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Quelle puissance relative de la France

Voic le lien vidéo (cliquez ici) d'une conférence que j'ai donnée à l'automne dernier sur la puissance de la France.

https://www.diploweb.com/IMG/jpg/couverture-kempf-500.jpg

Texte du résumé ci-dessous grâce à Diploweb (https://www.diploweb.com/Video-O-Kempf-Quelle-puissance-relative-de-la-France.html) . Enfin, on peut aller plus loin en lisant mon ouvrage Géopolitique de la France (ici)

https://products-images.di-static.com/image/olivier-kempf-geopolitique-de-la-france/9782710810001-475x500-1.webp

 

O. Kempf débute cette intervention en définissant la géopolitique comme une question de représentations. La première représentation est cartographique. La seconde est celle qu’un peuple se fait de lui-même et celle que les autres peuples se font de lui, ce peuple pouvant être incarné ou non dans un État. Selon lui, il existe trois angles majeurs à la puissance relative française.

La caractérisation de la puissance française

En effet, la France est une grande puissance géographique, économique, militaire, politique et d’influence. A tort définie comme une puissance moyenne, elle n’est pas pour autant une « hyper » [1] puissance de nos jours.

Dans un premier temps, la France est une puissance géographique mais n’est pas une géographie. La France s’est construite malgré sa géographie. Elle a su tirer profit de sa géographie à partir d’un petit noyau, l’Ile-de-France, anciennement le Vexin. Ce noyau s’est progressivement étendu vers le sud. Il faut prendre en compte la grande verticale entre la Picardie et le Languedoc et rappeler également les nombreuses volontés historiques françaises de repousser les frontières. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas forcément naturelles. La notion de frontière naturelle fut inventée durant la Révolution et fut réaffirmée suite à la mort du Roi, ce n’est pas un hasard. En effet, tout au long de l’Ancien régime, il était question de repousser l’Anglais à l’Ouest, l’Espagnol au Nord (les Pays-Bas espagnol) comme au Sud et d’agrandir le territoire à l’Est. La frontière originale était celle suivant le Rhône et la Saône, puis le territoire français s’est étendu d’environ 200 à 300 kilomètres à l’Est. La France est encore le plus grand pays d’Europe - si l’on écarte la Russie et l’Ukraine - de par sa taille et sa population projetée à 67 millions d’ici 2050. Elle est aussi un unique espace au carrefour du continent européen grâce à ces deux isthmes. Le premier est entre la Méditerranée et l’Atlantique et le second, rarement souligné, est entre la Méditerranée et la Mer du Nord. Enfin, la France est dotée de nombreux et divers écotypes. Une complexité naît de la double diversité des écotypes et du peuple français. Le fil rouge de l’histoire de la France est selon lui, le désir de construire un peuple commun comprenant ces diversités.

Dans un second temps, la France est une grande puissance économique, classée au 6 ou 7ème rang mondial, selon les critères mondiaux retenus. Pourtant, depuis cinquante ans, il nous est répété que la France est en déclin. Finalement, ce n’est pas tant le cas, selon O. Kempf, et ce malgré, l’émergence. Cette puissance est agricole, notamment en raison de son industrie agroalimentaire. Certes, celle-ci est devenue plus faible mais elle reste une grande richesse. Elle est également industrielle, elle compte de très beaux champions, à l’instar d’Airbus et Total. Ces derniers sont une force mais également une faiblesse car ce besoin de champions diminue l’intérêt accordé aux entreprises de taille moyenne. Cette puissance est enfin représentée par le secteur du luxe. LVMH, Kering et l’Oréal sont de grands groupes français mais sont également dans le top 10 mondial.

Dans un troisième temps, elle est une puissance militaire affirmée. La France est incontestablement la première armée de l’UE, une armée d’emploi, n’hésitant pas à aller en opération. Elle bluffe parfois les Américains, notamment lors de la réussite de l’opération Serval, qu’ils n’ont jamais comprise. Enfin, la France possède la bombe atomique et une industrie de défense imposante et respectée à l’échelle du monde. Ces atouts sont majeurs dans le critère de la puissance.

Dans un quatrième temps, la France se caractérise par sa puissance politique aux multiples noms, la « France terre d’asile », la « France des droits de l’Homme », la « France universaliste ». Elle est également l’un des cinq membres permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations-Unies ; un des seuls pays à pouvoir encore dialoguer avec le Liban et partie intégrante du groupe de Minsk dans le cadre de la résolution du conflit en Ukraine. Au sein des institutions internationales, nul ne considère la France comme une puissance moyenne. O. Kempf insiste sur le fait que la France n’est pas la puissance dont le peuple rêverait mais elle reste une grande puissance.

Dans un dernier temps, l’influence française joue un rôle crucial dans le rayonnement de la puissance de l’Hexagone. Elle s’exprime au travers de quatre éléments. D’abord ses outre-mer, résultat de l’histoire française mais aussi de son influence dans le monde, relativement représentée au Proche-Orient même si celle-ci s’étiole mais largement établie au Maghreb et finalement en Afrique. Ensuite, sa langue qui est souvent brocardée, sera pourtant la langue la plus parlée au monde d’ici trente à cinquante ans en raison de la croissance démographique de l’Afrique. Puis il est question de son influence maritime, la France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde. Enfin, la culture française est un élément central qui participe à son image, son rayonnement, ses succès économiques et son attrait.

Vidéo. O. Kempf Quelle puissance – relative - de la France ?
Oliver Kempf, général de brigade (2S), docteur en Science politique et chercheur associé à la FRS
Image : James Lebreton

La thématique du déclin a au moins une vertu, celle d’aiguillon, qui incite la France à persister, résister, de réformer et s’adapter

Le déclin français

Pourquoi alors entendons-nous un discours aussi négatif au sujet d’un déclin français ? se questionne O. Kempf. Déjà en 1845, existait ce discours annonciateur de déclin et cela est en quelque sorte rassurant. Cette pensée pessimiste est le reflet de la représentation collective de ce que le peuple français se pense être, une puissance perdue. Pourtant, il semble bon de rappeler certaines figures françaises, telles que Saint Louis qui arbitrait tous les conflits en Europe, Louis XIV ou encore Napoléon même si cela fut bref. Plus récemment, lors du défilé de la victoire de 1919, la France est encore la super puissance qui régit le monde. Ce temps-là est abrogé car depuis est né un sentiment de régression, résultat des deux grandes catastrophes que sont les deux Guerres mondiales. Ce sentiment est particulièrement net à partir de 1940. Le traumatisme est extrêmement fort, il retentit dans toute la France et créé le sentiment que plus rien n’est comme avant. Ce même sentiment se renforce lors des guerres de décolonisation, la puissance garantie par son empire colonial dans les années 1930 n’est plus, ce projet géopolitique s’écroule. Elle subit alors deux grandes avanies, la première à Diên Biên Phu en 1954, annonciateur de la fin de ce projet géopolitique puis la seconde lors de l’expédition de Suez en 1956 où elle s’imagine pouvoir agir et est finalement remise à sa place par les deux nouvelles grandes puissances que sont les États-Unis et l’URSS.

Le général Charles De Gaulle a su, en se basant sur la Vème République redonner espoir aux français. Son discours de la puissance et du rang agit comme une grande thérapie de l’inconscient géopolitique français. Homme d’intuition, il a fait le pari européen, celui des années 1960. Il a parié sur l’Europe communautaire comme nouveau multiplicateur de puissance. Cependant l’Europe communautaire qui est construite ne ressemble pas à celle dont la France rêvait et ne possède pas l’influence voulue.

Enfin apparaît, à la fin de la Guerre froide, la mondialisation, qui a elle aussi bouleversée le modèle français. La peur de la domination de la langue anglaise, de la perte de la culture et de bien d’autres choses sont venus renforcer les doutes. Cette suite d’événements explique pourquoi le thème du déclin est si inlassablement repris. Toutefois, il est important de lui reconnaître une vertu, celle d’aiguillon, qui incite la France à persister, résister, de réformer et s’adapter afin de rester une grande puissance.

Comment exprimer ce rêve de puissance ? Quelle stratégie ?

En septembre 2020, nous vivons un nouveau bouleversement, qu’Olivier Kempf interprète comme celui de l’après après-Guerre froide. L’élection américaine de novembre 2020 est inquiétante non pas à cause d’une possible réélection de Donald Trump mais parce qu’elle va rendre plus visible la division américaine qui est pleine de danger. Le Brexit traduit ’une profonde entaille à la construction européenne. La République populaire de Chine devenue la nouvelle super puissance est au centre de la stratégie américaine. Selon O. Kempf, nous vivons finalement la fin de l’Occident, entendu comme cette alliance euro-atlantique.

Ainsi la France a quatre axes d’intérêts dans lesquels rêver, orienter et définir sa puissance.

Le premier est l’axe de l’UE qui lui confère un confort stratégique et une opportunité. Le vrai sujet n’est pas le pari de l’Europe selon lui, mais la façon dont parier sur l’UE. Est-ce que les structures actuelles sont satisfaisantes ? Faut-il en réinventer de nouvelles ? Si oui, lesquelles ?

Le deuxième est l’axe maritime :puisque la France possède aujourd’hui des bordures terrestres stabilisées, elle a peut-être l’occasion désormais de parier sur la mer. Certes, elle l’a toujours fait mais ce n’était que sa seconde priorité. Différents atouts sont à mettre en lumière, ses façades maritimes en premier lieu, ses territoires d’outre-mer, ses ZEE, en second lieu et surtout en troisième lieu la maritimisation résultante de la mondialisation. Quelle est alors la stratégie maritime à adopter ?

Le troisième est l’axe méditerranéen et africain : la France s’illustre comme pivot européen vers la Méditerranée et l’Afrique. Ce continent connaît une explosion démographique et tend à atteindre la masse critique nécessaire pour faire le poids face aux autres masses critiques que sont les Amériques d’un côté et les Asies de l’autre. Que faire vers ce sud ? Que réinventer ?

Enfin l’axe Asie redevient un pôle de puissance. Reléguée pendant deux siècles, l’Asie est désormais à nouveau incontournable. L’Asie est l’autre extrémité du continent : comment faire articuler ces deux pôles, l’Asie à l’Est et l’Europe à l’Ouest ? quel rôle la France doit-elle tenir dans cette articulation ?

Copyright pour le résumé Mars 2020-Monti/Diploweb.com

A propos des nouvelles règles de Whatsapp

J'interviens ce soir dans le journal de France Culture à 18H00 pour analyser les conséquences des nouvelles conditions d'utilisation promues par Whatsapp (en lien avec Facebook). Bonne écoute.

OK

Cloud Act, GPDR: International Insights on Privacy and Data Management

J'aurais le plaisir d'être le "Discutant" à cette conférence de la FRS (vous ai-je dit que j'y étais chercheur associé ?) qui se teindra le 24 janveir prochain. Détails ci-dessous.

La Fondation pour la recherche stratégique, en partenariat avec l'ambassade des Etats-Unis à Paris, a le plaisir de vous inviter à la conférence : Cloud Act, GPDR: International Insights on Privacy and Data Management, qui se tiendra le vendredi 24 janvier 2020, de 17h30 à 19h00, dans les locaux de la FRS (4 bis rue des Pâtures - 75016 Paris).

Le professeur Peter Swire du Georgia Institute of Technology y présentera ses travaux sur les politiques et législations sur la vie privée en ligne.

Le Pr. Swire, ancien conseiller des présidents Clinton et Obama sur les enjeux liés à la gestion des données privées et la sécurité nationale, exposera la vision américaine de ces problématiques avant que la discussion ne s'ouvre sur la comparaison avec les orientations européennes et françaises en la matière.

Le général de Brigade (2S) Olivier Kempf, chercheur associé à la FRS, sera le discutant.



Les débats seront animés par Nicolas Mazzucchi, chargé de recherche à la FRS.



La langue de travail sera l’anglais, et la séance se déroulera selon la règle de Chatham House.

Inscription auprès de la FRS (places limitées)

Site de la conférence :

Olivier Kempf

"L'Otan n'échappera pas à une profonde remise en question"

J'ai donné un entretien à Charles Hequet, pour l'Express, à la suite du sommet de Londres. Il est accessible ici. Vous avez également le texte complet ci-dessous.

Le sommet de l'Otan s'est achevé le 4 décembre. Pour Olivier Kempf, chercheur et spécialiste de l'Otan, l'organisation doit s'interroger sur sa raison d'être.

De ce 70e anniversaire de l'organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan), on retiendra surtout la passe d'armes entre Emmanuel Macron et Donald Trump ou les provocations du président turc Recep Tayyip Erdogan. Mais l'essentiel n'est pas là. Surmontant leurs différends, les 29 pays membres se sont mis d'accord sur une déclaration commune, mardi 3 décembre à Londres, Les apparences sont sauves. Toutefois, des lignes de fracture sont apparues au sein de l'institution. Elles traduisent des divergences profondes, voire existentielles.

À quoi doit servir l'Otan? Qui sont ses ennemis? Que faire lorsque l'un de ses membres - la Turquie - agit à l'encontre des intérêts communs? Pour surmonter cette crise, l'Otan doit se remettre en cause. Revoir ses processus de décision, sa gouvernance, et s'interroger sur sa raison d'être. Général (2S), directeur du cabinet de stratégie La Vigie et auteur de L'Otan au XXIe siècle" (éd. du Rocher), Olivier Kempf nous livre son analyse post-conférence.

1/ Le 70ème sommet de l’Otan vient de s’achever. Quels enseignements peut-on en tirer ?

La déclaration finale, publiée hier après-midi, est remarquable par sa brièveté (9 points au lieu de 79 au sommet de Bruxelles, en 2018). Elle se concentre en effet sur l’essentiel : la réaffirmation de l’Alliance atlantique et, surtout, de l’article 5, qui engage les membres de l’Otan à porter secours à l’un d’entre eux qui serait agressé. C’est un point très important, après les réactions dubitatives de Donald Trump, qui avait affirmé en 2016 que l’Otan était « obsolète » ou, le mois dernier, d’Emmanuel Macron, qui avait déclaré dans le magazine The Economist que l’Alliance était en état de « mort cérébrale ».

Notons également qu’un paragraphe important est consacré au chapitre nucléaire. Il rappelle que « aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire ». Ce point méritait d’être souligné, après le retrait américain du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) et dans le contexte de prolifération nucléaire que nous connaissons aujourd’hui.

On note également un paragraphe sur la question des budgets, ce qui satisfait le président américain.

2/ Le cas de la Turquie, pays-membre de l’Otan depuis 1952, qui achète un système de défense anti-aérienne à Moscou et s’attaque aux Kurdes en Syrie, en totale contradiction avec les intérêts de ses « alliés » occidentaux, n’est pas mentionné…

Non, car il s‘agissait de manifester l’unité. Le communiqué recense plusieurs sujets d’intérêt stratégique - espace, cyberattaques, 5G, puis « les actions agressives de la Russie », ce qui répond aux attentes des alliés de l’Est. Mais plus loin, il évoque « la perspective d’établir une relation constructive avec la Russie », ce qui répond aux attentes de la France ou de l’Italie.

3/ Il n’y a pas d’allusion, non plus, aux profonds désaccords apparus lors de la passe d’armes entre Emmanuel Macron et Donald Trump…

Le président américain est arrivé à Londres avec une seule préoccupation : sa politique intérieure. Il a voulu tirer parti de ce sommet pour montrer aux électeurs américains qu’il est un leader responsable, capable d’assurer un leadership vis-à-vis des autres dirigeants occidentaux. Une question demeure : s’agit-il d’une posture de circonstance ou d’une position durable ?

Le président français a, quant à lui, posé des questions de fond, notamment sur la définition du terrorisme. Ainsi, le communiqué évoque « le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations », ce qui répond aux préoccupations de la France sans répondre précisément à la demande turque de considérer les rebelles kurdes comme terroristes. Il faut bien faire la distinction entre l’entente de façade et les questions structurelles qui n’ont pas du tout été résolues.

Notons à cet égard que les alliés ont demandé au secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, de plancher sur « un processus de réflexion prospective visant à renforcer encore la dimension politique de l’OTAN pour la prochaine réunion ministérielle, qui aura lieu dans quelques mois. On ne pourra échapper à ce travail en profondeur. C’est clairement dire que la question posée par le président Macron est pertinente.

4/ L’Otan peut-il survivre à un second mandat de Donald Trump ?

C’est une excellente question. Même s’il s’est érigé en défenseur de l’Alliance atlantique à Londres, rien ne garantit qu’il tiendra ce cap sur le long terme, surtout lorsque l’on sait ce qu’il pense, à titre personnel, des grands accords multilatéraux. Peut-être, lors d’un second mandat, se sentirait-il suffisamment fort pour rompre définitivement les amarres avec l’Otan.

5/ Pour la première fois, la Chine est évoquée. L’Empire du Milieu a-t-il été identifié comme le prochain ennemi de l’Occident ?

Non, puisque le texte évoque « ’influence croissante et les politiques internationales de la Chine présentent à la fois des opportunités et des défis », ce qui est une première mention de ce pays dans un communiqué : cela répond là encore au souci des Américains, sans pour autant décrire la Chine comme une menace. Cette position équilibrée permet d’aborder le nouveau rôle chinois, sans insulter l’avenir.

O. Kempf

Quel avenir pour l'OTAN ?

J'ai donné un entretien l'autre jour à radio Vatican, à la suite du sommet de l'OTAN. Vous pouvez l'écouter :

ici

O. Kempf

Lire les Déracinés de Barrès

Voici un petit billet paru dans le dernier numéro de Conflits. J'y ouvre une nouvelle chronique intitulée "relire les Classiques". Barrès en est le premier sujet. Barrès oublié et négligé, Barrès décrié, mais Barrès grand écrivain quand même, outre l'influence qu'il a eue sur une génération entière.

Maurice Barrès a aujourd’hui très mauvaise réputation. Le chantre du « nationalisme » est forcément soupçonné d’inspirer tous ceux qui se revendiquent de la nation ou de l’identité. Et par les temps qui courent, le point Godwin est très vite atteint. Pourtant, Barrès est mal connu : faites le test autour de vous, bien peu l’ont lu. Or, c’est un grand écrivain. Oublié comme écrivain, s’il est encore connu pour son rôle politique. Car voici un paradoxe : il est à la fois homme de lettres et homme politique (élu député à maintes reprises et ayant eu une influence incontestable dans la fabrique des idées de son temps). Autrement dit, avant la lettre, un « intellectuel », au sens que l’on donne en France à ce mot : « l’intellectuel est celui qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas » (J.-P. Sartre) : celui qui sort de son domaine de compétence pour parler des choses de la cité. Barrès a eu autant d’influence que Sartre…

Rappelons le mot de Blum : « Je sais bien que Monsieur Zola est un grand écrivain ; j'aime son œuvre qui est puissante et belle. Mais on peut le supprimer de son temps par un effort de pensée ; et son temps sera le même. Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable ». Et celui de Malraux : « Il était caporal en politique alors que dans le domaine de la littérature, il était général ».

Sait-on que le jeune député boulangiste de Nancy, élu à 27 ans, se veut socialiste et siège à l’extrême-gauche ? rapidement cependant, il adhère ensuite à la ligue des patriotes de Paul Déroulède et est antidreyfusard. Il prône en fait un nationalisme républicain et garde ses distances avec le monarchisme de Maurras. Il s’agit pour lui de « restituer à la France une unité morale, de créer ce qui nous manque depuis la révolution : une conscience nationale ». N’oublions pas qu’en cette fin du XIXe siècle, en ces débuts de IIIe république, la question du régime politique de la France est encore centrale.

Mais il est au fond fédéraliste, partisan de l’attachement aux régions et au local. D’ailleurs, les Déracinés est un roman « décentralisateur » car se méfiant de Paris et de l’uniformisation décidée par la capitale, qui coupe les Français de leurs racines provinciales locales. Il est autant nationaliste lorrain que nationaliste français. Rappelons enfin que Barrès écrit après la guerre de 1870 : c’est un partisan de la revanche sur l’Allemagne. Mort en 1923, il n’a pas connu le nazisme. L’assimiler à ce courant est non seulement anachronique, mais tout simplement faux.

§§§

Pourquoi lire Barrès aujourd’hui ? je notais l’autre jour le vrai clivage actuel, « entre enracinés et déracinés, dans le sillage des intuitions de Barrès et Simone Weil » (La Vigie, n° 116). Écrivant cela, je constatais que je citais l’un des deux sans l’avoir lu. Il fallait réparer cette lacune. Trouvant le volume au fond de ma bibliothèque, je commençais… Ce fut une surprise saisissante.

Voici en effet un roman de grande allure : un style à la Flaubert, des personnages variés, une intrigue multiple et bien tissée. Le lecteur plonge dedans et ne s’en sépare pas, négligeant les autres lecteurs pour avancer dans celle-là, ravi de retrouver les plaisirs de lecture de l’adolescence, quand on dévorait Balzac, Zola, Arsène Lupin ou Jules Romain dans des grandes enfilades de pages tournées compulsivement au cours d’été sans fin.

Les déracinés racontent l’histoire de sept jeunes lycéens de Nancy, aux origines diverses même s’ils sont tous lorrains, qui suivent l’enseignement de leur professeur de philosophie, kantien et républicain, M. Bouteiller. Ce dernier est muté à Paris et les invite à le suivre. Ils montent à Paris où l’on suit leur formation à la vie qu’il s’agisse de leurs expériences amoureuses, de leur initiation politique, de leur insertion professionnelle ou de leurs débats philosophiques et moraux. C’est aussi l’histoire de leur déracinement puisqu’ils abandonnent une part de leur caractère lorrain pour se transformer et, d’une certaine façon, se perdre, dans le maelstrom parisien. Le sujet est au fond très actuel car la critique de la mondialisation s’articule aujourd’hui au clivage entre métropolisation nantie et France périphérique.

Les déracinés est le premier volume d’une trilogie, le Roman de l’énergie nationale. Il fait la transition avec le cycle précédent (Le culte du moi) qui avait permis à Barrès de connaître le succès. Si on voit poindre les thèmes « nationalistes » (la terre et les morts) qui seront la marque de Barrès, le lecteur doit d’abord le lire pour ce qu’il est : Un grand roman, un roman en soi qui se justifie par lui-même, en oubliant la réputation de l’auteur, fût-elle mauvaise.

O. Kempf

Description des cyberagresseurs (sur RFI)

Désolé de mon silence au cours du dernier mois : la rentrée a été chaude, mais chaude... En clair, j'ai été surchargé de boulot. Je ne m'en plains pas... Mais du coup, j'ai dû délaisser quelque peu égéa, avec pourtant plein de trucs à dire et de nouvelles à signaler.

Bon, je passe demain mardi 8 octobre dans l'émission Décryptage, sur RFI (ici), animée par Anne Cantener (photo ci-dessous), de 18h10 à 18h30, pour évoquer les principaux responsables des cyberattaques, à partir du dernier rapport publié par Thalès et Verint (lire ici, très intéressant).

191007_RFI.jpg

Le podcast : ici

A demain. J'essaye d'ici une semaine de rattraper toutes les publications en retard.... J'ai plein de choses à vous dire !

O. Kempf

Boris Johnson est-il l'homme de la situation ?

Hier, la Deutsche Welle m'a itnerviewé à propos de l'arrivé de Boris Johnson à la primature britannique. Vous trouverez ici l’enregistrement audio de cet entretien.

ICI

O. Kempf

Transformation digitale : une interview

Le London Speaker Bureau m'a demandé une interview à la fois sur les questions de cyber et de transformation digitale: il était intéressant de relier les deux, c'est si rare. Lien ici, interview ci-dessous.

La chaîne hôtelière Marriott a été récemment victime d’une attaque de piratage qui a causé le vol d’un fichier informatique contenant les données personnelles de 500 millions de clients. Les affaires de piratage informatique à grande échelle font régulièrement la une des journaux. Sommes-nous réellement en mesure de contrer ces cyberattaques ? Sont-elles destinées à s’intensifier ?

Oui, on observe un double phénomène : celui de l’augmentation du nombre d’attaques, mais aussi celui de leur effet puisqu’à la fois elles sont plus évoluées et elles touchent des cibles toujours plus grandes. Malgré leur discrétion, comme la régulation oblige (notamment en Europe) à déclarer ses incidents, notamment touchant les données personnelles, le sujet devient plus visible. Ce qui était autrefois un « secret de famille » devient de notoriété publique, accélérant (heureusement) la prise de conscience du problème. La question de la transformation digitale est aujourd’hui omniprésente dans notre société. Quid de la cybersécurité ? Pensez-vous qu’il y ait une réelle prise de conscience des failles informatiques existantes ?

En fait, la transformation digitale amène toutes les entreprises et organisations à prendre conscience du rôle de leurs données. Pas seulement les données personnelles, mais toutes les données de l’entreprise, ce qui provoque la modification des modèles d’affaire (c’est bien pour cela qu’on parle de transformation). Une des questions collatérales est celle de la maîtrise de la donnée, donc de la protection des données de l’entreprise. De ce point de vue, il y a encore un effort de pédagogie à faire pour que la sécurité des systèmes ne soit pas seulement un problème de spécialistes (le RSSI, la DSI) mais intéresse aussi les autres directions, notamment production, marketing ou finances, qui s’intéressent désormais à la transformation digitale. Bref, l’objectif consiste à conjuguer deux cultures, dans un contexte déstabilisant. Ce n’est à l’évidence pas simple.

Les organisations gouvernementales sont-elles en mesure de faire face aux menaces à la cybersécurité au même titre que les grandes entreprises ou existe-il une course à deux vitesses ?

La différence ne tient pas tellement au secteur (public ou privé) mais plutôt à la taille. J’observe que tous les grands comptes ont des approches très matures et professionnelles, que les organisations de taille intermédiaire se sont saisies du problème mais font évidemment face à une question de moyens, que les petites organisations (par exemple petites villes ou PME) sont souvent désarmées. Mais quelle que soit la taille, tout le monde fait face à une course aux armements, due à l’augmentation de la menace évoquée dans la première question. Des dispositifs existants aujourd’hui auraient été considérés idéaux il y a dix ans et doivent être pourtant améliorés encore et encore…

Vous intervenez en tant que consultant en France et à l’étranger. Selon vous, quelle est la position de la France en termes de compétences en cybersécurité par rapport au reste du monde ?

Sans forfanterie, très bonne. Si on fait la comparaison avec le football, la France fait partie de la première ligue, même si elle ne joue pas le titre, seulement une place européenne. Il y a une véritable prise de conscience et de vrais experts mais évidemment, une limite de ressources, tant financières qu’humaines. Cela étant, la mobilisation des compétences existantes est de bonne qualité et permet à la France de survaloriser ses atouts comparatifs. C’est évidemment en Europe où elle est située en deuxième position, voir première. À l’échelle du monde, on ne se compare évidemment pas aux États-Unis ou à la Chine.

Pouvez-vous nous en dire plus quant au déroulement du processus de transformation numérique de l’armée de Terre ? Quels ont-été les principaux défis auxquels vous avez dû faire face au cours de cette mutation ?

Je me dois de rester discret, ne serait-ce que parce que je ne suis plus aux affaires ! Paradoxalement, une grande facilité a été d’avoir une page blanche et surtout le soutien du numéro un de l’armée de Terre. Du coup, cela aide à vaincre les scepticismes. Car la transformation consiste d’abord à changer les esprits, avant d’être une question de moyens. Bref, il a fallu mener un grand travail de définition du sujet, de conviction, d’identification des premiers projets éclaireurs qui ont permis de répondre à des questions pendantes ; puis de commencer à trouver des relais pour que ce ne soit plus une affaire de petite équipe.

Aujourd’hui, deux projets notamment permettent de répondre aux besoins de l’usager (dans l’armée, c’est le militaire du rang et le cadre de contact) : milistore (une sorte de magasins d’appli dédiées et sécurisées accessibles à partir de mobiles civils) et une appli de gestion des livrets d’instruction, sur l’intranet protégé du Ministère, destiné aux chefs de section. Il demeure deux grands défis (mes successeurs y travaillent) : poursuivre l’articulation avec les besoins de cybersécurité (j’étais également responsable de la politique de cyberdéfense de l’armée de Terre, cela a aidé à conjuguer deux approches en apparence opposées) ; mais aussi « passer à l’échelle », ce qui pose des questions techniques et financières, mais aussi de changement de mentalité et, à terme, de modification de la façon de travailler.

La course à l’innovation s’intensifie et les nouvelles technologies se renouvellent sans cesse. La digitalisation est-il un processus sans fin ?

Oui. La révolution informatique que nous connaissons a débuté il y a une quarantaine d’années avec plusieurs vagues. La première fut celle de l’ordinateur individuel, le PC, au milieu des années 1980. Deuxième vague avec la connexion à Internet, à partir du milieu des années 1990. Puis il y a eu le phénomène 2.0, où l’individu est passé de la consommation de données à la production de données. Puis à la fin des années 2000, il y a eu la prise de conscience de la menace cyber et simultanément l’arrivée de l’IPhone (et la 3G). Ce que nous connaissons depuis cinq ans, la transformation numérique, n’est finalement que la dernière vague de cette révolution, avec l’infonuagique, le Big Data, l’IA, la robotique, la virtualisation…

Cette dernière vague n’est certainement pas la dernière. On ne sait pas quelle sera la prochaine : blockchain, informatique quantique, autre chose ??? Mais on n’a pas fini de bouger, de découvrir, de s’adapter, de changer… La stabilité est une illusion.

Quels sont les leaders qui vous inspirent et pourquoi ?

Je ne vais pas vous citer un héros de la tech, mais plutôt un héros militaire : Leclerc. Ce type-là entre dans la Seconde Guerre mondiale comme capitaine, il en sort général ! Un destin comme au cours des guerres napoléoniennes, un talent fou, et surtout une immense qualité, fondamentale à l’époque mais aussi aujourd’hui : l’initiative. De Gaulle disait de lui : « il a obéi à tous mes ordres, même ceux que je ne lui ai pas donnés ». Autrement dit, il comprenait l’intention de son chef et savait décider au vu des circonstances, dans l’incertitude, assumant donc le risque inhérent à tout destin humain.

C’est une qualité indispensable en temps de transformation ; malheureusement, elle est mal valorisée par les organisations complexes alors qu’elle devient de plus en plus indispensable.

Quelle est votre « citation » favorite ?

« Dux in altium » : avance au large !

Le cyber est il un objet des relations internationales ?

Ja participerai samedi 13 avril à la Journée de la Diplomatie, organisée par l'association des politistes de la Sorbonne. J'y évoquerai (de 15h00 à 16h00) le sujet suivant : Le cyber est-il un objet des relations internationales ?

S'inscrire pour venir. Tous les détails ici

Programme ci-dessous

// JOURNÉE DE LA DIPLOMATIE - 3ÈME ÉDITION \\

Vous êtes curieux et intéressé par la diplomatie et les relations internationales ? Pour tous les étudiants désireux de mieux comprendre les enjeux de notre monde actuel, les Politistes Sorbonne, en partenariat avec le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, vous invitent à la Journée de la Diplomatie pour sa 3ème édition ! Celle-ci se déroulera le Samedi 13 Avril 2019 de 14h à 18h dans le cadre du programme Quai d’Orsay Hors les Murs. #JDLD

Le programme de l’après-midi :

14h-15h : Conférence Introductive : « Déclin des États, remise en cause de l’ONU, réchauffement climatique… Sommes-nous prêts à entrer dans le nouveau monde ? »

15h15-16h : Deux tables rondes simultanées : « Le cyber est-il un objet des relations internationales ? » « Les relations France-Venezuela dans un contexte de crise économique et politique »

16h15-17h : Deux tables rondes simultanées : « Trois ans après la COP21, une diplomatie verte comme facteur de rassemblement mondial? » « La présence française dans l'Indo-Pacifique et ses enjeux : l'exemple de l'Australie »

Vous pourrez alors échanger directement avec nos intervenants, soit des diplomates ou des chercheurs.

Interventions radio (cyber Europe, Huawei)

J'ai donné deux entretiens radio ces derniers jours.

L'un à Euradio, où j'évoque le cyber, l'UE, la question des alliances : un long format de 15 mn, en ligne le 28 janvier dernier.

Ici

L'autre à France Culture, à la suite des ripostes américaines envers Huawei, dans le journal de 12h30 du 29 janvier (2mn).

Bonne écoute

O. Kempf

Institutions régionales au Maghreb

Le dernier numéro du Magazine de géopolitique, Conflits, est consacré au Maghreb (n° 20, janvier-mars, disponible en kiosque (ou sur le site ici) pour 9,9 €).. J'ai l'honneur d'y signer un article qui fait le point des différentes institutions maghrébines ou incorporant des États maghrébins. A lire ci-dessous.

Comme beaucoup de régions, le Maghreb est traversé d’institutions internationales : comme souvent désormais, elles sont bien souvent peu pertinentes.

La première est évidement l’Union du Maghreb Arabe (UMA), créée en 1989 et réunissant les cinq Etats du Maghreb. Toutefois, elle n’a suscité aucune avancée concrète et elle reste bloquée à cause du conflit du Sahara Occidental et donc de la dispute entre l’Algérie et le Maroc. Il s’agit finalement de l’organisation sous-régionale africaine qui est la plus bloquée, alors que les cinq pays ont déjà une civilisation en commun et qu’une intégration économique régionale permettrait un développement important de la zone. Il faut citer l’ONU, présente dans la zone au travers de la MINURSO au Sahara occidental mais aussi de son rôle en Libye.

Institutions arabo-musulmanes

Les pays du Maghreb partagent énormément de fondements culturels et civilisationnels. Pourtant, aucune des institutions du monde arabo-musulman ne leur a donné réellement satisfaction pour développer leurs échanges.

Les cinq pays maghrébins sont membres de la Ligue arabe, qui a été créée en 1945. La Libye rejoint l’organisation en 1953, la Tunisie et le Maroc dès 1958 à la fin du protectorat, l’Algérie en 1962 dès son indépendance, la Mauritanie enfin en 1973. Il ne faut pas méconnaître cependant le sentiment de supériorité des pays du Machrek envers ceux du Maghreb, même si le siège de la Ligue a été installé à Tunis de 1979 à 1990. Si le panarabisme a eu un rôle politique important au cours de la Guerre froide, il est aujourd’hui en panne, les pays arabes peinant à trouver des convergences politiques.

Aussi quelques pays signent en 2001 l’accord d’Agadir (Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie, rejoints par Liban et Palestine en 2016) qui crée une zone de libre-échange arabe. Il entre en vigueur en 2007 et est soutenu par l’UE. Cependant, des difficultés demeurent et il peine à croître. Il s’agit d’une version réduite du Conseil de l’unité économique arabe, créée en 1957 dans le cadre de la Ligue arabe et qui n’a pas donné de résultats. L’organisation de la coopération islamique (OCI) a été créée en 1969 à l’instigation de l’Arabie Saoudite. Les 5 pays maghrébins en sont membres fondateurs. Toutefois, cette organisation religieuse mais aussi politique et culturelle n’est pas un grand cadre de coopération intra-maghrébine

Institutions méditerranéo-européennes

Les pays du Maghreb se sont d’abord tournés vers le nord de la Méditerranée et notamment les pays européens. Les anciennes puissances coloniales de la zone (Espagne, France, Italie) conservent en effet de profonds intérêts. Mais au-delà des nombreux accords bilatéraux, les initiatives institutionnelles donnent peu satisfaction.

Le partenariat Euromed, ou processus de Barcelone, a été créé en 1995 et inclut un certain nombre de pays méditerranéens, dont Algérie, Maroc et Tunisie, ainsi que la Mauritanie depuis 2007 (la Libye a un statut d’observateur). Il constitue le volet méditerranéen de la politique européenne de voisinage (PEV). L’UE distribue ainsi quelques aides financières aux pays bénéficiant d’un statut avancé (Maroc et Tunisie). Le processus de Barcelone a été « renforcé » à partir de 2008 avec la création de l’Union pour la Méditerranée, réunissant tous les pays de l’UE et les pays riverains (la Libye est observateur). Un certain nombre de programmes sont labellisés (transport, énergie, économie bleue, etc…) mais il est à la fois très institutionnel et peu centré sur les problématiques particulières du Maghreb.

Pour justement se concentrer sur la Méditerranée occidentale, les cinq pays de l’UMA ainsi que les cinq riverains du nord (Espagne, France, Italie, Malte, Portugal) créent en 1990 le dialogue 5+5. Les conversations régulières portent sur des sujets sectoriels (intérieur, transports, défense, migrations, finance, enseignement…). Là encore, il s’agit de rencontres formelles avec peu d’effets concrets.

Le dialogue méditerranéen est le partenariat de l’Alliance atlantique dédié « au sud » : y participent l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie (ainsi que d’autres pays du pourtour : Égypte, Israël, Jordanie). Créé en 1995 (l’Algérie ne l’a rejoint qu’en 2000), il n’a pas instauré une dynamique collective et les quelques actions sont principalement bilatérales (OTAN + 1).

Institutions africaines

C’est pourquoi on observe une sorte de mouvement vers l’Afrique. Les cinq sont membres de l’Union Africaine, maintenant que le Maroc à rejoint l’organisation en 2017, après l’avoir quittée en 1984. Le plus intéressant demeure pourtant la question des organisations sous-régionales. Ainsi de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) créée en 1975 (PIB de 817 G$, population de 360 Mh). Avec son retour dans l’UA, le Maroc a demandé dès 2017 l’adhésion à la CEDEAO. Celle-ci a donné son accord de principe mais les modalités de détail traînent. La Mauritanie qui en était membre a quitté l’organisation en 2000 mais a signé un accord d’association en 2017. On observe que la constitution d’un grand bloc commercial à l’ouest de l’Afrique constituerait un puissant facteur de développement, une fois la question de la monnaie résolue.

Le Marché commun de l'Afrique orientale et australe aussi connu sous son acronyme anglais COMESA, a été fondé en 1994 et inclut depuis 2005 la Libye et 2018 la Tunisie (des négociations sont en cours avec l’Algérie). Il s’agit d’un marché commun (677 G$ et 475 Mh). Pour mémoire, citons la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) a été créée en 1998. Elle comprend 29 États dont les pays maghrébins sauf l’Algérie. Elle a pour ambition d’établir une union économique globale mais aussi de développer les réseaux de transport. On voit ainsi se constituer des blocs sud-sud. Alors que l’histoire et la géographie militent pour une intégration latérale entre les cinq pays du Maghreb, le blocage de l’UMA et une certaine négligence européenne incitent les États maghrébins à développer des stratégies autonomes, principalement en direction du sud, avec un satellite occidental (Maroc et Mauritanie vers la CEDEAO) et un autre oriental (Libye et Tunisie vers la COMESA). Les stratégies sont d’abord économiques mais aussi sécuritaires (notamment le sujet de la coopération sur la question des migrations : on rappelle ici que la Mauritanie appartient au G5 Sahel). L’Algérie reste un peu isolée dans ce mouvement général.

Olivier Kempf dirige la lettre stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com). Il a publié « Au cœur de l’islam politique » (UPPR, 2017).

Egea sur France Inter

Je serai ce lundi 8 octobre sur invité à l'émission Un jour dans le Monde présentée par Fabienne Sintès. Nous y parlerons des attaques cyber et de la cyberconflictualité. J'y serai au côté de mon ami et complice Thierry Berthier, collègue d'Echoradar et animateur du blog Cyberland. A vos grandes ondes entre 18h15 et 18h35.

O. Kempf

Israel, l'obsession du territoire (J. Fuentes-Carrera)

Comment parler géopolitiquement d'Israël sans verser dans la montée très rapide à l'émotion, à l’idéologie, à la polémique, aux accusations ?, Peut-être en revenant à une analyse géopolitique fondée sur la géographie et faire travailler un auteur mexicain, assez éloigné donc des clivages émotifs du sujet. C'est ce mélange inédit qui nous propose ce livre rare et indispensable permettant un regard enfin distancié sur la question israélo-palestinienne.

Il faut dire que l'auteur est accompagné d'un des plus grands géographes français, Philippe Subra. Cela aide évidemment à apporter distance et rigueur d'analyse mais aussi expérience géographique.

Au fond, toute la stratégie territoriale d'Israël ne se réduit pas au territoires occupés ni à la construction du mur, ce à quoi on la réduit trop souvent. L’intérêt du livre consiste à montrer que le principal angle de compréhension est ce que nous appelons en France "l'aménagement du territoire". Cet angle, plus neutre, laisse toutefois apparaître une politique presque séculaire puisque remontant à la période pré-étatique, de 1890 à 1948.

Le livre montre ainsi la fabrication de frontières à l'intérieur d'Israël (dès avant le Mur) - chap 1 ; tout le travail de colonisation, d'aménagement et de maîtrise de l'espace (chap 2); que cette politique d'aménagement israélienne, ne cache pas de profondes division juives (chap 3); le livre s'attarde ensuite sur le système électoral (chap 4) puis sur Rawabi, "la ville du futur" palestinienne, (chap 6).

Bref, au-delà des guerres et des conflits, au-delà des murs et des "colonies", le livre montre aussi l'évolution des réseaux routiers ou des découpages administratifs, ou encore les séparations de communautés entre centres et périphéries des villes israéliennes.

L'ensemble dresse un tableau particulièrement instructif, sourcé et académique (je n'ose dire neutre), qui démontre une permanence des objectifs territoriaux de l’État d'Israël, confronté à une exiguïté qui rend cette question des limites essentielle. On en déduit logiquement que ce qui n'était qu'un moyen est devenu une fin en soi et que l'extension des frontières va de pair avec un enfermement psychologique et obsidional.

On note également la question de la densité démographique (et des zones désertiques), ou encore de la lutte pour les ressources en eau, avec un déterminant environnemental qui prend une importance croissante. Autant de sujets "techniques" qui militent pour des décisions "techniques", celles-ci contribuant, "par hasard" à concourir à un plan plus général d’occupation de l'espace.

L'ouvrage est illustré de très nombreuses cartes originales qui accompagnent le texte et le rendent intelligible. Voici donc un livre indispensable et distancié, loin des anathèmes habituels sur le sujet, mais qui permet de se construire son opinion : Désaltérant. A recommander chaudement.

Julieta Fuentes-Carrera (avec la collaboration de Philippe Subra, Israël, l'obsession du territoire, Armand Colin, 2018, 222 p. Lien éditeur

O. Kempf

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