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[PODCAST] Milei peut-il sauver l’Argentine ? – avec Nathalie Janson

Épisode #45

Nathalie Janson est professeur associé d’économie au sein du département Finance à NEOMA Business School. Ses recherches portent sur les questions de politiques monétaires, de régulation bancaire et les cryptomonnaies. Dans la tradition libérale autrichienne en économie, elle s’intéresse particulièrement aux alternatives monétaires et bancaires dans une perspective historique, ainsi qu’à l’époque actuelle. Elle est présente dans les médias depuis la crise grecque en 2015, et depuis 2019 particulièrement sur les questions de cryptomonnaies. 

Dans cet entretien nous parlons exclusivement des questions économiques qui concernent l’Argentine, dans le passé comme dans le présent avec la toute récente élection de Javier Milei à la présidence de la République. Enregistré le 16 décembre 2023 à Versailles. 

Pour écouter l’épisode, utilisez le lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page ou cliquez directement sur ce lien.

Programme :

L’économie argentine, une histoire mouvementée – 1:51

Le péronisme argentin – 3:30

Les défauts de remboursement sur la dette extérieure – 7:19

Des fonds vautours pour dépecer l’Argentine ? – 11:29

Le sauvetage par le FMI : trop généreux ou trop violent ? – 14:11

Le contrôle des capitaux puis le currency board – 18:38

Comment l’Argentine s’est-elle embourbée dans l’inflation ? – 22:52

Javier Milei : un économiste devenu homme politique – 23:59

Le programme économique de Javier Milei – 29:49

Abolir la banque centrale pour de bon ? – 34:46

Pourquoi vouloir se dollariser ? – 38:13 

Et pourquoi pas le bitcoin pour l’Argentine ? – 50:42

Pour aller plus loin : 

Pourquoi le nouveau président de l’Argentine Javier Milei n’est pas d’extrême droite – (La Tribune, 13 décembre 2023)

Les leçons du krach de 2008 – (Podcast avec Nathalie Janson)

Javier Milei peut-il vraiment fermer la banque centrale argentine ? – (Contrepoints, 8 décembre 2023)

Javier Milei face à une tâche herculéenne en Argentine – (Contrepoints, 29 novembre 2023)

Décryptage du programme économique de Javier Milei – (Interview de Pierre Schweitzer pour le Rdv des Stackers)

Cryptomonnaies, comptes en ligne, domiciliation à l’étranger… Les combines des terroristes pour accéder aux banques françaises

Les auteurs : Jacques Amar est Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D à l’Université Dauphine-PSL et docteur en sociologie à l’Université Paris Dauphine – PSL. Arnaud Raynouard est Professeur des universités en droit, CR2D à l’Université Dauphine-PSL.

 

Par un arrêté en date du 13 novembre 2023, le ministère de l’Économie et des Finances a bloqué, pour une durée de six mois :

« les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par Mohammed Deif (commandant la milice armée du Hamas), ainsi que les fonds et ressources économiques qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par M. Mohammed Deif ou agissant sciemment pour son compte ou sur instructions de celui-ci. »

Un arrêté en date du 30 novembre 2023 a adopté des dispositions similaires à l’encontre de Yahya Sinouar, le chef politique du Hamas à Gaza. La lecture de ces arrêtés ne manque pas de surprendre : comment les dirigeants du mouvement à la tête de la bande de Gaza ont-ils pu ouvrir des comptes en France en dépit du fait que le Hamas est inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (UE) ?

En effet, un règlement du Conseil européen prévoit le gel de tous les fonds et autres avoirs financiers appartenant aux personnes, groupes et entités inscrits sur la liste du règlement d’exécution n° 2022/147. Aucun fonds, aucun avoir financier, ni aucune ressource économique ne peuvent être mis directement ou indirectement à la disposition de ces personnes, groupes et entités.

 

La voie des néo-banques

Formellement, le Hamas ainsi que d’autres organisations palestiniennes sont expressément nommés dans les textes communautaires. Il n’en est pourtant pas de même de leurs dirigeants. Les arrêtés précités ne viendraient donc que spécifier l’arsenal des dispositions européennes en désignant nommément deux des dirigeants du Hamas. Qui peut le plus peut le moins…

Quant à la réglementation bancaire française, les textes tendraient à rendre pratiquement impossible l’ouverture d’un compte bancaire par un membre d’une organisation terroriste. Pratiquement, un non-résident de l’UE qui souhaite ouvrir un compte en France doit se présenter physiquement dans une agence et présenter un justificatif d’identité et un justificatif de domicile.

La démarche est évidemment loin d’être évidente pour une personne qui vit en clandestinité. Ou alors elle doit passer par une banque en ligne (et accessible localement). En l’état actuel, ni Gaza ni l’Autorité palestinienne ne semblent bénéficier de l’accès à de tels services bancaires en ligne, à la différence de la Jordanie et du Qatar. Il est alors parfaitement possible d’effectuer des transferts en utilisant ces néo-banques. L’autorité bancaire britannique de régulation a d’ailleurs expressément dénoncé, dès avril 2022, les possibilités de blanchiment qu’offraient ces nouvelles enseignes.

 

« Know your client »

L’Autorité palestinienne ne disposant pas d’une monnaie nationale, il est parfaitement possible d’y transférer des euros ou des dollars. Et comme c’est l’un des rares endroits au monde où des transferts conséquents d’argent ont lieu en cash, les règles anti-blanchiment qui structurent le système bancaire international trouvent difficilement à s’appliquer.

À s’en tenir toujours à la réglementation bancaire française, un autre obstacle surgit :

« Lorsqu’une personne […] n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle n’exécute aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et n’établit ni ne poursuit aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie […], elle y met un terme. »

C’est le principe, exigeant désormais, du KYC_, « k_now your client » (« connais ton client »). Autrement dit, à supposer que le compte ait été ouvert, il est difficile pour la banque d’effectuer des transferts à l’étranger à partir du moment où la nature de l’opération a un lien avec le financement d’une activité terroriste. Dans le cas contraire, elle s’exposerait à des poursuites pour complicité de blanchiment. Même si le titulaire du compte n’est pas expressément visé par une interdiction, il ne peut donc pas forcément l’utiliser. Les arrêtés adoptés tiennent compte de cette situation et cherchent donc à empêcher, indistinctement, la « mise à disposition directe ou indirecte » des fonds.

 

Cagnottes en ligne et cryptomonnaies

Dans son ouvrage L’abécédaire du financement du terrorisme, la sénatrice Nathalie Goulet a recensé les différentes techniques utilisées pour collecter de l’argent afin de financer des opérations ou une organisation terroriste, tout en échappant aux foudres des instances de régulation du secteur bancaire.

L’éventail est large, et le conflit en cours confirme que toutes les techniques recensées sont mobilisées par les organisations terroristes. Il en va ainsi des cryptomonnaies en raison de la difficulté pour les autorités de contrôler leur conversion dans une monnaie ayant cours légal. Ou alors de l’ouverture d’une cagnotte en ligne par une association : l’objectif affiché est louable – le financement d’un hôpital à Gaza, par exemple ; il n’est cependant pas possible de vérifier l’affectation de l’intégralité des fonds.

Autre situation de plus en plus fréquente, le recours à des organisations non gouvernementales (ONG). Dès 2013, le Conseil de l’Europe signalait que les ONG pouvaient servir à blanchir de l’argent et financer le terrorisme. Depuis, de nombreuses structures ont adopté ce format institutionnel pour collecter de l’argent à des fins terroristes. Vouloir empêcher que des fonds soient mis à la disposition d’une organisation terroriste ou d’une personne précise implique donc un renforcement des contrôles aussi bien de certaines opérations aussi banales que les cagnottes que des structures de collecte de fonds.

 

Ambiguïté

Finalement, mais il n’est pas certain que ce soit l’effet recherché par le ministère de l’Économie et des Finances, la publication des arrêtés affiche au grand jour les failles du système bancaire français ; où l’on découvre, à cette occasion, que le régime de contrôle financier mis en œuvre n’empêche nullement un terroriste ou une personne proche des milieux terroristes d’ouvrir un compte bancaire sur le territoire français.

Nous ne savons pas si les arrêtés de Bercy auront un réel impact sur les finances des personnes concernées. Le ministère de l’Économie et des Finances n’a d’ailleurs ni confirmé ni infirmé que les personnes visées disposaient ou non d’avoirs en France, et cette ambiguïté fait courir un risque aux banques françaises.

Sur le fondement du Patriot Act, les Américains peuvent parfaitement s’arroger le droit de diligenter des poursuites à leur encontre en raison de leurs contributions au financement du terrorisme. Bref, en ce domaine, il est particulièrement difficile et critiquable de se contenter d’effets d’annonces.

Vous pouvez retrouver cet article en ligne ici.

Streaming : une taxe au profit d’une clique

Le gouvernement annonce la mise en place de la taxe sur les plateformes de streaming, en préparation depuis des mois. La loi montre le rapport de connivence entre les dirigeants et des bénéficiaires de redistributions à l’intérieur du pays.

La taxe sur les plateformes de musique finance ensuite des projets d’artistes, spectacles, et autres types d’acteurs. Les plateformes, en particulier le directeur de Spotify, donnent des arguments contre la loi…

Explique un communiqué de Spotify, cité par Les Échos :

« C’est un véritable coup dur porté à l’innovation, et aux perspectives de croissance de la musique enregistrée en France. Nous évaluons les suites à donner à la mise en place de cette mesure inéquitable, injuste et disproportionnée ».

En dépit des critiques de la part des plateformes, la taxe arrive dès l’année prochaine. Les partisans font de la communication dans les médias.

Une tribune de Télérama, de la part d’un défenseur de la loi, explique « Pourquoi la taxe streaming est une bonne nouvelle ».

L’auteur écrit :

« Le système de redistribution peut être questionné, c’est toujours sain. Mais il aurait été injuste et risqué que certains financent le CNM selon leur bon vouloir tandis que d’autres en ont l’obligation. Ne serait-ce que pour cette raison, la taxe streaming est une bonne nouvelle. »

Un autre, le président de l’association des producteurs indépendants – en somme, les bénéficiaires de la taxe – fait l’éloge de la loi dans une interview pour FranceTVInfo

Il explique :

« Il s’agit d’une taxe d’un niveau très faible mais qui concerne l’ensemble des acteurs du numérique qui diffusent de la musique en ligne. Ça va des plateformes qu’on appelle pure players (dont c’est vraiment le cœur de métier) jusqu’aux plateformes dont c’est plutôt une activité parmi d’autres. Je pense aux Gafa notamment, mais également à tout ce qui est réseaux sociaux, etc. De la même manière que ces acteurs sont déjà taxés pour financer la création audiovisuelle dans sa diversité au CNC, on va les taxer aussi pour alimenter les programmes de soutien à la musique. »

Comme avec la plupart des taxes, les bénéficiaires justifient la mesure par une allusion au bien du pays. Il requiert, selon eux, plus de genres de musique, d’artistes, et de financements pour des musiciens en marge. Sinon, seule une poignée de styles de musique ou de créateurs toucheront des revenus, disent-ils.

Il répond aux plaintes de surtaxation des plateformes :

« Il est clair que du côté des pure players, comme Spotify ou Deezer, il y a une vraie vertu dans le système de rémunération de la création. Là, il s’agit de réaffecter un petit peu cet argent à des genres musicaux qui reçoivent aujourd’hui une rémunération très faible en streaming, car qui dit rémunération très faible dit faible capacité à se financer derrière, avec un vrai risque à terme que ça nuise à la diversité de la création locale. Quelque part, ce qu’on essaye de viser, c’est la vitalité renouvelée de la filière française, du tissu de production français. Sinon, à défaut, tout le monde ira vers des genres musicaux qui sont peu nombreux mais extrêmement rémunérateurs dans le streaming. »

La redistribution revient à une taxe sur le consommateur de biens et de services, pour une utilisation aux fins des dirigeants.

 

Contrôle des financements

De toute façon, les chiffres des plateformes mettent à mal l’argument des partisans de la taxe. Un grand nombre d’artistes touchent des revenus… pas une poignée de stars de la musique pop.

Selon les chiffres partagés par Spotify, cités par Le Point, « 57 000 artistes ont généré plus de 10 000 dollars [contre 23 400 artistes en 2017]. Et 1060 artistes ont généré au moins un million de dollars [contre 460 en 2017]. »

Le site YouTube dit avoir payé 6 milliards de dollars aux chaînes de musique en 2022, en hausse par rapport à 4 milliards en 2021, et 3 milliards de dollars en 2019. Les distributions proviennent de publicités lors des vues, ou d’une part au revenu des abonnements payants à la plateforme.

Dans un marché, la création de musique et le soutien des artistes rémunèrent la réussite auprès du public. Les dirigeants veulent une emprise sur le financement de la musique. Ils prennent ainsi aux consommateurs via la taxation des plateformes. Puis ils distribuent l’argent selon les vœux d’une poignée de personnes aux commandes.

Les bénéficiaires des distributions justifient le transfert au prétexte d’un besoin chez les artistes. La taxe sur les plateformes revient à une prise de contrôle, comme d’autres interventions dans les vies des individus.

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L’hôpital en France : un secteur en mal de concurrence

Un article de Romain Delisle

Au début du mois d’octobre, Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la Fédération hospitalière de France qui représente les hôpitaux publics, a déclaré un besoin non satisfait par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 de 2 milliards d’euros, et de 1,9 milliard d’euros pour l’année en cours, alors que le total des dépenses allouées aux établissements publics et privés se monte déjà à 98,4 milliards en 2022.

Depuis quinze ans, l’hôpital public est habitué à demeurer sous perfusion de l’État. En 2007 et en 2012, deux plans d’investissement avaient fait tripler sa dette à 29,3 milliards d’euros, qui s’élève toujours à 31,3 milliards d’euros.

C’est cette situation délétère qui a motivé la Cour des comptes à s’intéresser à la question, ainsi qu’à celle de la concurrence privé / public dans le secteur médical, permettant de constater l’incapacité chronique de l’hôpital public à investir dans sa propre modernisation, engendrant un état de vétusté de ses équipements de plus en plus problématique. Cet état des lieux tranche avec celui du secteur privé, bien que la concurrence entre les deux ne puisse, à l’heure actuelle, s’appliquer de manière pure et parfaite.

 

La situation financière des hôpitaux publics leur interdit d’investir pour se moderniser et les place à la remorque de l’État

Depuis 2006, le budget des hôpitaux publics a toujours été plus ou moins déficitaire : à la veille de la crise sanitaire, en 2019, leur déficit annuel se montait à 558 millions d’euros. Un tiers des hôpitaux réussissait à réaliser un bénéfice net, un tiers ne dégageait pas de marges sans tomber dans le déficit, et un tiers possédait des comptes dans le rouge.

Assez logiquement, en 2021, ce même tiers disposait d’une capacité d’autofinancement nette [1] négative (-816 millions) lui interdisant d’investir sans emprunter. Moyennant quoi, peu avant la crise sanitaire, en septembre 2019, l’État avait dû, une nouvelle fois, venir à leur secours via un plan de restauration de leurs capacités financières de 13 milliards d’euros, dont la moitié avait été consacrée au désendettement, et l’autre à des investissements de modernisation.

Opéré de manière désorganisée et parfois farfelue (l’ARS de Corse a alloué tous ses crédits au seul hôpital de Castelluccio), la distribution des subsides publics ne s’est pas réalisée moyennant une amélioration de la performance des établissements de santé, le taux de vétusté de leurs bâtiments (52,9 % en 2021 contre 45,5 % en 2015), et de leurs équipements (80 % en 2021 contre 76 % en 2015) continuant sa lente et inarrêtable ascension.

Lors du Ségur de la santé, l’État avait également mobilisé 15,5 milliards pour soutenir le secteur. Aux dires des magistrats financiers de la rue Cambon, les aides versées pendant la crise sanitaire ont été distribuées sans contrôle par les ARS (Agences régionales de santé) des surcoûts effectifs supportés par les établissements de soins. Par exemple, les sommes engagées liées à la réalisation des tests de dépistage du covid, soit 1,3 milliards au total, ne reposaient que sur des fichiers déclaratifs, et les CHU de Strasbourg estiment avoir reçu 13,9 millions en trop…

À l’inverse des établissements de santé du secteur privé, les hôpitaux publics n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de fréquentation d’avant la crise sanitaire (-1,7 % par rapport à 2019) et leurs charges ont augmenté de 16,5 % entre 2018 et 2021, soit 11,9 milliards (dont 8 milliards pour le personnel). Selon l’OCDE, la part de personnel non-soignant y demeure de 33,5 %, un chiffre toujours largement supérieur à celui, de 22,2 %, observé outre-Rhin.

Les hôpitaux privés ne bénéficient pas des mêmes largesses de la part de l’État et pourtant, leur situation financière s’est mieux remise de la crise sanitaire. Selon la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), leur taux de bénéfice net s’établit à 3,7 % en 2021, en progression de 0,6 point par rapport à l’année précédente, et au plus haut depuis 2006. Les étalissements de santé privé sont donc en situation de consacrer 5,2 % de leurs recettes à leurs investissements.

 

La concurrence entre hôpitaux est imparfaite et entravée par la réglementation

Parmi l’une des sources majeures de financements des établissements de santé, se trouve la tarification à l’acte (T2A) : l’assurance maladie verse une somme fixe [2] pour chaque acte pratiqué, même les hôpitaux privés ne peuvent pas demander une participation financière du patient pour les activités purement médicales. En revanche, les hôpitaux publics perçoivent une dotation de l’Assurance maladie distribuée par les ARS, quand le secteur privé tire ses autres revenus de prestations non-médicales [3] facturées aux patients.

Le secteur public continue de se tailler la part du lion (74,4 %) en ce qui concerne les journées d’hospitalisation complète en court séjour, du fait de la redirection des patients du SAMU et de la prise en charge du transport des patients par le SMUR (Structure mobile d’urgence et de réanimation), publics tous deux.

Comme le note la plus haute juridiction financière hexagonale, du fait de la répartition des autorisations de réanimation (84 % pour les adultes et 94 % pour les enfants), l’hôpital public détient presque le monopole des urgences, ce qui pénalise ses concurrents privés. De fait, ceux-ci se positionnent sur des activités moins urgentes, reprogrammables et plus rémunératrices (53,4 % des séjours en chirurgie par exemple) suscitant, paradoxalement, l’ire des représentants du secteur public.

Deuxième point intéressant : une distorsion de concurrence s’observe sur la question fiscale. L’IGF et l’IGAS (Inspection générale des finances et des affaires sociales) avaient, par exemple, calculé une différence de 5 points s’agissant du taux de versement des cotisations sociales. Les établissements publics sont également exonérés de taxe foncière pour les bâtiments affectés aux soins, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues privés pour lesquels la fiscalité locale, si l’on s’en tient au privé non lucratif, pèserait sept fois plus intensément.

 

Une situation naturellement inique qui ne favorise pas l’amélioration de la qualité des soins

En somme, l’hôpital public apparaît victime d’un acharnement thérapeutique de l’État qui freine sa mise en concurrence. Il faut recommander d’une part de laisser davantage d’autonomie aux établissements de santé publique, en leur permettant eux-aussi de facturer des prestations payantes aux patients ; et d’autre part de les responsabiliser en indexant leur dotation sur l’effort entrepris pour réduire les dépenses purement administratives, ce qui aurait le mérite de commencer à libéraliser un modèle économique qui en aurait bien besoin.

 


[1] Correspond à l’addition des bénéfices nets et des charges diverses d’une organisation, comprenant le montant des capitaux des emprunts à rembourser.

[2] Selon deux échelles différentes dans le public et dans le privé, mais selon le même mode de fonctionnement.

[3] Dites prestations pour exigence particulière, typiquement la mise à disposition de la télévision ou d’internet dans la chambre d’un patient ou les activités de chirurgie esthétique.

Sur le web.

Record historique du CAC 40 : pas de raison de vendre pour autant

Par Alexis Vintray.

Alors que depuis 2000 le CAC 40 évoluait sous son record historique, il bat record sur record et est aujourd’hui 14 décembre pour la première fois au-dessus des 7600 points. Même si l’économie mondiale résiste bien malgré l’inflation, on peut s’interroger sur le fait que la bourse soit ainsi au plus haut dans un contexte qui reste anxiogène.

Alors faut-il prendre ses bénéfices ? Pas si simple…

 

Le CAC 40, un indice sans dividendes

Le premier point à garder à l’esprit est que le rendement d’une action provient de l’évolution de son cours, mais aussi des dividendes versés. Il est donc essentiel, en regardant un indice boursier, de savoir s’il inclut les dividendes ou non. Le CAC 40 tel qu’on le connait généralement ne les inclut pas, seul le CAC 40 GR le fait.

Le CAC 40 « usuel » minore donc largement la création de valeur réalisée par les sociétés qui y sont cotées. En regardant le CAC 40 GR, la hausse est impressionnante :

 

Rendez-vous compte : en mars 2021 d’après les calculs du Revenu : le CAC 40 GR gagnait 25 % sur trois ans, 63 % sur cinq ans, et 124 % sur dix ans contre respectivement +17 %, +53 % et +106 % pour le Dax.

Le S&P 500 américain dividendes réinvestis reste largement devant sur toutes ces périodes. Sur 10 ans, la hausse est de… 265 %. En performances annualisées, le CAC 40 GR a rapporté 8,4 % par an sur dix ans. C’est presque deux fois plus que le CAC 40 classique (+4,3 %). En 2023, la tendance n’a pas changé et les chiffres sont dans la même veine.

De quoi laisser songeur devant les 0,5 % du livret A qu’on connaissait encore il y a peu, et qui sont le bon benchmark sur la période. Même face au 3 % actuels, l’indice boursier écrase la concurrence. Avec un niveau de risque différent évidemment.

 

Le record historique du CAC 40, c’est fréquent en fait !

Si cette hausse pourrait laisser songeur sur la valorisation des marchés boursiers, il ne faut pas oublier que les marchés financiers sont bien souvent sur leurs points hauts. Le record de 2000 a en fait été battu déjà en 2007. Puis celui de 2007 a été battu en 2015. Et depuis battu chaque année.

Février 2020 était déjà un plus haut historique pour le CAC 40 dividendes réinvestis, à près de 16 500 points. Ce record a été battu dès mars 2021, malgré la crise du covid, à la faveur des espoirs apportés par la vaccination. Depuis, l’accélération de la croissance mondiale l’a porté encore bien plus haut, à plus de 22 000 points désormais, un record comme pour le CAC 40 hors dividendes, évidemment. Lors de notre dernier article sur le plus haut historique du CAC, en 2021, nous n’étions qu’à moins de 20 000, et c’était déjà un plus haut.

Cette tendance des marchés boursiers à toujours battre leur record et à évoluer la majeure partie du temps sur des niveaux record est particulièrement visible sur le graphique ci-dessous, repris de engaging-data.com.

Les bourses comme le CAC 40 au plus haut historique, c'est fréquent !

En vert les jours où le S&P 500 (principal indice américain) était à moins de 1 % du dernier plus haut historique. En bleu à moins de 5 %, en jaune à moins de 10 % , en orange à moins de 20 % et en rouge à plus de 20 %. Vous l’aurez remarqué, le vert prédomine, et le rouge ne dure pas. Surtout, les marchés retombent très rarement à leurs plus bas d’avant la phase de croissance.

 

Attention aux biais psychologiques quand on investit

Il est humain de vouloir acheter au meilleur prix. Craindre d’investir quand on est proche d’un point haut est un biais psychologique compréhensible. Mais, on l’a vu, c’est un biais très coûteux si l’on se fie au passé.

L’explication en est simple : prédire le marché est impossible, même pour des professionnels qui y consacrent leurs journées, avec des moyens bien supérieurs à ceux de l’épargnant lambda.

Ainsi, l’étude SPIVA, qui fait référence, a montré une fois de plus en 2020 que 90 % des gérants de fonds n’ont pas réussi à faire mieux que l’indice boursier qu’ils suivent ! En cause très fréquemment, l’envie des gérants de « timer le marché ». Cela signifie parier sur l’évolution future de la bourse, généralement à la baisse. Vu que le marché est tendanciellement haussier, ne pas investir devient vite très coûteux si le marché ne baisse pas. Au final, comme le dit l’adage boursier : « Time in the market is better than timing the market ». Même en achetant au plus haut.

Le lecteur curieux pourra par exemple regarder cette vidéo intéressante de Zone Bourse :

La meilleure façon d’investir en bourse

Dans ces conditions, on comprend pourquoi il est inutile voire néfaste d’essayer d’investir « au meilleur moment ». Comme le dit un autre adage boursier, le meilleur moment pour investir c’était lors du dernier krach. Le deuxième meilleur moment, c’est maintenant.

Mais investir au plus haut peut inquiéter, et l’investisseur prudent pourra vouloir limiter son risque. L’approche consensuelle dans ces conditions est de faire un investissement progressif si vous avez une grosse somme à placer, par exemple étalé sur six mois. Si c’est le fruit de votre épargne, avec un versement mensuel régulier, encore mieux !

À lire aussi :

 

Et si vous n’avez pas déjà de PEA

Les banques en ligne sont toujours bien plus avantageuses que les banques classiques et proposent toutes le PEA. En plus, on vous donnera de l’argent pour le faire en plus des économies de frais bancaires, comme Boursorama qui aura l’offre boursière la plus complète. En termes de frais de courtage si vous investissez en bourse, Fortuneo sera probablement le meilleur choix pour vous.

Sur le web

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[Série sur les mythes de la diversification IV/IV] L’endettement favorise la diversification, la diversification favorise l’endettement

Dernier article de la série sur les mythes liés à la diversification. Partie I ; Partie II ; Partie III.

La diversification agit comme une bombe à neutrons et s’apparente de plus en plus à un pont de la rivière Kwaï : elle détruit la réalité en maintenant les apparences, et plus elle est « bien faite » et plus le mal s’aggrave. Un mal profondément anti-libéral.

Tout ce qui précède a en effet des conséquences en cascade, ne serait-ce que par le canal de la finance. Or, nos économies sont très financiarisées, elles ne l’ont jamais été autant, pour le meilleur (le levier de la dette peut permettre d’accélérer le temps) et pour le pire (confiez un levier important à une personne peu compétente, vous obtiendrez de drôles de résultats).

On ne peut plus discuter 15 minutes avec son dentiste sans entendre parler de placements, de taux d’intérêt, de rendements locatifs. Dans ce contexte, une allocation du capital perverse n’est pas sans conséquences sociétales majeures. A fortiori quand notre épargne financière devient assez riquiqui en comparaison des engagements titanesques que nous avons déjà pris et que nous continuons allègrement à prendre (engagements climatiques par exemple, pas mieux provisionnés que les engagements de l’État-providence), sur fond de baisse tendancielle de ce qui permet en théorie de les couvrir (la croissance).

Quand on produit de telles quantités de dettes sans vrais collatéraux économiques, il vaut mieux ne pas se tromper du tout au tout quant à l’allocation de l’épargne.

 

La diversification est un vecteur de diversion des investissements

D’abord, la diversification radicale donne sa chance à des produits et à des comportements qui devraient être éliminés.

Des canards boiteux, des firmes zombies, de faux actifs. En un sens, c’est un voile anti-darwinien, un vecteur de diversions qui nous empêche de cheminer vers les vrais prix, qui entretient l’écart entre le prix et la valeur. Le biais de diversification entraîne d’abord une complaisance malsaine pour les affaires de l’État et ses dettes surnuméraires ; mais ce point est tellement documenté et consensuel que je fais vite ici.

Il contribue ensuite à bloquer la mobilité, la méritocratie ou ce qu’il en reste, dans un contexte où, au niveau de la firme, l’entrepreneur est de plus en plus exfiltré au bénéfice de comités diversitaires. On dissuade même l’épargnant de mettre son argent dans une entreprise pilotée de façon tranchée par un fondateur avec alignement radical des intérêts : au nom du risque du key man (alors que pour ma part je suis plutôt rassuré quand une entreprise est pilotée par un homme clé plutôt que par un comité de managers). De plus en plus nous vivons dans un monde où il faut échouer dans les règles plutôt que réussir en dehors : un monde anti-utilitariste, à 180 degrés de Brad Gilbert ou de Jack Bauer. Où les décideurs de la gestion des actifs ressemblent à ces chamans des peuples primitifs en plein culte du Cargo, ou à ces enfants qui crient « maison magique » en sautant sur le canapé, bien mieux protégés en effet que les épargnants qui n’ont quant à eux récolté avec la diversification qu’un faux sentiment de sécurité et un brouillage complet dans l’imputation des responsabilités.

Il y a toute une culture du non-choix qui domine désormais dans tous les domaines et qui pousse à la diversification, mais il existe aussi des signaux de plus en plus nombreux selon lesquels la diversisification renforce cette culture du non-choix. D’où une dynamique de spirale, de crise mimétique, l’impression qu’on ne va pas s’en sortir de sitôt, et un nouveau recul de la tradition libérale si on se souvient que cette dernière reposait sur une propriété pas trop diluée, la concurrence pour faire du marché une machine à apprendre, et le questionnement de l’autorité.

À l’arrivée, une société du faux-semblant, où plus personne ne prend ses responsabilités, et où plus personne ne fait son travail initial. En effet, dans un monde devenu irréel, les gens ne font plus leur travail, ce qui ne signifie pas qu’ils ne font rien, mais disons qu’ils s’éloignent de leur périmètre initial. Ils diversifient en un sens. Les salariés font des fresques climatiques. Le Conseil constitutionnel (qui ne comporte désormais aucun constitutionnaliste) ne regarde plus la Constitution, et comme le Conseil d’État, invente des principes, les banquiers centraux (qui même aux USA ne sont plus économistes) ne font plus de la politique monétaire mais un tas d’autres choses (supervision bancaire, encadrement du crédit, surveillance des finances publiques, pressions pour une modération salariale, séminaires sur les aspects structurels, la natalité et la fonte des glaciers).

Pourquoi dans ces conditions les conseillers en gestion de patrimoine travailleraient-ils encore pour leurs clients au lieu de se protéger prioritairement du devoir de conseil ? Ce qu’ils nomment pompeusement « Diversification » n’est le plus souvent qu’une technique de diffraction du blâme.

La dévalorisation de la connaissance est particulièrement inquiétante, qu’elle soit cause ou conséquence de la diversification. Sur les dettes, elle a conduit à ignorer les collatéraux, à un désintérêt pour la substance (mentalité « après nous le déluge » et « pourvu que ça dure »).

Sur les actions, cela confine au ridicule puisque la création de valeur dans le monde est le fait essentiellement depuis 15 ans d’une dizaine de boîtes du même secteur et du même pays : « the winner takes all », partout sauf dans les portefeuilles de nos bons élèves diversifiés. Sur les taux de change, le refus de comprendre est à son zénith (en lien avec une culture monétaire en chute libre en Occident) : c’est presque un gros mot dans les réunions, alors que le FX a rarement été aussi crucial, comme indicateur avancé, et comme possible moteur de performance dans un contexte de riquiquisation de la croissance.

 

Dans le secteur immobilier le bilan de la diversification est effroyable

Qu’ont accompli en 25 ans les dispositifs Périssol, Besson, Borloo, Robien, Scellier, Duflot ou Pinel, sinon contribuer à une allocation disproportionnée vers la pierre ?

Un secteur qui crée très peu de valeur, des emplois peu qualifiés et une assiette fiscale fixiste, mais qui fonctionne grâce au levier de la dette, dont les prix montent grâce aux restrictions sur l’offre et où on observe des marges cossues pour toute une chaîne d’intermédiaires cartellisés : la rente idéale pour les élites politiques et financières (jusqu’à ce qu’ils changent subitement d’avis à 180 degrés en laissant le grand public dans la panade).

On a ainsi créé une épargne financière rare, paresseuse et hypocrite, bien taillée pour financer l’économie d’hier, les entreprises à comités, l’immobilier vide de bureaux, le genre Caisse des dépôts et consignations. Cette épargne particulière est un magot aussi inerte que convoité. Les dispositifs se multiplient donc pour la mettre au service de toutes les causes vertueuses (la vertu étant définie chez nous par des énarques) : transition énergétique, réindustrialisation, logement social, sauvegarde des bébés phoques.

Le « fléchage » de cet argent est une affaire qui mobilise les esprits les meilleurs et les plus désintéressés, toujours au nom de la protection par la diversification, est-il besoin de le préciser. Notre fonds vert vous protégera des incidents climatiques. Notre fonds Made in France vous protégera d’une crise de démondialisation. Pour chaque peur il y a une solution, un canal de distribution, et souvent une carotte fiscalo-sociale dédiée.

Mais reprenons un peu de hauteur pour identifier l’origine du mal.

 

La culture de la diversification : paresse et aversion au risque

L’enfermement dans la monoculture diversificationniste repose sur des logiques puissantes.

Quand on remonte les chaînes causales on voit que ce n’est pas un simple complot, une mode passagère ou un accident.

En amont, si l’on admet qu’il y a une demande de bureaucratie avant qu’il y ait une offre, et une « envie de pénal » avant les dérives persécutrices, il y a probablement, avant les excès de la diversification, la disparition du courage en Occident. Qui conduit au relativisme.

Et après le relativisme et le suivisme arrive l’aquoibonisme. À quoi bon sélectionner pendant des centaines d’heures les meilleurs investissements possibles si le marché ou ses serviteurs le font pour moi, vite et à moindre frais ? À quoi bon me distinguer et risquer de prendre des coups si je peux proposer à mon client une solution standardisée, pré-packagée, qui ne me fera courir aucun risque personnel ? À quoi bon développer des compétences sur une classe d’actifs si je peux en vendre plusieurs, aveuglément, et le tout avec la bénédiction des plus hautes autorités ?

Ensuite arrivent en effet les régulateurs et les banquiers centraux, qui poussent eux aussi dans cette direction conformiste, sans forcément le vouloir. Tout se ligue pour prohiber la concentration, les choix, l’audace. Mais j’insiste sur le fait que le client a sa part de responsabilité.

Il est de plus en plus prudent. Il faut dire aussi qu’il est de plus en plus vieux. Ceci explique-t-il cela ? Ou faut-il invoquer Pareto, qui notait que les gens ont tendance à mettre un vernis logique à leurs actions ? De nos jours, la diversification sert de vernis principal, et quand il craque on en remet une couche, jusqu’au point où on ne sait plus vraiment ce qu’il recouvre. Ce processus d’effacement des traces, qui rend vaine toute évaluation sérieuse, est bien pratique. Vous n’avez pas bénéficié de l’enrichissement fabuleux lié aux GAFAM, mais rassurez-vous, votre portefeuille a été bien diversifié tout du long, dans le respect des normes d’équilibre et de modération.

Un système bien intentionné, mais qui se fiche des résultats et vire à l’absurdistan scientiste, qui vous expose en prétendant vous protéger, et où une petite élite s’engraisse sans prendre aucun risque véritable, cela ne vous rappelle rien ? Eh oui, c’est le socialisme, bravo. Le capitalisme financier moderne partage de nombreux points avec le socialisme brejnévien, à commencer par le rejet de la conviction, le recours à une novlangue pour dissimuler les failles du système. Et bientôt la tendance à traiter les opposants comme des cas psychiatriques ?

Ce soviétisme n’est pas incompatible avec des réactions nobiliaires. On l’a vu avec le Bitcoin, Tesla, ou Gamestop. Rien ne doit dépasser, sinon c’est une bulle, une saleté. Du moins, le temps de récupérer l’idée : il y aura bientôt un ETF de Blackrock sur les cryptomonnaies, on les fera donc entrer demain sur les étagères. De même, Tesla n’est devenue « honorable » que lors de son entrée dans l’indice SP500 (quand sa capitalisation ne permettait vraiment plus de l’en écarter…), et encore, à condition de mépriser les avis des agences de notation (qui continuent de traiter les très rares dettes de cette firme comme ultra-risquées, là où les dettes surabondantes d’acteurs en perte de vitesse sont bien mieux notées. Toute coïncidence avec la structure de rémunération des dites agences serait parfaitement fortuite).

 

L’endettement favorise la diversification, la diversification favorise l’endettement

Si l’endettement pousse à la diversification, la diversification favorise l’endettement. De nouvelles formes de dettes apparaissent donc chaque année pour diversifier les poches obligataires, des dettes certifiées vertes, sociales, islamiques, fédérales européennes, etc. Le plus souvent en dépit du bon sens (les dettes pseudo-européennes ne sont pas adossées à un contribuable européen, les green bonds transpirent le greenwashing, etc.). Des métastases qui se prennent pour des solutions.

Il n’y a qu’un seul domaine où tous les acteurs ne pousseront que rarement à la diversification, précisément le domaine où une plus grande diversification se justifierait très bien : l’internationalisation des portefeuilles.

Car votre banquier, votre gestionnaire de fonds et votre conseiller en gestion de patrimoine sont des acteurs locaux soumis au biais d’habitat, un biais domestique : le grand large est pour eux une chose compliquée, hostile, il ne leur sera jamais reproché de pousser du Sanofi ou du Air Liquide, alors qu’un nom américain et a fortiori chinois, même de grande qualité ne bénéficierait pas, en cas d’échec, de la même indulgence.

La seule zone de diversification qu’il vous faut donc travailler un peu est celle des titres et des produits non libellés en euro. Là, il y a un manque criant, et presque systématiquement défavorable à votre rapport rendement/risque de moyen terme : vous êtes trop hexagonaux et/ou trop europhiles dans vos investissements, alors que toute l’expérience des dernières décennies tend à montrer que conserver des portefeuilles à plus de 70 % investis en zone euro revient à attribuer à nos décideurs une indulgence qu’ils ne méritent plus et à cette économie une confiance exagérée.

Quelles que soient vos opinions fondamentales sur le dollar américain, le franc suisse ou le yuan, dites-vous que l’euro est bien plus mortel, dans tous les sens du terme. Sans compter que vous y êtes déjà très exposés au quotidien. Cela ne signifie pas qu’il faut acheter tout ce qui passe en monnaie étrangère et à tout moment, mais c’est un axe d’amélioration évident, et en même temps un axe de sécurisation pour le cas où les choses monétaires tourneraient mal chez nous (ce qui constitue la tendance de fond depuis 2007, et ce qui pourrait s’accélérer). Pensez à l’épargnant russe en 1914, ou au japonais en 1990. Et l’on pourrait même étendre cette méfiance aux USA, dans une moindre mesure : que 50 % des titres financiers de cette planète soient localisés à New York et dans sa proche banlieue est de plus en plus anachronique.

Le jeune Occidental de moins en moins bien formé veut devenir influenceur sur YouTube pour dispenser des conseils beauté, le jeune Chinois de mieux en mieux formé veut finir astronaute. Il y a sans doute pour l’investisseur moyen/long terme un intérêt à investiguer dans cette direction, au fur et à mesure que les marchés chinois gagnent en maturité ; ce qui élargira au passage sa gamme de choix.

 

En conclusion, une bonne culture financière  permet d’éviter les pièges de la diversification

Un jour, un journaliste traînait du côté des courts de tennis où s’entraînaient les champions. Il repéra qu’Ivan Lendl passait son temps à faire des séries de coups droit. Il vint le voir après la séance d’entrainement et lui demanda : « Mr Lendl, pourquoi peaufiner sans cesse ce coup droit dans lequel vous excellez ? Ne serait-il pas plus judicieux de faire des séries de revers ? Vous avez déjà le meilleur coup droit au monde ». Et le n°1 de répondre sèchement : « Mais à votre avis, pourquoi ai-je le meilleur coup droit ? ».

Voilà quelque chose qui n’est compris que par les artistes, les grands entrepreneurs, les champions : on ne peut pas exceller en tout (c’est un mythe de khâgneux). Il faut travailler ses points forts et non colmater ses points faibles, et c’est en renforçant son avantage comparatif qu’on va créer la percée, le déséquilibre chez l’autre, peut-être la grâce en soi, qui sait ? Certainement pas en dispersant ses efforts harmonieusement, « en même temps », le long d’une ligne Maginot.

Je gage que le journaliste n’avait pas bien compris la réponse d’Ivan Lendl, surtout s’il était français.

Je gage aussi qu’une minorité des épargnants redeviendront des investisseurs, et non plus des optimisateurs sous contraintes : tant que le courage ne reviendra pas, il n’y a pas grand-chose à espérer. Tout juste peut-on exposer un peu plus à la lumière les fausses promesses d’une gestion des actifs présentée comme un long fleuve tranquille à condition de faire comme le troupeau.

La plupart des fortunes en ce bas monde ont été bâties en ne détenant qu’un seul business. Si ce dernier est solide et que vous le comprenez bien, vous devriez l’aimer et lui rester fidèle, au lieu de courir des dizaines de lièvres : fuyez ceux qui vous disent qu’il ne faut pas tomber amoureux de ses investissements, ce ne sont pas des investisseurs mais des Don Juan à la petite semaine. La mentalité petite-bourgeoise est plus souvent punie que récompensée sur les marchés. Aimer quelques rares titres dûment sélectionnés vous procurera des avantages cruciaux : plus de connaissances, moins d’allers et retours donc moins de frais, moins de ventes dans la panique, et moins d’achats dans la bulle. C’est aussi beaucoup plus intéressant. Pour citer Chamfort, les raisonnables ont duré mais les passionnés ont vécu.

Plus pragmatiquement, si le processus d’investissement doit s’attacher autant à éviter les loosers qu’à sélectionner les winners, j’évite pour ma part (modulo de rares exceptions) les secteurs qui prévoient toujours des hausses de prix parce qu’ils aiment l’idée que leurs revenus vont monter quoi qu’ils fassent : les pétrolières, avec le prix du baril ; les bancaires, avec les taux ; les grosses pharmaceutiques, avec les remboursements des caisses sociales ; les foncières, avec les restrictions sur la construction.

Je préfère les secteurs qui réalisent de la croissance et des gains de productivité, qui recrutent des gens pointus, qui sont largement mondialisés (comprendre : implantés en Chine), pas complètement capturés par les managers et sans trop de dettes nettes : quelques entreprises de la Tech, Tesla en tête.

La vraie protection ? une bonne culture économique et financière, de la patience, une marge de sécurité autour de chaque décision, ne pas avoir honte de garder du cash (pourquoi les analystes se moquent-ils du cash ? Parce que ce sont des analystes !), travailler ses points forts comme Ivan Lendl. La réponse de premier rang en cas d’incompétence n’est pas la diversification mais la non-participation, l’abstentionnisme financier.

La vraie honnêteté ? l’alignement des intérêts, et une opération vérité sur la rémunération des intermédiaires, autrement dit la concurrence et un écosystème de la pensée critique. C’est peu dire que l’épargne fléchée et administrée s’éloigne des principes libéraux les plus avérés.

La vraie épargne ? en faveur des forces productives : mobilière, assumée, longue, internationalisée, moins matraquée par le fisc et par les intermédiaires ; et elle se marierait bien avec une vraie participation, pas seulement de l’intéressement à la marge pour des cadres supérieurs.

[Série sur les mythes de la diversification III/IV] Les ravages de la diversification

Partie I & Partie II.

« Il est difficile d’imaginer une façon plus stupide ou plus dangereuse de prendre des décisions qu’en les mettant entre les mains de personnes qui ne paient aucun prix pour avoir tort » – Thomas Sowell

La neutralité était l’apanage des profs des universités, quand leurs théories hérésiarques servaient jadis à injecter une discipline utile ; ce n’est pas le cas de leurs successeurs, des corporates et des commerciaux qui ont un biais très fort sur ce sujet. Un biais que vous devriez connaître.

Ce n’est pas que votre conseiller financier soit foncièrement malhonnête. Mais vous devez vous mettre quelques minutes à sa place.

Comprendre un peu son degré d’information et surtout la structure de ses incitations. Ce n’est pas un investisseur, ce n’est pas son argent, et il est exposé à un risque de réputation. S’il s’engage en délivrant un avis tranché ou non-conformiste, c’est tout son commerce qui se retrouve en risque. On lui reprochera moins des performances durablement médiocres qu’une erreur saillante à un moment donné sur un dossier identifiable. Cela limite son assertivité, pour ne pas parler de son envie de creuser sur tel ou tel segment. Il dira alors qu’il est « agnostique » sur les classes d’actifs et sur les entreprises, ce qui de nos jours signifie concrètement qu’il est athée. Rien n’incite au courage dans ce milieu (il est vrai que l’on peut en dire autant d’autres secteurs économiques !), et l’asymptote d’un tel système est un mix entre le Too big to fail et le « tout se vaut. » Option inch’Allah, spécialité « c’est pas ma faute à moi ».

 

Les ravages du conformisme financier

S’il n’est pas indépendant, le conseiller financier n’est qu’un maillon d’une chaîne industrielle très conformiste qui pousse à vendre un peu de tout un peu tout le temps pour engranger un maximum de fees le plus longtemps possible.

S’il est indépendant, il reste dépendant du qu’en dira-t-on, et trop petit pour risquer une erreur qui ferait tache, et le plus souvent trop isolé pour avoir le temps de creuser la recherche loin dans une direction particulière. Dans tous les cas il a intérêt à promouvoir la diversification, à pousser une multiplicité de produits, et à recommencer le plus souvent possible car il est davantage rémunéré à la transaction qu’à la performance. Son mantra : offrir des « solutions », recommander au client d’être pleinement investi ou d’acheter « de façon disciplinée » (comprenez : régulièrement). Mais s’agit-il pour lui de soigner vos actifs ou de lisser son passif ?

Pourquoi vous pousse-t-on vers de la dette privée, du Private Equity, des SCPI et diverses « solutions » de pierre-papier, vers des produits structurés ? Du fait des marges. De leurs marges. Dans votre grande distraction capitaliste, vous restiez sur quelques actions ou des obligations simples, vous n’aviez pas tout un tas de choses. On vous les propose, après un relooking, un rebrandage : les junk bonds (obligations pourries) sont devenus du High Yield (obligations à haut rendement), les penny stocks sont devenus des small caps, etc.

Dans les fonds, la discrétion du gérant est partout, votre intérêt n’est peut-être pas la priorité. Vous croyez vous être lié à une règle (la diversification), vous voilà lié à l’agent de la règle. Très exactement ce que les pères théoriciens voulaient éviter !

Ce paradoxe ne devrait pas nous étonner. On l’a bien vu à l’échelle macroéconomique avec l’indépendance des banques centrales, qui était censée réduire la marge discrétionnaire des détenteurs de l’arme monétaire et qui, dans les faits, a encouragé l’irresponsabilité, la personnification et l’opacité dans les affaires monétaires. Pour s’immuniser du chant des sirènes, on a sanctuarisé un acteur qui poursuit son propre agenda, qui interprète son objectif à sa guise, qui peut désormais exercer toutes sortes de chantages, et contre lequel il n’y a ni appel ni cassation.

De la même manière, vous faites de l’indiciel, parce que c’est labellisé donc « sûr », et puis chemin faisant et logique commerciale aidant, vous voilà avec des « ETF intelligents » et autres produits hybrides. Vous vouliez vous lier les mains pour résister aux tentations discrétionnaires, vous vous retrouvez avec plein de choses non-maitrisées (et de plus en plus souvent illiquides) dans votre portefeuille… Par contre, vos mains sont bien liées. Si l’approche est « disciplinée », elle l’est curieusement dans le sens des intérêts de l’industrie de la gestion d’actifs. À se demander si ce n’est pas cette dernière qui distribue les labels de rectitude, en se servant de la théorie des années 1950-1960 comme d’un paravent, d’une caution et d’un couteau suisse.

 

À qui la faute ?

Est-ce la faute des experts ? Oui et non.

Comme le dit le dicton, il est difficile de faire comprendre une chose à un homme quand son salaire dépend de sa capacité à ne pas la comprendre. L’expert pharmaceutique est payé pour placer les produits maison ; l’expert en cyclisme à France 2 a longtemps été payé pour ne pas trop parler du dopage ; l’expert égyptologue ne peut pas dénoncer l’incurie des autorités locales, et en particulier la malhonnêteté de Zahi Hawass, sinon il perdrait l’accès aux sites de fouilles ; l’expert financier n’est pas vraiment poussé à exposer toutes les limites d’une diversification maximale (il « tuerait le business »).

On ne peut se fier aux experts que si l’on maîtrise à peu près les règles du jeu qu’ils pratiquent.

Il existe ici comme ailleurs deux catégories de personnes : celles qui ne savent pas ce qu’elles disent, et celles qui ne disent pas ce qu’elles savent.

Les premières promeuvent la diversification car c’est dans les manuels, c’est la doxa, et elles n’ont pas la force ou la légitimité d’aller contre l’opinion du grand public, et contre les travaux anciens des universitaires.

Les secondes promeuvent la diversification dans le cadre d’un rapport rendement/risque plus cynique, quitte à ne pas la pratiquer dans leurs finances privées : celles-là se voient souvent comme des gérants de supermarchés, qui ont intérêt à disposer d’un grand nombre d’étagères et de marques pour satisfaire toutes les demandes des clients. Il ne faut pas compter sur eux pour promouvoir une logique plus exigeante ou plus éducative, à la Jacques Chancel (« ne pas donner aux gens ce qu’ils aiment, mais ce qu’ils pourraient aimer »).

Tous ces gens veulent des revenus diversifiés et récurrents, d’où leur dégout vis-à-vis du cash et du choix, leur amour pour les produits illiquides, les montages sophistiqués, l’immobilier tant que ça monte, et les slogans prémâchés (« trend is your friend », « le carry est mon ami », etc.).

Ils dirigent une boutique, pas un centre de recherche. Même s’ils parviennent parfois à faire croire le contraire (Ray Dalio, Kathy Wood…), n’oubliez pas qu’ils doivent davantage leur fortune aux frais de gestion et à leur business communicationnel qu’à leurs performances nettes sur l’ensemble du cycle. Ce sont les vendeurs qui règnent sur la finance, pas les analystes, pas les économistes : si vous pouvez lever un demi-milliard et obtenir des fees de 1,5 % par an en bloquant les clients pour une décennie, vous pouvez finir dans une île du Pacifique (votre île), même si les performances du fonds sont minables sur toute la période. L’analyste lui ne dépassera pas 300 000 par an, ce qui à New York le fait arriver tous les matins en métro ; et si en plus il est honnête, il risque de finir tout en bas de l’échelle.

 

Quand les mythes régulent l’investissement

Les idées ne sont qu’un decorum, la recherche est partout le parent pauvre. Les économistes de marché sont utilisés comme des danseuses. Les « convictions fortes » qui traînent sur les marchés ne sont que des slogans faussement provocateurs, du story telling jamais très loin des souhaits d’équipes commerciales (pensez à la « Grande Rotation », par exemple). Les prophètes de malheur (Roubini, Edwards…) font partie du spectacle, contre 50 000 la conférence ils fournissent les petits frissons que nous aimons détester : une dissidence bon marché.

De tout cela vous devriez retenir que votre épargne intéresse tout un système qui pousse à la gloutonnerie et pas du tout à la sélectivité.

J’exagère ? Une étude universitaire récente consacrée à l’épargne privée en Europe a montré que l’année dernière, les rétrocessions, ces frais versés aux distributeurs, ont atteint 350 milliards d’euros. Face à de tels enjeux, vous vous doutez que la question de savoir si l’on vend un fonds performant ou un fonds non-performant n’est peut-être pas prioritaire.

On parle gentiment d’« asymétrie d’information », de « relation principal-agent », pour ne surtout pas appeler un chat un chat : pile, je suis payé par les frais et les performances ; face, je suis payé par les frais. Alors, tant que je ne constate pas des décollectes massives sur mon fonds, tout va bien. D’où la force des discours lénifiants, un peu partout : les gestionnaires ne veulent pas trop d’entrées de capitaux (qui perturbent leur gestion), mais surtout ils ne veulent pas de sorties. Ils font alors croire que le temps travaille pour vous sur les marchés, que la nonchalance est une stratégie. Ne regardez pas vos comptes toutes les semaines, disent-ils, pour votre confort mental bien entendu !!

Leur rêve ? La poursuite du hiatus géant entre leurs rémunérations dignes de stars et leurs comportements benchmarkés/indiciels qu’un bon diplômé de BTS (et demain une intelligence artificielle bas de gamme) pourrait répliquer sans peine.

Leur méthode ? Faire croire que tout est très compliqué, et qu’en même temps tout a vocation à être acheté (éventuellement en même temps, on dira alors que l’on fait une « stratégie de Barbell » : ce n’est qu’un jeu de bonneteau mais ça fait chic).Leur allié ? Un gouvernement et une banque centrale peuplés d’anciens et de futurs banquiers, mais surtout la passivité des braves gens.

Un exemple concret : la « démocratisation » du Private Equity. Un piège à cons.

L’idée officielle est noble, faire participer les roturiers du retail aux gains fabuleux sans volatilité aucune que l’on observe depuis des années sur le segment des boites non-cotées. Le paradis du rendement sans risque n’existant pas, il faut accepter d’être bloqué pour longtemps dans un fonds qui est de facto une boîte noire, et se dire que les performances à l’avenir ne seront pas aussi mirifiques que dans le passé.

C’est donc exactement ce que les autorités vont dissimuler, cependant que les assureurs s’engagent à faire la liquidité des fonds de Private Equity au sein des unités de compte logées dans les contrats. En apparence, un bon deal pour tout le monde : les marges bien grasses du non-coté rémunèrent tout l’écosystème, les assureurs collectent, de petites boîtes trouvent de nouveaux financements (ce n’était guère l’urgence, mais pourquoi pas), l’épargnant accède à de nouvelles actions, Macron aide ses amis, la Banque Publique d’Investissement multiplie les conflits d’intérêt, tout va bien.

Mais il y a un hic : tous les fonds de Private Equity ne se valent pas. Voilà ce que l’on ne dit pas aux clients.

Les aristocrates ont le droit aux fonds de la catégorie A : les meilleurs dossiers gérés par les meilleurs gérants (ceux qui ont mis de leur argent personnel dans les deals), distribués confidentiellement aux gros institutionnels et à quelques Family offices.

La catégorie B est déjà plus douteuse, des dossiers moins qualitatifs, avec plus de dettes, vers un public de faux riches (la banque privée).

Le grand public n’aura accès (sauf exceptions) qu’aux fonds de catégorie C : tout ce que les professionnels de la profession (et dans le Private Equity ils se connaissent tous !) ne veulent pas inscrire à proximité de leurs fonds propres.

Tout ce qui a été acheté en haut de cycle, ce qui peut basculer en cas de crise et devenir très illiquide. Le retail est le dindon de la farce, comme toujours. Il rêvait de Wasserstein Perella & co et se retrouve avec des bouts de trucs. Il est « encore plus diversifié », certes, mais exposé à une classe d’actifs pas si évidente (elle n’est pas faite et ne sera probablement jamais faite pour lui) et pas si décorrélante, au moyen des fonds les plus miteux du secteur et aux frais scandaleux, le tout en contribuant à dégrader potentiellement les perspectives de la collectivité des assurés dans son ensemble. Et en cas de désastre les politiques et les petits marquis de la BPI seront aux abonnés absents et encore moins punis que les dirigeants d’H20. Après tout, n’auront-ils pas œuvré pour une saine diversification de l’épargne populaire ?

Très souvent, les sociétés de gestion diversifient pour simplement diffracter le blâme, minimiser la responsabilité du gérant, et économiser de la recherche au passage. En un mot, pour noyer le poisson. On ne peut en vouloir à personne en particulier, c’est un système. Mais ne soyons pas dupes : quand un gérant qui a 150 lignes en portefeuille vous dit qu’il a une orientation « recherche » et des convictions fortes, soit il bluffe, soit, ce qui est pire, il évolue dans un univers parallèle.

Ce n’est pas de nos jours la concentration extrême des performances qui pose problème comme le disent tous les commentateurs ; c’est le manque extrême de concentration des portefeuilles, cette fâcheuse habitude de faire comme Jacques Martin dans « L’école des fans », mettre 10/10 à tout le monde pour ne fâcher personne et pour ne surtout pas se fâcher avec soi-même.

 

Investissez dans les secteurs que vous connaissez

Chers épargnants, vous ne pouvez pas jouer à ces petits jeux coûteux avec votre argent, à moins d’avoir des conflits à l’intérieur de votre propre cerveau.

Ne diversifiez pas pour apaiser des dissonances cognitives, ou pour parer des reproches que vous pourriez vous faire ex post ! Investissez en priorité dans des domaines où vous avez de la connaissance, qui vous plaisent, pour acquérir encore plus de connaissance, pour bénéficier d’un vrai avantage compétitif.

À la limite, si vous êtes un fan de sport automobile et que vous vous passionnez pour le marché des vieilles voitures des années 1960, ou si vous êtes un spécialiste des meubles du XVIIIe siècle, amusez-vous avec des achats et des ventes dans ces domaines, les mises sont moins considérables que dans l’immobilier, votre passion limitera les tentations courtermistes, et vos connaissances limiteront vos pertes éventuelles. C’est quand on ne détient plus de belles affaires industrielles ou commerciales dans son portefeuille mais des « lignes » que les choses se dégradent, non seulement pour les rendements, mais aussi du côté des risques…

Bien entendu, il existe des exceptions à tout ce qui précède, devant certains profils de clients. Imaginons que vous ayez beaucoup d’argent et aucune compétence ou appétence financière (une configuration qui se fait tout de même un peu rare).

Pour peu que vous ayez en plus des considérations de transmission en tête (vous oubliez que les enfants sont ingrats, que ce n’est pas vraiment un cadeau de leur léguer un patrimoine financier, qu’il vaut mieux leur transmettre du capital humain), la fiscalité du patrimoine est pour vous plus importante qu’un ou deux points de rendement en plus. Il devient nécessaire d’adopter un comportement très défensif qui se marie assez bien avec un certain degré de diversification, dans l’assurance-vie par exemple. Toutes les grandes fortunes industrielles en Europe ont des comptes chez des assureurs au Luxembourg, où la priorité ne réside pas tant dans la sélection de valeurs que dans leur conservation au sein de fonds diversifiés.

Ceci dit, même dans cette configuration, il y a tout de même quelque chose de pourri dans le duché de la gestion d’actifs quand on s’occupe de façon diversifiée de patrimoines qui ont presque tous été conçus sur des bases non-diversifiées : il s’agit le plus souvent d’anciens entrepreneurs qui ont mis toute leur énergie et toutes leurs ressources pendant des années sur UNE idée, UNE entreprise, et à la retraite que leur dit-on ? qu’il faut placer ce résultat magnifique sur… 500 entreprises, « pour plus de sécurité », le tout au nom d’une « science financière » pleine de trous, dirigée par des gens qui n’ont ni vos préférences ni votre horizon, conçue il y a six décennies par des gens qui n’ont jamais créé un capital de toute leur vie, distribué par des artistes des rétrocommissions, et mis en œuvre par des salariés en télétravail.

Un recours aux ETFs ou à des fonds diversifiés ne se justifie à mon avis que lorsque la connaissance est très coûteuse, sur des causes gagnantes à long terme, et il y en a peu : Biotechs, Chine, pays frontières, semi-conducteurs…  En première approximation, un manque de connaissances devrait plutôt revenir à un « faites autre chose dans la vie ». Non pas diversifier, mais au contraire ne pas entrer du tout sur les marchés financiers : où les touristes ont vocation à se faire promener et les moutons à se faire tondre.

Le programme de Manon Aubry : un aller simple vers la faillite économique

Dans une interview récente, Manon Aubry, tête de liste La France insoumise (LFI) pour les élections européennes de 2024 a déclaré :

« Austérité, le tout-marché et le libre-échange amènent le chaos. [il faut] rompre avec le libre-échange, l’austérité et le tout-marché pour imposer le protectionnisme, la solidarité et les biens communs ».

Elle, et plusieurs Européens, croient que le marché libre est à l’origine des problèmes mondiaux. La solution réside dans plus de concentration de gouvernance fiscale et financière à Bruxelles ainsi que de financements publics.

Il est néanmoins important de se souvenir que le libre-échange est à l’origine de la prospérité en Europe, et que le protectionnisme et l’endettement public mettraient en danger ces progrès.

 

Le libre-échange est le moteur des succès de l’Union européenne

La croissance des échanges sur le continent et la baisse des restrictions des mouvement de personnes et des biens ont engendré une prospérité imprévue dans le continent.

Les solutions que Mme Aubry propose pour la réindustrialisation de l’Europe sont contre-intuitives.

D’abord, les propositions protectionnistes oublient qu’une grande partie de l’économie européenne dépend des échanges hors Europe et ignorent l’impact que la rupture de ces échanges pourrait avoir sur l’économie de l’Europe et le pouvoir d’achat de ses citoyens.

Ensuite, elle suggère qu’il faut financer des projets proposés avec « un impôt sur la fortune européen, qui dégagerait plus de 200 milliards d’euros par an, et une taxe européenne sur les superprofits dans tous les secteurs. » Elle propose de convaincre des entreprises de développer l’industrie européenne avec des régulations entravantes, de nouvelles taxes et une banque centrale encore plus laxiste. Autant de mesures qui, combinées, mettraient en danger la stabilité monétaire de l’union.

Peut-être cela peut être efficace étant donné que l’Union européenne reste un marché considérable pour la plupart des entreprises en étant la deuxième puissance mondiale avec 16,15 % du PIB mondial.

Néanmoins, elle oublie quelque chose d’important : le monde change rapidement, le pouvoir d’achat des ménages autour du monde augmente constamment, et la compétition pour attirer des investissements devient de plus en plus forte. Si l’Europe laisse sa compétitivité tomber et se tourne en elle-même, le reste du monde va continuer à avancer et rendre les marchés les plus attirants. Ses propositions peuvent appuyer sa vision pour le court terme, mais à long terme, elles deviennent chères et intenables.

 

Les solutions de madame Aubry : plus d’inflation, de dettes, de règlementations

Mme Aubry croit qu’il faut se débarrasser des conditions d’austérité des États membres et laisser la Banque centrale européenne « pouvoir prêter directement aux États membres ».

La responsabilité fiscale n’est pas un fléau mais une nécessité. Laisser la Banque centrale européenne prendre des libertés avec la politique monétaire serait irresponsable pour notre futur et les générations à venir. Nous constatons aujourd’hui à quel point les crises d’inflation – bien sûr exacerbées par la pandémie et la guerre en Ukraine- révèlent des myriades de problèmes d’accumulation de dépenses et de dettes publiques. La solution à ces problèmes n’est pas davantage de dette. Il faut bien penser aux futurs contribuables qui vont devoir rembourser ces dettes et le prix d’inflation qu’elles peuvent entraîner.

Mme Aubry a bien souligné la débâcle qu’est le lobbying à Bruxelles. Il faut bien sûr davantage de transparence sur les pratiques de lobbying, mais il faut aussi penser à ne pas créer un système incitatif. Ses propositions de taxation et protectionnisme vont créer un système de surrèglementation et un marché où les gagnants seront ceux pouvant convaincre les régulateurs à Bruxelles de leur donner des exemptions et des subventions.

Le libre-échange est non seulement un des piliers fondateurs de l’Union européenne mais aussi une des raisons principales de son succès. Le marché offre toujours des solutions à des problèmes actuels, et le rejeter en faveur de politiques protectionnistes risque de défaire des années de progrès réalisés par l’Union européenne.

 

Ogechukwu Egwuatu est une fellow de Young Voices Europe, écrivaine et activiste basée en France.

Inflation : un drame social et culturel

La réflexion critique sur le thème de l’inflation est aussi ancienne que l’économie elle-même, et elle va bien sûr au-delà de l’économie en tant que science. Le problème de l’inflation commence dès lors que l’on confond la rareté des moyens réels avec une rareté de l’argent, autrement dit lorsqu’on tente de masquer la rareté des moyens réels en créant de la monnaie.

 

Un expédient individuel qui pénalise le collectif

Le point de vue économique individuel (microéconomique) d’un groupe de personnes devient la référence pour un problème économique général (macroéconomique).

Les problèmes économiques individuels peuvent être résolus par la création monétaire, mais pas le problème économique général de la rareté des moyens et des ressources réels. Ces dernières ne peuvent pas être augmentées par la création monétaire, mais seulement redistribuées. La création monétaire se fait donc au détriment des autres. Elle entraîne une redistribution depuis la majorité des gens vers quelques profiteurs. Une grande partie des conséquences sociales et culturelles de l’inflation trouve son origine dans cet effet de redistribution.

Ce qui rend la création monétaire particulièrement insidieuse, c’est la facilité avec laquelle les citoyens se laissent duper. Dans un premier temps, l’économie semble florissante. Les dépenses et les revenus monétaires augmentent. Le papier-monnaie a une valeur d’échange qui commence seulement à s’éroder. À ce stade, la redistribution est déjà à l’œuvre, mais elle n’est pas encore remarquée par tous : les gagnants sont ceux qui acquièrent au bon moment des biens et actifs réels qui conservent leur valeur, même une fois le mirage dissipé.

Tout le monde ne peut jamais s’enrichir grâce au processus d’inflation. Pire, même pour ceux qui finissent par repartir bredouilles, l’illusion d’une plus grande prospérité est maintenue, au moins pendant un certain temps, grâce à une consommation accrue – jusqu’à ce que la dévaluation du papier-monnaie fasse voler en éclats l’illusion – le moment où l’effet réel de la redistribution se manifeste aux yeux de tous.

 

Un transfert de richesses qui ne dit pas son nom

Un canal important par lequel la redistribution opère est l’inflation disproportionnée des prix des actifs qui résulte de l’inflation générale des prix.

Elle est due à un changement de comportement en matière d’épargne. Dans une économie inflationniste, le coût d’opportunité de la détention de monnaie augmente et, par conséquent, les incitations à réorienter l’épargne vers des biens et actifs protégés contre l’inflation émergent. L’inflation disproportionnée des prix des actions et de l’immobilier est une manifestation de ce phénomène.

L’inflation disproportionnée du prix des actifs a tendance à avantager les classes déjà fortunées et à creuser le fossé entre les riches et les pauvres. Les actifs augmentent proportionnellement aux revenus, en particulier aux revenus du travail, et rendent ainsi l’ascension sociale plus difficile. Il devient par exemple beaucoup plus difficile d’acquérir un bien immobilier avec un revenu égal au salaire médian.

Nous pouvons ainsi identifier, entre autres, quatre tendances importantes de redistribution à l’heure actuelle :

  1. Du secteur privé vers l’État et le secteur public.
  2. Des personnes non fortunées vers les personnes fortunées.
  3. Des revenus du travail vers les revenus du capital et les gains en capital.
  4. Des jeunes vers les personnes âgées (car les jeunes générations ne possèdent souvent pas (encore) de patrimoine et dépendent davantage des revenus du travail).

 

Ces tendances à la redistribution entraînent une augmentation des inégalités économiques et constituent ainsi l’une des principales conséquences sociales de l’inflation. Cette redistribution a des effets multiples sur la culture et le mode de vie de différents groupes de la société.

 

Une injustice sociale pour les plus jeunes et les plus pauvres

De manière générale, l’augmentation des inégalités favorise le ressentiment vis-à-vis du système et de la politique.

Cela peut être la cause d’une baisse de la participation électorale et d’une dérive vers les marges politiques, à gauche et à droite. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes générations. L’angoisse existentielle et le sentiment d’être laissé pour compte se répandent et provoquent un stress accru. Dans le pire des cas, elles conduisent à l’abandon de soi et à la résignation.

On observe depuis des décennies, en particulier chez les jeunes, des indicateurs croissants de souffrance psychique. La consommation de drogues et les taux de suicide augmentent. Ces phénomènes ont de nombreuses causes potentielles. L’une d’entre elles est la redistribution au détriment des jeunes générations. Mais celle-ci peut également entraîner d’autres changements culturels. Si l’ascension sociale est rendue plus difficile par la constitution d’une épargne à partir des revenus du travail, cela peut conduire à une plus grande orientation vers le présent. Au lieu d’épargner et d’anticiper l’avenir, on s’adonne aux plaisirs de la consommation du présent. La culture YOLO (you only live once) peut être comprise comme une dérive de cette tendance.

Une corruption collective s’installe chez les générations plus âgées et la classe politique, qui a tendance à profiter davantage du processus de redistribution.  On ne reconnaît pas les problèmes systémiques, même si on en est parfaitement conscient, car ce n’est pas à son propre avantage que l’on peut changer quelque chose.

Cette forme d’hypocrisie, que l’on retrouve souvent dans le discours public, renforce à son tour, lorsqu’elle est perçue, le ressentiment des personnes défavorisées dans ce processus de redistribution.

 

Une méritocratie évincée par une kleptocratie

Une forme de mégalomanie s’installe en outre dans la classe politique. On sous-estime les coûts réels des grands projets politiques financés par l’inflation, comme la protection du climat ou les conflits militaires. L’inflation entraîne un affaiblissement des limites de la marge de manœuvre politique. Cela peut également augmenter le ressentiment envers la politique chez tous ceux qui reconnaissent ce découplage et le considèrent comme problématique, même quand il est entendu que ce processus d’inflation profite à un autre endroit.

Ainsi, l’inflation ne provoque pas seulement un sentiment d’injustice accru, elle favorise aussi une culture de la méfiance et du ressentiment. On se méfie des élites et de la politique. Mais on se méfie aussi des entrepreneurs qui réussissent, car leur succès économique ne repose pas nécessairement sur une création de valeur productive, mais peut être le résultat d’une redistribution inflationniste.

C’est souvent un mélange des deux. On ne leur fait donc pas confiance pour réussir. Et c’est ainsi que s’érode le fondement social sur lequel est construit un système d’économie de marché. L’économie de marché promet d’être une méritocratie, c’est-à-dire une réussite économique pour ceux qui offrent aux autres quelque chose pour lequel ils sont prêts à payer. La richesse que l’on génère est une richesse au profit des autres. La redistribution inflationniste met ce système à l’envers. La richesse issue de l’inflation signifie la richesse au détriment des autres.

[Série sur les mythes de la diversification II/IV] La diversification ne protège pas les épargnants

Lire la première partie.

 

« Peu importe que vous soyez intelligent si vous ne vous prenez pas le temps de réfléchir » – Thomas Sowell

Revenons brièvement sur les idées reçues sur lesquelles s’appuie le dogme de la diversification.

On ne se souvient même plus que la promesse de départ consistait à atteindre la médiane des performances, ni plus ni moins.

« La théorie moderne de portefeuille vous apprend comment vous y prendre pour avoir la moyenne. Mais je pense que la plupart des gens savent comment il faut faire pour avoir la moyenne dès la classe de 6e » (Warren Buffet).

Oui, la diversification protège, mais… seulement les incompétents : des gens dont on devrait se demander ce qu’ils font sur les marchés financiers, après tout. Trop d’épargnants ont davantage peur de perdre de l’argent que de ne pas en gagner ; s’ils sont à ce point averses au risque, ils ne devraient pas placer un seul euro sur les marchés, point barre.

 

La stratégie de la diversification offre des protections très limitées aux investisseurs

Et encore, cette « protection » a eu lieu dans une phase de financiarisation, disons à partir de 1982 (en net et en termes réels, bien peu de gens ont gagné de l’argent sur les marchés financiers entre 1929 et 1982…), phase où la sélectivité n’était pas essentielle parce que toutes les classes d’actifs montaient, montaient. Mais à partir d’aujourd’hui, c’est beaucoup plus discutable : le monde qui se prépare en Occident n’est probablement pas celui où une marée montante fera monter tous les bateaux.

Le client ainsi protégé à triple tour est bien souvent incité à faire un peu de tout ; il se retrouve à jouer au service-volée sur terre battue, ou à lifter sur gazon : par exemple, des comportements de rentier sur les actions, guidé par des YouTubeurs pas du tout racoleurs qui font la promotion de revenus fixes par les dividendes ; ce qui n’est pas fidèle à l’esprit de cette classe d’actifs, et maintien au dessus de la ligne de flottaison un certain nombre de boites satrapiques.

Il ne suffit de toute façon pas de signer en faveur de la protection pour l’obtenir. C’est un peu comme s’inscrire à un club de gym pour perdre du poids : personne n’a jamais obtenu un résultat de cette façon ; c’est l’effort concret qui compte, pas le bulletin d’inscription. La diversification peut protéger de la volatilité excessive, mais ce n’est pas un vaccin infaillible et elle n’est jamais gratuite ; attention à ce qu’elle ne vous protège davantage de la hausse que de la baisse.

Nous pourrions ensuite évoquer les nombreuses failles de la théorie, par exemple le fait que le cash n’est pas vraiment modélisé (de sorte qu’il est en fait assez possible de battre le marché avec de la patience et une petite culture du cycle), ou par exemple le fait que le modèle de valorisation des actifs repose sur une accumulation de bizarreries (existence consensuelle d’un « actif sans risque », et des taux d’actualisation traficotés qui divorcent de plus en plus des taux d’intérêt…) ; mais creusons plutôt ici dans une direction moins souvent analysée : les pertes cognitives.

 

« Le risque varie en fonction inverse de la connaissance »

Car à mesure que l’on se diversifie, on perd en connaissance. Personne ne le dit, alors que c’est un fait indubitable, inexorable, bien documenté. « Le risque varie en fonction inverse de la connaissance » notait déjà Irving Fisher.

Mais peut-être qu’une métaphore serait ici plus parlante. Billy Rose exposait ainsi le problème :

« You’ve got a harem of seventy girls; you don’t get to know any of them very well »

Ma traduction : si vous disposez d’un harem avec 70 filles, vous n’allez pas bien connaître une seule d’entre elles. Un portefeuille très diversifié est un portefeuille qui n’est plus maitrisé, et qui se retrouve en risque, du fait même de son obsession pour la maitrise du risque.

Un professionnel très entraîné peut suivre dix boîtes, et encore. Quand il prétend pouvoir en surveiller 200, il se trompe, ou il vous trompe. Quand on a des centaines d’entreprises (pardon, on dit de façon révélatrice des « lignes »…) dans le portefeuille, et plusieurs portefeuilles, les bilans et les comptes trimestriels ne sont plus vraiment regardés, les perspectives deviennent floues, la qualité du management est ignorée, le risque est géré : c’est-à-dire d’une façon administrativo-journalistique.

 

Une perte de temps et d’efficacité

C’est pourquoi un surcroit de diversification offre une protection le plus souvent illusoire.

D’une part, quand les choses tournent vraiment mal sur les marchés, on se rend compte mais un peu tard que les titres sont bien plus corrélés qu’on ne le croyait : votre « stratégie » de protection ne fonctionne que par mer calme, lorsque tout monte.

D’autre part, le fait de s’asseoir sur une base très large de valeurs n’incite pas à une attitude guerrière, tout l’instinct qu’il faudrait aiguiser se retrouve comme anesthésié.

Enfin, il y a les pertes cognitives, tous ces détails qui tuent que l’on perd de vue à force de se diversifier ou d’élever le niveau du débat (une façon sûre de le perdre de vue : combien de fois ai-je vu des analystes perdre la moitié de leur temps à discuter de la FED ou de la BCE quand ils auraient mieux fait de laisser cela à des économistes et de retourner sur le terrain disséquer des bilans et des perspectives d’entreprises concrètes !).

Au fond, c’est un viol de la division du travail, une approche plus marxiste que smithienne. Le moindre des paradoxes n’est pas qu’on couple ce travers avec un dogmatisme pro-marché caricatural, digne des nouveaux convertis.

Un exemple. L’idée que le marché a toujours raison est une confusion temporelle en plus d’être une simplification abusive. Après avoir correctement observé qu’il est le plus souvent efficient, les académiques et les modélisateurs en sont venus à conclure incorrectement qu’il est toujours efficient.

Or, la différence entre ces deux propositions est, comme le notait Warren Buffet, « night and day ».

Citons-le complètement :

« We are enormously indebted to those academics: what could be more advantageous in an intellectual contest—whether it be bridge, chess, or stock selection than to have opponents who have been taught that thinking is a waste of energy ? ».

On peut donc profiter de ce refus de savoir.

Encore faut-il aiguiser son sens critique. La valeur est créée depuis toujours par des outsiders, pas par des apparatchiks : en diversifiant, vous attribuez pour votre argent autant d’importance aux bureaucrates qu’aux entrepreneurs, aux margoulins des SCPI qu’aux industriels innovants. La diversification maximaliste dit implicitement que tous les secteurs sont grosso modo égaux du point de vue de l’actionnaire.

Ce n’est juste pas vrai. Plusieurs secteurs sont des tonneaux des Danaïdes pour l’investisseur de moyen/long terme, pour diverses raisons dont la capture par les managers. On connait l’usage du « Hollywood accounting », on sait que les compagnies aériennes multiplient les trous d’air depuis 1973, on observe une bureaucratisation inouïe des banques européennes, et personne ne gagne sur les matières premières à long terme. Faire croire à l’égalité ou au retour à moyenne, c’est tromper le public, et à terme, c’est le dégoûter d’une épargne financière qui est pourtant un bien privé et un bien public. Nous y reviendrons.

 

Le refus du savoir est rarement un bon signe

En paraphrasant un très beau texte de Marcel Gauchet où il notait que le niveau montait, mais que le livre baissait, je dirai que le niveau des encours monte mais que la connaissance et la conviction baissent. À défaut, je peux augmenter mon QI instantanément sur les marchés en choisissant des problèmes que je peux résoudre. Mais refuser à la fois de connaître et de choisir est un boulevard pour le désastre.

Markowitz, Fama, Sharpe raisonnaient sur des portefeuilles de professionnels qui n’ont pas besoin de bien connaitre les filles de leur harem. Vous ne boxez pas, chers épargnants individuels, dans cette catégorie. Les investisseurs institutionnels ne jouent pas avec leur propre argent. Vous, si. Ils sont rémunérés à la fin du mois pour avoir géré (c’est-à-dire pour éviter des risques), vous n’êtes récompensés que si vous avez pris quelques risques. En tant que particulier, vous devriez vous méfier lorsqu’on vous propose de dupliquer une salle de marché, même si techniquement vous pouvez désormais le faire et pour pas trop cher avec des ETF.

Les règles (très souvent idiotes) de diversification ou de biais domestique ne s’appliquent pas à vous : les gérants vous battront au jeu du rendement/risque, mais vous pouvez aisément les battre sur le seul rendement… à condition de ne pas jouer leur jeu. Au lieu de cela, il existe partout un discours sur la polarisation du succès mais… les portefeuilles financiers restent affreusement diversifiés.

Et à la fin, tout sur l’immobilier ! Paradoxe d’une religion diversificationniste objectivement alliée à une poche qui représente les deux tiers de l’épargne européenne ; un « big ticket » qui, lui, n’est pas diversifié du tout, impunément, comme si son prix ne pouvait jamais baisser. Or, la pierre ne protège pas, elle est peu créatrice de valeur, car elle est très illiquide, elle est basée sur le levier de la dette, et 25 années de hausse quasi-ininterrompue des prix implique désormais une grande vulnérabilité (rareté des primo-accédants, inutilité croissante des bureaux, maturité des emprunts déjà très étirée, ratios de solvabilité à la limite).

L’or et les matières premières n’ont jamais protégé, sauf en cas de guerre, et encore. Ils n’offrent aucun rendement, leurs déterminants changent et sans visibilité aucune (on saura dans trois ans si telle ou telle banque centrale a acheté de l’or aujourd’hui), leur financiarisation via les ETF est suspecte et les expose aux mouvements des autres classes d’actifs (qui sont beaucoup plus volumineuses). En un mot ce sont des reliques, des objets de spéculation à la rigueur, mais en aucun cas des protections. L’obligataire, qui a bien rempli sa mission protectrice pendant près de 40 ans, arrive quant à lui à la fin de son parcours : trop d’émissions et un pilotage capricieux des taux par le banquier central rendent l’obligation bien moins fiable aux yeux de l’investisseur moyen/long terme. La vraie protection se niche de plus en plus dans la qualité de la sélection des actions, dans la fluidité du portefeuille, dans la gestion d’une poche de cash, dans des astuces de convexité ou d’internationalisation, bien plus que dans le nombre de classes d’actifs, dans le nombre de titres détenus.

Analogie. Quand un gouvernement affiche 15 priorités, quand il prétend vouloir défendre l’État Providence tout en développant une « start up Nation » et tout en luttant contre le réchauffement global, on comprend qu’en fait il se disperse.

Il arrose et il communique, mais au final il va échouer, par manque de conviction, par manque de cohérence : idem avec votre portefeuille. Qui trop embrasse mal étreint. Acheter tout le marché signifie que vous allez vous faire balloter au gré des (gros) flots, avec pour seule boussole cette idée selon laquelle les marchés sont assez porteurs à long terme. Ce qui est vrai mais uniquement depuis 1982, et sans garantie aucune que cette période porteuse soit éternelle : les performances passées ne présagent pas des performances futures, c’est d’ailleurs marqué en Arial 6 sur les documents que votre courtier vous a fait signer.

[Série sur les mythes de la diversification I/IV] En finir avec le dogme de la diversification

« Toutes choses étant égales, c’est la conviction qui gagne. Alliée à une volonté de vaincre, elle sert de détonateur, suscite des idées, disperse les doutes et aide à penser clairement » (Robert Fischer).

Parfois des sectes deviennent des religions et finissent en théocraties tyranniques. Je vais vous raconter les dessous d’une histoire qui de nos jours plait beaucoup à Jean-Michel Consensus mais qui repose sur des malentendus et parfois sur des arnaques, qui à large échelle détruit de plus en plus de valeur et qui pourrait bien finir par nous ensevelir tous : la diversification maximale de l’épargne.

La diversification privilégiée

Elle est de nos jours considérée comme l’alpha et l’oméga de la gestion, le dernier free lunch avant la fin du monde, une sorte de religion civile avec ses séminaires, ses indulgences.

Il n’en a pas toujours été ainsi, il s’agissait à la base d’une petite secte de théoriciens.

Nous allons montrer ici que ce culte protège mieux son clergé que les clients, car la diversification tue la recherche de nouvelles pistes, conduit au relativisme et à un faux sentiment de sécurité, et surtout elle est biaisée, les intérêts ne sont pas « alignés » comme on dit pudiquement. Il y a d’abord le vite dit (la diversification protège), puis le mal dit (la pseudo-neutralité des propagandistes zélés de la diversification) et enfin les non-dits, les dégâts que l’on ne voit pas (une économie zombifiée, une société Potemkine, un viol des mécanismes libéraux les plus solides).

Mais avant d’étudier les mythes de la diversification, commençons par un peu d’histoire :

Au commencement était le monde non-diversifié. Jusqu’aux années 1970, les marchés financiers (il est vrai assez peu développés à l’époque) étaient dominés par une mentalité de stock-picking à la petite semaine : les gens misaient sur des boites comme on mise sur des chevaux au bar PMU, ils ne cherchaient pas à mettre de la science dans leurs portefeuilles (l’idée leur aurait paru incongrue !), ils s’en remettaient à un mélange d’analyses locales ou sectorielles, de « tuyaux » et de bon sens, d’intuition et d’expérience, sans trop de soucier du cross-asset ou des ratios de concentration ; de sorte que Warren Buffet n’était pas un acteur trop isolé quand sa principale position représentent jusqu’à un bon tiers de ses actifs totaux. La formule d’Andrew Carnegie était considérée comme la sagesse même : « Concentrez vos énergies, vos pensées et votre capital. Le sage met tous ses œufs dans le même panier et veille sur le panier » ; de nos jours, ce serait plutôt chez les gestionnaires d’actifs la définition la plus admise de la folie.

 

Les conséquences de la crise de 1974

Et puis, en 1974, tout chuta. Les firmes, même les mieux établies, perdirent subitement la moitié de leur capitalisation. Confrontés à ce carnage inexplicable, les gens de Wall Street firent ce qu’ils refusaient jusque-là de faire (et ce qu’ils refuseront de faire après 2008…) : aller trouver de nouvelles idées, ailleurs.

Ils se tournèrent en l’occurrence vers des gens qu’ils méprisaient intégralement, les académiques. Ces professeurs, qui pour la plupart n’ont jamais ouvert un compte titres de toute leur vie, avaient développé depuis la fin des années 1950, dans leurs tours d’ivoire aux environs de Chicago, une jolie littérature bourrée de lettres grecques et appelée « théorie moderne du portefeuille », dans laquelle ils démontraient que, vue l’hypothèse d’efficience du marché (qui implique que le prix des actifs reflète toute l’information disponible), la gestion se résume à un problème banal d’optimisation quadratique le long de frontières efficientes.

Pour résumer ce qui nous intéresse ici, et laissez-moi extrapoler un peu : on ne peut pas battre durablement et significativement le marché (le plus grand collecteur d’informations possible) à moins de prendre des risques considérables, de sorte qu’il est assez vain de chercher l’aiguille dans la botte de foin ; mieux vaut acheter la botte de foin, via des solutions diversifiées.

Les articles académiques n’étaient pas lus par des adultes sérieux et solvables : Markowitz était bien seul dans les années 1950, comme Fama ou Sharpe dans les années 1960. Et puis soudain, après 1974, ils devinrent des stars, les nouveaux papes de Wall Street. En moins de 20 ans le monde de la gestion d’actifs devint une industrie, basée sur leurs principes, leurs règles. Les progrès de l’informatique aidant, les raisonnements anciens furent balayés et remplacés par leurs modèles, traduits via des algorithmes : disciplinés dans le sens de la minimisation du risque (risque compris comme une mesure de la volatilité du marché), rassemblés autour du même outil (la VaR, Value at Risk) et réassurés par une cascade de marchés dérivés ; en bref, organisés par des allocataires d’actifs, et non plus par des boursicoteurs plus ou moins inspirés. 

En un mot, on sanctifia cette théorie moderne, on importa des ingénieurs pour la faire tourner, et des vendeurs pour la propager, on leur confia les clés du royaume, puis, protégés par leur jargon, ils firent tout ce qu’ils voulaient faire, à savoir sophistiquer leurs modèles jusqu’à l’absurde et s’auto-attribuer des bonus faramineux (au grand dam de la théorie pure, qui tablait sur un environnement concurrentiel susceptible d’émasculer les marges des intermédiaires, mais passons).

 

De crise en crise, les mythes sur la diversification se sont pérennisés

Cette évolution a continué même après le scandale LTCM en 1998, quand il devint évident que la bonne gestion n’était pas qu’un exercice de maths, et même après la grande crise de 2008, quand on s’aperçut qu’à force de découper le risque en petits bouts façon puzzle on se retrouvait partout avec plein de produits non-maitrisés. La théorie moderne est souvent critiquée, vous avez probablement entendu parler du « cygne noir » de Nassim Nicholas Taleb (cette idée selon laquelle la théorie standard est trop liée à des distributions gaussiennes) ou de telle ou telle autre critique, contre la VaR, contre la titrisation, contre l’hybridation des classes d’actifs, etc. ; mais de facto elle n’est pas vraiment entravée, nous allons le voir, et la religion de la diversification devient petit à petit une théocratie. 

Comme toutes les révolutions, elle dévore ses propres enfants. Elle s’appuie désormais sur les ETF (les trackers) pour compléter son travail de sape, sa lutte sans merci contre la conviction. Il y aura bientôt un plus grand nombre d’ETF que d’actions. Et si cela continue, Blackrock, Blackstone et Vanguard seront les trois principaux actionnaires de toutes les grandes boîtes cotées. C’est le triomphe des petits hommes gris sur les grands investisseurs : pendant que le grand public est dupé par des histoires anachroniques de traders atypiques, de chiens fous et de loups solitaires, les bureaucrates dans l’ombre envahissent tout.        

À chaque fois qu’un accident économique ou financier survient, c’est toujours la même rengaine : tel acteur n’était pas assez diversifié, tel autre aurait dû davantage « hedger » ses positions, etc. De sorte qu’un surcroît de diversification est préconisé après chaque échec, même si l’échec en question est dû le plus souvent… à un excès de diversification ayant conduit à des pertes cognitives et/ou à un endormissement.

 

Bienvenue en absurdie

La diversification, de nos jours, fonctionne comme dans cette vieille blague sur la psychanalyse :

« Si vous vous sentez bien et que vous n’utilisez pas la diversification, vous êtes considérés en situation de déni ; si vous vous sentez mal et que vous n’utilisez pas la diversification, vous êtes un idiot ; si vous êtes en thérapie de diversification et que vous vous sentez bien, alors c’est grâce à cette thérapie ; si vous êtes en thérapie de diversification et que ne vous sentez pas bien, alors c’est que vous avez encore plus besoin de la thérapie ».

Qui paye l’inflation importée ?

Un article de , économiste – Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

 

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subi les effets ?

Sous l’effet, d’abord de la forte reprise post covid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des composants industriels et des matières premières, notamment énergétiques et agricoles, a fortement augmenté. Le prix des importations s’est ainsi accru de 20 % en l’espace d’un an, conduisant à un choc de grande ampleur sur l’économie française.

Une part de cette inflation importée s’est diffusée dans l’économie domestique, à travers la hausse du prix des intrants, des revenus du travail et du capital. Entre septembre 2021 et 2023, l’indice des prix à la consommation a augmenté de près de 11 %. Sur la même période, les seuls prix de l’énergie ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %. Ces deux composantes, qui représentent environ un quart de la consommation totale des ménages, ont contribué à près de 60 % à l’inflation au cours des deux dernières années.

En parallèle, le besoin de financement de l’économie nationale vis-à-vis de l’extérieur est passé de un point à deux points de PIB entre le second semestre 2021 et la mi-2023… mais celui-ci a atteint jusque 4,6 points de PIB au 3e trimestre 2022. Si le reflux des prix de l’énergie et des matières premières à partir de la fin 2022 a conduit à réduire le besoin de financement extérieur, celui-ci a donc connu une hausse de plus de trois points de PIB en un an, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973.

Deux après le début de l’épisode inflationniste, il est possible de tirer un premier bilan sur la diffusion d’un tel choc dans l’économie, et d’avoir une idée de qui paye cette inflation importée.

 

Une inflation différenciée selon les ménages

En raison du recours plus important des déplacements en voiture et d’une facture énergétique liée au logement plus élevée, la hausse des prix de l’énergie a frappé en premier lieu les habitants des communes rurales et périurbaines, et dans une moindre mesure ceux des grandes agglomérations. Alors que les ménages vivant en dehors des unités urbaines ont vu le coût de la vie augmenter de 9 % entre la mi-2021 et la fin 2022, ceux résidant en agglomération parisienne ont subi un choc inflationniste plus modéré, de l’ordre de 6 %.

Au cours des douze derniers mois, l’inflation a cependant changé de nature, la contribution de l’énergie à la hausse de l’indice des prix à la consommation s’est réduite au profit de l’alimentaire. Depuis un an, les ménages les plus impactés par l’inflation sont ainsi les plus modestes, car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible. L’inflation actuelle du premier quintile de niveau de vie (les 20 % des messages les plus modestes) est près de 1 % supérieure à celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).

L’analyse du choc inflationniste ne peut cependant pas s’arrêter là. Il est nécessaire également de comprendre la réaction des revenus à cette hausse brutale des prix. Salaires, prestations sociales et revenus du capital se sont-ils élevés d’autant ?

 

Un tassement des salaires vers le bas

Du côté des revenus du travail, le salaire mensuel de base a augmenté de près de 8 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Certes, une telle hausse n’a jamais été vue depuis plus de trente ans mais elle reste insuffisante pour compenser l’inflation. Autrement dit, le salaire réel a diminué de près de 3 % en deux ans.

Avec une hausse de 12 % depuis octobre 2021, le smic a connu, lui, une progression plus rapide que la moyenne en raison de son mécanisme d’indexation sur l’inflation. Si ce mécanisme permet de protéger les travailleurs les plus modestes de l’inflation, rien ne garantit que cette hausse dynamique du smic bénéficie également aux salaires juste au-dessus. De fait, la proportion de salariés touchant ce salaire minimum est passée de 12 % en 2021 à près de 15 % en 2022. Cela confirme l’idée d’un tassement de la grille des salaires vers le bas, de même que la forte hausse des exonérations de cotisations sociales patronales, bien supérieure à la croissance de la masse salariale.

Les prestations sociales, elles, augmentent pour faire face à la hausse des prix. Cela se fait néanmoins avec retard en raison d’une réévaluation annuelle, en janvier ou en avril, calculée sur l’inflation passée. Ainsi, depuis fin 2021, les pensions de retraite n’ont augmenté que de 6 % mais celles-ci seront revalorisées de 5,2 % en janvier 2024. Les autres prestations ont augmenté significativement seulement à partir d’août 2022 avec une augmentation globale de 7,3 % au cours des deux dernières années. Une nouvelle revalorisation de 4,8 % est attendue au 1er avril 2024.

Les revenus du patrimoine financier ont, de leur côté, fortement grimpé, de 35 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Cela s’est fait sous l’impulsion de la remontée des taux d’intérêt et de la forte hausse des dividendes versés. Si le pouvoir d’achat par unité de consommation a crû de 0,5 % entre la mi-2021 et la mi-2023, résistant au choc inflationniste, c’est d’ailleurs en partie dû au fort dynamisme des revenus du capital et à la baisse de fiscalité. L’analyse macroéconomique du pouvoir d’achat, bien qu’indispensable, n’est cependant pas suffisante pour comprendre celle par niveau de vie, avec des ménages dont les revenus ont évolué très différemment sur la période récente.

 

Les entreprises tirent leur épingle du jeu

Au cours des huit derniers trimestres, les entreprises ont vu leur revenu réel (déflaté des prix de valeur ajoutée) s’accroître de 4,3 %, et le taux de marge des sociétés non financières a augmenté de 1,2 point de valeur ajoutée pour atteindre 33 % de la valeur ajoutée, son plus haut niveau depuis 2008 si l’on exclut les années exceptionnelles (2019 l’année du double CICE ou la période covid marquée par des aides exceptionnelles).

Enfin les administrations publiques, en mettant en place des dispositifs pour limiter la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires…) ont vu leur déficit se dégrader malgré la fin des mesures d’urgence liées à la crise covid. Il est ainsi passé de 4,5 % du PIB fin 2021 à 5,9 % fin 2022, avant de se réduire à 4,6 % à la mi-2023 avec la fin du bouclier tarifaire du gaz et de la remise carburant.

Pour résumer, face à l’inflation importée, les entreprises ont jusqu’à présent bien tiré leur épingle du jeu, même si les situations sont très hétérogènes selon les secteurs et les entreprises. Les ménages ont vu leur pouvoir d’achat résister, mais cela masque des dynamiques très différentes entre les revenus du travail et du capital. Enfin, en absorbant une partie du choc inflationniste, les administrations publiques ont vu leur situation financière se dégrader.

Lire sur le site de The Conversation

Trappe à bas salaires : l’employeur doit payer jusqu’à 450 euros de plus pour augmenter un salarié au smic de 100 euros

Un article de Bertrand Nouel

Qu’est-ce que la « trappe à bas salaires » ? C’est le fait d’encourager l’embauche de salariés peu productifs (peu compétents, peu expérimentés…) en abaissant, jusqu’à les supprimer, les cotisations et charges patronales qui seraient normalement prélevées sur le salaire brut. On a « en même temps » complété la rémunération des mêmes salariés avec la « prime d’activité », qui est à la charge de la CAF. Ces exonérations et ce complément n’existent que pour les bas salaires : au niveau du smic et en dégressivité jusqu’à 1,6 smic pour les exonérations, jusqu’à 1,5 smic dans le meilleur des cas pour la prime d’activité[1].

Le problème, c’est que ces avantages considérables sont accordés sous condition de ressources, créant de la sorte un effet de seuil. L’employeur qui désire rémunérer son salarié au-delà du smic subira une très forte hausse du coût du travail. Et le salarié, perdant ses divers avantages, se retrouve avec une baisse de salaire net. Ni l’un ni l’autre n’ont donc intérêt à ce que le salaire brut augmente. Perdant-perdant : c’est la trappe à bas salaires.

Dans cet article nous allons nous pencher un peu plus en détail sur le phénomène et ses fâcheuses conséquences. Dans un article ultérieur nous examinerons les solutions envisageables.

 

Combien cela coûte-t-il d’augmenter de 100 euros le salaire net mensuel ?

Supposons qu’un employeur veuille augmenter de 100 euros net un salarié célibataire sans enfant payé au smic (montant actuel : 1747 euros brut pour un plein temps de 35 heures hebdomadaires).

Les calculs officiels montrent que le coût du travail se trouve alors majoré d’au moins 286 euros, voire 450 ! [2] Comment cela est-il possible ?

Les chiffres, obtenus sur le simulateur de l’URSSAF, sont les suivants :

Mensuel en € Salaire brut SMIC Salaire net après impôts augmente de 100 € Salaire net après impôts augmente de 100 € + 55 €
Salaire brut     1747       1899       1986
Coût employeur     1820       2106       2270
Salaire net après impôts    1361       1461       1516
Net perçu avec prime activité (55 €)    1416       1461       1516

Lecture du tableau :

La première colonne concerne un salarié payé au smic. L’employeur n’aura à acquitter que 73 euros de charges patronales, et le salarié percevra 1361 euros net après cotisations et impôts (inexistants).

La seconde colonne suppose que l’employeur veuille augmenter son salarié de façon qu’il perçoive en net, après cotisations et impôts (ici 20 euros), 100 euros de plus que lorsqu’il était au smic (donc 1461 euros). Les charges patronales de l’employeur passeront brusquement à 286 euros, soit 213 euros de plus.

La troisième colonne tient compte du fait que le salarié ne perçoit plus aucune prime d’activité (c’est pourquoi, malgré l’augmentation du salaire net, son revenu disponible n’a augmenté que de 45 euros). Si son employeur veut compenser cette perte afin que le salaire net augmente de 100 + 55, soit 155 euros, il devra augmenter le salaire brut de plus que 55 euros, car l’augmentation génère un surplus de cotisations et d’impôt (rappelons que la prime d’activité n’est, elle, pas imposable). Au total, le salarié recevra bien 1461+100 + 55, soit 1516 euros, mais alors, l’employeur verra le coût du travail augmenter de 450 euros.

Finalement, dans la troisième hypothèse, le salarié n’aura gagné que 155 euros, et l’employeur devra acquitter en charges 2,9 fois plus que le gain perçu par son employé.

 

Pourquoi une telle situation ?

Tout se tient. À l’origine, la France a adopté un modèle social très généreux et coûteux, financé par des prélèvements sur le travail selon le système bismarckien (contrairement par exemple au Royaume-Uni ou surtout au Danemark où le financement se fait par l’impôt). Ce financement est principalement à la charge de l’employeur. De plus le taux horaire du smic est l’un des plus élevés d’Europe (actuellement 11,52 euros, contre 11,14 en Irlande, 11,85 en Belgique, 11,75 aux Pays-Bas, 12,00 en Allemagne ; seul le Luxembourg se détache avec 13,80 euros).

Enfin, les 35 heures ont eu pour effet d’une part de diminuer le montant du smic mensuel pour le salarié, d’autre part de contraindre l’État à compenser pour les employeurs l’augmentation de ce smic par des exonérations de charges.

Lorsque dans la dernière décade du siècle dernier, le chômage a fortement augmenté, il est devenu prioritaire pour l’État de le combattre, et il a estimé que les exonérations de cotisations n’étaient efficaces pour l’emploi que dans le cas des bas salaires. Dans ces conditions, l’État a dû aussi, progressivement, augmenter les exonérations de cotisations patronales. Il est maintenant presque au taquet puisque ces cotisations ne représentent plus que 2,8 % du salaire brut au niveau du smic (4 % pour l’URSSAF).

Bien entendu, cela s’est accompagné d’une perte substantielle de ressources pour la Sécurité sociale, qui l’a compensée en augmentant les cotisations pour les salariés payés au-delà de 1,6 smic.

C’est ainsi que pour un salaire brut de 2795 euros (1,6 smic), l’employeur doit débourser 1000 euros de cotisations, soit 35,8 % du salaire brut, à comparer aux 73 euros (4 %) pour un salaire brut au smic.

 

Conséquences

Sur la compétitivité de la France

L’écart entre le coût du travail au niveau des bas salaires (jusqu’à 1,6 smic) et celui des hauts salaires devient vertigineux. D’autant plus que la France calcule les cotisations sur la totalité du salaire ou avec un plafonnement très élevé (8 x 3666 euros pour les cotisations retraite Agirc-Arrco), contrairement au Royaume-Uni ou à l’Allemagne par exemple. C’est une réalité technique, que ceux qui fustigent les écarts de salaire en France ont tendance à oublier. Les employeurs sont malgré tout contraints de l’accepter, en raison du fort pouvoir de négociation de l’élite salariale française et de la concurrence internationale.

Graphique  1. Comparaison France/Allemagne des coûts employeur et salaires net après impôts en fonction du salaire brut

Source : site EuroRekruter et calculs de l’auteur

 

Salaire brut annuel (€) FRANCE ALLEMAGNE
Coût employeur Salaire net après impôts Coût employeur Salaire net après impôts
    20 964 (SMIC France)     21 840     16 332      24 947     15 430
    25 000     30 911     19 143      26 693     17 832
    50 000     70 835     34 805      59 387     31 755
    75 000   107 464     49 444      87 677     44 526
  100 000   143 193     64 082     113 385      57 144

 Lecture

Pour un salaire brut correspondant au smic français, le coût employeur annuel est de 3107 euros supérieur en Allemagne par rapport à la France.

Pour un salaire brut de 100 000 euros, c’est l’inverse : le coût est inférieur (de 29 808 euros) en Allemagne. Dès la barre de 25 000 euros franchie en brut, l’employeur français paie plus que l’employeur allemand.

Pour un salaire brut de 100 000 euros, les cotisations employeur sont en France de 43 % du salaire brut, et de 14 % en Allemagne.

Pour un salaire de 113 000 euros, l’employeur allemand paie seulement 12 % (en raison du plafonnement), alors que selon l’Insee, l’employeur français paie 43,1 %.

 

Sur la situation française

Au final, la pyramide des salaires se révèle aberrante.

  • On observe un tassement des salariés aux niveaux proches du smic. Des statistiques plus récentes ne sont pas disponibles, mais en 2021, on sait que 18,6 % des salariés percevaient un salaire mensuel net inférieur à 1500 euros, et 30,8 %, entre 1500 et 2000 euros – soit près de la moitié des salariés français en dessous de 2000 euros.[3]
  • Au niveau des salaires moyens, seuls 19 % des salariés disposent d’un salaire compris entre 2000 et 2500 euros. Il est difficile pour eux de négocier des augmentations, en raison de l’effet de seuil que constitue la brutale hausse des charges patronales au-delà de 1,6 smic.
  • Ne pas oublier que le smic est indexé sur le coût de la vie, mais non les salaires supérieurs. Bien qu’il soit difficile de trouver un consensus sur le montant actuel du salaire médian (50 % gagnent moins, 50 % gagnent plus), il semble qu’on soit aux environs de 2100 euros, ce qui induit un rapport de 65,8 % entre smic et salaire médian. Mieux, si l’on ajoute la prime d’activité, le rapport passe à 80 %, ce qui n’incite guère les salariés à se former ni à tenter d’améliorer leur rémunération. On en voit d’ailleurs refuser des augmentations, voire la conversion de leur CDD en CDI.
  • Au niveau des hauts salaires, le coût du travail pour l’employeur devient prohibitif, engendrant notamment une « fuite des cerveaux ».

 

Inutile de préciser que le problème du financement des régimes sociaux devient de plus en plus aigu. Avec près de la moitié des salariés qui perçoivent en 2021 une rémunération ne dépassant pas 2000 euros, le poids des exonérations sur les bas salaires est en croissance continue.

Notes

1.On considère ici avec l’URSSAF que la CSG et la CRDS sont des cotisations et non des impôts, contrairement à la règle fiscale française, mais conformément à la nomenclature de la CEE.

2.Les salariés rémunérés autour du smic peuvent avoir droit à divers avantages sociaux en fonction de leurs ressources et de leur situation de famille. Nous n’en avons pris aucun en compte dans notre exemple de célibataire sans enfant, exception faite de la prime d’activité, non imposable et versée par l’État, qui n’impacte pas le coût pour l’employeur.


1] Le calcul est compliqué car il tient compte de la situation de famille, et la prime n’est due que si le salarié ne dispose que de revenus professionnels. Le montant de la prime est d’au minimum 595 euros.

[2] Exemple choisi par François Lenglet.

Sur le web.

La révolution FinTech : comment la technologie bouleverse le monde bancaire

Les innovations technologiques représentent un moteur pour le marché financier. Ce n’est pas seulement le métier de la banque qui se trouve de nos jours bousculé sur le plan technologique. C’est aussi tout le système qui est construit et organisé autour de la monnaie légale conventionnelle et qui est ancré sur un monopole monétaire tout-puissant.

Depuis leur apparition, les monnaies électroniques telles que le bitcoin ne cessent de provoquer étonnement et intérêt. En forte progression, ces monnaies issues de la technologie de la blockchain concurrencent puissamment les monnaies traditionnelles. Le phénomène d’acceptation des nouvelles monnaies électroniques anime le débat concernant la diversité et la concurrence monétaire.

Les consommateurs de services financiers sont constamment à la recherche d’innovation et de solution plus rapides et efficaces. Dans certains pays, la finance technologique offre des solutions pour favoriser l’inclusion financière. Ces services financiers innovants sont offerts par des start-ups appelées FinTech[1]. Elles bouleversent ainsi le statu quo établi depuis des siècles de monopole bancaire.

L’innovation sur le marché de la finance technologique est double[2]. Elle peut être incrémentale et permettre l’amélioration des services existants, ou radicale en créant de nouveaux modèles économiques financiers.

N’est-ce pas une explication de la différence entre les banques en ligne et les néobanques ? Le marché de la finance technologique doit susciter un questionnement profond tant sur l’évolution de la monnaie que des institutions. Ce marché dynamique modernise l’offre de services financiers mais il rouvre surtout la voie de la liberté monétaire. Le marché de la finance technologique crée de nouvelles opportunités. Il stimule la volonté de transformation digitale, diversifie l’offre de services financiers, et instaure une liberté de choix monétaire.

 

Une volonté de transformation digitale

Des frais réduits, une carte bancaire gratuite, des offres de bienvenue, grâce à leurs offres attractives, les néobanques séduisent de plus en plus de clients.

Leur niveau d’innovation diffère selon la règlementation des pays.

En France, une néobanque telle que N26, Revolut ou encore Nickel, est un établissement de paiement ayant obtenu un agrément de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Elle propose une offre bancaire entièrement dématérialisée avec un accès 100 % mobile. Quant à Memo Bank, il s’agit d’un établissement de crédit régulé par l’ACPR et la Banque centrale européenne. Dans ce cas, on parle d’une banque en ligne. Memo Bank aide les chefs d’entreprise à gérer leur trésorerie et à financer leurs projets.

La finance technologique transforme progressivement le secteur bancaire traditionnel. Elle fait réagir les banques traditionnelles qui tentent d’innover au travers de trois prismes : rapidité, fluidité et efficacité. Elles n’hésitent pas à acquérir et lancer des banques en ligne. Goldman Sachs a, quant à elle, lancé Marcus, une banque de dépôt 100 % en ligne, qui rencontre un grand succès aux États-Unis et à présent en Angleterre.

Les banques françaises ont, elles aussi, réagi vigoureusement avec de nombreuses acquisitions :

  • le Crédit Mutuel Arkéa a racheté la cagnotte en ligne Leetchi et détient 80 % du capital de Pumpkin ;
  • BPCE a pris le contrôle de Pot Commun et Fidor ;
  • BNP Paribas a fait l’acquisition de Compte Nickel ;
  • la Banque Postale a pris sous son aile KissKissBankBank & Co ;
  • Natixis a racheté Dalenys, la Société Générale Boursorama et Treezor.

 

La transformation digitale des banques traditionnelles dépasse le simple phénomène de dématérialisation. Elle est bien plus profonde. Elle est de nature institutionnelle. Le cadre  réglementaire souple constitue le fondement du modèle économique des néobanques.

Cependant, une réglementation plus rigide permet toujours à la banque traditionnelle d’obtenir la confiance de certains clients. Aujourd’hui, la révolution technologique dans le domaine financier met en doute ce type de modèle économique. Ce n’est pas pour rien que les banques traditionnelles travaillent d’arrache-pied pour suivre le rythme infernal des FinTech qui les poussent sans cesse à renouveler leur modèle économique. Cette dynamique conduit inéluctablement au débat sur la place de la liberté dans le système financier.

 

Une diversité de l’offre de services financiers

Les innovations technologiques reposent sur de nouveaux modèles économiques. Paiement mobile, financement participatif, gestion de l’épargne, assurance et crédit, sont autant de solutions nouvelles proposées par des entrepreneurs. Elles ouvrent de nouveaux horizons en matière financière. Ces dernières années, le marché de la finance technologique asiatique s’est montré particulièrement dynamique[3]. L’existence d’une concurrence explique l’expansion des offres innovantes de services financiers et rend progressivement les prestations FinTech accessibles à plus de consommateurs.

Les nouvelles technologies offrent de nouvelles opportunités. Elles donnent une entière liberté, allant de la simple vérification du solde au transfert d’argent. Cette liberté permet à l’usager de choisir la néobanque qui lui correspond le mieux. Une ouverture de compte simplifiée, des coûts réduits, une gestion autonome et simplifiée, la disponibilité des conseillers et la grande flexibilité représentent autant de caractéristiques pouvant attirer des consommateurs. La diversité de l’offre de services financiers dépend du degré de liberté.

L’environnement institutionnel du marché joue un rôle déterminant dans l’offre de services financiers. De nos jours et grâce aux néobanques les paiements dématérialisés ont fortement progressé, mais à une vitesse différente selon les pays.

Par exemple, l’essor en Inde des paiements dématérialisés à l’aide d’un téléphone mobile s’explique par le travail collaboratif étroit entre la Reserve Bank of India (RBI), l’opérateur national des paiements (National Payments Corporation of India), les banques commerciales et les FinTech. Ces dernières ont directement contribué à augmenter le taux de bancarisation. Les paiements transfrontaliers en monnaie étrangère deviennent alors possibles. Le succès local d’Unified Payment Interface (UPI) et des cartes RuPay, en matière de paiement en Inde servent de catalyseur à la création d’une monnaie numérique de banque centrale[4].

Le projet Bakong, piloté par la banque nationale du Cambodge, utilise la blockchain. Il ne s’agit pas pour l’instant d’une nouvelle monnaie électronique. La plateforme vise avant tout à faciliter les paiements mobiles et les transferts d’argent en dollar et en riel. Le Cambodge mise sur la blockchain pour réduire sa dépendance au dollar. Le recours aux FinTech proposant des cryptomonnaies représente une solution viable pour ce pays.

Aujourd’hui, certaines néobanques proposent des solutions de prêts avec des taux d’intérêt relativement bas comparés au marché traditionnel. À Hong Kong, OKX est devenu une référence pour le lending crypto. Entre crainte et opportunité, des établissements européens proposent à leurs clients d’investir des services financiers en cryptomonnaies. On peut citer Revolut, Vivid Money ou encore Lydia, une FinTech française. Il ne faut pas dissocier le développement des FinTech de l’évolution spontanée de la monnaie.

 

Une liberté de choix monétaire  

Le développement de la monnaie électronique sur le marché de la finance technologique offre une liberté de choix monétaire aux consommateurs[5].

Il existe de nos jours plus de 10 000 monnaies électroniques qui sont assorties de systèmes de paiements qui coupent le cordon ombilical avec les monnaies légales. Les FinTech dispensent de passer par les circuits bancaires traditionnels tout autant que du recours aux banques centrales, et vont jusqu’à s’adresser à l’économie mondialisée.

La monnaie électronique est l’expression d’interactions sociales qui s’articulent dans un monde à finalité ouverte. Le jeu des interactions individuelles permet d’expliquer l’émergence spontanée de la monnaie électronique. Le fait notable est que son avènement, ainsi que son adoption et son fonctionnement dépassent le défi de la dématérialisation financière.

Ce qui est fondamental ici, c’est la concurrence comme procédure de découverte. La concurrence est un processus cognitif  « d’essais et d’erreurs » d’un entrepreneur. Ce dernier « apprend » son marché de façon épistémique[6]. Aujourd’hui, cette concurrence s’exerce sur le terrain monétaire, et permet de découvrir quelles sont les monnaies qui servent le mieux les acteurs de la vie économique.

Le développement de la technologie des transactions réglées en cryptomonnaies se poursuit inexorablement[7].

L’explication économique évidente est que les avantages qu’en retirent les utilisateurs excèdent les coûts. Cela correspond au principe qu’exprimait clairement Carl Menger[8] :

« Il n’existe aucune autre manière d’éclairer un individu à propos de ses intérêts économiques que de le laisser percevoir le succès économique de ceux qui emploient les moyens convenables pour atteindre les leurs ».

Aujourd’hui, les décideurs politiques sont dans l’incapacité technique d’obstruer les chemins de la découverte entrepreneuriale. Il a été démontré, en théorie et en pratique, que les systèmes monétaires libres sont aptes à innover et à offrir des monnaies saines. Il a été aussi démontré que les systèmes monétaires avec banques centrales financent la dette publique et génèrent de l’inflation. Avec le temps et sous l’effet de la concurrence, les monnaies électroniques en circulation constitueront vraisemblablement des monnaies saines. Sonnera alors le glas de la politique monétaire et de la souveraineté monétaire.

 

Conclusion

Nous assistons à de véritables révolutions dans l’utilisation de solutions financières digitales avec des conséquences notables sur notre société. Les outils financiers numériques se répandent rapidement, d’autant plus dans les pays émergents où les systèmes de financement sont les moins développés.

Aujourd’hui, l’inflation et le ralentissement de l’économie font prendre conscience de la nécessité de changement dans les habitudes financières. Dans cette situation, le marché de la finance technologique dispose d’un potentiel de croissance élevé. La question importante est de savoir si les décideurs politiques parviendront un jour à dévier – voire à bloquer – l’évolution  qui se manifeste dans le domaine monétaire. Pour cela, il faudrait parvenir à stopper les entrepreneurs en monnaies électroniques. Ne serait-il pas plus facile de promouvoir la liberté d’entreprendre afin de créer de nouvelles opportunités de marché ?

[1] Comme Financial Technology.

[2] En 2022, la France dénombrait plus de 900 entreprises innovantes de services financiers. De plus, le montant des levées de fonds des FinTech françaises était de 2,4 milliards d’euros (source : France FinTech).

[3] Le développement des start-ups technologiques à Singapour, Hong Kong, Dubaï et d’autres pays asiatiques est considérable.

[4] 200 millions, c’est le nombre de transactions quotidiennes sur le système de paiement instantané indien UPI enregistrées en mai 2022. 900 milliards d’euros, le montant des transactions réalisées sur UPI en 2021, soit 31 % du PIB de l’Inde.

[5] https://coinmetrics.io/

[6] Hayek F (1945), « The Use of Knowledge in Society », American Economic Review, Vol 35, n°4, September, pp. 519-530.

Hayek F (1948), « The Meaning of Competition », In: Friedrich A. Hayek, dir., Individualism and Economic Order, University of Chicago Press, Chicago.

[7] D’après coinmetrics, il y a 19,5 millions d’unités bitcoin en circulation, soit une capitalisation boursière de près de 725 milliards de dollars. De plus, il y a aujourd’hui près de un million adresses Bitcoin actives. Il s’agit d’un indicateur permettant de suivre l’évolution de l’adoption du Bitcoin dans le monde.

[8] Menger, C. (1892) « On the Origin of Money », The Economic Journal, Vol. II, N° 6, pp. 239-255.

Le retour des bond vigilantes, ou les taux longs vont-ils continuer à augmenter ?

À la hausse des taux d’intérêt directeurs par les banques centrales pour lutter contre l’inflation, a succédé la hausse des taux à long terme (à 10 ans) sur les marchés. Les taux à 10 ans atteignent maintenant (20 octobre 2023) 5 % aux États-Unis et 3,8 % seulement dans la zone euro.

Nous pensons qu’avec la fin de la politique du quantitative easing menée par les grandes banques centrales les marchés (les bond vigilantes) vont reprendre la main, et que la hausse des taux longs n’est pas terminée, d’autant plus qu’ils sont égaux aux taux à trois mois. On est passé d’un monde à taux zéro à un monde où les taux d’intérêt vont être élevés et positifs en termes réels.

Avant de parler des bond vigilantes,  il faut rappeler le fonctionnement du marché des bons du Trésor.

 

Comment fonctionne le marché des obligations d’État ?

Les bons du Trésor sont des actifs financiers qui sont vendus par les États pour financer leur déficit budgétaire.

Plus un État a un déficit budgétaire élevé, plus il émet des bons qu’il vend à des intermédiaires financiers (banques, compagnies d’assurance, fonds) qui, à leur tour, peuvent les revendre sur les marchés secondaires. Leurs prix sur les marchés diffèrent du prix d’émission ou valeur faciale, ils varient en fonction de l’offre et de la demande. Si un bon est émis à 1000 euros par un État, il peut se revendre plus cher que sa valeur nominale si la demande est supérieure à l’offre, ou moins cher dans le cas contraire.

Si le prix d’un bon varie en fonction de l’offre et de la demande, son taux d’intérêt ou plutôt son rendement (yield to maturity) varie aussi, mais en sens inverse.

Prenons un exemple.

Le trésor a émis un bon à 10 ans à une valeur faciale de 1000 euros, qui rapporte un taux d’intérêt annuel de 3,4 %.
L’État emprunteur s’engage donc à payer à son détenteur 34 euros chaque année, et à rembourser le principal et les intérêts la dixième année (1034 euros).
L’agent qui l’a acheté le revend sur le marché, au prix du marché (qui n’est pas nécessairement égal à 1000). Il le revend à, par exemple 940 euros.
Quel sera le taux d’intérêt pour l’acheteur ? Il ne sera pas égal à 3,4 %, il sera égal à l’intérêt annuel versé par l’État qui est égal à 34 euros (l’État versera pendant 10 ans le même intérêt, quelles que soient les variations du prix du bon sur les marchés).
Il recevra donc 34 euros par an divisé par le prix d’achat du bon, 940 euros.
Le taux d’intérêt pour cet investisseur sera donc : 34/940 = 3,62 % au lieu de 3,4 % (le yield to maturity de cet investissement sur 10 ans sera 4,1 % au lieu de 3,4 %).
La valeur du bon a baissé, son rendement (yield) a augmenté.

C’est une loi de la finance : quand le prix d’un bon diminue, son rendement augmente, et vice versa.

 

Les années 2000 ont été des années bénies pour les agences du Trésor des pays riches

Elles ont émis des bons à jet continu pour financer des déficits budgétaires. Ces bons ont été achetés indirectement par les banques centrales (Fed, BCE, BoJ, BoE) par leur politique du quantitative easing.

Certes, les banques centrales n’ont pas le droit d’acheter directement leurs bons aux Trésors, mais elles peuvent les acheter sur les marchés secondaires au prix du marché. Cette politique d’achat systématique et à grande échelle de bons du trésor, pratiquée par les grandes banques centrales, a entraîné des distorsions sur les prix du marché (distorsions non vues par les initiateurs de cette politique (B. Bernanke, M. Draghi).

En achetant massivement et pratiquement sans limite les bons sur les marchés depuis novembre 2008 pour la Fed, et mars 2015 pour la Banque centrale européenne, les banques centrales ont maintenu les prix des bons sur le marché à des prix artificiellement élevés. Les taux des bons ont donc baissé dans tous les pays riches.

Pendant la période du quantitative easing (de novembre 2008 à mars 2022 aux États-Unis), les taux longs (à 10 ans) des bons du Trésor américain atteignaient en moyenne 2,3 % et 0,8 % pour la zone euro (de mars 2015 à juin 2022). De tels taux, aussi bas surtout pour la zone euro, n’auraient jamais pu exister sans l’intervention des banques centrales qui ont acheté massivement des bons du trésor sur les marchés.

La baisse artificielle des taux sur les marchés a lancé le signal que la dette ne coûtait rien. Les États pouvaient donc recourir à de l’endettement sans avoir à accroître les impôts, puisque leurs taux étaient inférieurs au taux de croissance (O. Blanchard), ce qui est, et était évidemment faux (cf. Quelques remarques sur la viabilité de la dette).

Quand les banques centrales achètent la majorité des bons émis par les États sur les marchés, ils font les prix, et donc les taux. Ce ne sont pas les marchés qui décidaient des taux, mais les banques centrales. Quand ces dernières commencent à comprendre (avec retard) que l’inflation est largement due à l’achat de bons du trésor sous la politique du quantitative easing, et qu’elles commencent à l’arrêter en mars 2022 pour la Fed, et en juin 2022 pour la Banque centrale européenne, alors les marchés reprennent la main et les bond vigilantes sont de retour.

 

Qu’est-ce que les bond vigilantes ?

Ce sont les méchants spéculateurs. Les financiers qui achètent (ou qui vendent) les bons du Trésor d’un État. Le terme bond vigilantes a été inventé en 1983 par Ed Yardeni, un banquier d’affaires. Sa thèse est que si les autorités budgétaires (les ministres des Finances) ne sont pas capables de contrôler les finances publiques, les marchés s’en chargeront.

Si les États étaient capables de comprendre les signaux du marché, la politique des déficits permanents devrait être terminée. Les taux remontent à cause de la politique monétaire des banques centrales (hausse des taux directeurs et arrêt de la politique du quantitative easing) et des déficits abyssaux qui doivent être financés par des émissions de bons. Les États se refinancent à des taux de plus en plus élevés (ils sont positifs en termes réels aux États-Unis, mais, pour le moment, négatifs en Europe). Le 20 octobre 2023, les taux à 10 ans atteignaient 5 % aux États-Unis, le taux le plus élevé depuis 2007 ; et 2,9 % en Europe, le taux le plus élevé depuis 2011.

Tableau 1 : les taux réels à 10 ans sont encore négatifs en Europe, mais pas pour longtemps

 

Dans la mesure où les banques centrales n’interviennent plus sur le marché des bons du trésor (avec la Banque centrale européenne, des exceptions sont toujours possibles), les bond vigilantes devraient jouer leur rôle régulateur, c’est-à-dire vendre (ou refuser d’acheter) quand les gouvernements font des politiques budgétaires irresponsables, et que la dette devient de plus en plus insoutenable.

La vente des bons par les ministères des Finances entraîne la baisse de leur valeur, et donc la hausse des taux (que nous constatons et qui n’est pas terminée) et devrait obliger les États surendettés à commencer à avoir un surplus primaire.

Les États-Unis et la France continuent à faire du déficit comme si rien n’avait changé, ils vont commencer à se rendre compte du coût de l’endettement quand les dépenses d’intérêt dépasseront les dépenses du budget de la santé, de l’éducation ou de… la vieillesse.

 

Est-ce que les bond vigilantes jouent un rôle important sur les taux ?

Ils peuvent, et ont joué un rôle important en Suède et aux États-Unis (cf. Bloomberg, « Why Bond Vigilantes Are Stirring as US Deficit Swells » 13 octobre 2023).

En Suède, un investisseur qui contrôlait, dans les années 1990, 6 milliards de bons de l’État suédois, a annoncé en 1994, qu’étant donné le niveau des déficits budgétaires en Suède (13 % du PIB), il refusait d’acheter de la dette suédoise tant que l’État suédois ne remettait pas en ordre sa politique budgétaire. Les taux ont monté à 11 %, l’État a réduit les déficits en baissant les dépenses publiques d’une manière déterminée et constante, faisant de la Suède un des pays les plus dynamiques (la France ferait bien de s’inspirer du modèle suédois qui est remarquable, cf. figure 1).

 

Figure 1 : la Suède a su passer d’un ratio des dépenses publiques de 68 % du PIB en 1993 à 47 % en 2022, la France augmente le poids des dépenses publiques et dépasse la Suède en 2001. Le ratio des dépenses publiques françaises est 10 points supérieurs au ratio suédois (on n’a pas réussi à démontrer que le modèle social suédois était inférieur au modèle français)
Source : International Monetary Fund, World Economic Outlook Database, October 2023

 

Aux États-Unis, les bond vigilantes ont obligé le président Clinton à réduire son programme ambitieux de dépenses et de réduction d’impôt. Clinton était furieux que sa politique économique soit contrainte par les marchés.

Dans son livre The Agenda, B. Woodward écrit que Clinton aurait dit : « You mean to tell me that the success of the economic program and my re-election hinges on the Federal Reserve and a bunch of f—-ing bond traders ? »

 

Les bond vigilantes et le term premium

Comment estimer le rôle des bond vigilantes ? Il n’y a pas de manière précise de quantifier leur influence. On peut la mesurer en se référant au term premium.

Le term premium est la différence que demande un agent pour investir à long terme au lieu d’investir dans une série d’obligations à court terme. Il tient compte du fait que les taux peuvent varier durant la période d’un bon. Plus le term premium est élevé, plus les investisseurs sont sur la défensive, ils spéculent à baisse des bons, donc ils vendent, et les taux montent.

Or, pour l’instant (octobre), les taux à long terme augmentent, le taux à 10 ans (américain) a atteint 5%. C’est la première fois depuis 2007 qu’on atteint un tel niveau. Néanmoins, aux États Unis, le taux à 10 ans est inférieur aux taux à 3 mois (5,6 %), et inférieur au taux à deux ans (inversion de la courbe des rendements).

Dans la zone euro, le taux à 10 ans est identique au taux à 3 mois… Si les bond vigilantes sont à l’œuvre, les taux longs devraient encore augmenter, et être plus élevés que les taux courts. (cf. tableau 2 & figure 2)

Tableau 2 : l’écart entre les taux des bons à 10 ans et à 3 mois est faible dans la ZE
Source : Fred

 

Figure 2 : aux USA, sur la longue durée, les taux à 10 ans sont supérieurs au taux à 3 mois (sauf à partir de la fin de 2022).

 

Bernanke dans son blog « Why are interest rates so low, term premiums » (avril 2015) distingue trois composantes dans la formation des taux à long terme d’un bon :

  1. Les anticipations d’inflation
  2. Les anticipations sur l’évolution des taux courts (donc de la banque centrale) en termes réels
  3. La durée du prêt (term premium)

 

À l’heure actuelle, contrairement à l’époque où a écrit Bernanke (2015) :

  1. Les anticipations d’inflation ne sont pas faibles, notre anticipation tourne autour de 3 %.
  2. Nous n’anticipons pas de baisse des taux des banques centrales dans le court terme (higher for longer) donc autour de 4,5 %, ou 1,5 % en termes réels.
  3. Le term premium demandé pour porter des bons à plus de cinq ans tournerait autour de 1,5 % et varierait à la hausse en fonction des anticipations des bond vigilantes sur la santé économique et financière des pays de la ZE.

 

Les taux longs (à 10 ans) devraient donc tourner autour de 6 % – 6,5 % et plus.

Or, ils s’élèvent aujourd’hui à 3,7 % pour la zone euro, et 4,7 % pour les États-Unis (cf. tableau 2). Si notre estimation est correcte, il y a encore de la marge pour que les taux longs augmentent. Dans une période de demande forte pour les bons du Trésor les investisseurs devraient demander des taux longs plus élevés (yield premium) que les taux courts.

Le term premium devrait augmenter pour trois raisons :

  1. L’offre de bons par le Trésor américain augmente pour financer ses déficits budgétaires (idem pour la France).
  2. La Fed et la Banque centrale européenne n’achètent plus de bons du Trésor (arrêt du quantitative easing).
  3. Les banques centrales sont déterminées à garder les taux directeurs à un niveau élevé, car le taux d’inflation est encore supérieur à la cible (2 %).

 

Donc, si notre analyse est correcte, il faut s’attendre à des taux longs plus élevés.

 

On change de paradigme

Un taux d’intérêt à 10 ans supérieur à 5,5 % a des conséquences financières importantes. On change de paradigme, on passe d’un monde à taux faibles, voire nuls, et liquidité abondante à des taux élevés et positifs.

En termes réels, on n’est plus dans le monde des keynésiens du « endettez-vous, endettez-vous » (O. Blanchard).

Comme nous l’avons vu dans l’introduction, la hausse des taux a pour effet de réduire la valeur des bons (non seulement des obligations, mais aussi la valeur des prêts bancaires). Ce que nous a appris la crise de Silicon Valley Bank, c’est que les bons du Trésor qu’on croyait être un actif sûr étaient en fait un actif dont la valeur fluctuait en fonction des taux. Or, les banques ont été encouragées à détenir des obligations du trésor dans leurs actifs, car ils sont supposés sûrs et très liquides, nécessitant un capital faible.

Quand une institution financière a un portefeuille important en obligations, et que les taux augmentent rapidement, la valeur de son portefeuille diminue. Cela n’a pas d’importance si l’institution financière peut garder ses obligations jusqu’à l’échéance, mais si, pour des raisons de liquidité, elle est obligée de les vendre en panique (cas des fonds de pension au Royaume-Uni, Silicon Valley Bank aux États-Unis, Crédit Suisse), alors elle vend à perte, et peut entrer en faillite.

Les taux des bons du Trésor américain se répercutent sur tous les taux, prêts bancaires, prêts immobiliers. Cela risque d’entraîner une récession aux États-Unis et en Europe.

La hausse des taux va avoir des conséquences considérables sur le service de la dette pour tous les pays riches et pauvres. Pour les pays endettés en devises s’ajoute le coût de la dépréciation de leur monnaie par rapport au dollar.

La politique des taux ne dépend plus uniquement des banques centrales, les marchés vont reprendre la main et vont déterminer le niveau des taux longs. La contradiction entre des politiques monétaires rigoureuses pour lutter contre l’inflation et des politiques budgétaires laxistes va se traduire par des taux déterminés par les marchés.

À notre avis, les bond vigilantes vont peser à la hausse sur les taux.

Le contre-budget des Républicains : un pétard mouillé ?

Plutôt que de réagir mécaniquement à la mise en œuvre de l’article 49.3 par le gouvernement en déposant une motion de censure qui n’aurait aucune chance d’aboutir dans la configuration actuelle de l’Assemblée nationale, Les Républicains a présenté un contre-budget conforme à ce qu’il pense être bon pour redresser les finances publiques de notre pays où pas un budget n’a été voté en équilibre depuis 1975 (sur ce sujet, voir l’entretien réalisé par Contrepoints de la députée LR Valérie Louwagie).

Sur ce point, le diagnostic est connu de tous : un niveau de prélèvements obligatoires trop élevé, des dépenses publiques non maîtrisées et un endettement colossal qui a franchi la barre des 3000 milliards d’euros.

Des propositions timorées

Face à une situation si préoccupante qui met notre pays en danger (selon le président de la Cour des comptes « nous ne sommes plus devant les risques, ils sont là ») ce que propose LR paraît pour le moins timoré.

Son document de travail propose certes de bonnes mesures, comme la diminution des droits de succession et de donation pour encourager la solidarité intergénérationnelle, ou l’augmentation des plafonds du quotient familial pour venir en aide aux familles, ainsi que quelques pistes d’économies budgétaires.

Mais d’autres sont franchement contestables. Tel est le cas de la baisse de la fiscalité pesant sur les carburants fossiles. Elle représenterait une perte de recettes de l’ordre de 5 milliards d’euros alors que la décarbonation de notre économie est devenue un impératif aux yeux de la majorité de nos contemporains.

D’autres paraissent d’emblée insuffisantes, comme la petite accélération du processus de suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt qui mine leur compétitivité et devrait d’urgence être supprimé, ou encore la diminution paramétrique des cotisations sociales sur les bas salaires.

En définitive, il n’y a dans ce document que peu de mesures d’économies structurelles, alors que leur absence dans le projet de loi de finances présenté par le gouvernement est le principal reproche formulé par Les Républicains à son encontre.

On le comprend mieux si on considère que dès le début du texte, quasiment en exergue, figure une phrase donnant la tonalité de tout ce qui va suivre :

« Une cure d’austérité brutale et prolongée avec une possible réduction des pensions de retraite et des traitements des fonctionnaires, mettrait en danger notre pacte social. ».

Répondre aux nouveaux défis du monde

Là est le nœud de la question, car ce pacte dont les bases ont été posées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le Conseil National de la Résistance, est manifestement incapable de répondre aux nouveaux défis du monde dans lequel nous vivons.

De la volonté de le sauver découle un contre-budget qui ne propose qu’un aménagement à la marge de l’existant à travers une série de dispositions que seul pouvait inspirer un profond respect du totem technocratique.

On y trouve notamment une mesure one shot consistant à faire remonter vers le centre la trésorerie des opérateurs publics. En revanche, pas la moindre velléité d’envisager un quelconque dispositif de désindexation des retraites alors que les actifs au chômage seraient pénalisés, une mesure difficilement applicable sans déclencher de violentes réactions dans un pays où les chômeurs sont toujours vus comme des victimes. Quant à la réduction de l’aide médicale d’État (AME), elle rapporterait peu, alors qu’elle serait dangereuse pour la santé publique.

Autres faiblesses du projet : y figurent en bonne place des pistes éculées comme celle de la lutte contre la fraude sociale, un marronnier dont les fruits ont toujours été décevants, ou celle de la rationalisation de l’action publique, un autre serpent de mer difficile à chevaucher. Attention, la RGPP qui, comme chacun le sait, a donné de brillants résultats est de retour !

Sur le même mode, il s’agit également de stabiliser les effectifs de l’État et de ses opérateurs (alors qu’il faudrait les réduire drastiquement) et de supprimer une grosse niche fiscale dont bénéficient les transports maritimes (alors qu’on sait que dans chaque niche un gros chien est prêt à aboyer).

Le document prend même le caractère d’un grimoire alchimique lorsqu’il évoque (page 25) de mystérieux, « gisements d’économies supplémentaires très importants chez les opérateurs de l’État, en particulier en termes de dépenses de fonctionnement », des gisements vus comme prometteurs mais qui « devront être identifiés au cours des prochaines revues des dépenses »…

Retarder l’inéluctable écroulement

En définitive, en tentant de rapetasser tant bien que mal un système en bout de course, ce contre- budget ne fait que retarder son écroulement qui parait désormais inévitable.

En l’état actuel de l’opinion que caractérise une profonde ignorance de l’économie, et alors que nos responsables politiques continuent à osciller entre un libéralisme édulcoré et un étatisme omniprésent, le système semble en effet ne plus être réformable.

Seul un choc encore bien plus fort que celui subi par la Suède en 1993 pourrait rendre envisageable la thérapie de choc qui permettrait au pays de se redresser en mettant fin au système de l’emploi à vie des fonctionnaires, à l’étatisation de l’éducation, et aux multiples dispositifs consistant à ponctionner les entreprises d’une main pour soutenir de l’autre celles qui ont la faveur du Prince.

Valérie Louwagie (LR) : « Nous proposons de réduire les impôts de 10,8 milliards d’euros »

Véronique Louwagie est députée Les Républicains de la deuxième circonscription de l’Orne, Vice-présidente de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, et responsable des questions budgétaires dans le « shadow cabinet » de LR. 

Les Républicains a publié le mardi 17 octobre 2023 un contre-budget afin « de présenter une vision alternative de ce que devraient être les orientations budgétaires de notre pays ». Véronique Louwagie, qui a participé son élaboration, a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

Contrepoints : Bonjour Véronique Louwagie, votre parti Les Républicains vient de publier un contre-budget. Pouvez-vous éclairer nos lecteurs sur l’esprit général ainsi que les grands axes de ce contre-budget ?

Véronique Louwagie : Un budget, ce n’est pas seulement un exercice comptable. C’est la traduction de politiques publiques. Nous avons voulu présenter une vision alternative de ce que devraient être les orientations budgétaires de notre pays. Ce contre-budget présente un certain nombre de priorités macro-économiques de la France pour assurer la prospérité de tous, participer à une bonne gestion et à une maitrise des finances publiques qui sont des impératifs d’ordre économique et social.

 

Contrepoints : Le gouvernement a promis de réduire le déficit public. Pensez-vous qu’il sera capable de tenir cette promesse ?

Véronique Louwagie : Écoutez, selon nous, le gouvernement ne s’attaque pas sérieusement au défi de la maitrise de nos dépenses publiques, car nous sommes sur le podium en termes de prélèvements obligatoires, juste derrière le Danemark, et en matière de dépenses publiques c’est la même chose. Quant au niveau du déficit public, nous serons parmi les derniers pays à revenir en dessous de la barre des 3 % de déficit en 2027, alors que d’autres y parviennent déjà.

C’est la raison de notre contre-budget. Nous proposons de réduire le fardeau fiscal, donc de réduire les impôts, les prélèvements, les cotisations qui sont à la charge des ménages et des entreprises. Nous proposons également de réduire les dépenses publiques, et donc le déficit. Et c’est vrai, qu’aujourd’hui, au niveau du gouvernement, il n’y a aucun début de commencement de rigueur budgétaire. Ce qui est inquiétant, c’est cette incapacité chronique du gouvernement à fixer des priorités claires en matière d’économie pour les finances publiques. Pourquoi ? Parce qu’il est vrai que diminuer les dépenses publiques, c’est compliqué ! Preuve en est, en juin dernier, la Première ministre a adressé des lettres de cadrage à l’ensemble des ministres en demandant une réduction des crédits budgétaires hors masse salariales de 5 % pour préparer le PLF 2024, et tout ça a explosé en vol, car à l’arrivée il n’y a rien de tout cela.

Également, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait engagé le 5 janvier 2023 une revue des dépenses publiques pour s’attaquer au problème de leur efficacité, et finalement, tout cela tarde à devenir une réalité… Donc, oui, nous avons des doutes sur la capacité du gouvernement à tenir ses promesses !

Mais, à ce stade, je mets en garde le gouvernement, et je l’ai refait, d’ailleurs, hier après-midi en séance : si il ne s’attaque pas à cette question de la diminution des dépenses publiques, il ne pourra pas échapper à une augmentation des impôts, qui va encore pénaliser les Français. Donc, il est grand temps qu’il s’attaque à cette question de la dépense publique.

 

Contrepoints : Votre contre-budget propose donc une baisse de 11 milliards d’euros en 2024, soit 1% de baisse par rapport au montant de 2022. Si cette baisse est louable, n’est-ce pas une goutte d’eau dans un océan d’imposition ? Ne faudrait-il pas être plus ambitieux et proposer un changement total de paradigme pour sortir de l’État providence ?

Véronique Louwagie : Vous avez raison. Il y a une limite dans l’exercice d’un contre-budget. Outre l’exercice comptable, un budget traduit le résultat de politiques publiques avec des effets à court, moyen et long terme. Nous, nous ne sommes pas aux manettes, donc nous ne faisons qu’une photographie partielle de ce qui pourrait être.

Nous proposons de réduire les impôts de 10,8 milliards d’euros, de redistribuer 2,4 milliards d’euros, et pour cela, comme nous voulons réduire le déficit, nous envisageons une réduction des dépenses publiques de 25 milliards d’euros. Cette réduction est, vous le voyez, bien au-delà de la réduction des prélèvements obligatoires et participe ainsi à diminuer le déficit public.

Ce que nous voulons en priorité, je le redis, c’est diminuer les prélèvements obligatoires pour alléger les ménages et les entreprises, redistribuer pour que les familles et les classes moyennes en profitent, et enfin diminuer les dépenses publiques pour mieux travailler sur leur efficacité, le tout participant à diminuer le déficit.

Sur les montants, 10,8 milliards d’euros c’est déjà beaucoup ! Je rappelle qu’il y a quelques mois le gouvernement a évoqué la possibilité de diminuer les impôts de deux milliards, quand Gabriel Attal était ministre chargé des Comptes publics, et que depuis le gouvernement recule… 10,8 milliards, c’est quand même autre chose.

 

Contrepoints : Vous proposez de réduire les prélèvements obligatoires pour « redonner de l’oxygène aux Français et augmenter leur pouvoir d’achat » en ramenant progressivement « le taux de prélèvements obligatoires vers la moyenne de la zone euro ». Où vont se concentrer ces baisses d’impôts ?

Véronique Louwagie : Nous avons 17 mesures d’économies, qui sont assez différentes les unes des autres. La plus importante fait 6 milliards d’euros, et la plus petite en valeur pèse 200 millions d’euros.

La plus conséquente porte sur une réforme structurelle de l’indemnisation du chômage. Il faut rappeler que les dépenses sociales représentent quasiment la moitié de nos dépenses publiques. En matière d’indemnisation du chômage, nous pensons qu’il faut aller plus loin pour se rapprocher de ce qui se fait dans les pays autour de nous. En laissant au paritarisme sa prérogative de discussion, en agissant sur la réduction de la durée maximale d’indemnisation ou l’augmentation de la durée minimale d’emploi pour avoir le droit au chômage, ce sont effectivement des économies qui pourraient aller jusqu’à 6 milliards d’euros.

Nous souhaitons également nous attaquer à certaines niches fiscales comme le crédit d’impôt recherche, qui était de 800 millions il y a une dizaine d’années, et a atteint aujourd’hui plus de 7 milliards d’euros avec une efficacité pointée du doigt par un certain nombre de rapports, comme celui de la Cour des comptes.

Nous avons aussi la volonté de faire des économies en agissant sur la politique migratoire, avec une baisse de l’Aide Médicale d’État pour 700 millions d’euros, baisser le coût des soins aux personnes qui en situation irrégulière, ou celles qui ont le statut de droit d’asile ou bénéficiant d’un titre de séjour pour 150 millions d’euros. Une réduction de l’aide au développement pour les États non coopératifs, c’est un sujet qui est évidemment au cœur de l’actualité avec les évènements au Moyen-Orient, qui permettrait d’économiser 2,5 milliards d’euros.

Enfin, nous voulons « simplifier plus, dépenser moins », mieux rationaliser l’administration, notamment en baissant le coût des opérateurs de l’État pour 2,5 milliards d’euros. Le coût de ces opérateurs a évolué de 50 milliards d’euros en 2019 à 76 milliards d’euros en 2023. 26 milliards d’euros de plus en 4 ans avec 8000 agents de plus.

 

Contrepoints : Dans le passé, votre parti s’est souvent prononcé sur la baisse du nombre de fonctionnaires, qui est, on le sait, pléthorique en France (presque 20 % des emplois). Cette question n’apparaît quasiment pas dans votre contre-budget, pourquoi ?

Véronique Louwagie : Dans le contre-budget, nous avons une mesure simple qui est de stabiliser le nombre d’emplois de l’État. Dans le projet de loi de finances pour 2024 du gouvernement, il est prévu une augmentation des effectifs de 8273 agents, laquelle hausse s’ajoute à celle de l’année passée qui était de près de 11 000 agents.

Donc dans l’immédiat, notre mesure serait une stabilisation qui économiserait 500 millions d’euros  chaque année.

 

Contrepoints : Dans le même esprit, comment Les Républicains se positionne-t-il par rapport à la retraite par capitalisation ? Le système de retraite par répartition, qui engendre de grandes inégalités générationnelles, ne devrait-il pas être remis en cause ? Ne pensez-vous pas que ce serait un moyen à la fois juste et efficace de réduire les dépenses publiques et le déficit public ?

Véronique Louwagie : Vous avez raison, c’est un sujet qui a été abordé au moment de la réforme des retraites, même si le gouvernement n’a pas adopté ce prisme. J’ai moi-même cosigné, à l’époque, une proposition de loi de mon collègue Philippe Juvin en juin 2023 qui allait dans ce sens.

Effectivement, notre système de répartition et de solidarité entre les générations, qui a été bâti après-guerre, est basé sur un équilibre démographique. Or, les derniers chiffres de natalité publiés par l’INSEE il y a quelques jours montrent à nouveau que la situation n’est plus la même qu’à l’époque. Quand en 1960 il y avait 4 actifs pour un retraité, en 2022 c’est 1,4 cotisant pour un retraité dans le privé, et 0,9 cotisant pour un retraité dans le public. Cette situation nous mène inévitablement dans une impasse.

La réforme retenue par le gouvernement, et qui a été adoptée sans être votée, a pris comme seul vecteur l’allongement de la durée de vie. Or, nous sommes quelques-uns à penser au sein des Républicains qu’il faudrait faire compléter les retraites au niveau des cotisants par des mécanismes d’épargne. Une fois que l’on a dit ça, il y a deux dispositifs : soit nous allons vers des dispositifs individuels, soit nous allons vers des dispositifs collectifs.

La proposition de Philippe Juvin allait dans le sens d’une capitalisation collective, à laquelle j’étais tout à fait favorable.

 

Contrepoints : Enfin, au-delà de la question comptable, ne pensez-vous pas que la France pèche avant tout par sa mauvaise utilisation de l’argent public ? Un moyen de réduire les dépenses publiques ne serait-il pas de travailler à améliorer l’efficacité de l’action de l’État ? Cela pourrait passer, par exemple, par une véritable décentralisation responsabilisant les différents acteurs en charge de l’action publique ?

Véronique Louwagie : Il y a deux objectifs : mieux servir nos citoyens et avoir une utilisation optimale de l’argent public.

D’abord, aucune nouvelle dépense ne devrait pouvoir être engagée sans aborder la question de son financement. Quand j’entends le président de la République faire un certain nombre d’annonces ces derniers mois sur la revalorisation des enseignants, le lycée professionnel, le plan vélo etc. sans jamais poser la question du financement, je trouve cela relativement inquiétant.

Ensuite, il faut à chaque fois mesurer l’efficacité des dépenses publiques. Je regrette que le gouvernement ne se soit pas engagé dans cette revue intégrale, méthodique et précise de l’efficacité des dépenses publiques. À budget comparable, voire parfois même supérieur, la France est un mauvais élève. On fait moins bien à l’école, à l’hôpital…

Enfin, il faut engager une réforme de l’État avec une vraie décentralisation, et un grand plan de sobriété administrative, c’est indispensable ! Les données 2021 de l’OCDE indique que la France a un coût de production des services publics de 27,9 % du PIB, quand la moyenne des pays européens est à 25 %. Or, cet écart de 2,8 points, ce sont 70 milliards d’euros, soit la moitié de notre déficit !

Donc vous avez raison, il faut engager à la fois un grand plan de sobriété administrative, et également une vraie décentralisation pour simplifier.

Un entretien mené par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

Les monnaies, l’art de berner : la métamorphose du dollar à travers les âges

Les monnaies suivent les civilisations depuis 3000 ans, elles sont des créations humaines, et pourtant elles restent des ovnis. Leur rôle est de permettre l’échange de biens à travers un support capable de « cristalliser » de la valeur dans le temps, une sorte de confiance palpable.

S’il est compliqué de définir une monnaie, c’est parce que nous avons utilisé des centaines de monnaies différentes qui n’ont rien de commun, à part être une monnaie. Et aucune d’entre elles n’entre dans les critères d’Aristote : unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire d’échange.

Avec l’inflation, nos monnaies d’État sont de mauvaises réserves de valeur : un dollar a perdu 95 % de sa valeur en 50 ans. L’or est un piètre moyen d’échange : d’une part, on peut facilement se faire avoir en achetant un lingot ; d’autre part, son poids le rend coûteux à transporter.

Aujourd’hui plus que jamais, nos monnaies laissent perplexe, et c’est tout le sujet de cet article que de découvrir leur fonctionnement.

Je dis bien nos monnaies, pas pour parler des euros, francs ou dollars. Toutes les monnaies d’État se ressemblent de nos jours. Nos monnaies, car derrière un nom unique comme « le dollar » se cachent plusieurs types de monnaies totalement différentes.

 

L’histoire du dollar américain est fascinante, et illustre parfaitement l’évolution des monnaies au fil du temps. Au départ, le dollar était directement lié à une pièce en or, ce qui signifie qu’il pouvait être échangé contre une quantité spécifique d’or. Cette période, connue sous le nom d’étalon-or, garantissait la stabilité de la valeur du dollar, car la quantité d’or disponible limitait la quantité de dollars en circulation.

Cependant, au fil du temps, les besoins économiques et les contraintes financières ont conduit à une transformation significative du dollar. Le billet de dollar est devenu une représentation de la valeur de l’or, plutôt que de l’or lui-même. En d’autres termes, le dollar était toujours adossé à l’or, mais les gens n’échangeaient plus directement des pièces d’or contre des billets de un dollar. Cela a permis une plus grande flexibilité dans l’économie, et a simplifié les échanges commerciaux.

 

Puis, au cours du XXe siècle, le dollar a connu une révolution monétaire majeure.

En 1971, le président américain Richard Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or, abandonnant ainsi l’étalon-or.

Cela signifiait que les dollars n’étaient plus liés à une réserve d’or tangible. Ils sont devenus essentiellement du papier sans garantie. Cette transition, connue sous le nom de Nixon Shock, a donné naissance au système monétaire actuel, où la plupart des monnaies du monde sont des monnaies fiduciaires, c’est-à-dire qu’elles n’ont de valeur que parce que les gens ont confiance en elles, et les acceptent comme moyen de paiement.

En parallèle, le dollar a également évolué dans le monde numérique.

Les fonds que vous avez sur votre compte bancaire sont une forme encore différente de dollar, souvent appelée « monnaie scripturale » ou « monnaie électronique ». Cette monnaie n’existe que sous forme de données comptables dans les systèmes bancaires. Elle peut être créée électroniquement lors de l’octroi d’un crédit, ce qui signifie qu’elle peut être multipliée presque à l’infini par les banques.

Cette monnaie électronique est celle que nous utilisons dans nos transactions quotidiennes, que ce soit par virement, par carte bancaire ou même par des moyens plus modernes tels que les paiements via téléphone mobile. Elle a le pouvoir de stimuler l’économie en facilitant les transactions rapides et en permettant le financement de projets, mais elle comporte également des risques, notamment celui de l’inflation excessive si la création monétaire n’est pas bien gérée.

Enfin, la dernière forme de dollar est les obligations.

Lorsque vous détenez une obligation, vous possédez essentiellement une dette contractuelle d’un gouvernement. Si l’État vous doit 100 dollars en obligations, cela signifie qu’il a émis une promesse de vous payer cette somme à une date future convenue, généralement avec des intérêts.

Dans un monde idéal, cette promesse serait perçue comme une quasi-monnaie, car elle garantit un paiement futur par l’État qui émet la monnaie. Vous pourriez, en théorie, échanger cette obligation avec d’autres investisseurs sur un marché obligataire, leur assurant ainsi un paiement futur sécurisé, ce qui en ferait un instrument financier relativement stable et liquide.

Cependant, ce sentiment de sécurité n’est pas toujours justifié, comme cela a été mis en évidence par le krach boursier de l’été dernier. La crise boursière de l’été dernier a été déclenchée par une hausse rapide des taux directeurs, qui sont les taux d’intérêt fixés par les banques centrales. Cette hausse soudaine a eu des répercussions majeures sur le secteur financier.

En augmentant les taux directeurs, les banques centrales ont rendu les nouvelles obligations plus alléchantes, car mieux rémunérées que les anciennes obligations. Et c’est ainsi que le prix des obligations sur le marché secondaire s’est déprécié de 20 %. Ce véritable krach boursier a fragilisé toutes les banques, certaines ont même fini en faillite comme la Silicon Valley Bank.

Nos monnaies sont donc plus que jamais douteuses : nous avons le choix entre un bout de papier sans garantie, un dépôt qui vient directement d’un crédit et en subit son risque, ou des obligations, que la banque centrale peut faire vaciller à n’importe quel moment.

Pour en savoir plus, voir la conférence donnée à Lausanne par l’auteur de cet article.

Comment la politique monétaire de la BCE exacerbe les inégalités en France

La politique monétaire expansive de la Banque centrale européenne s’accompagne depuis plus de deux décennies d’une inflation disproportionnée des prix des actifs.

Cette forme grave d’inflation n’est toutefois pas prise en compte dans l’indice des prix à la consommation harmonisé, et n’impose donc pas de limites à la politique monétaire. Tant que les prix à la consommation n’augmentent pas trop rapidement, la masse monétaire peut être élargie, en dépit de la hausse vertigineuse des prix des actifs, en premier lieu des biens immobiliers.

Cela a des conséquences sociales importantes, que l’on peut déjà observer en France.

 

Le capitalisme, responsable des inégalités de patrimoine ?

De nombreux détracteurs du capitalisme font référence aux prétendues distorsions sociales que le système engendrerait. Selon eux, le capitalisme conduit à une répartition injuste des revenus et des richesses. De nombreuses personnes ne peuvent pas profiter des avantages du système. Elles sont laissées pour compte et s’appauvrissent au sein d’une économie par ailleurs prospère.

Ce diagnostic est vrai si l’on considère que le mot « capitalisme » ne désigne rien d’autre que notre système économique actuel.

L’erreur réside dans le fait que les critiques pensent que notre système s’apparente à une économie de marché à l’état pur. Ce n’est pas le cas. Nous vivons au mieux dans un capitalisme d’État dominé par la politique, dans lequel les mécanismes de marché sont autorisés s’ils ne font pas trop obstacle aux intérêts politiques particuliers. Notre système économique est marqué par l’interventionnisme étatique. Et dans aucun autre domaine, les interventions ne pèsent plus lourd que dans le système financier et monétaire.

Les évolutions indésirables de notre époque ne peuvent donc pas être automatiquement attribuées à l’économie de marché. Les causes des problèmes sont souvent ancrées dans la politique. En ce qui concerne les questions de répartition des richesses et de mobilité sociale, il ne fait aucun doute que l’inflation des prix des actifs, qui résulte en majeure partie de la politique monétaire, joue un rôle décisif.

 

La politique monétaire fait le jeu des riches

Une politique monétaire axée sur l’inflation, même s’il ne s’agit que d’une inflation moyenne de 2 %, créera d’elle-même les incitations qui conduiront à une inflation disproportionnée du prix des actifs.

Dans un environnement inflationniste, toute personne souhaitant protéger ses économies se tournera davantage vers des formes d’investissement qui protègent de l’inflation. C’est pourquoi la demande d’actions et de biens immobiliers augmentera de manière excessive. Leurs prix augmenteront donc de manière disproportionnée. Les prix à la consommation et les revenus des ménages sont à la traîne de l’inflation des prix des actifs.

L’inflation disproportionnée des prix des actifs a un effet direct sur le fossé entre les riches et les pauvres. Les ménages qui possèdent des actions et des biens immobiliers sont avantagés par l’inflation. Les ménages qui ne sont pas dans cette situation privilégiée sont laissés de côté. Il leur est de plus en plus difficile de rejoindre le reste de la société. La mobilité sociale vers le haut en pâtit.

En France, cette évolution peut être documentée par le rapport entre le patrimoine et le revenu annuel total.

Depuis l’introduction de l’euro en 1999, les prix de l’immobilier en France ont commencé à augmenter de manière disproportionnée – de plus de 100 % en seulement huit ans. Dans le même temps, le patrimoine a augmenté par rapport aux revenus.

Au milieu des années 1990, ce rapport était encore de 3,5, ce qui signifie que le patrimoine total, mesuré en valeur monétaire, était 3,5 fois plus important que le revenu annuel de la population française.

Jusqu’à la crise financière, ce chiffre est passé à six, non pas parce que davantage de richesses ont été créées en termes réels par rapport aux revenus, mais parce que les prix des biens patrimoniaux existants, à commencer par l’immobilier, ont tellement augmenté.

Ensuite, tant les prix de l’immobilier que le rapport patrimoine/revenu ont stagné pendant un certain temps. Ces dernières années, ils ont de nouveau augmenté.

Entre 2016 et 2022, les prix de l’immobilier ont encore augmenté de plus de 30 %. Le rapport patrimoine/revenu est passé à près de sept.

 

évolution du ratio patrimoine revenu en France

 

À quoi bon travailler et épargner ?

Qu’est-ce que cela signifie ?

Plus le rapport entre le patrimoine et les revenus courants est élevé, plus l’ascension sociale est difficile, toutes choses égales par ailleurs.

Imaginez une jeune famille issue d’un milieu modeste. Elle n’hérite pas d’un patrimoine important et perçoit un revenu moyen. Avec un taux d’épargne de 10 %, il faudrait 35 ans pour atteindre le niveau de richesse moyen de la société – en supposant que le rapport entre la richesse et les revenus soit de 3,5. Ce n’est pas facile, mais possible à réaliser en une vie de travail. Nous supposons dans ce calcul que 10 % des revenus sont mis de côté chaque année et ne subissent pas de perte de valeur due à l’inflation.

Mais si le rapport patrimoine/revenu est de 6 ou même de 7, comme c’est le cas aujourd’hui en France, il faudra 60 à 70 ans pour atteindre le niveau de patrimoine moyen. Ce n’est pas réalisable au cours d’une vie de travail normale. Il faut soit obtenir un revenu supérieur à la moyenne, soit épargner de manière excessive, et donc renoncer davantage à la consommation pour pouvoir rejoindre la moyenne sociale.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi l’angoisse existentielle et le sentiment de décrochage sont de plus en plus répandus, notamment chez les jeunes. Le mécontentement envers le système augmente également.

Mais le système n’est pas une économie de marché à proprement parler. La mobilité sociale en France a effectivement souffert. De nombreuses personnes sont de plus en plus délaissées sur le plan économique. Ce n’est pas dû à des forces du marché, mais à l’interventionnisme monétaire qui, par le biais de l’inflation, favorise une redistribution perverse du bas vers le haut.

Cet article vous a plu ? Retrouvez son auteur dans un entretien long format accordé à Contrepoints Podcast, au micro de Pierre Schweitzer. Il y est question des banques centrales et des nombreuses controverses qui les entourent depuis leur création. Pensez également à vous abonner au podcast sur votre plateforme préférée ou encore sur Youtube pour ne pas manquer les prochains entretiens.

« Surprofits » bancaires : la taxation n’est pas la solution

Les profits exceptionnels réalisés par les banques, en particulier américaines, posent de réelles questions. La voie commode de la taxation leur apporte de fausses réponses.

 

Une économie sous influence

Le vocabulaire employé est un signe parlant de l’inquiétude que suscite outre-Atlantique la concentration du pouvoir financier aux mains d’un nombre très restreint de très gros établissements.

Les huit premiers d’entre eux sont couramment qualifiés par les médias de « seigneurs de Wall Street » mais aussi de « géants de la finance », de « mastodontes » et dans tous les cas de « banques systémiques »[1] capables en cas de faillite d’une seule d’entre elles de déclencher un cataclysme économique comme celui de 2008.

JP Morgan, qui occupe la première place du classement, et dont les profits se sont élevés à 87 milliards de dollars en 2022, ne détient-elle pas la somme colossale de 3200 milliards de dollars d’actifs, soit un chiffre nettement supérieur au PIB de la France ?

Wells Fargo, qui occupe le troisième rang, s’est distinguée en mettant en œuvre des méthodes de cow-boy imaginées par ses dirigeants : en août 2017, ils ont dû reconnaitre avoir vendu des assurances auto à des centaines de milliers de clients sans qu’ils l’aient demandé puisqu’ils en avaient déjà une par ailleurs. Cette banque s’est aussi illustrée entre 2011 et 2016 en ouvrant à ses usagers et sans leur autorisation plus de deux millions de comptes fictifs, mais dont les frais facturés étaient bien réels.

Les financiers ne sont donc guère en odeur de sainteté aux États-Unis où, comme au début du XXe siècle, l’opinion publique se méfie ouvertement du « big money ».

L’ampleur des profits réalisés actuellement par la bande des 8 dans un contexte d’inflation non maitrisée, et de difficultés croissantes pour la majorité de la population a réactivé cette hostilité.

Elle interroge suffisamment pour que la commission bancaire du Sénat des États-Unis se saisisse du sujet.

Le 6 décembre elle auditionnera la fine fleur des « seigneurs de Wall Street » sommés de rendre des comptes au moment où la situation financière des américains se dégrade.

 

L’offensive du Sénat américain

Selon le président de ce comité, les méga-banques « détiennent trop de pouvoir dans l’économie » :

« Elles continuent à engranger des profits record et à récompenser les entreprises qui augmentent les prix sur le dos des américains ».

En ligne de mire se profile, comme dans l’Union européenne, la mise en place d’une taxation exceptionnelle sur les surprofits bancaires. Mus par une sorte de réflexe pavlovien, la réaction des responsables politiques des deux côtés de l’Atlantique est de fait toujours la même face à ce type de situation : TAXER.

Mais c’est confondre les effets avec les causes.

Pour apporter une réponse pertinente, il faut remonter aux racines du problème et commencer par identifier la source de ces revenus stratosphériques. En l’occurrence, plutôt que d’agiter le chiffon rouge des « surprofits », mieux vaudrait parler de profits d’aubaine alimentés par une double opportunité :

  1. Au printemps, la faillite de la banque californienne Silicon Valley Bank a suscité le reflux des déposants vers les plus gros établissements jugés plus sûrs.
  2. Depuis janvier 2022, la forte et rapide hausse des taux directeurs (passés en peu de temps de 0,25 à 5,5 %) a bénéficié aux banques qui ont fait grimper jusqu’à 7 % le taux des emprunts immobiliers, alors qu’elles ne rémunèrent leurs dépôts qu’à 0,45 % en moyenne.

 

Si elles ont été en mesure de tirer pleinement parti de cette conjonction d’évènements, c’est du fait de la position dominante qu’elles occupent dans le gigantesque réseau des activités de production et d’échange, une position qui les met en situation d’exercer une forme très efficace de prédation.

Cela s’inscrit dans le cadre d’un capitalisme de connivence entretenant des liens consanguins et malsains avec le politique qui, par le laxisme de sa régulation, a laissé prospérer cet état de fait. Ce qui est ici en cause est une concentration excessive du pouvoir financier aux mains de quelques-uns, c’est un manque de concurrence et une emprise trop forte de la finance sur l’économie.

Ce qui est aussi en jeu, c’est une série de défaillances de l’État incapable d’assurer ses missions de base que sont la protection des consommateurs et la lutte contre les abus de position dominante.

En taxant, on s’attaque maladroitement aux conséquences et non aux causes du processus qui a donné naissance au paysage financier actuel.

 

Réactiver la concurrence

Pour le reconfigurer, la réponse n’est pas plus d’impôts mais davantage de concurrence.

Apple s’est déjà engouffré dans la brèche en mettant en place un compte d’épargne rémunéré à 4,15%, soit près de dix fois plus que ceux des mastodontes. En six mois son initiative a séduit 10 millions de clients.

Pour aller plus résolument dans ce sens, réactiver la législation anti-trust est une meilleure piste que la taxation. Depuis le vote du Sherman act (1890) puis du Clayton act (1913), l’arsenal existe, mais dans le cas des banques il a été mis en sommeil sous la pression insistante des lobbies de la finance.

Il faut revenir à l’esprit de déréglementation qui a prévalu sous l’administration Reagan et permis de démanteler les oligopoles qui prévalaient dans les secteurs du transport aérien ou des télécommunications. On a ici le cas emblématique d’ATT, dont le quasi-monopole a explosé en 1984 sous les assauts conjugués de l’antitrust, des régulateurs de la Commission fédérale des communications et de la justice. Son démantèlement, un des événements les plus spectaculaires de l’histoire industrielle du XXe siècle, a donné le coup d’envoi de la libéralisation mondiale des services de télécommunications.

AT&T, alias Ma’Bell (« la mère du téléphone ») a dû éclater en huit entités distinctes avec sept opérateurs locaux, les « Baby Bells », totalement indépendants, et un opérateur longue distance, AT&T. La disparition de la contrainte qu’exerçait ATT sur l’ensemble des réseaux a certainement favorisé l’essor d’internet et la révolution numérique.

 

Lutter contre l’obésité bancaire

Dans le même ordre d’idée, il s’agit aujourd’hui de mettre fin à ce qui incite les banques à toujours grossir en rendant plus difficiles les fusions et la prise de contrôle de nouveaux établissements.

C’est le sens de la proposition de loi bipartisane Brown/Scott visant à empêcher les méga-banques de multiplier les acquisitions, et à sanctionner davantage les dirigeants de banques mises en faillite.

En revanche, il faut agir pour sauvegarder la vitalité du tissu très dense de banques locales, qui est un atout majeur de l’économie des États-Unis. S’y est implanté au fil du temps un écosystème performant composé de milliers d’établissements de petite et moyenne dimension accompagnant efficacement les évolutions technologiques.

En 2018, les contraintes de la loi Dodd-Frank taillée pour les plus grosses banques ont été desserrées pour celles qui ont moins de 250 milliards de dollars d’actifs à leur bilan, ce qui va dans le bon sens. Il faut aussi continuer à alléger les obligations réglementaires qui freinent la création de nouvelles banques locales de manière à faciliter l’accès des petits entrepreneurs aux capitaux.

 

Séparation vs diversification

On peut enfin s’interroger sur la voie qui a été suivie depuis la crise financière de 2008.

Pour éviter qu’une telle catastrophe se reproduise, deux pistes d’analyse se sont affrontées.

Le modèle de la séparation a été un temps envisagé en s’inspirant de ce qui avait été mis en place lors de la grande dépression des années 1930. Voté en 1933 le Glass Steagall Act séparait strictement les banques d’affaires et les banques de dépôt.

Peu à peu édulcorées, ses dispositions ont été abrogées en 1999 sous l’administration Clinton. Lorsque l’idée d’une séparation a refait surface, nombre de banquiers ont fait valoir que les interdépendances entre les activités de crédit et les activités de marché étaient désormais si étroites qu’il était devenu techniquement impossible de réaliser la séparation. En tout état de cause, elle aurait selon eux des effets négatifs que l’on a du mal à mesurer, mais qui seraient très importants. Au nom de cet argument de l’imbrication et de la complexité, et sous la pression du très puissant lobby bancaire, on s’est dès lors engagé dans une autre voie.

Le modèle de la très grosse banque a prévalu, en considérant que la protection des activités bancaires contre la volatilité des opérations de la finance de marché peut être obtenue par la constitution d’énormes banques dans lesquelles l’influence des activités de marché serait d’autant plus limitée que les banques devraient respecter des ratios prudentiels renforcés. On peut toutefois douter qu’en cas de sérieux décrochages sur les marchés financiers, les banques, même très grosses, pourront s’en sortir en faisant seulement payer leurs actionnaires.

Ainsi que le suggère un économiste comme Pierre-Noël Giraud, on peut estimer qu’il serait salutaire de revenir à une réflexion approfondie sur la première option :  il ne s’agirait pas de recopier le Glass Steagall Act, mais de dégager des solutions modernes et de mettre en œuvre des modalités adaptées de séparation. Cela permettrait d’atténuer l’emprise des méga banques sur l’ensemble de l’économie occidentale et de limiter les profits que leur position dominante les met en capacité d’accumuler.

 

Laisser jouer la destruction créatrice

En tout état de cause, on peut aussi se demander si la finance décentralisée qui prend aujourd’hui son essor, en même temps que s’affinent, s’enrichissent et se diffusent les technologies de la blockchain, ne viendra pas à bout des mastodontes en les rendant obsolètes.

Dans les années 1970, IBM dominait l’informatique mondiale et semblait invincible. Personne n’imaginait que le nain Microsoft allait détrôner « Big Blue » et rebattre entièrement les cartes.

Sous l’influence globalement bienfaisante de la destruction créatrice, le tissu économique et financier est en perpétuel renouvellement, à condition que les pouvoirs publics le laissent respirer.

 

[1] Huit banques systémiques sont basées aux EU : JP Morgan, Bank of America, Citigroup, Goldman Sachs, Bank of New York Mellon, Morgan Stanley, State Street et Wells Fargo.

La croissance économique réelle dépend de l’épargne

Par Frank Shostak.

L’indice du climat de consommation aux États-Unis, compilé par l’Université du Michigan, est tombé à 69,5 en août, contre 71,6 en juillet. Un affaiblissement de l’indice du climat de consommation est considéré comme le signe d’un ralentissement potentiel des dépenses de consommation et de l’économie en général.

La plupart des commentateurs économiques s’accordent à dire que la consommation individuelle plutôt que l’épargne est la clé de la prospérité économique. Selon eux, l’épargne entrave la croissance économique car elle coïncide avec un affaiblissement de la demande de biens. Dans cette théorie, l’activité économique est décrite comme un flux circulaire d’argent dans lequel les dépenses d’un individu font partie des revenus d’un autre.

Toutefois, si les individus perdent confiance en l’avenir, ils sont susceptibles de réduire leurs dépenses et de thésauriser plus d’argent, diminuant ainsi les revenus d’un autre individu qui, à son tour, dépensera moins. Un cercle vicieux se met en place : la baisse de confiance entraîne une diminution des dépenses et une augmentation de la thésaurisation, ce qui affaiblit encore l’économie et érode la confiance qu’elle inspire.

Selon cette théorie, pour arrêter la spirale descendante, la banque centrale doit augmenter l’offre de monnaie. En mettant plus d’argent dans les mains des gens, la confiance et les dépenses augmenteront, et le flux circulaire de l’argent reprendra.

Tout cela semble très convaincant et, en effet, les enquêtes auprès des entreprises montrent que le manque de demande individuelle est le principal facteur à l’origine des mauvais résultats pendant les récessions. Mais la demande peut-elle à elle seule générer de la croissance économique ? Qu’en est-il de l’offre de biens ? Les biens sont-ils toujours là, attendant simplement la demande ? Est-il même possible que la demande elle-même soit rare ?

La rareté des moyens contrecarre la demande

Dans le monde réel, il est nécessaire de produire des biens utiles qui peuvent être échangés contre d’autres biens utiles. Les boulangers qui produisent du pain ne produisent pas tout pour leur propre consommation, mais échangent la plus grande partie de leur production contre les biens d’autres producteurs. En produisant du pain, les boulangers exercent une demande pour d’autres biens. Selon David Ricardo :

Aucun homme ne produit qu’en vue de consommer ou de vendre, et il ne vend jamais qu’avec l’intention d’acheter quelque autre marchandise, qui peut lui être immédiatement utile, ou qui peut contribuer à une production future. En produisant, il devient donc nécessairement soit le consommateur de ses propres marchandises, soit l’acheteur et le consommateur des marchandises d’une autre personne.

Les outils et les machines (c’est-à-dire les biens d’équipement) augmentent la productivité des travailleurs : ils doivent être fabriqués et augmentent la croissance de la production de biens de consommation.

Les biens de consommation doivent être alloués à ceux qui produisent des biens d’équipement pour assurer leur vie et leur bien-être pendant la production. Cette répartition des biens de consommation est rendue possible par l’épargne, c’est-à-dire la décision de certains individus de transférer une partie de leurs biens de consommation, en échange d’une plus grande quantité à l’avenir, à ceux qui produisent des biens d’équipement. L’épargne, qui permet de produire des biens d’équipement et donc d’améliorer le niveau de vie des individus, est au cœur de la croissance économique.

L’argent et l’épargne : quelle est la relation ?

La monnaie ne modifie pas l’essence de l’épargne, mais elle facilite l’échange des produits entre les producteurs. Elle ne produit pas de biens mais facilite leur échange. Selon Rothbard, « l’argent, en soi, ne peut pas être consommé et ne peut pas être utilisé directement comme un bien de production dans le processus de production. L’argent en soi est donc improductif ; c’est un stock mort qui ne produit rien ».

Dans une économie monétaire, le paiement des biens se fait toujours avec d’autres biens, la monnaie ne faisant que faciliter le paiement. Ainsi, un boulanger échange du pain économisé contre de l’argent, puis échange l’argent contre d’autres biens, payant ainsi avec le pain économisé. Lorsqu’un boulanger échange avec un cordonnier du pain économisé contre de l’argent, le cordonnier reçoit de quoi continuer à fabriquer des chaussures.

L’épargne rend l’activité économique possible grâce à l’argent. Nous n’épargnons pas l’argent lui-même, mais nous l’employons pour canaliser les biens de consommation non consommés que nous avons épargnés vers des individus engagés dans la production. Un individu qui thésaurise de l’argent n’épargne pas de l’argent en soi, mais exerce plutôt une demande pour cet argent, ce qui n’est jamais la mauvaise nouvelle que la pensée populaire croit qu’elle est. L’épargne n’affaiblit pas la croissance économique, mais la renforce.

L’argent qui sort de nulle part et la croissance économique

Lorsque l’argent est généré à partir de rien, il déclenche un échange de rien contre de l’argent, suivi d’un échange d’argent contre quelque chose, c’est-à-dire un échange de rien contre quelque chose. Cela conduit à une consommation non soutenue par la production, un détournement des biens de consommation économisés – les produits des activités génératrices de richesse – vers ceux qui détiennent de l’argent créé à partir de rien. La diminution du flux de biens de consommation épargnés vers les producteurs de richesses affaiblit la production de biens et, par conséquent, la demande de biens, ce qui déclenche une récession économique.

Ce n’est pas le comportement capricieux des consommateurs qui affaiblit la demande de biens, mais une augmentation de la masse monétaire à partir de rien. Tant que le stock de biens de consommation augmente, la banque centrale et les responsables gouvernementaux peuvent donner l’impression que des politiques monétaires et fiscales souples stimulent l’économie. Cette illusion s’effondre toutefois dès que le stock stagne ou diminue. Sans expansion de la production de biens de consommation, toutes choses égales par ailleurs, la croissance économique n’est pas possible.

Conclusion

La plupart des gens aspirent à une vie agréable et confortable. Cet objectif se heurte aux moyens qu’il faut produire pour l’atteindre. L’épargne permet l’expansion de ces moyens. L’augmentation de l’épargne, qui soutient l’augmentation de la production de biens, génère également une augmentation de la demande de biens. L’illusion que la demande peut être renforcée d’une manière ou d’une autre par la pression monétaire est tôt ou tard anéantie par l’impossibilité d’obtenir quelque chose pour rien.

Sur le web

Loi de finances 2024 : toujours plus de dépenses et toujours moins de richesses

Bercy nous inonde de chiffres généreux, mais à chaque nouvelle promesse nous vient une question : comment la financer ? La réponse est simple : par la dette. C’est-à-dire avec l’argent des prochaines générations.

Il serait fastidieux d’entrer dans le détail de tous les montants avancés, mais certains sautent aux yeux.

 

L’urgence budgétaire plutôt que climatique

Ainsi, Bruno Le Maire annonce fièrement que la dette n’augmentera pas et que notre déficit public passera sous la barre des 5 % du PIB en 2024.

En réalité, puisque l’État continue d’emprunter, cette dette continue de croître et reste au niveau intenable de 109,7 % du PIB (que le ministre annonce ingénument vouloir ramener à… 108,1 % d’ici 2027). Quant à notre déficit, il est l’un des plus élevés d’Europe, et en 2026, la France restera le seul pays avec la Bulgarie, l’Estonie et la Slovaquie à dépasser la barre des 3 % du PIB pour le déficit. Pendant ce temps, des pays comme la Grèce, Chypre, le Portugal ou l’Irlande reviennent progressivement à l’équilibre. Les grands déficits ne sont pas le syndrome des grands pays puisque même l’Allemagne est attendue sous la barre des 1 % du PIB.

Le gouvernement prévoit une augmentation des recettes fiscales de 17,3 milliards d’euros. On pourrait se dire qu’il est normal que les recettes fiscales augmentent avec la croissance. En réalité, il faut surtout comparer les recettes attendues en 2024 avec les dépenses envisagées la même année : 372 milliards d’euros (dont 350 milliards d’euros d’impôt) d’un côté, et 512 milliards d’euros de l’autre. Soit 140 milliards d’euros de dépenses en plus que de recettes. Quel ménage ou quelle entreprise survivrait à un tel écart ?

Certes, un État n’est pas un foyer ou une entreprise (quoique : ne parle-t-on pas de « Maison France » ? Les bons principes de gestion sont universels !) mais c’est tout de même de l’argent qu’il faudra bien rembourser un jour, et l’argument selon lequel « c’est moins pire qu’avant » (160 milliards d’euros de solde négatif en 2023) semble dérisoire lorsque l’on sait que ce nouveau déficit s’ajoute à une dette globale qui dépasse déjà les 3000 milliards d’euros.

Au lieu de ressasser jusqu’à plus soif la pseudo urgence climatique, il serait temps que le gouvernement proclame enfin une urgence budgétaire. Signe de la déroute à venir, il annonce qu’il empruntera l’an prochain plus de 270 milliards d’euros sur les marchés, montant jamais atteint.

Alors que les taux d’intérêt augmentent, ce sera autant de dépenses en plus à assumer. Le projet avoue d’ailleurs que la charge de la dette passera de 52 milliards d’euros en 2024 à 61 milliards d’euros en 2026. En clair : un sixième des impôts servira à payer les intérêts de la dette. Au lieu de financer les missions de l’État, d’aider au pouvoir d’achat ou de redresser notre pays, il partira en fumée. Il est vrai qu’il faudra aussi financer les 8000 postes supplémentaires de fonctionnaires prévus par le gouvernement, et dont la création semble tout de même en contradiction avec l’ambition affichée de rigueur budgétaire.

 

Pauvreté et incohérence des propositions de redressement

Le vocabulaire même employé par Bercy dénote à ce sujet un certain désarroi, voire un peu d’incohérence.

Ainsi, quand il est question de « mener des réformes structurelles » pour diminuer les dépenses de l’État, Bercy annonce mener à bien cet objectif grâce aux 22 milliards d’euros économisés avec la sortie progressive des boucliers énergie, la fin des aides exceptionnelles aux entreprises et la sortie du plan de relance. Autrement dit, le gouvernement compte sur la fin de mesures conjoncturelles pour accomplir des réformes structurelles… À côté de cela, le projet parle « d’aléas qui demeurent élevés », mais qui sont « plus équilibrés ». Il est déjà difficile de concevoir un aléa équilibré, mais si en plus il est élevé…

Au demeurant, la Cour des comptes elle-même, en la personne de son président Pierre Moscovici, déplore des hypothèses de croissance qui semblent parfois bien optimistes ou alors fragiles, comme si elle voulait mettre en garde le gouvernement contre le déni de réalités.

Au-delà des chiffres, que penser des annonces contenues dans le projet ?

À vrai dire, une pauvreté fiscale habituelle, des incantations à n’en plus finir, et l’amoncellement classique de mesures gadgets. Avec, dans l’ensemble, des dépenses qui semblent vouloir profiter à tout le monde (il est intéressant de noter qu’aucune classe sociale ou presque n’est oubliée), à l’aide d’un saupoudrage de mesures dont on peut douter de l’efficacité, mais dont on peut être certain qu’elles coûteront cher, sans que l’on sache vraiment comment elles seront financées, si ce n’est par la dette, c’est-à-dire par le contribuable de demain.

Sur le plan fiscal, on ne peut que constater l’habituel manque d’audace.

La CVAE, qui plombe notre tissu économique, diminuera bien, mais sa suppression pourtant promise est une fois de plus retardée.

Il est annoncé un cadeau fiscal de 6 milliards d’euros pour les ménages avec la hausse du barème de l’impôt sur le revenu, alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un ajustement de ce barème sur l’inflation.

Pour le reste, c’est le néant absolu, en tout cas du point de vue imaginatif. Le gouvernement en est encore simplement à vouloir taxer lorsqu’il aperçoit un bout de profit, surtout lorsque s’y ajoute un argument moral.

Ainsi, est-il prévu une taxe sur les infrastructures autoroutières et aéroportuaires censée rapporter 600 millions d’euros par an. Les motifs de cette taxe ne brillent pas par leur hauteur d’esprit. Il semblerait que la taxe se justifie avant tout parce qu’il est moralement condamnable de gagner de l’argent en faisant rouler les voitures ou voler les avions.

Les entreprises payent déjà sur leurs profits 25 % d’impôt sur les sociétés et ensuite leurs actionnaires 30 % de PFU sur les dividendes. N’est-ce pas suffisant ? Surtout que même si le ministre affirme que c’est lui qui fixe les tarifs des péages, on peut craindre que cette taxe ne conduise un jour ou l’autre à se retrouver dans le prix du péage ou du billet d’avion, et donc payée par le citoyen, comme a déjà prévenu le président de Vinci.

En matière d’incantations, on nous annonce 40 milliards d’euros de dépenses écologiques avec « + 10 milliards d’euros pour la planification écologique ».

Mais ce souci, certes honorable, est-il réellement le souci premier du citoyen qui cherche avant tout à boucler ses fins de mois, payer les études de ses enfants ou tout simplement acquitter son loyer ?

Pendant ce temps-là, le budget de la Justice augmentera de 500 millions d’euros, de même que celui de la Sécurité. Quant à la Défense, son enveloppe se verra créditée de 3,3 milliards d’euros supplémentaires. Est-ce vraiment suffisant pour redonner son lustre d’antan aux missions régaliennes de l’État ?

 

Des friandises pour certains

Et comme de coutume, l’arrosoir aux subsides ouvrira toujours plus ses vannes pour calmer les mécontentements : sans même parler des subventions aux jeux Olympiques et de la « billetterie populaire » des 400 000 places offertes – qui rappelle étrangement la politique du pain et des jeux des empereurs romains pour faire taire la plèbe menaçante.

Citons à l’emporte-pièce :

  • le 1 euro du repas étudiant au CROUS,
  • le pass « ouverture colo » (sic) de 200 à 350 euros,
  • les 50 à 100 euros de « gratification » hebdomadaire pour les stagiaires assidus en filière professionnelle,
  • les 100 euros mensuels de la voiture électrique en leasing,
  • l’indemnité « carburant travailleur » de 100 euros par véhicule.

 

Bref, une nouvelle panoplie de petites friandises qui soulageront peut-être ponctuellement, mais qui s’inscriront surtout comme dettes supplémentaires dans la durée comme si, privé d’énergie créatrice pour véritablement remettre le pays sur les rails du travail, de l’effort et donc de la richesse, le gouvernement s’en remettait toujours à ses dispositifs précaires, alors même que c’est précisément à la précarité grandissante qu’il oublie de s’attaquer.

Inflation des loyers immobiliers : encore une mesure en trompe-l’œil

Le fait que la rubrique « logement » figure dans l’indice harmonisé des prix à la consommation pourrait nous amener à croire que les prix de l’immobilier sont pris en compte dans les statistiques officielles de l’inflation.

Or, ce n’est pas le cas.

Au lieu de cela, seuls les loyers sont pris en compte dans l’indice. La raison en est que l’immobilier est considéré comme un bien d’investissement, ou un bien de consommation à long terme. Seule une partie des biens immobiliers occupés est « consommée » par l’usure au cours de la période actuelle. La plus grande partie du bien immobilier est conservée pour l’avenir.

Or, l’indice des prix à la consommation harmonisé est un indice de la consommation privée actuelle et non un indice des biens d’investissement qui servent à constituer une épargne et à consommer dans le futur. C’est pourquoi les prix de l’immobilier ne peuvent pas être inclus dans l’indice. La partie qui est effectivement consommée par un bien immobilier dans la période en cours correspond aux frais de location. C’est pourquoi seuls les loyers sont inclus dans l’indice.

On peut fondamentalement se demander pourquoi on calcule un indice qui tient exclusivement compte de la consommation privée actuelle.

Les ménages ne sont pas seulement des consommateurs dans le présent, mais aussi, dans une certaine mesure, des épargnants qui essaient de se constituer une épargne pour l’avenir. Lorsque les biens d’investissement deviennent plus chers et que la constitution d’une épargne réelle est ainsi rendue plus difficile, cela a un impact négatif sur le niveau de vie des ménages. Cela devrait être pris en compte dans les statistiques de l’inflation, en particulier si l’objectif est d’estimer l’évolution des revenus réels à l’aide de la mesure de l’inflation. C’est précisément parce que l’on veut tirer des conclusions sur l’évolution du niveau de vie.

 

En outre, la hausse des prix de l’immobilier n’a pas seulement un impact négatif sur la constitution d’une épargne réelle pour l’avenir, mais elle a également des effets négatifs directs sur la situation actuelle de nombreux ménages, en particulier ceux qui souhaitent acheter un bien immobilier.

La hausse des prix de l’immobilier peut signifier que l’on doit se restreindre de différentes manières dans le présent. Elle peut conduire à acheter un bien immobilier plus petit ou à se contenter d’un logement moins bien situé, avec des trajets plus longs, des nuisances sonores, ou d’autres défauts. Certains ménages s’exposent à une plus grande pression en contractant un crédit particulièrement élevé.

Mais la hausse des prix de l’immobilier peut aussi conduire à renoncer à l’achat d’une maison et à ne pas profiter du plaisir d’habiter dans ses propres murs. Dans ce cas, les statistiques officielles laisseraient croire, au mépris de la réalité que vivent les ménages concernés, que les prix de l’immobilier ne jouent effectivement aucun rôle. De fait, ceux qui n’achètent pas de bien immobilier ne doivent pas non plus en payer le prix.

 

Reste la question des loyers.

Ils sont inclus dans l’indice et ont augmenté dans de nombreuses villes, au détriment de nombreuses familles. Ils sont toutefois réglementés, n’augmentent pas aussi vite que les prix de l’immobilier dans les phases inflationnistes. C’est pourquoi la prise en compte des loyers et l’exclusion des prix de l’immobilier conduisent à une statistique d’inflation « embellie ».

En France, le sous-indice relatif aux « loyers d’habitation effectifs » (sous-indice 4.1), qui est inclus dans l’indice des prix à la consommation harmonisé, a augmenté de 38,6 % au total entre 1999 et 2022. Cela correspond à un taux d’inflation annuel de 1,4 %. Selon une série de données de l’Insee, les prix des logements (neufs et anciens) ont augmenté de 180,1 % au cours de la même période. Cela correspond à un taux d’inflation annuel de 4,6 %.

Pour certaines sous-périodes, la différence est encore plus frappante. Prenons les huit premières années qui ont suivi l’introduction de l’euro.

De 1999 à 2007, les prix de l’immobilier ont plus que doublé, avec un taux d’inflation annuel moyen de 10,0 %. Dans le même temps, les loyers n’ont augmenté que de 2,3 % par an, ce qui est déjà beaucoup, mais en aucun cas comparable à l’inflation des prix de l’immobilier qui était galopante.

Prix des loyers et logements en France 1999-2019

Le fait que les prix de l’immobilier ne soient pas pris en compte dans les statistiques officielles de l’inflation a permis à la politique monétaire d’être beaucoup plus expansive pendant plus longtemps que cela n’aurait été possible autrement.

L’inflation bat son plein sur les marchés immobiliers depuis deux décennies déjà, mais l’indice des prix à la consommation harmonisé ne le reflétait pas. Là encore, il ne mesure pas la réalité de la vie de nombreux ménages.

Cet article vous a plu ? Retrouvez son auteur dans un entretien long format accordé à Contrepoints Podcast, au micro de Pierre Schweitzer. Il y est question des banques centrales et des nombreuses controverses qui les entourent depuis leur création. Pensez également à vous abonner au podcast sur votre plateforme préférée ou encore sur Youtube pour ne pas manquer les prochains entretiens.

Crédits : l’auteur Adam Tooze et l’université de Columbia contre les marchés

Une étude de chercheurs de l’université de Columbia, aux États-Unis, attire l’attention de la presse et de blogs au sujet de la finance.

Les chercheurs – d’une des universités les plus réputées du pays – offrent un compte rendu sur le fonctionnement du marché de crédits de court terme, les repos (pour Sale and Repurchase Agreement), une forme de prêt entre banques ou acteurs dans la finance.

Comme le résument les auteurs de l’étude, les régulateurs américains (législateurs, autorités de marché, et Réserve fédérale) travaillent sur une refonte des règles autour de l’émission de crédits entre groupes financiers.

En principe, les régulateurs veulent plus de stabilité du système face aux crises.

Les imprévus et chocs de marché – des krachs aux confinements – mettent de temps à autre en danger le règlement de transactions et le financement du gouvernement. En effet, les prêts de court terme fournissent les liquidités des intermédiaires à l’émission de dette du gouvernement – les agents du Trésor (primary brokers).

Les chercheurs, M. Menand et M. Younger, rappellent dans l’introduction de l’analyse :

« En 2008, la capacité des intermédiaires financiers à fournir des liquidités a connu des soucis en raison de la perte de confiance dans les prêts de court terme qui servent de monnaie (les prêts repo). Par la suite, des changements ont eu lieu dans le système, qui ont attribué un plus grand rôle aux traders à haute fréquence, et aux hedge funds – appelés les shadow dealers. Mais les liquidités générées par ces intermédiaires n’ont pas fait preuve de stabilité en 2020. »

En somme, en raison des crises de liquidités à deux reprises importantes depuis le début du siècle – lors du krach de 2008, et lors de la panique au printemps 2020 -, la banque centrale américaine (la Fed) sert à présent de garant de liquidités de court terme, les repos, en cas de resserrement des conditions de marché.

L’étude des chercheurs de Columbia pointe un accroissement du rôle du gouvernement et de la Fed à l’avenir, avec un nouveau système de contrôles et de garanties.

Ils expliquent :

« Les régulateurs et législateurs travaillent à présent sur une réforme du marché des obligations du Trésor, pour que la dette américaine reste l’actif le plus liquide au monde. »

La presse et les blogs américains sur la finance reprennent le refrain des chercheurs en faveur d’un plus grand rôle dévolu aux autorités dans les crédits de court terme, un mécanisme au cœur de la création d’argent.

Selon les auteurs du rapport, le marché de crédits de court terme fonctionne grâce à l’intervention, de temps à autre, de la banque centrale dans les marchés.

L’octroi de prêts de court terme, – qui permettent aux acteurs dans la finance de lever rapidement des fonds par la vente d’obligations en portefeuille – requiert ainsi des garanties de la part de la Fed, en cas de manque d’offre de prêts dans les repos.

 

Accroissement du rôle de la Fed au fil du temps

L’une des interventions de la Fed contre un manque de liquidités dans les repos remonte à des mois avant la panique sur le virus, en septembre 2019. Le marché des repos subit à ce moment-là un épisode de resserrement.

Le mystère plane encore de nos jours sur l’origine du problème. En principe, elle provient d’une convergence d’événements – une hausse de la tension sur les repos pour absorber les émissions du gouvernement américain sous M. Trump, et la demande de liquidités par les entreprises pour le règlement d’impôts. Néanmoins, l’échéance du paiement des impôts n’a pas mis fin à la crise.

Le graphique de la Fed montre une forte envolée, en septembre 2019, du taux sur les repos (courbe noire), bien au-dessus des objectifs de la Fed (bande grise).

Le rapport de la Fed au sujet de la crise explique :

« Lundi 16 septembre, le taux annualisé sur les repos atteint 2,43 points de pourcentage, soit 0,13 de plus que la veille […]. Le lendemain 17 septembre, les taux sur les repos a atteint plus de 5 points de pourcentage… »

La crise de septembre 2019 marque un tournant vers un changement de rôle à la Fed. Elle sert alors de garant de la liquidité du marché des repos, jusque-là de domaine du privé.

Des mois plus tard, en mars 2020, le choc des confinements autour du monde produit le même type d’événement.

À ce moment-là, les banques refusent de prêter de l’argent, y compris dans le marché du repo, en raison de la montée des risques de faillites et de crise de liquidités.

De nouveau, la Fed entre dans les marchés avec des lignes de crédit et de rachats d’obligations, une source de liquidités de court terme pour le marché.

En résultat, la banque centrale joue à présent un rôle de garant de liquidités de court terme dans le marché des repos.

L’analyse des chercheurs de Columbia défend les interventions de la Fed, et suggère un renforcement du rôle des autorités dans les fonctionnements de la création de crédit à l’intérieur du système.

 

Le wonk en faveur du gouvernement

Dans le jargon des auteurs d’articles et tribunes aux États-Unis, un wonk désigne un obsédé des détails et spécificités d’un domaine en particulier.

En général, il parle de sujets pour lesquels la majorité des lecteurs aura peu d’affinités, en raison de leur excès de précision et d’abstraction.

Un wonk évoque avec affection un savant trop préoccupé des détails pour traiter un sujet au niveau de compréhension du grand public.

Le sujet des taux du marché des repos et l’impact des interventions de la Fed font partie du monde des wonks.

Les auteurs et journalistes dans le domaine de la finance évoquent l’étude avec admiration.

Matt Levine, l’auteur d’une chronique quotidienne chez Bloomberg, conclut de l’étude :

« Les obligations du Trésor ne peuvent jamais être considérées comme des placements classiques de rendement. Elles ont besoin d’un marché liquide avec des acheteurs et des vendeurs. Ces intermédiaires vont avoir besoin de liquidités [qu’ils obtiennent via les repos], ce qui crée des risques, et la Fed va donc devoir offrir des garanties contre ces risques. »

De même, l’historien de marchés et auteur de best-sellers, Adam Tooze, fait l’éloge de l’étude sur son blog. En particulier, il rejette la possibilité d’un marché sans intervention de la Fed, et des autorités politiques. Il appelle à « refondre le marché le plus important au monde […] Tout le monde devrait lire Menard et Younger au sujet du marché des obligations du Trésor ».

Le rapport des chercheurs adopte en effet un point de vue en raccord avec les décisions d’interventions dans le passé, dont en 2008, par exemple.

Selon les auteurs :

La situation [en 2008] n’a été sauvée que grâce à une intervention dramatique par la Fed, qui s’est servie de son bilan pour absorber les ventes d’obligations, et réduire la fluctuation des prix. C’était exactement ce que l’ex-directeur de la Fed, de 1951 à 1970, William McChesney Martin, Jr., avait tenté d’éviter – une intervention directe de la banque centrale pour protéger le financement du gouvernement [en procurant des liquidités pour les vendeurs d’obligations du Trésor].

Selon les auteurs du rapport, le système d’aujourd’hui doit en partie son existence à une intervention de forte ampleur de la Réserve fédérale au cours de l’année 2020.

L’analyse soutient la mise en place d’une augmentation des règles et des garanties pour le marché des crédits de court terme, sous couvert d’un risque de gel des liquidités à l’avenir.

 

Le problème des interventions

La théorie en vogue chez les universitaires et la presse financière montre l’intérêt pour les marchés et le respect des transactions entre particuliers ou entreprises.

En effet, l’octroi de liquidités au marché requiert le travail, le savoir-faire, et les capitaux de quelqu’un. Selon la loi de l’offre et de la demande, il a un coût en proportion de la difficulté de la tâche. Par l’apport de liquidités sans coût, la Fed retire les incitations à l’effort chez les intermédiaires du crédit.

Dans un marché sans intervention, le manque de liquidités, comme lors du resserrement des repos en septembre 2019, envoie un signal aux marchés. Il montre un changement dans l’offre et la demande de liquidités.

De même, la coupure des centrales nucléaires, et la perte de stocks de gaz et de pétrole au cours des confinements ont mené à une pénurie d’énergies. En réaction à un manque d’offre par rapport à la demande, les prix partent à la hausse.

En réaction, les consommateurs d’énergies font des économies. La « destruction de la demande » dans le jargon des économistes, au travers de la fermeture d’usines et la réduction de la consommation des ménages, ramène le marché à l’équilibre. Elle entraîne une baisse des prix de marché.

De même, un resserrement des conditions d’octroi de crédit indique un manque de liquidités, et pousse les acteurs de la finance – dont les agents du Trésor américain – à davantage de retenue.

L’explosion des taux en réaction à une pénurie d’offre de crédits fait partie du fonctionnement d’un marché, tout comme un hausse du prix du gaz survient en réaction à une baisse des stocks à disposition.

 

Mise en cause du marché

L’auteur Adam Tooze, connu pour ses livres traitant de l’histoire des économies – dont Le Salaire de la destruction, au sujet de l’économie sous les nazis – résume les conclusions des chercheurs sur son blog.

Selon lui, les débuts de crise de liquidités en 2019 et 2020 prouvent la nécessité des interventions dans le marché.

Il explique :

Les remous du printemps 2020 ont pris une tournure alarmante et dangereuse. Votre point de vue sur le dénouement – la stabilisation directe aux mains des Fed – dépend de votre vision globale. En effet, vous devez vous rendre compte, d’un point de vue historique, que le système monétaire et fiscal actuel dépend d’une interaction profonde entre l’État et le système financier privé, dans laquelle la banque centrale sert de garant de dernier ressort.

Selon l’interprétation de l’auteur – et de la presse en général – le maintien d’un marché du crédit demande davantage de soutiens et garanties de la part des autorités, et davantage de restrictions sur l’activité des intermédiaires, dans le but d’empêcher un krach.

Le péril d’un effondrement du système financier – tout comme les craintes sur le climat, par exemple – crée le prétexte à un accroissement du pouvoir entre les mains des dirigeants.

La critique des marchés par les chercheurs à l’origine de l’étude, et de l’auteur Adam Tooze, repose sur une méfiance envers les choix des particuliers dans le domaine de l’octroi de crédits et de la gestion du risque. Elle suppose un bienfait de la gestion par les représentants du gouvernement, à la place des acteurs de marché.

Les individus en quête de profits font des erreurs et courent un excès de risques, selon la théorie. Le manque de prudence crée des gels de liquidités, comme en septembre 2019 et en mars 2020.

À l’inverse, les dirigeants ont une préoccupation pour le bien-être de tous, disent-ils. Ils font alors contrepoids aux excès et erreurs des particuliers ou des sociétés de finance (hedge funds, banques, ou assureurs).

Avec le contrôle de la planche à billets, ils offrent des sauvetages de dernier recours, au coût d’une dévaluation de la monnaie. Ils imposent des règles contre les débordements du système.

En somme, le point de vue des chercheurs, de l’auteur Adam Tooze, et de la presse en général, remet en cause l’intérêt d’un système de marché. Ils imaginent des bureaucrates, plus sages que les acteurs du marché, avec la capacité d’améliorer la gestion de risque, et l’équilibre entre l’offre et la demande de crédits.

 

Avantages du marché sur la centralisation

En réalité, le marché a l’avantage sur la prise de décision par une poignée de dirigeants.

Voyez, les crises – dont une perte soudaine de liquidités – font partie du fonctionnement d’un marché. Sans la nécessité des interventions des dirigeants, elles permettent l’éradication des risques, et éliminent les erreurs via les faillites d’investisseurs ou de sociétés.

L’avantage d’un système de marché provient de la neutralité vis-à-vis des calculs des politiciens, ou du point de vue de la presse et de l’électorat en général (qui n’a pas de connaissance sur le sujet). Il attribue les récompenses et capitaux en fonction de l’efficacité des intervenants, et non en raison des préférences de ministres et fonctionnaires.

Comme le dit M. Tooze, le marché des crédits de court terme est peut-être « le marché le plus important au monde ».

En effet, les marchés du crédit touchent des millions de participants, entre les particuliers en quête d’un prêt, les entreprises en besoin de financements, ou les investisseurs à la recherche de rendement.

Les décisions de millions d’individus, en réaction aux signaux de prix dans le marché, mènent à une distribution des ressources au mieux pour l’ensemble. Une hausse du taux d’intérêt sur les repos pousse les intermédiaires à réduire le rythme de recours à la dette de court terme.

Elle incite à l’abaissement des dépenses et du financement de la dette du gouvernement dans l’immédiat. Par contre, la réaction de la Fed retire le signal des prix. Elle crée l’illusion d’une abondance de capitaux, et incite à plus de création d’argent.

Une organisation des ressources selon l’avis d’une poignée – voire de plusieurs dizaines de milliers – de bureaucrates et de chercheurs n’a pas d’avantages par rapport à un système de marché.

Au contraire, elle élimine les bienfaits de la prise de décision par les millions d’acteurs dans l’économie, selon leurs propres jugements.

En conséquence, les personnes à l’origine d’un excès de risque, ou d’une inefficacité de marché, ne font pas faillite, et ne quittent pas la scène.

Elles conservent même des postes, et la capacité de créer plus de gâchis !

Les auteurs de l’étude, par contre, préfèrent la centralisation.

Ils écrivent :

Le financement du gouvernement américain est depuis longtemps emmêlé avec le fonctionnement du système monétaire, si bien que la liquidité dans les obligations du Trésor dérive, en grande partie, d’interventions politiques. En d’autres termes, la liquidité du marché de la dette publique ne survient pas de façon naturelle, à la suite de l’action du secteur privé. Elle provient des efforts des agents du gouvernement.

Le célèbre auteur Adam Tooze reprend, sur son blog, le point de vue des chercheurs. Il écrit :

« Vous pouvez raisonnablement demander un système de crédit bancaire dans lequel la banque centrale joue un rôle de garant encore plus transparent. Vous pouvez aussi raisonnablement préférer une nouvelle version du partenariat public-privé dans le système bancaire, avec de nouvelles règles, de nouveaux participants, et de nouveaux garants. Par contre cette fabuleuse analyse de M. Menand et M. Younger montre qu’il est pure fantaisie d’imaginer un système monétaire et fiscal basé sur une séparation de l’État et des marchés, avec un marché de capitaux libre et un système de création de crédit privatisé. »

En fait, le marché arrive à plus d’efficacité dans l’usage des ressources que les autorités.

En effet, il ne cède pas aux besoins en financements du gouvernement. Il ne plie pas devant la popularité – auprès de la presse, du gouvernement, et de l’électorat – de crédits à taux proches de 0 %.

Il gère les ressources selon la réalité de l’offre et de la demande, et du mérite de l’usage des capitaux par chacun.

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De Barbieland à Wall Street : la dangereuse illusion des investisseurs

Le film Barbie a connu un large succès, dépassant le milliard de dollars de recettes au box office. Dans le film de Greta Gerwig, toutes les Barbie vivent heureuses à Barbieland, un pays idyllique. Un jour, Barbie est assaillie de pensées inhabituelles mortifères et découvre avec horreur que ses pieds cambrés sont devenus plats. Elle doit alors quitter sa vie parfaite à Barbieland pour aller dans le vrai monde où elle découvre une réalité complexe.

Comme Barbie, les investisseurs vivent dans un monde idyllique.

Certes, ils eurent des pensées mortifères en 2020, lors du violent décrochage des marchés. De même, leurs pieds touchèrent le sol en 2022 avec la baisse du Nasdaq. Mais si Barbie cherche avant tout à connaître la vérité (allant jusqu’à consulter un gynécologue, provoquant une prise de conscience chez elle) les investisseurs, eux, ne se posent toujours pas de questions.

Pourtant, ils devraient.

Dans une note de recherche récente, les stratégistes de JP Morgan estiment le rendement du S&P 500 à 3,7 % (rachat d’actions de 2,1 % et dividende de 1,6 %), ce qui est inférieur à la moyenne sur dix ans (4,5 %) et au taux monétaire à 5,3 %.

En d’autres termes, l’investisseur gagne davantage en plaçant son argent sans risque dans des sicav monétaires (d’où l’engouement récent pour ce type de placement).

Rappelons ainsi que la valeur d’une action dépend du niveau des taux d’intérêt (servant à actualiser les flux de trésorerie futurs d’une entreprise).

Ainsi, plus le taux d’actualisation est élevé, moins les bénéfices futurs sont valorisés. Le taux d’intérêt à dix ans aux États-Unis (T-bond) s’établit aux alentours de 4,2 %. Toute chose étant égale par ailleurs, chaque hausse des taux de +100 bps impacte négativement (en théorie) la valorisation de -24 %. Or, la hausse des taux fulgurante de +400 bps n’a entraîné qu’une baisse de valorisation d’environ -15 % du S&P 500 sur la même période. C’est pourquoi les stratégistes de JP Morgan estiment la valorisation de l’indice à un PER (Price Earnings Ratio : rapport cours/bénéfices) de 15 fois contre 20 fois actuellement, soit une baisse de -25 %.

Mais au-delà du débat sur la valorisation du marché, se pose la question de la soutenabilité du niveau du taux d’intérêt nominal.

Or, les attentes d’inflation (environ 2,3 % avec un TIPS à 1,9 %) paraissent trop basses au vu des éléments structurels militant pour une hausse durable, à savoir la hausse des coûts de production liée aux relocalisations, les hausses de salaires, les coûts liés à la transition énergétique. En effet, si le taux d’inflation se révèle plus élevé que prévu (disons 4 %), la correction de cette sous-estimation conduira à une hausse du taux nominal, et la performance des portefeuilles pourrait être sérieusement impactée.

Mais cette hypothèse n’est pas prise en compte par les investisseurs.

Comme Barbie, ils sont placés devant un choix : des talons hauts et rester dans le monde fictif, ou des Birkenstock et découvrir le monde réel. Il semble qu’ils préfèrent continuer de vivre dans un monde artificiel fait de rose et de paillettes.

Avons-nous besoin des banques centrales ? avec Karl-Friedrich Israel

Episode #40

Karl-Friedrich Israel a étudié l’économie, les mathématiques appliquées et les statistiques à l’université Humboldt de Berlin, à l’ENSAE de Paris et à l’université d’Oxford. Il a obtenu son doctorat en France à l’Université d’Angers et son habilitation à diriger des recherches en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est actuellement maitre de conférences à l’Université Catholique de l’Ouest à Angers et occupe la chaire de politique économique à l’Université de la Sarre à Sarrebruck en Allemagne.

Pour écouter l’épisode, utilisez le lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page ou cliquez sur ce lien. 

Programme : 

Introduction – 0:00

Présentation de l’invité – 0:56

Les limites de l’apriorisme intégral en méthodologie économique – 7:07

Quand et pourquoi a-t-on instauré des banques centrales ? – 9:47

Banques publiques mais actionnaires privés ? – 16:20

Les manipulations monétaires des Etats existaient-elles avant les banques centrales ? – 20:27

Comment fonctionne la création monétaire à notre époque ? – 27:13

Justifications courantes pour le maintien du monopole monétaire – 36:27

Gagnants et perdants des politiques monétaires – 39:18

Une jeunesse ruinée par les politiques monétaires, bombe à retardement sociale – 49:50

Peut-on envisager la suppression des banques centrales ? – 51:21

Javier Milei a-t-il raison de vouloir débarrasser l’Argentine des banques centrales ? – 52:49

Comment sauver votre épargne des politiques de banques centrales ? – 54:24

Quel avenir pour la Banque Centrale Européenne si la convergence économique Nord-Sud tarde encore ? – 55:49

 

Références suggérées :

Central Banking and Inflation (conférence de notre invité en anglais, disponible sur Youtube) https://youtu.be/hEjZWC0Jpu0?si=EXoIG5Mtoo9OdQsk

The interest group origins of the Bank of France (article de L. Rouanet dans Public Choice) https://link.springer.com/article/10.1007/s11127-019-00765-6

Les mystères des prix ou l’effet Cantillon (article de J-M. Daniel sur Contrepoints) https://www.contrepoints.org/2023/08/21/61124-les-mysteres-des-prix-ou-leffet-cantillon

Articles de Karl-Friedrich Israel sur Contrepoints https://www.contrepoints.org/author/karl-friedrich-israel

Banque centrale (notice Wikibéral) https://www.wikiberal.org/wiki/Banque_centrale

John Law (notice Wikibéral) https://www.wikiberal.org/wiki/John_Law

Les BRICS vont-ils détrôner le dollar américain ?

Le sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s’est achevé sur une invitation à rejoindre le groupe adressée aux Émirats, à l’Égypte, à l’Iran, à l’Arabie saoudite, à l’Argentine et à l’Éthiopie.

Le sommet a fait couler beaucoup d’encre quant à l’impact de ce vaste groupe de nations, y compris des spéculations sur la fin du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale si ce groupe est perçu comme une menace pour les États-Unis, ou même pour le Fonds monétaire international.

Plusieurs points doivent être clarifiés.

 

De nombreux analystes politiques pensent que la Chine prête, investit ou soutient sans contrepartie. Elle est une grande puissance économique, mais elle n’a aucun intérêt à être une monnaie de réserve mondiale. Sa monnaie n’est actuellement utilisée que dans 5 % des transactions mondiales, selon la Banque des règlements internationaux.

La Chine et la Russie pratiquent le contrôle des capitaux. Il est impossible d’avoir une monnaie de réserve mondiale sans liberté de circulation des capitaux. Pour avoir une monnaie fiduciaire stable, il faut plus que de solides réserves d’or. Il est essentiel de garantir la liberté économique, l’investissement, la sécurité juridique et la libre circulation des capitaux, ainsi qu’un système financier ouvert, transparent et diversifié.

La Chine et la Russie sont des prêteurs beaucoup plus exigeants et rigoureux que ne le pensent de nombreux hommes politiques. Il semble que certains politiciens des marchés émergents pensent que l’adhésion à la Chine et à la Russie sera une sorte de panacée en matière d’argent gratuit.

Un autre problème lié à la création d’une monnaie des BRICS est que, logiquement, ni la Chine ni la Russie n’ont la moindre intention de perdre leur monnaie nationale pour la diluer aux côtés d’un groupe d’émetteurs dont le bilan en matière de maîtrise des déséquilibres monétaires est douteux.

Au cours des dix dernières années, les monnaies des pays invités par les BRICS se sont fortement dépréciées par rapport au dollar américain.

Selon Bloomberg : le peso argentin a chuté de 98 %, la livre égyptienne de 78 %, la roupie indienne de 35 %, le birr éthiopien de 68 %, le real brésilien de 55 % ; et selon The Economist, le rial iranien s’est effondré de 90 %.

Ce n’est pas en réunissant des monnaies faibles que l’on obtient une monnaie forte.

Il ne faut pas oublier que la performance du rouble russe (-68 % par rapport au dollar américain, selon Bloomberg) au cours de la dernière décennie a également été médiocre, malgré une banque centrale relativement prudente.

La meilleure monnaie des « BRICS et invités » par rapport au dollar américain au cours des dix dernières années est le yuan chinois, avec une dépréciation de seulement 14 %.

Pour qu’une monnaie fiduciaire soit stable, il est nécessaire que l’émetteur la défende en tant que réserve de valeur, méthode de paiement généralement acceptée et unité de mesure. La liberté des capitaux et des institutions indépendantes offrant une sécurité juridique aux investisseurs nationaux et internationaux est nécessaire. Une puissance militaire forte ne garantit pas une monnaie acceptée comme réserve de valeur, comme l’a démontré le désastreux kopek soviétique, malgré l’influence de l’URSS sur la moitié du monde.

L’union de pays dont les gouvernements prônent la monétisation des dépenses publiques incontrôlées et l’accroissement massif des déséquilibres monétaires ne peut créer une monnaie stable, sauf à suivre l’exemple de l’euro.

Dans l’euro, l’Allemagne, le pays dont la politique budgétaire est la plus prudente et la plus responsable, a dicté les grandes lignes des règles monétaires et budgétaires pour les autres. Malheureusement, en essayant de jouer le rôle des États-Unis et de la Réserve fédérale, la zone euro et la BCE ont perdu la plupart de leurs possibilités d’être une véritable alternative au dollar américain.

L’euro est le plus grand succès monétaire fiduciaire de l’ère post-Bretton Woods ; ne le privons pas de son mérite.

L’alternative BRICS commence par un talon d’Achille majeur.

La Chine et la Russie vont avoir de grandes difficultés à imposer des restrictions budgétaires et monétaires à leurs partenaires. N’oublions pas que plusieurs de ces partenaires ont rejoint le groupe, pensant qu’ils pourront désormais continuer à imprimer de l’argent et à dépenser sans contrôle, mais que leurs déséquilibres monétaires seront distribués à d’autres nations.

L’euro a été un succès parce que des démocraties libérales dotées d’institutions indépendantes, d’une grande liberté économique et d’une sécurité juridique ont accepté d’aligner leurs politiques pour le bien commun, créant ainsi une monnaie solide qui a évité la débâcle créée par les spirales inflationnistes qui ont été la norme en Europe au cours de l’histoire, lorsque les gouvernements se consacraient à transférer leurs déséquilibres sur les salaires et l’épargne des citoyens par la destruction monétaire.

Cela ne semble pas facilement reproductible avec les BRICS et les invités.

La Chine peut toutefois accroître son contrôle sur tous ces pays en mettant en œuvre des politiques monétaires et fiscales rigoureuses. Elle est le prêteur le plus puissant de tous les BRICS, mais il est peu probable qu’elle prenne le rôle de l’Allemagne de l’euro, prête à absorber les excès des autres en échange d’un projet commun.

La Chine va accroître son contrôle sur les pays du groupe, mais il est peu probable qu’elle mette en péril la stabilité et la sécurité de son énorme population en faisant baisser sa monnaie. Le gouvernement chinois est probablement en train d’analyser la perte de prudence monétaire de l’euro, et d’arriver à la conclusion qu’il ne peut pas prendre le même risque avec certains de ces nouveaux partenaires.

Toutefois, la Chine tirera probablement le meilleur parti de sa puissance financière pour accorder des prêts, accroître ses possibilités de croissance nationale et internationale et accéder à des matières premières abondantes et bon marché.

La Chine est la grande gagnante du sommet des BRICS.

Le gouvernement chinois sait probablement que nombre de ses partenaires vont continuer à accroître leurs déséquilibres, ce qui pourrait permettre à la Chine de renforcer sa position de leader. Toutefois, j’ai du mal à croire que la Chine acceptera la création d’une monnaie que d’autres pourront utiliser pour déclencher des déséquilibres inflationnistes.

Pendant ce temps, aux États-Unis, le gouvernement peut mettre en péril la crédibilité du dollar américain s’il continue à générer des déficits de deux mille milliards de dollars par an, plus d’un déficit estimé à 14 mille milliards de dollars d’ici 2030, et avec un nombre croissant de conseillers irresponsables affirmant qu’il peut créer tout l’argent qu’il veut sans risque. La crédibilité fiscale, l’indépendance institutionnelle et la liberté économique du dollar américain, la monnaie la plus utilisée dans le monde, consolident son leadership. Si le gouvernement affaiblit ces atouts, le dollar perdra son statut de réserve.

Si elle survient, la fin du dollar américain ne viendra pas de la concurrence d’une autre monnaie fiduciaire, car la tentation des gouvernements de détruire le pouvoir d’achat de la monnaie émise est trop forte. Elle viendra probablement de monnaies indépendantes.

Sur le web

Le jeu des statistiques officielles de l’inflation : l’exemple édifiant de l’Allemagne

L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) se compose de 12 sous-indices, qui sont pondérés en fonction de leur part dans les dépenses totales des ménages.

Si, par exemple, les produits alimentaires et les boissons non alcoolisées (sous-indice 1) représentent 15 % des dépenses, il convient de leur attribuer une pondération de 15 % dans l’indice global. De cette manière, chaque catégorie de dépenses se verrait attribuer l’importance qu’elle a pour un ménage moyen. C’est ce que prétendent les statistiques officielles.

Mais ici aussi, comme souvent, la réalité est bien différente des intentions affichées.

 

Loyer et factures d’énergie : seulement un quart de vos dépenses ?

En Allemagne, le sous-indice traditionnellement le plus important couvre le logement, l’eau, l’électricité, le gaz et les autres combustibles (sous-indice 4). Il a toujours représenté plus de 21 % de l’indice global depuis le milieu des années 1990.

Entre 2020 et 2022, son poids est passé à un peu plus de 25 %. Les statistiques officielles supposent donc que les ménages allemands consacrent en moyenne environ un quart de leurs dépenses totales à des biens de cette catégorie. Pour certains critiques, c’est trop peu. De nombreux ménages dépensent beaucoup plus pour ce type de biens. Dans les grandes zones urbaines, les ménages consacrent souvent plus d’un tiers de leur revenu au loyer seul. C’est également le cas pour les ménages en France, par exemple en région parisienne. En France, le sous-indice 4 a un poids ridiculement faible depuis un certain temps. Depuis le milieu des années 1990, il n’a jamais dépassé 17,4 %.

Un changement inattendu est intervenu en Allemagne en 2023.

L’Office fédéral de la statistique n’a pas augmenté le poids du sous-indice 4, mais l’a ramené de 25,2 % l’année précédente à 16,5 %. L’Allemagne a donc commencé à suivre l’approche française. Aucune justification valable n’a encore été fournie. Sur le site web de l’Office fédéral de la statistique, on ne trouve que des phrases creuses : « La pandémie de coronavirus, qui sévit depuis 2020, avec ses restrictions de la vie publique et les conséquences qui en découlent, rend nécessaire de modifier le procédé habituel de mise à jour des pondérations pour chaque bien de consommation pour la troisième année consécutive également. »1

Comment justifier un ajustement aussi invraisemblable ?

En fait, l’ajustement signifie qu’à partir de maintenant, les statistiques officielles supposeront que le ménage allemand moyen ne dépense que 16,5 % de ses dépenses totales pour le logement, l’eau, l’électricité, le gaz et d’autres combustibles. Il appartient à chacun de se demander si cette hypothèse est réaliste.

Il est clair que le sous-indice 4 affiche depuis un certain temps des taux d’inflation supérieurs à la moyenne.

Entre 1996 et 2022, il a augmenté de 84 % au total, alors que l’IPCH dans son ensemble n’a augmenté que de 59 %. Seul le sous-indice 2 pour les boissons alcoolisées, le tabac et les stupéfiants a augmenté encore plus fortement au cours de cette période, soit de 115 %.

Durant la phase inflationniste de l’année dernière, ce sont les prix du sous-indice 4 qui ont le plus augmenté. Le taux d’inflation s’est élevé à 13,9 %, soit plus de 5 points de pourcentage au-dessus de l’inflation moyenne officielle. La décision de l’Office fédéral de la statistique de réduire le poids de ce sous-indice a un effet pratique : l’inflation officiellement mesurée sera plus faible.

Mais elle ne mesure pas la réalité.

  1. traduit avec DeepL parce que l’intelligence artificielle est vraiment douée pour traduire le langage bureaucratique

Des dangers de la dette publique

Un article de l’IREF

La dette publique française a dépassé le seuil de 3000 milliards d’euros.

Elle a atteint 3013,4 milliards d’euros le 31 mars 2023, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Le gouvernement voudrait réduire le déficit public de 4,9 % en 2023 à 4,4 % dans le budget 2024. Mais le défi est considérable, alors qu’en août 2023 les taux d’emprunt de l’État français à dix ans ont dépassé le seuil de 3,25 %.

Selon les prévisions de Bercy, la charge annuelle de la dette pourrait passer de 30 milliards en 2020 à 71 milliards en 2027.

 

Des emprunts à l’infini

La France a continué de dépenser sans compter en 2023.

Et sa notation par les agences de crédit qui n’est pas très brillante aujourd’hui, abaissée à AA- par Fitch début 2023, pourrait se dégrader encore cet automne, lorsque ces agences rendront leur avis sur la dette française : Moody’s le 20 octobre, et Fitch le 27 octobre.

Cette dernière a d’ailleurs été intransigeante avec les États-Unis en dégradant leur note de AAA à AA+ début août 2023 en considérant que, outre un déficit budgétaire qui devrait être de plus de 6 % du PIB cette année (contre 3,7 l’an dernier) et encore l’an prochain, la hausse des taux de la dette à 4,17 % à 30 ans début août (4,42 % fin août) et l’énormité de leur dette, « les impasses politiques répétées sur le plafond de la dette et les résolutions de dernière minute ont érodé la confiance dans la gestion de la dette ». La politique de Biden est celle d’un quoi qu’il en coûte exponentiel. Il en résulte un affaiblissement de la crédibilité des États-Unis.

Pour réduire leur déficit, d’autres pays, la Hongrie, la République tchèque, la Lituanie, l’Espagne et maintenant l’Italie, ont cherché à augmenter leurs ressources en taxant les banques. Mais comme l’a observé la BCE, ces mesures peuvent aggraver la crise du crédit en le raréfiant, et en le rendant plus cher, en même temps qu’elles affaibliront les fonds propres des banques à un moment de tension où leur sécurité doit être inébranlable.

Dans le même temps, la Chine qui menait la croissance mondiale est en train de s’écrouler avec un taux moyen de croissance de 1,5 % sur les deux premiers trimestres 2023, un chômage des jeunes important, la faillite annoncée des grands promoteurs immobiliers et…. une dette publique (officielle ou masquée, y compris celle des collectivités locales) qui a déjà dépassé 120 % du PIB et pourrait représenter 150 % du PIB en 2027.

 

La dette est un mirage

La situation mondiale n’est donc pas brillante.

Mais la poursuite de l’endettement public n’est pas la solution. Si les politiques d’endettement étaient le moyen d’enrichir un pays, alors nous serions très riches. La dette a les limites de sa soutenabilité. Au-delà d’un certain seuil, s’endetter toujours plus, c’est s’entraver toujours plus.

Parmi les pays développés, et hors le cas des États-Unis dont le dollar finance la dette, les pays les plus riches comme le Danemark (dont la dette publique est de 37 % du PIB), la Suisse (39 %), les Pays-Bas (54 %), l’Allemagne (77 %), ne sont pas d’abord moins endettés parce qu’ils sont plus riches, mais plus riches parce qu’ils sont moins endettés, même s’il y a toujours dans ce cas un cercle de virtuosité réciproque qui se crée.

Comme l’indique Edmund Phelps, prix Nobel d’économie (Mon voyage dans les théories économiques, Odile Jacob, mai 2023) :

« Lorsque la dette publique est très élevée, elle entraîne fortement le capital et les salaires vers des sentiers de croissance plus lente ».

Il en conclut :

« Il vaut mieux ne pas compter sur une politique de déficit budgétaire pour stimuler la consommation ou l’investissement quand la dette publique a atteint des sommets » (p. 60).

Or, nous continuons de grimper vers des sommets qu’il vaudrait mieux ne pas atteindre.

Plus globalement, l’endettement rend les États dépendants, moins réactifs, moins libres… Mais surtout cette dette pèse sur les contribuables qui toujours la remboursent un jour par des impôts ou de l’inflation, ce qui fragilise alors les acteurs de l’économie, producteurs et consommateurs.

Depuis la fin des années 1980, observe encore Edmund Phelps :

« L’accroissement de la dette publique mondiale […], l’importante augmentation du niveau des dépenses publiques à l’échelle mondiale […] [et] la hausse du taux d’intérêt mondial […], tous ces chocs ont favorisé une forte élévation du taux de chômage d’équilibre » (p.169).

Il serait temps de faire l’effort de se désendetter. À cet effet, quand les impôts, taxes et cotisations sont déjà à un niveau inacceptable, comme ils le sont en France, le moyen le moins pénalisant, sinon le seul moyen moralement recevable, est de réduire les dépenses publiques.

Sur le web

L’inflation et le cycle des affaires (2)

Première partie de cette série ici.

 

La théorie quantitative de la monnaie (TQM) que nous évoquions dans le précédent billet est vraisemblablement exacte.

Dans le long terme, le niveau général des prix, p, semble bien entièrement déterminé par le niveau y de la production intérieure brute (PIB), la masse monétaire m et la vitesse v de circulation de la monnaie, qui est le nombre de fois que l’on utilise cette monnaie m au cours d’une période donnée, généralement un an.

En gros, si l’on dispose de m un nombre v de fois, il faut que le niveau général des prix p s’établisse à un niveau p tel que m.v = p.y.

Sans cela, si p est trop élevé, il existe des biens qui n’ont pas pu être achetés lorsque toute la monnaie m.v a été utilisée (m utilisée v fois). A contrario, si les prix sont trop bas, les individus n’épuisent pas tout le stock de monnaie en achetant les y biens produits annuellement : il y a pénurie de biens par rapport à la quantité de monnaie et il faut alors que p augmente.

 

Un lien statistique solide

Le graphique du précédent billet montre une relation tangible :

De fait, cette relation est connue de longue date : Nicolas Copernic et Jean Bodin avaient déjà fait le lien entre la quantité de métaux en circulation et le niveau général des prix.

De fait, chaque école économique moderne a sa propre version de la TQM :

Keynésiens

En 1923, dans son Tract on Monetary Reform, John Maynard Keynes est parti de la TQM et a ajouté l’idée que m = p(k + r.k’), où m est le nombre de « billets et autres formes de cash en circulation dans le public », k le cash dans le monde des affaires, k’ les bilans bancaires et r la proportion de ces bilans sous forme de liquidités (pages 67-68).

« Tant que k, k’ et r restent inchangés, […] m et p montent et descendent ensemble. »

Keynes expliquait que si la TQM était fausse parce que k, k’ et r ne sont pas des variables indépendantes de m, ceci n’a pas d’importance à court et moyen termes, validant la TQM sauf, peut-être, « à long terme où nous sommes morts » (page 70). Cette fameuse citation est donc toujours mentionnée à contresens !

Autrichiens

L’école de Vienne a toujours admis qu’il y avait un fond de vérité dans la TQM tout en soulignant ses limitations pratiques.

En 1912, Ludwig von Mises écrivait dans sa Theory of Money and Credit que la TQM « n’explique pas le mécanisme de variations dans la valeur de la monnaie » (page 130).

Pour sa part, Friedrich Hayek souligne que la TQM « devient complètement inutile dans les territoires où plusieurs monnaies existent en même temps » (page 80 dans Denationalisation of Money).

Monétaristes

Milton Friedman a ajouté la variable v à la TQM et a noté qu’elle peut être une variable indépendante de la quantité de monnaie m.

Au risque de caricaturer la pensée des monétaristes, ces derniers ont simplement noté que si y croît, bon an, mal an, de 3 %, et si v est plus ou moins constante, il suffit de limiter l’augmentation de m à exactement 3 % pour assurer la stabilité des prix.

Contrairement à la pensée populaire francophone, le monétarisme n’est absolument pas identique à la TQM – que partagent toutes les écoles de pensée – mais une recette de politique monétaire qui en découle.

 

Les limites de l’exercice

Pour ma part, j’aurais tendance à dire que m.v = p.y est vraie et que les vérifications empiriques des uns et des autres – sous forme d’économétrie ou de simples graphiques – n’est finalement que le témoignage de la qualité des comptages des petits hommes gris qui triment dans l’anonymat des sombres arrières cours des banques centrales.

Ces derniers font un travail tout à la fois admirable – il suffit de se rendre compte que l’écart entre les courbes p et m.v /y est de plus en plus minime au fil du temps – et parfaitement inutile.

Dans un monde où il existe de plus en plus d’actifs liquides et semi-liquides – depuis les contrats à termes sur une multitude de métaux jusqu’aux cryptomonnaies – pourquoi penser que la monnaie ne serait pas, comme tout autre bien, soumise à une constante substitution pour d’autres produits qui jouent certains de ses rôles, affectant par là-même la mesure de ses montants à chaque instant donné ?

 

La courbe des taux

Même si l’analyse des variations de la masse monétaire est vraie, il serait fort dommage de s’y arrêter comme je l’ai fait dans le précédent billet. Il serait encore plus triste de s’y perdre…

La TQM est finalement une simple remarque dans l’introduction de la théorie monétaire autrichienne qui est extrêmement riche et va bien au-delà : sans s’y plonger complètement, il serait bon d’en examiner quelques points.

Lorsque la banque centrale veut limiter la création monétaire, elle relève ses taux directeurs. En rendant le crédit plus cher, elle limite la quantité de monnaie disponible pour les emprunteurs et, en retour direct, pour l’ensemble des demandeurs de monnaie.

Les taux directeurs de la banque centrale (DFF pour la Fed et ECBDFR pour la BCE) sont des taux pour des prêts à très court terme. La Fed ou la BCE opèrent donc un contrôle étatique des prix sur le présent.

À plus long terme, un an, deux ans, cinq ans, ou plus, les taux sont librement déterminés par les marchés en fonction de l’offre ou de la demande (même si les banques centrales sont de plus en plus influentes sur les taux longs).

La courbe des taux est la relation entre le taux d’intérêt et le temps jusqu’à l’échéance d’un instrument financier, comme une obligation. La courbe des taux représente les taux d’intérêt d’obligations de même qualité de crédit, i.e. de même niveau de risque, mais de dates d’échéance différentes :

Comme l’expliquent Jerry O’Driscoll et Mario Rizzo dans The Economics of Time and Ignorance, le taux d’intérêt reflète la préférence des individus pour le présent. Il faut leur donner quelque chose – l’intérêt – pour qu’ils renoncent à une consommation présente et la décalent vers le futur.

Plus ce futur est lointain et plus le taux d’intérêt devrait être élevé. A priori, dans une économie en bonne santé, les taux longs devraient donc être plus élevés que les taux courts.

Trois raisons expliquent la différence inhérente de valeur entre les biens présents et futurs : la tendance, dans une économie saine, à la croissance de l’offre de biens dans le temps ; la tendance des consommateurs à sous-estimer leurs besoins futurs ; et la préférence des entrepreneurs pour initier la production avec des matériaux et méthodes actuellement disponibles, plutôt que d’attendre que des biens futurs apparaissent.

La courbe des taux nous indique les futurs taux courts tels qu’ils sont estimés par le marché : si le taux d’intérêt à un un an est de 6 %, et si le taux d’intérêt à deux ans est de 5 %, le futur taux d’intérêt à un  an est estimé à environ 4 %.

Ainsi, la pente de la courbe des taux nous indique comment le marché obligataire s’attend à ce que les taux d’intérêt à court terme évoluent à l’avenir.

Comme nous pouvons le voir sur le graphique, le lendemain de l’élection du président Biden, le marché était confiant en l’avenir : le taux des obligations à deux ans, 0,14 %, était plus bas que le taux des obligations à 10 ans, soit 1,10 % (points verts). Tous les deux étaient bas car l’inflation était alors à zéro.

Deux ans et demi plus tard, la courbe des taux est « inversée » : le taux des obligations à deux ans, à 4,92 %, est maintenant non seulement bien plus haut, à cause de l’inflation et de la remontée des taux directeurs de la Fed, mais dépasse le taux des obligations à 10 ans, soit 4,21 % (points rouges).

 

Structure de production

Dans un système sans fixation étatique des taux d’intérêt, la courbe des taux est le produit de ce que les économistes appellent la structure de production.

Chacun de ses points est la moyenne de tous les prêts consentis pour mener à bien les différents projets économiques des individus à chaque échéance donnée.

En d’autres termes, si le taux d’intérêt à 5 ans est de, disons, 4 %, tous les projets industriels qui rapportent au moins 4 % (net de la prime de risque et des impôts…) sont de « bons » projets économiques.

La structure de production – c’est-à-dire l’ensemble de toutes les entreprises humaines dans une société donnée à des fins économiques – est subordonnée à cette courbe des taux.

Lorsque les taux longs baissent, les détours de production s’allongent : les processus industriels « optimaux » dépendent intimement de la courbe des taux. On ne peut pas entamer de projet industriel long et capitalistique dans le genre de régime de la courbe rouge ci-dessus.

En effet, il peut se passer 10 ans entre la première rencontre de partenaires industriels et l’inauguration d’une usine. S’il faut un prêt à deux ans pour les études, un prêt à 7 ans pour la construction et des prêts courts à terme pour le besoin en fonds de roulement (BFR), le projet ne peut pas exister sans que son retour sur investissement puisse se situer financièrement au-dessus de la courbe des taux aux différents points des différentes étapes.

Si les taux sont élevés, seuls les projets « à la petite semaine » sont entrepris.

Plus les taux d’intérêt à long terme s’établissent à un niveau naturellement bas – grâce à l’offre d’épargne – et plus les entrepreneurs peuvent s’engager dans des projets ambitieux et de long terme.

 

Eugene von Böhm-Bawerk

La théorie du caractère détourné de la production d’Eugen von Böhm-Bawerk est un concept fondamental de l’économie autrichienne qui offre une perspective unique sur la dimension temporelle des processus de production.

Böhm-Bawerk, un éminent économiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, a postulé que la structure de la production se caractérise par divers degrés de détour de production, c’est-à-dire à la longueur et à la complexité des processus de production impliqués dans la création de biens et de services.

Selon sa théorie, les producteurs peuvent choisir entre des méthodes de production directes plus immédiates et des itinéraires plus longs et plus complexes qui impliquent plusieurs étapes.

La décision d’opter pour une méthode détournée est influencée par les préférences temporelles, les taux d’intérêt et le potentiel de rendements futurs plus élevés.

Les sommets de la civilisation humaine – du 787 Dreamliner aux vaccins à ARN messager, en passant par le iPhone et la fusée Starship – nécessitent d’immenses détours de production.

Böhm-Bawerk a fait valoir que les méthodes détournées peuvent conduire à une productivité accrue et à des niveaux plus élevés d’accumulation de capital, contribuant finalement à la croissance économique : on ne peut pas construire une théorie correcte de l’origine de cette dernière sans utiliser les bases de la théorie des détours de production.

Il a souligné que les choix que font les producteurs quant à la durée des processus de production ont des implications pour l’allocation des ressources, ainsi que pour la synchronisation des préférences des consommateurs et des méthodes de production dans le temps.

De ce point de vue, les taux d’intérêt jouent un rôle central dans la coordination des décisions de production, car ils reflètent l’interaction entre les préférences temporelles des individus et la disponibilité des ressources. La théorie met en évidence l’équilibre délicat entre la consommation immédiate et l’accumulation de capital pour des méthodes de production plus complexes et tournées vers l’avenir.

 

Cycle des affaires

Lorsque les taux baissent, une foultitude de projets qui n’étaient pas rentables le deviennent. A contrario, lorsque les taux montent, tous les projets fondés sur les taux précédemment faibles se retrouvent dans le rouge. La longueur des détours de production diminue.

Lorsque la banque centrale fixe des taux trop bas, elle crée un boom économique – purement artificiel – qui conduit à des activités qui ne seraient autrement pas rentables.

Lorsque la masse monétaire s’emballe du fait de ces taux trop bas, l’inflation pointe. Elle érode les rendements obligataires. Les investisseurs demandent des taux d’intérêt à long terme plus élevés. Les entrepreneurs commencent aussi à réaliser que le climat des affaires va devenir plus difficile.

De son côté, à moins que le pays soit l’Argentine, le Venezuela ou le Zimbabwe, les autorités monétaires réalisent leur erreur et remontent les taux courts.

On passe alors de la courbe verte à la courbe rouge : les taux longs sont montés mais moins que les taux courts, en partie parce que les perspectives de long terme s’assombrissent et que la demande de prêts à long terme baisse.

La courbe des taux peut donc être utilisée pour mesurer les sentiments des investisseurs obligataires à l’égard de la direction de l’économie. Une pente positive de la courbe de rendement indique une future reprise économique, tandis qu’une pente plate ou négative indique la probabilité d’une future récession économique.

 

Des cycles et des crises artificielles

En 1931, Friedrich Hayek a publié Prices and Production dans lequel il étend les théories d’Eugen von Böhm-Bawerk, en particulier dans le contexte de la théorie du cycle économique.

Hayek a fait valoir que les interventions de la banque centrale qui abaissent artificiellement les taux d’intérêt en dessous de leurs niveaux naturels faussent la structure de la production.

Cette distorsion survient parce que les entrepreneurs, réagissant à la baisse des taux d’intérêt, se lancent dans des processus de production plus détournés et plus longs qu’ils ne le sont en l’absence d’épargne réelle. Cela aboutit finalement à une mauvaise allocation des ressources et à l’émergence d’une phase d’expansion artificielle. Dans certains cas, ceci conduit à des bulles financières comme celle des « dot com » en 2000 ou celle de l’immobilier résidentiel en 2009.

Les néo-classiques et les keynésiens ne sont pas du tout équipés pour faire le lien entre ces bulles financières, les taux artificiellement bas et les expansions de la masse monétaire :

  • En décembre 1996, le néoclassique président de la Fed critiquait « l’exubérance irrationnelle des marchés » (ici) alors même que la masse monétaire dont il était en charge explosait du fait de taux trop bas…
  • Quand la bulle éclate en 2000, le keynésien Paul Krugman, peu avar en conseils farfelus, écrira alors que « pour lutter contre cette récession, la Fed a besoin d’une augmentation des dépenses des ménages pour compenser les investissements moribonds des entreprises. [Donc] Alan Greenspan doit créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq ».

 

En 2009, c’est chose faite : à la surprise de ces deux personnages et à la consternation des économistes autrichiens, la bulle immobilière réclamée par Paul Krugman éclate du fait de la fin des taux d’intérêt ridiculement bas, emportant tout un tas de géants financiers comme Lehman (639 milliards de dollars), AIG (180 milliards), Fannie Mae (plus de 2000 milliards), Freddie Mac (plus de 2000 milliards), Countrywide (au moins 100 milliards) et Washington Mutual (au moins 33 milliards).

Les théories de Böhm-Bawerk et Hayek ont l’énorme avantage d’expliquer non seulement l’évolution des prix à consommation – comme la TQM des keynésiens et des monétaristes – mais aussi celle des actifs financiers lors des bulles récentes.

Lorsque les taux courts sont remontés par la banque centrale, il s’ensuit une phase d’effondrement, où la structure de production non rentable disparaît. Les prix des actifs financiers s’effondrent.

S’appuyant sur les idées de Böhm-Bawerk, Hayek a en outre souligné l’importance de la structure du capital – la hiérarchie d’étapes de production qui varient dans leur longueur et leur complexité : les variations de la courbe des taux d’intérêt influent sur l’attractivité relative des différentes étapes de la production, entraînant des changements dans la composition de l’investissement et de la production.

La courbe des taux change naturellement dans un marché des capitaux libres en fonction de l’épargne disponible et des besoins en capitaux des entrepreneurs : il existe donc une dynamique qui corrige en permanence l’écart entre la courbe des taux – c’est-à-dire les marchés de capitaux – et les processus industriels : cet équilibre n’est pas absolument pas un état statique mais plutôt un processus d’ajustement aux conditions changeantes : ce sont les variations des prix relatifs des emprunts à court et long terme, dues aux variations de l’offre et de la demande, qui guident les décisions entrepreneuriales de manière décentralisée.

La courbe des taux est en ce sens non seulement l’agrégation de tous les plans individuels quant au présent et au futur mais une source d’information unique sur toute l’activité humaine.

« Prices and Production » est donc une élaboration et un raffinement de la théorie autrichienne du cycle économique dont Böhm-Bawerk et d’autres économistes autrichiens avaient jeté les bases.

Pour le meilleur et, surtout, pour le pire, nous avons tous décidé de confier à des comités de technocrates le soin de fixer les taux d’intérêt i.e. le prix de l’argent. Si les banquiers centraux fixaient le prix de la baguette de pain, il y aurait des périodes de surabondances suivies de disettes. C’est exactement la même chose pour l’argent et la raison des crises financières à répétition !

L’exposition de Hayek sur le rôle des taux d’intérêt et de la structure de production a donc fourni une compréhension plus complète de la façon dont les cycles économiques se produisent à cause des interventions intempestives des banquiers centraux.

 

Applications directes

Comme le font remarquer Ryan Griggs et Robert Murphy dans leur exposition du lien entre l’offre de monnaie, la courbe des taux et le cycle des affaires, « la théorie autrichienne du cycle économique […] explique mieux le « pouvoir prédictif » de la courbe des taux que l’approche [des économistes néoclassiques.] »

Armés de toutes ces remarques, nous nous tournerons dans un prochain billet sur l’histoire et le présent de la courbe des taux et ensuite sur les crises économiques passées et future.

L’immobilier ne baissera pas en France

Par Nicolas Hague.

 

Depuis plusieurs mois, les articles de journaux se multiplient concernant la très forte baisse à venir sur les biens immobiliers. Pour certains analystes elle serait même déjà là.

En réalité, on constate plutôt pour l’instant un ralentissement de l’augmentation des prix au m2 (+1,3 % sur trois mois en août) et une baisse du nombre de transactions (-6 % en un an). Même s’il existe des raisons de penser que la baisse arrive, je pense qu’il existe des raisons encore plus solides pour qu’elle ne se produise pas.

La première concerne tout simplement une très forte demande structurelle qui ne fait que progresser en France.

Elle est due à un accroissement continue de la population (l’immigration compensant la baisse de la natalité) de 0,3 à 0,4 % par an. Cela peut paraître peu, mais représente quand même 200 000 à 300 000 nouvelles personnes par an à loger.

L’augmentation du nombre de divorces et surtout de gardes partagées crée aussi des besoins supplémentaires : un couple avec deux enfants a besoin d’une maison avec trois chambres, mais un couple séparé a besoin de deux maisons avec trois chambres.

Le vieillissement de la population contribue aussi à la sous-occupation des logements avec des couples ou des personnes seules occupant des logements initialement prévus pour des familles.

Parallèlement, la métropolisation concentre toutes les activités et populations dans des zones restreintes où la demande de logement peine à être satisfaite.

On en arrive à la deuxième raison qui est une offre insuffisante.

La métropolisation limite l’augmentation de l’offre, car elle doit se créer sur des zones réduites où le foncier est rare et cher. Mais il existe d’autres causes tout aussi structurelles, comme l’inflation des normes environnementales et l’objectif « zéro artificialisation nette ».

Cela crée non seulement une offre insuffisante, mais surtout une offre plus chère (augmentation du prix du foncier et augmentation des normes). À cela vient s’ajouter une inflation des matériaux et une augmentation des salaires dans le bâtiment. La construction neuve étant plus chère, cela soutient un prix élevé des logements neufs, mais aussi anciens par contagion.

L’inflation très importante soutient aussi les prix.

En effet, pourquoi l’immobilier serait-il le seul secteur à voir une baisse des prix alors que tous les biens de consommation augmentent ? Une stagnation des prix serait déjà une baisse relative par rapport aux autres biens qui, eux, ont fortement augmenté. Cette inflation a également entraîné par ricochet une augmentation des salaires (néanmoins inférieure) qui a toutes les chances de se répercuter sur les prix de vente.

La peur de l’inflation va aussi renforcer le statut de valeur refuge de l’immobilier (à l’instar de l’or).

Garder ses économies à la banque, c’est la certitude de voir leur valeur relative diminuer puisque la rémunération sera forcément inférieure à l’inflation (le livret A est à 3 %, l’inflation officiellement à 5 %). Il est donc plus judicieux de l’investir dans du concret (d’où aussi la bonne tenue actuelle de la bourse), que de conserver des liquidités trop importantes.

La raison principale qui pourrait aller dans le sens d’une baisse est la remontée des taux d’intérêt, mais il faut là aussi relativiser. On peut actuellement trouver un prêt à 3,70 % sur 25 ans, ce qui est bien inférieur à l’inflation, et même pour certains salariés, inférieur à l’augmentation des salaires (6,6 % pour le SMIC en 2022). De plus, ce taux a toutes les chances d’être provisoire car le niveau d’endettement de certains États européens, Italie et France en tête, ne permettra pas de garder des taux élevés trop longtemps. Les prêts actuels pourront alors être renégociés à la baisse.

Pour toutes ces raisons, je ne crois pas à une baisse significative des prix de l’immobilier. Les titres de journaux l’annonçant ne vont servir qu’à faire fuir vendeurs et acheteurs, et à bloquer encore plus le marché.

Selon toute vraisemblance, le pouvoir d’achat des Français va continuer de baisser, et l’immobilier ne fera pas exception à la règle.

Article publié initialement le 1er septembre 2023

Banques, devises : les risques d’une perte de confiance

La cotation d’ARM pour la fin de l’année, comme l’essor du solaire depuis trois ans en France, attestent des effets d’une manne de liquidités, grâce aux mesures de soutien au marché et aides à l’industrie des renouvelables.

Le lien entre spéculations et interventions des dirigeants dans les marchés tient en place depuis des siècles. La bulle des Chemins de fer des années 1840, la bulle du Mississippi, qui a éclaté en 1720, ou la bulle des Tulipes des années 1630, ont lieu peu après la mise en place d’incitations ou de soutiens à l’endettement, en général par la banque centrale.

Ce mois-ci, la Banque du Japon surprend le marché avec encore plus de rachats d’obligations. En dépit de prix en hausse de plus de 3 % sur un an, la banque centrale continue les interventions, afin de fournir un soutien à l’endettement.

La part des obligations du Trésor japonais sur le bilan de la Banque du Japon a atteint 50 % en décembre dernier.

Elle continue de croître et dépasse à présent les 53 % des obligations du gouvernement en existence.

Le groupe japonais Softbank a foi dans le soutien des banques centrales pour encourager les paris sur la technologie. Il annonce ce mois-ci le projet de cotation de son entreprise de semi-conducteurs ARM. En vue de la cotation, le groupe rachète le restant des parts d’ARM à ses propres clients des fonds d’investissement, pour une valorisation de l’entreprise à 64 milliards de dollars.

La valorisation de Softbank du groupe dépasse de loin la norme dans les marchés, même dans la technologie. Le groupe dégage un peu plus de 500 millions dollars de bénéfices par an en 2022.

Softbank, sous le contrôle du milliardaire Masayoshi Son, espère obtenir une valorisation de marché d’environ 130 fois les bénéfices actuels ! Le ratio moyen pour les actions du Nasdaq, qui contient la plupart des actions de technologie aux États-Unis, atteint moins de 25 à ce jour.

En somme, l’investisseur japonais parie sur le genre d’optimisme que génère l’action Nvidia. Le groupe américain a atteint ce mois-ci près de 250 fois les bénéfices sur les 12 derniers mois. Suivant l’annonce des résultats du trimestre, avec une hausse des ventes en lien à ses cartes à puces spécialisées pour l’IA, le ratio baisse à 110 fois les bénéfices.

Softbank espère tirer parti de l’optimisme pour l’IA, et les valorisations pour les actions du secteur.

L’IA profite des largesses des banques centrales.

En effet, les marchés attendent des rachats d’obligations en cas de remontée des taux, comme le fait la Banque du Japon, et des sauvetages lors de faillites, comme nous l’avons vu avec les faillites de Crédit Suisse ou des banques américaines.

 

Solaire sous perfusion

Le solaire, de même, affiche une croissance en flèche depuis 3 ans. Les installations de panneaux en France, comme sur le reste du continent, battent des records.

L’essor des capacités du solaire tient à la distribution d’incitations à la population.

Le site de Engie offre un « Exemple concret de calcul de rentabilité » de l’installation d’éoliennes chez un particulier.

Le fournisseur d’électricité explique :

« Afin de comprendre parfaitement comment calculer le temps qu’il faut pour rentabiliser votre installation photovoltaïque, prenons un cas concret. Il s’agit d’un couple vivant près de Grenoble (région Rhône-Alpes), qui vit dans une maison de 65 m2. Le toit est incliné à 37°, orienté sud, et n’a pas d’ombrage. Ils ont choisi l’autoconsommation avec revente de surplus. »

En somme, Engie présente un couple avec une maison typique qui utilise un maximum de l’électricité des panneaux pour leurs besoins. Ensuite, par obligation de la loi, le distributeur d’électricité (Engie), achète l’excès de production (même lorsque le réseau n’a pas de besoin en courant).

Il continue :

« L’installation coûte 15 000 euros. Ils bénéficient d’une aide de l’État de 280 euros/kWc, soit un total de 1680 euros. Celle-ci est versée en 5 ans. Le coût total de l’installation est donc de 15 000 – 1680 = 13 320 euros. »

Engie estime que le couple réduit à zéro sa facture d’électricité annuelle, puis gagne de l’argent via la vente des surplus :

« Chaque année, ils font donc une économie et un gain cumulés de 841 euros. Pour rentabiliser leur installation, il faut un peu moins de 16 ans. Le couple peut espérer faire tourner son installation pendant encore minimum 15 ans puisque la durée de vie des panneaux solaires est de 30 à 40 ans. »

Selon le calcul d’Engie, la rentabilité des panneaux (grâce au rachat obligatoire du courant à un prix fixe) revient à environ 6 % par an.

Un investisseur ou particulier qui emprunte à 3 % (le rendement sur une assurance-vie ou une obligation du gouvernement) peut en tirer une marge dès l’installation.

De plus, le modèle d’Engie estime les aides à seulement 1680 euros. Or, selon UpEnergie, en moyenne, il est possible d’obtenir jusqu’à 5000 euros pour son installation solaire.

Un autre cas que présente Engie offre un remboursement en seulement 9 ans, soit un rendement annuel de 8 % !

En bref, l’essor des capacités du solaire tient à l’accès aux financements et aux subventions.

En l’absence de ces aides, le secteur du solaire a sans doute peu de chances de conserver le rythme d’installations. Un éclatement de la bulle et un ralentissement de l’activité attend dès la fin des mesures de soutien.

 

Inertie des épargnants

En dépit de la tendance des dirigeants sur la création d’argent et d’aides à l’octroi de crédits, les particuliers ne changent pas d’habitudes.

Les chiffres sur le placement des épargnes confirment l’inertie des particuliers face aux risques d’une dévaluation. Le montant d’épargne dans les banques et assurances-vie atteint un record.

L’encours des placements à base d’actions (compte-titres, PEA, ou assurance-vie en unités de compte) grimpe de 140 milliards d’euros sur le premier trimestre de 2023. La hausse tient à la fois des entrées d’argent, en plus du rebond des marchés.

Dans les produits de rendement, ou comptes bancaires, l’encours grimpe de 30 milliards d’euros au premier trimestre, selon la Banque de France.

Le Monde donne des détails :

« En 2022, ce patrimoine [d’épargnes] s’était alourdi de 146 milliards, contre 100 milliards seulement en 2019. Non seulement les ménages n’ont pas touché à leur cagnotte « covid », qui atteint la somme rondelette de 240 milliards d’euros, accumulés pendant la pandémie faute de pouvoir consommer, mais ils ont même accru leurs efforts pour mettre de l’argent de côté. »

Les comptes en banque et contrats d’assurance-vie fournissent une source de demande pour les obligations du Trésor.

Le gouvernement finance les déficits grâce à l’épargne des Français, et à la dévaluation de la devise par la planche à billets (les politiques de soutien de la banque centrale).

L’inertie des épargnants réduit la pression sur la devise. Elle permet aux gouvernements de poursuivre les déficits, avec moins de recours à la planche à billets.

Par contre, une perte de la confiance des épargnants, – en raison d’un retour des pénuries d’énergies, ou d’une cascade de faillites de banques, par exemple -, peut entraîner la fuite devant la monnaie.

Face à une fuite des particuliers des dépôts de banques, le gouvernement risque de manquer d’acheteurs pour la dette. Dans ce genre de situation, les autorités font alors appel à la planche à billets, ce qui mène à un effondrement en cascade de la valeur de la devise.

La fuite des épargnants retire aussi de l’argent pour les soutiens à des industries ou l’achat de panneaux solaires. En plus de peser sur la devise, elle peut mener à l’éclatement des bulles en cours.

Le projet de cotation d’ARM montre l’optimisme de Softbank pour l’humeur des marchés. Tout comme l’essor du solaire va prendre fin un jour, les marché-actions risquent de chuter de haut lors de la fin des rachats d’obligations et interventions en faveur de l’octroi de crédits.

Pour l’instant, la foi des épargnants dans la devise offre une source de financements aux déficits, et soutient les bulles de marché. Une fuite devant la monnaie, en réaction à un excès de création d’argent, ou une crise dans les banques, risque d’éclater les bulles, et mener à une inflation en spirale.

(Vous pouvez retrouver mes analyses et commentaires sur la Bourse et l’investissement, dans ma quotidienne gratuite. Cliquez ici.)

Dette publique : les cigales et les fourmis

L’accumulation par les États d’une dette publique massive n’est pas une nouveauté.

Les gouvernants ont toujours eu une propension à dépenser plus que les recettes fiscales ne le permettaient. Les guerres pouvaient historiquement provoquer un endettement très lourd. Aujourd’hui, ce sont des pays riches, en paix, et principalement démocratiques, qui croulent sous les dettes. Pourquoi ?

 

La démagogie redistributive

La Banque mondiale donne la liste des dettes publiques de la plupart des pays du monde.

Pour 2021, 16 pays ont une dette supérieure à 100 % du PIB, dont 7 pays riches et démocratiques, à savoir : Belgique (109,2 %), Espagne (135,8 %), États-Unis (120,4 %), France (116,5 %), Grèce (237,1 %), Japon (217,6 %), Royaume-Uni (186,5 %).

Les regroupements statistiques de la Banque mondiale indiquent clairement que ce sont les pays riches qui s’endettent le plus. Ainsi, la dette publique de l’Amérique du Nord est de 115,6 % du PIB, et celle de l’Amérique latine de 70,3 %. L’Asie du Sud se situe à 46,6 %, mais l’OCDE à 122,3 %. Les « pays à revenu élevé » ont une dette publique de 127,8 %.

On ne prête qu’aux riches.

Il est donc possible d’expliquer l’endettement des riches par la garantie de remboursement qu’ils offrent. Mais le comportement démagogique des politiciens des pays riches ne peut pas être exclu. Les élections sont devenues des concours de promesses coûteuses. Depuis que l’interventionnisme public dans les domaines économique et social est la règle, il est impossible pour un politicien de résister à la surenchère dépensière.

L’extrême droite elle-même est devenue « sociale ». L’adjectif a désormais une acception financière : arroser sa clientèle électorale par la dépense publique. Le « social » s’aligne sur l’intérêt des partis.

 

La procédure de vote du budget de l’État : d’abord les dépenses

Le processus législatif de vote du budget de l’État conduit aussi à creuser les déficits.

Dans la plupart des États, on vote d’abord les dépenses, ensuite les recettes. Lorsque l’habitude du déficit est prise, on ne trouve à peu près personne parmi les élus des assemblées législatives pour prôner l’équilibre. On le comprend aisément. Augmenter les impôts pour les placer au niveau des dépenses conduirait à une révolution. Diminuer les dépenses pour les ramener au niveau des impôts perçus aboutirait à des révocations massives de fonctionnaires, et à des coupes douloureuses dans les dépenses sociales. Personne ne veut s’y risquer.

D’où le déficit financé par l’emprunt. D’où, depuis le milieu des années 1970, des budgets toujours déficitaires en France. Le déficit étant financé par l’emprunt, la dette publique s’accumule.

 

La dette « roule », mais jusqu’à quand ?

Certes, la dette publique augmente depuis des décennies.

Mais en réalité, elle « roule ». Cela signifie que le capital emprunté, par exemple cinq années auparavant, est remboursé en empruntant à nouveau. Tant que le pays a la confiance des prêteurs, ce qui importe, c’est la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts à payer. Le niveau des taux d’intérêt est donc un élément essentiel pour les États. S’ils sont très bas et avoisinent zéro, la dette ne pèse pas sur les comptes publics.

Le site FIPECO indique que, pour la France, « de 2010 à 2020, la charge d’intérêt a baissé de 20 milliards d’euros, alors que la dette a augmenté de 770 milliards de fin 2009 à fin 2019 ».

Ce phénomène n’est pas propre à la France.

Selon la même source, pour l’ensemble de l’UE, la charge d’intérêt de la dette représentait un peu moins de 5 % du PIB en 1997, et seulement 1,6 % en 2022.

La hausse des taux d’intérêt actuellement en cours constitue un risque majeur pour les États endettés. Ils peuvent en effet perdre la confiance des marchés. Pour des pays riches offrant des garanties potentielles élevées (en particulier le patrimoine privé), cela ne se produit pas d’un seul coup mais de façon très progressive. Les agences de notation, organismes privés indépendants des États, jouent un rôle non négligeable à cet égard.

L’exemple de la France est particulièrement significatif.

Jusqu’à 2011, le pays avait la note maximum (AAA ou Aaa) dans toutes les agences. Fitch Ratings fait passer la note française à AA+ en 2013, à AA en 2014 et à AA- en 2023. Standard & Poor’s rétrograde la France à AA+ en 2012, et à AA en 2013. Chez Moody’s, la France passe de Aaa à Aa1 en 2012, puis à Aa2 en 2015.

La situation financière du pays apparaît donc objectivement préoccupante depuis déjà plus de dix ans. Si les taux d’intérêt s’envolent, il devient impossible de faire rouler la dette car les nouveaux emprunts deviennent plus coûteux que les anciens. Le danger est imminent.

 

La culture de la dette en Europe

Les cigales et les fourmis apparaissent clairement en observant la situation européenne.

Selon Eurostat, la dette publique brute des 27 pays de l’UE représente 84 % du PIB en 2022. Les cigales sont plutôt les pays du sud : Grèce (171,3 %), Italie (144,4 %), Portugal (113,9 %) Espagne (113,2 %), France (111,6 %). La Belgique (105,1 %) est le seul pays non méditerranéen à s’acoquiner avec les cigales. Pour les autres pays, la dette varie de 86,5 % (Chypre) à 18,4 % (Estonie). Les pays de l’est européen et les pays de culture germanique sont donc beaucoup plus vertueux financièrement.

Il serait inimaginable pour un dirigeant de ces pays vertueux d’utiliser l’expression « quoi qu’il en coûte » pour les dépenses publiques, comme l’a fait Emmanuel Macron pour faire face à la pandémie de covid. Ce fut évidemment une grave erreur psychologique qui n’a fait que conforter les Français dans leur mentalité d’assistés. Il en coûte toujours à quelqu’un lorsque les dépenses publiques augmentent par endettement, et la limite est tout simplement le degré de confiance des prêteurs.

Mais dans certains pays, il existe une véritable culture de la dette liée à leur histoire.

Les pays de culture germanique ont subi l’influence protestante considérant l’épargne comme une vertu, et l’équilibre comptable comme un principe intangible. Les pays catholiques sont restés accrochés à la mentalité archaïque de l’aristocratie d’antan, qui voyait dans les dépenses somptuaires un élément indispensable de son statut social. L’endettement était courant et garanti par le patrimoine foncier de cette aristocratie. L’apparence modeste et le goût de la rigueur du bourgeois luthérien s’opposaient à l’opulence affichée et au mépris de la bonne gestion de l’aristocrate catholique. Les politiciens des État-nations sont, culturellement, les héritiers de ces caractéristiques rémanentes.

 

Les mystères des prix ou l’effet Cantillon

Le pouvoir d’achat est entré en force dans la campagne électorale.

Or, le débat prend parfois un tour paradoxal : les mêmes qui dénoncent l’obsession anti-inflationniste de la Banque centrale européenne accusent l’euro d’enchérir le coût de la vie…

Cette contradiction tient, en partie, à une différence fondamentale de point de vue : les statistiques traduisent l’inflation globale, tandis que les récriminations des uns et des autres reflètent leurs perceptions individuelles.

Et l’évolution des prix est contrastée : certains augmentent, d’autres baissent, ce qui affecte de façon différenciée le pouvoir d’achat de chacun.

Ces distorsions dans les évolutions de prix sont dénommées l’effet Cantillon.

Richard Cantillon naît vers 1680. Début imprécis d’une existence étrange. Irlandais, en 1708, il fuit en France l’anticatholicisme anglais. Il y fait fortune entre 1717 et 1720 en spéculant sur le système de Law. Après 1726, pourchassé car accusé de malversation, il mène une vie errante qui s’achève à Londres le 14 mai 1734. Son cuisinier, renvoyé pour indélicatesse, le tue, puis incendie la maison pour masquer son crime. Cantillon aurait été oublié si Grimm – le chroniqueur – et Mirabeau – le père du révolutionnaire – ne lui avaient attribué un livre anonyme paru en 1755 sous le titre Essai sur la nature du commerce en général.

Ce livre se compose de trois parties.

 

La première concerne la production

Elle commence par un paragraphe célèbre :

« La terre est la source ou la matière d’où l’on tire la richesse ; le travail de l’homme est la forme qui la produit. La richesse en elle-même n’est autre chose que la nourriture, les commodités et les agréments de la vie. »

Les thèses agricoles de Cantillon préfigurent celles des physiocrates.

Mais il les amende par une vision très moderne de l’entrepreneur, qui rappelle celle qui sera développée par Jean-Baptiste Say puis Joseph Schumpeter.

Le mot lui doit d’ailleurs son sens actuel.

Au travail répétitif du paysan soumis aux allégeances féodales, il oppose l’esprit de risque du créateur d’entreprise.

Le monde de l’entrepreneur connaît la croissance parce que, bien qu’il n’ait pas la pleine certitude de trouver des débouchés, il investit.

Le monde de l’aristocratie vit dans la stagnation, car chacun s’abandonne à la routine confortée par l’immobilisme social.

 

La deuxième aborde la monnaie

Le prix des objets devrait tendre vers ce que Cantillon appelle leur « valeur intrinsèque » qui est « à proportion de la terre et du travail qui entrent dans leur production ».

Il complète son raisonnement en affirmant que le travail peut se mesurer en surfaces cultivées, car celui qui le fournit se nourrit et s’habille des produits de la terre.

Conclusion : la terre détermine le prix.

Les spécialistes de l’histoire de la pensée économique ont fait de Cantillon le théoricien de référence de la « valeur-terre ». Mais sa vraie originalité tient à sa vision de la dynamique monétaire.

Pour lui, une augmentation de la quantité de monnaie provoque de l’inflation : elle modifie le niveau général des prix. Comme les prix traduisent la valeur-terre et que, fondamentalement, celle-ci ne change pas, on pourrait penser que la hiérarchie des prix reste la même.

Or, dit Cantillon, il n’en est rien. Les monopoles peuvent augmenter leurs prix quand les entreprises en concurrence en sont empêchées ; les prix de la capitale s’élèvent quand ceux des campagnes ne bougent pas : c’est l’effet Cantillon !…

 

La troisième porte sur le commerce extérieur

Un excédent accroît la quantité de monnaie disponible et donc l’inflation.

Pour les contemporains de Cantillon comme David Hume, cette inflation ramène à l’équilibre courant.

En effet, la hausse des prix rend le pays moins compétitif et lui fait perdre des débouchés à l’export, ce qui fait disparaître l’excédent.

Pour Cantillon, cette automaticité n’est pas acquise, et ce pour deux raisons.

D’abord, il se peut que les prix des biens exportés comptent parmi ceux qui restent stables malgré l’inflation.

Ensuite, en cas de hausse des prix à l’export, les termes de l’échange s’améliorent, chaque bien vendu à l’étranger rapporte plus, ce qui gonfle l’excédent.

Au cours de cet examen de la balance commerciale, Cantillon détaille les facteurs d’augmentation de la masse monétaire. Il constate qu’au travers de leurs prêts, les banques peuvent créer sans limites de la monnaie fiduciaire. Dès lors, l’existence d’une « banque générale » – notre banque centrale – chargée de gérer la dette publique et d’encadrer les crédits privés lui paraît indispensable.

Conservateur quand il défend l’agriculture, Cantillon est précurseur sur l’entrepreneur et la monnaie, au point que William Jevons, réformateur prompt à critiquer ses prédécesseurs classiques, l’a jugé plus digne qu’Adam Smith du titre de fondateur de la science économique.

 

Sur le web

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Surfin’Bitcoin 2023 : plongez dans la culture Bitcoin à Biarritz

Plus qu’une semaine avant Surfin’ Bitcoin, le rendez-vous des bitcoiners dédié aux conférences et au networking les pieds dans l’eau, dans le cadre magnifique du Casino de Biarritz, en face de la Grande Plage. Il est encore temps d’échapper à la canicule en réservant vos billets avec le code CONTREPOINTS15 pour obtenir une réduction de 15 % sur le prix d’entrée.

En plus de conférenciers bien connus des amateurs de cryptomonnaies comme Richard Détente de la chaine Grand Angle ou encore Alexandre Stachtchenko qu’on entend régulièrement sur BFM Crypto, vous pourrez y rencontrer plusieurs de nos auteurs : Nathalie Janson, Damien Theillier, Yorick de Mombynes, etc. Les lecteurs les plus fidèles de Contrepoints ont d’ailleurs pu apprendre ce qu’était Bitcoin grâce à un article publié en mai 2011 sous la plume de H16, et doivent se mordre les doigts de ne pas en avoir acheté à ce moment là… C’est vous dire si votre journal préféré a suivi avec la plus grande attention le développement de cette technologie monétaire aux accents radicalement libéraux.

Pour ma part j’aurai le plaisir de représenter la rédaction de Contrepoints sur la scène francophone lors d’un débat, puis sur la scène anglophone lors d’une keynote. N’hésitez pas à venir me parler si vous participez à l’événement, je suis toujours heureux de rencontrer nos fidèles lecteurs !

En attendant de sortir ma plus belle chemise à fleurs sur le toit du Casino de Biarritz, je me suis entretenu avec Jonathan Hercovici, qui dirige l’entreprise d’épargne automatique en cryptos StackinSat et a cofondé cet événement qui s’est rapidement imposé comme une référence dans le paysage des cryptomonnaies. Vous retrouverez la liste complète des intervenants ainsi que toutes les informations utiles et la billetterie sur le site de l’événement.

Pierre Schweitzer : J’ai le sentiment que les événements autour des cryptomonnaies sont très nombreux un peu partout dans le monde. Qu’est-ce que le public peut espérer trouver de différent à Surfin’ Bitcoin ?

Jonathan Herscovici : Vous avez raison, les événements autour des cryptomonnaies sont devenus plus courants étant donné l’engouement croissant pour ce domaine. Cependant, Surfin’ Bitcoin se distingue à plusieurs égards. Tout d’abord, notre conférence est profondément ancrée dans les principes fondamentaux de Bitcoin. Contrairement à d’autres événements qui peuvent s’étendre sur une multitude de cryptomonnaies, nous mettons l’accent sur le potentiel révolutionnaire de Bitcoin en tant que système monétaire et moyen de paiement.

Jonathan Herscovici

De plus, nous sommes fiers d’offrir une plateforme objective et ouverte où des discussions informées peuvent avoir lieu. Nous accueillons des intervenants variés, des chefs d’entreprises innovants aux responsables gouvernementaux, comme le député Stéphane Vojetta et le colonel Duvinage. Cela permet d’offrir une perspective complète et équilibrée, allant de la régulation à l’innovation technologique.

L’une des grandes nouveautés de cette édition est le Surfin’ Lightning Day. Nous sommes particulièrement enthousiastes à l’idée d’offrir une journée entière consacrée au Lightning Network organisé en partenariat avec Bastien Teinturier de ACINQ et Lisa Neigut de Blockstream. Cette initiative spéciale mettra en lumière les avancées récentes du Lightning Network et permettra à la communauté de découvrir son potentiel transformationnel. Nous sommes d’autant plus honorés d’accueillir parmi nous le co-créateur du Lightning Network, renforçant ainsi notre position de conférence de référence en France et en Europe sur le Bitcoin.

Enfin, Surfin’ Bitcoin est plus qu’une simple conférence. C’est un lieu de rencontre et d’échange où les participants peuvent s’attendre à renforcer leurs réseaux, découvrir des idées novatrices, et se plonger dans la culture et la philosophie du Bitcoin.

PS : Les tickets d’entrée sont plutôt chers pour ce type d’événement, pensez-vous que le public sera prêt à un tel investissement en période d’inflation ?

JH : Tout d’abord, il est important de souligner que Surfin’ Bitcoin reste l’une des conférences les plus abordables majeures sur le Bitcoin à l’échelle mondiale (Bitcoin Miami, BTC Prague, etc).

Nous nous efforçons de fournir une expérience de qualité à nos participants, avec des experts de renom, des ateliers pratiques et des opportunités de réseautage précieuses, tout en maintenant des prix accessibles.

En fait, le prix des billets pour cette année n’a pas augmenté par rapport à l’année dernière, ils sont en réalité même moins chers car il est possible d’acheter son billet en bitcoin à -21 % depuis l’ouverture de la billetterie. Alors que de notre côté, nous sommes touchés par l’inflation comparativement à l’an dernier, tous nos prestataires ont augmenté leurs prix. Nous offrons également une gamme d’options pour s’adapter à différents budgets, en prenant un billet un jour par exemple.

Je tiens également à préciser que le prix des billets contribue à couvrir les coûts d’organisation de l’événement, notamment la location de la salle, le matériel, la restauration etc. Tout cela nous permet de vous offrir une expérience enrichissante et mémorable. Je vous assure que nous nous efforçons toujours de fournir le meilleur rapport qualité-prix possible à nos participants.

PS : Quel était le cours du bitcoin en août 2022 lors de la précédente édition ? Constatez-vous une différence significative dans l’intérêt pour Surfin’ Bitcoin lorsque le cours est élevé ?

JH : Lors de notre précédente édition en août 2022, le cours du bitcoin était d’environ 21 000 dollars. Aujourd’hui, à la fin d’août 2023, nous l’observons aux alentours de 29 000 dollars. Si nous faisons une rétrospective, la dernière année a été marquée par de profondes turbulences pour le secteur crypto, particulièrement avec les faillites notoires de Terra et Celsius. Cette tendance baissière s’est accentuée avec le choc de la faillite de FTX, conduisant l’ensemble du secteur dans une phase d’attentisme. Malgré tout, le bitcoin a su montrer sa résilience, passant d’un creux de 15 000 dollars à une stabilisation autour de 30 000 dollars.

L’ambiance autour de Bitcoin influence indubitablement l’intérêt pour des événements comme Surfin’ Bitcoin. Lorsque le marché est en effervescence, l’enthousiasme est palpable, attirant un public plus vaste, allant des novices aux experts. Dans le climat actuel, plus mesuré, nous avons choisi de prioriser une approche ciblée, se concentrant moins sur le grand public et davantage sur les professionnels du secteur. Bien que le climat actuel soit plus frileux, l’engouement des professionnels du secteur demeure incontestablement solide.

Toutefois, nous anticipons déjà l’édition 2024 et envisageons un format davantage orienté vers le grand public sur un format plus important que la journée gratuite de l’édition 2022. Nous sommes optimistes quant à un potentiel retour d’une dynamique positive, et nous envisageons d’élargir notre portée pour captiver aussi bien le grand public que les experts.

Yorick serait-il un surfeur ?

PS : Bitcoin est souvent présenté comme un projet grassroots, qui se développe sans égards pour la règlementation et le système monétaire officiel, et dont les partisans revendiquent le caractère autonome, s’affranchissant des intermédiaires et tiers de confiance traditionnels. L’existence d’un écosystème autour de Bitcoin que vous entendez réunir à Biarritz n’est-elle pas un paradoxe qui contredit la philosophie cypherpunk des débuts ?

JH : Votre question soulève un point essentiel, et reflète une réflexion profonde sur la nature même de Bitcoin. En effet, Bitcoin est né d’une philosophie cypherpunk, avec une vision de décentralisation, d’autonomie et de résistance à la censure. Son essence est celle d’un mouvement grassroots, émergeant de la base.

Cependant, pour qu’une technologie ou une idée prennent racine et aient un impact significatif, elles doit souvent être adoptées à une échelle plus grande. L’émergence d’un écosystème autour de Bitcoin est en réalité une preuve de sa réussite. Cet écosystème ne contredit pas nécessairement la philosophie originelle de Bitcoin. Au contraire, il la complète, en permettant à un public plus large d’interagir, de comprendre et d’utiliser cette technologie.

Il est vrai que l’apparition d’intermédiaires et de nouvelles structures peut sembler paradoxale. Néanmoins, ces acteurs peuvent agir comme des ponts, facilitant la transition d’un système financier traditionnel vers un système Bitcoin plus décentralisé. Ils peuvent aider à surmonter les obstacles technologiques, réglementaires ou éducatifs que de nombreuses personnes pourraient rencontrer en essayant d’adopter Bitcoin par elles-mêmes.

En fin de compte, notre objectif à Surfin’ Bitcoin est de promouvoir le potentiel du bitcoin, tout en reconnaissant et en adressant les réalités pratiques de son adoption à grande échelle. C’est un équilibre délicat, mais nous croyons fermement que l’esprit cypherpunk peut coexister avec un écosystème florissant, tous deux travaillant à réaliser la vision d’un avenir financier décentralisé.

États-Unis : l’optimisme à l’égard de l’inflation pourrait être prématuré

Par Daniel Lacalle.

Les marchés anticipent une baisse rapide de l’inflation des prix et la fin de la normalisation de la politique des banques centrales.

Cependant, nous devons tenir compte de deux défis à venir.

 

Le plus important est que l’inflation des prix est cumulative et que la variation en glissement annuel entre janvier et juillet a été soutenue par l’effet de base. Lorsque le taux d’inflation de l’IPC utilisé pour la variation annuelle est élevé, même une hausse persistante des prix ressemble à une « baisse » de l’inflation. Si je prends cinq kilos une année et quatre l’année suivante, mon taux d’inflation IPC diminuera, mais je ne mincirai pas. Et les prix continuent de grimper, au détriment de l’économie et des consommateurs.

La fin de cet « effet de base » est particulièrement importante. Selon Bank of America Global Investments, si l’inflation mensuelle aux États-Unis ne reste pas inférieure à 0,2 %, la hausse des prix augmentera en 2024. Si l’IPC augmente de 0,3 % en glissement mensuel, la hausse annuelle des prix atteindra 4,6 %. En outre, si la hausse des prix en glissement mensuel est de 0,5 %, la hausse annuelle des prix atteindra 6,1 %. Même si l’IPC est de 0 % en glissement mensuel, l’inflation annuelle des prix sera de 2,5 % en 2024, ce qui est nettement supérieur à l’objectif de 2 % de la Fed.

 

Le deuxième défi est que la désinflation des produits de base, parallèlement à l’effet de base, a été l’un des principaux moteurs de la réduction du taux d’inflation annuel de l’IPC. Les hausses de taux et la normalisation monétaire ont déclenché une baisse de presque tous les produits de base sur les marchés internationaux, ramenant le pétrole, le gaz naturel, les prix des denrées alimentaires et des produits agricoles à leurs niveaux d’avant l’invasion de l’Ukraine. Cela a prouvé que l’inflation des prix est un phénomène monétaire. Toutefois, la baisse des matières premières induite par la Fed a atteint son point le plus bas en mai, et l’indice Bloomberg des matières premières a rebondi par rapport à son niveau le plus bas sur deux ans et est presque stable sur l’année. Les hausses de taux et la contraction monétaire ont ralenti, et les prix des matières premières ont rebondi alors que les fondamentaux de l’offre et de la demande sont restés inchangés.

Les salaires réels restent négatifs, ce qui se traduit par un affaiblissement du pouvoir d’achat des consommateurs. Selon le Bureau of Labor Statistics (BLS), le dernier indice du coût de l’emploi (ICE) montre un ralentissement important, et l’ICE des salaires privés au deuxième trimestre a fait chuter le taux de croissance annuel de 5,1 % à 4,6 %, son niveau le plus bas depuis deux ans. Le salaire horaire moyen en termes réels est passé de 30 dollars en 2021 à moins de 29 dollars, selon le BLS.

 

Pourquoi devons-nous rester inquiets ?

Parce que le marché est excessivement optimiste quant à la fin du problème de l’inflation des prix et que les investisseurs continuent d’acheter des actions extrêmement cycliques et à bêta élevé,

En juin, les dépenses personnelles réelles ont continué d’afficher une faible tendance (0,4 %) et le déflateur des dépenses personnelles de consommation (PCE) continue d’augmenter, de 0,2 % en juin et de 3,0 % sur l’année, sa composante de base augmentant de 0,2 % sur le mois et de 4,1 % sur l’année.

En réalité, la normalisation monétaire est loin d’être achevée. Le bilan de la Fed est passé de 17 % à 36 % du PIB et se situe actuellement à 34,5 %. Il a augmenté en juillet par rapport au niveau le plus bas atteint en mai (32,4 %).

De nombreux investisseurs pensent que nous avons vu le pire de l’explosion de l’inflation et espèrent que l’économie restera en phase d’atterrissage en douceur pendant que les banques centrales commenceront à s’assouplir, ce qui serait très haussier. Cependant, l’inflation persistante nuit à l’économie, et le pire reste à venir maintenant que l’épargne a été en grande partie consommée et que les conditions de crédit sont beaucoup plus strictes. Si l’effet de base et l’assouplissement monétaire renforcent les pressions inflationnistes, il pourrait s’avérer très risqué de parier sur une baisse des taux d’intérêt et sur l’achat d’obligations d’État par les banques centrales.

Sur le web

Pourquoi les États-Unis ont-ils perdu leur note de crédit AAA ?

Pour la deuxième fois de leur histoire, les États-Unis ont vu la note AAA de leur dette à long terme abaissée par une agence de notation.

Fitch Ratings a déclaré que l’abaissement de la note des États-Unis, qui sont désormais notés AA+, « reflète la détérioration budgétaire attendue au cours des trois prochaines années, un fardeau de la dette publique élevé et croissant, et l’érosion de la gouvernance par rapport aux pairs notés AA et AAA au cours des deux dernières décennies, qui s’est manifestée par des impasses répétées sur la limite de la dette et des résolutions de dernière minute ».

À la suite de l’abaissement de la note, le premier depuis que S&P a abaissé la note des États-Unis en 2011 au cours d’une épreuve de force similaire sur le plafond de la dette, les politiciens démocrates et les fonctionnaires de la Maison Blanche ont immédiatement attaqué les Républicains et Fitch.

Le chef de la majorité sénatoriale, Chuck Schumer (D-NY) a déclaré :

« L’abaissement de la note par Fitch montre que l’attitude irréfléchie des républicains et leur flirt avec le défaut de paiement ont des conséquences négatives pour le pays ».

De son côté, la secrétaire d’État au Trésor, Janet Yellen, a critiqué Fitch, qualifiant la décision de « défectueuse » et de « totalement injustifiée ». Karine Jean-Pierre, attachée de presse, s’est fait l’écho de la secrétaire d’État.

« Il est contraire à la réalité de dégrader la note des États-Unis à un moment où le président Biden est à l’origine de la reprise la plus forte de toutes les grandes économies du monde », a déclaré Mme Jean-Pierre. (CNN a inexplicablement attribué l’abaissement de la note au 6 janvier, alors que Fitch ne mentionne pas cet événement dans son rapport, qui s’est produit il y a deux ans et demi).

Une telle réaction ne devrait peut-être pas nous surprendre.

Pointer du doigt et blâmer les autres, c’est ce que les politiciens font le mieux. Pourtant, pointer du doigt ne changera rien à une réalité troublante : le gouvernement fédéral est confronté à une situation budgétaire difficile.

La plupart des gens ne savent probablement même pas qu’en juin, la dette nationale a atteint 32 000 milliards de dollars. Si vous trouvez cela étrange parce qu’il vous semble que c’était hier que la dette nationale s’élevait à 20 000 milliards de dollars, vous pouvez être pardonné. C’était pratiquement le cas.

C’est en 2017 que la dette nationale a atteint 20 000 milliards de dollars. Vous avez bien lu : le gouvernement américain a accumulé la somme étonnante de 12 000 milliards de dollars en six ans. Malheureusement, cette frénésie dépensière aura de graves conséquences sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants.

Le gouvernement fédéral débourse actuellement une somme sans précédent pour payer les intérêts de sa dette : 476 milliards de dollars en 2022, soit une augmentation de 35 % par rapport à l’année précédente.

Selon la fondation non partisane Peter G. Peterson, les Américains devraient dépenser 9000 milliards de dollars en intérêts sur la dette au cours de la prochaine décennie, ce qui en fait peut-être la dépense fédérale la plus importante dans les années à venir, au détriment d’autres programmes.

Les législateurs de Washington ne semblent pas conscients de la menace.

Malgré des recettes record, les dépenses fédérales continuent de dépasser les recettes fiscales à un rythme croissant. En mai 2022, le Congressional Budget Office (CBO) estimait que le gouvernement fédéral accumulerait 15 700 milliards de dollars de nouvelle dette au cours de la prochaine décennie ; cette année, le CBO a ajusté ce chiffre à 19 000 milliards de dollars, en grande partie à cause des changements législatifs.

Cela ne veut pas dire que le drame du plafond de la dette n’a pas joué un rôle dans l’abaissement de la note de Fitch ; c’est clairement le cas. Ce que les partisans oublient de dire, c’est que l’impasse découle des autres causes auxquelles Fitch a fait allusion dans sa révision à la baisse : « la détérioration fiscale attendue » du gouvernement fédéral et « le fardeau croissant de la dette des administrations publiques ».

Il s’agit là de menaces sérieuses et, au lieu de pointer du doigt Fitch et les Républicains, la Maison Blanche et M. Schumer devraient s’en préoccuper. Au lieu de cela, les Démocrates réclament l’annulation de la dette étudiante, un système d’assurance-maladie pour tous et un Pentagone plus gros.

Il y a là une déconnexion troublante avec la réalité. Ce n’est pas sans rappeler ceux qui insistent sur le fait que l’inflation historique qui a débuté en 2021 est due à la « cupidité des entreprises », et non aux milliers de milliards de dollars que la Réserve fédérale a imprimés pour inonder l’économie de monnaie.

L’administration Biden n’est bien sûr pas la seule responsable de cette dette. Mais il est temps que les dirigeants fassent preuve d’honnêteté au sujet de cette imprudence fiscale, dont l’histoire montre qu’elle est plus difficile à corriger qu’il n’y paraît en raison des incitations perverses et de la corruption qu’elle engendre.

Les pères fondateurs de l’Amérique ont mis en garde contre ces dangers. James Madison a qualifié la dette publique de « malédiction publique et, dans un gouvernement républicain, de malédiction plus grande que toute autre ». Benjamin Franklin l’a qualifiée de menace pour la liberté.

Pour conserver notre indépendance, « nous ne devons pas laisser nos gouvernants nous charger de dettes perpétuelles », a averti Thomas Jefferson.

Les gens, en particulier les dirigeants de Washington, n’ont pas tenu compte de ces avertissements. Malheureusement, ce sont les générations de demain qui paieront si nous ne tirons pas les leçons de nos erreurs.

Sur le web

Comprendre la « dette fantôme » : 5 questions à Bob Lyddon

Bob Lyddon est un professionnel chevronné de l’industrie bancaire et financière, actif depuis les années 1980.

Désormais consultant dans cette même industrie, son dernier ouvrage intitulé The shadow liabilities of EU Member States and the threat they pose to global financial stability est un avertissement sérieux pour nos sociétés incapables de maîtriser leurs dépenses publiques.

En effet, si la trajectoire actuelle n’était déjà pas tenable indéfiniment, un regard plus attentif sur la structure et l’ampleur des dettes publiques aboutit à un constat terrifiant : ce que nous comptabilisons actuellement comme dette publique ignore une partie significative de notre passif réel. Suite à sa conférence donnée à Aix-en-Provence dans le cadre de l’Université d’été IES-IREF (dont Contrepoints était partenaire) nous avons pu discuter avec M. Lyddon pour prendre la mesure du problème qu’il pense avoir identifié.

 

Contrepoints : Qu’est-ce que la « dette fantôme » et comment la France se situe-t-elle par rapport à ses voisins dans ce domaine ?

Bob Lyddon : Une dette fantôme est une partie du « passif fantôme » des États membres de l’Union européenne qui n’est pas incluse par Eurostat dans sa définition de la dette brute des administrations publiques (DBAP). La dette brute des administrations publiques correspond aux dettes directes du gouvernement d’un État membre, de ses agences publiques et des autorités régionales et municipales.

La DBAP est l’indicateur retenu pour le calcul du ratio dette/PIB d’un pays et de sa conformité avec le pacte de stabilité et de croissance et le traité de stabilité fiscale1.

Le DBAP ne tient pas compte de ce qui se trouve hors du champ de vision immédiat :

Premièrement, les dettes et les risques créés par des entités telles que l’Union européenne elle-même, la Banque européenne d’investissement et la Banque centrale européenne.

Deuxièmement, les dettes des entreprises assurant les services publics de transport, d’électricité, d’eau et de gaz2 mais aussi les banques centrales nationales, ainsi que les risques créés par des mécanismes de financement tels que InvestEU et le Fonds européen de garantie.

Les dettes comprennent des éléments tels que les dettes de l’UE elle-même, et les engagements des banques centrales nationales de la zone euro dans le système de paiement TARGET2.

Les risques comprennent l’obligation de verser des capitaux supplémentaires au Mécanisme européen de stabilité.

Ces deux types de « passif fantôme » relèvent bel et bien – au bout du compte – de la responsabilité du contribuable.

À la fin de l’année 2021, la dette publique brute de la France s’élevait à 2800 milliards d’euros, tandis que ses dettes fantômes s’élevaient à 900 milliards d’euros, et ses engagements éventuels (ou passif conditionnel)3 à 800 milliards d’euros, soit un total de 4500 milliards d’euros.

La situation des autres grands pays européens est résumée dans le tableau suivant :

Dette publique en milliards d’euros, y inclus dette fantôme et autres engagements financiers informels

Quand est-elle susceptible d’être reconnue par les autorités ?

BL : Jamais, si elles peuvent l’éviter. Elles expliquent que les dettes massives du système de paiement TARGET2 ne sont que des écritures comptables qui ne reflètent pas les dettes réelles et que, de toute façon, les dettes résident dans le système européen de banques centrales. Elles poursuivent en expliquant que les euros détenus par les banques centrales ne présentent aucun risque puisqu’il s’agit de « monnaie de banque centrale », et que cela n’a donc pas d’importance.

Ces deux explications se contredisent : la première prétend que le problème n’existe pas, tandis que la seconde admet que le problème existe mais prétend qu’il n’a pas d’importance.

Il existe bien un problème, car juridiquement l’euro est ainsi structuré qu’il n’y a pas de véritable « monnaie de banque centrale » en euro, comme c’est le cas en livre ou en dollar : un dépôt auprès de la Bundesbank ne comporte pas le même risque qu’un dépôt auprès de la Banca d’Italia. Savoir dans quelle banque centrale membre du système vous déposez votre argent a son importance.

Les investisseurs privés (en particulier dans les obligations souveraines) ignorent-ils ce problème ? Ne serait-il pas dans leur intérêt de le prendre en compte pour l’intégrer précisément au prix des obligations qu’ils achètent ?

BL : Je crois comprendre qu’ils sont conscients du problème et qu’ils souhaiteraient qu’il n’existe pas. Ils continuent d’accepter, dans leur comportement, les explications des autorités européennes (qui sont intéressées) et des agences publiques de notation du crédit (qui sont contraintes de se ranger à l’avis des autorités européennes parce qu’elles sont agréées par elles, et que leurs revenus dépendent de l’approbation des autorités européennes).

Étant donné que le système européen de banques centrales possède et contrôle (en tant que garantie détenue auprès de lui) une grande partie de l’offre d’obligations – ce qui lui confère à la fois un énorme pouvoir de marché et la visibilité de qui possède quelles obligations – et qu’il existe des restrictions légales contre la vente à découvert de ces obligations, il n’est pas viable d’adopter et de maintenir une position opposée à celle des autorités4. Le marché obligataire en euro n’est pas un marché libre, mais tend vers un monopsone – un marché où il n’y a qu’un seul véritable acheteur, bien qu’il accède au marché par l’intermédiaire de différents membres du Système européen de banques centrales. Cet acheteur unique peut également faire appel à d’autres institutions européennes telles que la BEI et le MES pour agir de concert avec elles.

Il y a donc une ambivalence majeure : les investisseurs négocient avec un côté de leur tête tout en essayant de repousser les informations dont ils disposent de l’autre côté de leur tête.

Pris isolément, un investisseur pourra toujours faire remarquer que tout le monde fait la même chose que lui, et que les agences de notation publiques dégraderaient la note des États membres et des institutions européennes si quelque chose n’allait pas.

La menace de Standard and Poor’s de rétrograder la France à AA- aurait pu être un signal d’alarme, mais S&P a déclaré que les dettes de la France bénéficiaient du « soutien implicite » de l’Allemagne, ce qui est précisément la ligne adoptée par les autorités.

 

Comment les investisseurs individuels peuvent-ils maintenir leur portefeuille à l’abri de cette énorme bombe à retardement ?

BL : C’est vraiment difficile pour les investisseurs au sein de l’UE, et pire encore pour ceux de la zone euro. Ils sont généralement obligés par la réglementation de détenir d’importants portefeuilles d' »actifs liquides de haute qualité », mais beaucoup moins s’ils détiennent des obligations du secteur public : les autorités européennes ont fixé les règles de manière intéressée pour créer un acheteur réticent, contraint d’orienter ses décisions d’achat dans le sens souhaité par les autorités européennes, et  financièrement incité à le faire puisqu’on l’autorise à détenir un plus petit portefeuille d’obligations pour peu qu’il achète « les bonnes »…

Les investisseurs hors UE peuvent avoir une plus grande marge de manœuvre, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Si les choses tournent mal, cela affectera toutes les catégories d’actifs libellés en euro, comme les actions, les obligations titrisées, ou l’immobilier. Doivent-ils dès lors éviter tous les actifs libellés en euro ou dans les monnaies des États membres de l’UE ? Ce serait une décision très lourde.

Il n’y a pas de réponse facile lorsqu’on parle de la monnaie utilisée par un bloc aussi important de l’économie mondiale, et que ses partisans sont invités à s’asseoir à la même table que ceux qui représentent de véritables monnaies souveraines comme le dollar, le yen, la livre et le franc suisse. Il faudrait un courage considérable pour décider d’adopter un point de vue différent de celui de tous ces banquiers centraux, gouvernements et agences de notation ; autant dire que c’est une ligne de conduite qui n’est envisageable que pour une infime minorité.

 

L’euro tiendra-t-il lorsque les dominos tomberont, et que l’on demandera à l’Allemagne de payer la facture ?

BL : Nous  touchons ici à la raison pour laquelle S&P n’a pas rétrogradé la France à AA- : le « soutien implicite » de l’Allemagne à la capacité de la France à honorer ses engagements. C’est une humiliation pour la France, n’est-ce pas ? S’appuyer sur le pays qui l’a envahie trois fois au cours des 150 dernières années ? Qu’en est-il de la dignité de l’État français ? Quelle bande d’énarques mous en est à l’origine ? Est-ce que c’était ça la philosophie derrière la création de l’UE et de l’euro ? Non, ces institutions devaient permettre de retrouver la puissance.

En ce qui concerne le soutien « implicite », lisez « douteux » : l’Allemagne n’est pas légalement tenue de payer les dettes de la France en plus des siennes. Ce sont des considérations politiques qui, soi-disant, l’y obligeraient. Mais qu’en est-il vraiment ? Même si elle le voulait, l’Allemagne dispose-t-elle des ressources nécessaires ? Est-elle prête à payer plus de 9000 milliards d’euros en tout, ou même 20 000 milliards d’euros si elle « soutient implicitement » toutes les dettes des États membres de la zone euro, dettes officielles et dettes fantômes, ainsi que les engagements financiers incontournables mais qui n’ont pas d’existence comptable ? Cela représenterait plus de cinq ou six fois la taille de son économie. Même la dette de la Grèce ne représente que 193 % de la taille de son économie, ce qui lui vaut d’être notée BB+ par Standard and Poor’s (la note réservée à un investissement spéculatif avec un risque de perte substantiel).

Si l’Allemagne était responsable d’un tel volume de dettes, sa cote de crédit devrait être plus proche du niveau CCC- , soit de l’actif pourri avec un risque de perte très élevé.

C’est là que le bât blesse. L’Allemagne bénéficie d’une note AAA parce que les agences de notation la considèrent isolément dans un premier temps et, dans un second temps, elles tiennent compte du soutien implicite de l’Allemagne pour justifier le maintien de notes gonflées pour les autres États membres de la zone euro, sans ajouter les dettes de ces États membres à celles de l’Allemagne, et sans ajuster la note de l’Allemagne à la baisse.

La réponse des bureaucrates à la chute des dominos sera d’essayer de faire passer ce qu’ils ont toujours voulu : la fusion politique de l’ensemble de l’UE en une seule entité utilisant l’euro, avec un système fiscal unifié, et chaque citoyen étant également responsable de toutes les dettes et de tous les engagements publics de tous les autres pays. L’euro deviendrait alors ce qu’il n’est pas aujourd’hui, une véritable monnaie avec sa propre « monnaie de banque centrale ».

Les réserves d’or de l’Allemagne seraient déplacées à Francfort pour devenir la propriété de la BCE, c’est-à-dire la propriété de tous les citoyens de l’UE.

Pensez-vous que cela puisse se produire sans violence populaire ? Peut-être même une véritable guerre civile, au cours de laquelle quelques milliers de bureaucrates essaieraient d’amener la police et l’armée allemandes à sévir contre leurs 80 millions de citoyens ? Le risque n’est pas seulement l’éclatement de l’euro, mais un effondrement complet de la société dans les États membres de l’UE, auxquels les institutions européennes sont trop faibles pour résister, car elles sont une créature des États membres. Il reviendra rapidement aux États membres de décider de la direction à prendre, ce qui entraînera automatiquement la fin de la Commission européenne en tant qu’autorité suprême, la fin de la Cour de justice européenne en tant qu’organe suprême d’arbitrage, la fin de la pertinence du Parlement européen et ainsi de suite. Dans ce cas, qui aura encore besoin de l’euro ?

 

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Pierre Schweitzer pour Contrepoints. Retrouvez l’ensemble des travaux de Bob Lyddon sur le site de Lyddon Consulting. 

  1. La fameuse limite de 3 % du PIB pour le déficit annuel, et de 60 % du PIB pour la dette, rarement respectée par la France, au demeurant, NDJ
  2. Il est généralement admis que ces dettes bénéficient de la garantie implicite de l’État en cas de difficulté de remboursement ou de faillite, par exemple avec l’outil de la nationalisation ou de la re-nationalisation qui s’effectue avec l’argent du contribuable.
  3. On entend par là les dépenses supplémentaires qu’on peut anticiper, bien qu’elles n’existent pas sous forme de titre de créance. On pense par exemple aux dépenses futures pour les pensions de retraites dont la démographie nous donne déjà une bonne estimation.
  4. Une autre version de cet argument est résumée dans la maxime qu’on entend souvent à Wall Street : « Don’t fight the FED ! »

Retraites en France : le refus de la capitalisation, bref historique

Le poids des retraites risque d’aller croissant du fait du vieillissement de la population.

Les rapports du Conseil d’orientation des retraites ne sont pas alarmistes, mais leur objectivité est contestée par de nombreux spécialistes.

Pour l’avenir, le choix du système reste le plus fondamental : répartition ou capitalisation. Rappelons que dans un système par répartition, les cotisations des actifs payent les retraites actuelles. Le système est fondé sur une solidarité gérée politiquement par ajustement des deux flux financiers. Un système par capitalisation résulte de l’épargne des actifs. L’épargne accumulée par chaque actif lui assure une rente au moment de sa retraite. Le droit de propriété sur un capital est à la base du système. Le risque de dépréciation du capital est supporté par les épargnants.

Un examen historique fait apparaître une réalité : la France a parfois tenté la capitalisation, mais est toujours revenue à la répartition. La capitalisation est cependant présente aujourd’hui, mais discrètement.

 

Problématique historique des retraites

Lorsque l’espérance de vie était très faible, le problème des retraites ne se posait pas vraiment.

Selon l’INED, l’espérance de vie en France à la naissance ne dépassait pas 25 ans au milieu du XVIIe siècle. Elle n’était encore que de 45 ans en 1900. La mortalité infantile, très élevée jusqu’au XVIIIe siècle, a commencé à diminuer au XIXe siècle, ce qui explique cette évolution. Mais les chances de vivre au-delà de 60 ans restaient faibles.

Durant les siècles passés, les plus de 60 ans ne représentaient même pas 10 % de la population française. Selon l’INSEE, ils n’étaient encore que 12,7 % en 1901. Les chances d’atteindre cet âge étaient beaucoup plus élevées dans les couches sociales les plus favorisées, et très faibles chez les pauvres, qui ne disposaient pas d’une alimentation suffisante. La question des retraites ne se posait pas, car il était inenvisageable de prévoir des ressources pour sa vieillesse lorsque les chances de l’atteindre étaient dérisoires. La famille avait la charge des rares personnes survivant un peu trop longtemps…

Au XXe siècle, tout change avec l’élévation du niveau de vie et les gigantesques progrès de la médecine. En 2016, les plus de 60 ans représentaient 25 % de la population française. Les projections de l’INSEE conduisent à un chiffre de 32 % en 2050.

La question des retraites se pose alors pour deux raisons principales.

  1. Le niveau de vie dans un pays riche permet le financement
  2. Les très nombreux retraités représentent, par leur vote, une force politique, car ils s’abstiennent peu.

 

Les premières caisses de retraite au XIXe siècle

Les premiers systèmes de retraite concernent les salariés de l’État. On cite toujours La Caisse des Invalides de la Marine Royale créée par Colbert en 1673, mais il s’agissait en réalité d’un système d’assistance réservé aux marins du roi.

Selon Pierre-Cyrille Hautcoeur et Françoise Le Quéré, c’est en 1790 qu’une loi institue un droit à pension pour les fonctionnaires de l’État. Elle ne sera pas appliquée, mais débouchera sur une retenue sur les traitements, alimentant un fonds de réserve destiné à payer les pensions. Le principe est donc la capitalisation. La cotisation de 1 % se révélant insuffisante, elle augmente progressivement jusqu’à 5 %. Mais cela ne suffit toujours pas, et une subvention de l’État devient nécessaire pour équilibrer le système. À partir de 1853, le système fonctionne par répartition.

Pourtant, dès 1850, l’État avait créé un système facultatif par capitalisation. La Caisse des retraites pour la vieillesse (CRV) était alimentée par des cotisations volontaires des salariés de l’administration et des grandes entreprises. Les fonds étaient gérés par la Caisse des dépôts et consignations qui les plaçait en rentes de l’État (les États ont toujours été des emprunteurs). En 1914, la CRV verse 350 000 pensions, mais les montants sont faibles : 200 francs par an, alors qu’on estime qu’il fallait 300 à 400 francs pour vivre. Par ailleurs, la CRV attire plutôt la petite bourgeoisie (commerçants, artisans, cadres, fonctionnaires), mais ne touche pas les milieux populaires.

Des initiatives apparaissent aussi dans le secteur privé. Au XIXe siècle, des caisses de retraite sont créées dans les compagnies de chemin de fer. Le fonctionnement, spécifique à chaque compagnie, comporte à la fois de la capitalisation et de la répartition. De même les banques, les compagnies d’assurance et certaines grandes entreprises versent une retraite à leurs salariés, mais sans constitution d’un fonds spécifique. Les versements dépendent de la situation financière de l’entreprise.

 

Le XXe siècle : de la capitalisation à la répartition

Au XXe siècle, la préoccupation générale de subvenir aux besoins des personnes âgées se développe progressivement.

Une loi du 5 avril 1910 crée un système de retraites ouvrières et paysannes par capitalisation. Des cotisations patronales et ouvrières abondées par un versement de l’État sont prévues. Mais un arrêt de la Cour de cassation supprime l’obligation de cotiser. Dès lors, seule une minorité de la population visée continuera à cotiser : 2,7 millions de cotisants en 1912 sur 10 millions de personnes concernées. Le résultat ne se fait pas attendre : le système évolue vers la répartition. Le faible nombre de cotisants ne permettait plus d’assurer le versement des retraites, d’autant que la dépréciation des capitaux due à l’inflation pendant la guerre de 1914-1918 avait été considérable.

Une loi du 5 avril 1928 crée un régime obligatoire de retraite pour les salariés de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, soit environ 10 millions de personnes en 1930. Le financement relève principalement de la capitalisation. Les cotisations (5 % du salaire à la charge du salarié, et 5 % à la charge de l’employeur) ne permettront pas de verser des retraites assurant un niveau de vie correct. Par ailleurs, les très nombreux indépendants de l’artisanat et du commerce n’étaient pas concernés et tombaient dans la pauvreté s’ils avaient été imprévoyants pendant leur vie active.

L’ordonnance du 19 octobre 1945 instaurant la Sécurité sociale crée un régime général de retraites par répartition pour les salariés du secteur privé.

Le régime est géré paritairement par les organisations d’employeurs et les syndicats de salariés, sous la tutelle de l’État. Ce système général par répartition est un choix atypique dans les pays occidentaux où répartition et capitalisation coexistent presque toujours. L’approche socio-économique sous-jacente a une coloration à la fois keynésienne (maintenir le niveau de vie des retraités pour soutenir la demande) et marxisante (le salariat devait à terme supplanter le travail indépendant). Ce régime est encore en vigueur mais a fait l’objet d’une quantité phénoménale de réformes afin de tenter d’assurer son équilibre financier, précarisé par le vieillissement de la population, et l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans en 1982.

Les travailleurs salariés ou indépendants non soumis au régime général relèvent d’une multitude d’autres régimes. On en dénombre 42 qui fonctionnent en général par répartition, exceptionnellement par capitalisation : fonctionnaires, travailleurs indépendants, travailleurs agricoles, SNCF, RATP, Banque de France, avocats, médecins, etc.

 

La discrète capitalisation actuelle

La France a donc choisi la retraite par répartition, laissant une place marginale à la capitalisation à titre de complément.

Citons un exemple très paradoxal de capitalisation : la Retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP). Il s’agit d’un régime obligatoire par capitalisation assurant aux fonctionnaires (État et autres employeurs publics) le versement d’une rente ou d’un capital au moment de la retraite. Les cotisations sont de 10 % du salaire : 5 % à la charge du fonctionnaire, 5 % à la charge de l’employeur. Le régime comporte 4,5 millions de cotisants pour un actif net de 38,2 milliards d’euros en 2022, placé essentiellement en obligations françaises et étrangères.

Le conseil d’administration du régime comporte huit représentants syndicaux, huit représentants des employeurs, et trois personnalités qualifiées. Les syndicats les plus anticapitalistes, par exemple la CGT, siègent au conseil d’administration !

La capitalisation est donc présente au cœur même de l’État, mais à bas bruit. Plus généralement, il n’est pas absurde de considérer le régime juridique de l’assurance vie comme un substitut accessible à la classe moyenne de la retraite par capitalisation. Le montant des placements en assurance vie s’élevait à 1885 milliards d’euros en 2022 selon la Banque de France.

 

L’addiction étatique française

La conclusion paraît assez évidente.

Les Français rejettent politiquement la capitalisation, mais l’utilisent en pratique aussi discrètement que possible.

Pourquoi ? Très sommairement, deux points peuvent être signalés.

Premièrement, les Français adorent les polémiques politiques. L’opposition entre répartition et capitalisation rejoint si parfaitement l’opposition gauche-droite qu’il n’était pas possible pour les politiciens de se priver d’un tel joyau. Dans le récit politicien dominant, la gauche généreuse défend la solidarité par la redistribution, et la droite égoïste l’individualisme par la capitalisation. Ce manichéisme puéril est utilisé par la gauche depuis plus d’un siècle.

Le second élément, plus profond, résulte de la construction de la nation française. En France, c’est l’État qui a bâti la nation, et non la société qui a pris acte de la nécessité de l’État comme en Angleterre. Les Français considèrent que l’État tutélaire doit leur fournir un cadre de vie de la naissance au tombeau. Santé, retraite, éducation, chômage, niveau de vie sont dans l’esprit français des domaines d’intervention nécessaire de l’État. Il ne faudrait pas qu’un politicien vienne suggérer à ses électeurs que leur retraite, c’est d’abord leur problème, et qu’ils peuvent s’organiser librement par capitalisation ou répartition. Il commettrait un péché mortel et ne s’en remettrait pas.

La nounou État a donc encore de beaux jours devant elle au pays de Molière, génie de la comédie que Louis XIV, un pilier de l’édification de l’État, avait adoubé pour le distraire.

Quand la Cour des comptes s’inspire de la république de Venise

Par Simon Choisy.
Un article de l’IREF

 

La bouche de la vérité (bocca della verita), aussi appelée « bocca del leone » (bouche de lion), compte parmi les curiosités du palais des Doges de Venise.

Il s’agit d’une boîte aux lettres destinée, du temps de la république de Venise, à recevoir les dénonciations. Associés à tort à des délations anonymes, ces mémoires devaient être signés et circonstanciés. Ils faisaient ensuite l’objet d’enquêtes, notamment pour des actes constitutifs de mauvais usage des deniers publics, de concussion, etc. réprimés avec sévérité.

Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a-t-il trouvé à Venise son inspiration pour engager la Cour des comptes, il y a un an, à collecter sur son site internet des signalements pour des politiques publiques justifiant d’être portées à l’attention des magistrats de la rue Cambon ? Dans la novlangue de l’administration, il s’agissait « de s’ouvrir davantage à la société et d’être plus en prise avec l’actualité ».

Les sycophantes en quête de rémunération pour leur signalement n’y ont pas leur place. Contrairement aux aviseurs – joli mot pour désigner les délateurs – fiscaux et douaniers, les citoyens ne sont rétribués qu’au travers de la promesse de moindres impôts. Du moins peuvent-ils l’espérer.

L’objectif était louable sinon nécessaire. On pourrait même déplorer que la Cour des comptes ait autant tardé à mettre en place un tel dispositif permettant de signaler « des irrégularités et des dysfonctionnements constatés dans la gestion ». Au besoin, elle gagnerait à lire les bulletins de l’IREF…

Dans son rapport d’activité pour 2022, la Cour des comptes se réjouit d’avoir ainsi collecté 451 signalements pour les quatre premiers mois d’activité.

Pourtant, ce chiffre est dénué de signification si les magistrats ne rendent pas compte des suites données aux signalements reçus.

Le site internet est muet sur ce chapitre.

Combien de procédures engagées ? Pour quelles politiques publiques ? Quelles sanctions ? La Cour des comptes excelle en production de rapports. Elle critique par essence, mais sanctionne bien peu, et tout aussi timidement si l’on se réfère aux jugements de sa Cour de discipline budgétaire et financière, au nombre famélique et aux sanctions dérisoires. Signe des temps, ladite Cour de discipline budgétaire et financière vient d’être supprimée.

L’administration pratique le name and shame (retards de paiement, parité, discriminations diverses) pour la sphère privée, mais elle s’abstient de commentaires ad hominem pour les défaillances de ses agents, y compris les manquements à la probité. Quant aux approches comparatives conduisant à comparer la performance des services publics pour l’usager contribuable (en qualité, en coûts, en délais), l’administration s’y refuse et bloque les palmarès comme celui du journal Le Point concernant les hôpitaux. On attend, sans doute vainement, que la Cour des comptes s’engage dans des approches comparatives, entre les services publics, entre les approches françaises et les meilleures pratiques internationales.

Souhaitons à l’occasion du premier anniversaire de cette procédure, le 6 septembre prochain, un bilan complet et intransigeant.

La Cour des comptes le doit aux Français, ne serait-ce qu’au titre de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui, rappelons-le, reconnaît à « la Société le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Demandons à la Cour des comptes de donner de la substance à une disposition qui a valeur constitutionnelle. Les contributeurs à la plateforme de signalement seront, dans le cas contraire, vite découragés.

À moins bien sûr qu’il ne s’agissait dans l’esprit de l’ancien ministre des Finances de François Hollande, que d’un coup de communication…

Sur le web

Ministre du Logement : l’immobilier en crise veut un sauveteur

Les tribunes de journaux plaident la cause de l’immobilier après un début de crise dans le secteur.

Le gouvernement vient de changer de ministre du Logement, avec l’installation au poste du maire de Dunkerque, Patrice Vergiete.

Capital publie une tribune en faveur du maire :

« Que le président de la République laisse travailler Patrice Vergriete ».

Il affirme que « tout porte à croire que l’actuel titulaire du portefeuille du logement est l’homme de la situation, de la très difficile situation que vit le secteur aujourd’hui, entre crise structurelle et dérèglements conjoncturels. »

Les auteurs d’une tribune pour Les Échos appellent le ministre à une détente des normes sur le secteur.

Ils rappellent :

« L’interdiction de vendre, de louer, voire d’occuper des logements classés de E à F à l’horizon 2035 conduit au déclassement potentiel de plus de 7 millions de logements sur un parc de 33 millions, sauf à entreprendre de coûteux travaux. »

D’autres lois ajoutent des coûts aux propriétaires et investisseurs, écrivent-ils :

« La mise aux normes de nombreux locaux, ainsi que la création de nouvelles surfaces d’habitation par transformation de combles d’immeubles ou de surfaces précédemment utilisées par le secteur tertiaire se révèlent désormais impossibles. La norme zéro artificialisation des sols limite et renchérit drastiquement le foncier. »

Néanmoins, la simplification ou l’élimination de normes ne suffit sans doute pas pour relancer l’activité dans le secteur.

En effet, le secteur subit à présent la perte de la manne des crédits de plus en plus faciles (en raison de la baisse des taux d’intérêt), dont il bénéficie depuis plus de deux décennies.

Ce graphique montre l’effet de l’accès au crédit sur le marché immobilier. Vous voyez qu’en termes des revenus moyens des Français, les prix des logements entament une hausse à partir de l’an 2000 environ. L’accès au crédit fournit aux ménages un moyen de payer des prix plus élevés, sans gagner davantage d’argent.

Comme vous le voyez sur le graphique, par rapport à l’an 2000, les prix à Paris ont grimpé 2,23 fois plus rapidement que les revenus moyens des ménages. En Île-de-France, ils ont grimpé 1,85 fois plus rapidement. En France dans l’ensemble, ils ont augmenté 1,75 fois plus vite.

À présent, face à l’affaissement de la production de crédits, les prix reviennent un peu plus vers la norme.

L’écrasement du marché de l’immobilier ramène les prix en ligne avec le pouvoir d’achat des citoyens.

Ils restent néanmoins proches des records.

Pour l’instant, le secteur demande une réforme des lois – paperasse, normes, et taxation.

Cependant, la débâcle du secteur pourrait fournir un prétexte au regonflement de la bulle des crédits, dès les prochains mois.

 

Début de regonflement au Japon

Le yen japonais baisse cette semaine après un rebond face au dollar en juillet. La raison à la rechute provient de la politique de la Banque du Japon. Elle illustre l’ambiguïté des autorités sur l’inflation. Au Japon, comme en France, elles prétendent combattre les hausses de prix.

Cette semaine, cependant, les autorités au Japon surprennent les marchés : à la place d’un resserrement, elles font des injections d’argent !

En conséquence, le yen repart à la baisse, après un début de remontée en juillet.

Le Figaro offre des détails :

« Lundi matin […] la BoJ a annoncé une opération d’achat de JGB de maturité cinq à dix ans pour 300 milliards de yens (1,9 milliard d’euros) aux taux du marché. »

Voyez, la hausse des prix au Japon dépasse de loin l’objectif des 2 % depuis plus d’un an. L’évolution de l’indice atteint 3,3 % en ce moment.

Néanmoins, tout comme en zone euro, les autorités de la Banque du Japon subissent la pression de maintenir l’accès à l’argent facile. En plus des dirigeants, beaucoup d’investisseurs tirent des bénéfices de la politique d’assouplissement, en dépit des effets sur la devise.

L’intervention cette semaine fait grimper la valeur des actions japonaises.

 

Les autorités en France subissent les mêmes types de pressions. La panique sur les prix en supermarché, et dans l’énergie incitent la banque centrale à l’action.

Néanmoins, le resserrement des taux fait des perdants, dont les promoteurs et constructeurs d’immobilier, par exemple.

La directrice de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, évoque déjà une pause en vue lors de la réunion du comité de septembre.

Face à la débâcle dans l’immobilier, les tribunes vont réclamer non seulement l’élimination de normes, mais des aides à l’achat ou l’octroi de crédits.

Les prix de la pierre vont prendre leur hausse, tandis que le déclin de l’euro tire les revenus des Français vers le bas.

 

 

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PIB français : derrière une bonne nouvelle, se cache une situation préoccupante

Par Benoît Perrin1.

Le 28 juillet dernier, l’INSEE a publié les chiffres de la croissance française sur le deuxième trimestre 2023. À la grande surprise des observateurs, tablant sur une croissance d’environ 0,1 %, notre institut national des statistiques a dévoilé une croissance de 0,5 % de notre PIB.

Explications

La romancière Amélie Nothomb publie en 1999 un roman récompensé par le grand prix du roman de l’Académie française. Dans son ouvrage, elle décrit le fonctionnement très hiérarchique des entreprises japonaises et le manque de liberté laissé aux employés. Son titre Stupeur et Tremblements fait référence à l’attitude que doivent manifester les Japonais devant l’empereur. Si le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire est tenté de nous imposer le même protocole, il devra inverser son ordre : tremblements puis stupeur.

En effet, c’est un monde économique tout tremblant qui attendait vendredi dernier le taux de croissance des mois d’avril, mai et juin 2023. Ce dernier était de 0,1 % pour le premier trimestre, et rien ne laissait présager un résultat supérieur, tant les données économiques françaises ne sont guère rassurantes. Rappelons d’ailleurs que le gouvernement reste très optimiste et prévoit une croissance en 2023 de 1 %, projection bien supérieure à celles, plus raisonnables, de la Banque de France (0,7 %) et de l’INSEE (0,6 %).

Stupeur : le 28 juillet dernier, à l’annonce du chiffre fourni par l’INSEE, soit 0,5 % ! Excellent dans son rôle, Bruno Le Maire a immédiatement réagi en qualifiant la croissance de « performance remarquable » pour l’économie française. De quoi se réjouir ? Malheureusement non, si l’on examine en détail ce que traduit cette croissance de notre PIB.

Schématiquement, le PIB résulte de l’addition de la somme des demandes :

  • consommation des ménages,
  • investissement des entreprises et des particuliers dans le logement,
  • consommation de l’État,
  • exportations moins les importations.

 

Si l’on regroupe ces données en deux catégories, on distingue la demande extérieure de la demande intérieure.

Et c’est là que le bât blesse : ce résultat remarquable (+0,5 % de croissance au deuxième trimestre 2023) est en réalité principalement boosté par nos exportations (+ 2,6 %), c’est-à-dire nos produits fabriqués en France, mais consommés à l’étranger. Avec la prudence qu’on lui connait, l’INSEE précise que « la demande intérieure finale (hors stocks) contribue de nouveau négativement à la croissance (-0,1 point au deuxième trimestre 2023, comme au trimestre précédent), du fait de la baisse de la consommation des ménages (-0,4 %) ».

 

Dire la vérité aux Français

Traduction : hors commerce extérieur, nous sommes donc purement et simplement en récession !

Nos gouvernants doivent dire la vérité aux Français : l’économie française va mal. Sans réformes profondes, notamment baisser drastiquement les dépenses publiques, les Français vont poursuivre leur longue agonie. Rappelons à nos lecteurs qu’un indicateur pertinent pour mesurer la croissance économique d’un pays, mais aussi le niveau de vie de ses habitants est le PIB par habitant.

Selon le FMI, la France se classe 25e rang au dernier classement 2023 (elle était 13e en 1980). Il faut agir vite monsieur le ministre. L’heure du déclassement français doit prendre fin.

  1. Benoît Perrin est Directeur de Contribuables Associés

Loi Sapin 2 : c’est maintenant qu’il faut vous inquiéter pour votre assurance-vie (et vos SCPI)

Cela fait maintenant sept années que vous entendez parler de la loi Sapin 2, et de ses impacts sur votre assurance-vie.

Contrepoints avertissait ainsi dès le vote de la loi en 2016, sous la plume de l’économiste Jean-Pierre Chevalier et bien d’autres auteurs. Après plusieurs années de menace théorique, celle-ci devient maintenant une menace réelle, possiblement à court terme.

 

La loi Sapin 2

Mais déjà que dit cette loi Sapin 2 ?

L’avocat Gildas Robert le résume ainsi :

« Si le Haut Conseil pour la stabilité financière considère que l’on est dans une situation exceptionnelle, qu’il faut protéger l’économie et le bilan des assureurs, il peut activer un mécanisme de blocage des retraits de 3 à 6 mois. Cela empêcherait tout le monde de récupérer son argent tout de suite. »

La loi Sapin 2 permet donc de vous empêcher d’avoir accès à votre argent pendant une période de plusieurs mois. Rien de positif pour un épargnant, surtout dans ces moments de crise où elle peut être appliquée, où on ne veut qu’une chose, récupérer son argent au plus vite.

Comme l’essentiel des lois (soyons optimistes), elle part d’une bonne intention, pour gérer un risque réel, celui du bank run. Ou plus exactement ici, de l’insurance run : en cas de perturbation sur les marchés financiers, les retraits massifs par les épargnants des fonds qu’ils ont déposé dans des banques ou chez des assureurs peuvent créer un effet auto-réalisateur dévastateur pour les banques et les assureurs. C’est, dans l’essence, ce qui a accéléré la faillite de Silicon Valley Bank en mars 2023.

Appliqué à l’assurance-vie, des retraits trop rapides pourraient obliger à vendre en catastrophe des actifs, en les bradant. Empêcher temporairement les épargnants de reprendre leur argent, c’est un moyen d’offrir aux banques et assurances le temps nécessaire pour stabiliser les choses, vendre les actifs, etc.

Pourquoi serait-on contre des mesures qui permettent alors de sécuriser tout le monde et de lutter contre cette supposée défaillance du marché ? On vous l’explique à la fin, mais attention, le danger du blocage lui est pour tout de suite.

 

2023 ou 2024, années de l’activation de Sapin 2 ?

Depuis maintenant un an exactement, la BCE a commencé à remonter significativement ses taux d’intérêt, et elle les a remonté sept fois depuis lors !

C’est inédit. Pourquoi ?

Pour lutter contre l’inflation qu’elle a causée par des années de taux bas, voire négatifs, et que l’activité économique et la guerre en Ukraine ont renforcé. Les détenteurs de livret A ont apprécié la hausse du rendement, mais la hausse très forte et très rapide met aussi à mal de larges pans de la finance, dont les obligations, première composante de vos fonds euro. Alors que le livret A rapporte 3 % ou que des obligations peuvent aller jusqu’à plus de 6 % de rendement, plus personne ne veut de ces vieilles obligations d’Etat détenues par les assureurs, qui rapportent parfois des taux négatifs ! Leur valeur sur les marchés s’est donc effondrée, et les assureurs sont dans une course contre la montre pour aller chercher de nouveaux fonds, leur permettant d’acheter de nouvelles obligations, plus rentables.

Pour ne rien arranger, les assureurs avaient tenté de se protéger en remplaçant une partie de leurs obligations par des fonds immobiliers. Mal leur en a pris, car avec la hausse des taux, la valeur de beaucoup de ces fonds (SCPI) s’effondre, parfois plus que les obligations. Au point que la très sérieuse AMF a officiellement averti sur les dangers graves menaçant le secteur. Amundi, le leader du marché a baissé la semaine dernière de jusqu’à 17 % la valeur de ses parts, BNP a fait de même un peu plus tard, et d’autres baisses sont attendues. La très sérieuse Agefi parle carrément de « fin du déni » sur l’effondrement, dont on aurait du se douter, de la valeur de ces SCPI.

Alors quand sortiront les taux des fonds euro 2023 (début 2024), on risque bien de voir qui est nu parmi les assureurs… Et de voir s’amplifier la fuite des épargnants des fonds euro vers d’autres placements, même sécurisés, qui rapportent davantage en ce moment.

En 2022, ce sont plus de 20 milliards qui sont sortis des fonds euro, en net.

Collecte de l'assurance-vie en France (2011 - 2022). Crédits : cleerly.com

Et la tendance ne semble pas s’inverser en 2023.

Et si ça continue encore ?

Le scénario catastrophe, que les assureurs veulent absolument éviter, c’est de se retrouver forcés à vendre sur le marché leurs obligations ou leurs supports immobiliers et à réaliser leurs pertes, qui sont uniquement latentes à ce stade. Ce scénario catastrophe n’est rien d’autre que ce qui est arrivé à Silicon Valley Bank, avec les impacts que l’on connait : impossibilité de rembourser tout le monde, et faillite. La décote de ces obligations se compte parfois en dizaine de pourcents, imaginez l’impact s’il fallait les vendre, avec effet boule de neige et panique des épargnants…

Pour tenter de pallier ce risque, réel, les assureurs font leur possible pour attirer les versement sur leur fonds euro. Mais après des années à pousser à la migration vers les unités de compte, le discours est devenu inaudible pour les épargnants. Les courtiers sont donc contraints de proposer toujours plus de primes, très intéressantes : les promesses d’augmentations d’un point du taux du fonds euro pour tout nouveau versement sont devenus la norme. Certaines banques privées offrent carrément un bonus de deux points de rendement (et parfois plus) pour tout versement de plus de 500 000 euros sur les fonds euro de la banque, si vous avez ces sommes-là !

Mais tout le monde ne pourra pas se refiler le mistigri, et certains risquent d’être collés avec leurs vieilles obligations qui ne rapportent rien, ou leurs SCPI décotées.

Et ce jour là, il ne faudra pas avoir le mauvais fonds euro quand on est épargnant, car cela pourra coûter cher d’être le dernier…

Une activation de la loi Sapin 2 à cette occasion serait possible, permettant peut-être de limiter un peu la casse, mais surtout en vous empêchant d’accéder à votre argent, avec tout le stress afférent ! À vous de voir si vous êtes joueurs, ou au contraire voulez sécuriser sur d’autres placements (par exemple sur des comptes à terme, qui peuvent rapporter plus de 3,5 %). Le pire n’est pas acquis, mais le moment de vérité est très proche.

 

Sapin 2, une mesure inéquitable, et inutile

Sapin 2 risque donc de vous priver de votre épargne, à court terme. Mais pourquoi celle loi est-elle inutile voire mauvaise ?

Là encore, comme dirait Frédéric Bastiat, il y a « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». Cette restriction énorme au droit qu’à chacun de disposer de son argent ne manque pas d’effets pervers. En se substituant ainsi aux épargnants pour faire des choix éclairés, l’État crée déjà un dangereux aléa moral, et encourage inutilement la prise de risque au niveau des assureurs. Alors qu’ils savent qu’ils ont des chances élevées d’être protégés, ils sont incités à prendre davantage de risque, et à mal gérer votre argent.

Une incitation hautement toxique, déresponsabilisante, alors qu’une approche saine serait de laisser les assureurs développer des poches bloquées, non liquides et plus rentables. Les SCPI par exemple gèrent cela en encadrant la liquidité de manière contractuelle, et libre aux épargnants qui peuvent se permettre cette contrainte du blocage d’investir dans le produit.

Enfin, ces mesures ne sont que des pis-aller, qui ne peuvent pas protéger longtemps les mauvais acteurs de la faillite. Pour en revenir au même exemple, Sapin 2 n’aurait pas pu empêcher la faillite d’un Silicon Valley Bank, qui avait de toute manière trop d’argent bloqué dans des actifs qui avaient perdu une large part de leur valeur. Sapin 2 n’aurait permis que de renvoyer le problème à trois mois plus tard. Il en est de même pour ces obligations : si la perte de confiance est telle que les assureurs doivent vendre leurs actifs, il est déjà trop tard, Sapin 2 ou pas.

Au final, si l’on résume,  l’État a créé un problème d’inflation en baissant artificiellement des taux, puis tente de réagir en les remontant massivement. Ce faisant, il cause des problèmes aux assureurs qu’il met sérieusement en danger, et tente de corriger enfin tout cela par une loi Sapin 2 mal fichue de plus. Vous avez dit pompier pyromane ? Il est temps de libérer l’économie et de revenir à un schéma sain, avec moins d’intervention étatique…

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Banque centrale européenne : vers la fin du resserrement

Lors de la réunion de la BCE à Francfort, la directrice du comité de direction, Christine Lagarde, a suggéré l’interruption du resserrement.

Lors de la conférence de presse suite à la réunion, elle explique :

« Les perspectives économiques à court terme de la zone euro se sont détériorées, principalement en raison de l’affaiblissement de la demande intérieure. La forte inflation et le durcissement des conditions de financement freinent les dépenses. La production manufacturière, qui est aussi ralentie par l’atonie de la demande extérieure, en subit particulièrement les conséquences. L’investissement dans l’immobilier résidentiel et l’investissement des entreprises montrent également des signes de faiblesse. »

Les autorités souhaitent mener une lutte contre l’inflation, du moins en apparence.

En pratique, elles ne veulent pas de restrictions à la quantité de dette et de crédits pour le paiement de subventions, ni au ralentissement des investissements dans les rénovations, les achats de véhicules électriques, ou l’installation d’éolien et de solaire.

En effet, le gouvernement français compte obtenir une hausse de 60 milliards des dépenses en rapport au climat en 2024. Or, il prévoit seulement 7 milliards en subventions. Le restant provient d’investissements ou de dépenses de particuliers et d’entreprises, en grande partie grâce au crédit.

Selon Sud-Ouest :

« En zone euro […] la demande de crédit, provenant en particulier des entreprises, a atteint son niveau le plus bas depuis 20 ans lors du deuxième trimestre, avait indiqué la BCE mardi. Problème : cela intervient au moment où les entreprises doivent investir en masse pour verdir leur activité et accentuer le virage numérique ».

Ainsi, la BCE ouvre la porte au retour de l’assouplissement, au prétexte des besoins de l’économie.

Ils écrivent dans le communiqué de jeudi :

« [Nos] décisions relatives aux taux directeurs resteront fondées sur son évaluation des perspectives d’inflation compte tenu des données économiques et financières, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire. »

 

Le PMI à l’encontre du resserrement

Le PMI, l’indice de l’activité de l’industrie, montre une baisse de l’activité dans le secteur.

La Tribune rapporte :

« L’indice PMI publié ce lundi par S&P Global indique que l’activité du secteur privé en zone euro s’est nettement repliée en juillet. Après avoir stagné le mois précédent, cet indice a atteint 48,9, soit un point de pourcentage de moins qu’en juin. »

Les chiffres pour l’Allemagne, le noyau de l’industrie dans la zone, plongent aux pires niveaux depuis l’été 2020.

La contraction de l’activité a lieu en dépit du coup de pouce des prix de l’énergie – en chute depuis l’an dernier.

En août de l’année dernière, le prix de l’électricité atteignait 700 euros le MWh en Allemagne sur le marché du gros. Aujourd’hui, il atteint 104 euros. Le prix du gaz naturel a chuté de 83 % sur un an, selon l’indice d’Amsterdam.

La contraction de l’activité crée des doutes sur la lutte des banques centrales contre l’inflation.

Elle incite les gouvernements à davantage de déficits pour soutenir les salariés ou les entreprises en détresse.

La Chine montre sans doute la voie : elle réagit à la mollesse de l’économie avec la promesse de soutiens.

 

Regonflement de bulle

Un article du Council on Foreign Relations indique que le secteur de l’immobilier en Chine manque de moteur, en l’absence de soutien gouvernemental. En somme, le pays a un excès de constructions, et un manque d’acheteurs :

« La demande fondamentale pour les logements, dans les villes de second ou troisième tiers, est en érosion à travers la Chine pour deux raisons démographiques. D’abord, le rythme d’urbanisation en Chine a dépassé le pic, et entre à présent en déclin.

Le ratio de nouveaux résidents urbains en proportion de la population totale tend à baisser chaque année depuis 2017. En 2022, le nombre de nouveaux habitants des villes a baissé au point le plus faible depuis 42 ans.

En second point, la formation de ménages en Chine est en déclin depuis 2013, de pair avec une baisse du nombre de mariages, qui est le résultat de plusieurs décennies de la politique de l’enfant unique. »

En dépit du manque de demande, le gouvernement chinois souhaite mettre plus d’air dans la bulle de l’immobilier.

De même, les autorités européennes risquent de perdre foi dans le resserrement, et tenter de regonfler la bulle.

La contraction du PMI et des chiffres décevants pour la demande risquent de mener à la fin de la lutte, et l’enlisement de l’inflation.

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Est-il toujours intéressant de placer son épargne sur le Livret A ?

Malgré un contexte économique marqué par une forte inflation, Bruno Le Maire a annoncé le maintien du taux du Livret A à 3 % jusqu’en 2025 (conformément à la préconisation de la Banque de France). En tant qu’épargnant, vous vous questionnez sûrement sur la pertinence du Livret A pour préserver votre pouvoir d’achat. Et vous avez raison !

Parmi les placements sans risque les plus prisés en France, le Livret A occupe une place centrale car il offre une garantie de capital absolue et une excellente liquidité (on sort l’argent quand on veut). Revers de la médaille : le rendement n’est mécaniquement pas à la hauteur !

Dans cet article, nous analyserons les caractéristiques du Livret A, ainsi que les alternatives de placements sans risque, telles que le LDDS (Livret de Développement Durable et Solidaire), le LEP (Livret d’Épargne Populaire) et les fonds euros en assurance vie.

 

Le Livret A et le LDDS font partie des meilleurs placements pour votre épargne de précaution

Le Livret A est un incontournable des meilleurs placements sans risque en France. Avec son frère jumeau, le LDDS (Livret de Développement Durable et Solidaire), ils sont parfaits pour vous constituer une épargne de précaution.

Le lien qui les unit fait qu’une décision prise pour l’un impacte automatiquement l’autre (garantie à 100 % par l’État, liquidité parfaite et taux identiques).

En effet, lorsque le taux du Livret A est passé à 3 % nets d’impôts en 2023, le taux du LDDS aussi.

Toutefois, trois différences les caractérisent :

Les conditions d’ouverture

Vous pouvez ouvrir un seul Livret A, et un seul LDDS par personne. Aucun âge minimum n’est requis pour ouvrir un Livret A, tandis qu’il faut être majeur pour ouvrir un LDDS ; sauf lorsque le mineur a des revenus personnels et n’est plus rattaché au foyer fiscal de ses parents, cas rare.

Le plafond de versements (hors intérêts)

Vous pouvez verser jusqu’à 22 950 euros sur votre Livret A, et jusqu’à 12 000 euros sur votre LDDS.

L’utilisation des fonds

Le Livret A permet de financer les logements sociaux. Tandis que le LDDS permet de financer les PME liées à l’économie sociale et solidaire.

 

En tant qu’épargne de précaution, ces livrets vous permettent de faire face aux imprévus (maladie, chômage, accidents, etc.), et de faciliter les décisions importantes (changer de travail, période sabbatique, etc.). Ils sont également appréciés pour leur simplicité d’utilisation, avec des retraits possibles en quelques clics depuis votre compte en ligne.

Le montant de votre matelas de sécurité dépend de votre niveau de vie et de la stabilité de vos revenus. Par exemple, si vous êtes salarié, l’équivalent de trois mois de dépenses devrait être suffisant. Tandis que si vous êtes entrepreneur, vous feriez mieux de mettre au moins cinq fois le montant de vos dépenses mensuelles sur ces livrets.

 

Hors catégorie, le LEP est le meilleur placement (sous conditions)

Si le Livret A est un excellent choix pour la majorité des épargnants, il existe une alternative encore plus avantageuse pour certains : le Livret d’Épargne Populaire (LEP). Celui-ci est réservé aux foyers aux revenus modestes, ce qui en fait un outil d’inclusion financière pour les ménages à faibles ressources.

Il offre la garantie et la liquidité d’un Livret A, tout en ayant un excellent rendement (6,10 % nets actuellement). Si vous cherchiez la martingale des placements, vous l’avez trouvé !

Cependant, le plafond du LEP est fixé à 7700 euros et sera prochainement relevé à 10 000 euros. De plus, pour bénéficier du LEP, vous devez répondre à certains critères de revenus fixés par l’État. Par exemple, si vous êtes un jeune travailleur célibataire (une part fiscale), votre revenu fiscal de référence de l’année 2022 (avis d’imposition 2023) ne doit pas dépasser 21 393 euros.

Finalement, si vous êtes éligible au LEP, optimisez-le au maximum, jusqu’à son plafond.

 

Les fonds euros en assurance vie, l’alternative aux livrets réglementés

Pour ceux qui ne sont pas éligibles au LEP et qui souhaitent obtenir un meilleur rendement que le Livret A et le LDDS, il y a les fonds euros en assurance vie.

En effet, contrairement à une idée reçue, les fonds euros ont une meilleure performance que les livrets. En tout cas, les meilleurs fonds euros ces dernières années ont mieux rémunéré que le Livret A.

Pour avoir accès aux meilleurs fonds euros, vous devez choisir les meilleures assurances vie, c’est-à-dire celles proposant les meilleurs fonds, les frais les plus compétitifs et un excellent service client.

Les fonds euros sont principalement composés d’obligations d’État français. Les meilleurs d’entre eux offrent une garantie en capital de 100 % (ou 97-98 % parfois), une bonne liquidité (vous pouvez récupérer votre argent en 48 heures), et un rendement supérieur aux livrets (sauf le LEP).

 

Conclusion

Si vous êtes éligible au LEP, privilégiez-le en raison de son parfait « triangle financier » (rendement élevé, excellente liquidité et garantie en capital).

En complément, les fonds euros, le Livret A et le LDDS constituent aussi d’excellents placements pour votre épargne sécurisée. Cependant, gardez à l’esprit qu’aucun de ces placements ne vous protège totalement de l’inflation car leur rémunération est souvent inférieure !

Si vous cherchez réellement à préserver votre capital, il est essentiel de diversifier vos placements dans les marchés actions et immobiliers, qui offrent de meilleures performances à long terme.

Prenez le temps de vous renseigner et investissez intelligemment en tenant compte de votre profil d’investisseur (âge, horizon d’investissement, situation personnelle et professionnelle, objectifs et projets de vie).

En procédant ainsi, vous pourrez mieux optimiser votre patrimoine et augmenter vos chances d’atteindre vos objectifs à long terme (protéger votre famille, obtenir des revenus complémentaires, acheter votre résidence principale, préparer votre retraite, etc.).

L’Université d’été d’Aix précise le projet libéral

Un article de La Nouvelle Lettre

Samedi 22 juillet : au-delà de l’économie, la culture

Les premiers temps de l’Université s’étaient occupés de la crise : quelles formes a-t-elle prises ? Comment les États y avaient-ils répondu (covid, énergie, environnement). Quel rôle ont joué les « experts » ?

La dernière journée de l’Université va s’interroger sur la façon de sortir des crises et les réformes qu’appelle la doctrine libérale « classique » : réformes économiques, en particulier concernant la monnaie et les finances publiques, réformes culturelles pour retrouver la liberté et la responsabilité des êtres humains libérés du paternalisme d’État.

 

« La mauvaise monnaie chasse la bonne »

La « loi de Gresham » explique qu’en cas de coexistence entre monnaies, la mauvaise monnaie est celle qui circule le plus couramment, parce que les gens gardent la bonne monnaie, qui leur paraît plus fiable et mieux conserver sa valeur à plus long terme : on préfère avoir des pièces d’or plutôt que des billets de banque.

Or, nous vivons une coexistence de monnaies très impressionnante : la monnaie bancaire traditionnelle (Georges Selgin), la monnaie contrôlée par les banques centrales (Antoine Gentier) et maintenant le bitcoin, mais est-ce une monnaie ? (Yorick de Montbynes).

D’autres communautés de paiement inventent des monnaies globales indépendantes des États (Henri Lepage). Il faut toutefois ne pas sous-estimer les dégâts que peuvent créer les États, et en particulier l’Union européenne (B. Lyddon).

 

Les réserves fractionnaires, pour ou contre ?

Le système bancaire moderne a sans doute fait son apparition à Sienne, avec la Monte dei Paschi1.

Certes, les banquiers de Florence avaient déjà inventé le billet de banque, parce qu’il est plus sûr de régler les transactions avec des billets qu’en transportant de l’or. Mais la valeur des billets était intégralement couverte par l’or détenu dans la banque.

Mais peut-on imaginer que le billet ne soit pas couvert à 100 % par de l’or ? C’est ce qu’on appelle des réserves fractionnaires. Parmi les actifs de la banque ne figurent plus seulement du métal précieux, mais aussi des titres de crédit. C’est ce qu’a fait la banque de Sienne.

La pratique va se généraliser au point que l’on dira « les crédits font la monnaie », et au XXe siècle on parlera de « multiplicateur monétaire ». Avec l’expansion du commerce mondial et la révolution industrielle les réserves fractionnaires sont de plus en plus contestées, et au XIXe siècle une forte controverse oppose partisans du free banking du currency banking : laisser les banques responsables de leurs émissions ou les réglementer. Aujourd’hui la réglementation l’emporte, mais est-ce justifié, et où est le progrès ?

Les adversaires des réserves fractionnaires identifient quatre risques que les banques font courir à leurs clients et à la communauté :

  1. La fraude
  2. La fragilité
  3. L’inflation
  4. Les cycles

 

Murray Rothbard explique que l’or déposé par les clients à la banque ne devient pas la propriété de celle-ci. Il s’agit d’un simple contrat de dépôt, et le déposant n’a pas le droit d’utiliser ce qui lui est confié.

Adam Smith lui-même avait déploré la mauvaise posture dans laquelle une banque se met, et qui peut se terminer en faillite (il a été impressionné par la faillite de la banque du Canada en 1867). On relie aussi la liberté bancaire à l’inflation, parce que les banques peuvent être menacées d’une soudaine demande de liquidités, et n’ont pas les actifs suffisants. Elles émettent donc de la monnaie en accordant des crédits à n’importe qui (le « malinvestissement » de Hayek).

L’inflation expliquerait à son tour les cycles économiques, le taux d’intérêt monétaire étant décalé par rapport au taux d’intérêt réel.

En fait, l’histoire montre juste le contraire. Durant les périodes de crise observées aux États-Unis et en Angleterre, ce sont les États où les banques sont libres qui échappent à la crise, et la grande dépression de 1929 a bien été aggravée par la politique de Hoover.

En fait, c’est Mises qui indique la solution : il faut faire la distinction entre crédit transféré, et crédit créé. La banque n’a pas le droit d’accorder un crédit sans gage sur une richesse actuelle ou future, la monnaie et le crédit sont indispensables pour entreprendre et réussir. C’est la responsabilité de la banque de veiller à la qualité de la monnaie qu’elle émet. Dans un climat de libre concurrence, c’est la clientèle qui se prononce sur les choix bancaires.

 

La « fiat money » crée l’inflation

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la réglementation bancaire n’a cessé de s’imposer, on en vient à admettre que la monnaie n’est pas la création des banques mais bien de l’État.

La monnaie est un droit régalien qui rapporte d’ailleurs un « droit de seigneuriage » comme on disait jadis. C’est l’État qui dit ce qu’est et ce que doit être la monnaie « fiat money ». Donc, tous les systèmes bancaires sont sous la coupe des banques centrales, qui n’ont aucune indépendance par rapport aux autorités politiques. Elles n’ont de banques que le nom.

Les chiffres sont a priori très inquiétants.

Entre 2004 et 2023 le bilan de la BCE a été multiplié par sept. Le prix de l’or a été multiplié par six : le cours des actions en bourse a augmenté parallèlement. Tout cela ne signifie pas que les affaires marchent, mais que la valeur du dollar baisse, puisque c’est en monnaie américaine que toutes ces données sont calculées.

La question de fond est donc celle d’un système monétaire mondial fondé sur une monnaie dépréciée. Mais la situation ne saurait durer, la suprématie du dollar est déjà bien entamée, pour une raison fondamentale : les États-Unis ont perdu leur domination économique.

L’activité économique et surtout l’industrie se sont déplacées vers l’Asie : ce déplacement se chiffre à environ un tiers.

Dans ces conditions, l’émission d’une monnaie sans contrepartie réelle revient à distribuer des « faux droits », comme disait Jacques Rueff. Cette erreur n’est pas propre aux États-Unis, les Anglais ont aussi voulu soutenir la livre, mais ont dû très vite renoncer : les « dévaluations compétitives » sont un rêve.

Or, la réaction des États va exactement en sens contraire : ils renforcent leur règlementation et détruisent le marché, et ils croient échapper à l’inflation en comparant les prix.

C’est ce qui s’est produit à Rome avec l’émission de pièces sans un gramme d’or ni d’argent, la face de César n’a pas été suffisante pour accorder le moindre crédit à la pièce.

C’est ce qui s’est passé avec les assignats de la Révolution française, gagés sur des « biens nationaux » dont les états généraux avaient pensé qu’ils seraient suffisants pour rembourser une dette publique volontairement sous-évaluée par Necker.

C’est ce qui s’est passé avec l’Allemagne nazie, multipliant par des milliards le prix d’un timbre poste.

Et, dans tous ces cas, les États ont cru bon de lutter contre l’inflation par le contrôle des prix. Il n’y a pas plus stupide manière de lutter contre l’inflation, mais elle a pourtant traversé les siècles, et c’est ce qui se fait aujourd’hui. Contrôle des prix et réglementation des marchés débouchent sur la pénurie2, le marché noir, la spéculation et la corruption, et finissent par détruire la société.

 

Les faces cachées du bitcoin

B majuscule c’est le système monétaire, b minuscule c’est l’unité monétaire qui circule dans le système. 19 millions de bitcoins sont en circulation aujourd’hui, voilà 14 ans qu’on pronostique la disparition de cette monnaie. Le bitcoin doit son succès à ses trois dimensions : technique, économique, sociale.

La technique de Bitcoin garantit à ses usagers une sécurité absolue. Il n’est pas piratable, il n’est pas duplicable, il n’est pas identifiable (on ne peut connaître quelque chiffre ou identifiant), il résiste à l’État (au point que certains États et l’Union européenne voudraient créer leur propre bitcoin – ce qui est évidemment stupide), et sa technique n’a cessé de s’améliorer.

Du point de vue économique, le bitcoin a-t-il toutes les caractéristiques d’une monnaie ?

Certes, il n’est pas un moyen d’échange universel et intemporel. Mais il a quelques qualités qui le rapprochent d’une excellente monnaie : d’une part il est très coûteux à produire (comme les métaux précieux), d’autre part il est l’objet d’un marché (ce qui correspond à l’exigence dévoilée par Carl Menger : il fait l’objet d’une demande, celle de liquidité absolue (il est donc marketable). Il a aussi un horodatage précis, ce qui facilite les contrats, mais cette qualité contractuelle est décentralisée, elle ne concerne que les parties au contrat. Le bitcoin accélère les échanges, et évite des transports et des transferts, ce qui diminue tous les coûts et les prix.

Du point de vue social, le bitcoin dépolitise la monnaie : les États n’ont rien à y voir, même s’ils le veulent. Cette monnaie s’offre aussi aux pays les moins développés, et leur permet de participer à un échange mondial sans coût. Le bitcoin diminue la criminalité, parce qu’il n’y a pas de transaction frauduleuse et la corruption est impossible. L’avenir de Bitcoin est assuré, mais ses organisateurs (ignorés évidemment de tout le monde) ont fait part de leur intention de limiter la quantité de bitcoins à 21 millions. Il est donc conseillé d’en acheter le plus vite possible, dans quelques mois, le bitcoin neuf vaudra moins cher que le bitcoin d’occasion !

 

La « global money », une communauté de paiement professionnelle

Le désordre monétaire mondial a certes créé des monnaies parallèles comme le bitcoin, mais il a aussi amené les professionnels à trouver des modes de paiement sans passer par les monnaies officielles.

De nombreux groupes industriels, financiers, commerciaux sont en relation permanente, d’autant que leurs activités sont très diversifiées : une holding peut se développer dans l’automobile, le tourisme, la recherche médicale ou le spectacle. Il suffit pour ces professionnels d’avoir des comptes courants ouverts dans un certain nombre de banques (par exemple, en France, Paribas ou la Société Générale). Ces professionnels se font mutuellement crédit, sachant qu’ils seront sûrement payés en temps et en valeur voulus. Cela représente un volume d’affaires considérable, de plusieurs milliards de dollars (mais précisément personne ne veut être réglé en dollar). Cette masse de transactions n’apparaîtra dans aucune statistique monétaire, et cependant les paiements auront été faits. C’est un nouvel exemple de création monétaire à partir de purs titres de crédits.

Ce système est vieux comme le monde et rappelle deux choses importantes : d’une part le crédit est né avant la monnaie, l’être humain a été amené à intégrer le temps dans ses calculs, même si « le temps appartient à Dieu » ; d’autre part la monnaie est reçue comme telle au sein d’une communauté de paiement plus ou moins large. Cela s’est vu depuis les banques temples sumériennes3. Cette procédure est-elle celle de l’avenir ? Certains craignent que le club « fermé » soit tenté d’avoir un poids politique mondial, comme certains le prônent à Davos.

 

Une communauté d’endettement dangereuse

Si quelques grandes holdings constituent des communautés pour faciliter les échanges mondiaux, les pays de l’Union européenne ont imaginé une communauté de nature à accroître l’endettement public.

L’instrument commun est le budget européen.

L’objectif est de réaliser plus vite la transition énergétique, priorité des priorités, mais aussi les barrières protectionnistes, et enfin les équipements publics. L’important est de transformer les déficits publics en investissements publics : une transformation du court terme en long terme. Le court terme, ce sont les ressources retirées des impôts et autres prélèvements obligatoires, le long terme, ce sont tous les bienfaits attendus en termes de décarbonation, de réindustrialisation, de relance agricole, de bien-être des citoyens européens.

C’est l’Europe-providence qui prend le relais des États-providence.

Les principes et les institutions sont déjà en place pour effectuer cette transformation. Évidemment tout sera contrôlé par la Commission, elle établit le Plan de Cohésion Politique de l’Union, avec le CPR (commom provisions régulation) le fonds européen de Développement Régional (ERDF), et le Fonds de Transition Appropriée (JTF). À Bruxelles, on aime la réglementation et la bureaucratie.

C’est aussi une machinerie à encourager la dépense publique, et de deux manières : les pays déficitaires peuvent toujours arguer de dépenses nouvelles parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre du projet d’investissement européen, et ils peuvent dès aujourd’hui obtenir des avances sur leurs investissements futurs.

Évidemment, il n’y a aucune justification à de telles initiatives, sinon de donner à Bruxelles un pouvoir encore plus élargi.

Il faut instaurer le jacobinisme européen et en finir avec le régionalisme (à la mode française, la meilleure façon de renforcer le pouvoir central c’est d’organiser la décentralisation, qui masque seulement la déconcentration).

Mais il existe malheureusement des pays « frugaux » qui sont supposés contribuer davantage aux provisions en vue de financer la planification écologique. Pologne, Hongrie et autres pays d’Europe centrale et Baltique sont devenus de « mauvais Européens » aux yeux de la présidente Ursula von der Leyden.

Enfin, et non le moindre, les pays les plus attachés à la doctrine Delors sont pris au piège financier, ils doivent promettre de réduire leurs déficits de mauvais européens. Pologne, Hongrie et Pays-Bas sont réputés pour leurs dettes, et l’on a vu le gouvernement français demander à l’Europe un ralentissement de la transition énergétique : un comble !

En fin de compte, il n’y a aucune illusion à se faire : la voie dans laquelle s’engage l’Union européenne est celle du gaspillage des fonds, c’est-à-dire de nouveaux sacrifices pour les contribuables européens et de nouvelles réductions des libertés personnelles.

 

La culture malade de l’éducation

On peut se demander pour quelles raisons les erreurs économiques et la réduction des libertés personnelles se multiplient sans réaction massive des peuples concernés. C’est que toute crise a une dimension culturelle (Jean-Philippe Delsol). Or, la culture se forme dans le système éducatif, en échec total (Philippe Nemo).

 

La culture de la peur et du grand remplacement

Comme il a été rappelé dès les premiers instants de l’Université, la crise est inhérente aux erreurs commises, et les erreurs sont la rançon de la nature de l’être humain : perfectible mais faillible.

Étymologiquement, la crise est une tragédie, un drame qui oppose Antigone et Créon (le bien et le mal s’opposent, mais coexistent). S’ouvre alors la période de la démesure, de la facilité, et finalement du recours à la contrainte, c’est-à-dire à l’État qui en a le monopole. La seule issue possible est la résistance, comme l’a rappelé Albert Camus. Il faut faire preuve de discernement, passer tout évènement au crible de la raison, éviter la démesure. Cicéron plaide pour « la balance » (In medio stat virtus). Il faut revenir à la justice, qui n’est pas égalité, mais la rémunération de chacun à son dû. C’est l’objectif que l’on peut atteindre à travers le marché et à travers la démocratie. Cela a un autre nom : la sagesse.

Or, la sagesse a fui l’Occident, et en particulier la jeunesse de l’Occident.

La jeunesse refuse la vie en société, elle est aveuglée, elle est pessimiste. Tous les canons de la peur hantent son esprit, les suicides et la drogue traduisent la tragédie, on ne pense qu’aux inégalités dont sont victimes les femmes, aux menaces pour la planète, pour la santé, alors même que la réalité mondiale est tout autre.

La réalité, c’est l’accroissement spectaculaire de la population et de la prospérité mondiales en deux générations.

Les résultats de cet aveuglement sont le désenchantement, le rejet de la raison (bien qu’on ne cesse d’évoquer le siècle des Lumières), l’absence d’une culture commune au sein des États, et sans doute parce que ceux-ci ont échoué à s’adapter à la mondialisation. On voit se répandre une idéologie du remplacement (tout changer, wokisme), on veut réécrire l’Histoire, en oublier les grandes leçons pour s’arrêter à des détails sans intérêt.

Le processus de déculturation conduit à la décivilisation, au gaspillage du libre arbitre.

 

Une éducation sinistrée ne transmet plus la culture

Il y a sans doute une composante structurelle à la crise culturelle actuelle. En effet, elle tient à la nature des êtres humains.

Mais il y a aussi une composante conjoncturelle : la culture n’est plus transmise. Ce n’est pas celle de l’Occident qui est en cause : elle a derrière elle la fierté de plusieurs dizaines de siècles.

C’est que cette culture humaniste n’est plus enseignée aujourd’hui. De la sorte nous produisons de jeunes sauvages (surtout dans les communautés immigrées) qui n’ont pour idée que de détruire. Cela rend évidemment impossible toute vie en société, qui ne peut subsister, comme le dit Hayek, que s’il existe des règles de comportement respectées parce qu’inscrites dans un ordre spontané. Il n’y a rien de plus traditionnel que la tradition. Et la tradition ne s’accommode pas du multiculturalisme.

Pourquoi la transmission de la culture ne se fait-elle pas ?

À cause de changements profonds : mondialisation, immigration, explosion de la famille (familles monoparentales, travail des femmes), numérique, climat.

La situation actuelle tranche avec ce qui se faisait durant les siècles précédents, puisque la culture se transmettait de génération en génération à travers l’Église, les monastères, les paroisses, et surtout les familles. Aujourd’hui, les médias diffusent un mythe collectiviste. Mais c’est surtout le système scolaire qui est déshérité. D’une part, la qualité des enseignants s’est dégradée : syndicalisme et politisation l’expliquent ; d’autre part, la liberté scolaire a été réduite à néant, pas de concurrence, pas de création, un mammouth bureaucratique.

Alors, que pourraient faire des libéraux pour transmettre la culture ?

Il faut en revenir aux humanités, c’est-à-dire à la littérature, à l’histoire, à l’art. Il faut retrouver et sauver le patrimoine culturel : musées, cathédrales et châteaux. Il faut réhabiliter le travail. Nombreux sont ceux qui s’engagent actuellement dans ces voies, ils font du libéralisme sans le savoir.

 

Discours de clôture de l’université

La tradition de l’Université est de se terminer sur la dimension éthique et humaniste du « libéralisme classique » et de confier cet exercice à une personnalité de premier plan.

La personnalité ne pouvait être que le professeur Mario Rizzo, venu à Aix très souvent depuis trente ans, qui a enseigné à NYU (New York Uny), temple de l’économie autrichienne avec Israel Kirzner), et à l’Université de Chicago, auteur d’ouvrages fondamentaux comme Economics of Time and Ignorance en collaboration avec Richard Langlois. Quant au sujet de son discours il s’agit de la « Psychologie antipaternaliste de William James »

Il est indiqué aux lecteurs de La nouvelle lettre que d’autres sessions de l’Université n’ont pas trouvé leur place pour l’instant dans notre présentation, mais elles apparaîtront dans un prochain document avec la référence aux interventions de R. Nechita, Nouh El Harmouzi, N. Lecaussin, D. Dufort, C. Nasuela, D. Mursa, S. Mascalon & S. Sepe, Sir S.Kamall, C. Johnson, F. Facchini, D. Piana, A. Mathieu, S. Beraldo, A. Slomka-Bolebiowska, Elizabeth Krecké, E. Martin, N. Wenzel, Ph. Dapprich, D. Gobartenko, P. Bentata, J-P. Chamoux

 

La psychologie antipaternaliste de William James

William James n’est pas un économiste, mais un psychologue. La psychologie a fait une entrée remarquée dans la science économique, elle partage avec l’école autrichienne, et ce qu’on appelle les  libéraux classiques, l’importance que l’on doit attribuer au comportement humain. Ce comportement ne se réduit pas à l’utilité ou à la rentabilité, mais il dépend des libres choix individuels, des appréciations personnelles que chaque acteur économique, producteur ou consommateur, devrait pouvoir faire en toute liberté.

C’est ici que la psychologie intervient.

En effet, les individus sont influencés par le paternalisme, qui réunit l’autonomie individuelle. William James proteste contre certaines interventions publiques qu’il juge scandaleuses.

Ainsi, l’État du Massachussetts interdit d’être soigné par quelqu’un qui n’est pas diplômé en médecine. Non seulement c’est la liberté de l’individu de choisir ses soins, mais l’expérience personnelle lui a peut-être prouvé que ces soins sont plus efficaces. Un autre exemple est donné lorsqu’après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis ont voulu faire des Philippines la copie de la société américaine. Ils ont vanté les vertus de courage, d’honnêteté, de solidarité des Américains (à démontrer) et ont décidé que ces vertus s’expriment dans les guerres. Ils ont donc obligé les jeunes Philippins à effectuer un service militaire obligatoire.

En réalité, le paternalisme veut décider de ce qui est bien ou mal en général, sans tenir compte que chaque individu aura sa propre conception de ce que sont le bien et le mal. C’est l’affaire du cerveau de chacun, et peut se développer à l’école.

De la même façon, le savoir est quelque chose de personnel, il dépend de l’information et de l’appréciation du temps par les individus. Et pour un même individu, ces données sont elles-mêmes variables suivant les circonstances. Donc le savoir n’est pas collectif, il se forme au contraire par la rencontre entre des personnes. Ce dont nous avons besoin, ce que nous apprenons, c’est non pas le paternalisme, mais ce que nous apprenons de nos maîtres, de nos amis, ce que nous avons fait pour réaliser nos objectifs. Ce que nous faisons aujourd’hui est plus important que ce que nous programmons pour demain. C’est un exercice intellectuel et spirituel permanent.

Cette conclusion appelle deux questions de la part de Jacques Garello  : quid de la famille ? quid du capital humain ?

La réponse est que l’apprentissage personnel est le plus important. En deuxième rang vient la famille, en troisième rang nos relations, et en tout dernier rang, et à proscrire, l’État. Quant au capital humain, il ne cesse de se former tout au long de la vie : on devrait parler de personne plutôt que d’individu parce que l’individu passe sa vie à épanouir sa personnalité.

Sur le web

  1. Cette banque avait été créée pour venir en aide aux paysans en difficulté (Monte de Pieta). Mais elle élargira ensuite son activité à tous les propriétaires fonciers de la plaine toscane
  2. On peut toujours décréter, comme monsieur Macron, que l’on doit s’adapter à la pénurie, « l’ère de l’abondance est finie »
  3. Dans le temple Cohesion Politique de l’Union européenne, la famille possède un pilier, on écrit dans la pierre les dettes et créances au fur et à mesure qu’elles naissent. Les comptes sont « courants », et l’on est sûr que les paiements seront faits, car la banque est un temple : Dieu punira ceux qui oublient leurs obligations

Capitalisme de connivence : luttes entre zombies dans l’Union européenne

Les dirigeants de l’UE rejettent la nomination d’une Américaine à un poste d’administrateur.

Elle cède sa candidature en raison de l’opposition. La nouvelle atteste des jeux de pouvoir à l’intérieur de l’UE.

Les Échos rapportait :

« En France, la pression est nettement montée [contre Fiona Scott Morton] en début de semaine. Emmanuel Macron s’est dit « dubitatif », estimant que cette nomination contrevenait à l’ambition d’« autonomie stratégique » européenne. »

L’UE sert les ambitions d’une caste de politiciens et de profiteurs de monopoles, subventions, ou protections contre la concurrence.

Elle vise les GAFAM et les sociétés d’informatique étrangères avec des amendes.

Elle procure des protections à une poignée d’acteurs de l’économie à l’intérieur de l’UE. Le groupe des serveurs français OVHCloud, par exemple, compte bénéficier de nouvelles règles sur la transmission et l’hébergement de données. Les usines de batteries ou de semi-conducteurs bénéficient des barrières à l’échange avec la Chine.

L’UE revient à un réseau d’entraide et de copinage entre des fonctionnaires, patrons, et politiciens de la zone.

Le pouvoir du groupe découle en grande partie du contrôle sur la monnaie.

 

Le pouvoir du contrôle de l’argent

De mars à mai 2020, les gouvernements autour du monde ont annoncé 9000 milliards de dollars d’aides aux économies, selon le FMI.

Le resserrement de taux et l’inflation ne compensent pas encore l’excès de création d’argent en résultat des programmes.

L’argent gratuit des distributions reste dans le système encore aujourd’hui.

Les graphiques ci-dessous proviennent du Conseil d’analyse économique (un Think Tank du gouvernement).

Comme vous le voyez, la proportion d’entreprises en « bonne » situation financière (colonnes bleu foncé) a grimpé lors des confinements, en particulier dans la restauration.

Par la suite, la proportion d’entreprises en « bonne » situation financière retourne vers les niveaux de 2019.

 

Néanmoins, vous noterez que la part d’entreprises en « bonne » situation reste plus élevée qu’avant les confinements.

En somme, l’économie traîne encore beaucoup d’excès de trésorerie par rapport à 2019.

Avec tant de pouvoir entre les mains de l’UE, la clique ne lâche pas prise. Elle ne veut pas d’intrus dans la partie.

Les projets d’éliminer les énergies fossiles et passer aux voitures électriques vont mener à davantage de doses de crédits et aides.

Néanmoins, le tout ne peut pas avoir lieu sans la manne du contrôle de l’argent.

 

L’inflation et les déficits

L’un des membres du comité de direction de la BCE, Isabel Schnabel, donne une explication pour l’enlisement de l’inflation en dépit des taux plus élevés.

En somme, les gouvernements ne coupent pas les dépenses et distributions aux citoyens et entreprises.

Selon Mme Schnabel lors d’un discours officiel en juin :

« [La] demande de biens et services reste peut-être plus élevée que prévu, ce qui implique que les politiques monétaires et fiscales ne sont pas encore suffisamment restrictives.

La politique fiscale devrait devenir plus contraignante dans l’avenir prévisible. Cependant, nous pensons que seulement environ la moitié des politiques de stimulus en lien à la crise sanitaire et au choc sur les prix de l’énergie sera éliminée avant 2025.

Ces types de politiques sont accommodantes pour l’économie, et ne sont pas liés à des projets d’investissements publics qui pourraient réduire la pression inflationniste à terme. La politique monétaire devra se montrer plus restrictive en conséquence. »

Mme Schnabel, avertit que la modération de l’inflation requiert une baisse des déficits des gouvernements.

Or, les autorités n’ont pas envie de mettre fin aux mesures d’exception, ni d’éliminer les déficits, qui continuent de peser sur la valeur de l’euro.

Elle n’est pas la seule parmi les rangs des banquiers centraux qui critiquent les politiques d’argent facile.

L’ex-directeur de la Banque du Japon jusqu’en 2013, Masaaki Shirakawa, prévient via une tribune sur le site du FMI  :

« … lorsque l’assouplissement monétaire a lieu sur une longue période, disons d’une décennie ou plus, alors les effets nocifs de la mauvaise allocation des capitaux sur la production deviennent sérieux. »

En effet, l’argent des autorités incite les entreprises et particuliers à exploiter l’argent facile, ce qui mène à des gâchis.

Par exemple, la société Engie vient d’annoncer un projet de un milliard d’euros pour le développement de « kérosène vert » au Havre, à un coût de production de 5 à 6 fois les carburants d’aujourd’hui. Les investissements n’ont pas de sens économique, sans les subventions et les promesses des dirigeants.

 

Lutte entre zombies

La clique aux commandes dans l’UE tire son pouvoir du contrôle de l’argent, et de la capacité à rediriger l’épargne et la richesse des citoyens.

Grâce au contrôle de la monnaie, elle protège des entreprises de la faillite, ou fournit des aides aux renouvelables et à l’électrique.

Les zombies défendent leur territoire et leur emprise sur les citoyens.

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Le projet de monnaie des BRICS s’accélère

Par Thorsten Polleit.

 

Le vendredi 7 juillet 2023, les médias financiers ont annoncé que les BRICS (c’est-à-dire le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) allaient mettre en œuvre leur projet de création d’une nouvelle monnaie internationale pour les échanges et les transactions financières, et que cette nouvelle monnaie serait adossée à l’or.

Plus récemment, le 2 juin 2023, les ministres des Affaires étrangères des BRICS – ainsi que des représentants de plus de douze pays – se sont réunis au Cap, en Afrique du Sud (ce qui est intéressant, au Cap de Bonne Espérance). Il a notamment été souligné qu’ils souhaitaient créer une monnaie d’échange internationale. Il s’agit sans aucun doute d’une entreprise dont les conséquences pourraient être considérables.

Après tout, les BRICS représentent environ 3,2 milliards de personnes, soit environ 40 % de la population mondiale, avec une production économique combinée presque aussi importante que l’économie des États-Unis d’Amérique. De nombreux autres pays (tels que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Iran, l’Algérie, l’Argentine et le Kazakhstan) pourraient vouloir rejoindre le club des BRICS.

L’objectif des BRICS est de réduire leur dépendance économique et politique à l’égard du dollar américain, en remettant en cause « l’impérialisme du dollar américain ». À cette fin, ils veulent créer une nouvelle monnaie internationale pour les transactions commerciales et financières, qui remplacerait le dollar américain en tant qu’unité de transaction.

La raison en est évidente. L’administration américaine a utilisé à maintes reprises le billet vert comme une « arme géopolitique » et s’est engagée dans une sorte de « guerre financière » : Washington sanctionne les pays ennemis en leur refusant l’accès au marché des capitaux en dollars, mais surtout en les excluant du système de paiement international centré sur le dollar.

Le gel des réserves de devises de la Russie (l’équivalent de près de six cents milliards de dollars américains est actuellement en jeu) a déclenché une sonnette d’alarme dans de nombreux pays non occidentaux. Il a rappelé à un certain nombre d’entre eux que la détention de dollars américains s’accompagne d’un risque politique. Cela a incité beaucoup d’entre eux à restructurer leurs réserves de change internationales : détenir moins de dollars américains, passer à d’autres monnaies (plus petites), mais surtout acheter davantage d’or.

Mais comment les BRICS pourraient-ils s’éloigner du dollar américain ? Bien qu’aucun détail ne soit encore disponible sur la manière dont la nouvelle monnaie des BRICS pourrait être structurée, cela ne devrait pas nous empêcher de spéculer sur ce qui nous attend.

Les BRICS pourraient créer une nouvelle banque (la « banque des BRICS »), financée par les dépôts d’or de leurs banques centrales. Les avoirs en or physiquement déposés figureraient à l’actif du bilan de la banque des BRICS et pourraient être libellés, par exemple, en « or des BRICS », un or représentant un gramme d’or physique.

La banque des BRICS peut alors accorder des prêts libellés en or des BRICS (par exemple, aux exportateurs des pays des BRICS et/ou aux importateurs de biens de l’étranger). Pour financer les prêts, la banque BRICS conclut un contrat de crédit avec les détenteurs d’or BRICS : les détenteurs d’or des BRICS acceptent de transférer leur dépôt à la Banque des BRICS pour, par exemple, un mois, un an ou deux ans, en échange d’un taux d’intérêt. En outre, la banque des BRICS peut également accepter d’autres dépôts d’or de la part d’investisseurs internationaux, qui peuvent ainsi détenir des dépôts d’or des BRICS (portant intérêt).

L’or des BRICS pourrait désormais être utilisé par les pays des BRICS et leurs partenaires commerciaux comme monnaie internationale, comme unité de compte internationale dans les transactions commerciales et financières mondiales. D’ailleurs, la nouvelle monnaie-or de facto n’aurait même pas besoin d’être physiquement frappée, mais pourrait être et rester une unité uniquement comptable, tout en étant remboursable sur demande.

Les exportateurs des BRICS et des autres pays membres devraient toutefois être disposés à vendre leurs marchandises contre de l’or BRICS au lieu de dollars américains et d’autres monnaies fiduciaires occidentales, et les importateurs des pays occidentaux devraient être disposés et capables de payer leurs factures en or BRICS.

Comment obtenir de l’or des BRICS ? Les personnes qui demandent de l’or BRICS doivent, soit obtenir un prêt d’or BRICS auprès de la Banque BRICS, soit acheter de l’or sur le marché et le déposer auprès de la Banque BRICS ou d’un dépositaire désigné, et le dépôt d’or est alors crédité sur son compte sous la forme d’or BRICS.

Par exemple, dans les opérations de paiement, les dépôts d’or BRICS de l’importateur de marchandises (détenus, par exemple, auprès de la Banque BRICS) sont crédités sur le compte de l’exportateur de marchandises (également détenus auprès de la Banque BRICS ou d’une banque correspondante ou d’un dépositaire d’or).

Cependant, la transition, l’utilisation de l’or des BRICS comme monnaie de transaction et de commerce international, aurait très probablement des conséquences considérables :

(1) Elle conduirait vraisemblablement à une (forte) augmentation de la demande d’or par rapport aux niveaux actuels, avec une augmentation (substantielle) non seulement des prix de l’or mesurés en dollars américains, en euros, etc. mais aussi dans les monnaies des BRICS.

(2) Une telle augmentation du prix de l’or dévaluerait le pouvoir d’achat des monnaies officielles – non seulement le dollar américain mais aussi les monnaies des BRICS – par rapport au métal jaune. De même, les prix des biens exprimés dans les monnaies fiduciaires officielles monteraient probablement en flèche, dévalorisant le pouvoir d’achat de toutes les monnaies fiduciaires existantes.

(3) Les pays BRICS accumuleraient des réserves d’or dans la mesure où ils ont, ou auront, des excédents commerciaux. Ils seraient vraisemblablement les gagnants du « changement de monnaie », tandis que les pays présentant des déficits commerciaux (en premier lieu les États-Unis) seraient les perdants.

 

Avoirs officiels en or des BRICS, en milliards de dollars US, T1 2023

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Source : Refinitiv : Refinitiv ; calculs propres. Les réserves d’or des BRICS s’élevaient à 5 452,7 tonnes au premier trimestre 2023 (valeur de marché actuelle d’environ 350 milliards de dollars US).

Ces quelques considérations montrent déjà à quel point le thème de la « création d’une nouvelle monnaie commerciale internationale soutenue par l’or » pourrait être perturbant : les BRICS pourraient bien déclencher des changements semblables à des glissements de terrain dans la structure économique et financière mondiale. Quoi qu’il en soit, il sera intéressant de voir comment les pays BRICS entendent procéder lors de leur réunion du 22 au 24 août à Johannesburg, en Afrique du Sud.

 

Sur le web

Blockchain : la nouvelle arme contre « l’or du sang » 

Si en 20 ans le Processus de Kimberley a permis d’assurer la traçabilité de 99 % des diamants et de mettre fin aux « Blood diamond », le secteur aurifère a été beaucoup plus lent à se réformer. Mais la blockchain a donné un coup d’accélérateur à la lutte contre les trafics illégaux, et désormais les centres mondiaux de négoce comptent sur les nouvelles technologies pour moraliser le marché de l’or.

En 2013, le scandale de la viande de cheval dans des lasagnes avait défrayé la chronique. Environ 750  tonnes de viande frauduleuse avaient ainsi été écoulées dans treize pays différents par l’entreprise agroalimentaire Spanghero, sous couvert de bœuf européen, grâce à un simple changement d’étiquettes. Cela aurait pu être évité grâce à la blockchain.

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission de données sécurisée et décentralisée. Chaque information et chaque transaction sont copiées sur tous les nœuds de la chaine, de façon perpétuelle et avec l’accord de tous les participants. Pour pirater une telle base d’informations, il faudrait hacker au moins 51 % des nœuds de la blockchain, ce qui, aujourd’hui, est suffisamment difficile pour être présenté comme impossible la plupart du temps. Si l’usage le plus courant qui en est fait est celui de la cryptomonnaie, la blockchain peut également être utilisée pour les assurances, les banques, et même l’agroalimentaire.

C’est le pas qu’a franchi Carrefour en 2018, en se dotant d’une blockchain pour garantir la traçabilité de son poulet d’Auvergne. En amont, les partenaires du groupe disposent d’informations fiables sur les produits qu’ils vont proposer; en aval, les consommateurs peuvent suivre le parcours du produit étape par étape grâce à un QR code. Carrefour peut ainsi se vanter d’un « système innovant qui garantit aux consommateurs une traçabilité complète des produits et davantage de transparence vis-à-vis des consommateurs ».

 

Du poulet à l’or, il n’y a qu’un pas 

Beaucoup de consommateurs la partagent cette exigence, y compris dans le monde du luxe.

C’est encore plus le cas lorsque certains produits peuvent être issus de zones de guerre. Les Émirats Arabes Unis se trouvent justement confrontés à cette problématique : actuellement deuxième plaque tournante du commerce mondial de l’or, ils sont accusés de laisser vendre de l’or issu de la contrebande en provenance de zones de conflits africaines.

Afin de garantir la traçabilité du précieux minerai, le pays s’est lancé dans l’aventure blockchain. La société mixte Primera Gold DRC SA permet désormais de tracer toutes les transactions réalisées dans le cadre du marché RDC/Émirats sur l’or issu de l’exploitation artisanale, ce qui représente 15 tonnes d’or et un milliard de dollars.

Joseph Kazibaziba, son directeur, explique :

« Le fonds passera par notre système bancaire et mettra fin au brassage incontrôlé du cash dans la province du Sud-Kivu ».

Plus de 350 kg d’or équitable ont ainsi pu être exportés depuis son lancement en janvier dernier.

En cela, les Émirats suivent les recommandations de l’OCDE qui rappelle un « devoir de diligence concernant les chaînes d’approvisionnement en or provenant de zones de conflit et à haut risque », ceci « de manière à s’assurer que le commerce de stocks d’or préexistants ne contrevient pas aux sanctions internationales ni ne permet le blanchiment de capitaux découlant de la vente de réserves d’or dans des zones de conflits ou à haut risque, ou lié à cette activité ».

Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls : la Suisse et la Grande-Bretagne utilisent également la blockchain pour lutter contre les trafics illégaux, garantir le respect des normes environnementales et les droits de l’Homme.

La London Bullion Market Association, l’association des professionnels du marché des métaux précieux à Londres, a ainsi lancé une procédure d’homologation d’entreprises afin d’assurer la traçabilité de l’or grâce à la technologie blockchain, et d’exclure le métal extrait illégalement. Des mines jusqu’à la joaillerie, ses 144 banques, courtiers et affineurs pourront contrôler l’authenticité des lingots grâce au Gold Bar Integrity Programme, « une avancée majeure dans la promotion de la transparence pour le bien commun de l’industrie aurifère ».

L’Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux met quant à elle en avant son militantisme « pour des solutions de certification de type blockchain » avec la société suisse aXedras,  estimant que « la traçabilité est un élément clé du système de compliance qui garantit l’excellence de la filière ».

Près de 70 % de l’or mondial est transformé dans les raffineries suisses. Afin de réduire les impacts sociaux et environnementaux du marché du lingot d’or, l’Université de Lausanne réfléchit à plusieurs outils de traçages : la blockchain, bien sûr, mais aussi le marquage optique ou physique avec un sceau d’encre aussi sécurisé que celui des passeports, voire même sa composition chimique.

Depuis 2005, les différents acteurs aurifères peuvent se placer sous l’égide du Conseil pour les pratiques responsables en bijouterie-joaillerie, qui assure au niveau mondial une chaîne d’approvisionnement responsable :

« Dans l’industrie de la bijouterie, nous savons à quel point les perturbations technologiques dans des domaines tels que la blockchain et l’IA sont devenues cruciales pour favoriser des pratiques d’approvisionnement éthiques, des chaînes d’approvisionnement durables et la transparence ».

 

Coup d’arrêt à la fuite de capitaux  

La traçabilité de l’or n’est pas seulement un enjeu de consommateurs, c’est également un enjeu de taille pour les pays producteurs qui perdent chaque année des centaines millions de dollars à cause de la contrebande.

Au Mali, les douanes « estiment à au moins 20 tonnes la production d’or artisanale qui quitte le pays annuellement, majoritairement en fraude ».

L’OCDE confirme également que la seule production d’or issue de l’exploitation artisanale et à petite échelle (EAPE) dans les régions du Mali, du Burkina Faso et du Niger représenterait un volume allant de 15 à 85 tonnes, probablement 50 tonnes annuelles, et que « la très grande majorité de cette production est exportée illégalement ». Le manque à gagner pour les États est affolant : « Plus de 4 milliards de dollars d’or issu de zones de conflits ou à hauts risques en Afrique centrale et de l’Est sont acheminés chaque année vers les marchés internationaux ».

La blockchain ouvre donc des opportunités capitales, dont l’enrichissement des États africains n’est pas la moindre. « L’or du sang » vit peut-être ses derniers instants.

Harry Markowitz : le vrai Mozart de la finance

Selon un communiqué de l’Université de Californie à San Diego, le lauréat du prix Nobel d’économie 1990, Harry Markowitz, est décédé ce 22 juin à l’âge de 95 ans.

Le professeur Markowitz était connu pour ses recherches révolutionnaires sur les achats d’actions, qui ont changé la conception traditionnelle des investissements de portefeuille boursier.

Son article « Portfolio Selection » (sélection de portefeuille boursier), publié dans le Journal of Finance en 1952, a bouleversé la pensée conventionnelle sur l’investissement, qui à l’époque consistait simplement à choisir des actions d’un groupe de sociétés considérées comme ayant les meilleures perspectives.

 

Milton Friedman et Jacob Marschak

Le professeur Markowitz est né le 24 août 1927 à Chicago.

Au lycée, il s’est intéressé à la physique et à la philosophie. Il a ensuite suivi un programme de premier cycle de deux ans à l’Université de Chicago et a obtenu un diplôme en arts libéraux en 1947. Il y est resté pour poursuivre un master en économie, qu’il a obtenu trois ans plus tard.

Il s’engage alors dans un doctorat en économie, toujours à l’Université de Chicago, qui était déjà la première université au monde dans cette discipline.

De la poursuite de ses recherches est né un intérêt pour l’application des méthodes mathématiques aux problèmes des marchés boursiers. Ses deux directeurs de thèse, le futur prix Nobel d’économie Milton Friedman et le professeur Jacob Marschak, l’encouragent dans cette voie.

 

Modern Portfolio Theory

Connu comme le père de la théorie moderne de sélection de portefeuille (ou théorie moderne du portefeuille), le professeur Markowitz s’est inspiré des statistiques et des mathématiques de l’époque pour introduire la théorie selon laquelle le meilleur choix de portefeuille est celui qui minimise le risque pour un rendement attendu donné.

Si cette idée paraît extrêmement simple – et elle l’est ! –, il faut cependant introduire quelques concepts parfois contre-intuitifs pour la réaliser.

Le rendement est simple à définir : il suffit de considérer les plus-values et les dividendes d’une action donnée.

En revanche, il était moins facile de reconnaître que l’on peut quantifier le risque : il prend la forme de la variance (ou de l’écart-type) des cours de bourse d’une action donnée. Par définition, plus les cours d’une action varient d’une séance boursière à une autre et plus cette action est risquée.

Considérons un cas pratique : prenons, par exemple, un portefeuille composé d’actions Apple (AAPL), Amgen (AMGN) et American Express (AXP), les trois premiers composants du Dow Jones Industrial Average (DJIA).

Le professeur Markowitz cherchait le portefeuille P(x, y), composé de x% d’actions Apple, de y % d’actions Amgen et de (1-x-y) % d’actions American Express, qui minimise les variations de la valeur de P(x, y) pour un rendement donné.

Le rendement du portefeuille est simplement x fois le rendement d’AAPL plus y fois le rendement d’AMGN plus (1-x-y) fois le rendement d’AXP.

Si AAPL a un rendement moyen de 3 %, si AMGN a un rendement moyen de 6 %, et si AXP a un rendement moyen de 9 %, nous pouvons construire des portefeuilles dont le rendement moyen sera compris entre les deux extrêmes.

Le risque est plus compliqué à définir : il fait intervenir la covariance (ou la corrélation) des prix des trois actions.

Dès que le nombre d’actions augmente et dès que l’on introduit l’idée de vente à découvert, on peut construire une multitude de portefeuilles pour un rendement annuel donné. Le professeur Markowitz nous dit exactement lequel choisir.

C’est là que nait la puissance des idées du professeur Markowitz : à moins que les prix des actions des trois sociétés évoluent parfaitement de concert, il existe des proportions x et y toujours non-nulles telles qu’un portefeuille composé des trois actions a un risque plus faible que chacune des trois actions prises séparément.

En d’autres termes, à chaque niveau de rendement correspond un portefeuille – qui comprend une portion non-nulle de tous les actifs disponibles – qui « bat » tous les actifs pris séparément ainsi que tous les autres portefeuilles construits avec des répartitions aléatoires.

Ces « meilleurs » portefeuilles forment une parabole qu’on appelle la frontière efficiente ou frontière de Markowitz.

Les actifs individuels sont à l’intérieur de cette enveloppe : pour un niveau de risque donné, ils sont tous en dessous de la frontière de Markowitz.

En français, pour un actif donné ayant son propre risque, il existe une foultitude de portefeuilles qui ont le même niveau de risque, mais un rendement supérieur. L’un d’entre eux a le meilleur rendement possible – à ce niveau de risque – et il est situé sur la partie supérieure de la frontière bleue.

La théorie moderne de sélection de portefeuille nous indique comment calculer la part de chaque actif.

 

Extensions

Le professeur Markowitz a été le premier à appliquer ces méthodes aux avantages de la diversification de portefeuille, introduisant le monde à une nouvelle façon de penser et à de nouveaux types d’investissement.

Cette percée s’est maintenant diffusée dans tous les aspects de la gestion de patrimoine.

 

Le ratio de Sharpe

Le professeur William F. Sharpe a réalisé en 1966 que si, en plus du marché des actions, il existe un marché obligataire avec un actif sans risque – typiquement les bons d’État à court terme – nous pouvons combiner les portefeuilles de la frontière bleue avec cet actif sans risque, que j’ai représenté par une étoile verte.

L’actif sans risque ayant un risque égal à 0,00, il est par définition même sur l’axe des ordonnées.

Il existe un portefeuille « spécial », marqué d’une étoile bleue sur mon graphique, qu’on appelle le portefeuille tangentiel, ou portefeuille optimal, ou portefeuille de marché.

Un portefeuille de marché est un portefeuille qui se situe au point où la frontière efficiente est tangente à la droite du marché des capitaux (CML). Cette droite passe par le point de l’actif sans risque.

On peut alors investir notre argent dans n’importe quelle proportion de l’actif sans risque et du portefeuille optimal.

La pente de la droite verte s’appelle le ratio de Sharpe.

 

Capital Asset Pricing Model (CAPM)

Le professeur Sharpe a étendu cette idée et proposé le Capital Asset Pricing Model (CAPM).

Le CAPM est un modèle de calcul de prix d’un titre ou d’un portefeuille individuel. Ce modèle étend les résultats du professeur Markowitz et montre comment le marché doit évaluer les titres individuels par rapport à leur classe de risque.

Il permet de calculer le rapport rendement vs. risque pour n’importe quel titre par rapport à celui du marché global.

 

De nombreux modèles dérivés

Une autre extension relativement récente de la théorie moderne de sélection de portefeuille ajoute les coûts de transaction et les impôts à ce modèle.

Une hypothèse du modèle initial – les rendements gaussiens – ont également fait l’objet de nouveaux raffinements pour tenir compte des évènements importants mais rares comme les crises financières.

Enfin, les mathématiques du modèle ont été étendues à l’analyse intertemporelle où l’on rebalance constamment le portefeuille au fil du temps comme dans le modèle « intertemporal CAPM » (ICAPM) du professeur Robert Merton.

Même s’il existe de nombreuses critiques de la sélection de portefeuille, les théories concurrentes et plus récentes – comme par exemple le modèle d’évaluation par arbitrage (ou Arbitrage Pricing Theory) sont en fait des réactions aux travaux du professeur Markowitz, sans lequel elles ne seraient jamais nées.

Le fait notable qui émerge de ces quelques innovations – parmi tant d’autres que nous n’avons pas le temps de conter ici – est qu’elles ont souvent été couronnées par le prix Nobel, comme pour les professeurs Sharpe et Merton.

J’ai longtemps enseigné ces idées dans les années 1990 à l’Université Paris-Dauphine car elles font partie des bases : aujourd’hui, n’importe quel étudiant de second cycle en économie bancaire ou en finance apprend cette théorie, ses variantes et ses critiques.

 

Succès en affaires

Non content de ses succès académiques, le professeur Markowitz a eu une carrière professionnelle à des postes importants dans de nombreuses entreprises prestigieuses comme la RAND Corporation et International Business Machines Corp. (IBM).

Il a fondé plusieurs entreprises. Son plus grand succès est certainement CACI – une entreprise de consultants hi-tech – qu’il a fondé avec Herb Karr et qui emploie aujourd’hui 23 000 personnes qui réalisent 6,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

Grâce à ses fonds personnels importants, le professeur et sa femme sont devenus de généreux donateurs à l’Université de Californie à San Diego (UCSD). En particulier, ils ont donné plus de 6 millions de dollars pour le Barbara and Harry Markowitz Fellowship ainsi que sa médaille du prix Nobel qui se trouve aujourd’hui à la bibliothèque de la fac.

La mémoire du professeur Markowitz va donc perdurer, non seulement à travers ses travaux, qui ont créé une nouvelle frontière en sciences – dont le nom porte toujours l’adjectif « moderne » plus de 70 ans après la première publication ! –, mais aussi grâce aux activités charitables rendues possibles par ses succès en affaires.

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