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À lire : « Halte au catastrophisme ! Les vérités de la transition énergétique » de Marc Fontecave

Par : laurent

Une recension du livre de Marc Fontecave Halte au catastrophisme ! Les vérités de la transition énergétique (Flammarion, 2020) par Françoise Delcelier-Douchin, ingénieur au Centre national d’études spatiales (Cnes).

Il est rare d’entendre autant de scientifiques (virologues, épidémiologistes, biologistes à la recherche d’un vaccin, etc.) s’exprimer dans les médias, tous supports confondus, qu’en cette fin d’année 2020, plongés au cœur de la pandémie de coronavirus. Ces derniers mois, ils ont pris le relais des climatologues, glaciologues, spécialistes des énergies… Mais quel que soit le sujet, en écho à leurs interventions, le quatrième et le cinquième pouvoirs, respectivement les médias (écrits, audiovisuels) et les citoyens commentent, s’insurgent, dénoncent… Formidable vitalité d’une démocratie peuplée d’individus à l’esprit critique aiguisé par une culture abondante et multidisciplinaire ? Ou population dotée d’un esprit de critique systématique, soumettant toute allégation « à la critique rongeuse des souris » comme le dénonçait Karl Marx en son temps.

Marc Fontecave est chimiste de formation ; professeur au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences, il dirige une équipe de chercheurs sur la photosynthèse artificielle qui permettrait de « transformer le soleil en carburants » comme il l’écrit lui-même. Fervent défenseur des sciences et techniques et de leur apport indéniable à l’Humanité, il se donne deux grandes ambitions en publiant son ouvrage Halte au catastrophisme ! Les vérités de la transition énergétique. Au fil de trois grands chapitres, il incite le lecteur à le suivre sur le chemin, certes cahoteux, qui mènera à une réconciliation entre Progrès et Environnement ; mais encore, il s’attaque avec force pédagogie aux idées reçues, opposant à des croyances quasi mystiques des ordres de grandeur physiques incontestables.

Convaincu que les objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre (principaux responsables de l’augmentation de la température atmosphérique), acceptés par nombre de gouvernements sont parfaitement irréalistes, il fait la démonstration que les politiques énergétiques vont le plus souvent à contre-courant de cette diminution.

En effet, il démontre que seul le doublement de la part de l’électricité (de 25 % à 50 %) dans les énergies permettrait une décarbonation significative des secteurs les plus critiques (chauffage, transports et bâtiment), à condition que cette énergie électrique soit assurée par un mix énergétique performant et aussi propre et renouvelable que possible.

Or les chiffres et les faits sont là : la formidable promotion faite aux énergies solaire photovoltaïque et éolienne, certes renouvelables par essence et non génératrices de CO₂ dans leur utilisation est un leurre, et même, osons le dire, un mensonge, quand elles sont seules érigées au rang d’énergies de substitution du parc énergétique actuel.

Ces énergies ont une efficacité médiocre, elles sont constituées de matériaux rares (et donc non renouvelables), leur transformation est hautement génératrice de CO₂ puisque réalisée dans des usines alimentées au charbon ou au pétrole, elles sont intermittentes et non stables puisque la nuit, les nuages et le vent ne se commandent pas (encore ?) et sont donc irrémédiablement liées à une énergie de substitution ou à des moyens de stockage (batteries). Or, ces derniers sont peu vertueux aujourd’hui en termes d’émission de gaz à effet de serre ou sont encore au stade de prototype (hydrogène). Que dire enfin des conflits d’usage des sols qu’elles génèrent, tant la surface occupée doit être immense pour atteindre une production de masse ? Elles seront tout au plus un accompagnement de sources d’énergies plus efficaces.

Coulant de source sous la plume de Marc Fontecave, les mêmes critères appliqués aux autres énergies conduisent à une conclusion sans appel : la décarbonation de l’énergie et son effet significatif sur les émissions polluantes placent le nucléaire au premier plan. Mais sur ce sujet, gousses d’ail et crucifix sortent de l’ombre ! L’énergie diabolique est de retour…

Il ne faut pas moins d’un chapitre entier pour rappeler l’absence totale d’émission de CO₂ lors de l’utilisation (et le volume modéré produit lors de la construction de la centrale, dû au béton notamment), l’emprise au sol ridicule d’une centrale nucléaire en regard d’une centrale éolienne de même capacité (facteur 2 500 environ), la puissance colossale déployée, et une politique de sécurisation drastique.

Et l’auteur de se désoler que certaines options soient souvent disqualifiées « au mépris de simples règles de la physique », par des décideurs politiques davantage soucieux d’alliances électorales ou enclins à paraître plus verts que la chlorophylle aux yeux de leurs concitoyens. Mais les politiques ne sont pas seuls en cause, selon lui : des scientifiques sortent de leur domaine de compétence pour déployer des argumentaires que la pauvreté et l’approximation feraient bondir, appliquées à leur propre champ d’expertise ; des journalistes, malheureusement trop souvent formés aux seules sciences humaines et sociales relaient des énormités scientifiques et techniques ; des citoyens qui n’ont pas eu la chance d’accéder à un enseignement de la physique ou qui l’ont oublié… envient régulièrement l’herbe plus verte dans le champ du voisin mais lui laissent ses éoliennes (bruyantes), confondent la vapeur d’eau des tours de refroidissement des centrales avec des gaz à effet de serre (polluantes) et créent une association à chaque parc photovoltaïque déployé (laid). En résumé, à la différence de Saint Thomas, ils ne voient que ce qu’ils croient.

Le peuple de France, dans toutes ses composantes, fier à juste titre de sa culture, de son histoire, de sa souveraineté et de ses réussites passées (Concorde, TGV, Ariane, etc.) serait bien inspiré, de (re)lire De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville et de se donner comme objectif de faire l’éclatante démonstration que la démocratie française peut déjouer les travers que le philosophe prophétisait pour sa cousine américaine : vision court-termiste (alors que les considérations sur le climat imposent de penser en temps long), consumérisme effréné (cause d’émissions de gaz à effet de serre et de pollutions diverses), détermination du vote sur la base d’informations parcellaires, grossièrement agglomérées, parfois erronées, et sans faire l’effort d’une quelconque vérification.

Dans une ambiance apaisée où ne s’échangeraient plus que des considérations incontestables, la voie serait tracée pour renouer avec un progrès technique qui a permis l’augmentation de la longévité humaine, l’éradication de nombre de maladies, le recul des famines, le confort quotidien… Il est vrai, et Marc Fontecave le rappelle, ce progrès n’a pas été partagé par tous, pour paraphraser Aristote. Mais n’est-ce pas un formidable défi que de permettre au milliard de Terriens qui n’ont pas encore accès à l’énergie de partager ses bienfaits, de déployer toutes les intelligences pour que le vivre mieux s’accorde avec le vivre propre et que les effets inévitables aujourd’hui des politiques ayant tardé à se mettre en place puissent être palliés à moindre dégât ?

Pourraient alors s’accorder une politique courageuse de réindustrialisation, soutenue par une recherche fondamentale et appliquée aux énergies de demain, secteurs dans lesquels l’enthousiasme d’une jeunesse formée à la physique et aux techniques innovantes pourrait s’exprimer, soutenue par des citoyens qui se seront détournés des ayatollahs du catastrophisme, des chantres de la décroissance, ambition profondément égoïste et synonyme de davantage de misère, qui auront retrouvé l’optimisme et la confiance nécessaires aux nouveaux défis à relever.

Citoyens, professeurs, décideurs, journalistes… pour mettre à profit cette période de confinement et sortir de la paresse confortable qui enkyste les certitudes, lisez cet ouvrage d’éducation populaire complet et documenté. La pédagogie de Marc Fontecave, « distribue suffisamment de miettes parfumées de savoirs pour ouvrir l’appétit de la connaissance » pour reprendre les mots de Jean-Marie Albert. Halte au catastrophisme ! permet ainsi une réconciliation avec des domaines certes complexes mais traités ici avec simplicité pour demain décider, s’exprimer et peut-être voter en conscience.

Françoise Delcelier-Douchin

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Les naufrageurs de la raison (et de la gauche) : réponse à Foucart, Horel et Laurens

Par : laurent

Les journalistes du Monde Stéphane Foucart et Stéphane Horel se sont associés au sociologue Sylvain Laurens (EHESS) pour écrire Les Gardiens de la raison : Enquête sur la désinformation scientifique (La Découverte, septembre 2020). Les auteurs font preuve dans ce livre d’un manque sidérant de rigueur et d’éthique intellectuelles. Erreurs factuelles, interprétations malhonnêtes, omissions délibérées, extrapolations complotistes… Illustration avec la façon dont je suis présenté.

Avertissement : ce texte n’engage que moi, il ne saurait notamment être attribué à l’Afis, qui a publié sa propre mise au point.

Pour répondre aux propos de S. Foucart, S. Horel et S. Laurens (« FHL » désormais), j’utiliserai largement le contenu d’un courriel que j’ai fait parvenir à Bruno Andreotti au sujet de son article « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme » (Zilsel, février 2020) – dans lequel je suis également mentionné –, message auquel, je dois le dire, celui-ci a réagi de façon courtoise et ouverte.

Trois phrases, trois erreurs factuelles

C’est dans un chapitre consacré à Jean Bricmont (voir sa réponse) que les auteurs des Gardiens de la raison parlent brièvement de moi. Voici le passage en question (p. 236) : « En octobre 2017, à l’occasion des vingt ans de l’affaire Sokal, une chaîne YouTube intitulée “Lumières !” propose une interview en deux volets de Sokal et Bricmont. La chaîne a été créée par un dénommé Laurent Dauré. Passé par le mouvement souverainiste de Paul-Marie Coûteaux, le Rassemblement identitaire français, membre du bureau de l’UPR, le jeune militant est également membre du conseil d’administration de l’Afis. »

En seulement trois phrases – soixante-sept mots –, FHL parviennent à commettre trois erreurs factuelles. Elles sont de gravité variable.

La première est anodine : l’entretien avec Alan Sokal et Jean Bricmont est en quatre parties et non en deux. C’est un fait très facile à établir, surtout quand on se met à trois pour écrire un livre et que l’on sollicite de nombreux relecteurs.

La deuxième erreur est autrement plus grave, elle s’apparente même à une falsification diffamatoire. Les auteurs affirment que j’ai été membre du « Rassemblement identitaire français ». C’est faux de toutes les façons possibles. Pour faire partie de ce mouvement, il faudrait déjà… qu’il existât. Or, le Rassemblement identitaire français est une organisation imaginaire. Si j’ai bien été brièvement adhérent d’un « RIF », cet acronyme signifie « Rassemblement pour l’indépendance de la France » (un parti créé en 2003).

On se demande comment une telle « méprise » peut être commise, l’information étant là aussi trouvable en dix secondes sur Internet. Mais peut-être que pour notre trio très « gauche plurielle » (qui ferait bondir Jaurès), l’indépendance nationale est un concept d’extrême droite et sa défense, nécessairement une démarche identitaire. C’est d’ailleurs l’opinion qui domine au sein des élites libérales-atlantistes dont Le Monde est le point de ralliement médiatique. Les thuriféraires du marché et de l’intégration européenne veulent liquider dans un même mouvement l’indépendance nationale et la souveraineté populaire. C’est en fait la démocratie même qu’ils cherchent à neutraliser. Avec un certain succès, il faut le reconnaître.

Comme beaucoup d’autres au sein de la « nouvelle gauche » (celle qui n’est pas même social-démocrate), les auteurs des Gardiens de la raison tissent l’impuissance du peuple en prétendant se soucier de lui. Mais quoi que l’on pense de ces appréciations politiques qui peuvent légitimement faire l’objet de débats, il nous semble que les méthodes de FHL devraient heurter toute personne soucieuse d’une éthique intellectuelle élémentaire.

Enfin, troisième erreur factuelle : contrairement à ce qu’écrivent nos redoutables enquêteurs, je n’ai pas été simultanément membre du Conseil d’administration de l’Association française pour l’information scientifique et du Bureau national de l’Union populaire républicaine puisque j’ai quitté ce parti en novembre 2017 – ce qu’ils savent – et que je n’ai rejoint le CA de l’Afis qu’en juin 2018 – ce qui est facile à savoir.

On remarque que les erreurs majeures servent la démonstration (confuse) que s’efforcent de produire les auteurs. Le procès n’étant qu’à charge et le verdict défini à l’avance, tous les « faits » doivent s’y plier. Je précise que les deux journalistes d’investigation et le sociologue n’ont pas cherché à me contacter. Ils me présentent uniquement comme un « militant », ce que je suis indéniablement – comme eux d’ailleurs –, mais en occultant mon activité de journaliste, en particulier pour Ruptures.

Le b.a.-ba du rationalisme c’est le souci scrupuleux des faits. Quand on est journaliste ou universitaire, la négligence intellectuelle est censée être disqualifiante. Comme quoi, des « gardiens de la raison » sont peut-être utiles…

Omissions et bidouillages

Passons maintenant à ce qui relève de l’interprétation malhonnête et de la dissimulation d’éléments d’appréciation importants. Je vais ici recourir à des développements issus de ce long texte publié sur le site de la Librairie Tropiques (je précise que les visuels ne sont pas de mon fait). Il s’agit d’une critique de l’enquête sur l’Union populaire républicaine que Le Monde diplomatique a publiée dans son édition d’octobre 2019.

Concernant Paul-Marie Coûteaux (point 12 de l’article), il a en effet dérivé vers des positions ultra-conservatrices et réactionnaires, jusqu’à doubler sur sa droite le Front national – avec lequel il a cheminé un temps –, mais c’est aussi un ancien proche de Jean-Pierre Chevènement et un membre du CERES (il est passé par les cabinets de Boutros Boutros-Ghali, du « Che » et de Philippe Séguin). Plus surprenant encore pour ceux qui ne connaissent que la partie la plus récente de son parcours, il a été adhérent à Lutte ouvrière et c’est un des membres fondateurs de l’association alter-mondialiste Attac créée en 1998 (ce que l’organisation dissimule sur son site Internet). Paul-Marie Coûteaux fut également un contributeur du Monde diplomatique.

Pendant les années 2000, celui qu’on pouvait jusque-là définir comme un gaullo-chevènementiste, s’est mis à pratiquer une sorte d’« en même temps », mettant en avant ses engagements à gauche auprès de certains, et disant à d’autres que tout cela était du passé. Lorsque le RIF et son président ont définitivement rompu avec la rive de gauche et ont de surcroît décidé de plaider en faveur d’une « autre Europe » (abandonnant l’idée de sortie de l’Union européenne), j’ai quitté le parti.

Ainsi, écrire de façon laconique, comme le font FHL, que je suis « passé par le mouvement souverainiste de Paul-Marie Coûteaux, le Rassemblement identitaire français [re-sic] » en refusant de prendre en compte tous ces éléments de contexte, de chronologie et ces nuances significatives est délibérément trompeur. L’occultation est bel et bien volontaire car les auteurs avaient connaissance de ma critique de l’enquête du Monde diplomatique : ils la mentionnent dans la note 38 du chapitre 8, sans expliquer de quoi il s’agit et en lui attribuant un titre qui n’est pas de moi (et qui ne dit rien sur son contenu). En maniant et en présentant une source de la sorte, FHL piétinent là aussi les standards élémentaires du travail aussi bien journalistique qu’universitaire.

Les auteurs des Gardiens de la raison font parfois de l’humour sans le savoir. En effet, l’affirmation selon laquelle Jean Bricmont serait intervenu à l’université d’automne de l’UPR en 2013 « [d]evant un parterre de militants issus de la droite et proches de l’ancien bras droit de Charles Pasqua » est tellement ridicule et roublarde qu’elle m’a fait rire. Il apparaîtra évident à toute personne qui était présente lors de cet événement qui a eu lieu près de Tours – c’était mon cas – que l’assertion de FHL n’est appuyée sur aucune preuve ou enquête. C’est du pur doigt mouillé, comme beaucoup des allégations et insinuations du livre. La très grande majorité des adhérents et sympathisants de l’UPR qui étaient là – le public étant par ailleurs très jeune – ne sont ni de droite ni issus de la droite, et ils ne se sentent aucune filiation avec Charles Pasqua.

Malhonnêteté au carré

Le manque d’intégrité intellectuelle de FHL devient vertigineux quand on observe leurs stratagèmes argumentatifs. Le court passage qui traite de ma personne sert en fait à atteindre Jean Bricmont et Alan Sokal, coupables d’avoir accepté d’être interviewés par moi. Chercher à dénigrer des individus A et B en les associant à un individu C dépeint à coups d’allégations fausses et d’insinuations malveillantes, c’est en somme de la malhonnêteté au carré. Sur l’entretien en question, chacun peut se faire son propre avis en le visionnant ou en lisant cette transcription de quelques extraits de la 1re partie.

En mentionnant ma présence au Conseil d’administration de l’Afis, FHL cherchent aussi évidemment à nuire à cette association, qui est la principale cible de leur livre. On va le voir, la « démonstration » est incohérente. D’après leurs sous-entendus appuyés, le fait d’être membre à la fois de l’UPR et du CA de l’Afis (faisons comme si c’était vrai…) serait significatif et dirait quelque chose – de compromettant – sur la nature de cette dernière. Toujours la même méthode de culpabilité par association. Si on avait privé les auteurs de l’emploi de ce sophisme, Les Gardiens de la raison ferait 50 pages et non 350.

Comme ils l’ont lu en décidant de ne rien en retenir (point 28 du texte déjà signalé), je n’ai cessé de critiquer les positions de l’UPR et/ou de François Asselineau précisément sur les sujets dont s’occupe l’Afis. L’inefficacité totale de mes alertes et l’aggravation de certaines tendances anti-scientifiques ont grandement contribué à mon retrait du parti. L’ironie est que FHL sont proches des idées de François Asselineau sur de nombreux points : pétition de principe englobante contre les produits phytosanitaires et les OGM, enthousiasme béat pour l’alimentation « bio », sensationnalisme anxiogène sur les perturbateurs endocriniens, technophobie réflexe, appel à la décroissance…

Les trois enquêteurs et le président de l’UPR partagent la même grille de lecture presque exclusivement articulée autour des problématiques (certes réelles) de conflits d’intérêts et d’influence des lobbies. Ce pan-corruptionnisme déborde rapidement de la critique étayée pour contester la légitimité de l’expertise scientifique et des instances publiques d’évaluation (sauf quand elles disent ce que les soupçonneux veulent entendre), accusées d’être dominées par des intérêts peu avouables. Tous les contradicteurs sont alors forcément vendus aux industriels et à la finance – ou leurs idiots utiles –, ils se livrent à une « trollisation de l’espace public » au service des puissances d’argent, des pollueurs-exploiteurs. Avec cette perspective inquisitrice, c’est la méthode scientifique qui se retrouve in fine sur le banc des accusés car ses résultats ne conviennent que très partiellement aux partisans de l’écologie politique.

Nous touchons là au propre de la pensée FHL. Toute personne en désaccord avec leur vision de la science, du progrès, de l’écologie ou de la gauche a nécessairement un agenda sombre et caché (ou est instrumentalisée), une allégeance dissimulée à l’égard de forces économiques ou politiques conservatrices.

Le tropisme des accointances coupables empêche le débat rationnel et parasite la recherche collective de l’objectivité, de la vérité. Croyant critiquer le capitalisme, le productivisme, les idéologues pan-corruptionnistes sapent en fait la science et le progrès, avec les bienfaits que ceux-ci peuvent apporter. Comme l’a écrit Marie Curie dans le livre consacré à son mari, « la science est à la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance » (Pierre Curie, 1923).

Juger sur pièces

Si j’étais conspirationniste et/ou d’extrême droite, comme l’insinuent lourdement FHL, il me semble qu’il devrait être assez facile d’en trouver des traces – même discrètes – dans au moins quelques-uns des articles que j’ai écrits. Que les vérifications appropriées soient faites. Il se trouve que mon dernier travail porte sur une théorie du complot néoconservatrice qui a été relayée et promue par 98 % des médias français de premier plan (Le Monde en tête).

Les auteurs prennent bien soin de ne pas mentionner mon engagement – passé ou présent – dans plusieurs associations marquées à gauche, alors que Sylvain Laurens en a parfaitement connaissance pour au moins deux d’entre elles. Est-il honnête de dissimuler ainsi des affiliations, dont l’une dure depuis plus de 10 ans ? Je ne donne pas le nom des associations en question pour ne pas les mêler à des polémiques qui ne les concernent pas.

Dans leur livre, FHL ne semblent pas admettre que l’on puisse avoir des engagements politiques ou associatifs divers, distincts et autonomes (l’Afis se tient à l’écart de l’idéologie et de la politique pour défendre la méthode scientifique et la recherche de la connaissance objective, un positionnement qui me paraît tout à fait opportun). Pour eux, toute implication « contamine » les autres, leur mise en lumière dévoilant un plan d’ensemble. Machiavélique, cela va sans dire. Cette tournure d’esprit conspirationniste les amène à voir des coordinations, des proximités et des allégeances qui n’existent pas.

Les auteurs peinent aussi à concevoir que l’on puisse évoluer politiquement, chaque affiliation et engagement étant pour eux lourds de sens à jamais. Or, comme je l’ai écrit au journaliste du Monde diplomatique, « en réfléchissant à mon parcours, je m’aperçois que je suis entré en politique par la porte de la souveraineté populaire, du souci démocratique (et aussi de l’opposition aux guerres impérialistes), et que j’ai peu à peu donné à ma pensée un contenu plus nettement anti-libéral – puis anti-capitaliste – et des principes anarcho-communistes (via lectures et rencontres). Bref, je suis sorti de l’UPR plus à gauche que j’y étais entré. » FHL ont lu ceci et ont décidé que cela n’avait aucune valeur.

La « cancel culture » façon Sylvain Laurens

En 2016, Sylvain Laurens a été parmi les principaux artisans de l’annulation de deux contrats que j’avais signés avec une maison d’édition (plus à gauche que La Découverte), dont il était à l’époque membre du comité éditorial. Cette campagne de dénigrement en coulisse a également eu la peau d’un documentaire d’esprit on ne peut plus rationaliste dont le tournage était en cours et qui était soutenu par une société de production. En quelques mois, mes trois principaux projets personnels ont ainsi été réduits à néant.

À l’époque, Sylvain Laurens et les autres meneurs ont refusé toute discussion, je n’ai jamais pu les rencontrer pour débattre ; il ne fut même pas possible d’avoir un échange téléphonique ou électronique. Les Annulators ne parlementent pas, ils ne sont pas programmés pour la civilité ou la controverse loyale. En s’associant à des journalistes du Monde, média connu pour cornaquer le débat à l’intérieur d’un cadre idéologique étroit et refuser très fréquemment les droits de réponse, le sociologue a trouvé une autre tribu agoraphobe. Stéphane Foucart et Stéphane Horel ont d’ailleurs refusé récemment un débat avec les animateurs pourtant fort réglo de La Tronche en Biais (voir la mise au point de Thomas Durand à propos des Gardiens de la raison).

Il y a quatre ans comme aujourd’hui, Sylvain Laurens semble convaincu que je suis animé de sombres desseins, non seulement à l’égard de la gauche, mais aussi à l’égard du milieu rationaliste français. Pas de preuve, pas de débat possible, ses certitudes sont inébranlables. Et elles justifient selon lui des mesures de marginalisation professionnelle et sociale.

FHL représentent bien ce courant postmoderne qui veut acquérir l’hégémonie à gauche en convertissant celle-ci – à coups d’intimidation et d’excommunication – à l’écologie politique, au rejet de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale, à la politique de l’identité, à la limitation de la liberté d’expression et du débat. Ils cherchent à purger la gauche de ce qui reste de socialistes, de communistes et d’anarchistes attachés de façon conséquente à l’héritage des Lumières et à l’articulation du progrès social et scientifique.

BHL, FHL, même compas (faussé)

Si on en juge d’après les premières réponses qui ont été rendues publiques (voir aussi celle de Franck Ramus), Les Gardiens de la raison est farci d’erreurs petites et grandes. Le volume d’inexactitudes et de sophismes semble tel que nous sommes en route pour des records. Même Bernard-Henri Lévy, pourtant réputé pour sa nonchalance à l’égard des faits et son absence totale de fair-play dans la confrontation d’idées, aura du mal à rivaliser. En démontrant un tel manque d’éthique intellectuelle, FHL exposent leurs autres travaux à la suspicion…

Je n’ai pu m’empêcher de trouver cocasse que l’occupant de la chaire de « sociologie des élites européennes » de l’EHESS s’allie à deux salariés du journal par excellence des élites françaises – dont les principaux actionnaires sont deux industriels milliardaires et un banquier d’affaires millionnaire – pour tenter de jeter le discrédit sur quantité de militants rationalistes qui sont pour la plupart bénévoles et médiatiquement marginaux. Mais peut-être est-ce finalement bon signe que le combat désintéressé au service de la raison rende la bourgeoisie verte de rage.

Laurent Dauré

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