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Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

Jean-Marc Jancovici au Sénat : omissions et approximations

Je viens d’écouter l’audition d’une petite heure de Jean-Marc Jancovici au Sénat, qui a eu lieu le 12 février dernier dans le cadre de la « Commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ».

Beaucoup d’informations exactes, qui relèvent d’ailleurs bien souvent du bon sens, mais aussi quelques omissions et approximations sur lesquelles je souhaite revenir ici.

Je tiens à préciser d’entrée que j’ai beaucoup de respect pour Jean-Marc Jancovici, dont j’ai vu un nombre incalculable de vidéos sur YouTube, notamment la série de huit cours donnés à l’école des Mines. J’ai aussi lu avec intérêt le livre résumant Le plan de transformation de l’économie française publié par le Shift Project, think tank qu’il a cofondé.

Entendons-nous déjà sur le constat qu’on peut facilement partager avec lui avant d’en venir aux différents points d’achoppement.

Oui, il est urgent d’amener à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre au maximum, et le plus vite possible.

Oui, en l’état, il semble impossible de limiter la hausse moyenne des températures à 1,5 °C au-dessus du niveau préindustriel.

Et oui, nous semblons bien partis pour dépasser la limite des 2°C.

La question comme toujours demeure : « Que faire et comment ? ». Comme à son habitude, Jean-Marc Jancovici prêche d’abord et avant tout pour une sobriété massive en France, la « pauvreté choisie » selon ses mots, afin de montrer l’exemple au reste du monde dans l’espoir de l’inspirer, « son pari pascalien », dit-il.

C’est déprimant. Si la sobriété peut avoir un rôle à jouer, elle ne suffira pas à elle seule. Le progrès technologique accéléré par l’économie de marché ne trouve pas grâce à ses yeux, c’est son angle mort.

Mes remarques.

 

Oubli d’une pompe à carbone amenée à jouer un rôle majeur

Je note déjà une erreur scientifique dès sa prise de parole, ce qui est assez surprenant de sa part. Il explique qu’il n’y a que deux façons pour le CO2 de quitter l’atmosphère : soit en étant absorbé par l’océan par « équilibrage de pressions partielles » ; soit en étant transformé, avec d’autres intrants, en biomasse suite à l’action de la photosynthèse des plantes.

Il oublie un phénomène qui a son importance, on va le voir, l’érosion chimique des roches silicatées : quand le CO2 de l’atmosphère se mêle à la pluie pour produire de l’acide carbonique (H2CO3), qui va ensuite réagir avec ces roches pour donner d’un côté un minéral carbonaté (contenant les atomes de carbone) et de l’autre du sable en général (contenant les atomes de silicium). Les minéraux carbonatés ainsi produits sont ensuite emportés par les rivières et fleuves jusqu’au fond des océans où il se déposent. Leurs atomes de carbone sortent alors de l’atmosphère pour le très long terme. C’est ce qu’on appelle le cycle lent du carbone.

Si Jean-Marc Jancovici n’en parle pas, c’est sans doute car, si sur le temps géologique long il peut induire des changements climatiques très marqués, à notre échelle temporelle il n’a que peu d’impact : on considère qu’il retire de l’atmosphère chaque année environ 300 millions de tonnes de CO2, et il est contrebalancé par les émissions de CO2 des volcans qui rejettent, eux, environ 380 millions de tonnes de CO2 chaque année au maximum. Ce cycle géologique semble donc ajouter en net du carbone dans l’atmosphère, à hauteur de 80 millions de tonnes de CO2 par an, soit 0,2 % des émissions de CO2 d’origine humaine (autour de 40 milliards de tonnes/an).

Un oubli pardonnable donc. Mais cela traduit en fait la courte vue de Jean-Marc Jancovici, car ce phénomène, l’érosion chimique des roches silicatées, représente a priori le moyen le plus économique de capturer et stocker pour le très long terme et à très grande échelle le CO2 en excès dans l’atmosphère.

S’il nous faut absolument cesser d’émettre des gaz à effet de serre au plus tôt, l’inertie de nos économies fait que cela prendra du temps, même si les solutions sont réelles. Nous allons donc continuer à pourrir la planète pendant encore un certain temps. Il est urgent de réfléchir à comment retirer pour de bon l’excès de carbone dans l’atmosphère, à hauteur de 1500 milliards de tonnes de CO2, pour réparer le mal déjà commis, et limiter au maximum la casse.

Un certain nombre de solutions sont envisagées.

Celles consistant à embrasser la photosynthèse sont difficiles à généraliser à grande échelle, on manque de place pour ajouter assez d’arbres par exemple, et quand bien même, on n’est pas sûr de pouvoir les maintenir en état dans un monde en réchauffement. D’autres pensent aux algues, mais le résultat est difficile à mesurer. L’autre classe de solution est la capture du CO2 ambiant grâce à des machines et son stockage en sous-sol.

Le problème de toutes ces solutions, quand elles sont pensées pour être durables, est in fine leur scalability et leur coût. Elles sont beaucoup trop chères, on peine à voir comment tomber en dessous des 100 dollars par tonne de CO2 capturé et séquestré. Comme ce CO2 capturé ne rapporte rien directement, il s’agit en fait d’une taxe que les contribuables du monde doivent se préparer à payer. Avec 1500 milliards de tonnes de CO2 en excès, un coût de 100 dollars par tonne et plus rend tout simplement l’opération inconcevable, on parle d’environ deux fois le PIB mondial ! Même réparti sur 20 ans, on tombe à 10 % du PIB mondial par an, une taxe bien trop lourde.

Démultiplier l’érosion chimique de roches silicatées, notamment l’olivine, semble offrir un moyen de faire tomber ce coût à 5 dollars par tonne, tel que le détaille cette projection.

L’olivine est assez abondante et accessible sur Terre pour capturer les 1500 milliards de tonnes de CO2 en excès dans notre atmosphère. L’idée consiste à extraire ces roches, les concasser en fine poudre à déverser dans la mer où leur constituant principal, la fostérite de formule Mg2SiO4, réagira avec l’acide carbonique de l’océan (formé par réaction de l’eau avec le CO2) pour précipiter notamment du bicarbonate de magnésium Mg2(HCO3qui pourra se déposer au fond des mers, séquestrant au passage ses atomes de carbone. Bien sûr, il faudra pour cela beaucoup de machines qui utiliseront possiblement des carburants hydrocarbonés, (même pas en fait à terme), mais leur impact sera largement compensé par le CO2 séquestré. On parle là d’un chantier vertigineux, sur au moins vingt années, mais à 5 dollars par tonne de CO2, cela devient une taxe digeste à la portée de l’humanité.

Ainsi, plutôt que d’être passablement ignorée comme l’a fait Jean-Marc Jancovici, cette pompe à CO2 méritait au contraire d’être citée, et devrait faire l’objet de beaucoup d’attention, d’études complémentaires et expérimentations, préalables aux investissements à suivre.

 

Non, notre siècle ne sera pas un monde d’énergie rare

Jean-Marc Jancovici part du postulat que nous entrons dans une ère de pénurie d’énergie du fait du tarissement de la production de pétrole et de gaz, et de la nécessité absolue de se passer des énergies fossiles pour minimiser la catastrophe climatique.

De là, il prévoit que nous ne pourrons plus produire autant d’engrais aussi bon marché qu’aujourd’hui, ce qui veut dire que la nourriture sera plus rare et plus chère. Couplé à la hausse des coûts du transport, il en conclut qu’il deviendra prohibitif d’approvisionner en nourriture une ville comme Paris (deux millions d’habitants) et qu’à l’avenir, la taille idéale d’une ville serait plutôt de l’ordre de celle de Cahors (20 000 habitants).

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si ce postulat et les premières étapes du raisonnement sont valides pour ce siècle, alors il y a bien pire à prévoir que de voir Paris se vider et fleurir des Cahors.

Continuons ce reductio ad absurdum.

Si l’on pense véritablement qu’on ne pourra pas produire autant de nourriture qu’aujourd’hui, que les rendements agricoles vont baisser drastiquement, et que la nourriture coûtera bien plus cher à l’avenir, alors le premier des problèmes n’est pas le redimensionnement des villes. Non, c’est d’abord et avant tout le fait que la Terre ne pourra pas faire vivre huit milliards d’êtres humains. Ce qui voudrait dire que des milliards d’entre nous sont d’ores et déjà condamnés à mourir de faim au XXIe siècle ! Autant que Jean-Marc Jancovici le dise clairement !

Ce bien sinistre tableau ne tient pas la route, nous allons voir pourquoi.

Mais demandons-nous d’abord quelles sont les raisons profondes derrière le postulat initial de Jean-Marc Jancovici ?

Il considère que d’une part, pour satisfaire à tous les usages électrifiables, on ne parviendra pas à développer assez vite les infrastructures de production d’électricité pour en produire en quantité suffisante à prix abordable. Car construire du nucléaire prend trop de temps, et le renouvelable souffre d’après lui de problèmes rédhibitoires : intermittence, contrainte sur les matériaux et les sols, et enfin prix acceptables envisagés non crédibles, car permis justement par la dépendance aux machines fonctionnant aux carburants fossiles, dont il faudrait se débarrasser.

D’autre part, il explique qu’il n’y a pas de solution alternative aussi abordable que les énergies fossiles pour les usages qu’on ne pourra pas électrifier, notamment l’aviation long courrier et le transport maritime en haute mer. Annonçant ainsi la fin de la mondialisation et les joies du voyage en avion.

Ce raisonnement a tenu un temps. Mais des tendances de fond, dont on pouvait effectivement encore douter jusqu’il y a quelques années, sont aujourd’hui impossibles à ignorer, et nous font dire que le XXIe siècle sera bien au contraire un monde d’abondance énergétique !

Ces tendances, les voici :

• Chute continue du coût de l’énergie solaire photovoltaïque (PV), et en parallèle, la croissance exponentielle des déploiements, même trajectoire pour les batteries qui permettent notamment la gestion de l’intermittence sur le cycle diurne (jour/nuit).

• De nouvelles études montrent qu’il y aura assez de matériaux pour assurer la transition énergétique.

• Du fait du premier point, il sera possible de produire à grande échelle des carburants de synthèse carbonés avec le CO2 de l’atmosphère (aux émissions nettes nulles donc) à un tarif compétitif, puis plus bas que les énergies fossiles importées à peu près partout sur Terre d’ici à 2035-2040.

Le dernier point va justement permettre de verdir et faire croître l’aviation et le transport maritime, et de tordre le cou à l’objection du renouvelable abordable seulement du fait de la dépendance aux énergies fossiles. On ne se passera pas des énergies carbonées, mais on fera en sorte qu’elles ne soient plus d’origine fossile.

Détaillons.

 

Chute continue du coût du solaire PV et des batteries

Pour se donner une idée, un mégawatt-heure d’électricité solaire PV coûtait 359 dollars à produire en 2009, on est aujourd’hui autour de 25 dollars/MWh aux États-Unis sur les fermes solaires de pointe.

En avril 2021, on apprenait qu’un chantier en Arabie Saoudite vendra de l’électricité à un prix record mondial de près de 10 dollars/MWh. Il y a toutes les raisons de penser que cela va continuer à baisser au rythme actuel pour encore longtemps, pour les raisons que j’exposais dans cet article (économies d’échelles, loi de Wright, assez de matériaux). Sans surprise, le solaire PV est en plein boom. En 2023 en Europe, c’est l’équivalent en puissance d’une centrale nucléaire par semaine qui a été installée !

Ce phénomène de baisse des prix au fur et à mesure des déploiements est également à l’œuvre avec les éoliennes, dans des proportions moindres toutefois. Elles auront un rôle à jouer dans les pays les moins ensoleillés et en hiver, en complément du solaire PV.

Cette explosion des déploiements va s’accélérer grâce à la baisse parallèle du coût des batteries qui permettent de compenser les effets de l’intermittence sur la journée. Par exemple, les batteries Lithium Iron Phosphate (LFP) coûtaient autour de 110 euros/kWh en février 2023. Les industriels parlent d’atteindre 40 euros/kWh cette année, un chiffre qu’en 2021 on pensait atteindre vers 2030-2040. Tout s’accélère !

Autre exemple, Northvolt, une entreprise suédoise, a dévoilé une technologie de batterie révolutionnaire, « la première produite totalement sans matières premières rares », utilisant notamment le fer et le sodium, très abondants sur les marchés mondiaux. Son faible coût et la sécurité à haute température rendent cette technologie particulièrement attractive pour les solutions de stockage d’énergie sur les marchés émergents, notamment en Inde, au Moyen-Orient et en Afrique.

Bref, on assiste bien à la chute continue du coût des batteries couplée à la hausse continue de leur qualité (s’en convaincre en 6 graphiques ici).

Pour la gestion de l’intermittence saisonnière, on s’appuira sur un système combinant centrales nucléaires et au gaz de synthèse pour prendre le relais au besoin. On continuera à investir dans l’extension des réseaux électriques permettant par exemple d’acheminer de l’électricité solaire PV depuis le Sahara jusqu’à l’Europe.

Enfin, pour le stockage longue durée, c’est a priori le stockage hydraulique par pompage qui devrait s’imposer.

 

Nous disposons d’assez de ressources et métaux pour la transition énergétique

L’Energy Transition Commission (ETC) a publié un rapport important en juillet 2023, qui examine les besoins en minéraux de 2022 à 2050. Il repose sur un scénario ambitieux visant à atteindre zéro émission nette d’ici 2050 : électricité mondiale décarbonée, transport de passagers quasiment décarboné, industrie lourde approvisionnée en hydrogène vert, et 7 à 10 milliards de tonnes de CO2 de captage et de stockage du carbone pour les émissions restantes.

Le rapport montre que le monde possède en soi suffisamment de cuivre, nickel, lithium, cobalt et argent, même si nous devrons en rendre davantage économiquement viables, ou trouver de nouveaux gisements facilement accessibles.

Mais il faut noter que les industriels savent souvent remplacer un matériau lorsque son approvisionnement semble compromis, ou que son prix monte trop.

Par exemple, les projections sur le besoin en cobalt ont considérablement baissé à mesure que certains constructeurs de voitures électriques se sont tournés vers d’autres intrants. De la même façon, les prix élevés du cuivre entraînent une transition vers l’aluminium.

Et les estimations de l’ETC sur la demande en minéraux sont élevées par rapport à d’autres analyses. En recoupant ces hypothèses avec d’autres analyses, on constate que l’ETC est conservateur, prévoyant généralement la plus forte demande en minéraux. Citons par exemple :

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) : « Il n’y a généralement aucun signe de pénurie dans ces domaines : malgré la croissance continue de la production au cours des dernières décennies, les réserves économiquement viables ont augmenté pour de nombreux minéraux de transition énergétique. »

Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) : « Les réserves de minéraux de transition énergétique ne manquent pas, mais les capacités d’extraction et de raffinage sont limitées. […] La production a augmenté pour de nombreux minéraux de transition énergétique, et les réserves extraites de sources économiquement viables ont augmenté. De plus, les innovations de rupture – telles que l’amélioration de l’efficacité et les substitutions de matériaux – sont déjà en train de remodeler la demande. »

 

Carburants carbonés de synthèse aux émissions nettes nulles

On parle d’e-carburants, ou encore d’électro-carburants, car on utilise de l’électricité pour capturer le CO2 de l’atmosphère et pour faire de l’électrolyse de l’eau permettant d’obtenir l’hydrogène H2 à faire réagir avec le CO2 capturé afin de produire ces carburants de synthèse. Il ne faut pas les confondre avec les biocarburants, sur lesquels je reviens en dernière partie.

Si l’électricité utilisée est verte, on a bien là des carburants verts, aux émissions nettes nulles, puisque le CO2 utilisé au départ provient de l’atmosphère. Brûler ces carburants n’ajoute pas de nouveau carbone à l’atmosphère tiré des entrailles de la Terre. (pour retirer en net du CO2 de l’atmosphère, il faudra, par contre, se tourner vers la solution évoquée en première partie.)

Aujourd’hui, fabriquer ces e-carburants reste prohibitif. Mais cela va bientôt changer du fait de la chute continue du coût de l’énergie solaire PV.

Pour rivaliser avec le kérosène fossile importé par exemple, il faudra que le coût de cette énergie solaire PV passe en dessous des 10 dollars/MWh.

On utilise pour cela l’électricité sur le point de production sans avoir besoin de se raccorder au réseau pour s’épargner les coûts (onduleurs, pertes en transmission) et délais associés, en intégrant bien dans le calcul l’intermittence du solaire PV, et donc l’utilisation des machines produisant ces e-carburants que 25 % du temps en moyenne. J’explique tout en détail dans cet article.

Un des freins relatifs au développement du solaire PV est l’embouteillage pour se raccorder au réseau (des années dans certains cas aux États-Unis) et la disponibilités des batteries (même si ça évolue très vite, on l’a vu). Mais cela ne s’applique pas à la production d’e-carburants : nul besoin du réseau électrique ni de batteries. Cela ne peut que contribuer à débrider plus encore l’explosion des déploiements de fermes solaire PV.

Au rythme actuel de la baisse des prix du solaire PV, les e-carburants produits sur place seront compétitifs avec les carburant fossiles importés avant 2030 dans les endroits les plus favorables et à peu près partout sur Terre d’ici à 2035-2040.

C’est inévitable.

La mondialisation soutenue par le commerce maritime ne s’arrêtera pas faute d’énergie. Et loin de ralentir, l’aviation sera en mesure d’exploser à partir des années 2040, sans que cela n’accroisse les émissions nettes de gaz à effet de serre.

Si certaines tensions seront observées sur les 10 à 15 prochaines années, le temps que ces solutions arrivent à maturité, il est clair par contre qu’ensuite, c’est bien un monde d’abondance énergétique propre qui nous attend.

 

Oui, les biocarburants sont une hérésie, mais pas que pour les raisons invoquées

Suite à une question sur la concurrence des sols entre nourriture et biocarburants, Jean-Marc Jancovici explique que d’une certaine façon, oui les terres dédiées à la production de biocarburants conduisent à de la déforestation, sous-entendant qu’il faudrait faire sans les biocarburants et réduire en conséquence le transport des hommes et marchandises, la sobriété d’abord et avant tout à nouveau.

Jean-Marc Jancovici a raison, les biocarburants sont une aberration, mais pas seulement pour les raisons qu’il donne. Ils ont vocation à rester chers car produire de la biomasse, la récolter, la transporter, la transformer, la conditionner ne se prêtera pas à des économies d’échelles suffisantes.

Et quand bien même cela pourrait devenir aussi abordable que les carburants fossiles, c’est un crime thermodynamique absolu de s’en servir pour le transport terrestre comparativement à la motorisation électrique.

Pour un moteur à combustion, sur 100 unités d’énergie au départ, seuls 20 sont transformés en mouvement, le reste est gâché en chaleur inutilisée. Pour une voiture électrique, on est proche de 89 % d’efficacité ! En réalité, pour ce qui est du transport terrestre, la messe est dite, les véhicules électriques vont éclipser tout le reste. Dans quelques années, à autonomie égale, il sera moins cher à l’achat et à l’usage d’opter pour un véhicule électrique plutôt que pour un véhicule à essence. Mêmes les engins agricoles et de minageune partie de l’aviation et le transport maritime fluvial et côtier seront électrifiés à terme !

On peut se passer des biocarburants et des énergies fossiles, mais cela ne veut pas dire que le transport doit diminuer. On l’a vu, le transport terrestre a vocation à être électrifié de bout en bout, et les solutions existent pour produire en masse à terme de l’électricité verte.

Et pour les usages où l’on ne pourra pas encore se passer des hydrocarbones, on comprend maintenant que le salut viendra non pas des biocarburants, mais des e-carburants ! Puisque Jean-Marc Jancovici parlait des sols, notons que pour une même dose de soleil reçue, l’efficacité énergétique des biocarburants est de l’ordre de 0,1 % tandis qu’on est autour des 5 % pour les e-carburants (produits avec de l’énergie solaire PV).

Autrement dit, pour une quantité égale de carburants, on aura besoin de 50 fois moins de terres avec les e-carburants, et on pourra d’ailleurs utiliser des terres arides. Oui, les biocarburants sont une hérésie sans avenir.

Voilà donc une somme de raisons d’entrevoir le futur avec le sourire, un sourire non pas benêt, mais ancré dans la conviction que l’ingéniosité humaine et les ressources de notre planète permettront bien à huit milliards d’êtres humains et plus de vivre confortablement et durablement.

Cette abondance nous tend les bras au XXIe siècle, mais le chemin pour y arriver va être tortueux pour encore une bonne décennie. En attendant, tout effort de sobriété est bienvenu, ne le nions pas non plus, mais par pitié, ouvrons aussi les yeux sur ces dernières tendances plus qu’encourageantes.

AI Act : en Europe, l’intelligence artificielle sera éthique

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son approche réglementaire peu propice à l’innovation, l’Union européenne est résolue à montrer l’exemple avec son AI Act. Le texte, dont certaines modalités de mise en œuvre restent encore à préciser, peut-il seulement s’imposer en tant que référence ?

 

L’intelligence artificielle, un enjeu économique, stratégique… et règlementaire

L’intelligence artificielle revêt un aspect stratégique de premier ordre. La technologie fait l’objet d’une compétition internationale effrénée dont les enjeux touchent aussi bien aux questions économiques que militaires et sociales, avec, bien sûr, des implications conséquentes en termes de puissance et de souveraineté. Dans un tel contexte, une nation qui passerait à côté de la révolution de l’IA se mettrait en grande difficulté.

Rapidement, la question de la réglementation de l’IA est devenue un sujet de préoccupation majeur pour les États. Et pour cause, les risques liés à l’IA, notamment en matière de vie privée, de pertes d’emplois, de concentration de la puissance de calcul et de captation de la recherche, sont considérables. Des inquiétudes dont les participants à l’édition 2024 du Forum économique mondial de Davos se sont d’ailleurs récemment fait l’écho.

En effet, bien que des régimes existants, comme les règles sur la protection des droits d’auteur, la protection des consommateurs, ou la sécurité des données personnelles concernent l’IA, il n’existe à ce jour pas de cadre juridique spécifique à la technologie en droit international. De plus, beaucoup de doutes subsistent quant à la façon dont les règles pertinentes déjà existantes s’appliqueraient en pratique. Face à l’urgence, plusieurs États se sont donc attelés à clarifier leurs propres réglementations, certains explorant la faisabilité d’un cadre réglementaire spécifiquement dédié à la technologie.

Dans la sphère domestique comme à l’international, les initiatives se succèdent pour dessiner les contours d’un cadre juridique pour l’IA. C’est dans ce contexte que l’Union européenne entend promouvoir sa vision de la règlementation articulée autour de règles contraignantes centrées sur la protection des droits fondamentaux.

 

Un risque de marginalisation potentiel

Le Plan coordonné dans le domaine de l’intelligence artificielle publié en 2018, et mis à jour en 2021, trace les grandes orientations de l’approche de l’Union européenne. Celui-ci vise à faire de l’Union européenne la pionnière des IA « légales », « éthiques » et « robustes » dans le monde, et introduit le concept d’« IA digne de confiance » ou trustworthy AI. Proposé en avril 2021 par la Commission européenne, le fameux AI Act est une étape décisive vers cet objectif.

L’IA Act classe les systèmes d’intelligence artificielle en fonction des risques associés à leur usage. Ainsi, l’étendue des obligations planant sur les fournisseurs de solutions d’IA est proportionnelle au risque d’atteinte aux droits fondamentaux. De par son caractère général, l’approche européenne se distingue de la plupart des approches existantes, qui, jusqu’alors, demeurent sectorielles.

Parmi les grands axes du texte figurent l’interdiction de certains usages comme l’utilisation de l’IA à des fins de manipulation de masse, et les systèmes d’IA permettant un crédit social. Les modèles dits « de fondation », des modèles particulièrement puissants pouvant servir une multitude d’applications, font l’objet d’une attention particulière. En fonction de leur taille, ces modèles pourraient être considérés à « haut risque, » une dénomination se traduisant par des obligations particulières en matière de transparence, de sécurité et de supervision humaine.

Certains États membres, dont la France, se sont montrés particulièrement réticents à l’égard des dispositions portant sur les modèles de fondation, y voyant un frein potentiel au développement de l’IA en Europe. Il faut dire que l’Union européenne fait pâle figure à côté des deux géants que sont les États-Unis et la Chine. Ses deux plus gros investisseurs en IA, la France et l’Allemagne, ne rassemblent qu’un dixième des investissements chinois. Bien qu’un compromis ait été obtenu, il est clair que la phase d’implémentation sera décisive pour juger de la bonne volonté des signataires.

À première vue, le AI Act semble donc tomber comme un cheveu sur la soupe. Il convient néanmoins de ne pas réduire la conversation au poncif selon lequel la règlementation nuirait à l’innovation.

 

L’ambition d’incarner un modèle

Le projet de règlementer l’IA n’est pas une anomalie, en témoigne la flopée d’initiatives en cours. En revanche, l’IA Act se démarque par son ambition.

À l’instar du RGPD, le AI Act procède de la volonté de l’Union européenne de proposer une alternative aux modèles américains et chinois. Ainsi, à l’heure où les cultures technologiques et réglementaires chinoises et américaines sont régulièrement présentées comme des extrêmes, le modèle prôné par l’Union européenne fait figure de troisième voie. Plusieurs organismes de l’industrie créative avaient d’ailleurs appelé les États membres à approuver le texte la veille du vote, alors que la réticence de Paris faisait planer le doute quant à son adoption. Cet appel n’est pas anodin et rejoint les voix de nombreux juristes et organismes indépendants.

Compte tenu des inquiétudes, il est clair que l’idée d’une IA éthique et respectueuse des droits fondamentaux est vendeuse, et serait un moyen de gagner la loyauté des consommateurs. Notons d’ailleurs que huit multinationales du digital se sont récemment engagées à suivre les recommandations de l’UNESCO en matière d’IA éthique.

L’initiative se démarque aussi par sa portée. Juridiquement, le AI Act a vocation à s’appliquer aux 27 États membres sans besoin de transposition en droit interne. Le texte aura des effets extraterritoriaux, c’est-à-dire que certains fournisseurs étrangers pourront quand même être soumis aux dispositions du règlement si leurs solutions ont vocation à être utilisées dans l’Union.

Politiquement, le AI Act est aussi un indicateur d’unité européenne, à l’heure où le projet de Convention pour l’IA du Conseil de l’Europe (qui englobe un plus grand nombre d’États) peine à avancer. Mais peut-on seulement parler de référence ? Le choix de centrer la règlementation de l’IA sur la protection des droits de l’Homme est louable, et distingue l’Union des autres acteurs. Elle en poussera sans doute certains à légiférer dans ce sens. Néanmoins, des ambiguïtés subsistent sur son application. Ainsi, pour que l’AI Act devienne une référence, l’Union européenne et ses membres doivent pleinement assumer la vision pour laquelle ils ont signé. Cela impliquera avant tout de ne pas céder trop de terrains aux industriels lors de son implémentation.

Parc des Princes : l’urgence de la privatisation

Mardi 27 février, Florian Grill, le président de la Fédération française de rugby, menaçait de délocaliser les matchs du XV de France hors du Stade de France à l’occasion d’un entretien à l’AFP. Le bras de fer entre la mairie de Paris et le PSG au sujet du Parc des Princes avait, lui aussi, connu un nouveau rebondissement le mois dernier : l’adjoint écologiste à la mairie de Paris, David Belliard, ne souhaitait pas le voir vendu au Qatar. Le président du PSG Nasser Al-Khelaïfi s’en était ému, accusant à demi-mot la mairie de Paris de racisme. Après avoir menacé de s’installer au Stade de France, le PSG serait désormais à la recherche d’un endroit pour construire un nouveau stade. Cette opération serait une catastrophe pour les Parisiens qui subissent déjà depuis dix ans la fuite en avant financière de la mairie socialiste.

Source : journaldunet.com

Depuis que la coalition socialo-communo-écolo a porté au pouvoir Anne Hidalgo a la tête de la mairie de Paris il y a dix ans, la situation financière de la ville s’est considérablement dégradée.

Profitant des taux exceptionnellement bas, la maire socialiste a dépensé sans compter, et l’endettement de la ville de Paris a été multiplié par deux en dix ans pour atteindre près de huit milliards d’euros. La réalité a commencé à rattraper les Parisiens, et la ville a augmenté la taxe foncière de 62 % l’année dernière pour essayer de colmater les brèches.

Ce n’est pas suffisant : la très forte augmentation des taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation causée par des années de taux ultra-bas, et les déficits massifs enregistrés depuis la crise financière et renforcés par le « quoi qu’il en coûte » imposent un rapide désendettement de la ville de Paris. C’est la condition pour éviter d’écraser les Parisiens d’impôts supplémentaires. Il faut donc que la ville de Paris vende vite et bien le Parc des Princes, et cela veut dire le céder au PSG.

Source : journaldunet.com

Le Paris Saint-Germain est un des rares clubs majeurs européens qui n’est pas propriétaire de son stade. L’acquérir permettrait à la fois de renforcer la position financière du club grâce à un important actif immobilier, ainsi que son contrôle sur les revenus de billetterie et d’hospitalité. Le club deviendrait aussi maître de ses investissements, pouvant les planifier sans interférence de la mairie de Paris.

Du côté de la mairie de Paris, il est essentiel que le PSG devienne acquéreur du Parc pour ancrer le club à Paris. La valeur du Parc des Princes tient essentiellement au fait que le PSG en soit le club résident. Perdre le PSG, c’est s’asseoir sur l’activité que les matchs génèrent et sur la valeur du Parc des Princes. Ce raisonnement s’applique aussi au PSG : un PSG propriétaire du stade ne peut en déménager qu’à condition d’accepter une forte dépréciation de la valeur de cet actif. Ce n’est pas grâce aux concerts qui sont en concurrence directe avec le Stade de France et Bercy que le Parc ne deviendra pas un poids mort pour les Parisiens.

Le Parc des Princes n’est pas le seul actif sportif que la ville de Paris doit céder pour accélérer son désendettement. Elle est aussi propriétaire de Roland Garros, du stade Charlety et du stade Jean Bouin. Ce n’est pas le rôle de la mairie de Paris d’être propriétaire d’infrastructures essentiellement utilisées par des entreprises commerciales au rayonnement national et international. La ville doit rapidement enclencher les discussions pour céder ce parc immobilier à la Fédération Française de Tennis, au Paris FC et au Stade Français, et affecter les revenus à son désendettement.

L’État donne pour une fois l’exemple en cherchant à céder le Stade de France. Une bonne privatisation de celui-ci mettrait fin au modèle de la concession et le cèderait à un consortium composé de la Fédération Française de Football, de Rugby, d’Athlétisme et d’une entreprise spécialisée (comme Vinci). Cela permettrait aux fédérations sportives d’améliorer les revenus tirés de leurs évènements et de les diversifier grâce aux spectacles. L’entreprise concessionnaire apporterait son savoir-faire et probablement une meilleure tenue des comptes que si ceux-ci étaient laissés entièrement aux fédérations.

Privatiser ces infrastructures, c’est faire gagner la France plusieurs fois : des organisations sportives plus solides, des finances publiques assainies et des administrations publiques qui peuvent se concentrer sur leurs tâches essentielles. Pour l’État, comme pour la mairie de Paris, c’est notamment la sécurité des biens et des personnes qui se dégrade de façon inquiétante.

Les vrais chiffres de la balance commerciale 2023 

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les 200 milliards d’euros de déficit pour se « rétablir » en 2023 à -135 milliards d’euros.

Rappelons qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise sanitaire et avant la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, la balance commerciale s’établissait à un déficit de 77 milliards (quand l’Allemagne dépassait les 200 milliards d’excédent commercial).

Pour résumer, en l’espace de deux ans : 2019 à 2022, notre déficit commercial a quasiment triplé et le déficit de 2023 est maintenant équivalent au double de celui de 2019.

 

Une lueur d’espoir ? L’éternelle marotte de la solution par les exportations 

Face à des résultats accablants, l’idée selon laquelle la progression de nos exportations viendrait redresser la balance commerciale continue de perdurer et d’être promue comme la solution de reconquête de notre souveraineté. Est-ce bien réaliste ? Avec des exportations qui progressent mollement (+3 % en un an) et dont la hausse intègre nécessairement l’inflation, peut-on vraiment penser qu’elles seront à même de compenser notre dépendance structurelle aux importations sur la quasi-totalité des secteurs industriels ?

Pour comprendre la réalité de la balance commerciale, reprenons chaque secteur en distinguant les secteurs déficitaires des rares secteurs excédentaires.

 

Les secteurs déficitaires… Toujours plus déficitaires

Énergie : un déficit de 75 milliards, ou comment la France fait passer les intérêts de ses partenaires commerciaux avant les siens

Rappelons que dans les années 2000, date à laquelle la balance commerciale passe dans le rouge, le déficit énergétique s’affiche déjà à près de 25 milliards. En vingt ans, il double pour atteindre les 50 milliards en 2019. Puis de 2019 à 2022, il double à nouveau (quasiment 120 milliards !) et se redresse en 2023 à près de 75 milliards soit 50 % de plus qu’en 2019…

Si l’on entre dans les détails, on comprend bien la folie de notre politique énergétique qui nous place en position de dépendance vis-à-vis du gaz naturel que nous importons à des prix toujours plus élevés, sans pouvoir tirer profit de l’électricité que nous vendons… Au prix auquel nous la produisons !

Prenons notre premier poste d’importations énergétiques : les hydrocarbures naturels (gaz dont gaz de schiste et huiles brutes de pétrole) qui affichent à eux seuls un déficit de 56 milliards d’euros.

La guerre en Ukraine a lourdement marqué notre balance en matière d’hydrocarbures naturels avec une flambée des prix et un recours aux États-Unis très marqué et coûteux : le coût de nos importations a ainsi quasiment triplé de 2019 à 2022 avec un déficit atteignant les 75 milliards en 2022. Déficit qui s’est redressé à plus de 56 milliards en 2023. La situation est donc loin d’être rétablie.

Second poste du déficit énergétique, les produits pétroliers, a quant à lui doublé sur la période 2019-2022 passant de 15 à 30 milliards pour se rétablir à 20 milliards en 2023.

Si notre dépendance en hydrocarbures et produits pétroliers a toujours été avérée, notre force nucléaire, en revanche a toujours constitué un atout majeur.

Malheureusement, pour ce qui est de l’électricité, troisième grand poste de nos dépenses énergétiques, il est clair que nous ne tirons absolument pas avantage de notre force nucléaire dans laquelle nous avons tant investi. En 2022, le mécanisme de l’ARENH nous a fait atteindre une situation ubuesque de déficit commercial en électricité (8 milliards) en devant acheter plus cher à des fournisseurs étrangers un produit que nous devons leur vendre au prix coûtant. En 2023, les choses se rétablissent avec un excédent de 3 milliards qui, on le comprend bien, si nous n’étions pas entrés dans l’ARENH, devrait être nettement supérieur.

En synthèse, l’énergie que nous vendons et achetons se traduit par un solde déficitaire de 50 milliards. Notre position de leader nucléaire historique ne permet en rien de redresser ces résultats du fait des mécanismes de prix fixés par l’ARENH.

 

Le textile et l’habillement

Un redressement en demi-teinte porté par la croissance des exportations de produits de luxe.

Le déficit avait atteint les 12 milliards en 2019, frôlé les 13 milliards en 2022 et s’est contracté à 8 milliards en 2023. Ce rétablissement est entièrement porté par la progression des exportations sur le seul secteur du cuir/bagages/chaussures. En revanche, pour le reste de l’habillement, le montant des importations est en progression avec l’apparition marquée d’acteurs étrangers intervenant en vente directe, sans intermédiation, comme l’emblématique Shein.

 

Le déficit ancré de l’agro-alimentaire : une perte de souveraineté confirmée

Les résultats sont chaque année présentés comme positifs… À tort. En effet, les boissons (vins et spiritueux) viennent corriger ce qui est devenu un déficit structurel de la balance commerciale sur la totalité des produits à l’exception des produits laitiers. Corrigés des seuls chiffres des boissons les résultats sont alarmants : la dépendance aux produits étrangers, pour ce qui est de notre consommation de viande, de conserves, de fruits et légumes, et d’huiles est bel et bien confirmée. Tous ces secteurs sont déficitaires, entre 2 et 4 milliards chacun.

La balance commerciale du secteur agro-alimentaire marque donc, en réalité, un déficit de 10 milliards d’euros (soit 3 milliards de déficit supplémentaire par rapport à 2019).

Ce déficit n’est pas corrigé par la balance commerciale agricole, qui, après une progression en 2022 enregistre un excédent de 1,4 milliard. On peut donc dire que le secteur agricole, hors spiritueux, enregistre des déficits records, proches de 9 milliards !

 

Métallurgie, électronique, machines… : la chute libre

De nombreux autres secteurs historiquement déficitaires continuent leur plongée respective comme l’industrie métallurgique (doublement du déficit de 2019 à 2023 pour atteindre 15 milliards d’euros), les produits en plastique (-10 milliards), les produits informatiques (+50 % de déficit soit -10 milliards), la fabrication d’équipements électriques et de machines (-21 milliards).

 

Les rares secteurs excédentaires… En très fort recul

De façon encore plus inquiétante, on voit également se contracter des secteurs qui avait su rester excédentaires.

Premier concerné : l’industrie du transport (automobile, aérospatiale, navire) qui est passé de 15 milliards d’excédent en 2019 à… 6 milliards ! Cet effondrement est principalement corrélé à l’effondrement du secteur automobile dont le déficit passe de 15 à 25 milliards d’euros et dont les résultats de l’aérospatiale ne parviennent pas à compenser.

Deuxième secteur historiquement fort : l’industrie pharmaceutique qui voit un effondrement dans la balance commerciale que toute personne ayant besoin de se soigner peut constater. L’excédent de 6 milliards de 2019 s’est amoindri à moins d’un milliard en 2023.

Enfin l’industrie chimique, toujours présentée en bonne santé, doit à l’instar du secteur agro-alimentaire et des boissons, être retraitée de la cosmétique. Le solde le plus excédentaire de la balance commerciale, 20 milliards en 2023, se réduit à la peau de chagrin de 2,5 milliards une fois les cosmétiques retirés…

Globalement, sur 2023, en dépit de la contraction du déficit, les tendances lourdes se confirment et semblent ancrées de façon indélébiles dans les chiffres de la balance commerciale et dans la réalité de notre consommation quotidienne.

Au-delà des aides, des subventions, et des « encouragements », il est temps que l’industrie redevienne réellement une priorité nationale. La France doit revoir les normes et dispositifs dans lesquelles elle s’est enfermée au profit de ses partenaires et au détriment de ses propres intérêts commerciaux.

Croissance vs Emploi : les élites marocaines au cœur d’une énigme économique

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engranger des succès. Le ralliement d’un certain nombre de pays qui comptent dans l’échiquier politique international à la position marocaine en est la preuve. L’organisation de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations en 2025, comme en 2030, celle de la Coupe du monde de football, avec l’Espagne et le Portugal, constituent à n’en pas douter des victoires à mettre au profit de ce dynamisme. Sans oublier la prouesse de l’équipe nationale marocaine à la faveur de la dernière Coupe du monde de football organisée au Qatar.

La diversification de l’économie est un puissant facteur de résilience face aux crises à répétition. L’agriculture se modernise, l’industrie s’affirme avec un secteur automobile dont l’intégration locale dépasse les 60 %, et l’aéronautique prend son envol avec un taux d’intégration de près de 40 %. Le tourisme, moteur essentiel de la croissance, attire un flot continu de visiteurs malgré les secousses mondiales. Les atouts du pays, entre patrimoine culturel riche, paysages diversifiés du désert à la montagne, des plages aux plateaux, et une infrastructure de pointe (ports, aéroport, train à grande vitesse, autoroutes), demeurent indéniables.

Par ailleurs, le pays s’est toujours distingué par une ouverture très prononcée de son économie, particulièrement vers les pays occidentaux, comme en témoignent les nombreux accords d’association signés avec certains pays (Union européenne, États-Unis etc.). Les relations avec la France sont fortes et diversifiées. Le Maroc est le premier partenaire commercial de la France en Afrique, et le second dans la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient). 

Depuis peu, cette ouverture s’est poursuivie vers d’autres contrées, surtout africaines. Les investissements marocains dans certains de ces pays (Sénégal, Côte d’Ivoire par exemple) connaissent une évolution ascendante. Pour accompagner ces orientations, les banques marocaines n’ont pas hésité à s’installer dans ces pays, et la compagnie aérienne marocaine (Royal Air Maroc) a tissé un réseau solide, connectant Casablanca, la capitale économique du royaume, à plusieurs villes africaines.  

Les investissements directs étrangers connaissent certes un fléchissement ces dernières années, mais la dynamique d’ensemble demeure, somme toute, positive. Il est à signaler que la France reste l’un des principaux investisseurs étrangers (premier en termes de stock) au royaume du Maroc, dans l’industrie (avec la réussite éclatante du projet structurant de Renault), mais aussi dans l’immobilier, les services et le commerce. 

L’inflation a battu des records en 2022 comme dans la plupart des pays, suite au conflit russo-ukrainien, mais elle a commencé à se stabiliser en 2023. Le déficit budgétaire diminue d’année en année et commence à se consolider (4 % prévu en 2024), et ce malgré les différents chocs internes (sécheresse à répétition, séisme) et externes (covid, guerre). La dette publique demeure soutenable (70 % du PIB), avec une maturité confortable (six ans en moyenne). La diaspora marocaine continue de déverser un flux ininterrompu d’argent pour aider sa famille et participer au développement du pays. Les remises de fonds ont dépassé dix milliards de dollars en 2023, ce qui constitue un record ! La croissance se situe dans la tranche supérieure des pays MENA (pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord), même si le pays ne converge pas vers son sentier de croissance potentielle déterminé par la croissance de la population et celle de la productivité du travail.

 

Un trou dans la raquette

Tout baigne alors. Hé bien non ! Il y a un trou dans la raquette. La croissance marocaine ne crée pas assez d’emplois et même, fait étonnant, elle en détruit !

Malgré tous les atouts précédemment cités, le volume de l’emploi a baissé de 297 000 postes entre le troisième trimestre de 2022 et le troisième trimestre de 2023. Ces données sont aussi inquiétantes qu’inédites. Les conséquences sont immédiates sur le taux de chômage qui demeure préoccupant et le taux d’activité dramatiquement faible. Si le taux de chômage officiel est de 13,5 %, celui des jeunes (15 à 24 ans) enregistre un taux record de 38,2 %, et les diplômés de presque 20 %. Cela signifie que le Maroc ne parvient pas à intégrer sa jeunesse dans le marché du travail malgré une main-d’œuvre riche, entravant ainsi la croissance.

Le Maroc, ayant déjà achevé sa transition démographique, s’apprête à affronter les défis du vieillissement de sa population. L’allongement de l’espérance de vie et la diminution de la fécondité mettent en péril son système de retraite par répartition. Des problèmes de riches dans un pays pauvre. Par ailleurs, les chiffres du chômage contredisent la théorie économique selon laquelle le capital humain protège contre le chômage. Au Maroc, être diplômé accroît la probabilité de chômage, risquant d’encourager le décrochage scolaire, surtout chez les familles défavorisées.

Les inégalités liées au genre aggravent la situation. Celles-ci se reflètent dans les écarts dans le volume de travail annuel et les rémunérations. Une proportion significative de femmes est souvent moins en emploi ou à temps partiel, accentuant ainsi l’inégalité salariale. Cette dernière découle de la distribution inégale des professions entre les sexes, où les emplois féminins diffèrent généralement de ceux occupés par les hommes, tant au niveau des secteurs d’activité que des échelons de rémunération. Cette situation n’est évidemment pas l’apanage exclusif du Maroc.

Si l’on s’en tient au taux de chômage, il avoisine les 20 % pour les femmes contre 13,5 % au niveau national. De plus, le taux d’activité féminine est parmi les plus bas au monde (18,4 % contre 68,7 % pour les hommes), en dépit des preuves empiriques soulignant la productivité accrue des femmes. Quand ces dernières gèrent le foyer, les résultats, en termes de scolarité des enfants ou de la gestion des deniers du ménage, sont largement supérieurs à ceux obtenus par les hommes. De même, les entreprises gérées par les femmes s’en sortent mieux que celles gérées par les hommes. 

Avec une croissance de 3 % en 2023, l’économie marocaine détruit près de 300 000 emplois. Alors qu’auparavant, 1 % de croissance générait 50 000 emplois, aujourd’hui, 1 % de croissance en détruit 100 000. Dès lors, ne faut-il pas se concentrer sur la création d’emplois au lieu de se focaliser sur ce mantra de la croissance économique ? 

 

Mauvaise allocation des ressources 

La création de richesse nécessite capital et travail. Le Maroc possède une main-d’œuvre jeune, bien formée, et pour ne rien gâcher, bon marché. Avec un taux d’investissement impressionnant, l’un des plus élevés au monde (34 %), les ingrédients de la croissance sont a priori réunis. Seulement, on oublie le troisième élément qui a son importance, à savoir la façon de les combiner, une alchimie délicate de valorisation et d’ajustement des facteurs de production. C’est là où le bât blesse. 

D’abord, bien qu’élevé, le taux d’investissement ne reflète pas pleinement l’effort du pays à transformer l’épargne en investissement productif, dépendant de la qualité de cet investissement.

Ensuite, les investisseurs privés ne prenant pas de risque, l’essentiel de l’investissement national est du ressort de l’État, créant ainsi une disjonction entre investissement public et privé. Enfin, quand les investissements directs étrangers augmentent, les investissements privés les suivent (par la création de joint-ventures par exemple). Ces derniers font supporter le risque aux investisseurs étrangers. Une complémentarité s’installe dès lors entre investissement étranger et investissement marocain.

La stratégie marocaine mise sur l’attraction des investissements directs étrangers, en créant un écosystème industriel concentré sur un nombre restreint d’entreprises, négligeant ainsi les PME-PMI, représentant pourtant 90 % des entreprises et la majorité des emplois. Malgré les incitations gouvernementales, telles que des baisses d’impôts sur les sociétés et sur les dividendes, les résultats escomptés tardent à se manifester, créant un paradoxe au cœur de cette stratégie pro-business.

En outre, l’omniprésence et l’omnipotence du secteur informel, absorbant 60 % des emplois, maintiennent les jeunes, en particulier ceux de 18 à 25 ans, issus de zones rurales ou de quartiers défavorisés des grandes villes, dans une fragilité grandissante et une précarité sans nom. Cette mauvaise allocation des ressources n’est en aucun cas le fruit du hasard, loin s’en faut. 

 

Les racines du mal

Ce constat révèle le manque de confiance d’un acteur clé dans le processus de croissance, à savoir le secteur privé. Connaissant les rouages de la création de richesse, il opte pour des investissements dans des niches peu risquées et peu propices à la création d’emplois, reproduisant ainsi le comportement d’une économie rentière.

Attaquer les racines du mal implique de lever les multiples contraintes qui entravent le secteur privé, tel que préconisé par les instances internationales. Ces obstacles comprennent les barrières à l’entrée, les difficultés d’accès aux terrains industriels, les lourdeurs bureaucratiques, un système judiciaire trop complexe, des procédures de marchés publics trop lentes, et un capital social limité. Derrière cette terminologie, se cache le cœur même de toute forme de croissance, la substantifique moelle de tout processus de développement : le système de la prise de décision.

Pour réussir à croître de manière significative et à créer des emplois durables, il est essentiel d’avoir des institutions inclusives, partageant équitablement les opportunités entre les citoyens. Le pouvoir de décision ne devrait pas être l’apanage d’une élite politico-économique cherchant à améliorer son propre bien-être, mais plutôt partagé par le plus grand nombre. Cette distribution équilibrée du pouvoir facilite l’accès à une éducation de qualité pour tous, tout en réduisant les tensions au sein de la société.

L’histoire démontre que les groupes d’intérêt s’opposent généralement à un tel partage. La tâche de construire des institutions inclusives revient aux citoyens eux-mêmes. Un défi colossal, mais un programme nécessaire pour une véritable révolution économique.

Présidentielle 2024 : coup dur pour la campagne de Biden

La campagne de Joe Biden ne se déroule pas bien. Bien qu’il semble se diriger vers la nomination de son parti, sa cote de popularité ne cesse de chuter, laissant croire que Donald Trump le vaincra s’il obtient la nomination. Son bilan économique mitigé ne sera pas la seule raison pour laquelle plusieurs de ses électeurs en 2020 s’abstiendront ou changeront de camp.

En effet, le récent rapport d’un procureur spécial affirme que Biden a bel et bien été négligent avec des documents confidentiels qu’il a conservés secrètement. Et à l’instar d’Hillary Clinton en 2016, Robert Hur suggère de ne pas entamer de procédures judiciaires… parce qu’un jury ne condamnerait pas « un vieil homme sympathique à la mémoire défaillante. »

De la vice-présidente à la (quasi) totalité des médias, Robert Hur est accusé de parti pris et d’avoir parlé gratuitement de l’état mental du président – alors que c’est la raison pour laquelle il ne suggère aucune accusation. Certains esquivent le problème et pensent que l’âge est une vertu ; d’autres font des courbettes à rendre jaloux le Cirque du Soleil.

La Maison-Blanche n’est pas opposée à la publication des entrevues menées, mais ne ferme pas non plus la porte à la censure de certains passages. Mais l’avocat de Biden ne le fera pas sans se battre.

 

Combat contre la démocratie

Toujours au sujet du Parti démocrate, ses membres martèlent sans cesse que la prochaine élection sera cruciale car, entre les mains de la « mauvaise personne », elle pourrait se terminer en dictature. Mais à voir leurs agissements, pour citer mes parents, ils ne prêchent certainement pas par l’exemple.

Vendredi 10 février, ils ont porté plainte auprès de la commission électorale fédérale en accusant Robert Francis Kennedy Jr. (neveu de John Fitzgerald) de collusion avec un super PAC afin qu’il puisse apparaître sur les bulletins de vote. Il est certain que s’il a vraiment coordonné des actions avec un super PAC, il a commis une faute grave. Par contre, considérant que la collusion alléguée soit simplement pour que Kennedy puisse être sur les bulletins de vote, les Démocrates s’engagent dans un combat anti-démocratique et futile. 

En effet, même s’ils réussissent à franchir les obstacles souvent insurmontables de paraître sur les bulletins de vote, les candidats « autres » peinent à recevoir un pourcentage significatif des votes, bien que leur présence est souvent blâmée pour certaines défaites.

Et même en ce qui concerne Trump, plusieurs États (surtout Démocrates) se battent pour l’exclure du scrutin, plaidant qu’il est exclu, en vertu du 14e amendement de la Constitution qui a bloqué des officiels confédérés de participer au gouvernement.

Malheureusement pour eux, la Cour suprême semble unanimement sceptique face à ces actions – le groupe du Colorado qui a réussi à exclure Trump tente de plaider sa cause. La décision n’est pas arrêtée, contrairement à ce que dit ce tweet, mais tous – y compris les juges nommés par des Démocrates – ont longuement questionné le bien-fondé d’une décision étatique aux répercussions nationales. 

 

Creuser sa tombe

Ainsi, le méchant homme orange n’aurait pas à craindre d’être exclu du scrutin et, tel que mentionné en introduction, se dirige allègrement vers la victoire. Elle est tellement décisive que sa seule autre concurrente, Nikki Haley, a perdu contre « aucun de ces candidats » lors de la primaire au Nevada

Toutefois, une récente attaque de Trump contre l’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud pourrait lui coûter cher. Il est reconnu pour ses attaques personnelles contre tous ceux qui ne sont pas 100 % avec lui. Mais depuis quelque temps, il n’en a que pour l’absence du mari de Nikki… qui est en mission militaire. S’il y a un groupe immunisé contre la critique, surtout dans les milieux conservateurs, c’est bien l’armée et toutes ses branches.

Au sujet des militaires, il semble que Trump persiste à dire que les membres de l’OTAN doivent payer leur « juste part » des dépenses de défense. Sinon, il laisse sous-entendre qu’il ne défendrait non seulement pas les « fautifs », mais encouragerait leur invasion. Il y a une marge entre plaider pour davantage de dépenses et carrément espérer la destruction d’un allié…

Bref, si la tendance se maintient, nous aurons droit à une répétition de l’élection de 2020, soit entre un homme au déclin cognitif de plus en plus évident et un autre qui parle avant de réfléchir. Et bien que ce dernier a tendance à se tirer dans le pied, ses adversaires font tout pour attirer la sympathie des indécis.

Une fuite récente suggère que Biden peste discrètement contre son ministre de la Justice de ne pas avoir décidé d’entamer des procédures contre Trump plus tôt. De quoi alimenter le moulin à conspirations de la chasse aux sorcières. Il semble que Taylor Swift soit son seul espoir…

Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l’Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

Pour beaucoup, c’est un non-sujet. Car le gouvernement, dit-on, tire surtout sa légitimité du président qui le nomme et « gouverne tant qu’il n’est pas renversé », comme le déclarait Pompidou en 1966, en inaugurant en tant que Premier ministre ce premier refus de se soumettre au vote de confiance de l’Assemblée, pourtant assez clairement prévu à l’article 49.1 de la Constitution (Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme).

L’absence de soutien affirmé de l’Assemblée, suivie de l’échec de la censure ne sont cependant pas sans conséquences. Cela place ce gouvernement dans une inconfortable zone grise, quelque part entre une confiance inatteignable et une défiance improbable, ni complètement apte ni totalement inapte à appliquer sa politique, et jouissant d’une légitimité démocratique à la fois avérée et sujette à débat. Ce gouvernement d’entre-deux a tout de même un signe distinctif : il s’articule très mal avec l’Assemblée et mérite à ce titre le qualificatif d’incongruent.

Depuis 18 mois, l’exécutif s’emploie à masquer ou dédramatiser cette situation d’incongruence, par ses actions comme dans sa rhétorique. Les gouvernements n’ont jamais été aussi minoritaires (une quarantaine de sièges manque pour atteindre la majorité absolue, contre 14 sous Rocard) mais on n’a jamais autant parlé de majorité, tantôt présidentielle, tantôt relative.

« Les majorités texte par texte, ça marche » renchérit souvent Yaël Braun-Pivet lors de ses interviews, pour signifier que la procédure législative reste efficace, ce qui est indéniable. Et puis, comme chacun le sait maintenant, la Cinquième République dote l’exécutif d’un véritable arsenal (le 49.3 entre autres) pour légiférer contre ou sans le Parlement. Et si la loi est trop incertaine, qu’à cela ne tienne, on peut faire sans.

« On passe trop par la loi dans notre République » assénait Emmanuel Macron le 22 mars 2023. Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire, et a donc toute sa capacité d’administration de l’État.

 

Mais alors pourquoi est-il si important qu’un gouvernement se dote de la confiance de l’Assemblée ?

Parce qu’un État ne doit pas simplement être administré, mais également gouverné, et que la confiance de l’Assemblée apporte la garantie que le gouvernement a les moyens de sa politique.

Si la très grande majorité des Constitutions de nos voisins en Europe (y compris la Russie) obligent les nouveaux gouvernements à disposer de la confiance explicite de la chambre, c’est simplement pour que le peuple soit dirigé avec la stabilité, l’efficacité et la prévisibilité qu’il est légitimement en droit d’attendre. Il s’agit de s’assurer que les pouvoirs exécutif et législatif sont suffisamment bien articulés pour offrir un cap fiable et raisonnablement performatif aux citoyens, aux administrations, aux entreprises, à nos partenaires commerciaux, à l’Europe, ou même aux agences de notation. Un vote de confiance réussi vient légèrement atténuer le fort degré d’incertitude dans lequel tous les pays sont naturellement plongés.

En revanche, l’absence de confiance alourdit cette incertitude, elle limite la capacité de l’exécutif à tenir un cap clair et durable, et rend la politique du pays imprévisible et vulnérable aux caprices de quelques demi-opposants (on pense notamment aux députés LR).

La Loi immigration offre un exemple frappant : personne ne pouvait prévoir l’orientation finale du texte jusqu’au jour de son adoption. Depuis 2022, la production législative est si aléatoire que même le rôle des ministres a été progressivement modifié : on leur demande de cautionner collectivement des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire, exigeant d’eux une grande plasticité d’esprit…

Autoriser un gouvernement à se maintenir sans soutien majoritaire de l’Assemblée comporte un autre inconvénient, peut-être encore plus préoccupant : le débat parlementaire se transforme en marchandage (on pense par exemple à cette mystérieuse promesse d’Elisabeth Borne de réformer l’AME en échange du soutien de LR sur la Loi immigration) et tous les stratagèmes et outils du parlementarisme rationalisé sont utilisés à plein pour faire adopter le programme et les budgets.

Le cynisme devient l’unique méthode d’un exécutif acculé, qui en est réduit à outrepasser tout ce qui peut l’être, se jouer de la Constitution, contourner ou ignorer les corps intermédiaires, voire se montrer insincère, pourvu que les titubations parlementaires emmènent le pays dans la direction qu’il souhaite. Cette posture exalte ses soutiens autant qu’elle indigne ses opposants, et ainsi aggrave la défiance envers les institutions et les élus tout en attisant la polarisation de la société.

En demandant au Premier ministre de présenter une feuille de route gouvernementale tout en assumant d’être minoritaire, le président de la République préfère la discorde à l’apaisement, et la pureté de son projet à sa réalisation concrète, ce qui est typique des idéalistes radicaux, et non des pragmatiques.

Aucune coalition (vraiment) majoritaire, aucun changement de calendrier électoral, aucun rééquilibrage institutionnel n’étant prévus, cette nouvelle forme de régime est bien partie pour durer. Les prochains présidents élus en 2027 ou 2032 sont donc probablement condamnés d’avance à promettre l’hégémonie habituelle lors de la campagne, puis à gouverner immédiatement en situation d’incongruence, avec peut-être un soutien parlementaire encore bien moindre qu’aujourd’hui. La partition politique et la polarisation territoriale morcellent en effet cruellement l’Assemblée et semblent interdire tout fait majoritaire à moyen terme.

Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif. Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique. La clarification de l’article 49.1 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle.

L’agriculture française face à de graves problèmes de stratégie

Le Salon de l’agriculture s’est ouvert à Paris le 24 février.

Nous sommes dans l’attente des réponses que le gouvernement va donner aux agriculteurs, suite à la révolte qui a éclaté dans ce secteur en janvier dernier. Pour la déclencher, il a suffi d’une simple augmentation du prix du GNR, le gas-oil utilisé pour leurs exploitations, et elle a embrasé subitement toute la France.

Tous les syndicats agricoles se sont entendus pour mobiliser leurs troupes, et des quatre coins du pays, des milliers de tracteurs ont afflué vers Paris pour tenter de bloquer le marché de Rungis qui alimente la capitale. Jamais encore on avait vu une révolte d’une telle ampleur dans ce secteur. Nos agriculteurs considèrent que leur situation n’est plus tenable et qu’ils sont délaissés par les gouvernants.

Ils veulent donc se faire entendre, et pour cela ils ont décidé d’agir très vigoureusement en voulant mettre le gouvernement au pied du mur. Ils se plaignent de ne pas parvenir à gagner leur vie malgré tout le travail qu’ils fournissent. Leur revendication est simple : « nous voulons être payés pour notre travail ». Ils expliquent que leur métier est très contraignant, les obligeant à se lever tôt, faire de longues journées de travail, et prendre très peu de vacances. Ils se révoltent pour que, collectivement, des solutions soient trouvées à leurs problèmes. Des barrages routiers ont été érigés à travers tout le pays.

Un parallèle peut être fait avec le secteur industriel : après s’être mis en grève sans succès pour obtenir des augmentations de salaire, les ouvriers vont occuper leur usine alors que leur entreprise est en train de déposer son bilan.

Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes confrontés à des problèmes sans solution, des personnes désespérées qui n’ayant plus rien à perdre.

Pourquoi le secteur agricole français est-il dans une telle situation ?

 

Des chiffres alarmants

Que s’est-il donc passé ? On avait jusqu’ici le sentiment que la France était toujours une grande nation agricole, la première en Europe. Les agriculteurs nous disent maintenant qu’ils ne parviennent pas à gagner leur vie. Ils sont au bord du désespoir, et effectivement, un agriculteur se suicide chaque jour, selon la Mutualité sociale agricole.

Un premier constat : le pays a perdu 100 000 fermes en dix années, parmi lesquelles beaucoup d’exploitants qui ne parviennent pas à se rémunérer au SMIC, la survie de l’exploitation étant assurée par des aides de l’Europe via la PAC, et par le salaire de l’épouse lorsqu’elle travaille à l’extérieur.

Un deuxième constat : 20 % de ce que nous consommons quotidiennement provient de produits importés. En effet, les importations agricoles augmentent dans tous les secteurs :

  • 50 % pour le poulet
  • 38 % pour la viande de porc
  • 30 % pour la viande de bœuf
  • 54 % pour le mouton
  • 28 %  pour les légumes
  • 71 % pour les fruits (dont 30 % à 40 % seulement sont exotiques)

 

Notre agriculture est-elle donc à ce point incapable de pourvoir à tous nos besoins alimentaires ?

Par ailleurs, les Pays-Bas et l’Allemagne devancent maintenant la France dans l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires, alors qu’elle était jusqu’ici en tête.

Un rapport du Sénat, du 28 septembre 2022 tire la sonnette  d’alarme :

« La France est passée en 20 ans du deuxième rang au cinquième des exportateurs mondiaux de produits  agricoles et agroalimentaires […] L’agriculture française subit une lente érosion. La plupart des secteurs sont touchés : 70 % des pertes de parts de marché s’expliquent par la perte de compétitivité de notre agriculture ».

ll s’agit donc de problèmes de compétitivité, et donc de stratégie qui n’ont pas été traités en temps voulu dans chacun des secteurs, ni par les responsables syndicaux ni par les pouvoirs publics.

 

Des problèmes de stratégie non résolus

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le développement de l’agriculture française s’est effectué sans que les dirigeants des divers secteurs d’activité aient développé la moindre stratégie pour guider leur action.

L’agriculture française avait alors un urgent besoin de se moderniser : augmentation de la taille des exploitations, mécanisation des cultures, recours aux engrais et aux produits phytosanitaires, amélioration de la formation des agriculteurs.

Mais elle a évolué homothétiquement par rapport au passé, sans aucune pensée stratégique de la part des instances gouvernementales en charge de ce secteur.

Aujourd’hui, les exploitations sont plus grandes qu’autrefois (69 Ha en moyenne), mais ne permettent pas aux exploitants de gagner leur vie correctement. Ils ont pu survivre grâce aux aides européennes via le mécanisme de la Politique agricole commune (PAC) mis en place en 1962, avec pour objectif d’obtenir l’autosuffisance alimentaire de l’Union européenne. La France est le pays qui a le plus bénéficié de ces aides, soit 9,5 milliards d’euros en 2022, accordées au prorata des surfaces. L’objectif d’autosuffisance de l’Europe a bien été atteint, mais ces aides n’ont fait que retarder le moment de se poser des questions sur la façon de faire évoluer chacune des branches de notre agriculture pour rendre nos productions concurrentielles. On ne peut rien faire de bon avec des exploitations de 69 Ha : elles sont soit trop grandes soit trop petites si on reste bloqués sur les manières de cultiver d’autrefois.

 

Les exemples hollandais et danois

Nos voisins ont généralement bien mieux résolu leurs problèmes, tout spécialement les Pays-Bas et le Danemark.

 

Le cas de la Hollande

Malgré la dimension très faible de son territoire, les Pays-Bas sont devenus de très gros exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires. Les exploitants sont intégrés verticalement au sein d’organismes qui assurent la commercialisation.

Les Pays-Bas ont résolu le problème des petites exploitations en les équipant de serres où tous les paramètres (chaleur, lumière et humidité) sont contrôlés en permanence par des ordinateurs. C’est ainsi que sont équipés les maraîchers et les horticulteurs. Il s’agit d’une agriculture de précision, numérique : la région du Westland, notamment, est couverte de serres équipées de lampes led, au spectre lumineux spécifique.

La Hollande est devenue le numéro un mondial dans le domaine de l’horticulture : elle détient 60 % du commerce mondial des fleurs. Royal Flora Holland est le leader mondial de la floriculture avec plus de 10 millions de fleurs et plantes vendues chaque jour. Au plan technique, les Hollandais sont très avancés, et le salon GreenTech à Amsterdam rencontre chaque année beaucoup de succès. Par exemple, dans le domaine floral, les Hollandais ont réussi à créer des roses noires, des rosiers sans épines, des roses qui ne fanent pas, etc. Dans le même temps, la France a perdu 50 % de ses exploitations horticoles en dix ans, et 90 % en 50 ans.

 

Le cas du Danemark

Le Danemark s’est spécialisé dans la production porcine et l’agrobiologie.

Ce petit pays est devenu le second exportateur mondial de porcs, après les États-Unis, les exportations représentant 90 % de la production nationale. Ramenées à la population du pays, les exportations représentent 338 kg/habitant au Danemark, contre 167 kg pour l’Allemagne qui est aussi un très gros exportateur de porcs, et 7 kg pour la France.

La qualité des porcs danois est mondialement réputée, et la productivité des truies est exceptionnelle : 33,6 porcelets sevrés en moyenne par truie. Aussi, DanBred, le grand spécialiste danois de la génétique porcine, vient de s’installer en France (à Ploufragan, en Bretagne) pour aider les producteurs bretons de porcs à améliorer leur productivité. Le porc danois est appelé « cochon à pompons » (pie noir) : c’est un animal musclé, très rustique, et particulièrement prolifique.

 

Le problème français

Dans le cas de l’agriculture française, la question de l’orientation à donner à chacun des grands secteurs de notre agriculture n’a jamais été posée.

Ni les ministres successifs, ni les dirigeants de la FNSEA, le principal organisme syndical des agriculteurs français, n’ont envisagé d’élaborer une stratégie pour chacun des grands secteurs, c’est-à-dire faire des choix en raisonnant en stratèges. On a laissé les choses aller d’elles-mêmes, et on a abouti aux résultats constatés aujourd’hui.

Deux secteurs seulement ont une stratégie précise de différenciation : la viticulture et la fromagerie.

Dans ces deux secteurs, les produits sont très différenciés de ceux de leurs concurrents, et cette différenciation choisie est reconnue mondialement. Les vins français sont réputés et se vendent sur les marchés étrangers à des prix supérieurs à la concurrence. Les fromages français sont très différenciés de leurs concurrents, la façon de les produire est réglementée par la profession, et chaque terroir procède à des actions de promotion nécessaires pour en assurer la promotion.

Dans tous les autres secteurs, il n’y a pas de stratégie, ou du moins ils sont acculés à mener une stratégie de coût sans l’avoir délibérément choisie, donc le dos au mur.

Les pouvoirs publics vont devoir comprendre pourquoi. Nous donnerons deux exemples illustrant ce manque de pertinence dans la façon d’opérer.

 

Le secteur laitier 

Aujourd’hui, dans ce secteur, la norme est à des gigafermes de 1000 vaches laitières, c’est la dimension qu’il faut atteindre pour être compétitif. Ce sont des stratégies de coût. Cette manière de produire du lait de vache est venue des États-Unis, où toutes les fermes laitières ont cette dimension, et parfois bien plus encore. Cette norme s’est imposée en Europe, notamment en Allemagne, avec les vaches Holstein, une race particulièrement productive en lait, et dont la mamelle est adaptée à la traite mécanique.

En France, il n’y a aucune ferme laitière de 1000 vaches. Michel Ramery, un industriel du bâtiment (classé 387e fortune française), a tenté cette aventure, mais a du finalement y renoncer. En 2011, il a voulu créer une mégaferme laitière de 1000 vaches dans la Somme : l’administration a donné son accord, mais très vite des obstacles ont surgi, à commencer de la part de la Confédération paysanne qui refuse l’industrialisation de l’agriculture. La population locale s’est également dressée contre ce projet, suivie de l’opinion publique, puis Ségolène Royal et le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, qui a déclaré : « Ce projet est contraire à l’orientation du gouvernement ». Finalement, Michel Ramery, qui avait réduit son projet à 500 ou 600 vaches laitières, déçu et las de tous ces combats stériles, a fermé son exploitation.

En France, les fermes laitières sont familiales, elles élèvent 80 à 100 vaches, quelques rares exploitations 250 ou 300 laitières. Les coûts de production sont donc élevés.

Le rapport de l’European Milk Board de 2019 donne les chiffres suivants :

  • 52,54 cent/kg en France
  • 47,44 cent/kg en Allemagne
  • 44,54 cent/kg en Hollande
  • 41,44 cent/kg au Danemark

 

La France importe donc de plus en plus de lait, comme le note l’IDELE dans son numéro 537 de février 2023 : « Les importations ont explosé en 2022, +38 % par rapport à 2021 ».

Toutefois, nous restons des exportateurs importants de produis dérivés du lait.

 

Le secteur de la production porcine 

L’Europe est un très gros consommateur de viande porcine. Les deux plus gros producteurs sont l’Allemagne, avec 5,2 MT, et l’Espagne avec 4,6 MT. La France vient en troisième position, loin derrière, avec 2,2 MT seulement.

Selon Pleinchamp :

« La filière porcine est structurellement déficitaire sous l’effet d’un déséquilibre entre l’exportation de produits bruts et l’importation de produits transformés ».

Nous nous approvisionnons tout spécialement en Espagne, qui a développé spectaculairement le domaine du porc ces dernières années, et qui exporte maintenant 60 % de sa production.

Nos éleveurs se sont bien sûr modernisés et spécialisés, mais la moyenne, en Bretagne (région spécialisée dans le porc) est de 3000 têtes/exploitation, contre 5200 au Danemark. En Espagne, 2000 exploitations ont même plus de 8000 cochons, et au Danemark, 4 % des exploitations ont plus de 10000 porcs.

Selon un article de 2012 de Viandes et Produits carnés :

« La filière porcine française est à la peine : elle a un urgent besoin de stratégies concertées faisant appel à des investissements importants au niveau agricole et industriel ».

Selon la coopérative Cooperl :

« Le manque de rentabilité porte en germe des difficultés de renouvellement des éleveurs, avec en filigrane le risque d‘une perte de production à moyen et long terme ».

Certes, dans le secteur porcin, les opérateurs porcins sont de taille beaucoup plus petite que leurs concurrents étrangers : Vion en Hollande, Danish-Crown au Danemark (22 millions de porcs/an), Campofrio en Espagne, etc.

 

Les enjeux de demain

L’agriculture française a fortement besoin de se restructurer et doit pour cela s’organiser elle-même,  car rien n’est à attendre de Bruxelles, sinon des contraintes.

La nouvelle PAC (2023-2027) qui n’a pas moins de dix objectifs divers et variés, et très généraux, est à caractère essentiellement écologique. Bruxelles se soucie avant tout de « renforcer les actions favorables à l’environnement et au climat ». Il n’y a donc rien, au plan stratégique, concernant l’agriculture du pays.

Les difficultés françaises, déjà grandes, vont être amplifiées par l’arrivée de l’Ukraine à qui l’Europe ouvre maintenant grand ses portes. C’est un pays agricole immense dont la surface agricole utilisée est de 41,5 millions d’hectares (contre 26,7 Ha pour la France), avec des terres extrêmement riches (60 % des surfaces sont du tchernoziom). Ce pays a hérité de la période soviétique de structures lui permettant d’être très compétitif, d’autant que la main-d’œuvre y est bon marché.

 

Quelles solutions ?

Pour être compétitifs, il faudrait faire grandir nos exploitations et les transformer en mégafermes pour jouer sur l’abaissement des prix par les volumes, c’est-à-dire chaque fois que des solutions existent, tirer parti des économies d’échelle.

Les Français y sont opposés, et on se heurte, de surcroît, en permanence à Greenpeace qui est très actif. Cette ONG a publié une carte des fermes usines en France, soit autant de combats à mener contre l’« industrialisation » de l’agriculture. Partout, en France comme en Europe, les écologistes veillent au grain. Il faudra donc réhabiliter les produits issus des mégafermes dans l’esprit des Français, car ils se sont laissé convaincre que ces productions nuisent à la santé.

Sur les petites surfaces, et comme l’ont fait nos voisins Hollandais, les exploitants ont la solution de recourir aux serres : tomates, poivrons concombres, fraises, floriculture, etc. C’est de la culture très intensive aux rendements extrêmement élevés, et sans aléas, car tous les paramètres sont contrôlés : par exemple, dans le cas de la tomate, 490 tonnes de tomates par hectare, contre 64 tonnes en plein air, en Italie. Et, à la manière des Hollandais, il faudra que les exploitants s’intègrent dans des structures verticales leur indiquant ce qu’ils doivent produire, et prennent en charge la commercialisation des productions.

Pour l’élevage, pour autant de vaches laitières, de porcs, que de volailles, il y a la solution des fermes-usines.

Pour le lait, la norme est à des mégafermes de 1000 vaches, voire bien plus encore.

Pour les volailles, les élevages intensifs sont la règle, ce qui n’exclut pas que, marginalement, certains fermiers puissent adopter une stratégie de différenciation, comme c’est le cas, par exemple, avec les poulets de Bresse élevés en plein air.

En Espagne, à Sinarcas (près de Valence) a été créée une ferme comprenant sept batteries de 12 étages qui logent 150 000 poules pondeuses, soit un million de poules, les équipements ayant été fournis par Big Deutchman, une firme allemande de Basse-Saxe.

Pour les porcs, les mégafermes sont, là aussi, la solution : en Espagne, il existe un bon nombre de macrogranjas de 2200 truies et 40 000 porcelets.

La Chine, très gros consommateur de viande de porc, en est au gigantisme. Par exemple, à Ezhou, une entreprise privée (Yangseiang) a édifié la plus grande porcherie du monde : un bâtiment de 26 étages pouvant loger 650 000 porcs. La firme Muyuan gère une ferme de 84 000 truies qui produit 2,1 millions de porcelets par an.

Enfin, pour les grandes cultures : blé, orge, avoine, maïs, colza, tournesol nécessitent des exploitations de 250 Ha, et pas moins, car c’est la dimension indispensable pour amortir les gros matériels : tracteurs surpuissants, moissonneuses batteuses, etc.

 

La politique du statu quo

Pour répondre à la révolte des agriculteurs, Gabriel Attal s’est prononcé en faveur de notre souveraineté alimentaire.

Nous n’en sommes pas là, mais des solutions existent pour avoir des prix compétitifs. Le chantier de restructuration de l’agriculture française est colossal. Quels pourraient bien être les acteurs de cette gigantesque révolution ? Il est à craindre que trop peu d’acteurs disposent des moyens financiers voulus. Nos dirigeants, tout comme la FNSEA, paraissent complètement dépassés par l’ampleur des problèmes à résoudre.

Nous allons donc rester là où nous en sommes, plutôt que se lancer dans ce colossal remue-ménage. Cela nécessite simplement que l’on continue à subventionner nos agriculteurs (la PAC, dont la France est le premier bénéficiaire), et que les Français veuillent bien payer plus cher les productions françaises que les produits importés. Ce n’est pas ce qu’ils font, car se posent à eux des problèmes de pouvoir d’achat et de fin de mois. Il faudrait, par conséquent, ériger des barrières douanières pour protéger notre agriculture des importations étrangères : mais l’ Europe l’interdit. C’est la quadrature du cercle ! Alors, que faire ? On ne sait pas ! Pour l’instant, rien ne sera résolu, c’est plus reposant.

On va simplement parer au plus pressé :

  • repousser de dix ans l’interdiction d’emploi du glyphosate,
  • faire une pause dans l’application du Plan Ecophyto,
  • suspendre la mesure de gel de 4 % des surfaces agricoles,
  • reporter à plus tard la signature des accords avec le Mercosur, etc.

 

On demandera aux fonctionnaires de Bruxelles de bien vouloir alléger les procédures pour la taille des haies et le curage des fossés : un pansement sur une jambe de bois !

Politique du logement : le modèle suédois

J’ai déjà dit, ici et ailleurs, que la meilleure politique du logement que vous puissiez imaginer consiste à laisser des ménages relativement aisés — ou même riches — se faire construire des logements neufs. Je remets le sujet sur la table parce qu’une étude sur des données suédoises apporte non seulement une énième confirmation mais démontre surtout que les effets de ce type de politiques sur les conditions de logement des plus modestes d’entre nous sont beaucoup plus rapides que ce que je pensais. En l’occurrence, cette étude porte sur l’intégralité de la population et du stock de logements suédois de 1990 à 2017.

En simplifiant un peu, voici comment ils ont procédé : lorsque de nouveaux logements sont commercialisés, les auteurs observent le niveau de revenu de leurs nouveaux habitants et le nomment le round 0. Partant de là, ils identifient les logements (désormais vacants) qu’occupaient les Suédois du round 0 lors de l’année précédente, et estiment le niveau de revenu relatif de ceux qui viennent s’y installer pour former un round 1, puis ils répètent la même opération pour créer les rounds suivants (2, 3, etc.).

L’intérêt de cette approche est d’identifier une réaction en chaîne initiée par la construction de nouveaux logements (round 0) et d’estimer le niveau de revenu des ménages qui s’installent à chaque round (round t) dans les logements laissés vacants au round précédent (round t-1).

Comme on pouvait s’y attendre, les résultats montrent que le niveau de revenu relatif baisse au fur et à mesure qu’on progresse dans les rounds, c’est-à-dire quand les ménages de chaque round sont remplacés par des ménages un peu moins riches au round suivant. Mais ce qui est fascinant, c’est que ça baisse très vite. C’est-à-dire que l’impact de la construction de logements neufs de bonne qualité, plutôt destinés à des gens aisés, profite très rapidement à des ménages beaucoup plus modestes : aux rounds 3, 4 et 5, ceux qui déménagent gagnent moins de la moitié de ce que gagnent ceux du round 0 mais, surtout, les principaux bénéficiaires de la réaction en chaîne dès le premier round sont les ménages les plus modestes (ci-dessous, le premier quartile).

 

J’insiste : on savait déjà que laisser les riches se faire construire des logements neufs (et donc, a priori, du haut de gamme) déclenchait ce type de réactions en chaîne qui finissait par bénéficier aux plus modestes.

C’est ce que j’ai essayé d’illustrer avec le quartier Mazarin d’Aix-en-Provence. Ce que cette étude apporte de vraiment nouveau, c’est que le mécanisme de transmission est incroyablement rapide : en quelque mois, le déménagement des ménages du round 0 se diffuse au travers de toute la distribution des revenus.

 

Résumons

Là où une politique de logements sociaux coûte très cher aux contribuables, laisser des gens aisés se faire construire de nouveaux logements ne coûte rien, et peut même alimenter les caisses publiques.

Si une politique de logement social ne bénéficie qu’aux plus modestes (et, éventuellement, aux élus qui pratiquent le clientélisme), cette façon de procéder bénéficie à presque tout le monde, notamment aux classes moyennes.

Les politiques de promotion des logement sociaux tendent à dégrader la qualité moyenne du bâti (pensez isolation par exemple). Elles tendent à créer des clusters de pauvreté, souvent éloignés des zones d’emploi, et peu accessibles. La chaîne de réaction décrite ci-dessus permet, au contraire, d’organiser une mixité progressive et choisie. Construire du haut de gamme permet d’améliorer la qualité moyenne du stock.

Bref, les politiques de logement social sont une aberration à tout point de vue. Si vous souhaitez réellement améliorer le sort des moins fortunés d’entre nous (lesquels sont, pour votre information, typiquement vos enfants ou petits-enfants), vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Vous pouvez retrouver cette analyse sur le site de l’auteur.

Mort de Navalny, colère agricole, guerre en Ukraine : ce qu’on retiendra de février 2024

Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette ville que les Ukrainiens avaient repris aux forces soutenues par Moscou il y a dix ans constitue un gain politique pour le Kremlin à un mois d’une présidentielle au demeurant jouée d’avance ; aucun candidat vraiment d’opposition n’a été validé et tous les trouble-fêtes peuvent avoir en tête le sort d’Alexeï Navalny, décédé dans des circonstances qui restent à élucider dans un pénitencier de l’Arctique russe, le genre d’endroit où le régime enferme ceux qu’il ne souhaite pas voir vivre trop longtemps. La reprise d’Adviivka constitue aussi un gain tactique pour le Kremlin, puisqu’il rapproche le front de nœuds logistiques de l’armée ukrainienne.

Si Moscou, qui a perdu beaucoup d’hommes (vraisemblablement 300 000 à 500 000 hors de combats depuis le début de la guerre il y a deux ans), ne semble pas en position de percer la ligne de défense ukrainienne, il pourrait faire perdre du terrain à Kyiv en d’autres endroits, même si les opérations offensives sont désormais très compliquées, puisque le champ de bataille est devenu très transparent à cause de l’utilisation de simples drones d’observations capables de repérer le moindre char d’assaut ou groupe de fantassins. Seul lot de consolation pour l’Ukraine : elle a gagné, loin des projecteurs médiatiques, la « bataille de la mer Noire » en repoussant ces derniers mois les navires russes loin des corridors indispensables à l’exportation de ses céréales, et en coulant plusieurs navires, dont encore un il y a dix jours.

Autre revers pour Kyiv, l’aide cruciale de 60 milliards de dollars sur laquelle la Maison Blanche et les Républicains travaillent depuis des mois, est encalminée au Congrès. Certes, 22 sénateurs républicains sur 48, animés traditionnellement par une solide culture géopolitique héritée de la Guerre froide, et peu sensibles aux intimidations de Donald Trump, ont voté récemment pour ce paquet. Mais la majorité républicaine à la Chambre des représentants bloque toujours le texte sur instruction de Trump. Ce dernier ne veut en aucun cas faire cadeau d’un victoire politique à Joe Biden, à moins de neuf mois de la présidentielle qui verra certainement s’affronter les deux hommes. La Maison Blanche avait, erreur tactique, cru pouvoir obtenir un feu vert sur l’aide à l’Ukraine en la liant à celle à Israël et Taïwan, deux chevaux de bataille des Républicains, en sus de mesures sur l’immigration illégale en provenance du Mexique, sujet prioritaire des électeurs. Mais c’était prendre le risque de voir l’aide à Kyiv devenir otage d’autres sujets, ce qui n’a pas manqué d’arriver. L’administration Biden a, enfin, compris le danger et accepté il y a dix jours de dissocier un peu ces sujets ; mais trop tard, les trumpistes ont compris qu’ils tenaient là de quoi faire mordre la poussière à Biden, au risque de faire un cadeau au Kremlin, sous réserve que le deep state sécuritaire républicain ne se réveille pas.

Vague lueur d’espoir pour Kyiv toutefois, Donald Trump a laissé entendre récemment qu’il n’objecterait pas à une aide militaire à l’Ukraine si elle se faisait uniquement sous forme de prêts (ce qui est déjà le cas, en fait, pour un quart à un tiers de l’aide militaire occidentale). L’Europe va aussi s’efforcer de passer à la vitesse supérieure, malgré ses goulets d’étranglement dans la production, notamment d’obus, comme l’illustre la décision spectaculaire du Danemark, samedi, d’offrir l’intégralité de son artillerie à l’Ukraine, convaincue qu’en fait Kyiv défend le continent face aux ambitions du Kremlin.

Devant ces revers, comme régulièrement depuis le début de la guerre déclenchée il y a deux ans, samedi prochain, de beaux esprits évoquent une « fatigue » dans l’opinion publique occidentale, où pourtant les sondages indiquent toujours un soutien à l’Ukraine oscillant entre 60 et 75 % suivant les pays, ainsi que la nécessité d’une négociation. Certes, mais avec qui et sur quoi ?

En effet, un accord signé avec Poutine vaut-il plus que le papier sur lequel il est écrit ? Il a déchiré la quasi-totalité des traités signés par son pays depuis 1999. Et a assumé, c’est passé inaperçu, lors de son récent entretien avec le journaliste américain Tucker Carlson, qu’il n’avait « pas encore atteint ses buts de guerre en Ukraine ». En clair, l’annexion de quatre régions ukrainiennes ne lui suffit pas. Voilà pour les naïfs, voire pas si naïfs, qui prétendent que le Kremlin serait prêt à signer la paix en échange de quelques gains territoriaux. Ce que veut Poutine est clairement vassaliser l’ensemble de l’Ukraine et ridiculiser l’OTAN.

Dernier sujet préoccupant pour Kyiv, le président Volodymyr Zelensky, a limogé récemment son chef d’état-major, Valery Zaloujny, très populaire dans l’opinion, mais aussi et surtout parmi les soldats, pour le remplacer par Oleksandr Syrsky, unanimement détesté des hommes sur le front. Inquiétant, même si les dissensions sont au demeurant normales par temps de guerre. On oublie par exemple que, malgré l’union sacrée, le cabinet de guerre français a sauté trois fois suite à des désaccords sur la conduite des opérations et les buts de guerre en 14-18… Le défi pour l’Ukraine sera de changer de doctrine de combat, suite à l’échec de sa contre-offensive de juin-août, pour intégrer les nouvelles technologies : drones tueurs, brouillage des fréquences ennemies, ébauche d’utilisation d’intelligence artificielle (des pays occidentaux travaillent à fournir des essaims de drones bon marché opérant de manière synchronisée par utilisation de programmes d’AI simples).

 

Gaza : l’impasse

À court terme aucune issue, ni même une pause dans le conflit entre Israël et le Hamas ne semble être envisageable. Les négociations, qui avaient repris le 6 février au Caire sous médiation qatari, égyptienne et américaine en vue d’une pause de six semaines (à ne pas confondre avec un cessez-le-feu, qui suppose un arrêt indéfini des combats) en échange de la libération de tout ou partie des 100 otages que le Hamas détient encore, ont été interrompues il y a quelques jours. Le Hamas exige aussi la libération de centaines de ses militants détenus en Israël, dont des meurtriers, ce qui est une ligne rouge pour Jérusalem dont la majorité de l’opinion, selon les sondages, juge prioritaire d’éliminer le Hamas plutôt que de libérer les otages.

Le Premier ministre israélien se dit d’ailleurs plus que jamais déterminé à liquider intégralement le Hamas, avec notamment une offensive prochaine sur la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza où se seraient réfugiés les chefs militaires de l’organisation terroriste. Or, des dissensions commencent à se faire discrètement jour au sein de la hiérarchie militaire, et même parmi des ministres sur la possibilité d’éliminer entièrement le Hamas. Trois mois après le début de l’invasion de la bande de Gaza, selon les renseignements américains, Israël n’aurait mis hors de combat qu’un cinquième des quelques 40 000 combattants du Hamas. Certes, Tsahal a évité le piège de type Stalingrad que beaucoup lui promettait, avec des pertes relativement limitées pour trois mois d’opérations en milieu urbain, environ 200 soldats, et a détruit des dizaines de kilomètres de tunnels du Hamas.

Mais les victimes collatérales (le chiffre de 27 000 victimes, en grande majorité femmes et enfants, avancé par le Hamas semble plausible, pour une fois, par recoupement avec diverses données indépendantes) posent de plus en plus problème aux partenaires internationaux d’Israël, surtout les États-Unis, seul allié que Jérusalem écoute traditionnellement. Joe Biden s’est engagé fortement auprès d’Israël après les attentats du 7 octobre, avec déploiement de navires de guerre pour dissuader Téhéran ou le Hezbollah au Liban, approvisionnement en munitions, renseignements satellites. Ce dont l’aile gauche des Démocrates lui en fait grief… au risque de faire élire Donald Trump, soutien absolument inconditionnel de Jérusalem.

Reste le risque d’embrasement régional, évoqué à l’envi depuis quasiment le début de la guerre, le 7 octobre. Heureusement sans concrétisation, pour l’instant. En mode chien qui aboie ne mord pas, le Hezbollah, milice chiite libanaise soutenue par Téhéran, avait promis des représailles terribles « en temps et en heure » à différents raids israéliens, notamment l’élimination du numéro deux de la branche politique du Hamas à Beyrouth. De même, les ripostes des États-Unis et du Royaume-Uni contre les Houthis, missile yéménite soutenue aussi par Téhéran, qui menace de frapper les cargos transitant par le golfe d’Aden. Les frappes américaines sur le sol yéménite lui-même ont suscité des menaces de l’Iran. Sans rien pour l’instant.

 

Présidentielle américaine : Biden en pleine confusion et Trump dans ses trumperies 

Ce ne sera plus tenable longtemps. Si la Maison Blanche a joué les tauliers de l’Occident par une aide décisive (même si on peut aussi lui reprocher d’être « trop tard trop peu ») en Ukraine et un soutien vigilant d’Israël face au Hamas, force est de constater qu’une défaite de Joe Biden le 5 novembre face à Trump parait désormais probable.

Malgré le dynamisme économique, le président américain est terriblement impopulaire en raison de l’inflation. Les sondages le créditent de cinq points de retard sur son rival qui a le vent en poupe, puisqu’il devrait pousser à l’abandon sa dernière rivale, Nikki Haley après la primaire du 24 février en Caroline du Sud. Une victoire à peine six semaines après le début de la campagne des primaires serait sans précédent historique, et explique que si peu de ténors républicains osent tenir le moindre propos susceptible de déplaire aux trumpistes. Les sondages donnent aussi Trump gagnant dans les 5-7 swing states, ceux susceptibles de basculer dans un camp ou un autre, et qui feront l’élection : Arizona, Géorgie, Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin, voire Caroline du Nord et Nevada.

Surtout, est apparu un fait nouveau et qui pourrait bientôt devenir intenable. Joe Biden multiplie les confusions qui ne sont plus seulement embarrassantes, à l’image des gaffes et trous de mémoire qu’il multiplie depuis longtemps. Cela touche désormais à sa capacité de gouverner. Comment croire que cet octogénaire pourrait prendre les bonnes décisions en cas de crise, en quelques minutes dans la war room par exemple, s’il prétend, comme il l’a fait dernièrement, avoir rencontré Mitterrand, décédé en 1995, en lieu et place d’Emmanuel Macron, ou le chancelier Kohl à la place d’Angela Merkel, et déclaré que le président égyptien Al Sissi était en fait celui du Mexique (Donald Trump a fait diffuser une carte du Proche-Orient où était calqué la carte du Mexique avec mention « source : Joe Biden »).

Enfin, une campagne américaine est une épreuve physique redoutable. Joe Biden a tenu le choc lors de la dernière uniquement parce qu’elle n’a pas eu lieu pour cause de covid. Problème, les Démocrates, divisés, indécis, et en panne d’idées et, il faut bien le dire, de lucidité, n’ont pas de plan B. Aucune personnalité connue, dotée d’un minimum de charisme et susceptible de faire consensus parmi les Démocrates n’a émergé en quatre ans, ce qui est une faute. La vice-présidente, Kamala Harris, n’a pas pris la lumière, elle est réputée ne pas avoir la carrure, comme l’illustre son parcours peu convaincant. Surtout, juridiquement, il semble très difficile d’annuler les primaires démocrates, pour lesquelles un certain nombre de délégués pro Biden ont été désignés. Seule issue, un avis médical sollicité par les ministres du président, terrible responsabilité et trahison, pour déclarer qu’il n’est plus en capacité d’exercer ses fonctions, selon la Constitution. Jamais un candidat bénéficiant du désistement au dernier moment du président en exercice n’a gagné la présidentielle…

L’affaire est d’autant plus cruciale que, bien évidemment, l’élection du président du pays le plus puissant du monde, militairement et économiquement, ne concerne pas que les Américains et que Donald Trump a raconté publiquement, il y a dix jours, avoir déclaré à un chef de gouvernement européen (allemand ?) qu’il ne viendrait pas à son secours si la Russie l’attaquait. On peut essayer de se rassurer à bon compte en se persuadant qu’il s’agissait d’un procédé rhétorique, ou d’une technique de négociation un peu rude pour obtenir, légitimement, que les Européens prennent plus au sérieux leur sécurité. Mais force est de constater, et ce discours de Trump représente de ce point de vue un évènement géopolitiquement majeur, malheureusement, tranchant avec une jurisprudence constante à Washington depuis 1949. La sécurité collective de l’Alliance atlantique repose en effet sur le fait que si un quelconque de ses 31 membres est attaqué, chacun des autres volera à son secours de manière inconditionnelle, sans émettre des si et des mais. Tout l’inverse de ce qu’a déclaré Trump qui assume que dans ce cas là il pourrait dire « désolé, je ne suis pas très motivé, regardons d’abord si vous avez réglé vos factures ». De la musique aux oreilles du Kremlin, de nature à le convaincre qu’une aventure en Pologne, ou en pays Balte serait opportune pour discréditer définitivement son ennemi juré, l’Alliance atlantique…

 

Menaces sur l’économie chinoise

Les nuages s’accumulent sur la Chine, deuxième économie mondiale et qui a réalisé depuis 1979 une performance sans équivalent historique, une croissance de 6 à 10 % par an pour un pays à l’époque d’environ un milliard d’habitants.

Sa croissance ralentit et n’aurait même pas dépassé 0,8 % au dernier trimestre. En cause : le vieillissement de la population, conséquence de la politique de l’enfant unique en vigueur jusqu’à récemment en sus de la chute de désir d’enfant, comme en Occident ; le chômage des jeunes au plus haut depuis des temps immémoriaux ; la moindre dynamique des exportations liées à la conjoncture mondiale ainsi qu’à une certaine défiance post covid envers Pékin ; sans doute les imites rencontrées par un système totalitaire à l’ère de l’innovation technologique ; et les menaces sur le système bancaire en raison de l’accumulation de créances douteuses sur le secteur immobilier après des années de spéculation, illustrées par ces images vertigineuses de tours fantômes construites pour être condamnées à la destruction.

La mise en liquidation, le 29 janvier dernier par un tribunal de Hong Kong, du groupe Evergrande, principal promoteur immobilier du pays, après deux années d’agonie est venue rappeler le danger, même s’il n’a pas, pour l’heure, provoqué d’effets dominos comme aux États-Unis la faillite de Lehman Brothers en 2008. Le secteur immobilier pèse pour un tiers du PIB chinois, contre un dixième en France. Les prix des logements ont chuté en deux ans de 30 %, du jamais vu. Les bourses chinoises sont par ailleurs atones et le président Xi Jinping a dû convoquer récemment les régulateurs des marchés financiers pour leur demander de doper un peu la conjoncture, notamment par un allègement des règles de réserves obligatoires des banques. Sans résultat spectaculaire. Un défi politique pour les autorités, puisque les Chinois sont habitués depuis trente ans à des perspectives de progression de leur revenu…

 

Union européenne : les agriculteurs se rebiffent

C’est un événement important dans l’histoire de l’Union européenne qui s’est déroulé ces dernières semaines, à coups de cortèges de tracteurs klaxonnant dans les principales villes d’Europe.

Les agriculteurs, pourtant en majorité très pro-européens, notamment parce qu’ils bénéficient, pour la majorité d’entre eux, du système d’administration des marchés avec prix garantis peu ou prou dans les céréales, certaines viandes, produits laitiers, ont manifesté massivement. À rebours de l’adage « on ne mord pas la main qui vous nourrit », et peut-être parce que ladite main ne nourrit plus tant que ça ceux qui nous nourrissent, comme le résumait un cortège espagnol ; « laissez-nous bosser, carajo ! ». Pas un hasard si le mouvement est parti, il y a presque un an, des Pays-Bas où un plan d’écologie punitive avait prévu, au nom de la désormais omniprésente lutte en Occident contre le réchauffement climatique (une vertu qui permet de massacrer agriculture et industrie sous le regard goguenard ou stupéfait du reste du monde, et qui ne les incite en tout cas pas à nous emboiter le pas), la disparition de la moitié du cheptel.

Les Allemands ont pris le relais début janvier, suivis par leurs confrères français, puis italiens, belges, espagnols, polonais, roumains. Ce mouvement spectaculaire, avec des blocages inédits de centres- villes en Allemagne, et la panoplie habituelle en France de lisier déversé, mais des blocages d’autoroutes sur 400 km (sans précédent) ont pu avoir des motifs divers, prix de vente trop bas (donc, appel, comme d’habitude, à subventions), la concurrence ukrainienne, avaient pour revendication centrale la réduction drastique de la réglementation d’origine, le plus souvent écologique (les associations écologistes ont beau prétendre être les alliées des agriculteurs, ce discours ne convainc pas ces derniers qui savent sous la pression de qui on les bride depuis des années), ou sanitaire au nom d’un principe de précaution devenu absolu. En clair, les agriculteurs ne supportent plus les exigences des plans écolos européens Green Deal et Farm to Fork, même si leurs représentants n’osent pas trop le dire.

Si le gouvernement Attal a su apaiser les grands syndicats agricoles par des chèques et promesses, notamment d’une pause (mais pas annulation) du plan de réduction impératif de 50 % des traitements phytosanitaires d’ici 2030, avec chute des rendements, donc à la clé des revenus, martingale française inépuisable, et si Bruxelles a accordé une dérogation pour les jachères, les agriculteurs se rendent compte que cela ne résout pas du tout le problème « bureaucratie/punitions ». La FNSEA, qui ne se résout pas à s’attaquer aux programmes européens Green Deal et Farm to Fork, menace de reprendre les manifestations à la veille du Salon de l’agriculture, dans quelques jours.

Que le soufflé de cette contestation inédite par le nombre de pays concernés, quoique sans synchronisation, retombe ou pas, il aura déjà eu un mérite : le grand public a découvert le poids dément des règlementations en milieu rural, qui punissent tout et son contraire, la nécessité d’obtenir x autorisations pour tailler une haie, curer un fossé, le calendrier des semis, traitements… comme l’illustre ce slogan d’agriculteurs espagnols « mais laissez-nous bosser, carajo ! ».

 

En France, l’horizon indépassable des règlements partout, tout le temps

Une bataille clé dans la guerre culturelle entre la réglementation tous azimuts, qui ne se confine pas à l’agriculture, comme prétend d’ailleurs l’admettre depuis peu le gouvernement et qu’illustre cette savoureuse révélation, parmi mille autres : un employé de mairie ne peut pas changer une ampoule sans suivre trois jours de formation. Eh oui, nos vies sont régies par une dizaine de codes de 4000 pages, qui s’enrichissent de plusieurs pages chaque jour.

De quoi rappeler le fameux texte de Tocqueville sur « le réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes » édictée par un pouvoir « immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer la jouissance des citoyens et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ».

Tout cela a poussé le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire (qui a dû se résoudre, dimanche soir, à annoncer une révision à la baisse, de 1,4 à 1 % de la prévision de la croissance française en 2024, évoquant la guerre en Ukraine, le Moyen-Orient, le ralentissement économique très marqué en Chine et la récession technique de 0,3 % du principal partenaire commercial de la France, l’Allemagne), à dénoncer « un suicide européen » par les entraves règlementaires, et à promettre il y a quelques semaines, à plusieurs reprises, un vaste effort de simplification… avant d’annoncer aussitôt des contrôles sévères sur la grande distribution, bouc émissaire, pour vérifier qu’elle pratique des marges raisonnables sur les produits alimentaires.

De même, le gouvernement a découvert récemment, sans promptitude excessive, que les normes DPE constituaient une véritable bombe sociale puisqu’elle imposait des dépenses insupportables aux ménages modestes voulant louer un bien pour le mettre en conformité (en attendant d’interdire aussi leur vente, voire, tant qu’on y est dans le fanatisme vert, leur occupation par les propriétaires). Ce qui contribue au blocage spectaculaire du marché de la location depuis deux ans.

Miracle, une étude technique vient démontrer que les DPE ne sont pas fiables pour les logements de moins de 40 m2 ouvrant droit à dérogation. Un peu tartuffe, mais c’est déjà ça… Il faudra surveiller la suite, du fait de la nomination d’un nouveau ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, qui assume vouloir provoquer un « choc de l’offre », en clair stimuler la construction de logements et leur mise à disposition sur le marché locatif. Un discours bienvenu, pour ne pas dire déconcertant, tant il est à rebours de ce à quoi nous habituent les ministres d’Emmanuel Macron.

Selon ses déclarations à l’issue, jeudi, d’une rencontre avec des représentants du secteur, il s’agit de rénover un processus de rénovation énergétique « comportant trop de lourdeurs administratives ». Sur la table, notamment la limitation des obligations de recourir à un accompagnateur agréé aux subventions de rénovation les plus élevées. Il s’agit aussi de permettre aux propriétaires de logements à étiquette énergétique G, a priori aux revenus les plus modestes, qui ne pourront plus être mis en location à partir du 1er janvier 2025, de les aider à commencer à améliorer la performance de leur bien.

 

France-sur-mer : le sujet empoisonné de l’immigration fait son grand retour

Le sujet de l’immigration, en mode sparadrap du capitaine Haddock, hante plus que jamais la politique française, avec un exécutif au sommet du « Enmêmptentisme », chèvre-chou, qui cherche à séduire des électeurs de droite (comme si ceux de gauche classique ne pouvaient pas objecter aux changements fondamentaux à l’œuvre dans notre pays depuis quatre ou cinq décennies, illustrés par une comparaison, au hasard, entre deux photos de classe 2024-1974 ?) sans perdre ceux de gauche. Dilemme d’autant plus sensible que le parti Renaissance est crédité de 18,5 % des suffrages aux européennes de juin, très loin des 29 % attribués, selon un sondage, au Rassemblement national.

L’Élysée a remporté une première manche tactique en demandant aux députés Renaissance de voter pour la loi immigration avec Les Républicains et le Rassemblement nationale… pour aussitôt en déférer les amendements Les Républicains au Conseil constitutionnel. Voter pour un texte qu’on espère anticonstitutionnel, c’est nouveau… Lequel Conseil constitutionnel a eu l’obligeance d’invalider 32 des amendements « droitiers » pour vice de procédure, qui ne se rattachaient pas à un élément précis, un article, du texte proposé. Il avait pourtant validé un amendement sur Mayotte en 2018 dans une loi qui ne traitait pourtant ni de Mayotte ni d’immigration…

Deuxième manche, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est rendu récemment à Mayotte, plus grande maternité d’Europe (25 naissances par jour, cinq fois plus que la seule Corrèze) pour annoncer ce que les élus de tous bords y attendent depuis longtemps : la fin du droit du sol. Au prix, puisqu’une loi ne peut pas être en vigueur dans un département, et pas sur l’ensemble du territoire national selon la Constitution, d’une révision de cette dernière. Ouvrant ainsi une boîte de Pandore, car ce principe d’une territorialisation d’une loi pourrait s’appliquer plus tard sur bien d’autres sujets. Il semble bien qu’il n’ait pas échappé à l’exécutif que la question devenue incandescente, voire civilisationnelle de l’immigration risque de rapporter gros aux élections européennes de juin prochain.

Une réforme du droit du sol sur l’ensemble du territoire n’aurait au demeurant rien de choquant et ne ferait pas basculer la France, contrairement à ce que prétendent les beaux esprits immigrationnistes, dans « les heures les plus sombres de notre histoire », pour la bonne raison que le droit du sang prioritaire est pratiqué par de nombreux pays pas franchement gouvernés à l’extrême droite.

Au demeurant, et cela illustre au passage combien le dossier de l’immigration à Mayotte est instrumentalisé, le droit du sol dit sec, c’est-à-dire l’obtention automatique de la nationalité du pays où l’on naît quelle que soit celle de ses parents et leur propre lieu de résidence et/ou de naissance, n’existe presque plus nulle part au monde. Et notamment pas en Europe, où les pays les plus souples là-dessus, la France, l’Espagne et la Belgique, pratiquent plutôt le « double droit du sol » : on obtient automatiquement, ou sur demande la nationalité française à l’adolescence si un des deux parents étrangers, même en situation irrégulière, est lui-même né en France, même en situation irrégulière, sous réserve qu’il ait séjourné en France un nombre suffisant d’années.

Le problème étant que les habitants des Comores, manipulés en outre par un régime dictatorial voyant dans cette émigration un moyen commode de déstabiliser une « puissance coloniale » à qui ils réclament la restitution de Mayotte, ignorent ces subtilités juridiques et que, motivées par la chimère d’une nationalité française automatique, avec ses droits et avantages pour l’enfant qu’elles portent, des Comoriennes enceintes se ruent à Mayotte pour y accoucher. Face à la désinformation aux Comores (en sus des autres facteurs d’immigration clandestine massive d’hommes jeunes cherchant une terre promise où les salaires sont huit fois supérieurs à ceux en vigueur chez eux à quelques heures de navigation) des ajustements constitutionnels sur le droit du sol, à la majorité, difficile, des trois cinquièmes au Congrès, risquent de ne pas changer grand-chose.

« Le risque d’un conflit direct entre la Russie et l’OTAN est à prendre au sérieux » grand entretien avec Aurélien Duchêne

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d’études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

Que représentent les pays baltes pour la Russie de Poutine ?

Aurélien Duchêne Les pays baltes représentent aux yeux du régime russe, comme d’une large partie de la population, d’anciens territoires de l’Empire russe, qui avaient également été annexés par l’URSS des années 1940 jusqu’en 1990. Beaucoup de Russes, notamment dans les élites dirigeantes, n’ont jamais vraiment digéré l’indépendance de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, avec de plus une circonstance aggravante : les pays baltes ont été les premiers à faire sécession de l’URSS, au printemps 1990, et leur soulèvement civique a fortement concouru à l’effondrement de cette dernière.

Les trois nations baltes totalisent une superficie 100 fois plus réduite que celle de la Russie (175 km2) et une population presque 25 fois moindre (6 millions d’habitants) : le fait que de si petits pays aient pu se libérer de l’emprise de Moscou avec le monde entier pour témoin a été une véritable humiliation pour le Kremlin, après des décennies d’humiliations répétées des peuples baltes sous le joug soviétique dans la lignée de la précédente occupation par l’Empire russe. 

La transition rapide des nations baltes vers la démocratie libérale et leur intégration européenne et atlantique restent également un camouflet pour le régime russe. Au-delà du basculement vers le monde occidental de pays censés appartenir à la sphère d’influence russe (si ce n’est à la Russie tout court), c’est l’accession d’anciennes républiques soviétiques au rang de démocraties matures, avec une société libre, qui est aussi intolérable aux yeux de Poutine et de ses lieutenants que ne l’est la démocratisation avancée de l’Ukraine.

Et de même que la Russie de Poutine nie l’existence d’une nation ukrainienne indépendante, elle respecte peu l’identité des peuples baltes qui ont tour à tour été considérés comme des minorités ethniques parmi d’autres dans l’immense Empire russe, puis comme des populations à intégrer de force sous l’URSS. 

Outre l’imposition du communisme qui tolérait par définition mal des identités nationales affirmées, le régime soviétique s’est livré à des politiques de recomposition ethnique qui allaient bien au-delà de la seule politique de terreur stalinienne. À travers des programmes criminels comme l’opération Priboï en 1949, le Kremlin a ainsi orchestré la déportation de 500 000 Baltes entre 1945 et 1955 ! Alors qu’elle déportait des familles entières vers la Sibérie, l’URSS organisait l’installation de Russes ethniques dans ce qui s’est vite apparenté à une véritable colonisation de peuplement.

L’héritage de ce demi-siècle d’annexion à l’URSS, c’est la présence aux pays baltes de fortes minorités de Russes ethniques et de russophones. Ces Russes vivant hors de Russie représentent environ 25 % de la population en Lettonie et en Estonie, et environ 5 % en Lituanie. Les russophones représentent ainsi environ 80 % de la population du comté estonien d’Ida-Viru (où se situe la très symbolique ville de Narva, à la frontière avec la Russie), ou encore plus de 55 % de la région capitale de Riga en Lettonie.

Vu de Russie, ces populations russes et russophones hors de Russie font partie du « monde russe », lequel doit absolument rester dans le giron de Moscou. Les pays baltes n’ont pas la même dimension aux yeux des Russes que la Crimée, voire pas la même dimension que d’autres régions ukrainiennes considérées comme russes du fait d’une prétendue légitimité historique voire démographique. Les 25 à 30 millions de Russes ethniques vivant dans d’anciennes républiques soviétiques qui, du nord du Kazakhstan à la Lettonie, forment la seconde diaspora du monde après celle des Chinois, sont eux, d’une extrême importance aux yeux de Moscou.

L’on se souvient que c’était le devoir pour la Russie de protéger les Russes hors de ses frontières qui avait été invoqué dans les divers conflits contre l’Ukraine depuis 2014. Cette garantie de protection par la Russie de ses citoyens vivant hors de ses frontières (incluant tous les Russes de l’étranger à qui Moscou délivre passeports et titres d’identité) est même dans la Constitution fédérale. Les dirigeants russes n’ont pas besoin de croire eux-mêmes en un quelconque danger envers des Russes à l’étranger pour « voler à leur secours », que ce soit face à un « génocide » des russophones du Donbass inventé de toutes pièces, ou face à un régime nazi imaginaire qui gouvernerait l’Ukraine. Mais tout porte à croire que le Kremlin se préoccupe sincèrement du risque de voir des millions de Russes de l’étranger s’éloigner de la Russie pour s’intégrer, voire s’assimiler aux pays où ils vivent, menaçant ainsi le « monde russe », voire l’avenir du régime russe.

Dans un article publié un an avant l’invasion de 2022, j’avais défendu l’idée que la Russie pourrait envahir dans un futur proche les régions ukrainiennes censées appartenir à ce « monde russe », avant de développer encore ce scénario dans mon livre Russie : la prochaine surprise stratégique ?. J’y détaillais également le risque que la Russie puisse tenter une agression contre des localités baltes à majorité russe ou russophone telles que la ville de Narva, fût-ce sous la forme d’opérations de faible envergure sous le seuil du conflit ouvert.

Le but pourrait être d’obtenir une victoire historique contre l’OTAN et les puissances occidentales, en leur imposant un fait accompli auquel elles n’oseraient supposément pas réagir par les armes, de peur de s’engager dans une guerre contre la Russie avec le risque d’une escalade nucléaire à la clé. Un calcul qui aurait de fortes chances de se révéler perdant et de déboucher sur le scénario du pire, celui d’un conflit direct entre la Russie et l’Alliance atlantique. Je crois plus que jamais à ce risque, des scénarios comparables étant désormais d’ailleurs davantage pris au sérieux dans le débat stratégique. Pour la Russie, les pays baltes ne représentent donc pas une terre irrédente du même type que la Crimée, ni une « question de vie ou de mort » comme le serait l’Ukraine entière dixit Vladimir Poutine, mais un enjeu qui pourrait bien la conduire à prendre des risques extrêmes contre l’OTAN.

 

Que symbolise l’Alliance atlantique pour les pays de l’Est ?

Elle symbolise à la fois leur ancrage dans le camp des démocraties occidentales et leur garantie d’y rester. Sous la domination russe, puis soviétique, les pays d’Europe centrale et orientale se vivaient comme un « Occident kidnappé », pour reprendre les mots de Milan Kundera. Ces pays, qui étaient membres contraints du Pacte de Varsovie, voire de l’URSS dans le cas des pays baltes, se sont vite tournés vers l’Alliance atlantique après l’effondrement de l’Empire soviétique. À l’époque davantage dans le but de parachever leur retour vers l’Occident et leur marche vers la démocratie que dans l’optique de se prémunir d’une menace russe encore lointaine. La Pologne, la Tchéquie et la Hongrie ont rejoint l’OTAN (en 1999) avant de rejoindre l’Union européenne (en 2004) ; les pays baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’OTAN la même année que l’UE (en 2004).

Là où le débat public français distingue largement l’intégration européenne de l’alliance transatlantique, les pays d’Europe centrale et orientale parlent davantage d’une intégration euro-atlantique, bien qu’ils différencient évidemment la construction européenne dans tous ses domaines de cette alliance militaire qu’est l’OTAN. Nous avons tendance en France à résumer la vision de ces pays de la manière suivante : l’Union européenne serait pour eux un bloc économique (un « grand marché ») et politique qui ne devrait guère tendre vers d’autres missions, quand la défense collective serait du ressort de la seule OTAN. Leur vision est en réalité bien plus complexe, ne serait-ce que du fait d’un sincère attachement à la dimension politique et culturelle du projet européen, jusque chez les puissants courants eurosceptiques qui pèsent dans ces pays.

Il n’en demeure pas moins que l’OTAN est pour eux le pilier de leurs politiques de défense. Nos voisins d’Europe centrale et orientale ne voient pas d’alternative crédible à la garantie de sécurité américaine et à la sécurité collective que procure l’Alliance, dans la mesure où l’Europe n’est aujourd’hui pas en capacité de faire face seule à la menace russe. Outre leur puissance, les États-Unis passent pour un protecteur incontournable du fait de leur position historiquement ferme face à l’URSS puis la Russie, là où la France et l’Allemagne, qui ont davantage cherché à ménager la Russie malgré sa dérive toujours plus menaçante, sont souvent perçues comme étant moins fiables. L’attitude de Paris et Berlin au début de l’invasion de l’Ukraine a d’ailleurs renforcé ce sentiment, quoique les choses se soient améliorées depuis que les deux pays ont considérablement renforcé leur soutien à l’Ukraine et durci le ton face à Moscou.

Les pays d’Europe centrale et orientale sont extrêmement attachés à la solidité de l’OTAN et se méfient des projets, portés en premier lieu par la France, de défense européenne distincte de l’OTAN ou d’autonomie stratégique européenne, pour au moins trois raisons. Ils n’en voient pas vraiment l’utilité là où l’OTAN, avec le fameux article 5, et la protection américaine suffisent face aux menaces majeures ; ils craignent qu’une défense européenne concurrente de l’OTAN ne distende les liens avec les États-Unis et conduise ceux-ci à favoriser davantage encore leur pivot vers l’Asie ; ils soupçonnent la quête d’émancipation vis-à-vis de Washington d’être synonyme d’un futur rapprochement avec la Russie, qui se ferait au détriment de l’Europe orientale. Là aussi, les premiers mois de l’invasion de l’Ukraine avaient renforcé ces soupçons, du fait d’un soutien à Kiev bien plus ferme de la part des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni.

Mais la situation s’est également améliorée sur ce point, entre rapprochement de la France et de l’Allemagne avec la position des pays d’Europe centrale et orientale, doutes croissants sur la fiabilité américaine et évolution du débat stratégique en Europe. Nos voisins restent plus attachés que jamais à l’OTAN qui paraît aujourd’hui d’autant plus indispensable à leur sécurité, mais s’ouvrent davantage à une défense européenne complémentaire de l’Alliance atlantique, entre renforcement du pilier européen de l’OTAN, développement des coopérations entre Européens et mise en œuvre de nouvelles politiques de défense de l’UE avec des moyens supplémentaires.

 

Comment l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se préparent-ils à une éventuelle invasion russe ?

Les trois pays agissent à trois niveaux. D’abord par leur soutien matériel à l’Ukraine, qui est l’un des plus élevés de toute l’Alliance atlantique en proportion de leur puissance économique et militaire, et leur travail diplomatique pour renforcer la mobilisation européenne et transatlantique en la matière. En soutenant au mieux la défense ukrainienne face à l’agression russe, les Baltes entretiennent aussi leur propre défense : infliger un maximum de pertes aux Russes, qui mettront parfois des années à reconstituer les capacités perdues, permet à la fois d’éloigner l’horizon à partir duquel la Russie pourrait attaquer les pays baltes, et de mieux dissuader une telle éventualité en montrant à l’agresseur qu’il paierait un lourd tribut.

Ensuite, par un effort de prévention du pire. Si les États baltes se montrent de plus en plus alarmistes quant au risque d’être « les prochains », c’est aussi pour conserver l’attention et la solidarité de leurs alliés, et espérer d’eux qu’ils renforcent encore leur présence dans les pays baltes. En montrant qu’ils prennent au sérieux le risque d’une attaque russe et qu’ils s’y préparent, les Baltes ont aussi un objectif de dissuasion à l’endroit de Moscou.

Enfin, par des préparatifs directs pour résister à une invasion. Cela fait depuis 2014 que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie améliorent leurs dispositifs de défense opérationnelle du territoire, et l’on note une accélération sensible ces derniers mois. L’on apprenait ainsi mi-février que les trois pays prévoient de renforcer encore les fortifications à leurs frontières, avec la construction de plus de 1000 bunkers (600 pour la seule Estonie) et de barrages anti-chars tels que des dents de dragon qui ont montré leur utilité en Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères estonien Margus Tsahkna estimait il y a quelques jours que l’OTAN n’avait que trois à quatre ans pour se préparer à un « test » russe contre l’OTAN, rejoignant notamment l’estimation de certains responsables polonais. S’ils ne s’attendent pas à une attaque imminente, les trois pays baltes partagent la même conviction qu’ils n’ont que quelques années pour se préparer à un conflit majeur.

Ce qui se traduit par un effort budgétaire considérable. L’Estonie a ainsi porté son effort de défense à 2,8 % du PIB en 2023 et prévoit d’atteindre 3,2 % en 2024, bien au-delà de l’objectif de 2 % auquel se sont engagés les membres de l’OTAN en 2014. La Lettonie a quant à elle dépassé les 2,2 % l’an dernier avec un objectif de 2,5 % en 2025. La Lituanie, enfin, a augmenté de moitié ses dépenses militaires en 2022 (elle les a même doublées depuis 2020), et consacrera à sa défense l’équivalent de 2,75 % du PIB en 2024. Avec la Pologne, la Grèce et les États-Unis, les pays baltes sont désormais les États membres de l’OTAN qui fournissent l’effort de défense le plus conséquent en proportion de leur richesse nationale.

La majeure partie de ces dépenses supplémentaires sont des dépenses d’acquisition, finançant de grands programmes. Tirant des enseignements de la guerre d’Ukraine, les Baltes renforcent leur artillerie (de l’achat de HIMARS américains pour les capacités de frappes dans la profondeur, à la commande de canons CAESAR français par la Lituanie), leur défense antiaérienne… Et ils massifient leurs stocks de munitions, lesquels ont aussi été fortement mis à contribution pour aider l’Ukraine. Les dépenses en personnel ne sont pas négligées : les trois pays baltes augmentent leurs effectifs d’active comme de réserve, ainsi que l’entraînement et la préparation opérationnelle de leurs forces.

La préparation de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie à une éventuelle invasion russe passe aussi par une mise à haut niveau de leur défense nationale qui va au-delà du seul renforcement capacitaire. Il convient de souligner à quel point ces trois pays, malgré leur pacifisme et leur souhait de s’épanouir en tant que démocraties libérales européennes, ouvertes sur la mondialisation, ont conservé un ethos militaire. Leur identité profonde se caractérise à la fois par une histoire marquée par les occupations étrangères (l’Empire russe puis l’URSS en premier lieu), un attachement farouche à leur souveraineté (y compris par rapport aux grands États européens alliés), et une vulnérabilité en tant que petits États peu peuplés.

L’Estonie avait instauré la conscription dès 1991, la Lituanie a annoncé son rétablissement en 2015, et la Lettonie a suivi en 2022 avec une entrée en vigueur cette année. Derrière le maintien ou le rétablissement du service militaire obligatoire, les nations baltes développent leur défense nationale sur le plan civique, avec notamment un effort accru d’intégration des minorités de Russes ethniques et de Baltes russophones qui vivent dans les trois pays, et une bataille de tous les jours contre la guerre informationnelle russe et les campagnes de déstabilisation intérieure qu’organise Moscou. Si ces efforts de cohésion nationale et civique ne sont pas tournés en premier lieu vers la préparation à une invasion armée, ils lui sont indispensables. La vulnérabilité de l’Ukraine aux agressions russes en 2014 l’a montré ; sa formidable résistance à l’invasion de 2022 encore plus.

 

Sont-ils capables de tenir un front dans le cadre d’une guerre conventionnelle ?

Sur le papier, pas pour longtemps. Les forces opérationnelles que les trois pays pourraient engager immédiatement en cas d’agression se montent à quelques milliers d’hommes chacun, les effectifs devant être augmentés à plusieurs dizaines de milliers sur un préavis le plus court possible grâce à la mobilisation de conscrits et réservistes par définition moins bien entraînés et équipés. Là où la Russie a déjà engagé plusieurs centaines de milliers d’hommes en Ukraine en deux ans et est capable d’en mobiliser bien davantage, la population de l’Estonie par exemple est d’à peine 1,3 million d’habitants, soit la population de l’agglomération lyonnaise. Aucun de ces pays ne dispose de chars lourds (la Lituanie négocie avec des constructeurs allemands pour en acquérir) ou d’avions de combat (la Lituanie et la Lettonie ont commandé respectivement quatre et un hélicoptère américain Black Hawk), et leur parc d’artillerie actuel est très limité et devrait le rester malgré d’importantes commandes dans ce domaine.

Le renforcement militaire des pays baltes est proportionnellement l’un des plus importants des pays de l’OTAN, et les armées estonienne, lettone et lituanienne de 2025 voire 2030 seront autrement plus fortes que celles de 2020 ; s’ajoute, comme dit précédemment, la fortification des frontières baltes qui compliquera sérieusement une attaque russe. Mais le rapport de force échoirait toujours à la Russie, dont les forces conserveront une masse et une épaisseur bien supérieures à tout ce que les pays baltes prévoient dans le cadre de leur montée en puissance.

Les pays baltes ne se battront évidemment jamais sans leurs alliés de l’OTAN (quoique les Russes pourraient penser le contraire, ce qui les pousserait d’autant plus à tenter un coup de force), et ces derniers renforcent eux aussi considérablement leurs capacités de défense dans la région balte. En 2016, une étude de la RAND Corporation voyait les forces de l’OTAN perdre une opération dans les pays baltes face aux troupes russes qui atteindraient Tallinn et Riga en un maximum de 60 heures, laissant l’Alliance face à un nombre limité d’options, toutes mauvaises. Le spectaculaire échec des premières phases de l’invasion russe de février 2022 dans le nord de l’Ukraine a depuis remis en question toutes les précédentes études de ce type qui décrivaient une armée russe capable de balayer les petites armées alliées dans des offensives éclair.

Sur le terrain, le corridor de Suwalki est depuis 2015 l’objet de simulations de combat en conditions proches du réel des côtés baltes comme polonais : ainsi d’un exercice à l’été 2017 où 1500 soldats américains, britanniques, croates et lituaniens avaient simulé une opération sur le terrain avec un matériel limité. Par comparaison, la même année et dans la même région, l’exercice russo-biélorusse Zapad 2017 avait mobilisé des effectifs largement supérieurs avec plusieurs dizaines de milliers d’hommes et des centaines de véhicules. Là encore, les choses ont considérablement évolué depuis : en témoignent le renforcement des effectifs de l’OTAN dans la région et l’organisation cette année de Steadfast Defender, plus vaste exercice militaire de l’OTAN depuis 1988. La remontée en puissance militaire des alliés reste cependant limitée pour les prochaines années ; la matérialisation des ambitions polonaises, entre doublement programmé des effectifs militaires et commandes géantes d’armement, si elle va à son terme, s’étendra jusqu’à 2030 au moins.

Là où l’OTAN organise depuis 2016 des rotations de forces mécanisées de quelques milliers de soldats entre Pologne et pays baltes et augmente ses capacités de réaction rapide, les forces des districts militaires russes occidentaux pourraient quant à elles engager très rapidement des dizaines de milliers d’hommes et jusqu’à plusieurs centaines de chars opérationnels d’ici quelques décennies si la remontée en puissance militaire poursuit à ce rythme malgré les pertes en Ukraine. S’il faut relativiser l’idée que les armées baltes se feraient écraser, d’une part du fait de leur propre renforcement et de celui des alliés, et d’autre part du fait des faiblesses russes, il ne faut pas non plus pécher par excès de confiance.

 

Le corridor de Suwalki est-il le talon d’Achille des frontières européennes ?

Ce corridor terrestre large d’environ 65 km relie les États baltes à la Pologne et donc au reste de l’UE et de l’OTAN. À l’est de ce passage, la Biélorussie, qui serait en cas de conflit alliée à la Russie ou sous son contrôle ; à l’ouest, l’exclave russe de Kaliningrad, zone la plus militarisée d’Europe en dehors du front ukrainien. Le corridor de Suwalki concentre l’attention des états-majors occidentaux d’une manière comparable à la trouée de Fulda, à la frontière entre les deux Allemagne, au cours de la guerre froide. Concrètement, la Russie pourrait l’exploiter pour créer des situations d’asymétrie visant à réduire l’avantage des forces occidentales. Le terrain, couvert de champs humides volontiers boueux, de forêts et de lacs, rend les déplacements difficiles dans la trouée de Suwalki, d’autant que la moitié de la trouée est constituée d’un massif vallonné ; plus à l’ouest ou au sud, les trésors naturels que sont la région des lacs de Mazurie, le parc national de la Biebrza et la forêt primaire de Bialowieza gêneraient des mouvements de troupes venant du reste de la Pologne. Seules deux autoroutes et une liaison ferroviaire qui seront vite la cible de bombardements russes permettent d’acheminer rapidement des renforts par voie terrestre.

La Russie a créé à Kaliningrad une « bulle A2/AD » particulièrement dense (batteries antiaériennes S-400, batteries côtières SSC-5 Bastion et SSC-1 Sepal, missiles Iskander, artillerie, équipements de guerre électronique…) qui à défaut d’assurer un déni d’accès complet, compromettrait sérieusement les opérations navales et aériennes alliées. Elle y conserve des effectifs conséquents, qu’elle pourrait relever à plusieurs dizaines de milliers d’hommes sur un temps court, en parallèle d’un renforcement en Biélorussie. En attaquant le corridor de Suwalki, les forces russes seraient capables de combiner effet de surprise, supériorité numérique temporaire, logistique solide et capacités de déni d’accès, avec l’objectif d’isoler nos alliés baltes. Si l’OTAN renforce ses capacités de réaction rapide pour empêcher ce scénario, la bataille promet d’être rude. Le corridor de Suwalki n’est pas le talon d’Achille des frontières européennes, d’autant que le réarmement massif de la Pologne va produire ses effets dans les années à venir, mais c’est un point de vigilance.

 

Quel est l’état de la coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes, situés aux avants postes de l’Europe ? Sommes-nous, Européens de l’Ouest, prêts à défendre leur intégrité territoriale ?

La coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes s’effectue au travers de l’OTAN, des coopérations européennes et de relations bilatérales.

Les trois États baltes accueillent des « battlegroups » de l’OTAN, c’est-à-dire des forces multinationales composées de détachements des forces de plusieurs États membres, dans le cadre de l’Enhanced Forward Presence, la « présence avancée renforcée » de l’Alliance. Selon les données officielles de fin 2022, l’Estonie accueillait une présence permanente d’environ 2200 soldats belges, danois, français, islandais, américains et britanniques, le Royaume-Uni étant nation-cadre et la France le principal contributeur européen local avec Londres ; la Lettonie, environ 4 000 soldats albanais, tchèques, danois, islandais, italiens, monténégrins, macédoniens, polonais, slovaques, slovènes, espagnols et américains, le Canada étant la nation-cadre ; et la Lituanie, autour de 3700 Belges, Tchèques, Français, Islandais, Luxembourgeois, Néerlandais, Norvégiens, Suédois (la Suède n’étant pas encore membre de l’OTAN) et Américains, l’Allemagne étant la nation-cadre.

La présence de ces battlegroups multinationaux a d’abord un objectif de dissuasion vis-à-vis de la Russie : si quelques centaines de soldats français, britanniques et américains en Estonie, avec peu d’équipements lourds, ne seraient pas en capacité de repousser une attaque russe d’ampleur, le fait qu’ils auraient à se battre contre les Russes avec des pertes humaines à la clé signifie que les principales puissances militaires de l’OTAN se retrouveraient en conflit direct avec Moscou. La perspective de tuer des soldats américains ou français est censée dissuader la Russie d’engager la moindre opération militaire contre les pays baltes (la présence militaire américaine s’inscrivant aussi dans le cadre de la dissuasion nucléaire élargie de Washington). L’autre objectif est bien sûr de rassurer nos alliés, et de renforcer les relations militaires avec eux au quotidien. S’ajoutent également des missions telles que la police du ciel, à laquelle contribue l’armée de l’Air française.

Depuis la fin des années 2010, suite à l’annexion de la Crimée, la France compte ainsi en moyenne (le nombre fluctue en fonction des rotations) 2000 militaires engagés sur le flanc est de l’OTAN. En Estonie, nos soldats participent à la mission Lynx où ils constituent le principal contingent avec les Britanniques. En Roumanie, la France est la nation-cadre de la mission Aigle mise en place dans les jours suivant l’invasion de l’Ukraine. Cette participation à la défense collective de l’Europe contribue aussi à l’influence française chez nos alliés d’Europe centrale et orientale. Si l’on en revient spécifiquement aux pays baltes, la présence militaire de la France et d’autres pays d’Europe de l’Ouest est significative, quoiqu’elle ne soit évidemment pas à la même échelle que la présence de dizaines de milliers de soldats américains dans des pays alliés, et elle entretient une véritable intimité stratégique.

Dans le cadre des coopérations européennes, les Européens de l’Ouest coopèrent avec les baltes à travers des politiques communes telles que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), la Coopération structurée permanente, ou encore le Fonds européen de la défense. Outre ces politiques directement liées à l’UE, les coopérations se font à travers des projets ad hoc tels que l’Initiative européenne d’intervention lancée par la France, et que l’Estonie est le seul pays d’Europe centrale et orientale à avoir rejointe. 

Cette participation de l’Estonie à l’Initiative européenne d’intervention promue par Paris montre aussi le développement des relations bilatérales de défense entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les États baltes. Ainsi, la participation importante de l’Estonie à l’opération EUFOR RCA (Centrafrique) en 2014 s’expliquait en partie par sa reconnaissance envers la France, qui avait libéré sept cyclistes estoniens pris en otages au Liban en 2011 par le groupe Harakat al-Nahda wal-Islah. L’engagement estonien au sein de la Task Force Takuba (2020-2022) au Sahel avait également été très apprécié par les Français. Si l’Estonie a souvent reproché à la France ses positions jugées ambiguës envers la menace russe et continue de se montrer prudente quant aux projets d’autonomie stratégique européenne en matière de défense, l’on note un rapprochement et un effort de compréhension ces dernières années. Il en va de même pour la Lituanie, où sont également stationnées des troupes françaises, et qui a choisi des canons CAESAR français pour renforcer son artillerie après l’invasion de l’Ukraine (l’Estonie ayant acquis de nouveaux radars français).

Les coopérations militaires entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les nations baltes sont ainsi déjà denses, et elles continuent de se renforcer, du renseignement aux manœuvres militaires conjointes. Qu’en est-il de la disposition des Européens de l’Ouest à entrer en guerre pour défendre l’intégrité territoriale de nos alliés baltes ? Ces derniers se demandent dans quelle mesure nous serions prêts à mourir pour Tallinn, Riga ou Vilnius, là où une partie de l’opinion publique française refusait en 1939 de « mourir pour Dantzig » alors que la menace allemande envers la Pologne se précisait. Entre la faiblesse militaire et la retenue de l’Allemagne et de l’Italie, et la prudence de la France et du Royaume-Uni dont on peut légitimement se demander si elles seraient prêtes à risquer une escalade nucléaire, la question peut en effet se poser.

Un sondage du Pew Research Center de 2020 montrait qu’après le Royaume-Uni (à 55 %), la France était le pays d’Europe de l’Ouest où la population était la plus favorable à une intervention militaire nationale en cas d’attaque russe contre un pays allié (à 41 %, à égalité avec l’Espagne, et loin devant l’Allemagne et l’Italie, et devant même la Pologne à titre de comparaison). Si les données manquent sur l’évolution de l’opinion publique à ce sujet depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, diverses études montrent un renforcement de la solidarité atlantique au sein des opinions publiques ouest-européennes ainsi qu’un durcissement des positions à l’égard de la Russie. S’il est probable qu’une part conséquente de la population des nations d’Europe de l’Ouest continue de s’opposer à une riposte armée de leur pays en cas d’agression russe, ne serait-ce que par crainte d’un futur échange nucléaire, l’on peut estimer que la part des citoyens prêts à ce que leur pays respecte ses engagements en tant que membre de l’OTAN ait augmenté.

Enfin, si la précaution est de mise quant à l’attitude qui pourrait être celle des dirigeants d’Europe de l’Ouest (avec des positions françaises sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire nationale qui ont pu sembler floues au-delà de la part de mystère qu’exige la dissuasion, voire contradictoires), la position officielle est également celle d’un respect de la lettre et de l’esprit du Traité de l’Atlantique nord, et les pays d’Europe de l’Ouest cherchent à rassurer les pays baltes quant à leur disposition à défendre leur intégrité territoriale, et ce d’autant plus depuis l’invasion de l’Ukraine.

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La France dans la bataille européenne pour les méga-usines 

En février 2023, je publiais l’étude « Méga-usines : 5 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2023 ». Alors que la France avait vu de gros projets industriels lui passer sous le nez au cours des années précédentes (Tesla, Intel), je souhaitais montrer que de nouvelles grandes implantations industrielles étaient à l’étude en Europe, et que la France ne devait pas rater cette séance de rattrapage.

Notre pays a aujourd’hui d’autant plus besoin d’accueillir les prochaines méga-usines prévues en Europe qu’elle s’est nettement plus désindustrialisée que ses voisins. Attirer ces méga-usines s’inscrit dans une bataille pour la réindustrialisation qui est encore loin d’être gagnée : le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB français a continué de baisser pour s’établir à 9,5 % en 2022, contre 14,8 % dans la zone euro et 18,4 % en Allemagne.

Je précise que je n’oppose pas l’accueil d’investissements industriels étrangers au soutien au tissu industriel national existant : notre pays doit jouer sur les deux tableaux s’il veut remonter la pente.

 

Une année 2023 en demi-teinte

Le bilan de la France en 2023 dans la compétition pour les grandes implantations industrielles (investissements étrangers supérieurs à 500 millions d’euros) en Europe est mitigé.

D’un côté, la tendance est plutôt positive par rapport aux années précédentes : la France gagne de plus en plus d’arbitrages sur des projets importants. Le fabricant taïwanais de batteries nouvelle génération ProLogium a choisi Dunkerque pour implanter sa gigafactory de batteries (le port français était en compétition avec un site hollandais et un site allemand pour cet investissement de 5 milliards d’euros) et le géant pharmaceutique danois Novo Nordisk va investir 2,1 milliards d’euros pour agrandir son site de Chartres.

Néanmoins, deux défaites viennent assombrir le tableau : BYD, le n°1 mondial de la voiture électrique et TSMC, le n°1 mondial des puces, ont annoncé leur première usine européenne cette année, et aucun n’a choisi la France. Le constructeur automobile chinois construira son usine européenne en Hongrie, et le fabricant taiwanais de semi-conducteurs a choisi l’Allemagne.

Le tableau ci-dessous récapitule les victoires et les défaites de la France en 2023 :

 

L’année 2024 sera décisive 

Après une année 2023 mitigée, la France a l’opportunité d’attirer cette année plusieurs méga-usines sur son sol : six grands projets industriels représentant 6,5 milliards d’investissements et 5500 emplois devraient voir leur lieu d’implantation décidé en 2024. Il s’agit de :

Moderna

L’entreprise américaine a déclaré vouloir construire son usine européenne de vaccins en France, mais les négociations avec le gouvernement ne sont pas encore achevées. Moderna veut que l’État s’engage à acheter à long terme la production de la future usine.

Tesla

Elon Musk envisage une seconde gigafactory européenne et une usine de batteries à haute puissance. La concurrence est rude : l’Espagne serait en pole position pour accueillir une usine d’assemblage Tesla.

Skeleton Technologies

La start-up estonienne veut construire une usine à 550 millions d’euros pour produire ses batteries à haute puissance. Finlande, Allemagne et France sont dans la short list.

Umicore

Le groupe industriel belge hésite entre la Belgique et le nord de la France pour implanter son usine de recyclage de batterie à 500 millions d’euros.

Alteo-Wscope

Le fournisseur français d’alumine Alteo et le sud-coréen Wscope ont annoncé en novembre 2022 vouloir investir 600 millions d’euros dans les Hauts-de-France pour construire une usine de production de films de séparateurs (éléments clés de la batterie, situés entre la cathode et l’anode) de batteries électriques. Mais l’investissement n’a toujours pas été confirmé : les États-Unis seraient aussi en lice.

Une usine automobile chinoise

Soyons clair : je ne me réjouis pas de l’essor des constructeurs automobiles chinois. BYD a par exemple annoncé vouloir « détruire les vieilles légendes de l’automobile », ciblant ainsi les marques européennes. J’espère voir Renault réussir son audacieux pari industriel : en créant le pôle industriel Electricity, la marque au losange veut produire un million de véhicules électriques dans le nord de la France en 2030 (j’en parle ici).

Mais je suis pragmatique : comme l’ont fait les constructeurs japonais et coréens, les constructeurs chinois vont se faire une place sur le marché européen. Après avoir échoué à attirer BYD, il s’agit pour la France de récupérer un de ces futurs sites de production pour éviter de creuser son déficit commercial automobile. Je pense en particulier aux trois constructeurs qui ont annoncé vouloir construire une usine en Europe : SAIC MG, Chery et Great Wall Motors. D’après l’hebdomadaire Challenges, SAIC MG étudierait le site d’Hambach en Moselle : l’arrêt de la production de la SMART rend le site disponible dès cette année.

 

Attirer trois de ces six projets constituerait un résultat honorable pour la France :

  • On peut se permettre d’être optimiste concernant l’usine Moderna : l’entreprise a déclaré vouloir faire son usine européenne en France et attend une réponse du gouvernement ;
  • Attirer Skeleton Technologies, Umicore ou Alteo-Wscope permettrait de conforter l’écosystème de la Vallée de la batterie des Hauts-de-France ;
  • Réitérer le succès « Toyota Valenciennes » en gagnant une usine automobile chinoise permettrait de consolider la production automobile française et de réduire un déficit commercial automobile qui a atteint 20 milliards d’euros en 2022 ;
  • Enfin, attirer une usine Tesla serait une victoire prestigieuse, l’entreprise d’Elon Musk étant à l’avant-garde de l’automobile électrique.

 

Ces six projets d’implantation sont représentatifs des industries clés des décennies à venir : vaccins ARN, batteries et véhicules électriques. Les attirer permettrait à la France et l’Europe de se positionner sur les industries qui feront la souveraineté et la prospérité des années 2030 et 2040. Mais pour convaincre ces industriels, la France doit continuer à améliorer son attractivité. La Loi industrie verte, promulguée en octobre 2023, devrait ramener les délais d’implantation de sites industriels dans la moyenne européenne. Surtout, les industriels implantés en France bénéficient d’une électricité décarbonée grâce au nucléaire.

Mais beaucoup reste à faire : l’Hexagone dispose de peu de grands terrains industriels rapidement constructibles, et continue à surtaxer son appareil productif. Les impôts pesant sur la production demeurent à un niveau très élevé : après prise en compte des nouvelles baisses de CVAE de 2023 et 2024, l’écart restera de l’ordre de 30 milliards d’euros par rapport à la moyenne de l’Union européenne, et de 60 milliards par rapport à l’Allemagne.

Nous verrons si le prochain sommet Choose France, prévu en mai 2024, apporte son lot de bonnes nouvelles…

Pour plus de détails, voici le lien vers l’étude complète « Les 6 méga-usines que la France ne doit pas rater en 2024 ».

La fin du miracle économique chinois

Depuis plusieurs dizaines d’années, les analyses convergent sur la continuité de la croissance chinoise et la projection d’un premier rang économique mondial. Mais les bambous ne montent pas jusqu’au ciel. Un certain nombre de signaux négatifs apparaissent dans l’économie chinoise. Sont-ils conjoncturels ou plutôt structurels ? Le ralentissement économique, la démographie, la dette des entreprises, ne seront pas passagers. Le retournement de l’économie chinoise commence sous nos yeux.

Quand on vit des dizaines d’années de forte croissance, on se laisse aller à imaginer que celle-ci sera éternelle. L’histoire nous enseigne que la vie économique relève de cycles.

 

La décélération de la croissance

En étudiant la courbe de la croissance économique chinoise depuis 60 ans, on s’aperçoit qu’elle se découpe en trois phases :

  1. Une croissance accélérée, pendant 30 ans, des années 1960 jusqu’au début des années 1990, avec une pointe proche de 20 %
  2. Une croissance stable, les 15 années suivantes, en moyenne autour des 10 %
  3. Une décélération de la croissance, amorcée en 2008, passant de 10 % à  « autour » de 5 % (vocabulaire officiel)

 

Des prévisions réalistes des prochaines années prolongent ce dernier chiffre vers 4 %, puis 3 %.

La décroissance est donc à l’œuvre depuis 15 ans… Elle s’explique par la hausse des coûts, la baisse des gains de productivité, et le manque de dépenses des ménages chinois, préférant l’épargne.

Cette décroissance sera alimentée par un paramètre additionnel, le repli démographique.

 

Une triple peine démographique

Le choix de l’enfant unique décidé en 1979 a atteint l’objectif de réduire la forte croissance de la population au moment où le pays devait relever le défi alimentaire. Cette politique maintenue jusqu’en 2016 a préparé un tsunami démographique.

Ce déficit de naissances sur une longue période, première peine, a mis en place la baisse décalée du vieillissement de la population, deuxième peine.

Début 2023, le pouvoir politique a eu la plus grande difficulté à admettre une baisse de population d’environ 200 000 personnes, en 2022. La baisse de 2023 se situe à deux millions.

Probablement en 2028, la Chine repassera sous la barre des 1,4 milliard d’habitants puis, dans une génération, en 2050, en dessous de 1,2 milliard.

Ce rétrécissement de population s’accompagne d’un vieillissement accéléré, déjà inscrit dans la structure de la pyramide des âges.

La population de plus de 60 ans atteignait 241 millions en 2017 ; elle est passée à 280 millions en 2020, et se dirige vers 420 millions en 2050. Cet accroissement spectaculaire aura deux impacts : l’un sur le marché intérieur, l’autre sur le marché du travail.

La disparition de 200 millions de personnes du marché du travail ne pourra conduire qu’à un renchérissement de la main-d’œuvre, même en intégrant l’impact de l’automatisation.

Un retraité dispose de moins de revenus qu’un actif. Des conséquences significatives sur la vitalité du marché intérieur sont donc à prévoir.

La troisième peine démographique concerne la jeunesse. Après un parcours dans un système éducatif très exigeant, elle se trouve face à un marché de l’emploi très compétitif, et des conditions de travail difficiles. Apparaît donc un phénomène de désenchantement, qui se traduit par deux phénomènes inattendus : l’exode intérieur et l’exil.

Le départ des grandes villes conduit à un exode vers des villes moyennes ou la campagne. Il s’explique par le cumul du coût de l’habitat urbain, le niveau de pollution, et les difficultés d’emploi.

L’autre dynamique de la jeunesse se traduit par un exil caché. Il est étonnant de découvrir que la quatrième nationalité des migrants à la frontière sud des États-Unis est la nationalité chinoise.

Ce retournement démographique global est porteur de conséquences économiques et financières très substantielles.

 

Le poids des dettes

Ces nouvelles tendances impactent la construction et le BTP, qui représentent presque 25 % du PIB.

Pendant plusieurs décennies, la hausse de la demande de logements neufs, urbains, a conduit les sociétés majeures du secteur à poursuivre leur endettement pour alimenter cette « croissance éternelle ». Le ralentissement économique, et le rétrécissement/vieillissement de la population ont provoqué une baisse de la demande, dans une situation où l’offre de logements continuait d’augmenter.

Le groupe Evergrande, un des plus grands groupes immobiliers chinois, à la tête de plus de 300 milliards de dollars de dettes s’est déclaré en faillite aux États-Unis pendant l’été 2023, et vient d’être mis en liquidation par une décision d’un tribunal de Hong Kong, le 4 février 2024.

À l’automne dernier, l’autre géant du secteur, Country Garden, n’a pas été en mesure d’honorer un paiement de 60 millions de dollars.

Le niveau des capitaux engagés provoque naturellement des effets sur le secteur financier. Le groupe Zhongzhi, géant de la finance parallèle, très exposé au marché immobilier, affiche une dette de 64 milliards de dollars. Il s’est déclaré en faillite au début du mois de janvier 2024.

Cette triple fissure, décroissance, démographie, dette, se traduit naturellement dans les indicateurs boursiers. Le repli de la bourse de Shanghai atteint 12 % depuis six mois. Depuis fin janvier 2024, la capitalisation boursière de Hong Kong, est dépassée par celle de Bombay…

Ces nouvelles tendances clés de la réalité chinoise ne sont pas conjoncturelles, mais structurelles.

 

Des conséquences globales

La rigueur idéologique du Parti communiste chinois est-elle adaptée à cette nouvelle phase de l’économie chinoise ? Face à cette situation nouvelle, il faut de la créativité, de l’ouverture, de l’innovation, de nouvelles politiques, et des décisions atypiques afin de faire face à des réalités totalement nouvelles.

Ceci constitue un autre défi, idéologique, et structurel lui aussi, porté directement au cœur du système du PCC.

L’objectif de rattraper et dépasser les États-Unis apparaît de moins en moins probable. Au 1er octobre 2029, 80e anniversaire de la République Populaire de Chine, cela pourrait même apparaître impossible.

Il nous faut absolument réfléchir aux conséquences intérieures et internationales de cette « nouvelle » Chine.

Quand la Chine s’éveillera…. Quand la Chine s’essoufflera…

Une balance commerciale impossible à redresser ?

Le service des douanes vient de faire connaître le résultat de notre commerce extérieur pour 2023 : à nouveau un solde négatif important de 99,6 milliards d’euros. Certes, c’est mieux que l’année précédente où le déficit avait été supérieur à cause de l’envolée des prix de l’énergie causée par la guerre en Ukraine, mais le solde est négatif, une fois de plus.

La balance du commerce extérieur français est donc régulièrement déficitaire depuis 2005, c’est-à-dire depuis maintenant une vingtaine d’années. Ce solde négatif a plutôt tendance à s’aggraver, comme le montre le tableau ci-dessous :

Selon le journal La Tribune du 7 février dernier, annonçant les résultats de notre commerce extérieur pour l’année 2023 :

« Les années se suivent et se ressemblent pour la balance commerciale française : le déficit commercial de 99,6 milliards est le deuxième plus élevé de l’histoire ».

On ne peut évidemment que s’inquiéter d’une telle évolution, d’autant que les autres pays de l’Union européenne dont les balances commerciales étaient également déficitaires dans les années 1970-80, sont parvenus à redresser la barre, comme le montre le tableau suivant :

Autre constat : c’est la balance des biens qui est particulièrement dégradée, les services étant là pour rattraper quelque peu le grave déséquilibre des biens :

 

Le rôle déterminant du secteur industriel

Longtemps, les commentateurs de notre vie économique ont expliqué le déficit du commerce extérieur par des éléments conjoncturels, généralement des variations des prix de l’énergie, la France étant un gros importateur d’hydrocarbures. Mais, à présent, chacun a bien compris que le déficit de la balance du commerce provient du déclin industriel français. En effet, l’industrie joue un rôle déterminant dans la balance commerciale des pays développés, intervenant pour environ 75 % dans les échanges commerciaux.

Aussi, si l’on examine la relation existant dans les pays développés entre l’importance de leur production industrielle et le résultat de leur balance commerciale, on voit que les pays à production industrielle faible ont des balances commerciales déficitaires, alors que les pays à production industrielle élevée présentent des balances commerciales positives.

C’est ce que montre le tableau ci-dessous où figurent, dans la première colonne, les productions industrielles des pays comptées en valeur ajoutée par habitant, comme le font les comptabilités nationales des pays, et selon les données de la BIRD, qui incorpore la construction dans la définition de l’industrie :

Le graphique ci-dessous indique la corrélation existant entre ces données :

L’équation de la droite de corrélation indique que pour avoir une balance commerciale équilibrée il faut que la production industrielle s’élève à 11 265 dollars par habitant. C’est une probabilité statistique qui peut souffrir chaque année des écarts par rapport à la moyenne.

Or, la France ne dispose que de 7200 dollars de production industrielle par personne. Il faudrait donc l’accroître de 56 % pour que la balance commerciale soit à l’équilibre. En se basant sur les ratios d’intensité capitalistique des entreprises industrielles existant déjà en France, cela signifie un effectif industriel passant de 2,7 millions de personnes à 4,2 millions : soit 1,5 million d’emplois industriels à créer pour que, demain, la balance commerciale soit régulièrement en équilibre. Les effectifs industriels de l’Allemagne étant bien plus élevés, de l’ordre de 7 millions de personnes, sa balance commerciale est régulièrement excédentaire. En fait, avec la quatrième révolution industrielle en cours, baptisée industrie 4.0, les intensités capitalistiques sont devenues extrêmement élevées : il va plutôt s’agir de la création de seulement environ un million d’emplois.

La corrélation mise en évidence permet de comprendre que le solde déficitaire de notre balance commerciale, rappelé plus haut, se soit régulièrement dégradé à mesure que notre secteur industriel faiblissait : entre la fin des Trente Glorieuses et aujourd’hui, l’industrie qui intervenait pour 24 % à 25% dans la formation du PIB n’intervient plus que pour 10 % seulement. La France est devenue le pays européen qui est le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part. Avec la crise du covid, nos dirigeants ont finalement compris qu’il était nécessaire de réindustrialiser le pays, et Emmanuel Macron a lancé le Plan France 2030. Mais il sera extrêmement difficile de remonter la pente.

Dans le Figaro-économie du 12 février dernier, Anne de Guigné énonce :

« Après des années de délitement, l’industrie française a cessé de dépérir. Mais crier victoire paraît très exagéré quand les deux indicateurs les plus robustes du secteur, l‘évolution de la production manufacturière et celle de la valeur ajoutée de l’industrie demeurent en zone grise ».

Le Plan France 2030 est très insuffisant, car les moyens financiers manquent pour épauler le redressement de notre industrie, comme le font si bien maintenant les Américains avec l’IRA, un dispositif d’aide à l’investissement qui dispose d’un budget de 369 milliards de dollars.

 

Les PME appelées à la rescousse

Pour redresser rapidement notre commerce extérieur, le gouvernement a appelé les PME à la rescousse afin qu’elles exportent. Il veut faire passer le nombre d’entreprises exportatrices de 145 700 à 200 000. Dans son discours de Roubaix le 23 février 2018, Édouard Philippe avait annoncé la création de Team France Export, afin d’encourager les PME  à « chercher des aventures à l’étranger ». Team France Export est un dispositif au service des entreprises qui regroupe les services de l’État s’occupant d’exportation, Business France, Bpifrance, et les diverses CCI existant en France. Cet organisme dispose de 13 guichets régionaux, disséminés sur tout le territoire, et un réseau de 750 conseillers installés à l’étranger dans 65 pays. Précédemment, avait été créée en 2015, « Business France », une agence nationale ayant pour mission d’« aider les PME et les ETI à se projeter à l’international ». Nos entreprises ne sont donc pas dépourvues de conseillers pour les aider à exporter, et elles peuvent bénéficier de divers soutiens financiers pour prospecter à l’étranger et exporter.

Cette ambition de faire de nos petites PME industrielles, des entreprises exportatrices, n’est en fait pas très raisonnable : c’est leur faire courir beaucoup de risques et les détourner de leur tâche principale qui est, à ce stade de leur croissance, de développer et renforcer leurs avantages compétitifs. Hors les grandes entreprises, qui, elles, disposent du personnel voulu pour exporter, et dont les reins sont assez solides pour faire face aux aléas des opérations à mener dans des pays lointains que l’on connait mal, seules les ETI, (250 à 500 employés), sont capables d’avoir une politique suivie à l’exportation.

En matière d’exportation, le drame de la France est qu’elle dispose de relativement peu d’ETI, à la différence de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne : elles sont 5760 en France, contre 12 500 en Allemagne et 10 000 en Grande-Bretagne, et ne sont pas toutes dans le secteur industriel, loin de là. Pour exporter des biens industriels, il faut généralement avoir à l’étranger des accords avec des entreprises locales qui aideront les consommateurs à utiliser ces équipements et assureront l’après- vente, car faire de l’après-vente à partir de la France est une gageure. Ces partenaires étrangers exigeront que l’entreprise avec laquelle ils vont collaborer ait une certaine dimension : s’il s’agit d’une PME de taille modeste, ils ne seront pas partants et auront tendance à aller chercher ailleurs un exportateur plus solide avec lequel s’allier. Une PME peut exporter aisément, sans risque, des produits ne nécessitant aucune collaboration avec l’acheteur, et notamment pas d’après-vente, comme par exemple, la cristallerie ou les articles de porcelaine.

Augmenter les exportations et avoir une balance commerciale à l’équilibre sont donc des missions extrêmement ardues :

  • le secteur industriel s’est considérablement amenuisé, l’industrie manufacturière ne représente plus que 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % pour l’Allemagne.
  • le pays manque d’entreprises de taille intermédiaire, soit deux fois moins que l’Allemagne.

 

Rééquilibrer notre balance du commerce extérieur, mission qui est confiée au ministre chargé du Commerce extérieur, est une tâche de très longue haleine qui va demander de très nombreuses années, c’est-à-dire le temps que nos dirigeants mettront pour accroître de 56 % la production du secteur industriel.

Baisses d’impôts : quand les promesses d’Attal se fracasseront sur le mur de la réalité

Lors de son discours de politique générale, Gabriel Attal a annoncé deux milliards d’euros de baisses d’impôts pour les classes moyennes, financées par la solidarité nationale.

En langage courant, cela signifie payé par les riches. Les classes moyennes ne devraient pas se réjouir trop tôt : François Hollande avait déjà opéré ce type de transfert fiscal au début de son quinquennat et pour lui, être riche commençait à 4000 euros par mois. Le jeune Gabriel Attal était à cette époque membre du cabinet de Marisol Touraine. Le fruit ne tombe pas loin de l’arbre.

Le gouvernement dispose de trois pistes pour déshabiller Paul afin d’habiller Pierre.

La première – et la pire – est l’abolition ou l’augmentation de la flat tax sur les revenus du capital. En pénalisant l’investissement dans l’économie réelle et en punissant les investisseurs qui réallouent leur capital vers de nouveaux projets, c’est la croissance déjà atone de la France qui ralentirait, et avec elle les salaires et les recettes futures de l’État. Ce qui apparaît à court terme fiscalement neutre se révèle à long terme coûteux. Nul doute que la facture finale reviendrait aux classes moyennes.

La seconde piste est l’augmentation de l’IFI, mais considérant que cela nécessiterait de le doubler, il est peu probable que le gouvernement s’engage sur cette voie.

La dernière piste est l’augmentation des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, voire la création d’une nouvelle. Or, s’il y a un impôt par lequel la soi-disant solidarité nationale s’exerce particulièrement, c’est bien l’impôt sur le revenu.

En effet, en 2022, le montant moyen payé par 82,5 % des foyers est inférieur à 300 euros, 13 millions de foyers recevant même de l’argent plutôt que d’en payer. À l’inverse, les 1,3 % des ménages les plus riches s’acquittaient de près de 36 % de la facture totale de l’impôt sur le revenu : 30 milliards d’euros. Le gouvernement prévoit-il d’augmenter leur contribution de 6 % pour essayer de sauver les élections européennes ? Ce serait une bien mauvaise nouvelle pour la France.

Dans son étude comparative de la fiscalité des pays européens parue en 2023, la Tax Foundation a classé la France dernière. Parmi les critères utilisés pour dresser ce classement se trouve la fiscalité individuelle. Bien que n’ayant pas les taux affichés les pires d’Europe (le Danemark et l’Autriche décrochent cette triste médaille), la France se situe dans le bas du classement à cause de sa fiscalité qui punit fortement le travail. Le rapport entre le coût marginal – celui de gagner un euro de plus – de la fiscalité du travail et le taux moyen est de 1,55 en France. L’augmentation de la progressivité de l’impôt sur le revenu accentuera ce mauvais résultat. L’augmentation de la fiscalité des classes supérieures – celles qui épargnent le plus – aurait les mêmes conséquences sur la croissance que l’abolition de la flat tax. Comment Gabriel Attal compte-t-il « desmicardiser la France » si l’impôt encourage les bas revenus et freine la progression des salaires ?

Gabriel Attal promet que cette baisse d’impôt sera entièrement financée.

Tout observateur sérieux sait que c’est au mieux un mensonge, au pire, une incompétence crasse. Tout d’abord, comme le constate le rapporteur général de la commission des Finances du Sénat, Jean-Francois Husson, le budget de 2024 consacre l’entrée de la France dans l’ère des déficits extrêmes.

Comment le Premier ministre peut-il prétendre que cette mesure sera entièrement financée quand 30% du budget de l’État ne l’est pas ? Le PLF 2024 prévoit 491 milliards d’euros de dépenses pour 350 milliards de recettes, c’est-à-dire que 141 milliards d’euros de dépenses ne sont pas financées.

Cela soulève deux questions.

Tout d’abord, pourquoi le gouvernement ne choisit-il pas tout simplement d’augmenter le déficit de l’État de 1,4 %, ce qui aurait moins d’impact sur les recettes futures qu’une mauvaise hausse d’impôt ?

Surtout, pourquoi est-il incapable de réduire les dépenses d’un pitoyable 0,4 % pour réellement financer sa baisse d’impôt ? Ce ne sont pourtant pas les coupes faciles qui manquent, à commencer par les ubuesques primes pour rapiécer les vêtements, réparer les vélos ou les lave-linges. Le tentaculaire audiovisuel public coûte à lui seul 3,8 milliards d’euros par an, il suffirait d’en privatiser la moitié pour financer la mesure.

La Cour des comptes publie quasi quotidiennement un rapport qui nous rappelle le gaspillage et la gestion hasardeuse des deniers publics.

Une réforme de l’impôt sur le revenu est nécessaire pour relancer la France et récompenser le travail, et c’est possible à périmètre fiscal constant.

La plus audacieuse d’entre elles est la suppression de l’impôt sur le revenu financé par l’élargissement de la base de la TVA. Selon la Tax Foundation, la TVA ne perçoit que la moitié de son potentiel, de nombreux produits étant soumis à un taux réduit, voire nul.

Une seconde réforme moins audacieuse reviendrait à instaurer une flat tax sur l’ensemble des revenus. Avec 1322 milliards de revenus déclarés, son taux ne s’élèverait qu’à 7,1 % ! Bien sûr, la vraie réforme serait de baisser tout simplement les dépenses publiques de 6 %, ce qui serait toujours supérieur à l’avant covid.

Impossible pour Gabriel Attal, incapable qu’il est de trouver deux milliards.

La démocrature, principal ennemi des démocraties libérales

La démocratie libérale est un régime politique jeune et fragile. Elle commence véritablement à se concrétiser à la fin du XIXe siècle, et n’existe que dans une trentaine de pays dans le monde. Le primat de l’individu constitue son principal pilier qui est d’abord politique : garantir les droits naturels de l’Homme (la vie, la propriété, la liberté, la vie privée, la religion, la sécurité…) et limiter l’action de l’État¹.

La propriété de soi d’abord, la propriété des choses par le travail ensuite, la pensée critique (libre examen), la tolérance religieuse, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la prééminence du pouvoir législatif parachèvent le libéralisme politique.

Le libéralisme économique constitue l’autre pilier des démocraties libérales : abolir les entraves, encourager l’esprit entrepreneurial, favoriser le libre commerce entre les pays et privilégier les organisations spontanées, sont des objectifs d’une économie de marché. En tant que doctrine économique, le libéralisme protège la concurrence à l’intérieur du pays et défend le libre-échange à l’extérieur. Pour la pensée libérale, le meilleur système social est celui qui laisse aux individus le soin d’adapter leurs conduites aux circonstances.

La démocratie libérale est la rencontre de deux libéralismes, politique et économique. Cette rencontre a constitué la base du développement spectaculaire, non seulement du commerce mais aussi de la science et de l’industrie.

Le protectionnisme et le corporatisme ont menacé et menacent encore la démocratie libérale. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté est d’abord de produire la richesse, libérer les échanges, libérer des entraves de l’esprit des entrepreneurs, et non pas la construction de douanes intérieures et extérieures.

Pour la démocratie libérale, le libéralisme économique est nécessaire mais pas suffisant.

La première crise de la démocratie libérale fut celle de la séparation entre libéralisme économique et libéralisme politique. Déjà, au début du XIXe siècle, avec le rétablissement de l’ordre monarchique en Europe, une continuité fut admise entre libre marché et despotisme. Cette schizophrénie constitue l’un des principaux problèmes pour la pensée libérale, y compris dans le monde contemporain. Pinochet, Videla, Xi Jinping ou encore le modèle singapourien sont certes capitalistes, mais nullement libéraux.

Les temps sont difficiles pour le libéralisme : guerre, terrorisme, crise climatique, protectionnisme, déficit public, augmentation exponentielle des impôts… La liste est à la fois longue et pénible.

Face à la crise, à la fois économique et culturelle, le repli sur soi semble émerger comme une réponse possible, plébiscitée par l’opinion publique. Les exemples abondent : la Chine de Xi Jinping, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, la Hongrie d’Orban et l’Amérique de Trump. Ils peuvent être expliqués comme une réponse à la crise du libéralisme : la démocratie illibérale. Elle a été définie par Fareed Zakaria dans un article en 1997 (« The Rise of Illiberal Democracy ») comme « une démocratie sans libéralisme constitutionnel qui produit des régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et la guerre ».

Comme le note Nicolas Baverez :

« La démocrature désigne aujourd’hui une réalité politique et stratégique très différente par sa nature et sa dimension. Elle définit un mode de gouvernement original qui se revendique comme plus stable, plus efficace et plus apte à répondre aux attentes du peuple que la démocratie, qu’il s’agisse de prospérité, de cohésion sociale ou de sécurité. »

Dans un contexte de montée du nationalisme, l’expression « démocratie illibérale » connaît un succès médiatique, notamment par les déclarations du hongrois Viktor Orban qui s’en est revendiqué. Le discours à l’université d’été de Bálványos le 28 juillet 2018 à Tusnádfürdő en Roumanie mérite d’être analysé attentivement puisqu’il constitue la synthèse contemporaine de la pensée illibérale, base de la démocrature :

« Affirmons tranquillement que la démocratie chrétienne n’est pas libérale. La démocratie libérale est libérale, mais la démocratie chrétienne, par définition, ne l’est pas. Elle est, si vous voulez, illibérale. Nous pouvons le démontrer dans quelques questions importantes, et très concrètement dans trois cas : la démocratie libérale soutient le multiculturalisme, la démocratie chrétienne donne la priorité à la culture chrétienne, ce qui relève d’une pensée illibérale ; la démocratie libérale soutient la migration, la démocratie chrétienne est contre, ce qui est une pensée clairement illibérale ; et la démocratie libérale soutient les modèles de famille à géométrie variable, alors que la démocratie chrétienne soutient le modèle de famille traditionnel, ce qui est aussi une pensée illibérale.

[…]

La démocratie chrétienne ne veut pas dire que nous soutenons des articles de foi, en l’occurrence ceux de la foi chrétienne. Ni les États ni les gouvernements ne sont compétents en matière de salut ou de damnation. Une politique démocrate-chrétienne signifie la défense des formes d’existence issues de la culture chrétienne. Pas des articles de foi, mais des modes de vie qui en sont issus : la dignité de l’homme, la famille, la nation. »

Marlène Laruelle, spécialiste de l’illibéralisme à la George Washington University, le décrit comme :

« Un univers idéologique qui estime que le libéralisme, entendu comme un projet politique centré sur la liberté individuelle et les droits humains, est allé trop loin. Ce rejet s’accompagne de positions politiques plus ou moins clairement établies, s’appuyant généralement sur le souverainisme et la défense de la majorité contre les minorités. La nation est conçue de façon homogène et les hiérarchies traditionnelles célébrées ».

Les principales caractéristiques de la démocrature sont :

  • Hostilité au libéralisme qui réduit l’homme à l’état d’individu.
  • Contestation possible du suffrage universel (assaut du Capitole aux USA).
  • Fascination pour les dirigeants autoritaires et charismatiques.
  • Présentation du peuple comme l’opposé des élites dirigeantes (antiélitisme).
  • Rejet de l’État de droit : Charles Maurras, opposait déjà le pays réel au pays légal.
  • Instrumentalisation de la religion : Modi et l’hindouisme, Erdoğan et l’islam, Trump et les évangélistes, Poutine et le christianisme orthodoxe, Orban et le catholicisme…
  • Contrôle de l’économie planifiée : programme économique du Rassemblement national par exemple.
  • Exaltation du nationalisme et rejet du cosmopolitisme considéré comme une idéologie hors-sol  sans-frontiériste.
  • Droit à l’identité nationale pouvant être défini comme la nécessité pour les groupes ethno-culturels de préserver les particularismes culturels, religieux et raciaux du métissage et de l’indifférenciation.
  • Anti-européisme plus au moins déguisé : l’expression souverainisme apparaît en France en 1996 et a été forgée au sein d’associations en lutte contre les traités de Maastricht et d’Amsterdam afin d’échapper aux qualificatifs négatifs tels qu’anti-européens.
  • Critique de la légitimité des institutions de l’Union européenne.
  • Dilution de la frontière entre public et privé si chère à Benjamin Constant.
  • Inversion de la priorité du juste sur le bien dont John Rawls faisait l’emblème du libéralisme politique. Alors que la démocratie libérale n’impose pas une conception de la vie bonne, la démocrature impose un modèle culturel hégémonique.
  • Exaltation de l’action contre la pensée : anti-intellectualisme.
  • Rhétorique décliniste simple et efficace.
  • Rejet des Lumières en tant que système philosophique ayant engendré le libéralisme. (économique, politique, philosophique) et comme origine du rationalisme contemporain.
  • Rejet des minorités sexuelles et de la libération des mœurs.
  • Rejet des structures intermédiaires (Parlements, tribunaux, médias, etc.) qui bâillonneraient le peuple.
  • Promotion de l’écologie intégrale, une forme d’instrumentalisation de l’écologie au profit de valeurs conservatrices et contre les progrès de la bioéthique, l’IVG, l’euthanasie, le mariage pour tous…

 

La démocrature a ainsi su imposer un récit selon lequel le libéralisme culturel met en danger les repères naturels de l’homme enraciné dans une culture spécifique. La démocratie illibérale entend bâtir une pensée politique de l’attachement au « chez soi » et de la cohésion sociale à l’échelle nationale.

La crise de la démocratie libérale est en partie liée à l’incapacité à construire un récit allant au-delà de l’économie, à l’incapacité à mener une bataille culturelle capable de contrecarrer la rhétorique réactionnaire.

¹Grotius, Droit de la guerre et de la paix (1625) ; Hobbes, Léviathan (1651) ; Locke, Deuxième traité du gouvernement civil (1690), Rousseau, Du contrat social (1762).

Les champions (franco)africains du french bashing

« Je déteste tous les Français »

Le 3 février dernier, un immigré malien de 32 ans, Sagou Gouno Kassogue, a attaqué au couteau et blessé grièvement des passagers de la Gare de Lyon. Finalement maîtrisé par l’action conjuguée des passants, des agents de sécurité et des membres de la police ferroviaire, l’homme en garde à vue a été mis en examen pour tentative d’assassinat aggravée et violence avec armes aggravée.

Les premiers éléments de l’enquête dévoilés par le préfet de police de Paris révèlent les discours conspirationnistes d’un individu ayant visiblement prémédité son acte, comme le montre l’activité d’un compte Tik-Tok et d’un compte Facebook à son nom, ainsi que des dizaines de messages postés sur les réseaux sociaux. Il est pourtant encore présenté comme psychiatriquement fragile. Fragile mais capable de préméditer.

Sur son compte Tik-Tok et sur son compte Facebook la même boue habituelle, victimaire et antioccidentale charriée par la fachosphère ouest-africaine : « la France paye, par ce crime, pour le pillage des ressources durant la colonisation », « la France finance le terrorisme », « Emmanuel Macron a fait alliance avec le diable ».

En retour, des déclarations à « son excellence Vladimir Poutine ».

On en passe et des meilleures.

Ce discours on le connaît. Il inonde la Toile depuis des années, parfois émanant de personnes naturalisées ou binationales mais résidant en France : on se demande ce que fait la Justice française devant ce déferlement de haine anti-française…

Ce discours on le connaît aussi parce qu’il est porté depuis des années par des associations ayant pignon sur rue, on le connaît surtout parce que c’est celui des juntes militaires malienne, burkinabé et nigérienne. On le connaît enfin parce que c’est celui que Abdoulaye Diop et Abdoulaye Maïga, membres du gouvernement militaire malien, ont tenu tous deux, sans honte, à la tribune des Nations Unies.

L’attaque au couteau de la gare de Lyon ne sort pas de nulle part et encore moins des brumes cérébrales d’un immigré perturbé.

Cette attaque est l’aboutissement d’un long et lent processus viral né et métastasé sur le Net. Et qui s’est brusquement défictionnalisé en s’incarnant dans une tragédie.

La première sans doute d’une série.

Retour sur les enjeux de la guerre informationnelle menée contre la France, et donc depuis le 3 février, contre chaque Français.

 

Ils vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-même… 

Quatre milliards d’humains votent en 2024, soit la moitié de l’humanité : un fait sans précédent dans son histoire, qui laisse certains penser que la démocratie s’étend dans le monde. Pour autant, toutes les démocraties ne se valent pas, en effet beaucoup de régimes étant des « démocratures », des régimes à élection mais sans les garanties de libertés individuelles qu’offre le système de Westminster.

Encore faut-il rappeler que ces élections vont se dérouler dans un contexte numérique de désinformation massive, également sans précédent dans l’histoire de la démocratie libérale.

Non seulement la désinformation peut influer sur les déterminants du vote et favoriser telle ou telle famille d’idées politiques, mais elle peut aussi renverser des régimes : en Afrique de l’Ouest, notamment, où quatre régimes politiques sont tombés (Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry et Niger), largement sous les coups portés à l’idéal démocratique par des réseaux sociaux alimentant les fausses nouvelles à un rythme effréné.

Derrière ces campagnes de désinformation, des personnalités, des mécanismes, des éléments de langage qu’on arrive maintenant à bien connaître car le Sahel en a été dans le monde francophone un des laboratoires les plus prolifiques et aussi les plus prolixes.

Anti-Français, anti-démocratie, antilibéraux, adeptes de toutes les théories du complot les plus rétrogrades, quand ils ne les fabriquent pas eux-mêmes, ces influenceurs et activistes du Net sont entrés dans une « guerre sans fumée » contre la France. Ils sont capables de faire tomber des gouvernements, voire, comme au Sahel, de renverser des régimes politiques.

Qui a dit à la Radio Télévision Suisse : « […] Chaque soldat français qui tombe en Afrique, c’est un ennemi qui tombe […] » ? Nathalie Yamb, « La Dame de Sotchi ».

Qui a dit : « […] « La seule chose qui nous rapproche des nazis, et que je ne renie pas, c’est qu’ils aimaient l’Allemagne plus que l’Allemagne s’aimait elle-même » […] » ? Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, « L’Étoile Noire », dans un entretien (Rapporté par Jean Chichizola et Gabrielle Gabizon dans Le Figaro, 30/05/2006) ; et il ajoute une charge contre « […] les macaques de l’amitié judéo-noire […] » (2004) précisant ensuite son propos « […] Nous combattons tous ces macaques qui trahissent leurs origines, de Stéphane Pocrain à Christiane Taubira en passant par Mouloud Aounit. […] Les nationalistes sont les seuls Blancs que j’aime. […] » (Propos rapportés par Mourad Guichard, Libération, 18 janvier 2008).

Vous ne les connaissez pas, mais ils vous connaissent très bien et ont fait de vous les boucs émissaires à l’origine de tous les problèmes du monde. Enquêtes au cœur de la galaxie de l’absurde assassin.

 

Choc des civilisations et menace existentielle

Ces gens, ces propos, ne restent pas inertes, cantonnés à la sphère virtuelle : la porosité entre le virtuel et le réel est forte, comme en témoigne par exemple l’alliance de circonstance entre la Ligue de Défense Noire Africaine, mouvement suprémaciste noir microscopique en termes d’adhérents, mais très largement présent sur les réseaux sociaux, et l’association « Vérité pour Adama », dans les manifestations organisées par cette dernière contre les « violences policières ».

Les propos tenus en ligne par les ténors du french bashing se diffusent via les réseaux sociaux bien au-delà des cercles géographiques ou culturels initiaux dans lesquels ils sont produits : par capillarité ils irriguent des sphères voisines, puis se diffusent par le jeu des commentaires et des reposts dans des sphères de plus en plus éloignées. Et finissent dans les cités par donner un vernis idéologique et anti- démocratique à des malaises sociaux ou sociétaux, mais aussi à la haine de la République, de la laïcité, de l’école.

Si les atteintes à la laïcité dans les écoles et les lycées, mais aussi les universités, se multiplient, c’est aussi parce que les réseaux sociaux démultiplient à l’infini les thèses les plus extrémistes, dont beaucoup sont destinées préférentiellement aux populations du Sahel, mais sont récupérées au passage par des membres de diasporas, qui restent à l’écoute de ce qui se passe dans leur pays d’origine, et en irriguent ensuite les conversations à la maison, transmettant en France via leurs enfants jeunes adultes ou adolescents le narratif d’intolérance et de haine qui sont le pain quotidien de ces réseaux sociaux.

Il n’y a plus du frontière entre le local et le global : ce qui est local est global, ce qui est global s’incarne dans du local. Comme il n’y a plus de frontière entre le virtuel et le réel. Nous sommes entrés dans un monde hyper-performatif : hier on disait « dire c’est faire ! » aujourd’hui nous sommes dans un âge où « Lire c’est faire ! » comme les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard nous l’ont montré.

Les voies migratoires sont autant de canaux de diffusion physiques des propos anti-démocratiques, anti-occidentaux et anti-mondialistes tenus sur les réseaux sociaux et auxquels sont littéralement biberonnés les jeunes des grandes métropoles du Sahel, mais aussi ceux des « quartiers », c’est-à-dire les grandes banlieues des métropoles françaises.

Les propos tenus sur les réseaux sociaux destinés aux populations sahéliennes sont rarement produits au Sahel : ainsi Alain Foka, ancien journaliste de Radio France Internationale (RFI), qui après avoir soutenu la chute des régimes démocratiques au Burkina Faso, au Mali et au Niger, et avoir lui aussi fait le déplacement à Bamako, et après son récent départ de RFI s’est illustré au Togo, dictature familiale de la famille Gnasimbé, y a inauguré sa nouvelle entreprise de média, s’interroge ou feint de s’interroger : « Pourquoi la jeunesse africaine rejette l’Occident ? ».

Ou bien @La guêpe, sur X, installée aux États-Unis, ou Fenelon Massala (@rfemassala sur X) installé en Belgique…

La fabrique du french bashing et de la haine de l’Occident est largement produite en Occident. Le cas d’Alain Foka est loin d’être un cas isolé : Claudy Siarr, chroniqueur culture sur RFI et animateur de l’emblématique émission de RFI « Couleurs tropicales » s’est, lui aussi, sur les réseaux sociaux fait une spécialité de défendre le narratif russe dans la guerre en Ukraine, comme de soutenir le régime dictatorial en Centrafrique…

 

La coalescence des galaxies du french bashing : le suprémacisme noir…

Ils sont légion. Mais ils ne sont ni inconnus ni insaisissables. Derrière l’armée des petites mains qui officie sous pseudos sur les réseaux sociaux, et bien sûr derrière l’armée des bots issus des fermes à trolls souvent d’obédience russe (mais parfois chinois ou même iraniens), il y a des têtes d’affiche du french bashing. Et ceux-là, non seulement sont très connus, mais vivent et existent grâce à leurs outrances sur les réseaux sociaux.

Certains d’entre eux vivent et s’enrichissent de cette guerre informationnelle. Par le biais de partis politiques et d’organisations non gouvernementales (ONG) comme Urgences panafricanistes du franco-béninois Stellio Capo Chichi alias Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), ou d’association comme L’Institut de l’Afrique des Libertés du franco-camerounais Franklin Nyamsi, ou par le biais de sociétés : Nathalie Yamb est spécialiste en la matière, ayant fondé en Suisse, dans le Canton de Zoug, une société de consulting, et dans le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis, une société écran révélée (2021) par les Panama papers, Hutchinson Hastings Partners LLC.

Ils évoluent cependant dans des galaxies hier déconnectées, aujourd’hui en voie de coalescence.

Les tenants du kémitisme et du suprémacisme noir

La galaxie du suprémacisme noir est la première à avoir émergé sur la scène médiatique et numérique francophone. Cette galaxie est représentée en France par une myriade d’associations et quelques leaders qui se sont progressivement imposés sur une scène médiatique élargie, alors même que leurs militants se compte sur les doigts de la main. L’audience numérique d’un Sylvain Dodji Afoua, Franco-Togolais qui se fait appeler « Egountchi Behanin » du nom d’un ancien roi du Dahomey, est sans commune mesure avec le nombre d’adhérents de sa Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), moins de 250 adhérents lors de sa dissolution.

L’un des parrains de cette galaxie est le docteur Franklin Nyamsi, Franco-Camerounais, arrivé en France pour y poursuivre ses études supérieures, docteur en philosophie, professeur de l’Éducation nationale, temporairement mis à pied en 2023 pour ses propos tenus en classe, mais maintenu dans la fonction publique. Il vitupère sur les réseaux sociaux contre la France, accusée de tous les maux du continent africain. Sous le pseudonyme de Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika, ses vidéos de moins d’une minute sur Tik Tok, le réseau social chinois, sont vues des centaines de milliers de fois.

Sur sa chaîne YouTube (Plus de 300 000 abonnés) il se présente :

« […] La liberté, la dignité, Le bien- être intégral de l’humanité dans une planète harmonieuse sont mes rêves éveillés. Je veux promouvoir ici comme ailleurs, La justice. […] ».

Jamais en mal d’emphase sur lui-même, le professeur de l’Académie de Rouen n’en n’attise pas moins un feu continu sur le pays qui l’a formé et l’accueille.

C’est ainsi qu’en janvier 2024 sur sa chaîne YouTube où il rappelle son séjour au Niger et sa réception en grande pompe par les autorités militaires qui viennent de renverser le président élu Mohamed Bazoum, il présente son retour à Bamako, « Capitale de l’Alliance des États du Sahel ». Les louanges dans les commentaires sont à la mesure de l’enflure de l’ego de Franklin Nyamsi : ainsi @ognok4196 qui affirme : « […] Soyez béni, Prof Inbougique pour votre contribution louable […] » et ajoute « […] Comme toujours, vive la Russie et le GRAND POUTINE, le président du siècle […] ».

Si après, on conteste encore l’influence russe derrière la sphère suprémaciste noire…

La haine de la France n’est d’ailleurs jamais loin :

« […] nous ne pardonnons jamais à ces locodermes (sic) [Pour leucodermes id est les Blancs], qui ont osés souillés la terre de l’homme et son humanité ! Hotep professeur ! […] » déclare @deazolowry4473 tandis que @Africa_infoTV1994 affirme espérer « […] Les pays de L’A.E.S Transition jusqu’en 2100 […] ». C’est-à-dire pas d’élection jusqu’en 2100 !

Le triptyque haine des Blancs, haine de la démocratie et délire égyptologique est posé. Il fonde le discours du suprémacisme noir. Derrière ces figures d’intellectuels de l’afrocentrisme, émergent des figures plus rustres mais tout aussi populaires de militants. Comme Sylvain Dodji Afoua ou Stellio Capo Chichi.

Sylvain Dodji Afoua, né au Togo, arrivé en France à l’âge de 14 ans après le décès de son père au Togo. Il rassemble autour de son association LDNA plus de 50 000 followers sur Instagram, presque autant sur Facebook : condamné pour viol sur personne vulnérable en 2014, et incarcéré, puis pour intimidation en 2019 envers un élu public, Sylvain Dodji Afoua s’est ensuite régulièrement affiché dans les pays enclavés du Sahel victimes des coups d’État militaires, dont le Mali où il pose aux côtés d’un manifestant portant une pancarte « Mort à la France ».

Stellio Capo Chichi, connu sur les réseaux sociaux sous l’alias de Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), est lui aussi un récidiviste des condamnations, en règle générale pour incitation à la haine raciale et antisémitisme.

Il déclarait notamment :

« [Les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale de la santé sont] tenues par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur Terre. » (2009).

Les médias africains souvent situés dans l’opposition ne sont pas avares de louanges pour Stellio Capo Chichi, confinant parfois à l’admiration homo érotique.

Ainsi Joseph Akoutou (2018) dans BeninWebTV qui déclare :

« […] Ce Franco-Béninois a un physique imposant par sa taille élancée, son épaule rectangulaire, sa démarche de guerrier, son visage grave où l’on lit la fermeté, la colère, la révolte, la rage, une revendication. […] ».

L’éternel retour de la figure de l’homme providentiel.

Engagé dans la branche européenne de Nation of Islam du leader musulman américain Louis Farrakhan, il quitte plusieurs fois le mouvement et décide finalement de rompre avec les religions révélées et fonde divers groupuscules dont Tribu Ka, et maintenant l’ONG Urgences Panafricanistes. Expulsé du Sénégal puis de Côte d’Ivoire, il s’installe au Bénin, et apporte ensuite son soutien aux régimes militaires malien, puis burkinabè, et enfin nigérien. Il organise d’ailleurs un meeting à Niamey dans la foulée du coup d’État militaire perpétré contre le président élu Mohamed Bazoum.

L’ONG Urgences Panafricanistes est fondée en 2015 en partenariat avec Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo et alors en exil, et c’est sans doute là que, dans la sphère suprémaciste noire, les rapprochements commencent avec l’autre galaxie anti-France et anti-démocratie, celle des orphelins de la crise ivoirienne.

Les orphelins de la crise ivoirienne : un composite instable mais soudé par la haine de la France et une survie médiatique sur les réseaux sociaux

La galaxie des influenceurs Web issue de la crise ivoirienne est composite : pour partie elle est constituée des militants de Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire, déféré puis acquitté par la Cour Pénale Internationale (CPI) ; pour partie par les partisans de Guillaume Soro, ennemi de Laurent Gbagbo, mais revenu à de meilleurs sentiments lorsqu’il échoua à son tour dans son coup de force contre le président élu Alassane Dramane Ouattara.

Une galaxie bien fragile en apparence, mais soudée par la haine de la France et très active sur les réseaux sociaux – exil oblige – et architecturée autour de la commune haine contre Alassane Dramane Ouattara (ADO pour ses supporters). Et donc qui verse dans la haine de la France, considérée comme la garante du pouvoir et de la longévité du président ADO.

Alors qu’elle tempête en permanence sur le climat de dictature qui règnerait en Côte d’Ivoire, nombre des artisans de cette galaxie anti-France, résident pourtant en Côte d’Ivoire ou y ont résidé : c’est le cas, on l’a dit, de Stellio Capo Chichi, finalement expulsé, de Nathalie Yamb, expulsée elle aussi, c’est le cas sur X de @amir_nourdine, dit Amir Nourdine Elbachir, qui regroupe plus de 120 000 followers sur X, ou de @DelphineSankara, dit Issa Sissoko Elvis, un homme, en dépit de son pseudonyme, qui vit comme animateur de radio communautaire dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Nathalie Yamb illustre à elle seule les contours très flous d’une galaxie largement inféodée au narratif russe.

Elle est impliquée dans le scandale aux cryptomonnaies organisé par la société Global Investment Trading de Émile Parfait Simb, un autre Camerounais actuellement en fuite. Elle fait l’objet d’une plainte collective des clients de Simb Group dans l’affaire Liyeplimal, une plainte adressée au parquet fédéral du New Jersey, dans laquelle elle figure comme co-accusée aux côtés de personnalités politiques et médiatiques camerounaises. Il lui est reproché d’avoir vanté les mérites de Liyeplimal, gigantesque pyramide de Ponzi numérique, alors que les autorités de régulations financières d’Afrique centrale avaient déjà averti les usagers des irrégularités commises par les sociétés de Simb Group.

Émile Parfait Simb, actuellement mis en examen au Cameroun, et dont la société a son siège social à Dubaï, bénéficie d’un passeport diplomatique de la Centrafrique, premier pays francophone à tomber dans l’escarcelle de Wagner. Il a quitté l’Afrique, d’abord pour la Russie, puis pour une destination inconnue. Ange-Félix Taoudéra, dont les liens avec la société parapublique Wagner et avec la Russie sont forts, est étonnamment exempt de toute critique de la part de Nathalie Yamb.

Surnommée « La Dame de Sotchi » depuis son intervention en 2019 à la première édition du Forum Russie-Afrique où elle a fustigé la France, Nathalie Yamb a depuis apporté son soutien aux juntes militaires burkinabè, malienne et nigérienne, se rendant à Niamey, la capitale politique du Niger, au mois de décembre 2023 où elle est reçue en grande pompe par les nouvelles autorités militaires.

Nathalie Yamb est d’ailleurs souvent citée dans les plaintes qui la visent aux côtés de Jean-Jacques Moiffo, dit Jacky : autre ressortissant Camerounais installé en région parisienne, animateur et fondateur de la Web TV modestement appelée JMTV. Il est arrivé en France à 25 ans et est également impliqué dans la plainte déposé aux États-Unis contre Global Investment Trading SA dans le cadre du scandale Liyeplimal.

La haine de l’Occident sur les réseaux sociaux se fabrique donc d’abord en Occident, par des immigrés qui y sont accueillis et installés, et qui ne comptent visiblement pas s’installer ailleurs…

 

Les prébendiers, intellectuels et artistes en perte de vitesse : le « syndrome Maître Gims »

La recette est assez simple ; quand tu es un artiste ou un intellectuel et que tu perds de l’audience, dis une connerie et tu retrouveras ton audience et ta popularité.

On se souvient des propos lunaires de Maître Gims sur l’électricité et les anciens Égyptiens, sur les tableaux de chevaliers noirs cachés sous le Vatican dans des catacombes (?). La même chose existe bien évidemment au Sahel. Une galaxie de prébendiers de la politique s’est réveillée pour se mettre au service des régimes militaires, c’est-à-dire diffuser le narratif anti-démocratique et anti-français.

Les artistes qui se refont une seconde carrière sur le french bashing

Dernière galaxie à s’agréger à cette nébuleuse du french bashing, celle des artistes et intellectuels sahéliens, plus ou moins ringardisés, et dont la notoriété à été revigorée par leurs prises de positions publiques haineuses à l’égard de la France.

Il en est ainsi du dernier arrivé dans la galaxie des has been de la culture ouest-africaine : Doumbia Moussa Fakoly, dit Tikken Jah Fakoly, reggae man ivoirien, habitué des scènes françaises, n’en n’est pas moins un adversaire acharné, non seulement de la France, mais également de la démocratie. Dernière sortie en date, non pas un album mais une déclaration tonitruante en faveur des régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Quand on sait le sort réservé aux militaires ivoiriens envoyés dans le cadre de la MINUSMA pour protéger la base aérienne de l’ONU au Mali et retenus en otages par les autorités maliennes pendant de longs mois, le ralliement du reggae man étonne… Mais la « jeunesse » ouest-africaine est sensible à ces déclarations à l’emporte-pièces anti-françaises et anti-démocratiques.

Il n’est pas le seul artiste à avoir rallié les régimes militaires : Salif Keïta, qui avait par ses déclarations largement discrédité la démocratie malienne, a intégré le Conseil National de la Transition (CNT) institué par les putschistes maliens avant de s’en retirer pour des raisons de santé trois ans plus tard. Il n’a pourtant jamais cessé, ni avant son entrée au CNT ni après, de vitupérer contre la France et les démocraties sahéliennes, usant de son aura internationale de musicien et de chanteur pour donner une forme de légitimité populaire à la junte militaire malienne.

Las, il a dû aussi annuler en catastrophe un concert prévu à… Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire devant la bronca des réseaux sociaux ivoiriens, ulcérés de voir un des principaux propagandistes de la junte militaire malienne oser paraître devant le public ivoirien, alors que cette même junte avait retenu de longs mois des militaires ivoiriens en otages.

L’entrée de Tikken Jah Fakoly le reggae man sur la scène pro-putschiste avait aussi pour ambition de rallier le public des jeunes Ivoiriens au narratif anti-Ouattara développé par les militaires maliens : les crimes en série commis par Wagner contre les populations civiles, majoritairement peules et touarègues, les coupures d’électricité incessantes dans tout le Mali et notoirement à Bamako, le coût de l’utilisation de Wagner (près de 200 millions de dollars par an au lieu des 120 annoncés initialement, et payés essentiellement en or malien) ont toutefois largement discrédité le régime militaire de Bamako.

Des intellectuels ont également apporté une aide inattendue mais inespérée aux putschistes, notamment au Mali où une large partie de l’intelligentsia s’est ralliée au régime militaire. Aminata Dramane Traoré s’est ainsi ralliée assez facilement au régime militaire. L’Occident francophone, dans les années 1990 et 2000,  avait porté cette femme aux nues pour ses romans et essais anti-occidentaux, culture woke avant le wokisme, et on avait célébré son antimondialisme. Bien qu’elle fasse paraître la totalité de ses ouvrages en France où se trouve l’essentiel de son public, Aminata Dramane Traoré s’est fait une spécialité de dénoncer les supposés méfaits de l’Occident et de la mondialisation en Afrique et notamment au Mali.

Si son ralliement à la junte militaire malienne a surpris, c’est parce que l’engouement initial autour de ses publications avait sans doute masqué une constante dans la trajectoire politique d’Aminata Dramane Traoré : elle a servi tous les régimes et toutes les institutions : étudiante en France, professeur en Côte d’Ivoire, puis fonctionnaire de l’ONU, puis ministre de la jeune démocratie malienne, elle sert aujourd’hui le régime militaire. Il est vrai qu’Aminata Dramane Traoré a toujours su se servir et servir sa famille avant de servir la communauté.

 

Une immense lâcheté

Au Sahel aussi les consciences se sont relâchées comme des ventres. La France a soutenu, et soutient encore, nombre de personnalités qui se sont retournées contre elle, et au-delà, contre les valeurs universelles que sont la démocratie, la protection des minorités, la tolérance, et on en passe. Via des subventions, des visas, des colloques et des conférences financées sur les fonds de l’aide au développement, d’aides à la création culturelle, la France a largement contribué à nourrir des officines et des personnalités qui lui sont désormais hostiles.

En Côte d’Ivoire la situation est la même. Les propagandistes ouvertement profrançais ont fait l’objet d’une répression judiciaire qui apparaît étrange : les propagandistes prorusses sont largement préservés, seules les petites mains sont l’objet d’une surveillance et de poursuites tandis que les ténors restent aussi virulents. La faute en revient d’abord à la crainte qu’ont les régimes de s’aliéner une jeunesse désœuvrée, et qu’on espère distraire en la laissant se nourrir de haine contre un ennemi lointain. Par peur de devoir affronter le courroux de la rue si la France et au-delà l’Occident cessaient d’être le bouc émissaire commode qu’ils sont devenus.

Au-delà de la situation spécifique du Sahel et de ses relations avec la France, c’est toute une politique policière et judiciaire vis-à-vis de la diffusion et de la propagation exponentielle des fausses informations qui doit être revue.

Encore aujourd’hui, la menace que représente pour la démocratie libérale la diffusion massive de fausses informations est considérée comme une menace mineure, alors même que la presse écrite ou les émissions de radio ou de télévision, pourtant devenues des supports marginaux dans l’acte de s’informer, sont l’objet d’une surveillance tatillonne.

La loi existe pourtant pour punir ces dérives informationnelles. Encore faut-il la faire appliquer. Et bien évidemment cesser de laisser la bride sur le cou des services de coopération et d’action culturelle (et les institutions universitaires) afin de resserrer les cordons de la bourse. Lénine avait coutume de dire que le capitalisme vendrait la corde qui servirait à le pendre, au Sahel la France finance et donne les verges qui servent à la battre.

Un Sahel sang et or

Le trafic d’or représente une source de financement pour les groupes terroristes, et plus récemment pour les mercenaires russes de Wagner. De facto, cette manne renforce tous les ennemis et compétiteurs de la France en Afrique de l’Ouest. Pire, elle est un fléau pour tous les pays de la région. Certains, comme la Centrafrique et le Soudan en sombrent. D’autres, comme la Mauritanie et la République Démocratique du Congo (RDC), ripostent.

 

La ruée vers l’or sahélienne : une malédiction pour la région ?

Depuis 2012, la bande sahélienne allant de la Mauritanie à l’ouest du Soudan connaît un boom du secteur aurifère. Le mouvement s’accentue à partir de 2016. Une nouvelle ruée vers l’or voit des groupes armés s’emparer de sites d’extraction d’or artisanaux. Ils profitent de l’absence ou de la faiblesse des structures étatiques dans ces régions, à des fins de financement et de recrutement de nouveaux membres.  

Les trafics illégaux (or, migrants, armes, stupéfiants, etc.) sont un parangon géopolitique de la région. Ils catalysent tous les risques et les scléroses du Sahel et du reste de l’Afrique. Problème, ils entraînent aussi des répercussions en Europe, dont la France, qui en est un des débouchés privilégiés ; et pas uniquement les migrants. Venue d’Amérique du Sud, le Sahel voit en effet passer une part substantielle de la cocaïne à destination du Vieux Continent. 

Le trafic d’or, très rémunérateur, est la dernière mode des trafiquants et il alimente les caisses de groupes armés, qu’ils soient djihadistes ou simplement rebelles. À titre d’exemple, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance de groupes rebelles touareg formée en 2014, exploiterait des mines au nord du Mali. Sur la frontière algéro-malienne, dans la localité de Tin Zaouten, les djihadistes du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) contrôleraient également une fonderie et un site d’orpaillage. La porosité entre ces mouvements politiques ou djihadistes et les simples groupes criminels rend d’autant plus difficile la lutte contre leurs actions.

 

Wagner : les nouveaux pilleurs d’or

Le groupe de mercenaires Wagner, présent dans la bande sahélienne du Mali au Soudan en passant par la République centrafricaine, tire une partie importante de ses ressources du trafic d’or, avec des ramifications jusqu’en Mauritanie. Servant de garde prétorienne à plusieurs dirigeants de la région du Mali au Burkina Faso, le groupe Wagner profite de cette assise territoriale pour développer les trafics lui assurant ses revenus. 

Depuis son arrivée à Bamako, fin 2021, le groupe de mercenaires russes a entrepris des actions tous azimuts pour garantir sa mainmise sur l’or malien : récupération de permis miniers, création de sociétés locales, orpaillage artisanal, trafic via Dubaï. Wagner se fournit également, de façon clandestine, auprès d’orpailleurs mauritaniens, liés à des courants proches des islamistes pour revendre ensuite cet or à Bamako. Des liens étroits sont tissés avec les négociants en or de la ville, au premier rang desquels Kossa Dansoko, mais aussi des organisations proches des Frères musulmans.

Par corollaire, ce trafic contribue à financer des actions de subversions anti-françaises déployées par le groupe Wagner sur tout le continent. Sans compter ses opérations qui déstabilisent toute la région et menacent directement la sécurité de l’Europe. 

 

L’exemple congolo-émirati

Face au risque de déstabilisation que représente le trafic d’or à l’échelle internationale, en étroite imbrication avec les réseaux de criminalité transfrontaliers, plusieurs États réagissent et se donnent les moyens de lutter contre ce phénomène. Les Émirats arabes unis, place mondiale du commerce de l’or, sont régulièrement critiqués pour leur laxisme, même s’ils font le choix de fermer une grande raffinerie. Entre 2012 et 2014, Kaloti, un négociant en or basé à Dubaï est accusé d’acheter de l’or à des réseaux criminels internationaux pour blanchir de l’argent.

L’affaire du négociant Kaloti a mis en lumière les difficultés du contrôle international des transactions d’or : Kaloti a pu vendre de l’or à des grandes entreprises, y compris Apple, General Motors et Amazon, soulevant des questions sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Suite à ce scandale qui mettait en lumière des failles dans la sécurisation du commerce de l’or, les Émirats arabes unis décident d’innover en mobilisant la technologie blockchain.

En janvier 2023, la République démocratique du Congo (RDC) et les Émirats arabes unis signent un partenariat commercial qui comprend l’amélioration de la traçabilité des flux commerciaux d’or, une transparence accrue des activités du secteur, ainsi que la garantie d’un revenu pour les 30 000 mineurs artisanaux, afin de leur éviter la tentation de grossir les rangs de groupes criminels. 

 

La réponse mauritanienne

La Mauritanie, îlot de stabilité dans une région en proie aux troubles, cherche ainsi à éviter un scénario à la soudanaise, où des groupes armés d’obédience islamiste ont traité ces dernières années directement avec des acteurs étrangers et ont tenté de dépouiller le pays de ses ressources. 

En 2020, les autorités mauritaniennes ont mis sur pied un nouveau cadre pour donner un début de réglementation à l’activité des mineurs d’or indépendants, dont la production représente jusqu’à un tiers de celle des compagnies ayant pignon sur rue. Malgré cette mesure, 70% de la production d’or continuerait de quitter le territoire tous les ans via les filières de trafic trans-sahéliennes liées a des mouvements djihadistes, qui réactivent les routes commerciales multiséculaires de l’Ouest africain. 

Face à ce constat alarmant, les autorités de Nouakchott veulent durcir encore le cadre légal régissant le secteur aurifère, ce qui ne manque pas de froisser les orpailleurs, qui mènent des campagnes d’influence agressive. La solution passera probablement en partie par un démantèlement du marché noir et les réseaux de circuit informel à travers une formalisation assez soutenue de la commercialisation de la production artisanale de l’or. Les pouvoirs publics ont commencé ce travail sous le contrôle de l’Agence nationale Maaden à travers un renforcement du dispositif sécuritaire mauritanien dans cette région, mais aussi par un durcissement du dispositif juridique. Nouakchott peut déjà se prévaloir d’une « armée des sables » rompue aux exigences de son terrain et bien entraînée.

En définitive, l’expansion du trafic d’or représente un risque nouveau. Non seulement pour la stabilité et le développement des pays du Sahel, et au-delà, mais aussi pour la sécurité de l’Europe et de la France. De facto, la zone n’a jamais concentré autant de risques pour Paris et Bruxelles. Et pourtant, ce sont aujourd’hui leurs rivaux stratégiques, parfois existentiels, qui y prospèrent et contribuent à faire sombrer un peu plus la région dans le chaos.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Pourquoi le débat sur le droit du sol devrait être étendu à l’ensemble du territoire

La fin du droit du sol à Mayotte, annoncée par le ministre de l’Intérieur est une réponse qui va dans la bonne direction. N’est-ce pas l’occasion de s’interroger sur le droit à la nationalité française ?

 

La fin du droit du sol à Mayotte

En arrivant sur l’île de Mayotte, dimanche 11 février 2024, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a annoncé :

« Il ne sera plus possible de devenir Français si on n’est pas soi-même enfant de parent Français, nous couperons l’attractivité qu’il y a dans l’archipel mahorais […] Nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République ».

Ce n’est pas une surprise. Jeudi 1er février, en marge d’un évènement consacré aux Outre-mer, Gérald Darmanin avait affirmé « que le droit du sol et du sang » n’était « pas le même à Mayotte que sur le reste du territoire national », et qu’un changement constitutionnel pourrait « donner à Mayotte un sujet, de façon sécurisée, d’extraterritorialité » :

« C’est une mesure extrêmement forte, nette, radicale, qui évidemment sera circonscrite à l’archipel de Mayotte ».

Il a ajouté qu’il n’y « aura plus la possibilité d’être Français lorsqu’on vient à Mayotte de façon régulière ou irrégulière [et que] (les visas territorialisés) n’ont plus lieu d’être ».

Ces dispositifs empêchent les détenteurs d’un titre de séjour à Mayotte de venir dans l’Hexagone. Cette suppression est une des revendications des collectifs citoyens constitués pour protester contre l’insécurité et l’immigration incontrôlée.

Un projet de loi Mayotte sera étudié à l’Assemblée nationale « dans les semaines qui viennent ».

Depuis la loi asile et immigration de 2018, le droit du sol est déjà durci à Mayotte pour faire face à la très forte immigration clandestine en provenance des Comores voisines. Il est exigé pour les enfants nés à Mayotte qu’au jour de sa naissance, l’un de ses parents ait été présent de manière régulière sur le territoire national, et depuis plus de trois mois. Ailleurs en France, aucun délai de résidence n’est exigé.

 

Mais comment devient-on Français ?

La nationalité française peut être obtenue :

  • Par attribution, c’est-à-dire de façon automatique, dès la naissance ou au moment de la majorité.
  • Par acquisition, c’est-à-dire après le dépôt d’une demande évaluée par l’autorité publique.

 

Plusieurs conditions sont nécessaires à l’obtention de la nationalité (durée de résidence sur le sol français, preuves d’assimilation à la société française, etc.).

La nationalité française est attribuée à tout enfant né en France ou à l’étranger, dont au moins un des parents est Français. C’est ce que l’on appelle le « droit du sang ».

Le droit du sol permet à un enfant né en France de parents étrangers d’acquérir la nationalité française à sa majorité. Pour cela, plusieurs conditions doivent être respectées : résider en France à la date de ses 18 ans et avoir sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. Avant sa majorité, il peut acquérir la nationalité sur demande de ses parents (entre 13 et 16 ans), ou sur demande personnelle (entre 16 et 18 ans), assortie des conditions de durée de résidence en France. Dans ce cas, c’est une acquisition de la nationalité par déclaration.

Si un parent étranger, mais né en France, a un enfant sur le sol français, celui-ci bénéficie du droit du sol et donc de la nationalité française à sa naissance. C’est le double droit du sol.

La naturalisation est un mode d’acquisition de la nationalité française qui se fait par décision de l’autorité publique (décret) et est accordée sous certaines conditions. Tout étranger majeur, résidant habituellement sur le sol français depuis au moins cinq ans, peut demander à être naturalisé. La décision est prise de façon discrétionnaire par l’administration qui peut refuser la naturalisation, même si les conditions sont réunies.

Depuis 2006, un étranger uni à un conjoint français depuis quatre ans et justifiant d’une communauté de vie affective et matérielle réelle peut réclamer la nationalité française par mariage.

 

Une annonce de bon sens qui ouvre le débat sur le droit du sol

Cette annonce soulève plusieurs questions : que faire pour lutter contre les fausses déclarations de paternité ? Pourquoi le gouvernement n’a pas également annoncé une restriction du droit du sol en Guyane, confrontée à un phénomène analogue, avec notamment une immigration importante en provenance du Suriname ? Pourquoi limiter le débat à ce département ? Pourquoi, quand les enfants nés en France de parents étrangers accèdent à la nationalité française à 13 ou 16 ans, ne vérifie-t-on pas qu’ils remplissent les conditions d’assimilation ?

Le droit français de la nationalité mériterait d’être revisité, notamment en généralisant la condition d’assimilation (et à renforcer pour les modes d’acquisition, à savoir la naturalisation et le mariage). Juridiquement possible, il ne paraît pas souhaitable de supprimer le droit du sol au risque de remettre en cause le contrat social entre la Nation et le ressortissant étranger.

La question de l’immigration et des droits est différente, beaucoup d’immigrés résident en France via un titre de séjour, et ils ne demandent pas la nationalité française. Les problèmes liés à l’immigration clandestine et le travail dissimulé nécessitent d’autres réponses. Il ne faut pas tout mélanger !

Autopiégés par les deepfakes : où sont les bugs ?

Par Dr Sylvie Blanco, Professor Senior Technology Innovation Management à Grenoble École de Management (GEM) & Dr. Yannick Chatelain Associate Professor IT / DIGITAL à Grenoble École de Management (GEM) & GEMinsights Content Manager.

« C’est magique, mais ça fait un peu peur quand même ! » dit Hélène Michel, professeur à Grenoble École de management, alors qu’elle prépare son cours « Innovation et Entrepreneuriat ».

Et d’ajouter, en riant un peu jaune :

« Regarde, en 20 minutes, j’ai fait le travail que je souhaite demander à mes étudiants en 12 heures. J’ai créé un nouveau service, basé sur des caméras high tech et de l’intelligence artificielle embarquée, pour des activités sportives avec des illustrations de situations concrètes, dans le monde réel, et un logo, comme si c’était vrai ! Je me mettrai au moins 18/20 ».

Cet échange peut paraître parfaitement anodin, mais la possibilité de produire des histoires et des visuels fictifs, perçus comme authentiques – des hypertrucages (deepfakes en anglais) – puis de les diffuser instantanément à l’échelle mondiale, suscitant fascination et désillusion, voire chaos à tous les niveaux de nos sociétés doit questionner. Il y a urgence !

En 2024, quel est leur impact positif et négatif ? Faut-il se prémunir de quelques effets indésirables immédiats et futurs, liés à un déploiement massif de son utilisation et où sont les bugs ?

 

Deepfake : essai de définition et origine

En 2014, le chercheur Ian Goodfellow a inventé le GAN (Generative Adversarial Networks), une technique à l’origine des deepfakes.

Cette technologie utilise deux algorithmes s’entraînant mutuellement : l’un vise à fabriquer des contrefaçons indétectables, l’autre à détecter les faux. Les premiers deepfakes sont apparus en novembre 2017 sur Reddit où un utilisateur anonyme nommé « u/deepfake » a créé le groupe subreddit r/deepfake. Il y partage des vidéos pornographiques avec les visages d’actrices X remplacés par ceux de célébrités hollywoodiennes, manipulations reposant sur le deep learning. Sept ans plus tard, le mot deepfake est comme entré dans le vocabulaire courant. Le flux de communications quotidiennes sur le sujet est incessant, créant un sentiment de fascination en même temps qu’une incapacité à percevoir le vrai du faux, à surmonter la surcharge d’informations de manière réfléchie.

Ce mot deepfake, que l’on se garde bien de traduire pour en préserver l’imaginaire technologique, est particulièrement bien choisi. Il contient en soi, un côté positif et un autre négatif. Le deep, de deep learning, c’est la performance avancée, la qualité quasi authentique de ce qui est produit. Le fake, c’est la partie trucage, la tromperie, la manipulation. Si on revient à la réalité de ce qu’est un deepfake (un trucage profond), c’est une technique de synthèse multimédia (image, son, vidéos, texte), qui permet de réaliser ou de modifier des contenus grâce à l’intelligence artificielle, générant ainsi, par superposition, de nouveaux contenus parfaitement faux et totalement crédibles. Cette technologie est devenue très facilement accessible à tout un chacun via des applications, simples d’utilisations comme Hoodem, DeepFake FaceSwap, qui se multiplient sur le réseau, des solutions pour IOS également comme : deepfaker.app, FaceAppZao, Reface, SpeakPic, DeepFaceLab, Reflect.

 

Des plus et des moins

Les deepfakes peuvent être naturellement utilisés à des fins malveillantes : désinformation, manipulation électorale, diffamation, revenge porn, escroquerie, phishing…

En 2019, la société d’IA Deeptrace avait découvert que 96 % des vidéos deepfakes étaient pornographiques, et que 99 % des visages cartographiés provenaient de visages de célébrités féminines appliqués sur le visage de stars du porno (Cf. Deep Fake Report : the state of deepfakes landscape, threats, and impact, 2019). Ces deepfakes malveillants se sophistiquent et se multiplient de façon exponentielle. Par exemple, vous avez peut-être été confrontés à une vidéo où Barack Obama traite Donald Trump de « connard total », ou bien celle dans laquelle Mark Zuckerberg se vante d’avoir « le contrôle total des données volées de milliards de personnes ». Et bien d’autres deepfakes à des fins bien plus malveillants circulent. Ce phénomène exige que chacun d’entre nous soit vigilant et, a minima, ne contribue pas à leur diffusion en les partageant.

Si l’on s’en tient aux effets médiatiques, interdire les deepfakes pourrait sembler une option.
Il est donc important de comprendre qu’ils ont aussi des objectifs positifs dans de nombreuses applications :

  • dans le divertissement, pour créer des effets spéciaux plus réalistes et immersifs, pour adapter des contenus audiovisuels à différentes langues et cultures
  • dans la préservation du patrimoine culturel, à des fins de restauration et d’animation historiques 
  • dans la recherche médicale pour générer des modèles de patients virtuels basés sur des données réelles, ce qui pourrait être utile dans le développement de traitements 
  • dans la formation et l’éducation, pour simuler des situations réalistes et accroître la partie émotionnelle essentielle à l’ancrage des apprentissages

 

Ainsi, selon une nouvelle étude publiée le 19 avril 2023 par le centre de recherche REVEAL de l’université de Bath :

« Regarder une vidéo de formation présentant une version deepfake de vous-même, par opposition à un clip mettant en vedette quelqu’un d’autre, rend l’apprentissage plus rapide, plus facile et plus amusant ». (Clarke & al., 2023)

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment avons-nous mis au point et démocratisé des outils technologiques de manière aussi peu appropriée, au sens de E.F. Schumacher (1973) dans son ouvrage Small is Beautiful : A Study of Economics as If People Mattered.

L’idée qu’il défend est celle d’une technologie scientifiquement éprouvée, à la fois adaptable aux besoins spécifiques de groupes d’utilisateurs clairement identifiés, et acceptables par toutes les parties prenantes de cette utilisation, tout au long de son cycle de vie, sans dégrader l’autonomie des communautés impliquées.

Considérons la période covid. Elle a très nettement favorisé une « aliénation des individus et des organisations à la technologie », entraînant des phénomènes de perte de contrôle et de confiance face à des utilisations non appropriées du numérique profitant de la vulnérabilité des citoyens (multiplication des arnaques santé par exemple). Ils se sont trouvés sur-sollicités et noyés sous un déluge de contenus, sans disposer des ressources nécessaires pour y faire face de manière pérenne et sécurisée. Avec l’IA générative et la prolifération des deepfakes, le défi d’échapper à la noyade et d’éviter d’être victime de manipulations devient démesuré !

La mécanique allant de la technologie à la société est (toujours) bien ancrée dans la théorie de Schumpeter datant du début du XXe siècle : les efforts et les investissements dans la technologie génèrent du développement économique par l’innovation et la productivité, qui se traduit ensuite en progrès social, par exemple, par la montée du niveau d’éducation. La question de l’adoption de la technologie par le marché de masse est un élément central de la réussite des acteurs économiques.

Comme le souligne très bien le philosophe Alain Damasio, les citoyens adoptent les solutions numériques (faciles d’utilisation et accessibles) et se réfugient dans un « techno-cocon » pour trois raisons principales :

  1. La paresse (les robots font à leur place)
  2. La peur associée à l’isolement (on a un réseau mondial d’amis)
  3. Les super-pouvoirs (le monde à portée de main avec son smartphone)

 

Cela s’applique parfaitement à l’IA générative : créer des contenus sans effort, presque instantanément, avec un résultat d’expert. Ainsi, dans le fantasme collectif, eu égard à la puissance réelle et exponentielle des outils disponibles, nous voilà bientôt tous écrivains, tous peintres, tous photographes, tous réalisateurs… nous voilà capables de produire en quelques minutes ce qui a priori nous aurait demandé des heures. Et dans le même temps, nous servons à l’amélioration continue des performances de ces technologies, au service de quelques grandes entreprises mondiales.

 

Deepfakes : où est le bug ?

Si le chemin vers la diffusion massive de l’IA générative est clair, éprouvé et explicable, d’où vient la crise actuelle autour des deepfake ? L’analyse des mécanismes de diffusion fait apparaître deux bugs principaux.

Le premier bug

Il s’apparente à ce que Nunes et al. (2014) appelle le phénomène « big bang disruption ».

La vitesse extrêmement rapide à laquelle se déploient massivement certaines applications technologiques ne laisse pas le temps de se prémunir contre ses effets indésirables, ni de se préparer à une bonne appropriation collective. On est continuellement en mode expérimentation, les utilisateurs faisant apparaître des limites et les big techs apportant des solutions à ces problèmes, le plus souvent technologiques. C’est la course à la technologie – en l’occurrence, la course aux solutions de détection des deepfakes, en même temps que l’on tente d’éduquer et de réglementer. Cette situation exige que l’on interroge notre capacité à sortir du système établi, à sortir de l’inertie et de l’inaction – à prendre le risque de faire autrement !

Le second bug

Selon Schumpeter, la diffusion technologique produit le progrès social par l’innovation et l’accroissement de la productivité ; mais cette dynamique ne peut pas durer éternellement ni s’appliquer à toutes technologies ! Si l’on considère par exemple la miniaturisation des produits électroniques, à un certain stade, elle a obligé à changer les équipements permettant de produire les puces électroniques afin qu’ils puissent manipuler des composants extrêmement petits. Peut-on en changer l’équipement qui sert à traiter les contenus générés par l’IA, c’est-à-dire nos cerveaux ? Doivent-ils apprendre à être plus productifs pour absorber les capacités des technologies de l’IA générative ? Il y a là un second bug de rupture cognitive, perceptive et émotionnelle que la société expérimente, emprisonnée dans un monde numérique qui s’est emparée de toutes les facettes de nos vies et de nos villes.

 

Quid de la suite : se discipliner pour se libérer du péril deepfake ?

Les groupes de réflexion produisant des scénarii, générés par l’IA ou par les humains pleuvent – pro-techno d’une part, pro-environnemental ou pro-social d’autre part. Au-delà de ces projections passionnantes, l’impératif est d’agir, de se prémunir contre les effets indésirables, jusqu’à une régression de la pensée comme le suggère E. Morin, tout en profitant des bénéfices liés aux deepfakes.

Face à un phénomène qui s’est immiscé à tous les niveaux de nos systèmes sociaux, les formes de mobilisation doivent être nombreuses, multiformes et partagées. En 2023 par exemple, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a mandaté le pôle de compétitivité Minalogic et Grenoble École de management pour proposer des axes d’action face aux dangers des deepfakes. Un groupe d’experts* a proposé quatre axes étayés par des actions intégrant les dimensions réglementaires, éducatives, technologiques et les capacités d’expérimentations rapides – tout en soulignant que le levier central est avant tout humain, une nécessité de responsabilisation de chaque partie prenante.

Il y aurait des choses simples que chacun pourrait décider de mettre en place pour se préserver, voire pour créer un effet boule de neige favorable à amoindrir significativement le pouvoir de malveillance conféré par les deepfakes.

Quelques exemples :

  • prendre le temps de réfléchir sans se laisser embarquer par l’instantanéité associée aux deepfakes 
  • partager ses opinions et ses émotions face aux deepfakes, le plus possible entre personnes physiques 
  • accroître son niveau de vigilance sur la qualité de l’information et de ses sources 
  • équilibrer l’expérience du monde en version numérique et en version physique, au quotidien pour être en mesure de comparer

 

Toutefois, se pose la question du passage à l’action disciplinée à l’échelle mondiale !

Il s’agit d’un changement de culture numérique intrinsèquement long. Or, le temps fait cruellement défaut ! Des échéances majeures comme les JO de Paris ou encore les élections américaines constituent des terrains de jeux fantastiques pour les deepfakes de toutes natures – un chaos informationnel idoine pour immiscer des informations malveillantes qu’aucune plateforme media ne sera en mesure de détecter et de neutraliser de manière fiable et certaine.

La réalité ressemble à un scénario catastrophe : le mur est là, avec ces échanges susceptibles de marquer le monde ; les citoyens tous utilisateurs d’IA générative sont lancés à pleine vitesse droit dans ce mur, inconscients ; les pilotes de la dynamique ne maîtrisent pas leur engin supersonique, malgré des efforts majeurs ! Pris de vitesse, nous voilà mis devant ce terrible paradoxe : « réclamer en tant que citoyens la censure temporelle des hypertrucages pour préserver la liberté de penser et la liberté d’expression ».

Le changement de culture à grande échelle ne peut que venir d’une exigence citoyenne massive. Empêcher quelques bigs techs de continuer à générer et exploiter les vulnérabilités de nos sociétés est plus que légitime. Le faire sans demi-mesure est impératif : interdire des outils numériques tout comme on peut interdire des médicaments, des produits alimentaires ou d’entretien. Il faut redonner du poids aux citoyens dans la diffusion de ces technologies et reprendre ainsi un coup d’avance, pour que la liberté d’expression ne devienne pas responsable de sa propre destruction.

Ce mouvement, le paradoxe du ChatBlanc, pourrait obliger les big techs à (re)prendre le temps d’un développement technologique approprié, avec ses bacs à sable, voire des plateformes dédiées pour les créations avec IA. Les citoyens les plus éclairés pourraient avoir un rôle d’alerte connu, reconnu et effectif pour décrédibiliser ceux qui perdent la maîtrise de leurs outils. Au final, c’est peut-être la sauvegarde d’un Internet libre qui se joue !

Ce paradoxe du ChatBlanc, censurer les outils d’expression pour préserver la liberté d’expression à tout prix trouvera sans aucun doute de très nombreux opposants. L’expérimenter en lançant le mois du ChatBlanc à l’image du dry january permettrait d’appréhender le sujet à un niveau raisonnable tout en accélérant nos apprentissages au service d’une transformation culturelle mondiale.

 

Lucal Bisognin, Sylvie Blanco, Stéphanie Gauttier, Emmanuelle Heidsieck (Grenoble Ecole de Management) ; Kai Wang (Grenoble INP / GIPSALab / UGA), Sophie Guicherd (Guicherd Avocat), David Gal-Régniez, Philippe Wieczorek (Minalogic Auvergne-Rhône-Alpes), Ronan Le Hy (Probayes), Cyril Labbe (Université Grenoble Alpes / LIG), Amaury Habrard (Université Jean Monnet / LabHC), Serge Miguet (Université Lyon 2 / LIRIS) / Iuliia Tkachenko (Université Lyon 2 / LIRIS), Thierry Fournel (Université St Etienne), Eric Jouseau (WISE NRJ).

Paris vaut mieux qu’un coup de comm’

Une fois de plus, Anne Hidalgo a transformé deux bonnes idées en un échec cinglant. Les Parisiens expriment depuis longtemps leur souhait d’être écoutés par leurs élus sur des enjeux locaux au cours du long mandat municipal de six ans. C’est particulièrement vrai pour les enjeux de densification et de mobilité qui sont au cœur du dynamisme d’une ville comme le rappelle Alain Bertaud, urbaniste de renommée mondiale et directeur de recherche à l’Université de New York. Il n’était a priori pas absurde de solliciter les Parisiens sur ces sujets.

La consultation sur le coût du stationnement des véhicules lourds a pourtant fait un flop avec 78 000 votes sur 1,3 million d’inscrits, soit 30 % de suffrages exprimés en moins que pour la consultation sur les trottinettes. 42 415 voix en faveur de la proposition, c’est presque deux fois plus de bulletins que pour Anne Hidalgo à la présidentielle. Ce nombre de votes reste néanmoins ridicule à l’échelle de la capitale. Chaque bulletin dans l’urne a coûté plus de cinq euros au contribuable parisien dans ce scrutin à 400 000 euros.

Rappelons-nous que cette idée de consultation est sortie du chapeau municipal en pleine tempête du Tahiti Gate. Malgré la tragédie du 7 octobre libérant une vague effrayante d’actes antisémites à Paris, la maire de Paris était partie en Afrique, puis en catimini à l’autre bout du monde, le tout pour quasiment quatre semaines (du 11 octobre au 6 novembre). Son service de comm’ avait tenté de maquiller son absence par la reprise d’une vieille vidéo sur les berges. Il avait ensuite déroulé des justifications confuses, variant les versions au fil de révélations sur cette odyssée à six pour un coût de 60 000 euros se terminant par des vacances familiales pour la maire. Il est probable que la formulation de la question a été improvisée dans l’urgence sur un coin de table pour détourner de toute urgence l’attention des médias.

La mairie n’avait évidemment pas eu le temps de réaliser une étude d’impact préalable, ni de réfléchir à une proposition pertinente et conforme à la loi. Il fallait communiquer fort et vite. Les habitants se sont sentis floués par l’ineptie de la question. Dans le viseur se trouvait le poids des véhicules (ce qui semble illégal, au passage) et pas du tout les émissions de CO2 ou les seuls SUV, comme annoncé. Le surcoût punitif prévu, jusqu’à 225 euros de stationnement pour six heures, visait aussi les véhicules hybrides et électriques. Le débat, réduit à quelques semaines d’échanges sur les réseaux sociaux et son lot d’intox, a tout de même révélé que la mesure allait faire mal aux familles possédant ces fameux véhicules disposant de cinq, six ou sept sièges, souvent lourds (monospaces ou SUV).

La gauche espérait réactiver la lutte des classes en opposant les riches aux classes populaires, et ajouter une dimension d’écologie punitive également clivante. Elle a très partiellement atteint son but en soulignant l’opposition entre l’ouest parisien majoritairement opposé, et l’est favorable à ce triplement tarifaire. Mais en ne mobilisant que 3 % des inscrits en faveur de sa mesure, le score de 54,5 % n’a rien d’un plébiscite. Anne Hidalgo doit admettre qu’elle s’est plantée.

Après avoir ignoré le résultat de sa consultation du 17 avril au 28 mai 2023 sur la fermeture d’une voie du périph’ qui avait révélé 85 % d’opposition, elle gâche une fois de plus un bel outil de démocratie directe. L’enjeu de la mobilité méritait mieux qu’une mesure gadget pour un simple coup de communication.

Nous sommes plusieurs à réfléchir à l’instauration d’un outil de vote en ligne pour consulter les Parisiens. Des questions claires concernant Paris et les arrondissements pourraient ainsi être adressées régulièrement aux habitants inscrits sur les listes électorales. Un tel cadre devrait laisser le temps nécessaire au débat entre la question posée et le vote afin que chacun puisse écouter les différents arguments et creuser le sujet pour se constituer une opinion.

La Suisse pourrait nous aider dans la mise en place d’un tel outil de démocratie directe en complément de la démocratie représentative municipale. Le taux de participation à ses votations oscille entre 40 et 60 % selon l’intérêt des sujets soumis à l’appréciation des électeurs.

Cet outil nous semble important pour affiner la politique parisienne de circulation qui nous préoccupe tant. Les habitants sont nombreux à souhaiter une réduction de la place de la voiture, mais tous souffrent des désagréments dus au chaos découlant du dogmatisme de la mairie de Paris et de ses plans infernaux de circulation. Les aspirations contradictoires deviennent explosives par le stress général qu’elles génèrent, par leurs conséquences sur l’activité sociale et économique de la capitale. Des consultations seront probablement nécessaires pour détricoter ces injonctions contradictoires et élaborer un plan de mobilité d’ensemble avant de le dérouler en fonction des exigences dominantes quartier par quartier. Axes circulants, quartiers protégés, rues piétonnisées pour préserver un marché alimentaire ou une école, stationnement en surface articulé avec celui des parkings souterrains, les aspects liés à traiter ensemble sont nombreux.

Bref, l’enjeu de la mobilité ne peut se réduire à des mesures gadgets promises au rejet par la justice administrative, d’autant que le dogmatisme et l’improvisation font très mauvais ménage. L’absence de vision d’ensemble, d’évaluation et de concertation mène la capitale et la petite couronne à la catastrophe. Le seul espoir est de changer de trajectoire aux prochaines municipales en 2026.

Poutine, Tucker Carlson et les bananes

La Russie de Poutine sera privée de bananes, considérées là-bas comme une source importante et peu chère de vitamines et de protéines. C’est le surprenant effet indésirable du transfert par l’Équateur aux États-Unis de six systèmes de missiles anti-aériens Osa-AKM, qui devraient ensuite être transférés à l’Ukraine. En contrepartie, les États-Unis fourniront à l’Équateur de nouveaux systèmes de défense aérienne américains, accompagnés d’une formation, d’un soutien, de pièces de rechange et d’une assistance technique continue.

En effet, pour contourner le refus des Républicains de voter une enveloppe d’aide à l’Ukraine, Joe Biden cherche partout sur la planète des armements qui pourraient être livrés au pays victime de la barbarie de Poutine, en les faisant transiter par les États-Unis.

Mais… Quel rapport avec les bananes ? 

Le rapport, c’est la stupidité des dirigeants russes qui, à l’annonce de cette information, ont décidé de boycotter l’Équateur qui était jusqu’alors leur principal, sinon l’unique fournisseur (92 à 98 %) de ce fruit dont la forme fait penser à un boomerang allongé.

Comble de l’hypocrisie, le Kremlin a « envoyé Rosselkhoznadzor, son service de contrôle phytosanitaire, vérifier la prochaine livraison de bananes de cinq grandes entreprises agricoles équatoriennes et y a trouvé une mouche à bosse polyphage. »

La Russie espère pouvoir se tourner vers l’Inde, mais les prix ne seraient pas aussi avantageux et rien n’est sûr au niveau des quantités.

Il est vrai cependant que la Russie dispose de milliards de roupies dans les coffres de New Delhi, produits de la vente de pétrole, dont elle ne sait que faire, à cause de l’inconvertibilité en dollars américains des deux devises.

Et la banane est aussi un sujet sociologique en Russie, rien de mieux pour le comprendre que de lire ce qu’un Russe en pense sur Télégram, avec un humour réaliste :

« Le problème ici, ce sont les bananes. Pour les Russes, elles sont devenues un produit de base. L’une des sources les plus accessibles non seulement d’énergie, mais aussi de vitamines et de minéraux. Du calcium, du fer.

L’autre aspect du problème est socio-économique. Pour des segments importants de la population, la banane reste le mets délicat et le dessert le plus abordable. Les ananas et les mangues, vous le savez, sont plus chers, et les oranges le sont désormais aussi. Il s’avère donc que pour les couches sociales les moins riches, la banane la plus ordinaire est le symbole d’un succès minime. Puisque vous pouvez vous permettre une banane, cela signifie que vous n’êtes pas un complet perdant ni un mendiant. »

La liste des pénuries alimentaires va s’allonger pour le pauvre peuple russe opprimé : œufs, viande de bœuf et de poulet, et maintenant bananes.

Sans parler des berlines allemandes, françaises ou japonaises dont ils étaient si fiers de se porter acquéreurs. Pendant ce temps, l’Ukraine inonderait l’Europe de ses poulets et de ses œufs à des prix imbattables. Un comble ! Mais elle ne produit pas encore de bananes.

 

Tucker Carlson, le trumpiste poutiniste

Le célèbre chroniqueur trumpiste expert en fakes et en provocation, qui était arrivé en Russie pour interviewer le maître du Kremlin, n’est pas le bienvenu pour une partie des Russes, qui s’en émeuvent sur les réseaux sociaux, tandis que les ultranationalistes plus fascistes que Poutine lui-même – on peut se demander comment c’est possible – se réjouissent par avance du tort de ce que son travail de sape pourrait faire à Joe Biden.

« Et pourquoi un tel amour pour ce colporteur de faux de haut vol, qui a été licencié de Fox News pour des dommages s’élevant à un milliard de dollars, précisément à cause d’allégations mensongères » s’interrogent les Russes raisonnables, ceux qui ont su préserver leur esprit des ravages de la propagande institutionnelle orchestrée par le FSB ex-KGB.

Le Kremlin a confirmé que Carlson avait bien rencontré le dictateur russe, Poutine ne pouvant bien sûr pas rater cette occasion de faire un pied de nez à l’adversaire de son allié objectif, Donald Trump.

Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré que les médias occidentaux n’essayaient même plus de paraître impartiaux dans leurs reportages sur la Russie, et qu’ils n’avaient plus envie de communiquer directement avec de tels médias.

Il est vrai qu’en matière d’impartialité, la Russie de Poutine coche toutes les (mauvaises) cases.

Le trublion du paysage médiatique américain a annoncé qu’il publierait son interview le 9 février sur son site internet.

Par ailleurs, Carlson prévoit de se rendre à Kyiv pour réaliser une interview, car selon lui, « toutes les interviews précédentes du dirigeant ukrainien avec les médias américains n’étaient pas du journalisme, mais de la propagande. »

À moins qu’un mandat d’arrêt ne soit opportunément lancé… Mais l’Union européenne ne semble pas l’envisager.

Crise agricole : la France victime de son zèle écologique

Les Gilets verts ont bloqué le pays avec leurs tracteurs en demandant notamment que l’on n’importe pas ce que l’on interdit en France. Leurs revendications ont également porté sur l’accès à l’eau et sur la rigueur des normes environnementales françaises, qui seraient plus exigeantes que celles de leurs concurrents.

C’est la hausse du prix du gazole agricole qui a mis le feu aux poudres, en reproduisant les mêmes effets que la taxe carbone sur tous les carburants, qui avait initié le mouvement des Gilets jaunes cinq ans plus tôt.

Cette colère paysanne qui embrase l’Europe n’est pas une spécificité nationale, elle est révélatrice d’un mal bien français, lequel a exacerbé des tensions déjà existantes, tout en illustrant la difficulté de conjuguer les aspirations écologistes aux réalités économiques.

 

La stratégie du gouvernement pour maîtriser la grogne agricole : maîtriser l’incendie

Alors que Bruxelles vient de proposer un assouplissement sur les jachères et un système de frein d’urgence aux importations d’Ukraine, le gouvernement a entendu la colère des agriculteurs et réagi rapidement.

Par-delà le soutien financier de 400 millions d’euros promis par Gabriel Attal, dont un décret immédiat sur le prix du gazole agricole, et un autre portant sur l’indemnisation d’éleveurs concernés par la maladie hémorragique épizootique, la mise en pause du plan Écophyto 2030, qui était notamment destiné à transcrire les objectifs contraignants du programme européen « Farm to Fork », a participé à rassurer, du moins provisoirement, de nombreux agriculteurs, qui ont aussitôt levé les barrages. 

La colère des agriculteurs avait éclaté en Allemagne en décembre 2023 en raison de la suppression d’avantages fiscaux sur le gazole qui permettaient au gouvernement de récupérer un petit milliard sur les 60 milliards d’euros de trou, résultant de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale sur l’inconstitutionnalité de l’affectation de la dette contractée lors de la crise du covid, et non utilisée.

Comme en France, cette mesure de trop a révélé le mal-être des agriculteurs et leur exaspération liée à l’accumulation de réglementations trop contraignantes. Mais outre-Rhin, comme en Suisse ou en Italie, la mobilisation ne faiblit pas.

En France, le recul du gouvernement sur les pesticides a provoqué la colère de nombreux défenseurs de l’environnement.

 

L’excédent agricole français à la loupe

Une étude Insee de 2019 a montré qu’au cours de ces 40 dernières années, le nombre d’agriculteurs français a été divisé par quatre.

Selon les chiffres Insee du commerce extérieur de 1949 à 2022, c’est pourtant sur cette période que la France a commencé à dégager progressivement un solde exportateur de son agriculture et industrie agroalimentaire, avec son premier excédent commercial respectivement de 0,3 milliard d’euros et 0,8 milliard d’euros en 1980. Après une montée en puissance progressive, ce solde exportateur net a peu varié depuis 2000, où il était de 9,4 milliards d’euros  jusqu’aux 10,6 milliards de 2022. Les importations ont cependant plus que doublé, sur cette même période, parallèlement aux exportations.

C’est ainsi que l’agriculture française a battu son record d’exportations en 2022 avec 85,3 milliards d’euros, en même temps que celui des importations, qui était de 74,7 milliards.  

Ces records de 2022 doivent être compris à la lumière de deux paramètres majeurs.

Premièrement, la flambée des cours liée à la crise ukrainienne a gonflé les chiffres en faussant la perception des volumes exportés. De nombreuses filières ont ainsi vu leur solde exportateur progresser malgré une baisse du volume exporté, notamment la filière « viande et abats comestibles » dont les exportations ont progressé de 12 % en valeur malgré un recul de 6 % de leur volume, ainsi que le détaille l’établissement national FranceAgrimer.

Deuxièmement, son analyse montre que sans les vins et spiritueux, dont le solde est exportateur de 14,9 milliards, la rubrique produits transformés serait déficitaire de 9,4 milliards.

La France maintient ainsi son sixième rang mondial d’exportateur de produits agricoles et agroalimentaires malgré un solde déficitaire de la plupart des secteurs qui nourrissent les Français et représentent l’agriculture dans l’inconscient collectif, avec :

  • – 7 milliards pour les fruits et légumes,
  • – 5,5 milliards pour la pêche et l’aquaculture,
  • – 3 milliards pour la viande,
  • – 1 milliard pour les oléagineux.

 

Outre les vins et spiritueux, ce sont les céréales et les produits laitiers qui portent l’essentiel du solde exportateur.

 

Les effets néfastes de l’exemplarité

« N’importons pas ce que l’on interdit en France ».

Ce slogan, placardé sur un tracteur d’agriculteur en colère, illustre le manque de recul qui consiste à condamner sans concession toute empreinte de l’activité humaine sur notre environnement sans prendre en compte les conséquences que cet intégrisme implique sur l’économie du pays, ainsi d’ailleurs que sur ce qu’on aura, in fine, dans l’assiette. Car en pénalisant nos agriculteurs qui respectent des normes strictes, on favorise l’importation de produits qui ne les respectent pas. Le bilan de cette volonté de donner un exemple irréprochable au sein de notre microcosme devient contreproductif au niveau de la planète.

La colère qui avait fait descendre les Gilets jaunes dans la rue en novembre 2018 avait été déclenchée par la même raison que celle de nos Gilets verts : la hausse du prix de leur carburant.  

Car l’ambition de sa taxe carbone l’écartait de plusieurs principes clairement établis par la plupart des économistes, notamment la nécessité de la redistribution de ses recettes. Et surtout, cette taxe faisait l’impasse d’une taxe aux frontières concernant toute importation qui y aurait échappé dans son pays d’origine. L’Organisation mondiale du commerce ouvre pourtant la porte à l’instauration d’une telle taxe en raison de son motif environnemental. 

Sans cette taxe aux frontières, la taxation du carbone a logiquement incité la délocalisation d’industries vers des pays qui ne l’imposent pas, et dont les conditions de production sont plus polluantes que les nôtres. Ce qui entraîne des effets doublement négatifs, à la fois pour le climat et pour l’économie du pays, en dégradant sa balance commerciale.

Depuis que la tribune L’Europe et le carbone exposait sa nécessité en 2019, cette taxe carbone aux frontières vient enfin d’entrer timidement en vigueur dans une phase transitoire au 1er octobre 2023. Dans son annonce, le gouvernement constate que « la mise en œuvre de mesures climatiques contraignantes, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), dans une seule région du monde (ex : le marché carbone dans l’Union européenne) entraîne une augmentation des émissions de GES dans le reste du monde ».

On ne saurait que se réjouir de cette prise de conscience, quelque tardive qu’elle soit. Il convient de ne pas reproduire la même erreur avec l’agriculture. 

 

Le mal-être agricole français

Mais nos agriculteurs ont été victimes d’un mal bien français, qui consiste non seulement à vouloir laver plus blanc que blanc dans son microcosme sans se soucier des effets pervers d’un tel intégrisme à plus large échelle, mais aussi à dénigrer le plus ce qui fonctionne le mieux. Un mal qui se complait, dans sa version conspirationniste, à voir la main des lobbies aussi bien quand l’autorisation d’un principe actif est prolongée, que lorsque les données de la pharmacovigilance amènent à en restreindre l’usage. 

Le dénigrement des pratiques d’aujourd’hui est récemment monté en puissance dans les médias, sur fond de néonicotinoïdes, glyphosate et autres mégabassines, qui ont exposé les agriculteurs à la vindicte populaire, aux menaces, violences et dégradations de leur outil de travail. 

Assurément, la profession a souffert de l’image ainsi véhiculée, alors que la réglementation française transpose les Directives européennes avec un zèle propre à favoriser l’essor des produits importés. L’arrêt de cette surtransposition française, qui fausse la concurrence, est aujourd’hui au cœur des revendications des agriculteurs.

En septembre 2023, le Parlement européen rappelait en effet que la directive 2009/128/CE avait imposé aux États membres d’adopter des plans d’action nationaux visant à fixer des objectifs quantitatifs, en vue de réduire les risques et les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine et l’environnement. Sa communication évoque un rapport qui révèle que plus des deux tiers des États membres n’avaient pas procédé au réexamen demandé de leur plan d’action et que seuls huit États membres, dont la France, l’avaient mené à bien dans les délais impartis. 

Seuls trois États membres, dont la France, ayant clairement défini des objectifs de haut niveau fondés sur les résultats, ainsi qu’il leur était demandé. 

 

Réglementation des substances préoccupantes dans l’UE : la sévérité française, une exception

Ce rapport de 2020 précise que « La France est le seul État membre dont le plan d’action national prévoit une surveillance de l’utilisation des substances actives particulièrement préoccupantes ».

Conformément à ce plan d’action national (PAN), présenté en avril 2018, ce suivi des « substances les plus préoccupantes », c’est-à-dire cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, avérés (CMR1A) ou supposés (CMR1B), fait état de leur réduction drastique, passée de 5426 tonnes en 2018 à 781 tonnes en 2021. Le statut des quelques 2000 insecticides, herbicides ou fongicides concernés par leur classement de 2017 permet de suivre également les retraits en masse des autorisations de mise sur le marché (AMM) des CMR2, c’est-à-dire tous ceux dont le risque n’est que suspecté. Ces retraits ont continué à se succéder jusqu’en août 2023, dans l’édition d’octobre 2023.

Dans son plan d’action, la France demandait à la Commission européenne de « mettre fin dans les meilleurs délais à l’approbation des substances soumises à exclusion au titre du règlement européen : substances cancérogènes de catégorie 1, mutagènes de catégorie 1 ou toxiques pour la reproduction de catégorie 1 ». 

Quant à l’usage du glyphosate qui a défrayé la chronique, malgré les conclusions favorables de la plupart des agences de santé, et dont le destin était scellé en France dans son plan de sortie anticipée du plan Ecophyto II+, son autorisation vient d’être prolongée par l’Europe jusqu’en 2033.

De même, la filière du sucre, confrontée à la jaunisse de la betterave qui l’a durement impactée en 2020, ne peut recourir aux néonicotinoïdes, contrairement à tous ses concurrents, même européens qui bénéficient de dérogations, l’usage de l’acetamipride étant approuvé en Europe jusqu’en 2033, mais interdit en France malgré les efforts des parlementaires. Le Conseil d’État a d’ailleurs considéré en juillet 2022 que si certaines dérogations à la règle demeurent possibles, « le fait que d’autres États membres de l’UE n’aient pas adopté de législation comparable ne justifie pas de remettre en cause l’interdiction française. »

Rappelons que la France avait été pionnière dans l’interdiction des néoticotinoïdes sur son sol, par la loi du 8 août 2016, malgré les modifications et dérogations qui l’ont suivie. 

Depuis 2015, c’est l’Anses qui est chargée de délivrer, retirer ou modifier les AMM et permis des produits phytopharmaceutiques et des matières fertilisantes. Elle tient à jour les autorisations de mise sur le marché en France sur sa page E-phy.

L’utilisation de produits à base de phosmet en pulvérisation des cerises fraiches a été interdite par l’Union européenne le 1er février 2022 et son retrait en France acté par l’Anses, quatre mois plus tard. L’Anses procède également au retrait d’AMM sur saisine ministérielle relative à l’avis de l’Anses ou de l’EFSA.

Le phosmet reste autorisé dans d’autres pays comme le Canada, le Chili ou les États-Unis, et leur importation est parfaitement légale. Ce qui participe à la détresse de la filière, déjà affectée par la météo en 2023.

 

Le Mercosur : quel impact sur l’agriculture française ?

On comprend la crainte des agriculteurs envers les accords du Mercosur qui accélèreraient les importations déjà croissantes des pays de l’Amérique du Sud.

Le rapport de la Commission présidée par M. Stefan Ambec et remis au Premier ministre en avril 2020 indiquait qu’en matière de pesticides, sur un total de 190 principes actifs enregistrés et en voie de l’être au Brésil, 52, soit 27 %, ne sont pas autorisés dans l’Union.

Dans une proposition de résolution européenne, des sénateurs précisaient en 2016 :

« L’importation de denrées traitées par des substances actives interdites dans l’Union européenne est expressément permise par le système de tolérances à l’importation dont les instances communautaires peuvent faire bénéficier les pays tiers ».

Par delà les cas de fraudes avérés depuis, on comprend que les lenteurs administratives ne sont pas en mesure de permettre à l’agriculture française de bénéficier de règles équitables, pourtant indispensables dans le cadre d’une libre concurrence. La mise en place de chaque « mesure miroir » destinée à ne pas importer ce qu’on interdit de produire en Europe étant extrêmement complexe et toujours controversée.

À ces difficultés il convient d’ajouter la concurrence d’une main-d’œuvre à moindre coût, même au sein de l’Union, qui amène notamment les grossistes à acheter leurs pommes en Pologne alors que des récoltes cherchent preneurs en France.

 

Pourquoi les agriculteurs français redoutent l’entrée de l’Ukraine dans l’Union

L’Ukraine, dont le bleu du drapeau symbolise le ciel, et le jaune, le blé, est souvent nommée le grenier à blé de l’Europe pour ses terres noires, ou chernozem, considérées les plus riches du monde, et pour son climat propice à leur exploitation.

Selon le ministère de l’Agriculture, les terres arables ukrainiennes représentent quasiment le double de la surface de celles de la France. Les exportations de produits agroalimentaires de l’Ukraine vers la France s’élevaient à 322 millions d’euros en 2017 et ses importations depuis l’Hexagone à moins de la moitié, avec 145 millions d’euros. Selon cette même source, le pays développerait des réformes « pour rapprocher ses normes des règles et standards européens ». Ce qui signifie bien, en creux, qu’il ne les respecte pas. On peut craindre que son entrée dans l’Union européenne soit de nature à l’inciter à orienter ses exportations vers un marché potentiellement plus lucratif et mieux subventionné, en rebattant les cartes de la politique agricole commune. 

Selon le JDN, journal du net spécialisé dans les informations économiques, le revenu mensuel brut par habitant serait en 2022 de 356 dollars en Ukraine contre 2777 dollars pour la moyenne européenne. Le coût de la main-d’œuvre représente un paramètre significatif de la compétitivité des nombreuses filières agricoles amenées à devoir embaucher des salariés. Les conditions de cette embauche en France peuvent difficilement rivaliser.

 

Les déboires de la filière bio

Une large part des revenus agricoles provient des subventions qui irriguent massivement l’agriculture française, grâce à la politique agricole commune au sein de l’UE (PAC). Les aides couplées sont proportionnelles à la surface cultivée ou à la taille du cheptel pour l’élevage. Elles peuvent aller de 44 euros/ha pour la production de semences graminées à 1588 euros/ha pour le maraîchage, si la surface est inférieure à trois hectares. Elles peuvent être augmentées d’une indemnité compensatoire liée aux difficultés de la topographie. 

Les aides découplées apportent notamment un soutien aux petites et moyennes exploitations, et un écorégime versé aux agriculteurs qui s’engagent à observer des pratiques favorables à l’environnement. Dans ce cadre, l’agriculture biologique bénéficie d’un montant supplémentaire de l’ordre de 110 euros/ha. Enfin, la PAC propose une aide spécifique à la conversion en agriculture biologique destinée à compenser le manque à gagner d’un moindre rendement sans possibilité d’augmenter les prix dans la période qui précède la certification.

En 2020, la Commission européenne avait présenté son plan d’action pour le développement de l’agriculture biologique. Son objectif général était de stimuler la production et la consommation de produits biologiques en portant à 25 % la surface agricole consacrée à l’agriculture biologique d’ici à 2030, contre 10 % en France en 2021.

L’observatoire national France Agrimer a publié en mai 2023 une étude sur l’évolution des achats de produits issus de l’agriculture biologique. Cette étude fait état d’une dynamique de conversion des exploitations en bio avec + 12 % en un an, parvenant ainsi à plus de 2,2 millions d’hectares en 2021. Elle note que, par-delà les disparités relatives aux produits concernés, parmi les acheteurs « un profil de ménage « surconsommateur » bien précis se dessine. Il s’agit d’un public aux revenus aisés, senior et habitant majoritairement en région parisienne et dans une moindre mesure dans le Sud de la France ». 

Après que l’attrait pour la certification bio (AB) a permis à la filière des progressions annuelles à deux chiffres, l’année 2020 a marqué le début d’un recul des achats au bénéfice des circuits courts, que l’étude explique par l’objectif de réduire l’impact environnemental par moins de gaspillages, moins d’emballages, et moins de produits importés. L’intérêt pour l’« origine France » semblant se renforcer avec le temps, tandis que celui pour le bio faiblit. L’étude suggère également que le contexte inflationniste actuel incite le consommateur à des stratégies de descente de gamme pour limiter la hausse des prix.

Si ces deux marchés de niche diversifient l’offre des produits agricoles en diminuant leur exposition aux pesticides, il reste légitime de s’interroger sur la réalité de leur plus-value, en raison des effets induits par leur moindre rendement, mais aussi des alertes sur la nocivité du cuivre.

Les déboires de la filière bio confirment que l’effort doit désormais porter sur la création des conditions de fonctionnement d’un marché susceptible de garantir aux agriculteurs une rémunération à la hauteur de la qualité de leur travail.

 

Un retour aux rendements agricoles de l’après-guerre serait incompatible avec le contexte géopolitique actuel

Le 19 octobre 2021, le Parlement européen passait un nouveau cap en votant le plan « Farm to fork » ou « De la ferme à la fourchette ». Celui-ci prévoit notamment d’ici 2030 : 50 % de réduction de l’utilisation de pesticides chimiques, 20 % de réduction des fertilisants et confirme l’objectif de 25 % de la superficie cultivée en agriculture biologique. 

En moins de deux siècles, le rendement moyen du blé est passé en France de 8-10 q/ha (quintal par hectare) en 1815, à 70 q/ha en 1995. L’essentiel de cette amélioration date de moins d’un siècle, depuis 14-15 q/ha en 1945. Elle a été permise par la génétique, le perfectionnement des méthodes agricoles et l’emploi cohérent de fertilisants et produits phytosanitaires. 

Le 24 janvier 2024, la Commission environnement du Parlement européen a voté une proposition visant à ouvrir la porte aux nouvelles techniques de génomique (NGT).

Le 31 janvier, les scientifiques de l’Université de Cambridge identifiaient deux facteurs génétiques cruciaux nécessaires à la « production d’organes racinaires spécialisés capables d’héberger des bactéries fixatrices d’azote dans les légumineuses telles que les pois et les haricots. »

Cette découverte ouvre la voie à une réduction drastique de la dépendance agricole aux engrais azotés industriels.

On connait malheureusement l’opposition frontale de nombreux écologistes à toute manipulation génétique, même celle permettant aux plants d’affronter la sécheresse

Depuis l’emploi débridé du DDT de l’agriculture de nos anciens, chaque progrès technologique a fait l’objet de précautions sanitaires considérables. Mais dans sa recherche du risque zéro, le principe de précaution devrait s’interdire lui-même, tant il est dangereux de ne plus oser avancer, sachant qu’un retour aux rendements agricoles de l’après-guerre serait suicidaire dans le contexte géopolitique actuel. La guerre en Ukraine a rappelé aux pays européens l’importance de la souveraineté alimentaire, et explique le soutien populaire au slogan des agriculteurs en colère : « Notre fin sera votre faim ».

Les progrès technologiques répondront un à un à l’expression de leurs besoins par la société. Mais au risque d’être contre-productif, chaque objectif environnemental devra être conditionné à l’élaboration préalable d’une alternative.

Pourquoi Gabriel Attal échouera à relever le pouvoir d’achat des Français

Parmi les sujets de mécontentement de la population il en est un qui est récurrent : la faiblesse du pouvoir d’achat. C’est encore une fois ce qu’a montré le dernier sondage IPSOS pour le CESE, en date du 26 octobre 2023. Les Français interrogés sur ce que sont leurs préoccupations placent le problème du pouvoir d’achat en tête, avec 40 % des réponses, suivi par la santé.

Aussi, dans sa déclaration de politique générale à l’Assemblée, le Premier ministre a déclaré qu’il voulait « desmicardiser » les Français, c’est-à-dire augmenter leur pouvoir d’achat : de trop nombreux salariés sont condamnés à rester indéfiniment au SMIC, et c’est insupportable.

Mais est-ce possible, et dans quels délais ?

Actuellement, les statistiques de la  DARES indiquent que 17,3 % des salariés français sont au SMIC, et ce pourcentage progresse : en 2021, il s’agissait de 12 % seulement. Les Français sont fortement préoccupés par « la faiblesse de leur pouvoir d’achat », et l’inflation depuis deux années exacerbe cette crainte.

Ce sentiment d’insuffisance du pouvoir d’achat, est-il justifié ? Est-ce un simple ressenti purement subjectif, ou bien, véritablement, une réalité intangible ?

Les Français sont un peuple d’éternels insatisfaits. François de Closets, dans Toujours plus expliquait que le « toujours plus » est une revendication endémique caractéristique du peuple français. En 2006, il récidivait avec Plus encore.

Un débat de même nature entre les ministres de l’Intérieur et de la Justice à propos des problèmes de sécurité : l’un parlant, chiffres en mains, d’un véritable problème de sécurité aujourd’hui en France, l’autre, d’un simple « sentiment d’insécurité », un sentiment non fondé. Éric Dupond-Moretti avait dit à Ruth Elkrief, sur Europe 1 : « Le sentiment d’insécurité, c’est un fantasme : c’est du populisme ».

Alors ? Véritable problème, cette fois, que celui de l’insuffisance du pouvoir d’achat, ou bien un fantasme ?

Que va donc pouvoir faire Gabriel Attal face à ce « populisme » ? 

Où en sommes-nous, et que disent les chiffres ?

 

Le SMIC en France est trop haut : explications

Le PIB français par habitant n’est pas un des plus élevés d’Europe, loin s’en faut, mais les Français paraissent ne pas en avoir réellement conscience. Le tableau ci-dessous indique comment notre SMIC se situe par rapport à quelques-uns de nos voisins. Il varie, évidemment, avec le niveau de richesse des pays :

Pour s’étalonner, il faut se reporter à la corrélation existant entre ces données, en prenant le PIB/tête comme variable explicative :

 

L’équation de la droite de corrélation indique que le PIB/capita qui est le nôtre devrait correspondre en à un  SMIC mensuel de 1587 euros seulement. Notre SMIC est donc fixé relativement trop haut : il est 10 % supérieur à ce qu’il devrait être, par rapport à ce que font les pays européens qui, comme nous, ont mis en place ce garde-fou. 

On voit que le SMIC est lié au PIB par habitant, et dans ce domaine la France est mal placée : elle est à la 13e position seulement en Europe, avec un PIB par tête 16% inférieur à celui de l’Allemagne, 30 %  inférieur à celui des Pays-Bas, et pas même la moitié de celui de la Suisse, des pays qui sont pourtant nos voisins.

Les Français semblent l’ignorer, contrairement aux frontaliers qui en sont bien conscients : ils sont actuellement environ 350 000 qui cherchent chaque jour à travailler en Suisse, au Luxembourg, ou en Allemagne, quand cela leur est possible. Cette relation étroite entre les PIB/capita et les salaires n’est en rien surprenante puisque, dans leur construction, les PIB sont constitués à plus de 60 % par les rémunérations des actifs.

 

Le niveau de vie des Français est supérieur à ce que leur rémunération mensuelle peut leur fournir

Depuis quelques années (cf. INSEE -France, portrait social), l’INSEE publie des tableaux « Niveau de vie et pauvreté dans l’UE » et chiffre les niveaux de vie à la fois en euros et en Parité de pouvoir d’achat. S’agissant, ici, d’une réflexion menée sur les salaires, qui sont l’élément principal qui détermine le niveau de vie, il convient de rapprocher les salaires des évaluations du niveau de vie exprimées en Parité de pouvoir d’achat, telles qu’elles sont produites par l’INSEE :

Le graphique ci-dessous montre la corrélation entre ces données, en prenant le niveau de vie comme variable explicative :

 

L’équation de la droite indique que le niveau de vie français correspond à un salaire plus élevé que celui effectivement perçu en moyenne, soit 4189 dollars, alors que nous en sommes à 3821 dollars seulement, soit environ à nouveau 10 % d’écart.

Selon cette approche, les Français auraient un niveau de vie supérieur à ce que leur rémunération mensuelle est capable de leur fournir. Cest dû à la façon dont l’État a organisé la vie de la société : soins et enseignement pratiquement gratuits, transports fortement subventionnés, temps de travail annuel plus court que dans les autres pays, départ à la retraite plus précoce.

Tous ces avantages sont fournis par des circuits très complexes de redistribution, ce qui a pour conséquence que les dépenses publiques sont bien plus élevées que dans tous les autres pays en proportion du PIB. L’État se trouve donc contraint de recourir chaque année à l’endettement pour boucler ses budgets, malgré des  prélèvements obligatoires les plus élevés de tous les pays européens. En somme, les Français vivent avec un salaire moyen fictif de 4189 dollars, plus élevé que le salaire mensuel qu’ils perçoivent, mais ils n’en ont nullement conscience. Faute d’avoir une appréhension objective de leur niveau de vie, ils ont facilement tendance à se plaindre et revendiquer des augmentations de salaire.

 

Pour accroître le niveau de vie des Français, il faut augmente le PIB par habitant

Il ne va pas être facile à notre Premier ministre d’accroître rapidement la rémunération des Français : le SMIC est déjà 10 % supérieur à ce qu’il devrait être, le niveau de vie est lui aussi de 10 % supérieur,  en moyenne, à ce que permettent les rémunérations des salariés.

Les Français bénéficient d’avantages considérables qui améliorent leur niveau de vie quotidien : sans le savoir, ils vivent avec un salaire fictif supérieur à leur salaire nominal. Ce sont des réalités qu’un homme politique, fut-il un bon communiquant, est totalement incapable d’expliquer à des foules qui viendraient manifester sous ses fenêtres.

L’augmentation du PIB per capita est donc la seule solution permettant de satisfaire le besoin d’amélioration du pouvoir d’achat des Français : il n’y a donc pas d’autre solution que de s’attaquer sérieusement à la dynamisation de notre économie pour faire de la croissance et augmenter rapidement le PIB, qui depuis bien longtemps ne croît pas assez vite, et génère en permanence du mécontentement. 

En 2018, le service des statistiques des Nations unies a examiné comment ont évolué sur une longue période les économies des pays.

Ci-dessous, les résultats de cette étude pour un certain nombre de pays européens, en réactualisant les données, et en mettant en exergue le cas d’Israël particulièrement exemplaire :

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la France réalise de très mauvaises performances économique : en multipliant par 4,9 son PIB par tête, comme la Suisse ou le Danemark, on en serait à un PIB/capita de 62 075 dollars, supérieur à celui de l’Allemagne, comme c’était le cas en 1980. Mais nous en somme très loin ! 

Le secteur industriel français s’est complètement dégradé d’année en année, sans que les pouvoirs publics ne jugent nécessaire d’intervenir. Ils sont restés sur l’idée qu’une société moderne doit être post-industrielle, c’est-à-dire dépourvue d’industrie. Ce cliché a été développé en France par des sociologues, comme par exemple Alain Touraine en 1969 dans La société postindustrielle.

Aujourd’hui, le secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB en France (industrie, hors construction), alors qu’il est de 23 %  ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. La France est le plus désindustrialisé de tous les pays européens, Grèce mise à part.

Pour redresser l’économie et la rétablir dans ses grands équilibres il va falloir porter à 18 % environ la contribution du secteur industriel à la formation du PIB, ce qui va demander beaucoup de temps, pour autant qu’on y parvienne. Emmanuel Macron n’avait pas considéré le problème au cours de son premier quinquennat, alors qu’il avait en charge le ministère de l’Économie.

Ce n’est qu’à l’occason de la crise du covid qu’il a pris conscience de la très grave désindustrialisation du pays, et a lancé, en octobre 2023, le Plan France 2030 doté d’un budget de 30 milliards d’euros. Ce budget est très insuffisant, et ne pourra s’appliquer qu’à des industries dites vertes, les aides à l’investissement, selon les directives de Bruxelles, ne pouvant bénéficier qu’à des projets écologiquement corrects. 

Nous avons chiffré, dans d’autres articles, à 350 milliards d’euros le montant des investissements à réaliser pour remonter le secteur industriel à 18 % du PIB. Les montants mobilisés du Plan France 2030 sont très éloignés de ce que le président Joe Biden fait aux États-Unis pour impulser la réindustrialisation du pays avec l’Inflation Réduction Act, qui rencontre un succès considérable, après le Chips and sciences Act. Les Bidenomics pourraient-ils être de nature à éclairer nos dirigeants sur ce qu’il conviendrait de faire pour redresser notre économie. Mais, les moyens financiers nous manquent.

Notre PIB par tête n’est pas près d’augmenter rapidement, et les salaires de progresser au rythme qui serait souhaitable. Les prix augmentent, et notre ministre de l’Économie a déclaré aux Français que le temps du « quoi qu’il en coûte » était terminé. En effet, l’État est terriblement endetté, il faut avant tout réduire dette et déficit budgétaire pour respecter les règles de la zone euro.

Et il est hors de question de fâcher les agences de notation, et les voir de nouveau, abaisser la note d’un cran. Notre jeune et brillant Premier ministre n’est donc pas près de desmicardiser les Français.

Pourquoi le « choc d’offre » de Gabriel Attal ne relancera pas le secteur immobilier

La situation actuelle du marché locatif et de la construction immobilière est très tendue dans de nombreuses régions. Les locataires y rencontrent des difficultés à trouver un logement, les bailleurs subissent une fiscalité spoliatrice, le foncier est cher et les investisseurs ont du mal à obtenir un prêt. Le résultat est le manque de logements vacants destinés à la résidence principale. Le volontarisme affiché par le Premier ministre pour faciliter la recherche d’un logement est apparemment encourageant.

Il propose les mesures suivantes :

  1. Revoir les DPE, faciliter la densification, lever les contraintes sur le zonage, accélérer les procédures. 
  2. Accélérer les procédures dans 20 territoires engagés pour le logement, avec comme objectif d’y créer 30 000 nouveaux logements d’ici trois ans.
  3. Procéder à des réquisitions pour des bâtiments vides, notamment des bâtiments de bureaux. 
  4. Soutenir le monde du logement social, avec 1,2 milliard d’euros pour leur rénovation énergétique, avec des plans de rachat massifs. 
  5. Répondre aux causes structurelles de la crise, avec un nouveau prêt de très long terme de deux milliards d’euros pour faire face au prix du foncier. 
  6. Donner la main aux maires pour la première attribution des nouveaux logements sociaux construits sur leur commune. C’était une mesure très attendue par les élus locaux.
  7. Ajouter une part des logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans le quota de 25 % de logements sociaux imposé par la loi SRU

 

Les déclarations gouvernementales ne coûtent rien, n’engagent à rien et sont des réponses immédiates à des revendications souvent justifiées, même si elles sont mal exprimées. Ce sont plus des projets que des engagements.

On peut se demander pourquoi ces mesures n’ont pas été prises plus tôt. La simplification des normes et l’accélération des procédures sont évidemment positives. L’objectif de créer 30 000 nouveaux logements dans 20 zones sélectionnées est bien vague : quelles zones ? quel financement ?

La réquisition de bâtiments vides existe déjà, et pose le problème de sa durée et de l’indemnisation éventuelle du propriétaire. Subventionner la rénovation énergétique du logement social est inévitable. Le point 5, qui prévoit un prêt à très long terme pour financer le foncier, est très vague : quelle durée ? quel taux ? quels bénéficiaires ?

Les points 6 et 7 sont plus discutables. Les maires choisiraient les premiers occupants des logements sociaux : c’est la porte ouverte au clientélisme électoral et au trafic d’influence, et les choix risqueraient d’être en contradiction avec la politique de mixité sociale. Le point 7 est très contesté par les associations comme la fondation Abbé Pierre, mais répond à un besoin réel de logement de la classe moyenne complètement négligé jusqu’à présent.

Toutes ces mesures, exceptée la première, montrent l’impossibilité du gouvernement d’imaginer des solutions pour réduire cette pénurie sans intervention de l’État dans le marché immobilier. Dans le discours du Premier ministre, l’État définit les besoins de logement géographiquement et socialement. On peut s’inquiéter de la neutralité politique de ces choix, comme de celle des choix des maires concernant l’attribution des logements sociaux aux premiers occupants. L’intervention de l’État va vraisemblablement augmenter le nombre de logements dans le secteur social et intermédiaire. Le taux de 25 % fixé par la loi SRU sera peut-être rehaussé à 35 % pour faire face à l’augmentation des demandes de la classe moyenne.

Le marché libre n’est guère concerné que par la première mesure, peut-être provisoire, simplifiant les normes et procédures administratives. La fiscalité spoliatrice de l’immobilier résidentiel est inchangée, et les maires disposent d’un pouvoir abusif dans la taxation et la répartition des logements. Ils ne se privent pas d’utiliser les moyens mis à leur disposition et certains en abusent : la taxe d’habitation sur les résidences secondaires a été immédiatement augmentée et parfois portée à son maximum légal, la taxe sur les logements vacants est plus élevée que la taxe d’habitation, et la taxe d’habitation sur les logements vacants est créée par certains maires dans des zones non tendues. Ces taxes présentent la particularité d’être décidées par chaque maire et payées par des gens qui ne votent pas dans la commune. C’est assez contradictoire et peut susciter des réactions comme l’inscription massive de propriétaires de résidences secondaires sur la liste électorale d’une commune, ce qui serait très inquiétant pour ses résidents permanents.

L’inquiétude des maires est bien sûr légitime quand les locations touristiques du type AirBnB et les résidences secondaires deviennent majoritaires sur leur commune. La fiscalité et la législation ont considérablement avantagé les locations de courte durée et créé la pénurie de logements en résidence principale. La solution actuelle, qui consiste à supprimer ces avantages fiscaux et à imposer des règlementations sur la durée de ces locations, leur nombre etc. ne rend pas plus attractive la location en résidence principale et pénalise autant les loueurs de locations touristiques que leurs locataires.

L’équilibre entre les intérêts des résidents, des commerçants, des salariés, des artisans, des touristes, des entreprises, des exploitants agricoles, des maraîchers, des bailleurs… est beaucoup trop difficile à établir pour que l’on puisse s’en approcher par cette nouvelle règlementation. Comme les précédentes, elle ne pourra que susciter de nouvelles insatisfactions et conflits. La seule démarche possible semble être l’égalisation fiscale et sociale des conditions de location entre résidences principales, résidences secondaires, logements de tourisme, etc.

Cette proposition respecte l’article 544 du Code civil qui définit le droit de propriété par « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

On devrait réfléchir sur le rôle des lois et règlements qui devraient garantir ce droit constitutionnel pour tous, au lieu de les utiliser pour le réduire au point parfois de supprimer toute jouissance possible, et sur celui de la fiscalité actuellement instrumentalisée pour orienter les choix des citoyens.

Le titre du journal Le Monde du 30 janvier 2024 est malhonnête : « Gabriel Attal a annoncé, mardi soir, l’intégration du logement intermédiaire dévolu aux classes moyennes hautes dans le contingent obligatoire de HLM assigné aux communes. ». Le terme hautes ne figure pas dans sa déclaration écrite.

https://www.contrepoints.org/2024/02/03/469878-petition-une-revolution-fiscale-pour-sauver-le-logement

Pour un traité de libre-échange entre l’Union européenne et l’Indonésie

Près de la moitié de la population mondiale votera en 2024 dans un contexte de troubles internationaux. Les électeurs de l’Union européenne éliront leurs représentants au Parlement européen les 6 et 9 juin 2024. Une quarantaine d’élections auront également lieu dans le monde, notamment aux États-Unis, en Inde, en Indonésie, en Russie et au Mexique.

L’Union européenne se trouve à un trounant en 2024, confrontée à la nécessité de redéfinir ses relations avec un autre géant démographique et commercial, l’Indonésie. Alors que les deux entités s’apprêtent à vivre des élections importantes, l’influence combinée de plus de 700 millions de personnes pourrait ouvrir la voie à la réinitialisation d’un partenariat qui a été entaché par les conflits politiques, les contestations juridiques et l’absence flagrante d’un accord de libre-échange.

 

L’Indonésie, troisième plus grande démocratie du monde

L’histoire de l’Indonésie est tissée de cultures et d’influences diverses. Autrefois plaque tournante du commerce des épices, l’archipel a connu l’essor et le déclin de puissants royaumes, dont celui de Srivijaya et de Majapahit. La colonisation par les Hollandais au XVIIème siècle a ouvert la voie à la lutte pour l’indépendance de l’Indonésie, qui a culminé avec sa proclamation en 1945. Après l’indépendance, la nation asiatique a été confrontée à des défis politiques et économiques, notamment le régime autoritaire de Suharto, jusqu’à l’avènement de la démocratie en 1998.

Aujourd’hui, l’Indonésie est un exemple de résilience. Le pays, qui compte aujourd’hui plus de 270 millions d’habitants, a connu une croissance économique constante et s’est imposé comme un acteur clé en Asie du Sud-Est. Dans ce pays démocratique et dynamique, les prochaines élections seront l’occasion de donner un mandat pour des politiques qui peuvent propulser l’Indonésie sur la scène mondiale.

 

Un accord de libre-échange opportun avec le pays le plus peuplé d’Asie du Sud-Est

L’Union européenne a négocié avec succès plusieurs accords de libre-échange avec différents blocs, renforçant ainsi ses liens économiques sur la scène mondiale. Parmi les accords les plus importants, citons les partenariats avec le Canada (CETA), le Japon et le bloc Mercosur en Amérique du Sud. Ces accords ont permis de faciliter l’accès aux marchés, de réduire les droits de douane et de stimuler les investissements transfrontaliers.

Depuis juillet 2016, l’Union négocie donc avec l’Indonésie dans le but de conclure un accord dont la portée serait similaire à celle des accords commerciaux conclus par Bruxelles avec Singapour en 2014 et avec le Viêt Nam en 2015.

À l’instar des accords existants, la position unique de l’Indonésie en tant que marché majeur pour les biens et services haut de gamme, associée à son influence régionale, offre à l’Union européenne une porte d’accès au dynamisme économique de l’Asie du Sud-Est. En donnant la priorité à un accord de libre-échange global avec l’Indonésie, l’Union européenne ne diversifierait pas seulement son portefeuille économique, mais se positionnerait aussi stratégiquement dans une région à l’immense potentiel.

Le libre-échange favorise la croissance économique en élargissant l’accès au marché, en promouvant une concurrence saine et en stimulant l’innovation. L’abaissement des barrières commerciales permet une allocation efficace des ressources, une spécialisation basée sur l’avantage comparatif et un plus grand choix pour les consommateurs. Les consommateurs européens et indonésiens bénéficieraient d’un plus large éventail de biens et de services à des prix plus compétitifs, ce qui améliorerait en fin de compte leur niveau de vie.

Par exemple, les produits de luxe français, réputés dans le monde entier, trouveraient un marché florissant dans la classe moyenne en expansion de l’Indonésie. Les produits français emblématiques ont tout à gagner d’une réduction des droits de douane et d’une plus grande accessibilité. Les collaborations dans des domaines tels que les énergies renouvelables, les infrastructures intelligentes et les technologies numériques pourraient ouvrir la voie à des partenariats mutuellement bénéfiques. Alors que l’Indonésie, membre du G20, vise un développement durable, l’expertise française dans ces secteurs deviendrait un atout qui s’alignerait sur les priorités économiques des deux nations.

De surcroît, le renforcement des liens économiques avec l’Indonésie pourrait servir de doux contrepoids à l’influence croissante de la Chine dans la région, sans avoir recours à des manœuvres ouvertement politiques ou militaires. En substance, un accord de libre-échange avec l’Indonésie serait un outil sophistiqué dans l’arsenal diplomatique de l’Union européenne, facilitant l’influence et la stabilité dans une partie du monde stratégiquement cruciale.

Mais le renforcement des liens économiques n’est pas seulement une question de commerce et d’influence ; c’est aussi un outil qui permet de promouvoir la compréhension entre des sociétés différentes. Des économies interconnectées sont moins susceptibles d’entrer en conflit. Dans ce contexte, un accord de libre-échange bien négocié ne renforcerait pas seulement la prospérité économique des deux blocs, mais jetterait également les bases d’une relation géopolitique plus solide.

 

Les gagnants et les perdants d’un accord avec l’Indonésie

Un accord de libre-échange devrait entraîner une augmentation globale du PIB et des échanges tant pour l’Union européenne que pour l’Indonésie. Les résultats de l’analyse d’impact menée par l’Union européenne indiquent que d’ici 2032, les augmentations attendues du PIB de l’Union se situeront entre 2,46 et 3,09 milliards d’euros. Pour l’Indonésie, les gains attendus sont plus prononcés, avec des augmentations prévues du PIB allant de 4,56 milliards d’euros à 5,19 milliards d’euros d’ici 2032. 

L’étude prévoit des augmentations significatives de la production et des exportations de produits industriels en provenance de l’Union européenne. Les secteurs les plus susceptibles de connaître des hausses à la production et à l’exportation sont les véhicules à moteur et pièces détachées, papier et produits en papier, produits chimiques, caoutchouc et plastique. Pour l’Indonésie, on s’attend à des augmentations significatives de la production et des exportations de textiles, de vêtements et de chaussures.

Alors que les gains globaux devraient être positifs, certains secteurs devraient connaître des baisses de production et d’exportations globales. Pour l’Union européenne, celles-ci devraient se produire dans les secteurs du textile, de l’habillement et de la chaussure, tandis que l’Indonésie devrait connaître des baisses dans les secteurs des véhicules à moteur et de leurs pièces détachées, des machines, du papier et des produits en papier, des produits chimiques, du caoutchouc, du plastique et des produits métalliques.

 

Quel impact sur nos agriculteurs ?

En ce qui concerne l’agroalimentaire, l’étude d’impact prévoit que l’accord pourrait entraîner une augmentation de la production de produits laitiers et de boissons alcoolisées dans l’Union européenne, tandis que les exportations bilatérales d’aliments transformés devraient également augmenter en Indonésie. 

En effet, il est impossible d’affirmer que le secteur agricole français pourrait se trouver lésé par un éventuel accord de libre-échange avec l’Indonésie. En effet, la France produit surtout des céréales (blé, maïs, orge), de la betterave sucrière, du tournesol, des pommes de terres, du colza, des fruits, du lait de vache, du vin, de la viande bovine et porcine. De son côté, la production agricole de l’Indonésie, pays soumis à un climat chaud et tropical, est dominée par les produits suivants : riz, huile de palme, caoutchouc naturel, thé, noix de coco, fruits tropicaux (bananes, mangues, ananas, etc.), café, cacao, soja, poissons et fruits de mer. On le voit, les deux pays, soumis à des climats que tout oppose, ont une production agricole aussi différente que complémentaire.

La Copa-Cogeca, le groupe de pression des agriculteurs européens à Bruxelles, estime que « en ce qui concerne les ambitions de l’agenda commercial européen (par exemple l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mercosur et l’Indonésie), nous soutenons les efforts de l’Europe pour trouver de nouveaux marchés, en particulier dans les régions du monde qui connaissent une croissance rapide. Nous pensons toutefois que les accords doivent être équilibrés en ce qui concerne le chapitre agricole. »

Preuve qu’un traité de libre-échange peut respecter les intérêts agricoles des deux parties et être populaire, la Suisse a conclu un accord de libre-échange avec l’Indonésie en décembre 2018. Les citoyens suisses, dont l’avis a été demandé par referendum d’une façon inédite sur un traité de libre-échange, a accepté l’accord. 

 

Le nickel, le véritable enjeu des négociations ?

« Pour l’Union européenne, le véritable enjeu des négociations est lié à l’accès aux matières premières », estime Alan Hervé, Professeur à Institut d’études politiques de Rennes et auteur de l’ouvrage Les accords de libre-échange de l’Union européenne, publié en décembre 2023. 

Contacté par Contrepoints, il souligne que c’est l’accès au nickel qui fait l’originalité de ces négociations entre Bruxelles et Jakarta. L’Indonésie a en effet interdit l’exportation de minerai de nickel en 2020, affirmant son droit à stimuler son économie et à créer des emplois en remontant dans la chaîne de valeur, notamment pour développer son industrie locale de batterie pour les véhicules électriques. L’Indonésie, premier exportateur mondial de nickel avant cette interdiction, représente donc pour l’Europe une source d’approvisionnement potentielle très intéressante. Un contentieux a notamment été engagé par l’Union européenne devant l’OMC à ce sujet.

Pour Alan Hervé, « quand l’Union européenne négocie, elle essaie d’obtenir un accès au marché du pays-tiers. Là, un des enjeux premiers est de sécuriser des règles sur l’accès aux matières premières indonésiennes, ce pays appliquant beaucoup de mesures de restriction à l’export ». Si jamais les négociations devaient aboutir, « il y aurait sans doute des clauses qui porteront sur ces points de frictions avec, du côté de l’Union européenne, des garanties d’approvisionnement, mais aussi sans doute, du côté indonésien, la volonté de maintenir des mesures de sauvegarde et des possibilités de maintenir des mesures de restrictions dans certains cas. » 

 

Une opportunité à saisir

Malgré des aspects prometteurs, les relations Union européenne-Indonésie connaissent des difficultés. Celles-ci sont particulièrement évidentes lorsque l’Union impose des barrières commerciales et des droits de douane sur les produits indonésiens, notamment sur le cacao, le café, l’huile de palme, l’acier et le bois. À Jakarta, ces actions ont alimenté une certaine méfiance, créant un obstacle à la promotion d’un partenariat mutuellement bénéfique.

Comme le disait Frédéric Bastiat, les mesures protectionnistes, telles que les droits de douane, reviennent à briser des vitres pour stimuler l’activité économique : elles créent un avantage visible (la protection de l’industrie nationale) mais négligent les coûts invisibles (les pertes d’opportunités et les inefficacités économiques).

Alors que l’Union européenne est confrontée à la baisse de ses exportations vers des marchés comme la Chine, et à la menace de tarifs douaniers de la part d’un probable gouvernement Trump, le moment est plus que jamais venu de recalibrer sa stratégie. En resserrant ses liens avec l’Indonésie, l’Union pourrait tirer parti d’une économie dynamique et s’assurer ainsi un avantage stratégique sur des concurrents tels que les États-Unis, la Chine, et même des acteurs plus modestes comme le Royaume-Uni et la Turquie, qui s’efforcent de renforcer leurs relations commerciales avec Jakarta. Ces pays ont conclu que les mesures unilatérales contre les exportations indonésiennes étaient contre-productives. À l’Union européenne de leur emboîter le pas.

Si elle veut surfer avec succès sur cette vague diplomatique, l’Union européenne devra adopter une approche pragmatique. Après les élections indonésiennes de février, le nouveau président indonésien offrira une occasion unique de prendre un nouveau départ, et Bruxelles devra faire preuve de proactivité. Pour établir un dialogue constructif avec Jakarta, il faudra s’attaquer à la cause première de ces relations tendues : les barrières commerciales imposées par Bruxelles.

L’huile de palme, l’une des principales pommes de discorde entre les deux zones, est emblématique des défis auxquels l’Union européenne est confrontée dans ses relations avec l’Indonésie. Alors que l’Union s’oriente vers le développement durable, il est impératif de trouver un terrain d’entente avec l’Indonésie, un pays fortement tributaire de la production d’huile de palme. Il est primordial de trouver un équilibre qui encourage les pratiques durables indonésiennes sans étouffer la croissance économique du pays et l’Union européenne doit mettre fin à certaines barrières commerciales manifestement protectionnistes qui nuisent aux exportations indonésiennes.

 

Alors que l’Union européenne cherche à relever ces défis, un accord de libre-échange global et mutuellement bénéfique avec l’Indonésie doit être une priorité. Si elle n’agit pas maintenant, l’Union risque d’être mise à l’écart alors que d’autres acteurs mondiaux renforcent leurs liens avec l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est, ce qui désavantagerait Bruxelles dans le paysage en constante évolution du commerce international.

Les Houthis et l’Iran vont-ils enflammer le Moyen-Orient ?

Le mouvement yéménite a-t-il l’autonomie et le pouvoir d’amorcer une crise internationale de grande ampleur, ou bien l’Iran est-il le véritable parrain de cette crise ? La priorité consiste à identifier les racines de cette situation, puis le déroulement des attaques récentes en mer Rouge. Enfin, vers quelles perspectives, l’intervention militaire des États-Unis, et diplomatique de la Chine, vont-elles faire évoluer cette situation ?

Le mouvement Houthi n’est nullement le résultat d’une génération spontanée, il est le produit d’un processus historique et d’une rencontre politique contemporaine.

 

Houthis : géographie et histoire

La première spécificité géographique de ce mouvement est de se situer dans la partie extrême sud-ouest de la péninsule arabique, région très montagneuse de l’actuel Yémen. Ses habitants ont été historiquement des guerriers, caractéristique fréquente des populations montagnardes. Vers la fin du premier millénaire, l’Empire perse qui y exerçait son influence, y envoya un religieux afin d’y rétablir la paix. Issu de la branche zaïdite du chiisme, il y répandit ce courant particulier de l’islam chiite. Cette population montagnarde et guerrière se trouva ainsi dotée d’une troisième spécificité, religieuse.

Actuellement leur influence s’exerce sur seulement un quart du territoire du Yémen, celui où se trouve la capitale, Sanaa.

 

Le basculement de 1979

Cette particularité religieuse d’appartenance au courant chiite allait représenter une importance particulière pour les ayatollahs iraniens, chiites, qui prennent le pouvoir à Téhéran en 1979.

La nouvelle stratégie de Téhéran va être dès lors d’utiliser systématiquement, dans tout le Moyen-Orient, majorité (Irak) ou minorités religieuses chiites, au service d’une nouvelle politique iranienne.

C’est dans cette vision stratégique qu’une partie de la famille Houthi, issue de cette région montagneuse et chiite du Yémen, fut invitée à venir vivre en Iran, dans la grande ville religieuse de Qom.

Une quinzaine d’années plus tard, il lui fut proposé de revenir au Yémen. Elle y organisa une montée en puissance politique, et par un jeu d’alliance avec l’ancien président Saleh, prit militairement le pouvoir à Sanaa, à l’automne 2014.

Téhéran mettait ainsi en place un pouvoir politique chiite à la frontière sud de l’Arabie saoudite, son rival sunnite. Elle s’arrogeait aussi indirectement un droit de regard et d’intervention en mer Rouge, comme elle l’a dans le golfe Persique. Elle acquérait ainsi une capacité complète de nuisance sur les deux côtes est, et ouest, de la péninsule Arabique.

 

Le regard iranien vers l’ennemi de l’islam

La stratégie de construction d’un « arc chiite » de Téhéran à Beyrouth en passant par Sanaa, allait être mise au service de l’autre grand objectif de la République islamique d’Iran : la lutte contre Israël.

Dans les années 1970, avant son arrivée au pouvoir, l’Ayatollah Khomeini avait écrit qu’Israël « était l’ennemi de l’islam ». En mai 1979, trois mois après sa prise de pouvoir, il créait le corps des Gardiens de la révolution, et en leur sein, la force Qods (Jérusalem) destinée aux opérations extérieures. Les moyens pour atteindre l’objectif étaient mis immédiatement en place.

En retraçant ainsi toute cette architecture, on constate que l’attaque du 7 octobre est l’aboutissement d’une stratégie patiemment et minutieusement mise en place depuis des dizaines d’années. Cela fut d’ailleurs confirmé par le pouvoir iranien lui-même. Deux jours après l’attaque du Hamas, le conseiller pour les Affaires internationales du Guide suprême, Ali Akbar Velayati (ancien ministre des Affaires Étrangères) a déclaré à la presse iranienne : « Si les États-Unis ont cru, en éliminant le général Soleimani, priver l’Iran de sa capacité d’action extérieure, les évènements récents leur donnent tort ». Par ses paroles, provenant du sommet de l’État, l’Iran a reconnu la paternité des attaques du 7 octobre.

 

Le déclenchement des actions des Houthis

L’analyse de l’intervention des Houthis nécessite de regarder à la fois la carte et le calendrier. Les missiles et drones lancés depuis le Yémen, situé à plus de 2000 km des frontières de l’État hébreu, n’ont pas été mis en œuvre contre Israël, dès les premières heures du 7 octobre. Seuls les mouvements directement au contact du territoire israélien, Hamas, Hezbollah, groupes pro-Iran de Syrie, sont entrés en action. Concernant la chronologie, les premières attaques de navire sont intervenues six semaines après le déclenchement de l’attaque contre Israël, et quatre semaines après l’entrée de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

L’intervention yéménite est donc totalement découplée de l’attaque initiale. Son objectif est lié à l’intervention de Tsahal à Gaza, et vise à forcer Israël à arrêter son opération militaire contre le Hamas. La création d’un désordre dans le trafic maritime mondial a pour but d’amener les pays européens et asiatiques, touchés économiquement par ce désordre, à demander à Israël l’arrêt de son intervention.

 

Les limites du plan iranien

Téhéran demeure l’architecte de cette intervention puisque l’Iran est le seul fournisseur des 160 missiles et drones utilisés à ce jour contre les navires, en mer Rouge et dans le golfe d’Aden.

Cette stratégie de nuisance a certes créé des perturbations, mais ces dernières n’ont pas été suffisantes pour atteindre l’objectif souhaité. Deux interventions sont venues contrarier ce plan, l’une militaire menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, l’autre diplomatique, conduite par la Chine.

L’intervention militaire n’avait pas pour objectif de faire cesser les frappes, mais de les réduire en détruisant simultanément les stocks de missiles et les radars de surveillance maritime. L’intervention de Pékin demandant à Téhéran d’intervenir auprès des Houthis est tout à fait complémentaire.

La Chine s’inquiète de plus en plus de son ralentissement économique intérieur. À ce titre, les exportations revêtent donc une importance encore plus grande. Toute entrave à la circulation maritime vers le marché européen, troisième au classement mondial des exportations chinoises, est donc à proscrire.

 

Que faut-il donc maintenant attendre de cette situation ?

L’Iran ne pourra faire la sourde oreille vis-à-vis de la Chine devenue son premier client pétrolier. Le nombre de missiles lancés depuis le Yémen va donc significativement diminuer, et probablement se concentrer sur des navires militaires, en priorité américains. En effet, d’une certaine façon, un arrêt complet signifierait perdre la face, en se montrant aux ordres de Pékin, tant pour Téhéran que pour les Houthis.

L’arrêt des perturbations en mer Rouge est lié à l’arrêt de l’intervention à Gaza. Si dans les prochaines semaines, voire les prochains jours, une trêve d’une certaine durée se profilait autour de la libération progressive des otages, la circulation maritime vers le canal de Suez devrait retrouver son calme.

Drones et missiles iraniens lancés depuis le Yémen ne seront certainement pas le prélude à un élargissement du conflit au Moyen-Orient. Mais la situation reste instable, surtout après le bombardement d’une base américaine en Jordanie, et l’attente d’une réplique de Washington.

Will the EU AI Act benefit the UK first ?

Par : Jason Reed

It has been four years since the UK formally left the European Union. Since Brexit, Britain has been through three prime ministers and countless government crises. Nonetheless, despite the chaos of Westminster, it is already becoming clear how differently regulators in the UK and EU view the technology industry. The UK is a mixed bag, with some encouraging signs emerging for fans of freedom and innovation. The EU, meanwhile, is pursuing a path of aggressive antitrust regulation on various fronts.

 

AI ‘Bletchley Declaration’

Nowhere is this trend clearer than in artificial intelligence, perhaps the most inviting area of innovation in tech for a regulator to get their teeth into. Rishi Sunak, Britain’s prime minister, is tech-savvy and would not look out of place in Silicon Valley. He is even found holidaying regularly in California. This worldview filters through into the British government’s approach to AI.

Sunak hosted the world’s first AI Safety Summit in November 2023. Representatives from all over the world – including from the US, EU, and France – signed a document he created called the “Bletchley Declaration” on behalf of their governments.

In describing the Bletchley Declaration, the British government strikes a tone of moderation. “We recognise that countries should consider the importance of a pro-innovation and proportionate governance and regulatory approach that maximises the benefits and takes into account the risks associated with AI,” says the official statement.

In other words, Britain has no intention of allowing AI to run wild in an unregulated marketplace, but it also does not see innovation as a threat. It recognises that failing to harness the opportunities of AI would mean letting down current and future generations who might benefit from it. The Bletchley Declaration represents a thoughtful approach to regulating AI which promises to monitor innovations closely for signs of threats to safety but avoids placing government at the centre of the narrative and being prescriptive about what AI should or should not do.

 

Rishi Sunak, Elon Musk, and Britain’s Future

The British position, therefore, strikes a very different tone to activist regulators elsewhere in the world who appear to view any and all new technological breakthroughs as an opportunity to flex their muscles. In the EU, for example, or in Biden’s USA, regulators leap at the opportunity to boast about “holding tech companies to account”, which generally means making economic growth and innovation more difficult.

Britain is on a different path which could, if it stays true to its current direction, mark it out as a future hub of technological and economic activity. Sunak even took the opportunity during the summit to interview Elon Musk. “We are seeing the most disruptive force in history here,” said Musk to Sunak in their discussion about AI. “ »There will come a point where no job is needed – you can have a job if you want one for personal satisfaction, but AI will do everything.”

From SpaceX to Tesla to Twitter, Musk has become a harbinger of the power of technological innovation and the free market. Although he is often controversial, embracing him in this way by having a smiling prime minister speak to him on stage was surely intended to send a signal to the world that Britain is ready to do business with the tech industry.

 

Brussels does things differently

This moderate British approach to AI stands in contrast with the EU’s strategy. Brussels boasts enthusiastically that its AI Act is the world’s first comprehensive regulation on artificial intelligence, focussed on ‘protecting’ citizens from AI and forming part of the EU’s broader interventionist strategy on antitrust. The contrast is clear: Britain is willing to work with tech companies, whereas the EU believes it must suppress them.

While Britain, outside the EU, was able to calmly get world leaders in a room together to agree on sensible common principles for regulating AI, the European bloc was instead determined to ‘win the race’ and become the first regulator to break ground on passing an AI law.

 

The results of EU overregulation

Post-Brexit Britain is far from perfect, but these two contrasting approaches to dealing with AI show how quickly things can go wrong when an institution like the EU gets into its head that it has a duty to regulate more and more with each passing year. There are encouraging signs elsewhere, too. The British government ministers behind the ‘online safety bill’ finally dropped their unworkable promise to ‘spy’ on all end-to-end encryption.

The results of the EU’s overregulation are already becoming clear. OpenAI, the company behind ChatGPT which is backed by Microsoft, chose London as the location for its first international base. Meanwhile, Google, another tech giant which is also a market leader in the AI pioneering race via its DeepMind subsidiary, announced plans to build a new $1bn data centre in the UK. Would these investments have gone to the EU instead if Brussels had not sent the message to tech companies that Europe would be a harsh regulatory environment for them?

 

Cozying up to Washington?

Despite claiming to want to empower a generation of tech entrepreneurs, European bureaucrats seem determined to regulate everything in sight. No antitrust measure is off limits. As well as their insistence on the need to ‘protect’ Europeans from technological innovation, they also seem to enjoy winning attention from across the Atlantic Ocean with their regulatory endeavours.

The EU’s mammoth Digital Markets Act and Digital Services Act seemed to enjoy approval from some appointees of President Biden. European Commission executive vice president Margrethe Vestager was photographed smiling with officials in the department of justice after travelling to the US to discuss her antitrust efforts.

 

A shared scepticism of tech

Around the time of Vestager’s trans-Atlantic trip, it became apparent that the EU and the US were taking a similar approach to attacking Google’s advertising technology out of fears of a monopoly. Were they working together? “The [European] commission may feel emboldened by the fact that the [US] DOJ is pursuing virtually the same lawsuit”, observed Dirk Auer, director of competition policy at the International Center for Law and Economics.

Lina Khan, the activist chairwoman of the US Federal Trade Commission who fills her days by taking tech companies to court for spurious reasons, has also made clear that she shares the EU’s view that antitrust must be active and aggressive in its battles against the tech industry. “One of the great promises of antitrust is that we have these age-old statutes that are supposed to keep pace with market developments, new technologies and new business practices,” she said at a university event recently. “In order to be faithful to that [promise], we need to make sure that doctrine is updated.”

 

What happens next?

Whether the EU’s true motivations are genuine or political, the fact remains that Brussels’ apparent willingness to exponentially increase the regulatory burden for tech investors and entrepreneurs in Europe will only hurt Europeans, and perhaps indirectly benefit the UK by directing innovation there instead.

Despite its immense bureaucracy, the EU lacks checks and balances on its regulatory power. Key members of its executive – such as the leaders of the European Commission, like Ursula von der Leyen – are unelected. They feel empowered to launch regulatory crusades against industries of their choosing, often technological. Perhaps, though, they will be shocked into changing their ways after the results of the European parliamentary elections in a few months’ time.

L’agence spatiale française se comporte comme l’agence d’un grand pays mais avec des moyens limités

Le CNES, Centre national d’études spatiales, est l’agence spatiale de l’État français. Elle est chargée d’élaborer et de proposer à son gouvernement un programme spatial, puis de le mettre en œuvre. Son président, Philippe Baptiste, a présenté ses vœux à la presse le 9 janvier. Ce qui frappe à première vue dans son message, c’est l’ambition, ce qui est bien, mais aussi le grand nombre d’objectifs. La France, pionnière dans le domaine spatial, a une tradition qui l’entraîne à se lancer dans de multiples projets. Mais, en tant que puissance publique, elle a de moins en moins d’argent, elle est sérieusement contrainte par l’Europe, et elle n’a plus de lanceur propre.

Comme le budget 2024 du CNES a été fixé, il n’y aura pas de surprise, il sera réalisé. Mais dans la réalité, il y aura dispersion du fait du saupoudrage, et l’on peut craindre un faible effet de la plupart des actions entreprises. Des pistes seront ouvertes, qui risquent de ne mener nulle part ou de ne pas accoucher sur grand-chose, faute pour le CNES d’avoir les moyens de les développer.

De plus, malgré ces limitations, certains choix présentés comme prioritaires peuvent être critiqués. Pourquoi donner autant d’importance à l’écologie et au climat si ce n’est par idéologie à la mode ? Par ailleurs, le CNES s’obstine à ignorer les vols habités, comme jadis le réutilisable. Ces inadéquations sont peut-être normales pour une entreprise publique dirigée par un haut fonctionnaire, certes polytechnicien, mais qui, avant sa nomination à ce poste en 2021, n’avait pas démontré un intérêt particulier pour l’espace. Malheureusement l’entreprise est en concurrence sévère avec plusieurs géants mondiaux qui ne lui feront pas de cadeaux.

Pour aborder sérieusement le sujet, il faut d’abord décrire le contexte institutionnel dans lequel le CNES travaille, puis mentionner les montants en jeu, et enfin ne pas oublier que la France mais aussi l’Europe, sont en pleine crise de leurs moyens de lancement, ce qui les contraint à acheter fort cher le service des autres, à commencer par ceux de SpaceX.

 

Une autonomie limitée

Contrairement à la NASA, le CNES n’intègre pas les lancements dans ses responsabilités. Cette différence résulte de l’importance relative de la société qui a effectué jusqu’à ce jour la quasi-totalité des lancements, ArianeGroup, restée autonome et très puissante. À côté, Roscosmos avec ses Soyouz ainsi que l’Italien Avio avec ses Vega ont utilisé les installations du Centre spatial guyanais (Kourou) qui appartiennent au CNES. Bientôt sans doute, d’autres sociétés du monde du NewSpace pourront aussi collaborer avec lui. On verra alors si les rapports entre têtes pensantes et transporteurs changeront.

Au-delà de ces rapports techniques avec ArianeGroup, l’autonomie du CNES est contrainte une première fois par l’appartenance de la France à l’ESA, l’Agence spatiale européenne. Cette dépendance est toutefois atténuée par le fait qu’elle en est le contributeur le plus important, ce qui lui donne un effet de levier non négligeable sur ses partenaires.

Elle est contrainte une seconde fois par l’appartenance de la France à l’Union européenne, les États membres (qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de l’ESA) ayant reconnu à l’Union une compétence dans le domaine spatial. Cela a donné lieu à la création en 2021 de l’EUSPA (European Union Agency for the Space Program), une agence spécifique (différente de l’ESA) qui travaille en collaboration avec la Commission de l’Union européenne et avec l’ESA. Union européenne et ESA sont liées par un accord conclu en 2004 (« Framework agreement between the European Community and the European Space Agency »).

La création de l’EUSPA marque une intention dont on n’a pas fini de constater les conséquences. L’Union européenne s’exprime par l’intermédiaire d’un commissaire, Thierry Breton, en charge de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace. Le 8 novembre, après le sommet interministériel des pays membres de l’ESA, à Séville, ce dernier a déclaré que l’Union européenne « devait avoir le contrôle de la politique des lanceurs spatiaux aujourd’hui exercé par l’ESA ». Il souhaité « qu’à l’avenir, la politique des lanceurs soit définie et pensée dans le cadre de l’Union comme déjà fait pour Iris2, la future constellation de satellites de communications sécurisées ». Dans ce contexte, la liberté de politique spatiale de l’ESA est évidemment compromise mais celle du CNES maintenant coiffé par l’EUSPA l’est tout autant.

 

Des ambitions disproportionnées aux moyens 

Pour 2024, le budget du CNES est de 3,029 milliards dont 1,108 pour la participation de la France au budget de l’ESA et 0,898 pour le programme national auxquels s’ajoutent principalement 0,211 millions pour le Programme France 2030 (pour mémoire le périmètre des dépenses publiques de la France pour 2024 est de 492 milliards). Le budget de l’ESA est de 7,8 milliards ; celui de la NASA, de 27 milliards. On voit donc que l’effort de la France pour le spatial est très faible, tant au plan national qu’au plan international. Hors contribution à l’ESA, sa marge de manœuvre est limitée à un peu plus d’un milliard.

Enfin, la France, l’Europe et l’ESA traversent actuellement une crise touchant leurs moyens de lancements, donc leur autonomie d’accès à l’espace puisqu’il n’y a plus d’Ariane-5 (dernier lancement juillet 2023), que la première Ariane-6 ne pourra voler (au mieux) qu’en juin/juillet prochain, que le petit lanceur Vega-C peine à faire ses preuves, et que les autres jeunes pousses qui l’entourent n’ont pas encore poussé (et ne proposent dans un premier temps que des micro ou des mini lanceurs). Par ailleurs, les lancements d’Ariane-6 resteront nettement plus coûteux que ceux des Falcon-9 et Heavy de SpaceX.

Dans ce contexte, les projets du CNES semblent disproportionnés car ils sont tous azimuts.

D’abord, le site des lancements, le Centre spatial guyanais à Kourou sera actualisé pour être plus vert. Le ministre de tutelle, Bruno Le Maire (dont la responsabilité principale est l’économie) veut décarboner la filière en développant les champs de panneaux solaires (en Guyane, couverte en principe de forêts) ou l’exploitation locale de l’hydrogène vert (c’était peut-être une bonne idée avant, mais personne ne lui a dit que l’on passait aujourd’hui au méthane, beaucoup plus facile à utiliser). Ce sont nos concurrents Chinois ou Indiens qui doivent bien s’amuser. Mais SpaceX appréciera sûrement aussi.

Dans la même veine, un effort particulier sera fait pour suivre l’évolution du climat car, pour les Français, l’espace est avant tout un espace pour la Terre : mission franco-américaine SWOT (Surface Water and Ocean Topography), développement du SCO (Space for Climate Observatory), satellite TRISHNA (Thermal infraRed Imaging Satellite for High-resolution Natural resource Assessment) en coopération avec l’ISRO indienne, MicroCarb (pour mesurer la concentration en CO2).

Dans l’espace, le CNES travaille aussi et travaillera encore pour la défense française. Divers systèmes doivent être mis en place à l’horizon 2030 : satellites IRIS, satellites Celeste, satellites Syracuse-5, satellites Yoda, satellites Égide. Sur les années à venir, jusqu’en 2030, la dépense représente quelque six milliards d’euros (donc le plus gros des dépenses propres). La France se voit encore comme une grande puissance militaire mondiale. Peut-être sa vision est-elle un peu datée et trop large (sans compter que dans ce domaine plus que d’autres, l’autonomie d’accès à l’espace est indispensable).

Le CNES sera aussi présent dans les technologies de communication dites innovantes : Kinéis (intercommunication des objets), renforcement du système Cospas-Sarsat (qu’on peut voir comme le successeur de SOS), soutien à Galileo (analogue GPS) et projet IRIS2 (qui se veut le concurrent du Starlink d’Elon Musk, ce qui pour un pays qui se veut écologique est assez contradictoire).

Au-delà de l’espace pour la Terre, le CNES poursuivra ses participations à diverses missions scientifiques d’exploration du système solaire en fournissant divers équipements ou services d’importance variable : Juice (lunes de Jupiter) ; Euclid (origine de l’accélération de l’expansion de l’Univers) ; SuperCam de Perseverance (Mars) ; rover Idefix de la sonde MMX de la Jaxa avec la DLR (Phobos) ; participation à la mission SVOM de la Chine (sursauts gammas) ; participation à la mission chinoise Chang’e 6 avec l’instrument DORN (détection du radon sur la Lune) ; mission HERA (support aux deux cubesats Juventas et Milani, pour examiner l’impact de DART sur l’astéroïde Dimorphos) ; participation aux programmes EnVision (nature de l’activité géologique de Vénus) et LISA (ondes gravitationnelles).

 

Quelques initiatives porteuses d’espoir

Dans le domaine de l’ingénierie spatiale, une initiative intéressante, qui s’apparente à l’action de la NASA (via le NIAC) est le programme Connect by CNES. C’est le guichet du CNES dédié au NewSpace : idéation, incubation, financement, accélération, avec accompagnement technique. 250 entreprises en ont déjà bénéficié dont 35 startups dont la mise sur orbite a été accélérée. Avec 230 millions pour 2024, il y a de quoi faire. C’est pour moi, avec la recherche scientifique, le paragraphe le plus positif du budget, mais il faudrait que les sommes allouées soient conséquentes sur la durée, et on peut déjà constater que vu le nombre d’entreprises aidées, elles seront faibles pour chacune.

Le volet spatial du programme d’investissement public France 2030 lancé en 2022, avant les élections présidentielles, se rapproche de cette initiative (une suite possible). Dix commandes publiques et quatre appels à projets ont été lancés dans ce cadre pour des micro/mini lanceurs réutilisables et sur les micro/mini satellites en orbite. Il faut bien commencer quelque part, et l’initiative est porteuse d’espoir. Mais on est encore loin des lanceurs moyens ou lourds dont disposent les Américains ou les Chinois, et dont on a besoin si l’on veut jouer dans la cour des grands.

Ces deux dernières initiatives sont peut-être dans la ligne de ce que disait Philippe Baptiste des souhaits d’Emmanuel Macron pour le transport cargo : « ouvrir, comme pour les lanceurs, la voie aux initiatives privées en autorisant les paris les plus risqués ». Et on ne peut que l’approuver car c’est en prenant des risques que l’on peut vraiment innover et gagner des marchés.

L’action la plus intéressante est sans doute celle qu’elle entreprend dans l’exploration de l’espace profond et dans le NewSpace. Mais, concernant ce second secteur, on sait qu’il faut beaucoup d’argent pour développer une activité dans l’espace. À la différence de la NASA qui a acheté les vols de Falcon de SpaceX, ni l’ESA ni l’EUSPA n’auront de moyens aussi importants, et Ariane-6 non réutilisable coûtera toujours trop cher. La seule chance du NewSpace français sera donc l’intelligence dans l’innovation de jeunes pousses (comme Maia, HyPrSpace ou Latitude) et le support de grandes fortunes du secteur privé en plus du soutien, forcément limité, de l’État ou de l’Europe. C’est malheureusement là où le bât blesse, puisqu’en France il n’y a pas de fortune privée qui s’intéresse à l’espace (comme aux États-Unis pays de la science-fiction et pays d’origine du NewSpace). Des garanties données par l’État, via le CNES seraient sans doute utiles pour déclencher des soutiens extérieurs.

 

Rien dans le programme du CNES ne traduit un intérêt quelconque pour les vols habités

Décidément, les actions dans ce domaine sont en France totalement négligées sinon ignorées. C’est dommage, car la France et indirectement l’Europe, risquent d’être totalement absentes des seconds pas sur la Lune et des premiers pas sur Mars. L’Europe se comporte dans ce domaine comme dans celui du réutilisable en considérant que ce n’est pas digne d’elle de s’y intéresser (le réutilisable était bon pour le cowboy Musk mais il a fait sa fortune).

C’est d’autant plus regrettable que des recherches importantes devraient être menées sur l’effet des radiations sur le corps humain, notamment des radiations des rayons cosmiques HZE, les plus nocifs. Avec sa tradition de recherche médicale, la France pourrait œuvrer pour trouver des contre-mesures. Je ne voudrais pas omettre d’aborder le problème des vols en apesanteur. On connaît les dommages qu’ils causent, mais on ne voit dans le programme du CNES aucune mention de la contre-mesure majeure qui serait la mise en œuvre de la gravité artificielle. À mon avis, les très brillants dirigeants du CNES, cette élite intellectuelle de la France qui n’aurait pas l’idée de penser en dehors de la boîte, s’en moque totalement. Ce sera donc d’autres qui le feront, hélas !

On peut être déçu, mais il ne faut pas s’étonner, car depuis 2021, le CNES a à sa tête un homme qui a été voulu par le palais d’où la France est dirigée. Un polytechnicien haut fonctionnaire, qui n’avait pas de vocation particulière pour l’espace mais un intérêt très marqué pour l’informatique. L’ancien chef de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur ambitionne de convertir définitivement le spatial français au numérique. C’est certes très important, mais est-ce vraiment le profil adéquat pour diriger une agence spatiale évoluant dans une concurrence débridée ? Pas sûr.

France 2024 : un système légal s’effondre, il en appelle un autre qui sera libéral ou fasciste

Commençons par un constat brutal mais nécessaire : l’édifice légal et constitutionnel de notre pays est contesté de part et d’autre pour des raisons différentes. Le Conseil constitutionnel en est le plus récent exemple mais, de plus en plus fréquemment, c’est la Cinquième République qui est mise en cause en tant que telle. Un système légal s’effondre, il en appelle un autre, qui sera ou vraiment libéral ou fasciste. L’entre-deux dans lequel nous nous trouvons depuis 1958, ce semi-libéralisme, mettons, est caduc : les signes en sont multiples. On peut choisir de les voir ou de considérer que la crise est passagère car due au macronisme, un exercice particulièrement vertical et solitaire du pouvoir. À moins que le macronisme ne soit la phase terminale de notre régime, ce qu’il est urgent d’acter avant qu’un régime illibéral ne profite de la situation de fragilité institutionnelle qui est la nôtre pour s’installer.

 

Le risque est réel : nos institutions n’ont pas la solidité de celles des États-Unis pour contrebalancer un pouvoir de type trumpiste. L’équilibre des pouvoirs n’est pas au rendez-vous de la Cinquième, ce que l’on sait déjà depuis fort longtemps. Ses critiques ont été nombreux, au premier rang desquels Raymond Aron qui n’a « jamais été gaulliste » selon le mot du Général lui-même. Le Parlement est faible, le président est trop puissant : sous un régime composé d’extrêmes, la Constitution actuelle offre trop peu de limitations envers le pouvoir exécutif.

Sous le second quinquennat Macron, le contre-pouvoir réel du pays se révèle être en réalité le Conseil constitutionnel, bien davantage que le Parlement. C’est inédit, mais il faut en prendre acte. La remise en question du Conseil des « Sages », inédite elle aussi, est un constat qui s’impose également.

Que faut-il en conclure ? Que le système légal actuel est en fin de vie, ce qui nous place dans une situation dangereuse en même temps qu’elle représente l’opportunité unique de pouvoir renouveler et revitaliser notre système politique. Les deux vont de pair : le risque de faire encore moins bien que la Cinquième, régime hybride — semi-libéral ou semi-autoritaire, on l’a dit— ou en revanche, beaucoup mieux. Ou bien nous basculons pour de bon dans un régime de type fasciste, ou bien nous devenons un régime pleinement libéral, c’est-à-dire parlementaire, dans lequel la fonction présidentielle retrouve sa juste place — voire disparaît (c’est un autre sujet, quoique corrélé). Vu le climat de tensions du pays dont la crise des agriculteurs n’est qu’une énième illustration, le risque est grand qu’une dérive autoritaire s’installe en France.

Comment y échapper ?

Il y a deux conditions impératives pour qu’un renouvellement institutionnel et politique se passe dans de bonnes conditions : c’est que la notion de légitimité et celle de légalité veuillent à nouveau dire quelque chose. Qu’on songe seulement aux procès en légitimité de l’élection d’Emmanuel Macron qui n’ont cessé de fleurir depuis le début de sa seconde mandature : on peut considérer que ces procès faits au président sont eux-mêmes illégitimes, il n’en demeure pas moins que le sentiment d’une « illégitimité présidentielle » s’est propagé et qu’il faut lui donner droit de cité — ce qui ne veut pas dire qu’on le cautionne ou qu’on l’approuve. La récurrence de ce procès doit nous interpeller : on ne peut en rester à sa seule condamnation, il demande à être pris au sérieux.

Qu’on songe par ailleurs à la manière dont les lois sont désormais appliquées à géométrie variable selon que des agriculteurs s’attaquent à des bâtiments publics ou que des manifestants contre la réforme des retraites, ou des Gilets jaunes, commettent des infractions : l’intervention du ministre de l’Intérieur au 20 heures de TF1 jeudi 25 janvier dernier a suscité un tollé de réactions bien compréhensibles face au propos par lui prononcés : « Est-ce qu’on doit les [les agriculteurs] laisser faire ? Oui, on doit les laisser faire » quand bien même ceux-ci portent gravement atteinte à l’ordre public. « Deux poids deux mesures » semblent s’appliquer, comme l’a alors justement rétorqué Gilles Bouleau au ministre. Il y a là un symptôme d’un dysfonctionnement sans précédent dans l’application de nos lois qui laisse entrevoir, béante, une rupture d’égalité entre les citoyens. Cette rupture est elle-même annonciatrice d’un mal plus grave : l’effondrement du système légal dans son ensemble. Dès lors que certaines catégories de citoyens sont privilégiées par rapport à d’autres, le pacte démocratique est mis à mal, et la concorde civile, menacée. La légitimité et la légalité fracturées, c’est l’appareil étatique lui-même qui se retrouve à vaciller dangereusement.

 

La Légalité et la Légitimité marchent ensemble, quoiqu’elles ne se situent pas sur le même plan : l’une relève du juridique, de l’appareil législatif, quand l’autre relève du moral et du politique.

Complémentaire l’une de l’autre, leur combinaison, selon des modalités qui varient en fonction du type de régime, produit les conditions de l’exercice d’un pouvoir plus ou moins stable, c’est-à-dire respecté. L’une et l’autre viennent-elles à être contestées, l’État de droit n’est plus garanti, mettant en péril l’ordre politique jusque-là en vigueur. Son effondrement constitue la première étape d’une Révolution. Ce qu’il importe de comprendre, c’est que légitimité et légalité vont de pair, et que la légalité découle seulement de la première. Les lois ont force de loi pour autant que leur légitimité, — ce mélange intime de raison, de sensibilité, de tact et de lucidité qui fait qu’on croit dans ce qu’on vote— de laquelle elles découlent, est respecté. La légitimité de lois légalement établies, c’est-à-dire votées et promulguées, n’est jamais acquise pour toujours quand bien même l’appareil légal est dûment établi : on peut cesser de penser que ces lois sont légitimes tout en sachant qu’elles sont légales, à l’instar de certaines positions sur la réforme des retraites. Une avalanche de formalisme et de procédures techniques est venue noyer le fait que l’assentiment populaire n’était pas là : la légalité a supplanté la légitimité — c’est littéralement inverser l’ordre des choses quoiqu’il y ait eu une élection, prise à tort pour un blanc-seing perpétuel.

C’est la transgression ultime du macronisme : malgré son élection légale et la légalité de son élection, Emmanuel Macron s’est assis sur le principe de légitimité, il en a fait fi. Or, il faut plus que des lois pour faire que les lois fassent loi, et c’est cette assise politico-morale qui fait aujourd’hui défaut à la France en 2024. Quand tout passe en force, rien ne passe légitimement, rien ne peut bien se passer. Il y a un effet d’usure qui mine souterrainement et de l’intérieur la force de nos institutions qui sont comme un arc trop tendu dont l’élastique a été usé jusqu’au point de rupture.

Le génie politique français est atone : il faut le réinventer. Comment cela ?

L’unique remède est de repenser la légitimité du pouvoir, donc aussi le pouvoir de la légitimité. Cela ne relève pas du juridique et du législatif, mais d’abord d’inclinations politiques aussi bien que d’une convergence morale entre les citoyens : c’est de l’alchimie entre les deux que viendra la solution, mélange de confiance et d’assentiment à l’endroit d’une nouvelle proposition politique solide qui prend le mal à la racine — très ancienne. D’aucuns pourraient préférer à cet égard l’antienne autoritaire à l’option libérale, d’autant que le macronisme a gravement entamé le crédit du libéralisme politique, en étant son faussaire bien plutôt que son accomplissement. C’est aux (vrais) libéraux français de faire en sorte que l’option libérale prévale entre toutes en expliquant que le macronisme a été une contrefaçon du libéralisme et non sa réalisation. C’est sans doute là la tâche la plus difficile.

Cette option est néanmoins de très loin la plus souhaitable du point de vue de la garantie des libertés publiques et individuelles tout comme de l’efficacité dans la prise de décisions. La légitimité de l’homme fort, de Napoléon à Emmanuel Macron, est en péril : c’est l’illusion d’une efficacité dans l’action. Débarrassons-nous de ce mythe encombrant, plutôt de que le renforcer encore, ce qui est, hélas, toujours possible. Soyons conscient que le statu quo de la situation actuelle ne tiendra pas dans la durée : semblablement à une falaise, on ne retient pas une légalité qui s’effondre, et c’est bien ce qui semble se produire et devant quoi il ne faut pas avoir peur. Ou bien on optera (hélas) pour un césarisme renforcé ou bien pour sa mise entre parenthèse, qu’on espèrera pérenne. La légitimité du pouvoir, c’est-à-dire le génie de la Cinquième République gaulliste, étant en train de s’écrouler : il faut se préparer à en faire advenir une nouvelle.

6 (courtes) questions sur les déterminants économiques de la crise agricole

Xavier Hollandts est professeur associé à la KEDGE Business School. Docteur et HDR en sciences de gestion, il enseigne l’entrepreneuriat et la stratégie. Spécialiste des questions agricoles, il intervient régulièrement sur ces sujets dans les médias. Ses travaux académiques ont notamment été publiés dans Corporate Governance, Journal of Institutional Economics, Managerial and Decision Economics, ou la Revue Économique.

 

Crise des agriculteurs : le rôle de la PAC

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le mouvement de colère des agriculteurs n’est pas propre à notre pays. Il s’exprime aussi aux Pays-Bas, en Belgique, en Roumanie, en Italie, en Allemagne.. quel rôle a eu la politique agricole européenne dans le déclenchement de ces crises ? 

Xavier Hollandts La politique agricole européenne a toujours été la colonne vertébrale des politiques agricoles nationales et de leur déclinaison dans les territoires. Elle constitue même, historiquement, la première vraie politique commune à l’échelle européenne. Il ne faut pas oublier que la politique agricole, lorsqu’elle s’appuyait sur les quotas, était un puissant outil de régulation. Outil qui servait à piloter les volumes et qui jouait aussi un rôle d’amortisseur en cas de crise agricole. Les quotas ayant disparu progressivement dans les années 2010, on assiste depuis lors à une dérégulation des prix et des marchés. La politique agricole s’appuie désormais sur quelques leviers, essentiellement incitatifs, et le rôle d’amortisseur n’est plus du tout assuré par la politique agricole. Alors qu’elle était vue d’un bon œil par une majorité des paysans, la politique agricole est désormais vue comme un ensemble de contraintes et un corset règlementaire. 

 

Impact des traités de libre-échange sur le secteur agricole, sur le pouvoir d’achat et l’assiette des Français

Le libre-échange a-t-il tué l’agriculture française ? Quelles répercussions ont eu le CETA et le récent traité signé entre l’UE et la Nouvelle-Zélande sur la filière agricole française ? Sur le pouvoir d’achat et la santé des Français ?

On ne peut pas dire ça ou présenter les choses comme cela. Le libre-échange, c’est aussi la libre circulation des biens et services et, indirectement, des hommes et des femmes. Il est certain et bien documenté que les accords commerciaux et de libre-échange ont des répercussions sur plusieurs pans de notre agriculture, et que cela affecte surtout les exploitations agricoles familiales. Mais il faut aussi reconnaître que ces accords vont plutôt dans le sens, ou servent les intérêts de nos géants de l’agroalimentaire notamment. Car ils ouvrent des marchés et permettent à ces grandes entreprises de mieux en pénétrer d’autres. 

Nous allons assister à une amplification d’un mouvement déjà bien entamé : à savoir la combinaison d’une dérégulation, d’un abaissement des barrières douanières, couplés à des échanges relativement inégaux, en termes de qualité comme de conditions de production. Paradoxalement, cela va aussi permettre aux Français, dont le pouvoir d’achat stagne en moyenne, d’accéder à des produits agricoles moins chers, mais aussi de moins bonne qualité. 

 

Mercosur : quelles filières y perdraient ?

La ratification du projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur semble particulièrement fragilisée. Quels secteurs d’activité auraient le plus à perdre et le plus à gagner s’il venait à être signé ?

Si cet accord est signé, on va assister à l’importation, sans doute massive, de produits transformés ou bruts essentiellement dans la filière volaille, sucre et aussi certains types de légumes. Le soja ou le riz sont des produits certes emblématiques, mais qui étaient déjà massivement produits à l’étranger et importés. Si ce traité n’est pas signé je dirais que ce sont certaines commodités (le lait en poudre par exemple) et les services à l’agriculture qui pourront être impactés négativement (insémination, services techniques, agriculture de précision).

 

Clauses miroir : sont-elles réellement applicables ?

Les distorsions de concurrence sont-elles inévitables dans le cadre de traités de libre-échange ? À quel point les clauses de réciprocité sont-elles réellement applicables avec des marchés qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations, si ce n’est à aligner les standards sur le pays le moins exigeant ? 

Dans ce type de négociation, il faut bien se rendre compte que tout est affaire de compromis. L’objectif est donc de trouver un équilibre entre les demandes des différentes parties, notamment du point de vue des normes de production. C’est le fameux sujet des clauses miroirs et de la réciprocité. Il faut tendre vers un échange le plus équitable et équilibré possible… ce qui en matière agricole est loin d’être évident. 

 

Hypothèse 1. Le fantasme de M. Mélenchon

Exercice de pensée 1. Quelles seraient les conséquences d’une interdiction de tous les produits agricoles importés, dont la production a été faite selon des standards différents des nôtres, dans l’assiette et dans le porte-monnaie des Français ?

C’est très simple : nous aurions des rayons à moitié vides, si ce n’est pire, dans les supermarchés et commerces de détail, mais également dans le secteur de la restauration qui est assez friand de produits importés. Nous aurions des produits introuvables car non produits en Europe (fruits exotiques, mais aussi amandes ou arachides, et certaines huiles). Et puis, nous aurions sans doute à payer notre alimentation plus cher.

La mondialisation des échanges semble inéluctable en matière d’agriculture car très peu de pays peuvent prétendre avoir la capacité (1) à nourrir leur population et (2) avoir suffisamment de diversité de production. 

 

Hypothèse 2. Un pays sans paysans

Exercice de pensée 2. L’économie française peut-elle se passer du secteur agricole ? 

Non. D’autant plus que cela fait partie de notre identité et de notre patrimoine matériel et immatériel comme vient de le rappeler le Premier ministre. Dans le fond, aucun Français ne souhaite se passer de l’agriculture, mais pour lui venir en aide, il faudra tôt ou tard faire des choix courageux et également accepter de payer le juste prix à nos paysans.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Quand la fiscalité prend l’eau : focus sur la « taxe inondation »

Depuis plusieurs mois, de nombreux départements subissent des inondations particulièrement destructrices. Mais nos impôts sont censés protéger leurs habitants.

En effet, depuis 2014 existe une nouvelle taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, aussi intitulée GEMAPI ou « taxe inondation ».

La particularité de cette taxe facultative est de relever de la compétence exclusive des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ne votent pas un taux mais un produit final attendu réparti entre les contribuables des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la contribution foncière des entreprises. Le taux de la taxe est ensuite déterminé en divisant le produit attendu par les bases nettes des quatre taxes. Ce qui revient à augmenter les impôts locaux d’une taxe additionnelle prélevée en même temps qu’eux et destinée à gérer les milieux aquatiques et prévenir les inondations.

La taxe connaît un succès tellement foudroyant qu’aujourd’hui plus de la moitié des communes et plus de la moitié de la population sont soumis à cette taxe. En 2017, elle rapportait 25 millions d’euros. En 2022, ce sont 380 millions d’euros de recettes fiscales qui sont entrées dans les caisses des collectivités locales pour, entre autres, prévenir les inondations. Pourquoi cette augmentation ? De plus en plus d’intercommunalités ont recours à cette taxe qui permet d’augmenter les impôts locaux tout en annonçant ne pas augmenter la taxe foncière, mais aussi parce qu’une fois en place, les taux, faibles au début, grimpent progressivement. Insensiblement, l’augmentation est parfois exponentielle. Quand le taux des Hauts-de-Seine passe de 0,01 % à 0,07 %, cela peut paraître dérisoire mais représente une multiplication par 7 de la taxe. Des collectivités sont d’ailleurs inquiètes car le montant de la taxe est plafonné à 40 euros par habitant et… certaines approchent ce seuil. Preuve que le montant est de moins en moins insignifiant.

Au cumul, c’est aujourd’hui plus d’un milliard d’euros que les propriétaires et entreprises ont dû débourser depuis la création de la taxe. Les crues récentes conduisent pourtant à s’interroger sur son efficacité. Au vu du nombre de déclarations de sinistres, on peut légitimement se demander où est passé l’argent. Certains répondront qu’avec le dérèglement climatique, le résultat aurait été encore pire sans la taxe. Pourtant, la détresse des habitants et des services de secours suffit à en douter.

Dans le cas des départements du Nord et du Pas-de-Calais, durement touchés par les inondations, on peut d’autant plus s’inquiéter du poids de la fiscalité anti-inondation, que la taxe GEMAPI est en fait venue s’ajouter à une ancestrale taxe sur les wateringues. Ces dernières sont des canaux artificiels destinés à drainer l’eau excédentaire vers la mer, et éviter ainsi les inondations consécutives au fait que certains territoires côtiers du nord de la France se situent au-dessous du niveau de la mer. L’entretien de ces canaux est assumé par l’Institution Intercommunale des Wateringues et financé par une taxe acquittée notamment par les propriétaires de terres agricoles encadrées par les wateringues et qui rapporte environ 5 millions d’euros par an.

La taxe ayant été maintenue malgré l’apparition de la taxe GEMAPI, celle-ci semble maintenant faire double emploi. À la rigueur, un financement supplémentaire aurait pu se justifier s’il avait conduit à une efficacité accrue du dispositif. Or, la Chambre Régionale des comptes des Hauts-de-France a publié quelques semaines avant les premières crues automnales un rapport alertant sur le « difficile exercice de la coordination des compétences GEMAPI » né, entre autres, d’un partage des tâches qui semble parfois incompris entre le syndicat des wateringues et les autres intercommunalités.

Les dernières crues du Pas-de-Calais semblent montrer qu’avant de créer de nouvelles taxes, il serait utile de savoir comment les dépenser utilement.

« Nous devons mettre en place une diplomatie de guerre » grand entretien avec Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes occidentales en Ukraine, à l’occasion d’une conférence internationale, lundi 26 février dernier.

 

Hypothèse d’une victoire russe : à quelles répercussions s’attendre ?

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Dans Notre Guerre, vous écrivez : « Les aiguilles de l’horloge tournent sans relâche, associant toujours plus de morts à leur fuite en avant. Mais il arrive aussi un moment où le temps presse. L’Ukraine pourrait mourir. Ce sera de notre faute, et alors le glas de la mort sonnera pour nous. » Quelles seraient les conséquences d’une défaite de l’Ukraine ?

Nicolas Tenzer Elles seraient catastrophiques sur tous les plans et marqueraient un tournant à certains égards analogue mutatis mutandis à ce qu’aurait été une victoire de l’Allemagne nazie en 1945. Outre que cela entraînerait des centaines de milliers de victimes ukrainiennes supplémentaires, elle signifierait que les démocraties n’ont pas eu la volonté – je ne parle pas de capacité, car elle est réelle – de rétablir le droit international et de faire cesser un massacre d’une ampleur inédite en Europe, nettement supérieure à celui auquel nous avons assisté lors de la guerre en ex-Yougoslavie, depuis la Seconde Guerre mondiale.

La crédibilité de l’OTAN et des garanties de sécurité offertes par les États-Unis et l’Union européenne en serait à jamais atteinte, non seulement en Europe, mais aussi en Asie et au Moyen-Orient. Toutes les puissances révisionnistes s’en réjouiraient, en premier lieu la République populaire de Chine. La Russie poursuivrait son agression au sein du territoire des pays de l’OTAN et renforcerait son emprise sur la Géorgie, le Bélarus, la Syrie, certains pays d’Afrique ou même d’Asie, comme en Birmanie, et en Amérique du Sud (Venezuela, Cuba, Nicaragua).

Cela signifierait la mort définitive des organisations internationales, en particulier l’ONU et l’OSCE, et l’Union européenne, déjà minée par des chevaux de Troie russes, notamment la Hongrie et la Slovaquie, pourrait connaître un délitement. Le droit international serait perçu comme un torchon de papier et c’est l’ordre international, certes fort imparfait, mis en place après Nuremberg, la Charte des Nations unies et la Déclaration de Paris de 1990, qui se trouverait atteint. En Europe même, la menace s’accentuerait, portée notamment par les partis d’extrême droite. Nos principes de liberté, d’État de droit et de dignité, feraient l’objet d’un assaut encore plus favorisé par la propagande russe. Notre monde tout entier serait plongé dans un état accru d’insécurité et de chaos. Cela correspond parfaitement aux objectifs de l’idéologie portée par le régime russe que je décris dans Notre Guerre, qu’on ne peut réduire uniquement à un néo-impérialisme, mais qui relève d’une intention de destruction. C’est la catégorie même du futur qui serait anéantie.

C’est pourquoi il convient de définir clairement nos buts de guerre : faire que l’Ukraine gagne totalement et que la Russie soit radicalement défaite, d’abord en Ukraine, car telle est l’urgence, mais aussi en Géorgie, au Bélarus et ailleurs. Un monde où la Russie serait défaite serait un monde plus sûr, mais aussi moins sombre, et plus lumineux pour les peuples, quand bien même tous les problèmes ne seraient pas réglés. Les pays du sud ont aussi à y gagner, sur le plan de la sécurité énergétique et alimentaire, mais aussi de la lutte anti-corruption et des règles de bon gouvernement – songeons à l’Afrique notamment.

 

Peut-on négocier avec Poutine ?

Pourquoi pensez-vous qu’il n’est pas concevable de négocier avec la Russie de Poutine ? Que répondez-vous à l’ancien ambassadeur Gérard Araud qui plaide pour cette stratégie ? C’est aussi le point de vue de la géopolitologue Caroline Galacteros, qui écrit : « Arrêtons le massacre, celui sanglant des Ukrainiens et celui économique et énergétique des Européens . Négociations !! pendant qu’il y a encore de quoi négocier… ». Comment comprenez-vous cette position ? 

Je ne confondrai pas les positions de madame Galacteros, dont l’indulgence envers la Russie est bien connue, et celle de Gérard Araud qui n’est certainement pas pro-Kremlin. Ses positions me paraissent plutôt relever d’une forme de diplomatie classique, je n’oserais dire archaïques, dont je montre de manière détaillée dans Notre Guerre les impensés et les limites. Celles-ci m’importent plus que les premières qui sont quand même très sommaires et caricaturales. Je suis frappé par le fait que ceux, hors relais de Moscou, qui parlent de négociations avec la Russie ne précisent jamais ce sur quoi elles devraient porter ni leurs conséquences à court, moyen et long termes.

Estiment-ils que l’Ukraine devrait céder une partie de son territoire à la Russie ? Cela signifierait donner une prime à l’agresseur et entériner la première révision par la force des frontières au sein de l’Europe, hors Seconde Guerre mondiale, depuis l’annexion et l’invasion des Sudètes par Hitler. Ce serait déclarer à la face du monde que le droit international n’existe pas. De plus, laisser la moindre parcelle du territoire ukrainien aux mains des Russes équivaudrait à détourner le regard sur les tortures, exécutions, disparitions forcées et déportations qui sont une pratique constante, depuis 2014 en réalité, de la Russie dans les zones qu’elle contrôle. Je ne vois pas comment la « communauté internationale » pourrait avaliser un tel permis de torturer et de tuer.

Enfin, cela contreviendrait aux déclarations de tous les dirigeants politiques démocratiques depuis le début qui ne cessent de proclamer leur attachement à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine. Se déjuger ainsi serait renoncer à toute crédibilité et à toute dignité. Je trouve aussi le discours, explicitement ou implicitement pro-Kremlin, qui consiste à affirmer qu’il faut arrêter la guerre pour sauver les Ukrainiens, pour le moins infamant, sinon abject, quand on sait que, après un accord de paix, ceux-ci continueraient, voire s’amplifieraient encore.

Suggèrent-ils qu’il faudrait renoncer à poursuivre les dirigeants russes et les exécutants pour les quatre catégories de crimes imprescriptibles commis en Ukraine, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime de génocide et crime d’agression ? Il faut leur rappeler que le droit international ne peut faire l’objet de médiation, de transaction et de négociation. Il s’applique erga omnes. Le droit international me semble suffisamment affaibli et mis à mal pour qu’on n’en rajoute pas. Cela fait longtemps que je désigne Poutine et ses complices comme des criminels de guerre et contre l’humanité et je me réjouis que, le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale l’ait inculpé pour crimes de guerre. Il est légalement un fugitif recherché par 124 polices du monde. On peut gloser sur les chances qu’il soit un jour jugé, mais je rappellerai que ce fut le cas pour Milosevic. En tout état de cause, l’inculpation de la Cour s’impose à nous.

Veulent-ils signifier qu’on pourrait fermer les yeux sur la déportation de dizaines de milliers d’enfants ukrainiens en Russie, ce qui constitue un génocide, en vertu de la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide ? On ose à peine imaginer qu’ils aient cette pensée. Là aussi, il est dans notre intérêt à donner des signaux cohérents et forts.

Entendent-ils enfin qu’il serait acceptable que la Russie soit dispensée de payer les réparations indispensables pour les dommages de guerre subis par l’Ukraine, qui sont aujourd’hui estimer à environ deux trillions d’euros ? Veulent-ils que cette charge incombe aux assujettis fiscaux des pays de l’Alliance ? Tout ceci n’a aucun sens, ni stratégique, ni politique.

Sur ces quatre dimensions, nous devons être fermes, non seulement aujourd’hui, mais dans la durée. Dans mon long chapitre sur notre stratégie à long terme envers la Russie, j’explique pourquoi nous devons maintenir les sanctions tant que tout ceci n’aura pas été fait. C’est aussi la meilleure chance pour qu’un jour, sans doute dans quelques décennies, la Russie puisse évoluer vers un régime démocratique, en tout cas non dangereux.

En somme, ceux qui souhaitent négocier avec la Russie tiennent une position abstraite qui n’a rien de réaliste et de stratégiquement conséquent en termes de sécurité. Si la Russie n’est pas défaite totalement, elle profitera d’un prétendu accord de paix pour se réarmer et continuer ses agressions en Europe et ailleurs. C’est la raison pour laquelle je consacre des développements approfondis dans la première partie de Notre Guerre à réexaminer à fond certains concepts qui obscurcissent la pensée stratégique que je tente de remettre d’aplomb. Je reviens notamment sur le concept de réalisme qui doit être articulé aux menaces, et non devenir l’autre nom de l’acceptation du fait accompli. Je m’y inspire de Raymond Aron qui, à juste titre, vitupérait les « pseudo-réalistes ».

Je porte aussi un regard critique sur la notion d’intérêt, et notamment d’intérêt national, tel qu’il est souvent entendu. Lié à la sécurité, il doit intégrer principes et valeurs. Je montre également que beaucoup d’analystes de politique étrangère ont, à tort, considéré États et nations dans une sorte de permanence plutôt que de se pencher sur les spécificités de chaque régime – là aussi, la relecture d’Aron est précieuse. Enfin, je démontre que traiter de politique étrangère sérieusement suppose d’y intégrer le droit international et les droits de l’Homme, alors qu’ils sont trop souvent sortis de l’analyse de sécurité. Pourtant, leur violation est le plus généralement indicatrice d’une menace à venir.

 

Sanctions : comment les rendre efficaces ?

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Il semble que la Russie ait mis en place une stratégie de contournement plutôt efficace : depuis 2022, les importations (notamment depuis l’Allemagne) de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi… Sans parler de l’accélération des échanges entre la Russie et la Chine. Que faudrait-il vraiment faire pour isoler économiquement la Russie ?

C’est un point déterminant. Même si les différents paquets de sanctions décidés tant par l’Union européenne que par les États-Unis et quelques autres pays comme le Japon et la Corée du Sud, sont les plus forts jamais mis en place, ils restent encore incomplets, ce qui ne signifie pas qu’ils soient sans effets réels – ne les minimisons pas. Je reprends volontiers la proposition émise par la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, qui proposait un embargo total sur le commerce avec la Russie. Je constate aussi que certains pays de l’UE continuent d’importer du gaz naturel liquéfié russe (LNG) et qu’une banque autrichienne comme Raiffaisen a réalisé l’année dernière la moitié de ses profits en Russie. Certaines entreprises européennes et américaines, y compris d’ailleurs françaises, restent encore présentes en Russie, ce qui me paraît inacceptable et, par ailleurs, stupide dans leur intérêt même.

Ensuite, nous sommes beaucoup trop faibles en Europe sur les sanctions extraterritoriales. Il existe une réticence permanente de certains États à s’y engager, sans doute parce que les États-Unis les appliquent depuis longtemps, parfois au détriment des entreprises européennes. C’est aujourd’hui pourtant le seul moyen pour éviter les contournements. Nous devons mettre en place ce que j’appelle dans Notre Guerre une diplomatie de guerre : sachons dénoncer et agir contre les pratiques d’États prétendument amis, au Moyen-Orient comme en Asie, qui continuent de fournir la machine de guerre russe.

Enfin, nous devons décider rapidement de saisir les avoirs gelés de la Banque centrale russe (300 milliards d’euros) pour les transférer à l’Ukraine, d’abord pour renforcer ses capacités d’achats d’armements, ensuite pour la reconstruction. Les arguties juridiques et financières pour refuser de s’y employer ne tiennent pas la route devant cette urgence politique et stratégique.

 

La nécessité d’une intervention directe

Les alliés de l’Ukraine soutiennent l’effort de guerre de l’Ukraine en aidant financièrement son gouvernement et en lui livrant des armes. Qu’est-ce qui les empêche d’intervenir directement dans le conflit ?

La réponse est rien.

Dès le 24 février 2022 j’avais insisté pour que nous intervenions directement en suggérant qu’on cible les troupes russes entrées illégalement en Ukraine et sans troupes au sol. J’avais même, à vrai dire, plaidé pour une telle intervention dès 2014, date du début de l’agression russe contre le Donbass et la Crimée ukrainiens. C’eût été et cela demeure parfaitement légal en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies qui dispose que non seulement un État agressé peut répliquer en frappant les infrastructures militaires et logistiques sur le territoire de l’ennemi, mais que tout autre État se portant à son secours peut également légalement le faire. Cela aurait mis fin rapidement à la guerre et aussi épargné la mort de plus d’une centaine de milliers d’Ukrainiens, civils et militaires. Cela aurait renforcé notre sécurité et la crédibilité de notre dissuasion.

Si nous, Alliés, ne l’avons pas fait et si nous sommes encore réticents, c’est parce que nous continuons de prendre au sérieux les récits du Kremlin qui visent à nous auto-dissuader. Je consacre toute une partie de Notre Guerre à explorer comment s’est construit le discours sur la menace nucléaire russe, bien avant le 24 février 2022.

Certes, nous devons la considérer avec attention et sans légèreté, mais nous devons aussi mesurer son caractère largement fantasmé. Poutine sait d’ailleurs très bien que l’utilisation de l’arme nucléaire aurait pour conséquence immédiate sa propre disparition personnelle qui lui importe infiniment plus que celle de son propre peuple qu’il est prêt à sacrifier comme il l’a suffisamment montré. On s’aperçoit d’ailleurs que même l’administration Biden qui, au début de cette nouvelle guerre, avait tendance à l’amplifier, ce qui faisait involontairement le jeu de la propagande russe, a aujourd’hui des propos beaucoup plus rassurants. Mais cette peur demeure : je me souviens encore avoir entendu, le 12 juillet 2023, alors que j’étais à Vilnius pour le sommet de l’OTAN, Jake Sullivan, conseiller national pour la sécurité du président américain, évoquer le spectre d’une guerre entre l’OTAN et la Russie. Ce n’est pas parce que les Alliés seraient intervenus, ou interviendraient aujourd’hui, que cette guerre serait déclenchée. Je crois au contraire que la Russie serait obligée de plier.

Là aussi, il convient de remettre en question le discours de la propagande russe selon lequel une puissance nucléaire n’a jamais perdu la guerre : ce fut le cas des États-Unis au Vietnam et, de manière plus consentie, en Afghanistan, et bien sûr celui de l’ancienne URSS dans ce dernier pays. Songeons aussi au signal que, en refusant d’intervenir, nous donnerions à la Chine : cela signifierait-il que, parce qu’elle est une puissance nucléaire, elle pourrait mettre la main sur Taïwan sans que nous réagissions ? Il faut songer au signal que nous envoyons.

Enfin, et j’examine cela dans mon livre de manière plus détaillée, se trouve posée directement la question de la dissuasion au sein de l’OTAN. Celle-ci repose fondamentalement, du moins en Europe, sur la dissuasion nucléaire et la perspective de l’activation de l’article 5 du Traité de Washington sur la défense collective. Elle concerne aussi, par définition, les pays de l’Alliance, ce qui d’ailleurs montre la faute majeure qui a été celle de la France et de l’Allemagne en avril 2008 de refuser un plan d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN lors du sommet de Bucarest. Emmanuel Macron l’a implicitement reconnu lors de son discours du 31 mai 2023 lors de son discours au Globsec à Bratislava.

Une double question se pose donc. La première est celle de notre dissuasion conventionnelle, qui a été en partie le point aveugle de l’OTAN. Je propose ainsi qu’on s’oriente vers une défense territoriale de l’Europe. La seconde est liée au cas de figure actuel : que faisons-nous lorsqu’un pays non encore membre de l’Alliance, en l’occurrence l’Ukraine, est attaqué dès lors que cette agression comporte un risque direct sur les pays qui en sont membres ?

 

Hypothèse d’un retour de Donald Trump

Donald Trump est bien parti pour remporter l’investiture des Républicains en juin prochain. Quelles seraient les conséquences d’une potentielle réélection de l’ancien président américain sur la guerre en Ukraine ? 

À en juger par les déclarations de Donald Trump, elles seraient funestes. On ne peut savoir s’il déciderait de quitter l’OTAN qu’il avait considérée comme « obsolète », mais il est fort probable qu’il diminuerait de manière drastique les financements américains à l’OTAN et l’effort de guerre en faveur de l’Ukraine. Les Européens se trouveraient devant un vide vertigineux. S’il fallait compenser l’abandon américain, y compris sur le volet nucléaire – au-delà des multiples débats doctrinaux sur le rôle des dissuasions nucléaires française et britannique –, les pays de l’UE devraient porter leurs dépenses militaires à 6 ou 7 % du PIB, ce qui pourrait difficilement être accepté par les opinions publiques par-delà les questions sur la faisabilité. Ensuite, cela ne pourrait pas se réaliser en quelques mois, ni même en quelques années sur un plan industriel en termes d’armements conventionnels.

En somme, nous devons poursuivre nos efforts au sein de l’UE pour transformer de manière effective nos économies en économies de guerre et porter à une autre échelle nos coopérations industrielles en matière d’armement au sein de l’Europe. Mais dans l’immédiat, les perspectives sont sombres. Cela sonnera l’heure de vérité sur la volonté des dirigeants européens de prendre les décisions radicales qui s’imposent. J’espère que nous ferons en tout cas tout dans les mois qui viennent pour apporter une aide déterminante à l’Ukraine – nous avons encore de la marge pour aller plus vite et plus fort.

Les États-Unis et l’Europe restent encore à mi-chemin et n’ont pas livré à l’Ukraine toutes les armes, en quantité et en catégorie, qu’ils pouvaient lui transférer, notamment des avions de chasse et un nombre très insuffisant de missiles à longue portée permettant de frapper  le dispositif ennemi dans sa profondeur. Quant au président Biden, il devrait comprendre qu’il lui faut aussi, dans le temps qui lui reste avant les élections de novembre, donner à Kyiv toutes les armes possibles. Il serait quand bien mieux placé dans la course à sa réélection s’il apparaissait aux yeux de se concitoyens comme le « père la victoire ».

 

« La puissance va à la puissance »

La guerre d’agression de la Russie en Ukraine n’est pas un événement isolé. Il semble que l’impérialisme russe cherche à prendre notre continent en étau en déstabilisant nos frontières extérieures. À l’Est, via des actions d’ingérence militaire, de déstabilisation informationnelle, de corruption et d’intimidation qui ont commencé dès son arrivée au pouvoir dans les années 2000, et bien entendu à travers la guerre conventionnelle lancée contre l’Ukraine. Au Sud, la stratégie d’influence russe se développe depuis une décennie. Si elle est moins visible, elle n’en est pas moins nuisible. Ces dix dernières années, Moscou a approfondi sa coopération militaire avec le régime algérien et s’est ingéré dans le conflit libyen à travers des sociétés militaires privées comme Wagner. On a vu le seul porte-avions russe mouiller dans le port de Tobrouk en 2017, mais aussi des navires de guerre russes faire des exercices communs avec des bâtiments algériens sur les côtes algériennes en août 2018, en novembre 2019, en août et en novembre 2021, en octobre et en juillet 2022 et en août 2023. Au sud du Sahara, le régime de Poutine sert d’assurance-vie à la junte installée au Mali depuis 2020 et soutien l’Alliance des États du Sahel (composée des régimes putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger). Quelle diplomatie adopter pour conjurer la menace russe, à l’Est comme au Sud ?

Votre question comporte deux dimensions qui sont à la fois sensiblement différentes et liées. La première est celle de la guerre de l’information et de ses manipulations. Celle-ci se déploie sur quasiment tous les continents, en Europe occidentale autant que centrale et orientale, dans les Amériques, du Nord et du Sud, au Moyen-Orient, en Afrique et dans certains pays d’Asie. Pendant deux décennies, nous ne l’avons pas prise au sérieux, ni chez nous ni dans certains pays où elle visait aussi à saper nos positions.

Malgré certains progrès, nous ne sommes pas à la hauteur, y compris en France, comme je l’avais expliqué lors de mon audition devant la Commission de l’Assemblée nationale sur les ingérences extérieures l’année dernière, et comme je le développe à nouveau dans Notre Guerre. Nous n’avons pas, dans de nombreux pays, une attitude suffisamment ferme à l’encontre des relais nationaux de cette propagande et n’avons pas mise à jour notre système législatif. En Afrique, la France n’a pas pendant longtemps mesuré, malgré une série d’études documentées sur le sujet, ni riposté avec la force nécessaire aux actions de déstabilisation en amont. Moscou a consacré des moyens considérables, et même disproportionnés eu égard à l’état de son économie, à ces actions et ses responsables russes n’ont d’ailleurs jamais caché que c’était des armes de guerre. Nous avons détourné le regard et ne nous sommes pas réarmés en proportion.

La seconde dimension est celle de l’attitude favorable de plusieurs pays envers Moscou, avec une série de gradations, depuis une forme de coopération étendue, comme dans le cas de l’Algérie, du Nicaragua, de l’Iran, du Venezuela, de Cuba, de l’Érythrée et de la Corée du Nord – sans même parler de groupes terroristes comme le Hamas –, une action commune dans le crime de masse – Syrie –, une complicité bienveillante – Égypte, Émirats arabes unis, Inde, Afrique du Sud, mais aussi Israël avec Netanyahou – et parfois active – République populaire de Chine – ou une soumission plus ou moins totale – Bélarus et certains des pays africains que vous mentionnez. Sans pouvoir entrer ici dans le détail, l’attitude des démocraties, qui doit aussi être mieux coordonnée et conjointe, ne peut être identique. Dans des cas comme celui de la Syrie, où nous avons péché par notre absence d’intervention, notre action doit être certainement militaire. Envers d’autres, nous devons envisager un système de sanctions renforcées comme je l’évoquais. Dans plusieurs cas, notamment en direction des pays ayant envers Moscou une attitude de neutralité bienveillante et souvent active, un front uni des démocraties doit pouvoir agir sur le registre de la carotte et du bâton. Nous payons, et cela vaut pour les États-Unis comme pour les grands pays européens, dont la France, une attitude négligente et une absence de définition de notre politique. Rappelons-nous, par exemple, notre absence de pression en amont envers les pays du Golfe lorsqu’ils préparaient le rétablissement des relations diplomatiques avec Damas, puis sa réintégration dans la Ligue arabe. Nous n’avons pas plus dissuadé l’Égypte de rétablir des relations fortes avec Moscou et cela n’a eu aucun impact sur nos relations avec Le Caire. Avec l’Inde, nous fermons largement les yeux sur la manière dont Delhi continue, par ses achats de pétrole à la Russie, à alimenter l’effort de guerre. Quant aux pays africains désormais sous l’emprise de Moscou, le moins qu’on puisse dire est que nous n’avons rien fait pour prévenir cette évolution en amont.

Nous sommes donc devant deux choix politiques nécessaires. Le premier, dont je développe les tenants et aboutissants dans Notre Guerre, est celui de la défaite radicale de la Russie en Ukraine, et celle-ci devra suivre au Bélarus, en Géorgie et en Syrie notamment. Je suis convaincu que si nous agissons en ce sens, des pays faussement neutres ou sur un point de bascule, dont plusieurs que j’ai mentionnés ici, verraient aussi les démocraties d’un autre œil. Elles auraient moins intérêt à se tourner vers une Russie affaiblie. Ce sont les effets par ricochet vertueux de cette action que nous devons mesurer, notamment dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient. C’est notre politique d’abstention et de faiblesse qui les a finalement conduits à se tourner vers la Russie. Si nous changeons, ces pays évolueront aussi. La puissance va à la puissance.

Le second choix, que je développe dans Notre Guerre, consistera à repenser de manière assez radicale nos relations avec les pays du Sud – un sud, d’ailleurs, que je ne crois pas « global », mais profondément différent, et avec lequel nous ne saurions penser nos relations sans différenciation. Ce sont les questions d’investissement, de sécurité énergétique et alimentaire, et de lutte contre la corruption qu’il faudra repenser. La guerre russe contre l’Ukraine est un avertissement et le pire serait, une fois que l’Ukraine aurait gagné et nous par la même occasion, de repartir avec les autres pays dans une sorte de business as usual sans aucun changement.

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Et si la démographie avait le dernier mot ?

L’INSEE vient de publier un bilan démographique pour l’année 2023 qui met en évidence un affaissement de la natalité française. Selon des sources concordantes, celle-ci n’est plus guère soutenue que par la fécondité des femmes immigrées. Ce qui laisse entrevoir à terme une diminution de l’effectif global de la population, et une nouvelle configuration de sa composition ethnique et culturelle.

Faut-il s’en inquiéter ? Pour la plupart de nos concitoyens, cette question n’a pas de conséquence directe et immédiate, encore moins pour les responsables politiques dont les échéances se situent à quelques mois ou quelques années d’ici. Les phénomènes démographiques ont une grande inertie et leurs effets ne sont perçus qu’avec beaucoup de retard. Tout au plus entendons-nous s’exprimer ceux qui craignent une possible pénurie de main-d’œuvre et/ou un vieillissement de la population, déséquilibrant un peu plus nos régimes de retraite. Ceux-là vont plaider pour un recours accru à l’immigration.

C’est oublier un peu vite deux choses :

  1. Une baisse de la population active aurait pour effet de renforcer le pouvoir de négociation des salariés, un rééquilibrage bienvenu du rapport de force entre le travail et le capital.
  2. Une population en équilibre stationnaire, c’est-à-dire dont l’effectif progresse faiblement, les naissances compensant à peu près les décès, ne peut se maintenir éternellement jeune.

 

Conséquences économiques, sociales et politiques du vieillissement d’une population française de plus en plus multiculturelle

La pyramide des âges finit par ressembler, non à une pyramide à large base, mais vaguement à un cylindre à la pointe effilée. La disparition des seniors s’accélère subitement au-delà de 65 ans. Pour pallier le déséquilibre toujours renaissant de nos régimes de retraite, il faudrait une injection continue, année après année, de travailleurs immigrés. Il serait ô combien préférable d’opter pour des régimes par capitalisation qui vivraient des revenus tirés de placements réalisés à l’étranger, dans des pays restés encore jeunes.

Nous voudrions insister ici sur les conséquences, non pas économiques, mais politiques, des évolutions démographiques. Il n’est pas toujours de bon ton de les évoquer.

Le vieillissement de la population française, dont nous venons de voir qu’il est inévitable, entraîne quelques conséquences fâcheuses, qui nécessitent une adaptation de nos pratiques et de nos institutions. Le relèvement de l’âge du départ en retraite est une absolue nécessité, et cette mesure n’est supportable qu’accompagnée d’un effort sans précédent de formation permanente des salariés tout au long de leur vie professionnelle. Or, le poids électoral élevé des classes d’âge est un obstacle à ces réformes qui les font sortir de leur zone de confort. Des incitations financières puissantes, mieux qu’un âge-couperet, doivent encourager les seniors à participer à la force de travail, aussi longtemps que possible.

Mais il est d’autres aspects du problème dont le rappel est encore moins « politiquement correct ». Dans les sociétés multiculturelles, les écarts entre les taux de croissance démographique des différentes communautés ont des effets cumulatifs, qui prennent tôt ou tard une signification politique. Des États-nations, constitués plus ou moins artificiellement, au cours des deux siècles passés, par la réunion de groupes hétérogènes, différant par la religion, l’ethnie ou la culture, ont été pour cette raison le théâtre d’affrontements violents, qui se sont soldés quelquefois par l’éclatement de ces formations sociales. Généralement, les groupes dominés, initialement minoritaires, parviennent à submerger par le nombre leurs anciens maîtres ; à moins que ceux-ci, craignant d’être évincés, ne se lancent dans des politiques répressives. Les exemples abondent.

Au Liban, les musulmans, chiites notamment, en état d’infériorité économique, mais de plus en plus nombreux, ont pu rivaliser avec leurs compatriotes chrétiens. Entre 1932 et 2018, le nombre de ces derniers aurait triplé, tandis que celui des musulmans aurait été multiplié par neuf. Ce pays, régi par des institutions multiconfessionnelles, a vu son fonctionnement gravement entravé. La composition de la Chambre des députés était censée refléter le poids des différentes communautés du pays. Mais il s’est révélé très difficile de suivre leur évolution. Aucune élection n’a été organisée depuis 2009. Pas davantage de recensement. Le dernier date du mandat français, en 1932. Ainsi, ces deux exercices citoyens n’ont plus cours au pays du Cèdre : la vérité n’est pas toujours bonne à voir.

Son voisin du sud, Israël, connaît depuis peu des déchirements similaires. La démographie joue un rôle central dans l’équation stratégique du pays. L’establishment veille à ce que la majorité juive reste substantielle, en l’alimentant au flux de l’immigration des Juifs de la diaspora (l’alyah). Mais une menace nouvelle s’est levée qui remet en cause les fondements de la société israélienne. Les Juifs orthodoxes font davantage d’enfants que les laïcs et les Juifs traditionnalistes. Les privilèges qui leur avaient été octroyés à la naissance de l’État, – ils étaient alors environ 150 000 -, sont devenus un poids difficilement supportable pour le budget, et sont vécus comme une injustice par leurs concitoyens. Ils sont maintenant environ 1 300 000, leur nombre a été multiplié par presque dix ! Ils sont dispensés du service militaire, ils reçoivent des aides pour continuer de fréquenter des lieux de prière sans travailler. Leur formation scolaire, notoirement insuffisante, les en empêche le plus souvent.

Plus loin dans le passé, on pourrait aussi citer les cas de l’Irlande. L’Eire s’est détachée de la couronne britannique, sous la pression politique, mais aussi démographique des catholiques irlandais, las de trouver leur salut dans l’émigration aux Amériques.

À cette courte liste, ajoutons, la Bosnie-Herzégovine, qui fut le berceau ancestral du peuple serbe, mais s’est retrouvée à l’éclatement de la Fédération yougoslave, majoritairement peuplée de musulmans. Le refus de cohabiter de la minorité serbe s’est soldé par trois années d’une guerre meurtrière.

Il n’est pas jusqu’à l’URSS dont la dislocation est en partie imputable à la progression très rapide des populations allogènes du Caucase et de l’Extrême-Orient. C’est la thèse soutenue par Hélène Carrère d’Encausse dans son livre prophétique. On pourrait aussi s’intéresser à l’histoire mouvementée de l’Union indienne et, plus proche de nous, à celle de la Belgique ou du Canada, pays binationaux où la démographie a joué un rôle significatif.

Dans les décennies qui viennent, la composition ethnique les États-Unis eux-mêmes devrait sensiblement se modifier, les descendants d’immigrants non européens devenant majoritaires. Il est très difficile de poser un tel diagnostic pour la France, la législation s’opposant à la constitution de statistiques portant sur l’origine ethnique ou nationale des individus recensés.

 

Du basculement démographique au basculement géopolitique

La démographie s’invite aussi dans la géopolitique. Le poids des nations se mesure à la richesse qu’elles sont capables de générer. Or, cette grandeur combine le nombre d’individus à la richesse que chacun produit par son travail et sa créativité. Au cours des vingt-cinq dernières années, les deux termes de l’équation ont progressé très rapidement dans les pays du tiers monde, modifiant radicalement la hiérarchie des puissances, ouvrant la voie au monde multipolaire que nous connaissons aujourd’hui et à la mise en cause de l’hégémonie de l’Occident.

Considérons le top 10 des pays classés en fonction de leur PIB (en dollars constants, corrigé des fluctuations du taux de change). Plaçons-nous en 1990.

Les États-Unis caracolent en tête, suivis du Japon, de la Russie et de l’Allemagne. L’Italie et la France occupent respectivement les cinquième et sixième positions. La Chine est au huitième rang. Un peu plus de deux décennies plus tard, le paysage est complètement bouleversé. La Chine aurait supplanté les États-Unis en tête du top 10 de l’année 2022 (même si elle reste au deuxième rang en dollars courants). L’Indonésie y a fait son entrée, évinçant l’Italie. La France est reléguée au dernier rang, talonnée par la Turquie. On constate enfin que les pays qui ont progressé dans la hiérarchie des nations (Chine, Inde, Indonésie, Brésil, Turquie…) sont précisément ceux qui ont combiné dynamisme démographique et dynamisme économique. Ces changements ne sont pas sans conséquence sur les équilibres internationaux.

L’Afrique est restée à la traîne de ce classement, mais la population de l’Afrique subsaharienne, elle seule, pourrait tripler entre 2020 et la fin du siècle, passant de un à trois milliards d’habitants, posant un défi d’autant plus sérieux à l’Europe, que la pression migratoire sera entretenue par les désordres politiques et l’inefficacité économique.

 

D’ici à l’hiver démographique mondial, faut-il s’attendre à une explosion des conflits liés au réchauffement climatique ?

Plaçons-nous pour finir au niveau de la planète Terre prise comme un tout, faisant abstraction des rivalités qui opposent les peuples les uns aux autres. Évaluée à 1,6 milliard d’habitants en 1900, la population mondiale s’élève en 2023 à huit milliards d’individus. Elle est attendue à dix milliards en 2050. Il faudrait être aveugle pour nier que cette explosion démographique complique singulièrement la lutte contre le réchauffement climatique. Si les pays dont la population croît le plus vite sont aussi ceux qui cherchent à rattraper le standard de vie des Occidentaux, et donc aspirent à un développement rapide, alors leurs émissions de gaz à effet de serre ne peuvent qu’augmenter. Il n’est pas sûr que l’effort de sobriété énergétique des pays développés suffise à les compenser, en supposant que la population de ces derniers y consente. L’égoïsme des peuples règne toujours en maître.

Tous les pays, ou presque, ont achevé leur transition démographique, la natalité est en baisse, rejoignant la chute de la mortalité qui l’avait précédée. Plusieurs zones verront à l’avenir leur population diminuer. Des auteurs annoncent un « hiver démographique », qui pourrait affecter toute la population mondiale, c’est-à-dire une inversion de la courbe. Notre planète poussera un soupir de soulagement. Mais quel sera l’état du monde après ce reflux bienvenu ? On n’ose y penser.

Quel enseignement tirer de ces constats ? Certes « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Les biologistes ajoutent qu’ils naissent tous identiques, avec les mêmes organes, les mêmes capacités intellectuelles. Mais rapidement, l’éducation qu’ils reçoivent, le milieu social dans lequel ils baignent, vont imprégner leur cerveau de croyances et de contenus culturels différents, au point qu’ils vont se considérer comme appartenant, non à l’unique espèce Homo sapiens, mais à des espèces étrangères les unes aux autres. Des espèces qui entrent en conflit, comme se combattent les espèces animales. La liberté et l’égalité des droits apparaissent alors comme subalternes. Tel est le triste spectacle que l’humanité offre encore aujourd’hui.

Même si on la réprouve, on aurait tort d’ignorer cette réalité anthropologique. Nos politiques publiques et nos postures sur la scène internationale doivent impérativement prendre en compte la démographie, car elle a (presque) toujours le dernier mot.

Les calculs trompeurs d’OXFAM

La sortie du rapport annuel d’OXFAM était attendue. Au mois de janvier, l’ONG créée en Grande-Bretagne remet traditionnellement ses conclusions sur les écarts de richesse dans le monde. Cette année, OXFAM a constaté que la richesse cumulée des cinq personnes les plus fortunées s’élevait en 2023 à 869 milliards contre 405 milliards en 2023. Dans le même temps, les 5 milliards de personnes les moins riches auraient perdu 20 milliards de dollars. Pour remédier à la pauvreté, OXFAM n’envisage qu’une seule solution : la redistribution des fortunes des plus riches par l’instauration de nouvelles taxes. Porte-étendard de l’idéologie de la décroissance, OXFAM nous trompe et se trompe.

Le premier reproche que l’on peut formuler à l’égard du rapport « Multinationales et inégalités multiples » est le suivant : son analyse sur l’accroissement des richesses sur la seule période allant de l’année 2020 à l’année 2023. Le biais est évident, 2020 étant le point de départ de la pandémie de coronavirus qui a perturbé les principaux marchés boursiers mondiaux et faussé la valeur de nombreuses actions cotées. En toute logique, la valeur du patrimoine capitalistique des cinq plus grandes fortunes mondiales a considérablement augmenté sur la période parce que la bourse a corrigé les baisses artificielles provoquées par la pandémie. Ajoutons aussi que la notion de fortune est par nature fluctuante, dépendante de la confiance que placent les marchés dans les actions TESLA ou LVMH, mais aussi du contexte macroéconomique mondialisé. Ce sont donc des fortunes théoriques, et non des fortunes dont les grands capitaines d’industrie peuvent disposer comme bon leur semble.

L’autre aspect étonnant du rapport est qu’il a pour la première fois utilisé comme critère de comparaison les « cinq milliards de personnes les plus pauvres », alors qu’il traitait naguère des personnes en état d’extrême pauvreté. Et pour cause, l’extrême pauvreté a reculé sur la période. En février dernier, l’Institut économique Molinari dévoilait d’ailleurs des erreurs majeures dans la méthodologie d’OXFAM, accusée de mal définir la notion de richesse comme celle de pauvreté tout en proposant des solutions inefficaces voire dangereuses :

« Pour mesurer l’évolution des inégalités, Oxfam reprend les chiffres du « Global Wealth Databook » publiés chaque année par le Crédit suisse. Dans ce rapport, la richesse nette d’un adulte se définit comme la somme de ses actifs financiers (actions, comptes bancaires etc.) et non financiers (principalement ses biens immobiliers), déduction faite de ses dettes. Avec un tel raisonnement, les chiffres d’Oxfam deviennent tout simplement ubuesques : à les croire, 22 % des adultes vivant aux États-Unis (55 millions) et 14 % de ceux vivant en France (7 millions) appartiendraient au groupe des 10 % les plus pauvres de la planète. Il y aurait même plus de pauvres aux États-Unis, en France, ou en Suisse qu’en Afghanistan, en Syrie ou en Érythrée ».

Comparer les fluctuations boursières des grandes fortunes avec la richesse cumulée des 5 milliards d’êtres humains « les plus pauvres » est intellectuellement malhonnête. Ce qui l’est plus encore, c’est de conclure des données de la période 2020-2023 qu’« il faudra plus de deux siècles pour mettre fin à la pauvreté » en sous-entendant que les plus riches empêchent les moins aisés d’accéder à la prospérité. La réalité est autre, comme le montre l’étude de l’évolution des fortunes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La pauvreté dans le monde n’a cessé de reculer depuis 1945. Au sortir de la guerre, les pays asiatiques étaient les plus pauvres du monde. Coréens ou Singapouriens vivaient plus que chichement, ils étaient misérables. Un peu plus tard, dans les pays qui ont été livrées à la doxa communiste, à l’image de la Chine qui a dû attendre les années 1980 pour entamer sa transition économique. En 40 ans, les Chinois sont sortis de l’extrême pauvreté. Alors qu’ils étaient près de 90 % au début des années 1980 à souffrir de cette situation, ils ne sont plus que 1 % de nos jours. Il n’y a plus de famines en Chine. Pourtant, il y a désormais 562 milliardaires au pays des Mandarins. Ont-ils empêché leurs concitoyens de sortir de la pauvreté ? À l’évidence, non.

Le seul vecteur de la création de richesses est la croissance économique. Elle obéit à des lois mathématiques et non à des chimères éthiques. Du reste, les pays qui n’ont pas de fortunes privées, à l’image des pays communistes, appartiennent toujours au bataillon des plus pauvres. Ils ne sont guère plus égalitaires que les « pays du nord », les possédants s’y trouvant parmi les élites politiques locales qui préemptent à leur seul profit les rares ressources locales.

Au rayon des solutions, OXFAM s’entête dans l’erreur. Le discours mêle décroissance et taxation. Un curieux paradoxe. Comment un État pourrait-il taxer des entreprises qui ne génèrent plus de revenus ? On croirait entendre le député Antoine Léaument qui a proposé à l’Assemblée nationale de « tout prendre au-dessus de 12 millions d’euros dans les successions ». Une mesure totalitaire et confiscatoire qui aurait pour seul effet d’appauvrir grandement la France en provoquant une fuite massive de capitaux. Cela enrichirait plus le Portugal et la Suisse que nos compatriotes. Que certaines fortunes nous donnent le vertige est parfaitement normal, mais la réalité est que l’enrichissement des plus gros coïncide avec celui des plus petits.

Ces handicaps structurels qui entravent l’économie française

Le FMI a publié ses prévisions pour l’année 2024 : 2,9 % pour la croissance mondiale, et 1,2 % pour la zone euro, avec un net recul de l’inflation.

« So far, so good ! »  a commenté, non sans humour, Alfred Kammer, le directeur du Programme Europe de l’organisme international. C’est en effet un peu mieux que ce que l’on pouvait craindre, sachant que la plupart des économies européennes sont fortement affectées par la guerre en Ukraine.

En France, nos dirigeants n’ont pas devant eux une page blanche, loin s’en faut. Des niveaux records ont été atteints, aussi bien en dépenses publiques et sociales qu’en prélèvements obligatoires. Ajoutez à cela un déficit du commerce extérieur et un endettement qui ne cessent de croître d’année en année, et on comprend ainsi mieux pourquoi le pays fait figure de vilain petit canard concernant le respect des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance imposées à la zone euro.

Ces règles, suspendues pendant la crise du Covid-19, ont été rétablies le 20 décembre dernier, avec toutefois un adoucissment de leur application, sur demande du ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

Ainsi, en 2023, le déficit budgétaire de la France était de 4,7 % du PIB, et elle devra le réduire de 0,5 % point chaque année. La dette extérieure, actuellement à 111,7 % du PIB, devra progressivement être réduite de 1 % chaque année.

Cette obligation de résultat va nécessiter des efforts considérables, toutes ces dérives à corriger étant le fruit d’une économie qui accumule les mauvaises performances depuis de longues années.

Pour rappel, le dernier budget en équilibre remonte à 1974 ! La dette extérieure du pays, qui n’était que de 20 % du PIB en 1980, est aujourd’hui supérieure au PIB lui-même.

 

La France, mauvais élève de l’Europe

D’une manière stupéfiante, nos dirigeants ne semblent pas s’être aperçus que depuis plusieurs décennies, l’économie française réalisait des performances bien inférieures à celles des autres pays européens. C’est ce qu’a montré une étude de la Division de la statistique des Nations unies, publiée en 2018, qui a examiné comment l’évolution des économies des pays sur une période donnée. Les statisticiens de l’ONU ont pris tout simplement comme indicateur le PIB/capita des pays, et leur étude a porté sur la période 1980-2017.

Nous reproduisons ci-dessous les résultats de cette étude pour quelques pays européens, en prolongeant les séries jusqu’à la période actuelle, et en ajoutant le cas d’Israël qui est remarquable :

Si la France avait multiplié son PIB/capita par 4,2, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, on constaterait que ses taux de dépenses publiques et de dépenses sociales, par rapport au PIB, sont normaux.

À quoi tiennent ces contreperformances de l’économie française ?

 

La sociologie, une grille de lecture indispensable pour expliquer les faits économiques ?

Dans les processus économiques, les éléments sociologiques jouent un rôle déterminant.

Dans son livre La grande transformation (Gallimard, 1983) Karl Polanyi, économiste et anthropologue austro-hongrois, affirme « qu’il n’y a pas de relations économiques sans relations sociales ».

Dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (Librairie Plon, 1905), Max Weber a montré que la différence profonde de performances économiques entre les pays du nord de l’Europe et ceux du sud tient au fait que les uns sont protestants, alors que les autres sont catholiques.

En France, la sociologie du monde du travail a été forgée par l’orientation du mouvement syndical décidée au Congrès d’Amiens, en 1906. La motion très dure de Victor Griffuelhes adoptée au cours de cette assemblée a donné au syndicalisme le rôle de transformation de la société par l’expropriation capitaliste. Elle énoncait que le syndicalisme se suffisant à lui-même doit agir directement, en toute indépendance des partis politiques, avec comme moyen d’action la grève générale.

Était précisé dans cette motion : « Le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, demain groupement de production ». Ainsi, la Charte d’Amiens a-t-elle constitué l’ADN du syndicalisme français, et ce jusqu’à une période récente.

Le monde du travail a été confronté à un syndicalisme à caractère révolutionnaire : les chefs d’entreprise ont été, en permanence, entravés dans leurs actions par l’hostilité des syndicats. Ils sont soumis à un Code du travail très lourd et dissuasif imposé par une puissance publique qui a littéralement bridé leur dynamisme.

À l’inverse, en Allemagne, la collaboration des syndicats avec la Sozialdemokratie a permis de déboucher sur la cogestion des entreprises ; en Suisse, elle a conduit à un accord avec le patronat : La paix du travail. Un consensus prévoyait alors de régler les conflits par des négociations, et non plus par des grèves ou des lock-out.

Compte tenu de la position adoptée par la CGT au congrès d’Amiens, la France est restée bloquée à la sempiternelle « lutte des classes », et ce mauvais climat social a fortement nui au bon fonctionnement de l’économie.

 

Des anomalies structurelles entravent l’économie française

Avec ces innombrables luttes menées contre le pouvoir central et le patronat, les Français ont obtenu des « acquis sociaux » importants inscrits dans la législation du pays, un Code du travail volumineux et très rigide, nuisible à la bonne marche des entreprises.

Le mode de fonctionnement de l’économie française se caractérise par le tableau qui suit. Les pays scandinaves et la Suisse sont pris comme références pour définir des pays où l’économie est prospère et dynamique :

Ainsi, dans le cas de la France : taux de population active anormalement bas, durée de vie active plus courte, nombre d’heures travaillées/an inférieur à celui des pays du Nord ou de la Suisse, propension à recourir à la grève particulièrement élevée. Ce sont là les résultats des combats menés par les syndicats, auxquels s’ajoute un droit du travail particulièrement protecteur pour les salariés.

 

La population active de la France est aujourd’hui de 31,6 millions de personnes (données de la BIRD) : si ce taux était de 55 %, on atteindrait 37,2 millions d’actifs, ce qui signifie qu’il manque au travail 5,6 millions de personnes, soit à peu de choses près le chiffre des inscrits à Pôle Emploi : 5 404 000 personnes en novembre 2023 (toutes catégories confondues), dont 2 818 000 en catégorie A.

Il faudrait rallonger la durée de la vie active de 4 ou 5 années, mais on a vu combien cela est difficile avec la dernière tentative du gouvernement de réformer notre régime des retraites.

Il faudrait rallonger de 200 heures le nombre d’heures travaillées par an, ce qui représente, au plan national, un déficit d’environ 6 milliards d’heures, chaque année, c’est-à-dire un peu plus de 60 milliards d’euros, si on valorise ces heures au tarif du Smic.

De tous ces handicaps résultent des performances économiques très inférieures à celles des pays scandinaves et de la Suisse, d’autant que la France est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce mise à part.

Le secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB alors que sa contribution à la formation du PIB devrait se situer au moins à 18 %, comme c’est le cas pour l’Allemagne ou la Suisse (autour de 23% ou 24 %).

Dans le tableau ci-dessous figure le classement des pays selon leur ressenti du bonheur (World Hapiness Report de l’ONU, année 2019). Malgré toutes ses dépenses sociales, la France est classée seulement en 24e position, entre le Mexique et le Chili.

Les Français ont le sentiment que le pays est en déclin, avec une économie à la traîne. En 2018, la crise des Gilets jaunes avait pour origine les difficultés des Français à finir le mois, et la désertification du territoire.

 

Réformer, une nécessité

La France a un immense besoin de réformes, mais nos dirigeants sont très loin de s’atteler à cette tâche. Le prochain président de la République devra présenter aux citoyens un diagnostic réel de la situation, ce qu’Emmanuel Macron n’a pas fait : les Français ne parviennent pas à prendre conscience que notre PIB par habitant est bien inférieur à celui de nos voisins du Nord.

Emmanuel Macron paraissait doté de tous les talents pour mener à bien le redressement de notre économie, d’autant qu’il avait été ministre de l’Économie. Malheureusement, ces espérances ont été déçues. La crise liée au covid a révélé la désindustrialisation du pays, et ce n’est que le 13 octobre 2021 qu’a été lancé le Plan France 2030, visant à « faire émerger les futurs champions technologiques de demain et accompagner les transitions de nos secteurs d’excellence […] favoriser l’émergence d’innovations de rupture ».

Rien n’est prévu pour corriger les distorsions structurelles qui plombent l’économie du pays, et pas davantage pour s’affranchir de la tutelle de la Commission européenne qui gouverne le pays. Et à quoi peut-donc servir le nouveau Commissariat au Plan dirigé par François Bayrou ? Cet allié politique est totalement muet alors qu’il avait pour mission d’« éclairer les choix collectifs que la nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté ».

 

Comment la Russie et l’Iran se servent de l’Afrique pour déstabiliser l’Europe

Ces deux dernières années ont été marquées par des agissements coordonnés de la Russie dans la bande saharo-sahélienne, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mais ces avancées politiques, militaires et économiques russes, au détriment de la France, ne sont pas isolées. Elles sont accompagnées par une démarche géographiquement identique de la République islamique d’Iran. Une troisième stratégie est également à l’œuvre, à travers l’apparition de candidats populistes aux élections dans d’autres pays francophones. La France et l’Union européenne accepteront-elles cette attaque stratégique sur le flanc sud du continent européen ?

Nous assistons depuis deux ans au développement de l’activité du groupe paramilitaire russe Wagner dans trois pays de la bande saharo-sahélienne, au détriment de la présence française dans les domaines politiques et militaires.

 

Un stratégie russe globale et planifiée

Les activités de Wagner, visant à la prise du pouvoir civil par des éléments militaires, constituent la partie très visible de la stratégie russe. Cette dernière s’accompagne d’une action informationnelle au sens large, orientée directement vers la population. Elle repose sur la mise en place de leaders et de relais d’opinion, à l’exemple de Nathalie Yamb (surnommée la Dame de Sotchi) et Kémi Seba. Leur action repose sur l’utilisation intensive des réseaux sociaux, dans lesquels sont diffusées des informations spécialement formatées. Cette stratégie de communication s’appuie également sur une capacité organisationnelle et financière de mobilisation des foules, avec slogans et pancartes ciblant la présence française, dont on a vu la mise en œuvre dans les trois pays du Sahel.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Ce dispositif apparaît donc global, et en conséquence particulièrement organisé. Cela implique l’élaboration d’un véritable plan, avec le temps nécessaire à la préparation de l’ensemble du processus. Ce que nous avons vu au cours de ces deux dernières années a donc été préparé très en amont. Le premier sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 a constitué le lancement visible de la stratégie du retour vers l’Afrique, élargie à l’ouest du continent. Depuis 2016, le Centre pour les Études Internationales et Stratégiques (CSIS), basé à Washington, avait identifié les activités de sociétés militaires privées (SMP) russes en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique et Madagascar. L’établissement du plan global remonte donc très probablement au début des années 2010.

Dans l’ensemble de ce plan vers le Sahel, la Russie n’agit pas seule, elle est en plus accompagnée de son allié, la République islamique d’Iran.

 

Une stratégie iranienne silencieuse

L’Iran a commencé, depuis plusieurs années également, à mettre en œuvre une stratégie politique, économique, et d’influence dans la région Sahélienne.

L’action diplomatique la plus récente vient de se dérouler en ce début d’année avec le Mali, où le Conseil National de Transition (CNT) vient d’annoncer l’ouverture dès cette année de deux facultés de l’Université d’Iran « une technique et professionnelle, l’autre, un centre d’innovation informatique ». Cette annonce a été faite après une rencontre entre le président du CNT et l’ambassadeur d’Iran, M. Salehani. Ce dernier avait été reçu il y a trois mois par le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, un des hommes forts de l’équipe au pouvoir.

À cette même période, le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, recevait à Téhéran le chef de la diplomatie du Niger, Bakary Yaou Sangaré. Ce dernier a rencontré le président iranien Raïssi qui a décrit « la résistance du peuple nigérien contre les politiques hégémoniques européennes comme étant le témoignage du refus du colonialisme par l’Afrique », selon les termes du communiqué de la présidence iranienne. Le positionnement politico-diplomatique anti-français, à l’image de la stratégie du Kremlin, est clair.

En ce qui concerne le Burkina Faso, la République islamique d’Iran a signé, à Ouagadougou, toujours à l’automne dernier, huit accords de coopération. Parmi ceux-ci figure un mémorandum d’entente dans les domaines de la coopération énergétique et minière, la coopération scientifique et technique dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, et le développement de l’enseignement supérieur.

Dans la défense et la sécurité, Ouagadougou et Téhéran ont exprimé « leur volonté de coopérer dans ces domaines et décident de poursuivre les concertations à travers des canaux plus appropriés », a expliqué, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères du Burkina Faso. La prochaine commission mixte de coopération entre les deux pays se tiendra à Téhéran en 2025. La coopération est globale et s’inscrit dans une volonté de continuité.

La diplomatie africaine de Téhéran apparaît donc comme un effet miroir de la politique africaine russe. La stratégie globale de déstabilisation de l’Afrique francophone s’inscrit également dans un troisième volet, celui de la mise en avant de candidat populiste à l’image d’Ousmane Sonko au Sénégal.

 

La perturbation populiste au Sénégal

Le populisme se définit selon Jean-Pierre Rioux, historien de la France contemporaine, comme « l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques, et des partis, qui s’en prétendent des porte-parole, alors qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales supérieures ».

Tel apparaît Ousmane Sonko, opposant au président sortant Macky Sall. Ancien inspecteur principal à l’Inspection générale des impôts et domaines, ancien député, et actuellement maire d’une ville de plus de 200 000 habitants, Ziguinchor.

Homme de rupture, radié de son poste dans l’administration en 2016, pour manquement au devoir de réserve, il s’est politiquement positionné comme « antisystème » alors qu’il en est issu. Dans la ligne de ce positionnement, il n’apparaît pas porteur d’un programme précis, mais se concentre sur une critique systématique du président et du gouvernement.

Dans son discours, le populiste se caractérise par une stratégie d’attaque et de polémique. Telle fut son option lors de la précédente campagne électorale en 2019. Il n’a pas lésiné sur les moyens verbaux pour attaquer directement la personne de Macky Sall, le décrivant comme « un homme malhonnête, un partisan du népotisme et un dictateur qui ôte à son peuple la liberté d’expression » (Étude lexicologique de la campagne – BA Ibrahima Enseignant-chercheur, Dakar). Le président était présenté comme favorisant les intérêts français au détriment des « enfants du pays ». Utilisation, hélas trop connue, de l’argument de la France, exploiteuse des richesses au détriment des habitants. Argument russe, argument iranien…

Les tentatives de déstabilisation de l’Afrique francophone apparaissent donc au confluent de plusieurs stratégies et de plusieurs États, depuis des années. Ne faut-il pas s’interroger sur l’aveuglement et la surdité des services français qui n’ont détecté aucune de ces vibrations, et qui n’ont pu, en conséquence, ni lancer les alertes préalables, ni mettre en place les contre-feux nécessaires.

Avant son remplacement par Stéphane Séjourné, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a sommé l’Iran d’arrêter ses ingérences au Moyen-Orient. Ne conviendrait-il pas d’élargir le champ d’observation au continent africain ?

Article publié par La Tribune le 16 Janvier 2024, offert par l’auteur à Contrepoints.

NB : le ministre français des Affaires Etrangères Stéphane Séjourné vient de rencontrer le ministre iranien des Affaires Etrangères à New York le 23 janvier. Leur poignée de main était chaleureuse et le ministre s’est abstenu de mettre en garde son homologue iranien.

Démographie de la Russie : une jeunesse décimée ou en fuite

L’agression russe contre l’Ukraine a déjà des conséquences démographiques dramatiques. La stratégie militaire archaïque de l’armée russe consiste à envoyer au front une masse de soldats mal formés et mal équipés. La jeunesse russe est décimée. Mais les jeunes les mieux formés, pouvant travailler à l’étranger, ont quitté le pays pour ne pas être mobilisés. Pour les Russes, il en résulte une vision sombre de l’avenir, peu propice à un sursaut nataliste.

 

Le déclin démographique russe ne date pas d’hier

Le graphique suivant fourni par la Banque mondiale représente l’évolution de la population de la Russie depuis 1960.

Évolution de la population de la Fédération de Russie (1960-2020)

Le pic est atteint en 1992 avec une population de 148,5 millions d’habitants. Le déclin est ensuite constant (143,4 millions en 2020). La petite reprise de croissance entre 2010 et 2020 est principalement liée à l’annexion par la violence de la Crimée en 2014 (2,4 millions d’habitants). Sans la Crimée, la population actuelle est d’environ 141 millions. La Russie a donc perdu 7,5 millions d’habitants depuis 1992. Mais si on retire la population immigrée, c’est-à-dire si on calcule le solde naturel (naissances et décès), selon les spécialistes la population russe a diminué de 12 millions depuis 1992.

Le taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer) était de 1,5 en 2021. Il faut un taux de 2,1 pour assurer la stabilité de la population, hors immigration. Le vieillissement de la population est déjà ancien puisque les plus de 65 ans représentaient 6 % de la population en 1960 et 14,5 % en 2017.

 

Démographie : la Russie est en décroissance, l’Asie en croissance

La démographie de l’énorme Fédération de Russie (17,2 millions de km2) n’est absolument pas uniforme.

Dans l’Asie centrale, la croissance démographique reste élevée. Alors que la population russe de l’ouest du territoire diminue fortement, la population asiatique de l’est augmente. Bruno Tertrais, dans un article publié par l’Institut Montaigne, cite les chiffres suivants pour l’Asie centrale au sens large, comprenant les territoires devenus indépendants à la chute de l’URSS :

« Pendant ce temps, la démographie de l’Asie centrale a continué d’évoluer dans la direction opposée. Selon les Nations unies, la région (75,5 millions d’habitants aujourd’hui) pourrait compter 88 millions d’habitants en 2035 et 100 millions en 2050. La population en âge de travailler de l’Ouzbékistan devrait augmenter de plus de 6 millions d’ici 2050, celle du Tadjikistan de près de 3 millions. »

 

La guerre, nouvelle catastrophe démographique

Dans un tel contexte démographique, avec ses 52 millions d’habitants russophones à l’époque, l’indépendance de l’Ukraine en 1991 a été considérée par beaucoup de dirigeants russes comme une catastrophe démographique.

Depuis, ils sont obnubilés par la reconquête. Ils n’ont pas compris le sens de l’histoire. L’Ukraine ne sera plus jamais russe car les Ukrainiens ne veulent plus être soumis aux diktats de Moscou. La guerre est en réalité une nouvelle catastrophe démographique pour la Russie. Un document déclassifié, transmis au Congrès par les services de renseignements américains, indique qu’environ 315 000 Russes ont été blessés ou tués depuis le début de la guerre en février 2022.

Selon le directeur général de l’état-major de l’Union européenne, de février à novembre 2022 les pertes russes en Ukraine s’élèvent à 60 000 tués et entre 180 000 et 190 000 blessés.

Les sources américaines et norvégiennes corroborent approximativement ces chiffres qui ne sont que des estimations. Les chiffres réels ne seront connus qu’après la fin de la guerre. La guerre n’étant pas terminée et la tactique ukrainienne consistant à tuer le maximum de Russes (puisque la hiérarchie militaire russe envoie ses soldats à la boucherie), c’est la jeunesse russe qui va être totalement décimée après le conflit.

Il faut également tenir compte de l’émigration de jeunes Russes cherchant à échapper à la mobilisation. Les estimations proviennent des pays d’accueil, la Russie ne communiquant pas sur le sujet. Selon les différentes sources, on peut estimer que 700 000 à 1 000 000 de Russes ont quitté leur pays depuis le début du conflit en Ukraine. Ils se sont installés en Géorgie, en Serbie, dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan et Ouzbékistan), en Turquie, en Israël. Il s’agit d’une population jeune et disposant d’une formation professionnelle. Seule une évolution de la Russie vers la démocratie, peu vraisemblable à court terme, leur permettrait de revenir dans leur pays.

Enfin, le pouvoir fasciste russe ne recule devant aucun crime pour atténuer la chute démographique : des enfants sont déportés en masse des territoires ukrainiens occupés vers la Russie. Ces enfants sont proposés à l’adoption à des familles russes et leur identité est modifiée de façon à empêcher toute recherche ultérieure. Ces déportations sont impossibles à chiffrer et les estimations vont de quelques dizaines à quelques centaines de milliers.

 

Un avenir sombre pour la Russie

La guerre en Ukraine produit une énorme surmortalité de la jeunesse, une fuite des cerveaux et des personnes qualifiées, une approche pessimiste de l’avenir incompatible avec une augmentation de la natalité.

Tout cela vient s’ajouter à l’alcoolisme massif parmi la population masculine, aux inégalités considérables de niveau de vie selon les régions, à la corruption généralisée liée à la dictature mafieuse exerçant le pouvoir. Si elle n’éclate pas à la suite d’une défaite militaire, il faudra des décennies à la Russie pour se remettre de l’erreur historique majeure que constitue « l’opération spéciale » de Vladimir Poutine en Ukraine.

Le Green Deal européen survivra-t-il aux élections européennes de juin prochain ?

À l’approche des élections européennes qui auront lieu en juin 2024, un phénomène remarquable se propage dans les principaux pays de l’Union européenne : dans un contexte de montée du populisme et du sentiment anti-Union européenne, les électeurs se détournent des partis écologistes.

Les sondages d’opinion indiquent ainsi régulièrement des gains substantiels pour les partis de droite dure dans des pays comme l’Allemagne et l’Italie, coïncidant avec des pertes d’intentions de vote pour les partis centristes.

Mais le plus intéressant est qu’une analyse fine des enquêtes d’opinion révèle qu’une grande partie de cette évolution semble être directement attribuable au mécontentement des électeurs à l’égard des politiques de transition climatique de l’Union.

En 2020, l’Union européenne a dévoilé son ambitieux Green Deal, un plan général visant à transformer l’Europe pour en faire le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici à 2050. Or, ce qui devait être une initiative phare pour 2019-2024 s’est transformé en un bourbier de mécontentement politique, tant au sein qu’en dehors de l’Union.

Des éléments clés tels que le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism, CBAM), le Sustainable Aviation Fuel (SAF), le règlement sur les produits sans déforestation (Regulation on Deforestation-free products, EUDR), la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD) et la directive révisée sur les énergies renouvelables (Revised Renewable Energy Directive, RED III) ont été élaborés dans le but d’ouvrir la voie à un avenir durable. Mais leur mise en œuvre a engendré d’importantes difficultés politiques.

 

Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

L’une des principales pommes de discorde est le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), conçu pour imposer des droits de douane sur les biens importés dans l’Union européenne en provenance de pays dont les réglementations environnementales sont moins strictes.

Bien qu’il ait été conçu pour uniformiser les règles du jeu, ce mécanisme a entraîné des tensions accrues tant au sein de l’Union qu’avec ses partenaires commerciaux. Ses détracteurs affirment que cette mesure n’est rien d’autre que du protectionnisme déguisé, qu’elle entrave l’accès au marché et qu’elle ne peut que déclencher des mesures de rétorsion de la part de pays tiers.

 

L’aviation durable

En exigeant que 70 % des carburants pour l’aviation dans les aéroports de l’Union soient « verts » d’ici 2050, l’initiative Sustainable Aviation Fuel (SAF), un autre pilier du Green Deal européen, vise à réduire l’impact environnemental du transport aérien.

Sans surprise, elle a toutefois été confrontée à des réactions négatives de la part des compagnies aériennes nationales et des partenaires internationaux qui affirment que les coûts associés à la transition vers le SAF sont exorbitants et menacent leur viabilité financière, et que certaines matières premières durables, telles que les sous-produits de la production d’huile de palme qui ont été testés avec succès ailleurs, ont été exclues pour des raisons politiques.

Au vu des défis économiques posés par les répercussions de la pandémie de Covid-19, force est d’admettre que rendre la vie plus difficile à l’industrie aéronautique ne peut qu’être préjudiciable à l’évolution du secteur.

 

La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité

La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) est un texte législatif important qui exigera des entreprises européennes et non européennes qu’elles fassent preuve de vigilance en matière d’environnement et de droits de l’Homme dans l’ensemble de leurs activités, celles de leurs filiales, mais aussi tout le long de leur chaîne de valeur. Elles devront prendre des mesures pour éviter ou atténuer toute incidence potentielle qu’elles auront identifiée, et devront réduire ou mettre fin à toute incidence réelle.

Si les entreprises ne se conforment pas à cette obligation et que des dommages en résultent, elles pourront être tenues pour responsables et encourir des sanctions financières.

Cette directive a également suscité une vive controverse. Ses détracteurs estiment qu’elle impose aux entreprises des exigences aussi étendues que contraignantes. La mise en œuvre d’une vérification complète tout au long des chaînes d’approvisionnement entraînera une augmentation des coûts administratifs et des coûts de mise en conformité, ce qui placera les entreprises européennes dans une position concurrentielle défavorable par rapport aux entreprises opérant dans des régions où ces réglementations sont moins strictes.

Pire, cela fera peser une charge disproportionnée sur les PME qui pourraient ne pas disposer des ressources et de l’infrastructure nécessaires pour se conformer à des exigences étendues en matière de vérification, ce qui entraverait la croissance et la compétitivité des petites entreprises européennes, l’épine dorsale de l’économie en Europe.

Mais la portée extraterritoriale de la directive a également fait l’objet de nombreuses critiques. Ses détracteurs affirment que l’application de cette réglementation européenne aux entreprises opérant en dehors de l’Union européenne pourrait entraîner des incertitudes juridiques et des tensions diplomatiques avec les pays non membres de l’Union.

 

La directive révisée sur les énergies renouvelables

La directive révisée sur les énergies renouvelables (RED III), qui se fixe pour objectif d’arriver à 42,5 % de renouvelables dans la consommation énergétique européenne finale d’ici à 2030 (soit plus d’un doublement des 19 % français actuels), n’a pas non plus été sans susciter de fortes critiques.

L’Indonésie, par exemple, a porté ses griefs devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en intentant un procès au sujet de la RED III.

En France, se mettre en conformité avec cette nouvelle règle exigerait un effort considérable et serait marqué par un véritable paradoxe, puisque le parc nucléaire du pays lui permet de maintenir des niveaux d’émissions de CO2 nettement inférieurs à ceux de ses voisins, en particulier l’Allemagne.

 

Le règlement sur les produits sans déforestation

Le règlement sur les produits sans déforestation interdit de mettre sur le marché européen certains produits de base (les bovins, le cacao, le café, le palmier à huile, le caoutchouc, le soja et le bois) s’ils ont été produits sur des terres ayant fait l’objet d’activités de déforestation.

Ce règlement a également été critiqué comme étant une barrière protectionniste contre les agriculteurs des pays en développement. Les producteurs de café (d’Afrique subsaharienne), d’huile de palme (d’Indonésie) et d’autres cultures du monde entier ont protesté contre le règlement. L’Argentine, le Brésil, l’Indonésie et le Nigeria, entre autres, ont signé une lettre ouverte critiquant avec véhémence la Commission européenne, considérant cette réglementation comme un des obstacles à la concurrence loyale et à l’accès au marché européen.

 

Un Green Deal critiqué en dehors mais aussi au sein de l’Union

On l’a vu, au niveau international, le Green Deal européen crée une véritable vague de mécontentement, les pays tiers percevant ces nouvelles règles comme des mesures protectionnistes, voire comme une sorte d’impérialisme ou de néocolonialisme. L’engagement de l’Union européenne en faveur de la durabilité est ainsi éclipsé par des accusations d’hypocrisie et de deux poids deux mesures. Les relations commerciales se tendent et les retombées diplomatiques négatives sont palpables.

En Europe, le Parti populaire européen (PPE), un groupe politique regroupant les principaux partis européens de centre-droit, est devenu un détracteur du Green Deal. La promesse d’un avenir plus propre et plus vert s’est heurtée à la dure réalité de l’augmentation des prix de produits essentiels tels que la nourriture et l’énergie. Les élus du PPE estiment que l’accord met en péril la sécurité énergétique de l’Europe et détourne l’attention de priorités cruciales telles que la résolution du conflit en Ukraine, la réduction de la dépendance aux ressources russes, la lutte contre l’inflation et la gestion de l’immigration.

 

Une critique libérale du Green Deal

En ce qui concerne les motivations et les effets involontaires du Green Deal de l’Union européenne, on l’a vu, les critiques ne manquent pas. Ces préoccupations ne font pourtant qu’effleurer le problème.

Nous aurions également pu mentionner :

  • l’augmentation des coûts réglementaires pouvant nuire à la compétitivité de l’industrie européenne sur la scène mondiale ;
  • l’accent mis sur la réglementation et l’intervention ne pouvant conduire qu’à des distorsions du marché avec des conséquences économiques négatives à long terme ;
  • la très critiquable planification centrale inhérente au Deal, car ce sont les forces du marché et les transactions volontaires qui devraient conduire les efforts environnementaux plutôt que l’intervention de l’État ;
  • les inefficacités bureaucratiques et les effets involontaires associés aux initiatives gouvernementales imposées d’en haut ;
  • la prudence à l’égard de la concentration excessive de pouvoirs entre les mains d’agences et d’organismes supranationaux ;
  • les lobbies européens travaillent dur pour s’assurer que toute nouvelle réglementation entrave leurs concurrents ;
  • le Green Deal européen pourrait relever davantage de la posture politique que d’une solution pragmatique ;
  • la faisabilité de la réalisation des nobles objectifs fixés par le Green Deal.

En effet, selon un nouveau rapport, l’Union européenne ne parviendra probablement pas à atteindre la majorité de ses objectifs écologiques à l’horizon 2030.

Dans ce document, l’agence européenne pour l’environnement indique que l’Union dépassera « très probablement » ses objectifs en matière de consommation d’énergie primaire et d’énergies renouvelables, et qu’elle ne parviendra pas à doubler l’utilisation de matériaux recyclés. La réalité est que, face à la guerre en Ukraine et aux craintes économiques, l’Union européenne réaffecte sub rosa les milliards d’euros prévus pour le Green Deal à la défense, à la gestion de l’immigration et à la diversification de l’approvisionnement énergétique.

Nombreux sont ceux qui reconnaîtront la tension que nous observons ici.

Il est vrai que la protection de la planète au bénéfice des générations futures exige une action collective, que le bien-être humain nécessite certaines mesures environnementales qui transcendent les intérêts nationaux. L’éthique exige d’agir. Il est tout aussi vrai que ce type de réglementation conduira à une ingérence excessive du gouvernement dans l’économie, que les charges économiques imposées aux entreprises et aux consommateurs entraveront la croissance économique et la prospérité et, en fin de compte, étoufferont les libertés individuelles.

Il existe une tension entre la nécessité de protéger l’environnement et celle de préserver les libertés individuelles et la croissance économique. Alors que le mois de juin sera probablement marqué par une conflagration électorale, il est important de ne pas faire la sourde oreille aux avertissements concernant les effets involontaires des réglementations environnementales actuelles et la nécessité d’une approche plus nuancée, axée sur le marché. Cette approche doit inclure une meilleure communication avec nos partenaires commerciaux, plutôt qu’une réglementation unilatérale qui nuit à leurs exportations.

À mesure que le Green Deal européen se met en place chez nous et à l’étranger, il devient évident que la voie vers un avenir durable est semée d’embûches politiques. Équilibrer les objectifs environnementaux avec les réalités économiques et les relations internationales s’avère être un exercice délicat, et trouver un terrain d’entente sera crucial pour laisser un monde meilleur à la prochaine génération.

« Le coût de la décarbonisation sera très lourd » grand entretien avec Éric Chaney

Éric Chaney est conseiller économique de l’Institut Montaigne. Au cours d’une riche carrière passée aux avant-postes de la vie économique, il a notamment dirigé la division Conjoncture de l’INSEE avant d’occuper les fonctions de chef économiste Europe de la banque américaine Morgan Stanley, puis de chef économiste du groupe français AXA.

 

Y-a-t-il des limites à la croissance ?

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – En France, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une restriction de la production. Ralentissement, croissance zéro, décroissance, les partisans de ce mouvement idéologique partagent une approche malthusienne de l’économie. La croissance économique aurait des limites écologiques que l’innovation serait incapable de faire reculer. Cette thèse est au cœur d’un ouvrage souvent présenté comme une référence : le rapport du club de Rome de 1972 aussi appelé Rapport Meadows sur les limites de la croissance. Ses conclusions sont analogues à celles publiées l’année dernière dans le dernier rapport en date du Club de Rome, Earth for All. Quelle méthode scientifique permet-elle d’accoucher sur de telles conclusions ? À quel point est-elle contestable ? Comment expliquez-vous le décalage entre l’influence médiatique de ces idées et l’absence total de consensus qu’elles rencontrent parmi les chercheurs en économie et la majorité des acteurs économiques ?

Éric Chaney – Les thèses malthusiennes ont en effet le vent en poupe, encore plus depuis la prise de conscience par un grand nombre -surtout en Europe- de l’origine anthropomorphique du changement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre (GES, CO2 mais pas seulement). Le Rapport Meadows de 1972, commandé par le Club de Rome, avait cherché à quantifier les limites à la croissance économique du fait de la finitude des ressources naturelles. Si les méthodes développées au MIT à cet effet étaient novatrices et intéressantes, les projections du rapport originel étaient catastrophistes, prévoyant un effondrement des productions industrielle et alimentaire mondiales au cours de la première décennie du XXIe siècle. Rien de tel ne s’est produit, et malgré de nombreuses mises à jour du rapport Meadows, certes plus sophistiquées, les prévisions catastrophiques fondées sur l’apparente contradiction entre croissance « infinie » et ressources finies ne sont pas plus crédibles aujourd’hui qu’elles ne l’étaient alors.

Contrairement aux modèles développés à la même époque par William Nordhaus (prix Nobel d’économie en 2018), les modèles prônant la croissance zéro ou la décroissance n’intégraient pas de modélisation économique approfondie, pas de prix relatifs endogènes, ni même les gaz à effet de serre dont on sait depuis longtemps que les conséquences climatiques peuvent être véritablement catastrophiques.

Rappelons que Nordhaus publia en 1975 un article de recherche intitulé « Can we control carbon dioxide ». Malgré sa contribution essentielle à l’analyse économique des émissions de GES –Nordhaus est le premier à avoir explicité le concept de coût virtuel d’une tonne de CO2, c’est-à-dire la valeur présente des dommages futurs entraînés par son émission — il est vilipendé par les tenants des thèses décroissantistes, et c’est peut-être là qu’il faut chercher l’origine des dissonances cognitives qui les obèrent. Nordhaus est un scientifique, il cherche à comprendre comment les comportements économiques causent le changement climatique, et à en déduire des recommandations. Il est convaincu qu’à cet effet, les mécanismes de marché, les incitations prix en particulier sont plus efficaces que les interdictions. Il est techno-optimiste, considérant par exemple que les technologies nucléaires (y compris la fusion) lèveront les contraintes sur la production d’énergie. Alors que le camp décroissantiste est avant tout militant, le plus souvent opposé au nucléaire, bien qu’il s’agisse d’une source d’énergie décarbonée, et anticapitaliste, comme l’a bien résumé l’un de ses ténors, l’économiste Timothée Parrique, qui affirme que « la décroissance est incompatible avec le capitalisme ».

Pratiquement, je ne crois pas que ce courant de pensée ait une influence déterminante sur les décisions de politique économique, ni dans les démocraties, et encore moins dans les pays à régime autoritaire. En revanche, les idées de Nordhaus ont été mises en œuvre en Europe, avec le marché des crédits carbone (ETS, pour Emissions Trading System, et bientôt ETS2), qui fixe des quotas d’émission de CO2 décroissant rapidement (-55 % en 2030) pour tendre vers zéro à l’horizon 2050, et laisse le marché allouer ces émissions, plutôt que d’imposer des normes ou de subventionner telle ou telle technologie. De même la taxation du carbone importé que l’Union européenne met en place à ses frontières (difficilement, certes) commence à faire des émules, Brésil et Royaume-Uni entre autres, illustrant l’idée de Clubs carbone de Nordhaus.

 

Liens entre croissance et énergie

L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est-elle proportionnelle à la croissance de la production de biens et de services ?

Au niveau mondial, il y a en effet une forte corrélation entre les niveaux de PIB et ceux des émissions de CO2, à la fois dans le temps, mais aussi entre les pays.

Pour faire simple, plus une économie est riche, plus elle produit de CO2, en moyenne en tout cas. Il ne s’agit évidemment pas d’un hasard, et, pour une fois, cette corrélation est bien une causalité : plus de production nécessite a priori plus d’énergie, qui nécessite à son tour de brûler plus de charbon, de pétrole et de gaz, comme l’avait bien expliqué Delphine Batho lors du débat des primaires au sein des écologistes.

Mais il n’y a aucune fatalité à cette causalité, bien au contraire.

Prenons à nouveau l’exemple de l’Union européenne, où le marché du carbone fut décidé en 1997 et mis en œuvre dès 2005. Entre 2000 et 2019, dernière année non perturbée par les conséquences économiques de la pandémie, le PIB de l’Union européenne a augmenté de 31 %, alors que l’empreinte carbone de l’Union, c’est-à-dire les émissions domestiques, plus le carbone importé, moins le carbone exporté, ont baissé de 18 %, selon le collectif international d’économistes et de statisticiens Global Carbon Project. On peut donc bien parler de découplage, même s’il est souhaitable de l’accentuer encore.

En revanche, l’empreinte carbone des pays hors OCDE avait augmenté de 131 % sur la même période. Pour les pays moins avancés technologiquement, et surtout pour les plus pauvres d’entre eux, la décroissance n’est évidemment pas une option, et l’usage de ressources fossiles abondantes comme le charbon considéré comme parfaitement légitime.

 

Le coût de la décarbonation

Que répondriez-vous à Sandrine Dixson-Declève, mais aussi Jean-Marc Jancovici, Philippe Bihouix et tous les portevoix de la mouvance décroissantiste, qui estiment que la « croissance verte » est une illusion et que notre modèle de croissance n’est pas insoutenable ?

Je leur donne partiellement raison sur le premier point.

Pour rendre les difficultés, le coût et les efforts de la décarbonation de nos économies plus digestes pour l’opinion publique, les politiques sont tentés de rosir les choses en expliquant que la transition énergétique et écologique créera tant d’emplois et de richesse que ses inconvénients seront négligeables.

Mais si l’on regarde les choses en face, le coût de la décarbonation, dont le récent rapport de Jean Pisani et Selma Mahfouz évalue l’impact sur la dette publique à 25 points de PIB en 2040, sera très lourd. Qu’on utilise plus massivement le prix du carbone (généralisation de l’ETS), avec un impact important sur les prix, qui devront incorporer le renchérissement croissant du carbone utilisé dans la production domestique et les importations, ou qu’on recoure à des programmes d’investissements publics et de subventions massifs, à l’instar de l’IRA américain, le coût sera très élevé et, comme toujours en économie, sera payé au bout du compte par le consommateur-contribuable.

Tout au plus peut-on souhaiter que la priorité soit donnée aux politiques de prix du carbone, impopulaires depuis l’épisode des Gilets jaunes, mais qui sont pourtant moins coûteuses à la société que leurs alternatives, pour un même résultat en termes de décarbonation. Le point crucial, comme le soulignent les auteurs du rapport précité, est qu’à moyen et encore plus à long terme, le coût pour la société de ne pas décarboner nos économies sera bien supérieur à celui de la décarbonation.

J’ajouterais que si les statisticiens nationaux avaient les moyens de calculer un PIB corrigé de la perte de patrimoine collectif causée par la dégradation de l’environnement et le changement climatique – ce qu’on appelle parfois PIB vert, par définition inférieur au PIB publié chaque trimestre – on s’apercevrait que la croissance du PIB vert est plus rapide que celle du PIB standard dans les économies qui réduisent leurs atteintes à l’environnement et leurs émissions de GES. Sous cet angle, vive la croissance verte !

Sur le second point, je crois la question mal posée.

Il n’y a pas de « modèle de croissance » qu’on puisse définir avec rigueur. Il y a bien des modèles de gestion de l’économie, avec, historiquement, les économies de marché capitalistes (où le droit de propriété est assuré par la loi) d’un côté et les économies planifiées socialistes (où la propriété de l’essentiel des moyens de production est collective) de l’autre.

Mais ces deux modèles économiques avaient -et ont toujours pour leurs partisans- l’objectif d’augmenter la richesse par habitant, donc de stimuler la croissance. Du point de vue privilégié par Sandrine Dixson-Declève ou Jean-Marc Jancovici, celui de la soutenabilité, le modèle capitaliste devrait être préférable au modèle socialiste, qui, comme l’expérience de l’Union soviétique (disparition de la Mer d’Aral), de la RDA (terrains tellement pollués que leur valeur fut jugée négative lors des privatisations post-unification) ou de la Chine de Mao (où l’extermination des moineaux pour doubler la production agricole causa l’une des plus grandes famines de l’histoire de la Chine à cause des invasions de sauterelles) l’ont amplement démontré, prélevait bien plus sur le patrimoine naturel que son concurrent capitaliste.

La bonne question est celle des moyens à mettre en œuvre pour décarboner nos économies.

Réduire autoritairement la production comme le souhaitent les décroissantistes cohérents avec leurs convictions, demanderait l’instauration d’un régime politique imposant une appropriation collective des entreprises, puis une planification décidant ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Ne parlons pas de « modèle de croissance », mais de modèle économique, et le débat sera bien plus clair. Je suis bien entendu en faveur d’un modèle préservant la liberté économique, mais en lui imposant la contrainte de décarbonation par une politique de prix du carbone généralisée, la difficulté étant de faire comprendre aux électeurs que c’est leur intérêt bien compris.

 

Quand la Chine s’endormira

La tertiarisation de l’économie chinoise et le vieillissement de sa population sont deux facteurs structurant un ralentissement de la productivité. La croissance chinoise a-t-elle fini son galop ?

Oui, le régime de croissance de la Chine a fondamentalement changé au cours des dernières années. Après la libéralisation économique de Deng Xiaoping et l’application au-delà de toute prévision de son slogan, « il est bon de s’enrichir » grâce à l’insertion dans l’économie mondiale et à l’ouverture aux capitaux et technologies occidentales, la Chine a connu un rythme de développement et d’enrichissement (en moyenne, car les disparités villes-campagnes sont toujours profondes) unique dans l’histoire de l’humanité. Les masses chinoises sont sorties de la misère sordide dans laquelle les seigneurs de la guerre, puis l’occupation japonaise, puis enfin le régime maoïste les avait condamnées.

Mais la croissance « à deux chiffres » était tirée par le rattrapage technologique côté offre, l’investissement et les exportations côté demande, et ces moteurs ne peuvent durer éternellement. Côté offre, le rattrapage devient plus difficile lorsqu’on s’approche des standards mondiaux, ce que l’Europe a compris après 1970, d’autant plus que la rivalité stratégique avec les États-Unis réduit encore l’accès à l’innovation de pointe étrangère.

En interne, la reprise en main des entreprises par le Parti communiste, et la préférence donnée à celles contrôlées par l’État, l’obsession du contrôle du comportement de la population, réduisent considérablement la capacité d’innovation domestique, comme le fait remarquer depuis longtemps mon ancien collègue Stephen Roach.

Du côté de la demande, la Chine pourrait bien être tombée dans la trappe à dette qui a caractérisé l’économie japonaise après l’éclatement de ses bulles immobilières et d’actions du début des années 1970, en raison de l’excès d’offre immobilière et de l’immense dette privée accumulée dans ce secteur. Richard Koo avait décrit cette maladie macroéconomique « récession de bilan » pour le Japon. Les dirigeants chinois étaient hantés depuis longtemps par ce risque, qui mettrait à mal l’objectif de Xi Jinping de « devenir (modérément ajoute-t-il) riche avant d’être vieux », mais, paradoxalement, la re-politisation de la gestion économique pourrait bien le rendre réel. Comme la population active baisse en Chine depuis maintenant dix ans, et qu’elle va inévitablement s’accélérer, la croissance pourrait bien converger vers 3 % l’an, ce qui serait à tout prendre encore une réussite pour l’élévation du niveau de vie, voire encore moins, ce qui deviendrait politiquement difficile à gérer.

 

Dépendance au marché chinois

Faut-il anticiper un découplage de l’économie chinoise avec les économies de l’Union européenne et des États-Unis, dont de nombreux marchés sont devenus dépendants des importations chinoises ? Si celui-ci advenait, quels pays concernerait-il en priorité ?

L’économie chinoise occupe une place centrale dans l’économie mondiale, même si elle n’est pas tout à fait l’usine du monde comme on se plaisait à le dire avant 2008. Les tensions stratégiques avec les États-Unis mais aussi avec l’Europe, la réalisation par les entreprises que la baisse de coût permise par la production en Chine avaient un pendant. Je veux parler du risque de disruption brutale des chaînes d’approvisionnement comme ce fut le cas lors de l’épidémie de covid et des décisions de fermetures de villes entières avant que la politique (imaginaire) de zéro-covid ne fut abandonnée, mais aussi du risque d’interférence excessive des autorités chinoises.

La tendance précédente s’en est trouvée rompue.

Jusqu’en 2008, le commerce mondial croissait deux fois plus vite que le PIB mondial, en raison de l’ouverture de la Chine. De 2008 à 2020, il continua de croître, mais pas plus vite que la production. Depuis 2022, le commerce mondial baisse ou stagne, alors que la croissance mondiale reste positive. C’est la conséquence de la réduction du commerce avec la Chine. On peut donc bien parler de découplage, mais pour la croissance des échanges commerciaux, pas vraiment pour le niveau des échanges avec la Chine qui restent et resteront longtemps dominants dans le commerce mondial, sauf en cas de conflit armé.

En Europe, l’économie la plus touchée par ce renversement de tendance est évidemment l’Allemagne, dont l’industrie avait misé massivement sur la Chine, à la fois comme client pour son industrie automobile et de machines-outils, mais aussi pour la production à destination du marché chinois ou des marchés asiatiques. Ajouté au choix stratégique néfaste d’avoir privilégié le gaz russe comme source d’énergie bon marché, l’affaiblissement des échanges avec la Chine entraîne une profonde remise en question du modèle industriel allemand.

 

Impacts respectifs des élections européennes et américaines sur l’économie mondiale

Les élections européennes se tiendront en juin prochain. Les élections présidentielles américaines auront lieu cinq mois après, en novembre 2024. J’aimerais vous inviter à comparer leurs impacts potentiels sur l’avenir des échanges internationaux. Quels scénarios électoraux pourraient déboucher sur un ralentissement économique ? Sur une régionalisation des échanges ? Sur une croissance des conflits territoriaux ?

J’ai conscience que cette comparaison est limitée, l’Union européenne n’est pas un État fédéral, et il ne s’agit pas de scrutins analogues. Cependant, ces deux moments électoraux auront des conséquences concrètes et immédiates sur les orientations macroéconomiques à l’œuvre sur les deux premières économies du monde.

En cas de victoire de Donald Trump le 4 novembre, les échanges commerciaux avec les États-Unis seraient fortement touchés, avec une politique encore plus protectionniste qu’avec Biden, et un dédain complet pour toute forme de multilatéralisme.

Là encore, l’économie la plus touchée en Europe serait l’Allemagne, mais ne nous faisons pas d’illusions, toute l’Europe serait affaiblie. Plus important encore, une administration Trump cesserait probablement de soutenir financièrement l’Ukraine, laissant l’Union européenne seule à le faire, pour son propre intérêt stratégique. Ce qui ne pourrait qu’envenimer les relations au sein de l’Union, et restreindre les marges de manœuvre financières.

Enfin, une victoire de Trump signerait la fin de l’effort de décarbonation de l’économie américaine engagé par l’administration Biden à coups de subventions. Les conséquence pour le climat seraient désastreuses, d’autant plus que les opinions publiques européennes pourraient en conclure qu’il n’y a pas grand intérêt à faire cavalier seul pour lutter contre le changement climatique.

En revanche, les élections au Parlement européen ne devraient pas voir d’incidence significative sur nos économies. Le sujet ukrainien sera l’un des plus sensibles à ces élections, mais le pouvoir de décision restant essentiellement aux États, le changement ne serait que marginal.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Émirats arabes unis, Inde, Israël : bientôt dans le club spatial mondial ?

Alors qu’une collaboration stratégique a été annoncée le 7 janvier 2024 entre la NASA et les Émirats arabes unis, pour participer à la construction d’une station orbitale au-dessus de la Lune dans le cadre du programme Artemis, les Émirats arabes unis semblent plus que jamais déterminés à promouvoir leur leadership spatial.

Déjà les 5 et 6 décembre 2022 Abou Dhabi accueillait le Abu Dhabi Space Debate qui regroupe les leaders mondiaux du secteur privé et public aérospatial. Organisé par l’Agence spatiale des EAU, ce débat a offert une plateforme unique dans la région au sein de laquelle des chefs d’entreprises et des dirigeants politiques se sont rencontrés pour rechercher un consensus sur les questions relatives à la croissance de l’innovation spatiale et son empreinte environnementale.

L’objectif de ces rencontres était notamment d’initier un dialogue multinational identifiant les besoins en matière de capacités stratégiques, d’infrastructures, de cadres réglementaires et de moyens associés. Et la session inaugurale du 5 décembre 2022 réunissait pas moins que les présidents des EAU, d’Israël et le Premier ministre indien. Ce dernier a notamment déclaré en amont du forum que la coopération entre l’Inde et les EAU dans le secteur spatial était sur le point d’opérer une grande percée dans la péninsule arabique.

Les deux pays ont notamment signé dès 2016 un protocole d’accord sur la coopération dans l’exploration spatiale et l’utilisation de l’espace atmosphérique. Lors de la cérémonie d’ouverture, le président israélien a lui aussi rappelé l’étroite coopération entre son pays et les EAU dans le partage des données scientifiques notamment, et le rôle que peuvent jouer les trois États dans l’ouverture à de nouveaux partenaires.

 

Les Émirats arabes unis, fer de lance du spatial dans le Golfe

En accueillant ce forum, les EAU affichaient dès lors leur volonté d’apparaître comme un acteur clé du développement de l’économie spatiale mondiale, tout en forgeant un consensus solide sur le cadre dans lequel doit s’insérer le secteur pour rester durable.

Les EAU cherchent en effet à se positionner comme le fer de lance dans la région arabe dans le secteur, et sont notamment les initiateurs de la création de l’Arab Group Space Cooperation, qui veut favoriser la coopération dans le domaine spatial et se doter d’un satellite d’observation commun. Le pays investit massivement et souhaite créer un effet d’entraînement sur les autres États arabes en se positionnant en leader de la conquête spatiale arabe. Le pays présente donc un modèle original car il entremêle politique publique et développement commercial privé, dans un souci de présence, tant sur le marché mondial que d’influence sur la scène régionale.

Les EAU sont le premier pays du Golfe à avoir développé un programme spatial, débuté en 2006 par le développement, en coopération avec la Corée du Sud, du satellite d’observation de la Terre DubaiSat 1. Les EAU ont par la suite adopté une stratégie spatiale plus ambitieuse, la National Space Strategy 2030, avec pour but de diversifier leur économie. C’est aussi aux Émirats qu’est née la première agence spatiale de la région avec la UAE Space Agency qui s’est rapidement dotée d’un cadre réglementaire attractif pour favoriser le développement de l’écosystème spatial commercial qui peut aussi s’appuyer sur la puissance financière du pays. À date, le pays investit en effet trois fois plus que ses voisins du Golfe, et notamment son voisin Saoudien avec 6 milliards de dollars investis contre 2,1 milliards pour l’Arabie Saoudite.

Le pays a par ailleurs récemment annoncé la création d’un fonds de 800 millions de dollars destiné à la conquête spatiale. Ce fonds contribuera notamment au développement d’une nouvelle constellation de satellites appelée Sirb prévue pour 2026, et qui utilisera de l’imagerie radar en complément des capacités existantes en imagerie optique, un projet justifié par sa capacité à mieux contrôler ses frontières et de détecter d’éventuels déversements d’hydrocarbures. Sirb pourra notamment compléter les capacités duales du programme FalconEye qui répond à la fois aux besoins des forces armées du pays, mais peut aussi fournir des images au marché commercial. Sur ce segment de l’imagerie satellite, le pays peut notamment compter sur la société Bayanat, spécialiste de l’analyse de données géospatiales et appartenant aujourd’hui à Group42, puissant groupe national d’intelligence artificielle.

Enfin, sur le plan de la R&D publique, les Émirats peuvent compter sur le Centre spatial Mohamed ben Rachid (MBRSC) qui, depuis janvier 2024 a signé un accord avec la NASA pour la conception d’un sas destiné au module lunaire Lunar Gateway qui orbitera la Lune dans les années à venir. Pour contribuer à son développement, le MBRSC pourra s’appuyer sur une forte expertise technique développée depuis plusieurs années par une implication dans plusieurs programmes satellites emiriens.

L’ensemble de ces capacités institutionnelles, financières et techniques a permis au pays un certain nombre d’avancées remarquées ces dernières années, et notamment, dès 2021, l’envoi d’une sonde en orbite autour de Mars pour étudier son atmosphère et son climat. De même, en 2019, l’envoi du spationaute Hazaa Al Mansoori, récemment nommé ministre, à bord de l’ISS a également été un temps fort pour le pays, galvanisant le peuple émirati et offrant au monde l’image d’un pays moderne. Il a été suivi en 2023 de son compatriote Sultan Al Neyadi.

Avec ces missions, les EAU ont rejoint le club très fermé des pays ayant fait voyager un de leurs ressortissants en orbite autour de la terre, soit une vingtaine de membres seulement

 

Pour Israël, le spatial est un outil de défense nationale mais aussi un outil de soft power croissant

Certains États comme Israël surveillent de près les acquisitions de leurs voisins dont les Émirats et l’Égypte. Pour Israël, l’espace est rapidement devenu un enjeu de sécurité nationale, comme le rappelle notamment l’incident survenu début novembre au cours duquel Israël a abattu, dans l’espace, un missile ennemi grâce à leur missile Arrow-3. Le pays garde donc un œil attentif au développement du spatial dans le Golfe sous le prisme non seulement des accords diplomatiques qu’il a pu nouer avec les pays de la région, mais aussi des vastes capacités d’investissements de la région qu’Israël ne peut pas suivre, faute de moyens similaires. Pour son programme spatial, Israël prévoit de dépenser environ 180 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour soutenir l’industrie spatiale civile et militaire, s’ouvrant par ailleurs récemment aux investissements privés dans le domaine spatial.

Israël soutient par ailleurs un certain nombre de startups prometteuses dans le domaine des technologies spatiales comme Ramon.space, une société qui construit des systèmes de supercalculateurs pour le secteur spatial ou Helios. Cette dernière s’est notamment alliée en août 2022 avec Eta Space, entreprise aérospatiale américaine basée en Floride, pour le développement des procédés de création d’oxygène sur la Lune.

De manière plus générale, parmi les objectifs présentés par l’Agence spatiale israélienne figurent le doublement du nombre d’entreprises spatiales israéliennes et le quadruplement du nombre de personnes employées dans l’industrie spatiale, une ambition qui devrait aider le pays à relier le secteur spatial civil au secteur high-tech israélien actuellement en plein essor.

Le spatial est aussi un outil au service du soft power israélien, en témoigne par exemple l’accord passé entre Israël Aerospace Industries (IAI) et le Maroc pour la construction d’un centre technique de R&D et de formation en partenariat avec l’Université de Rabat, qui se couple à une commande de satellites d’observation de la Terre par le Maroc à IAI, damant ainsi le pion au précédent consortium français Airbus Defense & Space / Thales Alenia Space.

 

L’Inde est déjà un poids lourd du spatial mondial

L’Inde possède l’un des programmes spatiaux les plus anciens au monde et, après un alunissage historique en 2023, elle a intégré le club spatial des cinq pays à avoir réussi à poser un engin sur la surface lunaire, le dernier en date étant le Japon, le 19 janvier dernier. Et la cinquième puissance économique mondiale compte bien poursuivre ses ambitions spatiales, avec une mission habitée de conception entièrement domestique prévue pour 2040.

Chaque année, l’Inde investit 1,8 milliard de dollars dans le spatial, et bénéficie d’une très grande expertise technique, des coûts de R&D et de développement plus faibles qu’un grand nombre de ses compétiteurs grâce à de faibles coûts de main-d’œuvre, ce qui se traduit sur les coûts de fabrication et de lancements à des prix compétitifs. La capacité de lancer des missions à bas prix avec un fort taux de succès des lanceurs indiens en font aujourd’hui un argument de vente de poids pour l’Organisation indienne de recherche spatiale (ISRO), même si elle est désormais remise en question par les capacités réutilisables et bon marché développées par un acteur SpaceX qui a notamment volé la vedette à ISRO pour le lancement de quatre satellites européens Galileo.

Dans son plan vision 2025, l’Inde a notamment rappelé son intention de se doter d’une capacité spatiale tous azimuts comprenant des composantes publiques duales civiles et militaires, mais aussi commerciales grâce à un écosystème de startups riche aussi bien dans le développement de services satellites que dans le domaine de l’accès à l’espace et des lanceurs.

En soutien à ce développement commercial, l’Inde a notamment engagé un large processus de mise à jour et de développement de ses réglementations spatiales. Cette réforme vise notamment à rattraper le niveau réglementaire des États-Unis et de l’Europe qui offrent des cadres juridiques compétitifs et fiables pour les opérateurs.

 

Comment voir ces développements depuis l’Europe ?

À condition de savoir saisir les opportunités offertes par ces nouveaux acteurs du spatial, l’émergence de nouvelles puissances, notamment les Émirats et Israël, peut être une chance pour l’Europe, et ce de plusieurs manières.

D’abord parce que ces nouveaux acteurs du spatial vont avoir besoin d’une capacité accrue d’accès à l’espace, et donc de commandes de lancements. Si l’Europe parvient à régler ses problèmes internes de développement de capacités d’accès à l’espace autonomes, elle pourra dès lors bénéficier de nouveaux débouchés, de pays qui sont par ailleurs proches géographiquement et diplomatiquement. Seul ombre à ce tableau néanmoins, la présence de l’Inde comme partenaire de choix lors du Abu Dhabi Space Debate pourra augurer d’une préférence pour des lancements depuis l’Inde plutôt que l’Europe. C’est donc désormais le travail de nos opérateurs de lancements et des différents partenariats techniques et institutionnels de garantir des débouchés aux lanceurs européens.

Car en effet l’émergence de nouvelles puissances spatiales est aussi l’occasion pour l’Europe de démontrer ses capacités techniques. Les partenariats entre l’Inde et le CNES pour la France sont légion, citons par exemple le satellite Megha-Tropiques d’observation de la météo et des océans. Ces partenariats techniques peuvent poser les jalons d’une coopération étendue au spatial commercial. Aux Émirat arabes unis, par exemple, la France est historiquement très présente dans le spatial, Thales Alenia Space ayant contribué à la conception de plusieurs satellites nationaux, et le MBRSC est aussi un partenaire historique de l’Agence spatiale européenne.

Se profilent donc de nouveaux partenariats fructueux pour le progrès de la conquête spatiale dans la continuité de coopérations existantes, mais ils impliqueront un effort considérable de structuration de la réponse Européenne qui faut aujourd’hui face à un certain nombre de défis internes, et s’insérer plus globalement dans une politique d’aller vers l’Europe et la France en matière spatiale qui doit être constamment renforcée face à l’émergence de nouveaux acteurs dont les capacités et l’expérience augmentent de jour en jour.

Crise du logement : problème insoluble pour le marché ? Avec Vincent Benard

Épisode #46

Vincent Bénard est économiste et ingénieur en aménagement du territoire. Il écrit régulièrement des articles remettant en cause la logique des politiques publiques. Spécialiste du logement, il a également consacré de nombreux textes à la problématique du changement climatique.

Dans cet entretien nous revenons sur les différentes causes de la grande difficulté d’accès au logement ces dernières années. Si vous ne serez pas surpris de découvrir que l’action de l’État a créé bien plus de problèmes qu’il n’a apporté de solutions, la cause principale de l’envolée des prix depuis une quinzaine d’années pourrait vous surprendre. Si comme nous, vous êtes convaincu de la responsabilité écrasante de l’État dans ce problème qui touche durement les jeunes générations, pensez à signer notre pétition. Enregistré fin décembre 2023 à Machecoul. 

Pour écouter l’épisode, utilisez le lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page ou cliquez directement ici.

Programme :

0:00 Introduction

1:07 Parcours et formation d’ingénieur

4:59 Pourquoi se loger est-il devenu si cher ?

6:33 La création monétaire peut-elle expliquer la hausse des prix ?

11:33 Pourquoi l’offre ne parvient pas à s’ajuster

15:10 Deux philosophies du droit des sols

20:21 La lutte contre « l’étalement urbain »

22:48 Les acheteurs ont-ils conscience du rapport foncier/bâti ?

26:15 Construire plus haut pour limiter l’étalement urbain ?

30:10 Les logements sont-ils les pires ennemis de la biodiversité ?

46:53 Le contrôle des loyers : fausse bonne idée

 

Pour aller plus loin : 

Articles de Vincent Benard dans Contrepoints 

Logement : crise publique, remèdes privés (Livre de Vincent Benard, 2006 )

Rapport sur la crise du logement (Vincent Benard, pour l’IREF)

Travaux de l’économiste Joseph Comby 

Order without Design: How Markets Shape Cities (livre d’Alain Bertaud)

« Une révolution fiscale pour sauver le logement » (Pétition lancée par Contrepoints)

https://www.contrepoints.org/2024/01/20/469878-petition-une-revolution-fiscale-pour-sauver-le-logement

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À Davos, Javier Milei a défendu « La supériorité écrasante du capitalisme »

Mercredi 17 janvier dernier, le président argentin Javier Milei a prononcé un discours enflammé et disruptif au Forum économique mondial de Davos. Son éloge de la croissance et des entrepreneurs, tout comme sa mise en garde contre les dangers du socialisme ont déjà fait couler beaucoup d’encre. En réalité, l’économiste n’a fait que reprendre, à quelques expressions près, le contenu d’une conférence TED donnée en 2019 à San Nicolás, au cours de laquelle il expliquait comment, tout au long de l’histoire, le capitalisme s’était avéré supérieur aux autres systèmes.

Les thèses mises en avant à Davos s’inscrivent dans le corpus classique de la défense des libertés économiques. Qu’elles soient mises en avant, de manière décomplexée, par un chef d’État est, en revanche, beaucoup plus inhabituel.

Dans cet article, l’essayiste Rainer Zitelmann revient sur les principales thèses économiques défendues par Javier Milei, tant comme économiste que comme chef d’État.

 

Thèse 1 : le capitalisme est la seule recette contre la pauvreté

Le discours de Milei commence par un examen historique, précisant que la révolution industrielle a donné à une grande partie de la population mondiale la possibilité d’échapper à la pauvreté.

« … Lorsque vous regardez le PIB par habitant depuis l’an 1800 et jusqu’à aujourd’hui, vous verrez qu’après la révolution industrielle, le PIB mondial par habitant a été multiplié par plus de 15. Ce qui s’est traduit par un boom de la croissance qui a permis à 90 % de la population mondiale de sortir de la pauvreté. N’oublions pas qu’en 1800, environ 95 % de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté et que ce chiffre est tombé à 5 % en 2020, avant la pandémie. La conclusion s’impose. Loin d’être la cause de nos problèmes, le capitalisme libre-échangiste en tant que système économique est le seul instrument dont nous disposons pour mettre fin à la faim, à la pauvreté et à l’extrême pauvreté sur notre planète.

Avant les commencements de la révolution industrielle, il y a environ deux siècles, 90 % de la population mondiale était effectivement embourbée dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, selon les chiffres de la Banque mondiale, cette proportion n’est plus que de 8,5 %.

 

Thèse 2 :  la « justice sociale » est injuste

Le président-économiste soutient que la redistribution n’est pas le moyen de résoudre les inégalités sociales et qu’elle ne fait en réalité que les accroître. Les anticapitalistes pensent que l’économie est un jeu à somme nulle – ils croient qu’un gâteau économique prédéfini doit être distribué, alors qu’en fait, le but est d’augmenter la taille du gâteau.

Milei : « Le problème, c’est que la justice sociale n’est pas juste – et qu’elle ne contribue pas non plus – au bien-être général… Ceux qui font la promotion de la justice sociale, les défenseurs, partent de l’idée que l’ensemble de l’économie est un gâteau qui peut être partagé différemment, mais que ce gâteau n’est pas acquis. C’est la richesse qui est générée dans ce qu’Israël Kirzner, par exemple, appelle un processus de découverte du marché. Si les biens ou services offerts par une entreprise ne sont pas désirés, l’entreprise échouera, à moins qu’elle ne s’adapte à ce que le marché exige. Si elle fabrique un produit de bonne qualité à un prix attractif, elle s’en sortira bien et produiront davantage. Le marché est donc un processus de découverte dans lequel les capitalistes trouveront le bon chemin au fur et à mesure qu’ils avanceront. »

 

Thèse 3 : l’Occident est menacé par le socialisme moderne

La thèse la plus importante est celle-ci : l’Occident est menacé par le socialisme.

Milei répond à l’objection selon laquelle, aujourd’hui, comme pour le socialisme classique, la question n’est pas la nationalisation des moyens de production. Selon lui, le marché libre est de plus en plus étouffé par l’intervention gouvernementale, la réglementation excessive, la fiscalité et les politiques des banques centrales.

Les moyens de production ou les biens immobiliers relèvent théoriquement de la propriété privée, mais dans le réalité les propriétaires perdent de plus en plus le contrôle de leurs biens au profit de l’État.

Milei : « L’Occident a malheureusement déjà commencé à s’engager dans cette voie. Je sais que pour beaucoup, il peut sembler ridicule de suggérer que l’Occident s’est tourné vers le socialisme, mais ce n’est ridicule que si vous vous limitez à la définition économique traditionnelle du socialisme, qui dit qu’il s’agit d’un système économique où l’État possède les moyens de production. À mon avis, cette définition devrait être mise à jour à la lumière des circonstances actuelles. Aujourd’hui, les États n’ont pas besoin de contrôler directement les moyens de production pour contrôler tous les aspects de la vie des individus. Avec des outils tels que la planche à billets, la dette, les subventions, le contrôle des taux d’intérêt, le contrôle des prix et la réglementation pour corriger les soi-disant défaillances du marché, ils peuvent contrôler la vie et le destin de millions d’individus.

 

Thèse 4 : les entrepreneurs doivent commencer à se défendre

Le discours de Milei ne se borne pas à constater, il appelle aussi à l’engagement. Il cible en particulier les entrepreneurs, qui « se plient trop souvent à l’air du temps et aux puissants politiques », les enjoignant à ne plus se laisser intimider par les politiciens, à être « fiers » et à commencer « à se battre ».

« C’est pourquoi, en terminant, j’aimerais laisser un message à tous les hommes d’affaires ici présents et à ceux qui ne sont pas ici en personne, mais qui nous suivent du monde entier. Ne vous laissez intimider ni par la caste politique ni par les parasites qui vivent aux crochets de l’État. Ne capitulez pas devant une classe politique qui ne veut que rester au pouvoir et conserver ses privilèges. Vous êtes des bienfaiteurs sociaux, vous êtes des héros, vous êtes les créateurs de la période de prospérité la plus extraordinaire que nous ayons jamais connue. Que personne ne vous dise que votre ambition est immorale. Si vous gagnez de l’argent, c’est parce que vous offrez un meilleur produit à un meilleur prix, contribuant ainsi au bien-être général. »

Comment ce discours se traduira-t-il dans la réalité ? Milei réussira-t-il à mettre en œuvre la supériorité écrasante du capitalisme en Argentine ? Réponse dans les semaines et les mois qui viennent.

Sahel : la convergence des juntes ? 

En moins de trois ans, un quart des pays les plus pauvres d’Afrique de l’Ouest est passé sous régime militaire : le Mali (19 août 2020), la Guinée-Conakry (5 septembre 2021), le Burkina Faso (24 janvier 2022) et finalement le Niger (26 juillet 2023). Le président de la République, Emmanuel Macron, a qualifié cette succession de coups d’État « d’épidémie », une formule qui a fait florès dans les médias mais qui, comme toutes les métaphores biologiques appliquées au politique, rend mal compte de la situation sur le terrain.

Alors que la République de Guinée (Guinée-Conakry), dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya, a progressivement refusé l’alignement pro-moscovite des juntes militaires maliennes, burkinabé et nigériennes, et s’est sensiblement rapproché de la Côte d’Ivoire, les dictatures militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont annoncé le 16 septembre 2023 la création d’une « Alliance pour les États du Sahel » (AES) et multiplié les rencontres, le « voyage à Bamako » étant devenu le rendez-vous incontournable des élites idéologiques et militaires burkinabé et nigérienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Assiste-t-on à la constitution d’un bloc géopolitique aligné sur la Russie au cœur du Sahara ?

Des liens de convergence forts existent entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger et accréditent cette hypothèse. D’abord une population en forte croissance démographique : avec 23 millions d’habitants, le Burkina Faso a une croissance démographique de + 3 %, le Mali est dans la même situation, le Niger, avec sans doute près de 25 millions d’habitants, a le plus fort taux de fécondité au monde, plus de six enfants par femme en moyenne.

Cette démographie soutenue entraîne des déséquilibres forts dans la pyramide des âges : près de 50 % de la population a moins de 15 ans au Burkina Faso, au Niger 60 % de la population a moins de 20 ans. Des dynamiques démographiques qui expliquent largement le poids de la jeunesse, de ses organisations syndicales et politiques et de son rôle d’armée de réserve des partis politiques et des agitateurs dans les perturbations politiques actuelles dans ces États.

Ces trois pays sont par ailleurs dépendants de l’extraction minière : au Niger, l’uranium, en perte de vitesse, et qui ne représente que 10 % du PIB, contribue cependant à 50 % des ressources propres du gouvernement, servant essentiellement à payer les salaires d’un fonctionnariat pléthorique et largement inefficace, voire corrompu.

 

Tristes tropismes 

On pourrait égrener la litanie des stigmates de la pauvreté qui lient et fragilisent ces trois États : putschs militaires à répétition, domination d’une classe bourgeoise urbaine qui tire sa richesse des porosités entre politique, bonnes affaires et monopole sur le foncier, qu’il soit rural ou urbain. Mais c’est bien évidemment le tropisme russe, mis en scène dans des manifestations de jeunes qui agitent le drapeau de Wagner ou de la Fédération de Russie, qui concentre toute l’attention.

Depuis le coup d’État d’Assimi Goïta, le Mali a fait l’allégeance la plus bruyante et la plus forte à Wagner : le drapeau noir frappé de la tête de mort, emblème du groupe militaire parapublic russe, qui flottait sur la ville de Kidal « libérée » par les mercenaires, en fut l’incarnation la plus récente.

La junte militaire malienne a d’ailleurs largement financé sa guerre contre les séparatistes Touareg en concédant au groupe paramilitaire Wagner l’essentiel des sites d’orpaillage maliens.

Mais le tropisme russe est visible aussi au Burkina Faso, là encore via la concession de sites miniers aurifères, et au Niger où l’égérie des réseaux sociaux, la Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb, surnommée la « Dame de Sotchi », a fait le déplacement à Niamey (décembre 2023), reçue comme un chef d’État, avec tapis rouge et remise de décoration de la part des autorités militaires nigériennes au grand complet. Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, activiste franco-béninois des réseaux sociaux et suprématiste noir, l’avait précédé mais avec moins d’honneurs, ses prises de position de jeunesse contre l’Islam l’ayant desservi.

Dès les premiers jours du coup d’État de Tiani, alors que la situation était encore incertaine pour les putschistes, les drapeaux russes et les drapeaux de Wagner étaient visibles dans les manifestations de jeunes à Niamey, notamment dans celles qui virent le saccage de l’ambassade de France, le blocus de la résidence de l’ambassadeur, Sylvain Itté, et du campus de pavillons diplomatiques français, et le siège de la base aérienne où stationnaient les forces françaises au Niger. Manifestations « spontanées » mais encouragées par le groupe de média Liptako d’Abdourahamane Oumaou, candidat malheureux à la présidentielle de 2021 (0,43 % des suffrages).

 

Trois juntes, une dynamique 

Niamey est devenu le point de ralliement des activistes des réseaux sociaux anti-français : le professeur de philosophie franco-camerounais Franklin Nyamsi, tenant régulièrement son blog sur Mediapart, et encore enseignant de l’Éducation nationale française, a été le dernier grand invité de la junte militaire nigérienne en décembre 2023. Pour lui aussi, la junte militaire nigérienne avait déroulé le tapis rouge et l’avait reçu en grande pompe au palais présidentiel.

Franklin Nyamsi et Stellio Capo Chichi (dit « Kemi Séba ») sont, comme Nathalie Yamb, à des degrés plus ou moins assumés, des acteurs de l’influence russe en France et dans l’Afrique francophone, et des acteurs majeurs de la haine de la France distillée sur les réseaux sociaux auprès de la jeunesse subsaharienne. Mais leur audience s’étend aussi sur les diasporas subsahariennes en France même, participant notamment à diffuser les mensonges russes sur la présence française au Sahel.

La dynamique médiatique et politique des trois juntes est d’ailleurs assez semblable : activisme anti-français sur les réseaux sociaux, coup d’État militaire, manifestations massives de jeunes chômeurs, nomination d’un Premier ministre issu des franges les plus radicales du marxisme africain (Choguel Kokalla Maïga au Mali, Apollinaire Kyélem de Tambèla au Burkina Faso), haine contre la France proclamée par les membres de la junte lors des grands rassemblements internationaux, rupture (Niger) ou quasi rupture des relations diplomatiques (Burkina Faso, Mali), et finalement rapprochement avec la Russie.

Cette convergence des juntes, rendue possible par leurs trajectoires économiques semblables comme leurs comportements diplomatiques récents, est mise en scène régulièrement par des rencontres au plus haut niveau entre les trois régimes militaires : entretien entre Mody, ancien chef d’état-major des Forces Armées Nigériennes, et Assimi Goïta, dernièrement rencontre en décembre 2023 entre les trois Premiers ministres à Agadez, sous parapluie militaire américain.

Tout aussi symbolique, l’envoi par le Niger d’une aide logistique au Mali, lors de l’offensive sur Kidal du groupe Wagner, ou l’envoi d’un contingent réduit de forces spéciales Burkinabè à Niamey pour soutenir le coup d’État militaire au Niger.

 

Pour autant, derrière les mesures symboliques et les protestations d’amitiés, en l’état actuel des choses, la « convergence des juntes » risque de tourner court. En effet, les trois juntes sont arrivées au pouvoir dans des conditions si différentes qu’il semble peu probable de voir naître autre chose qu’une construction médiatique.

 

L’Alliance des États du Sahel : un épouvantail (géo)politique

L’équilibre des pouvoirs dans les trois juntes militaires est très différent, et n’augure pas de trajectoires communes dans le temps moyen. Assimi Goïta est la tête de gondole d’une clique de colonels dont beaucoup sont impliqués dans des affaires de marchés publics litigieux. Chacun d’eux représente un des principaux corps des Forces Armées Maliennes (FAMA) dont la sécurité d’État, organe sensible du renseignement militaire.

Ibrahim Traoré au Burkina Faso, qui s’inscrit dans la geste de Thomas Sankara, capitaine, putschiste et marxiste comme lui, au pouvoir dans les années 1980, joue sur l’image de l’homme providentiel, et s’est débarrassé progressivement de tous ses compétiteurs militaires en les envoyant en stage militaire à Moscou.

Allié idéologique de l’avocat marxiste (formé à Nice), Apollinaire Kyélem de Tambèla, il a été soutenu par les masses désœuvrées de la capitale, Ouagadougou. Il règne sur un paysage politique atone, marqué par les exils successifs des ténors de la classe politique civile. Son atout réside dans un contrôle strict de l’information, l’envoi sur la ligne de front de ses opposants de la société civile, et sur le fait que les deux principales villes du pays, Ouagadougou au centre du pays, et Bobo Dioulasso dans le sud, sont épargnées par les attaques djihadistes et les crimes des forces de défense et de sécurité. Ce qui lui permet de masquer l’échec sécuritaire de son gouvernement.

Abdourahamane Tiani, lui, est dans une position politique beaucoup plus précaire. Cacique de l’ancien régime, son pouvoir est partagé au sein de l’armée entre Mody, ancien chef d’état-major devenu ministre de la Défense, le général Barmou, formé aux États-Unis (et qui représente les intérêts de l’armée) et le tonitruant Tumba, militaire lui aussi, qui véhicule les accusations de complicité de la France avec les terroristes.

Mais seule la capitale a fait allégeance à son pouvoir, et encore ne parle-t-on que des associations politiques de la jeunesse, celles qui ont fait le siège de l’ambassade de France et de la base française sur l’aéroport de Niamey. Les venues successives de Stellio Capo Chichi, de Guillaume Soro (opposant ivoirien en fuite), de Nathalie Yamb et de Franklin Nyamsi s’expliquent par cette volonté de Tiani de garder les organisations de jeunesse de la capitale à ses côtés.

Se concilier les bonnes grâces des mouvements de jeunesse est une nécessité absolue pour la junte militaire nigérienne. Certains de ces mouvements ont bénéficié déjà des largesses financières du régime, par le biais de la redistribution des sommes collectées pour soutenir le gouvernement militaire auprès de la diaspora nigérienne.

Sont à l’affût des figures politiques comme celle d’Abdourahamane Oumarou, fondateur d’un parti marxiste, l’Union des Patriotes Panafricanistes, et PDG d’un groupe média qui mêle presse écrite, radios et chaîne de télévision. C’est d’ailleurs Abdourahamane Oumarou, perpétuellement affublé d’un treillis militaire et d’une casquette cubaine frappée de l’étoile rouge, qui a organisé la venue à Niamey de Nathalie Yamb, et a mobilisé la jeunesse de Niamey, via son groupe de média Liptako.

Mais les périphéries du pays restent encore incertaines. Dans le nord, l’ancien ministre Ag Boula, réfugié au sein des populations touarègues vers Agadez, a monté un gouvernement dissident, alors que les Toubous dans le Djado, autour de Dirkou, viennent eux aussi de former un mouvement militaro-politique hostile à la junte.

Derrière les généraux, tous issus du régime précédent, une cohorte de colonels, plus jeunes et plus pauvres aussi, assure une forme de surveillance du gouvernement, sans que l’on sache qui se cache derrière ses colonels, peut-être d’autres généraux en attente d’allégeance plus nette ou des intérêts russes.

Tiani, initiateur d’un coup d’État opportuniste, semble en équilibre précaire à la tête de l’État, pris en étau entre une armée qui veille à ses intérêts (alors qu’elle a perdu plus de 400 tués les trois premiers mois du régime militaire), et une jeunesse survoltée, dont les réseaux sociaux diffusent les fantasmes les plus fous : sortie du FCFA, sortie de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), création d’une monnaie nouvelle commune aux trois pays, construction de centrale nucléaire…

Au Mali, dans son discours de vœux du nouvel an (janvier 2024), Assimi Goïta vient de clarifier son projet politique : unité nationale et laïcité. Lui qui était venu au pouvoir grâce aux manifestations organisées à Bamako par les imams, dont le médiatique Imam Dicko, semble vouloir se détacher des religieux. Naguère capturé par les mouvements séparatistes touaregs, Assimi Goïta a un compte personnel à régler avec les mouvements sécessionnistes, plus qu’avec les Groupes Armées Terroristes (GAT) qui assurent pourtant un blocus quasi complet autour des villes de Gao et de Tombouctou.

Mais c’est encore son pouvoir qui apparaît le plus assuré. Grâce aux milices Wagner qui garantissent sa protection rapprochée, et à l’épuration systématique des organisations de la jeunesse : « Rose la vie chère » qui dénonçait l’échec économique de la junte militaire malienne a été emprisonnée, de même que Ben Diarra, le créateur du mouvement « Yerewolo – Debout sur les remparts », initiateur de la haine anti-française, ou le rappeur Ras Bath, lui aussi hostile à la France, et coupable d’avoir critiqué le régime militaire. Si ces arrestations ont pu étonner la population de la capitale, aucun mouvement de foule ne s’est constitué pour exiger leur libération.

Pourtant le pouvoir d’Assimi Goïta est aussi de plus en plus instable : la capitale connaît de graves coupures d’électricité récurrentes, imputées à la mauvaise gestion des régimes politiques précédents, alors même que les militaires dirigent le pays depuis trois ans sans que la situation énergétique ne se soit améliorée.

Une classe politique civile, ancienne et bien implantée dans la capitale, reste active, notamment sur les réseaux sociaux, et les imams sont très critiques à l’égard du régime.

La prise de Kidal par les forces de Wagner semble sceller la reconquête du pays, préalable selon les militaires pour organiser des élections. Or, l’unité théorique du pays semble s’être réalisée sans qu’un calendrier d’élection ne soit publié. Au contraire, les activistes pro-junte sur les réseaux sociaux diffusent le mot d’ordre de Nathalie Yamb « Dix ans sans élections ! ». Il sera de plus en plus difficile aux militaires maliens de rester au pouvoir alors que Wagner multiplie les crimes, y compris contre les FAMA, que la faillite sécuritaire est de plus en plus visible, que la crise énergétique semble insoluble.

Les trois régimes militaires utilisent l’AES comme cache-sexe de leurs faillites, et le temps nous dira si cette marionnette médiatique réussira à distraire les masses suffisamment longtemps pour leur permettre de consolider leur pouvoir.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Allemagne : les agriculteurs sur les routes, le gouvernement en déroute ?

Pour équilibrer son projet de budget, le gouvernement fédéral allemand a proposé en décembre dernier deux mesures affectant les agriculteurs pour un montant total de près d’un milliard d’euros (la suppression d’allègements fiscaux sur le carburant agricole et sur l’impôt sur les tracteurs). C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase dans les milieux agricoles déjà en mal-être.

 

À l’origine de la révolte : la nécessité d’équilibrer le budget 2024

En Allemagne, on ne badine pas avec l’orthodoxie budgétaire.

Saisi par des députés CDU-CSU, le Tribunal constitutionnel fédéral, qui siège à Karlsruhe, a rappelé le gouvernement de la coalition des « feux tricolores » – rouge pour le SPD, jaune pour le FDP et vert évidemment pour les Verts – à l’ordre le 15 novembre 2023 : la modification du budget supplémentaire 2021 – le ré-échelonnement des crédits pour la lutte contre la covid non utilisés et leur affectation à un fonds pour le climat – était anticonstitutionnelle.

Cela a créé un trou de quelque 60 milliards par rapport aux ambitions affichées. Il a fallu revoir les projets, couper dans les dépenses et trouver de nouvelles recettes. Début décembre 2023, le gouvernement fédéral s’est retrouvé avec un déficit de 17 milliards d’euros à combler.

 

Ponctionner l’agriculture

Il a été proposé de supprimer une ristourne sur les taxes perçues sur le gazole agricole ainsi que l’exonération de la taxe sur les véhicules, en vigueur pour les véhicules agricoles et sylvicoles.

Coût pour l’agriculture : près d’un milliard d’euros – 900 millions selon cet article d’Agrarheute. Pour une exploitation moyenne à temps plein, le remboursement de 21,48 centimes d’euro par litre de gazole au cours de la campagne 2020/2021 valait au total 2883 euros. La perte estimée pour une exploitation mixte est de 3000 euros, et près de 3900 euros pour une exploitation en grandes cultures. Ce ne sont que des moyennes. Des chiffres bien plus importants ont été articulés ici.

Des craintes ont également été exprimées – par les Verts du Landtag de Bade-Wurtemberg – pour la viabilité des exploitations des double-actifs avec, par exemple, des effets induits sur la protection des paysages et de la biodiversité.

Il est bien sûr illusoire que les agriculteurs puissent compenser la perte par une augmentation des prix. Et cette ponction se traduit par une perte de compétitivité par rapport aux autres États membres de l’Union européenne.

 

Un premier coup de semonce à la mi-décembre 2023

L’ampleur de l’effort mis à la charge de quelque 256 000 entreprises, et sa disproportion par rapport aux mesures affectant d’autres catégories d’acteurs de la vie économique ont mis le feu aux poudres chez des agriculteurs déjà en proie à des difficultés de tous ordres :

  • matérielles, avec notamment une année météorologique peu favorable sinon désastreuse qui, du reste, n’augure rien de bon pour les récoltes des cultures d’hiver en 2024 ;
  • économiques, avec l’inflation des coûts et des prix bas pour les céréales, et un manque de prévisibilité ;
  • administratives, avec le harcèlement réglementaire et les délires bureaucratiques ;
  • et peut-être même sociales : nombre d’agriculteurs ont le sentiment de ne pas être reconnus pour leur contribution à la société.

 

Des manifestations massives ont eu lieu le lundi 18 décembre 2023, partout en Allemagne. C’étaient par exemple 8000 à 10 000 personnes et plus de 3000 tracteurs à Berlin selon l’Union des Agriculteurs Allemands (DBV – Deutscher Bauernverband), 6600 personnes et 1700 tracteurs selon la police.

 

Solidarité et cohésion gouvernementales ?

C’était l’occasion de mesurer la solidarité et la cohésion gouvernementales : le ministre fédéral de l’Agriculture Cem Özdemir a pris la parole pour exprimer sa solidarité avec… les agriculteurs !

Il se serait opposé aux mesures envisagées. « Je sais que la suppression [des exonérations] vous touche plus durement que d’autres secteurs […] Je m’engagerai de toutes mes forces pour que cela ne puisse pas se passer ainsi ! » Dans le même temps – air connu en France – il affirmait que le monde agricole devait prendre sa part.

Par ailleurs, des dirigeants politiques de plusieurs Länder – Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Bavière, Basse-Saxe – se sont clairement exprimés contre la proposition de la coalition gouvernementale.

Ils seront rejoints ultérieurement par les ministres-présidents de la Sarre, du Brandebourg, de la Basse-Saxe et du Schleswig-Holstein, ainsi que du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.

Les oppositions sont donc venues de tous les bords politiques de gouvernement. Même les Verts du Landtag de Bade-Wurtemberg !

 

Un petit pas… trop petit ?

Le président du DBV, Joachim Rukwied, avait prévenu : les manifestations du 18 décembre 2023 seraient un tour de chauffe si les agriculteurs n’obtenaient pas satisfaction.

Le 4 janvier 2024, la coalition annonça une nouvelle proposition, selon un accord conclu entre le chancelier fédéral Olaf Scholz (SPD), le vice-chancelier Robert Habeck (Verts) et le ministre fédéral des Finances Christian Lindner (FDP) : l’exonération de la taxe sur les véhicules serait maintenue, et la ristourne sur la taxe sur le gazole payable en 2024 sur la consommation de 2023 également, mais réduite les années suivantes en trois fractions de 40, 30 et 30 points de pourcentage, respectivement. Les quantités consommées en 2026 ne seraient donc plus subventionnées.

C’est un accord au sommet. Le ministre fédéral de l’Agriculture Cem Özdemir a semblé vouloir sauver la face dans un communiqué de presse :

« … La charge disproportionnée imposée à l’agriculture et à la sylviculture dans le cadre de la nécessaire consolidation budgétaire n’est donc plus d’actualité. »

 

Des manifestations monstres le 8 janvier 2024

La profession agricole n’est évidemment – et à juste titre – pas de cet avis. Insuffisant ! « Au final, cela signifie la mort à petit feu », a aussi déclaré M. Joachim Rukwied. Les professionnels du secteur ont entamé leur semaine d’action le lundi 8 janvier 2024.

Un seul chiffre : il y aurait eu 100 000 tracteurs sur les routes, selon Agrarheute. Les manifestations se sont déroulées dans le calme. Les mots d’ordre des dirigeants et de quelques personnalités influentes ont été entendues.

Mais auparavant, il y avait aussi eu des actions que nous n’aimerions pas voir, ni en Allemagne ni en France. Ainsi, le 4 janvier 2024, des agriculteurs ont tenté d’empêcher un ferry, dans lequel se trouvait le vice-chancelier Robert Habeck, d’accoster à Schlüttsiel, en Schleswig-Holstein.

Parmi les commentaires de M. Cem Özdemir (oui, il y a eu du « en même temps »…) : « La majorité des agriculteurs et agricultrices allemands défendent leurs intérêts par des moyens démocratiques. C’est leur droit. »

Marques de soutien et manifestations communes avec les transporteurs

Comme le rapporte Agrarheute, les manifestations ont été bien accueillies, avec de nombreuses expressions et actions de soutien. Willi l’agriculteur note sur son blog que les gens applaudissaient les manifestants à Cologne et distribuaient du café, et qu’à de nombreux endroits les commerçants locaux approvisionnaient les manifestants.

Selon un sondage de N-TV, toutefois non représentatif, 91 % des répondants approuvaient les revendications des agriculteurs. Mais il ne faut pas se leurrer : sitôt les manifestations terminées, les médias et l’opinion publique passent à autre chose.

Il y a aussi eu des actions en signe de solidarité. Ainsi, près de Minden en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dix péniches ont bloqué le Mittellandkanal. À Munich, si M. Karl Bär, président des Verts à la commission agricole du Bundestag, a été hué, M. Heinrich Traubinger, de l’artisanat bavarois de la boulangerie, parlant aussi au nom d’autres entités, a été applaudi :

« Si on peut compter sur quelqu’un, c’est bien sur les agriculteurs […] Sans les agriculteurs, il n’y aurait pas de boulangeries ! »

Ce n’est pas vraiment anecdotique, mais symptomatique d’un désenchantement, et aussi d’une solidarité de filière : M. Cem Özdemir devait visiter une brasserie le 10 janvier 2024, événement prévu de longue date. Il a été « désinvité » par le patron de la brasserie :

« Par solidarité envers l’agriculture locale, nous avons donc décidé, après mûre réflexion, de retirer notre invitation à la visite de notre brasserie familiale d’Aalen. […] Ici, dans l’Ostalb en particulier, nous vivons de et avec l’agriculture paysanne : c’est d’elle que nous tirons une grande partie des matières premières de notre brasserie, comme l’orge de brasserie ou le blé de brasserie cultivés dans la région. »

 

Une voix dissonante : Greenpeace

Greenpeace s’est manifesté trois fois, les 18 décembre 2023 et les 4 et 8 janvier 2024, avec des arguments douteux :

« Les inondations dues au changement climatique inondent actuellement les champs et les pâturages dans toute l’Allemagne et l’Union allemande des agriculteurs veut continuer à protester contre la protection du climat – c’est incompréhensible. »

« Compte tenu des milliards de subventions accordées à l’agriculture, la suppression prévue des subventions pour le gazole est tout à fait supportable », écrit-elle aussi. Et la solution serait déjà là : « La technique existe, les premiers tracteurs électriques sont déjà en service. »

 

Le gouvernement en difficulté

D’une manière générale, la coalition gouvernementale allemande est un mariage peu harmonieux, souvent réduit à des compromis boiteux. Ainsi, dans le domaine agricole, les Verts étaient contre le renouvellement de l’autorisation du glyphosate, le FDP pour… et le gouvernement s’est abstenu à Bruxelles. La question des nouvelles techniques génomiques divise également… la stratégie « Bio 2030 » d’un Cem Özdemir qui ne voulait pas les évoquer dans le document, ne passe pas la rampe en réunion interministérielle.

Selon un sondage de début décembre 2023, 68 % des répondants trouvaient que le gouvernement faisait mal son travail, mais ils n’étaient que 35 % à estimer qu’un gouvernement mené par la CDU-CSU ferait mieux. Et ils sont 57 % à estimer que le gouvernement ira jusqu’au bout, en 2025.

D’aucuns se font des idées sur des convergences de lutte. Des actions communes sont ainsi prévues par les agriculteurs, les transporteurs et chauffeurs routiers. Les conducteurs de train viennent de se mettre en grève. Les extrêmes se mettent à rêver…

Les prévisions sont certes difficiles, surtout si elles concernent l’avenir. Mais l’Allemagne est (encore ?) résiliente. Et 66 % des sondés ont trouvé que 2023 avait été une bonne année pour eux, 28 % pensant que 2024 sera meilleur, 58 % pareille, et seulement 13 % moins bonne.

Les agriculteurs, en ce moment sur le devant de la scène, ont fait leur maximum, avec succès, pour que leurs manifestations ne soient pas dévoyées. L’épouvantail de l’extrême droite et de la descente aux enfers a été vigoureusement agité, en partie dans une tentative de jeter le discrédit sur les manifestations (ce qui a été vigoureusement dénoncé par le président du syndicat fédéral de la police). Au gouvernement, un Robert Habeck plaide avec éloquence pour le respect des principes démocratiques.

La question qui fâche est maintenant devant le Bundestag, appelé à adopter le budget pour 2024. C’est aussi une question majeure pour l’échéance électorale du renouvellement du Parlement européen.

La diplomatie française est prisonnière de l’hyper présidentialisme d’Emmanuel Macron

À l’heure où Stéphane Séjourné vient de succéder à Catherine Colonna au Quai d’Orsay, il ne paraît pas superflu d’esquisser un panorama de la situation de la France et de ses Outre-mer à l’international. Disons-le tout de go, la météo diplomatique n’est pas au beau fixe sur plusieurs fronts : celui, d’abord, de nos relations avec plusieurs pays du continent africain auprès desquels la France a accusé ces derniers mois une perte d’influence considérable ; celui des relations franco-américaines avec en toile de fond le conflit russo-ukrainien et le spectre d’une attaque de Taïwan par la Chine. Ces deux tableaux autorisent à faire un bilan plus que mitigé de la diplomatie macronienne qui s’est vue reprocher, dans des situations pourtant distinctes : incohérence, manque de fiabilité, improvisation, paternalisme et arrogance.

Cette communauté de reproches est d’autant plus frappante à souligner qu’elle a des sources distinctes (chefs d’État, commentateurs de la vie politique et internationale, anciens ambassadeurs, anciens ministres…) et converge vers la personne même du président. En effet, c’est davantage à ce dernier qu’à sa dernière ministre des Affaires étrangères qu’il faut, semble-t-il, imputer ce triste constat qu’a cristallisé l’absence de nombreux chefs d’État ou de personnalités de premier plan lors du Sommet pour la Paix tenu à Paris en novembre dernier. Une partie de notre ancien personnel diplomatique, plusieurs chefs d’État étranger—à l’exception notable de Narendra Modi en Inde —, de nombreux fonctionnaires du ministère en désaccord avec la suppression du corps diplomatique, n’ont pas été, c’est peu dire, enthousiastes, devant les initiatives emphatiques et non-coordonnées prises unilatéralement par le chef de l’État, tel le projet de coalition internationale contre le terrorisme lancé lors d’une déclaration conjointe avec Benjamin Netanyahou au cours d’une visite en Israël le 24 octobre 2023.

 

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est le président lui-même

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est ainsi le président lui-même, en raison de l’interprétation maximaliste — bonapartiste, faudrait-il ajouter ? — qu’il fait de la fonction présidentielle dans le sillage de De Gaulle. On peut identifier, dans la pratique, et ce depuis maintenant six années consécutives— bien que sous l’ère Le Drian les envolées solitaires d’Emmanuel Macron aient été moins frappantes—, ce que je qualifierais volontiers d’abus de la fonction présidentielle.

C’est dans le droit fil de la doctrine gaulliste, qui fait des relations avec l’étranger le domaine réservé du président, quitte à déclencher maints accrocs et tiraillements avec nos alliés, que se situe Emmanuel Macron qui ajoute à ce parti pris une dose d’idéalisme allemand et de Descartes mal digéré qu’on pourrait résumer par une parodie du Cogito : « Je pense et je me pense, donc j’agis. »

Raymond Aron, en rupture de ban avec la tendance idéaliste de la philosophie française, fustige, tout au long de ses Mémoires, l’attitude solipsiste qu’est celle du Général, attitude qui ne va pas sans un « culte de la personnalité » tôt perçu et rejeté par Aron, dès son arrivée à Londres en 1940. De tels traits ne se retrouvent-ils pas chez le président actuel ? Certainement, mais ils sont encore hypertrophiés et intensifiés par une carence en autorité qui, elle, faisait moins défaut au Général, auréolé par ailleurs d’un prestige moral et politique non usurpé.

Dans le domaine des relations internationales, comme sur bien d’autres volets de la politique intérieure française, c’est l’hyper-verticalité des décisions prises par le locataire de l’Élysée qui apparaît ainsi comme un continuum délétère. Un gaullisme outré et un gaullisme survolté, tel apparaît le macronisme dans la manière, ô combien théâtrale, par ailleurs, de gérer les relations internationales. Ce faisant, il s’oppose aux tenants d’un libéralisme politique cohérent qui privilégierait davantage de collégialité et de concertation dans les initiatives, et tenterait véritablement de donner vie et voix au Parlement en matière de politique extérieure.

Macron se prétend pourtant libéral… Que faut-il donc comprendre ? Que c’est la transgression, comme méthode, qui définit son exercice du pouvoir, et que le macronisme, tout comme le gaullisme, ont très peu rimé avec « libéralisme » au sens politique du terme qu’on rappellera avec Aron :

La philosophie libérale ou démocratie est une philosophie du respect de l’homme. À ce titre elle n’est donc nullement liée à une conception individualiste de la société. Bien loin de nier les communautés réelles, elle apprend à chacun à se connaître dans un monde dont il n’est ni le centre ni le tout.

Rien d’un Benjamin Constant, donc, chez l’auteur de Révolution. ses convictions européennes auraient certes pu, et dû, faire signe vers celles de Germaine de Staël, mais là encore la pratique du président en matière de relations internationales est bien trop proche de celle de Bonaparte dans la manière martiale qu’il a de paraître imposer les volontés françaises à nos voisins, qui se méfient d’ailleurs toujours d’un penchant bien français vers l’autoritarisme. Entre De Staël et Bonaparte, il y a une contradiction manifeste, et originelle. Force est de constater que la formule d’un bonapartisme staëlien (ou constantien) ne marche pas. Il serait grand temps d’en tirer les conséquences en cessant de cultiver des oxymores.

 

L’inexistence du Parlement quant aux choix de politique étrangère place la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis des autres démocraties occidentales

Pour revenir au rôle du Parlement, son inexistence quasi-complète quant aux choix de politique étrangère — il est à peine, voire pas du tout consulté, et son vote n’est pas requis — place assez nettement la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis d’autres démocraties occidentales. Le fait qu’il ait fort peu voix au chapitre nous affaiblit sur le long terme : l’exécutif non pas fort, mais presque tout-puissant, donnant l’illusion d’une plus grande efficacité, ce qui est de plus en plus discutable.

Cet hyper-gaullisme pratiqué par Emmanuel Macron, tant sur la forme que sur le fond, apparaît d’autant plus, en raison de la guerre entreprise par la Russie contre l’Ukraine. Et c’est sur la manière dont la France se positionne à l’égard de Kiev que je voudrais m’arrêter un peu longuement en ce qu’elle cristallise certains tropismes français de mauvais aloi : un anti-américanisme atavique, les annonces de livraison d’armes et la réalité de ces mêmes livraisons qui renvoient au manque de fiabilité de la France sur le plan logistique, des ambiguïtés ici et là dans le soutien à l’Ukraine, et enfin un « neutralisme » larvé dans une façon d’essayer de tenir la neutralité de la France dans le conflit en voulant, tout d’abord, « ne pas humilier Moscou », puis en tergiversant sur le niveau de l’aide matérielle à apporter à Kiev. Une aide dont Jean-Dominique Merchet, entre autres, a souvent pointé dans ses très informés articles de L’Opinion l’opacité, en même temps que la grande faiblesse en comparaison des contributions de nos voisins européens.

C’est à nouveau à Aron, atlantiste tranquille, que je voudrais me référer, et à un passage, en particulier, de ses Mémoires, qui prend place dans la section intitulée « Le Partage de l’Europe » qui fait fort à propos écho à la situation actuelle, dans les hésitations d’une partie de la classe politique, intellectuelle et médiatique française à prendre fait et cause pour l’Ukraine. Le conflit débuté le 24 février 2021 contraint nécessairement à ne pas mettre sur un pied d’égalité Washington et Moscou, à moins de tomber dans ce qu’Aron appelait « l’Imposture de la neutralité » au sujet des divisions suscitées par l’adoption ou le rejet par la France du pacte Atlantique.

Aron rapporte les immenses réserves d’Hubert Beuve-Méry (dans un papier datant du 19 octobre 1945 dans l’hebdomadaire Temps Présent) envers ce pacte, la nécessité à ses yeux pour la France de se tenir à équidistance des deux blocs dans ces prémices de guerre froide. Aron rappelle une phrase du fondateur du journal Le Monde qui le laissa, et le laisse toujours perplexe, trente ans plus tard au moment de l’écriture de ses Mémoires. Aron commente en ces termes la position « neutraliste » de Beuve-Méry : « Enfin il pensait que l’adhésion de la France à l’un des camps accroîtrait les dangers de guerre » puis cite la phrase du grand éditorialiste qu’il tient pour « aberrante » :

Il se peut que l’Europe n’ait pas finalement le moyen d’empêcher la guerre, mais elle est à peu près sûre de la précipiter si elle se laisse glisser dans un camp ou dans un autre.

Aron résume un peu plus loin son sentiment quant à cette position alors très partagée par l’aile gaulliste :

En dernière analyse, tant qu’à choisir, le directeur du Monde choisissait l’Occident bien que son allergie aux États-Unis l’incitât à critiquer peut-être plus souvent les turpitudes du capitalisme américain que les cruautés du totalitarisme soviétique.

Cette réflexion d’Aron au sujet de la position d’Hubert Beuve-Méry me paraît tout à fait transposable aux réserves de certains éditorialistes ou politiques français à l’endroit d’une prise de position ferme et claire de la France pour l’Ukraine qui aggraverait selon eux la guerre.

Les réserves de certains et certaines à l’endroit d’une entrée de Kiev dans l’Union européenne et dans l’OTAN sont, toutes choses étant égales par ailleurs, similaires à celles exprimées par Étienne Gilson (grand médiéviste et universitaire catholique) et Beuve-Méry à l’endroit du pacte Atlantique qui donna lieu à une vive controverse avec Aron. Ce dernier leur répondit à plusieurs reprises dans Le Figaro puis dans des articles de la revue Liberté de l’Esprit.

Gilson, rapporte Aron « accusait [par exemple] les Américains de vouloir acheter avec des dollars le sang français », accusations qu’Aron trouvait non seulement extravagantes mais fumeuses en comparaison des horreurs du régime stalinien. De Gaulle trancha finalement, de justesse, pour la position de Aron en acceptant le pacte, ainsi que le relate Claude Mauriac dans son livre Un autre De Gaulle, journal 1944-1954, pouvant laisser conclure au « spectateur engagé » que ses articles avaient effectivement influencé in extremis le général. Un gaullisme tempéré d’aronisme, tel fut alors le choix sage de De Gaulle dont notre président ferait peut-être bien de se rappeler.

Les réserves actuelles du même ordre à l’endroit des États-Unis dont Emmanuel Todd a souhaité ce jeudi 11 janvier « la disparition » qui serait « la meilleure chose qui puisse arriver à l’Europe » paraissent relever du même niveau de fantasme — à ceci près que Gilson est une signature universitaire d’un tout autre calibre que celle de M. Todd.

 

Les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine

Un des enjeux pour la diplomatie française à l’heure des élections américaines en novembre prochain est donc qu’elle se prépare, avec nos alliés européens, à la possibilité d’un « lâchage » de l’Europe via l’Otan si Donald Trump (ou un concurrent républicain) remportait les suffrages. Mais même en cas d’une réélection de Joe Biden ou d’un Démocrate à la Maison Blanche, les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et des contrecoups éventuels pour eux-mêmes.

Une réorientation partielle de l’appareil industriel français au service de la production de munitions ne serait pas du luxe. Mais comme l’écrivait Malraux à Aron en 1950 :

« Étrange pays qui croit assez à la guerre pour stocker des sardines, c’est la principale occupation des Parisiens ici) mais pas assez pour s’occuper de la défense. »

On est toujours là, semble-t-il, en l’absence de courage politique et définition d’une ligne politique claire.

La France, sur ces deux points, devrait être plus avancée, quoique ne soit pas sans écueils cette double recommandation, à l’heure où nos marges budgétaires sont étroites, et où l’état de nos armées n’est pas optimal. Raison de plus pour être courageux. Le projet de Défense européenne étant bloqué, il s’agit pour nous d’appuyer et de conforter les pays voisins, notamment d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, par nos initiatives, plutôt que d’haranguer dans le vide ces pays lassés par la rhétorique macronienne trop peu souvent suivie des faits, sinon contradictoire.

 

Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté de faire gagner l’Ukraine

Mieux, la France n’ayant jamais fait figure de leader dans le dossier ukrainien, il est impératif qu’elle clarifie sa position en apparaissant comme une alliée fiable et solide aux yeux de Kiev en contribuant davantage à l’effort de guerre ukrainien : c’est par des actes concrets, et non par des mots que notre crédibilité, seulement, viendra. Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté, non plus seulement de ne pas laisser gagner la Russie mais de faire gagner l’Ukraine. Les errements, revirements, petites ambiguïtés et flottements du président ne peuvent plus être de mise à l’heure où la victoire peut basculer d’un côté comme de l’autre sur le front ukrainien.

Les États-Unis auraient également besoin d’une France solide et ferme sur ses appuis à un moment où l’électorat américain peut se montrer plus hésitant qu’avant en faveur du financement des Ukrainiens. L’Oncle Sam ne peut avoir l’impression qu’il paie seul la facture de cette guerre se substituant par là même aux responsabilités qui incombent pourtant prioritairement aux Européens. De ce point de vue, la France a un rôle dans lequel elle ne s’investit pas encore de manière suffisante.

Si nous avons perdu du crédit dans les mois passés auprès des États-Unis, notamment suite à notre position confuse sur Taïwan (lors d’une visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine) et qui a laissé perplexe nos alliés en général, il n’est pas trop tard pour montrer au monde que nous ne sommes pas que de beaux parleurs en quête d’hypothétique prix sur la scène internationale, mais que nous savons faire preuve de clairvoyance et de solidarité en nous rangeant aux cotés de l’Ukraine et des États-Unis via l’apport d’un soutien logistique plus conséquent.

 

Constance, modestie, sérieux, fiabilité

Notre ligne de conduite en politique étrangère serait ainsi un bon cap à adopter pour notre politique intérieure : constance, modestie, sérieux, fiabilité — et surtout moins de communication. Bref, qu’Emmanuel Macron s’inspire de De Gaulle quand il écoute Raymond Aron, c’est-à-dire qu’il devienne libéral sur le plan politique, et abandonne le « en même temps » appliqué aux relations internationales qui s’apparente à une neutralité mal à propos. Redisons-le avec Aron, la neutralité est une imposture — et sans doute aussi une lâcheté.

Si l’on veut que gagne l’Ukraine, et non pas simplement ne pas la laisser perdre, prendre résolument position est une obligation. Cela vaut également pour les États-Unis d’Amérique qui pourraient être encouragés à faire davantage si leur alliée de toujours, la France, première armée européenne, s’engageait bien plus substantiellement dans l’effort de guerre ukrainien. À craindre Poutine, nous lui donnons raison, et nos tergiversations dans le passage à l’action pourraient finir par coûter cher au continent européen. Il est encore temps de nous ressaisir, en surmontant nos peurs.

Industrie française : une récession est imminente – Entretien avec Charles-Henri Colombier (Rexecode)

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE…

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Selon les statistiques du FMI, le PIB de la Chine ne représenterait aujourd’hui que 66 % du PIB des États-Unis, contre 76 % en 2021. Comment expliquez-vous ce décrochage ? Est-il symptomatique d’une tendance durable ?

Charles-Henri Colombier (Rexecode) – Depuis l’avant-covid fin 2019, le PIB chinois en volume et en monnaie nationale a augmenté de 18 %, tandis que le PIB américain a progressé de 7 %. En d’autres termes, la croissance chinoise n’a pas à rougir en comparaison de la croissance américaine, loin s’en faut.

L’explication du comparatif transpacifique des niveaux de PIB défavorable à la Chine depuis 2021 vient plutôt d’un effet de change, et plus spécifiquement de la dépréciation du yuan face au dollar. Le billet vert s’échange actuellement contre 7,10 yuans, quand il en valait seulement 6,35 fin 2021. Le taux de change dollar/yuan dépend pour une bonne part du différentiel de taux d’intérêt entre les deux pays, or la Fed a opéré une brutale remontée de ses taux, sans équivalent en Chine où l’inflation est restée très atone.

 

Sanctions russes : un effet boomerang ?

Y-a-t-il un effet boomerang des sanctions russes sur les économies européennes ? L’Europe est-elle en train de rentrer en récession à cause de l’embargo sur le gaz et le pétrole russe ?

L’interruption de l’approvisionnement énergétique de l’Europe depuis la Russie, concernant le pétrole mais surtout le gaz, a généré un choc d’offre négatif dont les effets ne se sont pas encore dissipés. En témoigne le fait que le prix de marché du gaz naturel coté à Rotterdam est toujours deux fois plus élevé qu’en 2019, tandis que la cotation Henry Hub aux États-Unis est à peu près inchangée.

Une énergie plus chère a trois types de conséquences principales : des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, un prélèvement sur les marges des entreprises, et un déficit de compétitivité prix préjudiciable à l’industrie notamment énergo-intensive. Les Etats-Unis et l’Asie n’ont pas eu à subir les mêmes chocs.

 

Comment la Russie contourne les sanctions commerciales

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Pourquoi sont-elles aussi inefficaces ? Depuis 2022, les importations de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi. Doit-on y voir une stratégie de détournement des sanctions ? Quels pays européens (et quelles industries) participent à ce phénomène ?

L’inefficacité des sanctions occidentales contre la Russie tient d’abord au fait que certains pays tiers se sont substitués aux achats européens d’hydrocarbures russes. Au-delà des relations bien connues de la Chine avec la Russie, l’Inde absorbe désormais près de 40 % des exportations de pétrole russe, contre 5 % seulement en 2021. La manne des hydrocarbures, clé pour les finances publiques russes, a ainsi été préservée.

Par ailleurs, les mesures aboutissant à un retrait des entreprises occidentales de Russie ont parfois eu un effet de stimulation pour les entreprises russes, pouvant se saisir d’actifs bon marché et de nouvelles parts de marché domestiques. Enfin, il est vrai que certaines entreprises européennes contournent les sanctions, amenuisant leur efficacité. Certains pays comme la Turquie jouent un rôle de transit pour les flux commerciaux en question. Pour ne citer que quelques exemples, les exportations allemandes vers des pays comme le Kazakhstan, le Kirghizistan ou la Géorgie ont connu un décollage plus que suspect.

 

Industrie française : une récession est imminente

On constate une chute de l’indice PMI manufacturier en France. Que représente cette dégringolade pour l’économie française ?

L’indice PMI manufacturier mesure le climat des affaires à la lumière du sentiment exprimé par les directeurs d’achats. Le niveau de 42,1 qu’il a atteint en décembre (50 représente le seuil d’expansion) laisse peu de doute quant à l’existence d’une situation récessive pour l’industrie, en France mais aussi en Europe plus largement.

La dépense en biens des ménages avait déjà été décevante en 2023, celle des entreprises devrait désormais emboîter le pas en 2024, la hausse des taux d’intérêt et la contraction du crédit exerçant une pression croissante sur leur situation financière.

 

L’hypothèse d’un découplage économique avec la Chine

Les marchés américain et européen peuvent-ils se passer de la Chine ? Quelles seraient les conséquences d’une hypothétique rupture des relations commerciales entre la Chine et les marchés américain et européens ? Faut-il s’y préparer ?

Une rupture soudaine des relations économiques entre la Chine et l’Occident serait à n’en pas douter catastrophique pour les deux camps, tant les chaînes de valeur sont imbriquées. La Chine est devenue un fournisseur irremplaçable de nombreux intrants industriels, comme les problèmes d’approvisionnement apparus lors de la pandémie l’ont illustré.

Compte tenu des tensions entourant Taïwan, il faut se préparer à un tel scénario de rupture pour en minimiser l’impact. Mais il paraît illusoire d’imaginer que l’Europe puisse se passer de la Chine à court terme.

 

Les conséquences du statu quo de la BCE sur les taux directeurs

Contrairement à la FED, la BCE n’envisage pas de baisse des taux et affiche une ligne dure. Comment expliquez-vous cette divergence ? Quelles répercussions ces décisions auront-elles sur les échanges entre les économies de la zone euro et les États Unis ? Sur la croissance de leurs marchés respectifs ?

Le discours assez rigide de la BCE quant à l’éventualité d’une prochaine baisse des taux paraît surprenante au vu de la situation quasi-récessive de l’économie européenne. De récents travaux de la BCE montrent par ailleurs que l’essentiel de l’inflation observée ces dernières années est venu de facteurs liés à l’offre plutôt que d’un excès de demande qu’il faudrait briser.

Deux éléments permettent toutefois d’expliquer la prudence de la BCE.

Premièrement, le marché du travail européen, dont le degré de tension détermine en partie le dynamisme de l’inflation sous-jacente (l’évolution des prix hors composantes volatiles comme l’énergie), affiche toujours un niveau d’emplois vacants élevé malgré la faiblesse de l’activité. La disparition des gains de productivité du travail et le ralentissement démographique aboutissent au paradoxe que des difficultés de recrutement substantielles peuvent coexister avec une absence de croissance.

Deuxièmement, le contexte géopolitique reste très incertain. Les tensions récentes en mer Rouge ont déjà abouti à un doublement des taux de fret maritime sur les conteneurs, ce qui à terme pourrait souffler de nouveau sur les braises de l’inflation.

 

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Gabriel Attal pourra-t-il vraiment gouverner ?

Invité sur TF1 pour sa première grande interview, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a promis « de l’action, de l’action, de l’action et des résultats ». À la tête d’un gouvernement « resserré » (14 ministres) qui comporte deux super ministères (le portefeuille de Bruno Le Maire intègre désormais l’énergie, Amélie Oudéa-Castéra a hérité de l’Éducation nationale et de la Jeunesse en plus des Sports et de l’organisation des Jeux Olympiques, Catherine Vautrin est à la fois ministre du Travail et de la Santé) le nouveau chef du gouvernement est attendu sur tous les fronts : simplification du droit du travail, rétablissement de l’ordre, rééquilibrage des comptes publics, organisation des Jeux Olympiques, baisse des impôts pour les classes moyennes… Un sujet semble être passé par la trappe du remaniement : celui du logement. Alors que la France traverse la plus grande crise immobilière de son histoire récente, ce portefeuille a été abandonné.

Ni la popularité médiatique du nouveau Premier ministre ni le vacarme qui a accompagné la nomination surprise de Rachida Dati au ministère de la Culture n’ont pu dissimuler les premiers couacs du gouvernement Attal. Au 20 heures de TF1, Gabriel Attal s’est en effet engagé à réaliser la promesse du président Macron de baisser les impôts de deux milliards d’euros pour les classes moyennes. Il lui faudra l’imposer au locataire de Bercy, qui avait annoncé préparer cet allégement fiscal au plus tôt « dès le budget 2025 ». Une deuxième dissonance est à prévoir au sujet du projet de loi sur la fin de vie, qui devait être proposé au Parlement au printemps. La nouvelle ministre de la Santé (qui est aussi ministre du Travail) avait en effet déclaré en 2004 que l’euthanasie active « relevait de démarches inacceptables », lorsqu’elle était secrétaire d’État aux personnes âgées. Rappelons que la Convention citoyenne sur la fin de vie s’était prononcée en faveur du suicide assisté en avril dernier.

Sans majorité au Parlement, le volontarisme affiché par le nouveau Premier ministre a deux issues : jouer à gouverner en maquillant une absence de marge de manœuvres par des coups de communication, ou gouverner par ordonnances et par un usage excessif du 49.3, au risque d’accroître les tensions sociales et de creuser la polarisation de l’échiquier politique.

Au mois de mars, la première ébauche de l’Acte II des réformes du travail sera discutée au Parlement. En 2016, la loi Travail avait réuni un million de manifestants à Paris. En 2018, la taxe carbone a donné naissance aux Gilets jaunes. La Primature de Gabriel Attal débute dans un contexte où les factures d’électricité pèsent encore lourdement sur les revenus des ménages et des entreprises. Comment réagirons les Français au durcissement des règles d’allocation des indemnités chômage et aux contreparties exigées aux bénéficiaires du RSA ?

Lyon-Turin : un projet ferroviaire titanesque, des opposants à couteaux tirés – Entretien avec le délégué général de la Transalpine

Stéphane Guggino est le délégué général du comité pour la Transalpine, association réunissant les défenseurs du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Aux premières loges d’un chantier qui bouleversera les relations commerciales entre la France et l’Italie et le quotidien de millions d’individus sur les deux versants des Alpes, il a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

« En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie »

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le projet de ligne ferroviaire transalpine Lyon-Turin a été lancé il y a plus de 30 ans. Pourquoi n’a-t-il pas encore vu le jour ? Où en est-on de l’avancée des chantiers ? 

Stéphane Guggino, délégué général de la Transalpine – Ces retards ne sont pas propres au Lyon-Turin. À l’échelle européenne, la construction des grandes infrastructures de transport affichent en moyenne 15 ans de retard. Nous sommes un peu en dessous. Il faut réaliser que c’est un projet d’une grande complexité sur les plans technique d’abord, mais aussi juridique, financier, politique et diplomatique. La particularité du Lyon-Turin est d’être un projet binational. Les procédures juridiques et financières sont différentes entre les deux pays. Et puis au gré des alternances politiques des deux côtés des Alpes, des dissymétries se créent dans la dynamique globale du projet. Quand la France accélère, l’Italie ralentit, et inversement. Les priorités nationales peuvent évoluer épisodiquement.

À cette complexité s’ajoute le fait que l’Europe intervient massivement dans la mise en œuvre du projet, à travers notamment ses financements. Cela fait un étage de plus dans un processus décisionnel qui, dans chaque pays, va des plus hautes autorités de l’État jusqu’aux élus locaux, en passant par l’enchevêtrement peu lisible des administrations qui ont trop souvent une lecture franco-française du projet alors que c’est un programme éminemment européen.

Il y a quelques mois, un Conseil d’orientation a produit un rapport pour éclairer le gouvernement sur la programmation des investissements dans le domaine des transports. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les analyses concernant le Lyon-Turin s’arrêtaient nette à la frontière franco-italienne, sans se soucier du projet différent développé par nos voisins de leur côté. Or, le Lyon-Turin est un programme conçu comme un ensemble composé de sections interdépendantes les unes des autres. Cela exige nécessairement une approche globale et cohérente.

Contrairement à l’époque des grands projets d’avenir structurants, certaines administrations d’État sont rétives aux grands investissements de long terme dans un contexte où l’on recherche des rentabilités rapides. Or, les projets ferroviaires sont très longs à mettre en œuvre et leur rentabilité socio-économique s’inscrit fatalement dans la durée.

Pour autant, il ne faut pas non plus noircir le tableau. Sur le terrain, les choses avancent, en particulier en ce qui concerne le tunnel de 57,5 km sous les Alpes en cours de creusement. Ce tunnel est la clé de voute du programme Lyon-Turin. Sa réalisation orchestrée par le maître d’ouvrage public TELT est désormais irréversible et la montée en puissance du chantier est spectaculaire. 100 % des contrats de génie civil ont été attribués. 22 % du projet global ont été réalisés. 34 km de galeries ont été creusées, dont 13 km du tunnel définitif. Plus de 2500 salariés sont déjà mobilisés sur le chantier en Savoie. Les sept tunneliers vont arriver progressivement à partir de 2024, et le rythme va sérieusement s’accélérer. L’ouvrage devrait être livré en 2032. Ce qui nous préoccupe davantage aujourd’hui, c’est l’aménagement des indispensables voies d’accès au tunnel. En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie.

Forage du tunnel de la Transalpine. Crédits @ValentinCitton

« Le principal axe ferroviaire qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle »

Quel impact aura le lancement de la Transalpine sur les échanges économiques entre la France et l’Italie ?

Les enjeux économiques attendus dépassent la France et l’Italie pour s’inscrire dans une véritable vision européenne. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne a fait depuis longtemps du Lyon-Turin une priorité stratégique. Avec ce grand programme structurant reliant la péninsule ibérique et l’Europe centrale, il s’agit de rééquilibrer l’économie de l’espace européen au profit de l’Europe du Sud. Le Lyon-Turin doit un peu jouer pour l’Europe du Sud le même rôle qu’a joué le tunnel sous la Manche pour l’Europe du Nord.

La France et l’Italie seront naturellement les premières concernées par ces retombées économiques. En 2022, la valeur des échanges entre les deux pays s’est élevée à 132 milliards d’euros. La France et l’Italie sont respectivement le second partenaire commercial de l’autre. Ils représentent près de 30 % des habitants et 30 % du PIB de l’UE. Or, le principal axe ferroviaire fret et voyageurs qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle.

Avec cette nouvelle liaison moderne, il s’agit donc de replacer cet axe au cœur de flux créateurs de valeurs. Pour les voyageurs, la réduction des temps de trajet favorisera les échanges culturels, universitaires, touristiques…

Ce qui est valable pour les voyageurs l’est encore plus pour les marchandises. Mais avec l’objectif impérieux de réconcilier l’économie et l’écologie. Aujourd’hui, la quasi-totalité des marchandises entre la France et l’Italie sont transportées par poids lourds. En proposant aux entreprises un mode de transport de masse décarboné, rapide et fiable sur un axe européen stratégique, l’enjeu est de faire évoluer la chaine logistique vers un modèle plus efficace et plus respectueux de l’environnement.

 

« Localement, les électorats de LFI et d’EELV sont majoritairement favorables à la Transalpine »

La Transalpine est régulièrement présentée comme un projet controversé, pourtant un sondage IFOP révélait l’année dernière une large adhésion des habitants des départements de la région Auvergne Rhône-Alpes concernés par le projet (81 % des sondés étaient favorables au projet). Comment expliquez-vous ce décalage ?

Oui, c’est assez curieux. Le Lyon-Turin est le fruit de trois traités internationaux ratifiés à chaque fois à une large majorité au Parlement. Depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République, quelle que soit leur couleur politique, ont soutenu sans ambiguïté le projet. La quasi-unanimité de collectivités locales concernées par le projet le soutiennent également. Même écho du côté des syndicats de salariés et des organisations patronales.

Le sondage régional réalisé par l’IFOP pour la Transalpine en juin dernier est à cet égard assez illustrant. L’adhésion des populations au Lyon-Turin est non seulement très forte mais relativement homogène par tranche d’âge, par CSP et par sensibilité politique, y compris dans les électorats LFI et EELV qui sont les deux seuls partis à s’y opposer. Contrairement aux cadres de ces partis, leurs électorats sont favorables au projet à plus de 80 %. Sur ce sujet comme sur d’autres, ces résultats démontrent un net décalage entre les sympathisants et les élites partidaires.

Pour autant, aussi minoritaires qu’ils soient, les opposants au Lyon-Turin sont bruyants et attirent l’attention des médias qui reprennent en boucle l’idée du « projet contesté ». Aucun projet ne fait l’unanimité.

Manifestation des Soulèvements de la Terre contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

« Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition au Lyon-Turin s’est nettement radicalisée »

Du côté français, un certain nombre d’associations et de mouvements radicaux (Attac, les Soulèvements de la Terre, Sud Rail, Non au Lyon Turin…) se mobilisent pour bloquer l’avancement de la transalpine. Quel impact ont leurs actions ? Celles-ci se sont-elles intensifiées récemment ? Sont-elles plus violentes en France ? En Italie ? Quels partis et personnalités politiques se font les relais de ces activistes ? 

Il faut bien comprendre que l’opposition au projet est née en Italie, au début des années 2010. Le Mouvement 5 Étoiles, créé par l’humoriste Beppe Grillo, en a fait un étendard et s’est fortement appuyé sur cette contestation locale pour progresser au niveau national. Dans une logique « antisystème », certains diraient populiste, cette opposition s’est cristallisée en partie sur les grands projets d’infrastructure. Par son ampleur, le Lyon-Turin était donc un bon sujet de mobilisation.

Dans les cortèges, ont trouvait des écologistes sincères, des public animés par le syndrome NIMBY et aussi beaucoup de mouvements de la gauche radicale, avec même certains éléments issus des Brigades rouges. Les premiers affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier ont été très violents. Mais au fil du temps, le mouvement s’est essoufflé. Aujourd’hui, ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils se sont radicalisés. Régulièrement, des petits groupes encagoulés attaquent le chantier, protégé en permanence par des policiers et l’armée, avec des pierres et des feux d’artifice.

Les activistes recrutent principalement dans les milieux anarchistes de Turin et de Milan en jouant de la rhétorique de l’intersectionnalité des luttes. Il y a quelques semaines, un rassemblement près du chantier a vu débarquer des éco-féministes, des activistes LGBT et des militants de la cause palestinienne dont on peine à comprendre le lien avec le Lyon-Turin.

En France, l’opposition a commencé à éclore au début des années 2010 mais de manière plus pacifique et confidentielle. Face à la mobilisation des Italiens, les écologistes n’ont pas voulu être en reste. Après avoir soutenu et porté le projet pendant plus de 20 ans, les écologistes ont fait un virage à 180 degrés en 2012. Du jour au lendemain, le Lyon-Turin est passé du statut de projet essentiel à celui de projet dévastateur de l’environnement. Les théoriciens de cette opposition se comptaient pourtant sur les doigts d’une main. Mais ils sont petit à petit parvenus à essaimer leurs arguments dans les réseaux écologistes et de la gauche radicale.

Ce virage a été initié localement par une nouvelle génération de cadres écologistes annonciateurs des mouvements d’activistes plus radicaux que l’on connaît aujourd’hui. En juin dernier, il y a eu une manifestation des Soulèvements de la Terre. De l’aveu même des organisateurs, ils ne connaissaient pas le dossier. Mais au même titre que le nucléaire, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou plus récemment les bassines de Sainte-Soline, le Lyon-Turin est devenu un totem qui mobilise une base d’activistes radicaux. Avant le départ du cortège des Soulèvement de la Terre, les participants ont scandé « Nous sommes tous antifascistes ». Là encore, difficile de comprendre le lien avec le Lyon-Turin. Toujours est-il que cette manifestation, émaillée de violences, était officiellement soutenue par les élus Verts de la région dont beaucoup étaient présents sur place aux côtés de la France Insoumise. Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition sur le Lyon-Turin s’est nettement radicalisée. Jean-Luc Mélenchon lui-même évoque régulièrement le sujet dans ses meetings et interviews.

Certains activistes locaux cherchent à importer en France les éléments radicaux italiens, pour l’instant en vain. Cet été, pour la première fois, deux engins de chantier ont été incendiés. Mais pour l’heure, l’opposition en France reste marginale et non violente, même si on observe des signes de structuration.

Manifestation des activistes italiens de No Tav contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

 

 

« Ces 15 dernières années, trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin ont été inaugurés en Suisse »

Dans un reportage publié en avril 2023, le think tank « citoyen » Mr Mondialisation qualifiait la transalpine de « TGV écocidaire » et d’« aberration écologique et sociale ». Il se trouve qu’en novembre dernier le crime d’écocide a été ajouté à la liste des infractions pénales de l’UE. Les travaux liés aux forages des tunnels sont-ils réellement assimilables à un crime contre l’environnement, à la destruction complète d’un écosystème ? 

Il faut être clair, un chantier de cette envergure a forcément des impacts sur l’environnement. Mais il faut évidemment en mesurer les bénéfices sur le long terme. De ce point de vue, toutes les études démontrent que l’équilibre coûts-bénéfices sera positif. Les effets sur la nature et sur la biodiversité sont très surveillés et relativement limités, puisqu’il s’agit de construire un tunnel sous la montagne. Les Suisses, qu’on peut difficilement accuser de mépriser l’environnement, ont inauguré ces 15 dernières années trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin. Leurs performances en matière de report modal de la route vers le rail sont exceptionnelles. Les écolos suisses y étaient au départ opposés, mais aujourd’hui ils en sont très fiers.

En vérité, le discours écologiste des opposants semble n’arriver qu’au second rang. Pendant la manifestation des Soulèvement de la Terre, la plupart des participants interrogés par les médias étaient incapables d’avoir une argumentation structurée au-delà de quelques poncifs. Le vrai sujet semble être politique. C’est celui de la décroissance et de la lutte contre le capitalisme. Une myriade de mouvements plus ou moins importants s’agrègent autour de cette vision du monde : Sud Rail, Les Amis de la Terre, Extinction Rébellion, Attac… Pour eux, le Lyon-Turin va favoriser les échanges commerciaux en Europe. Et il est trop tard pour attendre les bénéfices du Lyon-Turin qui arriveront dans plusieurs années, bien après le grand effondrement qu’ils prédisent à court terme. Les termes les plus anxiogènes de la novlangue des activistes du climat sont abondamment utilisés. Par exemple, on ne parle plus de « sabotage » mais de « désarmement » des chantiers.

Il est normal que cette opposition s’exprime en démocratie. Ce qui est plus contestable, c’est de désinformer l’opinion en niant l’expertise des scientifiques et de tous les professionnels du rail qui sont unanimes sur l’utilité du Lyon-Turin. D’ailleurs, il est frappant de constater que les opposants ne comptent dans leurs rangs aucun expert du sujet. Leur dernière trouvaille consternante est d’affirmer que le tunnel du Lyon-Turin va « vider l’eau des Alpes qui tombe dans le trou qu’on creuse ».

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est la perméabilité grandissante de ces mouvements à des discours radicaux comme celui du sociologue suédois Andreas Malm, devenu une véritable référence dans ces milieux. Selon lui, les manifestations pacifiques ont montré leur inefficacité. L’urgence climatique légitime donc les actes de désobéissance civile, voire de violence et de sabotages. Entendre des élus de la République valoriser ce type de discours, par ailleurs rejeté par une immense majorité de l’opinion, est quand même très inquiétant.

 

« 92 % des marchandises échangées entre la France et l’Italie transitent par la route et 8 % par le rail »

Le rail est le mode de transport dont l’empreinte carbone est la plus légère. Il ne contribue qu’à 1,2 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports au niveau mondial, alors que le transport routier représente trois quarts des émissions de GES. Selon l’Agence International de l’Énergie « Doubler le transport ferroviaire équivaudrait à supprimer 20 000 poids lourds sur le réseau routier, pour une économie de 450 000 tonnes de CO2 chaque année. ». Combien de tonnes de CO2 pourraient être économisées par la Transalpine, dès la première année de sa mise en service ? 

Le train est non seulement le mode de transport terrestre le moins émetteur de gaz à effet de serre (neuf fois moins que le transport routier), mais il est aussi celui qui génère le moins de pollution aux particules fines. Il est en outre le moyen de transport le plus sobre en énergie, ce qui sera l’une des grandes problématiques des années à venir.

Le Lyon-Turin est une ligne mixte. Il transportera des passagers, mais 80 % de la ligne sera dédiée au fret ferroviaire. 47 millions de tonnes de marchandises franchissent chaque année la frontière entre la France et l’Italie. Seulement 8 % sont transportés par le rail sur une ligne obsolète héritée de Napoléon III, et 92 % par la route.

Cela représente trois millions de poids lourds par an, la moitié par les Alpes du nord et l’autre moitié par la côte méditerranéenne. Avec de bonnes mesures d’accompagnement, l’objectif est de basculer dans un premier temps un million de camions sur le rail et d’éviter le rejet de plus d’un million de tonnes de CO2 par an. Le bénéfice en CO2 devrait être atteint environ 15 ans après la mise en service de la ligne. Cela peut paraître long, mais à l’échelle d’une infrastructure dont l’utilisation sera de plus d’un siècle, c’est avant tout une manière de préparer l’avenir.

 

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