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À partir d’avant-hierEgeablog

Retour sur l'affaire Legrier

L’affaire Legrier a fait à nouveau parler d’elle en ce creux d’été. En effet, le CEMA a été interrogé à son sujet par la commission de la défense de l’Assemblée et il a eu des mots très fermes à ce sujet (voir ici). D’autres commentateurs se sont crus obligés de commenter, le vernis de leur style cachant mal le vide de leur pensée et leur satisfaction de donner des leçons d’élégance morale et de « j’vous l’avais bien dit ».

Or, cette affaire couvre quatre dimensions, mal isolées par les commentateurs qui confondent souvent tout : Communication, commandement, stratégie et géopolitique sont ainsi les axes de l’affaire (sans même parler de la notion de liberté d’expression, victime collatérale de l’affaire, comme si on n’avait rien appris : mais elle vaudrait à elle seule un développement et elle a déjà été abordée dans ce blog : laissons-la de côté pour l’instant.

Commandement : c’est le principal argument du CEMA et on ne peut ici que lui donner raison. En effet, le colonel Legrier a publié son texte alors qu’il était encore en train de commander son bataillon en opération. Cela pose problème vis-à-vis de ses hommes (ce que relève le CEMA) mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie : faut-il rappeler que le commandement consiste dans un double « dialogue » : du haut vers le bas (les ordres) et du bas vers le haut (le compte-rendu). Or, le colonel Legrier a fait part publiquement de ses impressions avant même d’avoir rendu compte (et donc écouté les arguments contraires de sa hiérarchie.

Accessoirement, la prudence et la maturation imposent un certain temps de latence entre une opération et son analyse. Quiconque a été en Opex sait qu’on s’y agace de beaucoup de choses, que les relations humaines ne sont pas toujours simples, que la tension et la fatigue altèrent le jugement. Aussi n’est-ce pas un hasard si les analyses sont publiées après l’opération, pour permettre au temps de faire son œuvre et au cerveau de décanter, ruminer et produire l’essentiel. C’est ainsi pour ma part que j’ai procédé et que font la plupart des auteurs que je connais qui s’essaient à dégager les leçons qu’ils ont apprises de leur opération : le processus est indispensable et d’ailleurs, distinct du processus codifié du Retour d’expérience, tel qu’il est pratiqué dans nos armées.

Communication : L’accumulation d’erreurs en la matière est confondante : d’une part, la publication de l’article par la revue est maladroite car la RDN aurait dû noter cette question du commandement. Un article publié un mois plus tard, l’affaire aurait été différente. Ensuite, la réaction du cabinet (on ne sait d’ailleurs plus très bien de quel cabinet il s’agit : celui de la ministre, celui du CEMA ?). Demander le retrait d’un article (surtout quand il y a une version imprimée) à l’heure du numérique, c’est immanquablement susciter un effet Streisand, ce qui n’a pas manqué : outre les grands médias nationaux, le Washington Post, le New York Times, Reuters, Sputnik et Al Jazeera ont signalé l’article et analysé la question soulevée. Accessoirement, cela a démenti les propos du CEMA incitant les officiers à écrire et penser, ce qui est une de ses profondes convictions : il a dû entrer dans une casuistique désagréable et tirer des bords pour expliquer dans quel cas ceci dans quel cas cela. La question revient d’ailleurs trois mois plus tard avec cette audition parlementaire où on le sent très agacé au moins autant par le colonel Legrier que par la rémanence de l’affaire.

Stratégie : Là, pour le coup, le débat est ouvert. J’ai entendu un certain nombre de commentateurs évacuer d’un revers de main les arguments du colonel Legrier. J’en ai entendu d’autres, au moins aussi avisés (et en général, plus avertis des affaires stratégiques que les premiers), dire qu’il y avait au moins débat. Ce n’est pas un hasard si le CEMAT belge a diffusé le texte aux officiers de son état-major (ici). Car il y a matière à réflexion. Tout d’abord parce que je ne suis pas persuadé qu’on a autant gagné que ça contre les djihadistes. Ne soyons pas désagréables, n’évoquons pas Barkhane et restons au Moyen-Orient. Sommes-nous si persuadés d’avoir trouvé la bonne méthode face aux Djihadistes ? Sont-ils effectivement éradiqués d’Irak (sans même parler de la Syrie) ? Autrement dit, la stratégie adoptée notamment sous direction américaine a-t-elle été convaincante ?

Tentons de la résumer : beaucoup d’appui feu à des troupes au sol qui combattent par procuration (des proxies), un peu aidées par quelques forces spéciales. Cela a permis d’obtenir des effets sur le terrain, incontestablement et après beaucoup d’efforts, l’Etat Islamique a été chassé de Mossoul et du nord de l’Irak. Mais ce succès est-il durable ? si l’on observe d’autres théâtres (Afghanistan, BSS), il est permis d’en douter. Car au fond, on fait la guerre loin des populations, laissant à d’autres le soin d’aller constater les dégâts au sol, sans trop se préoccuper du volume de ces dégâts. ON est donc très loin de la guerre « au milieu des populations » dont on nous expliquait hier qu’elle caractérisait une approche française, distincte de l’approche américaine. Au fond, telle est la question : y a-t-il encore une approche française de la guerre ?

Par ailleurs, Le débat de l’appui feu renoue avec celui initié, entre les deux guerres, par Giulio Douhet. Celui-ci prétendait que l’arme aérienne allait constituer l’arme fatale, celle qui allait décider du cours des batailles par l’intensité du feu déployé. On sait, près d’un siècle plus tard, qu’il s’agit d’une illusion (pas tout à fait : seule l’arme nucléaire a obtenu ce pouvoir d’anéantissement et d’effroi qui a modifié la stratégie ) ; pour le reste, on demeure dans la guerre dite conventionnelle où l’accumulation d’armes complique la guerre mais ne résout pas l’affrontement premier entre deux camps, le fameux duel de Clausewitz. L’appui feu est un appui, voici ce que rappelle le colonel Legrier : il appuie une force au sol qui va risquer l’essentiel pour prendre l’ascendant moral sur l’ennemi. Observons que ce débat est aussi celui des drones et demain de la robotique de bataille. Autant dire que ce n’est pas un débat aussi anodin que d’aucuns l’ont affirmé.

On peut ici s’interroger sur l’intervention russe en Syrie : là encore, quelques milliers d’hommes et beaucoup d’appui feu : au fond, le même schéma que les Américains. Le résultat global est finalement assez proche de celui obtenu par les Etats-Unis en Irak. Dans les deux cas, on n’a pas l’impression que le gouvernement en place maîtrise pleinement le pays ni que la guerre soit pleinement gagnée (les combats actuels autour de la poche d’Idlib l’illustrent assez bien). De même, la résolution politique de la guerre semble très imprécise. En fait, il semble bien que des puissances d’intervention en opération extérieure n’aient guère le choix : comment concentrer les efforts pour peser tout en conservant une économie de moyens nécessitée par l’enjeu relatif, au vu de l’intérêt national ? Telle est la question posée à des pays aussi différents que la Russie, les Etats-Unis ou la France. L’appui feu semble ici constituer une option raisonnable, même si on sait qu’elle ne résout pas tout. La question stratégique complémentaire devient donc la suivante : comment compléter un appui feu pour transformer des succès militaires localisés en une réussite politique ?

Géopolitique : Voici enfin la dernière question, sous-jacente et qui a probablement provoqué l’ire de beaucoup. Au fond, que faisons-nous au Moyen-Orient ? En Irak, nous sommes appelés par un gouvernement légal et l’aidons à faire la guerre à des rebelles (qui se trouvent être aussi nos ennemis, du moins les désignons-nous comme tels). Nous suivons pour cela une direction américaine où, avec des moyens minimes, nous réalisons de belles performances, laissant logiquement la direction stratégique à nos alliés : Ce n’est pas avec 3% ou 5 % des forces que l’on peut réellement peser sur une stratégie ! Il est donc logique que nous soyons en retrait et qu’il n’y ait donc guère d’autonomie stratégique (mais opérative), ce que semble regretter le colonel Legrier.

Mais un autre débat sous-tend l’affaire : celui de notre présence en Syrie. Force est de constater que la ligne française a particulièrement été maladroite ces dernières années. Qu’on a assisté à un retour à une discrétion de bon aloi ces derniers mois, ce dont il faut se féliciter. Que cependant, nous intervenons en Syrie dans un cadre légal douteux car je n’ai pas entendu dire que le gouvernement légal de Damas (celui qui tient le siège de la Syrie aux Nations-Unies) ait demandé notre venue, y compris contre l’Etat Islamique. De même, l’argument de nos alliés kurdes combattant au sol pose évidemment problème : s’agit-il de combattants « réguliers » avec qui nous aurions passé une alliance ?

Pour conclure : le texte du colonel Legrier pose évidemment beaucoup de vraies questions. Il ne s’agit pas de les évacuer sous des prétextes de forme, même s’il y a eu, reconnaissons-le, beaucoup de maladresses. C’est bien parce que nous les avons pointées que nous pensons pouvoir aller au-delà, à l’essentiel, aux points soulevés par le colonel Legrier. L’heure doit désormais être au débat serein.

O. Kempf

Biblio 2018

Bien, je viens de terminer la mise à jour de ma bibliographie. Voici l'extrait pour 2018, pour ceux que cela intéresse.

Source

O. Kempf

Contribution à des ouvrages collectifs

  • Préface de Cyber et drones, par Panpi Etchevary, Economica, 2018.
  • « Ville connectée, données massives et algorithmes prédictifs », avec Thierry Berthier, in Biase, A., Ottaviano, N., Zaza, O. (dir.), (2018), Digital Polis. La ville face au numérique : enjeux urbains conjugués au futur, Paris : L’œil d'or (collection critiques & cités).

La Vigie

  • Publication d’un article bimensuel dans La Vigie (www.lettrevigie.com), lettre d’analyse stratégique.

Publications

  • « Supprimer le liquide ? », Conflits, n° 19, octobre-décembre 2018
  • « Le nucléaire militaire français dans un nouveau contexte stratégique », Politique étrangère, 3/18, Automne 2018.
  • « La France face au numérique : une souveraineté rénovée ? », Revue internationale et stratégique, n° 10, été 2018.
  • « La dépendance numérique, source de fragilité », Perspective méditerranéennes (Maroc), été 2018.
  • « Le nouvel âge des cyberconflits », Conflits n° 18, juillet septembre 2018.
  • « « Cyber and digital transformation », Cybersecurity Trends, Avril 2018.
  • « Des différences entre la cybersécurité et la transformation digitale », Stratégiques, n° 117, été 2018.
  • « La blockchain est-elle un tournant stratégique ? », Revue Défense Nationale, Tribune n° 1011, juin 2019. Lien.
  • « La strategia che non c’è », Limes, n° 3/18, mars 2018.
  • « Giu le mani dalla force de frappe », Limes, n° 3/18, mars 2018.
  • Quel débat stratégique en France en 2018 ?

Tenue régulière du blog www.egeablog.net

Recensions

  • B. Liddle Hart, « La vie du colonel Lawrence » (Economica), RDN, avril 2018.

Colloques

  • Symposium cyber : « EU direct workshop », German Marshall Fund et Stiftung Neue Antwortung, Washington, 16 et 17 décembre 2018.
  • MEDays 2018, Institut Amadeus, 2018, Tanger, intervention sur « A l’ère de la disruption et de l’accélération digitale : est-ce la fin des stratégies ? », Tanger, 8 novembre 2018.
  • Colloque « Centenaire de la Première Guerre mondiale », modération table ronde « La France et le Maroc au cours de la Première Guerre mondiale », Institut Charles de Gaulle, 25 octobre 2018.
  • Forum économique rhodanien, Séminaire « Transformation digitale et impact sociétal, Divonne les bains, 21 septembre 2018.
  • NOVAQ, Festival de l’innovation, Table ronde cyber, 14 septembre 2018, Bordeaux.
  • Forum de la Gouvernance de l’Internet, Paris, 5 juillet 20018, intervention sur « Cyber et transformation digitale ».
  • CREOGN, atelier de recherche de la Gendarmerie, « Blockchain, sécurité absolue ? », Paris, 27 juin 2018.
  • FRS, journée d’études sur l’Internet des Objets, Paris, 15 mai 2018.
  • 9ème Festival international de géopolitique, conférence sur « Les relations entre l’Allemagne et les Etats-Unis », Grenoble, 17 mars 2018, vidéo.
  • Forum de sécurité de Marrakech, 9 et 10 février 2018, intervention sur « L’ennemi ? la piraterie du désert ».

Médias

  • Entretien à « Un jour dans le monde » (France Inter, Fabienne Sintes) le 8 octobre 2018 : attaques cyber.
  • Géopolitique du cyberespace, entretien audio pour Conflits, 29 juillet 2018.
  • Interventions autour du sommet de l’OTAN :
  • • Le11 juillet sur Radio Vatican (voir interview ici) et au journal de 13h00 de RFI.
  • • Le jeudi 12 juillet dans l’émission Les Décrypteurs présentée par Vincent Roux et diffusée en direct sur la home du figaro.fr , de 11h00 à 11h50. Puis à 14h00 sur France 24, Enfin à 18h45 sur LCI, avec Patrick Chêne et D. Cohn-Bendit
  • Entretien (6 pages) donné à Communication et influence, mai 2018 notamment sur les liens entre cyberconflictualité et guerre économique. Téléchargement.
  • Entretien donné le 4 mai 2018 à la RTS sur « La France et ses outremers », lien vers audio.
  • Entretien donné à RFI le 28 mars 2018 sur l’expulsion de diplomates russes par l’OTAN, mp3.
  • Entretien sur France 24 à propos de l’avancement de l’horloge de la fin du monde. 2 février 2018

Cours et encadrement

  • Grenoble Ecole de management , M1, cours sur « Internet et les enjeux de la mondialisation », mars juin 2018 (24 h).

Parmi les 100 de la cybersécurité

Je suis très flatté et honoré d'avoir été distingué par L'usine nouvelle comme faisant partie des 100 de la cybersécurité en France.

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O. Kempf

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