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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Une centaine d’instructeurs militaires russes est arrivée au Niger

instructeurs niger

instructeurs nigerDes spécialistes militaires russes sont arrivés au Niger, où ils formeront l’armée nigériane. C’est ce qu’a rapporté la Radiotélévision du

L’article Une centaine d’instructeurs militaires russes est arrivée au Niger est apparu en premier sur STRATPOL.

Le «Groupe Wagner» se réorganise en Afrique – La présence russe s’accélère au Burkina Faso

par Luc Michel. Neuf mois après la fin des opérations françaises dans le pays, la coopération militaire entre Ouagadougou et Moscou s’accélère et entre dans une «phase pratique».

Qui gouvernera l’IA ? La course des nations pour réguler l’intelligence artificielle

Un article de Fan Yang, Research fellow at Melbourne Law School, & Ausma Bernot, Postdoctoral Research Fellow, Australian Graduate School of Policing and Security.

L’intelligence artificielle (IA) est un terme très large : il peut désigner de nombreuses activités entreprises par des machines informatiques, avec ou sans intervention humaine. Notre familiarité avec les technologies d’IA dépend en grande partie de là où elles interviennent dans nos vies, par exemple dans les outils de reconnaissance faciale, les chatbots, les logiciels de retouche photo ou les voitures autonomes.

Le terme « intelligence artificielle » est aussi évocateur des géants de la tech – Google, Meta, Alibaba, Baidu – et des acteurs émergents – OpenAI et Anthropic, entre autres. Si les gouvernements viennent moins facilement à l’esprit, ce sont eux qui façonnent les règles dans lesquelles les systèmes d’IA fonctionnent.

Depuis 2016, différentes régions et nations férues de nouvelles technologies en Europe, en Asie-Pacifique et en Amérique du Nord, ont mis en place des réglementations ciblant l’intelligence artificielle. D’autres nations sont à la traîne, comme l’Australie [ndlr : où travaillent les autrices de cet article], qui étudie encore la possibilité d’adopter de telles règles.

Il existe actuellement plus de 1600 politiques publiques et stratégies en matière d’IA dans le monde. L’Union européenne, la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni sont devenus des figures de proue du développement et de la gouvernance de l’IA, alors que s’est tenu un sommet international sur la sécurité de l’IA au Royaume-Uni début novembre.

 

Accélérer la réglementation de l’IA

Les efforts de réglementation de l’IA ont commencé à s’accélérer en avril 2021, lorsque l’UE a proposé un cadre initial de règlement appelé AI Act. Ces règles visent à fixer des obligations pour les fournisseurs et les utilisateurs, en fonction des risques associés aux différentes technologies d’IA.

Alors que la loi européenne sur l’IA était en attente, la Chine a proposé ses propres réglementations en matière d’IA. Dans les médias chinois, les décideurs politiques ont évoqué leur volonté d’être les premiers à agir et d’offrir un leadership mondial en matière de développement et de gouvernance de l’IA.

Si l’UE a adopté une approche globale, la Chine a réglementé des aspects spécifiques de l’IA les uns après les autres. Ces aspects vont des « recommandations algorithmiques » (par exemple des plateformes comme YouTube) à la synthèse d’images ou de voix, ou aux technologies utilisées pour générer des deepfake et à l’IA générative.

La gouvernance chinoise de l’IA sera complétée par d’autres réglementations, encore à venir. Ce processus itératif permet aux régulateurs de renforcer leur savoir-faire bureaucratique et leur capacité réglementaire, et laisse une certaine souplesse pour mettre en œuvre une nouvelle législation face aux risques émergents.

 

Un avertissement pour les États-Unis ?

Les avancées sur la réglementation chinoise en matière d’IA ont peut-être été un signal d’alarme pour les États-Unis. En avril, un législateur influent, Chuck Shumer, a déclaré que son pays ne devrait pas « permettre à la Chine de prendre la première position en termes d’innovation, ni d’écrire le code de la route » en matière d’IA.

Senators Rounds, Heinrich, Young, and I had a great meeting with President Biden at the White House today on his executive order on AI, working for bipartisan AI legislation in Congress, and investing so that we can outcompete the Chinese government on AI. pic.twitter.com/xsFm0c5fKo

— Chuck Schumer (@SenSchumer) October 31, 2023

Le 30 octobre 2023, la Maison Blanche a publié un décret (executive order) sur l’IA sûre, sécurisée et digne de confiance. Ce décret tente de clarifier des questions très larges d’équité et de droits civiques, en abordant également des applications spécifiques de la technologie.

Parallèlement aux acteurs dominants, les pays dont le secteur des technologies de l’information est en pleine expansion, comme le Japon, Taïwan, le Brésil, l’Italie, le Sri Lanka et l’Inde, ont également cherché à mettre en œuvre des stratégies défensives pour atténuer les risques potentiels liés à l’intégration généralisée de l’IA.

Ces réglementations mondiales en matière d’IA reflètent une course contre l’influence étrangère. Sur le plan géopolitique, les États-Unis sont en concurrence avec la Chine, que ce soit économiquement ou militairement. L’UE met l’accent sur l’établissement de sa propre souveraineté numérique et s’efforce d’être indépendante des États-Unis.

Au niveau national, ces réglementations peuvent être considérées comme favorisant les grandes entreprises technologiques en place face à des concurrents émergents. En effet, il est souvent coûteux de se conformer à la législation, ce qui nécessite des ressources dont les petites entreprises peuvent manquer.

Alphabet, Meta et Tesla ont soutenu les appels en faveur d’une réglementation de l’IA. Dans le même temps, Google, propriété d’Alphabet, a comme Amazon investi des milliards dans Anthropic, le concurrent d’OpenAI ; tandis qu’xAI, propriété d’Elon Musk, le patron de Tesla, vient de lancer son premier produit, un chatbot appelé Grok.

 

Une vision partagée

La loi européenne sur l’IA, les réglementations chinoises sur l’IA et le décret de la Maison Blanche montrent que les pays concernés partagent des intérêts communs. Ensemble, ils ont préparé le terrain pour la « déclaration de Bletchley », publiée le 1er novembre, dans laquelle 28 pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, l’Australie et plusieurs membres de l’UE [ndlr : dont la France et l’Union européenne elle-même], se sont engagés à coopérer en matière de sécurité de l’IA.

Les pays ou régions considèrent que l’IA contribue à leur développement économique, à leur sécurité nationale, et à leur leadership international. Malgré les risques reconnus, toutes les juridictions s’efforcent de soutenir le développement et l’innovation en matière d’IA.

Selon une estimation, d’ici 2026, les dépenses mondiales consacrées aux systèmes centrés sur l’IA pourraient dépasser les 300 milliards de dollars américains. D’ici 2032, selon un rapport de Bloomberg, le marché de l’IA générative pourrait valoir à lui seul 1,3 billion de dollars américains.

De tels chiffres tendent à dominer la couverture médiatique de l’IA, ainsi que les bénéfices supposés de l’utilisation de l’IA pour les entreprises technologiques, les gouvernements et les sociétés de conseil. Les voix critiques sont souvent mises de côté.

 

Intérêts divergents

Au-delà des promesses économiques, les pays se tournent également vers les systèmes d’IA pour la défense, la cybersécurité et les applications militaires.

Lors du sommet international sur la sécurité de l’IA au Royaume-Uni, les tensions internationales étaient manifestes. Alors que la Chine a approuvé la déclaration de Bletchley faite le premier jour du sommet, elle a été exclue des événements publics le deuxième jour.

L’un des points de désaccord est le système de crédit social de la Chine, qui fonctionne de manière peu transparente. Le AI Act européen considère que les systèmes de notation sociale de ce type créent un risque inacceptable.

Les États-Unis perçoivent les investissements de la Chine dans l’IA comme une menace pour leurs sécurités nationale et économique, notamment en termes de cyberattaques et de campagnes de désinformation. Ces tensions sont bien sûr susceptibles d’entraver la collaboration mondiale sur des réglementations contraignantes en matière d’IA.

 

Les limites des règles actuelles

Les réglementations existantes en matière d’IA présentent également des limites importantes. Par exemple, il n’existe pas de définition claire et commune d’une juridiction à l’autre des différents types de technologies d’IA.

Les définitions juridiques actuelles de l’IA ont tendance à être très larges, ce qui soulève des inquiétudes quant à leur applicabilité en pratique, car les réglementations couvrent en conséquence un large éventail de systèmes qui présentent des risques différents, et pourraient mériter des traitements différents.

De même, de nombreuses réglementations ne définissent pas clairement les notions de risque, de sécurité, de transparence, d’équité et de non-discrimination, ce qui pose des problèmes pour garantir précisément une quelconque conformité juridique.

Nous constatons également que les juridictions locales lancent leurs propres réglementations dans le cadre national, afin de répondre à des préoccupations particulières et d’équilibrer réglementation et développement économique de l’IA.

Ainsi, la Californie a introduit deux projets de loi visant à réglementer l’IA dans le domaine de l’emploi. Shanghai a proposé un système de classement, de gestion et de supervision du développement de l’IA au niveau municipal.

Toutefois, une définition étroite des technologies de l’IA, comme l’a fait la Chine, présente le risque que les entreprises trouvent des moyens de contourner les règles.

 

Aller de l’avant

Des ensembles de « bonnes pratiques » pour la gouvernance de l’IA émergent de juridictions locales et nationales et d’organisations transnationales, sous le contrôle de groupes tels que le conseil consultatif de l’ONU sur l’IA et le National Institute of Standards and Technology des États-Unis. Les formes de gouvernance qui existent au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Europe et, dans une moindre mesure, en Chine, sont susceptibles de servir de cadre de travail à une gouvernance globale.

La collaboration mondiale sur la gouvernance de l’IA sera sous-tendue par un consensus éthique et, plus important encore, par des intérêts nationaux et géopolitiques.

Lire sur le site de The Conversation

60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature

Un article de Gaëlle Deharo, Enseignant chercheur en droit privé, et Madeleine Janke, Professur für Betriebliches Rechnungwesen.

« Il n’est pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance capitale de cet acte […] parce qu’il ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».

Il y a soixante ans, le 22 janvier 1963, le général Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer signaient ensemble un accord de coopération rédigé en allemand et en français. Destiné à consolider l’amitié franco-allemande, à consacrer la solidarité entre les peuples français et allemand et à renforcer le rôle moteur du couple franco-allemand dans la construction européenne, le texte posait les bases d’une union et d’une coopération politique, économique, en matière de défense, de politique étrangère, d’éducation et de jeunesse. La réconciliation du peuple allemand et du peuple français marquait ainsi la fin de la rivalité historique de la France et de l’Allemagne.

 

Des relations sans équivalent

Depuis a émergé l’expression du « couple » franco-allemand, qui ne renvoie pas uniquement à la proximité géographique entre les deux pays ou à la nécessaire gestion d’une frontière commune. Ce terme témoigne surtout des relations étroites de la France et de l’Allemagne dans de nombreux domaines; depuis la gestion des frontières jusqu’au rapprochement des populations.

Qu’il s’agisse, en effet, de géopolitique, de culture ou encore de coopération universitaire, les relations entre la France et l’Allemagne ne semblent pas connaître d’équivalent. D’abord parce qu’elles s’inscrivent dans une histoire dense et riche, ensuite parce qu’elles intéressent de nombreux domaines. Enfin, parce que la signature du traité de l’Élysée en 1963 ne fut pas un moment dans l’histoire, mais le début d’un long processus régulièrement marqué par la volonté réitérée des dirigeants français et allemand de rappeler l’intensité de la coopération et de l’amitié entre les deux pays.

Ainsi, 40 ans après la signature du traité de l’Élysée, le 22 janvier 2003, le président français Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder ont posé les bases d’une concertation structurée en créant le Conseil des ministres franco-allemand ayant pour mission d’assurer la coopération entre les deux États. Dans chaque pays, un secrétaire général coordonne désormais la préparation de ces conseils, qui se tiennent 1 à 2 fois par an, et assure le suivi des décisions entreprises.

Dans cette perspective, de nombreux axes de coopération ont été définis et mis en œuvre grâce à la création de structures binationales dans de nombreux domaines : concertation politique, défense et de sécurité (CFADS), environnement (CFAE), économie et finance (CEFFA), culture (HCCFA), jeunesse…

 

Un moteur de la construction européenne

Pilier de la construction européenne, le traité de l’Élysée a été réaffirmé, cinquante-six ans plus tard, le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle, par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel. Il s’agissait alors de consacrer le rôle moteur du « couple franco-allemand », non plus dans la construction, mais dans l’intégration européenne qui constitue le fil conducteur de la concertation entre la France et l’Allemagne.

Paris et Berlin entendaient ainsi approfondir et élargir la coopération entre la France et l’Allemagne, « dans le but d’aller de l’avant sur la voie d’une Europe prospère et compétitive, plus souveraine, unie et démocratique » et de « définir des positions communes sur toutes les questions européennes et internationales importantes ».

En d’autres termes, la coopération franco-allemande, loin de se cantonner à une dimension binationale doit être comprise aux niveaux européen et international. Historiquement, en effet, le « couple » franco-allemand s’est construit autour de la résolution des rapports de pouvoirs entre la France et l’Allemagne au niveau interne, comme élément d’équilibre favorisant la construction européenne, comme au niveau externe, renforçant le rôle de l’Europe dans la résolution des difficultés géopolitiques.

 

Un renforcement du poids de l’Europe dans le monde

Moteur du développement européen, la relation franco-allemande reste unique dans et hors de l’Europe, ce qui lui confère un poids politique essentiel dans la définition de la politique étrangère et le développement de la souveraineté européenne. Lors de leur déclaration commune, en 1963, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer avaient déjà souligné le rôle déterminant de la relation franco-allemande qui « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».

Plus récemment, par une déclaration conjointe, la France et l’Allemagne ont réaffirmé leur détermination, aux côtés de leurs alliés et de leurs partenaires du monde entier, « à défendre les valeurs et les intérêts européens ainsi qu’à préserver l’ordre international fondé sur les principes de la Charte des Nations unies ». Mise à l’épreuve des bouleversements géopolitiques, de la pandémie du Covid-19, de la définition d’un modèle énergétique européen ou encore de la politique monétaire, l’intimité du couple franco-allemand ne va cependant pas sans crispation.

Si les déclarations communes rappellent et réaffirment la volonté de renforcer toujours plus les liens entre la France et l’Allemagne, la question se pose de l’avenir de ces relations. Au-delà de la définition des politiques de concertations et de coopération, l’amitié franco-allemande se nourrit en effet des relations entre les citoyens français et allemands.

Lors de la signature du traité de l’Élysée, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer soulignaient l’importance « de la solidarité qui unit les deux peuples tant du point de vue de leur sécurité que du point de vue de leur développement économique et culturel » et le rôle déterminant que la jeunesse se trouve appelée à jouer dans la consolidation de l’amitié franco-allemande.

 

Quel avenir pour l’amitié franco-allemande ?

De fait, de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre pour favoriser les échanges scolaires et universitaires afin de favoriser l’interculturalité, la compréhension de la culture du partenaire et l’acceptation des différences. Par exemple, depuis 1963 l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ – DFJW) a permis à près de 9,5 millions de jeunes de participer à plus de 382 000 programmes d’échanges.

Symbole de l’intégration franco-allemande, le baccalauréat franco-allemand vient par exemple couronner, par un examen passé dans les deux langues, des études binationales et biculturelles. Si seuls trois lycées (Buc, Fribourg, Sarrebruck) préparent aujourd’hui au baccalauréat franco-allemand, l’ouverture d’établissements supplémentaires est à l’étude.

De la même façon, l’université franco-allemande (UFA – DFS) favorise la coopération franco-allemande dans l’enseignement supérieur. Elle a pour mission de promouvoir les relations et les échanges entre établissements d’enseignement français et allemands, en apportant son soutien à des projets binationaux dans le domaine de l’enseignement, tant au niveau des premiers que des seconds cycles, de la recherche et de la formation de futurs chercheurs.

Au niveau collectif, la tendance semble donc bien favorable au renforcement de la coopération franco-allemande. Pour autant, au niveau individuel, la coopération franco-allemande se heurte à la désaffection de l’apprentissage de la langue allemande par les lycéens : la baisse constante des collégiens et lycéens choisissant l’enseignement de l’allemand se poursuit de façon constante et dramatiquement stable depuis plusieurs années.

Sous cet éclairage, les acteurs de l’enseignement supérieur public comme privé ont un rôle majeur à jouer afin de rendre compte non seulement de l’importance politique et géopolitique de la maîtrise des langues allemande et française, mais aussi pour rendre compte du dynamisme économique de la coopération franco-allemande. Sous cet éclairage, parler les deux langues dans un domaine d’expertise apparaît comme un atout majeur pour les candidats au recrutement au niveau européen et international.

À ce jour, les programmes franco-allemands proposés dans l’enseignement supérieur constituent donc pour les étudiants maîtrisant les deux langues la garantie de valoriser une compétence particulièrement recherchée dans le monde professionnel.

Conformément au souhait du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, les cursus franco-allemands témoignent de l’importance de la coopération franco-allemande non seulement aux niveaux culturel et académique mais aussi au niveau économique : aujourd’hui comme il y a soixante ans, l’amitié franco-allemande « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ». Es lebe die deutsch-französische Freundschaft ! (Vive l’amitié franco-allemande !)

Sur le web.

Sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) : un regard différent sur le monde -- Francesco MARINGIO

Le sommet des chefs d'État de l'OCS, l'Organisation de coopération de Shanghai, vient de s'achever avec l'approbation des résolutions finales (dont la stratégie de développement économique des pays de l'OCS jusqu'en 2030). Cette structure, qui en est à sa 23e année d'existence, est appelée à s'élargir considérablement au fil du temps, en impliquant plusieurs nouveaux pays. Elle représente déjà plus de 40 % de la population mondiale, plus de 20 % du PIB et environ 20 % (...)

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L’Iran va rejoindre l’OCS

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ocs iranLes autorités indiennes achèvent les préparatifs du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui se tiendra sous forme

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L'Organisation de coopération de Shanghaï étend son influence dans le Golfe

Au cours des dernières années, l'Organisation de coopération de Shanghaï est devenue un pôle d'attraction pour le Proche-Orient, plusieurs pays de la région ayant frappé à la porte du groupe. Ses succès témoignent de la redéfinition des équilibres mondiaux et de l'influence croissante de la Chine et de la Russie dans une région considérée comme une chasse gardée des États-Unis. Mais le groupe reste bien trop hétérogène pour inquiéter Washington.

Fondée en 2001 pour succéder au « Groupe de Shanghaï » créé en 1996, l'Organisation de la coopération de Shanghaï (OCS) est une organisation intergouvernementale eurasienne à vocation politique, économique et sécuritaire, portée à l'origine par la Chine et la Russie avec le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan d'Asie centrale. Se réclamant de ce que l'on appelle « l'esprit de Shanghaï », elle met l'accent sur l'instauration d'une confiance mutuelle, le bon voisinage entre ses membres et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures.

À ses débuts, l'OCS se concentrait principalement sur les questions liées à la sécurité, telles que la lutte contre le terrorisme, le séparatisme, l'extrémisme religieux et le trafic de stupéfiants. Depuis, elle s'est progressivement élargie pour inclure des puissances asiatiques majeures telles que l'Inde et le Pakistan, gagnant en importance et devenant une plateforme essentielle pour la coopération en Asie. Elle est actuellement la plus grande organisation régionale d'Eurasie, regroupant environ 40 % de la population de la planète et un tiers de la production économique mondiale. Elle a élargi son profil régional en un court laps de temps, car de plus en plus d'États du Proche-Orient n'ont pas caché leur volonté de s'y associer, mais avec différents niveaux d'engagement.

L'intégration de Téhéran

Après avoir obtenu le statut d'observateur en 2005, l'Iran a signé un protocole d'accord en 2022 pour obtenir le statut de membre permanent et devrait acquérir son adhésion pleine et entière d'ici la fin de l'année 2023. Il s'agit d'une importante victoire pour la République islamique. Les États arabes ont suivi le mouvement. En septembre 2022, lors du sommet annuel de l'OCS à Samarcande, le Qatar et l'Égypte ont été accueillis pour la première fois en tant que partenaires de dialogue — un statut dont ne jouit depuis lors dans la région que la Turquie, seul membre de l'OTAN lié au groupe. Dans les mois qui suivent, le même statut a été accordé au Bahreïn, à l'Arabie saoudite, au Koweït et aux Émirats arabes unis (EAU). ` Cette série de candidatures illustre la consolidation des liens entre le Proche-Orient et le monde asiatique (en particulier la Chine) et, plus largement, d'un basculement vers l'Est de l'équilibre mondial commercial. Les pays du Proche-Orient ont rejoint l'OCS lorsque l'organisation a progressivement perdu son orientation sécuritaire pour adopter un profil plus économique et énergétique. Ainsi, les nouveaux venus espèrent établir des relations commerciales plus étroites avec les autres membres et avoir accès à de nouveaux marchés et à des projets d'infrastructures.

L'OCS offre des occasions attrayantes pour le commerce et pour les investissements (en particulier pour les pays du Golfe riches en capitaux) et permet des partenariats dans la mise en œuvre de projets ambitieux d'interconnexion des infrastructures (telles que les routes, les voies ferrées, les oléoducs et les télécommunications) dont les États arabes ont été jusqu'à présent exclus. La technologie, l'intelligence artificielle (IA), les ports maritimes, l'électricité, l'agriculture et l'énergie verte sont également considérés comme des domaines importants d'investissements conjoints.

Des rééquilibrages géopolitiques

L'inclusion des pays du Proche-Orient dans l'OCS souligne également leur désir d'équilibrer et de diversifier leurs activités en matière de sécurité, d'économie et de diplomatie et d'obtenir une plus grande liberté d'action politique dans leurs relations étrangères. À bien des égards, l'OCS a été conçue comme un modèle de gouvernance mondiale alternatif à d'autres modèles centrés sur l'Occident, tels que l'OTAN, l'Union européenne (UE) et le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quadrilateral Security Dialogue, QUAD) qui comprend les États-Unis, le Japon, l'Inde et l'Australie. En tant que forum eurasien, l'OCS offre une plateforme solide pour renforcer la coopération Sud-Sud en dehors de la surveillance des États-Unis et des puissances européennes. Cela témoigne du fait que des pays asiatiques comme la Chine, la Russie et l'Inde assument un rôle croissant dans la direction de leurs propres groupements économiques et diplomatiques avec le soutien des États voisins.

Du point de vue de Téhéran, l'accession au statut de membre permanent de l'OCS — que la République islamique perçoit comme un club de puissances non occidentales — est un événement marquant qui pourrait lui apporter davantage d'opportunités économiques, commerciales et stratégiques et renforcer sa position géopolitique en Asie. Dans le cadre de sa vision « look East », l'administration du président Ebrahim Raïssi considère le développement des relations avec ses voisins asiatiques comme une priorité de sa politique étrangère. Un siège à la table des puissances économiques mondiales telles que la Chine, l'Inde et la Russie est une lueur d'espoir pour un pays écrasé par les sanctions économiques internationales et les pressions socio-économiques intérieures croissantes. Rien qu'en 2021, les échanges commerciaux de l'Iran avec les pays membres de l'OCS ont dépassé les 37 milliards de dollars (33,88 milliards d'euros)1, ce qui représente environ un tiers de son commerce extérieur. Dans le même temps, Téhéran étudie les moyens de concrétiser sa vision à long terme de devenir une plaque tournante pour les connexions eurasiennes grâce à de nouvelles infrastructures telles que le corridor international de transport nord-sud (International North–South Transport Corridor, INSTC) pour relier l'Inde et la Russie via l'Iran.

Les marges de manœuvre limitées de l'Iran

Mais l'adhésion de l'Iran à l'OCS a ses limites. Tout d'abord, ses liens économiques avec les membres de l'organisation se sont principalement développés par le biais de canaux bilatéraux, en dehors de l'OCS. Bien que Pékin ait longtemps ignoré les sanctions pour acquérir du pétrole iranien, les avantages économiques de ce commerce pour la République islamique sont discutables, d'autant plus que Téhéran est contraint de vendre au rabais pour rester compétitif par rapport aux autres exportateurs du Golfe. Ensuite, l'absence de réseaux ferroviaires, routiers et portuaires modernes et les difficultés de financement d'une vaste restructuration des infrastructures font de l'Iran une voie de transit inadaptée pour les projets d'infrastructures à long terme. Enfin, les investissements tant attendus de la Chine et de l'Inde — essentiels pour Téhéran — ont peu de chances de se produire dans le cadre du régime actuel de sanctions internationales, car aucun des deux pays ne veut provoquer Washington. Néanmoins, le prestige politique du statut de membre de l'OCS pour Téhéran est immense, car l'un des objectifs de la politique étrangère de l'administration Raïssi est d'atténuer l'isolement international du pays.

Du côté arabe du Golfe, l'attraction pour l'OCS est principalement due à l'empreinte économique croissante de la Chine. Au cours de la dernière décennie, celle-ci est devenue la première partenaire commerciale de la région du Golfe. En 2021, le commerce bilatéral entre Pékin et les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG)s'élevait à 230 milliards de dollars (210,62 milliards d'euros)2, soit environ deux tiers du volume des échanges entre la Chine et les pays arabes, et quatre fois plus que les échanges entre le CCG et les États-Unis. L'année précédente, malgré le coup dur porté par la pandémie de Covid-19, la Chine avait déjà remplacé l'UE en tant que premier partenaire commercial du CCG. Aujourd'hui, un tiers du pétrole importé par la Chine et un quart de son gaz naturel et de ses produits pétrochimiques proviennent des pays du CCG, dont la plus grande partie d'Arabie saoudite. Pékin a également réussi à étendre l'utilisation de sa monnaie par les pays arabes du Golfe pour certaines transactions, le Qatar étant le premier à lancer un centre de compensation en renminbi (yuan)3 pour régler les achats d'énergie en devises chinoises.

Les médiations de Pékin

Les intérêts de la Chine dans le Golfe englobent également un éventail plus large d'activités économiques, ce qui amène Pékin à considérer la région comme stratégiquement importante. La Chine est également le premier investisseur dans le Golfe par le biais de son Initiative ceinture et route (Belt and Road Initiative, BRI), ou « nouvelle route de la soie ». Cette dernière lui a permis d'accroître son portefeuille d'investissements dans le monde arabe, qui s'élève actuellement à 140 milliards de dollars (128,12 milliards d'euros) dans les seuls pays du CCG4, dans divers secteurs, notamment les installations de transport, les complexes industriels, l'IA, les technologies émergentes et les énergies renouvelables. L'Arabie saoudite est le plus grand bénéficiaire de ces investissements, ce qui prouve encore la synergie croissante entre la BRI chinoise et d'autres initiatives à long terme telles que la « Vision 2030 ». De même, grâce au partenariat avec l'OCS, les monarchies du Golfe auront probablement accès à de nouveaux marchés et à des projets d'infrastructures dans d'autres régions, à commencer par les républiques d'Asie centrale.

Au-delà de la dimension économique, la décision des pays du Golfe de rejoindre le multilatéralisme oriental est également une conséquence de l'évolution du paysage géopolitique mondial, les puissances membres de l'OCS telles que la Chine jouant un rôle de plus en plus central dans ce recalibrage de la politique étrangère du Golfe. Au cours des derniers mois, la Chine a combiné avec succès une coopération économique diversifiée et un engagement politique pour promouvoir efficacement ses intérêts stratégiques dans le Golfe, avec plusieurs efforts pour désamorcer les tensions entre les deux rives du détroit d'Ormuz.

Les exemples les plus évidents dans ce sens ont été la visite marquante du président Xi Jinping en Arabie saoudite en décembre 2022 et la médiation de Pékin pour faciliter le rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran et pour rétablir leurs relations diplomatiques en mars de l'année suivante. Des initiatives similaires, qui marquent une prise de responsabilité inédite de la Chine pour la stabilité de la région, démontrent comment le pouvoir économique croissant de Pékin lui a permis de jouer un rôle politique et diplomatique plus important.

Tensions avec les États-Unis

Cette percée progressive de la Chine dans la région intervient à un moment où les relations entre les États-Unis et les États du CCG, longtemps alignés sur Washington, se sont tendues en raison de la diminution des garanties de sécurité de l'Amérique et de la décision de l'OPEP+ de réduire la production de pétrole pour maintenir les prix du brut à un niveau élevé, malgré — ou à cause de — la guerre menée par la Russie en Ukraine.

L'entrée des pays du Proche-Orient dans un forum multilatéral dirigé par des puissances hostiles ou non alignées sur Washington est principalement liée à leur tentative d'établir un équilibre stratégique entre les grandes puissances — une politique considérée comme impérative pour les petites et moyennes puissances dans un ordre mondial multipolaire. Toutefois, il ne faut pas en surestimer l'impact. Malgré les difficultés récentes rencontrées dans certaines relations bilatérales, les États-Unis restent le principal fournisseur de sécurité des pays du CCG.

D'autre part, plusieurs défis limitent le potentiel politique de l'OCS. Malgré des décennies de développement, le niveau d'institutionnalisation de l'OCS est encore faible et les réglementations sont généralement considérées comme souples et flexibles. Par rapport à d'autres organisations régionales de sécurité telles que l'OTAN, l'OCS est un bloc politique dont les membres entretiennent des liens relativement lâches et dont le niveau d'intégration militaire est faible. C'est d'ailleurs ce manque de rigidité qui rend le statut de partenaire de dialogue de l'OCS attrayant pour de nombreux pays du Proche-Orient, car il leur permet d'interagir avec le bloc sans obligations trop strictes. Dans le même temps, l'équilibre complexe des pouvoirs entre ses membres, les intérêts divergents (notamment entre la Chine et la Russie) et une méfiance profondément ancrée (par exemple, entre l'Inde, le Pakistan et la Chine) ajoutent des difficultés au consensus, notamment depuis l'invasion de l'Ukraine.

Au fur et à mesure que le nombre de membres de l'OCS augmentera, il y aura un risque que les nouveaux membres apportent à l'organisation des problèmes bilatéraux non résolus et des rivalités. En fin de compte, l'OCS représente un cadre dans lequel les membres et les partenaires peuvent étendre leurs relations bilatérales et leurs systèmes de dialogue, offrant au moins aux rivaux régionaux de longue date tels que les États arabes du Golfe et l'Iran un forum pour engager un dialogue plus approfondi. Cependant, il s'agit d'un groupe trop divisé pour inquiéter Washington.

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Traduit de l'anglais par Alain Gresh.


En Inde, Choïgou dénonce les programmes biologiques américains en Ukraine

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Synthèse de l'actualité internationale de mars 2023

Les faits les plus marquants de mars 2023 : Le sort des urnes ; Le spectre d'une crise financière nait aux Etats-Unis ; Le monde de Taiwan se réduit un peu plus ; Une nouvelle « entente cordiale » ? ; Sur le front de l'Ukraine, etc.

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Abdullah Al-Nefisi, l'intellectuel qui met à l'épreuve le pluralisme du Koweït

Figure incontournable des réseaux sociaux dans le Golfe, le professeur de sciences politiques koweitien Abdullah Al-Nefisi participe régulièrement aux débats qui enflamment la toile dans le monde arabe. Par les polémiques qu'il suscite, il incarne cette marge de liberté que permet la semi-démocratie koweïtienne, une exception parmi les monarchies de la région.

On ne compte plus les polémiques déclenchées par Abdullah Al-Nefisi au cours de ces dernières années sur Twitter, où il compte 2,9 millions d'abonnés. En mai 2021, il soutenait l'idée d'un appui militaire de la Turquie et du Pakistan au peuple palestinien, s'attirant notamment les critiques de Saoudiens et Émiratis. Un an plus tôt, il critiquait ouvertement dans une interview1 les familles royales de la région. Un discours qui a rappelé à ses détracteurs un tweet provocateur qu'il avait posté en 2017 : « Muhammad Dahlan2 est celui qui dirige les Émirats, et Israël dirige Muhammad Dahlan… réfléchissez-y sérieusement ».

Ce franc-parler ne passe pas impunément, et en août 2019, le ministère des Affaires étrangères koweïtien dépose une plainte pour diffamation envers les Émirats arabes unis contre le professeur de sciences politiques. Ce dernier sera finalement acquitté dix mois plus tard, et la décision célébrée comme une consécration de la liberté d'expression au Koweït, qui n'a pas son équivalent dans les États voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG). En effet, la notoriété de cet intellectuel doit beaucoup à l'exception du système politique semi-démocratique du pays au sein du CCG. Une liberté certes fragile, mais tout de même indéniable.

De la Palestine aux « printemps arabes »

Depuis les années 2000, Abdullah Al-Nefisi s'illustre sur deux questions en particulier. D'abord, la lutte contre la normalisation des relations avec Israël dans le Golfe. Ensuite, la défense des soulèvements arabes de 2011.

Dès avril 2000, il participe à la création du Congrès populaire contre la normalisation des relations entre Israël et les pays du Golfe, dont il est une figure de proue. Inquiets de voir certains États du Golfe instaurer des liens avec Tel Aviv – dont le Qatar, qui abrite depuis 1996 un bureau commercial d'Israël, et Oman qui a établi des relations commerciales avec Tel Aviv depuis 1994 –, les membres de cette organisation adoptent le « name and shame »3 envers les commerçants du Golfe qui font des affaires avec Israël – ou en expriment la volonté. À partir de 2011, Al-Nefisi devient un ardent commentateur des « printemps arabes ». Il fait remonter les racines historiques de ces soulèvements à la répression politique que connait la région, de la distribution inique des richesses jusqu'aux ingérences étrangères. Comparant ces mouvements à la Révolution française, le professeur de sciences politiques ne manque pas de rappeler également que la contre-révolution a duré cent ans en Europe, en référence à la phase dans laquelle le monde arabe est entré depuis 2013. Ces mouvements de révolte l'ont d'ailleurs poussé à réviser sa position à l'égard du régime iranien, avec lequel il entretenait jusque-là de bonnes relations, critiquant ouvertement le « projet perse ».

Ces positions explicites sur des sujets qui cristallisent les débats dans le monde arabe, surtout depuis 2011, valent à Abdullah Al-Nefisi des inimités, mais aussi un public fidèle ainsi qu'une audience transnationale qui dépasse les sphères panislamistes dont il est réputé être proche. Elles indiquent toutefois la fragilité des acquis - en termes de droits et de libertés fondamentales – au Koweït. Car si le parcours de cet intellectuel est intimement lié à la trajectoire politique du pays, son franc-parler ne peut guère dépasser les limites que le pouvoir lui impose.

Fils de la notabilité marchande

Abdullah Al-Nefisi est né au Koweït 1945 dans une famille de marchands émigrés du Najd (Arabie saoudite) à la fin du XIXe siècle, dans une période où cette région était en proie aux épidémies et aux conflits entre tribus. Son père Fahd Al-Nefisi comme ses aïeux étaient en charges des affaires commerciales des koweïtiens, sous le patronage de la famille Al-Sabah et en contact régulier avec celle d'Al Saoud.

Depuis le XVIIIe siècle, cette notabilité marchande, dans laquelle il naît, tient une place particulière dans l'histoire politique de l'émirat. Elle participe dans la prise de décision politique auprès de la famille régnante Al-Sabah4. À la fin du XIXe siècle, et après la mainmise totale de Moubarak Le Grand sur le pouvoir politique au Koweït en 1889, elle devient le principal acteur d'opposition dans le pays. En 1938, c'est la notabilité marchande qui fonde le Conseil législatif (al-majlis al-tachri'i), et par le même temps, le premier groupement politique, le Bloc national (al-takatul al-watani), influencé par le dynamique panarabe.

Après avoir fait ses classes au Victoria College à Alexandrie, le jeune Al-Nefisi poursuit ses études à l'Université américaine de Beyrouth à partir de 1963. C'est depuis la capitale libanaise qu'il assiste à la débâcle des troupes arabes en 1967, avant de s'envoler l'année suivante pour le Royaume-Uni où il fera une thèse sur le chiisme dans le développement politique moderne de l'Irak, à l'université de Cambridge. Durant ses années d'études en licence de sciences politiques, sa conscience politique se forge, fortement influencée par les idées du panislamisme, notamment celui des Frères musulmans, qu'il exprime dans les journaux libanais panislamistes de l'époque, dont l'hebdomadaire beyrouthin Al-Mujtamae et Al-Shihab. Dans son pays natal, la famille régnante se montre complaisante envers les Frères musulmans. La confrérie s'implante notamment à travers l'Association de la réforme sociale. Elle permet au pouvoir de mettre en échec l'opposition incarnée par les progressistes nationalistes arabes, dirigée par Ahmad Al-Khatib et Jasim Al-Qatami, en divisant les rangs de la notabilité marchande.

De retour au Koweït, Abdullah Al-Nefisi prend la tête du département de sciences politiques à l'Université, qui constitue justement un des lieux d'affrontement entre nationalistes et islamistes. Les années 1970 sont marquées à la fois par la dissolution du parlement en 1976, et par la montée de l'islam politique. Le lancement de l'hebdomadaire des Frères musulmans Al- Mujtama', dans lequel écrit Al-Nefisi, illustre cette complaisance du pouvoir envers les islamistes.

De professeur à opposant

L'année 1978 marque un tournant décisif dans le parcours intellectuel et politique d'Al-Nefisi avec la publication de son ouvrage Koweït : l'autre opinion (Alkowait : al'raay al'akhar), qui dénonce l'inconstitutionnalité de la dissolution du parlement et attaque frontalement l'élite politique du pays - qui ne tarde pas à réagir : Al-Nefisi est renvoyé de l'université, radié de la fonction publique pendant cinq ans et se voit confisquer son passeport. Une ligne rouge est franchie, qui montre les limites de la démocratie koweitienne. Le professeur quitte le pays, d'abord pour le Royame-Uni, où il donnera à l'université d'Exeter, en 1980, un cours sur les sociétés et politiques des États du Golfe. Un an après, il est recruté par l'Université d'Al-Ain, aux Émirats arabes unis, au département de sciences politiques, où il restera jusqu'en 1984.

La décennie des années 1980 représente une période charnière dans l'histoire politique du Koweït, où la vie politique oscille entre suspension et reprise du processus électoral. De retour au Koweït en 1984, Abdullah Al-Nefisi se présente aux élections de 1985 dans la 8e circonscription, à l'électorat jeune et mobilisé. Bien que non affilié à une famille politique, il profite du soutien des factions islamistes - Frères musulmans, salafistes et Tablighi -, et remporte l'élection sur un programme imprégné dans sa forme du Coran et des hadiths du Prophète et qui selon lui permettrait aux Koweïtiens de s'affranchir du joug colonial. La nouvelle assemblée élue cette année-là présente des profils nouveaux : on retrouve des jeunes diplômés qui comme Abdullah Al-Nefisi reviennent de leur formation des universités occidentales. De leur côté, les Frères musulmans ont acquis l'expérience politique nécessaire pour basculer du champ social au champ politique de manière durable. Ils s'illustrent par leur dynamisme et leur capacité à mobiliser l'ensemble de leurs relations familiales ou tribales au profit de leur candidature.

Défier la famille royale

Au vu des personnalités politiques qui y siègent désormais, cette Assemblée nationale de la sixième législature est considérée par les observateurs du Koweït comme la « plus puissante » (aqwa majlis). La famille royale constate d'ailleurs que les islamistes et les nationalistes ne se neutralisent plus, ils coopèrent entre eux pour s'opposer à elle. C'est ainsi qu'Abdullah Al-Nefisi devient un habitué de la diwaniya5 du nationaliste Jasim Al Qatami, en compagnie du libéral Ahmed Al-Sa'dun, élu à la tête de l'Assemblée nationale. Cette puissante assemblée nationale ne tarde pas à défier ouvertement la famille régnante en poussant à la démission le ministre de la Justice et membre de la famille royale Cheikh Salman Al-Du'ayj Al-Sabah, accusé de corruption. Abdullah Al-Nefisi confiera plus tard dans un entretien avec la chaîne YouTube Al-Qabas regretter cet esprit de défi (rouh at-tahadi) avec lequel les parlementaires s'adressaient au gouvernement, alors que la situation régionale était perturbée par la guerre irano-irakienne (1981-1989).

Le 3 juillet 1986, après des mois de confrontation entre l'Assemblé et le gouvernement qui auront conduit à la démission de 18 ministres, l'Émir dissout le Parlement. Certaines dispositions de la constitution sont suspendues. Cette décision provoque de grands remous dans la sphère publique. Elle donne lieu dans la même année à la naissance d'une action collective populaire, le Mouvement constitutionnel (al-haraka al-dustrurriya). Abdullah Al-Nefisi, Jasim Al-Qatami, Ahmad Al-Sa'dun et des députés issus de tout le spectre politique koweïtien rejoignent le « Groupe des 32 députés » (majmu'at al-32 na'ib), dont l'objectif est de contester la dissolution décidée par la famille régnante. Un mouvement social s'articule autour des diwaniyat qui s'organisent à ce moment-là, donnant lieu à plusieurs formes de mobilisation. Elles culmineront avec les « diwaniyyat du lundi »6 qui déjouent ainsi l'interdiction de rassemblements édictée par le gouvernement.

C'est au cours de l'une de ces réunions chez le député Jasim Al Qatami qu'Abdullah Al-Nefisi et son hôte sont arrêtés (sans toutefois être emprisonnés ni condamnés). L'absence de réaction de la part de la société civile pousse Al-Nefisi à se retirer définitivement de la vie parlementaire. La répression qui s'abat sur l'opposition politique en 1990 marque selon Al Nefisi « la fin du contrat », ce pacte politique tacite, en vertu duquel les autorités toléraient l'opposition politique tant qu'elle ne dépassait pas certaines limites. Ce mouvement de contestation prend fin avec l'invasion du pays par l'armée irakienne l'été 1990, alors que le gouvernement avait proposé d'élire un Conseil national aux pouvoirs largement édulcorés par rapport à l'Assemblée dissoute.

Pour un islamisme national

Malgré son retrait de la vie politique officielle, Al-Nefisi continuera d'exercer une influence intellectuelle dans la région. Ainsi semble-t-il ne délaisser les polémiques nationales que pour mieux se consacrer aux questions régionales. Déjà en 1983, il avait participé à la fondation de l'Organisation arabe pour les droits humains (Almunazama al-arabia lihuquq al'iinsan) dans le sillage des massacres de Hama en 1982, et dirigée par le Syrien Borhan Ghalioun et l'Égyptien Saadeddine Ibrahim.

La répression qui frappe les Frères musulmans en Syrie, comme cela avait été le cas une trentaine d'années plus tôt contre ceux d'Égypte, pousse Al-Nefisi à diriger la publication du livre Le mouvement islamiste. Vision et prospective – articles d'autocritique (Al-haraka al-islamiyya : ru'ya mustaqbaliyya – awraq fi-l al-naqd al-dhati7, un ouvrage collectif regroupant une série d'articles critiquant les mouvements islamistes. La critique principale d'Al-Nefisi porte sur l'hégémonie qu'exercent les Frères musulmans égyptiens sur le mouvement transnational. Pour lui, la répression de ces derniers par le régime militaire égyptien les aurait rendus trop vulnérables pour qu'ils puissent comprendre la situation politique au sein des pays du Golfe. De fait, ils ne peuvent pas présenter des solutions politiques efficaces au Koweït, dès lors que la situation politique égyptienne n'entretient aucune similitude avec la situation politique nationale. De plus, le comportement que l'auteur juge hautain et paternaliste de l'élite de la branche égyptienne envers les Frères musulmans koweïtiens le pousse à plaider pour la séparation entre les deux branches, chose qui arrivera d'ailleurs au moment de l'invasion irakienne.

Bien que la plupart des pays du CCG soient assimilés à des régimes politiques autoritaires, le Koweït apparaît ainsi comme le théâtre d'une expérience d'ouverture politique assez poussée, qu'incarne la trajectoire d'Abdullah Al-Nefisi. Sa carrière témoigne d'un pays abritant une société civile dynamique qui sait imposer à la dynastie régnante un partage relatif du pouvoir. Les Al-Sabah ont ainsi dû composer notamment avec de puissantes familles marchandes, dont est issu cet intellectuel, qui arrivent à s'opposer aux tentations autoritaires. À l'origine de la première expérience parlementaire dans la péninsule arabique en 1938, ces familles marchandes du Golfe auront importé puis soutenu les grandes idéologies du monde arabe, dont l'islamisme populaire d'Al-Nefisi.


1Entretien avec Abdullah Al-Nefisi, 2019-2020 Ammar Taqi, La boîte noire, Al Qabas.

2Note de la rédaction : homme politique palestinien. Ancien dirigeant du Fatah, il a été nommé chef des Forces de sécurité préventive à Gaza en 1994, suite à la création de l'Autorité palestinienne. Expulsé plus tard du Fatah, il s'exile aux Émirats arabes unis où il devient le conseiller de Mohamed Ben Zayed.

3Note de la rédaction : littéralement « nommer et couvrir de honte », une méthode de mise au pilori publique de personnes physiques ou morales impliquée dans un contexte d'atteintes aux droits humains.

4Voir Fatiha Dazi-Héni, Monarchies et sociétés d'Arabie. Le temps des confrontations, Science Po, 2006, pp. 240.

5Salon public qui se tient dans l'espace privé du domicile.

6Voir Fatiha Dézi-Hani, La diwaniyya entre changement social et recomposition politique au Koweït au cours de la décennie 1981-1992, thèse, IEP de Paris, 1996.

7The Islamic Movement : A View to the Future Papers in Self-Criticism, traduction de Carine Lahoud-Tatar Kuweït, 1989.

Maroc. À Nador, les morts sont africains, l'argent européen

Le 24 juin 2022, au moins 23 migrants sont morts à la frontière entre le Maroc et l'Espagne, et il y a eu plus d'une centaine de blessés des deux côtés. L'ONU et l'Union africaine exigent une enquête indépendante. La coopération migratoire entre le Maroc et l'Espagne est de nouveau pointée du doigt. Reportage à Nador.

Il est 14 h à Nador, nous sommes le samedi 25 juin 2022, le lendemain des tragiques incidents sur la frontière entre le Maroc et Melilla, enclave sous occupation espagnole. Un silence de mort règne dans cette ville rifaine. Chez les officiels locaux, l'omerta règne. Les portes sont closes. « Revenez lundi », nous dit-on sur place. Aucune information ne filtre sur le nombre exact des morts, des blessés et des personnes refoulées vers d'autres villes marocaines. Un homme s'active pour informer le monde sur ce qui se passe ; il s'appelle Omar Naji.

L'odeur de la mort

Ce militant de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH) à Nador alerte l'opinion publique et les autorités sur ce drame écrit d'avance depuis une décennie. « Les acteurs de ce drame sont les politiques européennes d'externalisation des frontières, le Maroc qui agit en tant qu'exécutant et des organisations internationales faiblement impliquées pour protéger les migrants et les réfugiés », accuse-t-il, sans détour. Faute d'une enquête judiciaire, Omar Naji tente dès les premières heures de la tragédie de récolter quelques pièces à conviction.

Nous rencontrons Omar à la sortie de la morgue de Nador où se trouvent les corps des migrants morts sur la frontière. Ce militant sent l'odeur de la mort. « Les scènes que je viens de voir sont insoutenables. Des corps jonchent le sol depuis 24 heures. Les dépouilles baignent dans leur sang. Les installations de la morgue sont débordées », lâche-t-il, encore sous le coup de l'émotion.

Deuxième étape dans cette quête d'indices pour reconstituer le puzzle de drame du 24 juin. À la permanence, les policiers ont passé une nuit blanche à réaliser les procès-verbaux des 68 migrants qui allaient être présentés le lundi 27 juin au parquet. La police a rassemblé les bâtons et les quelques objets tranchants utilisés par les migrants lors de la tentative de franchissement de la barrière. Pour la police judiciaire, ce sont les « pièces à conviction » qui ont permis au procureur de demander des poursuites judiciaires contre les migrants aujourd'hui en détention provisoire.

Troisième étape dans cette contre-enquête de Omar Naji, la récolte de témoignages de personnes en migration. Nous nous rendons sur le mont Gourougou, où les migrants sont dans des campements de fortune. La voiture du militant démarre, nous sommes pris en filature par des membres de services de sécurité. Sur la route de la rocade méditerranéenne, nous passons devant les murs de Nador-Melilla. Ce dispositif est composé de 3 clôtures de 6 mètres de haut et 12 kilomètres de long. Les lames tranchantes, responsables de graves blessures parmi les migrants durant des années, ont été remplacées par des obstacles anti-grimpe et une haute technologie de surveillance, le tout financé par l'Union européenne (UE). « Le Maroc creuse une deuxième tranchée pour compliquer le passage des migrants. Le pays joue son rôle de gendarme, surtout depuis la reprise de la coopération sécuritaire et migratoire avec l'Espagne en mars 2022 », estime Naji. Une semaine avant les incidents, les ministères de l'intérieur des deux pays se sont engagés à « poursuivre leur coopération sécuritaire ». Le 6 mai dernier, le groupe migratoire mixte permanent maroco-espagnol avait fixé l'agenda sécuritaire de coopération entre les deux pays.

Chasse aux migrants ou lutte contre « les réseaux » ?

À Barrio Chino, point frontalier où s'est déroulée une partie des événements, des vêtements de migrants sont encore accrochés aux grillages. Canon à eau et forces d'intervention sont stationnés sur place pour faire face à de nouveaux assauts. Nous continuons notre chemin à la recherche de campements de migrants. Tout au long de l'année, les forces de l'ordre marocaines mènent des opérations pour chasser les migrants sous l'argument du « démantèlement de réseaux de trafic des êtres humains ». Pour Ali Zoubeidi, chercheur spécialiste en migrations, « il y a des réseaux de trafic présents dans d'autres endroits du Maroc, mais pas vers Melilla », observe-t-il, dans une déclaration à Infomigrants. La Boza par Melilla est gratuite, c'est la route empruntée par les migrants sans moyens. Dans les faits, les ratissages visent à disperser les migrants le plus loin possible de la frontière avec Melilla.

Dans un communiqué, 102 organisations africaines et européennes dénoncent les violations systématiques des droits humains à Nador : « Depuis plus d'un an et demi, les personnes en migration sont privées d'accès aux médicaments, aux soins, voient leurs campements brûlés et leurs biens spoliés ».

En 2021, l'AMDH Nador avait recensé 37 opérations de ratissage. Un chiffre en nette baisse en raison du Covid-19 et du confinement. En 2019, les opérations avaient atteint le chiffre record de 134 interventions. « Cette route a été réalisée spécialement pour permettre aux engins des forces de l'ordre d'accéder à la forêt », rappelle Naji, dont le téléphone ne cesse de recevoir des appels de journalistes d'un peu partout dans le monde. En pleine forêt, nous passons devant un campement des Forces auxiliaires, corps de sécurité géré directement par le ministère de l'intérieur. Ce camp, avec ses bâtisses en dur et plusieurs tentes, a été construit spécialement pour permettre des interventions rapides dans les campements.

Après une heure de route, Naji arrive à la conclusion suivante : « Les opérations menées par les forces de l'ordre ont poussé les migrants à fuir la forêt et toute la ville de Nador ». Nous quittons la forêt et nous croisons sur notre chemin les hauts responsables sécuritaires de la région, venus à bord de deux véhicules militaires, des Humvee, pour inspecter les lieux. Les seuls migrants présents dans cette ville sont soit morts, soit à l'hôpital, soit emprisonnés. Les migrants ont été dispersés vers plusieurs villes du centre du Maroc (Béni Mellal et Kelaat Sraghna). Cette situation dramatique, au retentissement international, est la conséquence d'une coopération sécuritaire entre le Maroc et l'Espagne, avec un financement européen.

L'UE, cynique bailleur de fonds

Depuis 2007, l'UE a versé au Maroc 270 millions d'euros pour financer les différents volets sécuritaires de la politique migratoire marocaine. Ce financement se fait directement ou via des instances européennes et espagnoles (Fondation internationale et ibéro-américaine pour l'administration et les politiques publiques, International, Center for Migration Policy Development, etc.). Des montants que le Maroc considère « insuffisants au regard des efforts déployés par le pays pour la gestion des frontières ».

Depuis 2013, cette coopération s'inscrit dans le cadre du Partenariat pour la mobilité. Le financement européen en matière d'immigration aussi passe par le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique ou des agences souvent espagnoles chargées d'acquérir des équipements sécuritaires pour le royaume chérifien (drones, radars, quads, bus, véhicules tout-terrain…). La Commission européenne (CE) présente ce financement avec des éléments de langage connus : « développer le système marocain de gestion des frontières, et de lutter de manière plus efficace contre le trafic d'êtres humains ». L'UE soutient aussi la Stratégie nationale pour l'immigration et l'asile adoptée par le Maroc en 2014. Cette politique est désormais en stand-by, avec un retour en force d'une vision sécuritaire.

Dans ses négociations avec la CE, le Maroc compte un allié de taille, l'Espagne. Le royaume fait valoir de son côté « une reprise de la pression migratoire sur le Maroc », comme aime le rappeler Khalid Zerouali, directeur de l'immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l'intérieur marocain, dans ses sorties médiatiques adressées à ses partenaires européens. Le Maroc se positionne comme partenaire fiable de l'UE et invite son partenaire européen à « la responsabilité partagée ». Les routes migratoires marocaines sont les premières portes d'entrée vers l'Europe depuis 2019. L'Intérieur brandit ses chiffres de 2021 : 63 121 migrants arrêtés, 256 réseaux criminels démantelés et 14 000 migrants secourus en mer, en majorité des Marocains.

Chantages et pressions

Dans ce contexte, un chantage est exercé de part et d'autre. L'UE veut amener le Maroc à héberger des centres de débarquement de migrants (hotspots) et signer avec le royaume un accord de réadmission globale Maroc-UE. Sur ces deux sujets, Rabat continue d'afficher une fin de non-recevoir à ces demandes. Sur le plan bilatéral, la France fait un chantage aux visas pour pousser le Maroc à rapatrier ses immigrants irréguliers. De son côté, le Maroc a fait de la gestion de l'immigration irrégulière une carte diplomatique, comme l'ont montré les évènements de Ceuta en mai 2021.

La migration devient ainsi un moyen de pression pour obtenir des gains sur le dossier du Sahara. Un sujet sensible qui a été le cœur d'un gel diplomatique entre le Maroc et l'Espagne durant plus d'un an. La reprise des relations entre les deux pays en mars 2022 a réactivé la coopération sécuritaire entre les deux pays voisins. Pour les 102 organisations des deux continents, ce retour de la coopération est à la source du drame de Nador. « La mort de ces jeunes Africains sur les frontières alerte sur la nature mortifère de la coopération sécuritaire en matière d'immigration entre le Maroc et l'Espagne », peut-on lire dans ce document.

Mehdi Alioua, sociologue et professeur à l'Université internationale de Rabat, accuse en premier l'UE et sa politique migratoire : « Ces frontières sont celles de la honte parce qu'elles sont totalement absurdes et hypocrites. Ces frontières sont incohérentes, elles sont là pour mettre en scène la “frontiérisation”. […] La responsabilité des Européens est directe. La responsabilité du Maroc de ce point de vue est indirecte », déclare-t-il dans une interview pour Medias241.

Des migrants criminalisés et des corps à la morgue

Nador, avec ses deux frontières maritime et terrestre avec l'Europe, est pris au piège de ces frontières. Les migrants payent le prix fort. L'an dernier 81 personnes sont mortes à Nador, noyées ou sur les grillages. Face au tollé mondial suscité par ces événements, le gouvernement marocain est sur la défensive. L'exécutif tente de présenter sa version des faits. Signe des temps, cette stratégie de damage control a été sous-traitée par des universitaires, des ONG ou des médias proches de l'État. Ils accusent tous… l'Algérie. Le chef du gouvernement espagnol accuse les “mafias” qui seraient responsables de ce drame tout en “saluant le Maroc pour son professionnalisme”.

Loin de cette bataille des récits, les militants sur le terrain continuent à panser les blessures des migrants, rechercher les noms des disparus et leurs nationalités, tenter de mobiliser les avocats pour la défense des migrants poursuivis à Nador. Ce procès, qui a démarré le 27 juin, s'annonce comme le plus grand procès des personnes en migration au Maroc. Vingt-huit migrants sont poursuivis avec de lourdes charges pénales. Un deuxième groupe de 37 migrants, dont un mineur, est poursuivi pour des délits. Pendant ce temps, les corps des migrants morts sont toujours à la morgue, sans autopsie ni enquête judiciaire pour établir les circonstances de leurs décès.


Oman. Le sultan Haïtham prépare les esprits à l'impôt sur le revenu

Héritier de déficits chroniques, le souverain Haïtham Ben Tarek est forcé à la rigueur budgétaire pour assainir des finances publiques omanaises moribondes. Le sultanat compte également introduire l'impôt sur le revenu dès 2023. Mais les conditions de sa mise en œuvre font débat dans un pays dopé à l'État-providence.

« La leçon essentielle à retenir est que ces plans doivent être établis à l'avance et leur mise en œuvre ne doit pas débuter au bord de la crise », lâche Scott Livermore, chef économiste Proche-Orient au cabinet de conseil britannique Oxford Economics. Qabous Ben Saïd Al-Saïd tire sa révérence le 10 janvier 2020 après un demi-siècle aux rênes d'Oman, le seul sultanat du Proche-Orient. Il avait dirigé d'une main de fer un pays alimenté par les revenus de la rente pétrolière. Mais le monarque avait renvoyé aux calendes grecques les réformes structurelles et politiquement sensibles, échouant ainsi à préparer Oman aux défis de long terme.

En 2015, lorsque les cours du brut s'effondrent, le Fonds monétaire international (FMI) tire la sonnette d'alarme :« Les gouvernements du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne peuvent pas compter indéfiniment sur les ressources pétrolières pour financer leurs budgets de manière durable ». Dont acte, les réformes fiscales, économiques et politiques jalonnent les deux premières années du règne du nouveau sultan Haïtham Ben Tarek Ben Taïmour Al-Saïd. Au programme, nouvelles taxes, réduction du nombre de ministères de 26 à 19, diminution des dépenses d'investissements et reprise en main des entreprises publiques par le fonds souverain, révision des tarifs de l'électricité, non-renouvellement du contrat de 70 % des consultants étrangers travaillant pour l'État et mise à la retraite des fonctionnaires en poste depuis plus de 30 ans.

Le leitmotiv « Dépensons-nous bien ? » guide l'action du ministère des finances qui tente de rationaliser l'action publique, y compris dans les domaines de l'éducation et de la santé. La rigueur budgétaire ne touche pourtant pas tous les secteurs de manière uniforme. Oman enregistre toujours l'un des taux les plus élevés au monde de dépenses de défense et de sécurité, estimé à 24 % des dépenses publiques en 2022.

« Notre génération paie le prix des erreurs »

L'agressivité de la campagne de consolidation fiscale surprend et provoque l'ire d'une jeunesse qui ne masque plus son ressentiment à l'égard de l'élite politique : « Notre génération paie le prix des erreurs commises au cours des dernières décennies », s'exclame avec amertume une jeune Omanaise. En mai 2021, des manifestations contre le chômage éclatent, forçant le souverain à annoncer 32 000 emplois pour les jeunes diplômés. Un pas en avant, deux pas en arrière pour prévenir une fissuration de la paix sociale et renforcer sa posture de chef d'État, Haïtham Ben Tarek enregistre pourtant des succès tangibles. L'agence de notation Fitch Ratings relève sa perspective pour Oman en décembre 2021 de « négative » à « stable », en notant une « amélioration des principaux paramètres budgétaires ». La situation fiscale est « très stable et s'améliore », renchérissent, sous couvert d'anonymat, trois employés de Tawazun, un programme pour l'équilibre fiscal sous la houlette du ministère des finances.

Les inquiétudes liées aux dettes à échéance s'éloignent selon Zahabia Saleem Gupta, directrice associée à l'agence de notation S&P Global Ratings, qui place ces dernières à 6,5 milliards de dollars (6,17 milliards d'euros) en 2022 et à une moyenne de 3,5 milliards de dollars (3,32 milliards d'euros) par an entre 2023 et 2026. « Nous pensons qu'Oman sera en mesure de confortablement faire face aux remboursements de sa dette cette année grâce à un prêt syndiqué levé plus tôt dans l'année et en puisant dans les actifs du Fonds de réserve pétrolière », indique-t-elle. Les besoins de financement n'en demeurent pas moins importants, dans un contexte mondial de forte inflation qui force les banques centrales à remonter leurs taux directeurs.

Persistance de la dépendance aux revenus pétroliers

L'apparent assainissement des finances publiques doit être nuancé par une pratique en vogue dans les pays du Golfe : retirer certaines dépenses d'investissement du budget d'État en délestant la responsabilité de ces dernières sur les entités liées à l'État et au gouvernement. Ainsi, la compagnie Energy Development Oman, qui paie un dividende annuel au gouvernement, a contracté un emprunt de 2,3 milliards d'euros en 2021 pour financer des dépenses d'investissement. Dans un rapport daté de mars 2022, S&P Global Ratings note que les budgets des gouvernements du CCG sont « suffisamment solides » pour absorber le risque, hypothétique à ce stade, de détresse financière des entités liées à l'État sans détériorer significativement leur situation budgétaire. Une exception : Oman. Pour garantir la stabilité financière de ces entités, améliorer leurs performances et limiter le risque lié à la dette, le pouvoir les place sous la houlette du fonds souverain omanais qui s'empresse de restructurer plusieurs conseils d'administration.

Malgré son optimisme, Fitch Ratings pointe du doigt la persistance d'une forte corrélation entre les fluctuations des prix du pétrole et la santé budgétaire d'Oman. Selon l'agence de notation, l'augmentation des revenus des hydrocarbures, qui ont crû d'un tiers en 2021, a « probablement contribué pour plus de la moitié » de la réduction du déficit budgétaire la même année. Face à l'envolée des cours au-delà des 100 dollars (9,49 euros) le baril pour la première fois depuis 2014, le budget 2022, prudemment basé sur un baril à 50 dollars (47,44 euros), laisse présager de revenus au-delà des attentes. Une source au programme Tawazun estime que « la majorité » de la manne pétrolière supplémentaire sera allouée à la réduction de la dette publique afin de réduire le poids des paiements d'intérêts dans le budget. Ces derniers flambent, de 35 millions de rials omanais (86,35 millions d'euros) en 2014 à près d'un milliard (2,4 milliards d'euros) en 2020. Si la hausse des cours du brut joue un rôle central dans la stabilité fiscale retrouvée, la trajectoire ascendante des recettes non pétrolières, au premier rang desquelles les taxes, est indicative de progrès dans la diversification des sources de revenus. La TVA de 5 % introduite en avril 2021, dont sont cependant exclus plusieurs centaines de produits, doit rapporter au gouvernement 450 millions de rials en 2022 (1,1 milliard d'euros).

« Inculquer un sentiment d'urgence est tout à fait essentiel »

En dépit de la volonté d'aller de l'avant et de développer plusieurs secteurs économiques prometteurs, le pouvoir choisit de renouer avec les pratiques du défunt monarque : utiliser la hausse des cours du baril pour gagner du temps et faire graduellement « avaler la pilule » fiscale à une population adepte de l'État-providence. La décision de supprimer progressivement les subventions à l'électricité résidentielle d'ici à 2025 est ajournée pour perdurer durant dix ans. La région tente d'« éviter l'inévitable », indique, amère, l'une des sources au programme Tawazun, avant d'ajouter : « Je pense qu'inculquer un sentiment d'urgence est tout à fait essentiel ». En 2021, S&P Global Ratings alerte déjà sur les risques associés à un regain d'optimisme :« La hausse des prix du pétrole a fait dérailler les plans d'assainissement budgétaires des gouvernements du CCG par le passé. »

Face à un parterre de gouverneurs et de chefs tribaux, Haïtham Ben Tarek tient à rappeler son attachement à un contrat social généreux sur lequel repose en partie sa légitimité politique : « Nous suivons de près le coût de la vie et les questions qui affectent la vie de nos citoyens », s'exclame-t-il. Quelques jours plus tard, le souverain ordonne d'allouer 200 millions de rials omanais (486 millions d'euros) supplémentaires au budget de développement pour 2022.

Pour garantir la participation des plus fortunés au bien-être commun, Oman explore la possibilité de lancer le premier impôt sur le revenu de l'histoire du CCG, s'exposant au risque de perdre en compétitivité face aux autres économies du Golfe. En effet, dans leur chasse aux capitaux étrangers, les pays de la péninsule Arabique rivalisent également sur le plan fiscal, à l'image de l'Arabie saoudite qui promet aux entreprises étrangères relocalisant leurs sièges sociaux régionaux dans le royaume d'être exemptées de taxe sur les entreprises pour 50 ans. « L'impôt sur le revenu des personnes physiques est toujours en bonne voie, nous venons de terminer la rédaction de la loi et nous effectuons une certaine préparation opérationnelle. Nous nous attendons à ce que celui-ci soit opérationnel en 2023, à condition qu'il reçoive toutes les approbations, y compris le décret royal », révèlent les trois sources au programme Tawazun.

Selon Anurag Chaturvedi, directeur de la société de conseil fiscal Andersen aux Émirats arabes unis, « Le plus probable est qu'Oman instaure un impôt sur le revenu des personnes physiques. » Il ajoute que les groupes industriels et les agences proches du gouvernement s'attendent à ce que les ressortissants étrangers soient soumis à un impôt sur le revenu compris entre 5 et 9 %, au-delà d'un seuil de 100 000 dollars (246 723 euros). Tandis que les citoyens omanais seraient soumis à une tranche d'imposition de 5 % sur leur revenu du monde entier supérieur à 1 000 000 de dollars (2 467 235 euros). La distinction entre nationaux et étrangers, caractéristique des pays du Golfe, s'étend au domaine fiscal où la taxation frapperait différemment selon la couleur du passeport.

Les sources qui travaillent au programme Tawazun insistent sur la nature sociale de la taxe qui serait mise en œuvre : « Le produit de l'impôt sur le revenu sera affecté aux programmes sociaux ». L'impôt sur le revenu apparaît comme un outil pour imposer le concept de circulation transversale de la richesse, où les plus modestes bénéficient des contributions des plus fortunées, à l'inverse du contrat social vertical actuel où l'État assume le rôle de redistributeur de la rente pétrolière. Au programme Tawazun, la source conclut à propos de l'impôt sur le revenu : « À travers toute la région du CCG, la texture sociale est presque commune : la société est habituée à l'État-providence, donc, à mon avis, nous pouvons nous attendre à un changement majeur dans les mentalités. »

Sur le court terme, la perspective d'un impôt sur le revenu provoque sur les réseaux sociaux un appel à plus de transparence du gouvernement, notamment pour obtenir la garantie que cet impôt ne touche ni les classes modestes ni les classes moyennes. « […] Les taxes en elles-mêmes ne sont pas une mauvaise idée à condition que leur produit soit dépensé de manière judicieuse et efficace et qu'elles soient ponctionnées auprès des riches et non des pauvres », indique dans un tweet l'activiste omanais Alawi Almshahur. En reviendra-t-on au slogan de la révolution américaine, « pas d'imposition sans représentation » (« No taxation without representation ») ?

Au Yémen, la fin de la guerre paraît enfin en vue

À l'occasion du Forum de Doha (26-27 mars 2022), nous avons rencontré Helen Lackner, spécialiste du Yémen. La situation dans ce pays déchiré par la guerre depuis 2015 connaissait des évolutions importantes et nous l'avons interrogée sur ces changements. Nous avons poursuivi la conversation dans les semaines qui ont suivi et avons rassemblé ses propos sous forme d'un article.

Respect d'un cessez-le-feu proclamé le 2 avril 2022, remplacement cinq jours plus tard du président corrompu Abd Rabbo Mansour Hadi par un Conseil présidentiel : ces événements constituent des avancées décisives dans le règlement de la guerre du Yémen, entrée dans sa huitième année le 26 mars 2022. Ils ont des répercussions sur les efforts des Nations unies pour mettre fin à ce conflit ainsi que sur les décisions des dirigeants de la coalition anti-houthistes. Et démontrent, une fois de plus, que la guerre civile internationalisée du Yémen ne peut se résoudre qu'en activant des leviers politiques nationaux et des pressions internationales.

Déjà, pour la première fois depuis six ans, un cessez-le-feu généralisé est largement respecté, permettant à la population de suivre le ramadan sans crainte des bombardements. Sa durée de deux mois est renouvelable. Outre le cessez-le-feu, la plupart des exigences houthistes sont, en théorie, satisfaites, en particulier la réouverture de l'aéroport de Sanaa et l'arrivée de pétroliers dans le port de Hodeïda qu'ils contrôlent. Des discussions devraient être engagées pour rouvrir des routes bloquées par la guerre à Taïz et ailleurs. L'envoyé spécial de l'ONU a réussi à surmonter les réticences de toutes les parties concernées.

Ex-ambassadeur de l'Union européenne au Yémen, le suédois Hans Grundberg est entré en fonction en septembre 2021, et ce premier succès est encourageant. Pendant deux mois, il va poursuivre les discussions engagées avec toutes les factions concernées et d'autres éléments non combattants de la société yéménite pour préparer des négociations destinées à mettre fin à la guerre. Si ses compétences propres ont certainement joué un rôle pour parvenir à ce résultat, différents facteurs liés à l'évolution de la guerre, marquée par une indéniable impasse militaire, lui ont facilité la tâche.

Les houthistes en échec à Marib

Les forces armées houthistes essaient depuis début 2020 d'avancer dans le gouvernorat de Marib qui leur donnerait accès aux principales ressources gazières et pétrolifères ainsi qu'à la capitale du dernier gouvernorat sous contrôle du gouvernement internationalement reconnu (GIR). Ayant réussi à extirper les forces gouvernementales à l'ouest de la région, la ville de Marib restait hors de leur portée, car située en terrain ouvert, elle permettait aux forces saoudo-émiriennes de la défendre par des bombardements aériens. Ceux-ci ont d'ailleurs causé d'énormes pertes humaines parmi les houthistes ces deux dernières années. L'automne dernier, ces derniers ont pu avancer vers le sud du gouvernorat de Marib ainsi qu'à Shabwa, tentant une offensive via plusieurs fronts vers la ville de Marib.

Les avancées houthistes de fin 2021 ont conduit à une réorganisation du camp anti-houthistes. D'une part, en décembre, les Émirats arabes unis (EAU) ont forcé le président Hadi à remplacer le gouverneur de Shabwa, mettant fin à une longue résistance à l'influence émiratie dans ce gouvernorat où se trouvent les infrastructures d'exportation du gaz, la principale ressource économique du pays. Bien que la production et l'exportation du gaz aient été interrompues du fait de la situation sécuritaire début 2015 par Total Énergies, principal actionnaire de l'entreprise Yemen LNG, la région de Shabwa reste un objectif militaire primordial pour tous.

Ailleurs dans ce gouvernorat, les Émiratis maintenaient aussi une base militaire et les conflits entre eux-mêmes, représentés par leurs alliés yéménites et le GIR, ont donné lieu à un grand nombre d'escarmouches pendant toute l'année 2021, pointant la fragmentation du camp anti-houthistes. À Shabwa, l'arrivée de forces soutenues par les EAU a permis de repousser les houthistes et de briser leur encerclement de Marib. Il est probable que ce basculement, ainsi que la perte de milliers de soldats, a persuadé les leaders houthistes qu'il leur serait impossible de prendre Marib. Dès lors, ils ne pouvaient plus compter sur une victoire militaire pour arriver en position de force à des négociations. Pour la première fois, le temps jouait contre eux.

D'autre part, les attaques de plus en plus fréquentes et efficaces contre les installations pétrolières en Arabie saoudite, et les premières contre les EAU en janvier 2022 ont prouvé l'amélioration des capacités balistiques des houthistes, à travers leurs missiles ou leurs drones armés. Cette situation a probablement persuadé les Émiratis qu'il était urgent de mettre fin au conflit. Il semble que les dirigeants tant saoudiens qu'émiratis ont perdu patience, constatant combien, en sept ans, leurs alliés yéménites n'ont fait que se diviser, tout en leur coûtant des fortunes en soutien financier et militaire. Bien que la corruption soit un phénomène inhérent aux relations clientélistes dans la région, leurs contributions aux factions yéménites, notoirement enrichies grâce à la guerre, n'ont en effet pas été décisives sur le terrain militaire.

Restructurer les institutions

Lancée à l'initiative des Saoudiens sous l'égide du Conseil de coopération du Golfe (CCG), la conférence intra-yéménite, réunie du 30 mars au 7 avril 2022 à Riyad, a obtenu des résultats qui ont défié toutes les attentes. Le président Abd Rabbo Mansour Hadi et le vice-président Ali Muhsin, qui dirigeaient le pays de façon inepte et corrompue, ont en effet été évincés. Mais leur remplacement souffre déjà d'un problème de crédibilité. La République du Yémen est maintenant dotée d'un Conseil présidentiel composé de huit hommes auxquels Hadi a délégué son pouvoir lors d'une allocution télévisée dont le texte avait été dicté par les Saoudiens. Imposé par les pays du Golfe avec peu ou pas de participation effective des Yéménites, ce comité comprend des chefs issus du parti Al-Islah détesté par les Émiratis, mais aussi des salafistes, clients des EAU ou du régime saoudien. Il est peu probable que ces individus coopèrent efficacement pour résoudre les problèmes du pays et de sa population.

Les appels récents de l'Arabie saoudite à intégrer les houthistes dans les négociations ne sont pas surprenants, mais rencontrent plusieurs obstacles. Ainsi, l'article 7 du document annonçant la démission de Hadi donne au Conseil présidentiel la responsabilité de négocier un cessez-le-feu permanent et de participer à des discussions permettant de mener le Yémen de la guerre à la paix. Il est indéniable que les gouvernements saoudien et émirati souhaitent en finir avec cette guerre. Le soutien financier de 3 milliards de dollars (2,75 milliards d'euros) des EAU et de l'Arabie saoudite au nouveau pouvoir yéménite atteste du sérieux de leurs intentions.

De son côté, Hans Grunberg œuvre depuis son arrivée à son poste à la préparation de négociations entre les parties yéménites. L'intervention des pays du Golfe dans les structures gouvernantes du pays a sans doute pour but de l'aider, mais il n'est pas évident que cette nouvelle architecture institutionnelle lui facilite la tâche. Le Conseil présidentiel permet la représentation des principales forces militaires sur le terrain. Si toutes se disent prêtes à trouver une solution, chacune a une interprétation différente des concessions à faire et leurs points de vue ne s'accordent pas pour l'heure.

Les États-Unis à la remorque

Certes, le fait que les principaux intervenants étrangers soient désormais sur la même longueur d'onde laisse penser qu'il est raisonnable d'imaginer un début de négociation dans les mois qui viennent. Si la fin du conflit armé ouvert est prévisible, il serait plus qu'optimiste d'en attendre une paix à long terme, permettant de résoudre les problèmes socio-économiques auxquels les Yéménites font face. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'à l'issue de ces négociations le Yémen demeure un pays unifié.

Comme les pays voisins, les États-Unis ont d'autres préoccupations, y compris dans la région, que la guerre au Yémen. Pour eux, les négociations pour remettre sur pied l'accord sur le nucléaire iranien sont autrement plus importantes. À ses débuts, l'administration Biden pensait qu'il serait facile de mettre fin à la crise yéménite et que ce succès serait de bon augure pour sa politique étrangère, montrant sa capacité à faire plier le prince Mohamed Ben Salman d'Arabie saoudite avec lequel elle est en conflit larvé. Un an plus tard, les changements dramatiques dans la situation internationale ainsi que leur échec à relancer les négociations rapidement ont considérablement réduit l'intérêt de ce conflit aux yeux des diplomates américains. Ayant abandonné l'idée de mettre fin aux ventes d'armes aux Saoudiens, et compte tenu des conséquences politiques et économiques du conflit en Ukraine, il est de nouveau dans l'intérêt des États-Unis de s'aligner sur la politique des Saoudiens et des Émiratis au Yémen.

Dès lors, l'administration Biden soutient les efforts de l'envoyé spécial de l'ONU, sans chercher à jouer un rôle central. Les États-Unis sont par ailleurs les principaux contributeurs des efforts humanitaires de l'ONU au Yémen, ayant promis à la conférence des donateurs de mars 2022 près de 600 millions de dollars (549 millions d'euros), soit 46 % du total.

Le contexte international confine le conflit yéménite à l'arrière-plan au moment où, au niveau interne comme régional, des signaux encourageants sont envoyés. Le conflit russo-ukrainien accentue la disparition du Yémen des radars médiatiques et diplomatiques occidentaux. Pourtant ses effets sur le Yémen sont dramatiques. L'augmentation des prix du blé, base de l'alimentation au Yémen, est d'autant plus désastreuse pour la population que le soutien humanitaire a été réduit par suite de la faiblesse du financement international. Les approvisionnements venus de Russie et d'Ukraine sont incertains.

Comment s'est formé le Conseil de coopération du Golfe ?

Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) vit officiellement le jour lors du sommet qui se tint à l'hôtel Intercontinental d'Abou Dhabi les 25 et 26 mai 1981. Étaient présents le roi Khaled Ben Abderrahman Al-Saoud (Arabie saoudite), Cheikh Jaber Al-Ahmed Al-Sabah (Koweït), Cheikh Issa Ben Salman Al-Khalifa (Bahreïn), Cheikh Khalifa Ben Hamad Al-Thani (Qatar), le sultan Qabous Ben Saïd (Oman) et l'hôte du sommet, Cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyan, émir d'Abou Dhabi et président de la Fédération des Émirats arabes unis (EAU) née une décennie plus tôt, les sept émirats la composant ayant obtenu leur indépendance du Royaume-Uni en même temps que le Qatar et Bahreïn. Les raisons de sa formation remontent à un an.

Une conséquence de la guerre Irak-Iran

En février 1980, le président irakien Saddam Hussein lance l'idée d'une « charte nationale arabe » excluant toute présence étrangère (autrement dit américaine) dans la région du Golfe. Il se pose en glaive et bouclier des États arabes menacés par l'Iran depuis la Révolution islamique survenue un an auparavant. De fait, depuis l'arrivée au pouvoir de l'ayatollah Rouhllah Khomeiny, les nouvelles autorités iraniennes prônent l'exportation de la révolution, et appellent au renversement des « monarchies corrompues » de la péninsule Arabique.

Tout au long de l'année 1980, les émissaires irakiens multiplient les voyages dans les capitales du Golfe pour renouveler l'offre de Saddam Hussein, et probablement aussi pour s'assurer du soutien des souverains du Golfe à l'offensive qu'il prépare contre l'Iran. Mais lorsqu'il déclenche la guerre en septembre, si les capitales du Golfe apportent un soutien verbal et financier à l'Irak, elles s'inquiètent surtout des risques de débordement du conflit sur leur sol.

Dans la foulée du sommet de l'Organisation de la conférence islamique qui se tient à La Mecque fin janvier 1981, les ministres des affaires étrangères des six monarchies de la péninsule Arabique (Arabie saoudite, Bahreïn, Koweït, Qatar, Émirats arabes unis et sultanat d'Oman) se réunissent à Riyad le 4 février et prennent la décision de coordonner leurs politiques dans divers domaines, particulièrement en matière économique et sociale, au sein d'un nouvel organisme : le Conseil de coopération des États du Golfe arabe.

Marginalisation du Yémen et de l'Irak

Le secrétaire général de la Ligue arabe Chedli Klibi et celui de l'Organisation de la conférence islamique Habib Chatty sont également présents, apportant le soutien des deux organisations internationales, l'arabe et l'islamique, à ce nouvel ensemble régional.

Les membres de ce nouveau club ne sont que six : le Yémen républicain, dont l'histoire récente est marquée par des coups d'État et des révolutions n'a pas été convié. Sa population pauvre est pratiquement aussi importante que la somme des populations composant les membres du CCG. L'Irak est l'autre absent notable. Bagdad n'a pas été invité à participer à l'aventure malgré tous les efforts déployés depuis plus d'un an pour constituer un tel regroupement régional, naturellement sous la « protection » irakienne offerte avec insistance, mais en vain, par Saddam Hussein. La guerre dans laquelle il s'est engagé avec l'Iran a offert un prétexte aux six monarques pour le laisser à l'écart.

À l'ouverture du sommet, deux lignes s'affrontent, et le différend qui dure depuis plusieurs mois n'a pas été tranché par les travaux préparatoires des diplomates. C'est donc aux chefs d'État d'arbitrer entre le projet omanais, qui veut une alliance militaire régionale assumant ses liens avec les États-Unis, et le document koweïtien, s'inspirant de la Communauté européenne (CE), qui souhaite un « marché commun » des monarchies du Golfe. Le Koweït est alors le chantre du non-alignement et le seul des membres du CCG à avoir des relations diplomatiques avec l'URSS et plusieurs autres pays du « camp socialiste ». En réalité, sur le fond, les positions ne sont pas si éloignées que cela, mais les Koweïtiens craignent qu'une alliance en bonne et due forme avec les Américains ne donne aux « durs » du monde arabe (Syrie, Algérie, Irak…) des prétextes pour déstabiliser les pétromonarchies en exploitant la fibre nationaliste arabe, très présente parmi les sujets de plusieurs des monarques présents autour de la table.

Le point de vue du Koweït prévaut, du moins à la lecture du communiqué final. Le siège du CCG est fixé à Riyad et le premier secrétaire général, Abdullah Bishara, est koweïtien. Les années suivantes montreront qu'en réalité, les préoccupations sécuritaires des Omanais sont largement partagées par ses cinq partenaires.

Syrie. Des mercenaires pour la Russie en gage de gratitude ?

De nombreuses informations, difficiles à confirmer, circulent sur le recrutement de mercenaires syriens pour l'Ukraine. Ils seraient un gage offert par le régime à la Russie.

L'annonce de l'envoi de combattants ou mercenaires syriens prêts à se battre aux côtés des troupes russes en Ukraine porterait à sourire si elle n'était pas triste à pleurer. Elle traduit surtout l'image d'un pays saigné à blanc et à qui on demande de servir de chair à canon contre rémunération, soit de pauvres hères prêtant main-forte au « groupe Wagner », les brigades russes officieuses envoyées sur plusieurs théâtres de guerre à travers le monde. La Syrie n'a pas fini de payer un lourd tribut à la guerre et à son « bienfaiteur ». Et bien qu'éloignés, les combats en Ukraine ne font qu'enfoncer dans la misère la population syrienne, avec ses millions de déplacés, désormais classée au nombre de pays souffrant de malnutrition.

Des « corrections de l'Histoire »

Le cynisme des dictateurs se porte bien. Visiblement mis à mal dans son projet d'envahir l'Ukraine, Vladimir Poutine a lancé un appel au potentat syrien Bachar Al-Assad en retour du soutien militaire russe qui a permis de sauver son régime en 2015 face aux insurgés djihadistes et autres rebelles, et de récupérer une grande partie de son territoire. Plus de 63 000 soldats russes avaient été déployés en Syrie selon Moscou, et ce pays est devenu depuis la seule base de la marine de guerre et de l'aviation russes en Méditerranée. De plus, la Syrie a véritablement servi de terrain d'entraînement à l'armée russe. Des armes nouvelles y ont été testées : « plus de 300 », se vantait même en juillet 2021 le ministre russe de la défense Sergueï Choïgou.

La Syrie a été le seul pays arabe à soutenir l'action de son allié russe dès le 25 février, soit trois jours avant le lancement de l'invasion de l'Ukraine. « Le président Assad a souligné que ce qui se passe aujourd'hui est une correction de l'Histoire et un rétablissement de l'équilibre de l'ordre international après la chute de l'Union soviétique », a indiqué la présidence syrienne dans un communiqué. « Faire face à l'élargissement de l'OTAN est un droit pour la Russie », a ajouté Bachar Al-Assad, qui a qualifié l'organisation atlantique de « menace mondiale » et d'« outil pour mettre en œuvre les politiques irresponsables des pays occidentaux visant à déstabiliser le monde ». En outre, Assad et Poutine partagent un idéal commun : la création d'un territoire le plus homogène possible, débarrassé des opposants, « terroristes » et autres « nazis ».

Assad est coutumier des « corrections de l'Histoire ». Son père Hafez Al-Assad avait accédé à la tête de l'État en 1970 à l'issue d'un coup d'État qualifié à l'époque de « mouvement rectificatif » (haraké tashihieh).

Le rôle de Wagner

Aujourd'hui, c'est donc une campagne de recrutement d'anciens soldats de l'armée syrienne par des sociétés privées russes, comme Wagner, qui serait en cours dans le pays - rappelons que des mercenaires syriens ont été aussi envoyés en Libye. Plus précisément, le 11 mars, Choïgou a proposé l'envoi de Syriens sur le front ukrainien au président Vladimir Poutine, qui s'est empressé de l'approuver lors d'une réunion de son conseil de sécurité. Il a dit « qu'avant tout, ceux qui veulent, qui ont demandé [à partir combattre] sont des ressortissants du Proche-Orient, des Syriens », d'après le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov. Poutine avait évidemment approuvé cette proposition, soutenant que « les parrains occidentaux du régime ukrainien ne se cachent même pas » et rassemblent « des mercenaires du monde entier pour les envoyer en Ukraine ».

Le même jour, la télévision d'État russe diffusait des images non datées fournies par le ministère de la défense montrant une manifestation de Syriens fidèles du régime. En uniformes et armes à la main, ils sont rassemblés sur fond de banderoles aux couleurs de la Russie et de portraits du président russe. « Des vétérans viennent aux sites de recrutement des forces armées syriennes et veulent savoir si l'on recrute des volontaires pour être au côté de la Russie, comme elle l'a été avec la Syrie », a détaillé le ministère, selon les médias russes.

Les supplétifs des forces russes recevraient, selon des sources diverses, des rémunérations mensuelles allant de 800 à 1 800 dollars (724 à 1629 euros). Une fortune pour une famille syrienne et environ cent fois ce que gagne par mois un militaire. Et pour Bachar Al-Assad, une façon de remercier son protecteur russe.

Impossible de connaître exactement le nombre de combattants syriens. Poutine a évoqué le chiffre de 12 000 hommes, ce qui semble exagéré, mais l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), dont le siège est à Londres et qui était une des principales sources d'information sur le terrain durant le conflit syrien, a surenchéri, indiquant le 15 mars que la Russie a établi des listes de 40 000 combattants de l'armée syrienne et de milices alliées, prêts à être déployés en Ukraine. « Plus de 40 000 Syriens se sont inscrits pour combattre aux côtés de la Russie en Ukraine jusqu'à présent », a déclaré Rami Abdel Rahman, directeur de l'OSDH, sans toutefois faire état de départs vers la zone de combat. Toujours selon cette ONG, des officiers russes, en coordination avec l'armée syrienne et des milices alliées, ont ouvert des bureaux d'enrôlement dans les zones tenues par le régime de Damas. Un représentant du gouvernement syrien a cependant démenti l'existence de cette campagne de recrutement. « Jusqu'à présent, aucun nom n'a été inscrit, aucun soldat n'est enregistré et personne ne s'est rendu en Russie pour combattre en Ukraine », a ainsi déclaré à l'AFP Omar Rahmoun, du Comité de réconciliation nationale.

Selon le site d'information de l'opposition syrienne Baladi News, la Russie a demandé aux Forces de défense nationale (National Defense Forces, FND), des milices locales créées en novembre 2012 pour soutenir l'armée syrienne, d'envoyer des hommes pour combattre en Ukraine. Et toujours selon ce média local cité par le Syrian Observer, Nabel Al-Abdallah, le chef de cette milice dans la ville chrétienne d'Al-Suqaylabiyah dans la province de Hama (nord-ouest), avait exprimé son soutien à la Russie en faisant l'éloge des liens d'amitié entre Assad et Poutine. Baladi News précisait que la partie russe demandait à Abdallah de faire inscrire les noms des combattants auprès de la base aérienne russe de Hemeimin, au nord de Lattaquié, sur la côte, sur la base de contrats semi-annuels.

En tout état de cause, la Syrie ne serait pas le seul pays à envoyer des hommes au combat : plusieurs pays africains où la Russie a déployé des troupes via le groupe Wagner ayant rejoint le mouvement, selon les médias. Vrai ou faux, impossible à savoir à ce stade la réalité de ce que représentent exactement ces brigades qui vont combattre côté russe ou ukrainien.

Inflation galopante

Mais pour la Syrie, le coût de cette nouvelle guerre, s'ajoute à ce lui d'une guerre qui a fait quelques centaines de milliers de morts est exorbitant. « Il suffit que quelqu'un éternue dans un pays lointain pour que l'on soit secoué chez nous », plaisante non sans amertume Tony, un guide touristique au chômage pour qui la viande est un luxe qu'il ne peut plus s'offrir, comme bien d'autres Syriens aux abois. « Depuis l'intervention russe, le sandwich de falafel qui constitue la nourriture la moins chère pour le Syrien moyen a bondi de 1 300 à 2 000 livres » (0,46 à 0,72 euro). « Le prix du kilo de lentilles, un produit de base, a plus que doublé : de 3 000 à 6 500 SYP [1,08 à 2,34 euros] ; l'huile de cuisson de 9 000 à 14 000 SYP [3,24 à 5,04 euros] et le kg de farine de 2 200 à 4 500 SYP [0,79 à 1,62 euro] », a-t-il indiqué à Orient XXI.

Et en cet hiver particulièrement rigoureux qui frappe la Syrie comme le Liban voisin lui aussi en crise, le mazout pour le chauffage est rare et les pénuries fréquentes. La flambée des matières premières constitue aussi une plaie pour la Syrie qui dépend de l'Iran et de la Russie —ses deux alliés — pour son pétrole et son blé.

Téhéran et Moscou – qui se partagent le gâteau syrien — avancent ou reculent leurs pions au gré des circonstances. L'Iran gagne du terrain en Syrie en profitant du fait que la Russie est par trop occupée par sa guerre en Ukraine. À cet égard, Damas et Téhéran ont tout récemment renforcé leurs relations, avec plusieurs rencontres de haut niveau entre responsables sécuritaires et politiques des deux pays afin de « promouvoir encore plus leur coopération », selon le site The Syrian Observer dans son édition du 4 mars. Dans la même édition, et citant Baladi News, il a également fait état d'incidents entre éléments pro-iraniens et pro-russes dans la ville de Hassakeh dans le nord-est de la Syrie.

Ainsi la Syrie subit-elle les soubresauts de la guerre en Ukraine, onze ans après le déclenchement d'un conflit d'une violence inouïe sur son territoire qui l'a laissée exsangue, avec 6 millions de réfugiés dans le monde et autant de déplacés dans leur propre pays. En ce siècle implacable et inhumain, les masses de réfugiés se succèdent, voguant vers un avenir incertain, les Ukrainiens succédant aux Syriens et autres Afghans et Africains. Des exodes sans fin.

Les pays du Golfe se branchent sur l'électricité renouvelable

Classés parmi les plus gros consommateurs de kilowattheures au monde par habitant, les pays du Golfe restent dépendants des énergies fossiles pour leur production électrique. Mais un taux d'ensoleillement exceptionnel commence à faire bouger les compteurs.

Sans l'intervention de l'État et la mise à contribution de l'énergéticien Électricité de France (EDF), le prix de l'électricité dans l'Hexagone aurait augmenté de 44,5 % pour les particuliers au 1er février 2022, indique la Commission de régulation de l'énergie. Cette envolée sur fond de flambée des cours du gaz et d'augmentation du prix de la tonne de CO2 sur le marché du carbone européen met en lumière le poids prépondérant des énergies fossiles dans la production du courant consommé en Europe.

À 5 000 kilomètres de Paris, si la facture des ménages saoudiens ne connaît pas de hausse significative cette année grâce aux subventions gouvernementales qui anesthésient les prix, l'électricité n'en demeure pas moins carbonée. Plus de 43 % des kilowattheures (kWh) produits par le royaume de l'or noir en 2019 le sont dans des centrales électriques fonctionnant au pétrole, un chiffre 15 fois supérieur à la moyenne mondiale. Malgré un taux d'ensoleillement parmi les plus importants au monde avec 3 400 heures de soleil par an à La Mecque, soit deux fois plus que dans la capitale française, l'Arabie saoudite peine à mobiliser cette ressource naturelle pour assouvir un appétit électrique vorace.

À l'image du Royaume, les cinq autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) se classent tous parmi les plus gros consommateurs de kWh au monde par habitant. En cause notamment, le recours massif à des climatiseurs énergivores dans les maisons, bureaux et centres commerciaux pour isoler les populations des torrides chaleurs estivales de la péninsule Arabique. Entre 2003 et 2013, date à laquelle les climatiseurs saoudiens engloutissent 70 % du courant électrique du pays, la consommation d'électricité dans le Golfe croît plus rapidement que n'importe où ailleurs dans le monde, à un rythme annuel de 6 à 7 %.

La consommation débridée s'explique en partie par un manque de sensibilisation au véritable coût du kWh et à son impact environnemental (les subventions d'État sont néanmoins sur le déclin, sur fond de rationalisation des budgets publics), ainsi que la faible efficacité énergétique des constructions, infrastructures et équipements publics.

Électricité verte sous haut voltage

Longtemps onéreuse, l'énergie renouvelable ne l'est plus, le solaire offrant aujourd'hui l'électricité la moins chère de l'histoire. « Lorsque les jeunes Saoudiens jouent à des jeux en ligne et voient des éoliennes, ils se demandent pourquoi nous n'en avons pas déjà ici », ose Mohamed Alshammari, un jeune Saoudien actif au sein d'un projet associatif pour faciliter la communication entre la jeunesse et les responsables politiques du Royaume.

Aux Émirats arabes unis (EAU) voisins, l'ajout de fermes solaires à un mix énergétique dominé par le gaz naturel est un impératif alors que les gourmands véhicules électriques se démocratisent dans les rues de Dubaï. Les parcs solaires Mohamed Ben Rachid Al-Maktoum à Dubaï et Noor à Abou Dhabi sont parmi les plus importants au monde. Le pays vise à l'horizon 2050, date à laquelle les EAU se sont engagés à atteindre la neutralité carbone, un mix énergétique composé à 44 % de renouvelable, 50 % de gaz naturel et de charbon (Dubaï annonce à présent vouloir convertir au gaz naturel la centrale électrique au charbon d'Hassyan, opérationnelle depuis 2020), et 6 % de nucléaire. L'Autorité de l'eau et l'électricité de Dubaï (DEWA) affirme également travailler sur l'efficacité énergétique des installations et avoir réduit les pertes dans les réseaux de transmission d'électricité à 3,3 %, « contre 6 à 7 % enregistrés en Europe et aux États-Unis », précise son patron, Saeed Mohamed Al-Tayer.

Dans le sillage des EAU, organisateur de la 28e conférence annuelle de l'ONU sur le climat en 2023 (COP28), l'Arabie saoudite du prince héritier Mohamed Ben Salman annonce vouloir atteindre 50 % d'électricité issue du renouvelable en 2030, contre seulement environ 0,1 % en 2019, soit un accroissement considérable de plus de 45000 % d'ici la fin de la décennie. « Ils n'atteindront peut-être pas tous les objectifs, mais voir la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité passer à 10-20 % dans les cinq à sept prochaines années est réaliste », indique une source dans le secteur énergétique saoudien sous condition d'anonymat.

Selon une estimation du groupe de réflexion environnemental britannique Carbon Tracker, couvrir de fermes solaires et éoliennes seulement moins de 1 % du territoire saoudien suffirait pour répondre aux besoins énergétiques du pays. À noter cependant l'impact des conditions climatiques locales sur la performance des panneaux solaires. Selon une étude datée de 2019 résultant d'analyses de terrain menées aux EAU, l'accumulation de poussières sur les installations solaires réduit la production d'électricité de 12,7 %. Pour limiter le phénomène, le pays se trouve contraint de devoir doter ses fermes solaires de machines de dépoussiérage robotisées.

La Saudi Electricity Company, compagnie nationale d'électricité, n'a pas répondu à une demande de commentaire concernant le calendrier de retrait des centrales au pétrole. Un agenda ambitieux qui pousse les critiques à douter de la sincérité environnementale sur des objectifs qui visent à limiter le recours aux énergies fossiles pour produire de l'électricité, de surcroît dans un contexte de remontée des cours vers le seuil symbolique des 100 dollars (87,53 euros) le baril. « Il est important que tout mouvement vers les énergies renouvelables soit motivé par le désir de prendre davantage de responsabilités dans la lutte mondiale contre le changement climatique, plutôt que par la seule motivation économique de libérer davantage de combustibles fossiles pour les exporter dans le monde entier », commente Ahmed El Droubi, chargé de campagne pour Greenpeace Moyen-Orient et Afrique du Nord. Le 24 janvier 2022, Oman, qui vise 39 % d'énergie renouvelable d'ici à 2040, annonce avoir raccordé à son réseau le parc solaire Ibri 2 composé d'environ 1,5 million de panneaux solaires bifaciaux.

Outre l'opportunité d'accroître leurs exportations de brut, les pays du Golfe — notamment l'Arabie saoudite, les EAU et Oman — voient dans l'électricité verte une opportunité : bâtir une rente autour de l'exportation d'hydrogène vert, un vecteur d'énergie produit en divisant les molécules d'eau au moyen d'un courant électrique d'origine renouvelable. Même si celui-ci n'en est qu'à ses balbutiements, le coût de production d'un kWh doit chuter de plus de 50 % pour être une « alternative viable aux carburants conventionnels » analyse l'agence de notation S&P Global Ratings. L'hydrogène vert est jugé comme un complément de choix aux énergies renouvelables, en particulier pour accélérer la décarbonation des industries les plus difficiles à décarboner. « Je pense que vous avez ici une pépite d'avenir », résume le président français Emmanuel Macron dans un discours en novembre 2021. Forte de ce constat, l'Arabie saoudite annonce vouloir ouvrir la plus grande usine d'hydrogène vert du monde sur les terres de NEOM, la ville futuriste annoncée par Mohamed Ben Salman, mais qui demeure encore largement à l'état de projet. Et le pays vise 750 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables au cours des dix prochaines années ; une aubaine à l'heure où accroître l'emploi des Saoudiens est une priorité d'État.

Pour autant, il ne faut pas s'y tromper, la transition vers l'électricité renouvelable demeure une affaire de mégaprojets étatiques qui ferme soigneusement la porte à toute velléité de participation horizontale. Si l'essor des toitures solaires vise à transformer les habitations en unités de production d'énergie décentralisées, les compagnies d'électricité du Golfe, qui jouissent d'un monopole sur la distribution, défendent au contraire un modèle de production centralisé. L'absence d'incitation pour revendre le surplus d'électricité au réseau rend l'émergence de microréseaux décentralisés exploités au niveau communautaire très peu probable selon plusieurs analystes, garantissant ainsi le maintien du statu quo. Au Qatar, où la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité est de 0 %, la réglementation ne permet pas aux citoyens de vendre du courant vert au réseau électrique. A contrario, l'entreprise monopolistique Qatar General Electricity & Water Co (Kahramaa) s'apprête à commercialiser les kWh d'Al-Kharsaah, la première centrale solaire du pays dont le raccordement au réseau est prévu avant le début de la Coupe du monde de football 2022.

La coopération régionale a besoin d'une recharge

Sur le modèle du réseau électrique européen, aujourd'hui accusé par le ministre français de l'économie Bruno Le Maire de faire peser sur les citoyens français le coût d'une électricité carbonée produite hors des frontières, les pays du Golfe interconnectent leurs réseaux électriques nationaux à partir de 2009 afin de prévenir les coupures de courant. Sous la houlette de l'Autorité interconnexion électrique du CCG (GCCIA), le réseau régional, bien que jugé « assez intéressant » par Grzegorz Onichimowski, ancien responsable des opérations de marché au GCCIA, demeure un échec. Le volume des échanges transfrontaliers d'électricité dans le Golfe « reste faible » et le concept de marché régional « n'a pas beaucoup progressé », selon une étude réalisée en 2020 par le Centre du roi Abdallah pour les études et les recherches pétrolières. Au sein du GCCIA une source non autorisée à commenter publiquement affirme que l'interconnecteur est utilisé à 10 % de sa capacité. Les pays du Golfe continuent « d'injecter de l'énergie dans le réseau pour qu'il reste actif ».

Le réseau électrique du CCG pourrait néanmoins gagner ses lettres de noblesse avec le développement des énergies renouvelables qui, par nature, favorisent l'intégration de lieux de production épars afin d'assurer un approvisionnement constant en dépit de la nature intermittente des énergies solaire et éolienne. De fait, développer les ressources en vent dont disposent l'Arabie saoudite, Oman et le Koweït est un potentiel vecteur de coopération pour répondre à la demande en électricité de la région après le coucher du soleil.

Mais un meilleur usage du GCCIA et la mise en commun des dépenses d'investissement pour créer des capacités régionales se heurte à la rivalité économique croissante entre l'Arabie saoudite et les EAU pour le leadership économique et à la question des subventions. En effet, l'électricité fortement subventionnée offerte aux citoyens dans le cadre de la redistribution de la rente pétrolière est un facteur limitant. « Personne ne veut subventionner le voisin […]. Avec l'arrivée des énergies renouvelables dans la région, ils doivent repenser l'ensemble du concept », résume Grzegorz Onichimowski.

À moins que le déploiement futur de batteries à grande capacité n'offre l'option de libérer l'énergie solaire récoltée localement durant la journée lorsque la consommation atteint son pic en soirée.

La Turquie, une nouvelle puissance africaine

En quelques décennies, la Turquie a développé un réseau dense de relations économiques, politiques et militaires avec l'Afrique. Elle est devenue un partenaire incontournable de nombre de pays du continent, au point d'inquiéter d'autres puissances comme la France.

Le troisième sommet Turquie-Afrique s'est tenu à Istanbul les 17 et 18 décembre 2021. Ayant pour thème le « partenariat renforcé pour un développement et une prospérité mutuels », il entendait consacrer plus de vingt ans d'activisme diplomatique turc continu sur le continent africain. C'est en effet avant même l'arrivée du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, dès 1998, qu'Ankara a lancé un « plan d'action pour une ouverture à l'Afrique » qui reflétait déjà le souhait de ce pays de s'engager dans une mutation stratégique rendue nécessaire par la fin du monde bipolaire. Si dans les années qui ont suivi, la Turquie a ainsi renoué avec son voisinage balkanique, caucasien ou proche-oriental, elle a donné également un tour multidimensionnel à sa politique étrangère, en prenant pied sur d'autres continents. Située dans son environnement proche, l'Afrique est ainsi devenue son aire d'expansion privilégiée au cours des deux dernières décennies.

Quarante-trois ambassades

L'accroissement de la présence de la Turquie en Afrique s'observe d'abord dans le développement conséquent de ses échanges commerciaux avec cette aire géographique. En l'espace de vingt ans, ils sont passés de moins de 5 milliards à plus de 25 milliards de dollars (21,89 milliards d'euros). Significativement, la Turkish Airlines, en plein développement, est devenue l'une des principales compagnies aériennes en Afrique, et dessert désormais 61 destinations.

Mais d'autres indicateurs illustrent la progression de l'influence turque sur ce continent. Sur le plan politique d'abord : avec 43 ambassades — l'Union africaine (UA) compte 55 États —, Ankara dispose de l'un des réseaux diplomatiques les plus denses en Afrique, alors que ses représentations n'étaient que de 12 au début du millénaire. Parallèlement le nombre d'ambassades africaines à Ankara est passé dans le même temps de 10 à 37. Cette croissance des liens diplomatiques n'aurait pas été possible sans la multiplication de visites officielles de haut niveau qui confinent désormais à la routine. Depuis 2005, il ne s'est pas passé une année sans que le président turc (ou le premier ministre quand il existait encore) n'effectue une tournée africaine, en visitant à chaque fois trois ou quatre États. Il a réalisé la dernière au mois d'octobre 2021, en se rendant en Angola, au Nigeria et au Togo — où une ambassade turque a d'ailleurs été ouverte en avril dernier.

Au-delà cette présence économique et politique assez classique, la Turquie a étoffé sa pénétration du continent africain en lui donnant une dimension humanitaire, culturelle, religieuse et éducative de plus en plus prononcée. Le gouvernement turc a ainsi multiplié l'ouverture de bureaux de son agence de coopération et d'aide au développement, le TIKA (Türk İşbirliği ve Koordinasyon Ajansı), qui sont désormais au nombre de 22 sur le continent. Il s'est aussi investi dans des opérations de restauration de patrimoine comme la réhabilitation de l'ancien port ottoman de Suakin au Soudan, ou dans la construction de mosquées dans des pays musulmans comme le Mali, mais aussi dans des États où le christianisme est majoritaire comme au Ghana. Ainsi, à Accra, « une grande mosquée du peuple », édifiée dans le style des mosquées ottomanes d'Istanbul, a été ouverte en 2017.

Ces constructions religieuses s'accompagnent souvent d'actions caritatives (distribution de vivres au moment du ramadan…) ou humanitaires (soutien à des projets agricoles d'irrigation, construction d'infrastructures hospitalières…). Sont impliqués dans ces initiatives humanitaires, religieuses ou culturelles des organismes publics comme la présidence des affaires religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı), les instituts Yunus Emre (équivalents turcs des Instituts français) ou l'Agence de presse Anadolu, mais aussi de grandes ONG musulmanes comme le Croissant rouge turc (Türk Kizilay), l'Aziz Mahmud Hüdayi Vakfı ou la Fondation d'aide humanitaire IHH.

La reprise en main du réseau Gülen allié

Enfin, l'action éducative a été une des dimensions majeures de ce soft power. C'est pour l'essentiel le mouvement Gülen qui a été à la manœuvre au départ en la matière, créant des écoles anglophones ou francophones dans nombre de pays du continent. Depuis que cette organisation est tombée en disgrâce, devenant même, après la tentative de coup d'État de 2016, une instance considérée comme une organisation terroriste par le gouvernement turc, ce dernier s'est employé à reprendre la main sur le réseau éducatif Gülen par l'intermédiaire de sa fondation Maarif, le cas échéant en faisant pression sur les pays africains qui se montraient réticents. Lors du dernier sommet Turquie-Afrique à Istanbul, Recep Tayyip Erdoğan a rappelé d'ailleurs l'impératif que constitue pour lui la lutte contre l'« Organisation terroriste fethullahiste », le Fethullahçı terör örgütü (FETÖ), acronyme officiel utilisé pour désigner le mouvement Gülen en l'assimilant à celles qui doivent être menées contre Boko Haram, les milices somaliennes Al-Chaabab ou l'Organisation de l'État islamique (OEI).

Un néo tiers-mondisme

Cette suite de résultats économiques, d'initiatives politiques, voire d'actions humanitaires et religieuses a permis à Ankara d'établir avec l'Afrique un véritable partenariat stratégique, dynamisé en permanence par de multiples rencontres techniques sectorielles, mais aussi ponctué par des sommets politiques tous les cinq ou six ans destinés à faire un bilan et à ouvrir des perspectives de coopération nouvelle, comme celui qui s'est tenu à Istanbul les 17 et 18 décembre 2021. La déclaration finale de cette rencontre a adopté une feuille de route. Elle définit cinq champs de coopération prioritaires : sécurité, commerce, éducation, agriculture et santé, et met en place des mécanismes de suivi ou d'évaluation. La Turquie a en outre signé un accord-cadre de coopération avec la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (Zelca). Le prochain sommet Turquie-Afrique est d'ores et déjà programmé en Afrique en 2026.

Pourtant, au-delà de ces aspects fonctionnels, la dimension stratégique prononcée de ce troisième sommet doit être soulignée. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer l'ampleur et la qualité des délégations africaines qui avaient fait le déplacement en Turquie. Au total, 54 pays étaient représentés par 16 chefs d'État — dont Félix Tshisekedi, l'actuel président de l'UA, Macky Sall, le président du Sénégal, ou Muhammadu Buhari, le président du Nigeria —, accompagnés par 102 ministres (dont 26 ministres des affaires étrangères), sans parler des très nombreux techniciens ou acteurs officiels engagés dans des opérations de coopération. Tirant parti de cette participation importante et des déclarations ostensibles d'amitié des dirigeants présents, Ankara n'a cessé de louer le climat de confiance établi entre la Turquie et l'Afrique.

Lors du discours qu'il a prononcé le 18 décembre, Recep Tayyip Erdoğan n'a pas ménagé ses efforts pour convaincre que cette relation reposait sur des intérêts mutuels véritables, mais il a surtout cultivé à l'envi le néo-tiers-mondisme qui domine sa rhétorique africaine depuis de longues années. Reprenant son fameux mot d'ordre « dünya beşten büyüktür » le monde est plus grand que cinq1 »), lancé lors de l'Assemblée générale des Nations unies en 2014, le président turc a en effet dénoncé « la grande injustice » du système international actuel qui conduit à ce que le continent africain soit absent du Conseil de sécurité. Il a déploré que seulement 6 % de la population africaine soit actuellement vaccinée et promis d'envoyer au continent 15 millions de doses de Turkovac, le vaccin turc qui vient d'obtenir son homologation. Par ce genre de propos, le président turc entend faire valoir la spécificité de son partenariat, en se démarquant à la fois des anciens colonisateurs qui ne chercheraient qu'à maintenir leur domination par d'autres voies et des superpuissances commerciales comme la Chine dont le tropisme africain ne serait motivé que par l'appât du gain.

La politique africaine de la Turquie n'est pourtant pas désintéressée. Même si l'Afrique ne représente que 10 % des exportations turques, elle recèle un potentiel de développement immense. Le continent apparaît dès lors comme l'une des cibles du nouveau système économique que le président turc affirme vouloir mettre sur pied pour enrayer la crise sans précédent que connait actuellement son pays. Bien que cette approche alimente une inflation galopante qui ruine le pouvoir d'achat des Turcs, Recep Tayyip Erdoğan veut croire en effet à ce qu'il appelle « le modèle chinois ». Il est persuadé que grâce à de faibles taux d'intérêt et une monnaie dévaluée, il pourra inonder les marchés extérieurs de produits turcs, soutenir la croissance, juguler l'inflation et stopper l'effondrement du cours de la livre.

Sur le plan politique, alors qu'elle s'est isolée en 2020, à la suite d'une série d'offensives souvent réussies en Méditerranée orientale, en Libye, dans le Caucase, la Turquie essaye de gagner des soutiens au sein des pays en voie de développement pour conforter le statut de puissance émergente qu'elle revendique. En 2010, c'est l'appui des pays africains qui lui avait permis d'être élue pour la première fois membre non permanent du Conseil de sécurité. Depuis, il s'est confirmé que l'appui de l'Afrique était important pour peser dans les instances internationales.

Un partenaire militaire efficace

Il reste que la présence de la Turquie en Afrique pourrait prendre un tour stratégique encore plus prononcé dans un très proche avenir. L'appui apporté par l'armée turque au gouvernement libyen de Tripoli en 2020, et l'engagement de ses drones qui a permis de stopper l'offensive du général Khalifa Haftar ont révélé aux Africains l'intérêt militaire que pouvait avoir ce nouveau partenaire. Même si, lors du troisième sommet, les questions de sécurité ont été abordées de manière plus feutrée que la coopération économique et humanitaire, il est sûr que le sujet était sur l'agenda d'un très grand nombre de ses participants. Ces derniers ont par ailleurs eu tout loisir d'avoir, en marge des sessions plénières de la manifestation, des contacts bilatéraux avec les dirigeants turcs.

L'implication militaire de la Turquie en Afrique n'est pas nouvelle, mais elle s'est accélérée récemment de façon spectaculaire. Ankara, qui dispose d'une base militaire en Somalie depuis 2017, a multiplié les contrats d'armements et les accords militaires de coopération au cours des derniers mois. Lors de sa tournée africaine en octobre 2021, Recep Tayyip Erdoğan faisait observer, non sans une certaine satisfaction : « Partout où je vais en Afrique, tout le monde me parle de drones ». À l'automne, la Tunisie et le Maroc ont reçu leurs premières livraisons de drones de combat (Anka S pour la première, Barayktar TB2 pour le second), mais plusieurs autres pays comme l'Éthiopie, l'Angola et le Niger s'intéressent de près à ce type d'armement, ou essayent de l'acquérir.

Durant l'été 2021, les puissances occidentales auraient fait pression sur la Turquie pour qu'elle cesse ses premières livraisons de drones à l'Éthiopie, confrontée à l'heure actuelle à la rébellion du Tigré. En novembre 2021, le Niger a signé un contrat d'armement prévoyant entre autres l'acquisition de Bayraktar TB2. Il est sûr que les drones expérimentés en Turquie contre la guérilla kurde du PKK sont susceptibles d'intéresser nombre d'États africains confrontés à des soulèvements sécessionnistes ou djihadistes.

Mais certains d'entre eux (Niger, Togo, Tchad, Éthiopie, Somalie…) achètent déjà d'autres matériels à la Turquie (avions d'exercice Hürkuş, véhicules blindés, camions…). Lors du troisième sommet d'Istanbul, Recep Tayyip Erdoğan a confirmé que pour les onze premiers mois de l'année 2021, le volume des échanges commerciaux entre la Turquie et l'Afrique aurait atteint 30 milliards de dollars (26,27 milliards d'euros), soit un montant supérieur de 5 milliards à celui de l'année précédente. Ainsi lorsqu'il s'est assigné pour objectif de tripler le solde commercial turco-africain dans un proche avenir, Recep Tayyip Erdoğan tablait probablement sur la poursuite et l'accroissement de ses premiers succès africains dans le domaine de l'armement. Pour l'année 2021, les exportations d'Ankara vers l'Éthiopie ont atteint 94,6 millions de dollars (82,84 millions d'euros) alors qu'elles n'étaient que de 250 000 dollars (218 931 euros) pour l'année 2020. Des augmentations ont été observées dans des proportions comparables, pour la même année, avec le Tchad ou le Maroc, autres récipiendaires de matériel militaire turc.

Un engagement plus politique

Ce nouveau statut de pourvoyeur d'armes en Afrique reflète le rôle stratégique joué désormais par la Turquie sur le continent. Ce phénomène s'est au départ manifesté dans la Corne de l'Afrique, en particulier en Somalie où après une implication initiale d'ordre humanitaire, Ankara s'est mis à soutenir de manière de plus en plus ostensible le gouvernement somalien dans la guerre civile qui ravage ce pays depuis plusieurs décennies. Depuis deux ans on observe que l'engagement de la Turquie en Afrique prend un tour de plus en plus politique. En 2020-2021, parallèlement à son engagement militaire en Libye, Ankara a signé des accords de coopération militaire avec le Niger, l'Éthiopie, le Tchad ou le Togo tout étant, au grand dam de la France, le premier pays à prendre contact avec le gouvernement de transition libyen, établi consécutivement au coup d'État d'août 2020.

Cette implication militaire et stratégique turque se confirme au moment où le continent africain est l'objet de nouvelles interventions étrangères. Dans la Corne de l'Afrique, Ankara soutenue par le Qatar n'a pas tardé à rencontrer l'Égypte et les Émirats arabes unis soutenus par l'Arabie saoudite, contribuant ainsi à exporter sur ce continent les antagonismes du Proche-Orient. Mais, dès lors que la présence stratégique turque s'étend à l'ensemble du continent africain, le problème se pose aussi de savoir comment Ankara se positionnera par rapport à d'autres acteurs qui y sont en position ascendante, notamment la Russie. Certes, le conflit libyen a montré que les deux pays étaient loin de partager les mêmes intérêts, mais on a pu voir sur d'autres théâtres de conflit (la Syrie notamment) que, même en désaccord, ces deux frères ennemis pouvaient taire leurs différends immédiats pour opérer des rapprochements ponctuels leur permettant de marginaliser les Occidentaux. Bien sûr, ce scénario est loin d'être joué, mais le risque qu'il représente inquiète beaucoup les anciennes puissances coloniales qui, comme la France ou le Portugal, sont très impliquées en Afrique occidentale.

Quelques jours avant la tenue du troisième sommet Turquie-Afrique, Emmanuel Macron, en charge de la présidence tournante de l'Union européenne (UE) au premier semestre 2022, a annoncé à son tour la tenue d'un sommet UA-UE en février 2022 pour dynamiser la relation « un peu fatiguée » des deux continents. Nul doute que cette initiative doit être comprise dans l'évolution actuelle des équilibres stratégiques en Afrique, où la Turquie occupe une place qui est loin d'être négligeable.


1Allusion aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

Pays du Golfe. La chasse aux capitaux étrangers

Fonds souverains, endettement discret des entreprises pétrolières ou encore vente d'actions, les pays du Golfe cherchent la martingale pour attirer les capitaux étrangers. Les investissements sont jugés essentiels pour diversifier l'économie régionale au-delà de la rente pétrolière.

En vue de l'introduction en bourse de l'autorité de l'eau et l'électricité de Dubaï (DEWA), le dirigeant de la capitale économique des Émirats arabes unis assure le road show en personne. « Investir dans DEWA, c'est investir dans l'avenir de Dubaï », lance Cheikh Mohamed Ben Rashid Al-Maktoum. Cette marque d'intérêt pour la cotation boursière de l'entreprise publique qui fournit les 3,4 millions d'habitants de l'Émirat en eau et électricité est le dernier signe en date de la volonté de redynamiser le marché financier de Dubaï (Dubai Financial Market, DFM).

Dans le sillage d'Abou Dhabi et de Riyad où les introductions en bourse se multiplient, Dubaï identifie sa place boursière comme un véhicule de choix pour encourager l'afflux de capitaux étrangers. L'entrée en bourse en octobre 2021 de la compagnie d'énergie saoudienne ACWA Power illustre ce lien, parfois abstrait, entre les marchés boursiers du Golfe et le financement des entreprises locales. Durant son introduction, la société a levé 1,2 milliard de dollars (1,06 milliard d'euros) en vendant une partie des actions. L'actionnaire principal, le fonds souverain saoudien Public Investment Fund (PIF), en a profité pour réduire sa participation afin de réorienter du capital vers d'autres projets. La cotation d'un nombre croissant d'entreprises sur les indices boursiers du Golfe, en particulier en Arabie saoudite, offre une stratégie de sortie claire aux investisseurs de la première heure et des opportunités pour les financiers internationaux.

Des bourses en circuit fermé

À ce jour, pourtant, les bourses du Golfe fonctionnent en circuit fermé, faute de parvenir à séduire les acheteurs étrangers. Plus de la moitié des entreprises cotées sur le Tadawul, la Bourse d'Abou Dhabi et le DFM enregistrent moins de 5 % de participation étrangère fin 2021. Ce manque d'intérêt des investisseurs internationaux s'explique en partie par la faible capacité d'innovation et d'expansion à l'international de la plupart des entreprises du Golfe, des indices boursiers peu diversifiés et faiblement représentatifs de la frange non pétrolière des économies et le fait que nombre de grands conglomérats familiaux qui dominent l'économie hors hydrocarbures de la région ne sont pas cotés, pas plus que ne le sont les petites et moyennes entreprises. « Les noms de la pétrochimie et de la banque représentent près de 60 % du poids de l'indice boursier de Tadawul », analyse Mazen Al-Sudairi, responsable de la recherche chez Al-Rajhi Capital à Riyad. Les entreprises publiques qui forment le socle des places boursières du Golfe «  n'ont pas tendance à intéresser les gestionnaires actifs qui craignent que les intérêts de l'État l'emportent souvent sur les leurs en tant qu'actionnaires minoritaires » commente Hasnain Malik, directeur de la stratégie Marchés émergents et frontières chez Tellimer, un fournisseur de données sur les marchés émergents.

Des réformes pour convaincre les investisseurs

En attendant de convaincre les gérants de fonds d'investissement internationaux, les pays de la région doublent la mise pour rendre leurs économies plus attractives aux entreprises étrangères intéressées par des investissements en nature : ouvrir une joint-venture ou une usine, lancer un produit ou implanter un siège social régional à équidistance des marchés africains et asiatiques. Afin d'accroître une image déjà jugée libérale selon les standards régionaux et convaincre des entreprises, mais aussi des personnes fortunées d'établir leur résidence sur les rives du golfe Persique, les Émirats arabes unis lancent un plan de réformes sociales durant la crise de la Covid-19, incluant la démocratisation des visas de résidence longue-durée, la décriminalisation des relations consensuelles hors mariage ou encore le lancement d'un tribunal pour traiter les affaires familiales non musulmanes.

En Arabie saoudite voisine, le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS), engagé dans une compétition à l'attractivité avec les Émirats arabes unis, et en particulier Dubaï, souhaite faire oublier la version ultra-rigoriste de l'islam propagée à travers le monde par le Royaume pendant des décennies et présenter une nouvelle Arabie aux investisseurs étrangers. Les changements sociaux symbolisés par l'octroi aux femmes du droit de conduire et le développement d'une offre de divertissements teintée des paillettes de la globalisation marquent le début d'une nouvelle ère où le potentiel de consommation que représente la jeunesse saoudienne est priorisé.

Transformer les règles de concurrence

Le Royaume dépoussière également sa culture commerciale, autrefois inflexible. Selon le ministre de l'investissement Khalid Al-Falih, plus de la moitié des 400 réglementations relatives aux investissements directs étrangers ont été révisées, afin d'accroître l'intérêt des investisseurs étrangers pour la première économie du monde arabe. Khalid Al-Falih annonce pour la décennie à venir un objectif ambitieux d'investissement « supérieur à 3 000 milliards de dollars » (2 650 milliards d'euros). Depuis le lancement en 2016 du Programme national de transformation, le pays a « non seulement manqué les objectifs, mais a régressé par rapport au point de départ » en termes d'investissements étrangers, analyse Bloomberg.

Le flux actuel de capitaux étrangers demeure en partie contraint par le besoin d'efforts accrus pour protéger les droits de propriété intellectuelle, résoudre les violations existantes et assurer aux investisseurs un accès à une justice transparente et indépendante du pouvoir en place. « La transformation numérique, la poursuite d'une politique commerciale axée sur les exportations pour améliorer l'accès aux principaux marchés, et la garantie d'un processus consultatif pour les réformes réglementaires et l'élaboration de règles sont autant de mesures à prendre pour accroître les investissements », précise Steve Lutes, vice-président des affaires du Proche-Orient à la chambre de commerce américaine. L'interdiction faite aux étrangers de détenir 100 % des parts d'une entreprise enregistrée dans les pays du Golfe — exception faite des Émirats arabes unis — est un autre frein. « J'ai investi des sommes importantes, mais dans le cadre de la kafala, je demeure un simple employé, sous le parrainage d'un Qatari qui est l'actionnaire majoritaire […] Beaucoup d'entrepreneurs veulent investir dans le Golfe, mais nombreux sont ceux qui ne donnent pas suite, car ils veulent pouvoir faire des affaires sans être sous la tutelle d'un sponsor », commentait en janvier 2021 Sayed Ali Zakir Naqvi, un entrepreneur pakistanais qui dirige une flotte Uber au Qatar. De surcroît, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) refusent d'aligner leurs pratiques commerciales, privant ainsi les investisseurs étrangers des économies d'échelle que pourrait générer le fait d'approcher la région en tant que marché unique de 60 millions de consommateurs.

Des projets à la rentabilité incertaine

La région, et notamment l'Arabie saoudite, mise également sur une offre de mégaprojets étatiques clefs en main. Neom, une ville futuriste qui n'existe aujourd'hui que sur Power Point, est présentée comme un lieu où peuvent s'investir des centaines de milliards d'euros. Les critiques doutent cependant de la rentabilité du projet et n'hésitent pas à le qualifier de mégalomane, citant l'expérience ratée de la King Abdullah Economic City qui a sombré dans l'oubli avant même de décoller. Pour susciter l'intérêt des investisseurs pour les mégaprojets, Riyad s'attèle à « verdir » ces derniers dans l'espoir d'attirer les flux de capitaux tenant compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Mais face à la frilosité des investisseurs étrangers, le Royaume doit se résigner à l'évidence : diversifier l'économie locale passera avant tout par le déploiement de capitaux saoudiens. Le prince héritier saoudien MBS annonce donc avoir mobilisé dans le cadre du programme Shareek (Partenaire) 24 entreprises du secteur privé, dont le géant pétrolier Saudi Aramco et l'entreprise pétrochimique SABIC. Objectif : réduire les dividendes distribués aux actionnaires pour injecter 1 300 milliards de dollars (1 146 milliards d'euros) dans l'économie au cours de la prochaine décennie. Selon Scott Livermore, économiste en chef à Oxford Economics Proche-Orient, se tourner vers l'intérieur peut également « réduire le risque dans la mise en œuvre de certains des objectifs de Vision 2030 en ne dépendant pas des investissements directs étrangers ». Une participation annoncée volontaire qui, au regard des pratiques passées du pays, laisse planer le soupçon que ces entreprises soient forcées d'investir dans des projets sans lien direct avec leur cœur d'activité. L'initiative s'inscrit dans le cadre d'un vaste plan d'investissement de 3 200 milliards de dollars (2 800 milliards d'euros) impliquant le Public Investment Fund. Le fonds souverain s'engage à injecter 40 milliards de dollars (35 milliards d'euros) dans l'économie saoudienne chaque année jusqu'en 2025, même si les taux de rendement des capitaux déployés localement sont, à ce jour, moins élevés que ceux obtenus sur les marchés boursiers ou immobiliers internationaux. Cela n'échappe pas aux investisseurs étrangers, qui doutent du réel potentiel de profitabilité des projets lancés par le prince héritier saoudien.

En parallèle, les pays du Golfe abattent leur carte maîtresse, les entreprises pétrolières, pour convaincre les investisseurs étrangers. Saudi Aramco et la compagnie pétrolière nationale d'Abou Dhabi, positionnées pour fournir les dernières gouttes de pétrole que le monde consommera, sont des véhicules propices à attirer des investissements étrangers. En 2021, les entreprises énergétiques du Golfe ont émis 30,5 milliards de dollars de dette (27 milliards d'euros), le niveau le plus élevé depuis au moins 25 ans. Ce chiffre rappelle que les économies du Golfe demeurent avant tout associées pour les investisseurs étrangers à la forte rentabilité du capital investi dans les sociétés pétrolières.

Le « train du Golfe », une voie semée d'embûches

La promesse d'unir les économies du Golfe via une voie de chemin de fer demeure un mirage, la faute à une féroce compétition économique et à un esprit d'union supranationale qui peine à exister. Le grand perdant : Oman.

« Toute la région sera unie, coopérant ensemble pour ne former qu'un seul Conseil de coopération du Golfe ; ce sera utile, bénéfique et productif pour tous », veut se réjouir Omar Haitham Bou Aisha, un jeune Saoudien travaillant dans la communication. Évoqué dès les années 19901, le réseau ferroviaire passagers et fret, qui n'est encore aujourd'hui qu'un projet sur papier glacé, prévoit de serpenter entre les monotones plaines désertiques de la péninsule Arabique, du plus septentrional des États du Golfe, le Koweït, au sultanat d'Oman sur les côtes de l'océan Indien, connectant au passage l'Arabie saoudite, Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis. Contrairement aux apparences, le « train du Golfe » n'est pas un projet régional, mais une agrégation d'infrastructures ferroviaires nationales. Aux Émirats arabes unis, un premier tronçon sud-nord de 264 kilomètres de long déjà en service transporte du soufre vers le port de Ruwais, et Etihad Rail annonce des avancées dans la construction de la voie est-ouest2 pour relier le port de Fujairah à Ghuweifat à la frontière saoudienne, où le réseau émirien doit se connecter aux lignes de la Saudi Railway Company.

Source : © Etihad Rail

Unifier les infrastructures nationales de six pays particulièrement attentifs aux questions de souveraineté nationale n'est cependant pas sans présenter son lot de défis. « Nous avons fourni des conseils principalement sur l'harmonisation technique en vue de l'adoption de pratiques communes aux six pays — par exemple, le choix du même système de signalisation pour éviter de changer de locomotive à la frontière », se remémore Olivier Le Ber, responsable des transports pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à la Banque mondiale. Mandatée par le secrétariat général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) jusqu'en décembre 2016 pour aider à la conception du projet, l'organisation internationale recommande de confier l'exploitation à un opérateur ferroviaire unique plutôt qu'à six entités indépendantes. « Jusqu'à présent, et à notre connaissance, ils ne semblent pas travailler sur cette option », indique Olivier Le Ber.

Oman à l'affût

Au-delà de l'important message d'union économique régionale que le lancement d'un réseau ferré intra-Golfe symboliserait, le projet est avant tout une opportunité « pivot » pour certains États du Golfe et notamment Oman, analyse Mahmoud Al-Wahaibi, un urbaniste omanais impliqué dans l'élaboration du plan de développement du pays, Vision 2040. Faciliter les mouvements de fret à travers la péninsule Arabique favoriserait en effet l'émergence de hubs alternatifs pour l'importation des marchandises destinées à servir un marché régional d'environ 60 millions d'habitants et pour l'exportation quotidienne de millions de barils d'or noir vers l'Asie. Un rail régional « changerait la dynamique logistique de la région » et propulserait les terminaux portuaires omanais ouverts sur l'océan Indien au rang de porte d'entrée vers les marchés du Golfe, selon Mahmoud Al-Wahaibi. Les ports du sultanat présentent en effet l'avantage, tout comme les terminaux saoudiens localisés sur les côtes de la mer Rouge, de se situer hors du détroit d'Ormuz. L'étroite voie navigable connecte l'économie globalisée au port émirien de Jebel Ali, onzième port mondial et actuel hub logistique pour le Golfe.

Les réexportations entre Dubaï et les pays du Golfe représentent environ la moitié du total des échanges intra-CCG en 2017. Mais les Gardiens de la révolution iraniens menacent régulièrement de fermer ce couloir maritime stratégique pour déstabiliser les marchés énergétiques mondiaux. Cette ombre qui plane pousse ainsi à la hausse les primes d'assurance facturées aux navires qui empruntent la route vers Jebel Ali, dont la contribution au produit intérieur brut de l'émirat à Dubaï est aujourd'hui estimée à 24 %3. Après l'attaque en juin 2019 au large des Émirats arabes unis de deux pétroliers transportant des produits pétrochimiques, le coût pour assurer un tanker dans le détroit a été multiplié par dix.

Pourtant, malgré l'opportunité de valoriser son emplacement au cœur des routes maritimes mondiales et de s'ériger en porte d'entrée du Golfe, Oman reconnaît en 2016 la mise en suspens des études en cours pour la construction des 2 135 kilomètres de voie ferrée destinés à relier les ports de Salalah, Duqm et Sohar aux Émirats arabes unis voisins et son marché de près de 10 millions de consommateurs. Le projet n'est pas annulé, mais « seulement retardé », précise Mohamed Al Shuaili, chargé de communication au ministère des transports, avant d'ajouter, « car d'autres pays du Golfe ont décidé d'arrêter les travaux sur le projet. » L'ouverture en décembre 2021 de la première route transfrontalière reliant Oman à l'Arabie saoudite laisse présager d'une accélération du transport de fret sur cet axe, renforçant de facto l'importance stratégique des ports omanais.

La nature collaborative du projet rend ce dernier particulièrement vulnérable aux décisions nationales et aux coupes budgétaires instaurées en réaction à l'explosion des déficits publics dans les pays du Golfe à la suite de la chute des prix du cours du baril en 2014-2016. La crise économique engendrée par la pandémie mondiale de Covid-19 a contribué à fragiliser les finances publiques des pays les plus vulnérables économiquement, tels Oman et Bahreïn. Mais pour Mahmoud Al-Wahaibi, le manque de progrès dans l'interconnexion ferroviaire des pays du Golfe est avant tout le résultat d'un choix politique solidement ancré dans une féroce compétition économique qui oppose ces pétromonarchies pressées de diversifier leurs économies à l'heure de la transition énergétique.

« Il n'y a pas de volonté politique de la part des autres États du Golfe. Ils ne veulent pas qu'Oman domine le marché de la logistique régionale », regrette l'urbaniste pour qui le projet de train est vital pour renforcer la « confiance mutuelle » entre les pays. Aux dynamiques économiques s'ajoute en effet la réalité de profondes animosités entre les États de la région, mises en lumière par la crise politique qui oppose l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn au voisin qatari entre juin 2017 et janvier 2021. « La perspective d'un réseau ferroviaire unique intégrant les six États du CCG semble incertaine », analyse Kristian Coates Ulrichsen. Selon le chercheur, spécialiste des questions moyen-orientales au Baker Institute for Public Policy de l'université Rice, à Houston, aux États-Unis, certaines portions du « train du Golfe » pourraient cependant voir le jour, sur la base d'intérêts économiques spécifiques, précise-t-il.

Face à ce constat, Olivier Le Ber pointe du doigt l'irrationalité de certains tronçons sans l'interconnectivité régionale. « Le segment ferroviaire au Qatar n'a de sens que s'il est connecté au réseau saoudien », commente-t-il en référence à des aspects techniques. Plus que tout autre mégaprojet en cours de développement dans la région, le chemin de fer du CCG exige une vision commune où l'union supranationale prime face aux intérêts nationaux.

Regain d'intérêt sur fond de neutralité carbone ?

Malgré son apparente mort cérébrale, le projet fait pourtant régulièrement la Une de la presse locale, comme à l'été 2020 lorsque le journal saoudien Al-Jazirah a annoncé une mise en service de la ligne Arabie saoudite-Émirats arabes unis-Oman à horizon 2023, suivi par un ajout de la desserte Bahreïn et Koweït deux ans plus tard. « Ce projet a encore besoin de cinq à dix ans », nuance pour le journal émirati The National le directeur Moyen-Orient de Deutsche Bahn Engineering and Consulting, filiale de la compagnie ferroviaire allemande.

Outre le poids prépondérant du politique dans les incertitudes qui entourent le lancement de cette voie ferrée régionale, souligné par l'absence de toute mention du Qatar dans l'article d'Al-Jazirah, c'est pourtant l'importance croissante accordée à la question climatique par les pays du Golfe qui donne des signes d'espoir pour un sursaut d'union au-delà des lignes de fractures. En amont de la 26e conférence annuelle de l'Organisation des Nations unies sur le climat (COP26) qui s'est tenue en Angleterre à l'automne 2021, les Émirats arabes unis s'engagent à atteindre la neutralité carbone en 2050. L'Arabie saoudite et Bahreïn suivent avec un objectif à horizon 2060, s'engageant de facto à mettre en place des solutions dans les décennies à venir pour réduire ou compenser leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2). Un contexte dans lequel le train du Golfe regagne en intérêt pour les décideurs du Golfe. En effet, si les locomotives émiriennes fonctionnent à ce jour au diesel, elles sont techniquement équipées pour tourner à l'électricité le moment venu, et Etihad Rail affirme qu'un réseau ferroviaire sur les rives du golfe Persique permet de réduire les émissions de CO2 du transport de 70 à 80 %4 par rapport aux actuelles colonnes de camions polluants qui circulent sur les autoroutes. Le « train du Golfe » est un potentiel vecteur de réduction de « l'empreinte carbone du CCG », ajoute Olivier Le Ber. Une étude de faisabilité conduite en 2009 par le secrétariat du CCG estimait en effet que la ligne ferroviaire intra-CCG pourrait transporter 29 millions de tonnes de marchandises par an [« GCC rail boom to widen trade routes », Arab News, 1er novembre 2012.]] soit près de la moitié de toutes les marchandises transportées à travers les frontières des six pays du CCG.

Et au-delà de rendre le transport de marchandises plus propre, le chemin de fer régional est également destiné à servir le trafic voyageur, facilitant ainsi une mobilité plus respectueuse de l'environnement dans une région où la voiture individuelle et le transport aérien ont un quasi-monopole sur les déplacements transfrontaliers. À moins que le projet de lancement par Virgin Hyperloop de navettes à lévitation magnétique ne vienne supplanter le projet de train traditionnel à l'étude depuis près de trois décennies. La start-up américaine a signé en 2020 un protocole d'accord avec l'université d'intelligence artificielle Mohamed Ben Zayed (MBZUAI) pour collaborer autour de l'idée de faire des Émirats arabes unis un centre de développement de la technologie hyperloop. L'attrait pour les technologies futuristes et la nécessité de réinventer leurs modèles de sociétés hautement carbonées seront-ils les moteurs qui pousseront les dirigeants du Golfe à s'unir au-delà des clivages politiques ?


1John Duke Antony, U.S.-GCC. Trade and Investment Relations, U.S.-GCC Corporate Cooperation Committee, 1999.

2« Construction of Etihad Rail Phase 2A completed », International Railway Journal, 29 septembre 2021.

4Etihad Rail, Project Update.

L'Iran repense sa politique étrangère

Avec la prise de fonction du nouveau président Ebrahim Raïssi, l'Iran s'interroge sur les orientations de sa politique étrangère, notamment sur ses relations avec ses voisins arabes. Entre défense des intérêts nationaux et radicalisation idéologique.

L'accord sur le nucléaire a été, depuis sa signature le 14 juillet 2015, une condition nécessaire, mais non suffisante à la désescalade militaire au Proche-Orient. Certes le retrait américain de l'accord en mai 2018 a joué un rôle significatif dans l'échec d'une normalisation des relations internationales de la République islamique, mais il n'en reste pas moins que la montée en puissance de l'appareil de sécurité à Téhéran depuis 2009 et la crise de légitimité du régime iranien empêchent une amélioration des relations entre l'Iran et ses voisins arabes du golfe Persique.

Car il existe une tension entre la défense des intérêts nationaux de l'Iran (la stabilité des frontières et la défense des minorités chiites) et ceux de l'appareil de sécurité qui prône un anti-américanisme militant. Il est par exemple difficile pour Téhéran de mettre en œuvre une politique afghane cohérente sans trahir les choix idéologiques du régime. En d'autres termes, l'alliance avec la communauté hazara qui a bénéficié de l'intervention américaine de 2001 entre en contradiction avec le rapprochement avec les talibans de ces derniers mois, qui s'explique à la fois par la realpolitik et par la dimension idéologique anti-américaine de la République islamique.

Une seule voix à Téhéran

L'arrivée à la présidence d'Ebrahim Raïssi le 5 août 2021 laisse augurer certainement une nouvelle ère dans les relations entre l'Iran et ses voisins. En effet, l'État parallèle, souvent désigné dans les médias occidentaux sous l'appellation générique « les conservateurs » est désormais officiellement aux affaires, et les institutions élues complètement au service de l'appareil de sécurité. Cela pourrait permettre aux voisins de l'Iran d'interagir avec un interlocuteur diplomatique unique et de ne plus être confrontés à la traditionnelle diplomatie à plusieurs voix1 de Téhéran.

En revanche, l'implication directe des acteurs sécuritaires dans la gestion du pays pourrait également renforcer la défiance de la République islamique vis-à-vis de ce qu'elle perçoit comme l'ordre hégémonique américain au Proche-Orient. La volonté affichée du nouveau président iranien de donner la priorité à l'amélioration des relations avec les pays voisins tout en renforçant la capacité de dissuasion de l'Iran dans le golfe Persique revêt le risque de placer Riyad et Abou Dhabi face à un choix difficile : la normalisation avec Téhéran ou la poursuite de leurs alliances avec Washington. Ce dilemme sécuritaire des États de la rive arabe du Golfe est d'ailleurs l'une des raisons principales qui expliquent l'échec des tentatives diplomatiques visant à l'instauration d'une architecture de sécurité régionale.

L'idée d'inclure les questions régionales et balistiques aux négociations nucléaires se heurte à plusieurs obstacles. D'abord, le refus de Téhéran de négocier avec les grandes puissances sur la question de ses relations avec les États voisins. Une solution pourrait être trouvée dans le cadre d'un format de négociation impliquant seulement les puissances régionales, mais il faudrait pour cela que Riyad et, dans une moindre mesure, Abou Dhabi jugent possible que Téhéran utilise son influence régionale non comme une capacité de nuisance, mais de manière constructive. Ensuite, le choix de Téhéran de construire sa doctrine militaire sur l'utilisation des missiles balistiques pour compenser sa vulnérabilité dans le domaine de l'aviation militaire moderne bloque toute perspective d'accord étendu à ces questions au-delà d'une discussion informelle sur la portée des missiles iraniens qui pourrait être limitée à 2 000 kilomètres.

Enfin, Téhéran refuse d'associer les États arabes voisins aux négociations sur le nucléaire alors que l'administration Biden s'est engagée à consulter les alliés de Washington au Proche-Orient sur cette question pour parvenir à un « accord élargi » plus efficace que celui obtenu en 2015 par l'administration Obama2.

Quatorze explosions mystérieuses

Du point de vue israélien, la priorité est d'empêcher que l'Iran ne devienne un État du seuil nucléaire, c'est-à-dire un État disposant des capacités de produire des armes atomiques dès qu'il en a pris la décision politique ; ce qui explique la multiplication des opérations clandestines et la volonté des « faucons » israéliens de remettre l'option militaire sur la table. Pendant la seule année 2020, l'Iran a été visé par au moins quatorze explosions mystérieuses et incendies inexpliqués sur ses sites nucléaires, ses bases militaires, ses capacités industrielles, ses oléoducs, ses centrales électriques ou autres installations stratégiques. De même, selon des sources iraniennes, onze navires marchands iraniens ont subi des attaques israéliennes au cours de l'année écoulée3.

Vu de Riyad et d'Abou Dhabi, il s'agit plutôt de donner la priorité aux questions régionales et balistiques ainsi qu'au programme de drones iraniens qui menacent directement leur sécurité nationale. En dépit de divergences tactiques, on observe une convergence entre ces trois États sur la nécessité d'affronter une « menace iranienne » multidimensionnelle.

En un sens, la montée en puissance de l'appareil de sécurité et la promotion des ultraconservateurs sont une forme de clarification sur la nature du régime de la République islamique et sur son idéologie transnationale qui, selon les rivaux régionaux de l'Iran4 ont toujours dominé le système institutionnel. La fin du gouvernement « modéré » fragilise les partisans du dialogue avec l'Occident et le voisinage, tout en mettant à nu les ambitions idéologiques régionales de Téhéran. Cela est plus particulièrement vrai en Irak où la confrontation militaire entre Téhéran et Washington se poursuit. Ce dossier est contrôlé par les gardiens de la Révolution et l'implication grandissante d'Hossein Taeb, responsable de la branche des renseignements des pasdarans est significative de la priorité donnée à Téhéran à ce dossier. Cela montre aussi que la fragmentation institutionnelle attendue par les faucons américains après l'assassinat de Qassem Soleimani n'a pas eu lieu et que la continuité institutionnelle a prévalu pour gérer l'influence iranienne en Irak.

De plus, avec le retour des conservateurs à la présidence de la République islamique c'est la fin du projet des « modérés » d'ouvrir la négociation internationale aux questions régionales comme l'espérait en 2015 le président Hassan Rohani. Le nouveau président iranien qui a fait campagne sur un « Iran fort » doit néanmoins gérer de difficiles contradictions. D'un côté on observe une influence régionale forte fondée sur des réseaux d'influence sécuritaire, idéologique et économique. De l'autre, l'Iran fait face à une grave crise économique avec une décennie sans croissance de 2010 à 2020.

Dans ce contexte tendu, l'objectif principal du président Raïssi sera l'amélioration de la situation économique par le renforcement des relations économiques entre la République islamique d'Iran et les pays voisins. L'objectif est de construire un modèle économique qui protège l'économie iranienne de l'influence des choix politiques américains. Autrement dit, la levée des sanctions demeure un objectif prioritaire — notamment pour reconquérir les parts de marché pétrolier perdus à cause des pressions maximales de l'administration Trump —, mais pour améliorer qualitativement l'économie et faire progresser en volume les échanges commerciaux entre l'Iran, ses voisins et les États comme la Chine ou la Russie.

Ouverture vers Riyad

Le report des négociations nucléaire au mois de septembre 2021 s'explique par la nécessité de constituer une nouvelle équipe de négociateurs iraniens à la suite du changement de gouvernement ; mais il s'agit aussi de démontrer que Téhéran n'est pas pressé. En faisant durer le processus de négociation, les responsables iraniens ont aussi la possibilité de faire monter les enchères dans le domaine nucléaire pour faire de ce dossier une urgence occidentale et éviter ainsi de négocier un accord élargi aux questions balistiques et régionales. Enfin, il y a des différences de méthode par rapport au gouvernement précédent notamment sur la question de la levée des sanctions. Pour le président Raïssi et le Guide suprême, pour revenir à l'accord il faut pouvoir « vérifier » la levée des sanctions, et ce processus doit durer plusieurs semaines voire plusieurs mois alors que le gouvernement Rohani était d'accord pour un délai de quelques jours. Un délai de vérification plus long retarde d'autant la mise en conformité du programme nucléaire iranien avec les engagements de 2015.

Il y a aussi une question de politique interne et la volonté du nouveau gouvernement conservateur de prouver qu'il peut obtenir un meilleur accord que le précédent. Cette dimension constitue désormais un obstacle supplémentaire à la recherche et à la conclusion d'un compromis à court terme.

Cette volonté de ne négocier que sur les questions nucléaires avec les grandes puissances s'accompagne d'une nouvelle rhétorique diplomatique à Téhéran soulignant sa disponibilité pour une normalisation des relations diplomatiques avec Riyad. Un tel accord serait un succès diplomatique majeur et permettrait un rapprochement avec l'ensemble des États du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Il s'agit d'obtenir une reconnaissance du rôle régional de l'Iran en tant que puissance incontournable.

Cette stratégie vise aussi à renforcer les réseaux économiques iraniens pour limiter l'influence négative des sanctions américaines. Cependant, sur le plan pétrolier, les relations irano-saoudiennes sont plutôt positives et ne sont pas affectées par les problèmes géopolitiques5 . La différence avec le gouvernement précédent est que Rohani voulait utiliser l'accord sur le nucléaire comme une première étape pour une réconciliation avec le rival saoudien. Cette fois-ci la stratégie régionale est définie de manière indépendante de ce processus de négociation sur le dossier nucléaire. Un accord sur le nucléaire est bien une condition nécessaire (réduction de la tension militaire avec Washington), mais non suffisante à une diminution des tensions militaires dans le golfe Persique.


1Mohammad-Reza Djalili, Diplomatie islamique. Stratégie internationale du khomeynisme, Graduate Institute Geneva, 1989 (en accès libre).

2Dans un article paru dans le magazine Foreign Affairs en mars 2020, alors qu'il était candidat à la présidence, Joe Biden écrivait : « Téhéran doit revenir au strict respect de l'accord. S'il le fait, je rejoindrai l'accord et j'utiliserai notre engagement renouvelé envers la diplomatie pour travailler avec nos alliés afin de le renforcer et de l'étendre, tout en luttant plus efficacement contre les autres activités déstabilisatrices de l'Iran ».

3« Iran's new hardline president defiant in face of sanctions and security concerns », Financial Times, 3 août 2021.

4Clément Therme (sous la dir. de), L'Iran et ses rivaux. Entre nation et révolution, Passés/Composés, Paris, 2020.

Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?

J'interviendrai demain aux Tech Talks de Bordeaux,

https://quiin.s3.us-east-1.amazonaws.com/events/pictures/000/100/920/original/Photo_de_couverture_suite_ajout_d_planning.jpg?1612211842

dans le cadre d'une table-ronde sur le sujet : Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?

Programme et inscritpion sur le site : https://www.frenchtechbordeaux.com/event/tech-talks-2021-maitriser-le-cyberespace-entre-menaces-solutions-et-innovations/

Olivier Kempf

 

Incentives Rule the World

Ryan Murphy, an economist at Southern Methodist University, recently published a working paper in which he ranked each of the states by the predominance of—there’s no nice way to put it—psychopaths. The winner? Washington in a walk. In fact, the capital scored higher on Murphy’s scale than the next two runners-up combined.

“I had previously written on politicians and psychopathy, but I had no expectation D.C. would stand out as much as it does,” Murphy wrote in an email...

On a national level, it raises the troubling question as to what it means to live in a country whose institutions are set up to reward some very dubious human traits. Like it or not, we’re more likely than not to wind up with some alarming personalities in positions of power.

- From last year's Politico article, Washington, D.C.: the Psychopath Capital of America

One of the most frustrating aspects of modern American politics -- and the culture in general -- is our all encompassing fixation on the superficial. It's also one of the main reasons I have very little interest in presidential politics, which basically consists of a bunch of billionaire friendly puppets auditioning to become the next public face of imperial oligarchy. Though I understand the desire for quick fixes, our focus on highlighting and mitigating only the symptoms of societal decay as opposed to the root causes, ensures we'll never achieve the sort of positive paradigm-level shift necessary to bring humankind forward.

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