Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

France Inter : radiographie d’un média d’État

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

Pourquoi la gauche caviar universitaire américiane tolère les appels au génocide d’Israël

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que la présidente du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Pamela Nadell, ont chacune honteusement soutenu que « manifester sur le campus pour exiger le génocide des juifs » n’était pas en soi une forme de harcèlement inacceptable et passible de sanctions. « Tout dépend du contexte et du passage à l’acte, ou non, des auteurs de ces mots » ont précisé ces fières et éminentes incarnations de l’idéologie woke.

 

Sur les campus américains, la peur et l’humiliation subie par des milliers d’étudiants juifs ne pèsent pas lourd

Dans ces nobles institutions, si l’on qualifie quelqu’un de « gros » même dans un contexte affectueux,  on se fait rapidement sanctionner pour harcèlement et stigmatisation odieuse. Si l’on appelle « monsieur » une jeune personne qui était de sexe masculin mais qui est en train d’achever sa transition vers le genre féminin, on est également passible de sérieuses réprimandes. Pour ne pas marginaliser ou offenser les transgenres et les non-genrés, les toilettes pour hommes et les toilettes pour femmes ont été abolies dans plus de 420 universités américaines. Elles sont remplacées par des lieux dits « de genre inclusif ». En revanche il est acceptable, tant que l’on ne tue personne, de manifester pour éliminer tous les juifs d’Israël et faire disparaître leur État.

La priorité de l’enseignement porte sur le combat de la colonisation, crime dont Israël est déclaré coupable aujourd’hui. Pour la gauche woke qui détient le pouvoir dans les universités, c’est ce même crime qui a été commis par les Européens lorsqu’ils ont débarqué en Amérique. Et le crime colonial continue, puisque des Blancs dominent toujours économiquement les États-Unis, par le racisme et la violence policière.

Parce qu’ils sont « progressistes », de gauche, drapés dans des drapeaux palestiniens, les étudiants fanatisés ont le droit d’arracher les affiches des otages juifs du Hamas, de nier la torture infligée par ces terroristes, notamment à des enfants et des vieillards. Leurs manifestations fleuves accusent aussi Israël d’être responsable des massacres du 7 octobre, car c’est « l’oppression par les Juifs qui pousse les Palestiniens à des actes légitimes de résistance ».  Tout cela sous le regard tolérant de l’extrême gauche caviar qui gère ces institutions selon une échelle de valeurs prétendument « inclusive ».

Encore plus ahurissant, les trois présidentes se sont vu offrir par la représentante républicaine de New York, diplômée de Harvard, Elise Stefanik, en direct et à plusieurs reprises, la possibilité de dire « non, ces appels au génocide ne sont pas – par définition –  acceptables ». Et à chaque fois, elles ont refusé de le faire. Ce n’est que le lendemain, constatant le tollé suscité par leurs scandaleuses affirmations, qu’elles ont cherché à corriger le tir. Il aura fallu que la Maison-Blanche, le gouverneur de la Pennsylvanie et de riches donateurs privés à ces universités, notamment des banquiers et investisseurs de Wall Street, s’alarment, pour qu’elles fassent leur mea culpa.

On sent bien hélas que leur revirement est davantage lié à leur effort désespéré pour ne pas être démises de leurs fonctions par le conseil d’administration, qu’à leur découverte soudaine de la monstruosité de leurs affirmations. Claudine Gay, avec la froideur et l’arrogance tranquille qu’on lui connaît, s’était déjà illustrée au lendemain du 7 octobre, en laissant un vaste mouvement pro-Hamas submerger le campus de Harvard. « Le silence de la direction de Harvard, jusqu’à présent, associé au communiqué largement publié de groupes d’étudiants accusant Israël d’être l’unique responsable, a permis à Harvard de paraître, au mieux, neutre face aux actes de terreur contre l’État juif d’Israël »  déplorait ainsi Larry Summers, lui-même ancien président de l’université et ancien conseiller de Barack Obama.

 

Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme »

Rien de tout cela ne peut être compris si l’on ne replace pas les événements dans le contexte de domination de l’extrême gauche caviar qui affecte les universités américaines. Voilà des années que les penseurs, auteurs, éditorialistes libéraux, conservateurs, républicains, pro-capitalistes, adversaires du wokisme, y sont de fait interdits d’expression.

Des comités progressistes d’étudiants leur bloquent les portes des salles de conférence, hurlent des slogans pour noyer leurs propos et perturbent systématiquement leurs interventions. Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme ». L’inclusion censée y être pratiquée ne s’applique en fait qu’à la gauche. Et de préférence à la gauche de la gauche. La censure effective de toute opinion en opposition à la pensée unique écolo-progresso-transgenre et prétendument antiraciste, est devenue la norme. Seuls quelques obscurs réactionnaires, comme les élus républicains (pas tous trumpistes) et le Wall Street Journal, dénoncent la situation depuis des années. Leurs cris d’alarme ne sont cependant pas relayés par les journalistes de la presse dite mainstream, pour la plupart idéologiquement formés – et formatés – dans ces universités. Assis sur des dizaines de milliards de dollars de dotations privées, confortés dans leurs certitudes par la facilité avec laquelle ils obtiennent, de parents bien intentionnés, en moyenne 80 000 dollars par an de droits de scolarité, les mandarins de l’Ivy League se sont crus intouchables.

Depuis le 5 décembre, tout change. Les masques tombent. Les langues se libèrent. Bill Ackman, Ross Stevens, Marc Rowan, Jon Huntsman Jr. et d’autres financiers de premier plan, anciens élèves de ces fleurons universitaires, exigent la démission des trois présidentes qui se sont ridiculisées au Congrès par leur fanatisme anticolonial, sous couvert de « préserver la libre expression sur notre campus ». Leurs donations, et celles de tant d’autres anciens diplômés écœurés, sont désormais suspendues, voire retirées. « La profonde faillite morale », des présidentes de Harvard, MIT et U. Penn, comme le résume Bill Ackman, est enfin dénoncée.

Sur le web.

Une contre-révolution sous nos yeux ? Ce que révèlent les affaires Depardieu et Cesari

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

Le second événement concerne l’acteur Gérard Depardieu. Dans un documentaire, le magazine « Complément d’enquête » a diffusé des extraits d’une vidéo tournée en 2018 dans laquelle le comédien tient des propos particulièrement crus et vulgaires sur les femmes, y compris sur une très jeune fille d’une dizaine d’années.

Si ces deux événements méritent d’être rapprochés, malgré leurs différences, c’est parce que, chacun à leur manière, ils nous parlent des transformations actuelles de la société française.

 

Cachez cette nudité

Commençons par l’affaire du tableau de Cesari. On peut légitimement discuter pour savoir s’il était judicieux de montrer un tel tableau à des élèves de 6e. Mais l’essentiel n’est pas là.

Il fut un temps pas si lointain où, face à des images à caractère sexuel, entraperçues par exemple dans un film ou un documentaire, les collégiens avaient tendance à manifester, non pas leur dégoût mais bien un enthousiasme typiquement juvénile, où se mêlaient gloussements émerveillés et clameurs grivoises.

Que des élèves de 6e adoptent aujourd’hui une attitude exactement inverse, surtout à un âge aussi précoce, en dit long sur le type d’éducation qu’ils reçoivent et sur les valeurs qu’ils entendent affirmer. Visiblement, cette affaire confirme l’existence d’un clivage profond qui place l’école en porte-à-faux vis-à-vis d’une partie de la population, comme l’avaient déjà révélé les incidents lors de l’hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, ou les nombreux conflits sur les signes religieux et les atteintes à la laïcité.

 

Cachez cette sexualité

Concernant Gérard Depardieu, le problème se présente différemment. Il est évidemment légitime d’être choqué par les propos de l’acteur, lesquels dépassent très largement ce que la décence commune peut tolérer.

On évitera cependant d’être hypocrite. Lorsqu’ils sont entre eux, il arrive aux hommes de parler crûment des femmes et de la sexualité car rares sont ceux qui échappent totalement aux pulsions de leur cerveau reptilien. Cela vaut sans doute aussi dans l’autre sens. On peut en effet remarquer que l’un des clips actuellement les plus populaires est une chanson de rap interprétée par deux femmes qui s’intitule WAP, ce qui signifie Wet Ass Pussy. Or, les paroles n’ont rien à envier à la trivialité de Depardieu : « Il y a des salopes dans cette maison / Amène un seau et une serpillière pour cette chatte bien mouillée / Mets cette chatte sur ton visage, glisse ton nez comme une carte de crédit / Crache dans ma bouche / Dans la chaîne alimentaire, je suis celle qui t’avale / Je veux que tu touches ce petit trucmuche qui pendouille au fond de ma gorge. » Ce clip a été encensé encore récemment sur le site Slate.fr.

Il ne s’agit pas de dire que tout est permis. La vie civilisée consiste justement à s’abstenir de toute vulgarité dans la vie publique : la sexualité est une affaire privée. Mais rien ne dit que les propos de Depardieu étaient destinés à être diffusés. On aimerait d’ailleurs savoir pourquoi la chaîne publique s’est autorisée à diffuser ces images, violant sans scrupules le droit à la vie privée de l’acteur.

 

Cachez ce monstre

Le problème concerne cependant moins Depardieu lui-même que l’évolution de son statut dans la société. Car Depardieu n’a pas toujours été ce personnage exécré qu’il est devenu. Historiquement, il a au contraire incarné l’audace modernisatrice, la provocation progressiste, la critique iconoclaste.

Le film qui l’a propulsé vers la gloire, en l’occurrence Les Valseuses de Bertrand Blier (1975), dont le titre était déjà tout un programme, devait son succès à ses dialogues crus et à ses scènes de sexe délibérément destinées à choquer le bourgeois. Les radios publiques lui rendent encore hommage, que ce soit France Interou plus récemment France Culture.

C’est donc en grande partie pour son côté iconoclaste que Depardieu a été encensé. Même les institutions de la République y sont allées de leur reconnaissance, d’abord en le faisant chevalier de l’ordre national du Mérite de la part de François Mitterrand en 1988 (précisons toutefois qu’il avait appelé à voter pour le candidat socialiste), puis en lui attribuant la Légion d’honneur (Jacques Chirac en 1996).

Cette consécration artistique et politique a forcément eu des effets sur ses manières d’être et de s’exprimer. Tout au long de sa vie, Depardieu a probablement été adulé par son entourage pour son côté libéré et provocateur. Personne ne se fait tout seul, et Depardieu n’échappe pas à cette règle : à sa façon, il est le fruit de cette France d’après 1968 qui ambitionnait de bouleverser la morale traditionnelle au profit de la liberté amoureuse et sexuelle.

Le retournement est aujourd’hui total. Depardieu est maintenant présenté comme un « ogre » ou un « monstre ». La ministre de la Culture n’hésite pas à dire qu’il fait « honte à la France », et parle de lui retirer la Légion d’honneur. Elle n’a pas appelé à brûler ses films, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.

On pense à la célèbre formule de l’Évêque de Reims lors de la conversion de Clovis au christianisme :

« Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».

C’est probablement à cela qu’on reconnaît un changement d’époque : c’est lorsqu’une société aspire à se débarrasser de ses idoles d’hier, à briser ses anciennes icônes devenues insupportables, que l’on comprend qu’une nouvelle religion émerge, même si on ne sait pas très bien quelles personnalités vont incarner la nouvelle vertu.

 

La contre-révolution est en marche

Les affaires Cesari et Depardieu pourraient rester dans le registre du fait divers si elles ne venaient pas à la suite de nombreuses polémiques du même type. On pense par exemple au baiser de Blanche-Neige, dont nous avons essayé d’esquisser une analyse.

Une contre-révolution morale est manifestement en marche. Serge Gainsbourg, un autre provocateur du même acabit, en a fait les frais dernièrement. Autrefois, les jeunes traitaient leurs aînés de « vieux cons » et dénonçaient leurs opinions réactionnaires ; désormais, ils reprochent aux générations précédentes d’avoir été progressistes.

Si cette dynamique contre-révolutionnaire s’annonce profonde et durable, c’est parce qu’elle est portée par un agrégat de groupes différents soutenus par une démographie et des mutations sociologiques favorables, dont le point commun est de promouvoir un agenda néo-puritain. La polémique sur le tableau de Guiseppe Cesari est ici très significative : elle a été lancée par des familles musulmanes, mais elle aurait très bien pu être initiée par des néo-féministes. L’islam rigoriste se retrouve sur la même ligne qu’une partie du féminisme moralisateur, tandis que la gauche, loin de se détourner de ces deux causes, aspire à les englober dans un salmigondis idéologique aussi indigeste que fragile.

Il faut donc s’attendre à ce que les polémiques de ce type se multiplient. On doit se préparer à aller de surprise en surprise, car les nouvelles sensibilités sont toujours pleines de ressources et de créativité lorsqu’il s’agit de désigner des icônes à abattre. C’est ce qui en fait tout l’intérêt, un peu comme pour une bonne série télé : on a hâte de découvrir la prochaine saison.

La tolérance au service de la liberté d’expression

Les libéraux s’accordent généralement sur la nécessité d’un minimum de restrictions à la liberté d’expression, pour condamner en particulier l’injure, la diffamation, la menace, etc. Mais en pratique, les défis sont immenses.

 

L’inviolabilité de la conscience

Il y a un quiproquo, un tour de passe-passe continuel chez les partisans de la législation contre la liberté d’expression : est-ce l’expression de la pensée, ou la pensée elle-même, qu’ils veulent atteindre ? Car la liberté de penser est directement fondée sur la nature humaine. La conscience est inviolable : ce que je pense n’est connu que de moi seul, et les hérétiques qu’on persécute conservent jusqu’au fond des geôles ou sur les bûchers le pouvoir de croire ce qu’on leur interdit de croire.

Ma conscience m’appartient : c’est le fondement de la propriété de soi, et de la propriété tout court. Je suis maître de mes réflexions, de mes résolutions, je peux adopter un plan de conduite, le suivre, l’abandonner. On peut atteindre l’expression, car c’est une matérialisation de la pensée, mais la pensée humaine est inviolable, insaisissable. On ne peut lui imposer un joug, du moins dans l’état des connaissances et des outils dont l’humanité dispose aujourd’hui.

 

Des abus hors d’atteinte ?

L’injure est vraisemblablement un abus fait de la liberté d’expression. Mais la combattre par les forces de la police et du droit est plus qu’intimidant.

Combien de publications faites chaque jour sur X-Twitter contiennent-elles des insultes ? Faudra-t-il les instruire, les punir toutes ? De plus, l’insulte n’est pas aussi aisée à déterminer qu’on peut se l’imaginer. Une femme qui a eu plusieurs amants, et qui enfin s’est mariée, peut-elle être légitimement appelée du nom d’une profession dite infamante ? Un homme qui s’est déjà livré ne serait-ce qu’une fois à des pratiques homosexuelles peut-il demander justice de celui qui l’appelle en argot ce qu’il est ? Faudra-t-il définir les obscénités ? Les historiens Rigord et Guillaume Le Breton se font les échos d’une condamnation à l’amende, pour certains, et à être noyé pour d’autres, à l’encontre de ceux qui prononçaient les mots ventrebleu, têtebleu, corbleu, sangbleu ; mais l’ordonnance date de 1181, sous Philippe Auguste : est-ce sous de telles lois, héritées de tels temps, que nous voulons vivre ?

C’est un affront pénible que d’entendre ou de lire quelqu’un nier des crimes contre l’humanité. Mais d’abord, personne ne peut être légitimement obligé de déclarer positivement qu’un fait qu’il n’a pas observé, dont il n’a pas été le témoin visuel, s’est passé. Les historiens sont-ils toujours fiables ? La destruction de tout un groupe humain peut avoir des causes lointaines inattendues, qu’on suppute, qu’on conjecture. Il y a des hommes au monde qui se suicident, qui organisent ou fabriquent de toutes pièces un faux attentat qui les emporte prétendument dans la tombe : pourquoi un groupe humain n’aurait jamais un comportement aussi bizarre ? L’esprit de secte, le délire, la vocation de sacrifice, ne pourraient-ils pas au besoin l’expliquer ? Et alors, c’est une question de vraisemblance, de vérité historique, et le débat doit être libre.

D’ailleurs, on empêcherait difficilement un peuple de nier un génocide qui se rapporte à lui-même, ou à ses ancêtres. La trace macabre qu’a laissée le passage des Anglo-Américains sur le Nouveau Monde, des Britanniques en Afrique du Sud, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, ou encore des Français en Algérie, est niée par ceux qu’elle met mal à l’aise, ou qui n’ont pas le courage d’étudier les faits. Faudra-t-il organiser l’exposition de leur repentance ?

Faire l’apologie de crimes, défendre des criminels, est assez audacieux, quand les lois passent pour justes, et la justice pour impartiale. Mais les libéraux ont de tout temps fait l’apologie du contrebandier, et ils ne s’en excusent pas ; Voltaire a défendu Jean Callas, reconnu coupable. Qui poussera l’opinion à corriger les injustices, qui redressera les lois mauvaises, si l’on ne peut absoudre les coupables de faux crimes, et s’il faut baisser les yeux devant une injustice criminelle qui nous émeut ?

L’appel à la violence est lui-même curieusement compris et appliqué. Quand un chef d’État prononce un discours haineux et pour faire passer ses paroles en actes envoie des armées châtier un peuple ennemi, il y a appel à la violence, et plus encore ; mais il n’est pas inquiété. Les bombes atomiques lancées contre le Japon en 1945 ont eu, dans la presse et ailleurs, leurs apologistes, et ils ont vécu tranquilles.

Tous ces abus, que la morale privée réprouve, sont difficilement atteignables par les lois. Ils le sont plus difficilement encore, lorsque c’est un humoriste qui s’en rend l’organe. Car la plaisanterie est une circonstance qui annule presque entièrement la violence des idées : elle leur donne un caractère ridicule, grotesque, par un contexte qui doit rechercher l’effet plutôt que la profondeur. On est fou, et pas sage, de mettre en application les injonctions d’un humoriste de profession, qui les prononce dans le cadre de son travail, et de se prévaloir ensuite de sa responsabilité première.

 

Les mots blessent-ils ?

La blessure que font les mots à ceux qui les entendent ou les lisent, doit-elle être la mesure de leur criminalisation ?

C’est ce qu’on ne croit pas d’habitude. Lorsqu’à une femme que j’ai aimée, et que j’ai entretenue dans une forme de fascination de moi, je dis que je ne l’aime plus, je fais une blessure que le temps seul, peut-être, réparera ; je ne suis pas inquiété. Si elle se venge par la violence, elle paie seule le prix de son forfait. De même, l’hérétique, le renégat, blesse les yeux et les oreilles du croyant ; l’inculte et l’imbécile font outrage à l’homme de science ; mais aucun d’eux n’est fondé en droit à entamer un procès.

 

Que la tolérance doit être sans cesse plus grande dans les lois

À mesure qu’il devient plus civilisé, un peuple doit pouvoir se passer de plus en plus de l’État : c’est une règle générale.

Il y a un double mouvement dans l’histoire : d’abord, l’État s’accroît et protège un nombre de plus en plus complet de personnes. Les femmes, les enfants, les esclaves, les serfs, qu’on laissait à l’arbitraire de leurs soi-disant propriétaires, sont compris dans les protections de l’État de droit. Des crimes qu’on laissait impunis sont poursuivis, et leurs coupables châtiés. Mais aussi, plus tard, l’État doit se restreindre à ne protéger que la liberté et les propriétés légitimes. L’initiative privée ayant acquis plus de force, l’État peut reculer et abandonner des missions qu’il s’était arrogées.

Les peuples de l’Antiquité, du Moyen Âge, peuvent avoir encore besoin de direction, y compris dans l’expression de leur pensée. Mais un peuple sage et poli, bien éduqué, pratique la tolérance et n’a presque pas besoin de lois.

Ce phénomène aujourd’hui est ralenti, rendu inopérant, par diverses causes. Sous la coupe d’un monopole public débilisant, l’éducation française de la jeunesse régresse. Au surplus, l’immigration introduit des populations dont la culture n’est pas imprégnée de tolérance, et qu’il faut éclairer : c’est une tâche de plus.

Sans doute, les lois ne doivent pas désarmer, et certaines limitations se comprennent. Mais aussi ce n’est pas sur ce terrain qu’il faut placer le plus nos espérances ; mais dans la politesse, la bienveillance, l’humanisme, qui s’accroîtra en France aussi, si nous y consacrons toutes nos forces.

Ne laissons pas Sylvie Brunel devenir la prochaine victime de la cancel culture des collapsologues français

#climat #agriculture Suite (et fin ?). Par « appréhension », la géographe Sylvie Brunel interviendra finalement en visio ce vendredi soir à @ChemilleenAnjou https://t.co/cAnvmG6NiI via @courrierouest

— Yves Boiteau (@YvesBoiteau1) November 24, 2023

Bien plus qu’un faits divers : la grande géographe Sylvie Brunel est en voie de cancellisation

Une lectrice de mon blog m’a mis sur la piste d’un – appelons-le ainsi pour le moment – fait divers. Mme Sylvie Brunel devait animer le vendredi 24 novembre 2023 une conférence-débat à Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire) à l’invitation de la municipalité. Selon le site de la commune :

 

« Face aux nombreux défis qui se dressent devant nous dans notre monde contemporain : climat, énergie, migrations, eau, vivre ensemble, la commune de Chemillé-en-Anjou souhaite alimenter nos réflexions collectives. Elle organise pour cela une conférence-débat animée par Sylvie Brunel, géographe. Vous êtes tous invités à participer à cette soirée.

[…]

Convaincue que :

  • ces enjeux mondiaux sont l’affaire de tous, touchés que nous sommes dans notre quotidien,
  • c’est la mobilisation de tous qui permettra de construire des solutions à toutes les échelles,
  • le préalable à l’action est une bonne compréhension de la situation, des enjeux, des points de vue chacun,

la commune de Chemillé-en-Anjou vous invite à participer à une conférence débat organisée… »

 

Sylvie Brunel : la nouvelle cible des collapsologues et des décroissantistes

Mme Sylvie Brunel est une des grandes voix françaises de l’humanisme. Ancienne présidente de l’association Action contre la Faim, elle est une spécialiste de l’Afrique et des questions de développement et de famine. Elle est aussi une des (hélas rares) avocates de l’agriculture qui nous nourrit.

Son discours, solidement étayé, est aux antipodes de ceux qui ont pignon sur rue, des collapsologues, prêcheurs d’apocalypse et autres missionnaires de la décroissance, bref des défaitistes et capitulards face aux défis qui doivent être relevés.

Cela tombe bien pour cette faune et leurs adeptes : Mme Sylvie Brunel a aussi contribué à des écrits et tenu des propos qui ont été taxés de climatoscepticisme (qu’elle réfute aujourd’hui). Le très neutre et objectif (ironie) Wikipedia relève ainsi, par exemple :

« À plusieurs reprises, elle est contredite par des climatologues pour des positions jugées climatosceptiques. »

Et :

« En juin 2022, lors de la canicule qui frappe la France, Sylvie Brunel déclare que ces températures excessives, « c’est quand même le quotidien quand vous vivez à Dakar« . Ces propos sont qualifiés de climatosceptiques par plusieurs spécialistes dont Magali Reghezza, géographe spécialisée dans la vulnérabilité sociale aux changements environnementaux, qui contestent la légitimité scientifique de Sylvie Brunel. »

C’est aussi un horrible blasphème que d’écrire dans Le Monde, en 2019, que « Le changement climatique n’est pas forcément une mauvaise nouvelle » – dans un article bien plus subtil que ce que le titreur en a retenu – en faisant référence à notre histoire du climat, et des disettes et famines. C’est ici, incidemment, une occasion d’honorer la mémoire d’Emmanuel Le Roy Ladurie. Notons que madame Brunel est revenue sur cette tribune de 2019, expliquant qu’elle ne la signerait plus aujourd’hui.

 

Retour sur la tentative d’annulation de la conférence de Sylvie Brunel par un collectif 

Et donc une pétition a circulé pour s’opposer à la venue de Mme Sylvie Brunel, à l’initiative de Raphael Traineau, conseiller municipal de Chemillé-en-Anjou.

« Il est inconcevable de laisser une tribune à une telle personne qui utilise sa notoriété médiatique pour diffuser de fausses informations auprès de personnes non initiées aux sujets scientifiques, y compris des citoyens et élus de bonne foi. De plus, cette conférence doit se tenir sans contradicteur, ce qui, dans ces conditions, va à l’encontre de toute démarche d’information sérieuse. 

Hé bien voilà ! La liberté d’expression à la mode activiste de l’écologisme politique…

La presse rapporte que parmi les initiateurs figurent des élus locaux. Nous avons aussi trouvé sur X (anciennement Twitter) deux incitations à signer la pétition, dont une d’un directeur de recherche du CNRS et élu municipal EELV d’Angers. La liberté d’expression, les principes fondamentaux de notre démocratie, vous dis-je…

Ah oui, sans contradicteurs selon la pétition ?

Citons-la à nouveau : 

« Dans ces conditions, nous demandons à la mairie de Chemillé-en-Anjou d’annuler la conférence de Sylvie Brunel. Dans le cas où elle serait maintenue, nous n’y assisterons pas afin de ne pas apporter de crédit à cette entreprise climatosceptique. »

Ce qui a été organisé était pourtant une… « conférence-débat » ! On pourra entendre la réaction du maire de Chemillé-sur-Anjou ici sur YouTube, à partir de la minute 28.

Mme Sylvie Brunel avait aussi expliqué :

« Ma conférence porte sur les risques qui nous menacent et les réponses qu’il faut leur apporter, en mobilisant tous les acteurs et à toutes les échelles. Cette conférence ne remettra absolument pas en question les périls climatiques. »

Il faut croire qu’il n’y a pas eu qu’une pétition. Par « appréhension », Mme Sylvie Brunel a décidé d’intervenir en visio… Mais à l’heure où nous écrivons, nous ne savons pas si la conférence-débat a eu lieu.

#climat #agriculture A @ChemilleenAnjou en #MaineetLoire, une pétition s’est élevée contre la venue ce vendredi pour une conférence-débat de la géographe Sylvie Brunel, jugée « climatosceptique ». Ses initiateurs s’expliquent… 1/2⤵ https://t.co/LqfJzXd7OG via @courrierouest

— Yves Boiteau (@YvesBoiteau1) November 23, 2023


Que faut-il comprendre par « appréhension » ? Ouest-France n’en a pas dit plus. Ce n’était certainement pas l’appréhension de devoir affronter une horde de contradicteurs…

 

Ne laissons pas le dernier mot aux décroissantistes et aux terroristes intellectuels

On peut fort bien comprendre que, tout compte fait, cet événement n’est pas un simple fait divers, mais une atteinte grave aux fondamentaux de notre démocratie. Ou d’un avant-goût des chasses aux mal-pensants qui se produiront si, d’aventure, un groupe transpartisan de députés (hors RN et LR) parvenait à produire et faire passer une proposition de loi sur « la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité ».

L’enfer est pavé de bonnes intentions (21) – L’antiracisme

En ces temps particulièrement agités, qui ne s’associerait pas volontiers à la lutte contre l’antiracisme ? Certains êtres primaires sans doute hélas, car il est de fait que des actes et des paroles racistes ont lieu depuis toujours et tendent à se développer ces dernières années et ces dernières semaines, notamment avec la montée des tensions communautaires ou internationales. Mais faut-il pour autant, comme le suggèrent certains, en venir à contrôler une liberté d’expression, déjà mal en point ?

 

Quand on cherche à éliminer l’adversaire…

L’assaut vient, cette fois, du sénateur communiste Ian Brossat. Probablement désireux de faire parler de lui et de justifier ses mandats, rien de tel que de défendre en apparence une idée chère au plus grand nombre : agir contre le racisme et l’antisémitisme. Idée d’autant mieux venue que c’est dans l’air du temps après la grande marche contre l’antisémitisme du week-end dernier qui a réuni des milliers de personnes et nombre de personnalités de tous bords politiques… ou presque. Mais surtout, il s’agit là – il faut bien se le dire – d’un moyen bien commode de caricaturer un adversaire et de réclamer sa tête.

Car en effet, si l’on se réfère à cette courte séquence diffusée sur le réseau X, le sénateur ne se cache pas dans sa volonté d’apparenter Éric Zemmour – et nul autre – à la haine, au racisme et à l’antisémitisme. Nous avions la personnification de La Mort, nous avons maintenant celle de La Haine et du Racisme.

 

Une ficelle un peu grosse

La ficelle est un peu grosse (et je ne suis pas là pour défendre particulièrement Éric Zemmour). D’autant plus grosse que, comme le relèvent aussitôt les commentateurs de ce message, il y a beaucoup à dire de ceux qui prétendent afficher ainsi leur vertu. Mais personne n’est complètement dupe.

A-t-on oublié, demande l’un (affiche historique à l’appui), que le parti auquel adhère notre sénateur vertueux a un passé pas toujours très glorieux en matière d’antisémistisme ? Ou qu’il a été responsable, selon certaines estimations de chercheurs, de rien moins que 100 millions de morts, interroge un autre ? Et quid de l’antisémitisme de Karl Marx, inspirateur du même communisme ?

Bien sûr, nous ne sommes pas là pour dresser une liste exhaustive de toutes les réactions à ce message (et nous aurions pu en citer beaucoup de tout à fait légitimes). Mais quand même… Qu’un représentant d’un parti qui est très loin d’avoir toujours été clair sur ces questions mette en avant sa vertu et son exemplarité pour s’attaquer ainsi à une cible exclusive et à travers elle s’attaquer surtout à la liberté d’expression, pose problème.

 

Une liberté d’expression à géométrie variable

C’est d’autant plus navrant que l’on sait tous que les représentants de la justice en France, surtout lorsqu’ils militent auprès d’un syndicat réputé très engagé, n’apparaissent pas toujours comme tout à fait neutres dans leurs décisions. On sait aussi que les accusations de racisme, d’antisémitisme, ou même d’autres propos ou actes odieux, vont parfois bon train, dans la mesure où elles permettent de mettre facilement en difficulté un adversaire et de l’éliminer au moins temporairement ou le décrédibiliser plus durablement.

Donc où commencent et où s’arrêtent la liberté d’expression, la chasse à la parole équivoque ou qui pourra être interprétée de telle ou telle manière, suspectée de telle ou telle arrière-pensée, pourchassée devant les médias puis le cas échéant devant la justice ?

La question vaut la peine d’être posée, car au-delà des apparences se cache trop souvent de la mauvaise foi, de mauvaises intentions, des arrière-pensées politiques. Il est certainement plus sage de s’en tenir aux textes existants et de les appliquer : les actes et propos racistes ou antisémites sont susceptibles d’être jugés et condamnés, très bien. N’y mêlons pas de prétendues bonnes intentions destinées à semer la zizanie dans la prise de parole, notamment politique, et aboutir en pratique à des campagnes de chasse aux sorcières peu glorieuses et souvent très violentes.

Surtout quand on se trouve sur un terrain fragile et miné, où règnent clairement une certaine dose de mauvaise foi, d’aveuglement, de naïveté, voire de mensonges. Quand il ne s’agit tout simplement pas… de peur.

 

Postures et impostures

Une fois encore, nous sommes là dans les habituelles postures politiques. Défendre la vertu, mais détourner le regard en cherchant à pointer du doigt l’arbre qui cacherait la forêt…

N’est-ce pas au sein de cette gauche présumée si vertueuse depuis au moins Robespierre, et adepte des révolutions, que l’on pratique le mieux la privation de la liberté de parole ?

Au lieu de prendre le risque de créer des tensions supplémentaires en brandissant sans arrêt l’arme du racisme et de l’antisémitisme, dont tant de mouvements ou associations aux intentions équivoques nous ont habitués, nous pourrions par exemple de nouveau conseiller une lecture plus saine et faisant bien davantage appel à la Raison : « Faut-il tolérer l’intolérance ? », sous la direction de Nicolas Jutzet. Voilà qui vaudra bien mieux que de simples raccourcis aux intentions à peine voilées.

 

À lire aussi :

La culture en péril (14) – Milan Kundera, « Un Occident kidnappé »

Trop longtemps le drame de l’Europe centrale a été celui de petites nations mal assurées de leur existence historique et politique. Tandis que, après 1945, l’Occident ne la voyait plus que comme une partie de l’Union soviétique.

C’est dans ce contexte que le grand écrivain Milan Kundera, pourtant connu pour sa relative discrétion, a tenu un illustre discours au congrès des écrivains tchécoslovaques en 1967 à la veille du Printemps de Prague, puis écrit un plaidoyer dans la revue Le Débat en 1983, qui a fait parler de lui et sonné l’éveil de beaucoup de consciences. Ce sont ces deux textes qui sont repris dans ce petit volume paru chez Gallimard.

Au moment où la nation ukrainienne s’inscrit en résistance contre l’invasion russe en cette terrible année 2022, il n’est pas inintéressant de revenir sur ces textes, qui montrent l’importance de la résistance par les idées et la culture, ciment qui marque l’identité d’un peuple et son désir de résister coûte que coûte à ceux qui voudraient faire disparaître cette identité et les libertés qui l’accompagnent.

 

L’importance de la littérature dans l’identité culturelle pour Milan Kundera

Des romans de Kundera, que j’avais à peu près tous lus avec passion vers l’âge de 20 ans, il ne me reste malheureusement pas grand souvenir. J’espère les redécouvrir un jour, même si le temps me manque perpétuellement. En attendant, il m’a paru intéressant de prendre connaissance de ce recueil, particulièrement bienvenu dans le contexte actuel.

Le premier texte qui le compose est le discours de 1967 au congrès des écrivains tchécoslovaques.

Il y évoque la non-évidence de l’existence de la nation tchèque, qui est l’un de ses attributs majeurs. Malgré une résurrection de la langue tchèque, alors presque oubliée, grâce à une poignée d’écrivains au début du XIXe siècle, la question du rattachement à une plus grande nation, l’Allemagne, s’est posée. Mais d’autres grands écrivains ont permis par la suite de consolider cette culture, puis de la renforcer et la faire grandir. Jusqu’à ce que l’Occupation durant la Seconde Guerre mondiale, puis le stalinisme, brisent le fragile édifice.

Il n’a tenu une nouvelle fois qu’à une nouvelle poignée d’écrivains et cinéastes de renouer avec cette identité tchèque. Et c’est ce qui constitue le centre de l’intervention de Kundera à travers son discours ce jour-là : préserver l’identité nationale par la culture, la création, les échanges culturels internationaux.

Il est crucial que toute la société tchèque prenne pleinement conscience du rôle essentiel qu’occupent sa culture et sa littérature […] L’Antiquité gréco-romaine et la chrétienté, ces deux sources fondamentales de l’esprit européen, qui provoquent la tension de ses propres expansions, ont presque disparu de la conscience d’un jeune intellectuel tchèque ; il s’agit là d’une perte irremplaçable. Or, il existe une solide continuité dans la pensée européenne qui a survécu à toutes les révolutions de l’esprit, pensée ayant bâti son vocabulaire, sa terminologie, ses allégories, ses mythes ainsi que ses causes à défendre sans la maîtrise desquels les intellectuels européens ne peuvent pas s’entendre entre eux.

Il s’érige en outre contre l’esprit de vandalisme qui caractérise ceux qui entendent censurer ou interdire des œuvres qui leur paraissent inconvenantes.

Toute répression d’une opinion, y compris la répression brutale d’opinions fausses, va au fond contre la vérité, cette vérité qu’on ne trouve qu’en confrontant des opinions libres et égales. Toute interférence dans les libertés de pensée et d’expression – quelles que soient la méthode et l’appellation de cette censure – est au XXe siècle un scandale, ainsi qu’un lourd fardeau pour notre littérature en pleine effervescence. Une chose est incontestable : si aujourd’hui nos arts prospèrent, c’est grâce aux avancées de la liberté de l’esprit. Le sort de la littérature tchèque dépend à présent étroitement de l’étendue de cette liberté.

Il ajoute alors que, bien que cela paraisse paradoxal, l’amère expérience du stalinisme s’est révélée être un atout. Car, bien souvent, les tourments se transforment en richesse créatrice. Et c’est ce qui s’est passé, y compris à travers son œuvre à laquelle je faisais référence plus haut dans mon expérience personnelle. Une douloureuse expérience qui s’est transformée en « un affranchissement libérateur des vieilles frontières », qui a apporté du sens et de la maturité à la culture tchèque. Une chance dont il convient d’être conscient, en appelle-t-il à ses confrères, si l’on ne veut pas la laisser passer et la gâcher. Car il en va de la survie de ce peuple.

 

Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale

Le second texte est paru en 1983 dans la revue Le Débat.

Traduit dans plusieurs langues, il a connu un certain retentissement à l’époque. Milan Kundera y évoque les soulèvements pour la liberté de Budapest et de Varsovie en 1956, puis de Prague et de nouveau Varsovie en 1968. Qui, dans la logique de son discours de 1967, inscrit la force de l’identité culturelle comme marqueur essentiel de la révolte des peuples.

« L’identité d’un peuple ou d’une civilisation se reflète et se résume dans l’ensemble des créations spirituelles qu’on appelle d’habitude « culture ». Si cette identité est mortellement menacée, la vie culturelle s’intensifie, s’exacerbe, et la culture devient la valeur vivante autour de laquelle tout le peuple se regroupe. C’est pourquoi, dans toutes les révoltes centre-européennes, la mémoire culturelle ainsi que la création contemporaine ont joué un rôle aussi grand et aussi décisif que nulle part et jamais dans aucune révolte populaire européenne.

Des écrivains, regroupés dans un cercle qui portait le nom du poète romantique Petöfi, déclenchèrent en Hongrie une grande réflexion critique et préparèrent ainsi l’explosion de 1956. Ce sont le théâtre, le film, la littérature, la philosophie qui travaillèrent pendant des années à l’émancipation libertaire du Printemps de Prague. Ce fut l’interdiction d’un spectacle de Mickiewicz, le plus grand poète romantique polonais, qui déclencha la fameuse révolte des étudiants polonais en 1968. Ce mariage heureux de la culture et de la vie, de la création et du peuple marqua les révoltes centre-européennes d’une inimitable beauté, dont nous, qui les avons vécues, resterons envoûtés à jamais. »

En réponse aux réactions des intellectuels français ou allemands, plutôt sceptiques ou suspicieux à l’époque, Kundera fait remarquer ceci :

C’est bizarre, mais pour certains la culture et le peuple sont deux notions incompatibles. L’idée de culture se confond à leurs yeux avec l’image d’une élite des privilégiés. C’est pourquoi ils ont accueilli le mouvement de Solidarité avec beaucoup plus de sympathie que les révoltes précédentes. Or, quoi qu’on en dise, le mouvement de Solidarité ne se distingue pas dans son essence de ces dernières, il n’est que leur apogée : l’Union la plus parfaite (la plus parfaitement organisée) du peuple et de la tradition culturelle persécutée, négligée ou brimée, du pays.

S’inscrivant toujours dans une perspective historique, Kundera analyse ensuite les effets de la russification et de l’asservissement à la Russie pendant deux siècles sur des peuples comme la Pologne, et qui ont créé du ressentiment.

Les ambitions impériales de la Russie représentaient alors un danger pour les peuples d’Europe centrale, contre lesquels l’Empire Habsbourg fut en quelque sorte un rempart.

Pendant longtemps, écrit-il, les nations d’Europe centrale rêvaient d’une alliance à l’Ouest-Européenne, faite du respect des diversités. À rebours du rêve russe d’uniformité.

En effet, rien ne pouvait être plus étranger à l’Europe centrale et à sa passion de diversité que la Russie, uniforme, uniformisante, centralisatrice, qui transformait avec une détermination redoutable toutes les nations de son empire (Ukrainiens, Biélorusses, Arméniens, Lettons, Lituaniens, etc.) en un seul peuple russe (ou, comme on préfère dire aujourd’hui, à l’époque de la mystification généralisée du vocabulaire, en un seul peuple soviétique).

Sans renier l’existence d’une identité culturelle commune, à travers en particulier les grands écrivains et les opéras russes, contrecarrés cependant par les « vieilles obsessions antioccidentales de la Russie », ranimées par le communisme.

Je veux souligner encore une fois ceci : c’est à la frontière orientale de l’Occident que, mieux qu’ailleurs, on perçoit la Russie comme un anti-Occident ; elle apparaît non seulement comme une des puissances européennes parmi d’autres, mais comme une civilisation particulière, comme une autre civilisation.

Dans cet écrit de 1983, Milan Kundera interroge surtout les causes de la tragédie qui a conduit Polonais, Tchèques, ou encore Hongrois, à disparaître de « la carte de l’Occident ».

C’est avant tout leur histoire mouvementée qui est au centre de cet état de fait.

Coincées d’un côté par les Allemands, de l’autre par les Russes, ces nations à tradition d’État moins forte que les grands peuples européens, ont eu du mal à assurer leur survie et celle de leur langue. L’échec de l’Empire autrichien fut, en définitive, aussi le leur, dont profitèrent Hitler, puis Staline. Mais c’est aussi, écrit Kundera, les lieux communs autour de la soi-disant « âme slave » qui a nui à ces nations et servi les intérêts russes. Des nations caractérisées, non pas par des frontières politiques, en raison des multiples invasions, conquêtes ou occupations, mais par des frontières imaginaires, issues de « grandes situations communes », et toujours changeantes « à l’intérieur desquelles subsistent la même mémoire, la même expérience, la même communauté de tradition ». Et pour lesquelles, ajoute-t-il, le génie juif a constitué en outre le véritable ciment intellectuel, par son caractère profondément cosmopolite et intégrateur, mais aussi en raison de son destin particulier à travers l’histoire, parfaitement symbolique de cette existence en permanence sujette à caution.

« L’Europe centrale en tant que foyer de petites nations a sa propre vision du monde, Vision basée sur la méfiance profonde à l’égard de l’Histoire. L’Histoire, cette déesse de Hegel et de Marx, cette incarnation de la Raison qui nous juge et qui nous arbitre, c’est l’Histoire des vainqueurs. Or, les peuples centre-européens ne sont pas vainqueurs. Ils sont inséparables de l’Histoire européenne, ils ne pourraient exister sans elle, mais ils ne représentent que l’envers de cette Histoire, ses victimes et ses outsiders. C’est dans cette expérience historique désenchantée qu’est la source de l’originalité de leur culture, de leur sagesse, de leur « esprit de non-sérieux » qui se moque de la grandeur et de la gloire.

[…]

Voilà pourquoi dans cette région de petites nations « qui n’ont pas encore péri », la vulnérabilité de l’Europe, de toute l’Europe, fut visible plus clairement et plus tôt qu’ailleurs. En effet, dans notre monde moderne, où le pouvoir a tendance à se concentrer de plus en plus entre les mains de quelques grands, toutes les nations européennes risquent de devenir bientôt petites nations et subir leur sort. »

La disparition du foyer culturel centre-européen, qui est passée inaperçue aux yeux de l’Europe – sujet essentiel au centre de la préoccupation de Kundera dans cet article – aurait donc pour origine le fait que l’Europe ne ressent plus son identité comme une unité culturelle. De même qu’auparavant la religion avait cessé d’être ce ciment commun.

Mais pour laisser place à quelle forme d’unité, s’interroge le grand écrivain tchèque ?

Quel est le domaine où se réaliseront des valeurs suprêmes susceptibles d’unir l’Europe ? Les exploits techniques ? Le marché ? Les médias ? (le grand poète sera-t-il remplacé par le grand journaliste ?) Ou bien la politique ? Mais laquelle ? Celle de droite ou celle de gauche ? Existe-t-il encore, au-dessus de ce manichéisme aussi bête qu’insurmontable, un idéal commun perceptible ? Est-ce le principe de la tolérance, le respect de la croyance et de la pensée d’autrui ? Mais cette tolérance, si elle ne protège plus aucune création riche et aucune pensée forte, ne devient-elle pas vide et inutile ?

Ou bien peut-on comprendre la démission de la culture comme une sorte de délivrance, à laquelle il faut s’abandonner dans l’euphorie ? Ou bien le Deus absconditus reviendra-t-il pour occuper la place libérée et pour se rendre visible ? Je ne sais pas, je n’en sais rien. Je crois seulement savoir que la culture a cédé sa place.

Milan Kundera, Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale, Gallimard, novembre 2021, 80 pages.

 _________

À lire aussi :

Guillaume Meurice convoqué par la police : et la liberté d’expression dans tout ça ?

La société française est malade. Elle souffre d’un mal insidieux dont les symptômes se laissent à peine voir. Ils sont pourtant bien-là et ces derniers jours, deux « polémiques » s’en sont fait l’écho.

C’est Guillaume Meurice, d’abord, convoqué par la police pour « provocation à la haine » après une blague de mauvais goût dans lequel l’humoriste avait comparé, au micro de France Inter, Benyamin Nétanyahou (Premier ministre israélien) à un « nazi sans prépuce ». C’est ensuite le rappeur Freeze Corleone, qui a vu son concert annulé par la préfecture de police, au prétexte que ses références antisémites et complotistes feraient planer des risques « sérieux » de trouble à l’ordre public.

Cette judiciarisation à outrance de la vie sociale, culturelle et politique témoigne d’une France fracturée et pétrifiée par une sensibilité maladive. Certes, les idées ici incriminées sont absolument condamnables. Mais cette condamnation doit se faire dans l’arène du débat d’idée plutôt que dans un tribunal.

Cette paralysie du débat démocratique devrait alerter infiniment plus qu’une blague de mauvais goût. Avons-nous atteint un tel niveau de fragilité ? Sommes-nous à ce point incapables d’accepter la contradiction, de supporter l’expression d’une idée que l’on juge en tout point détestable, voire choquante ? Il n’y a plus vil poison, pour une démocratie, que l’idée fallacieuse selon laquelle les mots pourraient heurter, et que de la parole à l’acte, il n’y aurait qu’un pas.

C’est justement en déplaçant la violence dans le monde des idées et de la parole que les institutions démocratiques sont parvenues à pacifier nos sociétés ! Croire une seule seconde qu’interdire l’expression d’idées bêtes, haineuses ou dangereuses, suffira à les faire disparaître est d’une naïveté confondante. De plus, ces institutions démocratiques ont besoin d’un socle sans lequel elles ne peuvent se maintenir : un corps social imprégné d’un esprit démocratique et libéral, acceptant que la diversité et la différence impliquent l’acceptation de l’expression d’idées choquantes et/ou stupides.

Que l’on puisse être convoqué par la police pour une blague de mauvais goût serait ironique, si ce n’était pas le symbole d’une crise profonde de la liberté en France. Du professeur qui s’auto-censure au citoyen juif qui cache sa kippa, en passant par l’humoriste ayant besoin de consulter un avocat avant de faire une blague, ce sont autant de phénomènes qui renseignent du niveau d’intolérance qui règne dans notre pays. L’ultra susceptibilité mène inévitablement à la limitation de la liberté d’expression.

Du reste, faut-il rappeler, encore et toujours, que la liberté d’expression ne s’arrête pas à la simple sauvegarde de sa propre liberté ? Se battre pour la liberté d’expression, c’est avant tout se battre pour la liberté de ses adversaires politiques, et ainsi défendre leur droit de dire des choses qui nous déplaisent et nous choquent.

C’est parce que je déteste les idées de Guillaume Meurice et de Freeze Corleone que je veux qu’ils puissent les exprimer sans être inquiétés, que ce soit par la main du pouvoir politique ou, plus insidieusement, par la pression sociale. Parce que les libertés sont solidaires les unes des autres, leur liberté est la seule véritable garantie de ma liberté.

Laissons-les s’exprimer, nous aurons tout le loisir de les réfuter.

La culture en péril (13) – Joseph Roth, « L’autodafé de l’esprit »

Joseph Roth est un écrivain et journaliste austro-hongrois du début du XXe siècle. Témoin de la Première Guerre mondiale, puis de la montée du nazisme, il assiste à la destruction des livres, dont les siens, à l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il s’exile alors à Paris, où il meurt prématurément six ans plus tard à 44 ans, malade, alcoolique et sans argent.

Dans ce très court fascicule qui est la reproduction de l’un de ses articles, il se penche sur le péril représenté par les autodafés, une forme extrême de censure qui préfigure des destructions plus vastes et des massacres d’individus.

 

L’origine de « L’autodafé de l’esprit »

Le contexte de cet écrit est présenté à la fin du recueil. Son origine se situe à la suite immédiate de l’autodafé géant du 10 mai 1933 sur la place de l’Opéra de Berlin, réalisé avec l’appui des Sections d’Assaut, sous l’impulsion du ministre de la Propagande et de l’Instruction publique Joseph Goebbels. Vingt mille livres d’écrivains juifs furent brûlés, tandis que la même chose se produisait simultanément dans vingt autres villes allemandes, suivie par d’autres encore le 21 juin.

Depuis son exil parisien, Joseph Roth réagit aussitôt, se lançant sous pseudonyme dans la contre-propagande, en écrivant ce texte en français, afin d’éviter la censure et les menaces sur son intégrité. Il entend défendre la culture allemande mais aussi européenne contre cette purge.

Mais il n’avait pas attendu ce jour pour mettre en garde, dès les années 1920, contre un monde en train de disparaître. Notamment à partir de 1925, où il devient envoyé spécial du journal libéral Frankfurter Zeitung.

 

La destruction de l’esprit

L’écrivain évoque dès le début de son écrit la « capitulation honteuse » dont a fait preuve l’Europe spirituelle de l’époque, « par faiblesse, par paresse, par indifférence, par inconscience… ». Car « peu d’observateurs dans le monde semblent [alors] se rendre compte de ce que signifient l’auto-da-fé des livres, l’expulsion des juifs et toutes les autres tentatives forcenées du Troisième Reich pour détruire l’esprit ». Toujours cet aveuglement et cette peur qui gouverne tout, à différentes époques.

Joseph Roth analyse – en prenant le recul du passé – comment on sentait poindre depuis longtemps déjà, sous le Reich prussien de Bismarck, ce sentiment moral d’exil des écrivains allemands (tout au moins de ceux qui demeuraient « libres et indépendants ») face à la prédominance de l’autorité physique, matérialiste et militaire sur la vie spirituelle.

Qui préfigurait, par son hostilité à l’esprit, à l’humanisme et aux religions juives et chrétiennes, ce qui allait advenir aux livres. Il s’en prend ainsi à ceux qu’il nomme les « Juifs de l’Empereur Guillaume », qui se sont selon lui fourvoyés en se soumettant à Bismarck plutôt que de s’allier « au véritable esprit allemand ». Allant jusqu’à dominer depuis 1900 la vie artistique de l’Allemagne.

 

Le simple commencement de la destruction

Au moment où Joseph Roth écrit, l’Europe n’est pas encore à feu et à sang. Pourtant, par son évocation de l’antisémitisme et de tous ceux – pas seulement juifs – qui représentent l’esprit européen, la littérature allemande et le fleuron du monde intellectuel de l’époque, il montre que c’est non seulement la civilisation européenne qui court vers la destruction avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais au-delà ce sont le droit, la justice, puis l’Europe entière qui menacent d’être ravagés par la barbarie, puis la destruction totale. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du monde d’hier. Il ne se trompait pas… Même s’il n’a pas vu se produire ce qu’il avait prophétisé.

Cet écrit est, en définitive, la mémoire d’une époque révolue, de ce que des écrivains et intellectuels – en particulier juifs allemands – ont apporté à la culture, à la civilisation, à l’esprit européen le plus évolué, avant que l’Europe et le monde ne soient mis à feu et à sang. En remontant aux autodafés, il montre comment la destruction de la culture, bastion de la civilisation, est toujours le point de départ de l’offensive destructrice contre celle-ci, remplacée par les pires totalitarismes.

La culture qui – à l’instar de ce que montrera Milan Kundera plus tard dans un autre contexte – peut aussi constituer un îlot de résistance salvateur

 

Joseph Roth, L’autodafé de l’esprit, Editions Allia, mai 2019, 48 pages.

_________

À lire aussi :

France Inter : Guillaume Meurice en voie de « dieudonnisation » ?

L’humour, comme le sport, a toujours été politique. La preuve en est avec la dernière polémique en date provoquée par la saillie du chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice la semaine dernière.

Dans un contexte de résurgence du confit israélo-palestinien dans le débat public et des actes antisémites depuis l’attaque du Hamas il y a un mois, et qui constitue l’acte le plus meurtrier à l’égard de la communauté juive depuis 80 ans, ce qui était censé être un « bon mot » fait particulièrement tache au sein d’une rédaction déjà habituée à sanctionner ses humoristes lorsque ceux-ci dépassent la ligne jaune.

Reprenons : dans une chronique à visée humoristique évoquant les possibles déguisements pour Halloween, l’humoriste bourguignon a proposé un accoutrement à l’effigie du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou : « Vous voyez qui c’est ? C’est une sorte de nazi mais sans prépuce ».

Une phrase qui a rapidement fait réagir au point d’entraîner des menaces de mort imposant de fermer les prochaines émissions au public. Des réactions souvent disproportionnées, et qui posent plusieurs questions, allant du traitement médiatique à la liberté d’expression, en passant par la responsabilité des humoristes.

 

Une provocation nauséabonde ?

La première question qui se pose : ce qui est censé être une blague est celle de son potentiel caractère antisémite.

En faisant un peu d’analyse, on comprend assez vite que la phrase en cause est un mélange de satire et de provocation propre à la tradition du bouffon : d’une part, Guillaume Meurice veut se moquer de Benyamin Netanyahou, un dirigeant politique et donc un puissant, d’autre part, il utilise la caricature afin de lui donner un aspect choquant. Or, rien n’est plus choquant pour nous, Français, que le nazisme. Mais peut-on aller plus loin que la comparaison d’un quidam avec les heures sombres, la comparaison d’un dirigeant de confession juive avec l’idéologie qui a le plus meurtri les siens ?

Outre cette comparaison entre le plus grand des bourreaux et le peuple qu’il a tenté de génocider, la référence à la circoncision vise également, de manière assez claire, à se moquer de la tradition juive.

Si cette référence marque clairement une volonté d’attaquer la tradition hébraïque, la phrase correspond au rôle du bouffon, saltimbanque qui avait le droit de se moquer du monarque. Meurice n’attaque pas « les » Juifs, mais le dirigeant d’un pays dont la vocation est de les accueillir.

En clair : cette blague, aussi pétrie de mauvais goût qu’elle soit, n’est pas antisémite et n’attaque pas les Juifs, ni même la religion juive.

 

Une nazification dénoncée

Pourtant, les tomates n’ont pas tardé à fuser. Tomates virtuelles, à l’heure des réseaux sociaux, mais tomates qui tachent. L’avocat Gilles-William Goldnadel et le député LR Meyer Habib y sont allés de leur réaction, plus ou moins caricaturale, souvent pour expier la dissymétrie qui existe dans la victimisation dont la gauche s’est faite le porte-étendard. Il en est de même pour l’essayiste Caroline Fourest, elle aussi au cœur d’une saisine de l’Arcom (ex-CSA) pour avoir refusé de comparer le meurtre volontaire d’enfants israéliens par le Hamas et les victimes civiles collatérales faites par l’armée israélienne.

Outre l’antisémitisme dénoncé dans cette boutade, la plupart des réactions négatives s’accordent sur la condamnation de la nazification du peuple des Juifs induite ici.

La réaction la moins caricaturale et sans doute la plus censée fut sans doute celle de la rabbine Delphine Horvilleur sur X (ex-Twitter), et ce non sans répondre à la provocation par l’humour :

Prépuce ou pas : Moi je serais plutot en faveur de circoncire le temps d’antenne de Guillaume Meurice. (Et le mandat de Netanyahou aussi, mais c’est une autre histoire). Ah si seulement les juifs contrôlaient les médias !…🤢😤😩 #nazifierlesjuifsunenouvellemode https://t.co/9SME46Xess

— Delphine Horvilleur (@rabbidelphineH) October 30, 2023

 

Une rédaction divisée

Face à cette levée de boucliers, la rédaction de France Inter s’est retrouvée dans la tourmente.

Tel est le cas en particulier de Charline Vanhoenacker, dont Gilles-William Goldnadel a rappelé qu’elle avait dessiné une moustache hitlérienne sur une affiche d’Éric Zemmour. L’animatrice avait dû s’en expliquer ensuite auprès de la patronne de Radio France Sibyle Veil.

Suite à la sortie de son collègue, la présentatrice du service public a été contrainte de prendre la parole, évoquant, sans surprise, « une satire », « une caricature », dont l’interprétation antisémite serait « une dangereuse instrumentalisation », fruit de l’extrême droite.

Toujours dans la tourmente plusieurs jours après le début de la polémique, Charline Vanhoenacker a noté une « prise de risque » en constatant toutefois une « tension mal jaugée ».

Or, si on suit Le Figaro du 2 novembre dernier, la rédaction de France Inter est moins soudée sur le sujet que ce que l’image d’Épinal laisse penser.

« Nous refusons d’être entraînés dans sa chute », estime un salarié cité par le quotidien. De son côté, la directrice de la station parle d’une « outrance ».

Un autre soutien est intéressant à noter : l’ex-auteur des Guignols de l’Info Bruno Gaccio a apporté son soutien au chroniqueur. Il y a 20 ans, ce même Bruno Gaccio avait déjà soutenu un autre humoriste dont la première polémique ressemble trait pour trait à celle qui nous occupe ici.

 

Une affaire Dieudonné-bis ?

Nous sommes un soir d’automne sur une chaîne du service public. Alors que le conflit israélo-palestinien est revenu sur le devant la scène, un humoriste marqué à gauche lance un sketch comparant la politique israélienne à celle suivie par les nazis. Les invités et l’animateur de l’émission sont hilares.

Cette scène n’est toutefois pas la blague de Guillaume Meurice, mais celle qui lança l’affaire Dieudonné il y a presque 20 ans jour pour jour, le 1er décembre 2003 sur le plateau de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Marc-Olivier Fogiel.

Dieudonné terminant son sketch par un « Isra-Heil » en pleine seconde intifada avant de faire un salut nazi n’est pas sans revenir en mémoire lorsqu’on pense à la nazification d’Israël opérée 20 ans plus tard par Guillaume Meurice.

 

Responsabilité et service public

Le parallèle s’arrêtera là, Dieudonné ayant eu bien avant cette blague un passif antisémite marqué, bien que passé inaperçu à l’époque.

Que la blague de Guillaume Meurice soit antisémite ou non, la polémique qu’elle a provoquée n’est pas près de se terminer. La gêne de la rédaction n’en est que la plus criante démonstration.

Or, si le bouffon est depuis toujours frappé d’immunité, la question de sa responsabilité se posera de plus en plus à mesure que le service public s’arrogera un magistère intellectuel sur l’humour acceptable, y compris en dérapant comme ce fut le cas ici.

C’est l’occasion de nous souvenir d’un principe simple : il ne saurait y avoir de réelle liberté d’expression dans le cadre d’un service public financé par tous, et donc ne pouvant froisser personne.

Lutte contre l’antisémitisme : la liberté de manifester ne peut devenir une injonction à manifester

Qui a dit quoi ? Quand ? Comment ? Qui ne va pas à telle manifestation est automatiquement pro-Hamas. Qui ne poste pas ceci ou cela devient suspect d’affinité avec ce qu’il ne dénonce pas. Tel est le climat actuel sur les réseaux sociaux, dans la presse ou sur des plateaux de télévision. Un climat de suspicion s’installe qu’il faut impérativement dénoncer et combattre avant qu’il ne prenne durablement ses quartiers.

 

La lutte contre l’antisémitisme ne peut devenir une injonction, ou pire, une sommation. Dans une démocratie libérale, le fait d’aller manifester peut être encouragé, non requis, et ne peut passer par l’intimidation. Qu’une frange de l’espace politique fasse des choix douteux et contestables ne peut donner lieu à une mise à la question de l’ensemble du corps politique : que pense-t-il en temps et en heure ? De ceci, de cela, et du reste ? On ne peut criminaliser le non-dit ; le silence ne peut devenir suspect. Si dire son indignation importe, la chasse aux déclarations publiques, aux condamnations ou aux validations, ne peut se généraliser sous peine d’empoisonner durablement le débat public, déjà féroce et houleux. Le genre épidictique (l’éloge ou le blâme) pratiqué sur le mode du contrôle social peut virer au cauchemar s’il devient une pratique coercitive sur le mode du « vous louez ou blâmez convenablement ».

Il faut rester ferme sur les principes libéraux : liberté d’expression, pluralité des opinions, liberté de manifester.

Aucune des trois n’est clairement remise en cause, mais chacune est ces jours-ci entachée de suspicion : vous vous exprimez — que dites-vous ? ; vos opinions sont-elles décentes ? ; vous allez manifester — à côté de qui ? dites-vous bien ceci et cela en même temps ?

Ce faisceau de questions plus ou moins tacites, et de plus en plus ouvertement posées traduisent un climat de censure dont on ne peut accepter qu’il devienne l’étalon de l’échange interpersonnel. La liberté d’expression implique le désaccord, chercher qui a des opinions licites ou suspectes n’est que l’autre nom de l’Inquisition. Chercher la faille, le propos incomplet, la citation imprécise et l’on a tous les ingrédients d’une néo-police de la pensée qui contrevient en tout à l’esprit d’une démocratie saine et vivante.

Il faut tenir bon et rester fermement arrimés aux principes énoncés par Benjamin Constant dans plusieurs de ses textes. C’est une exigence intellectuelle et morale qui est seule garante que les libertés publiques sont respectées et mieux encore, que chacun puisse en jouir, sans crainte d’être « verbalisé ». La surveillance généralisée au nom de combats légitimes (lutte contre l’antisémitisme, importance de nommer les choses et les faits avec justesse) est néanmoins une pente dangereuse dont on ne saurait revenir indemne : son coût est l’auto-censure, la crainte de s’exprimer, « et c’est une patrie bientôt perdue qu’une patrie sauvée ainsi chaque jour[1] », pour citer celui qui défendit si farouchement la liberté, toutes les libertés.

Prenons garde que la défense de justes causes ne se transforme en un enfer à ciel ouvert. On ne défend pas des principes avec des méthodes qui leur sont opposées. C’est le fondement de l’État de droit qui garantie les libertés et qui ne peut déboucher sur la création d’une police citoyenne visant à les défendre. La contradiction est manifeste et elle doit être énoncée comme telle. La course à la vertu, c’est le contraire de la vertu ; la chasse aux opinions délictueuses, c’est l’assurance d’une course contre la montre perdue d’avance.

Rappelons, d’une part, avec Constant qu’« il dépend de chacun de nous d’attenter à la liberté individuelle. Ce n’est point un privilège particulier aux ministres[2] » ; d’autre part, que « la puissance légitime du ministre lui facilite les moyens de commettre des actes illégitimes ; mais cet emploi de sa puissance n’est qu’un délit de plus[3]. ».

Autrement dit, chacun a son rôle à jouer dans la qualité des interactions publiques. La parole d’un ministre, pour grave qu’elle soit à son niveau de responsabilité, n’exonère pas les citoyens lambda de leur responsabilité propre : le terrorisme intellectuel n’a pas d’écurie particulière. Il peut être l’apanage des partis, comme des individus ou de médias peu scrupuleux.

C’est à la fin le même poison qui est distillé : celui de la coercition, de l’intimidation, du zèle mis à dénoncer un tel ou une telle sur la base de déclarations partielles, incomplètes ou qu’on juge insuffisante pour qu’il/elle soit tenu pour un « bon Français » ou un « bon citoyen ».

L’expression d’opinions « mauvaises » est une soupape pour la démocratie : leur tenir tête et les contredire, les défaire, est une chose ; vouloir les museler et les interdire en est une autre. L’une est saine, démocratiquement, la seconde profondément malsaine. On peut combattre une chaîne de télévision, un parti, un hebdomadaire, sans vouloir les interdire. Cette chaîne, ce parti, ce journal exige des contrepoints et que d’autres voix soient entendues : c’est donc aux médias de faire en sorte que la pluralité des points de vue soit assurée, et que la « modération » soit tout autant audible que les diatribes les plus notoires.

Rappelons-nous enfin avec Constant :

« L’intolérance civile est aussi dangereuse, plus absurde et surtout plus injuste que l’intolérance religieuse. Elle est aussi dangereuse, puisqu’elle a les mêmes résultats sous un autre prétexte ; elle est plus absurde, puisqu’elle n’est pas motivée sur la conviction ; elle est plus injuste, puisque le mal qu’elle cause n’est pas pour elle un devoir, mais un calcul.[4] »

Ce calcul, c’est celui de vouloir avoir Raison contre tous, de dire ce qui est bien ou mal, de prétendre détenir la vérité en décrétant quelles opinions sont valables ou non. Qu’on ne vive pas dans un État totalitaire est toujours l’affaire de tous.

[1] De l’Usurpation, « Chap XVI de l’effet des mesures illégales et despotiques, dans les gouvernements réguliers eux-mêmes », éd. Pléiade, p.1053.

[2] Principes de politique, « De la responsabilité des ministres », p.1127.

[3] Ibid.

[4]  Principes de politique, p.1182

La culture en péril (12) – Redécouvrir la lecture à l’ère du numérique

Michel Desmurget est l’auteur notamment de La Fabrique du crétin digital, ouvrage sorti en 2019. Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, il s’appuie sur ses travaux, ainsi que sur de très nombreuses études approfondies qui ont été menées à travers le monde, pour mesurer l’impact de la lecture sur l’intelligence dès le plus jeune âge, et d’autres qualités humaines essentielles qu’elle permet de développer.

Le constat est sans appel : le poids écrasant du digital, dans ce qu’il a de moins reluisant, au détriment du plaisir de la lecture, qui tend beaucoup à disparaître, a des conséquences multiples sur nos enfants, et au-delà, sur l’ensemble des générations actuelles, en particulier les plus jeunes.

 

Ce qu’apporte la lecture

C’est un thème qui nous est cher et que nous avons eu l’occasion d’aborder à de nombreuses reprises, et pas seulement à travers cette série. La lecture apporte de multiples bénéfices, parfois majeurs (je pense en particulier à cette qualité fondamentale dont on parle beaucoup depuis quelques temps, mais qui est pour moi un sujet de préoccupation crucial depuis longtemps : l’empathie). Or, nous dit Michel Desmurget, le milieu familial – plus encore que l’école – joue un rôle essentiel dans la transmission du goût de la lecture plaisir (car c’est bien d’elle qu’il s’agit avant tout) chez l’enfant, et dont l’enjeu est très loin d’être négligeable.

 

Des centaines d’études montrent le bénéfice massif de cette pratique sur le langage, la culture générale, la créativité, l’attention, les capacités de rédaction, les facultés d’expression orale, la compréhension d’autrui et de soi-même, ou encore l’empathie, avec, in fine, un impact considérable sur la réussite scolaire et professionnelle. Aucun autre loisir n’offre un éventail de bienfaits aussi large. À travers la lecture, l’enfant nourrit les trois piliers fondamentaux de son humanité : aptitudes intellectuelles, compétences émotionnelles et habiletés sociales. La lecture est tout bonnement irremplaçable.

 

D’humanité il est en effet bien question. Car en ces temps particulièrement agités, où la violence aveugle règne parfois, il me semble que cette empathie sur laquelle j’insiste est le maillon altéré qui mène aux défaillances humaines et aux sauvageries que nous ne constatons que trop souvent. Qui rejoint cette ignorance qui semblait à juste titre préoccuper un certain Dominique Bernard qui en a été la victime indirecte. Sujet qui me préoccupe également depuis longtemps et que l’on aurait en effet tort de sous-estimer. Qui rejoint en ce sens cette autre préoccupation aux conséquences non moins négligeables et préoccupantes qu’est la bêtise, un sujet d’étude là encore primordial, et hélas presque inépuisable.

 

Un bien sombre constat

La première partie de l’ouvrage s’appuie sur de nombreuses études approfondies, dont l’auteur dresse un panorama assez détaillé, illustrant l’impact particulièrement préoccupant du recul de la lecture sur les performances scolaires.

Il montre que les mécanismes d’imprégnation liés aux habitudes familiales de lecture partagée, devant laisser place ensuite à une autonomie croissante, ont un impact majeur sur la maîtrise du langage et de l’orthographe, ainsi que sur la compréhension de l’écrit. Ce qui exerce en prime un effet primordial sur les performances scolaires, et donc sur la détermination du devenir de la plupart des individus.

De nombreuses statistiques émaillent l’ensemble, montrant notamment la prépondérance du recours aux écrans digitaux, omniprésents dans notre quotidien et nos vies. Rejoignant au passage un autre constat voisin établi par Olivier Babeau – d’ailleurs cité par l’auteur – au sujet de la tyrannie du divertissement. Or, remarque Michel Desmurget, il est à déplorer que ce soit parmi les étudiants d’aujourd’hui qui lisent très peu que l’on va recruter les professeurs de demain, censés donner le goût de la lecture à leurs élèves. Une sorte de cercle vicieux qui a, hélas, déjà commencé

 

Cela fait maintenant presque 15 ans que les systèmes éducatifs occidentaux ont vécu leur moment Spoutnik. Depuis, rien n’a changé. Entre déni et opérations de communication, l’action politique a ici expiré avant même d’être née. Les performances de nos gamins sont alarmantes, mais rien ne bouge. À défaut de veiller sur la construction de leur intelligence, on leur offre, pour maintenir l’illusion, des diplômes dépréciés. Pire, on cristallise le désastre dans une sorte de nasse inéluctable qui voit tout une génération de lecteurs défaillants devenir enseignants.

 

Parmi les statistiques les plus alarmantes, on trouve un chapitre assez complet relatif aux performances de plus en plus inquiétantes en matière de lecture et de compréhension simple d’un texte, tant en France qu’à l’étranger, notamment aux États-Unis. Situation préoccupante dont seuls semblent véritablement émerger la Chine et d’autres pays asiatiques (en particulier Singapour), très conscients quant à eux de la priorité à accorder à l’éducation, qui est à la base de tout. Et dont les défaillances, dont nous nous en tenons chez nous depuis trop longtemps au constat, nous mènent droit au désastre. Tandis que les pays asiatiques en question privilégient justement la lecture, l’exigence, la rigueur et l’autodiscipline, n’hésitant pas à l’inverse à restreindre l’usage des écrans numériques, à l’instar de ce que font d’ailleurs, nous le savons, les grands génies de cette industrie.

Ce n’est pas tout. Non seulement nos décideurs tardent à agir, mais à l’inverse de ce qu’il conviendrait d’entreprendre, nous nous sommes dirigés depuis de nombreuses années – sous l’effet d’une sorte de pessimisme ambiant – dans le sens de la simplification des programmes et des manuels scolaires, tout comme du langage et de l’expression. Michel Desmurget nous remémore au passage quelques exemples de livres pour la jeunesse (et pas uniquement) non seulement présentés dans des versions abrégées (qui se substituent parfois complètement à l’originale), mais – pire encore – parfois en partie réécrits, le passé simple étant par exemple remplacé par le présent de l’indicatif, les phrases raccourcies (quelquefois substantiellement), la richesse lexicale nettement amoindrie. Il remarque qu’il en va d’ailleurs de plus en plus de même dans les paroles des chansons ou dans les discours politiques, signe d’un appauvrissement généralisé du langage, avec toutes les conséquences que cela induit. Notamment, à l’issue de ce processus, en termes de compréhension « basique » des choses. Voilà où nous mènent, considère l’auteur, « les chantres de l’égalitarisme doctrinaire ».

 

La maîtrise de la lecture, une simple question de pratique

La deuxième partie du livre s’intéresse en particulier aux aspects physiologiques liés au fonctionnement du cerveau.

De fait, quoi qu’on veuille, des milliers d’heures d’instruction et de pratique sont nécessaires pour savoir vraiment lire (et comprendre), de sorte que cela devienne simple et quasi-naturel, selon les spécialistes. Autrement dit, l’apprentissage à l’école ne saurait suffire. C’est la lecture régulière, chez soi, qui permet de développer véritablement ses capacités, au premier rang desquelles la compréhension de ce qu’on lit, n’en déplaise là encore à ceux qui voudraient révolutionner la langue et l’orthographe dans l’espoir un peu vain de lutter contre les inégalités. Une lecture attentive de cette partie du livre leur serait utile, tant elle est susceptible de leur démontrer en quoi leur militantisme est irréaliste et inopérant, pour ne pas dire totalement contre-productif.

Au-delà de sa complexité, la langue française est bien faite, mieux que l’on peut éventuellement le penser spontanément. Les multiples exemples présentés par l’auteur mettent par exemple parfaitement en évidence le rôle joué par des lettres ou accents pouvant paraître inutiles à première vue (même si l’on pourra toujours évidemment sans doute trouver des exceptions), facilitant grandement, en définitive, la compréhension. Même si cela ne se fait en effet pas sans effort et sans une pratique régulière de la lecture. À l’instar de ce qui s’applique tout autant aux domaines du sport ou de la musique (enlèverait-on une corde au violon pour en simplifier la maîtrise, interroge l’auteur ?). Rien de « réactionnaire » dans ces observations, insiste-t-il, tout juste des éléments purement factuels et établis par la science.

Savoir lire ne se limite en revanche aucunement au simple déchiffrage. Or, il apparaît (et tout professeur peut le constater en pratique auprès de ses classes) qu’il y a souvent difficulté à comprendre qu’on ne comprend pas. Là encore, Michel Desmurget nous en donne des exemples très concrets. Le manque de repères, de lectures, de culture, ne permettent pas de comprendre bien des choses, même simples. Les malentendus sont fréquents en la matière.

À tout ceci vient se greffer l’illusion que le large accès à la connaissance via les moteurs de recherche permettrait de remplacer la connaissance. Il s’agit bien d’un leurre, que le docteur en neurosciences parvient à nous démontrer facilement à l’aide là encore de quelques exemples très parlants. Sans oublier la crédulité qui l’accompagne, et que seule une pratique régulière de la lecture et les mécanismes intellectuels qu’elle met en jeu permettent de débusquer. Il faut lire l’ouvrage pour s’en convaincre, ces quelques lignes ne pouvant entrer dans le détail de l’explication et des exemples illustratifs qui la nourrissent.

 

Un phénomène cumulatif

L’apprentissage est en effet un phénomène cumulatif, reposant sur une série de socles. Autrement dit, une série de repères issus de l’expérience de la lecture, et sans lesquels on ne parviendra pas à déchiffrer un problème nouveau.

C’est ce que Michel Desmurget montre dans la troisième partie du livre, en valorisant notamment le rôle de la lecture partagée. Tout en insistant bien sur le fait que cet apprentissage, puis cette pratique au quotidien de la lecture, ne valent que si elle se conçoit de manière ludique, comme un bon moment d’échange et de complicité, une forme de loisir en famille. Plus l’enfant éprouvera de plaisir, plus il progressera.

L’essentiel se trouve dans une phrase du professeur de psychologie Andrew Biemiller :

« On ne peut apprendre des mots qu’on ne rencontre pas ».

D’où l’importance capitale de parler beaucoup à ses enfants dès le plus jeune âge. Ce qui participe grandement à la construction de son cerveau, et donc de ses facultés. Ce que ne permettent pas de remplacer les écrans. D’autant plus que le moment-phare où la plasticité du cerveau est optimale est l’âge de 18-24 mois. C’est là que la variété des conversations intra-familiales va jouer le plus grand rôle. Sachant que les stimulations reçues la première année sont d’ores et déjà cruciales pour le déploiement des capacités langagières, même si le bébé ne parle pas encore.

La lecture partagée va alors jouer un grand rôle dans la richesse du vocabulaire, la qualité de l’attention, et les aptitudes socio-émotionnelles. Mais aussi sur la capacité à respecter les règles sociales communes, la politesse, le contrôle de l’impulsivité, l’apaisement et l’harmonie familiale. Sans oublier cette qualité fondamentale qu’est l’empathie.

C’est pourquoi, montre Michel Desmurget, l’école ne pourra pas grand-chose face au décalage considérable et qui va ne faire que s’accroître entre enfants venant de milieux où ils ont été stimulés et les autres. Le nombre de mots de vocabulaire acquis par les uns et les autres varie déjà du simple au double au moment de l’entrée à l’école à 3 ans. Et ne va faire que s’amplifier (« Le gouffre de 4200 mots qui, à 9 ans, sépare les enfants les plus favorisés de leurs homologues les moins privilégiés représente douze ans d’enseignement intensif »).

D’autant plus que « plus on sait, plus on apprend » (y compris en faisant appel à des analogies). Le système éducatif français n’est d’ailleurs pas, rappelle l’auteur, celui qui est connu pour contrebalancer le mieux les inégalités sociales, malgré toutes les prétentions de ceux qui entendent y contribuer via les orientations qu’ils promeuvent.

 

Un monde sans livres

C’est le titre de la quatrième partie, dans laquelle Michel Desmurget commence par consacrer tout un chapitre à ce que l’humanité doit aux livres, permettant de bien réaliser à quel point leurs apports ont été et continuent d’être majeurs, avant de montrer le potentiel unique du livre. C’est bien justement en raison de ce potentiel qu’ont lieu les autodafés. Provoquer l’amnésie historique et l’appauvrissement du langage, afin de mieux contrôler les individus et les sociétés est l’un des moyens courants utilisés par les régimes totalitaires, qui cherchent à rendre le peuple plus malléable, par le recours à des mots, des concepts et des raisonnements simples.

La cinquième et dernière partie, enfin, revient en détail sur les multiples bénéfices de la lecture en ce qui concerne la construction de la pensée, la maîtrise du langage et les aspects fondamentaux de notre fonctionnement socio-émotionnel. L’auteur montre, entre autres, que les adeptes de la réécriture des livres et de l’expiation sans limites de tout ce qui est susceptible de froisser les uns ou les autres est non seulement une absurdité qui risque d’aboutir à brûler une grande partie des livres, mais il s’agit en outre de quelque chose de contre-productif, dans la mesure où c’est à travers tous les ouvrages, y compris ceux qui peuvent déranger, que l’enfant peut fourbir les armes qui lui permettront plus tard d’identifier et affronter l’odieux.

Une étude menée auprès d’une large population d’étudiants a d’ailleurs montré, ajoute-t-il, « que la lecture d’un plus grand nombre d’ouvrages de fiction était associée à une diminution des stéréotypes de genre et à une représentation plus égalitaire des rôles sexués ». En convergence avec une autre recherche relative aux attitudes discriminatoires envers les minorités. Car ce sont bien les valeurs de tolérance, écrit-il, qui se développent, ainsi que l’ont montré de nombreux auteurs, par la diversité des contrastes et des écrits.

Deux méta-analyses ont aussi montré, sur la période 1980-2010, une nette augmentation du narcissisme et de l’auto-suffisance des populations étudiantes, accompagnée d’un déclin conjoint de l’empathie. Même si le recul de la lecture n’est pas seul en cause dans ces évolutions.

Donc, rien de plus utile, pour contrecarrer toutes ces tendances que d’encourager la lecture dès le plus jeune âge comme mode émancipateur et formateur, à même d’aider les individus à se construire et nous aider à vivre dans une société davantage propice à l’harmonie et aux libertés. Les parents ont ici un rôle accompagnateur à jouer. Un jeu qui en vaut la chandelle quand on connaît les bénéfices incomparables que l’on retire de la lecture plaisir à raison d’une toute petite demi-heure par jour simplement ! À comparer au nombre d’heures journalier consacré à leur concurrent directement responsable du très vif recul de la lecture : les écrans récréatifs…

 

Michel Desmurget, Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Seuil, septembre 2023, 416 pages.

_________

À lire aussi :

Faut-il ou non interdire les manifestations pro-palestiniennes sur le territoire français ?

Avant de développer les principes libéraux, il convient de rappeler la situation française.

Au lendemain des attentats terroristes du Hamas de nombreuses manifestations pro-palestiniennes ont été interdites en France comme dans de nombreux pays européens. D’autres manifestations ont pu avoir lieu dans plusieurs villes de France. Le gouvernement français ne se distingue donc pas fondamentalement des autres pays, même si le ministre de l’Intérieur a, dans un premier temps, clairement dépassé ses prérogatives légales.

Gérald Darmanin souhaitait en effet interdire toutes les manifestations pro-palestiniennes et avait envoyé des instructions en ce sens aux préfets. Sa décision a été retoquée/validée par le Conseil d’État qui recommande des décisions au cas par cas.

Pourquoi à la fois retoquée et validée ?

Parce que, par une contorsion juridique assez impressionnante, le Conseil d’État a débouté l’association Comité Action Palestine de sa demande tout en ré-interprétant le télégramme envoyé aux préfets – qui était totalement illégal – pour lui faire dire ce qu’il ne disait pas, à savoir que cette interdiction était contextuelle et limitée.

En effet, comme le rappelle le cabinet Landot & associés dans le blog juridique du monde public : les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) :

La liberté est la règle et la restriction de police l’exception.

Il reste que l’interdiction est pour l’instant majoritaire. Elle est systématique lorsque les organisateurs ont montré des signes de sympathie ou de soutien au Hamas. Elle est accordée au cas par cas lorsque les organisateurs présentent des garanties suffisantes de respect de l’ordre public, sachant que le cortège peut toujours être infiltré par des éléments antisémites ou violents. Une manifestation à valeur de test a d’ailleurs été autorisée à Paris jeudi 2 novembre. Organisée par des élus LFI, des collectifs politiques et syndicaux, la manifestation a réuni 2000 personnes sur la place de République en mode statique. Elle n’a donné lieu à aucun débordement et s’est dispersée dans le calme. 

Alors, faut-il interdire pour limiter les troubles, la casse, et les débordements racistes, qui sont des atteintes à la propriété et à la sûreté chères aux libéraux, ou bien faut-il privilégier la liberté d’expression qui est aussi un grand principe libéral ?

Le paradoxe de la tolérance de Karl Popper, nous donne des éléments de réponse :

« Une tolérance illimitée a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance. Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défende pas la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance.

Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes.

Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple. »

La recommandation centrale ici, est de laisser s’exprimer les idées intolérantes – c’est l’autorisation qui est prédominante – mais de s’arroger le droit de les interdire, par la force s’il le faut, si la situation le commande. 

On ne peut donc pas en dernier recours laisser des manifestants crier leur haine des Juifs, ce qui est une incitation à la haine raciale et au meurtre, mais on doit le tolérer, en accepter le risque, pour pouvoir y répondre, et pour tenter de contrer par des arguments logiques ces débordements d’intolérance. Car lorsque l’intolérance ne peut pas s‘exprimer on ne peut pas y répondre.

Un cas d’école nous a été donné par l’interdiction des théories révisionnistes sur la Shoah et sur les chambres à gaz.

Par exemple, la thèse de M. Faurisson s’appuie sur des éléments techniques et chimiques pour « prouver » l’impossibilité de l’existence des chambres à gaz. Son argumentation a été littéralement démontée par ses pairs et par de vrais scientifiques. Malheureusement, tant que la thèse est invisible, sa réfutation l’est aussi, ce qui lui confère un statut de vérité cachée auprès d’un certain public.
Il en va de même avec les mensonges et les manipulations du Hamas et de ses sympathisants. Ils doivent pouvoir s’exprimer pour être dénoncés et réfutés, mais dans la limite où ils peuvent être contenus par une opinion publique attachée à la démocratie et à la tolérance.

Une fois n’est pas coutume, la ligne du gouvernement (après retoquage du Conseil d’État) ne paraît pas être très éloignée d’une ligne libérale classique : apprécier au cas par cas les risques de débordements violents, autoriser les manifestations légalistes de soutien au peuple palestinien, sachant très bien qu’il y aura des éléments extrémistes infiltrés, permettre à la société civile de répondre à ces débordements dans la limite où elle peut les absorber.

Bien sûr, on peut discuter du placement du curseur. Faut-il augmenter la proportion de manifestations autorisées ou interdire pour concentrer les forces de police sur la prévention d’attentats islamistes ?

Y a-t-il eu trop d’interdiction durant les trois semaines suivant l’attaque du Hamas ? Il semble en tout cas que ledit curseur se déplace actuellement vers la liberté de manifester. Nous verrons ce qui en ressortira.

« Quand la peur gouverne tout » de Carine Azzopardi

Carine Azzopardi est une journaliste qui a subi la perte de son compagnon et père de ses deux filles lors de la monstrueuse attaque terroriste du Bataclan. Au-delà de cette tragédie personnelle, à travers cet essai, elle entend dénoncer la peur, le manque de courage, mais aussi les dangereuses compromissions, qui amènent une partie des politiques, médias, associations et autres acteurs de la société à se voiler la face ou à céder face aux assauts idéologiques et manipulations allant à l’encontre de la démocratie.

 

Censure et liberté d’expression

La journaliste commence par montrer de quelle manière s’est faite l’apparition du wokisme, d’abord outre-Atlantique, puis ici, et le temps qu’il a fallu pour que l’on mette un mot dessus, que l’on prenne conscience peu à peu de son ampleur et de ses effets. Mais surtout, outre le nombre croissant d’anecdotes révélatrices à son sujet, elle montre qu’il n’a pas fallu longtemps pour que ceux qui emploient le terme ou l’évoquent soient stigmatisés, catégorisés comme réactionnaires, obsessionnels, ennemis des féministes, antiracistes, anticapitalistes, voire – terme devenu très à la mode et très commode pour faire taire un adversaire –« d’extrême droite ».

Non seulement des formes insidieuses de censure règnent de plus en plus sur énormément de sujets, mais des formes de collusion se sont également développées entre wokisme et islamisme. C’est l’objet de l’essai de Carine Azzopardi.

Quand l’antiracisme devient une aubaine, que des concepts inouïs tels que la « blanchité » sont créés – présentant les Blancs comme des oppresseurs, racistes à leur insu, qu’il faudrait rééduquer pour qu’ils s’éveillent (théories actuellement en vogue aux États-Unis) –, et que la victimisation devient un opportunisme, alors le malaise et la division deviennent de réelles menaces pour notre cohésion. Engendrant également la peur et la paralysie de nos décideurs, engoncés dans le déni.

 

Un fort déni de l’islamisme existe chez certaines élites françaises qui préfèrent fermer les yeux face au réel et analyser chaque événement se rapportant à ce phénomène comme étant le fait de populations discriminées, de délinquants, voire de déséquilibrés. Les actes ne sont reliés ni au discours ni à l’idéologie islamiste. Une analyse relativement commune, c’est qu’il s’agit d’un effet de la misère sociale, de « dominés » qui se rebellent face aux « dominants ». Le journaliste Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, analyse par exemple les attentats de janvier 2015 comme étant le fait de monstres que la société française a engendrés.

 

Certains milieux universitaires et une partie de la presse américaine ont même été jusqu’à analyser les attaques du 13 novembre 2015 à Paris comme une simple conséquence de la « suprématie blanche », et l’attaque au Bataclan comme celle du racisme de l’Occident blanc. Preuve que certains mélangent tout, et inversent les causalités. C’est le résultat du processus de déconstruction à l’œuvre, dans le prolongement de la discrimination positive amorcée dès les années 1960. Ce qui est comparable, estime l’auteur, à l’endoctrinement qui régnait en Chine sous Mao.

La « théorie critique de la race » née sur les campus américains et apparue dans les programmes scolaires américains en est le dernier avatar. Les discriminations raciales y sont considérées comme le facteur explicatif des inégalités sociales. Et à ce titre, elles doivent être éradiquées par des formes d’autocritique et de pratiques nouvelles relevant d’un véritable fanatisme. Comme pour la disparition des cours de musique dans certaines écoles, accusées de promouvoir la suprématie blanche.

 

Les collusions entre wokisme et islamisme

Carine Azzopardi analyse ensuite les rapports étroits qu’entretiennent les mouvements woke, décoloniaux, antiracistes (dont on peut largement douter du bienfondé de la dénomination) et progressistes identitaires (encourageant en réalité les communautarismes), avec l’islamisme.

Une sorte de jeu de dupes dans lequel les islamistes ont appris à maîtriser les codes woke, y voyant une opportunité de faire avancer leur cause, sur un temps long (et c’est bien le problème). Avec en particulier à la manœuvre les Frères musulmans, maîtres dans l’art du double discours (« l’un pour les mécréants, l’autre pour les croyants »), très implantés notamment dans les universités de sciences humaines et sociales, où ils manœuvrent à diffuser leur idéologie antidémocratique en utilisant la rhétorique de la discrimination, de l’antiracisme ou de l’intersectionnalité, avec l’appui de tous les traditionnels « idiots utiles » fidèles au rendez-vous. N’hésitant pas à se parer des vertus du progressisme (jusqu’à défendre de manière très opportune, ce qui peut apparaître comme un surprenant paradoxe, les thèses LGBT).

Maîtrisant parfaitement les codes, les outils numériques, les formats vidéo en vogue sur les réseaux sociaux dans nos sociétés, pour marteler insidieusement leurs véritables messages auprès en particulier des plus jeunes, et promouvoir en outre le séparatisme des musulmans sur notre territoire, ils fascinent et exercent une forte attraction sur les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche et partis politiques à l’image du NPA, leur insufflant l’idée d’ennemis communs. Avec la complicité des mouvements décoloniaux. J’étais d’ailleurs stupéfait de lire ceci :

 

Deux jours après la mort de Samuel Paty, une affiche est montrée place de la République par trois personnes, dont Assa Traoré, qui la poste sur les réseaux sociaux. La pancarte mentionne le nom de l’enseignant assassiné sur lequel des gouttelettes rouges ont été éparpillées et l’expression suivante écrite : « Mort en saignant. » Un jeu de mots d’un goût extrêmement douteux, qui entre ces mains pourrait faire penser à un clin d’œil complice. Les mêmes, qui ont des pudeurs de gazelle lorsque des journaux satiriques comme Charlie Hebdo représentent le prophète Mahomet, n’hésiteront pas à brandir cette pancarte lors d’une manifestation en hommage à un professeur décapité deux jours plus tôt, et à le faire savoir.

 

Par ailleurs, la journaliste parle de « chantage à l’islamophobie » au sujet de ce prétexte très pratique et très utilisé qui consiste à dénoncer, censurer, faire taire, stigmatiser des opposants pour mieux faire régner ses intérêts, à travers une stratégie de victimisation bien orchestrée. Elle y consacre un chapitre à part entière, très documenté, avant de revenir aussi sur l’attitude, non seulement du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne en faveur du voile, mais également d’Amnesty international, qui a défendu le port du voile intégral en Suisse, le présentant comme un symbole de liberté, tout en reconnaissant son caractère oppressif en Iran.

Des positions pour le moins paradoxales, défendues également par des mouvements néoféministes qui, selon la journaliste, n’ont plus grand-chose à voir avec le féminisme. Entre culpabilisation et relativisme, les intersectionnelles et leurs alliées néoféministes semblent aveugles aux faits lugubres que relate le livre quant au sort quotidien de nombreuses femmes, et aux véritables motivations de leur port du voile parfois dès le plus jeune âge, au nom d’une prétendue tolérance en réalité pleine de condescendance, sous couvert de « diversité » et de « résistance au capitalisme », écrit Carine Azzopardi, qui estime qu’il s’agit d’une diabolisation du corps des femmes en général.

 

La liquidation des Lumières

C’est le titre que l’auteur donne à l’un des chapitres, dans lequel elle montre comment l’adoption de plus en plus répandue du discours intersectionnel et son obsession de la recherche systématique d’inégalités et de discriminations en tous genres a pour effet, en réalité, de jouer contre les valeurs de l’universalisme, d’ailleurs accusé par certains d’être celui des hommes « cis blancs ». Un jeu dangereux auquel se prêtent des professionnels du monde artistique ou universitaire, voire des ministres. Qui aboutit, comme nous le savons, à de multiples censures de pièces de théâtre, conférences, œuvres littéraires ou cinématographiques, à l’initiative de militants antiracistes woke. Et en définitive à une célébration des communautarismes.

 

Or, le « droit la différence » ne s’oppose pas à l’universalisme. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain que de le croire, une sorte de caprice d’enfant gâté qui sacrifierait la liberté et l’émancipation au nom du droit des minorités, et de l’appartenance communautaire.

 

… Quand ce ne sont pas les mathématiques elles-mêmes (mais aussi d’autres sciences, y compris la médecine) qui sont remises en cause comme étant développées par les « dominants blancs », selon certains mouvements antiracistes woke là encore !

 

Concrètement, certaines écoles américaines prennent désormais en compte l’origine raciale des élèves, pour ne pas « stigmatiser » des populations « racialisées », qui auraient, par nature, des difficultés avec une matière intrinsèquement blanche, donc raciste. Vous ne rêvez pas. Les premières « classes racisées » ont été mises en place dans la banlieue de Chicago, par exemple, où l’on regroupe les élèves en mathématiques selon la couleur de leur peau.

 

L’idéologie et les croyances en viennent ainsi à remplacer la raison et à dévoyer la science ou l’histoire, mais aussi à œuvrer chaque jour de plus en plus (aux États-Unis pour l’instant) pour purger le langage lui-même. Processus dont on sait où il mène

Le problème, nous dit l’auteur, c’est qu’à vouloir s’attaquer à l’universalisme en tant que soubassement de nos démocraties, c’est à une autre forme d’universalisme que nous laissons place : celui que tentent de promouvoir les islamistes et leur communauté mondiale des croyants. C’est en cela que les armes rhétoriques des antiracistes leur sont particulièrement utiles, s’appuyant sur le droit et les institutions internationales pour mieux s’attaquer insidieusement aux principes démocratiques et imposer peu à peu, de manière très stratégique, l’islam politique.

Pour ne rien arranger – et c’est l’objet d’un autre chapitre également très documenté – Carine Azzopardi montre le vide académique qui existe sur le sujet de l’islamisme. De moins en moins de chercheurs, de plus en plus militants, prennent la place des rares spécialistes qui traitent vraiment du sujet de manière factuelle et réaliste, progressivement isolés ou mis au ban, le langage étant là aussi purgé de tout ce qui fâche. L’ignorance prend ainsi le pas, une fois encore, sur la connaissance, à laquelle est préféré le wokisme, son vocabulaire spécifique et ses concepts foisonnants, la question devenant l’apanage des plus extrêmes.

 

Les dérives des théories du genre

Avec le wokisme, nous assistons au triomphe de la pensée binaire.

Non seulement on peut avoir peur aujourd’hui d’être rapidement traité d’islamophobe, mais on peut tout autant craindre désormais d’être traité de transphobe. Les théories du genre vont de plus en plus loin dans l’offensive, militant pour la « déconstruction », avec la volonté de « s’émanciper du système hétéronormé dominant ».

Une vive opposition existe désormais entre féministes universalistes et différentialistes ou intersectionnelles. Ces dernières assimilent la définition de l’identité sexuelle à un genre comme une norme fasciste. Elles prônent au contraire la « plasticité indéfinie de l’individu » (d’où le sigle LGBTQQIPS2SAA+). Les choses vont très loin en la matière, dans la mesure où utiliser le langage traditionnel à cet égard peut être jugé discriminant et vous valoir des ennuis. Pas tellement encore de ce côté de l’Atlantique, mais avec une vigueur parfois étonnante de l’autre ; avec des visées planétaires.

Là où le bât blesse, c’est que certains tenants de ces théories ont conclu une forme d’alliance rhétorique avec les islamistes, dont les ressorts sont grandement contradictoires avec leurs fondements théoriques respectifs, et résultent d’une grande part d’aveuglement.

Pour finir l’ouvrage, Carin Azzopardi écrit un chapitre dans lequel elle montre comment un antisémitisme décomplexé est réapparu et s’est développé de manière croissante au cours des années 2000, certains allant – même parmi des stars grand public – jusqu’à assimiler Juifs et blanchité et considérer l’Holocauste comme « un crime de Blancs sur des Blancs ». Dans une surenchère haineuse – aux accents clientélistes – de termes révélateurs d’une pensée là aussi très binaire, antimoderniste, voire révisionniste, ou même complotiste, qui ajoute aux confusions, divisions, absence de nuances, clichés, et délires « progressistes » peu à même d’aller dans le sens de l’apaisement, de la coexistence pacifique et de la véritable démocratie, plus que jamais en danger. Là encore accentuée par les dérives préoccupantes… du wokisme.

 

 

À lire aussi :

La liberté de la presse est en danger en Europe

L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. L’examen par le Parlement européen, dans la quasi-indifférence générale, du « European Media Freedom Act » (acte européen sur la liberté des médias) pensé par la Commission Von der Leyen apparaît comme une énième illustration de ce principe.

De prime abord, les intentions apparaissent fort louables. La révolution numérique ne cesse de bouleverser le secteur des médias, et donne à des problématiques vieilles comme le monde – ingérences des pouvoirs, déstabilisation provenant de puissances étrangères, désinformations et manipulations en tout genre – une nocivité décuplée à l’ère numérique, quand les flux de contenus circulent de manière instantanée à une échelle massive et mondiale. Et nous ne sommes qu’à la préhistoire de l’Intelligence Artificielle qui va apporter tout autant son lot d’exceptionnelles opportunités pour la création de menaces pour notre capacité à distinguer le vrai du faux, le réel du fantasmé, l’information de la manipulation.

Par ailleurs, il apparaît incontestable que le climat ne cesse de se dégrader pour les journalistes, et plus généralement pour ceux qui font de la transmission de l’information leur vocation.

Partout, l’accaparement d’une vaste majorité des revenus publicitaires par quelques plateformes a affaibli le modèle économique des éditeurs et paupérisé tout une profession, pourtant si nécessaire à la démocratie. Pire encore, l’algorithmisation de la distribution des contenus favorise tout ce qui clive, qui clinque et fait cliquer, ce qui constitue une pression de plus pour les contenus de qualité qui doivent se battre pour la visibilité comme pour la rentabilité.

Enfin, plus localement, et principalement en Hongrie et en Pologne, la concentration des médias dans les mains de proches du pouvoir constitue un risque majeur pour le pluralisme des points de vue.

La liberté de la presse demeure ainsi un combat, y compris sur le sol européen.

Pour le mener, encore faut-il bien percevoir les menaces, qui ne sont pas nécessairement celles qui provoquent le plus d’indignation. Or, la principale menace actuelle est celle de l’excès de régulation, qui comme toujours étouffe plus qu’il ne protège. Le Media Freedom Act en est un exemple flagrant.

 

Un Media Freedom Act bien mal nommé

Si ce règlement européen présente quelques mesures positives afin de garantir la sécurité des journalistes, il n’apporte que peu d’améliorations, notamment par rapport au droit français, déjà très en pointe depuis la vieille mais solide Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Et ce d’autant plus que la mesure concrète la plus protectrice envers les journalistes, qui prévoyait, dans le projet initial de la Commission, l’interdiction de toute utilisation de logiciel espion à leur encontre et celle de leurs familles, a été remise en cause par les États, et n’est pas encore acquise. Cette mesure a été réintroduite par les parlementaires européens. Les trois institutions européennes que sont la Commission, le Conseil et le Parlement vont désormais statuer en réunion trilogue, dans un sens que l’on peut espérer le plus favorable aux libertés individuelles, à la protection des journalistes et de leurs sources.

En attendant que soit confirmée la seule nouvelle mesure qui constituait une avancée libérale, demeure le reste du texte qui introduit une nouveauté inquiétante pour le liberté de la presse : l’European board for media services, le Conseil européen des services de média.

Ce nouveau super régulateur au niveau européen aura pour but de faire respecter la bonne application des règlements de la Commission concernant les médias et la presse. Vaste programme.

Une autorité administrative supposée indépendante au niveau supranational pourra donc soumettre la presse à la tutelle d’une régulation que son statut et sa capacité à s’autoréguler lui évitaient jusque-là. Il s’agirait d’un recul sans précédent et d’une menace pour tous les éditeurs. En soumettant le directeur de la publication à une autorité administrative, et non pas à un juge statuant sur la responsabilité pénale de celui-ci, la Commission s’attaque involontairement par ricochet à un droit fondamental des citoyens, la liberté d’expression.

Le risque est d’autant plus grand que le règlement tel que présenté par la Commission se veut très pointilleux et normatif.

À titre d’exemples, le MFA décrit ce que devra être, dans chacun des pays membres, la procédure de nomination d’un dirigeant de l’audiovisuel public. Il introduit de nouvelles obligations de transparence, qui, dans certains pays, pourraient paradoxalement fragiliser certaines oppositions au pouvoir en place, en dévoilant le nom de leurs soutiens et mécènes. Il s’immisce dans l’organisation interne de chaque média en énonçant des exigences visant à garantir toute décision éditoriale individuelle des journalistes, créant une inutile tension juridique et humaine entre ceux-ci et leurs éditeurs, qui, au-delà de leur responsabilité pénale, sont les garants de la ligne éditoriale et de la stratégie globale d’un titre de presse.

Nous voyons le monstre de bureaucratie et de contrôle que pourrait devenir cette nouvelle autorité sans une définition beaucoup plus claire et limitée de ses missions, et sans des garde-fous absents à ce stade.

La propension naturelle de toute bureaucratie à créer de nouvelles normes et interdictions pour justifier son existence, conjuguée à certaines postures idéologiques et démagogiques du politique – et pas uniquement dans les démocraties dites illibérales – n’est pas de nature à rassurer.

 

Dicter leur ligne aux médias au nom du Bien ?

Récemment encore, en France, un think tank, l’institut Rousseau composé de hauts fonctionnaires et d’universitaires, personnes a priori peu loufoques, a rédigé pour les députés une proposition de loi clé en main, ayant pour ambition d’imposer aux médias leur ligne éditoriale.

Là encore au nom d’un objectif louable bien qu’il ne soit en rien du ressort du politique – « améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias » les experts de l’Institut Rousseau suggèrent d’imposer des normes éditoriales, fondées sur des quotas, contrôlées par l’autorité administrative.

Découvrant le concept de choix éditoriaux et l’influence de la presse dans le débat démocratique, l’Institut regrette que les médias traitent davantage de certaines thématiques plutôt que d’autres, « favoris[ant] l’orientation des programmes électoraux et des prises de positions et engagements politiques vers ces enjeux ». Régulons donc tout ça.

L’environnement est un sujet crucial ?

L’Institut propose qu’en période électorale, un minimum de 20 % des contenus des médias soit consacré « aux enjeux du dépassement des limites planétaires et de la raréfaction des ressources », ou tout du moins « à une représentation des communications traitant, de façon directe ou indirecte de ces enjeux. »

Et naturellement, outre le quantitatif, ce traitement devra être aussi qualitatif, c’est à dire conforme à ce qu’il faut penser, à la bonne opinion (par qui définie ?).

La proposition de loi le précise bien :

« Ne pas publier ou diffuser des prises de position qui contredisent, minimisent ou banalisent l’existence des limites planétaires et de la raréfaction des ressources, de leur origine anthropique et du risque avéré que ces crises représentent pour l’habitabilité des écosystèmes. »

À l’autorité administrative, l’ARCOM en l’occurence, de contrôler et sanctionner ces injonctions floues, subjectives, et qui ne devraient rester que du ressort du débat intellectuel et scientifique.

Il s’agirait là d’une volonté d’ingérence autoritaire du politique dans la liberté éditoriale des médias, déclenchant un infernal engrenage. Demain, suivant les mêmes logiques, un exécutif d’extrême droite exigerait peut-être que 40 % du temps d’antenne soit consacré à l’immigration illégale, ou un pouvoir La France Insoumise imposerait 50 % du temps à la défense du Hamas…

Au nom de la juste cause écologique, des gens sérieux et supposés démocrates s’adonnent à une pulsion totalitaire, certes peu surprenante lorsqu’on choisit de placer ses travaux sous le patronage de Jean-Jacques Rousseau, mais tout de même inquiétante.

Il est fort probable qu’une telle proposition inepte n’aboutisse pas, mais les velléités normatives et puritaines, tant des États-nounous que des pouvoirs démagogues, tant des thuriféraires de l’Empire du Bien que des ennemis de la liberté, font que ce type de mesures législatives ou règlementaires n’est plus à exclure en Europe.

Or, nous comprenons bien, à travers cet exemple hypothétique mais concret, l’immense danger du principe-même de la soumission des médias à des autorités administratives, dès lors que celles-ci sont enjointes par la pouvoir politique à contrôler également leurs choix éditoriaux.

 

La presse doit rester une exception

La presse, jusqu’à présent en France, a échappé à ce contrôle administratif grâce à l’excellente loi libérale et protectrice de 1881, qui consacre l’exclusivité du contrôle de la presse par les juridictions et constitue donc une véritable garantie d’indépendance.

Ce que nous pensions acquis est désormais remis en cause par le Media Freedom Act et la création de cette inquiétante autorité de régulation au niveau européen. Les éditeurs français ne s’y sont pas trompés : près de 300 d’entre eux, allant de la presse régionale à la presse spécialisée, s’en sont vivement émus, sans grande écoute.

Ainsi, pour protéger la liberté de la presse, menacée dans certains pays, la Commission européenne a créé un corpus qui pourrait par ses effets pervers l’entraver dans beaucoup d’autres.

Le processus législatif de l’Union européenne est cependant plus complexe et pertinent que ce à quoi ses détracteurs le résument parfois. Le texte de la Commission a déjà été légèrement amélioré par le Parlement, pour ce qui concerne la protection des journalistes et les relations entre éditeurs et plateformes, afin de limiter les censures a priori des premiers par les secondes. Les discussions vont se poursuivre avec le Conseil, c’est-à-dire les gouvernements des pays de l’Union.

Il faut espérer que ces échanges permettront d’obtenir un texte plus équilibré qui évite toute ingérence de la Commission dans les politiques culturelles des États en la matière, et qui, à l’inverse, se concentre sur ce pour quoi l’Union peut faire la force, à savoir notamment les obligations imposées aux toutes-puissantes mais incontournables plateformes. Et que ces débats conduiront également à un règlement qui s’abstienne d’une vision trop stricte et idéologique de la libre concurrence, empêchant tout poids lourd européen du secteur des médias d’émerger au niveau mondial, alors que nous en avons tant besoin pour notre soft power.

Tous ces enjeux seront à surveiller attentivement dans les semaines qui viennent, sous peine de nous retrouver avec une législation dangereuse pour les valeurs de la démocratie libérale.

L’évolution de la presse et du rapport à l’information demeure une question trop fondamentale pour être laissée au seul niveau européen. Les États, chacun avec leurs traditions et défis propres, doivent désormais pleinement s’en saisir.

En France, les états généraux du droit à l’information, qui viennent de débuter, peuvent constituer une formidable occasion en ce sens, à condition de ne pas s’enfermer dans une ornière idéologique ni corporatiste. Le risque n’est pas nul.

Censurer les propos climatosceptiques serait aussi liberticide qu’inefficace

« Il est à espérer que le temps où il aurait fallu défendre la « liberté de presse », comme l’une des sécurités contre un gouvernement corrompu ou tyrannique est révolu. On peut supposer qu’il est aujourd’hui inutile de défendre l’idée selon laquelle un législatif ou un exécutif, dont les intérêts ne seraient pas identifiés à ceux du peuple, n’est pas autorisé à lui prescrire des opinions, ni à déterminer pour lui les doctrines et les arguments à entendre ».

Ces mots sont ceux de John Stuart Mill, au début du deuxième chapitre de son célèbre ouvrage De la liberté, paru en 1859.

Un peu moins de deux siècles plus tard, ils n’ont pas pris une ride. En effet, des députés de tous bords (à l’exception de ceux du Rassemblement national, exclus par le fameux « arc républicain ») préparent une proposition de loi reprenant une idée de l’association QuotaClimat et du think-tank Institut Rousseau : expurger de l’espace médiatique tout ce qui s’apparenterait à du climatoscepticisme.

 

Pourquoi existe-t-il des ennemis de la liberté ?

On ne pourra pas feindre l’étonnement, tant ce genre de mesures, qui relèvent pour beaucoup d’une mauvaise blague tant leur dangerosité est de l’ordre de l’évidence, sont en fait soutenues de longue date par de nombreux militants de l’écologie politique. Si la proposition de loi a peu (si ce n’est aucune, merci à l’État de droit) de probabilités d’aboutir, le mépris des libertés qu’elle traduit mérite qu’on s’y attarde.

D’abord, pour mieux les combattre, il convient de ne pas caricaturer ces ennemis de la liberté.

S’ils veulent la restreindre, ce n’est pas par pur sadisme ou volonté machiavélique de faire le mal. C’est même tout le contraire. Ce qui pousse certains à donner si peu d’intérêt à la liberté, c’est bien la conviction, profondément enracinée, de faire le bien et de servir l’intérêt général. Les attitudes illibérales et autoritaires gagnent ainsi en légitimité parce qu’elles servent, pensent-ils, une cause juste et supérieure. Il y a là presque une constante anthropologique : plus l’humain est persuadé de faire le bien, plus ses barrières morales sautent.

Comprendre cela, c’est comprendre qu’il n’y aura jamais de sociétés humaines sans velléités autoritaires. Les ennemis de la liberté ont toujours existé, et ils existeront toujours.

John Stuart Mill le savait et, bien qu’il estimât la défense de la liberté d’expression comme une évidence dont on pouvait supposer qu’il est « aujourd’hui inutile de défendre », il n’a jamais cessé d’argumenter en sa faveur, conscient qu’elle n’était jamais définitivement acquise.

 

Pourquoi une telle proposition ?

Pour réfuter convenablement une telle proposition, il convient d’abord d’essayer d’en comprendre honnêtement les motivations, sans caricatures.

Sur la page d’accueil du site de l’association QuotaClimat, un chiffre est mis en avant :

« Seuls 11 % des Français déclarent se sentir « tout à fait » informés sur le changement climatique », suivi de la phrase suivante : « Pourtant, les médias jouent un rôle crucial dans la formation des perceptions, de la compréhension et de la volonté du public à agir vis-à-vis du changement climatique, d’après le rapport du GIEC ».

Pour ces activistes, le combat de l’écologie politique est avant tout un combat culturel.

Comprendre : si les sociétés humaines sont encore loin de régler le problème environnemental, c’est en raison d’un manque de volonté politique qui prend racine dans l’insuffisance d’éducation des citoyens sur la question climatique.

Cette logique s’inscrit dans un paradigme politique et philosophique plus large (le post-structuralisme, nous y reviendrons) qui donne un rôle prépondérant aux imaginaires sociaux et culturels dans le combat politique, et que l’on pourrait grossièrement résumer de la façon suivante : pour changer le monde, il faut en premier lieu changer les perceptions. Que ce soit pour l’écologie, la lutte antiraciste ou le combat féministe, ce qui compte, c’est de gagner cette bataille culturelle.

De cette vision théorique découle une pratique militante. Le rôle de ces combattants de la vertu est de pénétrer ce qu’il y a de plus intime et précieux, l’inconscient des individus, afin de déconstruire les idées jugées néfastes, et les remplacer (reconstruire) par des idées plus justes.

Comprise ainsi, une telle proposition prend tout son sens.

Ses défenseurs soutiennent qu’en supprimant l’expression d’idées climatosceptiques, nous allons à terme éliminer ces idées de l’imaginaire collectif. Les citoyens, conscientisés sur l’importance du combat climatique, consentiront d’autant plus facilement aux efforts exigés par une politique de décroissance. Les politiques restrictives en faveur du climat ne seront pas seulement acceptées, elles seront même souhaitées par les citoyens, et ainsi pourra advenir l’utopie d’une sobriété heureuse et non contrainte. Dit plus simplement, pas de Gilets jaunes avec des citoyens informés.

Cette candeur serait touchante si elle n’était pas dangereuse et inefficace.

 

Du relativisme épistémologique à la déconstruction militante

Cet exemple illustre d’abord la principale faiblesse de la traduction militante du post-structuralisme, courant philosophique développé dans les années 1960-1970 et qui trouve ses origines dans la réception et la réinterprétation des œuvres des auteurs de la french theory. En effet, ce courant de pensée défend une forme de relativisme épistémologique en affirmant que tout savoir est nécessairement socialement construit et historiquement situé.

Or, il y a là contradiction performative (affirmation qui entre en contradiction avec le fait qu’on ait pu l’énoncer) car si tel est le cas, alors l’affirmation selon laquelle « tout savoir est socialement construit et historiquement situé » est elle-même subjective et relative à un contexte, à un rapport de force, à une conjoncture historique et donc… devient elle-même irrecevable.

Ce débat épistémologique n’intéresserait que les chercheurs en sciences sociales s’il n’avait pas de traduction politique et normative.

En effet, c’est le passage du champ scientifique et descriptif au champ politique et militant qui pose problème, car il transforme un outil conceptuel utile en une arme militante profondément liberticide. De la déconstruction de la modernité occidentale, on arrive inéluctablement à la reconstruction d’une société plus désirable.

C’est à ce moment que l’on retrouve la contradiction performative citée plus tôt.

Si l’on applique à l’action de ces militants une grille de lecture post-structuraliste, nous sommes obligés d’arriver à la conclusion que le déconstructeur autoproclamé, tout humain qu’il est, est aussi subjectif que l’individu (ou que la société) qu’il déconstruit. Dès lors, il perd toute légitimité dans son œuvre puisqu’il ne fait que remplacer une subjectivité par une autre, tout aussi arbitraire.

John Stuart Mill écrivait déjà : « Bien que chacun se sache faillible, peu sont ceux qui jugent nécessaire de se prémunir contre cette faillibilité. »

Voilà le principal péché des déconstructeurs qui, s’ils étaient plus cohérents et humbles, devraient être des libéraux convaincus, et admettre ainsi que, toute personne et tout pouvoir étant par essence subjectifs et arbitraires, alors aucune conception du monde portée par un individu ou un groupe d’individus ne saurait légitimement s’imposer au reste de la société. Leur naïveté est ici de croire en l’infaillibilité de leur morale et de leur vision du monde au point d’adhérer à un projet prométhéen aux antipodes de la prudence épistémologique promue par les auteurs dont ils se revendiquent.

Cet hubris militant se mue donc en projet politique tyrannique. Et un regard vers l’histoire du XXe siècle nous rappelle qu’une des priorités des régimes illbéraux est de restreindre la liberté d’expression.

C’est sur cette pente glissante que s’engagent, peut-être involontairement, les députés à l’origine de ce projet.

 

« Certes, mais c’est un mal nécessaire… »

Si cette dérive totalitaire ne suffisait pas à convaincre, il est possible d’invoquer d’autres arguments.

Certains pourraient avancer que la perte de cette liberté est un mal nécessaire, tant le péril climatique qui nous attend est un danger plus grand encore. Si « la fin justifie les moyens » (logique politique profondément dangereuse et contestable), il faut au moins être sûr que les moyens vont permettre d’atteindre la fin visée.

Dans le cas qui nous intéresse, une telle mesure serait totalement inefficace.

La logique des discours à caractère conspirationniste et complotiste est de considérer leur marginalité comme une preuve supplémentaire de la véracité de leurs propos. Plus ils se sentent oppressés par ce qu’ils identifient être le système ou le « discours officiel », plus ils se persuadent que c’est parce qu’il y a intérêt à les faire taire.

Comment imaginer une seule seconde qu’une telle loi aurait d’autres conséquences que le renforcement de la conviction des climatosceptiques ? Si l’objectif est de faire reculer ces idées, on ne pourrait pas moins bien s’y prendre…

 

De la censure des discours antiscientifiques à la censure politique…

Un second problème se présente lorsque l’on entre dans les détails de l’applicabilité d’une telle proposition de loi.

La principale difficulté sur les questions écologiques est que dans les discours médiatiques et politiques (qu’ils soient très, peu ou pas du tout écolo), il n’est fait aucune distinction entre ce qui relève du factuel (descriptif) et ce qui relève du politique (normatif). Ainsi, des militants écologistes instrumentalisent les résultats de la science afin de donner un surplus de légitimité à leur discours. Combien de fois avons-nous entendu des militants citer les travaux du GIEC sans qu’ils n’aient jamais lu une seule page d’un rapport ?

Ce mélange des genres rend tout contrôle irréalisable, parce que la définition de ce qu’est un propos climatosceptique est floue. Comment s’assurer que l’organe de contrôle qui sera chargé de censurer les discours climatosceptiques saura faire la différence entre un propos climatosceptique et une critique de l’écologie politique ?

Le risque est de censurer des propos politiques en considérant qu’en partant du descriptif (la réalité scientifique du changement climatique d’origine anthropique et son impact sur les sociétés dans le court, moyen et long terme) on ne puisse tirer qu’une seule et unique conclusion normative (le discours politique de la décroissance).

On glisserait inévitablement de l’interdiction de contester des faits de nature scientifique à l’interdiction de contester leur interprétation politique et normative.

 

De la nécessité de ne pas faire de la question climatique un dogme mort

Un des arguments principaux invoqué par Mill pour défendre la liberté d’expression, c’est que sans elle, « quelque peu disposé qu’on soit à admettre la possibilité qu’une opinion à laquelle on est fortement attaché puisse être fausse, on devrait être touché par l’idée que, si vraie que soit cette opinion, on la considérera comme un dogme mort et non comme une vérité vivante, si on ne la remet pas entièrement, fréquemment, et hardiment en question ».

Si « celui qui ne connaît que ses propres arguments connaît mal sa cause », comment espérer lutter convenablement contre les discours climatosceptiques ? Sans possibilité de contester un savoir, ce dernier se transforme nécessairement en dogme mort. Pire, il perd de sa vitalité, tombe dans l’inertie, car plus personne ne prend la peine de le défendre en le confrontant à ses contradictions. C’est au contraire quand une « croyance lutte encore pour s’établir » qu’elle s’exprime avec tout son dynamisme et sa force.

Personne n’a intérêt à faire du changement climatique un dogme mort.

Plutôt que de vouloir les censurer, les écologistes devraient en fait remercier les climatosceptiques :

« S’il y a des gens pour contester une opinion reçue ou pour désirer le faire si la loi ou l’opinion publique le leur permet, il faut les en remercier, ouvrir nos esprits à leurs paroles et nous réjouir qu’il y en ait qui fassent pour nous ce que nous devrions prendre davantage la peine de faire, si tant est que la certitude ou la vitalité de nos convictions nous importe ».

 

Entre relativisme et consensus scientifique : un équilibre précaire

Mill défend enfin un dernier argument : les savoirs en conflit peuvent se partager la vérité.

Il faut ici ne pas comprendre à l’envers ce qu’a voulu exprimer le philosophe anglais. Ce n’est aucunement un relativisme épistémologique considérant que tout savoir a la même valeur.

La méthode scientifique, si elle n’a pas vocation à faire émerger la vérité métaphysique universelle, est un processus de découverte et de production de connaissances qui sont estimées comme étant le plus probablement vraies tant qu’aucune contestation scientifique ne soit venue les invalider.

Ainsi, Mill ne serait pas opposé au concept de « consensus scientifique », dont on rappelle à nouveau qu’il n’est pas un synonyme de « vérité métaphysique », mais désigne simplement l’état le plus avancé de la science à un moment donné, basé sur un accord général de la communauté scientifique. La théorie de l’évolution, ou la théorie de la gravitation universelle, sont deux exemples de consensus scientifiques. Cela ne signifie pas qu’ils ne pourront jamais être remis en cause un jour, mais que pour le moment, aucune contestation convaincante (c’est-à-dire vérifiée par les pairs) n’a été produite.

La science ne dit pas le vrai, elle n’offre que des fenêtres de vue pour appréhender le réel avec le plus de justesse possible.

Mill ne dit pas autre chose, et c’est pour cette raison qu’il écrit que « dans l’état actuel de l’esprit humain, seule la diversité donne une chance équitable à toutes les facettes de la vérité », et enfin que « les dissidents ont quelque chose de personnel à dire qui mérite d’être entendu, et que la vérité perdrait quelque chose à leur silence ».

Conclusion

Pour toutes ces raisons, la censure des idées dites climatosceptiques serait un désastre pour notre liberté d’expression, nos démocraties, mais aussi et surtout pour la cause de l’écologie politique.

On ne sauvera pas l’humanité des périls climatiques en réduisant les libertés collectives et individuelles. Il ne suffit pas de les protéger, il faut les cultiver et ainsi tirer profit de l’extraordinaire richesse de la singularité et de la diversité de chaque individu, seul moyen de sortir par le haut de la crise environnementale.

L’optimisme naïf n’est pas de fonder ses espoirs dans les vertus de la liberté, du progrès et de la science, mais plutôt de croire qu’un régime illibéral (dont les exemples d’échecs ne manquent pas…) pourrait, au prix de nombreux sacrifices, être une solution à la fois souhaitable, applicable et efficace.

La Russie franchit-elle un nouveau cap dans sa dérive totalitaire ?

Le Runet est un projet russe s’inscrivant dans ce qui est nommé le Splinternet, à savoir la fragmentation de l’Internet, certains États optant pour un Internet national aux allures d’« Intranet ».

À l’instar de la Chine, de pays comme l’Iran, depuis 2022, la Russie de Vladimir Poutine a encore accéléré ses travaux vers un Internet cloisonné et censuré. Le Kremlin considérant que la guerre en Ukraine menace le pouvoir, son pouvoir, il vise un contrôle absolu de l’information sur le sujet, et il n’est pas question pour lui d’être contesté dans son action.

Si la censure est à son apogée en Russie, et que certains en doutent, c’est un fait qui a été éclairé à la suite du piratage de l’agence de supervision de l’Internet russe, Roskomnadzor, en novembre 2022.

À cette date, le groupe biélorusse de hackers « Cyber-partisans » avait alors déclaré avoir piraté une filiale de Roskomnadzor – le Centre principal des fréquences radio (GRC), puis avoir passé plusieurs mois à l’intérieur du système et en avoir extrait deux téraoctets d’informations. Les données avaient alors été transmises aux journalistes du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, et à certains médias russes.

Süddeutsche Zeitung – ainsi que des médias russes en exil – publiait le 8 février 2023 un article intitulé « La fuite de données au cœur de la censure russe » montrant l’ampleur de la censure.

Les deux millions de documents internes dérobés à l’autorité de surveillance des médias Roskomnadzor donnent « un aperçu unique d’un appareil de censure numérique moderne, y compris ses forces et ses faiblesses », et révèle comment la « structure surveille des pans entiers du réseau et développe des outils ciblant les « offenses » à Vladimir Poutine. Notons que déjà en 2021 Moscou disposait d’une « technologie permettant de surveiller les réseaux sociaux et de repérer les comportements « destructeurs » au sein de la jeunesse. »

 

La guerre : un accélérateur sécuritaire…

Dans cette dynamique de contrôle, dans le contexte de la Guerre en Ukraine, l’étau sécuritaire se referme progressivement sur les Russes.

Outre une information sous contrôle, outre la propagande, il n’aura pas échappé que les voix dissidentes sont condamnées à se taire.

La crise en Ukraine a encore accéléré la surveillance de masse.

Selon le service russe de The Moscow Times, un journal indépendant :

« Plus d’un demi-million de caméras de surveillance à reconnaissance faciale sont installées dans toute la Russie. Avec plus de 200 000 caméras, Moscou représente 40 % du parc ».

Des experts en surveillance ont par ailleurs rapporté au journal que, bien qu’officiellement conçu pour lutter contre la criminalité, « le système russe de reconnaissance faciale s’était révélé plus efficace pour identifier les militants anti-guerre et les réfractaires, ajoutant que les autorités maintenaient l’imprévisibilité dans la conduite des arrestations liées à la surveillance afin de semer la peur et l’incertitude dans le pays. »

L’ancien responsable du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, a défié Vladimir Poutine. Sa mort, que toute l’opinion publique « pressentait » – au regard de son offense – a redonné – quelle que soit la vérité – (ce dernier a été enterré en secret le 29 août dans un cimetière de Saint-Pétersbourg, sa société ayant confirmé une cérémonie d’adieu qui s’est tenue en privé) une crédibilité à Vladimir Poutine qui, bien que se défaussant de toute responsabilité, apparait comme encore plus intraitable.

 

D’un régime autoritaire à un régime totalitaire ?

Dans ce cadre, la Russie qui est définie comme un régime fédéral, est de plus en plus souvent considérée par certains observateurs comme non plus autoritaire, mais totalitaire.

Si nous nous en tenons à la définition : un régime politique autoritaire est un régime politique qui, par divers moyens (propagande, encadrement de la population, répression) cherche la soumission et l’obéissance de la société, tandis que le totalitarisme est un régime et système politique dans lequel existe un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, et où l’État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société.

À l’aune de cette définition, en 2022, dans un entretien accordé à L’Express, Peter Pomerantsev, journaliste, auteur d’essais de référence sur la propagande russe et la désinformation d’origine soviétique, analysait l’évolution du régime russe, qu’il qualifiait « d’État totalitaire postmoderne »… une analyse partagée, entre autres, par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Une dérive dans la surveillance outrancière des citoyens que les États se qualifiant de démocratie gagneraient à analyser dans leur course à la surveillance des citoyens. Le basculement de situations démocratiques ne relève pas du fantasme quand certaines conditions sont réunies, comme le souligne Alain Chouraqui dans son dernier livre Le Vertige identitaire – Tirer les leçons de l’expérience collective : comment peut basculer une démocratie ? paru aux Ed Actes Sud en mars 2022   

« Arx Tarpeia Capitoli proxima. »
(il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne)

 

Alain Chouraqui est titulaire de la Chaire UNESCO « Éducation citoyenne, sciences de l’homme et convergence des mémoires » directeur de recherche émérite au CNRS, et président de la Fondation du Camp des Milles

Le Digital Services Act : entre régulation et répression en ligne

Après le règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2016, l’Union européenne met en place une nouvelle législation de contrôle des plateformes.

Le Digital Services Act (DSA) est entré en vigueur le 25 août 2023.

Il cible plus particulièrement les grandes entreprises réunissant plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels dans l’Union européenne, à savoir : AliExpress, Amazon, Apple Appstore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube et Zalando ; et deux moteurs de recherche, Bing et Google qui doivent également respecter cette réglementation. Ces grandes plateformes sont donc mises au défi de s’adapter à un marché de 450 millions d’usagers.

 

À dater du 17 février 2024, toutes les plateformes, moteurs de recherches et autres intermédiaires seront concernés, quel que soit leur nombre d’utilisateurs dans une version plus light.

Certaines plateformes ont fait appel : après Zalando, le 13 juillet 2023 Amazon contestait à son tour son statut de très grande plateforme. Le géant du net a déposé une plainte auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, considérant ne pas entrer dans les critères… Tous devront toutefois s’y soumettre, le temps que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce…

Le DSA poursuit trois grands objectifs :

  1. Lutte contre les contenus illicites
  2. Transparence en ligne
  3. Atténuation des risques, et réponse aux crises

 

Bien que le Digital Services Act (DSA) vise à renforcer la responsabilité des acteurs du numérique, cette initiative importante comporte également certaines limites, et soulève de nombreuses préoccupations.

L’article 52 du DSA, intitulé « Sanctions », détaille les options à disposition des États membres en cas d’infraction au règlement, et ne plaisante guère. Si les sanctions sont graduées, elles sont pour le moins conséquentes. Sans toutes les citer, elles se veulent dissuasives.

Par exemple, en cas d’infraction jugée grave, outre la possibilité d’interdiction de territoire, le DSA prévoit « une amende dont le montant maximal peut atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial annuel du fournisseur de services intermédiaires ».

D’un point de vue concret, les choses vont être complexes pour les entreprises concernées, et ce pour plusieurs raisons.

Pour n’en citer que trois :

La surveillance va être accrue

De fait, trouver l’équilibre entre la suppression de contenus nuisibles, et la préservation de la liberté d’expression, celle de la vie privée va être délicate. En effet, il peut se révéler difficile de déterminer ce qui est légal ou illégal dans une Europe où subsiste la diversité culturelle.

Le DSA vient s’ajouter à d’autres réglementations

Comme le RGPD, il peut être pour le moins compliqué pour les entreprises européennes de s’y retrouver dans cet agrégat de réglementations, tout comme appliquer le DSA de façon uniforme en Europe va se révéler kafkaien.

Inquiétudes au sujet de l’innovation en ligne

Certains acteurs craignent qu’une réglementation trop stricte ne les entrave. Les entreprises pourraient craindre des sanctions excessives, et être alors moins incitées à développer de nouvelles technologies ou services.

 

Vers une nouvelle régression de la liberté d’expression ?

Au regard des quelques points évoqués, les entreprises peuvent raisonnablement s’interroger quant à la manière dont les règles du DSA seront interprétées et appliquées par leurs autorités respectives.

Cet état de fait va leur rendre difficiles la planification et leur mise en conformité, variables selon les structures. Si la réglementation est complexe et présente des zones d’ombre, les entreprises concernées, conscientes des sanctions lourdes auxquelles elles s’exposent, sont confrontées à des défis de taille : outre le cumul de réglementation, l’incertitude, il ne faut pas oublier que cette réglementation intervient concomitamment avec une montée en puissance de l’IA, et de l’IA offensive,  à savoir la démultiplication – entre autres – de désinformations, de deepfakes extrêmement sophistiquées.

Afin de respecter la loi, outre la mise en place par les plateformes d’une IA défensive efficace, les entreprises peuvent être tentées – pour ne pas dire contraintes – de pousser le curseur de la « censure » encore un peu plus loin, afin de ne prendre strictement aucun risque, ou tout du moins le minimiser.

Tout comme l’IA n’éprouve pas la peur, l’IA n’a pas vraiment le sens de l’humour, ni celui du second degré. Il est à craindre qu’en poursuivant la volonté du « bien » jusqu’à l’outrance, nous finissions par aboutir à un « Meilleur des Internet » totalement aseptisé qui n’aura rien à envier au Meilleur des Mondes, un cyber univers, sans plus de controverse possible, où même l’humour n’aura plus le droit de cité.

Où commenceront demain les contenus nuisibles, qui les définira ?

En Russie, critiquer l’État, une administration, parler de la guerre, est un acte délictueux

Certes, nous n’en sommes pas encore là, mais nous avançons petit pas à petit pas vers la censure et l’autocensure.

Est-ce qu’appeler à manifester sera demain considéré comme un appel à la révolte ? Le hashtag #giletsjaunes serait-il toléré ? Est-ce que demain, nous pourrons citer Ray Charles sans être soupçonnés d’appel honteux à la haine raciale : « Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi… J’aurais pu être noir. »

L’enfer est pavé de bonnes intentions, et je ne peux oublier les mots prononcés par Emmanuel Macron en 2019, qui avait appelé à une « hygiène démocratique du statut de l’information ».

Peut-être avais-je été le seul à frémir ?

Sous couvert de bonnes intentions, le DSA est-il l’arme de guerre hygiénique des États européens pour un contrôle total de l’information conforme et bienséante ?

Cela y ressemble. L’avenir nous le dira.

« Il n’y a pas de limites à l’humour qui est au service de la liberté d’expression car, là où l’humour s’arrête, bien souvent, la place est laissée à la censure ou à l’autocensure. »  Cabu (1938-2015)

 

Danemark et liberté d’expression : conflit entre valeurs et pressions étrangères

Par William Stehmann.

 

La législation du Danemark a toujours l’une des plus souples d’Europe en matière de liberté d’expression. Mais à la suite de la réaction d’un certain nombre de pays du Moyen-Orient, le nouveau gouvernement social-démocrate de Copenhague s’apprête à réprimer la liberté d’expression.

Qu’est-ce qui est le plus important ? La liberté d’expression des citoyens danois ou le désir de mettre fin à l’indignation suscitée à l’étranger par l’autodafé du Coran ?

C’est le dilemme auquel était confronté le gouvernement danois il y a quelques semaines, jusqu’à ce qu’il décide d’opter pour la seconde solution, et d’affaiblir les lois sur la liberté d’expression au Danemark.

Cette décision fait suite aux réactions négatives de plusieurs pays de l’OCI (Organisation de la conférence islamique) après que le Coran a été brûlé au Danemark et en Suède. Si brûler le Coran n’a rien de nouveau – il s’agit même d’une forme courante de protestation de la part des opposants à l’immigration au Danemark – la réaction du gouvernement est très différente aujourd’hui de ce qu’elle a été par le passé.

Historiquement, le gouvernement danois a été un ardent défenseur des lois nationales sur la liberté d’expression.

L’exemple le plus marquant de cette attitude remonte à 2005, lorsque le Danemark a subi les foudres de l’étranger après qu’un journal danois a publié des dessins satiriques du prophète Mahomet. À l’époque, le gouvernement libéral, dont faisaient partie de nombreux ministres actuels, a tenu bon face à cette réaction.

L’ancien Premier ministre, Anders Fogh Rasmussen, aurait déclaré :

« Il s’agit depuis le début d’une question de liberté d’expression. La liberté d’expression est menacée. »

Cette déclaration contraste fortement avec l’approche du gouvernement actuel qui, dans une déclaration à la presse, a indiqué qu’il étudierait la possibilité d’intervenir dans des situations où « d’autres pays, cultures et religions sont insultés et où cela pourrait avoir des conséquences négatives importantes pour le Danemark ».

Suite à la publication de cette déclaration à la presse, le gouvernement a rapidement rencontré l’opposition de la plupart des partis d’opposition, qui ont critiqué ses actions. Morten Messerschmidt, le chef du Parti du peuple danois, s’est rendu sur Twitter pour déclarer ce qui suit :

Tout d’abord, le gouvernement a supprimé la Grande Journée de Prière. Pour les Danois, les sentiments à l’égard du christianisme étaient moins importants que l’utilité et l’approvisionnement en main-d’œuvre. Le gouvernement a ensuite commencé à restreindre la liberté d’expression. Car les sentiments des… pays musulmans étaient très, très importants pour la réputation du Danemark. Il y a en effet quelque chose qui ne va pas au Danemark.

Et si le Parti du peuple danois n’a qu’une petite voix au Parlement, il a rapidement été rejoint par d’autres partis d’opposition, tels que l’Alliance libérale, dont le chef a tweeté ce qui suit :

Il est inquiétant que les pressions exercées par les pays islamiques nous obligent à restreindre la liberté d’expression au Danemark. Ce sont des principes importants et fondamentaux de notre démocratie libérale qui sont en jeu. Il y a un risque que cela devienne une pente glissante vers de nouvelles restrictions de la liberté d’expression.

Bien qu’aucun sondage n’ait été réalisé depuis la décision du gouvernement, le dernier de Voxmeter.dk a montré que seulement 35 % de la population danoise soutenait le gouvernement. Les critiques venant à la fois à gauche et à droite du gouvernement, il serait surprenant que leur soutien au sein de la population ne soit pas affecté par leur annonce.

Plusieurs organisations ont déjà réagi à la déclaration du gouvernement, notamment l’organisation Danske Patrioter, (Patriotes danois), qui a réagi en organisant une manifestation devant la maison du ministre des Affaires étrangères, où un Coran a été brûlé.

En outre, plusieurs autres personnalités politiques danoises ont critiqué la déclaration du gouvernement en raison de son caractère vague. Mai Villadsen, leader politique d’Enhedsliten, le parti danois le plus à gauche au Parlement, a également exprimé ses inquiétudes quant au fait que cela n’affecterait pas seulement les protestations concernant les pays de l’OCI.

Elle a tweeté ce qui suit :

Nous ne devrions pas modifier notre législation parce que certains régimes despotiques – qui ne respectent même pas les droits de l’Homme les plus élémentaires – menacent les intérêts des entreprises en matière d’exportation. Par exemple, il devrait être possible de déployer un drapeau tibétain lors d’une manifestation, même si cela offense le régime chinois ou le président chinois.

Le gouvernement a reçu des réactions négatives de la part des deux principaux partis politiques et organisations, mais il continue à rédiger des lois qui limiteraient le droit de la population à protester ou critiquer publiquement les régimes étrangers.

Et bien que les réactions négatives puissent provenir d’une grande partie de la population et du Parlement, il n’y a pas d’opposition extérieure à ses projets qui pourrait l’empêcher de légiférer sur les changements proposés, étant donné qu’il détient la majorité des sièges au parlement.

Sur le web

Scandinavie : la liberté d’expression à l’épreuve de la pression diplomatique

« L’honneur est comme l’œil : on ne joue pas avec lui. »

Les Scandinaves seraient-ils en passe de mettre à mal ce proverbe norvégien ? Car en matière d’honneur, les pays d’Europe du Nord se trouvent aujourd’hui à un carrefour crucial.

Face à une série de manifestations anti-coraniques, la Suède et le Danemark sont depuis la semaine dernière en première ligne d’un conflit diplomatique avec l’Organisation de la coopération islamique (OCI), entité intergouvernementale regroupant 57 États musulmans à travers le monde. Seule organisation de ce type à être ouvertement confessionnelle, l’OCI a décidé d’attaquer diplomatiquement les deux États scandinaves, accusés de ne pas sanctionner les autodafés du livre saint de l’Islam qui se sont multipliés depuis le début de l’été.

Un face-à-face complexe opposant en particulier la Suède et le Danemark à l’Irak, où les minorités religieuses ont infiniment moins de droits qu’en Europe.

Une hypocrisie voire une duplicité sur fond de liberté d’expression et d’ingérence internationale.

 

Une série d’autodafés

L’épicentre de ce conflit se situe dans la capitale suédoise.

Le 28 juin, premier jour de l’Aïd-el-Kebir, un réfugié irakien incendie des pages du Coran devant une mosquée de Stockholm. Trois semaines plus tard, il réitère son acte en piétinant et déchirant un nouvel exemplaire du livre saint de l’Islam devant l’ambassade d’Irak, toujours dans la capitale suédoise.

Le 31 juillet, cette fois accompagné d’un acolyte, il piétine et met feu à un troisième exemplaire lors d’une manifestation appelant à l’interdiction de ce même Coran devant le Parlement suédois.

Parallèlement, fin juillet, de l’autre côté de la mer Baltique, le parti d’extrême droite Danske Patrioter a posté la vidéo d’un homme brûlant à son tour un Coran et piétinant un drapeau irakien, alors que des manifestations similaires se déroulent dans le pays.

 

Des actes « criminels » ?

Rapidement, les autorités irakiennes ont appelé à adopter « une position plus ferme et à mettre un terme à ces pratiques criminelles », alors que le lundi 31 juillet, les représentants des 57 États membres de l’OCI se sont réunis à Djedda, en Arabie saoudite, pour constater l’absence de réaction des Scandinaves, allant jusqu’à appeler, par la voix du secrétaire de l’organisation, le Tchadien Hissein Brahim Taha, l’Union européenne à prendre des mesures « pour que cet acte criminel ne se reproduise plus sous le prétexte de la liberté d’expression ». L’usage, par deux fois ici, du terme « criminel », relève d’une douce ironie alors qu’il est utilisé par des pays dont une bonne partie réprime, elle, de façon concrète et officielle, certaines minorités qui en Europe n’ont pas à subir les mêmes traitements.

Dans la foulée, l’OCI a également appelé les Nations unies à nommer un envoyé spécial contre l’islamophobie.

Cette ingérence de l’OCI dans les affaires internationales n’est pas une première, puisqu’elle avait déjà imposé, avec succès, à l’ONU d’expulser des associations LGBT d’une conférence sur le VIH en 2016.

 

Un conflit irako-irakien

Les actes au cœur de ce conflit diplomatique ont une nature particulière.

En effet, les auteurs de ces profanations, Salwan Momika et Salwan Najem, sont tous deux des réfugiés irakiens. Le premier, 37 ans, est arrivé en Suède il y a cinq ans avant d’obtenir le statut de réfugié en 2021. Il se définit comme un activiste athée. Responsable d’une milice chrétienne proche de l’Iran, il se serait rapproché depuis plusieurs années des Démocrates de Suède, principal parti d’extrême droite local.

Le second, arrivé au pays il y a 25 ans, a obtenu la nationalité suédoise dès 2005, et ne semble pas avoir d’antécédents connus.

Les appels à criminaliser les incendies de livres saints masquent en partie l’importation d’un conflit purement irakien sur le territoire suédois.

 

L’hypocrisie irakienne

Les autorités irakiennes se montrent depuis plusieurs jours particulièrement virulentes à l’égard de ce qu’elles considèrent comme une atteinte faite aux Suédois de confession musulmane.

Rappelons que ces derniers sont, fort heureusement, mieux lotis que certaines minorités religieuses vivant au pays des deux fleuves, où les minorités israélites sont toujours, à l’heure où nous écrivons ces lignes, interdites de carrières militaires et de fonctionnariat. Des persécutions sont également attestées à l’égard des yézidis, des chrétiens, et même des musulmans sunnites.

Il vaut donc mieux être musulman en Suède que juif en Irak.

De façon plus générale, l’état des droits des minorités dans les pays membres de l’OCI appellent à davantage de retenue sur la question, tant les accusations irakiennes relèvent d’une profonde indécence.

 

La liberté en danger

En effet, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Tobias Billström, la Suède a répondu par l’explication du droit de manifester tel qu’appliqué en Europe.

Ceci étant fait, et plutôt que d’affirmer avec force la liberté de manifestation et de conscience, le Premier ministre suédois Ulf Kristersson a évoqué une menace pour la sécurité du pays. Le gouvernement danois a rapidement suivi en indiquant qu’il examinait les moyens de limiter les actes de profanations.

Outre le fait que les autorités de ces pays cèdent à des puissances étrangères au nom de leur sécurité, ce qui est la définition même du terrorisme diplomatique, cette situation nous rappelle les mots écrits par Benjamin Franklin dans une lettre au gouverneur de Pennsylvanie en 1755 :

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

 

Un enjeu de civilisation

Placer ce conflit sur le plan religieux revient à faire une autre erreur d’analyse.

Si l’OCI raisonne par unité religieuse essentialisante, l’Occident fonctionne par nations comme espaces civiques où la législation ne change pas en fonction de la religion des individus.

En outre, on en vient ici à embrasser une forme de collectivisme en protégeant des communautés et des idées au détriment de la liberté individuelle. Une contradiction totale avec notre civilisation dont le philosophe Philippe Nemo a brillamment rappelé les fondements dans son ouvrage sorti en 2004.

Revenir sur ces notions par la bigoterie, qu’elle soit religieuse ici ou woke ailleurs, serait une profonde régression civilisationnelle à laquelle les démocraties ont le devoir de s’opposer le plus fermement possible, que soit par le biais de l’Union européenne, ou tout simplement du Conseil nordique, organisation internationale de coopération entre le Danemark, la Norvège, la Suède, l’Islande et la Finlande fondée en 1952. Les deux organisations, qui se targuent d’incarner les valeurs européennes, ont tout intérêt à répondre fermement aux attaques diplomatiques en contre-attaquant, par exemple, sur la différence dans le traitement des minorités des deux côtés du conflit. Il en va de la crédibilité internationale d’une Europe scrutée par les États-Unis, la Chine et la Russie.

Reste à savoir si les Suédois et les Danois se souviendront suffisamment tôt du proverbe de leurs amis norvégiens et ne joueront pas trop avec leur honneur.

Freeze Corleone : l’art autorise-t-il toutes les outrances ?

Décidément, il ne fait pas bon être rappeur ces temps-ci.

Après la polémique provoquée par l’invitation de Médine aux journées d’été d’Europe Écologie les Verts, c’est au tour de Freeze Corleone d’être la cible des critiques. Dans son dernier morceau Shavkat, le rappeur chante « Je préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Darmanin ».

En entendant ces paroles et en songeant aux conséquences qu’elles peuvent susciter (on reviendra sur ce point), certains pourraient être amenés à se poser la question : doit-on laisser aux artistes une liberté totale et entière, même lorsque certains propos et messages sont fortement problématiques ?

Ce n’est pas la première fois qu’une telle question se pose en ces termes.

Au début des années 2000, le rappeur américain Eminem avait provoqué une controverse similaire avec sa chanson Kim, dans laquelle il se met en scène en train de tuer sa propre femme. Des paroles à la mise en scène (Eminem chante en alternant cris et pleurs, un bruitage signifie aux auditeurs l’égorgement de Kim etc.), la violence y est présentée de la manière la plus brutale et crue.

Dans cette affaire, les velléités de censures avaient été très fortes. Or, cette chanson est tout sauf une apologie du meurtre conjugal. L’erreur des censeurs a été de confondre fiction et réalité. Kim n’est pas une simple chanson, c’est une œuvre artistique dans sa définition la plus pure : en racontant une histoire, l’artiste nous invite à pénétrer les tréfonds de l’âme et de la psyché humaine.

On entend souvent que l’art doit être subversif.

Mais bien souvent, la subversion pour la subversion aboutit à l’exact opposé : un anticonformiste ne l’est jamais volontairement, il subit sa marginalité plus qu’il ne la domine. Or, Kim est l’exemple d’une œuvre subversive, en ce sens qu’elle nous invite à entrer en empathie avec quelqu’un qui commet un acte tout à fait immoral. Eminem fait le même exercice que l’écrivain Emmanuel Carrère dans L’Adversaire, livre dans lequel il raconte comment Jean-Claude Romand en est venu à tuer sa femme, ses enfants et ses parents : comprendre l’inexplicable, mettre des mots sur l’horreur, entrer dans la subjectivité des êtres qui se rendent coupables d’actes inexcusables.

Cette expérience dérange, puisqu’elle nous confronte à un tabou, celui de l’existence d’une face obscure de la nature humaine, de la violence comme expérience historique inévitable. Eminem nous rappelle que le mal existe, et qu’il s’agit de s’y confronter pour le comprendre. Cette volonté de compréhension a été interprétée trop vite comme volonté de justification par tous ceux qui trouvent la chanson inacceptable.

Mais si Kim est bel et bien une œuvre de fiction, Shavkat est une tribune.

Freeze Corleone est un rappeur pleinement engagé dans la vie de la Cité. Comme l’explique Paul Didier, il « n’a même pas pour lui l’excuse de la distance ou d’un décalage provocateur », car, « son rap est totalement politique et premier degré lorsqu’il parle des victimes de la traite négrière, soutient la famille d’Adama Traoré, salue la mémoire de Rosa Parks ».

Le rappeur n’en est pas à son premier fait d’arme, en 2020 déjà, la Licra s’était indignée qu’il fasse « business de son obsession des juifs » et « l’apologie d’Hitler, du Troisième Reich et du terroriste Mollah Omar ».

Pour ne citer que quelques passages, voici ce que l’on peut entendre en écoutant Freeze Corleone : « J’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30 », « Chaque jour, fuck Israël comme si j’habite à Gaza », « Tout pour la famille pour qu’mes enfants vivent comme des rentiers juifs », « Faut qu’j’fasse tourner l’khaliss dans ma communauté comme un Juif »…

Revenons à notre phrase polémique : « Je préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Darmanin ». Au-delà du caractère profondément tendancieux d’une telle hiérarchisation, ce qui ressort surtout de cette punchline, c’est l’euphémisation de l’antisémitisme.

Il n’y a malheureusement rien d’étonnant à cela, tant Freeze Corleone apparaît comme un pur produit de l’antisémitisme des banlieues. Mais le problème est encore ailleurs, car au fond, l’antisémitisme supposé du rappeur n’est pas l’essentiel. Ce qui inquiète, c’est qu’il est très populaire auprès d’une jeunesse sur laquelle, inévitablement, le message politique qu’il porte trouve un écho certain.

Dans un entretien donné au journal Le Figaro, Iannis Roder, responsable des formations au mémorial de la Shoah, explique :

« Freeze Corleone sait exactement ce qu’il fait, lorsqu’il banalise l’antisémitisme, il sait très bien qu’il a une clientèle. En flattant l’idée que les juifs détiennent les pouvoirs financiers et politiques, il ancre des stéréotypes antisémites présents dans l’imaginaire des banlieues. »

On touche ici à une différence fondamentale entre Kim et Shavkat.

Si le premier ne risque pas de banaliser le meurtre conjugal (je pense même le contraire), le second participe clairement et efficacement à la banalisation et au renforcement de l’antisémitisme sur un public déjà baigné dans un environnement favorable à ces idées : ce genre de messages antijuifs a une résonnance forte dans les banlieues.

C’est pour cette raison que l’idée même de s’indigner d’une chanson comme Kim me paraît au mieux absurde, alors que l’indignation suscitée par Shavkat est légitimée par des inquiétudes rationnelles.

Sur twitter, la Licra a condamné « cette pathétique punchline de Freeze Corleone » et invite ceux qui lui donnent de l’audience à « réfléchir à leurs responsabilités ».

S’il n’est pas question de censurer Freeze Corleone, il est nécessaire de prendre davantage au sérieux le problème de l’antisémitisme dans nos banlieues. L’influence que peuvent avoir les propos d’un rappeur aussi populaire ne sauraient être sous-estimées, elles exigent des contre-argumentations solides et pédagogiques. Les réponses au tweet de la Licra nous le rappellent cruellement…

Il reste enfin à montrer à notre jeunesse qu’à côté de la provocation facile d’un Shakvat qui excite le ressentiment, il existe le génie subversif des grandes œuvres qui, comme le fait Kim, nous poussent à nous confronter à nos bas instincts plutôt que de s’y soumettre.

Avec le digital services act, l’UE veut contrôler la liberté d’expression sur internet

Par Élodie Messéant.
Un article de l’IREF

Dans un contexte d’émeutes urbaines en France, et de propagation de contenus violents sur les réseaux sociaux (appels à tuer, à brûler des voitures, etc.), Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, a annoncé vouloir bloquer les plateformes qui ne respectent pas la réglementation du Digital Services Act (DSA).

Selon lui, elles « n’ont pas fait assez » pendant cette périodeL’idée a été saluée par le président français Emmanuel Macron, qui s’est lui-même déclaré favorable à un blocage « ponctuel et temporaire » si la situation l’exige.

 

L’UE impose ses réglementations au mépris des décisions constitutionnelles

Applicable dès le 25 août, le DSA s’attaque aux plateformes ayant plus de 45 millions d’utilisateurs par mois comme Snapchat, Instagram, Meta ou encore Twitter.

Il prévoit l’interdiction de la publicité ciblée pour les utilisateurs mineurs, la mise en place d’outils de vérification de l’âge, l’interdiction du partage des données sensibles de l’utilisateur (origine ethnique, croyances religieuses, orientation sexuelle, etc.), la publication de rapports de transparence sur la modération, la publicité ou l’accès aux données publiques, ainsi que l’interdiction des « contenus haineux » et de la « désinformation ». Sur ce volet précis, l’accès aux réseaux sociaux pourra être temporairement suspendu si leur action n’est pas jugée suffisante après une sanction.

Il y a déjà eu des tentatives de régulation de la liberté d’expression sur Internet : la loi Avia contre les contenus haineux en est l’exemple le plus récent. Elle voulait obliger les plateformes à retirer ou rendre inaccessible sous 24 heures tout contenu comportant une incitation à la haine ou une injure discriminatoire en raison de la race, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. Le manquement à cette obligation était passible d’une amende susceptible d’atteindre 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial. Le Conseil constitutionnel a retoqué cette loi en 2020, arguant du risque de « surcensure » des plateformes elles-mêmes pour éviter toute condamnation. Aujourd’hui, une réglementation européenne similaire est pourtant sur le point de s’imposer.

 

La politique de modération des réseaux sociaux ne concerne pas les technocrates européens

Le DSA soulève les craintes légitimes des représentants du monde syndical, des associations écologistes, et plus généralement de tout groupe politique susceptible d’être bloqué sur des critères flous et arbitraires.

Les politiques de modération imposées par les États comportent d’innombrables travers qu’il serait difficile de lister de manière exhaustive.

Des exemples : la suspension du  compte Twitter du média StreetPress en 2020, à cause d’une interview du directeur sur la loi Sécurité globale, avec une vidéo tirée du live de Révolution permanente ; celle, la même année, pendant quelques heures, des comptes Instagram de deux journalistes de Charlie Hebdo après la publication à la Une du journal de caricatures du prophète Mahomet, lorsque le procès des attentats a commencé ; même chose pour la publication, sur Facebook, d’une photo de Zak Kostopoulos, militant homosexuel et défenseur des droits LGBT, après des signalements en masse. C’est la sévérité des sanctions, en cas d’inaction, qui poussent ces plateformes à appliquer un strict principe de précaution.

Certes, ne pas réguler la liberté d’expression sur Internet n’est pas non plus sans danger.

Il s’agit d’une balance des intérêts et des risques : vaut-il mieux jouer la surprotection et censurer à l’excès les contenus en ligne, voire bloquer des plateformes au détriment de l’ensemble des utilisateurs, ou prendre le risque de la liberté et laisser proliférer même des contenus jugés – sans réel critère objectif –  problématiques ? Nous disposons de quelques éléments pour répondre. Tout d’abord, les internautes se soucient davantage de bénéficier d’une bonne couverture réseau partout sur le territoire, que de savoir si, et comment, les GAFAM sont régulées.

Nous avons pu le constater avec le volet numérique du Conseil national de la refondation (CNR). Ensuite, l’absence de réglementation n’est pas l’absence de contrôle : certaines interdictions sont parfaitement légitimes (apologie de la violence, pédopornographie, etc.), et les plateformes devraient être libres de déterminer elles-mêmes leur politique de modération, sans ingérence de technocrates non élus.

Sur le web

Geoffroy Lejeune au JDD : la panique morale de la gauche ?

Qu’il est doux d’être de gauche. Lorsque vous avez la chance de l’être (ou que vous vous en êtes persuadé, voire que vous l’avez jugé opportun pour votre image ou votre réussite), vous êtes quelqu’un d’ouvert, de tolérant, de généreux, d’accueillant, d’inclusif, de solidaire, d’altruiste, de bienveillant, d’empathique, de compassionnel, de démocrate, et bien sûr toujours la main sur le cœur. N’en jetez plus, j’en oublie certainement.

Mais voilà… Là où le bât blesse, c’est que tout ce qui s’écarte un peu trop de la gauche bon teint est rapidement décrié et qualifié d’extrême droite (moyen très commode de rendre un adversaire inaudible, de le châtier, tout en présentant ainsi son propre caractère vertueux).

En réalité, en lieu et place de l’esprit ouvert et tolérant que vous prétendez avoir, il se peut que se cache en vous un esprit intolérant. Et là où vous vous affichez comme étant un grand démocrate, on peut de demander si vous n’êtes pas plutôt entraîné vers la tentation totalitaire.

 

La liberté d’expression mise en cause

Si la grève au JDD pouvait légitimement exprimer un mécontentement de la part des journalistes qui y travaillent, elle n’a pas manqué de déborder le cadre du journal lui-même.

S’en sont mêlés de nombreux journalistes, intellectuels, politiques, célébrités de toutes sortes. Afficher ainsi sa tolérance et son ouverture d’esprit (sic), son « courage » face au terrible péril qui nous guette, relevait quasiment du sens du devoir de la part de tout esprit éclairé. Au pays des Lumières, on n’en attendait pas moins.

Alarmant jusqu’à la ministre de la Culture en personne, pas vraiment novice en la matière, mais aussi des représentants de syndicats, telle Sophie Binet, qui entendent se joindre aux journalistes pour « sommer » le président Macron d’agir.

Mais, interroge à juste titre Nicolas Lecaussin dans la Lettre des libertés de l’IREF, « la rédaction du JDD se serait-elle mise en grève si Lagardère avait nommé un ex-directeur de L’Humanité dimanche ? ». Il ajoute :

 

Lorsque l’État subventionne la presse et que les politiques s’en mêlent, les journalistes n’ont aucun problème de conscience. L’argent public n’a pas d’odeur. En revanche, si les milliardaires du privé investissent leur propre argent, cela devient dangereux.

 

Guillaume Roquette, rédacteur de la rédaction du Figaro Magazine, évoquait d’ailleurs dans une interview dès avril, au sujet de la sortie d’un numéro spécial sur le sujet, « la tentation de la pensée unique » dans l’audiovisuel public.

Au-delà de sa dénonciation du manque de pluralisme et du règne (terme qu’il évite justement) de la pensée marquée à gauche dans les médias, il y montrait comment les médias de gauche pratiquent une domination marquée des idées de gauche, à la fois assez évidente, mais aussi insidieuse dans la mesure où à force de répétition et de convergence de la ligne éditoriale et des analyses, l’auditeur finit pas retenir des choses biaisées et très binaires (l’entreprise comme lieu où on triche, où on exploite, où on ment, et autres biais de confirmation. Ne parlons même pas d’écologie…).

Des personnalités retentissantes comme Élise Lucet par exemple, pratiquent ce qu’il appelle un « journalisme à charge », qui consiste à forcer le trait et à élaborer des montages dans lesquels les personnes interviewées ne se reconnaissent pas dans ce qu’elles avaient voulu exprimer.

C’est le cas par exemple de France Inter, où il a la chance d’avoir une chronique de trois minutes dans la matinale (certains parlent de « caution de droite » à cet égard), et où l’immense majorité des invités hors politique sont des intellectuels de gauche ou apparentés (même chose à France Culture, où l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut, qui ne s’est d’ailleurs jamais présenté autrement que comme un homme aux idées plutôt de gauche, constitue une voix minoritaire et à part de la chaîne).

Ce qui ne serait pas forcément choquant en soi s’il ne s’agissait pas de radios publiques et qu’une chaîne concurrente comme CNews n’était pas accusée perpétuellement (par les gens de gauche) de ne pas respecter un équilibre suffisant entre droite et gauche (sacré paradoxe et comble de l’ironie !).

Pire, Guillaume Roquette et son équipe éditoriale montrent comment une différence dans la manière d’interviewer est notable selon qu’il s’agit d’un invité présenté comme un « intellectuel » (on ne précisera pas de gauche) ou de quelqu’un qui n’est pas de gauche, que l’on présentera, et avec qui on s’entretiendra de manière différente, tout en soulignant le caractère subjectif de ses propos et en évoquant son « opinion ». Imprégnation qui relève de la culture interne de la chaîne, dont les membres n’ont pas nécessairement toujours pleinement conscience et se gardent donc bien de le reconnaître.

Soulignons au passage, et Guillaume Roquette en donne des exemples, que les nominations à la tête d’un média public résultent généralement du transfert d’un journal (ou d’une radio) à un autre. Ce qui montre bien le deux poids deux mesures qui est pratiqué lorsque certains s’offusquent de la nomination du journaliste Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction du JDD.

 

La liberté de la presse en danger

Pour en revenir justement à ce « scandale » de la nomination de Geoffroy Lejeune à la rédaction du JDD, il est symptomatique que, comme à chaque fois qu’un événement d’actualité fait du bruit, on cherche aussitôt à légiférer en urgence.

On sait qu’Emmanuel Macron s’était déjà interrogé, de manière stupéfiante, sur l’opportunité de considérer l’information comme un bien public. C’était il y a maintenant quatre ans. Nous nous étions alors demandés dans quelle mesure nous ne risquions pas de tomber dans des dérives autoritaires, le retour à des formes sévères de censure, au danger d’aboutir à la quasi-nomination de journalistes d’État au service d’une sorte de ministère de la Vérité.

Sans aller jusque-là, cet article a surtout pour objet d’attirer l’attention sur ce qui se profile : il aura suffi d’une affaire montée en épingle pour que le président – dont nous disions plus haut qu’il avait été « sommé d’agir » par des groupes de journalistes – décide aussitôt la mise en place en septembre d’États généraux de l’information.

Mais déjà, plusieurs médias (indépendants ou pas classés à gauche, comme vous vous en doutez) nous alertent sur la composition loin d’être neutre du Comité chargé d’organiser ces États généraux. Il conviendra donc d’être vigilants et de suivre attentivement ce qui va se passer…

Censure croissante sur Internet : Russie et Europe, même combat ?

 

Ici le Kremlin

Déjà en 2019, le Kremlin annonçait le succès des premier pas de son projet Runet visant à contrôler les données transitant par la Russie, et tendre vers l’efficience d’un « Internet National », rejoignant les pays engagés dans ce qui a été nommé le « splinternet » (contraction de « splintering of the Internet », ou « cyberbalkinisation » de l’Internet), à savoir, un éclatement et une division progressive de l’Internet par certains pays comme l’inde, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, etc.

Chaque pays engagé dans ce phénomène de fragmentation de l’Internet originel le fait en raison de divers facteurs : technologie, commerce, politique, nationalisme, religion, intérêts nationaux divergents.

En Russie, sous couvert de « souveraineté numérique, autant dire que le projet de création du Runet ne va pas véritablement dans le sens de la liberté d’expression et d’opinion.

Si le sénateur Andreï Klichas évoquait une « loi sur la sécurité et la résilience d’Internet en Russie », elle n’était pas perçue de la même façon, ni par les observateurs ni par les opposants à la gouvernance de Poutine. Ces derniers évoquaient de leur côté une « loi de l’isolation d’Internet », l’édification programmée d’un « rideau de fer numérique » équivalent au Grand Firewall de Chine (GFC).

La même année amenant une nouvelle pierre à ce projet, une loi russe promulguée par le président Vladimir Poutine sanctionnait « toute offense faite à l’État ».

 

Accélération du projet Runet

Le projet Runet s’est encore accéléré avec la guerre en Ukraine.

Depuis le 4 mars 2022, une loi adoptée par les députés russes prévoit jusqu’à quinze années de prison pour la publication « d’informations mensongères » sur l’armée russe. L’objectif de cette loi est clair : empêchez toute diffusion non conforme à la version officielle.

Elle avait alors provoqué une réaction forte de l’ONG Reporters sans frontières. Pour son secrétaire général, Vladimir Poutine était  « en train de mettre son pays sous cloche ». L’ONG s’inquiétait de voir resurgir « une forme de contrôle des médias presque totalitaire, comme au temps du stalinisme ».

Pour corroborer ses propos, si des doutes subsistaient encore, le 22 mars 2022, toujours plus avant dans la censure, les députés russes validaient une nouvelle loi venant renforcer la précédente, une loi prévoyant de lourdes sanctions pour punir les « informations mensongères » sur l’action de Moscou à l’étranger. Autrement dit, toutes les informations ne coïncidant pas avec les informations officielles.

 

Ici l’Europe

À trop observer les agissements de la Russie relatifs à un contrôle et une censure de plus en plus poussés des réseaux sociaux, et en s’en inquiétant, il serait raisonnable que nous nous intéressions aux pratiques de l’Europe qui, de mon point de vue, s’engage sur un terrain bien hasardeux concernant internet.

Demain, ces initiatives pourraient ne rien avoir à envier aux pratiques du pouvoir russe actuel pour contrôler et maitriser totalement son cyberespace.

Le 10 juillet 2023, faisant référence aux émeutes urbaines en France, Thierry Breton déclarait :

« Non, les réseaux sociaux n’ont pas fait assez pendant ce moment […] Lorsqu’il y aura des contenus haineux, des contenus qui appellent par exemple à la révolte, qui appellent également à tuer ou à brûler des voitures, elles auront l’obligation dans l’instant de les effacer. Si elles ne le font pas, elles seront immédiatement sanctionnées ».

Pour ce qui est des sanctions : 

« Les réseaux sociaux pourraient être coupés, dès le 25 août prochain, si les plateformes ne suppriment pas rapidement les contenus jugés problématiques publiés sur leur interface » ; et ce conformément  à un nouveau règlement sur les services numériques en date du 19 octobre 2022 : le digital service act (DSA) qui entrera en vigueur à cette date !

À cette déclaration, trois remarques :

• La mise à l’arrêt total d’un réseau social est techniquement impossible puisque, dissimulé derrière un VPN permettant de modifier votre localisation en changeant votre adresse IP, il demeurera accessible pour une partie de la population disposant d’un certain savoir, simple à acquérir. Il serait souhaitable que, sous couvert de protéger la démocratie, l’Europe n’inflige pas aux Européens un copié-collé des méthodes qui relèvent des régimes autoritaires, voire totalitaires. D’autant plus que l’expression d’une colère se devrait être (hors cyber haine, appel à l’émeute naturellement) une source de réflexion et d’amélioration des gouvernements démocratiques.

• La notion « de contenu qui appelle à la révolte » interroge et met extrêmement mal à l’aise toute personne attachée à la liberté d’expression et d’opinion, et préoccupée par une censure de masse qui pourrait voir le jour et se révéler très subjective, et ce d’autant plus que c’est une notion qui n’apparait pas dans le règlement, tout du moins pas clairement. Quant à la notion de rapidement…

• Dans le cadre des tristes événements vécus en France, il s’agissait « d’appel à émeute », et de tristes faits d’armes d’individus décérébrés qui, vantant leurs exploits sur les réseaux sociaux, seront tracés et mis hors d’état de nuire par les cybergendarmes).

📰 Dès le 29 juin, sur directives de @Ch_RGZ, DG @Gendarmerie, 65 #cybergendarmes, d’active et des @reserves_gend détectaient, 24h/24 les appels à #émeutes, sur Internet.

👉 512 contenus illicites détectés
👉 50 projets déjoués
👉 interpellations, saisies de mortiers d’artifices pic.twitter.com/PnNVuuS95d

— CyberGend (@CyberGEND) July 7, 2023

 

Les Gilets jaunes seraient-ils considérés le 25 août comme  un mouvement de révolte ?

Déjà le 30 janvier 2020 j’alertais et m’interrogeais sur la difficulté à définir la fake news de la désinformation,  au regard des lois successives votées, sur la possibilité future d’organiser un mouvement du type Gilets jaunes, lequel a naturellement utilisé les réseaux sociaux pour se structurer afin de faire valoir ses contestations et opposition à la politique gouvernementale.

À travers le discours de Thierry Breton, si les propos ne sont pas clarifiés, il semblerait que mon alarmisme n’ait pas été pas infondé.

Pour rappel, je disais la chose suivante en évoquant cette loi :

« Les termes séditieux et subversifs ont été régulièrement utilisés par le pouvoir, et par le ministre de l’Intérieur lui-même pour disqualifier des Gilets jaunes. On pourrait penser que le hashtag #GiletJaunes, sous une telle loi, aurait rapidement pu faire l’objet d’une censure. Il aurait été facile, sous le Digital Act, d’invoquer la naissance d’un mouvement de sédition, et d’exiger des réseaux sociaux la censure proactive de ce hashtag afin d’empêcher les citoyens se revendiquant de ce dernier de pouvoir s’organiser sur les plateformes ».

Un mouvement citoyen contestataire de type Gilets jaunes serait-il aujourd’hui qualifié par le pouvoir alors en place de « mouvement de révolte ? » Pourrait-il se structurer facilement via les réseaux sociaux, comme cela a été le cas ? Ou tomberait-il immédiatement sous l’appellation « appel à la révolte » ? Telle est la question !

 

« Inefficacité » de la coupure des réseaux sociaux. Quid de demain ?

Pour ce qui concerne la France, quid de demain ?

La lecture que donne Thierry Breton du digital service act (DSA) interroge pour partie.

Une chose est certaine : à en croire les propos tenus, et sous couvert de protéger les citoyens, une nouvelle étape a été franchie, à savoir prétendre éventuellement sanctionner tout un quartier, une région, une ville… pour lutter contre des délinquants devenus hors contrôle. Ce type d’approche ouvre la porte à des abus potentiels qui n’auraient alors rien à envier à ceux constatés dans certains pays où la censure est une approche coutumière.

La France, ou d’autres pays européens, passeront-ils un jour à l’échelon supérieur ? Comment useront-ils de l’arsenal juridique européen de contrôle d’internet de plus en plus étoffé ? Le pouvoir français, considérera-t-il qu’une contestation populaire de type Gilets jaunes (non pas des émeutes) n’aura pas lieu d’être sur le territoire national ? Devant l’inanité des coupures des réseaux sociaux, en cas de « difficulté » et de mobilisation forte de la population, l’étape suivante pourrait alors être la tentation d’une coupure totale d’internet comme le pratiquent régulièrement l’Inde, la Turquie, etc.

 

Pour conclure…

La censure peut freiner une révolte, mais n’arrête aucun désespoir !

Enfin, si nous observons de véritables révoltes populaires, comme le souligne Mounir Bensalah, militant et blogueur marocain auteur de Réseaux sociaux et révolutions arabes ? :

« Le rôle des réseaux sociaux dans le Printemps arabe en 2013 a été très exagéré, notamment par les médias occidentaux […] s’ils ont servi à mobiliser, à informer et à s’informer. Voire à attiser la colère. Ils ont en outre permis d’attirer l’attention des médias étrangers, empêchés de travailler librement dans les pays fermés, et de les alimenter en images… »

Et d’ajouter :

« Les populations des pays arabes ne sont pas descendues dans les rues grâce aux réseaux sociaux, mais elles ont plutôt été poussées à se révolter pour des raisons sociales et politiques. D’ailleurs, peu de gens étaient réellement connectés, et beaucoup d’entre eux n’avaient même pas accès à un ordinateur. »

Dix années plus tard….

En Occident, en France comme ailleurs, à l’instar du Printemps arabe, par-delà un accès Internet sans commune mesure, compte tenu des lois à vocation coercitive, la leçon ne semble pas avoir été retenue, ou du moins l’Occident a eu une mauvaise interprétation du rôle des réseaux sociaux, qu’il persiste à surestimer.

L’Europe tente d’infliger des mesures de plus en plus coercitives et floues pour une minorité d’individus qui ont un usage des réseaux pénalement répréhensible et qui, bis repetita placent, s’ils agissent sur le territoire national peuvent être rapidement mis hors d’état de nuire.

Quand l’analyse est biaisée, la réponse ne peut être pertinente. En cas de crise sociale et politique majeure, en cas de désarroi et de désespoir d’une population entière dont la souveraineté serait bafouée et qui serait maltraitée, il me semble que les choses ne seraient pas drastiquement différentes en Europe.

« Les peuples opprimés finissent toujours par se révolter. » Marilyne Tremblay Coutu

… Et nul besoin de réseaux sociaux.

Pap Ndiaye et sa conception bien singulière de la démocratie

Pap Ndiaye a une conception bien à lui de la démocratie, qui vise à encourager la libre expression… dès lors qu’elle reste dans la sphère du politiquement correct.

Tout média qui s’écarterait de ce qu’il considère lui-même comme cantonné à des formes de pensée respectable serait à ranger sans conteste sous un seul vocable tombant tel un couperet : « d’extrême droite ». Et n’aurait, à ce titre, plus vraiment voix au chapitre dans les débats censés animer la démocratie.

 

CNews et Europe 1, des médias « d’extrême droite »

Le très contesté ministre de l’Éducation nationale, empêtré dans ses réformes peu convaincantes et une Éducation nationale qui se porte très mal, n’a d’autre souci – pour mieux détourner l’attention de son impéritie – que de se préoccuper de la manière dont se porte notre démocratie, apparemment en danger (face à la perte de monopole des idées de gauche, si caractéristiques des médias traditionnels au cours des dernières décennies).

Ne prenant que son courage à deux mains, il se lève donc contre les dangers qui nous menacent : un dangereux capitaine d’industrie « proche de l’extrême droite » serait en passe de transformer différents médias en parangons de l’intolérance et de la haine du même bord politique. Face à ces menaces, il se devait donc de réagir. Comme il l’avait d’ailleurs déjà fait récemment en sanctionnant deux professeurs de philosophie d’un syndicat minoritaire dont les positions peu complaisantes avec les politiques gouvernementales lui étaient apparues dangereuses, outrepassant selon lui la liberté d’expression.

En chantre de la bonne conscience de gauche et de tout ce qu’elle compte d’aficionados, il n’entend pas rester muet face à une telle intolérance.

Interrogé sur le mouvement de grève au JDD, face à la terrible menace à laquelle est confronté le journal, il se joint ainsi à sa manière aux propos qu’avait déjà tenus il n’y a pas si longtemps l’actuelle ministre de la Culture, pour dénoncer la manière dont les dits médias maltraitent l’information et risquent d’influencer de manière dangereuse les idées de certains Français fragiles et influençables, qui risquent bien de dériver vers de bien obscurs recoins de la perversion humaine.

Ne suit-il d’ailleurs pas en cela l’une des préoccupations du président qui, lui-même naguère, était prêt à considérer l’information comme un bien public – et donc à mettre à l’abri des dangereux fanatiques qui pourraient avoir l’heur de la pervertir par de fâcheuses (fascistes ?) analyses (tout comme ceux qui mettent en cause l’origine anthropique du réchauffement climatique sont considérés par certains à gauche comme de dangereux « climatosceptiques d’extrême droite ». Tout ce qui fâche a tendance à être affublé du même qualificatif, qui a pour mérite de classifier et décrédibiliser aussitôt).

D’autres encore – décidément particulièrement nombreux à gauche lorsqu’il s’agit de s’inquiéter des menaces que représente l’extrême droite, à l’heure où les émeutes de juin 2023 devraient retenir un peu plus l’attention du moment – s’inquiètent de ce que l’on accorde trop de place à la parole de « ceux qui sont dans la caricature et dans l’outrance » (dixit une Marine Tondelier qui a son idée sur ce qu’est le comble du libéralisme et du culte de l’individu, s’érigeant contre « la ségrégation et la ghettoïsation » dont seraient victimes les pauvres émeutiers de juin, maltraités par la société).

C’est bien connu, la véritable menace actuelle pour notre société, est bel et bien « l’extrême droite ».

 

Des réactions bien légitimes

Face à un ministre de l’Éducation nationale qui ne fait donc pas dans la dentelle et n’y va pas de main morte pour accuser certains médias et ses journalistes de représenter un danger pour la démocratie, les réactions – bien légitimes – ne se sont pas fait attendre.

Je n’ai hélas pas de lien à proposer ici, mais j’aurais aimé que vous puissiez entendre la réaction parfaitement légitime et sincère de Marc Menant (que je considère comme un honnête journaliste et historien, à la sensibilité de gauche non dissimulée), hier vers 19 h 30 sur cette chaîne que je ne saurais vous recommander (CNews), exprimant sa révolte contre de telles accusations. Car le ministre de l’Éducation nationale aurait apparemment également affublé les journalistes de cette chaîne du qualificatif (très grave) « d’antisémites ». Marc Menant, offusqué par de tels propos de la part d’un ministre qui se voudrait pourtant si vertueux, et endossant ce qualificatif pour lui-même (en tant que journaliste de la chaîne), s’est fait le devoir de nous faire savoir qu’il est lui-même fils de déporté, et à ce titre peu suspect de pouvoir être un antisémite notoire. Il a défendu également les 120 journalistes de la chaîne, qui exercent leur travail avec une certaine conscience professionnelle et ne méritent pas de telles accusations.

Je suis par la suite tombé sur le papier suivant, qui présente la manière dont Laurence Ferrari, journaliste connue de la chaîne, a à son tour réagi, laissant de côté toute langue de bois de manière à exprimer clairement ce qu’elle pense des propos scandaleux du ministre.

Je n’irai pas plus loin dans cet article et ne saurais mieux dire que ce que Laurence Ferrari énumère au nom des 280 journalistes des rédactions de CNews et Europe1. Je vous laisse vous faire votre propre idée sur cette attitude toujours aussi exaspérante de ces gens de gauche se présentant comme vertueux, toujours aussi prompts à évoquer la République en danger et à se présenter comme tolérants, là où il semble bien qu’ils ne font qu’encourager l’intolérance et la chasse à l’homme contre la liberté d’expression

Geoffroy Lejeune : la chasse aux sorcières continue…

Alors que Geoffroy Lejeune a été licencié du magazine Valeurs actuelles, où il occupait le poste de directeur de la rédaction, le voilà maintenant pressenti pour prendre la tête du Journal du dimanche (JDD). Au grand dépit de ses équipes de journalistes, qui se disent sidérés et se sont mis aussitôt en grève, craignant une « croisade réactionnaire » au sein de leur rédaction.

Si l’on peut tout à fait comprendre leur ressenti et considérer comme légitime une telle expression de leur mécontentement et de leurs inquiétudes, ce qui est en cause est davantage le déséquilibre devenu traditionnel – si on élargit les réactions à l’ensemble des médias – entre la capacité à être scandalisé par des événements lorsqu’ils se situent dans le « camp » de la droite plutôt que lorsqu’ils le sont dans le « camp » de la gauche (la politique est très guerrière, là où certains d’entre nous préférerons plutôt le simple débat démocratique). Ce deux poids deux mesures ne date hélas pas d’hier.

 

Le camp du Mal

Dans cette vision très binaire, tout ce qui se situe « à droite » ou est considéré comme tel (car il n’est pas rare pour les gens situés très à gauche d’avoir une vision très restrictive de la gauche) représente bien souvent le Mal, qu’il convient donc généralement de dénoncer, de décrédibiliser, de caricaturer, ou de houspiller autant que faire se peut, afin d’intimider ceux qui seraient tentés de s’en rapprocher d’un iota.

Dans l’affaire du licenciement de Geoffroy Lejeune, nous sommes ici dans le cadre de choix éditoriaux. Un organe de presse appartient à un propriétaire. Et il est en principe géré à la manière d’une entreprise. Il peut donc sembler a priori légitime qu’un groupe comme Valmonde -propriétaire du magazine Valeurs actuelles – décide à un moment donné de se séparer de certains de ses salariés. Ici, pour des raisons apparemment stratégiques et de ligne éditoriale (en simplifiant, car je ne connais pas le détail de ce qui s’est réellement déroulé en coulisses, la politique ayant là aussi certainement joué son rôle).

De la même manière, un autre patron de presse, Vincent Bolloré, à qui appartient le Journal du dimanche, est libre d’employer qui il veut. L’affaire, on l’a insinué, est probablement assez politique, et le capitaine d’industrie a certainement jugé qu’il n’y avait pas de raison de laisser à la gauche (et ses journaux, pour beaucoup, subventionnés) le monopole de la liberté d’expression à géométrie variable. D’autant qu’il a dû considérer qu’il s’agissait d’un jeune journaliste indépendant et réputé brillant (y compris par ses ennemis, je pense, qui le jugent d’autant plus « dangereux »). N’en déplaise aux journalistes du JDD qui, même si on peut les comprendre, sont en théorie toujours libres de partir.

 

Le deux poids deux mesures

Revenons sur le « deux poids deux mesures ».

De quoi est « accusé » Geoffroy Lejeune ? De défendre des analyses proches de celles d’Éric Zemmour, qualifiées par conséquent – avec cet art traditionnel de la gauche de catégoriser les gens – « d’extrême droite ».

Par nature, la presse ne peut prétendre à la neutralité. Tout journal défend donc une ligne éditoriale qui suit forcément certaines orientations, même si l’on encourage une certaine diversité de points de vue au sein de cette ligne. Il n’est donc pas très difficile d’avoir une idée – même si leur métier est avant tout le journalisme – de vers où balance le cœur de tel ou tel journal. La gauche, à ce titre, semble loin d’être lésée. Et un journal comme Libération a beau jeu de dénoncer un prétendu « mouvement de pure extrême droitisation des médias », dont ce dernier événement dont il est question serait « la preuve ».

À souligner que, comme de nombreux Français l’ont souvent constaté et le déplorent régulièrement – leur confiance en la presse étant de plus en plus sujette à caution – le travail des journalistes n’est pas toujours très scrupuleux. Or, s’il y a bien une journaliste dont je salue personnellement la qualité du travail (quels que soient ses thèmes de prédilection, qui déplaisent naturellement à beaucoup de gens de gauche), c’est Charlotte d’Ornellas qui, avec beaucoup de dignité, a choisi de quitter elle aussi la rédaction de Valeurs actuelles, faisant preuve d’un courage dont peu pourraient se targuer.

Il se trouve que, contrairement à Geoffroy Lejeune que je connais moins, j’ai assez régulièrement eu l’occasion de suivre ses éditoriaux vers 19 h 30 sur cette chaîne elle aussi exécrée qu’est CNews, et je suis à chaque fois impressionné par son vrai travail de journaliste, très précis et factuel, qui fonde ses points de vue. Cela me fait d’autant plus de peine de la voir étiquetée aussitôt, sans autre forme de procès, de « figure médiatique d’extrême droite ». Une manière bien spécifique à la gauche (si tolérante) d’étiqueter ses opposants pour mieux les rendre par avance inaudibles…

 

Une violence plus ou moins légitimée

Là où le bât blesse, c’est que cette gauche si vertueuse – ou qui se croit telle – a un rapport très trouble à la violence et à la liberté d’expression ; sans doute un héritage de la Révolution française, à moins que ce ne soit dans ses gènes.

Que ne s’offusquera-t-on lorsque des personnes présumées « d’extrême droite » s’expriment ou sont représentées dans les médias. Quelles réactions outrées aura-t-on à l’annonce de la dissolution du groupe « Soulèvements de la Terre », pourtant auteur régulier de violences incontestables, quand les mêmes ont applaudi à la dissolution du groupe « Génération Identitaire » (auquel je me suis peu intéressé, mais dont je ne saurais citer des violences manifestes). Avec quelle absence de remords une Sandrine Rousseau prompte aux « débordements » réguliers se livre aux condamnations sommaires les plus décomplexées. Avec quel incroyable manque de pudeur les « plus grandes consciences » de la gauche vont convertir un acte héroïque peu ordinaire en satire, là encore en y attachant de manière obsessionnelle le nom de Bolloré…

En revanche, on n’hésitera pas à se livrer à une véritable chasse à l’homme lorsqu’il s’agit de délivrer les universités du risque droitier (bien limité, à vrai dire). Ou à défendre la dictature des minorités. Pas plus qu’on ne sourcillera outre mesure à l’annonce de l’assaut extrêmement violent de militants prétendument « antifascistes » contre un hôtel et des personnes, à l’occasion d’une séance de dédicace d’un livre du pestiféré Éric Zemmmour, en quelque sorte illégitime car catégorisé lui aussi comme « d’extrême droite », et donc à bannir, comme tout ce qu’il représente, aux yeux de ses ennemis. Que ne dirait-on si des propos aussi violents que ceux tenus à l’égard du même Éric Zemmour par un militant cégétiste (donc situé du bon côté politique) avaient été tenus par une personne engagée à droite ? Comment comprendre qu’une « responsable » comme Sophie Binet en vienne à transformer les faits en changeant, selon toute vraisemblance, « Auschwitz » par « Vichy » et en intervertissant ainsi le sens de l’attaque, pour défendre un militant pourtant coupable d’un acte antisémitite bien évident ?… Et nous pourrions bien sûr multiplier les exemples.

 

Un « grave danger pour la démocratie » ?

En conclusion, et bien que je ne me présente pas comme un partisan ni d’Éric Zemmour, ni de Marion Maréchal, pas plus qu’un admirateur particulier de Geoffroy Lejeune que je connais insuffisamment pour me prononcer (je m’adresse, ce faisant, à ceux qui souhaiteraient moi aussi me catégoriser), je déplore cette chasse aux sorcières permanente qui pollue les débats et est un obstacle au jeu démocratique tel qu’il devrait se dérouler.

La liberté d’expression est précieuse et c’est elle qu’il s’agit de défendre. Lorsque je lis des réactions au tweet de Sophie Binet dans lesquels on inverse la situation en qualifiant de « grave danger pour la démocratie » la plainte plus que légitime d’Éric Zemmour contre ce militant cégétiste qui a tenu des propos clairement inacceptables, il y a de quoi s’interroger.

Et, je le répète – pour en revenir au point de départ de cette chronique – si les journalistes du JDD sont tout à fait en droit de réagir et de manifester leur mécontentement à l’égard de la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de leur journal, il ne s’agira pas là non plus d’une atteinte à la démocratie si elle est confirmée. Ils devront composer avec, garder leur style et leur déontologie, ainsi que leur savoir-faire, tout en s’adaptant au mieux à la ligne éditoriale, et sans jamais se pervertir. Et contrairement à ce qui est affirmé par le journaliste de Libération cité plus haut, on ne pourra pas pour autant parler de « droitisation des médias », tout au plus d’un léger rééquilibrage (à supposer que la ligne change réellement), même si cela déplaît à cette gauche (pas toute, bien évidemment) si démocrate et tolérante… tant que seules ses idées sont représentées.

Quand on s’attaque à Zemmour, l’intolérance devient tolérable

Nous sommes le samedi 17 juin 2023. Soixante-dix personnes environ attendent à l’extérieur d’un hôtel du centre-ville de Brest, afin de rencontrer leur héros malheureux de 2022, Éric Zemmour, pour une séance de dédicace. Au même moment, pas loin, la gauche marche contre la loi immigration, l’extrême droite et le racisme.

Faut-il en savoir davantage pour deviner la suite des évènements ?

 

L’intolérance au nom de la tolérance ?

D’après les informations dont nous disposons, une soixantaine de militants antifascistes se seraient réunis, échangeant des insultes et provoquant les sympathisants d’Éric Zemmour, occasionnant une rixe et des dégradations du matériel.

Il n’est pas question de généraliser à l’ensemble des manifestants et de la gauche l’action d’une poignée de militants radicaux qui, ironiquement, utilisent des méthodes proprement fascistes au nom de… l’antifascisme. Il est toutefois toujours intrigant de constater que ces démonstrations d’intolérance viennent, comme souvent, de ceux qui prônent et revendiquent une certaine forme de monopole de la tolérance et de l’humanisme.

Ce qui apparaît à première vue comme la manifestation criante d’une dissonance cognitive est en fait totalement intelligible. C’est parce que ces militants croient dur comme fer à la légitimité et à la vertu de leurs idées et de leur morale, ontologiquement supérieure, qu’ils se permettent d’employer des moyens en tous points condamnables. Ce schéma causal est essentiel pour comprendre les mécanismes qui mènent à la brutalité en politique : jamais dans l’histoire un individu ou groupe d’individus n’ont utilisé la violence sans être persuadés que cette dernière était nécessaire, légitime et morale. Cette conviction pourrait presque être considérée comme une condition nécessaire (mais heureusement insuffisante) à l’éruption de la violence politique.

 

Un traitement médiatique qui questionne : l’intolérance de gauche serait-elle plus tolérable ?

Tout observateur honnête de la vie politique française est amené à reconnaître que les volontés d’interdictions, de censures, parfois par des moyens violents, émanent bien souvent de l’extrême gauche.

La gauche « institutionnelle » (aujourd’hui majoritairement représentée par la NUPES, des associations, des syndicats…), qui pourtant ne manque jamais de raisons de s’indigner, assume ne pas se désolidariser des actes de sa frange radicale, bien que cette dernière, à travers ses actions, incarne l’exact opposé des valeurs et idées qu’elle porte en étendard.

Plus récemment, le soutien de Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, aux propos polémiques de Frédéric Tronche qui lui valent des accusations d’antisémitisme, est un énième exemple d’un deux poids deux mesures qui laisse penser que l’intolérance de la gauche, parce qu’exercée au nom d’une morale supérieure, serait plus tolérable.

Ce phénomène s’explique en partie par l’absence de coût politique, social et médiatique d’un tel positionnement. Dit plus simplement, la polémique causée par ces deux affaires est circonscrite à l’indignation d’une partie de la droite, assez peu relayée en dehors de ces cercles.

À l’inverse, si l’extrême droite se rendait coupable de faits similaires, l’ampleur de la polémique serait toute autre. Imagine-t-on un instant Jordan Bardella soutenir des actions violentes de groupuscules d’extrême droite ? La réponse ne peut être que négative, tant le Rassemblement national, qui tente d’assagir et de lisser son image, aurait à perdre.

En effet, à l’exception des médias de droite conservatrice et d’extrême droite, la presse française a, dans son ensemble, traité le sujet avec une neutralité et une tiédeur qui étonnent. Qu’on ne s’y trompe pas, il n’est point question ici d’objectivité, mais de réticence à donner le sentiment de soutenir Éric Zemmour.

Ainsi, dans un article du journal Le Monde tiré de l’AFP du 17 juin, le terme « extrême droite » (avec la connotation négative qui l’accompagne) revient à quatre reprises alors que le terme « ultragauche » (pourquoi ne pas parler d’extrême gauche ?) est simplement mentionné une fois. Ce qui pourrait être interprété comme une simple prudence et humilité journalistique dans le traitement de l’évènement trahit en fait une volonté (certainement inconsciente) de relativiser une réalité factuelle qui dérange, car n’entrant pas dans les schémas interprétatifs habituels sur l’extrême droite : cette dernière joue ici le rôle de la victime, alors que l’extrême gauche porte le costume de l’intolérance.

Restons nous-mêmes prudents par rapport aux faits, et n’adoptons pas une vision binaire et manichéenne d’un évènement dont on ne sait pas tout. S’il est fort probable que les agresseurs se trouvent du côté des activistes antifa, rien n’empêche de penser que du côté des soutiens d’Éric Zemmour, certains aient pu se laisser aller à des provocations, envenimant davantage la situation. Le récit de l’évènement que tracent Zemmour et ses soutiens doit aussi être interprété avec précaution, tant il profite à la vision et à la posture politique que l’ancien candidat à la présidentielle promeut.

 

Quand appliquerons-nous enfin une conception libérale de la tolérance ?

Il reste que, dans son article, Le Monde tient malgré tout à souligner qu’un soutien d’Éric Zemmour, âgé de 19 ans, aurait « refusé d’être évacué avant d’avoir pu recevoir une dédicace de M. Zemmour, « retardant d’autant l’action des sapeurs-pompiers ». » Cette volonté d’inverser les responsabilités, ou tout du moins de les relativiser en minimisant les violences de l’extrême gauche antifa, apparait totalement contre-productive et dangereuse pour notre démocratie.

C’est parce que nous méprisons autant les idées d’un Zemmour que les idées d’un Aymeric Caron que nous devons tout faire pour que l’un et l’autre puissent les exprimer librement et sereinement. La tolérance n’est pas une simple valeur, c’est une pratique. C’est pour cette raison que la conception libérale de la tolérance apparaît comme la plus consistante, car elle nous amène à condamner avec la même clarté l’agression des soutiens de Zemmour et les insultes proférées à l’encontre de Sandrine Rousseau et Marine Tondelier.

Un cadre démocratique et libéral ne saurait tolérer ce genre d’actions et il est fort regrettable qu’à l’exception notable de David Lisnard et quelques autres, ces attaques n’aient pas fait l’objet de davantage d’indignation et de condamnation.

En démocratie, la fin ne tolère pas les moyens, et cela s’applique à l’ensemble du corps social et politique, de Génération identitaire aux antifas, en passant par les Soulèvements de la Terre. Le non-respect des règles de droit pour imposer ses idées n’est pas acceptable, sinon d’assumer une vision de la politique comme simple rapport de force en vue de la conquête du pouvoir. Mais alors, les plus forts gagneront au détriment des plus justes.

La bêtise humaine se porte toujours aussi bien (2)

Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner un petit échantillon de ce que la bêtise humaine est capable de produire au quotidien. La source n’étant pas près de se tarir, il n’y a que l’embarras du choix pour constater jusqu’où elle peut aller. Nouveaux exemples, tirés de l’actualité récente.

 

L’écologisme bête et méchant

Le dimanche 11 juin, environ un millier de fous furieux prétendument écologistes cèdent à l’appel des collectifs « La Tête dans le Sable » et « Soulèvements de la Terre », dans le but de « protester contre l’exploitation industrielle du sable dans le maraîchage, l’extension de carrières de sable et la bétonnisation ». Joli programme.

Nul n’ignore que ce type de mouvement, qui a déjà eu l’occasion de se distinguer de manière ultraviolente, au-delà de la science (si ce n’est militante) et de la raison, mais aussi des principes démocratiques, prône en réalité la décroissance et l’anticapitalisme. Le problème, ici, est que, sous couvert de défendre l’écologie, cette horde de moutons de Panurge très primaire s’en est pris à des cultures expérimentales, au dépit et au grand désespoir de ceux qui œuvraient justement pour la recherche de méthodes de culture plus écologiques !

Saccageant tout sur leur passage, selon leur méthode habituelle, et ne faisant pas dans le détail, ils ont ainsi détruit trois années de travail de ces petits producteurs et chercheurs. Sans aucune réflexion, sans égard pour l’autre, sans chercher à se renseigner au préalable sur ce qu’ils étaient en train de détruire, sans complexe au regard d’une violence qu’ils jugent légitime (n’est pas Thoreau, ni Gandhi qui veut, et ne comprend l’idée de désobéissance civile que celui qui dispose d’un minimum de culture). Parant leur action du vocable romantique ou « citoyen » d’« éco-sabotage », ce qui vise à donner l’illusion que leurs actions violentes et illégales seraient légitimes.

Face à tant de bêtise et de violence primaire, nous sommes en droit de nous demander si ceux qui attendent tout des autres sont encore capables de penser par eux-mêmes et de prendre des initiatives créatives plutôt que de s’inscrire encore et toujours dans la violence gratuite et irresponsable, dans l’unique protestation inefficace, sans limites et contre-productive.

 

Une liberté d’expression à géométrie variable

Dans le même ordre d’idée, où certains s’accaparent le droit de revendiquer, d’être entendus (y compris par la force et sans égards pour les autres, comme nous venons de le voir), il y a toujours cette conception de la liberté d’expression qui doit être défendue… à condition de se situer dans le bon camp.

Nous présentions, il y a peu, un pamphlet d’Éric Naulleau, dont nous écrivions que la sortie n’allait pas vraiment arranger les affaires de son auteur. Décidément intrépide et sans complexe, le célèbre critique littéraire et chroniqueur s’est aussitôt fait brocarder et évincer du jury du festival de Cabourg, pour avoir osé franchir le Rubicon en accordant un entretien… sur la liberté d’expression, au magazine Valeurs actuelles (crime de lèse-majesté). Comme chacun sait, la liberté d’expression s’arrête là où commence l’intimidation et l’idéologie dominante. Quitte, dans certains cas, à recourir là encore à la violence contre les récalcitrants.

Et c’est tout le problème : la liberté d’expression, oui, mais uniquement si vous êtes du bon côté. Comme le titre de l’article de Pierre Jourde dans Marianne en lien plus haut le suggère, « La liberté d’expression, valable pour certains, pas pour d’autres ».

J’apprécie d’ailleurs l’humour du chroniqueur, dont je vous cite cet extrait bien senti :

 

« J’ai récemment donné un entretien au journal L’Humanité, pour dénoncer les nouvelles entraves à la liberté d’expression. Dès le lendemain, le responsable de mon club de boxe m’a passé un coup de téléphone. Il n’y est pas allé de main morte : « Tu as choisi de t’exprimer dans l’organe d’un parti qui a approuvé le pacte germano-soviétique, dénoncé les dissidents, soutenu les procès de Moscou, les purges, le goulag, les millions de morts. Ce ne sont pas nos valeurs. Je suis désolé, mais tu ne fais plus partie du club. »

Non. Je blague. Qui pourrait aujourd’hui tenir ce raisonnement stupide ? L’Humanité a toute sa place dans l’espace démocratique, et on a le droit de s’y exprimer, même si on ne partage pas ses idées. Ça n’engage pas. Vous êtes d’accord ? Vous avez tort. La liberté d’expression, la démocratie, c’est valable pour certains, mais pas pour d’autres. Le raisonnement simple que je viens de tenir n’a plus lieu dans certains cas… »

 

Il n’y a rien à ajouter. On comprend bien ici que nous sommes au-delà de la bêtise, puisque ce sont les fondements mêmes de la liberté d’expression, et donc des libertés fondamentales, qui sont en cause. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur Valeurs actuelles ou sur Éric Naulleau. L’intolérance pure, au nom du prétendu Bien.

 

Henri, le héros décrié

Puisque nous sommes dans le chapitre de l’intolérance et de l’idée que ce qui est valable pour les uns ne l’est pas pour les autres… Pensez à préparer votre cv, au cas où il vous arriverait de devenir de manière inopinée… un héros.

Nous avons connu ces dernières années quelques exemples de héros remarquables, dont nous avons tous admiré le sens de l’engagement et le sang froid dont ils ont fait preuve dans des circonstances extraordinaires. Mais le profil de ce nouveau héros dérange

À peine passées les premières heures durant lesquelles tout le monde a pu saluer le courage d’un jeune homme tentant de s’interposer entre un fou dangereux et d’autres victimes potentielles qu’il aurait pu faire, voilà que son profil interroge. Catholique traditionaliste, parti en tournée de visite des cathédrales de France… Ouille, voilà qui s’annonce mal ! T-shirt arborant le drapeau français en prime, c’est beaucoup pour un même homme. Et les grandes consciences de s’interroger sur l’éventuelle appartenance de ce jeune homme à « l’extrême droite », et autres questions concernant les « sources d’inspiration » de ce héros d’un jour ou de quelques heures.

Peu importe qu’il ait sauvé des vies. Peu importe qu’il ait mis sa propre vie en danger comme peu l’auraient fait. Le profil dérange. Il ne correspond pas aux stéréotypes ou aux standards de ce que l’on attend, de ce que devrait être un vrai héros.

Sans commentaire…

 

« L’écosexe », nouvelle lubie d’un écologisme jamais à court d’idées

On croit rêver… Mais non, c’est bien authentique. Certains illuminés semblant sortis tout droit d’une secte, subventionnés en prime par la ville de Lyon (c’est vrai que quand il y a de l’argent à prendre, toute cause est belle), conçoivent un « spectacle d’écosexe » qui « propose en extérieur des performances mêlant écosexualité, écoféminisme et botanique, n’hésitant pas à s’afficher en public dans le plus simple appareil, parfois en présence d’enfants ».

Je n’ose trop vous engager à jeter un coup d’œil sur la petite vidéo de l’article en lien ci-dessus, c’est tout simplement effarant. Un homme rampe presque entièrement nu sur le sol, léchant la végétation au sol et autres simagrées, ainsi que moult détails qui ne m’intéressent même pas, mais que je vous laisse découvrir si vous le souhaitez. Et devant un public composé en partie d’enfants. Et, bien sûr, au nom de l’harmonie avec la Nature (à qui il fait l’amour).

Là aussi je n’ai rien à ajouter…

 

Le petit bonus, pour terminer

 

Et que pensez-vous de ceci ? Mathieu Orphelin, ancien député et actuel Directeur général de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) interpelle Coca-Cola après qu’une cigogne s’est coincé le bec dans l’une des canettes de la firme. Doté d’un bon sens et d’un réalisme époustouflants, il demande ainsi à ses dirigeants : « Avez-vous mis en oeuvre des moyens (drones ou autres) pour retrouver cette cigogne et la secourir ? ».

Je vous laisse apprécier les réactions mieux avisées des lecteurs de l’article, qui réagissent nombreux avec bien plus de réalisme et de bon sens (Qui doit-on incriminer, Coca-Cola ou la personne irrespectueuse et négligente qui jette ses déchets en pleine nature ? Fera-t-on un procès à la LPO si l’un des gadgets qu’elle vend occasionne des dommages similaires ? Idem pour des tas d’autres exemples de produits ou ustensiles de tous les jours. Et quid des dégâts causés par les éoliennes sur les oiseaux ? Etc. Il y a l’embarras du choix).

Oui, décidément, la bêtise se porte bien. Tandis que des événements graves se déroulent à nos portes, certains n’ont décidément rien d’autre à faire que de se préoccuper de futilités ou de choses sérieuses mais avec un regard bassement partisan teinté d’ignorance et d’intolérance. Pauvre de nous…

Pourquoi les 12 propositions de la loi visant à instaurer une majorité numérique sont inapplicables

Article disponible en podcast ici.

 

« Les combats très intimes que nous menons […] sont à chaque fois bousculés parce que des contenus qui disent exactement le contraire circulent librement sur les plateformes… »

Cette phrase ne provient ni de Poutine ni de Xi Jinping, mais de Macron lui-même dans le dossier de presse de la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne ».

Nos députés vont avoir la chance de débattre d’une loi fourre-tout qui souhaite censurer la liberté d’expression, combattre le cyberharcèlement, stopper la pornographie, résister à AirBnB et bien d’autres.

Puisque nos députés sont trop occupés à vider le bar de l’assemblée, nous allons voir par nous-mêmes si les 12 propositions sont techniquement applicables.

(Les rubriques Problème et Proposition viennent directement du dossier de presse)

 

1. Créer un filtre de cybersécurité antiarnaque

Problème : après avoir reçu un faux SMS de l’assurance maladie l’invitant à cliquer sur un lien, l’internaute risque d’y déposer ses coordonnées bancaires.

Proposition : au moment de cliquer sur le lien, il recevra un message lui indiquant que le site vers lequel il se dirige est compromis.

Analyse : se pose déjà un gros problème constitutionnel. Comment peut-on informer que le site est nuisible sans espionner les messages des citoyens ? La loi relative au renseignement de 2015 oblige déjà les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) à espionner les citoyens pour lutter contre le terrorisme. Cette proposition ne généralise-t-elle pas insidieusement cette écoute à tout internet ?

De plus, un site web avec un nouveau nom de domaine se construit en seulement 10 minutes. Les sites d’arnaques n’auront aucun mal à changer d’adresse autant de fois que nécessaire s’ils sont blacklistés ; sans même parler des raccourcisseurs d’URL comme bit.ly qui pourront être utilisés pour cacher l’URL de l’arnaqueur dans les messages.

 

2. Choisir librement son moteur de recherche, son navigateur, sa messagerie

Problème : pour communiquer avec ses proches qui ont installé une application comme WhatsApp ou Olvid, il est nécessaire d’installer la même application qu’eux.

Proposition : comme c’est déjà le cas pour les mails, il sera possible de communiquer avec ses proches sans avoir à disposer de la même messagerie qu’eux.

Analyse : voilà que le gouvernement veut normer les applications de messageries ! Mais se pose un problème technique car les mails utilisent le même protocole, ce qui les rend interopérables. Or, une application comme Olvid ne communique pas de la même manière que WhatsApp.

Le projet open source matrix.org souhaite justement faire une sorte de pont entre toutes les apps. Un autre projet nostr veut reproduire un protocole unique comme les mails, mais pour les messageries.

L’État français sombre dans une administration absolue qui veut normer jusqu’au protocole de messagerie. Ce n’est pas son rôle.

 

3. Bannir des réseaux sociaux les personnes condamnées pour cyberharcèlement

Problème : une personne condamnée pour cyberharcèlement sur un réseau social peut continuer à y propager la haine.

Proposition : le juge pourra prononcer une peine complémentaire de suspension de l’accès au compte du réseau social pendant six mois, et un an en cas de récidive.

Analyse : n’importe qui peut créer autant de comptes anonymes en ligne. Un cyberharceleur pourra toujours créer un autre compte s’il est banni du premier.

Macron a déjà fait part de son dégoût pour l’anonymat : « Dans une société démocratique, il ne peut pas y avoir d’anonymat ». Cette proposition est le cheval de Troie pour mettre fin à l’anonymat en ligne.

Mais cela ne sera même pas suffisant, l’interdiction de l’anonymat ne sera applicable que pour les citoyens français. Or, sur internet, il suffit d’utiliser un VPN (comme protonVPN) pour enjamber les frontières et les législations. Le harceleur devra juste passer par un VPN.

 

4. Encadrer les nouveaux types de jeux en ligne

Problème : le cadre juridique d’interdiction par défaut pénalise l’innovation numérique dans les jeux et le divertissement sans protéger efficacement les utilisateurs.

Proposition : la France demeurera une terre d’innovation, tout en étant l’un des premiers pays à adopter une législation protectrice des utilisateurs de jeux fondés sur le Web3.

Analyse : au milieu de tout ce fourbi, il n’est pas étonnant de trouver une énième réglementation des cryptomonnaies. Car oui, le web3 désigne les nouveaux sites web qui utilisent des cryptomonnaies pour fonctionner. Pour plus de détails, consulter cet article consacré au web3.

Le web3 est décentralisé. Le paiement se fait en cryptomonnaie et les données sont sur des blockchains. Donc, nul besoin de laisser son identité pour louer un serveur en ligne ou accepter les cartes bancaires.

Je souhaite donc bonne chance au gouvernement pour réguler un site décentralisé.

 

5. Mettre fin à l’exposition des enfants aux contenus pornographiques en ligne

Problème : les sites pornographiques ne mettent pas en œuvre les solutions techniques de vérification d’âge existant pourtant sur le marché.

Proposition : les sites qui persisteront à contrevenir à la loi pourront être bloqués sous un mois et redevables d’une amende allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial.

Analyse : entre les livres érotiques de Schiappa ou de Bruno Le Maire, ce gouvernement semble obnubilé par le porno. Les techniques de vérification d’âge existantes ne permettent pas de protéger l’identité de l’utilisateur. Les sites pornos n’en veulent pas, au risque de perdre une partie de leurs clients.

Et encore une fois, si la France met une limite d’âge sur les sites pornos, un simple VPN permet de changer de législation.

 

6. Retirer plus rapidement les contenus pédopornographiques en ligne

Problème : les prestataires hébergeurs doivent participer à la lutte contre la diffusion de contenus pédopornographiques. Mais les défaillances sont impunies.

Proposition : en 24 heures, les hébergeurs défaillants pourront être poursuivis pour non-respect d’une demande de retrait présentée par la police ou la gendarmerie.

Analyse : cette proposition retente la loi Avia pourtant retoquée par le Conseil consitutionnel. Il s’agissait de sanctionner les plateformes hébergeant des contenus pédophiles, terroristes, ou laissant faire le harcèlement. En termes de temps de réponse et d’amende, les contraintes entraîneraient une censure par les plateformes.

On pourrait croire au rôle magique de l’IA pour analyser le contenu. Sauf que celle-ci n’est pas aussi fiable. Et il existe déjà des méthodes qui ajoutent du bruit dans les images pour duper les IA.

Avec cette proposition, c’est un véritable travail de Sisyphe qui attend les plateformes. Le seul gagnant sera l’État qui pourra facturer 250 000 euros par contenu non retiré à temps.

 

7. Interdire la publicité ciblée sur les mineurs ou utilisant des données sensibles

Problème : les mineurs sont considérés comme des consommateurs précoces et directement ciblés sur la plupart des réseaux sociaux.

Proposition : les plateformes auront l’interdiction absolue de pratiquer le ciblage publicitaire en direction des mineurs, sous peine de lourdes sanctions.

Analyse : c’est une bonne chose, il est scandaleux que le parti au pouvoir crée un compte Tiktok pour endoctriner les jeunes. Cela ressemble aux pratiques de régimes totalitaires. Toutefois, cette proposition ne s’adresse pas à la pratique macronienne.

Imaginons qu’une influenceuse à Dubaï arnaque les enfants français sur une plateforme chinoise comme Tiktok. Le problème est déjà de savoir dans quel pays porter plainte : en France, aux Émirats ou en Chine ?

Et encore une fois l’administration française met les pieds en dehors du régalien. Elle se substitue à l’éducation des parents sur les dangers et menaces qui entourent leurs enfants.

 

8. Interdire aux géants du numérique de privilégier leurs services sur leurs plateformes

Problème : les grandes plateformes abusent de leur position dominante d’intermédiaires pour avantager commercialement leurs propres offres.

Proposition : la réglementation commerciale la plus ambitieuse depuis un siècle, adoptée pendant la présidence française de l’UE, protégera nos entreprises grâce à une concurrence équitable.

Analyse : une fois encore, on passe du coq à l’âne dans cette loi, des marketplaces aux navigateurs en passant par l’hébergeur cloud, alors que chaque cas est différent.

  • La plupart des marketplaces n’ont pas de monopole. On peut installer une app android sans passer par Google Play, acheter un jeu vidéo sans passer par Steam. Le seul acteur qui ne respecte pas la libre concurrence est Apple qui impose son store pour installer une app sur iPhone. Inutile de faire une loi, il suffit de condamner Apple.
  • Rien de plus simple que de changer de moteur de recherche. Au lieu de se rendre sur google.com, il suffit de taper duckduckgo.com, c’est tout. Google est donc à un clic de la concurrence.
  • Pour les hébergeurs cloud, nous voilà devant un épineux problème de choix des technologies d’infrastructure.

 

Il existe des alternatives pour tout. Si vous prenez une base de données DynamoDB sur Amazon Web Service, alors oui, vous allez être coincé chez eux. Mais si vous choisissez une Postgres, vous pouvez la migrer où vous voulez. Tout dépend de vos choix technologiques.

Plutôt que de pondre des lois, le gouvernement devrait montrer l’exemple et arrêter de courir chez Microsoft pour tous ses besoins. L’État utilise Microsoft pour tout, y compris pour stocker les données de santé des Français.

 

9. Réduire la dépendance des entreprises aux fournisseurs de cloud

Problème : pour changer de fournisseur cloud, une entreprise doit payer des frais équivalents à 125 % de son coût d’abonnement annuel.

Proposition : aucun frais de transfert ne sera facturé en changeant de fournisseur. Le non-respect de cette interdiction sera sanctionné d’une amende allant jusqu’à un million d’euros, et deux millions en cas de récidive.

Analyse : cela ressemble à la proposition précédente. Il n’existe aucune taxe à la migration vers un autre cloud. Le prix provient du travail pour changer le code ou les données vers la nouvelle plateforme. Encore une fois, des technologies open source couvrent 99 % des besoins informatiques (linux, docker, kubernetes, postgres, redis, etc) et qui sont disponibles dans tous les clouds, y compris français, tels OVH ou Scaleway.

 

10. Soutenir les collectivités dans la régulation des meublés de tourisme

Problème : pour une collectivité, notamment à faibles moyens, il est coûteux et complexe de faire appliquer la régulation des meublés de tourisme.

Proposition : grâce à la création d’un intermédiaire chargé de standardiser et partager les données, la régulation sera plus efficace et moins coûteuse.

Analyse : difficile d’analyser une proposition aussi floue : « création d’un intermédiaire chargé de standardiser et partager les données ». Il s’agit encore d’une énième Haute autorité de machin ou d’un Conseil régional de truc ?

Pourquoi l’État se bat contre AirBnB tout en détruisant la location classique ? Son DPE vient de rendre inlouable des millions de logements. Tout est fait pour rendre la location déficitaire et encourager AirBnB.

 

11. Interrompre la diffusion de médias étrangers faisant l’objet de sanctions internationales

Problème : des médias frappés par les sanctions européennes peuvent continuer à relayer leur propagande grâce à des rediffusions indirectes sur internet.

Proposition : l’ARCOM pourra leur enjoindre de faire cesser la diffusion des contenus sanctionnés sous 72 heures. En l’absence d’exécution, l’ARCOM pourra ordonner le blocage du site concerné.

Analyse : encore une fois un VPN permettra de regarder le média interdit en France.

 

12. Lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux

Problème : les actions de lutte contre la désinformation et les ingérences numériques étrangères ne sont pas coordonnées entre les pouvoirs publics, l’industrie et les organismes de recherche.

Proposition : les principales plateformes en ligne, les acteurs du secteur de la publicité, les organisations de recherche et de la société civile collaboreront plus efficacement pour lutter contre la désinformation.

Analyse : il fallait bien conclure ce chef-d’œuvre par un bouquet final. La loi Avia réapparaît clairement en proposant de censurer internet au nom de la désinformation. Ce texte oublie le principal sujet. Qui définira une information comme fausse ?

 

Conclusion

L’autoritarisme de Macron se retrouve dans chaque mesure. Pour les appliquer, il faudrait :

  • interdire les VPN et isoler l’internet français de l’internet mondial, comme en Chine.
  • interdire l’anonymat avec une carte d’identité numérique, comme en Chine.
  • scanner le contenu de chaque Français, comme en Chine, afin d’éviter les arnaques, la pédocriminalité ou les annonces AirBnB.
  • imposer les technologies définies par le Parti pour les messageries ou le cloud, comme en Chine.

 

Finalement, ces lois inapplicables ne seraient-elles pas une première étape avant de sombrer dans le totalitarisme pour en justifier la mise en place ?

❌