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À partir d’avant-hierContrepoints

« Leur but est de saper notre État de droit » grand entretien avec Nicolas Quénel

Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l’information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

Quand le PCC met en scène sa propre légende dans les rues de Paris

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Pouvez-vous décrire les failles les plus alarmantes et les plus inattendues que vous avez mises au jour dans votre enquête ?

Nicolas Quénel – Il n’y a pas vraiment un exemple en particulier qui me revienne en tête. Le fait que la Chine ait pu tourner Fox Hunt, un film de propagande à la gloire du programme de disparition forcée (qui a fait des victimes en France) en plein dans les rues de Paris pendant des semaines sans que personne ne trouve rien à y redire me fascinera toujours par exemple.

On pourrait aussi citer les Indian Chronicles. Une opération d’influence indienne qui avait duré 15 années et durant laquelle les Indiens ont su exploiter les failles de l’ONU pour mener des opérations de dénigrement du Pakistan directement au Conseil des droits de l’Homme.

Plus inattendu encore, l’exemple d’Evguéni Prigojine, le défunt patron des mercenaires de Wagner, qui avait financé une fausse ONG de défense des droits de l’Homme pour faire monter le sujet des violences policières en France quelques mois avant l’élection présidentielle de 2022. Avec un collègue nous avions pu entrer en contact avec un homme qui avait l’audace de se présenter sous le nom de Ivan Karamazov. C’était assez cocasse.

 

Guerre froide 2.0

Samedi 3 février dernier, l’ancien président russe Dimitri Medvedev a publié un long texte sur Telegram appelant à s’ingérer dans les processus électoraux européen et américain en soutenant les partis « antisystème ». Il a notamment écrit : « Notre tâche est de soutenir de toutes les manières possibles ces hommes politiques et leurs partis en Occident, en les aidant apertum et secretum [ouvertement et secrètement], à obtenir des résultats corrects aux élections ». Comment prouver les traces de cette ingérence ? Quelles types d’actions recouvrent ce terme, « secretum » ? 

Il est toujours difficile de prouver l’ingérence d’une puissance étrangère dans un processus électoral. Évidemment, on ne parle pas ici du jeu d’influence classique entre États. Après tout, Vladimir Poutine, quand il invite au Kremlin une candidate à l’élection présidentielle française, et lui accorde un entretien immortalisé par quelques photos, est tout à fait en droit de le faire, et la candidate est libre d’accepter ou de décliner l’invitation en fonction de ce qu’elle juge être le mieux pour son intérêt personnel.

Quand nous parlons d’ingérence électorale, nous parlons communément de ce qu’il était convenu d’appeler les « mesures actives » pendant la Guerre froide, lesquelles désignent l’ensemble des moyens employés pour influencer une situation de politique intérieure d’un pays-cible, ou sa ligne de politique étrangère. Parmi ces moyens, on peut évoquer notamment la désinformation, la propagande, le recrutement d’agents d’influence, ou l’utilisation de faux ou d’idiots utiles.

Ces mesures actives, elles, sont par essence secrètes, et la Russie mène ce type d’opérations en France aujourd’hui comme au temps de la Guerre froide. Si on ne devait donner qu’un exemple pour illustrer l’ancienneté de ces ingérences électorales, ce serait l’élection de 1974 pendant laquelle la « résidence de Paris » (l’antenne du KGB dans la capitale française) s’était vantée d’avoir mené en une semaine seulement 56 de ces opérations en faveur de Mitterrand dans un rapport envoyé à Moscou. Fait amusant, les Soviétiques à Moscou avaient de leur côté mené des opérations pour favoriser Giscard.

Ces opérations ont évidemment évolué depuis la Guerre froide, notamment avec le numérique. Les objectifs, eux, restent inchangés. Ce qui n’a pas changé non plus, c’est le fait que ces opérations restent très difficilement attribuables formellement. On ne trouve presque jamais la preuve ultime de l’implication directe de l’appareil d’État russe. Remonter la piste de ces opérations pour découvrir qui est le commanditaire réel demande parfois des années de travail, et ce travail n’aboutit pas toujours.

 

Agents d’influences et idiots utiles

Quels sont les principaux canaux utilisés par Moscou pour véhiculer sa propagande en France ? Est-ce facile pour le régime de Poutine de recruter des « agents » ? Quels sont leurs profils ?

Il faut faire la distinction entre les agents d’influence et les simples idiots utiles. Quand on parle d’idiots utiles, nous faisons référence à ceux qui répercutent la propagande du Kremlin de manière consciente ou non. Eux ne tirent pas de bénéfices de cela de la part de la Russie, mais se reconnaissent dans cette propagande. Il y a un alignement idéologique entre le discours du Kremlin et leurs convictions profondes. Dans notre pays, des gens sont persuadés que les Arabes vont remplacer les Blancs, que l’homosexualité est un signe de la dégénérescence des sociétés occidentales etc. De fait, ils se retrouvent dans les narratifs du Kremlin, et peuvent sincèrement penser que Poutine est un rempart contre une prétendue décadence.

C’est grotesque, évidemment, mais jusqu’à preuve du contraire, être con n’est pas un délit dans ce pays.

Les agents d’influence, par contre, c’est autre chose. Il s’agit d’individus qui tirent bénéfice de la récitation de cette propagande. Les Russes vont essayer de recruter des politiciens, des journalistes, des avocats… Ceux dont la voix porte, et qui, en plus, ont l’avantage d’être un peu mieux protégés que le citoyen ordinaire, dans le sens où il est plus délicat pour un service de renseignement d’enquêter ouvertement sur ce type de profils. On se souvient de l’affaire Jean Clémentin, le journaliste du Canard enchaîné qui était en réalité un vrai agent d’influence payé par les Soviétiques.

 

La France est dans leur viseur

Outre la Russie, quelles sont les principales puissances qui mettent en œuvre des stratégies de désinformation en France ? Dans quels buts ? Ont-elles des manières communes de procéder ?

Les plus actifs en France en matière d’opérations d’influence sont les Russes et les Chinois. On pourrait ensuite citer l’Iran, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Inde… Tous ont un agenda, des objectifs stratégiques qui leur sont propres. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont globalement tous les mêmes méthodes et surtout apprennent des erreurs des uns et des autres. Et c’est bien parce qu’ils apprennent que nous devons adapter et muscler notre réponse.

 

Une prise de conscience (très) récente

Dans son rapport publié le 2 novembre dernier, la délégation parlementaire au renseignement a souligné la « naïveté » et les « fragilités » de la France, notamment face aux ingérences chinoises et russes. À quoi a servi concrètement la dernière commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences de puissances étrangères clôturée en juin 2023, soit quatre mois avant la publication du rapport de la délégation au renseignement ?

Cette commission a été l’occasion d’entendre différents services de l’État s’exprimer en détails sur ce sujet des opérations d’influence étrangères. Je me souviens notamment de l’audition de Nicolas Lerner, à l’époque directeur de la DGSI, et aujourd’hui passé chef de la DGSE, qui avait été particulièrement offensif contre les élus qui se rendaient dans le Donbass pour observer des processus électoraux fantoches. Il n’a pas hésité à déclarer qu’« accepter de servir de caution à un processus prétendument démocratique et transparent revient à franchir un cap en termes d’allégeance ».

On peut, bien sûr, regretter les ambitions cachées des parlementaires qui ont participé à cette commission. De son côté, le Rassemblement national voulait se blanchir de ses liens avec la Russie de Poutine, et d’autres voulaient profiter de cette occasion pour les enfoncer sur le même sujet. Mais bon. On ne va pas reprocher aux politiques de faire de la politique quand même !

À mon sens, cette commission a surtout été l’occasion d’imposer le sujet des opérations d’influence étrangères dans le débat public. En cela, elle a été très utile, et ce même travail s’est poursuivi avec le rapport de la DPR qui avait aussi pour sujet central ces opérations.

 

Être ou ne plus être une démocratie libérale

Comment les démocraties libérales peuvent-elles s’adapter à cette nouvelle menace sans tomber dans l’autoritarisme ?

La lutte contre les opérations d’influence a un point en commun avec la lutte contre le terrorisme. Dans les deux cas nous sommes face à un conflit asymétrique dans lequel les démocraties libérales sont contraintes dans leur réponse par des limites éthiques, morales et juridiques. Des limites que n’ont évidemment pas les dictatures qui mènent ces opérations d’influence.

En menant ces mesures actives, leur but est de détruire le modèle des démocraties libérales et de saper notre État de droit. Partant de ce principe, on ne protège pas l’État de droit en le sabordant nous-mêmes, et il faut veiller à ce qu’aucune ligne rouge ne soit franchie.

En réalité, le meilleur moyen de lutter efficacement contre ces opérations d’influence est au contraire de renforcer notre modèle démocratique. Cela passera par de grandes politiques publiques d’investissement pour renforcer les moyens de la Justice, de l’Éducation Nationale… Il faut aussi s’atteler sérieusement à répondre à la crise de défiance des citoyens envers l’État, les politiques et les médias.

Ce sera long, coûteux et difficile, mais ce n’est pas comme si nous avions le choix.

 

Les canards de l’infox 

Mercredi 24 janvier 2024 un avion russe s’est écrasé dans l’oblast de Belgorod, près de la frontière ukrainienne. Une semaine après le crash, le président russe Vladimir Poutine affirmait publiquement que ce dernier avait été abattu « à l’aide d’un système Patriot américain ». Dans la foulée et sans vérifications, cette version a été reprise par de très nombreux journaux français. Quelle est la responsabilité de la presse dans la diffusion d’intox ?

Sauf erreur de ma part, nous ne sommes toujours pas au courant des raisons de ce crash. Je garderai alors une certaine prudence sur ce point. Un autre exemple, peut-être plus adapté car nous avons plus de recul à son sujet, est celui des étoiles de David dans les rues de Paris. Les médias, surtout télévisuels, se sont jetés dessus et ont spéculé pendant des jours en y voyant une preuve de la montée de l’antisémitisme en France après les attaques terroristes du 7 octobre en Israël. Seul problème, nous avons appris dans les jours qui suivirent qu’il s’agissait en réalité d’une opération d’influence perpétrée par un couple de Moldaves avec un commanditaire de la même nationalité, connu pour ses positions très proches de la Russie.

Cet événement a pointé très directement les failles de notre système médiatique. L’immédiateté de l’information couplée à la course à l’audience sont de vrais fléaux. Cela pousse des gens pourtant compétents à commettre des erreurs qui viennent décrédibiliser par la suite ces mêmes médias auprès de leur audience, et en bout de chaîne cela vient encore accroître la défiance envers notre profession.

Si cette opération d’influence a particulièrement bien fonctionné, ce n’est pas parce que les Russes ont essayé d’amplifier l’histoire sur les réseaux sociaux avec des faux comptes, c’est parce que les médias se sont jetés dessus sans prendre de précautions.

 

La désinformation au stade industriel

La guerre hybride menée par la Russie pour déstabiliser les démocraties libérales et diffuser un discours anti-Occidental n’a pas commencé le 24 février 2022. Avez-vous cependant constaté un changement d’échelle, d’intensité, dans les tentatives d’ingérences « discrètes » à partir de février 2022 ?

Il est difficile de donner un chiffre ou une tendance sur des opérations qui sont par nature secrètes. On peut supposer sans prendre trop de risques de se tromper qu’il y a une hausse de ces opérations depuis le début de l’invasion de l’Ukraine du 24 février 2022 car il y a un enjeu stratégique pour Moscou à faire cesser le soutien des Occidentaux à Kyiv.

À titre personnel, je pense que l’on va voir dans un avenir proche une multiplication des opérations d’influence qui se reposent sur les outils numériques, car il est aujourd’hui bien plus facile de créer des discours ou des faux sites web grâce à l’intelligence artificielle générative. Créer un deepfake il y a quelques années pouvait prendre des semaines et nécessitait de solides compétences. Aujourd’hui, les outils d’IA permettent d’industrialiser ce type de productions, cela ne prend pas plus que quelques minutes, et il n’y a pas besoin de compétences particulières pour y arriver.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Écrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Prix de l’énergie en hausse, rénovation qui stagne : comment expliquer ce paradoxe ?

Un article de Dorothée Charlier, Maîtresse de conférences en économie de l’énergie et de l’environnement, IAE Savoie Mont Blanc

Avec une hausse des prix de l’électricité de 26 % et du gaz de 50,6 % entre janvier 2018 et décembre 2022 en France, nous aurions pu nous attendre à une progression significative de la rénovation dans le résidentiel.

En France, ce dernier compte pourtant encore 36 % de chaudières au gaz et 26 % au fioul. Seuls 5 % des résidences principales sont classées en étiquette A ou B en 2022, et le nombre de logements mal isolés demeure considérable (39 % des logements en étiquettes E, F et G).

Répartition des logements par étiquette énergétique entre 2018 et 2022. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

 

Au cours de l’hiver 2021-2022, « 22 % des Français ont déclaré avoir souffert du froid pendant au moins 24 h et 11,9 % des Français les plus modestes ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement en 2021 ».

Le secteur résidentiel reste ainsi un gisement important d’économie d’énergie, en particulier en matière de rénovations en efficacité énergétique. Et pourtant, les ménages semblent faire abstraction d’opportunités d’investissement apparemment rentables : c’est ce que l’on appelle « le paradoxe énergétique ».

Comment l’expliquer, alors qu’à première vue,  le prix de l’énergie devrait au contraire donner un coup de pouce à la rénovation ?

 

Prix de l’énergie, un incitateur ?

En réalité, la demande d’énergie est peu sensible au prix à court terme : pour une hausse de 100 % des prix de l’énergie en moyenne, les ménages les plus pauvres réduisent leur consommation de chauffage entre 6 % et 11 % en fonction de leur revenu.

Évolution des prix ménages pour l’électricité et le gaz entre 2018 et 2022. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, données et études statistiques, élaboration de l’auteure

 

Il est en effet plus facile de réduire sa consommation tant qu’une marge de manœuvre est possible et qu’il existe des solutions substituables sur le marché : pour le chauffage, par exemple, l’électricité peut se substituer au gaz dans de nombreux cas. A contrario, il n’existe pas de substitut à l’électricité pour l’éclairage ou les appareils électroménagers.

En revanche, la réaction s’observera avec plus de force à long terme : la chute de la demande est alors bien plus importante que l’augmentation du prix. C’est le concept d’élasticité-prix de la demande : à la suite d’un choc sur les prix, les ménages n’ont pas le temps, ni d’ajuster instantanément leur comportement ni de changer leurs équipements. En revanche, ces chocs de prix influenceront leur processus de décision et de consommation à long terme. Ainsi, quand bien même on n’observe pas d’effet à court terme de la hausse des prix de l’énergie, les effets pourraient se faire sentir dans un horizon plus lointain.

 

Un paradoxe analysé par les économistes

Si elle est cruciale, la question du prix de l’énergie n’est pas le seul argument à peser dans la décision des ménages de changer ou non leurs équipements.

Rappelons également que pour bénéficier de la plupart des aides de l’État, les ménages doivent faire appel à un professionnel du bâtiment agréé. Dans certaines régions, la tension sur l’offre est importante et il est parfois difficile de trouver un professionnel compétent rapidement disponible…

Pour tenter d’expliquer néanmoins ce paradoxe de la diffusion très progressive d’équipements énergétiques apparemment rentables, de nombreux économistes ont analysé la nature et l’occurrence des barrières à l’investissement. Ces dernières sont nombreuses.

 

De multiples freins à l’adoption

Parmi elles, le statut d’occupation joue un rôle : rappelons qu’en France le pourcentage de locataires s’établit à 35,3 % en 2021. Citons également les difficultés d’accès au crédit, ou bien l’hétérogénéité de revenus, de préférence et de sensibilité environnementale qui existent entre les individus.

Les dépenses d’investissement dans des nouvelles technologies sont en outre affectées par la combinaison entre différentes sortes d’incertitudes (incertitude sur les gains énergétiques, sur les prix de l’énergie, sur les politiques publiques ou encore sur les prix des futurs produits et des coûts d’installation), et de leur irréversibilité (car les coûts sont irrécouvrables). Ce qui pousse les ménages à retarder autant que possible les investissements, en attendant d’obtenir de nouvelles informations.

D’autres freins à l’adoption interviennent, tels que les coûts associés à la recherche d’information sur les technologies ou encore ceux engendrés par la gêne occasionnée durant les travaux. Tous ces éléments, non pris en compte dans la plupart des analyses coûts-bénéfices, rendent des investissements profitables à première vue, moins rentables que ce qu’ils semblent être en réalité.

Sur le web.

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