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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Un avertissement venu du “Old Deep State”: Macron conduit à une guerre nucléaire

Ce sont des anciens des services secrets. Ils ont participé à la politique d’hégémonie américaine mais ils détestent l’idéologie des néoconservateurs. C’est pourquoi je les appelle, ironiquement, le ‘Vieil Etat Profond”. Ils sont réunis dans le groupe Veteran Intelligence Professionals for Sanity. (Ancien du Renseignement Chevronnés pour le Bon Sens). Il faut les écouter attentivement! Ils ont écrit à Biden pour l’avertir: Emmanuel Macron ne prend pas les Russes au sérieux. Il ne croit pas que les Russes frapperont des troupes françaises au sol. Par inconscience, il pourrait entraîner, au bout d’une chaîne de réactions, les Etats-Unis dans un affrontement nucléaire avec la Russie. Retenons en particulier cette phrase: “Un (…) facteur inquiétant est que les Russes sont susceptibles de croire que la folie de Macron a l’approbation tacite de certains responsables américains et occidentaux, qui semblent désespérés de trouver un moyen de modifier la trajectoire de la guerre en Ukraine – d’autant plus que les élections approchent”.

Ce texte est paru sur InformationClearingHouse.blog. C’est la rédaction du Courrier des Stratèges qui est responsable des intertitres et des passages soulignés.

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Y a-t-il une taupe russe à l’Elysée?

Dans les messages qu’il a fait passer par agence TASS interposée, le directeur du renseignement extérieur russe fait état sans vergogne de conversations tenues à l’Elysée. Ecoutes? Renseignement humain? Visiblement le palais de la présidence est mal protégé de la pénétration du renseignement étranger. On soulignera le décalage entre des gouvernants qui traquent de prétendus “relais d’influence” de la Russie en France (pour faire taire toute voix qui n’est pas alignée sur le récit pro-ukrainien) mais qui sont apparemment incapables de se protéger d’une ingérence russe réelle. Il serait temps de sortir de l’univers d’OSS 117 pour enfin protéger le pays.

Georges Pâques (1914-1993), haut fonctionnaire français arrêté par la DST en 1963 pour espionnage au profit de l’URSS

J’ai sursauté en lisant l’une des deux dépêches de l’Agence TASS, qui rapporte les propos du directeur du service de renseignement extérieur russe:

Tôt ou tard, Macron devra révéler l’horrible vérité, mais il essaiera de retarder les “aveux” le plus longtemps possible. Comme on le dit à l’Élysée, le nombre de Français tués ‘a déjà franchi un seuil psychologiquement significatif’. La divulgation de données aussi sensibles pourrait inciter les citoyens à protester, surtout dans le contexte des campagnes antigouvernementales massives menées par les agriculteurs dans tout le pays”, a noté M. Narychkine.

Selon le chef des services de renseignement, l’armée française est “visiblement préoccupée” par le nombre croissant de citoyens français tués en Ukraine.

Agence TASS, 19 mars 2024

Quel est le degré de pénétration du renseignement russe dans les services de l’Etat?

Quand on prend le temps de peser tous les mots, cette dépêche est très inquiétante pour les intérêts français. Le chef du service de renseignement extérieur russe ne se cache même pas: il avoue qu’il a connaissance de conversations tenues dans l’entourage du Président de la République ou à l’Etat-Major et au Ministère de la Défense?

Alors écoutes? Renseignement humain? On a le droit de poser la question sans détour: y a-t-il une taupe russe à l’Elysée?

On aimerait bien que des parlementaires posent la question au ministre de l’Intérieur et au ministre de la Défense.

Ils traquent la liberté d’expression mais ne savent pas se protéger du renseignement étranger

Nos gouvernants sont très forts pour vouloir censurer toute personne qui n’adhère pas au récit officiel sur la guerre d’Ukraine. En revanche, ils ne semblent pas se préoccuper de l’éventuelle pénétration des services étrangers jusqu’au cœur de l’appareil d’Etat.

Et ne nous faisons pas d’illusions: si le directeur du renseignement extérieur russe affiche un peu de ce qu’il sait de conversations tenues à l’Elysée, il est légitime de se demander si notre pays est défendu contre la pénétration des services de différents pays, à commencer par la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne.

Nous avons le droit d’être sceptiques.

2014: l’année où la guerre en Ukraine a réellement commencé

Par : STRATPOL

C’est une révélation étonnante, pour qui n’a pas suivi les évènements du coup d’état de Maïdan, que vient de publier

L’article 2014: l’année où la guerre en Ukraine a réellement commencé est apparu en premier sur STRATPOL.

Tempête dans le renseignement extérieur français

Le 20 décembre, Emmanuel Macron a limogé de manière abrupte le chef de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Bernard Emié, lors d’une réunion du Conseil des ministres. Un ami personnel de Macron, le chef du contre-espionnage français (Direction générale de la sécurité intérieure – DGSI) Nicolas Lerner, a été nommé à sa place.

Vidéo. Renseignement. Qui sont les lauréats du 6e Grand Prix de l'Académie du renseignement ?

Nourrir et transmettre une culture du renseignement : c'est la mission que se donne l'Académie du renseignement à travers ce Grand Prix. Découvrez les noms des lauréats du Grand Prix Recherche, du Grand Prix Œuvre de création - mention « Essai » et du Grand Prix Son et image.

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Livre cadeau. « 1961 », par B. Besson

A l'approche des fêtes de fin d'année, Diploweb.com est heureux de vous offrir un ouvrage de B. Besson, « 1961 », premier tome d'une tétralogie 1961, 1962, 1963, 1964.

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Grand Prix de l'Académie du renseignement

Le Grand Prix a pour finalité de favoriser la connaissance et la compréhension de la communauté du renseignement et de ses métiers. Découvrez ci-dessous les lauréats des éditions précédentes pour en comprendre l'esprit et les perspectives.

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Guerre à Gaza. L'Égypte entre inquiétude et récupération

L'entrée des premiers convois d'aide humanitaire à Gaza le 21 octobre depuis Rafah confirme que l'Égypte est en première ligne dans le conflit qui oppose Israël au Hamas depuis le 7 octobre 2023. Le président Abdel Fattah Al-Sissi doit naviguer entre les pressions des Israéliens et de l'allié américain en faveur de l'accueil de réfugiés dans le Sinaï, la défense de la souveraineté nationale de son pays et le soutien de sa population aux Palestiniens. À moins de deux mois des élections présidentielles, la crise en cours pourrait jouer en sa faveur.

Lors d'une allocution consécutive à l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023, le premier ministre d'Israël Benyamin Nétanyahou appelait ses concitoyens à la circonspection : les rumeurs faisant état d'une mise en garde adressée par les services égyptiens à leurs homologues israéliens à propos de l'imminence d'une opération d'ampleur depuis Gaza étaient selon lui infondées. Vraies ou fausses, ces rumeurs soulignent le rôle de la coopération sécuritaire bilatérale entre les deux pays et mettent en relief la crise actuelle..

Indéniablement, l'offensive du Hamas peut être qualifiée de succès tactique en raison de l'effet de surprise. La branche armée du parti islamiste palestinien a agi un jour de fête et de congé pour les Israéliens, alors que l'essentiel des troupes israéliennes était concentré dans les autres territoires palestiniens occupés (TPO), en particulier à Jérusalem-Est et près de Jénine et de Naplouse en Cisjordanie.

Au-delà de la percée du dispositif défensif israélien, cette attaque jette une lumière crue sur les défaillances des services de renseignement, réputés infaillibles. Elle invite à interroger les rapports de force entre les principaux protagonistes des négociations de cessez-le-feu de long terme dans la bande de Gaza, qui interagissent depuis de nombreuses années : services israéliens, égyptiens et bien entendu le Hamas.

L'impasse des négociations de cessez-le-feu

Depuis la victoire législative du Hamas en 2006 puis sa prise de contrôle de la bande de Gaza en 2007, l'enclave palestinienne a été le théâtre de plusieurs guerres, notamment en 2006, 2008-2009, 2012, 2014 et 2021, et de cycles de violence presque hebdomadaires. De manière quasi-routinière, sont échangés des tirs de mortiers et de roquettes d'un côté, de missiles de l'autre, engendrant des négociations sur le vif, parfois conclues en l'espace de 24 heures, et débouchant sur un statu quo fragile. La séquence est presque écrite d'avance. Ces négociations — indirectes — entre le parti islamiste palestinien et le gouvernement israélien se déroulent par l'intermédiaire des services de renseignement égyptiens, mandatés par le président Hosni Moubarak (1981-2011) pendant la deuxième Intifada pour gérer le « dossier palestinien ».

Les négociations de cessez-le-feu s'apparentent à une gestion de court terme du conflit entre le Hamas et les autorités israéliennes. Les services de renseignement égyptiens, fins connaisseurs de la société à Gaza1, y endossent un rôle de partenaire (sharīk) puisque l'« apaisement à Gaza » est présenté par Le Caire comme une condition sine qua non de la stabilité dans la péninsule du Sinaï. Ainsi, la sécurité nationale égyptienne est directement liée à l'évolution des conditions politiques et sécuritaires dans l'enclave palestinienne voisine. L'actuel régime d'Al-Sissi présente ce lien de causalité de manière explicite en exigeant du parti islamiste palestinien sa coopération dans la « lutte contre le terrorisme », centrée sur des groupuscules salafo-djihadistes.

La coopération sécuritaire avec le Hamas, mais aussi avec les autorités israéliennes semblait donc bien établie2. En contrepartie, le Hamas exigeait la levée du blocus pour permettre la mobilité des Palestiniens de Gaza, mais aussi la construction d'infrastructures ou encore l'extension de la zone de pêche. Le parti islamiste revendiquait également la libération de milliers de ses prisonniers détenus en Israël. En 2011, l'échange de prisonniers palestiniens contre la libération du soldat Gilad Shalit, avait été mis à l'actif des officiers de renseignement égyptiens, malgré la longueur des négociations (de 2006 à 2011).

Bien que les services égyptiens jouent un rôle central dans la relation entre l'État israélien et le Hamas, force est de reconnaître que le processus piétine depuis quelques années. Suite à une énième offensive militaire israélienne en 2021, particulièrement dévastatrice, le Hamas, dont la popularité dans la bande de Gaza ne cessait de décliner et qui se trouvait pressé par une population gazaouie désespérée par la situation humanitaire, exigeait une accélération des négociations afin de desserrer l'étau du blocus. En vain, la politique intérieure israélienne ayant pris le dessus sur ces tractations.

Divergences d'intérêts entre Israéliens et Égyptiens

L'ancienneté de la coopération sécuritaire égypto-israélienne et les discussions bilatérales n'ont jamais empêché la méfiance entre les parties. Rappelons que si le régime égyptien ne qualifie pas le Hamas d'« organisation terroriste », il assimile le mouvement aux Frères musulmans, en butte à une répression presque constante depuis l'époque de Gamal Abdel Nasser (1956-1970), qui s'est accrue à partir de 2013 et l'arrivée au pouvoir du général Al-Sissi. Il n'existe donc pas de relations diplomatiques officielles, ce qui explique en partie le recours aux officiers de renseignement plutôt qu'aux diplomates dans ces négociations.

De même, si les relations égypto-israéliennes n'ont jamais été aussi cordiales que depuis l'avènement d'Al-Sissi, il semblerait qu'une certaine distance se soit installée après le déclenchement du processus de normalisation entre Israël et certaines capitales arabes3. Bien qu'affichant son soutien à ces accords, le régime craignait qu'ils ne marginalisent l'Égypte et pénalisent ses aspirations au leadership régional. Sans pouvoir bien sûr le dire ouvertement, le régime craint que ces accords ne relativisent le rôle du Caire et ses aspirations au leadership dans la région.

Pour ce qui est des négociations de cessez-le-feu, l'opération « Déluge d'Al-Aqsa » depuis le 7 octobre 2023 atteste de cette relative mise à l'écart, les contacts avec les services de renseignement égyptiens ayant été suspendus. Le Qatar, impliqué de longue date dans les négociations de cessez-le-feu et hébergeant des cadres politiques du Hamas, a été sollicité par les administrations israélienne et américaine pour exercer une médiation, notamment en vue de la libération des otages et des prisonniers israéliens. De même, la Turquie ainsi que l'Arabie saoudite se sont dites prêtes à jouer les intermédiaires. Ceci s'explique aussi en raison de la position ambivalente du Caire, directement impliqué dans les discussions de cessez-le-feu. En effet, la levée du blocus sur l'enclave palestinienne n'a jamais été envisagée par les autorités israéliennes que via la frontière entre Gaza et l'Égypte, ce qui a exacerbé les rapports de force entre négociateurs israéliens et égyptiens, et contribue aux blocages entre les deux parties.

La question d'un échange de terres ou la cession d'une partie du Sinaï pour permettre une extension de la bande de Gaza ou même constituer une alternative à celle-ci est un thème récurrent qui a ressurgi de façon très brutale depuis l'offensive israélienne contre la bande côtière et le déplacement forcé de près d'un million de Gazaouis du nord vers le sud de l'enclave palestinienne. Déjà évoquée pendant les années Moubarak, l'idée de développer le nord du Sinaï, pour le transformer en zone industrielle et générer un marché de l'emploi pour les Gazaouis avait aussi été présentée au moment de la publication du volet politique de l'« accord du siècle » en janvier 2020, conçu par les États-unis sous la présidence de Donald Trump. Le régime égyptien s'était empressé de démentir un tel projet et ne cesse d'affirmer ces derniers jours son refus catégorique de céder une partie du Sinaï, au nom de l'intégrité territoriale du pays.

Dans ce contexte, un bras de fer s'est installé entre l'Égypte et Israël (soutenu par l'administration américaine). En témoigne l'arrêt de l'exportation de gaz israélien vers le territoire égyptien après le début de l'offensive militaire menée par Tel-Aviv4. L'Égypte campe pour le moment sur ses positions : elle refuse l'évacuation des Palestiniens par le terminal de Rafah et demande plutôt la mise en place d'un corridor humanitaire afin d'acheminer de l'aide dans la bande de Gaza. Une circulation à sens unique donc.

Derrière le dossier gazaoui, le Sinaï

Outre la délicate question des tunnels de contrebande creusés ente l'Égypte et Gaza, et pour la plupart détruits par l'armée égyptienne dès 2012, la crainte des régimes égyptiens successifs d'un débordement des habitants de l'enclave voisine s'est réalisée au moins une fois depuis le début du blocus — un épisode vécu comme un électrochoc au Caire. Au mois de janvier 2008, des milliers de Palestiniens de Gaza avaient « brisé » le siège en forçant la frontière entre la bande côtière et l'Égypte, et avaient réussi à pénétrer en territoire égyptien, où ils étaient restés plusieurs jours. Les autorités égyptiennes s'étaient retrouvées à l'époque dépassées par les événements.

Mais la menace que constituent pour Le Caire l'enclave palestinienne ainsi que le nord du Sinaï est aussi le fruit d'une instrumentalisation qui permet au maréchal Al-Sissi de justifier la militarisation de cette partie de la péninsule. L'utilisation par le régime égyptien d'un concept aussi consensuel que celui de « sécurité nationale » permet de justifier tout un ensemble de mesures sécuritaires.

Les politiques de sécurisation de la péninsule du Sinaï ont ainsi conduit à une reconfiguration territoriale majeure, au détriment des populations civiles, et facilité la construction d'infrastructures pilotées par l'armée égyptienne. En octobre 2014, l'état d'urgence a été décrété dans le nord du Sinaï, déclaré « zone militaire », et n'a toujours pas été levé à ce jour. Inaccessibles de ce fait aux civils, les informations quant à l'évolution de la situation dans cette zone sont rares. On sait toutefois que l'armée s'est livrée à des opérations de destruction massive d'habitations et de commerces. Un rapport de l'organisation Human Rights Watch (HRW) publié en 2019 dénonce quant à lui les exactions et les crimes de guerre commis par les forces égyptiennes5. La création d'une zone tampon longue de plusieurs kilomètres à la frontière avec la bande de Gaza a donné lieu à des déplacements forcés, mais aussi à des arrestations arbitraires ou encore des assassinats entre juillet 2013 et avril 2018.

Une campagne électorale parasitée

Zone militaire fermée et désormais désertée, le nord du Sinaï apparaît aux yeux des Israéliens comme une zone propice à l'établissement, pour une durée indéterminée, d'un camp de réfugiés destiné à héberger les Palestiniens en provenance la bande de Gaza. Dès les premiers jours du conflit, l'aide humanitaire de plusieurs pays, dont la Jordanie et la Turquie, a afflué dans la ville égyptienne d'Al-Arish, afin de mettre un place un corridor humanitaire vers l'enclave palestinienne.

On assisterait alors, selon le souhait du premier ministre israélien et comme le redoutent les Palestiniens à une seconde Nakba. Mais pour y parvenir, il faudra contraindre le régime égyptien à y consentir. La tenue d'élection présidentielle en décembre prochain, sur fond de colère populaire face à l'inflation galopante et à une crise de la dette sans précédent, fragilise le pouvoir d'Al-Sissi. En outre, la population du pays est largement acquise à la cause palestinienne et a commencé à se mobiliser, y compris de manière inédite place Tahrir, dans un contexte de répression où les manifestations sont interdites. Les mobilisations actuelles en Égypte visant aussi le régime, le conflit israélo-palestinien ne permettra sans doute pas au président Al-Sissi de détourner l'attention des Égyptiens de la campagne électorale en cours. Il doit donc s'efforcer de faire bonne figure auprès des Palestiniens pour remporter le scrutin. Enfin, si une nouvelle Nakba venait à se réaliser, gageons que le président égyptien parvienne à tirer profit de la situation, laquelle se solderait par une importante transaction financière.


1L'Égypte a administré la bande de Gaza de 1948 à 1967 et les officiers du renseignement en charge du dossier le suivent de longe date.

2Depuis l'opération « Aigle » de 2012 (concertée avec Israël), premier déploiement massif de troupes égyptiennes dans le Sinaï depuis la guerre de 1973, la collaboration sécuritaire entre Tel-Aviv et Le Caire dans la région n'a cessé de s'intensifier, même durant la brève présidence de Mohamed Morsi (2012-2013).

3En 2020, des accords de normalisation ont été signés entre Israël, les Émirats arabes uni, le Bahreïn et le Maroc, puis le Soudan début 2021. Lors de l'offensive du Hamas, le 7 octobre dernier, des négociations de normalisation étaient en cours entre Tel-Aviv et l'Arabie saoudite sous l'égide des États-Unis.

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Histoire des services secrets

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Parlement européen. Qatargate ? Non, Marocgate

Le Maroc a confié la gestion de son réseau d'influence à son service secret extérieur, ce qui a suscité l'ouverture d'un débat au Parlement européen sur les allégations de corruption et d'ingérence étrangère de Rabat, alors même que l'institution s'apprête à voter pour la première fois depuis un quart de siècle une résolution critiquant la situation des droits humains dans ce pays.

À l'automne 2021, les 90 députés membres des commissions des affaires étrangères et du développement du Parlement européen ont dû, comme chaque année, choisir les trois candidats sélectionnés pour obtenir le prix Sakharov des droits de l'homme, le plus prestigieux de ceux que décernent les institutions européennes. Au premier tour sont arrivés ex aequo Jeanine Añez, l'ancienne présidente de la Bolivie, candidate présentée par le parti d'extrême droite espagnol Vox au nom du groupe Conservateurs et réformistes, et l'activiste saharaouie Sultana Khaya, parrainée par Les Verts et le Groupe de gauche. La première des deux femmes purge une peine de prison dans son pays pour « terrorisme, sédition et conspiration » à la suite du coup d'État qui a mis fin à la présidence d'Evo Morales en novembre 2019. La deuxième était, en octobre 2021, depuis un an en réclusion à son domicile de Boujador (Sahara occidental) et affirme avoir été violée, ainsi que sa sœur, par les forces de l'ordre marocaines.

Pour départager les deux candidates, il a fallu revoter pour que l'une ou l'autre rentre dans la short list de trois sélectionné·es susceptibles de recevoir le prix. Tonino Picula, un ancien ministre socialiste croate, a alors envoyé un courriel urgent à tous les députés de son groupe, leur demandant de soutenir Jeanine Añez. Ce n'était pas une initiative personnelle. Il a précisé qu'il avait écrit ce courriel au nom de Pedro Marqués, député portugais et vice-président du groupe socialiste. Celui-ci agissait vraisemblablement à son tour sur instruction de la présidente du groupe, l'Espagnole Iratxe García. Añez est donc sortie victorieuse de ce deuxième tour de vote.

Les socialistes bloquent les résolutions sur les droits humains

Cet épisode illustre à quel point le Maroc a été, depuis des décennies, l'enfant gâté du Parlement européen. Socialistes, surtout espagnols et français, et bon nombre de conservateurs, ont multiplié les égards vis-à-vis de la monarchie alaouite. Alors que de nombreux pays tiers ont fait l'objet de résolutions critiquant durement leurs abus en matière de droits humains, le Maroc a été épargné depuis 1996. « Pendant de longues années, les socialistes ont systématiquement bloqué tout débat ou résolution en séance plénière qui puisse déranger un tant soit peu le Maroc », regrette Miguel Urban, député du Groupe de gauche.

Rabat n'a été épinglé que dans de très rares cas pour sa politique migratoire. Il a fallu que plus de 10 000 immigrés irréguliers marocains, dont 20 % de mineurs, entrent le 17 et 18 mai 2021 dans la ville espagnole de Ceuta, pour que le Parlement européen se décide à voter, le 10 juin 2021, une résolution appelant le Maroc à cesser de faire pression sur l'Espagne. L'initiative est partie non pas des socialistes ni des conservateurs, mais de Jordi Cañas, un député espagnol de Renew Europe (libéraux). Elle a obtenu 397 votes pour, 85 contre et un nombre exceptionnellement élevé d'abstentions (196). Parmi les abstentionnistes et ceux qui s'y sont opposé figuraient nombre de députés français.

Un réseau de corruption

Derrière la longue liste de votes favorables aux intérêts du Maroc, empêchant d'aborder les questions gênantes en matière de droits humains, ou sur des sujets plus substantiels comme les accords de pêche et d'association, il n'y a pas eu que le réseau de corruption que la presse appelle « Qatargate » alors que, chronologiquement, c'est davantage d'un « Marocgate » qu'il s'agit. Il y a eu d'abord ces idées répandues entre eurodéputés que le voisin du Sud est un partenaire soucieux de renforcer ses liens avec l'Union européenne ; qu'il est en Afrique du Nord, et même dans le monde arabe, le pays le plus proche de l'Occident et celui dont les valeurs et le système politique ressemblent davantage à une démocratie.

Nul besoin donc, apparemment, de mettre en place un réseau de corruption quand la partie était pratiquement gagnée d'avance. C'est pourtant ce que le royaume a fait depuis une douzaine d'années d'après les fuites sur l'enquête menée depuis juillet 2022 par le juge d'instruction belge Michel Claise, spécialisé dans la criminalité financière, et publiées par la presse belge et italienne depuis la mi-décembre. « Le Maroc ne se contentait pas de 90 %, il voulait les 100 % », expliquent, en des termes identiques, les députés espagnols Miguel Urban, du Groupe de gauche, et Ana Miranda, des Verts.

L'engrenage du Marocgate est né en 2011 quand s'est nouée la relation entre le député européen socialiste italien Pier Antonio Panzeri et Abderrahim Atmoun, député marocain du parti Authenticité et modernité, fondé par le principal conseiller du roi Mohamed VI, et coprésident de la commission parlementaire mixte Maroc-UE jusqu'en juin 2019. Cette année-là il fut nommé ambassadeur du Maroc à Varsovie.

Révélations de Wikileaks

Les révélations de ce que l'on a appelé le Wikileaks marocain révèleront, fin 2014, à quel point les autorités marocaines apprécient Panzeri. Des centaines de courriels et de documents confidentiels de la diplomatie marocaine et du service de renseignements extérieurs (Direction générale d'études de documentation) ont alors été diffusés sur Twitter par un profil anonyme qui se faisait appeler Chris Coleman. On sait aujourd'hui qui se cachait derrière cet anonymat : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les services secrets français se vengeaient ainsi de plusieurs coups bas que leur avaient infligés leurs collègues marocains, à commencer par la divulgation par Le 360, un journal proche du palais, du nom de leur cheffe d'antenne à Rabat.

Dans ces câbles diplomatiques marocains, Panzeri est décrit comme « un allié pour combattre l'activisme grandissant des ennemis du Maroc en Europe ». Il a occupé, pour cela, des postes clefs au Parlement, comme celui de président de la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et de la sous-commission droits de l'homme. Selon l'enquête du juge Claise, Panzeri a impliqué son ex-femme et sa fille, mais surtout Eva Kaili, vice-présidente socialiste du Parlement européen, et Francesco Giorgi, qui fut son assistant parlementaire et qui était en couple avec la députée grecque. Il a été le premier à avouer, lors d'un interrogatoire en décembre 2022, qu'il travaillait pour le Maroc. Il a signé mardi 17 janvier un mémorandum avec le procureur fédéral (en vertu de la loi sur les repentis) dans lequel s'engage à faire « des déclarations substantielles, révélatrices, sincères et complètes » dans le cadre de l'enquête pour corruption.

La justice belge a aussi demandé la levée de l'immunité parlementaire de deux autres socialistes, le Belge Marc Tarabella, et l'italien Andrea Cozzolino. Ce dernier avait partiellement pris le relais de Panzeri dans les deux organes qu'il présidait. Il s'était aussi montré très actif, tout comme Eva Kaili, au sein de la commission d'enquête parlementaire sur Pegasus et autres logiciels espions qui concerne de près le Maroc. « Kaili a cherché à freiner l'enquête sur le logiciel Pegasus », a affirmé, le 19 décembre, Sophie in't Veld, la députée néerlandaise qui a rédigé le rapport préliminaire sur ce programme informatique d'espionnage, dans une interview au journal italien Domani.

L'« équipe Panzeri », qui compterait d'autres membres non encore dévoilés, aurait reçu 50 000 euros pour chaque amendement anti-Maroc torpillé, selon le quotidien belge De Standaard. La somme semble modeste en comparaison de celles supposément versées par Ben Samikh Al-Marri, ministre d'État du Qatar, pour améliorer l'image du pays qui s'apprêtait à accueillir la Coupe du monde de football à Doha. L'essentiel du million et demi d'euros en liquide saisi par la police fédérale belge lors des perquisitions effectuées à la mi-décembre proviendrait de l'émirat. Il s'est apparemment servi du réseau constitué par Panzeri. Celui-ci a continué à fonctionner après sa défaite aux élections européennes de 2019. Pour ce faire le député battu a d'ailleurs fondé une ONG bidon à Bruxelles, Fight Impunity.

En marge des bribes de l'enquête publiées par la presse, Vincent Van Quickenborne, le ministre belge de la Justice, a laissé entrevoir l'implication du Maroc dans ce réseau, le 14 décembre, sans toutefois le nommer. Il a fait allusion à un pays qui cherchait à exercer son influence sur les négociations de pêche menées par l'UE, or c'est avec le Maroc que la Commission a signé son plus gros accord, et sur la gestion du culte musulman en Belgique. Les immigrés marocains constituent la plus importante communauté musulmane en dans ce pays.

Passage de relais aux services

En 2019, Abderrahim Atmoun, l'homme politique marocain devenu ambassadeur, est passé au second plan. La DGED, le service de renseignements marocain à l'étranger, a pris le relais et commencé à chapeauter directement le réseau Panzeri, d'après les informations recueillies par la presse belge. Concrètement, c'est l'agent Mohamed Belahrech, alias M 118, qui en a pris les rênes. Panzeri et Cozzolino auraient d'ailleurs voyagé séparément à Rabat pour y rencontrer Yassine Mansouri, le patron de la DGED, le seul service secret marocain qui dépend directement du palais royal.

Belahrech n'était pas un inconnu pour les services espagnols et français. Sa femme, Naima Lamalmi, ouvre en 2013 l'agence de voyages Aya Travel à Mataró, près de Barcelone, selon le quotidien El Mundo. On le revoit après à Paris, en 2015, où il réussit à être le destinataire final des fiches « S », de personnes fichées pour terrorisme, qui passent entre les mains d'un capitaine de la police aux frontières en poste à l'aéroport d'Orly, selon le journal Libération.

L'intrusion des espions marocains dans les cercles parlementaires bruxellois attire rapidement l'attention des autres services européens. Vincent Van Quickenborne a confirmé que l'investigation a été menée, au départ, par la Sûreté de l'État belge, le service civil de renseignements, avec des « partenaires étrangers ». Puis le dossier a été remis, le 12 juillet 2022, au parquet fédéral. Il Sole 24 Ore, quotidien économique italien, précise que ce sont les Italiens, les Français, les Polonais, les Grecs et les Espagnols qui ont travaillé d'arrache-pied avec les Belges.

Ces derniers ont, tout comme les Français, des comptes à régler avec les Marocains. En 2018 ils avaient déjà détecté une autre opération d'infiltration de la DGED au Parlement européen à travers Kaoutar Fal. Ce fut le député européen français Gilles Pargneaux qui lui a ouvert les portes de l'institution pour organiser une conférence sur le développement économique du Sahara occidental. Elle a finalement été expulsée de Belgique en juillet de cette année, car elle constituait une « menace pour la sécurité nationale » et collectait des « renseignements au profit du Maroc », selon le communiqué de la Sûreté. En janvier 2022, il y a eu une autre expulsion : celle de l'imam marocain Mohamed Toujgani, qui prêchait à Molenbeek (Bruxelles). Il cherchait, semble-t-il, à mettre la main sur les communautés musulmanes de Belgique pour le compte de la DGED.

Si le réseau Panzeri avait fonctionné correctement au service du Maroc du temps où il était en apparence géré par Abderrahim Atmoun, quel besoin de recourir il y a quatre ans aux hommes de l'ombre pour le piloter au risque d'ameuter des services européens ? Aboubakr Jamai, directeur du programme des relations internationales de l'Institut américain universitaire d'Aix-en-Provence, ose une explication : « Les services secrets sont enhardis au Maroc ». « La diplomatie y est menée par le contre-espionnage et d'autres services intérieurs. L'État profond, le makhzen, est aujourd'hui réduit à sa plus simple expression : son expression sécuritaire ». Et cette expression manque de tact quand il s'agit de mener la politique étrangère du royaume. Le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita a, lui, un autre point de vue sur le scandale dont pâtit le Parlement. Son pays subit un « harcèlement et des attaques médiatiques multiples (…) qui émanent de personnes et de structures dérangées par ce Maroc qui renforce son leadership », a-t-il affirmé, le 5 janvier à Rabat, lors d'une conférence de presse avec Josep Borrell, le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères. Celui-ci n'a pas hésité à exprimer en désaccord : « Nous sommes préoccupés par ces événements rapportés par la presse ». Ils sont inquiétants et les accusations sont graves. La position de l'UE est claire : il ne peut y avoir d'impunité pour la corruption. Tolérance zéro.

Les propos de Borrell ne faisaient qu'anticiper un autre changement de ton, celui du Parlement européen. La conférence des présidents de groupes parlementaires a donné son accord, le 12 janvier, à ce que soit soumise à la séance plénière du 19 une résolution réprobatrice sur la liberté de presse au Maroc et les journalistes qui y sont emprisonnés, surtout les trois plus influents, Omar Radi, Souleiman Raissouni et Toufiq Bouachire. Ce sera la première fois, depuis plus d'un quart de siècle, que sera voté dans l'hémicycle un texte critique sur le premier partenaire arabe de l'UE qui ne concerne pas sa politique migratoire. Il a été précédé, le mardi 17, d'un autre débat, aussi en séance plénière, sur les « Nouveaux développements des allégations de corruption et d'ingérence étrangère, y compris celles concernant le Maroc ». Le temps de l'impunité semble terminé pour le Maroc.

Vidéo. Renseignement. Qui sont les lauréats du 5e Grand Prix de l'Académie du renseignement ?

Découvrez les lauréats du Grand Prix mention « Recherche », du Prix spécial du jury, du Grand Prix œuvre de création - mention « Essai » et du Grand Prix œuvre de création - mention « Fiction ».

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Comment les Renseignements occidentaux infiltrent Internet pour manipuler et détruire des réputations – Glenn Greenwald

L’une des nombreuses histoires brûlantes qui restent à raconter à partir des archives Snowden est la façon dont les agences de renseignement occidentales tentent de manipuler et de contrôler les échanges en ligne en recourant à des stratégies extrêmes de duperie et de destruction de réputation.

Une archive de Glenn Greenwald de 2014 toujours aussi passionnante à (re)découvrir !

Source : The Intercept, Glenn Greenwald
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Au cours des dernières semaines, j’ai collaboré avec NBC News pour publier une série d’articles sur les tactiques de « coups bas » utilisées par l’unité précédemment secrète du GCHQ [ le service gouvernemental du Royaume-Uni responsable du renseignement d’origine électromagnétique et de la sécurité des systèmes d’information, NdT], le JTRIG (Joint Threat Research Intelligence Group). Ces articles se fondaient sur quatre documents classifiés du GCHQ présentés à la NSA et aux trois autres partenaires de l’alliance anglophone « Five Eyes ». Aujourd’hui, à The Intercept, nous publions un autre nouveau document du JTRIG, dans son intégralité, il est intitulé « The Art of Deception : Training for Online Covert Operations. » [L’art de la désinformation : formation pour des opérations secrètes en ligne, NdT]

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Dossier géopolitique : le renseignement

La relance de la guerre russe en Ukraine vient remettre le projecteur sur l'importance du renseignement. Mais de quoi s'agit-il vraiment ? Des documents clés pour comprendre.

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Que nous apprend la recherche sur l'armée de l'Air et de l'Espace ? Entretien avec J. de Lespinois

Il se dit que l'arme aérienne serait intimement liée à l'échelon politique, est-ce que cela se vérifie historiquement ? Quel est aujourd'hui le rôle de l'armée de l'Air et de l'Espace dans l'acquisition du renseignement ? Pourquoi l'armée de l'air devient-elle l'armée de l'Air et de l'Espace ?

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Moustafa Al-Kadhimi, l'insaisissable funambule de la politique irakienne

Sera-t-il reconduit à la tête du gouvernement irakien ? Moustafa Al-Kadhimi aura été en tout cas, durant ces deux dernières années, une exception parmi tous les premiers ministres qui se sont succédé à ce poste. Cet homme mystérieux, passé du journalisme au renseignement puis à l'exécutif, semble avoir réussi à tenir un équilibre fragile sur la scène politique irakienne.

Moustafa Al-Kadhimi est le fils d'Abdellatif Mechtet Al-Ghribaoui, arrivé à Bagdad depuis le sud du pays (province de Dhi Qar) en 1963, soit quatre ans avant la naissance de son fils. Ce superviseur technique à l'aéroport de Bagdad a été un représentant du Parti national démocratique — l'un des plus vieux partis politiques du pays — dans sa ville natale d'Al-Chatra. Un chemin que son fils n'a pas suivi, puisqu'il a préféré s'opposer au parti Baas de loin, depuis l'Europe.

Avant de s'installer en Allemagne, puis au Royaume-Uni où il est resté jusqu'à la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, Moustafa Al-Kadhimi était d'abord passé par l'Iran. Il n'a étudié dans aucun de ces pays et à vrai dire, personne ne sait quelle a été exactement son activité durant ces années-là. Au lendemain de la chute du régime, Al-Kadhimi a dirigé depuis Londres puis depuis Bagdad la fondation Dialogue humanitaire, qui se présente comme une « organisation indépendante, dont le but est de combler les écarts entre les sociétés et les cultures, et de promouvoir le dialogue comme alternative à la violence dans la résolution des crises ». Cet organisme qui a annoncé le 20 février 2022 la suspension de ses activités compte parmi ses fondateurs le dignitaire chiite l'ayatollah Hussein Ismaïl Al-Sadr, qui entretient de bonnes relations avec les Saoudiens, et à qui Al-Kadhimi continue de rendre visite de temps à autre dans son fief d'Al-Kadhimiya.

De bonnes relations avec la presse

Quoique vif opposant au régime du Baas, Al-Kadhimi n'a jamais eu de penchant islamiste. Depuis son retour en Irak, il a travaillé comme directeur de la fondation Al-Dhakira (La Mémoire) où il a contribué à récolter des enregistrements et des témoignages des victimes de l'ancien régime, ce qui laisse penser qu'il s'agit là d'une opposition de principe et non de circonstance. Mais une source qui tient à rester anonyme accuse cette organisation de « travailler dans le but de rassembler le maximum de renseignements, d'archives et de dossiers », ce qui constitue une force sur la scène politique.

Au début des années 2010, et alors qu'il poursuivait des études en droit qu'il a modestement réussies, Al-Kadhimi — connu aussi sous le nom d'Abou Haya, « le père d'Haya », du nom de sa fille aînée — a travaillé dans les médias, notamment en tant que rédacteur en chef du magazine kurde Al-Ousbou'iya (L'Hebdomadaire), publié par l'actuel président de la République Barham Saleh, et dont on dit qu'il aurait été l'un des fondateurs en 2007.

Entre 2014 et 2016, Al-Kadhimi a été le chef du service Irak à Al-Monitor, journal fondé par l'homme d'affaires syro-américain Jamal Daniel, que deux sources affirment être « le parrain d'Al-Kadhimi ». C'est à la suite de cette expérience que les Américains auraient glissé son nom comme candidat potentiel à la direction des services de renseignement. Mais un journaliste précise que « bien avant Al-Monitor, Al-Kadhimi avait eu comme premier soutien aux États-Unis l'universitaire et opposant au régime du Baas Kanan Makiya,1 qui avait de bonnes relations à Washington. […] Cette expérience lui a également permis de développer de nombreuses relations dans le monde des médias, ce qui lui vaut d'être le premier ministre irakien le moins moqué et le moins critiqué par la presse ».

S'il n'est pas réputé avoir du style, Al-Kadhimi a toutefois publié trois livres, dont le dernier est sorti en 2012 sous le titre La Question de l'Irak. La réconciliation entre le passé et l'avenir. Une de nos sources y voit un « ouvrage dangereux où se reflète la vision américaine du pays », c'est-à-dire un Irak neutre au niveau régional et où l'Iran aurait beaucoup moins d'influence. Sur la quatrième de couverture de l'ouvrage, on peut lire que l'auteur y « entérine un discours d'ouverture […] dont le rayonnement peut percer les murs des discours d'enfermement ». Des aspirations idéalistes et des slogans que l'on retrouve également dans les discours du premier ministre, lui qui avait déclaré fin 2021 après la tentative d'assassinat qui l'avait visé : « J'étais et je suis toujours prêt à me sacrifier pour l'Irak et son peuple », évoquant au passage les « missiles de la trahison », expression qui aurait fait allusion à certains membres au sein des Unités de mobilisation populaire, ces milices chiites pro-iraniennes.

Le tournant des services de renseignement

Avant de devenir premier ministre en mai 2020 dans le sillage du mouvement de protestation qui a commencé en octobre 2019, « Abou Haya » apparaissait très peu dans les médias, surtout depuis qu'il avait intégré les services de renseignement en 2016, où son premier poste a été celui de chef adjoint du bureau des opérations. Un autre journaliste affirme, toujours sous anonymat, qu'Al-Kadhimi a participé à toutes les réunions où l'on a décidé de l'usage de la force contre les manifestants du mouvement d'octobre 2019 : « En tant que chef du renseignement, il n'était pas populaire parmi les manifestants. Il semblerait que ce soit Moqtada Al-Sadr qui ait poussé pour qu'il devienne premier ministre ». Et il ajoute : « Al-Kadhimi est un homme mystérieux, notamment en ce qui concerne sa vie privée ». Une rumeur a ainsi circulé au moment où il intégrait les services de renseignement, disant qu'il était le gendre de Mehdi Al-Allaq, un des dirigeants du parti chiite Al-Da'wa — une des plus anciennes formations du pays —, et chef de cabinet des deux anciens premiers ministres Nouri Al-Maliki et Haydar Al-Abadi. Si Al-Allaq a lui-même nié tout lien familial avec Al-Kadhimi, il n'en reste pas moins que les deux hommes entretiennent de bonnes relations, ce qui participe à nourrir la rumeur.

Lorsqu'il arrive à la tête des services de renseignement en 2016, le pays se trouve dans une période très critique, avec d'une part l'intensification des combats contre l'organisation de l'État islamique (OEI), de l'autre un niveau sans précédent de tensions entre l'Iran et les États-Unis dans le cadre de la lutte contre l'OEI. Le passage par les renseignements lui a permis de maîtriser plusieurs dossiers, faisant de lui plus tard un homme fort au sein de l'exécutif. Il a également pu prouver ses capacités professionnelles et tisser les relations qui lui ont permis de devenir premier ministre, en se présentant comme la meilleure carte à jouer auprès de tous les acteurs politiques. D'aucuns ont d'ailleurs comparé sa trajectoire à celle d'Abdel Fattah Al-Sissi, qui a su également utiliser son poste pour paver son chemin vers la présidence.

Al-Kadhimi avait également de bonnes relations avec l'administration de Donald Trump. Le secrétaire d'État Mike Pompeo a été un des premiers à le féliciter quand il est arrivé au poste de premier ministre, tandis que l'ancien sous-secrétaire d'État américain pour les affaires du Proche-Orient David Schenker a annoncé aux journalistes que l'homme « avait précédemment prouvé qu'il était un patriote et une personne compétente ».

Une proximité avec Abou Dhabi

Le premier ministre a aussi veillé à tisser de bonnes relations au niveau régional, « car c'est ce qu'il y a de mieux pour l'Irak en ce moment », selon ses proches collaborateurs. Certes, son premier déplacement à l'étranger à ce titre a eu lieu en Iran, fin juillet 2020, mais en 2017 il s'était déjà rendu à Riyad en compagnie de l'ancien premier ministre Haydar Al-Abadi, où on l'avait vu se prendre longuement dans les bras avec le prince héritier Mohamed Ben Salman. Une scène qui s'est reproduite en mai 2021, lors de sa première visite officielle en Arabie saoudite.

Lorsque les Émirats arabes unis ont décidé de normaliser leurs relations avec Israël, Al-Kadhimi n'a pas critiqué cette décision, et il a même signifié que cela relevait de la souveraineté d'Abou Dhabi, sans s'attaquer non plus à l'idée même de normalisation, pourtant totalement rejetée par les Iraniens. Lors d'un sommet organisé à Bagdad en juin 2021 auquel ont assisté le roi Abdallah II de Jordanie et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, l'homme fort de l'Irak a annoncé dans son discours inaugural que les trois pays continueront « à se coordonner sur les principaux dossiers régionaux, à l'instar des dossiers syrien, libyen, yéménite et palestinien, et à concrétiser une vision commune ». On notera d'ailleurs que le premier contact entre Saoudiens et Iraniens a eu lieu à Bagdad, de même que pour la première rencontre entre le président égyptien et l'émir du Qatar, après la réconciliation des pays du Golfe.

Une autre source souligne toutefois qu'« Al-Kadhimi est plus proche des Émirats, il devient même le représentant de leurs intérêts en Irak », ce qui aurait renforcé son pouvoir. Une proximité partagée « avec le président du Parlement Mohamed Al-Halboussi », sachant que Moqtada Al-Sadr, vainqueur des élections, « n'en est pas loin non plus », toujours selon la même source. Il apparaît en effet qu'Abou Dhabi est devenue la troisième force présente en Irak, derrière les États-Unis et l'Iran. La fédération entretient des relations avec tous les acteurs de la scène politique irakienne, y compris les Unités de mobilisation populaire ou d'autres milices, dans le but de préserver ses intérêts, y compris dans le pétrole et l'immobilier. Déjà en 2018, la chaîne qatarie Al-Jazira avait diffusé un reportage faisant état du « rôle des Émirats qui sont entrés sur la scène irakienne à travers le secteur économique et celui de la coopération ». Un rôle confirmé par plusieurs sources qui soulignent que le conseiller en sécurité nationale émirati Tahnoun Ben Zayed « a multiplié ses visites en Irak ces derniers temps ». Le pays ambitionne par ailleurs de détrôner l'influence saoudienne dans toute la région.

« Premier ministre en or »

Au niveau intérieur, le premier ministre jouit d'excellentes relations à la fois avec les dirigeants chiites, les parties sunnites et les Kurdes, ce qui lui vaut dans les cercles politiques le surnom de « premier ministre en or ». On l'accuse toutefois de consacrer des fonds publics à ses « soldats électroniques », en référence aux différentes pages et aux différents comptes sur les réseaux sociaux qui chantent ses louanges.

S'il a été accusé par les Unités de mobilisation populaire d'avoir été complice, début 2020, dans le double assassinat du général Ghassem Soleimani, commandant de la force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution, et d'Abou Mehdi Al-Mouhandis, haut commandant au sein de la milice chiite des Brigades Badr, l'Iran ne semble pas partager cette suspicion, ce qui explique l'accueil chaleureux auquel il a eu droit lors de sa visite officielle à Téhéran. D'autres rencontres au sommet entre Al-Kadhimi et de hauts dirigeants iraniens : le secrétaire général du Conseil suprême de sécurité nationale iranien Ali Chamkhani, ou encore Esmail Ghaani, successeur de Soleimani — ont suivi cette visite. Il a également été en contact avec le Hezbollah libanais et des responsables iraniens pour mettre fin aux attaques perpétuelles des milices chiites du Hezbollah irakien contre lui.

Les relations avec Téhéran semblent même s'être améliorées depuis l'arrivée d'Ibrahim Raïssi à la présidence de la République islamique. Des proches d'Al-Kadhimi affirment que « les courants iraniens le respectent et ont beaucoup d'estime pour lui. Il a de bonnes relations avec tout le monde ». Une configuration qui peut s'expliquer par l'expérience de l'homme de Bagdad dans les quatre domaines les plus importants en Irak : les droits humains, les médias, la sécurité ainsi que la politique et l'administration.

Une autre source précise toutefois qu'« il y a des soupçons de corruption qui l'entourent, mais c'est un homme intelligent et stratège. Il sait respecter les lignes rouges de tout le monde, tout comme il sait partager les parts du gâteau au niveau régional et au niveau local, pour ainsi conserver un équilibre interne » dans le pays de toutes les divisions.

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Article traduit de l'arabe par Sarra Grira


1Auteur d'un livre sur l'Irak de Saddam Hussein, The Republic of fear.

Carte. Les principales cyber-puissances

La guerre russe en Ukraine met plus que jamais les moyens cyber au champ des possibles. Ce planisphère commenté place en tête du classement les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, suivis par le Canada, la Russie, l'Australie, Israël et trois pays de l'Union européenne.

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Israël empêtré dans l'affaire Pegasus

Tant que les logiciels israéliens servaient au contrôle de la population palestinienne, personne ne s'en inquiétait. Mais le scandale Pegasus a fait éclater ce cadre avec les révélations des écoutes de politiques israéliens et des pratiques qui s'approchent d'un d'État voyou, suscitant des inquiétudes même chez l'allié américain.

En deux semaines, début février, l'« affaire Pegasus » a pris en Israël un tour inattendu. Dans un feuilleton qui apportait chaque jour de nouvelles pièces au puzzle, le journaliste Tomer Ganon, du site israélien d'informations économiques Calcalist dressait un portrait qui érodait l'image très favorable dont jouissait jusque-là en Israël la société de cybersurveillance NSO et Pegasus, son miraculeux logiciel d'intrusion illimitée dans n'importe quel téléphone jusqu'au mieux protégé. Pegasus ne s'était-il pas imposé comme une arme de premier choix dans la « lutte contre le terrorisme » qu'enviaient les puissants de ce monde ?

Développer une technologie mirifique pour mettre en coupe réglée tout un peuple — les Palestiniens, en l'occurrence, mais aussi d'autres peuples ailleurs —, où était le problème ? Seules quelques rares défenseurs israéliens des droits humains s'offusquaient. Comme l'a écrit le journaliste Anshell Pfeffer, « les Israéliens n'avaient que faire de Pegasus et de NSO avant qu'éclate le scandale »1. Au contraire, pour la plupart des Israéliens, cette technologie et sa diffusion mondiale étaient des objets de fierté. Pegasus a permis d'espionner des responsables d'ONG palestiniennes depuis des années tels que, par exemple, leurs juristes qui œuvrent pour alimenter l'enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les actes commis par l'armée israélienne (et le Hamas) durant les affrontements à Gaza l'été 2014. Aux yeux d'une grande majorité d'Israéliens, traquer ces juristes était une œuvre de salubrité publique.

Un cadeau aux régimes arabes

Pegasus et les autres logiciels du même genre n'étaient que l'aboutissement de décennies de mise en place par les forces de l'ordre israéliennes d'une surveillance de plus en plus intrusive de toute une population, hors de toute contrainte publique. La Cisjordanie avait servi de terrain d'expérimentation de techniques qui s'étaient constamment « améliorées ». Bientôt, plus de cent États avaient fait appel à NSO et d'autres firmes israéliennes pour en bénéficier, sachant que les vendeurs israéliens seraient peu curieux de l'usage qui en serait fait. « Partout où Nétanyahou s'est déplacé, NSO a suivi »2, écrivait Haaretz en 2021. La suspicion du rôle joué par Pegasus dans l'assassinat du dissident saoudien [Jamal Khashoggi—>4678] en 2018 n'avait rien ôté à l'aura de NSO en Israël. Finalement, les « cyber cadeaux » israéliens aux régimes arabes avaient amplement contribué à la signature du « Pacte d'Abraham », cette alliance inédite entre Israël et les monarchies du Golfe (et celle du Maroc) impulsée par Donald Trump.

Ces facilités étaient trop tentantes. Il fallait bien qu'un jour l'usage indu et massif de la cybersurveillance secrète serve aussi à espionner à leur insu des Israéliens. C'est ce qui est advenu. Avec les articles du Calcalist, on sait désormais que Pegasus a aussi été utilisé par la police israélienne pour des surveillances dont le lien avec la « guerre contre le terrorisme » est inexistant. Des maires, des directeurs de cabinets ministériels ont été écoutés, leurs gestes scrutés, leurs relations dévoilées, leurs propos rapportés aux commanditaires de cette surveillance. Il en a été de même des dirigeants du mouvement Drapeau noir qui, à l'époque où Benyamin Nétanyahou était premier ministre, menaient la mobilisation pour sa démission. Pis : son propre fils Avner Nétanyahou a lui aussi été « tracé » par Pegasus…

Scandale ! Aujourd'hui premier ministre, Naftali Bennett, chef du camp religieux-colonial, explique au bon peuple que certes, Pegasus et les autres logiciels espions israéliens jouent « un rôle très important dans la lutte contre le terrorisme », mais qu'ils ne devraient « pas être utilisés contre le public israélien ». Quant au ministre de la sécurité intérieure, Omer Bar Lev qui les premiers jours répétait à l'envi qu'il ne se passait rien, il a fini par promettre la désignation d'une commission d'enquête. Déjà, il se heurte à ceux qui, dans la société civile, exigent une commission publique, pas gouvernementale.

La crise démocratique couve donc en Israël, ouvrant des dossiers qui auparavant ne l'étaient pas, ou ne perturbaient personne. Ainsi se souvient-on soudain que Naftali Bennett a fait fortune dans la cybersurveillance en vendant deux sociétés de ce type pour 100 millions de dollars (88 millions d'euros) à des fonds américains il y a dix ans. On constate aussi que la numéro 2 de son parti, Ayelet Shaked, ministre de l'intérieur, a pour meilleure amie Shiri Dolev, la… coprésidente de NSO. On apprend enfin que Yossi Cohen, le patron du Mossad récemment retraité, a envisagé d'investir dans la cybersurveillance conjointement avec Jared Kushner, le beau-fils de Donald Trump, et Steven Mnuchin, son ex-ministre du Trésor. On découvre enfin que lorsque l'affaire Pegasus a éclaté, le porte-parole de NSO n'était autre qu'un ex-porte-parole de l'armée israélienne. Quant aux États-Unis, NSO y avait choisi comme défenseur Rod Rosenstein, ministre adjoint américain de la justice sous Trump. La cybersurveillance israélienne était un club privé.

Le discours grotesque de Nétanyhahou

Certes, l'affaire comporte aussi sa part de grotesque. Nétanyahou pousse son entourage à s'en emparer pour exiger… le retrait immédiat des poursuites à son encontre ! Car dans son enquête pour accréditer les accusations de corruption dont il fait l'objet, la police, en disposant de cette cybersurveillance, a forcément contourné la loi. Combien de personnes ont-elles été espionnées illégalement ? Dès lors, clament ses partisans, non seulement les procédures judiciaires contre Nétanyahou doivent être déclarées caduques, mais il faut aussi annuler le résultat des élections, leur héros ayant fait l'objet d'une campagne de dénigrement infondée. D'arrosé, l'ex-premier ministre se fait arroseur. L'homme est sans vergogne et son culot sans limites. Dix ans durant, Nétanyahou s'est fait le commis-voyageur de NSO and Co. pour monnayer les succès diplomatiques d'Israël. Aujourd'hui, il accuse l'usage abusif des logiciels espions d'être à la source de sa chute. Il oublie sans doute ses propres propos tenus lors de l'intronisation, le 3 décembre 2015, du nouveau chef de la police Roni Alsheikh, un colon religieux et numéro 2 du Shin Bet, qu'il avait lui-même choisi : « La cybertechnologie devient un aspect important de toutes les actions de l'État, lui avait-il dit. J'attends, Roni, que vous utilisiez ces technologies dans vos opérations policières pour protéger les citoyens et imposer la loi »3 Voilà qui était parler.

Cela étant, l'essentiel ne tient pas à l'avenir personnel de Nétanyahou. Il réside dans les conséquences très tangibles de l'affaire Pegasus pour l'État d'Israël — et elles sont plus internationales qu'intérieures. Certes, comme l'a écrit un chroniqueur israélien, la réalité est que « NSO fait partie du cœur même et de l'âme de l'establishment israélien »4. Mais l'importance de l'affaire Pegasus tient plus à sa dimension internationale et à son impact sur la relation américano-israélienne. Ainsi, le New York Times Magazine (28 janvier 2022) nous apprend-il que le FBI américain s'était porté acquéreur dès juin 2019 d'une version limitée du logiciel Pegasus. L'achat a eu lieu huit mois après l'assassinat de Jamal Khashoggi et avait suivi plusieurs démonstrations d'experts de NSO devant les instances du FBI. Leur logiciel avait été spécialement amendé pour être activé sur le territoire américain (Pegasus avait exclu les États-Unis de son champ d'application pour ne pas heurter les intérêts du grand allié). Début février 2022, la police fédérale américaine admettra l'avoir « testé » avant de renoncer à l'acquérir, en juillet 2021. Précisément au moment où le consortium international de journalistes Forbidden stories avait divulgué son enquête sur Pegasus.

Tensions entre Washington et Tel-Aviv

La manière dont les autorités israéliennes ont réagi aux révélations a montré une incapacité à saisir la dimension du scandale. Pour résumer, s'en prendre à NSO revenait à affaiblir les défenseurs de la démocratie face au terrorisme. Mais, début novembre 2021, le ministère du commerce américain plaçait NSO (et une autre firme nommée Candiru) sur sa « liste des entités », nom officiel d'une liste noire regroupant les organismes et sociétés dont les activités sont jugées « contraires à la sécurité nationale ou aux intérêts de la politique étrangère des États-Unis ». Ce fut, écrivent les journalistes du New York Times Ronen Bergman et Mark Mazzetti, « une rebuffade publique pour une entreprise qui, sur beaucoup de plans, était devenue le joyau de la couronne de l'industrie militaire israélienne » (18 janvier 2022). Les Américains n'ont prévenu le ministère israélien de la défense qu'une heure seulement avant la divulgation de leur décision. Le torchon brûlait.

Un court moment, Naftali Bennett a imaginé pouvoir faire reculer Joe Biden. Yigal Unna, son directeur du cyberdirectoire national, a déclaré que cette « attaque (…) fait partie d'un plan général visant à neutraliser l'avantage israélien ». Des émissaires envoyés à Washington ont expliqué que si NSO venait à disparaitre, la Russie et la Chine en seraient les premières bénéficiaires. Les Américains n'ont pas modifié leur décision d'un iota. Quant à l'argument répété par NSO selon lequel elle n'avait aucune responsabilité dans l'usage fait par les États acquéreurs de son Pegasus — « les constructeurs d'automobiles ne sont pas responsables du comportement des chauffards » — il n'a pas impressionné les édiles de la CIA, qui connaissent la chanson.

Bientôt, la décision de la Maison Blanche de placer NSO sur sa liste noire des firmes infréquentables finissait par pénétrer les cerveaux des dirigeants israéliens. Les implications étaient de trois ordres. D'abord, la « diplomatie cyber technologique » de l'époque de Nétanyahou, c'est-à-dire la vente de matériel de surveillance pour amener des États à soutenir Israël, a pris un coup sur la tête. Fin novembre, le ministère israélien de la défense annonçait que le nombre des clients d'Israël bénéficiant du produit Pegasus passerait bientôt de 103 à 37 seulement. L'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Maroc se trouvaient exclus de la liste des pays bénéficiaires, et tant pis pour le « Pacte d'Abraham ». Ce fut insuffisant pour faire bouger Washington.

Ensuite, l'affaire Pegasus avait un impact plus profond sur l'image internationale d'Israël. La divulgation des informations de Forbidden Stories a commencé de montrer un pays qui, par bien des aspects, se comporte en État voyou. Le sort de Tomas Zeron de Lucio est devenu un exemple des accointances gênantes d'Israël. Zéron a été le patron de la police mexicaine, et il a négocié avec NSO la fourniture d'un matériel Pegasus de grande ampleur. Il est soupçonné d'avoir organisé en 2014 le massacre de 43 étudiants et la nouvelle présidence mexicaine l'accuse depuis 2019 de « tortures, enlèvements et dissimulation de preuves ». Zéron s'est alors réfugié en Israël, où il réside toujours. Mexico, en octobre 2021, a une fois de plus demandé son extradition. Naftali Bennett a refusé.

Une image dégradée aux États-Unis

Enfin, du moins aux États-Unis, ce sont surtout les méthodes israéliennes de contrôle des Palestiniens que l'affaire Pegasus a contribué à placer au cœur de l'intérêt médiatique. On avait déjà pu constater une forte dégradation de l'image d'Israël lors des bombardements sur Gaza au printemps 2021. Avec NSO, c'est le contrôle illimité des Palestiniens qui a capté l'attention médiatique. Un exemple : en novembre 2021, le Washington Post publiait une enquête fouillée sur « un programme considérable de reconnaissance faciale » venu s'ajouter à la cybersurveillance de la population palestinienne mise en place depuis des années. Ce programme, détaillait-il, est basé sur la multiplication des caméras et sur un piratage des smartphones nommé Blue Wolf (Loup bleu). La totalité des habitants est concernée, « enfants et vieillards inclus ». Un soldat israélien dit au quotidien américain que le système « trace [les Palestiniens] jusque dans leurs maisons ». Une soldate ayant servi à Hébron dépeint « une violation de la vie privée de tout un peuple ».

Le journal a adressé une série de questions au porte-parole de l'armée. Sa réponse : l'amélioration des techniques de surveillance porte sur des « opérations routinières (…) dans la lutte contre le terrorisme et les efforts pour améliorer la qualité de la vie des populations palestiniennes de Judée et Samarie »5. Le Washington Post rappelle que ces techniques sont bannies par nombre de grandes villes américaines comme contrevenant au respect de la vie privée. Et que le parlement de l'Union européenne a voté en novembre 2021 l'interdiction de la reconnaissance faciale dans les lieux publics. En Israël même, son utilisation a été rejetée par les autorités ! Mais, comme l'écrit le Washington Post, « Israël applique des standards différents dans les territoires occupés ». Plus l'on en sait sur NSO et ses semblables, plus l'information se diffuse sur les méthodes utilisées pour contrôler chaque instant de la vie d'un autre peuple, et plus Israël apparait comme l'archétype d'un pouvoir identitaire alliant la technologie la plus poussée au mépris du droit.

Cette dégradation de son image inquiète cependant moins les dirigeants israéliens que les conséquences économiques potentielles de l'affaire Pegasus, y compris en France où « les entreprises veulent avoir le Mossad chez elle ». D'abord, un vent de rejet des start-ups israéliennes de cybersurveillance souffle sur tout le secteur du high tech. Dans ce milieu, écrit Haaretz, elles sont désormais qualifiées de « cyber mercenaires ». Le terme même apparait dans la plainte qu'a déposée Meta, la maison-mère de Facebook, contre NSO et Cowebs, une autre firme israélienne qui propose des logiciels intrusifs. Facebook les accuse de « créer pour ses clients de faux comptes qui effectuent de la surveillance en ligne, surtout sur les réseaux sociaux »6. Facebook met en cause quatre autres sociétés israéliennes (Black Cube, Bluehawk, Cognyte et Cytrox) qu'il accuse d'opérer « sous les radars » pour espionner une foule d'individus. Le dossier de Facebook, juge Haaretz, « montre que le secteur du high tech commence à perdre patience » devant la prolifération de ces « mercenaires ».

Cette « perte de patience » s'incarne, par exemple, lorsque Microsoft accuse publiquement la start-up israélienne Candiru d'avoir vendu à ses clients un logiciel capable d'hacker ses systèmes informatiques (Reuters, 15 juillet 2021). De son côté, en décembre 2021, Apple informait onze diplomates de l'ambassade américaine au Kenya que leurs téléphones avaient été espionnés par Pegasus7. Neuf autres diplomates suivront en Ouganda. Tous leurs téléphones étaient liés à des adresses électroniques du département d'État utilisant I-Cloud, le système de stockage d'Apple. NSO était prise la main dans le sac pour atteinte directe aux intérêts américains.

De fabuleux revenus d'exportation menacés

Enfin, la pire conséquence de la décision américaine de blacklister Pegasus est d'ordre économique. Dans aucun État au monde les ventes d'armes et de matériel sécuritaire n'occupent une place aussi grande dans son PIB qu'en Israël : ce secteur emploie à lui seul 10 % des salariés du pays. Ces dernières années, le matériel de cybersurveillance était devenu une nouvelle source de richesse en développement rapide. Selon le cyberdirectoire national israélien, il a généré 3,4 milliards de dollars (2,99 milliards d'euros) de recettes en 2021, soit 41 % de la totalité des ventes du secteur sécuritaire, armes incluses. Avec le rapport de Forbidden Stories et surtout la décision américaine de mise au ban, tout ce pan industriel en croissance exponentielle est confronté à la crainte de perdre d'importants marchés. Ce n'est pas une Bérézina, mais l'inquiétude est vive parmi les dirigeants de ces firmes et leurs salariés. La pire option serait que Washington applique sa décision de mise au ban de NSO à la lettre. Car pour Israël, le problème n'est pas d'empêcher NSO de vendre ses produits aux États-Unis, il est que le gouvernement américain impose aux sociétés américaines qui fabriquent des éléments entrant dans le fonctionnement des logiciels de surveillance de Pegasus de cesser de les fournir à NSO ou à d'autres. Ces start-ups risqueraient alors de mettre très vite la clé sous la porte.

Dans cette atmosphère, les consœurs israéliennes de NSO se sont montrées peu solidaires. Désormais, c'est chacun pour soi. NSO et Candiru s'accusent mutuellement d'avoir dévoyé leur beau métier. Les craintes de faillite se multiplient. Candiru ne tiendrait qu'à un fil, ses ingénieurs cherchent déjà du travail ailleurs. Les propriétaires de NSO seraient en quête d'un repreneur. Mais si NSO, Candiru ou d'autres disparaissent, qui peut croire que cette industrie s'effondrerait ? Les enjeux qui ont permis à Israël de bénéficier des compétences douteuses, mais très utiles de ces firmes n'auront, eux, pas disparu. Il est probable que d'autres prendront vite leur place, avec l'approbation renouvelée des dirigeants israéliens — et l'acquiescement de leurs clients. Le quotidien économique israélien TheMarker a déjà son favori : la société récemment créée Paragon, qui se spécialise dans l'intrusion dans les réseaux comme Messenger, Signal ou WhatsApp et recrute beaucoup de personnel depuis l'apparition des difficultés de NSO. C'est le magazine américain Forbes qui a révélé son existence. Paragon, selon lui, a tiré le bilan des errements de ses devanciers. « Les régimes autocratiques et non démocratiques ne figureront pas parmi [ses] clients ». Y croiront ceux qui veulent y croire.

En attendant, les candidats au rachat de NSO et de Candiru, tant israéliens qu'étrangers, scrutent avec intérêt le moment où ces sociétés auront un genou à terre dans l'espoir d'accueillir leurs plus brillants ingénieurs et leur savoir-faire. Mais du côté américain, l'ambiance ne semble pas favorable à un simple retour au bon vieux temps. Le 7 janvier 2022, le National Counter Intelligence and Security Center, la principale agence américaine de contre-espionnage, appelait les citoyens des États-Unis à « prendre plus conscience des menaces sur les libertés et la démocratie que des firmes comme NSO présentent »8. Et surtout, au sein de la société américaine monte une revendication qu'a incarné un éditorial récent du Washington Post titré : « Boycotter cette firme israélienne de logiciels d'espionnage [NSO] n'est qu'un premier pas »9. L'urgence, poursuivait-il, est d'imposer à ce type d'entreprises une régulation sévère, aujourd'hui inexistante. Une règlementation internationale efficace de la cybersurveillance semble irréaliste dans le monde tel qu'il est. Mais l'adoption de quelques normes collectives communément admises est une idée qui progresse. Rien n'inquièterait plus les responsables israéliens.


1Anshell Pfeffer, « Israelis didn't care about NSO and Pegasus — until this scandal », Haaretz, 5 février 2022.

2Amitaï Ziv, « Where Netanyahu went, NSO followed : how Israel pushed cyberweapons sales », Haaretz, 20 juillet 2021.

3Anshell Pfeffer, « Pegasus scandal is a massive can of worms about to erupt all over Israel's elites », Haaretz, 7 février 2022.

4Amos Harel, « Police Using Pegasus Spyware against Israelis shows NSO is an arm of the State », Haaretz, 18 janvier 2022.

5Elizabeth Dwoskin, « Israel escalates surveillance of Palestinians with facial recognition program in West Bank », The Washington Post, 8 novembre 2021.

6Sagi Cohen, « 'CyberMercenaries' : Israel spyware industry is getting damned around the world », Haaretz, 21 décembre 2021.

7« NSO Pegasus spyware used to hack US diplomats' phones », Washington Post, 3 décembre 2021.

8Julian Barnes, « Biden administration warns against spyware targeting dissidents », The New York Times, 7 janvier 2022.

9« Blacklisting this Israeli spyware firm is only the first step », éditorial du Washington Post, 5 novembre 2021.

Ben Barka. Comme les mauvaises herbes, la calomnie repousse toujours

Depuis quelques années se répandent de manière insidieuse les atteintes à la mémoire de Mehdi Ben Barka, l'un des leaders importants du tiers-monde, symbole de la résistance au colonialisme et du combat contre le néocolonialisme, le sionisme et l'impérialisme. Elles passent par la désinformation, la calomnie, l'insinuation ou l'amalgame.

Reprenant un article d'un universitaire tchèque, Jan Koura, en date de novembre 2020, The Observer (l'édition dominicale du journal britannique The Guardian) publie le 26 décembre 2021 un article au titre accrocheur : « Le chef de l'opposition marocaine Mehdi Ben Barka était un espion, suggèrent les dossiers de la Guerre froide ». The Observer reprend quasi intégralement les thèses avancées par Jan Koura. Ces deux textes (celui de Jan Koura en particulier) reproduisent de manière détaillée l'article d'un journaliste tchèque, Petr Zidek, publié par l'hebdomadaire français L'Express en juillet 2007.

Rien donc de nouveau sous le soleil de la calomnie. Ce n'est pas la première fois que la mémoire et la figure de Mehdi Ben Barka sont attaquées. Plutôt que s'en prendre à ses idées et à son parcours militant, ses ennemis, ses adversaires et ses détracteurs essaient de le faire passer pour un quelconque espion à la solde de tel ou tel service de renseignement, aujourd'hui la Sûreté de l'État tchécoslovaque (StB), hier le Mossad israélien, pourquoi pas demain la CIA ou même le Cab-1 marocain ?

La « story » de Jan Koura

À partir de documents déclassifiés de la StB, Jan Koura prétend sans aucun recul ni regard critique que Mehdi Ben Barka aurait entretenu d'étroites relations avec elle et aurait été rémunéré pour ses services. Il perd de vue qu'il s'agit de matériel brut, produit par un service de renseignement, peut-être expurgé ou incomplet, en tout cas sujet à caution. L'article de The Observer s'inscrit dans la même logique, sans aucune enquête complémentaire. Il ne tient pratiquement pas compte des remarques que j'ai formulées quand le journaliste m'a sollicité au sujet de l'article de Jan Koura.

En l'absence de preuves matérielles, faudrait-il croire sur parole les auteurs de ces articles lorsqu'ils avancent des affirmations aussi ridicules concernant le leader du mouvement afro-asiatique, le militant progressiste au passé incontestable ? À les en croire, Mehdi Ben Barka serait devenu un agent des services secrets tchécoslovaques, manipulé par un deuxième secrétaire d'ambassade à Paris. Dans l'article de L'Express, Petr Zidek avait au moins émis quelques réserves, indiquant par exemple l'absence de pièces prouvant la matérialité des prétendus liens entre Mehdi Ben Barka et la StB.

La rencontre — probablement fortuite — à Paris en 1960 de Mehdi Ben Barka avec l'agent tchèque dont le nom de code est « Motl » a certainement intéressé les dirigeants tchécoslovaques. Ils connaissaient la position importante qu'avait déjà acquise Mehdi Ben Barka dans le tiers-monde. Ils ont vu là une opportunité d'avoir des analyses pertinentes sur la situation internationale et ont demandé à leur agent de la poursuivre. En revanche, il est évident que Mehdi Ben Barka ignorait totalement la fonction réelle de Motl (officiellement conseiller d'ambassade).

Prague, un relais du bloc socialiste

Repris par The Observer, Jan Koura a complètement négligé l'environnement géopolitique de la période concernée. Prague était le siège des organisations internationales progressistes (Fédération syndicale mondiale, Union internationale des étudiants…) Elle était le passage obligé des responsables politiques des organisations internationales comme l'Organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques (OSPAA) pour rejoindre certaines capitales africaines, asiatiques et Cuba. D'un point de vue purement pratique, leurs billets de voyage et de séjour étaient pris en charge soit directement par les trésoreries de ces organismes, soit sous-traitées par les comités locaux de solidarité (par exemple le comité tchécoslovaque) qui servaient de relais à l'aide financière internationale du camp socialiste.

Mehdi Ben Barka était membre du secrétariat de l'OSPAA, vice-président du Comité de fonds de solidarité chargé de recueillir l'aide financière pour les mouvements de libération nationale des pays du tiers-monde, futur président du Comité préparatoire de la Conférence de la solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine (la « Tricontinentale »). À ce titre, il voyageait régulièrement en Asie, en Afrique, à Cuba et en Europe. Des aides étaient également fournies à travers la Tchécoslovaquie, afin de soutenir l'action politique des forces progressistes (matériel, formation de militants, bourses d'études…).

Étant donné l'importance de Prague, Mehdi Ben Barka, homme politique de grande envergure, militant du tiers-monde, y transitait régulièrement lors de ses déplacements. Il ne serait pas étonnant que les responsables tchèques aient saisi l'occasion pour le rencontrer. Mehdi Ben Barka ne se privait pas de faire part de son analyse politique de la situation internationale (c'est ce qui ressort du type de « rapports » qu'il aurait fournis). À la lumière de l'article de Koura, Mehdi Ben Barka n'aurait fourni aucune information sensible qui sorte du cadre de l'analyse politique. Il faut noter que, dès le printemps 1961, il avait quitté Paris pour Genève, ce qui n'est nullement précisé par Motl à ses supérieurs.

Problème de terminologie

Une remarque importante est nécessaire : il y a dès le départ un problème de terminologie. Du point de vue de la StB — le seul présenté dans l'article de Jan Koura et repris par The Observer —, Mehdi Ben Barka est soit une source, soit un agent. La nuance est importante : on peut être une source involontaire sans toutefois devenir un agent, tout dépend du point de vue à partir duquel on se place. Aucun des documents consultés par Koura ne lève le doute. Dans le seul document relatif à son prétendu « recrutement », en date de 1963, le prénom de Mehdi Ben Barka devient « Mohamed ».

Cela n'est pas très sérieux.

Le premier contact établi par Motl aurait été un contact politique entre un conseiller d'ambassade à Paris et un responsable politique important. Le contenu des discussions est d'ordre politique et stratégique ; il ne correspond à aucun moment à la nature des relations entre un officier et son agent sur le terrain. Les rapports présentés par Koura indiquent qu'il n'y a eu aucune évolution dans les rapports entre Mehdi Ben Barka et les personnalités tchèques qu'il a rencontrées. Koura suppose seulement qu'il aurait deviné leur appartenance au StB.

Il est indéniable que les analyses de Mehdi Ben Barka sur la situation marocaine, africaine et du tiers-monde en général étaient importantes. Il n'y avait aucune raison qu'il n'en ait pas fait profiter un diplomate ou un responsable politique d'un « pays ami ». Il était dans son rôle de dirigeant politique et ne s'en privait pas. Il avait des réunions de travail régulières avec des chefs d'État comme Gamal Abdel Nasser pour l'Égypte, Ahmed Ben Bella pour l'Algérie, Kwame N'Krumah pour le Ghana…

Par ailleurs, il n'avait nullement besoin de l'intermédiaire d'un deuxième secrétaire d'ambassade tchécoslovaque à Paris ou de passer par Prague pour échanger avec les responsables soviétiques. Ces contacts existaient déjà lorsqu'il était président de l'Assemblée nationale consultative marocaine, au lendemain de l'indépendance du Maroc. De plus, le représentant du Comité soviétique de solidarité afro-asiatique était un membre important du secrétariat permanent de l'OSPAA au Caire et co-président du fonds de solidarité chargé de récolter et distribuer l'aide aux mouvements de libération du tiers-monde. Mehdi Ben Barka occupait des fonctions importantes dans ces deux organismes et, à ce titre, était chargé de recevoir et de distribuer ces aides. Prague servait souvent d'intermédiaire à ces transactions.

Autre remarque qui ne cadre pas avec les contraintes qui auraient été imposées à un agent : Mehdi Ben Barka n'a jamais varié de sa ligne politique et idéologique, à savoir le développement du combat anticolonial et anti-impérialiste par le renforcement de la solidarité internationale tout en préservant le mouvement du tiers-monde des influences aussi bien soviétique que chinoise. Cette ligne de conduite n'a jamais changé, même après ses passages à Prague. Quant à son voyage à Pékin durant l'été 1965, c'était pour convaincre les dirigeants chinois de l'importance de la présence de l'URSS à la conférence tricontinentale, ce que la Chine contestait, arguant que l'URSS était « européenne » ; mais Mehdi Ben Barka insistait sur l'importance des républiques asiatiques. Il a eu finalement gain de cause. Le « noyau dur » tiers-mondiste indépendant de la Chine et de l'URSS au sein de la Tricontinentale autour de Mehdi Ben Barka avait un poids suffisamment fort pour imposer sa présidence au sein de son Comité préparatoire, qui a été décidée unanimement.

La mémoire bafouée

La famille de Mehdi Ben Barka est profondément choquée et indignée par ces pseudo-révélations fabriquées volontairement à charge, sans aucun recul ni analyse des situations, du contexte historique et politique. L'objectif recherché est de porter atteinte à sa mémoire, de dénaturer le sens de son action politique et de sa pensée en faveur de la lutte des peuples contre le colonialisme, l'impérialisme et le sionisme, pour leur émancipation politique et sociale et pour la démocratie.

Certes, victime d'un enlèvement — un crime politique — le 29 octobre 1965, il n'a pas pu mener à son terme son combat pour la modernisation de la société marocaine et l'unification des mouvements progressistes du tiers-monde. Mais ses idées et son œuvre ont nourri et nourrissent encore les luttes de plusieurs générations de Marocains et au-delà. Comme les tentatives précédentes, les dernières atteintes à sa mémoire ne sauraient altérer son combat ni diminuer la portée de sa contribution à l'émergence d'une société nouvelle.

Enfin, nous sommes surpris de la facilité avec laquelle certains peuvent accéder à des milliers de documents, alors que, depuis 56 ans, nous avons avec notre avocat Me Maurice Buttin les pires difficultés à consulter ceux d'autres services de renseignement qui pourraient nous aider à connaître enfin la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka.

Vidéo. Remise du 4e Grand Prix de l'Académie du renseignement

Découvrez l'annonce des lauréats, l'esprit de ce Grand Prix, les raisons des choix de cette édition et les perspectives. Nourrir et transmettre une culture du renseignement : c'est la mission que se donne l'Académie du renseignement à travers ce Grand Prix

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#EgyptPapers. La lutte antiterroriste dévoyée au profit de la « diplomatie des armes »

Le média d'investigation Disclose a révélé des centaines de documents classés secret-défense. Les Mémos de la terreur est une enquête qui démontre l'implication de la France dans des exécutions extrajudiciaires d'au moins plusieurs dizaines de civils, commis sous couvert de la lutte antiterroriste dont se réclame le régime égyptien.

Ni moi, ni ceux et celles que je connais qui ont pu contribuer à cette diffusion d'informations ne sont opposants politiques, militants antirépublicains ou anti-France, ou au service d'une puissance étrangère. C'est même tout le contraire.

C'est par ce message envoyé par la source à l'origine de ce scandale d'État aux journalistes de Disclose que s'ouvre le documentaire de l'émission « Complément d'enquête » diffusé sur France 2 jeudi 25 novembre. Le média en ligne d'investigation qui a eu accès à des centaines de documents classés « secret-défense » y révèle comment une opération militaire franco-égyptienne a été détournée au profit d'une campagne d'exécutions arbitraires. Le site avait commencé à publier quelques jours plus tôt cette enquête diffusée en cinq épisodes entre le 21 et le 26 novembre1.

« Ce qui fait rompre le silence, poursuit cette source, ce sont les dérives de l'action politico-militaire française qui entaillent profondément ce pour quoi des hommes et des femmes sont au service de la France. »

Opération Sirli

Ces dérives en question débutent en 2016, dans le cadre d'une opération confidentielle. Nom de code : Sirli. Base de l'opération : la région de Marsa Matrouh, au nord-ouest de l'Égypte. Objectif : sécuriser les 1 200 kilomètres de frontière avec la Libye, plongée dans un chaos sécuritaire, contre l'intrusion de groupes terroristes sur le sol égyptien.

La France envoie pour cela dix agents de la Direction du renseignement militaire (DRM). Quatre hommes en service et six anciens de l'armée reconvertis dans le privé débarquent en catimini, sous couvert de visas touristiques, à l'aéroport du Caire, avant d'être convoyés en bus vers le poste de commandement de l'opération. De là, ils seront chargés de faire voler un avion léger de surveillance pour couvrir l'immense désert libyque égyptien qui s'étire du Nil à la frontière de la Libye.

Les conversations téléphoniques interceptées en direct sont transmises aux renseignements militaires égyptiens. Cette surveillance aérienne doit permettre d'identifier d'éventuels groupes terroristes qui transiteraient dans cette région. Mais très vite, les agents français doutent de leurs partenaires égyptiens. Ils tentent d'alerter leur hiérarchie. Disclose révèle une première note, datée d'avril 2016, seulement deux mois après le début de l'opération Sirli. Selon ce document, tiré d'un rapport de la DRM, l'armée égyptienne entend « mener des actions directes contre les trafiquants ».

Les notes destinées au chef d'état-major des armées s'enchainent à mesure que les soupçons des agents déployés sur le terrain se renforcent. Les données fournies par les Français sont utilisées en temps réel par l'aviation égyptienne qui procède à du « ciblage dynamique » contre les pickups de contrebandiers. Autrement dit, des bombardements aériens contre des civils qui trafiquent aussi bien des produits anodins (du riz, ou du maquillage) que des marchandises plus illicites comme des animaux, des cigarettes, voire très illicites, comme des armes, de la drogue ou des êtres humains. Des raids punitifs hors de tout cadre légal. Christophe Gomart, le directeur de la DRM jusqu'en 2017, nie. Selon ses propos rapportés par Disclose, ses services n'ont « jamais donné de renseignement ayant permis, à [sa] connaissance, d'aller détruire des civils ou d'aller exécuter des gens. »

Pourtant Disclose a établi, à la lumière de cette fuite de documents, que huit véhicules ont ainsi été frappés le 22 septembre 2016. En tout, la France se serait rendue complice de 19 bombardements contre des civils entre 2016 et 2018, tuant plusieurs dizaines de civils. Le combat contre le terrorisme semble bien loin. Cette menace est surévaluée à dessein par Le Caire, explique le chercheur Jalel Harchaoui à Disclose.

Pire, la France pourrait être également impliquée dans de véritables bavures de ces raids aériens égyptiens. Le 5 juillet 2017, c'est dans la zone de surveillance de la mission Sirli qu'un bombardement vise Ahmed El-Fiki. Cet ingénieur originaire du Caire qui travaille depuis longtemps dans la région et deux de ses collègues sont tués sur le coup.

« Des meurtres d'État »

Face à ces abus flagrants, les agents français demandent que l'opération soit encadrée. Mais leurs appels restent ignorés par la hiérarchie militaire, et même par l'Élysée, informé à la veille du déplacement d'Emmanuel Macron en Égypte début 2019. Devant la caméra de « Complément d'enquête », Agnès Callamard, l'ancienne rapporteure spéciale du Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qualifie ces crimes de « meurtres d'État ». La complicité de la France l'exposerait à des poursuites devant une cour française ou européenne, explique cette experte, aujourd'hui secrétaire générale de l'organisation Amnesty International.

Mais si les autorités françaises ont fait la sourde oreille, c'est que leurs priorités sont ailleurs. Depuis la prise de pouvoir du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi à la suite d'un coup d'État militaire le 3 juillet 2013, la France veut se positionner sur le marché des ventes d'armes à l'Égypte. L'opportunité se présente sans tarder. En août 2013, au lendemain du massacre de la place Rabaa au cours duquel les forces de sécurité égyptiennes ont tué près de mille manifestants pacifiques amassés sur ce carrefour de l'est du Caire pour réclamer le retour du président déchu Mohamed Morsi, le président américain Barack Obama annonce la suspension de l'aide militaire de son pays. La France et l'ensemble des pays européens s'alignent sur les États-Unis et gèlent les exports de matériels pouvant servir la répression.

Or, moins de trois moins après ce bain de sang, le « pire massacre de l'histoire moderne de l'Égypte » selon l'organisation Human Rights Watch, une note de l'état-major des armées témoigne des intentions réelles de Paris. « Le ministère [égyptien] de la Défense, fort d'une autonomie financière estimée à plus de 10 milliards d'euros […] a pour objectif immédiat de moderniser tant ses matériels que ses infrastructures avant qu'un nouveau pouvoir démocratique ne lui demande éventuellement des comptes, » souligne un document révélé par Disclose. La France est prête à soutenir la junte militaire aux commandes de l'État égyptien.

Des Rafale au prix des droits humains

Alors que la répression contre toute forme d'opposition s'intensifie en Égypte, une première rencontre entre Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense de François Hollande, et le président Al-Sissi a lieu en septembre 2014. Dès lors, les contrats commencent à pleuvoir. L'Égypte achète quatre Corvette du constructeur Naval Group, puis, début 2015, un lot de 400 missiles des industriels Safran et MBDA. Et surtout, 24 avions de combat Rafale à Dassault aviation. Montant total du pactole pour les industriels français : 6,2 milliards d'euros. Le régime d'Al-Sissi se hisse en quelques mois au troisième rang des clients de l'armement tricolore, derrière l'Arabie saoudite et l'Inde, selon le classement de l'Institut de Stockholm de recherche sur la paix (Sipri).

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, « Paris approuve la coloration idéologique du président Sissi, soutient Jalel Harchaoui, interviewé dans le documentaire de « Complément d'enquête ». Évidemment, ça vient avec une forte corrélation avec les ventes d'armes, parce que s'il n'y a pas cette obsession autoritaire, il n'y a pas d'obsession sécuritaire et donc il n'y a pas d'opportunités de vendre des armes, » insiste cet expert associé au Global Initiative Against Transnational Organized Crime, une ONG installée à Genève.

Cette « diplomatie des armes » [Voir le chapitre de l'enquête de Disclose intitulé « Au service des ventes d'armes ».]] pilotée par la défense française relègue au second plan les services du ministère des affaires étrangères. Par deux fois, en 2016, son opposition, justifiée par les risques d'utilisation de l'équipement militaire à des fins répressives contre la population, est contournée pour valider l'envoi de blindés Titus et Bastion.

D'un président l'autre, le partenariat stratégique entre la France et l'Égypte demeure. Son grand artisan, Jean-Yves Le Drian, est promu ministre des affaires étrangères après avoir occupé le poste de ministre de la défense et promu dans ce cadre la coopération avec l'Égypte. Peu de temps après l'élection d'Emmanuel Macron, en visite au Caire pour la huitième fois, il assure à ses interlocuteurs qu'il continuera de suivre le dossier des ventes d'armes.

En mai 2021, après d'autres révélations de Disclose, l'Égypte officialise l'achat, grâce à un prêt garanti par la France à hauteur de 85 %, de 30 avions Rafale pour un montant de 3,95 milliards d'euros. Le Caire est désormais le deuxième client des équipementiers français.

Quand Paris soutient la répression

Pour eux, la manne égyptienne ne s'arrête pas là. Disclose met également au jour l'existence d'un système de surveillance massif installé par trois entreprises hexagonales en Égypte avec l'accord des autorités françaises. À partir de 2014, Nexa Technologies, Ercom-Suneris, devenu en 2019 une filiale de Thalès de laquelle l'État est actionnaire à 25 %, puis Dassault Système, ont fourni pour le compte des renseignements militaires égyptiens des systèmes ultrasophistiqués de surveillance d'Internet, d'écoute téléphonique, de géolocalisation en temps réel et de traitement de ces données collectées.

Cette « surveillance made in France » est utilisée par le régime pour raffermir son emprise sur la société égyptienne. Plus de 60 000 prisonniers d'opinion sont déjà derrière les barreaux. Militants des droits humains, avocats, journalistes, opposants politiques, mais aussi homosexuels ou utilisatrices du réseau de partage de vidéos TikTok, quiconque sort des rangs tracés par le pouvoir militaire peut se retrouver en prison.

En plus de faciliter des abus commis contre la population, cette technologie pourrait également servir des opérations d'espionnage pour le compte de différents services de renseignement, cette très opaque dictature, estime pour sa part Rami Raouf, un chercheur égyptien spécialisé sur les questions de vie privée en ligne et de cybersécurité.

« Je n'ai jamais connu une répression d'une telle violence, dénonce au micro de France 2 Gamal Eid, un avocat défenseur des droits humains qui exerce depuis plus de trente ans. La France se met en position d'ennemi de la démocratie, continue le directeur du Réseau arabe pour l'information sur les droits de l'homme. Les Égyptiens aimaient la France, elle est devenue aujourd'hui un soutien à la tyrannie. Les citoyens français doivent faire pression sur leur gouvernement. Pour nous, c'est déjà suffisant de lutter contre un tyran ici, sans en plus avoir à lutter contre les amis de ce tyran à l'étranger. »

Même défiance pour l'activiste Mohamed Lotfi. Le directeur de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés se dit choqué de la « participation logistique de l'État français dans des violations très graves des droits de l'homme. » « Le président Macron doit réviser ce deal. En temps qu'allié du peuple égyptien, avant d'être celui du gouvernement, il faut arrêter cela, » plaide-t-il. Mohamed Lotfi appelle à l'établissement d'une commission d'investigation indépendante des Nations unies, « au nom des Égyptiens qui ont payé le prix de cette coopération. »

En France, les députés de La France insoumise (LFI) ont annoncé leur intention de réclamer l'ouverture d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Elle « devrait faire la lumière sur l'opération Sirli, mais aussi sur le lien existant entre celle-ci et les ventes d'armes de la France à l'Égypte », abonde Amnesty International dans un communiqué. L'organisation de défense des droits humains réclame également l'établissement d'un contrôle parlementaire sur les exportations d'armement. Fin 2020, un rapport parlementaire plaidant en faveur d'un tel contrôle s'était heurté au refus du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), en charge des exportations d'armes.

Le secret-défense contre la démocratie

Dans l'émission « Complément d'enquête », le député Sébastien Nadot, ex-La République en Marche (LREM), a quant à lui annoncé qu'il saisissait la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). À la question d'une journaliste de Médiapart quant à une éventuelle démission du ministre des affaires étrangères, chef d'orchestre du partenariat France-Égypte, il répond : « Si Jean-Yves Le Drian a un peu de respect pour la République qu'il est censé servir, je crois que c'est la moindre des choses. »

Mais depuis les révélations de Disclose, les exécutifs français et égyptien restent droits dans leurs bottes. Aucune remise en cause de ce partenariat stratégique. La ministre des armées Florence Parly a sollicité une enquête visant d'abord à déterminer l'identité de la source au cœur de cette affaire d'État. « La justice va être saisie sans délai » sur ce volet, a explicité le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. À savoir, la « violation flagrante du secret de la défense nationale ». Ajoutant que cette enquête permettra également de « vérifier que les règles qui avaient été fixées pour cette coopération en matière de renseignement, les mesures qui avaient été prises pour qu'elles soient appliquées ont effectivement été mises en œuvre ».

En Égypte, où l'accès à Disclose est bloqué par les autorités, silence radio. « Toutes les rédactions ont reçu des appels leur intimant de ne pas couvrir ces révélations », témoigne anonymement un journaliste égyptien. Selon le site, la mission franco-égyptienne Sirli se poursuit dans le désert libyque.


Maroc. La surveillance des journalistes n'a pas attendu Pegasus

L'enquête de Forbidden Stories a mis au jour en juillet 2021 l'usage intensif du logiciel israélien Pegasus pour venir à bout de la presse indépendante au Maroc. Mais depuis des décennies, des journalistes marocains subissent surveillance et harcèlement, grâce notamment à des logiciels fournis par des sociétés italiennes et françaises.

En octobre 2019, Fouad Abdelmoumni apprend que son téléphone apparaît dans une liste de 1 400 mobiles infectés par le logiciel espion Pegasus. Cela ne le surprend pas. « Je dirais que j'ai été immunisé à cette surveillance constante puisque j'ai grandi dans cette atmosphère », raconte l'économiste militant des droits humains, déjà emprisonné et torturé à deux reprises durant le règne d'Hassan II. Il sait que chacun de ses mouvements est épié. Pour autant, apprendre quels moyens sont mis en œuvre contre lui, « c'est déjà un progrès ». D'un ton serein, il détaille :« Ce n'est pas quelque chose qui me choque particulièrement. Je considérais qu'avoir des flics à la porte, qui relèvent ceux qui vont et viennent, même envisager qu'il y ait des écoutes ou des caméras […], à la limite pour un pays en transition, je peux le comprendre. Mais là on est face à un État voyou ».

Les journalistes marocain·es racontent des dizaines d'histoires de ce genre. Chacun de leurs déplacements est scruté jusqu'aux moindres détails. Omar Brouksy collaborateur régulier d'Orient XXI, se remémore une discussion avec son gardien d'immeuble : "J'habitais dans un appartement. Peu après mon arrivée à l'AFP en 2009, la police est venue devant chez moi pour voir le concierge ». Les questions à propos de son quotidien s'enchaînent : qui vient le voir ? Quand est-ce qu'il sort ? Qu'est-ce qu'il fait ? Quel est son programme ? « Ils l'ont menacé s'il me le disait. Comme c'est un ami, il m'a averti. »

Plus récemment fin juillet 2021, le journaliste marocain Hicham Mansouri, ancien résident à la Maison des journalistes (MDJ) et actuellement chef d'édition du site de l'Œil de la MDJ et membre de la rédaction d'Orient XXI, a été suivi par des hommes en civil dans le métro parisien. « J'avais rendez-vous à Gambetta avec deux amis dont Maâti Monjib. Je suis descendu du métro, j'ai pris le sens inverse puis j'ai repris le bon sens. Ils ont continué à me suivre ». Maâti Monjib se rend à Montpellier quelques jours plus tard et retrouve des photos de son voyage publiées dans un média de diffamation proche du pouvoir.

« L'essentiel est la sécurité des sources »

Les journalistes marocain·es mettent tout en œuvre afin de contourner ces différents types de surveillance. « Je m'entretiens physiquement avec toutes mes sources. Je les rejoins dans la rue, en marchant, dans un café… Je ne dis jamais le lieu où on se rencontre. Au téléphone, c'est inimaginable, je suis trop méfiant », détaille Omar Brouksy. Aboubakr Jamaï, fondateur des hebdomadaires marocains Le Journal et Assahifa Al-Ousbouiya a également recours à ce genre de ruse. Après la publication d'une enquête en 2000 sur l'implication de la gauche marocaine dans le coup d'État de 1972 contre Hassan II, le journaliste apprend par un haut fonctionnaire que les services de renseignement connaissent sa source avant même la publication.

Quelques mois plus tard, le rédacteur en chef du Journal redouble de vigilance lors de la publication de l'enquête sur l'affaire Ben Barka publiée conjointement avec Le Monde. Les deux journaux apportent la preuve de l'implication des services de renseignement marocains dans la disparition du principal opposant politique d'Hassan II, Medhi Ben Barka, enlevé le 29 octobre 1965. Pour ce faire, Aboubakr Jamai a réussi à convaincre l'ancien agent secret Ahmed Boukhari de témoigner. « Dans cette affaire-là, l'essentiel était la sécurité de la source. On craignait pour la vie du type. On a eu recours à des ruses pour échapper à leur surveillance », se remémore-t-il.

La rédaction ne savait pas qu'on allait sortir l'affaire Ben Barka. Trois journalistes étaient au courant. Pour le rencontrer, on descendait dans mon parking en voiture. On changeait de voiture et on sortait par une autre sortie. On a été très vigilants et c'est une grande fierté de ne pas avoir mis au courant les services secrets de la sortie de cette enquête. Ça a fait l'effet d'une bombe. C'est rare qu'une information tombe sans qu'ils ne sachent rien.

Des logiciels espions italiens et français dès 2009

Pegasus ne représente que le dernier outil en date utilisé pour museler la presse indépendante et plus généralement la société civile. Certains, à l'image de Maâti Monjib, Omar Radi, Fouad Abdelmoumni, ou encore Aboubakr Jamaï ont appris avoir été ciblés par Pegasus en 2019 lors des révélations du Citizen Lab de l'université de Toronto. D'autres ont été averti·es en juillet 2021 lors de la publication de Projet Pegasus comme Taoufik Bouachrine, Souleimane Raissouni, Maria Moukrim, Hicham Mansouri, Ali Amar, Omar Brouksy. « Les journalistes savent qu'ils et elles sont constamment surveillé·es ou sur écoute », explique ce dernier, ancien rédacteur en chef du Journal et professeur de sciences politiques au Maroc. « À chaque fois que je parle au téléphone, je sais qu'il y a une troisième personne avec nous », confirme Aboubakr Jamaï. « Ça ne date pas d'hier ».

Ce n'est pas la première fois que le Maroc achète ce type d'outils, avec la bénédiction d'États peu regardants de l'utilisation qui en est faite. L'Italie a permis l'exportation des différents logiciels espions de la société Hacking Team qui proposaient une surveillance similaire à ce que permet aujourd'hui Pegasus. Des documents internes ont révélé que le royaume a dépensé plus de trois millions d'euros à travers deux contrats en 2009 et 2012 pour s'en équiper. L'État français, qui n'en est pas à son premier contrat avec les états autoritaires du Maghreb et du Proche-Orient, a également estimé qu'un outil de surveillance massive du web serait entre de bonnes mains (celles de Mohammed VI) au Maroc.

La société Amesys/Nexa Technologies, dont quatre dirigeants sont actuellement poursuivis pour « complicité d'acte de torture » en Égypte et en Libye a également vendu son logiciel de deep package inspection nommé Eagle. Au Maroc, le contrat révélé par le site reflet.info est surnommé Popcorn et se chiffre à un montant de 2,7 millions d'euros pour deux années d'utilisation. Pour les États européens, ces contrats permettent également de sceller des accords de collaboration avec les services de renseignement marocains bénéficiant de ces outils. L'État marocain est libre dans l'utilisation qu'il en fait, mais en échange il fournit à Paris les informations dignes d'intérêt, notamment en matière terroriste comme lors de la traque d'Abdelhamid Abaaoud, terroriste d'origine belge et marocaine qui a dirigé le commando du Bataclan.

La continuité des « années de plomb »

Pour Fouad Abdelmoumni, les logiciels Pegasus et Amesys représentent la suite plus sophistiquée de la ligne sous écoute et de l'ouverture du courrier d'antan. Hassan II comme son successeur et fils Mohamed VI ont toujours eu recours à la surveillance massive. « Le Maroc n'a jamais été considéré comme une démocratie. Comme dans tous les régimes autoritaires, il y a une surveillance sur toutes les personnes considérées comme un danger », poursuit Aboubakr Jamaï. Pourtant, après trois décennies de répression durant le règne d'Hassan II, à partir des années 1990 le roi entreprend une ouverture démocratique. De nombreux journaux indépendants prolifèrent.

Lorsque Mohamed VI succède à son père en 1999, le nouveau roi n'a de cesse de s'attaquer à la presse et aux militants. « Si je sors aujourd'hui les enquêtes de l'époque, je risque la prison. D'ailleurs on a été interdits pour ces raisons sous Mohamed VI. Hassan II ne nous a jamais interdits pendant deux ans », décrit Aboubakr Jamaï. Aujourd'hui, de multiples journalistes et observateurs de la situation au Maroc comparent la politique répressive de Mohamed VI à celle des « années de plomb » (1960-1990) du règne d'Hassan II. Les autorités s'immiscent désormais dans la vie privée de ses opposants.

Des caméras cachées à domicile

Après son infection par Pegasus, Fouad Abdelmoumni, alors secrétaire général de la branche marocaine de Transparency International saisit la Commission nationale de contrôle de la protection des données personnelles. Plusieurs médias proches du pouvoir multiplient alors les menaces pour tenter de le faire taire. « Dès que je m'exprimais sur Facebook ou ailleurs sur un acte de répression, immédiatement il y avait des articles de menaces qui suivaient ». À la fin du mois, plusieurs médias pro-monarchie l'accusent d'adultère (crime passible de peine de prison au Maroc) ou même de proxénétisme. ChoufTV lance la rumeur qu'une sextape circulerait sur WhatsApp. D'autres sites reprennent l'accusation.

En février 2020, peu avant son mariage, des proches de Fouad Abdelmoumni, dont sa belle-famille, reçoivent via WhatsApp sept vidéos, filmées à son insu lors d'un rapport sexuel avec sa nouvelle compagne. Celles-ci ont été enregistrées à l'aide d'une caméra discrète cachée dans le climatiseur de la chambre de sa propriété secondaire en banlieue de Rabat. « Il y a deux implantations, une première dans le salon qui ne devait pas être suffisamment intéressante. Ils en ont fait une seconde dans la chambre à coucher. Ils ont ensuite pu pénétrer une dernière fois pour retirer ce qu'ils avaient installé ».

Hajar Raissouni n'a quant à elle pas été traquée par Pegasus, mais le 31 août 2019 la journaliste d'Akhbar Al Yaoum est arrêtée alors qu'elle sort d'un rendez-vous chez son gynécologue. Une caméra de ChoufTV est présente pour immortaliser l'arrestation. « À chaque fois qu'il y a un meurtre ou une affaire qui fait le buzz, ChoufTV sont directement informés par la police et ils ont l'exclusivité. Un ami à moi a trouvé un très bon parallèle : ChoufTV c'est comme si InfoWars1 était un département du FBI et que les États-Unis étaient une dictature ». Elle est accusée avec son compagnon de « débauche » (relation sexuelle hors mariage) et « d'avortement illégal ». Malgré le manque de preuves, ils sont condamnés à un an de prison et le gynécologue à deux années fermes.

Un an auparavant, le 23 février 2018, une quarantaine d'agents de police débarquent dans les locaux d'Akhbar Al-Youm pour y arrêter son directeur de publication, Taoufik Bouachrine. Le patron de presse et journaliste est accusé, vidéos à l'appui, d'avoir eu des relations forcées avec deux journalistes. Avec de telles accusations, Reporters sans Frontières (RSF) s'est retenu de commenter l'affaire jusqu'au jour du délibéré, huit mois plus tard, pour finalement évoquer un « verdict entaché de doute ». Le journaliste purge une peine de 15 ans de prison pour « traite d'êtres humains », « abus de pouvoir à des fins sexuelles » et « viol et tentative de viol ». Si le procès a été critiqué pour le manque d'éléments attestant des faits — les deux plaignantes se sont retirées au cours du procès —, le nom de Taoufik Bouachrine refait surface cet été dans la liste des 50 000 numéros visés par Pegasus.

Suleiman Raissouni, directeur de publication de Akhbar Al-Youm est lui arrêté à son domicile le 22 mai 2020 après qu'un témoignage d'un militant LGBTQ+ sur Facebook l'accuse d'agression sexuelle en 2018. Pour avoir pris position en faveur du journaliste, RSF s'est fait accuser de nier le témoignage de la victime, signe de la difficulté de traiter ce type d'accusation. « Ils portent ces accusations [d'agressions sexuelles] [pour ne pas leur donner le statut gratifiant de prisonnier politique. La question des agressions sexuelles est extrêmement sensible », estime Omar Brouksy.

En mars 2015, Hicham Mansouri passe devant un tribunal alors qu'il est encore au Maroc. Des policiers ont pénétré son appartement de force et ont monté un dossier l'accusant de proxénétisme et d'adultère. Un collectif de voisins dément ces accusations, mais on refuse leur témoignage. Un document est présenté durant le procès : le témoignage du gardien de l'immeuble qui l'accuse de tous les maux.

Le juge l'a convoqué. Au Maroc les gardiens, les cireurs de chaussures, les vendeurs de cigarettes, tous ces travailleurs informels collaborent avec la police, parce qu'ils sont fragiles, parce qu'ils craignent les pressions. Donc quand je l'ai vu au tribunal, je me suis dit : ‟Voilà, c'est lui qui va m'enfoncer !” Mais en fait non. Le juge lui a dit :
— La police vous a entendu, voilà ce que vous leur avez déclaré.
— Non Monsieur, c'est exactement l'inverse que j'ai dit ! Je n'ai jamais rien vu, c'est quelqu'un de très bien.
— Mais c'est bien votre signature ?
— Oui, mais je ne sais ni lire, ni écrire.

À la fin d'un procès kafkaïen, seule l'accusation d'adultère sera retenue contre Hicham Mansouri. À sa sortie de prison en janvier 2016, un autre procès le guette pour « atteinte à la sûreté de l'État ». Il risque jusqu'à 5 ans devant un tribunal, et 25 ans s'il passe devant un juge antiterroriste. « L'objectif premier [de ces procès] avant d'être celui de mettre au pas des individualités, c'est de terroriser l'ensemble des élites et de la société civile du pays », analyse Fouad Abdelmoumni. Le fait que tous ces journalistes aient été surveillés permet de remettre en cause l'impartialité de la justice marocaine dans le traitement de ces dernières accusations.

Un prix à payer extrêmement lourd

Les mœurs sexuelles ne sont pas le seul motif d'accusations péremptoires : Maati Monjib pour « blanchiment de capitaux », Ali Anouzla pour « apologie du terrorisme », Hamid el Mahdaoui pour « non-dénonciation de l'atteinte à la sûreté intérieure de l'État ». Malgré un préambule très bavard sur les droits humains, la Constitution de 2011 et les lois ne garantissent pas l'indépendance de la justice. Le roi Mohamed VI préside et nomme certains membres du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) en charge d'élire les magistrats. L'article 68 de la loi organique relative au CSPJ lui octroie d'ailleurs un droit de regard sur ces élections. De surcroît, les verdicts sont prononcés selon l'article 124 de la Constitution « au nom du Roi ». Une atteinte à la séparation des pouvoirs, souligne Omar Brouksy. « Quand nous sommes poursuivis pour « atteinte à l'image du roi, de la monarchie, ou quand nous critiquons un proche du pouvoir, nous serons jugés par une personne nommée par le Roi et le verdict sera prononcé au nom de celui qui vous a attaqué. »

La révision du code de la presse de 2016 a supprimé les peines privatives de liberté pour tous les délits de presse. Une avancée de façade, car la dépendance de la justice à l'égard du pouvoir permet à la monarchie de l'instrumentaliser selon ses propres intérêts. Le régime se base notamment sur des accusations de viol, d'agression sexuelle ou d'atteinte à la sûreté de l'État afin d'enfermer les journalistes.

Au-delà de s'attaquer à un individu, le régime marocain cherche à « semer le trouble sur les journalistes pour décourager les sources », analyse Omar Brouksy, voire de les trouver. Fouad Abdelmoumni conclut :

Il y a une spécificité de la répression au Maroc : elle ne veut pas être méconnue. Elle veut être connue et identifiée. Mais pas d'une manière qui puisse être probante devant une ‟justice molle”. Ce qui les intéresse ce ne sont pas tant les personnes ciblées que les milliers ou dizaines de milliers d'autres qui pourraient, soit être encouragées à agir, soit au contraire se dire que le jeu n'en vaut pas la chandelle. En voyant que si on s'engage et si on s'expose trop, le prix peut devenir extrêmement lourd.


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