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Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

La Chine paye cher ses erreurs politiques

Les milieux financiers découvrent tardivement les faiblesses du modèle chinois, pourtant perceptibles depuis une décennie. C’était prévisible pour tout observateur de la démographie, des mécanismes de développement et du communisme.

On peut penser notamment aux dettes souscrites en contrepartie de faux actifs, par exemple pour la construction de logements, alors qu’il y a de moins en moins de jeunes pour les occuper ou d’infrastructures redondantes, faisant momentanément la joie des bâtisseurs. Je me doutais bien que ces dettes sortiraient quelque part un jour…

Mais jusqu’à la pandémie, la croissance était si forte en apparence que mes propos étaient inaudibles. Ensuite, tout le monde pensait que ça repartirait comme avant.

 

Les financiers découvrent enfin la réalité de la Chine

Mais aujourd’hui, le monde financier est ébranlé avec les bourses chinoises au plus bas depuis 2019 et la faillite de Zhongzhi, l’établissement le plus important du financement privé. Les économistes découvrent l’évidence, et, le 5 décembre 2023, l’agence Moody’s a ainsi dégradé la perspective économique de la Chine à « négative ».

Le retard de cette prise de conscience vient à mon avis du fait que beaucoup d’experts s’attachent d’abord à analyser les données financières, alors qu’elles ne sont souvent que la conséquence de mouvements physiques de fond.

Commençons par la tendance négative qui aurait dû les alerter de façon évidente : la démographie.

 

Une prise de conscience tardive du déclin démographique

Toute personne de bon sens aurait pu prévoir, dès le lancement de la politique de l’enfant unique, que l’on allait vers un problème démographique majeur.

Le président Mao était alors affolé par la croissance de la population chinoise et fit alors la même bêtise que nos décroissants d’aujourd’hui, à savoir que trop diminuer les naissances, c’est condamner les vieux à l’abandon, faute d’enfants ou de soignants. Et non seulement les vieux d’aujourd’hui, mais aussi les vieux de demain, c’est-à-dire tout le monde.

Cette politique de l’enfant unique date de 1979, elle succédait à une pression pour le contrôle des naissances démarrée en 1970. Mais il a fallu attendre plus de 40 ans et le recensement de 2022 pour que le président XI réalise, bien trop tard, le mécanisme qui avait été lancé. Trop tard, parce qu’il y avait déjà une diminution du nombre de parents.

Nous avons là une première cause physique d’une fragilité de la croissance chinoise.

Le gouvernement en est maintenant conscient et multiplie les robots pour compenser le manque de bras.

Pour l’instant, les robots viennent d’Allemagne et produisent les voitures électriques qui ruinent l’industrie allemande. De toute façon, beaucoup de métiers ou de fonctions ne peuvent être robotisés.

La consigne de passer de un à deux, puis à trois enfants autorisés laisse à l’œuvre cette administration toute-puissante de contrôle des naissances, bien représentative de l’autoritarisme du régime.

Jusqu’à présent, aucun autocrate n’avait osé dicter le comportement des familles.

 

Conséquences sur l’immobilier

Il était évident que la diminution du nombre d’enfants et d’adultes, mais pas des vieux, allait diminuer la demande finale de logements.

Le phénomène a été masqué un certain temps par l’urbanisation, mais beaucoup moins qu’on ne le pense.

En effet, une bonne partie des migrants vers les villes sont logés dans des baraques de chantier, voire dans les entreprises elles-mêmes : les villes sont jalouses de leurs privilèges et le passeport intérieur empêche les migrants campagnards de profiter de leurs écoles et de leurs logements.

Le secteur de la construction a également été favorisé par les déplacements forcés de population, par exemple à l’occasion de l’immense lac créé par le barrage des Trois-Gorges, mais il s’agit de phénomènes ponctuels et limités dans le temps.

Enfin la demande spéculative (acheter un logement pour le revendre sans l’habiter), qui a gonflé la demande, butte forcément sur la réalité, faute d’acheteur final. D’autant plus que le gouvernement, jugeant cette spéculation malsaine, l’a découragée, ce qui a précipité la crise.

Donc, les principaux promoteurs ont fait faillite, laissant des centaines de milliers de logements inachevés ou inoccupés, et l’épargne de nombreux particuliers détruite.

En outre, la baisse brutale de cette activité très dépensière en matériaux, notamment en fers à béton, se répercute sur l’ensemble de la production industrielle, faisant rétrospectivement apparaître une partie de cette dernière comme artificielle… Ce qui n’a pas empêché la Chine de gonfler les chiffres de sa croissance et de s’en prévaloir comme illustration de sa puissance, puis de tenter de caser les surplus dans les fameuses routes de la soie.

Finalement, en dépit des nombreuses mesures incitatives prises par Pékin pour relancer les ventes, celles-ci ont chuté de 35 % en décembre 2023 par rapport à l’année précédente.

 

Les dettes induites

La faillite du géant Zhongzhi

Revenons sur le cas de Zhongzhi. Ce géant chinois de la « finance de l’ombre », c’est-à-dire totalement privée, par opposition aux services des banques d’État, était l’un des principaux gestionnaires de patrimoine du pays : on parle de 140 milliards d’actifs au plus haut.

On le découvre aujourd’hui endetté à hauteur d’environ 64,4 milliards de dollars et en cessation de paiement. C’est l’une des plus graves faillites de l’histoire de la Chine.

Zhongzhi collectait l’épargne des entreprises et des ménages pour la reprêter et investir notamment dans l’immobilier, mais aussi dans les actions, les obligations ou encore les matières premières.

C’est une fonction normale en économie de marché où les logements et infrastructures sont en principe vendables ou rentables, pas quand il s’agit de bulle spéculative ou d’infrastructures redondantes, décidées politiquement par folie des grandeurs ou simple copinage entre décideurs du parti et entrepreneurs.

J’ignore si les dettes correspondantes ont été prises en compte dans la comptabilité nationale chinoise, mais ce n’est pas du tout certain. Avec cette faillite, c’est une autre partie de l’épargne de la population qui va disparaître.

 

Les dettes des gouvernements locaux

À cela s’ajoute l’inquiétude croissante liée aux dettes des gouvernements locaux, qui, jusqu’à présent, les remboursaient en décidant que des terrains agricoles devenaient constructibles et empochaient la marge.

De ce fait, toute diminution de la construction de logements ou de bâtiments en général les empêche de rembourser leurs dettes.

Bien sûr, ces gouvernements locaux vont se retourner vers les banques d’État ou l’État lui-même. Mais, à mon avis, la valeur détruite finira par se faire sentir dans l’économie, d’une manière ou d’une autre.

Et à ces dettes s’ajoutent les subventions aux entreprises jugées stratégiques, ou tout simplement bien vues du Parti. Cela pour leur permettre de percer en cassant les prix : voir par exemple le cas des panneaux solaires hier, et aujourd’hui celui des voitures électriques.

Si l’Occident profite de ces prix de bradage, c’est malheureusement au détriment de son industrie nationale.

 

Le retour du contrôle du Parti sur les entreprises

À cela s’ajoute le fait que les cellules du parti dans des entreprises ont reçu l’ordre de se réactiver et de participer à la gestion, et notamment au choix des dirigeants, y compris dans les entreprises étrangères.

Dans les entreprises nationales, tout responsable accédant à une certaine notoriété fait de l’ombre au parti, voire au président, et on a pris l’habitude de disparitions fréquentes, la première, très médiatisée a été celle de Jack Ma, mais il y en a eu beaucoup d’autres depuis. Il y a même eu des « accidents » à l’étranger.

Ce resserrement du contrôle du Parti me paraît un point fondamental, qui touche non seulement à l’attractivité de la Chine, mais aussi indirectement à la liberté des débats techniques, donc à l’innovation, en dépit des subventions massives pour la générer.

 

La désillusion des investisseurs étrangers 

Dans le monde des affaires, qui est politiquement puissant dans tous les pays occidentaux, mais particulièrement en Allemagne et aux États-Unis, la Chine est d’abord un marché irremplaçable et un sous-traitant efficace.

D’où une pression sur le monde politique que l’on pourrait résumer par : « que la politique ne nous empêche pas de faire des affaires ! ».

Je ne pense pas seulement aux grands groupes industriels, mais aussi aux multiples conseillers financiers préconisant d’acheter des actions chinoises, c’est-à-dire de financer la croissance du pays.

Mauvais conseil : les bourses chinoises baissent depuis plusieurs années ! Pire, les placements des Occidentaux ont atténué les pertes des nationaux et ont donc en partie payé les dettes du régime !

Cette fascination des investisseurs occidentaux pour les marchés chinois est bien entendu une erreur d’un point de vue géopolitique, mais elle signifie aussi qu’ils se fiaient jusqu’à présent à des résultats financiers qui ne prenaient pas en compte toute la réalité.

 

Un réveil douloureux

Le monde des affaires a un peu évolué récemment, en constatant que les efficaces sous-traitants chinois devenaient des concurrents dangereux, et que la stabilité politique chinoise, longtemps vantée, se traduit maintenant par une mainmise du parti sur les entreprises étrangères, et par une politique sanitaire qui a interdit le séjour des cadres et dirigeants étrangers en Chine. 

Des multinationales ont donc commencé à déplacer leurs projets d’extension vers d’autres pays comme l’Inde ou l’Indonésie, voire le Mexique. Ou encore, dans des cas particulièrement stratégiques, vers les États-Unis.

 

Le cas de Taïwan est instructif

Dans un premier temps, les entrepreneurs de l’île, aidés par la communauté de langue, ont massivement investi en Chine, et ont largement contribué à son développement.

On pouvait même dire à l’époque que Taïwan « avait gagné la guerre » en combinant ses compétences et les bas salaires du continent. Maintenant les Taïwanais se sentent piégés et commencent à investir ailleurs.

Toutes ces questions se répercutent sur la devise chinoise. Le yuan est relativement faible par rapport au dollar (0,14 contre souvent 0,16 ces trois dernières années) et surtout n’est pas complètement convertible, probablement pour compliquer les fuites de capitaux des riches chinois.

Cette non convertibilité est aussi une faiblesse : si la Russie exporte davantage de pétrole et de gaz vers la Chine, elle ne pourra se servir de ses yuans que pour acheter des marchandises chinoises ou celles de pays déficitaires vis-à-vis de la Chine : ils existent, mais encore faut-il qu’ils n’utilisent pas le dollar et que ses marchandises soient intéressantes pour la Russie.

Alors qu’avec des dollars ou des euros, on peut acheter de tout, partout.

 

Le plus grave à terme : la fermeture intellectuelle

Cette prise de conscience encore relative du monde des affaires va accentuer l’isolement chinois.

Le fait que tout doive être conforme à « la pensée de Xi »  et que toute « valeur occidentale » soit décadente ou anti-nationale, va freiner le débat des idées, y compris sur le plan de l’évolution technique.

La baisse de demande d’apprentissage de l’anglais est un indicateur dans ce sens.

Le fait de rappeler à tout Chinois, même de nationalité occidentale, qu’il a un devoir d’espionnage, et la méfiance qui en résulte en face, va également dans le sens de la fermeture intellectuelle.

Cette fermeture n’aura que des conséquences indirectes et à long terme, mais je les crois importantes, même si elles ne se traduisent pas directement dans les indicateurs financiers.

Plus rapidement, on s’apercevra que cette fermeture intellectuelle nuit à l’intelligence artificielle, puisque cette dernière :

  • d’une part, ne pourra puiser dans toutes les données mondiales dont certaines sont censurées en Chine,
  •  et d’autre part, parce qu’il y aura probablement obligation pour les logiciels de respecter le « politiquement correct ». 

 

En conclusion

Certes, le développement de la Chine est réel et important, mais il s’agit non d’un miracle, mais du rattrapage normal d’un pays puissant, comme c’est arrivé à partir de 1945 au Japon, à l’Allemagne et à la Corée du Sud.

De plus, il est probable que ce développement ait été surévalué et surtout repose sur des causes qui n’existent plus aujourd’hui, comme la croissance démographique et l’ouverture sur le monde.

On peut également être frappé par le décalage entre la géopolitique et la perception économique de la Chine par les milieux financiers, ou la passion des entrepreneurs pour le marché chinois.

Ainsi, le géopoliticien s’inquiète de tout ce qui manifeste la force de la Chine, alors que le financier et l’entrepreneur s’inquiètent au contraire de tous ses signes de faiblesse.

À court et moyen terme, ces péripéties financières se traduisent notamment par la disparition d’une partie de l’épargne des ménages. Cela pèsera sur la demande future et pourrait éventuellement entraîner des mouvements politiques.

Finalement la Chine ne dépassera pas les États-Unis de sitôt !

Les vrais chiffres de la balance commerciale 2023 

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les 200 milliards d’euros de déficit pour se « rétablir » en 2023 à -135 milliards d’euros.

Rappelons qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise sanitaire et avant la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, la balance commerciale s’établissait à un déficit de 77 milliards (quand l’Allemagne dépassait les 200 milliards d’excédent commercial).

Pour résumer, en l’espace de deux ans : 2019 à 2022, notre déficit commercial a quasiment triplé et le déficit de 2023 est maintenant équivalent au double de celui de 2019.

 

Une lueur d’espoir ? L’éternelle marotte de la solution par les exportations 

Face à des résultats accablants, l’idée selon laquelle la progression de nos exportations viendrait redresser la balance commerciale continue de perdurer et d’être promue comme la solution de reconquête de notre souveraineté. Est-ce bien réaliste ? Avec des exportations qui progressent mollement (+3 % en un an) et dont la hausse intègre nécessairement l’inflation, peut-on vraiment penser qu’elles seront à même de compenser notre dépendance structurelle aux importations sur la quasi-totalité des secteurs industriels ?

Pour comprendre la réalité de la balance commerciale, reprenons chaque secteur en distinguant les secteurs déficitaires des rares secteurs excédentaires.

 

Les secteurs déficitaires… Toujours plus déficitaires

Énergie : un déficit de 75 milliards, ou comment la France fait passer les intérêts de ses partenaires commerciaux avant les siens

Rappelons que dans les années 2000, date à laquelle la balance commerciale passe dans le rouge, le déficit énergétique s’affiche déjà à près de 25 milliards. En vingt ans, il double pour atteindre les 50 milliards en 2019. Puis de 2019 à 2022, il double à nouveau (quasiment 120 milliards !) et se redresse en 2023 à près de 75 milliards soit 50 % de plus qu’en 2019…

Si l’on entre dans les détails, on comprend bien la folie de notre politique énergétique qui nous place en position de dépendance vis-à-vis du gaz naturel que nous importons à des prix toujours plus élevés, sans pouvoir tirer profit de l’électricité que nous vendons… Au prix auquel nous la produisons !

Prenons notre premier poste d’importations énergétiques : les hydrocarbures naturels (gaz dont gaz de schiste et huiles brutes de pétrole) qui affichent à eux seuls un déficit de 56 milliards d’euros.

La guerre en Ukraine a lourdement marqué notre balance en matière d’hydrocarbures naturels avec une flambée des prix et un recours aux États-Unis très marqué et coûteux : le coût de nos importations a ainsi quasiment triplé de 2019 à 2022 avec un déficit atteignant les 75 milliards en 2022. Déficit qui s’est redressé à plus de 56 milliards en 2023. La situation est donc loin d’être rétablie.

Second poste du déficit énergétique, les produits pétroliers, a quant à lui doublé sur la période 2019-2022 passant de 15 à 30 milliards pour se rétablir à 20 milliards en 2023.

Si notre dépendance en hydrocarbures et produits pétroliers a toujours été avérée, notre force nucléaire, en revanche a toujours constitué un atout majeur.

Malheureusement, pour ce qui est de l’électricité, troisième grand poste de nos dépenses énergétiques, il est clair que nous ne tirons absolument pas avantage de notre force nucléaire dans laquelle nous avons tant investi. En 2022, le mécanisme de l’ARENH nous a fait atteindre une situation ubuesque de déficit commercial en électricité (8 milliards) en devant acheter plus cher à des fournisseurs étrangers un produit que nous devons leur vendre au prix coûtant. En 2023, les choses se rétablissent avec un excédent de 3 milliards qui, on le comprend bien, si nous n’étions pas entrés dans l’ARENH, devrait être nettement supérieur.

En synthèse, l’énergie que nous vendons et achetons se traduit par un solde déficitaire de 50 milliards. Notre position de leader nucléaire historique ne permet en rien de redresser ces résultats du fait des mécanismes de prix fixés par l’ARENH.

 

Le textile et l’habillement

Un redressement en demi-teinte porté par la croissance des exportations de produits de luxe.

Le déficit avait atteint les 12 milliards en 2019, frôlé les 13 milliards en 2022 et s’est contracté à 8 milliards en 2023. Ce rétablissement est entièrement porté par la progression des exportations sur le seul secteur du cuir/bagages/chaussures. En revanche, pour le reste de l’habillement, le montant des importations est en progression avec l’apparition marquée d’acteurs étrangers intervenant en vente directe, sans intermédiation, comme l’emblématique Shein.

 

Le déficit ancré de l’agro-alimentaire : une perte de souveraineté confirmée

Les résultats sont chaque année présentés comme positifs… À tort. En effet, les boissons (vins et spiritueux) viennent corriger ce qui est devenu un déficit structurel de la balance commerciale sur la totalité des produits à l’exception des produits laitiers. Corrigés des seuls chiffres des boissons les résultats sont alarmants : la dépendance aux produits étrangers, pour ce qui est de notre consommation de viande, de conserves, de fruits et légumes, et d’huiles est bel et bien confirmée. Tous ces secteurs sont déficitaires, entre 2 et 4 milliards chacun.

La balance commerciale du secteur agro-alimentaire marque donc, en réalité, un déficit de 10 milliards d’euros (soit 3 milliards de déficit supplémentaire par rapport à 2019).

Ce déficit n’est pas corrigé par la balance commerciale agricole, qui, après une progression en 2022 enregistre un excédent de 1,4 milliard. On peut donc dire que le secteur agricole, hors spiritueux, enregistre des déficits records, proches de 9 milliards !

 

Métallurgie, électronique, machines… : la chute libre

De nombreux autres secteurs historiquement déficitaires continuent leur plongée respective comme l’industrie métallurgique (doublement du déficit de 2019 à 2023 pour atteindre 15 milliards d’euros), les produits en plastique (-10 milliards), les produits informatiques (+50 % de déficit soit -10 milliards), la fabrication d’équipements électriques et de machines (-21 milliards).

 

Les rares secteurs excédentaires… En très fort recul

De façon encore plus inquiétante, on voit également se contracter des secteurs qui avait su rester excédentaires.

Premier concerné : l’industrie du transport (automobile, aérospatiale, navire) qui est passé de 15 milliards d’excédent en 2019 à… 6 milliards ! Cet effondrement est principalement corrélé à l’effondrement du secteur automobile dont le déficit passe de 15 à 25 milliards d’euros et dont les résultats de l’aérospatiale ne parviennent pas à compenser.

Deuxième secteur historiquement fort : l’industrie pharmaceutique qui voit un effondrement dans la balance commerciale que toute personne ayant besoin de se soigner peut constater. L’excédent de 6 milliards de 2019 s’est amoindri à moins d’un milliard en 2023.

Enfin l’industrie chimique, toujours présentée en bonne santé, doit à l’instar du secteur agro-alimentaire et des boissons, être retraitée de la cosmétique. Le solde le plus excédentaire de la balance commerciale, 20 milliards en 2023, se réduit à la peau de chagrin de 2,5 milliards une fois les cosmétiques retirés…

Globalement, sur 2023, en dépit de la contraction du déficit, les tendances lourdes se confirment et semblent ancrées de façon indélébiles dans les chiffres de la balance commerciale et dans la réalité de notre consommation quotidienne.

Au-delà des aides, des subventions, et des « encouragements », il est temps que l’industrie redevienne réellement une priorité nationale. La France doit revoir les normes et dispositifs dans lesquelles elle s’est enfermée au profit de ses partenaires et au détriment de ses propres intérêts commerciaux.

Présidentielle 2024 : coup dur pour la campagne de Biden

La campagne de Joe Biden ne se déroule pas bien. Bien qu’il semble se diriger vers la nomination de son parti, sa cote de popularité ne cesse de chuter, laissant croire que Donald Trump le vaincra s’il obtient la nomination. Son bilan économique mitigé ne sera pas la seule raison pour laquelle plusieurs de ses électeurs en 2020 s’abstiendront ou changeront de camp.

En effet, le récent rapport d’un procureur spécial affirme que Biden a bel et bien été négligent avec des documents confidentiels qu’il a conservés secrètement. Et à l’instar d’Hillary Clinton en 2016, Robert Hur suggère de ne pas entamer de procédures judiciaires… parce qu’un jury ne condamnerait pas « un vieil homme sympathique à la mémoire défaillante. »

De la vice-présidente à la (quasi) totalité des médias, Robert Hur est accusé de parti pris et d’avoir parlé gratuitement de l’état mental du président – alors que c’est la raison pour laquelle il ne suggère aucune accusation. Certains esquivent le problème et pensent que l’âge est une vertu ; d’autres font des courbettes à rendre jaloux le Cirque du Soleil.

La Maison-Blanche n’est pas opposée à la publication des entrevues menées, mais ne ferme pas non plus la porte à la censure de certains passages. Mais l’avocat de Biden ne le fera pas sans se battre.

 

Combat contre la démocratie

Toujours au sujet du Parti démocrate, ses membres martèlent sans cesse que la prochaine élection sera cruciale car, entre les mains de la « mauvaise personne », elle pourrait se terminer en dictature. Mais à voir leurs agissements, pour citer mes parents, ils ne prêchent certainement pas par l’exemple.

Vendredi 10 février, ils ont porté plainte auprès de la commission électorale fédérale en accusant Robert Francis Kennedy Jr. (neveu de John Fitzgerald) de collusion avec un super PAC afin qu’il puisse apparaître sur les bulletins de vote. Il est certain que s’il a vraiment coordonné des actions avec un super PAC, il a commis une faute grave. Par contre, considérant que la collusion alléguée soit simplement pour que Kennedy puisse être sur les bulletins de vote, les Démocrates s’engagent dans un combat anti-démocratique et futile. 

En effet, même s’ils réussissent à franchir les obstacles souvent insurmontables de paraître sur les bulletins de vote, les candidats « autres » peinent à recevoir un pourcentage significatif des votes, bien que leur présence est souvent blâmée pour certaines défaites.

Et même en ce qui concerne Trump, plusieurs États (surtout Démocrates) se battent pour l’exclure du scrutin, plaidant qu’il est exclu, en vertu du 14e amendement de la Constitution qui a bloqué des officiels confédérés de participer au gouvernement.

Malheureusement pour eux, la Cour suprême semble unanimement sceptique face à ces actions – le groupe du Colorado qui a réussi à exclure Trump tente de plaider sa cause. La décision n’est pas arrêtée, contrairement à ce que dit ce tweet, mais tous – y compris les juges nommés par des Démocrates – ont longuement questionné le bien-fondé d’une décision étatique aux répercussions nationales. 

 

Creuser sa tombe

Ainsi, le méchant homme orange n’aurait pas à craindre d’être exclu du scrutin et, tel que mentionné en introduction, se dirige allègrement vers la victoire. Elle est tellement décisive que sa seule autre concurrente, Nikki Haley, a perdu contre « aucun de ces candidats » lors de la primaire au Nevada

Toutefois, une récente attaque de Trump contre l’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud pourrait lui coûter cher. Il est reconnu pour ses attaques personnelles contre tous ceux qui ne sont pas 100 % avec lui. Mais depuis quelque temps, il n’en a que pour l’absence du mari de Nikki… qui est en mission militaire. S’il y a un groupe immunisé contre la critique, surtout dans les milieux conservateurs, c’est bien l’armée et toutes ses branches.

Au sujet des militaires, il semble que Trump persiste à dire que les membres de l’OTAN doivent payer leur « juste part » des dépenses de défense. Sinon, il laisse sous-entendre qu’il ne défendrait non seulement pas les « fautifs », mais encouragerait leur invasion. Il y a une marge entre plaider pour davantage de dépenses et carrément espérer la destruction d’un allié…

Bref, si la tendance se maintient, nous aurons droit à une répétition de l’élection de 2020, soit entre un homme au déclin cognitif de plus en plus évident et un autre qui parle avant de réfléchir. Et bien que ce dernier a tendance à se tirer dans le pied, ses adversaires font tout pour attirer la sympathie des indécis.

Une fuite récente suggère que Biden peste discrètement contre son ministre de la Justice de ne pas avoir décidé d’entamer des procédures contre Trump plus tôt. De quoi alimenter le moulin à conspirations de la chasse aux sorcières. Il semble que Taylor Swift soit son seul espoir…

Politique du logement : le modèle suédois

J’ai déjà dit, ici et ailleurs, que la meilleure politique du logement que vous puissiez imaginer consiste à laisser des ménages relativement aisés — ou même riches — se faire construire des logements neufs. Je remets le sujet sur la table parce qu’une étude sur des données suédoises apporte non seulement une énième confirmation mais démontre surtout que les effets de ce type de politiques sur les conditions de logement des plus modestes d’entre nous sont beaucoup plus rapides que ce que je pensais. En l’occurrence, cette étude porte sur l’intégralité de la population et du stock de logements suédois de 1990 à 2017.

En simplifiant un peu, voici comment ils ont procédé : lorsque de nouveaux logements sont commercialisés, les auteurs observent le niveau de revenu de leurs nouveaux habitants et le nomment le round 0. Partant de là, ils identifient les logements (désormais vacants) qu’occupaient les Suédois du round 0 lors de l’année précédente, et estiment le niveau de revenu relatif de ceux qui viennent s’y installer pour former un round 1, puis ils répètent la même opération pour créer les rounds suivants (2, 3, etc.).

L’intérêt de cette approche est d’identifier une réaction en chaîne initiée par la construction de nouveaux logements (round 0) et d’estimer le niveau de revenu des ménages qui s’installent à chaque round (round t) dans les logements laissés vacants au round précédent (round t-1).

Comme on pouvait s’y attendre, les résultats montrent que le niveau de revenu relatif baisse au fur et à mesure qu’on progresse dans les rounds, c’est-à-dire quand les ménages de chaque round sont remplacés par des ménages un peu moins riches au round suivant. Mais ce qui est fascinant, c’est que ça baisse très vite. C’est-à-dire que l’impact de la construction de logements neufs de bonne qualité, plutôt destinés à des gens aisés, profite très rapidement à des ménages beaucoup plus modestes : aux rounds 3, 4 et 5, ceux qui déménagent gagnent moins de la moitié de ce que gagnent ceux du round 0 mais, surtout, les principaux bénéficiaires de la réaction en chaîne dès le premier round sont les ménages les plus modestes (ci-dessous, le premier quartile).

 

J’insiste : on savait déjà que laisser les riches se faire construire des logements neufs (et donc, a priori, du haut de gamme) déclenchait ce type de réactions en chaîne qui finissait par bénéficier aux plus modestes.

C’est ce que j’ai essayé d’illustrer avec le quartier Mazarin d’Aix-en-Provence. Ce que cette étude apporte de vraiment nouveau, c’est que le mécanisme de transmission est incroyablement rapide : en quelque mois, le déménagement des ménages du round 0 se diffuse au travers de toute la distribution des revenus.

 

Résumons

Là où une politique de logements sociaux coûte très cher aux contribuables, laisser des gens aisés se faire construire de nouveaux logements ne coûte rien, et peut même alimenter les caisses publiques.

Si une politique de logement social ne bénéficie qu’aux plus modestes (et, éventuellement, aux élus qui pratiquent le clientélisme), cette façon de procéder bénéficie à presque tout le monde, notamment aux classes moyennes.

Les politiques de promotion des logement sociaux tendent à dégrader la qualité moyenne du bâti (pensez isolation par exemple). Elles tendent à créer des clusters de pauvreté, souvent éloignés des zones d’emploi, et peu accessibles. La chaîne de réaction décrite ci-dessus permet, au contraire, d’organiser une mixité progressive et choisie. Construire du haut de gamme permet d’améliorer la qualité moyenne du stock.

Bref, les politiques de logement social sont une aberration à tout point de vue. Si vous souhaitez réellement améliorer le sort des moins fortunés d’entre nous (lesquels sont, pour votre information, typiquement vos enfants ou petits-enfants), vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Vous pouvez retrouver cette analyse sur le site de l’auteur.

Mort de Navalny, colère agricole, guerre en Ukraine : ce qu’on retiendra de février 2024

Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette ville que les Ukrainiens avaient repris aux forces soutenues par Moscou il y a dix ans constitue un gain politique pour le Kremlin à un mois d’une présidentielle au demeurant jouée d’avance ; aucun candidat vraiment d’opposition n’a été validé et tous les trouble-fêtes peuvent avoir en tête le sort d’Alexeï Navalny, décédé dans des circonstances qui restent à élucider dans un pénitencier de l’Arctique russe, le genre d’endroit où le régime enferme ceux qu’il ne souhaite pas voir vivre trop longtemps. La reprise d’Adviivka constitue aussi un gain tactique pour le Kremlin, puisqu’il rapproche le front de nœuds logistiques de l’armée ukrainienne.

Si Moscou, qui a perdu beaucoup d’hommes (vraisemblablement 300 000 à 500 000 hors de combats depuis le début de la guerre il y a deux ans), ne semble pas en position de percer la ligne de défense ukrainienne, il pourrait faire perdre du terrain à Kyiv en d’autres endroits, même si les opérations offensives sont désormais très compliquées, puisque le champ de bataille est devenu très transparent à cause de l’utilisation de simples drones d’observations capables de repérer le moindre char d’assaut ou groupe de fantassins. Seul lot de consolation pour l’Ukraine : elle a gagné, loin des projecteurs médiatiques, la « bataille de la mer Noire » en repoussant ces derniers mois les navires russes loin des corridors indispensables à l’exportation de ses céréales, et en coulant plusieurs navires, dont encore un il y a dix jours.

Autre revers pour Kyiv, l’aide cruciale de 60 milliards de dollars sur laquelle la Maison Blanche et les Républicains travaillent depuis des mois, est encalminée au Congrès. Certes, 22 sénateurs républicains sur 48, animés traditionnellement par une solide culture géopolitique héritée de la Guerre froide, et peu sensibles aux intimidations de Donald Trump, ont voté récemment pour ce paquet. Mais la majorité républicaine à la Chambre des représentants bloque toujours le texte sur instruction de Trump. Ce dernier ne veut en aucun cas faire cadeau d’un victoire politique à Joe Biden, à moins de neuf mois de la présidentielle qui verra certainement s’affronter les deux hommes. La Maison Blanche avait, erreur tactique, cru pouvoir obtenir un feu vert sur l’aide à l’Ukraine en la liant à celle à Israël et Taïwan, deux chevaux de bataille des Républicains, en sus de mesures sur l’immigration illégale en provenance du Mexique, sujet prioritaire des électeurs. Mais c’était prendre le risque de voir l’aide à Kyiv devenir otage d’autres sujets, ce qui n’a pas manqué d’arriver. L’administration Biden a, enfin, compris le danger et accepté il y a dix jours de dissocier un peu ces sujets ; mais trop tard, les trumpistes ont compris qu’ils tenaient là de quoi faire mordre la poussière à Biden, au risque de faire un cadeau au Kremlin, sous réserve que le deep state sécuritaire républicain ne se réveille pas.

Vague lueur d’espoir pour Kyiv toutefois, Donald Trump a laissé entendre récemment qu’il n’objecterait pas à une aide militaire à l’Ukraine si elle se faisait uniquement sous forme de prêts (ce qui est déjà le cas, en fait, pour un quart à un tiers de l’aide militaire occidentale). L’Europe va aussi s’efforcer de passer à la vitesse supérieure, malgré ses goulets d’étranglement dans la production, notamment d’obus, comme l’illustre la décision spectaculaire du Danemark, samedi, d’offrir l’intégralité de son artillerie à l’Ukraine, convaincue qu’en fait Kyiv défend le continent face aux ambitions du Kremlin.

Devant ces revers, comme régulièrement depuis le début de la guerre déclenchée il y a deux ans, samedi prochain, de beaux esprits évoquent une « fatigue » dans l’opinion publique occidentale, où pourtant les sondages indiquent toujours un soutien à l’Ukraine oscillant entre 60 et 75 % suivant les pays, ainsi que la nécessité d’une négociation. Certes, mais avec qui et sur quoi ?

En effet, un accord signé avec Poutine vaut-il plus que le papier sur lequel il est écrit ? Il a déchiré la quasi-totalité des traités signés par son pays depuis 1999. Et a assumé, c’est passé inaperçu, lors de son récent entretien avec le journaliste américain Tucker Carlson, qu’il n’avait « pas encore atteint ses buts de guerre en Ukraine ». En clair, l’annexion de quatre régions ukrainiennes ne lui suffit pas. Voilà pour les naïfs, voire pas si naïfs, qui prétendent que le Kremlin serait prêt à signer la paix en échange de quelques gains territoriaux. Ce que veut Poutine est clairement vassaliser l’ensemble de l’Ukraine et ridiculiser l’OTAN.

Dernier sujet préoccupant pour Kyiv, le président Volodymyr Zelensky, a limogé récemment son chef d’état-major, Valery Zaloujny, très populaire dans l’opinion, mais aussi et surtout parmi les soldats, pour le remplacer par Oleksandr Syrsky, unanimement détesté des hommes sur le front. Inquiétant, même si les dissensions sont au demeurant normales par temps de guerre. On oublie par exemple que, malgré l’union sacrée, le cabinet de guerre français a sauté trois fois suite à des désaccords sur la conduite des opérations et les buts de guerre en 14-18… Le défi pour l’Ukraine sera de changer de doctrine de combat, suite à l’échec de sa contre-offensive de juin-août, pour intégrer les nouvelles technologies : drones tueurs, brouillage des fréquences ennemies, ébauche d’utilisation d’intelligence artificielle (des pays occidentaux travaillent à fournir des essaims de drones bon marché opérant de manière synchronisée par utilisation de programmes d’AI simples).

 

Gaza : l’impasse

À court terme aucune issue, ni même une pause dans le conflit entre Israël et le Hamas ne semble être envisageable. Les négociations, qui avaient repris le 6 février au Caire sous médiation qatari, égyptienne et américaine en vue d’une pause de six semaines (à ne pas confondre avec un cessez-le-feu, qui suppose un arrêt indéfini des combats) en échange de la libération de tout ou partie des 100 otages que le Hamas détient encore, ont été interrompues il y a quelques jours. Le Hamas exige aussi la libération de centaines de ses militants détenus en Israël, dont des meurtriers, ce qui est une ligne rouge pour Jérusalem dont la majorité de l’opinion, selon les sondages, juge prioritaire d’éliminer le Hamas plutôt que de libérer les otages.

Le Premier ministre israélien se dit d’ailleurs plus que jamais déterminé à liquider intégralement le Hamas, avec notamment une offensive prochaine sur la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza où se seraient réfugiés les chefs militaires de l’organisation terroriste. Or, des dissensions commencent à se faire discrètement jour au sein de la hiérarchie militaire, et même parmi des ministres sur la possibilité d’éliminer entièrement le Hamas. Trois mois après le début de l’invasion de la bande de Gaza, selon les renseignements américains, Israël n’aurait mis hors de combat qu’un cinquième des quelques 40 000 combattants du Hamas. Certes, Tsahal a évité le piège de type Stalingrad que beaucoup lui promettait, avec des pertes relativement limitées pour trois mois d’opérations en milieu urbain, environ 200 soldats, et a détruit des dizaines de kilomètres de tunnels du Hamas.

Mais les victimes collatérales (le chiffre de 27 000 victimes, en grande majorité femmes et enfants, avancé par le Hamas semble plausible, pour une fois, par recoupement avec diverses données indépendantes) posent de plus en plus problème aux partenaires internationaux d’Israël, surtout les États-Unis, seul allié que Jérusalem écoute traditionnellement. Joe Biden s’est engagé fortement auprès d’Israël après les attentats du 7 octobre, avec déploiement de navires de guerre pour dissuader Téhéran ou le Hezbollah au Liban, approvisionnement en munitions, renseignements satellites. Ce dont l’aile gauche des Démocrates lui en fait grief… au risque de faire élire Donald Trump, soutien absolument inconditionnel de Jérusalem.

Reste le risque d’embrasement régional, évoqué à l’envi depuis quasiment le début de la guerre, le 7 octobre. Heureusement sans concrétisation, pour l’instant. En mode chien qui aboie ne mord pas, le Hezbollah, milice chiite libanaise soutenue par Téhéran, avait promis des représailles terribles « en temps et en heure » à différents raids israéliens, notamment l’élimination du numéro deux de la branche politique du Hamas à Beyrouth. De même, les ripostes des États-Unis et du Royaume-Uni contre les Houthis, missile yéménite soutenue aussi par Téhéran, qui menace de frapper les cargos transitant par le golfe d’Aden. Les frappes américaines sur le sol yéménite lui-même ont suscité des menaces de l’Iran. Sans rien pour l’instant.

 

Présidentielle américaine : Biden en pleine confusion et Trump dans ses trumperies 

Ce ne sera plus tenable longtemps. Si la Maison Blanche a joué les tauliers de l’Occident par une aide décisive (même si on peut aussi lui reprocher d’être « trop tard trop peu ») en Ukraine et un soutien vigilant d’Israël face au Hamas, force est de constater qu’une défaite de Joe Biden le 5 novembre face à Trump parait désormais probable.

Malgré le dynamisme économique, le président américain est terriblement impopulaire en raison de l’inflation. Les sondages le créditent de cinq points de retard sur son rival qui a le vent en poupe, puisqu’il devrait pousser à l’abandon sa dernière rivale, Nikki Haley après la primaire du 24 février en Caroline du Sud. Une victoire à peine six semaines après le début de la campagne des primaires serait sans précédent historique, et explique que si peu de ténors républicains osent tenir le moindre propos susceptible de déplaire aux trumpistes. Les sondages donnent aussi Trump gagnant dans les 5-7 swing states, ceux susceptibles de basculer dans un camp ou un autre, et qui feront l’élection : Arizona, Géorgie, Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin, voire Caroline du Nord et Nevada.

Surtout, est apparu un fait nouveau et qui pourrait bientôt devenir intenable. Joe Biden multiplie les confusions qui ne sont plus seulement embarrassantes, à l’image des gaffes et trous de mémoire qu’il multiplie depuis longtemps. Cela touche désormais à sa capacité de gouverner. Comment croire que cet octogénaire pourrait prendre les bonnes décisions en cas de crise, en quelques minutes dans la war room par exemple, s’il prétend, comme il l’a fait dernièrement, avoir rencontré Mitterrand, décédé en 1995, en lieu et place d’Emmanuel Macron, ou le chancelier Kohl à la place d’Angela Merkel, et déclaré que le président égyptien Al Sissi était en fait celui du Mexique (Donald Trump a fait diffuser une carte du Proche-Orient où était calqué la carte du Mexique avec mention « source : Joe Biden »).

Enfin, une campagne américaine est une épreuve physique redoutable. Joe Biden a tenu le choc lors de la dernière uniquement parce qu’elle n’a pas eu lieu pour cause de covid. Problème, les Démocrates, divisés, indécis, et en panne d’idées et, il faut bien le dire, de lucidité, n’ont pas de plan B. Aucune personnalité connue, dotée d’un minimum de charisme et susceptible de faire consensus parmi les Démocrates n’a émergé en quatre ans, ce qui est une faute. La vice-présidente, Kamala Harris, n’a pas pris la lumière, elle est réputée ne pas avoir la carrure, comme l’illustre son parcours peu convaincant. Surtout, juridiquement, il semble très difficile d’annuler les primaires démocrates, pour lesquelles un certain nombre de délégués pro Biden ont été désignés. Seule issue, un avis médical sollicité par les ministres du président, terrible responsabilité et trahison, pour déclarer qu’il n’est plus en capacité d’exercer ses fonctions, selon la Constitution. Jamais un candidat bénéficiant du désistement au dernier moment du président en exercice n’a gagné la présidentielle…

L’affaire est d’autant plus cruciale que, bien évidemment, l’élection du président du pays le plus puissant du monde, militairement et économiquement, ne concerne pas que les Américains et que Donald Trump a raconté publiquement, il y a dix jours, avoir déclaré à un chef de gouvernement européen (allemand ?) qu’il ne viendrait pas à son secours si la Russie l’attaquait. On peut essayer de se rassurer à bon compte en se persuadant qu’il s’agissait d’un procédé rhétorique, ou d’une technique de négociation un peu rude pour obtenir, légitimement, que les Européens prennent plus au sérieux leur sécurité. Mais force est de constater, et ce discours de Trump représente de ce point de vue un évènement géopolitiquement majeur, malheureusement, tranchant avec une jurisprudence constante à Washington depuis 1949. La sécurité collective de l’Alliance atlantique repose en effet sur le fait que si un quelconque de ses 31 membres est attaqué, chacun des autres volera à son secours de manière inconditionnelle, sans émettre des si et des mais. Tout l’inverse de ce qu’a déclaré Trump qui assume que dans ce cas là il pourrait dire « désolé, je ne suis pas très motivé, regardons d’abord si vous avez réglé vos factures ». De la musique aux oreilles du Kremlin, de nature à le convaincre qu’une aventure en Pologne, ou en pays Balte serait opportune pour discréditer définitivement son ennemi juré, l’Alliance atlantique…

 

Menaces sur l’économie chinoise

Les nuages s’accumulent sur la Chine, deuxième économie mondiale et qui a réalisé depuis 1979 une performance sans équivalent historique, une croissance de 6 à 10 % par an pour un pays à l’époque d’environ un milliard d’habitants.

Sa croissance ralentit et n’aurait même pas dépassé 0,8 % au dernier trimestre. En cause : le vieillissement de la population, conséquence de la politique de l’enfant unique en vigueur jusqu’à récemment en sus de la chute de désir d’enfant, comme en Occident ; le chômage des jeunes au plus haut depuis des temps immémoriaux ; la moindre dynamique des exportations liées à la conjoncture mondiale ainsi qu’à une certaine défiance post covid envers Pékin ; sans doute les imites rencontrées par un système totalitaire à l’ère de l’innovation technologique ; et les menaces sur le système bancaire en raison de l’accumulation de créances douteuses sur le secteur immobilier après des années de spéculation, illustrées par ces images vertigineuses de tours fantômes construites pour être condamnées à la destruction.

La mise en liquidation, le 29 janvier dernier par un tribunal de Hong Kong, du groupe Evergrande, principal promoteur immobilier du pays, après deux années d’agonie est venue rappeler le danger, même s’il n’a pas, pour l’heure, provoqué d’effets dominos comme aux États-Unis la faillite de Lehman Brothers en 2008. Le secteur immobilier pèse pour un tiers du PIB chinois, contre un dixième en France. Les prix des logements ont chuté en deux ans de 30 %, du jamais vu. Les bourses chinoises sont par ailleurs atones et le président Xi Jinping a dû convoquer récemment les régulateurs des marchés financiers pour leur demander de doper un peu la conjoncture, notamment par un allègement des règles de réserves obligatoires des banques. Sans résultat spectaculaire. Un défi politique pour les autorités, puisque les Chinois sont habitués depuis trente ans à des perspectives de progression de leur revenu…

 

Union européenne : les agriculteurs se rebiffent

C’est un événement important dans l’histoire de l’Union européenne qui s’est déroulé ces dernières semaines, à coups de cortèges de tracteurs klaxonnant dans les principales villes d’Europe.

Les agriculteurs, pourtant en majorité très pro-européens, notamment parce qu’ils bénéficient, pour la majorité d’entre eux, du système d’administration des marchés avec prix garantis peu ou prou dans les céréales, certaines viandes, produits laitiers, ont manifesté massivement. À rebours de l’adage « on ne mord pas la main qui vous nourrit », et peut-être parce que ladite main ne nourrit plus tant que ça ceux qui nous nourrissent, comme le résumait un cortège espagnol ; « laissez-nous bosser, carajo ! ». Pas un hasard si le mouvement est parti, il y a presque un an, des Pays-Bas où un plan d’écologie punitive avait prévu, au nom de la désormais omniprésente lutte en Occident contre le réchauffement climatique (une vertu qui permet de massacrer agriculture et industrie sous le regard goguenard ou stupéfait du reste du monde, et qui ne les incite en tout cas pas à nous emboiter le pas), la disparition de la moitié du cheptel.

Les Allemands ont pris le relais début janvier, suivis par leurs confrères français, puis italiens, belges, espagnols, polonais, roumains. Ce mouvement spectaculaire, avec des blocages inédits de centres- villes en Allemagne, et la panoplie habituelle en France de lisier déversé, mais des blocages d’autoroutes sur 400 km (sans précédent) ont pu avoir des motifs divers, prix de vente trop bas (donc, appel, comme d’habitude, à subventions), la concurrence ukrainienne, avaient pour revendication centrale la réduction drastique de la réglementation d’origine, le plus souvent écologique (les associations écologistes ont beau prétendre être les alliées des agriculteurs, ce discours ne convainc pas ces derniers qui savent sous la pression de qui on les bride depuis des années), ou sanitaire au nom d’un principe de précaution devenu absolu. En clair, les agriculteurs ne supportent plus les exigences des plans écolos européens Green Deal et Farm to Fork, même si leurs représentants n’osent pas trop le dire.

Si le gouvernement Attal a su apaiser les grands syndicats agricoles par des chèques et promesses, notamment d’une pause (mais pas annulation) du plan de réduction impératif de 50 % des traitements phytosanitaires d’ici 2030, avec chute des rendements, donc à la clé des revenus, martingale française inépuisable, et si Bruxelles a accordé une dérogation pour les jachères, les agriculteurs se rendent compte que cela ne résout pas du tout le problème « bureaucratie/punitions ». La FNSEA, qui ne se résout pas à s’attaquer aux programmes européens Green Deal et Farm to Fork, menace de reprendre les manifestations à la veille du Salon de l’agriculture, dans quelques jours.

Que le soufflé de cette contestation inédite par le nombre de pays concernés, quoique sans synchronisation, retombe ou pas, il aura déjà eu un mérite : le grand public a découvert le poids dément des règlementations en milieu rural, qui punissent tout et son contraire, la nécessité d’obtenir x autorisations pour tailler une haie, curer un fossé, le calendrier des semis, traitements… comme l’illustre ce slogan d’agriculteurs espagnols « mais laissez-nous bosser, carajo ! ».

 

En France, l’horizon indépassable des règlements partout, tout le temps

Une bataille clé dans la guerre culturelle entre la réglementation tous azimuts, qui ne se confine pas à l’agriculture, comme prétend d’ailleurs l’admettre depuis peu le gouvernement et qu’illustre cette savoureuse révélation, parmi mille autres : un employé de mairie ne peut pas changer une ampoule sans suivre trois jours de formation. Eh oui, nos vies sont régies par une dizaine de codes de 4000 pages, qui s’enrichissent de plusieurs pages chaque jour.

De quoi rappeler le fameux texte de Tocqueville sur « le réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes » édictée par un pouvoir « immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer la jouissance des citoyens et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux ».

Tout cela a poussé le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire (qui a dû se résoudre, dimanche soir, à annoncer une révision à la baisse, de 1,4 à 1 % de la prévision de la croissance française en 2024, évoquant la guerre en Ukraine, le Moyen-Orient, le ralentissement économique très marqué en Chine et la récession technique de 0,3 % du principal partenaire commercial de la France, l’Allemagne), à dénoncer « un suicide européen » par les entraves règlementaires, et à promettre il y a quelques semaines, à plusieurs reprises, un vaste effort de simplification… avant d’annoncer aussitôt des contrôles sévères sur la grande distribution, bouc émissaire, pour vérifier qu’elle pratique des marges raisonnables sur les produits alimentaires.

De même, le gouvernement a découvert récemment, sans promptitude excessive, que les normes DPE constituaient une véritable bombe sociale puisqu’elle imposait des dépenses insupportables aux ménages modestes voulant louer un bien pour le mettre en conformité (en attendant d’interdire aussi leur vente, voire, tant qu’on y est dans le fanatisme vert, leur occupation par les propriétaires). Ce qui contribue au blocage spectaculaire du marché de la location depuis deux ans.

Miracle, une étude technique vient démontrer que les DPE ne sont pas fiables pour les logements de moins de 40 m2 ouvrant droit à dérogation. Un peu tartuffe, mais c’est déjà ça… Il faudra surveiller la suite, du fait de la nomination d’un nouveau ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, qui assume vouloir provoquer un « choc de l’offre », en clair stimuler la construction de logements et leur mise à disposition sur le marché locatif. Un discours bienvenu, pour ne pas dire déconcertant, tant il est à rebours de ce à quoi nous habituent les ministres d’Emmanuel Macron.

Selon ses déclarations à l’issue, jeudi, d’une rencontre avec des représentants du secteur, il s’agit de rénover un processus de rénovation énergétique « comportant trop de lourdeurs administratives ». Sur la table, notamment la limitation des obligations de recourir à un accompagnateur agréé aux subventions de rénovation les plus élevées. Il s’agit aussi de permettre aux propriétaires de logements à étiquette énergétique G, a priori aux revenus les plus modestes, qui ne pourront plus être mis en location à partir du 1er janvier 2025, de les aider à commencer à améliorer la performance de leur bien.

 

France-sur-mer : le sujet empoisonné de l’immigration fait son grand retour

Le sujet de l’immigration, en mode sparadrap du capitaine Haddock, hante plus que jamais la politique française, avec un exécutif au sommet du « Enmêmptentisme », chèvre-chou, qui cherche à séduire des électeurs de droite (comme si ceux de gauche classique ne pouvaient pas objecter aux changements fondamentaux à l’œuvre dans notre pays depuis quatre ou cinq décennies, illustrés par une comparaison, au hasard, entre deux photos de classe 2024-1974 ?) sans perdre ceux de gauche. Dilemme d’autant plus sensible que le parti Renaissance est crédité de 18,5 % des suffrages aux européennes de juin, très loin des 29 % attribués, selon un sondage, au Rassemblement national.

L’Élysée a remporté une première manche tactique en demandant aux députés Renaissance de voter pour la loi immigration avec Les Républicains et le Rassemblement nationale… pour aussitôt en déférer les amendements Les Républicains au Conseil constitutionnel. Voter pour un texte qu’on espère anticonstitutionnel, c’est nouveau… Lequel Conseil constitutionnel a eu l’obligeance d’invalider 32 des amendements « droitiers » pour vice de procédure, qui ne se rattachaient pas à un élément précis, un article, du texte proposé. Il avait pourtant validé un amendement sur Mayotte en 2018 dans une loi qui ne traitait pourtant ni de Mayotte ni d’immigration…

Deuxième manche, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est rendu récemment à Mayotte, plus grande maternité d’Europe (25 naissances par jour, cinq fois plus que la seule Corrèze) pour annoncer ce que les élus de tous bords y attendent depuis longtemps : la fin du droit du sol. Au prix, puisqu’une loi ne peut pas être en vigueur dans un département, et pas sur l’ensemble du territoire national selon la Constitution, d’une révision de cette dernière. Ouvrant ainsi une boîte de Pandore, car ce principe d’une territorialisation d’une loi pourrait s’appliquer plus tard sur bien d’autres sujets. Il semble bien qu’il n’ait pas échappé à l’exécutif que la question devenue incandescente, voire civilisationnelle de l’immigration risque de rapporter gros aux élections européennes de juin prochain.

Une réforme du droit du sol sur l’ensemble du territoire n’aurait au demeurant rien de choquant et ne ferait pas basculer la France, contrairement à ce que prétendent les beaux esprits immigrationnistes, dans « les heures les plus sombres de notre histoire », pour la bonne raison que le droit du sang prioritaire est pratiqué par de nombreux pays pas franchement gouvernés à l’extrême droite.

Au demeurant, et cela illustre au passage combien le dossier de l’immigration à Mayotte est instrumentalisé, le droit du sol dit sec, c’est-à-dire l’obtention automatique de la nationalité du pays où l’on naît quelle que soit celle de ses parents et leur propre lieu de résidence et/ou de naissance, n’existe presque plus nulle part au monde. Et notamment pas en Europe, où les pays les plus souples là-dessus, la France, l’Espagne et la Belgique, pratiquent plutôt le « double droit du sol » : on obtient automatiquement, ou sur demande la nationalité française à l’adolescence si un des deux parents étrangers, même en situation irrégulière, est lui-même né en France, même en situation irrégulière, sous réserve qu’il ait séjourné en France un nombre suffisant d’années.

Le problème étant que les habitants des Comores, manipulés en outre par un régime dictatorial voyant dans cette émigration un moyen commode de déstabiliser une « puissance coloniale » à qui ils réclament la restitution de Mayotte, ignorent ces subtilités juridiques et que, motivées par la chimère d’une nationalité française automatique, avec ses droits et avantages pour l’enfant qu’elles portent, des Comoriennes enceintes se ruent à Mayotte pour y accoucher. Face à la désinformation aux Comores (en sus des autres facteurs d’immigration clandestine massive d’hommes jeunes cherchant une terre promise où les salaires sont huit fois supérieurs à ceux en vigueur chez eux à quelques heures de navigation) des ajustements constitutionnels sur le droit du sol, à la majorité, difficile, des trois cinquièmes au Congrès, risquent de ne pas changer grand-chose.

« Le risque d’un conflit direct entre la Russie et l’OTAN est à prendre au sérieux » grand entretien avec Aurélien Duchêne

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d’études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

Que représentent les pays baltes pour la Russie de Poutine ?

Aurélien Duchêne Les pays baltes représentent aux yeux du régime russe, comme d’une large partie de la population, d’anciens territoires de l’Empire russe, qui avaient également été annexés par l’URSS des années 1940 jusqu’en 1990. Beaucoup de Russes, notamment dans les élites dirigeantes, n’ont jamais vraiment digéré l’indépendance de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, avec de plus une circonstance aggravante : les pays baltes ont été les premiers à faire sécession de l’URSS, au printemps 1990, et leur soulèvement civique a fortement concouru à l’effondrement de cette dernière.

Les trois nations baltes totalisent une superficie 100 fois plus réduite que celle de la Russie (175 km2) et une population presque 25 fois moindre (6 millions d’habitants) : le fait que de si petits pays aient pu se libérer de l’emprise de Moscou avec le monde entier pour témoin a été une véritable humiliation pour le Kremlin, après des décennies d’humiliations répétées des peuples baltes sous le joug soviétique dans la lignée de la précédente occupation par l’Empire russe. 

La transition rapide des nations baltes vers la démocratie libérale et leur intégration européenne et atlantique restent également un camouflet pour le régime russe. Au-delà du basculement vers le monde occidental de pays censés appartenir à la sphère d’influence russe (si ce n’est à la Russie tout court), c’est l’accession d’anciennes républiques soviétiques au rang de démocraties matures, avec une société libre, qui est aussi intolérable aux yeux de Poutine et de ses lieutenants que ne l’est la démocratisation avancée de l’Ukraine.

Et de même que la Russie de Poutine nie l’existence d’une nation ukrainienne indépendante, elle respecte peu l’identité des peuples baltes qui ont tour à tour été considérés comme des minorités ethniques parmi d’autres dans l’immense Empire russe, puis comme des populations à intégrer de force sous l’URSS. 

Outre l’imposition du communisme qui tolérait par définition mal des identités nationales affirmées, le régime soviétique s’est livré à des politiques de recomposition ethnique qui allaient bien au-delà de la seule politique de terreur stalinienne. À travers des programmes criminels comme l’opération Priboï en 1949, le Kremlin a ainsi orchestré la déportation de 500 000 Baltes entre 1945 et 1955 ! Alors qu’elle déportait des familles entières vers la Sibérie, l’URSS organisait l’installation de Russes ethniques dans ce qui s’est vite apparenté à une véritable colonisation de peuplement.

L’héritage de ce demi-siècle d’annexion à l’URSS, c’est la présence aux pays baltes de fortes minorités de Russes ethniques et de russophones. Ces Russes vivant hors de Russie représentent environ 25 % de la population en Lettonie et en Estonie, et environ 5 % en Lituanie. Les russophones représentent ainsi environ 80 % de la population du comté estonien d’Ida-Viru (où se situe la très symbolique ville de Narva, à la frontière avec la Russie), ou encore plus de 55 % de la région capitale de Riga en Lettonie.

Vu de Russie, ces populations russes et russophones hors de Russie font partie du « monde russe », lequel doit absolument rester dans le giron de Moscou. Les pays baltes n’ont pas la même dimension aux yeux des Russes que la Crimée, voire pas la même dimension que d’autres régions ukrainiennes considérées comme russes du fait d’une prétendue légitimité historique voire démographique. Les 25 à 30 millions de Russes ethniques vivant dans d’anciennes républiques soviétiques qui, du nord du Kazakhstan à la Lettonie, forment la seconde diaspora du monde après celle des Chinois, sont eux, d’une extrême importance aux yeux de Moscou.

L’on se souvient que c’était le devoir pour la Russie de protéger les Russes hors de ses frontières qui avait été invoqué dans les divers conflits contre l’Ukraine depuis 2014. Cette garantie de protection par la Russie de ses citoyens vivant hors de ses frontières (incluant tous les Russes de l’étranger à qui Moscou délivre passeports et titres d’identité) est même dans la Constitution fédérale. Les dirigeants russes n’ont pas besoin de croire eux-mêmes en un quelconque danger envers des Russes à l’étranger pour « voler à leur secours », que ce soit face à un « génocide » des russophones du Donbass inventé de toutes pièces, ou face à un régime nazi imaginaire qui gouvernerait l’Ukraine. Mais tout porte à croire que le Kremlin se préoccupe sincèrement du risque de voir des millions de Russes de l’étranger s’éloigner de la Russie pour s’intégrer, voire s’assimiler aux pays où ils vivent, menaçant ainsi le « monde russe », voire l’avenir du régime russe.

Dans un article publié un an avant l’invasion de 2022, j’avais défendu l’idée que la Russie pourrait envahir dans un futur proche les régions ukrainiennes censées appartenir à ce « monde russe », avant de développer encore ce scénario dans mon livre Russie : la prochaine surprise stratégique ?. J’y détaillais également le risque que la Russie puisse tenter une agression contre des localités baltes à majorité russe ou russophone telles que la ville de Narva, fût-ce sous la forme d’opérations de faible envergure sous le seuil du conflit ouvert.

Le but pourrait être d’obtenir une victoire historique contre l’OTAN et les puissances occidentales, en leur imposant un fait accompli auquel elles n’oseraient supposément pas réagir par les armes, de peur de s’engager dans une guerre contre la Russie avec le risque d’une escalade nucléaire à la clé. Un calcul qui aurait de fortes chances de se révéler perdant et de déboucher sur le scénario du pire, celui d’un conflit direct entre la Russie et l’Alliance atlantique. Je crois plus que jamais à ce risque, des scénarios comparables étant désormais d’ailleurs davantage pris au sérieux dans le débat stratégique. Pour la Russie, les pays baltes ne représentent donc pas une terre irrédente du même type que la Crimée, ni une « question de vie ou de mort » comme le serait l’Ukraine entière dixit Vladimir Poutine, mais un enjeu qui pourrait bien la conduire à prendre des risques extrêmes contre l’OTAN.

 

Que symbolise l’Alliance atlantique pour les pays de l’Est ?

Elle symbolise à la fois leur ancrage dans le camp des démocraties occidentales et leur garantie d’y rester. Sous la domination russe, puis soviétique, les pays d’Europe centrale et orientale se vivaient comme un « Occident kidnappé », pour reprendre les mots de Milan Kundera. Ces pays, qui étaient membres contraints du Pacte de Varsovie, voire de l’URSS dans le cas des pays baltes, se sont vite tournés vers l’Alliance atlantique après l’effondrement de l’Empire soviétique. À l’époque davantage dans le but de parachever leur retour vers l’Occident et leur marche vers la démocratie que dans l’optique de se prémunir d’une menace russe encore lointaine. La Pologne, la Tchéquie et la Hongrie ont rejoint l’OTAN (en 1999) avant de rejoindre l’Union européenne (en 2004) ; les pays baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’OTAN la même année que l’UE (en 2004).

Là où le débat public français distingue largement l’intégration européenne de l’alliance transatlantique, les pays d’Europe centrale et orientale parlent davantage d’une intégration euro-atlantique, bien qu’ils différencient évidemment la construction européenne dans tous ses domaines de cette alliance militaire qu’est l’OTAN. Nous avons tendance en France à résumer la vision de ces pays de la manière suivante : l’Union européenne serait pour eux un bloc économique (un « grand marché ») et politique qui ne devrait guère tendre vers d’autres missions, quand la défense collective serait du ressort de la seule OTAN. Leur vision est en réalité bien plus complexe, ne serait-ce que du fait d’un sincère attachement à la dimension politique et culturelle du projet européen, jusque chez les puissants courants eurosceptiques qui pèsent dans ces pays.

Il n’en demeure pas moins que l’OTAN est pour eux le pilier de leurs politiques de défense. Nos voisins d’Europe centrale et orientale ne voient pas d’alternative crédible à la garantie de sécurité américaine et à la sécurité collective que procure l’Alliance, dans la mesure où l’Europe n’est aujourd’hui pas en capacité de faire face seule à la menace russe. Outre leur puissance, les États-Unis passent pour un protecteur incontournable du fait de leur position historiquement ferme face à l’URSS puis la Russie, là où la France et l’Allemagne, qui ont davantage cherché à ménager la Russie malgré sa dérive toujours plus menaçante, sont souvent perçues comme étant moins fiables. L’attitude de Paris et Berlin au début de l’invasion de l’Ukraine a d’ailleurs renforcé ce sentiment, quoique les choses se soient améliorées depuis que les deux pays ont considérablement renforcé leur soutien à l’Ukraine et durci le ton face à Moscou.

Les pays d’Europe centrale et orientale sont extrêmement attachés à la solidité de l’OTAN et se méfient des projets, portés en premier lieu par la France, de défense européenne distincte de l’OTAN ou d’autonomie stratégique européenne, pour au moins trois raisons. Ils n’en voient pas vraiment l’utilité là où l’OTAN, avec le fameux article 5, et la protection américaine suffisent face aux menaces majeures ; ils craignent qu’une défense européenne concurrente de l’OTAN ne distende les liens avec les États-Unis et conduise ceux-ci à favoriser davantage encore leur pivot vers l’Asie ; ils soupçonnent la quête d’émancipation vis-à-vis de Washington d’être synonyme d’un futur rapprochement avec la Russie, qui se ferait au détriment de l’Europe orientale. Là aussi, les premiers mois de l’invasion de l’Ukraine avaient renforcé ces soupçons, du fait d’un soutien à Kiev bien plus ferme de la part des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni.

Mais la situation s’est également améliorée sur ce point, entre rapprochement de la France et de l’Allemagne avec la position des pays d’Europe centrale et orientale, doutes croissants sur la fiabilité américaine et évolution du débat stratégique en Europe. Nos voisins restent plus attachés que jamais à l’OTAN qui paraît aujourd’hui d’autant plus indispensable à leur sécurité, mais s’ouvrent davantage à une défense européenne complémentaire de l’Alliance atlantique, entre renforcement du pilier européen de l’OTAN, développement des coopérations entre Européens et mise en œuvre de nouvelles politiques de défense de l’UE avec des moyens supplémentaires.

 

Comment l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se préparent-ils à une éventuelle invasion russe ?

Les trois pays agissent à trois niveaux. D’abord par leur soutien matériel à l’Ukraine, qui est l’un des plus élevés de toute l’Alliance atlantique en proportion de leur puissance économique et militaire, et leur travail diplomatique pour renforcer la mobilisation européenne et transatlantique en la matière. En soutenant au mieux la défense ukrainienne face à l’agression russe, les Baltes entretiennent aussi leur propre défense : infliger un maximum de pertes aux Russes, qui mettront parfois des années à reconstituer les capacités perdues, permet à la fois d’éloigner l’horizon à partir duquel la Russie pourrait attaquer les pays baltes, et de mieux dissuader une telle éventualité en montrant à l’agresseur qu’il paierait un lourd tribut.

Ensuite, par un effort de prévention du pire. Si les États baltes se montrent de plus en plus alarmistes quant au risque d’être « les prochains », c’est aussi pour conserver l’attention et la solidarité de leurs alliés, et espérer d’eux qu’ils renforcent encore leur présence dans les pays baltes. En montrant qu’ils prennent au sérieux le risque d’une attaque russe et qu’ils s’y préparent, les Baltes ont aussi un objectif de dissuasion à l’endroit de Moscou.

Enfin, par des préparatifs directs pour résister à une invasion. Cela fait depuis 2014 que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie améliorent leurs dispositifs de défense opérationnelle du territoire, et l’on note une accélération sensible ces derniers mois. L’on apprenait ainsi mi-février que les trois pays prévoient de renforcer encore les fortifications à leurs frontières, avec la construction de plus de 1000 bunkers (600 pour la seule Estonie) et de barrages anti-chars tels que des dents de dragon qui ont montré leur utilité en Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères estonien Margus Tsahkna estimait il y a quelques jours que l’OTAN n’avait que trois à quatre ans pour se préparer à un « test » russe contre l’OTAN, rejoignant notamment l’estimation de certains responsables polonais. S’ils ne s’attendent pas à une attaque imminente, les trois pays baltes partagent la même conviction qu’ils n’ont que quelques années pour se préparer à un conflit majeur.

Ce qui se traduit par un effort budgétaire considérable. L’Estonie a ainsi porté son effort de défense à 2,8 % du PIB en 2023 et prévoit d’atteindre 3,2 % en 2024, bien au-delà de l’objectif de 2 % auquel se sont engagés les membres de l’OTAN en 2014. La Lettonie a quant à elle dépassé les 2,2 % l’an dernier avec un objectif de 2,5 % en 2025. La Lituanie, enfin, a augmenté de moitié ses dépenses militaires en 2022 (elle les a même doublées depuis 2020), et consacrera à sa défense l’équivalent de 2,75 % du PIB en 2024. Avec la Pologne, la Grèce et les États-Unis, les pays baltes sont désormais les États membres de l’OTAN qui fournissent l’effort de défense le plus conséquent en proportion de leur richesse nationale.

La majeure partie de ces dépenses supplémentaires sont des dépenses d’acquisition, finançant de grands programmes. Tirant des enseignements de la guerre d’Ukraine, les Baltes renforcent leur artillerie (de l’achat de HIMARS américains pour les capacités de frappes dans la profondeur, à la commande de canons CAESAR français par la Lituanie), leur défense antiaérienne… Et ils massifient leurs stocks de munitions, lesquels ont aussi été fortement mis à contribution pour aider l’Ukraine. Les dépenses en personnel ne sont pas négligées : les trois pays baltes augmentent leurs effectifs d’active comme de réserve, ainsi que l’entraînement et la préparation opérationnelle de leurs forces.

La préparation de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie à une éventuelle invasion russe passe aussi par une mise à haut niveau de leur défense nationale qui va au-delà du seul renforcement capacitaire. Il convient de souligner à quel point ces trois pays, malgré leur pacifisme et leur souhait de s’épanouir en tant que démocraties libérales européennes, ouvertes sur la mondialisation, ont conservé un ethos militaire. Leur identité profonde se caractérise à la fois par une histoire marquée par les occupations étrangères (l’Empire russe puis l’URSS en premier lieu), un attachement farouche à leur souveraineté (y compris par rapport aux grands États européens alliés), et une vulnérabilité en tant que petits États peu peuplés.

L’Estonie avait instauré la conscription dès 1991, la Lituanie a annoncé son rétablissement en 2015, et la Lettonie a suivi en 2022 avec une entrée en vigueur cette année. Derrière le maintien ou le rétablissement du service militaire obligatoire, les nations baltes développent leur défense nationale sur le plan civique, avec notamment un effort accru d’intégration des minorités de Russes ethniques et de Baltes russophones qui vivent dans les trois pays, et une bataille de tous les jours contre la guerre informationnelle russe et les campagnes de déstabilisation intérieure qu’organise Moscou. Si ces efforts de cohésion nationale et civique ne sont pas tournés en premier lieu vers la préparation à une invasion armée, ils lui sont indispensables. La vulnérabilité de l’Ukraine aux agressions russes en 2014 l’a montré ; sa formidable résistance à l’invasion de 2022 encore plus.

 

Sont-ils capables de tenir un front dans le cadre d’une guerre conventionnelle ?

Sur le papier, pas pour longtemps. Les forces opérationnelles que les trois pays pourraient engager immédiatement en cas d’agression se montent à quelques milliers d’hommes chacun, les effectifs devant être augmentés à plusieurs dizaines de milliers sur un préavis le plus court possible grâce à la mobilisation de conscrits et réservistes par définition moins bien entraînés et équipés. Là où la Russie a déjà engagé plusieurs centaines de milliers d’hommes en Ukraine en deux ans et est capable d’en mobiliser bien davantage, la population de l’Estonie par exemple est d’à peine 1,3 million d’habitants, soit la population de l’agglomération lyonnaise. Aucun de ces pays ne dispose de chars lourds (la Lituanie négocie avec des constructeurs allemands pour en acquérir) ou d’avions de combat (la Lituanie et la Lettonie ont commandé respectivement quatre et un hélicoptère américain Black Hawk), et leur parc d’artillerie actuel est très limité et devrait le rester malgré d’importantes commandes dans ce domaine.

Le renforcement militaire des pays baltes est proportionnellement l’un des plus importants des pays de l’OTAN, et les armées estonienne, lettone et lituanienne de 2025 voire 2030 seront autrement plus fortes que celles de 2020 ; s’ajoute, comme dit précédemment, la fortification des frontières baltes qui compliquera sérieusement une attaque russe. Mais le rapport de force échoirait toujours à la Russie, dont les forces conserveront une masse et une épaisseur bien supérieures à tout ce que les pays baltes prévoient dans le cadre de leur montée en puissance.

Les pays baltes ne se battront évidemment jamais sans leurs alliés de l’OTAN (quoique les Russes pourraient penser le contraire, ce qui les pousserait d’autant plus à tenter un coup de force), et ces derniers renforcent eux aussi considérablement leurs capacités de défense dans la région balte. En 2016, une étude de la RAND Corporation voyait les forces de l’OTAN perdre une opération dans les pays baltes face aux troupes russes qui atteindraient Tallinn et Riga en un maximum de 60 heures, laissant l’Alliance face à un nombre limité d’options, toutes mauvaises. Le spectaculaire échec des premières phases de l’invasion russe de février 2022 dans le nord de l’Ukraine a depuis remis en question toutes les précédentes études de ce type qui décrivaient une armée russe capable de balayer les petites armées alliées dans des offensives éclair.

Sur le terrain, le corridor de Suwalki est depuis 2015 l’objet de simulations de combat en conditions proches du réel des côtés baltes comme polonais : ainsi d’un exercice à l’été 2017 où 1500 soldats américains, britanniques, croates et lituaniens avaient simulé une opération sur le terrain avec un matériel limité. Par comparaison, la même année et dans la même région, l’exercice russo-biélorusse Zapad 2017 avait mobilisé des effectifs largement supérieurs avec plusieurs dizaines de milliers d’hommes et des centaines de véhicules. Là encore, les choses ont considérablement évolué depuis : en témoignent le renforcement des effectifs de l’OTAN dans la région et l’organisation cette année de Steadfast Defender, plus vaste exercice militaire de l’OTAN depuis 1988. La remontée en puissance militaire des alliés reste cependant limitée pour les prochaines années ; la matérialisation des ambitions polonaises, entre doublement programmé des effectifs militaires et commandes géantes d’armement, si elle va à son terme, s’étendra jusqu’à 2030 au moins.

Là où l’OTAN organise depuis 2016 des rotations de forces mécanisées de quelques milliers de soldats entre Pologne et pays baltes et augmente ses capacités de réaction rapide, les forces des districts militaires russes occidentaux pourraient quant à elles engager très rapidement des dizaines de milliers d’hommes et jusqu’à plusieurs centaines de chars opérationnels d’ici quelques décennies si la remontée en puissance militaire poursuit à ce rythme malgré les pertes en Ukraine. S’il faut relativiser l’idée que les armées baltes se feraient écraser, d’une part du fait de leur propre renforcement et de celui des alliés, et d’autre part du fait des faiblesses russes, il ne faut pas non plus pécher par excès de confiance.

 

Le corridor de Suwalki est-il le talon d’Achille des frontières européennes ?

Ce corridor terrestre large d’environ 65 km relie les États baltes à la Pologne et donc au reste de l’UE et de l’OTAN. À l’est de ce passage, la Biélorussie, qui serait en cas de conflit alliée à la Russie ou sous son contrôle ; à l’ouest, l’exclave russe de Kaliningrad, zone la plus militarisée d’Europe en dehors du front ukrainien. Le corridor de Suwalki concentre l’attention des états-majors occidentaux d’une manière comparable à la trouée de Fulda, à la frontière entre les deux Allemagne, au cours de la guerre froide. Concrètement, la Russie pourrait l’exploiter pour créer des situations d’asymétrie visant à réduire l’avantage des forces occidentales. Le terrain, couvert de champs humides volontiers boueux, de forêts et de lacs, rend les déplacements difficiles dans la trouée de Suwalki, d’autant que la moitié de la trouée est constituée d’un massif vallonné ; plus à l’ouest ou au sud, les trésors naturels que sont la région des lacs de Mazurie, le parc national de la Biebrza et la forêt primaire de Bialowieza gêneraient des mouvements de troupes venant du reste de la Pologne. Seules deux autoroutes et une liaison ferroviaire qui seront vite la cible de bombardements russes permettent d’acheminer rapidement des renforts par voie terrestre.

La Russie a créé à Kaliningrad une « bulle A2/AD » particulièrement dense (batteries antiaériennes S-400, batteries côtières SSC-5 Bastion et SSC-1 Sepal, missiles Iskander, artillerie, équipements de guerre électronique…) qui à défaut d’assurer un déni d’accès complet, compromettrait sérieusement les opérations navales et aériennes alliées. Elle y conserve des effectifs conséquents, qu’elle pourrait relever à plusieurs dizaines de milliers d’hommes sur un temps court, en parallèle d’un renforcement en Biélorussie. En attaquant le corridor de Suwalki, les forces russes seraient capables de combiner effet de surprise, supériorité numérique temporaire, logistique solide et capacités de déni d’accès, avec l’objectif d’isoler nos alliés baltes. Si l’OTAN renforce ses capacités de réaction rapide pour empêcher ce scénario, la bataille promet d’être rude. Le corridor de Suwalki n’est pas le talon d’Achille des frontières européennes, d’autant que le réarmement massif de la Pologne va produire ses effets dans les années à venir, mais c’est un point de vigilance.

 

Quel est l’état de la coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes, situés aux avants postes de l’Europe ? Sommes-nous, Européens de l’Ouest, prêts à défendre leur intégrité territoriale ?

La coopération entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les pays baltes s’effectue au travers de l’OTAN, des coopérations européennes et de relations bilatérales.

Les trois États baltes accueillent des « battlegroups » de l’OTAN, c’est-à-dire des forces multinationales composées de détachements des forces de plusieurs États membres, dans le cadre de l’Enhanced Forward Presence, la « présence avancée renforcée » de l’Alliance. Selon les données officielles de fin 2022, l’Estonie accueillait une présence permanente d’environ 2200 soldats belges, danois, français, islandais, américains et britanniques, le Royaume-Uni étant nation-cadre et la France le principal contributeur européen local avec Londres ; la Lettonie, environ 4 000 soldats albanais, tchèques, danois, islandais, italiens, monténégrins, macédoniens, polonais, slovaques, slovènes, espagnols et américains, le Canada étant la nation-cadre ; et la Lituanie, autour de 3700 Belges, Tchèques, Français, Islandais, Luxembourgeois, Néerlandais, Norvégiens, Suédois (la Suède n’étant pas encore membre de l’OTAN) et Américains, l’Allemagne étant la nation-cadre.

La présence de ces battlegroups multinationaux a d’abord un objectif de dissuasion vis-à-vis de la Russie : si quelques centaines de soldats français, britanniques et américains en Estonie, avec peu d’équipements lourds, ne seraient pas en capacité de repousser une attaque russe d’ampleur, le fait qu’ils auraient à se battre contre les Russes avec des pertes humaines à la clé signifie que les principales puissances militaires de l’OTAN se retrouveraient en conflit direct avec Moscou. La perspective de tuer des soldats américains ou français est censée dissuader la Russie d’engager la moindre opération militaire contre les pays baltes (la présence militaire américaine s’inscrivant aussi dans le cadre de la dissuasion nucléaire élargie de Washington). L’autre objectif est bien sûr de rassurer nos alliés, et de renforcer les relations militaires avec eux au quotidien. S’ajoutent également des missions telles que la police du ciel, à laquelle contribue l’armée de l’Air française.

Depuis la fin des années 2010, suite à l’annexion de la Crimée, la France compte ainsi en moyenne (le nombre fluctue en fonction des rotations) 2000 militaires engagés sur le flanc est de l’OTAN. En Estonie, nos soldats participent à la mission Lynx où ils constituent le principal contingent avec les Britanniques. En Roumanie, la France est la nation-cadre de la mission Aigle mise en place dans les jours suivant l’invasion de l’Ukraine. Cette participation à la défense collective de l’Europe contribue aussi à l’influence française chez nos alliés d’Europe centrale et orientale. Si l’on en revient spécifiquement aux pays baltes, la présence militaire de la France et d’autres pays d’Europe de l’Ouest est significative, quoiqu’elle ne soit évidemment pas à la même échelle que la présence de dizaines de milliers de soldats américains dans des pays alliés, et elle entretient une véritable intimité stratégique.

Dans le cadre des coopérations européennes, les Européens de l’Ouest coopèrent avec les baltes à travers des politiques communes telles que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), la Coopération structurée permanente, ou encore le Fonds européen de la défense. Outre ces politiques directement liées à l’UE, les coopérations se font à travers des projets ad hoc tels que l’Initiative européenne d’intervention lancée par la France, et que l’Estonie est le seul pays d’Europe centrale et orientale à avoir rejointe. 

Cette participation de l’Estonie à l’Initiative européenne d’intervention promue par Paris montre aussi le développement des relations bilatérales de défense entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les États baltes. Ainsi, la participation importante de l’Estonie à l’opération EUFOR RCA (Centrafrique) en 2014 s’expliquait en partie par sa reconnaissance envers la France, qui avait libéré sept cyclistes estoniens pris en otages au Liban en 2011 par le groupe Harakat al-Nahda wal-Islah. L’engagement estonien au sein de la Task Force Takuba (2020-2022) au Sahel avait également été très apprécié par les Français. Si l’Estonie a souvent reproché à la France ses positions jugées ambiguës envers la menace russe et continue de se montrer prudente quant aux projets d’autonomie stratégique européenne en matière de défense, l’on note un rapprochement et un effort de compréhension ces dernières années. Il en va de même pour la Lituanie, où sont également stationnées des troupes françaises, et qui a choisi des canons CAESAR français pour renforcer son artillerie après l’invasion de l’Ukraine (l’Estonie ayant acquis de nouveaux radars français).

Les coopérations militaires entre les puissances d’Europe de l’Ouest et les nations baltes sont ainsi déjà denses, et elles continuent de se renforcer, du renseignement aux manœuvres militaires conjointes. Qu’en est-il de la disposition des Européens de l’Ouest à entrer en guerre pour défendre l’intégrité territoriale de nos alliés baltes ? Ces derniers se demandent dans quelle mesure nous serions prêts à mourir pour Tallinn, Riga ou Vilnius, là où une partie de l’opinion publique française refusait en 1939 de « mourir pour Dantzig » alors que la menace allemande envers la Pologne se précisait. Entre la faiblesse militaire et la retenue de l’Allemagne et de l’Italie, et la prudence de la France et du Royaume-Uni dont on peut légitimement se demander si elles seraient prêtes à risquer une escalade nucléaire, la question peut en effet se poser.

Un sondage du Pew Research Center de 2020 montrait qu’après le Royaume-Uni (à 55 %), la France était le pays d’Europe de l’Ouest où la population était la plus favorable à une intervention militaire nationale en cas d’attaque russe contre un pays allié (à 41 %, à égalité avec l’Espagne, et loin devant l’Allemagne et l’Italie, et devant même la Pologne à titre de comparaison). Si les données manquent sur l’évolution de l’opinion publique à ce sujet depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, diverses études montrent un renforcement de la solidarité atlantique au sein des opinions publiques ouest-européennes ainsi qu’un durcissement des positions à l’égard de la Russie. S’il est probable qu’une part conséquente de la population des nations d’Europe de l’Ouest continue de s’opposer à une riposte armée de leur pays en cas d’agression russe, ne serait-ce que par crainte d’un futur échange nucléaire, l’on peut estimer que la part des citoyens prêts à ce que leur pays respecte ses engagements en tant que membre de l’OTAN ait augmenté.

Enfin, si la précaution est de mise quant à l’attitude qui pourrait être celle des dirigeants d’Europe de l’Ouest (avec des positions françaises sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire nationale qui ont pu sembler floues au-delà de la part de mystère qu’exige la dissuasion, voire contradictoires), la position officielle est également celle d’un respect de la lettre et de l’esprit du Traité de l’Atlantique nord, et les pays d’Europe de l’Ouest cherchent à rassurer les pays baltes quant à leur disposition à défendre leur intégrité territoriale, et ce d’autant plus depuis l’invasion de l’Ukraine.

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La France dans la bataille européenne pour les méga-usines 

En février 2023, je publiais l’étude « Méga-usines : 5 grandes implantations industrielles que la France ne doit pas rater en 2023 ». Alors que la France avait vu de gros projets industriels lui passer sous le nez au cours des années précédentes (Tesla, Intel), je souhaitais montrer que de nouvelles grandes implantations industrielles étaient à l’étude en Europe, et que la France ne devait pas rater cette séance de rattrapage.

Notre pays a aujourd’hui d’autant plus besoin d’accueillir les prochaines méga-usines prévues en Europe qu’elle s’est nettement plus désindustrialisée que ses voisins. Attirer ces méga-usines s’inscrit dans une bataille pour la réindustrialisation qui est encore loin d’être gagnée : le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB français a continué de baisser pour s’établir à 9,5 % en 2022, contre 14,8 % dans la zone euro et 18,4 % en Allemagne.

Je précise que je n’oppose pas l’accueil d’investissements industriels étrangers au soutien au tissu industriel national existant : notre pays doit jouer sur les deux tableaux s’il veut remonter la pente.

 

Une année 2023 en demi-teinte

Le bilan de la France en 2023 dans la compétition pour les grandes implantations industrielles (investissements étrangers supérieurs à 500 millions d’euros) en Europe est mitigé.

D’un côté, la tendance est plutôt positive par rapport aux années précédentes : la France gagne de plus en plus d’arbitrages sur des projets importants. Le fabricant taïwanais de batteries nouvelle génération ProLogium a choisi Dunkerque pour implanter sa gigafactory de batteries (le port français était en compétition avec un site hollandais et un site allemand pour cet investissement de 5 milliards d’euros) et le géant pharmaceutique danois Novo Nordisk va investir 2,1 milliards d’euros pour agrandir son site de Chartres.

Néanmoins, deux défaites viennent assombrir le tableau : BYD, le n°1 mondial de la voiture électrique et TSMC, le n°1 mondial des puces, ont annoncé leur première usine européenne cette année, et aucun n’a choisi la France. Le constructeur automobile chinois construira son usine européenne en Hongrie, et le fabricant taiwanais de semi-conducteurs a choisi l’Allemagne.

Le tableau ci-dessous récapitule les victoires et les défaites de la France en 2023 :

 

L’année 2024 sera décisive 

Après une année 2023 mitigée, la France a l’opportunité d’attirer cette année plusieurs méga-usines sur son sol : six grands projets industriels représentant 6,5 milliards d’investissements et 5500 emplois devraient voir leur lieu d’implantation décidé en 2024. Il s’agit de :

Moderna

L’entreprise américaine a déclaré vouloir construire son usine européenne de vaccins en France, mais les négociations avec le gouvernement ne sont pas encore achevées. Moderna veut que l’État s’engage à acheter à long terme la production de la future usine.

Tesla

Elon Musk envisage une seconde gigafactory européenne et une usine de batteries à haute puissance. La concurrence est rude : l’Espagne serait en pole position pour accueillir une usine d’assemblage Tesla.

Skeleton Technologies

La start-up estonienne veut construire une usine à 550 millions d’euros pour produire ses batteries à haute puissance. Finlande, Allemagne et France sont dans la short list.

Umicore

Le groupe industriel belge hésite entre la Belgique et le nord de la France pour implanter son usine de recyclage de batterie à 500 millions d’euros.

Alteo-Wscope

Le fournisseur français d’alumine Alteo et le sud-coréen Wscope ont annoncé en novembre 2022 vouloir investir 600 millions d’euros dans les Hauts-de-France pour construire une usine de production de films de séparateurs (éléments clés de la batterie, situés entre la cathode et l’anode) de batteries électriques. Mais l’investissement n’a toujours pas été confirmé : les États-Unis seraient aussi en lice.

Une usine automobile chinoise

Soyons clair : je ne me réjouis pas de l’essor des constructeurs automobiles chinois. BYD a par exemple annoncé vouloir « détruire les vieilles légendes de l’automobile », ciblant ainsi les marques européennes. J’espère voir Renault réussir son audacieux pari industriel : en créant le pôle industriel Electricity, la marque au losange veut produire un million de véhicules électriques dans le nord de la France en 2030 (j’en parle ici).

Mais je suis pragmatique : comme l’ont fait les constructeurs japonais et coréens, les constructeurs chinois vont se faire une place sur le marché européen. Après avoir échoué à attirer BYD, il s’agit pour la France de récupérer un de ces futurs sites de production pour éviter de creuser son déficit commercial automobile. Je pense en particulier aux trois constructeurs qui ont annoncé vouloir construire une usine en Europe : SAIC MG, Chery et Great Wall Motors. D’après l’hebdomadaire Challenges, SAIC MG étudierait le site d’Hambach en Moselle : l’arrêt de la production de la SMART rend le site disponible dès cette année.

 

Attirer trois de ces six projets constituerait un résultat honorable pour la France :

  • On peut se permettre d’être optimiste concernant l’usine Moderna : l’entreprise a déclaré vouloir faire son usine européenne en France et attend une réponse du gouvernement ;
  • Attirer Skeleton Technologies, Umicore ou Alteo-Wscope permettrait de conforter l’écosystème de la Vallée de la batterie des Hauts-de-France ;
  • Réitérer le succès « Toyota Valenciennes » en gagnant une usine automobile chinoise permettrait de consolider la production automobile française et de réduire un déficit commercial automobile qui a atteint 20 milliards d’euros en 2022 ;
  • Enfin, attirer une usine Tesla serait une victoire prestigieuse, l’entreprise d’Elon Musk étant à l’avant-garde de l’automobile électrique.

 

Ces six projets d’implantation sont représentatifs des industries clés des décennies à venir : vaccins ARN, batteries et véhicules électriques. Les attirer permettrait à la France et l’Europe de se positionner sur les industries qui feront la souveraineté et la prospérité des années 2030 et 2040. Mais pour convaincre ces industriels, la France doit continuer à améliorer son attractivité. La Loi industrie verte, promulguée en octobre 2023, devrait ramener les délais d’implantation de sites industriels dans la moyenne européenne. Surtout, les industriels implantés en France bénéficient d’une électricité décarbonée grâce au nucléaire.

Mais beaucoup reste à faire : l’Hexagone dispose de peu de grands terrains industriels rapidement constructibles, et continue à surtaxer son appareil productif. Les impôts pesant sur la production demeurent à un niveau très élevé : après prise en compte des nouvelles baisses de CVAE de 2023 et 2024, l’écart restera de l’ordre de 30 milliards d’euros par rapport à la moyenne de l’Union européenne, et de 60 milliards par rapport à l’Allemagne.

Nous verrons si le prochain sommet Choose France, prévu en mai 2024, apporte son lot de bonnes nouvelles…

Pour plus de détails, voici le lien vers l’étude complète « Les 6 méga-usines que la France ne doit pas rater en 2024 ».

La fin du miracle économique chinois

Depuis plusieurs dizaines d’années, les analyses convergent sur la continuité de la croissance chinoise et la projection d’un premier rang économique mondial. Mais les bambous ne montent pas jusqu’au ciel. Un certain nombre de signaux négatifs apparaissent dans l’économie chinoise. Sont-ils conjoncturels ou plutôt structurels ? Le ralentissement économique, la démographie, la dette des entreprises, ne seront pas passagers. Le retournement de l’économie chinoise commence sous nos yeux.

Quand on vit des dizaines d’années de forte croissance, on se laisse aller à imaginer que celle-ci sera éternelle. L’histoire nous enseigne que la vie économique relève de cycles.

 

La décélération de la croissance

En étudiant la courbe de la croissance économique chinoise depuis 60 ans, on s’aperçoit qu’elle se découpe en trois phases :

  1. Une croissance accélérée, pendant 30 ans, des années 1960 jusqu’au début des années 1990, avec une pointe proche de 20 %
  2. Une croissance stable, les 15 années suivantes, en moyenne autour des 10 %
  3. Une décélération de la croissance, amorcée en 2008, passant de 10 % à  « autour » de 5 % (vocabulaire officiel)

 

Des prévisions réalistes des prochaines années prolongent ce dernier chiffre vers 4 %, puis 3 %.

La décroissance est donc à l’œuvre depuis 15 ans… Elle s’explique par la hausse des coûts, la baisse des gains de productivité, et le manque de dépenses des ménages chinois, préférant l’épargne.

Cette décroissance sera alimentée par un paramètre additionnel, le repli démographique.

 

Une triple peine démographique

Le choix de l’enfant unique décidé en 1979 a atteint l’objectif de réduire la forte croissance de la population au moment où le pays devait relever le défi alimentaire. Cette politique maintenue jusqu’en 2016 a préparé un tsunami démographique.

Ce déficit de naissances sur une longue période, première peine, a mis en place la baisse décalée du vieillissement de la population, deuxième peine.

Début 2023, le pouvoir politique a eu la plus grande difficulté à admettre une baisse de population d’environ 200 000 personnes, en 2022. La baisse de 2023 se situe à deux millions.

Probablement en 2028, la Chine repassera sous la barre des 1,4 milliard d’habitants puis, dans une génération, en 2050, en dessous de 1,2 milliard.

Ce rétrécissement de population s’accompagne d’un vieillissement accéléré, déjà inscrit dans la structure de la pyramide des âges.

La population de plus de 60 ans atteignait 241 millions en 2017 ; elle est passée à 280 millions en 2020, et se dirige vers 420 millions en 2050. Cet accroissement spectaculaire aura deux impacts : l’un sur le marché intérieur, l’autre sur le marché du travail.

La disparition de 200 millions de personnes du marché du travail ne pourra conduire qu’à un renchérissement de la main-d’œuvre, même en intégrant l’impact de l’automatisation.

Un retraité dispose de moins de revenus qu’un actif. Des conséquences significatives sur la vitalité du marché intérieur sont donc à prévoir.

La troisième peine démographique concerne la jeunesse. Après un parcours dans un système éducatif très exigeant, elle se trouve face à un marché de l’emploi très compétitif, et des conditions de travail difficiles. Apparaît donc un phénomène de désenchantement, qui se traduit par deux phénomènes inattendus : l’exode intérieur et l’exil.

Le départ des grandes villes conduit à un exode vers des villes moyennes ou la campagne. Il s’explique par le cumul du coût de l’habitat urbain, le niveau de pollution, et les difficultés d’emploi.

L’autre dynamique de la jeunesse se traduit par un exil caché. Il est étonnant de découvrir que la quatrième nationalité des migrants à la frontière sud des États-Unis est la nationalité chinoise.

Ce retournement démographique global est porteur de conséquences économiques et financières très substantielles.

 

Le poids des dettes

Ces nouvelles tendances impactent la construction et le BTP, qui représentent presque 25 % du PIB.

Pendant plusieurs décennies, la hausse de la demande de logements neufs, urbains, a conduit les sociétés majeures du secteur à poursuivre leur endettement pour alimenter cette « croissance éternelle ». Le ralentissement économique, et le rétrécissement/vieillissement de la population ont provoqué une baisse de la demande, dans une situation où l’offre de logements continuait d’augmenter.

Le groupe Evergrande, un des plus grands groupes immobiliers chinois, à la tête de plus de 300 milliards de dollars de dettes s’est déclaré en faillite aux États-Unis pendant l’été 2023, et vient d’être mis en liquidation par une décision d’un tribunal de Hong Kong, le 4 février 2024.

À l’automne dernier, l’autre géant du secteur, Country Garden, n’a pas été en mesure d’honorer un paiement de 60 millions de dollars.

Le niveau des capitaux engagés provoque naturellement des effets sur le secteur financier. Le groupe Zhongzhi, géant de la finance parallèle, très exposé au marché immobilier, affiche une dette de 64 milliards de dollars. Il s’est déclaré en faillite au début du mois de janvier 2024.

Cette triple fissure, décroissance, démographie, dette, se traduit naturellement dans les indicateurs boursiers. Le repli de la bourse de Shanghai atteint 12 % depuis six mois. Depuis fin janvier 2024, la capitalisation boursière de Hong Kong, est dépassée par celle de Bombay…

Ces nouvelles tendances clés de la réalité chinoise ne sont pas conjoncturelles, mais structurelles.

 

Des conséquences globales

La rigueur idéologique du Parti communiste chinois est-elle adaptée à cette nouvelle phase de l’économie chinoise ? Face à cette situation nouvelle, il faut de la créativité, de l’ouverture, de l’innovation, de nouvelles politiques, et des décisions atypiques afin de faire face à des réalités totalement nouvelles.

Ceci constitue un autre défi, idéologique, et structurel lui aussi, porté directement au cœur du système du PCC.

L’objectif de rattraper et dépasser les États-Unis apparaît de moins en moins probable. Au 1er octobre 2029, 80e anniversaire de la République Populaire de Chine, cela pourrait même apparaître impossible.

Il nous faut absolument réfléchir aux conséquences intérieures et internationales de cette « nouvelle » Chine.

Quand la Chine s’éveillera…. Quand la Chine s’essoufflera…

Une balance commerciale impossible à redresser ?

Le service des douanes vient de faire connaître le résultat de notre commerce extérieur pour 2023 : à nouveau un solde négatif important de 99,6 milliards d’euros. Certes, c’est mieux que l’année précédente où le déficit avait été supérieur à cause de l’envolée des prix de l’énergie causée par la guerre en Ukraine, mais le solde est négatif, une fois de plus.

La balance du commerce extérieur français est donc régulièrement déficitaire depuis 2005, c’est-à-dire depuis maintenant une vingtaine d’années. Ce solde négatif a plutôt tendance à s’aggraver, comme le montre le tableau ci-dessous :

Selon le journal La Tribune du 7 février dernier, annonçant les résultats de notre commerce extérieur pour l’année 2023 :

« Les années se suivent et se ressemblent pour la balance commerciale française : le déficit commercial de 99,6 milliards est le deuxième plus élevé de l’histoire ».

On ne peut évidemment que s’inquiéter d’une telle évolution, d’autant que les autres pays de l’Union européenne dont les balances commerciales étaient également déficitaires dans les années 1970-80, sont parvenus à redresser la barre, comme le montre le tableau suivant :

Autre constat : c’est la balance des biens qui est particulièrement dégradée, les services étant là pour rattraper quelque peu le grave déséquilibre des biens :

 

Le rôle déterminant du secteur industriel

Longtemps, les commentateurs de notre vie économique ont expliqué le déficit du commerce extérieur par des éléments conjoncturels, généralement des variations des prix de l’énergie, la France étant un gros importateur d’hydrocarbures. Mais, à présent, chacun a bien compris que le déficit de la balance du commerce provient du déclin industriel français. En effet, l’industrie joue un rôle déterminant dans la balance commerciale des pays développés, intervenant pour environ 75 % dans les échanges commerciaux.

Aussi, si l’on examine la relation existant dans les pays développés entre l’importance de leur production industrielle et le résultat de leur balance commerciale, on voit que les pays à production industrielle faible ont des balances commerciales déficitaires, alors que les pays à production industrielle élevée présentent des balances commerciales positives.

C’est ce que montre le tableau ci-dessous où figurent, dans la première colonne, les productions industrielles des pays comptées en valeur ajoutée par habitant, comme le font les comptabilités nationales des pays, et selon les données de la BIRD, qui incorpore la construction dans la définition de l’industrie :

Le graphique ci-dessous indique la corrélation existant entre ces données :

L’équation de la droite de corrélation indique que pour avoir une balance commerciale équilibrée il faut que la production industrielle s’élève à 11 265 dollars par habitant. C’est une probabilité statistique qui peut souffrir chaque année des écarts par rapport à la moyenne.

Or, la France ne dispose que de 7200 dollars de production industrielle par personne. Il faudrait donc l’accroître de 56 % pour que la balance commerciale soit à l’équilibre. En se basant sur les ratios d’intensité capitalistique des entreprises industrielles existant déjà en France, cela signifie un effectif industriel passant de 2,7 millions de personnes à 4,2 millions : soit 1,5 million d’emplois industriels à créer pour que, demain, la balance commerciale soit régulièrement en équilibre. Les effectifs industriels de l’Allemagne étant bien plus élevés, de l’ordre de 7 millions de personnes, sa balance commerciale est régulièrement excédentaire. En fait, avec la quatrième révolution industrielle en cours, baptisée industrie 4.0, les intensités capitalistiques sont devenues extrêmement élevées : il va plutôt s’agir de la création de seulement environ un million d’emplois.

La corrélation mise en évidence permet de comprendre que le solde déficitaire de notre balance commerciale, rappelé plus haut, se soit régulièrement dégradé à mesure que notre secteur industriel faiblissait : entre la fin des Trente Glorieuses et aujourd’hui, l’industrie qui intervenait pour 24 % à 25% dans la formation du PIB n’intervient plus que pour 10 % seulement. La France est devenue le pays européen qui est le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part. Avec la crise du covid, nos dirigeants ont finalement compris qu’il était nécessaire de réindustrialiser le pays, et Emmanuel Macron a lancé le Plan France 2030. Mais il sera extrêmement difficile de remonter la pente.

Dans le Figaro-économie du 12 février dernier, Anne de Guigné énonce :

« Après des années de délitement, l’industrie française a cessé de dépérir. Mais crier victoire paraît très exagéré quand les deux indicateurs les plus robustes du secteur, l‘évolution de la production manufacturière et celle de la valeur ajoutée de l’industrie demeurent en zone grise ».

Le Plan France 2030 est très insuffisant, car les moyens financiers manquent pour épauler le redressement de notre industrie, comme le font si bien maintenant les Américains avec l’IRA, un dispositif d’aide à l’investissement qui dispose d’un budget de 369 milliards de dollars.

 

Les PME appelées à la rescousse

Pour redresser rapidement notre commerce extérieur, le gouvernement a appelé les PME à la rescousse afin qu’elles exportent. Il veut faire passer le nombre d’entreprises exportatrices de 145 700 à 200 000. Dans son discours de Roubaix le 23 février 2018, Édouard Philippe avait annoncé la création de Team France Export, afin d’encourager les PME  à « chercher des aventures à l’étranger ». Team France Export est un dispositif au service des entreprises qui regroupe les services de l’État s’occupant d’exportation, Business France, Bpifrance, et les diverses CCI existant en France. Cet organisme dispose de 13 guichets régionaux, disséminés sur tout le territoire, et un réseau de 750 conseillers installés à l’étranger dans 65 pays. Précédemment, avait été créée en 2015, « Business France », une agence nationale ayant pour mission d’« aider les PME et les ETI à se projeter à l’international ». Nos entreprises ne sont donc pas dépourvues de conseillers pour les aider à exporter, et elles peuvent bénéficier de divers soutiens financiers pour prospecter à l’étranger et exporter.

Cette ambition de faire de nos petites PME industrielles, des entreprises exportatrices, n’est en fait pas très raisonnable : c’est leur faire courir beaucoup de risques et les détourner de leur tâche principale qui est, à ce stade de leur croissance, de développer et renforcer leurs avantages compétitifs. Hors les grandes entreprises, qui, elles, disposent du personnel voulu pour exporter, et dont les reins sont assez solides pour faire face aux aléas des opérations à mener dans des pays lointains que l’on connait mal, seules les ETI, (250 à 500 employés), sont capables d’avoir une politique suivie à l’exportation.

En matière d’exportation, le drame de la France est qu’elle dispose de relativement peu d’ETI, à la différence de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne : elles sont 5760 en France, contre 12 500 en Allemagne et 10 000 en Grande-Bretagne, et ne sont pas toutes dans le secteur industriel, loin de là. Pour exporter des biens industriels, il faut généralement avoir à l’étranger des accords avec des entreprises locales qui aideront les consommateurs à utiliser ces équipements et assureront l’après- vente, car faire de l’après-vente à partir de la France est une gageure. Ces partenaires étrangers exigeront que l’entreprise avec laquelle ils vont collaborer ait une certaine dimension : s’il s’agit d’une PME de taille modeste, ils ne seront pas partants et auront tendance à aller chercher ailleurs un exportateur plus solide avec lequel s’allier. Une PME peut exporter aisément, sans risque, des produits ne nécessitant aucune collaboration avec l’acheteur, et notamment pas d’après-vente, comme par exemple, la cristallerie ou les articles de porcelaine.

Augmenter les exportations et avoir une balance commerciale à l’équilibre sont donc des missions extrêmement ardues :

  • le secteur industriel s’est considérablement amenuisé, l’industrie manufacturière ne représente plus que 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % pour l’Allemagne.
  • le pays manque d’entreprises de taille intermédiaire, soit deux fois moins que l’Allemagne.

 

Rééquilibrer notre balance du commerce extérieur, mission qui est confiée au ministre chargé du Commerce extérieur, est une tâche de très longue haleine qui va demander de très nombreuses années, c’est-à-dire le temps que nos dirigeants mettront pour accroître de 56 % la production du secteur industriel.

Un Sahel sang et or

Le trafic d’or représente une source de financement pour les groupes terroristes, et plus récemment pour les mercenaires russes de Wagner. De facto, cette manne renforce tous les ennemis et compétiteurs de la France en Afrique de l’Ouest. Pire, elle est un fléau pour tous les pays de la région. Certains, comme la Centrafrique et le Soudan en sombrent. D’autres, comme la Mauritanie et la République Démocratique du Congo (RDC), ripostent.

 

La ruée vers l’or sahélienne : une malédiction pour la région ?

Depuis 2012, la bande sahélienne allant de la Mauritanie à l’ouest du Soudan connaît un boom du secteur aurifère. Le mouvement s’accentue à partir de 2016. Une nouvelle ruée vers l’or voit des groupes armés s’emparer de sites d’extraction d’or artisanaux. Ils profitent de l’absence ou de la faiblesse des structures étatiques dans ces régions, à des fins de financement et de recrutement de nouveaux membres.  

Les trafics illégaux (or, migrants, armes, stupéfiants, etc.) sont un parangon géopolitique de la région. Ils catalysent tous les risques et les scléroses du Sahel et du reste de l’Afrique. Problème, ils entraînent aussi des répercussions en Europe, dont la France, qui en est un des débouchés privilégiés ; et pas uniquement les migrants. Venue d’Amérique du Sud, le Sahel voit en effet passer une part substantielle de la cocaïne à destination du Vieux Continent. 

Le trafic d’or, très rémunérateur, est la dernière mode des trafiquants et il alimente les caisses de groupes armés, qu’ils soient djihadistes ou simplement rebelles. À titre d’exemple, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance de groupes rebelles touareg formée en 2014, exploiterait des mines au nord du Mali. Sur la frontière algéro-malienne, dans la localité de Tin Zaouten, les djihadistes du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) contrôleraient également une fonderie et un site d’orpaillage. La porosité entre ces mouvements politiques ou djihadistes et les simples groupes criminels rend d’autant plus difficile la lutte contre leurs actions.

 

Wagner : les nouveaux pilleurs d’or

Le groupe de mercenaires Wagner, présent dans la bande sahélienne du Mali au Soudan en passant par la République centrafricaine, tire une partie importante de ses ressources du trafic d’or, avec des ramifications jusqu’en Mauritanie. Servant de garde prétorienne à plusieurs dirigeants de la région du Mali au Burkina Faso, le groupe Wagner profite de cette assise territoriale pour développer les trafics lui assurant ses revenus. 

Depuis son arrivée à Bamako, fin 2021, le groupe de mercenaires russes a entrepris des actions tous azimuts pour garantir sa mainmise sur l’or malien : récupération de permis miniers, création de sociétés locales, orpaillage artisanal, trafic via Dubaï. Wagner se fournit également, de façon clandestine, auprès d’orpailleurs mauritaniens, liés à des courants proches des islamistes pour revendre ensuite cet or à Bamako. Des liens étroits sont tissés avec les négociants en or de la ville, au premier rang desquels Kossa Dansoko, mais aussi des organisations proches des Frères musulmans.

Par corollaire, ce trafic contribue à financer des actions de subversions anti-françaises déployées par le groupe Wagner sur tout le continent. Sans compter ses opérations qui déstabilisent toute la région et menacent directement la sécurité de l’Europe. 

 

L’exemple congolo-émirati

Face au risque de déstabilisation que représente le trafic d’or à l’échelle internationale, en étroite imbrication avec les réseaux de criminalité transfrontaliers, plusieurs États réagissent et se donnent les moyens de lutter contre ce phénomène. Les Émirats arabes unis, place mondiale du commerce de l’or, sont régulièrement critiqués pour leur laxisme, même s’ils font le choix de fermer une grande raffinerie. Entre 2012 et 2014, Kaloti, un négociant en or basé à Dubaï est accusé d’acheter de l’or à des réseaux criminels internationaux pour blanchir de l’argent.

L’affaire du négociant Kaloti a mis en lumière les difficultés du contrôle international des transactions d’or : Kaloti a pu vendre de l’or à des grandes entreprises, y compris Apple, General Motors et Amazon, soulevant des questions sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Suite à ce scandale qui mettait en lumière des failles dans la sécurisation du commerce de l’or, les Émirats arabes unis décident d’innover en mobilisant la technologie blockchain.

En janvier 2023, la République démocratique du Congo (RDC) et les Émirats arabes unis signent un partenariat commercial qui comprend l’amélioration de la traçabilité des flux commerciaux d’or, une transparence accrue des activités du secteur, ainsi que la garantie d’un revenu pour les 30 000 mineurs artisanaux, afin de leur éviter la tentation de grossir les rangs de groupes criminels. 

 

La réponse mauritanienne

La Mauritanie, îlot de stabilité dans une région en proie aux troubles, cherche ainsi à éviter un scénario à la soudanaise, où des groupes armés d’obédience islamiste ont traité ces dernières années directement avec des acteurs étrangers et ont tenté de dépouiller le pays de ses ressources. 

En 2020, les autorités mauritaniennes ont mis sur pied un nouveau cadre pour donner un début de réglementation à l’activité des mineurs d’or indépendants, dont la production représente jusqu’à un tiers de celle des compagnies ayant pignon sur rue. Malgré cette mesure, 70% de la production d’or continuerait de quitter le territoire tous les ans via les filières de trafic trans-sahéliennes liées a des mouvements djihadistes, qui réactivent les routes commerciales multiséculaires de l’Ouest africain. 

Face à ce constat alarmant, les autorités de Nouakchott veulent durcir encore le cadre légal régissant le secteur aurifère, ce qui ne manque pas de froisser les orpailleurs, qui mènent des campagnes d’influence agressive. La solution passera probablement en partie par un démantèlement du marché noir et les réseaux de circuit informel à travers une formalisation assez soutenue de la commercialisation de la production artisanale de l’or. Les pouvoirs publics ont commencé ce travail sous le contrôle de l’Agence nationale Maaden à travers un renforcement du dispositif sécuritaire mauritanien dans cette région, mais aussi par un durcissement du dispositif juridique. Nouakchott peut déjà se prévaloir d’une « armée des sables » rompue aux exigences de son terrain et bien entraînée.

En définitive, l’expansion du trafic d’or représente un risque nouveau. Non seulement pour la stabilité et le développement des pays du Sahel, et au-delà, mais aussi pour la sécurité de l’Europe et de la France. De facto, la zone n’a jamais concentré autant de risques pour Paris et Bruxelles. Et pourtant, ce sont aujourd’hui leurs rivaux stratégiques, parfois existentiels, qui y prospèrent et contribuent à faire sombrer un peu plus la région dans le chaos.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Pourquoi le débat sur le droit du sol devrait être étendu à l’ensemble du territoire

La fin du droit du sol à Mayotte, annoncée par le ministre de l’Intérieur est une réponse qui va dans la bonne direction. N’est-ce pas l’occasion de s’interroger sur le droit à la nationalité française ?

 

La fin du droit du sol à Mayotte

En arrivant sur l’île de Mayotte, dimanche 11 février 2024, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a annoncé :

« Il ne sera plus possible de devenir Français si on n’est pas soi-même enfant de parent Français, nous couperons l’attractivité qu’il y a dans l’archipel mahorais […] Nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République ».

Ce n’est pas une surprise. Jeudi 1er février, en marge d’un évènement consacré aux Outre-mer, Gérald Darmanin avait affirmé « que le droit du sol et du sang » n’était « pas le même à Mayotte que sur le reste du territoire national », et qu’un changement constitutionnel pourrait « donner à Mayotte un sujet, de façon sécurisée, d’extraterritorialité » :

« C’est une mesure extrêmement forte, nette, radicale, qui évidemment sera circonscrite à l’archipel de Mayotte ».

Il a ajouté qu’il n’y « aura plus la possibilité d’être Français lorsqu’on vient à Mayotte de façon régulière ou irrégulière [et que] (les visas territorialisés) n’ont plus lieu d’être ».

Ces dispositifs empêchent les détenteurs d’un titre de séjour à Mayotte de venir dans l’Hexagone. Cette suppression est une des revendications des collectifs citoyens constitués pour protester contre l’insécurité et l’immigration incontrôlée.

Un projet de loi Mayotte sera étudié à l’Assemblée nationale « dans les semaines qui viennent ».

Depuis la loi asile et immigration de 2018, le droit du sol est déjà durci à Mayotte pour faire face à la très forte immigration clandestine en provenance des Comores voisines. Il est exigé pour les enfants nés à Mayotte qu’au jour de sa naissance, l’un de ses parents ait été présent de manière régulière sur le territoire national, et depuis plus de trois mois. Ailleurs en France, aucun délai de résidence n’est exigé.

 

Mais comment devient-on Français ?

La nationalité française peut être obtenue :

  • Par attribution, c’est-à-dire de façon automatique, dès la naissance ou au moment de la majorité.
  • Par acquisition, c’est-à-dire après le dépôt d’une demande évaluée par l’autorité publique.

 

Plusieurs conditions sont nécessaires à l’obtention de la nationalité (durée de résidence sur le sol français, preuves d’assimilation à la société française, etc.).

La nationalité française est attribuée à tout enfant né en France ou à l’étranger, dont au moins un des parents est Français. C’est ce que l’on appelle le « droit du sang ».

Le droit du sol permet à un enfant né en France de parents étrangers d’acquérir la nationalité française à sa majorité. Pour cela, plusieurs conditions doivent être respectées : résider en France à la date de ses 18 ans et avoir sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. Avant sa majorité, il peut acquérir la nationalité sur demande de ses parents (entre 13 et 16 ans), ou sur demande personnelle (entre 16 et 18 ans), assortie des conditions de durée de résidence en France. Dans ce cas, c’est une acquisition de la nationalité par déclaration.

Si un parent étranger, mais né en France, a un enfant sur le sol français, celui-ci bénéficie du droit du sol et donc de la nationalité française à sa naissance. C’est le double droit du sol.

La naturalisation est un mode d’acquisition de la nationalité française qui se fait par décision de l’autorité publique (décret) et est accordée sous certaines conditions. Tout étranger majeur, résidant habituellement sur le sol français depuis au moins cinq ans, peut demander à être naturalisé. La décision est prise de façon discrétionnaire par l’administration qui peut refuser la naturalisation, même si les conditions sont réunies.

Depuis 2006, un étranger uni à un conjoint français depuis quatre ans et justifiant d’une communauté de vie affective et matérielle réelle peut réclamer la nationalité française par mariage.

 

Une annonce de bon sens qui ouvre le débat sur le droit du sol

Cette annonce soulève plusieurs questions : que faire pour lutter contre les fausses déclarations de paternité ? Pourquoi le gouvernement n’a pas également annoncé une restriction du droit du sol en Guyane, confrontée à un phénomène analogue, avec notamment une immigration importante en provenance du Suriname ? Pourquoi limiter le débat à ce département ? Pourquoi, quand les enfants nés en France de parents étrangers accèdent à la nationalité française à 13 ou 16 ans, ne vérifie-t-on pas qu’ils remplissent les conditions d’assimilation ?

Le droit français de la nationalité mériterait d’être revisité, notamment en généralisant la condition d’assimilation (et à renforcer pour les modes d’acquisition, à savoir la naturalisation et le mariage). Juridiquement possible, il ne paraît pas souhaitable de supprimer le droit du sol au risque de remettre en cause le contrat social entre la Nation et le ressortissant étranger.

La question de l’immigration et des droits est différente, beaucoup d’immigrés résident en France via un titre de séjour, et ils ne demandent pas la nationalité française. Les problèmes liés à l’immigration clandestine et le travail dissimulé nécessitent d’autres réponses. Il ne faut pas tout mélanger !

Pourquoi le « choc d’offre » de Gabriel Attal ne relancera pas le secteur immobilier

La situation actuelle du marché locatif et de la construction immobilière est très tendue dans de nombreuses régions. Les locataires y rencontrent des difficultés à trouver un logement, les bailleurs subissent une fiscalité spoliatrice, le foncier est cher et les investisseurs ont du mal à obtenir un prêt. Le résultat est le manque de logements vacants destinés à la résidence principale. Le volontarisme affiché par le Premier ministre pour faciliter la recherche d’un logement est apparemment encourageant.

Il propose les mesures suivantes :

  1. Revoir les DPE, faciliter la densification, lever les contraintes sur le zonage, accélérer les procédures. 
  2. Accélérer les procédures dans 20 territoires engagés pour le logement, avec comme objectif d’y créer 30 000 nouveaux logements d’ici trois ans.
  3. Procéder à des réquisitions pour des bâtiments vides, notamment des bâtiments de bureaux. 
  4. Soutenir le monde du logement social, avec 1,2 milliard d’euros pour leur rénovation énergétique, avec des plans de rachat massifs. 
  5. Répondre aux causes structurelles de la crise, avec un nouveau prêt de très long terme de deux milliards d’euros pour faire face au prix du foncier. 
  6. Donner la main aux maires pour la première attribution des nouveaux logements sociaux construits sur leur commune. C’était une mesure très attendue par les élus locaux.
  7. Ajouter une part des logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans le quota de 25 % de logements sociaux imposé par la loi SRU

 

Les déclarations gouvernementales ne coûtent rien, n’engagent à rien et sont des réponses immédiates à des revendications souvent justifiées, même si elles sont mal exprimées. Ce sont plus des projets que des engagements.

On peut se demander pourquoi ces mesures n’ont pas été prises plus tôt. La simplification des normes et l’accélération des procédures sont évidemment positives. L’objectif de créer 30 000 nouveaux logements dans 20 zones sélectionnées est bien vague : quelles zones ? quel financement ?

La réquisition de bâtiments vides existe déjà, et pose le problème de sa durée et de l’indemnisation éventuelle du propriétaire. Subventionner la rénovation énergétique du logement social est inévitable. Le point 5, qui prévoit un prêt à très long terme pour financer le foncier, est très vague : quelle durée ? quel taux ? quels bénéficiaires ?

Les points 6 et 7 sont plus discutables. Les maires choisiraient les premiers occupants des logements sociaux : c’est la porte ouverte au clientélisme électoral et au trafic d’influence, et les choix risqueraient d’être en contradiction avec la politique de mixité sociale. Le point 7 est très contesté par les associations comme la fondation Abbé Pierre, mais répond à un besoin réel de logement de la classe moyenne complètement négligé jusqu’à présent.

Toutes ces mesures, exceptée la première, montrent l’impossibilité du gouvernement d’imaginer des solutions pour réduire cette pénurie sans intervention de l’État dans le marché immobilier. Dans le discours du Premier ministre, l’État définit les besoins de logement géographiquement et socialement. On peut s’inquiéter de la neutralité politique de ces choix, comme de celle des choix des maires concernant l’attribution des logements sociaux aux premiers occupants. L’intervention de l’État va vraisemblablement augmenter le nombre de logements dans le secteur social et intermédiaire. Le taux de 25 % fixé par la loi SRU sera peut-être rehaussé à 35 % pour faire face à l’augmentation des demandes de la classe moyenne.

Le marché libre n’est guère concerné que par la première mesure, peut-être provisoire, simplifiant les normes et procédures administratives. La fiscalité spoliatrice de l’immobilier résidentiel est inchangée, et les maires disposent d’un pouvoir abusif dans la taxation et la répartition des logements. Ils ne se privent pas d’utiliser les moyens mis à leur disposition et certains en abusent : la taxe d’habitation sur les résidences secondaires a été immédiatement augmentée et parfois portée à son maximum légal, la taxe sur les logements vacants est plus élevée que la taxe d’habitation, et la taxe d’habitation sur les logements vacants est créée par certains maires dans des zones non tendues. Ces taxes présentent la particularité d’être décidées par chaque maire et payées par des gens qui ne votent pas dans la commune. C’est assez contradictoire et peut susciter des réactions comme l’inscription massive de propriétaires de résidences secondaires sur la liste électorale d’une commune, ce qui serait très inquiétant pour ses résidents permanents.

L’inquiétude des maires est bien sûr légitime quand les locations touristiques du type AirBnB et les résidences secondaires deviennent majoritaires sur leur commune. La fiscalité et la législation ont considérablement avantagé les locations de courte durée et créé la pénurie de logements en résidence principale. La solution actuelle, qui consiste à supprimer ces avantages fiscaux et à imposer des règlementations sur la durée de ces locations, leur nombre etc. ne rend pas plus attractive la location en résidence principale et pénalise autant les loueurs de locations touristiques que leurs locataires.

L’équilibre entre les intérêts des résidents, des commerçants, des salariés, des artisans, des touristes, des entreprises, des exploitants agricoles, des maraîchers, des bailleurs… est beaucoup trop difficile à établir pour que l’on puisse s’en approcher par cette nouvelle règlementation. Comme les précédentes, elle ne pourra que susciter de nouvelles insatisfactions et conflits. La seule démarche possible semble être l’égalisation fiscale et sociale des conditions de location entre résidences principales, résidences secondaires, logements de tourisme, etc.

Cette proposition respecte l’article 544 du Code civil qui définit le droit de propriété par « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

On devrait réfléchir sur le rôle des lois et règlements qui devraient garantir ce droit constitutionnel pour tous, au lieu de les utiliser pour le réduire au point parfois de supprimer toute jouissance possible, et sur celui de la fiscalité actuellement instrumentalisée pour orienter les choix des citoyens.

Le titre du journal Le Monde du 30 janvier 2024 est malhonnête : « Gabriel Attal a annoncé, mardi soir, l’intégration du logement intermédiaire dévolu aux classes moyennes hautes dans le contingent obligatoire de HLM assigné aux communes. ». Le terme hautes ne figure pas dans sa déclaration écrite.

https://www.contrepoints.org/2024/02/03/469878-petition-une-revolution-fiscale-pour-sauver-le-logement

États-Unis : bataille constitutionnelle au Texas

Si l’Iowa et le New Hampshire représentent vraiment l’opinion du Parti républicain, alors l’immigration sera le sujet des électeurs en novembre. Et avec la bataille constitutionnelle qui se pointe au Texas, les dialogues de sourds et les attaques fuseront de toute part pour les dix prochains mois.

En effet, las de voir autant « d’illégaux » traverser la frontière au Texas, le gouverneur Greg Abbott a décidé de la fermer à Eagle Pass (sud-ouest de San Antonio) depuis le 10 janvier. Il a utilisé la garde nationale pour installer des barbelés dans un parc qui servait aux agents fédéraux pour traiter les demandes de statut de réfugiés.

Et comme à chaque fois que le Texas met des bâtons dans les roues de l’administration Biden, cette dernière proteste par la voie légale. Encore une fois, elle a eu gain de cause : dans une décision 5-4, la Cour suprême a affirmé que Washington peut retirer les fils barbelés. Mais comme elle n’a pas dicté ce que le Texas peut (ou ne peut) faire, l’administration Abbott persiste et signe, et jure de rétablir tout ce qui sera retiré.

 

Hyperboles et exagérations

Comme presque tout ce qui concerne l’immigration et les frontières, les énormités pullulent.

Tout d’abord, l’invocation constitutionnelle d’Abbott ne tient pas la route. Car lorsqu’on regarde les débats autour de l’adoption de la Constitution, « invasion » signifie vraiment une invasion d’une force étrangère. La Californie avait été recalée sur cet argument en 1996 alors qu’elle se disait débordée par l’immigration. Le Texas a également perdu cet argument récemment en devant retirer des bouées sur le Rio Grande (à la frontière avec le Mexique).

Qui plus est, Abbott flirte dangereusement avec le fascisme en permettant aux forces policières texanes de détenir quiconque est suspecté d’être sans papier. Il affirme aussi que le passage de drogues fait partie d’une invasion et qu’il faut agir coûte que coûte. En d’autres termes, l’habeas corpus peut être suspendu partout et en tout temps sur un coup de tête sans fondement légal ou philosophique. Sans parler des pertes économiques astronomiques de systématiquement inspecter tous les camions entrant aux États-Unis.

 

Une frontière fermée

Aussi, au risque de me répéter et n’en déplaise aux « défenseurs » de la nation, les frontières sont bel et bien fermées. Considérant que le chemin dit légal pour émigrer vers les États-Unis est plus difficile que d’obtenir le laisser-passer A38 – voyez plutôt – les gens qui veulent désespérément améliorer leur situation emploieront des moyens tout aussi désespérés pour y parvenir.

Et plus on restreindra le périmètre « légal » de l’immigration, plus certains recourront au « crime » pour tenter d’émigrer. Regardez simplement la guerre à la drogue : est-elle moins accessible du fait de son illégalité (aux yeux du fédéral du moins)  ?

De toute façon, nonobstant leur façon « criminelle » d’entrer au pays, les personnes sans papiers ne sont pas les « empoisonneurs » comme certains aiment les dépeindre. Leur taux de criminalité est exponentiellement inférieur à celui des « natifs », et ils utilisent Medicaid (assurance-santé publique pour les démunis) à un taux nettement moindre que leur pourcentage de représentation de la population.

Mais les faits n’atteignent pas les nativistes. Ils persistent et signent au sujet de la supposée invasion ; 25 gouverneurs (tous Républicains) ont annoncé un soutien moral et/ou matériel au Texas dans son combat.

Source : https://youtu.be/Tuoff2KCU1w?feature=shared&t=58

Ils se privent ainsi d’un vaste potentiel d’électeurs, dont plusieurs sont pratiquants, conservateurs et très proches de leur famille. Le fait que certains apparaissent sur une liste noire du FBI ne veut strictement rien dire ; pendant un moment, l’agence a considéré les catholiques traditionnels et les parents trop incisifs aux rencontres parents-enseignants comme des extrémistes à surveiller.

 

Des Démocrates opportunistes

Par ailleurs, n’allez surtout pas croire que le parti de Joe Biden est plus compatissant.

Malgré de belles et occasionnelles paroles de certains, les Démocrates sont presque autant faucon quand vient le temps de « défendre » la frontière. De Barack Obama à Joe Biden en passant par Bill Clinton, le parti de l’âne ne fait rien pour ne serait-ce que simplifier un tantinet le processus d’immigration.

Probablement sentant la montée nativiste, Biden a même déclaré qu’il pourrait fermer la frontière si le Congrès le lui demandait. Pourquoi fermer une frontière qui l’est déjà de toute façon ?

Bref, le présent dialogue de sourd à la frontière n’est qu’un énième épisode des inepties xénophobes du XIXe siècle. On affirme que les nouveaux arrivants vont déprimer les salaires, détruire le tissu social, vivre des aides publiques, etc.

Il est plutôt ironique de surtout voir les conservateurs protester contre l’immigration. Ne sont-ils pas ceux qui affirment que nos droits proviennent de Dieu ? La liberté de mouvement (pacifique) en fait partie.

6 (courtes) questions sur les déterminants économiques de la crise agricole

Xavier Hollandts est professeur associé à la KEDGE Business School. Docteur et HDR en sciences de gestion, il enseigne l’entrepreneuriat et la stratégie. Spécialiste des questions agricoles, il intervient régulièrement sur ces sujets dans les médias. Ses travaux académiques ont notamment été publiés dans Corporate Governance, Journal of Institutional Economics, Managerial and Decision Economics, ou la Revue Économique.

 

Crise des agriculteurs : le rôle de la PAC

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le mouvement de colère des agriculteurs n’est pas propre à notre pays. Il s’exprime aussi aux Pays-Bas, en Belgique, en Roumanie, en Italie, en Allemagne.. quel rôle a eu la politique agricole européenne dans le déclenchement de ces crises ? 

Xavier Hollandts La politique agricole européenne a toujours été la colonne vertébrale des politiques agricoles nationales et de leur déclinaison dans les territoires. Elle constitue même, historiquement, la première vraie politique commune à l’échelle européenne. Il ne faut pas oublier que la politique agricole, lorsqu’elle s’appuyait sur les quotas, était un puissant outil de régulation. Outil qui servait à piloter les volumes et qui jouait aussi un rôle d’amortisseur en cas de crise agricole. Les quotas ayant disparu progressivement dans les années 2010, on assiste depuis lors à une dérégulation des prix et des marchés. La politique agricole s’appuie désormais sur quelques leviers, essentiellement incitatifs, et le rôle d’amortisseur n’est plus du tout assuré par la politique agricole. Alors qu’elle était vue d’un bon œil par une majorité des paysans, la politique agricole est désormais vue comme un ensemble de contraintes et un corset règlementaire. 

 

Impact des traités de libre-échange sur le secteur agricole, sur le pouvoir d’achat et l’assiette des Français

Le libre-échange a-t-il tué l’agriculture française ? Quelles répercussions ont eu le CETA et le récent traité signé entre l’UE et la Nouvelle-Zélande sur la filière agricole française ? Sur le pouvoir d’achat et la santé des Français ?

On ne peut pas dire ça ou présenter les choses comme cela. Le libre-échange, c’est aussi la libre circulation des biens et services et, indirectement, des hommes et des femmes. Il est certain et bien documenté que les accords commerciaux et de libre-échange ont des répercussions sur plusieurs pans de notre agriculture, et que cela affecte surtout les exploitations agricoles familiales. Mais il faut aussi reconnaître que ces accords vont plutôt dans le sens, ou servent les intérêts de nos géants de l’agroalimentaire notamment. Car ils ouvrent des marchés et permettent à ces grandes entreprises de mieux en pénétrer d’autres. 

Nous allons assister à une amplification d’un mouvement déjà bien entamé : à savoir la combinaison d’une dérégulation, d’un abaissement des barrières douanières, couplés à des échanges relativement inégaux, en termes de qualité comme de conditions de production. Paradoxalement, cela va aussi permettre aux Français, dont le pouvoir d’achat stagne en moyenne, d’accéder à des produits agricoles moins chers, mais aussi de moins bonne qualité. 

 

Mercosur : quelles filières y perdraient ?

La ratification du projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur semble particulièrement fragilisée. Quels secteurs d’activité auraient le plus à perdre et le plus à gagner s’il venait à être signé ?

Si cet accord est signé, on va assister à l’importation, sans doute massive, de produits transformés ou bruts essentiellement dans la filière volaille, sucre et aussi certains types de légumes. Le soja ou le riz sont des produits certes emblématiques, mais qui étaient déjà massivement produits à l’étranger et importés. Si ce traité n’est pas signé je dirais que ce sont certaines commodités (le lait en poudre par exemple) et les services à l’agriculture qui pourront être impactés négativement (insémination, services techniques, agriculture de précision).

 

Clauses miroir : sont-elles réellement applicables ?

Les distorsions de concurrence sont-elles inévitables dans le cadre de traités de libre-échange ? À quel point les clauses de réciprocité sont-elles réellement applicables avec des marchés qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations, si ce n’est à aligner les standards sur le pays le moins exigeant ? 

Dans ce type de négociation, il faut bien se rendre compte que tout est affaire de compromis. L’objectif est donc de trouver un équilibre entre les demandes des différentes parties, notamment du point de vue des normes de production. C’est le fameux sujet des clauses miroirs et de la réciprocité. Il faut tendre vers un échange le plus équitable et équilibré possible… ce qui en matière agricole est loin d’être évident. 

 

Hypothèse 1. Le fantasme de M. Mélenchon

Exercice de pensée 1. Quelles seraient les conséquences d’une interdiction de tous les produits agricoles importés, dont la production a été faite selon des standards différents des nôtres, dans l’assiette et dans le porte-monnaie des Français ?

C’est très simple : nous aurions des rayons à moitié vides, si ce n’est pire, dans les supermarchés et commerces de détail, mais également dans le secteur de la restauration qui est assez friand de produits importés. Nous aurions des produits introuvables car non produits en Europe (fruits exotiques, mais aussi amandes ou arachides, et certaines huiles). Et puis, nous aurions sans doute à payer notre alimentation plus cher.

La mondialisation des échanges semble inéluctable en matière d’agriculture car très peu de pays peuvent prétendre avoir la capacité (1) à nourrir leur population et (2) avoir suffisamment de diversité de production. 

 

Hypothèse 2. Un pays sans paysans

Exercice de pensée 2. L’économie française peut-elle se passer du secteur agricole ? 

Non. D’autant plus que cela fait partie de notre identité et de notre patrimoine matériel et immatériel comme vient de le rappeler le Premier ministre. Dans le fond, aucun Français ne souhaite se passer de l’agriculture, mais pour lui venir en aide, il faudra tôt ou tard faire des choix courageux et également accepter de payer le juste prix à nos paysans.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Émirats arabes unis, Inde, Israël : bientôt dans le club spatial mondial ?

Alors qu’une collaboration stratégique a été annoncée le 7 janvier 2024 entre la NASA et les Émirats arabes unis, pour participer à la construction d’une station orbitale au-dessus de la Lune dans le cadre du programme Artemis, les Émirats arabes unis semblent plus que jamais déterminés à promouvoir leur leadership spatial.

Déjà les 5 et 6 décembre 2022 Abou Dhabi accueillait le Abu Dhabi Space Debate qui regroupe les leaders mondiaux du secteur privé et public aérospatial. Organisé par l’Agence spatiale des EAU, ce débat a offert une plateforme unique dans la région au sein de laquelle des chefs d’entreprises et des dirigeants politiques se sont rencontrés pour rechercher un consensus sur les questions relatives à la croissance de l’innovation spatiale et son empreinte environnementale.

L’objectif de ces rencontres était notamment d’initier un dialogue multinational identifiant les besoins en matière de capacités stratégiques, d’infrastructures, de cadres réglementaires et de moyens associés. Et la session inaugurale du 5 décembre 2022 réunissait pas moins que les présidents des EAU, d’Israël et le Premier ministre indien. Ce dernier a notamment déclaré en amont du forum que la coopération entre l’Inde et les EAU dans le secteur spatial était sur le point d’opérer une grande percée dans la péninsule arabique.

Les deux pays ont notamment signé dès 2016 un protocole d’accord sur la coopération dans l’exploration spatiale et l’utilisation de l’espace atmosphérique. Lors de la cérémonie d’ouverture, le président israélien a lui aussi rappelé l’étroite coopération entre son pays et les EAU dans le partage des données scientifiques notamment, et le rôle que peuvent jouer les trois États dans l’ouverture à de nouveaux partenaires.

 

Les Émirats arabes unis, fer de lance du spatial dans le Golfe

En accueillant ce forum, les EAU affichaient dès lors leur volonté d’apparaître comme un acteur clé du développement de l’économie spatiale mondiale, tout en forgeant un consensus solide sur le cadre dans lequel doit s’insérer le secteur pour rester durable.

Les EAU cherchent en effet à se positionner comme le fer de lance dans la région arabe dans le secteur, et sont notamment les initiateurs de la création de l’Arab Group Space Cooperation, qui veut favoriser la coopération dans le domaine spatial et se doter d’un satellite d’observation commun. Le pays investit massivement et souhaite créer un effet d’entraînement sur les autres États arabes en se positionnant en leader de la conquête spatiale arabe. Le pays présente donc un modèle original car il entremêle politique publique et développement commercial privé, dans un souci de présence, tant sur le marché mondial que d’influence sur la scène régionale.

Les EAU sont le premier pays du Golfe à avoir développé un programme spatial, débuté en 2006 par le développement, en coopération avec la Corée du Sud, du satellite d’observation de la Terre DubaiSat 1. Les EAU ont par la suite adopté une stratégie spatiale plus ambitieuse, la National Space Strategy 2030, avec pour but de diversifier leur économie. C’est aussi aux Émirats qu’est née la première agence spatiale de la région avec la UAE Space Agency qui s’est rapidement dotée d’un cadre réglementaire attractif pour favoriser le développement de l’écosystème spatial commercial qui peut aussi s’appuyer sur la puissance financière du pays. À date, le pays investit en effet trois fois plus que ses voisins du Golfe, et notamment son voisin Saoudien avec 6 milliards de dollars investis contre 2,1 milliards pour l’Arabie Saoudite.

Le pays a par ailleurs récemment annoncé la création d’un fonds de 800 millions de dollars destiné à la conquête spatiale. Ce fonds contribuera notamment au développement d’une nouvelle constellation de satellites appelée Sirb prévue pour 2026, et qui utilisera de l’imagerie radar en complément des capacités existantes en imagerie optique, un projet justifié par sa capacité à mieux contrôler ses frontières et de détecter d’éventuels déversements d’hydrocarbures. Sirb pourra notamment compléter les capacités duales du programme FalconEye qui répond à la fois aux besoins des forces armées du pays, mais peut aussi fournir des images au marché commercial. Sur ce segment de l’imagerie satellite, le pays peut notamment compter sur la société Bayanat, spécialiste de l’analyse de données géospatiales et appartenant aujourd’hui à Group42, puissant groupe national d’intelligence artificielle.

Enfin, sur le plan de la R&D publique, les Émirats peuvent compter sur le Centre spatial Mohamed ben Rachid (MBRSC) qui, depuis janvier 2024 a signé un accord avec la NASA pour la conception d’un sas destiné au module lunaire Lunar Gateway qui orbitera la Lune dans les années à venir. Pour contribuer à son développement, le MBRSC pourra s’appuyer sur une forte expertise technique développée depuis plusieurs années par une implication dans plusieurs programmes satellites emiriens.

L’ensemble de ces capacités institutionnelles, financières et techniques a permis au pays un certain nombre d’avancées remarquées ces dernières années, et notamment, dès 2021, l’envoi d’une sonde en orbite autour de Mars pour étudier son atmosphère et son climat. De même, en 2019, l’envoi du spationaute Hazaa Al Mansoori, récemment nommé ministre, à bord de l’ISS a également été un temps fort pour le pays, galvanisant le peuple émirati et offrant au monde l’image d’un pays moderne. Il a été suivi en 2023 de son compatriote Sultan Al Neyadi.

Avec ces missions, les EAU ont rejoint le club très fermé des pays ayant fait voyager un de leurs ressortissants en orbite autour de la terre, soit une vingtaine de membres seulement

 

Pour Israël, le spatial est un outil de défense nationale mais aussi un outil de soft power croissant

Certains États comme Israël surveillent de près les acquisitions de leurs voisins dont les Émirats et l’Égypte. Pour Israël, l’espace est rapidement devenu un enjeu de sécurité nationale, comme le rappelle notamment l’incident survenu début novembre au cours duquel Israël a abattu, dans l’espace, un missile ennemi grâce à leur missile Arrow-3. Le pays garde donc un œil attentif au développement du spatial dans le Golfe sous le prisme non seulement des accords diplomatiques qu’il a pu nouer avec les pays de la région, mais aussi des vastes capacités d’investissements de la région qu’Israël ne peut pas suivre, faute de moyens similaires. Pour son programme spatial, Israël prévoit de dépenser environ 180 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour soutenir l’industrie spatiale civile et militaire, s’ouvrant par ailleurs récemment aux investissements privés dans le domaine spatial.

Israël soutient par ailleurs un certain nombre de startups prometteuses dans le domaine des technologies spatiales comme Ramon.space, une société qui construit des systèmes de supercalculateurs pour le secteur spatial ou Helios. Cette dernière s’est notamment alliée en août 2022 avec Eta Space, entreprise aérospatiale américaine basée en Floride, pour le développement des procédés de création d’oxygène sur la Lune.

De manière plus générale, parmi les objectifs présentés par l’Agence spatiale israélienne figurent le doublement du nombre d’entreprises spatiales israéliennes et le quadruplement du nombre de personnes employées dans l’industrie spatiale, une ambition qui devrait aider le pays à relier le secteur spatial civil au secteur high-tech israélien actuellement en plein essor.

Le spatial est aussi un outil au service du soft power israélien, en témoigne par exemple l’accord passé entre Israël Aerospace Industries (IAI) et le Maroc pour la construction d’un centre technique de R&D et de formation en partenariat avec l’Université de Rabat, qui se couple à une commande de satellites d’observation de la Terre par le Maroc à IAI, damant ainsi le pion au précédent consortium français Airbus Defense & Space / Thales Alenia Space.

 

L’Inde est déjà un poids lourd du spatial mondial

L’Inde possède l’un des programmes spatiaux les plus anciens au monde et, après un alunissage historique en 2023, elle a intégré le club spatial des cinq pays à avoir réussi à poser un engin sur la surface lunaire, le dernier en date étant le Japon, le 19 janvier dernier. Et la cinquième puissance économique mondiale compte bien poursuivre ses ambitions spatiales, avec une mission habitée de conception entièrement domestique prévue pour 2040.

Chaque année, l’Inde investit 1,8 milliard de dollars dans le spatial, et bénéficie d’une très grande expertise technique, des coûts de R&D et de développement plus faibles qu’un grand nombre de ses compétiteurs grâce à de faibles coûts de main-d’œuvre, ce qui se traduit sur les coûts de fabrication et de lancements à des prix compétitifs. La capacité de lancer des missions à bas prix avec un fort taux de succès des lanceurs indiens en font aujourd’hui un argument de vente de poids pour l’Organisation indienne de recherche spatiale (ISRO), même si elle est désormais remise en question par les capacités réutilisables et bon marché développées par un acteur SpaceX qui a notamment volé la vedette à ISRO pour le lancement de quatre satellites européens Galileo.

Dans son plan vision 2025, l’Inde a notamment rappelé son intention de se doter d’une capacité spatiale tous azimuts comprenant des composantes publiques duales civiles et militaires, mais aussi commerciales grâce à un écosystème de startups riche aussi bien dans le développement de services satellites que dans le domaine de l’accès à l’espace et des lanceurs.

En soutien à ce développement commercial, l’Inde a notamment engagé un large processus de mise à jour et de développement de ses réglementations spatiales. Cette réforme vise notamment à rattraper le niveau réglementaire des États-Unis et de l’Europe qui offrent des cadres juridiques compétitifs et fiables pour les opérateurs.

 

Comment voir ces développements depuis l’Europe ?

À condition de savoir saisir les opportunités offertes par ces nouveaux acteurs du spatial, l’émergence de nouvelles puissances, notamment les Émirats et Israël, peut être une chance pour l’Europe, et ce de plusieurs manières.

D’abord parce que ces nouveaux acteurs du spatial vont avoir besoin d’une capacité accrue d’accès à l’espace, et donc de commandes de lancements. Si l’Europe parvient à régler ses problèmes internes de développement de capacités d’accès à l’espace autonomes, elle pourra dès lors bénéficier de nouveaux débouchés, de pays qui sont par ailleurs proches géographiquement et diplomatiquement. Seul ombre à ce tableau néanmoins, la présence de l’Inde comme partenaire de choix lors du Abu Dhabi Space Debate pourra augurer d’une préférence pour des lancements depuis l’Inde plutôt que l’Europe. C’est donc désormais le travail de nos opérateurs de lancements et des différents partenariats techniques et institutionnels de garantir des débouchés aux lanceurs européens.

Car en effet l’émergence de nouvelles puissances spatiales est aussi l’occasion pour l’Europe de démontrer ses capacités techniques. Les partenariats entre l’Inde et le CNES pour la France sont légion, citons par exemple le satellite Megha-Tropiques d’observation de la météo et des océans. Ces partenariats techniques peuvent poser les jalons d’une coopération étendue au spatial commercial. Aux Émirat arabes unis, par exemple, la France est historiquement très présente dans le spatial, Thales Alenia Space ayant contribué à la conception de plusieurs satellites nationaux, et le MBRSC est aussi un partenaire historique de l’Agence spatiale européenne.

Se profilent donc de nouveaux partenariats fructueux pour le progrès de la conquête spatiale dans la continuité de coopérations existantes, mais ils impliqueront un effort considérable de structuration de la réponse Européenne qui faut aujourd’hui face à un certain nombre de défis internes, et s’insérer plus globalement dans une politique d’aller vers l’Europe et la France en matière spatiale qui doit être constamment renforcée face à l’émergence de nouveaux acteurs dont les capacités et l’expérience augmentent de jour en jour.

Industrie française : une récession est imminente – Entretien avec Charles-Henri Colombier (Rexecode)

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE…

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Selon les statistiques du FMI, le PIB de la Chine ne représenterait aujourd’hui que 66 % du PIB des États-Unis, contre 76 % en 2021. Comment expliquez-vous ce décrochage ? Est-il symptomatique d’une tendance durable ?

Charles-Henri Colombier (Rexecode) – Depuis l’avant-covid fin 2019, le PIB chinois en volume et en monnaie nationale a augmenté de 18 %, tandis que le PIB américain a progressé de 7 %. En d’autres termes, la croissance chinoise n’a pas à rougir en comparaison de la croissance américaine, loin s’en faut.

L’explication du comparatif transpacifique des niveaux de PIB défavorable à la Chine depuis 2021 vient plutôt d’un effet de change, et plus spécifiquement de la dépréciation du yuan face au dollar. Le billet vert s’échange actuellement contre 7,10 yuans, quand il en valait seulement 6,35 fin 2021. Le taux de change dollar/yuan dépend pour une bonne part du différentiel de taux d’intérêt entre les deux pays, or la Fed a opéré une brutale remontée de ses taux, sans équivalent en Chine où l’inflation est restée très atone.

 

Sanctions russes : un effet boomerang ?

Y-a-t-il un effet boomerang des sanctions russes sur les économies européennes ? L’Europe est-elle en train de rentrer en récession à cause de l’embargo sur le gaz et le pétrole russe ?

L’interruption de l’approvisionnement énergétique de l’Europe depuis la Russie, concernant le pétrole mais surtout le gaz, a généré un choc d’offre négatif dont les effets ne se sont pas encore dissipés. En témoigne le fait que le prix de marché du gaz naturel coté à Rotterdam est toujours deux fois plus élevé qu’en 2019, tandis que la cotation Henry Hub aux États-Unis est à peu près inchangée.

Une énergie plus chère a trois types de conséquences principales : des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, un prélèvement sur les marges des entreprises, et un déficit de compétitivité prix préjudiciable à l’industrie notamment énergo-intensive. Les Etats-Unis et l’Asie n’ont pas eu à subir les mêmes chocs.

 

Comment la Russie contourne les sanctions commerciales

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Pourquoi sont-elles aussi inefficaces ? Depuis 2022, les importations de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi. Doit-on y voir une stratégie de détournement des sanctions ? Quels pays européens (et quelles industries) participent à ce phénomène ?

L’inefficacité des sanctions occidentales contre la Russie tient d’abord au fait que certains pays tiers se sont substitués aux achats européens d’hydrocarbures russes. Au-delà des relations bien connues de la Chine avec la Russie, l’Inde absorbe désormais près de 40 % des exportations de pétrole russe, contre 5 % seulement en 2021. La manne des hydrocarbures, clé pour les finances publiques russes, a ainsi été préservée.

Par ailleurs, les mesures aboutissant à un retrait des entreprises occidentales de Russie ont parfois eu un effet de stimulation pour les entreprises russes, pouvant se saisir d’actifs bon marché et de nouvelles parts de marché domestiques. Enfin, il est vrai que certaines entreprises européennes contournent les sanctions, amenuisant leur efficacité. Certains pays comme la Turquie jouent un rôle de transit pour les flux commerciaux en question. Pour ne citer que quelques exemples, les exportations allemandes vers des pays comme le Kazakhstan, le Kirghizistan ou la Géorgie ont connu un décollage plus que suspect.

 

Industrie française : une récession est imminente

On constate une chute de l’indice PMI manufacturier en France. Que représente cette dégringolade pour l’économie française ?

L’indice PMI manufacturier mesure le climat des affaires à la lumière du sentiment exprimé par les directeurs d’achats. Le niveau de 42,1 qu’il a atteint en décembre (50 représente le seuil d’expansion) laisse peu de doute quant à l’existence d’une situation récessive pour l’industrie, en France mais aussi en Europe plus largement.

La dépense en biens des ménages avait déjà été décevante en 2023, celle des entreprises devrait désormais emboîter le pas en 2024, la hausse des taux d’intérêt et la contraction du crédit exerçant une pression croissante sur leur situation financière.

 

L’hypothèse d’un découplage économique avec la Chine

Les marchés américain et européen peuvent-ils se passer de la Chine ? Quelles seraient les conséquences d’une hypothétique rupture des relations commerciales entre la Chine et les marchés américain et européens ? Faut-il s’y préparer ?

Une rupture soudaine des relations économiques entre la Chine et l’Occident serait à n’en pas douter catastrophique pour les deux camps, tant les chaînes de valeur sont imbriquées. La Chine est devenue un fournisseur irremplaçable de nombreux intrants industriels, comme les problèmes d’approvisionnement apparus lors de la pandémie l’ont illustré.

Compte tenu des tensions entourant Taïwan, il faut se préparer à un tel scénario de rupture pour en minimiser l’impact. Mais il paraît illusoire d’imaginer que l’Europe puisse se passer de la Chine à court terme.

 

Les conséquences du statu quo de la BCE sur les taux directeurs

Contrairement à la FED, la BCE n’envisage pas de baisse des taux et affiche une ligne dure. Comment expliquez-vous cette divergence ? Quelles répercussions ces décisions auront-elles sur les échanges entre les économies de la zone euro et les États Unis ? Sur la croissance de leurs marchés respectifs ?

Le discours assez rigide de la BCE quant à l’éventualité d’une prochaine baisse des taux paraît surprenante au vu de la situation quasi-récessive de l’économie européenne. De récents travaux de la BCE montrent par ailleurs que l’essentiel de l’inflation observée ces dernières années est venu de facteurs liés à l’offre plutôt que d’un excès de demande qu’il faudrait briser.

Deux éléments permettent toutefois d’expliquer la prudence de la BCE.

Premièrement, le marché du travail européen, dont le degré de tension détermine en partie le dynamisme de l’inflation sous-jacente (l’évolution des prix hors composantes volatiles comme l’énergie), affiche toujours un niveau d’emplois vacants élevé malgré la faiblesse de l’activité. La disparition des gains de productivité du travail et le ralentissement démographique aboutissent au paradoxe que des difficultés de recrutement substantielles peuvent coexister avec une absence de croissance.

Deuxièmement, le contexte géopolitique reste très incertain. Les tensions récentes en mer Rouge ont déjà abouti à un doublement des taux de fret maritime sur les conteneurs, ce qui à terme pourrait souffler de nouveau sur les braises de l’inflation.

 

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Lyon-Turin : un projet ferroviaire titanesque, des opposants à couteaux tirés – Entretien avec le délégué général de la Transalpine

Stéphane Guggino est le délégué général du comité pour la Transalpine, association réunissant les défenseurs du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Aux premières loges d’un chantier qui bouleversera les relations commerciales entre la France et l’Italie et le quotidien de millions d’individus sur les deux versants des Alpes, il a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

« En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie »

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le projet de ligne ferroviaire transalpine Lyon-Turin a été lancé il y a plus de 30 ans. Pourquoi n’a-t-il pas encore vu le jour ? Où en est-on de l’avancée des chantiers ? 

Stéphane Guggino, délégué général de la Transalpine – Ces retards ne sont pas propres au Lyon-Turin. À l’échelle européenne, la construction des grandes infrastructures de transport affichent en moyenne 15 ans de retard. Nous sommes un peu en dessous. Il faut réaliser que c’est un projet d’une grande complexité sur les plans technique d’abord, mais aussi juridique, financier, politique et diplomatique. La particularité du Lyon-Turin est d’être un projet binational. Les procédures juridiques et financières sont différentes entre les deux pays. Et puis au gré des alternances politiques des deux côtés des Alpes, des dissymétries se créent dans la dynamique globale du projet. Quand la France accélère, l’Italie ralentit, et inversement. Les priorités nationales peuvent évoluer épisodiquement.

À cette complexité s’ajoute le fait que l’Europe intervient massivement dans la mise en œuvre du projet, à travers notamment ses financements. Cela fait un étage de plus dans un processus décisionnel qui, dans chaque pays, va des plus hautes autorités de l’État jusqu’aux élus locaux, en passant par l’enchevêtrement peu lisible des administrations qui ont trop souvent une lecture franco-française du projet alors que c’est un programme éminemment européen.

Il y a quelques mois, un Conseil d’orientation a produit un rapport pour éclairer le gouvernement sur la programmation des investissements dans le domaine des transports. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les analyses concernant le Lyon-Turin s’arrêtaient nette à la frontière franco-italienne, sans se soucier du projet différent développé par nos voisins de leur côté. Or, le Lyon-Turin est un programme conçu comme un ensemble composé de sections interdépendantes les unes des autres. Cela exige nécessairement une approche globale et cohérente.

Contrairement à l’époque des grands projets d’avenir structurants, certaines administrations d’État sont rétives aux grands investissements de long terme dans un contexte où l’on recherche des rentabilités rapides. Or, les projets ferroviaires sont très longs à mettre en œuvre et leur rentabilité socio-économique s’inscrit fatalement dans la durée.

Pour autant, il ne faut pas non plus noircir le tableau. Sur le terrain, les choses avancent, en particulier en ce qui concerne le tunnel de 57,5 km sous les Alpes en cours de creusement. Ce tunnel est la clé de voute du programme Lyon-Turin. Sa réalisation orchestrée par le maître d’ouvrage public TELT est désormais irréversible et la montée en puissance du chantier est spectaculaire. 100 % des contrats de génie civil ont été attribués. 22 % du projet global ont été réalisés. 34 km de galeries ont été creusées, dont 13 km du tunnel définitif. Plus de 2500 salariés sont déjà mobilisés sur le chantier en Savoie. Les sept tunneliers vont arriver progressivement à partir de 2024, et le rythme va sérieusement s’accélérer. L’ouvrage devrait être livré en 2032. Ce qui nous préoccupe davantage aujourd’hui, c’est l’aménagement des indispensables voies d’accès au tunnel. En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie.

Forage du tunnel de la Transalpine. Crédits @ValentinCitton

« Le principal axe ferroviaire qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle »

Quel impact aura le lancement de la Transalpine sur les échanges économiques entre la France et l’Italie ?

Les enjeux économiques attendus dépassent la France et l’Italie pour s’inscrire dans une véritable vision européenne. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne a fait depuis longtemps du Lyon-Turin une priorité stratégique. Avec ce grand programme structurant reliant la péninsule ibérique et l’Europe centrale, il s’agit de rééquilibrer l’économie de l’espace européen au profit de l’Europe du Sud. Le Lyon-Turin doit un peu jouer pour l’Europe du Sud le même rôle qu’a joué le tunnel sous la Manche pour l’Europe du Nord.

La France et l’Italie seront naturellement les premières concernées par ces retombées économiques. En 2022, la valeur des échanges entre les deux pays s’est élevée à 132 milliards d’euros. La France et l’Italie sont respectivement le second partenaire commercial de l’autre. Ils représentent près de 30 % des habitants et 30 % du PIB de l’UE. Or, le principal axe ferroviaire fret et voyageurs qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle.

Avec cette nouvelle liaison moderne, il s’agit donc de replacer cet axe au cœur de flux créateurs de valeurs. Pour les voyageurs, la réduction des temps de trajet favorisera les échanges culturels, universitaires, touristiques…

Ce qui est valable pour les voyageurs l’est encore plus pour les marchandises. Mais avec l’objectif impérieux de réconcilier l’économie et l’écologie. Aujourd’hui, la quasi-totalité des marchandises entre la France et l’Italie sont transportées par poids lourds. En proposant aux entreprises un mode de transport de masse décarboné, rapide et fiable sur un axe européen stratégique, l’enjeu est de faire évoluer la chaine logistique vers un modèle plus efficace et plus respectueux de l’environnement.

 

« Localement, les électorats de LFI et d’EELV sont majoritairement favorables à la Transalpine »

La Transalpine est régulièrement présentée comme un projet controversé, pourtant un sondage IFOP révélait l’année dernière une large adhésion des habitants des départements de la région Auvergne Rhône-Alpes concernés par le projet (81 % des sondés étaient favorables au projet). Comment expliquez-vous ce décalage ?

Oui, c’est assez curieux. Le Lyon-Turin est le fruit de trois traités internationaux ratifiés à chaque fois à une large majorité au Parlement. Depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République, quelle que soit leur couleur politique, ont soutenu sans ambiguïté le projet. La quasi-unanimité de collectivités locales concernées par le projet le soutiennent également. Même écho du côté des syndicats de salariés et des organisations patronales.

Le sondage régional réalisé par l’IFOP pour la Transalpine en juin dernier est à cet égard assez illustrant. L’adhésion des populations au Lyon-Turin est non seulement très forte mais relativement homogène par tranche d’âge, par CSP et par sensibilité politique, y compris dans les électorats LFI et EELV qui sont les deux seuls partis à s’y opposer. Contrairement aux cadres de ces partis, leurs électorats sont favorables au projet à plus de 80 %. Sur ce sujet comme sur d’autres, ces résultats démontrent un net décalage entre les sympathisants et les élites partidaires.

Pour autant, aussi minoritaires qu’ils soient, les opposants au Lyon-Turin sont bruyants et attirent l’attention des médias qui reprennent en boucle l’idée du « projet contesté ». Aucun projet ne fait l’unanimité.

Manifestation des Soulèvements de la Terre contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

« Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition au Lyon-Turin s’est nettement radicalisée »

Du côté français, un certain nombre d’associations et de mouvements radicaux (Attac, les Soulèvements de la Terre, Sud Rail, Non au Lyon Turin…) se mobilisent pour bloquer l’avancement de la transalpine. Quel impact ont leurs actions ? Celles-ci se sont-elles intensifiées récemment ? Sont-elles plus violentes en France ? En Italie ? Quels partis et personnalités politiques se font les relais de ces activistes ? 

Il faut bien comprendre que l’opposition au projet est née en Italie, au début des années 2010. Le Mouvement 5 Étoiles, créé par l’humoriste Beppe Grillo, en a fait un étendard et s’est fortement appuyé sur cette contestation locale pour progresser au niveau national. Dans une logique « antisystème », certains diraient populiste, cette opposition s’est cristallisée en partie sur les grands projets d’infrastructure. Par son ampleur, le Lyon-Turin était donc un bon sujet de mobilisation.

Dans les cortèges, ont trouvait des écologistes sincères, des public animés par le syndrome NIMBY et aussi beaucoup de mouvements de la gauche radicale, avec même certains éléments issus des Brigades rouges. Les premiers affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier ont été très violents. Mais au fil du temps, le mouvement s’est essoufflé. Aujourd’hui, ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils se sont radicalisés. Régulièrement, des petits groupes encagoulés attaquent le chantier, protégé en permanence par des policiers et l’armée, avec des pierres et des feux d’artifice.

Les activistes recrutent principalement dans les milieux anarchistes de Turin et de Milan en jouant de la rhétorique de l’intersectionnalité des luttes. Il y a quelques semaines, un rassemblement près du chantier a vu débarquer des éco-féministes, des activistes LGBT et des militants de la cause palestinienne dont on peine à comprendre le lien avec le Lyon-Turin.

En France, l’opposition a commencé à éclore au début des années 2010 mais de manière plus pacifique et confidentielle. Face à la mobilisation des Italiens, les écologistes n’ont pas voulu être en reste. Après avoir soutenu et porté le projet pendant plus de 20 ans, les écologistes ont fait un virage à 180 degrés en 2012. Du jour au lendemain, le Lyon-Turin est passé du statut de projet essentiel à celui de projet dévastateur de l’environnement. Les théoriciens de cette opposition se comptaient pourtant sur les doigts d’une main. Mais ils sont petit à petit parvenus à essaimer leurs arguments dans les réseaux écologistes et de la gauche radicale.

Ce virage a été initié localement par une nouvelle génération de cadres écologistes annonciateurs des mouvements d’activistes plus radicaux que l’on connaît aujourd’hui. En juin dernier, il y a eu une manifestation des Soulèvements de la Terre. De l’aveu même des organisateurs, ils ne connaissaient pas le dossier. Mais au même titre que le nucléaire, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou plus récemment les bassines de Sainte-Soline, le Lyon-Turin est devenu un totem qui mobilise une base d’activistes radicaux. Avant le départ du cortège des Soulèvement de la Terre, les participants ont scandé « Nous sommes tous antifascistes ». Là encore, difficile de comprendre le lien avec le Lyon-Turin. Toujours est-il que cette manifestation, émaillée de violences, était officiellement soutenue par les élus Verts de la région dont beaucoup étaient présents sur place aux côtés de la France Insoumise. Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition sur le Lyon-Turin s’est nettement radicalisée. Jean-Luc Mélenchon lui-même évoque régulièrement le sujet dans ses meetings et interviews.

Certains activistes locaux cherchent à importer en France les éléments radicaux italiens, pour l’instant en vain. Cet été, pour la première fois, deux engins de chantier ont été incendiés. Mais pour l’heure, l’opposition en France reste marginale et non violente, même si on observe des signes de structuration.

Manifestation des activistes italiens de No Tav contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

 

 

« Ces 15 dernières années, trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin ont été inaugurés en Suisse »

Dans un reportage publié en avril 2023, le think tank « citoyen » Mr Mondialisation qualifiait la transalpine de « TGV écocidaire » et d’« aberration écologique et sociale ». Il se trouve qu’en novembre dernier le crime d’écocide a été ajouté à la liste des infractions pénales de l’UE. Les travaux liés aux forages des tunnels sont-ils réellement assimilables à un crime contre l’environnement, à la destruction complète d’un écosystème ? 

Il faut être clair, un chantier de cette envergure a forcément des impacts sur l’environnement. Mais il faut évidemment en mesurer les bénéfices sur le long terme. De ce point de vue, toutes les études démontrent que l’équilibre coûts-bénéfices sera positif. Les effets sur la nature et sur la biodiversité sont très surveillés et relativement limités, puisqu’il s’agit de construire un tunnel sous la montagne. Les Suisses, qu’on peut difficilement accuser de mépriser l’environnement, ont inauguré ces 15 dernières années trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin. Leurs performances en matière de report modal de la route vers le rail sont exceptionnelles. Les écolos suisses y étaient au départ opposés, mais aujourd’hui ils en sont très fiers.

En vérité, le discours écologiste des opposants semble n’arriver qu’au second rang. Pendant la manifestation des Soulèvement de la Terre, la plupart des participants interrogés par les médias étaient incapables d’avoir une argumentation structurée au-delà de quelques poncifs. Le vrai sujet semble être politique. C’est celui de la décroissance et de la lutte contre le capitalisme. Une myriade de mouvements plus ou moins importants s’agrègent autour de cette vision du monde : Sud Rail, Les Amis de la Terre, Extinction Rébellion, Attac… Pour eux, le Lyon-Turin va favoriser les échanges commerciaux en Europe. Et il est trop tard pour attendre les bénéfices du Lyon-Turin qui arriveront dans plusieurs années, bien après le grand effondrement qu’ils prédisent à court terme. Les termes les plus anxiogènes de la novlangue des activistes du climat sont abondamment utilisés. Par exemple, on ne parle plus de « sabotage » mais de « désarmement » des chantiers.

Il est normal que cette opposition s’exprime en démocratie. Ce qui est plus contestable, c’est de désinformer l’opinion en niant l’expertise des scientifiques et de tous les professionnels du rail qui sont unanimes sur l’utilité du Lyon-Turin. D’ailleurs, il est frappant de constater que les opposants ne comptent dans leurs rangs aucun expert du sujet. Leur dernière trouvaille consternante est d’affirmer que le tunnel du Lyon-Turin va « vider l’eau des Alpes qui tombe dans le trou qu’on creuse ».

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est la perméabilité grandissante de ces mouvements à des discours radicaux comme celui du sociologue suédois Andreas Malm, devenu une véritable référence dans ces milieux. Selon lui, les manifestations pacifiques ont montré leur inefficacité. L’urgence climatique légitime donc les actes de désobéissance civile, voire de violence et de sabotages. Entendre des élus de la République valoriser ce type de discours, par ailleurs rejeté par une immense majorité de l’opinion, est quand même très inquiétant.

 

« 92 % des marchandises échangées entre la France et l’Italie transitent par la route et 8 % par le rail »

Le rail est le mode de transport dont l’empreinte carbone est la plus légère. Il ne contribue qu’à 1,2 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports au niveau mondial, alors que le transport routier représente trois quarts des émissions de GES. Selon l’Agence International de l’Énergie « Doubler le transport ferroviaire équivaudrait à supprimer 20 000 poids lourds sur le réseau routier, pour une économie de 450 000 tonnes de CO2 chaque année. ». Combien de tonnes de CO2 pourraient être économisées par la Transalpine, dès la première année de sa mise en service ? 

Le train est non seulement le mode de transport terrestre le moins émetteur de gaz à effet de serre (neuf fois moins que le transport routier), mais il est aussi celui qui génère le moins de pollution aux particules fines. Il est en outre le moyen de transport le plus sobre en énergie, ce qui sera l’une des grandes problématiques des années à venir.

Le Lyon-Turin est une ligne mixte. Il transportera des passagers, mais 80 % de la ligne sera dédiée au fret ferroviaire. 47 millions de tonnes de marchandises franchissent chaque année la frontière entre la France et l’Italie. Seulement 8 % sont transportés par le rail sur une ligne obsolète héritée de Napoléon III, et 92 % par la route.

Cela représente trois millions de poids lourds par an, la moitié par les Alpes du nord et l’autre moitié par la côte méditerranéenne. Avec de bonnes mesures d’accompagnement, l’objectif est de basculer dans un premier temps un million de camions sur le rail et d’éviter le rejet de plus d’un million de tonnes de CO2 par an. Le bénéfice en CO2 devrait être atteint environ 15 ans après la mise en service de la ligne. Cela peut paraître long, mais à l’échelle d’une infrastructure dont l’utilisation sera de plus d’un siècle, c’est avant tout une manière de préparer l’avenir.

 

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[Pétition] « Une révolution fiscale pour sauver le logement »

Vous pouvez soutenir cette pétition en cliquant ici  

Le député Guillaume Kasbarian vient d’être nommé ministre du Logement. Pour relancer la dynamique du logement en France (accès à la propriété, location, investissement immobilier) adressons lui cette pétition, qui a déjà récolté 450 signatures : il faut un électrochoc fiscal !

La recherche d’un logement destiné à la location en résidence principale ou aux travailleurs saisonniers est devenue dans certains régions un véritable parcours du combattant. Cette situation critique est la conséquence de la multiplication de logements vacants, de résidences secondaires et de locations meublées de tourisme.

Elle s’explique par les conditions fiscales et réglementaires actuelles :

  • Des taux de prélèvements obligatoires très élevés sur les loyers ;
  • Des avantages ciblés par les politiques antérieures sur la location de meublés ;
  • Une diminution de la rentabilité provoquée par le plafonnement des loyers ;
  • L’instrumentalisation de la législation par certains locataires ;
  • Les exigences très contraignantes des normes d’habitabilité ;
  • Une diminution du parc locatif due à l’exclusion des logements de DPE G et bientôt F.

 

Les mesures envisagées par les pouvoirs publics utilisent la fiscalité et la réglementation pour combler le déficit de logements destinés à la résidence principale et aux saisonniers créé par la réglementation précédente :

  • Les abattements forfaitaires sur les loyers des résidences de tourisme ont été supprimés ;
  • La taxe d’habitation est majorée pour les résidences secondaires et les meublés ;
  • La taxe foncière à la charge des propriétaires a été augmentée ;
  • Les logements vacants sont taxés, même ceux dont la location est interdite (TLV, THLV).

 

Ces mesures amplifieront les effets des précédentes. Certaines, comme de très fortes hausses de la taxe d’habitation, sont déjà appliquées.

Ce changement de fiscalité pénalise ceux qui ont investi dans l’immobilier de tourisme, les EHPAD, les logements étudiants… Les engagements pris par les propriétaires en échange d’avantages fiscaux et la nature des logements les empêchent de modifier la destination de leurs biens. Les taxes vont contraindre certains propriétaires d’un bien interdit à la location soit à le vendre dans des conditions très défavorables, soit à effectuer des travaux beaucoup trop coûteux pour leurs moyens financiers ou pour être rentables, surtout avec des loyers plafonnés, malgré les aides MaPrimRénov’ accordées pour passer d’un DPE G à E ou F à D.

Les deux séries de mesures proposées ci-dessous libèrent les propriétaires bailleurs au lieu de les contraindre. La première a pour but de régler aussi rapidement que possible la crise actuelle et la seconde d’éliminer les causes à long terme qui l’ont provoquée.

 

Une première série de réformes pour stabiliser le secteur immobilier

  • Supprimer tous les avantages fiscaux accordés actuellement aux investisseurs en fonction de la destination du bien loué (meublés de tourisme, investissement en EHPAD, logements étudiants…) ;
  • Permettre la transformation d’un meublé de tourisme en résidence principale sans pénalité fiscale comme le rappel de la TVA ;
  • Aligner la fiscalité des loyers sur celle des revenus des valeurs mobilières (suppression de l’IFI, prélèvement libératoire à 30 %) ;
  • Supprimer les taxes sur les logements vacants (TLV et THLV) ;
  • Déduire du revenu imposable le coût des travaux de mise aux normes d’un logement, qui reste à charge après le versement de MaPrimeRenov’

 

Ces mesures placent le marché immobilier à égalité fiscale avec l’investissement dans le secteur productif. Elles facilitent le retour des investisseurs institutionnels dans l’immobilier locatif traditionnel. Pour qu’elles conservent leur efficacité à long terme, il faut les compléter en protégeant les propriétaires de changements de fiscalité ultérieurs et du risque de pertes en capital parfois ruineuses (loyers impayés, squats).

 

Une deuxième série de réformes pour relancer la dynamique du logement

  • Supprimer les droits de mutation en ligne directe et réduire les droits de mutation en ligne indirecte pour relancer l’accès à la propriété ;
  • Alléger les normes de confort exigées pour une location et une construction ;
  • Déclarer les plus-values et les moins-values après une vente dans les revenus mobiliers en tenant compte de l’inflation ;
  • Garantir la même fiscalité et les mêmes normes d’habitabilité pendant quinze ans ;
  • Utiliser les taxes sur les plus-values perçues en cas de classement d’un terrain agricole en terrain à bâtir pour indemniser les propriétaires de terrains constructibles déclassés ;
  • Créer des tribunaux analogues aux prud’hommes pour régler rapidement les litiges entre locataires, élus locaux et propriétaires ;
  • Mettre à la charge des responsables d’un retard d’exécution d’une décision de justice l’indemnisation du propriétaire ou du locataire ;
  • Supprimer les surloyers et exclure du logement social les locataires dont la situation ne correspond pas ou plus aux conditions d’accession réglementaires.

 

Ces mesures pérennisent les précédentes et permettent aux investisseurs de répondre à la demande de logement en limitant le risque en capital et en revenu et en abaissant les coûts. C’est également l’objectif de la suppression des droits de succession et la diminution des droits de mutation en ligne indirecte. Le retour du dynamisme du marché immobilier produira de nouvelles recettes fiscales compensant l’abaissement de la fiscalité sur les loyers. La difficulté principale est le manque de confiance des investisseurs dans le long terme, qu’il est difficile de faire disparaître compte tenu des politiques passées.

 

Pour soutenir ce texte vous pouvez l’encourager dans l’espace dédié aux commentaires.

Pour porter cet éléctrochoc à l’Assemblée nationale : signez la pétition sur Change.org

Fabrice Le Saché, VP du Medef : « l’accord sur l’IA ne répond pas aux ambitions de départ »

Fabrice Le Saché est le vice-président du Medef en charge de l’Europe. Au cours de cet entretien, nous abordons les répercussions des nouvelles réglementations européennes (IA, minerais stratégiques, taxe carbone…) sur l’industrie française et européenne. Il est aussi question des réponses à apporter à la crise du logement et de l’impact des actions de sabotage des écologistes radicaux sur la croissance et l’emploi en France.

 

Intelligence artificielle

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le 08 décembre dernier, le commissaire européen Thierry Breton a qualifié d’« historique » l’accord de l’UE sur la réglementation de l’intelligence artificielle (IA ACT). Estimez-vous, avec M. Breton, que « L’Europe va devenir le meilleur endroit au monde pour faire de l’intelligence artificielle » ?

Fabrice Le Saché, vice-président du Medef chargé de l’Europe – Je souhaite tout d’abord rappeler un chiffre : 25 % des entreprises européennes utilisent l’intelligence artificielle (IA). Si la démocratie de l’IA est récente, l’IA n’est pas pour autant une technologie inconnue.

Le Medef a salué les ambitions initiales de Thierry Breton d’encadrer l’IA pour construire un écosystème favorable au tissu économique et à l’ensemble des citoyens. Une certaine idée de la régulation qui ne freine pas l’innovation et n’obère pas la compétitivité de nos entreprises. Nous avons toujours rappelé l’importance de maintenir une neutralité technologique et d’avoir une approche globale par les risques. Seul l’usage que l’on fait de l’IA doit définir son niveau de risque, et non les caractéristiques techniques de chaque modèle. Or, l’accord provisoire obtenu début décembre ne répond pas intégralement aux ambitions de départ. L’approche par les risques et le principe de neutralité technologique ont été fragilisés en intégrant des obligations propres aux IA génératives, ce qui ajoute de la complexité juridique. De plus, le texte nécessite de nombreuses lignes directrices et actes délégués de la Commission européenne pour être applicable, entraînant ainsi les entreprises dans une période d’incertitude et de flou juridique.

Dans la course mondiale à l’intelligence artificielle l’Europe est encore à la traîne, loin derrière les géants chinois et américains, mais nous pouvons encore combler notre retard. À condition de s’en donner les moyens, de mettre le pied sur le frein de la surrèglementation, et d’investir dans une politique d’innovation courageuse permettant de faciliter l’accès des entreprises aux financements, aux compétences et aux marchés.

Il est évident qu’aujourd’hui, le développement économique et l’innovation dépendent largement de l’évolution des compétences numériques, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Si notre pays veut jouer un rôle dans la révolution industrielle 5.0, nous devons constamment anticiper et nous adapter aux évolutions technologiques. Le défi pour les entreprises est double : recruter du personnel qualifié tout en veillant à la mise à jour des compétences des salariés. C’est pourquoi la formation doit être au cœur des stratégies d’entreprise.

 

Souveraineté minérale

Début décembre 2023, le Parlement européen a approuvé un texte sur les matières premières critiques, fixant des objectifs pour la production, le raffinage et le recyclage des minéraux indispensables à la transition écologique et numérique. L’Europe est-elle en train de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine ? Cette législation va-t-elle faciliter la production de voitures électriques, de panneaux solaires, d’éoliennes et smartphones en Europe ? Quels effets produit-elle déjà sur le marché du travail ?

Les récentes crises ont démontré à quel point la France était dépendante des chaînes d’approvisionnements mondiales. Nous avons désormais pris collectivement conscience de la nécessité de retrouver un appareil de production performant et une culture industrielle forte. Cette indispensable souveraineté passe par la réduction de nos dépendances extérieures de l’Union européenne vis-à-vis des matières premières critiques. Le monde change, celui dominé par les énergies fossiles laissera bientôt sa place à un monde dominé par les matières premières minérales. Il sera sans carbone, mais riche en métaux : le marché du cuivre va doubler, celui du nickel va tripler, et celui du lithium va quadrupler au cours des dix prochaines années.

C’est pour cela que nous avons – dès mars 2023 – soutenu le règlement sur les matières premières critiques qui permettra d’identifier des projets stratégiques et sécuriser des chaînes d’approvisionnement. Pour garantir notre autonomie stratégique et contribuer au redressement de notre commerce extérieur, il faudra aller encore plus loin.

Tout d’abord, il est impératif de valoriser l’exploitation de minerais stratégiques tant en Europe qu’en France par des dérogations ponctuelles aux Codes minier et environnemental. La France dispose en la matière d’un savoir-faire historique qui lui a longtemps permis de compter parmi les principaux producteurs mondiaux de métaux stratégiques comme l’antimoine, le tungstène et le germanium. Dans ce sens, je salue l’initiative de l’entreprise Imerys qui s’apprête à exploiter la plus grande mine de lithium d’Europe dans l’Allier, capable de fournir assez de matière première pour produire 750 000 batteries par an. Ce projet répond à la fois aux enjeux d’indépendance énergétique, de réindustrialisation – et avec elle de création de richesse partout dans les territoires – et de décarbonation de notre mobilité.

Aussi, l’Europe doit aussi repenser ses relations avec les pays fournisseurs au travers d’une diplomatie des matières premières qui déboucherait sur des accords commerciaux larges et ambitieux, permettant le renforcement des coopérations, la négociation de quotas, ou encore l’élimination de tarifs douaniers. L’Union européenne devrait également chercher à réduire les écarts de compétitivité, en particulier dans les hautes technologies et l’économie numérique, et plus globalement garantir des conditions de concurrence équitables entre les entreprises de l’Union européenne et les concurrents chinois.

Bien évidemment, l’Union européenne et la Chine doivent renforcer leurs liens commerciaux et d’investissement, mais sans naïveté, en recourant aux instruments de défense commerciale pour dissuader la Chine de prendre des mesures unilatérales dommageables.

Enfin, notre stratégie ne pourra faire l’impasse du recyclage, qui doit être considéré comme un pilier essentiel de l’offre en matières premières critiques. Il convient d’une part d’accompagner les entreprises dans les démarches d’éco-conception des produits afin qu’elles réduisent leurs besoins en matières critiques (ou qu’elles les substituent) et d’autre part, d’allonger la durée de vie des produits afin que les matières critiques soient utiles plus longtemps.

 

Taxe carbone aux frontières de l’UE

À partir du 1er janvier 2026, les importateurs européens devront s’acquitter d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Celle-ci va-t-elle renchérir les coûts de production pour les entreprises ? Pensez-vous que cette taxe est de nature à inciter les industriels européens à relocaliser leurs approvisionnements en matières premières à haute intensité de carbone ou, à l’inverse, qu’elle les encouragera à délocaliser leurs productions dans des zones où les normes environnementales sont plus légères, voire inexistantes (Maroc, Turquie..) ?

Le Carbon Border Adjustment Mechanism (MACF) ou la « taxe carbone aux frontières » s’inscrit dans un contexte de crise énergétique et d’un accroissement du différentiel de compétitivité entre l’Union européenne et le reste du monde. Le Medef soutient le principe d’une taxe carbone ambitieuse aux frontières, mais avec une surveillance forte pour éviter son contournement par nos partenaires commerciaux. Le texte de l’Union européenne ne répond toutefois pas entièrement aux inquiétudes des industriels, notamment sur les risques de contournement, et fera peser de nouvelles lourdeurs administratives sur les importateurs.

La mise en œuvre du MACF s’accompagnera d’une élimination progressive des « quotas gratuits » qui pèsera sur la compétitivité des exportations européennes face à une concurrence étrangère qui n’aura pas essuyé le même coût du carbone en amont. Rexecode entrevoit une dégradation des comptes d’exploitation des entreprises de l’ordre de 45 milliards d’euros par an au niveau européen, et 4 milliards en France. Le MACF représente une perte de marges estimée à 2,1 milliards pour l’industrie française (soit une baisse de 2,7 % du résultat courant avant impôts). La mise en route du MACF menacerait plus de 37 500 emplois industriels, soit 1,5 % du total des emplois industriels en France.

Les risques de délocalisation dépendront des mesures adoptées pour lutter contre le contournement. Le MACF ne couvre que quelques grands intrants industriels, et non l’ensemble des chaînes de valeur. Si l’aluminium étranger produit hors de l’Union européenne sera bien taxé à la frontière, un produit fini ou semi-fini à base d’aluminium et transformé hors de l’Union européenne échappera au MACF.

L’importateur européen n’aura donc pas à en acquitter le coût du carbone, ce qui peut l’inciter à opter pour cette solution plutôt que de se tourner vers la filière de fabrication française qui aura payé un coût du carbone dans tous les cas de figure. Dans les prochains mois, il sera donc essentiel de faire un suivi précis et de mener des évaluations régulières pour corriger toute conséquence négative sur notre tissu industriel et les emplois, ainsi que sur notre compétitivité à l’export.

Ce texte est ainsi loin de résoudre toutes nos difficultés. C’est pourquoi il faut mobiliser l’ensemble des leviers pour réindustrialiser notre continent, tels que l’assouplissement des règles sur les aides d’État, le financement de l’innovation bas carbone et l’adaptation des formations pour répondre aux besoins des entreprises.

 

Crise du logement

En 2023, la crise du logement s’est installée en France. Les taux d’emprunt ont continué à monter, les ventes de logements neufs ont chuté de 30 %, les délivrances de permis de construire ont baissé de 23 %, les prix des loyers ont augmenté dans la majorité des grandes villes. Dans le secteur du bâtiment, 180 000 emplois sont menacés dès cette année, 500 000 d’ici à 2025. Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de la situation ? À quel point cette crise affecte-t-elle le fonctionnement du marché européen ? Que préconisez-vous pour sortir de la crise actuelle ?

Le logement, c’est le socle de la cohésion, une condition essentielle du dynamisme économique et du bien-être de nos concitoyens. Sans possibilité de loger à hauteur des besoins nos salariés, nous ne pourrons pas continuer à assumer la volonté de retour au plein-emploi qui est la nôtre.

Dans un contexte économique marqué par le renchérissement du coût des matières premières et la hausse des taux d’intérêts, la situation du logement en France est aujourd’hui critique. La situation ne fait que de s’aggraver, notamment sous le coup de décisions prises sans concertation avec les acteurs économiques : le zéro artificialisation nette (ZAN), la révision tous azimuts des documents de planification urbaine, et la chute de la délivrance des permis de construire.

En un an, la production de logements a chuté de 20 %. Ce sont 100 000 logements manquants qui sont venus s’ajouter aux 600 000 logements abordables non construits. Pour nous, chefs d’entreprise, il nous faut répondre aux besoins en logement des salariés, là où sont les emplois, c’est-à-dire largement dans les métropoles, et ne pas imaginer que les emplois vont miraculeusement se déplacer dans les zones détendues, hors marché, plus difficiles d’accès.

La crise du secteur de la construction se propage dans toute l’Europe, alors que le secteur est un pilier de l’économie, il pèse 6 % du PIB de l’Union européenne et emploie 14 millions de personnes. Le ralentissement est particulièrement marqué en Allemagne où l’indice de production – prenant en compte les logements, mais aussi les magasins, usines et autres bâtiments à usage professionnel – est en chute de plus de 6 points depuis la guerre en Ukraine.

Il est encore temps d’agir pour sortir de la crise et les réponses à apporter devront être en grande partie nationales. C’est pour cette raison que le Medef propose d’organiser avec les pouvoirs publics une conférence annuelle sur le logement avec pour but de passer en revue, territoire par territoire, les objectifs de production, les réglementations contreproductives et les réalisations effectives. Le logement est la pièce maîtresse de nos équilibres économiques, personnels et collectifs. La relance d’une politique de logement est plus que jamais d’actualité.

 

Éco-sabotage

L’année 2023 a été particulièrement marquée par les actions de blocage ou de sabotage d’activités économiques intentées par des collectifs radicaux comme Soulèvements de la Terre ou Extinction Rébellion. Occupations de cimenteries, destructions de mégabassines, mobilisations contre l’autoroute A69, leurs initiatives montent en puissance. Avez-vous estimé le bilan économique et social de leurs destructions ? Représentent-ils un danger réel pour la croissance et l’emploi en France ? En Europe ?

Je tiens à condamner fermement les actions de blocage ou de sabotage d’activités économiques intentées par des collectifs radicaux. Ces actes sont inadmissibles, inquiétants et préjudiciables à tous. Manifester est un droit, saccager est un délit. Il existe des voies de recours légales pour tous les projets d’infrastructures. C’est valable pour l’A69, pour le Lyon-Turin et pour tous les autres projets. Il est très difficile d’estimer précisément le bilan économique des destructions, mais cette flambée de violence a bien évidemment de graves conséquences économiques et sociales. Cela se traduit non seulement par d’irréparables pertes d’exploitation pour les entreprises touchées, pouvant conduire à du chômage partiel, voire à des destructions d’emplois. Cette situation se traduit aussi par une dégradation de l’image de la France qu’il faudra redresser.

Au Medef, cela ne vous étonnera pas, nous ne croyons pas à la thèse de la décroissance. Nous pensons même qu’elle est fondamentalement destructrice pour la cohésion sociale. Pourtant, nos objectifs sont communs : assurer l’avenir de la planète. Mais nos solutions divergent. Nous sommes convaincus que seule une croissance responsable permettra de relever le défi climatique en finançant les investissements et en assurant l’acceptabilité sociale de cette nécessaire transition. La croissance responsable, c’est non seulement la condition absolue pour financer la décarbonation de l’économie mais aussi pour continuer à créer des emplois, soutenir le pouvoir d’achat et maintenir l’équilibre de nos régimes sociaux.

 

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L’inefficience française en matière d’éducation et de formation coûte 16 milliards d’euros par an

L’Institut économique Molinari a publié une étude inédite visant à comparer le rapport coût/efficacité des différents pays européens en termes d’éducation et de formation. Elle analyse 30 pays européens et effectue trois comparatifs : le premier sur l’éducation primaire et secondaire, le second sur le supérieur, et le troisième sur l’ensemble du système de formation.

 

Un manque d’efficacité global autour de 16 milliards d’euros

La France se situe à la 22e place sur les 30 pays d’Europe étudiés. Au titre du primaire, du secondaire et du supérieur, l’inefficience française représente un surcoût de 18 milliards d’euros en considérant les lacunes dans la transmission des compétences de base et l’intégration dans l’emploi. Elle est de 14 milliards si l’on se focalise sur la seule inadéquation de l’éducation et de la formation avec le marché de l’emploi.

En retenant le milieu de cette fourchette, on peut affirmer que si le système français se rapprochait des systèmes les plus efficaces, les mêmes résultats auraient dû être atteints en économisant 16 milliards d’euros ou 9,4 % de la dépense intérieure d’éducation de 2018.

L’Irlande, l’Estonie et les Pays-Bas forment le trio de tête de l’efficacité de la dépense d’éducation et de formation, suivis par l’Allemagne, la Norvège et la Finlande.

 

Un surcoût de 14 milliards d’euros par an dans le primaire et le secondaire

La France est au 14e rang sur 30 en efficacité de la dépense d’éducation primaire et secondaire.
Elle dépense 7890 euros par an et par élève du primaire et secondaire (ou 22,5 % du PIB par habitant par élève, vs 21,7 % en Europe) ; 70 % des élèves de 15 ans n’ont pas de difficulté en compréhension de l’écrit, mathématique et science (vs 69 % dans les 30 pays étudiés).

Les deux pays les plus performants sont l’Estonie et l’Irlande. La dépense par élève est élevée en Estonie (23,8 % du PIB par tête vs 21,7 % en Europe), mais les résultats sont excellents, avec 83 % des élèves n’ayant aucune difficulté (vs 68,7 % en Europe). L’Irlande dépense moins que la moyenne avec des résultats très bons, 77 % des élèves n’ayant aucune difficulté (vs 68,7 % en Europe).

Si les ressources françaises étaient dépensées aussi bien qu’en Estonie ou en Irlande, le même résultat aurait été obtenu en 2018 en diminuant de 15,3 % la dépense par élève en pourcentage du PIB/tête, soit une économie de 1200 euros par élève du primaire et du secondaire.

Actualisé aux prix de 2022, cela représenterait une économie de 13,7 milliards d’euros sur 90 milliards d’euros de dépense d’éducation primaire et secondaire.

 

Un surcoût de 4 milliards par an dans l’enseignement supérieur

La France est au 27e rang sur 30 en efficacité de la dépense d’enseignement supérieur.
Elle dépense plus par élève (31,7 % du PIB par habitant et par an vs 31,3 % en Europe) mais obtient un taux d’emploi moindre (84,6 % un à trois ans après le diplôme, vs 85,6 % en Europe).

La Finlande a notamment un taux d’emploi plus élevé que la France (88,3 % vs 84,6 %) en dépit d’une dépense par élève inférieure de 3 points (28,8 % du PIB par habitant, vs 31,7 % en France).

L’inefficacité française est encore plus criante vis-à-vis de l’Islande dont le taux d’emploi est 11 points plus élevé qu’en France (95,8 % vs 84,6 %) avec une dépense par élève inférieure de 8 points (24,3 % du PIB par habitant vs 31,7 % en France).

Si la France était au niveau des pays les plus performants (Grèce, Islande, Lettonie, Malte), elle aurait atteint en 2018 le même niveau d’intégration des jeunes diplômés en économisant 12,1 % des dépenses liées à l’enseignement supérieur.

Actualisé aux prix de 2022, cela représenterait une économie de 3,8 milliards d’euros sur 32 milliards d’euros de dépense d’enseignement supérieur.

 

Un surcoût de 14 milliards lié à l’inadéquation avec l’emploi

La France est au 25e rang sur 30 en efficacité de la dépense d’éducation et formation, si l’on se focalise sur l’adéquation avec le marché de l’emploi.

Elle dépense plus dans l’éducation (6 % du PIB vs 5,3 % en Europe) mais a de moins bons résultats en termes d’adéquation avec l’emploi.

En France, le taux d’emploi 1 à 3 ans après l’obtention du dernier diplôme était de 70,3 % en 2018 (vs 76,7 % en Europe), le taux de surqualification de 21,9 % (vs 20,8 % en Europe), et le taux de jeunes ni en formation ni en apprentissage, ni en emploi de 13,6 % (vs 12,4 % en Europe).

L’inefficacité française était particulièrement criante vis-à-vis de l’Islande. Cette dernière dépense moins en éducation que la France (5,7 % du PIB vs 6 %) pour des résultats bien meilleurs en emploi (91,8 % vs 70,3 %), surqualification (15,6 % vs 21,9 %), ou jeunes ni en formation ni en apprentissage, ni en emploi (5,4 % vs 13,6 %).

Si la France était au niveau des pays les plus performants (Islande, Lituanie, Luxembourg, Malte, Roumanie, Suisse) elle aurait atteint en 2018 le même niveau d’intégration des jeunes diplômés, économisant 8,5 % des dépenses d’éducation et de formation.

Actualisé aux prix de 2022, cela représenterait une économie de 14 milliards d’euros sur 171 milliards d’euros investis dans l’éducation et la formation.

 

Trois axes pour améliorer l’efficacité du système de d’éducation et de formation en France

1) Laisser une plus grande autonomie aux établissements, aussi bien en termes d’organisation, que de recrutement et de choix des méthodes.

2) Poursuivre les efforts visant à améliorer l’adéquation de la formation à l’emploi, pour casser la spirale inflationniste qui conduit à augmenter la durée des études pour se signaler vis-à-vis des employeurs.

3) Réduire les coûts cachés associés à l’imprévoyance de l’État en matière de gestion de personnels, en provisionnant les retraites des nouveaux enseignants et personnels administratifs de droit public.

 

À propos de la méthode

Nous avons employé la méthode d’analyse d’enveloppement des données, dite DEA. Elle permet d’identifier les pays ayant le meilleur rapport qualité/prix éducatif, et de quantifier la moindre efficacité des autres pays, en comparant les ressources éducatives aux résultats fournis par les systèmes d’éducation.

Elle définit une frontière d’efficacité qui représente le meilleur résultat possible pour un niveau de ressource donné. Plus un pays est éloigné de cette frontière composée des pays les plus performants, moins son système éducatif est efficace, plus il peine à mobiliser efficacement ses moyens pour atteindre un objectif donné. La méthode permet de quantifier les économies qui pourraient être réalisées pour atteindre les mêmes résultats, si chaque pays à la peine arrivait à se hisser au niveau des pays les plus performants.

Les 30 pays étudiés correspondent à l’Union européenne (sauf l’Espagne pour laquelle une donnée PISA clef n’était pas disponible) plus l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni. L’analyse porte sur l’année 2018, date de la publication des derniers résultats PISA disponibles au moment de la réalisation de l’étude. Les résultats ont été convertis en euros de 2022, conformément aux usages du ministère de l’Éducation nationale.

L’efficacité du primaire et du secondaire est évaluée en comparant la part des élèves de 15 ans n’ayant aucune difficulté dans les trois domaines étudiés dans PISA (compréhension de l’écrit, mathématique, science), et les dépenses d’éducation par élève rapportées au PIB par habitant.

L’efficacité de l’enseignement supérieur est évaluée en comparant le taux d’emploi des diplômés du supérieur 1 à 3 ans après leur dernier diplôme, et les dépenses par élève en pourcentage du PIB par habitant.

L’adéquation avec l’emploi est évaluée en comparant la dépense totale d’éducation et de formation (y compris apprentissage et formation continue) et :

  1. Le taux d’occupation d’un emploi 1 à 3 ans après l’obtention du dernier diplôme
  2. Le taux de surqualification (part des actifs exerçant une activité requérant un niveau de diplôme inférieur à celui qu’ils ont obtenu)
  3. Le taux de jeunes ni en formation ni en apprentissage, ni en emploi (NEET)

 

Afin d’obtenir un classement général des systèmes d’éducation, nous avons pris en compte les trois classements. Les notes obtenues au titre du primaire/secondaire et du supérieur comptent pour 50 % de la note finale. Elles ont été agrégées, en tenant compte du poids respectif des dépenses dédiées au primaire/secondaire et au supérieur dans chacun des pays. Les notes obtenues sur l’adéquation de l’éducation et de la formation avec le marché de l’emploi comptent elles aussi pour 50 % de la note finale.

La super-conductivité à température ambiante, nouvelle frontière technologique ?

Quelle serait la prochaine découverte d’envergure, comme le pétrole ou la semi-conductivité du silicium ? Il se pourrait bien que ce soit la super-conductivité à température ambiante. Celle-ci est de nature à révolutionner les modes de production et le confort individuel dans les années à venir.

 

Une conduction électrique parfaite

La conductivité d’un matériau représente sa capacité à résister au courant. Les matériaux conducteurs comme l’or ou le cuivre laissent facilement passer le courant. Alors que les matériaux isolants comme le caoutchouc le bloquent.

Toute l’électronique repose sur les matériaux semi-conducteurs, comme le silicium. Leur résistance est pilotable en jouant sur leur propriété. Les super-conducteurs sont des matériaux sans la moindre résistance au courant. Ces matériaux existent déjà, comme le niobium-titane, mais cette propriété intervient uniquement à la température de -263°C (pour le niobium-titane).

 

Un courant sans limites

Un matériau exploitable sans perte de courant permet un phénomène spectaculaire : la lévitation magnétique. Un train est en construction au Japon (SCMaglev) en remplacement des trains magnétiques par bobine, mais encore une fois, il faut refroidir le matériau. Un super-conducteur à température ambiante permettra de généraliser ces nouveaux trains.

Un autre phénomène spectaculaire de la superconduction est l’apparition d’effets quantiques à notre échelle, telle la jonction Josephson, alors que les effets quantiques sont plutôt réservés à l’échelle de l’atome. La généralisation des matériaux super-conducteurs généralisera aussi les ordinateurs quantiques.

Même de bons conducteurs comme l’or ou le cuivre subissent des pertes qui engendrent de la chaleur par effet Joule. Dès lors que le courant devient trop fort, le métal fond. Ce phénomène est utilisé dans l’industrie pour usiner (EDM ou forge par induction). Cependant, il s’agit bien souvent d’une contrainte qui impose une limite de courant capable de transiter dans un câble. Avec un câble super-conducteur, l’électricité de tout Paris pourrait passer dans un seul câble électrique !

Le courant peut circuler indéfiniment dans une boucle superconductrice, on peut donc l’utiliser pour stocker de l’électricité (SMES). Mais encore une fois, ce réservoir à électron nécessite des températures extrêmes, ce qui le rend trop coûteux pour une utilisation grand public.

En déverrouillant la limite du courant dans un câble, on déverrouille également les champs magnétiques à haute énergie. Ces champs vont permettre d’accroître la précision des scanners médicaux IRM, leurs résolutions étant corrélées à la puissance du champ magnétique produit. L’armée pourrait s’intéresser au canon de Gauss dans lequel un projectile est catapulté par un champ magnétique.

 

Le monde du plasma

Enfin, le champ magnétique permet la manipulation du plasma. Le plasma est le quatrième état de la matière, il se produit à haute température quand les électrons se détachent des atomes et circulent librement dans le gaz, qui devient sensible aux champs magnétiques.

Un champ magnétique permet de manipuler un plasma aussi bien en le cloisonnant dans un volume donné, en le mettant en mouvement, ou en faisant varier sa température. Les superconducteurs à température ambiante vont donc faire avancer tous les domaines autour du plasma comme le laser, la fusion nucléaire, les canons à plasma ou la recherche fondamentale.

Le super-conducteur à température ambiante représente une nouvelle frontière technologique. Il permet de faire circuler des courants sans perte et donc sans limite dans un matériau. Cela ouvre les portes des champs magnétiques à haute énergie, et avec eux le monde des plasmas.

Chacune de ces étapes représente un progrès pour l’humanité.

Universités françaises : la manne des étudiants étrangers (et leur échec scolaire)

L’adoption de la Loi immigration a provoqué un tollé inattendu dans le monde universitaire : démission du ministre de l’Enseignement supérieur (refusée par Matignon et l’Élysée), tribunes de présidents d’écoles et d’universités, interventions médiatiques multiples contre les dispositions de la loi touchant aux étudiants. C’est qu’en effet, pour beaucoup d’écoles supérieures et d’universités, l’étudiant étranger est une manne financière indispensable.

Beaucoup de professeurs se sont émus que des restrictions puissent être imposées aux étudiants étrangers : frais de scolarité plus élevés, caution de retour, suppression des aides au logement, voire sélection à l’entrée. Édouard Philippe avait déjà tenté, sans succès, de faire payer des frais d’inscription plus élevés aux étudiants étrangers, et déjà les universités s’y étaient opposées. Ce qui signifie qu’aujourd’hui c’est le contribuable français qui finance les études des étrangers qui viennent en France.

Pour beaucoup d’universités, et pour de nombreuses formations en licence et en master, la présence des étudiants étrangers est indispensable au maintien de l’existence de ces formations. C’est l’un des nombreux secrets de Polichinelle que la corporation universitaire se garde bien d’éventer : pour bon nombre de formations de piètre niveau, qui n’attirent pas les étudiants français, faire venir des étudiants étrangers permet de les remplir et donc d’assurer la survie des postes et des prébendes. Les taux d’échec de ces étudiants sont au-dessus du taux d’échec des Français (déjà très élevé) ce qui permet de faire coup double : comme ils redoublent plus, ils assurent des inscriptions pour l’année d’après, et comme un grand nombre d’entre eux disparaissent après quelques semaines, tout en restant inscrits, ils ne prennent pas de place dans les salles de cours. En général, ces formations délaissées reçoivent le bas du panier mondial, des étudiants dont le niveau réel n’a pas été vérifié en amont, ce qui ne semble poser aucun problème moral à des universitaires qui pratiquent la bonne conscience et la moraline d’usage.

Plongeons-nous dans les rapports de Campus France pour voir comment cela fonctionne dans les détails. Les chiffres cités dans l’article issu de Campus France sont extraits du rapport « La mobilité étudiante dans le monde. Chiffres clefs », Campus France, juin 2023. Campus France agrège des données collectées auprès d’organismes internationaux, comme Eurostat, l’OCDE ou l’Unesco.

 

La France à la peine dans les classements mondiaux

Les 5 premiers d’accueil de la mobilité étudiante (effectifs en 2020) :

  1. États-Unis : 957 475
  2. Royaume-Uni : 556 877
  3. Australie : 458 279
  4. Allemagne : 368 717
  5. Canada : 323 157

 

 

 

La France se classe à la 6e position avec 252 444 étudiants étrangers, soit 300 000 étudiants de moins que le Royaume-Uni, et 200 000 étudiants de moins que l’Australie. La France fait à peine mieux que les Émirats arabes unis et le Japon. Remarquons d’ores et déjà que les pays qui attirent le plus sont ceux où la sélection est la plus forte : sélection à l’entrée, frais de scolarité élevés (voire très élevés), coût de la vie étudiante, bien souvent caution pour le retour.

Alors même que les universitaires opposés aux dispositions de la loi expliquent que plus on sélectionne plus cela abîme l’attractivité étudiante. C’est tout l’inverse qui est à l’œuvre.

Le rapport note que pour l’année scolaire 2020/2021, le nombre d’étudiants étrangers en France a dépassé la barre des 400 000. Malheureusement, les chiffres pour les autres pays ne sont pas indiqués (contrairement à 2020), ce qui ne permet pas de réaliser des comparaisons.

Et encore ces données n’indiquent-elles que la quantité, mais pas la qualité. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur d’autres données, qui émanent du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, celles de la réussite en licence et master, par continent.

Il s’agit de la note d’information du SIES « Parcours et réussite des étudiants étrangers en mobilité internationale », juillet 2020.

 

Les étudiants étrangers échouent en masse

Pour l’ensemble des étudiants français et résidents étrangers, le taux d’échec en licence est de 71,6 %.

Cet immense gâchis humain et financier ne semble troubler personne. Plus de 90 % de réussite au bac pour aboutir à plus de 70 % d’échec en licence. Cet échec massif ne devrait-il pas être la première des priorités de l’université ? Et quand on parle d’échec, encore faut-il avoir à l’esprit que beaucoup de passages sont donnés ou bien facilités. Si les notations étaient à la mesure du niveau des copies, le taux d’échec serait beaucoup plus important.

Les taux d’échec varient selon les disciplines : plus important en droit et sciences politiques (71,8 %) qu’en économie (62,6 %) et lettres et sciences humaines (63,2 %). Étant professeur dans cette filière, j’ai de très gros doutes quant au fait que ce soit celle avec le plus faible taux d’échec (même s’il est très important par ailleurs). Compte tenu du niveau de maitrise de l’orthographe et de la syntaxe, c’est le cas typique de filière où les passages sont facilités.

Regardons ce qu’il en est pour les étudiants étrangers.

Taux d’échec en licence :

  • Amérique : 62,5 %
  • Afrique subsaharienne : 72,5 %
  • Maghreb : 75,4 %
  • Asie et Océanie : 61,2 %

 

Les étudiants d’Asie et d’Amérique échouent moins que les Français, ceux d’Afrique échouent davantage. Ce qui se vérifie également dans les masters, où les taux d’échec oscillent entre 60 % et 50 %. Pour le dire autrement, près des deux tiers des étudiants africains qui viennent en France échouent en licence. Certains mettront 4 ans pour obtenir une licence, d’autres finiront par s’évaporer de l’université, mais le visa étudiant leur aura permis de venir légalement en France. Une telle boucherie étudiante ne semble pas, là non plus, émouvoir les universitaires qui y voient au contraire un élément « du rayonnement de la France ».

Ces données sont pourtant terribles : la France accueille moins d’étudiants que les grandes nations, elle sélectionne très peu, et ceux qui viennent sont, pour les deux tiers d’entre eux, d’un niveau faible voire très faible. Cela finit par se savoir, dans les pays émetteurs, que les meilleurs vont aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne, et que le bas du panier va en France. On peut faire mieux en termes d’attractivité et de rayonnement.

Les taux d’échec en master sont eux aussi colossaux : 62,5 % pour les étudiants d’Afrique subsaharienne, 50 % pour les étudiants asiatiques, 56,5 % pour les étudiants français. Après l’obtention d’une licence, de tels taux d’échec sont anormaux. Ils démontrent que la sélection n’a pas lieu et que beaucoup d’étudiants servent à remplir des formations impasses qui n’attirent pas. Les universitaires seraient beaucoup plus crédibles s’ils dénonçaient ce carnage humain.

Le tri universitaire

Dans son rapport de juin 2023, Campus France constate que les principaux pays d’où sont originaires les étudiants étrangers sont le Maroc, l’Algérie, la Chine, l’Italie, le Sénégal. L’Afrique du Nord Moyen-Orient est la zone d’origine la plus importante (29 %), la deuxième étant l’Europe (25 %). Sur cinq ans (2018-2023), la plus forte hausse concerne les étudiants venus d’Afrique subsaharienne (+40 %).

Au total, 13% des étudiants en France sont étrangers. Quant à leur répartition, les étudiants internationaux sont inscrits, pour les deux tiers d’entre eux, à l’université (65 %), puis en écoles de commerce (14 %), en écoles d’ingénieurs (7 %) et en formations en lycée (classes préparatoires notamment – 5 %). Avec des typologies par continent très différentes.

Ceux qui sont inscrits à l’université proviennent essentiellement d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, alors que les Asiatiques ne représentent que 10 % du total. Mais, en école de commerce comme en école d’ingénieurs, les étudiants asiatiques représentent plus du tiers des étudiants étrangers, et les étudiants d’Afrique subsaharienne à peine 15 %. Chaque établissement capte son marché étudiant sur des zones géographiques précises et déterminées.

L’origine des doctorants est elle aussi différente de l’origine de l’ensemble des étudiants puisque le pays le plus représenté est la Chine, suivi du Liban, de l’Italie et de l’Algérie.

Les universitaires ont raison de dire que l’attractivité de la France est un enjeu de puissance. Mais pour que cela soit effectif encore faut-il attirer les meilleurs étudiants, et ne pas se servir des Lumières de la France pour combler des filières et des formations bouchées dans le seul but de les maintenir en existence afin de sauver les postes et les prébendes. Plutôt qu’une fausse démission, le ministre de l’Enseignement supérieur aurait dû s’attaquer à ce chantier essentiel.

Taxation des sociétés d’autoroutes, attention au retour de bâton

Un article de l’IREF.

L’article 15 du projet de loi de finances pour 2024 prévoit l’instauration d’une nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance affectée à l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) de France.

Cette taxe vise les exploitants qui affichent une rentabilité supérieure à 10 %, et son montant est déterminé par l’application d’un taux de 4,6 % aux revenus d’exploitation qui excèdent 120 millions d’euros. Le produit annuel prévisionnel de la taxe serait de 600 millions d’euros, réparti entre les sociétés concessionnaires d’autoroutes (pour environ 450 millions d’euros) et les principaux aéroports (pour environ 150 millions d’euros).

L’objectif affiché ? Participer au financement de la transition écologique du secteur des transports. Initialement, seules les sociétés d’autoroutes devaient être mises à contribution. Mais l’État avait alors oublié que la création d’une taxation spécifique aux sociétés autoroutières l’obligerait à compenser les conséquences financières, au titre de la clause de stabilité fiscale prévue par les contrats de concessions autoroutières. Pour éviter d’être soumis à cette obligation, les aéroports ont, dans un second temps, été placés dans le champ d’application de la taxe.

Cela sera-t-il suffisant pour éviter une longue et coûteuse procédure contentieuse avec, à la clef, une issue défavorable à l’État, c’est-à-dire aux contribuables ?

Rien n’est moins sûr. Dans un avis rendu le 8 juin 2023, le Conseil d’État a en effet précisé :

« Toute nouvelle contribution qui, sans viser explicitement les sociétés concessionnaires d’autoroutes, aurait pour effet pratique, compte tenu de ses modalités, de peser exclusivement ou quasi exclusivement sur elles pourrait […] ouvrir à ces sociétés un droit à compensation ».

Au regard des intentions initiales du gouvernement, il n’est pas exclu que la juridiction administrative considère que cet « effet pratique » est ici caractérisé. De son côté, le juge constitutionnel estime que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Or, d’après l’avis rendu par le Conseil d’État, les différents motifs invoqués par le gouvernement ne permettraient pas d’éviter une censure par le Conseil constitutionnel…

 

La hausse des tarifs dans les ports (Le Havre et Marseille) et aéroports (ADP notamment) visés par cette taxe aura pour effet de les rendre moins compétitifs

Si cette compensation financière venait à être obtenue des juridictions saisies, elle se traduirait sans doute par une autorisation donnée aux concessionnaires  de répercuter cette taxe nouvelle dans les tarifs des péages, pénalisant ainsi les usagers du réseau autoroutier.

De la même manière, la hausse des tarifs dans les ports (Le Havre et Marseille) et aéroports (ADP notamment) visés par cette taxe aura pour effet de les rendre moins compétitifs, en un mot de les affaiblir.

Cédant à un réflexe taxateur, les décideurs publics semblent de surcroît oublier que, concomitamment aux investissements publics, la transition écologique du secteur des transports appelle des investissements privés qu’un cadre juridique instable et peu prévisible n’est pas de nature à favoriser…

Sur le web.

Fermeture des classes prépas : l’enseignement supérieur français face à ses contradictions

À la rentrée 2024, le rectorat de Paris prévoit la fermeture de plusieurs classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), dont une classe économique commerciale et générale (ECG) au lycée Jacques-Decour, et une classe hypokhâgne au lycée Lamartine à Paris. Cette décision a créé une micro polémique dans le milieu universitaire.

Selon Denis Choimet, porte-parole de la Conférence des classes préparatoires et président de l’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques :

« La prépa ECG du lycée Jacques-Decour accueille 30 % de boursiers du secondaire ; aucun des étudiants de l’hypokhâgne du lycée Lamartine n’a eu mention très bien au bac, et toutes ces classes sont massivement féminines. Enfin, la filière adaptation technicien supérieur accueille des titulaires d’un BTS ou d’un DUT, c’est un fer de lance de la promotion sociale. »

 

L’inflation des diplômes va de pair avec la création d’une multitude de cursus au faible niveau d’exigence

Le recteur Christophe Kerrero justifie ces fermetures au nom de places vacantes, et affirme qu’elles devraient s’accompagner de deux nouvelles prépas en trois ans, destinées à des bacheliers professionnels.

Ce « plan d’ajustement » s’inscrit dans la dynamique engagée ces dernières années. L’inflation des diplômes va de pair avec la création d’une multitude de cursus au faible niveau d’exigence, au prétexte de donner à tous un accès aux études supérieures : entre les BTS, les licences professionnelles, les BUT en trois ans (anciennement DUT en deux ans) et demain, les CPGE dont le niveau n’équivaut en rien celui des prépas les plus sélectives destinées aux bacheliers généraux. Un marqueur assez fort de cette évolution renvoie au concours Miss France : les sans diplômes ou titulaires d’un CAP, BEP ou équivalent étaient bien plus nombreuses en 2009 qu’elles ne le sont aujourd’hui, où la plupart ont un niveau bac+5.

C’est tout le paradoxe du système français qui promeut l’égalitarisme avec la gratuité, la non-sélection à l’université et l’inflation des diplômes, tout en conservant un système qui encourage la reproduction sociale des élites avec les prépas et les grandes écoles. Les classes préparatoires peuvent évidemment être perçues comme le trésor de notre modèle d’instruction, qui n’a pas vraiment d’équivalent dans d’autres pays. Elles illustrent aussi, d’une certaine manière, l’hypocrisie d’un système éducatif qui nivelle par le bas et réduit l’accès des élèves défavorisés aux meilleures formations.

 

La méritocratie fonctionne mieux dans les pays aux modèles éducatifs plus libres et décentralisés

La distinction entre université et grandes écoles n’existe nulle part ailleurs qu’en France. En Suisse par exemple, les hautes écoles universitaires (HEU) incluent les universités cantonales et les écoles polytechniques fédérales, et les hautes écoles spécialisées (HES) sont axées sur la pratique. Les filières d’apprentissage sont valorisées du fait d’une plus grande présence des entreprises dans le monde éducatif et de partenariats développés avec les écoles. En 2022, 60 % des jeunes Suisses envisageaient une formation en apprentissage après la fin de leur scolarité obligatoire. En France, la confrontation précoce au marché du travail et à la réalité du monde de l’entreprise n’est courante que chez les élèves issus de filières professionnelles socialement dévalorisées.

À bien des égards, le modèle éducatif suisse est moins élitiste, et plus méritocratique, que le système éducatif français : il est tout à fait possible de s’inscrire à l’université sans certificat de maturité – l’équivalent du baccalauréat. Il n’en demeure pas moins sélectif : environ 42 % de Suisses en sont diplômés (toutes maturités confondues), contre 83 % de bacheliers en France en 2021. Il existe également des passerelles dans chaque filière pour faciliter les changements d’orientation et les évolutions de parcours. Comme dans la plupart des autres pays européens, l’obsession des diplômes n’a pas non plus lieu d’être : le diplôme n’est pas un graal qui signe la réussite ; il n’est qu’un marqueur du début de la vie professionnelle.

La Suisse n’est pas le seul exemple : les pays nordiques ont connu une réforme de leurs systèmes éducatifs centralisés à la fin des années 1980 avec davantage de liberté pédagogique, de liberté dans l’affectation et l’utilisation des ressources, de concurrence avec le privé, et de chèques-éducation pour garantir l’égalité des chances. La France, qui n’a jamais connu de réforme structurelle de son modèle éducatif, est le pays dans lequel l’origine sociale a encore une forte influence dans l’accès à une éducation de qualité.

Les consommateurs victimes des lois censées les protéger

Un article de Philbert Carbon.

La Fondation Valéry Giscard d’Estaing – dont le « but est de faire connaître la période de l’histoire politique, économique et sociale de la France et de l’Europe durant laquelle Valéry Giscard d’Estaing a joué un rôle déterminant et plus particulièrement la période de son septennat » – a organisé le 6 décembre 2023 un colloque intitulé : « 45 ans après les lois Scrivener, quelle protection du consommateur à l’heure des plateformes et de la data ? ».

 

Protection ou infantilisation du consommateur ?

Christiane Scrivener, secrétaire d’État à la Consommation de janvier 1976 à mars 1978, fut à l’origine des deux lois qui portent son nom.

La loi du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, dite loi Scrivener I, impose aux établissements de crédit d’apporter un minimum d’information et de protection à l’emprunteur.

Parmi les dispositions de la loi figuraient :

  • l’obligation de formaliser l’offre de crédit par un contrat ;
  • la liste des mentions obligatoires des offres (montant du crédit, TAEG, durée, montant à rembourser, montant des frais, etc.) ;
  • la remise d’un échéancier prévisionnel reprenant la part d’assurance, de capital remboursé et de capital restant dû chaque mois ;
  • un délai de rétractation de 7 jours ouvrés après la signature.

 

La loi Scrivener II du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, avait comme objectif principal de lutter contre le surendettement. Elle venait compléter la loi Scrivener I dans le domaine des prêts immobiliers, imposant, notamment :

  • l’édition d’un tableau d’amortissement détaillé ;
  • l’indication du montant des frais de dossier ;
  • un délai de réflexion de 30 jours francs avec un délai minimum de 10 jours à compter de la réception de l’offre.

 

D’autres lois viendront par la suite compléter ce dispositif légal. Le site de l’Institut national de la consommation (INC) recense pas moins de 75 lois intéressant le consommateur entre 1982 et 2020, comme les lois Quillot (1982), Neiertz (1982), SRU (2000), Chatel (2005 et 2008), Lagarde (2010) ou bien Hamon (2014).

La dernière en date étant celle du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale, et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Nous pouvons comprendre que la loi érige quelques règles de bonne conduite entre les entreprises et leurs clients, et donne un cadre aussi bien aux unes qu’aux autres. Mais vouloir entrer dans les moindres détails et multiplier les textes réglementaires revient à considérer le consommateur – à l’instar du salarié – comme un individu faible et irresponsable qui a besoin d’être protégé de lui-même.

Reprenons l’exemple de la loi Scrivener II qui introduit un délai de réflexion de 30 jours francs lorsque l’on contracte un prêt immobilier. Elle fixe aussi un délai minimum de 10 jours dont personne ne peut s’affranchir. C’est-à-dire que l’emprunteur peut signifier à sa banque qu’il accepte le prêt à compter du onzième jour de la réception de l’offre de crédit (et donc ne pas attendre les 30 jours), mais il ne peut le faire dès le deuxième jour. N’est-ce pas le considérer comme un enfant mineur qui ne sait pas ce qu’il fait ?

De même, alors que la loi Scrivener I prévoyait un délai de rétractation de 7 jours après la signature d’un crédit à la consommation, la loi Lagarde de 2010 l’a porté à 14 jours. Le délai de rétraction est aussi de 14 jours en cas de vente à distance (internet, téléphone, voie postale ou fax), par exemple. N’est-ce pas prendre le consommateur pour quelqu’un qui ne réfléchit pas suffisamment avant de prendre une décision ?

 

Des protections qui se retournent contre le consommateur

Dans le domaine du logement, l’IREF a démontré à maintes reprises comment les dispositions censées protéger les locataires se retournaient contre eux.

Ainsi les lois prises entre 1914 et 1923 aboutirent-elles à bloquer les loyers et à décourager la construction de logements. La fameuse loi de 1948 statufia le parc locatif, les locataires ne bougeant plus de chez eux afin de conserver leur loyer bloqué. Les récentes lois figeant ou encadrant les loyers ont pour conséquence de réduire le nombre de bailleurs qui préfèrent se tourner vers la location de courte durée de type Airbnb. L’interdiction des expulsions locatives entre le 1er novembre et le 31 mars a aussi pour résultat de décourager les propriétaires de louer leurs biens.

Autre exemple avec la loi Lemoine de février 2022 « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » qui a, notamment, supprimé le questionnaire médical pour une large partie des emprunteurs, en l’occurrence ceux dont le prêt assuré est inférieur ou égal à 200 000 euros et qui le remboursent avant l’âge de 60 ans. L’objectif de cette mesure était d’éliminer les discriminations dont étaient victimes, au moment de souscrire une assurance-emprunteur, les personnes présentant des risques de santé. Ces « discriminations » consistaient à appliquer des surprimes ou des exclusions de garanties. Depuis le 1er juin 2022 (entrée en vigueur de la loi), les assureurs ne peuvent donc plus interroger leurs clients qui répondent aux deux critères mentionnés plus haut. Cela concerne plus de 50 % des emprunteurs.

Les effets pervers de cette loi sont évidents et se sont déjà fait sentir, nul besoin d’attendre le rapport que le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) doit produire au plus tard d’ici février 2024.

En effet, faute de pouvoir évaluer correctement le risque, certains assureurs préfèrent ne pas traiter avec les personnes couvertes par la loi Lemoine et, par conséquent, ne produisent même pas de devis. D’autres ont choisi d’augmenter leurs tarifs – de 15 % à 30 % – pour tout le monde. Enfin, une dernière catégorie a changé les conditions générales des contrats qui comportent désormais des exclusions « tendant à amoindrir ou annuler la prise en charge des pathologies antérieures à l’adhésion quand les personnes ne répondent pas à un questionnaire médical ».

En résumé, l’emprunteur – qui n’a pas vraiment lu des conditions générales car il se sait bien protégé par la loi Lemoine – se croit couvert pour certains risques alors qu’il ne l’est pas.

 

La protection par la concurrence

Finalement, la loi Lemoine aboutit à restreindre le choix des consommateurs (ils ont moins d’offres), à augmenter le coût des assurances et à réduire la protection des clients.

En réalité, nombre de lois de protection des consommateurs reviennent à ériger des barrières à l’entrée du marché, c’est-à-dire à empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs. Au contraire, quand la concurrence fonctionne à plein, les entreprises recherchent les meilleurs moyens de servir les clients. Offrir plus de choix aux consommateurs est une bonne manière de les protéger.

Qui est le mieux protégé aujourd’hui ? Le voyageur français du XXe siècle qui pour se déplacer n’avait le choix, en simplifiant, qu’entre les monopoles d’Air France, de la SNCF et des taxis ? Ou celui du XXIe siècle qui peut se tourner vers les compagnies aériennes low cost comme Ryanair ou easyJet, la compagnie ferroviaire italienne Trenitalia, les VTC, les cars Macron ou le covoiturage ? La libéralisation du marché du transport – qui est loin d’être terminée – a mieux servi les consommateurs que la plupart des lois prétendument protectrices.

Renforcer la concurrence devrait être le cheval de bataille de tous ceux qui prétendent vouloir protéger les clients, au premier rang desquels les associations de consommateurs. Au lieu de cela, elles réclament toujours plus de contraintes pour les entreprises, pénalisant ceux qu’elles sont censées défendre.

Sur le web.

La saga pétrolière sud-africaine des barils enfouis d’Ogies, dans l’impasse depuis près de dix ans, pourrait se dénouer à Genève

En Afrique du Sud, dans la ville d’Ogies, située près de Johannesburg, se trouve une réserve de pétrole brut longtemps oubliée, appartenant à l’État sud-africain. Six à huit millions de barils y sont encore enfouis sous terre, dans une ancienne mine à charbon, après avoir été stockés par le régime de l’apartheid à la fin des années 1960. Cette réserve pourrait rapporter environ 500 millions de dollars américains à l’État. S’il arrivait à remettre la main dessus…

 

Retour sur l’affaire d’Ogies

Le South Africa’s Strategic Fuel Fund (SFF) tente en effet d’accéder à ces réserves depuis 2014. Depuis qu’il a attribué à la société Enviroshore Trade and Logistics, basée à l’époque à Durban, un contrat pour extraire le brut et nettoyer les boues pétrolières. Mais près de dix ans plus tard, le projet est à peine amorcé, bien qu’Enviroshore – rebaptisée entretemps Uwoleya Environmental Services avant d’être liquidée – ait reçu près de deux milliards de rands (environ 98,5 millions de francs suisses) pour couvrir ses frais de fonctionnement. Malheureusement, cette somme semble avoir été détournée vers un réseau opaque de comptes bancaires étrangers et d’entités locales sud-africaines. Si une telle malversation était avérée, ce serait un pillage d’une ampleur monumentale, digne de l’époque révolue des colonies…

Deux personnages baigneraient au cœur de ce scandale : un ancien banquier d’affaires basé à Genève et un magnat de l’immobilier de Durban, sur la côte Est de l’Afrique du Sud. Tous deux étaient alors à la tête d’Enviroshore.

Après avoir remporté le contrat Ogies, ils ont emprunté, via Enviroshore, six millions de dollars à Vitol SA, le principal négociant en pétrole de Genève. Cette somme était destinée à couvrir leurs frais de fonctionnement. Cela ne semblant pas suffire, ils ont utilisé leurs contacts au sein du gouvernement de Jacob Zuma, alors président de l’Afrique du Sud, pour obtenir un nouveau prêt de 300 000 barils de pétrole brut du SFF. Enviroshore a ainsi été autorisée à vendre ces barils, à condition que les recettes soient utilisées exclusivement pour le projet Ogies, et remboursées dans un délai maximum de « six mois – quelle que soit la quantité de produit récupérée à Ogies ». Equinoxe Investments SA, société genevoise appartenant à l’ancien banquier privé, a alors fourni à la SFF une garantie de bonne fin en avril 2015, garantissant qu’Enviroshore rembourserait les 300 000 barils à la SFF selon les termes de l’accord de prêt.

Enviroshore a ainsi réussi à vendre ces barils à Mercuria Energy Trading SA, un important négociant suisse, pour 14,65 millions de dollars. Suite à cette transaction, en avril 2015, les dirigeants de Mercuria ont trouvé un accord de stockage avec le SFF qui leur permettait de prendre livraison du pétrole brut à une date ultérieure. L’idée était d’attendre que les prix soient plus élevés, afin de maximiser la revente. Du moins, le pensaient-ils… Car, vers décembre 2017, la SFF a empêché Mercuria d’accéder aux barils. Motif : il s’agissait de « stocks stratégiques de carburant  » de l’État. La SFF avait en effet résilié les contrats d’Enviroshore en mai 2017, sur le prétexte que cette compagnie n’avait ni remboursé le prêt ni fait de progrès significatifs dans le cadre du projet Ogies. Lésée, Mercuria a alors lancé une action en justice contre la SFF, car cette dernière, au moment de l’achat, avait fourni une confirmation écrite que les barils n’étaient pas grevés et qu’Enviroshore avait le droit de les vendre. Des représentants de la SFF se sont alors rendus en Suisse pour rencontrer le dirigeant d’Equinoxe et réclamer un paiement au titre de la garantie de bonne fin. En vain. Equinoxe et son dirigeant n’ont jamais remboursé la SFF, ni rempli leurs obligations de garantie.

 

Des opérations douteuses

L’histoire ne s’arrête pas là. Mercuria est loin d’être la seule compagnie ayant subi un préjudice. Les deux partenaires, en tant que directeurs d’Enviroshore Project Financing Limited, société basée cette fois à l’île Maurice, ont également levé 40 millions de dollars supplémentaires fin novembre 2017 auprès d’investisseurs internationaux de Genève et de Singapour. En omettant apparemment de divulguer dans le mémorandum d’information et la data room les deux mises en demeure adressées par la SFF à Enviroshore, et qui résiliaient ainsi tous les accords et contrats. Il semblerait que l’ancien banquier privé n’ait pas non plus révélé que la SFF lui avait demandé par écrit, mais aussi en personne dans ses bureaux, le remboursement intégral du prêt.

La banque Absa a également prêté à Enviroshore environ cinq millions de dollars supplémentaires, intérêts compris. Cette fois, on trouve comme co-garants du prêt le magnat immobilier sud-africain et son fils, directeur et actionnaire de Multiply Group, société de capital-investissement de premier plan à Durban.

Toutes ces opérations semblent d’autant plus douteuses que le fondateur d’Envisohore, Arthur Potts, n’a pas hésité à affirmer devant la justice que les deux partenaires ont mis au point un plan visant à extraire de l’argent d’Afrique du Sud vers la Suisse, tout en sachant pertinemment ce qui était dû à la SFF.

De son côté, Enviroshore affirme qu’elle ne peut pas rembourser ses créanciers parce que les fonds auraient été dépensés pour le projet Ogies. Affirmation difficile à croire à la vue des rares progrès réalisés, alors que les deux associés ont levé environ 60,65 millions de dollars. Malgré cette somme, ils n’auraient donc pas réussi à extraire un seul baril de pétrole de l’ancienne mine, près d’une décennie plus tard. Comment est-ce possible ? Et, surtout, où est passé cet argent ? Aurait-il servi à financer des intérêts personnels ?

 

Une affaire d’évasion fiscale ?

Les réponses à ces questions ne sont pas encore claires. Pour l’instant, il semblerait que des millions de dollars auraient transité vers divers comptes bancaires liés aux deux hommes et répartis dans le monde entier. On en trouve notamment dans les îles anglo-normandes, à Dubaï et à l’île Maurice. Autre détail troublant : les transferts de plusieurs millions repérés entre les différentes sociétés des deux partenaires.

De plus, Equinoxe et GCChart Limited, une autre société de l’ancien banquier genevois, ont également soumis à Enviroshore des factures d’un montant total d’environ trois millions de dollars, prétendument pour des services liés à l’organisation de la vente de 300 000 barils à Mercuria. Cependant, d’autres documents montrent que ces trois millions de dollars auraient en fait été destinés au projet de luxe Domaine D’Orsay SA, dans la station de ski Villars-sur-Ollon. Station où, ironiquement, le CEO de Mercuria possède un chalet… De plus, une déclaration sous serment d’Arthur Potts indique que la vente des 300 000 barils à Mercuria a été organisée par lui-même et Oliver Hancock, négociant chez Mercuria, ce qui laisserait penser que les factures d’Equinoxe et de GCChart émises à l’intention d’Enviroshore correspondraient à des services fictifs. La société Conduit Investments Limited, basée dans les îles anglo-normandes et propriété du magnat immobilier de Durban, a également versé à la société Equinoxe Investments un montant supplémentaire d’environ 1,3 million de francs suisses destinés au Domaine d’Orsay, mais les accords contractuels n’ont toujours pas été signés par le Sud-Africain. Ce qui pourrait renforcer les soupçons sur le rôle exact joué par son associé genevois dans ce montage financier.

Pour ne rien arranger, cet argent semble avoir été sorti d’Afrique du Sud et envoyé en Suisse sans l’approbation de la Reserve Bank of South Africa Exchange Control, et sans déclaration de revenus dans ce pays. Si tel était le cas, il s’agirait d’une violation des lois locales sur le contrôle des capitaux, pratique tout à fait illégale. Et qui pourrait également s’apparenter à de l’évasion fiscale en vertu du droit suisse ! Or, Equinoxe et son propriétaire genevois auraient disposé et bénéficié d’au moins trois millions de dollars qui auraient appartenu à Enviroshore…

La liste est longue ! Les deux partenaires doivent aujourd’hui faire face à de sérieuses accusations. Il conviendra naturellement à la justice de déterminer si cet imbroglio résulte, au minimum, d’une importante malversation financière ou, au pire, d’une fraude pure et simple. Car, bien qu’Enviroshore/Uwoyela ait depuis été liquidée, les enquêtes et les procédures judiciaires se poursuivent.

Les avocats représentant les investisseurs lésés lors de la levée de fonds de 40 millions de dollars ont ainsi déposé des plaintes contre les différentes parties, notamment pour la non-divulgation d’informations primordiales, dont les deux lettres de résiliation de SFF, datant de mai 2017, et des documents établissant que la SFF avait visité l’ancien banquier privé dans les bureaux d’Equinoxe Genève pour réclamer le remboursement dû selon les termes du contrat.

Le cabinet de conseil en finance et en gestion des risques Kroll a également été engagé par des investisseurs internationaux pour réaliser un audit judiciaire complet, et découvrir ce que sont devenus ces millions. Le liquidateur d’Enviroshore, quant à lui, réclamerait à l’ancien banquier privé genevois de payer au moins les trois millions de dollars que ses sociétés suisses semblent avoir fait sortir illégalement d’Afrique du Sud, alors qu’en tant que bénéficiaire effectif d’Equinoxe, il était le garant de la bonne exécution de la vente à Mercuria des 300 000 barils de pétrole brut de la SFF.

 

Incompétence ou criminalité ?

La véritable nature de cette débâcle sera bientôt connue. Quelle qu’en soit la cause, le coût caché pour l’Afrique du Sud est déjà conséquent. Non seulement les deux hommes ont fait perdre près d’une décennie à cet État et l’ont empêché d’accéder à ces réserves de pétrole qui pourraient être utilisées au profit de la nation, mais ils ont également prolongé le risque écologique important que les réserves inaccessibles font peser sur l’environnement d’Ogies.

Car l’objectif du projet d’extraction n’était pas seulement d’accéder au pétrole pour des raisons financières ou énergétiques, mais aussi de le nettoyer et d’éliminer les risques de contamination des cours d’eau souterrains des environs. Les terres situées au-dessus du pétrole brut sont utilisées pour la culture du maïs. Une eau polluée aurait donc des effets directs sur la population et le bétail.

Aucun de ces risques ne semble avoir gêné les deux partenaires qui, par ineptie ou par cupidité, auraient donc spolié les investisseurs, privé l’État des réserves de carburant qu’il possède et exposé les habitants d’Ogies à des années de pollution souterraine. Tout cela, peut-être, pour le bénéfice financier de leurs propres projets…

Cryptomonnaies, comptes en ligne, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises

Les auteurs : Jacques Amar est Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D à l’Université Dauphine-PSL et docteur en sociologie à l’Université Paris Dauphine – PSL. Arnaud Raynouard est Professeur des universités en droit, CR2D à l’Université Dauphine-PSL.

 

Par un arrêté en date du 13 novembre 2023, le ministère de l’Économie et des Finances a bloqué, pour une durée de six mois :

« les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par Mohammed Deif (commandant la milice armée du Hamas), ainsi que les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par M. Mohammed Deif ou agissant sciemment pour son compte ou sur instructions de celui-ci. »

Un arrêté en date du 30 novembre 2023 a adopté des dispositions similaires à l’encontre de Yahya Sinouar, le chef politique du Hamas à Gaza. La lecture de ces arrêtés ne manque pas de surprendre : comment les dirigeants du mouvement à la tête de la bande de Gaza ont-ils pu ouvrir des comptes en France en dépit du fait que le Hamas est inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (UE) ?

En effet, un règlement du Conseil européen prévoit le gel de tous les fonds et autres avoirs financiers appartenant aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste du règlement d’exécution n° 2022/147. Aucun fonds, aucun avoir financier, ni aucune ressource économique ne peuvent être mis directement ou indirectement à la disposition de ces personnes, groupes et entités.

 

La voie des néo-banques

Formellement, le Hamas ainsi que d’autres organisations palestiniennes sont expressément nommés dans les textes communautaires. Il n’en est pourtant pas de même de leurs dirigeants. Les arrêtés précités ne viendraient donc que spécifier l’arsenal des dispositions européennes en désignant nommément deux des dirigeants du Hamas. Qui peut le plus peut le moins…

Quant à la réglementation bancaire française, les textes tendraient à rendre pratiquement impossible l’ouverture d’un compte bancaire par un membre d’une organisation terroriste. Pratiquement, un non-résident de l’UE qui souhaite ouvrir un compte en France doit se présenter physiquement dans une agence et présenter un justificatif d’identité et un justificatif de domicile.

La démarche est évidemment loin d’être évidente pour une personne qui vit en clandestinité. Ou alors elle doit passer par une banque en ligne (et accessible localement). En l’état actuel, ni Gaza ni l’Autorité palestinienne ne semblent bénéficier de l’accès à de tels services bancaires en ligne, à la différence de la Jordanie et du Qatar. Il est alors parfaitement possible d’effectuer des transferts en utilisant ces néo-banques. L’autorité bancaire britannique de régulation a d’ailleurs expressément dénoncé, dès avril 2022, les possibilités de blanchiment qu’offraient ces nouvelles enseignes.

 

« Know your client »

L’Autorité palestinienne ne disposant pas d’une monnaie nationale, il est parfaitement possible d’y transférer des euros ou des dollars. Et comme c’est l’un des rares endroits au monde où des transferts conséquents d’argent ont lieu en cash, les règles anti-blanchiment qui structurent le système bancaire international trouvent difficilement à s’appliquer.

À s’en tenir toujours à la réglementation bancaire française, un autre obstacle surgit :

« Lorsqu’une personne […] n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle n’exécute aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et n’établit ni ne poursuit aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie […], elle y met un terme. »

C’est le principe, exigeant désormais, du KYC_, « k_now your client » (« connais ton client »). Autrement dit, à supposer que le compte ait été ouvert, il est difficile pour la banque d’effectuer des transferts à l’étranger à partir du moment où la nature de l’opération a un lien avec le financement d’une activité terroriste. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à des poursuites pour complicité de blanchiment. Même si le titulaire du compte n’est pas expressément visé par une interdiction, il ne peut donc pas forcément l’utiliser. Les arrêtés adoptés tiennent compte de cette situation et cherchent donc à empêcher, indistinctement, la « mise à disposition directe ou indirecte » des fonds.

 

Cagnottes en ligne et cryptomonnaies

Dans son ouvrage L’abécédaire du financement du terrorisme, la sénatrice Nathalie Goulet a recensé les différentes techniques utilisées pour collecter de l’argent afin de financer des opérations ou une organisation terroriste, tout en échappant aux foudres des instances de régulation du secteur bancaire.

L’éventail est large, et le conflit en cours confirme que toutes les techniques recensées sont mobilisées par les organisations terroristes. Il en va ainsi des cryptomonnaies en raison de la difficulté pour les autorités de contrôler leur conversion dans une monnaie ayant cours légal. Ou alors de l’ouverture d’une cagnotte en ligne par une association : l’objectif affiché est louable – le financement d’un hôpital à Gaza, par exemple ; il n’est cependant pas possible de vérifier l’affectation de l’intégralité des fonds.

Autre situation de plus en plus fréquente, le recours à des organisations non gouvernementales (ONG). Dès 2013, le Conseil de l’Europe signalait que les ONG pouvaient servir à blanchir de l’argent et financer le terrorisme. Depuis, de nombreuses structures ont adopté ce format institutionnel pour collecter de l’argent à des fins terroristes. Vouloir empêcher que des fonds soient mis à la disposition d’une organisation terroriste ou d’une personne précise implique donc un renforcement des contrôles aussi bien de certaines opérations aussi banales que les cagnottes que des structures de collecte de fonds.

 

Ambiguïté

Finalement, mais il n’est pas certain que ce soit l’effet recherché par le ministère de l’Économie et des Finances, la publication des arrêtés affiche au grand jour les failles du système bancaire français ; où l’on découvre, à cette occasion, que le régime de contrôle financier mis en œuvre n’empêche nullement un terroriste ou une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.

Nous ne savons pas si les arrêtés de Bercy auront un réel impact sur les finances des personnes concernées. Le ministère de l’Économie et des Finances n’a d’ailleurs ni confirmé ni infirmé que les personnes visées disposaient ou non d’avoirs en France, et cette ambiguïté fait courir un risque aux banques françaises.

Sur le fondement du Patriot Act, les Américains peuvent parfaitement s’arroger le droit de diligenter des poursuites à leur encontre en raison de leurs contributions au financement du terrorisme. Bref, en ce domaine, il est particulièrement difficile et critiquable de se contenter d’effets d’annonces.

Vous pouvez retrouver cet article en ligne ici.

Pourquoi la gauche caviar universitaire américiane tolère les appels au génocide d’Israël

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que la présidente du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Pamela Nadell, ont chacune honteusement soutenu que « manifester sur le campus pour exiger le génocide des juifs » n’était pas en soi une forme de harcèlement inacceptable et passible de sanctions. « Tout dépend du contexte et du passage à l’acte, ou non, des auteurs de ces mots » ont précisé ces fières et éminentes incarnations de l’idéologie woke.

 

Sur les campus américains, la peur et l’humiliation subie par des milliers d’étudiants juifs ne pèsent pas lourd

Dans ces nobles institutions, si l’on qualifie quelqu’un de « gros » même dans un contexte affectueux,  on se fait rapidement sanctionner pour harcèlement et stigmatisation odieuse. Si l’on appelle « monsieur » une jeune personne qui était de sexe masculin mais qui est en train d’achever sa transition vers le genre féminin, on est également passible de sérieuses réprimandes. Pour ne pas marginaliser ou offenser les transgenres et les non-genrés, les toilettes pour hommes et les toilettes pour femmes ont été abolies dans plus de 420 universités américaines. Elles sont remplacées par des lieux dits « de genre inclusif ». En revanche il est acceptable, tant que l’on ne tue personne, de manifester pour éliminer tous les juifs d’Israël et faire disparaître leur État.

La priorité de l’enseignement porte sur le combat de la colonisation, crime dont Israël est déclaré coupable aujourd’hui. Pour la gauche woke qui détient le pouvoir dans les universités, c’est ce même crime qui a été commis par les Européens lorsqu’ils ont débarqué en Amérique. Et le crime colonial continue, puisque des Blancs dominent toujours économiquement les États-Unis, par le racisme et la violence policière.

Parce qu’ils sont « progressistes », de gauche, drapés dans des drapeaux palestiniens, les étudiants fanatisés ont le droit d’arracher les affiches des otages juifs du Hamas, de nier la torture infligée par ces terroristes, notamment à des enfants et des vieillards. Leurs manifestations fleuves accusent aussi Israël d’être responsable des massacres du 7 octobre, car c’est « l’oppression par les Juifs qui pousse les Palestiniens à des actes légitimes de résistance ».  Tout cela sous le regard tolérant de l’extrême gauche caviar qui gère ces institutions selon une échelle de valeurs prétendument « inclusive ».

Encore plus ahurissant, les trois présidentes se sont vu offrir par la représentante républicaine de New York, diplômée de Harvard, Elise Stefanik, en direct et à plusieurs reprises, la possibilité de dire « non, ces appels au génocide ne sont pas – par définition –  acceptables ». Et à chaque fois, elles ont refusé de le faire. Ce n’est que le lendemain, constatant le tollé suscité par leurs scandaleuses affirmations, qu’elles ont cherché à corriger le tir. Il aura fallu que la Maison-Blanche, le gouverneur de la Pennsylvanie et de riches donateurs privés à ces universités, notamment des banquiers et investisseurs de Wall Street, s’alarment, pour qu’elles fassent leur mea culpa.

On sent bien hélas que leur revirement est davantage lié à leur effort désespéré pour ne pas être démises de leurs fonctions par le conseil d’administration, qu’à leur découverte soudaine de la monstruosité de leurs affirmations. Claudine Gay, avec la froideur et l’arrogance tranquille qu’on lui connaît, s’était déjà illustrée au lendemain du 7 octobre, en laissant un vaste mouvement pro-Hamas submerger le campus de Harvard. « Le silence de la direction de Harvard, jusqu’à présent, associé au communiqué largement publié de groupes d’étudiants accusant Israël d’être l’unique responsable, a permis à Harvard de paraître, au mieux, neutre face aux actes de terreur contre l’État juif d’Israël »  déplorait ainsi Larry Summers, lui-même ancien président de l’université et ancien conseiller de Barack Obama.

 

Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme »

Rien de tout cela ne peut être compris si l’on ne replace pas les événements dans le contexte de domination de l’extrême gauche caviar qui affecte les universités américaines. Voilà des années que les penseurs, auteurs, éditorialistes libéraux, conservateurs, républicains, pro-capitalistes, adversaires du wokisme, y sont de fait interdits d’expression.

Des comités progressistes d’étudiants leur bloquent les portes des salles de conférence, hurlent des slogans pour noyer leurs propos et perturbent systématiquement leurs interventions. Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme ». L’inclusion censée y être pratiquée ne s’applique en fait qu’à la gauche. Et de préférence à la gauche de la gauche. La censure effective de toute opinion en opposition à la pensée unique écolo-progresso-transgenre et prétendument antiraciste, est devenue la norme. Seuls quelques obscurs réactionnaires, comme les élus républicains (pas tous trumpistes) et le Wall Street Journal, dénoncent la situation depuis des années. Leurs cris d’alarme ne sont cependant pas relayés par les journalistes de la presse dite mainstream, pour la plupart idéologiquement formés – et formatés – dans ces universités. Assis sur des dizaines de milliards de dollars de dotations privées, confortés dans leurs certitudes par la facilité avec laquelle ils obtiennent, de parents bien intentionnés, en moyenne 80 000 dollars par an de droits de scolarité, les mandarins de l’Ivy League se sont crus intouchables.

Depuis le 5 décembre, tout change. Les masques tombent. Les langues se libèrent. Bill Ackman, Ross Stevens, Marc Rowan, Jon Huntsman Jr. et d’autres financiers de premier plan, anciens élèves de ces fleurons universitaires, exigent la démission des trois présidentes qui se sont ridiculisées au Congrès par leur fanatisme anticolonial, sous couvert de « préserver la libre expression sur notre campus ». Leurs donations, et celles de tant d’autres anciens diplômés écœurés, sont désormais suspendues, voire retirées. « La profonde faillite morale », des présidentes de Harvard, MIT et U. Penn, comme le résume Bill Ackman, est enfin dénoncée.

Sur le web.

Le retour des trains de nuit se fait-il sur de bons rails ?

Les auteurs : Guillaume Carrouet est Maître de conférences en Géographie à l’Université de Perpignan. Christophe Mimeur est Maître de conférences en Géographie à Cergy Paris Université.

 

Début 2016, Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, annonçait la suppression progressive de la plupart des liaisons ferroviaires de nuit. La principale raison invoquée était l’absence de rentabilité. Sur fond de préoccupations environnementales, une dynamique inverse a depuis été enclenchée par les pouvoirs publics : le Paris-Nice revenait sur les rails le 21 mai 2021, le Paris-Tarbes-Lourdes le 12 décembre, et c’est le tour du Paris-Aurillac ce 10 décembre 2023.

Ils ont rejoint les Paris-Gap-Briançon et Paris-Rodez/Latour de Carol/Cerbère qui subsistaient encore tant bien que mal. Une dizaine d’ouvertures de lignes est promise d’ici 2030. Il s’agit essentiellement de lignes radiales depuis Paris, le schéma différant finalement assez peu de celui qui avait cessé d’exister en 2016.

Après un retour très médiatisé, les premiers bilans de la relance semblent positifs malgré des dysfonctionnements réguliers. Le train de nuit reste cependant encore menacé par des contraintes économiques et organisationnelles, tandis que l’État et la SNCF peinent à concevoir un véritable réseau aux échelles nationale et européenne. C’est ce que nous avons exploré dans nos recherches, nourries d’entretiens avec divers acteurs et de consultations d’archives.

 

Un saut de nuit

Il faut tout d’abord insister sur la particularité du train de nuit : il s’agit de trajets longs, sans desserte pendant toute une plage horaire que l’on nomme le « saut de nuit », puis avec de nombreux arrêts en fin de parcours. Le Paris-Briançon, par exemple, ne marque aucun arrêt entre son départ de Paris Austerlitz à 20 h 51 et Crest dans la Drôme à 4 h 45. Huit gares sont ensuite desservies avant d’atteindre le terminus à 8 h 26. À vol d’oiseau, Crest et Briançon sont distantes de 130 kilomètres.

Cela place d’emblée le train de nuit dans une forme d’ambiguïté. Est-ce un service dont la gestion doit se faire à l’échelle nationale du fait de la grande distance parcourue, ou bien doit-elle revenir aux régions en raison du maillage de desserte dans un territoire en particulier ? Avant l’arrêt du service, la SNCF semble ainsi, à plusieurs reprises, avoir suggéré des suppressions de lignes avec dans l’idée que les annonces pousseraient pour un transfert de compétences aux régions ou à l’État.

Entre 1951 et 1980, les trains de nuit empruntaient près de 15 000 kilomètres de lignes, s’arrêtant dans 256 gares. Avec cet effet « saut de nuit », la réduction du service entre 1981 et 2007 tient davantage de la réduction des dessertes que du kilométrage de voies parcourues (400 km de moins seulement). C’est après 2007 que la rupture semble prononcée à leur sujet.

 

Victime d’un manque d’investissement

La quasi-disparition annoncée en 2016 tenait ainsi à un faisceau de facteurs aux origines bien différentes.

En premier lieu intervient le fait que le train de nuit comporte des coûts d’exploitation plus importants que ceux du TER ou du TGV. Compte tenu des horaires du voyage, ce service requiert en effet plusieurs équipes d’agents et de conducteurs, et parfois plusieurs locomotives pour un même trajet, des diesels relayant des électriques selon la nature du réseau, ou bien quand le parcours se divise en plusieurs branches. De plus, les voitures ne servent qu’une seule fois par jour quand le matériel TER, TGV et Intercités peut effectuer plusieurs trajets quotidiennement.

Un rapport public de 2015 intitulé « Trains d’équilibre du territoire : agir pour l’avenir » jugeant le modèle « à bout de souffle », recommande ainsi à l’État de maintenir seulement deux lignes (Paris-Briançon et Paris-Rodez/Toulouse-Latour de Carol) au nom de l’aménagement du territoire.

Le train de nuit a également été la première victime du manque d’investissement pendant plusieurs décennies dans l’entretien du réseau ferré national. Rattraper le retard implique des travaux qui s’effectuent essentiellement la nuit. Le matériel roulant ne semble d’ailleurs pas avoir reçu davantage d’attention : la plupart des wagons avait plus de 40 ans au moment où le service prenait fin. Le rôle de l’État reste loin d’être neutre. Un manque de stratégies et de moyens sur ce segment de service explique en grande partie son déclin.

Il faut aussi souligner l’importance de la concurrence : la grande vitesse ferroviaire matérialisée par le TGV et le nécessaire raccourcissement des distances-temps ont pris des parts de marché au service de nuit, de même que, dans une certaine mesure, les dessertes aériennes métropolitaines, les cars dits Macron ou le covoiturage. La SNCF a ainsi manifesté à maintes reprises son désintérêt pour ce service jugé peu rentable. Préférant se concentrer sur la desserte de territoire à haut potentiel, elle a laissé quelque peu sur la touche un service desservant principalement des territoires composés de villes petites et moyennes.

 

Une relance contrariée

Pourtant quasi enterré, ce service va renaître grâce à la concordance de trois catégories de facteurs, qui ont trait à l’environnement, à l’affection pour le train de nuit et à l’aménagement du territoire, utilisés à tour de rôle par l’État et l’exploitant.

L’un des socles de la relance tient sans nul doute à la promotion du train de nuit comme solution pour décarboner les transports de moyenne et longue distance. Pour mémoire, en France, le secteur des transports est responsable de près de 29 % des émissions de gaz à effet de serre. Les préoccupations environnementales se déploient dans les discours et actions d’association, dont le leitmotiv est le développement du train de nuit, associations qui mettent en avant un rapport original à la vitesse. Au moment où beaucoup de wagons rejoignaient les voies de garage en 2016, le collectif « Oui au train de nuit » défend ainsi :

« Le train de nuit, c’est Paris à une heure de Perpignan : une demi-heure pour s’endormir, une demi-heure pour se réveiller ! »

Ces inquiétudes accrues s’incarnent dans certains segments de la politique environnementale française. La loi Climat-résilience de 2021, elle-même issue de propositions de la convention citoyenne, instaure par exemple la réduction des vols intérieurs inférieurs à 2 h 30, même si les effets en sont limités.

Le caractère affectif du produit train de nuit se vérifie, lui, dans sa présence dans la culture populaire. Cadre de l’action du Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie, du roman plus récent Paris-Briançon publié en 2022 par Philippe Besson, ou encore de la publicité Chanel avec Audrey Tautou sur le même trajet, c’est aussi sur cette dimension sentimentale que joue la communication de la SNCF :

« Au petit matin (8 h 35), le contraste est assuré à Briançon : on passe de la grande ville à l’air pur de la montagne, niché entre cinq vallées des Hautes-Alpes. »

Enfin, en réponse à un rapport de la Cour des comptes en défaveur du train de nuit, l’État semble désormais assumer l’argumentaire faisant du train de nuit un outil d’aménagement du territoire. Dans son revirement de politique, il puise son inspiration dans l’expérience autrichienne Nightjet, portée par l’exploitant ÖBB dont le réseau s’est développé bien au-delà des frontières de l’Autriche. Il lance d’ailleurs ce 11 décembre ses trains entre Paris et Berlin via Strasbourg, s’ajoutant, en ce qui concerne la France, aux trois aller-retours hebdomadaires pour Vienne, capitale de l’Autriche.

Les régions, pourtant incontournables étant donné les spécificités du modèle, sont néanmoins restées le plus souvent attentistes dans la relance du service, à l’exception de la région Occitanie qui s’est positionnée tôt en fer de lance.

Le succès à long terme de la relance du train de nuit tient encore à trois facteurs. Vient tout d’abord la constitution d’un réseau européen qui se heurte à la concurrence de nouveaux services de longues distances low cost. La qualité du réseau intervient ensuite : l’État et SNCF Réseau se sont certes engagés dans des travaux de grande ampleur, mais ils restent souvent insuffisants et trop lents. Enfin, la qualité de service sera décisive : dans un contexte de pénurie de wagons, la rénovation du matériel existant ne suffit pas pour pallier les délais de livraison de voitures neuves.

Vous pouvez retrouver cet article ici

LFI & RN : la théorie du fer à cheval est-elle si pertinente ?

Peut-on dire que la motion de rejet du projet de loi immigration votée le 11 décembre 2023 est une illustration de la théorie du fer à cheval ? Forgée dans les années 1970, elle considère le spectre politique sous la forme d’un arc de cercle dont les extrémités gauche et droite se rejoignent. Mais disons-le d’emblée, la « horseshoe theory » est moins un postulat étayé qu’un jugement spontané. Il a pourtant eu l’intérêt de mettre la lumière sur la structure de l’offre et de la demande politique. Côté demande, si un tiers des électeurs de La France Insoumise (LFI) ont choisi de voter pour Emmanuel Macron au second tour des présidentielles de 2022, 43 % d’entre eux se sont abstenus[1]. Côté offre, n’avons-nous pas vu LFI et le Rassemblement national (RN) soutenir le mouvement des Gilets jaunes ou rejeter le projet de loi de réforme des retraites ?

Soutenir la thèse d’une similitude doctrinaire des extrêmes serait verser dans le syllogisme. La proximité idéologique de deux partis politiques ne peut se mesurer uniquement à des prises de position ponctuelles. C’est une condition probablement nécessaire, mais loin d’être suffisante, pour au moins trois raisons. D’abord parce que la démocratie accorde une place essentielle à l’opposition. Il est sain dans une société que l’individu puisse devenir citoyen et se dresser contre ce qui lui parait injuste. Afin d’endiguer le risque de la tyrannie de la majorité, la théorie libérale prévoit d’institutionnaliser le conflit, c’est-à-dire de protéger celui qui se refuse à adhérer à l’avis des autres. À la suite de Marc Sadoun, on se rappellera la maxime suivante dont Benjamin Constant a la paternité : « Si tous les hommes moins un partageait la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si elle en avait le pouvoir[2] ».

En deuxième lieu, la proximité politique des partis qui se situent aux extrémités du spectre politique peut s’étudier de façon objective, ce qui signifie qu’elle est mesurable. La base de données DatAN met à notre disposition de précieuses informations sur la vie parlementaire. On peut y recueillir la répartition des votes qui rythment le calendrier législatif. Arrêtons-nous sur les 39 textes recensés pour la XVIe législature, amorcée en juillet 2022. Le RN a voté à 24 reprises avec la NUPES, et à 17 reprises avec Renaissance (RE), le groupe de la majorité présidentielle. DatAN fournit une classification des votes en fonction du thème des textes[3]. En économie, le RN et la NUPES se sont plus fréquemment rejoints (8) que le RN et RE (2). Il en est de même dans le domaine des affaires étrangères et européennes (RN-NUPES : 4 ; RN-RE : 0) ou dans celui des Affaires sociales et de santé (RN-NUPES : 9 , RN-RE : 4).

La proximité idéologique des extrêmes peut enfin s’étudier du point de vue du contenu de leurs propositions. On trouve dans la recherche anglo-saxonne, hélas trop souvent caricaturée par nombre de nos universitaires locaux, des enquêtes d’une utilité certaine. Une équipe de politistes a mis au point la PopuList, une banque d’informations qui établit le caractère populiste et eurosceptique des partis européens depuis 1989. Elle établit que le RN et la NUPES sont des partis populistes, eurosceptiques et respectivement d’extrême gauche et d’extrême droite. La définition du populisme à partir de laquelle le classement est construit nous intéresse : « Les partis populistes sont ceux qui soutiennent l’ensemble d’idées selon lequel la société est finalement divisée en deux groupes homogènes et antagonistes, les « gens purs » contre « l’élite corrompue » et affirment que la politique devrait être une expression de la volonté générale du peuple[4] ». Souvent, ils partagent un euroscepticisme plus ou moins exacerbé selon la conjoncture. Dans un second temps, les chercheurs qui ont forgé cet inventaire caractérisent différemment le populisme des extrêmes gauche et droite. Le premier est fondé sur un rejet du capitalisme et sur le désir de rénovation totale des institutions existantes. Le deuxième sur un nationalisme « nativiste » – dans cette optique, l’État doit être « exclusivement habité par les autochtones » – et autoritaire. Les plus perspicaces l’auront deviné, la LFI et le RN cochent les cases. Ce travail a le mérite de dépasser la théorie du fer à cheval car il pointe les différences de ces partis tout en fixant leurs dénominateurs communs.

Pour enfoncer le clou, j’importerai à ces observations le raisonnement de Gérald Bronner. Selon lui, « la spécificité de la pensée extrême tiendra au fait qu’elle adhère radicalement à une idée radicale[5] ». Un extrémiste défend inconditionnellement des positions qui sont intrinsèquement radicales. Mais comment alors jauger la radicalité d’une idée ? Dans le sillage de Raymond Boudon, Bronner définit les idées radicales comme « faiblement transsubjectives » et fortement « sociopathique ». La transsubjectivité d’une idée correspond à sa « capacité à être endossée par un ensemble de personne ». En ce sens, malgré leur irrationalité objective – par exemple : la terre est plate – certaines idées peuvent avoir du succès sur le marché cognitif. Les idées extrêmes sont faiblement transsubjectives. Elles sont peu convaincantes car éloignées de la vérité scientifique. Une idée sera sociopathique si elle contient une dimension conflictuelle. Elle interdit la coexistence entre des blocs de la société qu’elle voit comme antagoniste (par exemple riches et pauvres, étrangers et autochtones etc.).

Le 16 décembre, Manuel Bompard a prononcé la phrase suivante : « Notre projet politique, c’est de renverser le capitalisme dans la septième économie mondiale, et ça ne se fera pas avec des bouquets de fleurs ». Rien que ça. L’objectif du député de LFI serait-il donc de faire passer la 7e économie mondiale au 57e rang ? En plus d’espanter les Hommes de raison, cette déclaration concorde avec les définitions de la PopuList et de l’héritage boudonien. Mais n’allez pas croire que ce dérapage n’est pas programmé. On pourrait faire le florilège des affirmations sensationnelles de la gauche extrême. Elles s’inscrivent dans une stratégie assumée de conflictualisation du politique, imaginée par la chercheuse Chantal Mouffe. Qu’a-t-elle trouvé, cette politiste belge dont les titres de livres ne donnent pas envie de les disposer au pied d’un sapin de Noël ? Au choix, pour pimenter vos fêtes vous pourrez trouver dans L’illusion du consensus (2016), ou dans Pour un populisme de gauche (2019), un tutoriel pour conquérir le pouvoir en faisant revivre la conflictualité entre les familles politiques. Du combat entre le peuple opprimé et les élites néolibérales corrompues, la gauche devrait sortir victorieuse. C’est en peu de mots le résumé caricatural de la pensée caricaturale qui guide l’attitude démagogiques de LFI. Pourquoi marcher contre l’antisémitisme quand on peut défiler au son d’un mélodieux « Dieu est grand ! » dans Paris ?

Mais ne faisons pas de jaloux. L’extrême droite ne s’est pas épargnée de retentissantes sorties tribuniciennes. Voyons-voir la dédiabolisation. Dès la deuxième minute de son débat avec Mathilde Panot, Marion Maréchal annonce sans mauvais jeu de mots la couleur : « Ce débat politique qui va nous confronter ce soir est le grand débat politique des prochaines années. C’est un véritable enjeu de civilisation qui va se jouer […]. Moi je suis contre la disparition de la France, sous le poids de l’immigration et de l’islamisation, vous vous en félicitez, vous l’encouragez, vous l’accélérez. Je suis contre le phénomène de grand remplacement de la population et de la culture française…[6] ». La théorie du grand remplacement, forgée par Renaud Camus est un archétype de la pensée extrême. Faiblement transsubjective car scientifiquement démontée et sociopathique car il n’est pas chaleureux d’être xénophobe dans la vie politique, elle s’accroche au populisme de droite comme une moule à son rocher. On avait presque oublié que le lepénisme dispose également de ses intellectuels. Ne les traiteraient-on pas d’académo-militants s’ils enseignaient leurs pseudo-vérités à l’Université ? Ce n’est pas la question à laquelle je souhaite répondre aujourd’hui, mais elle permet de souligner la présence d’idéologues néfastes de ce côté-ci également du spectre politique.

Extrême gauche et extrême droite s’équivalent-ils ? Non, tout n’est pas relatif. Mais qu’ils soient anticapitalistes, nativistes ou eurosceptiques les populismes sont des antithèses de la pensée libérale et par là du projet républicain. Radicalement radicaux, dangereusement sociopathiques, leur montée en puissance nous impose le retour permanent à une lucidité rigoureuse et au sang froid de la raison. Cela implique, lorsqu’il s’agit de les affronter, de ne pas les renvoyer dos à dos comme les deux faces d’une même pièce, mais bien de forger des argumentaires singuliers pour répondre à chacun d’eux. Les vases ne communiquent probablement pas. Si c’était le cas, la tâche qui incombe au libéralisme serait plus simple. En réalité, il a affaire à deux ennemis distincts, aux visages distincts. Préférons la métaphore du funambule. Sur son flanc gauche, le péril anticapitaliste. Sur son flanc droit, le péril ultranationaliste. Au sol, la fosse aux lions.

[1] IPSOS, Second tour : profil des abstentionnistes et sociologie des électorats, https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats

[2] Marc Sadoun, « Opposition et démocratie », Pouvoirs, Le Seuil, 2004

[3] Sur ce point précis, le site n’explique cependant pas sa méthodologie, ce qui peut s’avérer problématique concernant certains textes

[4] https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/populist-a-database-of-populist-farleft-and-farright-parties-using-expertinformed-qualitative-comparative-classification-eiqcc/EBF60489A0E1E3D91A6FE066C7ABA2CA

[5] Gérald Bronner, « A la recherche de la pensée extrême », Cités, Presse Universitaire de France, p. 141-150

[6] Mathilde Panot/Marion Maréchal, le débat, BFM TV, https://www.youtube.com/watch?v=OdCvq3ViEsM&t=1307s

Streaming : une taxe au profit d’une clique

Le gouvernement annonce la mise en place de la taxe sur les plateformes de streaming, en préparation depuis des mois. La loi montre le rapport de connivence entre les dirigeants et des bénéficiaires de redistributions à l’intérieur du pays.

La taxe sur les plateformes de musique finance ensuite des projets d’artistes, spectacles, et autres types d’acteurs. Les plateformes, en particulier le directeur de Spotify, donnent des arguments contre la loi…

Explique un communiqué de Spotify, cité par Les Échos :

« C’est un véritable coup dur porté à l’innovation, et aux perspectives de croissance de la musique enregistrée en France. Nous évaluons les suites à donner à la mise en place de cette mesure inéquitable, injuste et disproportionnée ».

En dépit des critiques de la part des plateformes, la taxe arrive dès l’année prochaine. Les partisans font de la communication dans les médias.

Une tribune de Télérama, de la part d’un défenseur de la loi, explique « Pourquoi la taxe streaming est une bonne nouvelle ».

L’auteur écrit :

« Le système de redistribution peut être questionné, c’est toujours sain. Mais il aurait été injuste et risqué que certains financent le CNM selon leur bon vouloir tandis que d’autres en ont l’obligation. Ne serait-ce que pour cette raison, la taxe streaming est une bonne nouvelle. »

Un autre, le président de l’association des producteurs indépendants – en somme, les bénéficiaires de la taxe – fait l’éloge de la loi dans une interview pour FranceTVInfo

Il explique :

« Il s’agit d’une taxe d’un niveau très faible mais qui concerne l’ensemble des acteurs du numérique qui diffusent de la musique en ligne. Ça va des plateformes qu’on appelle pure players (dont c’est vraiment le cœur de métier) jusqu’aux plateformes dont c’est plutôt une activité parmi d’autres. Je pense aux Gafa notamment, mais également à tout ce qui est réseaux sociaux, etc. De la même manière que ces acteurs sont déjà taxés pour financer la création audiovisuelle dans sa diversité au CNC, on va les taxer aussi pour alimenter les programmes de soutien à la musique. »

Comme avec la plupart des taxes, les bénéficiaires justifient la mesure par une allusion au bien du pays. Il requiert, selon eux, plus de genres de musique, d’artistes, et de financements pour des musiciens en marge. Sinon, seule une poignée de styles de musique ou de créateurs toucheront des revenus, disent-ils.

Il répond aux plaintes de surtaxation des plateformes :

« Il est clair que du côté des pure players, comme Spotify ou Deezer, il y a une vraie vertu dans le système de rémunération de la création. Là, il s’agit de réaffecter un petit peu cet argent à des genres musicaux qui reçoivent aujourd’hui une rémunération très faible en streaming, car qui dit rémunération très faible dit faible capacité à se financer derrière, avec un vrai risque à terme que ça nuise à la diversité de la création locale. Quelque part, ce qu’on essaye de viser, c’est la vitalité renouvelée de la filière française, du tissu de production français. Sinon, à défaut, tout le monde ira vers des genres musicaux qui sont peu nombreux mais extrêmement rémunérateurs dans le streaming. »

La redistribution revient à une taxe sur le consommateur de biens et de services, pour une utilisation aux fins des dirigeants.

 

Contrôle des financements

De toute façon, les chiffres des plateformes mettent à mal l’argument des partisans de la taxe. Un grand nombre d’artistes touchent des revenus… pas une poignée de stars de la musique pop.

Selon les chiffres partagés par Spotify, cités par Le Point, « 57 000 artistes ont généré plus de 10 000 dollars [contre 23 400 artistes en 2017]. Et 1060 artistes ont généré au moins un million de dollars [contre 460 en 2017]. »

Le site YouTube dit avoir payé 6 milliards de dollars aux chaînes de musique en 2022, en hausse par rapport à 4 milliards en 2021, et 3 milliards de dollars en 2019. Les distributions proviennent de publicités lors des vues, ou d’une part au revenu des abonnements payants à la plateforme.

Dans un marché, la création de musique et le soutien des artistes rémunèrent la réussite auprès du public. Les dirigeants veulent une emprise sur le financement de la musique. Ils prennent ainsi aux consommateurs via la taxation des plateformes. Puis ils distribuent l’argent selon les vœux d’une poignée de personnes aux commandes.

Les bénéficiaires des distributions justifient le transfert au prétexte d’un besoin chez les artistes. La taxe sur les plateformes revient à une prise de contrôle, comme d’autres interventions dans les vies des individus.

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La loi ne peut régir la nature qu’avec la main tremblante

Un article de l’IREF.

« Dans la sphère économique, a écrit Bastiat en 1850, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit ».

 

Ce qu’on ne prévoit pas 

Pendant son Grand bond en avant, Mao voulut exterminer de Chine les moineaux qui mangeaient les fruits et graines et réduisaient les récoltes. Toute la population fut dévouée à la chasse des moineaux et bientôt l’opération réussit si bien qu’il n’y en eut quasiment plus. Mais l’homme ne prévoit pas tout. Mao avait oublié que les moineaux mangeaient les insectes nuisibles. Ceux-ci proliférèrent, notamment des nuées de criquets migrateurs qui dévastèrent le pays et causèrent une grande famine en Chine de 1958 à 1962, entraînant selon certaines estimations une trentaine de millions de morts.

Depuis le 1er juin 2022 en France, la loi dite Lemoine est entrée en vigueur. Elle interdit aux assureurs d’interroger sur leur état de santé les ménages souscrivant un emprunt de moins de 200 000 euros dont la fin du remboursement intervient avant les 60 ans des emprunteurs. La conséquence ne s’est pas fait attendre. Les prix de ces assurances ont augmenté de 15 à 20 %, voire 30 %, et nombre de ces contrats ont désormais réduit leur champ de couverture, notamment en supprimant les suites et conséquences des pathologies antérieures.

L’égalitarisme à l’école abaisse le niveau de tous les élèves, sauf ceux qui bénéficient d’une solide éducation à la maison, ce qui accentue l’inégalité.

Les écologistes vont tous nous obliger bientôt à avoir des bacs à compost pour y mettre les résidus alimentaires que nous ne pourrons plus vider dans nos poubelles. Mais déjà ces bacs attirent à Paris et ailleurs une foultitude de rats. Faudra-t-il attendre le retour de la peste pour réagir ?

 

L’homme n’est pas omniscient

« Entre un mauvais et un bon économiste, poursuit Bastiat, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir ».

Trop de gouvernants, élus et technocrates, ne sont sensibles qu’à l’effet visible et immédiat, qui leur permettra une prochaine réélection ou promotion. La démocratie porte en elle ce défaut d’inciter au court terme. Or, ajoute-t-il « il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D’où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai Économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’un petit mal actuel ».

En effet, c’est le rôle des gouvernants et des économistes de prévoir les conséquences de leurs décisions. Et certains économistes sont meilleurs que d’autres, estiment mieux les conséquences des mesures qu’ils proposent. Mais l’homme étant faillible par nature, et n’étant pas omniscient, nul ne saurait tout prévoir.

 

Favoriser l’autopilotage

D’autant que l’être humain a néanmoins une grande qualité qui consiste à savoir s’adapter. Il dispose d’une intelligence et d’une intuition par lesquelles il évalue à tout moment les situations et y réagit. Par sa liberté et sa volonté, il est capable, dans de nombreux cas, d’adopter des décisions ou des comportements inattendus qui vont modifier la chaîne causale de telle ou telle mesure politique ou économique. C’est ce qui rend toute prévision particulièrement difficile et rend nécessaire une souplesse, une liberté d’appréciation et d’adaptation permanentes pour que les systèmes se conforment à tout moment aux actions humaines et se corrigent en fonction des réactions que nous imposent les lois de la nature.

Il faut en quelque sorte un autopilotage, comme ce que Hayek nommait catallaxie pour signifier « l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats ». Cet ordre n’est pas immuable et évolue « par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché ».

Toute planification recèle l’immense risque d’emmener toute une société dans des erreurs monumentales, imprévues et parfois irréversibles. Le communisme en a été le parangon. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien prévoir bien sûr. Mais toute loi impérative, surtout quand elle cherche à modifier l’ordre habituel et/ou naturel des choses, ne doit être prise qu’avec la main qui tremble et laisser toujours la liberté d’y remédier.

Sur le web.

Loi immigration – un texte détricoté au pied du sapin

« Depuis des semaines, la loi immigration a été tricotée, détricotée et à l’arrivée, tout le monde la trouve moche. Finalement, cette loi, c’est un peu un pull de Noël. »

Ce bon mot de l’humoriste Philippe Caverivière sur France 2 samedi soir résume parfaitement le sac de nœuds – ou de laine – qu’est devenu ce qui devait être un des piliers du second quinquennat Macron.

Lors de mon dernier billet sur le sujet il y a maintenant plus d’un mois, nous nous étions quittés sur le texte voté par la majorité Les Républicains au Sénat, chambre représentant les territoires souvent les plus durement touchés par la problématique.

L’immigration touche des sujets aussi vastes et différents que le social, l’économie, la culture, la sécurité et le climat, la question de l’impact des catastrophes météorologiques innervant l’histoire de l’immigration depuis le jour où les Hommes ont appris à se mouvoir sur de longues distances.

L’étendue des sujets touchés par la thématique n’a d’égale que l’impossibilité d’y apporter des solutions simplistes comme on peut les lire ici et là, à grands coups de positions « ultra simples » ou de remèdes prétendument réalistes.

Le texte voté au Sénat n’y fait pas exception, et a provoqué plusieurs rebondissements.

 

La gauche vent debout

Nous nous étions quittés après le vote par les sénateurs d’un texte renforcé supprimant l’AME, instaurant des quotas économiques et abrogeant la mesure phare du projet de loi : l’obtention automatique de titre de séjour pour les travailleurs exerçant des métiers en tension.

Ce texte a instantanément entraîné une levée de boucliers d’associations et d’organismes vivant grassement d’argent public.

La directrice générale de France Terre d’Asile (50 millions d’euros de dotations annuelles, ce qui en fait l’association la plus subventionnée du pays), dont la présidente est l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, a dénoncé un « catalogue des horreurs ».

Depuis début décembre, ce sont une quarantaine d’associations qui manifestent leur mécontentement devant le texte adopté au Sénat.

Du côté du Défenseur des droits, énième autorité administrative indépendante destinée à masquer les lacunes de notre système judiciaire, l’actuelle titulaire du poste, Claire Hédon, a dénoncé une « surenchère démagogique ».

À ces réactions se sont ajoutées celles de la Macronie. Dès le lendemain du vote, cette dernière a immédiatement appelé à un « rééquilibrage », pour reprendre les propos de la ministre déléguée à la lutte contre les discriminations Bérangère Couillard soutenue par le président de la commission des lois Sacha Houlié, déterminé à rétablir le texte initialement porté par le gouvernement.

Les députés de la majorité sont alors sommés par plusieurs soutiens du président de la République, Daniel Cohn-Bendit en tête, de mettre fin à ce qui est vu comme une « dérive dangereuse ».

 

Darmanin défait par LR

Ces réactions n’ont pas empêché les débats de continuer. Après avoir été présenté en commission des lois, le texte est débattu dans l’Hémicycle.

Un texte ainsi revu et dénoncé par LR comme un texte « au rabais ». De ce fait, les députés de droite ont voté le 11 décembre la motion de rejet déposée par les écologistes. Cette motion est destinée à rejeter avant tout débat un texte qui serait susceptible d’enfreindre manifestement une disposition constitutionnelle, ou de décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.

Cette motion est votée, essentiellement du fait de l’absence de neuf députés de la majorité, dont l’un a subi les affres de la SNCF, l’amenant à avoir 1 heure 30 de retard. Aussi ironique qu’exquis.

Suite à ce camouflet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a présenté sa démission au président de la République, qui l’a refusée. Certaines mauvaises langues estiment alors que s’il l’avait présenté à Elisabeth Borne, celle-ci l’aurait vraisemblablement acceptée. La vraie raison est institutionnelle, le pouvoir de nomination et de révocation des ministres relevant de l’Élysée avec contreseing du Premier ministre.

Le vote de cette motion est une nouvelle victoire pour Les Républicains après le vote sénatorial. Une victoire d’autant plus forte qu’elle a mis en déroute un de ses parjurés les plus médiatiques. Depuis le début des discussions, le parti gaulliste s’est positionné en point d’équilibre entre le gouvernement et le Rassemblement national, tout en faisant du sujet migratoire un cheval de bataille, un mois et demi après le lancement d’une pétition qui a pour l’instant recueilli plus de 24 300 signatures au moment où ces lignes sont écrites.

 

Le retour de l’hyperprésidentialisme

Dans une France qui n’a plus l’habitude de la vitalité de la démocratie parlementaire, cette séquence est considérée par certains journalistes et élus comme une « crise politique », terme utilisé pour désigner tout événement qui dévierait de la volonté du Prince.

Conformément à la pratique hyperprésidentialiste à laquelle notre république nous a tristement habitués, ce même Prince, clé de voûte des institutions qui dévie aujourd’hui largement de son centre de gravité, n’a pas hésité à s’immiscer dans les travaux parlementaires en rejetant l’usage de l’article 49.3, sur lequel les Sages n’ont pas apporté de réponse claire, tout en appelant les députés à voter le texte avant Noël, quelques jours avant la réunion de la commission mixte paritaire.

 

Un espoir nommé commission mixte paritaire

Cette dernière s’est réunie ce lundi 18 décembre pour un vote en milieu de semaine.

La commission mixte paritaire réunit sept députés et sept sénateurs nommés par les présidents des chambres en respectant scrupuleusement les équilibres politiques. Cet équilibre peut se résumer ainsi : la Macronie dispose de trois parlementaires sur 10, comme LR aidé par sa majorité au Sénat, tandis que la NUPES compte pour un quart des parlementaires et le Rassemblement national, 10 % avec 88 députés et 4 sénateurs sur un total de 925 parlementaires.

De ce fait, la commission mixte paritaire sera composée comme suit : 5 macronistes, 5 LR, 3 NUPES et 1 Rassemblement national.

De cette commission, dont nous n’avons pas le résultat au moment où nous écrivons ces lignes, ne peut émerger que trois réponses :

  1. Soit les parlementaires se mettent d’accord, et le texte est voté en séance
  2. Soit les parlementaires se mettent d’accord, mais le texte est rejeté en séance
  3. Soit les parlementaires ne se mettent pas d’accord

 

Cette dernière option arrivant une fois sur trois, l’avenir du texte est plus que jamais incertain.

 

La solution référendaire

Pourtant, le pays pourrait sortir de cette incertitude d’un outil qui n’a pas été utilisé depuis plus de 18 ans : le référendum, porté depuis longtemps par la droite. Un temps étudié par l’Élysée fin octobre pour obtenir les voix LR, la perspective de sortir du débat par la consultation des Français n’a pas été retenue faute de consensus politique, et par crainte d’une réponse nécessairement « populiste » à la manière de l’ancien ministre et défenseur des droits Jacques Toubon.

Pourtant, ce référendum permettrait de proposer un grand débat afin de libérer la parole et de sortir d’une chape de plomb démocratique sur un sujet, à tort, tabou dans le débat public français, et qui ne fait que nourrir les préjugés et les relents complotistes en remettant au cœur du débat la question du consentement qu’une certaine gauche adore arborer, à raison, dans certains domaines, mais qu’elle refuse lorsqu’il s’agit de demander aux individus qui ils souhaitent accueillir chez eux et de quelle manière.

Une contre-révolution sous nos yeux ? Ce que révèlent les affaires Depardieu et Cesari

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

Le second événement concerne l’acteur Gérard Depardieu. Dans un documentaire, le magazine « Complément d’enquête » a diffusé des extraits d’une vidéo tournée en 2018 dans laquelle le comédien tient des propos particulièrement crus et vulgaires sur les femmes, y compris sur une très jeune fille d’une dizaine d’années.

Si ces deux événements méritent d’être rapprochés, malgré leurs différences, c’est parce que, chacun à leur manière, ils nous parlent des transformations actuelles de la société française.

 

Cachez cette nudité

Commençons par l’affaire du tableau de Cesari. On peut légitimement discuter pour savoir s’il était judicieux de montrer un tel tableau à des élèves de 6e. Mais l’essentiel n’est pas là.

Il fut un temps pas si lointain où, face à des images à caractère sexuel, entraperçues par exemple dans un film ou un documentaire, les collégiens avaient tendance à manifester, non pas leur dégoût mais bien un enthousiasme typiquement juvénile, où se mêlaient gloussements émerveillés et clameurs grivoises.

Que des élèves de 6e adoptent aujourd’hui une attitude exactement inverse, surtout à un âge aussi précoce, en dit long sur le type d’éducation qu’ils reçoivent et sur les valeurs qu’ils entendent affirmer. Visiblement, cette affaire confirme l’existence d’un clivage profond qui place l’école en porte-à-faux vis-à-vis d’une partie de la population, comme l’avaient déjà révélé les incidents lors de l’hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, ou les nombreux conflits sur les signes religieux et les atteintes à la laïcité.

 

Cachez cette sexualité

Concernant Gérard Depardieu, le problème se présente différemment. Il est évidemment légitime d’être choqué par les propos de l’acteur, lesquels dépassent très largement ce que la décence commune peut tolérer.

On évitera cependant d’être hypocrite. Lorsqu’ils sont entre eux, il arrive aux hommes de parler crûment des femmes et de la sexualité car rares sont ceux qui échappent totalement aux pulsions de leur cerveau reptilien. Cela vaut sans doute aussi dans l’autre sens. On peut en effet remarquer que l’un des clips actuellement les plus populaires est une chanson de rap interprétée par deux femmes qui s’intitule WAP, ce qui signifie Wet Ass Pussy. Or, les paroles n’ont rien à envier à la trivialité de Depardieu : « Il y a des salopes dans cette maison / Amène un seau et une serpillière pour cette chatte bien mouillée / Mets cette chatte sur ton visage, glisse ton nez comme une carte de crédit / Crache dans ma bouche / Dans la chaîne alimentaire, je suis celle qui t’avale / Je veux que tu touches ce petit trucmuche qui pendouille au fond de ma gorge. » Ce clip a été encensé encore récemment sur le site Slate.fr.

Il ne s’agit pas de dire que tout est permis. La vie civilisée consiste justement à s’abstenir de toute vulgarité dans la vie publique : la sexualité est une affaire privée. Mais rien ne dit que les propos de Depardieu étaient destinés à être diffusés. On aimerait d’ailleurs savoir pourquoi la chaîne publique s’est autorisée à diffuser ces images, violant sans scrupules le droit à la vie privée de l’acteur.

 

Cachez ce monstre

Le problème concerne cependant moins Depardieu lui-même que l’évolution de son statut dans la société. Car Depardieu n’a pas toujours été ce personnage exécré qu’il est devenu. Historiquement, il a au contraire incarné l’audace modernisatrice, la provocation progressiste, la critique iconoclaste.

Le film qui l’a propulsé vers la gloire, en l’occurrence Les Valseuses de Bertrand Blier (1975), dont le titre était déjà tout un programme, devait son succès à ses dialogues crus et à ses scènes de sexe délibérément destinées à choquer le bourgeois. Les radios publiques lui rendent encore hommage, que ce soit France Interou plus récemment France Culture.

C’est donc en grande partie pour son côté iconoclaste que Depardieu a été encensé. Même les institutions de la République y sont allées de leur reconnaissance, d’abord en le faisant chevalier de l’ordre national du Mérite de la part de François Mitterrand en 1988 (précisons toutefois qu’il avait appelé à voter pour le candidat socialiste), puis en lui attribuant la Légion d’honneur (Jacques Chirac en 1996).

Cette consécration artistique et politique a forcément eu des effets sur ses manières d’être et de s’exprimer. Tout au long de sa vie, Depardieu a probablement été adulé par son entourage pour son côté libéré et provocateur. Personne ne se fait tout seul, et Depardieu n’échappe pas à cette règle : à sa façon, il est le fruit de cette France d’après 1968 qui ambitionnait de bouleverser la morale traditionnelle au profit de la liberté amoureuse et sexuelle.

Le retournement est aujourd’hui total. Depardieu est maintenant présenté comme un « ogre » ou un « monstre ». La ministre de la Culture n’hésite pas à dire qu’il fait « honte à la France », et parle de lui retirer la Légion d’honneur. Elle n’a pas appelé à brûler ses films, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.

On pense à la célèbre formule de l’Évêque de Reims lors de la conversion de Clovis au christianisme :

« Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».

C’est probablement à cela qu’on reconnaît un changement d’époque : c’est lorsqu’une société aspire à se débarrasser de ses idoles d’hier, à briser ses anciennes icônes devenues insupportables, que l’on comprend qu’une nouvelle religion émerge, même si on ne sait pas très bien quelles personnalités vont incarner la nouvelle vertu.

 

La contre-révolution est en marche

Les affaires Cesari et Depardieu pourraient rester dans le registre du fait divers si elles ne venaient pas à la suite de nombreuses polémiques du même type. On pense par exemple au baiser de Blanche-Neige, dont nous avons essayé d’esquisser une analyse.

Une contre-révolution morale est manifestement en marche. Serge Gainsbourg, un autre provocateur du même acabit, en a fait les frais dernièrement. Autrefois, les jeunes traitaient leurs aînés de « vieux cons » et dénonçaient leurs opinions réactionnaires ; désormais, ils reprochent aux générations précédentes d’avoir été progressistes.

Si cette dynamique contre-révolutionnaire s’annonce profonde et durable, c’est parce qu’elle est portée par un agrégat de groupes différents soutenus par une démographie et des mutations sociologiques favorables, dont le point commun est de promouvoir un agenda néo-puritain. La polémique sur le tableau de Guiseppe Cesari est ici très significative : elle a été lancée par des familles musulmanes, mais elle aurait très bien pu être initiée par des néo-féministes. L’islam rigoriste se retrouve sur la même ligne qu’une partie du féminisme moralisateur, tandis que la gauche, loin de se détourner de ces deux causes, aspire à les englober dans un salmigondis idéologique aussi indigeste que fragile.

Il faut donc s’attendre à ce que les polémiques de ce type se multiplient. On doit se préparer à aller de surprise en surprise, car les nouvelles sensibilités sont toujours pleines de ressources et de créativité lorsqu’il s’agit de désigner des icônes à abattre. C’est ce qui en fait tout l’intérêt, un peu comme pour une bonne série télé : on a hâte de découvrir la prochaine saison.

Maths : la « méthode de Singapour », remède ou mirage ?

Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

Mardi 5 décembre 2023, communiquant sur les résultats des élèves français à l’enquête internationale PISA, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a proposé de réviser les programmes de primaire pour y adopter progressivement la méthode de Singapour, vue comme un remède au « niveau » jugé trop faible en mathématiques.

L’objectif d’améliorer les performances des élèves français en mathématiques peut-il vraiment être atteint à travers la diffusion de cette méthode ? Pourrait-il en fait se révéler indifférent, voire même contre-productif ?

 

Peut-on vraiment parler de méthode de Singapour ?

Ce qui est nommé Méthode de Singapour renvoie à la fois à une réalité géographique, celle d’une cité-État de 720 km2, avec 181 écoles primaires, et à un réalité éducative imposant une forte pression aux élèves. Dès les années 1980, le programme de mathématique de Singapour s’est centré autour de deux éléments : d’une part la résolution de problèmes ; d’autre part une approche résumée par le triptyque « Concret – Imagé – Abstrait » visant à accompagner le passage du concret vers l’abstrait via la manipulation de matériel ou la schématisation.

Au niveau des contenus, le programme de mathématiques de Singapour est en fait assez semblable à ceux des autres pays à travers le monde, mais sa particularité est de permettre une certaine flexibilité d’application, grâce à des suggestions proposées aux enseignants pour qu’ils l’adaptent dans leurs classes. Par ailleurs, les enseignants de Singapour sont hautement qualifiés et exercent dans des écoles très bien équipées en ressources pédagogiques.

Le programme de mathématiques de Singapour ne se revendique pas d’une méthode à proprement parler. À notre connaissance, aucune recherche ne donne d’informations précises sur l’étendue des prescriptions institutionnelles, sur les utilisations et les adaptations en classe, et donc sur son efficacité.

Autrement dit, en l’état actuel des études, l’expression « Méthode de Singapour », exportée ou généralisée hors de Singapour, semble être davantage un fétiche verbal qu’une méthode évaluée selon les canons scientifiques.

 

Se représenter le  problème

Les publications institutionnelles du MENJ retiennent principalement deux éléments : l’approche « Concret-Imagé-Abstrait » et un outil, « le schéma en barres ».

Concernant cette approche, elle n’est pas étrangère aux enseignants français qui connaissent bien l’intérêt de passer par la manipulation pour aller vers l’abstraction. L’utilisation de cubes emboîtables pour travailler la numération décimale est, par exemple, assez répandue en France. Néanmoins, cette approche nécessite une grande expertise pour être mise en œuvre efficacement, ce qui est bien le cas à Singapour.

L’utilisation de schémas barres pour aider les élèves à se représenter un problème arithmétique peut être utile, mais elle ne doit pas se substituer à la résolution de problèmes en elle-même : il est contreproductif de l’imposer à tous les élèves, et peut même se révéler inapproprié pour les élèves ayant une autre représentation du problème. De plus, tous les problèmes de maths ne se prêtent à l’utilisation de cet outil, notamment s’il faut passer par plusieurs étapes de raisonnement.

Ainsi, si les principaux éléments retenus par le ministère de l’Éducation sont présents dans le programme mathématique de Singapour, d’autres comme la flexibilité dans l’application des recommandations, la qualification des enseignants et l’installation de bonnes conditions d’exercices semblent absents.

 

Est-ce avec une « méthode » qu’on se forme ou qu’on enseigne ?

Suite aux résultats du PISA 2022, le ministère de l’Éducation a indiqué tout à la fois sa volonté de co-financer des manuels pour les classes de CP et de CE1, et de diffuser progressivement la « méthode » de Singapour. Mais la question est-elle vraiment de créer de nouvelles ressources, alors que celles-ci sont foisonnantes, ou de labelliser des manuels ? L’enjeu n’est-il pas plutôt de développer les connaissances nécessaires aux enseignants pour mieux exploiter les moyens à disposition et pour se les approprier ?

Rappelons que certains manuels français existants proposent déjà des dispositifs d’apprentissage de type « Problème – compréhension – application », à l’aide de manipulations de matériel convoquant le jeu, et où le savoir à retenir est explicitement exposé aux élèves. D’ailleurs, l’enjeu n’est pas tant d’avoir recours à du matériel que de s’en servir pour problématiser des situations. Pour cela, il faut laisser aux élèves une marge d’initiative et la possibilité de se tromper, et non les cantonner à reproduire ce qui leur est montré.

C’est la première fois que le ministère de l’Éducation promeut explicitement une méthode d’enseignement ainsi qu’une adaptation des programmes scolaires et la production de manuels pour la déployer. La liberté pédagogique de l’enseignant qui s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre sera donc naturellement impactée par l’imposition de cette méthode inscrite dans de nouveaux programmes.

Dans la lettre du ministre adressée aux enseignants, il est précisé que cette méthode, « construite à partir des meilleures inspirations internationales et appliquée par 70 pays, a fait ses preuves », mais quelles preuves le ministre évoque-t-il ?

Suffit-il d’exporter une méthode d’un pays à un autre pour obtenir les mêmes résultats ? Au Japon, dans la petite ile d’Okinawa, la population a la plus longue espérance de vie et ses habitants sont parmi les plus nombreux à dépasser les 100 ans. Ils adoptent un régime semi-végétarien, faible en matière grasse. L’importation de ce régime en France permettrait-elle d’augmenter significativement l’espérance de vie des Français ?

Certains problèmes se prêtent à des représentations sous forme de schémas, d’autres non.
Par ailleurs, le programme de mathématiques de Singapour est accompagné d’une formation importante entretenue par une formation continue conséquente de 100 heures par an. En France, la formation initiale des professeurs des écoles est préemptée par la préparation au concours de recrutement des enseignants et la formation continue réduite à 18 heures par an, partagée entre les deux disciplines principales que sont les mathématiques et le français.

La formation des enseignants est pour nous l’élément clé de la réussite des élèves français en mathématiques, et c’est elle qu’il faut investir prioritairement. Il s’agit de considérer les enseignants comme des professionnels, donc leur permettre d’enrichir leurs connaissances et compétences afin qu’ils puissent choisir puis adapter les ressources mises à leur disposition pour exercer leur métier. La perspective d’un déplacement du concours de recrutement des enseignants en fin de Licence donne la possibilité de réorienter les masters Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation vers une formation initiale digne de ce nom, intégrant des dimensions professionnelles et scientifiques.

Au-delà de la formation, pour que l’enseignement des mathématiques atteigne ses objectifs de plus grande réussite pour tous, il faudrait aussi réaffirmer les objectifs de l’apprentissage des mathématiques, non en termes de réussite à des évaluations nationales ou internationales, mais en termes de constructions de connaissances mathématiques ainsi que de démarches et de processus de raisonnements, à des fins citoyennes. Il s’agit aussi d’améliorer les conditions d’exercice en classe afin que chaque enseignant puisse déployer sa palette d’outils professionnels au service de la réussite de tous les élèves.

 

Cet article est à retrouver sur le site de The Conversation France

Libéralisme et sexualité : qu’en disaient les libéraux du XIXe siècle ?

Le libéralisme classique français a été porté par des auteurs presque exclusivement masculins, et qui pour certains des plus fameux (Turgot, Bastiat, Tocqueville) n’ont pas laissé de postérité : ce qui devrait engager à ne pas rechercher leur opinion sur la sexualité. C’est pourtant ce que je ferais, et la démarche n’est peut-être pas vaine.

 

Les premières conceptions religieuses

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la sexualité, incomprise, est déifiée : des autels sont dressés devant des pierres d’apparence phallique, où l’on s’agenouille avec dévotion, et où les filles viennent se frotter lascivement le ventre. Étant source des plus grands plaisirs, elle devient aussi l’objet de pratiques sacrificielles, soit par l’abstinence et la privation, soit par des mutilations dont la circoncision juive et l’excision africaine sont vraisemblablement des formes (Benjamin Constant, De la religion, t. I, 1824, p. 257).

Supposément pleine d’impureté, l’union des sexes est exclue des conceptions vraiment sublimes. Les Égyptiens tiennent que le dieu Apis est le fruit d’une jeune vache encore vierge, fécondée par le Soleil. En Inde, Krishna naît sans accouplement, mais par l’intervention d’un cheveu abandonné par Vishnu. Chez les chrétiens, Jésus, fils de la vierge Marie, est conçu du Saint-Esprit. C’est qu’en s’incarnant la divinité ne saurait se rabaisser à naître d’un acte tenu pour honteux (Idem, t. IV, 1831, p. 283-285).

Le commerce charnel est une souillure, et la faute en est placée principalement sur la femme. C’est toujours elle, dans les religions, qui pousse l’humanité à sa perte, et qui comme Ève corrompt l’homme. Sur elle pèse une double réprobation morale (Idem, t. III, 1827, p. 147).

 

La liberté de la sexualité récréative

À rebours, le libéralisme doit se conduire, non par les préceptes religieux, mais par les faits. Il n’a pas besoin de recommander le passage devant un prêtre pour que l’accouplement ne soit pas obscène et immoral, ou d’éloigner la nouvelle épouse de son milieu pour rejeter dans un lointain commode la faute qu’on vilipende (Yves Guyot, Études sur les doctrines sociales du christianisme, 1873, p. 119).

Le désir sexuel répond à un besoin immédiat de l’espèce : la nature a besoin que les êtres soient doués d’une force d’expansion surabondante, et que leurs penchants à la reproduction soient très développés. C’est ensuite à eux à en régler l’accomplissement, d’après leurs désirs et leurs forces.

Pour limiter la mise au monde d’une tourbe de misérables, Malthus (un prêtre anglican) recommandait dignement la contrainte morale, c’est-à-dire l’abstinence, et le mariage tardif. Au sein du libéralisme français, Joseph Garnier et Charles Dunoyer (plutôt libres-penseurs) réclament autre chose encore : la substitution de la morale de la responsabilité et du plaisir innocent au dogme du renoncement chrétien. La sexualité récréative, disent-ils, n’est ni immorale ni coupable : elle entre dans la catégorie des actes vains, si l’on veut, mais non des actes nuisibles, les seuls dont la morale et les lois doivent s’occuper (Charles Dunoyer, Mémoire à consulter, etc., 1835, p. 177 ; Joseph Garnier, Du principe de population, 1857, p. 93).

Pratiquer, en termes savants, l’onanisme ou coitus interruptus, et l’acte solitaire, n’est pas répréhensible. Mais pour tous ces auteurs, l’avortement reste un crime, car il interrompt la vie d’un être en développement. Partout, il faut équilibrer la liberté par le consentement et la responsabilité.

 

La question du consentement

La sexualité libre ne peut être fondée, en toute justice, que sur le consentement des parties. Elle ne peut pas non plus s’émanciper des contrats et des promesses verbales, et par conséquent l’adultère est répréhensible.

Le mariage se fonde sur un contrat, qui doit être respecté. C’est un consentement global à une union de vie, et il emporte avec lui une certaine acceptation tacite de rapports, qu’il est difficile de définir. Mais les actes individuels qui sont refusés, ne peuvent être accomplis.

La difficulté pratique de fixer les bornes du consentement sexuel est très réelle. L’union des sexes se fait par acceptation non verbale, comme aussi par étapes, et sans contrats. Une difficulté plus grande s’élève même quand il s’agit de sanctionner les infractions commises. Car les actes qui se passent dans l’intérieur du foyer échappent presque toujours à l’atteinte des magistrats, sauf s’ils conduisent à des marques de violences graves, par lesquelles on peut distinctement les reconnaître (Charles Comte, Traité de législation, t. I, 1826, p. 478).

La question de l’âge est aussi très embarrassante. À l’évidence, la limite numérique des dix-huit ans, par exemple, n’est pas plus rationnelle qu’une autre. Mais tant qu’une limite numérique subsiste, et tant qu’elle n’a pas été remplacée par une autre fondée sur les faits et les individus, cette limite doit être respectée.

 

Les contrepoids de la responsabilité

La liberté sexuelle a besoin d’être contenue par la responsabilité individuelle ; mais les moyens pour cela doivent être bien entendus. Jusqu’à une époque récente, des lois ont existé pour interdire le mariage à l’indigent, sous le prétexte qu’il fallait endiguer le paupérisme (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 177-180.). C’est le principe de précaution appliquée à la procréation.

La responsabilité bien entendue suit les actes, et ne les précède pas. Quand un chétif commerçant se donne douze enfants pour lui succéder, c’est à lui, et pas à d’autres, à fournir les moyens de les élever : les contribuables n’ont rien commandé, rien acquiescé de tel. Une responsabilité légale pèse sur lui, par suite de ses actes. Il peut la partager par l’assurance et l’assurance et la mutualité, mais non l’éteindre (Edmond About, L’Assurance, 1866, p. 112).

Celui qui cherche à échapper à cette responsabilité doit y être ramené par la loi. C’est la question de la recherche de la paternité, qu’ont soulevée avec beaucoup d’ardeur les libéraux classiques français (voir notamment Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877.). Car on ne peut pas faire impunément banqueroute de ses obligations.

 

Les industries de la prostitution et de la pornographie

Chaque individu est propriétaire de lui-même, et si les mots ont un sens, ils signifient le droit d’user et d’abuser de notre propre corps, de nos facultés (Jules Simon, La liberté, 1859, t. I, p. 308). La prostitution, la pornographie, ne sont pas répréhensibles tant qu’elles s’exercent dans le respect des contrats, avec le consentement total des parties.

Fût-elle libre, on pourrait encore réprouver moralement l’industrie de la prostitution, mobiliser l’opinion contre elle, et même demander qu’elle soit classée dans la catégorie des industries dangereuses et insalubres, et soumise à des règles spéciales de localisation, de publicité, etc (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 239). Les mêmes impératifs de discrétion dans l’espace public peuvent être étendus à la pornographie (Frédéric Passy, réunion de la Société d’économie politique du 5 septembre 1891).

 

L’homosexualité

L’homosexualité, quoique dans la nature, n’est pas dans l’intérêt de l’espèce. On peut à la rigueur la réprouver moralement, sur cette base (G. de Molinari, La morale économique, 1888, p. 413). Mais sa pratique étant inoffensive pour les tiers, elle doit être tolérée par les lois. Et si ce n’est pas l’enseignement des anciens auteurs, c’est la suite logique de leurs principes.

Car encore une fois, pour traiter de ces questions, il ne faut pas autre chose que des principes.

La surveillance devient le prix à payer pour vivre en France

Article disponible en podcast ici.

Jadis, seuls les criminels se retrouvaient sur écoute. La traque du citoyen par les bureaucrates était une exception. Les surveillances de masse étaient réservées aux régimes totalitaires, impensables dans nos démocraties.

Or depuis le 11 septembre, nos gouvernements nous considèrent tous comme des potentiels criminels qu’il faut espionner constamment. Et toute comparaison aux régimes totalitaires fera glousser nos fonctionnaires devant une telle allusion.

J’ai déjà longuement commenté cette dérive à travers les dernières actualités comme la volonté d’interdire les VPN, de mettre un mouchard dans nos navigateurs, d’interdire le chiffrement, de l’égaliser la reconnaissance faciale, d’interdire les cryptomonnaies.

Tous ces abandons de nos droits ont été faits en 2023, vous pouvez constater l’imagination sans limites de nos bureaucrates dans nos privations de liberté.

 

Une nouvelle dérive de surveillance à la française

Aujourd’hui j’aimerais porter l’attention sur une nouvelle dérive de surveillance à la française. L’État français profite de nos nombreux impôts, taxes, redevances, cotisations, charges pour justifier une surveillance afin d’éviter les fraudes.

D’un côté, on va créer un impôt inquisiteur, pour de l’autre mettre en place une surveillance pour cet impôt. Double punition pour le citoyen.

L’impôt sur le revenu permet de légitimer une surveillance de notre train de vie sur les réseaux sociaux par le fisc.

La taxe sur les piscines permet de légitimer une surveillance par satellite des maisons françaises par le fisc.

L’URSAFF peut demander vos conversations de votre téléphone professionnel, si elle juge son usage trop personnel, votre téléphone devient un avantage en nature dissimulé, et vous êtes bon pour un redressement.

L’impôt sur la fortune permet à l’État de connaître tous nos comptes bancaires y compris à l’étranger, ainsi que tous nos biens immobiliers et mobiliers.

Vous devez maintenant déclarer les occupants de vos logements, directement aux impôts, pour vérifier l’impôt sur le revenu de l’immobilier.

Et si par miracle, toute cette surveillance ne suffit pas, je rappelle que le fisc analyse toute transaction supérieure à 1000 euros à travers tracfin, sachant que l’État a par ailleurs rendu illégale toute transaction en espèces supérieure à 1000 euros. L’État interdit donc toute transaction non traçable par lui au-dessus de cette somme.

 

Deux poids, deux mesures

Fort heureusement, il existe encore des moyens d’éviter la surveillance.

Si vous continuez de louer une HLM alors que vous ne remplissez plus les critères, vous pouvez dormir tranquille. L’État ne semble pas inquiet, d’ailleurs il souhaite 25 % de HLM partout, plutôt que de réguler l’existant.

Si vous réclamez votre chômage depuis vos vacances à l’étranger, là aussi, soyez rassuré, il ne se passera rien.

L’État est capable de repérer les piscines par intelligence artificielle depuis l’espace, mais ne parvient pas à bloquer le site pôle-emploi aux adresses IP en dehors de France.

Si vous fraudez la sécurité sociale, ne vous troublez pas. Aux dernières nouvelles, il y a 2,6 millions de cartes vitales actives de plus qu’il y a d’inscrits à la sécurité sociale.

Le mieux est encore d’être dans l’État. Mon patrimoine intrigue le fisc, mais après avoir été banquier d’affaires durant quatre années, le maigrichon patrimoine de Macron n’a déclenché aucune investigation.

Savoir quel locataire habite chez moi semble hautement important. Mais Cahuzac, qui proposait ses services de consultant à BigPharma à travers son EURL Cahuzac Conseil, tout en travaillant au ministère de la Santé, ne semble pas choquer. Cette double activité, en plein conflit d’intérêts, ne lui a pas été reprochée, seul un compte en banque suisse alimenté par ses « missions » auprès de BigPharma lui a valu condamnation. Il n’a passé qu’un an en prison, il est à l’heure actuelle médecin en Corse.

En résumé, être innocent ou coupable ne dépend plus de vos agissements. Vous serez constamment innocent si vous participez au pillage de l’État.

Mais si vous vous tenez à l’écart de l’État, alors vous voilà un citoyen présumé coupable à perpétuité. Afin de vous disculper du terroriste, pédophile, trafiquant, fraudeur qui sommeille en vous, une surveillance de tous vos faits et gestes devient nécessaire.

Le plan Attal peut-il débloquer l’Éducation nationale ?

L’Éducation nationale se trompe d’objectif en favorisant la mixité sociale et la réduction des inégalités plutôt que le niveau de connaissances. En effet, la dégradation du niveau général est nuisible à tout le monde et réduit l’égalité des chances en nivelant par le bas.

Depuis la publication en avril de mon article « L’éducation nationale se trompe d’objectif », sont arrivés les résultats de la dernière enquête PISA, qui confirme la catastrophe, et le plan Attal qui tente d’y pallier.

Ce plan vient tout juste d’être annoncé, on n’en connaît pas encore toutes les dispositions concrètes, et encore moins sa mise en œuvre par les enseignants.

Je rappellerai d’abord les résultats de cette enquête, puis l’analyse qu’en font les différents acteurs. Ensuite nous verrons ce que prévoit le plan Attal, et ce qui pourrait le compléter.

 

Une réalité catastrophique

Il y a trois regards sur l’Éducation nationale : celui des observateurs extérieurs, celui des employeurs, et celui des parents d’élèves.

Des observateurs extérieurs sévères

Les observateurs extérieurs sont ceux qui élaborent l’enquête PISA. On peut critiquer tel ou tel point de ces classements, mais l’accumulation pendant des décennies de données catastrophiques montre que le déclin ne peut plus être nié.

La dernière version de PISA a été menée en 2022 auprès de 690 000 adolescents de 81 pays. L’enseignement principal pour la France est la chute importante du niveau de mathématiques (-21 points) et de compréhension de l’écrit (-19 points). Ce déclin touche maintenant tous les élèves, y compris la proportion des élèves les plus performants (12,9 %), tandis qu’augmente la proportion des élèves les plus en difficulté.

Un élève de quatrième a aujourd’hui les connaissances de l’élève de cinquième en 1995. Le Conseil Scientifique de l’Éducation nationale a alerté en septembre 2023 sur l’incompréhension totale des fractions et des nombres décimaux mesurée à l’évaluation nationale des élèves à l’entrée en sixième : la moitié ne sait pas combien il y a de quarts d’heure dans trois quarts d’heure !

Et c’est là qu’apparaît une césure dans les médias que nous retrouverons souvent. Certains, en général à gauche, insistent sur la persistance des inégalités, alors que les médias conservateurs ou libéraux insistent sur le fait que la chasse aux inégalités amplifie le déclin français, déjà sensible depuis des décennies.

Le constat des employeurs

Les employeurs sont navrés du niveau de français de leurs nouveaux embauchés, à qui ils doivent souvent offrir une période de mise à niveau, comme en témoigne la floraison d’entreprises de services en la matière. De même en mathématiques, ce qui est dramatique pour l’économie et la carrière des élèves.

Je pense notamment au retour au nucléaire dont il faut reconstituer les équipes, suite à l’abandon de cette filière depuis François Hollande sous la pression des écologistes français, mais aussi allemands. Pour cette filière nucléaire et la réindustrialisation en cours de la France, il faudrait que nos grandes écoles forment 20 000 ingénieurs de plus par an.

Le législateur peut trouver que telle discipline est utile (résister au harcèlement, éducation à la sexualité, protection de l’environnement…), mais on oublie qu’il faut alors rogner sur les horaires des fondamentaux que sont les mathématiques et le français. De même pour les langues étrangères : l’anglais est intégré aux programmes scolaires dès le primaire (au lieu de la sixième auparavant) et la deuxième langue dès la cinquième (au lieu de la quatrième).

En 2022, les élèves ont ainsi perdu, primaire et collège additionnés, 522 heures de français par rapport aux horaires de 1968, fois deux années de formation.

La réaction des parents d’élèves

Je vais évoquer ceux qui se soucient concrètement de l’avenir de leurs enfants, et donc s’efforcent de leur trouver les meilleurs établissements possibles, publics ou privés.

Nous touchons là à une hypocrisie : il est de bon ton de protester publiquement contre les inégalités dans l’enseignement, mais en privé on fait tout pour les aggraver. Ce qui est naturel : mettre en place des règles obligeant les parents à laisser leurs enfants dans des établissements jugés mauvais pousse à des stratégies de contournement.

 

L’avis des enseignants

Les enseignants se plaignent d’abord et surtout d’une rémunération insuffisante, d’une part par rapport aux autres pays européens ; et d’autre part parce que cela entraîne un manque de candidats aux concours, et donc un recrutement insuffisant, tant en quantité qu’en qualité. 67 % des élèves sont scolarisés dans des établissements manquant de personnels.

Depuis la réforme Haby de 1975, les enseignants français se plaignent également d’avoir à gérer l’hétérogénéité, avec la massification de l’enseignement secondaire. Depuis une dizaine d’années, les milieux conservateurs accusent également l’immigration, en oubliant qu’elle touche aussi les autres pays européens dans lesquels les immigrés ne connaissent pas la langue du pays. Alors qu’avec notre immigration assez largement francophone, nous avons un problème de moins que, par exemple, l’Allemagne.

Certains enseignants, en général les plus diplômés, répandent des discours alarmants sur la baisse de niveau des connaissances les plus élémentaires, mais leurs propos sont en général taxés d’élitisme.

Bref, les observateurs extérieurs, les employeurs, et les parents attentifs, sont extrêmement sévères quant à la chute du niveau, tandis que les enseignants et leurs syndicats ont une attitude très classiquement plus corporatiste, ce qui accroît la difficulté du dialogue. Ce dernier est encore compliqué par le fait que, jusqu’à présent, l’objectif proclamé par l’Éducation nationale n’est pas le niveau des connaissances, mais la réduction des inégalités.

 

La priorité à la réduction des inégalités

Le poids de l’héritage de Pierre Bourdieu

Dans son livre Les Héritiers co-écrit avec Jean-Claude Passeron, il affirme, en résumé, que l’école est une instance de reproduction sociale : les inégalités sociales sont transformées en inégalités scolaires, et redeviennent ensuite des inégalités sociales à la sortie. Bref, elle légitime les inégalités par des diplômes censés correspondre à des mérites personnels.

Bourdieu estime notamment que l’enseignement transmet les codes culturels des classes supérieures, volontairement abscons pour les autres élèves. Ce discours semble imprégner une bonne partie des enseignants, de leurs syndicats et de leur hiérarchie, et parfois l’ensemble des gouvernants.

J’ai même personnellement été harcelé dans des réseaux professionnels, puis exclu, pour ne pas avoir participé à ce véritable culte. Remarquons que ce discours semble confondre codes sociaux et niveau scolaire, et fait bon marché de toutes les promotions sociales par l’école, qui ont été massives depuis deux siècles.

On pourrait ajouter que le problème est pris à l’envers : il ne faut pas adapter le niveau aux moins favorisés, mais au contraire le relever pour donner à chacun les meilleures chances de promotion. On retrouve la césure politique dans les raisons proclamées de cet échec.

Les causes citées à gauche

À gauche, on insiste sur la faiblesse des salaires des enseignants. Pourtant, ce n’est pas lié au manque de moyens, la France dépensant toujours plus pour l’Éducation nationale, en pourcentage du PIB et en comparaison avec les autres pays.

Comment fait-on en France pour dépenser davantage de budget pour l’éducation tout en payant moins qu’ailleurs les enseignants ?

Une première remarque est, qu’outre les 800 000 enseignants, il y a 400 000 fonctionnaires non enseignants.

C’est à mon avis le prix de la centralisation et de l’uniformité : plus une institution est importante, plus il existe d’échelons hiérarchiques et de services centraux. Par ailleurs, il est compréhensible d’un point de vue syndical de tenir à cette centralisation et à cette uniformité : une fédération nationale est plus puissante que des syndicats dispersés. La faiblesse syndicale dans les PME explique leur crainte de la décentralisation, et les syndicats protestent d’avance contre toute autonomie qui pourrait mener à une privatisation de fait ou de droit, ce qui est un tabou politique.

Une autre explication de l’importance du poids financier de l’Éducation nationale est le coût des retraites, qui se prennent plus tôt en France. Le passage de 62 à 64 ans sera progressif et n’a donc pas encore joué. Surtout, il ne résoudra pas tout : on est plutôt vers 67 ans dans le reste de l’Europe.

Les causes citées à droite ou par les libéraux

La droite conservatrice prend comme référence le passé, qui, dans ce cas, est effectivement meilleur que le présent.

Les libéraux mettent l’accent sur l’autonomie et la responsabilité.

Le corporatisme

Pendant longtemps, la gestion des carrières a été largement décidée par les syndicats qui ont privilégié des augmentations à l’ancienneté plutôt qu’au mérite, dont l’appréciation serait selon eux arbitraire (mais qui est pourtant le cas général dans les entreprises).

Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais la priorité de l’ancienneté demeure dans l’évolution des rémunérations, et surtout l’attribution des postes, les plus difficiles étant confiés aux débutants. On cite souvent comme exemple de corporatisme l’organisation du temps scolaire pensée pour les enseignants et non pour les élèves. Les libéraux rêvent bien sûr d’une rémunération davantage axée sur le mérite et l’efficacité.

La prévalence du pédagogisme dans la création des programmes

Les conservateurs sont frappés par le renversement de l’autorité pédagogique, illustrée par le slogan mettre l’élève au centre.

C’est le pédagogisme : préférer l’épanouissement de l’enfant à l’effort d’acquisition des connaissances. Par exemple, en s’opposant à l’évaluation-sanction ou en poussant au bac pour tous avec les consignes pressantes de relever des notes. C’est ainsi que la part de bacheliers dans une génération est passée de 29 % en 1985 à 82,8 % en 2022, malgré la baisse de niveau ! De ce fait, on a vu la multiplication des cours de rattrapage avant d’entrer dans le supérieur. Résultat : les employeurs qui jadis recrutaient des bacheliers exigent maintenant Bac+3, voire Bac+5.

Une volonté, non pas d’égalité mais d’égalitarisme

L’égalité constitutionnelle est celle du citoyen face à la loi, et non une revendication d’égalité des résultats. Pourtant, cette dernière est devenue dans les discours une priorité qui passe avant le maintien ou l’élévation du niveau. Cela irrite évidemment les libéraux qui mettent l’accent sur l’originalité de chaque individu, et donc le respect du mérite.

La dérive assez naturelle est alors d’égaliser les résultats en étant moins exigeant, avec comme conséquence un nivellement par le bas. En témoignent les pressions subies par les correcteurs d’examen afin de relever leurs notes. Ces derniers s’indignent et s’en plaignent sur les réseaux sociaux professionnels, par exemple celui des Clionautes, association de professeurs d’histoire-géographie.

 

Le plan Attal

La majorité des Français étant très concernée par ce problème, une énième réforme vient d’être lancée par le ministre Gabriel Attal, qui semble plus profonde que les précédentes. Il commence par afficher vouloir « augmenter le niveau du fait de l’urgence nationale ». On retrouve bien notre analyse ci-dessus.

Les textes détaillés ne sont pas encore connus, mais la presse note :

  • l’allégement des programmes du primaire
  • un effort sur le soutien personnalisé
  • des groupes de niveau flexibles
  • un examen de mathématiques en première pour obliger à un travail sur cette matière très importante pour l’emploi
  • le retour des redoublements, qui seront décidés, non plus par les parents mais par les enseignants, ce qui renforcera leur autorité
  • des manuels scolaires aux méthodes scientifiquement prouvées comme efficaces
  • une refonte du brevet, rendu obligatoire pour entrer au lycée
  • la fin du correctif académique remontant les notes des examens
  • une réforme de la formation initiale des enseignants, et leur formation continue, qui est beaucoup moins fréquente que dans les autres pays européens

 

Je remarque que presque tous ces points vont renforcer les enseignants. Par exemple, il faudra mieux les écouter pour réussir le brevet et l’examen de mathématiques en première.

Mais on revient rapidement aux clivages politiques comme l’illustre le quotidien Libération dans son numéro du 6 décembre. Le journal y expose la réaction du SNES FSU qui accuse le ministre de vouloir « institutionnaliser le tri social », et du SNUIPP qui explique que la simplification dans le primaire va creuser des inégalités, les parents favorisés pouvant faire une formation complémentaire.

Le journal reprend également la vieille attaque contre les groupes de niveau qui vont stigmatiser ceux qui iront dans les moins bons. Bref, les critiques restent axées sur les inégalités, et non sur le niveau.

 

Comment aller plus loin ?

Renverser les a priori idéologiques

D’abord, pourquoi un redressement du niveau serait-il inégalitaire? C’est un a priori idéologique.

En effet, l’amélioration du niveau mène à de meilleurs emplois. Combiné à la disparition ou la transformation des emplois anciens et la multiplication des nouveaux, il rétablit l’égalité des chances.

L’adéquation des matières au monde du travail également. Ce dernier point a longtemps été considéré par le corps enseignant comme contraire à son exigence de culture générale. Or cette dernière, qu’elle soit littéraire ou scientifique, est justement recherchée par les employeurs.

Voici mon témoignage :

Il y a plus de 20 ans, étant en charge d’une grande école, j’ai eu en face de moi un activiste persuadé du mépris des employeurs pour la culture générale. Je l’ai donc chargé des relations avec ces derniers, et il en est ressorti avec un renversement de ses préjugés.

En effet, la culture générale est nécessaire pour s’adapter aux changements techniques et économiques de plus en plus rapides. Et le rodage aux mathématiques permet de s’adapter rapidement à une société informatisée. Comme l’ont longtemps pensé certains enseignants, il ne s’agit pas de travailler pour les employeurs, mais pour les élèves.

L’autonomie scolaire

On n’enseigne pas de la même façon à Louis-le-Grand et dans un établissement moins favorisé. C’est une évidence dont on ne tire pas les conclusions. On a essayé au contraire de gommer cette inégalité, avec notamment l’obligation par le précédent ministre de l’Éducation d’échanger des élèves entre  établissements « différents ».

Plutôt que de vouloir gommer cette inégalité, pourquoi ne pas respecter une plus grande liberté éducative à chaque lieu d’enseignement ? On offrirait ainsi à chaque équipe enseignante des marges de manœuvre permettant de faire des choix stratégiques essentiels pour le devenir des élèves, comme l’a proposé par exemple le Sénat.

Cette idée paraît évidente aux personnes issues de l’entreprise, ce qui est mon cas. Je précise toutefois que j’ai été également enseignant du soir pendant 30 ans, puis un enseignant classique pendant 20 ans supplémentaires, et encore aujourd’hui. Cette pratique de l’autonomie est répandue dans les pays de l’OCDE, où elle donne des résultats convaincants.

Ce constat est à l’origine de l’expérience marseillaise d’autonomie scolaire menée conjointement par Emmanuel Macron et le maire socialiste de Marseille. Elle a donné lieu à une levée de boucliers côté syndical, pour des raisons que j’ai mal comprises.

Faut-il y voir la crainte d’avoir sur le dos un patron proche, le chef d’établissement ? Cela alors qu’on accuse la hiérarchie, pourtant plus lointaine, de tous les maux, et notamment de la passivité dans la défense des enseignants dans les domaines disciplinaires liés à la laïcité ou au harcèlement. Passivité dont je témoigne personnellement.

Un autre blocage idéologique est celui de la crainte que l’autonomie ne mène à la privatisation. Cette crainte est assez logique, même si elle n’est pas envisagée pour des raisons politiques.

Elle est avivée par la croissance de la demande pour le privé, lequel est freiné par le contingentement à 20 % du nombre de ses enseignants. Ce contingentement découle du conflit de l’époque Mitterrand, entre les partisans du tout public et ceux du secteur privé, soutenus par une énorme manifestation. C’est à mon avis un obstacle purement idéologique, qui devrait être supprimé pour laisser une plus grande liberté de choix aux parents.

Le renouveau de l’apprentissage

Nous avons enfin tiré des leçons de la réussite suisse et allemande dans ce domaine. Je regrette toutefois que ce soient surtout des étudiants du supérieur qui en ont tiré profit.

La réforme en cours du lycée professionnel devrait s’appuyer davantage sur l’apprentissage, notamment en améliorant  la connaissance des entreprises et l’orientation, ce qui est actuellement en débat.

 

Du pragmatisme !

Il faut abandonner toute approche idéologique face à l’importance du problème, qu’elle concerne la privatisation, l’autonomie, l’égalitarisme, le pédagogisme et les exemples étrangers (chèque éducation, école à charte, école publique indépendante…), ou, en France, les écoles de production…

Par contre, contrairement à mes amis libéraux, je reste assez opposé à l’école à la maison pour des raisons de socialisation, mais aussi et surtout parce qu’elle favorise l’endoctrinement islamiste. Il faut privilégier l’élitisme dans tous les domaines, aussi bien manuels qu’intellectuels, techniques ou théoriques, car c’est lui qui donne ses meilleures chances à ceux qui n’ont pas de base sociale.

Il y a des moyens pour cela : filières d’excellence, bourses, concours externes, implication des enseignants. Bref, il faut revenir à la mission première : faire acquérir des connaissances aux élèves, et cela dès le plus jeune âge ; donc mettre l’accent sur la maternelle et le primaire. D’autant plus que c’est là que démarrent et se creusent certaines inégalités.

Dans cette optique, le plan Attal est une étape importante. Reste à le mettre en place malgré les oppositions déjà déclarées, et à aller plus loin.

Vous pouvez retrouver cette analyse sur le blog d’Yves Montenay

PISA 2023 : est-il encore possible d’espérer un changement de cap ?

Par : Nelly Guet
Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, de surcroît un jeune ministre pouvant aspirer à devenir, un jour, président de la République, je déclarerais vouloir supprimer le ministère de l’Éducation nationale dans sa forme actuelle, et vouloir lui substituer une autre organisation qui relève le niveau des élèves français dans les comparaisons internationales, mais surtout qui permette de réduire de manière drastique les inégalités sociales en matière d’éducation. La légitimité d’une telle décision est affichée au fronton de nos bâtiments publics : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Une telle ambition est bien éloignée d’une énumération de mesures ponctuelles, telles que celles de Gabriel Attal cette semaine.

On y trouve pêle-mêle : une refonte des programmes ; une méthode d’enseignement des mathématiques associée à une labellisation des manuels scolaires ; une organisation pédagogique déjà mise en place dans les années 1980 ; une modification des modalités d’organisation des examens et des passages de classe.

Une seule innovation : un soutien scolaire en français et mathématiques, pour les élèves de seconde, s’appuyant sur l’intelligence artificielle !

C’est un peu comme si pour la restauration de Notre-Dame, le Général Georgelin s’était contenté d’explorer les décombres dans la nef de la cathédrale, sans se préoccuper de l’ampleur de la tâche à venir.

À qui s’adresse un tel discours ?

Très certainement pas aux professionnels, connaisseurs du monolithe « ÉducNat », toutes tendances politiques confondues. Quatre décennies de réformes n’auront toujours pas permis de faire comprendre au ministère qu’unifier veut dire renforcer l’élitisme à l’école. Il n’est pourtant pas possible de nier l’évidence : notre système n’est performant, ni pour les bons élèves ni pour les élèves en difficulté.

Ce discours s’adresse donc à tous les parents français qui rêvent encore de l’école de grand-papa et n’ont aucune connaissance de l’évolution des pratiques pédagogiques dans les autres pays. D’où un certain mérite, il faut le concéder, à évoquer Singapour ! Il s’adresse aussi à une partie des enseignants, en manque d’autorité, qui brandiront, comme jadis, la menace du redoublement, pour se faire respecter.

 

Autonomie des établissements

Donner un réel pouvoir aux enseignants, aux parents, aux élèves, aux directions d’établissements, c’est introduire en France, avec vingt ans de retard, l’évaluation interne.

L’outil appelé SEP – self evaluation profile ou profil d’autoévaluation – mis au point par le professeur Mac Beath (Écosse), Denis Meuret (France) et Michael Schratz (Autriche) a été présenté dès l’an 2000 à madame Ségolène Royal qui n’a pas jugé utile d’introduire une telle transformation dans le « Collège de l’an 2000 ». C’est pourtant la première étape à franchir lorsque l’on veut accorder une réelle autonomie à l’établissement, et de nombreux pays européens l’ont compris immédiatement. Animée d’un faux espoir, j’ai à nouveau présenté cet outil à la DGESCO (Direction Générale de l’Enseignement Scolaire), fin août 2017. En vain.

Il n’y aura donc pas de « Choc Pisa » en France en 2023, qui puisse être comparé à celui provoqué en Allemagne en l’an 2000 par Andreas Schleicher (OCDE). Concurrence oblige, les 16 länder allemands ont alors vite compris que la priorité des priorités était de rendre les établissements scolaires plus autonomes qu’ils ne l’étaient dans les années 1990. J’ai dirigé un lycée allemand à cette époque et peux confirmer que nous avions en France, grâce à l’Acte 1 de la décentralisation de 1985, une certaine avance sur notre voisin. Nous avons été vite dépassés dans ce domaine, car aucune de nos régions ne peut innover comme l’ont fait le Sénat de Berlin, la Bavière, la Rhénanie du Nord-Westphalie… et les autres.

Par autonomie, on entend le recrutement par l’équipe de direction de ses proches collaborateurs, l’évaluation des enseignants… Nos directions d’établissement n’ont toujours pas de réel pouvoir de décision, en ce qui concerne l’affectation des ressources financières, la gestion des ressources humaines (recrutement, évaluation, formation) et des moyens horaires (répartition des élèves, contenus d’enseignement, pratiques pédagogiques).

Si les résultats de PISA 2022 montrent également une baisse significative de niveau en Allemagne, imputable à de nombreux facteurs : Covid-19, fermeture des établissements scolaires, élèves immigrés plus nombreux, d’après Andreas Schleicher, l’arrêt des réformes éducatives serait également en cause. Quant à la Finlande, mes collègues expliquaient modestement leur niveau d’excellence par un public scolaire très homogène, ce qui n’est plus tout à fait le cas.

 

Pouvoir des régions

Certaines régions académiques tentent d’associer à leurs efforts les présidents de région, mais ce travail touche essentiellement l’information sur l’orientation et l’insertion professionnelle, en priorité pour les élèves des lycées professionnels, et non les 12 millions d’élèves du système éducatif français.

Les départements et les régions financent des établissements où leur pouvoir de contrôle est limité du fait que l’adjoint-gestionnaire de l’établissement, devenu depuis peu secrétaire général, est certes sous l’autorité fonctionnelle de la collectivité territoriale, mais demeure, même s’il est agent comptable, sous l’autorité hiérarchique du chef d’établissement pour ce qui relève de la gestion budgétaire.

Il y aurait par conséquent beaucoup à dire sur l’opportunité des dépenses lorsqu’il s’agit de ne pas faire de vagues et de garantir la paix sociale, au lieu de privilégier les besoins des élèves.

 

Programmes et Inspection générale

Comment se fait-il que pour définir ses priorités, le ministre ne s’appuie pas sur le rapport de juin 2023 établi par trois corps d’inspection – IGÉSR (Éducation, Sport, Recherche), IGF (Finances), et IGAS (Affaires sociales) ?

Il serait le premier ministre de l’Éducation à affirmer, en France, qu’économie et éducation sont intimement liées. Dans le cadre de nos associations internationales (ESHA et ICP), avec mes collègues chefs d’établissement de 33 pays européens et des cinq continents nous avons été reçus dans de nombreux pays par des ministres, des présidents, dont les discours mettaient toujours en avant la connexion entre l’économie de leur pays et l’éducation de leurs élèves. En France, il n’en est rien. Jean-Michel Blanquer et Bruno Le Maire n’ont pas fait exception à la règle, par crainte sans doute pour le second d’être accusé de délit d’ingérence.

Ce que ce rapport nomme pudiquement « des tensions » correspond en fait à des obstacles quasiment insurmontables pour l’économie du pays, si l’on ne résout pas les problèmes de formation et d’adéquation au marché de l’emploi.

Ce rapport établit un diagnostic et fait des préconisations.

« L’image dégradée de l’industrie reste encore aujourd’hui le facteur déterminant. Afin de transformer cette perception, la mission propose d’introduire un enseignement de science, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) dès le primaire, à l’instar des pays asiatiques et anglo-saxons. »

Le rapport souligne aussi la nécessité de continuer « à revaloriser le lycée professionnel, de soutenir l’apprentissage, notamment au niveau 4, et porter une attention particulière sur les enseignants ou formateurs pour garantir leur recrutement et leur formation continue ».

Ce rapport aboutit, sans les nommer, à la même conclusion que tous les pays européens réunis au sein de la EU STEM Coalition dont je suis membre depuis 2015.

Il est à noter qu’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait missionné trois hauts fonctionnaires pour une expertise sur ce sujet. À son départ de Bercy, les deux autres ministres concernés –  N. Vallaud-Belkacem (Éducation), Thierry Mandon (Recherche) –  n’ont pas donné suite. Huit années de perdues. Souhaitons que ce rapport qui révèle la solution tant attendue, ne finisse pas dans un tiroir, comme les nombreux rapports de la Cour des comptes !

 

Formation des professeurs

Introduire les « STIM » de l’école primaire à l’Université implique une modification profonde du fonctionnement de nos établissements où il s’agit d’introduire la transdisciplinarité, et donc l’abandon des programmes tels qu’ils sont conçus par l’Inspection générale.

Il s’agit également de s’appuyer sur des partenariats école-entreprise tout au long de la scolarité et non, comme actuellement, seulement sur des actions ponctuelles en faveur de stages ou sur des événements médiatiques avec signatures de conventions destinées à l’information sur les métiers. Pour impliquer les élèves de tous les établissements français et leurs professeurs de sciences, mais aussi d’autres disciplines, il faut recruter et former autrement. Ces dernières années, j’ai pu voir au Danemark, aux Pays-Bas, en Estonie, en Finlande, au Pays basque, en Allemagne, en Hongrie… ce que signifie une telle formation, et ce qu’elle permet dans le travail quotidien à l’école.

Dans un pays où, à droite, on réclame à cor et à cri de « l’instruction », où, à gauche, des enseignants militants déclarent ne pas être des assistantes sociales, le chemin à parcourir comporte beaucoup d’obstacles. Néanmoins, il est la seule voie de progrès qui permettra à notre système éducatif de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve depuis trop longtemps.

Revenir aux groupes de niveaux des années 1980 n’est pas une mauvaise idée en soi.

Ils ont en effet fait leurs preuves, mais ce qu’oublie de préciser le ministre, c’est qu’il doit impérativement s’agir de groupes de niveaux mobiles, ce qui exige des enseignants un travail en commun non négligeable permettant aux élèves de changer de groupe en fonction de leurs progrès ou de leur régression. Dans les années 1990 je dirigeais une cité scolaire de 2000 élèves où nous avions mis en place de tels groupes mobiles en sixième et en seconde. C’est un travail titanesque pour la confection de l’emploi du temps, mais l’enjeu en vaut la peine.

Il va de soi qu’une telle décision devrait revenir au conseil d’administration de l’établissement, et non pas à la rue de Grenelle car il sous-entend la volonté affirmée des professeurs de travailler ensemble à la réussite de leurs élèves tels qu’ils sont. J’ai pour ma part travaillé dans des établissements prestigieux de centre-ville et dans des collèges de banlieues « difficiles ». Je sais par conséquent en quoi consiste la différence.

Concernant l’enquête Pisa de 2022, commentée dans les médias ces derniers jours, un constat est volontairement (?) passé sous silence : en France, le climat qui règne dans les salles de classe n’est pas propice au travail, car une part importante de l’heure est consacrée à mettre un terme au chahut et aux bavardages, à « faire de la discipline ». Ce n’est pas nouveau. Les enquêtes précédentes le révélaient déjà. Rien d’étonnant si l’on sait que les élèves français sont avant tout supposés écouter et non agir. Les activités transdisciplinaires liées aux STIM – par exemple grâce à Jet-Net aux Pays-Bas – reposent sur une règle : 20 % d’écoute « listening », 80 % d’action « doing ».

J’ai effectué une partie de mes études dans deux Universités allemandes dans les années 1970. En France, en amphithéâtre, nous étions censés écouter et prendre des notes. En Allemagne, j’ai très vite compris qu’il était hors de question de se taire. J’ai dû m’exprimer en public, participer à des travaux de binômes et de groupes. Il faut être conscient de cette différence si l’on veut mieux la combattre. La Chine aussi s’inspire des pratiques européennes les plus performantes. J’ai été invitée quatre fois par leur ministère de l’Éducation à les présenter aux côtés de mes collègues européens.

Combattre le harcèlement, c’est aussi transformer en profondeur la formation des professeurs de français qui ne sont pas tous capables de diriger une « heure de vie de classe » telle qu’elle a été introduite, il y a fort longtemps. Faute de savoir gérer une dynamique de groupe, de faciliter régulièrement les échanges en demi-classes, pour aborder toutes sortes de problèmes, notamment ceux liés à la laïcité, nos enseignants doivent inculquer les « valeurs de la République » en juxtaposant des heures d’instruction civique au milieu des autres cours. C’est l’absence de projet commun, de répartition de responsabilités au sein de la classe, telles qu’André de Peretti les définissait dès les années 1980, qui livre nos élèves à leurs bons et mauvais penchants.

N’en déplaise à certains, l’école n’est pas seulement là pour instruire. Elle doit éduquer. Une majorité d’enseignants français, souvent à titre personnel, assume déjà une partie de ces tâches, bien que rien ne les y oblige. Depuis peu, les enseignants qui souhaitent faire reconnaître ce travail supplémentaire peuvent signer le PACTE, qui, bien évidemment, n’a pas reçu le soutien de leurs syndicats.

Remplacer les collègues absents, assurer au quotidien les relations avec les familles, sont des tâches qui devraient être intégrées dans les services d’enseignement. Il va de soi que la suppression des services Vie Scolaire – une spécificité française coûteuse – permettrait d’augmenter les salaires des enseignants d’au moins 30 à 35 %, et constituerait également une partie de la solution à nos problèmes de désintégration sociale.

 

Un nouveau ministre, une nouvelle politique scolaire ?

Suite à la publication des résultats médiocres révélés par l’enquête Pisa 2022, le ministre dispose, à la lecture du rapport de trois Inspections générales, du fil conducteur lui permettant de définir un cap.

Il lui appartient en effet d’imposer aux académies/régions les axes de travail, les objectifs à atteindre, et non de choisir les moyens d’action. Il lui revient également de remanier l’édifice ministère de l’Éducation nationale, de supprimer des services dont les missions sont obsolètes, afin de permettre un suivi efficace sur le terrain qui garantisse justice et équité.

Déclaration de biens immobiliers et embrouilles fiscales : amateurisme ou filouterie ?

Année après année, mesure après mesure, étape par étape, technologie après technologie, le fisc augmente son pouvoir, sa surface de jeu, et son « efficacité » de collecte pour l’État, toujours en manque d’argent.

 

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

Souvenons-nous du prélèvement automatique des impôts sur le revenu, une mission dont l’ambitieux Gérald Darmannin s’est brillamment acquitté, confortant ainsi l’État dans son assurance d’être payé, dans le coût de sa collecte (maintenant déléguée aux employeurs qu’il ne rémunère pas pour cela), dans la gestion de son cash-flow (maintenant plus rapide de plusieurs mois par rapport à avant). Qui plus est, il a eu le mérite, pour les tenants du pouvoir, de faire passer cela pour un bénéfice pour le contribuable : c’est un souci de moins. Enfin, pour les prêteurs à l’État, qui lui font notamment confiance grâce à la capacité supposée de ponctionner l’argent du peuple, par un coup de force si besoin le jour venu (attention, assurance vie sans doute dans le viseur), il a magistralement montré qu’en effet, l’État savait plumer un peu plus l’oie contribuable sans qu’elle crie.

Et pourtant, malgré l’argument selon lequel cela se fait déjà ailleurs, on peut avoir une opinion radicalement différente de celle des pouvoirs en place et de ceux qui lui prêtent de l’argent à gaspiller ; on peut voir dans cette affaire une privation supplémentaire de liberté, et une mise en danger du citoyen, contraire à l’esprit de la démocratie (le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple).

En effet, avec un prélèvement automatique, on enlève au citoyen l’occasion de calculer avec attention ce qu’il doit, on dote le pouvoir d’un accès permanent et incontrôlable au cash flow individuel (ouvrant ainsi une brèche universelle, une pompe permanente et continue d’accès aux salaires, pour y prélever une somme arbitraire par loi ou décret si besoin un jour), on anesthésie le citoyen dans son énergie de vigilance et contestation.

Par expérience des pratiques de facturation et prélèvement des diverses administrations, je suis plutôt de l’avis des méfiants. Vous verrez plus en détail pourquoi dans ma dernière mésaventure.

 

Un espion dans mon jardin

Autre exemple de prouesse du fisc : l’emploi de l’intelligence artificielle pour trouver des biens à taxer qui lui auraient échappé.

Un cas a fait couler pas mal d’encre ces derniers mois : la détection de piscines par traitement d’images, à partir des photos satellite. Une piscine de plus de 10 m2 est en effet taxable, au titre de la taxe foncière (celle qui subsiste et explose). Et le montant de la taxe se calcule comme la valeur nominale (250 euros/m2 en 2023), multipliée par la surface, multipliée par un taux communal – 4 % en moyenne entre 1 % et 5 %), et un taux départemental -1,5 % en moyenne (quand la soupe est bonne, tout le monde y vient ; la région devrait sans doute suivre un jour – il n’y a pas de raison). Soit, pour 20 m2, 275 euros par an.

Or, avec le traitement par intelligence artificielle, les services fiscaux reportaient mi 2022 la détection de 20 000 piscines non déclarées dans neuf départements, pour un montant de plus de 10 millions d’euros de taxes, et annonçaient que le dispositif allait être généralisé.

Il l’a été en effet, avec des effets retard remarqués pour la Corse et l’Outre-mer, territoires dont on a pu se demander s’ils bénéficiaient d’une faveur pour une raison inavouable, ou juste, comme l’a prétendu le gouvernement, d’un délai à obtenir les photos nécessaires… Par contre, pas un mot sur les éventuels constats de piscines déclarées dans le passé et ayant disparu, converties par leurs propriétaires à d’autres usages. Un phénomène rare peut-être, mais pas inexistant, puisque je connais un citoyen qui a couvert en dur sa piscine pour en faire une terrasse. Il n’a jamais été informé par le fisc qu’il ne devait plus rien, et qu’il serait même remboursé pour les années passées (trois ans rétroactifs, me semble-t-il).

Le fisc aurait-il cette vertu spontanée, ou attendrait-il que le contribuable s’en aperçoive enfin de lui-même ? Quand on est ministre des Finances ou dirigeant des services fiscaux, la réponse à cette question révèle une considération particulière du rapport entre le pouvoir et le peuple, et de qui doit être au service honnête de l’autre. On attend de savoir, peut-être un jour.

En attendant, un incident récent laisse à soupçonner que peut-être, hélas…

 

La chasse aux biens immobiliers

Tous les contribuables ont en effet vu récemment que leur patrimoine immobilier faisait soudain l’objet d’une attention redoublée et très détaillée.

À l’origine de ce nouveau coup de zoom, sans doute le désarroi d’un État affolé par la montée du coût de la dette et son incapacité à maîtriser les vraies dépenses (pas cellles, ironiquement classées ainsi par les calculateurs de Bercy, des remises d’impôts/ niches fiscales, mais les vrais coûts des actions des gouvernants, toutes ces politiques jamais ou mal évaluées, où se sont engouffrés des milliards sans résultat) et l’effet de l’intenable promesse démagogique d’Emmanuel Macron de la suppression de la taxe d’habitation, promesse dont l’effet boomerang continue d’engendrer des pompages dérivatifs dans d’autres poches du budget, des usines à gaz de calculs compensatoires, et une explosion de la taxe foncière, dernière ressource autonome significative des communes.

De fait, comme pour les piscines, un des premiers usages de ce recensement de la population immobilière est la chasse aux biens qui pourraient « bénéficier » d’une taxe d’habitation perdue lors de la prise de pouvoir par En Marche.

Et, à ce titre, un citoyen que je connais a eu la surprise de recevoir cette année, pour la première fois depuis des années, un avis de taxe d’habitation de près de 1000 euros pour un bâtiment situé à la même adresse que sa résidence principale, une ancienne maison de gardien reconvertie en gîte rural, pour lequel il est loueur professionnel, et paye à ce titre des impôts sur les sociétés comme la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises). Or :

  • On ne saurait être à la fois imposé comme une entreprise (CFE) et comme un particulier (taxe d’habitation) pour le même bien.
  • Le fisc est toujours le premier bénéficiaire de toutes les avancées techniques possibles pour améliorer le service public. En particulier, il paraît certain que toutes ses bases de données sont connectées entre elles, et qu’un bien donné avec une adresse connue doit pouvoir sans problème être détecté comme déjà soumis à la CFE.

 

Aussi cette taxe d’habitation d’un bien, connu comme soumis à la CFE, pose clairement question.

Ce citoyen taxé, plus éveillé et moins docile sans doute que beaucoup d’entre nous, a soulevé la question auprès des services fiscaux qui ont reconnu une erreur, et l’ont invité à faire une demande d’annulation. On se demande bien comment, avec tous les moyens dont il dispose, le fisc a pu commettre cette erreur. Oubli involontaire de contrôle dans les bases de données disponibles (une erreur de débutant en science des données) ou oubli volontaire/conscient pour aller à la pêche ?

 

Les erreurs des citoyens/entrepreneurs dans leurs déclarations au fisc, URSSAF ou autres sont en général surtaxées de 10 %, sauf (depuis peu) en cas d’erreur de bonne foi (dont l’appréciation revient au collecteur).

Alors on pourrait aussi attendre que l’agent du fisc qui reconnaît l’erreur fasse lui-même les démarches de demande d’annulation/rectification, et que le fisc soit pénalisé d’une amende de 10 % du montant demandé, sauf si le citoyen considère qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi (ce qui en l’occurrence paraît soit incertain, soit inacceptable compte tenu des accès aux données dont le fisc dispose).

 

Alors, nos services fiscaux, amateurs ou filous ? Monsieur le ministre, exprimez-vous et convainquez-nous. En attendant, citoyens, contribuables, à vous de juger.

Les écoles privées ont sauvé l’enseignement en Suède

Un article de l’IREF.

Dès la fin des années 1980, une première série de réformes a été opérée en Suède par le gouvernement social-démocrate, transférant aux municipalités la responsabilité des écoles et leur laissant une grande liberté pour l’affectation et l’utilisation des ressources en fonction du contexte et des besoins locaux. Puis au cours des années 1990, le gouvernement conservateur-libéral a voulu donner aux parents la liberté de choisir l’école de leurs enfants et favoriser la concurrence entre les établissements pour notamment améliorer la qualité de l’enseignement public.

Ainsi, en 1992, il a institué le chèque éducation alloué aux familles pour qu’elles le remettent à l’école, privée ou publique, de leur choix tout en interdisant que ces écoles leur prélèvent des frais de scolarité. Les écoles privées, qui recevaient initialement 85 % de la dotation par élève du public, reçoivent depuis une décision des sociaux-démocrates en 1994 la même dotation que celle des écoles publiques. Parallèlement, des règles libérales ont permis qu’au cours des années 2000 de nombreux établissements privés soient ouverts.

Figure 1. Proportion d’élèves dans les établissements privés (« libres ») dans l’enseignement obligatoire et l’enseignement secondaire supérieur en Suède et à Stockholm, 1999-2017 (en %)

Source : Statistics Sweden

Toute personne physique ou morale peut créer une école sous réserve de remplir les conditions requises par l’inspection scolaire suédoise et d’être agréée par l’Agence nationale de l’éducation. Les premières écoles libres, les friskolor, ont été ouvertes localement par des associations, des parents ou des enseignants. Puis des entreprises ont investi de plus en plus dans ce secteur de l’éducation. En 2017, 68 % des établissements privés d’enseignement obligatoire et 86 % des établissements secondaires supérieurs privés étaient gérés par des sociétés à responsabilité limitée (Alexiadou et al., 2019).

Face à l’ampleur de ce développement a été mis en place un contrôle accru de la performance et de la qualité par l’État. Aujourd’hui, environ 16 % des élèves en primaire et collège et 30 % de ceux du lycée fréquentent des écoles privées alors qu’il n’y en avait que 1% il y a trente ans.

 

La dégradation du système éducatif

La gauche européenne, qui ne comprend pas comment un pays social-démocrate a pu favoriser ainsi les écoles privées, dénonce la qualité de ces écoles libres et affirme que les mauvais résultats PISA des années 2010 sont dus à la privatisation. En réalité c’est l’inverse.

Aux scores PISA, la Suède avait des résultats honorables en 2000 : de 516 (10e au classement général) en compréhension de l’écrit, 510 (16e) en mathématiques et 512 (11e) en sciences.

Ces scores se sont dégradés en 2012 : 483 (37e) en compréhension de l’écrit, 478 (38e) en mathématiques et 485 (38e) en sciences.

Mais ils se sont relevés en 2018 : 506 (11e) en compréhension de l’écrit, 502 (18e) en mathématiques et 499 (20e) en sciences.

Au score Pisa 2022, les résultats sont en baisse à respectivement 482, 487 et 494, comme ceux de presque tous les pays du monde, mais la Suède est 19e, quatre places devant la France

La baisse de qualité de son système éducatif est due principalement à l’immigration massive que la Suède a accueillie sans compter, notamment depuis la fin du siècle dernier. Le nombre d’immigrés non occidentaux en Suède était d’environ 1 % de la population dans les années 1970 et de plus de 10 % en 2015, voire 15 % en incluant les demandeurs d’asile.

Selon l’OCDE, « en 2014-2015, la Suède a vu le plus grand flux de demandeurs d’asile par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE ».

Corrélativement, le nombre d’immigrés sans emploi y était extrêmement important. En 2015, 82,9 % des natifs et 59,6 % des personnes nées à l’étranger, dans la tranche d’âge 20/64 ans, avaient un emploi rémunéré. Ce taux n’était que de 53,6 % chez les immigrés extra-européens.

 

Les vertus de la concurrence

Il est reproché aux entreprises qui gèrent des écoles privées de faire du profit avec l’argent public qui leur est remis par les familles. Mais si elles font du profit, c’est parce qu’elles réussissent à attirer des élèves qui ont le choix d’aller dans des écoles publiques. Si elles y parviennent, c’est parce qu’elles sont meilleures, et si elles font du profit, c’est parce qu’elles sont mieux gérées. La concurrence joue en effet un rôle efficace pour améliorer les résultats. Certes, les écoles publiques communales sont obligées d’accepter des élèves moins bons, notamment les nombreux immigrés ayant afflué en Suède ces dernières années, mais n’est-ce pas aux pouvoirs publics qui ont favorisé cette immigration massive d’en supporter les conséquences ?

Des écoles privées font faillite ou sont obligées de fermer parce qu’elles ne respectent pas leurs obligations. Au demeurant, les écoles privées sanctionnées ne sont pas si nombreuses. Selon Le Monde, l’Inspection scolaire en aurait fermé 25 au cours des cinq dernières années. Un chiffre modeste au regard du nombre d’écoles. En France aussi, nombre d’écoles publiques mériteraient d’être fermées, mais la carte scolaire oblige les élèves à les fréquenter, et l’argent public couvre leurs dépenses quoi qu’il en coûte. C’est précisément la vertu d’un système privé de contraindre les écoles inaptes à fermer.

Pour remédier à l’effondrement de son système scolaire, pourquoi la France n’engagerait-elle pas une vraie privatisation de ses écoles, avec allocation de bons scolaires ?

L’ancien maire conservateur d’Upplands Väsby, Oskar Weimar, cité par M le magazine du Monde, observe :

« Le principe d’une école uniforme ne fonctionne pas. Les enfants ne se ressemblent pas, ils apprennent différemment. Nous avons besoin de diversité et de permettre aux élèves et à leurs parents de choisir l’école qui leur convient le mieux et d’éliminer celles qui ne leur plaisent pas. »

Sur le web.

Annonces de Gabriel Attal : beaucoup de bruit pour rien

 

 

Aussi séduisantes qu’elles soient, les mesures scolaires annoncées par Gabriel Attal se révèleront inutiles et inefficaces pour résoudre les maux de l’école. D’une part parce qu’elles ne tiennent pas compte de la nature de l’Éducation nationale, d’autre part parce qu’elles ne s’attaquent pas à la racine du problème.

Ce pourrait être une épreuve du classement Pisa : dénombrer toutes les mesures prises par les ministres de l’Éducation nationale pour redresser l’école. Comme ses prédécesseurs, Gabriel Attal a donc annoncé vouloir recentrer l’école sur les fondamentaux, savoir lire, écrire et compter et accroître les exigences scolaires. Au programme donc, redoublement, dédoublement des classes, groupes de niveaux, revalorisation du Brevet du collège, etc.

Des mesures de séduction qui ont atteint leurs cibles ; des mesures vaines pourtant, qui ne résoudront pas les problèmes scolaires.

 

Une administration toute-puissante

À un syndicaliste à qui je demandais son avis sur un ministre de l’Éducation nationale fraichement nommé, celui-ci me répondit : « Peu importe le ministre, c’est nous qui avons le pouvoir ».

Un constat lucide sur le fonctionnement de cette administration qui avale et digère les réformes avec une grande capacité d’absorption des chocs. La seule fonction du ministre est politique : mener une guerre de communication auprès des parents électeurs et servir de fusible au président auprès des professeurs militants. Son influence sur le ministère et les décisions pédagogiques est nulle. Là règnent les inspecteurs académiques, les professeurs syndicalisés, les formateurs des INSPE qui, associant la force d’inertie à la puissance corporatiste, imposent leur point de vue et leurs orientations, par la terreur des affectations et des notations.

La réponse aux annonces Attal a été donnée par un tweet de Philippe Meirieu :

« Avant même que nous ayons pu analyser les résultats de PISA, alors que nous ignorons les résultats de la consultation du ministère, le ministre tout-puissant et omniscient dévoile ses nouvelles réformes : non pas un choc des savoirs, mais un grand bond en arrière. »

L’application dans les établissements de cet oukase de l’empereur des pédagogistes a été relayée par un article du journal Le Parisien qui fait état qu’en Seine-Saint-Denis « la création de groupe de niveau inquiète », ce qu’il faut comprendre par « les mesures ne seront pas appliquées ». Ou pour le dire plus prosaïquement : le vent brassé rue de Grenelle n’ira pas au-delà de la rue de Grenelle.

Car il ne suffit pas d’annoncer, encore faut-il mettre en œuvre. Et là, de groupes de concertation en commissions d’évaluation, les mesures annoncées connaîtront les affres de l’enlisement et de l’ensablement.

Après Gabriel Attal viendra donc un autre ministre qui, comme lui, annoncera un « choc des savoirs », dont le destin sera à peu près similaire.

 

Des réformes qui loupent leurs cibles

Quand bien même les réformes Attal seraient appliquées, elles sont bien en deçà des mesures à prendre pour rebâtir l’école.

Les vrais problèmes de l’école aujourd’hui c’est l’impossibilité de recruter des professeurs, qui engendre une pénurie sans précédent, et la violence qui gangrène de nombreux établissements. Quand des instituteurs sont recrutés, comme dans l’académie de Créteil, avec des moyennes de 4 sur 20, il est difficile d’attendre d’eux des merveilles pour établir un choc des savoirs.

L’effondrement du niveau scolaire suit l’effondrement du niveau des professeurs. Il n’est pas rare que des candidats recalés au concours du CAPES début juillet soient recrutés comme contractuels à la fin de l’été. Aux concours de recrutement, les épreuves de validation des connaissances et de maitrise de la discipline sont réduites à la portion congrue, remplacées par des épreuves de pédagogie et de maitrise des « valeurs de la République ». Une fois admis, ces jeunes professeurs sont formatés dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) où ils doivent démontrer une conformité idéologique totale afin d’être titularisés. Auquel cas, ils seront exclus de l’administration de l’Éducation nationale. Des INSPE où les notions de transmission et de savoir sont bannies au profit des compétences et du pédagogisme.

Gabriel Attal annonce ainsi vouloir dédoubler les classes, une mesure matériellement impossible à mettre en œuvre : où trouver des classes supplémentaires dans des établissements qui sont déjà pleins comme des œufs, où recruter les professeurs supplémentaires alors que la pénurie s’aggrave ? Faire du Brevet une barrière entre le collège et le lycée ? Que faire des élèves qui auront échoué à cette épreuve ? L’annonce de la création de « prépa-lycée » est une mesure vaine : ce n’est pas en une année de troisième bis qu’il sera possible de régler des problèmes d’orthographe et de maîtrise de la langue accumulés depuis l’école primaire.

Les problèmes de l’école sont causés par la nature même d’une éducation nationale. Tant qu’il n’y aura pas l’addition de la liberté pédagogique, de la liberté de recrutement et de la liberté de rémunération des professeurs, toute annonce sera vaine. Mais pour cela il faudrait abattre le totem de l’Éducation nationale, ce que Gabriel Attal n’est pas disposé à faire.

Au-delà de l’État : plaidoyer pour l’anarchocapitalisme

Un article de Anthony P. Mueller. 

La politique sous toutes ses formes, en particulier celle des partis politiques, est l’ennemi juré de la liberté, de la prospérité et de la paix. Pourtant, où que l’on regarde, le renforcement du gouvernement est invoqué comme la solution.

Rares sont les voix qui affirment qu’une autre voie est possible. Peu d’entre elles s’expriment en faveur de l’anarchocapitalisme et d’un ordre social libertarien.

Il est assez courant aujourd’hui d’annoncer avec assurance le verdict selon lequel l’anarchocapitalisme, une société sans État répressif, n’est pas réaliste. Pour la plupart des gens, un ordre social libertarien est une chimère. Les fausses accusations abondent, comme celle selon laquelle l’anarchocapitalisme serait source d’injustice et désavantagerait les pauvres.

 

La situation précaire du libertarianisme est en partie liée à l’évolution de l’histoire.

L’évolution sociétale a pris un mauvais tournant lorsque Rome a vaincu Carthage, et qu’au lieu d’une société commerciale, c’est une société étatique militariste qui a pris le dessus. Plus de deux mille ans de césarisme ont répandu la croyance qu’il n’y a pas d’alternative à la politique et à l’État. La hiérarchie et l’autoritarisme en sont venus à être considérés comme le mode naturel d’organisation de la société, sans reconnaître que ces ordres sont imposés.

Le libertarianisme est une société de droit privé. Dans une société de droit commun, les entreprises privées sur le marché remplissent les fonctions traditionnelles de l’État. L’ordre contractuel volontaire de l’anarchocapitalisme remplace la coordination hiérarchique des activités de l’État. Le sens premier de l’anarchocapitalisme est un ordre où la coopération horizontale basée sur l’échange volontaire domine la coordination des activités humaines.

L’ordre spontané d’une société anarchocapitaliste exige qu’il se réalise sous la forme d’un processus graduel de privatisation. Commençant par la suppression des subventions et des réglementations, ainsi que par la vente des entreprises semi-publiques et des services publics, la privatisation devrait s’étendre progressivement à l’éducation et à la santé, et finalement englober la sécurité et le système judiciaire.

Il existe de nombreuses preuves que les soi-disant services publics deviendront meilleurs et moins chers dans le cadre de l’anarchocapitalisme. Dans le cadre d’un système global de libre marché, la demande et l’offre en matière d’éducation, de soins de santé, de défense et de sécurité intérieure seraient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. La privatisation de ces activités, qui sont actuellement sous l’autorité de l’État, entraînerait non seulement une diminution des coûts unitaires des services, mais changerait également la nature des produits.

Étant donné que la majeure partie de l’offre actuelle de biens dits publics est un gaspillage inutile, une charge énorme pèserait sur les contribuables une fois que ces produits seraient privatisés. Sans perdre les avantages réels de l’éducation, des soins de santé et de la défense, ces biens seraient adaptés aux souhaits des consommateurs, et fournis de la manière la plus efficace. Les coûts seraient réduits à une fraction de leur taille actuelle.

Si l’on inclut l’appareil judiciaire et l’administration publique hypertrophiés dans la réduction de l’activité de l’État, les dépenses publiques – qui représentent aujourd’hui près de 50 % du produit intérieur brut dans la plupart des pays industrialisés – seraient ramenées à des pourcentages à un chiffre. Les contributions diminueraient de 90 %, tandis que la qualité des services augmenterait.

 

Contrairement à la croyance dominante, la privatisation des fonctions policières et judiciaires n’est pas un problème majeur. Il s’agirait d’étendre ce qui se fait déjà. Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, le nombre de policiers et d’agents de sécurité privés dépasse déjà le nombre de policiers officiels. La prestation privée de services judiciaires est également en augmentation. Les tribunaux d’arbitrage ont fait l’objet d’une demande forte et croissante, y compris pour les litiges transfrontaliers.

Ces tendances se poursuivront, car la protection et l’arbitrage privés sont moins coûteux et de meilleure qualité que les services publics.

Au Brésil, par exemple, qui possède l’un des systèmes judiciaires les plus coûteux au monde, environ quatre-vingt millions d’affaires sont actuellement en attente de décision, et l’incertitude juridique est devenue monstrueuse. Aux États-Unis, de nombreux secteurs du système judiciaire sont en déliquescence.

 

La solution aux problèmes actuels n’est pas plus mais moins de gouvernement, pas plus mais moins d’État, pas plus mais moins de politique. La malédiction qui pèse actuellement sur les jeunes, à savoir avoir un emploi fixe bien rémunéré ou vivre à la limite de l’autonomie, disparaîtrait. L’anarchocapitalisme est synonyme de productivité élevée et de temps libre abondant. Dans une société anarchocapitaliste, la pénibilité du travail salarié ne sera plus la norme et sera remplacée par le travail indépendant.

L’anarchocapitalisme n’est pas un système qui doit être établi par un parti ou un homme fort.

 

Une communauté libérale devrait émerger comme un ordre spontané. La bonne voie vers une telle société est donc l’action négative. La tâche qui nous attend est la suppression des subventions et des réglementations. Au lieu de créer de nouvelles lois et de nouvelles institutions, la mission consiste à abolir les lois et les institutions. Pour ce faire, un changement de l’opinion publique est nécessaire.

Plus l’idée que la solution réside dans la réduction de la politique et de l’État gagnera du terrain, plus le mouvement libertarien prendra de l’ampleur. Pour ce faire, il faut avoir la volonté d’exiger et de réaliser la privatisation du plus grand nombre possible d’institutions publiques.

La privatisation est un moyen, pas un but. Elle sert à placer un fournisseur de biens sous le contrôle du grand public. Sur le marché libre, ce sont les clients qui déterminent les entreprises qui restent en activité et celles qui doivent fermer. Avec le système actuel du capitalisme d’État, de larges pans de l’économie sont contrôlés par la politique et l’appareil technocratique.

La privatisation place les entreprises sous le régime du profit et de la perte, et donc sous le contrôle du client. Le profit est la clé de l’accumulation du capital, et donc de la prospérité. Le profit des entreprises est le moteur et en même temps le résultat du progrès économique. Seule une économie prospère génère des profits. Dans la même logique, on peut dire que les profits poussent l’économie vers la prospérité.

Pour les entreprises privées, l’importance des bénéfices dépend du degré d’efficacité de l’entreprise et de l’utilité de son produit pour satisfaire les goûts du public. Cependant, la privatisation en soi ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une déréglementation. Dans le passé, de nombreux cas de privatisation ont échoué parce que le cadre réglementaire n’avait pas été supprimé. Les anciennes barrières à l’entrée ont continué à exister.

 

Une autre erreur souvent commise a été de privatiser à la hâte des entreprises publiques qui fournissent des services essentiels, au lieu de commencer par l’évidence : supprimer les subventions. La déréglementation et la suppression des subventions sont des conditions préalables essentielles à la réussite de la privatisation. Le capitalisme a besoin de concurrence, et la concurrence a besoin de faibles barrières à l’entrée.

L’anarchocapitalisme dessine un ordre économique dans lequel l’entrepreneur dirige l’entreprise selon les règles du profit et de la perte. Ceux-ci, à leur tour, dépendent directement des actions des clients. Les lois du profit et de la perte obligent l’entrepreneur à employer son capital au profit des consommateurs. En ce sens, l’économie de marché fonctionne comme un mécanisme de sélection permanent en faveur de l’allocation des ressources, là où le degré de productivité et de bien-être est le plus élevé.

Pour réussir, la privatisation doit être considérée comme une étape dans un ensemble de mesures visant à établir une économie de marché. Pour bien fonctionner, la privatisation doit s’accompagner de l’ouverture des marchés – y compris le libre-échange international – en réduisant la bureaucratie et en rendant le marché du travail plus flexible.

 

Une monnaie saine et une faible pression fiscale sont des conditions préalables fondamentales au bon fonctionnement des marchés libres. La privatisation de l’économie échouera tant que le système monétaire sera soumis à un contrôle politique et technocratique et que des charges fiscales élevées limiteront les actions économiques de l’individu.

Dans l’économie de marché, les idées des entrepreneurs font l’objet d’un plébiscite permanent. Les entreprises privées doivent répondre aux désirs des consommateurs, car ce sont eux qui indiquent leurs préférences par leurs actes d’achat. Le choix démocratique en politique est systématiquement moins bon que les décisions sur le marché. Alors que la plupart des décisions d’achat peuvent être corrigées et remplacées immédiatement ou dans un court laps de temps, les décisions politiques ont des conséquences à long terme qui dépassent souvent le contrôle et l’horizon intellectuel de l’électorat.

La prospérité est l’objectif, et l’anarchocapitalisme l’apporte.

Le principe de base en faveur de la privatisation découle de l’idée que la propriété privée des moyens de production – et donc la privatisation – garantit le progrès économique et la prospérité pour tous. Les marchés ne sont pas parfaits, pas plus que les entrepreneurs ou les consommateurs. La production capitaliste ne peut pas répondre à tous les désirs ou besoins de chacun. Aucun système ne le peut. Le système de marché n’élimine pas la pénurie pour tout le monde, mais le système de marché est l’ordre économique qui gère le mieux la présence universelle de la pénurie.

L’anarchocapitalisme correctement compris n’entre pas dans la même catégorie que le socialisme. Le socialisme doit être imposé. Sa mise en place et son maintien requièrent la violence. Avec l’anarchocapitalisme, c’est différent. Il naîtra spontanément de la suppression des barrières qui s’opposent à l’ordre naturel des choses.

Un article traduit par la rédaction de Contrepoints. Voir sur le web.

Paternalisme et centralisation : les bons remèdes de monsieur Attal

Jeudi 5 décembre 2023. L’ange Gabriel (Attal) descend sur la France, porteur d’une bonne et d’une mauvaise nouvelle.

Commençons par la mauvaise : les conclusions de la dernière étude PISA pointent les résultats catastrophiques des petits Français, en particulier en mathématiques. Une « baisse historique » des performances, peut-on lire çà et là. Rien de surprenant pourtant : l’enseignement public est en piteux état depuis des décennies. Il ne se relèvera pas spontanément de cette longue maladie.

Heureusement – et voilà la bonne nouvelle ! – Gabriel Attal apporte des remèdes. Une thérapie à base d’électrochocs : « le choc des savoirs ». « Pour chaque élève, il y aura un avant et un après » assure-t-il. On se prend à croire aux miracles…

À sa décharge, M. Attal n’est ministre de l’Éducation nationale que depuis peu. Ce n’est pas à lui mais à ses prédécesseurs qu’il faut imputer la déroute de l’école publique. Enfin… n’oublions quand même pas que c’est ce gouvernement qui a permis à M. Pap Ndiaye d’imposer ses lubies écologico-sexuelles et à M. Jean-Michel Blanquer de se déguiser en réac afin d’amadouer la droite tout en interdisant l’instruction en famille et en instaurant l’obligation scolaire à 3 ans…

Monsieur Attal se voit en homme providentiel : grâce à des mesures qu’il présente lui-même comme « de bon sens », il s’engage à renflouer une institution à la dérive et à réformer un corps professoral de 860 000 personnes, coiffé d’une administration pléthorique.

N’écoutant que son courage, il souhaite « lever un tabou » en permettant aux enseignants de décider du redoublement des élèves. Notons au passage que le redoublement est généralement demandé par des parents, et refusé par les enseignants… Bref. Il promet aussi de créer des groupes de niveaux « dans chaque collège ». Il a bien insisté sur le fait qu’aucun collège n’échapperait à cette mesure. Cela me rappelle le bon temps où Najat Vallaud-Belkacem jurait que 100 % des élèves seraient dotés d’une tablette dans 100 % des classes, elles-mêmes équipées de tableaux numériques interactifs. Le démon uniformisateur habite nos ministres, et passe de l’un à l’autre sans perdre de sa puissance.

Gabriel Attal annonce aussi qu’il mettra très vite au travail le Conseil supérieur des programmes pour que ceux-ci s’articulent autour de quatre priorités : clarté, exigence, sciences et culture générale. Après « l’école de la confiance » et « l’école de l’engagement », on comprend qu’il veut un revirement à 180 degrés. Et d’ailleurs, est-ce bien le même homme qui nous promettait des cours d’empathie ?

 

Juste constat, fausses solutions

Avec ce retournement, il marque des points : l’école souffre en effet de ne plus transmettre de connaissances, de privilégier le bien-être plutôt que l’effort.

Mais elle pâtit surtout d’un manque d’autonomie. Ses acteurs réclament davantage de liberté et de responsabilité : comment accepter que le remplacement d’une chaudière prenne des semaines, en plein hiver, alors que des lycéens grelottent en doudounes ? Comment supporter que tous les écoliers soient évalués avec un livret scolaire unique (le LSU) obligeant des centaines de milliers d’enseignants à jongler entre compétences et pastilles de couleurs ?

Pourtant, lorsqu’on écoute attentivement monsieur Attal, on entend un ministre fier de tenir en sa main le sort de 12 millions d’élèves.

« Je suis à la tête de la plus grosse administration européenne » a-t-il rappelé avec un sourire satisfait lors d’un récent reportage télévisé1. Il est issu d’un établissement privé renommé. Pourtant, à aucun moment il n’a évoqué la liberté pour les parents de choisir la meilleure école. Il ne remet pas en cause la sectorisation qui assigne à résidence les familles les plus modestes. Il n’est plus question d’autonomie des chefs d’établissements mais, au contraire, de faire labelliser des manuels par le ministère. Par qui seront-ils rédigés ? Les enseignants ne souhaitant pas utiliser ces manuels d’Etat devront-ils se justifier auprès des inspecteurs ? Quid de l’innovation pédagogique dont font preuve les éditeurs privés ?

Il souhaite que les professeurs aient le dernier mot quant au redoublement. Mais – faut-il le rappeler ? – la France est signataire de conventions internationales affirmant que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Plutôt que « lever le tabou du redoublement » monsieur Attal pourrait mettre en place un nouveau certificat d’études. Seuls les heureux détenteurs de ce « certif » accéderaient au collège, ce qui rendrait caduques les tractations privées.

 

Opposition du corps enseignant

Il a à peine évoqué la formation des enseignants.

Elle constitue pourtant un problème crucial : on confie aujourd’hui sans vergogne des cohortes d’enfants à des professeurs n’ayant que de vagues connaissances disciplinaires et qui, pour nombre d’entre eux, embrassent cette carrière pour décrocher le statut de fonctionnaire, Graal moderne.

Il faut revoir d’urgence le contenu des formations délivrées par les Inspections dont les sites vantent « l’appropriation de l’éducation à la sexualité » (Inspection de Lille) ou les formations sur les « inégalités de genre » (Inspé de Toulouse), en écriture inclusive bien sûr. Il faut redonner aux enseignants des raisons d’être fiers : enseigner est le plus beau métier du monde à condition de l’exercer librement, dans un pays qui valorise la transmission d’un patrimoine, la responsabilité individuelle, et non l’engagement à tout prix.

Monsieur Attal se montre tour à tour paternaliste et autoritaire. Malheureusement, il ne suffira pas de repeindre l’école de 2023 en école de la Troisième République pour résoudre les graves problèmes auxquels elle fait face.

Ce que refusent de voir les ministres successifs, et Gabriel Attal n’échappe pas à la règle, c’est d’abord leur impuissance face à un corps professoral fortement syndiqué, formé dans des centres où règne sans partage une idéologie gauchiste, et à une administration tentaculaire. Rappelez-vous monsieur Blanquer exigeant que l’on rétablisse la méthode syllabique, et se heurtant à l’inertie du corps professoral. Quatre années plus tard, la méthode semi-globale est encore très largement utilisée dans les classes de CP… Voyez la façon dont le « pacte » proposé aux enseignants a été écarté d’office par la plupart des syndicats, suivis par leurs ouailles. Les réactions aux annonces de ce jour ont été immédiates : les mêmes organisations syndicales dénoncent un ministre « loin des réalités », inconscient des conséquences de ses annonces, en particulier celle de l’organisation de classes de niveaux qui nécessite une réorganisation complète du collège.

 

La fuite vers l’enseignement privé

Les occupants de la rue de Grenelle ignorent aussi superbement la fuite des élèves vers les écoles privées dites hors contrat, libres de la tutelle étatique. Elles sont pourtant souvent plus chères car les salaires des enseignants, les locaux, l’ensemble des dépenses y sont couvertes par les parents. Alors, qu’est-ce qui les rend si séduisantes ? N’ayant pas adhéré au fameux contrat avec l’État, elles peuvent recruter, former (et licencier !) leurs professeurs car ceux-ci ne sont pas fonctionnaires ; elles sont aussi libres de leurs horaires et de l’affectation de leurs budgets. Elles doivent atteindre les objectifs de fin de cycle, mais ne sont pas tenues d’appliquer les programmes ni de se laisser envahir par les nouvelles technologies, l’écologie, l’idéologie… Elles évaluent leurs élèves comme bon leur semble. Cette liberté s’exerce dans le respect de l’ordre public bien sûr : elles sont inspectées bien plus souvent et minutieusement que les écoles publiques. Elles scolarisent environ 120 000 élèves, soit 1 % des effectifs, nombre encore jamais atteint en France, et en croissance constante.

Autrefois réservées aux riches et aux initiés, elles se démocratisent largement grâce à des fondations, comme Excellence ruralités qui bataille pour recréer des écoles dans les déserts français, et des projets personnels originaux. Au cours Candelier par exemple, dans le Nord, les enfants apprennent la grammaire « à l’ancienne », le dessin académique, les mathématiques avec la fameuse méthode Singapour que vient de découvrir M. Attal, le chant choral et la calligraphie. On n’y enseigne ni les écoquartiers ni les dangers d’internet, et on n’oblige pas les élèves à ramasser des mégots ou à reboiser le pays pour servir l’État. Depuis sa création en 2010, cette école joue à guichets fermés. Rigueur, exigence, responsabilité : les parents, les professeurs et leurs élèves en redemandent.

Devant le gaspillage de l’argent public, 56 % des Français souhaitent que l’État finance l’école de leur choix2, quel que soit son statut. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire eux-mêmes, alors qu’ils paient régulièrement leurs impôts : ils « double-paient » donc pour échapper à la mainmise du ministère, pour sauver leurs enfants du naufrage. Comme l’écrit Chantal Delsol : « on n’entre pas dans le public parce qu’il est meilleur, mais parce qu’il est monopolistique. »3

 

L’enseignement à la peine en Occident

Ne nous y trompons pas : nous sommes loin d’être les seuls à rencontrer des difficultés pour instruire nos enfants.

Les ravages du covid, l’hétérogénéité des élèves, la concurrence des écrans et l’abandon d’un certain modèle transmissif ne sont pas spécifiques à la France. De nombreux pays occidentaux voient leurs résultats régresser. Il faudra nous montrer créatifs et cesser d’appliquer à des problèmes modernes des solutions anciennes (qui n’ont parfois jamais vraiment fonctionné). Il faudra ouvrir le système à la concurrence, favoriser la transparence, permettre aux enseignants de se former vraiment, en Inspé ou ailleurs si ceux-ci ne s’acquittent plus de leur office.

Souhaitons que les mesures qu’envisage M. Attal portent leurs fruits. Espérons qu’elles permettent de gommer un peu les inégalités que l’école française reproduit et amplifie plus que les autres. En attendant, ne sacrifions pas plus longtemps des millions d’enfants sur l’autel de l’égalitarisme. Permettons-leur de bénéficier des meilleures pratiques, d’où qu’elles viennent, sans a priori politique.

  1. « Zone interdite » du 12 novembre 2023. M6
  2. Sondage IFOP de mai 2023 sur « l’égalité d’accès à une éducation de qualité en France ».
  3. La Détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire.

Industrie spatiale : la France face à la compétition internationale

Longtemps resté l’apanage de programmes publics militaires ou civils, le secteur spatial s’est ouvert progressivement aux applications commerciales à partir des années 1990, quand l’administration Clinton, désireuse de garder l’avantage d’une base industrielle active, décide d’ouvrir la vente d’imagerie satellite à haute résolution en 1994, puis d’en faire de même avec le système GPS en 1996.

Depuis, la commercialisation du secteur est largement engagée et a vu l’émergence de la vague du NewSpace en référence à l’arrivée de nouveaux acteurs, et notamment de startups qui ont bénéficié jusqu’à présent d’un accès facilité aux financements. Cette commercialisation accrue ne doit pas pour autant cacher une réalité qui veut que la commande publique reste structurante pour le secteur spatial et qui se traduit par une concurrence qui s’intensifie sur deux plans. Entre puissances étatiques, qui redoublent d’effort pour pousser leurs entreprises nationales, mais aussi entre fournisseurs de services commerciaux qui s’insèrent sur des marchés de plus en plus internationalisés.

 

La concurrence dans le secteur spatial est d’abord une compétition entre grandes aires d’influence

D’un côté les États-Unis, leader historique et toujours incontesté de l’aventure spatiale tant institutionnelle que commerciale, et de l’autre la Chine qui a su imposer progressivement un duel qui fait revivre les rivalités de modèle qui existaient du temps de l’URSS grâce à un secteur spatial financé à coups de grands programmes publics et qui irrigue jusqu’à la politique d’influence chinoise du Belt & Road Initiative en Afrique.

Au milieu de tout cela, l’Europe spatiale se veut forte d’une industrie puissante qui prend racine dans près d’un demi-siècle d’activité aérospatiale coordonnée avec en pointe la France, suivie de l’Italie très active sur le marché des lanceurs (Avio) et des satellites (Thales Alenia Space, Leonardo) et d’une Allemagne qui était jusqu’à présent plutôt active sur le marché des satellites (OHB).

C’est sans compter cependant sur une accélération récente de la concurrence intra-européenne à mesure que les opportunités du spatial se font plus lucratives. Cette concurrence est d’abord institutionnelle, avec un jeu de pouvoir qui oppose l’historique Agence Spatiale Européenne (ESA) et la plus récente Agence pour le Programme Spatial Européen (EUSPA) à qui la Commission européenne confie une part croissante des tâches de commercialisation du spatial, dévitalisant en partie l’ESA de ce rôle.

Mais cette concurrence se joue aussi entre puissances spatiales nationales, avec une fragilisation considérable du trio France-Italie-Allemagne en matière d’accès à l’espace. Et si la Conférence ministérielle de l’ESA de novembre 2023 qui réunissait les responsables de ses différents États membres a réussi à maintenir à flot la coopération de ce trio, ce n’est pas sans plusieurs concessions qui vont accroître la concurrence sur le marché de l’accès à l’espace en Europe. En contrepartie d’une rallonge des financements du programme Ariane 6, qui bénéficie largement à la France, l’ESA a en effet acté l’indépendance de la commercialisation des fusées de l’Italien Avio jusqu’à présent commercialisées par Arianespace, filiale d’ArianeGroup à qui il a pu être reproché de ne pas mettre suffisamment en avant les lanceurs d’Avio. L’autre concession, c’est l’ouverture croissante des lancements commandés par l’ESA à de nouveaux modèles de lanceurs, dont l’Allemagne espère profiter.

 

Faut-il s’inquiéter pour l’avenir de notre industrie spatiale nationale ?

À bien des égards, la France semble particulièrement armée pour faire face à cette concurrence croissante. Il faut dire qu’en France nous pouvons nous enorgueillir d’un ensemble d’atouts qui a fait jusqu’à maintenant notre renommée en matière de spatial.

Un héritage historique d’abord, de savoir-faire dans la filière aéronautique qui se transforme en filière aérospatiale à l’après-guerre, à la suite notamment d’une impulsion politique forte du Général de Gaulle qui créé en 1961 le Centre National d’Études Spatiales (CNES) tout en décidant la création du lanceur français Diamant qui, en 1965, mettra en orbite Astérix, le premier satellite français.

Cet héritage s’est construit et se consolide aussi autour d’un spatial dual, à la fois civil et militaire, sous l’impulsion du Commandement de l’Espace créé en 2019. La demande militaire en satellites de télécommunications et d’imagerie couplée au besoin d’accès à l’espace pousse nos industriels à innover constamment. Citons par exemple nos satellites de télécommunications Syracuse, notre Composante Spatiale Optique (CSO) capable de produire de l’imagerie en « extrêmement haute résolution » ou CERES, notre capacité de renseignement électromagnétique. Chacune de ces composantes a été savamment distribuée aux différents grands constructeurs français pour garantir un flux de contrats et maintenir l’excellence de nos industriels qui est mise en concurrence de manière croissante, entre acteurs français grâce notamment aux programmes de France 2030.

Se maintenir à la pointe de l’innovation dans le spatial nous permet aussi d’être à l’avant-garde d’un marché européen de plus en plus demandeur, à mesure que le spatial irrigue des pans entiers de secteurs économiques (automobile, assurance, tourisme, décarbonation) et de la société, avec des applications en matière de santé, d’environnement et de développement de la smart city. C’est aussi un atout pour répondre aux commandes institutionnelles de la Commission européenne, gros pourvoyeur de marchés publics avec ses constellations d’optique Copernicus, de navigation par satellite Galileo, et bientôt de télécommunications avec Iris2.

Enfin, et sans elle rien ne serait possible, notre industrie peut se targuer d’avoir à disposition une filière éducative qui forme un vivier d’ingénieurs de niveau mondial spécialisés dans l’industrie lourde et l’aéronautique avec notamment l’ISAE-Supaéro qui attire aujourd’hui des talents du monde entier, qui nous viennent aussi des États-Unis et d’Asie, à l’heure où la filière aérospatiale ouvre entre 10 000 et 15 000 postes.

 

Comment la France tire son épingle du jeu

Ces atouts sont fondamentaux pour permettre à la France de faire jeu égal si ce n’est outrepasser ses compétiteurs. Et dans cette concurrence désormais mondiale, la France tire son épingle du jeu grâce à la fois à ses leaders industriels historiques mais aussi via un vivier de nouvelles startups prometteuses qui arrivent à se positionner à la frontière technologique du spatial, c’est-à-dire au sommet du savoir-faire mondial en matière d’innovation.

Par ses acteurs historiques d’abord, comme ArianeGroup sur le marché des lanceurs, la France reste un des principaux artisans de la capacité européenne d’accès à l’espace. Et même si elle connait quelques balbutiements avec le programme Ariane 6, il faut rappeler que c’est vers Ariane 5 que les États-Unis et la NASA eux-même se sont tournés pour garantir une mise en orbite la plus précise possible pour le James Web Space Telescope (JWST), une preuve de la reconnaissance mondiale de la fiabilité de nos technologies. Autre exemple en matière de technologie satellitaire cette fois-ci, avec la récente vente de satellites Pléiades Neo par Airbus à la Pologne afin de fournir une capacité en imagerie très haute définition à un pays pour qui les enjeux sécuritaires deviennent de plus en plus critiques à la suite notamment du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Mais il n’y a pas que nos grands industriels qui font la renommée française. Nos startups du NewSpace s’exportent déjà sur les marchés internationaux. C’est le cas de Preligens, spécialiste de l’analyse algorithmique de données spatiales, notamment pour la Défense, qui est aujourd’hui fournisseur pour le Pentagone aux États-Unis, un client rigoureux qui témoigne des qualités de notre savoir-faire. Citons encore Exotrail dont les systèmes de propulsion électrique innovants ont été choisis par Blue Canyon Technologies, filiale du champion américaine Raytheon pour équiper une mission scientifique de la NASA en 2026.

Forte de ces succès industriels, la France peut aussi pousser son expertise technique au service de son soft power pour concurrencer notamment la Chine sur le continent africain. C’est ainsi par exemple qu’outre un rayonnement scientifique mondial grâce au CNES, la France met à profit ses universités pour accompagner les puissances spatiales émergentes. L’Université de Montpellier forme notamment une première génération d’ingénieurs sénégalais spécialistes de la conception et construction de petits satellites pour amorcer le développement d’un secteur spatial local, une initiative amenée à se répandre dans le monde pour non seulement faire rayonner nos universités, mais aussi adosser de potentiels contrats à ces coopérations techniques et scientifiques.

 

De nouveaux concurrents sont en train d’émerger

Ce serait néanmoins une gageure que de ne pas se méfier de la puissance de frappe de nos nouveaux concurrents.

En Europe d’abord, avec une Allemagne dont l’appareil industriel est en moyenne davantage modernisé qu’en France et plus avancé sur certaines technologies de l’Industrie 4.0 qui pourraient permettre de nouvelles innovations de procédé à même de faire gagner en compétitivité l’industrie spatiale allemande et lui faire rapidement rattraper son retard sur la France. Une puissance qui est aussi financière, sous la forme de capacité d’investissement elle aussi supérieure à la nôtre et qui pourrait faire la différence par un soutien public accru mais aussi une facilité à la levée de fonds en Allemagne qui se veut décisive dans un secteur lourd en besoins d’investissements (CAPEX) et en coûts irrécupérables.

Plus loin à l’Est, l’expertise en sciences des données de nos partenaires européens devrait leur permettre de développer des solutions innovantes d’emploi de la donnée spatiale qui pourrait concurrencer nos acteurs nationaux jusqu’à présent focalisés sur l’amont de la chaîne de valeur du spatial.

Se méfier aussi de la concurrence internationale, pas seulement celle de la Chine ou des États-Unis dont les conditions d’ouverture des marchés demeurent plus restrictives aux nôtres comme l’alertait déjà Paul Lignières dans son ouvrage Le Temps des Juristes (2012), mais de celle d’autres grands du spatial comme l’Inde, et peut être demain certains pays du Golfe qui pourraient attirer une quantité croissante d’industriels et startups grâce un cadre réglementaire et financier avantageux.

 

Le secteur spatial français n’a pas dit son dernier mot

L’enjeu pour la France face à cette concurrence nouvelle est de trouver les moyens de continuer à renforcer le dynamisme industriel du secteur, sur plusieurs plans.

Sur le plan du financement privé d’abord, pour faciliter le développement du capital-risque dans un pays jusqu’à présent plus frileux que l’essentiel de ses concurrents directs, en dépit d’initiatives adossées à nos grands groupes comme Airbus Ventures ou CMA-CGM Ventures.

Par ailleurs, puisque le spatial ne saurait se passer de la commande publique, plusieurs pratiques là aussi venues des États-Unis ont prouvé leur efficacité en matière de mise en concurrence d’acteurs commerciaux par la commande publique, à l’image des DARPA challenges qui mettent en concurrence plusieurs acteurs en ne les gratifiant de contrats que par palier, et à condition d’avoir rempli un strict cahier des charges, ce qui a pour effet de dynamiser considérablement la concurrence.

Ce modus operandi requerra néanmoins une évolution de notre conception du cadre juridique et réglementaire qui doit faciliter la cyclicité des affaires comme peut le faire le droit américain des entreprises en difficultés, largement tirée des enseignements du « Law & Economics » et qui favorise le retournement d’entreprises et qui a pu sauver des acteurs comme américains comme Iridium ou Intelsat, véritables phénix industriels.

Une start-up française prévoit une mise en service de microréacteurs nucléaires d’ici 2030

Par : Michel Gay

La start-up française Naarea a réalisé « une première mondiale » dans la course aux microréacteurs nucléaires de quatrième génération à neutrons rapides et à sel fondu. C’est un petit pas encourageant pour la France, même si ce n’est pas encore un grand bond pour l’humanité.

 

La société Naarea

La société Naarea (Nuclear Abundant Affordable Resourceful Energy for All) a embauché son premier employé en 2022. Elle vient de réaliser une innovation importante en faisant tourner un sel fondu à 700°C dans une boucle entièrement en carbure de silicium contenant du graphène. Cette avancée est une étape préliminaire pour permettre la mise au point d’un petit réacteur nucléaire modulaire.

Selon Naarea, cette céramique en carbure de silicium qui résiste à la corrosion est idéale pour le cœur d’un petit réacteur en production de masse.

Le carbure de silicium est déjà utilisé dans l’industrie, notamment dans les moteurs de fusées et les satellites. Ce matériau a l’avantage de pouvoir être synthétisé et usiné en France et d’être abondant et recyclable. Il résiste mieux que l’acier inoxydable aux températures extrêmes.

La société Naarea, lauréate de l’appel à projets « Réacteurs Nucléaires Innovants », bénéficiant d’une enveloppe de 500 millions d’euros du plan d’investissement « France 2030 », développe un petit réacteur nucléaire de quatrième génération.

Sa technologie repose sur de nouveaux types de sel fondus produisant de l’énergie à partir de combustibles nucléaires usagés, d’uranium appauvri, et de plutonium.

L’îlot nucléaire, dont le poids lui permet d’être transportable par des moyens conventionnels, tient dans un volume équivalant à un conteneur de la taille d’un autobus (un conteneur traditionnel de 40 pieds). Il pourra produire 40 mégawatts (MW) d’électricité ou 80 MW de chaleur.

Selon Naarea, ce micro réacteur « permettra la fermeture complète du cycle du combustible nucléaire, le Graal absolu ! ».

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres…

Selon Jean-Luc Alexandre, président et cofondateur de l’entreprise :

« Le projet Naarea est né du constat que les besoins croissants en énergie et en électricité bas carbone font du nucléaire une solution incontournable […]. La demande électrique mondiale sera a minima multipliée par quatre entre 2020 et 2050. Quand nous avons analysé les 17 objectifs de développement durable (ODD), fixés par les Nations unies, nous nous sommes rendu compte que tout ramenait à l’énergie d’une manière ou d’une autre, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la faim dans le monde ou de la biodiversité ».

À partir de ce constat a été fondée l’entreprise Naarea pour construire ce microréacteur nucléaire afin de fournir une électricité stable et bas carbone pouvant remplacer les énergies fossiles presque partout dans le monde.

 

Sans eau et presque sans déchets

Le refroidissement du système, qui fonctionnera à pression atmosphérique, s’affranchit de l’eau aujourd’hui utilisée pour refroidir les grands réacteurs actuels plus puissants, et la turbine est entraînée par du CO2 « supercritique » (permettant un rendement d’environ 50 %).

N’étant pas astreint à la proximité d’une rivière ou d’une mer, ce module prévu pour être fabriqué en série en usine pourrait être installé sur n’importe quel îlot industriel sécurisé répondant aux normes de sécurité Seveso, avec peu de génie civil.

De plus, il permet d’éliminer les déchets les plus radioactifs de haute activité à vie longue (HAVL) dont la durée est de plusieurs centaines de milliers d’années en les consommant. Ce microréacteur les transforme en produits de fission dont la durée de vie radioactive serait d’environ 250 ans, plus facilement gérables.

Ces microréacteurs pourraient donc venir en complément des réacteurs actuels à eau pressurisée de troisième génération en consommant leurs « résidus ».

 

Un jumeau numérique

Naarea s’appuie sur un « jumeau numérique » de leur microréacteur, une plateforme digitale collaborative qui offre une représentation du réacteur en 3D permettant d’en faire fonctionner les composants et de mesurer des paramètres inaccessibles dans le monde réel. Il sert également d’outil de démonstration en matière de sûreté et de sécurité, auprès notamment de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) en France et d’autres autorités internationales.

C’est aussi un outil pédagogique et de formation qui accélère la conception du réacteur en facilitant la collaboration.

Les responsables de Naarea ne souhaitent pas vendre la technologie de leur réacteur, mais uniquement son usage.

L’entreprise met en avant sa volonté d’être « concepteur, fabricant et exploitant » pour devenir un fournisseur d’énergie (chaleur et/ou électricité) aux consommateurs isolés (îles, déserts électriques, …), ou souhaitant décarboner leurs productions.

 

Naarea et le nucléaire recrutent

Aujourd’hui, l’écosystème nucléaire en France a besoin de 100 000 personnes sur les dix prochaines années, soit 10 000 recrutements par an.

Naarea contribue à cette dynamique en accueillant des personnes venant d’horizons divers et en les intégrant à la filière nucléaire pour bénéficier d’une « fertilisation croisée » en adoptant les meilleures pratiques des autres secteurs pour s’en nourrir mutuellement.

Le but est de produire des centaines de réacteurs en série en utilisant l’impression en 3D pour la fabrication du cœur et des pièces. Cette approche est économiquement viable en production de masse. C’est d’autant plus réalisable sur des pièces de petite taille : le cœur du réacteur est de la taille d’une machine à laver.

Ce microréacteur répond aux mêmes exigences de sécurité et de sûreté que les centrales nucléaires traditionnelles. La réaction de fission est intrinsèquement autorégulée par la température (si elle augmente, la réaction diminue) afin que le réacteur soit toujours dans un « état sûr » grâce aux lois de la physique.

Étant de plus télécommandé à distance, ce microréacteur pourra être neutralisé (« suicidé ») pour contrer un acte malveillant.

 

Une mise en service en 2030 ?

Naarea travaille sur une maquette à échelle un qui devrait être prête d’ici la fin de 2023. Elle continue à embaucher à un rythme soutenu : elle vise 200 employés à la fin de cette année, et 350 l’année prochaine où un démonstrateur fonctionnel devrait voir le jour.

Naarea envisage un prototype opérationnel autour de 2027-2028 pour une mise en service en 2030.

De nombreux autres petits réacteurs modulaires sont actuellement en développement dans d’autres pays pour répondre à l’énorme demande énergétique future afin d’atteindre l’objectif zéro émission à l’horizon 2050. Certains d’entre eux ont une puissance de 250 à 350 MW, plus adaptés pour de petits réseaux électriques, mais pas pour les besoins spécifiques des industriels et de petites communautés dans des lieux isolés.

Ces microréacteurs pourront répondre à des usages décentralisés de sites industriels ou à l’alimentation de communautés isolées.

Selon le président de Naarea :

« Un réacteur de 40 MW permet de produire de l’eau potable pour environ deux millions d’habitants en dessalant de l’eau de mer, d’alimenter 2700 bus pendant une année […] ou une centaine de milliers de foyers en énergie ».

 

Nouveaux besoins, nouveau marché mondial

L’entreprise russe Rosatom propose aux Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), et notamment aux pays d’Afrique et d’Asie, de petites centrales nucléaires flottantes ou à terre, clés en mains, avec tous les services associés (fabrication du combustible, entretien, et retraitement du combustible usagé) à un prix compétitif.

La Russie utilise l’argent de son gaz et du pétrole pour financer son expansionnisme nucléaire et politique.

Nul besoin d’une infrastructure industrielle préexistante : la Russie s’occupe de tout, de la fourniture des équipements à la formation du personnel. Son offre inclut aussi le financement (crédit total) de l’opération. Les pays acheteurs n’ont donc rien à débourser initialement. Ils ne paient que l’électricité ou un remboursement annuel.

Rosatom a ainsi écarté la France du marché des grandes centrales nucléaires en Afrique du Sud où elle était pourtant bien implantée, puisque les deux premiers réacteurs nucléaires en Afrique (deux fois 900 MW) ont été construits par Framatome. C’est aussi le cas au Vietnam et dans d’autres pays.

Pourtant, la France est le seul pays au monde (autre que la Russie et bientôt la Chine) à pouvoir proposer pour l’instant une offre complète incluant le combustible et le retraitement.

Les États-Unis ne retraitent plus leur combustible nucléaire, ni pour eux-mêmes ni pour l’exportation, depuis 1992.

 

Une carte maîtresse

La France a donc une carte maîtresse à jouer dans le domaine des microréacteurs pour nouer de nouveaux liens privilégiés utiles pour l’avenir.

En effet, les pays qui achètent des centrales nucléaires deviennent dépendants du vendeur pendant des décennies pour leur approvisionnement en électricité.

Le vendeur et l’acheteur doivent donc rester « amis » et deviennent des partenaires privilégiés pour d’autres contrats de construction d’infrastructures civiles (aéroports, ponts, autoroutes, génie civil, équipements publics…) ou militaires, et ce pendant près d’un siècle (construction, durée de vie de la centrale nucléaire supérieure à 60 ans, et déconstruction).

Pour autant, nos dirigeants ne répondent pas, ou maladroitement et de manière incomplète, aux demandes et aux besoins des pays voulant accéder au nucléaire.

La Russie, la Corée du Sud et la Chine s’empressent de combler à leur avantage la demande de coopération nucléaire à laquelle la France répond mal. Elle rate de belles opportunités nucléaires, mais aussi diplomatiques et politiques, pour établir des liens durables avec de nombreux pays en les aidant à développer leur parc nucléaire.

De plus, son offre n’est parfois pas compétitive par rapport à celle de la Russie qui, elle, inclut le financement.

À noter que l’offre des Russes comprend aussi la formation dans leurs écoles d’ingénieurs d’un excellent niveau à Moscou, mais aussi à Tomsk en Sibérie, et dans une demi-douzaine d’autres villes. Des milliers de futurs opérateurs et d’ingénieurs nucléaires en herbe des Brics arrivant dans ces écoles apprennent aussi le russe. Un jour, ils apprendront peut-être le français en France, ou chez eux ?

 

Un foisonnement de compétences

Compte tenu des contraintes techniques et administratives à surmonter, la date annoncée par Naarea pour la mise en service de leur premier réacteur en 2030 est probablement (très ?) optimiste.

Toutefois, ce foisonnement de compétences et de talents dans ce nucléaire innovant doit être encouragé, surtout en France, même si c’est un projet qui ne sera transformé industriellement que dans 30 ans, 50 ans ou… 100 ans.

Dans l’intervalle, de jeunes ingénieurs s’enthousiasmeront, et c’est bien !

Et ces nouveaux talents qui forgent ce microréacteur nucléaire de quatrième génération peuvent bénéficier d’une conjoncture internationale favorable, d’une réglementation simplifiée, et de soudaines avancées technologiques et découvertes.

Nul n’est à l’abri d’un coup de chance !

Sinon, ces ingénieurs et techniciens pourront toujours ensuite se recycler dans le nucléaire « classique » des puissants réacteurs EPR (ou RNR) pour succéder à la génération précédente ayant développé l’extraordinaire parc nucléaire qui fonctionne parfaitement aujourd’hui en France, et pour encore des décennies.

Gérard Bramoullé : feux et lumières de mille vies unifiées

L’ami, le gourmand de la vie est parti, et une multitude d’entre nous sont dans un profond chagrin, et, pourquoi le céler, dans le désarroi .

Le père, le mari s’en est allé, et sa famille sait que plus rien ne sera désormais comme avant, et que le jeune homme irrésistible, à l’éternel sourire, ne paraîtra plus dans son enveloppe charnelle.

Nous le savions malade, nous pressentions le dénouement inéluctable, et pourtant nous ne voulions pas le croire. Le lecteur de Contrepoints pensera peut-être qu’il s’agit de formules post mortem convenues, jetées au hasard, d’un hommage dans lequel l’amitié et la fraternité d’idées altèrent la lucidité et empêchent le départage d’ici les qualités, là les faiblesses. Le lecteur de cet hommage se tromperait lourdement.

Pas un mot de ce qui suit, pas un qualificatif n’emprunte à l’idéalisation. Au contraire, le clavier s’astreindra à la discipline, car Gérard Bramoullé avait été initialement si richement doté, son éducation et volonté faisant le reste, qu’on pourrait imaginer emphase et exagération. Comment hiérarchiser (et est-ce vraiment nécessaire, sinon à l’ordonnancement des formes ?) entre l’universitaire surdoué, l’administrateur exigeant, l’homme, concentré de charme, l’ami, jamais pris en défaut.

Cela est d’autant plus difficile que l’unité et la cohérence de Gérard était totale. Il avait plusieurs vies, mais à l’inverse de beaucoup, il n’aimait pas l’idée détestable de cloisonnement, lui préférant de beaucoup celle de passerelle. Dit plus simplement il n’y avait pas plusieurs silhouettes et personnages en lui éventuellement se combattant, mais un homme, un seul, le même qu’il enseigne, administre, aime, félicite ou admoneste.

 

Un universitaire libéral dans la grande tradition

Né en 1944, fis d’un général de la Légion étrangère, il franchit les obstacles de la vie universitaire avec une aisance presque insolente. Élève d’Henri Guitton, il fait partie à Paris du fameux séminaire Albert Aftalion dans lequel, avec Christian Morrisson, Daniel Vitry et Paul Zagamé, quoique très minoritaires, il ferraille, portant haut les couleurs libérales, contre une majorité socialo-communiste animée par Dominique Taddeï, Christian Barrère, Claude Berthommieu et tant d’autres.

L’époque est rude. Les TD à Censier fréquemment interrompus, mais il y révèle à cette occasion un tempérament de feu (quelques années plus tard, membre de l’instance nationale de recrutement, la salle des délibérations à Paris est envahie par les gauchistes de l’époque, version trosko-maoïste. Avec le professeur Jacques Lecaillon il fait le coup de poing. Que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut le gauchiste qui recula !).

En 1972, il soutient sa thèse de doctorat sur le thème : La nature de la monnaie et son rôle dans l’analyse de la croissance équilibrée.

L’année suivante il est agrégé à son premier concours. Il choisit Aix, et la toute nouvelle Faculté d’Économie Appliquée. Il en devient le doyen dès 1976.

Le chercheur est très prolifique et le Centre d’Analyse Économique trouve vite sa place dans le paysage académique. Les ouvrages se multiplient. La consécration vient quand Henri Guitton le choisit pour lui succéder sur deux de ses Précis Dalloz, d’une part le Tome 2 de son manuel Économie Politique (Monnaie, Répartition, Économie internationale), et d’autre part son Précis sur La Monnaie.

Par la suite, ce Précis devient vraiment un classique avec un titre élargi Économie Monétaire. Le tandem Gérard Bramoullé-Dominique Augey est constitué. Des amphithéâtres à la mairie d’Aix-en-Provence, il n’y aura pas un nuage, une divergence en plusieurs décennies dans ce duo amical extraordinairement complémentaire. Imaginer professionnellement l’un sans l’autre était inconcevable.

Le professeur était réellement hors normes. Son aisance en amphi était presque insolente. Chez lui le fond et la forme se conjuguaient et se répondaient en une harmonie proche de la perfection. Que les lecteurs croient ce qui suit : les étudiants l’adoraient littéralement.

Un souvenir qui n’emprunte pas à l’anecdote : au moment de recruter localement, les enseignants en poste dans la faculté rapportent sur les candidats qui vont être auditionnés. C’est trop souvent, les heures aidant, que les propos se perdent petit à petit au milieu des apartés. Mais quand le président de séance annonçait : « au rapport notre collègue Bramoullé », je peux témoigner, étant présent, que le silence était immédiat et que nous attendions l’artiste sur son filin, son extraordinaire intelligence lui servant de barre d’équilibrage.

Écouter le doyen Bramoullé, c’était être vite ramené à l’humilité, si par hasard et vanité, on avait imaginé quelques instants auparavant avoir été excellents. En ce domaine comparaison était raison. C’est au fond le seul « reproche » que certains lui adressaient. Il faisait naître l’envie, le sentiment à la base du socialisme, chez les moyens, les médiocres, les besogneux, les moins dotés. En ce domaine, les nécessiteux forment une cohorte impressionnante. Ses fonctions de doyen de la Faculté d’Économie Appliquée lui permettent de faire ses premières armes d’administrateur.

 

Le grand argentier d’Aix-en-Provence

La seconde dimension de Gérard a été sa passion, non pour la politique, mais pour sa ville.

Dès 1983 il est adjoint aux finances. Puis, après un court intermède, il gérait depuis 22 ans les finances de la ville, dont il fut également, depuis 2014, le premier adjoint de Maryse Joissains, puis de Sophie Joissains. D’une intégrité totale, d’une compétence exceptionnelle, il gère la ville de façon si exemplaire que les récompenses se multiplient, s’agissant de la gestion d’Aix-en-Provence. Il devient un des grands spécialistes français des finances locales.

Les plus farouches opposants politiques reconnaissaient que, sans jamais avoir augmenté la fiscalité d’Aix-en-Provence en plus de vingt ans (cas unique en France), la ville se transformait cependant de façon spectaculaire. Ce n’est en aucune façon minimiser le rôle, souvent très remarquable, des élus de la ville que de dire que sous la direction du maire, le tandem Bramoullé-Augey était crucial pour la ville.

Gérard était premier adjoint. Il avait en charge, entre autres, les finances, le numérique, le festival d’Aix, les rapatriés, la seconde pour sa part a la compétence sur l’enseignement supérieur (fonction évidemment considérable à Aix) la recherche, l’innovation, l’exécution du budget, le contrôle de gestion et le financement de la vie associative.

Que de discussions passionnées avec lui à propos de son engagement municipal. Je plaidais pour la primauté de l’université et l’écriture, arguant de la rareté de son avantage comparatif, car de très bons élus on en trouve plus aisément que de très grands savants. Et invariablement, il me rétorquait que son rôle d’élu était le prolongement et la concrétisation de sa pensée tout entière sous-tendue et adossée au libéralisme.

Et de m’expliquer qu’il y a bien deux façons de gérer une ville : une manière socialiste qui est de dépenser toujours plus sous des prétextes de service public (le nom élégant pour justifier l’achat des voix des électeurs) ; et une manière libérale à base de gestion extrêmement rigoureuse, mais encore et peut-être surtout à base du principe de subsidiarité. Ce qui signifie, hic et nunc, que la ville faisait uniquement ce qui n’était pas possible par la société civile, le tissu des volontés, ou l’entreprise.

 

L’unité d’un homme

Il m’est impossible de parler sereinement, avec une équité parfaite et les mots appropriés, de Gérard Bramoullé.

Les combats partagés, les discussions interminables à la faculté, les moments de complicité merveilleuse sont à jamais dans ma besace. Je ne veux, mais surtout je n’ai pas le droit de les partager. Il m’est par contre possible et aisé d’écrire, mesurant le poids des mots, que jamais en un demi-siècle je n’ai entendu de lui un propos bas et décevant, une attaque ad hominem, une méchanceté gratuite.

Le domaine de l’intime, il le protégeait, avec férocité si nécessaire. Il aimait passionnément sa famille qui était réellement le centre de son univers, et le tout du tout.

Les sots ironisent volontiers sur le fait que les cimetières sont remplis d’irremplaçables. C’est pourtant tellement vrai. Non seulement chacun a sa part d’irremplaçable, mais encore qui peut sérieusement inférer que Bach, Mansart, La Fontaine, Ingres, Gauguin et tant d’autres ont été remplacés ?

Gérard Bramoullé était tout simplement un être d’exception.

Le « capital républicain » d’Olivier Faure, vide socialiste

Oliver Faure, premier secrétaire du Parti socialiste a pris la plume car il a un rêve, qu’il estime révolutionnaire et qu’il souhaitait partager avec l’ensemble de la population : réaliser une plus grande égalité réelle entre les Français. Pour atteindre cet objectif impératif, il a une méthode qu’il présente comme originale : distribuer aux citoyens des aides supplémentaires, en euros sonnants et trébuchants, qu’il fera abondamment financer par une augmentation de la fiscalité pesant sur les plus riches et contrôler par une administration pléthorique…

C’est, à peu de chose près, tout ce qu’il y a retenir du petit livre (une quarantaine de pages) qu’il vient de publier aux éditions conjointes de l’Aube et de la Fondation Jean-Jaurès, et dont toute la réflexion part d’un constat… au mieux erroné.

 

L’obsession égalitaire

Olivier Faure relève ainsi qu’en France, la durée des études est corrélée à l’origine sociale des étudiants. Ces éléments sont statistiquement incontestables, et il y a longtemps qu’une succession de rapports et de livres l’a montré et dénoncé à juste titre.

Ils sont toutefois incomplets : les études montrent que les élèves qui obtiennent les meilleurs résultats ne sont pas que les « gosses de riches », mais aussi les « fils de profs », car le capital intellectuel compte autant que le capital financier dans notre système scolaire. On comprend toutefois que le député de Seine-et-Marne ne souhaite pas s’en prendre à cette clientèle électorale, probablement la dernière du parti qu’il accompagne dans son agonie

Qu’importe ! Fort de ce relevé statistique établi en introduction de sa réflexion, Olivier Faure tire la conclusion que certains peuvent plus facilement réaliser leurs projets que les autres. Il en déduit l’obligation de corriger une « inégalité », qui est en réalité une injustice.

Ce qui, bien que déjà connu de tous, aurait pu être l’ouverture d’un renouvellement des propositions de la gauche, dont on attend avec illusion, mais sans espoir, qu’elle se préoccupe de la réussite de chacun, se perd alors dans un entremêlement de confusion et de banalité socialiste.

Car la réponse apportée à cette situation injuste est de mettre à disposition de tous ceux qui arrêtent leurs études de façon prématurée une coquette somme d’argent.

Plus doué pour le marketing politique que la rénovation programmatique, Olivier Faure propose d’appeler cette nouvelle aide le « capital républicain », qu’il décrit ainsi :

« Le capital républicain prendrait la forme d’un soutien monétaire de l’ordre de 60 000 euros pour toute personne qui sortirait du système scolaire sans diplôme […] Il serait ensuite dégressif, de l’ordre de 30 000 euros pour une sortie au niveau du bac par exemple, jusqu’à atteindre 0 euro au niveau bac+2 ».

Évidemment, « ce capital républicain serait mobilisable à tout moment de la vie ».

À l’évidence, le Parti socialiste n’a jamais entendu parler d’un concept secret mais déterminant que les économistes appellent « incitation ». Quel effet aura sur un jeune qui hésiterait à poursuivre ses études la possibilité de percevoir immédiatement une somme équivalente à plus de trois années de SMIC net ?

À l’évidence également, il n’a pas bien intégré non plus que des études courtes n’étaient ni un déshonneur ni un nécessaire échec humain et social…

Plus grave encore : à la lecture de l’ouvrage, on peine à comprendre quelle injustice cette somme permettra de réparer. En réalité, cette proposition qui se veut audacieuse correspond, comme souvent avec la pensée redistributionniste, à un renoncement : à défaut de permettre aux jeunes de poursuivre leurs études, le Parti socialiste leur propose une compensation, une réparation. Ils n’auront pas les mêmes chances, mais au moins auront-ils un gros chèque !

Attention, Olivier Faure insiste : le socialisme est responsable et refuse « la redistribution aveugle de subventions sans contrepartie ».

Dès lors, « il est proposé que ces versements soient liés à la présentation d’un projet détaillé de la part du récipiendaire et que le bénéfice du capital républicain soit conditionné à un accompagnement complet du service public à l’emploi et à la formation et de la Caisse des dépôts ».

Bien sûr, « il semble particulièrement opportun de confier son pilotage à une structure nationale ». Autrement dit, il recommande de mettre en place un gigantesque appareil administratif de validation et de contrôle. La France en manquait !

Le lecteur se frottera les yeux. Toute prétention à l’originalité s’effondre. L’intelligibilité de la proposition également, tant les pages d’explication de la mesure semblent obscures.

 

Que conclure de cette lecture ?

D’abord, que l’obsession égalitaire qui consiste à vouloir réaliser l’égalité de fait et à voir dans l’égalité réelle la réponse à toute question sociale est décidément mortifère pour la société et fatale pour l’intelligence. La lecture du livre d’Olivier Faure reprend ainsi la rengaine de la culpabilité des riches, de la taxe comme solution à toute question politique, du pilotage administratif de la société comme toute ambition sociale.

Ensuite, qu’à l’évidence, une partie de l’élite politique n’a toujours pas fait le diagnostic de ce qui dysfonctionne dans le pays. En matière d’égalité des chances, le principal défi consiste à réformer ce qui constitue le principal obstacle à sa réalisation : le système éducatif, qui s’effondre non en raison d’un défaut de ressources mais d’un excès de contraintes administratives et d’un défaut de pilotage criant. Aussi difficile que cela soit à admettre pour un parti qui vénère la dépense publique, les défaillances du service public sont aujourd’hui les principales sources d’injustice en France.

Enfin, évidemment, qu’aucune proposition sérieuse n’est susceptible d’émerger du Parti socialiste avant longtemps – s’il survit jusque-là. C’est le seul et bel intérêt de ce livre.

Cinq raisons de conserver le dispositif de rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle est un dispositif de rupture du contrat de travail d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Contrairement à la démission, elle permet au salarié de bénéficier des allocations chômage.

Voici 5 raisons de conserver tel quel ce dispositif.

 

Sa remise en cause serait un acte de défiance envers le dialogue social

La rupture conventionnelle est issue de la négociation entre partenaires sociaux : sa création a été prévue par l’accord national interprofessionnel de 2008 (signé par l’ensemble des syndicats représentatifs à l’exception de la CGT) puis a été consacrée par la loi quelques mois plus tard. 

L’accord national interprofessionnel comprenait de nombreuses autres mesures et constituait le fruit d’un compromis entre patronat et syndicats. 

Supprimer ou entraver le dispositif de rupture conventionnelle reviendrait donc à déséquilibrer l’accord signé en 2008. 

Ce n’est pas si dramatique, plus de 15 ans après la conclusion de l’accord, mais ce serait un signe de défiance envers la négociation collective et les partenaires sociaux.

 

Elle apaise les conflits en entreprise

Lorsque la rupture conventionnelle est à l’initiative de l’employeur, ce dernier aurait, en l’absence de ce dispositif, probablement procédé à un licenciement que le salarié serait bien souvent allé contester en justice.  

Et lorsque la rupture conventionnelle est à l’initiative du salarié, ce dernier aurait, en l’absence de ce dispositif, pu démissionner, mais aussi prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur, ou encore commettre volontairement une faute pour être licencié et bénéficier ainsi des allocations chômage. 

Qu’une rupture conventionnelle soit à l’initiative de l’employeur ou du salarié, elle permet ainsi d’éviter un conflit. 

 

Elle désengorge les prud’hommes

Plusieurs réformes de 2016 et 2017 (réforme du mode de saisine et barème d’indemnités prud’homales) ont permis de limiter le nombre de contentieux prud’homaux. 

Mais ce nombre reste bien trop élevé par rapport aux capacités des conseils de prud’hommes, puisque dans certaines de ces juridictions, le délai entre la saisine et la décision de justice peut aller jusqu’à 24 mois ! 

Sans la rupture conventionnelle, de nombreuses contestations de licenciement encombreraient encore davantage les conseils de prud’hommes. 

 

Elle favorise l’employabilité des salariés  

Il est plus facile à un salarié de retrouver un emploi après une rupture conventionnelle qu’après un licenciement pour insuffisance professionnelle. 

Or, en raison notamment du fort aléa judiciaire lié aux licenciements pour insuffisance professionnelle, la rupture conventionnelle est souvent proposée par l’employeur au salarié en alternative de ce type de licenciement. 

La rupture conventionnelle préserve donc l’employabilité du salarié, et permet à cet égard de limiter le chômage.

 

Elle permet une meilleure fluidité du marché du travail

Contrairement à la démission, la rupture conventionnelle sécurise les mobilités professionnelles en garantissant le droit au chômage. 

En effet, la convention d’assurance chômage continue étrangement à priver d’allocations pendant plusieurs mois les salariés qui démissionnent pour rejoindre une autre entreprise, puis voient leur période d’essai rompue par le nouvel employeur. 

La rupture conventionnelle leur permet de ne pas s’accrocher à un poste par peur des incertitudes de l’avenir, mais de postuler et occuper des emplois conformes à leur expérience et leurs compétences. Toute la société bénéficie de cette mobilité, car il est favorable à l’économie que les travailleurs occupent les postes les plus adaptés à leurs compétences. 

                                                                                   

Il est certain que les ruptures conventionnelles pèsent d’un poids non négligeable dans le déficit récurrent de l’assurance chômage. Mais si une réduction drastique du nombre de ruptures conventionnelles peut avoir un impact positif sur ses comptes, cet avantage doit être mis en balance avec l’impact calamiteux qu’elle aurait sur l’emploi, le marché du travail et le service public de la justice.

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