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Semi-conducteurs : l’indépendance technologique ne se limite pas à la fabrication

Par David Monniaux.

 

L’industrie des semi-conducteurs demande de lourds investissements. Le franco-italien STMicroelectronics (ST), un des quelques fabricants européens de circuits intégrés de haute technologie, va s’associer avec Global Foundries, un grand acteur international du secteur, pour étendre son usine de Crolles, près de Grenoble (Isère).

Cette extension fait polémique en raison, d’une part, des très fortes subventions publiques annoncées début juin 2023 pour cette installation (2,9 milliards d’euros) et, d’autre part, de la consommation en eau des installations. On justifie l’effort public européen dans les semi-conducteurs par l’indépendance technologique.

Mais qu’en est-il vraiment ?

On trouve des puces électroniques non seulement dans les ordinateurs, les téléphones portables, les tablettes… mais aussi dans une très grande part des appareils qui nous entourent, de la machine à café aux automobiles, en passant par les robots industriels. Le numérique est partout. Les difficultés d’approvisionnement dues à la pandémie de covid ont bien illustré notre dépendance aux fournisseurs de circuits intégrés.

 

La conception des puces est aussi une industrie

Ces puces électroniques sont produites dans des usines de haute technologie, avec un équipement très spécialisé et très coûteux. Certains de ces équipements ne sont produits que par un unique fabricant au niveau mondial, le néerlandais ASML. Pour produire des circuits du plus haut niveau de performance, ceux pour ordinateurs et smartphones, il faut une usine – une « fab », disent les professionnels du secteur – à l’état de l’art, dont le coût de construction est de l’ordre de 10 milliards de dollars.

Devant de tels montants d’investissement, on ne trouve plus à l’échelle mondiale que quelques fabricants, parmi lesquels le géant taïwanais TSMC, le Coréen Samsung, les Américains GlobalFoundries ou Intel, face auxquels ST apparaît de taille nettement plus modeste. On comprend l’enjeu stratégique de conserver en Europe de la fabrication de puces proches de l’état de l’art en performance. Toutefois, c’est avoir une vue très réductrice de cette industrie que de ne considérer que la fabrication.

La conception des puces est elle-même une industrie : produire le plan d’une puce demande de lourds investissements et une expertise considérable. On fait commerce de plans partiels, blocs de propriété intellectuelle (« blocs IP ») produits par des sociétés dont la britannique ARM est sans doute la plus connue – les puces sur modèle ARM équipent la plupart des téléphones portables et sont également la base des puces Apple des iPhone et des nouveaux Mac.

Cette industrie est internationale, mais largement invisible du grand public : pas d’usines, tout se passe dans des bureaux et par des échanges de fichiers. Les enjeux sont importants : lancer la fabrication d’une puce comportant des bugs a un coût qui, au mieux, se mesure en millions, mais peut être bien plus élevé – on évalue à un milliard de dollars actuels le coût pour Intel du fameux bug du Pentium en 1995 (cette puce calculait fausses certaines divisions).

Il y a même pour servir cette industrie de la conception de puces une industrie de logiciels spécialisés (conception, simulation, test, etc.), dont les acteurs sont par exemple les Américains Cadence ou encore Mentor Graphics. Signe de son caractère stratégique, cette dernière société a été rachetée par l’allemand Siemens.

On a ainsi largement découplé la conception et la fabrication des puces, à telle enseigne qu’il existe de très nombreux fabricants de puces fabless, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas d’usine de fabrication et font fabriquer par d’autres, à l’image de TSMC. En France, c’est le cas notamment de l’Isérois Kalray, dont les puces ont maintenant un grand succès dans les centres de traitement de données. Ceci pose cependant la question de notre dépendance à l’industrie taïwanaise, avec l’épineuse question de ce qu’elle deviendrait en cas d’invasion de l’île par la Chine populaire.

 

Le risque d’une licence extraeuropéenne

Comment analyser, dans ce contexte, la subvention à ST, par rapport à l’objectif d’indépendance technologique ?

La plus grande partie de l’activité de ST en matière de processeurs consiste à fabriquer des puces (STM32) sous licence ARM. Or, ARM a failli être racheté par l’Américain Nvidia en 2022. Il n’y aurait guère d’indépendance technologique à fabriquer en Europe des puces sous licence américaine, potentiellement soumises aux conditions de commercialisation fixées par le gouvernement américain suivant ses objectifs stratégiques.

La dépendance de toute l’industrie des processeurs aux designs de deux grands acteurs (Intel et ARM) a suscité le développement d’une architecture ouverte nommée RISC-V. Tout un écosystème d’entreprises conçoit des puces RISC-V, et cette architecture reçoit l’attention tant des dirigeants européens (European processor initiative) que chinois, pour ses promesses d’indépendance technologique. Toutefois, faute de concevoir nous-mêmes les puces, le danger serait là encore de se contenter d’être fabricant sous licence extraeuropéenne (chinoise, américaine, ou encore russe ?).

Si nous voulons une réelle indépendance technologique et stratégique européenne en matière de « puces », il ne faut donc pas se concentrer uniquement sur la partie fabrication, mais sur toute la chaîne de valeur, y compris la conception de puces et la conception des logiciels de conception de puces.

 

David Monniaux, Chercheur en informatique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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