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Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

Poutine, Tucker Carlson et les bananes

La Russie de Poutine sera privée de bananes, considérées là-bas comme une source importante et peu chère de vitamines et de protéines. C’est le surprenant effet indésirable du transfert par l’Équateur aux États-Unis de six systèmes de missiles anti-aériens Osa-AKM, qui devraient ensuite être transférés à l’Ukraine. En contrepartie, les États-Unis fourniront à l’Équateur de nouveaux systèmes de défense aérienne américains, accompagnés d’une formation, d’un soutien, de pièces de rechange et d’une assistance technique continue.

En effet, pour contourner le refus des Républicains de voter une enveloppe d’aide à l’Ukraine, Joe Biden cherche partout sur la planète des armements qui pourraient être livrés au pays victime de la barbarie de Poutine, en les faisant transiter par les États-Unis.

Mais… Quel rapport avec les bananes ? 

Le rapport, c’est la stupidité des dirigeants russes qui, à l’annonce de cette information, ont décidé de boycotter l’Équateur qui était jusqu’alors leur principal, sinon l’unique fournisseur (92 à 98 %) de ce fruit dont la forme fait penser à un boomerang allongé.

Comble de l’hypocrisie, le Kremlin a « envoyé Rosselkhoznadzor, son service de contrôle phytosanitaire, vérifier la prochaine livraison de bananes de cinq grandes entreprises agricoles équatoriennes et y a trouvé une mouche à bosse polyphage. »

La Russie espère pouvoir se tourner vers l’Inde, mais les prix ne seraient pas aussi avantageux et rien n’est sûr au niveau des quantités.

Il est vrai cependant que la Russie dispose de milliards de roupies dans les coffres de New Delhi, produits de la vente de pétrole, dont elle ne sait que faire, à cause de l’inconvertibilité en dollars américains des deux devises.

Et la banane est aussi un sujet sociologique en Russie, rien de mieux pour le comprendre que de lire ce qu’un Russe en pense sur Télégram, avec un humour réaliste :

« Le problème ici, ce sont les bananes. Pour les Russes, elles sont devenues un produit de base. L’une des sources les plus accessibles non seulement d’énergie, mais aussi de vitamines et de minéraux. Du calcium, du fer.

L’autre aspect du problème est socio-économique. Pour des segments importants de la population, la banane reste le mets délicat et le dessert le plus abordable. Les ananas et les mangues, vous le savez, sont plus chers, et les oranges le sont désormais aussi. Il s’avère donc que pour les couches sociales les moins riches, la banane la plus ordinaire est le symbole d’un succès minime. Puisque vous pouvez vous permettre une banane, cela signifie que vous n’êtes pas un complet perdant ni un mendiant. »

La liste des pénuries alimentaires va s’allonger pour le pauvre peuple russe opprimé : œufs, viande de bœuf et de poulet, et maintenant bananes.

Sans parler des berlines allemandes, françaises ou japonaises dont ils étaient si fiers de se porter acquéreurs. Pendant ce temps, l’Ukraine inonderait l’Europe de ses poulets et de ses œufs à des prix imbattables. Un comble ! Mais elle ne produit pas encore de bananes.

 

Tucker Carlson, le trumpiste poutiniste

Le célèbre chroniqueur trumpiste expert en fakes et en provocation, qui était arrivé en Russie pour interviewer le maître du Kremlin, n’est pas le bienvenu pour une partie des Russes, qui s’en émeuvent sur les réseaux sociaux, tandis que les ultranationalistes plus fascistes que Poutine lui-même – on peut se demander comment c’est possible – se réjouissent par avance du tort de ce que son travail de sape pourrait faire à Joe Biden.

« Et pourquoi un tel amour pour ce colporteur de faux de haut vol, qui a été licencié de Fox News pour des dommages s’élevant à un milliard de dollars, précisément à cause d’allégations mensongères » s’interrogent les Russes raisonnables, ceux qui ont su préserver leur esprit des ravages de la propagande institutionnelle orchestrée par le FSB ex-KGB.

Le Kremlin a confirmé que Carlson avait bien rencontré le dictateur russe, Poutine ne pouvant bien sûr pas rater cette occasion de faire un pied de nez à l’adversaire de son allié objectif, Donald Trump.

Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré que les médias occidentaux n’essayaient même plus de paraître impartiaux dans leurs reportages sur la Russie, et qu’ils n’avaient plus envie de communiquer directement avec de tels médias.

Il est vrai qu’en matière d’impartialité, la Russie de Poutine coche toutes les (mauvaises) cases.

Le trublion du paysage médiatique américain a annoncé qu’il publierait son interview le 9 février sur son site internet.

Par ailleurs, Carlson prévoit de se rendre à Kyiv pour réaliser une interview, car selon lui, « toutes les interviews précédentes du dirigeant ukrainien avec les médias américains n’étaient pas du journalisme, mais de la propagande. »

À moins qu’un mandat d’arrêt ne soit opportunément lancé… Mais l’Union européenne ne semble pas l’envisager.

Le vrai niveau de nos dépenses sociales

La DREES a publié le 14 décembre dernier une étude qui révèle, que pour la septième année consécutive, la France est championne européenne des dépenses sociales. Celles-ci représentent 32,2 % du PIB, alors que la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 21 %.

Mais, dans le même temps, le taux de pauvreté augmente dans notre pays : entre 2004 et 2021 le nombre de pauvres (seuil à 50 % du niveau médian) est passé de 4,2 à 5,2 millions de personnes. Pourquoi nos dépenses sociales sont-elles aussi élevées ? Comment continuer à les financer ?

En janvier 2020, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, avait déclaré sur France 2 : « La France, à elle toute seule, représente 15 % des dépenses sociales dans le monde, alors qu’elle constitue 1 % de la population mondiale ». Les dépenses sociales seraient totalement démesurées, et ont atteint un tel niveau que le redressement des comptes sociaux est un souci permanent pour les pouvoirs publics.

Leur tâche est ardue : le journal Le Figaro du 13 décembre dernier titrait : « La dette de la sécu, prochain dossier explosif de l’exécutif ». Il faut donc examiner les chiffres avec raison, et procéder à des comparaisons avec l’étranger qui aient du sens. Nous en sommes, pour la dernière année connue, à 850 milliards d’euros, avec la ventilation  suivante :

Dépenses sociales, en 2022, en milliards d’euros

Pour financer ces dépenses, quatre types d’organismes interviennent :

  1. La Sécurité sociale publique
  2. Les régimes complémentaires
  3. L’UNEDIC
  4. L’aide sociale (État et départements)

 

La Sécurité sociale est au centre du dispositif. À elle seule, elle a en charge environ 80 % des dépenses sociales du pays. Cette année, le déficit de ses comptes s’élèvera à plus de 8,8 milliards d’euros, et on estime qu’il ne pourra qu’aller en s’aggravant : les experts évoquent probablement la somme de 17,5 milliards en 2027.

 

Le vrai niveau de nos dépenses sociales

Les organismes officiels expriment toujours les dépenses sociales des pays en pourcentage de leur PIB. Cette manière de procéder est relativement trompeuse, car se référer au PIB pour mesurer les dépenses sociales, c’est mesurer l’effort que consentent les pouvoirs publics pour faciliter la vie de leur population, faire « du social », et corriger les inégalités. En ce domaine, la France est le pays qui effectivement fait le plus de sacrifices. Son indice de Gini est d’ailleurs excellent.

Pour procéder à des comparaisons internationales correctes, il convient d’examiner les dépenses sociales calculées par habitant au regard du PIB/capita des pays (en dollars) :

Dépenses sociales/habitant et PIB/capita (Source : OCDE et PIB de la BIRD)

Ces chiffres montrent que les dépenses sociales françaises n’ont rien d’anormal : des pays moins riches ont des dépenses sociales par habitant beaucoup plus faibles ; et des pays beaucoup plus riches ont des dépenses bien plus élevées.

Les dépenses sociales françaises par habitant sont celles de pays aux PIB/capita 40 % à 50 % supérieurs au nôtre. En soi, elles ne sont pas anormales, c’est le PIB français qui est en cause, il est très en retard. Nos dépenses sociales ont augmenté au même rythme que dans les autres pays, sous la pression notamment des syndicats. Depuis de nombreuses années, l’économie française est en effet très poussive.

Référons-nous à une étude de la Division des statistiques des Nations Unies qui a examiné la façon dont les économies des pays ont évolué sur une longue période. L’étude a porté sur la période 1980-2017. Ci-dessous, les résultats pour quelques pays européens, en prolongeant les données de l’ONU jusqu’à la période actuelle, et en ajoutant le cas d’Israël, qui est exemplaire :

PIB/tête en dollars courants (Source : ONU, Statistics Division)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur toute cette période, les performances économiques de la France ont été déplorables.

Le PIB/capita aurait du être multiplié par au moins 4,2, ce qui aurait placé les dépenses sociales à 23,6% du PIB, soit à peine au-dessus de la moyenne OCDE qui se situe à 21 %.

Ces mauvaises performances économiques proviennent de l’effondrement du secteur industriel. En effet, nos dirigeants ont mal interprété la loi des trois secteurs de l’économie de Jean Fourastié dont le livre Le grand espoir du XXe siècle, avait connu à l’époque un succès considérable. Ils en ont conclu qu’un pays moderne donne la priorité aux activités tertiaires. Ils ont donc laissé se dégrader et se réduire le secteur industriel, voyant dans cet amenuisement le signe de la modernisation du pays.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, notre secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB, alors que celui de l’Allemagne ou de la Suisse sont à 23 % ou 24 %. La France est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, Grèce mise à part. La crise de la Covid-19 a permis la prise de conscience de la très grave désindustrialisation du pays. Il était temps. De toute part, il est à présent question de cette urgente nécessité.

 

De combien nos dépenses sociales sont-elles en excès ?

Une approche économétrique simple permet d’évaluer de combien les dépenses sociales sont en excès : elle consiste à se référer aux PIB /capita des pays que l’on prendrait comme variable explicative.

L’équation de la droite de corrélation indique que pour le PIB/capita qui est le nôtre aujourd’hui, les dépenses sociales par habitant devraient se limiter à 9976 dollars, alors que nous en sommes à 12 555 dollars, ce que permet, normalement, un PIB/capita de 40 963 dollars. L’excès de dépenses sociales françaises se chiffre donc à 175 milliards de dollars (soit 160 milliards d’euros). On en serait, alors, à un taux de 23,5 % de dépenses sociales par rapport au PIB, un taux tout à fait normal.

La Cour des comptes ne procède pas de cette manière. Elle semble ignorer les approches économétriques qui sont, pourtant, les plus valables pour effectuer des comparaisons internationales. Elle procède plutôt à partir de scénarios. Dans son rapport de juillet 2023 sur les dépenses publiques, elle énonce :

« Une action puissante sur les dépenses publiques est nécessaire […] ll faut trouver chaque année 12 milliards d’économies, soit un cumulé, d’ici à 2027, de 60 milliards ». Elle s’inquiète de ce que les pouvoirs publics paraissent incapables d’y parvenir.

Dans une note du 4 juillet 2023 l’iFRAP s’interroge : « Où sont les économies ? On aurait aimé que la Cour des comptes livre une liste concrète de pistes d’économies pour documenter les 60 milliards qu’elle identifie d’ici à 2027 ».

Nous en sommes donc à espérer une économie de 60 milliards d’euros sur l’ensemble des comptes publics pour les cinq prochaines années, en craignant que l’objectif soit inatteignable. Pour les seules  dépenses sociales, il faudrait rechercher 160 milliards d’euros d’économies !

En matière d’économies à faire sur l’ensemble des comptes publics de la Nation, les préconisations de la Cour des comptes sont totalement hors de proportion avec ce qu’il conviendrait de faire. Mais déjà craint-elle que ce soit trop en demander à l’exécutif.

La France est très loin de pouvoir ramener ses dépenses sociales à un niveau aligné sur celui des autres pays européens, elle n’en prend guère le chemin. Certes, ces dépenses sont extrêmement difficiles à comprimer, les réactions du public étant immédiates et violentes. Les pouvoirs publics ont en mémoire l’épisode des Gilets jaunes. Il faudra donc attendre que le PIB du pays progresse très fortement et bien plus rapidement que celui de nos voisins, un rêve utopique.

Sans doute, pour le moins, faudrait-il commencer par s’attaquer sérieusement aux fraudes sociales que le député Olivier Marleix, président des députés LR à l’Assemblée nationale, chiffre à 30 milliards d’euros. Ce serait la moindre des choses ! Ne rien faire, c’est laisser le pays continuer à s’endetter un peu plus chaque année. Les grandes agences de notation, qui dans leur dernière revue n’ont pas voulu faire reculer la France d’un cran, ont trop cédé aux propos lénifiants de Bruno Le Maire.

Pour Patrick Artus, conseiller économique chez Natixis, la France a une bonne technique de gestion de la dette. Mais celle-ci est sans cesse en progression.

L’inefficience française en matière d’éducation et de formation coûte 16 milliards d’euros par an

L’Institut économique Molinari a publié une étude inédite visant à comparer le rapport coût/efficacité des différents pays européens en termes d’éducation et de formation. Elle analyse 30 pays européens et effectue trois comparatifs : le premier sur l’éducation primaire et secondaire, le second sur le supérieur, et le troisième sur l’ensemble du système de formation.

 

Un manque d’efficacité global autour de 16 milliards d’euros

La France se situe à la 22e place sur les 30 pays d’Europe étudiés. Au titre du primaire, du secondaire et du supérieur, l’inefficience française représente un surcoût de 18 milliards d’euros en considérant les lacunes dans la transmission des compétences de base et l’intégration dans l’emploi. Elle est de 14 milliards si l’on se focalise sur la seule inadéquation de l’éducation et de la formation avec le marché de l’emploi.

En retenant le milieu de cette fourchette, on peut affirmer que si le système français se rapprochait des systèmes les plus efficaces, les mêmes résultats auraient dû être atteints en économisant 16 milliards d’euros ou 9,4 % de la dépense intérieure d’éducation de 2018.

L’Irlande, l’Estonie et les Pays-Bas forment le trio de tête de l’efficacité de la dépense d’éducation et de formation, suivis par l’Allemagne, la Norvège et la Finlande.

 

Un surcoût de 14 milliards d’euros par an dans le primaire et le secondaire

La France est au 14e rang sur 30 en efficacité de la dépense d’éducation primaire et secondaire.
Elle dépense 7890 euros par an et par élève du primaire et secondaire (ou 22,5 % du PIB par habitant par élève, vs 21,7 % en Europe) ; 70 % des élèves de 15 ans n’ont pas de difficulté en compréhension de l’écrit, mathématique et science (vs 69 % dans les 30 pays étudiés).

Les deux pays les plus performants sont l’Estonie et l’Irlande. La dépense par élève est élevée en Estonie (23,8 % du PIB par tête vs 21,7 % en Europe), mais les résultats sont excellents, avec 83 % des élèves n’ayant aucune difficulté (vs 68,7 % en Europe). L’Irlande dépense moins que la moyenne avec des résultats très bons, 77 % des élèves n’ayant aucune difficulté (vs 68,7 % en Europe).

Si les ressources françaises étaient dépensées aussi bien qu’en Estonie ou en Irlande, le même résultat aurait été obtenu en 2018 en diminuant de 15,3 % la dépense par élève en pourcentage du PIB/tête, soit une économie de 1200 euros par élève du primaire et du secondaire.

Actualisé aux prix de 2022, cela représenterait une économie de 13,7 milliards d’euros sur 90 milliards d’euros de dépense d’éducation primaire et secondaire.

 

Un surcoût de 4 milliards par an dans l’enseignement supérieur

La France est au 27e rang sur 30 en efficacité de la dépense d’enseignement supérieur.
Elle dépense plus par élève (31,7 % du PIB par habitant et par an vs 31,3 % en Europe) mais obtient un taux d’emploi moindre (84,6 % un à trois ans après le diplôme, vs 85,6 % en Europe).

La Finlande a notamment un taux d’emploi plus élevé que la France (88,3 % vs 84,6 %) en dépit d’une dépense par élève inférieure de 3 points (28,8 % du PIB par habitant, vs 31,7 % en France).

L’inefficacité française est encore plus criante vis-à-vis de l’Islande dont le taux d’emploi est 11 points plus élevé qu’en France (95,8 % vs 84,6 %) avec une dépense par élève inférieure de 8 points (24,3 % du PIB par habitant vs 31,7 % en France).

Si la France était au niveau des pays les plus performants (Grèce, Islande, Lettonie, Malte), elle aurait atteint en 2018 le même niveau d’intégration des jeunes diplômés en économisant 12,1 % des dépenses liées à l’enseignement supérieur.

Actualisé aux prix de 2022, cela représenterait une économie de 3,8 milliards d’euros sur 32 milliards d’euros de dépense d’enseignement supérieur.

 

Un surcoût de 14 milliards lié à l’inadéquation avec l’emploi

La France est au 25e rang sur 30 en efficacité de la dépense d’éducation et formation, si l’on se focalise sur l’adéquation avec le marché de l’emploi.

Elle dépense plus dans l’éducation (6 % du PIB vs 5,3 % en Europe) mais a de moins bons résultats en termes d’adéquation avec l’emploi.

En France, le taux d’emploi 1 à 3 ans après l’obtention du dernier diplôme était de 70,3 % en 2018 (vs 76,7 % en Europe), le taux de surqualification de 21,9 % (vs 20,8 % en Europe), et le taux de jeunes ni en formation ni en apprentissage, ni en emploi de 13,6 % (vs 12,4 % en Europe).

L’inefficacité française était particulièrement criante vis-à-vis de l’Islande. Cette dernière dépense moins en éducation que la France (5,7 % du PIB vs 6 %) pour des résultats bien meilleurs en emploi (91,8 % vs 70,3 %), surqualification (15,6 % vs 21,9 %), ou jeunes ni en formation ni en apprentissage, ni en emploi (5,4 % vs 13,6 %).

Si la France était au niveau des pays les plus performants (Islande, Lituanie, Luxembourg, Malte, Roumanie, Suisse) elle aurait atteint en 2018 le même niveau d’intégration des jeunes diplômés, économisant 8,5 % des dépenses d’éducation et de formation.

Actualisé aux prix de 2022, cela représenterait une économie de 14 milliards d’euros sur 171 milliards d’euros investis dans l’éducation et la formation.

 

Trois axes pour améliorer l’efficacité du système de d’éducation et de formation en France

1) Laisser une plus grande autonomie aux établissements, aussi bien en termes d’organisation, que de recrutement et de choix des méthodes.

2) Poursuivre les efforts visant à améliorer l’adéquation de la formation à l’emploi, pour casser la spirale inflationniste qui conduit à augmenter la durée des études pour se signaler vis-à-vis des employeurs.

3) Réduire les coûts cachés associés à l’imprévoyance de l’État en matière de gestion de personnels, en provisionnant les retraites des nouveaux enseignants et personnels administratifs de droit public.

 

À propos de la méthode

Nous avons employé la méthode d’analyse d’enveloppement des données, dite DEA. Elle permet d’identifier les pays ayant le meilleur rapport qualité/prix éducatif, et de quantifier la moindre efficacité des autres pays, en comparant les ressources éducatives aux résultats fournis par les systèmes d’éducation.

Elle définit une frontière d’efficacité qui représente le meilleur résultat possible pour un niveau de ressource donné. Plus un pays est éloigné de cette frontière composée des pays les plus performants, moins son système éducatif est efficace, plus il peine à mobiliser efficacement ses moyens pour atteindre un objectif donné. La méthode permet de quantifier les économies qui pourraient être réalisées pour atteindre les mêmes résultats, si chaque pays à la peine arrivait à se hisser au niveau des pays les plus performants.

Les 30 pays étudiés correspondent à l’Union européenne (sauf l’Espagne pour laquelle une donnée PISA clef n’était pas disponible) plus l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni. L’analyse porte sur l’année 2018, date de la publication des derniers résultats PISA disponibles au moment de la réalisation de l’étude. Les résultats ont été convertis en euros de 2022, conformément aux usages du ministère de l’Éducation nationale.

L’efficacité du primaire et du secondaire est évaluée en comparant la part des élèves de 15 ans n’ayant aucune difficulté dans les trois domaines étudiés dans PISA (compréhension de l’écrit, mathématique, science), et les dépenses d’éducation par élève rapportées au PIB par habitant.

L’efficacité de l’enseignement supérieur est évaluée en comparant le taux d’emploi des diplômés du supérieur 1 à 3 ans après leur dernier diplôme, et les dépenses par élève en pourcentage du PIB par habitant.

L’adéquation avec l’emploi est évaluée en comparant la dépense totale d’éducation et de formation (y compris apprentissage et formation continue) et :

  1. Le taux d’occupation d’un emploi 1 à 3 ans après l’obtention du dernier diplôme
  2. Le taux de surqualification (part des actifs exerçant une activité requérant un niveau de diplôme inférieur à celui qu’ils ont obtenu)
  3. Le taux de jeunes ni en formation ni en apprentissage, ni en emploi (NEET)

 

Afin d’obtenir un classement général des systèmes d’éducation, nous avons pris en compte les trois classements. Les notes obtenues au titre du primaire/secondaire et du supérieur comptent pour 50 % de la note finale. Elles ont été agrégées, en tenant compte du poids respectif des dépenses dédiées au primaire/secondaire et au supérieur dans chacun des pays. Les notes obtenues sur l’adéquation de l’éducation et de la formation avec le marché de l’emploi comptent elles aussi pour 50 % de la note finale.

France Inter : radiographie d’un média d’État

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

La gratuité, quoi qu’elle en coûte ?

Notre pays entretient des rapports difficiles et ambigus avec l’argent, la création de richesses, mais aussi la rémunération des services rendus tant par les entreprises que par la collectivité.

Jeudi 21 décembre 2023, Montpellier est devenue la plus grande agglomération d’Europe à rendre ses services publics de transports entièrement gratuits. La crise aidant, la tentation pourrait être grande de proclamer l’avènement du tout gratuit et son corollaire : la fin du travail.

Dans cet article, notre chroniqueur Didier Cozin analyse les enjeux et les non-dits de cette politique.

 

Tout a un coût, tout a un prix

Alfred Sauvy l’écrivait il y a 80 ans dans ses leçons magistrales d’économie : pour que les produits que nous consommons soient offerts ou gratuits il faudrait qu’ils soient aussi disponibles et accessibles que l’air que nous respirons (il en est déjà autrement pour l’eau, puisqu’elle doit être puisée, canalisée, filtrée, traitée, ce qui a un coût).

Tout ou presque a donc un prix (et un coût) et le débat actuel qui consiste à s’interroger sur l’intérêt de faire payer ces coûts à l’usager (ou à l’utilisateur), pourrait être à la fois vain, contre-productif et générateur de grands désagréments.

Jusqu’à présent les Français acceptaient -sans trop renâcler- de payer de leur poche les produits, les appareils ou les biens qu’ils utilisaient ou consommaient. Il n’en était pas tout à fait ainsi pour les biens immatériels (ou services). Habitués et confortés par la gratuité ancienne de l’école, de la santé ou de la sécurité, certains estimaient que d’autres services, comme ceux des transports en commun (ou du logement) pourraient être collectivisés et devenir « gratuits ».

 

La gratuité, ce prolongement séduisant de l’assistanat

Le socialisme a pour devise « toujours plus ». Non seulement il a contribué à bâtir une société surendettée, sur-importatrice et sous-travailleuse mais il se croit obligé d’aller toujours plus avant.  Plus loin pourrait être promouvoir la gratuité intégrale des services devenant tous publics, les transports aujourd’hui, le logement demain (par exemple).

En France, à l’instar de Montpellier depuis cette fin d’année, ce sont donc près de 40 collectivités qui ont mis en œuvre la gratuité (parfois totale, parfois partielle) des transports collectifs alors que des usagers, des associations, des partis politiques militent ou revendiquent déjà la gratuité de tous les transports collectifs (y compris inter-régionaux) en prétextant de leurs coûts (le travail est malheureusement, et pour des raisons idéologiques, très cher en France) ou des enjeux climatiques (l’autobus remplacerait les voitures sans contraindre trop l’automobiliste moyen).

La gratuité, qui est l’étape ultime de l’aide sociale généralisée (sans condition de ressources) rendrait-elle pour autant les citoyens libres, égaux et notre société meilleure ou plus juste ? Il est permis d’en douter, tant les inconvénients de la gratuité sont innombrables et croissants :

a) La gratuité envoie un signal délétère au citoyen en l’empêchant de devenir adulte, de s’autonomiser, de devenir libre et indépendant (socialement comme financièrement) de l’État.

b) Le signal prix disparaît également puisque la ressource paraît illimitée, éternelle et gratuite. Tout comme le prix de l’énergie (KWH ou litre d’essence) nous fait prendre conscience qu’on peut et qu’on doit éviter de gaspiller, le prix des transports implique une réflexion et des arbitrages. Qu’en serait-il dans la société du tout gratuit ?

c) La concurrence est également faussée entre les différents modes de transports : les taxis (qui participent des transports publics) ou les autobus privés ne pourraient plus fonctionner, la gratuité et la simplicité de la marche à pied ou du vélo seraient remisées au rang de gadgets écolos.

d) Une surcharge et une congestion des réseaux rendraient les services déclinants ou médiocres.

e) Une baisse de la qualité du service, de la sécurité perçue (ou réelle avec la disparition ou la réduction de la présence humaine) apparaîtrait nécessairement, ainsi qu’une chute des investissements pour de nouveaux transports.

f) Le travail, l’activité économique et laborieuse deviendraient secondaires, ne seraient plus nécessaires pour la plupart des actes de la vie quotidienne. L’illusion de la fin du travail (une torture pour certains) tromperait des citoyens devenus passifs, soumis et aux ordres (le pouvoir revient toujours à celui qui paie).

g) Dans cette société massivement orientée vers le temps libre et les loisirs, l’offre de transports ne serait plus reliée au travail, mais aux sorties ludiques, aux déplacements nocturnes ou aux vacances (non indispensables et consommateurs de beaucoup de ressources)

 

À l’attention de Michael Delafosse, maire socialiste de Montpellier

La gratuité des transports est illusoire et fallacieuse puisque les matériels, l’énergie ou les salaires doivent être payés par quelqu’un (le contribuable ou nos créanciers). La gratuité est une facilité de caisse dangereuse, une pente glissante qui a des effets pervers et nécessiterait toujours plus de moyens financiers pour des résultats de moins en moins avérés (les rendements décroissants des aides).

Si les Français semblent séduits par la gratuité, les résultats de cette politique dans l’éducation, la santé (aide médicale), les transports ou les loisirs (pass culture) sont-ils à la hauteur des résultats attendus et ne provoquent-ils pas des dégâts importants ?

Nos concitoyens s’illusionnent s’ils pensent pouvoir mieux vivre et se développer dans un monde de gratuité, l’exemple des ex-« démocraties populaires » atteste du contraire : dans ces pays – non libres- les services publics quasi gratuits étaient dans un état lamentable, les salariés non managés et totalement abandonnés ne donnaient pas 10 % de leur implication ou de leurs compétences pour travailler.

Dans une société essentiellement matérielle et matérialiste, ce qui est gratuit ne vaut au final (presque) rien. Les progrès qu’ont pu représenter en leurs temps l’école gratuite (Jules Ferry), la sécurité sociale (après 1945), les HBM (devenues HLM) tout cela risque désormais de se retourner contre leurs bénéficiaires, citoyens éternellement mineurs, ne votant plus et maintenus sous tutelle par l’État ou ses administrations.

Sortir des aides, de l’assistanat, de la fausse gratuité, et permettre à chacun de jouer un rôle dans la société (autre que celui de consommateur passif) ne serait-il pas un projet plus engageant pour l’avenir que la multiplication infinie des aides, des dettes et des gadgets sociaux ?

La nouvelle idée du gouvernement pour dépenser 46 milliards d’euros supplémentaires

Connaissez-vous les « territoires zéro non-recours » ? C’est une expérience destinée à lutter contre le non-recours aux droits sociaux. En gros, il s’agit de dépenser plus puisque, dans le même temps, il n’est pas annoncé un accroissement de la lutte contre les fraudes.

C’était une des « grandes idées » d’Emmanuel Macron lors de la campagne de 2022 : le versement automatique des prestations sociales – prime d’activité, revenu de solidarité active (RSA), minimum vieillesse, etc.

 

Un tiers des Français ne demanderaient pas les aides auxquels ils ont droit

Cette promesse électorale s’appuyait sur un constat : plus de 30 % des Français ne font pas les démarches pour avoir accès aux droits auxquels ils peuvent prétendre. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) des ministères sociaux, le taux de non-recours aux principales aides et prestations sociales s’élève à :

  • 39 % pour la prime d’activité ;
  • 34 % pour le revenu de solidarité active (RSA) ;
  • 50 % pour le minimum vieillesse (ASPA) ;
  • 30 % pour l’assurance chômage ;
  • 32 % pour la complémentaire santé solidaire gratuite (CSS) ;
  • 72 % pour la CSS contributive.

 

Afin de remédier à cette situation, après le vote de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 (art. 133) relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, le gouvernement s’est mis au travail sous la houlette de son ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Jean-Christophe Combe a commencé, en janvier 2023, par installer un comité de coordination pour l’accès aux droits. C’est ce qui s’appelle « démarrer sur les chapeaux de roues » chez les politiques français !

En mars, le ministre a lancé un appel à projets qui s’est concrétisé par la sélection, cet été, d’une quarantaine de « territoires zéro non-recours » chargés « d’expérimenter de nouvelles façons de détecter et de lutter contre le non-recours aux droits ». Onze « territoires » devraient se lancer d’ici la fin de cette année, pour une durée de trois ans.

L’obligation qui est faite aux entreprises, depuis juillet 2023, de mentionner, sur les fiches de paie, un « montant net social » s’inscrit dans ce dispositif, puisque cette nouvelle information est censée faciliter l’accès à la prime d’activité ou au RSA.

 

46 milliards d’euros de dépenses supplémentaires

Le contribuable suspicieux se demande immédiatement combien ce projet va coûter. L’État lui consacre six millions d’euros, auxquels il faut ajouter des financements locaux. Cette somme servira, par exemple, à financer la mise à jour des systèmes informatiques ou à créer un poste de chef de projet, à recruter des travailleurs sociaux complémentaires, des assistantes sociales itinérantes, ou encore des agents administratifs polyvalents pour accompagner les publics.

Le même contribuable s’inquiètera aussi de l’usine censée « piloter » le dispositif. Elle est composée de comités locaux de pilotage des expérimentations, réunis au sein d’une instance nationale ; d’un comité national de suivi dont la vocation est de garantir le bon déroulement de l’expérimentation ; d’un comité d’évaluation qui rendra deux rapports, l’un à mi-parcours et l’autre à l’issue de l’expérimentation ; enfin, nous l’avons vu, du comité de coordination pour l’accès aux droits (COCOAD). Voilà qui promet beaucoup de réunions !

Surtout, le contribuable sera saisi d’effroi quand il comprendra que les sommes non versées à ceux qui pourraient y avoir droit représentent, à la louche, 46 milliards d’euros pour les seules prestations citées au début de cet article : + 6 milliards pour la prime d’activité ; + 15 milliards pour le RSA ; + 4 milliards pour l’ASPA ; + 15 milliards pour l’assurance chômage et + 6 milliards pour la CSS.

Le contribuable, toujours lui, en vient à souhaiter un échec cuisant de l’expérience. Tant pis pour les 6 millions qui y seront consacrés !

D’ailleurs, les Français ne sont pas favorables à une généralisation des « territoires zéro non-recours ». Une enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop montre que ce que l’on appelle aussi l’administration proactive devrait d’abord se concentrer sur le repérage des situations potentiellement dangereuses, afin que soit facilitée une intervention précoce des services sociaux (30 % des réponses) – sans doute les Français pensent-ils aux cas de maltraitance, d’inceste, de violences intra-familiales, etc. La proposition de prendre les devants pour verser des prestations sociales n’est choisie que par 14 % des sondés.

 

Pour une allocation unique

La voie choisie par le gouvernement ne nous semble pas la bonne. Elle n’est pas la bonne car elle ne s’attaque pas aux maquis des aides, principale explication au non-recours comme le montre la dernière enquête de la DREES à ce sujet : le manque d’information (39 %) et la complexité des démarches (23 %) expliqueraient les deux tiers des non-recours.

Pour mettre fin au foisonnement des aides, parfois difficiles à comprendre, l’IREF préconise la mise en place d’une allocation unique, versée en fonction du revenu et à titre de complément de celui-ci.

Comme l’écrivait Jean-Philippe Delsol, il ne s’agirait pas d’une « allocation universelle qui ferait croire que l’argent tombe du ciel et que chacun peut se dispenser de l’effort du travail pour exiger des autres le paiement d’une dette qu’ils n’ont jamais contractée, ce qui renforcerait un État déjà omnipotent, joyeux d’avoir trouvé le moyen d’infantiliser encore un peu plus le peuple et pressé de dévorer ceux qu’il nourrit ».

Il s’agirait plutôt d’une allocation de base versée sous condition de ressources, et rehaussée en fonction de diverses situations telles que les enfants à charge, le coût du logement, l’existence d’un handicap, l’âge… Quoi qu’il en soit, elle devrait être limitée pour inciter ceux qui le peuvent à travailler.

Facile à comprendre, facile à calculer, facile à mettre en œuvre, cette allocation unique devrait permettre de réduire considérablement le taux de non recours. Le dispositif devrait également viser à coûter moins qu’aujourd’hui, ce qui est loin d’être le cas du versement automatique dont rêve le gouvernement.

Il nous semble aussi que le plan gouvernemental oublie la lutte contre la fraude, estimée, selon les sources, à 20, 50, voire 70 milliards par an. Elle n’est aucunement une priorité des pouvoirs publics comme l’a montré Charles Prats dans ses livres.

Pourtant, étant donné l’état calamiteux des finances publiques, il serait plus judicieux de limiter la fraude que le non-recours aux aides sociales.

 

Cet article est à retrouver sur le site de l’IREF

Au-delà de l’État : plaidoyer pour l’anarchocapitalisme

Un article de Anthony P. Mueller. 

La politique sous toutes ses formes, en particulier celle des partis politiques, est l’ennemi juré de la liberté, de la prospérité et de la paix. Pourtant, où que l’on regarde, le renforcement du gouvernement est invoqué comme la solution.

Rares sont les voix qui affirment qu’une autre voie est possible. Peu d’entre elles s’expriment en faveur de l’anarchocapitalisme et d’un ordre social libertarien.

Il est assez courant aujourd’hui d’annoncer avec assurance le verdict selon lequel l’anarchocapitalisme, une société sans État répressif, n’est pas réaliste. Pour la plupart des gens, un ordre social libertarien est une chimère. Les fausses accusations abondent, comme celle selon laquelle l’anarchocapitalisme serait source d’injustice et désavantagerait les pauvres.

 

La situation précaire du libertarianisme est en partie liée à l’évolution de l’histoire.

L’évolution sociétale a pris un mauvais tournant lorsque Rome a vaincu Carthage, et qu’au lieu d’une société commerciale, c’est une société étatique militariste qui a pris le dessus. Plus de deux mille ans de césarisme ont répandu la croyance qu’il n’y a pas d’alternative à la politique et à l’État. La hiérarchie et l’autoritarisme en sont venus à être considérés comme le mode naturel d’organisation de la société, sans reconnaître que ces ordres sont imposés.

Le libertarianisme est une société de droit privé. Dans une société de droit commun, les entreprises privées sur le marché remplissent les fonctions traditionnelles de l’État. L’ordre contractuel volontaire de l’anarchocapitalisme remplace la coordination hiérarchique des activités de l’État. Le sens premier de l’anarchocapitalisme est un ordre où la coopération horizontale basée sur l’échange volontaire domine la coordination des activités humaines.

L’ordre spontané d’une société anarchocapitaliste exige qu’il se réalise sous la forme d’un processus graduel de privatisation. Commençant par la suppression des subventions et des réglementations, ainsi que par la vente des entreprises semi-publiques et des services publics, la privatisation devrait s’étendre progressivement à l’éducation et à la santé, et finalement englober la sécurité et le système judiciaire.

Il existe de nombreuses preuves que les soi-disant services publics deviendront meilleurs et moins chers dans le cadre de l’anarchocapitalisme. Dans le cadre d’un système global de libre marché, la demande et l’offre en matière d’éducation, de soins de santé, de défense et de sécurité intérieure seraient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. La privatisation de ces activités, qui sont actuellement sous l’autorité de l’État, entraînerait non seulement une diminution des coûts unitaires des services, mais changerait également la nature des produits.

Étant donné que la majeure partie de l’offre actuelle de biens dits publics est un gaspillage inutile, une charge énorme pèserait sur les contribuables une fois que ces produits seraient privatisés. Sans perdre les avantages réels de l’éducation, des soins de santé et de la défense, ces biens seraient adaptés aux souhaits des consommateurs, et fournis de la manière la plus efficace. Les coûts seraient réduits à une fraction de leur taille actuelle.

Si l’on inclut l’appareil judiciaire et l’administration publique hypertrophiés dans la réduction de l’activité de l’État, les dépenses publiques – qui représentent aujourd’hui près de 50 % du produit intérieur brut dans la plupart des pays industrialisés – seraient ramenées à des pourcentages à un chiffre. Les contributions diminueraient de 90 %, tandis que la qualité des services augmenterait.

 

Contrairement à la croyance dominante, la privatisation des fonctions policières et judiciaires n’est pas un problème majeur. Il s’agirait d’étendre ce qui se fait déjà. Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le nombre de policiers et d’agents de sécurité privés dépasse déjà le nombre de policiers officiels. La prestation privée de services judiciaires est également en augmentation. Les tribunaux d’arbitrage ont fait l’objet d’une demande forte et croissante, y compris pour les litiges transfrontaliers.

Ces tendances se poursuivront, car la protection et l’arbitrage privés sont moins coûteux et de meilleure qualité que les services publics.

Au Brésil, par exemple, qui possède l’un des systèmes judiciaires les plus coûteux au monde, environ quatre-vingt millions d’affaires sont actuellement en attente de décision, et l’incertitude juridique est devenue monstrueuse. Aux États-Unis, de nombreux secteurs du système judiciaire sont en déliquescence.

 

La solution aux problèmes actuels n’est pas plus mais moins de gouvernement, pas plus mais moins d’État, pas plus mais moins de politique. La malédiction qui pèse actuellement sur les jeunes, à savoir avoir un emploi fixe bien rémunéré ou vivre à la limite de l’autonomie, disparaîtrait. L’anarchocapitalisme est synonyme de productivité élevée et de temps libre abondant. Dans une société anarchocapitaliste, la pénibilité du travail salarié ne sera plus la norme et sera remplacée par le travail indépendant.

L’anarchocapitalisme n’est pas un système qui doit être établi par un parti ou un homme fort.

 

Une communauté libérale devrait émerger comme un ordre spontané. La bonne voie vers une telle société est donc l’action négative. La tâche qui nous attend est la suppression des subventions et des réglementations. Au lieu de créer de nouvelles lois et de nouvelles institutions, la mission consiste à abolir les lois et les institutions. Pour ce faire, un changement de l’opinion publique est nécessaire.

Plus l’idée que la solution réside dans la réduction de la politique et de l’État gagnera du terrain, plus le mouvement libertarien prendra de l’ampleur. Pour ce faire, il faut avoir la volonté d’exiger et de réaliser la privatisation du plus grand nombre possible d’institutions publiques.

La privatisation est un moyen, pas un but. Elle sert à placer un fournisseur de biens sous le contrôle du grand public. Sur le marché libre, ce sont les clients qui déterminent les entreprises qui restent en activité et celles qui doivent fermer. Avec le système actuel du capitalisme d’État, de larges pans de l’économie sont contrôlés par la politique et l’appareil technocratique.

La privatisation place les entreprises sous le régime du profit et de la perte, et donc sous le contrôle du client. Le profit est la clé de l’accumulation du capital, et donc de la prospérité. Le profit des entreprises est le moteur et en même temps le résultat du progrès économique. Seule une économie prospère génère des profits. Dans la même logique, on peut dire que les profits poussent l’économie vers la prospérité.

Pour les entreprises privées, l’importance des bénéfices dépend du degré d’efficacité de l’entreprise et de l’utilité de son produit pour satisfaire les goûts du public. Cependant, la privatisation en soi ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une déréglementation. Dans le passé, de nombreux cas de privatisation ont échoué parce que le cadre réglementaire n’avait pas été supprimé. Les anciennes barrières à l’entrée ont continué à exister.

 

Une autre erreur souvent commise a été de privatiser à la hâte des entreprises publiques qui fournissent des services essentiels, au lieu de commencer par l’évidence : supprimer les subventions. La déréglementation et la suppression des subventions sont des conditions préalables essentielles à la réussite de la privatisation. Le capitalisme a besoin de concurrence, et la concurrence a besoin de faibles barrières à l’entrée.

L’anarchocapitalisme dessine un ordre économique dans lequel l’entrepreneur dirige l’entreprise selon les règles du profit et de la perte. Ceux-ci, à leur tour, dépendent directement des actions des clients. Les lois du profit et de la perte obligent l’entrepreneur à employer son capital au profit des consommateurs. En ce sens, l’économie de marché fonctionne comme un mécanisme de sélection permanent en faveur de l’allocation des ressources, là où le degré de productivité et de bien-être est le plus élevé.

Pour réussir, la privatisation doit être considérée comme une étape dans un ensemble de mesures visant à établir une économie de marché. Pour bien fonctionner, la privatisation doit s’accompagner de l’ouverture des marchés – y compris le libre-échange international – en réduisant la bureaucratie et en rendant le marché du travail plus flexible.

 

Une monnaie saine et une faible pression fiscale sont des conditions préalables fondamentales au bon fonctionnement des marchés libres. La privatisation de l’économie échouera tant que le système monétaire sera soumis à un contrôle politique et technocratique et que des charges fiscales élevées limiteront les actions économiques de l’individu.

Dans l’économie de marché, les idées des entrepreneurs font l’objet d’un plébiscite permanent. Les entreprises privées doivent répondre aux désirs des consommateurs, car ce sont eux qui indiquent leurs préférences par leurs actes d’achat. Le choix démocratique en politique est systématiquement moins bon que les décisions sur le marché. Alors que la plupart des décisions d’achat peuvent être corrigées et remplacées immédiatement ou dans un court laps de temps, les décisions politiques ont des conséquences à long terme qui dépassent souvent le contrôle et l’horizon intellectuel de l’électorat.

La prospérité est l’objectif, et l’anarchocapitalisme l’apporte.

Le principe de base en faveur de la privatisation découle de l’idée que la propriété privée des moyens de production – et donc la privatisation – garantit le progrès économique et la prospérité pour tous. Les marchés ne sont pas parfaits, pas plus que les entrepreneurs ou les consommateurs. La production capitaliste ne peut pas répondre à tous les désirs ou besoins de chacun. Aucun système ne le peut. Le système de marché n’élimine pas la pénurie pour tout le monde, mais le système de marché est l’ordre économique qui gère le mieux la présence universelle de la pénurie.

L’anarchocapitalisme correctement compris n’entre pas dans la même catégorie que le socialisme. Le socialisme doit être imposé. Sa mise en place et son maintien requièrent la violence. Avec l’anarchocapitalisme, c’est différent. Il naîtra spontanément de la suppression des barrières qui s’opposent à l’ordre naturel des choses.

Un article traduit par la rédaction de Contrepoints. Voir sur le web.

Ne sacrifions pas l’Occident pour combattre l’islamisme : réponse à Marion Maréchal

Samedi soir, un terroriste islamiste a semé la mort au pied de la Tour Eiffel. Armand Rajabpour-Miyandoab avait déjà été condamné en 2018 pour association de malfaiteurs terroristes, condamnation qui lui a valu d’être fiché S.

Ce n’est pas le premier terroriste à être passé à l’acte en France alors qu’il était déjà suivi pour ses accointances avec l’islamisme et l’entreprise terroriste. Cette répétition doit évidemment nous interroger sur l’efficacité de notre système de surveillance des individus dangereux, et en particulier des islamistes. S’engouffrant dans la brèche, Marion Maréchal a appelé dans les colonnes du journal Le Figaro à ce que tous les islamistes fichés S soient arrêtés et incarcérés immédiatement. 

 

On ne peut défendre l’Occident en détruisant son génie

S’il est vrai que la grande majorité des terroristes étaient fichés S, tous les fichés S ne sont pas des terroristes.

Marion Maréchal le sait, et ce n’est pas une erreur de logique qu’elle commet. Mais elle propose ni plus ni moins d’abandonner le droit à la sûreté, c’est-à-dire la protection contre les arrestations arbitraires, consacrée aux articles 2 et 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, inspiré de l’Habeas Corpus anglais qui fut la première pierre de la tradition juridique libérale qui caractérise l’Occident. Cette pensée juridique originale née en Occident a illuminé le monde et continue de rayonner auprès de tous les peuples opprimés, y compris par l’islamisme. 

Nous ne défendrons pas l’Occident contre ses ennemis en détruisant son génie. Abandonner la démocratie libérale qu’abhorrent les islamistes et autres illibéraux à la culture viriliste et adulescente qui voient la culture humaniste, non comme une sagesse mais une faiblesse, c’est leur donner la victoire.

En ne protégeant que les clochers, Reconquête! s’enferme dans une vision folklorique de la civilisation occidentale. À l’inverse, dans son chemin vers la « dédiabolisation », le Rassemblement national semble avoir intégré à son discours la défense des minorités sexuelles et des femmes comme partie intégrante de la tradition occidentale. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la gauche abandonne de plus en plus cette défense inconditionnelle du droit à la différence à l’extrême droite, comme elle a abandonné l’hymne et le drapeau, cédant devant la culture intolérante ce qu’elle voit comme les nouveaux damnés de la Terre. 

Par ailleurs, nous ne rappellerons jamais assez que toutes les lois d’exception ont fini par être détournées de leur objectif initial.

 

Les risques de dérives d’une telle mesure

Combien de fois les lois antiterroristes ont-elles été instrumentalisées pour intimider des individus qui n’avaient rien en commun avec le terrorisme islamisme, comme les militants de la ZAD de Notre-Dame des-Landes ? Réprimer les manifestations ? Peut-être devrait-on rappeler à Marion Maréchal que parmi les manifestants de l’ultra-droite descendus dans les rues pour protester contre la mort du jeune Thomas à Crépol, on comptait probablement des fichés S ? Combien de sympathisants de Reconquête! pourraient être inquiétés à la veille d’une élection au simple motif qu’ils ont pu approcher de près ou de loin une idéologie radicale ?

Rappelons que le simple fait de côtoyer sans le savoir un fiché S peut faire de vous un fiché S. Dès lors, la mécanique d’enfermement généralisé pourrait très facilement s’emballer, ou être instrumentalisée par le politique qui n’aurait alors plus aucune limite dans son pouvoir. Consentir à l’arbitraire, même dans l’objectif noble de lutter contre le terrorisme, est la voie la plus sûre vers la tyrannie.

Ce serait d’autant plus une trahison envers notre civilisation que ce serait une solution simpliste adoptée au détriment d’une autre facette du génie occidental : sa capacité de séduction.

 

La plus belle arme de l’Occident : sa capacité de séduction

Notre démocratie libérale, longtemps considérée comme un horizon indépassable de la modernité, ne séduit plus. Non seulement l’Occident n’est plus le phare du monde, mais il est remis en cause en son sein, que ce soit par les descendants d’immigrés qui adoptent l’islamisme que leurs parents ont fui, ou les tenants d’un Occident fantasmé qui voient dans Poutine le « salut de la blanchitude ».

Notre démocratie libérale, qui permet à chaque individu de s’émanciper et de se déterminer, peine à produire une métaphysique commune qui soit accessible au plus grand nombre, qui se tourne alors vers les prêts-à-penser que constituent les idéologies radicales, que ce soit au sein de l’islam politique, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.

Pour se défendre, la démocratie libérale doit se réarmer intellectuellement. Le refus de la radicalité et du populisme, s’il n’est pas justifié pour soi, ne sera jamais à même de peser face aux idées faciles. Mais elle doit aussi être cohérente et défendre cet idéal occidental à chaque fois qu’il est attaqué, comme en Ukraine, et non pas comme en Arménie qui, malgré quelques prises de paroles sentencieuses, a été abandonnée au profit de nos intérêts gaziers.

Enfin, il faut rappeler que si la première mission de l’État doit être d’assurer la sécurité des citoyens et qu’il est indispensable que nous perfectionnions sans cesse notre appareil sécuritaire, seul un régime tyrannique pourrait approcher le risque zéro. Personne ne doute que la Corée du Nord connaît un taux d’homicides (non gouvernementaux) plus faible que le nôtre. En définitive, nous devons assumer que dans une société libre, le risque zéro n’existe pas, et que nous aurions bien davantage à perdre en sacrifiant notre État de droit.

« Plan 15 000 » : un projet ambitieux mais inefficace pour les prisons françaises

Un article de l’IREF.

« Nous construirons 15 000 nouvelles places de prison ». La promesse de campagne d’Emmanuel Macron, en 2017, a débouché à l’automne 2018 sur un vaste plan de création de places en établissements pénitentiaires, le « Plan 15 000 » pour 2027. Un second plan est également lancé, prévoyant la construction de vingt centres éducatifs fermés (CEF) de deuxième génération pour les mineurs. Alors que la mi-parcours est passée, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », Antoine Lefèvre, dresse un bilan amer du projet.

La situation carcérale française est une épine dans le pied de chaque nouveau président : le nombre des détenus explose, la radicalisation en prison prospère, les injonctions et les condamnations internationales somment la France de prendre des mesures pour respecter les droits de l’homme. Au cours des dernières décennies, plusieurs plans avaient déjà été déployés mais aucun ne s’était révélé capable d’anticiper les besoins croissants de places en établissements pénitentiaires. Celui d’Emmanuel Macron se distinguait par son importance et pouvait laisser croire qu’une réforme du système pénitencier était imminente.

Un plan de construction insuffisant

Mais voilà, bien souvent les rapports du Sénat sonnent le glas des politiques hasardeuses, et c’est le cas en l’espèce. Le rapporteur est formel : « (…) En dépit de ses ambitions initiales, le Plan 15 000 ne permettra pas seul de remédier durablement à la dégradation des conditions de détention et de travail pour les personnels de l’administration pénitentiaire. Même si le plan venait à être achevé en 2027, ce qui apparait peu probable, les capacités du parc pénitencier seraient déjà saturées ». Et pour cause : la prévision de 75 000 détenus en 2027 s’est réalisée dès 2023 ! Pendant la période du Covid, un assez grand nombre de détenus ont été libérés mais une fois la crise sanitaire passée, les enfermements ont repris à un rythme encore plus soutenu, avec une hausse de près de 20% depuis 2020. En janvier 2022, le taux de densité carcérale était de 115%, plaçant la France au troisième rang européen derrière Chypre et la Roumanie. Avec une telle densité, il est quasi impossible de respecter le principe d’encellulement individuel ; l’objectif de 80% est ainsi repoussé de législation en législation, quelle que soit la couleur politique du garde des Sceaux. Les conséquences de la surpopulation carcérale sont pourtant connues : violences, manque d’hygiène, trafics facilités, radicalisation soutenue, réinsertion compromise… La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, dénonce dans son dernier rapport annuel « un abandon de l’Etat » : « On a laissé la prison se substituer aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30% de prisonniers atteints de troubles graves. Voilà comment, à leur corps défendant, surveillants et détenus ont, en quelque sorte, été contraints de se muer en infirmiers psychiatriques ». Les établissements pour peine respectant globalement ce principe, ce sont les maisons d’arrêt qui suscitent l’inquiétude, le taux d’encellulement individuel y évoluant autour de 20%[1].

Un budget intenable et des délais qui explosent

Face à ces défis, l’argent est le nerf de la guerre. Et d’argent, on ne manque pas, à tel point que le budget initial a pu être rehaussé de deux milliards d’euros sans que quiconque s’en émeuve. Les premières annonces ministérielles annonçaient 3,6 milliards, avant de grimper rapidement à 4,3 milliards ; et en juin 2022, la direction du budget a relevé encore la facture à 5,4 milliards d’euros. Un an après, le rapporteur estime que le coût du Plan 15 000 sera d’au moins 5,55 milliards d’euros, soit 30% de plus que le coût d’abord prévu. S’agissant des centres éducatifs fermés, on est passé de 30 millions d’euros à plus de 76 millions dans le dernier budget… avant que le rapporteur ne l’estime à au moins 110 millions d’euros ; et nous ne sommes qu’à mi-chemin. Plus le calendrier de livraison s’allonge, plus les coûts explosent. Moins de la moitié des places prévues a pu être livrée, avec (pour l’instant) un retard de deux ans sur le calendrier initial. La maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe) sera par exemple livrée avec plus de sept ans de retard.

Le sénateur Antoine Lefèvre formule une douzaine de recommandations suivant trois principes : « Anticiper, s’adapter et évaluer ». Est-il possible que cette approche élémentaire n’ait pas été celle des politiques publiques ? La réponse est évidemment oui, et la précision des recommandations frise le ridicule, telle que celle d’équipes-test sur chacun des chantiers engagés. En effet, « il est difficilement admissible qu’un établissement pénitencier tout juste livré nécessite de lourds travaux d’aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement, telles que l’installation de fenêtre pouvant être ouvertes en moins de deux minutes à l’aide d’un coupe-ongle acheté au supermarché ». Coût du changement des châssis des fenêtres du centre pénitentiaire Mulhouse-Lutterbach : 600 000 euros. Et de citer d’autres « erreurs de conception » : par exemple, des boutons « sécurité incendie » ouvrant toutes les portes et accessibles à tous dans un centre éducatif fermé …

Le chantier des établissements pénitentiaires est donc colossal. Alors qu’un détenu coûte 100 euros par jour au contribuable, l’IREF appuie la proposition du député Eric Pauget (LR) de faire payer aux détenus une partie significative de leurs frais d’incarcération. Ajoutons qu’il n’y a rien de surprenant à ce que le suivi des chantiers soit négligé lorsque le futur gérant de la prison est une administration. La privatisation des prisons permettrait sans doute de réduire fortement les coûts de construction et de réduire les délais. Plusieurs pays s’y sont déjà essayés : le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis. La gestion privée demeure « incontestablement plus simple que la gestion publique », ainsi que le relève la Cour des comptes.

Sur le web.

Le programme de Manon Aubry : un aller simple vers la faillite économique

Dans une interview récente, Manon Aubry, tête de liste La France insoumise (LFI) pour les élections européennes de 2024 a déclaré :

« Austérité, le tout-marché et le libre-échange amènent le chaos. [il faut] rompre avec le libre-échange, l’austérité et le tout-marché pour imposer le protectionnisme, la solidarité et les biens communs ».

Elle, et plusieurs Européens, croient que le marché libre est à l’origine des problèmes mondiaux. La solution réside dans plus de concentration de gouvernance fiscale et financière à Bruxelles ainsi que de financements publics.

Il est néanmoins important de se souvenir que le libre-échange est à l’origine de la prospérité en Europe, et que le protectionnisme et l’endettement public mettraient en danger ces progrès.

 

Le libre-échange est le moteur des succès de l’Union européenne

La croissance des échanges sur le continent et la baisse des restrictions des mouvement de personnes et des biens ont engendré une prospérité imprévue dans le continent.

Les solutions que Mme Aubry propose pour la réindustrialisation de l’Europe sont contre-intuitives.

D’abord, les propositions protectionnistes oublient qu’une grande partie de l’économie européenne dépend des échanges hors Europe et ignorent l’impact que la rupture de ces échanges pourrait avoir sur l’économie de l’Europe et le pouvoir d’achat de ses citoyens.

Ensuite, elle suggère qu’il faut financer des projets proposés avec « un impôt sur la fortune européen, qui dégagerait plus de 200 milliards d’euros par an, et une taxe européenne sur les superprofits dans tous les secteurs. » Elle propose de convaincre des entreprises de développer l’industrie européenne avec des régulations entravantes, de nouvelles taxes et une banque centrale encore plus laxiste. Autant de mesures qui, combinées, mettraient en danger la stabilité monétaire de l’union.

Peut-être cela peut être efficace étant donné que l’Union européenne reste un marché considérable pour la plupart des entreprises en étant la deuxième puissance mondiale avec 16,15 % du PIB mondial.

Néanmoins, elle oublie quelque chose d’important : le monde change rapidement, le pouvoir d’achat des ménages autour du monde augmente constamment, et la compétition pour attirer des investissements devient de plus en plus forte. Si l’Europe laisse sa compétitivité tomber et se tourne en elle-même, le reste du monde va continuer à avancer et rendre les marchés les plus attirants. Ses propositions peuvent appuyer sa vision pour le court terme, mais à long terme, elles deviennent chères et intenables.

 

Les solutions de madame Aubry : plus d’inflation, de dettes, de règlementations

Mme Aubry croit qu’il faut se débarrasser des conditions d’austérité des États membres et laisser la Banque centrale européenne « pouvoir prêter directement aux États membres ».

La responsabilité fiscale n’est pas un fléau mais une nécessité. Laisser la Banque centrale européenne prendre des libertés avec la politique monétaire serait irresponsable pour notre futur et les générations à venir. Nous constatons aujourd’hui à quel point les crises d’inflation – bien sûr exacerbées par la pandémie et la guerre en Ukraine- révèlent des myriades de problèmes d’accumulation de dépenses et de dettes publiques. La solution à ces problèmes n’est pas davantage de dette. Il faut bien penser aux futurs contribuables qui vont devoir rembourser ces dettes et le prix d’inflation qu’elles peuvent entraîner.

Mme Aubry a bien souligné la débâcle qu’est le lobbying à Bruxelles. Il faut bien sûr davantage de transparence sur les pratiques de lobbying, mais il faut aussi penser à ne pas créer un système incitatif. Ses propositions de taxation et protectionnisme vont créer un système de surrèglementation et un marché où les gagnants seront ceux pouvant convaincre les régulateurs à Bruxelles de leur donner des exemptions et des subventions.

Le libre-échange est non seulement un des piliers fondateurs de l’Union européenne mais aussi une des raisons principales de son succès. Le marché offre toujours des solutions à des problèmes actuels, et le rejeter en faveur de politiques protectionnistes risque de défaire des années de progrès réalisés par l’Union européenne.

 

Ogechukwu Egwuatu est une fellow de Young Voices Europe, écrivaine et activiste basée en France.

Quelques chiffres qui montrent que le « quoi qu’il en coûte » n’est pas fini…

Un article de l’IREF.

En janvier dernier, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, annonçait la fin du « quoi qu’il en coûte ».

L’examen parlementaire en cours des projets de loi de finances de fin de gestion pour 2023, et de loi de finances pour 2024 montrent à l’inverse que, loin d’être fini, le « quoi qu’il en coûte » se poursuit. Et ce en dépit d’un goulet d’étranglement appelé à se resserrer du fait de l’aggravation de la charge de la dette dans les prochaines années, exposant la France au risque d’une grave crise de ses finances publiques.

Plusieurs données tendent à prouver que les vannes ouvertes à l’occasion de la crise de la Covid-19 n’ont pas été refermées, ou que des politiques publiques jugées prioritaires ont été privilégiées sans que, symétriquement, soient définies des politiques qui ne le soient pas, ou plus. Pour reprendre la formule du rapporteur général du budget en commission des finances du Sénat, nous sommes entrés dans « l’ère des déficits extrêmes ».

Tandis que le déficit budgétaire annuel « moyen » n’était « que » de 89,8 milliards d’euros entre 2011 et 2019, depuis 2020, et en y incluant la prévision pour 2024, il est désormais de 172,3 milliards d’euros.

En 2023, le déficit budgétaire de l’État devrait être supérieur à 171 milliards d’euros, soit un déficit proche des sommets atteints pendant la crise sanitaire (quasiment 180 milliards d’euros).

Pour 2024, le déficit budgétaire est encore attendu à un niveau extraordinairement élevé de 144,5 milliards d’euros. Et pour cause : malgré le retrait des mesures de crise (- 40 milliards d’euros depuis 2022), les dépenses publiques devraient, toutes sphères d’administration confondues, augmenter de plus de 100 milliards d’euros en deux ans (1640 milliards d’euros en 2024, contre 1539 milliards d’euros en 2022).

Installé sur un plateau historiquement haut, le déficit de l’État représenterait l’an prochain 45,7 % de ses ressources. En 2024, le déficit public de la France serait ainsi le deuxième plus élevé de la zone euro. Sur les vingt pays membres de la zone euro, treize seraient sous la barre des 3 % de déficit, deux seraient même excédentaires : Chypre et Irlande. Selon le FMI, seule la Belgique (- 4,8 % du PIB) ferait pire que la France (- 4,5 % du PIB).

Naturellement, la France demeurerait en 2024 (109,7 % du PIB) sur le podium européen des pays les plus endettés (derrière la Grèce et l’Italie), avec une hausse de près de 12 points de la dette publique depuis 2017 (98,1 % du PIB), alors même que les autres pays ont eu affaire aux mêmes chocs exogènes. Sur les vingt pays de la zone euro, huit sont sous la barre des 60 % du PIB.

 

Le bond des émissions annuelles de dette est lui aussi spectaculaire : alors que l’État levait moins de 100 milliards d’euros jusqu’en 2007, il a successivement levé 200 milliards en 2019, 260 milliards en 2020, 2021 et 2022, 270 milliards en 2023, et 285 milliards en 2024 (projet de loi de finances).

Le coût de notre endettement est progressivement aggravé par la hausse des taux d’intérêt.

En 2024, les crédits liés à la dette (60,8 milliards d’euros pour la mission « Engagements financiers de l’État ») seront proches des crédits affectés à l’ensemble des missions régaliennes de l’État (73,8 milliards d’euros, dont 10,1 milliards pour la mission « Justice », 16,5 milliards pour la mission « Sécurités » et 47,2 milliards pour la mission « Défense »).

L’an prochain, 60 % des recettes d’impôt sur le revenu (94,1 milliards d’euros attendus) serviront à financer les seuls intérêts de la dette (56 milliards), lesquels devraient croître de 50 % d’ici la fin du quinquennat (84 milliards prévus en 2027).

Les évolutions de la masse salariale publique fournissent, elles aussi, un bon indicateur quant au souci porté à la gestion financière publique.

Lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la masse salariale des administrations publiques avait baissé de 13,9 % en volume ; alors qu’elle n’avait augmenté « que » de 3,4 % sous François Hollande, la masse salariale publique a déjà bondi, en volume, de presque 10 % depuis l’élection d’Emmanuel Macron (+ 9,7 % entre 2017 et 2024).

L’an prochain, les effectifs de l’État (+ 6695 postes) et de ses opérateurs (+ 1578 postes) augmenteront encore, en contradiction avec les engagements pris dans le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027…

Sur le web.

Plus les dettes augmenteront et plus les taux à long terme vont croître

L’influent économiste Olivier Blanchard (ancien économiste principal au FMI) avait prévu, un peu imprudemment, que les taux d’intérêt (réels) allaient rester faibles et inférieurs aux taux de croissance réels pour les 20 prochaines années, et cela pour tous les pays (cf. PIIE, Reexamining the economic costs of debt, O. Blanchard, Nov. 2019). Donc inutile de procéder à un ajustement, la dette publique allait décliner par enchantement.

Pour M. Blanchard, les taux étaient sur une tendance séculaire à la baisse depuis le XIVe siècle… Dans un monde à taux nul (lower bond), la seule politique possible est une politique budgétaire expansive (ce qui a été fait). Dans un nouvel article, Olivier Blanchard reconnaît qu’il n’avait pas prévu la hausse des taux longs.

 

Plusieurs explications ont été données à la baisse des taux

Dans les livres de macroéconomie, le taux d’intérêt est le résultat de l’épargne et de l’investissement. La baisse des taux provenait d’un surplus d’épargne par rapport à l’investissement désiré. La croissance est insuffisante (stagnation séculaire, Gordon, Summers) pour absorber l’épargne existante. Il y a trop d’épargne dans certains pays (la Chine), ce qui se traduit par des surplus externes (ce qui est faux à l’heure actuelle). Mais comment alors expliquer la hausse des taux ? Y aurait-il brusquement une baisse de l’épargne par rapport à l’investissement, ou une hausse anticipée des investissements par rapport à l’épargne ? Ça semble improbable.

Certains économistes utilisent le concept de taux d’intérêt neutre, soit le taux d’équilibre qui n’entrave pas la croissance, taux d’intérêt et croissance étant liés. Est-ce que la croissance potentielle de l’économie aurait soudain augmenté ?

Cela semble d’autant plus curieux quand le FMI projette une croissance mondiale toujours plus faible. Pour le FMI, le taux de croissance réel pour les pays développés doit passer de 2,7 % en 2022 à 1,5 % en 2023 et 2024. On ne voit pas très bien pourquoi il y aurait un changement soudain dans la courbe de la croissance… (l’intelligence artificielle semble encore bien incertaine et limitée pour justifier des taux de croissance plus élevés).

Apparemment, le marché ne fait pas partie de la boîte à outils de nos professeurs.

 

Les déficits budgétaires expliquent largement la hausse des taux 

Si les taux augmentent, c’est peut-être dû à trois facteurs :

  1. Les taux longs reflètent les anticipations des marchés sur l’évolution des taux directeurs des banques centrales qui ont augmenté à cause de l’inflation.
  2. Les taux sont liés aux déficits budgétaires.
  3. Les déficits ne sont plus financés par les banques centrales à travers la politique du quantitative easing.

 

Les taux longs reflètent les anticipations des marchés sur l’évolution des taux directeurs des banques centrales et de la Fed en particulier.

Or, les taux directeurs ont augmenté rapidement à partir de la mi 2022, pour la Fed, de 1,7 % à 5,3 % en octobre 2023. Les taux du marché (10 yr US bond yield) ont suivi avec un décalage, ils s’élèvent aujourd’hui (le 27 novembre) à 4,46 %.

Étant donné la détermination du président de la Fed à ramener l’inflation à sa cible, les marchés ont intégré que le taux directeur va rester à un niveau élevé (higher for longer), la décennie 2010 où les taux étaient proches de zéro est terminée. Des taux de la banque centrale à 5 % ne sont pas anormaux, ils sont anormaux pour les traders qui ne sont sur le marché que depuis 2009.

Lors des deux crises, la crise financière de 2008 et celle du covid, les déficits budgétaires ont explosé pour la France, l’Italie, l’Espagne, et surtout les États-Unis. Leur augmentation ne s’est pas limitée aux années de récession, 2009 et 2020, mais a continué toutes les années. C’est-à-dire qu’au lieu de faire du keynésianisme (du déficit budgétaire en période de récession) ces pays ont continué à faire du déficit en période de croissance. Pour les États-Unis, le déficit budgétaire moyen après la crise de 2008 a continué au rythme de -6 % par an sur la période 2010-19 et -8 % après la crise liée au covid de 2020, pour la période 2021-23 ; or, le pays n’avait besoin d’aucune impulsion budgétaire.

Les déficits budgétaires se traduisent par l’accroissement de la dette publique (on rappelle que l’augmentation de la dette publique en t est égale au déficit global la même année).

Ces déficits ne sont plus financés par les banques centrales à travers la politique du quantitative easing. L’État ne peut plus financer ses déficits par l’émission d’obligations publiques comme à l’époque du covid. Il entre en compétition avec les autres agents privés pour accéder à un niveau de liquidité qui n’augmente pas autant qu’à l’époque artificielle du quantitative easing (crowding out).

Cette compétition entre des besoins de financement de l’État et du secteur privé explique largement la hausse des taux. Or, si les banques centrales sont insensibles au rendement de leurs bons, ce n’est pas le cas des institutions financières qui demandent un term premium (une prime de risque) plus élevée.

Plus les dettes augmenteront et plus les taux à long terme vont croître, ou du moins ne pas diminuer. Il est grand temps pour les États de commencer à réduire leurs déficits, dans les faits, pas en parole.

 

Les taux vont-ils continuer à augmenter ? Vont-ils baisser ?

Difficile de répondre. Une hausse trop élevée des taux peut entraîner une récession, et les banques centrales devront intervenir pour baisser leurs taux directeurs (à condition que le taux d’inflation ait atteint sa cible de 2 %). Les taux directeurs vont sans doute progressivement baisser néanmoins, le monde des taux zéro est terminé ; elle était dominée par la grande distorsion due au quantitative easing. 

Le niveau des taux longs va dépendre du déficit des États-Unis. Aujourd’hui, il tourne autour de 7 % du PIB sur une base annuelle. L’Office of Budget ne prévoit pas de réduction des déficits sur les prochaines années, ce qui ne peut qu’augurer des taux élevés pour longtemps.

Si Trump était réélu, le déficit ne serait pas réduit et les États-Unis se dirigeraient vers une dette incontrôlable. On aura une hausse de l’offre de bons du Trésor pour financer des déficits énormes, une demande pour la dette américaine réduite de la part des pays étrangers qui sont sceptiques sur les bons américains, et un arrêt de la politique du quantitative easing, tous ces facteurs militent en faveur de taux longs élevés et durables.

Pénurie de médicaments : la faillite d’une économie surrégulée

Par Romain Delisle.

Durant la crise sanitaire, la pénurie de masques de protection, dont les stocks avaient été détruits sur ordre de Marisol Touraine, ministre de la Santé sous le mandat de François Hollande, avait mis en lumière le risque accru de pénurie de produits de santé en cas de crise majeure. En réalité, la pandémie n’a fait que révéler au grand jour les déséquilibres structurels d’une économie surrégulée du médicament : selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), le nombre de ruptures et de risques de ruptures a atteint 3761 en 2022 contre 700 en 2018, et 200 en 2012.

En dix ans, la consommation de médicaments a augmenté de 36 % dans le monde, mettant le secteur en état de tension permanente, d’autant que la production de principes actifs les plus anciens a été délocalisée en Asie. En effet, ceux-ci sont bien moins rentables que les produits innovants et sont victimes de l’effet ciseau d’une importante fiscalité, combinée à un faible prix du médicament, imposé par le CEPS (Comité économique des produits de santé), bras armé de l’État en la matière.

Au mois de juillet, la commission d’enquête du Sénat, qui avait diligenté une enquête sur la question, a rendu un rapport très éclairant qui permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce qu’il faut bien appeler une économie administrée.

 

Dans le sillage du reste de l’industrie, des pans entiers de la production de médicaments ont été délocalisés en Asie

Jusqu’en 2018, le nombre de ruptures annuelles de médicaments enregistrées par l’ANSM, était demeuré stable, aux alentours de 400. Puis, ce chiffre a augmenté pour avoisiner les 1200 en 2019 et les 1600 en 2022.

Face à cette situation, l’industrie pharmaceutique française est confrontée à un double problème :

  1. 80 % des principes actifs des médicaments matures sont produits en Inde ou en Chine, et sont dans les mains de quelques grands groupes qui peuvent très bien choisir de prioriser leur propre pays en cas de crise.
  2. La France ne produit que peu de médicaments innovants, et son industrie est majoritairement tournée vers des produits vieillissants, peu rentables, et sensibles aux baisses de prix.

 

Il y a seulement quinze ans, la France disposait pourtant du plus beau secteur pharmaceutique d’Europe avec des champions nationaux comme Sanofi. Le pays de Pasteur est désormais relégué à une misérable cinquième place européenne en termes d’ampleur de la production pharmaceutique.

Le nombre d’entreprises du secteur a d’ailleurs baissé de 26 %, passant de 349 à 265 sous l’effet des fusions, des rachats, mais aussi des fermetures. Or, les principaux facteurs de pénuries invoqués par les sociétés elles-mêmes, des capacités de production insuffisantes, des variations immaîtrisées du volume des ventes et des problèmes d’approvisionnement en matières premières, sont liées à l’éloignement des chaines de valeurs.

Comme d’autre fleurons de notre industrie, le secteur a naturellement été soumis à une fiscalité galopante, des coûts du travail importants et une pression normative constante. Mais en la matière, l’État est allé plus loin en administrant plus intensément ce domaine de l’économie via la maîtrise du prix du médicament.

 

Le prix négocié du médicament incite les entreprises à délaisser les produits classiques pour les molécules les plus innovantes et augmente les risques de rupture

Si 50 % des médicaments consommés en France et autorisés avant les années 1990 sont produits sur le sol national, ce chiffre tombe à 9 % pour ceux autorisés entre 2016 et 2021.

Or, 70 % des ruptures concernent les produits anciens, âgés de plus de dix ans, alors que les thérapies innovantes n’en font pratiquement jamais l’objet. À titre d’exemple, 30 % des génériques consommés dans notre pays y sont produits, contre seulement 3 % des anticorps monoclonaux. Nos entreprises produisent ce qui est ancien et peu rentable, et laissent à leurs confrères étrangers les produits innovants à forte marge.

Conséquence majeure : la rentabilité des entreprises françaises du secteur (8,5 %) est bien inférieure à celles de ses consœurs italiennes (16 %), espagnoles (17 %) ou britanniques (19 %).

Plutôt que de tenter de sortir efficacement le secteur de l’ornière, l’État, via le CEPS, a préféré, par facilité et sans tenir compte des intérêts économiques, faire pression sur le prix des médicaments matures. Chaque année, des campagnes de baisses de prix, dont les objectifs sont fixés en loi de financement de la sécurité sociale, sont chargés de s’y employer et y parviennent assez bien : 960 millions d’euros ont été économisés en 2019, 750 millions en 2020 et 640 millions en 2021.

Le CEPS négocie également des remises, c’est-à-dire des rabais sur certains produits qui ont atteint 4,5 milliards d’euros en 2022 contre seulement 460 millions dix ans plus tôt, et applique systématiquement une clause de sauvegarde qui lui permet de prélever une part du chiffre d’affaires des acteurs de la filière, lorsque celui-ci dépasse un montant déterminé en loi de financement de la sécurité sociale. Conçue pour être extraordinaire, la clause est désormais appliquée systématiquement. D’une manière générale, les tarifs trop bas du médicament découragent les entreprises nationales d’en produire, et les entreprises étrangères de venir en vendre en France.

En effet, sous la pression des molécules innovantes, les dépenses hors taxes sur le médicament en ville et à l’hôpital sont en constante augmentation : 32,1 milliards d’euros en 2022 contre 24,5 milliards en 2014, mettant en danger les comptes de l’Assurance maladie.

Ce modèle de surrégulation peut toutefois conduire à une perte de rentabilité pour les acteurs de la filière, voire à ce qu’un produit soit vendu à perte, les motivant assez peu pour continuer à intervenir sur le marché hexagonal. Selon l’Académie de médecine, 71 % seraient prêts ou ont déjà arrêté la commercialisation de certains produits, trop âgés et peu rentables. Sanofi, par exemple, confirme vouloir cesser la production de sept principes actifs en France sur les quarante-cinq qu’elle détient pour se concentrer notamment sur l’immuno-inflammation, l’hématologie, les vaccins et la cancérologie.

La combinaison de l’ensemble des contraintes publiques brisant la rationalité du marché a conduit la filière de production du médicament en France à se tourner majoritairement vers l’exportation et à délaisser l’innovation au détriment de sa propre compétitivité.

Contrainte de tous les côtés, l’industrie pharmaceutique française n’a eu d’autre choix que de délocaliser ou d’accepter de sombrer petit à petit, facilitant d’autant les pénuries que les médicaments ne sont plus produits sur le territoire national. Outre un choc de compétitivité salvateur que nous pouvons recommander pour l’ensemble de l’industrie, il est nécessaire de libéraliser progressivement le prix du médicament, ce qui permettrait au fabricant de retrouver un minimum de rentabilité et, pour l’assurance maladie, de s’adosser au secteur privé pour prendre en charge l’inflation de ses coûts.

Sur le web.

Qui paye l’inflation importée ?

Un article de , économiste – Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

 

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subi les effets ?

Sous l’effet, d’abord de la forte reprise post covid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des composants industriels et des matières premières, notamment énergétiques et agricoles, a fortement augmenté. Le prix des importations s’est ainsi accru de 20 % en l’espace d’un an, conduisant à un choc de grande ampleur sur l’économie française.

Une part de cette inflation importée s’est diffusée dans l’économie domestique, à travers la hausse du prix des intrants, des revenus du travail et du capital. Entre septembre 2021 et 2023, l’indice des prix à la consommation a augmenté de près de 11 %. Sur la même période, les seuls prix de l’énergie ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %. Ces deux composantes, qui représentent environ un quart de la consommation totale des ménages, ont contribué à près de 60 % à l’inflation au cours des deux dernières années.

En parallèle, le besoin de financement de l’économie nationale vis-à-vis de l’extérieur est passé de un point à deux points de PIB entre le second semestre 2021 et la mi-2023… mais celui-ci a atteint jusque 4,6 points de PIB au 3e trimestre 2022. Si le reflux des prix de l’énergie et des matières premières à partir de la fin 2022 a conduit à réduire le besoin de financement extérieur, celui-ci a donc connu une hausse de plus de trois points de PIB en un an, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973.

Deux après le début de l’épisode inflationniste, il est possible de tirer un premier bilan sur la diffusion d’un tel choc dans l’économie, et d’avoir une idée de qui paye cette inflation importée.

 

Une inflation différenciée selon les ménages

En raison du recours plus important des déplacements en voiture et d’une facture énergétique liée au logement plus élevée, la hausse des prix de l’énergie a frappé en premier lieu les habitants des communes rurales et périurbaines, et dans une moindre mesure ceux des grandes agglomérations. Alors que les ménages vivant en dehors des unités urbaines ont vu le coût de la vie augmenter de 9 % entre la mi-2021 et la fin 2022, ceux résidant en agglomération parisienne ont subi un choc inflationniste plus modéré, de l’ordre de 6 %.

Au cours des douze derniers mois, l’inflation a cependant changé de nature, la contribution de l’énergie à la hausse de l’indice des prix à la consommation s’est réduite au profit de l’alimentaire. Depuis un an, les ménages les plus impactés par l’inflation sont ainsi les plus modestes, car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible. L’inflation actuelle du premier quintile de niveau de vie (les 20 % des messages les plus modestes) est près de 1 % supérieure à celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).

L’analyse du choc inflationniste ne peut cependant pas s’arrêter là. Il est nécessaire également de comprendre la réaction des revenus à cette hausse brutale des prix. Salaires, prestations sociales et revenus du capital se sont-ils élevés d’autant ?

 

Un tassement des salaires vers le bas

Du côté des revenus du travail, le salaire mensuel de base a augmenté de près de 8 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Certes, une telle hausse n’a jamais été vue depuis plus de trente ans mais elle reste insuffisante pour compenser l’inflation. Autrement dit, le salaire réel a diminué de près de 3 % en deux ans.

Avec une hausse de 12 % depuis octobre 2021, le smic a connu, lui, une progression plus rapide que la moyenne en raison de son mécanisme d’indexation sur l’inflation. Si ce mécanisme permet de protéger les travailleurs les plus modestes de l’inflation, rien ne garantit que cette hausse dynamique du smic bénéficie également aux salaires juste au-dessus. De fait, la proportion de salariés touchant ce salaire minimum est passée de 12 % en 2021 à près de 15 % en 2022. Cela confirme l’idée d’un tassement de la grille des salaires vers le bas, de même que la forte hausse des exonérations de cotisations sociales patronales, bien supérieure à la croissance de la masse salariale.

Les prestations sociales, elles, augmentent pour faire face à la hausse des prix. Cela se fait néanmoins avec retard en raison d’une réévaluation annuelle, en janvier ou en avril, calculée sur l’inflation passée. Ainsi, depuis fin 2021, les pensions de retraite n’ont augmenté que de 6 % mais celles-ci seront revalorisées de 5,2 % en janvier 2024. Les autres prestations ont augmenté significativement seulement à partir d’août 2022 avec une augmentation globale de 7,3 % au cours des deux dernières années. Une nouvelle revalorisation de 4,8 % est attendue au 1er avril 2024.

Les revenus du patrimoine financier ont, de leur côté, fortement grimpé, de 35 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Cela s’est fait sous l’impulsion de la remontée des taux d’intérêt et de la forte hausse des dividendes versés. Si le pouvoir d’achat par unité de consommation a crû de 0,5 % entre la mi-2021 et la mi-2023, résistant au choc inflationniste, c’est d’ailleurs en partie dû au fort dynamisme des revenus du capital et à la baisse de fiscalité. L’analyse macroéconomique du pouvoir d’achat, bien qu’indispensable, n’est cependant pas suffisante pour comprendre celle par niveau de vie, avec des ménages dont les revenus ont évolué très différemment sur la période récente.

 

Les entreprises tirent leur épingle du jeu

Au cours des huit derniers trimestres, les entreprises ont vu leur revenu réel (déflaté des prix de valeur ajoutée) s’accroître de 4,3 %, et le taux de marge des sociétés non financières a augmenté de 1,2 point de valeur ajoutée pour atteindre 33 % de la valeur ajoutée, son plus haut niveau depuis 2008 si l’on exclut les années exceptionnelles (2019 l’année du double CICE ou la période covid marquée par des aides exceptionnelles).

Enfin les administrations publiques, en mettant en place des dispositifs pour limiter la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires…) ont vu leur déficit se dégrader malgré la fin des mesures d’urgence liées à la crise covid. Il est ainsi passé de 4,5 % du PIB fin 2021 à 5,9 % fin 2022, avant de se réduire à 4,6 % à la mi-2023 avec la fin du bouclier tarifaire du gaz et de la remise carburant.

Pour résumer, face à l’inflation importée, les entreprises ont jusqu’à présent bien tiré leur épingle du jeu, même si les situations sont très hétérogènes selon les secteurs et les entreprises. Les ménages ont vu leur pouvoir d’achat résister, mais cela masque des dynamiques très différentes entre les revenus du travail et du capital. Enfin, en absorbant une partie du choc inflationniste, les administrations publiques ont vu leur situation financière se dégrader.

Lire sur le site de The Conversation

Il faut interdire les déficits publics

Un article de l’IREF.

En 2022, pour alimenter un fonds pour le climat et la transformation énergétique  – KTF – de 212 milliards d’euros, le gouvernement allemand avait puisé à due concurrence dans les réserves non utilisées d’un autre compte, constitué en 2021 pour contribuer à l’amortissement de l’impact du coronavirus. Mais celui-ci avait bénéficié d’une suspension des règles du « frein à l’endettement », en raison de la pandémie. Ce qui ne pouvait plus être le cas du fonds KTF.

La CDU/CSU, les conservateurs dans l’opposition, ont dénoncé un « tour de passe-passe » pour contourner le frein à l’endettement du pays, inscrit dans la Constitution allemande, qui limite le déficit budgétaire fédéral à un maximum de 0,35 % du PIB.

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe leur a donné raison au motif qu’un recours exceptionnel à l’emprunt sans application de la règle du frein à l’endettement doit être « objectivement et précisément imputable » et que les fonds correspondants doivent être utilisés dans l’exercice pour lequel ils ont été prévus. À défaut, le détournement de la règle serait trop simple !

 

Le frein à l’endettement

Selon la Loi fondamentale (ou constitutionnelle) allemande de 1949, les recettes et les dépenses du budget de l’État doivent être équilibrées (article 110).

Elle dispose en outre que, sauf « perturbation de l’équilibre économique global », « le produit des emprunts ne doit pas dépasser le montant des crédits d’investissements inscrits au budget » (article 115). Cette règle d’or n’a pas toujours été respectée.

Mais après la réunification de l’Allemagne en 1989, et l’absorption dans les budgets publics de la RFA des dettes de la RDA, la dette publique allemande est passée de l’équivalent de 623 milliards d’euros en 1991 à 1040 milliards d’euros en 1995 (+ 67 %) et a poursuivi sa croissance. Pour stopper cette course en avant, sur proposition de la commission allemande du fédéralisme (Föderalismuskommission), la Loi fondamentale a été amendée le 1er août 2009. Selon les termes des articles modifiés (109 et 115) de la Constitution, au niveau fédéral comme au niveau des Länder, les dépenses publiques doivent être couvertes par des recettes publiques, un endettement public étant toléré dans les cas exceptionnels au niveau fédéral pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un déficit structurel supérieur à 0,35 % du PIB.

 

Le respect des règles budgétaires

Par sa décision du 14 novembre 2023, la Cour constitutionnelle allemande a rappelé qu’on ne badinait pas avec la Loi fondamentale. Ce frein à l’endettement est sans doute l’une des causes de la vigueur de l’économie du pays depuis quinze ans, même si elle est mise à mal en ce moment par les bêtises de Mme Merkel sur l’immigration et le nucléaire.

L’Europe a, elle aussi, édicté un frein à l’endettement. En effet, depuis 2013 au sein de l’Union, et sauf circonstances exceptionnelles selon le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance aussi appelé pacte budgétaire, « la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent » (article 3). Le problème est qu’elle ne sait pas faire respecter ce qu’elle a elle-même décidé. Sa règle d’or prévoit que le déficit public structurel, hors éléments conjoncturels, d’un pays ne doit pas dépasser 0,5 % de son PIB.

Le déficit structurel correspond au déficit public. Il concerne les dépenses courantes de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale. Hélas, les tribunaux européens se montrent impuissants à faire appliquer la règle.

 

Et la France en profite pour s’endetter à tout-va

L’Agence France Trésor (AFT), la Direction du Trésor en charge des levées de dette publique sur le marché, annonce 285 milliards d’euros d’émission à moyen et court terme en 2024, un record historique après les 270 milliards de 2023, et les 260 milliards de 2022.

Sauf que le taux d’emprunt pour les obligations à dix ans est estimé à 3,4 %, alors qu’on était encore en territoire négatif il y a à peine plus de deux ans. La charge de la dette française montera à 52 milliards d’euros en 2024, 56 milliards en 2025, 61 milliards en 2026, et plus de 70 milliards en 2027. Le gouvernement prévoit que la dette passe de 111,8 % du PIB en 2022 à 108,1 % du PIB en 2027, un niveau très élevé en Europe. Mais les prévisions de l’État sont, d’un avis commun, très optimistes.

Lors de l’examen de la Loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, la commission des Affaires sociales du Sénat n’a pas caché ses doutes sur la sincérité de ce budget qui prévoit une croissance continue du déficit à 11,2 milliards en 2024, après 8,8 milliards en 2023.

Les recettes de l’État continuent d’augmenter et les prélèvements obligatoires se stabilisent, tout au plus, à près de 45 % du PIB. Selon les chiffres d’Eurostat, on serait même plutôt à 47 %, un record au sein de l’OCDE. Mais le gouvernement ne cesse de multiplier les dépenses nouvelles sans jamais en réduire d’autres, sinon à la marge. L’augmentation de la dette et des intérêts pèse aussi. Ainsi, le déficit public se maintient à un niveau de 4,4 % du PIB, très supérieur (de 2,4 %) à celui d’avant covid, malgré la fin de celui-ci. Le déficit, hors dépenses exceptionnelles de crise, augmente : de 72 milliards d’euros en 2022 à 118 milliards d’euros en 2024 !

Puisque les hommes politiques ne savent plus être raisonnables, il faut les forcer à le devenir comme les Allemands y sont parvenus.

Il faut insérer dans la Constitution française une règle d’or pour interdire les déficits publics. Il faut, sauf cas très exceptionnels, interdire tous les déficits, car il n’y a pas d’un côté les bons (déficits d’investissement), de l’autre les mauvais (déficits de fonctionnement) : sur la masse du budget d’un pays comme la France, l’investissement annuel peut trouver sa place sans avoir recours à l’emprunt qui pèse toujours sur les générations futures. Une telle obligation réduirait le poids de l’État et libèrerait l’initiative privée. La croissance en serait favorisée. L’État lui-même pourrait ainsi obtenir à terme de meilleures recettes. Gagnant/gagnant.

Sur le web.

Les Occidentaux sont-ils vraiment dépendants de l’uranium russe ?

Par : Michel Gay

Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les sanctions économiques mises en place contre la Russie ont épargné l’uranium. Serait-ce à cause d’une trop grande dépendance ? Mais de quoi parle-t-on ? Que place-t-on sous le vocable « uranium » ? Qui est dépendant de qui et de quoi ?…

Les États-Unis voudraient bien se substituer à la Russie, ce qui changerait simplement la dépendance de l’Europe à un autre pays… comme pour le gaz !

 

De quoi s’agit-il ? Il y a uranium et… uranium

Il existe au moins cinq types d’uranium.

Commençons par le début : l’uranium naturel (Unat, issu du sous-sol) contient 99,3 % d’uranium 238 (U238) et 0,7 % d’uranium 235 (U235). Cet Unat est converti en combustible pour les réacteurs en l’enrichissant (UE) (en général jusqu’à environ 5 %), ce qui appauvri le reste de l’uranium appelé… uranium appauvri (Uapp). À noter que ce combustible est peu radioactif (il se manipule à la main) avant d’avoir été utilisé dans un réacteur.

Après avoir été utilisé quelques années dans les réacteurs, la France a fait le choix de retraiter son combustible « usé » radioactif. Elle sépare donc les déchets des matières valorisables, ce qui a permis de réduire considérablement le volume des déchets à traiter.

Les déchets (les produits de fission et les « actinides mineurs ») représentent 5 % du combustible initial. Ils sont conditionnés dans des matrices de verre pérennes appelées à être stockées pour toujours dans des couches géologiques (stockage géologique).

Les matières réutilisables ultérieurement (95 %), c’est-à-dire le plutonium (Pu) et l’uranium restant après traitement (URT) sont réutilisables en réacteur surgénérateur RNR de quatrième génération, ou dans certains réacteurs actuels.

Cette politique de recyclage pratiquée depuis longtemps pour les combustibles nucléaires usés permet, ou permettra, la valorisation énergétique de 95 % (!) des matières initialement présentes.

 

URT, URE, et Russie

Cette URT obtenu après le traitement des combustibles usés contient encore davantage d’U235 fissile (environ 1 %) que l’Unat initial (0,7 %). Il est donc tentant de l’enrichir une nouvelle fois pour obtenir de nouveau un combustible avec cet uranium réenrichi (URE).

Or, au début, la France ne mettait pas encore en œuvre la technique nécessaire pour convertir l’URT en URE car elle enrichissait l’uranium par diffusion gazeuse, ce qui rendait quasiment impossible cette opération.

Une partie de l’URT a donc été envoyée en Russie (qui utilisait la technique d’ultracentrifugation permettant cette conversion compétitive) pour y être à nouveau enrichi et permettre une nouvelle utilisation en réacteur.

Conformément aux pratiques internationales pour de ce type de contrats, la Russie renvoyait l’URE et conservait l’Uapp issu de l’URT, matière nucléaire valorisable (et non un déchet nucléaire), en particulier dans la filière des surgénérateurs à neutrons rapides de quatrième génération (RNR).

 

Les arrière-pensées des États-Unis

La dépendance des Européens au combustible nucléaire russe inquiétait les États-Unis en mars 2023.

Ils s’inquiètent hypocritement aujourd’hui de leur propre dépendance car ils « découvrent » qu’environ 20 % du combustible utilisé dans leur parc de réacteurs nucléaires sont fournis par des contrats d’enrichissement conclus avec des fournisseurs russes. Cette dépendance toute relative a limité la chaîne d’approvisionnement nucléaire américaine en déversant de l’uranium enrichi bon marché sur les marchés mondiaux…

La Russie, qui contrôle près de 50 % de la capacité mondiale d’enrichissement, gêne aujourd’hui les États-Unis. Ces derniers se verraient bien demain prendre sa place, notamment en Europe, après avoir longtemps délaissé le nucléaire au profit du charbon et du gaz.

Actuellement, L’Europe achète cher une profusion de gaz de schiste américain liquéfiée et acheminée par méthanier à travers l’Atlantique pour compenser l’arrêt des livraisons russes…

Les États-Unis livrent aussi du charbon à l’Allemagne qui se fait passer pour vertueuse avec l’affichage de son Energiewende de plus en plus catastrophique fondée sur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques aux productions fatales et intermittentes.

Le chef de la diplomatie américaine (le secrétaire d’État américain Antony Blinken), s’est réjoui en avril 2023 à Bruxelles des mesures prises par l’Union européenne pour réduire sa consommation de gaz russe. Il s’est aussi surtout félicité que les États-Unis soient devenus… le premier fournisseur des 27 pays européens en gaz naturel liquéfié (GNL) qui ont plus que doublé (+140 % en un an) et qui représentent 40 % du gaz importé par bateau en Europe.

Les États-Unis souhaitent, bien sûr, que les liens énergétiques de l’Union européenne avec la Russie se distendent encore davantage ! Ils pressent maintenant les Européens de réduire leurs achats d’équipements et de combustibles nucléaires russes et de diversifier leurs approvisionnements en uranium, de préférence en se fournissant… aux États-Unis.

 

La France serait « sous emprise » russe ?

Malgré le conflit en Ukraine, les relations commerciales continuent dans le domaine nucléaire entre l’Union européenne, notamment la France, et la Russie, car chacun y trouve son compte. Les achats de combustible et de technologie nucléaires russes par l’Union européenne ont même atteint en 2022 leur plus haut niveau depuis trois ans, tandis que, par exemple, la France vend des turbines Arabelle pour équiper les centrales électriques nucléaires russes en construction.

Toutefois, la France ne dépend pas stricto sensu de la Russie pour le bon fonctionnement de ses centrales nucléaires (elle n’a pas les mains liées).

Selon le cabinet de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher :

« La France ne se fournit pas en Russie pour son approvisionnement en uranium naturel ou la préparation du combustible, comme cela est sous-entendu à tort par Greenpeace. […] Nous ne sommes dépendants d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays. […] Les sanctions doivent avoir un impact sur l’économie du pays visé. Or, des sanctions sur la filière nucléaire généreraient un impact modeste sur la Russie. À l’inverse, la résiliation des derniers contrats subsistants qui portent sur le retraitement de combustibles générerait des indemnités plus avantageuses pour la Russie que leur poursuite a minima ».

Et comme toute société commerciale, la compagnie russe Rosatom ne fait pas de cadeau. Elle réclame trois milliards d’euros au groupe énergétique finlandais Fennovoima, qui a mis fin unilatéralement à leur projet commun de la centrale Hanhikivi-1, en mai 2022. Un tribunal international chargé des différends commerciaux a donné raison au groupe russe : il y a bien eu rupture de contrat.

De son côté, la société EDF a diversifié ses sources géographiques et ses fournisseurs en combustible nucléaire, et continue de le faire. Selon son PDG Luc Rémond, elle ne dépend pas de la Russie pour faire fonctionner ses réacteurs nucléaires, même si ce pays est un partenaire commercial important.

EDF indique qu’elle « applique strictement toutes les sanctions internationales tout en respectant les engagements contractuels pris ». EDF n’a « acheté aucun uranium naturel extrait de mines russes, ni de services de conversion de l’uranium naturel en Russie en 2022, ni augmenté sa part d’enrichissement de son uranium naturel non russe réalisé en Russie en 2022 par rapport à 2021 ».

Petits producteurs d’uranium naturel au niveau mondial, la Russie est en revanche active et compétitive pour enrichir l’Unat en U235 (UE ou URE à partir d’URT) et pour le transformer en combustible nucléaire dont elle détient environ 40 % du marché mondial.

Plus de trente pays achètent tout ou partie de leur combustible nucléaire à la Russie. La France a acheté environ un tiers de son uranium enrichi à la Russie en 2022 car c’était plus économique, mais elle peut en acheter ailleurs et / ou augmenter sa propre production.

Et même les États-Unis ont acheté 28 % de leur combustible nucléaire à la Russie en 2021.

Cette dépendance commerciale explique, en partie, pourquoi l’énergie atomique ne fait pas partie des sanctions internationales contre la Russie.

La Commission européenne, encouragée par l’Allemagne (qui ne manque pas d’air après avoir presque tout misé sur le gaz russe…), les pays Baltes, la Pologne, la Finlande, la République tchèque, voulaient inclure le nucléaire dans l’embargo, mais la présidente Ursula von der Leyen a abandonné l’idée. La Hongrie a indiqué qu’elle mettrait son veto : elle dépend du nucléaire russe pour 50 % de son électricité, et la centrale de Paks (où deux nouveaux réacteurs sont en construction) appartient aux Russes.

Or, l’unanimité des 27 États membres est requise sur cette décision.

Les Européens importent pour 200 millions d’euros d’uranium de Russie chaque année. Avec la pression sur les autres sources énergétiques, les importations ont même augmenté en 2022 : +72 % pour la Slovaquie, par exemple.

 

Se passer de l’uranium russe ?

La filière industrielle nucléaire mondiale et quelques pays commencent à réinvestir pour se passer de l’uranium enrichi russe. La faible demande d’uranium ces dernières années avait conduit à fermer des mines et à ne pas investir dans les centrifugeuses (ultracentrifugation) servant à convertir l’uranium en combustible.

Mais (rappel) la Russie détient aujourd’hui plus de 40 % du marché mondial de l’uranium enrichi. Se passer d’elle prendra du temps. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et quelques Européens commencent à vouloir développer des alternatives de long terme qui nécessitent des investissements importants.

Les exportations d’uranium enrichi rapportent environ un milliard d’euros par an à la Russie. C’est peu au regard du pétrole et du gaz qui représentent 200 milliards d’euros.

Cependant, le nucléaire a une dimension plus géostratégique que commerciale.

La Russie est actuellement le plus grand constructeur au monde avec 26 réacteurs en chantier dans dix pays sur les 58 en construction dans le monde qui compte 438 réacteurs en service à ce jour. Elle vend des centrales clés en main (Akkuyu en construction en Turquie ou Paks en Hongrie) et assujettit, par contrat, les pays acheteurs à ses services pour une longue durée (environ un siècle), de la construction au démantèlement, avec une exploitation des réacteurs de 60 à 80 ans.

Le Département américain de l’énergie (DOE) développe depuis quelques mois un programme d’enrichissement supplémentaire d’uranium.

En janvier 2023, la société ConverDyn a reçu quatorze millions de dollars pour convertir de l’uranium en combustible pour les 92 réacteurs nucléaires américains. Elle va réouvrir l’usine située à Metropolis, dans l’Illinois, fermée en 2017 à cause de la concurrence russe.

Depuis janvier 2023, le Royaume-Uni a débloqué 80 millions d’euros pour les industriels qui veulent rendre l’énergie britannique totalement indépendante de la Russie.

 

Souveraineté nucléaire pour la France et les États-Unis

En France, Orano espère aussi capter une part du marché si les dirigeants politiques décident de mettre la Russie au ban des nations. Le groupe vient d’annoncer une extension de son usine d’enrichissement d’uranium au Tricastin (Drôme), afin d’augmenter de 30 % ses capacités de production.

Framatome vient également de signer un accord avec la Bulgarie pour approvisionner une de ses centrales.

Les États-Unis et l’Union européenne sont tout à fait capables de couvrir les besoins actuels du parc nucléaire mondial. Mais ce sera long.

Pour Orano, par exemple, aucun uranium supplémentaire ne sortira du site du Tricastin avant 2030.

EDF a approuvé en 2018 la relance d’une filière robuste et compétitive pour convertir en URE 94 % de l’URT de son parc. Mais là aussi, plusieurs années seront nécessaires.

La dépendance forte à la Russie de quelques pays en Europe de l’Est, telle la Hongrie, est effectivement une réalité pour le fonctionnement de leurs centrales nucléaires (de construction russe) et pour leur approvisionnement en combustible nucléaire.

En revanche, cette dépendance est un mythe pour la France et les États-Unis (une fakenews d’antinucléaires pour décrédibiliser le nucléaire ?). Ces deux pays maîtrisent leur propre technologie, disposent de stocks importants d’uranium et de combustible (plusieurs années), ont diversifié leurs partenaires depuis longtemps, et peuvent s’approvisionner facilement ailleurs dans le monde.

Guillaume Kasbarian : « Le jour où nous aurons des députés fiers de faire des économies plutôt que des dépenses, peut-être que la situation changera »

Nommé ministre du logement jeudi 8 février, Guillaume Kasbarian avait accordé un entretien à Contrepoints en novembre dernier en tant que député Renaissance de la première circonscription d’Eure-et-Loir et président de la Commission des affaires économiques.

 

Contrepoints : Bonjour Monsieur le Député, merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent peut-être pas, pourriez-vous nous parler de votre parcours et nous raconter ce qui vous a amené à vous engager en politique et à devenir Député de la nation ?

Guillaume Kasbarian : Bien sûr ! Je suis Guillaume Kasbarian, député de la première circonscription d’Eure-et-Loir, qui comprend la ville de Chartres et 64 communes environnantes. Je suis également président de la Commission des affaires économiques à l’Assemblée, élu en 2017 au sein de la majorité présidentielle.

Je n’ai pas de parcours politique avant cette élection, venant de la société civile. Originaire de Marseille, j’ai effectué ma scolarité dans le sud de la France avec une expérience de trois ans en Afrique. Après ma prépa à Paris chez les Jésuites, j’ai intégré l’ESSEC, une école de commerce. Mes premières expériences professionnelles se sont déroulées dans des cabinets de conseil, où j’ai travaillé huit ans dans le secteur privé.

Mon parcours n’est pas classique en politique ; je n’ai pas suivi le cursus de Sciences Po ou de l’ENA, n’ai pas été élu local, et rien ne me prédestinait à devenir élu. En 2016, j’ai observé avec intérêt l’action d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie. Sa loi Macron m’a interpellé, car elle visait à secouer des rentes de situation et des secteurs nécessitant de la concurrence. J’ai perçu cette initiative comme économiquement libérale, réformant certains secteurs économiques qui avaient besoin d’être libérés.

Attiré par son parcours et ses idées, surtout dans un paysage politique dominé par le conservatisme, j’ai constaté un manque de représentation libérale pleine à gauche comme à droite. La nouvelle offre politique d’Emmanuel Macron m’a intéressé, et des anciens de l’ESSEC m’ont convaincu de m’engager en tant que militant.

J’ai ainsi mené la campagne en Eure-et-Loir, où j’étais établi depuis 2014, devenant référent En Marche. Après l’élection d’Emmanuel Macron, on m’a proposé de me présenter aux législatives, où j’ai été élu en 2017. Mon engagement repose sur la volonté de concrétiser le projet du président et de défendre une valeur cardinale, la liberté.

 

Contrepoints : Vous faites partie de ces rares élus qui affichent et assument des convictions et des engagements libéraux. D’où viennent ces convictions ?

Guillaume Kasbarian : Mes parents étaient fonctionnaires, plutôt à gauche. Ma grand-mère et mon oncle tenaient un kiosque à journaux, tandis que mes tantes tenaient un commerce de produits orientaux à Marseille. C’est peut-être à travers eux que j’ai tout d’abord pris goût à l’entreprise, à l’entrepreneuriat. L’effort et la valeur travail sont profondément ancrées dans ma famille.

Une expérience de trois ans en Afrique a également joué un rôle. J’ai pu observer l’importance de la démocratie libérale par rapport à des régimes qui ne le sont pas, ayant côtoyé sur les bancs de l’école un certain nombre de réfugiés de pays d’Afrique.

D’un point de vue économique, j’ai toujours été lecteur de penseurs libéraux. Bastiat, Tocqueville, Turgot ou encore Hayek, dont La Route de la servitude et La Constitution de la liberté m’ont marqué. Hayek décrit d’ailleurs bien ce qui différencie les libéraux des conservateurs.

Ces convictions libérales se sont renforcées au lycée, où je ne m’identifiais pas à la lutte contre le CPE et où je prenais plaisir à porter la contradiction aux camarades et aux professeurs d’économie marxistes.

Quoi qu’il en soit, mon attachement à la liberté, qu’elle soit philosophique, sociétale ou politique, remonte bien avant mon engagement politique. En tant qu’élu, j’assume ces convictions en toute transparence depuis 2017, et je m’efforce de les mettre en pratique dans mon travail de député, bien que cela ne soit pas toujours simple.

 

Contrepoints : Ce que vous dites est intéressant, car beaucoup de libéraux ont été au moins interpellés par le profil d’Emmanuel Macron en 2017. Aujourd’hui, la très grande majorité des libéraux sont critiques à l’égard de son action. Vous, en tant que libéral, est-ce que c’est parfois compliqué d’appartenir à une majorité moins libérale que vous ? Que répondriez-vous à des libéraux qui vous diraient que Macron et la majorité ne sont pas libéraux ?

Guillaume Kasbarian : D’abord, depuis 2017, on a tendance à l’oublier, mais des réformes libérales ont été votées.

Les mesures de simplification de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, visant à supprimer des comités Théodule et à accélérer des processus administratifs, sont des réformes libérales. La suppression des seuils dans la loi Pacte, permettant d’agrandir les sociétés, est une mesure libérale de déréglementation et de simplification. La baisse des impôts de production, du taux des impôts sur les sociétés, la suppression de l’ISF et son remplacement par l’IFI, sont des mesures de réduction de la fiscalité visant à stimuler l’activité économique. Je leur dirai également que la signature du CETA par la France, un traité de libre-échange, est une mesure libérale.

Le combat que j’ai mené sur les squats est éminemment libéral, car il vise à rétablir la propriété privée, une valeur cardinale du libéralisme, au cœur de la réflexion, en considérant qu’il faut sacraliser ce droit. Dans cette loi, je défendais l’idée qu’il faut simplifier l’expulsion des squatteurs, et qu’en cas d’impayés ou de contentieux locatifs, il faut agir plus rapidement pour que le propriétaire puisse retrouver la jouissance de sa propriété. Je dirais donc que j’ai agi, depuis six ans, en cohérence avec ma philosophie libérale.

Je dirais une deuxième chose. Dans l’offre politique actuelle, examinons l’antilibéralisme de ceux qui nous entourent. Il n’y a pas de New Labour à la Tony Blair en France : la gauche s’est alliée avec LFI dans une course à l’interventionnisme, au marxisme et au dirigisme économique. La gauche française est antilibérale. Il n’y a plus de Frédéric Bastiat, un éminent penseur libéral qui, je le rappelle, siégeait à gauche de l’hémicycle.

À droite, hormis quelques individualités, ceux qui tiennent les rênes du parti se revendiquent du gaullisme social et sont imprégnés d’une profonde volonté d’interventionnisme économique. Nombreux sont les orateurs de droite qui prônent les nationalisations, s’opposent aux traités de libre-échange, défendent systématiquement l’intervention de l’État dans l’économie, et soutiennent des mesures additionnelles de redistribution sociale, au point de déposer des amendements qui ajoutent des dizaines de milliards dans le PLF. Et au niveau sociétal, n’en parlons même pas, car les libéraux sociétaux à droite n’existent pas. Inutile de vous rappeler le combat de l’UMP contre le mariage pour tous ou celui de LR contre l’ouverture de la PMA aux couples de femmes.

À l’extrême droite, le RN est conservateur socialement et économiquement. Dans la commission que je préside, je vois les votes de mes collègues du RN, ils se rapprochent systématiquement de ceux de LFI et de la Nupes sur le plan économique. Protectionnisme autarcique, blocage des prix, taxation des superprofits… leurs votes convergent. Nous examinerons bientôt une proposition de loi de LFI sur le contrôle des marges des entreprises, je vous prends le pari que le RN ne s’y opposera pas !

Enfin, la troisième chose que je peux répondre aux libéraux dans le doute, c’est que les libéraux ne peuvent pas gagner seuls. C’est peut-être triste mais c’est ainsi ! Ils doivent s’allier avec d’autres courants de pensée, au sein d’un bloc central, et faire des compromis pour l’emporter. À moins d’être un puriste absolu, de rester dans son coin et de se satisfaire de faire moins de 5 % aux élections. Si l’on veut agir, être en mesure de faire plutôt que de commenter, il faut fédérer au sein d’un bloc qui n’est pas exclusivement libéral, et en son sein, porter des éléments qui viennent du libéralisme.

Ces compromis ne sont pas des renoncements ! Dans ce bloc central, personne n’est antilibéral, et c’est ce qui nous distingue du reste de l’échiquier politique… Dans ce bloc, personne ne veut sortir de l’économie de marché, personne ne considère qu’il faut arrêter les échanges commerciaux avec nos voisins, personne ne considère qu’il faut arrêter de recevoir des investissements étrangers, ou encore arrêter d’exporter à l’étranger. Sur les questions sociétales, personne chez nous ne veut revenir sur l’IVG ou encore le mariage pour tous. Sur la fin de vie, une grande majorité de notre groupe veut avancer sur la liberté de choisir sa fin de vie. Sur la PMA, la liberté des femmes à disposer de leur corps est un combat partagé.

Bref, sur les lignes de forces substantielles et existentielles du libéralisme, il y a consensus et l’on peut, au sein de ce bloc central, défendre les libertés politiques, économiques et sociales. Si les libéraux veulent être en responsabilité et faire prospérer leurs idées, c’est probablement au sein de ce bloc central qu’ils pourront le faire plutôt que dans un groupuscule qui ne pourra pas obtenir de succès électoral. Au sectarisme, j’oppose donc une forme de réalisme.

 

Contrepoints : La France traverse actuellement une crise du logement. C’est un sujet sur lequel vous avez beaucoup travaillé. Quelle est votre analyse de la crise actuelle, comment vous l’expliquez ? Et quelles sont les réponses apportées par la majorité ?

Guillaume Kasbarian : Sur le logement, la crise que l’on connaît est conjoncturelle autant que structurelle. Conjoncturelle, parce que les taux d’intérêt bloquent les transactions, empêchant de nombreuses personnes d’emprunter. Structurelle, car il y a un déficit d’offre de logements dans des zones sous tension, soit en raison d’une réindustrialisation intensive, soit en raison d’activités touristiques importantes. Cela crée une concentration de la demande dans des endroits où l’offre est insuffisante.

De plus, le marché dysfonctionne et ne s’ajuste pas automatiquement. Dans un marché classique, fluide et compétitif, les prix réagiraient à la baisse en cas de chute de la demande, stimulant ainsi à nouveau la demande. Mais nous pouvons tous constater que ce n’est pas le cas dans le logement : la chute des transactions ne conduit pas à un effondrement des prix de vente, les vendeurs attendant simplement une remontée des prix. Ainsi, les prix ne jouent pas leur rôle de régulateur de l’offre et la demande.

Concernant l’aspect structurel de l’offre, des contraintes spatiales compliquent la libération de l’offre. Il est impossible, par exemple, de doubler le nombre de logements à Paris intramuros, du moins sans construire en hauteur ou densifier, ce qui irait de pair avec une forte opposition des Parisiens. Ces contraintes spatiales font que l’offre ne peut pas s’ajuster instantanément pour répondre aux besoins dans les zones tendues.

L’objectif est de relancer la demande et de surmonter le blocage des transactions à court terme. Parmi les outils, les pouvoirs publics peuvent par exemple autoriser les Français à s’endetter davantage, étendre le PTZ, ou encore faciliter les donations et les successions pour les projets d’acquisition de résidence principale, offrant ainsi un coup de pouce pour débloquer la situation actuelle.

En ce qui concerne l’offre, nous devons lever les obstacles à la construction, faciliter la disponibilité des terrains constructibles pour que les communes puissent construire sur des friches, des terrains actuellement inutilisés ou non transmis.

Il faut également encourager les élus locaux bâtisseurs. La question de la décentralisation du logement, qui se posera dans les prochains mois, sera cruciale. Tout cela permettra d’augmenter la capacité à offrir des logements là où le besoin est le plus grand.

De plus, il est important d’harmoniser les règles entre les locations touristiques et les locations traditionnelles, surtout dans les zones où la concurrence des usages est intense. Il est difficilement compréhensible, par exemple, qu’un appartement loué sur Airbnb bénéficie d’un abattement fiscal plus important qu’une location traditionnelle, de surcroît sans aucune obligation de rénovation thermique.

Enfin, il faut rassurer les propriétaires pour les encourager à mettre leur logement en location. Lutter contre les impayés locatifs et accélérer les procédures en cas de litige contribuent à cette assurance.

 

Contrepoints : Nous sommes en plein vote du budget de l’État. C’est un sujet qui nous tient à cœur à Contrepoints et, d’une manière plus générale, en tant que libéraux. L’association Contribuables associés vient de sortir un documentaire sur la question de la dette. En France, aucun gouvernement n’a voté de budget à l’équilibre depuis 1974…

Guillaume Kasbarian : C’est ça… c’est tout à fait ça. C’est ce que je rappelle tout le temps quand certains me disent que l’État devrait « rendre l’argent » ou que l’État serait en train de thésauriser dans les sous-sols de Bercy, je rappelle systématiquement que depuis 1974 l’État dépense plus chaque année pour les Français que ce qu’il leur prélève.

 

Contrepoints : Tout à fait, mais alors, en tant que député et surtout en tant que membre de la majorité, comment expliquez-vous notre incapacité à résoudre le problème de la dette ? Au-delà de la nécessité de baisser des dépenses publiques, ne faudrait-il pas changer complètement de paradigme dans notre façon de penser les politiques publiques, de les évaluer, dans notre rapport à l’étatisme en France ? N’y a-t-il pas également une question culturelle, quand on voit à quel point les Français ont une sorte de réflexe de toujours attendre de l’État qu’il apporte des solutions à tous les problèmes ?

Guillaume Kasbarian : Je partage votre constat. En premier lieu, nous avons une dette dépassant les 3000 milliards d’euros, et un déficit dépassant les 4,5 %. Parallèlement, nos marges de manœuvre fiscales sont restreintes en raison d’un taux de prélèvements obligatoires déjà supérieur à 45 %.

Ainsi, il nous reste deux leviers pour résorber ce déficit. Le premier consiste à stimuler l’activité économique afin de générer de la croissance, augmentant ainsi les recettes fiscales pour combler le déficit. La deuxième option serait de réduire les dépenses.

Il y a deux façons de faire baisser les dépenses. Soit on demande à tout le monde de réduire un peu ses dépenses pour atteindre les économies nécessaires. Soit on fait de vrais choix politiques en disant « sur ces sujets, l’État ne s’en occupe plus, et c’est l’usager, le citoyen qui payera pour ces services ».

C’est une ligne qui est politiquement difficile à défendre. Je me souviens de grands débats où des citoyens regrettaient des prélèvements fiscaux excessifs, tout en demandant davantage d’investissements dans des secteurs tels que la santé, la justice, la sécurité, les aides sociales, les infrastructures locales, les collectivités, les organisations associatives, etc.

L’offre politique, non seulement tente de répondre à ces attentes, mais elle a tendance à surenchérir, avec des promesses de dépenses additionnelles. Si tous les amendements déposés par les députés lors de l’examen du budget étaient adoptés, les dépenses supplémentaires proposées par les parlementaires conduirait la France à la faillite. À l’inverse, faites la somme des économies proposées : on est quasiment à zéro !

 

Contrepoints : Ce qui pose la question de la responsabilité individuelle, à la fois du personnel politique comme des citoyens…

Guillaume Kasbarian : Oui ! Encore hier, lors du débat sur le projet de loi de fin de gestion, un nouvel amendement des socialistes a été adopté, visant à accorder un chèque supplémentaire aux familles monoparentales pour Noël. L’attention humaniste est louable, mais il est nécessaire d’expliquer que ce chèque sera financé soit par un déficit supplémentaire, soit par le contribuable ! Ce n’est pas le député socialiste qui sortira son carnet de chèques personnel, cet argent proviendra du contribuable et du budget de l’État, du pot commun auquel tout le monde contribue ! Mais ce pot commun n’est pas un puits sans fond.

Comme vous l’avez souligné, cette perspective est profondément ancrée culturellement dans la population. C’est pourquoi l’argument que je vous présente est politiquement impopulaire ! Il est difficile de dire « non, nous ne pouvons pas supporter toutes ces dépenses », lorsque l’ensemble de l’offre politique autour de vous promet des dépenses supplémentaires, des chèques supplémentaires, une distribution accrue en affirmant que « c’est l’État qui paie ».

En commission, nous étions il y a quelques jours sur l’avis budgétaire relatif au logement. Dans le contexte de majorité relative que nous connaissons, les oppositions ont fait adopter des amendements créant des dépenses supplémentaires. En un après-midi, nous avons donc engagé 7 milliards d’euros de dépenses supplémentaires sur le logement. Et cela, en trois heures seulement !

Lorsque nous faisions remarquer que cela n’était pas responsable, la réponse était enfantine : « Eh bien, il faut prendre cet argent aux riches » ou encore « Oui, mais il y a une crise du logement, donc c’est nécessaire ». Il y a toujours de bons prétextes pour dépenser plus, mais la raison nous impose de ne pas céder à cette facilité.

Personnellement, je suis fier de ne pas déposer d’amendements créant des dépenses supplémentaires. Je dois être l’un des députés les plus économes de ces six dernières années, et mes amendements ont plutôt cherché à réaliser des économies.

Le jour où nous aurons des députés fiers de faire des économies plutôt que des dépenses, peut-être que la situation changera. Souhaitons que les citoyens les encouragent dans cette direction à l’avenir !

 

Contrepoints : Enfin, une dernière question sur la triste résurgence de l’antisémitisme en France depuis les événements du 7 octobre. Une grande marche contre l’antisémitisme a eu lieu Esplanade des Invalides ce dimanche 12 novembre, et depuis cette annonce, plutôt que d’observer notre pays s’unir autour de cette cause qui ne devrait pas diviser, on n’a fait que parler de la participation ou non du RN et de la réaction de LFI de ne pas se joindre au cortège. Au-delà du grand sentiment de fatigue et de déception que cela peut procurer, est-ce que ça ne témoigne pas d’une France profondément fracturée ? Qu’est-ce que ça inspire au député de la Nation que vous êtes ?

Guillaume Kasbarian : Sur cette manifestation, qui était une initiative de la présidente de l’Assemblée et du président du Sénat, le mot d’ordre était limpide : non à l’antisémitisme, oui à la République. J’y étais, et c’était une manifestation ouverte à tous les citoyens, quelle que soit leur origine, leur couleur de peau, leur religion, leur orientation politique… Il n’y avait pas de cartons d’invitations ! Dimanche, j’étais aux côtés des Français, et je ne faisais pas le tri parmi mes voisins que je ne connaissais pas. Nous étions simplement unis pour défendre la République et lutter contre l’antisémitisme. Le reste, c’est de la petite politicaillerie qui ne m’intéresse pas et qui n’intéresse pas les gens. Soyons à la hauteur de l’unité qu’attendent une majorité de Français.

Un entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

Le contre-budget des Républicains : un pétard mouillé ?

Plutôt que de réagir mécaniquement à la mise en œuvre de l’article 49.3 par le gouvernement en déposant une motion de censure qui n’aurait aucune chance d’aboutir dans la configuration actuelle de l’Assemblée nationale, Les Républicains a présenté un contre-budget conforme à ce qu’il pense être bon pour redresser les finances publiques de notre pays où pas un budget n’a été voté en équilibre depuis 1975 (sur ce sujet, voir l’entretien réalisé par Contrepoints de la députée LR Valérie Louwagie).

Sur ce point, le diagnostic est connu de tous : un niveau de prélèvements obligatoires trop élevé, des dépenses publiques non maîtrisées et un endettement colossal qui a franchi la barre des 3000 milliards d’euros.

Des propositions timorées

Face à une situation si préoccupante qui met notre pays en danger (selon le président de la Cour des comptes « nous ne sommes plus devant les risques, ils sont là ») ce que propose LR paraît pour le moins timoré.

Son document de travail propose certes de bonnes mesures, comme la diminution des droits de succession et de donation pour encourager la solidarité intergénérationnelle, ou l’augmentation des plafonds du quotient familial pour venir en aide aux familles, ainsi que quelques pistes d’économies budgétaires.

Mais d’autres sont franchement contestables. Tel est le cas de la baisse de la fiscalité pesant sur les carburants fossiles. Elle représenterait une perte de recettes de l’ordre de 5 milliards d’euros alors que la décarbonation de notre économie est devenue un impératif aux yeux de la majorité de nos contemporains.

D’autres paraissent d’emblée insuffisantes, comme la petite accélération du processus de suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt qui mine leur compétitivité et devrait d’urgence être supprimé, ou encore la diminution paramétrique des cotisations sociales sur les bas salaires.

En définitive, il n’y a dans ce document que peu de mesures d’économies structurelles, alors que leur absence dans le projet de loi de finances présenté par le gouvernement est le principal reproche formulé par Les Républicains à son encontre.

On le comprend mieux si on considère que dès le début du texte, quasiment en exergue, figure une phrase donnant la tonalité de tout ce qui va suivre :

« Une cure d’austérité brutale et prolongée avec une possible réduction des pensions de retraite et des traitements des fonctionnaires, mettrait en danger notre pacte social. ».

Répondre aux nouveaux défis du monde

Là est le nœud de la question, car ce pacte dont les bases ont été posées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le Conseil National de la Résistance, est manifestement incapable de répondre aux nouveaux défis du monde dans lequel nous vivons.

De la volonté de le sauver découle un contre-budget qui ne propose qu’un aménagement à la marge de l’existant à travers une série de dispositions que seul pouvait inspirer un profond respect du totem technocratique.

On y trouve notamment une mesure one shot consistant à faire remonter vers le centre la trésorerie des opérateurs publics. En revanche, pas la moindre velléité d’envisager un quelconque dispositif de désindexation des retraites alors que les actifs au chômage seraient pénalisés, une mesure difficilement applicable sans déclencher de violentes réactions dans un pays où les chômeurs sont toujours vus comme des victimes. Quant à la réduction de l’aide médicale d’État (AME), elle rapporterait peu, alors qu’elle serait dangereuse pour la santé publique.

Autres faiblesses du projet : y figurent en bonne place des pistes éculées comme celle de la lutte contre la fraude sociale, un marronnier dont les fruits ont toujours été décevants, ou celle de la rationalisation de l’action publique, un autre serpent de mer difficile à chevaucher. Attention, la RGPP qui, comme chacun le sait, a donné de brillants résultats est de retour !

Sur le même mode, il s’agit également de stabiliser les effectifs de l’État et de ses opérateurs (alors qu’il faudrait les réduire drastiquement) et de supprimer une grosse niche fiscale dont bénéficient les transports maritimes (alors qu’on sait que dans chaque niche un gros chien est prêt à aboyer).

Le document prend même le caractère d’un grimoire alchimique lorsqu’il évoque (page 25) de mystérieux, « gisements d’économies supplémentaires très importants chez les opérateurs de l’État, en particulier en termes de dépenses de fonctionnement », des gisements vus comme prometteurs mais qui « devront être identifiés au cours des prochaines revues des dépenses »…

Retarder l’inéluctable écroulement

En définitive, en tentant de rapetasser tant bien que mal un système en bout de course, ce contre- budget ne fait que retarder son écroulement qui parait désormais inévitable.

En l’état actuel de l’opinion que caractérise une profonde ignorance de l’économie, et alors que nos responsables politiques continuent à osciller entre un libéralisme édulcoré et un étatisme omniprésent, le système semble en effet ne plus être réformable.

Seul un choc encore bien plus fort que celui subi par la Suède en 1993 pourrait rendre envisageable la thérapie de choc qui permettrait au pays de se redresser en mettant fin au système de l’emploi à vie des fonctionnaires, à l’étatisation de l’éducation, et aux multiples dispositifs consistant à ponctionner les entreprises d’une main pour soutenir de l’autre celles qui ont la faveur du Prince.

Valérie Louwagie (LR) : « Nous proposons de réduire les impôts de 10,8 milliards d’euros »

Véronique Louwagie est députée Les Républicains de la deuxième circonscription de l’Orne, Vice-présidente de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, et responsable des questions budgétaires dans le « shadow cabinet » de LR. 

Les Républicains a publié le mardi 17 octobre 2023 un contre-budget afin « de présenter une vision alternative de ce que devraient être les orientations budgétaires de notre pays ». Véronique Louwagie, qui a participé son élaboration, a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

Contrepoints : Bonjour Véronique Louwagie, votre parti Les Républicains vient de publier un contre-budget. Pouvez-vous éclairer nos lecteurs sur l’esprit général ainsi que les grands axes de ce contre-budget ?

Véronique Louwagie : Un budget, ce n’est pas seulement un exercice comptable. C’est la traduction de politiques publiques. Nous avons voulu présenter une vision alternative de ce que devraient être les orientations budgétaires de notre pays. Ce contre-budget présente un certain nombre de priorités macro-économiques de la France pour assurer la prospérité de tous, participer à une bonne gestion et à une maitrise des finances publiques qui sont des impératifs d’ordre économique et social.

 

Contrepoints : Le gouvernement a promis de réduire le déficit public. Pensez-vous qu’il sera capable de tenir cette promesse ?

Véronique Louwagie : Écoutez, selon nous, le gouvernement ne s’attaque pas sérieusement au défi de la maitrise de nos dépenses publiques, car nous sommes sur le podium en termes de prélèvements obligatoires, juste derrière le Danemark, et en matière de dépenses publiques c’est la même chose. Quant au niveau du déficit public, nous serons parmi les derniers pays à revenir en dessous de la barre des 3 % de déficit en 2027, alors que d’autres y parviennent déjà.

C’est la raison de notre contre-budget. Nous proposons de réduire le fardeau fiscal, donc de réduire les impôts, les prélèvements, les cotisations qui sont à la charge des ménages et des entreprises. Nous proposons également de réduire les dépenses publiques, et donc le déficit. Et c’est vrai, qu’aujourd’hui, au niveau du gouvernement, il n’y a aucun début de commencement de rigueur budgétaire. Ce qui est inquiétant, c’est cette incapacité chronique du gouvernement à fixer des priorités claires en matière d’économie pour les finances publiques. Pourquoi ? Parce qu’il est vrai que diminuer les dépenses publiques, c’est compliqué ! Preuve en est, en juin dernier, la Première ministre a adressé des lettres de cadrage à l’ensemble des ministres en demandant une réduction des crédits budgétaires hors masse salariales de 5 % pour préparer le PLF 2024, et tout ça a explosé en vol, car à l’arrivée il n’y a rien de tout cela.

Également, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait engagé le 5 janvier 2023 une revue des dépenses publiques pour s’attaquer au problème de leur efficacité, et finalement, tout cela tarde à devenir une réalité… Donc, oui, nous avons des doutes sur la capacité du gouvernement à tenir ses promesses !

Mais, à ce stade, je mets en garde le gouvernement, et je l’ai refait, d’ailleurs, hier après-midi en séance : si il ne s’attaque pas à cette question de la diminution des dépenses publiques, il ne pourra pas échapper à une augmentation des impôts, qui va encore pénaliser les Français. Donc, il est grand temps qu’il s’attaque à cette question de la dépense publique.

 

Contrepoints : Votre contre-budget propose donc une baisse de 11 milliards d’euros en 2024, soit 1% de baisse par rapport au montant de 2022. Si cette baisse est louable, n’est-ce pas une goutte d’eau dans un océan d’imposition ? Ne faudrait-il pas être plus ambitieux et proposer un changement total de paradigme pour sortir de l’État providence ?

Véronique Louwagie : Vous avez raison. Il y a une limite dans l’exercice d’un contre-budget. Outre l’exercice comptable, un budget traduit le résultat de politiques publiques avec des effets à court, moyen et long terme. Nous, nous ne sommes pas aux manettes, donc nous ne faisons qu’une photographie partielle de ce qui pourrait être.

Nous proposons de réduire les impôts de 10,8 milliards d’euros, de redistribuer 2,4 milliards d’euros, et pour cela, comme nous voulons réduire le déficit, nous envisageons une réduction des dépenses publiques de 25 milliards d’euros. Cette réduction est, vous le voyez, bien au-delà de la réduction des prélèvements obligatoires et participe ainsi à diminuer le déficit public.

Ce que nous voulons en priorité, je le redis, c’est diminuer les prélèvements obligatoires pour alléger les ménages et les entreprises, redistribuer pour que les familles et les classes moyennes en profitent, et enfin diminuer les dépenses publiques pour mieux travailler sur leur efficacité, le tout participant à diminuer le déficit.

Sur les montants, 10,8 milliards d’euros c’est déjà beaucoup ! Je rappelle qu’il y a quelques mois le gouvernement a évoqué la possibilité de diminuer les impôts de deux milliards, quand Gabriel Attal était ministre chargé des Comptes publics, et que depuis le gouvernement recule… 10,8 milliards, c’est quand même autre chose.

 

Contrepoints : Vous proposez de réduire les prélèvements obligatoires pour « redonner de l’oxygène aux Français et augmenter leur pouvoir d’achat » en ramenant progressivement « le taux de prélèvements obligatoires vers la moyenne de la zone euro ». Où vont se concentrer ces baisses d’impôts ?

Véronique Louwagie : Nous avons 17 mesures d’économies, qui sont assez différentes les unes des autres. La plus importante fait 6 milliards d’euros, et la plus petite en valeur pèse 200 millions d’euros.

La plus conséquente porte sur une réforme structurelle de l’indemnisation du chômage. Il faut rappeler que les dépenses sociales représentent quasiment la moitié de nos dépenses publiques. En matière d’indemnisation du chômage, nous pensons qu’il faut aller plus loin pour se rapprocher de ce qui se fait dans les pays autour de nous. En laissant au paritarisme sa prérogative de discussion, en agissant sur la réduction de la durée maximale d’indemnisation ou l’augmentation de la durée minimale d’emploi pour avoir le droit au chômage, ce sont effectivement des économies qui pourraient aller jusqu’à 6 milliards d’euros.

Nous souhaitons également nous attaquer à certaines niches fiscales comme le crédit d’impôt recherche, qui était de 800 millions il y a une dizaine d’années, et a atteint aujourd’hui plus de 7 milliards d’euros avec une efficacité pointée du doigt par un certain nombre de rapports, comme celui de la Cour des comptes.

Nous avons aussi la volonté de faire des économies en agissant sur la politique migratoire, avec une baisse de l’Aide Médicale d’État pour 700 millions d’euros, baisser le coût des soins aux personnes qui en situation irrégulière, ou celles qui ont le statut de droit d’asile ou bénéficiant d’un titre de séjour pour 150 millions d’euros. Une réduction de l’aide au développement pour les États non coopératifs, c’est un sujet qui est évidemment au cœur de l’actualité avec les évènements au Moyen-Orient, qui permettrait d’économiser 2,5 milliards d’euros.

Enfin, nous voulons « simplifier plus, dépenser moins », mieux rationaliser l’administration, notamment en baissant le coût des opérateurs de l’État pour 2,5 milliards d’euros. Le coût de ces opérateurs a évolué de 50 milliards d’euros en 2019 à 76 milliards d’euros en 2023. 26 milliards d’euros de plus en 4 ans avec 8000 agents de plus.

 

Contrepoints : Dans le passé, votre parti s’est souvent prononcé sur la baisse du nombre de fonctionnaires, qui est, on le sait, pléthorique en France (presque 20 % des emplois). Cette question n’apparaît quasiment pas dans votre contre-budget, pourquoi ?

Véronique Louwagie : Dans le contre-budget, nous avons une mesure simple qui est de stabiliser le nombre d’emplois de l’État. Dans le projet de loi de finances pour 2024 du gouvernement, il est prévu une augmentation des effectifs de 8273 agents, laquelle hausse s’ajoute à celle de l’année passée qui était de près de 11 000 agents.

Donc dans l’immédiat, notre mesure serait une stabilisation qui économiserait 500 millions d’euros  chaque année.

 

Contrepoints : Dans le même esprit, comment Les Républicains se positionne-t-il par rapport à la retraite par capitalisation ? Le système de retraite par répartition, qui engendre de grandes inégalités générationnelles, ne devrait-il pas être remis en cause ? Ne pensez-vous pas que ce serait un moyen à la fois juste et efficace de réduire les dépenses publiques et le déficit public ?

Véronique Louwagie : Vous avez raison, c’est un sujet qui a été abordé au moment de la réforme des retraites, même si le gouvernement n’a pas adopté ce prisme. J’ai moi-même cosigné, à l’époque, une proposition de loi de mon collègue Philippe Juvin en juin 2023 qui allait dans ce sens.

Effectivement, notre système de répartition et de solidarité entre les générations, qui a été bâti après-guerre, est basé sur un équilibre démographique. Or, les derniers chiffres de natalité publiés par l’INSEE il y a quelques jours montrent à nouveau que la situation n’est plus la même qu’à l’époque. Quand en 1960 il y avait 4 actifs pour un retraité, en 2022 c’est 1,4 cotisant pour un retraité dans le privé, et 0,9 cotisant pour un retraité dans le public. Cette situation nous mène inévitablement dans une impasse.

La réforme retenue par le gouvernement, et qui a été adoptée sans être votée, a pris comme seul vecteur l’allongement de la durée de vie. Or, nous sommes quelques-uns à penser au sein des Républicains qu’il faudrait faire compléter les retraites au niveau des cotisants par des mécanismes d’épargne. Une fois que l’on a dit ça, il y a deux dispositifs : soit nous allons vers des dispositifs individuels, soit nous allons vers des dispositifs collectifs.

La proposition de Philippe Juvin allait dans le sens d’une capitalisation collective, à laquelle j’étais tout à fait favorable.

 

Contrepoints : Enfin, au-delà de la question comptable, ne pensez-vous pas que la France pèche avant tout par sa mauvaise utilisation de l’argent public ? Un moyen de réduire les dépenses publiques ne serait-il pas de travailler à améliorer l’efficacité de l’action de l’État ? Cela pourrait passer, par exemple, par une véritable décentralisation responsabilisant les différents acteurs en charge de l’action publique ?

Véronique Louwagie : Il y a deux objectifs : mieux servir nos citoyens et avoir une utilisation optimale de l’argent public.

D’abord, aucune nouvelle dépense ne devrait pouvoir être engagée sans aborder la question de son financement. Quand j’entends le président de la République faire un certain nombre d’annonces ces derniers mois sur la revalorisation des enseignants, le lycée professionnel, le plan vélo etc. sans jamais poser la question du financement, je trouve cela relativement inquiétant.

Ensuite, il faut à chaque fois mesurer l’efficacité des dépenses publiques. Je regrette que le gouvernement ne se soit pas engagé dans cette revue intégrale, méthodique et précise de l’efficacité des dépenses publiques. À budget comparable, voire parfois même supérieur, la France est un mauvais élève. On fait moins bien à l’école, à l’hôpital…

Enfin, il faut engager une réforme de l’État avec une vraie décentralisation, et un grand plan de sobriété administrative, c’est indispensable ! Les données 2021 de l’OCDE indique que la France a un coût de production des services publics de 27,9 % du PIB, quand la moyenne des pays européens est à 25 %. Or, cet écart de 2,8 points, ce sont 70 milliards d’euros, soit la moitié de notre déficit !

Donc vous avez raison, il faut engager à la fois un grand plan de sobriété administrative, et également une vraie décentralisation pour simplifier.

Un entretien mené par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

La politique fiscale d’Emmanuel Macron : des baisses contrebalancées par des hausses

Par Victor Fouquet.
Un article de l’IREF.

Lors de son interview télévisée du 24 septembre, Emmanuel Macron a revendiqué une baisse des impôts (hors, donc, cotisations sociales), « de plus de 60 milliards d’euros pour nos compatriotes ».

Un mois plus tôt, dans un entretien au journal Le Point, le président de la République avait avancé le chiffre de 50 milliards (« Nous avons opéré une baisse de 50 milliards d’euros d’impôts, moitié pour les ménages et moitié pour les entreprises »).

Pourtant, depuis son arrivée au pouvoir, les prélèvements obligatoires ont fortement progressé : 1196,9 milliards en 2022, contre 1036,9 milliards en 2017, soit une augmentation de 160 milliards. De même, le taux de prélèvements obligatoires est passé de 45,1 % en 2017 à 45,4 % du PIB en 2022, soit une augmentation de 0,3 point de PIB.

Les prélèvements obligatoires ont-ils baissé, ainsi que l’affirme le chef de l’État, ou augmenté, ainsi que le suggèrent les ratios publiés par l’Insee ?

En la matière, toute la difficulté vient du fait que, même en l’absence de mesures nouvelles prévues sur les prélèvements obligatoires, ceux-ci évoluent en fonction de la croissance du PIB et de l’élasticité des recettes fiscales au PIB, elle-même fortement dépendante de la croissance de ce même PIB.

Autrement dit, même en l’absence de mesures nouvelles adoptées par le Parlement à l’initiative d’Emmanuel Macron, le taux de prélèvements obligatoires aurait spontanément fluctué, même légèrement.

 

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB. Leur élasticité au PIB est alors égale à 1.

En revanche, il arrive fréquemment à court terme que cette élasticité s’éloigne de l’unité.

Lorsque l’élasticité au PIB est supérieure à 1 (en général quand la croissance du PIB est forte), les prélèvements obligatoires augmentent ainsi plus rapidement que le PIB.

En 2018 et 2019, Emmanuel Macron a ainsi « profité » du dynamisme anormalement élevé des prélèvements obligatoires, avec une élasticité de 1,2 générant « spontanément » plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales.

L’évolution spontanée entre 2017 et 2018 des recettes fiscales nettes (c’est-à-dire hors mesures nouvelles décidées par Emmanuel Macron dans le cadre du PLF 2018, qui fut son premier) a ainsi été supérieure à 16 milliards d’euros.

 

Répondre par oui ou non à la question posée est donc difficile à plusieurs titres

Tout d’abord, la composition des assiettes taxables se modifie dans le temps, notamment à la suite de la variation de taux, de sorte que les comparaisons d’une période à l’autre de données globales ou même impôt par impôt sont peu pertinentes.

Par exemple, la variation des revenus et la croissance de la masse salariale a nécessairement eu un effet sur les recettes engendrées au titre de l’impôt sur le revenu.

En l’espèce, le gouvernement a bel et bien créé en 2018 le prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax), c’est-à-dire mis en place un prélèvement proportionnel plafonné à 30 % (dont 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu, contre possiblement 45 %), et abaissé en 2020 de 14 % à 11 % le taux marginal de la deuxième tranche d’imposition.

Les recettes de l’impôt sur le revenu ont malgré tout augmenté. Une partie de la baisse prévue au titre du PFU a été compensée par une augmentation des dividendes versés (ici, le taux a baissé, mais l’assiette imposable a gonflé…).

Outre l’augmentation de la masse salariale, ont aussi joué en faveur d’un accroissement des recettes d’impôt sur le revenu la mise en place du prélèvement à la source (meilleur recouvrement de l’impôt) et l’inflation.

Bref, le dynamisme des prélèvements obligatoires ne tient pas nécessairement à des décisions d’augmentations des impôts, mais peut s’expliquer par leur forte élasticité au PIB, une forte réactivité des agents économiques à l’impôt, et une forte inflation.

 

Le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Ensuite, la baisse de certains impôts peut avoir pour effet d’élargir l’assiette d’autres impôts, ainsi augmentés à la suite d’une baisse décidée sur un autre impôt.

Par exemple, en 2019, les allègements de cotisations sociales ont renforcé les bénéfices des entreprises, donc élargi l’assiette de l’impôt sur les sociétés dont le rendement a augmenté de 5,6 milliards d’euros. De même, le chiffrage à 20 milliards sur deux ans de la baisse des impôts de production annoncé par le gouvernement n’a pas tenu compte de l’effet retour de la mesure sur les recettes de l’impôt sur les sociétés, ce qui en a réduit l’impact à hauteur de 2,8 milliards. Idem avec l’effet retour du bouclier tarifaire, là encore sur les recettes de l’impôt sur les sociétés (+ 0,7 milliard en 2022).

Enfin, plusieurs questions demeurent sans réponses à la seule lecture de la déclaration du chef de l’État.

Dans le montant de 60 milliards annoncé, Emmanuel Macron tient-il compte des mesures antérieures non reconduites par son exécutif ?

En 2018, la non-reconduction des contributions exceptionnelle et additionnelle sur l’impôt sur les sociétés de 2017, et la montée en charge du CICE ont par exemple fait baisser les prélèvements obligatoires de 8,5 milliards d’euros.

De même, tient-il compte des 6,1 milliards liés en 2024 à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation, sur laquelle le gouvernement communique ces derniers jours au nom de la « protection du pouvoir d’achat », laissant à penser que cette indexation est « exceptionnelle », alors que le barème progressif de l’impôt sur le revenu est, sauf exceptions (le barème n’a été gelé qu’en 2011 et 2012), indexé chaque année.

Inversement, et par cohérence, du côté des hausses de prélèvements obligatoires, tient-il compte de la non-indexation des barèmes progressifs de l’IFI et des droits de succession et de donation, qui accroît subrepticement les recettes fiscales de ces deux impôts ?

Faut-il tenir compte de la diminution des recettes des taxes sur l’énergie, la TICFE/CSPE (-7,3 milliards en 2022 au titre de la CSPE), liée au bouclier tarifaire, et, dans le sens de l’augmentation des prélèvements obligatoires, de la contribution sur la rente inframarginale (+1,2 milliard en 2022 et + 3,7 milliards en 2023), de la contribution exceptionnelle de solidarité des raffineurs (+ 0,2 milliard en 2023, en passe d’être reconduite en 2024), de la taxe sur les services numériques (+ 0,3 milliard en 2019), ou encore de la taxe sur les concessions autoroutières et aéroportuaires (+0,6 milliard attendus en 2024) ?

Si l’on tient compte à la fois de l’évolution des prélèvements obligatoires liée à des mesures nouvelles en lois de finances, et de leur effet sur le solde public, on retrouve bien une baisse de l’ordre de 60 milliards d’euros, à parité entre ménages et entreprises (bien que cette distinction soit peu pertinente compte tenu des phénomènes d’incidence et de répercussion fiscales) :

  • suppression progressive de la taxe d’habitation (18 milliards environ) ;
  • baisse des impôts de production (-10 milliards en 2021, -4 milliards en 2023, -4 milliards entre 2024 et 2027) ;
  • baisse progressive du taux d’impôt sur les sociétés (-1,2 milliard en 2018, -0,8 milliard en 2019, -2,5 milliards en 2020, -3,7 milliards en 2021, et -2,1 milliards en 2022, soit un total de -9,3 milliards, auquel il conviendrait d’ajouter l’effet de la réforme du 5e acompte) ;
  • réforme du barème de l’impôt sur le revenu (-5 milliards  en 2020, auquel il faudrait ajouter l’effet de la défiscalisation des heures supplémentaires) ;
  • création de l’IFI (-3,2 milliards en 2018) ;
  • suppression de la CAP (« redevance télé » -3,2 milliards en 2022) ;
  • instauration du PFU (-1,4 milliard en 2018).

 

Mais, outre les augmentations spontanées, on ne tient là pas compte d’autres hausses de prélèvements obligatoires, liées directement à des mesures prises par l’exécutif.

À titre d’exemple, la fiscalité énergétique et celle du tabac avaient augmenté de 6 milliards d’euros sur la seule année 2018. On pourrait aussi citer la revalorisation par la loi (c’est-à-dire par l’État), chaque année, de l’assiette des taxes foncières.

Bref, le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Voir sur le web. 

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Par Romain Delisle
Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

 

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

 

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

Sur le web

Et si la France suivait le cas suédois en matière fiscale ?

Par Philbert Carbon.
Un article de l’IREF.

La Suède a longtemps été un modèle pour tous ceux qui se réclamaient de la social-démocratie. Aujourd’hui, elle est presque devenue un repoussoir parce qu’elle serait trop « libérale ». Il est vrai que la Suède a fait de profondes réformes qui ont écorné l’État-providence.

La fiscalité des entreprises et celle du capital y ont été profondément remaniées.

L’IREF a déjà eu l’occasion de montrer combien les réformes conduites en Suède – par exemple celle des retraites – avaient eu des effets bénéfiques sur l’économie. Une de nos études montre très bien que la Suède – et les autres pays nordiques – surclasse la France sur le plan de la liberté économique, de la flexibilité du marché du travail, du développement humain, ou encore du PIB par habitant.

Certes, les impôts en Suède restent élevés. Moins qu’en France cependant. Les recettes fiscales représentent 42,6 % du PIB en Suède, contre 45,15 % en France (chiffres 2021), la moyenne de l’OCDE étant à 34,11 %.

 

Des recettes fiscales en augmentation…

La grande réforme suédoise de 1991 visait à alléger la fiscalité sur les entreprises et sur le capital.

À cette date, le taux d’impôt sur les sociétés était de 60 % (du moins le taux nominal, dans la pratique peu d’entreprises se le voyaient appliquer). Il a été progressivement abaissé jusqu’en 2021 pour atteindre 20,6 %. Il est désormais dans la moyenne de l’Union européenne, deux points en dessous de la moyenne de l’OCDE, et plus de quatre points en dessous du taux français (25 %).

Aujourd’hui, avec un taux moins élevé, la Suède a davantage de recettes fiscales que la France en pourcentage du PIB. En effet, les recettes de l’impôt suédois sur les sociétés représentent 3 % du PIB contre 2,5 % en France. En 1990, avant la réforme, les recettes de l’impôt sur les sociétés équivalaient à 1,5 % du PIB en Suède et à 2,2 % en France. Le royaume scandinave a donc doublé le rendement de son impôt sur les sociétés en 30 ans, en baissant les taux, tandis celui de la France a stagné. Encore une illustration de l’effet Laffer !

Parallèlement, le pays a mis en place une flat tax de 30 % sur les revenus du capital (revenus des valeurs mobilières, dividendes, plus-values et certains revenus fonciers). Des taux inférieurs sont même pratiqués pour les dividendes des sociétés non cotées (25 %) et les revenus fonciers privés (22%).

Ajoutons que la Suède a supprimé l’impôt sur les successions et les donations en 2005, et l’impôt sur la fortune en 2007. Elle aussi fait disparaître la taxe foncière pour les particuliers en 2008 pour la remplacer par une redevance municipale plafonnée à 840 euros par an pour les maisons (ou 0,75 % de la valeur imposable) et à 145 euros pour les appartements (ou 0,3 % de la valeur imposable).

 

… et des investissements en hausse…

Une note publiée en septembre 2023 par la direction générale du Trésor montre que la réforme de 1991 en Suède a eu des effets bénéfiques sur les investissements des entreprises.

Le pays affiche, sur longue durée, « un des taux d’investissements des entreprises les plus élevés de l’Union européenne. En 2021, ce taux était de 17 % du PIB. Seule l’Irlande faisait mieux avec 19 %. La France était à 14 %.

La réforme, combinée à la libéralisation et l’ouverture des industries de réseau, a également permis un boom des investissements directs étrangers (IDE), notamment entre 1998 et 2002, comme on le voit sur le graphique ci-dessous.

Flux nets entrants d’IDE

(en % du PIB)

On remarquera que la courbe de la Suède est beaucoup plus erratique que celle de la France.

Quoi qu’il en soit, entre 1990 et 2022, la moyenne suédoise est de 4,3 % quand la française n’est que de 2 %. En 2022, les IDE (flux nets entrants) représentaient 8,5 % du PIB en Suède contre 3,8 % en France.

 

… mais des impôts sur les personnes encore trop élevés

Aujourd’hui, la fiscalité suédoise repose essentiellement sur les individus (même si l’imposition du capital a été fortement réduite comme nous l’avons dit).

En effet, l’essentiel des recettes des administrations publiques provient de la fiscalité indirecte (notamment de la TVA qui est à 25 %), et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Si le taux marginal de celui-ci a été baissé – il était de 70 % en 1990, avant la réforme –, il demeure à un niveau élevé puisqu’il dépasse les 55 %. Cependant, l’introduction du crédit d’impôt pour l’emploi en 2007 a permis de faire reculer la pression fiscale pesant sur les personnes, à l’exception de celles qui ont les plus hauts revenus.

Si les cotisations sociales sont modérées, notamment parce que le régime de retraite repose fortement sur la capitalisation, le travail demeure tout de même relativement taxé compte tenu de l’existence d’une taxe généralisée sur les salaires. Créée pour financer le coût de l’adhésion de la Suède à l’Union européenne, cette taxe, qui n’offre aucune contrepartie (pas de prestations), n’a fait qu’augmenter au fil du temps, passant de 1,5 % à l’origine à 11,62 % en 2023 ! Ses recettes sont importantes : 5,2 % du PIB suédois en 2021. Cette forte taxation du travail explique en grande partie la persistance d’un chômage élevé en Suède (7,5 % en 2022).

 

Des leçons pour la France ?

L’exemple suédois devrait inspirer les dirigeants français, ou ceux qui aspirent à l’être.

Nous l’avons vu, la baisse des impôts sur les entreprises et sur le capital a été grandement bénéfique à l’économie suédoise. Il semble donc que la France n’ait pas d’autres choix que de continuer à baisser les impôts de production et les impôts sur le capital (flat tax sur les revenus immobiliers) si elle veut rejoindre le club des pays les plus économiquement performants et attirer les investisseurs.

Rappelons qu’en France la taxation du capital est bien plus élevée que chez nos voisins. Ainsi que le rapporte une note de Fipeco :

« La Commission européenne publie néanmoins une estimation du taux implicite de taxation du capital dans les pays de l’Union en s’appuyant sur la comptabilité nationale. Le taux implicite de taxation du capital est le plus élevé en France en 2020 (60 %), très loin devant ceux de l’Allemagne (31%), de l’Italie (32 %) et de la Belgique (38 %). »

En revanche, la forte taxation du travail est génératrice d’un chômage structurel en Suède.

Par conséquent, pour la dépasser, il faudrait que nous baissions les cotisations sociales et que nous adoptions une flat tax sur les revenus du travail. Le royaume scandinave a bien compris que diminuer les taux d’imposition et élargir l’assiette procuraient davantage de recettes fiscales. Mais il n’a pas voulu appliquer cette règle à l’impôt sur le revenu qui reste fortement progressif. En prenant le contrepied de cette politique, nous pourrions surperformer la Suède.

Voilà un challenge stimulant pour nos politiques ! Encore faut-il qu’ils n’oublient pas l’essentiel : réduire vraiment les dépenses publiques.


Sur le web.

Comment nous laissons le RN préparer la fin de nos libertés

Le Rassemblement national s’apprête à proposer une Déclaration des droits des nations et des peuples. Cette nouvelle, annoncée ce 16 septembre par l’éternelle candidate du parti d’extrême droite français, n’a pourtant suscité aucune réaction de la part des partis dits républicains : de la droite à la gauche en passant par la majorité, c’est le silence radio.

La critique de ce projet politique antilibéral, d’une simplicité populiste confondante (revenir sur la notion de droits naturels, restreindre les libertés individuelles et économiques pour in fine instaurer un État autoritaire, protectionniste et xénophobe à la main d’une nouvelle élite populiste) semble pourtant à la portée de n’importe quel politique nanti d’un exemplaire de L’État de droit pour les nuls ou Des aventures de Tchoupi au pays de la démocratie.

 

Concurrencer la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen

L’intention est en effet limpide : il s’agit de concurrencer (avant de la remplacer) la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) et d’en finir avec le cadre constitutionnel et le projet politique qui sont les nôtres depuis la Révolution de 1789 ; un cadre fondé sur l’État de droit (et non le droit de l’État) qui garantit, dans et par la loi, des libertés et des droits égaux à chaque citoyen face à toute forme d’absolutisme, d’autoritarisme, et bien sûr d’injustice.

En effet, cette nouvelle déclaration qui prétend faire primer les intérêts des peuples et des nations (définis on l’imagine par l’État français et son gouvernement RN) sur ceux des « organismes supranationaux » ne vient pas uniquement menacer les libertés économiques (de commerce, de circulation, d’entreprendre) : en réaffirmant le pouvoir des États, le Rassemblement national poursuit en réalité son œuvre illibérale habituelle de relégation des droits et libertés individuelles.

Cette attaque frontale du Rassemblement national à l’endroit des libertés, et plus largement de l’État de droit n’est pas nouvelle.

Rappelons rapidement deux aspects traditionnels du projet de ce grand remplacement idéologique :

Inscription dans la Constitution du principe de priorité nationale 

Avec cette mesure, la loi et la justice ne seraient plus les mêmes pour tous en France, et les droits et libertés seraient modulables selon que vous êtes Français ou étranger (étranger n’étant pas défini…). En d’autres termes, de la discrimination et de la ségrégation (à l’emploi, en matière de peine de prison, de droits sociaux notamment). Il s’agit ici de violer le premier principe de l’État de droit, celui d’égalité des citoyens devant la loi, résumé par l’article 1 de notre DDHC : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Fin de la supériorité automatique du droit international et européen sur la loi française 

Il s’agit de faire sortir la France (Frexit) des traités européens et internationaux, notamment ceux qui exigent de nous le respect des droits de l’Homme et des libertés économiques. Le non-respect de ces traités, outre qu’ils décrédibiliseront la France sur le plan international, entraînera la condamnation et l’exclusion du pays de ceux-ci, avec les pertes de ressources économiques et d’assistance mutuelle en cas d’agression militaire qu’ils impliquent, nous obligeant à envisager d’autres alliances avec des pays de traditions, disons… moins libérales.

 

Rupture avec l’État de droit

Ces deux exemples montrent à eux seuls la rupture que prévoit le Rassemblement national avec les principes de l’État de droit, que ce soit sur le plan intérieur comme sur le plan international. Un destin à la hongroise en somme, ce pays qui tend à criminaliser l’homosexualité et l’avortement, a réduit la liberté de la presse et encadré le pouvoir judiciaire.

Ce qu’annonce Marine Le Pen avec sa Déclaration des droits des nations et des peuples n’apporte donc rien de nouveau sur le fond, à savoir un projet étatiste, nationaliste et liberticide.

L’innovation aujourd’hui porte plutôt sur la forme avec la proposition d’un texte concurrent de la Déclaration des Droits de l’Homme et qui fleure bon le futur texte sacré de l’idéologie réactionnaire (au sens d’un retour sur les acquis de la Révolution française) et autoritaire qui est celle du Rassemblement national depuis sa création. Une idéologie qui vise à effacer l’idée révolutionnaire et libérale des droits naturels et de la liberté individuelle comme fondements de nos démocraties libérales.

Le génie (si l’on peut l’appeler ainsi) du Rassemblement national est de nous vendre sa contre-déclaration (et sa contre-révolution) en mobilisant la rhétorique des tyrans si bien décrite par Orwell dans son roman 1984. Une méthode visant à semer la confusion dans le camp de la liberté en en retournant les valeurs telles des peaux de lapins : « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ».

Ce samedi, Marine Le Pen nous a livré du 1984 dans le texte lorsqu’elle appelle à la mise en place d’une « Déclaration des droits des nations et des peuples » (pour la) création de nouvelles protections pour les libertés humaines et la pluralité des cultures nationales », alors qu’il s’agit précisément de restreindre les droits et libertés, tout en imposant le projet d’une société du protectionnisme et du repli, aux relents xénophobes éloigné de tout souci de « pluralité ».

L’autre aspect du « génie populiste » est de s’appuyer sur nos faiblesses, en l’occurrence celle de la loi.

Ici, il nous faut faire un bref détour par l’histoire du libéralisme politique et en son cœur, le dialogue entre le domaine des droits et le domaine de la loi.

Historiquement, le premier libéralisme a misé sur la loi : dans cette perspective, comme le note Montesquieu, un droit individuel ne peut naître qu’à l’abri des bonnes lois car « Là où il n’est pas de loi, il n’est pas de liberté », pour reprendre les mots de Locke ; à la condition, pourrait-on ajouter de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, garantie des excès et abus de pouvoir de la part de l’État et des hommes qui gouvernent.

De fait, dans notre imaginaire collectif, la loi est la gardienne de nos libertés. Dès lors, pensons-nous, habitués que nous sommes à la démocratie libérale, ce qui passe par la loi ne peut être dangereux pour nos libertés ou nos droits. Cette association n’est pourtant ni une évidence ni une garantie. Récemment, les multiples lois d’urgence et de sécurité ont malmené comme jamais nos libertés (comme en témoigne la jurisprudence du Conseil d’État) et la loi elle-même ne semble pas toujours à même de garantir les droits comme le montre la nouvelle manie de la droite et de l’extrême droite qui proposent des modifications de la Constitution et du domaine de la loi comme on se verse une tasse de café le matin.

 

L’appétit des populistes dans les pas du Rassemblement national

Aujourd’hui, la faiblesse de la loi républicaine aiguise l’appétit des populistes.

Utilisant l’association traditionnellement positive et protectrice entre la loi et les droits et libertés, les populistes savent tordre la première et s’en saisir pour légitimer leurs attaques systématiques à l’endroit des libertés et au bénéfice d’un État autoritaire, qui seul distribuera des libertés (re)devenues des privilèges. À l’Etat de droit et aux droits des citoyens, succèdent ainsi les seuls droits et prérogatives de l’État, légitimés par des motifs nationalistes (au nom de la nation) ou populiste (au nom du peuple).

Face à ce constat alarmant, il est encore temps pour ceux qui se disent libéraux ou partisans de la liberté, d’entendre les cris sourds du pays qu’on enchaîne pour paraphraser le célèbre Chant des partisans. Il est encore temps de se demander pourquoi nos partis politiques supposément républicains nous livrent ainsi pieds et poings liés à cet ennemi de l’intérieur.

Car c’est bien l’image que donnent aujourd’hui les partis politiques aux citoyens, eux qui ont pris leurs responsabilités en votant pour Emmanuel Macron en 2022, et attendaient sans doute que leurs partis d’origine les imitent en faisant montre d’un peu plus de courage politique et d’un peu moins de paresse idéologique dans la lutte contre l’extrême droite.

En lieu et place, nous assistons à un travail d’équipe et un concours de la balle dans le pied et du déroulement de tapis rouge.

À droite, les Républicains ont opté pour la stratégie du reniement de notre héritage révolutionnaire. Pas un élu LR, même du côté des quelques libéraux qui y survivent encore, qui nous épargne son couplet sur la CEDH qu’il faut contourner tandis que la ligne Wauquier-Ciotti, au nom de l’ordre et de l’État, réaffirme régulièrement son reniement de l’esprit de 1789 et son alignement sur les positions du Rassemblement national en matière d’immigration.

À gauche, LFI, EELV et une fraction du Parti socialiste ont fait le choix du dévoiement. Pervertissant le combat historique pour les droits, le wokisme dans ses excès assigne les individus à leurs différences, hiérarchise les luttes et les droits, et restreint toujours plus les libertés individuelles, tandis que certains leaders de la gauche affichent une bienveillance douteuse à l’endroit de régimes illibéraux. Au nom de l’anticapitalisme et de l’antilibéralisme, ceux-là ne font guère mieux que leurs opposants de droite : préférant comme eux les identités aux individus et exigeant du droit qu’il se conforme à leur morale supposée supérieure.

Au centre enfin, c’est l’effacement qui prévaut, celui de la culture de l’État de droit. Paternalisme d’État et excès de pouvoir sont désormais la règle, la culture du passage en force au Parlement et la normalisation des restrictions de libertés (vie privée, manifestation, association) aussi. Et toujours cette idée folle et mortifère selon laquelle nous ferions reculer le Rassemblement national en reprenant ses idées. Comme si l’enjeu n’était que de faire perdre une candidate, alors qu’il s’agit de faire échouer son projet, pas d’y collaborer.

On reproche souvent aux Français leur apathie démocratique, mais n’est-elle pas le miroir de celle de nos leaders politiques ?

Ceux-là mêmes qui ne prennent plus la peine de convaincre les Français que la liberté et les droits sont plus que jamais le moteur de l’émancipation individuelle, de la prospérité économique et du progrès social. Incapables de la moindre pédagogie de l’État de droit, dépourvus d’imagination lorsqu’il s’agit de livrer un récit républicain, voilà que surgit devant leurs yeux le défi ultime : le mot qu’il conviendrait de mobiliser pour décrire l’alternative au projet populiste du Rassemblement national est lui-même désormais banni de leur vocabulaire.

Ce mot, maudit, perdu, dont plus personne ne semble plus vouloir en partage, c’est celui de liberté. Alors, tandis que passe le vol noir des corbeaux, nous restons muets, incapables de répondre, de raconter une histoire, de redonner de l’espoir.

Les résistants nous manquent plus que jamais, les poètes aussi pour imaginer qu’enfin, « par le pouvoir d’un mot, nous pourrons recommencer notre vie, parce que nous sommes nés pour la connaître, pour la nommer, Liberté ».

Les annonces fantoches de Bruno Le Maire sur le désendettement et la baisse d’impôts

Dans une récente interview avec Le Figaro, l’inénarrable ministre des Finances, Bruno Le Maire, prétend que la future « loi de programmation des finances publiques » (LPFP) va « présenter la trajectoire accélérée de désendettement du pays ».

De surcroît, cette annonce fantoche s’accompagne d’une « nouvelle ancienne » annonce de baisse d’impôts sur les ménages de deux milliards d’euros.

Les deux points sont d’immenses plaisanteries.

 

Les déficits

Bruno Le Maire, l’homme qui « n’a jamais été doué en maths », n’a absolument aucune idée des catastrophes qu’il a créées depuis qu’il usurpe le poste auquel il a été propulsé par un miracle que j’avoue ne pas comprendre.

Tout d’abord, sous son règne, la dette publique a absolument explosé.

Comme nous l’avions correctement prédit dès le 4 avril dans ces pages, la dette de la France dépassait déjà 3000 milliards d’euros au premier trimestre 2023.

En France, le niveau de la dette est en effet rapporté avec près de trois mois de retard par l’INSEE. Ainsi, donc, cette dernière ne publiera pas la situation à la fin du second trimestre avant le 29 septembre.

Mais nous connaissons bien la trajectoire.

Les déficits sont saisonniers : depuis 2010, ils augmentent en moyenne de 56 milliards au premier trimestre, de 28 milliards au second, et de 11 milliards au troisième trimestre (si nous excluons le second trimestre de 2020.)

Ils baissent de 4 milliards au quatrième trimestre quand les hommes de l’État redoublent de subterfuges pour faire entrer la dette publique dans le carcan autorisé par les hauts fonctionnaires français postés à Bruxelles.

Nous pouvons ainsi d’ores et déjà prédire que la dette publique est d’environ 3052 milliards à l’instant où ce billet est publié.

Au cours des derniers 25 trimestres de son ministère, ce dangereux personnage a laissé la dette augmenter de 799 milliards d’euros, un record au cours de l’histoire de France.

Le chiffre est tellement dévastateur que nous pourrions nous demander si le fait que « son intelligence est un obstacle » (comme il le dit lui-même) n’explique pas pourquoi il est au pouvoir : sans la capacité de mesurer son immense échec, et tout occupé qu’il est à écrire de mauvais romans, il permet aux hommes de l’État de dépenser à tout-va sans obstacle politique.

 

Trajectoire

La dette ne baissera pas – loi de programmation des finances publiques ou pas… – car les dépenses ne baisseront pas, et la charge des intérêts augmentera.

Comme nous l’avions vu dans un précédent billet, la charge de la dette est sur une trajectoire fortement ascendante : elle va rapidement absorber une part croissante des dépenses publiques.

C’est d’autant plus déplorable que cela fait des années que Bercy emprunte sur des durées beaucoup trop courtes, ce qui oblige l’État à constamment refinancer sa dette.

Tout allait bien lorsque les taux baissaient, mais ceci va conduire à une énorme facture maintenant que les taux d’intérêt remontent.

C’était parfaitement prévisible et nous dénonçons cette mauvaise gestion dans Contrepoints depuis 10 ans (ici, ici et ) : le niveau d’amateurisme est proprement incroyable en ce qui concerne une très simple base de la finance en général et de la gestion des dettes en particulier.

 

De 112 % à 108 % ?

Supposément, cette nouvelle loi de programmation des finances publiques permettrait de réduire la dette publique, de plus de 112 % aujourd’hui, à 108 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2027 en ramenant le déficit public en dessous du seuil critique de 3 %.

Là encore, l’arithmétique est tout simplement fausse, et j’aimerais vraiment avoir une discussion avec l’équipe qui pense que c’est possible, car, si c’est logiquement correct, elle doit avoir inventé une nouvelle branche des mathématiques.

Pour ce faire, il faudrait, soit, engendrer des excédents budgétaires, soit avoir une croissance du PIB beaucoup plus élevée que celle de la dette…

Plus probablement, il ne s’agit là que des mêmes chiffres complètement fantaisistes que l’Agence France Trésor avait eu l’outrecuidance de présenter aux économistes de marché fin 2017 et qui prétendaient montrer que la dette allait baisser de 96,8 % en 2017 à 91,4 % en 2022 (ici) !

 

Réforme fiscale

Quant à elle, la pseudo-réforme fiscale conduisant à une baisse de deux milliards pour les ménages modestes en 2025 est une insulte de plus faite aux Français.

Représentant seulement 0,0699 % du PIB de 2025, cette réforme naît dans le flou le plus complet : peut-être pour les ménages dont le revenu est compris entre 1500 et 2500 euros par mois, peut-être via une réduction de l’impôt sur le revenu, peut-être un allègement des cotisations salariales, peut-être en 2025, peut-être pas.

Que d’amateurisme ! Que d’impréparation ! Que d’esbroufe !

Les hommes de l’État prennent vraiment l’électeur médian pour ce qu’il est peut-être.

De plus, cette nano-réforme est la même que celle annoncée à la va-vite par le président Macron le 15 mai (ici).

Comme nous l’avions vu, cette pico-réforme fiscale était essentiellement une réaffectation de fonds de la réforme des droits de succession et de la « conjugalisation » (sic) de l’impôt sur le revenu pour les couples non mariés, qui n’auront pas lieu.

Ainsi, donc, cette femto-réformette consistait vraiment à prendre de l’argent promis à Paul pour le donner à Pierre lors d’une prestation télévisée pilotée par les habituels journalistes de complaisance.

Cette vilénie se double du fait que les impôts ont considérablement augmenté – en moyenne – pour l’ensemble des contribuables sous la présidence Macron.

Chaque année, à 4 % de taux d’intérêt, les 799 milliards de nouvelle dette publique du sieur Le Maire vont coûter un petit 32 milliards d’euros aux contribuables : comme le faisait remarquer David Ricardo, un déficit d’aujourd’hui est un impôt de demain.

Finalement, le Macronisme est l’art d’annoncer plusieurs fois les mêmes fausses baisses d’impôts – bis repetita placent –, programmées plusieurs années à l’avance, pendant que l’on augmente discrètement la pression fiscale sans fanfare.

Il faut revenir des années et des années en arrière, il y a bien longtemps, – peut-être sous la présidence Hollande ou la présidence Sarkozy ou la présidence Chirac – pour trouver des exemples d’une telle duplicité !

Vers une régulation plutôt qu’une pénalisation de la prostitution en France ?

La CEDH vient de déclarer recevable une requête contre la loi du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ».

Les juges de Strasbourg se prononceront sur le fond de l’affaire dans les mois à venir, mais cette recevabilité met d’ores et déjà en difficulté le dispositif français de pénalisation des clients.

L’article 611-1 du Code pénal (créé par la loi du 13 avril 2016 sur la pénalisation des clients de la prostitution) établit que :

« Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe » (1500 euros d’amende).

La récidive est punie de 3750 euros, complétée parfois par un stage de sensibilisation. L’esprit de cette loi pénale tient à une idée aussi simple que dangereuse : « Supprimons les clients et nous supprimerons du même coup la prostitution ! ».

En novembre 2018, des associations défendant les travailleurs et travailleuses du sexe ont saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi de 2016. Plusieurs arguments étaient invoqués, en particulier celui de l’intrusion exagérée dans la vie privée de majeurs consentants.

Le 1er février 2019 le Conseil constitutionnel a considéré que la pénalisation des clients est conforme à la Constitution en ces termes :

« Au regard du droit à la protection de la santé, résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate ».

Suite à cette décision du Conseil constitutionnel, 261 travailleurs et travailleuses du sexe et 19 associations ont décidé de saisir la CEDH invoquant que la loi française qui incrimine « l’achat de services sexuels », met dans un état de grave péril l’intégrité physique et psychique, et la santé des personnes qui, comme eux, pratiquent l’activité de prostitution.

En optant pour une criminalisation de l’achat de services sexuels, la France aurait poussé les personnes prostituées à la clandestinité et à l’isolement, les rendant plus vulnérables face à leurs clients, lesquels se trouveraient plus à même d’être impunément violents à leur égard, ou de leur imposer des pratiques à risques, les exposerait davantage au vol, aux agressions, à la stigmatisation et aux risques de contamination, et restreindrait leur accès aux services de prévention, de soins et d’aide à l’insertion.

Les requérants soutiennent que la répression pénale du recours, même entre adultes consentants et même dans des espaces purement privés, à des prestations sexuelles contre rémunération viole les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), et 8 (droit au respect de la vie privée en ce qu’il comprend le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Sans préjuger de ce que la CEDH va statuer sur le fond de l’affaire, l’annonce de la recevabilité de la requête signifie que les griefs sont fondés.

Et pour cause, en décembre 2019, après une évaluation de l’application de la loi, un rapport interministériel avait déjà mis en lumière à la fois une aggravation de la précarité des personnes qui se prostituent dans la rue, et un transfert du sexe tarifé vers le web.

En ce sens, loin d’avoir mis fin à la prostitution, comme le prétendaient les promoteurs de la loi, celle-ci a favorisé le développement des nouvelles formes de racolage articulées autour du web dans des sites d’escorting souvent hébergés à l’étranger.

Aussi, Médecins du Monde a pu constater :

« La santé des travailleuses du sexe s’est détériorée, non seulement parce qu’elles sont moins en mesure d’imposer le port du préservatif, parce que l’accès à la prévention et aux outils de réduction des risques est rendu plus compliqué par l’isolement, mais également parce qu’elles travaillent plus et plus longtemps pour gagner moins, ce qui les place dans une grande précarité économique et fragilité ».

L’étude effectuée par Théo Gaudy et Hélène Le Bail (CNRS, CERI-Sciences Po Paris) arrive aux mêmes conclusions.

La CEDH s’était déjà prononcée d’une manière générale en 2005 sur la liberté sexuelle dans un célèbre arrêt KA et AD contre Belgique en considérant que :

« La faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps ».

Il reste à savoir si ce principe s’applique aussi à la pénalisation des clients.

Depuis une perspective libérale, la reconnaissance légale du travail sexuel constitue la consécration du principe de la liberté de disposer de son corps, permet de mieux combattre la prostitution forcée, et surtout celle des mineurs, d’éliminer les situations d’abus et d’assurer des conditions dignes de travail aux prostituées en matière de sécurité et de santé.

Fruit de la croisade morale menée par les mouvements abolitionnistes de droite comme de gauche, la loi de 2016 a réussi à imposer aux autres, c’est-à-dire aux personnes prostituées et à leurs clients, une conception paternaliste selon laquelle la personne qui se prostitue est une victime à protéger des clients, mais aussi d’elle-même puisqu’on ne peut consentir à la prostitution sous peine de compromettre sa propre dignité humaine : le féminisme s’est découvert ainsi abolitionniste, et le conservatisme s’est passionné pour l’égalité des sexes, comme l’a bien montré le sociologue Lilian Mathieu.

Comme tout travail, la prostitution peut être libre ou subie.

Le seul moyen efficace de mettre fin à la contrainte d’un supposé « système prostitutionnel » est de rendre les prostitués, hommes et femmes, libres de leur force de travail. L’État devant être garant et protecteur de l’exercice de cette liberté, laquelle devrait avoir un corollaire : celui de la soumission de l’activité prostitutionnelle aux règles de droit auxquelles est assujetti tout acteur économique, comme nous l’avons proposé dans un rapport de Génération Libre.

 

Dans une approche pragmatique, libérée de tout a priori idéologique, l’appréhension du phénomène prostitutionnel par l’État appelle une régulation, et non une pénalisation au nom d’une victimisation supposée des travailleurs et travailleuses du sexe. La CEDH pourrait se prononcer en ce sens et demander à la France l’abrogation de la loi de 2016, au motif qu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes prostituées.

Oppenheimer, une obsession américaine

Par Charles Thorpe.

Le triomphe de Robert J. Oppenheimer a été sa tragédie.

Le scientifique a permis de nombreuses avancées en physique théorique, mais on se souvient de lui comme du père de la bombe atomique. Sous sa direction, les scientifiques du laboratoire de Los Alamos, où la bombe a été conçue et fabriquée, ont changé à jamais la façon dont les gens perçoivent le monde, en y ajoutant un nouveau sentiment de vulnérabilité.

La vie d’Oppenheimer permet de parler à échelle humaine d’un sujet qui serait, sans cet intermédiaire, totalement écrasant. Il n’est pas étonnant que le dernier film de Christopher Nolan, Oppenheimer, raconte l’histoire de Los Alamos à travers ce seul destin – ou qu’Oppenheimer soit au centre de tant d’écrits sur la bombe.

Dans la culture américaine, cependant, la fascination pour l’homme à l’origine de la bombe semble souvent éclipser l’horrible réalité des armes nucléaires elles-mêmes, comme s’il était le verre teinté qui permet aux spectateurs de voir l’explosion en toute sécurité, même s’il obscurcit la lumière aveuglante. L’intérêt intense pour la vie d’Oppenheimer et ses sentiments ambivalents à l’égard de la bombe en ont fait presque un mythe : un « génie torturé » ou un « intellect tragique » que les gens essaient de comprendre parce que la terreur de la bombe elle-même est trop troublante.

Jusqu’à la fin de sa vie, Oppenheimer a justifié les bombardements atomiques par le discours du gouvernement américain : ils ont sauvé des vies en évitant une invasion. Mais il a transmis un sentiment d’angoisse, écrivant son propre rôle tragique, comme je l’affirme dans le livre que je lui ai consacré.

« Les physiciens ont connu le péché », a-t-il remarqué deux ans après les bombardements, « et c’est une connaissance qu’ils ne peuvent pas oublier ».

 

« Frappe mon cœur »

La bombe atomique a changé la signification de l’apocalypse.

Alors que les gens avaient autrefois imaginé le jugement dernier comme un acte de colère de Dieu ou un jugement final, le monde pouvait désormais disparaître en un instant, sans signification sacrée, sans histoire de salut.

Comme l’a dit plus tard le physicien Isidor Isaac Rabi, la bombe « traitait les humains comme de la matière », rien de plus.

Mais Oppenheimer a utilisé un langage religieux pour parler du projet, comme pour souligner le poids de sa signification.

La bombe atomique a été testée pour la première fois au petit matin du 16 juillet 1945, dans le bassin aride du sud du Nouveau-Mexique. Oppenheimer a baptisé cet essai « Trinity », en référence à un sonnet de l’écrivain anglais de la Renaissance John Donne, dont les vers sont célèbres pour leur fusion du sacré et du profane.

« Batter my heart, three person’d God », (« Frappe mon cœur, Dieu trinitaire ») supplie Donne dans le « Sonnet Sacré XIV », demandant à Dieu de « le faire neuf ».

Plus tard dans sa vie, Oppenheimer a déclaré qu’il s’était souvenu des paroles de la Bhagavad-Gita, un texte classique hindou, alors qu’il était témoin de l’explosion du champignon atomique :

« Je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes ».

Ces lignes décrivaient à l’origine le Seigneur Krishna révélant toute sa puissance. Selon le frère d’Oppenheimer, Frank, un physicien qui était avec lui à l’époque, ce qu’ils ont tous deux dit à voix haute était simplement : « Ça a marché. »

Le contraste entre leurs récits illustre la dualité de l’image publique d’Oppenheimer : un expert technique forgeant une arme, et un humaniste féru de poésie accablé par la signification morale de la bombe. En tant que porte-parole et symbole du projet Manhattan, Oppenheimer a parfois semblé encourager l’idée qu’il s’agissait de sa création, et de sa responsabilité personnelles. En fait, la bombe était le produit d’une gigantesque opération scientifique, technique, industrielle et militaire, dans laquelle les scientifiques se sentaient parfois comme les rouages d’une machine. Il n’y a pas vraiment eu de « père » de la bombe atomique.

Cela a inspiré au mathématicien John von Neumann une remarque acerbe :

« Some people profess guilt to claim credit for the sin » (« Certaines personnes clament leur culpabilité pour s’attribuer le mérite du péché »).

 

Décrire l’indescriptible

Quelques semaines seulement après le test, des bombes atomiques ont rasé les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, jusque-là très animées. Les 6 et 9 août, ces villes ont soudainement cessé d’exister. Robert J. Lifton, expert en psychologie de la guerre, de la violence et des traumatismes, a qualifié l’expérience des survivants d’Hiroshima de « mort dans la vie », une rencontre avec l’indescriptible.

Comment représenter ce qui est au-delà de la représentation ?

Dans le film, Nolan recrée l’intensité de l’essai Trinity par la couleur et le son, en faisant suivre l’éclair lumineux d’une pause silencieuse, puis du grondement profond de l’explosion et du claquement de l’onde de choc. En ce qui concerne Hiroshima et Nagasaki, il choisit cependant d’évoquer l’attaque sans la montrer.

S’inspirant d’une description contenue dans American Prometheus, la biographie emblématique d’Oppenheimer sur laquelle le film est basé, Nolan montre le discours triomphal d’Oppenheimer devant un public en liesse dans l’auditorium de Los Alamos, annonçant la destruction d’Hiroshima par l’arme qu’ils avaient créée.

Nolan crée un sentiment de dissociation, l’horreur de la bombe entrant en scène par le biais de flashbacks du test Trinity et d’images de corps calcinés d’Hiroshima. Les applaudissements des scientifiques se transforment de manière cauchemardesque en gémissements et en pleurs.

 

La bombe qui mettrait fin à toutes les guerres ?

Après la fin de la guerre, de nombreux scientifiques qui avaient travaillé sur le projet Manhattan ont cherché à souligner que la bombe atomique n’était pas une arme comme les autres. Ils ont affirmé que l’immense danger qu’elle représentait devrait rendre la guerre obsolète.

Parmi eux, Oppenheimer était celui qui avait le plus d’autorité grâce à l’opération de Los Alamos et à ses talents d’orateur. Il a poussé à la maîtrise des armements, jouant un rôle clé dans la rédaction du rapport Acheson-Lilientha de 1946, une proposition radicale qui demandait que l’énergie atomique soit placée sous le contrôle des Nations unies.

Cette proposition, connue sous le nom de plan Baruch, a été rejetée par l’Union soviétique.

Oppenheimer était amèrement déçu, mais les diplomates atomiques américains avaient probablement l’intention de le rejeter – après tout, la marine américaine testait des bombes atomiques au-dessus de l’atoll de Bikini dans le Pacifique. Plutôt que de considérer la bombe comme l’arme qui mettrait fin à toutes les guerres, l’armée américaine semblait la considérer comme son atout.

Le film de Nolan fait référence à la déclaration du physicien britannique Patrick Blackett selon laquelle la destruction d’Hiroshima et de Nagasaki

n’était pas tant le dernier acte militaire de la Seconde Guerre mondiale que la première opération majeure de la guerre diplomatique froide avec la Russie.

Lorsque les Soviétiques ont obtenu leur propre bombe atomique en 1949, Oppenheimer et son groupe de conseillers scientifiques se sont opposés à une proposition visant à ce que les États-Unis réagissent en mettant au point la bombe à hydrogène, mille fois plus puissante que les bombes atomiques larguées sur le Japon.

Son opposition a ouvert la voie à la disgrâce politique d’Oppenheimer. En l’espace de quelques années, les États-Unis et l’Union soviétique ont tous deux testé des bombes à hydrogène. L’ère de la destruction mutuelle assurée, où une attaque nucléaire serait certaine d’anéantir les deux superpuissances, avait commencé. Aujourd’hui, neuf nations possèdent des armes nucléaires – mais 90 % d’entre elles appartiennent toujours aux États-Unis et à la Russie.

Vers la fin de sa vie, Oppenheimer a été interrogé sur la perspective de négociations pour limiter la propagation des armes nucléaires. Il a répondu : « Cela arrive 20 ans trop tard. Cela aurait dû être fait au lendemain de Trinity. »The Conversation

Charles Thorpe, Professor of Sociology, University of California, San Diego

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Allez les gueux, il faut payer maintenant !

Par : h16

Heureusement qu’avec Emmanuel Macron nous avons un expert de la finance à la tête de l’État ! Heureusement que l’économie du pays est gérée de main de maître par des cadors comme Bruno Le Maire ! Sans ceux-là, quelle sombre direction le pays prendrait-il ?

C’est probablement grâce à cette équipe de choc affûtée comme une lame japonaise que déjà se dégagent de fermes pistes pour une prochaine baisse des impôts.

Oui, vous avez bien lu : Emmanuel Macron a récemment confirmé vouloir lancer un grand plan d’économies.

Pensez-donc ! Deux milliards d’économies d’impôts pour le contribuable, que voilà une somme… ridicule lorsqu’il faut la mettre en face d’un déficit public de plus de 150 milliards d’euros et qui a en plus le bon goût d’augmenter encore par rapport à l’année dernière, déjà particulièrement chargée à ce sujet !

C’est dit : d’ici 2027, on repasse sous les 3 % de déficits annuels, et on taille dans les dépenses publiques. Vous allez voir, ça va très bien se passer, et même si absolument rien de concret ne ressort pour le moment des déclarations ampoulées de Macron, on sait que l’idée de s’atteler à un raffermissement des finances publiques, qui trottait depuis un moment dans la tête de l’exécutif, commence à prendre forme.

Bon, certes, en même temps, les déclarations en provenance de son gouvernement peuvent laisser quelque peu perplexe : pour Babeth Borne v1.23, l’intelligence artificielle à la tête des ministres, il n’est évidemment pas question d’augmenter les impôts des ménages, et tous les petits calculs sont aussi formels que contraires aux odieuses rumeurs de l’opposition selon lesquelles une telle baisse serait difficile à réaliser.

Ainsi, il n’y aura pas de hausse de certaines taxes (sur l’alcool par exemple, dont la consommation baisse), et il va de soi que les aspects concrets et palpables, chiffrés et détaillés, de ces non-hausses, voire de ces baisses seront publiés un jour, promis, juré, craché.

À présent, même si l’on peut déjà se réjouir de ces belles promesses, on ne peut s’empêcher de remarquer que certains, notant de façon chafouine que la dette publique de la France a explosé, atteignant désormais 111 % du PIB (contre 98 % lors de l’arrivée au pouvoir de Macron en 2017), prévoient malgré tout quelques petits ajustements taxatoires ici ou là : augmentation des taxes sur les autoroutes et les aéroports, augmentation salée de l’éco-contribution et autres malus écologiques (qui permettent de bien syntoniser à coups de taxes le consommateur et Gaïa), fin de certaines niches fiscales (notamment sur certains produits pétroliers), etc.

Autrement dit, les impôts qui n’augmenteront pas (en 2023) pourraient bien, en même temps, augmenter, et furieusement en plus (mais en 2024).

Il y aurait comme un petit bobard pour l’une ou l’autre partie, mais qui ment donc ? S’agit-il de ceux qui expliquent, chiffres à l’appui, que les impôts vont augmenter vigoureusement, comme du reste ils l’ont sans cesse fait depuis plusieurs années, ou s’agit-il plutôt de Macron et de son équipe dont tout l’historique des promesses tenues et de l’absence de tout mensonge est fermement établi ?

Au-delà de cette question rhétorique, on doit se rappeler que le triplet d’années passées s’est surtout illustré par une dépense sans frein : difficile en effet d’oublier le Prince du Koikilenkouth lorsque la pandémie s’est déclenchée. Difficile aussi d’oublier la multiplication des distributions d’argent du contribuable pour tenter de compenser les fermetures arbitraires de magasins imposées par le gouvernement ; la découverte que cet argent ne provient pas d’une étable de licornes magiques mais de nulle part ailleurs que du portefeuille des contribuables (présents et à venir au travers d’une dette qui a explosé à plus de 3000 milliards d’euros) n’est une surprise que pour les plus incultes des Français, et n’a été consciencieusement camouflée par la brochette de félons au pouvoir qu’à des fins purement électoralistes…

À ces petits ajustements budgétaires et financiers, on doit ajouter le panorama économique actuel qui donnera un côté particulièrement agité au tableau peint par l’actuelle équipe gouvernementale.

En effet, pendant que Bruno Le Maire va se tortiller pour faire bricoler un budget par ses équipes de Bercy, l’inflation, elle, va continuer de flirter avec des sommets qu’on n’avait plus vus depuis des décennies. Or, cette inflation – dont le chiffre est toujours aussi honteusement sous-estimé par des statistiques gouvernementales d’un optimisme maintenant dangereux – signifie mécaniquement un renchérissement de tout ce que la France importe, à commencer par l’énergie. Et comme la France n’a plus, pour ainsi dire, de capacités industrielles, elle importe comme jamais. Autrement dit, l’effet douloureux de l’inflation va en être d’autant accru.

En outre, cette forte inflation se traduit aussi dans des taux d’emprunt élevés. Pour un État bien géré, cela peut être à peu près neutre. Pour un État empêtré dans une dette colossale et un déficit chronique obèse, cela se traduit par une véritable cavalerie sur ses remboursements. Le roulement de la dette, qui était jusqu’à présent relativement facile à opérer pour les équipes de Bercy, va s’en trouver considérablement compliqué. Seul Bruno Le Maire pourra nous sauver d’un dérapage.

Parallèlement, il reste assez peu de doutes sur le fait que l’immobilier pourrait subir une tempête parfaite, qui provoquera plusieurs effets négatifs massifs sur les finances publiques : l’effondrement des transactions immobilières signifie une baisse majeure des rentrées fiscales pour les collectivités locales, ainsi qu’une baisse de revenus pour l’État au travers des taxes sur la construction ou l’entretien des biens immobiliers par exemple.

Enfin, on peut aussi se demander comment Macron et son équipe vont prendre en compte la véritable nécrose du tissu économique provoquée par l’augmentation record des faillites des petites entreprises françaises : alors qu’on se rapproche actuellement du record historique de 2008 qui voyait 250 défaillances par mois, le gouvernement semble résolument regarder ailleurs.

En pratique, le constat est sans appel : après des décennies de gestion calamiteuse, suivies de trois années d’une dépense totalement folle, irréfléchie, et inutile, la facture arrive et elle est particulièrement salée. Les dirigeants, qui malgré leur détachement complet de la réalité, sentent confusément le mur arriver droit devant, comprennent que leur propre santé pourrait vaciller si des mesures drastiques (pourtant particulièrement impopulaires) n’étaient pas prises rapidement. La situation est subtile : il faut donc faire comprendre aux gueux qu’il va falloir rudement payer, sans qu’ils ne s’en rendent compte ni ne se retournent contre ceux qui les ont mis dans cette situation.

Cela pourrait ne pas bien se passer.

Sur le web

« La vérité a une telle puissance qu’elle ne peut être anéantie » d’Olivier de Kersauson

Olivier de Kersauson est connu pour son franc-parler et sa liberté de parole, et aussi son côté pince-sans-rire. Pour autant, si cette personnalité m’intéresse, j’ai très peu vu l’homme dans les médias, malgré les fréquentes apparitions qu’il a dû y faire, même si cela m’aurait intéressé.

Le lire est ainsi une excellente occasion de le découvrir et d’apprécier l’esprit qui guide une personnalité libre et authentique.

 

Le rejet de la superficialité et de la pensée molle

Fidèle à sa liberté de parole et à son sens de l’ironie (du peu que je le connaisse), Olivier de Kersauson se pose ici en observateur de la société.

Un observateur qui dispose de tout le recul et l’indépendance de parole de celui qui a la chance de pouvoir se mettre régulièrement en retrait, et de prendre ses distances avec l’agitation humaine quotidienne, mais aussi avec le grand cirque médiatique. Et c’est ce recul qui, justement, est intéressant, nous permettant de nous enrichir de la vision d’un être indépendant, qui observe notre société de loin, tout en ne s’en excluant nullement, et en conservant le caractère humble qui le définit (ce qui est une qualité hélas pas toujours la plus partagée) et ne le range aucunement parmi les donneurs de leçons.

Ce qu’il exècre – tout en faisant preuve d’une certaine indulgence envers la faiblesse humaine – est la superficialité, les apparences, l’agitation permanente pour faire parler de soi (le buzz), la flagornerie, la pensée molle (qui passe souvent par le langage convenu), et les impostures de toutes sortes.

Aussi se livre-t-il ici à un certain nombre de confidences sur sa manière de voir le monde, son évolution, ses failles, ses vertus dévoyées, et les illusions qui trop souvent nous entretiennent.

 

Où est passé le bon sens ?

Car, comme il le constate, c’est trop souvent le nivellement par le bas et le manque de réflexion qui caractérisent notre époque.

Les bons sentiments prédominent au mépris du bon sens. Comme en matière d’écologie, apparentée par certains à « une nouvelle religion d’où sortent des messies qui font dans l’incantatoire et se posent en modèles de vertu, alors qu’en réalité ils uniformisent la pensée ».

À cette aune, les médias ne sont pas en reste, puisque :

 

Les médias sont devenus comme le monde qui nous entoure. Jadis, dans les journaux, il y avait les signatures de ceux qui avaient réfléchi, s’étaient cultivés. Aujourd’hui, la plupart des journalistes font au plus court, ils n’ont plus le temps de la réflexion, ils sont des arbitres, ils nous affirment ce qui est de bon ton ou ne l’est pas. Le camp du bien et celui du mal. Chacun vend une manière de penser. Et je n’accorde pas obligatoirement aux stars du petit écran une qualité. Leurs jugements m’intéressent assez peu. Car, bien souvent, ils sont assez peu intéressants. Le bavardage a pris le pas sur tout. Un événement ? Vingt-cinq experts décryptent. C’est miraculeux. Au vrai, ils expliquent à tout le monde ce qu’ils n’ont compris qu’en partie.

 

La bêtise humaine le dispute avec le règne de la victimisation, qui lui inspire cette formule : « Malheur à ceux qui n’en ont pas ». Celle-ci n’étant que l’un des symptômes classiques de notre époque, qui se caractérise aussi par des tendances dangereuses et opposées à ce que nous connaissions auparavant, à l’image de ce phénomène très contemporain qu’il résume ainsi : « Le communautarisme, quel qu’il soit, c’est le rejet de l’autre ».

Comment, alors que nous avons accès à de nombreuses connaissances, pouvons-nous sombrer le plus souvent dans l’irrationnel, les croyances, les artifices du langage et le manque de profondeur ? Au lieu de nous fonder sur nos peurs, interroge Olivier de Kersauson, ne devrions-nous pas réapprendre à réfléchir par nous-mêmes, et moins nous fier au règne des réseaux sociaux, et ce qu’ils véhiculent comme vacuité, qui confine trop souvent à la tyrannie du divertissement ?

C’est d’une vraie crise de l’éducation et de la transmission que, de fait, nous souffrons. Une éducation qui était basée sur le bon sens, la réflexion, une transmission de valeurs fondée sur le respect, le rapport au temps, et non fleurtant avec le culte de l’immédiat et le règne de l’ignorance.

 

Superficialité vs capacité à s’enchanter

En voyageur aguerri, Olivier de Kersauson observe avec regret le changement d’état d’esprit qui caractérise notre époque.

Là où le voyage appelait le rêve, la curiosité, la découverte, l’imprévu et le voyage intérieur, il constate que la plupart des gens ne font en réalité que « se déplacer », sans chercher à comprendre où ils vont, ne faisant que parcourir sans sensibilité particulière, cherchant essentiellement à se distraire en se mouvant dans l’univers de la norme et du surfait, loin des particularismes, au contraire de ce que l’on connaît, qui rassure, qui colle à ses habitudes. Dans un monde mû par la vitesse.

La religion, le temps, la vie, la souffrance, la mort, le sens du dérisoire, les bonheurs simples, la bonne humeur, la capacité à s’enchanter, mais aussi à s’adapter, Olivier de Kersauson nous expose sa vision de l’existence, que je qualifierais d’assez stoïcienne, caractérisée par le refus de sombrer dans le pessimisme et la lamentation, mais plutôt de profiter de chaque instant, de voir ce qu’il y a de beau en lui, de savoir se contenter de ce que l’on a, de considérer la vie comme un privilège. Sans pour autant, naturellement, faire preuve de naïveté.

 

Olivier de Kersauson, Veritas tantam potentiam habet ut non subverti possit, Le cherche midi, novembre 2022, 208 pages.

La différence entre attaques « ad hominem » et « ad personam »

Condamner les attaques ad hominem est devenu commun sur internet.

Le problème, ce n’est pas tant le côté pompeux (utiliser une telle expression plutôt que de simplement parler « d’insultes ») que le fait de confondre les deux, insultes et ad hominem.

Cette erreur s’est généralisée sur tous les forums, sur les réseaux sociaux, et jusque dans les commentaires de Contrepoints, sans que personne ne cherche à vérifier ce qu’elle reproduisait…

Rappelons ici la distinction établie par Schopenhauer entre l’attaque ad hominem et l’attaque ad personam. Ce sont en effet ces deux attaques qui sont confondues, la première généralement prise pour la seconde.

 

L’attaque ad personam

Par ad hominem doivent être désignés les propos qui traitent de notre interlocuteur selon son titre, son statut, ses actions, ses engagements, ses déclarations… Tandis que l’ad personam consiste à traiter… ce même interlocuteur de tous les noms !

Ainsi, sur un forum internet par exemple, quasiment chaque fois qu’un intervenant insulté dénonce des attaques ad hominem à son encontre, il s’agit en réalité d’attaques ad personam.

Dans L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer énonce différents stratagèmes rhétoriques visant à triompher de ses contradicteurs lors d’un débat. Concluant sur un « stratagème ultime » (à mettre en pratique uniquement quand tous les autres ont fait défaut), il écrit :

« Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est : on pourrait appeler cela argumentum ad personam pour faire la différence avec l’argumentum ad hominem. »

 

L’attaque ad hominem

L’argument ad hominem constitue quant à lui le stratagème n° 16, associé à l’argument ex concessis :

« Quand l’adversaire fait une affirmation, nous devons chercher à savoir si elle n’est pas d’une certaine façon, et ne serait-ce qu’en apparence, en contradiction avec quelque chose qu’il a dit ou admis auparavant, ou avec les principes d’une école ou d’une secte dont il a fait l’éloge, ou avec les actes des adeptes de cette secte, qu’ils soient sincères ou non, ou avec ses propres faits et gestes. Si par exemple il prend parti en faveur du suicide, il faut s’écrier aussitôt : « Pourquoi ne te pends-tu pas ? » Ou bien s’il affirme par exemple que Berlin est une ville désagréable, on s’écrie aussitôt : « Pourquoi ne pars-tu pas par la première diligence ? »

L’attaque ad personam vise donc la personne elle-même, tandis que l’attaque ad hominem concerne la cohérence – ou plutôt l’incohérence – de ses propos.

L’incohérence des propos tenus par une personne peut être évaluée par rapport à ses actes (souvent dénoncée sous cette formule que l’on prête de façon ironique à son contradicteur : « faites ce que je dis, pas ce que je fais… ») ou par rapport à des propos tenus précédemment, quelques instants plus tôt au cours du même débat ou… des années auparavant (en politique on fait malheureusement peu de cas d’une certaine sagesse populaire selon laquelle « il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis.. »).

L’ex concessis, auquel est associé l’ad hominem, consiste à concéder à son interlocuteur un point, pour mieux le critiquer sur un autre qui en découle directement (cohérence interne des propos).

Argumentum ad personam et ad hominem sont deux locutions latines signifiant respectivement, au sens littéral, « argument par rapport à la personne » et « par rapport à l’homme ». Les deux sont presque synonymes, d’où une confusion facile. Elles sont avant tout formées par souci d’univocité, afin de distinguer deux attitudes qui se ressemblent sans être identiques.

 

Usages et mésusages en politique

Toutes deux sont toutefois fréquemment utilisées dans la rhétorique politique.

Exemples :

Quand Nicolas Sarkozy déclare, lors d’un discours prononcé en avril 2006 dans la Salle Gaveau, en tant que ministre de l’Intérieur : « S’il y en a que ça gêne d’être en France, je le dis avec le sourire mais avec fermeté, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas » (paraphrasant la formule lapidaire de Philippe de Villiers, « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ! »), il verse clairement dans l’ad hominem. Le propos coïncide étonnement avec l’exemple donné par Schopenhauer (vu plus haut, quitter Berlin).

En 2012, dans l’émission « Des paroles et des actes », lors du débat opposant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sur France 2, lorsque ce dernier qualifie la représentante du FN de « semi-démente », « barbare », « fasciste » et « bête », cela correspond à une attaque directe ad personam. La seule façon d’y faire face est de les dénoncer tout aussi directement, ce que fait Le Pen en lançant : « M. Mélenchon est un insulteur public. »

Les échanges qui suivirent lors du débat Le Pen/Mélenchon furent hésitants, laborieux, décousus, jusqu’à ce que Le Pen semble tout bonnement déclarer forfait. Lorsqu’on en arrive à ce point, à l’insulte pure et simple, cela marque généralement la fin du débat, de toute discussion possible, à moins d’en venir aux mains. Lorsqu’une joute oratoire prend cette tournure, il n’y a pas de véritable gagnant – car le match n’est pas mené à terme. Le seul perdant est celui qui perd le contrôle (qui insulte, ou qui s’énerve – et par là déclare forfait).

Précisons par ailleurs que l’une et l’autre de ces formules, argumentum ad personam et argumentum ad hominem, n’ont d’argument que le nom : il s’agit de pure rhétorique et non de logique.

En effet : la valeur ou la véracité d’une idée ne dépend pas des contradictions propres aux personnes qui la défendent. Quand bien même une idée vraie serait soutenue pour de mauvaises raisons ou par de mauvaises personnes, elle n’en demeure pas moins vraie… Et vice-versa…

Il est donc important de pouvoir identifier ce type de stratagèmes dans une controverse ou un débat, afin de pouvoir les dénoncer. Ou d’en user à son tour, hélas, si l’adversaire n’accepte que ce mode de confrontation.

 

Article publié initialement le 16 avril 2014

 

2.13.0.0

Geoffroy Lejeune au JDD : la liberté de la presse en question

Il y a quelque temps, un certain nombre de magnats des médias ont pris le contrôle d’une revue connue pour ses articles parfois polémiques. La rédaction reprochait l’imposition d’une certaine vision du journal par des propriétaires nommant une nouvelle direction à la rédaction. Cette histoire, celle des Cahiers du Cinéma, ne vous fait penser à rien ?

L’arrivée mouvementée à la tête du JDD le 1er août de l’ancien directeur de rédaction de Valeurs actuelles, licencié pour complaisance idéologique, suscite des interrogations. Une partie de la France se questionne soudainement sur l’impact de la prise de contrôle de médias par des personnalités controversées sur la liberté de la presse.

Ces préoccupations surgissent alors que cette liberté n’a jamais été autant sujette à des pressions politiques, dans un milieu médiatique dominé par la gauche et largement subventionné, alors que la rédaction du JDD se montre incapable de prendre ses responsabilités.

 

Le retour de la gauche pleureuse

Moins d’une dizaine de jours après son départ de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune est désigné par Vincent Bolloré pour prendre la suite d’un autre habitué des plateaux de CNews, Jérôme Béglé, à la tête du JDD.

Dans l’après-midi du 22 juin, par 77 voix pour, une contre et cinq abstentions, les journalistes de l’hebdomadaire racheté début juin par la huitième fortune française ont entamé une grève qui dure désormais depuis presque un mois et demi.

Si la nomination est confirmée dès le lendemain, la grève provoque un tollé dans le monde journalistique hexagonal. Soutenu par une centaine de personnalités du spectacle, de la culture et de l’université, le mouvement monte jusqu’au gouvernement. La ministre de la Culture Rima Abdul Malak s’alarme « pour nos valeurs républicaines ». Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye apporte publiquement son soutien aux grévistes sur l’antenne de Radio J et la rédaction s’est même offert le soutien de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT qui a de son côté décidé d’évoquer la question au plus haut niveau de l’État.

 

L’immixtion du politique

Rarement, dans notre histoire récente et en particulier depuis la fin de l’ORTF, le politique s’est autant mêlé de la question de la liberté de la presse, et plus largement du droit de propriété.

Si la nécessité pour Vincent Bolloré de faire valider le rachat du JDD par la Commission européenne est déjà choquante dans une Europe qui se vante d’être un espace de libertés, le fait que les deux principaux ministres en charge des questions d’informations prennent fait et cause dans le conflit d’une entreprise privée n’en est pas moins un scandale sur le plan de la liberté.

 

La droitisation fantôme

La rédaction craint ainsi une « droitisation » de la ligne éditoriale. La blague pourrait, et même devrait s’arrêter là.

De nombreux médias, plus ou moins sérieux, ont tenté de « démythifier » l’allégation courante de parti pris de gauche de la sphère journalistique française. Se basant sur des visions assez restrictives de la gauche, les gesticulations argumentatives et morales ne résistent pas aux statistiques.

Car en se basant sur les sondages parus ces 25 dernières années, on retrouve un score pour les candidats de gauche au premier comme au second tour des élections présidentielles allant de 52 à 74 % de voix.

Un gauchisme évident lorsqu’on se souvient que la presse française est largement subventionnée. Dans ce sens, n’hésitez pas à venir faire un tour dans notre dossier spécial sur le sujet pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, mais notons ici qu’en 2021, le JDD était le cinquième titre le plus subventionné.

Craindre une « droitisation » – comprendre « hégémonie de droite » – des médias français parce qu’une fortune privée ose enfin, que ce soit par idéologie sincère ou par volonté de disruption du marché de la presse, mettre un peu de concurrence idéologique, et donc de démocratie dans la manière dont l’information est traitée en France, relève au mieux d’une profonde erreur d’analyse, et au pire d’une nouvelle tentative de narratif dont la gauche a le secret pour tenter de maintenir son emprise sur l’expression dans ce pays.

Nous sommes purement et simplement devant une pièce de théâtre destinée à masquer une guerre de contrôle sur le trésor des subventions à la presse, financées par un contribuable français dont les idées sont à l’inverse de plus en plus à droite.

 

Une chasse gardée assiégée

De fait, Geoffroy Lejeune est depuis un mois et demi l’objet d’une véritable chasse aux sorcières menée par une certaine frange, majoritaire donc, du journalisme français, peu encline à accepter la diversité éditoriale.

Il faut dire que le milieu culturel est une chasse gardée de la gauche depuis plus de 40 ans. Un monopole étatique que nous voyons aussi bien au niveau national que local qui semble en passe de se fissurer, mais qui ne pourra être réellement brisé que le jour où nous en finirons enfin avec l’arrosage systématique d’argent public. Un doux rêve…

 

Le cas des clauses de conscience

Mais restons éveillés encore quelques minutes, car il est difficile de ne pas s’interroger sur les issues possibles de cette affaire.

Politiquement et humainement, il est impossible d’imaginer que Bolloré cède aux grévistes. Juridiquement et moralement, hors faute lourde, il est tout aussi impossible de licencier la rédaction du JDD du simple fait d’une grève.

Une autre option s’offre à elle, mais suppose qu’elle prenne ses responsabilités.

En droit français, les journalistes bénéficient depuis 1935 d’une clause de conscience qui leur permet, notamment en cas de changement de la situation juridique de l’employeur, de démissionner sous le régime du licenciement. Concrètement, cela les autorise, comme c’est possible pour tout salarié en cas de démission dite légitime (suivre un parent, un conjoint ou un enfant, faute de l’employeur, création d’entreprise…) de bénéficier de droits au chômage.

 

Vers des démissions massives ?

Toujours dans l’affaire qui nous intéresse, il est largement possible d’envisager qu’une telle décision soit prise massivement.

L’exemple le plus parlant reste celui de Les Cahiers du Cinéma. Après la reprise du journal le 30 janvier 2020 par une vingtaine de personnalités proche du cinéma français, le mensuel fondé en 1951 justement contre ce dernier a été l’objet de la démission de l’intégralité de sa rédaction, cette fois en usant, non d’une clause de conscience, mais d’une clause de cession, clause similaire dont l’usage exige toutefois une obligation de préavis. Encore une fois, la manœuvre n’était pas dépourvue d’intérêt idéologique, Les Cahiers du Cinéma étant connu pour sa ligne très à gauche selon Libération (c’est dire…).

 

Se défaire du théâtre politique

Plutôt que d’en appeler systématiquement à l’État pour se protéger d’une soi-disant menace pesant sur la République par un magnat prétendument d’extrême droite, la rédaction du JDD aurait tout intérêt à prendre ses responsabilités et, peut-être, provoquer une crise au sein du journal dont elle a la charge.

Il est donc aisé d’imaginer une solution qui ne ferait pas appel à la grandiloquence républicaine contre la menace fasciste, rengaine pathétique à en devenir hilarante et masquant en réalité la crainte du crépuscule d’une rente idéologique.

Dans l’attente, Geoffroy Lejeune se prépare à l’entrée en fonction la plus agitée de sa jeune carrière.

Oppenheimer : drame historique, horreur subversive

Par Samuel Peterson.

 

À la veille de sa sortie, j’ai eu le plaisir de visionner Oppenheimer, le nouveau film de Christopher Nolan, avec les Mises Summer Fellows.

Malgré ce que les bandes-annonces peuvent laisser croire, ce film traite de bien plus que de la bombe. Il traite de l’esprit, de l’intelligence, du pouvoir et de la politique. Oppenheimer est au centre d’une histoire beaucoup plus vaste qui se déroule devant les spectateurs, impliquant le rôle de l’éthique dans la découverte scientifique, les luttes entre cabinets présidentiels, la guerre froide et, bien sûr, l’histoire du développement de la bombe atomique.

Je n’apprécie pas la performance de Robert Downey Jr, qui semble ne pas savoir comment jouer quelqu’un d’autre que lui-même. Cillian Murphy a donné une interprétation décente du scientifique aux mœurs légères et prétendument communiste, J. Robert Oppenheimer.

Le film confronte les spectateurs à deux questions essentielles : l’importance d’une vision normative dans une quête scientifique positive, et l’horreur de la bombe atomique.

Le thème central du film est la lutte d’Oppenheimer contre la moralité de son implication dans le développement de la bombe. En tant qu’Autrichiens, nous devons nous demander pourquoi nous nous engageons dans une science économique sans valeur. Faire de l’économie sans valeur est une façon de décrire l’ordre créé. Il n’y a rien de nécessairement mauvais à faire ainsi de l’économie. La loi scientifique est moralement neutre.

Cependant, ce que nous faisons avec l’économie positive a des implications morales. Par exemple, il est possible d’effectuer une analyse purement positive des moyens et des fins pour Staline sur la manière la plus efficace de déporter les koulaks en Sibérie, mais on ne peut pas prétendre être moralement neutre en procédant de la sorte. L’analyse sans valeur est utilisée d’une manière qui a des implications morales dramatiques, à savoir le meurtre en masse d’âmes innocentes. Ce même principe s’applique à Oppenheimer.

La première épître aux Corinthiens (13:2) dit :

« Si j’ai le don de prophétie, si je peux sonder tous les mystères et toutes les connaissances, si j’ai une foi à transporter les montagnes, et si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ».

Nous ne pouvons pas nous contenter de poursuivre la science en soi, car elle ne nous dit pas ce qui est moralement acceptable. Cela ne veut pas dire que l’économie est immorale, mais que nous devons reconnaître que la connaissance doit être orientée vers la recherche du bien, du vrai et du beau. La science pour elle-même est morte.

Bien sûr, que serait Oppenheimer sans la bombe atomique ?

Tout au long du film, des scènes sont interrompues par des coupures montrant une explosion atomique. Malgré ce que la bande-annonce peut laisser penser, l’explosion atomique de Oppenheimer est présentée bien plus comme un film d’horreur que comme un film d’action hollywoodien typique. L’un des membres de notre groupe a déclaré qu’il s’était bouché les oreilles, s’attendant à ce que la bruit de la chute de la bombe soit assourdissant. Mais ce n’était pas le cas. Pendant le test, on n’entend que des respirations provenant d’une scène précédente du film. L’explosion a été pratiquement silencieuse. Je ne vois pas de meilleure façon de représenter la destruction absolue d’une arme nucléaire. Le silence est en effet assourdissant.

Malgré quelques inexactitudes historiques et des sympathies apparemment gauchisantes, Oppenheimer vaut son prix d’entrée. Même si vous n’appréciez pas particulièrement le travail de Christopher Nolan (ce film ne ressemble à aucun autre de ses films), Oppenheimer amène le spectateur à se poser des questions importantes que toute personne intelligente peut apprécier. Le film se termine sur la vision d’Oppenheimer d’un avenir marqué par la destruction nucléaire. Nous devrions prier pour que sa vision ne soit pas prophétique.

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Les politiques sociales des départements : coûteuses et inefficaces

Un article de l’IREF

Parmi les pays européens, la France est considérée comme un État unitaire possédant trois niveaux de collectivités territoriales, voire quatre si l’on y inclut l’échelon des EPCI (établissements publics de coopération intercommunaux).

Sans remettre en cause ce principe, une série de grandes lois était censée augmenter le degré de décentralisation hexagonal et rationaliser ce que journalistes et politiques ont coutume d’appeler le « millefeuille territorial » : l’acte II de la décentralisation, porté par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2003 et 2004, deux textes adoptés sous le mandat de François Hollande, les lois NOTRE (nouvelle organisation territoriale de la République) et MAPTAM, ainsi que la fusion des régions métropolitaines, passant de 22 à 13.

L’échelon régional s’est vu accorder de nouvelles compétences et a été désigné comme chef de file sur un ensemble de domaines, comme l’économie. En parallèle, au vu des progrès de l’inter-communalisation – la métropole Aix-Marseille Provence couvre la quasi-totalité du département des Bouches-du-Rhône –  la suppression des départements avait été envisagée mais finalement rejetée.

Les départements sont donc devenus les chefs de file des politiques publiques sociales, mais avec un pouvoir décisionnel extrêmement réduit du fait de leur imbrication dans des compétences que l’État avait choisi de conserver en propre.

 

Les grandes lois de décentralisation n’ont pas éliminé l’enchevêtrement des compétences des collectivités et de l’État

Dans leur immense majorité, les dépenses sociales françaises sont assumées par la Sécurité sociale et les administrations de sécurité sociale. Aussi, les politiques sociales départementalisées ne recouvrent-elle que des domaines spécifiques comme la protection de l’enfance, la lutte contre la pauvreté, l’aide aux seniors ou aux handicapés.

Le RSA (revenu de solidarité active), l’AAH (allocation aux adultes handicapés) ou encore l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) sont les principales prestations gérées par les départements.

Cependant, le processus de financement et d’attribution est fractionné entre différents acteurs. Dans le cas du RSA, le département accompagne les allocataires (du moins en théorie) et s’occupe du contentieux, mais le versement est effectué par la CAF (caisse d’allocations familiales). Le rôle d’accompagnement et de contrôle peut lui-même être partagé entre Pôle emploi (41 % des bénéficiaires) et le centre communal d’action sociale (CCAS).

Naturellement, l’État reste maître de fixer le montant des allocations et des publics à qui il les accorde.

Le principe de subsidiarité a donc été mal appliqué et a entraîné une dilution des responsabilités de chacun : personne ne maîtrise l’ensemble de la chaîne de décision, ni n’en possède de vision globale, ce qui rend difficile d’évaluer l’action des services au quotidien. Dans le domaine de la protection de l’enfance par exemple, la Cour des comptes note que le projet OLINPE (observation longitudinale individuelle et nationale en protection de l’enfance), destiné à étudier le parcours des parents d’enfants protégés, est un échec patent. Seuls 46 départements sont entrés dans le dispositif, et 15 envoient des données correctes.

 

Des dispositifs coûteux et peu performants

Les départements assurent 10 % des dépenses publiques de protection sociale (78 milliards d’euros, soit 3,4 % du PIB) dont 41,7 milliards d’aides sociales.

Depuis 20 ans, le poids de celles-ci a triplé, notamment à cause des coûts du RSA (+ 105 %), dont l’État s’est déchargé en 2004, et de la prestation compensatoire du handicap (+ 242 %). Au total, les dépenses sociales et celles qui sont liées à la santé ont complètement vampirisé les potentialités d’action des départements et absorbent plus de 70 % de leurs dépenses de fonctionnement.

En outre, les rares indicateurs d’évaluation dépeignent un système globalement peu performant. Alors que le délai légal est de deux mois, il faut en moyenne plus de trois mois pour traiter une demande de RSA, par exemple, et cela peut aller jusqu’à cinq mois ; pour l’AAH, on a même atteint 11,6 mois !

Constatant cet ensemble de dysfonctionnements, le gouvernement a décidé d’entamer une expérience de recentralisation du RSA et, dans le projet de Loi travail présenté en conseil des ministres en juin, d’augmenter le contrôle exercé sur ses allocataires en leur prescrivant notamment des heures de formation obligatoires.

La faible efficacité des politiques sociales départementalisées n’est que l’un des problèmes d’un vaste ensemble : maquis de 47 aides sociales en France, désincitation au travail, absence de contrôle de la performance de l’administration, non application du principe de subsidiarité.

Pour réformer, il faut commencer par simplifier et créer une allocation sociale unique pour le traitement de la pauvreté, avec des satellites pour les publics spécifiques comme les handicapés. Enfin, il serait nécessaire de transférer les compétences sociales vers l’échelon le plus local : la commune ou l’intercommunalité. Devenu obsolète, le département disparaîtrait alors au bénéfice de celles-ci et des régions, permettant ainsi de réaliser de véritables économies d’échelle.

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Créer un « homicide routier » rendrait-il le droit moins lisible ?

Par Jordy Bony.

 

Le droit doit-il multiplier les catégories pour être le reflet de la société ou bien l’exigence d’efficacité l’oblige-t-elle à se limiter ? Le débat traverse la communauté des juristes sur de nombreuses questions comme nous avons pu l’expliquer dans une contribution précédente à The Conversation au sujet de l’embryon.

Voilà que le gouvernement donne du grain à moudre en annonçant le 17 juillet 2023 des évolutions en matière de sécurité routière et notamment la création d’une nouvelle incrimination spécifique dans le Code pénal : « l’homicide routier », remplaçant la qualification actuelle d’« homicide involontaire » avec circonstance aggravante de conduite sous l’empire d’un état alcoolique. La Première ministre défend une annonce à « haute valeur symbolique ».

L’objectif poursuivi semble noble : mieux prendre en compte certaines victimes de la route et leurs familles, pour lesquelles l’usage du terme « involontaire » pouvait parfois paraître choquant. L’évolution était d’ailleurs une demande de longue date des associations qui les représentent. Celles-ci déplorent néanmoins que le changement de nom ne soit pas accompagné d’une évolution des peines associées.

Pareille évolution ne nuirait-elle pas cependant pas à la clarté du droit ? Ce dernier est avant tout un outil qu’il n’est peut-être pas toujours pertinent de faire cohabiter avec des émotions, au risque de nuire à son bon fonctionnement. Que le droit soit clair, c’est d’ailleurs un principe à valeur constitutionnelle. C’est un objectif qui permet de garantir l’accessibilité du droit aux justiciables. Ce n’est pas toujours parfait et c’est un travail quotidien que de le rendre plus clair et plus accessible.

 

Deux catégories qui rendent le droit pénal clair

Afin mieux comprendre les risques liés au projet gouvernemental, il faut d’abord revenir sur le fonctionnement du droit pénal.

Celui-ci repose sur le principe de qualification. Qualifier une infraction, c’est un exercice qui vise à tisser un lien entre des faits et une infraction existante dans le Code pénal. Ainsi, tuer une personne sur la route à cause de son véhicule et sans en avoir l’intention correspond aujourd’hui à l’infraction d’homicide involontaire.

Il n’y a, par conséquent, pas d’infraction sans texte pour la prévoir. Le droit pénal français fonctionne autour d’un principe d’interprétation stricte : il n’est pas possible pour un juge d’interpréter de façon extensive une infraction afin de « forcer » le lien entre les faits et l’infraction en question.

Actuellement, le fonctionnement du droit concernant les homicides est le suivant :

Il y a l’homicide volontaire (articles 221-1 et suivants du Code pénal) et l’homicide involontaire (article 221-6 du même Code). L’homicide volontaire, aussi nommé meurtre, peut connaître une circonstance aggravante : la préméditation. Le meurtre avec préméditation devient un assassinat. L’homicide involontaire, lui, peut connaître également des circonstances aggravantes, par exemple la conduite en état d’ébriété. Ainsi, il faut comprendre que le droit pénal est clair dans le sens qu’il reconnaît uniquement l’homicide volontaire ou involontaire, infractions qui sont complétées par des circonstances atténuantes ou aggravantes.

 

Un risque de multiplication des qualifications

L’homicide routier constituerait, lui, une incrimination nouvelle qui recevrait un article dédié au sein du Code pénal. Elle serait ainsi détachée « des autres homicides et blessures involontaires ». Autrement dit, cela mettra fin à la dichotomie « homicides volontaires et involontaires » pour ajouter une troisième catégorie, qui resterait pourtant toujours proche de celle de l’homicide involontaire (qui ne va pas cesser d’exister).

Le problème réside dans le risque de multiplication des différents homicides à la suite de cela.

En effet, si l’homicide routier est reconnu pour prendre en compte la souffrance des victimes de la route, alors la porte est grande ouverte pour appliquer le même accompagnement des victimes dans une grande pluralité de domaines. Ainsi, nous pourrions assister à la création de l’homicide conjugal, de l’homicide familial, de l’homicide infantile. Tout cela existe pourtant grâce aux jeux des circonstances atténuantes ou aggravantes.

Le droit pénal connaît déjà un système de qualification des infractions qui semble avoir le mérite d’être clair. Est-ce bien nécessaire de venir lui apporter son lot de complexité au nom d’une meilleure reconnaissance de certaines victimes ? Cela peut avoir un intérêt si l’infraction nouvellement créée prévoit des peines différentes de ce qui existait auparavant (car cela marque une distinction). En revanche, s’il s’agit simplement d’un changement de nom et que cela ne change absolument rien à ce qui existait avec l’ancienne qualification, apparaît alors un risque de complexification du droit au nom d’une prise de conscience symbolique.

Voici donc relancé le débat : le droit doit-il être le reflet des étiquettes sociales ou doit-il conserver son caractère fonctionnel ? Si la réponse sociale peut se justifier pour des thématiques qui posent un problème depuis longtemps, tel que nous l’appréhendons par exemple dans nos travaux autour des embryons et des cadavres, peut-être pourrait-il être souhaitable que le législateur leur donne la priorité plutôt que de vouloir bouleverser des systèmes déjà fonctionnels.

 

 

Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l’EM Lyon, EM Lyon Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Non, les niches fiscales ne sont pas des dépenses publiques !

Par Victor Fouquet.
Un article de l’IREF France

Dans l’une de ses neuf notes thématiques publiées le 7 juillet, intitulée « Piloter et évaluer les dépenses fiscales » et s’insérant plus globalement dans sa « Contribution à la revue des dépenses publiques », la Cour des comptes invite le gouvernement à s’attaquer aux dépenses fiscales (ou « niches fiscales »).

 

Il faut dire que les griefs à l’encontre de ces mesures fiscales dérogatoires sont nombreux et souvent légitimes : efficacité douteuse, complexité des dispositifs, instabilité chronique, altération du système d’imposition et perte de recettes fiscales (la Cour rappelle que le coût des 465 niches recensées dans le PLF pour 2023, lui-même difficile à appréhender correctement compte tenu des phénomènes ici aussi prégnants d’incidence et de répercussion fiscales, est évalué à 94,2 milliards d’euros), mais aussi coûts de gestion administrative, érosion du principe d’égalité devant l’impôt, etc.

Figure centrale de la science fiscale moderne, le professeur Henry Laufenburger assénait dans sa Théorie économique et psychologique des finances publiques :

« Le conformisme classique de l’universalité de l’imposition est la base même de finances saines qui soutiennent l’économie et la monnaie. Du moment que, par faiblesse ou pour des motifs démagogiques, le gouvernement s’engage sur la pente glissante des exceptions à la règle sous forme de rétrécissement de l’assiette, de différenciation des taux, de détaxations ou dégrèvements, de remboursements de certains impôts, il mitraille son système fiscal, il obscurcit la vision de son rendement, il impose à l’administration un effort surhumain pour s’y retrouver, au contribuable des frais supplémentaires d’employés ou de conseils fiscaux dont la mission sera de le sortir – si possible – du labyrinthe. Les régimes d’exception compliquent la manifestation de l’impôt, encouragent la fraude puisque les contribuables cent pour cent cherchent à s’aligner sur les contribuables privilégiés. L’ordre fiscal dégénère en désordre, le système fiscal devient un monstre qui finit par se dévorer lui-même. »

Il serait cependant injuste d’imputer ce désordre au seul gouvernement, les groupes d’intérêts privés étant eux-mêmes incités à utiliser la fiscalité comme un instrument d’externalisation des coûts de l’impôt sur les citoyens non organisés, et l’étant d’autant plus fortement que le niveau de pression fiscale est élevé.

 

Car voilà bien le nœud : l’existence en France de niches fiscales pléthoriques apparaît d’abord comme la contrepartie à des taux nominaux élevés, finalement destinée à faire baisser la charge fiscale réellement supportée par les contribuables. S’il est certes souhaitable, l’inventaire des dépenses fiscales qu’appellent de leurs vœux les magistrats de la rue Cambon ne peut donc être dissocié de la question pendante de la diminution des taux d’imposition des différents impôts concernés. Il faut le dire et le répéter : on ne baisse pas la dépense publique en s’attaquant aux niches fiscales ; et, sauf à baisser symétriquement les taux, on augmente les impôts !

Rappelons que, si l’utilisation de l’impôt à fins interventionnistes, dans un but économique ou social et en tous les cas extra-financières, est ancienne, la notion et la dénomination de « dépense fiscale » n’ont été introduites qu’assez récemment dans les documents budgétaires officiels, suivant les recommandations formulées en 1979 par le Conseil des impôts devenu depuis Conseil des prélèvements obligatoires.

Décalquée de l’expression tax expenditures forgée aux États-Unis en 1967 par Stanley S. Surrey, professeur de droit à l’Université de Harvard avant de devenir secrétaire adjoint au Trésor pour la politique fiscale, l’expression française « dépenses fiscales » est alors présentée « comme le symétrique de l’expression « dépenses budgétaires » et comme le négatif de l’expression « recette fiscales », et employée plus exactement pour qualifier les « renonciations à des recettes par application de mesures fiscales à caractère dérogatoire ».

La Cour des comptes ne dit pas autre chose dans ladite note thématique, lorsqu’elle juge « nécessaire de considérer les dépenses fiscales comme des dépenses budgétaires ordinaires ».

Or, en utilisant l’expression de « dépenses fiscales » pour désigner, ni plus ni moins, les recettes qu’elle daigne ne pas prélever, l’administration fiscale française trahit un certain mépris de la propriété privée. Elle semble en effet considérer qu’il n’y a de richesse que collective, comme si l’État pouvait disposer à son gré des revenus et des patrimoines privés…

Sur le web

Les dépenses publiques ont augmenté plus rapidement durant le mandat Macron que sous Hollande

Par Victor Fouquet.
Un article de l’IREF

Après l’Assemblée nationale le 5 juin, le Sénat a, à son tour, rejeté le 3 juillet les deux projets de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour les années 2021 et 2022, les dépenses du budget de l’État atteignant un niveau historiquement élevé malgré un contexte de reprise économique.

Pour rappel, le Parlement avait déjà rejeté le projet de loi de règlement pour 2021 l’été dernier. Si elle n’a pas de conséquences financières à proprement parler, l’absence de loi de règlement pose néanmoins des difficultés techniques dans l’établissement comptable du bilan patrimonial de l’État, ainsi que dans la gestion du solde de certains comptes spéciaux (lesquels retracent, tel le compte d’affectation spéciale (CAS) « Pensions », des recettes affectées à des dépenses particulières).

À l’examen des comptes publics ainsi arrêtés par le gouvernement, la gestion de la crise sanitaire semble, contrairement à celle de la crise financière de 2008, où le niveau des dépenses publiques était rapidement revenu à son niveau antérieur, avoir marqué non pas une situation exceptionnelle et temporaire, mais un nouveau plancher de dépenses durablement rehaussé.

Ainsi, après avoir connu un pic à presque 80 % lors de la crise sanitaire, le surcroît des dépenses par rapport aux recettes du budget général de l’État est encore aujourd’hui de 55 %, loin des 29 % du début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Et ce alors même que les recettes fiscales ont augmenté en 2022 bien plus rapidement que la croissance du PIB, l’écart entre la prévision et la réalisation s’établissant à près de 36 milliards d’euros (ampleur qui en dit long sur les difficultés de chiffrage de l’administration fiscale).

Par rapport au solde budgétaire de 2021, le solde de l’État (un nouveau déficit de 151,4 milliards d’euros…) s’est « amélioré » en 2022 uniquement parce que les dépenses du plan d’urgence et du plan de relance liées à la crise sanitaire sont en voie, progressive et pour ainsi dire naturelle, d’extinction.

Parallèlement, le nouveau cycle de mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages et des entreprises (d’un montant estimé par la Cour des comptes à plus de 11 milliards d’euros, dont près de 8 milliards au titre des seules remises sur les prix des carburants), prises cette fois-ci pour répondre au retour de l’inflation (5,2 % en moyenne annuelle) et aux conséquences du déclenchement de la guerre en Ukraine, a profondément dégradé les finances publiques du pays.

L’ensemble des moyens mis en œuvre par l’État pour endiguer l’accélération des prix et afficher ainsi un taux d’inflation plus faible qu’à l’étranger a coûté au total environ 38 milliards d’euros.

 

Augmentation de la charge de la dette : 21 milliards d’euros entre 2020 et 2022

Avec un déficit public pour 2022 égal à 124,5 milliards d’euros (les administrations publiques locales présentant un solde à l’équilibre, tandis que celui des administrations de sécurité sociale est en excédent), soit 4,7 % du PIB, la France reste très éloignée de l’objectif de 0,3 % du PIB fixé par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

La répétition de déficits aussi élevés, autrement dit la poursuite de notre financement « à crédit », est d’autant plus inquiétante que l’environnement monétaire a changé et que, avec une augmentation spectaculaire de la charge de la dette de 21 milliards d’euros entre 2020 et 2022, ce sont huit années de baisse qui ont été effacées en deux ans seulement. Cette dernière hausse est très préoccupante car il ne s’agit, pour l’heure, que de l’effet de l’inflation sur la dette indexée, auquel va venir s’ajouter ces prochaines années l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur le renouvellement des titres…

Il est alarmant – et ô combien significatif quant à la nature de la politique économique menée par l’actuel pensionnaire de l’Élysée – de constater que les dépenses ordinaires (dépenses publiques hors charges de la dette et sans prendre en compte les mesures engagées pour répondre à la crise sanitaire et à la crise énergétique) ont progressé plus rapidement en volume au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron (1,2 % par an en moyenne) que pendant le quinquennat de François Hollande (1 % par an en moyenne).

Sur le web

Légalisation du cannabis : un maire ouvre le débat

Le débat sur la légalisation du cannabis récréatif revient sur le devant de la scène politique très souvent, et désormais à une fréquence de plus en plus régulière.

Il est relancé une nouvelle fois par le maire de Bègles, qui souhaite faire de sa ville un laboratoire d’expérimentation en faveur de la légalisation. Au début de l’année, il a ainsi adressé une lettre au président de la République pour lui faire part de sa proposition.

 

Une répression qui ne fonctionne pas

Clément Rossignol-Puech, maire écologiste de Bègles, commune située à quelques kilomètres de Bordeaux, souhaite que ses habitants puissent vendre, acheter et consommer du cannabis de façon légale. Il désire faire de sa commune le tout premier territoire en France à expérimenter le commerce encadré et légal du cannabis.

Il s’est donc porté candidat pour cette expérimentation locale, en adressant un courrier à Emmanuel Macron dans lequel il expose les raisons de sa demande.

Les arguments sont déjà bien connus.

Le maire évoque la banalisation grandissante de la consommation de cannabis chez les jeunes, les trafics liés à la vente qui engendrent des problèmes de sécurité, ou encore le niveau de THC (la substance psychoactive du cannabis) qui augmente d’année en année, créant un risque de santé publique.

Dans un entretien accordé à 20minutes, il explique :

« Malgré la mise en place d’un système de prohibition depuis plus de 50 ans, un des plus répressifs d’Europe, la France est le pays de l’Union européenne qui compte en proportion le plus de consommateurs ».

Pour lui, aucun doute, la répression ne fonctionne pas, et on aurait beaucoup de mal à lui donner tort.

Il précise également que son but n’est pas de faire « l’apologie du cannabis », il ne désire pas « développer sa consommation », mais au contraire encadrer tout le processus pour éviter au maximum les dérives et communiquer efficacement avec les fumeurs sur les risques liés à la consommation.

Les objectifs du maire sont multiples : il veut accompagner au maximum les consommateurs, contrôler la qualité du cannabis vendu, ou encore lutter contre les trafics et toutes les violences qui y sont liées. Bien sûr, un argument économique est mis en avant, avec le développement d’une nouvelle filière agricole.

Le groupe de réflexion Terra Nova avait notamment estimé que la légalisation du cannabis rapporterait 1,8 milliard d’euros par an à l’État, aussi bien en taxes sur la vente des produits, que sur les économies réalisées en mettant fin à la répression.

 

Un maire impliqué

Clément Rossignol-Puech n’en n’est pas à son coup d’essai.

En 2023, il était à l’initiative d’une tribune, publiée dans le JDD, où plusieurs maires, mais également des députés, des sénateurs ou des acteurs associatifs, faisaient part de leur souhait d’expérimenter localement « un modèle de légalisation encadrée de production, vente et consommation de cannabis ».

On y retrouvait déjà les mêmes arguments cités plus haut en faveur de la légalisation et des personnalités de tous les horizons politiques (ou presque) avaient signé la tribune. Si le sujet est donc éminemment politique, des hommes et femmes, de gauche comme de droite, sont prêts à franchir le pas.

 

Une Europe qui progresse lentement sur le sujet

Si ce type d’expérimentation n’a encore jamais été mis en place en France, nos voisins suisses s’y essaient déjà.

La légalisation du CBD en Suisse, autre substance issue du cannabis, est arrivée plus tôt qu’en France et les Suisses semblent aussi avancer plus vite que nous pour le cannabis récréatif. Une première expérimentation a débuté à Bâle en février, puis une seconde plus étendue à Lausanne a commencé en mars, et une troisième débutera en août à Zurich.

En octobre 2022, le ministère de la Santé allemand présentait également une feuille de route pour un cadre à la légalisation du cannabis récréatif, effectif pour 2024. Ici, le but est similaire à celui visé par le maire de Bègles : un commerce totalement légalisé, mais un contrôle strict de la chaîne d’approvisionnement, de la production jusqu’à la vente.

Pour l’instant, hormis les Pays-Bas, aucun autre pays de l’Union européenne n’a totalement légalisé le commerce du cannabis. Il y a cependant des avancées un peu partout sur le vieux continent. Par exemple, Malte et l’Espagne permettent à leurs habitants de cultiver quelques plantes pour une consommation personnelle, et le Luxembourg souhaite s’inspirer du modèle maltais.

En revanche, la France reste toujours très prudente et très bloquée sur ce sujet, malgré une politique répressive qui échoue sur tous les plans depuis des dizaines d’années. Emmanuel Macron a simplement indiqué « avoir pris note » de la demande du maire de Bègles… On peut imaginer que les nombreux consommateurs français attendent une réponse pragmatique de leur président.

Le modèle social français n’est pas soutenable

Un article de l’Iref-Europe

 

Par leurs votes, les Français ont opté majoritairement pour un modèle social qui repose sur une conception très large du « service public », confiant à l’État de nombreuses missions : la production d’un service de santé de qualité, l’éducation, la garantie d’un logement, les retraites, des revenus minimum, ou encore la promotion de la culture. C’est le « modèle social à la française » qui a fait rêver plus d’un étranger. C’est aussi le modèle que beaucoup de Français – et donc les politiques qui les représentent – continuent de plébisciter.

Pourtant les faits sont là : ce modèle est insoutenable.

En quoi l’est-il ?

La question doit être traitée avec attention si l’on veut éviter les débats stériles du type de ceux qui se sont tenus autour de la réforme des retraites. Certes, de la même façon qu’il n’était pas faux d’affirmer la possibilité de « sauver » notre système des retraites, il est possible de « sauver » notre modèle social. Mais il faudrait pour cela accepter de payer plus (et plus longtemps) et de recevoir moins. N’est-il pas tout simplement réaliste de dire d’un modèle qui requiert des sacrifices toujours plus grands pour des bénéfices de plus en plus faibles, qu’il est insoutenable ? Je pense que oui.

Que notre modèle social coûte cher ne fait aucun doute.

Les données de l’OCDE nous le rappellent : la France est parmi les pays développés où le ratio des dépenses publiques sur le PIB est le plus fort. Nous sommes même bien souvent le pays avec le ratio le plus élevé. Et clairement, si en 2021 ce ratio est de 59,05 % pour la France contre 51,25 % en Allemagne, 44,94 % aux États-Unis ou encore 35,92 % en Suisse, c’est parce que nous nous reposons plus lourdement sur l’État.

Mais à partir de ces seules observations, peut-on conclure que le modèle français est insoutenable ? Certainement pas.

Après tout, si l’on a confié davantage de missions à l’État, il est normal qu’il dispose de plus de moyens.

Dépenses publiques générales en pourcentage du PIB pour quelques pays de l’OCDE, 2007, 2020, 2021

Source : OCDE, Statistiques des comptabilités nationales

Oui mais… Parce qu’elles s’expriment en pourcentage de PIB, ces statisitques cachent une partie importante de la réalité : notre PIB rapporté au nombre d’habitants est moins élevé que chez de nombreux pays voisins. Pour faire simple, le Français est moins riche que nombre de ses voisins.

Dépenses publiques générales par habitant pour quelques pays de l’OCDE, 2007, 2019, 2020

Source : OCDE, Statistiques des comptabilités nationales

Ainsi, alors que nous sommes leader du premier classement – celui qui donne le ratio des dépenses publiques sur le PIB – nous ne sommes qu’à la septième place dans le classement des dépenses publiques par habitant (outre le Danemark, la Belgique et la Suède qui figurent dans notre tableau, nous devancent également le Luxembourg, la Finlande, l’Autriche et la Norvège).

Dit autrement, bien qu’étant recordman de la pression fiscale, nous sommes bien loin d’être recordman dans la catégorie des sommes réellement dépensées par l’État pour chacun des citoyens. Ainsi, les Suédois ont un ratio dépenses publiques/PIB plus de 12 points inférieurs au nôtre (Suède 46,6 %, France 59,05 %). Pourtant, en 2021, l’État suédois a dépensé la somme de 29 754 euros par habitant, soit presque autant que la France.

Ces observations suffisent-elles maintenant à établir que le modèle social français est insoutenable ?

Pas encore. Mais elles devraient nous mettre la puce à l’oreille… Car elles corroborent une théorie, qui relève du bon sens, selon laquelle un système basé sur la redistribution n’incite guère à la création de richesse; et surtout lorsque cette redistribution est coercitive.

Cependant, au-delà de cette prise en compte de la nature humaine, il est une autre raison pour laquelle notre modèle social est insoutenable : l’inefficience de la dépense publique. Là encore le phénomène est bien connu. Milton Friedman l’a baptisé du nom de Loi de Gammon. Voici l’extrait de son texte :

« Il y a quelques années, je suis tombé sur une étude du Dr Max Gammon, […] comparant les entrées et les sorties dans le système hospitalier socialisé britannique. Prenant le nombre d’employés comme mesure d’entrée et le nombre de lits d’hôpitaux comme mesure de sortie, il a noté que […] les intrants avaient fortement augmenté, alors que la production […] avait en fait chuté. […] Selon ses propres termes, dans un système bureaucratique […] l’augmentation des dépenses s’accompagnera d’une baisse de la production. […] De tels systèmes agiront plutôt comme des trous noirs dans l’univers économique, absorbant les ressources tout en diminuant les émissions de production. J’ai longtemps été impressionné par le fonctionnement de la loi de Gammon dans le système scolaire américain : les intrants […] augmentent depuis des décennies, et les résultats, qu’ils soient mesurés en nombre d’élèves, en nombre d’écoles ou, plus clairement, en qualité, ont baissé. »

Il y a fort à parier que cette loi de Gammon est à l’œuvre aujourd’hui dans le « modèle social » français.

Une étude IREF de 2020 montrait que la qualité de notre système de santé est moindre que dans les pays au développement économique comparable au nôtre. Sur les cinq classements répertoriés par l’étude, un seul plaçait la France parmi les dix meilleurs pays, et encore c’était à la 9e place ! La bonne nouvelle est que ces pays qui font mieux que nous qualitativement proposent un système de santé différent du nôtre. Une alternative prometteuse existe donc bien. Mais pour aller de l’avant il faudra d’abord sortir du mythe d’un modèle social français qui aurait toutes les vertus du monde.

 

Sur le web

Et si tous les travailleurs pouvaient être indépendants…

Un article de l’Iref-Europe

Livreurs à vélo, chauffeurs VTC, professeurs ou psychologues…

Dans l’Union européenne, environ 28 millions de personnes travailleraient sous le statut d’indépendant pour des plateformes comme Deliveroo, Bolt ou Uber. Elles pourraient être 43 millions en 2025. Fonctionnaires et élus européens, surprotégés, ne peuvent pas imaginer que des travailleurs préfèrent leur indépendance au risque de leur inquiétude, être le loup plutôt que le chien de la fable.

 

La technocratie européenne s’évertue à tuer l’innovation

Les eurodéputés ont validé en février dernier une proposition de directive, publiée par la Commission le 9 décembre 2021, puis retravaillée et présentée par le Conseil européen début juin à l’effet d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes.

Alors qu’aujourd’hui, ceux-ci doivent démontrer qu’ils sont, le cas échéant, salariés, si cette directive aboutit, les travailleurs seront légalement présumés être des salariés si dans leur relation avec une plateforme numérique celle-ci remplit au moins trois des sept critères énoncés dans la directive, à savoir que la plateforme :

  1. Détermine les plafonds du niveau de rémunération
  2. Exige de la personne exécutant un travail via une plateforme qu’elle respecte des règles spécifiques en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail
  3. Supervise l’exécution du travail, y compris par des moyens électroniques
  4. Restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de choisir ses horaires ou ses périodes d’absence
  5. Restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude d’accepter ou de refuser des tâches
  6. Restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d’organiser son travail en limitant la latitude de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants
  7. Restreint la possibilité de se constituer une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.

 

Cette directive veut donc imposer de nombreuses obligations aux plateformes pour garantir les nouveaux droits des « travailleurs ».

Peu à peu, la technocratie européenne s’évertue à tuer l’innovation et préserver son vieux monde. Elle rend plus chers les services qui venaient augmenter le pouvoir d’achat de tous. Mais surtout, elle viole les droits élémentaires de chacun à travailler selon ses choix.

 

L’Europe ne comprend pas que certains salariés préfèrent être « indépendants »

Et elle refuse de comprendre que le meilleur accomplissement humain est dans la liberté et la responsabilité individuelles.

Elle devrait se ressourcer dans la lecture de Hyacinthe Dubreuil.

Il y a déjà plus d’un siècle, cet ouvrier syndicaliste CGT d’origine, mais chrétien, prônait la transformation du travail salarié en travail indépendant. Il voulait individualiser la situation de chacun en fonction de ses qualités propres. « Notre désordre actuel, ajoutait-il, provient de toute évidence, du fait que l’on veut soumettre l’individu aux lois du groupe en ignorant les siennes ».

Il proposait donc que les entreprises soient organisées en petits ateliers autonomes pour réaliser des tâches successives de fabrication avec des équipes dont les membres seraient rémunérés en fonction de l’efficacité de leur organisation. Les individus seraient ainsi maîtres et responsables de leur travail autant que de leur rémunération. Il voulait en fait que les salariés puissent disposer des moyens d’accomplir leur existence « sur les trois plans économique, intellectuel et moral ». Ce qui supposait pour lui qu’on leur rende leur autonomie et la responsabilité de leur travail. C’est précisément ce que peuvent trouver les individus dans le travail indépendant.

L’Europe aime les fonctionnaires et les salariés. Elle ne comprend pas que certains préfèrent être « indépendants », travailler pour leur compte. Parce qu’elle aime ceux qui ont besoin de sa protection, pas ceux qui aimeraient s’en passer. Elle voudrait donc que tous soient salariés, ou le plus grand nombre. Dans l’esprit collectiviste ambiant qui l’anime désormais, elle n’a de cesse de vouloir remettre tous les travailleurs sous le statut du salariat, soumis à des règles uniformes et publiques.

Au motif de les protéger tous, il s’agit de les assujettir tous à un même moule ; de les obliger à s’assurer auprès d’une sécurité sociale très onéreuse et peu efficace ; de les empêcher de souscrire des retraites par capitalisation pourtant plus protectrices ; de les soumettre à des conventions collectives plutôt qu’à des contrats qu’ils pourraient librement négocier.

Il est prévu que la directive entre en vigueur en 2025. Mais la négociation n’est pas encore achevée. Souhaitons que l’Europe retrouve ses esprits d’ici là.

Sur le web

La diabolisation du RN ne fonctionne plus

En juin 2022, le Rassemblement national a fait entrer 88 députés à l’Assemblée nationale alors même que les règles du scrutin majoritaire à deux tours ne lui étaient pas favorables.

Ce succès a confirmé l’avancée de Marine Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles avec un score qui a progressé de plus de 2,6 millions de voix quand Emmanuel Macron perdait plus de deux millions de suffrages. Ce que la candidate du Rassemblement national a qualifié d’« éclatante victoire » n’en a pas moins été un échec. Pour éviter une nouvelle défaite en 2027, le parti qu’elle incarne doit absolument sortir de son isolement en devenant l’artisan et le principal bénéficiaire d’une recomposition de toutes les forces situées à droite de l’échiquier politique à un moment ou LR est en position de grande faiblesse.

 

L’érosion du cordon sanitaire

La tâche n’est pas insurmontable, mais n’a rien d’évident tant les autres composantes d’une éventuelle union des droites sont fragmentées et divisées.

Pour y parvenir, le parti mène depuis des années une entreprise de dédiabolisation qui n’est pas arrivée à son terme dans la mesure où le cordon sanitaire qui en fait un paria tient toujours. Vieux de 37 ans, il a été mis en place en 1986 alors que grâce au scrutin proportionnel institué par François Mitterrand, le Front national avait obtenu 35 sièges de députés et pu constituer un groupe parlementaire

Comme l’écrit Jean-Marie Le Pen dans le tome 2 de ses mémoires :

« Chirac réagit aussitôt. Il lança contre notre remarquable équipe, que la géographie de l’Assemblée plaçait à l’extrême droite du président de séance, la consigne de l’isoler par un cordon sanitaire […] Les députés de sa majorité ne devaient ni voter les textes que nous proposerions ni nous adresser la parole » .

Depuis bientôt 4 décennies, le cordon a tenu, mais il est de plus en plus fragile. Le parti LR, qui autrefois structurait la droite et une partie du centre, est en perte drastique d’influence et nombre de ses responsables sont de plus en plus réceptifs à un projet global de recomposition du paysage politique. Face à cette « montée des périls » les attaques redoublent mais sont mal ciblées, empruntant toujours les deux mêmes voies rebattues de la morale et du droit.

 

Les impasses de la voie judiciaire

Le tribunal médiatique siège en permanence, mais s’épuise à déterrer des affaires à porter en justice pour détériorer l’image du Rassemblement.

Depuis 2014, les enquêtes visant le Front national puis le Rassemblement national se sont multipliées. Celle ouverte en 2014 portait sur le financement des campagnes pour les législatives et la présidentielle de 2012. La dernière affaire en date repose sur un rapport de l’Office anti-fraude de l’Union européenne. Transmis en mars 2023 à la justice française, il accuse la candidate du Rassemblement national d’avoir personnellement détourné près de 140 000 euros d’argent public du Parlement de Strasbourg quand elle était eurodéputée.

Mais qu’il s’agisse de financement de campagnes, d’éventuels subsides de la Russie, de suspicion d’emplois fictifs ou d’accusations de détournement de fonds, force est de constater qu’aucune des casseroles accrochées aux basques de ceux qui incarnent le Rassemblement national n’a freiné l’ascension du parti sur la scène politique.

Pour consolider la digue qui se fissure, reste le recours aux arguments moraux dont on peut renforcer l’impact en les associant aux procès en malhonnêteté.

 

Les limites du « reductio ad hitlerum » 

C’est tout le sens du dernier assaut qui mêle procès en sorcellerie fasciste et accusations de tripatouillages financiers.

Le 6 mai dernier, deux proches de Marine Le Pen, jouant ou ayant joué un rôle important dans la communication et le financement de la galaxie Rassemblement national ont été accusés, l’un d’avoir soutenu, et l’autre d’avoir participé à un défilé commémorant la mort d’un militant nationaliste survenue en 1994 en marge d’une manifestation organisée par le GUD.

Comme l’a rappelé la préfecture de Paris, cette manifestation était autorisée et, comme les précédentes, elle s’est déroulée sans incident. Il n’en reste pas moins que comme le relève le journal Le Monde, les deux personnes mises à l’index sont ou étaient liées au Rassemblement national par le biais d’e-politic, une entreprise de communication dont ils sont actionnaires, mais aussi par des contrats d’impression signés au niveau européen avec Unanime une entreprise fondée par la femme de l’un d’eux. L’article doit toutefois reconnaitre que ces contrats multiples « n’ont rien d’illégal ».

Dans ces conditions, il était facile aux responsables du Rassemblement national de répondre à cette offensive, et de s’appuyer sur elle pour franchir une étape supplémentaire du processus de dédiabolisation.

 

Le retour de bâton

Marine Le Pen a eu beau jeu de répondre que « les gens qui sont des prestataires ou l’ont été, et qui s’exposent dans des manifestations qui portent des idées radicalement différentes de celles du Rassemblement national, doivent s’attendre à en tirer les conséquences, du moins à ce que le Rassemblement national en tire. ».

Ce que confirme Jordan Bardella (« On ne peut pas être proche du Rassemblement national quand on milite derrière des croix celtiques ») en ajoutant sur France Info : « Si on en est là c’est que vous n’avez plus grand chose à nous reprocher ».

La réductio ad hitlerum, ce procédé rhétorique consistant à disqualifier les arguments d’un adversaire en les associant à Adolf Hitler, est devenu contre-productif. Les ennemis du Rassemblement national s’épuisent désormais en arguties juridiques qui ne font plus mouche en se demandant gravement si les manifestants du 6 mai avaient bien le droit de défiler masqués.

Quand Emmanuel Macron assure en conseil des ministres que « Le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des arguments moraux », il a raison. C’est bien par ses incohérences qu’il faut décrédibiliser le Rassemblement national.

 

Le problème, c’est le programme

Or d’incohérences, le programme de ce parti n’en manque pas.

C’est bien en s’appuyant sur elles qu’on devrait l’affronter, ce que les organisations de gauche ne sont pas en mesure de faire, car le projet du Rassemblement national est sur bien des points très similaire à celui de LFI. Pour se dédiaboliser et devenir un parti attrape-tout, le Rassemblement national a de fait remis en musique les marottes égalitaristes de la gauche la plus obtuse. Dans les deux cas, il s’agit de projets profondément antilibéraux qui sacrifient allègrement toutes les libertés économiques restantes.

En 2017, le projet présidentiel de madame Le Pen conspuait l’UE et se débarrassait de l’euro.

En 2022, le Rassemblement national conspue toujours l’UE, mais il n’est plus question d’en sortir.

Quant à l’euro, on le garde en le chargeant de tous les maux. De telles positions sont intenables. Pour ce qui est des dépenses publiques, on envisage sérieusement de charger plus encore une barque financière qui prend l’eau de toutes parts, ce qui est le plus sûr moyen de la faire couler. Autre aberration au regard des évolutions démographiques : revenir sur le report de l’âge légal de départ en retraite condamnerait à la faillite un système par répartition que par ailleurs on prétend sauver.

Comment peut-on encore soutenir des programmes de ce type au vu de la situation calamiteuse de l’économie française, plombée par une dette publique abyssale (près de 3000 milliards d’euros en 2022), un déficit budgétaire sans précédent en temps de paix et une balance commerciale dont le solde a plongé à -164 milliards d’euros l’année dernière ?

Ce n’est explicable que par la profonde inculture économique de la majorité de nos concitoyens.

Il faut répondre à l’angoisse du déclassement que ressentent un grand nombre de Français. Mais on ne peut plus le faire par le recours à l’argent magique, les finances publiques étant à sec. Il faut donc explorer une autre voie réhabilitant l’esprit d’initiative, l’esprit d’entreprise et la créativité individuelle, autrement dit recourir enfin à des solutions libérales.

Madame Le Pen nous montre une lune et nous regardons le doigt pour savoir s’il se situe ou non dans le prolongement d’un bras bien tendu. Il est temps d’ouvrir les yeux et de réaliser que cette lune n’est qu’un miroir aux alouettes.

Redresser l’économie française en 10 ans : un pari impossible ?

La sixième édition de Choose France vient de s’achever, et a été à nouveau un succès.

Avec 13 milliards d’euros de nouveaux investissements annoncés, les grands industriels étrangers réunis à Versailles restent confiants dans la France. Le redressement de notre économie ne pourra se faire que par la voie de la réindustrialisation, et celle-ci va nécessiter beaucoup de capitaux. Aussi, n’en déplaise aux souverainistes, le recours aux capitaux étrangers est essentiel, car les capitaux français ne suffiront pas. Avec ces fonds étrangers, le pays est sur la bonne voie, mais sera-t-il capable de se réindustrialiser à un rythme suffisant ? Rien n’est moins sûr : il y va pourtant du redressement de toute l’économie, et de notre capacité à maitriser la dette extérieure.

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la France s’est très fortement désindustrialisée, ce qui a considérablement affaibli son économie.

Tous les clignotants de l’économie sont au rouge :

  • taux de chômage anormalement élevé
  • budget de la nation en déficit chaque année
  • dépenses publiques et prélèvements obligatoires extrêmement importants et beaucoup plus élevés que dans tous les autres pays européens
  • balance commerciale déficitaire chaque année
  • dette extérieure sans cesse croissante au point de devenir supérieure au PIB

 

L’Agence de notation Fitch a déjà dégradé deux fois la note du pays : une première fois en faisant passer la France de AAA à AA, et une seconde fois, tout récemment, en rétrogradant notre pays d’un cran, avec la note AA-.

 

Une économie aux très mauvaises performances

Le service des statistiques des Nations Unies a produit une étude comparative des performances économiques d’un certain nombre de pays sur une longue période. En Europe, la France a réalisé les moins bonnes performances, ce que montre le tableau ci-dessous, auquel nous avons ajouté le cas d’Israël, qui est tout à fait exceptionnel :


(ONU : Statistics Division)

Durant toute cette période, les performances économiques de la France ont été bien inférieures à celles des autres pays européens. Il aurait fallu être au minimum au multiplicateur 4,0, ce qui aurait conduit notre PIB à être environ 30 % plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Notre taux de dépenses publiques serait alors de 40 %, c’est-à-dire identique au taux moyen des dépenses publiques de l’Union européenne (42,5 %), et notre taux d’endettement se trouverait ramené à 78 % par rapport au PIB.

En revanche, les dépenses publiques n’ont pas cessé de croître régulièrement : elles sont au niveau de celles des pays d’Europe aux économies les plus avancées.

Dépenses par habitant en dollars (Sources : banque mondiale)

Les dépenses publiques françaises sont celles de pays ayant des PIB par habitant 50 % supérieurs. C’est notre PIB qui n’a pas augmenté au rythme voulu.

De cette distorsion entre la croissance des dépenses publiques et celle du PIB est résulté un accroissement régulier de la dette :

Dette extérieure du pays en % du PIB (Source)

La dette française est maintenant supérieure au PIB, alors que pour respecter les règles de la zone euro, elle devrait être en dessous de la barre de 60 % du PIB. Le traité de Maëstricht n’est donc pas respecté, ni pour les déficits budgétaires annuels ni pour la dette, ce que nos partenaires européens ne cessent de nous reprocher.

Il est tout à fait incompréhensible que les dirigeants du pays aient laissé notre économie se dégrader ainsi. Il serait souhaitable qu’une commission parlementaire soit créée pour déterminer les responsabilités.

Le secteur industriel a fondu, passant de 6,5 millions d’emplois à la fin des Trente Glorieuses à 2,7 millions aujourd’hui, alors que l’industrie est l’activité qui crée le plus de richesse.

Le taux d’industrialisation se situe maintenant à seulement 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. Nos dirigeants se sont laissés abuser par le cliché voulant qu’une économie moderne soit une économie postindustrielle dont les activités ne sont plus constituées que par des services : c’est la conclusion erronée que les sociologues ont cru pouvoir tirer des travaux de Jean Fourastié, qui avait publié, en 1969, Le grand espoir du XXe siècle, un ouvrage qui a beaucoup marqué les esprits.

Cet économiste avait montré qu’un pays qui se développe passe du secteur agricole au secteur industriel, puis du secteur industriel au secteur des services : les effectifs du secteur industriel diminuent dans la dernière phase du développement, mais du fait de la croissance rapide de la productivité dans l’industrie, la valeur ajoutée de ce secteur secondaire ne régresse pas, et continue à représenter entre 20 % et 25 % du PIB.

La pensée de Jean Fourastié a été déformée car il s’était exprimé en termes d’emplois, et non pas de valeur ajoutée, ce qui n’a pas été compris. Cette erreur a été fatale à l’économie française : persuadés que le pays était sur la bonne voie en se désindustrialisant, les dirigeants ont laissé partir toute notre industrie.

 

Esquisse d’un plan pour redresser l’économie en 10 ans 

Le redressement de notre économie passe par la réindustrialisation du pays.

La solution souvent proposée, et consistant à réduire les dépenses publiques, est illusoire : ce serait soigner les conséquences du mal, mais pas la cause. De surcroît, elle n’est pas réaliste, car la population est maintenant habituée à l’État providence et n’accepterait pas de régression en ce domaine.

En effet, de toutes parts, il est demandé davantage de policiers, de soignants dans les hôpitaux, de juges, de gardiens de prison, d’enseignants, etc. Et il faudrait également augmenter la rémunération de tous ces personnels. Par ailleurs, avec la réapparition de l’inflation, l’État se voit contraint de venir en aide aux personnes les plus défavorisées.

La population demande « toujours plus », nous avait déjà expliqué François de Closets en 19841.

Nous avons procédé à des simulations pour voir selon quels processus la réindustrialisation du pays pourrait s’opérer en dix ans. Il va falloir remonter à 18 % la participation du secteur industriel à la formation du PIB, alors qu’elle n’est plus que de 10 % aujourd’hui, pour aboutir aux résultats suivants :

  • Contribution de l’industrie à la formation du PIB : 18 %
  • Création d’emplois industriels : 1 000 000 d’emplois au rythme de 100 000 annuels
  • Investissements à réaliser : 350 milliards d’euros
  • Recours aux investissements étrangers (IDE) : 150 milliards
  • Investissements entreprises françaises : 20 milliards
  • Investissements entreprises étrangères : 15 milliards

 

Selon ce plan, les effectifs du secteur industriel atteindraient le chiffre de 3,7 millions de personnes en fin de période, chiffre à comparer aux 7,5 millions de salariés en Allemagne dans ce même secteur.

Pour être en mesure de soutenir un tel rythme, il faudra nécessairement des aides très importantes de la puissance publique. C’est d’ailleurs ainsi que vient de procéder le président Joe Biden aux États-Unis avec l’IRA. Ces aides sont d’autant plus nécessaires que l’environnement, tant national qu’international, n’est guère favorable.

Sur le plan intérieur, des freins à la réindustrialisation sont mis par les écologistes, et le gouvernement se plie continuellement à leurs exigences. Le droit du travail est rigide et pénalisant pour les chefs d’entreprise, la fiscalité tarde à être en harmonie avec celle de nos voisins, les réglementations européennes bloquent les initiatives que pourrait prendre l’État français pour réindustrialiser le pays, et le coût du travail est considérablement plus élevé que dans les anciens pays de l’Est maintenant intégrés dans l’Union européenne.

Sur le plan international, la guerre en Ukraine a fait fortement grimper le coût de l’énergie en Europe, ainsi que les mesures incitatives prises par le président Joe Biden pour investir sur le continent américain.

Autant de difficultés qu’il va falloir affronter…

 

Le plan Macron sera-t-il suffisant ?

Ce n’est que par le hasard de la crise liée au Covid-19 qu’Emmanuel Macron a réalisé combien notre pays était désindustrialisé.

Il a donc lancé en octobre 2021 son plan France 2030 auquel seront consacrés 30 milliards d’euros. Ce plan s’inscrit dans la ligne des Programmes d’investissements d’avenir, de sorte que les moyens mis en œuvre pour la réindustrialisation vont finalement s’élever à 54 milliards d’euros.

Le 11 mai dernier, à l’Élysée, devant une assemblée composée de ministres et d’industriels, le président a donné des précisions sur la feuille de route.

Il a annoncé des aides de l’État sous forme de crédits d’impôts pour l’implantation d’industries vertes, la réduction de moitié des délais pour les procédures  administratives de création de nouvelles usines, l’aménagement de nombreux sites industriels clés en mains, une pause de Bruxelles dans le domaine des normes environnementales, et le renforcement, à tous les niveaux, des moyens de formation professionnelle.

Il a débuté sa conférence en affirmant que « la bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique ». Il parait donc maintenant tout à fait convaincu de la nécessité de réindustrialiser le pays.

Mais il est bridé par la Commission européenne qui privilégie le soutien aux industries vertes.

Le rythme de la réindustrialisation est, pour l’instant, extrêmement lent. La journaliste Bertille Bayart nous dit, dans Le Figaro du 10 mai dernier, que depuis six ans, 90 000 emplois industriels ont été créés. C’est extrêmement peu.

Pour accélérer, l’État va devoir renforcer considérablement son soutien à l’investissement dans le secteur industriel. Dans d’autres articles, j’évoque une aide directe fondée sur la création d’emplois industriels, et quel que soit le secteur, articulée de la façon suivante : 20 000 euros par emploi les cinq premières années, puis 10 000 euros les cinq années suivantes, soit 150 000 euros par emploi.

Certes, ce montant est très important, mais l’intensité en capital est aujourd’hui très élevée dans les industries modernes du fait de la numérisation. Ainsi, les aides de l’État s’évalueraient à 150 milliards, étalées sur 20 ans. Ce coût est relativement modeste pour le pays, au regard des enjeux, puisqu’il ne s’agirait pas moins que de remettre sur pied notre économie.

Pour l’heure, Emmanuel Macron est paralysé par la Commission européenne qui bloque les subventions. Il faudra qu’il argumente sur l’état de la France, un pays sinistré, le plus désindustrialisé d’Europe, avec la Grèce. Si un redressement rapide ne s’effectuait pas, la dette du pays continuerait d’augmenter, conduisant le pays sur une voie dangereuse, ce qui n’est guère l’intérêt de ses partenaires de la zone euro.

On est très loin d’être en mesure de créer 100 000 emplois industriels par an. Un tel rythme ne pourra être obtenu qu’avec des aides très substantielles de la puissance publique, au moins du niveau indiqué plus haut. Il est hélas à craindre que les autorités de Bruxelles n’y consentent pas, laissant donc l’économie française continuer à se dégrader. Alors la feuille de route tracée plus haut ne pourra pas être suivie, elle est sans doute une ambition irréalisable.

  1.  François de Closets, Toujours plus !, Paris, B. Grasset, 1982.

Le principe pollueur-payeur au service de la transition énergétique

La publication du rapport de France Stratégie sur les incidences économiques de l’action pour le climat est une étape importante de la prise de conscience nécessaire des voies et moyens associés à la transition énergétique.

Malgré les incertitudes sous-jacentes, on peut le résumer ainsi : il faut investir massivement pour substituer aux modes de production et de consommation fossiles actuels des modes moins émetteurs de gaz à effet de serre (GES) : de l’ordre de deux points de PIB supplémentaires par an (67 milliards d’euros).

Dans un premier temps, flécher (et donc partiellement substituer) les investissements vers ceux visant à réduire l’intensité en émissions au lieu de ceux susceptibles d’augmenter la productivité aura un effet négatif mécanique sur cette dernière (-0,25 % par an) mais cet effet pourra être au moins partiellement compensé à terme sur le niveau de croissance par le choc positif de demande associé à la hausse de l’investissement.

L’État devra intervenir financièrement pour inciter/soutenir/mettre en œuvre ces choix d’investissements et les rendre socialement acceptables (aides ciblées). Cela entraînera une hausse des dépenses publiques (25 à 34 milliards annuels en début de période, soit 13 points de pourcentage d’ici 2050), mais aussi une baisse potentielle des recettes (dont 35 milliards d’accises sur les énergies fossiles compensées par les taxes carbone et 8 points de pourcentage consécutifs à la baisse de croissance potentielle).

Le rapport propose un financement via la réallocation des dépenses « brunes » actuelles, un accroissement de l’endettement et une taxe « temporaire » sur l’épargne financière de type ISF. Ces derniers éléments appellent quelques remarques.

La question de l’endettement

En premier lieu, il convient de signaler que nonobstant les chiffres élevés annoncés, les enjeux économiques restent gérables : de l’ordre de 40 milliards par an soit 2,6 % des dépenses publiques 2022.

Le deuxième point porte sur la proposition d’endettement. Au regard d’une hypothèse de normalisation de l’inflation et des politiques monétaires quantitatives, il est raisonnable de penser que les taux d’équilibre seront proches du taux de croissance et ne présenteront pas d’opportunités d’arbitrage. Dans un monde où, d’après le programme de stabilité, la charge d’intérêt est appelée à augmenter de 1,9 % à 2,4 % du PIB en 2027 (avant ces investissements de transition), ce choix n’est pas anodin et obèrerait les marges de manœuvres budgétaires futures. De plus, il repose sur le financement d’investissements dont le rapport lui-même doute du niveau de productivité. Ce serait donc prendre le risque de transférer une charge nette à la prochaine génération de contribuables.

Troisième point, la proposition de taxation des épargnants aisés nous paraît débattable. Bien sûr, le problème des inégalités financières existe, et bien sûr que la transition fait porter un risque de renforcement de celles-ci. Il est donc nécessaire de prévoir des dispositifs de correction.

 

Le problème de l’ISF

Le problème de l’ISF est qu’il ne respecte pas le principe pollueur-payeur.

Il y a bien un lien statistique indéniable entre niveau de revenu et bilan carbone (via le niveau de consommation) mais baser une fiscalité sur un lien statistique est discutable. Une personne aisée très attentive à sa consommation peut très bien avoir un bilan carbone modeste.

Pour prendre un exemple, c’est comme si on taxait la consommation en eau de tous les agriculteurs quelles que soient leurs cultures, sous prétexte qu’il existe un lien statistique entre le métier d’agriculteur et la consommation d’eau.

Par ailleurs, l’ISF a historiquement présenté un rendement faible en raison de la mobilité du capital.

Parce que c’est un principe de justice et parce que ce moyen est plus efficace, notamment pour inciter aux bonnes pratiques via le signal-prix, il faut taxer les consommations polluantes, et non les revenus indifférenciés.

Pour mettre en œuvre un mécanisme socialement équitable, deux exemples de solutions nous paraissent pouvoir être étudiées.

La première est une taxation progressive de ces consommations. Une tarification négative de l’eau et de l’énergie serait appliquée jusqu’à un seuil où la taxation deviendrait fortement progressive. L’inconvénient de ce mécanisme est qu’il n’est pas applicable à tout (essence par exemple).

La deuxième solution est l’association d’un « revenu de transition » pour les revenus modestes à une taxe unique mais très élevée sur les consommations polluantes. Le « revenu de transition » serait calibré pour couvrir l’ensemble des taxations associées aux consommations polluantes « de base » mais resterait incitatif (le consommateur ayant intérêt à optimiser son budget).

 

En conclusion, il paraît important de maintenir des dispositifs de financement en relation avec l’objectif environnemental de transition énergétique, en veillant bien sûr à ne pas aggraver les inégalités sociales. Mais les outils de traitement à la racine des deux sujets ne sont pas identiques. Le signal-prix est indispensable aux politiques climatiques et la correction (cruciale) des inégalités relève d’un champ de solutions qui, sans nécessairement exclure la taxation, doit être bien plus large pour être efficace.

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