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À partir d’avant-hierJournal d'un avocat

« Aujourd’hui, j’ai découvert que le droit à la sûreté n’était pas garanti en France en 2018 »

Par : Eolas

Aujourd’hui, j’accueille sur mon blog un confrère, BetterCallBen, qui a voulu exprimer par écrit son désarroi après avoir assisté en garde à vue un mineur interpellé lors de la manifestation du 1er mai dernier. Voici son récit, que je commenterai ensuite dans une postface. Bonne lecture.%%Eolas

Je suis avocat. D’aucuns diraient un jeune avocat puisque je n’exerce que depuis un peu plus de 3 ans. Je pratique essentiellement le droit des étrangers et le droit pénal, que j’enseigne par ailleurs à l’Université depuis plusieurs années. Au travers de ces enseignements, je distille modestement à mes étudiants un certain nombre de principes, dont certains me semblaient jusque-là immuables et inscrits dans le marbre de l’évidence : le principe de légalité, impliquant que nul ne peut être poursuivi ni condamné sans texte ; le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, qui veut que celle-ci soit claire et intelligible pour que personne ne puisse être poursuivi ou condamné pour un comportement qui ne serait pas strictement prescrit ; ou encore le droit à la sûreté, entendu comme la garantie de ne pas être poursuivi, condamné ou détenu arbitrairement. En somme, le sceau de la confiance des citoyens en une réaction de l’État justifiée, nécessaire et proportionnée. Erigés au rang de droits de l’Homme en 1789, héritage de la pensée précurseure de Cesare Beccaria, je n’avais naïvement que peu de doute dans leur parfaite effectivité, tant ils relèvent aujourd’hui de l’évidence.

Or, sans doute tout aussi naïvement, j’ai pu récemment faire le constat de mon erreur en croisant le chemin de celui que l’on appellera Paul, un mineur de 15 ans, privé pendant plus de 50 heures de sa liberté pour avoir simplement décidé, un mardi 1er mai 2018, de se rendre à sa première manifestation.

Paul a 15 ans donc. Il vit dans un milieu social en apparence confortable, en banlieue parisienne. Précoce à la curiosité débordante et doté d’une maturité certaine pour son âge, Paul se passionne pour nombre de sujets qui croisent son quotidien, un jour la mécanique, un autre la photo, et ce jour ce fût les mouvements sociaux se cristallisant en cette grande messe annuelle qu’est le 1er mai. « Je veux y aller pour défendre tes droits » dira-t-il à sa mère. Il veut surtout y aller par goût de la curiosité, de la découverte du monde des adultes, l’envie de jouer les reporters en culotte courte et sans doute aussi par le caractère transgressif de la contestation sociale, fût-elle légalement orchestrée. Derrière son côté tête brûlée, Paul reste raisonnable et se renseigne sur Internet sur ce qu’implique la participation à une telle manifestation, sa première ! Il découvre les risques d’échauffourées, les groupuscules extrémistes sources de violences et de dégradations, et la réaction étatique au goût âcre et asphyxiant des lacrymos. Prudent, il décide donc de se munir d’un masque de ski et d’un masque de chantier pouvant filtrer l’air ambiant, celui que l’on trouve à la quincaillerie du coin de la rue, rudimentaire mais qui fait le job.

Et le voilà parti pour Paris, accompagné de son Sancho Pança, à la conquête de l’assouvissement de sa curiosité juvénile. Il se mêle à la foule, sous les banderoles de la CGT. Il filme la foule, en immersion avec sa Go Pro, se sentant l’âme d’un journaliste d’investigation. Quand soudain, son périple le conduit dans une masse plus sombre, plus enragée, plus vindicative. Et tout s’accélère. Il voit la masse se mettre à courir, s’en prendre au mobilier urbain, envahir et mettre à sac un fast-food, piller une concession automobile, tout ça au vu et au su de tous. Mais où est passé l’État ? Notre Bernard de la Villardière en herbe constate les stigmates de ces invasions barbares au moment où les CRS interviennent enfin, exhortant les badauds présents à se réunir à distance des assaillants, entre deux rangées de l’unité d’intervention.

Ai-je croisé le chemin de Paul à l’occasion de cette manifestation, dans ce groupe de rescapés ? Non, je n’y étais pas. J’avoue que cela ne m’intéresse guère et pour en avoir vu le déroulement, je loue mon désintérêt. Puis, je ne l’aurais sans doute jamais remarqué. Ou bien si, et je l’aurais sans doute jugé du haut de son mètre soixante et à son air de poupon. Jugé sa présence à un tel évènement, sur fond d’une morale sans origine ni fondement, dictant qu’il serait trop jeune, qu’il n’aurait rien à faire, « mais que font ses parents ?! » Bref, une morale qui n’a finalement que peu lieu d’être, la sagesse n’attendant pas le nombre des années et, en tout état de cause, la loi n’interdisant pas une telle présence à un tel évènement. Non. J’ai croisé le chemin de Paul en garde à vue après avoir reçu un appel me désignant pour l’assister dans le cadre de cette procédure.

Car la prétendue oasis de protection formée par les unités d’intervention se mua progressivement, sans crier gare, sans violence ni d’un côté ni de l’autre, sans heurts, sans cris, en une nasse d’interpellation, arbitraire, indifférenciée, impartiale, conduisant tout ce beau monde en fourgons vers le SAIP (service d’accueil et d’investigation de proximité) compétent. Ils partirent 34.500 ; mais par un prompt renfort, ils se virent 102 à payer le prix fort. 102 placés en garde à vue. Taclé de toute part pour sa carence dans la gestion des violences et dégradations, l’exécutif a fait le coq en s’enorgueillissant de ce chiffre brandi comme une panacée. 102 parmi lesquels Paul, 15 ans. Première manifestation, première garde à vue, grosse journée pour notre assoiffé de curiosité.

Motifs de la garde à vue ? Participation à un groupement en vue de commettre des violences et/ou dégradations, d’une part, alors qu’il n’était qu’un marcheur passif, qu’un témoin malgré lui ? et port d’arme catégorisée d’autre part. Comment ? une arme ? Ah oui, ce qui sera considéré comme un masque à gaz, soit ce qui s’analyse en une arme défensive (Catégorie A-2) suivant le procès d’intention aux termes duquel la détention d’un tel objet est la preuve d’une volonté de participer à un groupement dont les agissements sont de nature à entrainer la projection de gaz et donc susceptible de commettre des violences et/ou dégradations. CQFD, la boucle est bouclée, au trou le présumé forcené.

Et c’est donc là que j’interviens enfin, « dès le début de la garde à vue », suivant les prescriptions de l’article 63-3-1 du Code de procédure pénale ? Si seulement.

Car voyez-vous, le scénario n’est pas nouveau et se déroule de façon similaire à l’issue de chaque mouvement social, de chaque manifestation. Arrestations en masse, engorgement du commissariat compétent, nécessité d’un « dispatching » des gardés à vue dans d’autres commissariats de la capitale aux geôles vacantes et donc transport subséquent des susnommés pour qu’enfin l’effectivité des droits de la défense puisse pleinement s’exprimer. Si on n’est pas au milieu de la nuit et si on n’a pas d’autres chats à fouetter.

Bilan : un mineur de 15 ans (il n’est pas vain de le rappeler), placé en garde à vue vers 18h, dont l’avocat est prévenu vers 19h, et qui cherche en vain à joindre un service compétent et rencontrer son client, mineur, de 15 ans, jusqu’à ce qu’il apprenne la localisation de ce dernier 10h plus tard, soit à 4h du matin, tandis que l’audition matérialisant la substance même de la garde à vue ne se fera que 10 nouvelles heures plus tard, soit à 14h, donc 20h après le début de la garde à vue, par des services débordés et exsangues, également victimes de ces décisions d’arrestation massive et irréfléchie et contraint de multiplier la paperasse pour des dossiers vides de tout fondement infractionnel.

Et Paul subit cette mesure, dans l’incompréhension la plus totale, ses parents ayant été prévenus de façon sibylline quelques heures après le début de la mesure, les laissant dans la même ignorance et incompréhension, quand d’autres ne furent informés que par un message furtif laissé sur un répondeur sur les coups de 4h du matin, soit plus de 10h après le début de la mesure, 10h à ignorer où leurs progénitures étaient passées et se morfondre en conséquence.

Je découvre alors un garçon fluet, un esprit mature dans un corps d’enfant, un ado à la nature hyperactive qui, enfermé entre 4 murs depuis près de 20h, cherche des réponses à des questions qu’il ne connait pas et qu’il se doit d’inventer, se dessine des griefs pour donner un sens à une mesure qui n’en a pas, intellectualise l’inique pour ne pas perdre la raison. Et, alors que son audition touche à sa fin et que le glas des 24h tinte déjà au loin, l’évidence d’une libération s’impose tant cette garde à vue paulienne n’a de sens. Une querelle de clochers intra/extramuros se fait alors jour au sein du ministère public : à un ordre parisien de prolongation répond un ordre ultrapériphériquien de classement 21 (infraction insuffisamment caractérisée ; en d’autres termes, il n’y a pas d’infractions, pas de motifs, nada, peanut), battu en brèche du quasi tac au tac par un contrordre capital imposant la prolongation. Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus. Du jamais vu. D’autant plus que la prolongation dans une garde à vue de mineur est un fait relativement rare, qui se doit d’être justifié par l’impérieuse nécessité de réaliser des actes d’enquêtes cruciaux pour la révélation de la vérité, souvent en réaction à la gravité ou la complexité des faits reprochés. Ici, le fait d’avoir manifesté et d’avoir pris les précautions nécessaires pour le faire. Crime de lèse-majesté.

Si le doute eut pu être permis jusque-là, il n’en est plus rien. L’opportunisme supplante la raison, le coup de filet se mue en coup de com’ numérique. Ils partirent 102, mais par un prompt renfort, ils se virent 43 à en subir le sort. 43 prolongations, quasi exclusivement des mineurs dans le commissariat dans lequel j’interviens tandis que la plupart des majeurs sortent. Mais 43 prolongations sur lesquelles on ne manquera pas de communiquer, de gloser, de pavaner comme une fierté du devoir étatique accompli.

En définitive, la garde à vue de Paul est levée au bout de 46 heures d’enfermement et de privation de liberté, après qu’une exploitation de ses appareils d’enregistrement ait révélé des photos de lui avec son chat, un cliché d’une blessure soignée par 5 points de suture après une chute à vélo qu’il conserve comme un trophée, et quelques photos et vidéos de la mobilisation en journaliste d’investigation du dimanche qu’il était, maigre butin qui le conduira à poser régulièrement la question « c’est grave d’avoir pris ces photos ? Je vais avoir des ennuis ? » se voyant déjà devant un juge, puis envoyé en foyer. Il psychote, il délire, on le rassure, on le tempère face à l’hérésie de ces hypothèses incongrues.

Pourtant, l’épilogue de ces 46 heures sonne comme un coup de théâtre. Du classement 21 envisagé avant la prolongation, on passe à un déferrement pour rappel à la loi qui se muera en réparation pénale, soit un stage de citoyenneté de 2 jours, mesure bénigne en apparence mais empreinte d’une symbolique nauséabonde, celle d’un ministère public s’arrogeant le monopole de la morale au-delà du droit, au-delà de la vacuité des faits reprochés. Rappel à la loi, mais quelle loi ? Réparation pénale, mais réparation de quoi ?

Si la pédagogie doit rester le leitmotiv de toute intervention de la justice répressive, cette pédagogie ne peut être effective sans que la sanction soit comprise et que donc que la procédure engagée à l’encontre d’un individu et les raisons sous-jacentes à celle-ci soient entendues et assimilée par ce dernier, qu’il y ait donc une cohérence et une proportionnalité entre les faits et la réponse. Comme j’ai pu le lire « il aura compris la leçon comme ça ». Oui mais quelle leçon ? Quel est le contenu de cette leçon ? Ne participe pas à des manifestations publiques et légalement organisées ? Ne te retrouve pas au mauvais endroit au mauvais moment ? Cette leçon m’échappe tout autant qu’elle échappe au droit.

Si la mésaventure de Paul peut sembler anodine et si elle sera peut-être un jour le point de départ du récit quasi héroïque d’un militantisme naissant, ou restera une simple anecdote de vie, elle est le reflet, espérons ponctuel et isolé, mais non moins alarmant, d’une justice instrumentalisée à des fins de communication politique que l’on fait peser sur les épaules d’un gamin de 15 ans, un axiome de la démonstration d’un exécutif omnipotent et répressif, et conduit à remettre en cause la confiance que chacun se devrait d’avoir dans la justesse de la réaction étatique, ce droit à la sûreté proclamé il y a près de 230 ans qui, force est de constater, ne relève toujours pas de l’évidence.


Merci à BetterCallBen pour ce témoignage. Quelques commentaires de ma part, pour anticiper d’éventuelles questions et remarques de mes lecteurs, on se connait bien depuis le temps.

Rappelons d’abord pour les mékéskidis que la garde à vue est l’état d’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit passible de prison. Sur le principe, nul ne conteste que la police judiciaire, chargée de rechercher les infractions, d’en réunir les preuves et d’identifier leurs auteurs, doit avoir les moyens légaux de s’assurer de la personne d’un suspect pendant un laps de temps nécessaire à sa mission. Le problème est ailleurs. Il est dans l’arbitraire dans lequel baigne cette mesure. J’y reviendrai.

La place de Paul était-elle à cette manif ? En tant que parent, j’opinerais que la place d’un mineur n’est en principe pas dans des endroits potentiellement dangereux, ce qu’est toujours une foule en colère. En tant que juriste, j’opinerai qu’aucun texte ne l’interdit, et que la manifestation publique au soutien d’une cause est une façon légale et légitime d’exprimer et soutenir cette cause, et qu’il serait absurde de vouloir qu’un mineur se mue en citoyen actif et éclairé le jour de ses 18 ans mais ne soit pas autorisé à exprimer une quelconque opinion avant cette date. Ainsi, le droit est du côté de Paul.

Le masque à gaz est-il une arme ? Oui, de catégorie A2, 17°, armes et matériel de guerre. Sa détention est punie de 5 ans de prison, autant qu’un fusil d’assaut. Mais il est douteux qu’un masque de peinture, dont le port est obligatoire sur les chantiers, soit qualifiable de matériel spécialement conçu pour l’usage militaire de protection contre les agents chimiques, sauf à faire des magasins de bricolage des dépôts d’arme. Mais lors pourquoi cette garde à vue ? Excellente question. J’y reviendrai.

Pourquoi la querelle de clocher entre deux parquets ? J’ai déjà connu une situation similaire en 2013, lors de la manif pour tous du mois de mai qui a dégénéré esplanade des Invalides. Beaucoup de manifestants interpellés (plus de 200), au point de saturer les commissariats parisiens, et du coup certains ont été envoyés en banlieue, donc dans des ressorts périphériques (Bobigny, Nanterre ou Créteil). Du coup leur parquet devenait compétent pour surveiller la mesure. Sauf que les déferrements (pour des rappels à la loi, seule fois de ma vie que j’ai vu cela) ont bien eu lieu à Paris. J’aime autant vous dire qu’une telle procédure devant un tribunal aurait eu une espérance de vie inférieure à celle d’un débat serein sur Twitter.

Ce que ce récit montre, une fois de plus dirai-je, est le problème fondamental de la garde à vue. Elle a une tare congénitale : elle a été conçue pour violer les droits de la défense. Elle est née d’une pratique apparue avec la loi de 1897 qui a fait entrer l’avocat dans le cabinet des juges d’instructions, qui à l’époque du code d’instruction criminelle instruisait quasiment toutes les affaires pénales, hormis les contraventions. C’était le juge de la mise en état du pénal, l’instruction pouvant se résumer à une audition, avec ordonnance de renvoi rendue dans la foulée. En 1897, après un siècle de tranquillité, les avocats arrivent dans les cabinets d’instruction. Fureur des juges d’instruction, qui perçoivent cette mesure comme dirigée contre eux, et y voient la fin de la répression et l’aube de l’ère du crime impuni (oui, la même ritournelle qu’en 2011 lors de l’arrivée de l’avocat en garde à vue, on a l’habitude d’être mal accueillis). Et pour contourner la loi, ils vont avoir une idée géniale. Le code d’instruction criminelle, comme le code de procédure qui lui a succédé désormais, prévoit que le mis en examen (l’inculpé, à l’époque) ne peut être interrogé que par le juge d’instruction, la police se contentant de recueillir les témoignages. Or le suspect, avant d’être coupable de son crime, en est forcément le témoin. Il peut donc être entendu comme témoin avant d’être inculpé et qu’un vilain avocat ne vienne déranger une si belle machine à punir. Voilà la naissance de la garde à vue. Qui, par retour de karma, va devenir la norme avec la généralisation de l’enquête préliminaire, et a fait que le juge d’instruction ne s’occupe plus que de 5% des procédures, et a rendu possible d’envisager sa suppression en 2008.

Cette tare congénitale a encore des effets sensibles aujourd’hui. La garde à vue est conçue comme le règne de l’arbitraire, pudiquement dissimulé sous des paillettes et des fanfreluches juridiques pour faire semblant que c’est rigoureusement encadré. Par exemple, en empilant des droits inutiles, qui alourdissent inutilement la tâche des enquêteurs (et du coup rallongent la garde à vue), comme l’obligation de recueillir les observations du gardé à vue sur une éventuelle prolongation. Vu qu’il est contraint de rester là, on se doute qu’il n’est pas d’accord, et qu’il le dise ne changera rien. À Paris, on lui notifie même les droits liés à une arrestation en haute mer. Oui, à Paris. (C’est sur le PV de notif, entre le droit de faire des observations et la remise du document prévu par l’article 803-6 qu’en fait on ne lui a pas remis mais on lui fait signer un papier qui dit que si). La jurisprudence veille à protéger cet arbitraire, même si la CEDH tente d’y mettre bon ordre, et y parviendra, quitte à ce que ça mette le temps. Ainsi, la cour de cassation fait de la décision de placement en garde à vue une décision souveraine, ce sont ses mots, de l’officier de police judiciaire. Pas de contrôle de nécessité ou de proportionnalité.

La garde à vue a lieu sous le contrôle du procureur de la République, sauf quand elle a lieu dans le cadre d’une instruction. Oui, le juge d’instruction, qui seul peut interroger les mis en examen, chapeaute leur audition par les services de police tant qu’ils ne sont pas mis en examen. La loi a consacré leur rébellion de 1897 et a fait de cette tartufferie la loi.

Ce contrôle suppose l’information immédiate du procureur. Qui à Paris se fait par… l’envoi d’un fax. Qui entre 19 heures et 9 heures arrivera dans un bureau vide. Mais la cour de cassation juge que cette information est suffisante. Le procureur a ensuite des compte-rendus téléphoniques avec l’OPJ. Il ne lit aucun PV (et certainement pas les observations de l’avocat). Ça ne lui est pas interdit, il n’a pas le temps. Il ne sait du dossier que ce que l’OPJ lui en dit. C’est là le seul contrôle que prévoit la loi. Il n’existe aucune action permettant de contester devant un juge une privation de liberté en cours pouvant aller jusqu’à 48 heures, et même dépasser cette durée, mais cette fois avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, devant qui le gardé à vue comparaît. Tout va bien alors ? Ahah. Devinez qui n’est pas invité ? L’avocat. Oui, le JLD rend une décision sur un maintien de privation de liberté sans que l’avocat ne soit entendu, ce même si le gardé à vue en a choisi un dès le début.

L’avocat, enfin, qui peut assister son client lors des auditions et confrontations, mais depuis 2011 seulement, les lecteurs de ce blog auront suivi ce combat en direct. Sa présence a été imposée par la CEDH. Mais le législateur a veillé à entraver au maximum sa tâche, en lui interdisant l’accès au dossier. Pourquoi ? La réponse figure aux débats parlementaires de l’époque, et se trouve dans la bouche du garde des Sceaux de l’époque : mais parce que le dossier n’existe pas en flagrance. D’où mon combat pour un usage plus répandu du droit de garder le silence : l’OPJ aura accès à mon client quand j’aurai accès à son dossier. Donnant donnant.

Enfin, cerise sur le gâteau : vous ne pouvez contester la légalité d’une garde à vue que devant la juridiction de jugement. Ce qui implique nécessairement une chose et en suppose une autre. Cela implique que la garde à vue est nécessairement terminée, donc aussi illégale fut-elle, elle sera allée à son terme sans que vous n’ayez rien pu y faire ; et cela suppose qu’un tribunal soit effectivement saisi, faute de quoi, vous n’avez aucun recours (mais hey vous dira-t-on, de quoi vous plaignez-vous, vous n’êtes pas poursuivi ?). C’est précisément le cas de Paul, qui au terme de sa garde à vue a semble-t-il accepté une alternative aux poursuites, c’est à dire accepté une sanction, donc reconnu sa faute, donc admis que sa garde à vue était justifiée, en échange de quoi cette mesure alternative, qui n’est pas une peine, n’est pas inscrite à son casier judiciaire. Aucun juge ne connaitra jamais de cette procédure.

Ceci est le mode normal de fonctionnement de la garde à vue, et, hormis les avocats, personne ne trouve à y redire, tant le “on a toujours fait comme ça” est un argument puissant dans le monde judiciaire. La loi prévoit que votre liberté peut être suspendue discrétionnairement, arbitrairement, sans recours, pendant 48 heures, sans que vous n’ayez aucun moyen de le contester.

Ceci, BetterCallBen a raison, viole le droit à la sûreté proclamé par les Révolutionnaires. Nous sommes indignes de leur héritage.


Retrouvez BetterCallBen sur Twitter : @BetterCallBen

Au commencement était l'émotion

Par : Eolas

Aujourd’hui, je cède la plume à Gray Fox, juge d’instruction, qui a assisté, pour des motifs personnels, au procès de Berkane Makhlouf et Cécile Bourgeon, affaire qui, comme cela arrive parfois, a pris le nom non des accusés mais de la victime, Fiona, fille de la seconde. Je précise que Gray Fox n’a jamais eu à connaître de cette affaire à titre professionnel.
Eolas


J’ai décidé voilà plusieurs semaines de prendre dix jours de congés afin de suivre le procès de Berkane Makhlouf et de Cécile Bourgeon. L’opinion publique parle en effet d’affaire « Fiona » mais juridiquement, il s’agit de juger la mère et le beau-père, mis tous deux en examen dans le cours de l’instruction pour coups mortels sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité / ascendant, et en réunion, outre divers délits connexes.

Pourquoi un juge d’instruction prendrait-il des congés afin d’aller aux assises du Puy-de-Dôme ? Je me suis interrogée. Etait-ce une forme de voyeurisme ? J’ai sondé, moi aussi, ma conscience. Et me suis dit que c’était tout d’abord parce que ma famille et mes amis vivent dans la région. Parce que je suis amie avec des avocats qui se trouvent être dans le dossier, que je pourrais donc voir durant les suspensions. Parce que c’est un dossier que j’ai pu côtoyer à titre professionnel. Et aussi parce qu’en tant que juge d’instruction, je suis toujours intéressée par le traitement oral qui est fait d’un dossier pensé à l’écrit durant la phase préalable à la mise en accusation. Et qu’il est parfois malaisé d’aller voir les audiences de ses propres dossiers. Finalement, les accusés ne m’intéressaient qu’à titre infiniment subsidiaire.

C’est là que j’ai compris que je ne faisais pas partie de la majorité. De ceux qui parlaient d’eux comme des « monstres ». De ceux qui chaque jour postent sur la page Facebook de Cécile Bourgeon, hélas pour elle encore publique, d’odieux messages d’insultes et des menaces de mort et d’autres crimes qui pourraient faire l’objet de poursuites.

Riom est une ville de 18000 habitants, où l’on vit très bien. Pas de problèmes socio-économiques majeurs. Une proximité avec Clermont-Ferrand au sud et Vichy au nord. Quelques procès intéressants à la Cour d’appel ou aux assises, le tribunal de grande instance ayant été fermé suite à la réforme Dati, mais rien qui en général ne déplace d’autres personnes que les proches des parties et les habitués du prétoire. Là, où que j’aille durant mes 10 jours dans cette ville, j’entendais les bruissements de haine. Même chez mes proches. Même ma grand-mère, qui « la » pensait coupable. Pourquoi, Mamy ? « parce que c’est la mère. Et une mère ne tue pas son enfant ». Je me suis retenue, j’aime ma grand-mère. Retenue d’expliquer ce que dit le droit. De la nécessité d’établir les preuves des coups, et de leur lien direct et certain avec le décès.

J’ai l’habitude de voir les gens vêtus de jaune et bleu les jours de matchs de l’ASM, fierté locale. Je n’avais pas anticipé le fait qu’une même ferveur collective pouvait s’être instaurée afin d’assister au châtiment judiciaire de ceux qu’ils voudraient voir guillotinés.

Aux assises, on voit souvent des étudiants en droit. Des retraités qui ont une passion pour les faits-divers et avec qui l’on peut discuter. Je sais que dans le TGI où j’exerce, ces derniers ont sympathisé avec les avocats et commentent leurs plaidoiries. Il m’arrive moi-même de m’adresser à eux pour savoir où en est l’audience. On y croise aussi des journalistes. Des avocats venant soutenir leurs confrères dans ce difficile exercice qu’est l’adresse aux jurés, que l’on soit côté partie civile ou côté accusé. Et quelques curieux, plus ou moins nombreux selon les particularités des dossiers.

Pour le procès de Cécile Bourgeon et Berkane Makhlouf, une foule se pressait. Grâce à certains journalistes qui ont live-tweeté l’audience, j’ai pu apprendre que les premiers étaient présents dès 06h du matin, et 04h30 le dernier jour. Que l’on proposait de payer afin de pouvoir rentrer. En sortant prendre l’air un jour à 17h30, j’ai vu une queue d’une quarantaine de personnes souhaitant rentrer. Dans la salle, je voyais un grand nombre de gens se lever et se coller aux vitres afin de pouvoir assister à l’arrivée des accusés, durant les quelques secondes où les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire les escortaient du véhicule jusqu’aux geôles de la Cour. Malaise : on aurait dit la visite d’un zoo.

Durant l’audience, je n’ai rien entendu de spécial. Je ne me suis pas rendue compte là encore que j’étais dans une sorte de bulle, entre les chroniqueurs judiciaires fins connaisseurs de la procédure, bien plus habitués d’ailleurs que moi aux Assises, un doctorant et les avocats qui venaient régulièrement discuter. Et qui me faisaient bien remarquer que ma lecture du procès tel qu’il se construisait jour après jour était fortement déformée par le prisme professionnel.

Par contre sur les réseaux sociaux, je constatais que l’ambiance était électrique. Que certains de ceux qui avaient participé aux marches blanches, qui avaient mis une bougie à la fenêtre pour penser au « petit ange parti trop tôt », avaient déjà jugé. J’ai vu une pétition pour que les accusés soient condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, peine qui n’était même pas encourue dans le cadre du crime de coups mortels aggravés.

Parce que certains ont déduit du mensonge du couple quant à « la disparition » de Fiona au parc Montjuzet en mai 2013, - pour lequel ils ont tous deux été condamnés du chef de dénonciation calomnieuse -, qu’ils mentaient sur tout. Et qu’ils ne pouvaient pas avoir oublié ou ne plus se rappeler où était le corps. Et qu’ils ne pouvaient pas ne pas avoir tué. Quand bien même les experts psychologues et psychiatres sont venus exposer, et notamment brillamment comme l’a fait le docteur Blachère, la possibilité d’une sidération empêchant un souvenir précis sur le lieu des faits. Qu’importe les ressorts des explications qu’ils ont données, il en est ressorti d’une manière unanime qu’il était possible qu’il y ait impossibilité de se souvenir de l’endroit où ils avaient mis en terre le corps de l’enfant. Mais non. La « France de Fiona », comme l’a appelée Pascale Robert-Diard dans un article paru dans Le Monde du 27 novembre 2016 (€), ne pouvait l’entendre.

Quelquefois la salle a réagi. Lorsque l’accusée a indiqué vouloir d’autres enfants. Ou lorsqu’elle a voulu exercer son droit au silence. Rien de criminel, mais ça ne plaisait pas avec l’image que certains s’en étaient faite. Ou bien lorsqu’elle indiquait ne pas pouvoir pleurer sur commande, quand une avocate d’une association partie civile lui reprochait d’avoir pleuré à l’évocation de membres de sa famille mais pas en parlant de sa fille.

Comme s’il fallait montrer un comportement en particulier. Oublier que les accusés sont soumis à une camisole chimique depuis leur incarcération. Qu’ils se présentent derrière un box, entourés de plusieurs membres de l’administration pénitentiaire. Qu’ils sont soumis aux questions, voire à la question, de la Cour, de l’avocat général et de nombreux avocats. Que dès lors, il n’y a aucun comportement « normal » à rechercher. Comme si déjà il existait un comportement « normal ». Un peu à l’instar de ceux à qui l’on reproche de pas avoir, ou pas avoir assez, pleuré à un enterrement. Signe selon l’opinion publique qu’ils ne sont pas réellement tristes.

J’ai senti qu’il allait se passer quelque chose en voyant une demi-douzaine de fonctionnaires de police supplémentaires se poster dans la salle au moment où nous avons été prévenus du délibéré. Le président leur a indiqué d’expulser quiconque manifesterait un mouvement d’humeur pendant ou après la lecture du verdict. A l’annonce de l’acquittement de Cécile Bourgeon du chef de coups mortels aggravés, quelques voix se sont levées, mais personne n’a été bouté hors du prétoire : les mécontents ont quitté la salle.

J’entendais de là où j’étais des bruits dehors, mais je n’y prêtais pas davantage attention que cela, occupée à comprendre le verdict avec les collègues et avocats présents. À l’issue de l’audience sur intérêts civils, les condamnés ont été conduits au véhicule de l’ARPEJ (Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires, service de l’administration pénitentiaire en charge des escortes de détenus entre les établissements et les palais de justice - NdEolas).

Et là, la foule s’est déchaînée. Les gens se sont mis à hurler leur haine à l’égard de Cécile Bourgeon. Insultes, menaces de mort, menaces de viol. Les images captées par les journalistes et des badauds ont été mises en ligne : on y voit une quarantaine de personnes, parfois montées en hauteur sur des éléments urbains, vociférant à l’encontre de l’acquittée, par ailleurs condamnée pour les délits connexes pour lesquels elle était en outre renvoyée. Une scène glaçante et effrayante.

Rapidement, les réseaux sociaux ont été submergés de commentaires de la haine la plus abjecte à l’encontre de Cécile Bourgeon, et des magistrats et jurés populaires qui l’avaient acquittée. Un « Je suis Fiona » est devenu image de profil. J’ai dû expliquer, en pleine nuit, le droit. Sans avoir la motivation de la Cour sur l’acquittement, mais avec ce que j’avais entendu, m’étant mise dans la peau d’un assesseur. La notion de charges, celle du doute. J’ai tenté d’expliquer que non, on ne « prenait pas 5 ans en tuant son enfant » : on ne prenait « que » 5 ans justement parce qu’on n’avait pas tué son enfant, mais été déclarée coupable de délits et condamnée à de l’emprisonnement en conséquence.

On parle parfois de vérité « judiciaire ». Personne n’était là lors des faits. Vérité judiciaire ou vérité tout court, cela importe peu : en l’absence d’appel, Cécile Bourgeon est acquittée. N’a pas tué sa fille. Quand bien même il y aurait appel, elle redeviendrait présumée innocente. J’essaye d’expliquer qu’il faut essayer de voir les choses à l’envers. Qu’il s’agit d’une femme qui a, comme le père de Fiona, perdu sa fille, décédée des coups de son compagnon de l’époque, reconnu coupable de tous les chefs (à l’exception de la circonstance aggravante de réunion, devenue sans objet). Qu’en outre, elle est devenue la femme la plus détestée de France. Qu’on la traquera très certainement à sa sortie de prison.

J’essaye de comprendre cela. Je suis bien consciente que des gens ont perdu du temps pour participer aux recherches de Fiona suite à sa prétendue disparition à Montjuzet. Qu’ils se sont sentis floués lorsque le couple a reconnu cette mise en scène. Mais après ? Est-ce eux qui ont souffert la mort d’un enfant ? Doivent-ils vivre avec cette blessure à l’instar du père de la fillette ? L’ont-ils découverte décédée, comme Cécile Bourgeon ? En quoi le fait d’avoir été trompés leur donne-t-il le droit de savoir mieux qu’une cour d’assises ce qui s’est passé ? Je reste subjuguée par cette appropriation de l’affaire par la France entière. Par les « marches blanches » auxquelles se greffent, sous le coup de l’émotion, un peu tout le monde, et même ceux qui ne sont eux-mêmes pas irréprochables (voir ainsi l’excellent Laëtitia ou la Fin des Hommes de Ivan Jablonka, prix littéraire du Monde et prix Médicis 2016)

Je pense aux jurés. Que les magistrats soient critiqués suite à une décision, c’est habituel. C’est loin d’être plaisant de se voir, parfois dans la presse, attaqué pour un prétendu « laxisme », mais, malheureusement, on sait que ça fait partie du métier. Mais les jurés. Qui ont vécu 15 jours durant l’horreur des faits, et qui ont été forcés par la loi de se prononcer sur une affaire juridiquement compliquée, et dans laquelle l’émotion menaçait de l’emporter sur la raison, alors même que l’article 353 du Code de procédure pénale ne mentionne que cette dernière. J’espère qu’on ne leur demandera pas de se justifier. Leur serment les protège, mais quand même. Qu’ils n’auront pas à subir des commentaires désobligeants de la part de leurs proches ou de leurs collègues, voire de ceux qui ont insulté l’acquittée et qui les reconnaîtraient en ville.

Je pense également aux journalistes. Durant l’audience, je me suis essayée au live-tweet, parce que certains me l’avaient demandé. Et j’ai réellement trouvé cela intéressant, y voyant des liens avec l’activité de retranscription des cabinets d’instruction, mais très complexe. Cependant, n’étant « suivie » que par un nombre restreint de personnes, je n’ai pas eu à subir les réflexions et commentaires désobligeants que recevaient les chroniqueurs judiciaires. Je voyais quelques grands noms de l’exercice, des médias nationaux, dont Corinne Audouin (France Inter), Salomé Legrand (Europe 1), Delphine Gotcheaux (France Info), Vincent Vantighem (20Minutes), ou locaux comme Olivier Vidal (France Bleu pays d’Auvergne) et les journalistes de La Montagne répondre parfois en pleine nuit à ceux qui jugeaient sans avoir assisté aux débats, ou qui s’insurgeaient contre le verdict. Je salue la manière dont ils ont pu tenter d’expliquer les raisons qui ont pu conduire la Cour à un acquittement.

Aussi usant finalement que cela puisse être, j’aimerais pouvoir expliquer toujours davantage les décisions. Pourquoi ce qui peut paraître simple d’un point de vue complètement extérieur peut être extrêmement plus complexe à l’audience. Alors, oui, on motive nos décisions pour le justiciable concerné, les avocats et la Cour d’appel. Mais rien pour le public qui verra cela possiblement sur un réseau social et qui, sans connaître aucunement l’affaire, ne pourra qu’être tenté par les raccourcis et par les références à d’autres dossiers, qu’ils pensent similaires, dans lesquels l’issue a été tout autre. J’aimerais pouvoir dire que le droit ce n’est pas de la morale, mais je crois que dans ce dossier-là, c’est peine perdue. L’émotion créée par la disparition de la fillette a érigé certains de ceux qui se sont mobilisés en véritables censeurs estimant qu’il doit exister une justice qui ne s’embarrasse pas de détails comme les charges suffisantes et le doute raisonnable.


Pour les personnes qui ne sont pas abonnées au Monde, un lien vers une émission de France Culture du samedi 26 novembre 2016, où Pascale Robert-Diard et Corinne Audouin échangent sur leur ressenti vis-à-vis de ce procès hors normes.

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