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La démocrature, principal ennemi des démocraties libérales

La démocratie libérale est un régime politique jeune et fragile. Elle commence véritablement à se concrétiser à la fin du XIXe siècle, et n’existe que dans une trentaine de pays dans le monde. Le primat de l’individu constitue son principal pilier qui est d’abord politique : garantir les droits naturels de l’Homme (la vie, la propriété, la liberté, la vie privée, la religion, la sécurité…) et limiter l’action de l’État¹.

La propriété de soi d’abord, la propriété des choses par le travail ensuite, la pensée critique (libre examen), la tolérance religieuse, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la prééminence du pouvoir législatif parachèvent le libéralisme politique.

Le libéralisme économique constitue l’autre pilier des démocraties libérales : abolir les entraves, encourager l’esprit entrepreneurial, favoriser le libre commerce entre les pays et privilégier les organisations spontanées, sont des objectifs d’une économie de marché. En tant que doctrine économique, le libéralisme protège la concurrence à l’intérieur du pays et défend le libre-échange à l’extérieur. Pour la pensée libérale, le meilleur système social est celui qui laisse aux individus le soin d’adapter leurs conduites aux circonstances.

La démocratie libérale est la rencontre de deux libéralismes, politique et économique. Cette rencontre a constitué la base du développement spectaculaire, non seulement du commerce mais aussi de la science et de l’industrie.

Le protectionnisme et le corporatisme ont menacé et menacent encore la démocratie libérale. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté est d’abord de produire la richesse, libérer les échanges, libérer des entraves de l’esprit des entrepreneurs, et non pas la construction de douanes intérieures et extérieures.

Pour la démocratie libérale, le libéralisme économique est nécessaire mais pas suffisant.

La première crise de la démocratie libérale fut celle de la séparation entre libéralisme économique et libéralisme politique. Déjà, au début du XIXe siècle, avec le rétablissement de l’ordre monarchique en Europe, une continuité fut admise entre libre marché et despotisme. Cette schizophrénie constitue l’un des principaux problèmes pour la pensée libérale, y compris dans le monde contemporain. Pinochet, Videla, Xi Jinping ou encore le modèle singapourien sont certes capitalistes, mais nullement libéraux.

Les temps sont difficiles pour le libéralisme : guerre, terrorisme, crise climatique, protectionnisme, déficit public, augmentation exponentielle des impôts… La liste est à la fois longue et pénible.

Face à la crise, à la fois économique et culturelle, le repli sur soi semble émerger comme une réponse possible, plébiscitée par l’opinion publique. Les exemples abondent : la Chine de Xi Jinping, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, la Hongrie d’Orban et l’Amérique de Trump. Ils peuvent être expliqués comme une réponse à la crise du libéralisme : la démocratie illibérale. Elle a été définie par Fareed Zakaria dans un article en 1997 (« The Rise of Illiberal Democracy ») comme « une démocratie sans libéralisme constitutionnel qui produit des régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et la guerre ».

Comme le note Nicolas Baverez :

« La démocrature désigne aujourd’hui une réalité politique et stratégique très différente par sa nature et sa dimension. Elle définit un mode de gouvernement original qui se revendique comme plus stable, plus efficace et plus apte à répondre aux attentes du peuple que la démocratie, qu’il s’agisse de prospérité, de cohésion sociale ou de sécurité. »

Dans un contexte de montée du nationalisme, l’expression « démocratie illibérale » connaît un succès médiatique, notamment par les déclarations du hongrois Viktor Orban qui s’en est revendiqué. Le discours à l’université d’été de Bálványos le 28 juillet 2018 à Tusnádfürdő en Roumanie mérite d’être analysé attentivement puisqu’il constitue la synthèse contemporaine de la pensée illibérale, base de la démocrature :

« Affirmons tranquillement que la démocratie chrétienne n’est pas libérale. La démocratie libérale est libérale, mais la démocratie chrétienne, par définition, ne l’est pas. Elle est, si vous voulez, illibérale. Nous pouvons le démontrer dans quelques questions importantes, et très concrètement dans trois cas : la démocratie libérale soutient le multiculturalisme, la démocratie chrétienne donne la priorité à la culture chrétienne, ce qui relève d’une pensée illibérale ; la démocratie libérale soutient la migration, la démocratie chrétienne est contre, ce qui est une pensée clairement illibérale ; et la démocratie libérale soutient les modèles de famille à géométrie variable, alors que la démocratie chrétienne soutient le modèle de famille traditionnel, ce qui est aussi une pensée illibérale.

[…]

La démocratie chrétienne ne veut pas dire que nous soutenons des articles de foi, en l’occurrence ceux de la foi chrétienne. Ni les États ni les gouvernements ne sont compétents en matière de salut ou de damnation. Une politique démocrate-chrétienne signifie la défense des formes d’existence issues de la culture chrétienne. Pas des articles de foi, mais des modes de vie qui en sont issus : la dignité de l’homme, la famille, la nation. »

Marlène Laruelle, spécialiste de l’illibéralisme à la George Washington University, le décrit comme :

« Un univers idéologique qui estime que le libéralisme, entendu comme un projet politique centré sur la liberté individuelle et les droits humains, est allé trop loin. Ce rejet s’accompagne de positions politiques plus ou moins clairement établies, s’appuyant généralement sur le souverainisme et la défense de la majorité contre les minorités. La nation est conçue de façon homogène et les hiérarchies traditionnelles célébrées ».

Les principales caractéristiques de la démocrature sont :

  • Hostilité au libéralisme qui réduit l’homme à l’état d’individu.
  • Contestation possible du suffrage universel (assaut du Capitole aux USA).
  • Fascination pour les dirigeants autoritaires et charismatiques.
  • Présentation du peuple comme l’opposé des élites dirigeantes (antiélitisme).
  • Rejet de l’État de droit : Charles Maurras, opposait déjà le pays réel au pays légal.
  • Instrumentalisation de la religion : Modi et l’hindouisme, Erdoğan et l’islam, Trump et les évangélistes, Poutine et le christianisme orthodoxe, Orban et le catholicisme…
  • Contrôle de l’économie planifiée : programme économique du Rassemblement national par exemple.
  • Exaltation du nationalisme et rejet du cosmopolitisme considéré comme une idéologie hors-sol  sans-frontiériste.
  • Droit à l’identité nationale pouvant être défini comme la nécessité pour les groupes ethno-culturels de préserver les particularismes culturels, religieux et raciaux du métissage et de l’indifférenciation.
  • Anti-européisme plus au moins déguisé : l’expression souverainisme apparaît en France en 1996 et a été forgée au sein d’associations en lutte contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam afin d’échapper aux qualificatifs négatifs tels qu’anti-européens.
  • Critique de la légitimité des institutions de l’Union européenne.
  • Dilution de la frontière entre public et privé si chère à Benjamin Constant.
  • Inversion de la priorité du juste sur le bien dont John Rawls faisait l’emblème du libéralisme politique. Alors que la démocratie libérale n’impose pas une conception de la vie bonne, la démocrature impose un modèle culturel hégémonique.
  • Exaltation de l’action contre la pensée : anti-intellectualisme.
  • Rhétorique décliniste simple et efficace.
  • Rejet des Lumières en tant que système philosophique ayant engendré le libéralisme. (économique, politique, philosophique) et comme origine du rationalisme contemporain.
  • Rejet des minorités sexuelles et de la libération des mœurs.
  • Rejet des structures intermédiaires (Parlements, tribunaux, médias, etc.) qui bâillonneraient le peuple.
  • Promotion de l’écologie intégrale, une forme d’instrumentalisation de l’écologie au profit de valeurs conservatrices et contre les progrès de la bioéthique, l’IVG, l’euthanasie, le mariage pour tous…

 

La démocrature a ainsi su imposer un récit selon lequel le libéralisme culturel met en danger les repères naturels de l’homme enraciné dans une culture spécifique. La démocratie illibérale entend bâtir une pensée politique de l’attachement au « chez soi » et de la cohésion sociale à l’échelle nationale.

La crise de la démocratie libérale est en partie liée à l’incapacité à construire un récit allant au-delà de l’économie, à l’incapacité à mener une bataille culturelle capable de contrecarrer la rhétorique réactionnaire.

¹Grotius, Droit de la guerre et de la paix (1625) ; Hobbes, Léviathan (1651) ; Locke, Deuxième traité du gouvernement civil (1690), Rousseau, Du contrat social (1762).

Woke et anti-woke : deux faces de l’intolérance

Moyennant un changement d’approche et un pas de côté en s’inspirant des moralistes de l’âge classique, essayons de réfléchir au wokisme autant qu’à ceux qui le dénoncent qui représenteraient deux formes distinctes d’hyper-focalisation. Redéfini comme étant avant tout une forme contemporaine, mais pas nouvelle, d’intolérance, il est possible d’envisager le phénomène woke/anti-woke en tant que passion, au sens classique du terme, celui d’un affect subi qui altère, pour le pire, celui ou celle qui en est la proie.

Avec le wokisme ou l’anti-wokisme, pendant d’une même médaille, on aurait affaire à la problématique de la parole close sur elle-même ne pouvant accueillir un discours différent de celui qu’elle propose. Le wokisme et l’anti-wokisme ont en effet pour dénominateur commun la passion de la monomanie : la dénonciation, sur un mode lancinant.

Exemples parmi tant d’autres : « l’hypocrisie de la gauche », le « féminisme tartuffe », la « masculinité toxique », le « non-partage des tâches ménagères » qui prennent des proportions inouïes…
Ces passions de la dénonciation sont souvent sclérosantes, car obsessives. Or, qui dit obsession, dit passion : le sujet est otage d’un sentiment qui le surdétermine dans ses actions, en l’espèce, l’acte de dénoncer.

Or, comme nous le rappelle le duc de La Rouchefoucauld :

« Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu’il est dangereux de les suivre, et qu’on s’en doit défier lors même qu’elles paraissent les plus raisonnables. » (Maximes)

Le problème n’est pas tant de dénoncer, mais de la manière dont on le fait, en s’en piquant, pour parler comme au siècle de Louis Le Grand.

Un rappel tout d’abord.

Si le wokisme a à voir avec l’annulation des opinions d’autrui ou d’œuvres d’art appartenant à des champs culturels différents (cinéma, littérature, beaux-arts…) alors ce phénomène ne date pas d’hier. Les phénomènes de cancellation/annulation sont aussi anciens que Socrate, Jésus ou Pascal et la controverse universitaire, la querelle académique, qui conduisit plus d’une fois à la mise à l’index d’un tel ou d’un tel n’a rien de bien nouveau. L’entre-soi cultivé à l’envi n’a rien de bien neuf non plus et mène, toujours avec autant de constance, au même résultat : le repli identitaire qui touche toute forme de parti pris exclusif pour appréhender le réel —extrême droite, extrême centre, extrême gauche etc.

Quand un porte-parole du gouvernement prétend être dépositaire exclusif de la Raison est-il woke parce qu’il est péremptoire ? Voilà qu’il annule visiblement les opinions adverses, ce qui permet de le ranger dans la catégorie woke en ce qu’il prétend détenir à lui seul la vérité. Est devenu woke tout et n’importe quoi, si bien que je parlerais plutôt pour ma part d’un retour de l’intolérance plutôt que d’user d’un terme dont l’usage est piégeux. Je ne l’abandonnerai pourtant pas complètement ci-après, mais je ne prétends pas en assumer une définition arrêtée ni délivrer ici autre chose qu’une réflexion personnelle.

L’intolérance, elle, n’est pas propre à un milieu ou à une orientation politique particulière. C’est un phénomène de repli sur soi et de focalisation extrême sur un aspect des choses, une dimension d’une question ou d’un problème qui apparente ces attitudes à l’endroit du réel à une sorte de monomanie ou de paranoïa critique.

De ce point de vue, dans son anti-wokisme, Éric Zemmour est ainsi tout à fait intolérant, c’est-à-dire monomaniaque dans sa manière de réduire les problèmes français à la seule question migratoire. La morale du « j’ai raison contre vous et vous ne m’entendez pas » est une attitude délétère qui tue le débat public dans l’œuf et le transforme en un face-à-face conflictuel et mortifère certainement recherché, du reste, par le parti Reconquête. Pire, les gens finissent par s’ignorer, à faire comme si les autres n’existaient pas, ou alors seulement pour prélever du discours adverse un aspect faible qui leur permettra de les caricaturer sans avoir (trop) mauvaise conscience. Eugénie Bastié offre régulièrement dans ses chroniques sur Europe 1 un exemple particulièrement frappant de cette manière de procéder.

L’intolérance est moins affaire de sensibilité politique que d’orientation morale et d’éthique personnelle, et c’est à ce titre qu’on peut dire qu’elle dépasse les clivages. Bien plutôt que la responsabilité américaine dans cette radicalisation et étanchéisation du débat public, il faudrait se demander si le macronisme n’a pas une part de responsabilité conséquente dans la manière dont le président a conduit le débat et clivé les opinions en France.

Le mantra du dépassement des clivages n’a-t-il pas conduit in fine à une polarisation a fortiori des opinions ? Ce ne serait pas la première fois que mettre en étendard une attitude intellectuelle revient à faire exactement son contraire, à produire un résultat inverse à celui qui était escompté.

À vouloir tout dépasser, on se contente finalement au mieux d’un modeste sur place, au pire d’un cynisme. Plus on affiche des principes, plus il y a de chances qu’ils soient trahis, c’est là une règle à peu près infaillible. L’inflation de la parole présidentielle et parlementaire a pour corollaire une perte drastique de cohérence en pratique, et c’est terrible car la parole publique s’en retrouve durablement dévaluée. Si la valeur fiduciaire des discours présidentiels et ministériels sont faibles, c’est parce que « La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal. » (La Rochefoucauld, Maximes). De ce point de vue, est-ce vraiment exagérer de dire que le macronisme s’apparente à un théâtre de postures et de simulacres, au règne des apparences ?

La tolérance est d’abord une pratique : ou bien on la constate ou bien elle fait défaut.

Dans certains journaux que je ne nommerai pas, comme chez une partie de la gauche (ceux que les jets de soupe sur les tableaux ne gênent pas, mettons, ou chez certaines féministes radicales) on peut constater qu’elle est empiriquement peu présente : entre la monomanie féministe ou la monomanie de la dénonciation des wokes, les interlocuteurs tournent vite en rond et nous avec. L’absence de tolérance est palpable au fait que des marottes se repèrent dans les discours : la surspécialisation dans un type de propos rend d’autres thèmes quasiment illégitimes ou périphériques, le réel est voilé parce qu’on lui substitue des causes, qui aussi justes soient-elles ne permettent pas de le résumer.

Le réseau X ou la chaîne CNEWS sont à cet égard des postes d’observation privilégiés du phénomène qui consiste à exposer ses thèses ou ses opinions en les imposant comme vraies, en les assénant de manière quasi obsessionnelle. Sous ces auspices, une grande partie de la classe médiatique et politique française doit être alors définie comme intolérante. Elle est arc-boutée sur ses thèses et ne réfléchit plus vraiment aux sujets qui se posent, invitent les mêmes en boucle, s’enfermant finalement dans une dangereuse clôture intellectuelle. C’est la passion du même, pourrait-on dire, et elle s’est immiscée dans bien des rédactions, dans bien des partis. Flattant un public déjà acquis à ses causes, un art de l’intolérance s’est insidieusement répandu de part et d’autre de l’échiquier politique et des sensibilités éditoriales.

Le groupe Bolloré serait à cet égard un champion de cette intolérance via son anti-wokisme, si on le ramène, comme je le propose, à un exercice de la pensée critique réduit à la portion congrue et au fond, à une immense paresse intellectuelle. Wokiste ou anti-wokiste, c’est inviter ou côtoyer des individus proches ou assez proches de son système de pensée parce qu’on a peur d’autrui.

À ce jeu-là, une peur surplombe toutes les autres, celle des États-Unis : berceau des wokes dont on fait un raz-de-marée qui peine à s’aligner avec ma propre expérience à l’Université de Chicago. Certes, la polarisation des opinions est là, certes des tendances académiques se font valoir, mais elles n’empêchent nullement l’exercice de la liberté académique. On peut à mon sens se demander si l’agitation de la menace woke n’exploite pas plutôt le filon d’un anti-américanisme qui a trouvé là une manière de s’exprimer décente et acceptable. Certains médias ont fait des États-Unis et de leurs universités un tel épouvantail et un tel contre-modèle, alors même que le système d’enseignement supérieur américain caracole dans les classements internationaux, qu’on est tenté de s’interroger sur les ressorts d’une telle panique.

Aux détracteurs du wokisme d’outre-Atlantique, on peut concéder que cultiver la pluralité des mondes et de ses contacts est le seul antidote au corporatisme et à la monomanie dans les objets d’étude poursuivis. C’est tout aussi valable pour les anti-wokes qui ne font guère preuve de plus d’ouverture d’esprit que ceux qu’ils dénoncent avec une étrange véhémence. Le risque d’enfermement, physique ou métaphorique, est toujours encouru par tout un chacun dès lors qu’on se refuse à confronter les points de vue et les opinions.

Concluons.

Sortir de soi peut être une expérience douloureuse, mais c’est une habitude à prendre assurément salutaire, un art de retrouver vraiment les Lumières, et de les rallumer.

N’oublions pas, avec La Rochefoucauld, que « La santé de l’âme n’est pas plus assurée que celle du corps ; et quoique l’on paraisse éloigné des passions, on n’est pas moins en danger de s’y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien. » (Maximes). Ne nous croyons pas trop vite éveillés alors que nous marchons dans l’obscurité — qui n’est souvent imputable qu’à nous-mêmes, à une manière humaine, trop humaine, de vouloir avoir raison contre tous les autres, et surtout sans eux.

Et si la démographie avait le dernier mot ?

L’INSEE vient de publier un bilan démographique pour l’année 2023 qui met en évidence un affaissement de la natalité française. Selon des sources concordantes, celle-ci n’est plus guère soutenue que par la fécondité des femmes immigrées. Ce qui laisse entrevoir à terme une diminution de l’effectif global de la population, et une nouvelle configuration de sa composition ethnique et culturelle.

Faut-il s’en inquiéter ? Pour la plupart de nos concitoyens, cette question n’a pas de conséquence directe et immédiate, encore moins pour les responsables politiques dont les échéances se situent à quelques mois ou quelques années d’ici. Les phénomènes démographiques ont une grande inertie et leurs effets ne sont perçus qu’avec beaucoup de retard. Tout au plus entendons-nous s’exprimer ceux qui craignent une possible pénurie de main-d’œuvre et/ou un vieillissement de la population, déséquilibrant un peu plus nos régimes de retraite. Ceux-là vont plaider pour un recours accru à l’immigration.

C’est oublier un peu vite deux choses :

  1. Une baisse de la population active aurait pour effet de renforcer le pouvoir de négociation des salariés, un rééquilibrage bienvenu du rapport de force entre le travail et le capital.
  2. Une population en équilibre stationnaire, c’est-à-dire dont l’effectif progresse faiblement, les naissances compensant à peu près les décès, ne peut se maintenir éternellement jeune.

 

Conséquences économiques, sociales et politiques du vieillissement d’une population française de plus en plus multiculturelle

La pyramide des âges finit par ressembler, non à une pyramide à large base, mais vaguement à un cylindre à la pointe effilée. La disparition des seniors s’accélère subitement au-delà de 65 ans. Pour pallier le déséquilibre toujours renaissant de nos régimes de retraite, il faudrait une injection continue, année après année, de travailleurs immigrés. Il serait ô combien préférable d’opter pour des régimes par capitalisation qui vivraient des revenus tirés de placements réalisés à l’étranger, dans des pays restés encore jeunes.

Nous voudrions insister ici sur les conséquences, non pas économiques, mais politiques, des évolutions démographiques. Il n’est pas toujours de bon ton de les évoquer.

Le vieillissement de la population française, dont nous venons de voir qu’il est inévitable, entraîne quelques conséquences fâcheuses, qui nécessitent une adaptation de nos pratiques et de nos institutions. Le relèvement de l’âge du départ en retraite est une absolue nécessité, et cette mesure n’est supportable qu’accompagnée d’un effort sans précédent de formation permanente des salariés tout au long de leur vie professionnelle. Or, le poids électoral élevé des classes d’âge est un obstacle à ces réformes qui les font sortir de leur zone de confort. Des incitations financières puissantes, mieux qu’un âge-couperet, doivent encourager les seniors à participer à la force de travail, aussi longtemps que possible.

Mais il est d’autres aspects du problème dont le rappel est encore moins « politiquement correct ». Dans les sociétés multiculturelles, les écarts entre les taux de croissance démographique des différentes communautés ont des effets cumulatifs, qui prennent tôt ou tard une signification politique. Des États-nations, constitués plus ou moins artificiellement, au cours des deux siècles passés, par la réunion de groupes hétérogènes, différant par la religion, l’ethnie ou la culture, ont été pour cette raison le théâtre d’affrontements violents, qui se sont soldés quelquefois par l’éclatement de ces formations sociales. Généralement, les groupes dominés, initialement minoritaires, parviennent à submerger par le nombre leurs anciens maîtres ; à moins que ceux-ci, craignant d’être évincés, ne se lancent dans des politiques répressives. Les exemples abondent.

Au Liban, les musulmans, chiites notamment, en état d’infériorité économique, mais de plus en plus nombreux, ont pu rivaliser avec leurs compatriotes chrétiens. Entre 1932 et 2018, le nombre de ces derniers aurait triplé, tandis que celui des musulmans aurait été multiplié par neuf. Ce pays, régi par des institutions multiconfessionnelles, a vu son fonctionnement gravement entravé. La composition de la Chambre des députés était censée refléter le poids des différentes communautés du pays. Mais il s’est révélé très difficile de suivre leur évolution. Aucune élection n’a été organisée depuis 2009. Pas davantage de recensement. Le dernier date du mandat français, en 1932. Ainsi, ces deux exercices citoyens n’ont plus cours au pays du Cèdre : la vérité n’est pas toujours bonne à voir.

Son voisin du sud, Israël, connaît depuis peu des déchirements similaires. La démographie joue un rôle central dans l’équation stratégique du pays. L’establishment veille à ce que la majorité juive reste substantielle, en l’alimentant au flux de l’immigration des Juifs de la diaspora (l’alyah). Mais une menace nouvelle s’est levée qui remet en cause les fondements de la société israélienne. Les Juifs orthodoxes font davantage d’enfants que les laïcs et les Juifs traditionnalistes. Les privilèges qui leur avaient été octroyés à la naissance de l’État, – ils étaient alors environ 150 000 -, sont devenus un poids difficilement supportable pour le budget, et sont vécus comme une injustice par leurs concitoyens. Ils sont maintenant environ 1 300 000, leur nombre a été multiplié par presque dix ! Ils sont dispensés du service militaire, ils reçoivent des aides pour continuer de fréquenter des lieux de prière sans travailler. Leur formation scolaire, notoirement insuffisante, les en empêche le plus souvent.

Plus loin dans le passé, on pourrait aussi citer les cas de l’Irlande. L’Eire s’est détachée de la couronne britannique, sous la pression politique, mais aussi démographique des catholiques irlandais, las de trouver leur salut dans l’émigration aux Amériques.

À cette courte liste, ajoutons, la Bosnie-Herzégovine, qui fut le berceau ancestral du peuple serbe, mais s’est retrouvée à l’éclatement de la Fédération yougoslave, majoritairement peuplée de musulmans. Le refus de cohabiter de la minorité serbe s’est soldé par trois années d’une guerre meurtrière.

Il n’est pas jusqu’à l’URSS dont la dislocation est en partie imputable à la progression très rapide des populations allogènes du Caucase et de l’Extrême-Orient. C’est la thèse soutenue par Hélène Carrère d’Encausse dans son livre prophétique. On pourrait aussi s’intéresser à l’histoire mouvementée de l’Union indienne et, plus proche de nous, à celle de la Belgique ou du Canada, pays binationaux où la démographie a joué un rôle significatif.

Dans les décennies qui viennent, la composition ethnique les États-Unis eux-mêmes devrait sensiblement se modifier, les descendants d’immigrants non européens devenant majoritaires. Il est très difficile de poser un tel diagnostic pour la France, la législation s’opposant à la constitution de statistiques portant sur l’origine ethnique ou nationale des individus recensés.

 

Du basculement démographique au basculement géopolitique

La démographie s’invite aussi dans la géopolitique. Le poids des nations se mesure à la richesse qu’elles sont capables de générer. Or, cette grandeur combine le nombre d’individus à la richesse que chacun produit par son travail et sa créativité. Au cours des vingt-cinq dernières années, les deux termes de l’équation ont progressé très rapidement dans les pays du tiers monde, modifiant radicalement la hiérarchie des puissances, ouvrant la voie au monde multipolaire que nous connaissons aujourd’hui et à la mise en cause de l’hégémonie de l’Occident.

Considérons le top 10 des pays classés en fonction de leur PIB (en dollars constants, corrigé des fluctuations du taux de change). Plaçons-nous en 1990.

Les États-Unis caracolent en tête, suivis du Japon, de la Russie et de l’Allemagne. L’Italie et la France occupent respectivement les cinquième et sixième positions. La Chine est au huitième rang. Un peu plus de deux décennies plus tard, le paysage est complètement bouleversé. La Chine aurait supplanté les États-Unis en tête du top 10 de l’année 2022 (même si elle reste au deuxième rang en dollars courants). L’Indonésie y a fait son entrée, évinçant l’Italie. La France est reléguée au dernier rang, talonnée par la Turquie. On constate enfin que les pays qui ont progressé dans la hiérarchie des nations (Chine, Inde, Indonésie, Brésil, Turquie…) sont précisément ceux qui ont combiné dynamisme démographique et dynamisme économique. Ces changements ne sont pas sans conséquence sur les équilibres internationaux.

L’Afrique est restée à la traîne de ce classement, mais la population de l’Afrique subsaharienne, elle seule, pourrait tripler entre 2020 et la fin du siècle, passant de un à trois milliards d’habitants, posant un défi d’autant plus sérieux à l’Europe, que la pression migratoire sera entretenue par les désordres politiques et l’inefficacité économique.

 

D’ici à l’hiver démographique mondial, faut-il s’attendre à une explosion des conflits liés au réchauffement climatique ?

Plaçons-nous pour finir au niveau de la planète Terre prise comme un tout, faisant abstraction des rivalités qui opposent les peuples les uns aux autres. Évaluée à 1,6 milliard d’habitants en 1900, la population mondiale s’élève en 2023 à huit milliards d’individus. Elle est attendue à dix milliards en 2050. Il faudrait être aveugle pour nier que cette explosion démographique complique singulièrement la lutte contre le réchauffement climatique. Si les pays dont la population croît le plus vite sont aussi ceux qui cherchent à rattraper le standard de vie des Occidentaux, et donc aspirent à un développement rapide, alors leurs émissions de gaz à effet de serre ne peuvent qu’augmenter. Il n’est pas sûr que l’effort de sobriété énergétique des pays développés suffise à les compenser, en supposant que la population de ces derniers y consente. L’égoïsme des peuples règne toujours en maître.

Tous les pays, ou presque, ont achevé leur transition démographique, la natalité est en baisse, rejoignant la chute de la mortalité qui l’avait précédée. Plusieurs zones verront à l’avenir leur population diminuer. Des auteurs annoncent un « hiver démographique », qui pourrait affecter toute la population mondiale, c’est-à-dire une inversion de la courbe. Notre planète poussera un soupir de soulagement. Mais quel sera l’état du monde après ce reflux bienvenu ? On n’ose y penser.

Quel enseignement tirer de ces constats ? Certes « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Les biologistes ajoutent qu’ils naissent tous identiques, avec les mêmes organes, les mêmes capacités intellectuelles. Mais rapidement, l’éducation qu’ils reçoivent, le milieu social dans lequel ils baignent, vont imprégner leur cerveau de croyances et de contenus culturels différents, au point qu’ils vont se considérer comme appartenant, non à l’unique espèce Homo sapiens, mais à des espèces étrangères les unes aux autres. Des espèces qui entrent en conflit, comme se combattent les espèces animales. La liberté et l’égalité des droits apparaissent alors comme subalternes. Tel est le triste spectacle que l’humanité offre encore aujourd’hui.

Même si on la réprouve, on aurait tort d’ignorer cette réalité anthropologique. Nos politiques publiques et nos postures sur la scène internationale doivent impérativement prendre en compte la démographie, car elle a (presque) toujours le dernier mot.

Le projet de loi sur la fin de vie brisera-t-il le tabou de l’euthanasie ?

Le projet de loi sur le modèle français de la fin de vie devrait être présenté au Parlement courant février 2024, peu après l’annonce d’un plan décennal sur les soins palliatifs. Prédire quel sera l’influence du récent changement de titulaires au ministère de la Santé relève de la boule de cristal. Le texte sera en effet porté par un tandem composé de Catherine Vautrin, ministre de plein exercice, notoirement opposée à l’euthanasie et Agnès Pannier-Runacher, non moins notoirement connue pour y être favorable.

On sait que le projet de loi n’est pas encore finalisé dans les détails mais les fuites sur son contenu et les événements qui l’ont préparés, comme la Convention citoyenne sur la fin de vie, et le Comité consultatif national d’éthique, ne laissent guère de doute sur son contenu.

En effet, pour la première fois en France, ce projet de loi devrait rendre possible « l’aide active à mourir », c’est-à-dire d’une part, le « suicide assisté », situation dans laquelle le médecin fournit les substances létales à une personne qui se les administre elle-même, et d’autre part « l’euthanasie », consistant en l’administration par un médecin de médicaments ou de substances à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès.

Bien sûr, le texte encadrera cette aide à mourir de multiples garde-fous et mettra en avant le développement des soins palliatifs « pour toutes et tous et partout ». Mais le fait est là, c’est bien un tabou majeur qui serait brisé, puisqu’il deviendrait dorénavant possible de favoriser le suicide de personnes désireuses de mourir mais aussi, dans certains cas, de leur donner la mort dans le cadre des soins.

 

Consensus et prudence

Ce projet de loi, engagement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2022, aurait dû être déposé à l’été 2023, mais il a été repoussé à plusieurs reprises. La ministre a déjà prévenu qu’il faudrait probablement 18 mois de débats au Parlement avec des allers-retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ce qui repoussera l’application pratique de cette loi au mieux pour la seconde partie de 2025.

Ces délais, vécus comme des tergiversations insupportables par les militants du droit à l’euthanasie, montrent, s’il en était besoin, la complexité de toute prise de décision politique sur ce sujet particulièrement clivant, qui se compare aux grandes lois de société comme la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (1974), ou celle autorisant le mariage pour tous (2013).

En apparence pourtant, ce sujet fait consensus, puisque toutes les enquêtes montrent qu’une très grande majorité des Français – entre 70 % et 93 % suivant la façon dont est posée la question – est favorable à une aide médicalisée à mourir.

La prudence du gouvernement s’explique par la crainte d’une opposition résolue à cette loi de deux secteurs de l’opinion qu’il ne peut s’aliéner : les catholiques d’une part, pour des raisons politiques, et les professionnels de santé d’autre part, dont l’adhésion est indispensable à la réussite de cette mutation éthique majeure.

 

Le Pape, combien de divisions ?

« Le pape, combien de divisions ? » se moquait Staline, mais c’est bien un pape qui, 45 ans après, a été l’acteur principal de la chute du pouvoir qu’il avait mis en place, le communisme soviétique.

Aucun dirigeant politique d’un pays de tradition catholique ne peut négliger l’influence de la religion majoritaire sur les sujets dits de société qu’elle considère comme son pré carré, comme l’avait appris à ses dépens François Mitterrand, obligé de retirer sa loi de nationalisation de l’école privée en 1984, avec démission à suivre du Premier ministre et du ministre de l’Éducation nationale.

Bien sûr, le monde catholique n’est pas monolithique, et sa majorité non pratiquante s’aligne à peu près sur la majorité de la population française dans son souhait d’une possibilité légale d’aide active à mourir.

Mais plus on a affaire à des convaincus, à des pratiquants, et plus les opinions s’inversent, et plus les opposants farouches à l’euthanasie sont nombreux et déterminés, à l’image des militants de la Manif pour tous, rebaptisée Syndicat de la famille.

Sous des dehors de modération, le clergé français est vent debout contre l’idée même d’euthanasie, vécue comme une énième transgression faustienne après la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, le clonage, le mariage des personnes de même sexe, ou encore la procréation médicalement assistée. Cette opposition radicale est d’ailleurs partagée par les deux autres grandes religions abrahamiques influentes dans notre pays, le judaïsme et l’islam.

Un tel sujet est donc potentiellement explosif, et le camp du président de la République ne peut se permettre une rupture avec un électorat catholique qui a massivement quitté la droite classique pour le parti présidentiel, et est tenté par les sirènes de l’extrême droite.

 

Le Styx, Charon et son obole

L’autre secteur de l’opinion qu’une telle loi peut venir bousculer est celui des professionnels de santé, déjà éprouvés par la pandémie de Covid-19, les conséquences de la désertification médicale, et la crise de l’hôpital public qui n’en finissent pas de payer l’archaïsme d’une gestion publique à bout de souffle.

Là aussi les apparences sont rassurantes, et la majorité des professionnels de santé est plutôt favorable à l’évolution de la loi dans ce domaine. Mais, à y regarder de plus près, on observe plusieurs sujets d’inquiétude pour les législateurs.

D’abord, même si une majorité de médecins est favorable, nous l’avons dit, au principe de la loi, seule une minorité se dit prête à pousser elle-même la seringue de produits létaux en cas de permission d’une euthanasie active. Toutes les législations déjà existantes dans d’autres pays permettent d’ailleurs une objection de conscience pour les professionnels de santé, et la France ne devrait pas déroger à cette règle. Combien de médecins accepteront concrètement de mettre en œuvre cette nouvelle dimension de l’accompagnement de la fin de vie ?

La question se pose d’autant plus que les professionnels des soins palliatifs, qui sont les meilleurs connaisseurs de ces sujets, sont très opposés à une telle évolution.

La loi actuelle dite Claeys Léonetti (2016) leur paraît en effet suffisante, puisqu’elle permet à chaque malade d’exprimer à l’avance des directives sur sa fin de vie, et autorise une sédation profonde et continue jusqu’au décès, quand celui-ci est jugé proche.

Ils soulignent aussi que les majorités favorables à l’euthanasie sont faites de personnes saines qui fantasment leur fin de vie, et que celles en situation sont en réalité très peu nombreuses à demander la mort, entre 0,7 et 3 % suivant les études.

Plutôt qu’une fuite en avant vers l’aide active à mourir, ils réclament donc des moyens pour appliquer la loi actuelle, en soulignant, par exemple, que 21 départements ne possèdent à ce jour aucune équipe de soins palliatifs.

Enfin, les organismes professionnels chargés par la loi d’actualiser et de faire respecter l’éthique, comme le Conseil de l’ordre des médecins, sont eux aussi, très opposés au franchissement de ce qu’ils considèrent comme un véritable Styx éthique dont il refusent de devenir les Charon en blouse blanche, attendant leur obole sur le bord de la rive.

Ces oppositions expliquent la grande prudence des gouvernants et leurs tentatives de déminage vers ces secteurs de l’opinion. Elles ne devraient toutefois pas remettre en cause le vote d’une loi plébiscitée à l’avance par une majorité de Français, et déjà présente dans plusieurs pays proches (Belgique, Pays-Bas, Suisse, Espagne, Luxembourg…).

 

La liberté et la mort

Qu’ont à apporter les libéraux dans ce débat qui va probablement s’amplifier dans les prochains mois ?

« Dans tous les cas, l’aide active à mourir répondra à la volonté libre et éclairée d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, face à des souffrances inapaisables » écrivent des professionnels de santé favorables à l’évolution de la loi.

En adhérant massivement à l’idée de l’aide active à mourir, les citoyens revendiquent l’exercice de leur liberté personnelle au moment de leur mort, comme ils la revendiquent pour toutes les décisions concernant leur vie. Tout en demandant l’aide des experts, en l’occurrence les professionnels de santé, ils refusent l’idée que ceux-ci puissent prendre à leur place une décision dont ils seront seuls, avec leurs proches, à assumer les conséquences.

Nous sommes là au cœur même de la doctrine libérale, et on ne voit pas bien comment un libéral pourrait refuser cette liberté ultime à un de ses semblables.

Cela dit, la question qui subsiste, et qui n’est pas moins libérale, concerne les conditions d’exercice de cette liberté à ce moment crucial de l’existence, et particulièrement l’évaluation du discernement de la personne en demande de sa propre fin.

Comment juger du caractère éclairé de la demande d’un mineur, d’une personne démente ? Un suicidaire n’est-il pas toujours un dépressif, comme le pensent de nombreux psychiatres ? Doit-on accepter la première demande d’aide à mourir d’un patient quand on sait que 40 % des personnes en situation palliative ne réitèrent pas leur demande après une prise en charge complète de leurs symptômes ? Qui doit évaluer, instruire et décider : un médecin, plusieurs médecins, un juge ?

On le voit, la revendication de la liberté individuelle n’épuise pas le sujet, et il y a place pour un vrai débat, non seulement éthique, mais aussi technique, médical, juridique, politique sur cette question. Espérons qu’il pourra avoir lieu dans de bonnes conditions.

 

Une pédagogie de l’euthanasie ?

Dans son article « Une pédagogie de la guérison est-elle possible », Georges Canguilhem, philosophe et médecin du XXe siècle expliquait que la guérison restait, en dernière instance, une décision du patient lui-même, malgré tout l’arsenal objectif de la médecine scientifique pour la décréter.

Le citoyen du XXIe siècle, né de la libre décision de parents disposant de la contraception et l’IVG, n’acceptera sans doute pas, à tort ou à raison, de se voir confisquer ce qu’il considère comme l’avatar ultime de sa liberté individuelle : le droit de décider sa mort.

Les professionnels de santé, et d’abord les médecins, n’auront d’autre choix que de l’accompagner sur ce chemin : une pédagogie de l’euthanasie est souhaitable, voire souhaitée, mais est-elle possible ?

France Inter : radiographie d’un média d’État

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

L’islamisation de l’Europe : qu’en est-il vraiment ?

À New York comme au Parlement belge, je rencontre de plus en plus d’interlocuteurs qui se disent convaincus que l’islamisation de Bruxelles — et de Londres, ajoutent-ils fréquemment — est désormais inéluctable et n’est plus qu’une question de temps. C’est un pronostic qui paraît audible, mais qui mérite plus que des nuances.

Commençons par relever, sans nous perdre dans les chiffres, que la progression de la population musulmane, à Bruxelles, est aussi massive que fulgurante. Depuis cinquante ans, le nombre de musulmans ne cesse de croître, et vu l’abaissement des frontières européennes, en fait quand ce n’est pas en droit, le mouvement ne semble pas prêt de s’enrayer.

 

Les chiffres

Toutefois, les chiffres ne sont pas aisés à établir. Si l’on veut rester scientifique et factuel, ce n’est pas en constatant la popularité du prénom Mohamed que l’on avancera. C’est là une fallace statistique classique — dénoncée à juste titre par Nassim Nicholas Taleb : la popularité du prénom Mohamed reste très élevée parmi les musulmans, donc à populations égales il y aura plus de Mohamed que de Pierre, Jan et Eric. Ce qui ne « prouve » strictement rien.

La dernière étude fiable sur le sujet date malheureusement de 2015/2016. C’est l’étude du Pr. Jan Hertogen, généralement considérée comme fiable et reprise par le Département d’État américain. Selon cette étude, le pourcentage de musulmans à Bruxelles était en 2015 de 24 %. Des chiffres plus récents sont fournis par le Pew Research Center, mais seulement pour la Belgique dans son ensemble, sans détail par ville. En 2016, 29 % des Bruxellois se revendiquaient musulmans. Si l’on contemple la courbe de progression, on peut estimer que le pourcentage de musulmans à Bruxelles se situe très probablement aujourd’hui en 2023 au début des 30 %.

Les chiffres n’attestent donc en rien une majorité musulmane à Bruxelles — ni sa réalité ni son imminence. Contrairement aux fantasmes d’une certaine droite qui réfléchit aussi mal que la gauche, en Europe, le taux de fécondité des femmes musulmanes s’est effondré, suivant en cela la courbe générale (même s’il reste plus élevé que chez les « natifs » : la faute à qui ?). Le fantasme d’une fécondité musulmane explosive en Europe est un pur mythe. Les préventions légitimes à l’égard de l’islam comme doctrine politique ne doivent pas nous éloigner des catégories élémentaires du raisonnement.

 

L’immigration

Bruxelles n’est pas majoritairement musulmane, et rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle le deviendra. Car l’immigration n’est pas une donnée invariable, à l’instar de la gravitation universelle. Force est de constater que, dans l’ensemble de l’Europe sauf la Wallonie, nous assistons à l’ascension au pouvoir de partis et personnalités qui tendent vers l’immigration zéro, à tout le moins un moratoire sur l’immigration. Qu’on approuve ou pas cette tendance, c’est un fait.

Car, en dépit des allégations de la gauche, qui présente l’immigration vers l’Europe comme inéluctable, l’immigration n’a strictement rien d’inéluctable. C’est la jurisprudence de la CEDH qui a créé le chaos migratoire actuel, en combinaison avec le Wir Shaffen Das de Angela Merkel.

L’immigration n’est pas une sorte de catastrophe naturelle qui s’abattrait sur l’Europe, inévitablement, à l’instar d’une invasion de sauterelles ou d’un orage d’été. Le chaos migratoire que nous connaissons, en Europe, est un phénomène purement humain, causé par des politiques et des juges.

Or, ce qui a été fait peut être défait. L’afflux de migrants que nous connaissons actuellement peut s’interrompre — après-demain, en neutralisant la CEDH. De ce point de vue, il sera intéressant d’observer ce que fera aux Pays-Bas Geert Wilders, qui a certes mis de l’eau dans son vin, mais qui souhaite mordicus mettre un terme au déferlement migratoire que connaît son joli pays. Sortir de la CEDH est une option — parmi d’autres.

 

La tentation de l’essentialisation

L’implantation massive de populations musulmanes en Europe — 50 millions de personnes en 2030, selon le Pew Research Center — est vécue de façon douloureuse et même dramatique quand dans le même temps une fraction notable de ces populations se radicalise. Par exemple, à la faveur du conflit israélo-palestinien. En France, l’écrasante majorité des actes et agressions antisémites est le fait de musulmans. En Belgique, les préjugés antisémites sont nettement plus répandus parmi les musulmans. Les défilés propalestiniens depuis le 7 octobre sont, trop souvent, le prétexte de slogans antisémites haineux comme nos rues n’en ont plus connu depuis les meetings du NSDAP dans les années trente et quarante du XXe siècle.

Pour autant, il faut se garder de la tentation de cette essentialisation tellement répandue à gauche : l’islam n’est pas une race, ni une fatalité. L’islam est une doctrine politique. On en sort comme on sort du socialisme, de l’écologisme, ou de la religion catholique. Je ne prétends pas que la majorité des musulmans d’Europe reniera l’islam — rien ne permet de le présager — ni que l’islam en Europe se pliera aux normes et valeurs de la civilisation occidentale : là encore, rien ne l’annonce.

Mais considérer que l’islam est une sorte de bloc infrangible, de Sphinx face au temps, qui se maintiendra immuable dans la courbe des siècles, abrogeant tout autre facteur, écrasant toute autre considération, revient à raisonner comme un islamiste, pour qui l’Univers se réduit à l’islam et selon lequel sortir de l’islam est un crime indicible.

Dis autrement, considérer dès à présent que Bruxelles — Paris, Londres — deviendra immanquablement islamique a fortiori islamiste revient à commettre une erreur de fait, et offrir par avance la victoire aux pires extrémistes parmi les musulmans. C’est le type par excellence de cette pensée défaitiste, dont Churchill enseignait dans sa somme magistrale Second World War qu’elle était, dès 1939, plus menaçante que l’ensemble des divisions nazies.

L’état d’esprit victimaire rend les gens impuissants

Dans son article « Unraveling the Mindset of Victimhood », le psychologue américain Scott Barry Kaufman a recommandé de passer le court test suivant pour déterminer si vous avez un « état d’esprit de victime » :

« Évaluez dans quelle mesure vous êtes d’accord avec chacun de ces éléments sur une échelle de 1 (« pas moi du tout ») à 5 (« c’est tellement moi ») :

– Il est important pour moi que les personnes qui m’ont blessé reconnaissent qu’une injustice m’a été faite.

– Je pense que je suis beaucoup plus consciencieux et moral dans mes relations avec les autres que dans la façon dont ils me traitent.

– Lorsque des personnes proches de moi se sentent blessées par mes actes, il est très important pour moi de préciser que la justice est de mon côté.

– C’est très difficile pour moi d’arrêter de penser à l’injustice que les autres m’ont faite.

Si vous avez obtenu un score élevé (4 ou 5) sur tous ces éléments, vous avez peut-être ce que les psychologues ont identifié comme une « tendance à la victimisation interpersonnelle ».

J’ajouterais la déclaration suivante : « Je me définis d’abord et avant tout comme un membre d’un groupe social distinct (de préférence une minorité) qui a été discriminé partout dans le monde et pendant des siècles ou des millénaires. »

 

Définir la tendance à la victimisation 

Le psychologue israélien Rahav Gabay définit cette tendance à la victimisation interpersonnelle comme « Un sentiment continu que le soi est une victime, qui est généralisé à de nombreux types de relations. Par conséquent, la victimisation devient un élément central de l’identité de l’individu. Ceux qui ont un état d’esprit de victimisation perpétuelle ont tendance à avoir un  »locus de contrôle externe ». Ils croient que la vie d’une personne est entièrement sous le contrôle de forces extérieures à elle-même, telles que le destin, la chance ou la miséricorde des autres. »

Le « locus de contrôle externe » signifie : je ne me considère pas comme le façonneur de mon propre destin, je blâme toujours les forces extérieures. Je blâme la société, la discrimination, le capitalisme, etc. pour les défaites et les revers. Si d’autres personnes réussissent, j’envie leur succès et je l’attribue à la « chance » ou à « l’injustice sociale ».

Cette attitude rend les gens impuissants. Les mouvements radicaux qui cultivent ce mythe victimaire et promettent que seul un renversement de la société changera leur situation personnelle leur donnent alors une force supposée.

 

Un handicap n’est pas nécessairement un frein

Les histoires de personnes handicapées qui ont réussi et que je raconte dans mon livre Unbreakable Spirit montrent que ce ne sont pas les circonstances extérieures, mais surtout sa propre attitude intérieure, l’état d’esprit, qui a une influence décisive sur la vie d’une personne :

Comme le montre le livre, Ludwig van Beethoven a utilisé son incroyable volonté pour dépasser de loin ses propres ambitions et surmonter ses capacités physiques supposées limitées et a composé certaines de ses plus grandes symphonies alors qu’il était déjà sourd. Comme il l’a dit : « La force est la morale de l’homme qui se démarque des autres, et c’est la mienne. ». Frida Kahlo, qui a été frappée par la poliomyélite dans son enfance, puis handicapée physique lors d’un grave accident de la route, est devenue la peintre la plus célèbre d’Amérique latine. Le physicien de renommée mondiale Stephen Hawking a exploré les trous noirs et nous a expliqué l’univers, bien qu’il soit confiné à un fauteuil roulant et qu’il communique via un ordinateur vocal.

Ray Charles, Stevie Wonder et Andrea Bocelli sont devenus des superstars de la scène musicale parce qu’ils ont refusé d’accepter leur cécité comme un désavantage, et ont même réussi à en faire un atout. Michael J. Fox était déjà devenu célèbre à Hollywood lorsqu’on lui a diagnostiqué la maladie de Parkinson. Cela signifierait normalement la fin de la carrière d’un acteur, mais la star de Retour vers le futur a prouvé le contraire. À l’aube de la vingtaine, Felix Klieser était déjà devenu l’un des plus grands cornistes du monde, même sans ce qui est en fait une condition préalable indispensable pour jouer du cor : les bras.

Thomas Quasthoff est un survivant de la thalidomide, il est né avec de graves malformations des bras et des jambes – il est devenu l’un des plus grands ténors vivants. Nick Vujicic, né sans bras ni jambes, est un conférencier très recherché et a inspiré des millions de personnes dans 63 pays et rencontré 16 chefs d’État à travers le monde. « Je crois », dit Vujicic, « que si vous créez la vie que vous voulez dans votre imagination, il est possible de la créer dans la réalité minute par minute, heure par heure et jour par jour. »

Un puissant désir de dépasser les limites fixées par le corps ou l’esprit est ce qui motive chacune de ces incroyables personnes. L’alpiniste aveugle Erik Weihenmayer a notamment conquis les sept sommets les plus redoutables des sept continents, dont le mont Everest. La force mentale de personnes comme Weihenmayer leur permettait de ne jamais se considérer comme des victimes ou des membres d’une minorité « défavorisée », mais comme des personnes fortes qui contrôlaient leur propre destin.

La France face à la menace terroriste : vers un État policier ?

Par : h16

Les autorités redoutent un attentat d’ici la fin de l’année. Elles l’ont d’ailleurs très médiatiquement fait savoir, tant du côté européen que du côté français, afin que toute la population soit correctement saisie d’inquiétude et de méfiance pour la période des fêtes.

Et donc, que ce soit le résultat d’une action préparée de longue date restée discrète voire secrète au point d’échapper aux renseignements policiers, ou qu’il s’agisse d’un événement quasiment improvisé, selon toute vraisemblance, les prochaines semaines ou, plus probablement, les prochains mois verront un nouvel événement terroriste en France.

Notons que tout aura été fait pour, et qu’on pourra raisonnablement écarter tout hasard dans la préparation des consciences, tant est difficile à cacher la volonté pour une bonne partie des politiciens d’importer avec gourmandise le conflit israélo-palestinien en France. Ici, on comprend bien évidemment la mécanique politique à l’œuvre : toute nouvelle tension, toute nouvelle bouffée d’horreur en France servira essentiellement à augmenter les prérogatives de l’État, et de ceux qui le gouvernent, et tout événement violent sera prétexte à accroître les possibilités offertes à ces derniers de pressurer la population, la museler et la contraindre dans le sens qui leur plaira.

Il n’y a guère besoin d’extrapoler. Même quelque chose de relativement bénin (voire festif selon certains) comme les Jeux Olympiques d’été permet d’illustrer le point : ces célébrations dispendieuses, largement coupées des préoccupations directes de l’écrasante majorité de la population, servent déjà à passer nombre de lois et de décrets afin de transformer la capitale en véritable enfer carcéral pour ses habitants, et à mettre en place des mesures (notamment numériques) dont on sait qu’elles perdureront bien au-delà de leur raison initiale.

Dans ce contexte, il est facile de comprendre que n’importe quel attentat un peu plus large qu’un simple échange de coups de couteaux (qui ne ferait qu’attiser ce que la classe jacassante appelle maintenant hypocritement l’ultradroite) pourra servir d’une part à terroriser la population (ou tout faire dans ce but) ; et d’autre part à renforcer le contrôle policier… sur ceux qui pourraient trouver la situation un peu saumâtre et vouloir se défendre (encore l’ultradroite, comme par hasard).

Il semble donc évident qu’un événement majeur, avec à la clé plusieurs (dizaines de ?) morts aura lieu dans les prochains mois, disons pour donner une idée, d’ici Noël 2024. Quelque chose comme ce qui s’est passé en Israël où des villages entiers furent attaqués par de petites troupes de terroristes.

Cela n’a absolument rien de farfelu puisque l’ébauche a déjà germé dans les cerveaux manifestement sous-dimensionnés de quelques individus qui ont, fort heureusement, réussi à se faire gauler : « On passe à quatre ou cinq, armés, tu tues tout le village en une seule nuit, c’est facile, je te dis que tu peux faire ça, c’est facile ! »…

On devra se demander pourquoi les autorités ont jugé bon de faire connaître médiatiquement ces projets d’attentats de ces soi-disant « réfugiés », mais il est clair que ce faisant, outre disséminer encore un peu plus l’idée, cela permet d’établir un précédent, à toutes fins utiles. Dès lors, on peut imaginer que d’autres, un peu plus finauds que ces pieds nickelés du djihadisme, s’organisent déjà avec une meilleure discrétion. Peut-être ceux-là acquièrent-ils lentement des armes personnelles, chacun dans son coin, la filière ukrainienne servant sans nul doute à les fournir et, un petit matin, ou un soir, ils choisiront de passer à l’action de manière individuelle selon un plan préparé à l’avance, et discuté hors des réseaux numériques les plus écoutés.

On imagine sans mal qu’ils débouleront dans l’un de ces villages tranquilles où la gendarmerie est sous-équipée et en sous-effectif chronique d’autant plus que la commune, sans barres HLM, sans racailles et sans gentils clandestins, est très calme et ne nécessite donc que peu de services de proximité que l’État n’a de toute façon aucune volonté de maintenir localement. Les dégâts (en nombre de morts, en blessés) y seront logiquement élevés.

Ce n’est qu’un scénario possible, mais compte tenu du nombre de candidats potentiels à ce genre d’actions, de l’état général des services de renseignements en France, de la compétence moyenne de nos autorités, avouons que ce n’est pas le scénario le plus fou fou non plus.

On peut aussi garantir que l’action des forces de l’ordre sera spectaculairement foireuse pendant un bon moment avant de pouvoir les stopper. Peut-être même une partie des perpétrateurs pourra – comme par hasard – s’enfuir dans la nature.

Pour donner un ordre d’idée, une poignée d’attaquants, cinq ou six (soit seulement trois de plus qu’au Bataclan) peut faire des dizaines de morts et de blessés dans une poignée de villages. À quelques dizaines, le massacre serait rapidement monstrueux face à des populations qui ont été volontairement et largement habituées à dépendre totalement de l’État pour leur sécurité, et dont les dents et les griffes ont été patiemment limées ; de lois scélérates, en (dé)moraline en baril distribuée chaque soir sur les ondes, et prunages vexatoires pour la moindre hausse de sourcil un peu trop rapide, ces populations ont abandonné toute envie de combattre, et leur capacité d’auto-défense

Ici, parier sur l’incompétence totale des autorités françaises à réagir rapidement et efficacement dans ce genre de terrible contexte n’est même pas un pari osé, c’est malheureusement le moins risqué. Du reste, les attentats du 13 novembre 2015 ont amplement démontré la désorganisation des forces d’intervention et des autorités. Qui imagine que l’équipe actuelle serait soudainement plus affûtée que celle d’alors ?

En revanche, on peut garantir la bonne compétence de la même brochette pour la récupération d’un tel événement, afin de poser les derniers jalons, les plus sévères, les plus lourds et les plus définitifs d’un véritable État policier, c’est-à-dire une dictature parfaitement étanche. Cela ne fait aucun doute.

En réalité, c’est précisément pour cela que la menace d’attentats a été clairement annoncée urbi & orbi par nos autorités, l’apeurement des populations étant un des effets directs recherchés. C’est pratique, une population apeurée : bien préparée à une horreur quasiment vendue comme inévitable, elle sera à point lorsque l’horreur surviendra.

Quelques centaines de morts d’un côté, un pouvoir quasi-illimité de l’autre : pour des élites parasitaires et parfaitement dénuées de tout scrupule, le calcul est vite fait et la question de la marche à suivre, « elle est vite répondue » pour des dirigeants qui sentent leur fin inéluctable sans la mise en place d’une poigne de fer contre le peuple.

En fait, il n’y a guère lieu d’épiloguer. Gérard Collomb, dans un rare moment de lucidité que permet l’abandon de la politique, expliquait au sujet de certaines populations que nous vivions actuellement côte à côte, et risquions vite « de se retrouver face à face ».

Nous y sommes.

Sur le web.

Une contre-révolution sous nos yeux ? Ce que révèlent les affaires Depardieu et Cesari

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

Le second événement concerne l’acteur Gérard Depardieu. Dans un documentaire, le magazine « Complément d’enquête » a diffusé des extraits d’une vidéo tournée en 2018 dans laquelle le comédien tient des propos particulièrement crus et vulgaires sur les femmes, y compris sur une très jeune fille d’une dizaine d’années.

Si ces deux événements méritent d’être rapprochés, malgré leurs différences, c’est parce que, chacun à leur manière, ils nous parlent des transformations actuelles de la société française.

 

Cachez cette nudité

Commençons par l’affaire du tableau de Cesari. On peut légitimement discuter pour savoir s’il était judicieux de montrer un tel tableau à des élèves de 6e. Mais l’essentiel n’est pas là.

Il fut un temps pas si lointain où, face à des images à caractère sexuel, entraperçues par exemple dans un film ou un documentaire, les collégiens avaient tendance à manifester, non pas leur dégoût mais bien un enthousiasme typiquement juvénile, où se mêlaient gloussements émerveillés et clameurs grivoises.

Que des élèves de 6e adoptent aujourd’hui une attitude exactement inverse, surtout à un âge aussi précoce, en dit long sur le type d’éducation qu’ils reçoivent et sur les valeurs qu’ils entendent affirmer. Visiblement, cette affaire confirme l’existence d’un clivage profond qui place l’école en porte-à-faux vis-à-vis d’une partie de la population, comme l’avaient déjà révélé les incidents lors de l’hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, ou les nombreux conflits sur les signes religieux et les atteintes à la laïcité.

 

Cachez cette sexualité

Concernant Gérard Depardieu, le problème se présente différemment. Il est évidemment légitime d’être choqué par les propos de l’acteur, lesquels dépassent très largement ce que la décence commune peut tolérer.

On évitera cependant d’être hypocrite. Lorsqu’ils sont entre eux, il arrive aux hommes de parler crûment des femmes et de la sexualité car rares sont ceux qui échappent totalement aux pulsions de leur cerveau reptilien. Cela vaut sans doute aussi dans l’autre sens. On peut en effet remarquer que l’un des clips actuellement les plus populaires est une chanson de rap interprétée par deux femmes qui s’intitule WAP, ce qui signifie Wet Ass Pussy. Or, les paroles n’ont rien à envier à la trivialité de Depardieu : « Il y a des salopes dans cette maison / Amène un seau et une serpillière pour cette chatte bien mouillée / Mets cette chatte sur ton visage, glisse ton nez comme une carte de crédit / Crache dans ma bouche / Dans la chaîne alimentaire, je suis celle qui t’avale / Je veux que tu touches ce petit trucmuche qui pendouille au fond de ma gorge. » Ce clip a été encensé encore récemment sur le site Slate.fr.

Il ne s’agit pas de dire que tout est permis. La vie civilisée consiste justement à s’abstenir de toute vulgarité dans la vie publique : la sexualité est une affaire privée. Mais rien ne dit que les propos de Depardieu étaient destinés à être diffusés. On aimerait d’ailleurs savoir pourquoi la chaîne publique s’est autorisée à diffuser ces images, violant sans scrupules le droit à la vie privée de l’acteur.

 

Cachez ce monstre

Le problème concerne cependant moins Depardieu lui-même que l’évolution de son statut dans la société. Car Depardieu n’a pas toujours été ce personnage exécré qu’il est devenu. Historiquement, il a au contraire incarné l’audace modernisatrice, la provocation progressiste, la critique iconoclaste.

Le film qui l’a propulsé vers la gloire, en l’occurrence Les Valseuses de Bertrand Blier (1975), dont le titre était déjà tout un programme, devait son succès à ses dialogues crus et à ses scènes de sexe délibérément destinées à choquer le bourgeois. Les radios publiques lui rendent encore hommage, que ce soit France Interou plus récemment France Culture.

C’est donc en grande partie pour son côté iconoclaste que Depardieu a été encensé. Même les institutions de la République y sont allées de leur reconnaissance, d’abord en le faisant chevalier de l’ordre national du Mérite de la part de François Mitterrand en 1988 (précisons toutefois qu’il avait appelé à voter pour le candidat socialiste), puis en lui attribuant la Légion d’honneur (Jacques Chirac en 1996).

Cette consécration artistique et politique a forcément eu des effets sur ses manières d’être et de s’exprimer. Tout au long de sa vie, Depardieu a probablement été adulé par son entourage pour son côté libéré et provocateur. Personne ne se fait tout seul, et Depardieu n’échappe pas à cette règle : à sa façon, il est le fruit de cette France d’après 1968 qui ambitionnait de bouleverser la morale traditionnelle au profit de la liberté amoureuse et sexuelle.

Le retournement est aujourd’hui total. Depardieu est maintenant présenté comme un « ogre » ou un « monstre ». La ministre de la Culture n’hésite pas à dire qu’il fait « honte à la France », et parle de lui retirer la Légion d’honneur. Elle n’a pas appelé à brûler ses films, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.

On pense à la célèbre formule de l’Évêque de Reims lors de la conversion de Clovis au christianisme :

« Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».

C’est probablement à cela qu’on reconnaît un changement d’époque : c’est lorsqu’une société aspire à se débarrasser de ses idoles d’hier, à briser ses anciennes icônes devenues insupportables, que l’on comprend qu’une nouvelle religion émerge, même si on ne sait pas très bien quelles personnalités vont incarner la nouvelle vertu.

 

La contre-révolution est en marche

Les affaires Cesari et Depardieu pourraient rester dans le registre du fait divers si elles ne venaient pas à la suite de nombreuses polémiques du même type. On pense par exemple au baiser de Blanche-Neige, dont nous avons essayé d’esquisser une analyse.

Une contre-révolution morale est manifestement en marche. Serge Gainsbourg, un autre provocateur du même acabit, en a fait les frais dernièrement. Autrefois, les jeunes traitaient leurs aînés de « vieux cons » et dénonçaient leurs opinions réactionnaires ; désormais, ils reprochent aux générations précédentes d’avoir été progressistes.

Si cette dynamique contre-révolutionnaire s’annonce profonde et durable, c’est parce qu’elle est portée par un agrégat de groupes différents soutenus par une démographie et des mutations sociologiques favorables, dont le point commun est de promouvoir un agenda néo-puritain. La polémique sur le tableau de Guiseppe Cesari est ici très significative : elle a été lancée par des familles musulmanes, mais elle aurait très bien pu être initiée par des néo-féministes. L’islam rigoriste se retrouve sur la même ligne qu’une partie du féminisme moralisateur, tandis que la gauche, loin de se détourner de ces deux causes, aspire à les englober dans un salmigondis idéologique aussi indigeste que fragile.

Il faut donc s’attendre à ce que les polémiques de ce type se multiplient. On doit se préparer à aller de surprise en surprise, car les nouvelles sensibilités sont toujours pleines de ressources et de créativité lorsqu’il s’agit de désigner des icônes à abattre. C’est ce qui en fait tout l’intérêt, un peu comme pour une bonne série télé : on a hâte de découvrir la prochaine saison.

Au-delà de l’État : plaidoyer pour l’anarchocapitalisme

Un article de Anthony P. Mueller. 

La politique sous toutes ses formes, en particulier celle des partis politiques, est l’ennemi juré de la liberté, de la prospérité et de la paix. Pourtant, où que l’on regarde, le renforcement du gouvernement est invoqué comme la solution.

Rares sont les voix qui affirment qu’une autre voie est possible. Peu d’entre elles s’expriment en faveur de l’anarchocapitalisme et d’un ordre social libertarien.

Il est assez courant aujourd’hui d’annoncer avec assurance le verdict selon lequel l’anarchocapitalisme, une société sans État répressif, n’est pas réaliste. Pour la plupart des gens, un ordre social libertarien est une chimère. Les fausses accusations abondent, comme celle selon laquelle l’anarchocapitalisme serait source d’injustice et désavantagerait les pauvres.

 

La situation précaire du libertarianisme est en partie liée à l’évolution de l’histoire.

L’évolution sociétale a pris un mauvais tournant lorsque Rome a vaincu Carthage, et qu’au lieu d’une société commerciale, c’est une société étatique militariste qui a pris le dessus. Plus de deux mille ans de césarisme ont répandu la croyance qu’il n’y a pas d’alternative à la politique et à l’État. La hiérarchie et l’autoritarisme en sont venus à être considérés comme le mode naturel d’organisation de la société, sans reconnaître que ces ordres sont imposés.

Le libertarianisme est une société de droit privé. Dans une société de droit commun, les entreprises privées sur le marché remplissent les fonctions traditionnelles de l’État. L’ordre contractuel volontaire de l’anarchocapitalisme remplace la coordination hiérarchique des activités de l’État. Le sens premier de l’anarchocapitalisme est un ordre où la coopération horizontale basée sur l’échange volontaire domine la coordination des activités humaines.

L’ordre spontané d’une société anarchocapitaliste exige qu’il se réalise sous la forme d’un processus graduel de privatisation. Commençant par la suppression des subventions et des réglementations, ainsi que par la vente des entreprises semi-publiques et des services publics, la privatisation devrait s’étendre progressivement à l’éducation et à la santé, et finalement englober la sécurité et le système judiciaire.

Il existe de nombreuses preuves que les soi-disant services publics deviendront meilleurs et moins chers dans le cadre de l’anarchocapitalisme. Dans le cadre d’un système global de libre marché, la demande et l’offre en matière d’éducation, de soins de santé, de défense et de sécurité intérieure seraient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. La privatisation de ces activités, qui sont actuellement sous l’autorité de l’État, entraînerait non seulement une diminution des coûts unitaires des services, mais changerait également la nature des produits.

Étant donné que la majeure partie de l’offre actuelle de biens dits publics est un gaspillage inutile, une charge énorme pèserait sur les contribuables une fois que ces produits seraient privatisés. Sans perdre les avantages réels de l’éducation, des soins de santé et de la défense, ces biens seraient adaptés aux souhaits des consommateurs, et fournis de la manière la plus efficace. Les coûts seraient réduits à une fraction de leur taille actuelle.

Si l’on inclut l’appareil judiciaire et l’administration publique hypertrophiés dans la réduction de l’activité de l’État, les dépenses publiques – qui représentent aujourd’hui près de 50 % du produit intérieur brut dans la plupart des pays industrialisés – seraient ramenées à des pourcentages à un chiffre. Les contributions diminueraient de 90 %, tandis que la qualité des services augmenterait.

 

Contrairement à la croyance dominante, la privatisation des fonctions policières et judiciaires n’est pas un problème majeur. Il s’agirait d’étendre ce qui se fait déjà. Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le nombre de policiers et d’agents de sécurité privés dépasse déjà le nombre de policiers officiels. La prestation privée de services judiciaires est également en augmentation. Les tribunaux d’arbitrage ont fait l’objet d’une demande forte et croissante, y compris pour les litiges transfrontaliers.

Ces tendances se poursuivront, car la protection et l’arbitrage privés sont moins coûteux et de meilleure qualité que les services publics.

Au Brésil, par exemple, qui possède l’un des systèmes judiciaires les plus coûteux au monde, environ quatre-vingt millions d’affaires sont actuellement en attente de décision, et l’incertitude juridique est devenue monstrueuse. Aux États-Unis, de nombreux secteurs du système judiciaire sont en déliquescence.

 

La solution aux problèmes actuels n’est pas plus mais moins de gouvernement, pas plus mais moins d’État, pas plus mais moins de politique. La malédiction qui pèse actuellement sur les jeunes, à savoir avoir un emploi fixe bien rémunéré ou vivre à la limite de l’autonomie, disparaîtrait. L’anarchocapitalisme est synonyme de productivité élevée et de temps libre abondant. Dans une société anarchocapitaliste, la pénibilité du travail salarié ne sera plus la norme et sera remplacée par le travail indépendant.

L’anarchocapitalisme n’est pas un système qui doit être établi par un parti ou un homme fort.

 

Une communauté libérale devrait émerger comme un ordre spontané. La bonne voie vers une telle société est donc l’action négative. La tâche qui nous attend est la suppression des subventions et des réglementations. Au lieu de créer de nouvelles lois et de nouvelles institutions, la mission consiste à abolir les lois et les institutions. Pour ce faire, un changement de l’opinion publique est nécessaire.

Plus l’idée que la solution réside dans la réduction de la politique et de l’État gagnera du terrain, plus le mouvement libertarien prendra de l’ampleur. Pour ce faire, il faut avoir la volonté d’exiger et de réaliser la privatisation du plus grand nombre possible d’institutions publiques.

La privatisation est un moyen, pas un but. Elle sert à placer un fournisseur de biens sous le contrôle du grand public. Sur le marché libre, ce sont les clients qui déterminent les entreprises qui restent en activité et celles qui doivent fermer. Avec le système actuel du capitalisme d’État, de larges pans de l’économie sont contrôlés par la politique et l’appareil technocratique.

La privatisation place les entreprises sous le régime du profit et de la perte, et donc sous le contrôle du client. Le profit est la clé de l’accumulation du capital, et donc de la prospérité. Le profit des entreprises est le moteur et en même temps le résultat du progrès économique. Seule une économie prospère génère des profits. Dans la même logique, on peut dire que les profits poussent l’économie vers la prospérité.

Pour les entreprises privées, l’importance des bénéfices dépend du degré d’efficacité de l’entreprise et de l’utilité de son produit pour satisfaire les goûts du public. Cependant, la privatisation en soi ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une déréglementation. Dans le passé, de nombreux cas de privatisation ont échoué parce que le cadre réglementaire n’avait pas été supprimé. Les anciennes barrières à l’entrée ont continué à exister.

 

Une autre erreur souvent commise a été de privatiser à la hâte des entreprises publiques qui fournissent des services essentiels, au lieu de commencer par l’évidence : supprimer les subventions. La déréglementation et la suppression des subventions sont des conditions préalables essentielles à la réussite de la privatisation. Le capitalisme a besoin de concurrence, et la concurrence a besoin de faibles barrières à l’entrée.

L’anarchocapitalisme dessine un ordre économique dans lequel l’entrepreneur dirige l’entreprise selon les règles du profit et de la perte. Ceux-ci, à leur tour, dépendent directement des actions des clients. Les lois du profit et de la perte obligent l’entrepreneur à employer son capital au profit des consommateurs. En ce sens, l’économie de marché fonctionne comme un mécanisme de sélection permanent en faveur de l’allocation des ressources, là où le degré de productivité et de bien-être est le plus élevé.

Pour réussir, la privatisation doit être considérée comme une étape dans un ensemble de mesures visant à établir une économie de marché. Pour bien fonctionner, la privatisation doit s’accompagner de l’ouverture des marchés – y compris le libre-échange international – en réduisant la bureaucratie et en rendant le marché du travail plus flexible.

 

Une monnaie saine et une faible pression fiscale sont des conditions préalables fondamentales au bon fonctionnement des marchés libres. La privatisation de l’économie échouera tant que le système monétaire sera soumis à un contrôle politique et technocratique et que des charges fiscales élevées limiteront les actions économiques de l’individu.

Dans l’économie de marché, les idées des entrepreneurs font l’objet d’un plébiscite permanent. Les entreprises privées doivent répondre aux désirs des consommateurs, car ce sont eux qui indiquent leurs préférences par leurs actes d’achat. Le choix démocratique en politique est systématiquement moins bon que les décisions sur le marché. Alors que la plupart des décisions d’achat peuvent être corrigées et remplacées immédiatement ou dans un court laps de temps, les décisions politiques ont des conséquences à long terme qui dépassent souvent le contrôle et l’horizon intellectuel de l’électorat.

La prospérité est l’objectif, et l’anarchocapitalisme l’apporte.

Le principe de base en faveur de la privatisation découle de l’idée que la propriété privée des moyens de production – et donc la privatisation – garantit le progrès économique et la prospérité pour tous. Les marchés ne sont pas parfaits, pas plus que les entrepreneurs ou les consommateurs. La production capitaliste ne peut pas répondre à tous les désirs ou besoins de chacun. Aucun système ne le peut. Le système de marché n’élimine pas la pénurie pour tout le monde, mais le système de marché est l’ordre économique qui gère le mieux la présence universelle de la pénurie.

L’anarchocapitalisme correctement compris n’entre pas dans la même catégorie que le socialisme. Le socialisme doit être imposé. Sa mise en place et son maintien requièrent la violence. Avec l’anarchocapitalisme, c’est différent. Il naîtra spontanément de la suppression des barrières qui s’opposent à l’ordre naturel des choses.

Un article traduit par la rédaction de Contrepoints. Voir sur le web.

La laïcité à l’anglaise : autre pays, autres mœurs ?

Par Michael Kelly

Ceux qui ont observé le couronnement du roi Charles III en mai 2023 pourraient penser que le Royaume-Uni est tout le contraire d’un pays laïc. Dans l’abbaye de Westminster, le nouveau chef de l’État a reçu son mandat de l’archevêque de Canterbury et est ainsi devenu chef de l’Église d’Angleterre. Pourtant, les apparences sont trompeuses.

La situation actuelle outre-Manche est complexe, tributaire des contradictions et des compromis de l’histoire britannique. Dans le fond, l’Angleterre devient une société séculière, mais sans avoir adopté le principe français de la laïcité.

On cite souvent le philosophe américain Charles Taylor, qui distingue trois éléments majeurs dans la sécularisation des sociétés occidentales : le déclin de la croyance religieuse, la conception de la religion comme choix personnel du croyant, et la séparation entre l’Église et l’État.

Concernant les deux premiers éléments, la France et l’Angleterre sont assez proches.

 

Un déclin de la croyance

Lors du recensement de 2021 en Angleterre et au Pays de Galles, on a observé pour la première fois que moins de la moitié de la population s’est déclarée chrétienne : 46 %, contre 59 % en 2011. Ils sont 37 % à se déclarer sans religion. Par comparaison, l’Eurobaromètre de 2019 compte 47 % de chrétiens en France, contre 40 % sans religion. On a recensé 10 % de personnes se déclarant d’autre religion que le christianisme en Angleterre, et 12 % en France. Ce déclin de l’identité religieuse s’accompagne d’une chute de la pratique religieuse dans les deux pays.

On constate également des changements fondamentaux dans les pratiques, notamment concernant ce qui était considéré jusqu’à récemment comme des rites de passage. Par exemple, il était normal que les Anglais et les Anglaises se marient à l’église, mais en 2020, 15 % seulement des couples s’y sont mariés.

Ainsi, une église anglicane moyenne n’a assuré que quatre funérailles et un seul mariage en 2020. En revanche, les rites alternatifs foisonnent. Il est maintenant possible et admis de se marier, ou de formaliser son union civile, en dehors de l’église ou du bureau d’enregistrement : dans un hôtel, mais aussi dans un jardin, sur un bateau, à la plage, ou ailleurs selon l’imagination du couple.

Au Royaume-Uni, on constate que ce sont très souvent des humanistes, appartenant au mouvement non religieux que je présente plus bas, qui président les mariages et les autres rites en lieu et place des curés.

Au lieu de proposer des sacrements, ils marquent les hauts moments de la vie humaine dans des célébrations collectives. Ils peuvent êtres appelés tant pour les noces que pour les enterrements.

Dans les autres institutions sociales, on peut percevoir les mêmes tendances. Dans les tribunaux, par exemple, où autrefois on jurait sur la Bible, l’accusé ou les jurés peuvent aussi jurer sur un livre religieux de leur choix, comme le Coran, la Torah ou la Bhagavad-Gita (texte clé de l’hindouisme), ou peuvent simplement faire une déclaration solennelle. Lors d’un procès auquel j’ai participé l’année dernière, dix jurés sur douze ont choisi de jurer solennellement qu’ils allaient accomplir leur devoir. Le choix religieux est donc une option personnelle, mais ne change rien dans le déroulement de la justice.

 

La religion à l’école

Concernant les institutions d’éducation, la France et le Royaume-Uni ont une économie mixte qui comprend des écoles publiques et privées. Au Royaume-Uni, 6 % des jeunes sont dans l’enseignement privé pour près de 17 % en France. Les écoles privées britanniques ne reçoivent aucune subvention financière directe de l’État, alors que la grande majorité des écoles privées françaises sont « sous contrat » avec l’État, et perçoivent une importante subvention publique.

Au Royaume-Uni, le tiers des écoles d’État sont des écoles dites « de foi », dont la majorité sont des écoles primaires. En France, par contre, l’enseignement à caractère religieux se passe essentiellement dans les écoles privées, dont la vaste majorité (97 %) sont des écoles catholiques.

C’est dans les écoles d’État que les différences se manifestent. On sait combien les écoles d’État en France doivent insister sur l’exclusion des signes et des pratiques religieux. La situation au Royaume-Uni varie à travers l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, car chacune des « quatre nations » est responsable de l’éducation de ses jeunes administrés.

En Angleterre, par exemple, le tiers des écoles d’État (y compris les collèges et les lycées) a un statut religieux (anglican et catholique en majorité, mais aussi juif, musulman, hindou et Sikh). Ce statut implique que l’école, ou le lycée, sont affiliés à une organisation religieuse, offrent des cours d’éducation religieuse et maintiennent une culture informée par la religion en question. L’école peut accepter des enfants d’autres religions, ou sans religion, qui peuvent manifester leur appartenance propre dans le respect de la culture religieuse de l’école. On peut penser qu’il y a une forte ressemblance entre les écoles d’État « de foi » britanniques et les écoles privées sous contrat en France.

Notons que depuis la loi de 1944, les écoles d’État en Angleterre autre que les écoles de foi, en primaire et secondaire, sont obligées de fournir une fois par semaine un enseignement sur la religion, et de tenir tous les jours un « acte de culte chrétien ». En pratique, la majorité de ces écoles choisissent de reconnaître la diversité des croyances parmi les élèves, soit dans les classes de religion, soit dans les rassemblements collectives.

 

Les familles peuvent choisir

Au Royaume-Uni, les parents d’élève peuvent choisir de retirer leurs enfants des activités religieuses, ce qui se fait de plus en plus. Les élèves eux-mêmes peuvent exercer ce choix à partir de 16 ans.

D’ailleurs, les écoles interprètent ces obligations à leur façon. Par exemple, « l’acte de culte » peut prendre la forme d’un rassemblement portant sur la vie de l’école (réussite scolaire ou sportive, événement marquant, discipline et comportement). Et les cours sur la religion peuvent porter sur les croyances et pratiques de toutes sortes.

Non seulement les parents ont la possibilité de retirer leurs enfants de ces activités, mais les directeurs peuvent demander que l’école en soit dispensée. In fine, on constate une diversité de situations, entre l’enthousiasme religieux et la pratique laïque.

Chaque école a la responsabilité de formuler ses règlements sur la discipline intérieure (comportements, coiffure, vêtements, port de signes, etc.) selon le contexte de l’école et de sa composition sociale.

Il est rare d’y voir des confrontations, et il semble que le régime du choix personnel des élèves, des parents et des enseignants, en matière de croyances et pratiques religieuses, contribue à la paix scolaire.

 

La place du religieux en évolution

La séparation de l’État et de l’Église dans le domaine politique et juridique pose des questions plus aiguës. L’Église anglicane ne reçoit aucune subvention de l’État, mais elle est « établie » comme l’Église d’Angleterre depuis la Réforme d’Henri VIII au XVIe siècle.

Aujourd’hui, le monarque est toujours chef de cette Église, même si les décisions sont en réalité prises par le gouvernement qui est par exemple chargé d’approuver la nomination d’évêques. 26 évêques siègent de droit dans la Chambre des Lords (équivalent du Sénat français) et y font peser leur voix.

La position politique de l’Église est surtout symbolique, mais elle exerce un rôle de porte-parole en faveur des valeurs spirituelles et éthiques, ce qui lui donne une certaine influence dans l’opinion publique. Par contre, depuis le XIXe siècle, son statut sous la loi est résiduel. Elle a peu de pouvoir politique direct, et se garde de l’utiliser dans la mesure du possible.

 

Vers un régime séculier ?

Actuellement, la critique de la religion est devenue très répandue et une minorité croissante s’exprime en faveur de l’exclusion des privilèges des religions dans la vie collective. Au Royaume-Uni, deux associations majeures représentent cette perspective : les Humanists UK (Humanistes Royaume-Uni) et la National Secular Society (Société séculière nationale).

Les humanistes se présentent comme des libres penseurs, non religieux, qui proposent une vision du monde rationnelle et éthique. Ils puisent dans une longue tradition européenne et même internationale, et favorisent le débat sur des questions philosophiques et sociales. Alors qu’en France l’humanisme peut être revendiqué par beaucoup de tendances intellectuelles, l’usage de ce terme au Royaume-Uni se limite en pratique aux non-croyants.

Les humanistes forment un réseau de soutien et fournissent un grand nombre de célébrants pour les rites de passage non religieux. Ce sont des personnes formées et accréditées pour diriger des cérémonies comme les mariages et les enterrements, sans référence à la religion.

Ils sont proches de la National Secular Society, qui mène des campagnes en faveur d’une « démocratie laïque où chacun est traité de manière égale, quelle que soit sa religion ou ses convictions ». Cette société vise notamment à renforcer la séparation de l’Église et de l’État, à abolir les écoles religieuses, à exclure la religion des institutions de la santé et à affirmer l’égalité de tous devant la loi, sans distinction de croyance. Ses perspectives correspondent donc de près à certaines interprétations du principe français de la laïcité.

Ces deux associations sont des membres actifs de l’association Humanists International, qui regroupe 130 associations à travers le monde. On constate qu’aucune association française n’y appartient. Cette absence est peu commentée, mais on peut penser que, d’une part, la notion d’humanisme n’a pas le même sens en français, et que, d’autre part, la promotion de la laïcité fait partie des débats quotidiens sur les valeurs républicaines en France, et n’est pas conçue comme le rôle d’une ONG internationale.

 

Deux histoires proches mais différentes

On pourrait développer davantage la complexité de la situation actuelle. Les différences entre les quatre « nations » du Royaume-Uni tendent à s’affirmer davantage avec la montée des nationalismes en Écosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord. De plus, l’Église d’Angleterre fait partie d’une communauté internationale, qui regroupe 46 Églises anglicanes à travers le monde, surtout dans les anciennes colonies. On y retrouve des perspectives très diverses, surtout en matière de politique sociale (rôle des femmes, inclusion de l’homosexualité, rapports avec l’État et avec d’autres religions).

On trouve des complexités comparables dans les régions de France qui ont un rapport différent avec la laïcité (Alsace-Moselle, France d’Outre-mer). Cela renforce l’idée que l’Angleterre et la France font face aux mêmes défis.

Il y a cependant un travail important à faire pour arriver au point où les deux pays pourront mieux comprendre l’expérience du voisin. Les itinéraires historiques de la France et du Royaume-Uni sont très différents, malgré leur proximité géographique. Ces différences traversent leurs institutions, leurs structures politiques, sociales et intellectuelles et leurs langues. Et si les deux pays affrontent souvent des problèmes comparables, comme la place de la religion dans la société moderne, il est évident que chacun devra trouver des solutions adéquates en fonction de sa culture et de son histoire.

Sur le web.

Crépol, révélateur du fossé entre les citoyens et les élites

Le meurtre de Thomas à Crépol a fait apparaître comme jamais le profond clivage entre l’opinion publique majoritaire et les dirigeants politiques. L’alignement des médias dominants, en particulier ceux du service public, sur le déni politicien, traduit leur incompréhension de la situation ou leur asservissement au pouvoir.

Pour tous ceux qui vivent dans la « France profonde », la perception du fossé, devenu gouffre béant, séparant gouvernants et gouvernés, est ancienne mais devient aujourd’hui alarmante.

 

La bien-pensance persiste dans le déni

On aura en effet tout entendu après ce meurtre odieux et particulièrement significatif. Un épisode de « la guerre des boutons » selon Pablo Pillaud-Vivien (BFMTV), « un fait divers banal » selon Isabelle Veyrat-Masson (Arte), des assaillants « venus pour s’amuser et draguer des filles » selon Patrick Cohen (France 5).

Face à un meurtre révélant le face-à-face belliqueux de deux France par le passage à l’acte de jeunes issus de l’immigration et vivant dans la marginalité, les intervenants de gauche ne songent qu’à nier l’évidence. Pitoyable.

La France entière a été profondément émue et révoltée, mais les missi dominici de la bien-pensance n’y voient que la banalité de la vie quotidienne. Ils « communiquent ». Ce verbe si galvaudé a malgré tout un sens profond.

Il existe désormais deux mondes : celui de la réalité vécue dans lequel se trouvent 90 % des Français, et celui de la communication médiatique qui concerne les politiciens, les journalistes, les animateurs et les invités habituels des émissions d’actualité. Une petite couche totalement irréelle de communication recouvre une réalité infiniment complexe et prétend la représenter. Le monopole du verbe n’induisant ni la connaissance ni la clairvoyance, ces gens-là ne comprennent pas grand-chose au pays dans lequel ils vivent.

Pourquoi ?

 

Les décideurs parisiens

Explication la plus évidente : ils vivent à des années-lumière de leurs concitoyens. Parisiens en général, très aisés financièrement presque toujours, voyageant beaucoup et côtoyant des personnes venues des quatre coins du monde, leur vie ne ressemble en rien à celle du Français moyen. Celui-ci est provincial, ne voudrait pour rien au monde vivre à Paris, a des revenus modestes ou moyens et voyage peu et pas très loin. Deux modes de vie radicalement différents entraînent deux perceptions incompatibles de la société.

Deuxième élément : ce sont des décideurs ou des relais des décideurs. Les décisions politiques sont aujourd’hui complexes et reposent sur des analyses multifactorielles qu’il est impossible d’aborder dans une interview de quelques minutes ou même dans une émission d’une heure. Il faudrait une formation longue pour maîtriser les tenants et aboutissants de la plupart des sujets. D’où la communication.

De mauvais comédiens expliquent donc aux Français, comme on s’adresse aux enfants de la maternelle, les rudiments de l’économie, du droit constitutionnel, de la géopolitique, etc. Exercice particulièrement ambitieux qui a toutes les chances de se solder par un échec. Le Français moyen saisit intuitivement qu’on le prend pour un imbécile, qu’on lui cache bien des choses réservées aux décideurs.

Les communicants ont surtout réussi à transformer les politiques en professionnels de l’hypocrisie. Où sont Churchill, de Gaulle, qui ressentaient profondément ce qu’ils disaient car ils l’écrivaient eux-mêmes ? Nos politiciens et nos journalistes de l’audiovisuel sont des comédiens pas très doués, prisonniers d’un scénario élaboré par d’autres.

 

L’héritage calamiteux

Troisième cause de la fracture : le passé. Il faut désormais assumer les erreurs massives du demi-siècle écoulé et en particulier deux dérives majeures :

  1. L’immigration totalement incontrôlée avec régularisation de clandestins, regroupement familial de plus en plus large et instrumentalisation systématique de vieilles conventions internationales sur le droit d’asile. Ces conventions ne correspondent plus du tout aux réalités actuelles, mais sont utilisées par les gouvernants comme justification de leur inefficacité.
  2. La fuite vers une dette publique abyssale pour ne pas faire face politiquement à la fin de la période exceptionnelle de forte croissance des trente années d’après-guerre.

 

Il s’agit donc de gérer l’héritage calamiteux de François Mitterrand, allégrement poursuivi par ses successeurs. Pas facile ! Le mensonge et le cynisme d’antan conduisent au désespoir et à la violence d’aujourd’hui.

 

Le clientélisme électoral

Enfin, cerise sur le gâteau, la politique politicienne fait intervenir un dernier élément : le clientélisme électoral.

Logiquement, les électeurs se sont progressivement détournés des partis traditionnels de gouvernement (social-démocratie et droite modérée) puisque leurs leaders s’étaient eux-mêmes éloignés d’eux. Les extrêmes ont conquis le corps électoral. Une recette très simple a été utilisée : le populisme, qui consiste à dire aux électeurs cibles ce qu’ils veulent entendre. La France insoumise convoite l’électorat d’origine immigrée et adapte son logiciel en conséquence. Le Rassemblement national rassemble, comme son nom l’indique, tous les déçus, toutes les victimes des tromperies politiciennes des décennies antérieures. L’absence de politique migratoire, l’abandon de la classe ouvrière par la gauche lui ouvrent un boulevard vers la conquête du pouvoir.

Avec une violence verbale et comportementale de mauvais aloi, LFI joue la carte du communautarisme, du wokisme et de l’écologisme radical. En choisissant l’image de la sérénité et de la respectabilité, le Rassemblement national part à la conquête des oubliés de l’histoire récente, attachés à la nation, à la culture européenne, aux frontières, à l’autorité de l’État.

Deux France totalement incompatibles, représentées par deux partis aux antipodes l’un de l’autre s’affrontent. Entre les deux, l’espoir s’évanouit peu à peu.

« Plan 15 000 » : un projet ambitieux mais inefficace pour les prisons françaises

Un article de l’IREF.

« Nous construirons 15 000 nouvelles places de prison ». La promesse de campagne d’Emmanuel Macron, en 2017, a débouché à l’automne 2018 sur un vaste plan de création de places en établissements pénitentiaires, le « Plan 15 000 » pour 2027. Un second plan est également lancé, prévoyant la construction de vingt centres éducatifs fermés (CEF) de deuxième génération pour les mineurs. Alors que la mi-parcours est passée, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », Antoine Lefèvre, dresse un bilan amer du projet.

La situation carcérale française est une épine dans le pied de chaque nouveau président : le nombre des détenus explose, la radicalisation en prison prospère, les injonctions et les condamnations internationales somment la France de prendre des mesures pour respecter les droits de l’homme. Au cours des dernières décennies, plusieurs plans avaient déjà été déployés mais aucun ne s’était révélé capable d’anticiper les besoins croissants de places en établissements pénitentiaires. Celui d’Emmanuel Macron se distinguait par son importance et pouvait laisser croire qu’une réforme du système pénitencier était imminente.

Un plan de construction insuffisant

Mais voilà, bien souvent les rapports du Sénat sonnent le glas des politiques hasardeuses, et c’est le cas en l’espèce. Le rapporteur est formel : « (…) En dépit de ses ambitions initiales, le Plan 15 000 ne permettra pas seul de remédier durablement à la dégradation des conditions de détention et de travail pour les personnels de l’administration pénitentiaire. Même si le plan venait à être achevé en 2027, ce qui apparait peu probable, les capacités du parc pénitencier seraient déjà saturées ». Et pour cause : la prévision de 75 000 détenus en 2027 s’est réalisée dès 2023 ! Pendant la période du Covid, un assez grand nombre de détenus ont été libérés mais une fois la crise sanitaire passée, les enfermements ont repris à un rythme encore plus soutenu, avec une hausse de près de 20% depuis 2020. En janvier 2022, le taux de densité carcérale était de 115%, plaçant la France au troisième rang européen derrière Chypre et la Roumanie. Avec une telle densité, il est quasi impossible de respecter le principe d’encellulement individuel ; l’objectif de 80% est ainsi repoussé de législation en législation, quelle que soit la couleur politique du garde des Sceaux. Les conséquences de la surpopulation carcérale sont pourtant connues : violences, manque d’hygiène, trafics facilités, radicalisation soutenue, réinsertion compromise… La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, dénonce dans son dernier rapport annuel « un abandon de l’Etat » : « On a laissé la prison se substituer aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30% de prisonniers atteints de troubles graves. Voilà comment, à leur corps défendant, surveillants et détenus ont, en quelque sorte, été contraints de se muer en infirmiers psychiatriques ». Les établissements pour peine respectant globalement ce principe, ce sont les maisons d’arrêt qui suscitent l’inquiétude, le taux d’encellulement individuel y évoluant autour de 20%[1].

Un budget intenable et des délais qui explosent

Face à ces défis, l’argent est le nerf de la guerre. Et d’argent, on ne manque pas, à tel point que le budget initial a pu être rehaussé de deux milliards d’euros sans que quiconque s’en émeuve. Les premières annonces ministérielles annonçaient 3,6 milliards, avant de grimper rapidement à 4,3 milliards ; et en juin 2022, la direction du budget a relevé encore la facture à 5,4 milliards d’euros. Un an après, le rapporteur estime que le coût du Plan 15 000 sera d’au moins 5,55 milliards d’euros, soit 30% de plus que le coût d’abord prévu. S’agissant des centres éducatifs fermés, on est passé de 30 millions d’euros à plus de 76 millions dans le dernier budget… avant que le rapporteur ne l’estime à au moins 110 millions d’euros ; et nous ne sommes qu’à mi-chemin. Plus le calendrier de livraison s’allonge, plus les coûts explosent. Moins de la moitié des places prévues a pu être livrée, avec (pour l’instant) un retard de deux ans sur le calendrier initial. La maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe) sera par exemple livrée avec plus de sept ans de retard.

Le sénateur Antoine Lefèvre formule une douzaine de recommandations suivant trois principes : « Anticiper, s’adapter et évaluer ». Est-il possible que cette approche élémentaire n’ait pas été celle des politiques publiques ? La réponse est évidemment oui, et la précision des recommandations frise le ridicule, telle que celle d’équipes-test sur chacun des chantiers engagés. En effet, « il est difficilement admissible qu’un établissement pénitencier tout juste livré nécessite de lourds travaux d’aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement, telles que l’installation de fenêtre pouvant être ouvertes en moins de deux minutes à l’aide d’un coupe-ongle acheté au supermarché ». Coût du changement des châssis des fenêtres du centre pénitentiaire Mulhouse-Lutterbach : 600 000 euros. Et de citer d’autres « erreurs de conception » : par exemple, des boutons « sécurité incendie » ouvrant toutes les portes et accessibles à tous dans un centre éducatif fermé …

Le chantier des établissements pénitentiaires est donc colossal. Alors qu’un détenu coûte 100 euros par jour au contribuable, l’IREF appuie la proposition du député Eric Pauget (LR) de faire payer aux détenus une partie significative de leurs frais d’incarcération. Ajoutons qu’il n’y a rien de surprenant à ce que le suivi des chantiers soit négligé lorsque le futur gérant de la prison est une administration. La privatisation des prisons permettrait sans doute de réduire fortement les coûts de construction et de réduire les délais. Plusieurs pays s’y sont déjà essayés : le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis. La gestion privée demeure « incontestablement plus simple que la gestion publique », ainsi que le relève la Cour des comptes.

Sur le web.

Comment réconcilier les irréconciliables ?

Un récent article sur l’islam m’a valu quelques critiques, et cette question ironique, si j’avais d’autres articles aussi curieux à proposer. Hélas oui, la mine n’en est pas épuisée.

Un jour les Israéliens seront à nouveau en paix avec leurs voisins palestiniens. Ils auront, on l’espère, exercé dans les bornes les plus strictes leur droit à la légitime défense, et employé avec mesure le dangereux appareil de la guerre. Mais la paix est un idéal négatif, qui n’évoque qu’un monde sans violence. Ne peut-on pas au surplus se respecter, s’entendre, se réconcilier ?

La géographie et l’histoire se mêlent pour dresser devant nous des situations difficiles. Lorsque les républicains chinois sont chassés du pouvoir, ils se réfugient sur une petite île à 160 kilomètres des côtes qu’ils doivent quitter, et ils y fondent un gouvernement de sécession. L’île de la Grande-Bretagne est séparée d’à peine 20 kilomètres des côtes d’Irlande, de sorte que par temps clair on en aperçoit les falaises. Français et Allemands ne sont séparés que par un fleuve de 200 mètres de largeur, bien faible rempart contre les velléités d’une armée. Il y a par le monde beaucoup de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas.

Sur un même territoire (les États-Unis), les descendants de colons européens ont dû aussi apprendre à vivre au milieu des descendants d’esclaves qu’ils avaient transportés, opprimés puis émancipés, de même qu’avec les indigènes dont ils avaient accaparé les terres.

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

 

Les différents moyens de réconciliation

À les en croire, la première condition à obtenir est la suppression des barrières légales qui empêchent les peuples de s’unir d’eux-mêmes.

En Irlande, il fut un temps interdit à tout Anglais d’adopter le costume et jusqu’à la moustache irlandaise, de même que d’épouser une Irlandaise catholique. Un catholique ne pouvait occuper un emploi public, ni acquérir une propriété. Des barrières douanières s’assuraient que l’industrie textile irlandaise ne prospérait pas (Gustave de Beaumont, De l’Irlande, 1863, t. I, p. 43, 99, 111.). Il fallait donc, en priorité, obtenir l’abolition de ces lois.

La pratique stricte de la justice est, elle, essentiellement pacificatrice.

Aux États-Unis, écrit Charles Comte, ce n’est pas l’oubli de l’histoire, l’abolition des couleurs et des races, qu’il faut ambitionner, mais l’installation d’une justice impartiale et de l’égalité réelle devant la loi.

« Il faut faire, autant que cela se peut, que tous les hommes jouissent d’une protection égale ; il faut que les mêmes qualités ou les mêmes services obtiennent les mêmes récompenses, et que les mêmes vices ou les mêmes crimes soient suivis de peines semblables. » (Traité de législation, 1827, t. IV, p. 496).

L’orgueil de race, cependant, est lent à mourir. Pour le vaincre, il n’est peut-être guère d’autre recours que la liberté des mariages.

À son retour d’Amérique, Gustave de Beaumont soutient que « les mariages communs sont à coup sûr le meilleur, sinon l’unique moyen de fusion entre la race blanche et la race noire » (Marie ou de l’esclavage aux États-Unis, 1835, t. II, p. 317). Mais il faut pour cela vaincre à la fois l’opinion, qui réprouve ces unions, et la loi, qui parfois les interdit ou les déclare nulles.

La mobilisation de l’opinion publique contre les haines nationales, raciales, religieuses, est fortement appuyée par Frédéric Bastiat dans sa défense de la liberté des échanges. Ce sont pour lui des sentiments « pervers » et « absurdes », qu’il est plus encore utile d’éradiquer que le protectionnisme lui-même (Œuvres complètes, t. VI, p. 382 ; t. I, p. 167). Les deux maux se tiennent cependant : le libre-échange est pacificateur et unificateur de son essence, car il fait de l’étranger un ami (Idem, t. II, p. 271).

 

Ne pas céder au découragement

Les haines nationales, religieuses, raciales, paraissent toujours insurmontables aux générations qui les constatent et les combattent. Mais aussi elles meurent, ou faiblissent. L’Anglais et l’Irlandais ne forment pas une union fraternelle, mais le temps n’est plus où le premier enfermait des prisonniers dans des cavernes et y mettait le feu pour les enfumer, où l’autre exprimait sa vengeance en organisant le rapt et le viol des femmes ou des filles des propriétaires anglais qu’il voulait punir. De même la cohabitation des Noirs et des Blancs aux États-Unis a progressé.

Le libéralisme est porteur d’un idéal dont l’application est difficile, les victoires lentes et jamais acquises. Ce n’est pas un motif pour se décourager, mais pour œuvrer à un progrès qu’à peine peut-être nous entreverrons. La liberté, disait Édouard Laboulaye, est une œuvre qui ressemble à ces cathédrales qu’élevait le Moyen Âge : ceux qui les commençaient n’ignoraient pas qu’ils n’en verraient pas la fin. Ou, pour reprendre une autre image, empruntée à Edmond About, nous faisons la cuisine de l’avenir. Nous vidons les poulets et nous tournons la broche, pour que nos arrière-neveux n’aient plus qu’à se mettre à table et à dîner en joie.

À ce titre, combattre les haines nationales, raciales et religieuses, et accompagner les réconciliations, est une œuvre de la plus grande utilité.

Tensions sociales en France : l’étatisme à l’origine du chaos

Alors que la France est aujourd’hui confrontée à des tensions sociales et ethniques d’une ampleur inédite dans son histoire contemporaine, la principale réponse politique consiste à réclamer un renforcement du rôle de l’État. Cet automatisme étatiste est pourtant ce qui a conduit le pays dans son impasse actuelle.

 

Depuis la fin des années 1960, l’État a construit un arsenal sans précédent de politiques sociales censées corriger les inégalités et prévenir les conflits supposément inhérents à la société française. Las, non seulement ces politiques n’ont pas empêché la montée des tensions, mais elles les ont largement alimentées.

Tout d’abord, l’augmentation significative du salaire minimum en France, initiée en juin 1968 et poursuivie au cours des quatorze années suivantes, a eu des répercussions notables sur l’accès des jeunes issus de l’immigration au marché du travail légal. Dès les années 1970, le niveau élevé du SMIC a rendu coûteuse leur embauche pour les employeurs, poussant ainsi ces jeunes vers l’économie souterraine et ses divers trafics.

Après un certain âge, les jeunes des quartiers qui parvenaient finalement à accéder à l’emploi bénéficiaient de contrats subventionnés, financés par des milliards alloués aux réductions de charges sociales. Cette stratégie visait à atténuer le risque d’un chômage de masse, conséquence directe du niveau élevé du salaire minimum.

 

Parallèlement, les politiques de logement de masse en faveur des immigrés, amorcées elles aussi au cours des années 1960, ont créé une incitation puissante à la venue et au maintien sur le territoire français de nouveau immigrés, surtout d’Afrique du Nord. L’État s’est trouvé pris au piège de ces politiques dès les années 1970, étant donné l’impossibilité de procéder à des expulsions massives face à des grèves de loyers généralisées dans les logements sociaux.

Pire, l’État a, involontairement, encouragé les activités illicites et la violence en dirigeant des financements vers les quartiers sensibles. Ces fonds, alloués à travers diverses allocations et programmes sociaux, tels que des salles de sport, des maisons de jeunes et des programmes d’éducation prioritaire, ont représenté des milliards de francs, puis d’euros. Autrement dit, plus un quartier générait de désordres et de violences, plus il recevait de subsides de la part de l’État.

Difficile dans ces conditions de s’étonner que la délinquance et les comportements violents soient enracinés au sein de communautés vivant depuis des décennies, non pas de l’échange marchand librement consenti, mais de trafics illicites et de l’extorsion des subventions étatiques.

 

Certes, diront certains, l’État a largement échoué dans ses politiques sociales.

Mais maintenant qu’il est question d’insécurité croissante, ne revient-il pas à ce même État d’intervenir énergiquement ? Là encore, le bilan des dernières décennies devrait inciter à la prudence. Même dans le domaine de la sécurité, l’État a failli à assurer un degré élevé de protection des personnes et des biens, et a parfois même aggravé la situation.

Ainsi l’État s’est-il lancé dans les années 1970 dans une politique migratoire visant à restreindre les mouvements de personnes, que rendaient pourtant inéluctables les révolutions dans les transports et les communications à l’échelle mondiale, sans parler des incitations créées par les politiques sociales elles-mêmes. Cette politique migratoire restrictive a surtout eu pour effet de grossir les rangs des migrants clandestins.

Ces derniers, ayant souvent dépensé toutes leurs économies pour payer les réseaux criminels facilitant leur passage irrégulier, se retrouvaient endettés et parfois contraints à la criminalité par ces mêmes réseaux. Face à cette situation, l’État a opté pour des régularisations périodiques des clandestins, tentant ainsi de les intégrer, de les éloigner de la marginalité et de la criminalité, mais consolidant paradoxalement un circuit d’immigration irrégulière.

En opposition à la criminalité ainsi alimentée par les politiques publiques, n’oublions pas que la majorité des services de sécurité est assumée par des acteurs privés, via les installations anti-intrusion, les sociétés de surveillance, ou les instruments de défense personnelle. Autant de preuves que le marché libre est souvent plus efficace que l’État pour répondre à ce type de besoins.

Ces observations conduisent à un constat clair : les politiques étatiques des dernières décennies ont échoué à atténuer les tensions sociales et ethniques ainsi que l’insécurité. Loin de réduire les inégalités, ces politiques n’ont fait que renforcer la spirale de la violence dans les quartiers en confortant indirectement les comportements délinquants.

Il est urgent de tirer les leçons de l’échec manifeste des politiques actuelles et de rompre avec l’illusion étatiste. Cela implique, à terme, de renoncer à des politiques migratoires inefficaces et contreproductives. Mais plus immédiatement cela nécessite de mettre fin à l’excès de réglementations, d’allocations et de programmes sociaux qui, sous couvert de justice sociale, ont mené à l’exclusion et à la mauvaise utilisation des fonds publics.

Seul un changement de paradigme, avec un désengagement de l’État au profit du marché libre, permettra de restaurer les incitations positives à la responsabilité individuelle et de renforcer le lien social. C’est de cette manière que la France retrouvera cohésion, stabilité et prospérité.

Crépol : l’éléphant dans la pièce

C’est une fable russe de 1814 qui a donné lieu à l’expression éponyme en anglais « The elephant in the room », pour désigner quelque chose d’énorme que tout le monde fait semblant de ne pas remarquer (1) car ce serait admettre quelque chose d’embarrassant, voire terrifiant.

L’attaque de jeunes gens par une bande armée de couteaux à Crépol, il y a dix jours, lors de laquelle un adolescent, Thomas, a été tué, est seulement le dernier évènement illustrant cette fable. Tout le monde peut voir de quoi il s’agit, mais beaucoup font semblant de croire qu’il s’agit juste d’un banal fait divers, comme il en a toujours existé et en existera toujours.

Eh bien, pas du tout.

Cette attaque sidère et révolte, plus encore que les attaques commises par des « déséquilibrés » comme il en a toujours existé (ce qui ne les empêche pas forcément d’être endoctrinés ou téléguidés), peu ou prou oubliés après les traditionnels peluches-bougies-marches blanches, à l’image des trois jeunes poignardés à Angers en juin 2022 par un Soudanais, de la petite Lola kidnappée, torturée et tuée par une Algérienne sous OQTF, des quatre enfants blessés à Annecy par un Syrien en situation irrégulière en France, etc.

 

Une icône attaquée

Plus encore parce que l’attaque à Crépol a touché une icône, que l’on croyait préservée, de la ruralité française, une fête de village joyeuse et tranquille. Un drame équivalent avait d’ailleurs failli se produire deux semaines auparavant dans un village du Lot et Garonne, Saint-Martin-Petit.

Elle est aussi, par son ampleur, un mort et dix-huit blessés, sans commune mesure avec les bastons de bals de jadis. Il s’agit bel et bien d’un meurtre en bande organisée, un des chefs d’inculpation des neufs suspects, mené par des jeunes voulant « planter du Blanc », d’après ce qu’ont entendu neuf témoins. Si les comparaisons de certains avec des razzias ou des pogroms sont très exagérées, l’aspect raciste de cette sorte de « ratonnade » (comme il n’en existe heureusement presque plus à l’encontre des Maghrébins depuis 1973) à l’envers, fait peu de doute.

Enfin, et sans doute surtout, parce que les réactions des proches des mis en cause à Romans-sur-Isère, sur les réseaux sociaux ou BFM, montrent un univers mental totalement étranger, pour ne pas dire antagoniste, à celui de la grande majorité, autochtones ou d’origine immigrée, de la population de ce pays.

Derrière les dénonciations convenues de la violence, leur première inquiétude n’est pas que les habitants de Crépol soient traumatisés, mais plutôt, « moi d’abord, » d’être eux même ostracisés (ben, quand des jeunes issus de votre quartier en tuent d’autres, c’est un peu logique d’être circonspect, voyez-vous). Ils jugeaient aussi « normal » que leurs amis fussent armés de couteau pour se défendre en cas d’embrouilles. Aucun ne semble ébaucher un début de questionnement sur leurs responsabilités, ou défaillances de parents, éducateurs, ou copains ; non, il n’est pas normal d’emmener au bal une lame de 25 cm. Tous adhèrent au récit selon lequel leurs camarades draguaient tranquillement des filles après avoir payé l’entrée de la fête, avant d’être agressés par des rugbymen jaloux (les participants à la fête évoquent plutôt l’attaque de vigiles voulant les refouler après avoir repéré des couteaux).

Cet esprit tribal instinctif, cette réalité psycho-sociale parallèle illustre bien les propos il y a cinq ans de l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, décédé samedi, trop peu écouté dans son propre camp, la gauche, selon lequel le vivre ensemble serait devenu « vivre côte à côte », avant peut-être demain de devenir « vivre face à face ». La simple coexistence, avant l’antagonisme, voire un jour l’affrontement.

 

La sécession à l’œuvre

Les agresseurs de Crépol font partie visiblement de cette jeunesse laissée à elle-même, pour qui la vie humaine ne vaut pas grand-chose, traînant dans ces quartiers où plus grand monde n’écoute les chibanis (les vieux sages en arabe dialectal algérien) mais qui ne sont pourtant pas si démunis que cela en équipements, ou dépenses de la politique de la Ville ; la maire de Romans-sur Isère a reconnu que sa ville avait bénéficié de 140 millions d’euros de l’État ces dernières années. Ils n’ont pratiquement pas d’autre horizon que leur bande, et le port d’un couteau leur paraît une condition sine qua non de virilité. Une contre-société avec ses codes sommaires, prévalence de la bande, territorialisation à l’extrême et mépris pour les « autochtones » et leurs institutions.

Quand des gens vous désignent comme des « eux », il vient fatalement un moment où il est difficile de les considérer comme des « nous ». Cette partition officieuse ne se cantonne d’ailleurs pas aux aspects sécuritaires. Dans le système éducatif, selon une étude récente, en ZEP, 79 % des élèves ne comprennent pas vraiment la langue française et 83 % ignorent les bases du calcul…

Ce n’est pourtant pas faute d’alertes sur la montée de cette « contre-société », depuis notamment la parution des Territoires perdus de la république (Emmanuel Brenner et al, 2004), ou Une France soumise (Georges Bensoussan, 2017), sans oublier L’étrange suicide de l’Europe (Douglas Murray, 2018).

 

Le déni et pas de vagues

Mais les pouvoirs publics, et certains médias « progressistes » continuent de récuser ce constat.

À l’image des dépêches d’agence évoquant d’abord une simple « rixe » à Crépol, mot évoquant un simple échange de coups de poing où les torts seraient partagés, ou du ministre de la Justice fustigeant « la récupération », forcément d’extrême droite, de ce « fait divers ».

Pour ne pas être accusé d’extrémisme, ou de récupération, il faudrait donc ne pas commenter ces évènements, ni chercher à en tirer les leçons, ce qui serait pourtant sain et humain ? Faire même semblant de croire qu’ils n’existent pas serait un plus…

Encore une fois, le déni, repousser la poussière sous le tapis et ne pas voir le fameux Élephant dans la pièce, déjà exprimé à maintes reprises par ministres, élus, associations et médias. Qui, il faut « tuer le messager », assimilent toute colère, ou exaspération après ce genre de drame, ou après des attaques habituelles de commissariat, émeutes & tirs de mortiers, à une tentative d’ostraciser l’ensemble de nos compatriotes musulmans, dont la majorité vit aussi mal que les autres l’existence de ces bandes.

"Ceux qui nous gouvernent savent tout, simplement ils voudraient que personne ne dise ce qu'ils savent pour perpétuer le temps d'un mandat l'illusion de l'unité nationale"

➡ C’est l’édito politique de @vtremolet sur #Europe1 pic.twitter.com/F3YF6g4v7n

— Europe 1 (@Europe1) November 27, 2023

Les exemples abondent, mais le plus ridicule est certainement celui du ministre de l’Intérieur prétendant que les bandes de « kaïras » du 9-3 venus dépouiller des supporters lors de la finale de la coupe d’Europe de football en mai 2022 étaient en fait des supporters anglais sans billets…

Sans oublier ceux qui dénoncent un deux poids deux mesures, à savoir que parler de Crépol sans évoquer l’attaque d’un immigré par un septuagénaire raciste dans le Val-de-Marne, reviendrait à repérer les attaques « d’un côté mais pas de l’autre ».

 

Port d’arme blanche : une interdiction fictive

Ce genre de drame interroge aussi sur le fonctionnement de la justice, sans doute tétanisée, comme d’autres, par le « pas de vague » en vigueur depuis sans doute les émeutes de 2005.

La faiblesse des peines prononcées, quelques mois avec sursis, et non exécutées en dessous de deux ans, pour des agressions pourtant souvent graves, a de quoi laisser perplexe, surtout quand on compare avec ce qui se pratique dans d’autres pays européens pour des crimes et délits équivalents. Les adversaires du tout carcéral font valoir, pas forcément à tort, qu’on entre en prison délinquant et qu’on en sort criminel, mais une stratégie « douce » à base de stage de réinsertion ou travaux d’intérêt collectif (qui font bien se marrer les prévenus) a surtout pour conséquence qu’elle persuade des névrosés du couteau qu’ils ne risquent strictement rien.

En fait, en théorie le port d’arme blanche « non justifié » (là est l’astuce) sur la voie publique est puni d’un an de prison ferme. Les racailles y regarderaient sans doute à deux fois avant de se promener armés s’ils savaient qu’ils feront un an de cabane au moindre contrôle policier. Sauf que, savez-vous combien de peines de prison ont été prononcées pour cela depuis dix ans ? À ma connaissance, zéro.

Au passage, combien de morts par arme blanche ? Eh bien, les données précises et fiables n’existent pas, à ma connaissance. Comme si on avait peur de savoir. Les statistiques sur les circonstances, âge des victimes et des prévenus, lieux et motifs des 900 meurtres commis chaque année en France sont détaillées, mais rien sur le type d’armes employées. Tout juste une enquête il y a quelques années établissait-elle que les deux tiers des agressions, suivies ou pas de décès, étaient à l’arme blanche.

Dans le même ordre d’idée, l’interdiction des statistiques ethniques empêche d’évaluer en France la sur-représentation, ou pas, des personnes d’origine étrangère parmi les criminels et délinquants. La Suède et la Finlande n’ont pas ces pudeurs, avec des résultats guère rassurants.

Un déni, une volonté de mettre ce qui dérange sous le tapis qui s’explique au demeurant assez logiquement, par la trouille et la vanité.

 

L’intégration ne va pas toujours de soi

La trouille (le déni est un puissant mécanisme de protection psychologique) de pressentir que tout cela pourrait mener un jour à la guerre civile (évoquée par Jean-Pierre Chevènement, que l’on peut difficilement soupçonner de tentation lepéniste, soulignant en 2019 que « toutes les guerres civiles débutent à bas bruit ») ; ou du moins à des affrontements récurrents qui obligeraient, par exemple, à la constitution de milices privées. Ce serait fun, des hommes armés de fusils fouillant les participants aux fêtes de village…

Et la vanité de croire que l’intégration d’immigrés se ferait naturellement, sans accompagnement spécifique, car cela aurait été condescendant, ou discriminant, du fait que notre société serait si cool et séduisante. Comment pouvoir détester un pays si riche en opportunités de job, de soins et d’éducation gratuits, ou d’allocations, qui avait d’ailleurs su absorber les innombrables vagues migratoires (européennes) jadis ? Les lobbyistes de l’immigration, dont des libéraux un peu candides sur les questions civilisationnelles, ont prétendu pendant quarante ans que, nonobstant des incidents isolés, tout se passerait bien.

En fait, pas vraiment.

Sauf à vivre barricadé dans le huitième arrondissement, la réalité paraît moins angélique. Qui n’a jamais vu quelqu’un se faire traiter de « sale Blanc » ? L’intelligentsia progressiste a, au passage, sa part de responsabilité, qui prétend, narcissisme de culpabilité, que « les Blancs sont le problème » et que les descendants de colonisés auraient au fond raison de nous détester, ou de vouloir prendre une revanche. À force, rien d’étonnant à ce que certains les aient cru.

La réalité est que l’intégration de l’immigration arabo-musulmane, irréprochable pour la majorité, n’a pas du tout marché pour une minorité non négligeable comme l’illustre le drame de Crépol. Certains font semblant de découvrir soudainement l’ensauvagement, selon les termes du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin (un autre titulaire du poste, Jean-Pierre Chevènement, avait évoqué dès 1999 les « sauvageons », terme toutefois moins riche en couteau, évoquant plutôt un arbre non greffé).

L’intégration, surtout en provenance d’un système juridico-politique, l’Islam, qui a une très forte identité et perception de sa singularité/mission d’expansion, ne fonctionne pas bien au-delà de certains effectifs. C’est au demeurant logique et renvoie aux dynamiques à l’œuvre quand une population A d’une certaine culture se mélange à une population B.

Quand, dans un pays, vous êtes ultra minoritaire, sur le plan culturel ou ethno-religieux, vous avez puissamment intérêt à vous fondre dans le moule. Pas forcément à adopter les mœurs locales, personne en France n’a jamais obligé quiconque à manger du saucisson, porter une jupe, ou accrocher un crucifix dans son logement, mais au moins vous avez intérêt à comprendre et accepter les mœurs du pays d’accueil (Montesquieu disait qu’un pays « est fait de ses coutumes bien plus que de ses lois ») et donc, dans l’espace public vous n’imposez pas vos normes, et ne cherchez pas à constituer un bloc politique de défiance, à la limite du sécessionniste. Au-delà d’une certaine proportion (10 % ?), au contraire, le communautarisme, bien au-delà du voile sur la voie publique, des demandes d’horaires de piscine spécifiques, ou du conducteur de bus qui refuse de répondre au salut des femmes, devient une option plus alléchante …

L’intégration a d’ailleurs tellement bien marché que les thuriféraires du vivre ensemble se gardent bien d’aller vivre, ou faire scolariser leurs enfants à Romans-sur-Isère…  Comme disait Péguy, en une variante de la fable russe, il faut un peu de courage pour « voir ce que l’on voit ».

(1) La fable d’Ivan Krylov raconte le périple d’un homme dans un musée qui s’attache aux détails sans remarquer à aucun moment l’éléphant présent à côté de lui.

Adoption de la vidéosurveillance algorithmique : un danger sur les libertés

Le 23 mars 2023, l’Assemblée nationale approuvait l’article 7 du projet de loi olympique, qui se fixait entre autres buts d’analyser les images captées par des caméras ou des drones, pour détecter automatiquement les faits et gestes potentiellement à risques.

Pour être plus précis, l’article adopté prévoyait « l’utilisation, à titre expérimental, de caméras dont les images seront analysées en temps réel par l’IA. Ces caméras pourront détecter, en direct, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler des actes de violence, des vols, mais aussi de surveiller des comportements susceptibles d’être qualifiés de terroristes. »

Un article extrêmement controversé.

 

De la vidéosurveillance algorithmique

Il existe de nombreuses solutions technologiques permettant d’analyser et d’exploiter les données vidéo pour des applications de sécurité, de surveillance et d’optimisation opérationnelle. La vidéosurveillance algorithmique (VSA) est ainsi conçue pour extraire des informations significatives à partir de grandes quantités de données vidéo.

Ces solutions offrent des fonctionnalités telles que : la recherche vidéo avancée, la détection d’événements, l’analyse des comportements, et d’autres outils permettant aux utilisateurs de tirer des insights exploitables à partir de leurs systèmes de vidéosurveillance…

Comme l’indique sur son site la Société BriefCam, évoquant l’une de ses solutions VSA :

« Vidéo synopsis » : « La fusion unique des solutions VIDEO SYNOPSIS® et Deep Learning permet un examen et une recherche rapides des vidéos, la reconnaissance des visages, l’alerte en temps réel et des aperçus vidéo quantitatifs. »

Dans le cadre des JO 2024, de nombreux groupes étaient alors dans l’attente de la promulgation de cette loi pour se positionner, des groupes connus comme Thales et Idemia, et d’autres moins connus, comme XXII, Neuroo, Datakalab, Two-I ou Evitech. Il ne faut pas oublier que dans la fuite en avant du capitalisme de la surveillance (de masse), outre la sécurité promise de façon récurrente, pour ne pas dire fantasmée, des lobbys font pression et il y a des enjeux financiers. En 2022 « l’État projetait ainsi d’investir près de 50 millions d’euros pour les caméras de vidéoprotection, ce qui correspond à 15 000 nouvelles caméras ». En mai 2023, l’appel d’offres était lancé  par le ministère de l’Intérieur.

 

La VSA, une technologie très controversée et des lois expérimentales ?

L’usage de la Vidéo Surveillance Algorithmique censée détecter automatiquement, via une intelligence artificielle, un comportement « dangereux ou suspect », a suscité la réaction de nombreux défenseurs des libertés publiques et d’experts en tout genre. Les arguments sont multiples :

  • La VSA n’est pas infaillible et peut commettre des erreurs liées à des biais algorithmiques.
  • Les agences gouvernementales qui déploient des systèmes de VSA peuvent tout à fait ne pas divulguer pleinement la manière dont les technologies sont utilisées.
  • Aux problèmes du manque de transparence (qu’est-ce qu’un comportement suspect ?), viennent s’ajouter des « difficultés » liées à la vie privée, la discrimination, la surveillance de masse et à d’autres implications éthiques…
  • Par-delà le cadre officiel supposé cadrer son usage (cf. La publication fin août 2023 au Journal officiel du décret fixant les conditions de mise en œuvre) cette expérimentation sera possible jusqu’en 2025.

 

La vidéosurveillance change de nature, franchit un nouveau cap attentatoire aux libertés publiques. Elle nie une fois de plus toutes les études démontrant qu’elle est une sécurité fantasmée qui a été vendue aux citoyens. Il ne faut pas perdre de vue que le capitalisme de la surveillance est avant tout un véritable business fondé sur la peur.

Combien de fois faudra-t-il répéter (réécrire) que c’est un misérable leurre ?

Même une étude commanditée par la gendarmerie nationale conclut « à un apport très marginal de la vidéosurveillance dans la résolution des enquêtes judiciaires, mais aussi dans la dissuasion ».

De telles études ne sont pas médiatisées : « There’s no business like fear business ».

Et c’est ainsi qu’une surveillance de masse de plus en plus inacceptable poursuit sereinement son chemin… offrant aux pouvoirs s’autoproclamant démocratiques des outils terrifiants s’ils sont un jour dévoyés.

Pour autant, le mercredi 12 avril 2023, le Sénat adoptait définitivement la « LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses diverses autres dispositions » !

Et le 24 mai 2023, par-delà les alertes de nombreux acteurs, comme la Quadrature du Net, et la saisie du Conseil constitutionnel par plus d’une soixantaine de députés, la vidéosurveillance intelligente aux JO était déclarée conforme à la Constitution. Cette validation figure désormais dans l’article 10 de la Loi relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024, autorisant à titre expérimental l’utilisation de la vidéosurveillance intelligente, notamment au moyen de drones. (cf. LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions)… : Chapitre III … (Articles 9 à 19) NDLA.

L’histoire de cette loi et de cet article très polémique n’est peut-être pas encore finie… En effet cette décision pourrait ne pas être en conformité avec le futur « Artificial Intelligence Act », en cours de discussion au Parlement européen.

 

Déploiement de systèmes de reconnaissance faciale depuis 2015 ? Vers un scandale d’État ?

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a annoncé le 15 novembre 2023 engager « une procédure de contrôle vis-à-vis du ministère de l’Intérieur suite à la publication d’une enquête journalistique informant d’une possible utilisation par la police nationale d’un logiciel de vidéosurveillance édité par Briefcam et de fonctionnalités de ses solutions strictement interdites sur le territoire français : la reconnaissance faciale ».

Le 20 novembre 2023, réagissant à la publication d’informations du site d’investigation Disclose qui  affirme s’être appuyée sur des documents internes de la police, a révélé – sans conditionnel – l’usage par ces derniers d’un système de vidéosurveillance dit « intelligent » répondant au nom de « vidéo synopsis » depuis… 2015.

Du côté de la place Beauvau, s’il n’y a pas eu de démenti formel, quelques jours plus tard, pour donner suite aux révélations de Disclose, le 20 novembre 2023 le ministre de l’Intérieur déclarait sur France 5 avoir lancé une enquête administrative. Ce dernier a par ailleurs déclaré à Ouest-France « qu’un rapport avait été réclamé aux directeurs de l’administration pour qu’on lui confirme l’absence de reconnaissance faciale couplée à la vidéoprotection.

Notons que si Gérald Darmanin a toujours prôné l’usage de systèmes VSA comme outil de surveillance… il a toujours affirmé être opposé à la reconnaissance faciale !

Il avait ainsi déclaré en 2022 devant le Sénat :

« Je ne suis pas pour la reconnaissance faciale, un outil qui relève d’un choix de société et qui comporte une part de risque » et d’ajouter : « car je crois que nous n’avons pas les moyens de garantir que cet outil ne sera pas utilisé contre les citoyens sous un autre régime ».

Après avoir voulu intégrer la VSA dans la loi Sécurité Globale, puis dans la LOPMI, sans y parvenir, les JO 2024 ont été un nouveau prétexte… Et le pouvoir en place est arrivé à ses fins. Sans revenir sur les éléments que j’ai pu évoquer, sur l’efficacité discutable d’une surveillance de masse qui ne cesse de s’accroître en changeant de nature avec l’arrivée du VSA, et qui, pour reprendre les propos du ministre, comprend également une part de risque pour les citoyens, il ne faudrait pas oublier que :

« La VSA et la reconnaissance faciale reposent sur les mêmes algorithmes d’analyse d’images et de surveillance biométrique. La seule différence est que la première isole et reconnaît des corps, des mouvements ou des objets, lorsque la seconde détecte un visage ».

Quant à la part de risque qu’évoque le ministre, si l’affaire soulevée par Disclose est avérée, usage de fonctionnalité prohibée par des serviteurs de l’État dont les valeurs sont de « faire preuve de loyauté envers les institutions républicaines et être garant de l’ordre et de la paix publics »… ?

 

Et si c’était vrai…

La situation du ministre de l’Intérieur est dans cette affaire pour le moins extrêmement délicate.

En tant que « premier flic de France » comme il aime à se définir, en reprenant – pour l’anecdote – Clemenceau – le Premier ministre de l’Intérieur à s’être qualifié ainsi – il serait pour le moins dérangeant, pour ne pas dire grave, que les affirmations de Disclose soient confirmées, et que ces faits se soient déroulés dans son dos. Cela acterait un dysfonctionnement majeur et inacceptable place Beauveau, puisque ne garantissant plus un fonctionnement démocratique dont il est le garant. Ce scénario serait grave, et il serait encore plus terrible que l’enquête démontre que le ministre, contrairement à ses allégations, en ait été informé.

À ce jour une enquête administrative, lancée par ce dernier est en cours.

Pour rappel, ce type d’enquête « vise à établir la matérialité de faits et de circonstances des signalements reçus et ainsi dresser un rapport d’enquête restituant les éléments matériels collectés auprès de l’ensemble des protagonistes. Sur la base de ces éléments, la collectivité décide des suites à donner au signalement ».

Dans le même temps, le groupe LFI a indiqué le 21 novembre être en train de saisir la justice au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale et a réclamé une commission d’enquête parlementaire sur le « scandale de la reconnaissance faciale » ! Enfin, La CNIL, autorité indépendante gardienne de la vie privée des Français, a annoncé le 22 novembre le lancement d’une procédure de contrôle visant le ministère de l’Intérieur.

Au milieu de cette effervescence et de cet émoi légitime, que cela soit le ministère de l’intérieur, une partie de l’opposition, la CNIL… chacun est dans son rôle !

La sagesse est donc de patienter. Toutefois, il me semble que la seule porte de sortie du ministère dans la tourmente soit que les faits reportés soient faux ou au moins pire, extrêmement marginaux. Il serait fâcheux pour notre démocratie et pour reprendre les propos du ministre que « cet outil (sa fonctionnalité de reconnaissance faciale) ait été utilisé contre les citoyens ».

Ce serait encore plus dramatique si la reconnaissance faciale avait été utilisée en connaissance et avec l’aval des plus hautes instances. Alors se poserait une effroyable question – pour reprendre à nouveau les propos du ministre de l’Intérieur –  « aurions-nous changé de régime ? ».

L’assimilation, ce concept antilibéral

Dans un article précédent, j’ai montré que l’immigration libre était un point du programme des libéraux français classiques, et que pour marcher dans leurs pas, il nous fallait penser les contours de cette politique, plutôt que la rejeter.

J’examinerai aujourd’hui le principe de l’assimilation, pour voir s’il peut être reconnu par le libéralisme.

 

Le droit d’être minoritaire

C’est un principe fondamental du libéralisme que le respect des opinions et des actions inoffensives des minorités, et de tout ce qui peut être défini comme la sphère propre de l’individu (Benjamin Constant, Œuvres complètes, t. IV, p. 643 ; t. XIII, p. 118). En d’autres termes, chaque individu a le droit d’avoir ses goûts, ses opinions ; on n’exige guère de lui que sa soumission aux lois, c’est-à-dire qu’il ne blesse pas la liberté égale de son voisin, et ne détruise pas ses propriétés.

D’ordinaire, l’individu qui est né sur le sol et qui acquiert la nationalité par la naissance n’est pas inquiété par les prétentions coercitives de quelconques majorités. L’opinion commune ne le contraint pas : il adopte les tenues vestimentaires qu’il a choisi ; il a ses opinions ; en bref, il mène sa vie selon son propre règlement.

Mais on voudrait que les immigrés, en tant que nouveaux venus, se conforment aux opinions majoritaires, ou couramment admises. D’abord, il faudrait pouvoir les définir, et d’ordinaire, on s’en garde bien. Mais sans doute la chose est assez claire : il faut pour eux s’habiller « comme tout le monde », penser « comme tout le monde », et en somme vivre la vie de tout le monde.

Ce projet a le grave défaut de s’opposer à la nature de l’homme. La nature a voulu l’inégalité : les individus naissent inégaux, leurs expériences de vie sont différentes, et les instruments par lesquels ils produisent leurs émotions et leurs idées, sont différents (Ch. Dunoyer, Nouveau traité, etc., 1830, t. I, p. 92-93). On n’est pas maître d’aimer la musique de la majorité, ou les plats dont se régale la majorité, par un simple acte de la volonté (G. de Molinari, Conversations sur le commerce des grains, 1855, p. 159 et suiv.). Tocqueville était convaincu de l’importance de la religion, mais il n’était pas libre de croire ce qu’il ne croyait pas.

Faire adopter des modes vestimentaires, des opinions et des modes de vie, se fait ou par la conviction, ou par la contrainte. Dans le cas de l’assimilation, on rejette d’avance la conviction, car ce serait admettre le droit d’être innocemment minoritaire, et c’est ce dont précisément on ne veut pas. Il faudra donc édicter et faire respecter certaines opinions, des manières de se vêtir, de vivre. Il y aura des sanctions pour ceux qui y contreviendront.

De ce point de vue, l’assimilation, si elle veut dire adopter certains modes de vie, n’est pas conforme aux principes du libéralisme, et elle prépare aux confins de la grande société une petite société qui est à l’opposée de son idéal.

 

Le paradoxe de l’enfant

L’immigrant, dira-t-on, est un nouveau venu : par conséquent, il n’a pas les mêmes droits, il ne mérite pas la même liberté. Il vient dans une société déjà formée, dont il doit respecter les susceptibilités. Il ne peut pas marcher à sa guise son propre chemin.

Cependant, tout nouvel enfant qui naît en France se présente aussi essentiellement comme un nouvel arrivant. Or qui dira qu’il a le devoir absolu de s’assimiler ? Au contraire, vous le verrez bientôt avoir ses opinions, ses goûts, ses penchants. De la société dont il a hérité, il fera, avec d’autres, ce qu’il voudra et ce qu’il pourra. Il renversera peut-être les opinions reçues, lancera de nouvelles modes dont les plus anciens s’offusqueront. Tout cela est dans l’ordre. Car chaque nouvelle génération remplace celle de ses parents et grands-parents, dans un grand-remplacement continuel qui est de l’essence des sociétés humaines.

Cette évolution naturelle est d’ailleurs la condition du progrès. Il ne faut pas en avoir peur. La prétention de fixer le cadre social des générations futures est au contraire profondément antilibérale, et rappelle les charges que Turgot lançait jadis contre les fondations pieuses prétendument immortelles (Article « Fondation » de l’Encyclopédie).

De ce point de vue encore, la prétention à l’assimilation ne paraît pas conforme aux principes du libéralisme.

 

L’assimilation vraie et fausse

À en croire les auteurs libéraux classiques, l’assimilation est de toute manière, dans notre pays, une véritable utopie. Sur un même sol, les Français se feront plutôt arabes que les Arabes ne se feront français ; laissés à leur propre impulsion, certains retourneront à la vie sauvage, plutôt que de pousser les populations indigènes à suivre leurs pratiques civilisées. (Édouard Laboulaye, Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 53 ; Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, 1874, p. 154)

La vraie assimilation se fait par la conviction, le libre débat, l’influence d’une culture supérieure qui produit des merveilles éclatantes et qu’on admire. Elle se fait aussi par la nature imitative de l’homme, par son goût pour la tranquillité, par son conservatisme. Enfin, elle procède des unions de l’amour.

L’assimilation légale, je ne vois pas qu’un libéral des temps passés l’eût vanté ni même surtout pratiqué. Au contraire, je les vois tous à l’envie se conduire dans tous les pays fidèles à leurs propres usages, avec un sans-gêne qui n’étonne pas encore à l’époque. Réfugié aux États-Unis, le physiocrate Dupont de Nemours, par exemple, n’a jamais pris la peine d’apprendre l’anglais, et il continuait à dater ses lettres selon le nouvel almanach de France (voir ses Lettres à Jefferson, et Dupont-De Staël Letters, 1968, p. 60). Il était venu sans passeport, avec des opinions monarchistes très célèbres, puisqu’il les avait répandues dans des livres et brochures pendant plus de quarante ans. Il a fondé en toute liberté une entreprise de poudre, c’est-à-dire d’explosifs, qui aujourd’hui emploie 34 000 personnes et produit un résultat net de quelques 6,5 milliards de dollars. Il a vécu là-bas paisiblement les dernières années de sa vie.

Pour définir une position libérale moderne sur la question de la liberté d’immigration, l’assimilation est donc une première chimère à écarter.

Bonus réparation vêtements : la bureaucratie française hors de contrôle

Il fût un temps, pas si éloigné, où les mamans avaient investi dans une aiguille et un rouleau de fil pour réparer un vêtement déchiré ou endommagé. Moi-même, je l’ai fait de nombreuses fois, même si j’étais loin du « meilleur ouvrier » de France.

Il fallait donc que notre administration s’en offusque et mette à la disposition des mamans et des papas français un de ces « miracles administratifs « dont elle seule a le secret.

Faire quelques kilomètres, en voiture bien évidemment, pour apporter un vêtement endommagé à réparer pour obtenir une réduction de : 7 euros pour faire repriser un trou, un accroc, une déchirure, 10 euros pour une doublure, 8 euros pour un zip, 6 euros dans le cas d’une couture défaite (8 euros si la couture est doublée).

Je vous épargnerai le « tarif applicable » pour d’autres « sauvetages » de chaussures et autres désagréments dans la vie d’un vêtement. Pour ce « délire », notre gouvernement se dit prêt à investir 150 millions d’euros dans la labellisation d’au moins 500 couturiers et cordonniers, ce qui fait en gros cinq par département.

Me concernant, le plus proche sera à une vingtaine de kilomètres que je devrai donc effectuer deux fois l’aller et retour, un pour apporter le vêtement et un pour le rechercher, soit 80 km au total !

L’indemnisation kilométrique de ma voiture étant fixée par l’état à 0,60 euro, mon petit gain d’une dizaine d’euros me coûtera réellement… 48 euros, sans compter les deux heures perdues. Cherchez l’erreur !

Mais ce délire ne s’arrêtera pas là, car pour notre administration, ce serait trop simple ! C’est compter sans les contraintes imposées au pauvre professionnel pour se faire, sans aucune garantie, rembourser la remise qu’il m’aura concédée. Ce que François Lenglet nomme « le Michel-Ange de la bureaucratie » qui en dénonce sur RTL& TF1 la folie de la taxation prévue pour financer ce « chef d’œuvre » : pas moins de 104 niveaux de taxes pour chaque type de vêtement défini au centième de centime d’euro, par exemple les bas pour homme seront taxés à 0,0231 euro.

Bonus réparation vêtements: "On n'a jamais vu un tel chef d'oeuvre de complexité. C'est le Michel-Ange de la bureaucratie. Les fonctionnaires créent des normes. Les normes créent des fonctionnaires. C'est ce qu'on appelle le mouvement perpétuel…"
Chronique à voir de F. Lenglet pic.twitter.com/4LhSnQEHRU

— Jean Louis (@JL7508) November 19, 2023

 

Cela me conforte dans mon combat pour une réduction drastique du nombre de fonctionnaires, soit proportionnellement quatre millions de plus qu’en Allemagne, selon une étude d’Alain Mathieu, mais surtout ceux affectés aux administrations.

Quand on arrive à ce niveau d’incompétence, c’est la théorie de Joseph Schumpeter sur la « destruction créative » qu’il faut appliquer à notre administration, soit en supprimer un grand nombre pour gagner en efficacité, en n’en conservant qu’un petit nombre.

Car le mal français réside bien dans cette démonstration : plus on augmente le nombre de fonctionnaires, plus ils nous pondent des « âneries »… et plus il faut de nouveaux fonctionnaires pour les gérer ! Le cycle infernal est ainsi enclenché sans aucune limite.

Mais le plus inquiétant dans cette farce, c’est que de nombreux Français vont approuver et, si aucune rupture dans cette dérive n’est envisagée, il est fort à parier que la prochaine proposition sera la création d’une subvention par mètre, voire centimètre, de papier toilette utilisé par personne au sein d’une même famille.

Réveille-toi, peuple français !

La mort de l’internet ouvert : comment l’IA redéfinit notre monde numérique

L’Internet est mort, tout du moins est-il en voie de disparition, pour le meilleur et pour le pire.

Il est établi que des États ont opté pour le Splinternet. Ils ont en effet décidé de formater des intranets nationaux qui « n’altèrent » pas la saine pensée de leurs compatriotes, à l’instar de l’Iran, de la Russie, de la Chine… Si vous ne concevez pas la chose, imaginez dès lors – pour les utilisateurs de ces pays – un Internet partitionné comme le serait un disque dur ; un « Internet » entre les mains de dirigeants qui donnent accès aux ressources qu’ils considèrent comme acceptables.

Il va de soi que, fût-ce dans ces pays, des solutions existent pour contourner les interdictions, à l’instar des VPN qui, pour faire très simple, confèrent à votre ordinateur une autre géolocalisation que celle qui vous est attribuée par votre pays d’appartenance, mais elles sont bien évidemment proscrites. Notons que dans certains pays, cette interdiction ne concerne pas certains profils. En Chine par exemple, « le gouvernement a décrit de manière explicite quels profils sont autorisés à utiliser ce genre de service et dans quel but. »

 

Mort ou seulement mort-vivant ?

L’Internet originel tel qu’il a été pensé n’est plus !

Pour autant, il semblerait (et j’utilise à escient le conditionnel) encore temps pour les usagers en ayant la possibilité de réagir de façon massive pour – s’ils le souhaitent – arrêter de se faire tracer et redevenir les maîtres de leur Internet « accessible », non pas un Internet paupérisé et façonné par leurs requêtes.

Je parle ici naturellement d’avoir à nouveau un accès libre, total, et sans la moindre « coercition » de la partie émergée d’Internet et de sa partie immergée, le Darknet*. L’accès à cet Internet demeure sur le papier possible. Pour ce faire, l’utilisation de VPN, l’utilisation de navigateur anonymisant comme TOR, sont des solutions pour surfer sans être tracé et assailli de publicités et de recommandations… Anonyme pour autant ? Rien n’est moins sûr, c’est un a priori. C’est vrai d’une certaine façon, oui, nous pouvons recouvrer la liberté de surfer sur Internet sans être exposé à des contenus systématiquement conformes à nos attentes. Mais c’est devenu une liberté qui a un prix, nous y reviendrons.

 

L’Internet originel n’est plus, mais à qui la faute ?

L’Internet tel qu’il a été pensé n’est plus !

La vaste porte-fenêtre originelle ouverte sur le monde s’est, au fil du temps, progressivement étiolée puis refermée, jusqu’à devenir pour les plus chanceux un œil de bœuf. Je ne parle pas naturellement des usagers dont l’Internet s’est presque transformé, comme j’ai pu l’évoquer, en un intranet, ou, tout du moins un ersatz d’Internet, cf. le Splinternet.

Au demeurant, si j’affirme que l’Internet originel n’est plus, c’est qu’il s’est progressivement effacé, puis a disparu au profit d’un InternetIA de plus en plus sophistiqué, qui participe au Splinternet à sa façon et de manière plus insidieuse. Dès qu’un usager commence des requêtes sur un moteur, l’utilisation de l’IA sous couvert d’améliorer l’expérience client – ce qui est un fait mercantile – n’a eu de cesse de l’enfermer dans son monde plutôt que de lui permettre de… s’ouvrir sur le monde !

Mais à qui en incombe véritablement la responsabilité ? Il est certes des acteurs qui sont plus responsables que les autres : les États, les marchands ; mais nous autres usagers ne sommes pas non plus innocents, petit à petit à grand renfort d’algorithmes de « client side scanning », etc. nous sommes passés de l’Internet à « l’InternetIA » !

 

Qu’est-ce que l’InternetIA ?

L’internetIA tel que je le conçois est un Internet étriqué, un Internet rabougri, mais conforme aux attentes de chacun, un Internet nous enfermant, si nous n’y prenons garde, dans nos convictions, nos croyances… L’InternetIA, c’est une personnalisation de l’expérience jusqu’à l’outrance.

Sont concernés : les moteurs de recherche traditionnels, les sites web, les applications et les plateformes en ligne qui utilisent des algorithmes pour personnaliser l’expérience utilisateur. Ces algorithmes peuvent être basés sur vos préférences, vos habitudes de navigation, vos historiques d’achat et d’autres données. L’IA aide à analyser ces données en temps réel et à recommander le contenu qui vous conviendra, qu’il soit informationnel ou marchand.

 

Échapper au traçage, possible, oui, mais…

Dès qu’un utilisateur ouvre un moteur de recherche, il sera, de façon de plus en plus affinée en fonction de ses recherches, confronté à des publicités ciblées, des recommandations de contenu, des optimisations de recherches (vous n’êtes pas sans savoir que les moteurs de recherche utilisent des algorithmes d’IA pour comprendre l’intention de recherche des utilisateurs et leur fournir des résultats de recherche plus pertinents et précis), de l’assistance virtuelle (les assistants virtuels basés sur l’IA, tels que Siri, Alexa et Google Assistant, personnaliseront leurs réponses et leurs recommandations en fonction des habitudes et des préférences de l’utilisateur).

Mais aussi du Machine Learning et Apprentissage Automatique permettant aux systèmes en ligne d’apprendre des comportements passés des utilisateurs, et de s’ajuster en conséquence pour fournir une expérience davantage personnalisée. Tout ça ? Oui et naturellement, je ne suis pas exhaustif, alors naturellement tous les prestataires vous diront que c’est avec l’acceptation de l’usager. Toutefois, cette acceptation n’est, d’une part, pas toujours transparente par-delà les lois ; d’autre part, pour avoir accès à tous les services des prestataires, les usagers en mesurent-ils les conséquences ?

Je ne le pense pas.

 

Le pire est déjà là, et depuis « longtemps »…. Refuser d’être tracé… c’est être suspect

Si l’on s’en réfère à l’expérience qu’a mené la sociologue Janet Vertesi, professeur de sociologie à l’université de Princeton, aux États-Unis en 2014, ne pas être tracé à un prix : celui de la suspicion.

Cette sociologue, enceinte, a en effet voulu échapper au traçage de ses données afin de ne pas être exposée au matraquage publicitaire. Elle a donc mené une sorte de double vie, n’achetant rien qui puisse l’identifier sur les sites s’y prêtant, allant jusqu’à supprimer des messages et bannir de ses contacts un proche qui la félicitait… Nous sommes alors en 2014, mais déjà, c’est une attitude étrange qui n’a pas échappé à l’IA… « Comptant acheter une poussette à 500 dollars en cartes-cadeaux, elles-mêmes achetées sur Amazon, la sociologue a vu la transaction refusée par le site Rite Aid, tenu de signaler les transactions excessives aux autorités », peut-on lire dans un article du journal Le Point. La future maman s’est retrouvée sous surveillance policière !

Aussi, en lisant cet article, faites comme bon vous semble. Sachez que dans ce monde de l’enfermement, si vous refusez d’être tracé, vous serez « possiblement » considéré comme suspect. L’internet est de fait non seulement mort, mais depuis longtemps bien enterré.

« Un homme pur doit être libre et suspect. » Jean Cocteau

*Le darknet est une partie émergée qui n’intègre pas le Darknet. Pour rappel, malgré son nom et l’image qu’en donnent régulièrement les médias, le darknet n’a originellement pas été pensé pour la délinquance, mais bien au contraire pour ceux ayant la nécessité – pour des raisons essentiellement politique –  d’avoir recours à tous les outils et services traditionnels du net (création de site, messagerie etc ) en étant parfaitement anonymes.

École : instruire et éduquer

Définir le contenu des programmes d’enseignement n’est pas simple. Il faut choisir et donc éliminer. Les priorités sont variables selon les milieux sociaux, les croyances idéologiques ou religieuses, les engagements politiques.

Mais le choix fondamental reste toujours le même.

Dans une démocratie, l’école doit-elle instruire ou éduquer ? En réalité, il faut nécessairement répondre : les deux, mon général. Tout est une question de nuances dans ce domaine.

 

Pas d’instruction sans éducation

Que l’on se situe au cours préparatoire ou à l’université, tout contenu d’enseignement comporte un aspect éducatif. Apprendre à lire ou à compter, c’est s’astreindre à des exercices répétitifs. Un enfant libre de ses choix abandonnerait vite. La discipline du groupe classe et la pression institutionnelle du système d’enseignement produisent un effet éducatif. La nécessité unanimement reconnue de savoir lire et compter dans les sociétés du XXIe siècle fait naître une adhésion de l’enfant, qui n’est pas naturelle, mais éducative.

Enseigner la philosophie, c’est davantage éduquer qu’instruire. Mais l’économie, le droit et tutti quanti ne peuvent s’enseigner sans la dimension éducative. Supposons, en droit, un revirement de jurisprudence important. En le commentant, faut-il s’arrêter à l’aspect purement juridique ou envisager également les implications sociales, politiques, philosophiques ? La réponse va de soi : il faut élargir la thématique, car le droit n’est pas une simple technique, mais comporte des choix sous-jacents.

 

Et la liberté éducative ?

La liberté éducative des parents n’est pas totale, puisque la société et sa structure politique, l’État, définissent les programmes d’enseignement. Mais l’extension indéfinie du domaine des programmes officiels et surtout les choix idéologiques qu’ils comportent peuvent aboutir à une élimination de facto de la liberté éducative.

Un seul exemple suffira. Un collectif d’associations a publié récemment en France un livre blanc pour « rendre effective » l’éducation à la sexualité « tout au long de la scolarité ». Des contenus précis sont suggérés : « l’histoire des acquis féministes, les avancées scientifiques révélées par des femmes, la littérature des femmes et personnes LGBTQIA+ ».

Une telle proposition comporte à l’évidence une orientation idéologique concernant le féminisme et le concept de genre. Il est clair qu’il n’appartient pas à l’État de faire des choix sur des sujets aussi controversés que le féminisme radical ou l’influence respective du genre, déterminé sociologiquement, et du sexe, déterminé biologiquement.

On rappellera une évidence souvent oubliée : la détermination génétique du sexe, à laquelle Homo sapiens ne peut échapper. Les mâles possèdent un chromosome sexuel X et un chromosome Y, alors que les femelles possèdent deux chromosomes X. La société peut certes influer sur les comportements masculin et féminin, mais aucun traitement hormonal, aucune opération chirurgicale ne modifiera le génome. Il faut donc apprendre aux enfants que nous sommes soit homme, soit femme.

 

L’éducation idéologique, rêve éternel

L’exemple précédent est intéressant, car il permet de comprendre que l’instruction doit précéder toute réflexion éducative. Il faut d’abord enseigner la réalité biologique et ensuite, mais seulement ensuite, réfléchir au concept sociologique de genre. Négliger la biologie, ou même nier son importance fondamentale revient à idéologiser l’enseignement. L’éducation devient alors ce qu’elle était dans l’URSS d’antan, et ce qu’elle est encore actuellement en Chine, Iran ou Arabie saoudite actuelles.

La frontière entre le patrimoine cognitif que l’humanité se transmet de génération en génération et les divagations idéologiques ou religieuses d’une époque est assez facile à tracer. Pour toute personne ayant conservé la largeur d’esprit nécessaire pour prétendre enseigner, aucune difficulté n’existe dans ce domaine. Mais certains de nos leaders associatifs et certains de nos politiciens se complaisent dans la surenchère idéologique, sans doute pour exister médiatiquement.

Les constructions idéologiques, de Platon à Marx, ont toujours suscité le prosélytisme éducatif. Ne leur accordons que notre sereine indifférence.

 

EELV contre la rénovation de l’École polytechnique : haro sur le progrès

Tout, absolument tout est bon pour protester en France. Même quand il s’agit de projets positifs. Ainsi, jeudi 9 novembre, une trentaine d’anciens élèves de la prestigieuse École polytechnique se sont réunis pour… manifester. Ils ont, à la manière des syndicalistes, déployé des banderoles et soulevé des pancartes pour s’opposer à la poursuite des travaux prévus pour la création d’un futur centre de conférence international, projet qu’ils jugent « pharaonique et inutile ». Ils ont bien sûr reçu le soutien de quelques élus Europe Ecologie Les Verts du Ve arrondissement parisien, l’école se trouvant au 5, rue Descartes.

Le site, aujourd’hui occupé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est devenu le QG de l’association des anciens élèves en 1976, après la délocalisation du campus à Saclay dans l’Essonne. Quelques élèves, une trentaine sur plusieurs centaines au fil des ans, ont donc décidé de manifester contre un projet financé sur fonds privés qui prévoit, oh malheur, la construction d’un amphithéâtre de 500 places. Pharaonique, c’est bien le terme… Les protestataires formulent d’autres reproches, arguant que la transformation du bâtiment irait à « contre-courant » des enjeux fixés par la ville de Paris dans le cadre de son Plan local d’urbanisme bioclimatique…

Tous ces arguments ne seraient-ils pas plutôt d’opportunité face à la crainte des anciens élèves et des élus de la gauche parisienne de voir le groupe LVMH et la famille Arnault présider à l’avenir de l’école ? Le front s’est en tout cas constitué, avec pour première ligne la présidente du groupe écologiste du Conseil de Paris, madame Fatoumata Kondé qui a déposé un vœu pour que l’adjoint à l’urbanisme Emmanuel Grégoire « prenne position sur le sujet ». Mais en France, il existe des procédures légales, et cet acte de mécénat proposé par Bernard Arnault en tant qu’ancien élève, et approuvé par la direction de l’école, a été concrétisé par la délivrance d’un permis de construire en 2019.

Les fouilles archéologiques ayant été achevées, le chantier est donc lancé.

Il n’y a ici d’ailleurs, à en juger par les déclarations constantes des mécènes confirmées par la direction de l’école, aucune velléité commerciale du groupe LVMH, puisque le lieu transformé servira de Centre de conférence international dans l’idée de faire rayonner l’excellence de la formation de Polytechnique, et par là même de la France, si la chose compte encore. Mieux encore, les installations deviendront la pleine propriété de l’École polytechnique, sans que l’État, et donc le contribuable, ne dépensent un euro pour cela. On se doute d’ailleurs bien que le bâtiment respectera scrupuleusement les normes les plus strictes en matière de respect de l’environnement…

Bref, voici une opération qui ne peut que bénéficier à Paris, à Polytechnique, mais aussi à la France. Qu’un centre d’activités moderne et restauré existe en plein cœur du Quartier Latin ne pourra qu’attirer les plus grands scientifiques, capitaines d’industrie, innovateurs et artistes. Le tout « gratuitement ». De quoi se plaignent donc les écologistes parisiens et les anciens élèves ? Leur déconnexion du monde actuel n’a d’égale que leur dogmatisme.

Antisémitisme : les masques tombent, et les œillères aussi

L’antisémitisme est en vogue cet automne. Suite à la guerre déclenchée le 7 octobre par l’attaque du Hamas, des croix gammées apparaissent sur des portes de logements et entreprises de Juifs dans divers pays occidentaux (en Orient il n’y en a presque plus). Des étudiants juifs sont menacés sur des campus américains où certains professeurs ont fait part de leur euphorie après l’attaque des djihadistes.

À Paris, New York, Berlin, ou Londres on arrache les affichettes d’enfants kidnappés par le Hamas. Des manifestations dénoncent Israël à Paris, ou Berlin aux cris de « Allah Akbar » en omettant soigneusement de critiquer les crimes du Hamas, et même d’appeler à la libération des otages.

L’Allemagne se réveille avec la gueule de bois. 3000 personnes ont manifesté dans les rues d’Essen, avec de nombreux drapeaux islamistes et en défendant le califat mondial. 1/2 pic.twitter.com/W51ubq4yWk

— Mathias Ulmann (@MathiasUlmann) November 4, 2023

 

À Sidney, un cortège a appelé à « égorger les Juifs ». Quant à la marche de dimanche à Paris contre l’antisémitisme, bien des acteurs politiques et cultuels ont refusé d’y participer au prix de positions ambiguës et alambiquées. À l’image du Conseil français du culte musulman refusant de s’y associer de peur sans doute d’être en porte-à-faux vis-à-vis de sa base, au prétexte qu’elle ne dénoncerait pas parallèlement… l’islamophobie.

 

Quatre vagues d’antisémitisme depuis 1945

Cet antisémitisme décomplexé s’étend aussi à certains dirigeants politiques un peu partout en Occident, même s’ils ont la prudence, ou l’habileté, de ne pas reprendre des slogans des années Trente, se contentant de refuser de qualifier de terroriste le Hamas, ou le renvoyant seulement dos à dos à Israël. C’est-à-dire mettant sur le même plan l’État hébreu et une organisation terroriste ayant exécuté de sang froid des femmes et des enfants, comme en attestent notamment les vidéos récupérées auprès des combattants du Hamas abattus, ou capturés, visionnées par l’auteur de ces lignes.

Un dos à dos auquel Israël, accusé d’être un État colonial (superficie, l’équivalent de la Bretagne) et réalisant un nettoyage ethnique (si c’était son objectif, vue la puissance de son aviation, il n’y aurait déjà plus âme qui vive à Gaza) est renvoyé par les gouvernements d’une soixantaine de pays du monde, qui représentent les deux tiers de l’humanité. Tandis qu’une trentaine de pays, presque tous d’Afrique du Nord et Proche-Orient, soutiennent carrément le Hamas. Lequel n’est condamné clairement que par les pays occidentaux, en sus de l’Inde et d’une huitaine de pays d’Afrique noire.

Il faudrait être d’une candeur féroce pour être surpris et croire que l’antisémitisme serait mort avec un certain Adolf H. dans un bunker berlinois en avril 1945. Ce jour-là n’a été détruit qu’un projet génocidaire mené par un État industriel. Pas l’antisémitisme, qui resurgit depuis par vagues, au gré des soubresauts du conflit israélo-palestinien, mais pas seulement.

Simon Epstein, historien spécialiste de la question, identifie quatre vagues d’antisémitisme en Occident depuis la Deuxième Guerre mondiale :

  1. Une, à l’instigation apparemment du KGB, en 1959, en Europe occidentale et États-Unis
  2. Une autre, déclenchée par la guerre du Kippour, de 1973 à 1982
  3. Une autre, en Allemagne, France et États-Unis, de 1989 aux accords d’Oslo de 1994
  4. Une dernière, à partir de l’intifada de 2000, qui ne s’est jamais vraiment terminée, et s’accentue encore depuis le 7 octobre

 

Un adulte sur quatre est antisémite

Ailleurs, cela n’a pas vraiment de sens de parler de vagues, pour la simple raison que l’antisémitisme y est stable à un niveau élevé, voire au taquet.

Selon un sondage de l’Antidefamation league mené en 2014 (depuis, plus rien…) dans 102 pays sur cinq continents, un adulte sur quatre dans le monde approuvait au moins six des onze opinions négatives sur les Juifs qui leur étaient proposées. Ce pourcentage ne dépassait pas 15 % en Amérique du Nord, ou en Océanie, mais montait à 24 % en Europe occidentale (17 % en France), comme en Amérique latine, 22 % en Asie (20 % en Chine et Inde… et 6 % au Vietnam), 23 % en Afrique subsaharienne, 34 % en Europe orientale (32 % en Russie) et… 74 % en Afrique du Nord et Moyen- Orient. Aucun pays musulman ne comptait un pourcentage d’antisémites inférieur à 75 %, avec des pointes fréquentes à 98 %, sauf… l’Iran à 60 % !

Ce qui n’a rien de très surprenant. Loin des caméras occidentales, les écoles de nombreux pays musulmans martèlent chez les enfants la détestation des Juifs en citant notamment un hadith (tradition orale de Mahomet et ses compagnons) appelant à les tuer (on peut interpréter différemment le Coran lui-même, aux versets exprimant une défiance certaine envers les Juifs, mais apparemment contradictoires sur la question, comme sur bien d’autres, ce qui explique que, heureusement, tous les musulmans pratiquants ne sont pas antisémites).

 

Antisioniste ou antisémite, beaucoup de ressemblances

Certes, en théorie, il existe une différence entre antisémitisme et antisionisme : on peut en effet juger illégitime l’existence même d’Israël (comme on a pu le faire pour de nombreux autres pays, URSS, RDA, Pakistan oriental, etc), sans détester pour autant les Juifs.

Des Juifs orthodoxes citent même un obscur passage des textes hébraïques proscrivant la création d’un État à Jérusalem.

En pratique, toutefois, la quasi-totalité des antisionistes sont antisémites sur les bords dès qu’on creuse un peu lors d’une conversation, ou comme l’illustre une expérience de pensée ; croyez-vous vraiment qu’une demi-douzaine d’États arabes auraient mené quatre guerres à Israël, et que des manifestations incandescentes dénonceraient ce pays 75 ans après sa naissance si les Israéliens étaient musulmans ?

Sans oublier que ceux qui fustigent Israël n’objectent pas aux différentes oppressions de peuples musulmans ailleurs, Ouïghours en Chine, Rohingyas en Birmanie, etc.

 

L’antisémitisme, principe géopolitique de nouveau structurant

Bref, l’antisémitisme semble être redevenu, pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale un principe géopolitique structurant à l’échelle planétaire.

Et cela risque de s’accentuer avec les victimes collatérales des opérations de l’armée israélienne face à un Hamas se servant des civils comme de boucliers humains. On voit monter partout une émotion (Israël est clairement en train de perdre la bataille des images, voire de l’opinion) poussant nombre de dirigeants à réclamer un cessez-le-feu, à l’image du président Macron, sans toutefois expliquer comment Israël pourrait alors détruire le Hamas. S’opposeraient-ils à toute riposte militaire si un groupe terroriste commettait en France l’équivalent de 70 Bataclan, qui correspond, en proportion de la population israélienne, au bilan de l’attaque du 7 octobre ?

De ce fait, se pose une question essentielle pour la paix civile en Occident : l’antisémitisme pourrait-il devenir incandescent au point d’y provoquer une vague d’affrontements, voire des sortes de pogroms dont les provocations devant les synagogues seraient le prélude ? Une partie des immigrés d’origine musulmane peuvent-ils tenter « d’importer » le conflit chez nous ?

Ce scénario n’est heureusement pas le plus probable, mais mérite d’être pris au sérieux. Le nombre d’incidents antisémites avait déjà augmenté de 40 % l’an dernier dans les pays (États-Unis, Royaume- Uni, France, Allemagne) où des enquêtes sérieuses sont menées. Ils représentent désormais la majorité des incidents à caractère racial ou religieux. Un essor, depuis des années, lié à celui de l’idéologie islamiste, c’est-à-dire de conquête du pouvoir au nom du Coran. S’il existe des islamistes non antisémites, ils ne se sont pas encore exprimés…

 

Un projet plus large de conquête de l’Occident

Cet antisémitisme sous-jacent à l’islamogauchisme a désormais largement supplanté celui, traditionnel, d’extrême droite, souligne Simon Epstein.

Il semble s’être instaurée une alliance de circonstance entre une partie de la gauche voyant en l’islamisme un facteur de destruction du capitalisme, ou adhérant à la vieille association Juifs = Argent (relire les pages antisémites de Karl Marx) et une partie des jeunes d’origine arabo-musulmane.

Mais les slogans et discours de beaucoup d’entre eux dépassent largement le conflit à Gaza, et s’inscrivent dans un projet plus global des islamistes, décrit en détail dès 2005 par un remarquable livre enquête du journaliste suisse Sylvain Besson La conquête de l’Occident, en commençant par l’Europe, considérée comme son « ventre mou ». Un projet qu’expliquent candidement nombre de jeunes islamistes en France, en Allemagne, au Royaume-Uni.

Des petits soldats biberonnés à la nécessité de prendre tout simplement le pouvoir dans les pays occidentaux au nom d’une sourate prédisant qu’un jour l’humanité entière sera musulmane. D’abord pacifiquement, via l’entrisme dans des associations travaillant à une société séparée ou « réorientée », des horaires de piscines aux codes vestimentaires, en passant par les menus à l’école, ou les programmes scolaires, etc.

Puis en misant sur la dynamique démographique pour devenir majoritaire et imposer la valise, la conversion, la dhimmitude ou le cercueil.

MusIim man in Germany:” when MusIims are in majority, we would take over Germany with force.
Sharia law will be instead of Germany laws.
When Germans stand against our sharia they will be attacked.
Christians and Jews have to pay Jizya,Hindus,Buddhists have to leave or be killed” pic.twitter.com/OiN19m6DYR

— Azzat Alsalem (@AzzatAlsaalem) November 4, 2023

 

Un projet auquel adhère une partie, certes minoritaire mais non négligeable de l’immigration d’origine arabo-musulmane. Une enquête de l’institut Pew Research montrait déjà il y a dix ans que parmi les jeunes musulmans d’origine immigrée, 15 à 40 % suivant les villes aux Pays-Bas, en Belgique, au Royaume Uni, en Allemagne, aux États-Unis, considéraient la religion comme au-dessus des lois de leur pays, adhéraient à un agenda islamiste radical, notamment d’une stricte ségrégation homme/femme, voire approuvaient l’exécution des apostats, ou les attentats suicide au nom du Coran.

Un projet formalisé clairement dans la charte des Frères Musulmans, ou par l’influent prédicateur Youssef al-Qaradawi :

Avec vos lois démocratiques nous vous coloniserons, avec nos lois coraniques nous vous dominerons.

Jusqu’à la doctrine d’Al Qaïda dans « Appel à la résistance islamique mondiale » diffusé sur Internet en 2004, d’un théoricien majeur du réseau djihadiste, quoique méconnu en Occident, Abou Musab Al-Suri. Ce dernier vantait la « stratégie des mille entailles » usant, exténuant, hébétant la société occidentale à coups d’attentats et provocations, et préconisait, selon le journaliste Éric Leser, de « viser les Juifs, les policiers, les militaires, les églises, les grands événements sportifs et culturels. Il faut dresser les populations contre les musulmans, et contraindre ainsi ces derniers à choisir un camp ».

Les masques des antisémites tombent donc depuis le 7 octobre, mais aussi, semble-t-il, les œillères de certains de ceux qui se réfugiaient dans le déni « roooh, ils ne sont pas plus de trois excités ».

Le déni, mécanisme classique de protection psychologique, dont on peut s’étonner qu’il fut encore si vigoureux après Mérah, Charlie, le Bataclan, les meurtres de profs, etc. Eh bien non, les antisémites et islamistes (à ne pas confondre avec les musulmans, les premiers mènent un combat politique de soumission et conquête, les seconds vivent généralement leur foi dans leur coin sans enquiquiner personne) sont bien plus que trois à vivre en Europe sans adhérer à son « socle civilisationnel », pas seulement en ce qui concerne les Juifs, mais aussi les femmes, la démocratie, le rapport à la religion, ou l’État de droit.

Avec 300 000 personnes selon la police, le cortège de soutien à la Palestine à Londres, sans aucun slogan contre le Hamas et à l’appel d’une organisation islamiste, samedi, était la troisième plus importante manifestation des vingt dernières années dans la capitale britannique.

 

La politique d’immigration en question d’un point de vue libéral

Ce qui pose forcément la question de la politique suivie depuis une quarantaine d’années en matière d’immigration. Soyons clair, à défaut d’être politiquement correct.

Cette politique a accueilli/suscité une immigration extra civilisationnelle d’ampleur, dont la majorité adhère, certes, à nos valeurs, mais en oubliant que l’Histoire est faite aussi par les minorités violentes et déterminées.

Combien de Russes en 1917 rêvaient de goulag et de bolchévisme ? Combien d’Allemands en 1934 voulaient vraiment une dictature génocidaire engagée dans un projet de conquête mondiale ? Était-il donc judicieux de faire venir tant de gens dont une partie (10 % ?) n’adhère pas du tout à notre socle civilisationnel, voire veut le supplanter ?

Cette politique d’immigration instaurée, malgré le désir de la majorité de la population selon les sondages (y compris de beaucoup d’immigrés intégrés qui craignent qu’à être trop nombreux à « monter dans l’autobus » ça puisse tourner mal), à grand renfort d’éléments de langage « chance pour la France », « la France est comme une mobylette, elle marche au mélange/multiculturalisme », avait pour carburant imprudent :

  • une demande du patronat (l’immigration comme armée de réserve de la main-d’œuvre, ceux qui viennent de pays où le salaire moyen est de 300 euros mettent du temps avant de tirer les salaires vers le haut, afin de pourvoir les boulots dévalorisants dont nos chères têtes blondes ne voulaient plus)
  • une demande de la gauche, expier la culpabilité post coloniale et « ah je ris de me voir si cosmopolite dans ce miroir », sans se demander au passage si on ne privait pas les pays d’origines de précieuses ressources humaines
  • une demande de retraités d’une population jeune et à forte natalité, ce qui risque un jour de faire cher la partie de scrabble.

 

Pour en comprendre les effets lire l’excellent livre Rue Jean Pierre Timbaud, de Géraldine Smith (2016) et La gauche et la préférence immigrée (2011) de Hervé Algalarrondo, journaliste de L’Obs, du temps où il ne mettait pas sur le même plan le Hamas et le (par ailleurs stupide et odieux) Likoud.

Il découlerait de tout cela qu’il serait judicieux de réduire l’immigration tout en travaillant vigoureusement, à l’école ou dans les prétoires, à assurer une reconquête de nos fondamentaux culturels.

Certes, il est embarrassant pour un libéral de critiquer le droit sous-jacent à l’immigration open bar, celui de tout individu à chercher une vie meilleure sous les cieux de son choix.

Mais c’est oublier deux choses.

La première, c’est qu’il ne faut pas oublier, disait Raymond Aron « que l’Histoire est tragique, et qu’il existe des conflits inexpiables », ainsi que des civilisations, fauves puissants dont on ignorerait à son détriment combien elles structurent profondément les relations entre les humains.

La seconde, c’est que le droit de propriété consubstantiel au libéralisme accorde à une communauté humaine, appelons là un pays, un droit de disposer d’un ensemble immatériel (droits, coutumes, institutions), et donc de désigner qui peut en profiter, ou pas. Sans sectarisme ni phobie. Ce n’est pas parce qu’on apprécie quelqu’un qu’on est pour autant obligé de prendre une colocation avec lui…

La culture en péril (12) – Redécouvrir la lecture à l’ère du numérique

Michel Desmurget est l’auteur notamment de La Fabrique du crétin digital, ouvrage sorti en 2019. Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, il s’appuie sur ses travaux, ainsi que sur de très nombreuses études approfondies qui ont été menées à travers le monde, pour mesurer l’impact de la lecture sur l’intelligence dès le plus jeune âge, et d’autres qualités humaines essentielles qu’elle permet de développer.

Le constat est sans appel : le poids écrasant du digital, dans ce qu’il a de moins reluisant, au détriment du plaisir de la lecture, qui tend beaucoup à disparaître, a des conséquences multiples sur nos enfants, et au-delà, sur l’ensemble des générations actuelles, en particulier les plus jeunes.

 

Ce qu’apporte la lecture

C’est un thème qui nous est cher et que nous avons eu l’occasion d’aborder à de nombreuses reprises, et pas seulement à travers cette série. La lecture apporte de multiples bénéfices, parfois majeurs (je pense en particulier à cette qualité fondamentale dont on parle beaucoup depuis quelques temps, mais qui est pour moi un sujet de préoccupation crucial depuis longtemps : l’empathie). Or, nous dit Michel Desmurget, le milieu familial – plus encore que l’école – joue un rôle essentiel dans la transmission du goût de la lecture plaisir (car c’est bien d’elle qu’il s’agit avant tout) chez l’enfant, et dont l’enjeu est très loin d’être négligeable.

 

Des centaines d’études montrent le bénéfice massif de cette pratique sur le langage, la culture générale, la créativité, l’attention, les capacités de rédaction, les facultés d’expression orale, la compréhension d’autrui et de soi-même, ou encore l’empathie, avec, in fine, un impact considérable sur la réussite scolaire et professionnelle. Aucun autre loisir n’offre un éventail de bienfaits aussi large. À travers la lecture, l’enfant nourrit les trois piliers fondamentaux de son humanité : aptitudes intellectuelles, compétences émotionnelles et habiletés sociales. La lecture est tout bonnement irremplaçable.

 

D’humanité il est en effet bien question. Car en ces temps particulièrement agités, où la violence aveugle règne parfois, il me semble que cette empathie sur laquelle j’insiste est le maillon altéré qui mène aux défaillances humaines et aux sauvageries que nous ne constatons que trop souvent. Qui rejoint cette ignorance qui semblait à juste titre préoccuper un certain Dominique Bernard qui en a été la victime indirecte. Sujet qui me préoccupe également depuis longtemps et que l’on aurait en effet tort de sous-estimer. Qui rejoint en ce sens cette autre préoccupation aux conséquences non moins négligeables et préoccupantes qu’est la bêtise, un sujet d’étude là encore primordial, et hélas presque inépuisable.

 

Un bien sombre constat

La première partie de l’ouvrage s’appuie sur de nombreuses études approfondies, dont l’auteur dresse un panorama assez détaillé, illustrant l’impact particulièrement préoccupant du recul de la lecture sur les performances scolaires.

Il montre que les mécanismes d’imprégnation liés aux habitudes familiales de lecture partagée, devant laisser place ensuite à une autonomie croissante, ont un impact majeur sur la maîtrise du langage et de l’orthographe, ainsi que sur la compréhension de l’écrit. Ce qui exerce en prime un effet primordial sur les performances scolaires, et donc sur la détermination du devenir de la plupart des individus.

De nombreuses statistiques émaillent l’ensemble, montrant notamment la prépondérance du recours aux écrans digitaux, omniprésents dans notre quotidien et nos vies. Rejoignant au passage un autre constat voisin établi par Olivier Babeau – d’ailleurs cité par l’auteur – au sujet de la tyrannie du divertissement. Or, remarque Michel Desmurget, il est à déplorer que ce soit parmi les étudiants d’aujourd’hui qui lisent très peu que l’on va recruter les professeurs de demain, censés donner le goût de la lecture à leurs élèves. Une sorte de cercle vicieux qui a, hélas, déjà commencé

 

Cela fait maintenant presque 15 ans que les systèmes éducatifs occidentaux ont vécu leur moment Spoutnik. Depuis, rien n’a changé. Entre déni et opérations de communication, l’action politique a ici expiré avant même d’être née. Les performances de nos gamins sont alarmantes, mais rien ne bouge. À défaut de veiller sur la construction de leur intelligence, on leur offre, pour maintenir l’illusion, des diplômes dépréciés. Pire, on cristallise le désastre dans une sorte de nasse inéluctable qui voit tout une génération de lecteurs défaillants devenir enseignants.

 

Parmi les statistiques les plus alarmantes, on trouve un chapitre assez complet relatif aux performances de plus en plus inquiétantes en matière de lecture et de compréhension simple d’un texte, tant en France qu’à l’étranger, notamment aux États-Unis. Situation préoccupante dont seuls semblent véritablement émerger la Chine et d’autres pays asiatiques (en particulier Singapour), très conscients quant à eux de la priorité à accorder à l’éducation, qui est à la base de tout. Et dont les défaillances, dont nous nous en tenons chez nous depuis trop longtemps au constat, nous mènent droit au désastre. Tandis que les pays asiatiques en question privilégient justement la lecture, l’exigence, la rigueur et l’autodiscipline, n’hésitant pas à l’inverse à restreindre l’usage des écrans numériques, à l’instar de ce que font d’ailleurs, nous le savons, les grands génies de cette industrie.

Ce n’est pas tout. Non seulement nos décideurs tardent à agir, mais à l’inverse de ce qu’il conviendrait d’entreprendre, nous nous sommes dirigés depuis de nombreuses années – sous l’effet d’une sorte de pessimisme ambiant – dans le sens de la simplification des programmes et des manuels scolaires, tout comme du langage et de l’expression. Michel Desmurget nous remémore au passage quelques exemples de livres pour la jeunesse (et pas uniquement) non seulement présentés dans des versions abrégées (qui se substituent parfois complètement à l’originale), mais – pire encore – parfois en partie réécrits, le passé simple étant par exemple remplacé par le présent de l’indicatif, les phrases raccourcies (quelquefois substantiellement), la richesse lexicale nettement amoindrie. Il remarque qu’il en va d’ailleurs de plus en plus de même dans les paroles des chansons ou dans les discours politiques, signe d’un appauvrissement généralisé du langage, avec toutes les conséquences que cela induit. Notamment, à l’issue de ce processus, en termes de compréhension « basique » des choses. Voilà où nous mènent, considère l’auteur, « les chantres de l’égalitarisme doctrinaire ».

 

La maîtrise de la lecture, une simple question de pratique

La deuxième partie du livre s’intéresse en particulier aux aspects physiologiques liés au fonctionnement du cerveau.

De fait, quoi qu’on veuille, des milliers d’heures d’instruction et de pratique sont nécessaires pour savoir vraiment lire (et comprendre), de sorte que cela devienne simple et quasi-naturel, selon les spécialistes. Autrement dit, l’apprentissage à l’école ne saurait suffire. C’est la lecture régulière, chez soi, qui permet de développer véritablement ses capacités, au premier rang desquelles la compréhension de ce qu’on lit, n’en déplaise là encore à ceux qui voudraient révolutionner la langue et l’orthographe dans l’espoir un peu vain de lutter contre les inégalités. Une lecture attentive de cette partie du livre leur serait utile, tant elle est susceptible de leur démontrer en quoi leur militantisme est irréaliste et inopérant, pour ne pas dire totalement contre-productif.

Au-delà de sa complexité, la langue française est bien faite, mieux que l’on peut éventuellement le penser spontanément. Les multiples exemples présentés par l’auteur mettent par exemple parfaitement en évidence le rôle joué par des lettres ou accents pouvant paraître inutiles à première vue (même si l’on pourra toujours évidemment sans doute trouver des exceptions), facilitant grandement, en définitive, la compréhension. Même si cela ne se fait en effet pas sans effort et sans une pratique régulière de la lecture. À l’instar de ce qui s’applique tout autant aux domaines du sport ou de la musique (enlèverait-on une corde au violon pour en simplifier la maîtrise, interroge l’auteur ?). Rien de « réactionnaire » dans ces observations, insiste-t-il, tout juste des éléments purement factuels et établis par la science.

Savoir lire ne se limite en revanche aucunement au simple déchiffrage. Or, il apparaît (et tout professeur peut le constater en pratique auprès de ses classes) qu’il y a souvent difficulté à comprendre qu’on ne comprend pas. Là encore, Michel Desmurget nous en donne des exemples très concrets. Le manque de repères, de lectures, de culture, ne permettent pas de comprendre bien des choses, même simples. Les malentendus sont fréquents en la matière.

À tout ceci vient se greffer l’illusion que le large accès à la connaissance via les moteurs de recherche permettrait de remplacer la connaissance. Il s’agit bien d’un leurre, que le docteur en neurosciences parvient à nous démontrer facilement à l’aide là encore de quelques exemples très parlants. Sans oublier la crédulité qui l’accompagne, et que seule une pratique régulière de la lecture et les mécanismes intellectuels qu’elle met en jeu permettent de débusquer. Il faut lire l’ouvrage pour s’en convaincre, ces quelques lignes ne pouvant entrer dans le détail de l’explication et des exemples illustratifs qui la nourrissent.

 

Un phénomène cumulatif

L’apprentissage est en effet un phénomène cumulatif, reposant sur une série de socles. Autrement dit, une série de repères issus de l’expérience de la lecture, et sans lesquels on ne parviendra pas à déchiffrer un problème nouveau.

C’est ce que Michel Desmurget montre dans la troisième partie du livre, en valorisant notamment le rôle de la lecture partagée. Tout en insistant bien sur le fait que cet apprentissage, puis cette pratique au quotidien de la lecture, ne valent que si elle se conçoit de manière ludique, comme un bon moment d’échange et de complicité, une forme de loisir en famille. Plus l’enfant éprouvera de plaisir, plus il progressera.

L’essentiel se trouve dans une phrase du professeur de psychologie Andrew Biemiller :

« On ne peut apprendre des mots qu’on ne rencontre pas ».

D’où l’importance capitale de parler beaucoup à ses enfants dès le plus jeune âge. Ce qui participe grandement à la construction de son cerveau, et donc de ses facultés. Ce que ne permettent pas de remplacer les écrans. D’autant plus que le moment-phare où la plasticité du cerveau est optimale est l’âge de 18-24 mois. C’est là que la variété des conversations intra-familiales va jouer le plus grand rôle. Sachant que les stimulations reçues la première année sont d’ores et déjà cruciales pour le déploiement des capacités langagières, même si le bébé ne parle pas encore.

La lecture partagée va alors jouer un grand rôle dans la richesse du vocabulaire, la qualité de l’attention, et les aptitudes socio-émotionnelles. Mais aussi sur la capacité à respecter les règles sociales communes, la politesse, le contrôle de l’impulsivité, l’apaisement et l’harmonie familiale. Sans oublier cette qualité fondamentale qu’est l’empathie.

C’est pourquoi, montre Michel Desmurget, l’école ne pourra pas grand-chose face au décalage considérable et qui va ne faire que s’accroître entre enfants venant de milieux où ils ont été stimulés et les autres. Le nombre de mots de vocabulaire acquis par les uns et les autres varie déjà du simple au double au moment de l’entrée à l’école à 3 ans. Et ne va faire que s’amplifier (« Le gouffre de 4200 mots qui, à 9 ans, sépare les enfants les plus favorisés de leurs homologues les moins privilégiés représente douze ans d’enseignement intensif »).

D’autant plus que « plus on sait, plus on apprend » (y compris en faisant appel à des analogies). Le système éducatif français n’est d’ailleurs pas, rappelle l’auteur, celui qui est connu pour contrebalancer le mieux les inégalités sociales, malgré toutes les prétentions de ceux qui entendent y contribuer via les orientations qu’ils promeuvent.

 

Un monde sans livres

C’est le titre de la quatrième partie, dans laquelle Michel Desmurget commence par consacrer tout un chapitre à ce que l’humanité doit aux livres, permettant de bien réaliser à quel point leurs apports ont été et continuent d’être majeurs, avant de montrer le potentiel unique du livre. C’est bien justement en raison de ce potentiel qu’ont lieu les autodafés. Provoquer l’amnésie historique et l’appauvrissement du langage, afin de mieux contrôler les individus et les sociétés est l’un des moyens courants utilisés par les régimes totalitaires, qui cherchent à rendre le peuple plus malléable, par le recours à des mots, des concepts et des raisonnements simples.

La cinquième et dernière partie, enfin, revient en détail sur les multiples bénéfices de la lecture en ce qui concerne la construction de la pensée, la maîtrise du langage et les aspects fondamentaux de notre fonctionnement socio-émotionnel. L’auteur montre, entre autres, que les adeptes de la réécriture des livres et de l’expiation sans limites de tout ce qui est susceptible de froisser les uns ou les autres est non seulement une absurdité qui risque d’aboutir à brûler une grande partie des livres, mais il s’agit en outre de quelque chose de contre-productif, dans la mesure où c’est à travers tous les ouvrages, y compris ceux qui peuvent déranger, que l’enfant peut fourbir les armes qui lui permettront plus tard d’identifier et affronter l’odieux.

Une étude menée auprès d’une large population d’étudiants a d’ailleurs montré, ajoute-t-il, « que la lecture d’un plus grand nombre d’ouvrages de fiction était associée à une diminution des stéréotypes de genre et à une représentation plus égalitaire des rôles sexués ». En convergence avec une autre recherche relative aux attitudes discriminatoires envers les minorités. Car ce sont bien les valeurs de tolérance, écrit-il, qui se développent, ainsi que l’ont montré de nombreux auteurs, par la diversité des contrastes et des écrits.

Deux méta-analyses ont aussi montré, sur la période 1980-2010, une nette augmentation du narcissisme et de l’auto-suffisance des populations étudiantes, accompagnée d’un déclin conjoint de l’empathie. Même si le recul de la lecture n’est pas seul en cause dans ces évolutions.

Donc, rien de plus utile, pour contrecarrer toutes ces tendances que d’encourager la lecture dès le plus jeune âge comme mode émancipateur et formateur, à même d’aider les individus à se construire et nous aider à vivre dans une société davantage propice à l’harmonie et aux libertés. Les parents ont ici un rôle accompagnateur à jouer. Un jeu qui en vaut la chandelle quand on connaît les bénéfices incomparables que l’on retire de la lecture plaisir à raison d’une toute petite demi-heure par jour simplement ! À comparer au nombre d’heures journalier consacré à leur concurrent directement responsable du très vif recul de la lecture : les écrans récréatifs…

 

Michel Desmurget, Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Seuil, septembre 2023, 416 pages.

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À lire aussi :

Faut-il voir les images de l’attaque terroriste du Hamas ?

On lit des journalistes qui, l’air sérieux et pénétré, expliquent qu’ils ont vu les ‘vraies images’ de l’attaque par le Hamas le 7 octobre mais qu’elles sont ‘trop horribles’ pour les partager avec les gens ordinaires (vous et moi).

L’époque où l’on nous disait ce qu’on ‘peut’ voir ou pas est révolue. À l’heure des réseaux sociaux, il ne revient à personne de déterminer ce qui est visible et ce qui ne l’est pas. La couverture catastrophique des premiers jours du conflit — avec le désormais fameux ‘bombardement d’un hôpital par Israël, 500 morts’ — nous rappelle que celui qui veut réellement s’informer, ne peut pas se cantonner à la presse traditionnelle.

La question que je voudrais traiter ici est autre : ces images, auxquelles nous avons en effet accès, faut-il les regarder ? À partir de quel moment la contemplation de ces images et vidéos quitte-t-elle le champ de la connaissance pour gagner celui du voyeurisme ? Et comment qualifier ce voyeurisme ?

Dès le 8 octobre, lendemain de l’attaque massive des civils israéliens par les hordes bestiales du Hamas, des images ont commencé à circuler. Ces images, je les ai vues. J’ai vu des hommes, des femmes, des enfants tués à bout portant ; des cadavres calcinés de femmes et de bébés, du sang, partout du sang. Et, en bande son, souvent les rires des animaux du Hamas en train de perpétrer leur pogrom.

Je ne crois pas qu’il m’aurait été possible de comprendre en profondeur, instantanément, le caractère de pogrom de ces événements, sans visionner ces images hideuses et répugnantes. Même si elles resteront durablement marquées dans mon esprit, je n’ai donc aucun regret de les avoir confrontées.

Toutefois, dans les jours suivants et jusqu’au moment de rédiger ces lignes, ces images ont continué de se multiplier. Récemment, un excellent ami, sénateur par ailleurs, me conseillait une nouvelle chaîne Telegram dédiées aux images et vidéos des atrocités du Hamas.

Eh bien, cette chaîne, je n’y mettrai pas les yeux. Je n’ai pas besoin de voir dix femmes brûlées quand j’en ai vu une ; la contemplation du cadavre calciné de dix enfants ne me fera pas mieux comprendre le pogrom que le visionnage d’un seul de ces malheureux petits cadavres ensanglantés. Et je ne parle même pas des images de viol qui, au train où vont les choses, ne manqueront pas tôt ou tard de faire surface.

Car, il me semble qu’il existe une frontière, certes ténue, certes fragile, certes délicate, entre la volonté de connaître et le plaisir de voir. J’observe autour de moi le développement d’une véritable pornographie de l’horreur, c’est-à-dire des gens au demeurant sains d’esprit — me semble-t-il — qui passent leurs journées, tout du moins une fraction de chaque jour qui passe depuis le 7 octobre, à contempler, et regarder plusieurs fois d’affilée, les mêmes images de meurtres, cadavres, femmes brûlées, etc.

Il est implaidable que cette délectation dans la contemplation de la souffrance ait encore quelque rapport avec le désir de connaître — et faire connaître — les crimes du Hamas.

Pour moi, cette concupiscence, ce voyeurisme de l’horreur sont profondément abjects, et malsains.

Quand j’étais adolescent, j’ai vu se développer une nouvelle génération de films ‘gore’ réalistes. Pas les grosses rigolades avec des litres de sang à chaque scène. Non, le gore réaliste, c’est-à-dire la mise en scène soignée de la torture, du viol et du meurtre d’êtres humains, dans les conditions les plus réalistes possibles.

Ces films m’ont immédiatement inspiré une forme profonde et comme métaphysique de dégoût. Ce n’est pas la souffrance en tant que telle qui m’inspire ce dégoût, que le plaisir évident de ceux qui contemplent cette souffrance en tant que souffrance.

J’y vois une forme pure de sadisme. Oh, certes, pas du sadisme direct, comme les malades mentaux mis en scène par le marquis de Sade. Du sadisme par procuration, par personne interposée ; lâche et sordide. Un sadisme par procuration qui me paraît une forme de pornographie infiniment plus sordide et vile que ne le sera jamais la pornographie sexuelle, plutôt gentillette par comparaison.

En conclusion, réjouissons-nous de notre accès direct aux images.

Mais refusons avec énergie et détermination la pornographie de l’horreur.

Islam et République : une cohabitation impossible ?

 

Les événements qui se produisent actuellement en Israël ont une forte répercussion sur notre société. Les Français redoutent que de tels actes puissent se produire dans notre pays. Il y a eu les attentats contre Charlie Hebdo, ceux du Bataclan, de l’Hypercacher de la porte de Vincennes, l’assassinat du père Hamel, la décapitation de Samuel Paty, et, récemment, à Arras, un professeur tué d’un coup de couteau, sans compter les troubles apportés chaque jour au fonctionnement de notre environnement (repas halal, jeûne du ramadan, incidents multiples lors de consultations médicales, port de l’abaya à l’école, etc.). Aujourd’hui, on voit bien que notre pays a maille à partir avec l’islam.

 

Une société française fracturée

Depuis la fin de la période coloniale, de très nombreux migrants, musulmans en très grande majorité, en provenance de nos anciennes colonies, viennent s’installer en France. Relevant de la civilisation islamique, une civilisation avec laquelle nous sommes en conflit depuis des siècles, ils ne s’assimilent pas. Au mieux, ils s’intègrent, mais beaucoup ne font que s’inclure, conservent leur identité et les mœurs de leur pays d’origine. Ainsi la société française se transforme.

Dans L’archipel français Jérôme Fourquet écrit :

En quelques décennies tout a changé : depuis 50 ans les principaux ciments qui assuraient la cohésion de la société française se sont désintégrés.

Il explique que le soubassement philosophique constitué par le christianisme s’est effondré, et que le pays est, désormais, « un archipel constitué de groupes ayant leur propre mode de vie, leurs propres mœurs, et leur propre vision du monde ».

La société française est donc devenue hétérogène.

Dans une interview donnée à l’hebdomadaire L’Express, le 18 octobre 2020, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, lauréat du grand prix de l’Académie française, révèle à propos de l’islam :

La France ne comprend toujours pas ce à quoi elle est confrontée.

Il faut bien comprendre que l’islam est une idéologie conquérante, avec ses propres lois inscrites dans le Coran. Dans le livre saint de l’islam, Dieu les incite les musulmans à combattre afin que l’humanité tout entière soit soumise à ses lois qu’il a dictées au Prophète Mahomet, au VIIe siècle, à Médine.

 

La réalité de l’islam politique dans les pays musulmans

Les pays musulmans fonctionnent donc selon ces règles, en les appliquant plus ou moins sévèrement, selon les cas.

Ainsi, en Afghanistan, à Kaboul, le ministère de la Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice vient d’interdire aux femmes l’accès aux gymnases, et aux parcs et jardins de la ville. Entrés le 15 août 2021 dans la capitale, suite au départ précipité des Américains, les talibans ont complètement pris le contrôle du pays. Isabelle Labeyrie, de France Info, encore sur place à cette époque, révélait : « Depuis lundi ils annoncent la stricte application de la charia ».

Dans un rapport récent, Amnesty International alerte :

« Depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays, la vie des femmes et des filles d’Afghanistan est ravagée par la campagne répressive qu’ils mènent contre leurs droits fondamentaux : ils ont violé les droits des femmes à l’éducation, au travail, et à la liberté de mouvement ».

L’islam se révèle là sous un jour qu’en tant qu’observateurs occidentaux nous considérons comme archaïque et totalement anachronique.

En Indonésie, le plus grand pays musulman, un pays traditionnellement modéré, on assiste maintenant à une montée de l’islam radical. L’idéologie islamiste y fait son chemin. Depuis début 2000 la province d’Aceh vit sous le régime de la charia. En 2022, le pays est passé de la 47e place à la 28e à l’index mondial de la persécution des chrétiens.

En Arabie Saoudite, la monarchie s’est dotée en 1992 d’une Loi fondamentale équivalente à une Constitution, qui repose sur la charia. Ce pays est l’un des plus marqués par la loi islamique : le vol, l’homicide, l’adultère, la sodomie, l’homosexualité, l’apostasie… sont passibles de la peine de mort. Fort heureusement, le jeune prince héritier Mohammed ben Salman le modernise. Il s’est lancé dans des réformes économiques et sociales, et vient d’autoriser les Saoudiennes à conduire.

En Iran, pays devenu en 1979 une République islamique chiite dirigée par un Guide Suprême, la loi islamique est appliquée avec rigueur. Les femmes se sont révoltées à la suite du décès de Mahsa Amini, réclament le droit de pouvoir oter leur hidjab ; dans les rues, les jeunes font sauter leur turban aux dignitaires religieux. Une ONG basée à Oslo, Iran Human Rights, révèle qu’au moins 326 manifestants ont été tués depuis septembre 2022, les autorités iraniennes réagissant avec une grande violence.

L’Algérie a elle aussi connu la montée des islamistes : l’armée a toutefois fini par avoir le dessus sur le GIA, mais on estime qu’il y a eu au moins 150 000 morts et de nombreux disparus.

 

Le réveil d’un islam conquérant ?

Après s’être assoupi pendant des siècles, l’islam s’est donc bien réveillé au cours du XXe siècle.

En 1928, Hassan el-Banna, le fondateur de la confrérie des Frères Musulmans engagea les musulmans à s’appuyer sur le Coran pour lutter mondialement contre la domination des pays occidentaux, à commencer par celle des Anglais en Égypte ; Sayyid Qutb, à la tête de la Section de la propagande, lança une campagne virulente contre les Occidentaux et leur civilisation, dissuadant les musulmans de tous les pays d’y adhérer au prétexte qu’il s’agit d’une civilisation diabolique, matérialiste, et sans dieu (la jâhilîya), un piège dans lequel ils ne doivent surtout pas tomber. Ce mouvement de révolte s’est peu à peu étendu à tous les pays musulmans qui avaient été colonisés par des puissances européennes.

Par exemple, en 1936 en Algérie, le cheikh Abdelhamid Ben Badis créa l’association des oulémas algériens, avec pour slogan « l’Algérie est mon pays, l’islam ma religion, et l’arabe ma langue », les oulémas étant des dignitaires religieux très respectables : ce fut le début des luttes pour l’indépendance.

Boualem Sansal nous met en garde, sans mâcher ses mots.

Dans L’Express du 18 août 2022, il nous avertit : « Si je devais choisir un seul mot pour dire le mal de notre temps, je dirais : islam ».

En octobre 2021, dans Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la Terre adressée au Secrétaire général de l’ONU, il écrit que l’humanité doit sortir de l’âge des dieux pour entrer dans celui des hommes : « Il est temps de choisir la vie ».

 

Un islam de france introuvable ?

Alors, que constatons-nous en France, un pays où l’islam progresse à vive allure ?

En 1962, le général de Gaulle avait eu la sagesse de permettre aux Algériens d’accéder à l’indépendance. Ce vaste territoire musulman dont la France avait entrepris de faire une terre française s’était finalement révolté contre la puissance coloniale qui le dominait depuis plus d’un siècle, et une guerre de plus de cinq ans avait éclaté. Dans C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte rapporte que le général lui avait confié qu’il ne souhaitait pas que « Colombey-les-Deux Églises devienne Colombey-les-Deux- Mosquées ».

Mais, après son départ, en 1969, ses successeurs ont pris une orientation diamétralement opposée en ouvrant la porte à l’islam. Comment s’y sont-ils pris ?

Première phase : pour rassurer la population, ils se sont attachés à présenter l’islam comme une religion de paix, nul besoin de s’inquiéter.

En octobre 2013, Marc Ayrault, Premier ministre, en visite à la mosquée de Paris, déclara à l’occasion de l’Aïd : « L’islam de paix et de concorde est partie prenante de notre pays et ses valeurs qui le fondent ». Et sans oublier Jack Lang proclamant avec fougue : « L’islam est une religion de paix et de lumière ».

Puis, ce discours lénifiant n’étant plus crédible avec la multiplication des attentats perpétrés au nom d’Allah, en particulier celui du Bataclan en novembre 2015, (130 morts et plus de 400 blessés), nos dirigeants se virent contraints de changer de discours.

Deuxième phase : nos dirigeants entreprirent de faire de la théologie, expliquant que ces attentats étaient le fait de personnes déformant l’islam. Ils développèrent la thèse selon laquelle l’islamisme n’est pas l’islam, « il est un dévoiement fait par des individus qui veulent mener un combat politique contre notre pays ». On mit donc au ban de la nation les salafistes, c’est-à-dire les musulmans pratiquant un islam radical. Or, dans l’islam on dénomme salafs les premiers compagnons du Prophète.

Enfin, une troisième phase : nos dirigeants finirent par admettre qu’effectivement, l’islam pose bien des problèmes à notre société, et ont indiqué qu’ils allaient s’employer à favoriser un islam de France, c’est-à-dire compatible avec nos valeurs et nos principes démocratiques. C’était donc reconnaître, enfin, mais sans le dire, que les discours tenus précédemment étaient rien moins que trompeurs.

Nous en sommes donc là. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’est attelé à la tâche.

En mars 2023, après avoir été désavoué par le président de la République, le CFCM voulant poursuivre sa mission, se donne de nouveaux statuts accordant plus de poids aux « structures départementales. »

L’islam de France reste à inventer.

Ce que l’on constate, c’est que l’islam et la civilisation islamique pénètrent notre société. Dans Le Frérisme et ses réseaux, l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler dévoile le travail souterrain fait en Europe par les réseaux des Frères Musulmans.

C’est ainsi qu’en 2021, le Conseil de l’Europe a financé une campagne en faveur du hijab. Il est difficile de s’opposer à la pénétration de l’islam dans notre société en raison de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe, qui a pour mission de faire respecter cette charte interdit d’appliquer une politique traditionnelle d’assimilation qui violerait les droits de l’Homme.

 

L’impossible assimilation ?

En effet, s’assimiler à notre société fondée sur le judéo-christianisme signifie changer d’identité. C’est d’autant plus difficile pour les musulmans car ils se trouvent renforcés, dans l’image qu’ils se font de leur identité, par les succès qu’ils ont remporté à la fin du siècle dernier sur les puissances coloniales qui les dominaient, dont évidemment la France, qui les accueille aujourd’hui.

En septembre 2020, un sondage IFOP indiquait ainsi que 57 % des jeunes musulmans français considèrent la charia supérieure aux lois de la république, soit 10 points de plus que dans le précédent sondage.

Nous avons donc bien affaire, à présent, à deux civilisations qui s’affrontent.

Dans Race et histoire, le grand anthropologue Claude Levi-Strauss explique que lorsque deux civilisations en viennent à se trouver en concurrence sur un même territoire, émerge un conflit qui aboutit à deux éventualités : soit désorganisation et effondrement du pattern de l’une des deux civilisations ; soit apparition d’une synthèse originale qui, alors, consiste en l’émergence d’un troisième pattern, lequel devient irréductible par rapport aux deux autres.

La première hypothèse étant à rejeter, on en déduit que va s’opérer, progressivement et insidieusement, une lente mutation de notre civilisation, ce que Claude Lévi-Strauss a appelé « un nouveau pattern irréductible par rapport aux deux autres ».

C’est ainsi que meurent les civilisations.

Islam et immigration : un reniement libéral ?

Pour lire un point de vue différent sur la question, lire l’article d’Yves Montenay : Islam et République : une cohabitation impossible ?

Les libéraux défendent la liberté, et ne devraient donc pas vouloir limiter l’immigration. Or, ce n’est pas ce qu’on observe dans la presse ou au Parlement : la crainte des conflits communautaires et du terrorisme passe avant ce principe fondateur.

La question est plus que jamais d’actualité, d’une part à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration, d’autre part du fait de conflits communautaires, le plus récent et le plus aigu étant celui de Gaza.

Pourquoi cette contradiction ?

 

Le cas des musulmans

Je serai direct : une des contradictions entre les principes et l’attitude de nombreux libéraux en pratique est la crainte d’une forte immigration musulmane, surtout si elle est arabe ou subsaharienne, immigration qui pourrait implanter en France des valeurs non libérales, notamment en arguant que « les lois de Dieu sont supérieures aux lois françaises ».

Or, contrairement à une idée répandue aussi bien chez les musulmans que les non musulmans, il est du devoir de tout musulman de respecter les lois locales. Mahomet, qui, dans la version officielle de l’islam, était un chef de guerre et un chef d’État n’aurait pas plaisanté avec ça.

Cette obligation de respecter les lois locales est régulièrement rappelée par les lettrés, notamment à l’occasion de la consultation demandée par Nicolas Sarkozy à un dirigeant de l’université El Azhar du Caire : un musulman mécontent des lois locales doit les respecter ou émigrer vers un pays lui convenant mieux. Ce n’est bien sûr pas ce qui est prêché dans certaines mosquées, et on voit là un premier problème de notre fonctionnement démocratique…

J’en profite pour rappeler que les musulmans sont plutôt économiquement libéraux, Mahomet ayant également été un commerçant.

Cette attitude des croyants ne doit pas être confondue avec celle des autocrates qui les dirigent souvent, et qui ont tendance à abuser de leur pouvoir pour régir l’économie, avec souvent un vague marxisme comme caution intellectuelle.

C’est d’une part l’air du temps et résulte d’autre part de l’influence de pays alliés, ou de ceux où leurs dirigeants ont fait leurs études, c’est-à-dire souvent l’URSS pour les générations précédentes, la Chine prenant aujourd’hui le relais.

Ajoutons qu’une partie des universités occidentales diffuse les mêmes erreurs.

 

Le rejet de l’immigration par tous, libéraux compris

Le primat de la liberté individuelle devrait mener les libéraux, et notamment le parti Les Républicains supposé incarner les idées libérales, à une grande ouverture à l’immigration.

Or ce n’est pas le cas. En particulier Les Républicains rejette l’article 3 du projet de loi sur l’immigration en débat au Parlement, qui pourrait permettre la régularisation automatique des parsonnes sans-papiers ayant un travail régulier depuis plusieurs années dans les métiers en tension (les modalités ne sont pas encore fixées).

Dans tous les pays, je constate aujourd’hui que l’opinion publique est majoritairement hostile à l’immigration, même pour ceux dont c’est la tradition ancienne, comme les États-Unis ou l’Australie. Dans les démocraties, le souci électoral mène donc les partis politiques à s’opposer à l’immigration… sauf ceux qui, comme La France Insoumise, estiment y trouver un réservoir de voix.

Les politiques favorables à l’immigration sont venues plutôt de gouvernants, et non des peuples, ayant eu à « remplir un pays vide » comme les États-Unis, le Canada, l’Australie… ou pour résoudre une question précise : le roi de Prusse attirant les Huguenots français expulsés par Louis XIV pour développer Berlin, les Tsars peuplant les campagnes russes de la Volga par des colons allemands, le recrutement d’artilleurs souvent français par l’Empire Ottoman…

En France, les gouvernants, conscients de la faiblesse de la fécondité française, ont encouragé plusieurs vagues d’immigration depuis plus d’un siècle.

Ces vagues ont suscité alors de violentes oppositions populaires, qu’on ne comprend plus aujourd’hui : comment avons-nous pu avoir des réactions si hostiles face à l’immigration italienne, espagnole, polonaise, juive, roumaine… dont les descendants sont aujourd’hui bien assimilés, alors qu’on se lamente de l’immigration musulmane ou subsaharienne ?

Il suffit de se rapporter à la presse de l’époque pour voir que ces immigrants étaient jugés inassimilables pour toutes sortes de « raisons évidentes », notamment leur forte foi religieuse jugée archaïque, brutale, et contraire à la laïcité. Bref, les arguments qui sont repris aujourd’hui à l’encontre des musulmans.

Cela illustre mon propos sur la confusion entre assimilation et intégration : aucun migrant ne s’assimile, même le plus francophone des Vietnamiens catholiques : ce sont les enfants ou petits-enfants qui sont assimilés.

Par contre, l’intégration, c’est-à-dire la participation au fonctionnement de la société, est souvent plus rapide, même si on reste psychologiquement étranger. La confusion entre ces deux notions complique énormément toute discussion sur l’immigration.

Une véritable vague de panique se répand dans les milieux libéraux, engendrant des articles anxiogènes, ce qui me paraît être un cercle vicieux dramatique. Pour ne pas me disputer avec des amis, je ne vais pas citer ce qui me paraît être des dérapages contre-productifs, car poussant aux conflits qu’ils proclament vouloir éviter.

Il y a bien sûr deux raisons à cette panique : les communautarisations réciproques et le terrorisme. Ce sont des problèmes extrêmement importants, mais qui ne doivent pas être analysés au détriment des fondements du libéralisme.

Commençons par l’un de ces fondements : la priorité de l’individu sur le groupe.

 

Identité nationale, communautarisme et démagogie

La notion de communautarisme est ressentie négativement par les libéraux puisqu’elle traite un individu non pas en tant que tel, mais en tant que membre d’une communauté. Par contre, l’identité nationale ressentie individuellement est considérée du domaine de la liberté des idées.

On peut élargir cette notion d’identité à la religion, dans un contexte de tolérance bien sûr : l’identité religieuse a longtemps été profonde chez les chrétiens, et l’est encore pour une partie d’entre eux, notamment en Afrique ou chez les orthodoxes. Elle reste encore très profonde aujourd’hui pour une partie des juifs et des musulmans.

On voit que la contradiction n’est pas loin : une identité nationale ou religieuse commune a souvent le communautarisme comme conséquence. En pratique, et surtout chez les démagogues, pour avoir les voix des uns, il faut stigmatiser le communautarisme chez les autres… tout en le flattant chez les électeurs que l’on recherche.

Évidemment, les autres ne sont pas les mêmes d’un parti politique à l’autre. Pour certains, ces autres sont par exemple les musulmans ou les Noirs, pour d’autres ce seront les anciens colonialistes, les racistes, voire, chez certains wokes, les Blancs en général.

Beaucoup de libéraux n’échappent pas à certaines de ces contradictions, Et j’entends des convaincus évoquer « des terroristes déguisés en réfugiés », ou « des envahisseurs » pour l’arrivée à Lampedusa de rescapés du passage de la mer Méditerranée.

On est loin des considérations individuelles qui devraient être celles des libéraux : par exemple, tel passager repêché est, non pas un Noir ou un musulman, mais un individu.

C’est par exemple une Sénégalaise soufie, d’un niveau scolaire moyen, fuyant une société patriarcale. Elle a risqué sa vie après avoir en général subi plusieurs viols, parce qu’elle n’entrait pas dans une des cases administratives fixées par la loi française (être étudiant, rejoindre une famille, exercer un emploi d’au moins 2400 euros par mois) ou parce qu’elle était excédée des lenteurs, voire des brimades des employés des consulats.

C’est bien sûr un tort de ne pas suivre la voie légale, mais ça n’en fait pas pour autant une terroriste ou un envahisseur.

En tant que libéral, je pense que l’idéal serait un traitement individuel et non administratif, par exemple par un employeur potentiel.

Au passage, attention à la caricature « des immigrés bac – 5 » qui ne correspond pas en pratique au migrant-type. Les arrivants sont soit de formation supérieure, et arrivent par les voies légales, soit issus de la classe moyenne suffisamment riche pour payer des passeurs, et ayant donc en général un niveau scolaire convenable.

Et l’immigration illégale n’est probablement  « que » de dizaines de milliers de personnes par an, à comparer à une immigration légale de 200 à 300 000 personnes.

Cela par ailleurs relativise la notion de remplacement. Même en tenant compte d’une émigration de souche importante, mais non chiffrable, nous sommes plutôt dans le domaine d’un remplacement très progressif, de plus d’un siècle sur la base des tendances actuelles.

Et remplacement par qui ? Non pas par un bloc hostile, mais par des individus extrêmement variés, et très désunis même, s’agissant de la partie musulmane de l’immigration. D’autant que l’on qualifie de musulmans les originaires de pays où cette religion est officielle, alors que seule une partie l’est vraiment, et une partie de leurs descendants encore moins.

Nous sommes loin des articles alarmistes qui se multiplient.

 

La sécurité individuelle et nationale

Les libéraux, comme la majorité de la population, sont évidemment très sensibles à la sécurité individuelle et nationale, surtout lorsque des attentats ont lieu en France, ou lorsqu’ils sont particulièrement cruels, comme en Israël le 7 octobre dernier (il ne s’agit pas ici de discuter du conflit actuel, mais de rappeler un fait brut).

Et le pouvoir craint évidemment une radicalisation en faveur de chaque camp et la méfiance, voire les violences, qui pourraient s’ensuivre, alors que les juifs de France ne sont pas plus responsables des actes du gouvernement d’extrême droite israélien que les musulmans de France ne le sont des actes du Hamas.

Mais la question ici est le lien avec l’immigration. Certes la plupart (mais pas tous) des terroristes sont de la « première » ou de la « deuxième » génération». Mais faut-il « tuer tous les rouquins, parce que l’un d’entre eux a commis un attentat ? ».

La sécurité individuelle et nationale est une mission de l’État, même pour la majorité des libéraux.

Plutôt que de l’immigration, nous sommes victimes de notre tolérance démocratique dont certaines modalités sont peut-être à revoir, et de la pression anti-police d’une partie très minoritaire, mais médiatiquement puissante de la population.

Rappelons que la plupart des États, musulmans compris, sont vigoureusement anti islamistes. La répression de ces derniers est tellement forte que certains demandent même le statut de réfugiés en France : nos lois démocratiques postulent effectivement qu’est réfugié toute personne dont la vie est menacée dans son pays, ce qui est leur cas !

Il y a probablement là aussi quelque chose à revoir…

Bref ce problème fondamental de sécurité n’est pas lié à l’immigration, mais à l’islamisme.

Je sais que je vais à l’inverse du ressenti général qui confond les deux, et je note sur des réseaux sociaux ce qui me paraît être des énormités en la matière.

Il faut revenir au fondement du libéralisme, considérer l’individu et non une catégorie ethnique ou religieuse.

 

L’analyse économique… et morale

Comme tout bon libéral, je pense que la morale et l’économie sont liées. Je suis bien conscient que cette idée est minoritaire en France. Le démontrer n’est pas l’objet de cet article, et je me borne à renvoyer à une comparaison avec les autres régimes.

Cela me semble particulièrement vrai pour le fameux article 3 du projet de loi sur l’immigration dont l’objet est de régulariser les personnes sans-papiers travaillant dans des métiers en tension.

L’objectif économique est évident, mais l’objectif moral aussi : qui travaille, par exemple, depuis plus de cinq ans dans une entreprise à la satisfaction de l’employeur n’est a priori pas un voyou.

Les Républicains, parti en principe libéral, craint « un appel d’air » si cet article est adopté. Mais quel appel d’air ? Si cela attire des gens qui pensent travailler à la satisfaction générale pendant cinq ans, c’est plutôt un appel d’air positif.

De toute façon, cette nécessité est tellement évidente que si, pour des raisons électoralistes, cet article est retiré de la loi, il sera remplacé par d’autres textes, ou des instructions aux préfets.

Je remarque d’ailleurs l’hypocrisie de certains gouvernements de l’Europe du Sud, notamment l’Italie, qui se font élire sur la base d’un rejet de l’immigration, mais qui l’autorisent au coup par coup à la demande des entreprises pour ne pas couler l’économie nationale.

Autre constatation économique souvent ignorée : les immigrés soi-disant chômeurs travaillent en général. Ils sont d’ailleurs venus pour ça, ayant des dettes à rembourser ou une famille à soutenir au pays.

Qu’on me permette ce témoignage : habitant près de la gare de Lyon, donc dans un quartier riche en entreprises d’intérim, j’en remarque une qui est occupée par des Subsahariens. Constatant que cette occupation dure, je m’adresse au chef du groupe qui arbore un brassard CGT : « Quel est le problème avec cette agence ? » Réponse : « Elle refuse de nous inscrire avec les papiers des copains, contrairement à ce que font les autres ».

La question ici n’est pas la légalité de la chose, mais la constatation que les soi-disant oisifs travaillent en réalité, et sont demandés par des employeurs. De même pour de nombreux employés de maison ou nounous, indispensables aux mères de famille diplômées faisant tourner l’économie.

Tout cela n’est certes pas légal, mais ce sont souvent les lois, plus que les hommes, qui sont imparfaites.

Plus généralement, on oublie que la grande majorité des actifs immigrés ou issus de l’immigration sont au travail, éventuellement au noir, ou sous une fausse identité.

Or, tenir compte de la valeur de la production de ces actifs renverserait complètement les études sur le coût de l’immigration, qu’elles soient fantaisistes comme la plupart du temps, ou plus précisément chiffrées comme celle de Jean-Paul Gourevitch (Le coût annuel de l’immigration 2022).

 

En conclusion

Rappelons qu’il ne s’agit pas ici de débattre de ce qui est bon ou mauvais en matière d’immigration, mais de voir comment cette question s’articule avec le libéralisme, et pourquoi tant de libéraux sont effrayés par leurs propres principes.

En effet, le libéralisme est pour la liberté de circulation et d’établissement, mais les libéraux ne l’appliquent pas à l’immigration :

  • d’une part du fait d’une méconnaissance de l’activité économique des migrants
  • d’autre part du fait d’une représentation de l’islam comme un bloc hostile, alors qu’on regroupe sous ce nom un éventail d’individus allant des fanatiques aux athées, et profondément divisés en nationalités, ethnies et variantes socio-religieuses
  • enfin parce qu’ils craignent que les différences culturelles ne se reproduisent au fil des générations, alors que l’histoire nous montre que ce n’est pas le cas. Les gangs des immigrations successives n’ont pas empêché les Américains de former une grande nation.

 

Ces raisons expliquent la confusion entre la question de l’immigration et celle de la sécurité personnelle et nationale. La première est complexe, la seconde fondamentale et très simple.

Mais nous y sommes mal préparés par l’inadaptation de nos procédures démocratiques, compliquées par des oppositions idéologiques internes. On peut par exemple penser aux associations qui ont retardé ou fait annuler des décisions d’expulsion d’activistes, dont certains terroristes.

Autrement dit, le vrai problème est celui de l’ordre public. Un problème fondamental certes, mais ce n’est pas celui de l’immigration.

Les convictions personnelles en la matière sont toutes respectables. Mais elles ne sont libérales que si elles donnent primauté à l’individu, et non à sa religion ou à toute définition communautariste.

Israël-Palestine : l’évolution sinistrogyre de l’antisémitisme français

Depuis les attaques du Hamas à l’encontre d’Israël le 7 octobre dernier, le nombre d’actes antisémites a explosé dans l’Hexagone. Lundi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a évoqué le nombre de 857 actes depuis bientôt un mois, soit presque davantage que sur la totalité de l’année 2022.

C’est dans ce contexte particulièrement tendu que le lundi 23 octobre dernier, à l’occasion de son passage à l’émission « Les 4 Vérités » de France 2, le porte-parole du gouvernement Olivier Veran a comparé l’antisémitisme de LFI et celui du RN, accusant les deux formations d’hémiplégie dans leur dénonciation respective de la haine des Juifs sans mener leur propre aggiornamento.

C’est l’occasion de s’interroger sur la nature de ces deux formes d’antisémitisme et sur leur articulation avec l’antisémitisme islamiste.

 

Les origines de la notion d’antisémitisme

Étymologiquement, l’antisémitisme est la haine des Sémites, descendants de Sem, un des trois fils de Noé, situés dans la péninsule arabique et une partie de la Corne africaine où se trouvent aujourd’hui les Falashas, Juifs d’Éthiopie.

Ce n’est qu’au XIXe siècle que le journaliste allemand anarchiste Wilhelm Marr crée le terme d’antisémitisme afin de donner un aspect scientifique à la judéophobie, terme utilisé jusqu’alors. Cet antisémitisme était déjà fondé sur des considérations sociales.

L’antisémitisme a su évoluer pour correspondre aux caractéristiques du stéréotype du moment.

« Le » Juif est ainsi à la fois perçu comme un déicide, un cosmopolite, un capitaliste cupide et, depuis 1948, un colonisateur. Chacun de ces quatre aspects correspond à une forme d’antisémitisme.

 

L’antisémitisme chrétien : un Juif déicide

L’idée du Juif déicide remonte au IIe siècle, lorsque certains théologiens catholiques ont émis l’idée que le peuple juif serait responsable de la mort du Christ.

Si elle survit dans certaines franges intégristes, la théorie du peuple déicide est aujourd’hui anecdotique.

 

L’antisémitisme de droite : un Juif cosmopolite

L’antisémitisme de droite, de son côté, se fonde sur l’aspect cosmopolite du Juif fantasmé. Ce dernier met en péril la pureté de la nation, aussi bien sur le plan culturel qu’ethnique. C’est cette vision qui fonde les doctrines antisémites de l’extrême droite française et allemande, respectivement fondées sur l’idée des Juifs comme nation ou comme race.

Cet aspect se mélange à l’antisémitisme de gauche dans la rhétorique négationniste selon laquelle la Shoah aurait été « inventée » pour « faire de l’argent » sur la culpabilité des nations occidentales[i].

 

L’antisémitisme de gauche : un Juif capitaliste puis colonisateur

À gauche, l’antisémitisme se fonde donc principalement sur des aspects économiques. Comme l’a rappelé Hannah Arendt en 1973, la gauche était antisémite jusqu’à Dreyfus[ii], moment où l’hostilité envers les Juifs de la droite catholique l’a poussé à devenir philosémite par esprit de contradiction.

Cet antisémitisme est une hostilité contre les Juifs, décrits comme banquiers ou plus généralement capitalistes. On retrouve cette idée chez Proudhon, pour qui le Juif « est l’ennemi du genre humain », qu’il faudrait expulser, voire « exterminer ».

Avec l’émergence du conflit israélo-palestinien, l’antisémitisme de gauche s’est mêlé à des considérations altermondialistes, opposées à la domination du modèle occidental, dont l’État d’Israël serait une colonie.

L’idée du Juif capitaliste s’est transformée en celle du Juif colonisateur, toujours dans la même logique, teintée de marxisme, d’opposition entre oppresseur et oppressé. Qu’il soit capitaliste ou colonisateur, le Juif est un oppresseur, hier de l’ouvrier français, aujourd’hui du peuple palestinien.

Cette mutation a été documentée dès 2006 par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), qui constatait alors que les auteurs d’actes antisémites en Europe étaient de moins en moins d’extrême droite et de plus en plus issus culturellement du monde musulman.

 

Le difficile positionnement de l’islamisme

Demandez à quelqu’un de droite de positionner l’islamisme, il dira qu’il est de gauche. Posez la même question à quelqu’un de gauche, il vous dira que l’islamisme n’existe pas, et qu’il s’agit d’un simple mouvement de résistance.

Derrière la boutade, si l’imaginaire collectif tend à l’associer à la famille de pensée qui l’a le plus favorisé électoralement, la face extrémiste et politique de la deuxième religion de France recouvre davantage d’aspects d’extrême droite que d’extrême gauche : théocratique, homophobe, réactionnaire et autoritaire.

En face, la lutte contre l’oppression et l’impérialisme occidental lui attirera la sympathie des mouvements marxistes et altermondialistes. Une sympathie qui sera au cœur de l’émergence de la pensée islamogauchiste théorisée par Pierre-André Taguieff lors de la seconde intifada.

 

L’antisémitisme islamiste : une forme hybride

Seulement, ce positionnement ne préjuge absolument pas de la nature de l’antisémitisme islamiste, qui dispose aussi bien de traits racistes issus de certaines interprétations du Coran ou d’influences occidentales, que de traits purement marxistes et anticoloniaux.

Les seconds sont généralement les portes d’entrée « acceptables » vers les premiers, avec un accent sur l’aspect humanitaire lié aux victimes civiles palestiniennes.

 

Une caricature qui ne repose sur rien

L’antisémitisme a su évoluer avec son époque et les caractéristiques qu’il cherchait à donner à la communauté juive. Ces caractéristiques ne reposent toutefois sur aucune réalité.

La théorie du peuple déicide a été démentie par le concile de Trente en 1566. Si la communauté juive est une diaspora depuis le Ier siècle, ses membres ne sont pas plus aisés, malgré des études plus longues que le reste de la population.

Quant au mythe du Juif colonisateur, selon que l’on prenne une définition religieuse ou ethnique, entre six et sept et Juifs sur dix vivent ailleurs qu’en Israël.

 

L’antisémitisme est aujourd’hui de gauche

Longtemps associé à l’extrême droite, l’antisémitisme se trouve aujourd’hui principalement à l’extrême gauche.

En effet, depuis 2010, la dédiabolisation du FN / RN a amené Marine Le Pen à s’éloigner des thèses antisémites, notamment en reconnaissant la Shoah comme un acte abominable, et en excluant systématiquement les éléments les plus radicaux, jusqu’à son propre père et fondateur du parti.

De son côté, LFI semble avoir fait la démarche inverse, sans doute pour ne pas s’attirer l’animosité d’une part importante de son électorat.

En 2018, lors de la marche blanche en l’honneur de Mireille Knoll, Jean-Luc Mélenchon et des élus LFI ont ainsi été sifflés, les contraignant à fuir la manifestation, après que le président du CRIF leur a demandé de ne pas s’y rendre.

Outre les polémiques régulières de certains membres du parti, l’année suivante, une étude a révélé que les préjugés antisémites étaient autant partagés au RN qu’à LFI. L’étude montrait également une corrélation importante entre antisionisme et préjugés antisémites, confirmant la nature de l’antisémitisme actuel.

[i] Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire : « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, coll. « La Découverte Poche/Essais » (n° 201), mai 2005, 238 p.

[ii]  Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, Seuil, 1984.

Quand l’État s’immisce dans l’e-sport français au nom de la parité

C’est en Corée du Sud qu’a lieu, en ce moment même, un des plus grands évènements e-sportifs du monde : les Worlds (championnats du monde) de League of Legends, un jeu vidéo en ligne par équipe. Si cela peut encore prêter à sourire ceux qui voient dans les jeux vidéos un simple divertissement pour enfants ou « adulescents » enfermés dans leurs chambres et en manque de vie sociale, l’e-sport est pourtant, depuis quelques années, en pleine expansion, en témoignent les stades remplis pour regarder 10 joueurs s’affronter pour la victoire finale.

Ce nouveau secteur en croissance n’a pas manqué de déclencher l’obsession réglementaire française. En effet, que pourraient faire les acteurs de l’e-sport sans le soutien des politiques et de l’administration ?

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, invité de la Paris Games Week (un salon annuel consacré aux jeux vidéos), après avoir reconnu que « le secteur du jeu vidéo est une vraie force économique » pour la France, a fait part de sa volonté d’intervenir, de « faire bouger les lignes » sur la question de la parité homme-femme dans le monde e-sportif.

Il y a autant de femmes que d’hommes qui jouent aux jeux vidéo en France. Par contre dans l’esport au niveau amateur et au niveau professionnel, l’égalité femmes-hommes est inexistante. Avec @jnbarrot et le secteur, nous sommes mobilisés pour faire bouger les lignes. #PGW

— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) November 1, 2023

Une activité principalement masculine

Il est vrai qu’historiquement, jouer aux jeux vidéos a été une activité principalement pratiquée par des hommes. Les raisons d’une telle disparité sont multiples, mélangeant certainement des facteurs d’ordres sociaux à des facteurs dits innés et ayant trait aux différences entre les sexes.

C’est par la déconstruction de l’idée selon laquelle les jeux vidéos seraient une « activité d’homme », et donc par la fin du stigmate touchant les joueuses, dont l’expérience dans des milieux exclusivement masculins pouvaient parfois être désagréable, que l’augmentation du nombre de joueuses a été rendu possible. Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu’en l’absence de facteurs sociaux, il y aurait nécessairement autant de joueuses que de joueurs.

Ainsi, si les idées reçues ont la vie dure, et qu’il reste encore des progrès à réaliser quant à l’évolution des mentalités dans le monde des jeux vidéos, il serait faux et malhonnête d’affirmer qu’une femme, si elle le souhaite, ne peut jouer aux jeux vidéos ou atteindre le niveau professionnel en 2023.

Mais alors, pourrait-on nous répondre, comment expliquer l’évidente disparité statistique que l’association Women in Games France ne manque pas de souligner : si 47 % des joueurs sont des femmes, seuls 6 % des joueurs pros sont des joueuses pros. Ici encore nous dirait-on, l’égalité en droit ne s’accompagne pas d’une égalité des résultats.

Comment l’expliquer ?

D’abord, l’étude d’où l’association tire ses chiffres prend en compte l’intégralité des jeux vidéos sur toutes les plateformes (ordinateur, consoles, téléphones portables…). Or, les jeux compétitifs sont une infime partie de ces derniers. Sur League Of Legends par exemple (peut-être le plus gros jeu compétitif depuis quelques années), il y aurait entre 10 % et 15 % de femmes seulement. En réalité donc, sur les jeux qui nous intéressent ici, la disparité statistique est beaucoup moins forte que ce qui est annoncé ci-dessus.

Cela ne signifie pas pour autant que le poids des représentations, le fait que ce soit un milieu fondamentalement masculin, l’absence de modèle féminin, etc. ne sont pas des causes signifiantes, mais elles n’épuisent pas l’explication de cette disparité.

 

Et si la parité totale n’était pas un idéal ?

Quelles que soient les explications, ne faudrait-il pas questionner l’objectif politique de la parité totale ?

Si en France, l’égalitarisme ambiant interdit de poser cette question sans prendre le risque d’être classé dans le camp du politiquement incorrect, il reste que dans une perspective individualiste et universaliste, seules comptent l’égalité des droits et la responsabilité individuelle. L’idéal ne devrait-il pas être qu’une femme possédant la volonté et les compétences suffisantes pour être joueuse professionnelle puisse effectivement le devenir ? Dis autrement, ne devrait-on pas défendre un paradigme individualiste où la priorité serait de laisser les individus libres de poursuivre leurs intérêts propres sans que l’État ne pose de jugement sur la légitimité et les origines des buts poursuivis ?

En ce sens, est-ce si grave de laisser un individu librement se conformer à ses déterminations sociales ? Il est peut-être caricatural pour une femme de souhaiter faire un métier du care, mais si telle est son choix, ne serait-il pas injuste d’interférer au nom d’une émancipation qu’on lui imposerait ?

Aussi, on ne peut mettre sur le même plan une détermination sociale qui oriente l’individu mais lui fait adhérer à ses choix de vie, et une détermination qui le contraint (que cette contrainte agisse physiquement, psychologiquement ou par le truchement de la loi) à un choix qu’il n’a pas fait, auquel il n’adhère pas.

L’intervention de l’État dans la correction des déterminations sociales, par le biais par exemple de l’Affirmative Action (discrimination positive), ne fait-elle pas que remplacer une subjectivité par une autre ? En effet, si la norme sociale selon laquelle les femmes n’aiment pas les jeux vidéos était arbitraire et historiquement située, la nouvelle norme sociale selon laquelle elles devraient aimer les jeux vidéos autant que les hommes ne l’est-elle pas tout autant ? Dans le monde idéal de ceux qui veulent la parité, qui nous dit que les joueuses professionnelles ne seraient pas tout autant déterminées par le discours égalitariste leur imposant de se conformer socialement à cette déconstruction genrée ?

Et au fond, est-il vraiment important qu’il y ait autant d’hommes que de femmes dans le monde des jeux-vidéos et de l’e-Sport ? Ceux qui prônent cette parité sont souvent les mêmes qui font l’éloge (à raison) de la diversité. Seulement, il faudrait être cohérent et aller au bout de la logique : un monde où règne la diversité est un monde d’inégalités, et à l’inverse, un monde tout à fait égalitaire est un monde sans différences où l’individu n’existe pas, puisqu’il ressemblerait en tout point à son voisin.

 

Légiférer intelligemment, et légiférer peu…

Il peut être intéressant de s’interroger sur les raisons qui font que si peu de femmes atteignent le niveau professionnel. Mais il ne revient pas à l’État de corriger cela. Son rôle doit être de protéger la sphère des droits individuels afin de permettre à un homme ou à une femme de poursuivre sa vie comme il ou elle l’entend, au prix d’éventuelles inégalités statistiques à l’arrivée.

Le choix des individus doit toujours primer sur les velléités d’ingénierie sociale des pouvoirs politiques qui se persuadent qu’une parité statistique est forcément vertueuse. Le monde des jeux vidéos n’a pas attendu l’État pour s’ouvrir à un public féminin. Les changements de mentalités doivent bien plus aux associations, à l’art, aux productions scientifiques et littéraires, aux actions de certains militants politiques, bref, à la société civile, qu’à la loi.

Monsieur le ministre, si vous voulez rendre service au secteur de l’e-sport, légiférez intelligemment, par exemple en réduisant le poids de la fiscalité qui pèse sur les acteurs nationaux et empêche leur développement dans un environnement ultra-compétitif, mais surtout, légiférez peu.

Cinq ans plus tard, quel bilan pour la légalisation du cannabis au Canada ?

Un article de Michael J. Armstrong

Avant que le Canada ne légalise le cannabis récréatif en octobre 2018, ses effets potentiels faisaient, comme cela est toujours le cas ailleurs dans le monde, l’objet de nombreux débats.

Aux États-Unis, le gouverneur du Nebraska, Pete Ricketts, a déclaré que le cannabis était une « drogue dangereuse » qui tuerait les enfants. L’homme politique allemand Markus Söder a exprimé des préoccupations similaires alors que le gouvernement s’est accordé au mois d’août autour d’un projet de loi qui ferait de l’Allemagne le deuxième pays de l’Union européenne à légaliser la possession de cannabis. Le candidat à la présidence du Kenya, George Wajackoyah, a même proposé la légalisation et la commercialisation du cannabis comme moyen d’éliminer la dette publique de son pays.

En France le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis au mois de janvier dernier un avis favorable quant à sa légalisation. Une proposition de loi sur le sujet a été déposée au Sénat au mois de juin par le député socialiste Gilbert-Luc Devinaz.

Certains prédisent une « ruée vers l’or  » grâce à la légalisation d’un nouveau marché, tandis que d’autres craignent des « tragédies  » en matière de santé publique.

Mes recherches se sont depuis penchés sur ses effets réels au Canada. Elles mettent en évidence que certaines tendances étaient déjà à l’œuvre avant la légalisation, et se sont simplement poursuivies par la suite. D’autres changements ne sont en revanche pas intervenus comme prévu.

 

Une consommation déjà en hausse

Nombreux sont ceux qui craignaient que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation considérable de la consommation, avec pour conséquence des « hordes d’adolescents défoncés ». Pour les opposants à la légalisation, toute augmentation de la consommation prouverait l’échec de la mesure.

Au Canada, le pourcentage d’adultes consommant du cannabis augmentait déjà avant 2018. Sans surprise, le mouvement s’est poursuivi après la légalisation. Selon des enquêtes gouvernementales, le taux de consommation était de 9 % en 2011, de 15 % en 2017 et de 20 % en 2019. La légalisation a donné un coup de fouet qui va au-delà de la tendance actuelle. Mais il se peut que cela soit en partie dû au fait que les gens parlent plus ouvertement de leur consommation de cannabis.

Par ailleurs, la consommation de cannabis des adolescents n’a pratiquement pas évolué après 2018. Cela suggère que ceux qui voulaient du cannabis pouvaient déjà en acheter facilement auprès de revendeurs.

 

Conséquences néfastes sur les enfants

Les effets sur la santé avaient également été une préoccupation importante lorsque le Canada débattait de la légalisation du cannabis. Stephen Harper, Premier ministre entre 2006 et 2015, affirmait que le cannabis était « infiniment pire » que le tabac. Son successeur, Justin Trudeau, a au contraire déclaré que la légalisation serait « protectrice ».

Dans les faits, le nombre de visites d’adultes à l’hôpital liées au cannabis était, lui aussi, déjà en augmentation avant 2018, et a continué de croître par la suite. Par rapport au début de 2011, le taux dans l’Ontario, par exemple, était environ trois fois plus élevé en 2018, et cinq fois plus élevé en 2021. La croissance après 2018 était, une fois de plus, en partie liée à la légalisation et en partie une tendance qui se poursuivait.

Certains effets sur la santé ont toutefois été plus graves. Le nombre de visites d’enfants à l’hôpital dues à une consommation accidentelle de cannabis a augmenté de manière significative. Chez les enfants de moins de 10 ans, le nombre de visites aux urgences a été multiplié par neuf, et le nombre d’hospitalisations par six.

 

Et sur la route ?

Les forces de l’ordre craignaient en outre que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation de la conduite sous l’emprise de stupéfiants. Les policiers se sont de plus plaints de ne pas disposer de l’équipement nécessaire pour détecter la consommation.

Les recherches visant à déterminer si la légalisation a effectivement entraîné ou non une augmentation de la conduite sous l’influence du cannabis ne sont pas concluantes. Malheureusement, les rapports gouvernementaux ne précisent pas toujours quelles substances sont à l’origine de l’affaiblissement des facultés des conducteurs.

Cependant, nous savons que la conduite sous l’influence de drogues – toute substance à l’exception de l’alcool – a augmenté avant et après 2018. Par rapport à 2011, les arrestations pour conduite sous l’emprise de drogues ont pratiquement doublé en 2017 et quadruplé en 2020. Le nombre de blessés lors d’accidents de la route impliquant du cannabis n’a, lui, cessé d’augmenter. Par rapport à 2011, dans l’Ontario, ils étaient environ deux fois plus nombreux en 2017, et trois fois plus en 2020.

 

Un gain de temps pour les forces de l’ordre ?

La légalisation a également suscité des inquiétudes en matière de criminalité et de justice sociale. Le gouvernement fédéral s’attendait à ce que la légalisation réduise le temps que la police consacre à la lutte contre les trafics de cannabis. Les partisans de la légalisation espéraient également voir diminuer le nombre d’arrestations parmi les groupes marginalisés.

La baisse du nombre d’arrestations provoquées par la légalisation n’a, en fait, pas été très importante. Les arrestations pour possession illégale de cannabis avaient déjà diminué au Canada bien avant la légalisation. En 2018, le taux d’arrestation était déjà inférieur de 71 % à son niveau de 2011. Les arrestations pour des infractions liées à la distribution illégale de cannabis, comme la culture et le trafic, ont chuté de 67 % entre 2011 et 2018. Cette tendance s’est largement poursuivie après 2018.

 

Un marché qui s’équilibre

Les entreprises espéraient que la légalisation entraînerait une ruée vers l’or. Des investisseurs étrangers ont ainsi aidé à financer les entreprises canadiennes de cannabis. Les gouvernements ont également débattu de la manière de répartir les nouvelles recettes fiscales.

Après la légalisation, le commerce du cannabis a connu un certain essor. Alors que la plupart des provinces n’avaient pas assez de magasins dans les premiers temps pour répondre à la demande, il y en a aujourd’hui plus de 3600 au Canada. Les ventes ont bondi de 42 millions de dollars en octobre 2018 à 446 millions de dollars en juillet 2023. Ces valeurs sont désormais à peine deux fois moins importantes que les ventes de bière.

Cependant, certaines régions ont désormais trop de magasins de cannabis, et de nombreuses entreprises luttent pour se maintenir à flot. En conséquence, certaines sociétés et leurs actionnaires ont réalisé de grosses pertes. Seules les agences publiques semblent être constamment rentables.

 

Des leçons pour ailleurs

En somme, trois leçons peuvent être tirées de l’expérience canadienne.

La première est que la recherche sur la légalisation du cannabis doit tenir compte des tendances existantes. Elle ne peut pas s’appuyer sur de simples comparaisons avant/après. Les gouvernements peuvent y contribuer en publiant davantage de données sur le cannabis.

La deuxième leçon est que les décideurs publics dans les États qui ont légalisé le cannabis devraient moins se préoccuper de savoir si la légalisation a causé des problèmes spécifiques mais plutôt s’attacher à les résoudre.

La troisième leçon concerne les autres pays qui envisagent la mesure. Les décideurs politiques devraient examiner leurs propres tendances avant de légaliser, car les résultats ultérieurs ne seront peut-être pas aussi différents qu’ils l’espèrent.

Sur le web.

IVG dans la Constitution : Emmanuel Macron va déposer un projet de loi au Conseil d’État

Fondé sur le travail des parlementaires et des associations, le projet de loi constitutionnelle sera envoyé au Conseil d'État cette semaine et présenté en Conseil des ministres d’ici la fin de l'année.

En 2024, la liberté des femmes de recourir à l'IVG sera irréversible. https://t.co/4uSoIJu310

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 29, 2023

 

Après le « en même temps », le  « quoiqu’il en coûte », l’heure est au « à tout prix ». Le président de la République veut sa réforme constitutionnelle « à tout prix », aussi inutile soit-elle !

La Tribune a dévoilé que le président de la République déposera cette semaine au Conseil d’État un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

 

Pourquoi le président de la République a-t-il décidé d’intervenir ?

Le texte devrait être présenté en Conseil des ministres « d’ici à la fin de l’année », a confirmé le chef de l’État dans un message sur X (anciennement Twitter). Il devrait être examiné au Parlement au cours des premières semaines de 2024, selon les précisions de l’Élysée données lors d’un brief téléphonique, en fin de matinée. L’intervention présidentielle présente trois avantages immédiats.

D’abord, un projet de loi, contrairement à la proposition de loi sur le sujet actuellement en navette parlementaire, permet d’éviter la délicate étape d’un référendum. Et donc « de donner aux opposants au texte, qui seraient en réalité des opposants à l’IVG, une tribune totalement disproportionnée par rapport à ce qu’ils représentent en réalité ».

Ensuite, cette annonce coupe l’herbe sous le pied des Insoumis, qui comptaient la réinscrire dans leur niche parlementaire le 30 novembre. Mathilde Panot a bien dû avaler son chapeau et saluer le projet présidentiel. Quant à Manuel Bompard, invité de France Inter, il a reconnu « une grande victoire pour La France insoumise ».

Enfin, cette réforme est une bonne occasion pour Emmanuel Macron de se relancer sur le plan national, avec un succès qu’il imagine facile, alors qu’il est éloigné du pays par la guerre Israël-Hamas puis par un Conseil européen en fin de semaine.

 

Le retour du « en même temps » présidentiel

D’après les informations de La Tribune, à l’article 34 de la Constitution, il sera ajouté :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

Cette rédaction retenue par le chef de l’État séduira-t-elle au moins trois parlementaires sur cinq lors du Congrès — la réunion du Sénat et de l’Assemblée nationale, indispensable étape pour modifier la Constitution ?

C’est en tout cas le retour du « en même temps » présidentiel. Pour s’assurer la plus grande majorité possible des parlementaires, le président Macron n’a pas voulu choisir entre le « droit »à l’IVG – retenu par l’Assemblée nationale –, et la « liberté »– préféré par le Sénat.

La nouvelle rédaction de l’article 34 consacrerait « la liberté » d’une femme à avoir recours à l’avortement, « qui lui est garantie », donc lui ouvre « un droit ».

Voilà où nous en sommes. Il n’en reste pas moins que cette réforme constitutionnelle est inutile et dangereuse comme nous l’avions déjà évoqué dans ces colonnes…

Incidents suite aux hommages à Dominique Bernard : sanctionner, et après ?

Si la France est connue pour être un pays de manifestations violentes, depuis plusieurs années l’émergence de l’expression « pas de vagues », en particulier dans l’Éducation nationale, interroge sur les véritables intentions de ses locuteurs.

Témoin d’une explosion des tensions communautaires, la France connaît depuis plusieurs années un climat social exacerbé, aussi bien sur le plan économique que culturel.

Explicitement rejeté devant l’Assemblée nationale le 17 octobre dernier par le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal lors d’une séance de questions au gouvernement où il fit l’objet de dix interpellations relatives à l’attaque terroriste d’Arras qui a coûté la vie d’un professeur de français, le « pas de vague » revient sur le devant de la scène.

Cependant, au-delà des mesures répressives, les 357 incidents recensés par le ministère de l’Éducation nationale interrogent sur la nécessité d’attaquer les causes profondes des tensions qui traversent l’Hexagone.

 

357 incidents

Fraîchement nommé ministre de l’Éducation nationale en juillet dernier, le jeune Gabriel Attal n’a pas mâché ses mots lors de la séance de questions au gouvernement qui se déroulait le mardi 17 octobre dernier à l’Assemblée nationale.

Après une minute de silence en hommage au professeur Dominique Bernard, assassiné le vendredi précédent, celui que beaucoup voient comme un dauphin du président de la République a prononcé des mots que beaucoup espéraient voir traduit en actes depuis bientôt 30 ans :

« Le pas de vagues, c’est fini ! ».

L’origine de ce ton martial réside dans les 179 incidents remontés aux services du ministère de l’Éducation nationale au lendemain de la minute de silence. Ce nombre, qui est passé à 357 dès le lendemain, du fait du délai de comptabilisation administrative, représente autant de perturbations, de provocations, voire d’insultes à la mémoire du professeur de 57 ans tué par Mohammed Mogouchkov, un jeune tchétchène de 20 ans radicalisé, et dont la famille est bien connue des services de police.

Parmi ces 357 cas, une dizaine relèverait ouvertement de l’apologie de terrorisme.

Une semaine après les événements, le ministère a comptabilisé 183 exclusions d’élèves qui ne feront donc pas leur rentrée le 6 novembre prochain.

Si ce nombre correspond à moins de la moitié des 793 incidents ayant été recensés lors de l’hommage à Samuel Paty, il y a presque trois ans jour pour jour, la consigne a été donnée par Gabriel Attal, dès le lendemain de l’attentat, de signaler systématiquement tout incident.

Dans la majorité des cas, ces perturbations relèvent de simples manques de respect et de maturité. Cependant, un certain nombre évoque des relativisations de la mort de l’enseignant, l’évocation de la cause palestinienne, voire tout simplement de l’apologie de terrorisme ou des menaces de mort.

Le 18 octobre, Gabriel Attal a évoqué 179 saisines du procureur de la République visant directement les fauteurs de troubles.

Les élèves concernés risquent jusqu’à deux ans et demi de prison pour les mineurs et cinq ans pour les majeurs en cas d’apologie de terrorisme.

 

Mila agressée

Toujours dans le cadre de l’hommage national à la mort de Dominique Bernard, la jeune Mila, connue pour avoir été harcelée en 2020 pour des propos critiquant la religion musulmane, aurait été violemment prise à partie lors de l’hommage lyonnais par un cadre de la Jeune Garde, groupuscule d’extrême gauche connu pour avoir abrité en son sein Hamma Alhousseini, condamné en 2020 pour agression, soutien du groupe terroriste djihadiste Boko Haram, ou encore d’agressions envers des personnalités politiques d’extrême droite, voire de féministes antifascistes.

Plus récemment encore, ce dimanche soir, dans un TGV, un homme portant une kippa a été menacé. Un acte parmi les 588 recensés par le ministère de l’Intérieur depuis les attaques du Hamas sur Israël au début du mois, et après une année 2022 qui a vu le nombre d’actes antisémites baisser, selon le Crif.

 

Une explosion des atteintes à la laïcité

Ce climat délétère, accentué par les événements au Proche-Orient, en dit malheureusement beaucoup sur les fractures françaises.

Selon une note des services de l’État que nos confrères d’Europe 1 se sont procurés fin août, depuis l’assassinat de Samuel Paty, en octobre 2020, le nombre d’atteintes à la laïcité signalées dans les écoles n’a cessé d’exploser.

Toujours selon le ministère, cette situation serait le fruit de trois facteurs :

  1. Augmentation du fait religieux dans la jeunesse
  2. Vision anglo-saxonne de la laïcité
  3. Importance du facteur communautaire

 

L’échec du traitement répressif

Depuis bientôt deux semaines, qu’il s’agisse des commentaires de certains articles ou des politiques eux-mêmes, nous assistons à l’ouverture du concours Lépine des mesures répressives, comme si la solution se trouvait dans un traitement symptomatique de cette fracture, et non dans une thérapie de fond.

Depuis bientôt 20 ans, à coup d’interdiction de signes religieux (voile, burka, abaya…) et de répression de discours de haine, le législateur a été incapable d’enrayer la montée de l’islamisme. Cette pensée se nourrit de la misère économique, de la victimisation et d’une complaisance de certains politiques qui voient dans ses partisans une manne électorale.

 

La victoire de la pensée de groupe

Ce phénomène s’appuie sur une pensée holiste, réduisant l’individu à ses groupes d’appartenance. Si la présence de cette pensée est particulièrement évidente dans la mécanique électoraliste, elle l’est tout autant dans la montée de l’islamisme et des doctrines wokes qui s’appuient sur elle.

En effet, la montée du discours communautaire, voire islamiste, permet à un jeune né en banlieue parisienne de parents français de se sentir solidaire du peuple palestinien vivant à plus de 3000 km de là et dont il ne connaît rien, parce qu’ils ont la même religion, même si leur pratique est sans doute bien différente.

Cette même mécanique l’empêche, a contrario, de ressentir de la solidarité avec un professeur tué à moins de 200 km de là, et avec qui il partage sans doute davantage de marqueurs culturels.

 

Une guerre civile froide

Les incidents liés à l’apologie du terrorisme et les atteintes à la laïcité en France soulèvent des inquiétudes. Les réponses répressives actuelles sont loin d’être suffisantes si on ne s’attaque pas aux causes sous-jacentes.

Ne nous cachons pas derrière nos petits doigts : la France vit aujourd’hui, et depuis plusieurs années, une guerre civile froide. Plusieurs catégories de Français se font face et se fuient mutuellement. Cette guerre n’est pas ouverte, mais culturelle et idéologique, à la manière du conflit ayant opposé les États-Unis à l’URSS entre 1945 et 1990.

Comme elle, la branche victorieuse sera celle montrant sa supériorité morale : le repli communautaire et la division de la société par catégories ethniques, religieuses ou sexuelles ; ou le vivre ensemble et l’universalisme marquant la primauté de l’individu au sein du corps social.

La capacité à reconnaître le statut de victime du Juif, un marqueur républicain ?

La capacité – ou non – pour un personnel politique de voir l’antisémitisme dans la société et de le dénoncer peut bien souvent servir de marqueur de son attachement aux valeurs républicaines et de sa capacité à traiter les faits de manière objective. L’actualité nous en a de nouveau donné une preuve, en excluant par là même une partie de la classe politique du champ républicain. La réaction de la France Insoumise à l’épisode du bombardement de l’hôpital sud de Gaza est à cet égard très représentative.

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2023, un missile israélien aurait visé volontairement un hôpital du sud de Gaza, dans lequel les autorités israéliennes avaient pourtant poussé les civils à aller se réfugier pendant des attaques au nord.

Les chiffres du ministère de la Santé de Gaza commencent à tomber : 500 ; 700 ; 1000 morts. La plupart étant du personnel médical, des blessés, des femmes et des enfants. Les condamnations tombent.

 

La gauche antisioniste

Dès 23 heures, Ersilia Soudais, vice-présidente insoumise du groupe d’étude contre l’antisémitisme à l’Assemblée nationale, a eu des mots forts :

« Israël a violé le droit humanitaire international, mais ne l’assume pas, alors que les preuves sont là ».

Les réactions de son groupe et de son parti sont du même acabit.

La réaction du député de la France Insoumise Thomas Portes s’inscrit dans un récit bien connu de la gauche antisioniste, les Israéliens ont une fâcheuse tendance à mentir :

« Les agents de propagande israéliens organisent une opération de communication car ils n’assument pas le bombardement d’un hôpital à #Gaza. Aucune surprise, cela fait des années qu’Israël utilise cette même stratégie. »

Pourtant, une conférence de presse organisée le 18 octobre au petit matin par le gouvernement israélien, en présence du président américain qui l’a avalisée, a apporté des preuves multiples allant dans le sens, non pas d’une attaque israélienne, mais d’une erreur d’un groupe terroriste palestinien. Si aucune enquête indépendante n’a été menée, les données OSINT de géolocalisation, les photos prises au matin par les sources locales montrant l’absence de cratère caractéristique des frappes aériennes et des dégâts mineurs, les enregistrements audios, des vidéos nombreuses et de sources diverses montrant une roquette tombant du ciel gazaoui vont en faveur de la version israélienne.

Par ailleurs, il est extrêmement difficile de ne pas noter l’empressement des Insoumis d’attribuer sans preuves ce bombardement d’un hôpital à Israël, surtout en le comparant à leur refus global de qualifier de terroristes les pogrom du 7 octobre ayant fait plus de 1300 morts, malgré les exactions perpétrées.

De la même manière, il devient complexe de ne pas lire un tel comportement à la lumière des paroles du NPA (visé depuis par une enquête pour apologie du terrorisme) ou de mouvements de gauche considérant le Hamas comme représentant légitime du peuple palestinien, et ses exactions comme une action de résistance comme une autre.

D’un côté, certaines populations seraient victimes par essence, de l’autre, elles seraient criminelles par essence. Le plaquage d’une construction théorique au réel prend le pas sur une analyse des faits.

Une telle conception philosophique essentialiste trouve son paroxysme dans la gestion de la question juive, dernière digue de l’universalisme.

 

Survivance des préjugés antisémites

Car en effet, de l’extrême gauche à l’extrême droite traditionnelle ou antivax, les justifications pour faire souffrir les Juifs sont pléthore.

De la crucifixion du Christ au Protocole des sages de Sion, en passant par l’empoisonnement des puits, la juiverie nationale ou internationale a toujours été une raison suffisante pour justifier les violences. Trop communautaires, aux pratiques barbares, vénaux, duplices, les Juifs n’ont, historiquement, jamais été considérés comme victimes, malgré les siècles d’horreurs traversés.

Indéniablement, une présence fantasmée à des postes clés, potentiellement justifiée par une obsession juive de l’intégration dans leur pays d’exil et à une valorisation juive des valeurs de travail et de réussite intellectuelle, ont pu jouer un rôle dans le refus de ce statut. Comment imaginer un peuple survivant aux siècles et continuant à réussir malgré les violences comme correspondant à l’idéal type de la victime ?

Par la suite, des sociologues spécialistes de la question, comme Nonna Mayer, ont montré l’importance nouvelle de la théorie de la « double allégeance » selon laquelle les Juifs en diaspora seraient toujours plus attachés à Israël qu’à leur pays. [1]

Évidemment, l’assignation identitaire, la croyance selon laquelle des caractéristiques identitaires d’un individu dictent son comportement, ne sont pas réservées aux Juifs.

Mais il est à noter que si de nombreuses assignations sont à la fois négatives et victimaires, aucune vision, sauf pour les Juifs, ne reconnaît des stéréotypes négatifs existant sans accepter que la cible de ces stéréotypes soit une victime. Entendons-nous, les stéréotypes négatifs associés autrefois à, par exemple, l’immigration arabo-musulmane en France, les Indiens d’Amérique, ou les Afro-Américains aux États-Unis, s’accompagnent aujourd’hui d’une reconnaissance victimaire de cette oppression.

Malgré des millénaires d’oppression, le Juif n’est jamais vu comme une victime potentielle.

Dans Les Juifs, angle mort de l’antiracisme, Illana Weizman traite par exemple de cette impossibilité de reconnaissance victimaire. Le Juif, trop intégré, trop occidentalisé, trop blanc, ne peut se prévaloir du statut d’opprimé, car par sa puissance dans les institutions et son intégration, il fait partie du système oppresseur.

La République, universaliste, avec ses principes d’égalité, de fraternité et de laïcité, a aspiré à éliminer toutes les formes de discrimination. Mais parmi tous les préjugés qui ont persisté dans la société, ceux concernant les Juifs sont particulièrement tenaces. Historiquement, les stéréotypes antisémites ont montré une résilience effroyable, résistant aux évolutions sociopolitiques et culturelles. L’Affaire Dreyfus a montré en particulier que les préjugés antisémites peuvent survivre, même au sein des institutions les plus respectées de la République. Même si Dreyfus a finalement été innocenté, l’affaire a révélé un antisémitisme profondément enraciné dans la société française.

Par ailleurs, dans Permanence et renouveau de l’antisémitisme en France, Nonna Mayer met en avant l’idée selon laquelle les préjugés antisémites sont les plus ancrés, partent le plus difficilement, et que par ailleurs, ils sont ceux qui reviennent le plus vite. La possibilité même de reconnaître aux Juifs le statut de victimes lié aux violences qu’ils vivent devient alors un marqueur global d’universalisme et d’inscription dans le champ républicain.

 

La destruction des préjugés est-elle allée suffisamment loin pour qu’on puisse accepter que le Juif puisse avoir ce statut de victime sans qu’il en soit responsable, et ce, malgré son statut fantasmé ? C’est à cette question qu’a répondu par la négative une partie de la classe politique.

Bien entendu, il faut admettre un antisémitisme latent chez beaucoup d’antisionistes fervents, souvent d’ailleurs silencieux sur la question des droits de l’Homme quand elle ne concerne pas Israël. Il faut voir un antisémitisme latent quand des personnages politiques français ramènent des Juifs français à leur origine lorsqu’ils s’expriment politiquement, ou quand il leur est reproché d’instrumentaliser la Shoah à des fins victimaires.

Mais rien ne peut plus être tenu en mépris que l’idée selon laquelle les Juifs sont toujours en quelque sorte responsables de leur sort. Idée simple, mais qui pourtant pousserait à ne pas penser qu’égorger des enfants, même contre l’État juif, n’est jamais un acte de résistance, que d’éventrer des femmes enceintes et de pendre leur bébé mort-né n’est pas un moyen de lutte, que les Israéliens ne s’amusent pas à détruire des hôpitaux, et qu’ils ne fondent pas toute leur politique sur le mensonge.

Il résulte de cette vision biaisée un réel danger pour les Juifs, lorsque des députés de la République leur mettent une cible sur le dos en considérant que l’État juif est intrinsèquement menteur, et qu’une mort juive n’a pas tant d’importance que ça.

Partout en Europe, le discours anti-israélien fondé sur les poncifs antisémites provoque d’ailleurs des nouvelles violences contre le peuple déicide.

[1] Nonna Mayer, IV. Permanence et mutations des préjugés antisémites en France in L’antisémitisme contemporain en France (2022)

Haut Conseil à l’Égalité : faut-il réguler davantage les sites pornographiques ?

Dans le cadre de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a publié un rapport sur la pornocriminalité.

Il dénonce une industrie « qui prospère sur la haine et la violence misogynes », un « système pornocriminel qui broie les femmes » dans lequel elles sont « humiliées, objectifiées, déshumanisées, violentées, torturées… ».

Parmi ses recommandations, on trouve l’extension du pouvoir de police administrative de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Elle pourrait ainsi bloquer les sites de manière discrétionnaire en cas « d’atteintes graves à l’intégrité de la personne » ou d’absence « de contrôle d’âge effectif ».

Plus encore : la plateforme de signalement Pharos, dont l’objectif est de lutter contre la criminalité en ligne, aurait désormais le pouvoir de bloquer les sites qui ne respectent pas l’obligation de retrait d’une vidéo ou d’une image publiées sans le consentement de la personne.

Le Haut Conseil soutient également une supervision renforcée par la Commission européenne au titre du Digital Service Act (DSA), une réglementation qui s’attaque aux plateformes ayant plus de 45 millions d’utilisateurs par mois. En pratique, elle prévoit des contraintes en matière de vérification de l’âge, de partage de données sensibles, de modération, ou encore de publicité.

Bérangère Couillard, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a au moins le mérite de ne pas fantasmer la réalité : le plus souvent, ces images cachent des femmes qui se soumettent aux injonctions de l’industrie pornographique pour arrondir leur fin de mois.

Les problèmes commencent lorsque la description d’une industrie peu réputée pour ses pratiques éthiques se transforme en un plaidoyer caricatural. Le texte du HCE n’aurait d’ailleurs pas même fait l’objet d’une consultation des principales concernées. Elles auraient pourtant bien des choses à dire sur l’effectivité des lois en vigueur et les effets délétères de certaines politiques prohibitionnistes (dans le cas de la prostitution de rue par exemple).

Si l’on écoute un tant soit peu leur opinion, ce sont les plaintes des victimes qui ne sont pas suffisamment prises au sérieux par l’institution judiciaire, et non la législation qui manquerait de sévérité.

Pour Lulla, ce rapport n’est pas de nature à améliorer la condition des femmes malmenées par l’industrie pornographique :

« Ils veulent retirer aux actrices la capacité à consentir. On nous traite comme des enfants, on considère qu’on ne peut pas consentir. Or la notion de consentement, c’est ce qui permet aussi de dire non ! »

Mélanie Jaoul, maître de conférence et présidente de l’Association des alliés et alliées de TDS, craint que les propositions du HCE incitent à produire hors du territoire, ou dans des conditions dégradées en France.

Quant à la protection des mineurs, on peut légitimement douter de la pertinence des nouvelles restrictions sur les vérifications de l’âge de l’utilisateur, étant donné les moyens techniques relativement simples pour les contourner. Rappelons que la loi du 30 juillet 2020 impose aux plateformes de procéder à des vérifications qui ne peuvent se limiter à la simple déclaration de majorité, avec le succès que l’on connaît.

Le HCE se méprend : l’enjeu principal relève surtout de l’application des lois existantes, de la formation des agents de police confrontés aux victimes de violences sexuelles, et plus généralement des failles d’un système judiciaire en perte d’efficacité. Pas d’un nouveau carcan réglementaire ayant peu de réalité pratique.

Samuel Fitoussi : « Asservir la fiction à la morale revient à exiger de la fiction qu’elle renforce le consensus idéologique en vigueur, quel qu’il soit »

Dans Woke fiction – Comment l’idéologie change nos films et nos séries, Samuel Fitoussi* élabore une critique libérale du wokisme et de son impact sur le monde du cinéma et de la série. Un entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

Contrepoints : Bonjour Samuel Fitoussi. Dans les dernières années, de nombreux essais politiques ont été publiés sur la question du wokisme. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur ce sujet, et qu’est-ce qui fait l’originalité de votre ouvrage ?

Passionné de cinéma, j’ai vu les contenus changer au fil des années, en particulier depuis 2020, et perdre en qualité, en acuité psychologique, en réalisme, en humour… En creusant, j’ai découvert que les scénarios doivent désormais souvent (pas tout le temps, heureusement) répondre à un véritable cahier des charges idéologique.

Il existe désormais un certain nombre de schémas narratifs, de dynamiques relationnelles ou de types de personnages, qui, pour des raisons idéologiques, ne passent plus. Nous pouvons regarder une série qui nous semble apolitique sans nous douter qu’une forte autocensure a existé en amont, au moment de l’écriture, puis de la relecture du scénario par des cabinets de conseils spécialisés en diversité et inclusion (qui se multiplient à Hollywood).

Il y a encore dix ans, les scénaristes se seraient permis d’inclure certaines blagues (aujourd’hui jugées « problématiques »), de montrer des rapports de séduction asymétriques et plus authentiques (on suggèrerait aujourd’hui qu’ils alimentent la « culture du viol »), de montrer un Blanc aider un Noir si l’intrigue l’exige (aujourd’hui, les wokes affirment que cela constitue une négation de l’autonomie des Noirs – c’est le concept du « sauveur blanc »)…

C’est pourquoi quand on parle de cancel culture, on passe sans doute à côté de l’essentiel : le problème aujourd’hui n’est pas ce qui est annulé, mais ce qui n’est plus produit, voire ce qui n’est même plus écrit ni imaginé.

Au-delà du constat, j’essaie dans cet essai de déconstruire par la science et le raisonnement les grands postulats wokes sur lesquels s’appuient cette nouvelle morale obligatoire, de proposer une réflexion sur la nature humaine, sur la fonction de l’art, ou encore sur les conditions de préservation de la concorde sociale face aux discours communautaires qui divisent et enjoignent au ressentiment, activant nos pires instincts tribaux.

 

Contrepoints : Vous expliquez que dans la logique postmoderne, l’art joue un rôle essentiel dans le grand projet d’ingénierie sociale vers un monde meilleur. Pouvez-vous développer ?

Il y a, au cœur du wokisme, un constat (éminemment discutable) sur les sociétés occidentales, qui seraient patriarcales et racistes. Pourtant, la discrimination selon le sexe ou la couleur de peau est illégale. Alors où se trouve – selon les wokes – la source du mal ? Dans nos mœurs, nos conventions sociales, nos représentations collectives, nos inconscients (malades de préjugés patriarcaux, coloniaux, hétéronormatifs…).

Il en découle que le privé est politique, et que le combat pour la justice sociale, gagné dans la loi au XXe siècle, doit se poursuivre en transformant nos comportements, en nous rééduquant moralement, en révolutionnant nos représentations culturelles. C’est pour cela qu’une série comme Friends, pourtant culte dans les année 1990, se retrouve sous le feu des critiques wokes, accusée de légitimer la culture du viol, les stéréotypes, la grossophobie, l’homophobie… (avec une confusion évidente entre des comportements représentés à l’écran et glorifiés par les auteurs). C’est aussi pour cela que certains éditeurs ont jugé utile de caviarder les romans de Roald Dahl, Ian Fleming ou Agatha Christie en supprimant tous les passages jugés « problématiques ».

Ajoutons que les wokes croient à tort que les comportements humains sont le produit de nos représentations. Par exemple, si les femmes et les hommes se comportent en moyenne différemment, ce serait parce que chaque sexe a été conditionné par des stéréotypes qu’il a intériorisés. Porter à l’écran un monde débarrassé de toute forme d’asymétrie comportementale entre les sexes pourrait donc se révéler salutaire. Pourtant, la science indique que ce sont souvent nos stéréotypes de genre qui découlent de différences innées (moyennes) entre hommes et femmes.

 

Contrepoints : Par conséquent, n’y a-t-il pas un paradoxe dans le discours woke : en souhaitant reconstruire un nouvel ordre moral sur les vestiges de l’ancien qu’ils auraient déconstruits, ne deviennent-ils pas les nouveaux dominants ?

Effectivement. À partir des années 1960, les philosophes postmodernes souhaitaient déconstruire l’ordre moral bourgeois : selon eux, la classe dominante – en imposant à l’ensemble de la société sa définition du Beau et sa conception du Bien – perpétuait, plus ou moins inconsciemment, un ordre social qui lui était favorable (un complot sans comploteurs, pour reprendre la formule de Boudon sur Bourdieu).

Aujourd’hui, les wokes qui asservissent les autres à leur conception très subjective de la morale représentent précisément l’élite culturelle du monde occidental. Ils sont minoritaires dans la population mais majoritaires dans l’industrie du cinéma et du théâtre, dans les départements de science sociale de toutes les prestigieuses universités, les grandes entreprises californiennes et dans une poignée d’institutions clé (au hasard : Disney et Netflix, l’Académie des Oscars, des Césars, et souvent, les services publics). Ils se croient dissidents, mais en réalité, ils œuvrent à imposer à la société tout entière une normativité établie par les dominants culturels et intellectuels de notre époque.

 

Contrepoints : Selon vous, il est dangereux de « subordonner la création artistique à l’utilité sociale ». Pouvez-vous développer ?

Ceux qui calculent l’utilité sociale d’une œuvre – et parviennent à imposer à tous leurs critères de comptabilité morale – ne sont pas des anges descendus du ciel, mais des êtres imparfaits susceptibles d’imposer une morale viciée.

Si la fiction doit contribuer à façonner une société meilleure, qui décide du type de société vers lequel elle doit nous mener ? Si les héros doivent se comporter vertueusement, qui définit la vertu ? Au Ve siècle avant J. -C., Platon souhaitait interdire les pièces de certains dramaturges tragiques : il craignait qu’elles n’incitent les hommes à étaler leurs sentiments et à se comporter… comme des femmes. Au XIXe siècle, Les Fleurs du mal et Madame Bovary étaient jugés dangereux pour la morale publique. L’histoire regorge d’exemples de jugements moraux erronés, aux conséquences parfois tragiques.

En réalité, asservir la fiction à la morale revient à exiger de la fiction qu’elle renforce le consensus idéologique en vigueur – quel qu’il soit – puisque les comportements loués ou exaltés, les discours considérés vertueux ou dangereux, dépendent dudit consensus. C’est donner un poids démesuré aux jugements de valeur subjectifs d’une partie de la population, sociologiquement dominante mais pas immunisée contre l’erreur, contre le risque de confondre le mal et le bien. C’est soumettre l’individu (l’artiste) à la tyrannie du groupe (celui qui aura réussi à imposer sa définition du bien). Avec la vision conséquentialiste, la fiction cesse d’être un garde‐fou à l’idéologie ; elle devient son catalyseur.

On peut d’ailleurs établir une analogie avec la notion de « responsabilié sociale » des entreprises. Si l’on assigne aux entreprises une mission morale, leur engagement dépend du consensus idéologique en vigueur. La responsabilité sociale des entreprises allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale était d’aider les nazis à gagner la guerre, celle d’entreprises américaines pendant le maccarthysme de traquer les employés aux sympathies communistes, celle d’une entreprise inclusive en 2023 de soumettre ses employés à des stages de rééducation woke sur les préjugés inconscients…

En 1970, Milton Friedman notait que si les entreprises tentent de promouvoir des objectifs politiques aux dépens de leur rentabilité économique, elles imposent une forme d’impôt à certains citoyens (perte de dividendes pour leurs actionnaires, de rémunération pour leurs salariés, ou de pouvoir d’achat pour le consommateur…) et choisissent elles-mêmes les causes pour lesquelles l’argent sera redistribué.

Or ces entreprises n’ont pas été élues. « Elles cherchent à obtenir par des procédures non démocratiques ce qu’elles n’ont pu obtenir par des procédures démocratiques » écrit Friedman.

Le parallèle avec la fiction woke ? Les cinéastes imposent une forme d’impôt (baisse de la qualité du contenu pour le citoyen spectateur, éventuelle perte de revenus pour les investisseurs, distributeurs, etc.) afin de promouvoir les causes qu’ils jugent subjectivement louables, alors que celles‐ci n’ont pas nécessairement remporté la partie dans les urnes. Quand ces cinéastes sont subventionnés, et penchent massivement d’un côté du spectre politique, le problème démocratique est d’autant plus grave.

 

Contrepoints : Pour autant, n’y-a-t-il pas une place pour la morale dans l’art ?

Si, bien entendu. Mes amis conservateurs me reprochent parfois de dénier à la fiction la moindre fonction morale, d’appeler de mes vœux un art immoral, ou de refuser que l’on critique une œuvre pour des raisons morales. Mais je pense que l’on touche là à l’un des grands quiproquos entre conservateurs et libéraux.

En effet, je ne dénie pas à l’art une fonction morale, je dénie à quiconque le droit d’imposer à l’ensemble des artistes sa vision subjective de la morale, et de les obliger à s’y conformer. Croire que l’art doit être libre ne revient pas à dire que toutes les morales se valent, ni que nos propres valeurs morales ne peuvent légitimement influer sur le jugement que l’on porte sur une œuvre. De même, croire qu’il est dangereux que l’on impose par le haut aux entreprises des critères « RSE » auxquelles elles doivent se conformer ne signifie pas croire que le chef d’entreprise ne doit pas agir en fonction de ce qu’il estime être sa responsabilité morale vis-à-vis de la société.

Pour revenir à la fiction, elle est tout à fait compatible avec la morale.

Le chercheur Jonathan Gotschall montre même que, depuis 2000 ans, les fictions qui plaisent le plus sont celles dans lesquelles le bien et le mal sont distinguables, dans lesquelles les héros sont récompensés pour leurs transformations positives, et dans lesquelles, lorsque le mal triomphe, c’est en tant que mal. Même dans les séries centrées sur des anti-héros (Dexter, Les Sopranos, Breaking Bad voire Game of Thrones), la frontière entre bien et mal n’est pas brouillée, mais située dans le cœur d’un seul et même personnage.

De même, dans des sitcoms comme Friends et Seinfeld, les héros sont souvent lâches, hypocrites ou égoïstes mais on ne glorifie pas leurs vices : on rit de leur imperfection morale. Le comique provient du décalage entre la vision morale qui traverse l’œuvre et les actions des personnages, qui n’adhèrent pas toujours à cette vision.

 

Contrepoints : Vous avancez notamment que le wokisme se base souvent sur une mauvaise compréhension de la nature humaine. Cette question revient tout au long de votre livre et on comprend que c’est un point important de votre réflexion. Pourquoi ?

En 1987, le brillant intellectuel américain Thomas Sowell a distingué deux visions de la nature humaine. Selon que l’on se range à l’une ou l’autre, on adhère à des idées politiques radicalement opposées.

La première est la vision tragique : l’homme possède en lui une part d’ange, mais aussi une part d’ombre, le mal est inhérent à la nature humaine, et on ne peut le combattre collectivement qu’au prix d’arbitrages coûteux (prisons, police…).

La seconde est la vision candide, dont Rousseau est le meilleur ambassadeur : l’homme est naturellement bon et la société le corrompt. Avec cette vision, à laquelle les wokes semblent se ranger, on peut combattre la criminalité en combattant la société. Les criminels ne sont plus la cause des crimes, mais les symptômes d’une trop forte prévalence de certains discours ; les harceleurs de rue ne sont plus les responsables du harcèlement, mais les produits de nos stéréotypes de genre ; les violeurs ne sont pas la cause des viols mais les victimes d’une misogynie qu’ils ont intériorisé en raison d’un « continuum de violence » qui commence avec l’absence de parité autour du barbecue ou l’écriture insuffisamment inclusive.

Les conséquences de l’adhésion à cette deuxième vision sont nombreuses.

Premièrement, elle déresponsabilise les individus, imputant la cause de leurs comportements mauvais à « la société » plutôt qu’à leur libre arbitre.

Deuxièmement, elle permet de passer un peu trop facilement du combat (nécessaire) contre des individus et des actes racistes ou misogynes à celui (parfois infondé, voire complotiste) contre « le racisme systémique » ou contre le « patriarcat », combat qui absout du besoin d’avoir à pointer du doigt un seul acte répréhensible, le « système » tout entier étant incriminé.

Troisièmement, elle nous pousse à vouloir « expliquer » le mal plutôt que l’absence relative de mal, à déduire de l’occurrence de violences faites aux femmes (par exemple) une faillite des sociétés occidentales, plutôt que de la rareté de celles-ci un triomphe de la civilisation.

Enfin, elle inverse la causalité entre nos comportements et la fiction : ce serait parce que des viols sont représentés au cinéma que certains hommes violent, et non parce que certains hommes violent que le viol existe au cinéma. Mais de manière générale, si certains faits sociaux se retrouvent plus fréquemment à l’écran que d’autres, c’est souvent parce qu’ils se retrouvent plus fréquemment dans la réalité que d’autres. C’est l’art qui nous imite, pas l’inverse.

 

Contrepoints : Le wokisme est une critique de l’universalisme, jugé naïf et aveugle aux dominations réelles que subissent les minorités, au profit d’une vision communautariste de la société. Comment cela se manifeste-t-il dans la fiction ?

Les wokes pensent qu’une œuvre de fiction doit « représenter » les groupes qui composent la société en proportion de leur poids dans la population. Au lieu d’envisager la société comme une somme d’individus singuliers, on voit des groupes dont les membres seraient les représentants.

À partir de l’an prochain, seuls les films respectant certains quotas ethniques, aussi bien à l’écran que derrière la caméra, seront éligibles aux Oscars.

L’Arcom dresse tous les ans des statistiques ethniques, pourtant interdites par la Constitution française.

Le CNC possède un fonds à travers lequel il finance spécifiquement les projets où la couleur de peau des acteurs lui convient.

Final Draft, logiciel d’écritures le plus utilisé dans l’industrie du cinéma, propose des outils d’intelligence artificielle qui permettent au scénariste d’indiquer les attributs de chacun de ses personnages (couleur de peau, genre, orientation sexuelle, handicap, etc.) et d’afficher des diagrammes pour visualiser les « données d’inclusivité », voire le nombre de scènes parlées, de scènes non parlées, et de répliques de chaque minorité.

Delphine Ernotte, présidente de France Télévions, assume explicitement de « compter » le nombre de Blancs et de Noirs, et de ne pas financer les projets où il y a trop de Blancs.

Plus largement, dans le monde de la culture (et les institutions où les wokes sont dominants, comme l’université américaine) l’universalisme est congédié au profit de processus de sélection où la couleur de peau prend une place fondamentale.

Dans la fiction, cela s’exerce notamment au nom d’une croyance selon laquelle les spectateurs ne pourraient prendre pour modèles que des personnages qui « leur ressemblent ». Mais le degré d’identification d’un spectateur à un personnage doit-il dépendre de la couleur de peau de l’acteur qui l’incarne ? En réduisant la représentation au seul critère des ressemblances physiques, on réduit l’identité à l’identité biologique.

La pensée woke produit peut‐être ce qu’elle dénonce, puisque lorsqu’une appartenance à un groupe est légitimée (institutionnalisée comme une catégorie devant être « représentée »), elle commence à prendre de la place dans l’idée que chacun se forge de sa propre identité. L’identité‐singularité cède sa place à une identité‐conformité, une identité de rattachement au groupe de ceux qui nous ressemblent physiquement (mécanisme performatif que les intellectuels wokes décrivent et dénoncent eux‐mêmes à propos de l’identification à des catégories de genre).

 

Contrepoints : Selon vous, la fiction imprégnée de l’idéologie des quotas ne peut plus jouer efficacement son rôle de construction de nos capacités d’empathie.

La fiction, parce qu’elle a le souci du particulier, est un antidote à l’idéologie.

Elle nous raconte l’histoire de personnages singuliers, nous apprend que derrière les discours idéologiques, les récits simplificateurs, les oppositions communautaires, il y a des hommes et des femmes en chair et en os, trop complexes, trop nuancés, trop divers pour être réduits à des catégories, placés dans des cases, accusés ou plaints par défaut.

« Tout art digne de ce nom, écrivait Aharon Appelfeld, enseigne inlassablement que le monde repose sur l’individu. […] Le grand objet de l’art sera toujours l’individu avec son propre visage et son propre nom. »

Si, en politique, il faut souvent faire fi de la singularité des cas et dissoudre le particulier dans le collectif, la fiction nous rappelle que l’individu n’est pas une abstraction. Elle tempère l’enthousiasme de ceux qui voudraient, au nom de l’intérêt général, lui infliger des torts. L’idéologie – télescope par le prisme duquel l’Homme n’est qu’une fourmi dans un vaste système – ébranle notre capacité d’empathie ; la fiction – microscope de l’âme humaine – la reconstruit.

Mais pour que l’empathie puisse être cultivée, l’individu doit être singulier : il ne peut être le représentant interchangeable d’un groupe.

Or, lorsque les personnages sont choisis pour « représenter » la société, ils cessent d’être des individus pour devenir les porte‐drapeaux d’une identité, les délégués d’une communauté. L’équipe des Noirs a son représentant (il parle au nom des Noirs), tout comme l’équipe des femmes, des homosexuels, des transgenres, des musulmans (etc.). Le personnage devient, selon la formule d’Alain Finkielkraut dans L’après littérature, un prototype.

Et la fiction cesse de jouer son rôle : elle ne sonde plus des destins individuels, mais rejoue la narration macroscopique dominante. Plutôt que de maintenir en vie le particulier dans un monde qui généralise, elle déguise le général en particulier. Plutôt que de combattre la pensée par masses, elle transforme des masses en personnages. Elle va du général au particulier plutôt que du particulier à l’universel.

 

Contrepoints : On comprend donc qu’au-delà d’une analyse du wokisme dans la fiction, votre ouvrage porte en fait un projet plus ambitieux : celui d’une analyse et d’une critique épistémologique du postmodernisme. Cela vous amène par exemple à démontrer à plusieurs reprises qu’une erreur du wokisme est de considérer que derrière toute disparité statistique se cache une discrimination systémique. Pouvez-vous développer ce point ?

C’est en effet une croyance fondamentale du wokisme.

Toute sous-représentation d’un groupe considéré comme « dominé » dans un secteur valorisé est compris comme la preuve de l’existence de barrières discriminatoires (qui motive la mise en place de mécanismes correctifs comme la discrimination positive), et de même pour toute surreprésentation dans un secteur peu enviable (cela motive parfois la mise en place de changements institutionnels : aux États-Unis, l’idéologie anti-prison et anti-police naît notamment du désir de combattre la surreprésentation des Noirs en prison, ou parmi les victimes de violences policières).

Notons que les raisonnements wokes sont souvent irréfutables en ce qu’ils confirment toujours le postulat initial : une surreprésentation d’hommes en prison démontre que les hommes sont toxiques ; une surreprésentation de non-Blancs en prison démontre que nos institutions sont racistes.

Pourtant, l’économiste Thomas Sowell montre qu’à travers l’histoire, les asymétries statistiques entre populations étaient la norme plutôt que l’exception. Souvent, des groupes majoritaires – ne pouvant donc pas être victimes de racisme – sous‐performaient par rapport à des minorités ethniques.

En Malaisie, dans les années 1960, la minorité chinoise décrochait cent fois plus de diplômes d’ingénieur que la majorité malaisienne.

En 1908, dans l’État de São Paulo au Brésil, les Japonais produisaient deux tiers des pommes de terre et 90 % des tomates.

En 1921, en Pologne, plus de trois cinquièmes des échanges commerciaux impliquaient des Juifs, alors que ceux‐ci ne représentaient que 11 % de la population.

Au même moment aux États-Unis, l’université de Harvard imposait des quotas maximaux de Juifs pour combattre leur surreprésentation dans les rangs étudiants.

En 1948, des immigrés indiens possédaient 90 % des égreneuses de coton en Ouganda.

En 1887, en Argentine, les immigrés italiens – arrivés quelques décennies plus tôt sans ressources – étaient deux fois plus nombreux que les Argentins à posséder un compte en banque.

Plus trivialement, le taux d’alcoolisme des populations d’origine irlandaise aux États-Unis a parfois été jusqu’à dix fois supérieur à celui des populations juives ou italiennes.

On pourrait continuer cette recension longtemps.

En réalité, une disparité statistique peut être comprise comme la preuve d’une injustice, uniquement si on compare deux populations identiques en tous points, dotées des mêmes aspirations, soumises aux mêmes déterminismes sociaux et culturels, et aux mêmes dynamiques internes.

Quand ce n’est pas le cas – et c’est rarement le cas – les disparités statistiques reflètent souvent des différences de comportements moyens entre les membres de ces groupes, plutôt que des inégalités de traitement par le monde extérieur. Malheureusement, en attribuant à « la société » l’entière responsabilité du problème, on empêche toute remise en question de la part du groupe sous-représenté.

Cette logique détourne de toute possibilité d’analyse – et donc de compréhension et de traitement – des facteurs endogènes au groupe qui pourraient être responsables de ces disparités. Elle enferme les minorités dans une position de victimes passives, impuissantes à agir sur le cours de leur destin. On les condamne au ressentiment : ce serait aux « autres » de fournir des efforts, pas à elles.

*Né en 1997, Samuel Fitoussi est essayiste, chroniqueur au Figaro et écrivain satirique.

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Comprendre et répondre à la baisse mondiale de la fécondité

On écoute enfin les démographes !

Depuis longtemps ils annoncent la diminution prochaine de la population de nombreux pays, puis de l’ensemble de la planète, alors que la mode était plutôt à la crainte de la surpopulation, crainte qui a été relayée et amplifiée, notamment par une partie de l’écologie politique.

Depuis, la mode a changé. On a remarqué la baisse de la population chinoise, qui devrait s’accélérer, et celle de nombreux autres pays.

En France, nous n’en sommes pas là, mais la baisse de la fécondité va nous rapprocher du jour où la population va commencer à diminuer.

Avant d’examiner cette situation française, il faut rappeler le contexte mondial et les principales raisons de cette baisse.

 

Le contexte mondial

La baisse de la fécondité se répand dans le monde entier, et cela dans les trois parties du monde que l’on distingue habituellement :

  1. Celle où la diminution de la population est déjà très sensible, le cas le plus connu est celui du Japon avec 850 000 habitants de moins en 2022. La Chine vient de rejoindre ce groupe, ainsi que de nombreux autres pays.
  2. Celle où la population semble croître, mais dont la diminution va se concrétiser bientôt. C’est le cas de l’Inde, des États-Unis et de la France : la diminution du nombre de parents va automatiquement entraîner celle de la population.
  3. Celle où la population est en croissance rapide, principalement d’Afrique subsaharienne, mais où la fécondité a déjà nettement baissé. Pour l’instant, la rapidité de succession des générations et l’augmentation du nombre de parents font plus que compenser cette baisse de la fécondité, du moins pour encore quelques dizaines d’années.

 

Au passage, il faut signaler une croyance répandue selon laquelle l’islam est une cause de forte fécondité, alors que l’examen montre que c’est le niveau de développement qui est déterminant : les pays musulmans profondément sous-développés, comme ceux du Sahel, ont une fécondité élevée, mais elle n’est que moyenne dans les pays musulmans où le développement est bien amorcé, comme le Maroc, la Tunisie, l’Iran, l’Indonésie…

Et il n’y a pas que des pays musulmans qui ont une forte fécondité, c’est aussi le cas de certains pays chrétiens africains, et de certaines communautés comme les Amish en Pennsylvanie ou les Juifs orthodoxes de New York, et de certains quartiers de Jérusalem.

Certaines causes de cette baisse de la fécondité sont les mêmes dans l’ensemble des pays, et sont bien connues et étudiées. Il s’agit de la scolarisation des filles, des difficultés de logement, du coût de l’éducation, de la diffusion de la contraception. Tout cela se trouve en général dans les grandes villes. On passe ainsi d’une famille villageoise où l’agrandissement de la maison ne coûte pas cher et où les enfants aident les parents dans les champs ou pour l’élevage, à un univers urbain complètement différent.

D’où l’idée généralement répandue que l’urbanisation est la principale cause du déclin de la fécondité à l’échelle mondiale.

Mais, à mon avis, il y en a une autre dont on ne parle pas.

 

Le rôle des systèmes de retraite

Une motivation importante pour avoir des enfants est que quelqu’un s’occupera de vous pendant vos vieux jours. Ce qui explique par ailleurs la préférence pour les garçons dans les sociétés traditionnelles, la fille devant s’occuper de sa famille et de son mari.

Or, à partir du moment où existe un système de retraite, cette motivation disparaît, on est moins enclin à faire des sacrifices financiers pour un deuxième enfant, le premier étant supposé être un garçon, au besoin au prix d’un avortement, ou d’un abandon si c’est une fille.

Pour parler brutalement, avoir une retraite, c’est permettre de ne pas avoir d’enfant et de compter sur ceux des autres. Cela non seulement pour la financer, mais surtout pour pouvoir assurer les prestations nécessaires : on oublie qu’il ne faut pas seulement de l’argent, mais surtout des garde-malades, des infirmiers, des médecins… qui vont manquer justement parce qu’on a moins d’enfants ! Sauf immigration, qui se fera probablement de toute façon pour cette raison, malgré l’hostilité de l’opinion publique.

Par ailleurs, un système de retraite généralisé suppose un certain développement économique, c’est à mon avis un lien qu’on oublie entre la baisse de la fécondité et le développement.

 

L’alerte

Cette baisse de la fécondité a longtemps été ignorée du grand public car la population continue à augmenter. Mais cela parce que l’augmentation du nombre de personnes âgées, conséquences des progrès de la médecine, masquait la diminution du nombre de jeunes, ce qui a largement faussé les idées des écologistes.

Il y a eu quelques lanceurs d’alerte précurseurs, dont le plus ancien est Alfred Sauvy (1916–1990) que j’ai connu à la fin de sa carrière, que je considère comme le père de la démographie moderne et qui a largement contribué intellectuellement à la législation nataliste française. On peut citer également le site Pronatalist.org, qui prévoit un « effondrement de la civilisation ». Ce courant est notamment illustré par Elon Musk, pour qui cet effondrement est « un bien plus grand risque que le réchauffement climatique ». À 51 ans, le nouveau patron de Twitter est déjà père de dix enfants.

 

La situation française

La France était en dépeuplement relatif depuis Louis XIV, et a été battue par la Prusse en 1870, notamment du fait de son infériorité numérique.

Elle s’est trouvée ensuite en dépeuplement  « naturel », c’est-à-dire hors immigration, jusqu’en 1939. Pour le contrebalancer, elle a attiré des immigrants italiens puis polonais, puis des Juifs fuyant le nazisme.

Ensuite, grâce à sa politique nataliste développée de 1938 à 1946 (allocations familiales, parts fiscales diminuant l’impôt sur le revenu…), le baby boom est allé au-delà du rattrapage des naissances perdues pendant la guerre, contrairement aux autres pays où il a été bref et moins intense. Avec le recul, on constate que si les avantages financiers ont joué un rôle, celui-ci a été accentué par une atmosphère favorisant le cumul emploi-maternité. Contrairement à l’attitude traditionnelle alors en vigueur dans les autres pays où la mère de famille est censée rester à la maison.

Ce dernier point a justement été un argument pour les gouvernements de gauche : « favoriser la fécondité est un moyen pour la droite de pousser les femmes à rester à la maison ». Pour cette raison et également par égalitarisme « pourquoi distribuer de l’argent aux riches ? », les incitations financières ont été plafonnées par les gouvernements de gauche, et l’atmosphère générale a été moins favorable.  Le mot « nataliste » est devenu négatif.

Finalement, après des fluctuations, (moindre fécondité dans les années 1980 et 1990, reprise au début des années 2000), on se retrouve avec une baisse des naissances assez prononcée.

En août 2023 on constate une chute de 8 % par rapport à août 2022, selon les chiffres provisoires publiés par l’Insee. Depuis le début de l’année, on comptait déjà environ 35 000 naissances de moins en 2023 qu’en 2022.

L’année pourrait se terminer avec environ 700 000 naissances, soit la pire année depuis 1945.

Une partie de cette baisse est due à l’augmentation continue de l’âge de la maternité : on retarde de plus en plus le moment d’avoir des enfants, ce qui diminue la taille de chaque promotion. L’âge moyen des mères à la naissance est ainsi passé de 30,2 à 31,2 en dix ans.

On peut penser qu’il y aura un rattrapage partiel un jour, lorsque, vers la quarantaine, les femmes verront qu’il ne leur reste que quelques années pour concrétiser leur souhait, qui est en moyenne de plus de deux enfants. Mais avoir des générations creuses aujourd’hui pour en avoir (peut-être) de moins creuses demain ne fait que perturber beaucoup d’activités, à commencer par l’école.

Et la France est relativement en meilleure situation que le reste de l’Europe, avec 1,8 enfant par femme contre 1,3 en moyenne dans les autres pays. Et, comme en France, la chute s’est accentuée encore récemment, sauf au Portugal, avec une baisse de 4,9 % dans l’ensemble de l’Union entre 2021 et 2022. En Estonie et en Grèce, la chute a été de plus de 10 %.

 

Que faire ?

La question est maintenant largement débattue, et de nombreux gouvernements ont voulu imiter la France de 1939 en aidant financièrement les familles.

Les résultats ont été faibles ou nuls. En effet, le problème n’est pas purement financier : par exemple, ce ne sont pas les allocations qui vont augmenter le nombre de logements disponibles et faire baisser leur prix, elles ne feront que renchérir les loyers !

Nous avons vu qu’un des points clés est de faciliter l’organisation des mères de famille qui veulent en grande majorité travailler. Les gouvernements se penchent à juste titre sur le nombre de crèches, mais les crèches officielles ont un taux d’encadrement qui fait qu’on ne peut pas les multiplier… puisque les jeunes ne sont pas assez nombreux. La conséquence est évidemment la création de crèches privées, officielles, ou pas, et dans ce cas moins encadrées ! Ou l’appel à des nounous, massif dans mon quartier et probablement ailleurs, et qui sont très majoritairement issues de l’immigration…

Sur le plan économique, ces crèches et ces nounous permettent à des femmes qualifiées de se consacrer à leur carrière, d’abord parce qu’elles le souhaitent, et ensuite parce que le manque de personnel pour faire tourner l’économie est criant.

Nous avons vu que la généralisation des retraites est également une cause importante de la baisse de la fécondité. Mais personne n’en parle, et on ne voit pas bien quelle conclusion en tirer, personne ne voulant supprimer ce qui est considéré comme une grande conquête sociale dont tout le monde pense bénéficier.

Et pour finir, ajoutons que non seulement le vieillissement va rendre très pénible la nuit des retraités faute de bras, mais aussi la production nationale dans son ensemble. Une enquête diffusée par The Economist ajoute qu’il y aura baisse de la créativité : une étude fondée sur le nombre et la nature des brevets montre que la baisse de la proportion de jeunes, non seulement diminue la créativité, mais surtout freine l’innovation de rupture.

Comme le vieillissement semble inévitable, ce journal estime que le seul remède est d’augmenter le niveau de formation de la population. C’est envisageable dans les pays mal scolarisés, mais il faudrait des réformes profonde en Occident, et particulièrement en France.

 

En conclusion

Avec quelques collègues, je sonne l’alarme depuis des décennies sur les conséquences irréversibles de la baisse de la fécondité. Je suis donc heureux de cette actuelle prise de conscience, qui est due en partie au débat sur les retraites, et navré de voir que les écologistes l’ont retardée avec leur crainte de la surpopulation de la planète.

Mais cette prise de conscience est encore partielle, comme en témoigne le ton un peu sceptique de l’article du journal Les Échos du 16 janvier 2023 sur ce thème. Plus généralement, je ne suis pas cru lorsque je dis que certains pays auront disparu dans moins d’un siècle, dont probablement le Japon et la Corée, mais aussi une bonne part des pays européens.

Tout cela paraît encore bien abstrait et lointain. Mais certaines conséquences sur la production nationale se font déjà sentir, notamment dans les services aux personnes âgées. Il faut donc continuer à expliquer sans relâche que les prestations dont nous bénéficions ne tombent pas du ciel, ne sont pas une question d’argent, mais nécessitent le travail du plus grand nombre de personnes possible. On retombe sur la question du recul de l’âge de la retraite et de l’immigration.

Et de toute façon, il faudrait enclencher une politique nataliste vigoureuse (campagnes, congé maternité mieux indemnisé pour toutes, y compris indépendants, crèches, avantages famille dès deux enfants, réduction d’impôts, etc). De plus, il faudra l’afficher franchement pour casser le pessimisme actuel et l’ambiance antinataliste, tout en étant conscient qu’il faudra des dizaines d’années pour remodeler la pyramide des âges.

[PODCAST] Ôde au sublime et révolutionnaire Bitcoin ! Avec Faune Radio

Épisode #42 

Fauno le Faune est un passionné de Bitcoin qui anime la chaîne Faune Radio sur YouTube.

Ses vidéos abordent des questions diverses autour de Bitcoin en tant qu’objet politique, sociologique, médiatique, historique, philosophique, etc. Dans cet entretien nous parlons du rapport que peuvent entretenir avec Bitcoin des personnes qui ne viennent pas d’une tradition intellectuelle libérale. Enregistré à Paris le 19 septembre 2023. Production et réalisation par Pierre Schweitzer.

Pour soutenir l’émission en utilisant Bitcoin, vous pouvez faire un don en BTC à l’adresse suivante : bc1qgf48xvqq25xsaqz7vae7l5v8azhl2suden98nv, ou encore en Lightning à l’adresse contrepoints_donate@lnmarkets.com

Pour écouter l’épisode, utilisez le lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page ou cliquez directement ici.

Programme : 

Introduction – 0:00

Présentation de l’invité – 1:45

Pourquoi Bitcoin plutôt que « les cryptos » ? – 6:44

Venez pour la technologie, restez pour la philosophie ? – 12:26

« Je suis assez peu perméable à la poésie de la liberté » – 15:25

« Le Bitcoin ? C’est avant tout des rencontres » – 19:31

Bitcoin comme institution – 23:16

La théorie économique autrichienne est-elle hégémonique au sein de Bitcoin ? – 24:46

Pourquoi la gauche libertaire ne s’empare-t-elle pas du phénomène Bitcoin ? – 27:34

Quel est l’aspect le moins bien compris du public dans Bitcoin ? – 33:43

D’où vient la valeur de Bitcoin ? – 36:28

Ne faut-il pas protéger les investisseurs trop crédules ? – 40:19

Bitcoin peut-il survivre à une intégration au système financier ? – 43:16

Bitcoin et le complotisme – 45:12

Quelques conseils pour débuter – 51:53

Quel futur pour la chaîne Faune Radio ? – 54:52

 

Ressources complémentaires : 

Pierre Schweitzer invité sur le live de Faune Radio

La monnaie acéphale (J. Favier, A. Takkal-Bataille)

La voie du Bitcoin

Totem et Tabou de Yorick de Mombynes  

Les conférences de Mael Rolland

L’article d’Alexandre Stachtchenko sur Bitcoin et l’environnement

Contrepoints Podcast avec Ludovic Lars

Contrepoints Podcast avec Yorick de Mombynes 

Bitcoin « White Paper », l’article originel de Satoshi Nakamoto

Pour nous suivre : 

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« Pourquoi les humanités sauveront la démocratie » d’Enzo Di Nuoscio

C’est un thème que nous avons eu l’occasion d’évoquer à de nombreuses reprises à travers de multiples articles (voir liste non exhaustive à la fin de ce texte), qui se trouve traité en tant que tel à travers ce passionnant ouvrage.

Celui des périls qui touchent la démocratie, et plus spécifiquement ici la manière dont celle-ci peut espérer être sauvée : grâce aux humanités et aux sciences sociales.

 

Démocratie et humanités

Dans sa préface, Philippe Nemo – qui est aussi le traducteur en français du dernier ouvrage du professeur de philosophie des sciences italien Enzo Di Nuoscio – commence par préciser le sens donné par l’auteur au mot « démocratie ».

Il faut considérer que l’on parle en l’occurrence d’« un type de société qui ne se caractérise pas seulement par les libres élections, mais, ceci étant condition de cela, par le respect de la personne individuelle, de la liberté de pensée et d’expression, et par l’économie de marché… ».

Une définition compatible avec la « société ouverte » poppérienne et la notion d’État de droit.

L’Europe est sortie du Moyen Âge et entrée dans la modernité grâce à l’humanisme et à la littérature, bien avant la mise au premier plan des sciences. Selon la thèse d’Enzo Di Nuoscio, c’est en préservant la dimension littéraire et humaniste de l’éducation donnée à sa jeunesse et à ses élites que la démocratie subsistera. Car culture littéraire et démocratie sont intimement liées depuis la naissance de cette dernière. Tant et si bien que – ainsi que le remarque Philippe Nemo – les « déconstructeurs » et autres tenants de la cancel culture font peser un risque élevé de désagrégation à nos sociétés démocratiques, sonnant le glas de la liberté et du progrès.

Loin des thèses positivistes, Enzo Di Nuoscio défend l’idée selon laquelle la démocratie a au contraire un lien essentiel avec le singulier, c’est-à-dire – précise Philippe Nemo – « avec ce qu’il y a d’unique et d’original dans chaque personne humaine individuelle comme dans chaque société historique » (ce qui me rappelle de bons mots lus avec délectation sous la plume de Simon Leys).

Et c’est toute l’importance de la culture humaniste que de faire prendre conscience de cette singularité par l’éducation. D’où le rôle primordial que jouent, dans ce contexte, spécialistes de la littérature, philologues, historiens, philosophes, moralistes, spécialistes des beaux-arts, mais aussi sciences politiques, géopolitique, psychologie, sociologie et économie.

 

Capacité critique et principes moraux

Quand l’ignorance prend le pas de manière préoccupante sur la connaissance inutile – pour paraphraser le titre d’un ouvrage de Jean-François Revel – il y a lieu de s’interroger sur l’avenir de nos sociétés.

Jamais nous n’avons disposé d’autant de moyens de nous informer, mais dans le même temps, autonomie de jugement, capacité critique, sens historique, principes moraux, semblent bien hélas de plus en plus faire défaut à nombre de membres de notre société.

Pour aider à lutter contre les croyances infondées, la crédulité, la rumeur et le conformisme, le culte de l’immédiat et de l’émotion, la tyrannie de l’opinion dominante ou au contraire des minorités, les idéologies, voire la bêtise, rien de tel que la transmission de valeurs, le développement de la capacité critique, l’apprentissage du discernement et de l’autonomie de jugement. Toutes choses qui passent notamment par l’éducation, mais aussi par la littérature et les humanités – dont l’étude a été de plus en plus restreinte, à tort, des enseignements. Avec en exergue la substitution de la confrontation des idées à l’affrontement entre les personnes, du dialogue à la force, de la coopération à l’anéantissement physique de l’adversaire.

Sujet ô combien d’importance, à l’heure où les démocraties libérales se trouvent fragilisées !

Autrement dit, il s’agit de protéger les individus eux-mêmes de la manipulation dont ils peuvent être l’objet du fait du développement de la tendance à la passivité, au manque de discernement, aux comportements rapides et instinctifs, aux caractères influençables, face à la poussée de l’information de toutes origines en provenance notamment des nouveaux médias ou formes de communication. Poussée propice au développement des croyances radicales, des idées infondées, des fanatismes et – sans aller jusque-là – des esprits doctrinaires et dogmatiques se basant davantage sur des a priori, des sources erronées, et un langage de plus en plus pauvre, que sur des raisonnements fondés sur la connaissance, la réflexion, et une culture humaniste.

Une manière de nous prémunir contre de graves désillusions, et dans une moindre mesure, d’éviter de sombrer dans cette « postdémocratie » gangrenée par la politique-spectacle et le partage du pouvoir par des élites, n’ayant plus que l’apparence de la véritable démocratie.

 

La contribution des humanités à la capacité de critique et à l’autonomie de jugement

À travers chacun des chapitres du livre, Enzo Di Nuoscio s’attache à mettre en valeur la manière dont chacune des grandes disciplines contribue à défendre les valeurs démocratiques fondamentales.

Tolérance, liberté de conscience, humilité, importance du débat, sont autant d’éléments qui s’opposent à la prétention des dictateurs à détenir la vérité, et à la présomption fatale qui, au détriment des libertés, prétend savoir ce qui doit être, faisant le lit des pires totalitarismes.

De l’étude de la philosophie des Mises, Popper, Hayek, Kelsen, Arendt et tant d’autres, l’auteur sait tirer les enseignements qui nous permettent de prendre conscience de l’importance de la réflexion et des savoirs. La démocratie est gage de pluralisme et de concurrence, qui sont capables de générer plus de connaissance, plus de solutions aux problèmes, et aussi plus de prospérité, que lorsque ces principes sont absents. La discussion critique, les échanges interindividuels, la libre coopération spontanée, sont autant de facteurs favorables aux progrès de la connaissance et à la diffusion des innovations, associés à la liberté d’action et à l’État de droit.

Ordre spontané plutôt que planification. Voilà ce qui est le mieux à même d’améliorer les conditions de vie et de nous écarter de la route de la servitude.

Or, montre Enzo Di Nuoscio, l’étude de la philosophie favorise la pratique de la démocratie, en amenant à se poser des questions, à rechercher la vérité tout en demeurant dans l’incertitude, s’écartant dans son esprit et ses méthodes de ce qui guide les idéologies. Mue par l’éthique, l’échange et la confrontation des idées, au lieu d’être prisonnière des préjugés et des dogmatismes, elle est – pour paraphraser le titre d’un ouvrage de Damien Theillier – un chemin de liberté.

De même, l’étude des lettres forme l’esprit, démontre Enzo Di Nuoscio, rappelant au passage que le miracle culturel de l’Athènes du Ve siècle avant Jésus Christ et de l’avènement de la démocratie s’explique en grande partie par l’invention du marché du livre, favorisant la diffusion rapide de la lecture et de l’écriture, qui ont permis la propagation de nouvelles idées et les progrès intellectuels, mais aussi une meilleure capacité d’exercer un jugement critique, et donc de contrôler le pouvoir, en étant moins à la merci des démagogues.

Ainsi, plus un esprit est formé et informé, entre autres à l’analyse et la critique de textes, moins il est en principe exposé à la tentation de la simplification, à l’idéologie, aux réactions émotionnelles.

 

« Même en démocratie, le pouvoir a une certaine tendance à se dissimuler pour échapper au contrôle, en utilisant les moyens les plus divers (manipuler l’information, faire passer des choix politiques pour des décisions techniques, etc.). Or cette tendance peut également être combattue en renforçant les attitudes philologiques ou littéraires de l’Homo democraticus, en renforçant sa capacité à saisir les significations, à mettre en lumière ce qui est implicite ou caché dans une proposition ou dans une discussion, à surmonter les obstacles à la compréhension de certaines informations, dont il n’est pas rare qu’ils soient mis en place précisément dans le but de rendre certaines décisions moins visibles et donc moins contrôlables. »

 

L’insatisfaction comme état latent de l’homo democraticus

Comme l’analyse l’auteur, « les démocraties vivent dans un état de crise congénital et permanent ».

À force de susciter des attentes et des idéaux difficilement ou seulement partiellement atteignables, voire parfois contradictoires, relevant en partie du mythe, elles donnent lieu à beaucoup de frustration et d’insatisfaction.

La rapidité des transformations et le règne de l’immédiateté, qui s’ajoutent à la complexité croissante des sociétés, rendent ceux qui sont nés avec la démocratie peu en état de mesurer la portée des paradoxes qui menacent la démocratie elle-même. Encore une fois, c’est dans les humanités – et ici en l’occurrence dans la connaissance historique – que nous sommes en mesure de trouver des réponses.

Dévalorisant le passé, et frustré par le présent – qui ressemble souvent à une tyrannie du moment – « l’Homo democraticus devient ainsi une sorte d’Homo currens, en fuite perpétuelle dans le présent, en proie à une continuelle « tyrannie de l’urgence » et, de plus en plus aussi, un Homo querelus – c’est-à-dire plaintif, gémissant, criard – qui critique continuellement le monde dans lequel il vit », plutôt que de savoir apprécier les grandes réalisations de son temps et les améliorations qu’elles ont pu apporter à une vie qu’il ne sait plus apprécier à sa juste mesure.

Au point que beaucoup seraient prêts à troquer la démocratie contre une dictature, ne voyant pas que les maux seraient certainement les mêmes, certains droits et libertés en moins.

C’est là que la connaissance historique intervient et peut en faire prendre conscience, permettant de mieux appréhender le présent, et comprendre en quoi la démocratie est le fruit (non irréversible, ayons-en conscience) d’un processus très lent de maturation, fruit de tout un passé agité loin de la relative quiétude que nous avons la chance de connaître aujourd’hui – pourtant inimaginable il y a encore quelques décennies à peine. Des réalités dont n’ont souvent même pas conscience ceux que Pierre Bentata appelait dans un ouvrage « des jeunes sans histoire ».

Il en va même des sciences sociales, dont la connaissance peut être utile à conjurer le danger constructiviste, dont la tentation est grande face aux insatisfactions, mais dont les projets planificateurs du XXe siècle, réduisant fortement ou supprimant les règles démocratiques, ont eu des effets véritablement ravageurs.

Prétendre changer la société ou changer l’Homme mène où nous savons

Dans ces conditions, la connaissance des effets pervers de toute présomption fatale (Hayek) à remplacer l’ordre spontané par la planification et les bonnes intentions doit permettre d’éviter de sombrer dans les mêmes erreurs ou tragédies.

La société ouverte popperienne est mieux indiquée que toute prétention à faire advenir le paradis sur Terre par l’interventionnisme.

 

« De même que la science renonce à la certitude, de même la démocratie ne vise pas à construire la société parfaite ; de même que la science progresse par la discussion critique précisément parce que aucun scientifique ne possède de vérités définitives, de même la démocratie progresse par le dialogue parce que personne ne possède le plan de la société parfaite ; de même que la science progresse en éliminant les erreurs, sans jamais parvenir à une vérité définitive, de même la démocratie progresse en réduisant les « misères », sans chercher à réaliser d’emblée la société idéale ; et de même enfin que la discussion en science doit respecter les règles de la méthode scientifique, de même le débat public en démocratie doit se développer dans le cadre des règles de l’État de droit. »

 

Autrement dit, le réformisme graduel issu de la discussion critique et du débat public est mieux à même d’identifier les problèmes et de tenter de les résoudre ou apaiser, par l’art du compromis, plutôt que de se fonder sur des idéologies fermées sur elles-mêmes prétendant mettre en œuvre de manière autoritaire une société parfaite.

Face aux crises économiques notamment, la compréhension des mécanismes en jeu grâce aux sciences sociales doit permettre d’éviter de tomber dans les peurs exagérées, l’irrationnalité, les croyances infondées, les réactions émotionnelles, les théories du complot, les excès conduisant à rechercher des boucs émissaires – au premier rang desquels la démocratie.

Ce qui s’est produit, rappelons-nous, au moment de la montée du fascisme et du nazisme (et de l’antisémitisme).

 

Humanités et capacité créative

Se basant sur les enseignements d’Edmund Phelps sur la croissance, mais aussi – entre autres – sur ceux d’Israël Kirzner concernant l’esprit d’entreprise, Enzo Di Nuoscio montre en quoi l’enseignement des humanités est indispensable à l’esprit créatif.

L’esprit critique, la capacité à résoudre des problèmes et par conséquent à entreprendre et innover, ne peuvent provenir de la seule connaissance mathématique ou scientifique. C’est pourquoi il considère que le recul des humanités dans l’enseignement ces dernières années est une erreur majeure.

De la même manière, la compréhension de la science économique et les avancées qu’elle peut connaître ne peut provenir du seul recours à la formalisation et aux mathématiques. Là encore, la disparition de sa dimension de science sociale est donc une erreur. Elle aboutit à produire des techniciens hyperspécialisés mais en manque de repères, et donc parfois relativement ignorants, pour lesquels la formalisation devient une fin en soi, au détriment du sens. Ce qui est susceptible de produire de graves effets pervers lorsqu’ils formulent des propositions de politiques économiques fondées sur des modèles hermétiques dépourvus de toute comparaison avec la réalité, constituée d’une multitude d’actions humaines au caractère souvent subjectif et imprévisible.

C’est pourquoi les conditions de l’esprit scientifique supposent forcément une approche pluridimensionnelle et pluridisciplinaire, que seule une bonne formation en humanités et sciences sociales est à même de permettre. Ce qui est fondamental quand on considère que démocratie et économie de marché sont liées. Mais aussi parce que la résolution des problèmes les plus complexes de la société, par nature multidimensionnels, exigent des collaborations interdisciplinaires et une vision globale de ces problèmes, au-delà des compétences spécialisées.

Ainsi, le morcellement des savoirs, notamment technico-scientifiques, « n’est pas une bonne chose pour la démocratie ». Une société technocratique risque de sombrer dans un certain conformisme et être soumise à des problèmes moraux. C’est pourquoi l’éducation humaniste est un élément unificateur indispensable qui doit permettre d’appréhender un problème mettant en connexion ces différentes formes de connaissance. Puis, ceux qui appliquent ces connaissances, même dans les emplois routiniers – nous dit Enzo Di Nuoscio – doivent être capables de relier leurs actions aux dynamiques sociales, économiques et politiques, mais aussi éthiques. Ce qui aboutira pour eux à une meilleure harmonie avec la société, plutôt que de se sentir contraints d’agir de manière purement mécanique.

 

L’importance de la littérature et de l’art

Le langage occupe une place première dans l’émergence et la formalisation de la pensée.

Comme l’écrit l’auteur :

« Avoir une langue plus pauvre signifie avoir une pensée plus pauvre et donc voir le monde avec des catégories interprétatives plus pauvres. La langue, nous fait remarquer Klaus Kraus, est mère et non fille de la pensée ».

Il s’ensuit un appauvrissement des aptitudes critiques et, par extension, de la démocratie.

Si « la capacité philologique de comprendre le sens des textes ou des discours, d’élaborer un raisonnement, d’argumenter selon leurs propres raisons et de comprendre celle des autres, de posséder une bonne dose de jugement indépendant » et même de maîtriser le vocabulaire, ne sont plus très présents, alors la politique risque de s’assimiler au plébiscite et se réduire au oui ou non, réduisant le peuple au rang de simple troupeau. Faisant le lit des totalitarismes, à l’instar de ce que Big brother entreprend à travers la purge du langage dans le roman 1984 de Georges Orwell.

C’est en ce sens que la littérature, notamment classique, permet non seulement d’enrichir notre vocabulaire, mais aussi notre compréhension du monde, de découvrir la diversité des expériences possibles éloignées de notre vie quotidienne, des ressentis susceptibles de développer notre empathie, et que sans cela nous ignorerions. Une exploration de territoires étrangers et autrement inaccessibles que permet également l’art, opportunité de découverte de la réalité.

En d’autres termes, pour reprendre la formulation d’Enzo Di Nuoscio, « la littérature et l’art nous font sortir du village de notre existence ».

Reprenant les termes d’Umberto Eco, il ajoute à juste titre que « ceux qui ne lisent pas n’auront vécu qu’une seule vie à 70 ans, la leur. Celui qui lit aura vécu cinq mille ans… ».

Et il ajoute que la lecture nous permet de mieux comprendre les autres en nous relativisant nous-mêmes, nous évitant de nous enfermer dans le monde de l’entre-soi. C’est une émancipation à l’égard des préjugés, une aptitude à voir à travers les yeux des autres, à travers une palette très diversifiée de ressentis comme de temporalités, un sens du possible et de la liberté. Elle favorise l’imagination, la catharsis, permet d’envisager le large éventail des possibles et nous invite à explorer la pluralité des visions de l’existence et de l’âme humaine, de manière plus concrète et puissante que ne le permet la philosophie.

En définitive, cette imagination cultivée est ce qui permettra mieux, dans un cadre démocratique, de concevoir les conséquences possibles de propositions politiques qui auront des conséquences bien réelles sur la vie des gens.

Il s’agit donc d’un point essentiel de notre éducation démocratique, mais aussi de la capacité de nos décideurs politiques, chercheurs, scientifiques, entrepreneurs, à faire preuve d’imagination, de responsabilité et de créativité dans leurs orientations, réflexions et propositions. En ce sens, elle est aussi parfois crainte des régimes politiques. Car cet instrument de liberté rend moins manipulable et moins asservi.

Mais ce n’est pas le seul avantage :

« Elle crée « une sorte de fraternité au sein de la diversité humaine et éclipse les frontières érigées par les hommes et les femmes par l’ignorance, les idéologies, les religions, les langues, la sottise » (Mario Vargas Llosa). C’est pourquoi les « sociétés fermées » éliminent la littérature libre et entreprennent de faire coïncider les vérités littéraires de la littérature du régime avec la prétendue vérité historique promue par celui-ci. »

 

La démocratie à l’ère du numérique

L’ère du numérique est aussi celle de la surabondance d’information, mais dans le même temps de l’ignorance relative.

Tout va très vite, et l’information se fait par procuration, en s’en remettant un peu trop rapidement à ce que l’on trouve sur internet, sans pouvoir ou sans prendre la peine la plupart du temps de vérifier la source. Ce qui conduit souvent à la perplexité, voire à la crédulité et au prêt-à-penser. Avec l’illusion de pouvoir se passer de l’avis et des connaissances des scientifiques, savants, spécialistes d’un domaine, pour préférer se fier aux croyances de ses semblables. La dangereuse illusion de l’égalité entre les idées, sous couvert de démocratie et sous prétexte de respecter les opinions de tous. Entre biais de confirmation et tyrannie de la majorité (quand ce n’est pas de minorités ou du politiquement correct), on risque bien alors de dériver vers ce que Tocqueville identifiait comme une forme de despotisme.

La manipulation et les fausses informations peuvent alors l’emporter aisément sur la vérité, s’appuyant en outre sur la force des émotions. D’où l’importance de développer l’esprit critique pour contrer les nombreux dangers qui en découlent. On en revient aux humanités et à l’éducation humaniste, qui doit permettre de favoriser l’autonomie de jugement et initier à la complexité, plutôt que de se laisser happer par son fil d’information personnalisé qui s’autoalimente et vous entraîne inéluctablement vers ce que vous voulez entendre.

« Construire un esprit critique à travers les humanités et les sciences sociales est une bonne assurance contre le risque de réactions irrationnelles, car elles nous éduquent à la complexité du monde. Elles nous aident à savoir vivre avec les fragilités humaines, l’incertitude, les différences, les difficultés, et même avec l’impossibilité de distinguer le bien du mal. Elles nous aident à nous familiariser avec les contradictions qui accompagnent nécessairement nos vies, fortement accentuées dans le monde interconnecté de la société liquide ».

 

 

À lire aussi :

L’antisémitisme d’extrême gauche de plus en plus redouté par les étudiants juifs

Le journal Le Parisien a récemment fait paraître une étude de l’IFOP réalisée en association avec l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), dont il ressort que les actes antisémites (remarques, injures, agressions) stagnent, voire progressent à l’université : 91 % des étudiants juifs interrogés disent en avoir été victimes ! Et ce alors que l’antisémitisme et la haine d’Israël sont considérés comme répandus à l’université par seulement 28 % des étudiants (juifs et non-juifs) interrogés – contre 56 % pour le racisme et l’homophobie, et 63 % pour le sexisme.

On apprend par ailleurs – et c’est notamment ce chiffre qui nous intéresse ici – que 83 % des étudiants juifs interrogés redoutent « les actes et violences d’extrême gauche », et 63 % ceux d’extrême droite. Cette étude révèle donc très clairement ceci : les étudiants juifs semblent aujourd’hui craindre davantage l’extrême gauche que l’extrême droite.

Ces résultats mettent donc à mal l’idée rebattue que l’ultragauche incarnerait toujours et nécessairement le « combat antifasciste », et que l’extrême droite détiendrait le monopole de l’antisémitisme.

Comme l’indique Frédéric Dabi, (IFOP), « avant, c’est de Jean-Marie Le Pen que venaient les inquiétudes. Aujourd’hui, c’est de Jean-Luc Mélenchon ».

 

Vers une nouvelle « gauche Corbyn » ?

On se rappelle la récente la polémique, survenue en août 2023, autour de l’invitation du rappeur Médine aux universités d’été de LFI et des écologistes, et qui a renforcé l’idée qu’il existe une complaisance de l’ultragauche à l’égard de l’antisémitisme.

Caroline Yadan, députée Renaissance, avait alors qualifié Médine de « rappeur islamiste et antisémite adepte de la quenelle, des Frères musulmans et des doubles discours, ami de Tariq Ramadan et de Dieudonné, admirateur d’Alain Soral et auteur d’un calembour déshumanisant sa victime juive ».

Mathieu Lefèvre, député lui aussi Renaissance, avait soutenu pour sa part qu’« il n’y a plus rien de républicain dans La France insoumise », ajoutant qu’« il y a un antisémitisme de gauche et d’extrême gauche qu’il faut combattre dans notre pays ».

C’est dans ce cadre-là que Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan ont organisé un colloque intitulé « Les habits neufs de l’antisémitisme », qui a eu lieu le 11 septembre 2023 à l’Assemblée nationale.

Un colloque dont la tenue est révélatrice d’une inquiétude, ainsi que le rappelle un récent article du Point : celle de voir une « gauche Corbyn » détrôner la gauche laïque et républicaine, jadis incarnée par Jaurès.

Pourquoi cette référence à Jeremy Corbyn, ancien chef du Parti travailliste au Royaume-Uni entre 2015 et 2020 ?

Car ce dernier fut accusé en 2020 de complaisance envers l’antisémitisme exprimé au sein du Labour ; or loin d’être boycotté, il fut reçu en juin 2022 par Danièle Obono et Danielle Simonnet (LFI), alors candidates aux élections législatives. « Beaucoup d’émotion et de fierté de recevoir, ce soir, Jeremy Corbyn, député de Londres », avait même tweeté Danielle Simonnet le 3 juin 2022.

 

Des préjugés aussi navrants qu’archaïques, remontant à Marx même

Selon l’enquête de l’IFOP récemment publiée, 24 % des étudiants interrogés considèrent que les Juifs sont plus riches que la moyenne ; et 18 % jugent qu’ils ont un pouvoir excessif dans le domaine de la finance et des médias.

Ces données font écho à une étude de 2022 réalisée par la Fondapol et l’American Jewish Committee (AJC), qui établissait qu’un tiers de l’électorat de Mélenchon adhère à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », alors que ce chiffre est d’un peu plus d’un quart pour la population en général.

Propos dont la stupidité le dispute à l’archaïsme, et dont l’origine remonte sans doute à Marx lui-même et son livre Sur la question juive (1843), aux écœurants relents antisémites. Un texte qu’Hitler avait d’ailleurs attentivement lu, et dont on donnera les quelques citations qui suivent :

« Il y a un Juif derrière chaque tyran, tout comme il y a un Jésuite derrière chaque Pape. En réalité, les espoirs des oppresseurs seraient vains et la guerre pratiquement impossible s’il ne se trouvait quelque Jésuite pour endormir les consciences et quelque Juif pour faire les poches. » (cité dans l’article de Pierre Schweitzer pour Contrepoints)

« Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, la cupidité (Eigennutz). Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son dieu ? L’Argent. » (cité dans La Grande Parade, de Jean-François Revel, Paris, Plon, 2000, p. 122.)

D’où pour Marx la nécessité de faire advenir le communisme, qui est selon lui « l’organisation de la société qui ferait disparaître les conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible. » (cité dans ibid.)

Peut-être subsiste-t-il encore des traces, dans les mentalités sclérosées de l’actuelle ultragauche, de l’« association délirante entre judéité, individualisme et capitalisme » comme dit Revel à propos du texte précité de Marx (ibid.) ?

La tendance des jeunes Français à devenir végétaliens nuit à leur santé et à l’environnement

Par : Jason Reed

Le véganisme est aujourd’hui une tendance croissante dans le monde occidental, en particulier chez les jeunes. Les végétaliens vantent les bienfaits pour la santé d’un régime alimentaire à base de plantes.

Ils sont également nombreux à observer l’impact environnemental de l’élevage sur les émissions de gaz à effet de serre. Un mouvement mondial pousse aujourd’hui de plus en plus de personnes à adopter le véganisme afin d’enrayer le changement climatique et « sauver » la planète.

Pourtant, le véganisme a un côté sombre ; ses effets sur notre santé et sur l’environnement ne sont pas aussi simples que le prétendent ses partisans.

 

Un phénomène en pleine expansion

Il ne fait aucun doute que le véganisme gagne en popularité.

Selon certaines études, il y aurait 88 millions de végétaliens dans le monde. La France ne fait pas exception. Environ 340 000 Français sont végétaliens, et un million de plus sont végétariens. La tendance est particulièrement marquée chez les jeunes. En France, plus d’une personne sur dix âgée de 18 ou 19 ans est végétalienne. C’est beaucoup plus qu’en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

Grâce à la demande croissante d’aliments d’origine végétale, les substituts de la viande et du lait se vendent plus rapidement que jamais. Selon le Good Food Institute, les ventes au détail de substituts de viande à base de plantes atteindront 6,1 milliards de dollars en 2022. Les défenseurs du véganisme considèrent cette tendance comme une révolution en matière de santé et d’environnement.

 

Un régime alimentaire pas si écolo

La nature offre très peu de sources de protéines autres que la viande, les produits laitiers et les œufs. Après tout, une personne ne peut consommer qu’une quantité limitée de haricots et de lentilles.

C’est pourquoi certains ingrédients apparaissent fréquemment dans les aliments végétaliens, qui remplacent les produits d’origine animale. Le soja, par exemple, est présent dans les substituts de viande que sont le tempeh et le tofu, tandis que le lait de soja est un substitut très répandu.

Le soja est donc un élément essentiel de la plupart des régimes alimentaires à base de plantes. Malheureusement, dans leur empressement à rejeter les produits d’origine animale, les végétaliens se sont engagés dans la consommation de produits tels que le soja, dont l’impact sur l’environnement est grave et de grande ampleur. La production de soja provoque l’érosion des sols, la déforestation à grande échelle, et des sécheresses. Tout cela s’ajoute à des niveaux importants d’émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement de la planète, tout comme l’élevage de vaches pour produire de la viande et du lait.

D’autres substituts au lait font des ravages sur l’environnement de diverses manières.

On a découvert que deux marques populaires de lait d’avoine contenaient l’herbicide glyphosate, qui a été associé à de nombreuses catastrophes écologiques. Tout comme l’élevage de vaches, la production de lait de riz génère du méthane. Pour ne rien arranger, il contient parfois de l’arsenic. La production d’amandes contribue aux sécheresses et décime les populations d’abeilles. La culture de la noix de coco, nécessaire à la production de lait de coco, détruit les qualités nutritionnelles du sol, le rendant inutilisable pour d’autres cultures.

D’autres produits végétaliens courants ne sont pas mieux lotis.

L’alternative au cuir proposée par la communauté végétale, appelée pleather, permet d’éviter les émissions de méthane émis par les élevages de vaches nécessaires à la production du cuir traditionnel. Toutefois, la majorité des cuirs synthétiques contiennent des matières plastiques telles que le polyuréthane et le chlorure de polyvinyle, qui sont généralement non biodégradables, et dont la production fait souvent appel au chlore, au pétrole et à d’autres produits chimiques.

Ces mêmes produits sont dénoncés par les défenseurs de l’environnement qui promeuvent le véganisme en nous avertissant qu’ils sont en train de tuer la planète.

 

Le véganisme : meilleur pour la santé ?

En matière de santé, le véganisme échoue une fois de plus lamentablement. Les risques sanitaires associés aux régimes à base de plantes sont trop nombreux pour qu’on puisse tous les citer.

Ces risques comprennent la perte de cheveux, l’anémie, la faiblesse musculaire et osseuse et l’irritation de la peau. Ils sont particulièrement graves pour les femmes et les enfants, qui courent un risque accru de malnutrition dans le cadre d’un régime végétalien sans compléments alimentaires.

Certains prétendent que le remplacement de la viande et des produits laitiers par des produits à base de soja réduit le risque de cancer, mais les preuves scientifiques suggèrent qu’il n’y a guère de différence. En revanche, les dangers pour la santé associés à une consommation accrue de soja sont graves et bien établis. Une étude menée par l’université de Californie à Riverside et publiée dans la prestigieuse revue Endocrinology a établi des liens entre la consommation de soja et le diabète, l’obésité, la résistance à l’insuline, et la stéatose hépatique.

Les recherches ultérieures de cette équipe ont permis de découvrir les effets alarmants de la consommation de soja sur le cerveau. Le soja affecte l’hypothalamus, qui régule le métabolisme, la température corporelle, et d’autres fonctions vitales. Les scientifiques ont découvert des perturbations dans l’activité normale du cerveau et dans la production d’hormones, en particulier en ce qui concerne l’ocytocine, l’hormone de l’amour. Les chercheurs craignent qu’en extrapolant ces effets sur tout une vie, la consommation de soja puisse contribuer à des maladies telles que l’autisme et la maladie de Parkinson.

Vouloir faire sa part pour l’environnement est un objectif noble. De même, il est bénéfique d’être conscient des effets de nos choix alimentaires sur notre santé. Cependant, le mode de vie végétalien n’est pas la panacée que beaucoup déclarent. Il est souvent étonnamment malsain et peu respectueux de la planète.

Nous, omnivores, devrions pouvoir savourer notre viande et nos produits laitiers sans en avoir honte.

Société ouverte et vérité

S’agissant de parler de la vérité, de quels autres propos plus pertinents s’inspirerait-on, si ce n’est de Karl Popper ?

Il a énoncé comme principe de la connaissance scientifique qu’elle fasse l’objet d’un débat public, et comme critères de son impartialité, que toute théorie, aussi inattaquable puisse-t-elle paraître, soit soumise à la critique et à l’expérience dans des conditions reconnues par tous.

Seul le pouvoir politique, quand il s’oppose à la liberté de critiquer, peut entraver le libre cours du développement scientifique et technique – le lyssenkisme en est un exemple.

C’est bien sûr parce que, jusqu’à présent, la connaissance n’y avait pas été corrompue par l’idéologie que la science et la technique ont connu leur prodigieux essor en Occident. Ne cherchez pas ailleurs. L’impartialité du savant n’y suffit pas, son objectivité est en quelque sorte conditionnée par le débat public autour de ses hypothèses et ses expériences.

Karl Popper (1902-1994), fin observateur de son époque, reconnut cette qualité à Marx ; moins à Hegel qui, s’il fût le reflet de son temps, en fut surtout le produit dans sa quête insatiable de notoriété officielle ; aussi à Platon auquel Popper a consacré le premier tome de La société ouverte et ses ennemis (cf. la chronique du 31 décembre 2022) dont le second tome fait l’objet de cet article, tous et d’autres, des philosophes du changement, témoins et parfois acteurs de la métamorphose du cadre social dans lequel vécurent leurs contemporains. Tandis que Platon y voyait la déliquescence d’une société s’éloignant de l’idéal aristocratique et tenta vainement de l’arrêter, Hegel et Marx, et d’autres plus encore de nos jours, tant le changement semble avoir tendance à s’accélérer, ont la prétention de le prédire et le contrôler par une planification à grande échelle, réservant à l’État, faut-il le préciser, un rôle sans cesse élargi.

Marx, concède Popper, était un rationaliste, autant qu’un Socrate ou un Kant. Il croyait à la raison comme principe unificateur de l’humanité.

Pour autant, Popper range Marx parmi les ennemis de la société ouverte.

Que lui reproche-t-il ? Son sens étroit de la raison et du rationalisme.

Marx – qui fit pléthore d’émules à ce niveau – place l’intelligence au-dessus de l’observation et de l’expérience. La pensée de Marx pèche par son déterminisme : d’une part sa sociologisation du vécu, à savoir que nos opinions sont formatées par nos intérêts de classe, sans toutefois qu’il ne tienne compte de ce que les siennes le sont aussi – on parle de sociologisme – ; et d’autre part sa présomption de prédire le cours de l’histoire, la lutte des classes devant nécessairement se terminer par le triomphe du socialisme sur le capitalisme – on parle d’historicisme – sans qu’il n’ait toutefois prévu que l’État, loin de disparaître, comme il l’avait escompté, ne cesserait de se renforcer au seul bénéfice de ceux qui le dirigent.

L’historicisme de Marx, pour optimiste et naïf qu’il fût, n’est pas différent en nature de celui d’un Platon, d’un Hegel ou d’un Spengler, pour citer avec celui-ci l’un des avatars connus de la prophétie historique au XXe siècle.

Mais beaucoup d’autres s’y exercèrent et prolifèrent encore de nos jours.

À tout prendre, un excès de rationalisme critique vaut mieux que la pensée magique, l’irrationalisme. L’histoire regorge d’exemples d’horreurs sur lesquelles le mysticisme prophétique, inévitablement empreint d’autoritarisme a débouché, quand il cherche à accéder au pouvoir : la pensée marxiste, à commencer par sa version léniniste, en a cautionné son lot.

« Un rationaliste, dit Popper, même convaincu de sa supériorité intellectuelle, n’imposera jamais son autorité, car cette supériorité dépend, il le sait, de son aptitude à accepter la critique, à reconnaître ses erreurs, et à faire preuve de tolérance, tout au moins envers ceux qui la pratiquent eux-mêmes […]Le choix, conclut-il, n’est plus entre connaissance et foi, mais entre deux sortes de foi, l’une qui fait confiance à la raison et à l’individu, l’autre qui s’abandonne à une mystique collective. » La société ouverte et ses ennemis, tome 2, Hegel et Marx, Karl Popper, 352 p, Éditions Points.

Sur le web

La question migratoire : un enjeu majeur pour l’Occident ?

Pour répondre à la question, il faut commencer par un bref tour d’horizon de la démographie mondiale.

 

La situation démographique mondiale

En dehors de l’Afrique, la plupart des États ont une population dont les générations ne se renouvellent pas.

Lorsque cette situation est ancienne, le nombre de parents diminue au fur et à mesure que le temps passe, et la population du pays diminue également, avec une proportion croissante de personnes âgées qui reflète la situation des trois ou quatre générations précédentes.

Lorsque cette situation est récente, comme c’est le cas de l’Inde, pays le plus peuplé du monde, le nombre de parents continue à augmenter un certain temps, ainsi que l’ensemble de la population. Cela avant l’arrivée des classes creuses aux âges de procréation. On retombe alors dans le cas précédent, et la population commence à décroître.

Reste l’Afrique, qui comprend :

  1. Une partie « blanche» au nord du Sahara où la population est relativement stable (Maroc et Tunisie), ou en croissance moyennement rapide (Algérie et Égypte). Le niveau de vie y est nettement plus bas que dans l’Europe voisine.
  2. La partie principale du continent, l’Afrique subsaharienne ou Afrique noire, où la population est jeune et en croissance rapide, et où le niveau de vie est encore plus faible qu’en Afrique du Nord, voire extrêmement bas dans certains pays, notamment au Sahel.

 

Ce déséquilibre entre populations décroissantes (actuellement ou bientôt) hors de l’Afrique et population en croissance rapide en Afrique se double donc d’un profond déséquilibre de niveaux de vie, ce qui génère une forte pression migratoire.

 

De la pression migratoire à l’immigration

La masse des populations en jeu est telle qu’il s’agit peut-être du plus important problème mondial.

Ce sont des centaines de millions de personnes, peut-être un milliard, qui manquent au Nord et qui sont disponibles au Sud.

J’utilise les termes de Nord et Sud au sens du développement, et non au sens géographique du terme. Ainsi, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des pays occidentaux que l’on classera au Nord, bien que géographiquement au sud et à l’est de l’Europe.

En Afrique, c’est le mouvement migratoire interne qui est le plus important, bien que l’Europe ne s’en soucie pas.

Les guerres civiles et la faiblesse de la productivité agricole poussent une partie de la population vers les villes, comme cela se fait en Europe depuis des siècles, et au Maghreb depuis quelques décennies.

Une fois en ville, et mieux scolarisés, les intéressés sont informés du niveau de vie des pays du Nord, et rejoignent les enfants de la bourgeoisie locale, eux aussi candidats à l’émigration.

Ils émigrent de manière légale si possible, c’est-à-dire en tant qu’étudiants, par regroupement familial ou recrues qualifiées, notamment comme informaticiens ou soignants.

Examinons concrètement le cas des clandestins.

À défaut de piste légale, ils restent les filières clandestines.

Les passeurs se livrent à une publicité insistante du genre : « Vendez vos biens, empruntez à votre famille, donnez-moi cet argent et je vous emmène au paradis ». Une partie de l’opinion publique locale n’est plus dupe, mais que faire d’autre ?

Ce ne sont donc pas les plus pauvres qui tentent leur chance clandestinement, ni les moins entreprenants : une fois arrivés, ces clandestins cherchent à travailler, contrairement à ce que pense l’opinion majoritaire. Cela officiellement ou non, tout simplement pour rembourser leurs dettes et survivre dans le pays d’accueil.

Mais certains, n’ayant pas le droit de travailler en absence de réponse à leur demande d’asile, profitent également de notre État providence sur le conseil des ONG charitables.

Ce qui ne les empêche pas de travailler simultanément au noir, par exemple avec l’identité d’un proche, ce qui est courant dans les agences d’intérim, comme je l’ai constaté personnellement. Ou de se lancer dans des trafics.

Les grèves de personnes sans papiers embauchées par les services de livraison de colis du groupe La Poste (via ses filiales de Chronopost et DPD), ou de livraison de repas à domicile (Deliveroo) sont une autre illustration des situations fausses créées par notre réglementation.

Il y a donc beaucoup moins « d’assistés paresseux » que ne le disent les statistiques.

Tout cela explique les difficultés d’élaboration de la loi en projet sur l’immigration, entre une opposition de gauche virulente, et une opposition de droite réfractaire à toute régularisation pour satisfaire son électorat ; et cela sans s’inquiéter des conséquences, tant pour les entreprises que pour les migrants en pratique inexpulsables, et renvoyés vers la fraude.

Tout cela, qui n’est pas toujours très connu, permet d’analyser les avantages et inconvénients de l’immigration, sur le plan mondial comme sur le plan français.

 

Avantages de l’immigration aux plans démographique et économique

D’un point de vue strictement quantitatif, la situation mondiale est plutôt bonne, puisqu’il y a un déficit démographique dans les pays du Nord, et un excédent dans les pays du Sud, et que les populations du Sud sont prêtes à migrer vers le Nord pour bénéficier d’un meilleur niveau de vie.

De plus, elles équilibrent la pyramide des âges en fournissant de jeunes travailleurs qui, non seulement cotiseront, mais aussi et surtout, s’occuperont des vieux. Sans eux, les EHPAD, déjà très mal en point, s’effondreraient.

Les plus qualifiés sont directement utiles, ceux qui le sont moins remplacent les Français dans les métiers dont ces derniers ne veulent plus.

Dans les deux cas, ils vont directement là où l’économie les demande, alors qu’un Français va tâtonner et passera par des périodes de chômage avant de se réorienter.

Les États-Unis, l’Australie et le Canada sont des exemples de pays issus de l’immigration, européenne jadis, asiatique, latino et africaine aujourd’hui. Ainsi, 98 % des Américains ont un ancêtre immigré.

Certes, une minorité de la population de ces pays s’inquiète, comme elle le fait depuis au moins 150 ans, en visant successivement les Italiens mafieux, les Irlandais papistes et misérables, les Russes  orthodoxes et incultes, les Chinois et Japonais potentiellement espions ou traîtres, et aujourd’hui les latino-américains.

Néanmoins, le poids des industriels manquant de main-d’œuvre a été jusqu’à présent suffisant pour équilibrer les mouvements anti-immigrants.

Le succès économique et géopolitique de ces pays a justifié a posteriori ce choix de l’immigration.

Cependant, les opinions publiques de tous les pays, africains compris, sont majoritairement hostiles à l’immigration.

 

Pourquoi cette hostilité à l’immigration ?

Il y a de bonnes et de mauvaises raisons au rejet de l’immigration.

Les mauvaises sont la méconnaissance des situations démographiques et économiques.

Une partie de l’opinion pense par exemple que le manque de bras et de cerveaux peut être résolu par davantage de moyens financiers, alors qu’il s’agit d’un défaut de population active en âge de travailler.

Donc, même si on créait (financièrement) des postes, ou si l’on augmentait les salaires, cela ne génèrerait pas les jeunes actifs qui manquent, ou cela en priverait d’autres branches, en déshabillant Pierre pour habiller Paul.

De même pour la formule « il suffit de donner du travail aux chômeurs » : ces derniers ne sont pas tous employables, n’habitent pas dans la même région, sont liés géographiquement au travail de leurs conjoints, ou ne veulent pas des postes à pourvoir.

Les bonnes raisons invoquées pour rejeter l’immigration sont subjectives, donc difficiles à approuver comme à contredire.

Vous avez tous entendu ces propos :

  • ils nous volent nos emplois,
  • on n’est plus chez soi,
  • voyez tous ces délinquants,
  • ils n’ont pas la même culture, ils sont musulmans,
  • ils sont assistés et c’est nous qui payons,
  • ils ne s’assimilent pas,
  • ils nous dirigeront un jour…

 

Selon la formulation, cela va de la citation de cas particuliers réels à l’expression du racisme le plus cru. Il faudrait tout un ouvrage pour peser chacune de ces affirmations, et y répondre dans le détail !

Je vais me contenter ici de quelques réflexions globales.

La plus importante est qu’il s’agit d’individus extrêmement variés par leur langue, leur culture, les variantes de chaque religion, leur histoire familiale, leur vie professionnelle, et non d’une masse d’immigrés, uniforme et organisée, qui prendrait un jour le pouvoir, et qui, par ailleurs, est impossible à évaluer. Pour parler brutalement, l’immigration est un terme qui n’a pas de signification précise, et qu’on ne devrait pas employer dans une conversation sérieuse. C’est ce que je démontre dans mon précédent article.

La deuxième est que l’on confond très souvent intégration et assimilation, qui, en pratique, ne visent pas les mêmes personnes. En effet, si un migrant peut s’insérer rapidement, par exemple par le travail, il ne s’assimile pas, car, passé 15 ans, on conserve ses habitudes culturelles. Par la suite, l’assimilation est néanmoins quasi générale à la troisième génération. C’est impossible à prouver pour la première ou la deuxième génération d’aujourd’hui, mais l’expérience historique le vérifie dans tous les pays où le multiculturalisme n’est pas institutionnalisé, d’où l’importance de combattre ce courant. Remarquons que la France donne une grande importance à l’assimilation, mais que les pays anglo-saxons, qui accueillent massivement des migrants très différents, s’en moquent totalement au nom de la liberté individuelle.

Par contre, la prise de pouvoir par des étrangers, ou plus vraisemblablement la minorisation de la population dite de souche, est d’autant plus vraisemblable que la population locale aura diminué et vieilli.

Autrement dit, l’immigration doit avoir lieu maintenant qu’il y a suffisamment d’adultes pour l’encadrer et assimiler les enfants, alors que tout retard mettra le pays culturellement en péril.

Cela ne vise pas principalement la France où les promotions sont encore assez nombreuses, mais plutôt l’Allemagne, l’Italie et les pays des Balkans, où la fécondité est faible depuis longtemps. C’est le problème que j’ai exposé au Colloque de géopolitique de Grenoble. Un remède serait une diversification de l’immigration pour éviter que cette dernière ne fasse masse.

 

En conclusion

D’un point de vue purement quantitatif et économique, l’immigration pourrait mettre en jeu des masses considérables, et donc influer sur la situation de chaque pays, a priori plutôt dans le bon sens, d’un point de vue strictement économique.

Par contre, les risques identitaires sont difficiles à mesurer objectivement, et dépendent de la politique intérieure de chaque pays.

Mon opinion est qu’il faut prioritairement veiller à ce que tout le monde soit au travail, ce qui est nécessaire à l’intégration, alors qu’actuellement c’est officiellement interdit pour plusieurs catégories.

Il faut aussi rejeter tout multiculturalisme : l’assimilation n’est pas une violence envers les cultures d’origine, mais une évolution dans l’intérêt de tous, migrants et locaux.

Inversement, un multiculturalisme institutionnel, non seulement nourrirait une hostilité réciproque, mais également priverait la masse des migrants, notamment les femmes, de libertés élémentaires.

Dans ce domaine, une amélioration des performances de l’Éducation nationale, de toute façon nécessaire pour notre propre développement économique, devrait jouer un rôle clé !

Parents : comment parler de problèmes d’argent à ses enfants

Par Rachael Sharman.

 

Adolescente, j’ai connu la récession des années 1990 en Australie, et je me souviens clairement de cet ami qui avait demandé à son père un peu d’argent pour aller au cinéma. Tout à la fois frustré et résigné, son père lui avait expliqué qu’il venait d’être licencié, et qu’il n’était pas certain qu’un autre emploi se profile à l’horizon. Il n’avait donc pas de quoi lui donner de l’argent de poche pour des billets de cinéma. Plutôt que de nous bouleverser ou de nous effrayer, cette réponse avait été une sorte d’illumination par les adolescents un peu désemparés que nous étions.

C’est de cette manière que de nombreux enfants apprennent les difficultés financières de leurs parents : en se voyant refuser quelque chose qu’ils ont toujours pu avoir. C’est ce qui produit un déclic.

Mais il n’est pas facile de parler à ses enfants de l’augmentation du coût de la vie. Beaucoup de parents craignent d’inquiéter leurs enfants ou de leur inculquer pour le restant de leurs jours un « état d’esprit de pénurie », c’est-à-dire le sentiment que toute dépense serait une erreur.

Alors, comment trouver les mots justes pour évoquer des difficultés d’argent ? Et comment adapter son discours à l’âge de son enfant ?

 

Restez calme et expliquez les choses simplement

La plupart des enfants en âge de fréquenter l’école primaire n’ont pas conscience de la réalité économique qui règne en dehors de leur famille et de leur entourage immédiat. Ils n’ont pas encore développé la capacité de remettre des changements soudains en perspective.

L’essentiel est de ne pas laisser vos propres angoisses déteindre sur eux. Les enfants de cet âge considèrent leurs parents comme des points de repère, et vont refléter toute crainte ou anxiété que vous exprimez, parfois de manière disproportionnée. Le calme et la simplicité sont donc des clés importantes.

Expliquez simplement que les choses coûtent de l’argent et que vous n’en avez pour l’heure pas autant que d’habitude, de sorte qu’en tant que famille, il y a certaines choses que vous ne pouvez plus vous permettre.

Les très jeunes enfants peuvent être d’un narcissisme impitoyable, ce qui est normal à ce stade de leur développement psychique. Ils peuvent même exiger que vous travailliez plus, ou plus dur, pour qu’eux puissent s’offrir les articles et les activités qu’ils désirent. Le mieux que vous pouvez faire est de rire de ce type de réponses, et de dire que vous allez essayer, tout en expliquant que, pour le moment, il faudra se tourner vers d’autres loisirs.

Envisagez un programme qui substitue à leurs anciennes activités des activités gratuites. Par exemple, expliquez-leur que s’ils ne peuvent pas pratiquer leur sport habituel cette saison, vous irez au parc local chaque semaine pour taper dans un ballon et faire un pique-nique à la place.

 

Donnez un rôle aux adolescents

Selon le plus ou moins grand intérêt qu’ils accordent à l’actualité, et leur appréhension des maths et de l’économie, une baisse soudaine du budget familial peut également constituer un choc pour les adolescents.

Mais vers l’âge de 12 ans, les enfants connaissent une sorte d’explosion de leurs capacités à comprendre et traiter des informations. Non seulement ils seront en mesure de saisir votre situation, mais aussi de vous donner un coup de main.

En donnant aux adolescents un « rôle » à jouer pour aider la famille, on leur donne un sentiment de compétence, et cette façon d’envisager les problèmes en équipe répond aux inquiétudes qu’ils peuvent ressentir. En d’autres termes, ils se sentiront moins impuissants. Cette approche s’appuie sur ce que les psychologues et les chercheurs appellent la « théorie de l’autodétermination ».

Ce concept fondé sur de nombreuses études postule que la plupart des êtres humains ont un besoin inné de :

  • faire l’expérience et de démontrer leur autonomie (faire leurs propres choix, agir de leur propre volonté) ;
  • ressentir qu’ils sont bons dans quelque chose, d’avoir accompli quelque chose de valable ;
  • de bien travailler avec d’autres, en particulier avec des personnes qui leur sont chères.

 

Travailler en équipe pour atteindre un objectif commun est donc un excellent moyen pour une famille de se serrer les coudes et de contribuer au bien-être mental de chacun. Discutez avec vos adolescents des activités, des événements et des éléments qui pourraient être mis en veilleuse ou abandonnés. N’oubliez pas que les adolescents ont une perception très fine de l’hypocrisie. Il est inutile de leur suggérer de réduire leurs loisirs, par exemple, si vous n’êtes pas prêts à faire de même.

Profitez-en pour discuter de la différence entre « désirs » et « besoins » et demandez leur de classer les dépenses familiales dans ces catégories. Discutez calmement des points de désaccord.

Demandez à vos adolescents de réfléchir à des moyens plus efficaces de faire des économies, et de vous y aider. Ils aimeront peut-être trouver des idées telles que faire les courses avec un programme des menus de la semaine dans des magasins moins chers, rechercher les promotions, se rendre à l’école à pied ou en vélo lorsque c’est possible, trouver un petit job ou faire du baby sitting.

Plutôt que de se focaliser sur ce dont on doit se passer, il s’agit de travailler sur ce qu’on peut faire différemment. Apprenez à vos enfants que la vie peut être semée d’embûches, mais que la façon dont on les gère est essentielle. Cela les aidera à devenir des adultes résilients.

 

 

Rachael Sharman, Senior Lecturer in Psychology, University of the Sunshine Coast

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Votre chien peut comprendre ce que vous dites – jusqu’à un certain point

Par Sophie Jacques.

Les êtres humains sont uniques pour ce qui est de leur habileté à développer des compétences linguistiques élaborées. Le langage nous permet de communiquer entre nous et de vivre dans des sociétés complexes. Il est la clé de nos capacités cognitives avancées et de nos prouesses technologiques.

En tant que psychologue du développement, j’ai beaucoup étudié le rôle du langage dans le développement cognitif des enfants, en particulier de leurs fonctions exécutives – les compétences cognitives qui leur permettent de contrôler leur comportement, de planifier leur avenir, de résoudre des problèmes difficiles et de résister à la tentation.

 

Fonctions exécutives

Le développement des fonctions exécutives se fait lentement au cours de l’enfance. À mesure qu’ils grandissent, les enfants parviennent mieux à organiser leurs pensées et à maîtriser leurs comportements et leurs émotions. En fait, l’être humain est la seule espèce connue à acquérir des fonctions exécutives avancées, bien que d’autres espèces comme les oiseaux, les primates et les chiens aient des fonctions exécutives rudimentaires semblables à celles des jeunes enfants.

La capacité des humains à développer des fonctions exécutives est associée au développement du langage. Le langage nous permet de former et de garder à l’esprit des représentations de nos objectifs et de nos plans, ce qui nous permet de régir notre conduite à long terme.

Ce qui n’est pas clair, c’est si le langage engendre réellement l’acquisition des fonctions exécutives, et si la relation entre le langage et les fonctions exécutives n’existe que chez les humains.

 

Comportement canin

L’étude des chiens offre l’occasion idéale pour les humains de se pencher sur ces questions.

D’abord, les chiens possèdent des fonctions exécutives rudimentaires. On peut les mesurer de diverses manières, notamment en interrogeant les propriétaires sur la capacité de leur chien à contrôler son comportement, ainsi que par des tests comportementaux qui permettent d’évaluer l’aptitude des chiens à se maîtriser.

Ensuite, non seulement nous exposons régulièrement les chiens au langage humain, mais les recherches indiquent qu’ils peuvent percevoir différents mots, et apprendre à y réagir. Par exemple, trois chiens – deux borders collies nommés Chaser et Rico, et un yorkshire-terrier nommé Bailey – ont appris à répondre à plus de 1000, 200 et 100 mots, respectivement.

Cependant, de nombreuses études sur le langage et les chiens sont de portée limitée, soit parce qu’elles étudient le comportement d’un seul chien, ou d’un petit échantillon de chiens, soit parce qu’elles étudient les réactions de plusieurs chiens, mais seulement à certains mots.

Une exception à la règle est une étude dans laquelle on a demandé à 37 propriétaires de chiens de rédiger la liste des mots auxquels, selon eux, leur chien répondait systématiquement. Les propriétaires ont indiqué que leur chien réagissait en moyenne à 29 mots, mais il s’agit probablement d’une sous-estimation.

En effet, des recherches utilisant une approche de rappel libre similaire avec des parents montrent qu’ils sont enclins à oublier de nombreux mots lorsqu’ils doivent dresser une liste des mots auxquels leur bébé réagit de manière constante.

 

Communiquer avec les chiens

La recherche sur les bébés humains offre une solution pour évaluer de manière systématique et fiable la réponse aux mots avec de grands échantillons de chiens.

La mesure des capacités linguistiques précoces des bébés humains la plus efficace et la plus utilisée est sans doute l’outil des inventaires MacArthur-Bates du développement de la communication, une liste de contrôle remplie par les parents des mots auxquels leur enfant réagit. Il est remarquable de constater que le nombre de mots sélectionnés dans les inventaires MacArthur-Bates permet de prédire le développement du langage des enfants des années plus tard.

En 2015, j’ai entrepris une collaboration avec la psychologue Catherine Reeve, qui était à l’époque étudiante aux cycles supérieurs et travaillait sur les capacités de détection olfactive des chiens. Notre objectif était de développer une mesure similaire du vocabulaire à l’usage des propriétaires de chiens, dont nous pourrions nous servir pour étudier les liens entre le langage et les fonctions exécutives.

Nous avons élaboré une liste de 172 mots classés en catégories différentes (par exemple : jouets, nourriture, ordres, lieux extérieurs) et l’avons donnée à un échantillon de 165 propriétaires de chiens professionnels et de compagnie. Nous leur avons demandé de sélectionner les mots auxquels leur chien réagissait systématiquement.

Nous avons constaté que les chiens d’assistance répondent en moyenne à environ 120 mots, tandis que les animaux domestiques répondent à environ 80 mots, avec une fourchette allant de 15 à 215 mots pour tous les chiens. Nous avons également observé que certains groupes de races, tels que les chiens de berger comme les borders collies ou les minis-chiens comme les chihuahuas, réagissaient à davantage de mots et de phrases que d’autres types de races comme les terriers, les retrievers et les races croisées.

Ce que nous ignorons pour l’instant, c’est si les chiens qui réagissent à un grand nombre de mots ont de meilleures fonctions exécutives. Nous avons récemment évalué 100 chiens avec une mesure comportementale des fonctions exécutives et demandé à leurs propriétaires d’identifier des mots sur notre liste. Nous en sommes à analyser les résultats.

J’ai commencé à m’intéresser à l’étude des chiens pour voir ce qu’ils pourraient nous apprendre sur le développement des enfants. Cette recherche pourrait également fournir des informations pratiques sur les chiens. Ainsi, il est très coûteux de former des chiots pour le travail d’assistance, et beaucoup d’entre eux ne sont pas retenus. Cependant, si les capacités précoces de réaction aux mots permettent de prévoir les capacités comportementales et cognitives ultérieures, notre mesure pourrait constituer un outil simple et rapide pour prédire quels chiens sont susceptibles de devenir de bons animaux de service.The Conversation

Sophie Jacques, Associate Professor, Psychology and Neuroscience, Dalhousie University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les jeunes sont-ils vraiment en colère contre la machine ?

Il existe une vision romantique selon laquelle les mouvements de jeunes de gauche représentent la vague de l’avenir et le « bon côté de l’histoire ».

Le jeune idéaliste stéréotypé est supposé être un radical de gauche qui soutient des mouvements tels que Black Lives Matter, et des causes telles que le New Deal vert et le socialisme. Les opinions des jeunes sont généralement considérées comme représentées par des figures telles que l’anticapitaliste Greta Thunberg ou la jeune députée socialiste Alexandria Ocasio-Cortez.

Selon une enquête menée par The Institute of Economic Affairs, 67 % des jeunes déclarent qu’ils aimeraient vivre dans un système économique socialiste, et 75 % sont d’accord avec l’idée que « le socialisme est une bonne idée, mais il a échoué dans le passé parce qu’il a été mal fait. »

Il est clair que le capitalisme et les valeurs traditionnelles sont fortement stigmatisés au sein de la génération Z. En tant que jeune moi-même, je me suis sentie isolée de mes pairs lorsque je me suis opposée au socialisme et au progressisme. Nombre de mes amis ayant des opinions similaires aux miennes ressentent le besoin de s’autocensurer pour s’intégrer.

Le socialisme et le gauchisme sont sans aucun doute populaires auprès de ma génération. Mais il convient de se demander si ces idéologies sont nées organiquement d’un nouveau regard sur les injustices du monde et de la volonté de se rebeller contre un système oppressif, ou s’il existe une autre explication à la popularité de ces croyances.

 

Rebelle à la cause

Une tendance peut nous aider à répondre à cette question. Si les jeunes sont souvent en colère face aux problèmes de leur époque, les solutions qu’ils préconisent sont souvent plus proches de ce qui a causé le problème en premier lieu.

La crise du logement en Grande-Bretagne en est un bon exemple.

Les jeunes considèrent aujourd’hui l’accession à la propriété comme un rêve irréaliste, car les prix de l’immobilier au Royaume-Uni ont explosé au cours des dernières décennies. Selon le sondage de l’IEA, 78 % des jeunes attribuent la crise au capitalisme et pensent que la solution passe par une intervention gouvernementale à grande échelle, par le biais de mesures telles que le contrôle des loyers et les logements sociaux. Cependant, ils ne reconnaissent pas que la raison pour laquelle les logements sont si chers est qu’il y a une pénurie de logements due aux restrictions gouvernementales en matière de construction.

Une erreur d’attribution similaire a caractérisé le mouvement Occupy en 2011, qui était une réponse à la Grande Récession de 2008. Les jeunes manifestants réclamaient davantage de réglementation gouvernementale pour Wall Street, avec le cri de ralliement « nous sommes les 99 % ». Cependant, la réalité est que c’est l’ingérence du gouvernement dans le système financier qui a provoqué la récession.

Le fait que les jeunes recherchent des solutions qui ne feraient qu’exacerber le problème n’est pas nouveau.

Comme le décrit l’économiste Ludwig von Mises dans son livre Bureaucratie, la montée du mouvement de jeunesse en Allemagne avant la Première Guerre mondiale était une réaction au manque d’opportunités offert par le régime bureaucratique. Cependant, le mouvement de la jeunesse n’a pas saisi clairement le problème et a voulu étendre le système plutôt que de le combattre.

« Le mouvement de jeunesse était l’expression du malaise que les jeunes ressentaient face aux sombres perspectives que leur offrait la tendance générale à l’enrégimentation. Mais il s’agissait d’une fausse rébellion vouée à l’échec parce qu’elle n’osait pas lutter sérieusement contre la menace croissante d’un contrôle total et d’un totalitarisme de la part du gouvernement. Les émeutiers tumultueux en puissance étaient impuissants parce qu’ils étaient sous l’emprise des superstitions totalitaires. Ils se sont livrés à des bavardages séditieux et ont chanté des chansons incendiaires, mais ils voulaient avant tout des emplois gouvernementaux ».

À maintes reprises, nous constatons que les mouvements de jeunesse censés combattre l’homme lui donnent en réalité du pouvoir.

 

Radicalement non radical

Et ce n’est pas une coïncidence. La plupart du temps, les jeunes promeuvent le système par inadvertance, parce que c’est le système lui-même qui les manipule.

Les mouvements modernes défendus par les jeunes d’aujourd’hui sont présentés comme anti-establishment et populaires. Pourtant, ces mêmes groupes qui contestent l' »oppression » sont soutenus par les médias grand public, le gouvernement et les grandes entreprises.

Alors que les gauchistes prétendent lutter contre le système en défendant Black Lives Matter, le système soutient littéralement leur cause, comme le montrent les rencontres entre les dirigeants de BLM et les représentants de Biden. On le voit également à travers la tentative de présenter l’idéologie transgenre comme une opinion anti-establishment. Cependant, l’empereur n’est pas habillé quand on considère que la Maison Blanche a montré son allégeance au mouvement LGBT en faisant flotter le drapeau de la fierté progressiste à côté du drapeau américain.

Les mouvements de jeunesse qui renforcent le système aujourd’hui, plutôt que de se rebeller contre lui, sont comparables à la façon dont les jeunes ont joué un rôle fondamental dans la révolution culturelle de Mao. Le régime encourageait les étudiants à se rebeller et à faire des descentes dans les maisons des ennemis de classe et à les stigmatiser en tant que parias.

Comme l’a écrit l’historien Frank Dikötter dans son livre The Cultural Revolution : A People’s History, 1962-1976, Mao estimait que « la naïveté et l’ignorance des jeunes étaient des vertus positives », car elles les rendaient plus manipulables.

 

Une autre brique dans le mur

En outre, les causes qui sont défendues en tant que « mouvements de jeunesse » ne sont souvent que des mouvements défendus par des enseignants et imposés à leurs élèves.

La page Twitter Libs of TikTok montre comment la théorie radicale du genre a été promue dans l’éducation par des enseignants radicaux de gauche aux États-Unis. De même, au Royaume-Uni, une vidéo est devenue populaire en ligne, montrant un enseignant qualifiant un élève de « méprisable » en raison de son manque de respect pour l’identité de genre d’un autre élève qui s’identifiait comme un chat.

La théorie du genre a également reçu un soutien institutionnel au Royaume-Uni, où des organisations à but non lucratif telles que Stonewall et Mermaids ont fourni des ressources et des cours sur le genre aux écoles du pays. Faut-il s’étonner que tant de jeunes s’alignent sur les opinions gauchistes, alors que ces opinions sont largement promues dans notre système éducatif, et qu’on leur dit qu’ils sont mauvais s’ils ne sont tout simplement pas d’accord ?

Murray Rothbard, dans The Progressive Era, explique comment les jeunes ont défendu la cause de la prohibition, en partie grâce à la promotion de cette cause dans le système d’éducation publique :

« Les jeunes devenaient davantage piétistes et militants prohibitionnistes que leurs aînés. Les jeunes piétistes nourrissaient une haine profonde pour les saloons, exprimée par les sociétés chrétiennes de jeunes gens et les programmes interconfessionnels de l’école du dimanche. La W.C.T.U. [Woman’s Christian Temperance Union], en partie grâce à ses cours d’hygiène très réussis dans les écoles publiques, a pu enrôler 200 000 jeunes dans son organisation affiliée, la Loyal Temperance Legion ».

 

Les vrais rebelles

Cependant, il y a également eu d’authentiques mouvements de jeunesse pour des causes véritablement nobles.

Les Pères fondateurs américains, qui avaient pour la plupart moins de quarante ans lorsqu’ils ont participé à la guerre d’Indépendance, en sont un exemple notable. Comme l’indique la comédie musicale, Hamilton était encore un jeune adulte lorsqu’il a participé à la bataille pour l’indépendance. La raison pour laquelle la jeune révolution libertaire qui a libéré l’Amérique et l’Occident était en fait « du bon côté de l’histoire » est qu’elle était basée sur de bonnes idées, et qu’elle n’était pas conduite par des tyrans pour leurs propres intérêts.

Donc, si vous êtes un jeune qui n’adhère pas aux mouvements à la mode, ne vous sentez pas mal, car ces mouvements ne sont pas toujours du « bon côté de l’histoire ». Si les mouvements de jeunesse sont souvent perçus avec des lunettes teintées de rose, la réalité est que les jeunes ont souvent été du côté des mouvements promouvant un grand gouvernement et limitant la liberté. Mais ce n’est pas de la rébellion. Les vrais rebelles sont ceux qui luttent contre la tyrannie, pas ceux qui la soutiennent.

Sur le web

Pornographie : quels impacts sur la sexualité adolescente ?

Par Barbara Smaniotto.

 

Dès 2003, Gérard Bonnet, professeur en psychologie et psychanalyste, posait la pornographie comme un « défi à la pudeur  ». Elle s’impose aujourd’hui plus largement comme un « défi pour la construction de la sexualité adolescente ».

Jusqu’à très récemment, en France, ce sujet n’a pas été véritablement pris au sérieux. Et même si le gouvernement actuel s’est exprimé pour déplorer l’accès des jeunes aux contenus pornographiques, s’il a manifesté son intention de mieux le réguler, si ce n’est l’empêcher, le projet n’a pour l’heure débouché sur une aucune mesure concrète.

D’un usage prohibé à la libération sexuelle, la pornographie semble, dans notre environnement numérique contemporain, ne plus connaître aucune limite. Sur la Toile, les sites pornographiques fleurissent, et sont d’ailleurs les plus représentés (et les plus consultés) avec des centaines de millions de pages, qui ne manquent pas de s’insinuer dans des recherches anodines à travers les fenêtres pop-up. De sorte que, sans même le rechercher, l’œil semble irrémédiablement contraint à voir des images pornographiques…

L’essor des nouvelles technologies a donc offert à la pornographie un support de diffusion exponentielle, accessible à tous… y compris (et même surtout) aux enfants et aux adolescents sachant toujours mieux que les adultes manier ces outils.

Différentes enquêtes menées en France estiment qu’environ la moitié des adolescents, filles et garçons, auraient été confrontés à des images pornographiques avant l’âge de 13 ans, que 63 % des garçons et 37 % des filles, âgés entre 15 et 17 ans, consultent régulièrement des sites pornographiques. Plus récemment encore, que 30 % des internautes consultant ces sites sont des mineurs, et que quotidiennement, un mineur sur dix consultent ce type de contenus – tout particulièrement à partir de leur téléphone portable (smartphone) personnel (pour les trois-quarts d’entre eux).

En somme, Internet a « démocratisé » (l’usage de) la pornographie, rendant son accès facile, immédiat, permanent et sans véritable réglementation. Elle n’appelle plus aucun effort du voir, dans ce qu’il sous-tend de transgressif, de plaisir, de culpabilité ou de honte. De la sidération au dégoût en passant par la compulsion du voir, les adolescents ont à composer avec la cyberpornographie dans leurs espaces d’expérience, de rencontre… et ses retentissements sur leurs bouleversements pubertaires.

 

Représentations de la sexualité et de la femme

Les recherches, essentiellement nord-américaines, menées auprès des adolescents depuis les années 2000, interrogent l’influence de la pornographie sur leurs représentations de la sexualité et de la femme, comme sur leurs pratiques sexuelles. Il apparaît que la confrontation aux codes pornographiques amènerait les adolescents – tant les filles que les garçons – à davantage considérer la femme comme « un objet sexuel », et à modifier le rapport à leur corps, dès lors investi sur un mode anxiogène.

Ainsi les adolescents, utilisant la cyberpornographie comme source principale d’information, mentionnent l’impact de ce support dans leurs activités sexuelles, adoptant des pratiques plus diversifiées, en miroir aux modèles véhiculés. Mais, dans le même temps, ils peuvent reconnaître certains effets négatifs associés. Cette reconnaissance aurait un effet modérateur, de sorte que la consommation de pornographie pourrait s’inscrire dans un « processus développemental adolescentaire », répondant à une quête de repères en matière de sexualité.

Cette quête est d’ailleurs avancée par certains adolescents eux-mêmes : il s’agit d’aller voir, par curiosité, avant le premier rapport sexuel. Cette curiosité est animée par l’éveil de la sexualité adolescente. L’envahissement pulsionnel à ce moment et la nécessité de décharge qui en découle altèrent tout discours critique sur la nature des images et les représentations ainsi constituées.

Cependant, ce positionnement se renverse avec le passage à une relation affective et sexuelle avec un ou une partenaire « dans la vraie vie ». Dès lors, le visionnage de porno diminue, des sentiments de futilité ou de honte émergent… ainsi que l’expérimentation que « la pornographie n’est pas la réalité ».

 

La pornographie : un court-circuit de l’activité fantasmatique

En somme, les dérives psychopathologiques ou addictives apparaissent marginales, elles concernent les adolescents les plus fragiles, dont l’imaginaire demeure captif de cette iconographie. D’ailleurs, à ce jour, le lien entre consommation de pornographie et agressions sexuelles à l’adolescence n’est pas établi. Néanmoins, c’est dans notre pratique auprès d’adolescents présentant une sexualité préoccupante, voire auteurs de violences sexuelles, que cette question s’est imposée. Ces jeunes mentionnent fréquemment un contact répété, massif avec la pornographie.

Si bien évidemment, tous les adolescents qui visionnent ce type d’images ne s’engagent pas dans ce type d’agir, le fait que la pornographie s’intègre dans les usages numériques courants des jeunes ayant des comportements problématiques invite à interroger l’impact de la « violence du voir » cyberpornographique sur la construction de la sexualité adolescente.

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Nous avons fait l’hypothèse que la consommation de pornographie à l’adolescence procéderait comme un court-circuit de l’activité fantasmatique. Alors que l’imaginaire, et donc la pensée, occupe une grande place dans l’élaboration des relations amoureuses et sexuelles, la pornographie les réduit aux sexes (visibles, réels) et à un acte-exploit(ation) dégagé des enjeux affectifs, annihilant toute potentialité de rêverie.

D’ailleurs dans sa forme la plus commune (scènes, « clips »), il n’y a même plus de scénario – ni même de scénarisation possible ? – là où l’image écrase toute projection, tout mouvement fantasmatique. Sous prétexte de tout montrer, la pornographie démantèle la sexualité (limitée à l’acte, à des pratiques hyper spécifiques) et le processus d’unification du corps, dès lors restreint à l’organe.

 

Un potentiel traumatique

Ces caractéristiques amènent à envisager le potentiel traumatique des images pornographiques (massivité de l’excitation provoquée, effraction, sidération…) ; d’autant plus que le sujet y est confronté précocement. Dans ces cas, la rencontre avec le sexe, avec la brutalité du sexe, précède toute compréhension de la sexualité (adulte), risquant d’engager des fixations, des clivages… bref un vécu traumatique. Notons également que les contextes dans lesquels nous avons observé des consommations problématiques sont souvent marqués par des expériences traumatiques antérieures (relatives à la sexualité ou non).

Enfin, dans le même temps et dans une perspective dynamique, le recours à la pornographie à l’adolescence pourrait se comprendre comme une tentative d’intégrer (psychiquement) la sexualité adulte. L’iconographie pornographique constituerait à l’adolescence une surface de projection de l’énigme du sexuel, une manière, certes fragile, de mettre au-dehors l’étrangeté et la violence du phénomène pubertaire.

En ce sens, comme toute image, la pornographie n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle se présente pour nombre d’adolescents comme une source intarissable d’informations, un guide des « bonnes pratiques » en matière de sexualité. Suivant cette perspective, comme l’a montré François Marty (2008) à propos des images violentes, les images pornographiques permettraient aux adolescents de contenir le débordement pulsionnel, lui offrir une première forme de représentation, voire le symboliser.

Cependant, en alimentant à la fois l’excitation et son soulagement, tout en faisant l’impasse sur le fantasme et la relation, la pornographie risque d’assujettir les adolescents les plus fragiles (tels que nous les rencontrons en consultation). C’est d’ailleurs l’un des enjeux de notre proposition thérapeutique : mettre des mots sur l’excitation provoquée par le sexe et les images du sexe.

Car c’est l’absence de parole autour de ces « figures-choc » et des sensations générées par la pornographie qui peut s’avérer pernicieuse. Là où l’écrasement de l’imaginaire risque d’entraîner un clivage entre affectivité et sexualité ; entre le Moi superficiel de l’adolescent apparemment satisfait dans ses besoins et son Moi profond insatisfait dans ses désirs.

 

 

Barbara Smaniotto, Maître de Conférences-HDR en Psychopathologie et Psychologie Clinique, CRPPC, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Le consumérisme est-il réellement une pathologie libérale ?

Ce matin, comme chaque jour, j’ai pris le train pour aller travailler. En marchant jusqu’à la gare, j’ai pu voir un graffiti sur un mur : « Travaille, emprunte, consomme, crève », était-il écrit.

Un tag anodin, d’autant que je ne saurais dire depuis combien de temps il était sur ce mur. Loin de toutes les questions de respect du droit de propriété d’autrui, la première réflexion qui m’est venue portait sur l’incroyable contrainte que l’auteur a voulu révéler quant au système capitaliste. « Consomme ».

Ce mot me hantait. Le libéral que je suis ne comprenait pas comment autant de violence pouvait surgir d’une idée qui, pour moi, était synonyme de liberté et de respect de la nature humaine. Loin de m’en laver les mains comme j’aurais pu le faire en évoquant un jeune adolescent déphasé, j’ai cherché comment le capitalisme a pu faire naître un tel contresens.

Toute la journée, j’ai repensé à mes cours d’économie, mes recherches personnelles, mes lectures de philosophie, mes cours de droit… « Consomme ». Ce mot était devenu mon fil d’Ariane. La société de consommation est un ordre social défini par les antilibéraux, et notamment le postmoderne Jean Baudrillard dans son ouvrage éponyme de 19701. Cette société serait fondée sur la stimulation permanente et abondante de l’acte d’achat de biens inutiles et éphémères.

Elle a pourtant émergé de concert avec l’application des politiques keynésiennes des Trente Glorieuses, comme l’État-providence et les politiques de relance.

Loin d’être le fruit du capitalisme libéral fustigé par la démagogie de l’extrême gauche, la société de consommation est en effet le produit naturel du keynésianisme.

 

Une société aux antipodes des idéaux libéraux

Lorsque vous nommez le capitalisme à un quidam interpellé dans la rue, il y a de fortes chances qu’il vous parle de la World Company, cette société parodique de l’émission Les Guignols de l’Info supposée représenter la globalisation. Très peu vous parleront d’un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production.

Ajoutez le terme « libéral » à celui de « capitalisme », et vous observerez les gens se raidir.

Les plus engagés feront rapidement le lien entre des notions très diverses telles que l’obsolescence programmée, et bien sûr la société de consommation, pour ne pas dire le consumérisme de masse. Pourtant, ses caractères convergent davantage vers le capitalisme de connivence que vers une société capitaliste pure.

Reprenons la définition du libéralisme économique du Larousse :

« Doctrine économique qui privilégie l’individu et sa liberté ainsi que le libre jeu des actions individuelles conduisant à l’intérêt général ».

Si nous sommes d’accord pour contester l’idée que le libéralisme est une doctrine, il comporte plusieurs caractères. Parmi eux, citons rapidement l’État de droit, ou Rule of Law, que Friedrich Hayek estime comme préalable à tout système capitaliste, et le droit de propriété considéré par Milton Friedman comme la base même de ce système.

Mais deux autres caractères présentent un intérêt certain pour notre démonstration : à savoir la liberté contractuelle et la liberté des prix. Cette dernière liberté, condition essentielle pour le Français Jacques Rueff, sert à la fois à la coordination et à l’information des acteurs du marché.

Le théoricien principal de la société de consommation, le postmoderne Jean Baudrillard, lui, donne pour principale caractéristique une incitation à consommer des biens moins chers et plus accessibles. L’idée même d’incitation est déjà contraire à l’idée de capitalisme libéral.

En effet, l’idée même de liberté contractuelle, intrinsèque au libéralisme, nie purement et simplement toute idée d’inciter à consommer. Les individus peuvent contracter ou ne pas contracter selon leurs intérêts et avec les modalités qu’ils définissent.

De même, la liberté des prix est totalement contraire à l’idée de coûts plus bas permettant de rendre les biens plus accessibles. Le mécanisme des prix ne dépend pas d’une volonté de faire consommer, mais des intérêts propres à chaque acteur.

Si la société de consommation devait être rapprochée d’un modèle capitaliste, il faut nous tourner vers le capitalisme de connivence.

Souvent confondu à dessein avec le capitalisme libéral, le capitalisme de connivence est un système économique fondé sur la collusion entre l’État et le patronat. Il se manifeste par des privilèges, du soutien mutuel entre les grandes entreprises et les hommes politiques, aboutissant à la loi du plus fort et à la corruption.

Jean Baudrillard, toujours dans son ouvrage de 1970, écrit que dans la société de consommation, l’État est en soutien de l’activité économique, et procède à des politiques de redistribution, afin de permettre à chacun d’avoir les moyens d’acheter des produits.

Ainsi, toute incitation à la consommation à grande échelle ne peut être que le fait d’une politique étatique ou d’un travail de longue haleine mené par un consortium de grandes entreprises avec le concours de la puissance publique.

L’idée reine est ici de déboucher sur de la croissance. Si cette dernière constitue la justification de beaucoup de libéraux quant à leurs convictions, la croissance n’est pas en elle-même l’objectif des libéraux. En témoigne la décroissance assumée par les survivalistes animés par les théories libertariennes.

On l’aura compris : le principal acteur de la société de consommation est l’État. En cela, il n’est pas étonnant de voir que la société de consommation a émergé de concert avec les politiques keynésiennes. Ces dernières ont enfanté le consumérisme que les antilibéraux fustigent tant.

 

Un produit du keynésianisme

Le problème intrinsèque de tout système économique fondé sur l’État repose dans l’autophagie. Celle-ci entraîne, à long terme, l’effondrement pur et simple du système économique.

De la même manière, la société de consommation a pour autre caractéristique un goût prononcé pour le matérialisme. L’occasion de remarquer que la société fonctionnant comme un individu, la propension à acheter abondamment est souvent signe de dépression.

Pourtant, certains confondent régulièrement libéralisme et matérialisme.

Avec l’idée de capitalisme de connivence, le concept de matérialisme est l’un des autres contresens qui a la vie dure. Rappelons, sans entrer dans des détails, que Ludwig Von Mises était très critique envers le matérialisme du fait du relativisme qui en découle2.

La société de consommation épouse totalement les théories keynésiennes, et ce sur deux points : la consommation y est vue comme une fin, et l’État y joue un rôle primordial.

De quoi la rapprocher des théories keynésiennes.

En effet, Jean Baudrillard estime que la société de consommation consiste en une profusion de biens. Cette abondance crée une dépendance matérielle vue comme la fin de toute activité économique. Cette divinisation des éléments matériels aboutit à légitimer la hiérarchie sociale.

Une incitation à la consommation qui n’est pas sans rappeler la dialectique marxiste qui dispose que ce sont les conditions matérielles d’existence des hommes qui déterminent leur conscience. L’homme est, ici, la somme de son patrimoine, et non sa valeur intrinsèque en tant qu’humain.

Dans la logique keynésienne des politiques de relance, le principal ennemi est l’épargne. Cet ennemi est ici combattu par des liquidités à faible taux. Cela dans l’espoir de déboucher sur un effet multiplicateur, avec toutes les conséquences néfastes que nous connaissons et qu’il serait inutile ici de décrire en détails, notamment s’agissant de l’inflation.

La logique des politiques de relance se rapproche donc fortement des politiques d’incitation à la consommation, par un État et des banques centrales arrosant régulièrement le marché de liquidités à bas coût.

De la même manière, comme nous l’avons vu plus tôt, la société de consommation suppose nécessairement un soutien de l’État à l’activité économique. Cela se fait par des mécanismes de redistribution. De quoi nous rappeler les caractères fondamentaux de l’État-providence.

L’État-providence, à distinguer de l’État régalien – appelé péjorativement État gendarme, et ce y compris dans l’enseignement supérieur, axant par là la dimension prétendument sécuritaire – désigne l’intervention de l’État dans le domaine social et, parfois, économique.

Les exemples les plus parlants sont ici les mécanismes de régulation et de redistribution. Souvenons-nous du plan Marshall ou du rapport Beveridge. Toute la logique d’économie planifiée et de contrôle des prix s’est alors trouvée bien plus légitimée qu’avant la guerre.

Jean Baudrillard ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque une hausse du pouvoir d’achat et le soutien à l’activité économique par les politiques publiques.

Dernier point : Jean Baudrillard évoque le problème de l’uniformisation de la culture induite par la société de consommation. L’information doit servir la consommation. De cette façon, la publicité est primordiale. L’apparence devient la norme sociale. L’apparence doit guider le réel. La logique est donc profondément constructiviste.

 

Une imposture constructiviste

Keynes écrivait :

« L’amour de l’argent comme objet de possession […] sera reconnu pour ce qu’il est : un état morbide plutôt répugnant, l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales »3.

Pourtant, sur le long terme, ses théories ont engendré l’inverse.

La consommation est devenue, ici, une fin, au mépris de toute nature humaine. Celle-ci ne saurait être garantie que par l’application de principes de liberté.

Produit de l’État-providence, la société de consommation, comme système fondé sur l’abondance et l’incitation à l’achat de biens toujours plus inutiles et de moins bonne qualité, suit toute la logique d’intervention de l’État dans l’économie, à savoir un échec inévitable sur le long terme.

Cet échec est d’autant plus patent dans un pays malthusien comme la France.

La société de consommation, comme l’idéologie fasciste, fait donc partie de ces grandes impostures du XXe siècle inventées par la gauche constructiviste pour masquer sa véritable responsabilité dans leur création.

 

Article paru initialement en janvier 2017.

  1. La société de consommation, 1970.
  2.  The Ultimate Foundation of Economic Science: An Essay on Method, 1.8, The Absurdity of Any Materialistic Philosophy, 1962.
  3. Essais sur la monnaie et l’économie : les cris de Cassandre, 1931.

L’islam en Arabie : révolution mentale par le football ? 

Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan sportif en Arabie, en général, et en Arabie Saoudite, plus particulièrement, doit retenir l’attention. Il est gros d’importants changements sociopolitiques futurs, même si leurs manifestations se limitent pour l’instant au plan sportif.

C’est que les transformations radicales sont comme la lave d’un volcan qui met du temps avant l’éruption spectaculaire. Longtemps, elles agissent en un silence apparent qui n’est pas moins déterminant dans les entrailles de ce qui ne serait qu’une centralité souterraine.

Certes, celle-ci semble se limiter actuellement au domaine du football, le pays entendant devenir aussi la Mecque des étoiles de ce sport grâce à ses richesses. Ce qui n’est pas propre au dit pays puisqu’on l’a déjà vu, en péninsule arabique, au moins avec le Qatar qui a réussi à organiser chez lui une historique coupe du monde de football.

 

État des lieux : en sport et en religion  

Il est vrai, l’argent ouvre pas mal de portes, sinon toutes !

Cependant, il n’ouvre pas pour l’instant celles qui devraient compter dans ces contrées manquant de l’essentiel auquel l’humain aspire de tout temps : sa dignité, qui est dans ses droits et ses libertés sans restriction. Or, nul ne contestera que la marque des riches démocraties d’Occident n’a toujours pas droit de cité dans les richissimes monarchies arabes musulmanes du golfe.

D’aucuns pourraient rétorquer que les nationaux de ces pays trouvent leur dignité grâce à leur luxueux standing de vie ; d’autres que les pauvres se satisfont généralement de la richesse spirituelle qu’incarne, en l’occurrence, une terre abritant le lieu de pèlerinage de millions de fidèles d’une foi si prégnante dans les cœurs des nombreux fidèles et convertis de l’islam.

Or, justement, il est un hiatus qui ne cesse de prendre de l’ampleur entre la perception populaire idéalisée de cette religion et sa réalité plutôt miséreuse en termes démocratiques. En effet, le commun des fidèles croit toujours en une foi d’islam selon sa conception pure d’origine, soit de religion de droits et de libertés, révélation libératrice ayant produit une civilisation universelle.

Ce faisant, ils ne font que ressasser un âge d’or évanoui que ne cesse de leur rappeler en soporifique nombre de profiteurs de l’état actuel si désolant de cette religion, notamment ses intégristes et traditionalistes, sans parler des responsables politiques de tous bords qui en usent en opium castrateur du moindre élan vers la contestation de l’ordre inique établi, national comme international.

C’est, au reste ce qui explique l’effervescence constatée dans les milieux intégristes musulmans qui font actuellement feu de tout bois en vue de défendre leur privilège menace d’autorités proclamées et honorées, quoiqu’illégitimes, dans la conception pure de la religion d’origine qui délégitime le moindre intermédiaire entre Dieu et ses créateurs.

Car ils savent que la mentalité chez les masses est en train de changer, qu’on peut désormais parler d’islam et le valoriser, mais pas en tant que religion obscurantiste, mais plutôt de foi de droits, tous les droits humains connus, et de libertés, toutes celles reconnues dans le monde civilisé, sans nulle limitation dogmatique. C’est ce que je nomme NOESI-S, Nouvel Esprit I-slamique et y travaille, comme tant d’autres, pour un islam de son temps, une foi postmoderne

À la vérité, ce qui fait le plus peur aux activistes islamistes, c’est qu’ils savent bien que leur péché originel est de vouloir, au prétexte de combattre une islamophobie, encenser une foi, mais pas celle de de l’imaginaire populaire, foi de droits et de libertés, plutôt ce qu’elle est devenue du fait des avanies de l’histoire et du vol et viol dont la foi spirituelle originelle a fait l’objet : une religion obscurantiste.

 

Un meilleur goal : la révolution mentale 

La peur des intégristes est d’autant plus grande qu’ils savent que leurs complices d’Occident sont soit des complices objectifs, leurs supposés ennemis, soit de vrais démocrates qui ne tarderont pas à prêter l’oreille à l’autre son, inaudible jusqu’ici, qui ne défend pas l’islam au nom d’un particularisme obsolète, mais de son essence véritable précitée, qui est bien celle de l’inconscient collectif des musulmans.

Or, une telle conception, au nom même de l’islam pur, les combat avec leurs propres armes ; surtout, elle met à bas tous leurs tabous, qui ne sont, en vérité que de supposés tabous, mais continuent à défigurer l’islam originel.

Ainsi ne pourra-t-on plus, par exemple, continuer à ne pas admettre l’égalité successorale entre mâle et femelle, inégalité qui n’est que le produit de la cogitation obsolète d’exégètes misogynes, ni prétendre islamique une quelconque vêture, dont notamment le voile, ni maintenir les crimes actuels contre les innocents au nom d’une homophobie inventée illégitimement en islam, ni poursuivre la désinformation sur la seule interdiction en matière d’alcool en islam, qui n’est que d’en boire sans mesure et jusqu’à l’ivresse.

D’ailleurs, sur ces deux dernières questions, on a bien noté l’hésitation des autorités qataries lors de la préparation de leur coupe du monde, ayant été même prêtes, à un certain moment, de cesser l’injuste harcèlement, au nom de l’islam, des supporters étrangers attendus sur leur sol. C’est qu’ils savaient et savent que toutes leurs interdictions supposées morales étaient de fait immorales, étant une lecture biaisée de la foi dont ils assurent s’en réclamer. Au final, s’ils se sont alignés sur l’attitude la moins libérale en la matière, ce fut grâce à la complicité de certains milieux occidentaux bien aisés avec l’état des lieux actuels de l’islam religion rétrograde.

C’est ce qui finira par changer fatalement en usant, comme précédemment précisé, par l’arme même de cette foi, se réclament de son esprit pur et de son texte d’origine, la Révélation première avant son altération par la politique politicienne.

C’est bien la gageure s’offrant à l’Arabie Saoudite d’oser y agir en tant que terre se voulant sacrée du fait de la présence de la Mecque sous sa juridiction. Il s’agit de ne point contrarier le sens de l’histoire, avoir l’intelligence de l’accélérer même dans le domaine religieux même, ainsi que le prince héritier  du royaume s’applique à la faire dans la sphère politique et même des mœurs du pays, quoique plus timidement et à échelle restreinte, se limitant encore aux étrangers.

Autrement dit, en s’appuyant sur le sport, l’engouement des foules pour le football et ses stars occidentales, les autorités saoudiennes veilleraient désormais à régler la montre de la religion officielle du pays sur l’heure des valeurs humanistes universelles comme elles le font, hors islam, dans tous les autres domaines de la vie officielle de leur pays.

En cela, l’on se gardera surtout de faire l’erreur fatale des démocrates arabes, ou supposés tels, qui le font en occidetalocentristes, crypto-islamophobes à la vérité. Ils se devront de le faire en démocrates authentiques sur la base des préceptes d’origine de la religion musulmane réhabilitée en foi libertaire, ce qui est son génie originel.

Assurément, l’Arabie Saoudite usant du fair-play sportif, en faisant du fair-pray, réussira alors son plus beau goal, accélérant la révolution mentale dont l’islam a le plus besoin et qui est en cours, mais si lentement encore.

Cannabis récréatif : l’Allemagne ose le changement

La semaine dernière, la coalition au pouvoir en Allemagne a adopté son projet de loi légalisant le cannabis récréatif en Conseil des ministres. Initié par le ministre de la Justice du parti libéral allemand Marco Buschmann, et repris par le ministre socialiste de la Santé Karl Lauterbach, il sera présenté au Parlement à l’automne et malgré l’opposition des conservateurs, il y a peu de doutes sur son adoption.

La coalition a insisté sur ses deux objectifs prioritaires : la santé publique et la lutte contre la criminalité organisée. Une grande campagne de prévention sera déployée pour sensibiliser les Allemands sur les conduites à risque et l’accès au cannabis des 18-21 ans sera limité. C’est en effet un âge pour lequel la recherche médicale s’accorde sur le fait que le cerveau est encore en développement et qu’une exposition importante au cannabis peut affecter définitivement le développement cérébral. Quant à la lutte contre la criminalité, Olaf Scholz a assuré de la volonté de son gouvernement de permettre au prix de vente de concurrencer celui du marché noir.

 

Ce que prévoit la nouvelle loi allemande

La nouvelle loi prévoit la création d’associations à but non lucratif dont les membres pourront cultiver la plante pour leur seule consommation, et dans une limite de retrait de 25 grammes par jour et d’un maximum de 50 grammes par mois, et 30 grammes pour les 18-21 ans. Le projet de loi prévoit également le lancement d’une expérimentation dans certaines régions d’une production industrielle sous licence. Ce dispositif devait à l’origine être généralisé et constituer le cœur de la réforme allemande, mais le gouvernement s’est vu contraint de reculer devant les protestations de la Commission européenne, sous influence d’intérêts conservateurs.

Le maintien de l’industrialisation sous forme d’expérimentation est la preuve que le gouvernement allemand n’a pas renoncé à son ambition, et comprend que l’enjeu principal d’une telle réforme est d’avoir un marché légal efficient qui puisse remplacer rapidement le marché noir. Or, tous les consommateurs n’ont ni la volonté ni la capacité de cultiver leur propre cannabis et les seuls Cannabis Social Clubs, dont l’encadrement est d’ailleurs jugé trop strict par les associations, ne suffiront pas à mettre fin au marché noir.

Pour s’opposer au très libéral projet initial, la Commission européenne s’est reposée sur la décision-cadre du Conseil du 25 octobre 2014, qui elle-même traduit les engagements de l’Union européenne vis-à-vis de la convention unique sur les stupéfiants de 1961. La décision-cadre impose en effet aux États membres de réprimer le trafic de stupéfiants et prévoit une exception explicite, laissée à la libre appréciation des États, pour l’autoculture, et donc les Cannabis Social Club, déjà légalisés à Malte et en Espagne.

Cependant, plusieurs arguments pourraient être opposés à l’interprétation conservatrice de la Commission européenne. L’article 2 de la décision-cadre dispose que :

« 1.  Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels suivants soient punis lorsqu’ils ne peuvent être légitimés :

  • la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, l’offre, la mise en vente, la distribution, la vente, la livraison à quelque condition que ce soit, le courtage, l’expédition, l’expédition en transit, le transport, l’importation ou l’exportation de drogues; »

 

Or, la CJUE, dans son arrêt Kanavape concernant le CBD, a rappelé que la prohibition internationale des drogues et la Convention de 1961 avaient pour objectif premier la santé publique, et qu’en conséquence, c’était cette considération qui devait dicter les politiques publiques liées au stupéfiants.

Dès lors, un État pourrait « légitimer » l’organisation d’un marché légal par un objectif de santé publique, la légalisation n’étant qu’une option politique parmi d’autres dans la lutte contre les trafics et les addictions. Option politique qui montre, au demeurant, son efficacité dans les pays qui ont mené cette réforme à bien : au Québec, le marché noir s’est effondré, les jeunes expérimentent le cannabis plus tard, et ils sont moins nombreux à en consommer.

Par ailleurs, se pose la question de l’adéquation et la proportionnalité entre l’objectif de santé publique poursuivie et le moyen (la prohibition), dans la mesure où d’autres substances plus addictives et plus toxiques comme l’alcool et le tabac sont autorisées. Certains chercheurs en droit considèrent que les conventions internationales sur les stupéfiants ne peuvent pas être isolées des autres engagements internationaux, notamment ceux liés aux libertés individuelles, et que la légalisation peut être regardée comme un moyen de les concilier.

Enfin, il faut rappeler que l’initiateur et le chien de garde historique de la Convention de 1961 sont les États-Unis. Or, il est manifeste que de plus en plus d’États s’engagent dans la légalisation et que l’État fédéral, même sous la présidence de Donald Trump, n’entend pas les en empêcher. Dès lors que le seul signataire de la Convention qui avait la volonté de lui assortir des sanctions ne la respecte lui-même plus, l’Union européenne ne peut pas se défausser derrière ces engagements internationaux.

 

Vers une légalisation progressive au sein de l’Europe ?

La Commission européenne en est consciente, et sous la pression des nombreux États qui veulent prendre la voie de la légalisation, elle serait en train de réviser sa doctrine.

Le Luxembourg, qui avait suspendu sa réforme durant la crise sanitaire, compte bien la remettre sur la table ; les Pays-Bas, où il existe une dépénalisation de fait du cannabis dans les coffeeshop, mène une expérimentation d’industrialisation pour se débarrasser définitivement du marché noir, voie suivie également par le Danemark… Enfin, le président de la République tchèque, Petr Pavel, à la tête une coalition de centre-droit (chrétiens démocrates et libéraux conservateurs) a récemment promu l’adoption d’un modèle industrialisé dans son pays.

De ce fait, on peut légitimement se demander comment, dans un espace européen ouvert, la France pourrait rester le seul pays prohibitionniste, alors que le cannabis sera progressivement légalisé à toutes ses frontières. Tout laisse à penser qu’en France, la lutte contre le trafic de cannabis n’est plus qu’une entreprise de communication, un totem censé symboliser la fermeté de l’État dans la lutte contre la délinquance, tant il est facile de communiquer sur les centaines de petites saisies faites à travers le territoire. Une politique qui n’a aucun effet, ni sur le marché noir ni sur la consommation des plus jeunes.

La loi prohibitionniste crée sa propre légitimité dans un cercle vicieux où son échec justifie alors toujours davantage de répression. Mais encore, cette politique de répression est un gouffre financier, soutenu au détriment des autres politiques pénales et de la prévention : deux milliards d’euros en moyenne sont affectés chaque année aux forces de l’ordre pour ce seul objectif, contre quatre millions d’euros investis dans la prévention en 2023… Des voix s’élèvent dans la majorité présidentielle, comme Caroline Janvier, tout comme au sein de la gauche, et même des LR.

Mais rien ne pourra changer tant qu’il n’y aura pas de volonté au niveau de l’exécutif de donner la priorité à l’efficacité sanitaire et sécuritaire plutôt qu’au symbole.

Néolibéralisme, le bouc émissaire bien commode

Par Johan Rivalland.

Le penchant de l’homme à chercher des boucs émissaires responsables de ses malheurs était l’objet du célèbre ouvrage de René Girard intitulé Le bouc émissaire. Il semble bien qu’en ces temps troublés, un néologisme déjà très en vogue depuis un certain temps occupe plus que jamais ce rôle bien commode et rédempteur.

Plus un journal, un magazine, une émission radiophonique ou télévisuelle, un ouvrage à la mode, un discours public ou privé, qui ne nous servent à l’heure actuelle des analyses très vagues et très conventionnelles (mais qui se veulent originales) sur ce mystérieux mal qui nous ronge et qui a pour nom « néolibéralisme ».

Ne me demandez pas de le définir, je ne sais pas ce que c’est.

Pas plus que ne le savent vraiment ceux qui le dénoncent, puisqu’à son sujet ils sortent souvent des propos incohérents ou contradictoires qui montrent qu’ils se font leur propre idée du mal en question, en étant tantôt dans le domaine du fantasme, tantôt dans l’erreur la plus manifeste.

Chacun peut d’ailleurs mettre ce qu’il veut derrière ce mot, c’est ce que l’on constate en écoutant ou lisant les propos des uns et des autres sur tous les côtés de l’échiquier politique, ou dans la large palette des « intellectuels ».

Nous voici presque revenus aux temps mythiques de la chasse aux sorcières. À quand les procès ? À quand les condamnations en bonne et due forme ? À quand les interdits ? (cela a déjà plus que largement commencé).

Dix-septième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».

 

Un leurre bien commode

« Le monde va mal. Une pandémie l’a touché. Nous sommes pris au dépourvu. Tout va mal, tout s’écroule. Qu’a-t-il donc pu se produire ? D’où cela est-il venu ?

– Le néolibéralisme, pardi !
– Des morts plein les hôpitaux, plein les Ehpad, plein les demeures.
– Le néolibéralisme.
– Mais comment avons-nous donc pu ne pas voir venir ? Pourquoi n’avons-nous rien prévu ?
– Le néolibéralisme.
– Nous avions pourtant le meilleur système de santé au monde…
– Le néolibéralisme.
– Comment avons-nous pu laisser faire ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
– Le néolibéralisme.
– Des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres, des hôpitaux sans moyens, un monde sans contrôle, une planète qui va disparaître, un effondrement total… (dépité) : et que sais-je encore ?
– Le néolibéralisme, vous dis-je.
– Mais que faire alors, docteur ?
– Un seul remède : se couper du monde, mettre fin aux égoïsmes et à cette fichue société de consommation. Et promouvoir les solidarités, en lieu et place, en restaurant la paix, l’amour et la solidarité. Vivre d’amour et d’eau fraîche. Chanter la joie, la planète, les petits oiseaux et mettre fin à cette monstrueuse haine qui nous tue à petit feu.
– Et quoi d’autre ?
– Mettre fin à cette odieuse mondialisation.
– Quoi encore, docteur ?
S’unir contre cette hydre qu’est le néolibéralisme.

 

Le fameux « monde d’après » contre le néolibéralisme

Les adversaires du néolibéralisme sont légion, ils n’ont même jamais été aussi nombreux et font actuellement feu de tout bois. Les anaphores aussi ont le vent en poupe. Et en la matière, nous avons de grands champions, grands prophètes du désormais très prisé « monde d’après ». Nicolas Hulot égrène ainsi ses 100 préceptes, plus idylliques et exaltés les uns que les autres.

Sans oublier ces indécents, insupportables et révoltants donneurs de leçons qui, telle une Juliette Binoche – pas à une contradiction près – vivent dans l’aisance, promeuvent les valeurs du luxe (tant que cela rapporte), mais entendraient priver ceux qui ont besoin de consommer. Tandis que d’autres encore – à l’image de notre chère petite Greta – prônent, là aussi pour les autres, ce qu’ils ne s’appliquent pas vraiment à eux-mêmes.

Mais en matière d’anaphores, nous avons aussi ceux qui, sans cette fois-ci se réfugier derrière l’épouvantail de l’odieux néolibéralisme, s’en prennent plus directement au libéralisme lui-même. À l’image de Laurent Dandrieu, rédacteur en chef culture à Valeurs actuelles (un journal naguère d’esprit plutôt libéral, qui semble être devenu son adversaire farouche en l’espace de trois ou quatre ans à peine), qui écrit dans le numéro du 14 mai 2020 un article intitulé « Ne pas faire du libéralisme une vache sacrée ».

Une longue litanie déclinée en « C’est bien au nom d’une logique libérale que… », avec pêle-mêle :

– la mise en cause de la libre circulation des biens et des personnes (vivons confinés)

– celle du non renouvellement des stocks de masques (bien sûr, la faute au libéralisme, cela va de soi)

– la dépendance vis-à-vis de la Chine pour l’approvisionnement en masques à cause de la logique économique des coûts de production (le libéralisme, bien sûr, avec son amour, entre autres, des lourdes charges qui pèsent sur les entreprises, c’est bien connu…)

– la renonciation à l’indépendance pharmaceutique de la France, qui a laissé aux mains de la Chine et de l’Inde la production de la quasi-totalité des médicaments, au risque de nous asphyxier en cas de conflit mondial (mais c’est bien sûr !)

– l’abandon par la France de certains de ses fleurons industriels passés sous fleuron étranger (l’inverse, par contre, n’existe pas)

– la privatisation envisagée par l’État (cherchez l’erreur) d’autres entreprises stratégiques telles ADP

– la folie (reprenant les formulations de notre cher président, il y a peu encore qualifié de libéral) de déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie à d’autres (halte à l’invasion, replions-nous !)

Passons sur l’idée de « logique libérale », pour peu que le libéralisme soit doté d’une logique organisée, voire planificatrice, là où elle est plutôt – nous l’avons évoqué à de multiples reprises – une philosophie du droit et des libertés fondamentales. Il n’en reste pas moins que c’est bien de bouc émissaire qu’il s’agit ici. Comme si tous les problèmes évoqués avaient bien le libéralisme pour source commune et fondamentale.

C’est pourquoi le même journal, dans un numéro spécial du Spectacle du monde, éditait un dossier intitulé « Coronavirus, le monde d’après », dossier entièrement à charge contre le néolibéralisme, la mondialisation libérale, l’idéologie mondialiste, les mécanismes qui ont affaibli l’État, l’individualisme, la soumission commerciale et le consumérisme. Des thèmes devenus chers aujourd’hui à ce journal de droite qui en a fait quelques-unes de ses cibles privilégiées.

Aujourd’hui, en effet, plus rien ne distingue vraiment droite et gauche en la matière. Et tous s’accordent à rêver du fameux monde d’après.

 

La course à l’étatisme

Et pour cela, un seul remède, si l’on en revient à notre fameux docteur, sur le mode Malade imaginaire : l’argent (public) qui coule à flots.

Là encore, nous sommes dans la surenchère. Droite et gauche confondues, chacune y va de ses propositions à qui mieux mieux. Il suffit de créer de l’argent en abondance… et même de la dette perpétuelle. Mais pourquoi diable ne pas y avoir pensé plus tôt ? (Jean-Luc Mélenchon, lui, était un visionnaire, avec quelques-uns de ses amis).

À gauche comme à droite, cela ressemble même à une véritable compétition, mettant en avant ceux qui se sentent une âme de hérauts. Un Julien Aubert, comme le montre bien Nathalie MP Meyer, ne fait-il pas ainsi partie de ceux qui « osent » dresser le bilan de la « mondialisation néolibérale » ? Oubliant le fait que l’on savait ce qui risquait fortement d’arriver, mais qu’on ne l’avait pas anticipé dans les actes.

Nonobstant qu’il est resté proche de ceux qui ont gouverné la France il y a peu encore (sans jamais s’être réclamés du libéralisme, loin s’en faut) et doivent assumer, de fait, une part certaine de l’héritage français, Julien Aubert ose qualifier la politique sanitaire de la France de « digne du tiers monde » et met en cause la « pensée bruxello-budgétaro-néolibérale » de la droite (tout un programme). Oubliant au passage que la droite française n’a jamais été libérale.

Il réclame ainsi l’avènement d’un État stratège et la souveraineté de la France. Ne se distinguant guère de ce que propose la quasi-totalité de l’échiquier politique actuellement, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, sans oublier les grands journaux, de Marianne ou Libération à Valeurs actuelles.

Mais surtout, il omet de remarquer, comme le rappelle une nouvelle fois et à juste titre Nathalie MP Meyer, que la France reste championne des dépenses publiques et que les effectifs de la fonction publique demeurent eux aussi à un niveau record.

Comment oser, dans ce contexte, qualifier la politique de la France -que ce soit hier ou aujourd’hui – de « néolibérale » ? Il faut vraiment être de très mauvaise foi ou inculte. Ou alors ne plus avoir le sens des réalités, et se laisser emporter par ses fantasmes et la perte du sens des réalités (je pencherais plutôt pour cette solution, en y ajoutant toutefois une certaine dose d’opportunisme politique, bien sûr).

Le problème est qu’à force de répétition, ces discours creux et purement politiques finissent par s’imprimer dans les esprits, et par déboucher sur toujours les mêmes recettes à base de protectionnisme (quelle que soit sa coloration, « vertueux » ou autre). Dont Pascal Salin, entre autres, avait particulièrement bien mis en lumière les effets dévastateurs.

 

L’exemple de la course au vaccin

Après le scandale des masques vient la grande naïveté au sujet de la recherche d’un vaccin. Nous n’en sommes même pas encore à l’assurance d’en trouver un rapidement que déjà on se dispute ou on érige certaines morales au sujet de la gratuité que devra avoir l’éventuel vaccin, de son caractère de « bien commun », et de l’interdiction éventuelle que devra avoir l’entreprise qui le trouvera d’en dégager des bénéfices.

Oubliant les vertus de la concurrence et des initiatives privées sur la stimulation de la recherche, on veut à tout prix imaginer une grande coopération internationale, sous l’égide de gouvernements ou d’organismes publics, dans un contexte de guerre larvée entre la Chine et les États-Unis, qui veulent vraisemblablement en faire une arme pour asseoir leur domination.

On se souvient du triste spectacle des cargaisons de masques subtilisées par des États à d’autres États. On entrevoit aussi l’immense problème qui va immanquablement se poser le jour où un vaccin sera enfin prêt à être fabriqué, mais qu’il faudra de nombreux mois pour en produire des quantités suffisantes pour approvisionner toute la planète. Et on veut faire croire que les États rivaux sauront s’entendre tout d’un coup pour définir les « bonnes » priorités ?

En attendant, plutôt que de laisser de grands laboratoires tels que ceux de Sanofi travailler en toute quiétude, on leur dresse déjà de mauvais procès avant l’heure. Craignant là encore, n’en doutons pas, les fameux travers du grand méchant « néolibéralisme ». On est toujours mieux servi par la magnifique puissance publique qui, elle, est réputée si efficace.

Au fait… quel était, déjà, ce fameux « meilleur système médical au monde » ? Ah oui, la France. Et son glorieux service public que le monde entier nous enviait (mais ayant dégénéré sans qu’on s’en soit rendu compte en gestion « néolibérale » ?).

Et quel est le pays dans lequel on déplore à l’heure actuelle le plus de victimes du covid en proportion de la population ? Ah oui, le Royaume-Uni. Et son fameux système de santé… totalement étatisé. Mais je suis sans doute mauvaise langue.

Toujours est-il que pendant ce temps-là, la Chine réalise actuellement des essais de cinq vaccins sur un échantillon de 2500 cobayes, pardon, humains. Tous vraiment volontaires ? Et croyez-vous qu’elle attendra pour lancer la première son vaccin à l’échelle de la planète, pendant que les autres pays se livreront à une foire d’empoigne sous couvert de plan de recherche publique concerté qui relève plus de l’incantation que d’autre chose ? J’en doute.

 

Le protectionnisme, du néolibéralisme ?

Car à bien écouter nos politiques, nous en sommes plutôt à mettre en avant les valeurs de patriotisme. N’est-ce pas d’ailleurs ce que la Chine ou l’Amérique trumpienne tentent d’ériger également ? Tandis que l’Inde, de son côté, semble pratiquer le national-populisme. Mais est-ce vraiment le modèle que nous souhaitons suivre ?

Car le patriotisme chinois, c’est aussi la propagande autour de la supériorité chinoise (il est vrai que nous aussi ne manquions jamais de faire référence à notre « meilleur système de santé au monde, tel que rappelé plus haut).

En conclusion, si le « néolibéralisme », aux contours flous et mal définis, est un bouc émissaire bien commode pour exorciser tous les maux réels ou imaginaires qui nous poursuivent, nous ferions bien d’envisager des modes de coopération bien plus réalistes et sereins.

Oui à des relocalisations bien choisies et bien pensées (qui peuvent être d’initiative privée) dans des cas très précis, lorsqu’il y a un réel risque de mise en péril de notre sécurité (peut-on toujours coopérer sans risque avec des États totalitaires ?). Mais non, ne nous imaginons pas reconstruire de toutes pièces un monde idéal et fantasmé, fondé autour d’un protectionnisme dont l’histoire a montré qu’il était l’un des plus grands dangers qui nous menacent, et une source d’appauvrissement de tous lorsqu’il devient généralisé par un regrettable effet d’escalade.

Le bien de tous me semble résider plutôt dans l’échange et la coopération (essentiellement privée) que dans les grands schémas ou les grandes constructions théoriques fondés davantage sur le rejet que sur la confiance.

Article publié initialement le 18 mai 2020.

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