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À partir d’avant-hierContrepoints

La diplomatie française est prisonnière de l’hyper présidentialisme d’Emmanuel Macron

À l’heure où Stéphane Séjourné vient de succéder à Catherine Colonna au Quai d’Orsay, il ne paraît pas superflu d’esquisser un panorama de la situation de la France et de ses Outre-mer à l’international. Disons-le tout de go, la météo diplomatique n’est pas au beau fixe sur plusieurs fronts : celui, d’abord, de nos relations avec plusieurs pays du continent africain auprès desquels la France a accusé ces derniers mois une perte d’influence considérable ; celui des relations franco-américaines avec en toile de fond le conflit russo-ukrainien et le spectre d’une attaque de Taïwan par la Chine. Ces deux tableaux autorisent à faire un bilan plus que mitigé de la diplomatie macronienne qui s’est vue reprocher, dans des situations pourtant distinctes : incohérence, manque de fiabilité, improvisation, paternalisme et arrogance.

Cette communauté de reproches est d’autant plus frappante à souligner qu’elle a des sources distinctes (chefs d’État, commentateurs de la vie politique et internationale, anciens ambassadeurs, anciens ministres…) et converge vers la personne même du président. En effet, c’est davantage à ce dernier qu’à sa dernière ministre des Affaires étrangères qu’il faut, semble-t-il, imputer ce triste constat qu’a cristallisé l’absence de nombreux chefs d’État ou de personnalités de premier plan lors du Sommet pour la Paix tenu à Paris en novembre dernier. Une partie de notre ancien personnel diplomatique, plusieurs chefs d’État étranger—à l’exception notable de Narendra Modi en Inde —, de nombreux fonctionnaires du ministère en désaccord avec la suppression du corps diplomatique, n’ont pas été, c’est peu dire, enthousiastes, devant les initiatives emphatiques et non-coordonnées prises unilatéralement par le chef de l’État, tel le projet de coalition internationale contre le terrorisme lancé lors d’une déclaration conjointe avec Benjamin Netanyahou au cours d’une visite en Israël le 24 octobre 2023.

 

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est le président lui-même

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est ainsi le président lui-même, en raison de l’interprétation maximaliste — bonapartiste, faudrait-il ajouter ? — qu’il fait de la fonction présidentielle dans le sillage de De Gaulle. On peut identifier, dans la pratique, et ce depuis maintenant six années consécutives— bien que sous l’ère Le Drian les envolées solitaires d’Emmanuel Macron aient été moins frappantes—, ce que je qualifierais volontiers d’abus de la fonction présidentielle.

C’est dans le droit fil de la doctrine gaulliste, qui fait des relations avec l’étranger le domaine réservé du président, quitte à déclencher maints accrocs et tiraillements avec nos alliés, que se situe Emmanuel Macron qui ajoute à ce parti pris une dose d’idéalisme allemand et de Descartes mal digéré qu’on pourrait résumer par une parodie du Cogito : « Je pense et je me pense, donc j’agis. »

Raymond Aron, en rupture de ban avec la tendance idéaliste de la philosophie française, fustige, tout au long de ses Mémoires, l’attitude solipsiste qu’est celle du Général, attitude qui ne va pas sans un « culte de la personnalité » tôt perçu et rejeté par Aron, dès son arrivée à Londres en 1940. De tels traits ne se retrouvent-ils pas chez le président actuel ? Certainement, mais ils sont encore hypertrophiés et intensifiés par une carence en autorité qui, elle, faisait moins défaut au Général, auréolé par ailleurs d’un prestige moral et politique non usurpé.

Dans le domaine des relations internationales, comme sur bien d’autres volets de la politique intérieure française, c’est l’hyper-verticalité des décisions prises par le locataire de l’Élysée qui apparaît ainsi comme un continuum délétère. Un gaullisme outré et un gaullisme survolté, tel apparaît le macronisme dans la manière, ô combien théâtrale, par ailleurs, de gérer les relations internationales. Ce faisant, il s’oppose aux tenants d’un libéralisme politique cohérent qui privilégierait davantage de collégialité et de concertation dans les initiatives, et tenterait véritablement de donner vie et voix au Parlement en matière de politique extérieure.

Macron se prétend pourtant libéral… Que faut-il donc comprendre ? Que c’est la transgression, comme méthode, qui définit son exercice du pouvoir, et que le macronisme, tout comme le gaullisme, ont très peu rimé avec « libéralisme » au sens politique du terme qu’on rappellera avec Aron :

La philosophie libérale ou démocratie est une philosophie du respect de l’homme. À ce titre elle n’est donc nullement liée à une conception individualiste de la société. Bien loin de nier les communautés réelles, elle apprend à chacun à se connaître dans un monde dont il n’est ni le centre ni le tout.

Rien d’un Benjamin Constant, donc, chez l’auteur de Révolution. ses convictions européennes auraient certes pu, et dû, faire signe vers celles de Germaine de Staël, mais là encore la pratique du président en matière de relations internationales est bien trop proche de celle de Bonaparte dans la manière martiale qu’il a de paraître imposer les volontés françaises à nos voisins, qui se méfient d’ailleurs toujours d’un penchant bien français vers l’autoritarisme. Entre De Staël et Bonaparte, il y a une contradiction manifeste, et originelle. Force est de constater que la formule d’un bonapartisme staëlien (ou constantien) ne marche pas. Il serait grand temps d’en tirer les conséquences en cessant de cultiver des oxymores.

 

L’inexistence du Parlement quant aux choix de politique étrangère place la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis des autres démocraties occidentales

Pour revenir au rôle du Parlement, son inexistence quasi-complète quant aux choix de politique étrangère — il est à peine, voire pas du tout consulté, et son vote n’est pas requis — place assez nettement la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis d’autres démocraties occidentales. Le fait qu’il ait fort peu voix au chapitre nous affaiblit sur le long terme : l’exécutif non pas fort, mais presque tout-puissant, donnant l’illusion d’une plus grande efficacité, ce qui est de plus en plus discutable.

Cet hyper-gaullisme pratiqué par Emmanuel Macron, tant sur la forme que sur le fond, apparaît d’autant plus, en raison de la guerre entreprise par la Russie contre l’Ukraine. Et c’est sur la manière dont la France se positionne à l’égard de Kiev que je voudrais m’arrêter un peu longuement en ce qu’elle cristallise certains tropismes français de mauvais aloi : un anti-américanisme atavique, les annonces de livraison d’armes et la réalité de ces mêmes livraisons qui renvoient au manque de fiabilité de la France sur le plan logistique, des ambiguïtés ici et là dans le soutien à l’Ukraine, et enfin un « neutralisme » larvé dans une façon d’essayer de tenir la neutralité de la France dans le conflit en voulant, tout d’abord, « ne pas humilier Moscou », puis en tergiversant sur le niveau de l’aide matérielle à apporter à Kiev. Une aide dont Jean-Dominique Merchet, entre autres, a souvent pointé dans ses très informés articles de L’Opinion l’opacité, en même temps que la grande faiblesse en comparaison des contributions de nos voisins européens.

C’est à nouveau à Aron, atlantiste tranquille, que je voudrais me référer, et à un passage, en particulier, de ses Mémoires, qui prend place dans la section intitulée « Le Partage de l’Europe » qui fait fort à propos écho à la situation actuelle, dans les hésitations d’une partie de la classe politique, intellectuelle et médiatique française à prendre fait et cause pour l’Ukraine. Le conflit débuté le 24 février 2021 contraint nécessairement à ne pas mettre sur un pied d’égalité Washington et Moscou, à moins de tomber dans ce qu’Aron appelait « l’Imposture de la neutralité » au sujet des divisions suscitées par l’adoption ou le rejet par la France du pacte Atlantique.

Aron rapporte les immenses réserves d’Hubert Beuve-Méry (dans un papier datant du 19 octobre 1945 dans l’hebdomadaire Temps Présent) envers ce pacte, la nécessité à ses yeux pour la France de se tenir à équidistance des deux blocs dans ces prémices de guerre froide. Aron rappelle une phrase du fondateur du journal Le Monde qui le laissa, et le laisse toujours perplexe, trente ans plus tard au moment de l’écriture de ses Mémoires. Aron commente en ces termes la position « neutraliste » de Beuve-Méry : « Enfin il pensait que l’adhésion de la France à l’un des camps accroîtrait les dangers de guerre » puis cite la phrase du grand éditorialiste qu’il tient pour « aberrante » :

Il se peut que l’Europe n’ait pas finalement le moyen d’empêcher la guerre, mais elle est à peu près sûre de la précipiter si elle se laisse glisser dans un camp ou dans un autre.

Aron résume un peu plus loin son sentiment quant à cette position alors très partagée par l’aile gaulliste :

En dernière analyse, tant qu’à choisir, le directeur du Monde choisissait l’Occident bien que son allergie aux États-Unis l’incitât à critiquer peut-être plus souvent les turpitudes du capitalisme américain que les cruautés du totalitarisme soviétique.

Cette réflexion d’Aron au sujet de la position d’Hubert Beuve-Méry me paraît tout à fait transposable aux réserves de certains éditorialistes ou politiques français à l’endroit d’une prise de position ferme et claire de la France pour l’Ukraine qui aggraverait selon eux la guerre.

Les réserves de certains et certaines à l’endroit d’une entrée de Kiev dans l’Union européenne et dans l’OTAN sont, toutes choses étant égales par ailleurs, similaires à celles exprimées par Étienne Gilson (grand médiéviste et universitaire catholique) et Beuve-Méry à l’endroit du pacte Atlantique qui donna lieu à une vive controverse avec Aron. Ce dernier leur répondit à plusieurs reprises dans Le Figaro puis dans des articles de la revue Liberté de l’Esprit.

Gilson, rapporte Aron « accusait [par exemple] les Américains de vouloir acheter avec des dollars le sang français », accusations qu’Aron trouvait non seulement extravagantes mais fumeuses en comparaison des horreurs du régime stalinien. De Gaulle trancha finalement, de justesse, pour la position de Aron en acceptant le pacte, ainsi que le relate Claude Mauriac dans son livre Un autre De Gaulle, journal 1944-1954, pouvant laisser conclure au « spectateur engagé » que ses articles avaient effectivement influencé in extremis le général. Un gaullisme tempéré d’aronisme, tel fut alors le choix sage de De Gaulle dont notre président ferait peut-être bien de se rappeler.

Les réserves actuelles du même ordre à l’endroit des États-Unis dont Emmanuel Todd a souhaité ce jeudi 11 janvier « la disparition » qui serait « la meilleure chose qui puisse arriver à l’Europe » paraissent relever du même niveau de fantasme — à ceci près que Gilson est une signature universitaire d’un tout autre calibre que celle de M. Todd.

 

Les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine

Un des enjeux pour la diplomatie française à l’heure des élections américaines en novembre prochain est donc qu’elle se prépare, avec nos alliés européens, à la possibilité d’un « lâchage » de l’Europe via l’Otan si Donald Trump (ou un concurrent républicain) remportait les suffrages. Mais même en cas d’une réélection de Joe Biden ou d’un Démocrate à la Maison Blanche, les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et des contrecoups éventuels pour eux-mêmes.

Une réorientation partielle de l’appareil industriel français au service de la production de munitions ne serait pas du luxe. Mais comme l’écrivait Malraux à Aron en 1950 :

« Étrange pays qui croit assez à la guerre pour stocker des sardines, c’est la principale occupation des Parisiens ici) mais pas assez pour s’occuper de la défense. »

On est toujours là, semble-t-il, en l’absence de courage politique et définition d’une ligne politique claire.

La France, sur ces deux points, devrait être plus avancée, quoique ne soit pas sans écueils cette double recommandation, à l’heure où nos marges budgétaires sont étroites, et où l’état de nos armées n’est pas optimal. Raison de plus pour être courageux. Le projet de Défense européenne étant bloqué, il s’agit pour nous d’appuyer et de conforter les pays voisins, notamment d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, par nos initiatives, plutôt que d’haranguer dans le vide ces pays lassés par la rhétorique macronienne trop peu souvent suivie des faits, sinon contradictoire.

 

Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté de faire gagner l’Ukraine

Mieux, la France n’ayant jamais fait figure de leader dans le dossier ukrainien, il est impératif qu’elle clarifie sa position en apparaissant comme une alliée fiable et solide aux yeux de Kiev en contribuant davantage à l’effort de guerre ukrainien : c’est par des actes concrets, et non par des mots que notre crédibilité, seulement, viendra. Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté, non plus seulement de ne pas laisser gagner la Russie mais de faire gagner l’Ukraine. Les errements, revirements, petites ambiguïtés et flottements du président ne peuvent plus être de mise à l’heure où la victoire peut basculer d’un côté comme de l’autre sur le front ukrainien.

Les États-Unis auraient également besoin d’une France solide et ferme sur ses appuis à un moment où l’électorat américain peut se montrer plus hésitant qu’avant en faveur du financement des Ukrainiens. L’Oncle Sam ne peut avoir l’impression qu’il paie seul la facture de cette guerre se substituant par là même aux responsabilités qui incombent pourtant prioritairement aux Européens. De ce point de vue, la France a un rôle dans lequel elle ne s’investit pas encore de manière suffisante.

Si nous avons perdu du crédit dans les mois passés auprès des États-Unis, notamment suite à notre position confuse sur Taïwan (lors d’une visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine) et qui a laissé perplexe nos alliés en général, il n’est pas trop tard pour montrer au monde que nous ne sommes pas que de beaux parleurs en quête d’hypothétique prix sur la scène internationale, mais que nous savons faire preuve de clairvoyance et de solidarité en nous rangeant aux cotés de l’Ukraine et des États-Unis via l’apport d’un soutien logistique plus conséquent.

 

Constance, modestie, sérieux, fiabilité

Notre ligne de conduite en politique étrangère serait ainsi un bon cap à adopter pour notre politique intérieure : constance, modestie, sérieux, fiabilité — et surtout moins de communication. Bref, qu’Emmanuel Macron s’inspire de De Gaulle quand il écoute Raymond Aron, c’est-à-dire qu’il devienne libéral sur le plan politique, et abandonne le « en même temps » appliqué aux relations internationales qui s’apparente à une neutralité mal à propos. Redisons-le avec Aron, la neutralité est une imposture — et sans doute aussi une lâcheté.

Si l’on veut que gagne l’Ukraine, et non pas simplement ne pas la laisser perdre, prendre résolument position est une obligation. Cela vaut également pour les États-Unis d’Amérique qui pourraient être encouragés à faire davantage si leur alliée de toujours, la France, première armée européenne, s’engageait bien plus substantiellement dans l’effort de guerre ukrainien. À craindre Poutine, nous lui donnons raison, et nos tergiversations dans le passage à l’action pourraient finir par coûter cher au continent européen. Il est encore temps de nous ressaisir, en surmontant nos peurs.

Loi immigration – un texte détricoté au pied du sapin

« Depuis des semaines, la loi immigration a été tricotée, détricotée et à l’arrivée, tout le monde la trouve moche. Finalement, cette loi, c’est un peu un pull de Noël. »

Ce bon mot de l’humoriste Philippe Caverivière sur France 2 samedi soir résume parfaitement le sac de nœuds – ou de laine – qu’est devenu ce qui devait être un des piliers du second quinquennat Macron.

Lors de mon dernier billet sur le sujet il y a maintenant plus d’un mois, nous nous étions quittés sur le texte voté par la majorité Les Républicains au Sénat, chambre représentant les territoires souvent les plus durement touchés par la problématique.

L’immigration touche des sujets aussi vastes et différents que le social, l’économie, la culture, la sécurité et le climat, la question de l’impact des catastrophes météorologiques innervant l’histoire de l’immigration depuis le jour où les Hommes ont appris à se mouvoir sur de longues distances.

L’étendue des sujets touchés par la thématique n’a d’égale que l’impossibilité d’y apporter des solutions simplistes comme on peut les lire ici et là, à grands coups de positions « ultra simples » ou de remèdes prétendument réalistes.

Le texte voté au Sénat n’y fait pas exception, et a provoqué plusieurs rebondissements.

 

La gauche vent debout

Nous nous étions quittés après le vote par les sénateurs d’un texte renforcé supprimant l’AME, instaurant des quotas économiques et abrogeant la mesure phare du projet de loi : l’obtention automatique de titre de séjour pour les travailleurs exerçant des métiers en tension.

Ce texte a instantanément entraîné une levée de boucliers d’associations et d’organismes vivant grassement d’argent public.

La directrice générale de France Terre d’Asile (50 millions d’euros de dotations annuelles, ce qui en fait l’association la plus subventionnée du pays), dont la présidente est l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, a dénoncé un « catalogue des horreurs ».

Depuis début décembre, ce sont une quarantaine d’associations qui manifestent leur mécontentement devant le texte adopté au Sénat.

Du côté du Défenseur des droits, énième autorité administrative indépendante destinée à masquer les lacunes de notre système judiciaire, l’actuelle titulaire du poste, Claire Hédon, a dénoncé une « surenchère démagogique ».

À ces réactions se sont ajoutées celles de la Macronie. Dès le lendemain du vote, cette dernière a immédiatement appelé à un « rééquilibrage », pour reprendre les propos de la ministre déléguée à la lutte contre les discriminations Bérangère Couillard soutenue par le président de la commission des lois Sacha Houlié, déterminé à rétablir le texte initialement porté par le gouvernement.

Les députés de la majorité sont alors sommés par plusieurs soutiens du président de la République, Daniel Cohn-Bendit en tête, de mettre fin à ce qui est vu comme une « dérive dangereuse ».

 

Darmanin défait par LR

Ces réactions n’ont pas empêché les débats de continuer. Après avoir été présenté en commission des lois, le texte est débattu dans l’Hémicycle.

Un texte ainsi revu et dénoncé par LR comme un texte « au rabais ». De ce fait, les députés de droite ont voté le 11 décembre la motion de rejet déposée par les écologistes. Cette motion est destinée à rejeter avant tout débat un texte qui serait susceptible d’enfreindre manifestement une disposition constitutionnelle, ou de décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.

Cette motion est votée, essentiellement du fait de l’absence de neuf députés de la majorité, dont l’un a subi les affres de la SNCF, l’amenant à avoir 1 heure 30 de retard. Aussi ironique qu’exquis.

Suite à ce camouflet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a présenté sa démission au président de la République, qui l’a refusée. Certaines mauvaises langues estiment alors que s’il l’avait présenté à Elisabeth Borne, celle-ci l’aurait vraisemblablement acceptée. La vraie raison est institutionnelle, le pouvoir de nomination et de révocation des ministres relevant de l’Élysée avec contreseing du Premier ministre.

Le vote de cette motion est une nouvelle victoire pour Les Républicains après le vote sénatorial. Une victoire d’autant plus forte qu’elle a mis en déroute un de ses parjurés les plus médiatiques. Depuis le début des discussions, le parti gaulliste s’est positionné en point d’équilibre entre le gouvernement et le Rassemblement national, tout en faisant du sujet migratoire un cheval de bataille, un mois et demi après le lancement d’une pétition qui a pour l’instant recueilli plus de 24 300 signatures au moment où ces lignes sont écrites.

 

Le retour de l’hyperprésidentialisme

Dans une France qui n’a plus l’habitude de la vitalité de la démocratie parlementaire, cette séquence est considérée par certains journalistes et élus comme une « crise politique », terme utilisé pour désigner tout événement qui dévierait de la volonté du Prince.

Conformément à la pratique hyperprésidentialiste à laquelle notre république nous a tristement habitués, ce même Prince, clé de voûte des institutions qui dévie aujourd’hui largement de son centre de gravité, n’a pas hésité à s’immiscer dans les travaux parlementaires en rejetant l’usage de l’article 49.3, sur lequel les Sages n’ont pas apporté de réponse claire, tout en appelant les députés à voter le texte avant Noël, quelques jours avant la réunion de la commission mixte paritaire.

 

Un espoir nommé commission mixte paritaire

Cette dernière s’est réunie ce lundi 18 décembre pour un vote en milieu de semaine.

La commission mixte paritaire réunit sept députés et sept sénateurs nommés par les présidents des chambres en respectant scrupuleusement les équilibres politiques. Cet équilibre peut se résumer ainsi : la Macronie dispose de trois parlementaires sur 10, comme LR aidé par sa majorité au Sénat, tandis que la NUPES compte pour un quart des parlementaires et le Rassemblement national, 10 % avec 88 députés et 4 sénateurs sur un total de 925 parlementaires.

De ce fait, la commission mixte paritaire sera composée comme suit : 5 macronistes, 5 LR, 3 NUPES et 1 Rassemblement national.

De cette commission, dont nous n’avons pas le résultat au moment où nous écrivons ces lignes, ne peut émerger que trois réponses :

  1. Soit les parlementaires se mettent d’accord, et le texte est voté en séance
  2. Soit les parlementaires se mettent d’accord, mais le texte est rejeté en séance
  3. Soit les parlementaires ne se mettent pas d’accord

 

Cette dernière option arrivant une fois sur trois, l’avenir du texte est plus que jamais incertain.

 

La solution référendaire

Pourtant, le pays pourrait sortir de cette incertitude d’un outil qui n’a pas été utilisé depuis plus de 18 ans : le référendum, porté depuis longtemps par la droite. Un temps étudié par l’Élysée fin octobre pour obtenir les voix LR, la perspective de sortir du débat par la consultation des Français n’a pas été retenue faute de consensus politique, et par crainte d’une réponse nécessairement « populiste » à la manière de l’ancien ministre et défenseur des droits Jacques Toubon.

Pourtant, ce référendum permettrait de proposer un grand débat afin de libérer la parole et de sortir d’une chape de plomb démocratique sur un sujet, à tort, tabou dans le débat public français, et qui ne fait que nourrir les préjugés et les relents complotistes en remettant au cœur du débat la question du consentement qu’une certaine gauche adore arborer, à raison, dans certains domaines, mais qu’elle refuse lorsqu’il s’agit de demander aux individus qui ils souhaitent accueillir chez eux et de quelle manière.

Rentrée politique : la démocratie française face à ses vieux démons

À l’instar des petites têtes blondes qui vont retrouver, ce lundi 4 septembre, le chemin de l’école, nos politiques font leur rentrée. Universités d’été, discours de rentrée, annonces politiques « fortes », chaque camps place ses cartes et déjà l’on sent peser sur la vie politique française l’ombre… de 2027.

 

Un échiquier politique fracturé

Au sein de la majorité, Gérald Darmanin a lancé les hostilités dans son fief de Tourcoing, avec un discours de rentrée dont les intentions ne font pas de doutes. Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter et, bien qu’il soit au début de son second mandat, les héritiers putatifs s’engagent déjà dans une guerre de succession qui ne fait que débuter et qui touchera assurément au-delà du camp macroniste (Bernard Cazeneuve, Édouard Philippe…).

À gauche comme à droite, le tripartition de la vie politique et l’instabilité du bloc centriste imposent un choix politique auxquels les ténors des partis de « l’ancien monde » peinent à répondre : faut-il se rapprocher d’un centrisme réformateur occupé aujourd’hui par le parti présidentiel, ou au contraire se radicaliser vers la droite et la gauche ?

Chez Les Républicains, Éric Ciotti semble avoir fait le choix de la seconde option en poussant, lors de son discours dans la salle de Le Cannet (Alpes-Maritimes), la question migratoire et sécuritaire. Cette stratégie de droitisation, qui consiste à offrir une alternative « compétente » et « responsable » au Rassemblement National et à Reconquête tout en allant sur leur terrain, est un pari risqué, contesté par certains à droite. Dans une interview donnée au journal Le Figaro, Jean-Pierre Raffarin prône plutôt un rapprochement vers le centre, et donne en filigrane son soutien à Édouard Philippe et son parti Horizon.

À gauche, les fractures sont encore plus profondes. La tentative de constitution d’une liste commune aux prochaines législatives européennes ajoute un nouvel acte à la pièce tragique, classique de la Cinquième République, qu’est l’union de la gauche. Lors de son discours à l’Université d’été du Parti socialiste, Olivier Faure a ainsi déploré que l’union lui semblait impossible, renvoyant la responsabilité à la décision des communistes et des écologistes de faire bande à part. Dans ce paysage aux airs apocalyptiques, un zombie de la politique française a même tenté un énième retour, dont il faut au moins saluer l’audace. Invitée des Universités d’été de La France Insoumise, Ségolène Royal, la candidate malheureuse de 2007, s’est dit prête à mener une liste d’union de la gauche aux européennes de 2024.

 

L’obsession de 2027 : symptôme d’un hyperprésidentialisme à bout de souffle

Ces luttes de pouvoir au sein même des différentes familles politiques sont inévitables dans des systèmes pluralistes, en ce qu’elles constituent une première « étape démocratique » où s’effectuent des arbitrages « internes » d’ordres politique, philosophique et stratégique.

La droite sécuritaire, conservatrice et sociale, qui prône un État fort autant sur les questions régaliennes qu’économique, et met l’accent sur une politique migratoire stricte et restrictive, se différencie en effet d’une droite libérale plus progressiste exigeant un désengagement de l’État.

De la même manière, la gauche identitaire qui célèbre Médine n’a plus grand-chose en commun avec la gauche sociale-démocrate et laïcarde, comme le montrent les récents débats autour de l’interdiction du port de l’abaya à l’école.

Bref, les luttes de pouvoirs au sein des familles politiques sont partie intégrante du jeu démocratique.

En France toutefois, toute la vie démocratique est centrée autour d’un moment qui concentre toutes les passions : l’élection présidentielle.

Alors même que la prochaine échéance arrive dans un peu moins de quatre ans, chaque politique, chaque journaliste, chaque citoyen a les yeux rivés sur 2027. Il suffit d’observer à quel point les partis qui ne reposent pas sur une figure forte et charismatique sont presque systématiquement sanctionnés électoralement, pour mesurer à quel point la personnalisation du pouvoir gangrène notre vie politique. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle 2022 vont dans ce sens : les trois blocs se sont constitués autour de trois personnalités, que sont Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

En France, l’instabilité et les divisions qui traversent les trois camps politiques ne sont pas le produit des mécanismes de création du compromis par les institutions, comme cela devrait l’être dans une démocratie fonctionnelle, mais bien de l’absence de leader naturel. Plutôt que de se diviser sur le fond, la vie partisane française est centrée autour d’un objectif unique : préparer et gagner l’élection présidentielle.

Dans cette obsession présidentialiste réside, je le crois, le cœur de la pathologie démocratique qui affecte la France.

 

Rencontre Macron-Oppositions : l’absolutisme inefficace dans toute sa splendeur

Dans un ouvrage qui a fait date, Jean-François Revel a forgé l’expression d’absolutisme inefficace. Il entendait dénoncer un paradoxe caractéristique de la Cinquième République : l’hyperprésidentialisme et l’extrême concentration et centralisation du pouvoir, desquels on serait en droit d’attendre une efficacité accrue, s’accompagnent en réalité d’une inertie qui pousse à l’immobilisme, et tue dans l’œuf toute tentative de réforme ambitieuse.

Le parti présidentiel, qui n’a de parti que le nom puisqu’il repose en réalité sur l’unique personnalité du chef de l’État, a poussé jusqu’au paroxysme cette logique malheureuse, comme en témoigne la succession de « gadgets » politiques et d’annonces en tout genre qui donnent le sentiment qu’une révolution est En marche, alors qu’en réalité rien ne change. La « rencontre de Saint-Denis », qui a eu lieu ce mercredi 29 août, entre le président de la République et les onze chefs des partis représentés au Parlement, est une manifestation éclatante de cet absolutisme inefficace.

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a vu dans cette rencontre un moment « qui pourrait bien marquer l’histoire démocratique de notre pays », et s’est enthousiasmé que « des gens qui ne se parlent pas, qui ne s’entendent pas, qui ne se comprennent pas, qui ne pensent pas la même chose et même se combattent […] ont décidé de se parler à huis clos, ont décidé d’échanger, ont décidé de partager des accords, des désaccords et ce jusqu’au milieu de la nuit ».

En se félicitant ainsi d’avoir réinstauré un dialogue, le porte-parole du gouvernement donne, sans le vouloir, la meilleure preuve du malaise démocratique que traverse le pays.

En effet, dans son Introduction à la philosophie politique, Raymond Aron explique très justement que le propre des systèmes démocratiques est de créer du compromis par le jeu institutionnel. Or, l’espace privilégié de cette institutionnalisation du compromis, c’est le Parlement, et non un huis clos au sein duquel des représentants politiques discutent de l’avenir du pays !

Une démocratie en bonne santé ne devrait pas avoir besoin de ce genre de rencontres, puisqu’il existe déjà des institutions chargées d’organiser ce dialogue.

 

De la démocratie représentative à la tyrannie de la majorité : le danger de la passion référendaire

Enfin, la volonté affichée, de la part de l’opposition et de la majorité, de recourir à des référendums sur différents sujets est un signe supplémentaire de la déliquescence de la démocratie représentative et de la délégitimation du Parlement, plus que jamais condamné à l’impuissance.

Il faut ici distinguer les causes institutionnelles de l’hyperprésidentialisme des causes culturelles, même si les premières influencent les secondes, et inversement. En effet, la dérive présidentialiste des institutions de la Cinquième République va de pair avec une quête ininterrompue et toujours déçue d’un homme providentiel.

Cette culture politique se caractérise également par cet étrange mariage entre le culte de 1789, qui fait que le peuple français se vit fièrement comme le peuple révolutionnaire par excellence, et une attitude résolument conservatrice qui pousse chacun à refuser tout changement lorsque celui-ci passe du slogan au texte de loi. Si dans les manifestations, les Français ne manquent pas de réclamer le changement au nom de l’intérêt général, ils se montrent beaucoup plus réticents s’il doit se faire au détriment de leurs intérêts propres : « oui à plus de taxes, seulement si je ne suis pas concerné… »

De fait, la vie politique française est rythmée par des épisodes pseudo-insurrectionnels (Gilets jaunes, réforme des retraites, émeutes des banlieues…) ou les Français « jouent » à la Révolution. Le décalage entre ces appels répétés au changement radical et la réalité de l’immobilisme chronique de notre système politique crée chez les citoyens un sentiment de frustration et de dépossession du pouvoir.

Pour répondre à cette insatisfaction, le référendum, par sa simplicité, apparaît comme l’outil providentiel permettant de redonner du sens à la souveraineté populaire : le peuple vote, l’État exécute. Mais c’est oublier bien vite que l’outil référendaire peut être un instrument au service d’un pouvoir ou de décisions autoritaires. Au XIXe siècle déjà, Alexis de Tocqueville avait analysé comment la démocratie pouvait soit être libérale, soit être despotique.

L’échec des institutions représentatives pourrait signifier l’entrée de la France dans la seconde catégorie, la confrontant au risque de la tyrannie de la majorité.

 

Conclusion

L’absolutisme inefficace débute sur ces lignes :

« Il a, dans l’exercice de la fonction présidentielle, su conjuguer, en un désastreux et paradoxal mariage, l’abus de pouvoir et l’impuissance à gouverner, l’arbitraire et l’indécision, l’omnipotence et l’impotence, la légitimité démocratique et le viol des lois, l’aveuglement croissant et l’illusion de l’infaillibilité, l’État républicain et le favoritisme monarchique, l’universalité des attributions et la pauvreté des résultats, la durée et l’inefficacité, l’échec et l’arrogance, l’impopularité et le contentement de soi. »

Jean-François Revel parlait à l’époque de François Mitterrand. On ne peut s’empêcher de penser que cette critique s’applique parfaitement à Emmanuel Macron. C’est pour cette raison que Revel avait raison de poursuivre : « le coupable de ces maux n’est pas l’homme, c’est l’institution ».

C’était en 1992, et l’analyse n’a pas pris une ride.

Alors, que faire ?

Parce que les causes institutionnelles et culturelles se confondent, la résolution de l’immaturité démocratique française n’appelle pas de réponse unique et évidente. Il reste que, si l’on ne peut pas modifier comme bon nous semble la culture et les mœurs politique d’un peuple, on peut réformer les institutions d’un pays.

La fin de l’élection du président de la République au suffrage universel direct serait un premier pas bienvenu pour enfin débuter notre sevrage de la drogue présidentialiste. Cela permettrait également de redonner au Parlement toute l’importance qu’il devrait avoir, en faisant de l’élection législative le grand moment démocratique.

Pour le moment, et sans excès de pessimisme, rien n’indique que les conditions soient réunies pour un tel changement institutionnel. De plus, on peine à trouver le parti politique duquel pourrait émerger des propositions allant en ce sens.

David Lisnard, avec son parti Nouvelle Énergie pour la France, survient peut-être comme une éclaircie dans un ciel ombrageux. Le maire de Cannes, qui tente d’occuper la place au centre-droit de l’échiquier politique, a fait sa rentrée politique sur la chanson I’m free du groupe britannique The Who.

Libéral assumé, il s’est fait remarquer lors de la rentrée du Medef en s’opposant aux aides aux entreprises, affirmant qu’il fallait « supprimer les 145 milliards d’aides aux entreprises et supprimer au moins d’autant la fiscalité des entreprises », puisqu’elles représentent un « boulet de compétitivité au pied par des surprélèvements ».

Son entretien donné à Valeurs Actuelles est également encourageant : réduction des dépenses publiques, lutte contre la bureaucratisation, décentralisation… Mais cela suffira-t-il à faire bouger les lignes ?

Permettons-nous de douter.

Parlementarisme et présidentialisme. Une démocratie pour militants ?

Il n’est question dans les médias que de l’inadaptation à l’époque de la Constitution de 1958. Le président aurait une place trop importante et il faudrait revenir à un parlementarisme plus classique donnant tout pouvoir à une assemblée de députés élus.

La question mérite examen, mais le contexte historique ne doit surtout pas être perdu de vue. Le parlementarisme des IIIe et IVe Républiques aboutissait souvent à la paralysie par suite de l’infantilisme des leaders des partis. Ceux-ci n’étaient guère plus matures que des enfants se chamaillant dans une cour de récréation.

Ils n’ont pas changé d’un iota et ils l’ont admirablement démontré au cours du débat sur la réforme des retraites de 2023. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Il faudrait ajouter au célèbre aphorisme : l’aspiration au pouvoir infantilise.

 

Du parlementarisme au présidentialisme

Le régime parlementaire comporte un gouvernement responsable devant une assemblée d’élus. Le monarque (Royaume-Uni, Belgique) ou le président de la République (Italie, Allemagne) ne gouverne pas et ne dispose d’aucun pouvoir effectif. Après les élections des députés, les partis politiques forment une coalition majoritaire qui gouverne le pays.

Ce régime parlementaire était celui des IIIe et IVe Républiques françaises. Il se caractérisait par une très forte instabilité. Entre 1871 et 1940, 104 gouvernements se sont succédé, soit une longévité moyenne de 8 mois. Entre 1946 et 1958, la IVe République a connu 22 gouvernements, soit une longévité moyenne de 6,5 mois. Le personnel gouvernemental restait cependant assez stable puisque les leaders des partis se partageaient les postes ministériels. Certains petits partis jouaient un rôle charnière pour la constitution d’un gouvernement en apportant les élus nécessaires à la majorité parlementaire. L’exemple le plus célèbre est l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance) de François Mitterrand, qui disposait seulement de 15 à 30 députés. Mais les manœuvres tactiques permettaient à ses leaders d’être toujours au gouvernement car les députés UDSR étaient nécessaires à la constitution d’une majorité. De 1947 à 1957, François Mitterrand fut donc onze fois ministre.

En 1958, le général de Gaulle supprime ce qu’il qualifiait de « régime des partis ». La Constitution de la Ve République abandonne le parlementarisme classique pour un régime semi-présidentiel accordant des pouvoirs importants au président de la République. Celui-ci peut dissoudre l’Assemblée et recourir au référendum. Il nomme les hauts responsables à tous les grands postes de l’État (préfets, généraux, etc.).

Il ne s’agit cependant pas d’un régime présidentiel comme celui des États-Unis. C’est le gouvernement, et non le président, qui détermine la politique à mettre en œuvre. Ce gouvernement, avec à sa tête un Premier ministre, est responsable devant l’Assemblée nationale. Les députés peuvent le renverser en votant, à la majorité absolue, une motion de censure. Aux États-Unis, c’est le président qui gouverne, mais il ne peut pas être renversé par l’une ou l’autre chambre.

 

Qui perd, qui gagne sous la Ve République ?

Politiquement, cette évolution vers un régime semi-présidentiel a des conséquences majeures, surtout à partir du référendum de 1962 prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

L’élection présidentielle devient en effet l’élection la plus importante politiquement, celle qui détermine la majorité au pouvoir. Les électeurs décident directement, par leur vote, qui doit gouverner le pays. Auparavant, les électeurs ne désignaient que les députés. Les partis avaient ensuite une grande marge de liberté pour constituer une majorité par des accords reposant sur des transactions politiques. Le peuple était écarté du choix essentiel, celui de la majorité gouvernante, au profit de quelques dirigeants de partis politiques.

Lorsque majorité présidentielle et majorité parlementaire ne coïncident pas, le mécanisme institutionnel de la Ve République fonctionne parfaitement. On a qualifié de « cohabitation » cette gouvernance comportant deux majorités distinctes. Ce fut le cas à deux reprises sous la présidence de François Mitterrand (Jacques Chirac et Édouard Balladur devinrent Premiers ministres) puis une fois sous la présidence de Jacques Chirac (Lionel Jospin Premier ministre). La politique suivie était déterminée par la majorité parlementaire puisque le vote des lois est du ressort du Parlement. Mais le président de la République conservait ses prérogatives et pouvait donc jouer le rôle d’arbitre, par exemple en dissolvant l’Assemblée si le comportement des partis nuisait à l’intérêt du pays.

Sous la Ve République, les partis politiques, en pratique quelques centaines de dirigeants, n’ont donc plus toute liberté pour manœuvrer et concocter des tactiques et des compromis leur permettant de contrôler tous les postes importants de la République. Les partis restent un élément essentiel de la démocratie représentative, mais pas le seul et unique à l’échelle nationale. Le peuple a directement son mot à dire en élisant le président.

La révision constitutionnelle de l’année 2000 a raccourci le mandat du président de la République de sept à cinq ans. L’objectif était de faire coïncider majorité parlementaire et majorité présidentielle par des élections presque simultanées. Cette réforme fut une erreur majeure. Le président de la République doit rester, selon l’esprit de la Constitution, le président de tous les Français et non le leader d’un parti. Les périodes de cohabitation marquaient clairement ce statut particulier de l’homme désigné par le suffrage universel direct et placé au-dessus des partis. Il apparaît désormais simplement comme le chef suprême d’une majorité. La réforme de 2000 renforce donc indirectement les partis politiques.

 

Qui doit désigner les gouvernants ? Le peuple ou les militants ?

L’évolution historique décrite précédemment a rééquilibré en France la démocratie représentative au profit du peuple s’exprimant par le suffrage universel. Le corps électoral désigne directement le détenteur pour 5 ans du poste le plus important. Les partis jouent un rôle essentiel puisque le pouvoir législatif leur est en quelque sorte dévolu. Mais ils n’ont plus toute latitude pour coloniser la République et gratifier leurs militants par des nominations.

Qu’est-ce qu’un parti politique ? Très sommairement, c’est une association comportant des idéalistes et des ambitieux. Les idéalistes croient, parfois naïvement, à un programme politique considéré comme mélioratif. Mais ce sont les ambitieux qui deviennent des apparatchiks féroces dirigeant le parti et n’aspirant qu’à la détention du pouvoir.

Les effectifs des partis sont très faibles. Globalement, tous partis confondus, ils ne dépassent pas quelques centaines de milliers d’adhérents. Le corps électoral comporte en France 48,7 millions d’inscrits (élection présidentielle 2022). Au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022, 32 millions de personnes se sont exprimées. Les militants actifs, encore moins nombreux que les adhérents des partis, ne sont pas représentatifs de la population globale pour une raison évidente : ils aspirent à gouverner. L’écrasante majorité de la population ne souhaite absolument pas jouer un rôle politique actif. Le militantisme et les partis sont un mal nécessaire car les sociétés démocratiques doivent passer par ce relai associatif pour sélectionner leurs dirigeants. Mais il est impératif que ces activistes de la politique n’en arrivent pas à monopoliser le pouvoir.

Les quelques centaines de milliers de militants des partis ne doivent pas s’approprier toutes les fonctions décisionnelles, comme c’était le cas sous les Républiques précédentes. Les partis ne sont que des associations dont les dirigeants n’ont aucune légitimité particulière. Ils ont leur place puisqu’ils s’intéressent activement à la politique, mais pas toute la place. La Constitution de la Ve République apparaît donc comme un excellent compromis permettant au peuple de s’exprimer directement et aux partis de disposer d’une place importante, mais délimitée constitutionnellement.

Les propositions de réforme constitutionnelle actuelles, du type VIe République, proviennent des partis. Elles ne visent donc qu’à les renforcer et à revenir aux errements du passé. Veut-on une démocratie par militants interposés ou doit-on laisser au peuple la possibilité de s’exprimer par un vote ? À son arrivée au pouvoir en 1958, le général de Gaulle a pu, par suite de la déliquescence de la IVe République, proposer une Constitution limitant la prééminence sans partage des partis. Les revanchards n’ont pas baissé les bras 65 ans plus tard. Il ne faut pas se leurrer : une réforme constitutionnelle proposée par n’importe quel parti politique est à analyser sous un angle très… politique. Elle a toute les chances de chercher à restaurer la dictature des militants.

 

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