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À partir d’avant-hierContrepoints

Les champions (franco)africains du french bashing

« Je déteste tous les Français »

Le 3 février dernier, un immigré malien de 32 ans, Sagou Gouno Kassogue, a attaqué au couteau et blessé grièvement des passagers de la Gare de Lyon. Finalement maîtrisé par l’action conjuguée des passants, des agents de sécurité et des membres de la police ferroviaire, l’homme en garde à vue a été mis en examen pour tentative d’assassinat aggravée et violence avec armes aggravée.

Les premiers éléments de l’enquête dévoilés par le préfet de police de Paris révèlent les discours conspirationnistes d’un individu ayant visiblement prémédité son acte, comme le montre l’activité d’un compte Tik-Tok et d’un compte Facebook à son nom, ainsi que des dizaines de messages postés sur les réseaux sociaux. Il est pourtant encore présenté comme psychiatriquement fragile. Fragile mais capable de préméditer.

Sur son compte Tik-Tok et sur son compte Facebook la même boue habituelle, victimaire et antioccidentale charriée par la fachosphère ouest-africaine : « la France paye, par ce crime, pour le pillage des ressources durant la colonisation », « la France finance le terrorisme », « Emmanuel Macron a fait alliance avec le diable ».

En retour, des déclarations à « son excellence Vladimir Poutine ».

On en passe et des meilleures.

Ce discours on le connaît. Il inonde la Toile depuis des années, parfois émanant de personnes naturalisées ou binationales mais résidant en France : on se demande ce que fait la Justice française devant ce déferlement de haine anti-française…

Ce discours on le connaît aussi parce qu’il est porté depuis des années par des associations ayant pignon sur rue, on le connaît surtout parce que c’est celui des juntes militaires malienne, burkinabé et nigérienne. On le connaît enfin parce que c’est celui que Abdoulaye Diop et Abdoulaye Maïga, membres du gouvernement militaire malien, ont tenu tous deux, sans honte, à la tribune des Nations Unies.

L’attaque au couteau de la gare de Lyon ne sort pas de nulle part et encore moins des brumes cérébrales d’un immigré perturbé.

Cette attaque est l’aboutissement d’un long et lent processus viral né et métastasé sur le Net. Et qui s’est brusquement défictionnalisé en s’incarnant dans une tragédie.

La première sans doute d’une série.

Retour sur les enjeux de la guerre informationnelle menée contre la France, et donc depuis le 3 février, contre chaque Français.

 

Ils vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-même… 

Quatre milliards d’humains votent en 2024, soit la moitié de l’humanité : un fait sans précédent dans son histoire, qui laisse certains penser que la démocratie s’étend dans le monde. Pour autant, toutes les démocraties ne se valent pas, en effet beaucoup de régimes étant des « démocratures », des régimes à élection mais sans les garanties de libertés individuelles qu’offre le système de Westminster.

Encore faut-il rappeler que ces élections vont se dérouler dans un contexte numérique de désinformation massive, également sans précédent dans l’histoire de la démocratie libérale.

Non seulement la désinformation peut influer sur les déterminants du vote et favoriser telle ou telle famille d’idées politiques, mais elle peut aussi renverser des régimes : en Afrique de l’Ouest, notamment, où quatre régimes politiques sont tombés (Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry et Niger), largement sous les coups portés à l’idéal démocratique par des réseaux sociaux alimentant les fausses nouvelles à un rythme effréné.

Derrière ces campagnes de désinformation, des personnalités, des mécanismes, des éléments de langage qu’on arrive maintenant à bien connaître car le Sahel en a été dans le monde francophone un des laboratoires les plus prolifiques et aussi les plus prolixes.

Anti-Français, anti-démocratie, antilibéraux, adeptes de toutes les théories du complot les plus rétrogrades, quand ils ne les fabriquent pas eux-mêmes, ces influenceurs et activistes du Net sont entrés dans une « guerre sans fumée » contre la France. Ils sont capables de faire tomber des gouvernements, voire, comme au Sahel, de renverser des régimes politiques.

Qui a dit à la Radio Télévision Suisse : « […] Chaque soldat français qui tombe en Afrique, c’est un ennemi qui tombe […] » ? Nathalie Yamb, « La Dame de Sotchi ».

Qui a dit : « […] « La seule chose qui nous rapproche des nazis, et que je ne renie pas, c’est qu’ils aimaient l’Allemagne plus que l’Allemagne s’aimait elle-même » […] » ? Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, « L’Étoile Noire », dans un entretien (Rapporté par Jean Chichizola et Gabrielle Gabizon dans Le Figaro, 30/05/2006) ; et il ajoute une charge contre « […] les macaques de l’amitié judéo-noire […] » (2004) précisant ensuite son propos « […] Nous combattons tous ces macaques qui trahissent leurs origines, de Stéphane Pocrain à Christiane Taubira en passant par Mouloud Aounit. […] Les nationalistes sont les seuls Blancs que j’aime. […] » (Propos rapportés par Mourad Guichard, Libération, 18 janvier 2008).

Vous ne les connaissez pas, mais ils vous connaissent très bien et ont fait de vous les boucs émissaires à l’origine de tous les problèmes du monde. Enquêtes au cœur de la galaxie de l’absurde assassin.

 

Choc des civilisations et menace existentielle

Ces gens, ces propos, ne restent pas inertes, cantonnés à la sphère virtuelle : la porosité entre le virtuel et le réel est forte, comme en témoigne par exemple l’alliance de circonstance entre la Ligue de Défense Noire Africaine, mouvement suprémaciste noir microscopique en termes d’adhérents, mais très largement présent sur les réseaux sociaux, et l’association « Vérité pour Adama », dans les manifestations organisées par cette dernière contre les « violences policières ».

Les propos tenus en ligne par les ténors du french bashing se diffusent via les réseaux sociaux bien au-delà des cercles géographiques ou culturels initiaux dans lesquels ils sont produits : par capillarité ils irriguent des sphères voisines, puis se diffusent par le jeu des commentaires et des reposts dans des sphères de plus en plus éloignées. Et finissent dans les cités par donner un vernis idéologique et anti- démocratique à des malaises sociaux ou sociétaux, mais aussi à la haine de la République, de la laïcité, de l’école.

Si les atteintes à la laïcité dans les écoles et les lycées, mais aussi les universités, se multiplient, c’est aussi parce que les réseaux sociaux démultiplient à l’infini les thèses les plus extrémistes, dont beaucoup sont destinées préférentiellement aux populations du Sahel, mais sont récupérées au passage par des membres de diasporas, qui restent à l’écoute de ce qui se passe dans leur pays d’origine, et en irriguent ensuite les conversations à la maison, transmettant en France via leurs enfants jeunes adultes ou adolescents le narratif d’intolérance et de haine qui sont le pain quotidien de ces réseaux sociaux.

Il n’y a plus du frontière entre le local et le global : ce qui est local est global, ce qui est global s’incarne dans du local. Comme il n’y a plus de frontière entre le virtuel et le réel. Nous sommes entrés dans un monde hyper-performatif : hier on disait « dire c’est faire ! » aujourd’hui nous sommes dans un âge où « Lire c’est faire ! » comme les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard nous l’ont montré.

Les voies migratoires sont autant de canaux de diffusion physiques des propos anti-démocratiques, anti-occidentaux et anti-mondialistes tenus sur les réseaux sociaux et auxquels sont littéralement biberonnés les jeunes des grandes métropoles du Sahel, mais aussi ceux des « quartiers », c’est-à-dire les grandes banlieues des métropoles françaises.

Les propos tenus sur les réseaux sociaux destinés aux populations sahéliennes sont rarement produits au Sahel : ainsi Alain Foka, ancien journaliste de Radio France Internationale (RFI), qui après avoir soutenu la chute des régimes démocratiques au Burkina Faso, au Mali et au Niger, et avoir lui aussi fait le déplacement à Bamako, et après son récent départ de RFI s’est illustré au Togo, dictature familiale de la famille Gnasimbé, y a inauguré sa nouvelle entreprise de média, s’interroge ou feint de s’interroger : « Pourquoi la jeunesse africaine rejette l’Occident ? ».

Ou bien @La guêpe, sur X, installée aux États-Unis, ou Fenelon Massala (@rfemassala sur X) installé en Belgique…

La fabrique du french bashing et de la haine de l’Occident est largement produite en Occident. Le cas d’Alain Foka est loin d’être un cas isolé : Claudy Siarr, chroniqueur culture sur RFI et animateur de l’emblématique émission de RFI « Couleurs tropicales » s’est, lui aussi, sur les réseaux sociaux fait une spécialité de défendre le narratif russe dans la guerre en Ukraine, comme de soutenir le régime dictatorial en Centrafrique…

 

La coalescence des galaxies du french bashing : le suprémacisme noir…

Ils sont légion. Mais ils ne sont ni inconnus ni insaisissables. Derrière l’armée des petites mains qui officie sous pseudos sur les réseaux sociaux, et bien sûr derrière l’armée des bots issus des fermes à trolls souvent d’obédience russe (mais parfois chinois ou même iraniens), il y a des têtes d’affiche du french bashing. Et ceux-là, non seulement sont très connus, mais vivent et existent grâce à leurs outrances sur les réseaux sociaux.

Certains d’entre eux vivent et s’enrichissent de cette guerre informationnelle. Par le biais de partis politiques et d’organisations non gouvernementales (ONG) comme Urgences panafricanistes du franco-béninois Stellio Capo Chichi alias Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), ou d’association comme L’Institut de l’Afrique des Libertés du franco-camerounais Franklin Nyamsi, ou par le biais de sociétés : Nathalie Yamb est spécialiste en la matière, ayant fondé en Suisse, dans le Canton de Zoug, une société de consulting, et dans le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis, une société écran révélée (2021) par les Panama papers, Hutchinson Hastings Partners LLC.

Ils évoluent cependant dans des galaxies hier déconnectées, aujourd’hui en voie de coalescence.

Les tenants du kémitisme et du suprémacisme noir

La galaxie du suprémacisme noir est la première à avoir émergé sur la scène médiatique et numérique francophone. Cette galaxie est représentée en France par une myriade d’associations et quelques leaders qui se sont progressivement imposés sur une scène médiatique élargie, alors même que leurs militants se compte sur les doigts de la main. L’audience numérique d’un Sylvain Dodji Afoua, Franco-Togolais qui se fait appeler « Egountchi Behanin » du nom d’un ancien roi du Dahomey, est sans commune mesure avec le nombre d’adhérents de sa Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), moins de 250 adhérents lors de sa dissolution.

L’un des parrains de cette galaxie est le docteur Franklin Nyamsi, Franco-Camerounais, arrivé en France pour y poursuivre ses études supérieures, docteur en philosophie, professeur de l’Éducation nationale, temporairement mis à pied en 2023 pour ses propos tenus en classe, mais maintenu dans la fonction publique. Il vitupère sur les réseaux sociaux contre la France, accusée de tous les maux du continent africain. Sous le pseudonyme de Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika, ses vidéos de moins d’une minute sur Tik Tok, le réseau social chinois, sont vues des centaines de milliers de fois.

Sur sa chaîne YouTube (Plus de 300 000 abonnés) il se présente :

« […] La liberté, la dignité, Le bien- être intégral de l’humanité dans une planète harmonieuse sont mes rêves éveillés. Je veux promouvoir ici comme ailleurs, La justice. […] ».

Jamais en mal d’emphase sur lui-même, le professeur de l’Académie de Rouen n’en n’attise pas moins un feu continu sur le pays qui l’a formé et l’accueille.

C’est ainsi qu’en janvier 2024 sur sa chaîne YouTube où il rappelle son séjour au Niger et sa réception en grande pompe par les autorités militaires qui viennent de renverser le président élu Mohamed Bazoum, il présente son retour à Bamako, « Capitale de l’Alliance des États du Sahel ». Les louanges dans les commentaires sont à la mesure de l’enflure de l’ego de Franklin Nyamsi : ainsi @ognok4196 qui affirme : « […] Soyez béni, Prof Inbougique pour votre contribution louable […] » et ajoute « […] Comme toujours, vive la Russie et le GRAND POUTINE, le président du siècle […] ».

Si après, on conteste encore l’influence russe derrière la sphère suprémaciste noire…

La haine de la France n’est d’ailleurs jamais loin :

« […] nous ne pardonnons jamais à ces locodermes (sic) [Pour leucodermes id est les Blancs], qui ont osés souillés la terre de l’homme et son humanité ! Hotep professeur ! […] » déclare @deazolowry4473 tandis que @Africa_infoTV1994 affirme espérer « […] Les pays de L’A.E.S Transition jusqu’en 2100 […] ». C’est-à-dire pas d’élection jusqu’en 2100 !

Le triptyque haine des Blancs, haine de la démocratie et délire égyptologique est posé. Il fonde le discours du suprémacisme noir. Derrière ces figures d’intellectuels de l’afrocentrisme, émergent des figures plus rustres mais tout aussi populaires de militants. Comme Sylvain Dodji Afoua ou Stellio Capo Chichi.

Sylvain Dodji Afoua, né au Togo, arrivé en France à l’âge de 14 ans après le décès de son père au Togo. Il rassemble autour de son association LDNA plus de 50 000 followers sur Instagram, presque autant sur Facebook : condamné pour viol sur personne vulnérable en 2014, et incarcéré, puis pour intimidation en 2019 envers un élu public, Sylvain Dodji Afoua s’est ensuite régulièrement affiché dans les pays enclavés du Sahel victimes des coups d’État militaires, dont le Mali où il pose aux côtés d’un manifestant portant une pancarte « Mort à la France ».

Stellio Capo Chichi, connu sur les réseaux sociaux sous l’alias de Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), est lui aussi un récidiviste des condamnations, en règle générale pour incitation à la haine raciale et antisémitisme.

Il déclarait notamment :

« [Les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale de la santé sont] tenues par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur Terre. » (2009).

Les médias africains souvent situés dans l’opposition ne sont pas avares de louanges pour Stellio Capo Chichi, confinant parfois à l’admiration homo érotique.

Ainsi Joseph Akoutou (2018) dans BeninWebTV qui déclare :

« […] Ce Franco-Béninois a un physique imposant par sa taille élancée, son épaule rectangulaire, sa démarche de guerrier, son visage grave où l’on lit la fermeté, la colère, la révolte, la rage, une revendication. […] ».

L’éternel retour de la figure de l’homme providentiel.

Engagé dans la branche européenne de Nation of Islam du leader musulman américain Louis Farrakhan, il quitte plusieurs fois le mouvement et décide finalement de rompre avec les religions révélées et fonde divers groupuscules dont Tribu Ka, et maintenant l’ONG Urgences Panafricanistes. Expulsé du Sénégal puis de Côte d’Ivoire, il s’installe au Bénin, et apporte ensuite son soutien aux régimes militaires malien, puis burkinabè, et enfin nigérien. Il organise d’ailleurs un meeting à Niamey dans la foulée du coup d’État militaire perpétré contre le président élu Mohamed Bazoum.

L’ONG Urgences Panafricanistes est fondée en 2015 en partenariat avec Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo et alors en exil, et c’est sans doute là que, dans la sphère suprémaciste noire, les rapprochements commencent avec l’autre galaxie anti-France et anti-démocratie, celle des orphelins de la crise ivoirienne.

Les orphelins de la crise ivoirienne : un composite instable mais soudé par la haine de la France et une survie médiatique sur les réseaux sociaux

La galaxie des influenceurs Web issue de la crise ivoirienne est composite : pour partie elle est constituée des militants de Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire, déféré puis acquitté par la Cour Pénale Internationale (CPI) ; pour partie par les partisans de Guillaume Soro, ennemi de Laurent Gbagbo, mais revenu à de meilleurs sentiments lorsqu’il échoua à son tour dans son coup de force contre le président élu Alassane Dramane Ouattara.

Une galaxie bien fragile en apparence, mais soudée par la haine de la France et très active sur les réseaux sociaux – exil oblige – et architecturée autour de la commune haine contre Alassane Dramane Ouattara (ADO pour ses supporters). Et donc qui verse dans la haine de la France, considérée comme la garante du pouvoir et de la longévité du président ADO.

Alors qu’elle tempête en permanence sur le climat de dictature qui règnerait en Côte d’Ivoire, nombre des artisans de cette galaxie anti-France, résident pourtant en Côte d’Ivoire ou y ont résidé : c’est le cas, on l’a dit, de Stellio Capo Chichi, finalement expulsé, de Nathalie Yamb, expulsée elle aussi, c’est le cas sur X de @amir_nourdine, dit Amir Nourdine Elbachir, qui regroupe plus de 120 000 followers sur X, ou de @DelphineSankara, dit Issa Sissoko Elvis, un homme, en dépit de son pseudonyme, qui vit comme animateur de radio communautaire dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Nathalie Yamb illustre à elle seule les contours très flous d’une galaxie largement inféodée au narratif russe.

Elle est impliquée dans le scandale aux cryptomonnaies organisé par la société Global Investment Trading de Émile Parfait Simb, un autre Camerounais actuellement en fuite. Elle fait l’objet d’une plainte collective des clients de Simb Group dans l’affaire Liyeplimal, une plainte adressée au parquet fédéral du New Jersey, dans laquelle elle figure comme co-accusée aux côtés de personnalités politiques et médiatiques camerounaises. Il lui est reproché d’avoir vanté les mérites de Liyeplimal, gigantesque pyramide de Ponzi numérique, alors que les autorités de régulations financières d’Afrique centrale avaient déjà averti les usagers des irrégularités commises par les sociétés de Simb Group.

Émile Parfait Simb, actuellement mis en examen au Cameroun, et dont la société a son siège social à Dubaï, bénéficie d’un passeport diplomatique de la Centrafrique, premier pays francophone à tomber dans l’escarcelle de Wagner. Il a quitté l’Afrique, d’abord pour la Russie, puis pour une destination inconnue. Ange-Félix Taoudéra, dont les liens avec la société parapublique Wagner et avec la Russie sont forts, est étonnamment exempt de toute critique de la part de Nathalie Yamb.

Surnommée « La Dame de Sotchi » depuis son intervention en 2019 à la première édition du Forum Russie-Afrique où elle a fustigé la France, Nathalie Yamb a depuis apporté son soutien aux juntes militaires burkinabè, malienne et nigérienne, se rendant à Niamey, la capitale politique du Niger, au mois de décembre 2023 où elle est reçue en grande pompe par les nouvelles autorités militaires.

Nathalie Yamb est d’ailleurs souvent citée dans les plaintes qui la visent aux côtés de Jean-Jacques Moiffo, dit Jacky : autre ressortissant Camerounais installé en région parisienne, animateur et fondateur de la Web TV modestement appelée JMTV. Il est arrivé en France à 25 ans et est également impliqué dans la plainte déposé aux États-Unis contre Global Investment Trading SA dans le cadre du scandale Liyeplimal.

La haine de l’Occident sur les réseaux sociaux se fabrique donc d’abord en Occident, par des immigrés qui y sont accueillis et installés, et qui ne comptent visiblement pas s’installer ailleurs…

 

Les prébendiers, intellectuels et artistes en perte de vitesse : le « syndrome Maître Gims »

La recette est assez simple ; quand tu es un artiste ou un intellectuel et que tu perds de l’audience, dis une connerie et tu retrouveras ton audience et ta popularité.

On se souvient des propos lunaires de Maître Gims sur l’électricité et les anciens Égyptiens, sur les tableaux de chevaliers noirs cachés sous le Vatican dans des catacombes (?). La même chose existe bien évidemment au Sahel. Une galaxie de prébendiers de la politique s’est réveillée pour se mettre au service des régimes militaires, c’est-à-dire diffuser le narratif anti-démocratique et anti-français.

Les artistes qui se refont une seconde carrière sur le french bashing

Dernière galaxie à s’agréger à cette nébuleuse du french bashing, celle des artistes et intellectuels sahéliens, plus ou moins ringardisés, et dont la notoriété à été revigorée par leurs prises de positions publiques haineuses à l’égard de la France.

Il en est ainsi du dernier arrivé dans la galaxie des has been de la culture ouest-africaine : Doumbia Moussa Fakoly, dit Tikken Jah Fakoly, reggae man ivoirien, habitué des scènes françaises, n’en n’est pas moins un adversaire acharné, non seulement de la France, mais également de la démocratie. Dernière sortie en date, non pas un album mais une déclaration tonitruante en faveur des régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Quand on sait le sort réservé aux militaires ivoiriens envoyés dans le cadre de la MINUSMA pour protéger la base aérienne de l’ONU au Mali et retenus en otages par les autorités maliennes pendant de longs mois, le ralliement du reggae man étonne… Mais la « jeunesse » ouest-africaine est sensible à ces déclarations à l’emporte-pièces anti-françaises et anti-démocratiques.

Il n’est pas le seul artiste à avoir rallié les régimes militaires : Salif Keïta, qui avait par ses déclarations largement discrédité la démocratie malienne, a intégré le Conseil National de la Transition (CNT) institué par les putschistes maliens avant de s’en retirer pour des raisons de santé trois ans plus tard. Il n’a pourtant jamais cessé, ni avant son entrée au CNT ni après, de vitupérer contre la France et les démocraties sahéliennes, usant de son aura internationale de musicien et de chanteur pour donner une forme de légitimité populaire à la junte militaire malienne.

Las, il a dû aussi annuler en catastrophe un concert prévu à… Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire devant la bronca des réseaux sociaux ivoiriens, ulcérés de voir un des principaux propagandistes de la junte militaire malienne oser paraître devant le public ivoirien, alors que cette même junte avait retenu de longs mois des militaires ivoiriens en otages.

L’entrée de Tikken Jah Fakoly le reggae man sur la scène pro-putschiste avait aussi pour ambition de rallier le public des jeunes Ivoiriens au narratif anti-Ouattara développé par les militaires maliens : les crimes en série commis par Wagner contre les populations civiles, majoritairement peules et touarègues, les coupures d’électricité incessantes dans tout le Mali et notoirement à Bamako, le coût de l’utilisation de Wagner (près de 200 millions de dollars par an au lieu des 120 annoncés initialement, et payés essentiellement en or malien) ont toutefois largement discrédité le régime militaire de Bamako.

Des intellectuels ont également apporté une aide inattendue mais inespérée aux putschistes, notamment au Mali où une large partie de l’intelligentsia s’est ralliée au régime militaire. Aminata Dramane Traoré s’est ainsi ralliée assez facilement au régime militaire. L’Occident francophone, dans les années 1990 et 2000,  avait porté cette femme aux nues pour ses romans et essais anti-occidentaux, culture woke avant le wokisme, et on avait célébré son antimondialisme. Bien qu’elle fasse paraître la totalité de ses ouvrages en France où se trouve l’essentiel de son public, Aminata Dramane Traoré s’est fait une spécialité de dénoncer les supposés méfaits de l’Occident et de la mondialisation en Afrique et notamment au Mali.

Si son ralliement à la junte militaire malienne a surpris, c’est parce que l’engouement initial autour de ses publications avait sans doute masqué une constante dans la trajectoire politique d’Aminata Dramane Traoré : elle a servi tous les régimes et toutes les institutions : étudiante en France, professeur en Côte d’Ivoire, puis fonctionnaire de l’ONU, puis ministre de la jeune démocratie malienne, elle sert aujourd’hui le régime militaire. Il est vrai qu’Aminata Dramane Traoré a toujours su se servir et servir sa famille avant de servir la communauté.

 

Une immense lâcheté

Au Sahel aussi les consciences se sont relâchées comme des ventres. La France a soutenu, et soutient encore, nombre de personnalités qui se sont retournées contre elle, et au-delà, contre les valeurs universelles que sont la démocratie, la protection des minorités, la tolérance, et on en passe. Via des subventions, des visas, des colloques et des conférences financées sur les fonds de l’aide au développement, d’aides à la création culturelle, la France a largement contribué à nourrir des officines et des personnalités qui lui sont désormais hostiles.

En Côte d’Ivoire la situation est la même. Les propagandistes ouvertement profrançais ont fait l’objet d’une répression judiciaire qui apparaît étrange : les propagandistes prorusses sont largement préservés, seules les petites mains sont l’objet d’une surveillance et de poursuites tandis que les ténors restent aussi virulents. La faute en revient d’abord à la crainte qu’ont les régimes de s’aliéner une jeunesse désœuvrée, et qu’on espère distraire en la laissant se nourrir de haine contre un ennemi lointain. Par peur de devoir affronter le courroux de la rue si la France et au-delà l’Occident cessaient d’être le bouc émissaire commode qu’ils sont devenus.

Au-delà de la situation spécifique du Sahel et de ses relations avec la France, c’est toute une politique policière et judiciaire vis-à-vis de la diffusion et de la propagation exponentielle des fausses informations qui doit être revue.

Encore aujourd’hui, la menace que représente pour la démocratie libérale la diffusion massive de fausses informations est considérée comme une menace mineure, alors même que la presse écrite ou les émissions de radio ou de télévision, pourtant devenues des supports marginaux dans l’acte de s’informer, sont l’objet d’une surveillance tatillonne.

La loi existe pourtant pour punir ces dérives informationnelles. Encore faut-il la faire appliquer. Et bien évidemment cesser de laisser la bride sur le cou des services de coopération et d’action culturelle (et les institutions universitaires) afin de resserrer les cordons de la bourse. Lénine avait coutume de dire que le capitalisme vendrait la corde qui servirait à le pendre, au Sahel la France finance et donne les verges qui servent à la battre.

Autopiégés par les deepfakes : où sont les bugs ?

Par Dr Sylvie Blanco, Professor Senior Technology Innovation Management à Grenoble École de Management (GEM) & Dr. Yannick Chatelain Associate Professor IT / DIGITAL à Grenoble École de Management (GEM) & GEMinsights Content Manager.

« C’est magique, mais ça fait un peu peur quand même ! » dit Hélène Michel, professeur à Grenoble École de management, alors qu’elle prépare son cours « Innovation et Entrepreneuriat ».

Et d’ajouter, en riant un peu jaune :

« Regarde, en 20 minutes, j’ai fait le travail que je souhaite demander à mes étudiants en 12 heures. J’ai créé un nouveau service, basé sur des caméras high tech et de l’intelligence artificielle embarquée, pour des activités sportives avec des illustrations de situations concrètes, dans le monde réel, et un logo, comme si c’était vrai ! Je me mettrai au moins 18/20 ».

Cet échange peut paraître parfaitement anodin, mais la possibilité de produire des histoires et des visuels fictifs, perçus comme authentiques – des hypertrucages (deepfakes en anglais) – puis de les diffuser instantanément à l’échelle mondiale, suscitant fascination et désillusion, voire chaos à tous les niveaux de nos sociétés doit questionner. Il y a urgence !

En 2024, quel est leur impact positif et négatif ? Faut-il se prémunir de quelques effets indésirables immédiats et futurs, liés à un déploiement massif de son utilisation et où sont les bugs ?

 

Deepfake : essai de définition et origine

En 2014, le chercheur Ian Goodfellow a inventé le GAN (Generative Adversarial Networks), une technique à l’origine des deepfakes.

Cette technologie utilise deux algorithmes s’entraînant mutuellement : l’un vise à fabriquer des contrefaçons indétectables, l’autre à détecter les faux. Les premiers deepfakes sont apparus en novembre 2017 sur Reddit où un utilisateur anonyme nommé « u/deepfake » a créé le groupe subreddit r/deepfake. Il y partage des vidéos pornographiques avec les visages d’actrices X remplacés par ceux de célébrités hollywoodiennes, manipulations reposant sur le deep learning. Sept ans plus tard, le mot deepfake est comme entré dans le vocabulaire courant. Le flux de communications quotidiennes sur le sujet est incessant, créant un sentiment de fascination en même temps qu’une incapacité à percevoir le vrai du faux, à surmonter la surcharge d’informations de manière réfléchie.

Ce mot deepfake, que l’on se garde bien de traduire pour en préserver l’imaginaire technologique, est particulièrement bien choisi. Il contient en soi, un côté positif et un autre négatif. Le deep, de deep learning, c’est la performance avancée, la qualité quasi authentique de ce qui est produit. Le fake, c’est la partie trucage, la tromperie, la manipulation. Si on revient à la réalité de ce qu’est un deepfake (un trucage profond), c’est une technique de synthèse multimédia (image, son, vidéos, texte), qui permet de réaliser ou de modifier des contenus grâce à l’intelligence artificielle, générant ainsi, par superposition, de nouveaux contenus parfaitement faux et totalement crédibles. Cette technologie est devenue très facilement accessible à tout un chacun via des applications, simples d’utilisations comme Hoodem, DeepFake FaceSwap, qui se multiplient sur le réseau, des solutions pour IOS également comme : deepfaker.app, FaceAppZao, Reface, SpeakPic, DeepFaceLab, Reflect.

 

Des plus et des moins

Les deepfakes peuvent être naturellement utilisés à des fins malveillantes : désinformation, manipulation électorale, diffamation, revenge porn, escroquerie, phishing…

En 2019, la société d’IA Deeptrace avait découvert que 96 % des vidéos deepfakes étaient pornographiques, et que 99 % des visages cartographiés provenaient de visages de célébrités féminines appliqués sur le visage de stars du porno (Cf. Deep Fake Report : the state of deepfakes landscape, threats, and impact, 2019). Ces deepfakes malveillants se sophistiquent et se multiplient de façon exponentielle. Par exemple, vous avez peut-être été confrontés à une vidéo où Barack Obama traite Donald Trump de « connard total », ou bien celle dans laquelle Mark Zuckerberg se vante d’avoir « le contrôle total des données volées de milliards de personnes ». Et bien d’autres deepfakes à des fins bien plus malveillants circulent. Ce phénomène exige que chacun d’entre nous soit vigilant et, a minima, ne contribue pas à leur diffusion en les partageant.

Si l’on s’en tient aux effets médiatiques, interdire les deepfakes pourrait sembler une option.
Il est donc important de comprendre qu’ils ont aussi des objectifs positifs dans de nombreuses applications :

  • dans le divertissement, pour créer des effets spéciaux plus réalistes et immersifs, pour adapter des contenus audiovisuels à différentes langues et cultures
  • dans la préservation du patrimoine culturel, à des fins de restauration et d’animation historiques 
  • dans la recherche médicale pour générer des modèles de patients virtuels basés sur des données réelles, ce qui pourrait être utile dans le développement de traitements 
  • dans la formation et l’éducation, pour simuler des situations réalistes et accroître la partie émotionnelle essentielle à l’ancrage des apprentissages

 

Ainsi, selon une nouvelle étude publiée le 19 avril 2023 par le centre de recherche REVEAL de l’université de Bath :

« Regarder une vidéo de formation présentant une version deepfake de vous-même, par opposition à un clip mettant en vedette quelqu’un d’autre, rend l’apprentissage plus rapide, plus facile et plus amusant ». (Clarke & al., 2023)

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment avons-nous mis au point et démocratisé des outils technologiques de manière aussi peu appropriée, au sens de E.F. Schumacher (1973) dans son ouvrage Small is Beautiful : A Study of Economics as If People Mattered.

L’idée qu’il défend est celle d’une technologie scientifiquement éprouvée, à la fois adaptable aux besoins spécifiques de groupes d’utilisateurs clairement identifiés, et acceptables par toutes les parties prenantes de cette utilisation, tout au long de son cycle de vie, sans dégrader l’autonomie des communautés impliquées.

Considérons la période covid. Elle a très nettement favorisé une « aliénation des individus et des organisations à la technologie », entraînant des phénomènes de perte de contrôle et de confiance face à des utilisations non appropriées du numérique profitant de la vulnérabilité des citoyens (multiplication des arnaques santé par exemple). Ils se sont trouvés sur-sollicités et noyés sous un déluge de contenus, sans disposer des ressources nécessaires pour y faire face de manière pérenne et sécurisée. Avec l’IA générative et la prolifération des deepfakes, le défi d’échapper à la noyade et d’éviter d’être victime de manipulations devient démesuré !

La mécanique allant de la technologie à la société est (toujours) bien ancrée dans la théorie de Schumpeter datant du début du XXe siècle : les efforts et les investissements dans la technologie génèrent du développement économique par l’innovation et la productivité, qui se traduit ensuite en progrès social, par exemple, par la montée du niveau d’éducation. La question de l’adoption de la technologie par le marché de masse est un élément central de la réussite des acteurs économiques.

Comme le souligne très bien le philosophe Alain Damasio, les citoyens adoptent les solutions numériques (faciles d’utilisation et accessibles) et se réfugient dans un « techno-cocon » pour trois raisons principales :

  1. La paresse (les robots font à leur place)
  2. La peur associée à l’isolement (on a un réseau mondial d’amis)
  3. Les super-pouvoirs (le monde à portée de main avec son smartphone)

 

Cela s’applique parfaitement à l’IA générative : créer des contenus sans effort, presque instantanément, avec un résultat d’expert. Ainsi, dans le fantasme collectif, eu égard à la puissance réelle et exponentielle des outils disponibles, nous voilà bientôt tous écrivains, tous peintres, tous photographes, tous réalisateurs… nous voilà capables de produire en quelques minutes ce qui a priori nous aurait demandé des heures. Et dans le même temps, nous servons à l’amélioration continue des performances de ces technologies, au service de quelques grandes entreprises mondiales.

 

Deepfakes : où est le bug ?

Si le chemin vers la diffusion massive de l’IA générative est clair, éprouvé et explicable, d’où vient la crise actuelle autour des deepfake ? L’analyse des mécanismes de diffusion fait apparaître deux bugs principaux.

Le premier bug

Il s’apparente à ce que Nunes et al. (2014) appelle le phénomène « big bang disruption ».

La vitesse extrêmement rapide à laquelle se déploient massivement certaines applications technologiques ne laisse pas le temps de se prémunir contre ses effets indésirables, ni de se préparer à une bonne appropriation collective. On est continuellement en mode expérimentation, les utilisateurs faisant apparaître des limites et les big techs apportant des solutions à ces problèmes, le plus souvent technologiques. C’est la course à la technologie – en l’occurrence, la course aux solutions de détection des deepfakes, en même temps que l’on tente d’éduquer et de réglementer. Cette situation exige que l’on interroge notre capacité à sortir du système établi, à sortir de l’inertie et de l’inaction – à prendre le risque de faire autrement !

Le second bug

Selon Schumpeter, la diffusion technologique produit le progrès social par l’innovation et l’accroissement de la productivité ; mais cette dynamique ne peut pas durer éternellement ni s’appliquer à toutes technologies ! Si l’on considère par exemple la miniaturisation des produits électroniques, à un certain stade, elle a obligé à changer les équipements permettant de produire les puces électroniques afin qu’ils puissent manipuler des composants extrêmement petits. Peut-on en changer l’équipement qui sert à traiter les contenus générés par l’IA, c’est-à-dire nos cerveaux ? Doivent-ils apprendre à être plus productifs pour absorber les capacités des technologies de l’IA générative ? Il y a là un second bug de rupture cognitive, perceptive et émotionnelle que la société expérimente, emprisonnée dans un monde numérique qui s’est emparée de toutes les facettes de nos vies et de nos villes.

 

Quid de la suite : se discipliner pour se libérer du péril deepfake ?

Les groupes de réflexion produisant des scénarii, générés par l’IA ou par les humains pleuvent – pro-techno d’une part, pro-environnemental ou pro-social d’autre part. Au-delà de ces projections passionnantes, l’impératif est d’agir, de se prémunir contre les effets indésirables, jusqu’à une régression de la pensée comme le suggère E. Morin, tout en profitant des bénéfices liés aux deepfakes.

Face à un phénomène qui s’est immiscé à tous les niveaux de nos systèmes sociaux, les formes de mobilisation doivent être nombreuses, multiformes et partagées. En 2023 par exemple, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a mandaté le pôle de compétitivité Minalogic et Grenoble École de management pour proposer des axes d’action face aux dangers des deepfakes. Un groupe d’experts* a proposé quatre axes étayés par des actions intégrant les dimensions réglementaires, éducatives, technologiques et les capacités d’expérimentations rapides – tout en soulignant que le levier central est avant tout humain, une nécessité de responsabilisation de chaque partie prenante.

Il y aurait des choses simples que chacun pourrait décider de mettre en place pour se préserver, voire pour créer un effet boule de neige favorable à amoindrir significativement le pouvoir de malveillance conféré par les deepfakes.

Quelques exemples :

  • prendre le temps de réfléchir sans se laisser embarquer par l’instantanéité associée aux deepfakes 
  • partager ses opinions et ses émotions face aux deepfakes, le plus possible entre personnes physiques 
  • accroître son niveau de vigilance sur la qualité de l’information et de ses sources 
  • équilibrer l’expérience du monde en version numérique et en version physique, au quotidien pour être en mesure de comparer

 

Toutefois, se pose la question du passage à l’action disciplinée à l’échelle mondiale !

Il s’agit d’un changement de culture numérique intrinsèquement long. Or, le temps fait cruellement défaut ! Des échéances majeures comme les JO de Paris ou encore les élections américaines constituent des terrains de jeux fantastiques pour les deepfakes de toutes natures – un chaos informationnel idoine pour immiscer des informations malveillantes qu’aucune plateforme media ne sera en mesure de détecter et de neutraliser de manière fiable et certaine.

La réalité ressemble à un scénario catastrophe : le mur est là, avec ces échanges susceptibles de marquer le monde ; les citoyens tous utilisateurs d’IA générative sont lancés à pleine vitesse droit dans ce mur, inconscients ; les pilotes de la dynamique ne maîtrisent pas leur engin supersonique, malgré des efforts majeurs ! Pris de vitesse, nous voilà mis devant ce terrible paradoxe : « réclamer en tant que citoyens la censure temporelle des hypertrucages pour préserver la liberté de penser et la liberté d’expression ».

Le changement de culture à grande échelle ne peut que venir d’une exigence citoyenne massive. Empêcher quelques bigs techs de continuer à générer et exploiter les vulnérabilités de nos sociétés est plus que légitime. Le faire sans demi-mesure est impératif : interdire des outils numériques tout comme on peut interdire des médicaments, des produits alimentaires ou d’entretien. Il faut redonner du poids aux citoyens dans la diffusion de ces technologies et reprendre ainsi un coup d’avance, pour que la liberté d’expression ne devienne pas responsable de sa propre destruction.

Ce mouvement, le paradoxe du ChatBlanc, pourrait obliger les big techs à (re)prendre le temps d’un développement technologique approprié, avec ses bacs à sable, voire des plateformes dédiées pour les créations avec IA. Les citoyens les plus éclairés pourraient avoir un rôle d’alerte connu, reconnu et effectif pour décrédibiliser ceux qui perdent la maîtrise de leurs outils. Au final, c’est peut-être la sauvegarde d’un Internet libre qui se joue !

Ce paradoxe du ChatBlanc, censurer les outils d’expression pour préserver la liberté d’expression à tout prix trouvera sans aucun doute de très nombreux opposants. L’expérimenter en lançant le mois du ChatBlanc à l’image du dry january permettrait d’appréhender le sujet à un niveau raisonnable tout en accélérant nos apprentissages au service d’une transformation culturelle mondiale.

 

Lucal Bisognin, Sylvie Blanco, Stéphanie Gauttier, Emmanuelle Heidsieck (Grenoble Ecole de Management) ; Kai Wang (Grenoble INP / GIPSALab / UGA), Sophie Guicherd (Guicherd Avocat), David Gal-Régniez, Philippe Wieczorek (Minalogic Auvergne-Rhône-Alpes), Ronan Le Hy (Probayes), Cyril Labbe (Université Grenoble Alpes / LIG), Amaury Habrard (Université Jean Monnet / LabHC), Serge Miguet (Université Lyon 2 / LIRIS) / Iuliia Tkachenko (Université Lyon 2 / LIRIS), Thierry Fournel (Université St Etienne), Eric Jouseau (WISE NRJ).

La capacité à reconnaître le statut de victime du Juif, un marqueur républicain ?

La capacité – ou non – pour un personnel politique de voir l’antisémitisme dans la société et de le dénoncer peut bien souvent servir de marqueur de son attachement aux valeurs républicaines et de sa capacité à traiter les faits de manière objective. L’actualité nous en a de nouveau donné une preuve, en excluant par là même une partie de la classe politique du champ républicain. La réaction de la France Insoumise à l’épisode du bombardement de l’hôpital sud de Gaza est à cet égard très représentative.

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2023, un missile israélien aurait visé volontairement un hôpital du sud de Gaza, dans lequel les autorités israéliennes avaient pourtant poussé les civils à aller se réfugier pendant des attaques au nord.

Les chiffres du ministère de la Santé de Gaza commencent à tomber : 500 ; 700 ; 1000 morts. La plupart étant du personnel médical, des blessés, des femmes et des enfants. Les condamnations tombent.

 

La gauche antisioniste

Dès 23 heures, Ersilia Soudais, vice-présidente insoumise du groupe d’étude contre l’antisémitisme à l’Assemblée nationale, a eu des mots forts :

« Israël a violé le droit humanitaire international, mais ne l’assume pas, alors que les preuves sont là ».

Les réactions de son groupe et de son parti sont du même acabit.

La réaction du député de la France Insoumise Thomas Portes s’inscrit dans un récit bien connu de la gauche antisioniste, les Israéliens ont une fâcheuse tendance à mentir :

« Les agents de propagande israéliens organisent une opération de communication car ils n’assument pas le bombardement d’un hôpital à #Gaza. Aucune surprise, cela fait des années qu’Israël utilise cette même stratégie. »

Pourtant, une conférence de presse organisée le 18 octobre au petit matin par le gouvernement israélien, en présence du président américain qui l’a avalisée, a apporté des preuves multiples allant dans le sens, non pas d’une attaque israélienne, mais d’une erreur d’un groupe terroriste palestinien. Si aucune enquête indépendante n’a été menée, les données OSINT de géolocalisation, les photos prises au matin par les sources locales montrant l’absence de cratère caractéristique des frappes aériennes et des dégâts mineurs, les enregistrements audios, des vidéos nombreuses et de sources diverses montrant une roquette tombant du ciel gazaoui vont en faveur de la version israélienne.

Par ailleurs, il est extrêmement difficile de ne pas noter l’empressement des Insoumis d’attribuer sans preuves ce bombardement d’un hôpital à Israël, surtout en le comparant à leur refus global de qualifier de terroristes les pogrom du 7 octobre ayant fait plus de 1300 morts, malgré les exactions perpétrées.

De la même manière, il devient complexe de ne pas lire un tel comportement à la lumière des paroles du NPA (visé depuis par une enquête pour apologie du terrorisme) ou de mouvements de gauche considérant le Hamas comme représentant légitime du peuple palestinien, et ses exactions comme une action de résistance comme une autre.

D’un côté, certaines populations seraient victimes par essence, de l’autre, elles seraient criminelles par essence. Le plaquage d’une construction théorique au réel prend le pas sur une analyse des faits.

Une telle conception philosophique essentialiste trouve son paroxysme dans la gestion de la question juive, dernière digue de l’universalisme.

 

Survivance des préjugés antisémites

Car en effet, de l’extrême gauche à l’extrême droite traditionnelle ou antivax, les justifications pour faire souffrir les Juifs sont pléthore.

De la crucifixion du Christ au Protocole des sages de Sion, en passant par l’empoisonnement des puits, la juiverie nationale ou internationale a toujours été une raison suffisante pour justifier les violences. Trop communautaires, aux pratiques barbares, vénaux, duplices, les Juifs n’ont, historiquement, jamais été considérés comme victimes, malgré les siècles d’horreurs traversés.

Indéniablement, une présence fantasmée à des postes clés, potentiellement justifiée par une obsession juive de l’intégration dans leur pays d’exil et à une valorisation juive des valeurs de travail et de réussite intellectuelle, ont pu jouer un rôle dans le refus de ce statut. Comment imaginer un peuple survivant aux siècles et continuant à réussir malgré les violences comme correspondant à l’idéal type de la victime ?

Par la suite, des sociologues spécialistes de la question, comme Nonna Mayer, ont montré l’importance nouvelle de la théorie de la « double allégeance » selon laquelle les Juifs en diaspora seraient toujours plus attachés à Israël qu’à leur pays. [1]

Évidemment, l’assignation identitaire, la croyance selon laquelle des caractéristiques identitaires d’un individu dictent son comportement, ne sont pas réservées aux Juifs.

Mais il est à noter que si de nombreuses assignations sont à la fois négatives et victimaires, aucune vision, sauf pour les Juifs, ne reconnaît des stéréotypes négatifs existant sans accepter que la cible de ces stéréotypes soit une victime. Entendons-nous, les stéréotypes négatifs associés autrefois à, par exemple, l’immigration arabo-musulmane en France, les Indiens d’Amérique, ou les Afro-Américains aux États-Unis, s’accompagnent aujourd’hui d’une reconnaissance victimaire de cette oppression.

Malgré des millénaires d’oppression, le Juif n’est jamais vu comme une victime potentielle.

Dans Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, Illana Weizman traite par exemple de cette impossibilité de reconnaissance victimaire. Le Juif, trop intégré, trop occidentalisé, trop blanc, ne peut se prévaloir du statut d’opprimé, car par sa puissance dans les institutions et son intégration, il fait partie du système oppresseur.

La République, universaliste, avec ses principes d’égalité, de fraternité et de laïcité, a aspiré à éliminer toutes les formes de discrimination. Mais parmi tous les préjugés qui ont persisté dans la société, ceux concernant les Juifs sont particulièrement tenaces. Historiquement, les stéréotypes antisémites ont montré une résilience effroyable, résistant aux évolutions sociopolitiques et culturelles. L’Affaire Dreyfus a montré en particulier que les préjugés antisémites peuvent survivre, même au sein des institutions les plus respectées de la République. Même si Dreyfus a finalement été innocenté, l’affaire a révélé un antisémitisme profondément enraciné dans la société française.

Par ailleurs, dans Permanence et renouveau de l’antisémitisme en France, Nonna Mayer met en avant l’idée selon laquelle les préjugés antisémites sont les plus ancrés, partent le plus difficilement, et que par ailleurs, ils sont ceux qui reviennent le plus vite. La possibilité même de reconnaître aux Juifs le statut de victimes lié aux violences qu’ils vivent devient alors un marqueur global d’universalisme et d’inscription dans le champ républicain.

 

La destruction des préjugés est-elle allée suffisamment loin pour qu’on puisse accepter que le Juif puisse avoir ce statut de victime sans qu’il en soit responsable, et ce, malgré son statut fantasmé ? C’est à cette question qu’a répondu par la négative une partie de la classe politique.

Bien entendu, il faut admettre un antisémitisme latent chez beaucoup d’antisionistes fervents, souvent d’ailleurs silencieux sur la question des droits de l’Homme quand elle ne concerne pas Israël. Il faut voir un antisémitisme latent quand des personnages politiques français ramènent des Juifs français à leur origine lorsqu’ils s’expriment politiquement, ou quand il leur est reproché d’instrumentaliser la Shoah à des fins victimaires.

Mais rien ne peut plus être tenu en mépris que l’idée selon laquelle les Juifs sont toujours en quelque sorte responsables de leur sort. Idée simple, mais qui pourtant pousserait à ne pas penser qu’égorger des enfants, même contre l’État juif, n’est jamais un acte de résistance, que d’éventrer des femmes enceintes et de pendre leur bébé mort-né n’est pas un moyen de lutte, que les Israéliens ne s’amusent pas à détruire des hôpitaux, et qu’ils ne fondent pas toute leur politique sur le mensonge.

Il résulte de cette vision biaisée un réel danger pour les Juifs, lorsque des députés de la République leur mettent une cible sur le dos en considérant que l’État juif est intrinsèquement menteur, et qu’une mort juive n’a pas tant d’importance que ça.

Partout en Europe, le discours anti-israélien fondé sur les poncifs antisémites provoque d’ailleurs des nouvelles violences contre le peuple déicide.

[1] Nonna Mayer, IV. Permanence et mutations des préjugés antisémites en France in L’antisémitisme contemporain en France (2022)

Universités en Californie : quand la lutte antiraciste vire au racisme

Même les luttes bien intentionnées peuvent mal finir. Érigé en norme après la Seconde guerre mondiale, l’antiracisme est en passe de sombrer dans un véritable chaos idéologique, et les universités nord-américaines ne sont pas en reste dans ce travail de sape.

 

Université inclusive

Le journal Le Monde vient de révéler un document stupéfiant, émis par la direction du California Community Colleges (CCC), l’organisme qui gère les cycles courts de l’enseignement supérieur public en Californie.

Ce document est destiné à mettre en œuvre la politique DEI (Diversity, Equity, Inclusion). Pour ce faire, tous les personnels « doivent démontrer qu’ils travaillent, enseignent et dirigent dans un environnement diversifié qui célèbre et inclut la diversité ».

Un engagement individuel est attendu. Il ne s’agit pas d’une simple recommandation, puisque les personnels seront évalués sur leurs compétences et résultats en matière de DEI. Le ton est très vite donné : il est notamment précisé qu’ils doivent être conscients que les identités sont « diverses et fluides », fondamentales pour les individus, et qu’elles sont à l’origine des « structures d’oppressions et de marginalisation ».

 

L’antiracisme au soleil de la Californie

Le document est accompagné d’un glossaire qui est un monument en soi. Tout le vocabulaire woke y figure : racisme structurel, identité de genre, privilège blanc, discrimination, racisme voilé, inclusion, micro-agression, etc. Sa lecture étant vivement conseillé pour qui souhaite disposer d’un condensé de l’idéologie woke.

On peut y déceler cinq idées principales.

Le racisme est partout

C’est ce que soulignent notamment les articles sur le « racisme structurel » et le « racisme institutionnel ». Le racisme imprègne les institutions et les mentalités. Même s’il est difficile de localiser précisément la « domination blanche », celle-ci « se diffuse et infuse dans tous les aspects de la société ». Elle est donc présente dans l’histoire, la culture, la vie politique et l’économie.

Le racisme est à sens unique

Il concerne uniquement l’attitude des Blancs à l’égard des minorités de couleur. Aucune remarque ne concerne le racisme qui pourrait émaner des minorités vers la majorité, ou entre les minorités elles-mêmes. La notion de « privilège blanc » illustre bien ce caractère unidimensionnel du racisme. Seuls les Blancs sont frappés par le mal ; tous les autres groupes en sont épargnés.

La population se divise en deux : les racistes et les non-racistes

Le texte l’affirme explicitement : « les personnes sont antiracistes ou racistes ». Il n’existe donc ni situations intermédiaires ou équivoques ni attitudes contradictoires ou plurielles dans le rapport que chacun peut avoir avec autrui. On est soit du côté du Bien, soit du côté du Mal ; on est pur ou impur.

L’antiracisme nécessite d’effectuer une conversion personnelle

Il doit se traduire par un engagement total. Ceux qui prétendent être non-racistes sont dans le déni des problèmes. Un antiraciste authentique est celui qui commence par confesser ses torts : il doit admettre qu’il a lui-même été raciste. Une fois converti, il doit mettre toute son énergie dans la lutte pour abattre le racisme systémique. Un prosélytisme authentique est la seule manière de racheter ses errements passés et de montrer que l’on est passé du côté des purs.

Il ne faut pas céder aux sirènes des faux arguments

Les faux arguments sont le rejet de la discrimination positive et la défense de la méritocratie. La politique de traitement préférentiel est une bonne chose. Ceux qui s’y opposent en parlant d’un « racisme inversé » sont dans l’erreur. Ce sont les opposants à la discrimination positive qui sont les vrais racistes car ils sont aveugles au racisme structurel. Il en va de même pour la méritocratie, qui est un concept fallacieux et pervers. Le mérite est une notion faussement neutre : elle relève de « l’idéologie de la blanchité » (ideology of Whiteness) et ne fait que protéger le privilège blanc, donc le racisme systémique.

 

Désastreuse université

Qu’un tel recadrage idéologique puisse intervenir au pays de la liberté, dans sa partie la plus riche et la plus avancée, ne peut manquer de surprendre.

Bien sûr, on comprend que la société américaine soit marquée par l’histoire de la ségrégation raciale et qu’elle peine à sortir de ses fractures. Mais sachant que ces questions sont sensibles et âprement controversées, on aurait pu s’attendre à ce que les autorités universitaires fassent preuve de tact et de retenue, en tout cas qu’elles sortent des lectures dogmatiques, et proposent au minimum quelques arguments factuels.

Or, elles font exactement le contraire, ce qui est particulièrement inquiétant sur l’état des universités américaines.

 

Composition des étudiants de première année à l’UCLA par ethnicité/race (2022).

Africain Américain          8 %
Indien américain ou Natif Alaska          1 %
Asiatique       38 %
Hispanique       22 %
Blancs       27 %
Inconnus         4 %
Total   100 %

Source : UCLA

 

Car la lutte contre le racisme ne justifie pas tout. Elle ne doit pas conduire à renoncer à l’objectivité et à la rigueur. Un simple regard sur la composition des étudiants de l’UCLA (université de Californie) apporte un autre éclairage. Certes, les Noirs sont faiblement représentés (8 %), mais les Blancs sont devenus minoritaires (27 %) : ils sont largement devancés par les Asiatiques (38 %), et la part des Hispaniques ne cesse de progresser pour se situer juste derrière celle des Blancs (22 %).

On ne voit pas comment un système prétendument gangréné par le racisme des Blancs pourrait accepter une telle remise en cause de la prééminence de ses membres.

 

L’ennemi Blanc

Loin de tenir un propos apaisant et objectif, le CCC désigne clairement un ennemi : les Blancs.

Dans le glossaire, la « Suprématie blanche » (White Supremacy) est présentée comme « un système d’exploitation et d’oppression à l’égard des nations et des peuples de couleur » qui a été instauré par « les nations blanches du continent européen dans le but de maintenir et défendre leur bien-être, leur pouvoir et leur privilège ».

Ce raccourci historique est déjà très discutable, mais il laisse entendre que rien n’a changé, ce qui sous-entend que ce terrible système d’oppression est toujours en place.

Les étudiants sont donc invités à communier dans la détestation des Blancs. Aussi déroutant que cela puisse paraître, tous les thèmes du discours raciste, qui sont dénoncés à juste titre, sont appliqués aux Blancs : l’essentialisation, la stigmatisation, la haine viscérale et la logique du bouc émissaire. En somme, après avoir identifié les caractéristiques du racisme, le glossaire DEI les transpose sans difficultés aux Blancs. Cette évidente contradiction ne saute pas aux yeux des auteurs.

 

L’université, école de la haine ?

Au-delà de l’aspect stupéfiant de ce document, on se demande sur quoi peut déboucher une telle rhétorique ? Quel programme d’action est-elle en mesure de tracer ?

Si le racisme imprègne profondément les mentalités, on voit mal ce qui pourrait permettre d’y échapper. Si le racisme est partout, à quoi bon agir ?

Le mouvement antiraciste est alors condamné à se radicaliser : seule une lutte totale, de type révolutionnaire, peut être à la hauteur de la situation. Ce faisant, le mouvement antiraciste est condamné à se refermer sur lui-même. Curieusement, le glossaire commence par le mot « Allié ». Il indique que, dans le cas de la lutte contre l’oppression raciale, les alliés « sont souvent des Blancs qui travaillent à mettre fin à l’oppression systémique des gens de couleur ».

Mais comment convaincre les Blancs de rejoindre une cause qui les insulte et qui fait d’eux l’incarnation du mal ? Du reste, les Blancs ne vont-ils pas se mettre à penser que l’antiracisme est devenu une nouvelle idéologie totalitaire et raciste qui menace la démocratie elle-même ?

 

Faillite de l’université

L’hypothèse d’une régression intellectuelle de l’université doit être prise au sérieux. Les manifestations de sympathie à l’égard du Hamas qui ont récemment été observées sur plusieurs campus, y compris à Harvard, ne sont pas faites pour rassurer.

Ce soutien à un mouvement terroriste a un mérite : il fait tomber les masques. Il dévoile toute l’hypocrisie qui se cache derrière le discours lénifiant sur la création d’un environnement bienveillant et inclusif à l’égard des étudiants. La création de Safe space, le bannissement des prétendues « micro-agressions » et autres discours de haine n’empêche aucunement de laisser s’exprimer la haine à l’égard des juifs sans que les directions universitaires n’y trouvent rien à redire.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il reviendra aux historiens de demain de résoudre cette énigme. Certains ont pointé le rôle de la féminisation de l’enseignement supérieur en expliquant que les hommes ont moins peur du conflit et des idées offensantes, alors que les femmes sont surtout attachées à la compassion et à la protection des groupes vulnérables, mais il est évident que cette explication est insuffisante.

Toutes les universités américaines ne sont évidemment pas sur le même plan. Il n’empêche que la Californie n’est pas n’importe quel État, et il se pourrait bien qu’elle représente l’avant-garde d’un mouvement plus large. L’enjeu est de savoir comment s’en protéger.

L’antisémitisme d’extrême gauche de plus en plus redouté par les étudiants juifs

Le journal Le Parisien a récemment fait paraître une étude de l’IFOP réalisée en association avec l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), dont il ressort que les actes antisémites (remarques, injures, agressions) stagnent, voire progressent à l’université : 91 % des étudiants juifs interrogés disent en avoir été victimes ! Et ce alors que l’antisémitisme et la haine d’Israël sont considérés comme répandus à l’université par seulement 28 % des étudiants (juifs et non-juifs) interrogés – contre 56 % pour le racisme et l’homophobie, et 63 % pour le sexisme.

On apprend par ailleurs – et c’est notamment ce chiffre qui nous intéresse ici – que 83 % des étudiants juifs interrogés redoutent « les actes et violences d’extrême gauche », et 63 % ceux d’extrême droite. Cette étude révèle donc très clairement ceci : les étudiants juifs semblent aujourd’hui craindre davantage l’extrême gauche que l’extrême droite.

Ces résultats mettent donc à mal l’idée rebattue que l’ultragauche incarnerait toujours et nécessairement le « combat antifasciste », et que l’extrême droite détiendrait le monopole de l’antisémitisme.

Comme l’indique Frédéric Dabi, (IFOP), « avant, c’est de Jean-Marie Le Pen que venaient les inquiétudes. Aujourd’hui, c’est de Jean-Luc Mélenchon ».

 

Vers une nouvelle « gauche Corbyn » ?

On se rappelle la récente la polémique, survenue en août 2023, autour de l’invitation du rappeur Médine aux universités d’été de LFI et des écologistes, et qui a renforcé l’idée qu’il existe une complaisance de l’ultragauche à l’égard de l’antisémitisme.

Caroline Yadan, députée Renaissance, avait alors qualifié Médine de « rappeur islamiste et antisémite adepte de la quenelle, des Frères musulmans et des doubles discours, ami de Tariq Ramadan et de Dieudonné, admirateur d’Alain Soral et auteur d’un calembour déshumanisant sa victime juive ».

Mathieu Lefèvre, député lui aussi Renaissance, avait soutenu pour sa part qu’« il n’y a plus rien de républicain dans La France insoumise », ajoutant qu’« il y a un antisémitisme de gauche et d’extrême gauche qu’il faut combattre dans notre pays ».

C’est dans ce cadre-là que Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan ont organisé un colloque intitulé « Les habits neufs de l’antisémitisme », qui a eu lieu le 11 septembre 2023 à l’Assemblée nationale.

Un colloque dont la tenue est révélatrice d’une inquiétude, ainsi que le rappelle un récent article du Point : celle de voir une « gauche Corbyn » détrôner la gauche laïque et républicaine, jadis incarnée par Jaurès.

Pourquoi cette référence à Jeremy Corbyn, ancien chef du Parti travailliste au Royaume-Uni entre 2015 et 2020 ?

Car ce dernier fut accusé en 2020 de complaisance envers l’antisémitisme exprimé au sein du Labour ; or loin d’être boycotté, il fut reçu en juin 2022 par Danièle Obono et Danielle Simonnet (LFI), alors candidates aux élections législatives. « Beaucoup d’émotion et de fierté de recevoir, ce soir, Jeremy Corbyn, député de Londres », avait même tweeté Danielle Simonnet le 3 juin 2022.

 

Des préjugés aussi navrants qu’archaïques, remontant à Marx même

Selon l’enquête de l’IFOP récemment publiée, 24 % des étudiants interrogés considèrent que les Juifs sont plus riches que la moyenne ; et 18 % jugent qu’ils ont un pouvoir excessif dans le domaine de la finance et des médias.

Ces données font écho à une étude de 2022 réalisée par la Fondapol et l’American Jewish Committee (AJC), qui établissait qu’un tiers de l’électorat de Mélenchon adhère à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », alors que ce chiffre est d’un peu plus d’un quart pour la population en général.

Propos dont la stupidité le dispute à l’archaïsme, et dont l’origine remonte sans doute à Marx lui-même et son livre Sur la question juive (1843), aux écœurants relents antisémites. Un texte qu’Hitler avait d’ailleurs attentivement lu, et dont on donnera les quelques citations qui suivent :

« Il y a un Juif derrière chaque tyran, tout comme il y a un Jésuite derrière chaque Pape. En réalité, les espoirs des oppresseurs seraient vains et la guerre pratiquement impossible s’il ne se trouvait quelque Jésuite pour endormir les consciences et quelque Juif pour faire les poches. » (cité dans l’article de Pierre Schweitzer pour Contrepoints)

« Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, la cupidité (Eigennutz). Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son dieu ? L’Argent. » (cité dans La Grande Parade, de Jean-François Revel, Paris, Plon, 2000, p. 122.)

D’où pour Marx la nécessité de faire advenir le communisme, qui est selon lui « l’organisation de la société qui ferait disparaître les conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible. » (cité dans ibid.)

Peut-être subsiste-t-il encore des traces, dans les mentalités sclérosées de l’actuelle ultragauche, de l’« association délirante entre judéité, individualisme et capitalisme » comme dit Revel à propos du texte précité de Marx (ibid.) ?

5 clichés de gauche détruits par Thomas Sowell

Chères lectrices, chers lecteurs, à la suite de mes quelques lectures des livres de l’économiste Thomas Sowell, m’est venue l’envie de vous faire un petit résumé de ces quelques clichés de gauche que nous avons l’habitude d’entendre un peu partout dans nos médias, et que Sowell aborde abondamment dans ces différents ouvrages.

 

Il faut se dépêcher d’agir

C’est probablement un slogan très à la mode depuis deux ans, souvent associé avec celui consistant à ajouter « si cela peut sauver ne serait-ce qu’une seule vie. »

Les Oints, ces intellectuels souhaitant réformer la société pour que le commun des hommes leur ressemble, ont l’habitude d’avancer un argumentaire de crise pour pousser leur agenda social : « Plus vite la justice cosmique sera appliquée sur cette Terre, plus vite le monde ira mieux. Si nous échouons à changer assez vite, nous disparaîtrons, des gens souffriront, etc. »

C’est la vision des Oints, de l’écologisme de Paul Ehrlich à celle de la justice sociale.

Cependant, comme le rappelle Thomas Sowell, à l’inverse de ce que pensent les Oints, nous n’avons pas de solutions catégoriques et définitives à portée de main, mais seulement des arbitrages et des compromis.

Vous pouvez interdire un médicament car il n’a que 99 % d’efficacité, et demander de nombreuses années de recherches coûteuses en attendant de faire passer son efficacité à 99,5 %, années durant lesquelles ceux qui se seraient contentés d’une efficacité moindre mourront : c’est engendrer un nombre important de désagréments pour toutes les personnes qui n’auraient probablement eu aucun effet secondaire, ou dont les effets secondaires auraient été moins impactants que la maladie elle-même. Étouffer la création de richesses par des réglementations ubuesques peut nuire à plus de vies qu’elles n’en sauveront. On pourrait également supprimer tous les pesticides, et voir la résurgence de maladies comme la malaria qui est transmise par les insectes.

Dans la vie, il existe peu de solution absolue, seulement des arbitrages, que les individus responsables méritent de faire eux-mêmes.

 

Le contrôle des prix aide les plus pauvres

C’est une idée à la mode qui ressurgit, que ce soit du côté de l’union de la gauche ou celui du gouvernement Borne : le contrôle des prix est une idée lumineuse pour améliorer le sort des plus pauvres. Malheureusement, 4000 ans de cette pratique ne semblent pas avoir suffi pour témoigner de son danger.

Quels que que soient les peuples ayant mis en place ce type de politiques, celles-ci se sont toujours soldées par un échec. Les gens ont souffert de la faim en France au XVIIIe siècle et en Afrique au XXe siècle lorsque les prix des aliments étaient contrôlés par le gouvernement. Des pénuries de logements se sont développées de Hong Kong à Berkeley, en passant par la Suède, dans le sillage du contrôle des loyers. Il y a en effet beaucoup de choses que nous pourrions apprendre en étudiant d’autres populations et leur histoire, si seulement nous le faisions.

Chaque fois que vous fixerez un prix en deçà du prix du marché, vous pouvez être convaincu qu’il y aura une pénurie, que la pénurie appellera le rationnement, et que le rationnement amènera une perte de liberté politique qui n’était pas le but de ceux ayant vraiment à cœur le sort des petites gens.

 

Les pauvres sont de gauche et les riches sont de droite

Si vous êtes pauvre, vous êtes nécessairement de gauche. C’est ce qu’il ressort de toutes les propositions visant à instaurer la justice cosmique sur Terre. Mécaniquement, les minorités aidées, qui leur servent de mascotte, sont des gens de gauche.

Thomas Sowell revient sur cette rhétorique de lutte des classes et ce biais des intellectuels à penser que les Noirs américains modestes sont enclins à être de gauche, dans son livre Barbarians Inside The Gates. Il rappelle que ce sont principalement les Noirs de la classe moyenne qui militent au sein de l’establishment des différents mouvement des droits civiques (comme Thurgood Marshall), là où les Noirs plus modestes sont des conservateurs, comme Walter Williams, Tony Brown, ou le juge Clarence Thomas.

Ironiquement, les liberals [aux États-Unis, les liberals sont les personnes de gauche, loin des libéraux français et ailleurs] blancs des médias et d’ailleurs sont prompts à supposer que les Noirs qui critiquent l’État-providence appartiennent à la classe moyenne qui ne comprennent pas ce que c’est que de vivre dans un ghetto.

Souvent, lorsqu’ils sont confrontés à la réalité, ils ne se laissent pas décourager par le fait qu’on leur prouve qu’ils ont tort, et ils supposent alors que ces conservateurs noirs ont dû se vendre pour réussir. Observez cette rhétorique et voyez que cette logique s’étend à toutes les minorités que la gauche prétend aider. Une femme conservatrice est une femme vendue au patriarcat. Un homosexuel conservateur est un individu hétéronormé ayant systématisé la norme hétérosexuelle. On retrouve la vieille condamnation du sycophante chez Marx. Une personne ne peut pas avoir de bonnes raisons de ne pas être de gauche.

Cependant, Thomas Sowell rappelle une vérité déplaisante : il n’y a pas d’argent à se faire en préconisant la réduction du rôle de l’État. Inversement, les opportunités d’argent facile et les positions de pouvoir se profilent vite lorsque la possibilité de se faire un défenseur des Oints se présentent à vous, avec son lot de programmes sociaux et de représentation de la victimologie officielle : par exemple, lorsque le juge Clarence Thomas a dû révéler sa valeur nette dans le cadre du processus de confirmation de la Cour suprême, celle-ci représentait moins de la moitié de ce que gagnent chaque année certains des leaders noirs des droits civiques.

 

Toute différence de groupe s’explique par la discrimination, une oppression qui appelle à la correction

Les personnes de gauche partent du postulat que le relativisme culturel est correct, et ce faisant, que toutes les cultures se valent dans les résultats qu’elles engendrent.

Dès lors, les différences entre les groupes en matière de récompenses ou de réalisations ne peuvent être dues qu’à la discrimination ou à des différences génétiques dans les capacités. Étant donné que le relativisme culturel est né en réaction aux théories de la supériorité raciale, son rejet des causes culturelles et génétiques des différences entre les groupes ne laisse que la société à blâmer pour les disparités de revenus ou de représentation dans diverses professions ou institutions.

Sur la base de cette doctrine, des personnes et des institutions ont commencé à être présumées coupables devant les tribunaux lorsque leurs statistiques ne correspondaient pas aux présupposés de l’esprit du temps. Toute une classe de personnes, que Dinesh D’Souza nomme « les marchands de races », a vu le jour pour exploiter cette façon de penser – ou de ne pas penser – dans les tribunaux, les entreprises, les universités et ailleurs. On voit doucement ce phénomène arriver en France et y prendre racine.

La thèse de D’Souza, dans son livre The End of Racism, vient mettre à mal la théorie selon laquelle c’est la discrimation et le racisme qui sont à la source de ces divergences de groupes. Non pas que le racisme n’existe pas, seulement que celui-ci a un très faible pouvoir explicatif dans ces divergences.

Selon Sowell, D’Souza met en avant

« les fantasmes et les fraudes de l’éducation afrocentrique, la promotion cynique de la paranoïa et de la polarisation par les marchands de races, et les crimes sauvages et barbares des voyous des ghettos contre leur propre peuple ne sont qu’une partie du tableau sombre et amer peint avec un soin méticuleux. »

Ceux qui cèdent à ces discours, y compris certaines des plus grandes entreprises américaines, sont également condamnés. Cela nous permet d’en venir au point suivant.

 

Toutes les cultures se valent

Chez les tenants du multiculturalisme, toutes les cultures se valent, et il faudrait être ouvert et prêt à tout recevoir, car elles peuvent toujours nous apporter quelque chose.

Malheureusement, c’est un fait que certaines cultures ont été plus à même d’améliorer le sort de ceux qui la partagent, que certaines cultures avaient davantage de respect pour la personne humaine que d’autres, et que certaines cultures ont été plus à même de faire émerger un cadre légal interdisant l’esclavage, là où celui-ci est toujours pratiqué aujourd’hui. Et ce n’est pas une question de race : même des groupes géographiquement plus proches que d’autres avaient des performances très divergentes.

En atteste l’histoire des Européens du Nord-Ouest qui contraste avec celle des Européens du Sud-Est depuis des siècles, non seulement en Europe, mais aussi partout où des immigrants de ces deux parties du même continent se sont affrontés à l’étranger. De même, tous les Asiatiques n’ont pas été identiques aux autres Asiatiques, et tous les Africains n’ont pas été identiques aux autres Africains.

Thomas Sowell prend à charge un autre élément de son environnement américain, à savoir la défense de l’identité noire. Ce que les multiculturalistes nomment l’identité noire est en réalité un héritage culturel laissé par des Blancs ignorants dans le passé, importé aux États-Unis. L’anglais noir est un dialecte qui existait dans certaines régions du sud et de l’ouest de l’Angleterre il y a trois siècles. Comme c’est souvent le cas, cet héritage culturel a survécu là où il a été transplanté – dans le Sud américain – plus longtemps qu’il n’a survécu là d’où il venait. Et il a survécu plus longtemps chez les Noirs des ghettos urbains que chez les Blancs du Sud.

Cette importation implique également d’autres éléments, comme le fait de jouer au whist ou d’avoir un style de vie tapageur. Par exemple, le terme crackers désigne originellement « les ancêtres malicieux des personnes qui se sont ensuite installées dans le sud des États-Unis. » Comme le rappelle ironiquement Thomas Sowell, les individus de la communauté noire qui se font les défenseurs de la culture noire n’imaginent pas à quel point ils ne sont simplement que des « crackers au teint plus foncé. »

Ce mode de vie a finalement perdu de l’influence grâce à la diffusion de la morale victorienne, d’abord chez les classes aisées des deux races, puis chez les ménages plus modestes. Et si aujourd’hui, la plupart des Noirs américains restent attachés à un boulet culturel, c’est car ils ont été pris en mascotte par les intellectuels qui souhaitent faire de la contre-culture blanche. À leur dépens.

 

Conclusion

Dans ces différents livres (Race et Intellectuels, The Vision of the Anointed, Barbarians inside the Gates), Thomas Sowell détruit un grand nombre des présupposés que notre époque nous demande d’accepter et de croire sans la moindre preuve. Je laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même la richesse qu’il tirera de ses ouvrages.

 

Un article publié initialement le 1 juin 2022.

Discriminations : quel pouvoir pour le juge ?

Les discriminations sont considérées en France comme des injustices lorsqu’elles sont fondées sur l’un des critères précisés par l’article 225-1 du Code pénal :

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques [ou morales] sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »

Il y a donc une vingtaine de critères de discrimination interdite, qu’il est concrètement impossible de respecter tous, chacun exerçant en outre une influence sur les autres.

Le droit précise « un point important de cette réglementation : l’article 4 de la loi n°2008-496 précitée. Quand une personne s’estimant victime d’une inégalité de traitement introduit un recours contentieux au civil, si une simple présomption de discrimination est établie dans ce sens, il appartient à la personne ou à l’autorité mise en cause de fournir la preuve que ses motifs étaient légitimes » .

La démarche prévue par la loi met donc à la charge de l’accusé la preuve de la non-discrimination, et le risque de le condamner par erreur est par suite relativement élevé.

S’il est égal à 5 %, la probabilité de reconnaître son innocence est égale à 95 % (= 1 – 10 %). Lorsque vingt personnes déclenchent un recours, la probabilité qu’à chaque fois l’innocence soit reconnue lorsqu’elle est vraie est de 0,9520 = 36 %, et la probabilité de condamner une entreprise alors qu’elle est innocente est de 64 %.

L’erreur judiciaire devient probable.

Le pouvoir d’appréciation du juge est finalement le seul moyen d’éviter une injustice.

L’État lui a ouvert une possibilité étonnante, celle d’explorer l’inconscient d’un discriminateur supposé :

« La démonstration de l’intention discriminatoire est d’une redoutable complexité, tant la prise en compte des préjugés et stéréotypes est enfouie dans d’autres considérations que les auteurs des décisions mettent en avant, plus ou moins sincèrement. C’est pourquoi les directives européennes sur l’égalité de traitement et leur transposition dans le droit français ont ouvert la possibilité de retenir une qualification de discrimination indépendamment de l’intention discriminatoire. Il est cependant difficile de mettre en évidence un phénomène qui opère pour l’essentiel dans le secret des consciences ou, plus encore, dans l’impensé de l’inconscient et, a fortiori, de le mesurer. »

La vérité est recherchée dans l’impensé de l’inconscient de l’accusé. La décision du juge dépend de ce qu’il croit que l’accusé a pensé sans le savoir. Et cette décision fait évidemment intervenir l’impensé de l’inconscient du juge : on croit rêver ! C’était la démarche de l’Inquisition au Moyen Âge.

Un exemple d’une telle absurdité est donné, dans un autre contexte, par la condamnation en cour d’appel de Bruno Gollnish en 2008.

Dans les attendus du jugement, on lit en effet :

« Attendu qu’en réalité, ainsi que l’a relevé justement le tribunal, les précautions oratoires utilisées par Bruno Gollnish (“moi, je ne nie pas les chambres à gaz homicides, mais… ”) relèvent purement et simplement, derrière un habillage feutré et subtil, d’un procédé de dissimulation ; que l’essentiel se trouve derrière le “mais”…».

On lit plus loin :

« Sa contestation de l’existence de crimes contre l’humanité est présentée de façon dubitative, déguisée, ou par voie d’insinuation. »

Il faut connaître l’impensé de l’inconscient de Bruno Gollnish pour imaginer ce qu’il y a derrière le mais et ce qu’il insinue. Gollnish a été condamné pour ce que le juge croit qu’il a pensé, non pour ce qu’il a dit. Et cette décision fait évidemment intervenir l’impensé de l’inconscient du juge. C’est donc une confrontation entre deux impensés de l’inconscient ! Heureusement, ce jugement du 28 février 2008 de la Cour d’appel de Lyon a été cassé sans renvoi par la Cour de cassation en 2009.

Même en faisant appel à l’intelligence artificielle pour choisir un salarié, l’employeur risque d’être condamné pour discrimination indirecte, parce que le choix de l’IA peut être une discrimination indirecte, c’est-à-dire sans que les critères interdits ne figurent dans sa base de données.

Par exemple, une discrimination par la consommation de tabac et d’alcool revient à une discrimination sexuelle. Comment le juge va-t-il pénétrer l’impensé de l’inconscient d’une intelligence artificielle qui applique des algorithmes compliqués à un ensemble considérable de données ? La seule solution serait d’utiliser une autre intelligence artificielle pour vérifier le choix de la première, mais ce serait fonder une décision de justice sur le débat contradictoire de deux intelligences artificielles !

La discrimination n’est jamais positive

Un article de l’Iref-Europe

 

La discrimination positive consiste notamment à favoriser l’accès de minorités à des formations, des emplois, des statuts, des loisirs auxquels elles n’auraient pas accès à défaut. Cette politique qui visait essentiellement les personnes défavorisées s’étend désormais à toutes sortes de minorités de couleur, d’ethnie, de sexualité ou de religion différentes, comme une sorte de stigmatisation raciale, sexuelle ou religieuse à l’envers.

Il en est ainsi dans le cinéma où pour obtenir accès aux financements publics il vaut mieux disposer d’un échantillonnage d’acteurs et de rôles de toutes couleurs et de tous genres sexuels, quelle que soit la réalité des personnages historiques qu’ils jouent.

En ce printemps 2023, le chantage qu’a fait le ministre de l’Éducation, M. Pap Ndiaye, à l’école privée pour qu’elle augmente sensiblement la mixité sociale en acceptant des élèves qui ne sont pas au niveau des autres a participé de cette politique de discrimination positive qui consiste à mettre des quotas pour donner des examens à certains dont les notes sont insuffisantes selon le critère commun.

La formation des jurys de thèse exclut parfois les meilleurs spécialistes pour satisfaire à la parité des genres. Sur Parcoursup, boursiers, bacheliers technologiques et bacheliers professionnels bénéficient de quotas à l’entrée de certains établissements, donc de places réservées. Ces quotas sont annoncés sur les plateformes et ils sont pris en compte après un premier classement pour surclasser les uns au détriment des autres. Ainsi, lorsque les places sont limitées, un élève avec une moyenne de 13 devra laisser sa place à un élève avec une moyenne de 11 au nom de la discrimination positive…

Il s’agit d’abaisser le niveau de tous pour accueillir les moins bons, toujours de niveler par le bas, parce que c’est plus facile que de le faire par le haut. Mais la France n’a-t-elle pas un train de retard ?

 

On ne combat pas le racisme par un autre racisme

Aux États-Unis, la Cour suprême vient d’abolir l’affirmative action – notre discrimination positive – qui prévaut dans les universités depuis les années 1960 au profit de minorités ethniques.

Déjà la Cour refusait depuis longtemps les quotas purement mathématiques (affaire Bakke 1978). Elle avait admis les objectifs de diversification des profils étudiants pris en compte sur la base d’une analyse individualisée (arrêts Gratz et Grutter, 2003). Mais en 2016, par l’arrêt Fisher II, elle a considéré que l’affirmative action n’est justifiée que s’il est prouvé que l’objectif de diversité ne pouvait pas être atteint par d’autres mesures.

Un nouvel arrêt a été rendu le 29 juin à la suite d’une plainte du mouvement Students for Fair Admissions contre l’université privée de Harvard et l’université publique de Caroline du Nord dont les politiques de discrimination positive au profit des minorités afro-américaines entravent l’admission d’étudiants asiatiques souvent plus brillants.

La Haute Cour bannit désormais le critère racial pour décider de l’accès à l’université.

De nombreuses universités, a écrit le magistrat John Roberts au nom de la majorité des membres de la Cour, « ont considéré, à tort, que le fondement de l’identité d’une personne n’était pas sa mise à l’épreuve, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de sa peau. Notre histoire constitutionnelle ne tolère pas ça. […] En d’autres mots, l’étudiant doit être traité en fonction de ses expériences individuelles, mais pas sur des critères raciaux ».

Il est vrai que l’opinion américaine a évolué. La Californie, démocrate, qui a aboli déjà l’affirmative action en 1996, a refusé à une large majorité (57 %) de la rétablir lors d’un référendum organisé en 2020. Selon une enquête du Pew Research Center d’avril 2023, la moitié des Américains désapprouve la discrimination sur la race, contre un tiers qui l’approuve.

Les mentalités évoluent pour reconnaître désormais qu’il n’est pas cohérent de combattre la discrimination par la discrimination.

 

Toute discrimination est dangereuse

La discrimination positive ne favorise qu’une égalité factice, artificielle et dès lors méprisée. Ceux qui bénéficient de quotas, de fausses notes dans une compétition biaisée en leur faveur, ne seront pas pour autant au niveau dans la vraie vie, et pourront en souffrir plus encore que s’ils avaient peiné pour gagner leur place comme tout le monde.

L’égalité des chances ne doit pas conduire à donner davantage de chances aux uns au détriment des autres, ni à amputer la responsabilité de chacun devant la vie. Car ce que les hommes partagent encore le plus également est la responsabilité d’eux-mêmes qu’ils peuvent exercer au moyen de leur liberté. L’égalité des chances considérée comme le « droit à » quelque chose ne doit légitimement bénéficier qu’à ceux qui, eu égard à leur âge, à leur état physique ou mental, ou encore plus exceptionnellement, à un empêchement économique ou social avéré, n’ont pas la capacité d’obtenir par eux-mêmes de quoi répondre à leurs besoins essentiels.

À cet égard, l’État doit s’assurer que les enfants peuvent tous bénéficier d’un enseignement adapté à leurs aptitudes. Mais la liberté scolaire doublée d’un chèque-éducation pour tous les enfants y pourvoirait mieux que le mammouth sclérosé par son statut de l’Éducation nationale.

Quand l’égalité des chances se veut un instrument d’égalisation de tout pour tous, elle détruit la responsabilité individuelle qui est le ferment des sociétés humaines et le constituant de notre humanité. Seule l’égalité des droits comme « droits de » faire ou « de » s’exprimer peut permettre l’équilibre entre égalité et liberté par lequel se façonne le destin humain dans l’engagement de chacun, selon sa capacité et son mérite.

La mission de l’État est de mettre en place un environnement qui permette à tous ceux qui le veulent d’avoir la liberté de grimper l’escalier social qui n’est jamais facile, mais que ceux qui s’y aventurent aujourd’hui doivent monter avec les sacs de plomb sur le dos que sont autant de réglementations, d’interdictions, de limitations et cet égalitarisme de papier qui désapprend l’effort et le travail au risque d’accroître la pauvreté. Il leur offrirait alors une véritable égalité des chances.

Sur le web

La Cour suprême sonne la fin de la discrimination positive : et la France ?

La Cour suprême des États-Unis vient de porter un rude coup à la discrimination positive. Dans sa décision du 29 juin 2023, elle a considéré que les universités de Harvard (privée) et de Caroline du Nord (publique) ne sont pas habilitées à utiliser la race dans les procédures d’admission de leurs étudiants.

Cette décision marque la fin du cycle débuté dans les années 1960 à la fin de la ségrégation raciale. Elle porte un rude coup à l’affirmative action, cette politique qui a pourtant été largement cautionnée par la Cour suprême, avant d’être désormais désavouée.

Faut-il voir dans ce revirement l’expression du conservatisme ou du simple bon sens ? La leçon doit être méditée en France.

 

L’affirmative action, une politique américaine

La politique d’affirmative action doit beaucoup au contexte nord-américain. Elle découle du sentiment de culpabilité par rapport à l’esclavage et à la ségrégation raciale (qui a été autorisée par la Cour suprême en 1896). Il faut aussi tenir compte des calculs électoraux du Parti démocrate qui a progressivement délaissé son électorat populaire traditionnel pour se tourner vers d’autres électorats, notamment les minorités raciales.

Si la race a été aussi facilement acceptée en tant que paramètre institutionnel, c’est également parce que, aux États-Unis, la race a été abondamment utilisée dans la législation et les politiques publiques. En somme, les esprits y étaient habitués. Placée au cœur de la ségrégation, la race est apparue comme un critère naturel pour lutter contre la ségrégation.

C’est la raison pour laquelle l’affirmative action, devenu l’emblème du progressisme, a été très largement cautionnée par la Cour suprême. Certes, les juges ont refusé les quotas par race, sans doute en raison du souvenir honteux d’avoir vu Harvard et d’autres universités plafonner le nombre de juifs durant l’entre-deux guerres, mais ils ont autorisé les universités à tenir compte de la race pour pondérer les candidatures en fonction de ce critère.

Le résultat n’est pas très glorieux : alors qu’auparavant la race privilégiait les Blancs, voici qu’en guise de compensation elle accorde un privilège aux Noirs et aux Hispaniques. Chassée par la porte, la race est revenue par la fenêtre.

Il est vrai toutefois qu’aux États-Unis, la plupart des universités ont renoncé à recourir à la race pour la sélection de leurs étudiants. En outre, la discrimination positive est désormais impopulaire dans l’opinion, y compris chez les Démocrates.

 

Une décision logique

Dans sa décision du 29 juin, la Cour suprême a considéré que la procédure utilisée par les universités de Harvard et Caroline du Nord est inacceptable : non seulement elle est contraire au Quatorzième amendement (1868) sur l’égale protection devant la loi (Equal Protection Clause) mais de plus, elle remet en cause la volonté de démanteler la ségrégation raciale, qui s’est notamment manifestée par le célèbre arrêt Brown vs. Board of Éducation (1965).

Indirectement, les juges sont sévères avec leurs prédécesseurs. Ils considèrent que la jurisprudence qui a laissé s’instaurer des discriminations en fonction de la race est tout aussi irrecevable que la ségrégation elle-même. « Éliminer la discrimination raciale signifie éliminer entièrement celle-ci », clament-ils.

La Cour achève sa démonstration en disant que les procédures de discrimination positive ne s’appuient pas sur des éléments objectifs et véhiculent même des stéréotypes raciaux. Elle accuse les universités incriminées de n’avoir pas fait la preuve que la race affecte la vie des individus.

Toutes ces observations sont pertinentes. Comment évaluer la race ? Comment savoir quelle situation personnelle recouvre la couleur de peau ? C’est un peu comme lorsqu’il est dit que si les Noirs américains pratiquent peu la natation, c’est parce que l’accès aux piscines publiques leur a été longtemps interdit. Un tel raisonnement laisse sceptique car, jusqu’à preuve du contraire, l’apprentissage de la natation ne s’effectue pas sur plusieurs générations. Le critère social est ici certainement plus explicatif que le critère historico-racial.

 

Une politique inconnue en France 

L’affirmative action n’a jamais été bien vue en France. Même si cette politique a pu susciter une certaine sympathie, elle n’a jamais fait l’objet d’un enthousiasme dithyrambique. Rares sont ceux qui ont plaidé pour sa transposition en France.

La discrimination positive à la française, instaurée dans l’enseignement à travers les ZEP (1981), s’est contentée de recourir à des critères sociaux ou géographiques, éventuellement nationaux (la proportion d’élèves étrangers). Cette politique ne manque pas d’hypocrisie car tout le monde sait pertinemment que le classement en ZEP dépend surtout de la proportion d’enfants issus de l’immigration, mais elle permet de faire une entorse à l’égalité républicaine sans provoquer des réactions de rejet.

On comprend alors que la décision la décision de la Cour suprême n’ait pas déclenché une vague de critiques comparable à celle qui a accompagné l’an dernier la décision sur l’avortement. Peu de commentaires sont comparables à ceux que l’on rencontre par exemple dans la presse canadienne.

Globalement, la presse française s’est contentée de présenter factuellement la décision des juges.

Si tel commentateur déplore une « décision redoutée » qui met un terme « au système qui permettait de garantir une certaine diversité dans les facs du pays », et si tel autre estime que la Cour « continue de dérouler son programme réactionnaire », le ton général est resté très modéré, et même franchement approbateur pour la presse de droite, et certains universitaires ont fait part de leur satisfaction.

 

Le progressisme est-il devenu raciste ?

On peut tirer deux remarques.

La première consiste à se demander si cette relative neutralité des commentaires ne va pas peser sur la perception de la Cour suprême américaine.

Depuis les dernières nominations de l’ère Trump, celle-ci est en effet supposée être l’antre du conservatisme. Pourtant, la suppression de la discrimination positive paraît frappée du coin du bon sens. Se pourrait-il dès lors que la Cour suprême soit moins idéologique que l’affirment ses adversaires ? Pire : se pourrait-il que les vrais progressistes ne soient pas ceux que l’on croît ?

À tout le moins, puisqu’il revient à une cour supposément conservatrice d’avoir mis un terme à une politique qui, quoiqu’on en dise, était d’inspiration raciale, créant des privilèges pour certains groupes et des désavantages pour d’autres (en l’occurrence les Asiatiques, qui ont été à l’origine du recours), ne doit-on pas avoir des doutes sur le sens du progressisme actuel ? Si être progressiste signifie défendre une politique raciale, n’est-il pas plus glorieux de se dire conservateur ?

 

Et la discrimination positive en France ? 

En second lieu, la décision de la Cour suprême invite incidemment à s’interroger sur la situation en France. Car paradoxalement, c’est au moment où la discrimination positive est en voie d’abrogation aux États-Unis qu’elle paraît gagner en légitimité en France.

On sait en effet que la notion de mérite subit une offensive sans précédent. Comme jadis aux Etats-Unis, les concours anonymes sont accusés de discriminer les minorités. La culture générale est particulièrement visée. Les classes préparatoires et les Grandes écoles annoncent régulièrement vouloir diversifier leur public, ce qui signifie avoir plus d’indulgence pour les filles ou les descendants d’immigrés. Il est aussi question d’avoir une haute fonction publique « plus représentative ».

Par un hasard de calendrier, le verdict des juges américains est tombé au moment où le gouvernement français a décidé d’accorder un privilège aux étudiants boursiers : désormais, en cas de redoublement en classe préparatoire, ceux-ci pourront bénéficier de points supplémentaires pour accéder aux écoles d’ingénieurs. Le raisonnement est étrange : pourquoi un échec (le redoublement) devrait-il être récompensé ?

Une forme de discrimination positive s’impose désormais subrepticement. Il y a alors une contradiction abyssale entre, d’une part, un discours officiel qui dénonce chaque jour les discriminations dont sont supposés victimes certains groupes et, d’autre part, la valorisation de la discrimination positive.

Il faudrait pourtant tirer les leçons de ce qui vient de se passer aux Etats-Unis. L’expérience américaine nous montre que la discrimination positive porte atteinte aux principes fondamentaux d’un État de droit et qu’elle génère un vif ressentiment dans la population. On ne voit pas pourquoi il en irait différemment en France, où nous sommes bien placés pour savoir que les privilèges peuvent déboucher sur des révoltes.

Légalisation du port d’armes : sécurité ou danger ?

Un article de l’Iref-Europe

 

En France, le port d’armes est interdit depuis 1939 et la législation est aussi restrictive que chez la plupart de nos voisins européens.

Les citoyens ordinaires se voient nier ce que d’aucuns considèrent comme un droit fondamental alors que, parallèlement, on constate une hausse des homicides par arme à feu depuis une dizaine d’années dans des villes comme Marseille, sur fond de trafic de stupéfiants.

Marseille n’est pas la seule ville concernée : fusillade le 18 mai dernier à Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, fusillade le 13 mai à Villerupt, en Meurthe-et-Moselle, fusillade le 9 mai à Valence, dans la Drôme, fusillade le 1er mai à Cavaillon, dans le Vaucluse, etc. L’attaque du 9 juin à Annecy a également relancé le débat sur le port d’armes pour se protéger de l’insécurité et des agressions.

Quelles conclusions en tirer ?

 

Disponibilités des armes à feu et taux d’homicides : la corrélation loin d’être établie

Il est difficile d’évaluer l’impact des armes à feu : les statistiques ne distinguent pas toujours les homicides, les suicides, les accidents de chasse ou domestiques, les décès faisant suite à l’usage d’une arme à feu par les forces de l’ordre.

En France, les statistiques sur la criminalité publiées par le ministère de l’Intérieur et celles de l’INSEE ne fournissent pas de données précises. Concernant les homicides, le système de classification statistique internationale des maladies (CIM-10) inclut une catégorie dite « lésions traumatiques infligées par un tiers dans l’intention de blesser ou de tuer » (X85-Y09), mais sans distinguer le moyen employé, et il ne comporte que deux catégories relatives aux armes à feu : les agressions par fusil, carabine et arme de plus grande taille (X94) et les agressions par des armes à feu autres, sans plus de précisions (X95).

Dans la littérature scientifique, la question récurrente porte sur la relation directe entre une plus grande disponibilité des armes à feu et les taux d’homicides.

Or, là aussi, la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît. A priori, on pourrait croire que c’est dans les pays dont la législation sur les armes à feu est la plus permissive qu’il y a le plus d’homicides.

En réalité, la corrélation est loin d’être évidente.

Aux États-Unis, où le taux de détention de ces armes pour 100 habitants est le plus élevé au monde (120,5), il y a eu 13 624 homicides par armes à feu en 2020. La situation est bien différente dans d’autres pays comme la Finlande, dans le top 10 des pays les plus armés, sans que cela ne semble avoir une incidence sur le nombre d’homicides par ce moyen (cinq en 2019).

De la même manière, les citoyens suisses sont parmi les plus armés, et on ne compte que neuf homicides par arme à feu en 2020.

Lecture : Pays avec le plus d’armes à feu pour 100 habitants
Source : Estimating global civilian held firearms numbers – Small Arms Survey (2018)

 

Les armes à feu servent surtout en cas de légitime défense, et non pour commettre des crimes

Dans les débats sur le port d’armes, on a tendance à négliger, voire ignorer, un objectif pourtant majeur : la dissuasion.

Par définition, un criminel est peu soucieux de ce qui est légal ou de ce qui ne l’est pas. S’il lui faut une arme, il trouvera toujours un moyen de se la procurer : il connaît les réseaux clandestins. Le citoyen lambda, lui, se retrouve donc très vulnérable.

Cet aspect de la question a été évalué par l’économiste américain John Lott dans un article intitulé « More Guns, Less Crime » publié en 1996. Il a collecté des données venant de plus de 3000 comtés aux États-Unis pendant une période de 15 ans, et analysé l’impact du port d’armes sur neuf types différents de crimes.

Résultats : dans les États où il était autorisé, le taux d’homicides avait baissé de 8,5 %, le taux de viols de 5 %, le taux de vols de 3 %, ces effets étant notables au bout de trois ans. Dans les États dotés d’une législation sur le port d’armes dissimulées, le taux de meurtres de masse dans les lieux publics était inférieur de 69 % à celui des autres États. Cette loi a une influence sur les États voisins qui ne l’ont pas promulguée : le taux de criminalité a tendance à augmenter. Logique : les criminels sont plus à l’aise dans les États où les citoyens n’ont pas les moyens de se défendre eux-mêmes.

L’étude de John Lott s’accorde avec des données beaucoup plus récentes.

À New York, le nombre de permis d’armes a été multiplié par 3 entre 2007 et 2016, et il s’est accompagné d’une chute du nombre de meurtres de 25 %.

Au Brésil, le nombre de citoyens armés a été multiplié par 2,3 après la libéralisation du port d’armes par l’ancien président Jair Bolsonaro. La société brésilienne est-elle devenue plus violente ? Non : le taux d’homicide a chuté, de 34 pour 100 000 habitants en 2019 à 18,5 en 2023.

Un accès bien plus facile à des armes, de surcroît moins chères, n’est certainement pas pour rien dans ces statistiques.

D’autres données vont dans le même sens : une enquête menée auprès de 54 000 résidents américains en 2021 a révélé qu’une arme à feu avait été utilisée dans environ 1,67 million de cas de légitime défense chaque année, et qu’aucun coup de feu n’avait été tiré dans 81,9 % des cas.

 

L’approche libérale : une question de principe

Comme nous venons de le voir, la question du port d’armes est trop complexe pour être cantonnée aux tragiques tueries de masse qui horrifient évidemment l’opinion, et un plus grand accès aux armes à feu n’implique pas nécessairement un plus grand nombre d’homicides.

Un autre chiffre vient appuyer une réalité peut-être contre-intuitive, mais incontestable : si l’on en croit le rapport 2018 de Small Arms Survey, fin 2017, il y avait dans le monde près de 857 millions armes à feu détenues par des civils pour, et c’est l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui l’énonce, quelque 238 000 homicides par arme à feu la même année : soit 27,77 homicides pour 100 000 armes à feu.

D’un point de vue libéral, le port d’armes citoyen est surtout une question de principe : le droit de résistance à l’oppression, un droit naturel consacré par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, dépasse les batailles de chiffres sur la létalité. Bien sûr, ce droit ne signifie pas absence totale de contrôle. Dans la plupart des pays, la détention d’une arme n’est accordée que sous conditions. En Suisse, en République tchèque ou en Autriche par exemple, certaines armes peuvent être détenues après vérification des antécédents judiciaires, un examen médical, et un examen sur le maniement des armes à feu. Comme souvent, le problème n’est pas l’arme en elle-même, mais bien celui qui la porte et le droit qui encadre sa détention.

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