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Les vrais chiffres de la balance commerciale 2023 

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les 200 milliards d’euros de déficit pour se « rétablir » en 2023 à -135 milliards d’euros.

Rappelons qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise sanitaire et avant la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, la balance commerciale s’établissait à un déficit de 77 milliards (quand l’Allemagne dépassait les 200 milliards d’excédent commercial).

Pour résumer, en l’espace de deux ans : 2019 à 2022, notre déficit commercial a quasiment triplé et le déficit de 2023 est maintenant équivalent au double de celui de 2019.

 

Une lueur d’espoir ? L’éternelle marotte de la solution par les exportations 

Face à des résultats accablants, l’idée selon laquelle la progression de nos exportations viendrait redresser la balance commerciale continue de perdurer et d’être promue comme la solution de reconquête de notre souveraineté. Est-ce bien réaliste ? Avec des exportations qui progressent mollement (+3 % en un an) et dont la hausse intègre nécessairement l’inflation, peut-on vraiment penser qu’elles seront à même de compenser notre dépendance structurelle aux importations sur la quasi-totalité des secteurs industriels ?

Pour comprendre la réalité de la balance commerciale, reprenons chaque secteur en distinguant les secteurs déficitaires des rares secteurs excédentaires.

 

Les secteurs déficitaires… Toujours plus déficitaires

Énergie : un déficit de 75 milliards, ou comment la France fait passer les intérêts de ses partenaires commerciaux avant les siens

Rappelons que dans les années 2000, date à laquelle la balance commerciale passe dans le rouge, le déficit énergétique s’affiche déjà à près de 25 milliards. En vingt ans, il double pour atteindre les 50 milliards en 2019. Puis de 2019 à 2022, il double à nouveau (quasiment 120 milliards !) et se redresse en 2023 à près de 75 milliards soit 50 % de plus qu’en 2019…

Si l’on entre dans les détails, on comprend bien la folie de notre politique énergétique qui nous place en position de dépendance vis-à-vis du gaz naturel que nous importons à des prix toujours plus élevés, sans pouvoir tirer profit de l’électricité que nous vendons… Au prix auquel nous la produisons !

Prenons notre premier poste d’importations énergétiques : les hydrocarbures naturels (gaz dont gaz de schiste et huiles brutes de pétrole) qui affichent à eux seuls un déficit de 56 milliards d’euros.

La guerre en Ukraine a lourdement marqué notre balance en matière d’hydrocarbures naturels avec une flambée des prix et un recours aux États-Unis très marqué et coûteux : le coût de nos importations a ainsi quasiment triplé de 2019 à 2022 avec un déficit atteignant les 75 milliards en 2022. Déficit qui s’est redressé à plus de 56 milliards en 2023. La situation est donc loin d’être rétablie.

Second poste du déficit énergétique, les produits pétroliers, a quant à lui doublé sur la période 2019-2022 passant de 15 à 30 milliards pour se rétablir à 20 milliards en 2023.

Si notre dépendance en hydrocarbures et produits pétroliers a toujours été avérée, notre force nucléaire, en revanche a toujours constitué un atout majeur.

Malheureusement, pour ce qui est de l’électricité, troisième grand poste de nos dépenses énergétiques, il est clair que nous ne tirons absolument pas avantage de notre force nucléaire dans laquelle nous avons tant investi. En 2022, le mécanisme de l’ARENH nous a fait atteindre une situation ubuesque de déficit commercial en électricité (8 milliards) en devant acheter plus cher à des fournisseurs étrangers un produit que nous devons leur vendre au prix coûtant. En 2023, les choses se rétablissent avec un excédent de 3 milliards qui, on le comprend bien, si nous n’étions pas entrés dans l’ARENH, devrait être nettement supérieur.

En synthèse, l’énergie que nous vendons et achetons se traduit par un solde déficitaire de 50 milliards. Notre position de leader nucléaire historique ne permet en rien de redresser ces résultats du fait des mécanismes de prix fixés par l’ARENH.

 

Le textile et l’habillement

Un redressement en demi-teinte porté par la croissance des exportations de produits de luxe.

Le déficit avait atteint les 12 milliards en 2019, frôlé les 13 milliards en 2022 et s’est contracté à 8 milliards en 2023. Ce rétablissement est entièrement porté par la progression des exportations sur le seul secteur du cuir/bagages/chaussures. En revanche, pour le reste de l’habillement, le montant des importations est en progression avec l’apparition marquée d’acteurs étrangers intervenant en vente directe, sans intermédiation, comme l’emblématique Shein.

 

Le déficit ancré de l’agro-alimentaire : une perte de souveraineté confirmée

Les résultats sont chaque année présentés comme positifs… À tort. En effet, les boissons (vins et spiritueux) viennent corriger ce qui est devenu un déficit structurel de la balance commerciale sur la totalité des produits à l’exception des produits laitiers. Corrigés des seuls chiffres des boissons les résultats sont alarmants : la dépendance aux produits étrangers, pour ce qui est de notre consommation de viande, de conserves, de fruits et légumes, et d’huiles est bel et bien confirmée. Tous ces secteurs sont déficitaires, entre 2 et 4 milliards chacun.

La balance commerciale du secteur agro-alimentaire marque donc, en réalité, un déficit de 10 milliards d’euros (soit 3 milliards de déficit supplémentaire par rapport à 2019).

Ce déficit n’est pas corrigé par la balance commerciale agricole, qui, après une progression en 2022 enregistre un excédent de 1,4 milliard. On peut donc dire que le secteur agricole, hors spiritueux, enregistre des déficits records, proches de 9 milliards !

 

Métallurgie, électronique, machines… : la chute libre

De nombreux autres secteurs historiquement déficitaires continuent leur plongée respective comme l’industrie métallurgique (doublement du déficit de 2019 à 2023 pour atteindre 15 milliards d’euros), les produits en plastique (-10 milliards), les produits informatiques (+50 % de déficit soit -10 milliards), la fabrication d’équipements électriques et de machines (-21 milliards).

 

Les rares secteurs excédentaires… En très fort recul

De façon encore plus inquiétante, on voit également se contracter des secteurs qui avait su rester excédentaires.

Premier concerné : l’industrie du transport (automobile, aérospatiale, navire) qui est passé de 15 milliards d’excédent en 2019 à… 6 milliards ! Cet effondrement est principalement corrélé à l’effondrement du secteur automobile dont le déficit passe de 15 à 25 milliards d’euros et dont les résultats de l’aérospatiale ne parviennent pas à compenser.

Deuxième secteur historiquement fort : l’industrie pharmaceutique qui voit un effondrement dans la balance commerciale que toute personne ayant besoin de se soigner peut constater. L’excédent de 6 milliards de 2019 s’est amoindri à moins d’un milliard en 2023.

Enfin l’industrie chimique, toujours présentée en bonne santé, doit à l’instar du secteur agro-alimentaire et des boissons, être retraitée de la cosmétique. Le solde le plus excédentaire de la balance commerciale, 20 milliards en 2023, se réduit à la peau de chagrin de 2,5 milliards une fois les cosmétiques retirés…

Globalement, sur 2023, en dépit de la contraction du déficit, les tendances lourdes se confirment et semblent ancrées de façon indélébiles dans les chiffres de la balance commerciale et dans la réalité de notre consommation quotidienne.

Au-delà des aides, des subventions, et des « encouragements », il est temps que l’industrie redevienne réellement une priorité nationale. La France doit revoir les normes et dispositifs dans lesquelles elle s’est enfermée au profit de ses partenaires et au détriment de ses propres intérêts commerciaux.

Stratégie française pour l’énergie et le climat : une fuite en avant vers la décroissance

La nécessité de décarboner à terme notre économie, qui dépend encore à 58 % des énergies fossiles pour sa consommation d’énergie, est incontestable, pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, et pour des raisons géopolitiques et de souveraineté liées à notre dépendance aux importations de pétrole et de gaz, la consommation de charbon étant devenue marginale en France.

Cependant, la voie à emprunter doit être pragmatique et ne doit pas mettre en danger la politique de réindustrialisation de la France, qui suppose une croissance durable avec un accès à un approvisionnement énergétique abondant, à un prix accessible, et résilient aux aléas de toutes natures (sécurité d’approvisionnement).

Cette politique ne doit donc pas être guidée par une « urgence climatique » qui conduirait à se fixer des objectifs excessifs et irréalistes en terme de rythme de réduction de la consommation d’énergie, de décarbonation (le tout véhicules électriques avec interdiction des véhicules thermiques dès 2035, la suppression des chaudières à gaz…), et de développement à marche forcée des ENR, au risque de surcoûts non supportables par notre économie et le corps social, et de passage d’une dépendance aux importations de combustibles fossiles à une dépendance à l’achat de matériaux et d’équipements (batteries, panneaux solaires, éoliennes, électrolyseurs…) provenant d’Asie, et de Chine en particulier. Cela sans bénéfice climatique significatif pour la planète, car les produits fabriqués en Asie le sont avec une énergie largement dominée par le charbon …

Cette note démontre que la stratégie proposée (SFEC) n’échappe pas à ce risque, en se situant dans la perspective du « fit for 55 » européen, approuvé sous présidence française de l’UE, et qui s’apparente à une dangereuse fuite en avant, risquant de déstabiliser des pans entiers de l’industrie européenne.

La décarbonation des énergies, à l’échelle de la France, qui permet de remplacer des énergies fossiles importées par des énergies décarbonées produites en France, a un effet vertueux sur l’emploi, le PIB et la balance commerciale du pays (aux équipements importés près, comme les panneaux photovoltaïques) : c’est le cas du parc nucléaire et du parc hydraulique construits au siècle dernier, ainsi que pour les ENR électriques et les ENR thermiques développées depuis une quinzaine d’années.

C’est pour cela que fermer une centrale nucléaire comme Fessenheim a constitué une faute lourde, au détriment de la diminution des émissions de CO2, et de la santé de l’économie française (11 TWh de perte annuelle de production, soit 660 millions d’euros à 60 euros/MWh).

À l’exception de l’éradication du charbon, la décarbonation de la production d’électricité n’est pas un sujet en France, les parcs de production nucléaire et renouvelable (hydraulique, éolien, solaire et biomasse) représentant plus de 93 % de la production.

En termes de méthode, la préparation de cette stratégie s’est certes appuyée sur un travail de concertation avec des groupes de travail transpartisans et de participation citoyenne, mais il est regrettable que le rapport de la Commission d’enquête parlementaire du printemps 2023 sur la perte de souveraineté énergétique de la France n’ait pas été pris en compte, ce qui constitue un déficit de démocratie parlementaire incompréhensible.

 

Un objectif de réduction de la consommation d’énergie incompatible avec une réindustrialisation de la France

La stratégie proposée retient pour objectif une réduction de la consommation d’énergie finale à 1209 TWh en 2030 et à 900 TWh en 2050, alors que cette consommation était en 2021 de 1611 TWh (en lente diminution depuis le niveau de 2012 de 1661 TWh) :

Les efforts d’amélioration de l’efficacité énergétique conduits depuis près de 30 ans dans tous les secteurs de l’économie (bâtiments, transports, industrie), en intégrant la diminution de 3,1 % de la consommation en 2022 (augmentation des prix, plan de sobriété), ont permis de découpler croissance économique et consommation d’énergie, avec une diminution moyenne annuelle de 1,5 % par an de l’intensité énergétique, la consommation finale d’énergie par unité de PIB diminuant à 66 pour une base 100 en 1994 :

 

La légère diminution de la consommation d’énergie de 0,3 % par an observée de 2012 à 2019 (en deçà de l’objectif des PPE précédentes) est cohérente avec le taux annuel de croissance moyen du PIB de 1,2% en euros constants, et le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5 % par an.

L’objectif fixé pour 2030 (1209 TWh), en forte diminution par rapport à celui de la PPE précédente (1378 TWh), correspond à une diminution annuelle de la consommation d’énergie de 3,7 % par an : c’est une inflexion brutale correspondant à une croissance zéro du PIB, assortie d’une amélioration hypothétique de l’efficacité énergétique de 3,7 % par an, soit un rythme 2,5 fois supérieur au rythme historique.

Une croissance du PIB de 1,5 % par an, nécessaire dans le cadre d’une réindustrialisation de la France (remonter la part de la production industrielle dans le PIB de 10 % à 20 % en 2050), supposerait, pour atteindre l’objectif, une amélioration de l’efficacité énergétique de 5,3 % par an, qui apparaît totalement hors de portée, même en imposant des mesures de sobriété de façon autoritaire et « punitive » (interdictions d’usage et restrictions fortes des libertés individuelles, …).

L’objectif de 900 TWh fixé pour 2050, horizon théorique du « Net Zéro Carbone », correspond à une diminution moyenne de la consommation finale d’énergie de 2,1 % par an : si cet objectif est envisageable, c’est au prix d’une croissance nulle, incompatible avec une politique de réindustrialisation de la France, qui suppose une augmentation nette de la consommation énergétique du secteur. Une croissance du PIB de 1,5 % par an supposerait une amélioration de l’efficacité énergétique de 3,6 % par an, qui n’apparaît pas soutenable.

En effet, les efforts de sobriété auxquels ont consenti les Français en 2022, peuvent sans doute être consolidés dans la durée, mais ne sont pas cumulatifs. Ils constituent en quelque sorte un « fusil à un coup » : une fois que l’on a abaissé la température de chauffage à 18 ou 19 °C, on ne va pas la diminuer à 17 °C, puis de 1° C supplémentaire par an les années suivantes.

En conclusion, les « objectifs » de réduction de la consommation d’énergie de la SFEC conduisent au mieux à une croissance zéro, et plus probablement à une décroissance de l’économie, comme le démontre la modélisation du graphique suivant :  

Pour une croissance du PIB de 1,5 % par an, la quantité d’énergie nécessaire, avec un pilotage des actions d’amélioration de l’efficacité énergétique et le maintien des efforts de sobriété et de lutte contre le gaspillage, peut être estimée dans une fourchette de 1200 à 1350 TWh, sous réserve d’une amélioration de l’efficacité énergétique de 2,1 à 2,5 % par an, soit + 50 % par rapport au rythme historique, ce qui représente un effort considérable.

Fonder la stratégie énergétique de la France sur un tel oukase malthusien de réduction drastique de la consommation d’énergie est inconséquent, car de plus, cela fausse la vision de la production d’électricité bas carbone qui sera nécessaire pour décarboner l’économie : à horizon 2050, en retenant un taux d’électrification de l’ordre de 60 à 65 % dans la consommation finale d’énergie (production H2 incluse), la consommation d’électricité est de l’ordre de 560 TWh avec une hypothèse de consommation totale d’énergie de 900 TWh, et de l’ordre de 800 TWh avec la fourchette indiquée ci-dessus.

La trajectoire de la consommation d’énergie en France ne peut être fondée sur un objectif idéologique et irréaliste fixé a priori, mais être la résultante de la croissance du PIB, et d’une action déterminée dans la durée sur le levier de la diminution de l’intensité énergétique, pilotée avec des objectifs ambitieux mais réalistes par secteur.

En effet, l’évolution de l’intensité énergétique est différenciée par secteur :

On constate par exemple que les progrès en efficacité énergétique sont plus rapides dans les secteurs de l’industrie, du logement et, dans une moindre mesure, des véhicules légers, alors que les progrès dans les bâtiments tertiaires et les poids lourds sont plus lents.

Enfin, il convient de signaler une erreur de méthode contenue dans l’extrait suivant :

Si cette assertion est exacte pour le passage d’un véhicule thermique à un véhicule électrique (consommation de 20 kWh d’électricité stockés dans la batterie pour parcourir 100 km avec un véhicule léger, contre 60 kWh de carburant) – pour autant que l’électricité ne soit pas produite par une centrale à carburant, quand la recharge a lieu pendant les heures de pointe -, elle est manifestement fausse pour le passage d’un chauffage à combustion à une pompe à chaleur :

À isolation de l’enveloppe du bâtiment et usage identiques, on consomme la même quantité d’énergie finale : avec une pompe à chaleur on substitue en gros 3 kWh de combustion, par 1 kWh d’électricité (consommation de la pompe) et 2 kWh de chaleur renouvelable (ENR Thermique) extraite de l’environnement (air ou eau).

Les deux leviers de l’efficacité énergétique dans les bâtiments sont les suivants :

Un comportement des occupants économe en énergie

Notamment dans les bâtiments tertiaires où la consommation en dehors des heures d’utilisation (chauffage, éclairage) est excessive : la réduction drastique de ce gaspillage, qui demande peu d’investissements, devrait permettre en quelques années d’économiser plus de 50 TWh, sur une consommation annuelle totale de 260 TWh.

Isolation thermique et équipements économes en énergie (éclairage LED, électroménager,..)

Pour les bâtiments neufs, la Réglementation Environnementale RE 2020 (350 000 logements par an) garantit un niveau satisfaisant. Pour les bâtiments existants, la stratégie proposée priorise à juste titre la rénovation d’ampleur des « passoires énergétiques » (logements catégories F et G), mais ne doit pas conduire pour autant à vouloir les amener tous dans les catégories A, B ou C, ce qui conduirait à des dépenses prohibitives (coût de la tonne de CO2 évitée de 400 à 500 euros). À ce titre, la réforme de l’aide principale (MaPrimeRenov) pour 2024 apparaît bien adaptée : gain de deux catégories au minimum, un objectif réaliste pouvant consister à obtenir un bâti a minima de catégorie D. Cependant, il ne faudrait pas décourager les gestes successifs dans un parcours pluri-annuel visant cet objectif, pour ne pas exclure du marché les artisans.

Pour autant, l’objectif fixé pour 2030 par le décret éco énergie tertiaire de 2019 (réduction de la consommation totale de 40 %) et l’objectif annuel de rénovation globale de 200 000 logements dès 2024 (pour 100 000 actuellement), et jusqu’à 900 000 en 2030 apparaissent peu réalistes, alors que le nombre de logements de catégories F ou G est évalué à environ 5 millions : dans ces conditions, les échéances fixées à 2025 (G) et 2028 (F) d’interdiction de location de ces logements apparaissent difficilement soutenables.

 

Efficacité énergétique dans les transports : vers l’abandon du plan Fret Français Ferroviaire du Futur élaboré en 2020 ?

S’agissant du secteur des transports, la stratégie proposée ne retient comme vecteur d’efficacité énergétique que le véhicule électrique à batterie, qui est loin d’être une solution universelle, et est adaptée essentiellement pour les déplacements quotidiens des véhicules légers (moins de 150 km par jour, 75 % des km parcourus), mais pas pour les usages intensifs et les parcours longues distances, ni pour les transports lourds.

Le principal levier d’efficacité énergétique dans les transports est le remplacement du transport par camions par une combinaison intermodale camions / ferroviaire / fluvial : le transport d’une tonne de marchandise par le train consomme six fois moins d’énergie et émet neuf fois moins de CO2 que par la route.

Sur 490 TWh de carburants brûlés dans les transports routiers (dont 450 TWh issus du pétrole), 200 TWh sont consommés dans le transport de marchandises. La situation s’est largement dégradée depuis l’an 2000, la part modale du ferroviaire étant revenue de 18 % à 9 %, alors que la moyenne européenne est à 18 %, avec un objectif de 30 % pour 2030, déjà atteint par la Suisse et l’Autriche.

Le plan 4F ambitionne de doubler la part modale du ferroviaire d’ici 2030, ce qui permettrait d’économiser 22 TWh de carburants, et 60 TWh à l’horizon 2050, en portant la part modale à 33 %, soit un potentiel de 13 % d’économie sur le total de la consommation de pétrole dans les transports.

La SNCF a un rôle à jouer, mais parmi d’autres acteurs en concurrence, d’autant que la Commission européenne lui impose de réduire la voilure dans le fret.

Bien que faisant régulièrement l’objet d’annonces de soutien gouvernemental (en dernier lieu en mai 2023 avec 4 milliards d’euros d’investissement, ce plan prioritaire pour l’efficacité énergétique dans les transports ne figure pas dans la Stratégie énergie climat proposée, ce qui est incompréhensible.

En ce qui concerne le transport de voyageurs, hors décarbonation par les véhicules électriques, l’amélioration de l’efficience des véhicules thermiques (rajeunissement du parc), ainsi que le report modal vers les transports en commun (trains, tramways et RER métropolitains), le vélo et le covoiturage devraient permettre une économie de l’ordre de 30 TWh de carburants à l’horizon 2050.

 

Accélération des ENR et renforcement associé des réseaux : des objectifs irréalistes et coûteux

Le développement des ENR électriques intermittentes est utile et nécessaire pour parvenir à augmenter de plus de 60 % la production d’électricité à l’horizon de la décarbonation de l’économie française, dans la mesure où il est considéré comme un complément de production d’électricité décarbonée d’une base pilotable largement prépondérante (nucléaire et hydraulique), et non comme le moyen principal, comme cela est programmé dans l’Energiewende allemande, et, jusqu’à présent, par la Commission européenne.

La SFEC ne s’inscrit pas dans une telle perspective, en s’appuyant essentiellement sur un développement accéléré des ENR électriques, et en second lieu sur une relance limitée du nucléaire, qui en l’état ne permettra pas à l’horizon 2050 le maintien de la capacité de production nucléaire (voir chapitre suivant).

Enfin, une part de production intermittente prépondérante, avec une puissance installée largement supérieure à celle des centrales utilisant des machines tournantes pour produire de l’électricité (nucléaire, hydraulique, gaz ou biomasse), entraîne un risque élevé d’instabilité des réseaux, car il n’y a plus assez d’inertie dans le système électrique pour donner le temps suffisant pour réajuster la production en cas d’aléa. Ce risque de blackout total ou partiel est de plus aggravé dans le cadre du réseau européen interconnecté, avec notamment un pays comme l’Allemagne qui compte s’appuyer pour l’essentiel sur l’éolien et le solaire pour sa production d’électricité.

 

L’éolien maritime

Même en tenant compte de l’augmentation de la puissance unitaire des éoliennes, il est irréaliste de vouloir atteindre 45 GW en 2050, alors que la PPE en vigueur indique, sur la base d’une étude de l’ADEME, que le potentiel de l’éolien posé est de 16 GW, en raison de l’étroitesse du plateau continental le long du littoral Atlantique et de la Manche (il n’y a pas de potentiel en Méditerranée).

De même, l’objectif de 18 GW en 2035, alors qu’au maximum 3,6 GW seront mis en service en 2030, semble largement surévalué (un appel d’offres de 10 GW est prévu en 2025).

 

L’éolien flottant

La France y est en pointe, mais la technologie est encore au stade expérimental. Elle n’a pas à ce stade prouvé son intérêt économique (le prix est le double de celui de l’éolien posé), d’autant que le coût du raccordement électrique est aussi plus élevé (au-delà de 25 euros/MWh).

Il paraît prudent de faire une évaluation sur la base d’un retour d’expérience des trois fermes pilote de 30 MW en cours de réalisation en Méditerranée, avant de lancer définitivement les trois projets de 250 MW en cours d’instruction (en Bretagne Sud et en Méditerranée).

Écrire dans le document que 18 GW d’éolien offshore est l’équivalent de la production de 13 réacteurs nucléaires relève de la désinformation pure et simple du citoyen, pour trois raisons :

  1. 18 GW d’éolien flottant peuvent produire 60 TWh par an d’électricité (selon le document 70 TWh avec un taux de charge de 44 %), alors que 18 GW de nucléaire (correspondant à 11 réacteurs EPR2 en puissance installée) ont une capacité de production annuelle de 120 TWh
  2. La production éolienne ne peut se substituer à la production nucléaire, car elle est intermittente et n’offre aucune puissance garantie lors des pointes de consommation par grand froid hivernal.
  3. En termes de coût, les six premiers parcs (3 GW) ont un coût du MWh supérieur à 160 euros/MWh (raccordement compris qui s’impute sur le TURPE), et l’éolien flottant sera au même niveau : le coût moyen de l’éolien maritime est donc deux fois plus élevé que le coût du MWh du nouveau nucléaire. Le coût supplémentaire de la production de 14 GW d’éolien maritime pendant 20 ans (47 TWh par an) peut être estimé à 75 milliards d’euros, ce qui permettrait de construire 11 EPR2, qui vont produire 120 TWh par an pendant 60 ans.

De plus, il ne faut pas sous-estimer l’agressivité du milieu marin (salinité, tempêtes), avec un risque élevé sur la maintenance, et surtout sur la capacité au terme de 20 ans de pérenniser les installations, comme cela est envisagé pour l’éolien terrestre, avec le repowering.

En conclusion, l’éolien maritime n’est pas un moyen durable et écologique de production d’électricité en France, et sa part devrait rester marginale à l’horizon 2050 (10 à 15 GW), sauf à couvrir l’horizon de nos côtes de mâts d’éoliennes hauts de plusieurs centaines de mètres, pour un bilan économique calamiteux…

 

L’éolien terrestre

Conserver le rythme actuel de développement pour aboutir à 40 GW en 2035 revient à revenir sur la perspective tracée par Emmanuel Macron lors de son discours de candidat à Belfort, où il s’engageait à diminuer le rythme pour la bonne insertion des champs sur les territoires, en repoussant ce point d’arrivée à 2050.

Il faut en particulier tenir compte du fait que 1 GW par an (soit une centaine de parcs) arrive désormais en fin de contrat d’achat (15 ans), et que chaque parc concerné doit faire l’objet, soit d’un démantèlement s’il est placé trop près des habitations ou d’un site remarquable, soit d’un repowering : la décision devrait être prise par les élus locaux qui, dans la loi « d’accélération des renouvelables » du printemps dernier, ont l’initiative pour déterminer, en concertation avec la population, les zones d’implantation possibles des productions ENR.

En ce qui concerne le repowering, vouloir démanteler et remplacer les infrastructures existantes (mâts, massifs de béton, raccordement au réseau de distribution d’électricité) par de nouvelles éoliennes plus hautes et plus puissantes n’est pas très écologique, ni même économique : une politique de développement durable consisterait plutôt à conserver l’infrastructure et remplacer les équipements arrivés en fin de vie (générateur, pales), avec un investissement marginal qui autoriserait un coût du MWh très compétitif, ne demandant aucune subvention.

Cette politique permettrait aux opérateurs rénovant des parcs éoliens de proposer des contrats d’achat d’électricité éolienne à long terme pour, par exemple, produire de l’hydrogène bas carbone, en synergie avec l’électricité du réseau quand il n’y a pas ou peu de vent (majoritairement nucléaire en dehors des heures de pointe). Une production locale adossée à un parc éolien est également possible : un électrolyseur de 6 MW alimenté en priorité par un parc éolien de 12 MW, et en complément par le réseau (en dehors des heures de pointe) permet de produire 850 tonnes d’hydrogène par an, 50 % en autoconsommant 93 % de l’électricité éolienne, et 50 % avec l’électricité du réseau.

 

Solaire photovoltaïque

Les objectifs de 54 à 60 GW dès 2030, et de 75 à 100 GW dès 2035 apparaissent peu réalistes, alors que 16 GW sont installés, et que le rythme de 3 GW par an (grands parcs au sol et toitures) n’a encore jamais été atteint : 35 GW en 2030 et 50 GW en 2035 apparaîtraient déjà comme des objectifs très ambitieux.

Pour atteindre ces objectifs, la loi d’accélération des énergies renouvelables fixe en priorité l’utilisation de terrains déjà artificialisés et de toitures, mais ouvre la porte au défrichement de zones boisées (jusqu’à 25 Ha) et au développement de l’utilisation de terres agricoles (agrivoltaïsme), qui risquent de détourner les agriculteurs de leur vocation première, la production agricole servant en priorité l’alimentation humaine et animale.

Enfin, une telle accélération repose quasiment intégralement sur l’importation de panneaux solaires, principalement de Chine, qui ont de plus un bilan CO2 dégradé (45 g CO2 eq/kWh produit) en raison de leur process de fabrication utilisant largement de l’électricité produite à base de charbon : le critère qualitatif des appels d’offres lancés par la CRE (Évaluation Carbone Simplifié) ne permet pas de dissuader l’utilisation de panneaux à bas coût très chargés en carbone, le seuil de référence de la note zéro ayant même été relevé (de 700 kg CO2 à 1150 kg CO2 par KWhc de puissance) depuis 2018 !

Et le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » que l’Union européenne met difficilement en place, et qui ne sera effectif sur un plan financier qu’à partir de 2026, ne concerne pas la production des panneaux solaires, ni d’ailleurs celle des batteries…

 

Développement des réseaux

La stratégie de développement à marche forcée des ENR conduit ENEDIS à porter ses investissements au-delà de 5 milliards d’euros par an, et RTE à prévoir 100 milliards d’euros d’ici 2042, soit là aussi 5 milliards par an, contre moins de 2 milliards jusqu’à présent : ces sommes sont considérables (plus de 35 milliards d’euros pour le raccordement de l’éolien maritime par exemple), et auront un impact sur le TURPE, que l’on peut évaluer à un besoin d’EBITDA supplémentaire de 4 à 5 milliards par an, soit environ 12 euros/MWh sur la facture des clients.

Le TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité) est déjà passé de 55 euros/MWh en 2022 à 61,5 euros/MWh en septembre 2023 pour les particuliers et les TPE, en raison de l’augmentation des investissements sur les réseaux de distribution et de transport d’électricité, mais aussi de l’augmentation du coût d’achat des pertes, celui-ci étant affecté par une diminution du volume de l’ARENH disponible, qui oblige ENEDIS et RTE à acheter environ 16 % d’un volume de 36 TWh sur le marché, contre seulement 4 % auparavant.

 

ENR thermiques

En dehors de la chaleur fatale récupérée et de la chaleur extraite de l’environnement (pompes à chaleur et géothermie), la source principale d’énergie renouvelable thermique est issue de la biomasse et de la valorisation de déchets, sous différentes formes : biocarburants liquides, biogaz et bois-énergie.

La SFEC insiste à juste titre sur le fait que les ressources de biomasse disponibles pour la production énergétique sont limitées et en concurrence avec les usages alimentaires (production agricole) et en matériaux biosourcés : il est donc nécessaire de mener une réflexion pour prioriser les formes d’énergie à développer et les usages, en améliorant leur efficacité (foyers fermés pour le chauffage bois par exemple).

Le développement de la production de biométhane par méthanisation est utile pour la décarbonation partielle du gaz distribué en réseau et la décarbonation des transports routiers lourds et maritimes (bio-GNV). Cependant, atteindre 50 TWh dès 2030 (11 TWh actuellement) est un objectif très ambitieux, alors que le potentiel de méthanisation mobilisable est de l’ordre de 100 TWh, à condition de développer les cultures intermédiaires (CIVE) et d’intégrer 15 % de cultures dédiées (maïs ensilage).

Comme le souligne le document, le coût du biométhane (80 à 110 euros/MWh) reste deux à trois fois supérieur au prix du gaz naturel importé (30 à 60 euros/MWh). Un volume de 50 TWh avec un niveau de subvention de 50 euros/MWh représente une charge annuelle de 2,5 milliards d’euros, à mettre en regard des émissions de CO2 évitées, et des bénéfices pour la balance commerciale, la valeur ajoutée domestique (emplois) et la diminution de l’utilisation d’engrais de synthèse grâce au digestat résidu de la méthanisation.

En ce qui concerne les biocarburants liquides, la SFEC prévoit à juste titre de passer à terme d’une utilisation en mélange dans les carburants routiers à une utilisation pour décarboner le transport aérien, ainsi que les secteurs de l’agriculture, du bâtiment-TP et de la pêche : à titre d’exemple, le volume de gazole non routier utilisé par les agriculteurs et les pêcheurs est de 35 TWh, qui pourraient être utilement remplacés par du biogazole B100 pour leur permettre de décarboner leur activité en conservant leur outil de travail (la production nationale de biocarburants attendue en 2030 est de 50 TWh, très majoritairement du biogazole).

 

Nucléaire : une relance insuffisante à l’horizon 2050

Pour disposer de 850 TWh de productible en 2050 (pertes comprises), volume nécessaire de production pour décarboner l’économie, et d’une capacité pilotable suffisante pour gérer les pointes de consommation hivernale lors des grands froids (qui pourront atteindre jusqu’à 110 GW avec l’électrification du chauffage des bâtiments, en tenant compte d’un effacement des électrolyseurs, de la production d’eau chaude et de la recharge des véhicules électriques), il y a besoin de 75 à 80 GW de puissance nucléaire installée, et les SMR n’en constitueront qu’une part très minoritaire (4 GW dans le scénario N03, le plus nucléarisé de RTE dans son étude « futurs énergétiques 2050 » publiée fin 2021).

Sur la base d’une prolongation de la durée de vie à 60 ans de l’ensemble des réacteurs encore en fonctionnement du parc historique (après fermeture anticipée de Fessenheim en 2020), et de la mise en service de l’EPR de Flamanville, un « effet falaise » se produira dès 2040, et la capacité nucléaire résiduelle sera au maximum de 16 GW en 2050, et de 1,6 GW en 2060 (EPR Flamanville) :

S’il est possible d’envisager une prolongation au-delà de 60 ans de la durée de vie pour certains réacteurs dans des conditions de sûreté acceptables (cela dépend de l’état de la cuve du réacteur, seul élément non remplaçable), il se peut aussi que certains réacteurs ne reçoivent pas l’autorisation d’exploitation jusqu’à 60 ans, et soient arrêtés lors de la visite décennale des 50 ans, voire des 40 ans : il est donc prudent de baser la stratégie sur cette hypothèse centrale d’une durée de vie de 60 ans, une adaptation restant bien entendu possible dans le temps en fonction du résultat des visites décennales.

La conclusion s’impose, si l’on veut maintenir l’échéance de 2050 pour le « Net Zéro Carbone » en France en 2050, et garantir une sécurité d’approvisionnement en électricité : au-delà des tranches de six et huit EPR2 décidées ou envisagées, c’est un rythme d’engagement et de construction de deux EPR2 par an qui s’avère nécessaire dans la durée jusqu’en 2050, afin de disposer en 2060 de 40 à 45 EPR en plus de l’EPR de Flamanville, quand l’ensemble du parc actuel aura dépassé l’âge de 60 ans.

À partir de 2035, en fonction des perspectives de prolongation avérées de la durée de vie des réacteurs existants, et de l’état du développement d’une filière de réacteurs nucléaires à neutrons rapides, la stratégie pourra être adaptée.

Si un tel rythme d’engagement et de réalisation ne se révèle pas soutenable, et que la construction de 14 EPR2 d’ici 2050 est confirmée comme étant un maximum, alors la capacité de production nucléaire sera revenue de 63 GW à moins de 45 GW (productible de 280 TWh), avec un mix électrique ne comportant plus que 36 % de nucléaire, et d’une capacité de production totale insuffisante (environ 780 TWh) pour assurer la décarbonation de l’économie et sa réindustrialisation, malgré des objectifs démesurément élevés en éolien offshore et solaire photovoltaïque.

La capacité pilotable ne dépassera pas 72 GW, en pérennisant les 9 GW de cycles combinés à gaz et turbines à combustion existantes (TAC), ainsi que les centrales bioénergies existantes et les centrales à charbon de Cordemais et Saint-Avold converties à la biomasse, comme le montre le tableau ci-dessous :

Une telle situation ne serait pas gérable, et nécessiterait a minima la construction de 20 à 25 GW de capacité en cycles combinés à gaz pour ne pas rendre la France plus dépendante qu’actuellement de ses voisins pour la sécurité d’alimentation en électricité lors des pointes hivernales.

 

Innovations de rupture nucléaire

Le plan France 2030 intègre le soutien au développement de petits réacteurs modulaires (SMR), soit avec une technologie classique à eau pressurisée (projet NUWARD d’EDF, puissance 2 x 170 MW), soit avec de nouvelles technologies, par exemple le projet de réacteur de 40 MW à neutrons rapides et sels fondus développé par la société NAAREA, qui permet la fermeture du cycle du combustible en brûlant des combustibles nucléaires usagés, et ne nécessite pas de source froide autre que l’air ambiant pour s’implanter (cycle CO2 supercritique).

Parmi les huit lauréats de l’appel à projet France 2030, il y a un projet de fusion nucléaire porté par la startup Renaissance fusion.

Signalons que de nombreux projets de développement de réacteurs à fusion portés par des startup existent aux USA, dont un projet porté par la société Helion avec une technologie originale : accélération et compression d’un plasma dans un tunnel linéaire, et production d’électricité directement par induction, sans recourir à un cycle vapeur. Helion construit un prototype Polaris d’une puissance de 50 MWe (MW électrique), avec une perspective de production d’électricité dès fin 2024 ou 2025, a signé un contrat de vente d’électricité avec Microsoft pour 2028, et développe un projet de réacteur de 500 MWe avec Nucor, un sidérurgiste. La concrétisation de la fusion nucléaire pourrait être bien plus rapide qu’anticipé actuellement avec le projet ITER…

Il est par contre extrêmement regrettable que la SFEC ne prévoie pas de reprendre un projet de réacteur à neutrons rapides de taille industrielle pour une production centralisée, qui pourrait prendre la relève des EPR à partir de 2040, et entérine de fait l’abandon définitif du projet Astrid et de toute l’expérience accumulée avec les réacteurs Phénix (qui a produit 26 TWh entre 1973 et 2009 avec une puissance de 250 MW), et Superphénix à Creys-Malville arrêté en 1997.

Cette lacune met en danger notre approvisionnement et notre gestion à long terme du cycle du combustible, sauf à recourir à terme à des technologies étrangères (la Chine vient de démarrer un réacteur de quatrième génération), alors que la France avait une (bonne) longueur d’avance dans cette technologie.

Les consommateurs victimes des lois censées les protéger

Un article de Philbert Carbon.

La Fondation Valéry Giscard d’Estaing – dont le « but est de faire connaître la période de l’histoire politique, économique et sociale de la France et de l’Europe durant laquelle Valéry Giscard d’Estaing a joué un rôle déterminant et plus particulièrement la période de son septennat » – a organisé le 6 décembre 2023 un colloque intitulé : « 45 ans après les lois Scrivener, quelle protection du consommateur à l’heure des plateformes et de la data ? ».

 

Protection ou infantilisation du consommateur ?

Christiane Scrivener, secrétaire d’État à la Consommation de janvier 1976 à mars 1978, fut à l’origine des deux lois qui portent son nom.

La loi du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, dite loi Scrivener I, impose aux établissements de crédit d’apporter un minimum d’information et de protection à l’emprunteur.

Parmi les dispositions de la loi figuraient :

  • l’obligation de formaliser l’offre de crédit par un contrat ;
  • la liste des mentions obligatoires des offres (montant du crédit, TAEG, durée, montant à rembourser, montant des frais, etc.) ;
  • la remise d’un échéancier prévisionnel reprenant la part d’assurance, de capital remboursé et de capital restant dû chaque mois ;
  • un délai de rétractation de 7 jours ouvrés après la signature.

 

La loi Scrivener II du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, avait comme objectif principal de lutter contre le surendettement. Elle venait compléter la loi Scrivener I dans le domaine des prêts immobiliers, imposant, notamment :

  • l’édition d’un tableau d’amortissement détaillé ;
  • l’indication du montant des frais de dossier ;
  • un délai de réflexion de 30 jours francs avec un délai minimum de 10 jours à compter de la réception de l’offre.

 

D’autres lois viendront par la suite compléter ce dispositif légal. Le site de l’Institut national de la consommation (INC) recense pas moins de 75 lois intéressant le consommateur entre 1982 et 2020, comme les lois Quillot (1982), Neiertz (1982), SRU (2000), Chatel (2005 et 2008), Lagarde (2010) ou bien Hamon (2014).

La dernière en date étant celle du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale, et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Nous pouvons comprendre que la loi érige quelques règles de bonne conduite entre les entreprises et leurs clients, et donne un cadre aussi bien aux unes qu’aux autres. Mais vouloir entrer dans les moindres détails et multiplier les textes réglementaires revient à considérer le consommateur – à l’instar du salarié – comme un individu faible et irresponsable qui a besoin d’être protégé de lui-même.

Reprenons l’exemple de la loi Scrivener II qui introduit un délai de réflexion de 30 jours francs lorsque l’on contracte un prêt immobilier. Elle fixe aussi un délai minimum de 10 jours dont personne ne peut s’affranchir. C’est-à-dire que l’emprunteur peut signifier à sa banque qu’il accepte le prêt à compter du onzième jour de la réception de l’offre de crédit (et donc ne pas attendre les 30 jours), mais il ne peut le faire dès le deuxième jour. N’est-ce pas le considérer comme un enfant mineur qui ne sait pas ce qu’il fait ?

De même, alors que la loi Scrivener I prévoyait un délai de rétractation de 7 jours après la signature d’un crédit à la consommation, la loi Lagarde de 2010 l’a porté à 14 jours. Le délai de rétraction est aussi de 14 jours en cas de vente à distance (internet, téléphone, voie postale ou fax), par exemple. N’est-ce pas prendre le consommateur pour quelqu’un qui ne réfléchit pas suffisamment avant de prendre une décision ?

 

Des protections qui se retournent contre le consommateur

Dans le domaine du logement, l’IREF a démontré à maintes reprises comment les dispositions censées protéger les locataires se retournaient contre eux.

Ainsi les lois prises entre 1914 et 1923 aboutirent-elles à bloquer les loyers et à décourager la construction de logements. La fameuse loi de 1948 statufia le parc locatif, les locataires ne bougeant plus de chez eux afin de conserver leur loyer bloqué. Les récentes lois figeant ou encadrant les loyers ont pour conséquence de réduire le nombre de bailleurs qui préfèrent se tourner vers la location de courte durée de type Airbnb. L’interdiction des expulsions locatives entre le 1er novembre et le 31 mars a aussi pour résultat de décourager les propriétaires de louer leurs biens.

Autre exemple avec la loi Lemoine de février 2022 « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » qui a, notamment, supprimé le questionnaire médical pour une large partie des emprunteurs, en l’occurrence ceux dont le prêt assuré est inférieur ou égal à 200 000 euros et qui le remboursent avant l’âge de 60 ans. L’objectif de cette mesure était d’éliminer les discriminations dont étaient victimes, au moment de souscrire une assurance-emprunteur, les personnes présentant des risques de santé. Ces « discriminations » consistaient à appliquer des surprimes ou des exclusions de garanties. Depuis le 1er juin 2022 (entrée en vigueur de la loi), les assureurs ne peuvent donc plus interroger leurs clients qui répondent aux deux critères mentionnés plus haut. Cela concerne plus de 50 % des emprunteurs.

Les effets pervers de cette loi sont évidents et se sont déjà fait sentir, nul besoin d’attendre le rapport que le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) doit produire au plus tard d’ici février 2024.

En effet, faute de pouvoir évaluer correctement le risque, certains assureurs préfèrent ne pas traiter avec les personnes couvertes par la loi Lemoine et, par conséquent, ne produisent même pas de devis. D’autres ont choisi d’augmenter leurs tarifs – de 15 % à 30 % – pour tout le monde. Enfin, une dernière catégorie a changé les conditions générales des contrats qui comportent désormais des exclusions « tendant à amoindrir ou annuler la prise en charge des pathologies antérieures à l’adhésion quand les personnes ne répondent pas à un questionnaire médical ».

En résumé, l’emprunteur – qui n’a pas vraiment lu des conditions générales car il se sait bien protégé par la loi Lemoine – se croit couvert pour certains risques alors qu’il ne l’est pas.

 

La protection par la concurrence

Finalement, la loi Lemoine aboutit à restreindre le choix des consommateurs (ils ont moins d’offres), à augmenter le coût des assurances et à réduire la protection des clients.

En réalité, nombre de lois de protection des consommateurs reviennent à ériger des barrières à l’entrée du marché, c’est-à-dire à empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs. Au contraire, quand la concurrence fonctionne à plein, les entreprises recherchent les meilleurs moyens de servir les clients. Offrir plus de choix aux consommateurs est une bonne manière de les protéger.

Qui est le mieux protégé aujourd’hui ? Le voyageur français du XXe siècle qui pour se déplacer n’avait le choix, en simplifiant, qu’entre les monopoles d’Air France, de la SNCF et des taxis ? Ou celui du XXIe siècle qui peut se tourner vers les compagnies aériennes low cost comme Ryanair ou easyJet, la compagnie ferroviaire italienne Trenitalia, les VTC, les cars Macron ou le covoiturage ? La libéralisation du marché du transport – qui est loin d’être terminée – a mieux servi les consommateurs que la plupart des lois prétendument protectrices.

Renforcer la concurrence devrait être le cheval de bataille de tous ceux qui prétendent vouloir protéger les clients, au premier rang desquels les associations de consommateurs. Au lieu de cela, elles réclament toujours plus de contraintes pour les entreprises, pénalisant ceux qu’elles sont censées défendre.

Sur le web.

Viticulture, le temps des vaches maigres

Avec 45,6 millions d’hectolitres de vin produits en 2022, juste derrière l’Italie (49,8) et devant l’Espagne (35,7), la viticulture française représente un secteur économique majeur pour notre pays.

Le marché des vins et spiritueux regroupe plus de 700 000 emplois, soit 2,3 % de la population active en 2022. Il se traduit par un chiffre d’affaires de 22,82 milliards d’euros pour cette même année. Avec 17,2 milliards d’euros issus de l’exportation, le secteur est un acteur majeur dans notre économie, sachant que la balance commerciale globale française accuse pour cette année 2022 un déficit record et abyssal de 164 milliards d’euros.

 

Un avenir inquiétant

Dans un univers mondial où l’offre et la demande font et défont les marchés, il est intéressant de regarder l’état des équilibres.

Sur ces deux graphiques superposés dans les valeurs et dans le temps, il apparaît clairement que la production est en moyenne excédentaire de 14 % sur la consommation.

La variabilité annuelle des productions s’explique par les conditions climatiques et les variations extrêmes résultent des aléas de la météo (gelées printanières, grêle, excès de sécheresse, attaques de mildiou, oïdium ou insectes ravageurs). Il semble qu’avec des excès météo cumulés, l’année 2023 atteigne des records de baisse de rendements. Les vignerons du sud-ouest ont subi d’énormes pertesà cause de la grêle et le mildiou. Les parcelles conduites en Bio ont été les plus sensibles, les fongicides systémiques leur étant interdits. Les vignerons ont été pris en ciseaux entre la nécessité de traiter plus souvent pour pallier le lessivage du cuivre par la pluie, et la dose de ce dernier limitée par la réglementation.

Le 8 novembre dernier, les 122 députés présents ont voté à l’unanimité un amendement qui permet la mise en œuvre d’un fonds d’urgence sous minimis de 20 millions d’euros pour accompagner les viticulteurs victimes des dégâts du mildiou. Cette aide est plafonnée à 20 000 euros sur trois années glissantes.

 

Les vignerons bordelais en crise

Durement touché par une baisse de 32 % de consommation du vin rouge, (93 % des consommateurs préfèrent le vin blanc), le vignoble bordelais, composé à 85 % de cépages rouges, a subi de plein fouet cette récession.

En accord avec l’interprofession, une cellule de crise à la préfecture de la Gironde a permis de décider le 17 avril 2023 un arrachage de crise qui concernera un tiers des vignerons. Ce projet sera financé à hauteur de 38 millions d’euros par l’État, 10 millions par la région, et 9 millions par l’interprofession qui s’appuiera sur un prêt remboursable en 20 ans.

Le vignoble de Bordeaux comprend 117 500 hectares de vignes répartis en 37 AOC. Ce plan 2023 concernera l’arrachage d’environ 9500 hectares de vignes en capacité de produire à hauteur de 6000 euros par hectare. En effet, la crise qui dure depuis plusieurs années a conduit certains vignerons à laisser des parcelles à l’abandon pour limiter les frais et tenter de retarder la faillite. Si les besoins dépassent le budget alloué, les quelques 333 viticulteurs s’étant déclarés décidés à arrêter, représentant 6400 hectares, seront servis en priorité. Un plan d’assainissement du vignoble qu’a déjà connu l’appellation Cognac il y a quelques années.

L’abandon d’entretien de leurs vignes par certains a d’ailleurs aggravé la situation des vignerons voisins, car non préservées des maladies et des insectes ravageurs (mildiou, cicadelles de la flavescence dorée), ces parcelles ont été des ilots de contamination et de propagation. 2023 a vu la récolte de certaines parcelles totalement anéantie par le mildiou.

 

Changement des habitudes des consommateurs

Le cliché du Français avec son béret, sa baguette de pain et sa bouteille de rouge a vécu. Les goûts des consommateurs évoluent au gré de la publicité, des messages gouvernementaux et des influences des réseaux sociaux.

Ce graphique démontre clairement que si la consommation de spiritueux a peu varié depuis 62 ans, la consommation de vin a chuté de 71,5 %. Mais celle de la bière a tendance à augmenter depuis 2016. Les Français consomment moins et privilégient les signes de qualité (AOC, HVE, Bio) dont le prix limite la quantité dans les budgets.

Cette tendance n’est pas sans incidence pour les vignerons. En effet, les contraintes liées aux labels, notamment en Bio, augmentent les coûts de production, limitent les rendements (phytos et fertilisants limités ou bannis) et entraînent des frais de certification quelquefois conséquents et toujours répétitifs.

 

La concurrence étrangère

Tous les producteurs étrangers soutiennent des actions de promotion dynamiques, tant au niveau de la qualité que du marketing. Un accord commercial exonère des droits de douane l’importation en Chine de vins australiens, alors que les vins français sont taxés à 14 %. Il en résulte une augmentation de 60 % de l’importation des vins australiens en Chine.

Les producteurs étrangers bénéficient de conditions de production plus favorables. Les réglementations environnementales sont généralement moins contraignantes, les salaires et les charges sociales moins élevés, la lutte antialcoolique moins prégnante.

Les facteurs de compétitivité des prix sont détaillés dans une étude de France-Agrimer (p18-22). Il en ressort pour les principaux : coût de la main-d’œuvre plus élevé, des pratiques culturales, exigences environnementales excessives, taxation foncière et successorale ruineuse.

La nouvelle réglementation des ZNT (Zones Non Traitées) est un lourd handicap pour l’agriculture française, et encore plus pour la viticulture. Les vignes voisines d’habitations (dont certaines ont été construites sans distance de retrait) ne peuvent être protégées des maladies et des prédateurs sur des distances de 10 à 20 mètres selon les produits phytos utilisés. Les surfaces concernées doivent être arrachées pour ne pas devenir des noyaux de contamination et de propagation.

 

Une éclaircie passagère

Le remède de cheval du Bordelais a déjà été appliqué dans le vignoble du cognac.

En 1997, un plan d’adaptation viticole d’arrachage, de surgreffage ou de diversification pour épurer 15% de la superficie du vignoble et les écarter de la surproduction de cognac avait été mis en place par l’interprofession. L’arrachage définitif, sans droit de replantation avait été financé par des primes de l’État et de Bruxelles.

L’équilibre n’a été retrouvé qu’une dizaine d’années plus tard. Puis, la conjoncture économique étant devenue favorable, le négoce de l’interprofession a fait pression sur la famille viticole d’abord pour augmenter le quota de production qui a atteint 14,73 hectolitres d’alcool pur par hectare en 2022, pour une production réelle de 12,86 Hl/AP/Ha.

Mais les arbres ne montent pas au ciel. L’euphorie d’une dizaine d’années de croissance des ventes est en train de produire les effets habituels :

 

Comme on le voit ci-dessus, lorsque la production est trop excédentaire par rapport aux ventes, les cours s’effondrent.

Sur le second marché de la place de Cognac (transactions hors contrats avec les grandes maisons) on voit déjà les cours s’effondrer de moitié. Certains viticulteurs en contrat avec les grandes maisons se voient en 2023 refuser des échantillons. Le « mauvais goût de surproduction » est mortifère. Et ce n’est qu’un début…

Malgré l’écart délétère du graphique, l’interprofession s’est accordée depuis 2018 16 836 hectares de plantations nouvelles, soit une augmentation de plus de 20 % de son potentiel de production. Ces plantations ne sont pas encore toutes en production. Le delta production/ventes s’aggravera d’autant, et la viticulture charentaise risque de plonger dans les affres de sa voisine bordelaise. Les hommes ont la mémoire courte, et les anciens ne sont pas écoutés. La production des 30 000 hectares de plantations en appellation cognac des années 1970 a mis vingt années à être écoulée, malgré les arrachages massifs qui avaient suivi.

Si faire et défaire c’est toujours travailler, bien gérer c’est prévoir et anticiper.

 

 

Taxer la viande pour lutter contre le réchauffement : une si mauvaise idée…

Par : Jason Reed

Un article de l’IREF.

Les écologistes voudraient que nous arrêtions de manger de la viande. En raison de l’inquiétude croissante suscitée par le changement climatique et de la volonté d’arriver à un bilan « zéro carbone » en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, nombreux à gauche sont les partisans de ce diktat.

Récemment, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, a été « attaqué » par Sandrine Rousseau, élue du parti écologiste, qui lui reprochait de manger du steak. « Non Fabien, tu ne gagneras pas avec un steak », a déclaré Mme Rousseau, qualifiant la viande rouge de « symbole de virilité ».

La pression sur les consommateurs de viande s’intensifie. Des politiques visant à restreindre l’achat et la vente de viande pourraient bientôt voir le jour. Déjà, en 2021, Barbara Pompili avait exprimé le souhait que les cantines scolaires et la restauration publique suppriment la viande des menus, et ne proposent que des repas végétariens au moins un jour par semaine.

 

L’irrésistible attrait de la taxe

Malheureusement, ce n’est qu’une question de temps avant que l’idée ne fasse son chemin, et que s’impose la taxation sur les produits carnés, au même titre que d’autres produits de consommation comme les cigarettes et l’alcool. Les échéances fixées pour parvenir à des émissions nettes nulles se rapprochent de plus en plus. C’est dans l’air du temps. Beaucoup de pays, même le gros producteur qu’est la Nouvelle-Zélande, semblent déjà prêts à introduire une taxe sur la viande. La France pourrait s’y rallier.

Il est vrai que l’élevage d’animaux, en particulier de vaches, est à l’origine de niveaux élevés d’émissions de gaz à effet de serre, notamment de méthane. Cependant, cela n’implique pas que l’État doive imposer une taxe sur les produits carnés. Il y a déjà bien assez de taxes, et elles ont bien assez augmenté ces dernières décennies, le gouvernement ne manquant pas d’imagination pour prélever de l’argent dans les poches de ses citoyens. Il serait bon que les responsables politiques finissent par faire preuve d’un peu de retenue. D’autant plus que tout porte à croire que cette nouvelle taxe sur la viande ne permettra pas d’atteindre son objectif.

 

Les taxes punitives ne fonctionnent pas

Il existe de nombreuses preuves que les « taxes sur le péché » destinées à modifier le comportement des consommateurs ne fonctionnent pas.

Par exemple, en 2018 au Royaume-Uni a été introduit une taxe sur le sucre pour les boissons gazeuses, afin de lutter contre l’obésité. Les consommateurs n’ont pas accepté l’augmentation de prix : ils ont tout simplement modifié leur comportement d’achat afin d’y échapper. Certains se sont rabattus sur des boissons moins chères, comme les produits de première marque des supermarchés. D’autres ont préféré des jus de fruits, plus riches en calories et en sucre. Un troisième groupe a tout simplement payé plus cher, mais n’a pas sacrifié ses préférences.

Il arrive fréquemment que les taxes punitives ratent leur objectif principal, mais provoquent des effets secondaires qui n’avaient pas été prévus. Il n’y a aucune raison de penser qu’une taxe sur la viande serait différente.

 

Le soja comme remède… pire que le mal

Elle pourrait même se retourner contre nous et, au lieu de sauver la planète, lui faire encore plus de tort que ce qu’elle est censée contrecarrer.

Si l’État impose l’abstinence, nombre de consommateurs pourraient remplacer la viande par des produits protéinés d’origine végétale. Or, la plupart des substituts de ce type disponibles à l’heure actuelle, comme le tofu et le tempeh, sont tous fabriqués à partir de soja, qui est sans doute bien plus nocif pour la planète que la viande. La culture du soja implique de défricher de très grandes superficies de terre, ce qui entraîne une accélération de la déforestation. Elle provoque aussi l’érosion des sols, ce qui rend ensuite plus difficile l’implantation d’autres cultures. En outre, les émissions de gaz à effet de serre liées à la production de soja sont très élevées. Tous ces problèmes pour l’environnement n’existent pas dans l’élevage.

Taxer la viande pour lutter contre le changement climatique est donc une mauvaise idée.

Selon toute vraisemblance, cela ne changera pas grand-chose dans le comportement des consommateurs. Seul résultat certain : s’alimenter deviendra plus onéreux, à un moment où l’inflation est élevée, et ce sont les plus pauvres qui en pâtiront. Plus important peut-être même, une taxe sur la viande violerait encore un peu plus les droits fondamentaux des citoyens. Imagine-t-on pouvoir un jour, dans nos pays occidentaux censés protéger les libertés, être « puni » parce qu’on a mangé un steak frites ?

Sur le web.

Prix de l’énergie en hausse, rénovation qui stagne : comment expliquer ce paradoxe ?

Un article de Dorothée Charlier, Maîtresse de conférences en économie de l’énergie et de l’environnement, IAE Savoie Mont Blanc

Avec une hausse des prix de l’électricité de 26 % et du gaz de 50,6 % entre janvier 2018 et décembre 2022 en France, nous aurions pu nous attendre à une progression significative de la rénovation dans le résidentiel.

En France, ce dernier compte pourtant encore 36 % de chaudières au gaz et 26 % au fioul. Seuls 5 % des résidences principales sont classées en étiquette A ou B en 2022, et le nombre de logements mal isolés demeure considérable (39 % des logements en étiquettes E, F et G).

Répartition des logements par étiquette énergétique entre 2018 et 2022. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

 

Au cours de l’hiver 2021-2022, « 22 % des Français ont déclaré avoir souffert du froid pendant au moins 24 h et 11,9 % des Français les plus modestes ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement en 2021 ».

Le secteur résidentiel reste ainsi un gisement important d’économie d’énergie, en particulier en matière de rénovations en efficacité énergétique. Et pourtant, les ménages semblent faire abstraction d’opportunités d’investissement apparemment rentables : c’est ce que l’on appelle « le paradoxe énergétique ».

Comment l’expliquer, alors qu’à première vue,  le prix de l’énergie devrait au contraire donner un coup de pouce à la rénovation ?

 

Prix de l’énergie, un incitateur ?

En réalité, la demande d’énergie est peu sensible au prix à court terme : pour une hausse de 100 % des prix de l’énergie en moyenne, les ménages les plus pauvres réduisent leur consommation de chauffage entre 6 % et 11 % en fonction de leur revenu.

Évolution des prix ménages pour l’électricité et le gaz entre 2018 et 2022. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, données et études statistiques, élaboration de l’auteure

 

Il est en effet plus facile de réduire sa consommation tant qu’une marge de manœuvre est possible et qu’il existe des solutions substituables sur le marché : pour le chauffage, par exemple, l’électricité peut se substituer au gaz dans de nombreux cas. A contrario, il n’existe pas de substitut à l’électricité pour l’éclairage ou les appareils électroménagers.

En revanche, la réaction s’observera avec plus de force à long terme : la chute de la demande est alors bien plus importante que l’augmentation du prix. C’est le concept d’élasticité-prix de la demande : à la suite d’un choc sur les prix, les ménages n’ont pas le temps, ni d’ajuster instantanément leur comportement ni de changer leurs équipements. En revanche, ces chocs de prix influenceront leur processus de décision et de consommation à long terme. Ainsi, quand bien même on n’observe pas d’effet à court terme de la hausse des prix de l’énergie, les effets pourraient se faire sentir dans un horizon plus lointain.

 

Un paradoxe analysé par les économistes

Si elle est cruciale, la question du prix de l’énergie n’est pas le seul argument à peser dans la décision des ménages de changer ou non leurs équipements.

Rappelons également que pour bénéficier de la plupart des aides de l’État, les ménages doivent faire appel à un professionnel du bâtiment agréé. Dans certaines régions, la tension sur l’offre est importante et il est parfois difficile de trouver un professionnel compétent rapidement disponible…

Pour tenter d’expliquer néanmoins ce paradoxe de la diffusion très progressive d’équipements énergétiques apparemment rentables, de nombreux économistes ont analysé la nature et l’occurrence des barrières à l’investissement. Ces dernières sont nombreuses.

 

De multiples freins à l’adoption

Parmi elles, le statut d’occupation joue un rôle : rappelons qu’en France le pourcentage de locataires s’établit à 35,3 % en 2021. Citons également les difficultés d’accès au crédit, ou bien l’hétérogénéité de revenus, de préférence et de sensibilité environnementale qui existent entre les individus.

Les dépenses d’investissement dans des nouvelles technologies sont en outre affectées par la combinaison entre différentes sortes d’incertitudes (incertitude sur les gains énergétiques, sur les prix de l’énergie, sur les politiques publiques ou encore sur les prix des futurs produits et des coûts d’installation), et de leur irréversibilité (car les coûts sont irrécouvrables). Ce qui pousse les ménages à retarder autant que possible les investissements, en attendant d’obtenir de nouvelles informations.

D’autres freins à l’adoption interviennent, tels que les coûts associés à la recherche d’information sur les technologies ou encore ceux engendrés par la gêne occasionnée durant les travaux. Tous ces éléments, non pris en compte dans la plupart des analyses coûts-bénéfices, rendent des investissements profitables à première vue, moins rentables que ce qu’ils semblent être en réalité.

Sur le web.

Compteurs Linky : la sobriété imposée à l’horizon ?

Actuellement, 90 % des usagers du réseau de distribution sont équipés d’un compteur Linky. Les réfractaires seront sans doute pénalisés financièrement. Ils sont en outre régulièrement accusés de complotisme. Il est vrai que ce compteur a été acccusé de provoquer des problèmes de santé liés au rayonnement, et qui sont de pures bêtises.

Mais la raison essentielle pour refuser Linky est ailleurs, et on commence à la voir plus nettement.

 

Un projet de décret qui en dit long

Le journal La Tribune a transmis des informations relatives à un projet de décret qui devait être examiné le 26 septembre par le Conseil supérieur de l’énergie (point 7). Devant certaines interrogations, l’examen est reporté, un texte modifié sera présenté, qui modifie des points d’organisation, mais pas sa finalité.

La présentation du décret : (référence ENER2324392D) fait l’objet d’un rapport dont voici quelques extraits :

« Le projet de décret définit les modalités d’une expérimentation relative à la limitation du soutirage des clients résidentiels raccordés en basse tension. L’objectif de cette expérimentation est de déterminer s’il est possible techniquement de mettre en œuvre une nouvelle mesure hors marché en cas de déséquilibre anticipé entre l’offre et la demande d’électricité. Une telle mesure permettrait ainsi de réduire ou d’éviter le recours au délestage qui reste la mesure ultime pour assurer l’équilibrage du réseau électrique.

Cette réduction est techniquement possible avec les compteurs communicants Linky. Ces derniers permettent, grâce à des ordres envoyés en avance, d’abaisser temporairement le seuil de puissance maximale pouvant être soutirée par le client. Par rapport au délestage programmé, cette réduction permettrait en outre d’élargir l’assiette des usagers résidentiels concernés dans la mesure où, s’agissant d’une intervention au niveau du compteur, l’ensemble des usagers résidentiels peuvent être ciblés. Elle présente également l’avantage de ne pas interrompre l’alimentation d’un client, le seuil de puissance minimal permettant de faire fonctionner les équipements courants peu énergivores. »

Tout est dit !

Le décret porte seulement sur une expérimentation limitée.

En effet, de nombreux points techniques sont encore à éclaircir. Sur un plan commercial et juridique, les choses sont loin d’être limpides également. Mais l’intention est là, et les fonctionnalités de Linky ont été dès le départ prévues pour cela.

 

Un rouage essentiel de la « transition »

Il peut (moyennant parfois quelques modifications de logiciels centraux) renvoyer des informations précises et quasi continues sur la consommation des entités raccordées.

L’analyse de ces données par des algorithmes adaptés permet de tirer une foule d’enseignements sur les habitudes, comportements, et même appareils utilisés (via leur signature d’appels de puissance) chez le consommateur. On peut, si besoin, transformer Linky en un véritable espion du foyer. Évidemment, on en est loin actuellement, mais qui peut prédire les évolutions sociétales, alors qu’on parle déjà de censurer le climatoscepticisme dans l’espace médiatique ?

D’ailleurs, ce danger n’est pas propre à Linky, il peut provenir de tout objet connecté.

Il contient un contacteur télécommandable en centralisé, probablement peu connu du public. Et c’est cette fonctionnalité qui permettrait l’application du décret. On abaisserait temporairement (pendant 4 heures) le réglage de coupure du contacteur, obligeant le consommateur à ne mettre en route que certains appareils.

Des discussions existent déjà sur les coupures pour impayés : elles seront beaucoup plus faciles et « anonymes », car télécommandées, et plus « morales » si on laisse un minimum vital de puissance, réglable aussi à distance, aux foyers concernés.

 

Éviter un black out 

À court et moyen terme, malgré des prises de position rassurantes, certains membres de l’administration et du gouvernement sont bien conscients des risques de black out à venir pour de nombreuses années encore.

Or, couper des zones entières n’est guère possible compte tenu de certaines applications à domicile à caractère vital (respirateurs, dialyse…). Linky permettrait une maille plus fine. Au lieu de s’interroger sur l’offre (pourquoi, malgré l’installation de 36 GW d’énergie renouvelable, on risque toujours de manquer de capacités ?) on préfère contraindre la demande.

À long terme, Linky pourrait participer à une « sobriété heureuse » pas tout à fait consentie.

Linky, un petit nom sympathique pour un mignon petit objet vert présent dans chaque foyer. Dormez bien, braves gens, son œil clignotant veille sur vous.

Le consumérisme est-il réellement une pathologie libérale ?

Ce matin, comme chaque jour, j’ai pris le train pour aller travailler. En marchant jusqu’à la gare, j’ai pu voir un graffiti sur un mur : « Travaille, emprunte, consomme, crève », était-il écrit.

Un tag anodin, d’autant que je ne saurais dire depuis combien de temps il était sur ce mur. Loin de toutes les questions de respect du droit de propriété d’autrui, la première réflexion qui m’est venue portait sur l’incroyable contrainte que l’auteur a voulu révéler quant au système capitaliste. « Consomme ».

Ce mot me hantait. Le libéral que je suis ne comprenait pas comment autant de violence pouvait surgir d’une idée qui, pour moi, était synonyme de liberté et de respect de la nature humaine. Loin de m’en laver les mains comme j’aurais pu le faire en évoquant un jeune adolescent déphasé, j’ai cherché comment le capitalisme a pu faire naître un tel contresens.

Toute la journée, j’ai repensé à mes cours d’économie, mes recherches personnelles, mes lectures de philosophie, mes cours de droit… « Consomme ». Ce mot était devenu mon fil d’Ariane. La société de consommation est un ordre social défini par les antilibéraux, et notamment le postmoderne Jean Baudrillard dans son ouvrage éponyme de 19701. Cette société serait fondée sur la stimulation permanente et abondante de l’acte d’achat de biens inutiles et éphémères.

Elle a pourtant émergé de concert avec l’application des politiques keynésiennes des Trente Glorieuses, comme l’État-providence et les politiques de relance.

Loin d’être le fruit du capitalisme libéral fustigé par la démagogie de l’extrême gauche, la société de consommation est en effet le produit naturel du keynésianisme.

 

Une société aux antipodes des idéaux libéraux

Lorsque vous nommez le capitalisme à un quidam interpellé dans la rue, il y a de fortes chances qu’il vous parle de la World Company, cette société parodique de l’émission Les Guignols de l’Info supposée représenter la globalisation. Très peu vous parleront d’un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production.

Ajoutez le terme « libéral » à celui de « capitalisme », et vous observerez les gens se raidir.

Les plus engagés feront rapidement le lien entre des notions très diverses telles que l’obsolescence programmée, et bien sûr la société de consommation, pour ne pas dire le consumérisme de masse. Pourtant, ses caractères convergent davantage vers le capitalisme de connivence que vers une société capitaliste pure.

Reprenons la définition du libéralisme économique du Larousse :

« Doctrine économique qui privilégie l’individu et sa liberté ainsi que le libre jeu des actions individuelles conduisant à l’intérêt général ».

Si nous sommes d’accord pour contester l’idée que le libéralisme est une doctrine, il comporte plusieurs caractères. Parmi eux, citons rapidement l’État de droit, ou Rule of Law, que Friedrich Hayek estime comme préalable à tout système capitaliste, et le droit de propriété considéré par Milton Friedman comme la base même de ce système.

Mais deux autres caractères présentent un intérêt certain pour notre démonstration : à savoir la liberté contractuelle et la liberté des prix. Cette dernière liberté, condition essentielle pour le Français Jacques Rueff, sert à la fois à la coordination et à l’information des acteurs du marché.

Le théoricien principal de la société de consommation, le postmoderne Jean Baudrillard, lui, donne pour principale caractéristique une incitation à consommer des biens moins chers et plus accessibles. L’idée même d’incitation est déjà contraire à l’idée de capitalisme libéral.

En effet, l’idée même de liberté contractuelle, intrinsèque au libéralisme, nie purement et simplement toute idée d’inciter à consommer. Les individus peuvent contracter ou ne pas contracter selon leurs intérêts et avec les modalités qu’ils définissent.

De même, la liberté des prix est totalement contraire à l’idée de coûts plus bas permettant de rendre les biens plus accessibles. Le mécanisme des prix ne dépend pas d’une volonté de faire consommer, mais des intérêts propres à chaque acteur.

Si la société de consommation devait être rapprochée d’un modèle capitaliste, il faut nous tourner vers le capitalisme de connivence.

Souvent confondu à dessein avec le capitalisme libéral, le capitalisme de connivence est un système économique fondé sur la collusion entre l’État et le patronat. Il se manifeste par des privilèges, du soutien mutuel entre les grandes entreprises et les hommes politiques, aboutissant à la loi du plus fort et à la corruption.

Jean Baudrillard, toujours dans son ouvrage de 1970, écrit que dans la société de consommation, l’État est en soutien de l’activité économique, et procède à des politiques de redistribution, afin de permettre à chacun d’avoir les moyens d’acheter des produits.

Ainsi, toute incitation à la consommation à grande échelle ne peut être que le fait d’une politique étatique ou d’un travail de longue haleine mené par un consortium de grandes entreprises avec le concours de la puissance publique.

L’idée reine est ici de déboucher sur de la croissance. Si cette dernière constitue la justification de beaucoup de libéraux quant à leurs convictions, la croissance n’est pas en elle-même l’objectif des libéraux. En témoigne la décroissance assumée par les survivalistes animés par les théories libertariennes.

On l’aura compris : le principal acteur de la société de consommation est l’État. En cela, il n’est pas étonnant de voir que la société de consommation a émergé de concert avec les politiques keynésiennes. Ces dernières ont enfanté le consumérisme que les antilibéraux fustigent tant.

 

Un produit du keynésianisme

Le problème intrinsèque de tout système économique fondé sur l’État repose dans l’autophagie. Celle-ci entraîne, à long terme, l’effondrement pur et simple du système économique.

De la même manière, la société de consommation a pour autre caractéristique un goût prononcé pour le matérialisme. L’occasion de remarquer que la société fonctionnant comme un individu, la propension à acheter abondamment est souvent signe de dépression.

Pourtant, certains confondent régulièrement libéralisme et matérialisme.

Avec l’idée de capitalisme de connivence, le concept de matérialisme est l’un des autres contresens qui a la vie dure. Rappelons, sans entrer dans des détails, que Ludwig Von Mises était très critique envers le matérialisme du fait du relativisme qui en découle2.

La société de consommation épouse totalement les théories keynésiennes, et ce sur deux points : la consommation y est vue comme une fin, et l’État y joue un rôle primordial.

De quoi la rapprocher des théories keynésiennes.

En effet, Jean Baudrillard estime que la société de consommation consiste en une profusion de biens. Cette abondance crée une dépendance matérielle vue comme la fin de toute activité économique. Cette divinisation des éléments matériels aboutit à légitimer la hiérarchie sociale.

Une incitation à la consommation qui n’est pas sans rappeler la dialectique marxiste qui dispose que ce sont les conditions matérielles d’existence des hommes qui déterminent leur conscience. L’homme est, ici, la somme de son patrimoine, et non sa valeur intrinsèque en tant qu’humain.

Dans la logique keynésienne des politiques de relance, le principal ennemi est l’épargne. Cet ennemi est ici combattu par des liquidités à faible taux. Cela dans l’espoir de déboucher sur un effet multiplicateur, avec toutes les conséquences néfastes que nous connaissons et qu’il serait inutile ici de décrire en détails, notamment s’agissant de l’inflation.

La logique des politiques de relance se rapproche donc fortement des politiques d’incitation à la consommation, par un État et des banques centrales arrosant régulièrement le marché de liquidités à bas coût.

De la même manière, comme nous l’avons vu plus tôt, la société de consommation suppose nécessairement un soutien de l’État à l’activité économique. Cela se fait par des mécanismes de redistribution. De quoi nous rappeler les caractères fondamentaux de l’État-providence.

L’État-providence, à distinguer de l’État régalien – appelé péjorativement État gendarme, et ce y compris dans l’enseignement supérieur, axant par là la dimension prétendument sécuritaire – désigne l’intervention de l’État dans le domaine social et, parfois, économique.

Les exemples les plus parlants sont ici les mécanismes de régulation et de redistribution. Souvenons-nous du plan Marshall ou du rapport Beveridge. Toute la logique d’économie planifiée et de contrôle des prix s’est alors trouvée bien plus légitimée qu’avant la guerre.

Jean Baudrillard ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque une hausse du pouvoir d’achat et le soutien à l’activité économique par les politiques publiques.

Dernier point : Jean Baudrillard évoque le problème de l’uniformisation de la culture induite par la société de consommation. L’information doit servir la consommation. De cette façon, la publicité est primordiale. L’apparence devient la norme sociale. L’apparence doit guider le réel. La logique est donc profondément constructiviste.

 

Une imposture constructiviste

Keynes écrivait :

« L’amour de l’argent comme objet de possession […] sera reconnu pour ce qu’il est : un état morbide plutôt répugnant, l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales »3.

Pourtant, sur le long terme, ses théories ont engendré l’inverse.

La consommation est devenue, ici, une fin, au mépris de toute nature humaine. Celle-ci ne saurait être garantie que par l’application de principes de liberté.

Produit de l’État-providence, la société de consommation, comme système fondé sur l’abondance et l’incitation à l’achat de biens toujours plus inutiles et de moins bonne qualité, suit toute la logique d’intervention de l’État dans l’économie, à savoir un échec inévitable sur le long terme.

Cet échec est d’autant plus patent dans un pays malthusien comme la France.

La société de consommation, comme l’idéologie fasciste, fait donc partie de ces grandes impostures du XXe siècle inventées par la gauche constructiviste pour masquer sa véritable responsabilité dans leur création.

 

Article paru initialement en janvier 2017.

  1. La société de consommation, 1970.
  2.  The Ultimate Foundation of Economic Science: An Essay on Method, 1.8, The Absurdity of Any Materialistic Philosophy, 1962.
  3. Essais sur la monnaie et l’économie : les cris de Cassandre, 1931.

Existe-t-il une mesure objective de l’inflation des prix ?

L’objectif déclaré de la politique monétaire dans la zone euro est un taux d’inflation de 2 % par an en moyenne sur le moyen terme.

La mesure utilisée est ce que l’on appelle l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui est calculé chaque mois selon des normes uniformes dans tous les pays de l’UE. Mais ces normes conduisent-elles vraiment à un taux d’inflation objectif ? En aucun cas. Il ne peut pas y avoir d’évaluation objective de l’inflation des prix.

Cela n’est pas seulement dû au fait que les gens sont différents, et qu’il faudrait calculer une mesure de l’inflation individualisée pour chacun, en fonction de son propre comportement d’achat. Même pour une seule personne, nous ne pouvons pas calculer de manière irréprochable un taux d’inflation objectif. Cela est dû au fait que le comportement d’achat de chacun change au fil du temps. Les économistes parlent ici d’effets de substitution.

 

Peut-on réellement mesurer l’inflation de manière objective ?

Si le panier de biens et services achetés varie au fil du temps, la question se pose de savoir quel choix de biens et services peut fournir une base pertinente pour le calcul de l’inflation.

Imaginez la mesure de l’inflation d’une année à l’autre. Faut-il se baser sur le panier de la première année ou plutôt sur celui de la deuxième année ? Dans le premier cas, on calculerait ce que l’on appelle l’indice de Laspeyres. Dans le second cas, il s’agit de l’indice de Paasche. Les deux donnent des résultats différents, et il n’y a pas de raison impérieuse de privilégier l’un ou l’autre indice.

Le célèbre économiste américain Irving Fisher a donc proposé de calculer simplement la moyenne géométrique des deux indices. Il en résulte ce que l’on appelle l’indice de Fisher. Mais celui-ci ne fournit pas non plus une mesure objective de l’inflation.

La problématique de base peut être illustrée par un simple exemple chiffré.

Imaginons un scénario avec deux marchandises – des médaillons de veau et des bâtonnets de tofu. Supposons que le prix des médaillons de veau ait augmenté de 25 % d’une année à l’autre. Mais le prix des bâtonnets de tofu n’a augmenté que de 5 %. Comment faut-il pondérer ces différents taux de renchérissement ? La moyenne arithmétique simple donne une inflation de 15 %. Mais faut-il vraiment donner le même poids à ces biens ? Pas nécessairement.

Imaginons que pour un consommateur, la première année, 50 % des dépenses totales soient proportionnellement consacrées à des médaillons de veau et 50 % à des bâtonnets de tofu. Dans ce cas, l’indice de Laspeyres donnerait effectivement le même poids aux deux biens, et afficherait un taux d’inflation de 15 %.

Cependant, l’inflation hétérogène des prix de différents produits entraîne généralement des changements dans le comportement des consommateurs.

Imaginez qu’au cours de la deuxième année, les dépenses de consommation ne se répartissent plus de manière égale entre les deux produits, mais qu’au lieu de cela, seuls 20 % sont dépensés pour des médaillons de veau et 80 % pour des bâtonnets de tofu. Avec les dépenses proportionnelles de la deuxième année, on obtient donc une inflation moyenne pondérée de seulement 9 % (0,2*25 % + 0,8*5 %). L’indice de Paasche présente donc une inflation des prix nettement inférieure à celle de l’indice de Laspeyres.

L’indice de Fisher se situe exactement entre les deux, et afficherait une inflation des prix de 12% – 11,9598 % exactement, car il s’agit de la moyenne géométrique, qui est normalement légèrement inférieure à la moyenne arithmétique).

Il n’est pas possible de dire avec certitude quelle est la bonne mesure. Tout dépend des évaluations subjectives sous-jacentes du consommateur. Au fond, la mesure de l’inflation pose la question de savoir de combien un niveau donné de satisfaction des besoins, ou un niveau de vie donné, a renchéri.

Il faudrait donc déterminer si les paniers de biens de la première et de la deuxième année sont équivalents ou non du point de vue du consommateur.

Pour acheter le panier de biens de la première année également la deuxième année, le consommateur devrait dépenser 15 % de plus dans notre scénario. Il opte toutefois pour le panier de biens dont le prix n’a augmenté que de 9 % (20 % des dépenses totales pour le veau et 80 % pour le tofu). Si cette nouvelle combinaison de médaillons de veau et de bâtonnets de tofu satisfait aussi bien les besoins du consommateur que l’ancienne combinaison, alors la même satisfaction des besoins ne coûte en fait que 9 % de plus. L’indice de Paasche, qui indique 9 % d’inflation des prix, serait la bonne mesure.

Toutefois, si le consommateur préfère intrinsèquement la première combinaison, et n’achète la seconde que parce qu’elle est devenue moins chère, le changement de comportement d’achat s’accompagne d’une perte de satisfaction des besoins et les 9 % sous-estimeraient le taux d’inflation réel. Si le revenu reste constant et que les prix augmentent, c’est le cas normal : le consommateur doit se contenter de combinaisons de biens de moindre qualité, et le fait seulement parce que cela lui permet de maintenir l’augmentation des coûts à un niveau relativement faible. Il est donc naturel que les consommateurs achètent des biens dont l’inflation est relativement faible, plutôt que des biens dont l’inflation est relativement élevée.

C’est précisément cette observation qui a incité la commission Boskin aux États-Unis, au milieu des années 1990, à proposer un changement dans le calcul des indices de prix courants, qui s’est imposé jusqu’à aujourd’hui aux États-Unis et en Europe également.

L’argument était que les changements dans le comportement des consommateurs font que ces derniers n’achètent plus autant qu’avant les produits dont le prix a fortement augmenté, et qu’ils se tournent plutôt vers des alternatives moins chères. C’est pourquoi il faut adapter régulièrement les pondérations afin de ne pas surestimer l’inflation – selon la devise : si les produits fortement renchéris sont moins demandés, ils ne sont plus aussi pertinents pour les consommateurs et la mesure de l’inflation.

Au lieu de maintenir le panier de biens et services constant sur des périodes relativement longues (cinq années), on l’actualise désormais chaque année. D’un point de vue dynamique, l’IPCH, qui était à l’origine une sorte d’indice de Laspeyres, s’est ainsi rapproché de l’indice de Paasche. Cela a généralement pour conséquence que les taux d’inflation estimés sont plus bas qu’auparavant.

 

Il n’est pas possible de dire objectivement si ce changement conduit à une meilleure mesure de l’inflation.

Ce qui est clair, c’est que ce changement est dans l’intérêt de la politique. Les changements dans le calcul de l’inflation ont notamment fourni à la politique monétaire une raison d’augmenter encore plus la masse monétaire. Si l’on avait fait état d’une inflation plus élevée depuis la crise financière de 2008, ce qui aurait été le cas selon les anciennes normes de calcul, l’expansion de la masse monétaire aurait dû être limitée plus tôt. L’inflation élevée de ces derniers mois aurait été nettement plus faible et les ménages moyens auraient été épargnés par les dégâts qu’elle provoque.

Dans tous les cas, il est problématique qu’une valeur aussi floue que l’inflation des prix, qui ne peut pas du tout être appréhendée de manière objective, soit déclarée indicateur de la politique monétaire. Que vaut l’objectif de 2 % si 2 % d’inflation des prix n’ont aucune signification objective ?

Une société libérée du travail et de la consommation est-elle possible ?

L’interview d’un invité de l’émission « C’est arrivé demain » du dimanche 13 mai 2018 sur Europe 1 ne pouvait me laisser indifférent. C’est pourquoi je prends la plume (ou le clavier d’ordinateur) pour réagir aussitôt.

Dans un livre à paraître, intitulé Libérons-nous des chaînes du travail et de la consommation, Abdennour Bidar imagine une société libérée du travail et de la consommation. Une proposition qui ne pouvait pas me laisser indifférent, tant ce genre de proposition me semble immédiatement et instinctivement non seulement absurde, mais même dangereuse.

N’ayant pas lu l’ouvrage, et donc pas pu accéder au détail de son argumentation, je m’en tiendrai bien entendu à une critique nuancée, sous forme d’interrogations, que seule la lecture de l’essai permettrait d’atténuer ou de renseigner. Je ne ferai pas l’injure à son auteur de me prêter à une critique radicale comme se permettent trop souvent de faire des personnes qui n’ont pas lu une ligne de l’ouvrage d’un auteur et ignorent le contenu de son argumentation. Cette réaction spontanée ne portera que sur les seuls propos de l’interview elle-même.

 

Une civilisation du temps libéré

Abdennour Bidar est un philosophe et essayiste intéressant, que j’ai déjà eu l’occasion de lire, mais dont j’avais déjà relevé antérieurement la propension à militer pour une « civilisation du temps libéré », au sujet de laquelle j’avais pu exprimer non seulement mes doutes, mais plus encore mes craintes et mes réticences.

Son sujet central n’est pas déconnecté de toute réalité, puisqu’il porte sur une question très discutée : celle de l’opportunité de mettre en place un revenu universel. Et dans l’interview, il se réfère même à l’inspiration libérale de ce concept. Ce n’est pas sur cette question technique que je me prononcerai aujourd’hui, mais plutôt sur l’essence de ce qui motive cette réflexion.

Découvrons donc les différentes idées émises à travers les propos de l’interview et qui m’ont interpellé (avec, bien sûr, tous les défauts de l’exercice, qui consistent à risquer d’isoler certaines phrases de leur contexte, raison pour laquelle je vous renvoie à l’écoute de l’interview) :

 

« Nous sommes dans un système capitaliste de compétition généralisée où la fraternité est un luxe, est un privilège »

À l’instar de Tom Palmer et autres auteurs associés, je pense à l’inverse que non, le capitalisme n’est pas immoral. Il peut même être, à condition qu’il ne subisse pas les perturbations de « l’horreur politique », telle que nous la décrit si bien Olivier Babeau, un fantastique instrument de liberté. Quant à la compétition généralisée, à moins que cette expression soit précisée dans le livre, je ne vois pas de quoi il est question.

J’ai peur qu’il ne s’agisse d’une sorte d’idée reçue, vague et informe, à laquelle se réfèrent trop de gens qui mélangent des choses, et n’attribuent pas forcément certaines conséquences aux bonnes causes qui leur correspondent.

Il en va de même pour la fraternité. En quoi peut-on prétendre que la fraternité reculerait et qu’elle aurait pour cause le système capitaliste ? Tout cela mérite d’être précisé et démontré, puis discuté. Certes, l’auteur est semble-t-il un spécialiste de la question et le développe abondamment à travers ses ouvrages, mais pour qui écoute l’interview et ne les a pas lus, il est bien difficile de savoir à quoi il se réfère au juste. Et il serait très intéressant ensuite d’en débattre.

Spontanément, en tous les cas, j’aurais tendance à penser que la fraternité ne dépend que de chacun de nous. La fraternité n’est pas quelque chose, à mon sens, qui s’organise. Il n’y a donc pas d’excuse à rechercher au sujet d’une entité ou d’une abstraction quelconque qui nous conduiraient à fuir nos responsabilités ou notre sens de l’humanité. Sauf à considérer, mais l’argument se retournerait alors contre l’idée de départ, que c’est à force de vouloir « organiser » les solidarités (si c’est de cela qu’il est question) en le faisant d’autorité (par la ponction fiscale, par exemple) que le sens de la fraternité ou de la solidarité spontanée recule. Mais le responsable ne serait donc pas, à ce moment-là, le capitalisme.

Cela montre bien que des propos aussi vagues ne peuvent valoir sans une argumentation solide derrière, impossible bien sûr dans le seul temps d’une interview. Et faut-il en venir à regretter d’autres systèmes, comme dans ce reportage édifiant sur la nostalgie de la RDA, où on peut être tenté d’oublier les temps difficiles, la répression et le totalitarisme, et idéaliser le passé même le plus sordide, par rejet de la société de consommation ? Ce n’est bien évidemment pas le cas de l’auteur, mais c’est bien le cas de certains ex-habitants de pays de l’ex-URSS.

Un luxe et un privilège : encore plus mystérieux. Abdennour Bidar précise bien, un peu après, que la fraternité ne peut se décréter. C’est pourquoi il propose d’en créer les conditions concrètes, à travers justement son idée de revenu universel, censé offrir du temps aux individus pour créer ou recréer cette fraternité. Remarquons au passage que l’être humain n’a historiquement jamais eu autant de temps libre qu’aujourd’hui dans les pays qui fonctionnent dans un système capitaliste avancé. Mais cela semble échapper au raisonnement.

 

« Il faut desserrer l’étau qui contraint, par la nécessité économique et par  la nécessité du travail, les gens à penser d’abord à eux-mêmes »

De surcroît, le philosophe souhaite, grâce au revenu universel, donner l’opportunité aux individus, contraints pas le système, d’enfin cesser de ne penser essentiellement qu’à eux-mêmes (dans un sens purement vénal, probablement, car il est question ici de recherche du « bonheur collectif et individuel »).

Mais qu’est-ce qui dit que l’individu ne peut pas se réaliser dans son travail, même si ce n’est pas le cas pour tout le monde ? Étonnamment, l’auteur l’évoque d’ailleurs clairement au sujet de la France en particulier, tout en relevant que lorsqu’on a l’opportunité d’y échapper (jours fériés, RTT, etc.), on ne s’en prive pas (ce qui ne me semble pas contradictoire).

Et qu’est-ce qui dit que dans une entreprise, une administration, une école, ou une organisation quelle qu’elle soit, on n’a ni le temps de penser vraiment à soi, ni de développer des formes de fraternité ? Encore un point qui prête largement à discussion.

Le concept marxien d’aliénation au travail ne semble effectivement pas très loin, mais il est loin d’être unanimement partagé. Quant à la fraternité, elle peut aussi se développer dans les lieux de vie, où se rencontrent les individus, donc peut-être au travail.

 

« Le Français souffre de contradictions. Ce qu’il recherche vraiment est l’accomplissement au travail et il n’aime pas lorsqu’il a le sentiment d’être exploité »

Sur ce point, pas grand-chose à dire. Cela répond certainement en partie au début du point précédent. Cela dit, c’est l’objet même de l’entreprise ou de l’organisation quelle qu’elle soit : chercher en permanence à progresser de manière à ce qu’on dissipe au maximum ce sentiment et que les individus se sentent le plus possible épanouis dans leur travail.

Les meilleures organisations, celles qui réussissent le mieux, y parviennent. Justement puisqu’il s’agit d’un gage de réussite. Et il est vrai qu’en beaucoup d’endroits il y a à redire, mais c’est aux individus qui composent cette organisation de tenter d’en faire évoluer les principes, ou bien s’ils en ont la possibilité de partir (mais c’est très souvent, bien sûr, difficile). Généralement, lorsqu’il y a malaise, l’organisation en question pâtit largement de son manque d’efficacité en la matière. C’est pourquoi il s’agit d’une question hautement sensible, qui mérite de s’intéresser de près aux meilleures voies pour y parvenir.

 

« La société capitaliste dans laquelle nous vivons pourrait se résumer à Travailler plus, pour gagner plus, pour dépenser plus, pour consommer plus »

C’est sur ce point que ma critique sera la plus vive : même s’il y a un fond de vérité relativement inéluctable dans cette vision tout de même très schématique, c’est un argument qui me stupéfait toujours.

Comment peut-on un seul instant imaginer que les individus consommeraient trop ou seraient obnubilés par le fait de consommer lorsque l’on connaît le niveau du revenu moyen (et nous sommes en France, l’un des pays les plus riches du monde) ? N’existe-t-il donc pas des personnes qui ont des fins de mois difficiles, qui gagnent difficilement leur vie, qui ne peuvent pas partir en vacances ni se payer le moindre restaurant, ou je ne sais quoi encore ? Et, même pour ceux qui ont davantage de moyens, n’est-ce pas leur liberté que de vouloir consommer, chercher à se divertir comme ils l’entendent, rechercher de petits plaisirs aussi futiles soient-ils ? Je n’imagine pas un seul instant Adennour Bidar ou tous ceux – et ils sont nombreux – qui répètent à l’envi ce genre d’argument, penser le contraire. Mais alors pourquoi se posent-ils donc, sans s’en rendre compte, en donneurs de leçon ? Si ce n’est pour dénoncer le sens du capitalisme, on y revient.

Et c’est là qu’intervient une autre critique forte : mettre en cause le capitalisme aujourd’hui, pour lui préférer un monde idéal où on serait plus heureux et épanoui, semble bien commode et bien confortable, mais c’est faire fi de l’histoire et raisonner en enfants gâtés de cette civilisation qui nous a apporté tant de sources de progrès dont nous sommes les héritiers.

Le remarquable ouvrage de Johan Norberg intitulé Non, ce n’était pas mieux avant, dont je recommande de nouveau fortement la lecture, rappelle de manière détaillée comment la sous-nutrition, les maladies, la pauvreté, les violences, les guerres, etc. ont reculé de manière spectaculaire et impressionnante au cours des deux derniers siècles, et de manière accélérée, tandis que l’espérance de vie progressait prodigieusement. C’est donc un sacré luxe que de pouvoir aujourd’hui songer à philosopher sur la manière dont on pourrait désormais concevoir une civilisation du temps libéré. Il ne faut jamais l’oublier (car rien n’est définitivement acquis, on le sait bien, mais on en a trop peu conscience).

Quant à la manière d’utiliser son temps, et même s’il m’arrive à moi aussi de m’inquiéter parfois des excès possibles de la civilisation du loisir, je reproche de manière générale à Abdennour Bidar (et pas qu’à lui) sa vision quelque peu élitiste et moralisante de l’utilisation par les individus de leur temps libre et son rejet de l’industrie (capitaliste) du divertissement. Mais c’est une autre histoire…

 

« Ce qui m’a énormément frustré et déçu, pendant la dernière campagne présidentielle, au sujet du revenu universel, est que la question du coût s’est tout de suite imposée et a complètement étouffé la question la plus intéressante : « qu’est-ce qu’on ferait du temps libéré ? »

Certes, mais mettre la charrue avant les bœufs n’est pas forcément non plus une bonne idée…

C’est le propre des utopies que de vouloir rêver de solutions avant même de pouvoir juger si elles sont viables. Et la question du coût me semble donc centrale (car elle va bien au-delà, par toutes ses implications). En outre, Abdennour Bidar suggère une nouvelle fois que, pour beaucoup de gens, le travail est une source de souffrance. Mais alors, si tel est le cas, qui voudra encore travailler, si on propose un système où il serait plus ou moins possible de l’envisager ? Mais attendons la suite, nous y venons…

 

« Le revenu universel permettrait de nous émanciper d’un travail qui fait souffrir »

Ici prévaut l’idée que tous ceux qui ne s’épanouissent pas au travail pourraient être gagnants. Mais alors, je pose la question : comment la société pourra-t-elle encore fonctionner correctement si on dégage chacun de ce qu’il ne veut pas faire ?

Comment fonctionnera encore un hôpital (ce n’est déjà pas toujours fameux aujourd’hui) si nombre d’infirmières décident de se désengager en partie, profitant du revenu universel ?

Quel professeur acceptera encore de donner une soixantaine d’heures de son temps (non rétribuées) pour recruter via Parcoursup dans les formations sélectives puisqu’il faut bien que quelqu’un le fasse et que beaucoup de ses collègues refusent déjà de s’en occuper, ne se sentant pas concernés ?

Comment pourra-t-on encore trouver son pain ou ses litres d’essence si le boulanger ou le pompiste ne désirent plus travailler que lorsque bon leur semble ?

Et ainsi de suite… Je n’ose même pas évoquer Air France, parmi d’autres, qui ne survit déjà que grâce aux subsides de l’État, c’est-à-dire nous, dont la faillite serait alors précipitée, l’État n’étant plus en mesure de l’aider car au bord de la faillite en raison de ses dérives depuis si longtemps constatées).

Et, de manière générale, qui acceptera de prendre en charge toutes les tâches ingrates dont personne ne veut se charger ? Je n’ose même pas imaginer dans quelles conditions nous vivrions tous, et comment la plupart des gens se plaindraient de cet état de fait (mais que fait l’État ? Que fait la police ?). Les poubelles joncheraient les rues, les égouts ne seraient plus entretenus, ni les routes, etc. À moins que les robots…

Mais sans doute vais-je trop loin. Il y a certainement ici des adeptes du revenu universel et ils ne manqueront pas de me répondre. D’autant que j’avais dit en préambule que je n’évoquerais pas la question technique du revenu universel lui-même, ne m’y étant probablement pas suffisamment intéressé ; je m’écarte donc de mon sujet.

 

« Le revenu universel agirait comme un filet de sécurité qui permettrait à quelqu’un, par exemple, de faire un break »

Question : celui qui interrompt momentanément sa carrière quand il le désire, pense-t-il raisonnablement retrouver son poste à son retour et déloger celui qui aura été amené à le remplacer ? (je m’en tiens ici simplement aux propos, pas au fond du sujet sur le revenu universel).

 

« L’expression « l’oisiveté est la mère de tous les vices » est la vieille morale de Papa »

Mais Papa a parfois raison, même si Mai 68 est passé par là, et cela se discute.

De manière générale, j’ai tendance à penser qu’il y a beaucoup de leçons à retirer des vieilles formules éprouvées et donc, la question ne me semble pas pouvoir être balayée aussi facilement.

 

« Cela permettrait à un certain nombre de gens d’entreprendre »

Oui, mais cela ne concernerait qu’une partie de la population et créer sa propre activité ne garantit pas la réussite…

Mais surtout, ne serions-nous pas toujours dans le capitalisme ? Ces créateurs d’entreprise (cela existe déjà) n’auraient-ils pas besoin à leur tour de main-d’œuvre ? Comment géreraient-ils des employés qui pourraient rechigner à la tâche et préférer recourir, au moins partiellement, à leur revenu universel ?

Et quid de la fraternité ? Ces nouvelles entreprises (ou associations) fonctionneraient-elles différemment de celles d’aujourd’hui ? Seraient-elles en mesure de survivre à la concurrence (car quoi qu’on veuille, celle-ci existera forcément) ?

Beaucoup de questions que l’on peut, à juste titre, se poser.

 

En guise de conclusion

Cela dit, et je le répète, ce n’est pas dans une simple interview d’une petite dizaine de minutes qu’un auteur peut défendre suffisamment ses idées. Il faut donc lire le livre, puis ensuite débattre.

Et en ce sens, Abdennour Bidar a raison d’exposer les idées qui lui tiennent à cœur. D’autant qu’il insiste bien sur le fait qu’il s’agit d’un processus forcément progressif, donc pas si simple à mettre en place. Et je lui souhaite, bien entendu, bon succès dans ses démarches.

 

Un article publié initialement le 16 mai 2018.

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