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Quels intérêts français en Nouvelle-Calédonie ?

En 2021, la France s’est intéressée au Pacifique pour deux raisons : d’une part à cause du revirement australien sur le contrat de sous-marins, d’autre part à cause du troisième référendum d’indépendance en Nouvelle-Calédonie. Gageons que 2022 connaîtra moins d’intérêt pour la zone car usuellement, la métropole ne porte guère attention à ces régions éloignées.

La Nouvelle Calédonie est éloignée de 16.000 km de la métropole, quasiment à son opposé géographique du globe (aux antipodes). Cette île de 18.000 km² se situe au nord-est de la grande île australienne. Elle appartient donc de fait au continent océanien, tout comme la Polynésie d’ailleurs. C’est d’ailleurs tout le problème…

En effet, l’Océanie est un continent mal perçu. Si l’on retrace l’histoire des continents, on s’aperçoit que leur nombre a évolué : ils sont passés de deux (cf. la Revue des deux-mondes : l’île Afro-asiatique, l’île Amérique) à trois (conception traditionnelle des Grecs avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique) puis à quatre (jonction des deux approches précédentes : Afrique, Amérique, Asie et Europe) puis à cinq (adjonction de l’Océanie) et aujourd’hui à six (car on a découvert que l’Antarctique était un continent). Des six, l’Océanie est le plus problématique car elle est composée d’une agglomération d’îles où la dimension terrestre cède le pas à la dimension maritime. De plus, elle est disposée dans le Pacifique sud, océan lui-même très vaste et peu favorable à la navigation, à cause justement des étendues.

Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est éloignée de 1.400 km de l’Australie, de 1.480 km de la Nouvelle-Zélande. L’île la plus proche, Vanuatu, est à 540 km. A titre de comparaison, la Corse est éloignée de 180 km de Menton, quand il faut parcourir 780 km pour aller de Marseille à Alger. En élevant la perspective, le géographe constate que la Nouvelles Calédonie se situe à 4.500 km de la Chine, soit en gros la distance entre Paris et Abidjan ou près de deux fois Paris-Moscou.

La conclusion est assez limpide : la Nouvelle-Calédonie est d’abord assez isolée dans un continent lui-même isolé. Elle ne fait pas vraiment partie de l’espace indopacifique dont on nous parle tant ces derniers mois. Pourtant, certains n’ont cessé de la citer comme pierre angulaire de nos intérêts dans la zone. Cela pouvait avoir du sens quand elle s’insérait dans un réseau plus vaste. En ce sens, le grand contrat de sous-marins signé en 2016 avec l’Australie contribuait à cet objectif, tout comme les négociations toujours en cours avec l’Indonésie. Depuis l’accord AUKUS de l’été 2021 qui a vu la rupture de l’alliance australienne, cette stratégie est à plat et la Nouvelle-Calédonie est redevenue un isolat stratégique, trop loin de la métropole pour réellement appuyer une stratégie régionale.

La Nouvelle-Calédonie a toujours été négligée par la France. Tardivement colonisée, elle paraissait trop loin (même du temps de l’Indochine) pour susciter l’intérêt. Le dispositif militaire actuel est lui-même très juste : les Forces armées de Nouvelle Calédonie (les FANC) sont maigres : le régiment de service militaire adapté a plus un rôle social que militaire. Ne reste donc côté terrestre que le RIMa du Pacifique-Nlle Calédonie (RIMaP-NC), petit bataillon au matériel vieillissant et accueillant surtout des compagnies tournantes venant de métropole. La base aérienne 186 dispose de quelques appareils eux aussi hors d’âge. Quant à la Marine, elle compte une frégate de surveillance et deux patrouilleurs pour assurer le contrôle d’une zone qui fait la moitié de la Méditerranée. Ces bâtiments sont également obsolètes. Ce dispositif malingre ne démontre pas une grande stratégie, même si les enjeux régionaux ne semblent pas d’abord militaires.

Ils pourraient être économiques au travers du nickel, dont le Caillou est le troisième producteur au monde. Toutefois, le manque d’investissement à mis à mal les sociétés locales alors que le métal est de plus en plus recherché. Cependant, cette production minière permet à la Nouvelle Calédonie d’avoir la plus grande richesse des DOM COM avec un PIB / h de plus de 20.000 €/h. A noter que cette richesse est très inégalement répartie avec des disparités territoriales, ethniques et sociales criantes.

Alors, si la France n’a pas d’intérêt positif à la Nouvelle Calédonie, celle-ci demeure un enjeu. En effet, le débat ne porte pas tellement sur l’Asie orientale (le vrai sujet de ce qu’on appelle Indo-Pacifique) mais sur une partie du Pacifique, celui de la mer de Corail et alentours. Un petit détour par l’histoire s’impose : pendant la Deuxième guerre mondiale, la guerre du Pacifique se déroule à proximité. Guadalcanal est à moins de 1.500 km et les Américains s’installent sur le caillou à partir de 1942, allant jusqu’à déployer 20.000 hommes (deuxième garnison du Pacifique après San Francisco). Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est une base arrière de la lutte d’influence qui se déroule dans l’ouest du Pacifique, entre Micronésie et Mélanésie.

Tuvalu, Nauru, Fidji, Vanuatu, Tonga, Samoa : autant d’ex-colonies devenues indépendantes et qu sont désormais ciblées par le pouvoir chinois. En effet, Pékin ne cherche plus seulement à prendre le contrôle de la mer intérieure, celle qui sépare son rivage de la première chaîne d’îles partant du Japon jusqu’à Taïwan (mer de Chine Orientale) puis vers les Philippines et l’Indonésie (mer de Chine méridionale) : via la poldérisation des Spratleys et Paracels, l’objectif est quasiment atteint. Pékin veut aller plus loin et prendre pied sur la deuxième chaîne d’îles, comprenant notamment celles que je viens de citer. En vassalisant un certain nombre d’entre elles, la Chine desserrerait l’étau américain sur l’océan.

Observons ce qui s’est passé à Vanuatu : il s’agit du nom des anciennes Nouvelles Hébrides, ce condominium franco-britannique devenu indépendant en 1980. L’île de 12.000 km² compte 300.000 habitants et est surtout connue pour le risque qu’elle court de submersion, avec l’élévation des eaux des continents à la suite du réchauffement climatique. Si au début de son indépendance, Port-Vila (la capitale) noua de nombreux accords avec la France, elle se tourna ensuite vers l’Australie et désormais vers la Chine. Celle-ci prend une place de plus en plus importante, investit dans le secteur économique et construit des bâtiments symboliques et très visibles, en échange d’une dette colossale. On parle d’un port en eau profonde et d’un réseau de télécommunication et d’une base militaire , même si Vanuatu dément et rappelle être non-aligné. « De la Papouasie aux Tonga, cette diplomatie de la dette forme une "ceinture" très fermée. Qu’on en juge. D’ouest en est, la République populaire de Chine a installé son pouvoir financier en Papouasie, aux Etats fédérés de Micronésie, au Vanuatu, aux Fidji, aux Samoa, à Tonga, à Niue. Et plus récemment, en 2019, les îles Salomon et Kiribati sont entrées, à leur tour, dans le giron de Pékin » .

Dans cette perspective, la Nouvelle-Calédonie constitue un pion dans la ceinture entourant l’Australie et joignant Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Indonésie. Le soutien probable de la Chine aux indépendantistes kanaks doit être compris à cette aune. Il s’agit bien d’une partie de jeu de go et les îles du Pacifique se prêtent particulièrement à ce calcul.

Ainsi, la Nouvelle Calédonie constitue-t-elle pour la France d’abord un atout passif « je l’ai moins pour ce qu’il me rapporte que par ce que tu obtiendrais si tu l’avais ».

C’est ce qu’on bien compris les indépendantistes. Pour eux, agiter sans cesse le spectre de l’indépendance, trouver les moyens de contester l’incontestable (en l’occurrence la légalité et la légitimité de la série des trois référendums tenus à la suite des accords de Nouméa), permet d’être toujours en position de négocier de nouveaux subsides avec Paris, dans un marchandage délétère qui ne porte aucun projet d’avenir. Et Paris, agacé mais n’en pouvant mais, de mettre la main au portefeuille.

O. Kempf

Quelques réflexions sur la non-bataille

Les spécialistes de stratégie connaissent l’Essai sur la non-bataille, ouvrage de 1975 publié par le commandant Brossolet, qui est une forme de critique de la théorie de la dissuasion adoptée comme dogme nucléaire en 1972. Il m'inspire les quelques réflexions suivantes.

http://ultimaratio-blog.org/wp-content/uploads/41wzDKICAJL._SX370_BO1204203200-V2-207x300.jpg

Est-ce un hasard si le commandant conclut son ouvrage en proposant un système de défense modulaire « opposant à la vitesse de l'adversaire, la profondeur du dispositif, à sa masse la légèreté et à son nombre l'efficacité[1] ». L’ouvrage suscita un grand débat à l’époque et couta à son auteur son avancement. Brossolet est un précurseur de ce qu’on désigne aujourd’hui par techno-guérilla.

Au fond, il s’agit de promouvoir le harcèlement comme principe stratégique. Le propos tient évidemment compte des trente ans de guerre de décolonisation où les armées françaises ont fait face à des guérillas agissant sur le modèle de la guerre révolutionnaire. Mais puisque la décolonisation est achevée, puis que le Livre Blanc de 1972a mis en avant la dissuasion nucléaire, comment articuler la nouvelle conception stratégique avec l’expérience militaire des décennies qui viennent de précéder ? La régulière n’a-t-elle pour vocation que d’aller se faire écraser par l’ennemi pour préparer l’emploi de l’arme d’utile avertissement ? Pour éviter ce piège, Brossolet propose une nouvelle façon d’articuler les lourds (ici le nucléaire) avec les légers (ici l’armée « conventionnelle », a qui ont attribue un autre rôle). Le plus intéressant tient à la mise en avant de la mobilité, quand la conception principale (engagement du corps blindé-mécanisé dans la bataille de l’avant) reprend finalement les principes ancestraux et rassurants.

O. Kempf

[1] Note de lecture sur Essai sur la non-bataille, paru dans le site Le conflit le 16 août 2019 http://www.leconflit.com/article-essai-sur-la-non-bataille-de-guy-brossollet-38822163.html . Pour comprendre la pensée de Brossolet, voir aussi https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/mort-guy-brossollet-theoricien-non-bataille-28161

Voir aussi Remy Hémez sur le blog ultima ratio, Guy Brossolet ou la dissolution de la pensée dominante, http://ultimaratio-blog.org/archives/7129

 

Stratégie et confinement : Grande stratégie ?

Dans le cadre du dossier annuel d'ER, voici un premier artticle pour cette année. J'ai un peu l'intention de revenir plus souvent... Il faut juste que je trouve le temps....

Thomas (ici) a en effet parcouru le vocabulaire militaire que notre confinement actuel pouvait évoquer : blocus, embargo, endiguement, autant de termes opératifs qui renvoient à notre expérience présente. A un détail près cependant : notre confinement n’a rien de militaire. On peut certes évoquer les hôpitaux de campagne qui ont été mis en œuvre, les liaisons aériennes par hélicoptères ou kits Morphée, les quelques PHA mis en alerte au profit des DOM-COM mais finalement, l’outil militaire a été peu utilisé. Certes, il faudrait aussi évoquer les conséquences opérationnelles du confinement sur les forces : entre les cas qui se sont déclarés sur le Charles de Gaulle ou sur le bâtiment américain Théodore Roosevelt au printemps, ou les mesures de confinement ajoutées à la préparation opérationnelle avant les Opex (ou au retour d’Opex). Rien là finalement qui n’attire l’intérêt au-delà des spécialistes.

 http://www.contretemps.eu/wp-content/uploads/europe-forteresse-2.jpg

Source

Mais du coup, si l’on réfléchissait en termes de grande stratégie, celle qui est au-dessus de la stratégie militaire, celle que doit conduire le stratège politique qui préside aux destinées de la Nation ? Voyons cela...

Les pays fermés

Car le confinement est une stratégie qui peut se décider pour des raisons politiques et pas seulement sanitaires. Deux exemples viennent à l’esprit : la Corée du Nord et le Turkménistan.

Le cas de la Corée du nord est le plus connu. Pyong-Yang a en effet décidé de fermer ses frontières avec l’extérieur et de ne pas autoriser la libre circulation de ses citoyens à l’extérieur, et même à l’intérieur du pays. Mais l’expression de « royaume ermite », utilisée souvent pour désigner le pays, s’applique en fait à toute la péninsule, tant elle a été prise en tenaille entre de multiples puissances expansionnistes : Chine, Japon et Russie, traditionnellement. Depuis le XVIIe siècle, face à tant d’invasions, la Corée se ferme et se méfie de tout ce qui est étranger. En fait, la dynastie Kim reprend une vieille tradition coréenne. Dès lors, malgré l’ouverture de quelques zones franches, le pays vit refermé sur lui-même, ce qui constitue un de ses piliers géopolitiques.

Le Turkménistan est moins connu. A la suite de l’éclatement de l’URSS, le pays devient indépendant sous la houlette d’un dictateur, Saparmurat Niazov (qui meurt en 2006). Ce « Turkmenbachi » (père des Turkmènes) conduit une politique d’indépendance nationale autour de la langue turkmène, à la fois pour se dégager de l’influence russe et pour dépasser la structure tribale de la société. Cependant, malgré d’énormes richesses en hydrocarbures qui en font un eldorado gazier et constituent l’essentiel de ses relations extérieures, le pays s’enferme. Membre à l’origine de la Communauté des Etats indépendants qui a succédé à l’URSS, il en devient un simple « membre associé », afin de manifester une neutralité officielle. Dès lors, la population, jeune et endoctrinée par l’éducation du régime (autour du livre Ruhnama écrit par Niazov et qui a officiellement autant de valeur que le Coran), se voit interdire toute relation avec l’extérieur. Le système est donc moins dur que celui de Corée du Nord, le pays est plus riche grâce au pétrole, mais il reste enclavé et très distant envers toute communication étrangère.

Les pays murés

Une autre forme de confinement consiste à dresser des murs, des clôtures et des barrières à ses frontières. Certaines sont très anciennes (que l’on pense justement à la DMZ entre les deux Corées, qui date de 1953), d’autres bien plus contemporaines, pour des motifs divers. Constatons qu’en ces temps de mondialisation, donc d’ouverture, les murs et clôtures se multiplient, comme s’ils étaient une externalité de cette mondialisation.

Ils ont différentes formes et ne ressemblent pas tous à l’accumulation de grillages autour des présides de Ceuta et Melilla : ainsi, une marche peut constituer une telle barrière : un espace avec un obstacle naturel (ou pas) mais surtout aucun point de franchissement, manifestant la volonté des deux pays de ne pas échanger : par exemple la marche entre Panama et Colombie, ou celle entre Papouasie et Indonésie. De simples grillages peuvent suffire, comme entre Botswana et Zimbabwe (le Botswana a d’ailleurs invoqué des raisons sanitaires pour justifier, en 2003, l’érection de cette barrière électrifiée). Enfin, de véritables ouvrages avec beaucoup de technologie peuvent s’élever, comme aux frontières du Koweït ou celle d’Arabie Séoudite.

Il est vrai que la plupart de ces murs sont destinés à empêcher l’autre de venir. La barrière est alors tournée vers l’extérieur, créant deux zones : une qui serait « protégée », l’autre qui serait ouverte à tout vent. Le discours sanitaire est sous-jacent car l’autre est censé apporter avec lui bien des inconvénients dont on ne veut pas. L’autre est synonyme de danger. Ce peut être pour des raisons de contrebande (motif invoqué par le sultanat de Brunei face à la Malaisie orientale, ou par l’Inde face au Bengladesh), sécuritaires (Chine, Thaïlande, Ouzbékistan, Iran, Maroc) et bien sûr l’immigration (multiples exemples).

Des pays ouverts utilisent largement ces dispositifs : que l’on pense à l’Union Européenne et son dispositif Schengen (avec des zones très équipées, par exemple en Thrace), aux États-Unis (D. Trump a attiré l’attention sur cette barrière qui restait à terminer d’ériger) et bien sûr à Israël, qui a dressé un véritable mur de plusieurs mètres de haut à l’intérieur de son pays pour se séparer des zones officiellement attribuées à l’autorité palestinienne.

La barrière est un moyen de « réduire le risque », notre société contemporaine manifestant une aversion maximale au risque. De ce point de vue, elle obtient l’assentiment de la population qui y voit l’affirmation d’une souveraineté perçue comme menacée. Mais dans un certain nombre de conflits gelés, la barrière peut aussi constituer un signe d’apaisement permettant l’ouverture de négociation. Aussi bien, la barrière n’est pas aussi rigide que certains la présentent souvent. Elle est d’ailleurs efficace à court terme mais elle perd son usage dans le temps. Car l’étanchéité des murs paraît hypothétique notamment sur de longues distances. Élever une barrière ne suffit pas : il faut la surveiller, l’entretenir, être en mesure d’intervenir en cas de problèmes et de repousser « l’autre » qui voudrait passer en force. Autant de moyens humains qui sont indispensables et qui supposent des ressources constantes, rarement allouées dans la durée.

Confinements intérieurs

Dernier exemple de confinement stratégique, celui du confinement intérieur. Il peut affecter une population entière : la pandémie de 2020 nous a montré comment. Plus habituellement, il concerne certains espaces ou certaines catégories de la population.

On peut bien sûr penser aux zones réservées pour des motifs sécuritaires, telles les zones militaires (aux statuts divers, de la simple zone protégée aux zones sous haute surveillance) mais aussi les centrales nucléaires ou autres emprises Seveso. Nous sommes ici à cheval entre des motifs régaliens et des considérations de sécurité publique, sans même parler des clôtures particulières destinées à protéger la propriété privée. Mais au-delà de ces cas courants, il y a des confinements exceptionnels.

Le cas d’Israël construisant un mur intérieur le long de la ligne verte est symptomatique de ce confinement intérieur des espaces. N’oublions pas non plus les dispositifs d’apartheid comme ceux qu’a connu l’Afrique du sud.

Deux autres phénomènes existent, assez proches et admis socialement. D’une part, les zones d’accueil des gens du voyage, disposées partout sur le territoire. Les gens du voyage ont mauvaise réputation, précisément parce qu’ils n’ont pas de domicile fixe. A défaut d’un passeport individuel retraçant leur itinéraire sur le territoire, les autorités ont mis en place des obligations d’accueil géographique aux alentours des agglomérations. Autre phénomène, celui des « parcos », qui désignent en Italie ces regroupements de maisons entourées et gardées pour des raisons de sécurité. Le phénomène se répand notamment aux États-Unis, sous le nom de gated communities (quartier résidentiel fermé). Ces deux exemples retracent les phénomènes observés aux frontières extérieures. Le premier vise à cantonner les extérieurs dans des enceintes réservées (des sortes de frontières intérieures), quand le second vise à se protéger soi-même de l’extérieur en s’isolant. Dans un cas, le confiné est reflué dans l’espace clos, dans l’autre, l’espace clos sert à protéger le confiné.

Ainsi, le confinement constitue une stratégie générale visant à isoler deux populations, l’une « saine », l’autre « dangereuse ». Finalement, il constitue un outil courant permettant de séparer « le même » de « l’autre ». Il s’applique aussi bien aux frontières extérieures, soit qu’il faille empêcher la population de sortir, soit d’empêcher l’étranger d’entrer. Mais le phénomène existe aussi à l’intérieur, avec des sortes de confinements temporaires ou durables, permettant de confiner relativement telle ou telle population.

De ce point de vue, la situation que nous avons connue avec la pandémie et les confinements nationaux mis en place est extraordinaire, au sens premier du mot : En effet, il ne s’agit pas simplement d’empêcher la population de sortir du pays, mais tout simplement de limiter ses déplacements à l’intérieur du pays, à l’encontre d’une liberté de circulation qui apparaissait traditionnellement comme une liberté publique intangible.

Olivier Kempf

L'échec de la pensée technocratique

Un correspondant m'envoie un texte avec une explication complotiste du confinement. Pas beaucoup d'intérêt, nous sommes d'accord. Mais elle révèle beaucoup de choses, notamment sur notre rapport collectif au discours technocratique venu du haut. Constatons que la gestion de la pandémie, particulièrement en France, démontre de façon sidérante l'inefficacité de l’État (attention, en disant cela, je ne prononce pas l'habituel discours libéral voire libertarien). Il s'agit d'autre chose qui a à voir avec le modèle technocratique.

Source

Le confinement est une mesure irrationnelle prise parce que subitement, la mort est revenue dans nos sociétés. Plus exactement, elle est devenue visible, d'autant que l'hyper médiatisation et les réseaux sociaux ont accentué ce phénomène. Observez cette omnipotence du sujet dans les médias, avec un effet cumulatif. On en parle donc on le craint, on le craint donc on en parle.

Par conséquent la réaction des autorités a été totalement démesurée. On est à 185.000 morts mondiaux, alors qu'une population vaccinée contre la grippe (paraît-il) admet 300.000 morts par an.

Au fond, plutôt que de croire à un complot (sorte d'hyper rationalité), je crois surtout à l’impéritie et à la faillite de la technocratie.

La technocratie est une technique du XXe siècle, (elle est à la base du projet de l'UE, d'ailleurs). Elle suppose que tout est une affaire d'équation et que des experts vont pouvoir la résoudre. Or, aujourd'hui, on constate deux choses :

1/ Le flux d'information fait qu'on ne peut les entrer dans des équations (malgré les illusions du Big Data et de l'IA, autre sujet qu'il faudrait que je développe, ce qui ne signifie pas que les Big Data ou l'IA sont inutiles : mais la pensée magique à leur sujet est typique d'une erreur de pensée).

2/ La parole scientifique démontre toutes ses limites : cf. ce pseudo conseil scientifique dont les opinions varient au fil du temps et des pressions du pouvoir, cf. les polémiques sur le Dr Raoult. On nous promet un vaccin dans 12 mois sachant qu'on n'a pas de vaccin absolu contre la grippe que l'on connaît depuis des siècles, ni contre le Sida apparu en 1983... Imposture. Qui alimente en retour la défiance envers le discours "venu du haut" et donc les explications complotistes, telle celle que je signalai en début de billet.

Or, en se concentrant sur les personnes à risque (plus de 65 ans et comorbidité) on réussirait à contenir aussi bien le virus sans avoir provoqué le foutoir de ce confinement. Mais voilà, nous avons réagi par émotion... Une émotion technocratique !

Olivier Kempf

Quelle Europe dans un monde d'empires ?

Le groupe d'études géopolitiques (GEG) est un cercle de réflexion issu de la rue d'Ulm et résolument pro-européen, mâtiné de beaucoup de culture (je n'ose dire qu'il est élitiste). Adossé à un site, le Grand continent, Il envoie chaque fin de semaine une petite lettre qui est souvent intéressante. La dernière (voir ici) m'a toutefois chagriné. Elle publie en effet la lettre d'un intellectuel italien, Alberto Alemanno, professeur titulaire de la chaire Jean Monnet en droit et politiques publiques européennes à HEC Paris, qui réagissait à un discours récent d'un autre intellectuel, américain celui-là, Tymothy Snyder.

source

Ce dernier, dans un discours prononcé à Vienne le 9 mai dernier, dénonçait "l'un des malentendus les plus prégnants du débat européen : bien plus qu'une union d'États-nations épuisés par des siècles d'affrontement intestins, l'Europe est née de l'effondrement des empires européens. Loin d'avoir précédé l'Europe, l'État-nation est une construction européenne". A. Alemanno réagissait à ce discours dans un long texte publié par GEG.

Or, ce texte me laisse perplexe. Je ne dois pas être très intelligent ni assez cultivé ni possédant assez de connaissances historiques. Mais quand je lis : " Cela signifierait-t-il que c'est l'Union européenne qui a créé l'État-nation européen et non l'inverse ? – C’était ce que je me demandais. C'était pourtant vrai – je le concédais.", j'avoue ne pas comprendre, et encore moins suivre le raisonnement qui me semble spécieux.

L'Union Européenne, juridiquement, date de 1992. Si on remonte à la construction juridique européenne, on va au choix en 1957 (Rome) ou 1951 (CECA). Les États-nations préexistent depuis longtemps, que ce soit en réalité ou même sous la forme d'un accord juridique (le système westphalien). Il me semble donc qu'il y a une antériorité historique d'une forme sur l'autre.

Il reste alors la question de la concurrence entre la forme impériale et la forme étatique : là, pour le coup, on peut tout à fait observer une concomitance historique, sachant que les derniers empires en Europe prennent fin principalement avec la fin de la 1GM et au-delà avec celle de la 2GM (Reich voir URSS). Quant aux empires coloniaux, ils disparaissent concomitamment avec la construction européenne.

Du coup, on pourrait presque émettre l'hypothèse suivante, à rebours de tout ce qui est dit dans votre texte : l'UE est un processus impérial d'un genre nouveau, qui vient renouveler la vieille concurrence entre l’État-nation et l'empire, ce dernier étant traditionnellement construit atour d'une base nationale, ce qui n'est pas le cas dans le cas européen.

Bref, je reste très peu convaincu par le texte du jour.

On se reportera à ce texte de l'an dernier, "Territoire et empire", qui s'interrogeait déjà sur la notion d'empire. Texte que j'avais prévu de compléter par un développement sur l'UE, justement. Signe que cette interrogation demeure pertinente...

O. Kempf

Chercheur associé à la FRS

La Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) m'a fait le très grand honneur de m'accueillir comme chercheur associé. J'y traiterai surtout des questions de cyber mais aussi d'intelligence artificielle et reviendrai vous raconter, en temps utile, les quelques projets que l'on a dans nos cartables.

Lien vers la page de présentation.

O. Kempf

Un no deal probable ?

Allez, un petit billet sur le #Brexit. Pas tellement pour vous expliquer la scène politique anglaise, à laquelle comme vous je ne comprends pas grand chose. Juste pour dire qu'on va encore avoir une surprise et qu'on n'aura rien vu venir.

source

En clair, si on lit la presse française, on comprend que c'est le désordre et que du coup, on va avoir un deuxième référendum et que cette fois, ci, les Anglais vont être raisonnables et voter le remain.

Personne ne note l'intransigeance des Européens qui ont pris la position la plus raide possible, au motif que s'ils négociaient convenablement, cela pourrait inciter d'autres pays à sortir de l'UE. Or, cette raideur exaspère les Anglais, tous partis confondus.

Dès lors, l'imbroglio aux Communes où les solutions alternatives n'apparaissent pas, va conduire à un raidissement général qui va conduire à un no deal. Et là, on va voir tous les commentateurs (notamment européens) être tout surpris, n'ayant encore une fois rien vu venir.

Sans comprendre que la raison de cette sortie brutale ne tient pas seulement à l'égoïsme ou au manque de vision de la classe politique britannique, mais aussi aux mêmes défauts du côté européen.

Enfin, tout le monde annonce une catastrophe, sans remarquer que la croissance britannique est au RDV depuis deux ans, que le taux de chômage est au plus bas, que la City demeure la place financière mondiale et qu'un no deal ne serait pas forcément si mauvais pour les Brits . Et qu'en revanche, une sortie brute du RU risque d'être une très mauvaise nouvelle pour les Européens, et notamment l'Allemagne qui a, cette année, une mauvaise performance. Bref, cette histoire ne va pas forcément aller dans le sens de ce qu'on nous raconte.

Bref, on a été surpris par le vote du Brexit (forcément la faute des Infox), on risque d'être surpris plus encore par le no deal (forcément la faute des autres).

O. Kempf

Supprimer le liquide

Voici le texte de ma chronique parue dans le dernier numéro de Conflits, consacré au Brésil.

C’est une musique lancinante, qui revient sans cesse malgré la réticence des commentateurs : il faudrait cesser les paiements en liquide, officiellement pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Les plaies du moment ont bon dos, car beaucoup soupçonnent en fait des puissants, qui ne sont pas ceux qu’on croit, avoir bien d’autres desseins.

Certes, l’argent liquide est parfait pour la fraude fiscale : voici un instrument de paiement légal et anonyme ! Bannir l’argent liquide, c’est donc le rendre illégal et empêcher l’anonymat. L’anonymat, voilà l’ennemi.

C’est d’abord l’ennemi des gouvernements, puisque le liquide permet allégrement la fraude fiscale. Ceci explique la décision surprise, en novembre 2016, du gouvernement Modi (Inde) de démonétiser les coupures en circulation. Le liquide permet de thésauriser en monnaie étrangère, ce que font les Vénézuéliens (pour contrer l’hyperinflation) et qui a donc incité le président N. Maduro à mettre en place une nouvelle monnaie. A chaque fois, un système économique profondément altéré.

D’autres motifs sont à l’œuvre : tout d’abord, l’épuisement des politiques « d’assouplissement quantitatif » qui sont à l’œuvre depuis dix ans pour lutter contre la crise financière. Or, ces facilités monétaires suscite l’accumulation de liquidité, ce qui ne suffit plus. Il faut donc aller plus loin dans l’endettement général en passant par les taux négatifs, notamment sur l’épargne. Le cash protège contre cette politique. Supprimons le cash, on pourra taxer l’épargne ! On pourra surtout verrouiller tout le fonctionnement de l’économie « si besoin s’en faisait sentir », comme quand la Grèce avait restreint l’accès au cash, en 2015.

Autres puissants intéressés : les géants du numérique qui déjà scrutent nos comportements et pourront, si nous sommes obligés de passer au tout électronique, observer vraiment tout ce que nous faisons.

L’absence de cash et donc le passage à une monnaie exclusivement électronique sont finalement de profondes menaces envers notre démocratie. Les technophiles mentionnent l’hypothèse de monnaies alternatives, fondées par exemple sur les blockchains (bitcoin, éthereum) : mais ces monnaies sont déjà justement surveillées par les autorités et en passe de devenir illégales.

Voici donc des intérêts autrement plus puissants, ceux de l’alliance entre Wall Street et la Silicon valley, qui se conjuguent contre le liquide. La thématique sécuritaire habituelle (lutte contre le terrorisme ou la criminalité armée) ne fera pas oublier que la NSA travaille surtout pour l’espionnage économique. Cela doit nous inciter à payer en liquide, manière pratique de défendre nos libertés quotidiennes : le liquide est aussi pratique que la carte bleue et surtout, il permet encore une qualité aussi rare que l’air pur à Pékin : l’anonymat !

O. Kempf

Forum economique rhodanien et Transformation digitale

Je participerai vendredi prochain au Forum Économique Rhodanien (lien), qui rassemble des chefs d'entreprise du grand Rhône (jusqu'en Suisse). Il se tiendra cette année à Divonne les bains.

Le thème de cette année : Transformation digitale et impact sociétal : quels défis ?

J'interviendrai lors d'une table ronde du matin qui aura pour thème : L’industrie et le digital. Mutations industrielles et employabilité du futur.

La participation est gratuite mais il faut s'inscrire ici.

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