivé en France à l’âge de 14 ans après le décès de son père au Togo. Il rassemble autour de son association LDNA plus de 50 000 followers sur Instagram, presque autant sur Facebook : condamné pour viol sur personne vulnérable en 2014, et incarcéré, puis pour intimidation en 2019 envers un élu public, Sylvain Dodji Afoua s’est ensuite régulièrement affiché dans les pays enclavés du Sahel victimes des coups d’État militaires, dont le Mali où il pose aux côtés d’un manifestant portant une pancarte « Mort à la France ».

Stellio Capo Chichi, connu sur les réseaux sociaux sous l’alias de Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), est lui aussi un récidiviste des condamnations, en règle générale pour incitation à la haine raciale et antisémitisme.

Il déclarait notamment :

« [Les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale de la santé sont] tenues par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur Terre. » (2009).

Les médias africains souvent situés dans l’opposition ne sont pas avares de louanges pour Stellio Capo Chichi, confinant parfois à l’admiration homo érotique.

Ainsi Joseph Akoutou (2018) dans BeninWebTV qui déclare :

« […] Ce Franco-Béninois a un physique imposant par sa taille élancée, son épaule rectangulaire, sa démarche de guerrier, son visage grave où l’on lit la fermeté, la colère, la révolte, la rage, une revendication. […] ».

L’éternel retour de la figure de l’homme providentiel.

Engagé dans la branche européenne de Nation of Islam du leader musulman américain Louis Farrakhan, il quitte plusieurs fois le mouvement et décide finalement de rompre avec les religions révélées et fonde divers groupuscules dont Tribu Ka, et maintenant l’ONG Urgences Panafricanistes. Expulsé du Sénégal puis de Côte d’Ivoire, il s’installe au Bénin, et apporte ensuite son soutien aux régimes militaires malien, puis burkinabè, et enfin nigérien. Il organise d’ailleurs un meeting à Niamey dans la foulée du coup d’État militaire perpétré contre le président élu Mohamed Bazoum.

L’ONG Urgences Panafricanistes est fondée en 2015 en partenariat avec Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo et alors en exil, et c’est sans doute là que, dans la sphère suprémaciste noire, les rapprochements commencent avec l’autre galaxie anti-France et anti-démocratie, celle des orphelins de la crise ivoirienne.

Les orphelins de la crise ivoirienne : un composite instable mais soudé par la haine de la France et une survie médiatique sur les réseaux sociaux

La galaxie des influenceurs Web issue de la crise ivoirienne est composite : pour partie elle est constituée des militants de Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire, déféré puis acquitté par la Cour Pénale Internationale (CPI) ; pour partie par les partisans de Guillaume Soro, ennemi de Laurent Gbagbo, mais revenu à de meilleurs sentiments lorsqu’il échoua à son tour dans son coup de force contre le président élu Alassane Dramane Ouattara.

Une galaxie bien fragile en apparence, mais soudée par la haine de la France et très active sur les réseaux sociaux – exil oblige – et architecturée autour de la commune haine contre Alassane Dramane Ouattara (ADO pour ses supporters). Et donc qui verse dans la haine de la France, considérée comme la garante du pouvoir et de la longévité du président ADO.

Alors qu’elle tempête en permanence sur le climat de dictature qui règnerait en Côte d’Ivoire, nombre des artisans de cette galaxie anti-France, résident pourtant en Côte d’Ivoire ou y ont résidé : c’est le cas, on l’a dit, de Stellio Capo Chichi, finalement expulsé, de Nathalie Yamb, expulsée elle aussi, c’est le cas sur X de @amir_nourdine, dit Amir Nourdine Elbachir, qui regroupe plus de 120 000 followers sur X, ou de @DelphineSankara, dit Issa Sissoko Elvis, un homme, en dépit de son pseudonyme, qui vit comme animateur de radio communautaire dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Nathalie Yamb illustre à elle seule les contours très flous d’une galaxie largement inféodée au narratif russe.

Elle est impliquée dans le scandale aux cryptomonnaies organisé par la société Global Investment Trading de Émile Parfait Simb, un autre Camerounais actuellement en fuite. Elle fait l’objet d’une plainte collective des clients de Simb Group dans l’affaire Liyeplimal, une plainte adressée au parquet fédéral du New Jersey, dans laquelle elle figure comme co-accusée aux côtés de personnalités politiques et médiatiques camerounaises. Il lui est reproché d’avoir vanté les mérites de Liyeplimal, gigantesque pyramide de Ponzi numérique, alors que les autorités de régulations financières d’Afrique centrale avaient déjà averti les usagers des irrégularités commises par les sociétés de Simb Group.

Émile Parfait Simb, actuellement mis en examen au Cameroun, et dont la société a son siège social à Dubaï, bénéficie d’un passeport diplomatique de la Centrafrique, premier pays francophone à tomber dans l’escarcelle de Wagner. Il a quitté l’Afrique, d’abord pour la Russie, puis pour une destination inconnue. Ange-Félix Taoudéra, dont les liens avec la société parapublique Wagner et avec la Russie sont forts, est étonnamment exempt de toute critique de la part de Nathalie Yamb.

Surnommée « La Dame de Sotchi » depuis son intervention en 2019 à la première édition du Forum Russie-Afrique où elle a fustigé la France, Nathalie Yamb a depuis apporté son soutien aux juntes militaires burkinabè, malienne et nigérienne, se rendant à Niamey, la capitale politique du Niger, au mois de décembre 2023 où elle est reçue en grande pompe par les nouvelles autorités militaires.

Nathalie Yamb est d’ailleurs souvent citée dans les plaintes qui la visent aux côtés de Jean-Jacques Moiffo, dit Jacky : autre ressortissant Camerounais installé en région parisienne, animateur et fondateur de la Web TV modestement appelée JMTV. Il est arrivé en France à 25 ans et est également impliqué dans la plainte déposé aux États-Unis contre Global Investment Trading SA dans le cadre du scandale Liyeplimal.

La haine de l’Occident sur les réseaux sociaux se fabrique donc d’abord en Occident, par des immigrés qui y sont accueillis et installés, et qui ne comptent visiblement pas s’installer ailleurs…

 

Les prébendiers, intellectuels et artistes en perte de vitesse : le « syndrome Maître Gims »

La recette est assez simple ; quand tu es un artiste ou un intellectuel et que tu perds de l’audience, dis une connerie et tu retrouveras ton audience et ta popularité.

On se souvient des propos lunaires de Maître Gims sur l’électricité et les anciens Égyptiens, sur les tableaux de chevaliers noirs cachés sous le Vatican dans des catacombes (?). La même chose existe bien évidemment au Sahel. Une galaxie de prébendiers de la politique s’est réveillée pour se mettre au service des régimes militaires, c’est-à-dire diffuser le narratif anti-démocratique et anti-français.

Les artistes qui se refont une seconde carrière sur le french bashing

Dernière galaxie à s’agréger à cette nébuleuse du french bashing, celle des artistes et intellectuels sahéliens, plus ou moins ringardisés, et dont la notoriété à été revigorée par leurs prises de positions publiques haineuses à l’égard de la France.

Il en est ainsi du dernier arrivé dans la galaxie des has been de la culture ouest-africaine : Doumbia Moussa Fakoly, dit Tikken Jah Fakoly, reggae man ivoirien, habitué des scènes françaises, n’en n’est pas moins un adversaire acharné, non seulement de la France, mais également de la démocratie. Dernière sortie en date, non pas un album mais une déclaration tonitruante en faveur des régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Quand on sait le sort réservé aux militaires ivoiriens envoyés dans le cadre de la MINUSMA pour protéger la base aérienne de l’ONU au Mali et retenus en otages par les autorités maliennes pendant de longs mois, le ralliement du reggae man étonne… Mais la « jeunesse » ouest-africaine est sensible à ces déclarations à l’emporte-pièces anti-françaises et anti-démocratiques.

Il n’est pas le seul artiste à avoir rallié les régimes militaires : Salif Keïta, qui avait par ses déclarations largement discrédité la démocratie malienne, a intégré le Conseil National de la Transition (CNT) institué par les putschistes maliens avant de s’en retirer pour des raisons de santé trois ans plus tard. Il n’a pourtant jamais cessé, ni avant son entrée au CNT ni après, de vitupérer contre la France et les démocraties sahéliennes, usant de son aura internationale de musicien et de chanteur pour donner une forme de légitimité populaire à la junte militaire malienne.

Las, il a dû aussi annuler en catastrophe un concert prévu à… Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire devant la bronca des réseaux sociaux ivoiriens, ulcérés de voir un des principaux propagandistes de la junte militaire malienne oser paraître devant le public ivoirien, alors que cette même junte avait retenu de longs mois des militaires ivoiriens en otages.

L’entrée de Tikken Jah Fakoly le reggae man sur la scène pro-putschiste avait aussi pour ambition de rallier le public des jeunes Ivoiriens au narratif anti-Ouattara développé par les militaires maliens : les crimes en série commis par Wagner contre les populations civiles, majoritairement peules et touarègues, les coupures d’électricité incessantes dans tout le Mali et notoirement à Bamako, le coût de l’utilisation de Wagner (près de 200 millions de dollars par an au lieu des 120 annoncés initialement, et payés essentiellement en or malien) ont toutefois largement discrédité le régime militaire de Bamako.

Des intellectuels ont également apporté une aide inattendue mais inespérée aux putschistes, notamment au Mali où une large partie de l’intelligentsia s’est ralliée au régime militaire. Aminata Dramane Traoré s’est ainsi ralliée assez facilement au régime militaire. L’Occident francophone, dans les années 1990 et 2000,  avait porté cette femme aux nues pour ses romans et essais anti-occidentaux, culture woke avant le wokisme, et on avait célébré son antimondialisme. Bien qu’elle fasse paraître la totalité de ses ouvrages en France où se trouve l’essentiel de son public, Aminata Dramane Traoré s’est fait une spécialité de dénoncer les supposés méfaits de l’Occident et de la mondialisation en Afrique et notamment au Mali.

Si son ralliement à la junte militaire malienne a surpris, c’est parce que l’engouement initial autour de ses publications avait sans doute masqué une constante dans la trajectoire politique d’Aminata Dramane Traoré : elle a servi tous les régimes et toutes les institutions : étudiante en France, professeur en Côte d’Ivoire, puis fonctionnaire de l’ONU, puis ministre de la jeune démocratie malienne, elle sert aujourd’hui le régime militaire. Il est vrai qu’Aminata Dramane Traoré a toujours su se servir et servir sa famille avant de servir la communauté.

 

Une immense lâcheté

Au Sahel aussi les consciences se sont relâchées comme des ventres. La France a soutenu, et soutient encore, nombre de personnalités qui se sont retournées contre elle, et au-delà, contre les valeurs universelles que sont la démocratie, la protection des minorités, la tolérance, et on en passe. Via des subventions, des visas, des colloques et des conférences financées sur les fonds de l’aide au développement, d’aides à la création culturelle, la France a largement contribué à nourrir des officines et des personnalités qui lui sont désormais hostiles.

En Côte d’Ivoire la situation est la même. Les propagandistes ouvertement profrançais ont fait l’objet d’une répression judiciaire qui apparaît étrange : les propagandistes prorusses sont largement préservés, seules les petites mains sont l’objet d’une surveillance et de poursuites tandis que les ténors restent aussi virulents. La faute en revient d’abord à la crainte qu’ont les régimes de s’aliéner une jeunesse désœuvrée, et qu’on espère distraire en la laissant se nourrir de haine contre un ennemi lointain. Par peur de devoir affronter le courroux de la rue si la France et au-delà l’Occident cessaient d’être le bouc émissaire commode qu’ils sont devenus.

Au-delà de la situation spécifique du Sahel et de ses relations avec la France, c’est toute une politique policière et judiciaire vis-à-vis de la diffusion et de la propagation exponentielle des fausses informations qui doit être revue.

Encore aujourd’hui, la menace que représente pour la démocratie libérale la diffusion massive de fausses informations est considérée comme une menace mineure, alors même que la presse écrite ou les émissions de radio ou de télévision, pourtant devenues des supports marginaux dans l’acte de s’informer, sont l’objet d’une surveillance tatillonne.

La loi existe pourtant pour punir ces dérives informationnelles. Encore faut-il la faire appliquer. Et bien évidemment cesser de laisser la bride sur le cou des services de coopération et d’action culturelle (et les institutions universitaires) afin de resserrer les cordons de la bourse. Lénine avait coutume de dire que le capitalisme vendrait la corde qui servirait à le pendre, au Sahel la France finance et donne les verges qui servent à la battre.

Autopiégés par les deepfakes : où sont les bugs ?

Par Dr Sylvie Blanco, Professor Senior Technology Innovation Management à Grenoble École de Management (GEM) & Dr. Yannick Chatelain Associate Professor IT / DIGITAL à Grenoble École de Management (GEM) & GEMinsights Content Manager.

« C’est magique, mais ça fait un peu peur quand même ! » dit Hélène Michel, professeur à Grenoble École de management, alors qu’elle prépare son cours « Innovation et Entrepreneuriat ».

Et d’ajouter, en riant un peu jaune :

« Regarde, en 20 minutes, j’ai fait le travail que je souhaite demander à mes étudiants en 12 heures. J’ai créé un nouveau service, basé sur des caméras high tech et de l’intelligence artificielle embarquée, pour des activités sportives avec des illustrations de situations concrètes, dans le monde réel, et un logo, comme si c’était vrai ! Je me mettrai au moins 18/20 ».

Cet échange peut paraître parfaitement anodin, mais la possibilité de produire des histoires et des visuels fictifs, perçus comme authentiques – des hypertrucages (deepfakes en anglais) – puis de les diffuser instantanément à l’échelle mondiale, suscitant fascination et désillusion, voire chaos à tous les niveaux de nos sociétés doit questionner. Il y a urgence !

En 2024, quel est leur impact positif et négatif ? Faut-il se prémunir de quelques effets indésirables immédiats et futurs, liés à un déploiement massif de son utilisation et où sont les bugs ?

 

Deepfake : essai de définition et origine

En 2014, le chercheur Ian Goodfellow a inventé le GAN (Generative Adversarial Networks), une technique à l’origine des deepfakes.

Cette technologie utilise deux algorithmes s’entraînant mutuellement : l’un vise à fabriquer des contrefaçons indétectables, l’autre à détecter les faux. Les premiers deepfakes sont apparus en novembre 2017 sur Reddit où un utilisateur anonyme nommé « u/deepfake » a créé le groupe subreddit r/deepfake. Il y partage des vidéos pornographiques avec les visages d’actrices X remplacés par ceux de célébrités hollywoodiennes, manipulations reposant sur le deep learning. Sept ans plus tard, le mot deepfake est comme entré dans le vocabulaire courant. Le flux de communications quotidiennes sur le sujet est incessant, créant un sentiment de fascination en même temps qu’une incapacité à percevoir le vrai du faux, à surmonter la surcharge d’informations de manière réfléchie.

Ce mot deepfake, que l’on se garde bien de traduire pour en préserver l’imaginaire technologique, est particulièrement bien choisi. Il contient en soi, un côté positif et un autre négatif. Le deep, de deep learning, c’est la performance avancée, la qualité quasi authentique de ce qui est produit. Le fake, c’est la partie trucage, la tromperie, la manipulation. Si on revient à la réalité de ce qu’est un deepfake (un trucage profond), c’est une technique de synthèse multimédia (image, son, vidéos, texte), qui permet de réaliser ou de modifier des contenus grâce à l’intelligence artificielle, générant ainsi, par superposition, de nouveaux contenus parfaitement faux et totalement crédibles. Cette technologie est devenue très facilement accessible à tout un chacun via des applications, simples d’utilisations comme Hoodem, DeepFake FaceSwap, qui se multiplient sur le réseau, des solutions pour IOS également comme : deepfaker.app, FaceAppZao, Reface, SpeakPic, DeepFaceLab, Reflect.

 

Des plus et des moins

Les deepfakes peuvent être naturellement utilisés à des fins malveillantes : désinformation, manipulation électorale, diffamation, revenge porn, escroquerie, phishing…

En 2019, la société d’IA Deeptrace avait découvert que 96 % des vidéos deepfakes étaient pornographiques, et que 99 % des visages cartographiés provenaient de visages de célébrités féminines appliqués sur le visage de stars du porno (Cf. Deep Fake Report : the state of deepfakes landscape, threats, and impact, 2019). Ces deepfakes malveillants se sophistiquent et se multiplient de façon exponentielle. Par exemple, vous avez peut-être été confrontés à une vidéo où Barack Obama traite Donald Trump de « connard total », ou bien celle dans laquelle Mark Zuckerberg se vante d’avoir « le contrôle total des données volées de milliards de personnes ». Et bien d’autres deepfakes à des fins bien plus malveillants circulent. Ce phénomène exige que chacun d’entre nous soit vigilant et, a minima, ne contribue pas à leur diffusion en les partageant.

Si l’on s’en tient aux effets médiatiques, interdire les deepfakes pourrait sembler une option.
Il est donc important de comprendre qu’ils ont aussi des objectifs positifs dans de nombreuses applications :

  • dans le divertissement, pour créer des effets spéciaux plus réalistes et immersifs, pour adapter des contenus audiovisuels à différentes langues et cultures
  • dans la préservation du patrimoine culturel, à des fins de restauration et d’animation historiques 
  • dans la recherche médicale pour générer des modèles de patients virtuels basés sur des données réelles, ce qui pourrait être utile dans le développement de traitements 
  • dans la formation et l’éducation, pour simuler des situations réalistes et accroître la partie émotionnelle essentielle à l’ancrage des apprentissages

 

Ainsi, selon une nouvelle étude publiée le 19 avril 2023 par le centre de recherche REVEAL de l’université de Bath :

« Regarder une vidéo de formation présentant une version deepfake de vous-même, par opposition à un clip mettant en vedette quelqu’un d’autre, rend l’apprentissage plus rapide, plus facile et plus amusant ». (Clarke & al., 2023)

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment avons-nous mis au point et démocratisé des outils technologiques de manière aussi peu appropriée, au sens de E.F. Schumacher (1973) dans son ouvrage Small is Beautiful : A Study of Economics as If People Mattered.

L’idée qu’il défend est celle d’une technologie scientifiquement éprouvée, à la fois adaptable aux besoins spécifiques de groupes d’utilisateurs clairement identifiés, et acceptables par toutes les parties prenantes de cette utilisation, tout au long de son cycle de vie, sans dégrader l’autonomie des communautés impliquées.

Considérons la période covid. Elle a très nettement favorisé une « aliénation des individus et des organisations à la technologie », entraînant des phénomènes de perte de contrôle et de confiance face à des utilisations non appropriées du numérique profitant de la vulnérabilité des citoyens (multiplication des arnaques santé par exemple). Ils se sont trouvés sur-sollicités et noyés sous un déluge de contenus, sans disposer des ressources nécessaires pour y faire face de manière pérenne et sécurisée. Avec l’IA générative et la prolifération des deepfakes, le défi d’échapper à la noyade et d’éviter d’être victime de manipulations devient démesuré !

La mécanique allant de la technologie à la société est (toujours) bien ancrée dans la théorie de Schumpeter datant du début du XXe siècle : les efforts et les investissements dans la technologie génèrent du développement économique par l’innovation et la productivité, qui se traduit ensuite en progrès social, par exemple, par la montée du niveau d’éducation. La question de l’adoption de la technologie par le marché de masse est un élément central de la réussite des acteurs économiques.

Comme le souligne très bien le philosophe Alain Damasio, les citoyens adoptent les solutions numériques (faciles d’utilisation et accessibles) et se réfugient dans un « techno-cocon » pour trois raisons principales :

  1. La paresse (les robots font à leur place)
  2. La peur associée à l’isolement (on a un réseau mondial d’amis)
  3. Les super-pouvoirs (le monde à portée de main avec son smartphone)

 

Cela s’applique parfaitement à l’IA générative : créer des contenus sans effort, presque instantanément, avec un résultat d’expert. Ainsi, dans le fantasme collectif, eu égard à la puissance réelle et exponentielle des outils disponibles, nous voilà bientôt tous écrivains, tous peintres, tous photographes, tous réalisateurs… nous voilà capables de produire en quelques minutes ce qui a priori nous aurait demandé des heures. Et dans le même temps, nous servons à l’amélioration continue des performances de ces technologies, au service de quelques grandes entreprises mondiales.

 

Deepfakes : où est le bug ?

Si le chemin vers la diffusion massive de l’IA générative est clair, éprouvé et explicable, d’où vient la crise actuelle autour des deepfake ? L’analyse des mécanismes de diffusion fait apparaître deux bugs principaux.

Le premier bug

Il s’apparente à ce que Nunes et al. (2014) appelle le phénomène « big bang disruption ».

La vitesse extrêmement rapide à laquelle se déploient massivement certaines applications technologiques ne laisse pas le temps de se prémunir contre ses effets indésirables, ni de se préparer à une bonne appropriation collective. On est continuellement en mode expérimentation, les utilisateurs faisant apparaître des limites et les big techs apportant des solutions à ces problèmes, le plus souvent technologiques. C’est la course à la technologie – en l’occurrence, la course aux solutions de détection des deepfakes, en même temps que l’on tente d’éduquer et de réglementer. Cette situation exige que l’on interroge notre capacité à sortir du système établi, à sortir de l’inertie et de l’inaction – à prendre le risque de faire autrement !

Le second bug

Selon Schumpeter, la diffusion technologique produit le progrès social par l’innovation et l’accroissement de la productivité ; mais cette dynamique ne peut pas durer éternellement ni s’appliquer à toutes technologies ! Si l’on considère par exemple la miniaturisation des produits électroniques, à un certain stade, elle a obligé à changer les équipements permettant de produire les puces électroniques afin qu’ils puissent manipuler des composants extrêmement petits. Peut-on en changer l’équipement qui sert à traiter les contenus générés par l’IA, c’est-à-dire nos cerveaux ? Doivent-ils apprendre à être plus productifs pour absorber les capacités des technologies de l’IA générative ? Il y a là un second bug de rupture cognitive, perceptive et émotionnelle que la société expérimente, emprisonnée dans un monde numérique qui s’est emparée de toutes les facettes de nos vies et de nos villes.

 

Quid de la suite : se discipliner pour se libérer du péril deepfake ?

Les groupes de réflexion produisant des scénarii, générés par l’IA ou par les humains pleuvent – pro-techno d’une part, pro-environnemental ou pro-social d’autre part. Au-delà de ces projections passionnantes, l’impératif est d’agir, de se prémunir contre les effets indésirables, jusqu’à une régression de la pensée comme le suggère E. Morin, tout en profitant des bénéfices liés aux deepfakes.

Face à un phénomène qui s’est immiscé à tous les niveaux de nos systèmes sociaux, les formes de mobilisation doivent être nombreuses, multiformes et partagées. En 2023 par exemple, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a mandaté le pôle de compétitivité Minalogic et Grenoble École de management pour proposer des axes d’action face aux dangers des deepfakes. Un groupe d’experts* a proposé quatre axes étayés par des actions intégrant les dimensions réglementaires, éducatives, technologiques et les capacités d’expérimentations rapides – tout en soulignant que le levier central est avant tout humain, une nécessité de responsabilisation de chaque partie prenante.

Il y aurait des choses simples que chacun pourrait décider de mettre en place pour se préserver, voire pour créer un effet boule de neige favorable à amoindrir significativement le pouvoir de malveillance conféré par les deepfakes.

Quelques exemples :

  • prendre le temps de réfléchir sans se laisser embarquer par l’instantanéité associée aux deepfakes 
  • partager ses opinions et ses émotions face aux deepfakes, le plus possible entre personnes physiques 
  • accroître son niveau de vigilance sur la qualité de l’information et de ses sources 
  • équilibrer l’expérience du monde en version numérique et en version physique, au quotidien pour être en mesure de comparer

 

Toutefois, se pose la question du passage à l’action disciplinée à l’échelle mondiale !

Il s’agit d’un changement de culture numérique intrinsèquement long. Or, le temps fait cruellement défaut ! Des échéances majeures comme les JO de Paris ou encore les élections américaines constituent des terrains de jeux fantastiques pour les deepfakes de toutes natures – un chaos informationnel idoine pour immiscer des informations malveillantes qu’aucune plateforme media ne sera en mesure de détecter et de neutraliser de manière fiable et certaine.

La réalité ressemble à un scénario catastrophe : le mur est là, avec ces échanges susceptibles de marquer le monde ; les citoyens tous utilisateurs d’IA générative sont lancés à pleine vitesse droit dans ce mur, inconscients ; les pilotes de la dynamique ne maîtrisent pas leur engin supersonique, malgré des efforts majeurs ! Pris de vitesse, nous voilà mis devant ce terrible paradoxe : « réclamer en tant que citoyens la censure temporelle des hypertrucages pour préserver la liberté de penser et la liberté d’expression ».

Le changement de culture à grande échelle ne peut que venir d’une exigence citoyenne massive. Empêcher quelques bigs techs de continuer à générer et exploiter les vulnérabilités de nos sociétés est plus que légitime. Le faire sans demi-mesure est impératif : interdire des outils numériques tout comme on peut interdire des médicaments, des produits alimentaires ou d’entretien. Il faut redonner du poids aux citoyens dans la diffusion de ces technologies et reprendre ainsi un coup d’avance, pour que la liberté d’expression ne devienne pas responsable de sa propre destruction.

Ce mouvement, le paradoxe du ChatBlanc, pourrait obliger les big techs à (re)prendre le temps d’un développement technologique approprié, avec ses bacs à sable, voire des plateformes dédiées pour les créations avec IA. Les citoyens les plus éclairés pourraient avoir un rôle d’alerte connu, reconnu et effectif pour décrédibiliser ceux qui perdent la maîtrise de leurs outils. Au final, c’est peut-être la sauvegarde d’un Internet libre qui se joue !

Ce paradoxe du ChatBlanc, censurer les outils d’expression pour préserver la liberté d’expression à tout prix trouvera sans aucun doute de très nombreux opposants. L’expérimenter en lançant le mois du ChatBlanc à l’image du dry january permettrait d’appréhender le sujet à un niveau raisonnable tout en accélérant nos apprentissages au service d’une transformation culturelle mondiale.

 

Lucal Bisognin, Sylvie Blanco, Stéphanie Gauttier, Emmanuelle Heidsieck (Grenoble Ecole de Management) ; Kai Wang (Grenoble INP / GIPSALab / UGA), Sophie Guicherd (Guicherd Avocat), David Gal-Régniez, Philippe Wieczorek (Minalogic Auvergne-Rhône-Alpes), Ronan Le Hy (Probayes), Cyril Labbe (Université Grenoble Alpes / LIG), Amaury Habrard (Université Jean Monnet / LabHC), Serge Miguet (Université Lyon 2 / LIRIS) / Iuliia Tkachenko (Université Lyon 2 / LIRIS), Thierry Fournel (Université St Etienne), Eric Jouseau (WISE NRJ).

Pourquoi Gabriel Attal échouera à relever le pouvoir d’achat des Français

Parmi les sujets de mécontentement de la population il en est un qui est récurrent : la faiblesse du pouvoir d’achat. C’est encore une fois ce qu’a montré le dernier sondage IPSOS pour le CESE, en date du 26 octobre 2023. Les Français interrogés sur ce que sont leurs préoccupations placent le problème du pouvoir d’achat en tête, avec 40 % des réponses, suivi par la santé.

Aussi, dans sa déclaration de politique générale à l’Assemblée, le Premier ministre a déclaré qu’il voulait « desmicardiser » les Français, c’est-à-dire augmenter leur pouvoir d’achat : de trop nombreux salariés sont condamnés à rester indéfiniment au SMIC, et c’est insupportable.

Mais est-ce possible, et dans quels délais ?

Actuellement, les statistiques de la  DARES indiquent que 17,3 % des salariés français sont au SMIC, et ce pourcentage progresse : en 2021, il s’agissait de 12 % seulement. Les Français sont fortement préoccupés par « la faiblesse de leur pouvoir d’achat », et l’inflation depuis deux années exacerbe cette crainte.

Ce sentiment d’insuffisance du pouvoir d’achat, est-il justifié ? Est-ce un simple ressenti purement subjectif, ou bien, véritablement, une réalité intangible ?

Les Français sont un peuple d’éternels insatisfaits. François de Closets, dans Toujours plus expliquait que le « toujours plus » est une revendication endémique caractéristique du peuple français. En 2006, il récidivait avec Plus encore.

Un débat de même nature entre les ministres de l’Intérieur et de la Justice à propos des problèmes de sécurité : l’un parlant, chiffres en mains, d’un véritable problème de sécurité aujourd’hui en France, l’autre, d’un simple « sentiment d’insécurité », un sentiment non fondé. Éric Dupond-Moretti avait dit à Ruth Elkrief, sur Europe 1 : « Le sentiment d’insécurité, c’est un fantasme : c’est du populisme ».

Alors ? Véritable problème, cette fois, que celui de l’insuffisance du pouvoir d’achat, ou bien un fantasme ?

Que va donc pouvoir faire Gabriel Attal face à ce « populisme » ? 

Où en sommes-nous, et que disent les chiffres ?

 

Le SMIC en France est trop haut : explications

Le PIB français par habitant n’est pas un des plus élevés d’Europe, loin s’en faut, mais les Français paraissent ne pas en avoir réellement conscience. Le tableau ci-dessous indique comment notre SMIC se situe par rapport à quelques-uns de nos voisins. Il varie, évidemment, avec le niveau de richesse des pays :

Pour s’étalonner, il faut se reporter à la corrélation existant entre ces données, en prenant le PIB/tête comme variable explicative :

 

L’équation de la droite de corrélation indique que le PIB/capita qui est le nôtre devrait correspondre en à un  SMIC mensuel de 1587 euros seulement. Notre SMIC est donc fixé relativement trop haut : il est 10 % supérieur à ce qu’il devrait être, par rapport à ce que font les pays européens qui, comme nous, ont mis en place ce garde-fou. 

On voit que le SMIC est lié au PIB par habitant, et dans ce domaine la France est mal placée : elle est à la 13e position seulement en Europe, avec un PIB par tête 16% inférieur à celui de l’Allemagne, 30 %  inférieur à celui des Pays-Bas, et pas même la moitié de celui de la Suisse, des pays qui sont pourtant nos voisins.

Les Français semblent l’ignorer, contrairement aux frontaliers qui en sont bien conscients : ils sont actuellement environ 350 000 qui cherchent chaque jour à travailler en Suisse, au Luxembourg, ou en Allemagne, quand cela leur est possible. Cette relation étroite entre les PIB/capita et les salaires n’est en rien surprenante puisque, dans leur construction, les PIB sont constitués à plus de 60 % par les rémunérations des actifs.

 

Le niveau de vie des Français est supérieur à ce que leur rémunération mensuelle peut leur fournir

Depuis quelques années (cf. INSEE -France, portrait social), l’INSEE publie des tableaux « Niveau de vie et pauvreté dans l’UE » et chiffre les niveaux de vie à la fois en euros et en Parité de pouvoir d’achat. S’agissant, ici, d’une réflexion menée sur les salaires, qui sont l’élément principal qui détermine le niveau de vie, il convient de rapprocher les salaires des évaluations du niveau de vie exprimées en Parité de pouvoir d’achat, telles qu’elles sont produites par l’INSEE :

Le graphique ci-dessous montre la corrélation entre ces données, en prenant le niveau de vie comme variable explicative :

 

L’équation de la droite indique que le niveau de vie français correspond à un salaire plus élevé que celui effectivement perçu en moyenne, soit 4189 dollars, alors que nous en sommes à 3821 dollars seulement, soit environ à nouveau 10 % d’écart.

Selon cette approche, les Français auraient un niveau de vie supérieur à ce que leur rémunération mensuelle est capable de leur fournir. Cest dû à la façon dont l’État a organisé la vie de la société : soins et enseignement pratiquement gratuits, transports fortement subventionnés, temps de travail annuel plus court que dans les autres pays, départ à la retraite plus précoce.

Tous ces avantages sont fournis par des circuits très complexes de redistribution, ce qui a pour conséquence que les dépenses publiques sont bien plus élevées que dans tous les autres pays en proportion du PIB. L’État se trouve donc contraint de recourir chaque année à l’endettement pour boucler ses budgets, malgré des  prélèvements obligatoires les plus élevés de tous les pays européens. En somme, les Français vivent avec un salaire moyen fictif de 4189 dollars, plus élevé que le salaire mensuel qu’ils perçoivent, mais ils n’en ont nullement conscience. Faute d’avoir une appréhension objective de leur niveau de vie, ils ont facilement tendance à se plaindre et revendiquer des augmentations de salaire.

 

Pour accroître le niveau de vie des Français, il faut augmente le PIB par habitant

Il ne va pas être facile à notre Premier ministre d’accroître rapidement la rémunération des Français : le SMIC est déjà 10 % supérieur à ce qu’il devrait être, le niveau de vie est lui aussi de 10 % supérieur,  en moyenne, à ce que permettent les rémunérations des salariés.

Les Français bénéficient d’avantages considérables qui améliorent leur niveau de vie quotidien : sans le savoir, ils vivent avec un salaire fictif supérieur à leur salaire nominal. Ce sont des réalités qu’un homme politique, fut-il un bon communiquant, est totalement incapable d’expliquer à des foules qui viendraient manifester sous ses fenêtres.

L’augmentation du PIB per capita est donc la seule solution permettant de satisfaire le besoin d’amélioration du pouvoir d’achat des Français : il n’y a donc pas d’autre solution que de s’attaquer sérieusement à la dynamisation de notre économie pour faire de la croissance et augmenter rapidement le PIB, qui depuis bien longtemps ne croît pas assez vite, et génère en permanence du mécontentement. 

En 2018, le service des statistiques des Nations unies a examiné comment ont évolué sur une longue période les économies des pays.

Ci-dessous, les résultats de cette étude pour un certain nombre de pays européens, en réactualisant les données, et en mettant en exergue le cas d’Israël particulièrement exemplaire :

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la France réalise de très mauvaises performances économique : en multipliant par 4,9 son PIB par tête, comme la Suisse ou le Danemark, on en serait à un PIB/capita de 62 075 dollars, supérieur à celui de l’Allemagne, comme c’était le cas en 1980. Mais nous en somme très loin ! 

Le secteur industriel français s’est complètement dégradé d’année en année, sans que les pouvoirs publics ne jugent nécessaire d’intervenir. Ils sont restés sur l’idée qu’une société moderne doit être post-industrielle, c’est-à-dire dépourvue d’industrie. Ce cliché a été développé en France par des sociologues, comme par exemple Alain Touraine en 1969 dans La société postindustrielle.

Aujourd’hui, le secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB en France (industrie, hors construction), alors qu’il est de 23 %  ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. La France est le plus désindustrialisé de tous les pays européens, Grèce mise à part.

Pour redresser l’économie et la rétablir dans ses grands équilibres il va falloir porter à 18 % environ la contribution du secteur industriel à la formation du PIB, ce qui va demander beaucoup de temps, pour autant qu’on y parvienne. Emmanuel Macron n’avait pas considéré le problème au cours de son premier quinquennat, alors qu’il avait en charge le ministère de l’Économie.

Ce n’est qu’à l’occason de la crise du covid qu’il a pris conscience de la très grave désindustrialisation du pays, et a lancé, en octobre 2023, le Plan France 2030 doté d’un budget de 30 milliards d’euros. Ce budget est très insuffisant, et ne pourra s’appliquer qu’à des industries dites vertes, les aides à l’investissement, selon les directives de Bruxelles, ne pouvant bénéficier qu’à des projets écologiquement corrects. 

Nous avons chiffré, dans d’autres articles, à 350 milliards d’euros le montant des investissements à réaliser pour remonter le secteur industriel à 18 % du PIB. Les montants mobilisés du Plan France 2030 sont très éloignés de ce que le président Joe Biden fait aux États-Unis pour impulser la réindustrialisation du pays avec l’Inflation Réduction Act, qui rencontre un succès considérable, après le Chips and sciences Act. Les Bidenomics pourraient-ils être de nature à éclairer nos dirigeants sur ce qu’il conviendrait de faire pour redresser notre économie. Mais, les moyens financiers nous manquent.

Notre PIB par tête n’est pas près d’augmenter rapidement, et les salaires de progresser au rythme qui serait souhaitable. Les prix augmentent, et notre ministre de l’Économie a déclaré aux Français que le temps du « quoi qu’il en coûte » était terminé. En effet, l’État est terriblement endetté, il faut avant tout réduire dette et déficit budgétaire pour respecter les règles de la zone euro.

Et il est hors de question de fâcher les agences de notation, et les voir de nouveau, abaisser la note d’un cran. Notre jeune et brillant Premier ministre n’est donc pas près de desmicardiser les Français.

Pourquoi le « choc d’offre » de Gabriel Attal ne relancera pas le secteur immobilier

La situation actuelle du marché locatif et de la construction immobilière est très tendue dans de nombreuses régions. Les locataires y rencontrent des difficultés à trouver un logement, les bailleurs subissent une fiscalité spoliatrice, le foncier est cher et les investisseurs ont du mal à obtenir un prêt. Le résultat est le manque de logements vacants destinés à la résidence principale. Le volontarisme affiché par le Premier ministre pour faciliter la recherche d’un logement est apparemment encourageant.

Il propose les mesures suivantes :

  1. Revoir les DPE, faciliter la densification, lever les contraintes sur le zonage, accélérer les procédures. 
  2. Accélérer les procédures dans 20 territoires engagés pour le logement, avec comme objectif d’y créer 30 000 nouveaux logements d’ici trois ans.
  3. Procéder à des réquisitions pour des bâtiments vides, notamment des bâtiments de bureaux. 
  4. Soutenir le monde du logement social, avec 1,2 milliard d’euros pour leur rénovation énergétique, avec des plans de rachat massifs. 
  5. Répondre aux causes structurelles de la crise, avec un nouveau prêt de très long terme de deux milliards d’euros pour faire face au prix du foncier. 
  6. Donner la main aux maires pour la première attribution des nouveaux logements sociaux construits sur leur commune. C’était une mesure très attendue par les élus locaux.
  7. Ajouter une part des logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans le quota de 25 % de logements sociaux imposé par la loi SRU

 

Les déclarations gouvernementales ne coûtent rien, n’engagent à rien et sont des réponses immédiates à des revendications souvent justifiées, même si elles sont mal exprimées. Ce sont plus des projets que des engagements.

On peut se demander pourquoi ces mesures n’ont pas été prises plus tôt. La simplification des normes et l’accélération des procédures sont évidemment positives. L’objectif de créer 30 000 nouveaux logements dans 20 zones sélectionnées est bien vague : quelles zones ? quel financement ?

La réquisition de bâtiments vides existe déjà, et pose le problème de sa durée et de l’indemnisation éventuelle du propriétaire. Subventionner la rénovation énergétique du logement social est inévitable. Le point 5, qui prévoit un prêt à très long terme pour financer le foncier, est très vague : quelle durée ? quel taux ? quels bénéficiaires ?

Les points 6 et 7 sont plus discutables. Les maires choisiraient les premiers occupants des logements sociaux : c’est la porte ouverte au clientélisme électoral et au trafic d’influence, et les choix risqueraient d’être en contradiction avec la politique de mixité sociale. Le point 7 est très contesté par les associations comme la fondation Abbé Pierre, mais répond à un besoin réel de logement de la classe moyenne complètement négligé jusqu’à présent.

Toutes ces mesures, exceptée la première, montrent l’impossibilité du gouvernement d’imaginer des solutions pour réduire cette pénurie sans intervention de l’État dans le marché immobilier. Dans le discours du Premier ministre, l’État définit les besoins de logement géographiquement et socialement. On peut s’inquiéter de la neutralité politique de ces choix, comme de celle des choix des maires concernant l’attribution des logements sociaux aux premiers occupants. L’intervention de l’État va vraisemblablement augmenter le nombre de logements dans le secteur social et intermédiaire. Le taux de 25 % fixé par la loi SRU sera peut-être rehaussé à 35 % pour faire face à l’augmentation des demandes de la classe moyenne.

Le marché libre n’est guère concerné que par la première mesure, peut-être provisoire, simplifiant les normes et procédures administratives. La fiscalité spoliatrice de l’immobilier résidentiel est inchangée, et les maires disposent d’un pouvoir abusif dans la taxation et la répartition des logements. Ils ne se privent pas d’utiliser les moyens mis à leur disposition et certains en abusent : la taxe d’habitation sur les résidences secondaires a été immédiatement augmentée et parfois portée à son maximum légal, la taxe sur les logements vacants est plus élevée que la taxe d’habitation, et la taxe d’habitation sur les logements vacants est créée par certains maires dans des zones non tendues. Ces taxes présentent la particularité d’être décidées par chaque maire et payées par des gens qui ne votent pas dans la commune. C’est assez contradictoire et peut susciter des réactions comme l’inscription massive de propriétaires de résidences secondaires sur la liste électorale d’une commune, ce qui serait très inquiétant pour ses résidents permanents.

L’inquiétude des maires est bien sûr légitime quand les locations touristiques du type AirBnB et les résidences secondaires deviennent majoritaires sur leur commune. La fiscalité et la législation ont considérablement avantagé les locations de courte durée et créé la pénurie de logements en résidence principale. La solution actuelle, qui consiste à supprimer ces avantages fiscaux et à imposer des règlementations sur la durée de ces locations, leur nombre etc. ne rend pas plus attractive la location en résidence principale et pénalise autant les loueurs de locations touristiques que leurs locataires.

L’équilibre entre les intérêts des résidents, des commerçants, des salariés, des artisans, des touristes, des entreprises, des exploitants agricoles, des maraîchers, des bailleurs… est beaucoup trop difficile à établir pour que l’on puisse s’en approcher par cette nouvelle règlementation. Comme les précédentes, elle ne pourra que susciter de nouvelles insatisfactions et conflits. La seule démarche possible semble être l’égalisation fiscale et sociale des conditions de location entre résidences principales, résidences secondaires, logements de tourisme, etc.

Cette proposition respecte l’article 544 du Code civil qui définit le droit de propriété par « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

On devrait réfléchir sur le rôle des lois et règlements qui devraient garantir ce droit constitutionnel pour tous, au lieu de les utiliser pour le réduire au point parfois de supprimer toute jouissance possible, et sur celui de la fiscalité actuellement instrumentalisée pour orienter les choix des citoyens.

Le titre du journal Le Monde du 30 janvier 2024 est malhonnête : « Gabriel Attal a annoncé, mardi soir, l’intégration du logement intermédiaire dévolu aux classes moyennes hautes dans le contingent obligatoire de HLM assigné aux communes. ». Le terme hautes ne figure pas dans sa déclaration écrite.

https://www.contrepoints.org/2024/02/03/469878-petition-une-revolution-fiscale-pour-sauver-le-logement

Gabriel Attal pourra-t-il vraiment gouverner ?

Invité sur TF1 pour sa première grande interview, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a promis « de l’action, de l’action, de l’action et des résultats ». À la tête d’un gouvernement « resserré » (14 ministres) qui comporte deux super ministères (le portefeuille de Bruno Le Maire intègre désormais l’énergie, Amélie Oudéa-Castéra a hérité de l’Éducation nationale et de la Jeunesse en plus des Sports et de l’organisation des Jeux Olympiques, Catherine Vautrin est à la fois ministre du Travail et de la Santé) le nouveau chef du gouvernement est attendu sur tous les fronts : simplification du droit du travail, rétablissement de l’ordre, rééquilibrage des comptes publics, organisation des Jeux Olympiques, baisse des impôts pour les classes moyennes… Un sujet semble être passé par la trappe du remaniement : celui du logement. Alors que la France traverse la plus grande crise immobilière de son histoire récente, ce portefeuille a été abandonné.

Ni la popularité médiatique du nouveau Premier ministre ni le vacarme qui a accompagné la nomination surprise de Rachida Dati au ministère de la Culture n’ont pu dissimuler les premiers couacs du gouvernement Attal. Au 20 heures de TF1, Gabriel Attal s’est en effet engagé à réaliser la promesse du président Macron de baisser les impôts de deux milliards d’euros pour les classes moyennes. Il lui faudra l’imposer au locataire de Bercy, qui avait annoncé préparer cet allégement fiscal au plus tôt « dès le budget 2025 ». Une deuxième dissonance est à prévoir au sujet du projet de loi sur la fin de vie, qui devait être proposé au Parlement au printemps. La nouvelle ministre de la Santé (qui est aussi ministre du Travail) avait en effet déclaré en 2004 que l’euthanasie active « relevait de démarches inacceptables », lorsqu’elle était secrétaire d’État aux personnes âgées. Rappelons que la Convention citoyenne sur la fin de vie s’était prononcée en faveur du suicide assisté en avril dernier.

Sans majorité au Parlement, le volontarisme affiché par le nouveau Premier ministre a deux issues : jouer à gouverner en maquillant une absence de marge de manœuvres par des coups de communication, ou gouverner par ordonnances et par un usage excessif du 49.3, au risque d’accroître les tensions sociales et de creuser la polarisation de l’échiquier politique.

Au mois de mars, la première ébauche de l’Acte II des réformes du travail sera discutée au Parlement. En 2016, la loi Travail avait réuni un million de manifestants à Paris. En 2018, la taxe carbone a donné naissance aux Gilets jaunes. La Primature de Gabriel Attal débute dans un contexte où les factures d’électricité pèsent encore lourdement sur les revenus des ménages et des entreprises. Comment réagirons les Français au durcissement des règles d’allocation des indemnités chômage et aux contreparties exigées aux bénéficiaires du RSA ?

Rachida Dati suspendra-t-elle la taxe streaming ?

Il y a des sujets comme l’immigration pour lesquels le politique prend le peuple à témoin en le sondant, en se justifiant, d’autres sur lesquels on décide en catimini. 

Ainsi il en va de la taxe streaming ajoutée discrètement au projet de loi de finances 2024 par un amendement unanime des groupes politiques au Sénat. Une taxe de 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming qui promettent qu’elle ne sera pas répercutée. Prix ou service, le consommateur sera bien perdant quelque part, et Spotify annonçait fin décembre qu’il retirait en conséquence son soutien aux Francofolies de La Rochelle et au Printemps de Bourges.

Cette nouvelle taxe devrait rapporter 15 millions d’euros, mais pourquoi faire ?

Pour financer la création musicale, et surtout son incarnation administrative, le Centre National de la Musique (CNM), calqué sur le modèle du Centre National du Cinéma (CNC), lui-même exposé à de nombreuses critiques. Cette vision administrée de la création artistique est problématique à plusieurs égards. 

D’abord, parce qu’elle consiste en une redistribution à l’envers, des classes populaires vers la bourgeoisie. Ainsi, le CNC se finance par une taxe sur les entrées en salle, donc sur les consommateurs qui ont le mauvais goût d’aller voir des blockbusters américains, pour financer la diversité culturelle : c’est-à-dire les films qui ne rencontrent aucun succès (seuls 2 % des films aidés par le CNC sont rentables, d’après la Cour des comptes) mais plaisent à une petite élite de par leur moralité convenue, ou les films dont les producteurs et réalisateurs possèdent le capital social (c’est-à-dire les relations) nécessaire pour obtenir le soutien du CNC.

En effet, on ne compte plus les témoignages de producteurs indépendants, sans les connexions adéquates, qui n’ont jamais pu bénéficier d’un tel soutien, ni des conflits d’intérêts qui ne semblent que très peu émouvoir les médias : Jean-Michel Jarre a obtenu une subvention pour un spectacle au Château de Versailles par la Commission dont il est le président, quelques années après que le YouTubeur Cyprien a été soutenu par la Commission où il siégeait.

Pire, si on ajoute le soutien des collectivités locales, un Français paie plus cher en taxes et impôts, pour un film qu’il n’ira pas voir, que pour un billet de cinéma. Il est très étonnant que la gauche, tout particulièrement, accepte et encourage ce système, qui, bien loin de promouvoir l’ascension sociale, encourage la constitution de rentes au profit d’une élite culturelle qui mêle incestueusement les bénéficiaires et les donneurs d’ordre. À l’inverse, la désintermédiation permise par les plateformes de streaming a permis à de nombreux artistes d’émerger en s’autoproduisant, et en particulier des artistes de rap venus de quartiers populaires.

L’adoption de cette taxe est en outre l’occasion de revenir sur le manque d’honnêteté, voire le mensonge, qui tendent à briser la confiance entre le peuple et ses représentants. Si cet ajout au projet de loi de finances est l’œuvre des sénateurs, le gouvernement n’est pas tout à fait innocent. 

Alors que l’imposition du streaming n’a jamais fait l’objet d’un débat public, le gouvernement pressait les plateformes de trouver un accord avec le CNM, sans quoi elles seraient taxées. Outre le fait que cette vision des négociations avec un fusil sur la tempe est une bien mauvaise illustration du consentement, elle dénote une forme de lâcheté de la part du gouvernement qui n’assume pas publiquement sa volonté de taxer les plateformes, et donc in fine les consommateurs. 

Et comment ne peut pas le comprendre. Cette taxe vient percuter de plein fouet deux promesses gouvernementales : la diminution de l’impôt sur les ménages, qu’on ne peut en réalité atteindre sans repenser l’action publique, et la lutte contre les impôts de production dont la France est déjà la championne. Alors que l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 promettait un changement de méthodes politiques, nos dirigeants sont encore trop persuadés qu’on ne peut gouverner qu’en énonçant ce que la population doit entendre. 

Or, pour mettre fin au dégagisme et à la défiance qui touchent notre démocratie, le politique (a fortiori s’il pense appartenir au camp de la raison) gagnerait à s’adresser au peuple comme à un adulte, avec honnêteté. Fait paradoxal, Javier Milei, qui a été à maintes reprises accusé de populisme par l’ensemble du monde politico-médiatique français, tient, depuis son élection à la tête de l’Argentine, un discours de vérité qui n’infantilise pas les citoyens. Lors de son discours d’investiture, il n’a promis aucun miracle. Au contraire, il a même assumé que, face à la situation catastrophique dans laquelle se trouve l’Argentine, le chemin du redressement économique passerait par une austérité radicale et inévitablement douloureuse à court terme. 

Sur la taxe streaming, le débat public aurait gagné à ce que le gouvernement fasse preuve d’une telle transparence, soit auprès des acteurs en faveur de ladite taxe, en leur expliquant qu’elle allait contre leur politique fiscale, soit auprès des Français en leur expliquant pourquoi ils devraient assurer le financement d’une nouvelle agence d’État, et en quoi il permettrait de faire rayonner la création française, si tant est que cet objectif de politique publique dusse-t-il être assumé par l’État.

Si Rachida Dati veut se démarquer au ministère de la Culture, elle a une opportunité pour corriger un échec du bilan de sa prédécesseure.

Streaming : une taxe au profit d’une clique

Le gouvernement annonce la mise en place de la taxe sur les plateformes de streaming, en préparation depuis des mois. La loi montre le rapport de connivence entre les dirigeants et des bénéficiaires de redistributions à l’intérieur du pays.

La taxe sur les plateformes de musique finance ensuite des projets d’artistes, spectacles, et autres types d’acteurs. Les plateformes, en particulier le directeur de Spotify, donnent des arguments contre la loi…

Explique un communiqué de Spotify, cité par Les Échos :

« C’est un véritable coup dur porté à l’innovation, et aux perspectives de croissance de la musique enregistrée en France. Nous évaluons les suites à donner à la mise en place de cette mesure inéquitable, injuste et disproportionnée ».

En dépit des critiques de la part des plateformes, la taxe arrive dès l’année prochaine. Les partisans font de la communication dans les médias.

Une tribune de Télérama, de la part d’un défenseur de la loi, explique « Pourquoi la taxe streaming est une bonne nouvelle ».

L’auteur écrit :

« Le système de redistribution peut être questionné, c’est toujours sain. Mais il aurait été injuste et risqué que certains financent le CNM selon leur bon vouloir tandis que d’autres en ont l’obligation. Ne serait-ce que pour cette raison, la taxe streaming est une bonne nouvelle. »

Un autre, le président de l’association des producteurs indépendants – en somme, les bénéficiaires de la taxe – fait l’éloge de la loi dans une interview pour FranceTVInfo

Il explique :

« Il s’agit d’une taxe d’un niveau très faible mais qui concerne l’ensemble des acteurs du numérique qui diffusent de la musique en ligne. Ça va des plateformes qu’on appelle pure players (dont c’est vraiment le cœur de métier) jusqu’aux plateformes dont c’est plutôt une activité parmi d’autres. Je pense aux Gafa notamment, mais également à tout ce qui est réseaux sociaux, etc. De la même manière que ces acteurs sont déjà taxés pour financer la création audiovisuelle dans sa diversité au CNC, on va les taxer aussi pour alimenter les programmes de soutien à la musique. »

Comme avec la plupart des taxes, les bénéficiaires justifient la mesure par une allusion au bien du pays. Il requiert, selon eux, plus de genres de musique, d’artistes, et de financements pour des musiciens en marge. Sinon, seule une poignée de styles de musique ou de créateurs toucheront des revenus, disent-ils.

Il répond aux plaintes de surtaxation des plateformes :

« Il est clair que du côté des pure players, comme Spotify ou Deezer, il y a une vraie vertu dans le système de rémunération de la création. Là, il s’agit de réaffecter un petit peu cet argent à des genres musicaux qui reçoivent aujourd’hui une rémunération très faible en streaming, car qui dit rémunération très faible dit faible capacité à se financer derrière, avec un vrai risque à terme que ça nuise à la diversité de la création locale. Quelque part, ce qu’on essaye de viser, c’est la vitalité renouvelée de la filière française, du tissu de production français. Sinon, à défaut, tout le monde ira vers des genres musicaux qui sont peu nombreux mais extrêmement rémunérateurs dans le streaming. »

La redistribution revient à une taxe sur le consommateur de biens et de services, pour une utilisation aux fins des dirigeants.

 

Contrôle des financements

De toute façon, les chiffres des plateformes mettent à mal l’argument des partisans de la taxe. Un grand nombre d’artistes touchent des revenus… pas une poignée de stars de la musique pop.

Selon les chiffres partagés par Spotify, cités par Le Point, « 57 000 artistes ont généré plus de 10 000 dollars [contre 23 400 artistes en 2017]. Et 1060 artistes ont généré au moins un million de dollars [contre 460 en 2017]. »

Le site YouTube dit avoir payé 6 milliards de dollars aux chaînes de musique en 2022, en hausse par rapport à 4 milliards en 2021, et 3 milliards de dollars en 2019. Les distributions proviennent de publicités lors des vues, ou d’une part au revenu des abonnements payants à la plateforme.

Dans un marché, la création de musique et le soutien des artistes rémunèrent la réussite auprès du public. Les dirigeants veulent une emprise sur le financement de la musique. Ils prennent ainsi aux consommateurs via la taxation des plateformes. Puis ils distribuent l’argent selon les vœux d’une poignée de personnes aux commandes.

Les bénéficiaires des distributions justifient le transfert au prétexte d’un besoin chez les artistes. La taxe sur les plateformes revient à une prise de contrôle, comme d’autres interventions dans les vies des individus.

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Libéralisme et sexualité : qu’en disaient les libéraux du XIXe siècle ?

Le libéralisme classique français a été porté par des auteurs presque exclusivement masculins, et qui pour certains des plus fameux (Turgot, Bastiat, Tocqueville) n’ont pas laissé de postérité : ce qui devrait engager à ne pas rechercher leur opinion sur la sexualité. C’est pourtant ce que je ferais, et la démarche n’est peut-être pas vaine.

 

Les premières conceptions religieuses

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la sexualité, incomprise, est déifiée : des autels sont dressés devant des pierres d’apparence phallique, où l’on s’agenouille avec dévotion, et où les filles viennent se frotter lascivement le ventre. Étant source des plus grands plaisirs, elle devient aussi l’objet de pratiques sacrificielles, soit par l’abstinence et la privation, soit par des mutilations dont la circoncision juive et l’excision africaine sont vraisemblablement des formes (Benjamin Constant, De la religion, t. I, 1824, p. 257).

Supposément pleine d’impureté, l’union des sexes est exclue des conceptions vraiment sublimes. Les Égyptiens tiennent que le dieu Apis est le fruit d’une jeune vache encore vierge, fécondée par le Soleil. En Inde, Krishna naît sans accouplement, mais par l’intervention d’un cheveu abandonné par Vishnu. Chez les chrétiens, Jésus, fils de la vierge Marie, est conçu du Saint-Esprit. C’est qu’en s’incarnant la divinité ne saurait se rabaisser à naître d’un acte tenu pour honteux (Idem, t. IV, 1831, p. 283-285).

Le commerce charnel est une souillure, et la faute en est placée principalement sur la femme. C’est toujours elle, dans les religions, qui pousse l’humanité à sa perte, et qui comme Ève corrompt l’homme. Sur elle pèse une double réprobation morale (Idem, t. III, 1827, p. 147).

 

La liberté de la sexualité récréative

À rebours, le libéralisme doit se conduire, non par les préceptes religieux, mais par les faits. Il n’a pas besoin de recommander le passage devant un prêtre pour que l’accouplement ne soit pas obscène et immoral, ou d’éloigner la nouvelle épouse de son milieu pour rejeter dans un lointain commode la faute qu’on vilipende (Yves Guyot, Études sur les doctrines sociales du christianisme, 1873, p. 119).

Le désir sexuel répond à un besoin immédiat de l’espèce : la nature a besoin que les êtres soient doués d’une force d’expansion surabondante, et que leurs penchants à la reproduction soient très développés. C’est ensuite à eux à en régler l’accomplissement, d’après leurs désirs et leurs forces.

Pour limiter la mise au monde d’une tourbe de misérables, Malthus (un prêtre anglican) recommandait dignement la contrainte morale, c’est-à-dire l’abstinence, et le mariage tardif. Au sein du libéralisme français, Joseph Garnier et Charles Dunoyer (plutôt libres-penseurs) réclament autre chose encore : la substitution de la morale de la responsabilité et du plaisir innocent au dogme du renoncement chrétien. La sexualité récréative, disent-ils, n’est ni immorale ni coupable : elle entre dans la catégorie des actes vains, si l’on veut, mais non des actes nuisibles, les seuls dont la morale et les lois doivent s’occuper (Charles Dunoyer, Mémoire à consulter, etc., 1835, p. 177 ; Joseph Garnier, Du principe de population, 1857, p. 93).

Pratiquer, en termes savants, l’onanisme ou coitus interruptus, et l’acte solitaire, n’est pas répréhensible. Mais pour tous ces auteurs, l’avortement reste un crime, car il interrompt la vie d’un être en développement. Partout, il faut équilibrer la liberté par le consentement et la responsabilité.

 

La question du consentement

La sexualité libre ne peut être fondée, en toute justice, que sur le consentement des parties. Elle ne peut pas non plus s’émanciper des contrats et des promesses verbales, et par conséquent l’adultère est répréhensible.

Le mariage se fonde sur un contrat, qui doit être respecté. C’est un consentement global à une union de vie, et il emporte avec lui une certaine acceptation tacite de rapports, qu’il est difficile de définir. Mais les actes individuels qui sont refusés, ne peuvent être accomplis.

La difficulté pratique de fixer les bornes du consentement sexuel est très réelle. L’union des sexes se fait par acceptation non verbale, comme aussi par étapes, et sans contrats. Une difficulté plus grande s’élève même quand il s’agit de sanctionner les infractions commises. Car les actes qui se passent dans l’intérieur du foyer échappent presque toujours à l’atteinte des magistrats, sauf s’ils conduisent à des marques de violences graves, par lesquelles on peut distinctement les reconnaître (Charles Comte, Traité de législation, t. I, 1826, p. 478).

La question de l’âge est aussi très embarrassante. À l’évidence, la limite numérique des dix-huit ans, par exemple, n’est pas plus rationnelle qu’une autre. Mais tant qu’une limite numérique subsiste, et tant qu’elle n’a pas été remplacée par une autre fondée sur les faits et les individus, cette limite doit être respectée.

 

Les contrepoids de la responsabilité

La liberté sexuelle a besoin d’être contenue par la responsabilité individuelle ; mais les moyens pour cela doivent être bien entendus. Jusqu’à une époque récente, des lois ont existé pour interdire le mariage à l’indigent, sous le prétexte qu’il fallait endiguer le paupérisme (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 177-180.). C’est le principe de précaution appliquée à la procréation.

La responsabilité bien entendue suit les actes, et ne les précède pas. Quand un chétif commerçant se donne douze enfants pour lui succéder, c’est à lui, et pas à d’autres, à fournir les moyens de les élever : les contribuables n’ont rien commandé, rien acquiescé de tel. Une responsabilité légale pèse sur lui, par suite de ses actes. Il peut la partager par l’assurance et l’assurance et la mutualité, mais non l’éteindre (Edmond About, L’Assurance, 1866, p. 112).

Celui qui cherche à échapper à cette responsabilité doit y être ramené par la loi. C’est la question de la recherche de la paternité, qu’ont soulevée avec beaucoup d’ardeur les libéraux classiques français (voir notamment Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877.). Car on ne peut pas faire impunément banqueroute de ses obligations.

 

Les industries de la prostitution et de la pornographie

Chaque individu est propriétaire de lui-même, et si les mots ont un sens, ils signifient le droit d’user et d’abuser de notre propre corps, de nos facultés (Jules Simon, La liberté, 1859, t. I, p. 308). La prostitution, la pornographie, ne sont pas répréhensibles tant qu’elles s’exercent dans le respect des contrats, avec le consentement total des parties.

Fût-elle libre, on pourrait encore réprouver moralement l’industrie de la prostitution, mobiliser l’opinion contre elle, et même demander qu’elle soit classée dans la catégorie des industries dangereuses et insalubres, et soumise à des règles spéciales de localisation, de publicité, etc (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 239). Les mêmes impératifs de discrétion dans l’espace public peuvent être étendus à la pornographie (Frédéric Passy, réunion de la Société d’économie politique du 5 septembre 1891).

 

L’homosexualité

L’homosexualité, quoique dans la nature, n’est pas dans l’intérêt de l’espèce. On peut à la rigueur la réprouver moralement, sur cette base (G. de Molinari, La morale économique, 1888, p. 413). Mais sa pratique étant inoffensive pour les tiers, elle doit être tolérée par les lois. Et si ce n’est pas l’enseignement des anciens auteurs, c’est la suite logique de leurs principes.

Car encore une fois, pour traiter de ces questions, il ne faut pas autre chose que des principes.

Déclaration de biens immobiliers et embrouilles fiscales : amateurisme ou filouterie ?

Année après année, mesure après mesure, étape par étape, technologie après technologie, le fisc augmente son pouvoir, sa surface de jeu, et son « efficacité » de collecte pour l’État, toujours en manque d’argent.

 

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

Souvenons-nous du prélèvement automatique des impôts sur le revenu, une mission dont l’ambitieux Gérald Darmannin s’est brillamment acquitté, confortant ainsi l’État dans son assurance d’être payé, dans le coût de sa collecte (maintenant déléguée aux employeurs qu’il ne rémunère pas pour cela), dans la gestion de son cash-flow (maintenant plus rapide de plusieurs mois par rapport à avant). Qui plus est, il a eu le mérite, pour les tenants du pouvoir, de faire passer cela pour un bénéfice pour le contribuable : c’est un souci de moins. Enfin, pour les prêteurs à l’État, qui lui font notamment confiance grâce à la capacité supposée de ponctionner l’argent du peuple, par un coup de force si besoin le jour venu (attention, assurance vie sans doute dans le viseur), il a magistralement montré qu’en effet, l’État savait plumer un peu plus l’oie contribuable sans qu’elle crie.

Et pourtant, malgré l’argument selon lequel cela se fait déjà ailleurs, on peut avoir une opinion radicalement différente de celle des pouvoirs en place et de ceux qui lui prêtent de l’argent à gaspiller ; on peut voir dans cette affaire une privation supplémentaire de liberté, et une mise en danger du citoyen, contraire à l’esprit de la démocratie (le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple).

En effet, avec un prélèvement automatique, on enlève au citoyen l’occasion de calculer avec attention ce qu’il doit, on dote le pouvoir d’un accès permanent et incontrôlable au cash flow individuel (ouvrant ainsi une brèche universelle, une pompe permanente et continue d’accès aux salaires, pour y prélever une somme arbitraire par loi ou décret si besoin un jour), on anesthésie le citoyen dans son énergie de vigilance et contestation.

Par expérience des pratiques de facturation et prélèvement des diverses administrations, je suis plutôt de l’avis des méfiants. Vous verrez plus en détail pourquoi dans ma dernière mésaventure.

 

Un espion dans mon jardin

Autre exemple de prouesse du fisc : l’emploi de l’intelligence artificielle pour trouver des biens à taxer qui lui auraient échappé.

Un cas a fait couler pas mal d’encre ces derniers mois : la détection de piscines par traitement d’images, à partir des photos satellite. Une piscine de plus de 10 m2 est en effet taxable, au titre de la taxe foncière (celle qui subsiste et explose). Et le montant de la taxe se calcule comme la valeur nominale (250 euros/m2 en 2023), multipliée par la surface, multipliée par un taux communal – 4 % en moyenne entre 1 % et 5 %), et un taux départemental -1,5 % en moyenne (quand la soupe est bonne, tout le monde y vient ; la région devrait sans doute suivre un jour – il n’y a pas de raison). Soit, pour 20 m2, 275 euros par an.

Or, avec le traitement par intelligence artificielle, les services fiscaux reportaient mi 2022 la détection de 20 000 piscines non déclarées dans neuf départements, pour un montant de plus de 10 millions d’euros de taxes, et annonçaient que le dispositif allait être généralisé.

Il l’a été en effet, avec des effets retard remarqués pour la Corse et l’Outre-mer, territoires dont on a pu se demander s’ils bénéficiaient d’une faveur pour une raison inavouable, ou juste, comme l’a prétendu le gouvernement, d’un délai à obtenir les photos nécessaires… Par contre, pas un mot sur les éventuels constats de piscines déclarées dans le passé et ayant disparu, converties par leurs propriétaires à d’autres usages. Un phénomène rare peut-être, mais pas inexistant, puisque je connais un citoyen qui a couvert en dur sa piscine pour en faire une terrasse. Il n’a jamais été informé par le fisc qu’il ne devait plus rien, et qu’il serait même remboursé pour les années passées (trois ans rétroactifs, me semble-t-il).

Le fisc aurait-il cette vertu spontanée, ou attendrait-il que le contribuable s’en aperçoive enfin de lui-même ? Quand on est ministre des Finances ou dirigeant des services fiscaux, la réponse à cette question révèle une considération particulière du rapport entre le pouvoir et le peuple, et de qui doit être au service honnête de l’autre. On attend de savoir, peut-être un jour.

En attendant, un incident récent laisse à soupçonner que peut-être, hélas…

 

La chasse aux biens immobiliers

Tous les contribuables ont en effet vu récemment que leur patrimoine immobilier faisait soudain l’objet d’une attention redoublée et très détaillée.

À l’origine de ce nouveau coup de zoom, sans doute le désarroi d’un État affolé par la montée du coût de la dette et son incapacité à maîtriser les vraies dépenses (pas cellles, ironiquement classées ainsi par les calculateurs de Bercy, des remises d’impôts/ niches fiscales, mais les vrais coûts des actions des gouvernants, toutes ces politiques jamais ou mal évaluées, où se sont engouffrés des milliards sans résultat) et l’effet de l’intenable promesse démagogique d’Emmanuel Macron de la suppression de la taxe d’habitation, promesse dont l’effet boomerang continue d’engendrer des pompages dérivatifs dans d’autres poches du budget, des usines à gaz de calculs compensatoires, et une explosion de la taxe foncière, dernière ressource autonome significative des communes.

De fait, comme pour les piscines, un des premiers usages de ce recensement de la population immobilière est la chasse aux biens qui pourraient « bénéficier » d’une taxe d’habitation perdue lors de la prise de pouvoir par En Marche.

Et, à ce titre, un citoyen que je connais a eu la surprise de recevoir cette année, pour la première fois depuis des années, un avis de taxe d’habitation de près de 1000 euros pour un bâtiment situé à la même adresse que sa résidence principale, une ancienne maison de gardien reconvertie en gîte rural, pour lequel il est loueur professionnel, et paye à ce titre des impôts sur les sociétés comme la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises). Or :

  • On ne saurait être à la fois imposé comme une entreprise (CFE) et comme un particulier (taxe d’habitation) pour le même bien.
  • Le fisc est toujours le premier bénéficiaire de toutes les avancées techniques possibles pour améliorer le service public. En particulier, il paraît certain que toutes ses bases de données sont connectées entre elles, et qu’un bien donné avec une adresse connue doit pouvoir sans problème être détecté comme déjà soumis à la CFE.

 

Aussi cette taxe d’habitation d’un bien, connu comme soumis à la CFE, pose clairement question.

Ce citoyen taxé, plus éveillé et moins docile sans doute que beaucoup d’entre nous, a soulevé la question auprès des services fiscaux qui ont reconnu une erreur, et l’ont invité à faire une demande d’annulation. On se demande bien comment, avec tous les moyens dont il dispose, le fisc a pu commettre cette erreur. Oubli involontaire de contrôle dans les bases de données disponibles (une erreur de débutant en science des données) ou oubli volontaire/conscient pour aller à la pêche ?

 

Les erreurs des citoyens/entrepreneurs dans leurs déclarations au fisc, URSSAF ou autres sont en général surtaxées de 10 %, sauf (depuis peu) en cas d’erreur de bonne foi (dont l’appréciation revient au collecteur).

Alors on pourrait aussi attendre que l’agent du fisc qui reconnaît l’erreur fasse lui-même les démarches de demande d’annulation/rectification, et que le fisc soit pénalisé d’une amende de 10 % du montant demandé, sauf si le citoyen considère qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi (ce qui en l’occurrence paraît soit incertain, soit inacceptable compte tenu des accès aux données dont le fisc dispose).

 

Alors, nos services fiscaux, amateurs ou filous ? Monsieur le ministre, exprimez-vous et convainquez-nous. En attendant, citoyens, contribuables, à vous de juger.

Les maires français demandent plus de décentralisation

Être maire en France est de plus en plus difficile. Depuis juin 2020, on estime le nombre de démissions à environ 1300, soit plus encore que pendant la mandature précédente qui avait déjà atteint un record.

La récente sortie de la dernière vague de l’enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité de l’Association des maires de France, et du CEVIPOF sur les maires de France offre quelques informations utiles pour comprendre ce qu’il se passe.

Pourtant, les éléments qui ressortent semblent à première vue contradictoires.

 

Les maires veulent plus de décentralisation ?

D’un côté, trois maires sur quatre pensent qu’il faut « aller plus loin dans la décentralisation » et, parmi eux, 59 % pensent même qu’il faut « aller beaucoup plus loin vers plus de libertés (ou compétences) locales ». Ils sont 84 % à penser que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité.

Aussi, placés face au dilemme entre différencier les décisions politiques locales au nom l’efficacité, et les uniformiser au nom de l’égalité, 86 % des maires choisissent la première option. Clairement, la décentralisation plaît aux maires, et ils sont prêts à assumer davantage de responsabilités.

D’ailleurs, ils voient les contraintes posées par l’État central comme un obstacle majeur.

Les relations de plus en plus complexes avec les services de l’État sont mentionnées en deuxième position (par 12,3 % d’entre eux) pour expliquer la démission massive qui a touché les maires ces dernières années. Cette complexité de la relation peut en partie s’apprécier par le fait que 64 % d’entre eux pensent qu’il y a trop de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales.

 

Un divorce entre les maires et leurs administrés ?

De l’autre côté, beaucoup de problèmes des maires viennent des administrés.

D’après 71,7 % d’entre eux, le niveau d’exigence des citoyens est trop élevé. Depuis 2020, ce score n’a pas cessé d’augmenter. Ce qui est d’ailleurs la principale raison (selon 13,6 % d’entre eux) pour laquelle ils tendent à massivement démissionner.

Mis côte à côte, ces deux constats affichent une information paradoxale : d’un côté, les maires désirent avoir davantage d’autonomie et de liberté dans leur fonction ; et de l’autre côté, ils désirent être moins tenus pour responsables par leurs administrés, qu’ils considèrent trop exigeants.

Un esprit malintentionné pourrait les soupçonner de vouloir la liberté sans responsabilité, et en faire, en fin de compte, des irresponsables. En réalité, pour ceux qui connaissent la réalité dans laquelle évoluent les maires, ces réponses sont tout à fait logiques, et il n’y a pas lieu d’être soupçonneux.

 

Des maires submergés par l’administratif…

Les réformes territoriales qui ont commencé sous le quinquennat de François Hollande et qui se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui ont modifié par le haut l’organisation et les compétences territoriales. Les communes ont perdu toute marge de manœuvre financière, avec les suppressions successives des taxes qui bénéficiaient aux communes, comme la taxe professionnelle ou la taxe d’habitation. Cette dépendance accrue des revenus de l’État a été associée à la perte d’un grand nombre de compétences qui ont été transférées aux intercommunalités ou à d’autres échelons territoriaux.

Dans l’ensemble, le travail d’un maire n’a pas diminué, mais sa partie purement administrative a augmenté au détriment de sa dimension politique. Avant toute action, un maire doit étudier les milliers de lois, décrets et circulaires qui encadrent l’action des communes, il doit demander l’autorisation de l’État, et parfois des régions et de l’intercommunalité, il doit siéger non seulement au conseil municipal, mais aussi au conseil communautaire.

Pour autant, ces réformes territoriales n’ont pas été suivies par des réformes électorales. Les citoyens votent toujours directement aux élections municipales, et non aux élections intercommunautaires, car ce sont les élus municipaux qui siègent aux conseils communautaires. Or, les citoyens demandent des comptes à ceux qui ont été élus par eux, non aux autres. C’est le principe même de l’élection : rendre les élus responsables devant les électeurs.

 

L’insoutenabilité de la dépendance des maires à l’égard de l’État

Que se passe-t-il quand les élus ne peuvent plus rendre des comptes aux citoyens, simplement parce qu’ils sont privés des compétences pour pouvoir choisir leur politique ?

Tout d’abord, ils souhaitent retrouver les responsabilités suffisantes pour pouvoir rendre des comptes à leurs électeurs. Ou alors, ils souhaitent que l’attribution des responsabilités soit plus claire aux yeux des citoyens, afin qu’ils puissent adresser leurs demandes aux personnes réellement responsables.

Aujourd’hui, il est impossible de prédire l’organisation territoriale française à partir des élections. Du fait de leur invisibilité électorale, certains corps prennent des décisions importantes sans faire face à la sanction électorale – parmi lesquels les conseils communautaires, et plus traditionnellement les préfets. À l’inverse, les maires sont tenus responsables de ce que l’État ne leur permet pas de faire. Il est évident que cette situation est intenable.

 

Vers une décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante ?

Concentrons-nous, alors, sur la demande la plus massive qui ressort de cette enquête.

Pas moins de 84 % des maires souhaitent que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité, en assumant la différenciation entre communes qui s’ensuivrait. Cette demande appelle au principe de la subsidiarité ascendante, qui consiste à initier les transferts de compétences par le bas, plutôt que par l’État central. Ces choix – qui est compétent et pour quoi – sont cruciaux, et les laisser aux maires – qui sont surveillés de près par leurs conseils municipaux, et sanctionnés par leurs électeurs – serait une garantie de bon sens et de transparence dans leur gestion.

Une évolution vers ce type de décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante n’est pas seulement une demande des maires, mais aussi des citoyens.

D’après un sondage du CSA mené il y a trois ans, au début de la pandémie du covid, les mêmes questions posées aux maires l’ont été à un échantillon représentatif de Français. Si 74 % des maires veulent davantage de décentralisation, parmi les citoyens cette opinion identique est partagée par 75 % d’entre eux. Pour une fois qu’aucune fracture est observée dans les opinions des élus et les citoyens, il faut s’en féliciter, et se mettre au travail pour décentraliser la France de façon plus consensuelle.

Quand la bureaucratie fait vivre un calvaire administratif aux agriculteurs bourguignons

Six cents, soit presque deux par jour : c’est le nombre d’agriculteurs qui se suicident chaque année en France. Ce nombre en augmentation illustre tristement une condition agricole faite d’isolement, un isolement qui n’a d’égal que la dépendance des exploitants aux subventions publiques en tous genres. À titre d’exemple, en 2019, ces aides représentaient en moyenne 74 % des revenus des agriculteurs, et jusqu’à 250 % pour les producteurs de viande bovine.

Isolés socialement mais fonctionnaires de fait, les agriculteurs ont tout récemment été une nouvelle fois frappés de plein fouet par des retards et des dysfonctionnements dans l’instruction des dossiers de subventions, mettant en péril un nombre important d’exploitations déjà soutenues à bout de bras par la machine publique.

 

Le FEADER, deuxième pilier de la PAC

Mis en place en 2007, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) est le principal instrument de financement de la politique agricole commune (PAC) créée par le traité de Rome un demi-siècle plus tôt.

La PAC se fonde sur deux piliers : la structuration du marché agricole et, depuis 2007 donc, le développement rural.

Inscrit dans la logique de programmation propre aux politiques européennes, l’objectif du FEADER est explicitement de garantir l’avenir des zones rurales en s’appuyant sur les services publics et l’économie locale.

Sans surprise, le FEADER est impliqué dans la vaste politique de planification écologique européenne qu’est Europe 2020, avec en ligne de mire une agriculture « soutenable » et « durable ».

Initialement destiné à disparaître à la fin de ce plan, le FEADER a suivi la myriade de mesures publiques qui perdurent, avec notamment la relance européenne NextGenerationEU adoptée par le Conseil européen en 2020.

 

Une responsabilité transférée

Sauf qu’au 1er janvier 2023, la responsabilité de ce fonds a été confiée aux États. En France, ce dernier l’a transféré aux conseils régionaux volontaires qui ont rapidement accusé d’importants retards de paiement mettant gravement en péril de nombreuses exploitations agricoles.

La région Bourgogne-Franche-Comté n’y fait malheureusement pas exception, au point que la situation s’est particulièrement envenimée le 6 novembre dernier.

Ce jour-là, trois élus de la majorité socialiste au conseil régional ont été pris à partie par des exploitants de Saône-et-Loire :

« C’est une honte, un scandale, une catastrophe, vous êtes des nuls, des incompétents, votre administration est lamentablement défaillante, à la ramasse ».

Ces propos ont contraint le sénateur et président du groupe socialiste à l’assemblée régionale Jérôme Durain, présent ce jour-là, à reconnaître la responsabilité des élus dans une situation qui met les agriculteurs « dans la merde ».

Concrètement, les agriculteurs, soutenus dans leurs revendications par la Confédération paysanne, reprochaient à la collectivité la piètre qualité du traitement des dossiers de demande de dotation d’aide à l’investissement aux installations de jeunes agriculteurs.

 

Un temps de traitement rallongé

Au cœur de ces doléances, donc, le transfert aux régions du traitement de ces demandes. Ces transferts se sont pourtant accompagnés de compensations financières de la part de Paris sous la forme de 35 agents à temps plein issus de la Direction départementale des territoires (DDT). Mais la plupart ont toutefois refusé leur mutation à Besançon et Dijon, lieux concentrant le dispositif.

Pour y faire face, des recrutements ont été lancés, mais la moitié des effectifs n’a toujours pas été pourvue, s’ajoutant au changement d’outil informatique.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : moins de 10 % des 3500 dossiers en retard de paiement ont pour l’heure pu être instruits.

De quoi nourrir un profond ressentiment dans le milieu agricole, au point que de nombreux agents sont victimes de harcèlement voire de menaces ayant entraîné des mains courantes.

 

Un fonds en hausse

Pourtant, le dispositif semblait lancé sur de bonnes bases, le FEADER ayant été augmenté de 28 % pour la programmation 2023-2027 selon Christian Decerle, président de la chambre régionale d’agriculture.

La situation a contraint le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, à réagir afin d’appeler les élus à résoudre rapidement les problèmes administratifs pour éviter des conséquences graves pour les agriculteurs.

 

Agriculture et bureaucratie

FEADER, PAC, DDT… autant d’acronymes à la fois très bureaucratiques et très français qui frappent de plein fouet l’activité qui devrait pourtant être la plus épargnée de ces questions : l’agriculture. Activité naturaliste par excellence, là où la bureaucratie est celle de la complexité humaine, l’agriculture symbolise à la fois la maîtrise de la nature et l’aboutissement de notre besoin le plus primaire en tant qu’espèce inscrite dans le vivant : la nourriture.

Pourtant, ce milieu est depuis longtemps l’objet de politiques planificatrices ayant pour objectif de protéger le marché intérieur au détriment d’un partenariat sain entre les nations à travers de véritables politiques de libre-échange.

 

De l’urgence de débureaucratiser

Dans les faits, la PAC, comme d’autres politiques planificatrices, transforme les agriculteurs en fonctionnaires chargés de mener leur exploitation comme des gestionnaires administratifs, tandis que le principal acteur touché par la réglementation n’est autre que le consommateur final qui en paie le coût.

Or, cette réglementation est la contrepartie des subventions accordées. Celles-ci peinent donc à arriver dans le portefeuille des exploitants en raison de cette même norme. Autant dire que pour les agriculteurs français, c’est le serpent qui se mord la queue, toujours avec pour principale cause la bureaucratie.

Pierre Valentin : « Vivre dans des milieux « inclusifs », c’est frôler quotidiennement l’exclusion. »

Pierre Valentin est diplômé de philosophie et de science politique, ainsi que l’auteur de la première note en France sur l’idéologie woke en 2021 pour la Fondapol. Il publie en ce moment Comprendre la Révolution Woke chez Gallimard dans la collection Le Débat.

Contrepoints : Bonjour Pierre Valentin. Avant d’entrer dans le vif du sujet : le wokisme, ça existe ou pas ? Pourquoi utiliser le terme wokisme plutôt qu’un autre, comme gauche identitaire ou encore gauche postmoderne ?

Pierre Valentin : J’utilise le terme car, initialement, c’est une auto-revendication, et non un terme « créé par et pour l’extrême droite » comme on peut l’entendre. Aussi, je ne crois pas à l’idée que ça puisse être un pur épouvantail dans la mesure ou la signification du terme (« éveillé ») est intrinsèquement positive.

Je cite par exemple Alex Mahoudeau qui parle lui-même de « panique morale », et qui pourtant dans une note de bas de page concède qu’il y a très peu de mouvements qui se revendiquent être les « endormis », les « inconscients »…

Enfin, il y a une filiation intéressante avec le protestantisme aux États-Unis, qui a connu dans son histoire plusieurs grands « revival », trois ou quatre selon les historiens que l’on interroge, et qui à chaque fois se vivaient comme des « grands réveils ». Là, on a un mouvement qui se veut à la fois athée et original, et qui a repris sans le savoir ce terme « d’éveil », qui est très chargé symboliquement.

Donc pour toutes ces raisons j’y tiens !

Ensuite, pourquoi est-ce que je ne parle pas simplement de « militants d’extrême gauche » ? Car il y a encore, par exemple, des marxistes « pur jus », à l’ancienne, qu’il faut classer à l’extrême gauche, et qui pourtant vont critiquer le wokisme, estimant que les questions économiques sont trop reléguées au second plan. Sinon on pourrait parler de « gauche intersectionnelle », mais ça parle très peu au public français. Bref, j’ai essayé et, sincèrement, je n’ai pas trouvé de meilleur terme.

Souvent dans l’espace public, les gens qui critiquent l’usage du terme sont rarement dans une critique purement sémantique. C’est davantage qu’ils sont dérangés par le sujet en tant que tel, car ils ne veulent pas apparaître marqués. Certains centristes par exemple, aiment dire que les vrais sujets sont ailleurs (IA, par exemple), et ne veulent pas traiter de sujets « controversé » et « polémique », et donc disent « le wokisme, après tout, ça ne veut rien dire »…

Sur la définition du wokisme, je donne la mienne dans l’ouvrage. Pour le dire simplement, je dis que c’est une idéologie qui perçoit les sociétés occidentales comme étant fondamentalement régies par des structures de pouvoirs, des systèmes d’oppressions, des hiérarchies de dominations qui ont pour but d’inférioriser l’Autre, c’est-à-dire la figure de la minorité sous toutes ses formes, par des moyens souvent invisibles, et le woke est celui qui est « éveillé » à cette réalité néfaste et qui se donne la mission d’aller « conscientiser » les autres.

 

Contrepoints : On comprend en vous lisant qu’il y a une importance considérable apportée à la question de la sémantique, du langage, du discours, du symbole. Vous expliquez dans l’ouvrage qu’il y a une volonté claire de ne pas se laisser nommer, que le wokisme cherche constamment à minimiser l’apparence de son influence pour la maximiser dans les faits. Pourquoi ?

Pierre Valentin : Oui, il y a un rapport très paradoxal au pouvoir. Samuel Fitoussi explique ça très bien : si on est sur un plateau et qu’on a un militant qui se présente en « antiraciste », toute contradiction vous placera dans la position de celui qui défend le racisme. Donc ils forcent une certaine forme de binarité, de manichéisme, faisant disparaître toute notion de neutralité à laquelle ils ne croient pas.

Toutefois, il y a des gens qui, à nouveau, s’en revendiquent. On peut citer Rokhaya Diallo qui a défendu le terme récemment, ainsi que Jean-Michel Apathie. Un sondage montre qu’au Royaume-Uni, 12 % des Britanniques en 2021 revendiquaient le terme.

Je trouve que le débat public est moins faussé en utilisant ce terme que si on entre dans « l’antiracisme face aux autres ».

Par ailleurs, c’est la première fois que la gauche a perdu le contrôle d’un terme qu’elle a elle-même créé. On essaye donc de tuer l’animal de compagnie qui se serait évadé de l’enclos. Une fois qu’on ne le maîtrise plus, il faut qu’il meure et on va dire qu’on ne l’a jamais revendiqué – ce qui est faux et je le démontre dans l’introduction du livre – et que par ailleurs il ne voudrait rien dire, ce qui, à nouveau, est faux car on peut le définir.

 

Contrepoints : La thèse centrale de votre ouvrage est de dire qu’au fond, l’idéologie woke ne possède aucune unité conceptuelle conséquente, si ce n’est le fait qu’elle est, sur le plan des idées, une pure négation, et sur le plan normatif, une simple volonté déconstructrice. Pouvez-vous développer ?

Pierre Valentin : Je suis vraiment rentré dans l’analyse du wokisme il y a plusieurs années maintenant avec une approche la plus analytique possible, en cherchant à dénicher l’unité de ce mouvement. Et j’ai mis beaucoup de temps avant de trouver un axe commun car les contradictions étaient gigantesques.

Prenons l’exemple de la formule médiatique « la communauté LGBT ». De façon arbitraire on s’arrête à la quatrième lettre alors qu’il y a une quantité infinie de lettre dans cet acronyme. De plus, l’ordre des lettres – qui est déjà une hiérarchisation implicite, ce qui pose question dans un mouvement égalitariste – n’est pas adoubé par qui que ce soit et change tout le temps. Il y a parfois des lettres exclues. Au Royaume-Uni il y a « l’alliance LGB », qui veut exclure les Trans du reste. Il y a de surcroît la question du logiciel du sexe VS le logiciel du genre. Enfin, selon l’aveu des lesbiennes et de beaucoup d’homosexuels que je cite dans le livre, ces lettres ne se côtoient pas souvent. Qu’est qu’une « communauté » qui ne se côtoie pas ?

Outre l’acronyme, si l’on prend du recul, et qu’on la mélange avec la question décoloniale, la question du racialisme américain, la question du handicap… Bref, quelle est la cohérence dans cette myriade de contradictions ? Typiquement, l’éloge de la fluidité dans le mouvement queer contraste avec l’éloge de la rigidité dans leurs courants racialistes.

Et pour autant, on sent qu’il y a une forme d’unité dans le désir du racialisme de se « queeriser », et à l’inverse dans le désir du mouvement queer de se racialiser. Il y a là une affirmation d’un désir d’unité, que l’on retrouve avec le slogan de la « convergence des luttes ».

L’autre élément d’unité, c’est celui de l’ennemi commun. Il y a même un rapport dialectique entre les deux, qui est qu’au fur à mesure que vous fragmentez votre schéma intersectionnel avec de plus en plus de catégorisations, plus l’importance d’un ennemi commun est centrale pour réunir tout ce beau monde.

Avec l’effondrement des grands récits qui structuraient la gauche (communisme, social-démocratie, proposition libérale), la seule unité possible va devenir celle du bouc émissaire. Pascal Perrineau écrit dans La logique du bouc-émissaire en politique (PUF) : « On peut avoir l’impression que plus la gauche et la macronie pâtissent d’un déficit d’idéologies de référence plus elles n’hésitent pas à manier la diabolisation de l’adversaire de droite pour retrouver une raison d’être ».

 

Contrepoints : Ces contradictions vous amènent à faire le pari suivant : le wokisme semble condamné, à l’instar peut-être de tout mouvement révolutionnaire, à reproduire ce qu’il dénonce, et donc, pour reprendre une phraséologie marxisante, à s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions. Pourquoi ?

Pierre Valentin : Oui, je pense que nous sommes face à une spirale de pureté. L’inclusion, d’ailleurs, n’est pas un état de fait, mais une dynamique derrière laquelle il faut toujours courir. On revient d’ailleurs à l’étymologie du mot, initialement sous la forme d’un hashtag en deux termes, « #Stay Woke », « restez éveillés ». Donc on est toujours menacé d’extrême droitisation, et l’exclusion est une possibilité quotidienne. Vivre dans des milieux « inclusifs », c’est frôler quotidiennement l’exclusion.

Sur les contradictions, je pense qu’il faut faire le parallèle avec le communisme. On sait aujourd’hui que le communisme était voué, lui aussi, à s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions. Or, est-ce que L’archipel du Goulag de Soljenitsyne a été futile pour autant ?

Encore une fois, on n’a pas de goulags en Occident fort heureusement, mais Soljenitsyne aurait été ravi que l’URSS s’effondre avant les goulags. Donc la notion de temporalité est loin d’être secondaire dans ce débat.

J’ajouterais également que, là ou il faut tempérer l’optimisme que peut nous inspirer l’idée d’une autodestruction, c’est que, pour prendre une métaphore, si le boulet coulera forcément au fond de l’océan, il menace toutefois de s’accrocher à notre cheville sur son passage. Aux États-Unis, le monde universitaire a déjà aboli toute notion de sélection et de mérite, ce qui veut dire une « médiocrisation » folle de leurs élites. On commence à mettre en place des mathématiques « décolonisées » pour se défaire des mathématiques blanches…

Bref, ce ne sont pas des questions neutres, et la question du moment auquel on va réussir à arrêter cette vague idéologique n’est pas secondaire.

Ce qui m’intéresse aussi, c’est l’état de désarroi existentiel et spirituel dans lequel devaient se trouver les communistes au moment de la chute du mur de Berlin. Redémarrer idéologiquement après cet effondrement sera très compliqué si tous sont « convertis ».

 

Contrepoints : Au fond, le wokisme n’est-il pas une volonté de la part de ces militants et idéologues de simplement prendre le pouvoir ? Et pensez-vous qu’il serait pertinent de parler d’ingénierie sociale pour définir l’idéologie woke sur le plan normatif ?

Pierre Valentin : Oui, tout constructivisme génère un utopisme. Pour les libéraux et les conservateurs, le mal est une donnée inhérente de l’âme humaine que l’on ne parviendra jamais totalement à éradiquer. Quand on dit que tout est construit, la présence du mal dans la société devient d’un même geste scandaleux car elle pourrait ne pas être. Le constructivisme implique un utopisme déconstructeur. Ce qui fait qu’on a des mentalités à changer, une culture à changer…

Je cite par exemple Antonio Gramsci comme le chaînon manquant entre le marxisme à l’ancienne et ce néo-marxisme que l’on a là, notamment sur l’aspect racial, et qui va réhabiliter le militantisme. Si l’on dit que c’est uniquement l’économique qui détermine le culturel, on vient de mettre tous les militants, tous les relais culturels, tous les artistes au chômage moral et intellectuel. Or, pour un militant cela n’est pas acceptable, il faut qu’il ait un rôle à jouer dans la révolution, et ainsi Gramsci va faire l’éloge de la prise des relais culturels pour faire advenir la révolution.

Sur la relation paradoxale au pouvoir elle me paraît fondamentale, et se traduit de différentes façons. Premièrement, ils sont absolument certains, dans leur compréhension d’eux-mêmes, d’être des dissidents. Ils ne sont jamais les dominants, et c’est pour cette raison qu’ils insistent tant sur le terme de « colon », que ce soit pour parler et des Juifs en Israël ou des Français en France, car cela permet de rigidifier la catégorie de dominant. Donc d’un seul coup, ceux qui luttent contre les colons deviennent de gentils résistants courageux.

Ils ont un problème qui est que, lorsque les grandes entreprises mettent en avant leur logo aux couleurs LGBT, lorsque la marque Lego arrête de faire la publicité de leur boîte de police car cela ferait l’éloge des violences policières, lorsque l’on a un unanimisme occidental pro-woke, à ce moment-là ils sont dans une position délicate. Dans le fond ils sont contents que leurs idées soient diffusées, mais ils espèrent également maintenir l’image de dissidents ; garder le statut de David contre des Goliath.

C’est à mon sens l’objectif de la formule de « woke-washing » : résoudre cette contradiction terrible et douloureuse, ou en tout cas atténuer sa portée. Les grandes entreprises seraient de leur côté uniquement dans les paroles et non dans les actes.

C’est ce qui m’a poussé à théoriser la notion de « dissideur », c’est-à-dire de décideurs qui se veulent dissidents, et qui tiennent coute que coute à cette posture. On a le sentiment que pour être un pouvoir aujourd’hui, il faut nécessairement se présenter comme un contre-pouvoir. Pour le dire autrement, si Greta Thunberg, FIFA, l’ONU, Europe Écologie Les Verts, l’UNICEF et l’UE arrivaient à tomber d’accord sur le contenu d’une tribune, ils l’intituleraient « lutter contre le système ». Cet « antisystémisme » me fascine et se révèle une contradiction centrale au cœur de leur œuvre et de leur conception du monde.

 

Contrepoints : Vous évoquez dans un chapitre la question des liens entre la philosophie woke et la psychologie. Pourquoi ?

Pierre Valentin : Je tiens à dire en préambule que je n’ai pas de formation en psychologie, mais que je m’intéresse à ce sujet. Déjà, ce qu’il faut noter, c’est qu’indépendamment de la question du wokisme, il y aurait en soi un immense sujet sur le rapport au corps, sur le rapport aux écrans, sur le rapport à la sociabilité, à la santé mentale en général dans ces jeunes générations.

Depuis les confinements, certains de ces phénomènes se sont même amplifiés, comme l’atomisation sociale et la bureaucratisation des rapports sociaux. Pour moi, ce sont des tendances lourdes à la fois du wokisme et des problèmes plus généraux de santé mentale.

Se pose ensuite la question complexe et délicate de la direction du lien causal. Est-ce leur idéologie qui provoque ces troubles, ou est-ce ces troubles qui favorisent l’émergence de cette idéologie ? Je ne tranche pas définitivement la question, mais je pose les deux directions comme étant possibles, voire probables.

Du psychologique à l’idéologique, il y a énormément de témoignages, comme celui de Nora Bussigny, qui montrent que la phrase « je dois aller voir mon psy » est extraordinairement commune et répandue. Ils ont, souvent, des rapports compliqués avec leurs parents. On voit également qu’il y a au même moment trois choses dans une bonne part du monde occidental : une explosion de l’usage d’Instagram chez les jeunes filles, une explosion des troubles du rapports au corps (anorexie, boulimie) et une explosion de la « transidentité ». De plus, le taux de suicide des trans avant et après transition est deux fois supérieur à celui des homosexuels, qui est déjà très élevé.

Donc il y a une tendance lourde de gens profondément déstructurés, qui ensuite, dans un second temps, chercheraient une idéologie pour justifier cet état de fait. J’ai trouvé que la série de Blanche Gardin sur Canal + était intéressante, car son hypothèse implicite était que c’est d’abord le narcissisme qui va se chercher une cause, et non la cause qui génère le narcissisme.

Quand on a des jeunes qui disent « j’adoube Shakespeare et Jeanne d’Arc uniquement à la condition qu’ils soutiennent mes points de vue ; aujourd’hui, en 2023 » nous avons là du narcissisme pur : le monde extérieur doit venir renforcer mes idées sinon il doit disparaître. Les grandes figures occidentales peuvent continuer à exister à la condition qu’elles soient d’accord avec Moi.

Pour la causalité de l’idéologique vers le psychologique, disons pour commencer qu’il est difficile de tenir ne serait-ce que plusieurs semaines en essayant d’être le plus cohérent possible avec la théorie critique de la race sans tomber en dépression. Cette théorie postule deux prémices : d’abord que le racisme est le pire péché qui existe, et deuxièmement qu’il est présent dans toutes nos structures sociales, dans nos discours… Si on essaye vraiment d’appliquer ces deux prémices, la conclusion qui s’impose est que toute la réalité sociale est condamnable. Le monde devient forcément très sombre et déprimant.

Le psychologue Jonathan Haidt montre que quand on guérit des gens de la dépression, on emploie la CBT (thérapie cognitivo-comportementale) afin de pousser les patients à identifier les distorsions de la réalité et qu’ils arrêtent de les pratiquer.

Le wokisme, assez explicitement, pousse à faire l’inverse : « vous pensez avoir eu un rapport cordial avec quelqu’un d’une autre couleur de peau, vous ne vous rendez pas compte qu’en réalité il y avait un soubassement cynique, raciste, qui fait que vous n’avez pas eu un rapport sain avec cette personne ».

Il me semble difficile de dire qu’il n’y a pas au moins un rapport, une causalité, en ce sens-là.

 

Contrepoints : Vous parlez d’une génération plus fragile, surprotégée, profondément narcissique, dans le culte de la victimisation… Et vous en déduisez que cela mène inévitablement à un besoin accru de protection qui passe par une forme de bureaucratisation et une attente de protection de la part de l’État et de la collectivité dans son ensemble. Pouvez-vous développer pour nous ce point ?

Pierre Valentin : Le psychanalyste Ruben Rabinovitch avait écrit avec Renaud Large une note sur le wokisme très intéressante sur le sujet. Ce qu’il dit aujourd’hui, c’est que s’il est très inquiet du wokisme, il l’est encore davantage de « l’après-wokisme ». On pousse tellement loin dans le désordre, qu’il va y avoir un désir d’ordre, d’une figure du père qui siffle la fin de la récré, brutalement s’il le faut.

Sur la bureaucratisation, il y a un rapport très ambigu entre les associations et l’État. Pour parler, là-encore, en termes psychanalytiques, l’État est pour eux à la fois le père tyrannique et la mère nourricière. L’État c’est celui qui est « systémiquement raciste », mais dont j’ai quand même besoin des subventions mensuelles pour faire marcher mon association. C’est un guichet dont on est dépendant mais que l’on déteste.

Ça touche encore une fois au sujet du narcissisme. La conception de la liberté que l’on a en Occident depuis un certain temps et qui se caractérise par l’absence de contraintes, honnit tout rapport de dépendance, tout en concédant par ailleurs, et là vient la contradiction, que dans les faits l’homme moderne est très dépendant de différentes formes de bureaucraties, privées ou publiques. Donc il y a une tension entre ce désir d’indépendance et l’absence d’indépendance réelle qui génère de la frustration.

 

Contrepoints : On a parfois le sentiment que votre livre est en fait un livre sur l’histoire des fractures de la gauche qui semblent, selon-vous, être la meilleure grille de lecture pour comprendre le wokisme ?

Pierre Valentin : Oui ! Ce n’est pas très original mais il faut rappeler que l’affaire du foulard de Creil en 1989 est un moment de rupture. D’ailleurs, 1989 est l’année de toutes les décisions : Fukuyama écrit sur la fin de l’histoire, Kimberlé Crenshaw publie son premier article sur l’intersectionnalité, et il y a l’affaire du foulard où la gauche est face à un choix décisif entre ses différentes options intellectuelles.

On peut énumérer ces options de façon purement horizontale : il y a l’universalisme, le rationalisme, la croyance dans le progrès, la fascination pour la figure de l’Autre etc. Le problème de cette façon de les poser, c’est que certaines sont entrées en conflit, et que la gauche a été obligée de les hiérarchiser. Or, si ce choix est intellectuellement fascinant, c’est parce qu’il révèle quelles idoles comptaient plus que les autres.

Au moment de Creil, il y avait donc la laïcité, l’universalisme et le rationalisme d’un côté, et la fascination pour la figure de l’Autre combiné à un certain sens de l’histoire de l’autre côté. Dans cette deuxième option, il y avait cette idée de « nouveaux damnés de la terre », des nouvelles minorités qui sont pratiques car, quand on a cette idée de sens de l’histoire, de bougisme, tout ce qui est nouveau est toujours mieux. Donc cette fascination pour la figure du musulman, cet nouvel « Autre », entrait en contradiction avec les idéaux de la laïcité, de l’universalisme, du rationalisme, qui ne sont pas des idéaux que ces nouveaux damnés de la terre tiennent en haute estime.

Et au moment de ce conflit, la gauche a hiérarchisé en faveur du second camp, et c’est à ce moment que des gens comme Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Michel Onfray etc. se sont retrouvés un peu malgré eux déportés vers la droite, voire l’extrême droite.

Quand un mouvement avance rapidement, c’est qu’il a pris de l’élan ! Ce changement prend racine dans des causes plus profondes, et il faut faire la généalogie de ce bouleversement. Donc je partage votre analyse quand vous dites qu’au fond, c’est autant un livre sur la gauche et son évolution que sur le wokisme.

 

Contrepoints : Sur cette généalogie, un des points communs que l’on peut trouver entre le marxisme et le wokisme, c’est le rapport à la violence et à la manière dont on la légitime…

Pierre Valentin : Oui ! Ce que je trouve intéressant, c’est qu’il y a un quelque chose de vaguement chic qui consiste à dire que cela n’aurait rien à voir avec du marxisme. Sauf que les points d’accords restent très profonds. Je cite les sociologues Jason Manning et Bradley Campbell qui parlent d’une « conflict theory », une « théorie du conflit » qui structure à la fois le marxisme et le wokisme.

Cette théorie repose sur quatre hypothèses.

D’abord, les conflits d’intérêts sont inhérents à la vie sociale. Deuxièmement, ils produisent des résultats à somme nulle, une partie gagnant au dépend de l’autre. Troisièmement, à long terme les élites gagnent aux dépens des autres. Et enfin, seul un changement radical révolutionnaire peut réduire de façon significative la domination des élites. Wokisme et marxisme partagent ces prémisses très structurantes.

On voit également le lien avec la légitimation de la violence. La fin justifie les moyens, la fin étant de faire la révolution, ce qui fait que tout est bon pour la faire advenir, avec un conséquentialisme assumé. La violence serait cette grande accoucheuse de l’Histoire. Le paradoxe étant que ce conséquentialisme a des conséquences désastreuses, comme nous l’avons vu.

Un entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

« Les fonctionnaires créent des normes et les normes créent des fonctionnaires »

C’est en Angleterre que sont apparus les premiers concepts HACCP suite aux nombreux problèmes d’hygiène rencontrés sur des produits alimentaires. L’origine étant que les salariés des entreprises alimentaires n’avaient pas le réflexe de se laver les mains avant d’opérer sur les lignes de production.

S’en est suivi un certain confort de travail pour les responsables qui, au lieu de se fâcher et risquer les conflits, pouvaient se contenter de se référer aux normes écrites que les salariés avaient eux-mêmes signées. L’autorité était remplacée par la formule : écris ce que tu fais et fais ce que tu as écrit….et signé. Donc le chef n’était plus le mauvais coucheur à cheval sur le travail bien fait mais s’abritait derrière le cahier des charges signé par le salarié.

 

De la normalisation à l’absurdisation

Plus tard, cette normalisation s’est installée à tous les étages des entreprises ou il devenait la règle de ne pas réfléchir mais d’exécuter sans discuter. On ne fonctionne plus en mode de résolution de problème mais en mode de satisfaction au système. Circulez, y a rien à voir…

Afin de faire fonctionner ce qui allait devenir une usine à gaz il fallait des exécuteurs de normes, donc formés dans les écoles et parfaitement capables d’appliquer strictement et sans réfléchir. Les Américains ont toujours eu pour principe qu’un bon produit était celui que le consommateur le plus bête consommait sans poser de questions. Donc standardisé, interchangeable et facile.

Dans les entreprises ont peu à peu disparu les contremaîtres, les chefs d’équipe et surtout les anciens qui avaient encore la compétence pour réparer une machine ou optimiser une ligne de production et surtout pour transmettre. À qui ?

Aujourd’hui, il n’y a plus rien à transmettre puisque tout est digitalisé et, en cas de bug il suffit d’attendre l’intervention des RoboCops de l’informatique.

 

De la bureaucratisation à la déshumanisation

C’est le règne du tableau excel et des webinaires où l’on veut vous apprendre à produire, former, gérer, vendre, exporter etc.

L’humain ? On s’en fout puisqu’il est interchangeable. Avec quand même le retour de bâton sous forme d’arrêts maladie à répétition, de revendications, de droits à tous les étages, de grèves ou d’émeutes. Normal que 16 millions de Français dépriment…

L’État est entré dans la même logique jusqu’à complètement étouffer toute initiative personnelle des députés, des maires ou des régions. La pieuvre est dirigée depuis les bureaux parisiens qui contrôlent les poissons-pilote que sont devenus les organismes de certification nombreuses et variées genre Mc Kinsey, les commissaires aux comptes, les fiduciaires dont le rôle est de veiller à ce que toutes les normes soient appliquées. Le tout secondé par les délégués internes syndicaux, sécurité, conformité, pénibilité, etc. Le Code du travail avec ses 3000 pages est en concurrence avec le code RSE avec seulement 1700 pages… Bientôt un délégué aux droits de l’Homme.

« En France, plus de 37 000 normes facilitent et sécurisent les échanges commerciaux, améliorent les performances des biens et des services, diffusent l’innovation, favorisent l’efficience et l’efficacité des entreprises. »

Voilà la définition Google de ce monstre administratif que notre écrivain-ministre de l’Économie veut changer ? Est-il sur la même planète que nous ?

 

Les fonctionnaires créent des normes et les normes créent des fonctionnaires

Surtout, comment peut-il faire ? On sait que les ministres sont prisonniers de leurs structures composées d’énarques et hauts fonctionnaires qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’est un compte d’exploitation, et plus généralement la vie normale d’un Français moyen.

Prisonniers d’idéologues et d’appareils complètement sclérosés, nos dirigeants obsédés de garder leurs petits privilèges ne produiront jamais un grand patron en France qui ose renverser la table. Un patron, un visionnaire, un homme d’État….

On peut rêver…

L’assimilation, ce concept antilibéral

Dans un article précédent, j’ai montré que l’immigration libre était un point du programme des libéraux français classiques, et que pour marcher dans leurs pas, il nous fallait penser les contours de cette politique, plutôt que la rejeter.

J’examinerai aujourd’hui le principe de l’assimilation, pour voir s’il peut être reconnu par le libéralisme.

 

Le droit d’être minoritaire

C’est un principe fondamental du libéralisme que le respect des opinions et des actions inoffensives des minorités, et de tout ce qui peut être défini comme la sphère propre de l’individu (Benjamin Constant, Œuvres complètes, t. IV, p. 643 ; t. XIII, p. 118). En d’autres termes, chaque individu a le droit d’avoir ses goûts, ses opinions ; on n’exige guère de lui que sa soumission aux lois, c’est-à-dire qu’il ne blesse pas la liberté égale de son voisin, et ne détruise pas ses propriétés.

D’ordinaire, l’individu qui est né sur le sol et qui acquiert la nationalité par la naissance n’est pas inquiété par les prétentions coercitives de quelconques majorités. L’opinion commune ne le contraint pas : il adopte les tenues vestimentaires qu’il a choisi ; il a ses opinions ; en bref, il mène sa vie selon son propre règlement.

Mais on voudrait que les immigrés, en tant que nouveaux venus, se conforment aux opinions majoritaires, ou couramment admises. D’abord, il faudrait pouvoir les définir, et d’ordinaire, on s’en garde bien. Mais sans doute la chose est assez claire : il faut pour eux s’habiller « comme tout le monde », penser « comme tout le monde », et en somme vivre la vie de tout le monde.

Ce projet a le grave défaut de s’opposer à la nature de l’homme. La nature a voulu l’inégalité : les individus naissent inégaux, leurs expériences de vie sont différentes, et les instruments par lesquels ils produisent leurs émotions et leurs idées, sont différents (Ch. Dunoyer, Nouveau traité, etc., 1830, t. I, p. 92-93). On n’est pas maître d’aimer la musique de la majorité, ou les plats dont se régale la majorité, par un simple acte de la volonté (G. de Molinari, Conversations sur le commerce des grains, 1855, p. 159 et suiv.). Tocqueville était convaincu de l’importance de la religion, mais il n’était pas libre de croire ce qu’il ne croyait pas.

Faire adopter des modes vestimentaires, des opinions et des modes de vie, se fait ou par la conviction, ou par la contrainte. Dans le cas de l’assimilation, on rejette d’avance la conviction, car ce serait admettre le droit d’être innocemment minoritaire, et c’est ce dont précisément on ne veut pas. Il faudra donc édicter et faire respecter certaines opinions, des manières de se vêtir, de vivre. Il y aura des sanctions pour ceux qui y contreviendront.

De ce point de vue, l’assimilation, si elle veut dire adopter certains modes de vie, n’est pas conforme aux principes du libéralisme, et elle prépare aux confins de la grande société une petite société qui est à l’opposée de son idéal.

 

Le paradoxe de l’enfant

L’immigrant, dira-t-on, est un nouveau venu : par conséquent, il n’a pas les mêmes droits, il ne mérite pas la même liberté. Il vient dans une société déjà formée, dont il doit respecter les susceptibilités. Il ne peut pas marcher à sa guise son propre chemin.

Cependant, tout nouvel enfant qui naît en France se présente aussi essentiellement comme un nouvel arrivant. Or qui dira qu’il a le devoir absolu de s’assimiler ? Au contraire, vous le verrez bientôt avoir ses opinions, ses goûts, ses penchants. De la société dont il a hérité, il fera, avec d’autres, ce qu’il voudra et ce qu’il pourra. Il renversera peut-être les opinions reçues, lancera de nouvelles modes dont les plus anciens s’offusqueront. Tout cela est dans l’ordre. Car chaque nouvelle génération remplace celle de ses parents et grands-parents, dans un grand-remplacement continuel qui est de l’essence des sociétés humaines.

Cette évolution naturelle est d’ailleurs la condition du progrès. Il ne faut pas en avoir peur. La prétention de fixer le cadre social des générations futures est au contraire profondément antilibérale, et rappelle les charges que Turgot lançait jadis contre les fondations pieuses prétendument immortelles (Article « Fondation » de l’Encyclopédie).

De ce point de vue encore, la prétention à l’assimilation ne paraît pas conforme aux principes du libéralisme.

 

L’assimilation vraie et fausse

À en croire les auteurs libéraux classiques, l’assimilation est de toute manière, dans notre pays, une véritable utopie. Sur un même sol, les Français se feront plutôt arabes que les Arabes ne se feront français ; laissés à leur propre impulsion, certains retourneront à la vie sauvage, plutôt que de pousser les populations indigènes à suivre leurs pratiques civilisées. (Édouard Laboulaye, Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 53 ; Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, 1874, p. 154)

La vraie assimilation se fait par la conviction, le libre débat, l’influence d’une culture supérieure qui produit des merveilles éclatantes et qu’on admire. Elle se fait aussi par la nature imitative de l’homme, par son goût pour la tranquillité, par son conservatisme. Enfin, elle procède des unions de l’amour.

L’assimilation légale, je ne vois pas qu’un libéral des temps passés l’eût vanté ni même surtout pratiqué. Au contraire, je les vois tous à l’envie se conduire dans tous les pays fidèles à leurs propres usages, avec un sans-gêne qui n’étonne pas encore à l’époque. Réfugié aux États-Unis, le physiocrate Dupont de Nemours, par exemple, n’a jamais pris la peine d’apprendre l’anglais, et il continuait à dater ses lettres selon le nouvel almanach de France (voir ses Lettres à Jefferson, et Dupont-De Staël Letters, 1968, p. 60). Il était venu sans passeport, avec des opinions monarchistes très célèbres, puisqu’il les avait répandues dans des livres et brochures pendant plus de quarante ans. Il a fondé en toute liberté une entreprise de poudre, c’est-à-dire d’explosifs, qui aujourd’hui emploie 34 000 personnes et produit un résultat net de quelques 6,5 milliards de dollars. Il a vécu là-bas paisiblement les dernières années de sa vie.

Pour définir une position libérale moderne sur la question de la liberté d’immigration, l’assimilation est donc une première chimère à écarter.

Bureaucratie : les aveux partiels d’un responsable

Un article d’Alain Mathieu

 

Il est difficile de trouver un Français plus représentatif de nos hauts fonctionnaires que Jean-Pierre Jouyet.

Son CV accumule les plus hauts postes financiers : directeur du Trésor, la plus prestigieuse direction du ministère des Finances, chef du service de l’Inspection des Finances, le corps de fonctionnaires le plus influent, président de l’Autorité des marchés financiers, qui règlemente la Bourse, directeur général de la Caisse des dépôts et président de la Banque Publique d’Investissement, les « bras armés » de l’État dans l’économie.

Il a été en outre chef de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors, directeur du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, secrétaire général du président de la République et ami François Hollande, ministre de Nicolas Sarkozy. Il a joué un rôle important dans l’ascension d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, notamment en dénonçant une prétendue intervention de François Fillon pour faire accélérer par l’Élysée les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy. Il en fut d’ailleurs remercié par Emmanuel Macron qui le nomma en 2017, à 63 ans, ambassadeur de France au Royaume-Uni.

« Catholique de gauche », il se livre, sous le titre Est-ce bien nécessaire, Monsieur le ministre ? (Albin Michel-octobre 2023), à une étonnante et méritoire confession publique :

« J’étais plus intéressé par les règles qui s’appliquaient aux relations entre les administrations centrales que par celles qui s’appliquaient aux administrés […]. Je minimisais l’importance de la bureaucratie et son rôle souvent néfaste sur la bonne marche du pays […]. Maintenant que j’affronte seul la machine administrative je mesure l’astuce et la ténacité dont doivent faire preuve les usagers des services publics ».

Sa confession va jusqu’à signaler les mauvaises décisions qu’il a prises ou suscitées dans ses différents postes :

Pour assurer le succès de l’introduction de l’euro, il a recommandé des « augmentations de salaires aveugles et préventives » accordées aux salariés des imprimeries de la Banque de France qui menaçaient de faire grève.

Sur les 23 régions existant en 2015, 17 ont subi des fusions qui ont réduit leur nombre à sept. Par la suite, « les dépenses de ces sept régions fusionnées ont augmenté trois fois plus vite que celles des six autres régions non fusionnées ».

 

Les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des hauts fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir

La fusion des directions des Impôts et de la Comptabilité publique « supposait de mettre fin aux doublons entre directeur départemental des impôts et Trésorier-payeur général. Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui ces deux fonctions coexistent toujours ».

Sa longue expérience administrative lui a fait constater de nombreux gaspillages de l’argent public.

« L’État dépense un « pognon de dingue » ». Pour le gouvernement d’Élizabeth Borne, 565 conseillers, soit 13 par ministre, alors qu’en 2017 Emmanuel Macron n’en voulait pas plus de cinq par ministre. Ils sont assistés par 2200 huissiers, secrétaires, chauffeurs, cuisiniers […] Il suffirait de 15 ministres à temps plein. En matière sociale, un ministre suffirait au lieu de cinq. Un ministère des Rapatriés a été instauré en 1995, trente-trois ans après la fin de la guerre d’Algérie […]. Quand je suis nommé secrétaire d’État aux Affaires européennes, je comprends que je dois composer avec quatre autres administrations françaises qui en sont chargées ».

Il remarque que « la France est le pays le plus centralisé d’Europe » :

« Pourquoi ne pas donner plus de pouvoirs aux départements et aux régions dans la gestion des écoles, collèges, lycées, universités, hôpitaux ? […]. Les ARS (agences régionales de santé) devraient être confiées aux régions ; les chefs d’établissement de l’enseignement public devraient recruter eux-mêmes leur personnel enseignant […]. En finir avec le droit des préfets sur les projets d’urbanisme menés par les communes ».

Il constate avec effroi qu’il y a 1800 pages pour la réglementation thermique des établissements scolaires, 4300 pages d’instructions aux ARS pour la collecte de données chiffrées, que 40 % du marché locatif privé seront vraisemblablement interdits à la location du fait de leur classement énergétique, que 68 % des élus sont confrontés à des normes contradictoires.

Il a vu que le président de la République passait trop de temps à de trop nombreuses nominations.  L’Élysée est devenu une « agence de casting permanent ».

« Comme secrétaire général de l’Élysée, j’ai consacré beaucoup de temps aux nominations ». De nombreuses nominations sont qualifiées par lui de « nominations de circonstance » (des nominations par copinage).

De ce fait la réforme de l’État est négligée.

« Emmanuel Macron n’a pas engagé en 2017 une grande transformation de l’État […]. Je n’ai jamais senti chez les quatre derniers présidents de la République le moindre intérêt pour ce sujet pourtant essentiel, la réforme de l’État […]. Pendant les trois ans où j’ai été secrétaire général de l’Élysée, jamais le thème de la réforme de l’État n’a été abordé […]. La simplification est toujours confiée à des membres du gouvernement de second rang ».

Il reproche à la réforme Balladur des retraites en 1993 d’avoir « épargné la fonction publique » ; comme celle de Macron en 2023.

Le titre de son livre illustre le fait que les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des hauts fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir, d’autant plus que les principaux ministres sont issus de leurs rangs, et y retournent après leur carrière politique.

 

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel, mais l’aveu d’une caste

Jean-Pierre Jouyet sait que de profondes réformes sont nécessaires.

Il critique Emmanuel Macron, qui « s’était engagé à baisser de 120 000 les effectifs publics, mais en a créé 120 000 ». Il écrit qu’il faut « en finir avec les sureffectifs et les doublons » et qu’« il reste à réduire la masse salariale globale » de la fonction publique.

Il admire les dirigeants de pays qui l’ont réalisé : Paul Martin, premier ministre du Canada, « qui a diminué de 20 % les dépenses publiques canadiennes, et qui a obtenu en dix ans une baisse de ces dépenses de 48,8 % à 37,1 % du PIB canadien » ; Franco Bassanini, ministre italien de la Réforme de l’État, « qui a fait passer le coût du personnel public de 12,6 % du PIB en 1990 à 10,5 % en 2000… et supprimé près de 200 types d’autorisations administratives ».

Il sait que les syndicats sont un frein aux réformes :

« En Italie, les principaux syndicats du secteur public représentent les travailleurs des secteurs public et privé, alors qu’en France ils ne représentent que ceux de l’administration publique ». Pour faciliter les réductions d’effectifs, il propose de « renforcer la mobilité entre administrations, développer la polyvalence des agents ».

Il approuve les privatisations de Lionel Jospin (France-Telecom, Renault, etc), qu’il a orchestrées comme directeur de son cabinet et « qui ont fait passer le déficit public à 1,3 % du PIB en 2000 ».

Bref, Jean-Pierre Jouyet connaît les défauts de nos administrations et une partie des remèdes.

Pour sortir la France de son déclin économique, il devrait tirer toutes les leçons de ses observations :

  • obliger à la démission de la fonction publique les fonctionnaires entrant en politique ;
  • contrôler les subventions aux syndicats ;
  • privatiser toutes les entreprises publiques, y compris la Caisse des dépôts, la BPI, EDF et SNCF (cf Japon, Royaume-Uni, Italie), ainsi qu’une partie des HLM, hôpitaux, écoles, assurance-maladie ;
  • fixer un objectif de 20 % de baisse des dépenses publiques ;
  • geler les embauches de fonctionnaires, aligner leurs horaires de travail sur ceux des Allemands ;
  • rendre les hauts fonctionnaires responsables de leur gestion devant le Parlement ;
  • règlementer le droit de grève ;
  • décentraliser la gestion de l’Éducation, de la Santé, de la Culture, du Sport, du Tourisme, etc.

 

Bien qu’il prétende que son livre est « une sorte de confession qui met à plat les moyens du redressement », il ne propose presque rien de tout cela. Car des haus fonctionnaires lui diraient :

« Est-ce bien nécessaire ? ».

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel. C’est l’aveu d’une caste.

Achetez le livre

Sur le web.

Bonus réparation vêtements : la bureaucratie française hors de contrôle

Il fût un temps, pas si éloigné, où les mamans avaient investi dans une aiguille et un rouleau de fil pour réparer un vêtement déchiré ou endommagé. Moi-même, je l’ai fait de nombreuses fois, même si j’étais loin du « meilleur ouvrier » de France.

Il fallait donc que notre administration s’en offusque et mette à la disposition des mamans et des papas français un de ces « miracles administratifs « dont elle seule a le secret.

Faire quelques kilomètres, en voiture bien évidemment, pour apporter un vêtement endommagé à réparer pour obtenir une réduction de : 7 euros pour faire repriser un trou, un accroc, une déchirure, 10 euros pour une doublure, 8 euros pour un zip, 6 euros dans le cas d’une couture défaite (8 euros si la couture est doublée).

Je vous épargnerai le « tarif applicable » pour d’autres « sauvetages » de chaussures et autres désagréments dans la vie d’un vêtement. Pour ce « délire », notre gouvernement se dit prêt à investir 150 millions d’euros dans la labellisation d’au moins 500 couturiers et cordonniers, ce qui fait en gros cinq par département.

Me concernant, le plus proche sera à une vingtaine de kilomètres que je devrai donc effectuer deux fois l’aller et retour, un pour apporter le vêtement et un pour le rechercher, soit 80 km au total !

L’indemnisation kilométrique de ma voiture étant fixée par l’état à 0,60 euro, mon petit gain d’une dizaine d’euros me coûtera réellement… 48 euros, sans compter les deux heures perdues. Cherchez l’erreur !

Mais ce délire ne s’arrêtera pas là, car pour notre administration, ce serait trop simple ! C’est compter sans les contraintes imposées au pauvre professionnel pour se faire, sans aucune garantie, rembourser la remise qu’il m’aura concédée. Ce que François Lenglet nomme « le Michel-Ange de la bureaucratie » qui en dénonce sur RTL& TF1 la folie de la taxation prévue pour financer ce « chef d’œuvre » : pas moins de 104 niveaux de taxes pour chaque type de vêtement défini au centième de centime d’euro, par exemple les bas pour homme seront taxés à 0,0231 euro.

Bonus réparation vêtements: "On n'a jamais vu un tel chef d'oeuvre de complexité. C'est le Michel-Ange de la bureaucratie. Les fonctionnaires créent des normes. Les normes créent des fonctionnaires. C'est ce qu'on appelle le mouvement perpétuel…"
Chronique à voir de F. Lenglet pic.twitter.com/4LhSnQEHRU

— Jean Louis (@JL7508) November 19, 2023

 

Cela me conforte dans mon combat pour une réduction drastique du nombre de fonctionnaires, soit proportionnellement quatre millions de plus qu’en Allemagne, selon une étude d’Alain Mathieu, mais surtout ceux affectés aux administrations.

Quand on arrive à ce niveau d’incompétence, c’est la théorie de Joseph Schumpeter sur la « destruction créative » qu’il faut appliquer à notre administration, soit en supprimer un grand nombre pour gagner en efficacité, en n’en conservant qu’un petit nombre.

Car le mal français réside bien dans cette démonstration : plus on augmente le nombre de fonctionnaires, plus ils nous pondent des « âneries »… et plus il faut de nouveaux fonctionnaires pour les gérer ! Le cycle infernal est ainsi enclenché sans aucune limite.

Mais le plus inquiétant dans cette farce, c’est que de nombreux Français vont approuver et, si aucune rupture dans cette dérive n’est envisagée, il est fort à parier que la prochaine proposition sera la création d’une subvention par mètre, voire centimètre, de papier toilette utilisé par personne au sein d’une même famille.

Réveille-toi, peuple français !

Limiter la réglementation pour favoriser la croissance économique

Un article de Philbert Carbon.

L’IREF le clame depuis sa création en 2002 : une réglementation excessive nuit à la croissance économique. Nos collègues danois du think tank CEPOS montrent qu’en limitant l’inflation réglementaire, le PIB pourrait augmenter d’environ 14 % en dix ans.

 

Une réglementation débordante

CEPOS déplore la croissance de l’État réglementariste au Danemark. En 1989, il y avait 7,5 millions de mots dans l’ensemble de la législation. Il y en avait 19,3 millions en 2022. Le volume a presque triplé en 30 ans. Il a augmenté, en moyenne, de 1,4 % par an au cours des dix dernières années.

Beaucoup de ces textes sont inutiles et entravent la croissance. C’est le cas, par exemple, de la loi qui interdit aux cars de proposer des trajets inférieurs à 75 km, ou de celle qui interdit à des services comme Uber d’opérer au Danemark.

La France est sur la même trajectoire que le Danemark, ce qui n’est guère étonnant étant donné que les deux pays sont membres de l’Union européenne, grande productrice de normes. Les gouvernants français ont cependant une spécificité : ils « surtransposent » la réglementation européenne. C’est ainsi qu’il y avait 45,3 millions de mots pour dire le droit français au début de l’année 2023, soit deux fois plus qu’il y a 20 ans. Et plus de deux fois plus qu’au Danemark.

Comment limiter, sinon empêcher, cette inflation réglementaire qui entrave le progrès économique comme l’a montré l’analyse, par CEPOS, de 68 études internationales traitant du lien entre la réglementation et la croissance ?

 

Un « budget de maîtrise réglementaire »

La solution pour nos confrères danois est le « budget de maîtrise réglementaire » (regulatory budget, en anglais). En effet, même si le gouvernement français en repousse constamment les limites, il arrive nécessairement un moment où il devient difficile de taxer et d’emprunter davantage pour accroître les dépenses publiques. En revanche, la réglementation ne semble soumise à aucune limite, pas plus que les coûts qu’elle entraîne pour la société.

CEPOS a notamment étudié de près l’expérience de la Colombie-Britannique. Au début des années 2000, le Parti libéral de cet État canadien s’est fait élire en promettant une réduction de 33 % du fardeau réglementaire. Au bout de trois ans, en appliquant la règle du « 1-in, 2-out », qui revient à instaurer une réglementation nouvelle à la condition que deux anciennes soient supprimées, l’objectif fut dépassé puisque le fardeau réglementaire a été réduit de 37 %.

Si le Danemark appliquait la règle du « 1-in, 1-out », qui consiste donc à supprimer un texte réglementaire pour un nouveau texte voté, il verrait son PIB augmenter dans une fourchette de 2,3 % à 13,8 % sur une période de 10 ans.

Certes, cette fourchette est large. Néanmoins, quelle que soit la méthode de calcul adoptée, l’arrêt de l’inflation réglementaire entraîne une croissance du PIB.

De plus, la productivité serait ainsi stimulée et elle entraînerait, à son tour, une augmentation des salaires. Selon CEPOS, un budget de maîtrise réglementaire sur dix ans pourrait signifier une augmentation des revenus annuels avant impôts de 2700 à 16 000 euros pour une famille danoise moyenne.

 

Des gains beaucoup plus importants pour la France ?

Dans son étude, CEPOS reste cependant prudent. Il estime, en effet, que les gains de croissance calculés à partir de l’expérience de Colombie-Britannique pourraient être moindres au Danemark car l’État canadien était réputé pour la mauvaise qualité de sa réglementation avant la réforme, ce qui expliquait en partie les performances médiocres de son économie.

Au contraire, selon CEPOS, le Danemark dispose d’une réglementation de qualité relativement élevée. Il est classé à la 4e place dans l’indicateur de la facilité à faire des affaires de la Banque mondiale (Doing Business) et à la 3e dans l’indicateur de la réglementation des marchés de produits de l’OCDE. Par conséquent, les économistes de CEPOS se demandent si appliquer les calculs canadiens au contexte danois ne conduirait pas à une surestimation des résultats.

En revanche, on peut sérieusement envisager que les gains d’une réglementation qui ne s’accroîtrait plus soient très importants en France. Contrairement au Danemark, la réglementation du pays est de mauvaise qualité. Si l’on reprend les indicateurs déjà cités, la France est 22e dans le classement Doing Business et 33e dans celui de l’OCDE !

Pour CEPOS, même si les résultats sont entachés d’une grande incertitude, ils suggèrent que l’introduction d’un budget de maîtrise réglementaire – c’est-à-dire une stagnation du niveau de la réglementation – sur une période de dix ans, recèlerait un potentiel économique considérable. En effet, la richesse d’un pays s’en trouverait immédiatement augmentée. Même si c’est l’hypothèse la plus basse – ici 2,3 % – qui se révèle la bonne, cela est bien plus bénéfique que la plupart des politiques de croissance menées couramment.

Le gouvernement français vient de lancer une grande consultation publique auprès des chefs d’entreprise pour la simplification administrative. C’est assurément une bonne idée, même si l’on sait à peu près ce qu’il faudrait faire en la matière. Mais il ne faudrait pas que ce ne soit, comme souvent, qu’un coup d’épée dans l’eau. Comme nous venons de le voir, c’est en faisant preuve de constance qu’une politique de limitation réglementaire peut avoir des effets notables.

Étant donné l’état de la réglementation française, il nous semble que la règle du « 1-in, 2-out », comme en Colombie-Britannique, devrait être adoptée.

Sur le web.

Qu’est-ce qu’une Constitution libérale ?

La France se prépare à modifier sa Constitution, afin d’y inscrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Sans doute devons-nous savoir ce que nous faisons, nous qui avons conçu assez de Constitutions au cours de notre histoire pour en fournir au monde entier. Et pourtant, il semblerait bien que nous errions.

Ce n’est pas tant la question de l’avortement qui est en jeu : c’est l’idée même de Constitution, qui paraît singulièrement mal comprise et détournée de son but.

En son temps, Frédéric Bastiat s’était attaqué, dans l’un de ses plus fameux pamphlet, à « la loi pervertie… la loi non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire » (La Loi, 1850, p. 3). Peut-être aujourd’hui faudrait-il écrire contre « la loi des lois pervertie… la loi des lois non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire ».

Et l’indignation devrait être au centuple. Mais certainement en devrions-nous être peu surpris.

Car en France, nous avons toujours eu une conception très antilibérale de la loi. Le plus fidèle disciple de Bastiat disait en son temps que c’est parce que nous héritons des Romains, qui en tant que propriétaires d’esclaves, ne pouvaient à la fois reconnaître la liberté, et la violer, comme ils le faisaient (Œuvres d’Ernest Martineau, t. II, p. 61).

Voyez par exemple la propriété.

Le Code civil énonce :

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

C’est-à-dire que la propriété n’existe pas ; c’est une concession, et par conséquent une fiction : l’État la restreint à sa guise, non seulement par des lois, mais par de simples règlements (Idem, t. I, p. 53 ; t. II, p. 365).

Il en va de même de nos grands principes constitutionnels.

« Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La Constitution américaine parle un tout autre langage : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ». Ce qui se révèle dans cette différence est une conception toute différente du rôle même d’une Constitution.

 

Une Constitution sert à restreindre le pouvoir de l’État

Si nous revenons aux auteurs, nous comprenons qu’une constitution est un acte politique essentiellement libéral.

Ce n’est pas pour célébrer les vertus d’un État divin qu’on la compose et qu’on l’enregistre, mais tout au contraire par défiance, et pour protéger les droits individuels (Œuvres complètes de Benjamin Constant, t. I, p. 502). Par conséquent, son langage et sa teneur doivent se ressentir de ce but : il faut y inscrire nettement les bornes du pouvoir, ses vraies attributions, et les droits politiques et individuels qu’on reconnaît et garantit ; mais il ne faut pas y ajouter des dispositions de détail, qui sortent de ce cadre (Idem, t. XIII, p. 514).

Ce fut la grande (et contribution de Benjamin Constant, comparé à la pensée libérale du XVIIIe siècle, que de reconnaître la nécessité des limites constitutionnelles. Les penseurs qui l’avaient précédé, physiocrates en tête, avaient été trop souvent complaisants pour le pouvoir, et avec la grande force qui s’agitait pour faire le mal, ils songeaient à se servir pour le bien. Une grande partie de son œuvre, et sans doute la meilleure, a servi pour guider ses contemporains sur d’autres voies.

 

Les bornes du pouvoir et la sphère de l’individu

Au XVIIIe siècle, les libéraux français étaient pour la plupart opposés au développement de ce qu’on appellerait la démocratie, c’est-à-dire à la participation politique du peuple.

Établi sur un tout autre théâtre, Benjamin Constant n’eut pas de mal à reconnaître que :

« La direction des affaires de tous appartient à tous ».

Mais c’était pour ajouter :

« Ce qui n’intéresse qu’une fraction doit être décidé par cette fraction. Ce qui n’a de rapport qu’avec l’individu, ne doit être soumis qu’à l’individu. On ne saurait trop répéter que la volonté générale n’est pas plus respectable que la volonté particulière lorsqu’elle sort de sa sphère. » (O. C., t. IV, p. 643)

C’était indiqué assez clairement, non seulement l’utilité de la décentralisation, mais des limites constitutionnelles. Car si le pouvoir n’a pas d’autorité, pas de légitimité pour se mêler de certaines affaires — la religion, l’éducation, l’industrie, par exemple — cela signifie que des actes qu’il accomplirait dans ce but, ne seraient pas légaux. « Il y a des actes que rien ne peut revêtir du caractère de loi », écrivait Constant (Idem, t. XV, p. 379). Et là est la fonction essentielle des Constitutions.

 

Ce qu’il faut encore, outre une Constitution libérale

Sans doute, les déclarations de droits sont de peu de valeur si le pouvoir n’est pas attaché à leur respect, et le peuple prêt à tenir le pouvoir comptable de ses engagements.

« Que les ministres cherchent à nous faire illusion pour leur propre compte, c’est leur métier, disait Constant. Le nôtre est de nous tenir sur nos gardes. » (O. C., t. XIII, p. 227)

Au-delà des limites constitutionnelles, il faut donc la surveillance publique, l’énergie d’une presse libre, et l’opinion entièrement acquise à la bonté des libertés individuelles. Autrement dit, il y aurait pour les libéraux un deuxième travail à accomplir quotidiennement, le premier fût-il achevé. Allons, courage !

La crise de la fonction publique française : à qui la faute ?

Dans un rapport publié en novembre, la Cour des comptes dresse un bilan préoccupant de l’état de la fonction publique française.

Trois ans après la promulgation de la loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique (LTFP), l’État peine à attirer, à recruter et à fidéliser les agents publics. La Cour note que « le nombre de fonctionnaires a diminué de 53 300 dans l’ensemble de la fonction publique, soit une baisse de 1,4 % par rapport à 2016. » La proportion d’agents contractuels dans les trois fonctions publiques est passée de 14 % en 2005 à 24 % en 2020. La fonction publique hospitalière représente, à elle seule, 49 % de la baisse de fonctionnaires entre 2016 et 2020 (- 26 200 agents, soit une baisse de 3,1 %).

La Cour relève en effet un suivi partiel et défaillant de la LTFP.

En principe, cette loi était censée améliorer significativement l’attractivité de la fonction publique :

  • davantage de mobilité chez les fonctionnaires via des changements de poste,
  • introduction d’une rupture conventionnelle pour simplifier les départs volontaires,
  • plus grand recours aux contractuels pour plus de flexibilité dans le recrutement,
  • promotion de la formation continue,
  • valorisation des compétences.

 

Malgré les dispositions facilitant le recrutement contractuel, peu de CDI en primo-recrutement ont été conclus, et seulement 1900 contrats de projet en CDD ont été signés dans la fonction publique d’État.

Un aspect fondamental de cette réforme est resté en suspens : le respect de la durée légale du travail des agents. Des dérogations au droit commun maintiennent des régimes favorables aux fonctionnaires, compromettant l’efficacité du contrôle de légalité exercé par les préfectures. Certaines administrations et collectivités locales ont établi des régimes dérogatoires leur permettant de travailler moins de 1607 heures par an. Malgré les dispositions de la LTFP visant à les supprimer, certains secteurs ou entités ont conservé ces pratiques.

Des collectivités locales ont pu maintenir des cycles de travail inférieurs à la durée légale, arguant de sujétions particulières, comme la commune de Champs-sur-Marne (agents des routes, agents en charge de l’entretien ménager, agents des collèges, etc.) ou la commune d’Oissel qui a « supprimé des jours de congés, mais en a institué d’autres dans le cadre de la mise en place de nouveaux cycles de travail. » D’autres n’ont aucun scrupule à adopter des dispositifs illégaux, comme la commune de Méricourt, qui refuse de mettre en œuvre la délibération du conseil municipal et continue d’appliquer un régime antérieur. En 2022, c’est la mairie de Paris qui se voyait contrainte d’appliquer les 35 heures à ses agents : le tribunal administratif avait annulé les trois jours de RTT supplémentaires qu’elle leur donnait au nom d’une pénibilité spécifique liée au fait de travailler dans la capitale.

Une fois de plus, la fonction publique française fait office d’exception culturelle : le nombre moyen d’heures de travail des fonctionnaires des administrations centrales s’élève à 1620 par an en France selon l’OCDE, contre 1814 en Allemagne, 1739 en Suède ou 1685 au Royaume-Uni. Cela n’empêche toutefois pas une certaine gauche de penser que le statut de la fonction publique serait menacé par « des années de néo-libéralisme et d’austérité », et non par une gestion archaïque qui dilapide les comptes publics. 

Lutte contre l’antisémitisme : la liberté de manifester ne peut devenir une injonction à manifester

Qui a dit quoi ? Quand ? Comment ? Qui ne va pas à telle manifestation est automatiquement pro-Hamas. Qui ne poste pas ceci ou cela devient suspect d’affinité avec ce qu’il ne dénonce pas. Tel est le climat actuel sur les réseaux sociaux, dans la presse ou sur des plateaux de télévision. Un climat de suspicion s’installe qu’il faut impérativement dénoncer et combattre avant qu’il ne prenne durablement ses quartiers.

 

La lutte contre l’antisémitisme ne peut devenir une injonction, ou pire, une sommation. Dans une démocratie libérale, le fait d’aller manifester peut être encouragé, non requis, et ne peut passer par l’intimidation. Qu’une frange de l’espace politique fasse des choix douteux et contestables ne peut donner lieu à une mise à la question de l’ensemble du corps politique : que pense-t-il en temps et en heure ? De ceci, de cela, et du reste ? On ne peut criminaliser le non-dit ; le silence ne peut devenir suspect. Si dire son indignation importe, la chasse aux déclarations publiques, aux condamnations ou aux validations, ne peut se généraliser sous peine d’empoisonner durablement le débat public, déjà féroce et houleux. Le genre épidictique (l’éloge ou le blâme) pratiqué sur le mode du contrôle social peut virer au cauchemar s’il devient une pratique coercitive sur le mode du « vous louez ou blâmez convenablement ».

Il faut rester ferme sur les principes libéraux : liberté d’expression, pluralité des opinions, liberté de manifester.

Aucune des trois n’est clairement remise en cause, mais chacune est ces jours-ci entachée de suspicion : vous vous exprimez — que dites-vous ? ; vos opinions sont-elles décentes ? ; vous allez manifester — à côté de qui ? dites-vous bien ceci et cela en même temps ?

Ce faisceau de questions plus ou moins tacites, et de plus en plus ouvertement posées traduisent un climat de censure dont on ne peut accepter qu’il devienne l’étalon de l’échange interpersonnel. La liberté d’expression implique le désaccord, chercher qui a des opinions licites ou suspectes n’est que l’autre nom de l’Inquisition. Chercher la faille, le propos incomplet, la citation imprécise et l’on a tous les ingrédients d’une néo-police de la pensée qui contrevient en tout à l’esprit d’une démocratie saine et vivante.

Il faut tenir bon et rester fermement arrimés aux principes énoncés par Benjamin Constant dans plusieurs de ses textes. C’est une exigence intellectuelle et morale qui est seule garante que les libertés publiques sont respectées et mieux encore, que chacun puisse en jouir, sans crainte d’être « verbalisé ». La surveillance généralisée au nom de combats légitimes (lutte contre l’antisémitisme, importance de nommer les choses et les faits avec justesse) est néanmoins une pente dangereuse dont on ne saurait revenir indemne : son coût est l’auto-censure, la crainte de s’exprimer, « et c’est une patrie bientôt perdue qu’une patrie sauvée ainsi chaque jour[1] », pour citer celui qui défendit si farouchement la liberté, toutes les libertés.

Prenons garde que la défense de justes causes ne se transforme en un enfer à ciel ouvert. On ne défend pas des principes avec des méthodes qui leur sont opposées. C’est le fondement de l’État de droit qui garantie les libertés et qui ne peut déboucher sur la création d’une police citoyenne visant à les défendre. La contradiction est manifeste et elle doit être énoncée comme telle. La course à la vertu, c’est le contraire de la vertu ; la chasse aux opinions délictueuses, c’est l’assurance d’une course contre la montre perdue d’avance.

Rappelons, d’une part, avec Constant qu’« il dépend de chacun de nous d’attenter à la liberté individuelle. Ce n’est point un privilège particulier aux ministres[2] » ; d’autre part, que « la puissance légitime du ministre lui facilite les moyens de commettre des actes illégitimes ; mais cet emploi de sa puissance n’est qu’un délit de plus[3]. ».

Autrement dit, chacun a son rôle à jouer dans la qualité des interactions publiques. La parole d’un ministre, pour grave qu’elle soit à son niveau de responsabilité, n’exonère pas les citoyens lambda de leur responsabilité propre : le terrorisme intellectuel n’a pas d’écurie particulière. Il peut être l’apanage des partis, comme des individus ou de médias peu scrupuleux.

C’est à la fin le même poison qui est distillé : celui de la coercition, de l’intimidation, du zèle mis à dénoncer un tel ou une telle sur la base de déclarations partielles, incomplètes ou qu’on juge insuffisante pour qu’il/elle soit tenu pour un « bon Français » ou un « bon citoyen ».

L’expression d’opinions « mauvaises » est une soupape pour la démocratie : leur tenir tête et les contredire, les défaire, est une chose ; vouloir les museler et les interdire en est une autre. L’une est saine, démocratiquement, la seconde profondément malsaine. On peut combattre une chaîne de télévision, un parti, un hebdomadaire, sans vouloir les interdire. Cette chaîne, ce parti, ce journal exige des contrepoints et que d’autres voix soient entendues : c’est donc aux médias de faire en sorte que la pluralité des points de vue soit assurée, et que la « modération » soit tout autant audible que les diatribes les plus notoires.

Rappelons-nous enfin avec Constant :

« L’intolérance civile est aussi dangereuse, plus absurde et surtout plus injuste que l’intolérance religieuse. Elle est aussi dangereuse, puisqu’elle a les mêmes résultats sous un autre prétexte ; elle est plus absurde, puisqu’elle n’est pas motivée sur la conviction ; elle est plus injuste, puisque le mal qu’elle cause n’est pas pour elle un devoir, mais un calcul.[4] »

Ce calcul, c’est celui de vouloir avoir Raison contre tous, de dire ce qui est bien ou mal, de prétendre détenir la vérité en décrétant quelles opinions sont valables ou non. Qu’on ne vive pas dans un État totalitaire est toujours l’affaire de tous.

[1] De l’Usurpation, « Chap XVI de l’effet des mesures illégales et despotiques, dans les gouvernements réguliers eux-mêmes », éd. Pléiade, p.1053.

[2] Principes de politique, « De la responsabilité des ministres », p.1127.

[3] Ibid.

[4]  Principes de politique, p.1182

Propriétaire ou squatteur, mais toujours vache à lait

Selon que vous serez propriétaire ou locataire, les jugements vous donneront tort ou raison, pourrait-on dire en paraphrasant Jean de La Fontaine[1].

Un propriétaire victime d’un squatteur l’a bien compris et a su astucieusement retourner la situation à son profit en devenant lui-même squatteur de… son propre bien.

De nombreux médias ont relayé ce nouveau fait divers. Face à un locataire mauvais payeur, le propriétaire n’a pas hésité à utiliser les propres méthodes des squatteurs : profitant de l’absence de son locataire, il a occupé son propre bien durant 48 heures, puis a changé la serrure. Dès lors, en tant qu’occupant sans titre, le droit lui devient plus favorable qu’en tant que propriétaire-bailleur lésé.

Certes, la loi a récemment changé[2] après plusieurs affaires de squat qui mettaient en évidence l’inégalité de droits entre propriétaire et occupant sans titre. Les sanctions à l’encontre des squatteurs ont depuis triplé : trois ans de prison et 45 000 euros d’amendes. Mais il s’agit plus d’une illusion que d’un vrai changement.

Pour deux raisons.

La première est que les sanctions ne s’appliquent qu’à l’issue d’une procédure, et que cette procédure est tellement longue que le propriétaire bailleur se retrouve en difficulté. Peu lui chaut que son squatteur paye une amende et qu’il loge « gratuitement » en prison si tant est d’ailleurs que le jugement soit exécuté.

La seconde est révélatrice de l’esprit de l’appareil étatique. Ainsi, le Conseil constitutionnel a invalidé l’article qui prévoyait que le propriétaire d’un logement squatté soit exonéré de son obligation d’entretien. Un classique de la politique du « en même temps » : on fait semblant de durcir les sanctions mais « en même temps », le fond reste inchangé… Le propriétaire paie la casse.

 

L’esprit de la loi selon le ministère de la Justice

Récemment, une campagne (payée par l’argent des contribuables) a fait tiquer l’Union nationale des propriétaires immobiliers : ces derniers sont présentés comme des oppresseurs aux côtés des patrons et des divorcés, comme l’illustre cette affiche.

 

Remarquez au passage que les victimes du patron ou de l’« ex » sont féminines, mais que celle du propriétaire est un homme, et que le méchant propriétaire-expulseur est une femme.

Digression : j’ai particulièrement apprécié l’humour de ce pastiche.

Précision : une expulsion est une décision de justice qui s’obtient après des années de procédures (et d’impayés). Puis, entre un jugement d’expulsion et son exécution, des années peuvent encore s’écouler. Enfin, un simple fonctionnaire de préfecture peut faire mettre aux oubliettes un jugement, sans justification.

Le ministère de la Justice met donc à disposition un fil de conseil téléphonique pour celui qui enfreint la justice, est condamné, mais désire se maintenir dans les lieux.

C’est ce qu’on appelle désormais l’État de droit : les codes ne cessent de s’allonger, les délais aussi et les « deux poids deux mesures » se multiplient. Le droit du locataire et de l’occupant sans titre est supérieur au droit de propriété.

 

Des juges nourris à la lutte des classes et irresponsables

Dans Une justice politique Régis de Castelnau dresse un portrait au vitriol de la magistrature et de son idéologie qui consiste à adopter une attitude de dépénalisation de la délinquance de ceux qui appartiennent aux bonnes catégories qualifiées de « victimes » : immigré vs « Gaulois », locataire vs propriétaire, employé vs patron…

Finalement, peu importent les lois ; des étudiants recrutés à bac +5, biberonnés par l’École de la magistrature de Bordeaux à l’aune de la lutte des classes, ressortent après trois ans avec un « permis de juger ». Ignorants des rouages du monde économique – et même de ceux de la sphère publique selon Régis de Castelnau – ces moralistes autoproclamés sont également irresponsables, et leurs dérives ne rencontrent aucune limite comme le démontre l’affaire du mur des cons.

 

Le propriétaire : une vache à lait qu’on élève jusqu’à l’abattoir

Malgré cette inégalité de droits et ce déni de justice, l’État entend multiplier les propriétaires, flattant en cela les aspirations de la majorité des ménages pour qui posséder son toit reste une priorité.

Ainsi, le prêt à taux zéro (PTZ) fait partie des mesures fétiches d’aide d’accès à la propriété qui devrait être étendu en 2024 aux classes moyennes[3]. Mais, « en même temps », le champ du PTZ sera limité à l’achat d’appartements neufs en zones tendues ou, dans les autres zones, à l’acquisition de logements anciens sous condition de rénovation.

Il est vrai qu’un propriétaire foncier devient un contribuable taillable et corvéable à merci qui a le mérite d’être plus visible et moins mobile qu’un autre. Il connaîtra les joies d’acquitter des taxes foncières toujours croissantes, des droits de mutation, et même l’impôt sur la mort. Si notre propriétaire à succès rejoint le camp ignominieux des propriétaires-bailleurs pour arrondir sa retraite, une nouvelle pluie de taxes et contraintes réglementaires s’abattra sur sa tête. Peut-être, un jour, obtiendra-t-il son bâton de maréchal : acquitter l’impôt sur la fortune immobilière qui sanctionne des plus-values illusoires. Celles-ci ne sont en effet que les stigmates de la création monétaire. L’impôt sur la fortune est l’impôt emblématique de la lutte des classes. Inefficace, il coûte plus qu’il ne rapporte à l’appareil étatique, mais il est si doux de nuire à ceux que l’on envie…

[1] Les animaux malades de la peste :« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cours vous rendront blanc ou noir »

[2] Loi dite anti-squat, validée par le Conseil constitutionnel en juillet 2023

[3] définies par Bruno Le Maire comme celles ayant un revenu compris entre 2500 euros et 4500 euros mensuel

Les libéraux, le libéralisme et l’islam

Parmi ceux qui, en France, condamnent l’islam et les musulmans, il y a les croyants et les non-croyants.

Or les croyants, d’abord, doivent se souvenir que la religion a besoin de concurrence. À peine la démonstration a-t-elle besoin d’être faite.

Dès 1684, Basnage de Beauval explique que quand une religion n’a point de concurrents à craindre, elle s’affaiblit, se corrompt.

En Angleterre, Voltaire fait cette remarque que la concurrence des religions y est extrêmement favorable à la liberté :

« S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, dit-il, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses ». (Lettres sur les Anglais, 1734, 6e lettre.)

Alexis de Tocqueville consigne presque exactement les mêmes mots dans ses Carnets américains. (Œuvres complètes, t. V, vol. I, p. 70)

Enfin, dans ses Principes de politique de 1806, Benjamin Constant a un chapitre pour prouver les avantages de la concurrence des religions, en particulier sur la pureté de la morale. (Œuvres complètes, t. V, p. 278)

Ceux qui ne croient pas n’ont pas seulement, comme les autres, à dompter et à vaincre les fanatiques, qui menacent de brûler les hérétiques. Ils doivent encore éclairer les superstitieux. C’est que pour eux toute religion pose problème, étant fondée sur le principe d’autorité.

Les commandements de la Bible sont tyranniques au premier degré.

« Suivez mes lois, gardez mes commandements, mettez-les en pratique », c’est ce que le Lévitique donne à lire.

En bon français, cela signifie : que ces commandements vous paraissent bons ou mauvais, utiles ou futiles, vous les respecterez, car j’en suis l’auteur, moi, votre maître. Car le vrai vocabulaire des religions est celui des régimes d’esclavage, de servage, ou du moins de tutelle. Chez les libéraux français, on a pu débattre pour savoir si le catholicisme était compatible avec la liberté. Tocqueville la croyait surtout compatible avec un régime monarchique (Lettre à Ernest de Chabrol, 26 octobre 1831 ; Œuvres complètes, t. XVII, vol. I) ; elle aussi serait donc anti-républicaine ?

On dira que l’islam est une religion moyenâgeuse. C’est une façon de parler : car ce sont les Arabes qui, au Moyen Âge, nous ont révélé le monde gréco-latin. Mais peut-être l’islam serait-il incompatible avec le progrès, la civilisation ?

Tocqueville, qui a séjourné en Algérie, qui a lu le Coran crayon en main, ne le croyait pas :

« La propriété individuelle, l’industrie, l’habitation sédentaire n’ont rien de contraire à la religion de Mahomet […] L’islamisme n’est pas absolument impénétrable à la lumière ; il a souvent admis dans son sein certaines sciences ou certains arts. » (Œuvres complètes, t. III, vol. I, p. 325)

On dira que les musulmans sont dangereux. C’est un propos malséant, pour nous qui ne devons voir que les individus.

Au surplus, Benjamin Constant (qui a passé 30 ans à étudier les religions) enseigne que « l’autorité ne doit jamais proscrire une religion, même quand elle la croit dangereuse. Qu’elle punisse les actions coupables qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables : elle parviendra facilement à les réprimer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir, et si elle voulait remonter jusqu’à l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de vexations et d’iniquités, qui n’aurait plus de terme. » (Œuvres complètes, t. IX, p. 832)

C’est l’idée que défendait déjà Turgot un demi-siècle plus tôt, au milieu des grandes controverses religieuses du temps :

« Une religion qui aurait établi un grand nombre de dogmes faux et contraires aux principes de l’autorité politique, écrivait-il, et qui en même temps se serait fermé la voie pour revenir de ses erreurs qu’elle aurait consacrées, ou qu’elle se serait incorporées, ne serait pas faite pour être la religion publique d’un État : elle n’aurait droit qu’à la tolérance. » (Œuvres de Turgot et documents le concernant, t. I, p. 347)

Mais l’islam est éminemment politique, et les musulmans, sans doute, veulent remplacer nos lois par les leurs.

D’abord, aucune religion ne s’est jamais accommodée des lois qu’elle trouvait établies.

Dieu dit à Moïse :

« Vous n’agirez ni selon les coutumes du pays d’Égypte où vous avez demeuré, ni selon les mœurs du pays de Chanaan dans lequel je vous ferai entrer. Vous ne suivrez ni leurs lois ni leurs règles. » (Lévitique, XVIII, 3)

Naturellement, il ne faut pas le permettre. En son temps, rappelle Édouard Laboulaye, l’Église catholique, « qui était la religion, a voulu être la science, elle est arrivée un jour à être le gouvernement ; on s’est aperçu enfin qu’elle voulait tout envahir. On a secoué le joug, et elle est rentrée dans le temple. » (Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 432)

Pour dompter et vaincre les fanatiques, qui portent atteinte aux personnes ou aux propriétés, il faut la rigueur des lois. Pour éclairer les superstitieux, il faut autre chose : des lumières, du temps et de la bienveillance. C’est-à-dire qu’il faut de la liberté : car d’un côté un « État gendarme » vaut mieux qu’un État qui se mêle de tout et ne remplit pas ses missions ; de l’autre, la diffusion des idées ne peut se faire qu’en milieu libre.

La liberté de circulation des personnes, la tolérance religieuse, sont des principes majeurs du libéralisme. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais renier nos principes et nos valeurs historiques ne peut se faire qu’au prix d’un affaiblissement.

Les libéraux et la guerre

Paix et liberté (dans cet ordre), fut le slogan et le programme adopté par Frédéric Bastiat en 1849, et il résume l’aspiration commune d’un courant de pensée tout entier.

 

Pourquoi les libéraux sont contre la guerre

Au point de vue utilitaire, la guerre est ruineuse : c’est proprement « une industrie qui ne paie pas ses frais » (Yves Guyot, L’économie de l’effort, 1896, p. 49).

Elle implique des destructions, des crises commerciales, des dettes publiques, qui ruinent les existences, découragent les initiatives et ralentissent le progrès. Aussi peut-on dire de la guerre qu’elle est en contradiction avec l’état social des sociétés modernes, fondé sur le commerce et l’industrie (J.-B. Say, Traité d’économie politique, 1803, t. II, p. 426-427 ; B. Constant, De l’esprit de conquête, 1814, p. 8). À chaque progrès économique, cette contradiction, d’ailleurs, doit s’accentuer (B. Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, 1822, p. 22).

Le passif des guerres a été dressé avec beaucoup de soin par les libéraux français. À côté des hommes qui tombent raide mort, ou qu’une bombe fait voler en morceaux, il y a tous ceux qui gisent longtemps sur le champ de bataille ou au milieu des décombres de villes attaquées, attendant un secours qui ne vient pas, appelant une aide que personne ne peut leur donner. Il y a ces piliers d’hôpital, qui y consument leur existence, ou qu’on renverra peut-être un jour dans leurs familles, amputés, incapables, l’esprit égaré, la pensée flottante dans des envies de suicide ou de meurtre qu’ils assouvissent parfois.

Et si l’on espère résoudre des différends par la guerre, c’est une véritable chimère qu’on poursuit. Car l’emploi des moyens de la violence ne résout rien, et sur les ruines encore fumantes d’un conflit qu’on dit pacificateur, s’élèvent de nouvelles difficultés et de nouveaux conflits (Frédéric Passy, « L’avenir de l’Europe », Journal des économistes, février 1895, p. 163).

 

Pourquoi la guerre ne disparaît pas

Si la guerre et l’esprit de la guerre se maintiennent dans les sociétés modernes, intéressées au plus haut point à leur abolition, c’est qu’il est une sorte de gens dont elle flatte la vanité et dont elle sert discrètement les intérêts. Pour ceux qui rêvent d’accroître les attributions du gouvernement, d’en centraliser l’exercice entre leurs mains, de préparer même les esprits à un règne d’arbitraire et de compression, la guerre est le plus sûr et le plus court moyen (Abrégé de la Démocratie en Amérique de Tocqueville, p. 73).

Le peuple est, quant à lui, dans son extrême majorité, intéressé à la paix : mais deux groupements qui procèdent de lui, marchent pourtant de travers. D’un côté, les fonctionnaires dépendent matériellement de l’État, et ils en adoptent plus ou moins les préoccupations et la morale. D’un autre, les partis qui se présentent pour représenter politiquement ce peuple essentiellement pacifique, organisent en fait une domination politique et ne rêvent que des moyens de l’accroître (Gustave de Molinari, Grandeur et décadence de la guerre, 1898, p. 99).

Il faut encore compter, dit Frédéric Bastiat, avec le tempérament belliciste des journalistes, qui excitent les passions et poussent à la guerre, depuis le coin de leur feu (Œuvres complètes, t. II, p. 198.).

 

La guerre de légitime défense est seule juste

Une seule circonstance rend, dans l’optique du libéralisme, la guerre juste et même morale : c’est la défense du territoire national. Cette mission est l’une des rares que les libéraux entendent confier à l’État ; et ce n’est pas pour qu’il s’en acquitte moins bien, mais mieux.

Mais naturellement, une nation n’a pas davantage de droits qu’un individu. Frédéric Bastiat enseigne bien, dans La Loi, que « si chaque homme a le droit de défendre, même par la force, sa personne, sa liberté, sa propriété, plusieurs hommes ont le droit de se concerter, de s’entendre, d’organiser une force commune pour pourvoir régulièrement à cette défense. Le droit collectif a donc son principe, sa raison d’être, sa légitimité dans le droit individuel ; et la force commune ne peut avoir rationnellement d’autre but, d’autre mission que les forces isolées auxquelles elle se substitue » (O. C., t. IV, p. 343).

Par conséquent, la légitime défense collective découle de la légitime défense individuelle. Pour une nation, se défendre, c’est donc parer l’attaque, la repousser, répondre au danger à mesure et d’après le degré avec lequel il se présente.

Les bornes de ce droit sont, de fait, très restreintes.

Se défendre, en particulier, ne signifie pas attaquer ; les deux notions sont antinomiques. Et Benjamin Constant a raison de critiquer ceux qui jouent sur les mots pour faire accepter leurs desseins coupables.

« Autre chose est défendre sa patrie ; autre chose attaquer des peuples qui ont aussi une patrie à défendre. L’esprit de conquête cherche à confondre ces deux idées. Certains gouvernements, quand ils envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu » (De l’esprit de conquête, 1814, p. 39).

Si l’on peut concevoir que ce soit encore « se défendre », pour une nation, que de pourchasser des criminels, de leur demander de répondre de leurs méfaits, c’est par extension, car ce sont des prérogatives de justice plus que de stricte police. On peut reconnaître ce droit, mais l’organiser par l’arbitrage et la discussion au sein du concert des nations, comme le proposaient Gustave de Molinari et Frédéric Passy.

Dans tous les cas, on doit le borner, sauf à croire que les communistes vietnamiens, par exemple, auraient eu le droit de renverser la républicaine américaine, qui avait envahi son sol, et de la forcer à inscrire dans sa nouvelle Constitution ce que Dupont ou Volney entendaient placer dans celle de France : « que la nation ne se permettra aucune guerre offensive ».

 

Comment construire le pacifisme

Parmi les libéraux, des divisions naissent quand il s’agit de déterminer la politique précise de leur pacifisme.

Il y a, naturellement, l’option de la non-intervention, que l’idéologue Volney résumait dans ces termes : « être indépendant et maître chez soi, et ne pas aller chez les autres, se mêler de leurs querelles ni même de leurs affaires » (Lettre à Th. Jefferson, 24 juin 1801).

Il y a encore la panacée peut-être insuffisante du libre-échange, défendue par Frédéric Bastiat, qui ne craignait pas d’affirmer que « certainement l’abolition de la guerre est impliquée dans la liberté du commerce » (O. C., t. II, p. 153).

D’autres ambitionnent de remplacer la guerre par le droit, et d’utiliser l’arbitrage, soit de puissances intéressées à la paix, soit d’une union des nations. Dans ce camp se rangent l’abbé de Saint-Pierre, Gustave de Molinari, Frédéric Passy, notamment. J’ai rappelé cette conception généreuse dans un article récent.

Quelle que soit la valeur de ces instruments, la question de la guerre ne peut cesser d’intéresser les libéraux. Ils doivent œuvrer en commun pour la vaincre, et substituer la civilisation fondée sur le contrat, à la civilisation fondée sur la force.

Capitalisme et féminisme libéral : architectes de l’émancipation des femmes

Le féminisme libéral est une revendication de justice. Il peut se définir comme l’extension aux femmes des protections de l’État de droit. À ce titre, c’est l’aboutissement d’un long processus historique.

 

Le régime de l’esclavage ou de la propriété des femmes

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la loi ou la coutume n’offre à peu près aucune protection aux femmes. Elles subissent impunément les menaces, les violences, le rapt, le viol, etc. Ce sont des bêtes de somme, des esclaves possédées par des hommes, plutôt que des individus. On les prend, les donne ou les vend, sans requérir aucunement leur consentement.

Charles Comte, dans les quatre volumes de son Traité de législation (1827-1828) livre préféré de Frédéric Bastiat —, rapporte les descriptions tracées par les voyageurs depuis les plages incultes sur lesquelles ils avaient débarqué.

Ainsi, sur l’île de Van-Diémen (la Tasmanie), les mariages se concluent de manière très expéditive. « Un jeune homme voit une femme qui lui plaît ; il l’invite à l’accompagner chez lui ; si elle refuse, il insiste, il la menace même d’en venir aux coups, et, comme il est toujours le plus fort, il l’enlève et l’emporte dans sa cabane. » (Mémoires du capitaine Péron, t. I, 1824, p. 253)

Aussitôt mariée, la femme Hottentote (Afrique du Sud) s’occupe seule de fournir la provision de son ménage et d’assurer les tâches ménagères. Le mari va à la pêche ou à la chasse pour son plaisir, plutôt que pour soulager sa femme ou ses enfants. Les occupations masculines sont de boire, de manger, de fumer et de dormir. (Kolbe, Description du Cap de Bonne-Espérance, t. I, 1743, p. 235)

Au nord du continent américain, lorsque les hommes ont tué une bête fauve, ce sont les femmes qui la rapportent jusqu’à la tente, qui l’ouvrent, qui la dépècent, etc. Quand le repas est apprêté, les femmes servent les hommes comme des domestiques : ceux-ci prennent alors ce qui leur convient, et souvent après eux ils ne laissent rien aux femmes. (Voyage de Samuel Hearne, du fort du Prince de Galles dans la baie de Hudson, à l’océan nord, t. I, 1798, p. 140)

Sur les côtes de Guinée, les femmes tâchent par des caresses de se faire aimer des hommes, sachant trop bien la sorte de dépendance dans laquelle elles se trouvent. (William Bossman, Voyage de Guinée, 1705, p. 211.) À Tahiti, les femmes portent le deuil de leur mari, mais eux ne portent pas le leur. (Bougainville, Voyage autour du monde, 1771, p. 228)

Partout enfin où on les trouve en milieu primitif, les femmes ont généralement l’air plus sombre que les hommes, et elles font voir des cicatrices qui témoignent assez des mauvais traitements qu’elles subissent. (Charles Comte, Traité de législation, 1827, t. II, p. 415 et 425)

 

Le régime de la tutelle

Dans l’Orient, ce premier régime s’est longtemps maintenu. Edmond About raconte que la femme y a une voix criarde et gémissante qui surprend au premier abord, et que ses paroles ne sont que des lamentations. (La Grèce contemporaine, 1854, p. 200). En Crimée puis à Constantinople, Gustave de Molinari décrit aussi les femmes séquestrées dans leurs maisons, voilées à n’en distinguer que les yeux, et qui sont purement et simplement des propriétés. (Lettres sur la Russie, 1861, p. 259 et suiv., p. 376)

Mais dans la France du XIXe siècle, les libéraux observent une situation déjà bien différente : c’est le régime de la tutelle.

Historiquement, on sait que ce n’est pas pour des raisons humanitaires que l’esclavage a été aboli aux États-Unis, ou qu’en Europe, il s’est transformé en servage, avant de disparaître. Cette évolution fut le fruit avant tout de la pression du progrès économique produit par le capitalisme.

C’est aussi le capitalisme qui a permis la première émancipation des femmes, en donnant une valeur sans cesse plus grande aux services de l’intelligence plutôt qu’à la seule force physique. Plus une société a de capitaux, en effet, et moins on a recours à la puissance humaine brute ; moins donc on dépend de l’homme fort. D’abord, on abattait un arbre à mains nues ; ensuite, on usa d’outils rudimentaires ; enfin vinrent les scies mécaniques : et chaque progrès capitaliste augmentait l’utilité intrinsèque du travail des femmes.

Lorsqu’aux premiers temps de l’histoire de l’humanité tout le travail s’accomplit par l’emploi de la force humaine, les femmes et les êtres plus faibles physiquement ne peuvent espérer une rémunération satisfaisante, à moins d’un talent hors pair. Les femmes sont alors économiquement dépendantes. Si l’une d’elle conçoit l’idée de quitter sa cabane pour éviter les mauvais traitements de son mari, raconte l’abbé de Saint-Pierre, et veut « tâter de la solitude », elle n’y reste pas longtemps, devant l’effroi d’une vie de dénuement, dans la crainte de mourir de faim et de froid, et de voir sa vie s’éteindre en effet en peu de temps. (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, t. II, 1713, p. 12)

Jean-Jacques Rousseau, qui a célébré l’âge d’or de la vie sauvage, a poussé plus loin l’inconvenance en jetant l’opprobre sur « le premier homme ayant enclos un terrain », etc. Pourtant, les travaux plus paisibles de l’agriculture, en fournissant un emploi suffisamment productif aux femmes, ont participé à leur meilleure conservation. (Gustave de Molinari, La viriculture, 1897, p. 36) Et tout progrès capitalistique leur a permis d’augmenter leur contribution productive.

 

Le régime de la liberté

L’adéquation entre le régime légal que les intérêts matériels d’une société rendent utiles, et la législation réelle, demande du temps et des efforts. Pour hâter cette transformation, de nombreux libéraux ont défendu la cause de l’extension complète de l’État de droit aux femmes.

Édouard Laboulaye voulait pour les femmes des droits égaux, y compris le droit électoral. (Histoire politique des États-Unis, t. III, 1866, p. 323 et suiv.)

Paul Leroy-Beaulieu pensait que « l’on pourrait juger de l’état d’une société entière d’après la situation qui y est faite à la femme ». (Populations ouvrières, 1868, p. 178) Il voulait que la femme soit protégée par la loi contre les excès de son mari, qu’elle obtienne la libre disposition de son salaire. (Discussion à l’Académie sur le code civil et les ouvriers, 1886)

Yves Guyot surtout, a mené une campagne inlassable, engagée très tôt pour la liberté égale des femmes, y compris le suffrage. « Le christianisme, disait-il, a conquis son influence en promettant à la femme de la relever. Il n’a pas tenu complètement sa promesse. Nous devons la réaliser dans nos pays et aider, chez les autres peuples, les femmes à obtenir une situation meilleure. » (Lettres sur la politique coloniale, 1885, p. 398)

Furent-ils plus nombreux, et avaient-ils en général des idées plus radicales encore ? C’est ce qu’il est permis de supposer. Avril de Sainte Croix observe en 1922 que « Monsieur Yves Guyot est probablement le doyen des féministes. Il a été un féministe quand cette qualité soulevait les railleries des gens qui se prétendaient sérieux… Il n’a cessé de réclamer l’égalité civile, l’égalité économique et l’égalité politique des femmes. » (Conférence du 30 janvier 1922 ; Fonds Guyot, Archives de Paris, D21J 65.) Or ces moqueries ont certainement pu en décourager quelques-uns.

Voyez la colonisation. Quand l’enthousiasme était presque unanime, certains cachaient leur désapprobation. Sortant du bois en 1848, Léonce de Lavergne dit par exemple : « J’avais déjà cette opinion sous la monarchie, quand les millions pour l’Afrique se donnaient sans compter, mais j’hésitais à la produire en présence de l’engouement général, j’attendais… » (Revue de deux-mondes, 1er mai 1848.)

On voit d’ailleurs dans les archives d’Edmond About qu’au seuil de son grand livre sur la liberté, il écrivait qu’elle est due tant aux hommes qu’aux femmes. Mais son éditeur a rayé cette phrase cruciale, et elle n’apparaît pas dans l’imprimé. (Bibliothèque de l’Institut, Ms. 3984)

Il faudrait prendre en compte aussi tout cela, dans la balance qu’on ferait avec les opinions antiféministes de Benjamin Constant, avec les doutes ou les atermoiements de Jules Simon, de Gustave de Molinari.

 

Pourquoi toutes les femmes devraient être libérales

La demande du féminisme libéral est assez simple. Puisque l’État est une sorte de société en commandite établie pour produire la sécurité de tous, il faut que les femmes aient une voix à l’égal des hommes et que leur protection soit assurée comme celle des hommes.

Les anti-libéraux construisent un État omnipotent (en théorie), qui prétend tout régenter, mais n’accomplit rien qui vaille. C’est un gros monsieur qui est tout à tour professeur, médecin, entrepreneur de spectacle, que sais-je encore. Comment n’en oublierait-il pas de bien assurer la sécurité, de bien rendre la justice ?

À l’inverse, la demande d’un État minimal est celle d’un État qui a peu de fonctions, mais qui les remplit. Or les femmes ont, plus encore que les hommes, besoin de cet « État gendarme », qui fasse bien son métier.

Le capitalisme, en outre, marche pour elles.

Le féminisme libéral a moins de puissance verbale que celui qui demande des privilèges de sexe ou des réparations. Il ne dira pas que ce qui est inégal est égal. Mais il protégera chacun, et placera tous et toutes sous la grande loi d’égalité et de justice de la concurrence pour la rémunération des services. Il ne lui manque que d’avoir conscience de sa force persuasive.

 

Incidents suite aux hommages à Dominique Bernard : sanctionner, et après ?

Si la France est connue pour être un pays de manifestations violentes, depuis plusieurs années l’émergence de l’expression « pas de vagues », en particulier dans l’Éducation nationale, interroge sur les véritables intentions de ses locuteurs.

Témoin d’une explosion des tensions communautaires, la France connaît depuis plusieurs années un climat social exacerbé, aussi bien sur le plan économique que culturel.

Explicitement rejeté devant l’Assemblée nationale le 17 octobre dernier par le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal lors d’une séance de questions au gouvernement où il fit l’objet de dix interpellations relatives à l’attaque terroriste d’Arras qui a coûté la vie d’un professeur de français, le « pas de vague » revient sur le devant de la scène.

Cependant, au-delà des mesures répressives, les 357 incidents recensés par le ministère de l’Éducation nationale interrogent sur la nécessité d’attaquer les causes profondes des tensions qui traversent l’Hexagone.

 

357 incidents

Fraîchement nommé ministre de l’Éducation nationale en juillet dernier, le jeune Gabriel Attal n’a pas mâché ses mots lors de la séance de questions au gouvernement qui se déroulait le mardi 17 octobre dernier à l’Assemblée nationale.

Après une minute de silence en hommage au professeur Dominique Bernard, assassiné le vendredi précédent, celui que beaucoup voient comme un dauphin du président de la République a prononcé des mots que beaucoup espéraient voir traduit en actes depuis bientôt 30 ans :

« Le pas de vagues, c’est fini ! ».

L’origine de ce ton martial réside dans les 179 incidents remontés aux services du ministère de l’Éducation nationale au lendemain de la minute de silence. Ce nombre, qui est passé à 357 dès le lendemain, du fait du délai de comptabilisation administrative, représente autant de perturbations, de provocations, voire d’insultes à la mémoire du professeur de 57 ans tué par Mohammed Mogouchkov, un jeune tchétchène de 20 ans radicalisé, et dont la famille est bien connue des services de police.

Parmi ces 357 cas, une dizaine relèverait ouvertement de l’apologie de terrorisme.

Une semaine après les événements, le ministère a comptabilisé 183 exclusions d’élèves qui ne feront donc pas leur rentrée le 6 novembre prochain.

Si ce nombre correspond à moins de la moitié des 793 incidents ayant été recensés lors de l’hommage à Samuel Paty, il y a presque trois ans jour pour jour, la consigne a été donnée par Gabriel Attal, dès le lendemain de l’attentat, de signaler systématiquement tout incident.

Dans la majorité des cas, ces perturbations relèvent de simples manques de respect et de maturité. Cependant, un certain nombre évoque des relativisations de la mort de l’enseignant, l’évocation de la cause palestinienne, voire tout simplement de l’apologie de terrorisme ou des menaces de mort.

Le 18 octobre, Gabriel Attal a évoqué 179 saisines du procureur de la République visant directement les fauteurs de troubles.

Les élèves concernés risquent jusqu’à deux ans et demi de prison pour les mineurs et cinq ans pour les majeurs en cas d’apologie de terrorisme.

 

Mila agressée

Toujours dans le cadre de l’hommage national à la mort de Dominique Bernard, la jeune Mila, connue pour avoir été harcelée en 2020 pour des propos critiquant la religion musulmane, aurait été violemment prise à partie lors de l’hommage lyonnais par un cadre de la Jeune Garde, groupuscule d’extrême gauche connu pour avoir abrité en son sein Hamma Alhousseini, condamné en 2020 pour agression, soutien du groupe terroriste djihadiste Boko Haram, ou encore d’agressions envers des personnalités politiques d’extrême droite, voire de féministes antifascistes.

Plus récemment encore, ce dimanche soir, dans un TGV, un homme portant une kippa a été menacé. Un acte parmi les 588 recensés par le ministère de l’Intérieur depuis les attaques du Hamas sur Israël au début du mois, et après une année 2022 qui a vu le nombre d’actes antisémites baisser, selon le Crif.

 

Une explosion des atteintes à la laïcité

Ce climat délétère, accentué par les événements au Proche-Orient, en dit malheureusement beaucoup sur les fractures françaises.

Selon une note des services de l’État que nos confrères d’Europe 1 se sont procurés fin août, depuis l’assassinat de Samuel Paty, en octobre 2020, le nombre d’atteintes à la laïcité signalées dans les écoles n’a cessé d’exploser.

Toujours selon le ministère, cette situation serait le fruit de trois facteurs :

  1. Augmentation du fait religieux dans la jeunesse
  2. Vision anglo-saxonne de la laïcité
  3. Importance du facteur communautaire

 

L’échec du traitement répressif

Depuis bientôt deux semaines, qu’il s’agisse des commentaires de certains articles ou des politiques eux-mêmes, nous assistons à l’ouverture du concours Lépine des mesures répressives, comme si la solution se trouvait dans un traitement symptomatique de cette fracture, et non dans une thérapie de fond.

Depuis bientôt 20 ans, à coup d’interdiction de signes religieux (voile, burka, abaya…) et de répression de discours de haine, le législateur a été incapable d’enrayer la montée de l’islamisme. Cette pensée se nourrit de la misère économique, de la victimisation et d’une complaisance de certains politiques qui voient dans ses partisans une manne électorale.

 

La victoire de la pensée de groupe

Ce phénomène s’appuie sur une pensée holiste, réduisant l’individu à ses groupes d’appartenance. Si la présence de cette pensée est particulièrement évidente dans la mécanique électoraliste, elle l’est tout autant dans la montée de l’islamisme et des doctrines wokes qui s’appuient sur elle.

En effet, la montée du discours communautaire, voire islamiste, permet à un jeune né en banlieue parisienne de parents français de se sentir solidaire du peuple palestinien vivant à plus de 3000 km de là et dont il ne connaît rien, parce qu’ils ont la même religion, même si leur pratique est sans doute bien différente.

Cette même mécanique l’empêche, a contrario, de ressentir de la solidarité avec un professeur tué à moins de 200 km de là, et avec qui il partage sans doute davantage de marqueurs culturels.

 

Une guerre civile froide

Les incidents liés à l’apologie du terrorisme et les atteintes à la laïcité en France soulèvent des inquiétudes. Les réponses répressives actuelles sont loin d’être suffisantes si on ne s’attaque pas aux causes sous-jacentes.

Ne nous cachons pas derrière nos petits doigts : la France vit aujourd’hui, et depuis plusieurs années, une guerre civile froide. Plusieurs catégories de Français se font face et se fuient mutuellement. Cette guerre n’est pas ouverte, mais culturelle et idéologique, à la manière du conflit ayant opposé les États-Unis à l’URSS entre 1945 et 1990.

Comme elle, la branche victorieuse sera celle montrant sa supériorité morale : le repli communautaire et la division de la société par catégories ethniques, religieuses ou sexuelles ; ou le vivre ensemble et l’universalisme marquant la primauté de l’individu au sein du corps social.

La capacité à reconnaître le statut de victime du Juif, un marqueur républicain ?

La capacité – ou non – pour un personnel politique de voir l’antisémitisme dans la société et de le dénoncer peut bien souvent servir de marqueur de son attachement aux valeurs républicaines et de sa capacité à traiter les faits de manière objective. L’actualité nous en a de nouveau donné une preuve, en excluant par là même une partie de la classe politique du champ républicain. La réaction de la France Insoumise à l’épisode du bombardement de l’hôpital sud de Gaza est à cet égard très représentative.

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2023, un missile israélien aurait visé volontairement un hôpital du sud de Gaza, dans lequel les autorités israéliennes avaient pourtant poussé les civils à aller se réfugier pendant des attaques au nord.

Les chiffres du ministère de la Santé de Gaza commencent à tomber : 500 ; 700 ; 1000 morts. La plupart étant du personnel médical, des blessés, des femmes et des enfants. Les condamnations tombent.

 

La gauche antisioniste

Dès 23 heures, Ersilia Soudais, vice-présidente insoumise du groupe d’étude contre l’antisémitisme à l’Assemblée nationale, a eu des mots forts :

« Israël a violé le droit humanitaire international, mais ne l’assume pas, alors que les preuves sont là ».

Les réactions de son groupe et de son parti sont du même acabit.

La réaction du député de la France Insoumise Thomas Portes s’inscrit dans un récit bien connu de la gauche antisioniste, les Israéliens ont une fâcheuse tendance à mentir :

« Les agents de propagande israéliens organisent une opération de communication car ils n’assument pas le bombardement d’un hôpital à #Gaza. Aucune surprise, cela fait des années qu’Israël utilise cette même stratégie. »

Pourtant, une conférence de presse organisée le 18 octobre au petit matin par le gouvernement israélien, en présence du président américain qui l’a avalisée, a apporté des preuves multiples allant dans le sens, non pas d’une attaque israélienne, mais d’une erreur d’un groupe terroriste palestinien. Si aucune enquête indépendante n’a été menée, les données OSINT de géolocalisation, les photos prises au matin par les sources locales montrant l’absence de cratère caractéristique des frappes aériennes et des dégâts mineurs, les enregistrements audios, des vidéos nombreuses et de sources diverses montrant une roquette tombant du ciel gazaoui vont en faveur de la version israélienne.

Par ailleurs, il est extrêmement difficile de ne pas noter l’empressement des Insoumis d’attribuer sans preuves ce bombardement d’un hôpital à Israël, surtout en le comparant à leur refus global de qualifier de terroristes les pogrom du 7 octobre ayant fait plus de 1300 morts, malgré les exactions perpétrées.

De la même manière, il devient complexe de ne pas lire un tel comportement à la lumière des paroles du NPA (visé depuis par une enquête pour apologie du terrorisme) ou de mouvements de gauche considérant le Hamas comme représentant légitime du peuple palestinien, et ses exactions comme une action de résistance comme une autre.

D’un côté, certaines populations seraient victimes par essence, de l’autre, elles seraient criminelles par essence. Le plaquage d’une construction théorique au réel prend le pas sur une analyse des faits.

Une telle conception philosophique essentialiste trouve son paroxysme dans la gestion de la question juive, dernière digue de l’universalisme.

 

Survivance des préjugés antisémites

Car en effet, de l’extrême gauche à l’extrême droite traditionnelle ou antivax, les justifications pour faire souffrir les Juifs sont pléthore.

De la crucifixion du Christ au Protocole des sages de Sion, en passant par l’empoisonnement des puits, la juiverie nationale ou internationale a toujours été une raison suffisante pour justifier les violences. Trop communautaires, aux pratiques barbares, vénaux, duplices, les Juifs n’ont, historiquement, jamais été considérés comme victimes, malgré les siècles d’horreurs traversés.

Indéniablement, une présence fantasmée à des postes clés, potentiellement justifiée par une obsession juive de l’intégration dans leur pays d’exil et à une valorisation juive des valeurs de travail et de réussite intellectuelle, ont pu jouer un rôle dans le refus de ce statut. Comment imaginer un peuple survivant aux siècles et continuant à réussir malgré les violences comme correspondant à l’idéal type de la victime ?

Par la suite, des sociologues spécialistes de la question, comme Nonna Mayer, ont montré l’importance nouvelle de la théorie de la « double allégeance » selon laquelle les Juifs en diaspora seraient toujours plus attachés à Israël qu’à leur pays. [1]

Évidemment, l’assignation identitaire, la croyance selon laquelle des caractéristiques identitaires d’un individu dictent son comportement, ne sont pas réservées aux Juifs.

Mais il est à noter que si de nombreuses assignations sont à la fois négatives et victimaires, aucune vision, sauf pour les Juifs, ne reconnaît des stéréotypes négatifs existant sans accepter que la cible de ces stéréotypes soit une victime. Entendons-nous, les stéréotypes négatifs associés autrefois à, par exemple, l’immigration arabo-musulmane en France, les Indiens d’Amérique, ou les Afro-Américains aux États-Unis, s’accompagnent aujourd’hui d’une reconnaissance victimaire de cette oppression.

Malgré des millénaires d’oppression, le Juif n’est jamais vu comme une victime potentielle.

Dans Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, Illana Weizman traite par exemple de cette impossibilité de reconnaissance victimaire. Le Juif, trop intégré, trop occidentalisé, trop blanc, ne peut se prévaloir du statut d’opprimé, car par sa puissance dans les institutions et son intégration, il fait partie du système oppresseur.

La République, universaliste, avec ses principes d’égalité, de fraternité et de laïcité, a aspiré à éliminer toutes les formes de discrimination. Mais parmi tous les préjugés qui ont persisté dans la société, ceux concernant les Juifs sont particulièrement tenaces. Historiquement, les stéréotypes antisémites ont montré une résilience effroyable, résistant aux évolutions sociopolitiques et culturelles. L’Affaire Dreyfus a montré en particulier que les préjugés antisémites peuvent survivre, même au sein des institutions les plus respectées de la République. Même si Dreyfus a finalement été innocenté, l’affaire a révélé un antisémitisme profondément enraciné dans la société française.

Par ailleurs, dans Permanence et renouveau de l’antisémitisme en France, Nonna Mayer met en avant l’idée selon laquelle les préjugés antisémites sont les plus ancrés, partent le plus difficilement, et que par ailleurs, ils sont ceux qui reviennent le plus vite. La possibilité même de reconnaître aux Juifs le statut de victimes lié aux violences qu’ils vivent devient alors un marqueur global d’universalisme et d’inscription dans le champ républicain.

 

La destruction des préjugés est-elle allée suffisamment loin pour qu’on puisse accepter que le Juif puisse avoir ce statut de victime sans qu’il en soit responsable, et ce, malgré son statut fantasmé ? C’est à cette question qu’a répondu par la négative une partie de la classe politique.

Bien entendu, il faut admettre un antisémitisme latent chez beaucoup d’antisionistes fervents, souvent d’ailleurs silencieux sur la question des droits de l’Homme quand elle ne concerne pas Israël. Il faut voir un antisémitisme latent quand des personnages politiques français ramènent des Juifs français à leur origine lorsqu’ils s’expriment politiquement, ou quand il leur est reproché d’instrumentaliser la Shoah à des fins victimaires.

Mais rien ne peut plus être tenu en mépris que l’idée selon laquelle les Juifs sont toujours en quelque sorte responsables de leur sort. Idée simple, mais qui pourtant pousserait à ne pas penser qu’égorger des enfants, même contre l’État juif, n’est jamais un acte de résistance, que d’éventrer des femmes enceintes et de pendre leur bébé mort-né n’est pas un moyen de lutte, que les Israéliens ne s’amusent pas à détruire des hôpitaux, et qu’ils ne fondent pas toute leur politique sur le mensonge.

Il résulte de cette vision biaisée un réel danger pour les Juifs, lorsque des députés de la République leur mettent une cible sur le dos en considérant que l’État juif est intrinsèquement menteur, et qu’une mort juive n’a pas tant d’importance que ça.

Partout en Europe, le discours anti-israélien fondé sur les poncifs antisémites provoque d’ailleurs des nouvelles violences contre le peuple déicide.

[1] Nonna Mayer, IV. Permanence et mutations des préjugés antisémites en France in L’antisémitisme contemporain en France (2022)

Universités en Californie : quand la lutte antiraciste vire au racisme

Même les luttes bien intentionnées peuvent mal finir. Érigé en norme après la Seconde guerre mondiale, l’antiracisme est en passe de sombrer dans un véritable chaos idéologique, et les universités nord-américaines ne sont pas en reste dans ce travail de sape.

 

Université inclusive

Le journal Le Monde vient de révéler un document stupéfiant, émis par la direction du California Community Colleges (CCC), l’organisme qui gère les cycles courts de l’enseignement supérieur public en Californie.

Ce document est destiné à mettre en œuvre la politique DEI (Diversity, Equity, Inclusion). Pour ce faire, tous les personnels « doivent démontrer qu’ils travaillent, enseignent et dirigent dans un environnement diversifié qui célèbre et inclut la diversité ».

Un engagement individuel est attendu. Il ne s’agit pas d’une simple recommandation, puisque les personnels seront évalués sur leurs compétences et résultats en matière de DEI. Le ton est très vite donné : il est notamment précisé qu’ils doivent être conscients que les identités sont « diverses et fluides », fondamentales pour les individus, et qu’elles sont à l’origine des « structures d’oppressions et de marginalisation ».

 

L’antiracisme au soleil de la Californie

Le document est accompagné d’un glossaire qui est un monument en soi. Tout le vocabulaire woke y figure : racisme structurel, identité de genre, privilège blanc, discrimination, racisme voilé, inclusion, micro-agression, etc. Sa lecture étant vivement conseillé pour qui souhaite disposer d’un condensé de l’idéologie woke.

On peut y déceler cinq idées principales.

Le racisme est partout

C’est ce que soulignent notamment les articles sur le « racisme structurel » et le « racisme institutionnel ». Le racisme imprègne les institutions et les mentalités. Même s’il est difficile de localiser précisément la « domination blanche », celle-ci « se diffuse et infuse dans tous les aspects de la société ». Elle est donc présente dans l’histoire, la culture, la vie politique et l’économie.

Le racisme est à sens unique

Il concerne uniquement l’attitude des Blancs à l’égard des minorités de couleur. Aucune remarque ne concerne le racisme qui pourrait émaner des minorités vers la majorité, ou entre les minorités elles-mêmes. La notion de « privilège blanc » illustre bien ce caractère unidimensionnel du racisme. Seuls les Blancs sont frappés par le mal ; tous les autres groupes en sont épargnés.

La population se divise en deux : les racistes et les non-racistes

Le texte l’affirme explicitement : « les personnes sont antiracistes ou racistes ». Il n’existe donc ni situations intermédiaires ou équivoques ni attitudes contradictoires ou plurielles dans le rapport que chacun peut avoir avec autrui. On est soit du côté du Bien, soit du côté du Mal ; on est pur ou impur.

L’antiracisme nécessite d’effectuer une conversion personnelle

Il doit se traduire par un engagement total. Ceux qui prétendent être non-racistes sont dans le déni des problèmes. Un antiraciste authentique est celui qui commence par confesser ses torts : il doit admettre qu’il a lui-même été raciste. Une fois converti, il doit mettre toute son énergie dans la lutte pour abattre le racisme systémique. Un prosélytisme authentique est la seule manière de racheter ses errements passés et de montrer que l’on est passé du côté des purs.

Il ne faut pas céder aux sirènes des faux arguments

Les faux arguments sont le rejet de la discrimination positive et la défense de la méritocratie. La politique de traitement préférentiel est une bonne chose. Ceux qui s’y opposent en parlant d’un « racisme inversé » sont dans l’erreur. Ce sont les opposants à la discrimination positive qui sont les vrais racistes car ils sont aveugles au racisme structurel. Il en va de même pour la méritocratie, qui est un concept fallacieux et pervers. Le mérite est une notion faussement neutre : elle relève de « l’idéologie de la blanchité » (ideology of Whiteness) et ne fait que protéger le privilège blanc, donc le racisme systémique.

 

Désastreuse université

Qu’un tel recadrage idéologique puisse intervenir au pays de la liberté, dans sa partie la plus riche et la plus avancée, ne peut manquer de surprendre.

Bien sûr, on comprend que la société américaine soit marquée par l’histoire de la ségrégation raciale et qu’elle peine à sortir de ses fractures. Mais sachant que ces questions sont sensibles et âprement controversées, on aurait pu s’attendre à ce que les autorités universitaires fassent preuve de tact et de retenue, en tout cas qu’elles sortent des lectures dogmatiques, et proposent au minimum quelques arguments factuels.

Or, elles font exactement le contraire, ce qui est particulièrement inquiétant sur l’état des universités américaines.

 

Composition des étudiants de première année à l’UCLA par ethnicité/race (2022).

Africain Américain          8 %
Indien américain ou Natif Alaska          1 %
Asiatique       38 %
Hispanique       22 %
Blancs       27 %
Inconnus         4 %
Total   100 %

Source : UCLA

 

Car la lutte contre le racisme ne justifie pas tout. Elle ne doit pas conduire à renoncer à l’objectivité et à la rigueur. Un simple regard sur la composition des étudiants de l’UCLA (université de Californie) apporte un autre éclairage. Certes, les Noirs sont faiblement représentés (8 %), mais les Blancs sont devenus minoritaires (27 %) : ils sont largement devancés par les Asiatiques (38 %), et la part des Hispaniques ne cesse de progresser pour se situer juste derrière celle des Blancs (22 %).

On ne voit pas comment un système prétendument gangréné par le racisme des Blancs pourrait accepter une telle remise en cause de la prééminence de ses membres.

 

L’ennemi Blanc

Loin de tenir un propos apaisant et objectif, le CCC désigne clairement un ennemi : les Blancs.

Dans le glossaire, la « Suprématie blanche » (White Supremacy) est présentée comme « un système d’exploitation et d’oppression à l’égard des nations et des peuples de couleur » qui a été instauré par « les nations blanches du continent européen dans le but de maintenir et défendre leur bien-être, leur pouvoir et leur privilège ».

Ce raccourci historique est déjà très discutable, mais il laisse entendre que rien n’a changé, ce qui sous-entend que ce terrible système d’oppression est toujours en place.

Les étudiants sont donc invités à communier dans la détestation des Blancs. Aussi déroutant que cela puisse paraître, tous les thèmes du discours raciste, qui sont dénoncés à juste titre, sont appliqués aux Blancs : l’essentialisation, la stigmatisation, la haine viscérale et la logique du bouc émissaire. En somme, après avoir identifié les caractéristiques du racisme, le glossaire DEI les transpose sans difficultés aux Blancs. Cette évidente contradiction ne saute pas aux yeux des auteurs.

 

L’université, école de la haine ?

Au-delà de l’aspect stupéfiant de ce document, on se demande sur quoi peut déboucher une telle rhétorique ? Quel programme d’action est-elle en mesure de tracer ?

Si le racisme imprègne profondément les mentalités, on voit mal ce qui pourrait permettre d’y échapper. Si le racisme est partout, à quoi bon agir ?

Le mouvement antiraciste est alors condamné à se radicaliser : seule une lutte totale, de type révolutionnaire, peut être à la hauteur de la situation. Ce faisant, le mouvement antiraciste est condamné à se refermer sur lui-même. Curieusement, le glossaire commence par le mot « Allié ». Il indique que, dans le cas de la lutte contre l’oppression raciale, les alliés « sont souvent des Blancs qui travaillent à mettre fin à l’oppression systémique des gens de couleur ».

Mais comment convaincre les Blancs de rejoindre une cause qui les insulte et qui fait d’eux l’incarnation du mal ? Du reste, les Blancs ne vont-ils pas se mettre à penser que l’antiracisme est devenu une nouvelle idéologie totalitaire et raciste qui menace la démocratie elle-même ?

 

Faillite de l’université

L’hypothèse d’une régression intellectuelle de l’université doit être prise au sérieux. Les manifestations de sympathie à l’égard du Hamas qui ont récemment été observées sur plusieurs campus, y compris à Harvard, ne sont pas faites pour rassurer.

Ce soutien à un mouvement terroriste a un mérite : il fait tomber les masques. Il dévoile toute l’hypocrisie qui se cache derrière le discours lénifiant sur la création d’un environnement bienveillant et inclusif à l’égard des étudiants. La création de Safe space, le bannissement des prétendues « micro-agressions » et autres discours de haine n’empêche aucunement de laisser s’exprimer la haine à l’égard des juifs sans que les directions universitaires n’y trouvent rien à redire.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il reviendra aux historiens de demain de résoudre cette énigme. Certains ont pointé le rôle de la féminisation de l’enseignement supérieur en expliquant que les hommes ont moins peur du conflit et des idées offensantes, alors que les femmes sont surtout attachées à la compassion et à la protection des groupes vulnérables, mais il est évident que cette explication est insuffisante.

Toutes les universités américaines ne sont évidemment pas sur le même plan. Il n’empêche que la Californie n’est pas n’importe quel État, et il se pourrait bien qu’elle représente l’avant-garde d’un mouvement plus large. L’enjeu est de savoir comment s’en protéger.

Benjamin Constant, penseur de la liberté sous toutes ses formes

Par Damien Theillier.

Benjamin Constant est né en 1767 à Lausanne dans une famille française exilée en Suisse pour échapper à la persécution religieuse. Sa mère meurt à sa naissance. Son père s’occupe de son éducation et l’envoie étudier à Édimbourg où le jeune Benjamin se familiarise avec l’école écossaise de philosophie et d’économie. Ses professeurs sont Adam Smith et Adam Ferguson. Constant étudie la tradition de l’ordre spontané et il lit Godwin, qu’il traduira plus tard en français.

Il écrit :

La France avec l’Angleterre et l’Écosse, a contribué plus que toute autre nation à la théorisation, si ce n’est à la pratique, de la liberté.

À vingt ans, il assiste à la Révolution française. Il fréquente le salon des Idéologues et rencontre Germaine de Staël, fille de Necker le trésorier de Louis XVI, qui deviendra sa muse et sa maîtresse. Il est nommé par Napoléon au Tribunat et joue un rôle politique auprès de lui dans la rédaction d’une constitution républicaine. Mais il devient vite un opposant à Bonaparte, critiquant son militarisme et son despotisme. À cette époque, il rédige son De l’esprit de conquête et d’usurpation, qui démontre que les gouvernements se servent de la guerre comme d’un « moyen d’accroître leur autorité ». Ce livre, paru en 1813, est une source majeure de la pensée industrialiste.

En 1803, il est interdit de séjour en France avec Madame de Staël. C’est l’exil au château de Coppet en Suisse, la demeure de Necker, père de Germaine de Staël. Pendant plusieurs années, il sera le leader du « groupe de Coppet ». Des intellectuels venus de toute l’Europe vont se rencontrer là de façon informelle et étudier la liberté sous toutes ses formes : philosophie, littérature, histoire, économie, religion. Leurs travaux portent sur les problèmes de la création d’un gouvernement constitutionnel limité, sur les questions du libre-échange, de l’impérialisme et du colonialisme français, sur l’histoire de la Révolution française et de Napoléon, sur la liberté d’expression, l’éducation, la culture, la montée du socialisme et de l’État-providence, la philosophie allemande, le Moyen Âge, etc.

En 1814, Constant revient à Paris. À partir de 1816, il siège à la Chambre des Députés  et il devient le chef de file du Parti libéral. Il meurt en 1830 et le marquis de La Fayette, son ami, prononce son éloge funèbre. Sir Isaiah Berlin a appelé Constant « le plus éloquent de tous les défenseurs de la liberté et de la vie privée ».

En 1819, dans son célèbre discours à l’Athénée royal, Benjamin Constant compare la liberté des « modernes » à celle des « anciens ». La liberté, dans nos sociétés modernes, ne peut plus se comprendre à la manière des sociétés de l’Antiquité comme participation directe aux affaires de la cité. Chez les anciens, l’individu est souverain dans les affaires publiques, mais esclave dans tous ses rapports privés. Le sacrifice de la liberté individuelle est compensé par l’usage des droits politiques : droit d’exercer directement plusieurs parties de la souveraineté, de délibérer sur la place publique, de voter les lois, de prononcer les jugements, d’évaluer et de juger les magistrats. C’est une liberté politique.

Benjamin Constant n’a cessé de rappeler qu’une « ère du commerce » avait remplacé « l’ère de la guerre » et que la liberté des modernes, la liberté individuelle, était aux antipodes de la liberté des anciens, la liberté collective. Cette distinction entre la civilisation ancienne et moderne implique deux formes d’organisation distinctes. C’est précisément ce que Rousseau, et les révolutionnaires à sa suite, n’ont pas compris. En voulant réactiver le modèle de la cité antique, ils ont fait basculer la révolution dans la Terreur.

La liberté des anciens, écrit Benjamin Constant, se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif. Notre liberté, à nous, doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée ; il s’ensuit que nous devons être bien plus attachés que les anciens à notre indépendance individuelle.

La liberté moderne est une liberté individuelle, elle repose sur le droit à la vie privée. C’est le droit de n’être soumis à aucun arbitraire, le droit d’expression, de réunion, de déplacement, de culte et d’industrie. Pas de liberté sans la possibilité de choisir son mode de vie et ses valeurs, donc pas de liberté sans la possibilité de se soustraire à la communauté et par conséquent pas de liberté sans une limitation de l’État pour permettre l’existence de cet espace privé. C’est une liberté civile, qui correspond à ce que les Américains appellent les droits civiques. Le pouvoir politique correspondant à la liberté des modernes est donc un pouvoir limité : « Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargeons de notre bonheur ». Ce n’est pas à l’État de nous dire comment être heureux.

Or, selon Constant, « la confusion de ces deux espèces de libertés a été, parmi nous, durant des époques trop célèbres de notre révolution, la cause de beaucoup de maux ». Jean-Jacques Rousseau, en pensant la liberté uniquement comme participation collective des citoyens à l’action politique, a incité Robespierre à contraindre les citoyens par la terreur. Les errements de la Révolution sont donc le résultat de l’application moderne de principes politiques valables chez les anciens.

Mais il n’est pas question pour autant de sacrifier la liberté politique, la participation au pouvoir. Constant précise que si la liberté moderne diffère de la liberté antique, elle est menacée d’un danger d’une espèce différente. Le danger de la liberté des anciens était l’arbitraire. Le danger de la liberté des modernes serait de renoncer aux garanties politiques de cette liberté par une sorte d’indifférence au bien public. Autrement dit, il appartient aux citoyens d’exercer une surveillance permanente sur leurs représentants.

Dans ses Principes de politique, Benjamin Constant affirme :

La souveraineté du peuple n’est pas illimitée, elle est circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste.

C’est une nouvelle critique de Rousseau et du Contrat Social : même une volonté générale est soumise à des limites et elle ne peut changer ce qui relève du droit naturel. Il existe un droit antérieur et supérieur à l’autorité politique : c’est le droit naturel. Ce droit fixe les bornes du pouvoir politique et limite les libertés individuelles.

Dire que tout pouvoir légitime doit être fondé sur la volonté générale ne veut pas dire que tout ce que la volonté générale décide est légitime. Constant se rattache ainsi à la Déclaration des droits de l’homme de 1789, article II, qui stipule que l’État n’est institué que pour conserver les droits naturels. Il y a donc des domaines dans lesquels le pouvoir politique n’a aucune influence : la morale et la religion, mais aussi la science (les mathématiques, l’histoire) qui relève de l’autorité du savoir.

Pour finir, Benjamin Constant ne sépare pas libéralisme politique et libéralisme économique. La liberté est une et le libéralisme est une seule et même doctrine :

J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minorité à respecter l’ordre : mais tout ce qui ne trouble pas l’ordre, tout ce qui n’est qu’intérieur, comme l’opinion ; tout ce qui, dans la manifestation de l’opinion, ne nuit pas à autrui, soit en provoquant des violences matérielles, soit en s’opposant à une manifestation contraire ; tout ce qui, en fait d’industrie, laisse l’industrie rivale s’exercer librement, est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au pouvoir social.

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Sur le web.

Publié initialement le 23 octobre 2017.

Salaire minimum des livreurs à New York : une fausse bonne idée

Par la magie d’un coup de plume dont ils ont le secret, les législateurs new yorkais ont simplement triplé le salaire des 65 000 livreurs de la ville.

Les populaires plateformes Uber Eats, Doordash et Grubhub seront maintenant forcées de les payer 17,96 dollars de l’heure (puis 19,96 dollars en avril 2025), alors qu’ils ne gagnaient en moyenne que 7,09 dollars de l’heure.

En effet, le jeudi 28 septembre 2023, le juge par intérim de la Cour suprême de l’État[1], Nicholas Moyne, s’est prononcé contre les entreprises après qu’elles aient poursuivi la ville en justice en juillet, alors que la règle devait entrer en vigueur.

Pourtant, les livreurs ne sont pas salariés des plateformes. Ils ne sont donc pas soumis aux lois sur le salaire minimum.

Ces dernières l’établissent à 7,25 dollars de l’heure au niveau fédéral, et à 14,20 dollars de l’heure pour l’État de New York. Cependant, pour les salariés qui effectuent des petits boulots rémunérés essentiellement grâce aux pourboires, le salaire minimum est de respectivement 2,13 dollars de l’heure et 9,45 dollars.

Or, si l’on tient compte des pourboires, les livreurs d’Uber Eats, Doordash et Grubhub gagnent un peu plus de 14,18 dollars de l’heure selon une étude de la ville de New York (qui minore très certainement le chiffre réel[2]).

Ainsi donc, même si les livreurs étaient salariés, leur rémunération dépasserait très probablement le salaire minimum en vigueur au 1er juillet 2023, aussi bien au regard de la loi fédérale que de celle de l’État de New York : de toute façon, ils seraient très certainement classés comme employés payés au pourboire.

Bien évidemment, personne n’a jamais pu vivre avec 7,09 dollars de l’heure – ni même à 14,18 dollars de l’heure à New York, mais ces revenus constituaient un apport supplémentaire pour des étudiants ou des immigrants récemment arrivés (logés à l’hôtel, gratuitement par la ville, et recevant un petit revenu).

Comme d’habitude, lorsque nous étudions la composition des revenus de ces personnes à très bas salaires, nous découvrons la raison pour laquelle ils acceptent des revenus horaires aussi bas : il ne s’agit pas de revenus principaux, et ils vivent chez leurs parents ou, ici, souvent, des largesses d’une Amérique qui a complètement perdu le contrôle de sa frontière sud.

Il n’y avait donc pas vraiment matière à s’émouvoir du soi-disant triste sort de ces pauvres gens exploités par « des entreprises multimilliardaires [qui] profitent des travailleurs immigrés tout en leur payant quelques centimes à New York et s’en [tirent] sans problème », selon les mots de Ligia Guallpa, directrice du Workers Justice Project, basé à New York.

 

Fausse générosité

Les législateurs new yorkais ont été généreux avec l’argent des autres, une caractéristique obligée des actions publiques des « philanthropes » de gauche.

Le maire Éric Adams a déclaré dans un communiqué :

« Nos livreurs ont toujours pourvu pour nous – maintenant, nous pourvoyons pour eux. Ce nouveau taux de salaire minimum, en hausse de près de 13,00 dollars de l’heure, garantira à ces travailleurs et à leurs familles de gagner leur vie, d’accéder à une plus grande stabilité économique et de contribuer à la prospérité de la légendaire industrie de la restauration de notre ville. »

Qu’il est somme toute facile de donner une augmentation de salaire de 200 % à 65 000 personnes quand on n’a jamais créé un seul emploi de sa vie !

 

Effets du salaire minimum

Comme nous l’avons vu dans ces pages à plusieurs reprises (ici et en particulier), les effets empiriques du salaire minimum sont délétères.

À Seattle, l’augmentation brutale – mais bien moindre qu’ici à New York – du salaire minimum de 11,00 à 13,00 dollars de l’heure avait réduit les heures travaillées dans les emplois peu rémunérés d’environ 9%. En conséquence, la masse salariale de tous les emplois à bas salaire avait diminué : si certains pauvres avaient donc effectivement connu une augmentation de leur salaire, la masse des pauvres avaient vu leurs revenus baisser, en moyenne.

L’augmentation de 20 % à Seattle en 2015 était complètement folle, mais elle n’était rien en comparaison à cette soudaine augmentation de 200 % à New York !

Aux États-Unis, environ 25 % des travailleurs qui gagnent le salaire minimum sont des adolescents, qui ne représentent partout qu’une faible fraction de la main-d’œuvre. Plus de la moitié des travailleurs gagnant le salaire minimum ont moins de 25 ans.

Le salaire minimum n’est donc pas seulement cruel envers les pauvres : il est en plus un frein à la première expérience professionnelle des jeunes.

Seul un « journaliste » français peut penser que ce nouveau salaire minimum new yorkais est « une avancée sociale majeure qui se profile pour les livreurs de repas précaires » comme nous l’apprend Les Échos, qui navigue manifestement dans cette brume mentale caractéristique du gauchisme.

 

Une double attaque

Car au contraire d’une « avancée sociale majeure », cette hausse abrupte va conduire à plus de misère sociale.

Comme l’explique un porte-parole de Grubhub, la plateforme sera « désormais obligé[e] d’apporter des modifications […] qui auront des conséquences néfastes pour les partenaires de livraison, les consommateurs et les entreprises indépendantes »

Si la plateforme « rest[e] confiant[e] dans [sa] position juridique », elle « croi[t] fermement que la règle de la Ville, bien que bien intentionnée, est le résultat d’un processus d’élaboration de règles défectueux qui n’a pas été appliqué de manière cohérente au secteur de la livraison de nourriture. »

Cet euphémisme verbeux cache le fait qu’au moment même où les hommes de l’État imposent une augmentation de salaire à Doordash, Uber Eats et Grubhub, ils plafonnent dans le même temps les commissions qu’ils peuvent recevoir des restaurateurs !

En effet, non contents d’augmenter les coûts des plateformes de livraisons, les hommes de l’État new yorkais ont décidé de plafonner leurs ventes. Elles sont ainsi attaquées des deux côtés du compte de résultats !

Les restaurateurs avaient demandé à la ville que les commissions de Uber Eats, Doordash et Grubhub soient limitées à 15 % du prix de la nourriture.

Ce chiffre est absurde, car l’informatique développée par ces plateformes pour mettre en ligne les moteurs de recherches, les menus, les commentaires et autres fonctions de paiement est particulièrement élevée.

 

Droit fédéral

La bonne nouvelle – si l’on peut dire – est que cette seconde attaque est probablement une violation du droit fédéral de contracter librement.

La ville de New York s’immisce en effet au milieu d’un contrat entre deux entreprises pour en fixer le prix.

Au lieu d’avoir affaire à une cour politisée de l’État de New York, DoorDash, Grubhub et Uber Eats peuvent poursuivre la ville de New York en justice auprès d’un tribunal fédéral.

Lors de la première audience, le 19 septembre, le juge Gregory Woods a déclaré que les plaignants alléguaient à juste titre que la loi violait la Constitution américaine et celle de l’État de New York en les privant de leur droit de conclure des contrats avec des restaurants, et en les forçant à opérer dans la ville à perte. Le juge a donc autorisé la poursuite du procès.

Il a également déclaré que les sociétés ont allégué de manière plausible que l’objectif « pas si voilé » de la ville en plafonnant les commissions à 15 % pour les commandes de nourriture, et à 5 % pour la publicité et d’autres services était « un protectionnisme économique pour les magasins familiaux locaux et un antagonisme envers les consommateurs et les riches plateformes situées hors de l’État » de New York.

 

Arrière-pensées mafieuses

En effet, les restaurateurs new yorkais sont apparemment derrière cette volonté de la ville de limiter les commissions, les coûts publicitaires et les prix des livraisons : les plateformes demandaient typiquement jusqu’à 30 % du prix des plats facturés par les restaurants avant que la ville profite de la pandémie pour règlementer cette question.

Ce qui est remarquable dans cette sombre affaire est que – comme l’ont fait remarquer les plaignants –, cette limite sur les commissions « nécessiterait des frais de livraisons plus élevés, résultant en une augmentation des prix pour les consommateurs, et de plus faibles revenus pour les restaurants ».

De plus, nous pourrions ajouter que si cette limite était appliquée, les plateformes n’auraient pas d’autre solution que de diviser leurs coûts par deux, c’est-à-dire de réduire drastiquement la qualité et les fonctions de leurs sites web.

Enfin, ceci réduirait la possibilité qu’ont les consommateurs de comparer les restaurants via l’internet avant même de goûter à leurs produits. Les plus mauvais restaurateurs ont clairement intérêt à réduire la concurrence, mais ceci au détriment des meilleurs d’entre eux.

Bien évidemment, jamais un restaurant n’a été obligé de souscrire aux services de tel ou tel site web et la solution à l’hypothétique problème d’un éventuel surcoût de ces services est de laisser la concurrence jouer entre eux.

 

Conclusion

L’analyse économique nous montre que cette ordonnance municipale est en fait contraire aux intérêts des différents acteurs. Au final, après avoir demandé l’aide de l’État, ils finiront par pâtir de leurs manigances.

Entre les syndicats de livreurs demandant des salaires minima délirants, des restaurateurs voulant limiter les prix d’un service marketing qui accroît pourtant leur chiffre d’affaires, et ceux qui réclament des actions qui favoriseraient les moins bons, New York semble surtout victime d’un incroyable déficit de raisonnements microéconomiques corrects.

Pour Frédéric Bastiat, « l’État [était] la grande fiction à travers laquelle Tout Le Monde s’efforce de vivre aux dépens de Tout Le Monde » mais, à New York, l’État est cette brutale réalité à travers laquelle chaque corps de métier essaie comiquement de trouver le plus sûr moyen de se causer tort.


[1] Bizarrement, la « Cour suprême » de l’État de New York est en fait un ensemble de tribunaux de première instance et n’a donc rien de « suprême ». Dans l’État de New York, les Supreme Courts sont le premier échelon juridictionnel au niveau des cantons ; viennent ensuite les Appellate Divisions (au nombre de 4, situées dans la ville de New York pour l’une, et dans trois zones plus rurales pour les autres) ; puis les Court of Appeals, qui sont une cour unique (malgré le pluriel) de dernier ressort. Les  Cours suprêmes de l’État de New York situées dans la ville de New York sont très politisées et coutumières de rendre une justice loufoque qui plairait assez aux radicaux français du Syndicat de la magistrature.

[2] Les chiffres de l’étude se fondent sur les données comptables des plateformes (page 7). La partie payée par ces dernières leur est bien connue au centime près. Mais la « partie pourboire » n’est jamais que ce qui est rapporté par les livreurs via les plateformes.

Or, s’il est presque impossible de frauder sur les salaires aux États-Unis, il est en revanche fort connu que les pourboires sont d’autant plus minorés qu’ils sont payés en liquide. Le fisc fédéral (Internal Revenue Service) audite d’ailleurs fréquemment les serveurs qui déclarent moins de 12 %. Ils font partie des rares contribuables à bas salaires qui sont dans le collimateur du fisc, généralement plus intéressé par les gros fraudeurs…

Sans entrer dans les détails de l’étude économique des pourboires (ici et ), il convient de rappeler que les livreurs reçoivent pratiquement tous leurs pourboires en liquide – le client donne quelques dollars lorsqu’ils arrivent à sa porte – et nous pouvons donc être quasiment certains que les chiffres des services de la ville de New York concernant les pourboires sont tout simplement faux, les pourboires étant minorés. Les études économiques sur le sujet (ici et ) suggèrent que l’évasion pourrait représenter plus de 60 % des pourboires (ici).

Curieusement, les deux chiffres de 7,09 dollars sont exactement égaux et s’élèveraient à ces 14,08 dollars de rémunération totale. Aucune explication n’est avancée dans l’étude de la ville de New York à propos de cette curieuse égalité au centime près : pourquoi les livreurs recevraient-ils le même montant de rémunération horaire de la part de leur employeur, et de la part des clients ?

L’antisémitisme d’extrême gauche de plus en plus redouté par les étudiants juifs

Le journal Le Parisien a récemment fait paraître une étude de l’IFOP réalisée en association avec l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), dont il ressort que les actes antisémites (remarques, injures, agressions) stagnent, voire progressent à l’université : 91 % des étudiants juifs interrogés disent en avoir été victimes ! Et ce alors que l’antisémitisme et la haine d’Israël sont considérés comme répandus à l’université par seulement 28 % des étudiants (juifs et non-juifs) interrogés – contre 56 % pour le racisme et l’homophobie, et 63 % pour le sexisme.

On apprend par ailleurs – et c’est notamment ce chiffre qui nous intéresse ici – que 83 % des étudiants juifs interrogés redoutent « les actes et violences d’extrême gauche », et 63 % ceux d’extrême droite. Cette étude révèle donc très clairement ceci : les étudiants juifs semblent aujourd’hui craindre davantage l’extrême gauche que l’extrême droite.

Ces résultats mettent donc à mal l’idée rebattue que l’ultragauche incarnerait toujours et nécessairement le « combat antifasciste », et que l’extrême droite détiendrait le monopole de l’antisémitisme.

Comme l’indique Frédéric Dabi, (IFOP), « avant, c’est de Jean-Marie Le Pen que venaient les inquiétudes. Aujourd’hui, c’est de Jean-Luc Mélenchon ».

 

Vers une nouvelle « gauche Corbyn » ?

On se rappelle la récente la polémique, survenue en août 2023, autour de l’invitation du rappeur Médine aux universités d’été de LFI et des écologistes, et qui a renforcé l’idée qu’il existe une complaisance de l’ultragauche à l’égard de l’antisémitisme.

Caroline Yadan, députée Renaissance, avait alors qualifié Médine de « rappeur islamiste et antisémite adepte de la quenelle, des Frères musulmans et des doubles discours, ami de Tariq Ramadan et de Dieudonné, admirateur d’Alain Soral et auteur d’un calembour déshumanisant sa victime juive ».

Mathieu Lefèvre, député lui aussi Renaissance, avait soutenu pour sa part qu’« il n’y a plus rien de républicain dans La France insoumise », ajoutant qu’« il y a un antisémitisme de gauche et d’extrême gauche qu’il faut combattre dans notre pays ».

C’est dans ce cadre-là que Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan ont organisé un colloque intitulé « Les habits neufs de l’antisémitisme », qui a eu lieu le 11 septembre 2023 à l’Assemblée nationale.

Un colloque dont la tenue est révélatrice d’une inquiétude, ainsi que le rappelle un récent article du Point : celle de voir une « gauche Corbyn » détrôner la gauche laïque et républicaine, jadis incarnée par Jaurès.

Pourquoi cette référence à Jeremy Corbyn, ancien chef du Parti travailliste au Royaume-Uni entre 2015 et 2020 ?

Car ce dernier fut accusé en 2020 de complaisance envers l’antisémitisme exprimé au sein du Labour ; or loin d’être boycotté, il fut reçu en juin 2022 par Danièle Obono et Danielle Simonnet (LFI), alors candidates aux élections législatives. « Beaucoup d’émotion et de fierté de recevoir, ce soir, Jeremy Corbyn, député de Londres », avait même tweeté Danielle Simonnet le 3 juin 2022.

 

Des préjugés aussi navrants qu’archaïques, remontant à Marx même

Selon l’enquête de l’IFOP récemment publiée, 24 % des étudiants interrogés considèrent que les Juifs sont plus riches que la moyenne ; et 18 % jugent qu’ils ont un pouvoir excessif dans le domaine de la finance et des médias.

Ces données font écho à une étude de 2022 réalisée par la Fondapol et l’American Jewish Committee (AJC), qui établissait qu’un tiers de l’électorat de Mélenchon adhère à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », alors que ce chiffre est d’un peu plus d’un quart pour la population en général.

Propos dont la stupidité le dispute à l’archaïsme, et dont l’origine remonte sans doute à Marx lui-même et son livre Sur la question juive (1843), aux écœurants relents antisémites. Un texte qu’Hitler avait d’ailleurs attentivement lu, et dont on donnera les quelques citations qui suivent :

« Il y a un Juif derrière chaque tyran, tout comme il y a un Jésuite derrière chaque Pape. En réalité, les espoirs des oppresseurs seraient vains et la guerre pratiquement impossible s’il ne se trouvait quelque Jésuite pour endormir les consciences et quelque Juif pour faire les poches. » (cité dans l’article de Pierre Schweitzer pour Contrepoints)

« Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, la cupidité (Eigennutz). Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son dieu ? L’Argent. » (cité dans La Grande Parade, de Jean-François Revel, Paris, Plon, 2000, p. 122.)

D’où pour Marx la nécessité de faire advenir le communisme, qui est selon lui « l’organisation de la société qui ferait disparaître les conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible. » (cité dans ibid.)

Peut-être subsiste-t-il encore des traces, dans les mentalités sclérosées de l’actuelle ultragauche, de l’« association délirante entre judéité, individualisme et capitalisme » comme dit Revel à propos du texte précité de Marx (ibid.) ?

Cours criminelles départementales : une inconstitutionnalité manifeste ? (I)

Deux questions prioritaires de constitutionnalité (ci-après QPC) ont été renvoyées, par la Cour de cassation, devant le Conseil constitutionnel qui aura trois mois pour statuer à leur sujet.

Pour rappel, la question prioritaire de constitutionnalité, instaurée par la révision du 23 juillet 2008 et organisée par la loi organique du 10 décembre 2009, permet à toute partie à un litige de questionner la constitutionnalité d’une disposition législative applicable à son litige au regard des droits et libertés que la Constitution garantit (article 61-1 Constitution), autrement dit, ceux identifiés comme tel par le Conseil constitutionnel.

Ces deux QPC (n°2023-1069 et n°2023-1070 QPC) portent sur les cours criminelles départementales, nouvelle cours instaurées par la loi du 22 décembre 2021.

 

Les cours criminelles départementales sont compétentes pour les personnes majeures accusées de crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion (viol, vol avec arme etc) (article 380-16 du Code de procédure pénale – CPP). Cette cour est également compétente pour le jugement des délits connexes. La cour d’assises reste compétente pour les crimes punis de plus de 20 ans de réclusion criminelle.

La spécificité des cours criminelles départementales est l’absence de jury populaire (article 380-19 al.1 CPP). En effet, elle est composée d’un président et de quatre assesseurs, choisis par le premier président de la cour d’appel, pour le président, parmi les présidents de chambre et les conseillers du ressort de la cour d’appel exerçant ou ayant exercé les fonctions de président de la cour d’assises et, pour les assesseurs, parmi les conseillers et les juges de ce ressort (article 380-17 CPP).

Ce sont ces dispositions que les requérants ont contestées dans la lettre de leur saisine.

Ces deux QPC ont été soulevées dans deux instances différentes :

La première (n°2023-1069) fut soulevée suite au pourvoi de renvoi devant la cour criminelle départementale de Paris le 19 juillet 2023.

La seconde, (n°2023-1070) fut soulevée devant la cour criminelle du Rhône, le 26 juin 2023. Pour éviter un doublon, la Cour de cassation a renvoyé ces deux affaires en même temps devant le Conseil constitutionnel.

 

Il faut brièvement rappeler le système de double filtrage de la QPC.

Le juge du fond est ici un juge a quo ou de renvoi, il exerce le premier filtre. C’est devant lui (ou sauf exception, cas des articles 23-4 et 23-5 LO) qu’est soulevée une QPC).

Il devra dès lors examiner au fond la QPC en regardant trois conditions (article 23-2 LO) : 1)

  1. La disposition législative doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites
  2. La disposition législative ne doit pas déjà être déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances
  3. La question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux

 

Le juge du fond doit statuer sans délai, et la décision est transmise dans les huit jours devant sa cour suprême.

Il est à noter que toutes les juridictions ne peuvent examiner des QPC. Il faut qu’elles relèvent d’une cour suprême (Cour de cassation ou Conseil d’État), qu’elles exercent une réelle fonction juridictionnelle (quand le CSM use de son pouvoir de sanction, il est une juridiction et relève du Conseil d’État, par exemple) et enfin, il faut l’absence du peuple dans la prise de décision (ce qui justifiait le fait que, devant une cour d’assises, aucune QPC ne pouvait être soulevée et a contrario, elle peut être soulevée devant une CCD).

La transmission d’une QPC apparaît comme le résultat du précontrôle « négatif » de constitutionnalité auquel se livre le juge a quo lorsqu’il examine le caractère sérieux de la question de constitutionnalité. S’il la transmet, c’est en effet parce qu’il juge douteuse la constitutionnalité de la disposition législative applicable, et qu’il considère que ce point mérite d’être confirmé par la Cour suprême dont il dépend et tranché, le cas échéant, par le Conseil constitutionnel.

Suite à la décision de renvoi, c’est aux cours suprêmes des ordres juridictionnels d’examiner la QPC, en effectuant un second filtre.

Elles doivent, à leur tour, examiner trois conditions : réexaminer les deux premières conditions de l’article 23-2 LO précité (1 et 2).

La troisième condition est une condition alternative (article 23-4 LO) : il faut soit un moyen sérieux, soit une question nouvelle.

Le caractère sérieux du moyen s’apprécie au regard d’un doute sérieux sur la constitutionnalité de la disposition législative. L’attention va être portée sur les droits et libertés constitutionnels invoqués ainsi que la jurisprudence applicable à l’espèce.

Le caractère « nouveau » ne pose pas autant de problème d’appréciation. Il s’agit ici de voir si le Conseil s’est déjà prononcé ou non sur les dispositions constitutionnelles invoquées, ou au regard d’un changement de circonstance de droit (v. CE, 8 octobre 2010, M. Kamel Daoudi, AJDA, 2010, p. 2433).

Les cours suprêmes, qui ont trois mois pour statuer, rendent une décision de transmission ou de non-transmission qui est nécessairement notifiée au Conseil constitutionnel. Si elle est transmise, la requête de QPC est examinée devant le Conseil constitutionnel et il a trois mois pour rendre sa décision.

La QPC constitue une véritable transformation de la procédure constitutionnelle, notamment en ce qu’elle a conduit le Conseil constitutionnel à se conformer, via son règlement intérieur, aux exigences du procès équitable, tirés de l’article 6§1 de la Convention EDH tel interprété par la Cour EDH (v. affaire Ruiz Mateos c./ Espagne, 1993).

La QPC a aussi modifié en profondeur l’architecture constitutionnelle.

Les juges « ordinaires » sont devenus véritablement des juges constitutionnels de droit commun. Ils sont de véritables acteurs qui n’hésitent pas à défendre leurs intérêts institutionnels, ou à évaluer le niveau de sensibilité de la question afin de la faire trancher par le Conseil constitutionnel.

Les juridictions ordinaires se sont approprié la Constitution. Alors que le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité de leurs interprétations jurisprudentielles constantes, elles conservent un certain pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation de la Constitution, et peuvent donc en proposer une interprétation autonome.

On assiste ici à une stratification de l’ordre juridictionnel constitutionnel, avec une répartition des rôles entre, le juge a quo (examen initial), les cours suprêmes (fonction de régulation des recours) et le Conseil constitutionnel (fonction pleine et entière du contrôle de constitutionnalité).

 

Cela étant rappelé, il convient de regarder de plus près les deux QPC.

La première QPC pose cinq questions différentes relatives aux dispositions législatives précitées. On peut les regrouper en trois catégories au regard de leur objet et des droits et libertés invoqués :

  1. La violation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun (1re question)
  2. La violation du principe de l’oralité des débats au regard de la possibilité qu’ont les magistrats de disposer du dossier de procédure pendant le délibéré (2equestion)
  3. La violation du principe d’égalité devant la loi tirée de l’article 6 de la DDHC (3e, 4e et 5e question).

 

La seconde QPC pose quant à elle, quatre questions, reprenant les mêmes arguments, que l’on peut aussi regrouper en trois catégories :

  1. La violation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun (1re question)
  2. La violation d’un principe à valeur constitutionnelle selon lequel il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun (2e question)
  3. La violation du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, tiré de l’article 6 de la DDHC (3e et 4e question)

 

Pour éviter d’encombrer l’article, et pour en faciliter la lecture, je dissocierai dans deux articles, deux parties.

La première sera consacrée à l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif au jury populaire. La seconde sera relative aux principes d’égalité et d’oralité.

La première touchera à des domaines théoriques alors que la seconde sera plus pratique.

5 clichés de gauche détruits par Thomas Sowell

Chères lectrices, chers lecteurs, à la suite de mes quelques lectures des livres de l’économiste Thomas Sowell, m’est venue l’envie de vous faire un petit résumé de ces quelques clichés de gauche que nous avons l’habitude d’entendre un peu partout dans nos médias, et que Sowell aborde abondamment dans ces différents ouvrages.

 

Il faut se dépêcher d’agir

C’est probablement un slogan très à la mode depuis deux ans, souvent associé avec celui consistant à ajouter « si cela peut sauver ne serait-ce qu’une seule vie. »

Les Oints, ces intellectuels souhaitant réformer la société pour que le commun des hommes leur ressemble, ont l’habitude d’avancer un argumentaire de crise pour pousser leur agenda social : « Plus vite la justice cosmique sera appliquée sur cette Terre, plus vite le monde ira mieux. Si nous échouons à changer assez vite, nous disparaîtrons, des gens souffriront, etc. »

C’est la vision des Oints, de l’écologisme de Paul Ehrlich à celle de la justice sociale.

Cependant, comme le rappelle Thomas Sowell, à l’inverse de ce que pensent les Oints, nous n’avons pas de solutions catégoriques et définitives à portée de main, mais seulement des arbitrages et des compromis.

Vous pouvez interdire un médicament car il n’a que 99 % d’efficacité, et demander de nombreuses années de recherches coûteuses en attendant de faire passer son efficacité à 99,5 %, années durant lesquelles ceux qui se seraient contentés d’une efficacité moindre mourront : c’est engendrer un nombre important de désagréments pour toutes les personnes qui n’auraient probablement eu aucun effet secondaire, ou dont les effets secondaires auraient été moins impactants que la maladie elle-même. Étouffer la création de richesses par des réglementations ubuesques peut nuire à plus de vies qu’elles n’en sauveront. On pourrait également supprimer tous les pesticides, et voir la résurgence de maladies comme la malaria qui est transmise par les insectes.

Dans la vie, il existe peu de solution absolue, seulement des arbitrages, que les individus responsables méritent de faire eux-mêmes.

 

Le contrôle des prix aide les plus pauvres

C’est une idée à la mode qui ressurgit, que ce soit du côté de l’union de la gauche ou celui du gouvernement Borne : le contrôle des prix est une idée lumineuse pour améliorer le sort des plus pauvres. Malheureusement, 4000 ans de cette pratique ne semblent pas avoir suffi pour témoigner de son danger.

Quels que que soient les peuples ayant mis en place ce type de politiques, celles-ci se sont toujours soldées par un échec. Les gens ont souffert de la faim en France au XVIIIe siècle et en Afrique au XXe siècle lorsque les prix des aliments étaient contrôlés par le gouvernement. Des pénuries de logements se sont développées de Hong Kong à Berkeley, en passant par la Suède, dans le sillage du contrôle des loyers. Il y a en effet beaucoup de choses que nous pourrions apprendre en étudiant d’autres populations et leur histoire, si seulement nous le faisions.

Chaque fois que vous fixerez un prix en deçà du prix du marché, vous pouvez être convaincu qu’il y aura une pénurie, que la pénurie appellera le rationnement, et que le rationnement amènera une perte de liberté politique qui n’était pas le but de ceux ayant vraiment à cœur le sort des petites gens.

 

Les pauvres sont de gauche et les riches sont de droite

Si vous êtes pauvre, vous êtes nécessairement de gauche. C’est ce qu’il ressort de toutes les propositions visant à instaurer la justice cosmique sur Terre. Mécaniquement, les minorités aidées, qui leur servent de mascotte, sont des gens de gauche.

Thomas Sowell revient sur cette rhétorique de lutte des classes et ce biais des intellectuels à penser que les Noirs américains modestes sont enclins à être de gauche, dans son livre Barbarians Inside The Gates. Il rappelle que ce sont principalement les Noirs de la classe moyenne qui militent au sein de l’establishment des différents mouvement des droits civiques (comme Thurgood Marshall), là où les Noirs plus modestes sont des conservateurs, comme Walter Williams, Tony Brown, ou le juge Clarence Thomas.

Ironiquement, les liberals [aux États-Unis, les liberals sont les personnes de gauche, loin des libéraux français et ailleurs] blancs des médias et d’ailleurs sont prompts à supposer que les Noirs qui critiquent l’État-providence appartiennent à la classe moyenne qui ne comprennent pas ce que c’est que de vivre dans un ghetto.

Souvent, lorsqu’ils sont confrontés à la réalité, ils ne se laissent pas décourager par le fait qu’on leur prouve qu’ils ont tort, et ils supposent alors que ces conservateurs noirs ont dû se vendre pour réussir. Observez cette rhétorique et voyez que cette logique s’étend à toutes les minorités que la gauche prétend aider. Une femme conservatrice est une femme vendue au patriarcat. Un homosexuel conservateur est un individu hétéronormé ayant systématisé la norme hétérosexuelle. On retrouve la vieille condamnation du sycophante chez Marx. Une personne ne peut pas avoir de bonnes raisons de ne pas être de gauche.

Cependant, Thomas Sowell rappelle une vérité déplaisante : il n’y a pas d’argent à se faire en préconisant la réduction du rôle de l’État. Inversement, les opportunités d’argent facile et les positions de pouvoir se profilent vite lorsque la possibilité de se faire un défenseur des Oints se présentent à vous, avec son lot de programmes sociaux et de représentation de la victimologie officielle : par exemple, lorsque le juge Clarence Thomas a dû révéler sa valeur nette dans le cadre du processus de confirmation de la Cour suprême, celle-ci représentait moins de la moitié de ce que gagnent chaque année certains des leaders noirs des droits civiques.

 

Toute différence de groupe s’explique par la discrimination, une oppression qui appelle à la correction

Les personnes de gauche partent du postulat que le relativisme culturel est correct, et ce faisant, que toutes les cultures se valent dans les résultats qu’elles engendrent.

Dès lors, les différences entre les groupes en matière de récompenses ou de réalisations ne peuvent être dues qu’à la discrimination ou à des différences génétiques dans les capacités. Étant donné que le relativisme culturel est né en réaction aux théories de la supériorité raciale, son rejet des causes culturelles et génétiques des différences entre les groupes ne laisse que la société à blâmer pour les disparités de revenus ou de représentation dans diverses professions ou institutions.

Sur la base de cette doctrine, des personnes et des institutions ont commencé à être présumées coupables devant les tribunaux lorsque leurs statistiques ne correspondaient pas aux présupposés de l’esprit du temps. Toute une classe de personnes, que Dinesh D’Souza nomme « les marchands de races », a vu le jour pour exploiter cette façon de penser – ou de ne pas penser – dans les tribunaux, les entreprises, les universités et ailleurs. On voit doucement ce phénomène arriver en France et y prendre racine.

La thèse de D’Souza, dans son livre The End of Racism, vient mettre à mal la théorie selon laquelle c’est la discrimation et le racisme qui sont à la source de ces divergences de groupes. Non pas que le racisme n’existe pas, seulement que celui-ci a un très faible pouvoir explicatif dans ces divergences.

Selon Sowell, D’Souza met en avant

« les fantasmes et les fraudes de l’éducation afrocentrique, la promotion cynique de la paranoïa et de la polarisation par les marchands de races, et les crimes sauvages et barbares des voyous des ghettos contre leur propre peuple ne sont qu’une partie du tableau sombre et amer peint avec un soin méticuleux. »

Ceux qui cèdent à ces discours, y compris certaines des plus grandes entreprises américaines, sont également condamnés. Cela nous permet d’en venir au point suivant.

 

Toutes les cultures se valent

Chez les tenants du multiculturalisme, toutes les cultures se valent, et il faudrait être ouvert et prêt à tout recevoir, car elles peuvent toujours nous apporter quelque chose.

Malheureusement, c’est un fait que certaines cultures ont été plus à même d’améliorer le sort de ceux qui la partagent, que certaines cultures avaient davantage de respect pour la personne humaine que d’autres, et que certaines cultures ont été plus à même de faire émerger un cadre légal interdisant l’esclavage, là où celui-ci est toujours pratiqué aujourd’hui. Et ce n’est pas une question de race : même des groupes géographiquement plus proches que d’autres avaient des performances très divergentes.

En atteste l’histoire des Européens du Nord-Ouest qui contraste avec celle des Européens du Sud-Est depuis des siècles, non seulement en Europe, mais aussi partout où des immigrants de ces deux parties du même continent se sont affrontés à l’étranger. De même, tous les Asiatiques n’ont pas été identiques aux autres Asiatiques, et tous les Africains n’ont pas été identiques aux autres Africains.

Thomas Sowell prend à charge un autre élément de son environnement américain, à savoir la défense de l’identité noire. Ce que les multiculturalistes nomment l’identité noire est en réalité un héritage culturel laissé par des Blancs ignorants dans le passé, importé aux États-Unis. L’anglais noir est un dialecte qui existait dans certaines régions du sud et de l’ouest de l’Angleterre il y a trois siècles. Comme c’est souvent le cas, cet héritage culturel a survécu là où il a été transplanté – dans le Sud américain – plus longtemps qu’il n’a survécu là d’où il venait. Et il a survécu plus longtemps chez les Noirs des ghettos urbains que chez les Blancs du Sud.

Cette importation implique également d’autres éléments, comme le fait de jouer au whist ou d’avoir un style de vie tapageur. Par exemple, le terme crackers désigne originellement « les ancêtres malicieux des personnes qui se sont ensuite installées dans le sud des États-Unis. » Comme le rappelle ironiquement Thomas Sowell, les individus de la communauté noire qui se font les défenseurs de la culture noire n’imaginent pas à quel point ils ne sont simplement que des « crackers au teint plus foncé. »

Ce mode de vie a finalement perdu de l’influence grâce à la diffusion de la morale victorienne, d’abord chez les classes aisées des deux races, puis chez les ménages plus modestes. Et si aujourd’hui, la plupart des Noirs américains restent attachés à un boulet culturel, c’est car ils ont été pris en mascotte par les intellectuels qui souhaitent faire de la contre-culture blanche. À leur dépens.

 

Conclusion

Dans ces différents livres (Race et Intellectuels, The Vision of the Anointed, Barbarians inside the Gates), Thomas Sowell détruit un grand nombre des présupposés que notre époque nous demande d’accepter et de croire sans la moindre preuve. Je laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même la richesse qu’il tirera de ses ouvrages.

 

Un article publié initialement le 1 juin 2022.

La différence entre attaques « ad hominem » et « ad personam »

Condamner les attaques ad hominem est devenu commun sur internet.

Le problème, ce n’est pas tant le côté pompeux (utiliser une telle expression plutôt que de simplement parler « d’insultes ») que le fait de confondre les deux, insultes et ad hominem.

Cette erreur s’est généralisée sur tous les forums, sur les réseaux sociaux, et jusque dans les commentaires de Contrepoints, sans que personne ne cherche à vérifier ce qu’elle reproduisait…

Rappelons ici la distinction établie par Schopenhauer entre l’attaque ad hominem et l’attaque ad personam. Ce sont en effet ces deux attaques qui sont confondues, la première généralement prise pour la seconde.

 

L’attaque ad personam

Par ad hominem doivent être désignés les propos qui traitent de notre interlocuteur selon son titre, son statut, ses actions, ses engagements, ses déclarations… Tandis que l’ad personam consiste à traiter… ce même interlocuteur de tous les noms !

Ainsi, sur un forum internet par exemple, quasiment chaque fois qu’un intervenant insulté dénonce des attaques ad hominem à son encontre, il s’agit en réalité d’attaques ad personam.

Dans L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer énonce différents stratagèmes rhétoriques visant à triompher de ses contradicteurs lors d’un débat. Concluant sur un « stratagème ultime » (à mettre en pratique uniquement quand tous les autres ont fait défaut), il écrit :

« Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est : on pourrait appeler cela argumentum ad personam pour faire la différence avec l’argumentum ad hominem. »

 

L’attaque ad hominem

L’argument ad hominem constitue quant à lui le stratagème n° 16, associé à l’argument ex concessis :

« Quand l’adversaire fait une affirmation, nous devons chercher à savoir si elle n’est pas d’une certaine façon, et ne serait-ce qu’en apparence, en contradiction avec quelque chose qu’il a dit ou admis auparavant, ou avec les principes d’une école ou d’une secte dont il a fait l’éloge, ou avec les actes des adeptes de cette secte, qu’ils soient sincères ou non, ou avec ses propres faits et gestes. Si par exemple il prend parti en faveur du suicide, il faut s’écrier aussitôt : « Pourquoi ne te pends-tu pas ? » Ou bien s’il affirme par exemple que Berlin est une ville désagréable, on s’écrie aussitôt : « Pourquoi ne pars-tu pas par la première diligence ? »

L’attaque ad personam vise donc la personne elle-même, tandis que l’attaque ad hominem concerne la cohérence – ou plutôt l’incohérence – de ses propos.

L’incohérence des propos tenus par une personne peut être évaluée par rapport à ses actes (souvent dénoncée sous cette formule que l’on prête de façon ironique à son contradicteur : « faites ce que je dis, pas ce que je fais… ») ou par rapport à des propos tenus précédemment, quelques instants plus tôt au cours du même débat ou… des années auparavant (en politique on fait malheureusement peu de cas d’une certaine sagesse populaire selon laquelle « il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis.. »).

L’ex concessis, auquel est associé l’ad hominem, consiste à concéder à son interlocuteur un point, pour mieux le critiquer sur un autre qui en découle directement (cohérence interne des propos).

Argumentum ad personam et ad hominem sont deux locutions latines signifiant respectivement, au sens littéral, « argument par rapport à la personne » et « par rapport à l’homme ». Les deux sont presque synonymes, d’où une confusion facile. Elles sont avant tout formées par souci d’univocité, afin de distinguer deux attitudes qui se ressemblent sans être identiques.

 

Usages et mésusages en politique

Toutes deux sont toutefois fréquemment utilisées dans la rhétorique politique.

Exemples :

Quand Nicolas Sarkozy déclare, lors d’un discours prononcé en avril 2006 dans la Salle Gaveau, en tant que ministre de l’Intérieur : « S’il y en a que ça gêne d’être en France, je le dis avec le sourire mais avec fermeté, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas » (paraphrasant la formule lapidaire de Philippe de Villiers, « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ! »), il verse clairement dans l’ad hominem. Le propos coïncide étonnement avec l’exemple donné par Schopenhauer (vu plus haut, quitter Berlin).

En 2012, dans l’émission « Des paroles et des actes », lors du débat opposant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sur France 2, lorsque ce dernier qualifie la représentante du FN de « semi-démente », « barbare », « fasciste » et « bête », cela correspond à une attaque directe ad personam. La seule façon d’y faire face est de les dénoncer tout aussi directement, ce que fait Le Pen en lançant : « M. Mélenchon est un insulteur public. »

Les échanges qui suivirent lors du débat Le Pen/Mélenchon furent hésitants, laborieux, décousus, jusqu’à ce que Le Pen semble tout bonnement déclarer forfait. Lorsqu’on en arrive à ce point, à l’insulte pure et simple, cela marque généralement la fin du débat, de toute discussion possible, à moins d’en venir aux mains. Lorsqu’une joute oratoire prend cette tournure, il n’y a pas de véritable gagnant – car le match n’est pas mené à terme. Le seul perdant est celui qui perd le contrôle (qui insulte, ou qui s’énerve – et par là déclare forfait).

Précisons par ailleurs que l’une et l’autre de ces formules, argumentum ad personam et argumentum ad hominem, n’ont d’argument que le nom : il s’agit de pure rhétorique et non de logique.

En effet : la valeur ou la véracité d’une idée ne dépend pas des contradictions propres aux personnes qui la défendent. Quand bien même une idée vraie serait soutenue pour de mauvaises raisons ou par de mauvaises personnes, elle n’en demeure pas moins vraie… Et vice-versa…

Il est donc important de pouvoir identifier ce type de stratagèmes dans une controverse ou un débat, afin de pouvoir les dénoncer. Ou d’en user à son tour, hélas, si l’adversaire n’accepte que ce mode de confrontation.

 

Article publié initialement le 16 avril 2014

 

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Comment protéger les données des mineurs sur internet ?

Internet rend toutes vos données publiques et éternelles. Or, chaque donnée peut vous porter préjudice ultérieurement.

Dans cet article, nous examinerons les mesures que vous pouvez prendre pour protéger les données de vos enfants et garantir leur sécurité en ligne.

 

Sensibiliser au risque

Les données alimentent notre traçage sur internet, et parfois des trafics douteux.

On trouve sur internet des reventes massives de comptes Facebook ou Instagram, de cartes bancaires pirates ou des photos illégales. De plus, l’IA permet maintenant de se faire passer pour n’importe qui avec une simple photo ou un extrait de voix (deepfake).

De plus, aucune donnée sur internet n’est confidentielle. Car même les données « privées » sont revendues (Facebook a revendu des millions de données à Cambridge Analytica), mais elles peuvent être piratées, et ainsi finir accessibles à tous (piratage de données de santé).

Bref, internet rend toutes vos données publiques et éternelles. Or, chaque donnée peut vous porter préjudice ultérieurement.

Il faut donc faire preuve de parcimonie, et éduquer nos enfants à mettre le minimum de données sur internet.

Surtout qu’ils ne sont pas les seuls à blâmer, beaucoup de parents n’hésitent plus à submerger TikTok, Instagram ou Facebook des photos de leurs chérubins. Les mauvaises habitudes sont souvent héréditaires !

 

Privilégier les plateformes destinées aux enfants

La loi est très claire : pas de collecte de données sans l’aval des parents avant l’âge de 15 ans.

Pourtant, elle est rarement respectée, car les entreprises ne peuvent vérifier l’âge en ligne.

Aussi, des plateformes dédiées aux enfants sont apparues et respectent cette loi. Il existe YouTubeKids ou encore Kiddle, un moteur de recherche dédié aux enfants.

 

Filtrer le contenu

En soi, le téléphone est presque une chance pour les parents. Contrairement à l’ordinateur, le smartphone est un appareil très contrôlable. On peut parfaitement interdire des applications, ainsi qu’interdire l’usage de l’appareil photo pour certaines apps, comme TikTok ou Instagram pour éviter que les photos de nos enfants se retrouvent en accès libre. Ou même définir un temps d’utilisation pour chaque application.

Que ce soit Android ou iPhone, il est possible d’imposer un contrôle strict.

Le filtrage peut aussi se faire à l’aide d’un pare-feu qui va filtrer l’accès aux sites internet. Il faut le mettre directement sur le téléphone. Ainsi il va filtrer aussi bien le contenu des pages web que celui des apps, en venant du wifi ou de la 4G. Il en existe pour Android et iPhone.

Pour bannir TikTok, il faut filtrer les sites web : tiktokv.com, tiktok.com, tiktokcdn.com, tiktokd.org, pstatp.com.

Pour bannir Instagram, il faut filtrer les sites web : cdninstagram.com, ig.me, instagram.com, facebook.com

 

Changer de smartphone

De nouveaux types de téléphones ont été conçus pour les pays émergents n’ayant ni le haut débit ni l’argent pour un smartphone. Ils fonctionnent sur KaiOS, un OS moins puissant qu’Android ou iPhone, mais plus fonctionnel qu’un Nokia 3310.

Sur ces téléphones, on a la 4G, le Wifi, le GPS, WhatsApp, YouTube sans Tiktok, ni Instagram ou Fornite, le tout dans un format 3310.

Les fonctionnalités indispensables d’un smartphone, sans l’addiction.

Discriminations : quel pouvoir pour le juge ?

Les discriminations sont considérées en France comme des injustices lorsqu’elles sont fondées sur l’un des critères précisés par l’article 225-1 du Code pénal :

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques [ou morales] sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »

Il y a donc une vingtaine de critères de discrimination interdite, qu’il est concrètement impossible de respecter tous, chacun exerçant en outre une influence sur les autres.

Le droit précise « un point important de cette réglementation : l’article 4 de la loi n°2008-496 précitée. Quand une personne s’estimant victime d’une inégalité de traitement introduit un recours contentieux au civil, si une simple présomption de discrimination est établie dans ce sens, il appartient à la personne ou à l’autorité mise en cause de fournir la preuve que ses motifs étaient légitimes » .

La démarche prévue par la loi met donc à la charge de l’accusé la preuve de la non-discrimination, et le risque de le condamner par erreur est par suite relativement élevé.

S’il est égal à 5 %, la probabilité de reconnaître son innocence est égale à 95 % (= 1 – 10 %). Lorsque vingt personnes déclenchent un recours, la probabilité qu’à chaque fois l’innocence soit reconnue lorsqu’elle est vraie est de 0,9520 = 36 %, et la probabilité de condamner une entreprise alors qu’elle est innocente est de 64 %.

L’erreur judiciaire devient probable.

Le pouvoir d’appréciation du juge est finalement le seul moyen d’éviter une injustice.

L’État lui a ouvert une possibilité étonnante, celle d’explorer l’inconscient d’un discriminateur supposé :

« La démonstration de l’intention discriminatoire est d’une redoutable complexité, tant la prise en compte des préjugés et stéréotypes est enfouie dans d’autres considérations que les auteurs des décisions mettent en avant, plus ou moins sincèrement. C’est pourquoi les directives européennes sur l’égalité de traitement et leur transposition dans le droit français ont ouvert la possibilité de retenir une qualification de discrimination indépendamment de l’intention discriminatoire. Il est cependant difficile de mettre en évidence un phénomène qui opère pour l’essentiel dans le secret des consciences ou, plus encore, dans l’impensé de l’inconscient et, a fortiori, de le mesurer. »

La vérité est recherchée dans l’impensé de l’inconscient de l’accusé. La décision du juge dépend de ce qu’il croit que l’accusé a pensé sans le savoir. Et cette décision fait évidemment intervenir l’impensé de l’inconscient du juge : on croit rêver ! C’était la démarche de l’Inquisition au Moyen Âge.

Un exemple d’une telle absurdité est donné, dans un autre contexte, par la condamnation en cour d’appel de Bruno Gollnish en 2008.

Dans les attendus du jugement, on lit en effet :

« Attendu qu’en réalité, ainsi que l’a relevé justement le tribunal, les précautions oratoires utilisées par Bruno Gollnish (“moi, je ne nie pas les chambres à gaz homicides, mais… ”) relèvent purement et simplement, derrière un habillage feutré et subtil, d’un procédé de dissimulation ; que l’essentiel se trouve derrière le “mais”…».

On lit plus loin :

« Sa contestation de l’existence de crimes contre l’humanité est présentée de façon dubitative, déguisée, ou par voie d’insinuation. »

Il faut connaître l’impensé de l’inconscient de Bruno Gollnish pour imaginer ce qu’il y a derrière le mais et ce qu’il insinue. Gollnish a été condamné pour ce que le juge croit qu’il a pensé, non pour ce qu’il a dit. Et cette décision fait évidemment intervenir l’impensé de l’inconscient du juge. C’est donc une confrontation entre deux impensés de l’inconscient ! Heureusement, ce jugement du 28 février 2008 de la Cour d’appel de Lyon a été cassé sans renvoi par la Cour de cassation en 2009.

Même en faisant appel à l’intelligence artificielle pour choisir un salarié, l’employeur risque d’être condamné pour discrimination indirecte, parce que le choix de l’IA peut être une discrimination indirecte, c’est-à-dire sans que les critères interdits ne figurent dans sa base de données.

Par exemple, une discrimination par la consommation de tabac et d’alcool revient à une discrimination sexuelle. Comment le juge va-t-il pénétrer l’impensé de l’inconscient d’une intelligence artificielle qui applique des algorithmes compliqués à un ensemble considérable de données ? La seule solution serait d’utiliser une autre intelligence artificielle pour vérifier le choix de la première, mais ce serait fonder une décision de justice sur le débat contradictoire de deux intelligences artificielles !

10 citations de Thomas Sowell qui nous éclairent sur la crise des banlieues

Descendant d’esclaves, Thomas Sowell est né en Caroline du Nord en 1930, dans un régime de ségrégation légale (le racisme systémique, le vrai). Orphelin très tôt, il grandit dans une extrême pauvreté et s’installe à New York où, grâce à une éducation poursuivie avec acharnement, et face à l’adversité, il devient l’un des intellectuels les plus influents aux États-Unis jusqu’à aujourd’hui.

Économiste de formation, il a cependant beaucoup étudié les problèmes sociologiques, politiques, historiques et culturels qui agitaient déjà l’Amérique au pic de sa carrière dans les années 1970-1980, cherchant toujours à remettre en cause les hypothèses acceptées sans discussion ou les affirmations réfutées par les faits.

Ses travaux empiriques extrêmement riches et documentés (des dizaines d’ouvrages à son actif) l’ont  érigé en critique sévère de la gauche américaine : en cédant aux explications commodes en matière d’inégalités, elle constituerait le pire obstacle à l’amélioration des conditions de nombreuses minorités qu’elle a tout fait pour enfermer dans un assistanat économique tout en freinant les initiatives individuelles qui pourraient mettre en lumière les failles de l’éducation publique. Brillants d’intelligence et d’un sérieux irréprochable, ses ouvrages méritent d’être lus car les questions traitées sont hélas toujours d’actualité, et pas seulement en Amérique.

Sowell ayant un don certain pour des formules marquantes qui stimulent l’esprit, nous avons sélectionné pour vous dix citations qui peuvent nous éclairer sur la situation dans les banlieues françaises. 

 

1 – « Le racisme n’est pas mort. Mais il est sous assistance respiratoire, maintenu en vie principalement par ceux qui l’utilisent comme excuse ou pour maintenir les minorités dans un état de peur ou de ressentiment suffisant pour qu’elles votent en bloc le jour de l’élection. »

 

2 – « La vision de la gauche, pleine d’envie et de ressentiment, fait payer le plus lourd tribut à ceux qui sont au bas de l’échelle – quelle que soit leur couleur de peau – et qui trouvent dans cette vision paranoïaque une excuse pour des attitudes et des comportements contre-productifs et, en fin de compte, autodestructeurs. »

 

3 – « Il semble que nous nous rapprochions de plus en plus d’une situation où personne n’est responsable de ce qu’il a fait, mais où nous sommes tous responsables de ce que quelqu’un d’autre a fait. »

 

4 – « Une grande partie de l’histoire sociale du monde occidental, au cours des trois dernières décennies, a consisté à remplacer ce qui fonctionnait par ce qui semblait être une bonne solution. »

 

5 – « Personne n’est égal à personne. Même un homme n’est pas égal à lui-même à des jours différents. »

 

6 – « On ne peut pas subventionner l’irresponsabilité et s’attendre à ce que les individus deviennent plus responsables. »

 

7 – « Il n’y a rien de si bon que les politiciens ne puissent rendre mauvais et rien de si mauvais que les politiciens ne puissent rendre pire. La compassion est une bonne chose, mais les politiciens l’ont transformée en État-providence. La criminalité est une mauvaise chose, mais les politiciens l’ont aggravée en se montrant indulgents envers les criminels. »

 

8 – « Lorsque les hommes politiques disent « répartir les richesses », traduisez « concentrer le pouvoir », car c’est la seule façon pour eux de répartir les richesses. Et une fois le pouvoir concentré, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, comme les gens l’ont découvert – souvent avec horreur – un peu partout dans le monde. »

 

9 – « De nombreux membres de la gauche politique sont tellement fascinés par la beauté de leur vision qu’ils ne voient pas l’horrible réalité qu’ils sont en train de créer dans le vrai monde. »

 

10 – « Lorsque les gens essaient de voir jusqu’où ils peuvent pousser les choses, c’est le moment de leur faire savoir qu’ils les ont déjà poussées trop loin. »

 

Et comme il est difficile de se limiter à dix, ne résistons pas à en ajouter une onzième. Vous retrouverez toutes les citations de Thomas Sowell qui n’ont pas été retenues pour la liste finale sur sa page Wikibéral.

11 – « Lorsque les gens s’habituent à un traitement préférentiel, l’égalité de traitement est bientôt considérée comme de la discrimination. »

La discrimination n’est jamais positive

Un article de l’Iref-Europe

 

La discrimination positive consiste notamment à favoriser l’accès de minorités à des formations, des emplois, des statuts, des loisirs auxquels elles n’auraient pas accès à défaut. Cette politique qui visait essentiellement les personnes défavorisées s’étend désormais à toutes sortes de minorités de couleur, d’ethnie, de sexualité ou de religion différentes, comme une sorte de stigmatisation raciale, sexuelle ou religieuse à l’envers.

Il en est ainsi dans le cinéma où pour obtenir accès aux financements publics il vaut mieux disposer d’un échantillonnage d’acteurs et de rôles de toutes couleurs et de tous genres sexuels, quelle que soit la réalité des personnages historiques qu’ils jouent.

En ce printemps 2023, le chantage qu’a fait le ministre de l’Éducation, M. Pap Ndiaye, à l’école privée pour qu’elle augmente sensiblement la mixité sociale en acceptant des élèves qui ne sont pas au niveau des autres a participé de cette politique de discrimination positive qui consiste à mettre des quotas pour donner des examens à certains dont les notes sont insuffisantes selon le critère commun.

La formation des jurys de thèse exclut parfois les meilleurs spécialistes pour satisfaire à la parité des genres. Sur Parcoursup, boursiers, bacheliers technologiques et bacheliers professionnels bénéficient de quotas à l’entrée de certains établissements, donc de places réservées. Ces quotas sont annoncés sur les plateformes et ils sont pris en compte après un premier classement pour surclasser les uns au détriment des autres. Ainsi, lorsque les places sont limitées, un élève avec une moyenne de 13 devra laisser sa place à un élève avec une moyenne de 11 au nom de la discrimination positive…

Il s’agit d’abaisser le niveau de tous pour accueillir les moins bons, toujours de niveler par le bas, parce que c’est plus facile que de le faire par le haut. Mais la France n’a-t-elle pas un train de retard ?

 

On ne combat pas le racisme par un autre racisme

Aux États-Unis, la Cour suprême vient d’abolir l’affirmative action – notre discrimination positive – qui prévaut dans les universités depuis les années 1960 au profit de minorités ethniques.

Déjà la Cour refusait depuis longtemps les quotas purement mathématiques (affaire Bakke 1978). Elle avait admis les objectifs de diversification des profils étudiants pris en compte sur la base d’une analyse individualisée (arrêts Gratz et Grutter, 2003). Mais en 2016, par l’arrêt Fisher II, elle a considéré que l’affirmative action n’est justifiée que s’il est prouvé que l’objectif de diversité ne pouvait pas être atteint par d’autres mesures.

Un nouvel arrêt a été rendu le 29 juin à la suite d’une plainte du mouvement Students for Fair Admissions contre l’université privée de Harvard et l’université publique de Caroline du Nord dont les politiques de discrimination positive au profit des minorités afro-américaines entravent l’admission d’étudiants asiatiques souvent plus brillants.

La Haute Cour bannit désormais le critère racial pour décider de l’accès à l’université.

De nombreuses universités, a écrit le magistrat John Roberts au nom de la majorité des membres de la Cour, « ont considéré, à tort, que le fondement de l’identité d’une personne n’était pas sa mise à l’épreuve, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de sa peau. Notre histoire constitutionnelle ne tolère pas ça. […] En d’autres mots, l’étudiant doit être traité en fonction de ses expériences individuelles, mais pas sur des critères raciaux ».

Il est vrai que l’opinion américaine a évolué. La Californie, démocrate, qui a aboli déjà l’affirmative action en 1996, a refusé à une large majorité (57 %) de la rétablir lors d’un référendum organisé en 2020. Selon une enquête du Pew Research Center d’avril 2023, la moitié des Américains désapprouve la discrimination sur la race, contre un tiers qui l’approuve.

Les mentalités évoluent pour reconnaître désormais qu’il n’est pas cohérent de combattre la discrimination par la discrimination.

 

Toute discrimination est dangereuse

La discrimination positive ne favorise qu’une égalité factice, artificielle et dès lors méprisée. Ceux qui bénéficient de quotas, de fausses notes dans une compétition biaisée en leur faveur, ne seront pas pour autant au niveau dans la vraie vie, et pourront en souffrir plus encore que s’ils avaient peiné pour gagner leur place comme tout le monde.

L’égalité des chances ne doit pas conduire à donner davantage de chances aux uns au détriment des autres, ni à amputer la responsabilité de chacun devant la vie. Car ce que les hommes partagent encore le plus également est la responsabilité d’eux-mêmes qu’ils peuvent exercer au moyen de leur liberté. L’égalité des chances considérée comme le « droit à » quelque chose ne doit légitimement bénéficier qu’à ceux qui, eu égard à leur âge, à leur état physique ou mental, ou encore plus exceptionnellement, à un empêchement économique ou social avéré, n’ont pas la capacité d’obtenir par eux-mêmes de quoi répondre à leurs besoins essentiels.

À cet égard, l’État doit s’assurer que les enfants peuvent tous bénéficier d’un enseignement adapté à leurs aptitudes. Mais la liberté scolaire doublée d’un chèque-éducation pour tous les enfants y pourvoirait mieux que le mammouth sclérosé par son statut de l’Éducation nationale.

Quand l’égalité des chances se veut un instrument d’égalisation de tout pour tous, elle détruit la responsabilité individuelle qui est le ferment des sociétés humaines et le constituant de notre humanité. Seule l’égalité des droits comme « droits de » faire ou « de » s’exprimer peut permettre l’équilibre entre égalité et liberté par lequel se façonne le destin humain dans l’engagement de chacun, selon sa capacité et son mérite.

La mission de l’État est de mettre en place un environnement qui permette à tous ceux qui le veulent d’avoir la liberté de grimper l’escalier social qui n’est jamais facile, mais que ceux qui s’y aventurent aujourd’hui doivent monter avec les sacs de plomb sur le dos que sont autant de réglementations, d’interdictions, de limitations et cet égalitarisme de papier qui désapprend l’effort et le travail au risque d’accroître la pauvreté. Il leur offrirait alors une véritable égalité des chances.

Sur le web

Los Angeles souhaite un salaire minimum à 25 dollars : une erreur

Par Rishab Sardana.

La ville de Los Angeles devrait connaître un boom touristique dans les années à venir. Deux grands événements sportifs mondiaux, la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques, sont prévus respectivement en 2026 et 2028. L’afflux de touristes dans la ville constituera sans aucun doute une source de revenus importante pour les entreprises de toute la région. En prévision du boom à venir, certains responsables de la région et de l’État de Californie proposent une augmentation du salaire minimum.

Depuis le 1er janvier 2023, le salaire horaire minimum dans l’État est de 15,50 dollars, et avoisine 18 dollars dans plusieurs comtés. Curren Price, membre du conseil municipal de Los Angeles, a proposé un plan visant à le porter à 25 dollars, l’objectif global étant de l’augmenter d’un dollar chaque année jusqu’en 2028, ce qui le porterait à 30 dollars. Si cette mesure visait à l’origine les employés des hôtels et des aéroports locaux, certains politiciens font pression pour une augmentation dans tous les secteurs du commerce de détail, y compris le tourisme.

Un cours d’introduction à la microéconomie suffit à informer un étudiant que les augmentations du salaire minimum sont généralement une mauvaise proposition. Pour les non-économistes, elles sont synonymes de réduction de la pauvreté et de protection contre les employeurs cupides.

Mais ce n’est pas si simple.

Le salaire minimum est un exemple classique de ce que les économistes appellent un prix plancher. Contrairement aux plafonds de prix, où ces derniers sont artificiellement fixés en dessous de la valeur du marché pour apaiser les acheteurs, un prix plancher fixe un prix minimum qui sera supérieur à la valeur du marché.

Dans le cas d’un salaire minimum, les vendeurs vendent leur main-d’œuvre, plus précisément la main-d’œuvre peu qualifiée. Une augmentation brutale des salaires des employés se traduirait sans aucun doute par une augmentation générale du prix des biens et des services, entraînant une perte de revenus et des licenciements potentiels. Au lieu de cela, les responsables politiques de la région devraient laisser le tourisme massif attendu des grands événements sportifs à Los Angeles pousser la demande de main-d’œuvre à la hausse. En réponse, le processus de marché augmentera naturellement les salaires des travailleurs.

L’introduction de réformes du salaire minimum tend également à réduire la demande de main-d’œuvre peu qualifiée. Si le salaire minimum continue d’augmenter, les salaires globaux deviendront comparables à ceux des travailleurs occupant des emplois plus qualifiés. Imaginons, ne serait-ce qu’une seconde, que nous vivions dans un monde où les travailleurs peu qualifiés et les travailleurs plus qualifiés sont payés de la même manière.

 

Qui une entreprise pourrait-elle choisir d’employer ?

Je dirais le travailleur le plus qualifié. Sa production attendue sera beaucoup plus élevée, et sa productivité accrue entraînera probablement des bénéfices plus importants.

En fait, les employeurs changeront de préférence, choisiront d’embaucher des travailleurs qui peuvent avoir une formation spécialisée et des diplômes universitaires, en vue d’un investissement futur dans une productivité accrue. Cette situation peut être évitée. L’essentiel est d’établir une plus grande séparation entre les salaires des travailleurs peu qualifiés et ceux des travailleurs hautement qualifiés.

Il y a quelque chose à dire sur l’immoralité que représente le salaire minimum.

Au fond, la loi sur le prix plancher fixe artificiellement et littéralement la valeur de votre travail, que l’entreprise soit d’accord ou non. Éliminer la possibilité pour une entreprise de développer ses activités en déclarant qu’elle doit payer ses employés un certain montant entrave la possibilité d’embaucher davantage. Les acheteurs et les vendeurs de main-d’œuvre (respectivement les entreprises et les employés) sont prêts à interagir et à travailler en dessous du salaire minimum. Pourquoi ? C’est mutuellement bénéfique pour les deux parties. Il faut donc le leur permettre. Sinon, vous vous retrouvez avec une perte sèche.

Le secteur du tourisme de Los Angeles se prépare déjà à la prochaine vague de visiteurs.

La Coupe du monde de la FIFA et les Jeux olympiques devraient injecter des millions de dollars dans l’économie locale, principalement consacrés à l’hébergement, au transport, à la restauration et au shopping. Il est essentiel que les décideurs politiques adoptent une approche non interventionniste afin que les entreprises et les travailleurs de la ville puissent exploiter les opportunités offertes par ces événements.

Sur le web

 

La Cour suprême sonne la fin de la discrimination positive : et la France ?

La Cour suprême des États-Unis vient de porter un rude coup à la discrimination positive. Dans sa décision du 29 juin 2023, elle a considéré que les universités de Harvard (privée) et de Caroline du Nord (publique) ne sont pas habilitées à utiliser la race dans les procédures d’admission de leurs étudiants.

Cette décision marque la fin du cycle débuté dans les années 1960 à la fin de la ségrégation raciale. Elle porte un rude coup à l’affirmative action, cette politique qui a pourtant été largement cautionnée par la Cour suprême, avant d’être désormais désavouée.

Faut-il voir dans ce revirement l’expression du conservatisme ou du simple bon sens ? La leçon doit être méditée en France.

 

L’affirmative action, une politique américaine

La politique d’affirmative action doit beaucoup au contexte nord-américain. Elle découle du sentiment de culpabilité par rapport à l’esclavage et à la ségrégation raciale (qui a été autorisée par la Cour suprême en 1896). Il faut aussi tenir compte des calculs électoraux du Parti démocrate qui a progressivement délaissé son électorat populaire traditionnel pour se tourner vers d’autres électorats, notamment les minorités raciales.

Si la race a été aussi facilement acceptée en tant que paramètre institutionnel, c’est également parce que, aux États-Unis, la race a été abondamment utilisée dans la législation et les politiques publiques. En somme, les esprits y étaient habitués. Placée au cœur de la ségrégation, la race est apparue comme un critère naturel pour lutter contre la ségrégation.

C’est la raison pour laquelle l’affirmative action, devenu l’emblème du progressisme, a été très largement cautionnée par la Cour suprême. Certes, les juges ont refusé les quotas par race, sans doute en raison du souvenir honteux d’avoir vu Harvard et d’autres universités plafonner le nombre de juifs durant l’entre-deux guerres, mais ils ont autorisé les universités à tenir compte de la race pour pondérer les candidatures en fonction de ce critère.

Le résultat n’est pas très glorieux : alors qu’auparavant la race privilégiait les Blancs, voici qu’en guise de compensation elle accorde un privilège aux Noirs et aux Hispaniques. Chassée par la porte, la race est revenue par la fenêtre.

Il est vrai toutefois qu’aux États-Unis, la plupart des universités ont renoncé à recourir à la race pour la sélection de leurs étudiants. En outre, la discrimination positive est désormais impopulaire dans l’opinion, y compris chez les Démocrates.

 

Une décision logique

Dans sa décision du 29 juin, la Cour suprême a considéré que la procédure utilisée par les universités de Harvard et Caroline du Nord est inacceptable : non seulement elle est contraire au Quatorzième amendement (1868) sur l’égale protection devant la loi (Equal Protection Clause) mais de plus, elle remet en cause la volonté de démanteler la ségrégation raciale, qui s’est notamment manifestée par le célèbre arrêt Brown vs. Board of Éducation (1965).

Indirectement, les juges sont sévères avec leurs prédécesseurs. Ils considèrent que la jurisprudence qui a laissé s’instaurer des discriminations en fonction de la race est tout aussi irrecevable que la ségrégation elle-même. « Éliminer la discrimination raciale signifie éliminer entièrement celle-ci », clament-ils.

La Cour achève sa démonstration en disant que les procédures de discrimination positive ne s’appuient pas sur des éléments objectifs et véhiculent même des stéréotypes raciaux. Elle accuse les universités incriminées de n’avoir pas fait la preuve que la race affecte la vie des individus.

Toutes ces observations sont pertinentes. Comment évaluer la race ? Comment savoir quelle situation personnelle recouvre la couleur de peau ? C’est un peu comme lorsqu’il est dit que si les Noirs américains pratiquent peu la natation, c’est parce que l’accès aux piscines publiques leur a été longtemps interdit. Un tel raisonnement laisse sceptique car, jusqu’à preuve du contraire, l’apprentissage de la natation ne s’effectue pas sur plusieurs générations. Le critère social est ici certainement plus explicatif que le critère historico-racial.

 

Une politique inconnue en France 

L’affirmative action n’a jamais été bien vue en France. Même si cette politique a pu susciter une certaine sympathie, elle n’a jamais fait l’objet d’un enthousiasme dithyrambique. Rares sont ceux qui ont plaidé pour sa transposition en France.

La discrimination positive à la française, instaurée dans l’enseignement à travers les ZEP (1981), s’est contentée de recourir à des critères sociaux ou géographiques, éventuellement nationaux (la proportion d’élèves étrangers). Cette politique ne manque pas d’hypocrisie car tout le monde sait pertinemment que le classement en ZEP dépend surtout de la proportion d’enfants issus de l’immigration, mais elle permet de faire une entorse à l’égalité républicaine sans provoquer des réactions de rejet.

On comprend alors que la décision la décision de la Cour suprême n’ait pas déclenché une vague de critiques comparable à celle qui a accompagné l’an dernier la décision sur l’avortement. Peu de commentaires sont comparables à ceux que l’on rencontre par exemple dans la presse canadienne.

Globalement, la presse française s’est contentée de présenter factuellement la décision des juges.

Si tel commentateur déplore une « décision redoutée » qui met un terme « au système qui permettait de garantir une certaine diversité dans les facs du pays », et si tel autre estime que la Cour « continue de dérouler son programme réactionnaire », le ton général est resté très modéré, et même franchement approbateur pour la presse de droite, et certains universitaires ont fait part de leur satisfaction.

 

Le progressisme est-il devenu raciste ?

On peut tirer deux remarques.

La première consiste à se demander si cette relative neutralité des commentaires ne va pas peser sur la perception de la Cour suprême américaine.

Depuis les dernières nominations de l’ère Trump, celle-ci est en effet supposée être l’antre du conservatisme. Pourtant, la suppression de la discrimination positive paraît frappée du coin du bon sens. Se pourrait-il dès lors que la Cour suprême soit moins idéologique que l’affirment ses adversaires ? Pire : se pourrait-il que les vrais progressistes ne soient pas ceux que l’on croît ?

À tout le moins, puisqu’il revient à une cour supposément conservatrice d’avoir mis un terme à une politique qui, quoiqu’on en dise, était d’inspiration raciale, créant des privilèges pour certains groupes et des désavantages pour d’autres (en l’occurrence les Asiatiques, qui ont été à l’origine du recours), ne doit-on pas avoir des doutes sur le sens du progressisme actuel ? Si être progressiste signifie défendre une politique raciale, n’est-il pas plus glorieux de se dire conservateur ?

 

Et la discrimination positive en France ? 

En second lieu, la décision de la Cour suprême invite incidemment à s’interroger sur la situation en France. Car paradoxalement, c’est au moment où la discrimination positive est en voie d’abrogation aux États-Unis qu’elle paraît gagner en légitimité en France.

On sait en effet que la notion de mérite subit une offensive sans précédent. Comme jadis aux Etats-Unis, les concours anonymes sont accusés de discriminer les minorités. La culture générale est particulièrement visée. Les classes préparatoires et les Grandes écoles annoncent régulièrement vouloir diversifier leur public, ce qui signifie avoir plus d’indulgence pour les filles ou les descendants d’immigrés. Il est aussi question d’avoir une haute fonction publique « plus représentative ».

Par un hasard de calendrier, le verdict des juges américains est tombé au moment où le gouvernement français a décidé d’accorder un privilège aux étudiants boursiers : désormais, en cas de redoublement en classe préparatoire, ceux-ci pourront bénéficier de points supplémentaires pour accéder aux écoles d’ingénieurs. Le raisonnement est étrange : pourquoi un échec (le redoublement) devrait-il être récompensé ?

Une forme de discrimination positive s’impose désormais subrepticement. Il y a alors une contradiction abyssale entre, d’une part, un discours officiel qui dénonce chaque jour les discriminations dont sont supposés victimes certains groupes et, d’autre part, la valorisation de la discrimination positive.

Il faudrait pourtant tirer les leçons de ce qui vient de se passer aux Etats-Unis. L’expérience américaine nous montre que la discrimination positive porte atteinte aux principes fondamentaux d’un État de droit et qu’elle génère un vif ressentiment dans la population. On ne voit pas pourquoi il en irait différemment en France, où nous sommes bien placés pour savoir que les privilèges peuvent déboucher sur des révoltes.

Condorcet et l’égalité des genres : une vision révolutionnaire

Figure iconique de la Révolution française dans sa dimension libérale, Condorcet est l’auteur de plusieurs textes sur la place des femmes dans la société.

En 1790, il publie : Sur l’admission des femmes au droit de cité. En 1793, alors qu’il est pourchassé par la Convention qui a ordonné son arrestation, c’est-à-dire sa condamnation à mort, il consacre plusieurs paragraphes de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain et de Fragment sur l’Atlantide, au même sujet.

Les extraits provenant de ces deux ouvrages, traitant de l’égalité entre les genres, sont réunis ici.

 

Relire les écrits de Condorcet dans le contexte actuel du débat féministe

Il est intéressant de relire ces écrits de Condorcet dans le contexte actuel du débat – on peut parler de crise – entre féminisme de l’équité et féminisme du genre.

Certains reprochent à Condorcet son culte de la raison, son optimisme sur l’avenir de l’humanité et sa vision qualifiée parfois de naïve de la toute-puissance de l’esprit humain.

C’est pourtant une tout autre image de sa pensée qu’inspirent ses réflexions sur la condition féminine, suffisamment originale à son époque pour retenir l’attention :

« Parmi les progrès de l’esprit humain les plus importants pour le bonheur général, nous devons compter l’entière destruction des préjugés, qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu’elle favorise. On chercherait en vain des motifs de la justifier, par les différences de leur organisation physique, par celle qu’on voudrait trouver dans la force de leur intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n’a eu d’autre origine que l’abus de la force, et c’est vainement qu’on a essayé depuis de l’excuser par des sophismes. »

C’est donc la culture et la tradition qui sont d’emblée jugées responsables de cette inégalité de droits que regrette Condorcet. Face à cette injustice, il pose les principes de l’accès à un droit égal pour tous :

« … les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées ; ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux.  »

 

Premier objectif, un égal accès à l’éducation

Le premier objectif de la société nouvelle, débarrassée de ses préjugés, sera donc d’établir une égalité d’accès à l’éducation :

« Favoriser les progrès de l’instruction, et surtout […] la rendre vraiment générale, […] parce qu’on l’étendrait aux deux sexes avec plus d’égalité […] Qui sait si, lorsqu’une autre éducation aura permis à la raison des femmes d’acquérir tout son développement naturel, les relations intimes de la mère, de la nourrice, avec l’enfant, relations qui n’existent pas pour les hommes, ne seront pas pour elles un moyen exclusif de parvenir à des découvertes plus importantes plus nécessaires qu’on ne croit à la connaissance, de l’esprit humain, à l’art de le perfectionner, d’en hâter, d’en faciliter les progrès ? »

 

Observer et raisonner au lieu de se fier aux traditions

Vient ensuite la méthode à adopter.

Condorcet ne souhaite pas commettre les mêmes erreurs que ses contemporains :

« L’influence du sexe sur les qualités intellectuelles et morales n’est pas moins importante à déterminer. »

Déterminer et non postuler ; pour Condorcet, il faut observer, expérimenter, plutôt que croire à de supposées vertus de la tradition :

« Quelques philosophes semblent avoir plaisir à exagérer ces différences : ils ont en conséquence assigné à chaque sexe ses droits, ses prérogatives, ses occupations, ses devoirs, et presque ses goûts, ses opinions, ses sentiments, ses plaisirs; et prenant ces rêves d’une imagination romanesque pour la volonté de la nature, ils ont dogmatiquement prononcé que tout était le mieux possible pour l’avantage commun »

Le jugement est ironique et cinglant :

« Cet optimisme, qui consiste à trouver tout à merveille dans la nature telle qu’on l’invente doit être banni de la philosophie, dont le but n’est pas d’admirer, mais de connaître ; qui, dans l’étude, cherche la vérité, et non des motifs de reconnaissance. »

Fidèle à l’esprit scientifique et naturaliste qui l’anime, Condorcet n’exclut aucune hypothèse et veut partir de faits observables pour justifier l’égalité entre les sexes. Il remarque que la grande différence d’éducation qui pénalise les femmes ne permet pas de tirer de conclusions sur leurs capacités intellectuelles :

« Si on ne compte que le petit nombre de femmes qui ont reçu, par l’instruction, les mêmes secours que les hommes, qui se sont livrées à l’étude d’une manière aussi exclusive, il n’est pas assez grand pour en tirer un résultat général. »

La formulation rappelle que Condorcet, mathématicien, fut l’auteur de plusieurs travaux sur les statistiques et probabilités et qu’il travailla sur l’arithmétique politique.

 

Le rejet des stéréotypes du genre

Dans Sur l’admission des femmes au droit de cité, il examine, pour les rejeter, les reproches courants faits aux femmes :

« On a dit que les femmes, malgré beaucoup d’esprit, de sagacité, et la faculté de raisonner portée au même degré que de subtils dialecticiens, n’étaient jamais conduites par ce qu’on appelle la raison.
Cette observation est fausse : elles ne sont pas conduites, il est vrai, par la raison des hommes, mais elles le sont par la leur. Leurs intérêts n’étant pas les mêmes par la faute des lois, les mêmes choses n’ayant point pour elles la même importance que pour nous, elles peuvent, sans manquer à la raison, se déterminer par d’autres principes et tendre à un but différent. »

« On a dit que les femmes, […]  n’avaient pas proprement le sentiment de la justice, qu’elles obéissaient plutôt à leur sentiment qu’à leur conscience. Cette observation est plus vraie, mais elle ne prouve rien : ce n’est pas la nature, c’est l’éducation, c’est l’existence sociale qui cause cette différence. Ni l’une ni l’autre n’ont accoutumé les femmes à l’idée de ce qui est juste, mais à celle de ce qui est honnête. Éloignées des affaires, de tout ce qui se décide d’après la justice rigoureuse, d’après des lois positives, les choses dont elles s’occupent, sur lesquelles elles agissent, sont précisément celles qui se règlent par l’honnêteté naturelle et par le sentiment. Il est donc injuste d’alléguer, pour continuer de refuser aux femmes la jouissance de leurs droits naturels, des motifs qui n’ont une sorte de réalité que parce qu’elles ne jouissent pas de ces droits. »

 

La profession de foi de Robespierre sur le même sujet

Par contraste, voici de courts extraits du discours que Robespierre fit le 18 avril 1787 pour l’admission de Louise-Félicité Guynement de Kéralio à l’académie d’Arras :

« … le sexe dont l’organisation est plus délicate et plus sensible laissera à l’autre le soin de sonder toutes les profondeurs des sciences abstraites ; mais pourquoi renoncerait-il à celles qui ne demandent que de la sensibilité et de l’imagination ?  […]

La nature a donné à chaque sexe des talens qui lui sont propres. Le génie de l’homme a plus de force et d’élévation ; celui de la femme plus de délicatesse et d’agréments. […]

La tâche de l’homme sera de supporter de grands travaux et d’exécuter de grandes entreprises ; celui de la femme sera d’animer ces généreux efforts par le prix qu’il attache au bonheur de lui plaire ; et de les récompenser par les applaudissements. De là le devoir imposé aux femmes […]

Les femmes rendent plus que supportable une conversation où l’on ne dit rien, une assemblée où l’on ne fait rien. Elles enchaînent les ris et la gaieté autour d’une table de jeu. La beauté, lorsqu’elle est muette, lors même qu’elle ne pense pas, intéresse encore ; elle anime tout autour d’elle. »

Cité par Claude Guillon, Robespierre, les femmes et la Révolution, Editions IMHO.

Claude Guillon précise que Robespierre voit en ce texte sa « profession de foi » à propos des rapports sociaux de sexe, et qu’il n’en publiera jamais d’autre par la suite.

 

Interroger la nature des genres, la réponse libérale

Condorcet n’exclut pas a priori qu’il puisse y avoir des différences intellectuelles entre les deux sexes, mais demande des preuves expérimentales fiables :

« Je demande maintenant qu’on daigne réfuter ces raisons autrement que par des plaisanteries et des déclamations ; que surtout on me montre entre les hommes et les femmes une différence naturelle qui puisse légitimement fonder l’exclusion d’un droit. »

Cette posture, à savoir demander des preuves et ne pas avoir peur des résultats de l’expérimentation, a retrouvé une grande modernité à notre époque où la théorie de « l’ardoise vide » et du « tout culturel » domine le mouvement féministe militant, en dépit de l’éclairage contradictoire apporté par la génétique du comportement.

Ainsi, si Condorcet juge que le statut des femmes est bien « socialement construit », selon la terminologie contemporaine inspirée du postmodernisme, il n’écarte pas la possibilité que des différences physiologiques perdurent lorsque l’égalité en droit sera rétablie. Nature et culture sont convoquées pour expliquer les différences passées et futures.

C’est pour cette raison que la distribution des fonctions entre les deux sexes dans la société doit être laissée à l’appréciation des individus :

« J’ai fait voir que l’intérêt du bonheur commun, d’accord avec la justice, prescrivait de respecter cette égalité dans les lois, dans les institutions, dans toutes les parties du système social. J’ai indiqué quelle serait alors la distribution naturelle des fonctions entre les deux sexes également libres, distribution dans laquelle de nombreuses exceptions rempliraient le vœu de la nature, loin de le contredire, et qui se fera de la manière la plus utile, si on l’abandonne à la volonté indépendante des individus »

 

C’est là, tout sauf de la naïveté et c’est d’une étonnante modernité libérale.

Aux origines de l’enseignement agricole, la lutte contre l’insécurité alimentaire

Par Fabien Knittel.

Le réchauffement climatique invite les formations à interroger leurs programmes d’études. Face à l’urgence de la transition environnementale, quelles compétences transmettre en priorité aux professionnels de demain ? Comment les préparer à affronter les défis qui les attendent et à inventer de nouveaux modèles ? Ces questions touchent l’ensemble des spécialités, particulièrement l’enseignement agricole, qui concerne (environ 210 000 élèves, public et privé confondus).**

Pour mieux comprendre les débats que soulève la situation actuelle, il faut s’intéresser à l’héritage séculaire dans lequel s’inscrivent ces lycées et établissements d’enseignement supérieur.

En France, on peut dater les débuts de l’enseignement agricole avec le décret du 3 octobre 1848. Mais il a existé auparavant, et ce dès le dernier tiers du XVIIIe siècle des expérimentations et tentatives d’organisation d’enseignement à vocation agricole, notamment au sein des écoles vétérinaires de Lyon puis Alfort ou encore au Muséum national d’histoire naturelle avec les cours d’André Thouin. Toutefois ces tentatives ne sont guère pérennes.

Il faut attendre le milieu des années 1820 pour que l’agronome lorrain Christophe Joseph Alexandre Mathieu de Dombasle crée un Institut agricole au sein de la ferme dite exemplaire, à Roville-devant-Bayon, village du département de la Meurthe, dont il a pris la direction en 1822. Cet Institut fonctionne pendant près de vingt ans jusqu’à la mort de son fondateur et aboutit à la formation de près de 400 élèves.

 

Des modèles européens

Les origines de cet enseignement sont donc multiples. Et elles sont aussi européennes. Les structures de l’Institut de Roville s’inspirent largement de l’Institut prussien d’Albrecht Thaër fondé à Moëglin en 1819 (en Prusse).

L’établissement d’enseignement pour les enfants pauvres destinés à devenir valets de ferme, fondé à Hofwyl, près de Berne au début des années 1810, par l’agronome suisse Philip Emanuel de Fellemberg apporte aussi un cadre qui intéresse Mathieu de Dombasle mais qu’il n’applique que très peu. Il s’inspire des structures établies par ses prédécesseurs et essaie de les adapter au contexte lorrain. On remarquera ici que les exemples germaniques supplantent l’exemple anglais lors de la création de l’enseignement agricole français en Lorraine.

Dans le domaine pédagogique, Mathieu de Dombasle insiste sur la spécificité de l’enseignement agricole fondé sur la pratique, l’observation et l’expérience, ce qu’il désigne par l’expression de « clinique agricole ». Le champ cultivé devient l’objet d’une description précise, associant l’observation et le langage, support à la décision. Cependant, l’observation seule ne suffit pas, l’analyse de ce qui est vu doit favoriser la compréhension de la chose observée et en déterminer l’importance pour comprendre les interactions multiples avec l’environnement. Ainsi l’agronome a-t-il les moyens de décider une modification de l’itinéraire technique, voire du système de culture, ou de les conserver.

Ceux que l’on appelle progressivement depuis le milieu du XVIIIe siècle des agronomes (bien que le terme soit longtemps concurrencé par ceux d’« agromane » et « cultivateur » voire « agriculteur ») sont à l’origine de la structuration de l’enseignement technique agricole, en France mais aussi plus largement en Europe. Leur motivation principale relève de la lutte contre l’insécurité alimentaire. L’Europe connait encore une famine en Irlande au milieu du XIXe siècle, les rendements ne sont pas encore suffisants pour nourrir l’ensemble de la population.

Les agronomes accusent les routines paysannes (présupposées d’ailleurs ; l’accusation est injuste et particulièrement infondée) et militent pour une formation technique à destination des praticiens de l’agriculture. En réalité, et c’est le cas à Roville-devant-Bayon, ce sont surtout des chefs d’exploitation qui sont formés avant tout. Il faut produire plus, donc mieux. C’est ainsi que l’enseignement agricole est l’une des origines du productivisme agricole : nécessaire et vertueux au XIXe siècle ; excessif et parfois funeste depuis les années 1960-1970.

 

Différents niveaux de formation

Après les premières initiatives, souvent de courtes durées, la IIe République, avec le décret du 3 octobre 1848, institutionnalise l’enseignement agricole sous une forme scolaire.

Ce décret prévoit un enseignement agricole hiérarchisé selon trois niveaux :

  1. Supérieur avec l’Institut national agronomique (INA)
  2. Intermédiaire avec des instituts régionaux (Grignon, près de Paris, Grand-Jouan, près de Rennes et La Saulsaie transférés à Montpellier dès 1870)
  3. Subalterne avec les fermes-écoles

 

Ces trois degrés de formation sont indépendants, bien que constituant une sorte hiérarchie de compétences. Le but est de former des « cadres » compétents pour favoriser la modernisation des structures agricoles du pays. Les fermes-écoles sont destinées à former les « petites gens » de la terre, c’est-à-dire principalement les fils des petits et moyens exploitants agricoles. Dans les régions qui tendent à se spécialiser dans les productions fromagères comme la Franche-Comté, ce sont des fruitières-écoles qui sont mises en place. Fermes-écoles et fruitières-écoles sont régies et organisées selon les mêmes textes et les mêmes principes.

Par la suite, l’enseignement technique agricole est renforcé par la loi du 30 juillet 1875 créant les écoles pratiques d’agriculture. L’enseignement théorique y est mieux structuré et la formation pratique plus complète. Le développement des écoles pratiques d’agriculture s’accompagne alors de déclin puis de la disparition progressive des fermes-écoles. Les chaires départementales d’agriculture sont instaurées par la circulaire du 16 août 1878 et la loi du 16 juin 1879 qui réforment cet enseignement.

Ultérieurement, par la loi du 21 août 1912, ces chaires sont transformées en directions départementales des services agricoles. La création de ces chaires favorise aussi le développement de l’enseignement agricole au sein des écoles primaires de garçons et des écoles normales d’instituteurs qui avait été mis en œuvre par le ministère de l’Instruction publique dès 1867.

En cette fin de XIXe siècle, et au début du XXe siècle, les écoles ambulantes et saisonnières se développent afin de toucher un plus grand nombre de jeunes paysans et paysannes. Plus spécifiquement pour les jeunes filles, l’enseignement ménager et agricole (ambulant puis fixe, en Bretagne à Kerliver et à Coëtlogon à partir de 1923) permet une formation en milieu rural.

Au début des années 1910 des discussions nourrissent le projet d’une réforme de l’enseignement agricole : il s’agit alors de trouver les moyens de développer encore plus cet enseignement agricole pour former davantage d’élèves et cela passe aussi par une réflexion sur de nouvelles formes de pédagogie. Il est question aussi de faire transmettre davantage de connaissances agricoles par les instituteurs et institutrices.

Ces discussions aboutissent au projet de loi « sur l’organisation de l’enseignement professionnel agricole » du 30 mars 1912 et au rapport parlementaire du député radical de l’Isère Simon Plissonnier en février 1913. Mais la Première Guerre mondiale perturbe le travail législatif. Une loi sur l’enseignement agricole n’est plus une priorité. La loi réformant l’enseignement agricole est finalement votée le 11 juillet 1918 et promulguée le 2 août : elle ouvre une nouvelle étape pour cet enseignement au XXe siècle.The Conversation

Fabien Knittel, Maître de conférences HDR en histoire contemporaine, spécialiste des techniques rurales au XIXe siècle, Université de Franche-Comté – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Remaniement gouvernemental : la course contre la montre pour Macron

Nouvelle tête à Matignon, nouveau gouvernement… Que faire pour le chef de l’État et surtout, quand le faire ? Le mercato d’été a commencé et crée de la fébrilité parmi les ministres.

 

Remaniement du gouvernement : le mercato d’été a commencé

En pleine crise de l’inflation après la réforme des retraites, la piste d’un remaniement avant l’été est privilégiée par l’exécutif. Ce remaniement est souhaité par le président lui-même, mais aussi par la plupart de ses alliés et amis, dont François Bayrou ou Stéphane Séjourné, le secrétaire général du parti Renaissance. Ceux-ci le pressent de ne pas attendre le 14 juillet, la fin des « 100 jours » de sursis accordés à Élisabeth Borne.

Le chef de l’État a chargé le gouvernement d’une feuille de route au moins jusqu’à la fête nationale. À cette date, Élisabeth Borne devra dresser le bilan de sa première année passée à Matignon. Cette perspective coupe court à tout remaniement avant la rentrée prochaine, mais le changement pourrait être plus rapide que prévu.

À en croire Le Parisien, les conversations ont déjà commencé entre lui et la Première ministre. L’Express ajoute qu’Emmanuel Macron a pris conseil auprès de Nicolas Sarkozy lors d’une entrevue le 6 juin.

Victorieux en début de semaine, après avoir résisté à une 17e motion de censure, le gouvernement Borne a obtenu un peu de répit. Mais pour combien de temps ?

Le remplacement d’Élisabeth Borne à Matignon semblait être la principale motivation d’un prochain remaniement.

En cause, le manque de popularité de la Première ministre ayant joué les fusibles lors de l’adoption de la réforme des retraites. Des noms reviennent régulièrement pour celui qui pourrait devenir le nouveau locataire de Matignon : Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale, Julien Denormandie, ancien ministre de l’Agriculture, ou encore Sébastien Lecornu, actuel ministre des Armées. Mais ces fidèles du président ne sont pas très vendeurs pour l’opinion publique. Alors, le chef de l’État aurait approché des personnalités du monde de l’entreprise, ou de la société civile. L’absence de personnalité en mesure d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale pourrait assurer un peu de sursis à la Première ministre.

 

Le grand chamboulement devrait concerner aussi la composition du gouvernement

Sur les 41 ministres actuels, seuls quatre ou cinq poids lourds, fidèles d’Emmanuel Macron, devraient être reconduits ou promus : Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Gabriel Attal ou encore Olivier Véran. Les ministres gênés par leurs déboires judiciaires pourraient en revanche être sur la sellette et mis à l’écart : Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice ou Olivier Dussopt, ministre du Travail, ainsi que Marlène Schiappa, qui a multiplié les polémiques ces dernières semaines. Les ministres les plus discrets, Pap Ndiaye, et François Braun, n’ont pas convaincu et sont sur un siège éjectable.

Comme toujours, pour s’installer dans les ministères, les prétendants ne manquent pas.

La jeune garde de la Macronie à l’Assemblée nationale espère bien récupérer un maroquin : Maud Bregeon, élue des Hauts-de-Seine, Benjamin Haddad, député parisien, ou encore Charles Sitzenstuhl, député du Bas-Rhin… Aurore Bergé (présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée) court, elle aussi, depuis longtemps après un portefeuille ministériel. Toujours parmi les députés, on cite : Guillaume Kasbarian (président de la commission des Affaires économiques), Sacha Houlié (président de la commission des Lois), Florent Boudié ou encore Marie Lebec. Au Sénat – qui sera renouvelé de moitié en septembre – certains placent également leurs pions. Mathieu Lefèvre et Louis Margueritte pourraient être dans la course.

 

Le chef de l’État hésite entre un rapprochement plus net avec la droite et un scénario minimaliste permettant de resserrer le gouvernement. Mais à moins de quatre ans de la fin du second quinquennat, la Macronie n’a toujours pas de banc de touche et le poste de ministre ne fait plus autant rêver.

Légalisation du port d’armes : sécurité ou danger ?

Un article de l’Iref-Europe

 

En France, le port d’armes est interdit depuis 1939 et la législation est aussi restrictive que chez la plupart de nos voisins européens.

Les citoyens ordinaires se voient nier ce que d’aucuns considèrent comme un droit fondamental alors que, parallèlement, on constate une hausse des homicides par arme à feu depuis une dizaine d’années dans des villes comme Marseille, sur fond de trafic de stupéfiants.

Marseille n’est pas la seule ville concernée : fusillade le 18 mai dernier à Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, fusillade le 13 mai à Villerupt, en Meurthe-et-Moselle, fusillade le 9 mai à Valence, dans la Drôme, fusillade le 1er mai à Cavaillon, dans le Vaucluse, etc. L’attaque du 9 juin à Annecy a également relancé le débat sur le port d’armes pour se protéger de l’insécurité et des agressions.

Quelles conclusions en tirer ?

 

Disponibilités des armes à feu et taux d’homicides : la corrélation loin d’être établie

Il est difficile d’évaluer l’impact des armes à feu : les statistiques ne distinguent pas toujours les homicides, les suicides, les accidents de chasse ou domestiques, les décès faisant suite à l’usage d’une arme à feu par les forces de l’ordre.

En France, les statistiques sur la criminalité publiées par le ministère de l’Intérieur et celles de l’INSEE ne fournissent pas de données précises. Concernant les homicides, le système de classification statistique internationale des maladies (CIM-10) inclut une catégorie dite « lésions traumatiques infligées par un tiers dans l’intention de blesser ou de tuer » (X85-Y09), mais sans distinguer le moyen employé, et il ne comporte que deux catégories relatives aux armes à feu : les agressions par fusil, carabine et arme de plus grande taille (X94) et les agressions par des armes à feu autres, sans plus de précisions (X95).

Dans la littérature scientifique, la question récurrente porte sur la relation directe entre une plus grande disponibilité des armes à feu et les taux d’homicides.

Or, là aussi, la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît. A priori, on pourrait croire que c’est dans les pays dont la législation sur les armes à feu est la plus permissive qu’il y a le plus d’homicides.

En réalité, la corrélation est loin d’être évidente.

Aux États-Unis, où le taux de détention de ces armes pour 100 habitants est le plus élevé au monde (120,5), il y a eu 13 624 homicides par armes à feu en 2020. La situation est bien différente dans d’autres pays comme la Finlande, dans le top 10 des pays les plus armés, sans que cela ne semble avoir une incidence sur le nombre d’homicides par ce moyen (cinq en 2019).

De la même manière, les citoyens suisses sont parmi les plus armés, et on ne compte que neuf homicides par arme à feu en 2020.

Lecture : Pays avec le plus d’armes à feu pour 100 habitants
Source : Estimating global civilian held firearms numbers – Small Arms Survey (2018)

 

Les armes à feu servent surtout en cas de légitime défense, et non pour commettre des crimes

Dans les débats sur le port d’armes, on a tendance à négliger, voire ignorer, un objectif pourtant majeur : la dissuasion.

Par définition, un criminel est peu soucieux de ce qui est légal ou de ce qui ne l’est pas. S’il lui faut une arme, il trouvera toujours un moyen de se la procurer : il connaît les réseaux clandestins. Le citoyen lambda, lui, se retrouve donc très vulnérable.

Cet aspect de la question a été évalué par l’économiste américain John Lott dans un article intitulé « More Guns, Less Crime » publié en 1996. Il a collecté des données venant de plus de 3000 comtés aux États-Unis pendant une période de 15 ans, et analysé l’impact du port d’armes sur neuf types différents de crimes.

Résultats : dans les États où il était autorisé, le taux d’homicides avait baissé de 8,5 %, le taux de viols de 5 %, le taux de vols de 3 %, ces effets étant notables au bout de trois ans. Dans les États dotés d’une législation sur le port d’armes dissimulées, le taux de meurtres de masse dans les lieux publics était inférieur de 69 % à celui des autres États. Cette loi a une influence sur les États voisins qui ne l’ont pas promulguée : le taux de criminalité a tendance à augmenter. Logique : les criminels sont plus à l’aise dans les États où les citoyens n’ont pas les moyens de se défendre eux-mêmes.

L’étude de John Lott s’accorde avec des données beaucoup plus récentes.

À New York, le nombre de permis d’armes a été multiplié par 3 entre 2007 et 2016, et il s’est accompagné d’une chute du nombre de meurtres de 25 %.

Au Brésil, le nombre de citoyens armés a été multiplié par 2,3 après la libéralisation du port d’armes par l’ancien président Jair Bolsonaro. La société brésilienne est-elle devenue plus violente ? Non : le taux d’homicide a chuté, de 34 pour 100 000 habitants en 2019 à 18,5 en 2023.

Un accès bien plus facile à des armes, de surcroît moins chères, n’est certainement pas pour rien dans ces statistiques.

D’autres données vont dans le même sens : une enquête menée auprès de 54 000 résidents américains en 2021 a révélé qu’une arme à feu avait été utilisée dans environ 1,67 million de cas de légitime défense chaque année, et qu’aucun coup de feu n’avait été tiré dans 81,9 % des cas.

 

L’approche libérale : une question de principe

Comme nous venons de le voir, la question du port d’armes est trop complexe pour être cantonnée aux tragiques tueries de masse qui horrifient évidemment l’opinion, et un plus grand accès aux armes à feu n’implique pas nécessairement un plus grand nombre d’homicides.

Un autre chiffre vient appuyer une réalité peut-être contre-intuitive, mais incontestable : si l’on en croit le rapport 2018 de Small Arms Survey, fin 2017, il y avait dans le monde près de 857 millions armes à feu détenues par des civils pour, et c’est l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui l’énonce, quelque 238 000 homicides par arme à feu la même année : soit 27,77 homicides pour 100 000 armes à feu.

D’un point de vue libéral, le port d’armes citoyen est surtout une question de principe : le droit de résistance à l’oppression, un droit naturel consacré par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, dépasse les batailles de chiffres sur la létalité. Bien sûr, ce droit ne signifie pas absence totale de contrôle. Dans la plupart des pays, la détention d’une arme n’est accordée que sous conditions. En Suisse, en République tchèque ou en Autriche par exemple, certaines armes peuvent être détenues après vérification des antécédents judiciaires, un examen médical, et un examen sur le maniement des armes à feu. Comme souvent, le problème n’est pas l’arme en elle-même, mais bien celui qui la porte et le droit qui encadre sa détention.

L’inflation normative en France : un fléau croissant sous la présidence de Macron

Inventer de nouvelles normes est un sport national. Selon les chiffres gouvernementaux qui viennent d’être publiés, 93 899 articles législatifs et 253 118 articles réglementaires étaient en vigueur au 1er janvier 2023, en hausse presque chaque année depuis 20 ans.

Au total, cela représente respectivement 14,1 millions et 31,1 millions de mots, soit 45,2 millions ! Si quelqu’un avait pour job de les compter manuellement, au rythme d’environ 1000 mots par heure, soit 35 000 mots par semaine de 35 heures, soit environ 1 645 000 mots par an, il mettrait 27 ans pour arriver au bout ; sauf qu’entretemps, des millions de nouveaux mots auraient probablement surgi…

À cela, il faudrait ajouter le poids des actes administratifs (circulaires et directives, en légère baisse ces derniers temps), des ordonnances (en hausse, 200 000 mots nouveaux en 2022), des principes généraux du droit (résiduel), du bloc de conventionnalité (pour le droit de l’UE voir-ci-dessous, pour les traités, ils sont en hausse mais leur poids reste modéré, étant en général déjà appliqués via la loi au moment de leur ratification) et enfin du bloc constitutionnel (résiduel mais ô combien important).

En tête des usines à gaz normatives, on trouve le Code du travail qui a fêté en 2022 son millionième mot, le Code de l’environnement (1,1 million) et le champion, le Code de la santé publique : 1,77 million de mots, 9 fois le nombre de mots du Code civil qui fait lui-même (jurisprudence comprise) déjà plus de 3000 pages.

 

Emmanuel Macron un auteur très publié… au Journal officiel

Une analyse de cette inflation normative à mi-mandat de son premier quinquennat montre que cette inflation normative n’est pas imputable à l’Europe.

En outre, les chiffres de 2019 suivaient la même tendance que nous retrouvons dans les chiffres d’aujourd’hui : les textes réglementaires et législatifs, codifiés ou non, gonflent presque tous les ans et sont en grande partie responsables de l’inflation normative française.

Voici deux graphiques du site du gouvernement (lien plus haut) :

Voici le tableau par quinquennat réalisé à partir de ces données :

Quinquennat Nombre net de nouveaux mots dans le droit législatif en vigueur (arrondi) Nombre net de nouveaux mots dans le droit réglementaire en vigueur (arrondi)
Chirac 2 (2002-2007) 1 800 000 2 900 000
Sarkozy 1 500 000 4 000 000
Hollande 2 400 000 3 000 000
Macron 1 (2017-2022) 2 300 000 3 300 000

Preuve, s’il en fallait encore, que tous les présidents récents ont mené des politiques alourdissant fortement la bureaucratie normative. On constate que Macron ne fait pas exception à la règle : plusieurs millions de mots supplémentaires sont apparus durant son premier quinquennat. D’ailleurs, ce ne sont pas moins de 83 000 pages qui ont été publiées au Journal officiel en 2021, un record absolu.

Plus précisément, sur la législation codifiée, voici le tableau de l’évolution nette du nombre de mots (arrondi) dans certains codes et par quinquennat :

Quinquennat Code civil Code de la construction et de l’habitation Code de l’urbanisme Code du travail Code général des impôts Code de la santé publique Code de l’environnement
Chirac 2 (2002-2007)  14 000    111 000     28 000   66 000  199 000 505000 203000
Sarkozy  11 000      80 000       8000  -23 000  108 000 218000 404000
Hollande    8000    112 000     19 000  153 000   60 000 164000 165000
Macron 1 (2017-2022)  11 000    101 000     35 000  100 000   43 000 245000 177000

On remarque qu’Emmanuel Macron a poursuivi l’inflation normative de ses prédécesseurs dans tous ces codes, avec quelques mentions spéciales : le Code de la construction et de l’habitation, alors que la crise du logement neuf atteint son paroxysme ; les Codes de l’urbanisme et de l’environnement dont l’inflation actuelle est essentiellement liée à l’obsession du réchauffement climatique, alors même que la France n’est responsable que pour une très faible part des émissions de GES dans le monde.

« Nous vivons un nouveau paradoxe : alors que la crise [du logement neuf] s’installe durablement, nous assistons parallèlement à un empilement de contraintes administratives et à une surenchère normative, alors même que nos logements neufs sont déjà les plus performants d’Europe » explique le patron de la Fédération des promoteurs immobiliers, Pascal Boulanger, pour BFM.

 

En Allemagne, il existe un organisme chargé de la simplification normative !

Cette inflation est à comparer à ce qui se passe dans d’autres pays.

En Allemagne, par exemple, il existe un organisme spécialement chargé de la simplification au niveau fédéral : le Normenkontrollrat, avec pour résultat une baisse de 25 % du nombre de normes pour les entreprises.

Aux Pays-Bas, une politique de simplification a été menée à partir de 2010. Pareil en Suède depuis 2011.

Avec les mêmes effets à chaque fois : diminution des coûts et de la pression normative pour les entreprises, diminution annuelle des coûts administratifs, amélioration de la lisibilité des textes en vigueur…

En France, des alertes sonnent régulièrement : rapports du Sénat, de la Cour des comptes, articles dans les médias, mais elles ne suscitent guère de réactions. Les Français élisent toujours et encore des bureaucrates dont l’appétit pour les normes semble sans limites.

Le haut fonctionnaire Christophe Eoche-Duval écrit dans Le Monde :

« Plutôt que de perpétuer l’inflation normative, la France gagnerait à mieux appliquer les textes existants. »

Pour inverser la tendance, on pourrait également s’inspirer de l’analyse récente de Dorothée Belle et d’Audrey Frut Gautier qui proposent des pistes de simplifications pour en finir avec cet excès de normes.

Mettre fin à cette inflation normative est un projet qui mérite mieux que des déclarations d’intention. Cette lutte est essentielle pour retrouver notre liberté, notre dignité mais aussi notre efficacité, car dans leur immense majorité, ces normes sont contre-productives.

Ainsi que le note Nicolas Lecaussin :

« Le poids de l’État et des administrations est devenu insoutenable et il serait bon de suivre ces exemples en réduisant drastiquement toutes les réglementations qui pèsent sur les entreprises. Leur donner de l’air ce n’est pas seulement baisser les impôts et les charges, mais aussi supprimer des milliers de réglementations. »

Sur le web

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