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La proposition de loi NGT : une avancée, mais minime

1983-2014. Les biotechnologies végétales en Europe, de l’enthousiasme au suicide technologique

Pour comprendre le vote récent du Parlement européen sur ce que l’Union européenne nomme les nouvelles techniques génomiques (NGT), il faut remonter à l’invention de la transgénèse végétale en 1983. C’est-à-dire la possibilité de transférer directement un gène (un fragment d’ADN) d’un organisme quelconque, d’où ce gène a été isolé, vers une plante (c’est aujourd’hui possible pour presque toutes les espèces végétales cultivées). Cette dernière portera ainsi un nouveau caractère héréditaire. Par exemple, une résistance à certains insectes ravageurs, ou à des virus, ou encore une tolérance à un herbicide. Le champ des possibles de la sélection de nouvelles lignées de plantes s’est ainsi fortement accru.

En 1990, l’Europe (le Conseil des ministres) a publié une Directive destinée à encadrer l’utilisation hors-laboratoire de telles plantes transgéniques.

Pourquoi pas ? Seulement, cette Directive a de nombreux défauts que des scientifiques se sont évertués à pointer, sans être écoutés. Cette Directive inventa le concept juridique d’organisme génétiquement modifié (OGM). Ainsi, un terme générique, les « modifications génétiques », qui sont fréquentes dans la nature (elles ont permis l’évolution des espèces et ont créé la biodiversité) est utilisé dans un sens restrictif, pour viser réglementairement une technologie (la transgénèse) pour la seule raison qu’elle est nouvelle. De plus, la définition légale d’un OGM au sens européen inclut le concept de non « naturel », alors que le transfert de gènes existe dans la nature (en fait les biotechnologies végétales ont largement copié la nature). Le public est ainsi incité à penser que ces « modifications génétiques » sont uniquement le produit d’une opération humaine entièrement inédite et de plus contre-nature.

Jusqu’au milieu des années 1990, ni la presse ni le public ne se sont intéressés aux OGM. Tout changea lors de la crise de la « vache folle », dont le début coïncida, en 1996, avec l’arrivée des premiers cargos de soja transgénique en provenance des États-Unis. Les OGM furent assimilés à des pratiques productivistes et contre-nature, comme celle qui a conduit à l’épizootie l’encéphalopathie spongiforme bovine. Le lynchage médiatique ne pourra être stoppé… En réalité, il a été favorisé par la sotte Directive de 1990. Avec OGM, pas besoin de détailler les propriétés (favorables) de la plante transgénique : sans en savoir plus, les trois lettres suffisent pour inciter au rejet.

Celui-ci a été alimenté par une puissante coalition d’acteurs qui imposa les termes du débat : OGM = profit pour les seules « multinationales » + manque de recul, donc catastrophes sanitaires et environnementales certaines. Cette galaxie anticapitaliste, jamais à court de mensonges, incluait les organisations de l’écologie politique et altermondialistes, des organisations « paysannes » opposées à l’intégration de l’agriculture dans l’économie de marché, ainsi que des associations de consommateurs qui voyaient une occasion de justifier leur existence.

À l’origine, les partis politiques français de gouvernement affichaient un soutien aux biotechnologies végétales, jugées stratégiques (seuls les écologistes et une partie de l’extrême gauche, ainsi que le Front national y étaient opposés). Peu à peu, par soumission idéologique ou calculs électoralistes (ou les deux…), les responsables politiques firent obstacle au développement des plantes transgéniques. La culture des maïs transgéniques fut interdite par une loi en 2014.

 

L’Europe engluée dans le précautionnisme

Par une législation adaptée, par exemple, les États-Unis ont su récolter les bénéfices des biotechnologies végétales, tout en maîtrisant raisonnablement les risques. Dans une perspective de puissance, la Chine a investi massivement dans ces biotechnologies (avec cependant un frein au niveau des autorisations).

L’Europe s’est, elle, engluée dans les querelles et tractations politiques autour des OGM, mais surtout dans le précautionnisme, c’est-à-dire une interprétation du principe de précaution qui impose de démontrer le risque zéro avant d’utiliser une technologie.

Il faut voir cette dérive comme une composante de l’idéologie postmoderne, celle de la culpabilité universelle de la civilisation occidentale. Et notamment d’avoir utilisé des technologies en polluant, en causant des accidents industriels et sanitaires, et même pour produire des armes de destruction massive. Tout cela est vrai, mais par un retour du balancier déraisonnable et même suicidaire, l’idéologie postmoderne impose ainsi de nouvelles vertus, qu’il conviendra d’afficher encore et toujours, sur tous les sujets, quitte à s’autodétruire.

J’analyse cette idéologie postmoderne dans mon dernier livre, De la déconstruction au wokisme. La science menacée.

 

Une certaine prise de conscience en Europe

L’évènement majeur des dernières années est l’avènement des nouvelles biotechnologies, aussi appelées « édition de gènes » ou NGT.

Cette invention a rapidement suscité un vif intérêt par ses possibilités nouvelles pour la recherche. Elle est relativement simple à mettre en œuvre par rapport à d’autres techniques de mutagénèse (modifications des « lettres » qui compose l’ADN). Sans surprise, les opposants aux OGM ont le même regard sur ces nouvelles biotechnologies, et produisent une argumentation visant à créer des peurs. Au contraire, des États membres de l’Union européenne se sont inquiétés d’une nouvelle débâcle en Europe pour ces biotechnologies, en raison d’une réglementation OGM inadaptée.

En juillet 2023, la Commission européenne a présenté une proposition de loi sur les NGT. La première motivation de la Commission était que les végétaux NTG contribuent aux objectifs de son Pacte Vert et des stratégies « De la ferme à la table » et en faveur de la biodiversité. En fait, la Commission craint que ses objectifs, fortement marqués par l’idéologie, et non par la prise en compte de la réalité, ne puissent être atteints sans le concours des biotechnologies.

Le cadre idéologique de la proposition de la Commission reste cependant postmoderne, c’est-à-dire ancré dans une utopie du « sans tragique » étendue aux risques technologiques (principe de précaution) au détriment de la puissance de l’Europe, et où la notion de progrès s’est diluée.

Il faut cependant noter que, par rapport à des textes antérieurs, le texte de la proposition de loi de la Commission a, dans une certaine mesure, pris conscience de la réalité. Il y est dit que « la pandémie de Covid-19 et la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine ont aggravé la situation de l’agriculture et de la production alimentaire européennes en mettant au jour les dépendances de l’Union à l’égard de l’extérieur en ce qui concerne des intrants critiques pour l’agriculture ».

 

La proposition de loi NGT : une avancée, mais minime

Malgré l’inadaptation de la Directive OGM (reconnue par certains dans la Commission), celle-ci n’est pas modifiée. Les insertions d’ADN étranger (souvent les plus utiles) qui peuvent aussi être réalisées par la technologie NGT, resteront soumises à cette Directive.

Pour les autres produits des NGT, c’est-à-dire des modifications plus ponctuelles des lettres de l’ADN (mutagénèse), deux catégories seront créées en fonction de l’étendue de la mutagénèse, qui allègent soit fortement, soit plus modérément, les obligations imposées par la réglementation.

La catégorie NGT-1 concerne les lignées de plantes considérées comme équivalentes à celles qui auraient pu être obtenues (en théorie) par sélection de plantes par des méthodes dites conventionnelles, en statuant (sans aucune base scientifique) que le nombre de lettres modifiées ne doit pas dépasser 20 (pourquoi 20 et pas 21 ?). Sinon, le produit est classé dans la catégorie NGT-2, donc impossible à commercialiser en Europe en raison du coût exorbitant de l’évaluation des risques imposée par la Directive OGM, même partiellement alléguée.

Sont en revanche exclues d’office de la catégorie 1, selon les amendements du Parlement, les plantes tolérantes à un herbicide, par pure idéologie antipesticide, sans distinction au cas par cas (par exemple si la variété biotechnologique permet d’utiliser un herbicide plus respectueux de l’environnement que ce qui est pratiqué conventionnellement).

Est en revanche inclus dans la catégorie 1, l’insertion d’ADN (y compris de plus de 20 lettres) si cet ADN provient d’un organisme qui aurait pu servir dans des croisements opérés par les sélectionneurs. Un choix, là aussi sans base scientifique, qui procède de l’idée fausse que si le produit aurait pu être obtenu (en théorie) par des méthodes conventionnelles – comprendre naturelles pour la Commission – alors ce produit ne nécessite pas d’évaluation des risques.

Le texte amendé du Parlement introduit à de nombreuses reprises « Conformément au principe de précaution », ce qui laisse augurer des contentieux devant les cours de justice, qui pourraient prendre argument que l’autorisation d’une lignée NGT n’est pas conforme à ce principe.

 

L’Europe ne rattrapera pas son décrochage

390 produits issus des biotechnologies végétales (dans le jargon scientifique, on parle d’évènements de transformation) ont été autorisés dans le monde depuis 1995. Dont seulement deux dans l’Union européenne (dont un qui n’est plus commercialisé, et l’autre uniquement cultivé en Espagne, un maïs résistant à certains insectes ravageurs).

Si l’on examine les brevets (comme reflet de la vitalité inventive dans un domaine, en l’occurrence biotechnologique), l’Europe a largement décroché par rapport aux États-Unis et à la Chine (le lecteur est invité à voir la figure 1 de notre publication dans un journal scientifique, qui concerne les brevets basés sur la technologie NGT la plus utilisée). On peut parler d’un contexte idéologique en Europe en défaveur des brevets, et donc de l’innovation, au moins en ce qui concerne les biotechnologies. Les amendements introduits par le Parlement dans le projet de loi NBT en « rajoute même une couche » dans l’obsession anti-brevet, alors que la législation sur les brevets biotechnologiques est équilibrée en Europe, et ne menace aucunement les agriculteurs (en Europe, les variétés de plantes ne sont pas brevetables, seules les inventions biotechnologiques en amont le sont ; l’agriculteur peut ressemer des graines, même de variétés issues des biotechnologies…).

Comme seule une toute petite partie des inventions potentiellement produites par les NGT pourra trouver grâce aux yeux de la législation européenne, il est illusoire de penser que la situation des biotechnologies s’améliorera significativement dans l’Union. De plus, le 7 février 2024, le projet de loi n’a obtenu qu’une courte majorité des eurodéputés (307 voix pour, 236 contre), ce qui laisse augurer d’autres batailles de tranchées visant à bloquer les biotechnologies végétales.

*L’auteur de ces lignes n’a pas de revenus liés à la commercialisation de produits biotechnologiques. Ses propos ne refètent pas une position officielle de ses employeurs.

Nuit de l’écologie : LR en quête d’une écologie de droite

C’est dans un parc des expositions de la porte de Versailles en pleine modernisation, à quelques mois des JO de Paris, et avec une vue imprenable sur une tour Eiffel qui n’était toutefois plus illuminée aux couleurs du drapeau israélien, que s’est tenue ce mardi 10 octobre la Nuit de l’écologie.

Durant plus de quatre heures, un parterre de 250 militants et sympathisants Les Républicains a été invité à définir l’écologisme de droite.

Au programme : changement climatique, neutralité carbone, adaptation et fiscalité verte. Le tout lié par une opposition déclarée à la logique de la décroissance.

 

Les Verts réfractaires au débat

Ces quatre heures d’orchestre ont eu pour chefs deux hommes : Geoffroy Didier et Antoine Vermorel-Marques, député de la Loire, chef de file de la tendance écologiste du parti, et parmi les plus fervents partisans d’un accord de gouvernement avec la Macronie.

Si le duo a bien tenté d’inviter des membres d’EELV, ses principales têtes d’affiche ont décliné. La soirée était toutefois animée par une douzaine de pontes du parti gaulliste sous le regard d’Emmanuelle Mignon, nouvelle vice-présidente du parti en charge du projet et des idées.

Parmi les invités extérieurs se trouvaient notamment Robert Vautard, membre du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) et coprésident du GIEC, mais également le plus médiatique des apôtres de la décroissance, l’ingénieur civil, créateur du bilan carbone et président du Schift Project Jean-Marc Jancovici, connu notamment pour avoir récemment proposé de limiter le nombre de trajets aériens à 4 par personne et par vie.

 

Définir une doctrine

En conclusion d’une conférence donnée à l’Université de Haute-Alsace ce jeudi 12 octobre, l’ancien Premier ministre, et désormais membre du Conseil constitutionnel Alain Juppé a appelé la jeunesse, et en particulier les étudiants de son auditoire, à se saisir de deux sujets majeurs : le numérique et le changement climatique.

Deux thématiques désormais centrales dans le débat public, et ce n’est pas pour rien si la Nuit de l’écologie, organisée par son ancien parti politique, s’inscrit dans un travail de refondation doctrinale initiée depuis maintenant plus d’un an.

Chez les jeunes en particulier, des sondages nous montrent que la préoccupation environnementale chez nos électeurs est désormais au-dessus de celle de la sécurité », estime d’ailleurs Geoffroy Didier chez nos confrères du journal Le Monde.

 

Une droite déjà en pointe sur le sujet

Le thème serait d’autant plus important à aborder que LR serait suspecté de se laisser aller à une tentation climatosceptique depuis la présence du docteur d’État en science politique et docteur en philosophie Yves Roucaute lors d’une journée de formation auprès des jeunes cadres du parti le 9 septembre dernier. L’auteur de L’Obscurantisme vert : la véritable histoire de la condition humaine, paru l’année dernière aux éditions du Cerf, estime en effet que la contribution anthropique au changement climatique serait « dérisoire ».

Pourtant, le passif de la droite gaulliste en matière d’environnement n’est plus à démontrer, qu’il s’agisse de son combat pour le nucléaire depuis bientôt sept décennies ou le Grenelle de l’environnement créé par Nicolas Sarkozy en 2007.

Néanmoins, les nouveaux enjeux de sociétés appellent à la définition d’une doctrine environnementale claire, à laquelle la droite ne saurait échapper.

 

Cartographie de l’écologisme

Cet environnementalisme de droite se distingue de trois autres formes : l’écologisme de gauche, l’écologisme d’extrême droite, et l’écologisme libéral.

Si l’idée que le clivage gauche-droite est obsolète court dans les discussions de café du commerce depuis plusieurs décennies, il existe un invariant distinctif : la droite conserve l’acquis occidental auquel la gauche s’oppose avec plus ou moins de vigueur selon le degré. Cet acquis peut être lié au christianisme, au libéralisme ou au républicanisme, auxquels la gauche oppose l’anticléricalisme, le socialisme, et la discrimination positive.

Il n’est donc pas étonnant que l’écologisme de gauche se base sur une contre-religion, avec sa divinité, ses blasphèmes, ses sacrifices médiatiques, son apocalypse, ses commandements précis appliqués à la vie quotidienne, son rigorisme, son prométhéïsme et son millénarisme. Selon ses tenants, cette contre-religion justifie l’application d’une pensée planiste, voire tout simplement socialiste.

Cet écologisme s’oppose, mais se rapproche de l’écologisme d’extrême droite. Ce dernier, théorisé par des philosophes allemands entre le XIXe siècle et l’avènement du IIIe Reich, se fonde essentiellement le mouvement « Blut und Boden » (le sang et la terre) théorisé par Oswald Spengler.

Si la législation environnementale nazie a servi d’exemple aux législations actuelles sur le sujet, l’écologisme d’extrême droite se fonde avant tout sur l’exaltation du monde rural et de la pureté fantasmée de la nature qui rejoint celle de la race.

De façon évidente, cet écologisme s’oppose également à l’écologisme libéral, fondé sur la logique d’assurance et de propriété privée comme moyen d’une gestion « de bon père de famille » des ressources naturelles à la manière d’un capital à faire fructifier.

 

Un écologisme croissantiste

De son côté, LR propose un écologisme de droite « responsable et supportable » et reprenant l’idée d’une co-prospérité homme-nature. Cet écologisme se veut naturellement pragmatique, pro-nucléaire et pro-libertés individuelles. Surtout, il s’oppose vigoureusement à la décroissance des deux premières formes d’écologisme évoquées plus haut.

Ce n’est pas pour rien si Éric Ciotti estime que cet écologisme est financé « par la croissance ».

Ce n’est donc pas un hasard si l’invité phare de la soirée n’était autre que Jean-Marc Jancovici, dont le discours économique se fonde sur l’idée que la croissance serait liée à la consommation d’énergies fossiles.

Or, la science se fonde sur le débat.

Pour cause, cette thèse est fortement discutée. Cette corrélation l’est notamment par Lucas Bretschger, professeur au Centre de recherche économique de l’université de Zurich.

Même son de cloche du côté de Gaël Giraud dans une entrevue pour le journal du CNRS parue en 2015. S’il estime effectivement qu’il existe une corrélation entre croissance et consommation d’énergies en général, l’économiste concède que la croissance actuelle se fonde sur « d’autres types d’énergie que des énergies fossiles ».

Cette idée est confirmée par Peter Newman, professeur de développement durable à l’Université Curtin, en Australie, qui constate le découplage du PIB et de l’émission de gaz à effets de serre et anticipe une explosion de la part des énergies renouvelables dans les 25 prochaines années, tout en soutenant la croissance du PIB mondial.

 

Contre les décroissants

Nous, libéraux, sommes régulièrement accusés d’être des fanatiques d’une croissance économique que les penseurs autrichiens critiquent pourtant eux-mêmes bien davantage que quiconque.

Cependant, l’écologisme rime de moins en moins avec décroissance.

L’extrême gauche devra donc trouver un autre moyen de légitimer sa volonté de nous ramener à l’Âge de pierre.

Dans ce sens, et comme le notait dans nos colonnes l’ingénieur et expert à l’Institut Sapiens Philippe Charlez au début du mois, la droite doit s’opposer vigoureusement à cette logique.

Les Républicains semblent donc avoir répondu favorablement à cet appel.

Geoffroy Didier : non, le consumérisme électoral ne sauvera pas la droite !

En perte de repères depuis maintenant plus de dix années, la droite française se voit tiraillée électoralement entre quatre forces politiques tentant toutes de prendre la couverture par des propositions de plus en plus étatistes à mesure que l’inflation et le changement climatique prennent de la place dans la vie des Français.

Dernier parti à incarner une ligne libérale-conservatrice parmi les partis de gouvernement, Les Républicains sont aujourd’hui au cœur d’une lutte interne autour de l’avenir de la droite.

La dernière entrevue accordée par Geoffroy Didier au journal Le Point met en lumière le principal défi auquel est confronté le parti.

Les Républicains ont le choix entre deux visions du renouveau :

  1. Le consumérisme électoral visant à ramener désespérément dans le giron du parti les classes sociales qui l’ont délaissé
  2. La vision plus intellectuelle, libérale-conservatrice, pour qui l’idéologie globale et le long terme sont plus importants que les cadeaux faits à tel ou tel pan de l’électorat.

 

Entre réforme et poncifs

Interrogé par Nathalie Schuck dans les colonnes du journal Le Point le samedi 30 septembre, l’eurodéputé et secrétaire général délégué des Républicains Geoffroy Didier incarne ici l’erreur de paradigme dans lequel est enfermée une partie du mouvement.

Dans un premier temps, il rappelle à juste titre la nécessité pour la droite de se focaliser sur l’après-Macron et les impératifs de débureaucratiser l’administration, et de réduire au maximum le poids de l’État dans la vie de Français.

Mais rapidement, un certain naturel semble revenir au galop, reprochant à la droite de s’être « souvent attaquée aux fonctionnaires et à l’État ». Il ira jusqu’à dire ne pas être « un adepte du moins d’État », avant de citer les poncifs habituels sur les infirmières, les policiers et les professeurs, professions que personne en France n’a jamais attaquées sérieusement.

En somme, Geoffroy Didier se limite à brosser dans le sens du poil les classes moyennes parties au Rassemblement national.

 

Quelle tête de liste ?

Un temps poussé par Éric Ciotti pour devenir tête de liste du parti aux prochaines élections européennes, Geoffroy Didier a poliment décliné l’invitation.

Le hasard fait bien les choses, puisque que le jour même de la parution de cette interview, se déroulait, au Cercle d’hiver, dans le 11e arrondissement de Paris, une soirée organisée par Livre noir, média tenu par des proches d’Éric Zemmour, durant laquelle ce dernier était invité à débattre avec plusieurs personnalités sur le thème de l’immigration.

Une soirée morne, tant les différents contradicteurs semblaient avoir été choisis pour mettre en valeur le champion de la droite radicale, à l’exception notable de Ferghane Azihari. Dans le lot se trouvait Vincent Jeanbrun. Le maire LR de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) est surtout connu pour avoir été victime d’une attaque à son domicile lors des émeutes ayant suivi la mort de Nahel en juillet dernier.

Après Geoffroy Didier, Jeanbrun serait le nouveau favori d’Éric Ciotti pour mener la campagne européenne. Sa prestation au Cercle d’hiver, qui frisait le ridicule, devrait toutefois assécher ces éphémères ambitions.

 

Une bataille entre deux lignes

Il faut dire que Les Républicains se trouvent dans une situation particulière.

Alors qu’Aurélien Pradié fait de la figuration dans les quelques fédérations qui lui ouvrent encore leurs portes, le parti est tiraillé entre la ligne Ciotti-Wauquiez et la ligne Retailleau-Lisnard, incarnant toutes deux des visions de ce que la droite doit faire pour retrouver le chemin du pouvoir. Hasard du calendrier : ce même week-end des 30 septembre et 1er octobre, la première de ces deux lignes a fait un pas de plus vers l’Élysée.

« Je suis prêt ! » a ainsi déclaré Laurent Wauquiez lors du campus des Jeunes Républicains à Valence qui se tenait ce même week-end.

De son côté, le camp retailliste pousse de plus en plus la candidature du maire de Cannes et président de l’AMF David Lisnard.

C’est précisément dans le cadre de cette opposition interne que les partisans de Bruno Retailleau tentent aujourd’hui de maintenir la candidature de François-Xavier Bellamy, déjà tête de liste en 2019. Si certains le voient comme un astre mort, Les Républicains constituent aujourd’hui le grand parti politique français en capacité d’incarner une ligne libérale-conservatrice.

 

L’impératif doctrinal avant l’impératif personnel

Car tel est bel et bien l’enjeu actuel auquel sont confrontés les libéraux-conservateurs actuels.

Outre LR, la droite est aujourd’hui tiraillée entre trois forces : Renaissance, le Rassemblement national et Reconquête, soit entre social-démocratie, social-nationalisme et identitarisme.

L’offre libérale-conservatrice a pour moment une seule incarnation capable de se présenter à des élections nationales : Les Républicains.

Dans ce sens, plutôt que de se focaliser sur la personne, le parti aurait tout intérêt à se recentrer sur son corpus idéologique. Si cela a bien été compris par David Lisnard, cet impératif ne doit pas se transformer en concours Lépine des propositions les plus démagogues pour capter tel ou tel pan de l’électorat, chose que semble prendre en compte Éric Ciotti lui-même après avoir nommé, le 2 octobre dernier, Emmanuelle Mignon vice-présidente en charge des idées et du projet, ainsi que Kevin Brookes, libéral convaincu, en tant qu’adjoint à la direction des études. Conservatrice au sens anglais du terme, l’ex-directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy aurait même déclaré en 2004 être « pour une privatisation totale de l’Éducation nationale ».

 

La faillite du consumérisme électoral

Au final, l’entrevue de Geoffroy Didier incarne la principale difficulté posée par une frange des Républicains.

En se focalisant sur un consumérisme électoral fortement court-termiste qui est déjà une des causes de notre malaise démocratique avec le poids exorbitant du président de la République dans nos institutions, Geoffroy Didier semble penser que la droite sera sauvée, non en étant claire sur ce qu’elle est, mais en tentant de ramener certains pans de l’électorat à la manière des classes moyennes et des retraités, partis respectivement au Rassemblement national et à Renaissance.

Entre le raisonnement de classe et le raisonnement de masse, la droite doit choisir l’option la moins crasse si elle souhaite espérer sortir de l’impasse.

Néolibéralisme, le bouc émissaire bien commode

Par Johan Rivalland.

Le penchant de l’homme à chercher des boucs émissaires responsables de ses malheurs était l’objet du célèbre ouvrage de René Girard intitulé Le bouc émissaire. Il semble bien qu’en ces temps troublés, un néologisme déjà très en vogue depuis un certain temps occupe plus que jamais ce rôle bien commode et rédempteur.

Plus un journal, un magazine, une émission radiophonique ou télévisuelle, un ouvrage à la mode, un discours public ou privé, qui ne nous servent à l’heure actuelle des analyses très vagues et très conventionnelles (mais qui se veulent originales) sur ce mystérieux mal qui nous ronge et qui a pour nom « néolibéralisme ».

Ne me demandez pas de le définir, je ne sais pas ce que c’est.

Pas plus que ne le savent vraiment ceux qui le dénoncent, puisqu’à son sujet ils sortent souvent des propos incohérents ou contradictoires qui montrent qu’ils se font leur propre idée du mal en question, en étant tantôt dans le domaine du fantasme, tantôt dans l’erreur la plus manifeste.

Chacun peut d’ailleurs mettre ce qu’il veut derrière ce mot, c’est ce que l’on constate en écoutant ou lisant les propos des uns et des autres sur tous les côtés de l’échiquier politique, ou dans la large palette des « intellectuels ».

Nous voici presque revenus aux temps mythiques de la chasse aux sorcières. À quand les procès ? À quand les condamnations en bonne et due forme ? À quand les interdits ? (cela a déjà plus que largement commencé).

Dix-septième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».

 

Un leurre bien commode

« Le monde va mal. Une pandémie l’a touché. Nous sommes pris au dépourvu. Tout va mal, tout s’écroule. Qu’a-t-il donc pu se produire ? D’où cela est-il venu ?

– Le néolibéralisme, pardi !
– Des morts plein les hôpitaux, plein les Ehpad, plein les demeures.
– Le néolibéralisme.
– Mais comment avons-nous donc pu ne pas voir venir ? Pourquoi n’avons-nous rien prévu ?
– Le néolibéralisme.
– Nous avions pourtant le meilleur système de santé au monde…
– Le néolibéralisme.
– Comment avons-nous pu laisser faire ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
– Le néolibéralisme.
– Des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres, des hôpitaux sans moyens, un monde sans contrôle, une planète qui va disparaître, un effondrement total… (dépité) : et que sais-je encore ?
– Le néolibéralisme, vous dis-je.
– Mais que faire alors, docteur ?
– Un seul remède : se couper du monde, mettre fin aux égoïsmes et à cette fichue société de consommation. Et promouvoir les solidarités, en lieu et place, en restaurant la paix, l’amour et la solidarité. Vivre d’amour et d’eau fraîche. Chanter la joie, la planète, les petits oiseaux et mettre fin à cette monstrueuse haine qui nous tue à petit feu.
– Et quoi d’autre ?
– Mettre fin à cette odieuse mondialisation.
– Quoi encore, docteur ?
S’unir contre cette hydre qu’est le néolibéralisme.

 

Le fameux « monde d’après » contre le néolibéralisme

Les adversaires du néolibéralisme sont légion, ils n’ont même jamais été aussi nombreux et font actuellement feu de tout bois. Les anaphores aussi ont le vent en poupe. Et en la matière, nous avons de grands champions, grands prophètes du désormais très prisé « monde d’après ». Nicolas Hulot égrène ainsi ses 100 préceptes, plus idylliques et exaltés les uns que les autres.

Sans oublier ces indécents, insupportables et révoltants donneurs de leçons qui, telle une Juliette Binoche – pas à une contradiction près – vivent dans l’aisance, promeuvent les valeurs du luxe (tant que cela rapporte), mais entendraient priver ceux qui ont besoin de consommer. Tandis que d’autres encore – à l’image de notre chère petite Greta – prônent, là aussi pour les autres, ce qu’ils ne s’appliquent pas vraiment à eux-mêmes.

Mais en matière d’anaphores, nous avons aussi ceux qui, sans cette fois-ci se réfugier derrière l’épouvantail de l’odieux néolibéralisme, s’en prennent plus directement au libéralisme lui-même. À l’image de Laurent Dandrieu, rédacteur en chef culture à Valeurs actuelles (un journal naguère d’esprit plutôt libéral, qui semble être devenu son adversaire farouche en l’espace de trois ou quatre ans à peine), qui écrit dans le numéro du 14 mai 2020 un article intitulé « Ne pas faire du libéralisme une vache sacrée ».

Une longue litanie déclinée en « C’est bien au nom d’une logique libérale que… », avec pêle-mêle :

– la mise en cause de la libre circulation des biens et des personnes (vivons confinés)

– celle du non renouvellement des stocks de masques (bien sûr, la faute au libéralisme, cela va de soi)

– la dépendance vis-à-vis de la Chine pour l’approvisionnement en masques à cause de la logique économique des coûts de production (le libéralisme, bien sûr, avec son amour, entre autres, des lourdes charges qui pèsent sur les entreprises, c’est bien connu…)

– la renonciation à l’indépendance pharmaceutique de la France, qui a laissé aux mains de la Chine et de l’Inde la production de la quasi-totalité des médicaments, au risque de nous asphyxier en cas de conflit mondial (mais c’est bien sûr !)

– l’abandon par la France de certains de ses fleurons industriels passés sous fleuron étranger (l’inverse, par contre, n’existe pas)

– la privatisation envisagée par l’État (cherchez l’erreur) d’autres entreprises stratégiques telles ADP

– la folie (reprenant les formulations de notre cher président, il y a peu encore qualifié de libéral) de déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie à d’autres (halte à l’invasion, replions-nous !)

Passons sur l’idée de « logique libérale », pour peu que le libéralisme soit doté d’une logique organisée, voire planificatrice, là où elle est plutôt – nous l’avons évoqué à de multiples reprises – une philosophie du droit et des libertés fondamentales. Il n’en reste pas moins que c’est bien de bouc émissaire qu’il s’agit ici. Comme si tous les problèmes évoqués avaient bien le libéralisme pour source commune et fondamentale.

C’est pourquoi le même journal, dans un numéro spécial du Spectacle du monde, éditait un dossier intitulé « Coronavirus, le monde d’après », dossier entièrement à charge contre le néolibéralisme, la mondialisation libérale, l’idéologie mondialiste, les mécanismes qui ont affaibli l’État, l’individualisme, la soumission commerciale et le consumérisme. Des thèmes devenus chers aujourd’hui à ce journal de droite qui en a fait quelques-unes de ses cibles privilégiées.

Aujourd’hui, en effet, plus rien ne distingue vraiment droite et gauche en la matière. Et tous s’accordent à rêver du fameux monde d’après.

 

La course à l’étatisme

Et pour cela, un seul remède, si l’on en revient à notre fameux docteur, sur le mode Malade imaginaire : l’argent (public) qui coule à flots.

Là encore, nous sommes dans la surenchère. Droite et gauche confondues, chacune y va de ses propositions à qui mieux mieux. Il suffit de créer de l’argent en abondance… et même de la dette perpétuelle. Mais pourquoi diable ne pas y avoir pensé plus tôt ? (Jean-Luc Mélenchon, lui, était un visionnaire, avec quelques-uns de ses amis).

À gauche comme à droite, cela ressemble même à une véritable compétition, mettant en avant ceux qui se sentent une âme de hérauts. Un Julien Aubert, comme le montre bien Nathalie MP Meyer, ne fait-il pas ainsi partie de ceux qui « osent » dresser le bilan de la « mondialisation néolibérale » ? Oubliant le fait que l’on savait ce qui risquait fortement d’arriver, mais qu’on ne l’avait pas anticipé dans les actes.

Nonobstant qu’il est resté proche de ceux qui ont gouverné la France il y a peu encore (sans jamais s’être réclamés du libéralisme, loin s’en faut) et doivent assumer, de fait, une part certaine de l’héritage français, Julien Aubert ose qualifier la politique sanitaire de la France de « digne du tiers monde » et met en cause la « pensée bruxello-budgétaro-néolibérale » de la droite (tout un programme). Oubliant au passage que la droite française n’a jamais été libérale.

Il réclame ainsi l’avènement d’un État stratège et la souveraineté de la France. Ne se distinguant guère de ce que propose la quasi-totalité de l’échiquier politique actuellement, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, sans oublier les grands journaux, de Marianne ou Libération à Valeurs actuelles.

Mais surtout, il omet de remarquer, comme le rappelle une nouvelle fois et à juste titre Nathalie MP Meyer, que la France reste championne des dépenses publiques et que les effectifs de la fonction publique demeurent eux aussi à un niveau record.

Comment oser, dans ce contexte, qualifier la politique de la France -que ce soit hier ou aujourd’hui – de « néolibérale » ? Il faut vraiment être de très mauvaise foi ou inculte. Ou alors ne plus avoir le sens des réalités, et se laisser emporter par ses fantasmes et la perte du sens des réalités (je pencherais plutôt pour cette solution, en y ajoutant toutefois une certaine dose d’opportunisme politique, bien sûr).

Le problème est qu’à force de répétition, ces discours creux et purement politiques finissent par s’imprimer dans les esprits, et par déboucher sur toujours les mêmes recettes à base de protectionnisme (quelle que soit sa coloration, « vertueux » ou autre). Dont Pascal Salin, entre autres, avait particulièrement bien mis en lumière les effets dévastateurs.

 

L’exemple de la course au vaccin

Après le scandale des masques vient la grande naïveté au sujet de la recherche d’un vaccin. Nous n’en sommes même pas encore à l’assurance d’en trouver un rapidement que déjà on se dispute ou on érige certaines morales au sujet de la gratuité que devra avoir l’éventuel vaccin, de son caractère de « bien commun », et de l’interdiction éventuelle que devra avoir l’entreprise qui le trouvera d’en dégager des bénéfices.

Oubliant les vertus de la concurrence et des initiatives privées sur la stimulation de la recherche, on veut à tout prix imaginer une grande coopération internationale, sous l’égide de gouvernements ou d’organismes publics, dans un contexte de guerre larvée entre la Chine et les États-Unis, qui veulent vraisemblablement en faire une arme pour asseoir leur domination.

On se souvient du triste spectacle des cargaisons de masques subtilisées par des États à d’autres États. On entrevoit aussi l’immense problème qui va immanquablement se poser le jour où un vaccin sera enfin prêt à être fabriqué, mais qu’il faudra de nombreux mois pour en produire des quantités suffisantes pour approvisionner toute la planète. Et on veut faire croire que les États rivaux sauront s’entendre tout d’un coup pour définir les « bonnes » priorités ?

En attendant, plutôt que de laisser de grands laboratoires tels que ceux de Sanofi travailler en toute quiétude, on leur dresse déjà de mauvais procès avant l’heure. Craignant là encore, n’en doutons pas, les fameux travers du grand méchant « néolibéralisme ». On est toujours mieux servi par la magnifique puissance publique qui, elle, est réputée si efficace.

Au fait… quel était, déjà, ce fameux « meilleur système médical au monde » ? Ah oui, la France. Et son glorieux service public que le monde entier nous enviait (mais ayant dégénéré sans qu’on s’en soit rendu compte en gestion « néolibérale » ?).

Et quel est le pays dans lequel on déplore à l’heure actuelle le plus de victimes du covid en proportion de la population ? Ah oui, le Royaume-Uni. Et son fameux système de santé… totalement étatisé. Mais je suis sans doute mauvaise langue.

Toujours est-il que pendant ce temps-là, la Chine réalise actuellement des essais de cinq vaccins sur un échantillon de 2500 cobayes, pardon, humains. Tous vraiment volontaires ? Et croyez-vous qu’elle attendra pour lancer la première son vaccin à l’échelle de la planète, pendant que les autres pays se livreront à une foire d’empoigne sous couvert de plan de recherche publique concerté qui relève plus de l’incantation que d’autre chose ? J’en doute.

 

Le protectionnisme, du néolibéralisme ?

Car à bien écouter nos politiques, nous en sommes plutôt à mettre en avant les valeurs de patriotisme. N’est-ce pas d’ailleurs ce que la Chine ou l’Amérique trumpienne tentent d’ériger également ? Tandis que l’Inde, de son côté, semble pratiquer le national-populisme. Mais est-ce vraiment le modèle que nous souhaitons suivre ?

Car le patriotisme chinois, c’est aussi la propagande autour de la supériorité chinoise (il est vrai que nous aussi ne manquions jamais de faire référence à notre « meilleur système de santé au monde, tel que rappelé plus haut).

En conclusion, si le « néolibéralisme », aux contours flous et mal définis, est un bouc émissaire bien commode pour exorciser tous les maux réels ou imaginaires qui nous poursuivent, nous ferions bien d’envisager des modes de coopération bien plus réalistes et sereins.

Oui à des relocalisations bien choisies et bien pensées (qui peuvent être d’initiative privée) dans des cas très précis, lorsqu’il y a un réel risque de mise en péril de notre sécurité (peut-on toujours coopérer sans risque avec des États totalitaires ?). Mais non, ne nous imaginons pas reconstruire de toutes pièces un monde idéal et fantasmé, fondé autour d’un protectionnisme dont l’histoire a montré qu’il était l’un des plus grands dangers qui nous menacent, et une source d’appauvrissement de tous lorsqu’il devient généralisé par un regrettable effet d’escalade.

Le bien de tous me semble résider plutôt dans l’échange et la coopération (essentiellement privée) que dans les grands schémas ou les grandes constructions théoriques fondés davantage sur le rejet que sur la confiance.

Article publié initialement le 18 mai 2020.

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Pourra-t-on un jour traiter des cancers avec des sous-produits de l’industrie textile ?

Par Cyrille Monnereau et Clément Cabanetos.

 

Les cancers sont la cause principale de mortalité précoce dans les pays développés, entraînant près de 1,5 million de décès annuels dans l’Union européenne. Ils constituent un enjeu de santé publique majeur. La diversité de leurs formes, localisations et expressions implique que les traitements mettent en œuvre une grande variété de modalités thérapeutiques complémentaires, des rayons X, chimiothérapie, chirurgie, immunothérapie entre autres.

Parmi l’arsenal des traitements développés pour cibler des cancers de types très différents, la photochimiothérapie (dite aussi photothérapie dynamique ou PDT en anglais) utilise l’interaction entre un colorant et une source lumineuse, qui génère des composés chimiques qui sont toxiques pour les cellules.

Ce protocole thérapeutique est utilisé depuis une quarantaine d’années, et de manière croissante depuis le début des années 2000, en milieu clinique principalement pour le traitement de cancers de la peau ou de l’épithélium, mais également dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (une maladie caractérisée par le développement anarchique de vaisseaux sanguins au niveau du centre la rétine conduisant à une dégradation puis une perte progressive de la vue).

La photochimiothérapie présente des avantages en comparaison aux autres chimiothérapies, notamment parce qu’elle permet de cibler plus finement les cellules cancéreuses (par rapport aux cellules saines de l’organisme) par une irradiation lumineuse sélective.

Avec nos collaborateurs, nous avons récemment montré qu’une nouvelle molécule, dérivée d’un colorant abondamment utilisé dans l’industrie, présente des propriétés remarquables pour la photochimiothérapie. Nous espérons qu’elle pourrait être une perspective intéressante dans de futurs protocoles de traitement de cancers par cette méthode.

 

La lumière peut transmettre de l’énergie à son environnement

La lumière est porteuse d’énergie. Cette même énergie qui permet la photosynthèse et apporte à la terre les conditions climatiques propices au développement de la vie est absorbée par les molécules et matériaux qui constituent notre environnement, ce qui leur confère leur couleur. Certaines molécules, appelées « colorants » ou « pigments », présentent des teintes particulièrement vives et caractéristiques qui ont été mises à profit depuis l’aube de l’humanité pour la réalisation d’œuvres picturales ou la teinture de vêtements, comme pour le colorant utilisé comme base moléculaire dans notre étude, en particulier.

Suite à l’absorption d’un photon, chaque molécule de colorant atteint un état d’énergie élevé, dit « excité », qui est par nature instable : afin de retrouver sa stabilité, la molécule va chercher à se débarrasser de cet excès d’énergie. Généralement, elle vibre fortement et transmet cette chaleur à son environnement.

 

fiole de colorant photoluminescent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le composé de la nouvelle étude est dérivé d’un colorant industriel. À la lumière du jour, il est jaune, mais sous ultra-violets, il apparaît vert : c’est la photoluminescence.
Clément Cabanetos, Fourni par l’auteur

 

Elle peut aussi se désexciter en émettant un nouveau photon, d’énergie un peu plus basse que celui absorbé – et donc d’une couleur différente. Ce phénomène est appelé photoluminescence et explique par exemple la brillance des vêtements blancs sous l’éclairage ultra-violet des boîtes de nuit.

Lorsqu’aucun de ces deux mécanismes n’est possible, la molécule utilise son énergie excédentaire pour produire des transformations chimiques. C’est ce qu’on appelle la photochimie, dont les utilisations pratiques couvrent une très large gamme d’applications, allant du stockage de l’énergie à la production de médicaments ou de matériaux polymères.

 

Comment utiliser la lumière pour attaquer des cellules cancéreuses ?

Une application moins connue mettant en jeu ce processus est la photochimiothérapie. Le concept est relativement simple : une molécule, appelée photo-sensibilisateur, est appliquée localement sur la zone à traiter, ou injectée par voie intraveineuse. Elle s’accumule dans les cellules cancéreuses, idéalement avec une forte sélectivité (c’est-à-dire qu’elle ne s’accumule pas, idéalement, dans les cellules saines).

Puis, sous l’effet d’une irradiation lumineuse, dont la longueur d’onde peut s’étendre, suivant le type de tumeur à traiter et la profondeur ciblée, du proche UV au proche infrarouge la molécule excitée va transmettre l’énergie absorbée aux molécules voisines, en premier lieu de dioxygène.

Le dioxygène est en effet présent partout dans l’organisme car il est un carburant indispensable à la production d’énergie par la machinerie cellulaire. Mais sa forme excitée, dite « singulet », conduit à un emballement de sa réactivité chimique. Ainsi, produire cette forme excitée « singulet » à proximité de biomolécules aussi importantes que l’ADN ou l’ARN fait l’effet d’une bombe : des cascades de réaction oxydatives conduisent à la dégradation des séquences de bases nucléiques, qui codent l’information génétique. Ceci empêche la production de protéines, enzymes et autres biomolécules indispensables au bon fonctionnement de la cellule.

deux photos de microscopie
Des cellules cancéreuses avant et après traitement par une nouvelle molécule sensible à la lumière. Le colorant rouge est un indicateur indirect de la dégradation cellulaire. La barre d’échelle représente 20 micromètres.
Marco Deiana et Nasim Sabouri, Université de Umea, Suède, Fourni par l’auteur 

Devenue non viable, la cellule va rapidement déclencher une cascade de mécanismes qui conduit à sa mort par « apoptose » et à son élimination par le système immunitaire.

La photochimiothérapie présente de nombreux avantages, notamment par rapport aux autres chimiothérapies classiquement utilisées dans le traitement du cancer : bien que dans toute chimiothérapie, le traitement soit dès l’origine conçu pour s’accumuler préférentiellement dans les tissus cancéreux, une certaine proportion de la molécule va inévitablement s’accumuler dans des cellules saines, notamment si ces dernières ont des phases de multiplication rapide. C’est ainsi que la plupart de ces traitements s’accompagnent, parmi les effets secondaires les plus visibles, d’une perte des cheveux, et sont généralement mal tolérés par l’organisme.

Dans le cas de la photochimiothérapie, ces effets secondaires sont minimisés par le fait que l’activation du traitement nécessite, en plus de la molécule, un second levier : l’irradiation lumineuse du tissu à traiter.

En revanche, le traitement par photochimiothérapie est limité par la profondeur de pénétration de la lumière, ce qui restreint son utilisation aux cancers superficiels de la peau (carcinomes), ou accessibles par endoscopie (cancers de la vessie, de la prostate, de l’œsophage, des poumons…) ou encore en appui à une intervention chirurgicale d’exérèse (c’est-à-dire retrait) de la tumeur notamment par coelioscopie.

Dans ce cadre, les travaux pionniers d’une équipe française Inserm du CHU de Lille ont conduit au développement d’une approche novatrice alliant microchirurgie et photochimiothérapie pour le traitement du glioblastome, l’une des formes de tumeurs cérébrales les plus agressives.

 

Une nouvelle molécule prometteuse pour la photochimiothérapie

Ainsi, nous avons développé avec nos collègues du CNRS, de l’université d’Anjou, de l’ENS, de l’université de Yonsei en Corée du Sud et de l’université d’Umea en Suède une nouvelle molécule dont les premières études semblent indiquer une efficacité exceptionnelle en photochimiothérapie.

simulation moléculaire
Interaction du colorant (orange) avec des petits fragments d’ADN (bleu) – modélisation moléculaire.
Natacha Gillet, Fourni par l’auteur 

Cette molécule a été conçue selon le principe du surcyclage, c’est-à-dire la valorisation par modification chimique d’une molécule existante afin de lui apporter de nouvelles propriétés.

La molécule que nous avons utilisée est un colorant jaune utilisé à la tonne depuis les années 1970 comme colorant pour l’industrie textile et plastique. Nous avons fonctionnalisé ce colorant en lui ajoutant des groupements chimiques, ce qui la rend extrêmement photosensible et capable d’exciter la forme singulet du dioxygène.

Au contact des cellules cancéreuses (in vitro, sur cellules cancéreuses ou ex vivo sur des organoïdes tumoraux de pancréas de souris), le colorant s’accumule spécifiquement au sein des « exosomes ». Les exosomes sont des compartiments cellulaires surexprimés dans les cellules cancéreuses, qui sont impliqués dans la communication intercellulaire, et très probablement dans les processus de diffusion des cancers par métastase.

Nous avons identifié, à l’intérieur de ces exosomes, que la molécule de colorant modifié interagit avec des fragments spécifiques d’ADN. Sous irradiation par lumière bleue, ces fragments se dégradent fortement, ce qui conduit à une mort cellulaire. De façon cruciale, cette mort cellulaire est atteinte à des concentrations du colorant photosensibilisateur 10 à 100 fois inférieures aux composés utilisés cliniquement, généralement accumulés dans le noyau ou les mitochondries des cellules (des compartiments considérés comme les rouages essentiels de la machinerie cellulaire).

En revanche, en l’absence d’irradiation, aucune toxicité n’est observée même à des concentrations élevées de la molécule, ce qui laisse espérer des effets secondaires modérés en comparaison aux traitements PDT existants, par exemple la temoporfin. Bien que le chemin soit encore long avant une utilisation clinique, cette molécule et plus généralement le ciblage des exosomes pour la PDT apparaissent riches en promesses.

 

Cyrille Monnereau, Docteur en chimie et science des matériaux, professeur associé, ENS de Lyon et Clément Cabanetos, CNRS researcher, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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