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Huit heures à Berlin (Blake et Mortimer)

Plus d'un an que je n'avais publié sur ce blog. Il faut dire que l'Ukraine a pris bien de mon temps et que je consacre finalement mon analyse géopolitique à La Vigie. Dès lors, je vais réorienter ce blog vers d'autres aspects, notamment la BD.

https://www.actuabd.com/local/cache-vignettes/L700xH916/arton30578-78c84.jpg?1668674371

Pour commencer, le dernier Blake et Mortimer, Huit heures à Berlin.

Désormais, il y a dans la série Blake et Mortimer plus d'albums publiés par les suiveurs (19) que par E.P. Jacobs (11). Dans l'ensemble, sauf de rares exceptions (Schuitten voire Ch. Caillaux), les auteurs restent fidèles au trait et à l'esprit du maître. Le comité éditorial est très vigilant à ces principes, ce qui évite les dérives que l'on peut apercevoir dans Spirou, ou de bonnes choses se perdent dans des délires peu intéressants. Chez Blake et Mortimer, la série est maîtrisée, avec un album par an, qui satisfait les Jacobsiens sans les désorienter.

Dans le cas présent, il faut admirer le travail exceptionnel du dessinateur, Antoine Aubin. Tout y est : le trait, les mouvements, les détails mais aussi les citations (telle cette voiture qui plonge dans le lac de Genève, référence à l'affaire Tournesol d'Hergé). C'est absolument bluffant et constitue une réussite exceptionnelle qu'il faut mettre en avant.

En face, le scénario est plaisant mais sans surprendre. Il y a des incohérences (imagine-t-on le chef du MI6 faire l'espion de terrain sans appui ? Comment fait Blake pour passer sans problème d'URSS à Berlin ?) mais  cela fait après tout partie des licences d'un auteur. On a les ressorts classiques d'un roman d'espionage moderne, avec deux héros qui ont des aventures parallèles, trois pages à l'un, trois à l'autre, et qui se retrouvent à la fin. Mais précisément, c'est un peu banal.

Et puis surtout,q uelque chose me gêne beaucoup : jusqu'à présent, les B&M se passaient dans une période d'après-guerre indéterminée : datée mais sans référence à la vraie actualité. La situation politique était le plus souvent absente, malgré quelques citations ici ou là : par exemple, les savants atomiques. Mais finalement, on évitait les personnages historiques et en tout cas, ils ne formaient pas le coeur de l'intrigue. Là au contraire, tout le contexte est désigné : l'URSS et la guerre froide, avec en plus un personnage historique (pas n'importe lequel) qui tien tun rôle important, à savoir JF Kennedy lors de son passage à Berlin pour son discours "Ich bin ein Berliner". Et du coup, nous perdons toute la magie distanciée de B&M qui savait créer un univers en soi, plaqué sur une réalité datable et avec en même temps une dimension fictionnelle fondamentale. Elle a disparu dans cet album ce qui est très dommage. J'ose espérer que ce n'est qu'un ocup de doigt et que les scénaristes ne reprendront pas cette mauvaise méthode.

Pour conclure : un bon album avec un dessin sensationnel et un scénario un peu décevant.

O. Kempf

La cybermenace, jusqu’au cœur des territoires (Guy-Philippe Goldstein)

J'ai eu le plaisir de répondre aux questions de Guy-Philippe Goldstein sur la question de la cybersécurité des territoires. IL a publié cet entretien sur son blog de l'usine nouvelle (https://www.usinenouvelle.com/blogs/blogs/cybermenace-sur-le-robinet-d-eau-episode-1.N1060324). Mille mercis à lui. OK

 

 

https://www.usinenouvelle.com/mediatheque/2/3/4/000156432_image_896x598.jpg

 

 

Au cours des douze derniers mois, le nombre, mais aussi le montant des rançongiciels a augmenté [1]. Cette chasse à l’entreprise qui peut payer le plus aurait-elle épargné les entités plus petites et plus désargentées, ou celles du public ? Non. Les collectivités territoriales sont également devenues des proies de choix. En France, la mairie de Toulouse et celle de Marseille et sa métropole ont été victimes de rançongiciels en mars et avril 2020. Après de nombreuses autres victimes, au mois de mars 2021, c’est au tour de la communauté de communes de l’Est lyonnais d’être frappée, avec une demande de rançon de 200 000 euros [2].

Parfois les conséquences dépassent les simples aspects monétaires. Nous avions évoqué sur ce blog la cyberattaque contre l’usine de retraitement d’eaux de la petite ville d’Oldsmar [3], dans la grande banlieue de Tampa, en Floride, gérée par la commune du même nom, et dont le niveau de soude caustique dans l’eau avait été manipulé à distance. Julien Mousqueton, le directeur technique de Computacenter, une entreprise britannique de services du numérique, évoque le cas emblématique de la petite ville d’Aulnoyes-Aymeries (Nord), 9 000 habitants, rançonnée pour 150 000 euros [4]. Entre autres effets, le système informatique du centre administratif de la mairie et de ses satellites (Ehpad, résidence de services, centre aquatique, école maternelle…) se sont retrouvés sans accès téléphonique, le système dédié permettant le lien téléphone étant géré par la mairie [5]. Avec des conséquences sérieuses : le système servait à relayer les appels des malades de l’Ehpad vers les téléphones mobiles des soignants. Comme le remarque Julien Mousqueton, « on ne prend pas toujours en compte tous les risques possibles. Or même une mairie peut gérer les alertes médicales d’un Ehpad. » Et c’est bien un risque tangible, « même s’il s’agissait probablement là d’un dommage collatéral, qui n’avait peut-être même pas été imaginé par l’assaillant ».

L'Institut national pour la cybersécurité et la résilience des territoires (IN.CRT) [6] a été créé en 2020 pour essayer de répondre à cette nouvelle menace. Son vice-président et fondateur, le général de brigade Olivier Kempf, également auteur d’une étude de la Fondation pour la recherche stratégique sur ce sujet (FRS) [7], a répondu à quelques-unes des questions de ce blog sur cette menace grandissante.

Quel est l’état de la menace ?

Une hausse s’est amorcée en 2019, a explosé en 2020 et se poursuit en 2021. Les cibles sont les collectivités territoriales [communes, communautés de communes, communautés d’agglomération, etc., ndla], mais aussi tous les autres acteurs des territoires, des professionnels et artisans aux PME. Ce sont bien les territoires au sens large qui sont attaqués.

Les rançongiciels semblent se focaliser de plus en plus sur les proies qui peuvent payer le plus. Pourquoi alors ces attaques sur de petites cibles ? 

Dans les territoires, nous sommes confrontés à une massification, une « fordisation », du rançonnage. Cette industrialisation est d’autant plus rendue possible que la revente de l’information est facile : on la revend directement au propriétaire initial [plutôt que sur des marchés noirs de l’exploitation de la donnée pour d’autres opérations, ndla] ! À côté de l’industrialisation, il y a également une adaptation de la grille tarifaire. Si je m’attaque à une fromagerie de l’Aubrac, je ne demande « que » 2 000 euros. C’est peu, mais multiplié par 10 000 grâce à l’industrialisation, cela permet au groupe criminel d’atteindre des chiffres intéressants.

Cela traduit-il l’existence de groupes cybercriminels qui se spécialiseraient dans ces cibles faciles, avec gain unitaire minime mais hauts volumes ?

Il y a en gros deux types de groupes qui pratiquent cette activité. Les premiers sont les groupes cybercriminels qui, à côté des opérations contre des cibles « riches », vont s’occuper de manière opportune des cibles dans les territoires – parce qu’après tout, si c’est facile, pourquoi ne pas en profiter ? Et puis il y a un deuxième phénomène, celui d’une grande criminalité classique qui se dit que là, il y a un marché pas compliqué, accessible techniquement et avec très peu de risques. Donc autant s’y mettre. Si on considère les attaquants comme des commerciaux qui cherchent de nouvelles cibles, on a d’un côté des spécialistes de niches qui veulent, sous la pression de la concurrence, étendre leur marché, de l’élitisme au « mass market ». Et on a de « grands distributeurs » traditionnels qui veulent faire « un peu de technologie » et élargissent leur gamme de prestations.

Avez-vous également observé une exploitation politique ?       

Il existe de rares exemples d’effacement de site, de rumeurs sur les maires [avec quelques campagnes d’infox locales – par exemple à Crozon (Finistère), Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) et Metz (Moselle). À ce sujet, lire l’étude FRS [8], ndla]. Mais il s’agit là de manœuvres de subversion au niveau local, par des acteurs locaux. Nous n’avons pas encore vu d’actions organisées comparables, par exemple, à l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine. Les quelques cas identifiés concernent des initiatives très locales. D’ailleurs, on n’a pas, à ma connaissance, documenté d’actions significatives lors des élections municipales de 2020.

Une récente étude du Club de la sécurité de l’information français (Clusif) [9] note que 35 % seulement des collectivités utilisent le chiffrement des données. Comment expliquer ces efforts encore faibles ?

Élargissons à toutes les cibles dans les territoires. Bien souvent, elles pensent qu’elles sont trop petites pour intéresser les groupes cybercriminels. Donc elles ne font rien, elles se font agresser et elles paient. L’explosion est d’autant plus forte que le phénomène a été renforcé par le choc pandémique, qui a forcé ces acteurs à une transformation numérique brutale. Il faut bien comprendre que pour nombre de ces acteurs, penser cybersécurité s’arrête souvent avec l’achat d’un antivirus. La prise de conscience est encore très très faible, y compris auprès de nombre d’édiles, même dans les villes moyennes, voire assez grandes. La prise de conscience du sujet et des actions à mener n’est pas encore réalisée chez la plupart des responsables des territoires.

Quels sont les risques pour les administrés ?

À force de taper de manière massifiée sur toutes ces cibles, on risque de toucher à des données sensibles. Les données du cadastre, l’état civil, les registres de la cantine (y compris qui mange quoi), les données de l’expert-comptable, celles du médecin : tout ceci constitue un ensemble de données sensibles. Par exemple, imaginez un cadastre ou les registres d’un notaire sans redondance : cela serait extrêmement problématique !

Les réponses actuelles sont-elles adaptées ?

Le terrain n’a pas encore effectué sa prise de conscience. D’un autre côté, certaines organisations centrales pourraient avoir une approche trop jacobine. Des actions pourraient avoir lieu au niveau des régions, par exemple, au niveau des 13 régions métropolitaines françaises. Mais cela risque d’être encore trop élevé par rapport à des situations très locales. Les grands groupes industriels risquent quant à eux d’avoir des réponses technologiques trop sophistiquées. D’autant que le budget cyber d’une agglomération de taille significative, voire d’une métropole régionale, ne dépasse parfois pas les 10 centimes par habitant et par an (quand il y a un budget !). Dans tous les cas, nous n’avons pas de réponse efficace sur le premier enjeu, qui n’est pas une histoire de moyens ou de technologies, mais de prise de conscience. Et pour cela, il faudrait une réponse au plus près du terrain.

Quel(s) type(s) de réponses développer ?

On peut saluer les ambitions de sensibilisation contenues dans le nouveau plan cyber du gouvernement français [10]. Ce qui est important pour la suite, c’est de construire des initiatives locales pour combler certains trous et de les élargir par contagion. Par exemple, l’IN.CRT va mettre en place, avec un partenaire local qui partage ses valeurs, un bachelor de cybersécurité des territoires, avec une première promotion à la rentrée 2021. Les Britanniques offrent d’autres exemples intéressants, avec des initiatives très décentralisés établies sur la base de vrais partenariats public-privé locaux. De manière générale, il faudrait compléter la décision d’en haut en encourageant une diffusion locale par une stratégie en peau de léopard.

 

 


[1] https://www.usinenouvelle.com/blogs/guy-philippe-goldstein/cybersecurite-2021-pire-que-2020.N1056369

[2] https://francenewslive-com.cdn.ampproject.org/c/s/francenewslive.com/le-hacker-reclame-une-rancon-de-200-000-e/184653/amp/

[3] https://www.usinenouvelle.com/blogs/blogs/cybermenace-sur-le-robinet-d-eau-episode-1.N1060324

[4] https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/cyberattaques/cyberattaques-les-communes-de-plus-en-plus-victimes-du-ranconnage_4192985.html

[5] https://www.canalfm.fr/news/aulnoye-aymeries-un-mois-apres-la-cyberattaque-33559

[6] https://www.cyberterritoires.fr/

Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?

J'interviendrai demain aux Tech Talks de Bordeaux,

https://quiin.s3.us-east-1.amazonaws.com/events/pictures/000/100/920/original/Photo_de_couverture_suite_ajout_d_planning.jpg?1612211842

dans le cadre d'une table-ronde sur le sujet : Quelle coopération internationale pour faire face aux cybermenaces ?

Programme et inscritpion sur le site : https://www.frenchtechbordeaux.com/event/tech-talks-2021-maitriser-le-cyberespace-entre-menaces-solutions-et-innovations/

Olivier Kempf

 

Conflit gelé

La guerre est morte, du moins la guerre classique, l’outil dont on se servait autrefois pour résoudre les différends. Cela ne signifie pas que les différends n’existent plus. Ils peuvent être profonds : Tel État ne reconnait pas la souveraineté de cet État, ce qui pose de vraies difficultés à des État nouveaux (le Kosovo) mais aussi anciens (Taïwan). Au-delà, on peut reconnaître la souveraineté de l’État tout en ayant des différends, notamment sur les frontières et donc l’intégrité territoriale.

https://i.f1g.fr/media/figaro/704x396_cropupscale/2016/06/05/XVM2877f064-2b61-11e6-86a8-5d7e99fec6ff.jpg

Ce qui nous amène à réfléchir sur la notion de "conflit gelé".

 

L’intégrité territoriale peut être considérée comme un des attributs de la souveraineté, car le territoire est une des conditions de l’État. Elle accompagne la souveraineté. Souvent, du moins. Car il arrive, plus fréquemment qu’on ne le pense, que des litiges opposent des États voisins au sujet de leurs frontières communes. C’est par exemple le cas entre Japon et Russie, entre Japon et Chine, entre Chine et voisins des mers du sud, entre.... Les exemples abondent. En fait, et il est probable que la majorité des États ont des litiges territoriaux avec un ou plusieurs voisins. En fait, il est probable qu’une intégrité territoriale entièrement reconnue de ses voisins est l’exception.

Cependant, la plupart du temps, la souveraineté d’un État sur un territoire est un fait. Les Russes occupent les Kouriles, n’en déplaisent aux Japonais. Ceux-ci considèrent que leur intégrité territoriale est mutilée. Cela ne dégénère pas nécessairement en conflit armé. Mais, parfois, ça arrive. Ou encore, une minorité mène une lutte de libération nationale, processus classique qui réussit – ou pas. Bref, souveraineté et intégrité ne coïncident pas – ou rarement.

Ces différends persistent et ne peuvent donc être réglés, ni par la guerre, ni par la négociation. Ils peuvent rester dans le domaine diplomatique pacifié. Ils peuvent avoir été l’occasion de conflits et deviennent alors des conflits gelés. En effet, de même qu’il n’y a plus de déclaration de guerre, il n’y a (presque) plus de traité de paix qui vienne sanctionner la fortune des armes et créer un nouvel état du droit (même si cela arrive, que l’on pense au traité entre le Pérou et l’Equateur, qui a mis fin à un contentieux vieux de plus d’un siècle). Le plus souvent, les parties signent des cessez-le-feu, comme celui qui régit les relations entre les deux Corées depuis 1953. Israël occupe la Cisjordanie et le Golan, sans que cela soit reconnu internationalement. L’ONUST (organisme des nations-Unies pour la surveillance de la trêve) a été mise en place en 1948 à la suite de la première guerre israélo-arabe et demeure toujours en place.

Comment caractériser ces conflits gelés ? Ils ont été l’occasion d’affrontements réels et violents qui prennent fin à un moment. Ils peuvent être suivi d’un accord ou rester dans une terra incognita juridique. Le Cachemire demeure l’objet d’un contentieux entre l’Inde, la Chine et le Pakistan depuis 1947. La plupart du temps la zone est calme même si on assite à de récurrents accès de tension, comme les affrontements qui éclatent en septembre 2020, à la suite d’une fusillade dont les causes restent opaques. Ainsi, un conflit gelé reste souvent meurtrier, même si la létalité demeure basse, « sous le seuil » (nous reviendrons sur cette notion) d’attention de la communauté internationale. Ainsi, l’espace ex-soviétique est rempli de conflits gelés : Moldavie et Transnistrie, Ukraine et Donbass, Géorgie et Abkhazie pour prendre des exemples récents. La plupart du temps, la situation revient au statu quo préalable mais un conflit longtemps gelé peut soudainement s’enflammer et donner une nouvelle situation : le haut Karabakh fut la cause d’une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 1994, situation qui reste longtemps gelée jusqu’à ce que les Azéris relancent une offensive en 2020 et récupèrent une grande partie du territoire qu’ils revendiquaient.

Des disputes frontalières peuvent s’envenimer peu à peu, comme ce qui se passe en mer de Chine, où la Chine militarise son action, que ce soit sur les Spratleys et les Paracels au sud (archipels revendiqués par les États riverains) ou dans les eaux des Senkaku (sous souveraineté japonaise) à l’est. D’autres au contraire s’apaiser progressivement, même si les problèmes ne sont pas résolus au fond : que l’on pense aux Balkans et à la situation peu satisfaisante de la Bosnie-Herzégovine ou du Kossovo. Enfin, des conflits peuvent rester actifs mais ne pas susciter l’attention, étant apparemment gelés, au moins aux yeux de l’opinion publique internationale : que l’on pense à l’Afghanistan ou à la République Centrafricaine.

La notion de conflit gelé recouvre donc des situations très diverses, souvent des différents territoriaux, parfois aussi des guerres civiles dues à la disparition de l’Etat.

Olivier Kempf

Cyber : retour sur 2020

Du point de vue cyber, que penser de 2020 ? Je traite la question un peu tard (février) mais cela a l'avantage d'avoir laissé la poussière retomber et de mieux distinguer les éléments structurants.

Viering van 2020 met futuristische technologische achtergrond van cyber Premium Vector

 

1/ Evidemment, l'élément principal est la pandémie qui a entraîné deux choses : D'une part, une prise de conscience de l'intrication des chaînes d'approvisionnement. Nous y reviendrons quand nous évoquerons ci-après la "supply chain"; D'autre part, avec les confinements et restrictions de mouvements, la généralisation du télétravail, mise en place en urgence, sans préparation et avec donc d'énormes failles  : au niveau des matériels, des processus, sans même parler de la protection des échanges. Ainsi, la pandémie a été l'élément déclencheur de la transformation numérique de la plupart des organisations, ce que l'ancien CDO que je suis a observé avec gourmandise. Aussi ne faut-il pas être surpris de voir que les grandes sociétés informatiques ont tiré d'énormes profits de cette nouvelle situation.

2/ Il s'en est suivi une augmentation massive des cyberagressions. Le premier facteur tient bien sûr à ce que le nombre de cibles faciles s'est considérablement accru. Parallèlement, la technique des rançonnages (ransomware) s'est démocratisée et industrialisée (pour mémoire, il s'agit de chiffrer toutes les données et de demander une rançon à l'organisation piratée pour obtenir la clef de déchiffrement). Les outils sont facilement accessibles à des pirates qui n'ont pas besoin de grandes compétences techniques. Et le rançonnage a une grande utilité : à la différence d'autres techniques de vol de données, il s'agit ici simplement de les chiffrer sans avoir besoin de les revendre : ou plus exactement, l'agresseur ne les revend pas à un acheteur tiers mais au possesseur originel qui veut récupérer ses données. Bref, nul besoin d'organiser un circuit de revente... Dès lors, nulle cible n'est trop petite, toutes suscitent l'intérêt. L'argument "je suis trop petit pour être attaqué" ne tient plus.

3/ Ainsi a-t-on vu la  massification des agressions contre des "petits" acteurs : nous pensons aux hôpitaux (d'autant plus aisés à attaquer qu'ils étaient déjà sous le stress de la gestion de la pandémie) mais aussi aux collectivités territoriales (tendance entamée dès 2018 mais qui a explosé en 2020). La tendance se poursuivra forcément vers l'agression de cibles encore plus petites : TPE, indépendants, notamment les professionnels ayant des données de confiance (médecins, notaires, avocats, experts-comptables, ...). La nécessité de sensibiliser tous  ces échelons devient de plus en plus brûlante.

4/ A l'inverse, la fin de 2020 a été aussi l'année de Solarwinds, en décembre. Alors que nous avions des agressions indsutrialisées, nous voici en présence d'une attaque extrêmement sophistiquée, de l'artisanat de haute couture.... Solarwinds est en effet une société américaine qui développe des logiciels professionnels permettant la gestion centralisée des réseaux, des systèmes et de l'infrastructure informatique. Un de ses produits, Orion, utilisé par des diaines de milliers de clients, a en effet été infiltré de façon particulièrement habile, ce qui a permis d'entrer "par rebond" chez "beaucoup" (nombre encore indéfini) de ses clients. Ainsi, les agresseurs ont pu observer de l'intérieur leurs réseaux dans une vaste opération d'espionnage. La qualité de l'intrusion fait penser à une instance étatique et les regards se sont tournés vers la Russie.

5/ Beaucoup de débats ont eu lieu sur cette "supply chain informatique" qui rend compte de la complexité actuelle des dispositifs. En effet, les grandes organisations externalisent beaucoup de leurs sytèmes avec des produits fournis par des partenaires. A défaut d'attaquer directement ces grands comptes, il est plus futé de passer par leurs fournisseurs qui sont parfois moins bien défendus que les cibles principales : d'où la notion d'attaque par rebond. Cela a plusieurs conséquences : D'une part, comment maîtriser la sécurité des partenaires informatiques ? D'autre part, comme souvent, cette attaque sophistiquée s'est diffusée et des pirates essaieront de la réutiliser contre d'autres cibles, dans d'autres circonstances, avec un phénomène de contagion.

6/ La tendance est alors complémentaire de celle que nous observions avec les rançonnages : celle d'une professionnalisaiton et donc d'une montée en gamme technique des agresseurs. Ceux-ci ne sont pas seulement plus nombreux, ils n'ont pas seulement plus de cibles, ils montent également en compétence ce qui entraîne de devoir augmenter le niveau des défenses. La dialectique du glaive et du bouclier appliquée au cyberspace, dans une course aux armements sans fin, est d'actualité.

7/ Mentionnons enfin la généralisation du cloud. Le dernier baromètre du CESIN, récemment paru (ici), montre que les entreprises ont massivemnt adopté des systèmes d'infonuagiques. Du coup, la question de la maîtrise des sous-traitants et le développement du concept "zéro trust" se pose durablement.

8/ Il faudra suivre enfin les mises en place de technologies qui arrivent à maturité et semblent pouvoir entrer dans des phase d'industrialsiation : IA bien sûr, mais aussi fabrication additive et blockchain.

Olivier Kempf

Source image : : https://nl.freepik.com/premium-vector/viering-van-2020-met-futuristische-technologische-achtergrond-van-cyber_6331677.htm

 

 

Colloque bruxellois sur La numérisation et la modernisation économique

J'interviendrai demain à l'occasion de la Conférence annuelle "Voisinages" organisée par nos amis de l'institut d'études européennes de l'Université Saint-Louis de Bruxelles. Elle portera sur le thème suivant : Quid de l’après Covid 19 pour la relation entre l’UE et ses voisinages : compagnonnage renouvelé ou proximité distanciée face aux défis commun ? (détails ici)

J'interviendrai dans la troisième session qui traitera : La numérisation et la modernisation économique : quelle approche partagée ?

Vous lirez ci-dessous les éléments clef de mon intervention.

1/ La pandémie et la crise économique qui s'ensuit ont suscité deux types de démarches :

  • - d'une part une accélération de la transformation numérique des organisations privées et publiques. Le télétravail est devenu massif alors que la plupart du temps, rien n'était préparé : ni dans les procédures, ni dans le soutien technique. L'adaptation sur le tas ne peut pas dire que ce soit très satisfaisant et il manque encore à consolider cette démarche qui n'est pas une parenthèse.
  • - d'autre part, une réflexion approfondie sur la souveraineté et la maîtrise des chaines de valeur. Il devient de moins en moins pertinent de dépendre exclusivement de productions venues de l'autre bout de la planète, d'autant que cette organisation aggrave le réchauffement climatique.

Il s'ensuit deux phénomènes :

  • - une réorganisation profonde des économies avec l'inclusion de plus de numérique et l'invention de nouveaux modes de production décentralisés : fabrication additive ou edge computing mais aussi amélioration des infrastructures de proximité (smart cities, décentrement du travail, 5G) sont ainsi à la pointe de ce phénomène.
  • - une prise en compte accrue de la cybersécurité.

2/ La cybersécurité, facteur d’attractivité économique

Or, l'accélération en 2020 de la transformation numérique s'est accompagnée d'une accélération de la cybercriminalité qui a touché encore plus d'organisations, de toute taille et en profitant justement de leur impréparation. Beaucoup plus de cibles, une automatisation et une industrialisation des attaques en sont la cause. On a vu ainsi de nombreuses collectivités territoriales ou d'hôpitaux se faire agresser.

Ainsi, la multiplication des rançonnage (ransomware) amplifie une vague qui avait commencé en 2018 et qui devient un tsunami. On ne peut plus dire "je suis trop petit pour passer entre les gouttes". Autrement dit, la cybersécurité n'est pas réservé aux gros, elle est un impératif pour tous.

Or, on ne peut pas imaginer développer l'attractivité économique au niveau national, régional ou local sans comprendre qu'une des demandes des entreprises ou des professionnels venant s'installer sera, au même type que l'infrastructure numérique, la qualité de la cybersécurité fournie.

3/ L'UE a pris enfin en compte ces sujets bien qu'ils soient inégalement compris par les Membres ou par les partenaires

Après des débuts hésitants, l'UE a enfin pris en compte l’impératif de la cybersécurité. Elle admet désormais le thème de la souveraineté numérique face aux prédateurs extérieurs. Cela passe bien sûr par la loi. De ce point de vue, les initiatives récentes sont excellentes : Rénovation de la directive sécurité des réseaux informatiques, mise en place du RGPD, adoption avr. 2019 d’un règlement sur la cybersécurité par le Conseil (instauration d'un système de certification de cybersécurité à l'échelle de l’UE, –la mise en place d'une agence de l'UE pour la cybersécurité dotée de compétences plus étendues à Bucarest), projets de Digital Service Act (loi sur les services numériques et les contenus) et Digital Market act (loi sur les marchés numériques pour faire respecter la libre-concurrence par les mastodontes étrangers du secteur)...

Il reste que la prise de conscience au sein de l'UE est inégale car tout ne peut pas se faire au niveau communautaire. La cybersécurité appartient au cœur de souveraineté et c'est à chaque État de la favoriser chez lui.

De même, il faut insister auprès de nos partenaires pour qu'ils la prennent en compte,s 'ils veulent accéder à un marché européen qui se durcit. Là aussi, la prise de conscience est inégale.

O. Kempf

Quelques réflexions sur la non-bataille

Les spécialistes de stratégie connaissent l’Essai sur la non-bataille, ouvrage de 1975 publié par le commandant Brossolet, qui est une forme de critique de la théorie de la dissuasion adoptée comme dogme nucléaire en 1972. Il m'inspire les quelques réflexions suivantes.

http://ultimaratio-blog.org/wp-content/uploads/41wzDKICAJL._SX370_BO1204203200-V2-207x300.jpg

Est-ce un hasard si le commandant conclut son ouvrage en proposant un système de défense modulaire « opposant à la vitesse de l'adversaire, la profondeur du dispositif, à sa masse la légèreté et à son nombre l'efficacité[1] ». L’ouvrage suscita un grand débat à l’époque et couta à son auteur son avancement. Brossolet est un précurseur de ce qu’on désigne aujourd’hui par techno-guérilla.

Au fond, il s’agit de promouvoir le harcèlement comme principe stratégique. Le propos tient évidemment compte des trente ans de guerre de décolonisation où les armées françaises ont fait face à des guérillas agissant sur le modèle de la guerre révolutionnaire. Mais puisque la décolonisation est achevée, puis que le Livre Blanc de 1972a mis en avant la dissuasion nucléaire, comment articuler la nouvelle conception stratégique avec l’expérience militaire des décennies qui viennent de précéder ? La régulière n’a-t-elle pour vocation que d’aller se faire écraser par l’ennemi pour préparer l’emploi de l’arme d’utile avertissement ? Pour éviter ce piège, Brossolet propose une nouvelle façon d’articuler les lourds (ici le nucléaire) avec les légers (ici l’armée « conventionnelle », a qui ont attribue un autre rôle). Le plus intéressant tient à la mise en avant de la mobilité, quand la conception principale (engagement du corps blindé-mécanisé dans la bataille de l’avant) reprend finalement les principes ancestraux et rassurants.

O. Kempf

[1] Note de lecture sur Essai sur la non-bataille, paru dans le site Le conflit le 16 août 2019 http://www.leconflit.com/article-essai-sur-la-non-bataille-de-guy-brossollet-38822163.html . Pour comprendre la pensée de Brossolet, voir aussi https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/mort-guy-brossollet-theoricien-non-bataille-28161

Voir aussi Remy Hémez sur le blog ultima ratio, Guy Brossolet ou la dissolution de la pensée dominante, http://ultimaratio-blog.org/archives/7129

 

Stratégie et confinement : Grande stratégie ?

Dans le cadre du dossier annuel d'ER, voici un premier artticle pour cette année. J'ai un peu l'intention de revenir plus souvent... Il faut juste que je trouve le temps....

Thomas (ici) a en effet parcouru le vocabulaire militaire que notre confinement actuel pouvait évoquer : blocus, embargo, endiguement, autant de termes opératifs qui renvoient à notre expérience présente. A un détail près cependant : notre confinement n’a rien de militaire. On peut certes évoquer les hôpitaux de campagne qui ont été mis en œuvre, les liaisons aériennes par hélicoptères ou kits Morphée, les quelques PHA mis en alerte au profit des DOM-COM mais finalement, l’outil militaire a été peu utilisé. Certes, il faudrait aussi évoquer les conséquences opérationnelles du confinement sur les forces : entre les cas qui se sont déclarés sur le Charles de Gaulle ou sur le bâtiment américain Théodore Roosevelt au printemps, ou les mesures de confinement ajoutées à la préparation opérationnelle avant les Opex (ou au retour d’Opex). Rien là finalement qui n’attire l’intérêt au-delà des spécialistes.

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Source

Mais du coup, si l’on réfléchissait en termes de grande stratégie, celle qui est au-dessus de la stratégie militaire, celle que doit conduire le stratège politique qui préside aux destinées de la Nation ? Voyons cela...

Les pays fermés

Car le confinement est une stratégie qui peut se décider pour des raisons politiques et pas seulement sanitaires. Deux exemples viennent à l’esprit : la Corée du Nord et le Turkménistan.

Le cas de la Corée du nord est le plus connu. Pyong-Yang a en effet décidé de fermer ses frontières avec l’extérieur et de ne pas autoriser la libre circulation de ses citoyens à l’extérieur, et même à l’intérieur du pays. Mais l’expression de « royaume ermite », utilisée souvent pour désigner le pays, s’applique en fait à toute la péninsule, tant elle a été prise en tenaille entre de multiples puissances expansionnistes : Chine, Japon et Russie, traditionnellement. Depuis le XVIIe siècle, face à tant d’invasions, la Corée se ferme et se méfie de tout ce qui est étranger. En fait, la dynastie Kim reprend une vieille tradition coréenne. Dès lors, malgré l’ouverture de quelques zones franches, le pays vit refermé sur lui-même, ce qui constitue un de ses piliers géopolitiques.

Le Turkménistan est moins connu. A la suite de l’éclatement de l’URSS, le pays devient indépendant sous la houlette d’un dictateur, Saparmurat Niazov (qui meurt en 2006). Ce « Turkmenbachi » (père des Turkmènes) conduit une politique d’indépendance nationale autour de la langue turkmène, à la fois pour se dégager de l’influence russe et pour dépasser la structure tribale de la société. Cependant, malgré d’énormes richesses en hydrocarbures qui en font un eldorado gazier et constituent l’essentiel de ses relations extérieures, le pays s’enferme. Membre à l’origine de la Communauté des Etats indépendants qui a succédé à l’URSS, il en devient un simple « membre associé », afin de manifester une neutralité officielle. Dès lors, la population, jeune et endoctrinée par l’éducation du régime (autour du livre Ruhnama écrit par Niazov et qui a officiellement autant de valeur que le Coran), se voit interdire toute relation avec l’extérieur. Le système est donc moins dur que celui de Corée du Nord, le pays est plus riche grâce au pétrole, mais il reste enclavé et très distant envers toute communication étrangère.

Les pays murés

Une autre forme de confinement consiste à dresser des murs, des clôtures et des barrières à ses frontières. Certaines sont très anciennes (que l’on pense justement à la DMZ entre les deux Corées, qui date de 1953), d’autres bien plus contemporaines, pour des motifs divers. Constatons qu’en ces temps de mondialisation, donc d’ouverture, les murs et clôtures se multiplient, comme s’ils étaient une externalité de cette mondialisation.

Ils ont différentes formes et ne ressemblent pas tous à l’accumulation de grillages autour des présides de Ceuta et Melilla : ainsi, une marche peut constituer une telle barrière : un espace avec un obstacle naturel (ou pas) mais surtout aucun point de franchissement, manifestant la volonté des deux pays de ne pas échanger : par exemple la marche entre Panama et Colombie, ou celle entre Papouasie et Indonésie. De simples grillages peuvent suffire, comme entre Botswana et Zimbabwe (le Botswana a d’ailleurs invoqué des raisons sanitaires pour justifier, en 2003, l’érection de cette barrière électrifiée). Enfin, de véritables ouvrages avec beaucoup de technologie peuvent s’élever, comme aux frontières du Koweït ou celle d’Arabie Séoudite.

Il est vrai que la plupart de ces murs sont destinés à empêcher l’autre de venir. La barrière est alors tournée vers l’extérieur, créant deux zones : une qui serait « protégée », l’autre qui serait ouverte à tout vent. Le discours sanitaire est sous-jacent car l’autre est censé apporter avec lui bien des inconvénients dont on ne veut pas. L’autre est synonyme de danger. Ce peut être pour des raisons de contrebande (motif invoqué par le sultanat de Brunei face à la Malaisie orientale, ou par l’Inde face au Bengladesh), sécuritaires (Chine, Thaïlande, Ouzbékistan, Iran, Maroc) et bien sûr l’immigration (multiples exemples).

Des pays ouverts utilisent largement ces dispositifs : que l’on pense à l’Union Européenne et son dispositif Schengen (avec des zones très équipées, par exemple en Thrace), aux États-Unis (D. Trump a attiré l’attention sur cette barrière qui restait à terminer d’ériger) et bien sûr à Israël, qui a dressé un véritable mur de plusieurs mètres de haut à l’intérieur de son pays pour se séparer des zones officiellement attribuées à l’autorité palestinienne.

La barrière est un moyen de « réduire le risque », notre société contemporaine manifestant une aversion maximale au risque. De ce point de vue, elle obtient l’assentiment de la population qui y voit l’affirmation d’une souveraineté perçue comme menacée. Mais dans un certain nombre de conflits gelés, la barrière peut aussi constituer un signe d’apaisement permettant l’ouverture de négociation. Aussi bien, la barrière n’est pas aussi rigide que certains la présentent souvent. Elle est d’ailleurs efficace à court terme mais elle perd son usage dans le temps. Car l’étanchéité des murs paraît hypothétique notamment sur de longues distances. Élever une barrière ne suffit pas : il faut la surveiller, l’entretenir, être en mesure d’intervenir en cas de problèmes et de repousser « l’autre » qui voudrait passer en force. Autant de moyens humains qui sont indispensables et qui supposent des ressources constantes, rarement allouées dans la durée.

Confinements intérieurs

Dernier exemple de confinement stratégique, celui du confinement intérieur. Il peut affecter une population entière : la pandémie de 2020 nous a montré comment. Plus habituellement, il concerne certains espaces ou certaines catégories de la population.

On peut bien sûr penser aux zones réservées pour des motifs sécuritaires, telles les zones militaires (aux statuts divers, de la simple zone protégée aux zones sous haute surveillance) mais aussi les centrales nucléaires ou autres emprises Seveso. Nous sommes ici à cheval entre des motifs régaliens et des considérations de sécurité publique, sans même parler des clôtures particulières destinées à protéger la propriété privée. Mais au-delà de ces cas courants, il y a des confinements exceptionnels.

Le cas d’Israël construisant un mur intérieur le long de la ligne verte est symptomatique de ce confinement intérieur des espaces. N’oublions pas non plus les dispositifs d’apartheid comme ceux qu’a connu l’Afrique du sud.

Deux autres phénomènes existent, assez proches et admis socialement. D’une part, les zones d’accueil des gens du voyage, disposées partout sur le territoire. Les gens du voyage ont mauvaise réputation, précisément parce qu’ils n’ont pas de domicile fixe. A défaut d’un passeport individuel retraçant leur itinéraire sur le territoire, les autorités ont mis en place des obligations d’accueil géographique aux alentours des agglomérations. Autre phénomène, celui des « parcos », qui désignent en Italie ces regroupements de maisons entourées et gardées pour des raisons de sécurité. Le phénomène se répand notamment aux États-Unis, sous le nom de gated communities (quartier résidentiel fermé). Ces deux exemples retracent les phénomènes observés aux frontières extérieures. Le premier vise à cantonner les extérieurs dans des enceintes réservées (des sortes de frontières intérieures), quand le second vise à se protéger soi-même de l’extérieur en s’isolant. Dans un cas, le confiné est reflué dans l’espace clos, dans l’autre, l’espace clos sert à protéger le confiné.

Ainsi, le confinement constitue une stratégie générale visant à isoler deux populations, l’une « saine », l’autre « dangereuse ». Finalement, il constitue un outil courant permettant de séparer « le même » de « l’autre ». Il s’applique aussi bien aux frontières extérieures, soit qu’il faille empêcher la population de sortir, soit d’empêcher l’étranger d’entrer. Mais le phénomène existe aussi à l’intérieur, avec des sortes de confinements temporaires ou durables, permettant de confiner relativement telle ou telle population.

De ce point de vue, la situation que nous avons connue avec la pandémie et les confinements nationaux mis en place est extraordinaire, au sens premier du mot : En effet, il ne s’agit pas simplement d’empêcher la population de sortir du pays, mais tout simplement de limiter ses déplacements à l’intérieur du pays, à l’encontre d’une liberté de circulation qui apparaissait traditionnellement comme une liberté publique intangible.

Olivier Kempf

Medays 2020

J'ai participé vendredi 1A3 novembre à la table ronde du Medays 2020, organisée sur les réactions à la pandémie, notamment du point de vue numérique.

Vous trouverez un bref compte-rendu de cette table ronde ici.

J'en extrait ceci : Selon Olivier Kempf, directeur de La Vigie, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et directeur de la Collection Cyberstratégie chez Economica, la crise sanitaire a contribué au renforcement des inégalités dans l’utilisation des outils numériques et a augmenté le risque de cyberattaques, appelant ainsi à investir beaucoup plus dans ce domaine en vue de garantir la sécurité des systèmes d’information. Il a dans ce sens mis en exergue l’intérêt de l’Afrique et l’Europe à œuvrer ensemble et mobiliser leurs efforts, à travers un partenariat liant les deux continents et visant à tirer profit de cette révolution numérique. M. Kempf a ajouté que ce partenariat permet aux deux parties d’intégrer un marché potentiel de près de 2 milliards de personnes et de pouvoir ainsi concurrencer la Chine et les États-Unis.

OK

UNe autorité scientifique disparue ?

Cela fait des semaines, des mois que je n'ai pas publié : mille excuses. Je dos être mal organisé ou très pris (au choix). Voici donc un texte paru dans un dossier de l'IRIS sur "le virus du faux" (lien ici). J'y publie un texte sur la disparition de l'autorité scientifique, lisible ci-dessous. OK

La crise de la Covid 19 affecte en profondeur l’année 2020. Cependant, si les conséquences géopolitiques sont relatives, si les conséquences économiques sont énormes, la pandémie a accéléré un autre mouvement, plus discret et moins évident : celui de la perte de confiance envers l’autorité scientifique.

Permanences et accélérations

D’une part, les tendances lourdes du monde d’avant ont persisté. Certes, quelques-uns ont saisi des opportunités, comme la Chine qui en a profité pour accélérer sa maîtrise de Hong-Kong ou l’Arabie Séoudite qui a tenté de s’exfiltrer du Yémen. Le bilan médical de la pandémie sera lourd mais sans constituer par lui-même un choc démographique déstabilisant, à l’image de la Grande peste ou des ravages microbiens lors de l’invasion des Conquistadors. En revanche, les conséquences économiques de l’arrêt de la production mondiale pendant deux mois seront très sensibles et nous mettrons deux ou trois ans à les surmonter.

D’autre part et hormis la question économique, la crise a accéléré des phénomènes qui prévalaient. Mentionnons ici la prégnance accélérée des outils numériques, la radicalisation de la crise intérieure américaine ou encore une radicalisation politique de la gauche mondiale au profit d’une lecture systématique de communautés séparées sur la base de la couleur de peau (ne plus dire race), du genre (ne plus dire sexe) ou de la position victimaire.

Débat scientifique

Au chapitre des accélérations, le débat scientifique est arrivé sur la place publique. Il a pris des détours surprenants pour se concentrer sur les questions de médecine. Il est vrai que le confinement nous y forçait, puisque nous avons tous essayé de comprendre ce virus qui suscitait une réaction aussi radicale que la mise à l’abri de populations entières.

Ainsi, les virus ne sont pas des microbes, la transmission de virus d’animaux à l’homme est chose courante, notre patrimoine génétique s’améliore au fur et à mesure des résistances acquises par la rencontre préalable d’autres virus et maladies, etc. Accessoirement, ces virus se répandent plus facilement grâce à la mondialisation puisque celle-ci passe par des échanges beaucoup plus nombreux que par le passé.

Mais ces explications n’ont pas suffi. Il nous a fallu comprendre comment nous en étions arrivés là : passons sur l’impréparation et la faiblesse des moyens (de lits, de respirateurs, de masques, de tests, ces derniers n’étant toujours pas opérés en assez grand nombre) qui ont suscité leur lot de polémiques ; rapidement, la question a tourné autour des moyens de traiter ce virus, aujourd’hui et demain. Les autorités nous ont promu des tests cliniques de traitement qui étaient faits au niveau européen et dont nous devions avoir les premiers résultats en avril. Constatons que les résultats sont décevants, non seulement parce que les solutions n’ont pas été trouvées mais aussi parce que l’ampleur des tests à déçu.

L’affaire de la chloroquine

Alors est intervenu un personnage haut en couleur, le professeur Raoult, initialement présenté comme un des grands spécialistes mondiaux d’infectiologie. Il prônait un traitement précoce à base de chloroquine et expliquait qu’il obtenait de bons résultats. La planète médiatique prit alors feu. Avec son air de Panoramix, on avait l’impression du druide du village gaulois résistant à l’envahisseur, tandis que les élites poussaient des cris d’orfraie face à cet hérétique qui suivait sa propre voie. Dans cette nouvelle bataille d’Hernani, chacun pouvait avoir son avis d’autant plus que le « Conseil scientifique » mis en place par le gouvernement avait des avis qui semblaient évoluer au gré des circonstances.

Un peu plus tard, une étude tout aussi fracassante était publiée par une revue médicale de renom, the Lancet. Elle s’appuyait sur du Big data et concluait à l’ineptie des traitements par chloroquine. Le Conseil sanitaire décidait aussitôt qu’il fallait interdire la chloroquine (médicament utilisé depuis trois quarts de siècle contre le paludisme en Afrique et dont on ne savait pas qu’il présentait jusqu’alors de si grands dangers). Comme dans tout bon vaudeville, une semaine plus tard on apprenait que l’étude avait été « bidonnée », que les statistiques avaient été inventées par une société plus mercantile que médicale : the Lancet retirait la publication et l’OMS son avis contre la chloroquine.

Précisons ici que nous n’avons aucune idée du bien ou du mal-fondé de ce médicament mais qu’il est révélateur de bien des choses.

Autorité scientifique

Allons au fait : ces affaires, aussi bien celle de la pandémie que de la chloroquine, révèlent la fin de l’autorité scientifique. Voilà une nouveauté dont on discernait pourtant les signes mais qui est désormais établie.

Elle n’est pas surprenante tant les « autorités » traditionnelles se sont affaiblies : ce fut le cas des religions (relisez M. Gauchet sur le désenchantement du monde), des idéologies, des syndicats, des partis politiques ; il y eut le déclin de la presse, celui de l’école, celui de l’hôpital. Toutes ces institutions, toutes ces autorités morales se sont peu à peu affaissées. Voici d’ailleurs une des causes de la fin de l’universalisme.

La dernière autorité restait l’autorité scientifique. Les savants, du fait de leurs longues années d’étude, de leur rare prise de parole publique, de leur rigueur, mais aussi du reliquat d’un certain positivisme, hérité d’Auguste Comte, gardaient leur crédit. Nous croyions tous encore un peu au progrès, avec une part de raison.

Le progrès, toujours le progrès

En effet, nous avons évolué à propos du progrès. Nous avons compris que le progrès scientifique n’entraînait pas, contrairement aux illusions des siècles passés, un progrès social. Pour autant, nous savons bien que le progrès scientifique continue (même s’il est de moins en moins compréhensible) et surtout, nous observons dans notre vie quotidienne l’irruption du progrès technologique. Cela passe bien sûr par les technologies numériques (nous ne parlons pas bien sûr de l’ultime version de votre ordiphone qui appartient plus au domaine du marketing que de la technologie) mais pas uniquement : nos avions, nos voitures, nos outils, nos soins se sont améliorés. Nous attribuons ce progrès technologique au progrès scientifique. Et il est vrai que la science continue son œuvre et que la réponse scientifique à la pandémie a été remarquable, puisqu’on a isolé l’ADN du virus en quelques semaines et que les prototypes de vaccin sont testés partout. Jamais dans l’histoire de l’humanité une maladie nouvelle n’aura été traitée aussi rapidement. Et pourtant…

Impatience et défiance

Par impatience, nous comprenons mal que nous n’y soyons pas arrivés plus vite. Rappelons qu’on n’a toujours pas de vaccin contre le Sida, apparu il y a quarante ans, et qu’on traite difficilement cancer et Alzheimer…

Surtout, nous avons une certaine défiance envers l’aristocratie scientifique. Les premiers signes sont anciens : sans même évoquer les platistes (persuadés que la terre est plate), pensez à la controverse sur le changement climatique ou celle des antivax (anti-vaccins). Des parts toujours plus importantes de la population tiennent des discours (et adaptent parfois leurs comportements) sur la base de conceptions scientifiques manifestement erronées. Encore ne s’agit-il là que d’opinions, considérées comme marginales même si elles ont pris de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux.

Avec la chloroquine (dans un contexte de confinement) c’est la population entière qui a pris parti, sachant que les démonstrations des uns et des autres ne convainquaient pas. De plus, la parole des « experts », qu’il s’agisse des membres des différents Conseils scientifiques ou académies, laboratoires ou universités, a semblé être altérée par des intérêts externes, politiques ou pécuniers ou tout simplement d’egos. Les déclarations flamboyantes de l’un, condescendantes des autres, ont toutes contribué au malaise.

Au fond, la science bénéficiait encore d’une image de neutralité qui lui donnait son autorité. Personne ne lui reproche son incertitude : car son objet consiste justement à dissiper, lentement et à tâtons mais avec méthode, cette incertitude. Mais on reproche à ceux qui s’en prévalent de ne pas toujours respecter cette neutralité qui fonde le bien commun ; de verser dans l’émotion, d’en faire l’objet de parti, donc de partition, donc de division. Ils ont abimé l’autorité, une des dernières qui nous restait. C’est dommage car le mal fait ne pourra être réparé.

Pour conclure

Ce propos n’est-il pas u peu sévère ? la science ne continue-t-elle pas, vaille que vaille, obtenant des résultats sans cesse plus étonnants ? Si, bien sûr, et l’attribution récente du prix Nobel de chimie à une chercheuse française nous le rappelle, elle qui mit au point la technique du CRISPR/Cas9 qui permet de réaliser du génie génétique. Observons que ce travail scientifique se fait dans l’ombre, entre experts qui ne sont pas contestés. Au fond, l’autorité scientifique pâtit d’être propulsée au-devant de la scène publique, que ce soit par le politique, par les médias, par l’émotion. La science poursuit son chemin, elle ne tolère plus en revanche d’être confrontée au débat public qui tourne souvent à la polémique (car voici au fond un des grands défauts de l’époque : celui de ne plus avoir de débat, mais seulement des polémistes qui ne s’écoutent pas réciproquement).

Pour autant, peut-elle s’en abstraire ? Car des débats récents se font jour qui manquent visiblement de culture scientifique : par exemple celui sur l’alternative des énergies renouvelables par rapport à l’énergie nucléaire, ou la curieuse polémique entourant le déploiement de la 5G qui serait anti-écologique et mauvaise pour la santé -on connut un peu la même chose avec les éoliennes ou les compteurs Linky). La science est donc placée au milieu d’une contradiction : celle de ne pouvoir trop interférer dans le débat public mais de ne pas non plus le négliger complètement…

Mondes en guerre (Dir. Hervé Drévillon)

Cette somme en quatre volumes (deux parus cette année) réunit, sous la direction d’Hervé Drévillon, les analyses des historiens sur la guerre à leur époque de prédilection.

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Le premier tome est consacré à la période vaquant de la Préhistoire au Moyen-Âge, le second volume à l’époque moderne (jusque 1870). Ces ouvrages sont non seulement bien écrits, ils sont également remarquablement illustrés grâce à une iconographie soigneusement choisie. On attend avec impatience le troisième tome (1870-1945) et le quatrième (de 1945 à nos jours). Un fonds de bibliothèque stratégique.

 

Mondes en guerre (2 tomes sur 4) Dir H. Drévillon, Passés composés, 2019. ici.

O. Kempf

Le héron et la crise

Ayant recommencé à publier sur ce blog, j'ai reçu récemment un compte-rendu de mon correspondant de presse auprès des hérons. Je suis très heureux de le porter à votre connaissance. Merci à lui.

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Du poste d'observation où je guette les grenouilles – créées par le Grand Patapon, dans son immense sagesse, pour nourrir les hérons – j'observe aussi les TGC et j'ai remarqué que depuis quelque temps ils sont moins nombreux et se bousculent moins. L'un d'eux m'a expliqué pourquoi.

Mais là je devine que je vous dois d'abord quelques explications. Les TGC, se sont ces créatures bizarres dépourvues de plumes et de bec qui vivent dans la ville bâtie autour de ma rivière – l'Erdre – et autour de la Loire plus loin.

Les TGC, dépourvus de beaucoup de choses indispensables, n'ont pas d'ailes non plus mais seulement deux pattes et ils sont, de ce fait, limités dans leurs déplacements : c'est pour ça qu'ils ont construit des villes, bien qu'ils s'y bousculent. Le Grand Patapon n'a pas été du tout sympa avec eux quand il les a créés. Cependant il faut croire qu'ils ont leur utilité : les voies du Grand Patapon sont impénétrables. Et en plus, comble du ridicule, les TGC ont une grosse tête : c'est aussi pour ça qu'ils ne peuvent pas voler, car le poids de leur tête les déséquilibrerait. Avec les copains, on les appelle TGC parce que ça veut dire les Trop Gros Cerveaux.

Parfois je bavarde un peu avec l'un d'eux quand il passe sur le Pont Saint-Mihiel. Ce pont franchit l'Erdre pas loin de la péniche sur le toit de laquelle je me poste pour guetter les grenouilles. C'est une péniche où loge un artiste, elle ne voyage plus : le toit de ma péniche est presque à la hauteur du pont où les TGC se bousculent pour passer. Mais depuis quelque temps ils se bousculent moins. Un TGC un peu moins bizarre que les autres m'a expliqué pourquoi. Je dis « moins bizarre » parce que de temps en temps il s'arrête et on bavarde. Jamais vous ne verriez un TGC normal parler à un héron.

Pendant qu'il jetait du pain aux canards, je lui ai demandé : « pourquoi les TGC sont-ils moins nombreux ces temps-ci ? – Parce que nous sommes confinés. – C'est quoi, ça ? – Nous n'avons pas le droit de sortir de nos maisons. – C'est toujours pareil : à chaque fois que je te demande de m'expliquer quelque chose, tu me réponds par autre chose d'encore plus compliqué. Qu'est-ce que ça veut dire pas le droit ? – Ça signifie que l'intérêt de tous les TGC est de rester dans leur maison. – Ah, je comprends. Mais pourquoi ? – Parce que quelques uns d'entre nous ont une maladie qui peut se transmettre aux autres. – Comme la grippe aviaire que nous avons eue autrefois ? Je n'étais pas né : mes parents m'ont raconté. Mais eux, ils n'ont jamais été confinés, comme tu dis. – Parce que eux, ils ne savaient pas. – Au contraire vous, vous savez à cause de votre trop gros cerveau et donc vous n'avez pas le droit d'aller où vous voulez comme vous voulez. »

Ayant dit ça, j'ai réfléchi un peu (très peu, comme toujours, mais suffisamment) et j'ai ajouté : « je t'ai toujours dit qu'un trop gros cerveau ce n'est pas un avantage. »

Mon pauvre TGC n'a pas su quoi rétorquer à ça. J'ai continué : « mais toi, qu'est-ce que tu fais là, à donner à manger aux canards, alors que tu n'as pas le droit de sortir de ta maison ? – On a quand-même un peu le droit : là, je sors en conformité avec le 5° de l'article 3 du décret du 20 mars. – Vous êtes d'un compliqué ! Pas le droit mais quand-même le droit d'aller donner à manger aux canards, c'est dingue ! – Je suis assez d'accord avec toi : je crois qu'il y a chez nous des gens qui n'ont pas bien utilisé leur trop gros cerveau et qu'à cause de ça l'on arrive à des incohérences. Par exemple, les gens qui n'ont pas de domicile (on les appelle les SDF), je ne sais pas comment ils font pour rester chez eux. Ni ceux qui vivent toute l'année dans une caravane (on les appelle les gens du voyage). »

Je n'ai pas répondu parce que moi non plus je ne savais pas. J'ai de la difficulté à concevoir que l'on n'aie pas de nid ou que l'on aie un nid qui voyage. Mon TGC a conclu : « Bon mais maintenant tu m'excuseras : il faut que j'aille confiner. – Oui, vas. Mais sache que je suis de tout cœur avec toi : mes parents, avec la grippe aviaire, n'ont pas eu tous ces problèmes de "pas-le-droit-mais-un-peu-le-droit-quand-même-dans-certains-cas". »

Le héron

20 ans après la campagne aérienne au Kosovo

J'aurai l'honneur d'intervenir au colloque "20 ans après la campagne aérienne au Kosovo" qui se tiendra le 18 novembre prochain à l'Assemblée Nationale, et qui est organisé par l'armée de l'air, la marine nationale et le service historique de la défense. J'évoquerai notamment la question de la cohésion politique de l’Alliance, mise à l'épreuve pendant les opérations. Détails et inscription ci-dessous.

Du 23 mars au 10 juin 1999, les forces de l’Alliance atlantique mènent une campagne aérienne baptisée Allied Force contre les unités militaires et les infrastructures économiques et stratégiques de la Serbie. Leur objectif est de contraindre le gouvernement serbe à négocier sur la place du Kosovo au sein de la république fédérale de Yougoslavie. Après 78 jours et plus de 37 000 sorties aériennes dont 9 500 missions de frappe, le gouvernement serbe accepte les conditions de l’Alliance et le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1 244 qui organise le retrait des troupes serbes de la province du Kosovo et le déploiement d’une force internationale de sécurité.

La France a pris une part très active à la campagne aérienne de l’OTAN, engageant plusieurs dizaines d’appareils de l’armée de l’air et de l’aéronavale. Cet engagement marque une étape décisive dans l’histoire des opérations militaires et plus particulièrement de la coercition aérienne. En effet, Allied Force s’inscrit dans la continuité de la guerre du Golfe en 1991 et forme avec elle deux des principales opérations marquant cette décennie où la toute puissance aérienne apparaît, selon l’expression de Churchill, comme une forme de puissance militaire supérieure aux autres.

Organisée par l’armée de l’air avec la marine et le Service historique de la Défense, cette manifestation a pour objet de revenir avec les principaux acteurs politiques, diplomatiques et militaires français de l’époque sur cet engagement opérationnel afin de déterminer quelles ont été les modalités, les contraintes et la valeur de l’engagement français dans cette campagne aérienne.

Programme

Lien vers la présentation du colloque sur le site du SHD

Une pièce d’identité vous sera demandée à l’entrée. Inscription obligatoire avant le 13 novembre 2019 sur l’adresse mail cerpa.contact.fct@intradef.gouv.fr en précisant vos civilité, nom, prénom, date et lieu de naissance.

Salle Victor Hugo Immeuble Chaban-Delmas 101, rue de l’Université – 75007 Paris Métro : Assemblée Nationale (ligne 12); Invalides (ligne 8, 13) RER C : Invalides Bus : 24, 73, 84, 63, 69, 83, 93, 94

La réflexion stratégique 2.0

Je participerai, Mercredi 20 novembre prochain, à une conférence sur la Réflexion stratégique 2.0. Elle est organisée à la mairie du 9ème par l'Association des militaires entrepreneurs (AME). Quels sont les effets de la numérisation des supports d’information (sites, newsletters, blogs, réseaux sociaux,...) sur la réflexion stratégique des armées et des entreprises ? Détails ci-dessous.

Soirée Réflexion & Influence - AME-France (site : www.ame-france.com) Mercredi 20 novembre 2019 – de 18h30 à 20h30

THEME :   La Réflexion stratégique 2.0  : Quels sont les effets de la numérisation des supports d’information (sites, newsletters, blogs, réseaux sociaux,...) sur la réflexion stratégique des armées et des entreprises ? 

Discussion avec des influenceurs convaincus  :

  • Frédérique Jeske, DG d’un réseau, auteur du Guide des dirigeants responsables, animatrice du blog Ambitieuse pour l’entreprise
  • Olivier Kempf, général (2s), consultant, auteur, animateur du blog Egea, de la lettre La Vigie
  • Thibault Lamidel, analyste, animateur du blog Le Fauteuil de Colbert (un associé d'Echoradar)
  • Damien Liccia, associé IDS Partners

Avec la participation de deux grands témoins :

  • Caroline Galactéros, dirigeante de Planeting et du Think tank Geopragma, auteur de Vers un nouveau Yalta
  • Yves de Kermabon, général de corps d’armée (2s), ancien conseiller PESD à Bruxelles, associé MARS analogies

Animation : Mériadec Raffray, journaliste et expert des questions de défense & sécurité

Mairie du IXème arrondissement

  • Mairie du 9ème arrondissement,
  • 6 rue Drouot - 75009 Paris
  • Matro : Richelieu-Drouot
  • Salle du Conseil – Escalier D, 2ème étage

Accueil à partir de 18h00 - Les auteurs dédicaceront leurs ouvrages à l’issue

Inscription :  https://www.weezevent.com/soiree-reflexion-strategique-ame-france-20-novembre

Les Algériens de France

J'ai publié, dans la revue italienne Limes, un article qu'ils m'avaient demandé pour leur numéro de juin consacré à l'Algérie. Je ne vais pas poster ici la version italienne (voir I mille volti degli Aglierini di Francia) mais le texte français d'origine, plus accessible au lecteur français.

Semaine après semaine, le renouvellement des manifestations à travers l’Algérie a relancé l’intérêt pour ce pays maghrébin. Cependant cet intérêt n’a pas donné lieu à une mobilisation médiatique en France, comme si les Français regardaient d’un air distant ce pays, ancienne colonie qui au fond ne compterait plus, tant elle s’est enfermée dans un nationalisme ombrageux. Dans le même temps, des signes ont montré que les « Algériens de France » s’étaient quant à eux mobilisés, que ce soit par des manifestations répliquant place de la République celles d’outre-Méditerranée, ou par les voyages de ceux retournant régulièrement à Alger pour descendre dans la rue. Autant de réactions qui varient de la négligence à l’implication la plus passionnée et qui illustrent des relations ambiguës, complexes et entrecroisées entre les deux pays et leurs deux peuples. Au point que l’expression « Algériens de France », pourtant utilisée abondamment, recouvre une réalité malaisée à définir, tant on ne sait pas ce que sont ces « Algériens de France », ni si l’expression désigne la même chose à travers l’histoire, ni même si elle a pareil sens en France ou en Algérie. Or, la question est extrêmement sensible tant elle croise des lignes de passion politique qui ont traversé et traversent encore notre pays, qu’il s’agisse de la guerre d’indépendance algérienne, de l’immigration ou de la place de l’islam et de ses variantes radicales. C’est pourquoi ce texte doit l’apprécier sous un triple regard : démographique, politique et géopolitique.

Des immigrations algériennes

Les Algériens de France sont d’abord le résultat de vagues successives d’immigration (1).

Elles existent très tôt, alors même que les trois départements algériens sont sous administration directe de la métropole. On distingue ici plusieurs vagues de cette immigration des populations autochtones et musulmanes (2) (à distinguer donc des colons), vers la métropole. La première vague, de 1905 à 1913, envoie une dizaine de milliers de personnes dans des emplois de main d’œuvre industrielle. Lors de la Première Guerre mondiale, 80.000 travailleurs algériens et 170.000 soldats viennent en métropole. Après la guerre, la France rapatrie 250.000 d’entre eux vers les colonies. Mais l’immigration reprend dès 1920 jusqu’à 1939, puis à nouveau à l’issue de la Seconde Guerre, jusque 1954, notamment pour accompagner la reconstruction et les Trente glorieuses.

Le flux s’interrompt à l’occasion de la Guerre d’Algérie (1954-1962). La fin de celle-ci (accord d’Evian) organise le « rapatriement » qui n’est pas à proprement parler une immigration mais constitue incontestablement un mouvement migratoire d’ampleur. En effet, les populations en question sont pour la plupart de nationalité française (depuis la loi de 1870 pour les juifs, celle de 1889 pour les Européens et celle de 1947 pour les musulmans). Toutefois, il faut bien distinguer les Pieds-Noirs et les Harkis (3) : l’administration française demande en effet à ces derniers une reconnaissance de nationalité. Entre 1962 et 1965, environ un million de Français d’Algérie arrivent en France (dont 100.000 juifs et 45.000 harkis).

Simultanément à ces rapatriés, une immigration algérienne proprement dite se développa dès 1962, elle aussi en plusieurs vagues. Entre 1962 et 1982, la population algérienne vivant en France passe de 350.000 à 800.000 personnes, principalement des travailleurs venus fournir de la main-d’œuvre à la croissance industrielle des Trente Glorieuses. A partir de 1980, les allers et retours ne sont plus possibles et les Algériens travaillant en France veulent y rester : ils font donc venir leur famille. Les entrées sont désormais principalement le fait du regroupement familial même si d’autres phénomènes ont lieu : soit la fuite de la guerre civile au cours de la décennie noire des années 1990, soit des commerçants illicites entre les deux rives (trabendo) soit même des immigrés clandestins (harragas).

Combien sont-ils ?

Il est difficile de connaître avec précision le nombre de ces Algériens de France.

En 2012, selon une estimation de l’INSEE, les immigrés algériens et leurs enfants (au moins un parent né en Algérie) étaient 1.713.000. Selon d’autres spécialistes, le nombre de résidents d’origine algérienne peut être estimé à 4 millions dont deux millions de binationaux. Enfin, Michèle Tribalat, dans une étude de 2015 (4), estime à 2,5 millions les personnes d’origine algérienne sur trois générations : 737.000 immigrés, 1,17 millions de descendants de 1ère génération, 565.000 descendants de deuxième génération. Sur trois générations, ces personnes représentent donc 4,6 % de la population française. Cette étude inclut donc les harkis et leurs descendants mais exclut les descendants des rapatriés.

Les chiffres les plus récents de l’INSEE datent de 2015 (5) : Il y aurait ainsi en France 6,2 Millions d’immigrés (nés à l’étranger) dont 3,8 millions de nationalité étrangère et 2,4 millions de binationaux. 12,8 % seraient nés en Algérie soit 793.000 (486.000 de nationalité algérienne, 307.000 binationaux).

Les descendants de harkis seraient aujourd’hui entre 500.000 et 800.000. Les descendants de pieds-noirs seraient quant à eux au nombre de 3,2 millions en 2012.

Si l’on conjugue toutes ces études, en additionnant les Français d’origine algérienne et ceux ayant des origines pied-noir, on obtient le chiffre de 5,7 millions de personnes ayant des racines directes en Algérie.

Mais ces chiffres ne doivent pas cacher que ces différentes origines et statuts, mais aussi les différences entre les références chronologiques (vagues d’immigration, générations de 1er, 2ème ou 3ème rang), rendent impossible l’unité des réactions de ces différentes populations. Aussi l’expression « Algériens de France » est-elle trompeuse en ce qu’elle suggère une homogénéité et donc la similitude des comportements.

Liaisons historiques

En effet, les Algériens en France ont très tôt eu un rôle dans l’accession à l’indépendance. En 1926, de jeunes immigrés algériens créent, du côté de Nanterre, l’Etoile nord-africaine, premier mouvement indépendantiste algérien. Messali Hadj, son leader, le transforme en Parti du peuple algérien en 1937 puis en Mouvement National Algérien à partir de 1954. Après la Seconde Guerre mondiale, les revendications nationalistes montent en puissance pour aboutir au déclenchement de la guerre d’Algérie (on parle en Algérie de « Révolution algérienne ») en novembre 1954.

Le Front de libération nationale (FLN) crée des régions militaires (des wilayas) pour conduite son combat. A ce titre, la Wilaya 7 est la branche française du FLN, sous le nom de Fédération de France du FLN, qui va sensibiliser la communauté algérienne en France et en Europe. Les premières années, il s’agit de prendre l’avantage sur l’autre mouvement nationaliste, le MNA (Messali Hadj) ce qui entraîne des règlements de compte meurtriers (on parle de 4.000 morts) afin notamment de collecter « l’impôt révolutionnaire ». En 1961, elle organise des manifestations durement réprimées (plusieurs dizaines de morts). Simultanément, des Français, en général des intellectuels de gauche, soutiennent le mouvement indépendantiste (cf. le réseau Jeanson ou encore ce qu’on a appelé les « porteurs de valise »).

Les Algériens en France ou les Français soutenant les Algériens ont donc joué un rôle important au cours de la guerre d’Algérie. Le souvenir en a laissé des traces dans l’histoire politique mais il s’est estompé, notamment en France, au point qu’il n’agit plus aujourd’hui comme une référence dans le débat public. Quasiment deux générations ont passé et les passions d’hier se sont globalement apaisées. D’autres ont pris le relais.

Nouveaux malaises

En juillet 1998, la France gagnait la coupe du monde de football. Certains, prenant appui sur la figure de Zinedine Zidane, parlait de France black-blanc-beur, y voyant le triomphe d’une France multiculturelle et intégrée. En 2001, le premier match de football entre la France et l’Algérie, joué au stade de France, au même endroit que la finale trois ans plus tôt, renversait cette hypothèse : Lors de la diffusion des hymnes nationaux, de nombreux sifflets se firent entendre au cours de la Marseillaise et le match fut arrêté à la 76ème minute, alors que le terrain était envahi par des milliers de supporters. Les « jeunes de banlieues » avaient ainsi démontré leur piètre attachement à leur pays de nationalité, la France. Étaient-ce des Algériens de France ? ou plutôt des Français de France aux racines algériennes ? En tout cas, cela révélait le trouble identitaire de nombreux segments de la population française.

Ces matchs montraient le malaise d’une partie de la population immigrée et notamment celle d’origine algérienne. Quelques années plus tard, la série des attentats terroristes à Paris renforçait cette impression : en effet, la plupart d’entre eux furent commis par des citoyens français, même si leur origine immigrée (et pour le coup, pas spécialement algérienne) leur donnait souvent un point commun. Le malaise quittait le terrain de l’immigration pour aller vers celui de l’islam et notamment de ses versions extrémistes.

Incidemment, cela posait la question de l’organisation de l’islam de France. Ainsi, la Grande mosquée de Paris est juridiquement indépendante mais reste traditionnellement liée, culturellement et culturellement, à l’Algérie. Cependant, la Grande mosquée de Paris perd de l’influence dans la représentation de musulmans de France (alors qu’elle avait une primauté traditionnelle), notamment au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Alors que l’islam algérien avait traditionnellement eu le plus d’influence en France, voici qu’il est désormais minoritaire.

Algérien de France ou Algérien en France ?

Ces différents points montrent un trouble. Pourtant, ce trouble ne semble pas propre aux seuls Algériens de France puisque ces questions d’identité traversent le pays (et même l’ensemble des pays d’Europe). En 2007, juste arrivé au pouvoir, Nicolas Sarkozy décide de créer un ministère de l’identité nationale (intitulé exact : ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire). Cela illustre la difficulté de ce nouveau thème politique de l’identité.

Il ne s’agit pas ici d’écrire une nième dissertation sur le sujet : tout a été dit de ces identités multiples, défiées par les conditions contemporaines de la mondialisation qui intensifie les échanges et les mélanges, qu’il s’agisse des cultures, des idées ou des personnes. Cette intensification est géographique mais elle constitue également une accélération, qui laisse moins de temps à la sédimentation, à l’accoutumance et à l’apaisement. Enfin, un certain relativisme occidental accélère cette dissolution des identités, qu’elles soient nationales, régionales ou individuelles. Le refus de la norme sociale rend plus difficile l’intégration.

S’agissant des immigrés et spécialement des Algériens, on peut également pointer les attitudes différentes entre ceux de première génération, qui ont encore les références de leur pays d’origine, et ceux de deuxième et de troisième génération, pour qui ces références sont plus éloignées et donc fantasmées ou reconstruites.

Nombreux sont les témoignages de ces beurs algériens « retournant » au bled (même à l’occasion de leur premier voyage), qui rêvent beaucoup de ce voyage et sont finalement très déçus de ce qu’ils vivent : il y a un choc culturel intense entre la représentation et la réalité, sans même parler de l’accueil qui leur est réservé et qui n’est pas toujours bon.

Les voici donc obligés de construire une identité composite, à la fois algérienne et française, ou plus exactement Français d’origine algérienne (FOA), même si l’insertion dans la société française est difficile. Très souvent en effet, un FOA fait partie de la France périphérique, celle qui a du mal à joindre les deux bouts et qui s’est révélée aux yeux de tous lors de la manifestation des Gilets Jaunes. Et pourtant, les choses ne sont pas aussi simples : ainsi, on vit peu de beurs au sein de ces Gilets Jaunes, de même qu’on en vit peu lors des grandes manifestations à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo : signe d’une division qui demeure profonde et qui touche la France de l’immigration en général, et plus particulièrement celle d’origine maghrébine, et donc algérienne.

Retournements d’identité

Le cas des binationaux est symptomatique de ces difficultés. Ainsi, un grand débat public eut lieu en 2016 à propos de la déchéance de nationalité des terroristes. Rapidement, le sujet dériva vers la question des binationaux (pas seulement des Algériens). Or, il faut constater leur « double absence » (selon le mot du sociologue algérien Abdelmalek Sayad), ici et là-bas, particulièrement dans le cas des Algériens. Regardés avec suspicion par un certain nombre d’hommes politiques français, ils le sont également par les hommes d’Etat algériens qui dénoncent régulièrement le Hizb frança (le parti de la France), nouvelle cinquième colonne qui agirait cette fois non au profit de l’Algérie mais contre elle. « De ce point de vue, les récents débats contradictoires autour des articles 51 et 73 du nouveau projet de Constitution en Algérie sont bien la preuve que les binationaux ne constituent pas uniquement des victimes expiables dans l’ancien État colonial (la France) mais aussi des boucs-émissaires de l’État anciennement colonisé (l’Algérie). En effet, le pouvoir algérien a présenté récemment un nouveau projet de constitution afin de « démocratiser » et de « moderniser » les institutions politiques du pays. Or, parmi les réformes envisagées, l’une vise précisément à exclure les binationaux de certains mandats électifs et des postes à haute responsabilité engageant la souveraineté de l’État. L’argument principal avancé par les auteurs de la réforme est que la binationalité serait susceptible d’introduire un conflit d’allégeance entre l’État d’origine et l’État d’accueil » (6). Les binationaux sont donc soupçonnés d’être considérés comme peu fiables et pas assez loyaux.

Ils sont ainsi un peu des deux pays mais finalement, ils ne seraient d’aucun des deux ? Qu’y peuvent-ils, d’ailleurs, si le droit leur donne deux nationalités, sans qu’on leur ait demandé leur avis et même si beaucoup y trouvent un avantage ? En fait, « leur statut juridique et symbolique fait problème, en ce qu’il témoigne de la péremption des conceptions traditionnelles de l’État-nation territorial qui se combine paradoxalement à un retour en force des nationalismes fondateurs, ce que l’on pourrait appeler également les nationalismes primordiaux ». Les binationaux sont un problème géopolitique très contemporain.

Dans le même temps, on évoque parfois « les centaines de milliers d’Algériens vivant en Algérie mais ayant secrètement la nationalité française (7) ». Il y aurait ainsi des Algériens Français en Algérie même… Sont-ils Algériens de France ou autre chose ?

D’un autre point de vue, les pieds-noirs sont également des Algériens de France : Mais l’expression pied-noir étant jugée péjorative par certains d’entre eux, ils lui préfèrent l’expression de « Français d’Algérie ». Mais ces Français d’Algérie ne sont-ils pas également des Algériens de France, même si leur rapport avec l’Algérie indépendante est très différent de celui des FOA ?

Une normalisation en cours ?

Ainsi, ces parcours très variés montrent que l’expression « Algériens de France » est bien délicate à manier.

Et pourtant, l’observateur peut déceler une certaine normalisation. Le déroulé du hirak (Mouvement) algérien l’illustre. Ainsi, de nombreux binationaux se sont-ils rendus régulièrement à Alger pour participer aux manifestations, occasion pour eux de participer à la vie politique de leur pays, mais dans le sens d’un rapprochement de nature politique. En effet, l’attente d’une forme de démocratisation du régime semble réunir les deux rives.

Ainsi que nous l’avons montré (8), les Algériens (comme tous les Maghrébins) sont imprégnés de culture française et ils observent la vie politique, médiatique et sportive française quotidiennement, grâce aux télévisions par satellite et Internet. D’une certaine façon, ils vivent en France par procuration. Quant aux Algériens de France, ils représentent d’une certaine façon ceux qui prouvent qu’on peut y arriver, à l’instar des nombreux Français d’origine algérienne qui ont réussi (pour les personnalités récentes (9) : les footballeurs Zidane, K. Benzema, N. Fékir, les chanteurs K. Farah, Sheryfa Luna, les politiciens F. Amara, A. Begag, N. Berra, R. Dati, F. Lamzaoui, L. Aïchi, K. Delli, les acteurs M. Achour, A. Belaïdi, F. Khelfa, Smaïn, Ramzy, L. Bekhti, Dany Boon, Kad Merad, …). C’est d’ailleurs ce qui incite probablement les binationaux à se préoccuper de l’évolution politique de l’autre côté de la Méditerranée, car elle représente une évolution qui permet de réduire les distances entre les deux sociétés.

Vers la cicatrisation …

La France se désintéresse de l’Algérie, écrivions-nous. Peut-être les évolutions en cours annoncent-elles un renouveau, activé par ces Algériens de France qui ont besoin, plus que d’autres, de réconcilier non seulement leurs racines mais surtout deux histoires si proches. Car au fond, beaucoup d’Algériens demeurent attachés à la France, tout comme il y a une part très importante de Français qui conservent des liens avec l’Algérie. Ces Algériens de France constitueront alors une richesse géopolitique permettant un rapprochement entre les deux pays que tout rapproche et que l’histoire a un temps éloigné.

Venant d’un « nulle-part identitaire », ils permettront une alchimie créatrice au profit des deux rives.

(1) Les éléments de cette partie sont tirés notamment de Wikipédia, de l’INSEE et de E. Blanchard, Histoire de l’immigration algérienne en France, La Découverte, 2018, 128 pages. (2) Jusqu’en 1947, les autorités parlent des « musulmans » qui sont des sujets français. On parle à la suite du statut de l’Algérie (adopté en 1947) de Français musulmans d’Algérie. Ils ne deviennent à proprement parler Algériens qu’à la suite de l’indépendance en 1962. (3) Les pieds-noirs désignent les Français d’ascendance européenne originaires d’Algérie. Les harkis sont les anciens musulmans combattants, auxiliaires ou supplétifs de l’armée française au cours de la guerre d’Algérie : on les désigne aussi de Français de souche nord-africaine. (4) Michèle Tribalat, « Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 2011 », Espace populations sociétés, 2015/1-2. (5) https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212 (6) Vincent Geisser, « Une controverse peut en cacher une autre : Les binationaux suspects « ici et là-bas » ? », Migrations Société 2016/1 (N° 163), pages 3 à 12. (7) http://www.slateafrique.com/2063/en-france-la-binationalite-au-banc-des-accuses (8) « L’Algérie, le hirak et la France », Dossier stratégique n° 11, La Vigie, 18 mai 2019, accessible à https://www.lettrevigie.com/blog/2019/05/30/dossier-n-11-lalgerie-le-hirak-et-la-france-gratuit/ (9) Voir https://www.facebook.com/personnalitespubliquesdoriginealgeriennelapage/

Olivier Kempf

Le dernier pharaon

Profitons de l'été pour évoquer des choses plus légères et notamment les BD qu'on a lues au cours de l'année, sans avoir eu le temps de les chroniquer. La rencontre de deux géants, Blake et Mortimer d'un côté, Schuiten de l'autre, constitue une belle occasion à cet égard.

Schuiten s'est fait remarquer avec son complice Peters pour de belles séries que je qualifierait d'urbanistico-bizarres : une fascination pour la ville et l'architecture, un profond enracinement belge (et j'ose dire : wallon), une sensibilité profonde aux légendes et aux spiritualités antiques (égypto-chamaniques), tout cela constituait un cocktail profondément original qui a installé nos deux auteurs au panthéon des grands auteurs de BD.

Finalement, beaucoup de choses le rapprochaient d'Edgar P. Jacobs, outre la BD. C'est donc assez logiquement qu'il propose non pas une suite de Blake et Mortimer (d'autres auteurs ont poursuivi l’œuvre du maître et les aventures du célèbre duo), mais sa propre interprétation qui reprend toutefois, elle aussi, les deux personnages : cependant, alors que d'habitude ils sont dans la force de l'âge et au fait des responsabilités, nous voici en présence d'un Colonel Blake à la retraite et mis de côté par la technocratie militaire, tandis que le professeur Mortimer semble lui aussi légèrement mis de côté par ses collègues de l’université. Mais voici qu'une catastrophe se déroule du côté du palais de justice de Bruxelles et qu'après avoir mis la ville sous cloche, l'humanité se décide à lancer des missiles nucléaires contre la cité "devenue obscure" mais émettant des rayonnements menaçants.

Heureusement, notre duo sort de sa retraite pour résoudre l'énigme. Et naturellement, les deux univers fusionnent, celui de Schuiten comme celui de Jacobs, dans une nouvelle aventure qui nécessita quatre ans de travail.

Publiée en juin 2019, elle est assortie de la déclaration par Schuiten qu'il cessait d’œuvrer : c'est donc un livre testament, à la fois reconnaissance de dette vers l’univers de l'enfance et legs artistique qui clôt une vie. C'est d'ailleurs le sens de ces héros vieillis, dont on sent qu'ils effectuent leur dernière aventure, la dernière fois qu'ils sauvent le monde. La prochaine fois, d'autres devront prendre le relais.... L'album est donc baigné par un léger mélange de nostalgie mais aussi de pessimisme. Cela ne dessert pas l'histoire, bien sûr. Le vieillissement constitue donc un ressort dramatique qui donne une touche douce-amère à l'ensemble. Ce n'est qu'un au-revoir, a-t-on envie de dire, même si à la fin, les héros triomphent et réussissent, une fois encore, la mission, grâce à leur mélange détonnant de connaissances scientifiques et de dialogue avec des spiritualités paranormales.

Voici donc un bon moment qu'il faut savourer, un peu comme un vin de vieille garde qu'on a longtemps gardé et qu'on boit presque trop tard.

Est-il besoin de dire qu'il s'agit d'un chef d’œuvre, au sens premier du mot ?

A avoir absolument.

Le dernier pharaon, aux éditions Blake et Mortimer et France inter (ici).

O. Kempf

Retour sur l'affaire Legrier

L’affaire Legrier a fait à nouveau parler d’elle en ce creux d’été. En effet, le CEMA a été interrogé à son sujet par la commission de la défense de l’Assemblée et il a eu des mots très fermes à ce sujet (voir ici). D’autres commentateurs se sont crus obligés de commenter, le vernis de leur style cachant mal le vide de leur pensée et leur satisfaction de donner des leçons d’élégance morale et de « j’vous l’avais bien dit ».

Or, cette affaire couvre quatre dimensions, mal isolées par les commentateurs qui confondent souvent tout : Communication, commandement, stratégie et géopolitique sont ainsi les axes de l’affaire (sans même parler de la notion de liberté d’expression, victime collatérale de l’affaire, comme si on n’avait rien appris : mais elle vaudrait à elle seule un développement et elle a déjà été abordée dans ce blog : laissons-la de côté pour l’instant.

Commandement : c’est le principal argument du CEMA et on ne peut ici que lui donner raison. En effet, le colonel Legrier a publié son texte alors qu’il était encore en train de commander son bataillon en opération. Cela pose problème vis-à-vis de ses hommes (ce que relève le CEMA) mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie : faut-il rappeler que le commandement consiste dans un double « dialogue » : du haut vers le bas (les ordres) et du bas vers le haut (le compte-rendu). Or, le colonel Legrier a fait part publiquement de ses impressions avant même d’avoir rendu compte (et donc écouté les arguments contraires de sa hiérarchie.

Accessoirement, la prudence et la maturation imposent un certain temps de latence entre une opération et son analyse. Quiconque a été en Opex sait qu’on s’y agace de beaucoup de choses, que les relations humaines ne sont pas toujours simples, que la tension et la fatigue altèrent le jugement. Aussi n’est-ce pas un hasard si les analyses sont publiées après l’opération, pour permettre au temps de faire son œuvre et au cerveau de décanter, ruminer et produire l’essentiel. C’est ainsi pour ma part que j’ai procédé et que font la plupart des auteurs que je connais qui s’essaient à dégager les leçons qu’ils ont apprises de leur opération : le processus est indispensable et d’ailleurs, distinct du processus codifié du Retour d’expérience, tel qu’il est pratiqué dans nos armées.

Communication : L’accumulation d’erreurs en la matière est confondante : d’une part, la publication de l’article par la revue est maladroite car la RDN aurait dû noter cette question du commandement. Un article publié un mois plus tard, l’affaire aurait été différente. Ensuite, la réaction du cabinet (on ne sait d’ailleurs plus très bien de quel cabinet il s’agit : celui de la ministre, celui du CEMA ?). Demander le retrait d’un article (surtout quand il y a une version imprimée) à l’heure du numérique, c’est immanquablement susciter un effet Streisand, ce qui n’a pas manqué : outre les grands médias nationaux, le Washington Post, le New York Times, Reuters, Sputnik et Al Jazeera ont signalé l’article et analysé la question soulevée. Accessoirement, cela a démenti les propos du CEMA incitant les officiers à écrire et penser, ce qui est une de ses profondes convictions : il a dû entrer dans une casuistique désagréable et tirer des bords pour expliquer dans quel cas ceci dans quel cas cela. La question revient d’ailleurs trois mois plus tard avec cette audition parlementaire où on le sent très agacé au moins autant par le colonel Legrier que par la rémanence de l’affaire.

Stratégie : Là, pour le coup, le débat est ouvert. J’ai entendu un certain nombre de commentateurs évacuer d’un revers de main les arguments du colonel Legrier. J’en ai entendu d’autres, au moins aussi avisés (et en général, plus avertis des affaires stratégiques que les premiers), dire qu’il y avait au moins débat. Ce n’est pas un hasard si le CEMAT belge a diffusé le texte aux officiers de son état-major (ici). Car il y a matière à réflexion. Tout d’abord parce que je ne suis pas persuadé qu’on a autant gagné que ça contre les djihadistes. Ne soyons pas désagréables, n’évoquons pas Barkhane et restons au Moyen-Orient. Sommes-nous si persuadés d’avoir trouvé la bonne méthode face aux Djihadistes ? Sont-ils effectivement éradiqués d’Irak (sans même parler de la Syrie) ? Autrement dit, la stratégie adoptée notamment sous direction américaine a-t-elle été convaincante ?

Tentons de la résumer : beaucoup d’appui feu à des troupes au sol qui combattent par procuration (des proxies), un peu aidées par quelques forces spéciales. Cela a permis d’obtenir des effets sur le terrain, incontestablement et après beaucoup d’efforts, l’Etat Islamique a été chassé de Mossoul et du nord de l’Irak. Mais ce succès est-il durable ? si l’on observe d’autres théâtres (Afghanistan, BSS), il est permis d’en douter. Car au fond, on fait la guerre loin des populations, laissant à d’autres le soin d’aller constater les dégâts au sol, sans trop se préoccuper du volume de ces dégâts. ON est donc très loin de la guerre « au milieu des populations » dont on nous expliquait hier qu’elle caractérisait une approche française, distincte de l’approche américaine. Au fond, telle est la question : y a-t-il encore une approche française de la guerre ?

Par ailleurs, Le débat de l’appui feu renoue avec celui initié, entre les deux guerres, par Giulio Douhet. Celui-ci prétendait que l’arme aérienne allait constituer l’arme fatale, celle qui allait décider du cours des batailles par l’intensité du feu déployé. On sait, près d’un siècle plus tard, qu’il s’agit d’une illusion (pas tout à fait : seule l’arme nucléaire a obtenu ce pouvoir d’anéantissement et d’effroi qui a modifié la stratégie ) ; pour le reste, on demeure dans la guerre dite conventionnelle où l’accumulation d’armes complique la guerre mais ne résout pas l’affrontement premier entre deux camps, le fameux duel de Clausewitz. L’appui feu est un appui, voici ce que rappelle le colonel Legrier : il appuie une force au sol qui va risquer l’essentiel pour prendre l’ascendant moral sur l’ennemi. Observons que ce débat est aussi celui des drones et demain de la robotique de bataille. Autant dire que ce n’est pas un débat aussi anodin que d’aucuns l’ont affirmé.

On peut ici s’interroger sur l’intervention russe en Syrie : là encore, quelques milliers d’hommes et beaucoup d’appui feu : au fond, le même schéma que les Américains. Le résultat global est finalement assez proche de celui obtenu par les Etats-Unis en Irak. Dans les deux cas, on n’a pas l’impression que le gouvernement en place maîtrise pleinement le pays ni que la guerre soit pleinement gagnée (les combats actuels autour de la poche d’Idlib l’illustrent assez bien). De même, la résolution politique de la guerre semble très imprécise. En fait, il semble bien que des puissances d’intervention en opération extérieure n’aient guère le choix : comment concentrer les efforts pour peser tout en conservant une économie de moyens nécessitée par l’enjeu relatif, au vu de l’intérêt national ? Telle est la question posée à des pays aussi différents que la Russie, les Etats-Unis ou la France. L’appui feu semble ici constituer une option raisonnable, même si on sait qu’elle ne résout pas tout. La question stratégique complémentaire devient donc la suivante : comment compléter un appui feu pour transformer des succès militaires localisés en une réussite politique ?

Géopolitique : Voici enfin la dernière question, sous-jacente et qui a probablement provoqué l’ire de beaucoup. Au fond, que faisons-nous au Moyen-Orient ? En Irak, nous sommes appelés par un gouvernement légal et l’aidons à faire la guerre à des rebelles (qui se trouvent être aussi nos ennemis, du moins les désignons-nous comme tels). Nous suivons pour cela une direction américaine où, avec des moyens minimes, nous réalisons de belles performances, laissant logiquement la direction stratégique à nos alliés : Ce n’est pas avec 3% ou 5 % des forces que l’on peut réellement peser sur une stratégie ! Il est donc logique que nous soyons en retrait et qu’il n’y ait donc guère d’autonomie stratégique (mais opérative), ce que semble regretter le colonel Legrier.

Mais un autre débat sous-tend l’affaire : celui de notre présence en Syrie. Force est de constater que la ligne française a particulièrement été maladroite ces dernières années. Qu’on a assisté à un retour à une discrétion de bon aloi ces derniers mois, ce dont il faut se féliciter. Que cependant, nous intervenons en Syrie dans un cadre légal douteux car je n’ai pas entendu dire que le gouvernement légal de Damas (celui qui tient le siège de la Syrie aux Nations-Unies) ait demandé notre venue, y compris contre l’Etat Islamique. De même, l’argument de nos alliés kurdes combattant au sol pose évidemment problème : s’agit-il de combattants « réguliers » avec qui nous aurions passé une alliance ?

Pour conclure : le texte du colonel Legrier pose évidemment beaucoup de vraies questions. Il ne s’agit pas de les évacuer sous des prétextes de forme, même s’il y a eu, reconnaissons-le, beaucoup de maladresses. C’est bien parce que nous les avons pointées que nous pensons pouvoir aller au-delà, à l’essentiel, aux points soulevés par le colonel Legrier. L’heure doit désormais être au débat serein.

O. Kempf

Les Chrétiens dans Al-Andalus (R. Sanchez Saus)

Cet ouvrage est étonnant : j'avais commencé à le feuilleter et je suis tombé dedans, tant il ouvre beaucoup d'horizons et remet des pendules à l'heure. Disons tout de suite que je connais bien mal la géopolitique et l'histoire de l'Espagne et que simultanément, je méfie de beaucoup de propos sur l'islam, tant la plupart me paraissent biaisés : cela fait partie des sujets que l'on peut très difficilement aborder sereinement sans verser dans une approche idéologique.

Ce préambule est nécessaire car il précise d'où je pars : comme beaucoup, j'en étais resté à une vision un peu idyllique de l'al-Andalus musulmane. Bien sûr, les palais de l’Alhambra à Grenade font partie de ce récit mirifique et il est vrai que cette acropole méridionale, tout comme la grande mosquée de Cordoue, manifestent une civilisation raffinée et digne d'estime. C'est pourquoi j'écoutais aussi le discours sur la chrétienté mozarabe, qui aurait été le modèle d'une coexistence harmonieuse entre musulmans et chrétiens dans un régime médiéval : cela démentissait beaucoup de discours sur l'oppression islamique.

Or, ce discours répandu et partagé constitue probablement une construction géopolitique récente car les choses ne se sont pas passées comme cela : c'est tout l'intérêt de ce livre de nous en dresser minutieusement la chronique, avec beaucoup d'érudition. On apprend ainsi que les conquérants étaient beaucoup moins unifiés qu'on se le représente (avec notamment de profondes hostilités entre les Berbères et les Arabes), que le statut de Dhimmi est allé en s'aggravant et que du coup, l'opression sous ses formes les plus diverses aidant, il y a eu un double processus d'assimilation des populations chrétiennes prévalentes, soit par conversion directe, soit par acculturation des Mozarabes.

De même, la chrétienté wisigothique paraît avoir été très divisée ce qui explique probablement non seulement la défaite face au conquérants mais aussi, peut-être, le manque de solidité par éloignement du reste de l'Eglise. On notera d'ailleurs, à la lecture du livre, que les Musulmans d'al-Andalus se sentent eux-mêmes sur une île, à l'autre bout du monde et très éloignés des centres de pouvoir musulmans de l'époque. Au fond, la péninsule est loin des uns et des autres. Comme le dit l'auteur (p. 469), Al Andalus a été tout le temps pétrie de contradictions, entre une soi-disant origine arabe magnifiée et une réalité berbère méprisée et pourtant nécessaire, renforçant le sentiment d'insularité.

D'ailleurs, la reconquête n'interviendra que quand les royaumes du Nord auront rebâti une structure idéologique avec l'appui notamment des clunisiens et des Français, à partir du XIè siècle.. Au fond, ils réussiront à créer une alternative idéologique (réforme grégorienne, féodalité et croisades) nouvelle et non pas à tenter de reprendre une rénovation wisigothique. C'est sous ces conditions qu'ils pourront reprendre la totalité de l'Hispanie.

Au passage, voyons l'évolution des noms : nous avions une Ibérie romaine, puis une Al-Andalus (déformation du mot Atlantide !) et enfin une Hispanie qui donnera notre Espagne.

Mais au-delà de ces précisions historiques qui permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé, l'enjeu consiste bien évidemment à déterminer l'identité espagnole. Je sais qu'il faut faire attention à ce mot mais le débat a pris de nos jours une acuité importante à travers l'Europe, puisqu'il s'agit du rapport à l'Autre et des notions associées et contradictoires de multiculturalisme, d'assimilation, de métissage, etc. Dans le cas de l'Espagne, la question a deux traits particuliers : la virulence de l'expression mais aussi l'ancienneté de ce processus. Car au fond, le débat consiste à fixer de quand date l’Espagne ? Du tournant de ce siècle (monarchies constitutionnelles du XIXé s.) ou du fin fond du Moyen-Âge ? Autre risque sous-jacent : critiquer al-Andalus reviendrait à critiquer l'islam... Ce n'est pas anodin puisqu'une partie de l'université espagnole refuse de parler de Reconquista.

Ainsi, il y a beaucoup de mythes et d'idéologies portés par cette question d'al-Andalus et de sa soi-disant tolérance. Constatons qu'elle n'a pas eu lieu, ce qui n'empêche pas qu'elle a des trésors architecturaux qui enchantent encore aujourd’hui le visiteur. Ce n'est pas le premier régime tyrannique qui a laissé de beaux bâtiments. Relever la tyrannie ne signifie pas que "tout était mal" ni non plus que "tout était bien" chez ceux qui ont remplacé les califes de Cordoue. Simplement qu'il est temps de faire oeuvre d'historien en se dégageant des subjectivités idéologiques du temps.

Ce livre y contribue.

Rafael Sanchez Saus, Les Chrétiens dans al-Andalus, de la soumission à l’anéantissement, éditions du Rocher, 527 pages, 24 €.

O. Kempf

Quelle Europe dans un monde d'empires ?

Le groupe d'études géopolitiques (GEG) est un cercle de réflexion issu de la rue d'Ulm et résolument pro-européen, mâtiné de beaucoup de culture (je n'ose dire qu'il est élitiste). Adossé à un site, le Grand continent, Il envoie chaque fin de semaine une petite lettre qui est souvent intéressante. La dernière (voir ici) m'a toutefois chagriné. Elle publie en effet la lettre d'un intellectuel italien, Alberto Alemanno, professeur titulaire de la chaire Jean Monnet en droit et politiques publiques européennes à HEC Paris, qui réagissait à un discours récent d'un autre intellectuel, américain celui-là, Tymothy Snyder.

source

Ce dernier, dans un discours prononcé à Vienne le 9 mai dernier, dénonçait "l'un des malentendus les plus prégnants du débat européen : bien plus qu'une union d'États-nations épuisés par des siècles d'affrontement intestins, l'Europe est née de l'effondrement des empires européens. Loin d'avoir précédé l'Europe, l'État-nation est une construction européenne". A. Alemanno réagissait à ce discours dans un long texte publié par GEG.

Or, ce texte me laisse perplexe. Je ne dois pas être très intelligent ni assez cultivé ni possédant assez de connaissances historiques. Mais quand je lis : " Cela signifierait-t-il que c'est l'Union européenne qui a créé l'État-nation européen et non l'inverse ? – C’était ce que je me demandais. C'était pourtant vrai – je le concédais.", j'avoue ne pas comprendre, et encore moins suivre le raisonnement qui me semble spécieux.

L'Union Européenne, juridiquement, date de 1992. Si on remonte à la construction juridique européenne, on va au choix en 1957 (Rome) ou 1951 (CECA). Les États-nations préexistent depuis longtemps, que ce soit en réalité ou même sous la forme d'un accord juridique (le système westphalien). Il me semble donc qu'il y a une antériorité historique d'une forme sur l'autre.

Il reste alors la question de la concurrence entre la forme impériale et la forme étatique : là, pour le coup, on peut tout à fait observer une concomitance historique, sachant que les derniers empires en Europe prennent fin principalement avec la fin de la 1GM et au-delà avec celle de la 2GM (Reich voir URSS). Quant aux empires coloniaux, ils disparaissent concomitamment avec la construction européenne.

Du coup, on pourrait presque émettre l'hypothèse suivante, à rebours de tout ce qui est dit dans votre texte : l'UE est un processus impérial d'un genre nouveau, qui vient renouveler la vieille concurrence entre l’État-nation et l'empire, ce dernier étant traditionnellement construit atour d'une base nationale, ce qui n'est pas le cas dans le cas européen.

Bref, je reste très peu convaincu par le texte du jour.

On se reportera à ce texte de l'an dernier, "Territoire et empire", qui s'interrogeait déjà sur la notion d'empire. Texte que j'avais prévu de compléter par un développement sur l'UE, justement. Signe que cette interrogation demeure pertinente...

O. Kempf

L'avenir de l'OTAN

Vous le savez peut-être, je suis chercheur associé à la FRS. Dans le cadre d'un séminaire tenu l'autre jour à Paris, à l'occasion du 70ème anniversaire de l'OTAN, on m'a demandé quelques mots sur l'avenir de l'OTAN. J'aurais certes pu reprendre ce que j'ai déjà écrit et qui est assez pessimiste (par exemple ici). Je me suis essayé à quelque chose de plus ouvert, sinon optimiste. Vous avez le résultat ci-dessous, en français (et bien sûr en anglais).

source

As you may know, I am an associate researcher at the FRS. At a seminar held the other day in Paris, on the occasion of NATO's 70th anniversary, I was asked to write a few words about the future of NATO. I could certainly have taken what I have already written and which is rather pessimistic (for instance here). I tried something more open, if not optimistic. You have the result below, in French (and of course in English)

Après soixante-dix ans, l’Alliance s’interroge sur son avenir. Certes, l’environnement international est marqué par la montée des risques et la fin de l’ordre mondial auquel nous étions habitués. Mais justement, si la montée des risques devrait favoriser l’OTAN, la remise en cause de l‘ordre mondial la touche également. Voici donc l’Alliance soumise à des mouvements contradictoires.

Ce n’est pas faute de vouloir s’adapter : depuis la fin de la Guerre froide en effet, l’Alliance a passé son temps à se transformer, au point d’ériger cette fonction en commandement stratégique à Norfolk. De même, elle a créé au siège une division des défis de sécurité émergents, qui s’occupent des nouvelles questions : terrorisme, sécurité énergétique, cyber, etc… Enfin, la montée des tensions (et la pression américaine, qui avait d’ailleurs précédé l’arrivée de D. Trump au pouvoir) a suscité une prise de conscience, celle d’accroitre les moyens consacrés à la défense : ce fut l’engagement du sommet de Galles, celui des 2% de PIB consacrés au budget de défense. Les alliés européens s’y dirigent doucement.

Insuffisamment aux yeux du nouveau président américain. Voici en fait une course entre l’impatience budgétaire de ce dernier, qui menace ouvertement de quitter l’Alliance, et le « partage du fardeau », ce qui dans son esprit signifie l’achat croissant de matériels américains. Aux dépens de l’Union européenne. Cela soulève un autre problème : l’Alliance doit conjuguer ce défi stratégique à un autre, celui de l’autonomie européenne. En effet, le raidissement américain suscite une prise de conscience chez nombre d’Européens qui pousse certains à promouvoir une défense européenne. Nous voici revenus au tournant des années 2000, lorsqu’on discutait de la non-duplication. Cette montée en puissance permettrait de soutenir l’autonomie stratégique européenne. Il faudrait alors mieux articuler les deux bras armés, Alliance d’un côté, Défense européenne de l’autre. Est-ce seulement possible, surtout si l’autonomie européenne est conçue par certains comme un moyen de résister à la pression américaine, alors que l’Alliance consiste justement à maintenir les Américains dans la sécurité stratégique européenne ? Le premier objectif de l’alliance reste bien de « keep the Americans in », comme le constatait le premier secrétaire général, lord Ismay.

Pour autant, on peut rester optimiste car ces questions se posent finalement depuis des décennies : le thème du partage du fardeau a émergé dans les années 1960 et l question de l’autonomie européenne depuis les années 1990. Quant au président Donald Trump, chacun commence à décoder ses manières de négociation, toujours brutales, portant très haut les enchères, pour finalement arriver à des deals.

Dans ce cas : Nihil nove sub soli.

  After seventy years, the Alliance is wondering about its future. Admittedly, the international environment is marked by rising risks and the end of the world order to which we were accustomed. But precisely, if the rise in risks should favour NATO, the questioning of the world order also affects it. So the Alliance is subject to contradictory movements.

It is not for lack of willingness to adapt: since the end of the Cold War, indeed, the Alliance has spent its time transforming itself, to the point of establishing this function as a strategic command in Norfolk. Similarly, it has created at NATO HQ a division for emerging security challenges, which deals with new issues: terrorism, energy security, cyber, etc. Finally, the rise of tensions (together with American pressure, which preceded the arrival of D. Trump in power) has raised the awareness of the necessity to increase the resources devoted to defence: this was the commitment of the Wales’ summit, that of the 2% of GDP devoted to the defence budget. The European allies are moving slowly towards it.

Insufficient in the eyes of the new American president. Here is actually a race between the latter's budgetary impatience, which openly threatens to leave the Alliance, and "burden sharing", which in his mind means the increasing purchase of American equipment. At the expense of the European Union. This raises another problem: the Alliance must combine this strategic challenge with another one, that of European autonomy. Indeed, the American stiffening is raising awareness among many Europeans, which is pushing some to promote a European defence. We are back at the beginning of the 2000s, when we were discussing non-duplication. This increase in power would make it possible to support European strategic autonomy. It would then be necessary to better articulate the two armed arms, Alliance on one side and European Defence on the other. Is this only possible, especially if European autonomy is conceived by some as a means of resisting American pressure, whereas the Alliance consists precisely in keeping Americans in European strategic security? The first objective of the alliance remains to "keep the Americans in", as noted by the first Secretary General, Lord Ismay.

Nevertheless, we can remain optimistic because these questions have finally been raised for decades: the theme of burden sharing emerged in the 1960s and the question of European autonomy since the 1990s. As for President Donald Trump, everyone is beginning to decode his ways of negotiating, always brutal, raising the stakes very high, to finally reach deals.

In this case: Nihil nove sub soli.

Olivier Kempf

IA, explicabilité et défense

Près d'un mois sans avoir publié sur ce blog, et je m'en excuse. Pour vous récompenser, l'annonce d'un article paru dans un excellent numéro spécial Intelligence Artificielle, dans la Revue Défense Nationale du mois de mai (n° 80). Il s'intitule"IA, explicabilité et défense" (ici). Je l'ai co-écrit avec Eloïse Berthier, jeune Polytechnicienne, actuellement en thèse d'IA....

Résumé : L’IA est une réalité déjà ancienne mais son champ d’emploi ne cesse de s’élargir et accapare des domaines nouveaux, en particulier pour la défense. L’IA est polymorphe et se retrouve confrontée à un problème d’explicabilité. Pourquoi et comment sont les questions qui se posent pour les applications liées au contexte militaire ?

Abstract : AI is in itself old news but its fields of application never cease to expand and capture new ones, particularly in the defence domain. AI takes on many forms and faces a problem of how it should be described. Why? and how? are the questions to be asked about those applications with a military connection.

Premières lignes ci-dessous.

L’intelligence artificielle (IA) est le concept « numérique » dont on parle le plus depuis ces derniers mois. Les grands noms (Elon Musk, Stephen Hawking) s’en émeuvent, les publicistes en vogue écrivent des livres dessus (Luc Ferry, Laurent Alexandre), le gouvernement appelle une médaille Fields pour écrire un rapport sur le sujet (rapport Villani) : autant dire que tout le monde a entendu parler d’IA, sous les atours les plus flatteurs et les plus inquiétants, d’ailleurs pour la même raison : ce serait capable de tout faire mieux que l’humain.

Il faut bien sûr raison garder et se méfier de ces modes qui animent régulièrement le débat public. Observons au passage qu’il s’agit là d’une résurgence (avec d’autres mots) d’un débat très ancien sur le progrès et son rôle dans nos sociétés humaines : le mythe de Prométhée est antique, lui qui vola le savoir divin pour le donner aux hommes. La tension entre le savoir et la connaissance (voire la sagesse) est une question philosophique classique qui trouve ici de nouveaux atours. Ajoutons le mythe de la créature qui prend le pas sur son créateur : là encore, de Pygmalion à Frankenstein puis Dr Jekyll et Mr Hyde, l’humanité a construit beaucoup de modèles inquiétants : sait-on d’ailleurs que Mary Shelley sous-titra son roman « Le Prométhée moderne » ?

La suite à lire dans la RDN

O. Kempf

Monuments aux morts

Aujourd'hui il y a des monuments aux morts. Avant, c'étaient des arcs de triomphe...

L'hommage a changé.

Je me faisais ma réflexion du changement de perspective. Rendu visible après la 1ère Guerre mondiale, mais décelable dès la guerre de 1870 avec les premiers monuments aux morts .

Au 19eme siècle, on marqué les batailles de Napoléon, notamment pendant la campagne de France de 1814, et surtout on bâtit l'arc de triomphe de l'étoile vers 1836, donc longtemps après sa mort. C'est le dernier arc de triomphe, alors que les Romains avaient lancé la vogue.

Depuis le 20eme siècle, on ne construit comme monuments commémoratifs que des monuments funéraires, peu importe l'issue de la bataille, victoire ou défaite.

D’ailleurs, un intéressant transfert a eu lieu lorsqu'on plaça le soldat inconnu sous la voûte de l'arc de triomphe de l'étoile.

Plus d'attention aux hommes, moins au succès politique. Effet de la République, d'ailleurs ? Mouvement du temps, plus porté vers l'individu ? Je ne sais....

NB : savez vous qu'il y a quatre arcs de triomphe à Paris : voir ici (source photo d'illustration).

O. Kempf

Le cyber est il un objet des relations internationales ?

Ja participerai samedi 13 avril à la Journée de la Diplomatie, organisée par l'association des politistes de la Sorbonne. J'y évoquerai (de 15h00 à 16h00) le sujet suivant : Le cyber est-il un objet des relations internationales ?

S'inscrire pour venir. Tous les détails ici

Programme ci-dessous

// JOURNÉE DE LA DIPLOMATIE - 3ÈME ÉDITION \\

Vous êtes curieux et intéressé par la diplomatie et les relations internationales ? Pour tous les étudiants désireux de mieux comprendre les enjeux de notre monde actuel, les Politistes Sorbonne, en partenariat avec le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, vous invitent à la Journée de la Diplomatie pour sa 3ème édition ! Celle-ci se déroulera le Samedi 13 Avril 2019 de 14h à 18h dans le cadre du programme Quai d’Orsay Hors les Murs. #JDLD

Le programme de l’après-midi :

14h-15h : Conférence Introductive : « Déclin des États, remise en cause de l’ONU, réchauffement climatique… Sommes-nous prêts à entrer dans le nouveau monde ? »

15h15-16h : Deux tables rondes simultanées : « Le cyber est-il un objet des relations internationales ? » « Les relations France-Venezuela dans un contexte de crise économique et politique »

16h15-17h : Deux tables rondes simultanées : « Trois ans après la COP21, une diplomatie verte comme facteur de rassemblement mondial? » « La présence française dans l'Indo-Pacifique et ses enjeux : l'exemple de l'Australie »

Vous pourrez alors échanger directement avec nos intervenants, soit des diplomates ou des chercheurs.

Droits humains et armements (UCO angers)

Je participerai à une master class organisée par l'UCO d'Angers (facultés Théologie/Humanités) dans le cadre du groupe de recherches International network on Peace Studies (Réseau FIUC - Fédération internationale des universités catholiques) avec le soutien de la Chaire Pax Christi France.

Son titre : DROITS HUMAINS ET ARMEMENTS : VERS DE NOUVEAUX DÉFIS ÉTHIQUES (détails)

27-29 mars 2019 amphi Bedouelle | UCO 3 place André Leroy à Angers Inscription angers.uco.fr

Je suis à la troisième journée (demain vendredi) dont voici le programme :

3ème journée - "Nouvelles" armes : cyber et robotique militaire - Matinée | Amphi Bedouelle – Bât. Jeanneteau

9h - 10h | CONFÉRENCE D’OUVERTURE

  • • Brice Erbland (Cabinet du Chef d’état-major de l’Armée de Terre) et Jacques Bordé (Vice-président Pugwash France) : Science et technologie – Utilisations militaires ou pacifiques

10h - 11h | TABLE RONDE 1 : Nouvelles technologies et systèmes d’armes Présidence - François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

  • • Éric Pomes (Juriste, Institut catholique d’Études supérieures - ICES)
  • • Thierry Lorho et Valérie Fert (Mileva) - L’intelligence artificielle
  • • Stéphane Giron (CNAM) - Nouvelles armes et nouvelles technologies
  • • Général Olivier Kempf (G2S) - Les perspectives de cyber-guerre ; nouvel espace de guerre – attaques sur les systèmes d’information

11h – 12h | TABLE RONDE 2 : Discussion : Éthique des conflits et de l’usage des armes Présidence - Marc Finaud (GCSP)

  • • Nadia Elena Vacaru (Faculté de Théologie, Université de Laval)
  • • Hélène Tessier (École d’Études de conflit, Université Saint-Paul)
  • • Philippe Frin (Consultant en droit international, spécialiste des conflits armés)
  • • François Mabille (Secrétaire général de la FIUC)

12h-12h30 | CLÔTURE •* Monseigneur Marc Stenger (Président Pax Christi France) : Conclusions

  • • François Mabille et Dominique Coatanea : Remerciements et lecture du texte du Recteur
  • Vincenzo Buonomo, Université Pontificale Latran
  • • Marc Finaud et Pierre Gueydier : Synthèse

Lundis de la cybersécurité : alliances et cyberespace (18 mars)

Je participerai lundi soir prochain 18 mars (18h30-20h30) aux lundis de la cybersécurité, organisés par l'ami Gérard Peliks et le cercle d'intelligence économique du MEDEF.

Dans le cadre des "Lundi de la cybersécurité" organisés par le Cercle d'Intelligence économique du Medef Hauts-de-Seine, avec ParisTech Entrepreneurs à Télécom ParisTech

Venez assister à l'événement autour du thème : Les alliances dans le cyberespace

Lundi 18 mars 2019 de 18h30 à 20h30, accueil à partir de 18h00

Dans le cyberespace, les États ne comptent pas de vrais amis, seulement des alliés très souvent provisoires, et plus souvent d'autres États dont les intérêts stratégiques ou commerciaux peuvent entrer en concurrence directe. L'espionnage, par des moyens numériques, jusqu'au plus haut niveau, est une pratique courante. Mais tout est feutré jusqu'à ce qu'un média bien informé révèle ces actions inamicales. Parfois même un Etat envoie de fausses informations sur son rival, souvent au moment d'élections, voire essaie de saboter ses infrastructures vitales.

Comment peut-on risquer de toucher une confiance qui est jugée dispensable pour le fonctionnement normal d'une alliance, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale ? Comment une telle alliance peut-elle survivre à de tels événements ? Y a-t-il des alliances spécifiques au cyberespace, ou des modalités particulières à ce milieu ?

Nous essaierons de répondre à ces questions le 18 mars 18h30 avec le général (2S) Olivier Kempf.

Lieu : Télécom ParisTech, amphi B310 46, rue Barrault - 75013 M° Corvisart ou Glacière, ligne 6 Participation gratuite

Inscription obligatoire par mail, voir en : http://www.medef92.fr/fr/evenement/lundi-de-lintelligence-economique-ie-4

Nous vous signalons également un autre évènement sur la cybersécurité : les GS Days, le mardi 2 avril, espace St Martin Paris 3e. Voir en https://www.gsdays.fr/

France et Italie

Je participerai au festival de géopolitique organisé par la revue italienne Limes, ce weekend à Gênes.

Quelques éléments pour comprendre :

J'y évoquerai les difficiles relations entre la France et l'Italie. Sujet d'actualité, direz-vous ? Oui, mais nous avions décidé de ce sujet, avec Lucio Caracciolo, l'été dernier lors de son passage à Paris, alors que nos constations déjà qu'il y avait de la friture sur la ligne. Les récents événements n'ont fait que rendre visible ce qui était déjà patent pour qui savait observer.

Mon intervention aura trois thèmes successifs :

  • des histoires de politique intérieure (des deux côtés des Alpes)
  • une histoire paradoxalement européenne
  • des réalités géopolitiques bien plus profondes et finalement inquiétantes

O. Kempf

Faire croire et faire douter dans le cyberespace…

Je participerai à une conférence "à trois" le 29 janvier prochain. Elle est organisée par le CSFRS et a pour thème "Faire croire et faire douter dans le cyberespace…: Infox, subversion, cyber-influence". Détails et inscription ICI. Entrée libre mais inscription obligatoire

  • Mardi 29 janvier 2019 - 18:15/20:15
  • ECOLE MILITAIRE / Amphithéâtre DES VALLIERES
  • 1, Place Joffre - 75007 - PARIS

Argument et présentation des thèmes et intervenants ci-dessous.

Avec

  • Olivier KEMPF ; Officier général (2S), docteur en sciences politiques, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, spécialiste des questions de stratégie cyber et digitale.
  • François-Bernard HUYGHE ; Docteur en Sciences Politiques, médiologue, directeur de recherche à l’IRIS, enseignant, spécialisé sur la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, responsable de l’Observatoire Géostratégique de l’Information.
  • Nicolas MAZZUCHI ; Docteur en géographie économique, chargé de recherche à la FRS sur les questions énergétiques, de matières premières et de cyberstratégie
  • Modérateur / Général (2S) Paul CESARI Conseiller militaire du CSFRS

Le cyberespace couvre trois couches : physique (les matériels), logique (les logiciels) et sémantique (l’information qui circulent dans le cyberespace). La couche sémantique est absolument déterminante. Elle constitue à la fois le champ et l’objectif final ou se déploient des stratégies destinées à « faire croire » et « faire douter », au travers d’attaques de types fake news ou infox, d'influence, de subversion, de propagande…

La nouvelle doctrine de Lutte Informatique Offensive (LIO)

Une nouvelle doctrine "cyber" a été rendue publique aujourd'hui : il s'agit en fait d'une doctrine d'emploi de la Lutte Informatique Offensive, (LIO dans le jargon). Un petit billet pour mieux comprendre l'enjeu.

Qu'y a-t-il de nouveau avec cette doctrine cyber qui a été rendue officielle aujourd'hui. Plus exactement : dont l'existence a été annoncée, même si la doctrine demeure "secrète", dixit le CEMA.

D'abord, cela fait longtemps que la France a admise le principe de la LIO (Lutte informatique offensive). Elle était déjà annoncée brièvement dans le LBDSN de 2008 (même si peu l'avaient remarqué à l'époque) et plus explicitement évoquée dans le LBDSN de 2013.

Le MINDEF (comme on disait à l'époque), JY Le Drian, avait d'ailleurs exposé quelques mois plus tard les principes de mise en œuvre de cette #LIO : riposte et proportionnalité. Pour le reste, on était resté très discret.

Du coup, on ne savait pas trop comment ça se conduisait, qui le conduisait. On en déduisait que c'étaient des services spéciaux (chut, ne pas prononcer le nom, c'est une légende de bureau). Mais finalement assez loin de l'emploi opérationnel des armées.

La nouveauté du jour, annoncée donc par la ministre et le CEMA, c'est l'emploi opérationnel de cette #LIO. Autrement dit, elle n'est pas seulement mise en œuvre par une instance où il y a beaucoup de militaires, mais au profit des armées et de leurs opérations Donc, alors que la #LIO suivait un régime spécial (afférent aux services spéciaux), désormais elle entre dans un cadre plus commun, celui des opérations militaires (mais toujours exceptionnel du droit commun).

De plus, cet appui opérationnel présente une autre particularité qui mérite d'être dûment relevée : le bénéficiaire opérationnel est du niveau stratégique ou tactique (et en fait, comme on le comprend, opératif). Il y a donc une réelle déconcentration de cette #LIO , que ce soit pour des missions de renseignement, de neutralisation ou de déception (action dans la couche sémantique).

On n'en saura pas plus, ce qui est normal. Mais cela traduit une réelle évolution de la doctrine qui n 'est plus seulement la doctrine étatique mais désormais une doctrine opérationnelle, donc militaire, de la #LIO.

  • Quelques commentaires ici, ou ici ou encore ici.
  • Le discours de la ministre ici

O. Kempf

Une histoire de l'Europe (M. Fauquier)

Voici un livre paru en septembre dont je ne vous parle que maintenant : c'est qu'il y avait plus de 700 pages à lire, voyez-vous ! Pour tout vous dire, j'aurais pu le feuilleter, lire quelques pages ici ou là et me contenter d'un signalement. Et puis j'ai commencé l'introduction, puis le premier nœud, puis le premier chapitre... et il a fallu que j'avance jusqu'au bout, intégralement. Voici donc un ouvrage stimulant, sur une matière que l'on croit connaître ; mais son traitement renouvelle l'approche, paradoxalement.

De quoi s'agit-il ? D'une histoire de l'Europe. Certes, mais encore ? Et bien d'une histoire de l'Europe qui ne renie pas les racines chrétiennes de celle-ci; En fait, les ouvrages d'histoire contemporains veulent tellement être neutres que pour éviter tout éventuel reproche de manquement à la laïcité, minorent consciencieusement cette dimension-là. Or, il n'y a pas de neutralité historique, comme Shlomo Sand nous l'a brillamment expliqué dans son "Crépuscule de l'histoire" (lien ici) (autre ouvrage que j'ai lu cet été et que je m'aperçois ne pas avoir chroniqué, fichtre : il vaut le détour, incontestablement).

L'auteur, Michel Fauquier, a donc le projet d'une histoire européenne qui ne cache pas les fameuses "racines chrétiennes de l'Europe", celles qu'il est malséant de relever car ce serait attentatoire à je ne sais pas très bien quoi. Pour autant, il ne s'agit pas d'une œuvre apologétique, on a depuis longtemps quitté le XIXe siècle et à défaut d'être neutre, l'écriture de l'histoire peut être sérieuse, appuyée sur de multiples références, laissant la part aux discussions, présentant les points de vue opposés. "Au demeurant, la subjectivité - ce mot mal aimé et mal traité qui ne sert plus qu'à dire l'erreur dans un monde qui ne croit plus à la vérité- rappelle simplement que l'historien est sujet de l'histoire qu'il écrit et non un menteur compulsif" (p. 13)

M. Fauquier est Professeur, agrégé, docteur ès lettres, et incontestablement un bel érudit. On sait d'où il parle mais il se garde d'être obtus. Par exemple, il fait très bien le point sur l'expression de "Fille aînée de l’Église", qui est selon lui plus "allégorique qu'historique", contrairement à ce qu'un certain discours voudrait faire accroire (pp. 155-156).

Il organise son ouvrage en quatre parties : Les fondements (Athènes, Rome et Jérusalem), pp.19-134 - Les temps médiévaux : un Occident chrétien (pp. 135- 280) - L'époque moderne : une difficile gestation (pp. 281-498) - L’époque contemporaine : à la croisée des chemins (pp. 499-716). Chaque partie est elle-même divisée en "nœuds", expression qu'il trouve plus appropriée "Nous avons parlé de nœuds et non de tournants car à force de tourner, l'histoire aurait dû revenir d'où elle provenait, ce qu'on ne constate pas". Bref, le mot nœud est préférable à celui de racine, sur lequel il écrit un petit développement intéressant (pp 13 - 14). Chaque nœud fait donc l'objet d'un chapitre. Chaque partie et chaque chapitre se concluent par une bibliographie de "dix titres pour aller plus loin", chaque référence étant commentée.

L'auteur s'intéresse également à la vie des idées : au fond, plus qu'une histoire de l'Europe, c'est presque une histoire philosophique et théologique de l'Europe. Son chapitre sur le "désenchantement du monde" est très représentatif à cet égard. M. Fauquier insère de nombreux extraits des documents au fil du texte. Cela rend l'exposé très riche et très détaillé, notamment sur des périodes moins connues (monachisme, Moyen-Âge voire Renaissance). On le sent moins enthousiaste pour le monde moderne, mais le lecteur l'aura deviné.

Pour finir, notons qu'il s’agit surtout d’une histoire française de l'Europe. On n'y dit quasiment rien de la Russie, de la Scandinavie, des Balkans voire de l'Europe centrale. La question impériale qui touche Italie et Germanie est très approfondie, tout comme la rivalité avec les autres grandes monarchies européennes, Angleterre et Espagne. Le reste est négligé.

Voici donc un ouvrage très personnel et surtout très éloigné de ce que l'on lit habituellement sur le sujet. En ce sens, un ouvrage "radical" qui a les mérites et les défauts des parti-pris. Extrêmement fouillé et érudit, témoignant d'une culture impressionnante, centré sur l'évolution des idées en préalable aux événements, écrit par un auteur catholique et qui ne s'en cache pas, le livre vaut la lecture justement sur ces critères là : quelque chose de différent et (l'auteur nous pardonnera cet adjectif qui ne lui plaira sans doute pas) engagé, utile justement pour ces caractéristiques-là.

Michel Fauquier, Une histoire de l'Europe, Ed; du Rocher, 2018, 750 p. 29 €

O. Kempf

La transformation digitale des entreprises (A. Dudézert)

Voici un petit livre de la collection Repères à La Découverte. L'auteur est une professeur de l'université de Pairs Sud et elle anime un Club sur a digitalisation avec un certain nombre de responsables d'entreprise en charge de la transformation digitale et de l'innovation. Voici donc un ouvrage qui fait l'aller-retour entre des approches théoriques et le retour des praticiens sur le terrain, ce qui constitue son principal intérêt.

A défaut de donner une définition de la Transformation digitale (ce qui est regrettable), l'introduction permet de préciser ce qu'elle n'est pas (ni une numérisation, ni même une informatisation) tout en recouvrant plusieurs champs: la notion de changement d'échelle, celle de la prédominance du client, celle de nouvelles pratiques sociales (mobilité, instantanéité, ubiquité, gratuité, personnalisation), celle de technologies "à portée de main", celle d'une "flexibilité adaptative", celle des nouvelles données, d'usages libérés mais aussi de difficultés à définir les tâches des collaborateurs, celle d'économie collaborative et donc les transformations internes de l’entreprise.

La première partie s'intéresse donc à la transformation digitale et ses enjeux, partant de l'appropriation de technologies de l'information "créatrices" pour traiter de la reconfiguration des pratiques de travail puis les mythes de la transformation digitale. Au fond, la TD remet en cause le vieux rapport entre Capital et Travail au sein de l'entreprise (p 36). Le livre met en valeur le rôle de la réputation dans la mise en œuvre de la TD (p 41). Enfin, le mythe de l'entreprise décloisonnée évacue tout enjeu de pouvoir (p 49) quand l'autre mythe du panoptique pose la question de la manipulation et de la liberté du collaborateur (p 53).

La deuxième partie s'interroge sur la mise en œuvre de la transformation digitale. Si l'élément déclencheur est la peur de l'ubérisation, le texte décrit les différents modus operandi de la TD puis s'intéresse aux responsables de celle-ci (et leur rôle ô combien ingrat dans l'entreprise, je sais bien de quoi elle parle). Plus que l'ubérisation, il faut comprendre que la TD est déclenchée par 4 facteurs : le client, le salarié, le coût et le concurrent. Les méthodes proposées ressortissent souvent de l'injonction paradoxale et il faut pour cela des leaders qui soient à la fois insérés et en marge : là encore, position paradoxale qui n'ouvre pas à leurs titulaires de belles perspectives de carrière, quel que soit l'enjeu transformationnel voulu par les dirigeants.

La troisième partie traite de la nouvelle équation managériale : le changement de posture dans les métiers (focus sur le DSI et le DRH), la valorisation de nouvelles compétences, la transformation de la fonction managériale (section qui mérite le détour puisqu'elle pose la question de l'autorité du manager de contact et des niveaux intermédiaires, très souvent oubliés dans les démarches de TD, p 100 sqq), enfin l'absence de cadre juridique clair.

Au final, un petit ouvrage qui se lit facilement, au carrefour des sciences de gestion, de la théorie du management, de la sociologie des organisation mais aussi, un peu, de la gestion des systèmes d'information. Appuyé sur des références académiques solides sans être trop nombreuses, faisant la part belle à des témoignages (divers et donc inégaux, mais c'est la loi du genre), il constitue une bonne entrée en matière au sujet. Tourné vers l'entreprise (plutôt la grande), il oublie ainsi les autres organisations (administrations, ONG) et les PME, mais qui ne font pas réellement partie de son champ d'étude.

Aurélie Dudézert, La transformation digitale des entreprises, Repères La Découverte, 2018, 127 pages.

O. Kempf

Réalité diminuée et médias

L'autre jour, je regarde 28mn, émission intelligente sur Arte : Ce soir là (ici), débat sur les migrations à propos de l'Aquarius. On y houspille Renaud Girard qui dit qu'il y a des différences culturelles entre les pays d'origine et les pays d'arrivée (36'55 : "les êtres sont des êtres culturels"). Visiblement, l'assistance (outre Elisabeth Quin, deux journalistes plus deux autres invités) le regardent avec dépit.

source

Trois minutes plus tard, changement de séquence, les deux journalistes écoutent (à partir de 39'05) le sympathique Xavier Mauduit disserter avec talent sur Matteo Rici au XVIe siècle en Chine et la subtilité des jésuites qui savaient adapter la religion au substrat culturel des régions qu'ils évangélisaient ("Matteo Ricci a compris quelque chose de fondamental, qu'il faut adapter le christianisme à la culture et à l’environnement", 41'13) même s'il constate que la méthode jésuite n'a pas marché : peu de Chinois se sont convertis. Là, on devine de la part de l'auditoire une approbation sur le différentialisme qui permet d'accepter l'autre tel qu'il est.

Suis-je le seul à avoir aperçu que les deux disaient la même chose, ou plus exactement partaient du même constat de la différence mais qu'à l'un on distribuait des mauvais points, à l'autre des bons ?

Bref, le discours que l'on entend sur les réseaux sociaux ou les médias est toujours augmenté de la perception "morale" de ce qui est dit. Je mets morale entre guillemets car il ne s'agit pas d'une vraie morale, mais d'une moralette ou moraline, d'une sous morale superficielle mais qui ressort de l'arc réflexe, sans contrôle de la raison.

Remarquons d'ailleurs que ce biais est partagé par tous ceux qui s'expriment, comploteurs ou sermonneurs, de quelque camp qu'ils soient.

Mais que du coup, cela obscurcit sacrément la compréhension de la réalité. Au fond, la scène médiatique actuelle est celle d'une réalité diminuée par ces filtres qui opacifient le monde.

O. Kempf

Forum economique rhodanien et Transformation digitale

Je participerai vendredi prochain au Forum Économique Rhodanien (lien), qui rassemble des chefs d'entreprise du grand Rhône (jusqu'en Suisse). Il se tiendra cette année à Divonne les bains.

Le thème de cette année : Transformation digitale et impact sociétal : quels défis ?

J'interviendrai lors d'une table ronde du matin qui aura pour thème : L’industrie et le digital. Mutations industrielles et employabilité du futur.

La participation est gratuite mais il faut s'inscrire ici.

Novaq, forum de l'innovation d'Aquitaine

J’interviendrai demain soir vendredi 14 à une table ronde sur le Cyber à Novaq, le forum de l’innovation organisé par la région Aquitaine, à Bordeaux, hangar 14, dans le cadre de l’université du futur.

Sur le festival : lien ici.

Sur la table ronde cyber, qui sera animée par D. Pourquery, directeur de theconversation : lien ici

A demain !

La montée en puissance du « tout numérique » dans notre environnement et celle de l’intelligence artificielle produisent de la valeur et accélèrent l’économie mondiale. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis qui engagent notre avenir, notre sécurité et qui nous interrogent : Comment aborder cette révolution numérique en tenant compte des nouvelles menaces ? Comment protéger nos intérêts nationaux, industriels et culturels sans renoncer à notre souveraineté numérique ? Comment concilier sécurité numérique et respect des données personnelles ? Trois grands experts de la cyber aborderont ces questions passionnantes de manière simple, à travers des exemples concrets.

Animateur : Didier Pourquery, journaliste et directeur de la rédaction de The Conversation.

Participants à la Table Ronde :

Thierry Berthier Chercheur et expert en cyberdéfense et cybersécurité à l’Université de Limoges

Olivier Kempf Consultant en stratégie cyber et digitale, membre EchoRadar, directeur de la collection cyberstratégie chez Economica, animateur de la lettre stratégique La Vigie

Eric Hazane Cofondateur EchoRadar, membre de la chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr, co-animateur du groupe cybersécurité Hub France IA

Yannick Harrel Responsable de département Cyber chez T&S, membre EchoRadar, membre de la chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité Saint-Cyr

Questions de la salle

Conclusion Université du Futur

Entrée libre

Pour un module cybersec dans le SNU

La question du service national universel a suscité quelques débats et beaucoup d'incertitudes. Il reste que la volonté du président de la République a conduit à sa mise en place prochaine, d'autant que son principe devrait être inscrit dans la Constitution, selon le projet de révision en cours d'examen au Parlement (voir ici).

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Il durerait un mois et concernerait toute une classe d'âge, garçons et filles, soit environ 800.000 jeunes âgés de 16 ans. Mais on ne sait pas trop ce qu'il y aura dans ce mois. Il me semble qu'une initiation à la cybersécurité serait un bon élément du programme avec des avantages multiples : développons.

En effet, il y a beaucoup d'incertitudes concernant le contenu de ce mois. On parle du BAFA (attention, pas GAFA), d'instruction civique et d'initiation aux premiers secours. Cela paraît un peu maigre.

Or, une initiation aux gestes et pratiques de la cybersécurité constituerait une formidable initiative. D'abord parce que la population française est très mal éduquée à l'hygiène numérique ; ensuite parce que les jeunes que l'on vise sont depuis leur plus tendre enfance imprégnés de culture digitale (on parle bien de "génération digitale") : ils n'en connaissent que les usages et avantages, mais personne ne leur parle des dangers et des risques.

Enfin, une telle initiative donnerait une couche incontestablement moderne à ce service national qui sinon aurait du mal à se distinguer de l'association patriotique mélangée à de l'apprentissage aux premiers secours : très bien, fort utile mais un peu compassé.

Avoir un module de deux à cinq jours d'initiation à la cybersécurité rendrait incontestablement la nation plus résiliente. Au fond, il y aurait un côté "défense" dans ce service sans que pour autant cela pèse sur les militaires, qui ont bien d'autres missions à accomplir. Enfin, l'image projetée à l'international serait remarquable et nul doute que nous serions rapidement imités : cela entrerait parfaitement dans la stratégie numérique exposée par le PR dans son discours de la Sorbonne.

Accessoirement, les jeunes deviendraient rapidement des prescripteurs auprès de leur entourage qui considère la cybersécurité avec "distance". La diffusion d'une culture cyber serait facilitée.

Ajoutons enfin que pour mettre en place cet enseignement, il faudrait développer un corps d'instructeurs qui pourraient rapidement devenir des professionnels travaillant au profit des PME, qui constituent aujourd’hui le maillon faible de notre dispositif. Or, les PME ne peuvent pas se payer des RSSI à plein temps. En revanche, prendre appui sur un réseau de professionnels indépendants et proches de ces entreprises (or, comme le SNU sera réparti sur tout le territoire, il faudra des instructeurs répartis également partout) devrait permettre là encore d'améliorer les choses.

Dernière cerise sur le gâteau : le développement de cette cohorte de professionnels permettrait d'alimenter les besoins des armées (mais à terme des grandes administrations nationales ou territoriales) en réservistes cyber, y compris opérationnels. Cela renforcerait les armées et donc la défense de la Nation, ce qui est normalement l'intérêt d'un Service national. La boucle serait bouclée...

Autrement dit, un module Cybersécurité au sien du SNU pourrait déclencher un cycle extrêmement vertueux et utile qui légitimerait encore plus ce SNU, encore aujourd'hui controversé.

O. Kempf

Israel, l'obsession du territoire (J. Fuentes-Carrera)

Comment parler géopolitiquement d'Israël sans verser dans la montée très rapide à l'émotion, à l’idéologie, à la polémique, aux accusations ?, Peut-être en revenant à une analyse géopolitique fondée sur la géographie et faire travailler un auteur mexicain, assez éloigné donc des clivages émotifs du sujet. C'est ce mélange inédit qui nous propose ce livre rare et indispensable permettant un regard enfin distancié sur la question israélo-palestinienne.

Il faut dire que l'auteur est accompagné d'un des plus grands géographes français, Philippe Subra. Cela aide évidemment à apporter distance et rigueur d'analyse mais aussi expérience géographique.

Au fond, toute la stratégie territoriale d'Israël ne se réduit pas au territoires occupés ni à la construction du mur, ce à quoi on la réduit trop souvent. L’intérêt du livre consiste à montrer que le principal angle de compréhension est ce que nous appelons en France "l'aménagement du territoire". Cet angle, plus neutre, laisse toutefois apparaître une politique presque séculaire puisque remontant à la période pré-étatique, de 1890 à 1948.

Le livre montre ainsi la fabrication de frontières à l'intérieur d'Israël (dès avant le Mur) - chap 1 ; tout le travail de colonisation, d'aménagement et de maîtrise de l'espace (chap 2); que cette politique d'aménagement israélienne, ne cache pas de profondes division juives (chap 3); le livre s'attarde ensuite sur le système électoral (chap 4) puis sur Rawabi, "la ville du futur" palestinienne, (chap 6).

Bref, au-delà des guerres et des conflits, au-delà des murs et des "colonies", le livre montre aussi l'évolution des réseaux routiers ou des découpages administratifs, ou encore les séparations de communautés entre centres et périphéries des villes israéliennes.

L'ensemble dresse un tableau particulièrement instructif, sourcé et académique (je n'ose dire neutre), qui démontre une permanence des objectifs territoriaux de l’État d'Israël, confronté à une exiguïté qui rend cette question des limites essentielle. On en déduit logiquement que ce qui n'était qu'un moyen est devenu une fin en soi et que l'extension des frontières va de pair avec un enfermement psychologique et obsidional.

On note également la question de la densité démographique (et des zones désertiques), ou encore de la lutte pour les ressources en eau, avec un déterminant environnemental qui prend une importance croissante. Autant de sujets "techniques" qui militent pour des décisions "techniques", celles-ci contribuant, "par hasard" à concourir à un plan plus général d’occupation de l'espace.

L'ouvrage est illustré de très nombreuses cartes originales qui accompagnent le texte et le rendent intelligible. Voici donc un livre indispensable et distancié, loin des anathèmes habituels sur le sujet, mais qui permet de se construire son opinion : Désaltérant. A recommander chaudement.

Julieta Fuentes-Carrera (avec la collaboration de Philippe Subra, Israël, l'obsession du territoire, Armand Colin, 2018, 222 p. Lien éditeur

O. Kempf

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