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Mort de Navalny, colère agricole, guerre en Ukraine : ce qu’on retiendra de février 2024

Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette ville que les Ukrainiens avaient repris aux forces soutenues par Moscou il y a dix ans constitue un gain politique pour le Kremlin à un mois d’une présidentielle au demeurant jouée d’avance ; aucun candidat vraiment d’opposition n’a été validé et tous les trouble-fêtes peuvent avoir en tête le sort d’Alexeï Navalny, décédé dans des circonstances qui restent à élucider dans un pénitencier de l’Arctique russe, le genre d’endroit où le régime enferme ceux qu’il ne souhaite pas voir vivre trop longtemps. La reprise d’Adviivka constitue aussi un gain tactique pour le Kremlin, puisqu’il rapproche le front de nœuds logistiques de l’armée ukrainienne.

Si Moscou, qui a perdu beaucoup d’hommes (vraisemblablement 300 000 à 500 000 hors de combats depuis le début de la guerre il y a deux ans), ne semble pas en position de percer la ligne de défense ukrainienne, il pourrait faire perdre du terrain à Kyiv en d’autres endroits, même si les opérations offensives sont désormais très compliquées, puisque le champ de bataille est devenu très transparent à cause de l’utilisation de simples drones d’observations capables de repérer le moindre char d’assaut ou groupe de fantassins. Seul lot de consolation pour l’Ukraine : elle a gagné, loin des projecteurs médiatiques, la « bataille de la mer Noire » en repoussant ces derniers mois les navires russes loin des corridors indispensables à l’exportation de ses céréales, et en coulant plusieurs navires, dont encore un il y a dix jours.

Autre revers pour Kyiv, l’aide cruciale de 60 milliards de dollars sur laquelle la Maison Blanche et les Républicains travaillent depuis des mois, est encalminée au Congrès. Certes, 22 sénateurs républicains sur 48, animés traditionnellement par une solide culture géopolitique héritée de la Guerre froide, et peu sensibles aux intimidations de Donald Trump, ont voté récemment pour ce paquet. Mais la majorité républicaine à la Chambre des représentants bloque toujours le texte sur instruction de Trump. Ce dernier ne veut en aucun cas faire cadeau d’un victoire politique à Joe Biden, à moins de neuf mois de la présidentielle qui verra certainement s’affronter les deux hommes. La Maison Blanche avait, erreur tactique, cru pouvoir obtenir un feu vert sur l’aide à l’Ukraine en la liant à celle à Israël et Taïwan, deux chevaux de bataille des Républicains, en sus de mesures sur l’immigration illégale en provenance du Mexique, sujet prioritaire des électeurs. Mais c’était prendre le risque de voir l’aide à Kyiv devenir otage d’autres sujets, ce qui n’a pas manqué d’arriver. L’administration Biden a, enfin, compris le danger et accepté il y a dix jours de dissocier un peu ces sujets ; mais trop tard, les trumpistes ont compris qu’ils tenaient là de quoi faire mordre la poussière à Biden, au risque de faire un cadeau au Kremlin, sous réserve que le deep state sécuritaire républicain ne se réveille pas.

Vague lueur d’espoir pour Kyiv toutefois, Donald Trump a laissé entendre récemment qu’il n’objecterait pas à une aide militaire à l’Ukraine si elle se faisait uniquement sous forme de prêts (ce qui est déjà le cas, en fait, pour un quart à un tiers de l’aide militaire occidentale). L’Europe va aussi s’efforcer de passer à la vitesse supérieure, malgré ses goulets d’étranglement dans la production, notamment d’obus, comme l’illustre la décision spectaculaire du Danemark, samedi, d’offrir l’intégralité de son artillerie à l’Ukraine, convaincue qu’en fait Kyiv défend le continent face aux ambitions du Kremlin.

Devant ces revers, comme régulièrement depuis le début de la guerre déclenchée il y a deux ans, samedi prochain, de beaux esprits évoquent une « fatigue » dans l’opinion publique occidentale, où pourtant les sondages indiquent toujours un soutien à l’Ukraine oscillant entre 60 et 75 % suivant les pays, ainsi que la nécessité d’une négociation. Certes, mais avec qui et sur quoi ?

En effet, un accord signé avec Poutine vaut-il plus que le papier sur lequel il est écrit ? Il a déchiré la quasi-totalité des traités signés par son pays depuis 1999. Et a assumé, c’est passé inaperçu, lors de son récent entretien avec le journaliste américain Tucker Carlson, qu’il n’avait « pas encore atteint ses buts de guerre en Ukraine ». En clair, l’annexion de quatre régions ukrainiennes ne lui suffit pas. Voilà pour les naïfs, voire pas si naïfs, qui prétendent que le Kremlin serait prêt à signer la paix en échange de quelques gains territoriaux. Ce que veut Poutine est clairement vassaliser l’ensemble de l’Ukraine et ridiculiser l’OTAN.

Dernier sujet préoccupant pour Kyiv, le président Volodymyr Zelensky, a limogé récemment son chef d’état-major, Valery Zaloujny, très populaire dans l’opinion, mais aussi et surtout parmi les soldats, pour le remplacer par Oleksandr Syrsky, unanimement détesté des hommes sur le front. Inquiétant, même si les dissensions sont au demeurant normales par temps de guerre. On oublie par exemple que, malgré l’union sacrée, le cabinet de guerre français a sauté trois fois suite à des désaccords sur la conduite des opérations et les buts de guerre en 14-18… Le défi pour l’Ukraine sera de changer de doctrine de combat, suite à l’échec de sa contre-offensive de juin-août, pour intégrer les nouvelles technologies : drones tueurs, brouillage des fréquences ennemies, ébauche d’utilisation d’intelligence artificielle (des pays occidentaux travaillent à fournir des essaims de drones bon marché opérant de manière synchronisée par utilisation de programmes d’AI simples).

 

Gaza : l’impasse

À court terme aucune issue, ni même une pause dans le conflit entre Israël et le Hamas ne semble être envisageable. Les négociations, qui avaient repris le 6 février au Caire sous médiation qatari, égyptienne et américaine en vue d’une pause de six semaines (à ne pas confondre avec un cessez-le-feu, qui suppose un arrêt indéfini des combats) en échange de la libération de tout ou partie des 100 otages que le Hamas détient encore, ont été interrompues il y a quelques jours. Le Hamas exige aussi la libération de centaines de ses militants détenus en Israël, dont des meurtriers, ce qui est une ligne rouge pour Jérusalem dont la majorité de l’opinion, selon les sondages, juge prioritaire d’éliminer le Hamas plutôt que de libérer les otages.

Le Premier ministre israélien se dit d’ailleurs plus que jamais déterminé à liquider intégralement le Hamas, avec notamment une offensive prochaine sur la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza où se seraient réfugiés les chefs militaires de l’organisation terroriste. Or, des dissensions commencent à se faire discrètement jour au sein de la hiérarchie militaire, et même parmi des ministres sur la possibilité d’éliminer entièrement le Hamas. Trois mois après le début de l’invasion de la bande de Gaza, selon les renseignements américains, Israël n’aurait mis hors de combat qu’un cinquième des quelques 40 000 combattants du Hamas. Certes, Tsahal a évité le piège de type Stalingrad que beaucoup lui promettait, avec des pertes relativement limitées pour trois mois d’opérations en milieu urbain, environ 200 soldats, et a détruit des dizaines de kilomètres de tunnels du Hamas.

Mais les victimes collatérales (le chiffre de 27 000 victimes, en grande majorité femmes et enfants, avancé par le Hamas semble plausible, pour une fois, par recoupement avec diverses données indépendantes) posent de plus en plus problème aux partenaires internationaux d’Israël, surtout les États-Unis, seul allié que Jérusalem écoute traditionnellement. Joe Biden s’est engagé fortement auprès d’Israël après les attentats du 7 octobre, avec déploiement de navires de guerre pour dissuader Téhéran ou le Hezbollah au Liban, approvisionnement en munitions, renseignements satellites. Ce dont l’aile gauche des Démocrates lui en fait grief… au risque de faire élire Donald Trump, soutien absolument inconditionnel de Jérusalem.

Reste le risque d’embrasement régional, évoqué à l’envi depuis quasiment le début de la guerre, le 7 octobre. Heureusement sans concrétisation, pour l’instant. En mode chien qui aboie ne mord pas, le Hezbollah, milice chiite libanaise soutenue par Téhéran, avait promis des représailles terribles « en temps et en heure » à différents raids israéliens, notamment l’élimination du numéro deux de la branche politique du Hamas à Beyrouth. De même, les ripostes des États-Unis et du Royaume-Uni contre les Houthis, missile yéménite soutenue aussi par Téhéran, qui menace de frapper les cargos transitant par le golfe d’Aden. Les frappes américaines sur le sol yéménite lui-même ont suscité des menaces de l’Iran. Sans rien pour l’instant.

 

Présidentielle américaine : Biden en pleine confusion et Trump dans ses trumperies 

Ce ne sera plus tenable longtemps. Si la Maison Blanche a joué les tauliers de l’Occident par une aide décisive (même si on peut aussi lui reprocher d’être « trop tard trop peu ») en Ukraine et un soutien vigilant d’Israël face au Hamas, force est de constater qu’une défaite de Joe Biden le 5 novembre face à Trump parait désormais probable.

Malgré le dynamisme économique, le président américain est terriblement impopulaire en raison de l’inflation. Les sondages le créditent de cinq points de retard sur son rival qui a le vent en poupe, puisqu’il devrait pousser à l’abandon sa dernière rivale, Nikki Haley après la primaire du 24 février en Caroline du Sud. Une victoire à peine six semaines après le début de la campagne des primaires serait sans précédent historique, et explique que si peu de ténors républicains osent tenir le moindre propos susceptible de déplaire aux trumpistes. Les sondages donnent aussi Trump gagnant dans les 5-7 swing states, ceux susceptibles de basculer dans un camp ou un autre, et qui feront l’élection : Arizona, Géorgie, Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin, voire Caroline du Nord et Nevada.

Surtout, est apparu un fait nouveau et qui pourrait bientôt devenir intenable. Joe Biden multiplie les confusions qui ne sont plus seulement embarrassantes, à l’image des gaffes et trous de mémoire qu’il multiplie depuis longtemps. Cela touche désormais à sa capacité de gouverner. Comment croire que cet octogénaire pourrait prendre les bonnes décisions en cas de crise, en quelques minutes dans la war room par exemple, s’il prétend, comme il l’a fait dernièrement, avoir rencontré Mitterrand, décédé en 1995, en lieu et place d’Emmanuel Macron, ou le chancelier Kohl à la place d’Angela Merkel, et déclaré que le président égyptien Al Sissi était en fait celui du Mexique (Donald Trump a fait diffuser une carte du Proche-Orient où était calqué la carte du Mexique avec mention « source : Joe Biden »).

Enfin, une campagne américaine est une épreuve physique redoutable. Joe Biden a tenu le choc lors de la dernière uniquement parce qu’elle n’a pas eu lieu pour cause de covid. Problème, les Démocrates, divisés, indécis, et en panne d’idées et, il faut bien le dire, de lucidité, n’ont pas de plan B. Aucune personnalité connue, dotée d’un minimum de charisme et susceptible de faire consensus parmi les Démocrates n’a émergé en quatre ans, ce qui est une faute. La vice-présidente, Kamala Harris, n’a pas pris la lumière, elle est réputée ne pas avoir la carrure, comme l’illustre son parcours peu convaincant. Surtout, juridiquement, il semble très difficile d’annuler les primaires démocrates, pour lesquelles un certain nombre de délégués pro Biden ont été désignés. Seule issue, un avis médical sollicité par les ministres du président, terrible responsabilité et trahison, pour déclarer qu’il n’est plus en capacité d’exercer ses fonctions, selon la Constitution. Jamais un candidat bénéficiant du désistement au dernier moment du président en exercice n’a gagné la présidentielle…

L’affaire est d’autant plus cruciale que, bien évidemment, l’élection du président du pays le plus puissant du monde, militairement et économiquement, ne concerne pas que les Américains et que Donald Trump a raconté publiquement, il y a dix jours, avoir déclaré à un chef de gouvernement européen (allemand ?) qu’il ne viendrait pas à son secours si la Russie l’attaquait. On peut essayer de se rassurer à bon compte en se persuadant qu’il s’agissait d’un procédé rhétorique, ou d’une technique de négociation un peu rude pour obtenir, légitimement, que les Européens prennent plus au sérieux leur sécurité. Mais force est de constater, et ce discours de Trump représente de ce point de vue un évènement géopolitiquement majeur, malheureusement, tranchant avec une jurisprudence constante à Washington depuis 1949. La sécurité collective de l’Alliance atlantique repose en effet sur le fait que si un quelconque de ses 31 membres est attaqué, chacun des autres volera à son secours de manière inconditionnelle, sans émettre des si et des mais. Tout l’inverse de ce qu’a déclaré Trump qui assume que dans ce cas là il pourrait dire « désolé, je ne suis pas très motivé, regardons d’abord si vous avez réglé vos factures ». De la musique aux oreilles du Kremlin, de nature à le convaincre qu’une aventure en Pologne, ou en pays Balte serait opportune pour discréditer définitivement son ennemi juré, l’Alliance atlantique…

 

Menaces sur l’économie chinoise

Les nuages s’accumulent sur la Chine, deuxième économie mondiale et qui a réalisé depuis 1979 une performance sans équivalent historique, une croissance de 6 à 10 % par an pour un pays à l’époque d’environ un milliard d’habitants.

Sa croissance ralentit et n’aurait même pas dépassé 0,8 % au dernier trimestre. En cause : le vieillissement de la population, conséquence de la politique de l’enfant unique en vigueur jusqu’à récemment en sus de la chute de désir d’enfant, comme en Occident ; le chômage des jeunes au plus haut depuis des temps immémoriaux ; la moindre dynamique des exportations liées à la conjoncture mondiale ainsi qu’à une certaine défiance post covid envers Pékin ; sans doute les imites rencontrées par un système totalitaire à l’ère de l’innovation technologique ; et les menaces sur le système bancaire en raison de l’accumulation de créances douteuses sur le secteur immobilier après des années de spéculation, illustrées par ces images vertigineuses de tours fantômes construites pour être condamnées à la destruction.

La mise en liquidation, le 29 janvier dernier par un tribunal de Hong Kong, du groupe Evergrande, principal promoteur immobilier du pays, après deux années d’agonie est venue rappeler le danger, même s’il n’a pas, pour l’heure, provoqué d’effets dominos comme aux États-Unis la faillite de Lehman Brothers en 2008. Le secteur immobilier pèse pour un tiers du PIB chinois, contre un dixième en France. Les prix des logements ont chuté en deux ans de 30 %, du jamais vu. Les bourses chinoises sont par ailleurs atones et le président Xi Jinping a dû convoquer récemment les régulateurs des marchés financiers pour leur demander de doper un peu la conjoncture, notamment par un allègement des règles de réserves obligatoires des banques. Sans résultat spectaculaire. Un défi politique pour les autorités, puisque les Chinois sont habitués depuis trente ans à des perspectives de progression de leur revenu…

 

Union européenne : les agriculteurs se rebiffent

C’est un événement important dans l’histoire de l’Union européenne qui s’est déroulé ces dernières semaines, à coups de cortèges de tracteurs klaxonnant dans les principales villes d’Europe.

Les agriculteurs, pourtant en majorité très pro-européens, notamment parce qu’ils bénéficient, pour la majorité d’entre eux, du système d’administration des marchés avec prix garantis peu ou prou dans les céréales, certaines viandes, produits laitiers, ont manifesté massivement. À rebours de l’adage « on ne mord pas la main qui vous nourrit », et peut-être parce que ladite main ne nourrit plus tant que ça ceux qui nous nourrissent, comme le résumait un cortège espagnol ; « laissez-nous bosser, carajo ! ». Pas un hasard si le mouvement est parti, il y a presque un an, des Pays-Bas où un plan d’écologie punitive avait prévu, au nom de la désormais omniprésente lutte en Occident contre le réchauffement climatique (une vertu qui permet de massacrer agriculture et industrie sous le regard goguenard ou stupéfait du reste du monde, et qui ne les incite en tout cas pas à nous emboiter le pas), la disparition de la moitié du cheptel.

Les Allemands ont pris le relais début janvier, suivis par leurs confrères français, puis italiens, belges, espagnols, polonais, roumains. Ce mouvement spectaculaire, avec des blocages inédits de centres- villes en Allemagne, et la panoplie habituelle en France de lisier déversé, mais des blocages d’autoroutes sur 400 km (sans précédent) ont pu avoir des motifs divers, prix de vente trop bas (donc, appel, comme d’habitude, à subventions), la concurrence ukrainienne, avaient pour revendication centrale la réduction drastique de la réglementation d’origine, le plus souvent écologique (les associations écologistes ont beau prétendre être les alliées des agriculteurs, ce discours ne convainc pas ces derniers qui savent sous la pression de qui on les bride depuis des années), ou sanitaire au nom d’un principe de précaution devenu absolu. En clair, les agriculteurs ne supportent plus les exigences des plans écolos européens Green Deal et Farm to Fork, même si leurs représentants n’osent pas trop le dire.

Si le gouvernement Attal a su apaiser les grands syndicats agricoles par des chèques et promesses, notamment d’une pause (mais pas annulation) du plan de réduction impératif de 50 % des traitements phytosanitaires d’ici 2030, avec chute des rendements, donc à la clé des revenus, martingale française inépuisable, et si Bruxelles a accordé une dérogation pour les jachères, les agriculteurs se rendent compte que cela ne résout pas du tout le problème « bureaucratie/punitions ». La FNSEA, qui ne se résout pas à s’attaquer aux programmes européens Green Deal et Farm to Fork, menace de reprendre les manifestations à la veille du Salon de l’agriculture, dans quelques jours.

Que le soufflé de cette contestation inédite par le nombre de pays concernés, quoique sans synchronisation, retombe ou pas, il aura déjà eu un mérite : le grand public a découvert le poids dément des règlementations en milieu rural, qui punissent tout et son contraire, la nécessité d’obtenir x autorisations pour tailler une haie, curer un fossé, le calendrier des semis, traitements… comme l’illustre ce slogan d’agriculteurs espagnols « mais laissez-nous bosser, carajo ! ».

 

En France, l’horizon indépassable des règlements partout, tout le temps

Une bataille clé dans la guerre culturelle entre la réglementation tous azimuts, qui ne se confine pas à l’agriculture, comme prétend d’ailleurs l’admettre depuis peu le gouvernement et qu’illustre cette savoureuse révélation, parmi mille autres : un employé de mairie ne peut pas changer une ampoule sans suivre trois jours de formation. Eh oui, nos vies sont régies par une dizaine de codes de 4000 pages, qui s’enrichissent de plusieurs pages chaque jour.

De quoi rappeler le fameux texte de Tocqueville sur « le réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes » édictée par un pouvoir « immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer la jouissance des citoyens et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ».

Tout cela a poussé le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire (qui a dû se résoudre, dimanche soir, à annoncer une révision à la baisse, de 1,4 à 1 % de la prévision de la croissance française en 2024, évoquant la guerre en Ukraine, le Moyen-Orient, le ralentissement économique très marqué en Chine et la récession technique de 0,3 % du principal partenaire commercial de la France, l’Allemagne), à dénoncer « un suicide européen » par les entraves règlementaires, et à promettre il y a quelques semaines, à plusieurs reprises, un vaste effort de simplification… avant d’annoncer aussitôt des contrôles sévères sur la grande distribution, bouc émissaire, pour vérifier qu’elle pratique des marges raisonnables sur les produits alimentaires.

De même, le gouvernement a découvert récemment, sans promptitude excessive, que les normes DPE constituaient une véritable bombe sociale puisqu’elle imposait des dépenses insupportables aux ménages modestes voulant louer un bien pour le mettre en conformité (en attendant d’interdire aussi leur vente, voire, tant qu’on y est dans le fanatisme vert, leur occupation par les propriétaires). Ce qui contribue au blocage spectaculaire du marché de la location depuis deux ans.

Miracle, une étude technique vient démontrer que les DPE ne sont pas fiables pour les logements de moins de 40 m2 ouvrant droit à dérogation. Un peu tartuffe, mais c’est déjà ça… Il faudra surveiller la suite, du fait de la nomination d’un nouveau ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, qui assume vouloir provoquer un « choc de l’offre », en clair stimuler la construction de logements et leur mise à disposition sur le marché locatif. Un discours bienvenu, pour ne pas dire déconcertant, tant il est à rebours de ce à quoi nous habituent les ministres d’Emmanuel Macron.

Selon ses déclarations à l’issue, jeudi, d’une rencontre avec des représentants du secteur, il s’agit de rénover un processus de rénovation énergétique « comportant trop de lourdeurs administratives ». Sur la table, notamment la limitation des obligations de recourir à un accompagnateur agréé aux subventions de rénovation les plus élevées. Il s’agit aussi de permettre aux propriétaires de logements à étiquette énergétique G, a priori aux revenus les plus modestes, qui ne pourront plus être mis en location à partir du 1er janvier 2025, de les aider à commencer à améliorer la performance de leur bien.

 

France-sur-mer : le sujet empoisonné de l’immigration fait son grand retour

Le sujet de l’immigration, en mode sparadrap du capitaine Haddock, hante plus que jamais la politique française, avec un exécutif au sommet du « Enmêmptentisme », chèvre-chou, qui cherche à séduire des électeurs de droite (comme si ceux de gauche classique ne pouvaient pas objecter aux changements fondamentaux à l’œuvre dans notre pays depuis quatre ou cinq décennies, illustrés par une comparaison, au hasard, entre deux photos de classe 2024-1974 ?) sans perdre ceux de gauche. Dilemme d’autant plus sensible que le parti Renaissance est crédité de 18,5 % des suffrages aux européennes de juin, très loin des 29 % attribués, selon un sondage, au Rassemblement national.

L’Élysée a remporté une première manche tactique en demandant aux députés Renaissance de voter pour la loi immigration avec Les Républicains et le Rassemblement nationale… pour aussitôt en déférer les amendements Les Républicains au Conseil constitutionnel. Voter pour un texte qu’on espère anticonstitutionnel, c’est nouveau… Lequel Conseil constitutionnel a eu l’obligeance d’invalider 32 des amendements « droitiers » pour vice de procédure, qui ne se rattachaient pas à un élément précis, un article, du texte proposé. Il avait pourtant validé un amendement sur Mayotte en 2018 dans une loi qui ne traitait pourtant ni de Mayotte ni d’immigration…

Deuxième manche, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est rendu récemment à Mayotte, plus grande maternité d’Europe (25 naissances par jour, cinq fois plus que la seule Corrèze) pour annoncer ce que les élus de tous bords y attendent depuis longtemps : la fin du droit du sol. Au prix, puisqu’une loi ne peut pas être en vigueur dans un département, et pas sur l’ensemble du territoire national selon la Constitution, d’une révision de cette dernière. Ouvrant ainsi une boîte de Pandore, car ce principe d’une territorialisation d’une loi pourrait s’appliquer plus tard sur bien d’autres sujets. Il semble bien qu’il n’ait pas échappé à l’exécutif que la question devenue incandescente, voire civilisationnelle de l’immigration risque de rapporter gros aux élections européennes de juin prochain.

Une réforme du droit du sol sur l’ensemble du territoire n’aurait au demeurant rien de choquant et ne ferait pas basculer la France, contrairement à ce que prétendent les beaux esprits immigrationnistes, dans « les heures les plus sombres de notre histoire », pour la bonne raison que le droit du sang prioritaire est pratiqué par de nombreux pays pas franchement gouvernés à l’extrême droite.

Au demeurant, et cela illustre au passage combien le dossier de l’immigration à Mayotte est instrumentalisé, le droit du sol dit sec, c’est-à-dire l’obtention automatique de la nationalité du pays où l’on naît quelle que soit celle de ses parents et leur propre lieu de résidence et/ou de naissance, n’existe presque plus nulle part au monde. Et notamment pas en Europe, où les pays les plus souples là-dessus, la France, l’Espagne et la Belgique, pratiquent plutôt le « double droit du sol » : on obtient automatiquement, ou sur demande la nationalité française à l’adolescence si un des deux parents étrangers, même en situation irrégulière, est lui-même né en France, même en situation irrégulière, sous réserve qu’il ait séjourné en France un nombre suffisant d’années.

Le problème étant que les habitants des Comores, manipulés en outre par un régime dictatorial voyant dans cette émigration un moyen commode de déstabiliser une « puissance coloniale » à qui ils réclament la restitution de Mayotte, ignorent ces subtilités juridiques et que, motivées par la chimère d’une nationalité française automatique, avec ses droits et avantages pour l’enfant qu’elles portent, des Comoriennes enceintes se ruent à Mayotte pour y accoucher. Face à la désinformation aux Comores (en sus des autres facteurs d’immigration clandestine massive d’hommes jeunes cherchant une terre promise où les salaires sont huit fois supérieurs à ceux en vigueur chez eux à quelques heures de navigation) des ajustements constitutionnels sur le droit du sol, à la majorité, difficile, des trois cinquièmes au Congrès, risquent de ne pas changer grand-chose.

Une balance commerciale impossible à redresser ?

Le service des douanes vient de faire connaître le résultat de notre commerce extérieur pour 2023 : à nouveau un solde négatif important de 99,6 milliards d’euros. Certes, c’est mieux que l’année précédente où le déficit avait été supérieur à cause de l’envolée des prix de l’énergie causée par la guerre en Ukraine, mais le solde est négatif, une fois de plus.

La balance du commerce extérieur français est donc régulièrement déficitaire depuis 2005, c’est-à-dire depuis maintenant une vingtaine d’années. Ce solde négatif a plutôt tendance à s’aggraver, comme le montre le tableau ci-dessous :

Selon le journal La Tribune du 7 février dernier, annonçant les résultats de notre commerce extérieur pour l’année 2023 :

« Les années se suivent et se ressemblent pour la balance commerciale française : le déficit commercial de 99,6 milliards est le deuxième plus élevé de l’histoire ».

On ne peut évidemment que s’inquiéter d’une telle évolution, d’autant que les autres pays de l’Union européenne dont les balances commerciales étaient également déficitaires dans les années 1970-80, sont parvenus à redresser la barre, comme le montre le tableau suivant :

Autre constat : c’est la balance des biens qui est particulièrement dégradée, les services étant là pour rattraper quelque peu le grave déséquilibre des biens :

 

Le rôle déterminant du secteur industriel

Longtemps, les commentateurs de notre vie économique ont expliqué le déficit du commerce extérieur par des éléments conjoncturels, généralement des variations des prix de l’énergie, la France étant un gros importateur d’hydrocarbures. Mais, à présent, chacun a bien compris que le déficit de la balance du commerce provient du déclin industriel français. En effet, l’industrie joue un rôle déterminant dans la balance commerciale des pays développés, intervenant pour environ 75 % dans les échanges commerciaux.

Aussi, si l’on examine la relation existant dans les pays développés entre l’importance de leur production industrielle et le résultat de leur balance commerciale, on voit que les pays à production industrielle faible ont des balances commerciales déficitaires, alors que les pays à production industrielle élevée présentent des balances commerciales positives.

C’est ce que montre le tableau ci-dessous où figurent, dans la première colonne, les productions industrielles des pays comptées en valeur ajoutée par habitant, comme le font les comptabilités nationales des pays, et selon les données de la BIRD, qui incorpore la construction dans la définition de l’industrie :

Le graphique ci-dessous indique la corrélation existant entre ces données :

L’équation de la droite de corrélation indique que pour avoir une balance commerciale équilibrée il faut que la production industrielle s’élève à 11 265 dollars par habitant. C’est une probabilité statistique qui peut souffrir chaque année des écarts par rapport à la moyenne.

Or, la France ne dispose que de 7200 dollars de production industrielle par personne. Il faudrait donc l’accroître de 56 % pour que la balance commerciale soit à l’équilibre. En se basant sur les ratios d’intensité capitalistique des entreprises industrielles existant déjà en France, cela signifie un effectif industriel passant de 2,7 millions de personnes à 4,2 millions : soit 1,5 million d’emplois industriels à créer pour que, demain, la balance commerciale soit régulièrement en équilibre. Les effectifs industriels de l’Allemagne étant bien plus élevés, de l’ordre de 7 millions de personnes, sa balance commerciale est régulièrement excédentaire. En fait, avec la quatrième révolution industrielle en cours, baptisée industrie 4.0, les intensités capitalistiques sont devenues extrêmement élevées : il va plutôt s’agir de la création de seulement environ un million d’emplois.

La corrélation mise en évidence permet de comprendre que le solde déficitaire de notre balance commerciale, rappelé plus haut, se soit régulièrement dégradé à mesure que notre secteur industriel faiblissait : entre la fin des Trente Glorieuses et aujourd’hui, l’industrie qui intervenait pour 24 % à 25% dans la formation du PIB n’intervient plus que pour 10 % seulement. La France est devenue le pays européen qui est le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part. Avec la crise du covid, nos dirigeants ont finalement compris qu’il était nécessaire de réindustrialiser le pays, et Emmanuel Macron a lancé le Plan France 2030. Mais il sera extrêmement difficile de remonter la pente.

Dans le Figaro-économie du 12 février dernier, Anne de Guigné énonce :

« Après des années de délitement, l’industrie française a cessé de dépérir. Mais crier victoire paraît très exagéré quand les deux indicateurs les plus robustes du secteur, l‘évolution de la production manufacturière et celle de la valeur ajoutée de l’industrie demeurent en zone grise ».

Le Plan France 2030 est très insuffisant, car les moyens financiers manquent pour épauler le redressement de notre industrie, comme le font si bien maintenant les Américains avec l’IRA, un dispositif d’aide à l’investissement qui dispose d’un budget de 369 milliards de dollars.

 

Les PME appelées à la rescousse

Pour redresser rapidement notre commerce extérieur, le gouvernement a appelé les PME à la rescousse afin qu’elles exportent. Il veut faire passer le nombre d’entreprises exportatrices de 145 700 à 200 000. Dans son discours de Roubaix le 23 février 2018, Édouard Philippe avait annoncé la création de Team France Export, afin d’encourager les PME  à « chercher des aventures à l’étranger ». Team France Export est un dispositif au service des entreprises qui regroupe les services de l’État s’occupant d’exportation, Business France, Bpifrance, et les diverses CCI existant en France. Cet organisme dispose de 13 guichets régionaux, disséminés sur tout le territoire, et un réseau de 750 conseillers installés à l’étranger dans 65 pays. Précédemment, avait été créée en 2015, « Business France », une agence nationale ayant pour mission d’« aider les PME et les ETI à se projeter à l’international ». Nos entreprises ne sont donc pas dépourvues de conseillers pour les aider à exporter, et elles peuvent bénéficier de divers soutiens financiers pour prospecter à l’étranger et exporter.

Cette ambition de faire de nos petites PME industrielles, des entreprises exportatrices, n’est en fait pas très raisonnable : c’est leur faire courir beaucoup de risques et les détourner de leur tâche principale qui est, à ce stade de leur croissance, de développer et renforcer leurs avantages compétitifs. Hors les grandes entreprises, qui, elles, disposent du personnel voulu pour exporter, et dont les reins sont assez solides pour faire face aux aléas des opérations à mener dans des pays lointains que l’on connait mal, seules les ETI, (250 à 500 employés), sont capables d’avoir une politique suivie à l’exportation.

En matière d’exportation, le drame de la France est qu’elle dispose de relativement peu d’ETI, à la différence de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne : elles sont 5760 en France, contre 12 500 en Allemagne et 10 000 en Grande-Bretagne, et ne sont pas toutes dans le secteur industriel, loin de là. Pour exporter des biens industriels, il faut généralement avoir à l’étranger des accords avec des entreprises locales qui aideront les consommateurs à utiliser ces équipements et assureront l’après- vente, car faire de l’après-vente à partir de la France est une gageure. Ces partenaires étrangers exigeront que l’entreprise avec laquelle ils vont collaborer ait une certaine dimension : s’il s’agit d’une PME de taille modeste, ils ne seront pas partants et auront tendance à aller chercher ailleurs un exportateur plus solide avec lequel s’allier. Une PME peut exporter aisément, sans risque, des produits ne nécessitant aucune collaboration avec l’acheteur, et notamment pas d’après-vente, comme par exemple, la cristallerie ou les articles de porcelaine.

Augmenter les exportations et avoir une balance commerciale à l’équilibre sont donc des missions extrêmement ardues :

  • le secteur industriel s’est considérablement amenuisé, l’industrie manufacturière ne représente plus que 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % pour l’Allemagne.
  • le pays manque d’entreprises de taille intermédiaire, soit deux fois moins que l’Allemagne.

 

Rééquilibrer notre balance du commerce extérieur, mission qui est confiée au ministre chargé du Commerce extérieur, est une tâche de très longue haleine qui va demander de très nombreuses années, c’est-à-dire le temps que nos dirigeants mettront pour accroître de 56 % la production du secteur industriel.

[Ukraine] Reportage exclusif sur l’affaire Ihor Hrynkevich, emblématique de la lutte anti-corruption de la présidence Zelensky

Alors que les campagnes de désinformation russes au sujet de l’Ukraine se multiplient, le gouvernement Zelensky intensifie sa lutte contre la corruption.

C’est l’un des points de propagande principaux du Kremlin pour démoraliser l’Occident d’envoyer de l’aide en Ukraine : le pays serait corrompu jusqu’à la moelle, et cette aide ne servirait qu’à engraisser certains dirigeants hauts-placés.

Ne faisons pas d’angélisme : la corruption (legs de l’URSS à tous les pays de la région) est présente en Ukraine, comme dans tout l’ex-bloc soviétique.

Cependant, le gouvernement de Volodymyr Zelensky a récemment prouvé qu’il faisait tout pour assainir son entourage. 

Dernier coup d’éclat en date : l’arrestation de l’homme d’affaires de Lviv Ihor Hrynkevych. Ce dernier a été pris dans un scandale de corruption incluant rien de moins que le ministère de la Défense, sur lequel les agents du SBU enquêtent discrètement, voire trop au goût de certains journalistes.

 

Du matériel défectueux

Le businessman est accusé d’avoir obtenu des contrats (au nombre de vingt-trois) avec le ministère de la Défense dont il n’a honoré qu’une partie, tout en étant payé pour la totalité. Pire encore, il aurait fourni pour ces commandes (des vêtements chauds destinés aux troupes cet hiver) des produits de mauvaise qualité, avant d’émarger encore plus, et de partager le gâteau avec ses commanditaires. Le préjudice pour l’armée se situe à plus d’un milliard et demi de hryvnias, soit près de 37 millions d’euros, auquel s’ajoute des retards dans la production et l’acheminement du matériel vers le front.

Apprenant qu’il était sous le coup d’une enquête, Ihor Hrynkevych aurait proposé un pot-de-vin de 500 000 dollars (près de vingt millions de hryvnias) pour étouffer l’affaire.

Une enquête, débutée après la saisie par les douanes ukrainiennes de vêtements destinés aux soldats et Trade Lines Retail LLC, Construction Company Citygrad LLC, et Construction Alliance Montazhproekt LLC, a déterminé qu’aucune de ces entreprises n’avaient les capacités de production, d’entrepôt pour répondre aux contrats du ministère. Sur les 23,6 n’ont pas été remplis, et 7 autres ne l’ont été qu’en partie. Huit autres ont été réglés sur des délais d’entre trois et cinq mois. Rien n’était aux normes.

D’après divers médias ukrainiens, Ihor Hrynkevych se serait ensuite procuré le numéro de téléphone personnel d’un chef-adjoint du SBU et l’aurait contacté sur Signal, expliquant avoir eu son numéro par « des amis communs », demandant une entrevue.

Rendez-vous est pris dans une station service de Kyiv, où Ihor Hrynkevych lui aurait demandé de l’aide pour récupérer les biens saisis par les douanes.

Pas fou, l’enquêteur aurait alors fait un rapport sur leur entrevue. Cependant, n’étant pas du genre à abandonner, le jour de Noël, l’homme d’affaires lui enverra « Le Christ est né, quand nous verrons-nous à nouveau ? », avant d’appeler. Ces tentatives resteront lettre morte. Finalement, un nouveau rendez-vous sera pris, toujours à cette station service, où Ihor Hrynkevych proposera cette fois-ci les 500 000 dollars de pot-de-vin, qu’il lui donnera le 29 décembre, provoquant son arrestation immédiate.

Jugé en pré-comparution, il sera envoyé en détention par le tribunal du district de Pechersk, à Kyiv, en attendant son procès.

Son fils, Roman Hrynkevych (titulaire d’une médaille présidentielle), était alors recherché, avant d’être arrêté à Odessa. Il a été placé en détention jusqu’au 17 mars dernier, suspecté avec cinq autres personnes d’avoir participé au complot de son père. Il nie avoir tenté de traverser la frontière avec la Moldavie, mais s’être trouvé à Odessa « pour affaires », selon des vidéos de son interrogatoire publiées sur des canaux Telegram. Le chef de l’un des départements du commandement des forces de soutien des forces armées ukrainiennes et le directeur d’un fournisseur ont été arrêtés en flagrant délit et placés en détention provisoire.

L’ancien vice-ministre de la Défense est notamment accusé d’avoir fait pression pour la conclusion de contrats pour la fourniture de biens matériels à prix gonflés, des commandes d’équipement de protections individuelles de qualité insuffisante avec un paiement anticipé de 100 %.

Pour l’heure, les actuels responsables des signatures d’appels d’offres effectués avec la famille Hrynkevych ne sont pas encore connus.

Services de sécurité de l’Ukraine SBU

Une famille d’oligarques

Intéressante famille que les Hrynkevych. La femme d’Ihor, Svitlana Hrynkevych, est la co-fondatrice de l’organisation caritative Hope.UA. Ancienne professeure à l’université polytechnique de Lviv, elle participe aussi aux affaires du clan. Elle et sa fille sont les co-fondatrices de Trade Lines Retail LLC, une des entreprises accusées de n’avoir pas rempli les contrats passés avec le ministère de la Défense. Elle est aussi propriétaire terrien : rien qu’en 2023, elle a fait l’acquisition de deux appartements dans le quartier de Pechersk, à Kyiv, pour une valeur totale de 35 millions de hryvnias, soit près de un million d’euros, ainsi que du motel Kateryna, situé près du stade Arena-Lviv, et d’un hectare et demi de terrain dans l’Oblast de Lviv.

Son fils Roman est l’autre fondateur de Hope.UA, et récipiendaire du prix du Cœur d’Or, remis par le président Zelensky. Il a aussi été mouillé dans plusieurs affaires louches, son entreprise, Construction Alliance Montazhproekt LLC, ayant elle aussi été accusée de s’être procurée des contrats de défense de façon malhonnête. 

Elle a en effet commencé à recevoir des contrats de construction dans l’Oblast de Jytomyr, où il se présentera aux élections locales en 2020. 

Cette entreprise est aussi accusée d’avoir détourné des fonds publics dans la construction d’un « centre pour la sécurité citoyenne », pour un contrat de 35 millions de hryvnias, soit une fois et demi les coûts estimés, selon les journalistes de Nashi Groshi. 

Lui aussi propriétaire terrien, Roman Hrynkevych s’est offert en 2023 une maison dans le cossu village de Kozyn, dans l’Oblast de Kyiv, pour la coquette somme de 50 millions de hryvnias (plus d’un million deux cent mille euros), ainsi que, le même jour, de quatre terrains dans ledit village.

D’après l’enquête du SBU, la famille Hrynkevych posséderait en tout dix-sept appartements et maisons, sept propriétés non-résidentielles, et dix-huit terrains.

« J’ai demandé de présenter les développements nécessaires pour que toutes les difficultés entre les représentants du gouvernement, les entreprises et les forces de l’ordre soient éliminées », a pour sa part déclaré le président, Volodymyr Zelensky.

De son côté, le directeur du SBU affirme que « l’enquête n’est pas terminée ». 

Ihor Hrynkevych risque entre 4 et 8 années d’emprisonnement au titre de l’article 369, partie 3, du Code pénal ukrainien. Les biens de sa famille ont été saisis, et tous les contrats d’entreprises qui lui sont affiliés ont été résiliés par le gouvernement, excepté un, pour l’acheminement de nourriture aux militaires des Oblasts de Kherson et Mykolaiv. 

 

La lutte continue

Mais cette affaire, aussi emblématique soit-elle, n’est pas la seule ! Rien que cette semaine, le SBU a opéré une fouille auprès des responsables du ministère de la Défense et des dirigeants de l’arsenal de Lviv, soupçonnés d’avoir détourné près de un milliard et demi de hryvnias destinés à l’achat d’obus. Parmi les personnes impliquées Olekansdr Liev, on retrouve notamment l’ancien chef du département de politique militaro-technique de développement d’armes et d’équipements militaires du ministère de la Défense, mais aussi l’actuel chef de ce département, Toomas Nakhur, ainsi que Yuriy Zbitnev, chef de l’arsenal de Lviv.

Toujours cette semaine, la NAKC (la brigade anti-corruption), a découvert que le chef du département anti-drogue de Kyiv disposait d’actifs non-prouvés d’une valeur de près de 3,9 millions de hryvnias (près de 100 000 euros).

Cependant, chez les journalistes ukrainiens, la même question revient toujours : par qui seront-ils remplacés ?

Si Kyiv envoie des signaux forts, il ne reste plus qu’à espérer que cette lutte soit suivie d’effets.

Source : Державне бюро розслідувань (Services de renseignements ukrainiens)

Industrie française : une récession est imminente – Entretien avec Charles-Henri Colombier (Rexecode)

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE…

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Selon les statistiques du FMI, le PIB de la Chine ne représenterait aujourd’hui que 66 % du PIB des États-Unis, contre 76 % en 2021. Comment expliquez-vous ce décrochage ? Est-il symptomatique d’une tendance durable ?

Charles-Henri Colombier (Rexecode) – Depuis l’avant-covid fin 2019, le PIB chinois en volume et en monnaie nationale a augmenté de 18 %, tandis que le PIB américain a progressé de 7 %. En d’autres termes, la croissance chinoise n’a pas à rougir en comparaison de la croissance américaine, loin s’en faut.

L’explication du comparatif transpacifique des niveaux de PIB défavorable à la Chine depuis 2021 vient plutôt d’un effet de change, et plus spécifiquement de la dépréciation du yuan face au dollar. Le billet vert s’échange actuellement contre 7,10 yuans, quand il en valait seulement 6,35 fin 2021. Le taux de change dollar/yuan dépend pour une bonne part du différentiel de taux d’intérêt entre les deux pays, or la Fed a opéré une brutale remontée de ses taux, sans équivalent en Chine où l’inflation est restée très atone.

 

Sanctions russes : un effet boomerang ?

Y-a-t-il un effet boomerang des sanctions russes sur les économies européennes ? L’Europe est-elle en train de rentrer en récession à cause de l’embargo sur le gaz et le pétrole russe ?

L’interruption de l’approvisionnement énergétique de l’Europe depuis la Russie, concernant le pétrole mais surtout le gaz, a généré un choc d’offre négatif dont les effets ne se sont pas encore dissipés. En témoigne le fait que le prix de marché du gaz naturel coté à Rotterdam est toujours deux fois plus élevé qu’en 2019, tandis que la cotation Henry Hub aux États-Unis est à peu près inchangée.

Une énergie plus chère a trois types de conséquences principales : des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, un prélèvement sur les marges des entreprises, et un déficit de compétitivité prix préjudiciable à l’industrie notamment énergo-intensive. Les Etats-Unis et l’Asie n’ont pas eu à subir les mêmes chocs.

 

Comment la Russie contourne les sanctions commerciales

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Pourquoi sont-elles aussi inefficaces ? Depuis 2022, les importations de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi. Doit-on y voir une stratégie de détournement des sanctions ? Quels pays européens (et quelles industries) participent à ce phénomène ?

L’inefficacité des sanctions occidentales contre la Russie tient d’abord au fait que certains pays tiers se sont substitués aux achats européens d’hydrocarbures russes. Au-delà des relations bien connues de la Chine avec la Russie, l’Inde absorbe désormais près de 40 % des exportations de pétrole russe, contre 5 % seulement en 2021. La manne des hydrocarbures, clé pour les finances publiques russes, a ainsi été préservée.

Par ailleurs, les mesures aboutissant à un retrait des entreprises occidentales de Russie ont parfois eu un effet de stimulation pour les entreprises russes, pouvant se saisir d’actifs bon marché et de nouvelles parts de marché domestiques. Enfin, il est vrai que certaines entreprises européennes contournent les sanctions, amenuisant leur efficacité. Certains pays comme la Turquie jouent un rôle de transit pour les flux commerciaux en question. Pour ne citer que quelques exemples, les exportations allemandes vers des pays comme le Kazakhstan, le Kirghizistan ou la Géorgie ont connu un décollage plus que suspect.

 

Industrie française : une récession est imminente

On constate une chute de l’indice PMI manufacturier en France. Que représente cette dégringolade pour l’économie française ?

L’indice PMI manufacturier mesure le climat des affaires à la lumière du sentiment exprimé par les directeurs d’achats. Le niveau de 42,1 qu’il a atteint en décembre (50 représente le seuil d’expansion) laisse peu de doute quant à l’existence d’une situation récessive pour l’industrie, en France mais aussi en Europe plus largement.

La dépense en biens des ménages avait déjà été décevante en 2023, celle des entreprises devrait désormais emboîter le pas en 2024, la hausse des taux d’intérêt et la contraction du crédit exerçant une pression croissante sur leur situation financière.

 

L’hypothèse d’un découplage économique avec la Chine

Les marchés américain et européen peuvent-ils se passer de la Chine ? Quelles seraient les conséquences d’une hypothétique rupture des relations commerciales entre la Chine et les marchés américain et européens ? Faut-il s’y préparer ?

Une rupture soudaine des relations économiques entre la Chine et l’Occident serait à n’en pas douter catastrophique pour les deux camps, tant les chaînes de valeur sont imbriquées. La Chine est devenue un fournisseur irremplaçable de nombreux intrants industriels, comme les problèmes d’approvisionnement apparus lors de la pandémie l’ont illustré.

Compte tenu des tensions entourant Taïwan, il faut se préparer à un tel scénario de rupture pour en minimiser l’impact. Mais il paraît illusoire d’imaginer que l’Europe puisse se passer de la Chine à court terme.

 

Les conséquences du statu quo de la BCE sur les taux directeurs

Contrairement à la FED, la BCE n’envisage pas de baisse des taux et affiche une ligne dure. Comment expliquez-vous cette divergence ? Quelles répercussions ces décisions auront-elles sur les échanges entre les économies de la zone euro et les États Unis ? Sur la croissance de leurs marchés respectifs ?

Le discours assez rigide de la BCE quant à l’éventualité d’une prochaine baisse des taux paraît surprenante au vu de la situation quasi-récessive de l’économie européenne. De récents travaux de la BCE montrent par ailleurs que l’essentiel de l’inflation observée ces dernières années est venu de facteurs liés à l’offre plutôt que d’un excès de demande qu’il faudrait briser.

Deux éléments permettent toutefois d’expliquer la prudence de la BCE.

Premièrement, le marché du travail européen, dont le degré de tension détermine en partie le dynamisme de l’inflation sous-jacente (l’évolution des prix hors composantes volatiles comme l’énergie), affiche toujours un niveau d’emplois vacants élevé malgré la faiblesse de l’activité. La disparition des gains de productivité du travail et le ralentissement démographique aboutissent au paradoxe que des difficultés de recrutement substantielles peuvent coexister avec une absence de croissance.

Deuxièmement, le contexte géopolitique reste très incertain. Les tensions récentes en mer Rouge ont déjà abouti à un doublement des taux de fret maritime sur les conteneurs, ce qui à terme pourrait souffler de nouveau sur les braises de l’inflation.

 

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

[Pétition] « Une révolution fiscale pour sauver le logement »

Vous pouvez soutenir cette pétition en cliquant ici  

Le député Guillaume Kasbarian vient d’être nommé ministre du Logement. Pour relancer la dynamique du logement en France (accès à la propriété, location, investissement immobilier) adressons lui cette pétition, qui a déjà récolté 450 signatures : il faut un électrochoc fiscal !

La recherche d’un logement destiné à la location en résidence principale ou aux travailleurs saisonniers est devenue dans certains régions un véritable parcours du combattant. Cette situation critique est la conséquence de la multiplication de logements vacants, de résidences secondaires et de locations meublées de tourisme.

Elle s’explique par les conditions fiscales et réglementaires actuelles :

  • Des taux de prélèvements obligatoires très élevés sur les loyers ;
  • Des avantages ciblés par les politiques antérieures sur la location de meublés ;
  • Une diminution de la rentabilité provoquée par le plafonnement des loyers ;
  • L’instrumentalisation de la législation par certains locataires ;
  • Les exigences très contraignantes des normes d’habitabilité ;
  • Une diminution du parc locatif due à l’exclusion des logements de DPE G et bientôt F.

 

Les mesures envisagées par les pouvoirs publics utilisent la fiscalité et la réglementation pour combler le déficit de logements destinés à la résidence principale et aux saisonniers créé par la réglementation précédente :

  • Les abattements forfaitaires sur les loyers des résidences de tourisme ont été supprimés ;
  • La taxe d’habitation est majorée pour les résidences secondaires et les meublés ;
  • La taxe foncière à la charge des propriétaires a été augmentée ;
  • Les logements vacants sont taxés, même ceux dont la location est interdite (TLV, THLV).

 

Ces mesures amplifieront les effets des précédentes. Certaines, comme de très fortes hausses de la taxe d’habitation, sont déjà appliquées.

Ce changement de fiscalité pénalise ceux qui ont investi dans l’immobilier de tourisme, les EHPAD, les logements étudiants… Les engagements pris par les propriétaires en échange d’avantages fiscaux et la nature des logements les empêchent de modifier la destination de leurs biens. Les taxes vont contraindre certains propriétaires d’un bien interdit à la location soit à le vendre dans des conditions très défavorables, soit à effectuer des travaux beaucoup trop coûteux pour leurs moyens financiers ou pour être rentables, surtout avec des loyers plafonnés, malgré les aides MaPrimRénov’ accordées pour passer d’un DPE G à E ou F à D.

Les deux séries de mesures proposées ci-dessous libèrent les propriétaires bailleurs au lieu de les contraindre. La première a pour but de régler aussi rapidement que possible la crise actuelle et la seconde d’éliminer les causes à long terme qui l’ont provoquée.

 

Une première série de réformes pour stabiliser le secteur immobilier

  • Supprimer tous les avantages fiscaux accordés actuellement aux investisseurs en fonction de la destination du bien loué (meublés de tourisme, investissement en EHPAD, logements étudiants…) ;
  • Permettre la transformation d’un meublé de tourisme en résidence principale sans pénalité fiscale comme le rappel de la TVA ;
  • Aligner la fiscalité des loyers sur celle des revenus des valeurs mobilières (suppression de l’IFI, prélèvement libératoire à 30 %) ;
  • Supprimer les taxes sur les logements vacants (TLV et THLV) ;
  • Déduire du revenu imposable le coût des travaux de mise aux normes d’un logement, qui reste à charge après le versement de MaPrimeRenov’

 

Ces mesures placent le marché immobilier à égalité fiscale avec l’investissement dans le secteur productif. Elles facilitent le retour des investisseurs institutionnels dans l’immobilier locatif traditionnel. Pour qu’elles conservent leur efficacité à long terme, il faut les compléter en protégeant les propriétaires de changements de fiscalité ultérieurs et du risque de pertes en capital parfois ruineuses (loyers impayés, squats).

 

Une deuxième série de réformes pour relancer la dynamique du logement

  • Supprimer les droits de mutation en ligne directe et réduire les droits de mutation en ligne indirecte pour relancer l’accès à la propriété ;
  • Alléger les normes de confort exigées pour une location et une construction ;
  • Déclarer les plus-values et les moins-values après une vente dans les revenus mobiliers en tenant compte de l’inflation ;
  • Garantir la même fiscalité et les mêmes normes d’habitabilité pendant quinze ans ;
  • Utiliser les taxes sur les plus-values perçues en cas de classement d’un terrain agricole en terrain à bâtir pour indemniser les propriétaires de terrains constructibles déclassés ;
  • Créer des tribunaux analogues aux prud’hommes pour régler rapidement les litiges entre locataires, élus locaux et propriétaires ;
  • Mettre à la charge des responsables d’un retard d’exécution d’une décision de justice l’indemnisation du propriétaire ou du locataire ;
  • Supprimer les surloyers et exclure du logement social les locataires dont la situation ne correspond pas ou plus aux conditions d’accession réglementaires.

 

Ces mesures pérennisent les précédentes et permettent aux investisseurs de répondre à la demande de logement en limitant le risque en capital et en revenu et en abaissant les coûts. C’est également l’objectif de la suppression des droits de succession et la diminution des droits de mutation en ligne indirecte. Le retour du dynamisme du marché immobilier produira de nouvelles recettes fiscales compensant l’abaissement de la fiscalité sur les loyers. La difficulté principale est le manque de confiance des investisseurs dans le long terme, qu’il est difficile de faire disparaître compte tenu des politiques passées.

 

Pour soutenir ce texte vous pouvez l’encourager dans l’espace dédié aux commentaires.

Pour porter cet éléctrochoc à l’Assemblée nationale : signez la pétition sur Change.org

Fabrice Le Saché, VP du Medef : « l’accord sur l’IA ne répond pas aux ambitions de départ »

Fabrice Le Saché est le vice-président du Medef en charge de l’Europe. Au cours de cet entretien, nous abordons les répercussions des nouvelles réglementations européennes (IA, minerais stratégiques, taxe carbone…) sur l’industrie française et européenne. Il est aussi question des réponses à apporter à la crise du logement et de l’impact des actions de sabotage des écologistes radicaux sur la croissance et l’emploi en France.

 

Intelligence artificielle

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le 08 décembre dernier, le commissaire européen Thierry Breton a qualifié d’« historique » l’accord de l’UE sur la réglementation de l’intelligence artificielle (IA ACT). Estimez-vous, avec M. Breton, que « L’Europe va devenir le meilleur endroit au monde pour faire de l’intelligence artificielle » ?

Fabrice Le Saché, vice-président du Medef chargé de l’Europe – Je souhaite tout d’abord rappeler un chiffre : 25 % des entreprises européennes utilisent l’intelligence artificielle (IA). Si la démocratie de l’IA est récente, l’IA n’est pas pour autant une technologie inconnue.

Le Medef a salué les ambitions initiales de Thierry Breton d’encadrer l’IA pour construire un écosystème favorable au tissu économique et à l’ensemble des citoyens. Une certaine idée de la régulation qui ne freine pas l’innovation et n’obère pas la compétitivité de nos entreprises. Nous avons toujours rappelé l’importance de maintenir une neutralité technologique et d’avoir une approche globale par les risques. Seul l’usage que l’on fait de l’IA doit définir son niveau de risque, et non les caractéristiques techniques de chaque modèle. Or, l’accord provisoire obtenu début décembre ne répond pas intégralement aux ambitions de départ. L’approche par les risques et le principe de neutralité technologique ont été fragilisés en intégrant des obligations propres aux IA génératives, ce qui ajoute de la complexité juridique. De plus, le texte nécessite de nombreuses lignes directrices et actes délégués de la Commission européenne pour être applicable, entraînant ainsi les entreprises dans une période d’incertitude et de flou juridique.

Dans la course mondiale à l’intelligence artificielle l’Europe est encore à la traîne, loin derrière les géants chinois et américains, mais nous pouvons encore combler notre retard. À condition de s’en donner les moyens, de mettre le pied sur le frein de la surrèglementation, et d’investir dans une politique d’innovation courageuse permettant de faciliter l’accès des entreprises aux financements, aux compétences et aux marchés.

Il est évident qu’aujourd’hui, le développement économique et l’innovation dépendent largement de l’évolution des compétences numériques, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Si notre pays veut jouer un rôle dans la révolution industrielle 5.0, nous devons constamment anticiper et nous adapter aux évolutions technologiques. Le défi pour les entreprises est double : recruter du personnel qualifié tout en veillant à la mise à jour des compétences des salariés. C’est pourquoi la formation doit être au cœur des stratégies d’entreprise.

 

Souveraineté minérale

Début décembre 2023, le Parlement européen a approuvé un texte sur les matières premières critiques, fixant des objectifs pour la production, le raffinage et le recyclage des minéraux indispensables à la transition écologique et numérique. L’Europe est-elle en train de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine ? Cette législation va-t-elle faciliter la production de voitures électriques, de panneaux solaires, d’éoliennes et smartphones en Europe ? Quels effets produit-elle déjà sur le marché du travail ?

Les récentes crises ont démontré à quel point la France était dépendante des chaînes d’approvisionnements mondiales. Nous avons désormais pris collectivement conscience de la nécessité de retrouver un appareil de production performant et une culture industrielle forte. Cette indispensable souveraineté passe par la réduction de nos dépendances extérieures de l’Union européenne vis-à-vis des matières premières critiques. Le monde change, celui dominé par les énergies fossiles laissera bientôt sa place à un monde dominé par les matières premières minérales. Il sera sans carbone, mais riche en métaux : le marché du cuivre va doubler, celui du nickel va tripler, et celui du lithium va quadrupler au cours des dix prochaines années.

C’est pour cela que nous avons – dès mars 2023 – soutenu le règlement sur les matières premières critiques qui permettra d’identifier des projets stratégiques et sécuriser des chaînes d’approvisionnement. Pour garantir notre autonomie stratégique et contribuer au redressement de notre commerce extérieur, il faudra aller encore plus loin.

Tout d’abord, il est impératif de valoriser l’exploitation de minerais stratégiques tant en Europe qu’en France par des dérogations ponctuelles aux Codes minier et environnemental. La France dispose en la matière d’un savoir-faire historique qui lui a longtemps permis de compter parmi les principaux producteurs mondiaux de métaux stratégiques comme l’antimoine, le tungstène et le germanium. Dans ce sens, je salue l’initiative de l’entreprise Imerys qui s’apprête à exploiter la plus grande mine de lithium d’Europe dans l’Allier, capable de fournir assez de matière première pour produire 750 000 batteries par an. Ce projet répond à la fois aux enjeux d’indépendance énergétique, de réindustrialisation – et avec elle de création de richesse partout dans les territoires – et de décarbonation de notre mobilité.

Aussi, l’Europe doit aussi repenser ses relations avec les pays fournisseurs au travers d’une diplomatie des matières premières qui déboucherait sur des accords commerciaux larges et ambitieux, permettant le renforcement des coopérations, la négociation de quotas, ou encore l’élimination de tarifs douaniers. L’Union européenne devrait également chercher à réduire les écarts de compétitivité, en particulier dans les hautes technologies et l’économie numérique, et plus globalement garantir des conditions de concurrence équitables entre les entreprises de l’Union européenne et les concurrents chinois.

Bien évidemment, l’Union européenne et la Chine doivent renforcer leurs liens commerciaux et d’investissement, mais sans naïveté, en recourant aux instruments de défense commerciale pour dissuader la Chine de prendre des mesures unilatérales dommageables.

Enfin, notre stratégie ne pourra faire l’impasse du recyclage, qui doit être considéré comme un pilier essentiel de l’offre en matières premières critiques. Il convient d’une part d’accompagner les entreprises dans les démarches d’éco-conception des produits afin qu’elles réduisent leurs besoins en matières critiques (ou qu’elles les substituent) et d’autre part, d’allonger la durée de vie des produits afin que les matières critiques soient utiles plus longtemps.

 

Taxe carbone aux frontières de l’UE

À partir du 1er janvier 2026, les importateurs européens devront s’acquitter d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Celle-ci va-t-elle renchérir les coûts de production pour les entreprises ? Pensez-vous que cette taxe est de nature à inciter les industriels européens à relocaliser leurs approvisionnements en matières premières à haute intensité de carbone ou, à l’inverse, qu’elle les encouragera à délocaliser leurs productions dans des zones où les normes environnementales sont plus légères, voire inexistantes (Maroc, Turquie..) ?

Le Carbon Border Adjustment Mechanism (MACF) ou la « taxe carbone aux frontières » s’inscrit dans un contexte de crise énergétique et d’un accroissement du différentiel de compétitivité entre l’Union européenne et le reste du monde. Le Medef soutient le principe d’une taxe carbone ambitieuse aux frontières, mais avec une surveillance forte pour éviter son contournement par nos partenaires commerciaux. Le texte de l’Union européenne ne répond toutefois pas entièrement aux inquiétudes des industriels, notamment sur les risques de contournement, et fera peser de nouvelles lourdeurs administratives sur les importateurs.

La mise en œuvre du MACF s’accompagnera d’une élimination progressive des « quotas gratuits » qui pèsera sur la compétitivité des exportations européennes face à une concurrence étrangère qui n’aura pas essuyé le même coût du carbone en amont. Rexecode entrevoit une dégradation des comptes d’exploitation des entreprises de l’ordre de 45 milliards d’euros par an au niveau européen, et 4 milliards en France. Le MACF représente une perte de marges estimée à 2,1 milliards pour l’industrie française (soit une baisse de 2,7 % du résultat courant avant impôts). La mise en route du MACF menacerait plus de 37 500 emplois industriels, soit 1,5 % du total des emplois industriels en France.

Les risques de délocalisation dépendront des mesures adoptées pour lutter contre le contournement. Le MACF ne couvre que quelques grands intrants industriels, et non l’ensemble des chaînes de valeur. Si l’aluminium étranger produit hors de l’Union européenne sera bien taxé à la frontière, un produit fini ou semi-fini à base d’aluminium et transformé hors de l’Union européenne échappera au MACF.

L’importateur européen n’aura donc pas à en acquitter le coût du carbone, ce qui peut l’inciter à opter pour cette solution plutôt que de se tourner vers la filière de fabrication française qui aura payé un coût du carbone dans tous les cas de figure. Dans les prochains mois, il sera donc essentiel de faire un suivi précis et de mener des évaluations régulières pour corriger toute conséquence négative sur notre tissu industriel et les emplois, ainsi que sur notre compétitivité à l’export.

Ce texte est ainsi loin de résoudre toutes nos difficultés. C’est pourquoi il faut mobiliser l’ensemble des leviers pour réindustrialiser notre continent, tels que l’assouplissement des règles sur les aides d’État, le financement de l’innovation bas carbone et l’adaptation des formations pour répondre aux besoins des entreprises.

 

Crise du logement

En 2023, la crise du logement s’est installée en France. Les taux d’emprunt ont continué à monter, les ventes de logements neufs ont chuté de 30 %, les délivrances de permis de construire ont baissé de 23 %, les prix des loyers ont augmenté dans la majorité des grandes villes. Dans le secteur du bâtiment, 180 000 emplois sont menacés dès cette année, 500 000 d’ici à 2025. Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de la situation ? À quel point cette crise affecte-t-elle le fonctionnement du marché européen ? Que préconisez-vous pour sortir de la crise actuelle ?

Le logement, c’est le socle de la cohésion, une condition essentielle du dynamisme économique et du bien-être de nos concitoyens. Sans possibilité de loger à hauteur des besoins nos salariés, nous ne pourrons pas continuer à assumer la volonté de retour au plein-emploi qui est la nôtre.

Dans un contexte économique marqué par le renchérissement du coût des matières premières et la hausse des taux d’intérêts, la situation du logement en France est aujourd’hui critique. La situation ne fait que de s’aggraver, notamment sous le coup de décisions prises sans concertation avec les acteurs économiques : le zéro artificialisation nette (ZAN), la révision tous azimuts des documents de planification urbaine, et la chute de la délivrance des permis de construire.

En un an, la production de logements a chuté de 20 %. Ce sont 100 000 logements manquants qui sont venus s’ajouter aux 600 000 logements abordables non construits. Pour nous, chefs d’entreprise, il nous faut répondre aux besoins en logement des salariés, là où sont les emplois, c’est-à-dire largement dans les métropoles, et ne pas imaginer que les emplois vont miraculeusement se déplacer dans les zones détendues, hors marché, plus difficiles d’accès.

La crise du secteur de la construction se propage dans toute l’Europe, alors que le secteur est un pilier de l’économie, il pèse 6 % du PIB de l’Union européenne et emploie 14 millions de personnes. Le ralentissement est particulièrement marqué en Allemagne où l’indice de production – prenant en compte les logements, mais aussi les magasins, usines et autres bâtiments à usage professionnel – est en chute de plus de 6 points depuis la guerre en Ukraine.

Il est encore temps d’agir pour sortir de la crise et les réponses à apporter devront être en grande partie nationales. C’est pour cette raison que le Medef propose d’organiser avec les pouvoirs publics une conférence annuelle sur le logement avec pour but de passer en revue, territoire par territoire, les objectifs de production, les réglementations contreproductives et les réalisations effectives. Le logement est la pièce maîtresse de nos équilibres économiques, personnels et collectifs. La relance d’une politique de logement est plus que jamais d’actualité.

 

Éco-sabotage

L’année 2023 a été particulièrement marquée par les actions de blocage ou de sabotage d’activités économiques intentées par des collectifs radicaux comme Soulèvements de la Terre ou Extinction Rébellion. Occupations de cimenteries, destructions de mégabassines, mobilisations contre l’autoroute A69, leurs initiatives montent en puissance. Avez-vous estimé le bilan économique et social de leurs destructions ? Représentent-ils un danger réel pour la croissance et l’emploi en France ? En Europe ?

Je tiens à condamner fermement les actions de blocage ou de sabotage d’activités économiques intentées par des collectifs radicaux. Ces actes sont inadmissibles, inquiétants et préjudiciables à tous. Manifester est un droit, saccager est un délit. Il existe des voies de recours légales pour tous les projets d’infrastructures. C’est valable pour l’A69, pour le Lyon-Turin et pour tous les autres projets. Il est très difficile d’estimer précisément le bilan économique des destructions, mais cette flambée de violence a bien évidemment de graves conséquences économiques et sociales. Cela se traduit non seulement par d’irréparables pertes d’exploitation pour les entreprises touchées, pouvant conduire à du chômage partiel, voire à des destructions d’emplois. Cette situation se traduit aussi par une dégradation de l’image de la France qu’il faudra redresser.

Au Medef, cela ne vous étonnera pas, nous ne croyons pas à la thèse de la décroissance. Nous pensons même qu’elle est fondamentalement destructrice pour la cohésion sociale. Pourtant, nos objectifs sont communs : assurer l’avenir de la planète. Mais nos solutions divergent. Nous sommes convaincus que seule une croissance responsable permettra de relever le défi climatique en finançant les investissements et en assurant l’acceptabilité sociale de cette nécessaire transition. La croissance responsable, c’est non seulement la condition absolue pour financer la décarbonation de l’économie mais aussi pour continuer à créer des emplois, soutenir le pouvoir d’achat et maintenir l’équilibre de nos régimes sociaux.

 

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Libéralisme et sexualité : qu’en disaient les libéraux du XIXe siècle ?

Le libéralisme classique français a été porté par des auteurs presque exclusivement masculins, et qui pour certains des plus fameux (Turgot, Bastiat, Tocqueville) n’ont pas laissé de postérité : ce qui devrait engager à ne pas rechercher leur opinion sur la sexualité. C’est pourtant ce que je ferais, et la démarche n’est peut-être pas vaine.

 

Les premières conceptions religieuses

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la sexualité, incomprise, est déifiée : des autels sont dressés devant des pierres d’apparence phallique, où l’on s’agenouille avec dévotion, et où les filles viennent se frotter lascivement le ventre. Étant source des plus grands plaisirs, elle devient aussi l’objet de pratiques sacrificielles, soit par l’abstinence et la privation, soit par des mutilations dont la circoncision juive et l’excision africaine sont vraisemblablement des formes (Benjamin Constant, De la religion, t. I, 1824, p. 257).

Supposément pleine d’impureté, l’union des sexes est exclue des conceptions vraiment sublimes. Les Égyptiens tiennent que le dieu Apis est le fruit d’une jeune vache encore vierge, fécondée par le Soleil. En Inde, Krishna naît sans accouplement, mais par l’intervention d’un cheveu abandonné par Vishnu. Chez les chrétiens, Jésus, fils de la vierge Marie, est conçu du Saint-Esprit. C’est qu’en s’incarnant la divinité ne saurait se rabaisser à naître d’un acte tenu pour honteux (Idem, t. IV, 1831, p. 283-285).

Le commerce charnel est une souillure, et la faute en est placée principalement sur la femme. C’est toujours elle, dans les religions, qui pousse l’humanité à sa perte, et qui comme Ève corrompt l’homme. Sur elle pèse une double réprobation morale (Idem, t. III, 1827, p. 147).

 

La liberté de la sexualité récréative

À rebours, le libéralisme doit se conduire, non par les préceptes religieux, mais par les faits. Il n’a pas besoin de recommander le passage devant un prêtre pour que l’accouplement ne soit pas obscène et immoral, ou d’éloigner la nouvelle épouse de son milieu pour rejeter dans un lointain commode la faute qu’on vilipende (Yves Guyot, Études sur les doctrines sociales du christianisme, 1873, p. 119).

Le désir sexuel répond à un besoin immédiat de l’espèce : la nature a besoin que les êtres soient doués d’une force d’expansion surabondante, et que leurs penchants à la reproduction soient très développés. C’est ensuite à eux à en régler l’accomplissement, d’après leurs désirs et leurs forces.

Pour limiter la mise au monde d’une tourbe de misérables, Malthus (un prêtre anglican) recommandait dignement la contrainte morale, c’est-à-dire l’abstinence, et le mariage tardif. Au sein du libéralisme français, Joseph Garnier et Charles Dunoyer (plutôt libres-penseurs) réclament autre chose encore : la substitution de la morale de la responsabilité et du plaisir innocent au dogme du renoncement chrétien. La sexualité récréative, disent-ils, n’est ni immorale ni coupable : elle entre dans la catégorie des actes vains, si l’on veut, mais non des actes nuisibles, les seuls dont la morale et les lois doivent s’occuper (Charles Dunoyer, Mémoire à consulter, etc., 1835, p. 177 ; Joseph Garnier, Du principe de population, 1857, p. 93).

Pratiquer, en termes savants, l’onanisme ou coitus interruptus, et l’acte solitaire, n’est pas répréhensible. Mais pour tous ces auteurs, l’avortement reste un crime, car il interrompt la vie d’un être en développement. Partout, il faut équilibrer la liberté par le consentement et la responsabilité.

 

La question du consentement

La sexualité libre ne peut être fondée, en toute justice, que sur le consentement des parties. Elle ne peut pas non plus s’émanciper des contrats et des promesses verbales, et par conséquent l’adultère est répréhensible.

Le mariage se fonde sur un contrat, qui doit être respecté. C’est un consentement global à une union de vie, et il emporte avec lui une certaine acceptation tacite de rapports, qu’il est difficile de définir. Mais les actes individuels qui sont refusés, ne peuvent être accomplis.

La difficulté pratique de fixer les bornes du consentement sexuel est très réelle. L’union des sexes se fait par acceptation non verbale, comme aussi par étapes, et sans contrats. Une difficulté plus grande s’élève même quand il s’agit de sanctionner les infractions commises. Car les actes qui se passent dans l’intérieur du foyer échappent presque toujours à l’atteinte des magistrats, sauf s’ils conduisent à des marques de violences graves, par lesquelles on peut distinctement les reconnaître (Charles Comte, Traité de législation, t. I, 1826, p. 478).

La question de l’âge est aussi très embarrassante. À l’évidence, la limite numérique des dix-huit ans, par exemple, n’est pas plus rationnelle qu’une autre. Mais tant qu’une limite numérique subsiste, et tant qu’elle n’a pas été remplacée par une autre fondée sur les faits et les individus, cette limite doit être respectée.

 

Les contrepoids de la responsabilité

La liberté sexuelle a besoin d’être contenue par la responsabilité individuelle ; mais les moyens pour cela doivent être bien entendus. Jusqu’à une époque récente, des lois ont existé pour interdire le mariage à l’indigent, sous le prétexte qu’il fallait endiguer le paupérisme (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 177-180.). C’est le principe de précaution appliquée à la procréation.

La responsabilité bien entendue suit les actes, et ne les précède pas. Quand un chétif commerçant se donne douze enfants pour lui succéder, c’est à lui, et pas à d’autres, à fournir les moyens de les élever : les contribuables n’ont rien commandé, rien acquiescé de tel. Une responsabilité légale pèse sur lui, par suite de ses actes. Il peut la partager par l’assurance et l’assurance et la mutualité, mais non l’éteindre (Edmond About, L’Assurance, 1866, p. 112).

Celui qui cherche à échapper à cette responsabilité doit y être ramené par la loi. C’est la question de la recherche de la paternité, qu’ont soulevée avec beaucoup d’ardeur les libéraux classiques français (voir notamment Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877.). Car on ne peut pas faire impunément banqueroute de ses obligations.

 

Les industries de la prostitution et de la pornographie

Chaque individu est propriétaire de lui-même, et si les mots ont un sens, ils signifient le droit d’user et d’abuser de notre propre corps, de nos facultés (Jules Simon, La liberté, 1859, t. I, p. 308). La prostitution, la pornographie, ne sont pas répréhensibles tant qu’elles s’exercent dans le respect des contrats, avec le consentement total des parties.

Fût-elle libre, on pourrait encore réprouver moralement l’industrie de la prostitution, mobiliser l’opinion contre elle, et même demander qu’elle soit classée dans la catégorie des industries dangereuses et insalubres, et soumise à des règles spéciales de localisation, de publicité, etc (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 239). Les mêmes impératifs de discrétion dans l’espace public peuvent être étendus à la pornographie (Frédéric Passy, réunion de la Société d’économie politique du 5 septembre 1891).

 

L’homosexualité

L’homosexualité, quoique dans la nature, n’est pas dans l’intérêt de l’espèce. On peut à la rigueur la réprouver moralement, sur cette base (G. de Molinari, La morale économique, 1888, p. 413). Mais sa pratique étant inoffensive pour les tiers, elle doit être tolérée par les lois. Et si ce n’est pas l’enseignement des anciens auteurs, c’est la suite logique de leurs principes.

Car encore une fois, pour traiter de ces questions, il ne faut pas autre chose que des principes.

Record historique du CAC 40 : pas de raison de vendre pour autant

Par Alexis Vintray.

Alors que depuis 2000 le CAC 40 évoluait sous son record historique, il bat record sur record et est aujourd’hui 14 décembre pour la première fois au-dessus des 7600 points. Même si l’économie mondiale résiste bien malgré l’inflation, on peut s’interroger sur le fait que la bourse soit ainsi au plus haut dans un contexte qui reste anxiogène.

Alors faut-il prendre ses bénéfices ? Pas si simple…

 

Le CAC 40, un indice sans dividendes

Le premier point à garder à l’esprit est que le rendement d’une action provient de l’évolution de son cours, mais aussi des dividendes versés. Il est donc essentiel, en regardant un indice boursier, de savoir s’il inclut les dividendes ou non. Le CAC 40 tel qu’on le connait généralement ne les inclut pas, seul le CAC 40 GR le fait.

Le CAC 40 « usuel » minore donc largement la création de valeur réalisée par les sociétés qui y sont cotées. En regardant le CAC 40 GR, la hausse est impressionnante :

 

Rendez-vous compte : en mars 2021 d’après les calculs du Revenu : le CAC 40 GR gagnait 25 % sur trois ans, 63 % sur cinq ans, et 124 % sur dix ans contre respectivement +17 %, +53 % et +106 % pour le Dax.

Le S&P 500 américain dividendes réinvestis reste largement devant sur toutes ces périodes. Sur 10 ans, la hausse est de… 265 %. En performances annualisées, le CAC 40 GR a rapporté 8,4 % par an sur dix ans. C’est presque deux fois plus que le CAC 40 classique (+4,3 %). En 2023, la tendance n’a pas changé et les chiffres sont dans la même veine.

De quoi laisser songeur devant les 0,5 % du livret A qu’on connaissait encore il y a peu, et qui sont le bon benchmark sur la période. Même face au 3 % actuels, l’indice boursier écrase la concurrence. Avec un niveau de risque différent évidemment.

 

Le record historique du CAC 40, c’est fréquent en fait !

Si cette hausse pourrait laisser songeur sur la valorisation des marchés boursiers, il ne faut pas oublier que les marchés financiers sont bien souvent sur leurs points hauts. Le record de 2000 a en fait été battu déjà en 2007. Puis celui de 2007 a été battu en 2015. Et depuis battu chaque année.

Février 2020 était déjà un plus haut historique pour le CAC 40 dividendes réinvestis, à près de 16 500 points. Ce record a été battu dès mars 2021, malgré la crise du covid, à la faveur des espoirs apportés par la vaccination. Depuis, l’accélération de la croissance mondiale l’a porté encore bien plus haut, à plus de 22 000 points désormais, un record comme pour le CAC 40 hors dividendes, évidemment. Lors de notre dernier article sur le plus haut historique du CAC, en 2021, nous n’étions qu’à moins de 20 000, et c’était déjà un plus haut.

Cette tendance des marchés boursiers à toujours battre leur record et à évoluer la majeure partie du temps sur des niveaux record est particulièrement visible sur le graphique ci-dessous, repris de engaging-data.com.

Les bourses comme le CAC 40 au plus haut historique, c'est fréquent !

En vert les jours où le S&P 500 (principal indice américain) était à moins de 1 % du dernier plus haut historique. En bleu à moins de 5 %, en jaune à moins de 10 % , en orange à moins de 20 % et en rouge à plus de 20 %. Vous l’aurez remarqué, le vert prédomine, et le rouge ne dure pas. Surtout, les marchés retombent très rarement à leurs plus bas d’avant la phase de croissance.

 

Attention aux biais psychologiques quand on investit

Il est humain de vouloir acheter au meilleur prix. Craindre d’investir quand on est proche d’un point haut est un biais psychologique compréhensible. Mais, on l’a vu, c’est un biais très coûteux si l’on se fie au passé.

L’explication en est simple : prédire le marché est impossible, même pour des professionnels qui y consacrent leurs journées, avec des moyens bien supérieurs à ceux de l’épargnant lambda.

Ainsi, l’étude SPIVA, qui fait référence, a montré une fois de plus en 2020 que 90 % des gérants de fonds n’ont pas réussi à faire mieux que l’indice boursier qu’ils suivent ! En cause très fréquemment, l’envie des gérants de « timer le marché ». Cela signifie parier sur l’évolution future de la bourse, généralement à la baisse. Vu que le marché est tendanciellement haussier, ne pas investir devient vite très coûteux si le marché ne baisse pas. Au final, comme le dit l’adage boursier : « Time in the market is better than timing the market ». Même en achetant au plus haut.

Le lecteur curieux pourra par exemple regarder cette vidéo intéressante de Zone Bourse :

La meilleure façon d’investir en bourse

Dans ces conditions, on comprend pourquoi il est inutile voire néfaste d’essayer d’investir « au meilleur moment ». Comme le dit un autre adage boursier, le meilleur moment pour investir c’était lors du dernier krach. Le deuxième meilleur moment, c’est maintenant.

Mais investir au plus haut peut inquiéter, et l’investisseur prudent pourra vouloir limiter son risque. L’approche consensuelle dans ces conditions est de faire un investissement progressif si vous avez une grosse somme à placer, par exemple étalé sur six mois. Si c’est le fruit de votre épargne, avec un versement mensuel régulier, encore mieux !

À lire aussi :

 

Et si vous n’avez pas déjà de PEA

Les banques en ligne sont toujours bien plus avantageuses que les banques classiques et proposent toutes le PEA. En plus, on vous donnera de l’argent pour le faire en plus des économies de frais bancaires, comme Boursorama qui aura l’offre boursière la plus complète. En termes de frais de courtage si vous investissez en bourse, Fortuneo sera probablement le meilleur choix pour vous.

Sur le web

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Au-delà de l’État : plaidoyer pour l’anarchocapitalisme

Un article de Anthony P. Mueller. 

La politique sous toutes ses formes, en particulier celle des partis politiques, est l’ennemi juré de la liberté, de la prospérité et de la paix. Pourtant, où que l’on regarde, le renforcement du gouvernement est invoqué comme la solution.

Rares sont les voix qui affirment qu’une autre voie est possible. Peu d’entre elles s’expriment en faveur de l’anarchocapitalisme et d’un ordre social libertarien.

Il est assez courant aujourd’hui d’annoncer avec assurance le verdict selon lequel l’anarchocapitalisme, une société sans État répressif, n’est pas réaliste. Pour la plupart des gens, un ordre social libertarien est une chimère. Les fausses accusations abondent, comme celle selon laquelle l’anarchocapitalisme serait source d’injustice et désavantagerait les pauvres.

 

La situation précaire du libertarianisme est en partie liée à l’évolution de l’histoire.

L’évolution sociétale a pris un mauvais tournant lorsque Rome a vaincu Carthage, et qu’au lieu d’une société commerciale, c’est une société étatique militariste qui a pris le dessus. Plus de deux mille ans de césarisme ont répandu la croyance qu’il n’y a pas d’alternative à la politique et à l’État. La hiérarchie et l’autoritarisme en sont venus à être considérés comme le mode naturel d’organisation de la société, sans reconnaître que ces ordres sont imposés.

Le libertarianisme est une société de droit privé. Dans une société de droit commun, les entreprises privées sur le marché remplissent les fonctions traditionnelles de l’État. L’ordre contractuel volontaire de l’anarchocapitalisme remplace la coordination hiérarchique des activités de l’État. Le sens premier de l’anarchocapitalisme est un ordre où la coopération horizontale basée sur l’échange volontaire domine la coordination des activités humaines.

L’ordre spontané d’une société anarchocapitaliste exige qu’il se réalise sous la forme d’un processus graduel de privatisation. Commençant par la suppression des subventions et des réglementations, ainsi que par la vente des entreprises semi-publiques et des services publics, la privatisation devrait s’étendre progressivement à l’éducation et à la santé, et finalement englober la sécurité et le système judiciaire.

Il existe de nombreuses preuves que les soi-disant services publics deviendront meilleurs et moins chers dans le cadre de l’anarchocapitalisme. Dans le cadre d’un système global de libre marché, la demande et l’offre en matière d’éducation, de soins de santé, de défense et de sécurité intérieure seraient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. La privatisation de ces activités, qui sont actuellement sous l’autorité de l’État, entraînerait non seulement une diminution des coûts unitaires des services, mais changerait également la nature des produits.

Étant donné que la majeure partie de l’offre actuelle de biens dits publics est un gaspillage inutile, une charge énorme pèserait sur les contribuables une fois que ces produits seraient privatisés. Sans perdre les avantages réels de l’éducation, des soins de santé et de la défense, ces biens seraient adaptés aux souhaits des consommateurs, et fournis de la manière la plus efficace. Les coûts seraient réduits à une fraction de leur taille actuelle.

Si l’on inclut l’appareil judiciaire et l’administration publique hypertrophiés dans la réduction de l’activité de l’État, les dépenses publiques – qui représentent aujourd’hui près de 50 % du produit intérieur brut dans la plupart des pays industrialisés – seraient ramenées à des pourcentages à un chiffre. Les contributions diminueraient de 90 %, tandis que la qualité des services augmenterait.

 

Contrairement à la croyance dominante, la privatisation des fonctions policières et judiciaires n’est pas un problème majeur. Il s’agirait d’étendre ce qui se fait déjà. Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le nombre de policiers et d’agents de sécurité privés dépasse déjà le nombre de policiers officiels. La prestation privée de services judiciaires est également en augmentation. Les tribunaux d’arbitrage ont fait l’objet d’une demande forte et croissante, y compris pour les litiges transfrontaliers.

Ces tendances se poursuivront, car la protection et l’arbitrage privés sont moins coûteux et de meilleure qualité que les services publics.

Au Brésil, par exemple, qui possède l’un des systèmes judiciaires les plus coûteux au monde, environ quatre-vingt millions d’affaires sont actuellement en attente de décision, et l’incertitude juridique est devenue monstrueuse. Aux États-Unis, de nombreux secteurs du système judiciaire sont en déliquescence.

 

La solution aux problèmes actuels n’est pas plus mais moins de gouvernement, pas plus mais moins d’État, pas plus mais moins de politique. La malédiction qui pèse actuellement sur les jeunes, à savoir avoir un emploi fixe bien rémunéré ou vivre à la limite de l’autonomie, disparaîtrait. L’anarchocapitalisme est synonyme de productivité élevée et de temps libre abondant. Dans une société anarchocapitaliste, la pénibilité du travail salarié ne sera plus la norme et sera remplacée par le travail indépendant.

L’anarchocapitalisme n’est pas un système qui doit être établi par un parti ou un homme fort.

 

Une communauté libérale devrait émerger comme un ordre spontané. La bonne voie vers une telle société est donc l’action négative. La tâche qui nous attend est la suppression des subventions et des réglementations. Au lieu de créer de nouvelles lois et de nouvelles institutions, la mission consiste à abolir les lois et les institutions. Pour ce faire, un changement de l’opinion publique est nécessaire.

Plus l’idée que la solution réside dans la réduction de la politique et de l’État gagnera du terrain, plus le mouvement libertarien prendra de l’ampleur. Pour ce faire, il faut avoir la volonté d’exiger et de réaliser la privatisation du plus grand nombre possible d’institutions publiques.

La privatisation est un moyen, pas un but. Elle sert à placer un fournisseur de biens sous le contrôle du grand public. Sur le marché libre, ce sont les clients qui déterminent les entreprises qui restent en activité et celles qui doivent fermer. Avec le système actuel du capitalisme d’État, de larges pans de l’économie sont contrôlés par la politique et l’appareil technocratique.

La privatisation place les entreprises sous le régime du profit et de la perte, et donc sous le contrôle du client. Le profit est la clé de l’accumulation du capital, et donc de la prospérité. Le profit des entreprises est le moteur et en même temps le résultat du progrès économique. Seule une économie prospère génère des profits. Dans la même logique, on peut dire que les profits poussent l’économie vers la prospérité.

Pour les entreprises privées, l’importance des bénéfices dépend du degré d’efficacité de l’entreprise et de l’utilité de son produit pour satisfaire les goûts du public. Cependant, la privatisation en soi ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une déréglementation. Dans le passé, de nombreux cas de privatisation ont échoué parce que le cadre réglementaire n’avait pas été supprimé. Les anciennes barrières à l’entrée ont continué à exister.

 

Une autre erreur souvent commise a été de privatiser à la hâte des entreprises publiques qui fournissent des services essentiels, au lieu de commencer par l’évidence : supprimer les subventions. La déréglementation et la suppression des subventions sont des conditions préalables essentielles à la réussite de la privatisation. Le capitalisme a besoin de concurrence, et la concurrence a besoin de faibles barrières à l’entrée.

L’anarchocapitalisme dessine un ordre économique dans lequel l’entrepreneur dirige l’entreprise selon les règles du profit et de la perte. Ceux-ci, à leur tour, dépendent directement des actions des clients. Les lois du profit et de la perte obligent l’entrepreneur à employer son capital au profit des consommateurs. En ce sens, l’économie de marché fonctionne comme un mécanisme de sélection permanent en faveur de l’allocation des ressources, là où le degré de productivité et de bien-être est le plus élevé.

Pour réussir, la privatisation doit être considérée comme une étape dans un ensemble de mesures visant à établir une économie de marché. Pour bien fonctionner, la privatisation doit s’accompagner de l’ouverture des marchés – y compris le libre-échange international – en réduisant la bureaucratie et en rendant le marché du travail plus flexible.

 

Une monnaie saine et une faible pression fiscale sont des conditions préalables fondamentales au bon fonctionnement des marchés libres. La privatisation de l’économie échouera tant que le système monétaire sera soumis à un contrôle politique et technocratique et que des charges fiscales élevées limiteront les actions économiques de l’individu.

Dans l’économie de marché, les idées des entrepreneurs font l’objet d’un plébiscite permanent. Les entreprises privées doivent répondre aux désirs des consommateurs, car ce sont eux qui indiquent leurs préférences par leurs actes d’achat. Le choix démocratique en politique est systématiquement moins bon que les décisions sur le marché. Alors que la plupart des décisions d’achat peuvent être corrigées et remplacées immédiatement ou dans un court laps de temps, les décisions politiques ont des conséquences à long terme qui dépassent souvent le contrôle et l’horizon intellectuel de l’électorat.

La prospérité est l’objectif, et l’anarchocapitalisme l’apporte.

Le principe de base en faveur de la privatisation découle de l’idée que la propriété privée des moyens de production – et donc la privatisation – garantit le progrès économique et la prospérité pour tous. Les marchés ne sont pas parfaits, pas plus que les entrepreneurs ou les consommateurs. La production capitaliste ne peut pas répondre à tous les désirs ou besoins de chacun. Aucun système ne le peut. Le système de marché n’élimine pas la pénurie pour tout le monde, mais le système de marché est l’ordre économique qui gère le mieux la présence universelle de la pénurie.

L’anarchocapitalisme correctement compris n’entre pas dans la même catégorie que le socialisme. Le socialisme doit être imposé. Sa mise en place et son maintien requièrent la violence. Avec l’anarchocapitalisme, c’est différent. Il naîtra spontanément de la suppression des barrières qui s’opposent à l’ordre naturel des choses.

Un article traduit par la rédaction de Contrepoints. Voir sur le web.

Le « capital républicain » d’Olivier Faure, vide socialiste

Oliver Faure, premier secrétaire du Parti socialiste a pris la plume car il a un rêve, qu’il estime révolutionnaire et qu’il souhaitait partager avec l’ensemble de la population : réaliser une plus grande égalité réelle entre les Français. Pour atteindre cet objectif impératif, il a une méthode qu’il présente comme originale : distribuer aux citoyens des aides supplémentaires, en euros sonnants et trébuchants, qu’il fera abondamment financer par une augmentation de la fiscalité pesant sur les plus riches et contrôler par une administration pléthorique…

C’est, à peu de chose près, tout ce qu’il y a retenir du petit livre (une quarantaine de pages) qu’il vient de publier aux éditions conjointes de l’Aube et de la Fondation Jean-Jaurès, et dont toute la réflexion part d’un constat… au mieux erroné.

 

L’obsession égalitaire

Olivier Faure relève ainsi qu’en France, la durée des études est corrélée à l’origine sociale des étudiants. Ces éléments sont statistiquement incontestables, et il y a longtemps qu’une succession de rapports et de livres l’a montré et dénoncé à juste titre.

Ils sont toutefois incomplets : les études montrent que les élèves qui obtiennent les meilleurs résultats ne sont pas que les « gosses de riches », mais aussi les « fils de profs », car le capital intellectuel compte autant que le capital financier dans notre système scolaire. On comprend toutefois que le député de Seine-et-Marne ne souhaite pas s’en prendre à cette clientèle électorale, probablement la dernière du parti qu’il accompagne dans son agonie

Qu’importe ! Fort de ce relevé statistique établi en introduction de sa réflexion, Olivier Faure tire la conclusion que certains peuvent plus facilement réaliser leurs projets que les autres. Il en déduit l’obligation de corriger une « inégalité », qui est en réalité une injustice.

Ce qui, bien que déjà connu de tous, aurait pu être l’ouverture d’un renouvellement des propositions de la gauche, dont on attend avec illusion, mais sans espoir, qu’elle se préoccupe de la réussite de chacun, se perd alors dans un entremêlement de confusion et de banalité socialiste.

Car la réponse apportée à cette situation injuste est de mettre à disposition de tous ceux qui arrêtent leurs études de façon prématurée une coquette somme d’argent.

Plus doué pour le marketing politique que la rénovation programmatique, Olivier Faure propose d’appeler cette nouvelle aide le « capital républicain », qu’il décrit ainsi :

« Le capital républicain prendrait la forme d’un soutien monétaire de l’ordre de 60 000 euros pour toute personne qui sortirait du système scolaire sans diplôme […] Il serait ensuite dégressif, de l’ordre de 30 000 euros pour une sortie au niveau du bac par exemple, jusqu’à atteindre 0 euro au niveau bac+2 ».

Évidemment, « ce capital républicain serait mobilisable à tout moment de la vie ».

À l’évidence, le Parti socialiste n’a jamais entendu parler d’un concept secret mais déterminant que les économistes appellent « incitation ». Quel effet aura sur un jeune qui hésiterait à poursuivre ses études la possibilité de percevoir immédiatement une somme équivalente à plus de trois années de SMIC net ?

À l’évidence également, il n’a pas bien intégré non plus que des études courtes n’étaient ni un déshonneur ni un nécessaire échec humain et social…

Plus grave encore : à la lecture de l’ouvrage, on peine à comprendre quelle injustice cette somme permettra de réparer. En réalité, cette proposition qui se veut audacieuse correspond, comme souvent avec la pensée redistributionniste, à un renoncement : à défaut de permettre aux jeunes de poursuivre leurs études, le Parti socialiste leur propose une compensation, une réparation. Ils n’auront pas les mêmes chances, mais au moins auront-ils un gros chèque !

Attention, Olivier Faure insiste : le socialisme est responsable et refuse « la redistribution aveugle de subventions sans contrepartie ».

Dès lors, « il est proposé que ces versements soient liés à la présentation d’un projet détaillé de la part du récipiendaire et que le bénéfice du capital républicain soit conditionné à un accompagnement complet du service public à l’emploi et à la formation et de la Caisse des dépôts ».

Bien sûr, « il semble particulièrement opportun de confier son pilotage à une structure nationale ». Autrement dit, il recommande de mettre en place un gigantesque appareil administratif de validation et de contrôle. La France en manquait !

Le lecteur se frottera les yeux. Toute prétention à l’originalité s’effondre. L’intelligibilité de la proposition également, tant les pages d’explication de la mesure semblent obscures.

 

Que conclure de cette lecture ?

D’abord, que l’obsession égalitaire qui consiste à vouloir réaliser l’égalité de fait et à voir dans l’égalité réelle la réponse à toute question sociale est décidément mortifère pour la société et fatale pour l’intelligence. La lecture du livre d’Olivier Faure reprend ainsi la rengaine de la culpabilité des riches, de la taxe comme solution à toute question politique, du pilotage administratif de la société comme toute ambition sociale.

Ensuite, qu’à l’évidence, une partie de l’élite politique n’a toujours pas fait le diagnostic de ce qui dysfonctionne dans le pays. En matière d’égalité des chances, le principal défi consiste à réformer ce qui constitue le principal obstacle à sa réalisation : le système éducatif, qui s’effondre non en raison d’un défaut de ressources mais d’un excès de contraintes administratives et d’un défaut de pilotage criant. Aussi difficile que cela soit à admettre pour un parti qui vénère la dépense publique, les défaillances du service public sont aujourd’hui les principales sources d’injustice en France.

Enfin, évidemment, qu’aucune proposition sérieuse n’est susceptible d’émerger du Parti socialiste avant longtemps – s’il survit jusque-là. C’est le seul et bel intérêt de ce livre.

[Enquête II/II] Les victimes de Wagner au Mali souhaitent le retour de Barkhane

Cet article constitue la seconde partie de mon enquête sur le double ethnocide des Touareg et des Peuls au Mali, dont le premier volet a été publié le 20 novembre. Pour mieux comprendre l’effondrement sécuritaire et humanitaire que traversent les populations peules et touarègues du nord du Mali, j’ai interrogé les victimes de Wagner sur l’évolution de leurs conditions d’existence depuis le départ des Français.

Depuis deux ans, le régime putschiste installé à Bamako ne cesse d’accuser la France, tantôt de « néocolonialisme », tantôt d’« abandon », mettant en avant le slogan de la « souveraineté retrouvée du Mali ». Dans les faits, la junte de Bamako a transféré son autorité aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, et s’aligne publiquement sur les positions du Kremlin.

Au nord du Mali, les témoins Peuls et Touareg ont constaté une « amplification de l’insécurité » depuis le départ de Barkhane. Tous, à leur manière, m’ont confirmé que « les jihadistes ont repris du terrain » et que leurs attaques se sont « multipliées ». D’autre part, ils ont fait la connaissance des « monstres » de Wagner.

 

Les Forces Armées du Mali (FAMa) sous commandement russe ?

Sur le terrain en tout cas c’est limpide. Les témoins des crimes de Wagner ont pu observer à de nombreuses reprises la subordination des soldats maliens aux paramilitaires russes. Si les forces armées maliennes participent aux crimes de guerre des Wagner, il semble que les soldats maliens soient aussi victimes d’exactions de la part des paramilitaires russes.

Lorsque j’ai demandé aux victimes de Wagner de se souvenir comment ces derniers se comportaient avec les FAMa au moment des massacres et des pillages, j’ai entendu des réponses plus ou moins détaillées mais qui allaient toutes dans le même sens que celle donnée par ce berger peul : « les FAMa sont aux ordres des Wagner ».

Certains témoins ont décelé de la « frustration » parmi les militaires maliens tenus à l’écart lors des réunions de commandement ou forcés à obéir sous peine d’être torturés ou exécutés. Le 9 octobre 2023, à Anéfis, plusieurs civils ont vu 6 soldats maliens se faire égorger ou fusiller par des éléments de Wagner à la suite d’un désaccord sur le partage des biens pillés et sur le sort à réserver aux populations locales.

Le régime de Bamako n’a pas retrouvé sa souveraineté en rompant ses accords de coopération militaire avec la France. Il l’a transférée à une milice paramilitaire qui dirige, dans les faits, son armée régulière.

 

« Ne comparez pas Barkhane et Wagner. Ils sont comme l’eau et le lait » 

Les témoins Peuls et Touareg avec lesquels j’ai pu échanger ont vécu à proximité de bases militaires françaises qui ont été investies par le groupe Wagner et les Forces Armées Maliennes (les FAMa) à la fin de l’opération Barkhane. Ils décrivent l’arrivée de Wagner comme un changement de monde. Le professionnalisme de l’armée française a cédé la place à la barbarie des paramilitaires russes :

« La force Barkhane était respectueuse des gens, ils sont bien éduqués, polis. Barkhane aidait les gens. Wagner n’est comparable qu’avec l’armée malienne ou les terroristes. C’est des gens sans foi ni loi. »

« Barkhane ne s’attaque pas aux civils sans armes. Wagner attaque les civils et les animaux. Barkhane respect les droits de l’homme contrairement à Wagner à qui le gouvernement du Mali a donné carte blanche pour exterminer les touaregs et les arabes. »

« Wagner tue à sang froid, alors que barkhane au pire ils arrête et emmène les gens dans leur hélicoptère »

« Wagner et barkhane c’est ni le même comportement ni le même mode opératoire ni la même mission. Barkhane cherchais des terroristes. Tout ceux qui ont des liens avec les terroristes peuvent être arrêtés avec l’espoir de si aucune preuve irréfutable n’as été trouvé ils serrons remis en liberté mais Wagner c’est tout as fait le contraire. Tout ceux qu’elle croise en brousse sont des terroristes ou des rebelles qu’il faut abattre à tout prix. Tels sont les ordres qui leurs ont été donné par les militaires aux pouvoirs. »

« Barkhane donnait des médicaments et finançait des projets. Mais par contre Wagner brûlent, volent et torturent. »

 

Une armée régulière respectueuse des droits de l’Homme : avant son départ, l’armée française avait bâti des liens de confiance avec les populations locales

Au nord du Mali, le démantèlement de Barkhane a entraîné une hausse du chômage et de l’insécurité. Ceux qui ont côtoyé les soldats français témoignent de rapports respectueux et d’actions de solidarité qui contrastent considérablement avec les exécutions, les arrestations arbitraires et les pillages menés par le groupe Wagner :

« Barkhane respectait le DIH [Droit International Humanitaire] en t’arrêtant ils cherchaient d’abord les pièces d’identification, ils passaient tes doigts dans leurs machines ce qui permettait de t’identifier facilement, dès que cela est fait il te posait des questions de routines sur ton voyage, ta personne rien de compliqué. Mais c’est carrément tout le contraire avec Wagner qui est au service du gouvernement, il est en quelques sortes la Main de Guerre de ce gouvernement de Transition qui tue avec lâcheté les paisibles citoyens pour qui leurs seules crimes est l’appartenance au nord du Mali »

« Barkhane chez nous dans région Menaka et contribuait à la stabilite sociale. Elle faisait des patrouilles hors la ville et la ville était bien sécurisée. Ils organisaient des tournois entre eux et les quartiers et les quartiers entre eux même. Au faite l’idée de les chassés était une décision irréfléchie ils ont laissé un grand vide sur tout les plans »

« Les forces barkhane étaient présentes et avaient quelque interactions avec les populations en intervenant dans plusieurs domaine dont le principal était la sécurité mais aussi en faisant des programmes d’aide sociale. »

« Barkhane était dans notre zone. J’étais dans la zone de Bir Khan de 2014 à 2019, et je n’ai vu aucun mal de Barkhane envers les habitants. Au contraire, j’y vois un soulagement et une sécurité pour la zone. Par exemple, il a sécurisé la voie publique, et je ne l’ai jamais vu arrêter un innocent. Je les ai également vus effectuer des patrouilles d’infanterie à Birr presque la nuit. Il était 3 heures du matin, mais aucun d’eux ne m’a parlé. »

« Chez nous a douentza, barkhane finançait les projets, ils sont humains »

« Les forces barkhane nous soutenait, ils nous apportait les nourritures et médicaments »

 

La grande majorité des victimes de Wagner interrogées souhaitent le redéploiement de Barkhane au Mali

Les réponses des victimes de Wagner tranchent singulièrement avec la propagande anti-française de la Russie, et avec les mots durs de la junte bamakoise sur la coopération militaire entretenue ces dix dernières années avec la France.

À la question fermée « êtes-vous favorable à une intervention de l’armée française et des armées européennes pour neutraliser Wagner » je n’ai pas reçu une réponse négative. La grande majorité des témoins que j’ai interrogés m’ont répondu « oui » (« oui, que Dieu fasse », « Oui et dans le plus vite », « Oui, oui, oui, oui, oui », « oui, à 1000 % et je les soutiendrai de toutes mes forces », « totalement, oui »…) sans distinction d’ethnie ni de classe sociale. Qu’ils soient Peuls ou Touaregs, notables en exil, chômeurs, bergers, mères au foyer, les victimes de Wagner et de la junte bamakoise sont favorables au redéploiement de la mission anti-terroriste de Barkhane et ont vécu son retrait comme une « erreur » et un « abandon ». Sur l’ensemble des témoins que j’ai consultés sur cette question, je n’ai pas entendu une réponse négative. Un jeune commerçant et une mère au foyer Touareg ont apporté des nuances à l’élan d’enthousiasme que ma question suscitait chez leurs coreligionnaires. Le premier m’a confié douter que la France n’intervienne. Selon lui « Le problème est que Wagner représente la Russie et aucun pays du monde n’osera s’attaquer au Wagner car s’attaquer au Wagner c’est s’attaquer à la Russie « . La seconde m’a confié qu’elle était plus favorable à une solution diplomatique qu’à la « voie des armes et de la force ».

Il ne s’agit bien sûr que d’un symbole, leurs témoignages (rapportés, qui plus est) ne pouvant servir de mandat. Cependant leurs réponses permettent de nuancer la propagande anti-française déployée par les juntes sahéliennes, par les médias africains anciennement financés par la galaxie Prigogine et par les discours de Moscou présentant la France comme une puissance coloniale en Afrique.

Depuis 2016, la Russie a réinvesti le continent africain en se présentant comme une alternative à l’« impérialisme français » en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso… En instaurant un régime de terreur au nord du Mali, les paramilitaires de Wagner ont contribué à faire renaître un sentiment pro-français. La présence militaire française au Sahel n’a pas été sans bavures, mais contrairement à Wagner, les soldats français respectaient, soutenaient et protégeaient les populations locales. Et elles s’en souviennent.

Qu’est-ce qu’une Constitution libérale ?

La France se prépare à modifier sa Constitution, afin d’y inscrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Sans doute devons-nous savoir ce que nous faisons, nous qui avons conçu assez de Constitutions au cours de notre histoire pour en fournir au monde entier. Et pourtant, il semblerait bien que nous errions.

Ce n’est pas tant la question de l’avortement qui est en jeu : c’est l’idée même de Constitution, qui paraît singulièrement mal comprise et détournée de son but.

En son temps, Frédéric Bastiat s’était attaqué, dans l’un de ses plus fameux pamphlet, à « la loi pervertie… la loi non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire » (La Loi, 1850, p. 3). Peut-être aujourd’hui faudrait-il écrire contre « la loi des lois pervertie… la loi des lois non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire ».

Et l’indignation devrait être au centuple. Mais certainement en devrions-nous être peu surpris.

Car en France, nous avons toujours eu une conception très antilibérale de la loi. Le plus fidèle disciple de Bastiat disait en son temps que c’est parce que nous héritons des Romains, qui en tant que propriétaires d’esclaves, ne pouvaient à la fois reconnaître la liberté, et la violer, comme ils le faisaient (Œuvres d’Ernest Martineau, t. II, p. 61).

Voyez par exemple la propriété.

Le Code civil énonce :

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

C’est-à-dire que la propriété n’existe pas ; c’est une concession, et par conséquent une fiction : l’État la restreint à sa guise, non seulement par des lois, mais par de simples règlements (Idem, t. I, p. 53 ; t. II, p. 365).

Il en va de même de nos grands principes constitutionnels.

« Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La Constitution américaine parle un tout autre langage : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ». Ce qui se révèle dans cette différence est une conception toute différente du rôle même d’une Constitution.

 

Une Constitution sert à restreindre le pouvoir de l’État

Si nous revenons aux auteurs, nous comprenons qu’une constitution est un acte politique essentiellement libéral.

Ce n’est pas pour célébrer les vertus d’un État divin qu’on la compose et qu’on l’enregistre, mais tout au contraire par défiance, et pour protéger les droits individuels (Œuvres complètes de Benjamin Constant, t. I, p. 502). Par conséquent, son langage et sa teneur doivent se ressentir de ce but : il faut y inscrire nettement les bornes du pouvoir, ses vraies attributions, et les droits politiques et individuels qu’on reconnaît et garantit ; mais il ne faut pas y ajouter des dispositions de détail, qui sortent de ce cadre (Idem, t. XIII, p. 514).

Ce fut la grande (et contribution de Benjamin Constant, comparé à la pensée libérale du XVIIIe siècle, que de reconnaître la nécessité des limites constitutionnelles. Les penseurs qui l’avaient précédé, physiocrates en tête, avaient été trop souvent complaisants pour le pouvoir, et avec la grande force qui s’agitait pour faire le mal, ils songeaient à se servir pour le bien. Une grande partie de son œuvre, et sans doute la meilleure, a servi pour guider ses contemporains sur d’autres voies.

 

Les bornes du pouvoir et la sphère de l’individu

Au XVIIIe siècle, les libéraux français étaient pour la plupart opposés au développement de ce qu’on appellerait la démocratie, c’est-à-dire à la participation politique du peuple.

Établi sur un tout autre théâtre, Benjamin Constant n’eut pas de mal à reconnaître que :

« La direction des affaires de tous appartient à tous ».

Mais c’était pour ajouter :

« Ce qui n’intéresse qu’une fraction doit être décidé par cette fraction. Ce qui n’a de rapport qu’avec l’individu, ne doit être soumis qu’à l’individu. On ne saurait trop répéter que la volonté générale n’est pas plus respectable que la volonté particulière lorsqu’elle sort de sa sphère. » (O. C., t. IV, p. 643)

C’était indiqué assez clairement, non seulement l’utilité de la décentralisation, mais des limites constitutionnelles. Car si le pouvoir n’a pas d’autorité, pas de légitimité pour se mêler de certaines affaires — la religion, l’éducation, l’industrie, par exemple — cela signifie que des actes qu’il accomplirait dans ce but, ne seraient pas légaux. « Il y a des actes que rien ne peut revêtir du caractère de loi », écrivait Constant (Idem, t. XV, p. 379). Et là est la fonction essentielle des Constitutions.

 

Ce qu’il faut encore, outre une Constitution libérale

Sans doute, les déclarations de droits sont de peu de valeur si le pouvoir n’est pas attaché à leur respect, et le peuple prêt à tenir le pouvoir comptable de ses engagements.

« Que les ministres cherchent à nous faire illusion pour leur propre compte, c’est leur métier, disait Constant. Le nôtre est de nous tenir sur nos gardes. » (O. C., t. XIII, p. 227)

Au-delà des limites constitutionnelles, il faut donc la surveillance publique, l’énergie d’une presse libre, et l’opinion entièrement acquise à la bonté des libertés individuelles. Autrement dit, il y aurait pour les libéraux un deuxième travail à accomplir quotidiennement, le premier fût-il achevé. Allons, courage !

La liberté n’a pas de prix, mais elle a un coût : objectif 100 000 euros pour soutenir Contrepoints

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Campagne de dons 2023 ContrepointsObjectif : 100 000 euros

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À l’inverse, Contrepoints s’est donné pour éthique de ne jamais vivre d’un argent prélevé par la force. Notre rédaction continue régulièrement de se développer, et nous devons assurer une infrastructure solide et fiable. Et vous savez mieux que quiconque qu’il n’existe pas de repas gratuit, ni d’information de qualité sans un travail rigoureux et quotidien.

 

La liberté n’a pas de prix, mais elle a un coût

Contrepoints reste accessible gratuitement, car nombre de nos lecteurs – en particulier les plus jeunes – sont coincés entre le marteau fiscal et l’enclume de l’inflation.

Contrepoints est d’ailleurs le seul journal qui traite sérieusement des causes profondes de l’inflation : la création monétaire en roue libre ! Ce travail d’information, de pédagogie et d’analyse est laborieux, parfois répétitif, et il se heurte encore à des idées étatistes séduisantes. Ne vous y trompez pas, la réalité ne se plie pas aux désirs des adorateurs de l’État. Peut-être devrons-nous aller jusqu’à la faillite budgétaire et morale, mais le bon sens finira par l’emporter.

 

Soutenons la liberté, la guerre n’est pas une fatalité

Le climat social fracturé et une atmosphère de guerre imminente – intérieure comme extérieure – favorisent les extrémistes.

Leurs solutions simplistes ne résoudront rien mais vous ruineront à coup sûr : il ne tient qu’à vous de faire entendre la voix de la raison, de la paix et de la liberté sans laquelle la fraternité est un vain mot. Il faut convaincre nos concitoyens de compter sur l’individu libre et créatif plutôt que sur les administrations obèses et déshumanisées.

Nous le faisons sans relâche depuis bientôt 15 années, et c’est grâce à vous chers lecteurs.

Mais si Contrepoints s’est imposé dans le paysage médiatique, c’est aussi et surtout grâce à ceux d’entre vous qui ont fait un pas en avant et ont choisi de nous aider à les défendre contre le culte de l’État omnipotent. Notre structure repose presque entièrement sur les milliers de petits donateurs qui nous soutiennent déjà. Pourrons-nous également compter sur vous afin de poursuivre l’aventure en 2024 ? Nous aiderez-vous à être lus par tous ceux qui n’ont jamais connu de la tradition libérale que ce qu’en disent France Inter ou Alternatives Économiques ?

 

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Votre dévoué,

Arnaud Le Vaillant De Charny

Président de l’association liberaux.org
Directeur de publication de Contrepoints

Arnaud Le Vaillant 2023

 

 

Javier Milei profite de la perte de confiance en l’État des Argentins

Le 19 novembre est le jour du second tour des élections en Argentine entre le péroniste Sergio Massa et l’anarcho-capitaliste Javier Milei.

Dans les années à venir, l’Argentine pourrait être gouvernée par un pro-capitaliste passionné. Ce serait un évènement qui marquerait un changement fondamental dans l’attitude des Argentins vis-à-vis de l’économie de marché et du rôle de l’État. Mais ce changement, en réalité, se profile à l’horizon depuis un certain temps.

Au cours des deux dernières années, j’ai étudié le mouvement libertarien dans 30 pays. Je n’ai rencontré dans aucun de ces pays un mouvement libertaire aussi fort qu’en Argentine. En temps normal, lorsqu’un pays traverse une crise grave, un grand nombre de personnes ont tendance à se tourner vers l’extrême gauche ou l’extrême droite de l’échiquier politique. En Argentine, les libertariens sont les phares de l’espoir, en particulier pour les jeunes. Parmi les électeurs de moins de trente ans, une majorité a voté pour Milei.

Les élections se déroulent dans le contexte d’une crise économique dramatique, avec un taux d’inflation de plus de 100 %, l’un des plus élevés au monde. Il n’y a probablement aucun pays qui se soit dégradé de manière aussi spectaculaire au cours des 100 dernières années que l’Argentine. Au début du XXe siècle, le revenu moyen par habitant était l’un des plus élevés au monde, comme en témoigne l’expression, courante à l’époque, de « riche comme un Argentin ». Depuis, l’histoire de l’Argentine est marquée par l’inflation, l’hyperinflation, les faillites d’État et l’appauvrissement. Le pays a connu neuf faillites souveraines au cours de son histoire, la dernière datant de 2020. Une histoire tragique pour un pays si fier qui était autrefois l’un des plus riches du monde. L’inflation a été à deux chiffres chaque année depuis 1945 (sauf dans les années 1990).

 

L’Argentine a été dirigée par des étatistes pendant des décennies et il est aujourd’hui l’un des pays les moins libres du monde sur le plan économique.

Dans l’indice de liberté économique 2023 de la Heritage Foundation, l’Argentine se classe 144e sur 177 pays – et même en Amérique latine, seuls quelques pays (en particulier le Venezuela) sont moins libres économiquement que l’Argentine. À titre de comparaison : bien que sa position se soit dégradée depuis l’arrivée au pouvoir du socialiste Gabriel Boric en mars 2022, le Chili est toujours le 22e pays le plus libre économiquement au monde, et l’Uruguay est le 27e (les États-Unis sont 25e).

Pour l’opinion populaire cependant, de nombreux Argentins en ont tout simplement assez du péronisme de gauche et se détournent de l’étatisme qui a dominé leur pays pendant des décennies. Dans un sondage que j’ai réalisé l’année dernière, l’Argentine faisait partie du groupe de pays où les gens étaient les plus favorables à l’économie de marché. Du 12 au 20 avril 2022, j’ai demandé à l’institut d’études d’opinion Ipsos MORI d’interroger un échantillon représentatif de 1000 Argentins sur leur attitude à l’égard de l’économie de marché et du capitalisme.

Tout d’abord, nous avons voulu savoir ce que les Argentins pensent de l’économie de marché.

Nous avons présenté aux personnes interrogées en Argentine six énoncés sur l’économie de marché dans lesquels le mot capitalisme n’était pas utilisé. Il s’est avéré que les affirmations en faveur d’une plus grande influence de l’État ont recueilli le soutien de 19 % des personnes interrogées, et que les affirmations en faveur d’une plus grande liberté du marché ont été approuvées par 24 % d’entre elles.

En Argentine, l’affirmation « Dans un bon système économique, je pense que l’État ne devrait posséder des biens que dans certains domaines ; la majeure partie des biens devrait être détenue par des particuliers » a reçu le plus haut niveau d’approbation. L’affirmation « La justice sociale est plus importante dans un système économique que la liberté économique » a reçu le plus faible niveau d’approbation.

Nous avons mené la même enquête dans 34 autres pays et n’avons trouvé que cinq pays (Pologne, États-Unis, République tchèque, Corée du Sud et Japon) dans lesquels l’approbation de l’économie de marché était encore plus forte qu’en Argentine ; dans 29 pays, l’approbation de l’économie de marché était plus faible.

En outre, tous les répondants se sont vu présenter 10 termes – positifs et négatifs – et ont été invités à choisir ceux qu’ils associaient au mot capitalisme, ainsi qu’à répondre à 18 autres questions sur le capitalisme.

Le niveau de soutien au capitalisme n’était pas aussi élevé que dans la première série de questions sur l’économie de marché, où le terme capitalisme n’était pas utilisé. Mais même lorsque ce mot était mentionné, notre enquête n’a trouvé seulement sept pays sur 35 dans lesquels l’image du capitalisme est plus positive qu’en Argentine, contrairement à 27 pays dans lesquels les gens ont une opinion plus négative du capitalisme qu’en Argentine.

C’est pourquoi un partisan avoué du capitalisme comme Javier Milei, professeur d’économie autrichienne, a des chances de remporter les élections dans le pays.

Milei est entré en campagne électorale en appelant à l’abolition de la banque centrale argentine et à la libre concurrence entre les monnaies, ce qui conduirait probablement à ce que le dollar américain devienne le moyen de paiement le plus populaire. Il a également appelé à la privatisation des entreprises publiques, à l’élimination de nombreuses subventions, à une réduction des impôts ou à la suppression de 90 % d’entre eux, ainsi qu’à des réformes radicales du droit du travail. Dans le secteur de l’éducation, Milei a demandé que le financement soit remplacé par un système de bons, comme l’avait proposé Milton Friedman.

Par ailleurs, l’Argentine est un exemple de l’importance des groupes de réflexion (think-tanks) pour ouvrir la voie à des changements intellectuels, qui sont ensuite suivis par des changements politiques. En Argentine, par exemple, il s’agit de la Fundación para la Responsabilidad Intelectual et de la Fundación para la Libertad ou Federalismo y Libertad.

J’ai rencontré des groupes de réflexion libertaires dans 30 pays, mais ils sont rarement aussi actifs que ceux d’Argentine. Reste à voir si les graines qu’ils ont semées porteront leurs fruits le 19 novembre.

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La création monétaire peut-elle sauver la planète ?

Le Ministère du futur est le titre du dernier livre de Kim Stanley Robinson, un grand auteur de science-fiction qui se revendique de la gauche et de l’utopie.

 

L’avenir, c’est le passé

La thèse qu’il défend dans ce roman est que nous n’avons plus le temps d’inventer un modèle économique alternatif pour assurer « la survie de la biosphère ». La seule approche réaliste pour y parvenir serait de recycler d’urgence « de vieilles idées en les poussant plus loin ».

À ses yeux, John Maynard Keynes est l’auteur de la principale de ces vieilles idées lorsqu’il énonce qu’étant à l’origine de la création monétaire, les banques centrales ont la capacité de l’orienter pour résoudre le problème le plus grave du moment, soit le chômage hier et le changement climatique aujourd’hui.

Jézabel Couppey Soubeyran n’a peut-être pas lu Le Ministère du futur, mais la tribune qu’elle a signée récemment dans Le Monde suit la même piste.

Elle y souligne à juste titre que bien des dépenses nécessaires à la transition écologique ne sont a priori pas rentables. On note, ce qu’elle ne fait pas, que c’est déjà le cas de toutes les dépenses régaliennes et de bien d’autres qui, elles aussi, nécessitent un financement public.

La difficulté est que déjà très dégradées, les finances publiques de la plupart des pays, et de la France en particulier, ne sont pas à même de prendre en charge ces dépenses supplémentaires.

 

Le retour de la planche à billets

Qu’à cela ne tienne !

Si on voit les choses de très haut, comme le font des adeptes de la macro-économie, on peut agir sur le système économique en maniant deux types de levier.

Le premier est l’impôt. C’est la voie qu’emprunte le rapport Pisani-Ferry en prônant la création d’un « ISF vert ». Le moins qu’on puisse dire est que cette proposition passe mal dans un pays déjà très surtaxé.

D’où l’idée de recourir à la monnaie qui est le deuxième levier. Jézabel Couppey Soubeyran s’en saisit en proposant la création, autant qu’il le faudra, de « monnaie sans dette » par les banques centrales qui s’uniraient dans un même élan de coopération pour vaincre l’hydre climatique.

 

Haut les cœurs !

En effet, selon elle, la monnaie-dette, « pilier du capitalisme », « exclut les investissements socialement ou environnementalement indispensables ».

Il faut donc se libérer de ce carcan, en désencastrant la création de monnaie du marché de la dette, c’est-à-dire en l’émettant jusqu’à plus soif, sans contrepartie. Dans cette hypothèse, il va de soi que les banques centrales perdraient leur indépendance, alors qu’elle est la seule garantie d’un minimum de stabilité monétaire. Elles seraient purement et simplement aux ordres des autorités politiques.

Il suffisait d’y penser, en ayant soin d’occulter les échecs flagrants du passé, comme la faillite du système de Law ou le naufrage des assignats.

Pourquoi d’ailleurs, comme le préconise aussi Kim Stanley Robinson, ne pas pousser plus loin cette idée en mettant la création monétaire, non seulement au service de la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi à celui de tous les objectifs collectifs (fixés par qui ? comment ?) dès lors qu’on peut les placer « sous les signes du non marchand, du social et de l’écologie » ?

Force est d’ailleurs de constater que le périmètre de ces dépenses indispensables mais estimées non rentables, et donc à financer par création monétaire, n’est jamais clairement défini par la tribune. Une bonne part de celles qu’elle pointe, comme le traitement des eaux usées ou la collecte des déchets, sont d’ailleurs déjà très bien assurées par des groupes privés.

En tout état de cause, la frontière entre les activités qui à un moment donné sont rentables et celles qui ne le sont pas n’est pas fixe. Elle ne cesse d’évoluer sous l’influence des forces du marché qui n’est pas une « fabrique du diable » comme le prétendent ceux qui se réclament de Karl Polanyi, mais le processus le plus apte à trouver des solutions viables.

 

La Gosbank revisitée

Si on suit madame Couppey Soubeyran, comme au bon vieux temps de l’URSS, les banques centrales émettraient donc de la monnaie sans contrepartie et sans motif autre que l’exécution des directives d’une autorité de planification centralisée.

La somme correspondante serait alors inscrite sur le compte d’une société financière publique (dirigée par qui ? selon quelles règles ?) qui distribuerait la manne pour réaliser des projets d’investissement, sélectionnés justement parce qu’ils ne sont pas rentables.

Les Shadoks ne sont pas loin.

 

Taxer pour éponger

Surgit alors sous la plume de l’auteure une question candide : faut-il craindre que cela soit inflationniste ?

Elle reconnaît bien volontiers que ça le serait inévitablement, d’autant plus qu’à la différence de la monnaie standard qui disparaît quand la dette sous-jacente est remboursée, celle-ci aurait une durée de vie illimitée et s’accumulerait indéfiniment.

Alors que faire ? Sans surprise, la réponse est de taxer in fine tout ce qui peut l’être pour retirer cette monnaie du circuit, dès lors qu’elle devient trop abondante. Sorti par la porte, l’impôt revient par la fenêtre.

 

Faire confiance aux mécanismes de marché

Pour ne pas alourdir encore une charge fiscale devenue contre-productive, ce sont les dépenses publiques actuelles qu’il faut parvenir à diminuer et à réorienter grâce aux marges de manœuvre ainsi dégagées.

Il faut aussi faire confiance aux innovateurs dont les réalisations dégageront les gains de productivité indispensables pour faire face à de nouvelles dépenses.

L’approche par « la monnaie, sans dette » n’est qu’une énième version d’une antienne bien connue, selon laquelle le capitalisme agresse l’avenir, alors qu’il a engendré une « prospérité de masse » (Edmund Phelps) dont bénéficie le plus grand nombre dans les pays industrialisés.

Pour que celle-ci perdure, il faut laisser l’économie de marché trouver les solutions pertinentes dont la mise en œuvre passe par la fixation d’un prix unique du carbone et par l’essor de nouvelles technologies permettant de réduire les émissions de CO2.

Le salut se situe aux antipodes des solutions constructivistes prônées par les économistes hétérodoxes.

Au nom de ce qu’ils estiment être « le bien commun », ceux-ci osent tout.

C’est même à cela qu’on les reconnaît.

Les libéraux et la guerre

Paix et liberté (dans cet ordre), fut le slogan et le programme adopté par Frédéric Bastiat en 1849, et il résume l’aspiration commune d’un courant de pensée tout entier.

 

Pourquoi les libéraux sont contre la guerre

Au point de vue utilitaire, la guerre est ruineuse : c’est proprement « une industrie qui ne paie pas ses frais » (Yves Guyot, L’économie de l’effort, 1896, p. 49).

Elle implique des destructions, des crises commerciales, des dettes publiques, qui ruinent les existences, découragent les initiatives et ralentissent le progrès. Aussi peut-on dire de la guerre qu’elle est en contradiction avec l’état social des sociétés modernes, fondé sur le commerce et l’industrie (J.-B. Say, Traité d’économie politique, 1803, t. II, p. 426-427 ; B. Constant, De l’esprit de conquête, 1814, p. 8). À chaque progrès économique, cette contradiction, d’ailleurs, doit s’accentuer (B. Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, 1822, p. 22).

Le passif des guerres a été dressé avec beaucoup de soin par les libéraux français. À côté des hommes qui tombent raide mort, ou qu’une bombe fait voler en morceaux, il y a tous ceux qui gisent longtemps sur le champ de bataille ou au milieu des décombres de villes attaquées, attendant un secours qui ne vient pas, appelant une aide que personne ne peut leur donner. Il y a ces piliers d’hôpital, qui y consument leur existence, ou qu’on renverra peut-être un jour dans leurs familles, amputés, incapables, l’esprit égaré, la pensée flottante dans des envies de suicide ou de meurtre qu’ils assouvissent parfois.

Et si l’on espère résoudre des différends par la guerre, c’est une véritable chimère qu’on poursuit. Car l’emploi des moyens de la violence ne résout rien, et sur les ruines encore fumantes d’un conflit qu’on dit pacificateur, s’élèvent de nouvelles difficultés et de nouveaux conflits (Frédéric Passy, « L’avenir de l’Europe », Journal des économistes, février 1895, p. 163).

 

Pourquoi la guerre ne disparaît pas

Si la guerre et l’esprit de la guerre se maintiennent dans les sociétés modernes, intéressées au plus haut point à leur abolition, c’est qu’il est une sorte de gens dont elle flatte la vanité et dont elle sert discrètement les intérêts. Pour ceux qui rêvent d’accroître les attributions du gouvernement, d’en centraliser l’exercice entre leurs mains, de préparer même les esprits à un règne d’arbitraire et de compression, la guerre est le plus sûr et le plus court moyen (Abrégé de la Démocratie en Amérique de Tocqueville, p. 73).

Le peuple est, quant à lui, dans son extrême majorité, intéressé à la paix : mais deux groupements qui procèdent de lui, marchent pourtant de travers. D’un côté, les fonctionnaires dépendent matériellement de l’État, et ils en adoptent plus ou moins les préoccupations et la morale. D’un autre, les partis qui se présentent pour représenter politiquement ce peuple essentiellement pacifique, organisent en fait une domination politique et ne rêvent que des moyens de l’accroître (Gustave de Molinari, Grandeur et décadence de la guerre, 1898, p. 99).

Il faut encore compter, dit Frédéric Bastiat, avec le tempérament belliciste des journalistes, qui excitent les passions et poussent à la guerre, depuis le coin de leur feu (Œuvres complètes, t. II, p. 198.).

 

La guerre de légitime défense est seule juste

Une seule circonstance rend, dans l’optique du libéralisme, la guerre juste et même morale : c’est la défense du territoire national. Cette mission est l’une des rares que les libéraux entendent confier à l’État ; et ce n’est pas pour qu’il s’en acquitte moins bien, mais mieux.

Mais naturellement, une nation n’a pas davantage de droits qu’un individu. Frédéric Bastiat enseigne bien, dans La Loi, que « si chaque homme a le droit de défendre, même par la force, sa personne, sa liberté, sa propriété, plusieurs hommes ont le droit de se concerter, de s’entendre, d’organiser une force commune pour pourvoir régulièrement à cette défense. Le droit collectif a donc son principe, sa raison d’être, sa légitimité dans le droit individuel ; et la force commune ne peut avoir rationnellement d’autre but, d’autre mission que les forces isolées auxquelles elle se substitue » (O. C., t. IV, p. 343).

Par conséquent, la légitime défense collective découle de la légitime défense individuelle. Pour une nation, se défendre, c’est donc parer l’attaque, la repousser, répondre au danger à mesure et d’après le degré avec lequel il se présente.

Les bornes de ce droit sont, de fait, très restreintes.

Se défendre, en particulier, ne signifie pas attaquer ; les deux notions sont antinomiques. Et Benjamin Constant a raison de critiquer ceux qui jouent sur les mots pour faire accepter leurs desseins coupables.

« Autre chose est défendre sa patrie ; autre chose attaquer des peuples qui ont aussi une patrie à défendre. L’esprit de conquête cherche à confondre ces deux idées. Certains gouvernements, quand ils envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu » (De l’esprit de conquête, 1814, p. 39).

Si l’on peut concevoir que ce soit encore « se défendre », pour une nation, que de pourchasser des criminels, de leur demander de répondre de leurs méfaits, c’est par extension, car ce sont des prérogatives de justice plus que de stricte police. On peut reconnaître ce droit, mais l’organiser par l’arbitrage et la discussion au sein du concert des nations, comme le proposaient Gustave de Molinari et Frédéric Passy.

Dans tous les cas, on doit le borner, sauf à croire que les communistes vietnamiens, par exemple, auraient eu le droit de renverser la républicaine américaine, qui avait envahi son sol, et de la forcer à inscrire dans sa nouvelle Constitution ce que Dupont ou Volney entendaient placer dans celle de France : « que la nation ne se permettra aucune guerre offensive ».

 

Comment construire le pacifisme

Parmi les libéraux, des divisions naissent quand il s’agit de déterminer la politique précise de leur pacifisme.

Il y a, naturellement, l’option de la non-intervention, que l’idéologue Volney résumait dans ces termes : « être indépendant et maître chez soi, et ne pas aller chez les autres, se mêler de leurs querelles ni même de leurs affaires » (Lettre à Th. Jefferson, 24 juin 1801).

Il y a encore la panacée peut-être insuffisante du libre-échange, défendue par Frédéric Bastiat, qui ne craignait pas d’affirmer que « certainement l’abolition de la guerre est impliquée dans la liberté du commerce » (O. C., t. II, p. 153).

D’autres ambitionnent de remplacer la guerre par le droit, et d’utiliser l’arbitrage, soit de puissances intéressées à la paix, soit d’une union des nations. Dans ce camp se rangent l’abbé de Saint-Pierre, Gustave de Molinari, Frédéric Passy, notamment. J’ai rappelé cette conception généreuse dans un article récent.

Quelle que soit la valeur de ces instruments, la question de la guerre ne peut cesser d’intéresser les libéraux. Ils doivent œuvrer en commun pour la vaincre, et substituer la civilisation fondée sur le contrat, à la civilisation fondée sur la force.

Pourquoi le marché européen de l’électricité a-t-il fait grimper nos factures ?

La « libéralisation » du marché européen a fait monter les prix partout, et les a fait exploser en France. Cela ne devrait pas faire l’objet d’un article sur un media qui prône le libéralisme. Mais c’est un fait, cela s’explique aisément, et n’enlève en rien l’intérêt de la libre entreprise et de la concurrence pour générer du dynamisme et du progrès. C’est que l’électricité n’est pas un produit comme un autre.

 

L’électricité est en effet un des rares domaines où il n’est pas absurde de concevoir des acteurs monopolistiques, pour autant que les Etats leur imposent des objectifs clairs (sécurisation des livraisons à court et long terme, résilience aux aléas conjoncturels,) et des règles de gestion transparentes  autant sur les programmes d’investissements que sur la fixation des prix.

Marcel Boiteux, dans un texte publié sur la revue Futurible, daté d’avril 2007, (« Les ambiguïtés de la concurrence ») était revenu sur les principes qui avaient conduit à construire le groupe EDF/GDF, pour en conclure que la libéralisation du marché de l’électricité ne pourrait qu’augmenter le prix au consommateur.

On peut discuter du positionnement politique de monsieur Boiteux, mais on ne peut nier qu’il avait raison.

 

Ce texte est tellement pédagogique qu’il mérite qu’on s’attarde sur de nombreux extraits

« Les réseaux […] relèvent de la catégorie des « monopoles naturels ». (Pour distribuer deux fois plus de kWh sur 100 km², le coût est doublé si l’on s’y met à deux, mais il n’augmente que de 40 à 50 % si l’on est seul à développer des maillages sur le réseau existant : il coûte donc tellement cher de n’être pas seul, que le monopole est dit « naturel »)
[…]

Quant à la production toutefois, un débat s’ouvre déjà sur la possibilité réelle de laisser aux compétiteurs le soin de prévoir à l’avance assez de moyens de production pour être suffisamment assurés, le moment venu, de passer les pointes de demande – ces pointes qui pourraient résulter, à terme, de la conjonction malheureuse d’une forte activité économique, d’un grand froid et d’une mauvaise hydraulicité affectant la production des usines hydroélectriques. La règle autrefois, c’était, en probabilité, de ne pas être « défaillant » (c’est-à-dire de ne pas avoir à recourir à des coupures tournantes de la clientèle) plus d’une fois tous les vingt ans – après avoir exploité, bien sûr, toutes les possibilités de secours venant des pays voisins d’une part, d’effacement de certains très gros clients consentants (moyennant rabais) d’autre part. Vingt ans… Il est à craindre qu’aucun industriel privé n’accepte d’investir dans une installation, même légère, qui ne marchera statistiquement qu’une fois tous les vingt ans.

[…]

Outre les monopoles naturels, existe le phénomène dit des « coûts de transaction » (qui valut notamment son prix Nobel au professeur R.H. Coase), lequel peut justifier qu’on renonce dans certains cas aux heureux effets de l’émulation concurrentielle. En l’occurrence, il arrive dans certains secteurs que la difficulté, l’urgence et l’enjeu de l’information soient tels que l’organisation hiérarchique soit préférable au libre jeu du marché.

C’est évident dans le cas du « dispatching ». À chaque instant, le moindre écart entre l’offre et la demande globale d’électricité entraînerait une variation de la fréquence, ce que le réseau ne peut supporter. Là, pas question d’attendre que se fixe librement sur le marché le prix pour lequel l’offre  égalera la demande !

[…]

Les réseaux étant ce qu’ils sont, il n’existe un réel marché que sur la « plaque » formée de la France, du Benelux et de l’Allemagne (de l’Ouest). Sur ce marché, les prix se fixent très naturellement, à chaque instant, au niveau du coût du kWh fourni par le dernier fournisseur auquel il faut faire appel pour faire face à la demande, donc au fournisseur le plus cher de ceux qu’il faut mobiliser, lequel est allemand … et coûteux comparé aux coûts français. D’où une hausse, parfois considérable, des prix de l’électricité facturée aux anciens clients d’EDF qui, au nom (estimable) de la liberté, avaient opté imprudemment pour quitter les tarifs de service public et se livrer aux prix du marché. »

 

Et ceci a été écrit en 2007 ! Depuis, il y a eu pire : la course aux intermittentes, l’ARHEN, qui oblige EDF à brader à ses concurrents, le non respect de la règle des vingt ans…

 

Marcel Boiteux avait raison

De nombreuses études confirment ce qui nous arrive en Europe.

La condition fondamentale d’un marché libéral reste celle de Walras « le prix pour lequel l’offre égale la demande doit se fixer librement sur le marché ». Et ce n’est pas possible, concernant l’électricité. C’est le dispatching qui assure offre et demande. Même aux États-Unis, la moitié des États ont conservé une situation monopolistique.

L’Étude de l’Association Américaine des Entreprises Publiques d’Électricité (2022) montre que les tarifs d’électricité des entreprises ayant gardé le modèle historique (régulé par les États) pratiquent des tarifs en moyenne plus bas de 28 % que les autres et moins sensibles aux hausses des prix du gaz.

L’Étude de la Harvard Business School (2023) :

« La question de savoir si la déréglementation entraîne ou non une baisse des prix est théoriquement ambiguë. Les prix basés sur le marché incitent les entreprises qui maximisent leurs profits à réduire leurs coûts, mais, en présence d’imperfections du marché, l’écart entre les prix et les coûts marginaux peut se creuser. Lorsque cet écart est supérieur à la réduction des coûts, les prix augmentent ».

L’étude constate que la concurrence a amené effectivement des producteurs d’électricité à optimiser leur gestion, d’où des réductions de coûts mais néanmoins :

« Nous avons trouvé que fondamentalement les prix de gros augmentaient fortement dans les Etats dérégulés [ayant introduit la concurrence] par rapport à ceux observés dans les Etats ayant gardé le modèle historique  […]De plus la déréglementation pousse les fournisseurs d’électricité à s’approvisionner sur le marché au détriment de leur production propre. La combinaison des deux facteurs « explique une large part des hausses des prix de détail.

[…]

Les causes premières sont « une offre et une demande inélastique, l’obligation à chaque instant qu’offre et demande soient égales, un transport de l’électricité onéreux sur des longues distances, des investissements échoués… qui se traduisent par des « imperfections de marché ».

(Voir « Géopolitique de l’électricité »)

 

En réalité, le marché européen est tout sauf libéral

Il réussit à cumuler les inconvénients d’un marché de l’électricité plus ou moins monopolistique régulé (contraintes sur les acteurs) et libéral (absence de vision à long terme, volatilité aberrante des prix).

En plus du marché boursier, ont été créés cinq marchés réglementés pour « libéraliser », ce qui est un comble :

  • Un marché de quotas d’émissions de CO2 qui distord la concurrence entre moyens de production.
  • Un marché des énergies renouvelables (ENR) subventionné (directement, ou indirectement : prise en charge des coûts énormes de raccordement, priorité sur le réseau via les prix garantis par l’Etat). Cette garantie de prix donne la priorité aux ENR sur les moyens pilotables, ce qui diminue la rentabilité de ceux-ci.
  • Un marché à coûts de revient fixés par l’État (ARHEN), qui est proche de l’abus de bien social, puisque le nucléaire a été entièrement payé par les clients d’EDF qui ne peut pas leur faire profiter du retour sur investissement.
  • Un marché de capacités, censé obliger les « passagers clandestins » de trading pur à investir dans des capacités pilotables qui sont inefficaces.
  • Un marché d’économies d’énergie (les « CUMAC ») via l’imposition aux acteurs énergétiques de prouver qu’ils ont contribué à des projets en ce sens.

 

En outre, la fixation du prix au coût marginal lors des contrats boursiers, chère à Boiteux et adoptée par le marché européen, était un optimum, dans les conditions du marché français, mais c’est une aberration dans les conditions du marché européen actuel. Tout ceci se démontre mathématiquement. (voir une série de trois vidéos amusantes mais pédagogiques sur ce sujet compliqué)

Résultante : l’État, effrayé par les conséquences sociales de ces bazars, a inventé un nouvel outil, lui, complètement antilibéral : le bouclier tarifaire énergétique.

 

Doit-on pour autant renoncer à une certaine concurrence ?

Bien sûr que non. Même si l’État maîtrise des éléments de gestion et organise des situations de monopoles ou oligopoles, une forme de concurrence peut s’exercer car l’État n’a pas forcément à être opérateur, il peut mettre en concurrence l’opérationnel à travers des appels d’offre sur le long terme (à l’exemple des autoroutes : même avec une négociation désastreuse des fonctionnaires, le bilan financier est positif pour le budget de l’État, et les autoroutes sont bien gérées).

Mais les règles de « gestion raisonnable » prônées par monsieur Boiteux sont pour l’instant impossibles à pratiquer :

– les règles européennes interfèrent sur ce que peut faire l’État français. Les contraintes sont générées politiquement, pour des raisons de compétitivité entre États, et n’ont rien à voir avec le bien commun.

– L’État français, via RTE, ne gère pas la sécurité d’alimentation du réseau français. À l’aide de conventions probabilistes erronées, RTE construit des scenarii complaisants qui ne reflètent pas les vrais problèmes.

– L’État français a pris la totalité du contrôle d’EDF, tout en lui laissant le statut d’entreprise privée. Cette situation est à l’origine du débat à venir sur le prix du KWh. Légitimement, EDF veut se maintenir une marge pour se désendetter et investir, mais l’État traite EDF comme si elle était nationalisée, et s’en sert pour amortir l’effet désastreux des règles européennes.

Quand sortirons-nous de cette impasse ?

Et si, pour réduire les émissions mondiales, la France devait augmenter les siennes ?

Il paraît que pour préserver le climat de la planète, la France doit réduire ses émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre, et peut-être même à n’importe quel prix. En même temps, la Chine augmente chaque année ses émissions de CO2 d’environ 4 %, soit 450 Mt, ou une fois et demie les émissions annuelles totales de la France. Derrière la Chine se profile un cortège d’économies émergentes bien plus peuplées que la France : Inde, Indonésie, Nigéria, Brésil, etc.

À quoi sert-il donc que la France réduise ses propres émissions dérisoires ? On entend souvent dire que c’est parce qu’elle doit se montrer « exemplaire »…

Mais pour montrer l’exemple, la France doit au contraire augmenter ses émissions de gaz à effet de serre !

En effet, l’intensité en carbone varie énormément selon les économies. La Chine émet presque cinq fois plus de CO2 (570 g) par dollar de production que la France (120 g), en tenant compte de la différence de niveau de vie entre les deux pays. Un moyen de réduire les émissions mondiales serait donc de transférer de la production d’un pays émergent plus carboné (comme la Chine) vers un pays développé moins carboné (comme la France). En conséquence, le pays destinataire émettrait certes plus, mais le pays d’origine émettrait encore moins en contrepartie, la réduction nette atteignant jusqu’à −80 % (dans le cas d’un transfert de la Chine vers la France).

Plus précisément, les pays émergents désirent, à bon droit, augmenter leur production, même au prix écologique fort (tout comme la France au temps de sa propre révolution industrielle).

Il s’agit donc plutôt de transférer une partie de la croissance de la production des économies plus carbonées vers les autres. Certains se contentent de proposer aux économies moins carbonées de transférer des technologies pour décarboner les autres, mais c’est négliger que l’innovation, qui a engendré ces technologies, repose sur une production de proximité. Une économie qui produit davantage finit par innover davantage (comme le fait déjà la Chine) ; et vice versa, une économie qui produit moins finit aussi par innover moins. Les économies moins carbonées doivent donc produire plus pour décarboner la production mondiale, non seulement tout de suite, mais aussi plus tard, grâce à de futures innovations.

La France est remarquable car son économie émet le moins de CO2 au monde pour sa taille. Elle ouvrirait mieux la voie en assumant une plus grande part de la production mondiale, au minimum pour importer moins depuis des pays plus carbonés qu’elle (c’est-à-dire quasiment tous), et peut-être aussi pour exporter davantage vers eux. Et d’autant plus à l’avenir que ce supplément de production encouragerait un supplément d’innovations à bas-carbone. Cela revient à augmenter les émissions du pays !

L’Éthique de la redistribution, par Bertrand de Jouvenel

Par Fabrice Copeau.

diseuse de bonne aventure credits JP Dalbéra (licence creative commons)

En 1951, tournant le dos à son itinéraire l’ayant mené du socialisme national jusqu’à la collaboration idéologique avec Vichy, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) publie au Royaume-Uni et en anglais The Ethics of Redistribution.

Dans le prolongement de Du pouvoir (1945) qui lui avait valu une renommée internationale de penseur politique, cet opus, inédit en français, développe avec une sobre alacrité une critique de l’extension du « Minotaure » que représente l’institution naissante de l’État-providence par le biais de la redistribution massive des revenus.

Sa thèse : un inquiétant transfert des pouvoirs de décision des individus s’accomplit ainsi au profit de l’État, toujours plus omnipotent. Jouvenel met à mal le mythe d’une redistribution ne sollicitant que les plus riches. La logique fiscale conduit nécessairement à ponctionner aussi les classes moyennes. Une analyse singulièrement iconoclaste et prémonitoire.

Bertrand de Jouvenel est un auteur classique toujours intéressant. Et son livreThe ethics of redistribution (qui curieusement va tout juste être traduit et publié en français) le prouve en s’attaquant à un des fondements jamais discuté (presque indiscutable) du consensus social-démocrate dans lequel il nous faut vivre. L’ouvrage est court mais dense et aborde avec calme et précision, loin de la polémique gratuite, les bases du sujet, le processus qui a débouché sur une énorme bureaucratie étatique dont la justification serait la redistribution des revenus entre les différentes couches socioéconomiques, selon l’idée générale, qui n’a jamais cessé de prendre de l’importance depuis, de « prendre aux riches pour donner aux pauvres ».

Jouvenel développe son argumentation avec tranquillité et précision, délimitant la question en signalant, par exemple, les différences existant entre la redistribution agraire et les arguments modernes en faveur de la redistribution, teintés d’un socialisme à la recherche d’un utopique homme nouveau. D’un trait de plume, il dévoile l’incohérence socialiste en demandant pourquoi le bien de la société passe par l’augmentation de la richesse mais pas dans le cas des individus, et pourquoi l’appétit de la richesse serait mauvais chez les individus, mais pas pour la société.

 

Imposer l’égalitarisme

Plus loin, Bertrand de Jouvenel nous montre que sous l’emphase de la redistribution ne se trouve pas le souci du sort de ceux qui vivent dans des conditions indignes et humiliantes.

Il ne s’agit pas de cela, chose parfaitement acceptable, mais propre de toute société saine ; il s’agit d’imposer l’égalitarisme, où il n’est pas si important de fixer un revenu décent que de limiter les revenus (de fait, signale l’auteur, un grand nombre de défenseurs de la redistribution sont moins satisfaits d’un relèvement général du niveau de vie qui conserve les inégalités, préférant de loin un écrasement de celles-ci vers le bas).

L’autre trait de cette théorie moderne de la redistribution qui s’est imposée dans nos sociétés est son exigence de ce que l’agent chargé de mener cette tâche à bien soit l’État. Un État chaque fois plus gros et omniprésent, qui prend chaque fois plus de décisions sur les vies des personnes. Pour être plus précis, plus que l’État, Jouvenel pointe le jugement subjectif de la classe qui dessine les politiques.

Par contre, si l’on analyse, chiffres en main, ce qui reste de l’argumentation primaire et sentimentale à la manière de Robin des Bois – Jouvenel retourne le couteau dans la plaie quand il rappelle que c’est devenu une nouvelle habitude d’appeler juste n’importe quelle chose comprise comme émotionnellement désirable –, la réalité est que les riches ont toujours su échapper à la pression fiscale.

Le second pas apparaît évident : il s’agit non pas de prendre aux riches, mais bien aux couches croissantes de ce que l’on a coutume d’appeler la classe moyenne. Pour donner aux pauvres ? Au final, pas grand chose, dès lors que l’énorme machinerie sociale, véritable usine à gaz, que nous avons construit, l’État bureaucratique, absorbe une grande partie des ressources enlevées aux familles de la classe moyenne. Et si l’on analyse encore plus en détail, comme le fait Jouvenel, et si nous désagrégeons en groupes plus compacts cette classe nébuleuse, on peut observer comment la redistribution cesse d’aller du haut vers le bas pour se transformer en flux horizontaux qui bénéficient à certains collectifs, qui parfois peuvent même disposer de revenus supérieurs à ceux à qui on les a enlevés pour soi-disant les attribuer aux plus pauvres de la société. La réalité ressemble finalement bien peu à la théorie émotionnelle initiale.

Il y a bien d’autres choses encore dans ce petit livre : l’argutie d’argumenter sur la base des satisfactions subjectives et de tenter de mesurer le bonheur ; une solide critique de la théorie marginaliste dans les revenus ; la discrimination créée au nom de l’égalité ; comment l’augmentation de la redistribution conduit toujours à une extension des pouvoirs de l’État : le traitement discriminatoire envers les familles et en faveur des corporations, etc. En définitive, un livre important où la thèse centrale est cruciale : les politiques redistributives ont provoqué un changement de mentalité devant les dépenses publiques, dont le principal bénéficiaire n’est pas la classe au revenu le plus bas face à la classe au revenu supérieur, mais bien l’État face au citoyen.

Cet ouvrage est traduit par Michel Lemosse, qui est professeur émérite de civilisation anglaise à l’Université de Nice.

  • Bertrand de Jouvenel, L’Éthique de la redistribution, Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque classique de la liberté, 144 pages, 17,50€, à paraître le 23 septembre prochain. Acheter sur Amazon

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Publié initialement le 17 septembre 2014.

Nora Bussigny : « les militants wokes ont une recherche imminente de pureté, ils sont persuadés de faire le bien »

Nora Bussigny est journaliste d’investigation et collabore avec plusieurs médias tels que Le Point, Factuel ou Marianne. Son enquête en immersion dans les milieux militants, Les Nouveaux Inquisiteurs est son troisième ouvrage.

 

Contrepoints : Bonjour Nora Bussigny. Qu’est-ce qui vous a incitée à faire cette infiltration et à écrire ce livre ? Quelles sont les questions que vous vous posiez, et avez-vous trouvé des réponses à ces questions ?

Nora Bussigny : Ce qui m’a poussé à me dire que l’immersion était la meilleure méthode, c’est que coup sur coup j’ai mené deux enquêtes, une pour Marianne et une pour Le Point. La première était à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022. J’ai enquêté sur des femmes qui ont été tabassées car considérées comme transphobes. Cette information, je l’apprends après, car je suis journaliste et qu’elles m’ont prévenu. Mais ça paraît tellement antinomique que des femmes frappent d’autres femmes, car Terf, lors de la Journée internationale des droits des femmes que notre première réaction, c’est de ne pas y croire ! Or, c’est le quotidien de beaucoup de militantes, et je me suis dit que ce serait intéressant de le vivre et de pouvoir le raconter. Pour Le Point, j’ai échangé avec des anciens militants intersectionnels qui en étaient revenus, car ils avaient été marqués par ce qu’ils avaient vécu, c’est-à-dire cancellés, rejetés, menacés, insultés…

Et à chaque fois que je récupérais les informations, je n’arrêtais pas de me dire que ce serait d’autant plus intéressant de pouvoir le vivre et le raconter.

Je lisais beaucoup d’essais sur la question, notamment l’excellente note de Pierre Valentin sur le wokisme pour la Fondapol, mais à chaque fois je me disais que, aussi brillant que ce soit, il manque ce qui se passe exactement dans les milieux militants. Or, on ne peut le vivre qu’en étant soi-même militant.

Enfin, plus personnellement, j’aime beaucoup le journalisme d’immersion car il me paraît être le plus concret. Je suis d’ailleurs une grande lectrice de ce genre de journalisme, il y a évidemment la figure de Nellie Bly, mais en contemporains je pense par exemple à Geoffroy Le Guilcher et son Steak Machine.

J’ai donc proposé le projet à mon éditeur, à qui ça a tout de suite plu.

Ensuite, pour répondre à votre deuxième question sur « qu’est-ce que j’imaginais au début »… J’imaginais que j’allais être très sûre de moi tout du long, que j’allais être dans une indignation constante à recueillir la moindre information pour le livre, mais je ne m’attendais pas du tout à ce que ça m’atteigne autant, que j’allais moi-même voir des changements au niveau psychologique. C’est pour cette raison que j’ai ensuite décidé d’incorporer dans le récit des séances avec un psy spécialisé de la question pour suivre ces changements.

J’avais effleuré cette question de la psychologie lors de mes rencontres avec les anciens militants. Je les avais trouvé très paranoïaques, très marqués, très anxieux… Par exemple, ils cherchaient toujours à relire chacune de leurs citations dans mes articles, ils pesaient chacun de leurs mots par peur que ce soit mal interprété. Mon immersion m’a rapidement fait comprendre pourquoi ils étaient ainsi…

L’autre chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est leur degré de radicalité et d’extrémisme. C’est pour cela que, contrairement à Pierre Valentin ou Samuel Fitoussi, qui ont récemment publié des ouvrages sur le sujet du wokisme, je ne tiens pas tant que ça au terme woke, et je ne voulais d’ailleurs pas qu’il soit dans le titre du livre. Je pense que le terme est malheureusement galvaudé, qu’il est considéré par beaucoup, dans la gauche républicaine, comme un terme d’extrême droite, de réac…  Mais surtout parce que ces milieux sont surtout des milieux d’extrême gauche, et qu’il me semble plus pertinent de les nommer ainsi, car c’est ce qu’ils sont : des mouvements extrémistes qui sont antifa, antipolice… Et je pense qu’on perd beaucoup de lecteurs à employer ce terme, notamment des gens en province pour qui wokisme ne veut rien dire.

 

Contrepoints : Sans faire de psychologisation à outrance, avez-vous constaté une récurrence de certains traits psychologiques, de traits de caractère chez les militants wokes ? En vous lisant, on a parfois l’impression que la politique est pour certains un moyen de répondre à des problématiques plus personnelles ?

Nora Bussigny : Il y a une grosse perte d’identité, et paradoxalement un repli identitaire très fort. Ce sont des personnes qui se cherchent, qui sont incohérentes dans leur lutte. Je fais très attention à ne pas pathologiser car je ne suis pas psy, mais ce que je peux dire néanmoins, c’est que beaucoup d’entre eux sont soit autodiagnostiqués, soit diagnostiqués par des psys : j’en air rencontré beaucoup qui me disaient « je suis bipolaire, je suis autiste, je suis sous traitement… »… En plus, ça fait partie de leur identité, par exemple, sur leur bio twitter, c’est indiqué, on le voit facilement.

Donc je ne dirais pas qu’ils le sont tous, mais beaucoup le revendiquent.

 

Contrepoints : Dans votre immersion, vous donnez à voir et à étudier la figure du militant politique radical, et ici, spécifiquement celle du militant woke. Ce qui frappe le plus dans votre récit, c’est la contradiction entre la vertu affichée de manière ostensible par leur discours, et la réalité de leurs actions et de leurs comportements. D’un côté, ils prônent une tolérance sans limite, et de l’autre ils font constamment preuve d’une absence totale de tolérance et d’empathie à l’égard de leurs adversaires politiques. Comment expliquez-vous cette contradiction, vous qui avez été au contact de ces militants ?

Nora Bussigny : Vous l’avez déjà très bien dit. Et pour moi, c’est exactement le titre du livre, et je dis sans prétention que je le trouve très bon, car ce n’est pas moi qui l’ai trouvé, mais mes éditeurs. Comme je vous disais je ne voulais pas le terme woke dans le titre, et je pense que de parler de « nouveaux inquisiteurs », c’est exactement le bon terme : j’assistais à une nouvelle inquisition.

Il y a une recherche imminente de pureté, ils sont persuadés de faire le bien. Et à côté, ils s’adonnent parfois à une grande violence, à des comportements haineux et/ou discriminants.

Comment expliquer ce paradoxe, cette contradiction ? Il faut revenir, je crois, à la question de l’identité. Le militantisme n’est que leur identité, ils se gargarisent d’agir pour le bien commun, avec un B majuscule. Ça donne lieu à des réactions souvent très manichéennes, et à une lutte constante contre l’ennemi. Il y avait beaucoup de paranoïa de la part de ces militants, une peur folle d’être soi-même rejeté car il y a un grand morcellement des luttes dans ces mouvements militants. Donc cette peur du rejet fait qu’ils avancent sans cesse avec le besoin d’afficher ostensiblement leur pureté militante, et en même temps ils surveillent constamment que les autres agissent correctement, selon les codes acceptés. Sauf que ces codes changent tout le temps, donc ils ne sont jamais à l’abri d’être dépassés et de devenir eux-mêmes les cibles à abattre.

Une chose qui m’a marquée, c’est l’utilisation constante du terme « problématique », qui dit beaucoup de ce morcellement des luttes et des mécaniques d’exclusions qui sont à l’œuvre.

 

Contrepoints : Vous interrogez également des militants qui ne se reconnaissent pas dans ce néo féminisme identitaire et tiennent à défendre les causes des minorités dans un paradigme universaliste. Pourtant, même ces derniers sont totalement exclus des mouvements wokes, et sont parfois considérés comme leurs premiers adversaires. Comment expliquez-vous cela, est-ce parce que la révolution finit toujours par dévorer ses propres enfants ? Ou simplement est-ce la manifestation des limites et contradictions inhérentes à l’intersectionnalité militante et à l’obsession victimaire ?

Nora Bussigny : Je vais même aller plus loin : je pense qu’il y a un aspect sectaire. On sait que le propre d’une secte, c’est qu’il est très facile d’y entrer, très difficile d’en sortir. À partir du moment où on en sort, on est le nouvel ennemi.

Dans l’islam radical, il existe une mouvance qui fait qu’on en veut beaucoup plus aux musulmans qui ne pratiquent pas un islam rigoriste, qu’aux kouffar, c’est-à-dire les incroyants.

J’ai constaté une logique similaire dans ces milieux militants. Et c’est pour ça que j’ai passé un an à culpabiliser ! Parce que, comme on passe notre temps à nous interroger sur des questions de privilèges, d’oppression, dès que l’on va faire un petit pas de côté, on devient forcément l’ennemi à abattre.

Enfin, je vais dire quelque chose de très orwellien, mais ce qui est le plus efficace pour réunir les gens, c’est d’identifier un ennemi commun. Et dans un contexte de morcellement des luttes, il est encore plus facile de forger un sentiment de « commun » et de « solidarité » en s’en prenant à un ennemi commun.

C’est pour cette raison que je voulais inclure dans mon enquête les militants universalistes, car je ne voulais pas dire que c’est tout le militantisme qui est à jeter. Après une année de plongée dans un monde de démesure, de radicalité, je voulais faire l’éloge de la mesure.

 

Contrepoints : Dans le livre, vous faites part aux lecteurs de vos moments de doutes, de vos inquiétudes quant à la sortie de l’ouvrage, notamment celles d’être catégorisée comme une énième essayiste antiwoke empreinte de panique morale, et donc d’être « cancellée » ce qui pourrait vous handicaper pour vos futurs projets littéraires. Maintenant que le livre est sorti, qu’en est-il ?

Nora Bussigny : Comme le dit Dewey (personnage de la série Malcolm), « je ne m’attendais à rien mais je suis quand même déçu » !

Plus sérieusement, je pense avoir été un peu naïve, car je me suis dit qu’ils ne pourraient pas me faire subir un tel harcèlement en tant que femme. Mais rien que là, en disant cela, je vois que suis encore un peu dans une forme « d’emprise », même si ça n’a rien à voir avec l’emprise des victimes de violences conjugales, j’en ai bien conscience. J’ai fait une conférence pour le Printemps Républicain à Sciences-Po récemment, et une étudiante m’a dit « on a l’impression que vous êtes encore un petit peu dans une sorte d’emprise ». Et c’est vrai que je fais encore très attention aux mots que j’emploie pour ne pas offenser, car quand on fait ça pendant un an, on adopte forcément des réflexes !

Mais pour recentrer sur votre question, il est vrai que j’ai entendu pendant un an des militants et militantes qui se targuent de lutter et de sensibiliser contre le cyberharcèlement. Et ce sont ces mêmes personnes, depuis la sortie du livre, qui m’ont fait vivre un cyberharcèlement massif ! Par exemple, en raison des menaces dont je fais l’objet, avec mon éditeur, nous avons du suspendre toute rencontre en librairie, alors même que le livre rencontrait un franc succès… Les moqueries et les critiques, à la limite ça ne me dérange pas, mais là c’était autre chose. Par exemple, on utilisait mon visage que l’on détournait dans des montages.

Bref, je ne m’attendais pas, peut-être par naïveté, à en faire les frais.

 

Contrepoints : Dans le livre, vous expliquez que pendant l’écriture, vous vous trouvez radicale et plutôt sarcastique. À la lecture, j’ai éprouvé un sentiment tout à fait opposé : je trouve qu’on sent à quel point vous êtes presque obsédée par l’idée de ne pas caricaturer ceux que vous observez, de faire preuve d’une certaine forme de générosité dans l’analyse et la critique, de vous remettre en question, ce qui rend l’ouvrage, si on le compare avec d’autres pamphlets antiwoke, très nuancé et peu violent. Pourquoi était-ce important pour vous de ne pas caricaturer les gens et les idées qui sont au cœur de votre enquête ? Est-ce que vous vous êtes parfois dit que peut-être vous vous trompiez, qu’en fait ces militants avaient raison, que vous étiez du « mauvais côté de l’histoire » ?

Nora Bussigny : C’est une très bonne question… C’est vrai que je me souviens avoir modifié les débuts de page, car je craignais d’être accusée de transphobie. Je pesais chaque mot. Et ce n’est qu’aujourd’hui que je commence à prendre du recul sur le fait que mon ressenti pendant l’immersion a beaucoup empiété sur le processus d’écriture. J’ai eu une constante peur d’offenser.

Et comme l’offense, dans ces milieux militants, est vécue comme une blessure absolue, je culpabilisais tout le temps et j’avais très peur de blesser. Pour l’anecdote, j’avais fait exprès de ne plus lire Charlie Hebdo, alors que c’est un magazine que j’aime beaucoup, parce que j’essayais de lire surtout du contenu intersectionnel et progressiste afin d’être dans une bonne dynamique pour l’immersion. Et c’est en relisant Charlie que je me suis souvenue que « oui, on peut offenser ». Car offenser, ce n’est pas blesser, violenter. Et eux, à Charlie, la violence réelle ils en ont vraiment fait les frais…

En fait, on est tellement toujours incité à déconstruire nos privilèges avec un discours très manichéen, qu’on a vite l’impression qu’on passe son temps, à notre corps défendant, à faire subir de la violence aux autres.

C’est très culpabilisant car on se dit : « je ne fais jamais assez bien et donc je leur fais du mal ».

A contrario, j’ai beaucoup apprécié mon moment avec les colleuses contre les féminicides, car elles m’ont appris qu’elles-mêmes avaient été divisées au sein de leur lutte, car certaines avaient fait un collage jugé islamophobe. C’est à ce moment-là que j’ai eu un regain de mes convictions initiales, à savoir que j’avais toujours questionné le port du voile. Mais avant cela, j’en étais venue à sérieusement m’interroger sur « est-ce que je n’aurais pas, peut-être, intériorisé mon islamophobie ? »

 

Contrepoints : Ce que vous avez dit sur la liberté de pouvoir offenser m’interroge, en tant que libéral, sur la vision de la liberté d’expression chez ces militants. Leur cheval de bataille, c’est la question du langage. Et c’est intéressant car, d’un côté il y a une ultra sensibilité manifeste où des mots, des paroles, sont considérés comme des agressions, et en même temps ces mêmes militants vont participer à une euphémisation de la violence réelle, je pense par exemple à ce qui se passe en Iran…

Nora Bussigny : Oui, c’est une très bonne remarque, car ces militants n’ont plus de curseur moral. Ce curseur leur fait dire qu’une chose est violente, qu’elle les blesse et que l’entièreté de la société devrait le reconnaître et le condamner avec eux. Et a contrario, on assiste au silence de militantes féministes sur ce que subissent les femmes en Israël.

J’avais eu le malheur de faire un tweet où je pointais ce deux poids deux mesures, en dénonçant que pour certains, décapiter des bébés ou voir des femmes au bassin fracturé à cause des viols qu’elles subissent, ça ne suscitait aucune réaction, alors qu’utiliser des mauvais pronoms devenait le summum de la violence et suscitait l’indignation : évidemment, pointer cette incohérence m’a valu une nouvelle vague de cyberharcèlement.

 

Contrepoints : Enfin pour conclure, pensez-vous que le wokisme est un sujet de société majeur et central, que les idées défendues par ces militants représentent un véritable danger, ou au contraire, est-ce un épiphénomène qui s’éteindra seul ?

Nora Bussigny : À titre personnel, je crois plutôt que c’est un épiphénomène, même si je sais que beaucoup pensent l’inverse. D’ailleurs, le magazine Society qui nous a tous interviewés (les auteurs d’essais sur le wokisme) m’a fait remarquer que j’étais une des seules à ne pas avoir de discours alarmiste. Alors, est-ce que c’est parce que je suis passée à côté de quelque chose, est-ce que je n’ai pas compris les enjeux ? Ou est-ce que c’est parce que j’ai tellement passé de temps avec eux que je n’ai aucune crainte ?

Très sincèrement, je pense qu’ils vont s’entredévorer. Ils vont passer leur temps à se canceller les uns les autres.

Aussi je le répète, je crois qu’il faut les nommer de manière très claire : plutôt que de parler de wokes, il faut les qualifier d’extrémistes de gauche. Avec les événements en Israël, on voit ces deux gauches se séparer, certains même à LFI se désolidarisent des positions de leurs collègues. Je pense donc que c’est cette radicalité et cet extrémisme dans le discours qui vont faire que beaucoup vont en avoir assez.

De plus, plus la logique identitaire va s’étendre, plus les exclus du mouvement vont être nombreux. J’ai fait beaucoup de manifs, et je sais que les deux prochains ennemis à abattre dans les luttes, c’est la femme blanche, qu’elle soit hétérosexuelle ou lesbienne, et le gay blanc. D’ailleurs, aux USA et en Angleterre, et ça arrive en France, on commence à voir des événements supprimer le G de LGBT. Pourquoi ? Car le « white gay » est considéré comme trop privilégié, trop inséré dans la société.

Donc je pense que ces mouvements vont s’autodétruire et qu’il ne faut pas être trop alarmiste, mais ne pas s’empêcher non plus de les critiquer et de dénoncer le fait qu’on ne lutte pas contre le racisme en triant les Blancs.

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Entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints, le 27 octobre 2023.

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Un vent libéral souffle-t-il sur l’Amérique latine ?

Et si une révolution libérale était en maturation en Amérique latine ?

C’est une perspective à ne pas négliger, eu égard à l’actualité politique de trois pays qui, ayant chacun à leurs manières subi les affres du socialisme, pourraient s’apprêter à écrire une nouvelle page de leur histoire en portant au pouvoir des libéraux.

En Équateur, c’est chose faite avec l’élection de Daniel Noboa. Au Venezuela, la présidentielle de 2024 pourrait faire émerger Maria Corina Machado, une centriste libérale, tête de file de l’opposition à Nicolas Maduro. Enfin en Argentine, Javier Milei, qu’on ne présente plus, s’est qualifié au second tour de l’élection présidentielle qui aura lieu en novembre 2023.

 

En Équateur, un libéral élu président

Ce dimanche 15 octobre 2023, les Équatoriens ont élu leur nouveau président au terme d’une campagne qui s’est déroulée dans un climat d’insécurité et de violences politiques, et a été marquée par l’assassinat d’un des candidats (un ancien journaliste qui avait centré son discours sur la lutte contre la corruption).

Les résultats laissent cependant planer un espoir. Pour succéder au conservateur Guillermo Lasso (empêtré dans des affaires d’accusation de corruption), Daniel Noboa, un candidat de centre-droit ouvertement libéral, a remporté 52,1 % des voix contre Luisa Gonzàlez, du Mouvement révolutionnaire citoyen socialiste, le parti de l’ancien président Rafael Correa (2007-2017), pas franchement démocrate, puisqu’il avait réécrit la Constitution en sa faveur, et fait enfermer des journalistes et opposants politiques.

Daniel Noboa est le fils d’Alvaro Noboa, un homme d’affaires ayant fait fortune dans l’exportation de bananes, et candidat malheureux de cinq présidentielles. Marié et père de deux enfants, Daniel Noboa est, à l’âge de 35 ans, le plus jeune président de l’Équateur, malgré son manque d’expérience politique (seulement deux ans de députation).

Jouant la carte de la modernité, Daniel Noboa a surtout été élu sur un programme mettant en avant deux piliers : la sécurité et la défense de la libre-entreprise.

L’Équateur, qui est un des plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, a subi de plein fouet les conséquences de la forte croissance du trafic mondial dans les dernières années. Depuis 2016 et la signature d’un accord de paix entre la Colombie (pays frontaliers de l’Équateur) et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), l’Équateur est devenu un centre névralgique du trafic et un haut lieu des guerres de cartel. S’en est suivie une augmentation de la violence criminelle et une crise pénitentiaire sans précédent.

On comprend pourquoi, dans un tel contexte, le candidat Daniel Noboa a centré sa campagne sur la question sécuritaire, promettant de créer une agence du renseignement national ayant pour but d’organiser et de chapeauter tous les organismes de renseignement du pays. Il a aussi prôné un rapprochement avec les États-Unis afin d’obtenir une aide dans la lutte contre les gangs.

Derrière ce volet sécuritaire, Daniel Noboa a fait la promotion d’un programme économique libéral visant à soutenir les petites et moyennes entreprises, et d’une manière plus générale l’entrepreneuriat, en promettant privatisations, baisse de la fiscalité, facilitation de l’accès au crédit par des incitations fiscales.

Sur le plan institutionnel enfin, Noboa a fustigé la bureaucratie qu’il souhaite fermement combattre.

Bref, un discours libéral et démocrate qui, dans ce pays ravagé par les narcotrafics et des années de socialisme ayant contribué à creuser la dette, autorise les libéraux que nous sommes à un certain optimisme.

 

Au Venezuela, une libérale pour concurrencer le chavisme de Maduro ?

Si les Équatoriens peuvent se féliciter d’ouvrir une nouvelle page libérale pour leur pays et se permettre de rêver, les Vénézuéliens doivent attendre 2024 pour tourner le dos au chavisme et à Nicolas Maduro, qui briguera son troisième mandat.

Arrivé au pouvoir en 2013 après la mort d’Hugo Chàvez dont il est un fervent disciple, Nicolas Maduro a mis en place une politique économique socialiste (contrôle des prix, contrôle des changes, expropriations, sujétion du secteur privé à des militaires…) afin de réaliser une « révolution bolivarienne ». Les résultats désastreux d’une telle politique n’ont pas tardé : entre 2013 et 2018, le PIB a été divisé par deux, et l’inflation a atteint un taux de 130 000 %.

Sur le plan politique, Maduro a tenu le pays d’une main de fer et la répression de l’opposition a connu une accélération inquiétante les dernières années.

En 2018, 131 personnes avaient été arrêtées pour « entrave au plan de relance » de l’économie de Maduro. La même année, le pays comptait 12 000 détenus politiques, dont des enfants. Selon Freedom House, avec un score de libertés globales de 15/100, le Venezuela est l’un des pays les moins libres au monde. Le constat est tout aussi alarmant sur le sujet de la corruption. L’organisation Transparency international le classe 177e sur 180 pays, avec un indice de corruption de 14/100 (0 étant le maximum de corruption), faisant du Venezuela un des pays les plus corrompus au monde.

Plus récemment, Nicolas Maduro a frappé d’inéligibilité la plupart des leaders de l’opposition, dont Maria Corina Machado, une ingénieure de 56 ans, députée depuis 2012, à la tête de Vente Venezuela, le parti qu’elle a fondé. Cette centriste libérale, membre de l’opposition, fait partie des opposants les plus durs au chavisme, affirmant haut et fort qu’elle souhaite en finir avec le socialisme bolivarien. Son programme économique, jugé « ultralibéral » par Le Monde, propose notamment la privatisation de la compagnie pétrolière PDVSA, ainsi que d’autres entreprises publiques.

Malgré une fragile reprise économique encouragée par les réformes de 2019 (face aux résultats désastreux de sa politique économique, Maduro a été contraint de « libéraliser » en mettant en place des coupes budgétaires, en autorisant l’utilisation du dollar comme monnaie…), les conditions de vie des Vénézuéliens restent très difficiles et la contestation sociale est de plus en plus forte.

C’est dans ce contexte politique et social tendu qu’ont eu lieu les primaires de l’opposition vénézuélienne, dont l’organisation s’est faite sans le soutien des autorités locales. Maria Corina Machado a remporté une victoire écrasante en obtenant 93,31 % des suffrages exprimés (soit deux millions d’électeurs).

Si ces résultats laissent entrevoir une possible révolution libérale dans un pays marqué par des années de socialisme aux conséquences désastreuses pour sa population, le chemin est encore long. En effet, pour le moment, rien n’assure que Maria Corina Machado, toujours frappée d’inéligibilité par le pouvoir en place, puisse être candidate à l’élection de 2024.

Une lueur d’espoir toutefois : la communauté internationale fait pression sur Maduro. Après l’échec des négociations de La Barbade, qui se sont tenues sous les auspices de la Norvège, et dont l’objectif était de revenir sur l’inéligibilité des leaders de l’opposition, Washington continue de faire pression en menaçant de prolonger les sanctions si la situation politique ne s’améliore pas. Sans excès d’optimisme, il n’est pas improbable que Maduro soit obligé de reculer face aux sanctions des États-Unis, laissant ainsi une chance aux Vénézuéliens de se débarrasser une bonne fois pour toutes du chavisme.

 

En Argentine, un coup d’arrêt pour Javier Milei ?

Les Argentins aussi se débattent avec leurs vieux démons et ont l’opportunité, lors du second tour de l’élection présidentielle qui se déroulera le 19 novembre 2023, de tourner le dos au péronisme et à sa branche majoritaire, le kirchnérisme (du nom de Nestor et Cristina Kirchner, au pouvoir entre 2003 et 2015).

Mais pour cela, il faut compter sur la défaite de Sergio Massa, le candidat péroniste, et la victoire du candidat libéral Javier Milei. Nous avions consacré dans ces colonnes un long portrait de ce personnage sulfureux, dont les idées libérales séduisent autant que peuvent interroger son populisme démagogique et son conservatisme social. Nous ne reviendrons donc pas sur ce sujet, et nous nous contenterons de considérer que, face à un candidat péroniste, ce genre d’élucubrations est un luxe que le réalisme politique ne nous permet pas d’avoir. En effet, si rien ne nous assure qu’une fois au pouvoir, Javier Milei pourra effectivement sortir l’Argentine de son marasme politique et économique, nous avons l’assurance que, suivant Einstein, selon qui « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », l’élection de Sergio Massa serait une catastrophe pour le pays.

Il convient également de nuancer le discours médiatique dominant à propos de Javier Milei, souvent présenté en France sous ses seuls aspects caricaturaux pour coller au récit simpliste d’un candidat d’extrême droite aisément identifiable aux figures de Trump et de Bolsonaro. Car si l’outrance et le populisme font partie intégrante de la stratégie politique de Milei, la réalité est que l’important est ailleurs, et ses électeurs ne s’y trompent pas.

En effet, les militants de son parti Libertad Avanza (la liberté avance) attendent surtout un sursaut économique. Pas besoin de revenir sur la situation économique calamiteuse de l’Argentine (on renvoie à nouveau vers le portrait cité plus haut), il suffit de citer ce militant, Mauro Mendoza, dont les propos ont été rapportés par Le Monde : « Il nous faut absolument apporter de la stabilité à l’économie, arrêter d’émettre de l’argent ».

Au-delà de l’économie, c’est surtout une volonté d’en finir avec le kirchnérisme incarné par Sergio Massa qui a porté Javier Milei au second tour de l’élection présidentielle. En effet, le libéral s’est fait le porte-voix d’un ras-le-bol qui se fait de plus en plus sentir dans la société argentine.

Si les points de tensions liés à son conservatisme social et son populisme sont légitimes aux yeux des libéraux consistants s’interrogeant sur la cohérence intellectuelle d’un libéralisme (voir un libertarianisme ?) qui ne serait qu’économique au point d’en devenir caricatural[1], la réalité est qu’une fois au pouvoir, ces points de tensions ne seront pas appliqués (on pense par exemple à sa volonté de revenir sur le droit à l’avortement), tandis que son programme économique et sa volonté de lutter contre la corruption, qui sont au cœur de son logiciel politique, pourraient se révéler salutaires pour l’Argentine.

Mais toutes ces réflexions pourraient être inutiles s’il venait à perdre au second tour. Or, la montée en puissance de Javier Milei ces derniers mois, aussi forte qu’inattendue, a connu un coup d’arrêt ce dimanche 22 octobre 2023, lors du premier tour. Sergio Massa est arrivé en tête avec 36,7 % des voix, et Javier Milei en a réuni 30 %. Du côté des militants de Libertad Avanza, les résultats ont eu un goût amer, eux qui étaient persuadés qu’un raz-de-marée libéral déferlerait sur l’Argentine.

Alors, qu’attendre du second tour ?

Pour Javier Milei, la stratégie est toute trouvée. Il doit ouvrir ses bras aux électeurs de la candidate de droite malheureuse du premier tour, Patricia Bullrich, qui a obtenu un peu moins de 24 % des suffrages. Pour ce faire, Milei va peut-être devoir lisser quelque peu son image et son discours afin d’apparaître présidentiable auprès d’électeurs qui, bien que profondément dégoûtés du péronisme, pourraient avoir peur de son extravagance. Il reste que le réservoir de voix est réel, et que rien n’est joué.

Enfin, il faut garder à l’esprit que des élections législatives partielles se tiennent en même temps, et une percée des libéraux est très probable (ils devraient obtenir aux alentours de 40 sièges). Quel que soit le résultat du scrutin du 19 novembre 2023, le vainqueur n’aura probablement pas de majorité, et sera obligé de composer des alliances.

L’avenir de l’Argentine est encore à écrire, et les Argentins disposent de la plume.

 

Conclusion

Ces trois cas signifient-ils que quelque chose se passe en Amérique latine ? Faut-il y voir le début d’une révolution libérale ? Et si tel est le cas, peut-on en attendre une amélioration conséquente de la situation politique, économique et sociale dans ces pays ?

L’observateur libéral sait trop bien qu’un politique ne peut pas tout, et que les facteurs politiques n’expliquent pas seuls la situation de ces pays. Du reste, il est de toute manière trop tôt pour tirer des conclusions.

Contentons-nous donc d’un espoir modéré en constatant un potentiel réveil de ces populations, qui, peut-être, tourneront enfin le dos à un socialisme moribond dont l’histoire a trop souvent montré qu’il était vain d’en attendre quoi que ce soit d’autre qu’absences de libertés et marasme économique.


[1] Nous renvoyons ici nos lecteurs au chapitre 12 de l’ouvrage d’Alain Laurent « La philosophie libérale, histoire et actualité d’une tradition intellectuelle » sur les libertariens, dans lequel il explique bien qu’aucun libéral cohérent ne peut se satisfaire d’un libéralisme qui ne soit pas multidimensionnel : économique, politique & social.

Comment un libéral peut penser la guerre israélo-palestinienne ?

Un libéral est toujours embarrassé pour penser la guerre, où se percutent le droit individuel de vivre (et donc de refuser éventuellement de se battre) et le droit collectif de défendre droits et libertés que menace un ennemi sanguinaire. En clair, la guerre est, par essence, une affaire d’État et les libéraux se méfient, à bon droit, de l’étatisme.

Alors, quand il s’agit de penser le conflit israélo-palestinien, le plus complexe, vicieux et interminable du monde contemporain, l’embarras va confiner à l’effarement.

Il existe toutefois quelques pistes prudentes de réflexion.

 

Un droit de propriété collective immatériel

Retour aux fondamentaux.

Le libéralisme s’appuyant, notamment, sur la propriété, juge tout à fait légitime qu’un peuple possède et défende si nécessaire des biens immatériels, institutions, coutumes, lois, territoires qui permettent à chacun de ses membres de profiter de ses droits et libertés fondamentales. Sauf à vivre en solitaire près d’un lac à la Henri David Thoreau… avant de retourner piteusement chez papa-maman, un libéral cohérent a besoin d’institutions minimales pour interférer loyalement avec ses semblables, contracter, louer, acheter, vendre, monter une entreprise, une association, ou un foyer, donc de lois en vigueur à l’intérieur de certaines frontières. Appelons cela un pays.

Lois et pays qui peuvent déplaire à quelque ennemi et qu’il faut donc être prêt à défendre les armes à la main, dans le respect des règles de la guerre élaborées au fil des siècles. D’ailleurs, en France, les grands auteurs libéraux, de Montaigne à Tocqueville en passant par Bastiat, Constant, ou Aron n’étaient pas les derniers des patriotes, et ne pratiquaient pas un pacifisme nunuche.

D’un point de vue libéral, les Israéliens sont donc parfaitement fondés à défendre leur pays, bien qu’il soit né dans des conditions… controversées il y a trois quarts de siècle.

Le problème étant que, précisément en raison de ces conditions controversées, les Palestiniens sont aussi fondés à réclamer leur propre pays (bien qu’ils n’aient jamais disposé d’un État souverain, la Palestine ayant été au cours des siècles sous contrôle égyptien, ottoman, et enfin britannique de 1922 à 1948) et à résister, sans faiblir depuis trois quarts de siècle, à l’oppression, troisième des quatre droits fondamentaux (avec la liberté et la recherche du bonheur) reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

 

La légitime cause palestinienne

Les Palestiniens, oui, mais lesquels, pour commencer ?

Pas ceux vivant en Jordanie, où ils représentent 40 % de la population. Ni les descendants de ceux d’entre eux, pour 30 % du total environ, qui n’avaient pas été expulsés lors de la guerre de 1948, citoyens aujourd’hui d’un Israël dont ils forment un quart de la population et où, quoique souvent marginalisés socialement, ils ne vivent nullement une situation d’apartheid, contrairement à un élément de langage tenace ; un Arabe israélien peut contracter librement, monter une entreprise, acheter un logement où il veut, et désigner des députés, dont certains font même partie de la coalition d’extrême droite au pouvoir !

Non, il s’agit des six millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie et Gaza, sans oublier Jérusalem-Est, dans le cadre de cette solution à deux États vivant pacifiquement dans des frontières reconnues que tous les esprits raisonnables, à Jérusalem, Gaza, Ramallah ou ailleurs savent être la seule solution acceptable à long terme.

Le drame étant que cette solution a été méthodiquement sabotée par des dirigeants des deux bords depuis les accords d’Oslo de 1995, par un Yasser Arafat n’ayant « jamais laissé une occasion de laisser passer une occasion », comme par un Benyamin Netanyahou ayant organisé l’implantation illégale de colonies juives en Cisjordanie. Solution d’autant moins crédible à court voire moyen terme que l’attaque du Hamas le 7 octobre et la guerre qui s’ensuit auront remis une dose de haine mutuelle pour au moins une demi-génération.

 

Le Hamas ne défend PAS la cause palestinienne

D’ici là, eh bien, Israël est d’autant plus fondé à se défendre que son ennemi, le Hamas, ne défend PAS la cause palestinienne, contrairement à une légende tenace.

Le Hamas n’est pas seulement une organisation terroriste dans la même catégorie, par l’ignominie de ses meurtres et le nombre de victimes, de Daech et Al Qaïda, rien à voir avec l’OLP, l’IRA en Irlande, ou l’ETA en Espagne avec lesquels finalement un accord politique pouvait, quoique difficilement, être trouvé. Le Hamas est surtout une dictature islamiste totalitaire de type taliban, qui liquide les bibliothèques à Gaza, et dont la charte prévoit la destruction pure et simple d’Israël. La paix, la sécurité et la prospérité des Palestiniens est le cadet de ses soucis, et quand l’été dernier, certains d’entre eux ont protesté contre la corruption, le coût de la vie et l’absence de démocratie, puisqu’aucune élection n’a été organisée localement depuis 2007, ils ont été sévèrement réprimés. La cause palestinienne importe d’autant moins au Hamas qu’elle est un nationalisme, laïc au départ, alors que les djihadistes du Hamas ne reconnaissent qu’une seule nation sur terre ; celle de la Oumma, la communauté des croyants.

Pour autant, cela n’affranchit pas Israël du respect du droit humanitaire international et des lois de la guerre.

En clair, si Israël a le droit de s’abstenir de livrer des biens à un territoire ennemi, comme tout pays en guerre, il n’a pas celui d’empêcher l’acheminement d’aide humanitaire par des tierces parties. C’est d’ailleurs en train de se mettre en place. De même, il doit évaluer du mieux possible les risques de bavures et de victimes collatérales, concept très défini sur le plan juridique et moral, à chacun de ses tirs. Si toutes les vies se valent, toutes les morts ne sont pas équivalentes ; un enfant tué par une balle perdue, ce n’est pas la même chose qu’un enfant exécuté de sang froid.

 

Où faire passer la limite ?

Israël le fait-il suffisamment ? Sans doute pas, mais d’après les enquêtes et témoignages depuis des années, il n’agit pas avec plus de désinvolture que les autres armées occidentales, et en tout cas rien à voir avec ce que pratiquent les régimes arabes, ou la Russie qui a rasé Alep, Grozny, ou une partie de Marioupol.

Le soutien de tous les pays d’Europe, Amérique du Nord, en sus d’une dizaine d’Amérique latine et même d’Afrique (Cameroun, Kenya…) dépendra de la capacité d’Israël à reconquérir Gaza city, pour y mettre hors d’état de nuire les 30 à 40 000 combattants du Hamas, dans le « brouillard de la guerre » et des rues étroites truffées de mines, snipers et souterrains, sans faire « trop » de victimes civiles. La question à laquelle, libéral ou pas, il semble difficile de répondre ; vus les enjeux, à partir de combien est-ce « trop » ?

Les zones d’exonérations fiscales et sociales territoriales : 25 ans de saupoudrage d’argent public

Par Romain Delisle.
Un article de l’IREF.

Depuis les années 1990, la création de zones spécifiques disposant d’une fiscalité plus avantageuse a été un moyen privilégié pour l’État de mettre en œuvre ses politiques de développement territorial. L’impact économique a été décevant, mais ces zones n’en ont pas moins été multipliées jusqu’à l’excès, formant maintenant une usine à gaz complexe, impossible à démanteler sans susciter beaucoup d’hostilité.

À la fin de l’année 2023, le dispositif des zones franches urbaines (ZFU), censées faciliter l’implantation d’entreprises dans les banlieues sensibles via une batterie d’avantages fiscaux, arrivera à son terme. Il s’inscrivait, en fait, dans une vaste entreprise de distribution d’argent public que l’histoire a choisi de retenir sous le nom de politique de la ville.

Depuis cette période, l’État est intervenu plus largement dans trois types de territoires défavorisés, en délimitant des espaces particuliers où les entreprises privées seraient incitées, par des allègements fiscaux, à s’installer. Hors outre-mer, il s’agissait des territoires en reconversion industrielle, de la ruralité avec les zones de revitalisation rurale (ZRR) et des zones de développement prioritaire (ZDP), les quartiers urbains criminogènes avec les quartiers prioritaires de la ville (QPV), ainsi que les ZFU déjà citées.

Notons, accessoirement, que l’ensemble des critères pour accéder au statut de ZDP a été forgé uniquement dans l’intention d’en faire bénéficier la Corse

Force est de constater que ce fut un échec.  La création de valeur ajoutée n’a pas massivement décollé dans les espaces ciblés et, lorsqu’il y en a eu, ce fut bien évidemment au détriment des zones dans lesquelles l’activité était localisée auparavant.

 

Un empilement de différents découpages réalisés sans cohérence globale

Il y a trois ans, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait évalué le coût minimum de l’ensemble de ces dispositifs à 620 millions d’euros (dont 179 millions d’exonération de charges sociales), un chiffre qui n’intègre pas les exonérations de taxes locales décidées par les collectivités elles-mêmes.

La gouvernance de cette politique publique est éclatée entre 7 administrations différentes (dont l’Agence nationale de cohésion des territoires, la Direction générale des Finances publiques, la Direction du Budget ou encore la Direction générale des collectivités territoriales), ce qui rend difficile le suivi des crédits publics.

Premier constat : la dépense fiscale a très largement bénéficié aux professions libérales individuelles (48 % de l’assiette de l’impôt exonéré) et créé assez peu d’emplois. Toujours selon l’IGAS, les professionnels de santé et les travailleurs sociaux, par exemple, ont concentré 32 % de l’assiette exonérée, contre seulement 5 % pour l’industrie manufacturière.

 

En plus d’un quart de siècle, aucune étude n’a pu démontrer un impact significatif de cette politique sur le développement des territoires

Dès 2011, l’Inspection générale des finances (IGF) avait noté le peu d’impact économique des ZRR et des ZFU.

Trois ans plus tôt, des chercheurs avaient même avancé, pour le coût d’un emploi créé ou maintenu en ZFU, le chiffre exorbitant de 31 500 euros. Ces constats auraient dû mener à l’extinction rapide de ces deux dispositifs, mais rien n’a bougé.

Dix ans plus tard, Jean-Noël Barrot, futur ministre du Numérique et alors simple député, arrivait aux mêmes conclusions dans un rapport : les incitations fiscales ne prévalent pas sur l’attractivité d’un territoire et, surtout en ce qui concerne les banlieues, sur son image auprès des chefs d’entreprise.

Dans les ZRR, seul 7 % des entreprises ont recours aux allégements fiscaux spécifiques. Les procédures administratives pour y accéder sont tellement complexes qu’elles préfèrent s’en tenir aux exonérations habituelles, plus simples à gérer. En somme, comme le note la Revue des dépenses publiques de 2015, ce type d’action publique crée surtout des effets d’aubaine, sans avoir d’impact économique réel à long terme.

En réalité, et c’est sans doute la principale raison de leur survie, ces dispositifs sont politiques et visent à ménager certains groupes sociaux qui pourraient manifester leur mécontentement dans les urnes ou dans la rue.

Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer, cette manière de créer de la dépense fiscale menace le rendement de l’impôt, en mitant son assiette déjà fragilisée par les nombreuses niches qui érodent les recettes de l’État, et font pression à la hausse sur la fiscalité en général. Il faut donc recommander la rationalisation des exonérations fiscales territoriales, en les limitant clairement dans le temps ainsi qu’à des zones spécifiquement sinistrées. En revanche, il convient de laisser la liberté aux collectivités locales de mettre en œuvre les dépenses fiscales qu’elles souhaitent, pourvu qu’elles en soient responsables sur leurs propres deniers.

Enfin, il appartient de traiter les problèmes de fond qui ont conduit à ces situations :

  • la baisse des charges sociales et des impôts sur le capital doit être généralisée ;
  • les contrats de travail et les baux commerciaux, faire l’objet d’une réglementation plus souple ;
  • la sécurité des personnes et des biens dans ces zones à problèmes, garantie.

 

Une fois cela fait, les entreprises ne manqueront pas de se tourner vers des zones où coût de la main-d’œuvre et loyers sont avantageux (puisque l’activité y est plus faible). Et ce sera d’autant plus vrai que les collectivités locales sauront maintenir des services publics de qualité.

On n’attire pas des entreprises avec des cadeaux, mais avec des conditions de travail intéressantes.

 

Voir sur le web.

Samuel Fitoussi : « Asservir la fiction à la morale revient à exiger de la fiction qu’elle renforce le consensus idéologique en vigueur, quel qu’il soit »

Dans Woke fiction – Comment l’idéologie change nos films et nos séries, Samuel Fitoussi* élabore une critique libérale du wokisme et de son impact sur le monde du cinéma et de la série. Un entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

Contrepoints : Bonjour Samuel Fitoussi. Dans les dernières années, de nombreux essais politiques ont été publiés sur la question du wokisme. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur ce sujet, et qu’est-ce qui fait l’originalité de votre ouvrage ?

Passionné de cinéma, j’ai vu les contenus changer au fil des années, en particulier depuis 2020, et perdre en qualité, en acuité psychologique, en réalisme, en humour… En creusant, j’ai découvert que les scénarios doivent désormais souvent (pas tout le temps, heureusement) répondre à un véritable cahier des charges idéologique.

Il existe désormais un certain nombre de schémas narratifs, de dynamiques relationnelles ou de types de personnages, qui, pour des raisons idéologiques, ne passent plus. Nous pouvons regarder une série qui nous semble apolitique sans nous douter qu’une forte autocensure a existé en amont, au moment de l’écriture, puis de la relecture du scénario par des cabinets de conseils spécialisés en diversité et inclusion (qui se multiplient à Hollywood).

Il y a encore dix ans, les scénaristes se seraient permis d’inclure certaines blagues (aujourd’hui jugées « problématiques »), de montrer des rapports de séduction asymétriques et plus authentiques (on suggèrerait aujourd’hui qu’ils alimentent la « culture du viol »), de montrer un Blanc aider un Noir si l’intrigue l’exige (aujourd’hui, les wokes affirment que cela constitue une négation de l’autonomie des Noirs – c’est le concept du « sauveur blanc »)…

C’est pourquoi quand on parle de cancel culture, on passe sans doute à côté de l’essentiel : le problème aujourd’hui n’est pas ce qui est annulé, mais ce qui n’est plus produit, voire ce qui n’est même plus écrit ni imaginé.

Au-delà du constat, j’essaie dans cet essai de déconstruire par la science et le raisonnement les grands postulats wokes sur lesquels s’appuient cette nouvelle morale obligatoire, de proposer une réflexion sur la nature humaine, sur la fonction de l’art, ou encore sur les conditions de préservation de la concorde sociale face aux discours communautaires qui divisent et enjoignent au ressentiment, activant nos pires instincts tribaux.

 

Contrepoints : Vous expliquez que dans la logique postmoderne, l’art joue un rôle essentiel dans le grand projet d’ingénierie sociale vers un monde meilleur. Pouvez-vous développer ?

Il y a, au cœur du wokisme, un constat (éminemment discutable) sur les sociétés occidentales, qui seraient patriarcales et racistes. Pourtant, la discrimination selon le sexe ou la couleur de peau est illégale. Alors où se trouve – selon les wokes – la source du mal ? Dans nos mœurs, nos conventions sociales, nos représentations collectives, nos inconscients (malades de préjugés patriarcaux, coloniaux, hétéronormatifs…).

Il en découle que le privé est politique, et que le combat pour la justice sociale, gagné dans la loi au XXe siècle, doit se poursuivre en transformant nos comportements, en nous rééduquant moralement, en révolutionnant nos représentations culturelles. C’est pour cela qu’une série comme Friends, pourtant culte dans les année 1990, se retrouve sous le feu des critiques wokes, accusée de légitimer la culture du viol, les stéréotypes, la grossophobie, l’homophobie… (avec une confusion évidente entre des comportements représentés à l’écran et glorifiés par les auteurs). C’est aussi pour cela que certains éditeurs ont jugé utile de caviarder les romans de Roald Dahl, Ian Fleming ou Agatha Christie en supprimant tous les passages jugés « problématiques ».

Ajoutons que les wokes croient à tort que les comportements humains sont le produit de nos représentations. Par exemple, si les femmes et les hommes se comportent en moyenne différemment, ce serait parce que chaque sexe a été conditionné par des stéréotypes qu’il a intériorisés. Porter à l’écran un monde débarrassé de toute forme d’asymétrie comportementale entre les sexes pourrait donc se révéler salutaire. Pourtant, la science indique que ce sont souvent nos stéréotypes de genre qui découlent de différences innées (moyennes) entre hommes et femmes.

 

Contrepoints : Par conséquent, n’y a-t-il pas un paradoxe dans le discours woke : en souhaitant reconstruire un nouvel ordre moral sur les vestiges de l’ancien qu’ils auraient déconstruits, ne deviennent-ils pas les nouveaux dominants ?

Effectivement. À partir des années 1960, les philosophes postmodernes souhaitaient déconstruire l’ordre moral bourgeois : selon eux, la classe dominante – en imposant à l’ensemble de la société sa définition du Beau et sa conception du Bien – perpétuait, plus ou moins inconsciemment, un ordre social qui lui était favorable (un complot sans comploteurs, pour reprendre la formule de Boudon sur Bourdieu).

Aujourd’hui, les wokes qui asservissent les autres à leur conception très subjective de la morale représentent précisément l’élite culturelle du monde occidental. Ils sont minoritaires dans la population mais majoritaires dans l’industrie du cinéma et du théâtre, dans les départements de science sociale de toutes les prestigieuses universités, les grandes entreprises californiennes et dans une poignée d’institutions clé (au hasard : Disney et Netflix, l’Académie des Oscars, des Césars, et souvent, les services publics). Ils se croient dissidents, mais en réalité, ils œuvrent à imposer à la société tout entière une normativité établie par les dominants culturels et intellectuels de notre époque.

 

Contrepoints : Selon vous, il est dangereux de « subordonner la création artistique à l’utilité sociale ». Pouvez-vous développer ?

Ceux qui calculent l’utilité sociale d’une œuvre – et parviennent à imposer à tous leurs critères de comptabilité morale – ne sont pas des anges descendus du ciel, mais des êtres imparfaits susceptibles d’imposer une morale viciée.

Si la fiction doit contribuer à façonner une société meilleure, qui décide du type de société vers lequel elle doit nous mener ? Si les héros doivent se comporter vertueusement, qui définit la vertu ? Au Ve siècle avant J. -C., Platon souhaitait interdire les pièces de certains dramaturges tragiques : il craignait qu’elles n’incitent les hommes à étaler leurs sentiments et à se comporter… comme des femmes. Au XIXe siècle, Les Fleurs du mal et Madame Bovary étaient jugés dangereux pour la morale publique. L’histoire regorge d’exemples de jugements moraux erronés, aux conséquences parfois tragiques.

En réalité, asservir la fiction à la morale revient à exiger de la fiction qu’elle renforce le consensus idéologique en vigueur – quel qu’il soit – puisque les comportements loués ou exaltés, les discours considérés vertueux ou dangereux, dépendent dudit consensus. C’est donner un poids démesuré aux jugements de valeur subjectifs d’une partie de la population, sociologiquement dominante mais pas immunisée contre l’erreur, contre le risque de confondre le mal et le bien. C’est soumettre l’individu (l’artiste) à la tyrannie du groupe (celui qui aura réussi à imposer sa définition du bien). Avec la vision conséquentialiste, la fiction cesse d’être un garde‐fou à l’idéologie ; elle devient son catalyseur.

On peut d’ailleurs établir une analogie avec la notion de « responsabilié sociale » des entreprises. Si l’on assigne aux entreprises une mission morale, leur engagement dépend du consensus idéologique en vigueur. La responsabilité sociale des entreprises allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale était d’aider les nazis à gagner la guerre, celle d’entreprises américaines pendant le maccarthysme de traquer les employés aux sympathies communistes, celle d’une entreprise inclusive en 2023 de soumettre ses employés à des stages de rééducation woke sur les préjugés inconscients…

En 1970, Milton Friedman notait que si les entreprises tentent de promouvoir des objectifs politiques aux dépens de leur rentabilité économique, elles imposent une forme d’impôt à certains citoyens (perte de dividendes pour leurs actionnaires, de rémunération pour leurs salariés, ou de pouvoir d’achat pour le consommateur…) et choisissent elles-mêmes les causes pour lesquelles l’argent sera redistribué.

Or ces entreprises n’ont pas été élues. « Elles cherchent à obtenir par des procédures non démocratiques ce qu’elles n’ont pu obtenir par des procédures démocratiques » écrit Friedman.

Le parallèle avec la fiction woke ? Les cinéastes imposent une forme d’impôt (baisse de la qualité du contenu pour le citoyen spectateur, éventuelle perte de revenus pour les investisseurs, distributeurs, etc.) afin de promouvoir les causes qu’ils jugent subjectivement louables, alors que celles‐ci n’ont pas nécessairement remporté la partie dans les urnes. Quand ces cinéastes sont subventionnés, et penchent massivement d’un côté du spectre politique, le problème démocratique est d’autant plus grave.

 

Contrepoints : Pour autant, n’y-a-t-il pas une place pour la morale dans l’art ?

Si, bien entendu. Mes amis conservateurs me reprochent parfois de dénier à la fiction la moindre fonction morale, d’appeler de mes vœux un art immoral, ou de refuser que l’on critique une œuvre pour des raisons morales. Mais je pense que l’on touche là à l’un des grands quiproquos entre conservateurs et libéraux.

En effet, je ne dénie pas à l’art une fonction morale, je dénie à quiconque le droit d’imposer à l’ensemble des artistes sa vision subjective de la morale, et de les obliger à s’y conformer. Croire que l’art doit être libre ne revient pas à dire que toutes les morales se valent, ni que nos propres valeurs morales ne peuvent légitimement influer sur le jugement que l’on porte sur une œuvre. De même, croire qu’il est dangereux que l’on impose par le haut aux entreprises des critères « RSE » auxquelles elles doivent se conformer ne signifie pas croire que le chef d’entreprise ne doit pas agir en fonction de ce qu’il estime être sa responsabilité morale vis-à-vis de la société.

Pour revenir à la fiction, elle est tout à fait compatible avec la morale.

Le chercheur Jonathan Gotschall montre même que, depuis 2000 ans, les fictions qui plaisent le plus sont celles dans lesquelles le bien et le mal sont distinguables, dans lesquelles les héros sont récompensés pour leurs transformations positives, et dans lesquelles, lorsque le mal triomphe, c’est en tant que mal. Même dans les séries centrées sur des anti-héros (Dexter, Les Sopranos, Breaking Bad voire Game of Thrones), la frontière entre bien et mal n’est pas brouillée, mais située dans le cœur d’un seul et même personnage.

De même, dans des sitcoms comme Friends et Seinfeld, les héros sont souvent lâches, hypocrites ou égoïstes mais on ne glorifie pas leurs vices : on rit de leur imperfection morale. Le comique provient du décalage entre la vision morale qui traverse l’œuvre et les actions des personnages, qui n’adhèrent pas toujours à cette vision.

 

Contrepoints : Vous avancez notamment que le wokisme se base souvent sur une mauvaise compréhension de la nature humaine. Cette question revient tout au long de votre livre et on comprend que c’est un point important de votre réflexion. Pourquoi ?

En 1987, le brillant intellectuel américain Thomas Sowell a distingué deux visions de la nature humaine. Selon que l’on se range à l’une ou l’autre, on adhère à des idées politiques radicalement opposées.

La première est la vision tragique : l’homme possède en lui une part d’ange, mais aussi une part d’ombre, le mal est inhérent à la nature humaine, et on ne peut le combattre collectivement qu’au prix d’arbitrages coûteux (prisons, police…).

La seconde est la vision candide, dont Rousseau est le meilleur ambassadeur : l’homme est naturellement bon et la société le corrompt. Avec cette vision, à laquelle les wokes semblent se ranger, on peut combattre la criminalité en combattant la société. Les criminels ne sont plus la cause des crimes, mais les symptômes d’une trop forte prévalence de certains discours ; les harceleurs de rue ne sont plus les responsables du harcèlement, mais les produits de nos stéréotypes de genre ; les violeurs ne sont pas la cause des viols mais les victimes d’une misogynie qu’ils ont intériorisé en raison d’un « continuum de violence » qui commence avec l’absence de parité autour du barbecue ou l’écriture insuffisamment inclusive.

Les conséquences de l’adhésion à cette deuxième vision sont nombreuses.

Premièrement, elle déresponsabilise les individus, imputant la cause de leurs comportements mauvais à « la société » plutôt qu’à leur libre arbitre.

Deuxièmement, elle permet de passer un peu trop facilement du combat (nécessaire) contre des individus et des actes racistes ou misogynes à celui (parfois infondé, voire complotiste) contre « le racisme systémique » ou contre le « patriarcat », combat qui absout du besoin d’avoir à pointer du doigt un seul acte répréhensible, le « système » tout entier étant incriminé.

Troisièmement, elle nous pousse à vouloir « expliquer » le mal plutôt que l’absence relative de mal, à déduire de l’occurrence de violences faites aux femmes (par exemple) une faillite des sociétés occidentales, plutôt que de la rareté de celles-ci un triomphe de la civilisation.

Enfin, elle inverse la causalité entre nos comportements et la fiction : ce serait parce que des viols sont représentés au cinéma que certains hommes violent, et non parce que certains hommes violent que le viol existe au cinéma. Mais de manière générale, si certains faits sociaux se retrouvent plus fréquemment à l’écran que d’autres, c’est souvent parce qu’ils se retrouvent plus fréquemment dans la réalité que d’autres. C’est l’art qui nous imite, pas l’inverse.

 

Contrepoints : Le wokisme est une critique de l’universalisme, jugé naïf et aveugle aux dominations réelles que subissent les minorités, au profit d’une vision communautariste de la société. Comment cela se manifeste-t-il dans la fiction ?

Les wokes pensent qu’une œuvre de fiction doit « représenter » les groupes qui composent la société en proportion de leur poids dans la population. Au lieu d’envisager la société comme une somme d’individus singuliers, on voit des groupes dont les membres seraient les représentants.

À partir de l’an prochain, seuls les films respectant certains quotas ethniques, aussi bien à l’écran que derrière la caméra, seront éligibles aux Oscars.

L’Arcom dresse tous les ans des statistiques ethniques, pourtant interdites par la Constitution française.

Le CNC possède un fonds à travers lequel il finance spécifiquement les projets où la couleur de peau des acteurs lui convient.

Final Draft, logiciel d’écritures le plus utilisé dans l’industrie du cinéma, propose des outils d’intelligence artificielle qui permettent au scénariste d’indiquer les attributs de chacun de ses personnages (couleur de peau, genre, orientation sexuelle, handicap, etc.) et d’afficher des diagrammes pour visualiser les « données d’inclusivité », voire le nombre de scènes parlées, de scènes non parlées, et de répliques de chaque minorité.

Delphine Ernotte, présidente de France Télévions, assume explicitement de « compter » le nombre de Blancs et de Noirs, et de ne pas financer les projets où il y a trop de Blancs.

Plus largement, dans le monde de la culture (et les institutions où les wokes sont dominants, comme l’université américaine) l’universalisme est congédié au profit de processus de sélection où la couleur de peau prend une place fondamentale.

Dans la fiction, cela s’exerce notamment au nom d’une croyance selon laquelle les spectateurs ne pourraient prendre pour modèles que des personnages qui « leur ressemblent ». Mais le degré d’identification d’un spectateur à un personnage doit-il dépendre de la couleur de peau de l’acteur qui l’incarne ? En réduisant la représentation au seul critère des ressemblances physiques, on réduit l’identité à l’identité biologique.

La pensée woke produit peut‐être ce qu’elle dénonce, puisque lorsqu’une appartenance à un groupe est légitimée (institutionnalisée comme une catégorie devant être « représentée »), elle commence à prendre de la place dans l’idée que chacun se forge de sa propre identité. L’identité‐singularité cède sa place à une identité‐conformité, une identité de rattachement au groupe de ceux qui nous ressemblent physiquement (mécanisme performatif que les intellectuels wokes décrivent et dénoncent eux‐mêmes à propos de l’identification à des catégories de genre).

 

Contrepoints : Selon vous, la fiction imprégnée de l’idéologie des quotas ne peut plus jouer efficacement son rôle de construction de nos capacités d’empathie.

La fiction, parce qu’elle a le souci du particulier, est un antidote à l’idéologie.

Elle nous raconte l’histoire de personnages singuliers, nous apprend que derrière les discours idéologiques, les récits simplificateurs, les oppositions communautaires, il y a des hommes et des femmes en chair et en os, trop complexes, trop nuancés, trop divers pour être réduits à des catégories, placés dans des cases, accusés ou plaints par défaut.

« Tout art digne de ce nom, écrivait Aharon Appelfeld, enseigne inlassablement que le monde repose sur l’individu. […] Le grand objet de l’art sera toujours l’individu avec son propre visage et son propre nom. »

Si, en politique, il faut souvent faire fi de la singularité des cas et dissoudre le particulier dans le collectif, la fiction nous rappelle que l’individu n’est pas une abstraction. Elle tempère l’enthousiasme de ceux qui voudraient, au nom de l’intérêt général, lui infliger des torts. L’idéologie – télescope par le prisme duquel l’Homme n’est qu’une fourmi dans un vaste système – ébranle notre capacité d’empathie ; la fiction – microscope de l’âme humaine – la reconstruit.

Mais pour que l’empathie puisse être cultivée, l’individu doit être singulier : il ne peut être le représentant interchangeable d’un groupe.

Or, lorsque les personnages sont choisis pour « représenter » la société, ils cessent d’être des individus pour devenir les porte‐drapeaux d’une identité, les délégués d’une communauté. L’équipe des Noirs a son représentant (il parle au nom des Noirs), tout comme l’équipe des femmes, des homosexuels, des transgenres, des musulmans (etc.). Le personnage devient, selon la formule d’Alain Finkielkraut dans L’après littérature, un prototype.

Et la fiction cesse de jouer son rôle : elle ne sonde plus des destins individuels, mais rejoue la narration macroscopique dominante. Plutôt que de maintenir en vie le particulier dans un monde qui généralise, elle déguise le général en particulier. Plutôt que de combattre la pensée par masses, elle transforme des masses en personnages. Elle va du général au particulier plutôt que du particulier à l’universel.

 

Contrepoints : On comprend donc qu’au-delà d’une analyse du wokisme dans la fiction, votre ouvrage porte en fait un projet plus ambitieux : celui d’une analyse et d’une critique épistémologique du postmodernisme. Cela vous amène par exemple à démontrer à plusieurs reprises qu’une erreur du wokisme est de considérer que derrière toute disparité statistique se cache une discrimination systémique. Pouvez-vous développer ce point ?

C’est en effet une croyance fondamentale du wokisme.

Toute sous-représentation d’un groupe considéré comme « dominé » dans un secteur valorisé est compris comme la preuve de l’existence de barrières discriminatoires (qui motive la mise en place de mécanismes correctifs comme la discrimination positive), et de même pour toute surreprésentation dans un secteur peu enviable (cela motive parfois la mise en place de changements institutionnels : aux États-Unis, l’idéologie anti-prison et anti-police naît notamment du désir de combattre la surreprésentation des Noirs en prison, ou parmi les victimes de violences policières).

Notons que les raisonnements wokes sont souvent irréfutables en ce qu’ils confirment toujours le postulat initial : une surreprésentation d’hommes en prison démontre que les hommes sont toxiques ; une surreprésentation de non-Blancs en prison démontre que nos institutions sont racistes.

Pourtant, l’économiste Thomas Sowell montre qu’à travers l’histoire, les asymétries statistiques entre populations étaient la norme plutôt que l’exception. Souvent, des groupes majoritaires – ne pouvant donc pas être victimes de racisme – sous‐performaient par rapport à des minorités ethniques.

En Malaisie, dans les années 1960, la minorité chinoise décrochait cent fois plus de diplômes d’ingénieur que la majorité malaisienne.

En 1908, dans l’État de São Paulo au Brésil, les Japonais produisaient deux tiers des pommes de terre et 90 % des tomates.

En 1921, en Pologne, plus de trois cinquièmes des échanges commerciaux impliquaient des Juifs, alors que ceux‐ci ne représentaient que 11 % de la population.

Au même moment aux États-Unis, l’université de Harvard imposait des quotas maximaux de Juifs pour combattre leur surreprésentation dans les rangs étudiants.

En 1948, des immigrés indiens possédaient 90 % des égreneuses de coton en Ouganda.

En 1887, en Argentine, les immigrés italiens – arrivés quelques décennies plus tôt sans ressources – étaient deux fois plus nombreux que les Argentins à posséder un compte en banque.

Plus trivialement, le taux d’alcoolisme des populations d’origine irlandaise aux États-Unis a parfois été jusqu’à dix fois supérieur à celui des populations juives ou italiennes.

On pourrait continuer cette recension longtemps.

En réalité, une disparité statistique peut être comprise comme la preuve d’une injustice, uniquement si on compare deux populations identiques en tous points, dotées des mêmes aspirations, soumises aux mêmes déterminismes sociaux et culturels, et aux mêmes dynamiques internes.

Quand ce n’est pas le cas – et c’est rarement le cas – les disparités statistiques reflètent souvent des différences de comportements moyens entre les membres de ces groupes, plutôt que des inégalités de traitement par le monde extérieur. Malheureusement, en attribuant à « la société » l’entière responsabilité du problème, on empêche toute remise en question de la part du groupe sous-représenté.

Cette logique détourne de toute possibilité d’analyse – et donc de compréhension et de traitement – des facteurs endogènes au groupe qui pourraient être responsables de ces disparités. Elle enferme les minorités dans une position de victimes passives, impuissantes à agir sur le cours de leur destin. On les condamne au ressentiment : ce serait aux « autres » de fournir des efforts, pas à elles.

*Né en 1997, Samuel Fitoussi est essayiste, chroniqueur au Figaro et écrivain satirique.

2.13.0.0

La liberté de la presse est en danger en Europe

L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. L’examen par le Parlement européen, dans la quasi-indifférence générale, du « European Media Freedom Act » (acte européen sur la liberté des médias) pensé par la Commission Von der Leyen apparaît comme une énième illustration de ce principe.

De prime abord, les intentions apparaissent fort louables. La révolution numérique ne cesse de bouleverser le secteur des médias, et donne à des problématiques vieilles comme le monde – ingérences des pouvoirs, déstabilisation provenant de puissances étrangères, désinformations et manipulations en tout genre – une nocivité décuplée à l’ère numérique, quand les flux de contenus circulent de manière instantanée à une échelle massive et mondiale. Et nous ne sommes qu’à la préhistoire de l’Intelligence Artificielle qui va apporter tout autant son lot d’exceptionnelles opportunités pour la création de menaces pour notre capacité à distinguer le vrai du faux, le réel du fantasmé, l’information de la manipulation.

Par ailleurs, il apparaît incontestable que le climat ne cesse de se dégrader pour les journalistes, et plus généralement pour ceux qui font de la transmission de l’information leur vocation.

Partout, l’accaparement d’une vaste majorité des revenus publicitaires par quelques plateformes a affaibli le modèle économique des éditeurs et paupérisé tout une profession, pourtant si nécessaire à la démocratie. Pire encore, l’algorithmisation de la distribution des contenus favorise tout ce qui clive, qui clinque et fait cliquer, ce qui constitue une pression de plus pour les contenus de qualité qui doivent se battre pour la visibilité comme pour la rentabilité.

Enfin, plus localement, et principalement en Hongrie et en Pologne, la concentration des médias dans les mains de proches du pouvoir constitue un risque majeur pour le pluralisme des points de vue.

La liberté de la presse demeure ainsi un combat, y compris sur le sol européen.

Pour le mener, encore faut-il bien percevoir les menaces, qui ne sont pas nécessairement celles qui provoquent le plus d’indignation. Or, la principale menace actuelle est celle de l’excès de régulation, qui comme toujours étouffe plus qu’il ne protège. Le Media Freedom Act en est un exemple flagrant.

 

Un Media Freedom Act bien mal nommé

Si ce règlement européen présente quelques mesures positives afin de garantir la sécurité des journalistes, il n’apporte que peu d’améliorations, notamment par rapport au droit français, déjà très en pointe depuis la vieille mais solide Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Et ce d’autant plus que la mesure concrète la plus protectrice envers les journalistes, qui prévoyait, dans le projet initial de la Commission, l’interdiction de toute utilisation de logiciel espion à leur encontre et celle de leurs familles, a été remise en cause par les États, et n’est pas encore acquise. Cette mesure a été réintroduite par les parlementaires européens. Les trois institutions européennes que sont la Commission, le Conseil et le Parlement vont désormais statuer en réunion trilogue, dans un sens que l’on peut espérer le plus favorable aux libertés individuelles, à la protection des journalistes et de leurs sources.

En attendant que soit confirmée la seule nouvelle mesure qui constituait une avancée libérale, demeure le reste du texte qui introduit une nouveauté inquiétante pour le liberté de la presse : l’European board for media services, le Conseil européen des services de média.

Ce nouveau super régulateur au niveau européen aura pour but de faire respecter la bonne application des règlements de la Commission concernant les médias et la presse. Vaste programme.

Une autorité administrative supposée indépendante au niveau supranational pourra donc soumettre la presse à la tutelle d’une régulation que son statut et sa capacité à s’autoréguler lui évitaient jusque-là. Il s’agirait d’un recul sans précédent et d’une menace pour tous les éditeurs. En soumettant le directeur de la publication à une autorité administrative, et non pas à un juge statuant sur la responsabilité pénale de celui-ci, la Commission s’attaque involontairement par ricochet à un droit fondamental des citoyens, la liberté d’expression.

Le risque est d’autant plus grand que le règlement tel que présenté par la Commission se veut très pointilleux et normatif.

À titre d’exemples, le MFA décrit ce que devra être, dans chacun des pays membres, la procédure de nomination d’un dirigeant de l’audiovisuel public. Il introduit de nouvelles obligations de transparence, qui, dans certains pays, pourraient paradoxalement fragiliser certaines oppositions au pouvoir en place, en dévoilant le nom de leurs soutiens et mécènes. Il s’immisce dans l’organisation interne de chaque média en énonçant des exigences visant à garantir toute décision éditoriale individuelle des journalistes, créant une inutile tension juridique et humaine entre ceux-ci et leurs éditeurs, qui, au-delà de leur responsabilité pénale, sont les garants de la ligne éditoriale et de la stratégie globale d’un titre de presse.

Nous voyons le monstre de bureaucratie et de contrôle que pourrait devenir cette nouvelle autorité sans une définition beaucoup plus claire et limitée de ses missions, et sans des garde-fous absents à ce stade.

La propension naturelle de toute bureaucratie à créer de nouvelles normes et interdictions pour justifier son existence, conjuguée à certaines postures idéologiques et démagogiques du politique – et pas uniquement dans les démocraties dites illibérales – n’est pas de nature à rassurer.

 

Dicter leur ligne aux médias au nom du Bien ?

Récemment encore, en France, un think tank, l’institut Rousseau composé de hauts fonctionnaires et d’universitaires, personnes a priori peu loufoques, a rédigé pour les députés une proposition de loi clé en main, ayant pour ambition d’imposer aux médias leur ligne éditoriale.

Là encore au nom d’un objectif louable bien qu’il ne soit en rien du ressort du politique – « améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias » les experts de l’Institut Rousseau suggèrent d’imposer des normes éditoriales, fondées sur des quotas, contrôlées par l’autorité administrative.

Découvrant le concept de choix éditoriaux et l’influence de la presse dans le débat démocratique, l’Institut regrette que les médias traitent davantage de certaines thématiques plutôt que d’autres, « favoris[ant] l’orientation des programmes électoraux et des prises de positions et engagements politiques vers ces enjeux ». Régulons donc tout ça.

L’environnement est un sujet crucial ?

L’Institut propose qu’en période électorale, un minimum de 20 % des contenus des médias soit consacré « aux enjeux du dépassement des limites planétaires et de la raréfaction des ressources », ou tout du moins « à une représentation des communications traitant, de façon directe ou indirecte de ces enjeux. »

Et naturellement, outre le quantitatif, ce traitement devra être aussi qualitatif, c’est à dire conforme à ce qu’il faut penser, à la bonne opinion (par qui définie ?).

La proposition de loi le précise bien :

« Ne pas publier ou diffuser des prises de position qui contredisent, minimisent ou banalisent l’existence des limites planétaires et de la raréfaction des ressources, de leur origine anthropique et du risque avéré que ces crises représentent pour l’habitabilité des écosystèmes. »

À l’autorité administrative, l’ARCOM en l’occurence, de contrôler et sanctionner ces injonctions floues, subjectives, et qui ne devraient rester que du ressort du débat intellectuel et scientifique.

Il s’agirait là d’une volonté d’ingérence autoritaire du politique dans la liberté éditoriale des médias, déclenchant un infernal engrenage. Demain, suivant les mêmes logiques, un exécutif d’extrême droite exigerait peut-être que 40 % du temps d’antenne soit consacré à l’immigration illégale, ou un pouvoir La France Insoumise imposerait 50 % du temps à la défense du Hamas…

Au nom de la juste cause écologique, des gens sérieux et supposés démocrates s’adonnent à une pulsion totalitaire, certes peu surprenante lorsqu’on choisit de placer ses travaux sous le patronage de Jean-Jacques Rousseau, mais tout de même inquiétante.

Il est fort probable qu’une telle proposition inepte n’aboutisse pas, mais les velléités normatives et puritaines, tant des États-nounous que des pouvoirs démagogues, tant des thuriféraires de l’Empire du Bien que des ennemis de la liberté, font que ce type de mesures législatives ou règlementaires n’est plus à exclure en Europe.

Or, nous comprenons bien, à travers cet exemple hypothétique mais concret, l’immense danger du principe-même de la soumission des médias à des autorités administratives, dès lors que celles-ci sont enjointes par la pouvoir politique à contrôler également leurs choix éditoriaux.

 

La presse doit rester une exception

La presse, jusqu’à présent en France, a échappé à ce contrôle administratif grâce à l’excellente loi libérale et protectrice de 1881, qui consacre l’exclusivité du contrôle de la presse par les juridictions et constitue donc une véritable garantie d’indépendance.

Ce que nous pensions acquis est désormais remis en cause par le Media Freedom Act et la création de cette inquiétante autorité de régulation au niveau européen. Les éditeurs français ne s’y sont pas trompés : près de 300 d’entre eux, allant de la presse régionale à la presse spécialisée, s’en sont vivement émus, sans grande écoute.

Ainsi, pour protéger la liberté de la presse, menacée dans certains pays, la Commission européenne a créé un corpus qui pourrait par ses effets pervers l’entraver dans beaucoup d’autres.

Le processus législatif de l’Union européenne est cependant plus complexe et pertinent que ce à quoi ses détracteurs le résument parfois. Le texte de la Commission a déjà été légèrement amélioré par le Parlement, pour ce qui concerne la protection des journalistes et les relations entre éditeurs et plateformes, afin de limiter les censures a priori des premiers par les secondes. Les discussions vont se poursuivre avec le Conseil, c’est-à-dire les gouvernements des pays de l’Union.

Il faut espérer que ces échanges permettront d’obtenir un texte plus équilibré qui évite toute ingérence de la Commission dans les politiques culturelles des États en la matière, et qui, à l’inverse, se concentre sur ce pour quoi l’Union peut faire la force, à savoir notamment les obligations imposées aux toutes-puissantes mais incontournables plateformes. Et que ces débats conduiront également à un règlement qui s’abstienne d’une vision trop stricte et idéologique de la libre concurrence, empêchant tout poids lourd européen du secteur des médias d’émerger au niveau mondial, alors que nous en avons tant besoin pour notre soft power.

Tous ces enjeux seront à surveiller attentivement dans les semaines qui viennent, sous peine de nous retrouver avec une législation dangereuse pour les valeurs de la démocratie libérale.

L’évolution de la presse et du rapport à l’information demeure une question trop fondamentale pour être laissée au seul niveau européen. Les États, chacun avec leurs traditions et défis propres, doivent désormais pleinement s’en saisir.

En France, les états généraux du droit à l’information, qui viennent de débuter, peuvent constituer une formidable occasion en ce sens, à condition de ne pas s’enfermer dans une ornière idéologique ni corporatiste. Le risque n’est pas nul.

Brève histoire du XXIe siècle : état et trajectoire des puissances mondiales

Il est bien sûr présomptueux, presque risible, de prétendre rédiger l’histoire du XXIe siècle alors que nous sommes en 2023.

Pourtant, des tendances structurelles nettes se dégagent, et même s’il est impossible de prédire les prochains « cygnes noirs » — événements radicalement imprévisibles aux conséquences considérables (Taleb) — ces tendances sont si bien installées qu’il sera malaisé de s’en écarter.

J’en distingue quatre.

 

La stagnation de l’Europe

La première est la stagnation de l’Europe.

Depuis 2000, l’Europe décroche sur tous les plans. Croissance anémique, dénatalité fulgurante, désinvestissement militaire — dont des pays tels la Belgique et l’Allemagne ne sont toujours pas sortis — et sans doute le plus préoccupant : selon tous les classements internationaux, et tous les critères (brevets, investissement en capital, géants boursiers de type GAFA), l’Europe a cessé d’innover.

On innove aux USA, on innove encore en Asie, mais presque plus du tout en Europe. Si vous ajoutez à ce qui précède l’obsession écologiste de l’Union européenne, qui n’est plus guère qu’une machinerie à imposer des contraintes, vexations, punitions et taxes au nom de la transition énergétique, vous comprenez que la stagnation est un horizon dont l’Europe aura les pires difficultés à s’affranchir.

Or, l’histoire en témoigne : la stagnation n’est jamais qu’un état intermédiaire. Dans la durée, la stagnation est presque toujours l’antichambre, le prélude à la régression.

 

Le XXIe siècle sera chinois… vraiment ?

Les fines lames de la pensée abstraite, qui ont ceci de spécifique qu’elles se trompent à peu près tout le temps, sur tous les sujets — c’est la passion de l’erreur ! — toujours en faisant de grandes phrases, nous annoncent depuis cinquante ans que le XXIe siècle sera chinois. « Quand la Chine s’éveillera », on allait voir ce qu’on allait voir, sortez vos Assimil de chinois, ils arrivent.

On a vu. La Chine stagne.

En réalité, la Chine est prise dans les rets d’une crise à tous les niveaux dont elle aura les pires difficultés à se dépêtrer. Stagnation économique, effondrement démographique, taux de chômage des jeunes Chinois à 25 %, effondrement boursier, destruction de la place financière de Hong Kong, isolation monétaire — dire qu’on présidait le remplacement du dollar par le yuan ! — isolation géopolitique grandissante. La Chine parle fort sur Taïwan, mais elle n’a pas les moyens d’un conflit militaire d’envergure avec les États-Unis, ses alliés locaux et ses petits alliés de l’OTAN.

Surtout, le régime chinois, qui est une impitoyable dictature, dans laquelle on ne démissionne pas, mais on disparaît, ne possède pas les ressources institutionnelles d’une réforme pacifique. Xi décide, il décide seul, tel un dieu parmi les hommes (Aristote), et malheureusement pour les Chinois, il paraît à peu près aussi éclairé et ouvert à la critique qu’Hitler dans son bunker.

 

Les BRICs s’enrichissent, mais n’incarnent pas l’avenir

Et puis, il y a le reste du monde, ce qu’on appelait au XXe siècle le tiers-monde.

Alors, par comparaison avec le siècle précédent, le tiers-monde va bien, il va même considérablement mieux, car il s’est fortement enrichi, par le moyen de l’économie de marché et de l’ouverture au capitalisme international (à défaut de s’être fort ouvert sur le plan politique national).

Des experts nous expliquent que les BRICs incarnent l’avenir, comme ils nous expliquaient hier que le XXIe siècle serait chinois. Le problème est que les deux composantes majeures des BRICs — Chine et Inde — sont en situation de guerre à leur frontière, qu’il existe bien davantage de motifs qui divisent les BRICs que de causes de les réunir, et qu’une organisation ne décide jamais que selon le principe du plus petit commun dénominateur commun. Qui, dans le cas des BRICs, est proche de zéro.

Les BRICs s’enrichissent, des milliards de personnes sortent de la pauvreté, et l’on s’en réjouit. Mais l’idée que les BRICs dessineront le XXIe siècle ne résiste pas à l’analyse.

 

Une Amérique malade mais puissante

Reste l’ineffable système américain, qui joue constamment avec ses propres limites, qui s’apprête à désigner comme président, soit un homme à moitié fou, ivre de lui-même, soit un vieillard cacochyme immergé jusqu’aux yeux dans les pactes de corruption multiples de son brillant sujet de fils, Hunter (qui entrera dans l’histoire, à l’instar des enfants dégénérés des empereurs romains).

Le choix n’est guère reluisant.

Oh, et les problèmes des États-Unis sont innombrables, telle l’immigration, aussi anarchique là-bas qu’elle l’est chez nous. La haine et les clivages politiques sont tels qu’il y aura, immanquablement, des épisodes de violence. À New York, des gens crèvent en pleine rue, et à tous les coins de rue ; à San Francisco, Los Angeles, c’est tout pareil, résultat de cent politiques aberrantes des Démocrates. Oui, à maints égards, l’Amérique est malade.

Mais elle est aussi prospère, plus prospère qu’elle ne l’a jamais été, formidablement novatrice, à la tête de la plus éblouissante concentration militaire jamais rassemblée sur la surface de la Terre, et structurellement capable de mieux gérer les crises économiques et financières que ne le sont ses concurrents.

Pourquoi ? Par le simple motif de la flexibilité : aux USA, on engage et on licencie sans motif, avec un préavis de quelques jours. Dès qu’une entreprise se développe, elle embauche massivement car elle sait qu’en cas de coup dur, elle pourra licencier tout aussi rapidement. Une entreprise n’est jamais qu’une entité économique rationnelle.

S’il y avait un seul élément du système américain que nous devrions reproduire en Europe, c’est cette flexibilité du marché du travail.

Cela n’arrivera jamais ? Non, bien sûr, cela n’arrivera pas. Et c’est pour cela que l’Europe continuera à stagner, tandis que l’Amérique ouvre the way of the future.

Si l’on s’en tient aux faits, le XXIe sera plus américain qu’aucune alternative actuellement concevable.

Nouvelle taxe sur le streaming musical : prendre à ceux qui réussissent pour financer ceux qui échouent

Le gouvernement prépare à présent une taxe sur les plateformes de streaming. En principe, il compte ensuite utiliser les fonds pour des soutiens aux musiciens en France, sous forme d’événements ou subventions.

Les négociations en ce moment autour de la taxe donnent un aperçu du mode de fonctionnement des autorités. La plupart du temps, les interventions des dirigeants ont pour prétexte la défense d’un secteur ou d’une poignée d’acteurs dans l’économie – contre la concurrence ou le risque de faillite. Les artistes gagnent en général peu d’argent. Avec des aides au secteur ou barrières à la concurrence, les autorités génèrent ainsi l’enthousiasme chez un segment de l’électorat.

Le Centre national de la musique a vu le jour début 2020 sur décret du gouvernement.

Le groupe, selon Le Monde, « a pour mission de soutenir les professionnels de la musique et des variétés dans leur développement. »

En somme, il offre des soutiens à une poignée de musiciens et producteurs de musique ou spectacles.

À présent, il manque de financements. Le gouvernement prévoit ainsi la mise en place d’une taxe sur les plateformes de streaming.

Vous voyez le fonctionnement : les plateformes de musique en ligne, comme Deezer ou Spotify, investissent dans des contenus en fonction des goûts des utilisateurs et abonnés. Elles ont pour intérêt leur fidélisation. Par contre, le gouvernement n’a pas d’expertise ni de compétences dans l’investissement pour la création de musique. Il n’a pas besoin de retour sur investissement, ni de succès auprès des auditeurs.

Sans surprise, les bénéficiaires des aides n’y voient pas de problème !

Le Monde :

« L’hypothèse de la création d’une nouvelle taxe s’est soldée par une ligne de fracture chez les acteurs de la musique. D’un côté une vingtaine d’organismes représentatifs de la filière dont le Syndicat des musiques actuelles (SMA), le Prodiss (Syndicat national du spectacle musical et de variété) ou l’UPFI (Union des producteurs phonographiques français indépendants) se sont montrés très favorables à une mise à contribution de la diffusion numérique (plateformes de streaming, réseaux sociaux…), tant payante que gratuite ».

Le monde de la musique veut le même traitement que le milieu du cinéma : des aides pour la création de projets, sans lien avec le succès en salles.

Le journal continue :

« Le rapporteur souhaite appliquer à la musique le modèle vertueux du cinéma, dans lequel les blockbusters américains contribuent à financer les films français. »

L’idée de fond revient à une redistribution. Les particuliers dépensent de l’argent pour des abonnements, tickets de cinéma, concerts, ou musique digitale selon leurs préférences.

Les dirigeants en prennent une partie, puis la distribue à une clique d’artistes – sans rapport avec les choix des particuliers !

 

Préférences des dirigeants

Les plateformes de streaming critiquent la mise en place de la taxe.

Selon Les Échos, les négociations ont lieu en ce moment.

Le gouvernement donne même une préférence à Deezer parmi les plateformes de streaming. En effet, la plateforme fait partie du monde de la French Tech ! Elle peut ainsi bénéficier d’une exemption partielle de la taxe.

Le journal explique :

« Un allégement [de la taxe] serait prévu pour les services qui réalisent une partie substantielle de leur chiffre d’affaires en France, ce qui permettrait en particulier aux acteurs hexagonaux, comme Deezer, d’être moins durement frappés au portefeuille que dans la version initiale, sachant que Deezer – comme Spotify – n’est déjà pas rentable. »

Les plateformes présentent des arguments contre la taxe.

Dans une tribune pour Les Échos, ils écrivent :

« Le streaming musical est aujourd’hui le seul secteur du numérique où l’Europe et la France disposent de leaders mondiaux, en mesure de concurrencer les Gafa. Mais cette compétition a un prix : nos services ne sont pas encore rentables en raison des investissements significatifs que nous devons réaliser pour concurrencer Apple, Google, ou TikTok. »

Le patron de Spotify enfonce le clou.

Dans une tribune pour Challenges, il explique :

« Une taxe sur les revenus du streaming impacterait en premier lieu les services de streaming français qui sont de loin les premiers soutiens du répertoire artistique français. »

L’intervention des autorités dans le domaine de la musique, comme dans le reste de l’économie, sert en général les intérêts d’une poignée d’acteurs dans l’économie. Des entreprises proches des dirigeants tirent des bienfaits des lois et distributions.

Pour une journaliste des Échos, la différence d’opinion sur la taxe, entre les plateformes et le milieu du spectacle (qui profite des aides) illustre un choc de cultures : « l’une plus solidaire, l’autre plus libérale. »

En réalité, chaque camp agit en fonction de ses intérêts, illustré par la réaction des créateurs de gros concerts à une proposition de loi récente. En effet, le gros des revenus pour les distributions proviennent des tournées de stars, et non de petites productions. Le gouvernement souhaite les mettre à contribution, tout comme les plateformes de streaming.

Selon Les Échos :

« Et certains producteurs des méga-tournées des stars internationales en France, jusqu’ici confraternels, ne voient pas d’un très bon œil le projet du sénateur d’affecter à l’avenir, non plus 35 % mais 50 % de la taxe billetterie au pot commun, contribuant déjà lourdement à la redistribution, notamment vers des petites salles et festivals déjà subventionnés par les collectivités. »

Le financement du Centre national de musique revient à mettre davantage de décisions sur l’investissement dans les artistes et créateurs de divertissement entre les mains de politiciens. Sans surprise, les gagnants à la redistribution espèrent plus d’interventions.

Les élus protègent une poignée d’artistes et entreprises du divertissement. Les particuliers perdent un peu plus de choix, et reçoivent moins de valeur pour leur argent.


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Punaises de lit : le nouveau reflet de l’addiction française à l’État

Une nouvelle psychose collective s’est emparée des Français. Le réchauffement climatique ? Un nouveau variant de la covid ? La menace d’un conflit nucléaire ? Non ! Les punaises de lit !

Cela pourrait prêter à sourire si la séquence politique et médiatique que nous traversons ne mettait pas en lumière ce que la culture politique française fait de pire : l’addiction à l’État et le délitement de la responsabilité individuelle.

Certes, ces insectes ont un pouvoir de nuisance non négligeable. Mais était-il nécessaire de faire de l’invasion des punaises de lit un sujet d’ampleur nationale ?

 

Un « service public de la désinsectisation » ?

En effet, depuis le début de la semaine, chaque camp politique s’est approprié le sujet.

Chez Renaissance, on annonçait ce mardi 3 octobre 2023 un texte transpartisan prévu pour décembre, appelant à tous les groupes de « l’arc républicain » de se joindre à eux. Car c’est bien connu, c’est à la République que s’attaquent ces petites créatures hématophiles !

Du côté de La France Insoumise, la réponse apportée par la majorité est insuffisante et Mathilde Panot, qui a senti que le sujet était propice au (bad) buzz, ne manque pas une occasion de se faire remarquer. Quand elle ne se rend pas à l’Assemblée nationale avec une fiole remplie de punaises de lit mortes, elle propose, sans ironie aucune, un « service public de la désinsectisation », évidemment « gratuit » et destiné à tous les Français qui pourraient s’en « saisir immédiatement ». « Oui, la puissance publique a quelque chose à faire sur cette question » a affirmé celle qui s’est manifestement transformée en quelques jours en spécialiste de la désinsectisation, dissertant sur les bonnes et mauvaises techniques pour combattre les punaises de lit, afin de convaincre son auditoire que l’État est évidemment mieux placé que les entreprises privées pour lutter contre ce fléau.

On pourrait se contenter de désespérer de l’atonie du débat public français, tant cette séquence politique donne une image pathétique de notre vie parlementaire.

 

Les Français et le réflexe étatique

Malheureusement, elle dit aussi beaucoup du réflexe étatique qui caractérise notre culture politique et dont tout le monde est, à différentes échelles, complice.

Que ce soit les politiques, les journalistes, les intellectuels, les artistes, ou simplement les citoyens, tous semblent avoir intégré l’idée selon laquelle chaque problème appelle une réponse de l’État. C’est ce que montre un sondage réalisé par YouGov pour Le HuffPost, dans lequel 55 % des sondés estiment que le gouvernement devrait lancer un plan national contre les punaises de lit.

En résulte une extension ininterrompue du cadre de ce qui relève de l’action publique. On pourrait ironiquement prédire l’annonce prochaine d’un « grand plan anti-punaises de lit », d’une « grande consultation citoyenne pour combattre les punaises de lit », d’un « ISF anti-punaises de lit » afin de financer des « chèques punaises de lit », mais on l’a vu avec les annonces de madame Panot, la réalité a déjà dépassé la fiction. Cela appelle donc une réponse sérieuse et argumentée.

Pour beaucoup, l’extension du domaine d’intervention de l’État est, intuitivement, une bonne chose. Il va prendre la responsabilité de résoudre les problèmes que les citoyens n’arrivent pas à résoudre eux-mêmes. N’est-il pas rassurant de se dire que si demain mon habitation est infestée de punaises de lit, je n’aurais pas à payer une entreprise de désinsectisation car l’État s’occupera de tout ?

C’est cette promesse qui est une illusion. D’abord, parce que contrairement à ce qu’affirme madame Panot, la gratuité de l’action publique est un mythe. Tout ce que l’État donne au citoyen, le citoyen le paye à un moment ou à un autre. Mais surtout, l’extension du domaine d’intervention de l’État réduit drastiquement son efficacité, alors même qu’elle augmente la pression fiscale.

C’est presque devenu un lieu commun de parler de « l’hôpital en crise », de « l’école en crise », de « la justice en crise », de la « police en crise »…

On touche ici aux limites de l’État providence qui, au-delà d’un certain niveau d’engagement, ne parvient plus à remplir correctement les fonctions dans lesquelles il est pourtant le plus légitime. En filigrane, se pose aussi la question du délitement de la responsabilité individuelle que cause nécessairement l’État-providence. Peut-on raisonnablement « vivre-ensemble » si « tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » ? (Frédéric Bastiat, Harmonies économiques, 1850)

Ne serait-il pas temps de prendre du recul et d’évaluer les domaines pour lesquels l’intervention étatique est légitime, et ceux où elle entrave l’efficacité et la responsabilité individuelle ?

Et de ne jamais oublier qu’à chaque fois que l’État décharge un individu de ses responsabilités, c’est autant de libertés qu’il lui confisque.

L’inflation ne vient pas de l’égoïsme des entreprises, mais de l’interventionnisme

Le ministre de l’Économie a l’impression que dans le secteur de l’alimentation, les producteurs de biens gagnent trop d’argent, et souhaitent une baisse des marges.

Le gouvernement accuse les industriels de manque de solidarité.

Un représentant du ministère affirme à Capital :

« Il y a eu trop de rigidité de la part des industriels au cours des derniers mois, et pas de baisse de tarif pour les consommateurs. Donc pour lutter contre l’inflation, le gouvernement a pris les mesures nécessaires pour faire baisser les prix au plus vite ».

Selon Le Monde :

« Bercy, qui, depuis des mois, tente en vain d’obtenir des industriels et des distributeurs qu’ils renégocient leurs tarifs à la baisse, est contraint de passer par la loi. »

En effet, le gouvernement et la presse rendent les entreprises responsables des hausses de prix. Ils réclament des concessions de la part des producteurs, comme la vente de produits à prix réduits.

En réalité, les hausses de prix viennent non des entreprises, mais des gouvernements.

Ils créent sans cesse plus d’argent via les déficits. Le résultat est que la valeur de l’euro tend à la baisse, avec pour conséquence que les coûts de produits sur le marché mondial, comme le pétrole ou le maïs, partent à la hausse. La hausse des prix reflète, non un changement chez les producteurs, mais la chute de la valeur de la monnaie – à cause des dirigeants.

Le problème n’a pas pris fin, en dépit des hausses de taux des banques centrales.

Le déficit du gouvernement de cette année dépasse le montant de l’année dernière. À présent, le gouvernement émet des quantités de dette sans précédent – la garantie d’un retour des mesures de soutien par la banque centrale, aux dépens de l’euro.

Selon Les Échos :

« Selon nos informations, malgré le reflux attendu du déficit, l’État empruntera en 2024 un montant sur les marchés supérieur aux 270 milliards programmés pour cette année, et qui constituait déjà un record – ce serait compris entre 280 et 290 milliards selon plusieurs sources. »

De plus, le gouvernement continue des mesures pour injecter davantage d’argent.

Par exemple, le président annonce cette semaine une ristourne à la pompe.

Dans l’immobilier aussi, le gouvernement veut davantage de création de crédits, afin de fournir une illusion de richesse, et générer de l’activité, même lorsqu’elle ne présente pas d’intérêt.

Dans une interview accordée cette semaine au journal Le Parisien, le ministre de l’Économie évoque l’idée de subventions pour l’achat de logement, via des aides à l’emprunt pour les particuliers !

Ainsi, ceux-ci auront « des conditions de financement de crédit plus attractives que celles du marché ».

Le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires. Il continue les injections d’argent, puis fait pression sur les producteurs de biens – comme l’alimentaire – afin d’en masquer les conséquences.

 

Incompréhension sur les marges

La recherche de l’optimisation des marges fait partie du fonctionnement de base des entreprises, et des humains en général.

Chacun espère le plus de retour sur l’usage de son temps, son argent et ses ressources.

Le ministre espère un abaissement des prix du côté des producteurs, sans contrepartie, et en dépit de la situation de l’offre et de la demande dans les marchés.

Dans l’objectif d’une baisse des prix en supermarché, le gouvernement fait pression contre les sociétés de production dans l’alimentaire, comme Nestlé, Lactalis ou Danone.

Les autorités changent ainsi les règles sur la négociation des contrats, afin de pousser à des baisses de prix en début d’année prochaine. La limite pour la négociation entre les supermarchés et les producteurs de biens passe de mars à janvier.

Les sociétés de la distribution – les supermarchés, comme Leclerc ou Intermarché – reçoivent l’appui des autorités dans les négociations.

Voyez, les supermarchés ont suivi les directives sur les prix, même sans l’intervention d’une loi sur les marges, avec un gel de prix sur 5000 produits en rayon, selon les journaux. En contrepartie du soutien du gouvernement dans les négociations, les distributeurs ont promis de conserver les mêmes types de marges qu’aujourd’hui. En somme, en cas de baisse des prix des biens de la part des industriels, les supermarchés ont l’obligation d’afficher les mêmes types de baisses en rayon.

Cet été, Libération a expliqué :

« Au terme de réunions avec les acteurs de la chaîne alimentaire française, le ministre de l’Économie a annoncé un blocage des prix sur de nouveaux produits et une obligation pour les distributeurs de répercuter les baisses de tarifs consenties par leurs fournisseurs. Les négociations entre industriels et supermarchés pour 2024 vont être anticipées. »

Les supermarchés ne produisent pas de biens.

Ainsi, ils ne portent pas le risque de hausse du coût du blé ou du soja. Ils achètent les produits aux industriels.

Les concessions des distributeurs au gouvernement coûtent sans doute peu de choses – elles dépendent d’une baisse des prix des producteurs, et ne forcent pas à des ventes à perte.

La proximité avec les dirigeants peut porter ses fruits pour les entreprises.

Le raccourcissement du délai de renégociation pour les entreprises sert l’intérêt des supermarchés.

En effet, le rythme de progression des prix baisse un peu pour le moment, et le coût des matières premières revient vers la norme après deux ans d’explosion des coûts.

Le coût du blé tombe par exemple autour des niveaux de l’été 2021, après une explosion des prix l’année dernière. Les distributeurs espèrent ainsi des concessions sur les prix des aliments.

 

Déficits et hausses de prix : coût du dirigisme

Les tentatives de contrôle du gouvernement font partie d’un mode de pensée sur l’entreprise et le fonctionnement d’une économie.

La presse et les dirigeants pensent que les entreprises servent, non pas l’intérêt général, mais seulement le bien des actionnaires ou des cadres. Les tentatives d’accroître les bénéfices proviennent d’une recherche de profit, sans égard au bien-être des consommateurs.

Ainsi, croient-ils que les lois compensent le manque de solidarité des entreprises, avec des règles sur les prix en magasin, des limites aux marges ou l’imposition de conditions de négociation entre les supermarchés avec les fournisseurs.

Pour eux, la production de biens revient juste à la transformation de matière brute – le blé, l’orge, ou le lait – en produits pour la consommation, comme les pâtes ou le pain. Les marges des entreprises reviennent à un surcoût pour l’ensemble de l’économie, sans intérêt pour le reste des citoyens.

En pratique, les marges dans la production de biens en magasins – dans l’alimentaire ou les produits ménagers – marchent de la même façon que dans la fabrication de voitures, ou la production de pétrole.

Les marges servent de mécanisme pour l’élimination des déséquilibres entre l’offre et la demande.

D’une part, les marges fournissent des capitaux aux sociétés, afin de poursuivre des investissements sur la production. Par exemple, le secteur des porte-conteneurs affiche en ce moment une hausse inédite des commandes de navires de transport. En effet, de 2021 à 2023, ce secteur a engrangé des centaines de milliards de dollars de bénéfices, une situation inédite. L’argent sert à présent à la construction de navires – un accroissement de l’offre des capacités de transport.

D’autre part, les marges attirent plus d’acteurs vers un secteur, et mènent ainsi à plus d’offre de produits, et de concurrence.

Ainsi, les consommateurs bénéficient d’un plus grand nombre de produits à leur disposition, et de prix en baisse.

Une hausse des profits conduit en général à une hausse de l’offre et un retour à l’équilibre au bout du compte.

Par contre, les dirigeants voient le déclin des prix de matières premières par rapport aux sommets de l’an dernier, et en concluent une mauvaise foi de la part des producteurs. Ils mènent à présent une campagne de pression, et de menaces de lois.

La presse reprend le refrain.

Le gouvernement lutte contre les hausses de prix, disent les journalistes.

En réalité, la hausse des coûts de produits en magasin découle de la perturbation de l’offre et de la demande en raison des mesures des gouvernements depuis les confinements.

Avec la création d’argent – via le déficit – le gouvernement continue une politique de dévalorisation de l’euro. Les consommateurs verront encore pour des années l’impact sur les prix en magasin.

 

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Censurer les propos climatosceptiques serait aussi liberticide qu’inefficace

« Il est à espérer que le temps où il aurait fallu défendre la « liberté de presse », comme l’une des sécurités contre un gouvernement corrompu ou tyrannique est révolu. On peut supposer qu’il est aujourd’hui inutile de défendre l’idée selon laquelle un législatif ou un exécutif, dont les intérêts ne seraient pas identifiés à ceux du peuple, n’est pas autorisé à lui prescrire des opinions, ni à déterminer pour lui les doctrines et les arguments à entendre ».

Ces mots sont ceux de John Stuart Mill, au début du deuxième chapitre de son célèbre ouvrage De la liberté, paru en 1859.

Un peu moins de deux siècles plus tard, ils n’ont pas pris une ride. En effet, des députés de tous bords (à l’exception de ceux du Rassemblement national, exclus par le fameux « arc républicain ») préparent une proposition de loi reprenant une idée de l’association QuotaClimat et du think-tank Institut Rousseau : expurger de l’espace médiatique tout ce qui s’apparenterait à du climatoscepticisme.

 

Pourquoi existe-t-il des ennemis de la liberté ?

On ne pourra pas feindre l’étonnement, tant ce genre de mesures, qui relèvent pour beaucoup d’une mauvaise blague tant leur dangerosité est de l’ordre de l’évidence, sont en fait soutenues de longue date par de nombreux militants de l’écologie politique. Si la proposition de loi a peu (si ce n’est aucune, merci à l’État de droit) de probabilités d’aboutir, le mépris des libertés qu’elle traduit mérite qu’on s’y attarde.

D’abord, pour mieux les combattre, il convient de ne pas caricaturer ces ennemis de la liberté.

S’ils veulent la restreindre, ce n’est pas par pur sadisme ou volonté machiavélique de faire le mal. C’est même tout le contraire. Ce qui pousse certains à donner si peu d’intérêt à la liberté, c’est bien la conviction, profondément enracinée, de faire le bien et de servir l’intérêt général. Les attitudes illibérales et autoritaires gagnent ainsi en légitimité parce qu’elles servent, pensent-ils, une cause juste et supérieure. Il y a là presque une constante anthropologique : plus l’humain est persuadé de faire le bien, plus ses barrières morales sautent.

Comprendre cela, c’est comprendre qu’il n’y aura jamais de sociétés humaines sans velléités autoritaires. Les ennemis de la liberté ont toujours existé, et ils existeront toujours.

John Stuart Mill le savait et, bien qu’il estimât la défense de la liberté d’expression comme une évidence dont on pouvait supposer qu’il est « aujourd’hui inutile de défendre », il n’a jamais cessé d’argumenter en sa faveur, conscient qu’elle n’était jamais définitivement acquise.

 

Pourquoi une telle proposition ?

Pour réfuter convenablement une telle proposition, il convient d’abord d’essayer d’en comprendre honnêtement les motivations, sans caricatures.

Sur la page d’accueil du site de l’association QuotaClimat, un chiffre est mis en avant :

« Seuls 11 % des Français déclarent se sentir « tout à fait » informés sur le changement climatique », suivi de la phrase suivante : « Pourtant, les médias jouent un rôle crucial dans la formation des perceptions, de la compréhension et de la volonté du public à agir vis-à-vis du changement climatique, d’après le rapport du GIEC ».

Pour ces activistes, le combat de l’écologie politique est avant tout un combat culturel.

Comprendre : si les sociétés humaines sont encore loin de régler le problème environnemental, c’est en raison d’un manque de volonté politique qui prend racine dans l’insuffisance d’éducation des citoyens sur la question climatique.

Cette logique s’inscrit dans un paradigme politique et philosophique plus large (le post-structuralisme, nous y reviendrons) qui donne un rôle prépondérant aux imaginaires sociaux et culturels dans le combat politique, et que l’on pourrait grossièrement résumer de la façon suivante : pour changer le monde, il faut en premier lieu changer les perceptions. Que ce soit pour l’écologie, la lutte antiraciste ou le combat féministe, ce qui compte, c’est de gagner cette bataille culturelle.

De cette vision théorique découle une pratique militante. Le rôle de ces combattants de la vertu est de pénétrer ce qu’il y a de plus intime et précieux, l’inconscient des individus, afin de déconstruire les idées jugées néfastes, et les remplacer (reconstruire) par des idées plus justes.

Comprise ainsi, une telle proposition prend tout son sens.

Ses défenseurs soutiennent qu’en supprimant l’expression d’idées climatosceptiques, nous allons à terme éliminer ces idées de l’imaginaire collectif. Les citoyens, conscientisés sur l’importance du combat climatique, consentiront d’autant plus facilement aux efforts exigés par une politique de décroissance. Les politiques restrictives en faveur du climat ne seront pas seulement acceptées, elles seront même souhaitées par les citoyens, et ainsi pourra advenir l’utopie d’une sobriété heureuse et non contrainte. Dit plus simplement, pas de Gilets jaunes avec des citoyens informés.

Cette candeur serait touchante si elle n’était pas dangereuse et inefficace.

 

Du relativisme épistémologique à la déconstruction militante

Cet exemple illustre d’abord la principale faiblesse de la traduction militante du post-structuralisme, courant philosophique développé dans les années 1960-1970 et qui trouve ses origines dans la réception et la réinterprétation des œuvres des auteurs de la french theory. En effet, ce courant de pensée défend une forme de relativisme épistémologique en affirmant que tout savoir est nécessairement socialement construit et historiquement situé.

Or, il y a là contradiction performative (affirmation qui entre en contradiction avec le fait qu’on ait pu l’énoncer) car si tel est le cas, alors l’affirmation selon laquelle « tout savoir est socialement construit et historiquement situé » est elle-même subjective et relative à un contexte, à un rapport de force, à une conjoncture historique et donc… devient elle-même irrecevable.

Ce débat épistémologique n’intéresserait que les chercheurs en sciences sociales s’il n’avait pas de traduction politique et normative.

En effet, c’est le passage du champ scientifique et descriptif au champ politique et militant qui pose problème, car il transforme un outil conceptuel utile en une arme militante profondément liberticide. De la déconstruction de la modernité occidentale, on arrive inéluctablement à la reconstruction d’une société plus désirable.

C’est à ce moment que l’on retrouve la contradiction performative citée plus tôt.

Si l’on applique à l’action de ces militants une grille de lecture post-structuraliste, nous sommes obligés d’arriver à la conclusion que le déconstructeur autoproclamé, tout humain qu’il est, est aussi subjectif que l’individu (ou que la société) qu’il déconstruit. Dès lors, il perd toute légitimité dans son œuvre puisqu’il ne fait que remplacer une subjectivité par une autre, tout aussi arbitraire.

John Stuart Mill écrivait déjà : « Bien que chacun se sache faillible, peu sont ceux qui jugent nécessaire de se prémunir contre cette faillibilité. »

Voilà le principal péché des déconstructeurs qui, s’ils étaient plus cohérents et humbles, devraient être des libéraux convaincus, et admettre ainsi que, toute personne et tout pouvoir étant par essence subjectifs et arbitraires, alors aucune conception du monde portée par un individu ou un groupe d’individus ne saurait légitimement s’imposer au reste de la société. Leur naïveté est ici de croire en l’infaillibilité de leur morale et de leur vision du monde au point d’adhérer à un projet prométhéen aux antipodes de la prudence épistémologique promue par les auteurs dont ils se revendiquent.

Cet hubris militant se mue donc en projet politique tyrannique. Et un regard vers l’histoire du XXe siècle nous rappelle qu’une des priorités des régimes illbéraux est de restreindre la liberté d’expression.

C’est sur cette pente glissante que s’engagent, peut-être involontairement, les députés à l’origine de ce projet.

 

« Certes, mais c’est un mal nécessaire… »

Si cette dérive totalitaire ne suffisait pas à convaincre, il est possible d’invoquer d’autres arguments.

Certains pourraient avancer que la perte de cette liberté est un mal nécessaire, tant le péril climatique qui nous attend est un danger plus grand encore. Si « la fin justifie les moyens » (logique politique profondément dangereuse et contestable), il faut au moins être sûr que les moyens vont permettre d’atteindre la fin visée.

Dans le cas qui nous intéresse, une telle mesure serait totalement inefficace.

La logique des discours à caractère conspirationniste et complotiste est de considérer leur marginalité comme une preuve supplémentaire de la véracité de leurs propos. Plus ils se sentent oppressés par ce qu’ils identifient être le système ou le « discours officiel », plus ils se persuadent que c’est parce qu’il y a intérêt à les faire taire.

Comment imaginer une seule seconde qu’une telle loi aurait d’autres conséquences que le renforcement de la conviction des climatosceptiques ? Si l’objectif est de faire reculer ces idées, on ne pourrait pas moins bien s’y prendre…

 

De la censure des discours antiscientifiques à la censure politique…

Un second problème se présente lorsque l’on entre dans les détails de l’applicabilité d’une telle proposition de loi.

La principale difficulté sur les questions écologiques est que dans les discours médiatiques et politiques (qu’ils soient très, peu ou pas du tout écolo), il n’est fait aucune distinction entre ce qui relève du factuel (descriptif) et ce qui relève du politique (normatif). Ainsi, des militants écologistes instrumentalisent les résultats de la science afin de donner un surplus de légitimité à leur discours. Combien de fois avons-nous entendu des militants citer les travaux du GIEC sans qu’ils n’aient jamais lu une seule page d’un rapport ?

Ce mélange des genres rend tout contrôle irréalisable, parce que la définition de ce qu’est un propos climatosceptique est floue. Comment s’assurer que l’organe de contrôle qui sera chargé de censurer les discours climatosceptiques saura faire la différence entre un propos climatosceptique et une critique de l’écologie politique ?

Le risque est de censurer des propos politiques en considérant qu’en partant du descriptif (la réalité scientifique du changement climatique d’origine anthropique et son impact sur les sociétés dans le court, moyen et long terme) on ne puisse tirer qu’une seule et unique conclusion normative (le discours politique de la décroissance).

On glisserait inévitablement de l’interdiction de contester des faits de nature scientifique à l’interdiction de contester leur interprétation politique et normative.

 

De la nécessité de ne pas faire de la question climatique un dogme mort

Un des arguments principaux invoqué par Mill pour défendre la liberté d’expression, c’est que sans elle, « quelque peu disposé qu’on soit à admettre la possibilité qu’une opinion à laquelle on est fortement attaché puisse être fausse, on devrait être touché par l’idée que, si vraie que soit cette opinion, on la considérera comme un dogme mort et non comme une vérité vivante, si on ne la remet pas entièrement, fréquemment, et hardiment en question ».

Si « celui qui ne connaît que ses propres arguments connaît mal sa cause », comment espérer lutter convenablement contre les discours climatosceptiques ? Sans possibilité de contester un savoir, ce dernier se transforme nécessairement en dogme mort. Pire, il perd de sa vitalité, tombe dans l’inertie, car plus personne ne prend la peine de le défendre en le confrontant à ses contradictions. C’est au contraire quand une « croyance lutte encore pour s’établir » qu’elle s’exprime avec tout son dynamisme et sa force.

Personne n’a intérêt à faire du changement climatique un dogme mort.

Plutôt que de vouloir les censurer, les écologistes devraient en fait remercier les climatosceptiques :

« S’il y a des gens pour contester une opinion reçue ou pour désirer le faire si la loi ou l’opinion publique le leur permet, il faut les en remercier, ouvrir nos esprits à leurs paroles et nous réjouir qu’il y en ait qui fassent pour nous ce que nous devrions prendre davantage la peine de faire, si tant est que la certitude ou la vitalité de nos convictions nous importe ».

 

Entre relativisme et consensus scientifique : un équilibre précaire

Mill défend enfin un dernier argument : les savoirs en conflit peuvent se partager la vérité.

Il faut ici ne pas comprendre à l’envers ce qu’a voulu exprimer le philosophe anglais. Ce n’est aucunement un relativisme épistémologique considérant que tout savoir a la même valeur.

La méthode scientifique, si elle n’a pas vocation à faire émerger la vérité métaphysique universelle, est un processus de découverte et de production de connaissances qui sont estimées comme étant le plus probablement vraies tant qu’aucune contestation scientifique ne soit venue les invalider.

Ainsi, Mill ne serait pas opposé au concept de « consensus scientifique », dont on rappelle à nouveau qu’il n’est pas un synonyme de « vérité métaphysique », mais désigne simplement l’état le plus avancé de la science à un moment donné, basé sur un accord général de la communauté scientifique. La théorie de l’évolution, ou la théorie de la gravitation universelle, sont deux exemples de consensus scientifiques. Cela ne signifie pas qu’ils ne pourront jamais être remis en cause un jour, mais que pour le moment, aucune contestation convaincante (c’est-à-dire vérifiée par les pairs) n’a été produite.

La science ne dit pas le vrai, elle n’offre que des fenêtres de vue pour appréhender le réel avec le plus de justesse possible.

Mill ne dit pas autre chose, et c’est pour cette raison qu’il écrit que « dans l’état actuel de l’esprit humain, seule la diversité donne une chance équitable à toutes les facettes de la vérité », et enfin que « les dissidents ont quelque chose de personnel à dire qui mérite d’être entendu, et que la vérité perdrait quelque chose à leur silence ».

Conclusion

Pour toutes ces raisons, la censure des idées dites climatosceptiques serait un désastre pour notre liberté d’expression, nos démocraties, mais aussi et surtout pour la cause de l’écologie politique.

On ne sauvera pas l’humanité des périls climatiques en réduisant les libertés collectives et individuelles. Il ne suffit pas de les protéger, il faut les cultiver et ainsi tirer profit de l’extraordinaire richesse de la singularité et de la diversité de chaque individu, seul moyen de sortir par le haut de la crise environnementale.

L’optimisme naïf n’est pas de fonder ses espoirs dans les vertus de la liberté, du progrès et de la science, mais plutôt de croire qu’un régime illibéral (dont les exemples d’échecs ne manquent pas…) pourrait, au prix de nombreux sacrifices, être une solution à la fois souhaitable, applicable et efficace.

Crédits : l’auteur Adam Tooze et l’université de Columbia contre les marchés

Une étude de chercheurs de l’université de Columbia, aux États-Unis, attire l’attention de la presse et de blogs au sujet de la finance.

Les chercheurs – d’une des universités les plus réputées du pays – offrent un compte rendu sur le fonctionnement du marché de crédits de court terme, les repos (pour Sale and Repurchase Agreement), une forme de prêt entre banques ou acteurs dans la finance.

Comme le résument les auteurs de l’étude, les régulateurs américains (législateurs, autorités de marché, et Réserve fédérale) travaillent sur une refonte des règles autour de l’émission de crédits entre groupes financiers.

En principe, les régulateurs veulent plus de stabilité du système face aux crises.

Les imprévus et chocs de marché – des krachs aux confinements – mettent de temps à autre en danger le règlement de transactions et le financement du gouvernement. En effet, les prêts de court terme fournissent les liquidités des intermédiaires à l’émission de dette du gouvernement – les agents du Trésor (primary brokers).

Les chercheurs, M. Menand et M. Younger, rappellent dans l’introduction de l’analyse :

« En 2008, la capacité des intermédiaires financiers à fournir des liquidités a connu des soucis en raison de la perte de confiance dans les prêts de court terme qui servent de monnaie (les prêts repo). Par la suite, des changements ont eu lieu dans le système, qui ont attribué un plus grand rôle aux traders à haute fréquence, et aux hedge funds – appelés les shadow dealers. Mais les liquidités générées par ces intermédiaires n’ont pas fait preuve de stabilité en 2020. »

En somme, en raison des crises de liquidités à deux reprises importantes depuis le début du siècle – lors du krach de 2008, et lors de la panique au printemps 2020 -, la banque centrale américaine (la Fed) sert à présent de garant de liquidités de court terme, les repos, en cas de resserrement des conditions de marché.

L’étude des chercheurs de Columbia pointe un accroissement du rôle du gouvernement et de la Fed à l’avenir, avec un nouveau système de contrôles et de garanties.

Ils expliquent :

« Les régulateurs et législateurs travaillent à présent sur une réforme du marché des obligations du Trésor, pour que la dette américaine reste l’actif le plus liquide au monde. »

La presse et les blogs américains sur la finance reprennent le refrain des chercheurs en faveur d’un plus grand rôle dévolu aux autorités dans les crédits de court terme, un mécanisme au cœur de la création d’argent.

Selon les auteurs du rapport, le marché de crédits de court terme fonctionne grâce à l’intervention, de temps à autre, de la banque centrale dans les marchés.

L’octroi de prêts de court terme, – qui permettent aux acteurs dans la finance de lever rapidement des fonds par la vente d’obligations en portefeuille – requiert ainsi des garanties de la part de la Fed, en cas de manque d’offre de prêts dans les repos.

 

Accroissement du rôle de la Fed au fil du temps

L’une des interventions de la Fed contre un manque de liquidités dans les repos remonte à des mois avant la panique sur le virus, en septembre 2019. Le marché des repos subit à ce moment-là un épisode de resserrement.

Le mystère plane encore de nos jours sur l’origine du problème. En principe, elle provient d’une convergence d’événements – une hausse de la tension sur les repos pour absorber les émissions du gouvernement américain sous M. Trump, et la demande de liquidités par les entreprises pour le règlement d’impôts. Néanmoins, l’échéance du paiement des impôts n’a pas mis fin à la crise.

Le graphique de la Fed montre une forte envolée, en septembre 2019, du taux sur les repos (courbe noire), bien au-dessus des objectifs de la Fed (bande grise).

Le rapport de la Fed au sujet de la crise explique :

« Lundi 16 septembre, le taux annualisé sur les repos atteint 2,43 points de pourcentage, soit 0,13 de plus que la veille […]. Le lendemain 17 septembre, les taux sur les repos a atteint plus de 5 points de pourcentage… »

La crise de septembre 2019 marque un tournant vers un changement de rôle à la Fed. Elle sert alors de garant de la liquidité du marché des repos, jusque-là de domaine du privé.

Des mois plus tard, en mars 2020, le choc des confinements autour du monde produit le même type d’événement.

À ce moment-là, les banques refusent de prêter de l’argent, y compris dans le marché du repo, en raison de la montée des risques de faillites et de crise de liquidités.

De nouveau, la Fed entre dans les marchés avec des lignes de crédit et de rachats d’obligations, une source de liquidités de court terme pour le marché.

En résultat, la banque centrale joue à présent un rôle de garant de liquidités de court terme dans le marché des repos.

L’analyse des chercheurs de Columbia défend les interventions de la Fed, et suggère un renforcement du rôle des autorités dans les fonctionnements de la création de crédit à l’intérieur du système.

 

Le wonk en faveur du gouvernement

Dans le jargon des auteurs d’articles et tribunes aux États-Unis, un wonk désigne un obsédé des détails et spécificités d’un domaine en particulier.

En général, il parle de sujets pour lesquels la majorité des lecteurs aura peu d’affinités, en raison de leur excès de précision et d’abstraction.

Un wonk évoque avec affection un savant trop préoccupé des détails pour traiter un sujet au niveau de compréhension du grand public.

Le sujet des taux du marché des repos et l’impact des interventions de la Fed font partie du monde des wonks.

Les auteurs et journalistes dans le domaine de la finance évoquent l’étude avec admiration.

Matt Levine, l’auteur d’une chronique quotidienne chez Bloomberg, conclut de l’étude :

« Les obligations du Trésor ne peuvent jamais être considérées comme des placements classiques de rendement. Elles ont besoin d’un marché liquide avec des acheteurs et des vendeurs. Ces intermédiaires vont avoir besoin de liquidités [qu’ils obtiennent via les repos], ce qui crée des risques, et la Fed va donc devoir offrir des garanties contre ces risques. »

De même, l’historien de marchés et auteur de best-sellers, Adam Tooze, fait l’éloge de l’étude sur son blog. En particulier, il rejette la possibilité d’un marché sans intervention de la Fed, et des autorités politiques. Il appelle à « refondre le marché le plus important au monde […] Tout le monde devrait lire Menard et Younger au sujet du marché des obligations du Trésor ».

Le rapport des chercheurs adopte en effet un point de vue en raccord avec les décisions d’interventions dans le passé, dont en 2008, par exemple.

Selon les auteurs :

La situation [en 2008] n’a été sauvée que grâce à une intervention dramatique par la Fed, qui s’est servie de son bilan pour absorber les ventes d’obligations, et réduire la fluctuation des prix. C’était exactement ce que l’ex-directeur de la Fed, de 1951 à 1970, William McChesney Martin, Jr., avait tenté d’éviter – une intervention directe de la banque centrale pour protéger le financement du gouvernement [en procurant des liquidités pour les vendeurs d’obligations du Trésor].

Selon les auteurs du rapport, le système d’aujourd’hui doit en partie son existence à une intervention de forte ampleur de la Réserve fédérale au cours de l’année 2020.

L’analyse soutient la mise en place d’une augmentation des règles et des garanties pour le marché des crédits de court terme, sous couvert d’un risque de gel des liquidités à l’avenir.

 

Le problème des interventions

La théorie en vogue chez les universitaires et la presse financière montre l’intérêt pour les marchés et le respect des transactions entre particuliers ou entreprises.

En effet, l’octroi de liquidités au marché requiert le travail, le savoir-faire, et les capitaux de quelqu’un. Selon la loi de l’offre et de la demande, il a un coût en proportion de la difficulté de la tâche. Par l’apport de liquidités sans coût, la Fed retire les incitations à l’effort chez les intermédiaires du crédit.

Dans un marché sans intervention, le manque de liquidités, comme lors du resserrement des repos en septembre 2019, envoie un signal aux marchés. Il montre un changement dans l’offre et la demande de liquidités.

De même, la coupure des centrales nucléaires, et la perte de stocks de gaz et de pétrole au cours des confinements ont mené à une pénurie d’énergies. En réaction à un manque d’offre par rapport à la demande, les prix partent à la hausse.

En réaction, les consommateurs d’énergies font des économies. La « destruction de la demande » dans le jargon des économistes, au travers de la fermeture d’usines et la réduction de la consommation des ménages, ramène le marché à l’équilibre. Elle entraîne une baisse des prix de marché.

De même, un resserrement des conditions d’octroi de crédit indique un manque de liquidités, et pousse les acteurs de la finance – dont les agents du Trésor américain – à davantage de retenue.

L’explosion des taux en réaction à une pénurie d’offre de crédits fait partie du fonctionnement d’un marché, tout comme un hausse du prix du gaz survient en réaction à une baisse des stocks à disposition.

 

Mise en cause du marché

L’auteur Adam Tooze, connu pour ses livres traitant de l’histoire des économies – dont Le Salaire de la destruction, au sujet de l’économie sous les nazis – résume les conclusions des chercheurs sur son blog.

Selon lui, les débuts de crise de liquidités en 2019 et 2020 prouvent la nécessité des interventions dans le marché.

Il explique :

Les remous du printemps 2020 ont pris une tournure alarmante et dangereuse. Votre point de vue sur le dénouement – la stabilisation directe aux mains des Fed – dépend de votre vision globale. En effet, vous devez vous rendre compte, d’un point de vue historique, que le système monétaire et fiscal actuel dépend d’une interaction profonde entre l’État et le système financier privé, dans laquelle la banque centrale sert de garant de dernier ressort.

Selon l’interprétation de l’auteur – et de la presse en général – le maintien d’un marché du crédit demande davantage de soutiens et garanties de la part des autorités, et davantage de restrictions sur l’activité des intermédiaires, dans le but d’empêcher un krach.

Le péril d’un effondrement du système financier – tout comme les craintes sur le climat, par exemple – crée le prétexte à un accroissement du pouvoir entre les mains des dirigeants.

La critique des marchés par les chercheurs à l’origine de l’étude, et de l’auteur Adam Tooze, repose sur une méfiance envers les choix des particuliers dans le domaine de l’octroi de crédits et de la gestion du risque. Elle suppose un bienfait de la gestion par les représentants du gouvernement, à la place des acteurs de marché.

Les individus en quête de profits font des erreurs et courent un excès de risques, selon la théorie. Le manque de prudence crée des gels de liquidités, comme en septembre 2019 et en mars 2020.

À l’inverse, les dirigeants ont une préoccupation pour le bien-être de tous, disent-ils. Ils font alors contrepoids aux excès et erreurs des particuliers ou des sociétés de finance (hedge funds, banques, ou assureurs).

Avec le contrôle de la planche à billets, ils offrent des sauvetages de dernier recours, au coût d’une dévaluation de la monnaie. Ils imposent des règles contre les débordements du système.

En somme, le point de vue des chercheurs, de l’auteur Adam Tooze, et de la presse en général, remet en cause l’intérêt d’un système de marché. Ils imaginent des bureaucrates, plus sages que les acteurs du marché, avec la capacité d’améliorer la gestion de risque, et l’équilibre entre l’offre et la demande de crédits.

 

Avantages du marché sur la centralisation

En réalité, le marché a l’avantage sur la prise de décision par une poignée de dirigeants.

Voyez, les crises – dont une perte soudaine de liquidités – font partie du fonctionnement d’un marché. Sans la nécessité des interventions des dirigeants, elles permettent l’éradication des risques, et éliminent les erreurs via les faillites d’investisseurs ou de sociétés.

L’avantage d’un système de marché provient de la neutralité vis-à-vis des calculs des politiciens, ou du point de vue de la presse et de l’électorat en général (qui n’a pas de connaissance sur le sujet). Il attribue les récompenses et capitaux en fonction de l’efficacité des intervenants, et non en raison des préférences de ministres et fonctionnaires.

Comme le dit M. Tooze, le marché des crédits de court terme est peut-être « le marché le plus important au monde ».

En effet, les marchés du crédit touchent des millions de participants, entre les particuliers en quête d’un prêt, les entreprises en besoin de financements, ou les investisseurs à la recherche de rendement.

Les décisions de millions d’individus, en réaction aux signaux de prix dans le marché, mènent à une distribution des ressources au mieux pour l’ensemble. Une hausse du taux d’intérêt sur les repos pousse les intermédiaires à réduire le rythme de recours à la dette de court terme.

Elle incite à l’abaissement des dépenses et du financement de la dette du gouvernement dans l’immédiat. Par contre, la réaction de la Fed retire le signal des prix. Elle crée l’illusion d’une abondance de capitaux, et incite à plus de création d’argent.

Une organisation des ressources selon l’avis d’une poignée – voire de plusieurs dizaines de milliers – de bureaucrates et de chercheurs n’a pas d’avantages par rapport à un système de marché.

Au contraire, elle élimine les bienfaits de la prise de décision par les millions d’acteurs dans l’économie, selon leurs propres jugements.

En conséquence, les personnes à l’origine d’un excès de risque, ou d’une inefficacité de marché, ne font pas faillite, et ne quittent pas la scène.

Elles conservent même des postes, et la capacité de créer plus de gâchis !

Les auteurs de l’étude, par contre, préfèrent la centralisation.

Ils écrivent :

Le financement du gouvernement américain est depuis longtemps emmêlé avec le fonctionnement du système monétaire, si bien que la liquidité dans les obligations du Trésor dérive, en grande partie, d’interventions politiques. En d’autres termes, la liquidité du marché de la dette publique ne survient pas de façon naturelle, à la suite de l’action du secteur privé. Elle provient des efforts des agents du gouvernement.

Le célèbre auteur Adam Tooze reprend, sur son blog, le point de vue des chercheurs. Il écrit :

« Vous pouvez raisonnablement demander un système de crédit bancaire dans lequel la banque centrale joue un rôle de garant encore plus transparent. Vous pouvez aussi raisonnablement préférer une nouvelle version du partenariat public-privé dans le système bancaire, avec de nouvelles règles, de nouveaux participants, et de nouveaux garants. Par contre cette fabuleuse analyse de M. Menand et M. Younger montre qu’il est pure fantaisie d’imaginer un système monétaire et fiscal basé sur une séparation de l’État et des marchés, avec un marché de capitaux libre et un système de création de crédit privatisé. »

En fait, le marché arrive à plus d’efficacité dans l’usage des ressources que les autorités.

En effet, il ne cède pas aux besoins en financements du gouvernement. Il ne plie pas devant la popularité – auprès de la presse, du gouvernement, et de l’électorat – de crédits à taux proches de 0 %.

Il gère les ressources selon la réalité de l’offre et de la demande, et du mérite de l’usage des capitaux par chacun.

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L’Europe à la traîne dans la course mondiale à l’IA

Il ne faut « pas sous-estimer les menaces très réelles » de l’intelligence artificielle a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen allant jusqu’à évoquer un « risque d’extinction » de l’humanité… Or si l’IA présente des défis, elle offre également d’énormes opportunités pour la société et l’économie.

 

L’Europe qui criait au loup

La représentation de l’intelligence artificielle (IA) dans les films, et la crainte qu’elle puisse un jour remplacer l’espèce humaine est un thème récurrent dans la science-fiction.

Cependant, il est important de se rappeler que ces scénarios sont généralement basés sur des conjectures et des spéculations dramatiques pour créer du suspense et de l’intrigue.

Dans la réalité, la possibilité que l’IA remplace complètement l’espèce humaine est hautement improbable, et relève davantage de la fiction que de la réalité comme le relève la scientifique Aurélie Jean. Les technologies évoluent, mais les valeurs, la créativité et la complexité humaines restent irremplaçables. Il faut également noter que la plupart des experts en IA et des organisations travaillent déjà à développer des normes éthiques et des mécanismes de contrôle pour garantir que l’IA soit utilisée de manière responsable et bénéfique pour la société.

 

À quand une approche équilibrée ?

Une vision alarmiste pourrait continuer d’entraver le développement et l’adoption de l’IA en Europe.

Or, les investissements dans la recherche et le développement en IA en Europe sont déjà inférieurs à ceux effectués aux États-Unis et en Chine. Les géants technologiques américains et chinois ont consacré d’énormes sommes d’argent à l’IA, ce qui leur a permis de prendre une longueur d’avance. Car contrairement aux États-Unis, qui abritent des géants technologiques tels que Google, Facebook et Amazon, et à la Chine, où des entreprises comme Alibaba et Tencent sont dominantes, l’Europe n’a pas produit de grandes entreprises technologiques leaders mondiales dans le domaine de l’IA. Et ce n’est pas du côté d’ATOS dirigé un temps par Thierry Breton, l’actuel Commissaire Européen (notamment chargé du numérique) qu’il faudra espérer des progrès.

 

Le retard considérable de l’Europe 

L’Union européenne privilégie résolument une approche normative en matière numérique, ce qui n’est pas sans poser de nouveaux risques économiques et démocratiques.

L’objectif de la régulation numérique poursuivie par l’Union européenne est d’encadrer les pratiques des technologies numériques afin de promouvoir une société ouverte et démocratique permettant de protéger le citoyen et le consommateur européen.

Or, pour créer des IA, il faut à fois de la puissance de calcul, c’est une question d’argent, l’accès à des talents, c’est une question d’éducation, et des données pour l’entraînement des algorithmes, c’est notamment la question du RGPD. Lorsque les entreprises sont soumises à des réglementations strictes et à des contrôles excessifs, elles sont moins incitées à innover.

À la fin, sans maîtrise de la technologie, cette règlementation toujours plus poussée pourrait aussi être vouée à nous rendre plus dépendants.

 

 L’Europe doit rester compétitive ! 

« Le pire scénario, ce serait que l’Europe investisse beaucoup moins que les Américains et les Chinois, mais commence par créer de la régulation » déclarait Emmanuel Macron le 15 juin lors du salon Vivatech de Paris.

Ce scénario est pourtant en train de se concrétiser.

Certes, la réglementation est nécessaire pour garantir la sécurité et l’éthique de l’IA, mais l’Europe a déjà beaucoup de normes. Les réglementations excessivement strictes en Europe ont déjà pu freiner l’innovation et le développement de l’IA par rapport à des pays comme les États-Unis, où l’approche est souvent moins contraignante sur la base de principes plutôt que de règles spécifiques pour chaque situation.

En se concentrant sur les risques immédiats, l’Europe risque surtout de manquer de précieuses opportunités de développement technologique, d’innovation et de leadership mondial dans le domaine de l’IA.

 

Garantir un avenir prospère pour l’Europe dans l’ère de l’IA

Les gouvernements, les entreprises et les universités doivent aussi collaborer étroitement pour stimuler l’innovation en IA.

Cela inclut le financement de projets de recherche de pointe, la formation de chercheurs et la création de centres d’excellence en IA. Les systèmes d’IA représentent d’énormes opportunités en permettant d’analyser des grandes quantités de données pour prévoir des tendances, prendre des décisions basées sur ces données en temps réel, et optimiser les processus.

En matière de santé, l’IA peut par exemple être utilisée pour diagnostiquer des maladies, personnaliser les traitements médicaux, surveiller les patients à distance et aider les professionnels de la santé à prendre des décisions plus éclairées.

En matière d’éducation, l’IA pourrait également permettre d’améliorer l’apprentissage en fournissant des contenus éducatifs personnalisés.

 

Investir dans la formation aujourd’hui

Maîtriser l’IA revient déjà à pouvoir dicter sa norme, et, par extension, sa vision du monde.

Au lieu de s’épuiser à ré-inventer des principes qui existent déjà, et qui ne seront pas forcément opérants sans la maitrise des technologies, une sensibilisation massive des politiques comme du grand public est indispensable. Il est urgent de démystifier l’IA et nous permettre collectivement d’appréhender les enjeux de cette discipline. Il faut également investir massivement dans la formation pour augmenter le volume d’ingénieurs et de chercheurs en IA diplômés dans nos grandes écoles et universités.

Bref, il est temps d’appeler l’Europe à l’action pour que les Européens embrassent l’IA comme une opportunité économique plutôt que de nourrir la crainte d’une nouvelle menace existentielle.

Weekend de la Liberté 2023 : comme un phare dans la nuit

Liberté économique, liberté politique, du 10 au 12 novembre 2023, hôtel Sourcéo, Saint-Paul-Lès-Dax

« L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » Frédéric BastiatL’État (1848)

En 2022, le Cercle Frédéric Bastiat organisait son onzième Weekend de la Liberté, dont le thème était « Rendez-nous la Liberté ».

Malheureusement, en ce qui concerne nos libertés, liberté économique, liberté politique, liberté d’expression, liberté de déplacement, etc., en un an les choses sont allées de mal en pis.

Dès lors, l’utilité d’un nouveau Weekend de la liberté s’imposait comme un phare dans la nuit. Son thème, « Liberté économique, liberté politique », allait de lui-même.

Le douzième Weekend de la liberté se déroulera du vendredi 10 novembre au déjeuner au dimanche 12 novembre au déjeuner à l’hôtel Sourcéo de Saint-Paul-lès-Dax.

 

Un lieu de culture, de découverte

Son thème est suffisamment ouvert pour permettre d’aborder des sujets très différents.

Toute personne curieuse, qui souhaite sortir du prêt à penser dont on nous rebat les oreilles quotidiennement, trouvera son bonheur lors du Weekend de la liberté. Elle pourra sortir de la pensée unique, des doxas, en écoutant des orateurs qui raisonnent différemment du politiquement correct.

Seront traités : l’économie, l’industrie, l’entreprise, le profit, le libre échange, le commerce, la démocratie, la politique, la monnaie, le bitcoin, l’enseignement, la protection sociale, l’internet, la liberté, le libéralisme, la France.

Le but est de faire réfléchir les participants sur ce qui se passe en France ; de leur ouvrir les yeux sur les causes de sa décadence ; de les éclairer sur la manière dont les difficultés peuvent être résolues, les défis relevés ; de leur faire connaître des arguments et des faits souvent ignorés du grand public.

Tout n’a pas été essayé et les solutions existent, ailleurs que dans réglementer encore et encore, contraindre encore et encore, taxer encore et encore.

Les conférenciers invités par le Cercle sont de qualité, maîtrisent leur sujet, et sont libres de s’exprimer.

Cette année, venez écouter : Finn Andreen, Kevin Brooks, Patrick de Casanove, Jean-Philippe Delsol, Renaud Fillieule, Stéphane Geyres, Vincent Ginocchio, Claude Goudron, Lisa Kamen-Hirsig. Olivier Méresse, Serge Schweitzer, Damien Theillier.

 

Le temps de la réflexion

À l’heure de l’intelligence artificielle, de ChatGPT, qui sont comme la « langue » d’Esope, le Cercle Frédéric Bastiat s’appuie sur de véritables réflexions et recherches, « fruits du travail des Hommes ».

Dans un monde qui va très vite, où les gens « zappent, où ce qui compte est de « faire le buzz », le Weekend de la liberté offre le temps de la réflexion. Les conférences durent 45 minutes, tout comme le débat qui suit. Ainsi chacun, conférencier comme membre du public, a le temps de développer ses arguments, sa pensée et d’approfondir ses connaissances. Les questions de la salle sont libres. Il faut simplement respecter les règles de la courtoisie et de la politesse.

Pendant le Weekend de la liberté se déroule une foire aux livres. Les conférenciers y dédicacent leurs livres. Les auteurs, les éditeurs, les associations, les groupes qui souhaitent découvrir le libéralisme, rencontrer des libéraux et se faire connaître peuvent venir. Un stand est mis à leur disposition sans supplément. Ils bénéficient d’une courte prise de parole pour présenter leur ouvrage, ou association. Il n’y a pas de supplément à payer. Il suffit de s’inscrire au congrès.

 

Un havre de paix

Chacun peut le constater, chaque jour la liberté d’expression est battue en brèche. Les débats n’existent plus. Ils sont remplacés par des insultes ad hominem, par des sentences d’exclusion qui se veulent définitives.

Face à cette violence, le Weekend de la Liberté est un havre de paix. C’est un espace d’échanges, un lieu de discussions apaisées où chacun respecte l’opinion de l’autre et le laisse parler. Lors d’un Weekend de la liberté tous les courants de pensée peuvent s’exprimer. Il n’y a pas d’anathèmes, pas d’excommunication, pas de fatwas, pas d’injures, mais un vrai débat de fond, argument contre argument. Si l’émotionnel n’est jamais absent, il n’envahit pas le dialogue qui reste rationnel. Il n’obscurcit pas le jugement.

Les événements en « présentiel » se font rares. Or, dans la société humaine, le contact direct entre les personnes est un ciment. Sans rencontre, sans échange direct il n’y a plus d’humanité. C’est pourquoi, à l’heure des visioconférences et des téléconsultations, le Cercle Frédéric Bastiat privilégie ces face-à- face, sans masques.

Les conférenciers ont des forces et des faiblesses, la rencontre d’un intervenant avec son public est irremplaçable. Rien ne vaut la chaleur humaine.

Cet événement permet de nouer des relations suivies et fructueuses. Le but est de prendre conscience d’un intérêt commun, d’un « bien commun », et de la possibilité d’unir les forces pour triompher de l’obscurantisme totalitaire.

L’ambiance est conviviale et le lieu, l’hôtel Sourcéo de Saint-Paul-lès-Dax, est agréable et très bien équipé pour le bien-être. C’est très appréciable en ces temps de stress et d’angoisse !

 

Indépendant

Le Cercle Frédéric Bastiat ne soutient aucun candidat, ni aucun parti politique.

Ce n’est pas difficile, aucun n’est libéral. Mais il n’est pas apolitique, ces idées sont politiques parce qu’en France, où l’État se mêle de tout, tout est politique. Il est indépendant et libre. Les idées de Frédéric Bastiat, et ses préconisations, sont subversives dans le contexte actuel de soumission à des dogmes. Ces idées et préconisations sont libres de droits, et peuvent être reprises par n’importe quel parti politique qui aimerait suffisamment la France pour vouloir la sortir de la spirale infernale de la déchéance économique, politique et sociale.

L’essentiel peut se résumer ainsi : libre choix, libre échange, responsabilité personnelle, État limité à ses fonctions régaliennes, sécurité et justice au service de la défense des Droits naturels « Personnalité, Liberté, Propriété ».

Soucieux de sa liberté et de son indépendance, le Cercle Frédéric Bastiat ne reçoit aucune subvention publique. Il vit de ses adhésions et dons, ce qui augmente le niveau d’exigence. Pour durer, le Cercle doit être performant et fiable.

Il existe depuis trente ans. Il possède le calme des vieilles troupes et leur assurance tranquille dans un monde qui se déglingue et qui a perdu ses repères.

Inscrivez-vous nombreux, n’hésitez pas à faire un don, pour que la lumière de la liberté ne s’éteigne pas.

 

Programme WEL12

Du vendredi 10 novembre 2023 à 12 heures au dimanche 12 novembre 2023 à 12 h 30

Hôtel Sourcéo à Saint-Paul-Lès-Dax

« Liberté économique, liberté politique »

Avec le concours de : (par ordre alphabétique)

L’ALEPS, Contrepoints, l’Institut Coppet, l’IREF.

Vendredi 10 novembre :

12 h : Déjeuner

13 h 30 : Conférence « Pourquoi la fausse monnaie des banques centrales nous rend esclaves », par Damien Theillier

15 h : Pause café, Foire au Livre

16 h : Conférence « Monnaie saine et production d’énergie », par Vincent Ginocchio

17 h 30 : Pause, Foire au Livre

18 h : Conférence « Libre-arbitre et bien commun », par Jean-Philippe Delsol

19 h 30 : Apéritif d’accueil

20 h : Dîner

21 h : Dîner débat « Découper la liberté c’est la perdre », par Stéphane Geyres

Samedi 11 novembre :

9 h : Conférence « Libéralisme, pourquoi tant de haine », par Serge Schweitzer

10 h 30 : Pause café, Foire au Livre

11 h : Conférence « La liberté politique, parmi tant de définitions de liberté », par Finn Andreen

12 h 30 : Pause café, Foire au Livre

13 h : Déjeuner

14 h : Conférence : « La liberté économique, condition de la liberté éducative », par Lisa Kamen-Hirsig

15 h 30 : Pause café, Foire au Livre

16 h : Conférence « Les entreprises privées portent et incarnent des visions du monde concurrentes », par Olivier Méresse

17 h 30 : Communication « Le point de vue de l’entreprise » par Claude Goudron

18 h : Pause café, Foire au Livre

19 h 30 : Apéritif d’accueil

20 h : Dîner

21 h : Dîner débat « Pourquoi nous avons besoin de liberté économique », par Kevin Brooks

Dimanche 12 novembre

9 h : Conférence « Théorie et justification du profit dans un régime de liberté économique », par Renaud Fillieule

10 h 30 : Pause café, Foire au Livre

11 h : Conférence « Liberté politique, liberté économique, un désastre français », par Patrick de Casanove, président du Cercle Frédéric Bastiat

12 h 30 : Déjeuner de clôture

 

À la manœuvre :

Organisateur : Cercle Frédéric Bastiat

Modérateurs : Patrick de Casanove, Damien Theillier

Vidéo : LG Stratégie

Réseaux sociaux, web : Marc Lassort, LG Stratégie

L’hébergement est laissé au libre choix de chacun. Ceux qui veulent réserver une chambre à l’hôtel Sourcéo (chambre single avec petit-déjeuner 70 euros, chambre double avec petit-déjeuner 90 euros) doivent s’adresser exclusivement à M. Pascal Manzocco par mail ou par téléphone : 05 58 90 66 99

 

Quelques citations de Frédéric Bastiat, pour illustrer cette présentation :

« L’échange est un droit naturel comme la Propriété. Tout citoyen qui a créé ou acquis un produit, doit avoir l’option ou de l’appliquer immédiatement à son usage, ou de le céder à quiconque, sur la surface du globe, consent à lui donner en échange l’objet de ses désirs. Le priver de cette faculté, quand il n’en fait aucun usage contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, et uniquement pour satisfaire la convenance d’un autre citoyen, c’est légitimer une spoliation, c’est blesser la loi de justice. » Association pour la liberté des échanges (1846)

« Existence, Facultés, Assimilation — en d’autres termes, Personnalité, Liberté, Propriété, — voilà l’homme. » La Loi (1848)

« Si les socialistes veulent dire que, pour des circonstances extraordinaires, pour des cas urgents, l’État doit préparer quelques ressources, secourir certaines infortunes, ménager certaines transitions, mon Dieu, nous serons d’accord ; cela s’est fait ; nous désirons que cela se fasse mieux. Il est cependant un point, dans cette voie, qu’il ne faut pas dépasser ; c’est celui où la prévoyance gouvernementale viendrait anéantir la prévoyance individuelle en s’y substituant. Il est de toute évidence que la charité organisée ferait, en ce cas, beaucoup plus de mal permanent que de bien passager. » Justice et fraternité (1848)

« C’est ce qui est arrivé. La chimère du jour est d’enrichir toutes les classes aux dépens les unes des autres ; c’est de généraliser la Spoliation sous prétexte de l’organiser. Or, la spoliation légale peut s’exercer d’une multitude infinie de manières ; de là une multitude infinie de plans d’organisation : tarifs, protection, primes, subventions, encouragements, impôt progressif, instruction gratuite, Droit au travail, Droit au profit, Droit au salaire, Droit à l’assistance, Droit aux instruments de travail, gratuité du crédit, etc. Et c’est l’ensemble de tous ces plans, en ce qu’ils ont de commun, la spoliation légale, qui prend le nom de Socialisme. » La Loi (1850)

« Absence de Spoliation, — c’est le principe de justice, de paix, d’ordre, de stabilité, de conciliation, de bon sens que je proclamerai de toute la force, hélas ! bien insuffisante, de mes poumons, jusqu’à mon dernier souffle. » La Loi (1850)

Revendre l’essence « à perte » : les incohérences de l’interventionnisme français

Pour répondre aux inquiétudes des consommateurs, le gouvernement a décidé d’autoriser temporairement la grande distribution à revendre l’essence « à perte ».

Autrement dit, à commercialiser les carburants à un prix inférieur à ce qu’ils lui ont coûté 1.

La mesure est loin d’avoir suscité l’enthousiasme, faisant même l’objet de vives critiques. Elle a même été poliment écartée par les distributeurs ! Les polémiques qui l’accompagnent, autant que le contexte qui l’entoure, sont révélateurs des incohérences politiques françaises, et de la façon dont la concurrence est perçue dans notre pays.

 

Première incohérence : conciliation entre concurrence et pouvoir d’achat

Les oppositions, notamment la droite qui tente pourtant de faire croire qu’elle n’est pas hostile à l’économie de marché, se sont indignées dans un renversement d’argumentation qui révèle soit une forme d’inconsistance idéologique, soit un esprit de contradiction obsessionnelle. « Comment le gouvernement ose-t-il promouvoir ainsi la concurrence ? », clament-elles.

La revente à perte bénéficie au consommateur. Elle correspond à un choix assumé du vendeur de perdre de l’argent sur un produit, en le vendant à un prix cassé. Évidemment, cela correspond à une stratégie commerciale : le produit vendu à un prix négatif est ainsi subventionné par le distributeur et sert de « produit d’appel ». Autrement dit, le commerçant brade un produit dans l’espoir d’attirer les consommateurs, et que ceux-ci réalisent d’autres achats dans son point de vente. Ce n’est pas au législateur de décider si cette promotion est saine ou non, mais aux consommateurs.

De belles âmes s’inquiètent car il s’agirait d’une forme de dumping commercial. La critique est difficilement compréhensible, car le dumping correspond à une pratique financée par l’argent public : elle se réalise lorsqu’un État subventionne ses producteurs afin qu’ils puissent baisser artificiellement leurs prix.

Dans le cas de la revente à perte, il n’en est rien : le commerçant baisse les prix de façon offensive, mais cela n’a rien de fictif puisqu’il réalise une perte qui n’est compensée que par les ventes qu’il espère réaliser sur d’autres produits. C’est donc un pari commercial. S’il se trompe, il en assumera seul les conséquences, en perdant de l’argent. Là aussi, le politique n’a pas à se substituer au distributeur pour déterminer sa stratégie commerciale.

 

Deuxième incohérence : conciliation entre transition environnementale et pouvoir d’achat

La faille dans l’annonce du gouvernement est qu’elle a eu lieu le jour même où il présentait un nouveau « bonus écologique »…

Cette concomitance révèle à tout le moins une grande inconsistance, voire un pilotage à courte vue, plutôt que le déploiement d’une vision stratégique forte et cohérente. Sinon, comment expliquer ces choix distants de quelques heures seulement visant d’une part à encourager le recours aux véhicules émetteurs de carbone (via la baisse du prix de l’essence) et d’autre part, à promouvoir des moyens de transport dont on se félicite qu’ils sont « propres » ? Est-il possible d’être plus contradictoire, favorisant d’un côté ce contre quoi on prétend lutter de l’autre ?

Cette confusion brouillonne illustre que les responsables politiques n’ont toujours pas trouvé la façon d’assumer et de faire accepter que la transition environnementale est coûteuse, potentiellement douloureuse, et le sera encore plus.

 

Troisième incohérence : conciliation entre concurrence et stabilité parfaite des acteurs sur le marché

Si la revente à perte est interdite en droit français, c’est afin de protéger le petit commerce.
Le législateur a souhaité préserver des magasins de centre-ville, craignant qu’ils ne disparaissent, emportés par une concurrence trop offensive des grandes surfaces. Le choix n’est pas illégitime, et il appartient au politique de conjuguer des intérêts divergents.

Cela étant, alors même qu’il annonçait l’autorisation temporaire de revente à perte des carburants par les grandes surfaces, le gouvernement a également fait savoir qu’il distribuerait des aides aux petits distributeurs d’essence, afin de compenser la mesure. En somme, l’État promeut la concurrence et mobilise « en même temps » des ressources publiques pour effacer les effets compétitifs de la politique qu’il promeut ! « Nonsense », comme disent les Anglais.

Certains répondent qu’outre la préoccupation de soutien au tissu commercial local, ces mesures compensatoires pourraient se justifier par le maintien d’une concurrence effective : en subventionnant les petits distributeurs, le gouvernement assure qu’une concurrence sera préservée. De cette façon, l’État empêcherait que les offreurs diminuent les prix suffisamment longtemps pour tuer leurs concurrents, avant de les remonter une fois qu’ils seront en monopole.

Outre que cette vision de la concurrence fondée sur la seule atomisation du marché (au demeurant asymétrique) peut largement être contestée, l’argument semble faible.

D’abord, la pratique d’ajustement tactique des prix n’est pas parfaitement évidente à mettre en œuvre, ni courante en réalité.

Ensuite, elle n’est pas tenable si le marché est vraiment concurrentiel ; autrement dit, dès lors que l’offreur réaugmentera ses prix, il devrait être confronté à de nouveaux entrants ou des concurrents qui reviendront sur le marché pour profiter de l’opportunité ouverte par l’inflation artificielle.

Gary Becker, prix Nobel d’économie cité par Thomas Sowell dans son excellent Basic economics écrivait ainsi, de façon catégorique : « je ne connais pas de cas documenté de prix prédateurs ».

 

Quatrième incohérence : volontarisme politique d’un côté et défaut de responsabilité de l’autre

L’annonce du gouvernement n’a pas suscité d’enthousiasme démesuré de la part des distributeurs.

On les comprend : sa proposition embarrasse ceux qui se retrouvent aujourd’hui contraints de baisser les prix sous la pression, sans que cela ne corresponde à une stratégie anticipée. Et ils devront surtout assumer seuls de les remonter lorsque l’exception de vente à perte arrivera à son terme.

Le gouvernement aura alors beau jeu de s’étonner de ce retour à des prix plus élevés…

 

Dernière incohérence : conciliation entre saine gestion des ressources publiques et réflexe interventionniste

L’annonce de la possibilité temporaire de pratiquer la revente à perte montre, bien sûr, que l’État arrive chaque jour un peu plus au bout des solutions qu’il peut proposer lui-même.

La bise est venue, et il se trouve fort dépourvu, privé d’un recours facile à l’argent public qu’il ne trouve plus en dépit de sa créativité fiscale tous azimuts.

Pourquoi alors, annoncer le même jour des subventions aux petits distributeurs en compensation de la mesure ? Par quelle incohérence absurde arrive-t-on à mobiliser l’argent public pour résoudre les problèmes qu’on a soi-même créés le matin ?

Décidément, le chemin est long…

  1. En réalité, le droit parle de prix effectif défini ainsi (attention, bienvenue dans le monde merveilleux de la simplification administrative 🙂 : « Le prix d’achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport. Le prix d’achat effectif ainsi défini est affecté d’un coefficient de 0,9 pour les grossistes. »

Contre l’étatisme, la solution ne peut qu’être libérale !

« Liberté économique, liberté politique » est le thème choisi pour le douzième Weekend de la Liberté. Ce thème s’imposait au vu de la dégradation progressive des libertés dans notre pays.

Il est impératif d’interrompre cette spirale infernale.

 

La base de l’harmonie sociale ce sont les droits naturels

« Personnalité, Liberté, Propriété, — voilà l’homme. » La loi (1848).

Oublier que les droits naturels sont consubstantiels de l’Homme chosifie les individus. C’est ce qui se passe. Le politicien les considère comme des rouages interchangeables de la mécanique sociale, dont seul il possède une vision d’ensemble, éclairée, pertinente et… le mode d’emploi. À défaut de rouage interchangeable, il les considère comme du bétail dont il est le gardien. En foi de quoi il empêche les gens d’accomplir leur projet de vie en y substituant le sien, c’est-à-dire en leur imposant ce qu’il a décidé être bien pour eux. Cela ne peut se faire que par la contrainte.

Le mauvais départ dont nous subissons encore les conséquences a eu lieu en 1945 quand les étatistes, gaullistes et communistes, s’emparèrent du pouvoir en France et mirent le pays sur la voie du collectivisme totalitaire en tournant le dos aux droits naturels individuels universels. La prospérité des Trente glorieuses fit que cela passa inaperçu.

La situation s’est dégradée lors du choc pétrolier de 1973. Les politiciens ne saisirent pas l’opportunité d’une remise à plat du système. Tous ceux qui se sont succédé en France depuis 1974 ont continué à sacrifier les droits naturels individuels universels. Ce faisant, ils ont poursuivi avec ténacité la destruction du pays.

Georges Pompidou, décédé en 1974, aura été le dernier politicien à ne pas vouloir « emmerder les Français ».

C’était en 1966. Pompidou était Premier ministre. Un soir, un de ses collaborateurs lui présente, comme d’habitude, une pile de décrets à signer. Pompidou s’écrie : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français : Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays. On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira beaucoup mieux. »

Cette anecdote est citée par Thierry Desjardin dans son livre Arrêtez d’emmerder les Français. Comme quoi, il n’y a pas que Bastiat et les libéraux qui le réclament.

Tout le contraire de Macron : « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ». Cette fois il s’agissait des non-vaccinés, mais de nombreuses catégories sociales ont été victimes de « lemmerdeur. »

1974 est la dernière année où le budget français a été équilibré.

 

Les politiciens sont adeptes de la spoliation légale

Il est peu probable que ceux qui ont plongé la France dans la situation dramatique qui est la sienne puissent l’en sortir.

Il ne faut pas se faire d’illusion sur les partis qui n’ont jamais gouverné. Leur politique n’est différente de celle des partis qui ont gouverné, ou qui gouvernent, que par la position du curseur de la spoliation légale. La vérité est qu’aucun parti ne la remet en cause. Tous sont étatistes, « socialistes », dirait Bastiat.

Il est illusoire d’attendre des effets différents de mesures identiques ou de la même veine, que celles qui ont été prises depuis plusieurs dizaines d’années, et qui ont conduit le pays dans le triste état que nous lui connaissons aujourd’hui.

Le seul effet véritable de ces politiques de spoliation légale est que la France se tiers-mondise et la misère s’y étend fort logiquement. Dans les années 1960 la différence était faite entre les pays industrialisés, riches, et les pays du tiers monde, pauvres.

Aujourd’hui, la France n’est plus un pays industrialisé.

La pénurie et la disette sont partout. Pénurie dans le système de santé, pénurie de logements, des enfants dorment désormais dans la rue, pénurie de travail, pénurie de ressources énergétiques, pénurie d’industries, pénuries de ressources agricoles, pénuries de ressources financières pour les ménages (perte de pouvoir d’achat) et le pays.

La liste n’est hélas pas exhaustive.

Dans Harmonies économiques, chapitre IV, Échange, (1850) Bastiat écrit :

L’homme a d’autant plus de chances de prospérer qu’il est dans un milieu plus prospère.

Ce qui veut dire que moins le milieu est prospère, plus la misère augmente. C’est ce à quoi nous assistons.

À partir de là il est clair qu’il ne peut exister de décroissance sans accroissement de la misère.

Bastiat ajoute : « Le bien de chacun favorise le bien de tous, comme le bien de tous favorise le bien de chacun », ce qui s’oppose à « Ce qu’un gagne, un autre le perd », sentence chère aux spoliateurs légaux. Pour eux, l’économie serait donc un jeu à somme nulle. La taille du gâteau n’augmenterait pas, il faudrait donc en réduire arbitrairement les parts par la coercition étatique. Au final, les parts de plus en plus petites seront insuffisantes. C’est ce qui se passe aujourd’hui où les classes moyennes se paupérisent, et où les classes pauvres crèvent la faim. Sans vergogne et dans leur logique, certains étatistes proposent décroissance et dépopulation, pour que les parts des survivants soient un peu moins petites.

Pour Bastiat tout ceci ne tient pas la route :

« La vraie puissance de l’échange. Ce n’est pas […] qu’il implique deux gains, parce que chacune des parties contractantes estime plus ce qu’elle reçoit que ce qu’elle donne. Ce n’est pas non plus que chacune d’elle cède du superflu pour acquérir du nécessaire. C’est tout simplement que, lorsqu’un homme dit à un autre: « Ne fais que ceci, je ne ferai que cela, et nous partagerons, » il y a meilleur emploi du travail, des facultés, des agents naturels, des capitaux, et, par conséquent, il y a plus à partager. »

L’Homme est créateur. La taille du gâteau augmente sans cesse, les parts sont de plus en plus grandes, pour le bien de tous. Il suffit de constater quelles sont nos conditions de vies, et de les comparer à celles de nos parents, grand-parents, ou ascendants plus lointains.

La spoliation légale consomme une quantité phénoménale d’énergies et de ressources (matérielles et humaines). C’est du mal investissement, du gaspillage.

« D’un autre côté, une somme vraiment incalculable de forces intellectuelles se perd à la poursuite d’organisations sociales factices. Prendre aux uns pour donner aux autres, violer la liberté et la propriété, c’est un but fort simple ; mais les procédés peuvent varier à l’infini. De là ces multitudes de systèmes qui jettent l’effroi dans toutes les classes de travailleurs, puisque, par la nature même de leur but, ils menacent tous les intérêts. » Harmonies économiques, chapitre IV, Échange (1850).

La spoliation légale engendre un cercle vicieux.

 

Totalitaires par essence 

Les politiciens adeptes de la spoliation légale ne proposent aux Français que les mêmes solutions : réglementer et taxer, acheter des voix, et favoriser le capitalisme de connivence.

Si leur politique ne marche pas ce n’est pas qu’elle est mauvaise, c’est qu’elle ne va pas assez loin dans l’étatisme.

Par conséquent, l’État se mêle de plus en plus de tout, au détriment de la vie privée des gens.

Ce système est donc totalitaire par essence.

Lisons Bastiat :

« Le pouvoir, vaste corps organisé et vivant, tend naturellement à s’agrandir. Il se trouve à l’étroit dans sa mission de surveillance. Or, il n’y a pas pour lui d’agrandissement possible en dehors d’empiétements successifs sur le domaine des facultés individuelles. Extension du pouvoir, cela signifie usurpation de quelque mode d’activité privée, transgression de la limite que je posais tout à l’heure entre ce qui est et ce qui n’est pas son attribution essentielle. » Profession de foi électorale – 1846.

 

Mettre fin à la spoliation légale

En vérité la seule initiative de grande ampleur qui vaille, c’est d’appliquer un programme politique largement inspiré de la philosophie de Frédéric Bastiat.

C’est la seule initiative à vouloir changer de paradigme en France, la seule à vouloir mettre fin à la spoliation légale :

« Je ne l’emploierai qu’aux choses dans lesquelles l’intervention de la Force soit permise ; or, il n’en est qu’une seule, c’est la Justice. Je forcerai chacun à rester dans la limite de ses droits. Que chacun de vous travaille en liberté le jour et dorme en paix la nuit. Je prends à ma charge la sécurité des personnes et des propriétés : c’est ma mission, je la remplirai, — mais je n’en accepte pas d’autre.

Faut-il reconnaître à chacun sa propriété et sa liberté, son droit de travailler et d’échanger sous sa responsabilité, soit qu’elle châtie, soit qu’elle récompense, et ne faire intervenir la Loi, qui est la Force, que pour la protection de ces droits ? — Ou bien, peut-on espérer arriver à une plus grande somme de bonheur social en violant la propriété et la liberté, en réglementant le travail, troublant l’échange et déplaçant les responsabilités ?

En d’autres termes :

« La loi doit-elle faire prévaloir la Justice rigoureuse, ou être l’instrument de la Spoliation organisée avec plus ou moins d’intelligence ? » Harmonies économiques, chapitre IV, Échange (1850)

 

Pourquoi ça bloque

« Entre les hommes qui se disputent les portefeuilles, quelque acharnée que soit la lutte, il y a toujours un pacte tacite, en vertu duquel le vaste appareil gouvernemental doit être laissé intact. « Renversez-moi si vous le pouvez, dit le ministre, je vous renverserai à votre tour ; seulement, ayons soin que l’enjeu reste sur le bureau, sous forme d’un budget de quinze cents millions.

[…]

Messieurs, disputez-vous le pouvoir, je ne cherche qu’à le contenir ; disputez-vous la manipulation du budget, je n’aspire qu’à le diminuer ; ah ! soyez sûr que ces furieux athlètes, si acharnés en apparence, sauront fort bien s’entendre pour étouffer la voix du mandataire fidèle. Ils le traiteront d’utopiste, de théoricien, de réformateur dangereux, d’homme à idée fixe, sans valeur pratique ; ils l’accableront de leur mépris ; ils tourneront contre lui la presse vénale. Mais si les contribuables l’abandonnent, tôt ou tard ils apprendront qu’ils se sont abandonnés eux-mêmes. » Profession de foi électorale – 1846.

C’est pour cela que les partis au pouvoir, ou qui aspirent à y parvenir, sont tous unis contre un adversaire commun : le libéralisme. Le libéralisme est le seul qui ne veuille pas prendre le pourvoir aux gens pour l’exercer à leur place, mais le leur rendre.

C’est aussi pour cela que les politiciens actuels se contentent de déplacer plus ou moins le marqueur de la spoliation légale sans la remettre en cause, parce qu’elle les sert.

C’est enfin pourquoi la liberté économique, la liberté politique, la liberté d’expression ne sont pas prêtes de revenir en France. Aucun politicien ne le veut. Tous s’accommodent du système, espérant en tirer profit un jour.

Pour comprendre la liberté, ne plus en avoir peur, et travailler au retour en France de la liberté économique, de la liberté politique, de la liberté d’expression, venez assister au douzième Weekend de la Liberté.

« Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste. » – Victor Hugo.

 

Venez assister au douzième Weekend de la Liberté.

25 300 chefs d’entreprise ont fait faillite au premier semestre 2023 : merci l’État !

Par Etienne Fauchaire.
Un article de l’IREF

 

Lors du premier semestre de l’année 2023, près de 25 300 chefs d’entreprises ont mis la clé sous la porte.

Dans un contexte marqué par une inflation galopante et une fiscalité étouffante qui asphyxient le pouvoir d’achat des Français, cette spirale de faillites massives, conséquence notamment des choix de l’État durant la crise sanitaire, risque vraisemblablement de se poursuivre et de s’accélérer au cours des mois à venir.

Plus que jamais, il est donc temps de réfléchir aux vraies réformes qui pourront réanimer notre économie.

 

Les petits patrons au cœur de la tourmente, les grands s’en rapprochent

Une hécatombe : entre les mois de janvier et juin 2023, 25 296 chefs d’entreprise ont perdu leur emploi, soit 140 cas par jour, une augmentation de 36,6 % par rapport à l’an dernier pendant la même période, et qui marque un retour aux niveaux d’avant-crise covid. Inquiétants mais prévisibles, ces chiffres proviennent de l’observatoire de l’emploi des entrepreneurs, un outil mis au point par Altares, un groupe français leader mondial dans le domaine des datas d’entreprises, et l’association patronale GSC.

Dans le détail, l’étude indique que ce phénomène affecte avant tout (à 90 %) les patrons de petites structures de moins de cinq salariés. Toutefois, il est à noter que les pertes d’emplois chez les chefs d’entreprises de plus de 20 salariés, qui avaient diminué pendant la crise liée au covid, ont doublé au premier semestre par rapport à l’année dernière, et que les dirigeants de grandes structures ne sont, eux aussi, plus épargnés par la menace du chômage.

Le secteur le plus durement touché par les faillites est celui de la construction, avec 5713 pertes d’emploi de dirigeants (+50 %) : exigences des nouvelles normes environnementales, augmentation des taux d’intérêts d’emprunt, pénurie de matériaux, flambée des prix et donc des coûts de construction, mais aussi baisse du nombre de commandes…

Les raisons pour expliquer ce désastre ne manquent pas.

Le secteur de la construction est talonné de près par celui du commerce, au sein duquel 5614 dirigeants ont perdu leur poste (+47,2 %), suivi par le secteur de l’hôtellerie-restauration avec 3470 pertes d’emploi (+65,9 %), puis par celui des services aux particuliers (coiffeurs, esthéticiennes…) avec 1152 chefs d’entreprise ayant perdu leur activité professionnelle.

 

Inflation, fiscalité, normes : le gouvernement, un pompier pyromane

L’association GSC retrace l’enchaînement logique.

Le contexte inflationniste contraint les ménages à réduire leurs dépenses, et génère donc la baisse subséquente de la demande dans ces secteurs et, donc, des défaillances d’entreprises. Que ce soit les carburants, l’énergie, l’alimentation, le logement… tous les pans du quotidien des Français sont touchés par cette hausse des prix qui érode leur pouvoir d’achat. Rien d’étonnant à ce qu’ils rognent sur le superflu pour se concentrer sur l’essentiel. L’Iref a pour sa part maintes fois décortiqué ces causes et conséquences de l’inflation dont il tient les politiques publiques du gouvernement largement responsables.

Cependant, d’autres facteurs contribuent à faire considérablement baisser le pouvoir d’achat : les lourdes réglementations et la forte fiscalité.

En France, l’excès de taxes et de normes réduit annuellement le revenu d’un ménage moyen de quelque 4300 euros net par rapport à la moyenne de l’Union européenne, révélait en décembre 2022 une étude produite par l’Institut économique Molinari (IEM). Et comme les dépenses de l’État ne cessent de s’alourdir – on nous rappelle assez la nécessité de financer la nécessaire et coûteuse « transition énergétique » – les impôts ne sont pas près de baisser. De 600 milliards d’euros en 2013, ils ont atteint en 2022 le chiffre mirobolant de… 802,8 milliards, soit une hausse de 25 %.

 

Le « quoi qu’il en coûte », ce cadeau empoisonné

À tous ces éléments il faut ajouter l’« effet ciseaux » sur les entreprises, des mesures fiscales mises en œuvre par l’État durant la crise sanitaire.

Non seulement les aides publiques exceptionnelles ne leur sont plus versées, mais l’heure est au remboursement des prêts garantis par l’État et des cotisations sociales encore non payées. Sans surprise, l’observatoire de l’emploi des entrepreneurs estime que cela « pourrait encore accélérer le rythme des défaillances observées début 2023 ».

En réalité, cette trajectoire est déjà entamée depuis l’année dernière.

Selon un rapport des cabinets d’audit financier Ernst and Young et AU Group publié en février 2023, l’exercice 2022 s’était soldé par 41 020 liquidations d’entreprises, un chiffre en nette augmentation par rapport à 2021, année où seulement 27 592 sociétés avaient fait faillite. Comme l’expliquaient alors les auteurs du rapport, « beaucoup de médias parlent d’une vague de défaillances. C’est plutôt là un effet de rattrapage des années covid ». Une analyse que faisait déjà l’IREF en juillet 2022.

Sous perfusion durant la crise sanitaire, de nombreuses entreprises ont ainsi été maintenues en vie artificiellement, les aides publiques ne faisant que retarder un inéluctable redressement judiciaire ou une liquidation. De l’argent jeté par les fenêtres au frais du contribuable. Au lieu de procéder à des versements d’aides ciblées, le gouvernement a arrosé massivement et aveuglément l’économie, dont il a simplement brouillé le cycle naturel. Résultat : la dette de l’État liée au covid a augmenté de 165 milliards, auxquels s’ajoutent 160 milliards correspondant à la baisse des recettes fiscales provoquée par la chute du PIB durant cette période.

La dette, c’est l’impôt de demain. Il faudra la rembourser. Alors ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal l’a d’ailleurs clairement confirmé dans une interview au journal Le Figaro en juillet (« Ce serait mentir que de dire qu’il n’y aura pas un effort global demandé à tous les Français pour réduire la dette »), tout en assurant – en même temps – que ménages et entreprises paieront en 2027 moins d’impôts qu’en 2022.

Si le désendettement de l’État français est bel et bien une « urgence nationale », il est donc plus que jamais temps d’engager de vraies réformes qui permettront aux entreprises de retrouver leur souffle. Ce n’est qu’en réduisant les impôts et les taxes, en supprimant les normes et réglementations, en accordant la liberté et la responsabilité aux individus, que les entrepreneurs pourront guérir notre économie malade.

L’État, en l’aidant, encore, ne fera que faire monter la fièvre.

Sur le web

Abaya : un dilemme pour les libéraux

À l’orée de la rentrée des classes, le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, a annoncé que les élèves qui se présenteraient en abaya (ou en qamis) seraient refusés en classe.

Cette annonce a été suivie d’une circulaire adressée aux chefs d’établissement, venant trancher et mettre fin à leur embarras face à l’interprétation de la loi de 2004 sur le port des signes religieux ostensibles.

Alors que le débat déchaîne les passions depuis deux semaines, peu de libéraux se sont risqués à prendre une position définitive, hésitant entre la dénonciation de l’absurdité de la « police du vêtement » et la légitime inquiétude du développement d’une contre-civilisation illibérale en France.

 

La liberté individuelle mise à mal

La loi de 2004 était déjà suspecte vis-à-vis des libertés individuelles.

Alors que la loi de 1905 visait à garantir la neutralité de l’État et du service public, la loi de 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics est venue entamer la liberté d’expression et de culte au nom d’une vision plus « combative » de la laïcité, exigeant pour la première fois la neutralité de la part de l’usager du service public.

Certes, en France la laïcité ne se réduit pas à la loi de 1905 et relève d’un véritable état d’esprit :

« La religion c’est à la maison ».

Mais peut-on légiférer sur l’état d’esprit ? L’histoire de la laïcité, ce sont aussi de véritables lois de combat à l’encontre de l’Église. Commandées par la nécessité révolutionnaire, certaines ont eu le caractère de véritables persécutions. Ce ne sont sûrement pas des lois qu’une démocratie libérale moderne voudrait se donner. Dans son acceptation « minimale », dans la loi de 1905, la laïcité garantit que l’État et ses agents ne profiteront pas de leur autorité pour être prosélytes ou avantager une communauté particulière.

Dès lors, il est légitime qu’autant de neutralité que possible soit demandée aux professeurs. En revanche, on peut douter du fait que le port d’un voile ou d’une abaya par un ou des élèves soit de nature à influencer ses camarades, ou même à nuire à l’enseignement, dont la dégradation est une vraie préoccupation pour tous les parents.

Par ailleurs, déjà en 2004, une interrogation est apparue : comment faire la différence entre un fichu purement ornemental et un voile islamique ?

Pour limiter l’arbitraire, il a été retenu que tous les foulards seraient interdits, bien que les aficionados du bandana n’aient pas été inquiétés. Avec l’abaya, le risque d’arbitraire est plus présent que jamais. Peut-on distinguer dans le droit les robes longues, les kimonos, les abaya ? Alors que la modest fashion s’invite chez les grandes marques de vêtements, on peut craindre que la différence visuelle entre l’abaya importée du Golfe et la robe à coupe large H&M soit de plus en plus difficile à établir. Faudra-t-il aller jusqu’à interdire la pudeur ?

En résumé, l’application de cette interdiction ne peut qu’être arbitraire, et c’est mal nommer les choses que d’en appeler à la laïcité puisqu’elle vise en réalité à lutter contre une expression culturelle, ce à quoi les libéraux ne pourront pas se résoudre.

 

La démocratie libérale à l’épreuve du communautarisme

Mais nous aurions tort de fermer les yeux sur ce qu’il se joue.

Si individuellement, personne ne peut contester le droit à une jeune fille de vouloir cacher ses formes, y compris pour un motif religieux, on ne doit pas ignorer que tout cela s’inscrit dans une stratégie de subversion de la démocratie libérale par des mouvances fréristes ou fondamentalistes.

Il ne s’agit en aucun cas d’accuser les jeunes filles qui portent l’abaya d’en faire partie, mais leur perméabilité au discours de surenchère dans l’orthopraxie en fait les pions, malgré elles, d’un courant de pensée illibérale, qui veut multiplier les étendards identitaires pour banaliser sa présence et légitimer son discours.

Il est désolant que la gauche, qui se dresse contre le port de l’uniforme par crainte de l’embrigadement, accepte qu’une mouvance politique impérialiste, homophobe, sexiste et réactionnaire impose un uniforme par nature discriminant envers les femmes, et ignore la pression sociale dans les communautés alors qu’elle est si prompte à dénoncer les effets de mode quand ils sont le produit du « marketing capitaliste ».

Si l’islamisme s’accommode de la démocratie libérale tant qu’il peut retourner ses armes contre elle, elle n’a survécu nulle part où il a dominé. Dès lors, on pourrait légitimement se demander si les libéraux doivent refuser toute solution qui irait à l’encontre de leur doctrine.

Mais avant cela, je crois que nous pouvons encore tenter de penser et proposer des alternatives. Car il s’agit avant tout d’une guerre culturelle, et la seule force de la loi sera dérisoire face au discours qui crée chaque jour de nouveaux bigots.

Les libéraux ont inventé la société pluraliste, où chaque individu a le droit de construire et revendiquer sa propre identité, ses traditions, son orthodoxie religieuse le cas échéant. Sur ce principe, nous ne devons pas reculer d’un pouce, et assumer que tout mouvement identitaire, qui détruit d’abord la pluralité en son sein avant d’en faire un axe de conquête, est un ennemi.

Ce jeu de rapport de force entre les provocations islamistes et les interventions législatives ne résoudra rien.

Pire, les interdictions donnent du grain à moudre à ceux qui prêchent que notre société serait islamophobe et raciste, précipitant dans la rupture toujours plus de jeunes désabusés. Par ailleurs, combattre les manifestations religieuses, c’est ne s’attaquer qu’aux symptômes.

Or, il nous faut prendre le mal à la racine : l’islamisme, une idée qui, comme toute idée, ne peut être combattue par la loi.

Alors qu’un front anti-occidental est en train de se constituer, uni autour du modèle de la démocrature, nous devons nous interroger sur ce qui rend le discours occidental inopérant quand il faisait encore rêver le monde entier à la chute du Mur de Berlin. Nous devons réarmer ce discours et rendre notre modèle désirable et fédérateur. Nous devons réenchanter l’idée de la liberté comme source de progrès social et humain, faire entendre que la liberté individuelle n’est pas un déracinement, mais la possibilité de revendiquer des racines complexes et entremêlées pour se soustraire au conformisme du clan. Cette conviction doit en outre nous amener à interroger les fractures de notre territoire et les phénomènes de ghettoïsation.

Enfin, il y a une certaine gauche qui est largement complice de ce recul civilisationnel. Alors qu’elle se veut le fer de lance de l’égalité femme, cette même gauche avalise la modest fashion islamique comme un motif de fierté identitaire. Ce sont aussi de grandes marques comme Séphora récemment qui en font la promotion le banalisant un peu plus. Or, si chacun est libre de sa pratique à titre individuel, une pratique religieuse qui vise à invisibiliser la femme dans l’espace public n’a rien de “cool”. Nos voix devraient être unanimes.

Le socialisme aime tant les pauvres qu’il les fabrique

Le Secours populaire et Ipsos ont sorti une étude abondamment commentée, en même temps que l’association Les Restos du Cœur faisait part de ses difficultés financières.

Les points saillants de l’enquête Secours populaire IPSOS :

  • 53 % des Français déclarent ne pas pouvoir épargner.
  • 45 % déclarent avoir du mal à assumer leurs dépenses courantes, chiffre en hausse de 6% par rapport à l’année dernière.
  • 18 % vivent à découvert.

 

Tous ces chiffres sont en hausse.

Par ailleurs, ils sont 60 % à déclarer que la hausse des prix a fait baisser leur pouvoir d’achat (40 % sont donc probablement des esprits purs qui se télétransportent, ne se nourrissent pas, ne s’éclairent pas, et ne se chauffent pas).

X-Tweet du journal Le Parisien sur ce sujet :

La situation économique des Français ne cesse de se dégrader. C’est le constat que dresse ce mercredi le Secours populaire dans son dernier baromètre de la pauvreté et de la précarité
➡ https://t.co/R9C1zZJGIC pic.twitter.com/bJUNyJCwS7

— Le Parisien (@le_Parisien) September 6, 2023

 

Dans un billet bien troussé sur la polémique relative au don de la famille Arnault aux Restos du Cœur, le blogueur Charles Sannat met en regard deux autres statistiques prises sur le site viepublique.fr :

  1. À la date de l’enquête (mi-2022), 87 % des répondants possédaient un smartphone. Chez les plus jeunes, 18 à 25 ans, c’est 98 %.
  2. La durée moyenne de temps passé sur un écran s’élève à 32 heures par semaine.

 

Trente-deux heures, presque une semaine de travail à temps plein.

Pourquoi cette statistique est-elle importante ?

En 2014, Julien Damon, ancien président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, décrivait :

« Aujourd’hui, le pauvre est jeune, vient d’une famille monoparentale, demeure en zone urbaine et ne parvient pas à s’insérer sur le marché du travail ».

Le jeune possède un smartphone, et il est souvent au chômage. Il a le temps de surfer sur des publicités qui sèment la confusion entre besoins et envies.

 

Lutte contre la pauvreté ou l’inégalité : ce n’est pas la même chose

Les statistiques ont cela de merveilleux qu’elles concernent tout le monde, mais que personne ne s’y reconnaît.

Niveau de vie, pouvoir d’achat, revenu par habitant sont des notions en apparence simples, mais en réalité complexes. Une fois passé du nécessaire à la survie, chaque individu ne consomme pas les mêmes choses, n’a pas les mêmes besoins en fonction de son âge, du climat auquel il est soumis, etc.

L’INSEE considère qu’un foyer est pauvre si son revenu est inférieur à 50 % du revenu médian. Pour Eurostat, ce niveau se situe à 60 %.

La pauvreté telle que la mesure l’INSEE (ou Eurostat) est en réalité une mesure d’inégalité, entachée d’idéologie.

Petit exercice arithmétique pour prouver ce point.

Supposons que le Bar des Amis compte cinq habitués qui gagnent respectivement 50, 60, 80, 120 et 150 euros.

Le salaire médian est donc 80 euros (deux personnes ont plus, et deux personnes ont moins), et le salaire moyen est de 92 euros. Selon l’INSEE, aucun pauvre ne fréquente le Bar des Amis. Un beau jour, Bernard Arnault – qui gagne 10 000 euros- pousse la porte de notre paisible bistro et se retrouve inclus dans les statistiques du Bar des Amis. Le revenu médian du Bar des Amis va légèrement remonter pour se caler sur 100 euros (intermédiaire en 80 et 120 euros) et non plus sur 80 euros. L’irruption de Bernard Arnault a créé un pauvre. C’est proprement scandaleux, s’étoufferont les suppôts de la Nupes ! Inversement, le départ de Bernard Arnault fera disparaître ce pauvre éphémère.

Un pauvre est, sans aucun doute statistique, quelqu’un qui ne peut atteindre l’indépendance financière. Dans nos sociétés modernes, cet état est adouci par la redistribution, mais être dépendant de subsides étatiques ou de la charité, c’est toujours être dépendant. D’où la frustration des « sans-dent » comme les désignait avec compassion un président socialiste.

 

La lutte contre les inégalités engendre la pauvreté

Quelques chiffres et ratios clés de la fabrique de pauvres :

  • La France consacre 31,6 % de son PIB aux dépenses sociales, premier rang parmi les 34 pays de l’OCDE (source Statista)
  • 82,8 % d’une classe d’âge obtient son baccalauréat, contre 35 % il y a quarante ans (source INSEE). Mais le chômage des jeunes de moins de 25 ans atteint 32 % (source viepublique.fr)
  • Les entreprises subissent des prélèvements record par rapport à leurs résultats comptables comparés aux autres pays de l’OCDE.
  • Entre 1990 et 2012, le nombre d’agents publics a augmenté de 26,2 %, tandis que l’augmentation de la population n’était que de 12,5 %. La France compte 5,67 millions d’agents publics (source viepublique.fr) dont la masse salariale représente 22 % du budget de l’État, et 13,5 % du PIB, un des niveaux les plus élevés des pays développés.
  • Les chômeurs s’ajoutant aux retraités et aux assistés, à peine 40 % des Français produisent par leur travail les ressources qui font vivre l’ensemble de la population.
  • Le dette publique dépasse 3000 milliards d’euros, suite à une politique de déficits chroniques appliquée depuis plus de 50 ans.
  • Les déficits commerciaux s’enchaînent depuis vingt ans.

 

Un pays qui consomme plus que ce qu’il produit s’appauvrit.

Plus d’exclus, plus de pauvres mais toujours plus d’impôts, de taxes, de charges, de dettes… censés justement lutter contre les inégalités, faire régner la « justice sociale ». Et si c’était politiquement planifié ?

 

Il est de l’intérêt des politiciens de créer la dépendance

L’influence d’un homme politique est proportionnelle à la masse d’argent qu’il distribue. Plus de nécessiteux, c’est davantage de dépendance à la redistribution, et davantage de voix faciles à conquérir. Si rien ne change, c’est que l’ordre établi satisfait ceux qui nous gouvernent.

La fabrique de pauvres est donc voulue et assumée par la classe politique, quel que soit le bord dont elle se réclame. Il y a des socialistes de gauche et des socialistes de droite, mais toujours des socialistes.

Lorsque l’environnement économique international était particulièrement porteur, la France aurait pu corriger le tir et mener une véritable politique de pouvoir d’achat.

Mais les gouvernements de l’époque ont préféré importer encore plus de pauvres et taxer plus.

« La France ne peut accueillir toute la misère du monde » indiquait Michel Rocard en 1989 avant de se reprendre et de préciser : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre sa part ».

Macron chez HugoDécrypte : le festival des dépenses

Santé mentale, écologie, abaya, rythme scolaire, parcoursup, pacte enseignant, inflation, vie étudiante, sélection à l’université… Autant de sujets abordés par Emmanuel Macron lors de son passage de presque deux heures chez le YouTubeur HugoDécrypte, ce lundi 4 septembre 2023.

Dans cet exercice dans lequel le président de la République a l’habitude d’exceller, ayant réponse à tout ou presque tout, les maux de la démocratie française ont surgi de manière éclatante, tant dans les questions de l’intervieweur que dans les réponses de l’interviewé.

À côté de l’hyperprésidentialisme français, examiné dans un précédent article, l’addiction aux dépenses publiques, le mythe de l’argent magique, la déresponsabilisation ou l’obsession égalitaire sont autant de pathologies constitutives d’un réflexe étatique si profondément enfoui dans notre inconscient collectif qu’il n’est plus jamais questionné.

Pourtant, il y a de la matière, si tant est qu’on se débarrasse des œillères de l’interventionnisme.

 

D’abord, pas une seule thématique n’est abordée sans qu’HugoDécrypte n’avance plus ou moins subtilement que tous les problèmes de la France viennent d’un trop peu d’engagement de l’État, abordé d’ailleurs sous le seul angle budgétaire. Les problèmes de santé mentale des jeunes ? Un manque de moyens ! L’insuffisance des politiques environnementales françaises ? Un manque de moyens ! La crise de vocation chez les professeurs ? Un manque de moyens !

Et peu importe qu’en 2022, les dépenses publiques de la France représentaient 58,1 % du PIB, contre une moyenne de 49,8 % dans l’Union européenne. Jamais ne sont interrogés la gabegie de l’utilisation de l’argent public, le poids de l’administration et de la bureaucratie, la centralisation excessive, bref, tous les facteurs pourtant pertinents pour expliquer les failles de notre système de santé, d’éducation, de maintien de l’ordre, de justice, etc. Alors même que la France est championne du monde des dépenses publiques, l’idée selon laquelle notre problème ne provient pas d’un manque d’argent, mais plutôt de son utilisation, ne parvient pas à faire son trou dans un débat public de plus en plus sclérosé.

Pourtant, Emmanuel Macron semble en avoir au moins partiellement conscience, par exemple lorsqu’il répond au journaliste que la France est un des pays qui « socialise le plus le coût des études supérieures », que « c’est un système extrêmement généreux » ou encore que l’« on a socialisé beaucoup de choses »… Autant d’éclairs de lucidité dont on regrette qu’il n’en tire pas les conclusions naturelles dans sa pratique du pouvoir.

La séquence où le président et HugoDécrypte échangent sur l’état de l’université française est à cet égard éclairante.

D’abord, l’angle choisi par le YouTubeur pour aborder ce sujet : le manque de moyens dans l’université contribuerait à y réinstaurer une sorte de « sélection » (dont on comprend, sans qu’il n’ait besoin de le verbaliser, qu’elle est condamnable).

Un coup d’œil rapide sur la situation réelle de l’université française offre toutefois un tableau bien différent.

Si on regarde le budget de l’État alloué à l’enseignement, on remarque qu’une priorité est mise sur l’enseignement secondaire (2,2 % du PIB en 2021, contre une moyenne de 1,8 % du PIB dans l’Union européenne) au détriment du supérieur (0,6 % du PIB en 2021, contre une moyenne de 0,8 % du PIB dans l’Union européenne). Cela n’empêche qu’en absolu, l’État n’a cessé de mettre davantage d’argent dans l’enseignement supérieur.

En effet, les dépenses pour l’enseignement supérieur, aux prix 2021, sont passées de 12,4 milliards d’euros en 1980, à 36,3 milliards en 2021. Probablement en raison de l’augmentation du nombre d’étudiants inscrits dans le supérieur, les dépenses moyennes par étudiant ont, dans l’ensemble, stagné depuis le début des années 2000 (11 440 euros par étudiant aux prix 2021 en 2000, 12 980 euros par étudiant en 2011, 11 630 euros par étudiant en 2021).

Ces chiffres peuvent accréditer en partie l’argumentaire d’un manque de moyens dans nos universités, si l’on décide, comme l’a fait le journaliste ici, de ne pas interroger l’efficacité de ces dépenses. Or, c’est précisément sur ce point que devraient se concentrer toutes les discussions.

Pourrait-on, avec le même niveau de dépenses publiques, faire mieux ?

En prenant soin d’éviter l’écueil du « yakafokon », la réponse à cette question est assurément positive. À défaut de pouvoir être exhaustif, prenons un exemple : l’absence de sélection à l’université dans les filières sous tensions (on pense par exemple à toutes les disciplines de sciences humaines et sociales). Le refus de trier les étudiants à l’entrée en première année est en vérité un cadeau empoisonné pour eux, et qui coûte cher au contribuable.

Car dans la réalité, ne pas sélectionner les étudiants dans des filières qui possèdent peu de débouchés ne fait que repousser le moment de la discrimination. Les étudiants déçus perdent du temps et de l’énergie dans une filière bouchée, et manquent peut-être pour certains une véritable vocation, faute d’une orientation effective.

Et le pire dans tout cela, c’est que ce système de non-sélection ne parvient même pas à remplir sa mission première : la réduction des inégalités. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un œil aux profils et parcours des agrégés d’histoire ou de philosophie, majoritairement des « normaliens » ou « SciencePistes » passés par la case « prépa ».

L’argent investi dans l’entretien de ces étudiants ne serait-il pas mieux employé s’il était réinvesti dans l’orientation, la revalorisation des salaires des enseignants-chercheurs, ou la rénovation de certains amphithéâtres vétustes ?

Enfin, le délitement du sens de la responsabilité individuelle, trait typique de la culture collectiviste, joue ici plein pot, et on ne saurait négliger son importance.

Comment cela se fait-il que l’on considère qu’il est normal que l’État finance des études dont l’objectif principal n’est pas, in fine, la capacité de l’étudiant à trouver un emploi ? En effet, n’est-il pas logique de penser que l’étudiant d’aujourd’hui, qui bénéficie de la solidarité nationale, soit le contribuable de demain ? La gratuité de l’éducation, dont on peut comprendre la logique et la justification, montre ici ses limites : inefficacité et déresponsabilisation.

Ce qui apparaît ici comme une évidence ne l’est apparemment pas pour beaucoup, et la question posée par HugoDécrypte en témoigne. Jamais il ne lui vient à l’idée de demander, lorsqu’il dénonce un manque de moyens dans un secteur A, s’il faut ponctionner le secteur B, C, ou D. La raison est simple : ce dilemme ne lui vient pas à l’esprit car, puisque l’argent est magique, il suffit d’aller le chercher « là où il est », et d’augmenter toujours plus les dépenses de l’État.

Tant pis si le poids des prélèvements obligatoires est de 47 % du PIB (2021) contre une moyenne de 41,7 % dans les pays de l’Union européenne. Et quand, après augmentation des impôts, les résultats ne seront toujours pas à la hauteur, on ne manquera pas de s’exclamer « Tax the rich ».

Sur ce point, au moins, nous sommes efficaces.

Allez les gueux, il faut payer maintenant !

Par : h16

Heureusement qu’avec Emmanuel Macron nous avons un expert de la finance à la tête de l’État ! Heureusement que l’économie du pays est gérée de main de maître par des cadors comme Bruno Le Maire ! Sans ceux-là, quelle sombre direction le pays prendrait-il ?

C’est probablement grâce à cette équipe de choc affûtée comme une lame japonaise que déjà se dégagent de fermes pistes pour une prochaine baisse des impôts.

Oui, vous avez bien lu : Emmanuel Macron a récemment confirmé vouloir lancer un grand plan d’économies.

Pensez-donc ! Deux milliards d’économies d’impôts pour le contribuable, que voilà une somme… ridicule lorsqu’il faut la mettre en face d’un déficit public de plus de 150 milliards d’euros et qui a en plus le bon goût d’augmenter encore par rapport à l’année dernière, déjà particulièrement chargée à ce sujet !

C’est dit : d’ici 2027, on repasse sous les 3 % de déficits annuels, et on taille dans les dépenses publiques. Vous allez voir, ça va très bien se passer, et même si absolument rien de concret ne ressort pour le moment des déclarations ampoulées de Macron, on sait que l’idée de s’atteler à un raffermissement des finances publiques, qui trottait depuis un moment dans la tête de l’exécutif, commence à prendre forme.

Bon, certes, en même temps, les déclarations en provenance de son gouvernement peuvent laisser quelque peu perplexe : pour Babeth Borne v1.23, l’intelligence artificielle à la tête des ministres, il n’est évidemment pas question d’augmenter les impôts des ménages, et tous les petits calculs sont aussi formels que contraires aux odieuses rumeurs de l’opposition selon lesquelles une telle baisse serait difficile à réaliser.

Ainsi, il n’y aura pas de hausse de certaines taxes (sur l’alcool par exemple, dont la consommation baisse), et il va de soi que les aspects concrets et palpables, chiffrés et détaillés, de ces non-hausses, voire de ces baisses seront publiés un jour, promis, juré, craché.

À présent, même si l’on peut déjà se réjouir de ces belles promesses, on ne peut s’empêcher de remarquer que certains, notant de façon chafouine que la dette publique de la France a explosé, atteignant désormais 111 % du PIB (contre 98 % lors de l’arrivée au pouvoir de Macron en 2017), prévoient malgré tout quelques petits ajustements taxatoires ici ou là : augmentation des taxes sur les autoroutes et les aéroports, augmentation salée de l’éco-contribution et autres malus écologiques (qui permettent de bien syntoniser à coups de taxes le consommateur et Gaïa), fin de certaines niches fiscales (notamment sur certains produits pétroliers), etc.

Autrement dit, les impôts qui n’augmenteront pas (en 2023) pourraient bien, en même temps, augmenter, et furieusement en plus (mais en 2024).

Il y aurait comme un petit bobard pour l’une ou l’autre partie, mais qui ment donc ? S’agit-il de ceux qui expliquent, chiffres à l’appui, que les impôts vont augmenter vigoureusement, comme du reste ils l’ont sans cesse fait depuis plusieurs années, ou s’agit-il plutôt de Macron et de son équipe dont tout l’historique des promesses tenues et de l’absence de tout mensonge est fermement établi ?

Au-delà de cette question rhétorique, on doit se rappeler que le triplet d’années passées s’est surtout illustré par une dépense sans frein : difficile en effet d’oublier le Prince du Koikilenkouth lorsque la pandémie s’est déclenchée. Difficile aussi d’oublier la multiplication des distributions d’argent du contribuable pour tenter de compenser les fermetures arbitraires de magasins imposées par le gouvernement ; la découverte que cet argent ne provient pas d’une étable de licornes magiques mais de nulle part ailleurs que du portefeuille des contribuables (présents et à venir au travers d’une dette qui a explosé à plus de 3000 milliards d’euros) n’est une surprise que pour les plus incultes des Français, et n’a été consciencieusement camouflée par la brochette de félons au pouvoir qu’à des fins purement électoralistes…

À ces petits ajustements budgétaires et financiers, on doit ajouter le panorama économique actuel qui donnera un côté particulièrement agité au tableau peint par l’actuelle équipe gouvernementale.

En effet, pendant que Bruno Le Maire va se tortiller pour faire bricoler un budget par ses équipes de Bercy, l’inflation, elle, va continuer de flirter avec des sommets qu’on n’avait plus vus depuis des décennies. Or, cette inflation – dont le chiffre est toujours aussi honteusement sous-estimé par des statistiques gouvernementales d’un optimisme maintenant dangereux – signifie mécaniquement un renchérissement de tout ce que la France importe, à commencer par l’énergie. Et comme la France n’a plus, pour ainsi dire, de capacités industrielles, elle importe comme jamais. Autrement dit, l’effet douloureux de l’inflation va en être d’autant accru.

En outre, cette forte inflation se traduit aussi dans des taux d’emprunt élevés. Pour un État bien géré, cela peut être à peu près neutre. Pour un État empêtré dans une dette colossale et un déficit chronique obèse, cela se traduit par une véritable cavalerie sur ses remboursements. Le roulement de la dette, qui était jusqu’à présent relativement facile à opérer pour les équipes de Bercy, va s’en trouver considérablement compliqué. Seul Bruno Le Maire pourra nous sauver d’un dérapage.

Parallèlement, il reste assez peu de doutes sur le fait que l’immobilier pourrait subir une tempête parfaite, qui provoquera plusieurs effets négatifs massifs sur les finances publiques : l’effondrement des transactions immobilières signifie une baisse majeure des rentrées fiscales pour les collectivités locales, ainsi qu’une baisse de revenus pour l’État au travers des taxes sur la construction ou l’entretien des biens immobiliers par exemple.

Enfin, on peut aussi se demander comment Macron et son équipe vont prendre en compte la véritable nécrose du tissu économique provoquée par l’augmentation record des faillites des petites entreprises françaises : alors qu’on se rapproche actuellement du record historique de 2008 qui voyait 250 défaillances par mois, le gouvernement semble résolument regarder ailleurs.

En pratique, le constat est sans appel : après des décennies de gestion calamiteuse, suivies de trois années d’une dépense totalement folle, irréfléchie, et inutile, la facture arrive et elle est particulièrement salée. Les dirigeants, qui malgré leur détachement complet de la réalité, sentent confusément le mur arriver droit devant, comprennent que leur propre santé pourrait vaciller si des mesures drastiques (pourtant particulièrement impopulaires) n’étaient pas prises rapidement. La situation est subtile : il faut donc faire comprendre aux gueux qu’il va falloir rudement payer, sans qu’ils ne s’en rendent compte ni ne se retournent contre ceux qui les ont mis dans cette situation.

Cela pourrait ne pas bien se passer.

Sur le web

Michel Albouy : « Frédéric Bastiat au XXIe siècle : un économiste visionnaire »

Que dirait Frédéric Bastiat s’il revenait en France au XXIe siècle, lui qui vécut dans la première moitié du XIXe siècle ? Que constaterait-il ? Il serait à la fois heureux et malheureux de voir que ses prédictions se sont révélées pour la plupart exactes.

Mais qui était Frédéric Bastiat (1801-1850) ?

Bien que relativement oublié en France, mais pas aux États-Unis, il est l’un des principaux économistes libéraux du XIXe siècle.

Il s’est distingué par sa défense du libre-échange, de la concurrence et de la propriété. Il fut un des rares économistes à prendre la défense des consommateurs, alors que la mode était plutôt à la défense des producteurs via des protections tarifaires et des aides d’État.

Il s’attaqua à la toute-puissance en devenir de l’État dont il disait qu’il était « la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Contemporain d’Alexis de Tocqueville, il siégea à l’Assemblée nationale au centre gauche, et il s’est opposé aux idées socialistes et à la colonisation. Il est considéré comme un précurseur de l’école autrichienne d’économie et de l’école des choix publics.

À travers cet ouvrage, j’invite le lecteur à revisiter l’œuvre de Frédéric Bastiat à la lumière de l’actualité et des débats qui agitent la société française au XXIe siècle.

Ce livre n’est pas une analyse exhaustive de l’œuvre de Frédéric Bastiat. Son ambition est beaucoup plus modeste. Il s’agit pour l’essentiel de mettre en perspective ses analyses à la lumière de l’évolution de la société française et des principaux débats politiques et économiques qui l’agitent. Il n’a pas été nécessaire de forcer le trait pour montrer toute l’actualité de la pensée de Bastiat, plus de 150 ans après. Bien évidemment, la science économique a depuis cette époque fait de grands progrès, mais le lecteur sera frappé par l’actualité de notre auteur.

L’ouvrage est composé de sept chapitres qui abordent les grandes questions économiques et sociales de la société française actuelle à la lumière de la pensée de Bastiat. C’est un peu comme si notre auteur revenait aujourd’hui en France au XXIe siècle. Il découvrirait que, d’une certaine façon, les mêmes grands débats agitent toujours la société, preuve de l’actualité de sa pensée.

  1. Le marché est-il méchant ?
  2. L’État, cette grande fiction sociale
  3. Mon ennemi est la finance
  4. L’impôt ou la spoliation légale
  5. Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas en économie et en finance
  6. La propriété : vol ou institution fondamentale ?
  7. La colonisation, un crime contre l’humanité ?

 

Michel Albouy, Frédéric Bastiat au XXIe siècle : un économiste visionnaire, Grands auteurs, date de sortie le 7 septembre 2023.

Immobilier : dégonflement d’une illusion

Le secteur de l’immobilier absorbe la perte du crédit facile et connaît un déclin de l’activité en conséquence.

Les déformations de marché par les politiques de taux d’intérêts mènent, à terme, à une perte de richesse.

En effet, les encouragements à l’octroi de crédit produisent une hausse de demande pour les logements. Ils mènent à plus de projets de construction, et à l’émission de crédits aux particuliers.

Néanmoins, la hausse de l’activité dans le secteur tient non à une hausse du pouvoir d’achat des particuliers, ou à la prospérité dans l’ensemble, mais plutôt à une illusion de richesse en résultat des crédits.

Ainsi, avec la perte de l’accès à la dette, le marché retourne vers un équilibre entre l’offre et la demande, sans les aides et soutiens.

Selon les Notaires de France, le nombre de transactions a atteint un pic en août 2021, à 1,2 millions de ventes de logements. En mai 2023, ils chutent à un peu plus de 1 million.

Néanmoins,le marché a encore beaucoup de marge de baisse. À mai de cette année, les volumes restent aussi élevés qu’en 2019.

Le nombre de nouveaux prêts aux particuliers pour l’achat d’un logement atteint à présent 55 % du rythme de 2020. Le déclin touche le neuf et l’ancien dans le même genre de proportions.

Le Figaro :

“Le marché du logement neuf est en crise … Les réservations auprès des promoteurs immobiliers ont dégringolé d’environ 40% au deuxième trimestre 2023, sur un an, selon le ministère de la Transition écologique.”

Pour une partie de la presse, le dégonflement de la bulle met les particuliers en difficulté. 

Selon Le Figaro, la baisse des constructions constitue une “bien mauvaise nouvelle pour les ménages qui espèrent encore s’offrir une maison.”

En réalité, une bulle dans l’immobilier sert avant tout les spéculateurs à crédit, les émetteurs de prêts, et promoteurs. Le reste des particuliers profite d’une baisse du prix de la pierre, ce qui met plus de biens à portée d’achat, en dépit d’un ralentissement des constructions dans l’ensemble.

En somme, l’intervention des dirigeants dans les marchés crée une distorsion entre les prix et la réalité de l’offre et de la demande.

Les crédits induisent une création de demande dans l’immédiat. Cependant, au terme de la bulle, les propriétaires subissent une chute de la valeur de la pierre.

Les excès d’inventaires mènent à un effondrement de l’activité dans le bâtiment. Au final, le marché retrouve un équilibre. La hausse de prix et l’essor de l’activité en réaction aux crédits ne produisent pas de richesse sur la durée.

 

Profiteurs des illusions

En réaction à l’enfoncement de taux, l’essor de l’activité dans l’immobilier ne génère pas de richesse dans l’ensemble.

Par contre, dans l’immédiat, il met beaucoup d’argent dans les poches de fournisseurs, consultants, actionnaires, ou spéculateurs.

Il constitue une source de revenus, de carrières, et d’influence pour beaucoup de personnes, entreprises, ou associations.

De même, les interventions des élus dans les énergies ou l’écologie peuvent fournir une manne à des entreprises, entrepreneurs, ou spéculateurs. La plupart des gens préfèrent encaisser une part des dépenses, et évitent ainsi les critiques des projets.

Récemment, la société Deloitte publie par exemple un rapport sur le secteur de l’hydrogène. Les Échos en fournit les détails.

La société de conseil, basée à Londres, prévoit à 2020 la création d’une industrie mondiale d’hydrogène, à base de l’énergie des renouvelables. En accord avec les vœux des dirigeants, le secteur a besoin de 1400 milliards d’euros d’investissements en Europe, et de 9000 milliards de dollars d’investissements à travers le monde.

Deloitte trouve peu de critiques aux initiatives sur l’hydrogène, en dépit des coûts et des désavantages par rapport aux carburants d’aujourd’hui.

Le secteur requiert des milliards d’euros d’investissements dans les renouvelables, en plus de l’infrastructure pour la production et transport d’hydrogène.

Le groupe de conseil a un intérêt à donner du soutien au programme. Il court peu de risques de représailles de la part des dirigeants, en faveur de l’hydrogène. Il peut engranger une partie des milliers de milliards de dépenses grâce aux contrats en rapport au secteur.

De même, le gouvernement souhaite prendre plus d’importance dans le domaine des startups, en particulier la French Tech.

Les Échos rapporte :

« Emmanuel Macron tient toutefois à maintenir le cap de 100 licornes à horizon 2030. C’est élevé mais pas impossible compte tenu du chemin parcouru en peu de temps par la French Tech.

[…]

Les derniers gouvernements ont tous contribué à construire un environnement Tech pour nourrir les talents nationaux, comme les ingénieurs dont la qualité de la formation est reconnue dans le monde entier. Cet écosystème doit beaucoup à Bpifrance. Il a pu se développer grâce aux centaines de millions d’euros que la banque publique d’investissement a injectés directement dans des start-up mais aussi dans les fonds de capital-risque. »

 

La presse ne donne pas les raisons à l’objectif d’une centaine de licornes – des startups privées à valeur de plus de un milliard d’euros.

Les journalistes ne remettent pas en cause la participation des dirigeants au secteur. Ils ont l’impression que la hausse du nombre de licornes représente une amélioration de l’économie et de la vie des Français, même lorsqu’elles surviennent en résultat d’incitations ou de subventions sur le dos du contribuable.

La hausse du nombre de licornes, de startups, ou de constructions de logements sous l’effet des déformations ne génèrent pas plus de richesse.

Elles captent la création d’argent et les incitations des dirigeants, le tout aux dépens du contribuable ou de l’épargnant (qui détient la dette du gouvernement via ses comptes bancaires ou assurances-vie).

Néanmoins, tout comme dans l’immobilier, des entreprises, spéculateurs, ou investisseurs empochent beaucoup de revenus en résultat des programmes.

Les interventions dans l’économie par les politiciens génèrent des fortunes, et attirent beaucoup de soutiens, de la presse et des entreprises.

En raison des récompenses en vue, la plupart des acteurs dans l’économie évitent les critiques des programmes.

 

 

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Crash de Prigojine : une mort qui arrange beaucoup de monde

Le 23 août, un avion privé appartenant à Prigojine, le patron du groupe Wagner, s’est écrasé en Russie. Il transportait apparemment le haut commandement du groupe : outre Prigojine, se trouvait parmi les victimes Dmitri Outkine, l’autre chef de Wagner, ainsi que d’autres membres de la société militaire privée.

Le groupe Wagner est désormais décapité. Les relations entre celui-ci et le Kremlin étaient devenues compliquées depuis des mois avec l’enlisement du conflit en Ukraine, les tensions culminant avec la tentative de coup d’État par Prigojine en juin dernier.

 

Les jeux de pouvoir en Russie contre Prigojine

Dans de telles conditions, les regards se tournent logiquement vers Vladimir Poutine qui aurait intérêt à éliminer les dirigeants de Wagner pour les punir de leur rébellion, et adresser un message à toute autre personnalité qui serait tentée de renverser le président russe.

Si cette hypothèse est probable, plusieurs zones d’ombres subsistent. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Que contenait l’accord de médiation biélorusse entre Poutine et Prigojine qui a mis fin à la tentative de coup d’État en moins de 24 heures ? Pourquoi Prigojine était-il présent publiquement au sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg en juillet 2022, et où se trouvait Poutine lui-même ?

Une réalité que beaucoup tendent à ignorer est qu’en Russie, la politique est une affaire de clan et de factions : le Kremlin, le FSB, le ministère de la Défense et la myriade d’oligarques en sont quelques exemples. Et beaucoup sont armés. Rappelons que le conflit entre Prigojine et le gouvernement russe était initialement dirigé contre le ministère de la Défense qui voulait mettre Wagner sous son contrôle.

Poutine doit composer avec ces factions, et il ne faut pas surestimer (ni sous-estimer) son pouvoir sur celles-ci. Le fait que les services de renseignement soit son clan d’origine lui accorde certes un pouvoir conséquent, mais pas absolu.

Il faut toutefois noter qu’un regain de tensions entre Poutine et Prigojine avait été noté depuis début août par l’Institute for the Study of War. Celui-ci avait fait part, le 9 août, de rumeurs concernant un retrait des forces de Wagner de Biélorussie (leur base depuis le coup d’État avorté) car ni le gouvernement biélorusse ni le gouvernement russe ne voulaient payer Wagner.

Il est aussi intéressant que ce crash d’avion intervienne un jour après la première publication d’une vidéo par Prigojine depuis le coup d’État.

 

La mort d’un électron libre qui arrange Moscou… mais aussi les Occidentaux ?

Prigojine et le commandement de Wagner étaient des électrons libres bien plus extrémistes que le Kremlin (Dmitri Outkine était considéré comme néonazi par exemple). Leur élimination permettra à Poutine et au gouvernement de remettre de l’ordre et de reprendre la main. Et ce tout particulièrement sur les milieux nationalistes (où Prigojine était populaire), accusant Poutine d’être trop mou en Ukraine.

Mais cette élimination des dirigeants de Wagner peut aussi être une bonne nouvelle pour les Occidentaux. La milice Wagner avait causé en août de vives inquiétudes à la frontière polonaise où elle étaient accusée d’actes de déstabilisation en instrumentalisant les migrants passant par la Biélorussie. Le fort activisme de Wagner en Afrique contre l’Occident va aussi s’en retrouver impacté.

Il est probable qu’on assiste à un retour d’une relation avec la Russie qui se fasse entre chancelleries plutôt qu’avec des oligarques privés.

BRICS : un sommet sur la multipolarité et la dédollarisation

Un nouvel ordre mondial est-il en train de se mettre en place sous la houlette des BRICS ?

Entre le 22 et 24 août se tient en Afrique du Sud le 15e sommet des BRICS. Ce forum informel composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud a gagné en importance cette dernière décennie, avec la montée en puissance de ses membres, surtout l’Inde et la Chine.

Les BRICS ont une population de 3,24 milliards d’habitants, soit 40 % de la population mondiale. En 2001, ils représentaient 8 % du PIB mondial. Désormais, ils seraient à 26 %, rattrapant ainsi le G7, son « homologue » occidental.

De plus, les récentes difficultés économiques de la Chine ne changent pas le fait que le cœur du commerce mondial se situe en Asie et dans le Pacifique. Sur les dix premiers ports de commerce mondiaux, neuf se situent dans la région asiatique (dont trois des cinq BRICS : Chine, Inde, Russie).

Parmi les enjeux de ce sommet des BRICS, se trouve la volonté de dédollariser le groupe en augmentant leurs échanges économiques avec leurs monnaies nationales. Si l’idée d’une monnaie commune revient souvent, elle ne serait toutefois pas à l’ordre du jour du sommet. La volonté d’échanges économiques dans des monnaies autres que le dollar américain s’est accélérée avec le conflit en Ukraine : l’Arabie saoudite a pensé utiliser le yuan chinois pour la vente du pétrole.

Un autre enjeu est l’adhésion de nouveaux membres au sein du groupe : en 2022 et 2023, 22 pays ont manifesté leur souhait d’adhérer aux BRICS. Des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine souvent insatisfaits de l’Occident.

 

Plus complexe qu’une alliance anti-occidentale

Toutefois, il serait étonnant de considérer que les BRICS sont devenus une alliance anti-occidentale. Les cinq membres n’ont pas la même vision. Si la Chine et la Russie ont bien ce souhait de façonner un ordre indépendant des États-Unis, ce n’est pas l’avis des trois autres membres, et surtout de l’Inde.

L’absence physique du président russe Vladimir Poutine au sommet en est un exemple. L’Afrique du Sud est membre de la Cour pénale internationale, qui a émis un mandat d’arrêt contre Poutine. L’absence de ce dernier a pour but d’éviter à l’Afrique du Sud de se mettre l’Occident à dos, car il semblait utopique que le pays arrête le président de la Russie.

En outre, l’Inde comme le Brésil se montrent réticents à l’accueil de nouveaux membres. Le Brésil reste dans la sphère d’influence américaine, tandis que l’Inde maintient une relation cordiale avec Washington et l’Occident, comme le montrent les récents voyages du Premier ministre indien Modi aux États-Unis et en France.

Considérer les BRICS comme un groupe uni serait vite oublier la rivalité entre l’Inde et la Chine. Si pour l’opinion publique indienne, Russie et États-Unis sont des partenaires, la Chine représente une menace.

Une chose est sûre, les BRICS souhaitent un monde multipolaire où ils auront leur place. Mais l’opposition aux États-Unis et à l’Occident ne fait pas l’unanimité. Ces derniers sont à la croisée des chemins. Soit ils parviennent à s’entendre avec des pays clés comme l’Inde, et évitent la constitution d’un axe russo-chinois trop fort. Soit l’Occident s’aliène l’ensemble des BRICS et leurs alliés, avec le risque de s’isoler.

 

Mixité sociale : illusion face à l’effondrement étatique

En France, depuis l’après Seconde Guerre mondiale, les systèmes social et politique ont été largement dominés par une pensée à la fois industrielle (normal, nous étions encore au XXe siècle, dans un pays largement rural) et collectiviste (symbolisé par un État qui s’occuperait de tout, et qui prendrait en charge la totalité de la vie des citoyens, du berceau au cercueil).

 

Les anciennes structures de solidarité ont explosé depuis mai 68

Il aura fallu démanteler (ou pour le moins dévaloriser) les anciennes structures qui intégraient dans notre pays : la famille, le mariage, l’armée, l’école, l’entreprise et le monde du travail (les associations professionnelles, le compagnonnage, l’entraide, la valeur travail) pour laisser l’individu seul, pieds et poings liés, face à un État se prétendant bienveillant, omnipotent, compétent en tout, et seul représentant du bien commun.

Las, les humains, la société, l’économie, l’écologie ne répondent pas longtemps aux normes idéologiques, et face à l’effondrement contemporain de la plupart des organisations étatiques (les institutions, l’école, l’hôpital, les grandes agglomérations) le socialisme, en quête de nouveaux gadgets, a développé un concept miracle censé corriger les excès ou les manquements de l’État : la mixité (scolaire, sociale, professionnelle…).

Dans les écoles, les facs, les quartiers, les entreprises, il suffirait de mélanger le bon grain (les bons éléments) et l’ivraie (ceux en « difficulté ») pour faire monter en compétences l’ensemble du corps social, redonner du sens et du bonheur de vivre en commun.

 

Le désastre indépassable du collège unique et inique

Dans le secondaire, en 1977, on est parti du principe que le mélange des bons élèves (ou ce qu’il en reste dans le secteur public) via le collège unique allait réenchanter le monde scolaire, donner leur chance à tous (et non-dit très important : créer de nombreux postes d’enseignants).

Sauf que les enfants ne fonctionnent pas comme cela : un enfant est souvent à la fois conformiste et influençable. Si dans une classe de 30 élèves, un ou deux élèves tentent de mettre le bazar, de saboter le cours, de ridiculiser les adultes, il y a fort à parier que la réprobation générale (surtout si les profs s’en mêlent) et la force du groupe auront raison des éléments perturbateurs qui n’auront comme alternative que de se plier à la loi du groupe, ou de se retirer.

Malheureusement, il y a aujourd’hui en France bien peu de bons élèves susceptibles de faire corps et de tirer vers le haut l’ensemble des classes de France.

Non seulement la plupart des enseignants ne font plus la loi en classe (ils font désormais le gros dos ou signent une paix sociale comportant l’abandon de toute sollicitation à travailler), mais le mauvais élève est devenu la norme depuis l’avènement et la généralisation d’Internet (haut débit + Google et désormais ChatGPT).

Face à l’impuissance de l’école, l’injonction à la mixité scolaire et au mélange des publics est devenue un vœu creux et pieux, une impossibilité dans le chaos quasi généralisé qui règne dans les classes de France. Selon les enquêtes PISA, c’est en France qu’on déplore un des plus mauvais climats scolaires au monde.

 

Le brassage social, même dans les piscines

Hier matin, sur France culture, on évoquait des piscines publiques (presque toutes en faillite) qui contribueraient au « brassage (sic) social ».

Face aux inconséquences et imprévoyances de l’État providence (désormais sans le sou ni forces, car trop sollicité) les thuriféraires du service public pensent avoir trouvé une roue de secours sociale qui comblerait toutes les lacunes et manques de budgets : la mixité.

Plutôt que de tenter d’élever le niveau des moins bons, on mélange tout et tous en espérant que le miracle de la mixité remontera l’ensemble de la population.

 

Les ghettos et la ghettoïsation, un autre concept fourre-tout

Pour qui connaît un peu l’histoire, invoquer le terme de ghettos pour parler des banlieues en France, y compris la Seine-Saint-Denis, c’est pratiquer un raccourci trompeur.

En France, il n’y a ni enfermement ni oppression physique de personne. Si au cours du temps, les Juifs furent effectivement enfermés dans des ghettos (ghetto de Venise, ghetto de Varsovie durant la Seconde Guerre mondiale), ou si des ghettos noirs ont existé aux États-Unis, parler de ghettos en France est trompeur et inapproprié.

Personne en France n’est assigné à résidence, sauf peut-être les élèves du public à cause de la carte scolaire. Personne n’est empêché de faire des études, de devenir médecin, professeur ou ingénieur, de progresser socialement. Par contre, si on compte bien des victimes, ce sont d’abord et surtout celles du socialisme et de l’assistanat tous azimuts qui empêchent, victimisent et misérabilisent certains, les empêchant de prendre leur vie en main, de devenir mobiles, de s’assumer, de travailler et de choisir leur travail.

 

La mixité et la diversité ne se décrètent pas, elles existent quand on laisse faire, quand on cesse de contraindre le travail, les travailleurs, les citoyens, quand on fait confiance à ceux qui ont leur vie pour prouver qu’ils sont capables du meilleur, loin d’un État nounou qui déresponsabilise, infantilise et décourage.

Oups, l’énergie devient fort chère !

Par : h16

Dès 2022, les choses ont été clairement dites par notre Bruneau De Bercy national : il n’y a pas d’inflation ou, disons plutôt que la France y résiste nettement mieux que le reste de l’Europe.

Ou disons plutôt que le gouvernement va agiter frénétiquement ses petits bras musclés pour faire baisser les prix délirants de certains produits, quitte à menacer discrètement dans des ruelles sombres les distributeurs ou les fabricants qui ne feraient aucun effort.

Ou disons que oui, bon, d’accord, il y a bien une inflation robuste, qui certes ne va pas baisser prochainement, mais que, grâce à des efforts surhumains (petits bras musclés, tout ça) du gouvernement et du ministère du Bruneau, ça va aller mieux, ou presque. Promis, juré craché !

Las. Malgré les baisses de prix décrétées par le Bruneau, malgré la multiplication des efforts héroïques du gouvernement (avec ses petits bras musclés), malgré l’abnégation de chacun de ses membres turgescents qui se sont pour certains passés de Falcon républicain ou ne l’ont pris qu’une toute petite fois pour aller au Touquet, malgré ces privations terribles, zut et flûte, certaines factures ne diminuent pas du tout…

C’est ainsi qu’on découvre que certains clients malheureux de fournisseurs alternatifs d’électricité viennent de recevoir une facture de régularisation particulièrement salée, le coût d’approvisionnement en électricité ayant quelque peu augmenté : 1600 euros pour les uns, 4000, 7194 ou 9500 euros pour d’autres, l’ajustement des factures aux nouvelles conditions et aux nouveaux prix « de marché » laisse plus d’une famille dans la consternation, et souvent une situation très compliquée. Il faut dire qu’être obligé de souscrire un prêt bancaire afin de payer ses factures d’électricité dans un pays où, traditionnellement, cette énergie était la moins chère, il y a de quoi s’interroger franchement. M’est avis que le Bruneau de Bercy aura fort à faire pour justifier le statu quo français en matière de marché européen de l’électricité…

En fait, on assiste à la suite logique de l’explosion des prix de l’électricité en France : à mesure que les contrats se renouvellent (tacitement ?) et que les hausses spectaculaires de tarifs entrent en force, les (insouciants) clients des fournisseurs alternatifs découvrent les douloureux ajustements que ces hausses représentent.

La première hausse sévère subie en 2022 concrétisait essentiellement les tensions des marchés face au conflit russo-ukrainien et, surtout, les choix consternants opérés depuis des années dans les politiques énergétiques instaurées en France dans l’insouciance complète des citoyens : eh oui mes petits loulous, la transition énergétique, c’est aussi l’abandon mal planifié d’un nucléaire peu cher, la volonté de dépendre d’énergies intermittentes aux rendements rigolos, et le choix concomitant et douteux d’énergies palliatives comme le gaz, dont l’origine impose une certaine vista diplomatique qui a complètement déserté en France (et ce n’est pas ce qui se passe en Afrique actuellement qui viendra démentir ce constat navrant). Forcément, des choix idiots aboutissent à des conséquences douloureuses que les Français découvrirent, éberlués, toute l’année 2022.

La seconde hausse, véritable retour d’élastique dans l’œil globuleux d’un Bruno Le Maire jamais en manque de gamelle, c’est l’ajustement des tarifs au moment des renouvellement de contrats et les régularisations en cours d’année des fournisseurs alternatifs, non soumis au tarif réglementé, avec ces surprises dodues en plein été, et ce alors qu’une nouvelle hausse a aussi été admise il y a un mois pour les tarifs règlementés.

Le marché européen de l’électricité, aussi artificiel qu’imbibé d’interventions des États participants et des règles européennes handicapantes, devient une véritable flibusterie dans laquelle les malheureux pigeons se sont fait plumer bien trop vite pour ne pas crier. C’est une illustration assez fantastique de la raison pour laquelle l’État ne devrait jamais mettre ses gros doigts boudinés dans un marché, et pourquoi ceux qui croient faire de bonnes affaires en y prenant part se retrouvent généralement floués.

Du reste, on note aussi, en même temps, une hausse spectaculaire des tarifs de l’essence à la pompe permettant à un nombre croissant d’entre elles de dépasser allègrement le seuil symbolique des 2 euros par litre. Tout se passe de mieux en mieux pour le gouvernement.

Paradoxalement, l’énergie n’a aucun besoin d’être onéreuse. Ainsi, le nucléaire est très rentable et peu cher en France, mais le marché européen actuel, aussi bidon que néfaste, dans lequel les politiciens conservent sadiquement les Français, ne permet plus de refléter cet avantage (à dessein, du reste, ceci permettant aux Allemands de conserver une certaine compétitivité).

Par exemple, les produits pétroliers ne sont chers que parce qu’ils sont surtaxés comme aucun autre produit (on parle de plus de 100 % de taxes sur les prix bruts). Or, ces taxes sont conservées pour deux raisons : bien sûr, parce qu’elles rapportent une manne considérable à l’État et lorsqu’on est en faillite, on ne chipote pas devant une si belle entrée de fonds, mais aussi car elles permettent de pousser l’agenda, purement idéologique, d’une transition écologique qui consiste surtout à s’acharner sur les pollueurs qui – c’est pratique – sont essentiellement ces classes moyennes et modestes les plus méprisées de la caste au pouvoir…

Évidemment, à présent que la situation financière française est catastrophique, tripoter ces taxes est hors de question : si l’argent n’entre pas à gros bouillons, la cessation de paiement arrivera très très vite, ce qui pourrait écourter certains mandats et diminuer drastiquement certaines prébendes. Quant à sortir du marché européen de l’électricité, oubliez : il s’agit là encore d’une pierre d’angle idéologique, et en sortir constituerait un aveu d’échec de la classe dirigeante, une prise en compte des desideratas de ceux qu’on méprise tant, ce qui est impensable.

Le principal problème de l’énergie chère, c’est qu’elle rend absolument tout plus cher – ce qui veut dire au passage que l’inflation n’a pas fini de rester élevée. Eh oui : diminuer, même un peu, sa consommation (cette fameuse décroissance vantée par certains nigauds médiatiques) revient très concrètement à diminuer la production de richesse et, par conséquence logique, à provoquer faillites, chômage et, au final, misère.

Autrement dit, par l’impéritie des gouvernements qui se sont succédé depuis des décennies, et par la nullité historique de l’actuel, totalement vendu à des intérêts étrangers, la France va s’appauvrir un grand coup. Préparez-vous.

Sur le web

Pourquoi le libéralisme n’est pas une idéologie

Les définitions du terme « idéologie » abondent. Mais plutôt que de vous en apporter une ici, il convient surtout de relever qu’entre le sens initial du mot et les sous-entendus qu’il recèle désormais, la prudence s’impose.

En effet, alors que ce terme avait une signification précise au départ, se référant à la science des idées, il a très vite subi les coups de boutoir de Napoléon, se moquant des intellectuels peu au fait de la politique concrète, puis surtout de Karl Marx, qui en marquera profondément le sens péjoratif aujourd’hui dominant, la présentant comme une « illusion idéaliste ».

 

Le libéralisme est-il une idéologie ?

Mais c’est surtout, aujourd’hui, sur son caractère prescriptif que l’on insiste lorsque l’idéologie est évoquée.

Raymond Aron opposait ainsi ceux qui prétendent vouloir « changer l’Homme », en poursuivant des utopies ou croyances illusoires toujours pleines de bonnes intentions, mais se heurtant au réel, à ceux qui se réfèrent aux faits et, à ce titre, peuvent apparaître comme des briseurs de rêves.

C’est pourquoi il considérait que le libéralisme, par essence, est anti-idéologique, car non-prescriptif.

 

En quoi le libéralisme n’est-il pas prescriptif ?

Le libéralisme n’a pas pour prétention de vouloir changer le monde ou de promouvoir un quelconque idéalisme. Il n’est pas là pour fantasmer la réalité, changer l’Homme ou faire rêver.

C’est pourquoi certains préfèrent parler de doctrine, d’autres de philosophie, ou encore d’humanisme (ou les trois à la fois). En ce sens, le libéralisme est avant tout une conception de l’être humain, basée sur des rapports de coopération volontaire, de solidarité spontanée, de respect, de tolérance. Et qui ne cherche pas à imposer ses idées, comme le font des idéologies totalitaires ou simplement étatistes, par nature.

 

Correspond-il à une forme d’extrémisme ?

Comme le nom l’indique, le libéralisme vise avant tout à défendre les libertés individuelles.

Ce qui passe par l’importance accordée au droit (nous y reviendrons), à la défense de la propriété (nous aurons certainement également l’occasion d’y revenir ; pas facile de ne pas déborder sur les prochains volets de cette série, ni de faire court) et implique de concevoir les libertés politiques et économiques comme un tout (idem).

Il ne s’agit donc pas d’un extrémisme, loin de là et bien au contraire. Plutôt de principes visant à garantir les libertés fondamentales, fragiles par nature.

 

Quelles sont ses prétentions ?

Contrairement à l’État-providence qui a quasiment comme prétention de prendre totalement en charge les individus de leur naissance à leur mort, de manière que l’on peut croire bienveillante, le libéralisme entend au contraire leur faire confiance et s’appuyer sur leur capacité d’initiative pour développer une société où vivre en harmonie, tout en se sentant responsable. Ce qui n’exclut pas, d’ailleurs, de venir en aide aux plus démunis, contrairement à ce que certains souhaitent laisser penser.

Dans le premier cas (État-providence), le risque de despotisme n’est pas loin. Voici ce qu’énonçait Alexis de Tocqueville à son sujet, se référant ici à ses citoyens :

« L’État travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? […] il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige […] il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

Le libéralisme défend donc une vision contraire à celle de planisme, qui mène à la route de la servitude. Et une philosophie optimiste, pleine de confiance en l’Homme, tout en étant consciente de ses limites, et profondément éthique. Loin de l’arbitraire des idéologies tendant à prendre en mains le destin des peuples.

 

Les Français sont-ils majoritairement contre le libéralisme ?

La falsification qui est faite de ce terme, notamment à travers les adjonctions de particule (néo, ultra), destinées à le décrédibiliser, peut laisser penser que oui.

Maintenant, et au vu de ce que nous avons pu amorcer à travers les éléments développés ci-dessus, on peut imaginer que les valeurs du libéralisme sont très probablement compatibles avec ce que pense profondément une grande partie de la population.

La crainte ou le rejet du libéralisme, à mon sens, résulte donc d’un grand malentendu, d’une ignorance entretenue par ses principaux ennemis et par ceux (très nombreux) qui jouent involontairement, du coup, la caisse de résonance de ces mensonges, de manière sincère, par ignorance réelle de ce qu’il est (même des personnes aussi sensées ou avisées qu’une Natacha Polony, véritablement obsédée et ennemie farouche depuis très longtemps de quelque chose qu’elle méconnaît et au sujet duquel elle se trompe de ce fait lourdement1).

Pour conforter l’idée, voici ce qu’en dit par exemple Jacques Garello dans son dernier livre (en reprenant la phrase complète de Francis Richard) :

« Les idées libérales ne sont pas celles qu’on croit : beaucoup de Français se croient et se disent libéraux, mais ne le sont pas en réalité. À l’inverse, sont encore plus nombreux les Français qui sont libéraux mais ne le savent pas. Rien d’étonnant à cela puisque le libéralisme n’a que très rarement été enseigné, et presque jamais appliqué. Le libéralisme est ignoré, donc caricaturé, diabolisé, ou dévié. »

 

Libéral ? Pas libéral ?

Car, en effet, au-delà de ceux qui se pensent antilibéraux par simple ignorance, il existe aussi tous ceux qui se disent ou se sont déjà dits un jour libéraux, mais ne le sont qu’à la carte (je ne pense pas à un Emmanuel Macron, auquel vous aurez peut-être pensé spontanément, mais plutôt ou aussi à des politiques du type Jean-Pierre Raffarin ou tant d’autres du même acabit, libéraux un jour, et plus le lendemain, ou libéraux mais pas ultra-libéraux ou encore libéraux en politique mais pas en économie. Autant de points qui mériteraient d’être discutés, mais je m’aperçois que mon article finit par être à rallonge, alors que je le voulais court).

Et nous revenons là à l’essence de notre sujet du jour (en attendant les volets suivants) : le libéralisme est-il une idéologie ?

C’est parce qu’il ne l’est pas que rien ne sert de se présenter comme libéral sur tel plan et pas sur tel autre. Cela peut d’ailleurs se discuter, mais le fait est que nous parlons bien d’une doctrine, d’une philosophie qui, si elle n’est pas fermée et stéréotypée mais bien vivante et ouverte, révèle une essence profonde difficilement divisible ou modulable en fonction de ce qui arrange.

Cette philosophie de la liberté s’oppose à tout ce qui assujettit d’une manière ou d’une autre des êtres ou des organisations, au risque de verser dans ce qui apparaît bien, si l’on fait référence au domaine économique, comme un capitalisme de connivence (là encore, nous aurons largement l’occasion d’y revenir, car il s’agit d’une source centrale du grand  malentendu).

Et c’est aussi parce que beaucoup ont été déçus et se sont sentis floués par certaines idéologies auxquelles ils ont plus ou moins adhéré un temps par une sorte d’idéalisme bien compréhensible et parfaitement humaine, que certains d’entre eux, parmi les esprits les plus brillants (Jean-François Revel, Jacques Marseille et d’autres encore, comme le rappelle un lecteur de l’article précédent) s’en sont détournés pour privilégier une approche plus philosophique (alors que les exemples inverses sont plus difficiles à trouver, comme ce lecteur le souligne).

 

La liberté ne se décrète pas

En conclusion de ce volet, et pour finir (même si je suis forcément très incomplet), on peut noter que la liberté que défend le libéralisme est quelque chose de spontané. Il ne s’agit pas d’un constructivisme, donc pas d’une idéologie. Ce qui n’exclut pas l’État, en tant que garant de ces mêmes libertés.

Un article publié initialement le 7 avril 2017.

À lire aussi :

 

 

 

  1. Je découvre d’ailleurs, au passage, moi qui ai failli lui écrire gentiment il y a quelques mois en y ayant finalement bêtement renoncé par manque de temps, que Nathalie MP a justement écrit un article à ce sujet, que je vais m’empresser de lire avec délectation, où il est manifestement question de « malentendu »

LFI et Civitas : le bon et le mauvais antisémite

Mardi 8 août, Caroline Yadan, députée Renaissance, ironisait sur le fait que Jean-Luc Mélenchon saluait la décision du ministre Gérald Darmanin d’engager la dissolution de Civitas à la suite de l’intervention de Pierre Hillard proposant de déchoir les Juifs de leur nationalité :

« Magnifique récupération de @JLMelenchon et belle tentative de dédouanement. Bien tenté. Et la dissolution de LFI pour lutter contre l’antisémitisme c’est une idée aussi non ? »

Il s’en est suivi un torrent d’indignations et d’insultes de militants de gauche, beaucoup estimant que cela reviendrait à supprimer la première opposition en France, et démontrerait le vrai visage du macronisme : la tentation du parti unique.

La séquence mérite quelques réflexions.

Aucune personne honnête intellectuellement ne pouvait interpréter le tweet de la députée comme une autre chose qu’une boutade provocatrice.

Cependant, Caroline Yadan pose une très bonne question en filigrane : comme il y aurait de bons et mauvais chasseurs, existerait-il de bons et mauvais antisémites ?

Les propos de Pierre Hillard sont évidemment extrêmement choquants, et les dénoncer vigoureusement est nécessaire si nous voulons éviter un élargissement de la fenêtre d’Overton sur la question de l’antisémitisme. Mais nous pouvons aussi nous rassurer du fait de la faible portée de Civitas (1000 adhérents d’après Pierre-Yves Camus), et du caractère si grotesque de la proposition qu’elle ne peut que provoquer l’indifférence des Français. On peut d’ailleurs penser que ces propos seraient passés inaperçus s’ils n’avaient pas été prononcés au cœur de l’été, au moment où manquent polémiques et actualités pour alimenter la scène politico-médiatique.

En revanche, nous devrions tous être inquiets des dérapages trop fréquents de Jean-Luc Mélenchon et de son parti sur la communauté juive et l’aveuglement de ses militants, tous prompts à justifier ses propos, quitte à pointer du doigt les organisations juives…

S’il n’appelle pas à déchoir les Juifs de leur nationalité, la communauté et ses instances sont régulièrement prises pour cible : attaques répétées contre le CRIF depuis 2019, accusé de ne pas choisir les bonnes options politiques, alors qu’il n’en choisit précisément aucune mais s’inquiète des dérapages récurrents de l’extrême gauche, désignation des élites juives britanniques comme responsables de la défaite de Jeremy Corbyn, remise au goût du jour de la rhétorique du peuple déicide

Sans parler de la proximité de la France Insoumise avec des personnalités notoirement antisémites et de leurs thèses, comme Houria Bouteldja et Jeremy Corbyn lui-même. La dangerosité particulière de cet antisémitisme latent de la gauche radicale repose d’une part sur une forme de modération des propos et leur justification raisonnables destinées à les rendre acceptables, une partie de la pensée anticapitaliste ayant toujours été ambiguë sur l’antisémitisme ; et d’autre part dans la portée non-négligeable dont la parole politique de Jean-Luc Mélenchon.

Ceci étant dit, faut-il dissoudre Civitas et/ou la France Insoumise ?

« La liberté complète de contredire et de désapprouver notre opinion, est, écrit John Stuart Mill, la condition même qui nous permet d’affirmer sa vérité dans des vues pratiques ; et un être humain ne peut avoir d’aucune autre façon l’assurance rationnelle d’être dans le vrai. »

Autrement dit, aucune vérité ne peut être rationnellement démontrée s’il n’existe pas la liberté de la contredire.

L’affaire Dieudonné a amplement démontré le mauvais usage de la Justice, puisque chacun de ses procès, perdus, confortait le sentiment de ses adeptes que le pouvoir était sous « emprise des Juifs ». Dans une démocratie, exprimer ses opinions, même les plus stupides et les plus nauséabondes, tant qu’il ne s’agit pas d’appel à la violence, doit être considéré comme un droit absolu. Et la France Insoumise ne se trompe pas quand elle dit que sa dissolution porterait atteinte à notre démocratie. Malheureusement, ils ne voient pas que ce principe s’applique également à Civitas, contre lesquels ils appellent à la censure.

Enfin, on ne peut pas ignorer que cette prompte réaction de l’exécutif était une manière de donner le change à la dissolution des Soulèvements de la Terre, et éviter ainsi toute accusation de deux poids deux mesures. Du point de vue libéral, beaucoup considèreront que la dissolution est une mesure aussi liberticide qu’inutile, puisqu’elle frappe collectivement la liberté de s’associer plutôt que l’individu auteur du délit, sans empêcher ces individus de s’organiser par d’autres moyens, notamment grâce à tous les outils qu’offre le numérique comme les cagnottes.

Mais on pourrait aussi estimer que la personnalité juridique d’une association n’existe que par la reconnaissance que lui confère l’État, et que dès lors, l’État ne devrait pas octroyer cette reconnaissance à une association ayant pour but affiché de porter atteinte aux droits individuels dont la protection doit être le but premier dans une démocratie libérale.

Certes, le débat juridique sur le caractère fictif ou réel de la personnalité morale n’est pas encore éteint, mais on ne peut ignorer que c’est cette reconnaissance étatique qui donne aujourd’hui une liberté d’action concrète à la personne morale.

Cela étant, la blockchain pourrait changer la donne en permettant de se passer de l’État pour authentifier la relation contractuelle liant les sociétaires. En tout état de cause, du point de vue « fictiviste », on pourrait juger illogique que la collectivité reconnaisse Les Soulèvements de la Terre, dont l’unique objet est la coordination d’action de sabotage sur des biens d’autrui. Que les propos inacceptables de Jean-Luc Mélenchon ou de Pierre Hillard portent atteinte à des droits individuels ou puissent être reprochés à toute leur organisation est bien plus discutable…

Quoi qu’il en soit, on peut s’inquiéter d’une tendance lourde à la dissolution comme un pis-aller compensant la faiblesse du discours politique.

Ces Jeux Olympiques 2024 qui se présentent si bien…

Par : h16

On s’amuse, on rigole, le temps passe, et mine de rien, dans moins d’une année, Paris devra accueillir les Jeux Olympiques d’été. Heureusement, les astres s’alignent et tout indique que ces événements sportifs seront placés sous les meilleurs auspices.

Reconnaissons-le : ces jeux tombent vraiment à point. Pour une France dont la dette dépasse à présent tous les records, et dont le déficit n’en finit pas de se creuser (merci le Bruneau de Bercy), ces Jeux représentent même une vraie opportunité de dépenses somptuaires aux frais du contribuable avec une probabilité de retour sur investissement complètement nulle pour lui.

Rassurez-vous cependant : comme on peut s’y attendre, les gros industriels, largement subventionnés, sauront s’y retrouver. Le capitalisme de connivence à la française se porte très bien.

Et c’est donc avec une bonne humeur teintée d’un optimisme d’airain que, petit à petit, ces Jeux s’organisent dans la capitale française dans le respect inclusif de tous, de toutes et même de nos amis les animaux, à commencer par les surmulots dont on pressent qu’ils sauront, eux aussi, trouver leur intérêt à ce raout sportif.

D’ailleurs, à propos d’inclusivité et de mammifères facétieux, les hordes de migrants un peu turbulents ne seront pas un souci : d’une part, la sécurité sera assurée d’une main aussi ferme qu’électronique – et, on le soupçonne, extensible à l’ensemble du territoire pour bouter le complotiste et le dissident hors nos murs. D’autre part, bien que venus en nombre grâce à l’accueil chaleureux et solidaire – surtout solidaire, d’ailleurs – de la Mairie de Paris, ces migrants sont maintenant habilement redirigés dans des endroits plus propices à leur épanouissement personnel : les estimant sans doute un peu trop exubérants, pas tout à fait assez intégrés au décor, et souffrant d’une absence un peu trop visible des « bons codes » pour nos sociétés policées, les autorités ont en effet décidé de les expédier en petits paquets surprise aux six coins de l’Hexagone.

Gageons que la Province se réjouira de ces surprises croustillantes.

Pour les épreuves, les tests menés jusqu’à présent donnent une bonne idée de ce qui pourrait se passer : l’annulation chaotique de l’épreuve de natation ce premier week-end d’août permet de situer avec précision l’efficacité et le professionnalisme des équipes en charge de toute l’organisation.

Au passage, on ne pourra s’empêcher de noter que cette annulation survient à cause d’une pollution de la Seine (dont le lit n’était pas asséché, heureusement) provoquée par une pluie diluvienne, ruinant à la fois le message officiel d’une canicule, l’autre message officiel d’une sécheresse, celui d’une capitale de plus en plus propre, et celui, enfin, d’une préparation de ces jeux tirée au cordeau.

On sera rassuré en se rappelant que les surmulots savent assez bien nager, et que la pollution des lieux ne les gênera pas beaucoup. On gagnera en assurance en apprenant qu’en fait, après analyse des eaux, cette pollution n’était que très légère et – c’est ballot – ne nécessitait pas l’annulation des épreuves. On perdra toute assurance en constatant que si les épreuves furent malgré tout annulées, c’est essentiellement parce que les résultats des analyses sont parvenus trop tard, le lundi suivant.

Bref, les choses commencent à prendre la tournure qu’on imaginait déjà il y a quelques temps, et on entraperçoit les contours d’une capitale 2024 particulièrement rutilante.

Cossue, même, si l’on en juge par les estimations de prix des locations pendant cette période, que certains se sont enhardis à faire pour aboutir à des chiffres croquignolets : comptant avec un optimisme assez stupéfiant sur une masse de 15 à 20 millions de touristes à Paris pendant cette période, les professionnels du milieu hôtelier auraient ainsi multiplié le prix de leurs chambres par plus de six. Une chambre actuellement autour de 90 euros la nuit s’affiche parfois à plus de 1300 euros dans un an, ce qui ne manquera certainement pas de scandaliser les députés LFI dont on attend les réactions avec gourmandise (sauf pour ceux d’entre eux qui louent très capitalistiquement des chambres dans la capitale, bien sûr).

Sans nul doute, les répétitions et autres tests grandeur nature permettront de rôder les procédures, décrasser les moteurs, huiler les comportements, préparer les esprits et trouver des solutions innovantes pour résoudre ou contourner les mille et un petits soucis qui ne manqueront pas de se présenter dans les dix prochains mois.

Peut-être y aura-t-il un peu de retard ici ou là dans l’un ou l’autre aménagement olympique, mais reconnaissons-le, c’est peu probable. Peut-être y aura-t-il quelques tensions au niveau de la sécurité alors que certaines épreuves se déroulent dans les quartiers les plus festifs, jeunes et remuants de la capitale ; mais cette fois-ci, on sait que les autorités sauront réagir aux hordes de supporters anglais turbulents. Peut-être les transports en commun devront faire preuve d’un peu plus de leur légendaire souplesse et capacité d’adaptation pour accommoder le flot de touristes frétillants qui ne manqueront pas de se bousculer dans la capitale ; mais il est certain que les Franciliens et les Français sont déjà confiants.

Ou presque, puisque une petite minorité (67 %, tout au plus) des habitants de l’agglomération parisienne se disent pessimistes, estimant que la France ne sera pas prête.

Allons, allons !

Compte tenu de l’esprit inventif et de la détermination des équipes notamment municipales qui ont amplement démontré jusqu’à présent toute l’étendue de leurs compétences, il n’y a pas de doute : tout va très bien se passer.

Sur le web

L’abaissement de la note de crédit des États-Unis : un dysfonctionnement de l’État

Par : Reason

Par Eric Boehm.

 

Des perspectives budgétaires de plus en plus instables et un gouvernement élu qui ne veut rien faire pour y remédier ont déclenché la deuxième dégradation de la note de crédit des États-Unis.

L’agence de notation Fitch Ratings a abaissé la note de crédit de l’État américain de AAA à AA+ mardi après-midi, signalant ainsi aux investisseurs que les obligations du Trésor américain constituent un achat qualitativement moins idéal. Dans son annonce, Fitch a déclaré que l’abaissement de la note reflétait la montagne croissante de dettes de l’État fédéral et la dynamique politique tendue du pays, dont la preuve la plus récente a été le bras de fer sur le plafond de la dette qui a failli déclencher un défaut de paiement de la dette nationale.

« Les impasses politiques répétées sur le plafond de la dette et les résolutions de dernière minute ont érodé la confiance dans la gestion budgétaire », a déclaré Fitch dans son communiqué. Ce changement reflète également une « détérioration budgétaire attendue » au cours des prochaines années, car le déficit fédéral devrait se creuser, venant s’ajouter à la dette nationale américaine, qui s’élève déjà au total à 32 000 milliards de dollars.

Le service de notation a également souligné l’écart croissant entre les recettes fiscales et les dépenses de l’État fédéral, ainsi que les « progrès limités » réalisés pour résoudre des problèmes imminents tels que l’insolvabilité prévue de la sécurité sociale au début des années 2030.

Si la note AA+ indique que la dette américaine reste un investissement digne de confiance, l’abaissement de la note par Fitch est un signal d’alarme concernant la trajectoire budgétaire de l’État fédéral.

Maya MacGuineas, présidente du Committee for a Responsible Federal Budget (Comité pour un budget fédéral responsable), une organisation à but non lucratif qui milite en faveur de la réduction des déficits, a déclaré dans un communiqué que la dégradation de la note « devrait être une sonnette d’alarme […] Nous devons mettre de l’ordre dans les finances et la politique de notre pays. L’économie américaine reste forte, mais nous sommes sur une trajectoire insoutenable ».

La dette nationale est en passe de doubler par rapport à la taille de l’économie américaine au cours des 30 prochaines années, et à mesure qu’elle augmente, le coût des paiements d’intérêts augmente lui aussi. Le Congressional Budget Office (CBO) estime que les intérêts de la dette nationale absorberont un tiers du budget fédéral d’ici à 2050. Cela signifie que plus de 30 cents de chaque dollar prélevé sur l’économie seront consacrés aux coûts permanents des dépenses déficitaires passées, au lieu d’être utilisés pour couvrir les services publics.

« Une dette élevée et croissante aurait des conséquences économiques et financières significatives », a averti le CBO en juin, se faisant l’écho de préoccupations similaires exprimées récemment par le Government Accountability Office et des groupes non gouvernementaux. La montagne de dettes « ralentira la croissance économique, augmentera les paiements d’intérêts aux détenteurs étrangers de la dette américaine, accroîtra le risque d’une crise budgétaire, augmentera la probabilité d’autres effets négatifs qui pourraient se produire plus graduellement et rendra la situation budgétaire de la nation plus vulnérable à une augmentation des taux d’intérêt », a déclaré le CBO.

Fitch est la deuxième des trois grandes agences de notation à rétrograder l’État fédéral de la catégorie la plus élevée à la deuxième catégorie la plus élevée. En 2011, Standard and Poor’s (S&P) a abaissé la note de la dette américaine de AAA à AA+, où elle se trouve encore aujourd’hui.

Ce changement faisait également suite à une impasse politique tendue sur le plafond de la dette, bien que le gouvernement fédéral ait eu une dette de 14 000 milliards de dollars à l’époque, ce qui est désormais familier. Le total actuel s’élève à plus de 32 600 milliards de dollars.

Doubler sa dette en un peu plus d’une décennie est un bon moyen d’effrayer ceux qui pourraient vous prêter plus d’argent à l’avenir. Compte tenu des tendances budgétaires et politiques actuelles à Washington, la question était de savoir quand, et non pas si, les États-Unis verraient leur note de crédit abaissée à nouveau.

À moins d’un changement radical, il est peu probable que ce soit la dernière.

Sur le web

 

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