De la Serbie au Guatemela, la petite entreprise de Mark Zuckerberg réalise actuellement de
très instructifs tests.Il s’agit de séparer du fil d’actu des comptes
Facebook (à base d'"amis"), les contenus issus des pages
Facebook (commercial, au sens très large).
Là, on se dit tous (sauf les community-manager) : - Cool, c’est à terme moins de contenus sponsorisés dans mon fil d’actualité !
Sauf que c’est oublier que
Facebook c'est tout sauf le cool. C'est une entreprise libérale d’obédience carnassière, une gigantesque régie pub avec 2 milliards de clients auto-fichés dans sa nasse. C’est oublier la vision de nos progressistes amis de Palo Alto : vous êtes consommateur ou annonceur.
La seule ligne éditoriale du média
Facebook est de faire rentrer le pognon. Entreprises comme particuliers sont quotidiennement bougés comme des pions selon les critères d’optimisation de cette ligne. L’algorithme de
Facebook est modifiable sans préavis selon ses impératifs de rentabilité. Rien à redire là-dessus : chacun fait ce qu’il veut chez lui. Et malgré les apparences quand vous êtes sur votre compte
Facebook, vous êtes chez
Facebook et non chez vous. Cela a des avantages (c’est pas cher), mais aussi des inconvénients (mise à la porte sans sommation, changement unilatéral et aléatoire du règlement intérieur).
Pour les entreprises qui misent l’essentiel de leur communication numérique sur
Facebook, ces tests sont un sérieux avertissement. Si la portée organique des pages est flinguée à grande échelle, la compétition va se durcir sur le marché de la présence dans vos fils d’actu, et les prix augmenter. Jusqu’à présent, certaines s’en sortaient avec de la créativité et la viralité sans trop débourser. Ça ne suffira plus.
Côté consommateur, en cas de généralisation de l'expérience, ne vous attendez pas à voir disparaitre les contenus des pages de vos fil d’actu. Les annonceurs qui mettront le prix continueront à s’afficher. Vous allez toujours en bouffer du
Conforama et de l’offre
C Discount pour votre anniversaire. Tous les autres pages en revanche, moins ou pas commerciales, les pages associatives etc… seront digérées dans le dédale de la confidentialité numérique.
Pourquoi s’arrêter là ? (Attention, vous entrez en territoire SF)La prochaine étape pourrait être de faire raquer les particuliers, pas en mode abonnement comme tentent de parfois de le faire croire des chaines de mails dont le frisson d’angoisse qu’elles génèrent à la première lecture et la rapidité de leur propagation nous informent tout de même sur la sévérité de notre état de dépendance numérique.
Non, pourquoi ne pas adapter, dans une sorte de B2B (ou P2P) de l’intime, une bonne vieille technique de dealer ? Une fois qu’il est devenu hégémonique sur le quartier et qu'il t'a bien rendu accro à sa came, le dealer ferme le robinet et met les doses aux enchères pour toi et une sélection de tes copains les plus affamés.
Tu veux être lu et continué à être liké ? Entre ton numéro de CB.
Facebook fait d’abord son business de nos faiblesses dans une époque (que la compagnie a en partie enfanté) où chacun devient l’entrepreneur névrosé de la représentation la plus populaire possible de sa singularité.
Ce n'est qu'une hypothèse, l'environnement est technologiquement imprévisible et soumis aux bonnes vieilles ruptures générationnelles (
Facebook est déjà un réseau de « vieux »). Mais, partant du fait qu’il y a encore dix ans peu d’entre nous imaginaient la prédominance actuelle de ce média (et de l’égo-bombing qui va avec) dans nos modes de communication en ligne, la plus grande partie du chemin n'est-elle pas déjà parcourue ?
"- Quoi mais c’est vraiment trop injuste ce monde libéral de merde !"Oui mais non, au fond rien de neuf. Les annonceurs vont transférer des budgets d’un média à l’autre. Ceux qui n'ont pas d'argent pour faire de la pub n'en feront pas. Et les spectateurs resteront des consommateurs. Quel que soit le média.
Que
Facebook se dévoile un peu plus à travers ces tests, admettant de se transformer peu à peu en média classique de télé-achat descendant (avec une fonction "interactivité entre amis") est une bonne chose. En revanche, les individus qui font l’erreur de trop privilégier
Facebook pour communiquer et débattre devraient commencer à se diversifier, et progressivement migrer sur d’autres plateformes collaboratives ou personnelles, commerciales ou auto-financées.
Ou bien, retourner à leur blog.
Illustration :
Black Mirror, S3E1,
Netflix