Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

Jean-Marc Jancovici au Sénat : omissions et approximations

Je viens d’écouter l’audition d’une petite heure de Jean-Marc Jancovici au Sénat, qui a eu lieu le 12 février dernier dans le cadre de la « Commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ».

Beaucoup d’informations exactes, qui relèvent d’ailleurs bien souvent du bon sens, mais aussi quelques omissions et approximations sur lesquelles je souhaite revenir ici.

Je tiens à préciser d’entrée que j’ai beaucoup de respect pour Jean-Marc Jancovici, dont j’ai vu un nombre incalculable de vidéos sur YouTube, notamment la série de huit cours donnés à l’école des Mines. J’ai aussi lu avec intérêt le livre résumant Le plan de transformation de l’économie française publié par le Shift Project, think tank qu’il a cofondé.

Entendons-nous déjà sur le constat qu’on peut facilement partager avec lui avant d’en venir aux différents points d’achoppement.

Oui, il est urgent d’amener à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre au maximum, et le plus vite possible.

Oui, en l’état, il semble impossible de limiter la hausse moyenne des températures à 1,5 °C au-dessus du niveau préindustriel.

Et oui, nous semblons bien partis pour dépasser la limite des 2°C.

La question comme toujours demeure : « Que faire et comment ? ». Comme à son habitude, Jean-Marc Jancovici prêche d’abord et avant tout pour une sobriété massive en France, la « pauvreté choisie » selon ses mots, afin de montrer l’exemple au reste du monde dans l’espoir de l’inspirer, « son pari pascalien », dit-il.

C’est déprimant. Si la sobriété peut avoir un rôle à jouer, elle ne suffira pas à elle seule. Le progrès technologique accéléré par l’économie de marché ne trouve pas grâce à ses yeux, c’est son angle mort.

Mes remarques.

 

Oubli d’une pompe à carbone amenée à jouer un rôle majeur

Je note déjà une erreur scientifique dès sa prise de parole, ce qui est assez surprenant de sa part. Il explique qu’il n’y a que deux façons pour le CO2 de quitter l’atmosphère : soit en étant absorbé par l’océan par « équilibrage de pressions partielles » ; soit en étant transformé, avec d’autres intrants, en biomasse suite à l’action de la photosynthèse des plantes.

Il oublie un phénomène qui a son importance, on va le voir, l’érosion chimique des roches silicatées : quand le CO2 de l’atmosphère se mêle à la pluie pour produire de l’acide carbonique (H2CO3), qui va ensuite réagir avec ces roches pour donner d’un côté un minéral carbonaté (contenant les atomes de carbone) et de l’autre du sable en général (contenant les atomes de silicium). Les minéraux carbonatés ainsi produits sont ensuite emportés par les rivières et fleuves jusqu’au fond des océans où il se déposent. Leurs atomes de carbone sortent alors de l’atmosphère pour le très long terme. C’est ce qu’on appelle le cycle lent du carbone.

Si Jean-Marc Jancovici n’en parle pas, c’est sans doute car, si sur le temps géologique long il peut induire des changements climatiques très marqués, à notre échelle temporelle il n’a que peu d’impact : on considère qu’il retire de l’atmosphère chaque année environ 300 millions de tonnes de CO2, et il est contrebalancé par les émissions de CO2 des volcans qui rejettent, eux, environ 380 millions de tonnes de CO2 chaque année au maximum. Ce cycle géologique semble donc ajouter en net du carbone dans l’atmosphère, à hauteur de 80 millions de tonnes de CO2 par an, soit 0,2 % des émissions de CO2 d’origine humaine (autour de 40 milliards de tonnes/an).

Un oubli pardonnable donc. Mais cela traduit en fait la courte vue de Jean-Marc Jancovici, car ce phénomène, l’érosion chimique des roches silicatées, représente a priori le moyen le plus économique de capturer et stocker pour le très long terme et à très grande échelle le CO2 en excès dans l’atmosphère.

S’il nous faut absolument cesser d’émettre des gaz à effet de serre au plus tôt, l’inertie de nos économies fait que cela prendra du temps, même si les solutions sont réelles. Nous allons donc continuer à pourrir la planète pendant encore un certain temps. Il est urgent de réfléchir à comment retirer pour de bon l’excès de carbone dans l’atmosphère, à hauteur de 1500 milliards de tonnes de CO2, pour réparer le mal déjà commis, et limiter au maximum la casse.

Un certain nombre de solutions sont envisagées.

Celles consistant à embrasser la photosynthèse sont difficiles à généraliser à grande échelle, on manque de place pour ajouter assez d’arbres par exemple, et quand bien même, on n’est pas sûr de pouvoir les maintenir en état dans un monde en réchauffement. D’autres pensent aux algues, mais le résultat est difficile à mesurer. L’autre classe de solution est la capture du CO2 ambiant grâce à des machines et son stockage en sous-sol.

Le problème de toutes ces solutions, quand elles sont pensées pour être durables, est in fine leur scalability et leur coût. Elles sont beaucoup trop chères, on peine à voir comment tomber en dessous des 100 dollars par tonne de CO2 capturé et séquestré. Comme ce CO2 capturé ne rapporte rien directement, il s’agit en fait d’une taxe que les contribuables du monde doivent se préparer à payer. Avec 1500 milliards de tonnes de CO2 en excès, un coût de 100 dollars par tonne et plus rend tout simplement l’opération inconcevable, on parle d’environ deux fois le PIB mondial ! Même réparti sur 20 ans, on tombe à 10 % du PIB mondial par an, une taxe bien trop lourde.

Démultiplier l’érosion chimique de roches silicatées, notamment l’olivine, semble offrir un moyen de faire tomber ce coût à 5 dollars par tonne, tel que le détaille cette projection.

L’olivine est assez abondante et accessible sur Terre pour capturer les 1500 milliards de tonnes de CO2 en excès dans notre atmosphère. L’idée consiste à extraire ces roches, les concasser en fine poudre à déverser dans la mer où leur constituant principal, la fostérite de formule Mg2SiO4, réagira avec l’acide carbonique de l’océan (formé par réaction de l’eau avec le CO2) pour précipiter notamment du bicarbonate de magnésium Mg2(HCO3qui pourra se déposer au fond des mers, séquestrant au passage ses atomes de carbone. Bien sûr, il faudra pour cela beaucoup de machines qui utiliseront possiblement des carburants hydrocarbonés, (même pas en fait à terme), mais leur impact sera largement compensé par le CO2 séquestré. On parle là d’un chantier vertigineux, sur au moins vingt années, mais à 5 dollars par tonne de CO2, cela devient une taxe digeste à la portée de l’humanité.

Ainsi, plutôt que d’être passablement ignorée comme l’a fait Jean-Marc Jancovici, cette pompe à CO2 méritait au contraire d’être citée, et devrait faire l’objet de beaucoup d’attention, d’études complémentaires et expérimentations, préalables aux investissements à suivre.

 

Non, notre siècle ne sera pas un monde d’énergie rare

Jean-Marc Jancovici part du postulat que nous entrons dans une ère de pénurie d’énergie du fait du tarissement de la production de pétrole et de gaz, et de la nécessité absolue de se passer des énergies fossiles pour minimiser la catastrophe climatique.

De là, il prévoit que nous ne pourrons plus produire autant d’engrais aussi bon marché qu’aujourd’hui, ce qui veut dire que la nourriture sera plus rare et plus chère. Couplé à la hausse des coûts du transport, il en conclut qu’il deviendra prohibitif d’approvisionner en nourriture une ville comme Paris (deux millions d’habitants) et qu’à l’avenir, la taille idéale d’une ville serait plutôt de l’ordre de celle de Cahors (20 000 habitants).

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si ce postulat et les premières étapes du raisonnement sont valides pour ce siècle, alors il y a bien pire à prévoir que de voir Paris se vider et fleurir des Cahors.

Continuons ce reductio ad absurdum.

Si l’on pense véritablement qu’on ne pourra pas produire autant de nourriture qu’aujourd’hui, que les rendements agricoles vont baisser drastiquement, et que la nourriture coûtera bien plus cher à l’avenir, alors le premier des problèmes n’est pas le redimensionnement des villes. Non, c’est d’abord et avant tout le fait que la Terre ne pourra pas faire vivre huit milliards d’êtres humains. Ce qui voudrait dire que des milliards d’entre nous sont d’ores et déjà condamnés à mourir de faim au XXIe siècle ! Autant que Jean-Marc Jancovici le dise clairement !

Ce bien sinistre tableau ne tient pas la route, nous allons voir pourquoi.

Mais demandons-nous d’abord quelles sont les raisons profondes derrière le postulat initial de Jean-Marc Jancovici ?

Il considère que d’une part, pour satisfaire à tous les usages électrifiables, on ne parviendra pas à développer assez vite les infrastructures de production d’électricité pour en produire en quantité suffisante à prix abordable. Car construire du nucléaire prend trop de temps, et le renouvelable souffre d’après lui de problèmes rédhibitoires : intermittence, contrainte sur les matériaux et les sols, et enfin prix acceptables envisagés non crédibles, car permis justement par la dépendance aux machines fonctionnant aux carburants fossiles, dont il faudrait se débarrasser.

D’autre part, il explique qu’il n’y a pas de solution alternative aussi abordable que les énergies fossiles pour les usages qu’on ne pourra pas électrifier, notamment l’aviation long courrier et le transport maritime en haute mer. Annonçant ainsi la fin de la mondialisation et les joies du voyage en avion.

Ce raisonnement a tenu un temps. Mais des tendances de fond, dont on pouvait effectivement encore douter jusqu’il y a quelques années, sont aujourd’hui impossibles à ignorer, et nous font dire que le XXIe siècle sera bien au contraire un monde d’abondance énergétique !

Ces tendances, les voici :

• Chute continue du coût de l’énergie solaire photovoltaïque (PV), et en parallèle, la croissance exponentielle des déploiements, même trajectoire pour les batteries qui permettent notamment la gestion de l’intermittence sur le cycle diurne (jour/nuit).

• De nouvelles études montrent qu’il y aura assez de matériaux pour assurer la transition énergétique.

• Du fait du premier point, il sera possible de produire à grande échelle des carburants de synthèse carbonés avec le CO2 de l’atmosphère (aux émissions nettes nulles donc) à un tarif compétitif, puis plus bas que les énergies fossiles importées à peu près partout sur Terre d’ici à 2035-2040.

Le dernier point va justement permettre de verdir et faire croître l’aviation et le transport maritime, et de tordre le cou à l’objection du renouvelable abordable seulement du fait de la dépendance aux énergies fossiles. On ne se passera pas des énergies carbonées, mais on fera en sorte qu’elles ne soient plus d’origine fossile.

Détaillons.

 

Chute continue du coût du solaire PV et des batteries

Pour se donner une idée, un mégawatt-heure d’électricité solaire PV coûtait 359 dollars à produire en 2009, on est aujourd’hui autour de 25 dollars/MWh aux États-Unis sur les fermes solaires de pointe.

En avril 2021, on apprenait qu’un chantier en Arabie Saoudite vendra de l’électricité à un prix record mondial de près de 10 dollars/MWh. Il y a toutes les raisons de penser que cela va continuer à baisser au rythme actuel pour encore longtemps, pour les raisons que j’exposais dans cet article (économies d’échelles, loi de Wright, assez de matériaux). Sans surprise, le solaire PV est en plein boom. En 2023 en Europe, c’est l’équivalent en puissance d’une centrale nucléaire par semaine qui a été installée !

Ce phénomène de baisse des prix au fur et à mesure des déploiements est également à l’œuvre avec les éoliennes, dans des proportions moindres toutefois. Elles auront un rôle à jouer dans les pays les moins ensoleillés et en hiver, en complément du solaire PV.

Cette explosion des déploiements va s’accélérer grâce à la baisse parallèle du coût des batteries qui permettent de compenser les effets de l’intermittence sur la journée. Par exemple, les batteries Lithium Iron Phosphate (LFP) coûtaient autour de 110 euros/kWh en février 2023. Les industriels parlent d’atteindre 40 euros/kWh cette année, un chiffre qu’en 2021 on pensait atteindre vers 2030-2040. Tout s’accélère !

Autre exemple, Northvolt, une entreprise suédoise, a dévoilé une technologie de batterie révolutionnaire, « la première produite totalement sans matières premières rares », utilisant notamment le fer et le sodium, très abondants sur les marchés mondiaux. Son faible coût et la sécurité à haute température rendent cette technologie particulièrement attractive pour les solutions de stockage d’énergie sur les marchés émergents, notamment en Inde, au Moyen-Orient et en Afrique.

Bref, on assiste bien à la chute continue du coût des batteries couplée à la hausse continue de leur qualité (s’en convaincre en 6 graphiques ici).

Pour la gestion de l’intermittence saisonnière, on s’appuira sur un système combinant centrales nucléaires et au gaz de synthèse pour prendre le relais au besoin. On continuera à investir dans l’extension des réseaux électriques permettant par exemple d’acheminer de l’électricité solaire PV depuis le Sahara jusqu’à l’Europe.

Enfin, pour le stockage longue durée, c’est a priori le stockage hydraulique par pompage qui devrait s’imposer.

 

Nous disposons d’assez de ressources et métaux pour la transition énergétique

L’Energy Transition Commission (ETC) a publié un rapport important en juillet 2023, qui examine les besoins en minéraux de 2022 à 2050. Il repose sur un scénario ambitieux visant à atteindre zéro émission nette d’ici 2050 : électricité mondiale décarbonée, transport de passagers quasiment décarboné, industrie lourde approvisionnée en hydrogène vert, et 7 à 10 milliards de tonnes de CO2 de captage et de stockage du carbone pour les émissions restantes.

Le rapport montre que le monde possède en soi suffisamment de cuivre, nickel, lithium, cobalt et argent, même si nous devrons en rendre davantage économiquement viables, ou trouver de nouveaux gisements facilement accessibles.

Mais il faut noter que les industriels savent souvent remplacer un matériau lorsque son approvisionnement semble compromis, ou que son prix monte trop.

Par exemple, les projections sur le besoin en cobalt ont considérablement baissé à mesure que certains constructeurs de voitures électriques se sont tournés vers d’autres intrants. De la même façon, les prix élevés du cuivre entraînent une transition vers l’aluminium.

Et les estimations de l’ETC sur la demande en minéraux sont élevées par rapport à d’autres analyses. En recoupant ces hypothèses avec d’autres analyses, on constate que l’ETC est conservateur, prévoyant généralement la plus forte demande en minéraux. Citons par exemple :

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) : « Il n’y a généralement aucun signe de pénurie dans ces domaines : malgré la croissance continue de la production au cours des dernières décennies, les réserves économiquement viables ont augmenté pour de nombreux minéraux de transition énergétique. »

Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) : « Les réserves de minéraux de transition énergétique ne manquent pas, mais les capacités d’extraction et de raffinage sont limitées. […] La production a augmenté pour de nombreux minéraux de transition énergétique, et les réserves extraites de sources économiquement viables ont augmenté. De plus, les innovations de rupture – telles que l’amélioration de l’efficacité et les substitutions de matériaux – sont déjà en train de remodeler la demande. »

 

Carburants carbonés de synthèse aux émissions nettes nulles

On parle d’e-carburants, ou encore d’électro-carburants, car on utilise de l’électricité pour capturer le CO2 de l’atmosphère et pour faire de l’électrolyse de l’eau permettant d’obtenir l’hydrogène H2 à faire réagir avec le CO2 capturé afin de produire ces carburants de synthèse. Il ne faut pas les confondre avec les biocarburants, sur lesquels je reviens en dernière partie.

Si l’électricité utilisée est verte, on a bien là des carburants verts, aux émissions nettes nulles, puisque le CO2 utilisé au départ provient de l’atmosphère. Brûler ces carburants n’ajoute pas de nouveau carbone à l’atmosphère tiré des entrailles de la Terre. (pour retirer en net du CO2 de l’atmosphère, il faudra, par contre, se tourner vers la solution évoquée en première partie.)

Aujourd’hui, fabriquer ces e-carburants reste prohibitif. Mais cela va bientôt changer du fait de la chute continue du coût de l’énergie solaire PV.

Pour rivaliser avec le kérosène fossile importé par exemple, il faudra que le coût de cette énergie solaire PV passe en dessous des 10 dollars/MWh.

On utilise pour cela l’électricité sur le point de production sans avoir besoin de se raccorder au réseau pour s’épargner les coûts (onduleurs, pertes en transmission) et délais associés, en intégrant bien dans le calcul l’intermittence du solaire PV, et donc l’utilisation des machines produisant ces e-carburants que 25 % du temps en moyenne. J’explique tout en détail dans cet article.

Un des freins relatifs au développement du solaire PV est l’embouteillage pour se raccorder au réseau (des années dans certains cas aux États-Unis) et la disponibilités des batteries (même si ça évolue très vite, on l’a vu). Mais cela ne s’applique pas à la production d’e-carburants : nul besoin du réseau électrique ni de batteries. Cela ne peut que contribuer à débrider plus encore l’explosion des déploiements de fermes solaire PV.

Au rythme actuel de la baisse des prix du solaire PV, les e-carburants produits sur place seront compétitifs avec les carburant fossiles importés avant 2030 dans les endroits les plus favorables et à peu près partout sur Terre d’ici à 2035-2040.

C’est inévitable.

La mondialisation soutenue par le commerce maritime ne s’arrêtera pas faute d’énergie. Et loin de ralentir, l’aviation sera en mesure d’exploser à partir des années 2040, sans que cela n’accroisse les émissions nettes de gaz à effet de serre.

Si certaines tensions seront observées sur les 10 à 15 prochaines années, le temps que ces solutions arrivent à maturité, il est clair par contre qu’ensuite, c’est bien un monde d’abondance énergétique propre qui nous attend.

 

Oui, les biocarburants sont une hérésie, mais pas que pour les raisons invoquées

Suite à une question sur la concurrence des sols entre nourriture et biocarburants, Jean-Marc Jancovici explique que d’une certaine façon, oui les terres dédiées à la production de biocarburants conduisent à de la déforestation, sous-entendant qu’il faudrait faire sans les biocarburants et réduire en conséquence le transport des hommes et marchandises, la sobriété d’abord et avant tout à nouveau.

Jean-Marc Jancovici a raison, les biocarburants sont une aberration, mais pas seulement pour les raisons qu’il donne. Ils ont vocation à rester chers car produire de la biomasse, la récolter, la transporter, la transformer, la conditionner ne se prêtera pas à des économies d’échelles suffisantes.

Et quand bien même cela pourrait devenir aussi abordable que les carburants fossiles, c’est un crime thermodynamique absolu de s’en servir pour le transport terrestre comparativement à la motorisation électrique.

Pour un moteur à combustion, sur 100 unités d’énergie au départ, seuls 20 sont transformés en mouvement, le reste est gâché en chaleur inutilisée. Pour une voiture électrique, on est proche de 89 % d’efficacité ! En réalité, pour ce qui est du transport terrestre, la messe est dite, les véhicules électriques vont éclipser tout le reste. Dans quelques années, à autonomie égale, il sera moins cher à l’achat et à l’usage d’opter pour un véhicule électrique plutôt que pour un véhicule à essence. Mêmes les engins agricoles et de minageune partie de l’aviation et le transport maritime fluvial et côtier seront électrifiés à terme !

On peut se passer des biocarburants et des énergies fossiles, mais cela ne veut pas dire que le transport doit diminuer. On l’a vu, le transport terrestre a vocation à être électrifié de bout en bout, et les solutions existent pour produire en masse à terme de l’électricité verte.

Et pour les usages où l’on ne pourra pas encore se passer des hydrocarbones, on comprend maintenant que le salut viendra non pas des biocarburants, mais des e-carburants ! Puisque Jean-Marc Jancovici parlait des sols, notons que pour une même dose de soleil reçue, l’efficacité énergétique des biocarburants est de l’ordre de 0,1 % tandis qu’on est autour des 5 % pour les e-carburants (produits avec de l’énergie solaire PV).

Autrement dit, pour une quantité égale de carburants, on aura besoin de 50 fois moins de terres avec les e-carburants, et on pourra d’ailleurs utiliser des terres arides. Oui, les biocarburants sont une hérésie sans avenir.

Voilà donc une somme de raisons d’entrevoir le futur avec le sourire, un sourire non pas benêt, mais ancré dans la conviction que l’ingéniosité humaine et les ressources de notre planète permettront bien à huit milliards d’êtres humains et plus de vivre confortablement et durablement.

Cette abondance nous tend les bras au XXIe siècle, mais le chemin pour y arriver va être tortueux pour encore une bonne décennie. En attendant, tout effort de sobriété est bienvenu, ne le nions pas non plus, mais par pitié, ouvrons aussi les yeux sur ces dernières tendances plus qu’encourageantes.

« Leur but est de saper notre État de droit » grand entretien avec Nicolas Quénel

Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l’information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

Quand le PCC met en scène sa propre légende dans les rues de Paris

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Pouvez-vous décrire les failles les plus alarmantes et les plus inattendues que vous avez mises au jour dans votre enquête ?

Nicolas Quénel – Il n’y a pas vraiment un exemple en particulier qui me revienne en tête. Le fait que la Chine ait pu tourner Fox Hunt, un film de propagande à la gloire du programme de disparition forcée (qui a fait des victimes en France) en plein dans les rues de Paris pendant des semaines sans que personne ne trouve rien à y redire me fascinera toujours par exemple.

On pourrait aussi citer les Indian Chronicles. Une opération d’influence indienne qui avait duré 15 années et durant laquelle les Indiens ont su exploiter les failles de l’ONU pour mener des opérations de dénigrement du Pakistan directement au Conseil des droits de l’Homme.

Plus inattendu encore, l’exemple d’Evguéni Prigojine, le défunt patron des mercenaires de Wagner, qui avait financé une fausse ONG de défense des droits de l’Homme pour faire monter le sujet des violences policières en France quelques mois avant l’élection présidentielle de 2022. Avec un collègue nous avions pu entrer en contact avec un homme qui avait l’audace de se présenter sous le nom de Ivan Karamazov. C’était assez cocasse.

 

Guerre froide 2.0

Samedi 3 février dernier, l’ancien président russe Dimitri Medvedev a publié un long texte sur Telegram appelant à s’ingérer dans les processus électoraux européen et américain en soutenant les partis « antisystème ». Il a notamment écrit : « Notre tâche est de soutenir de toutes les manières possibles ces hommes politiques et leurs partis en Occident, en les aidant apertum et secretum [ouvertement et secrètement], à obtenir des résultats corrects aux élections ». Comment prouver les traces de cette ingérence ? Quelles types d’actions recouvrent ce terme, « secretum » ? 

Il est toujours difficile de prouver l’ingérence d’une puissance étrangère dans un processus électoral. Évidemment, on ne parle pas ici du jeu d’influence classique entre États. Après tout, Vladimir Poutine, quand il invite au Kremlin une candidate à l’élection présidentielle française, et lui accorde un entretien immortalisé par quelques photos, est tout à fait en droit de le faire, et la candidate est libre d’accepter ou de décliner l’invitation en fonction de ce qu’elle juge être le mieux pour son intérêt personnel.

Quand nous parlons d’ingérence électorale, nous parlons communément de ce qu’il était convenu d’appeler les « mesures actives » pendant la Guerre froide, lesquelles désignent l’ensemble des moyens employés pour influencer une situation de politique intérieure d’un pays-cible, ou sa ligne de politique étrangère. Parmi ces moyens, on peut évoquer notamment la désinformation, la propagande, le recrutement d’agents d’influence, ou l’utilisation de faux ou d’idiots utiles.

Ces mesures actives, elles, sont par essence secrètes, et la Russie mène ce type d’opérations en France aujourd’hui comme au temps de la Guerre froide. Si on ne devait donner qu’un exemple pour illustrer l’ancienneté de ces ingérences électorales, ce serait l’élection de 1974 pendant laquelle la « résidence de Paris » (l’antenne du KGB dans la capitale française) s’était vantée d’avoir mené en une semaine seulement 56 de ces opérations en faveur de Mitterrand dans un rapport envoyé à Moscou. Fait amusant, les Soviétiques à Moscou avaient de leur côté mené des opérations pour favoriser Giscard.

Ces opérations ont évidemment évolué depuis la Guerre froide, notamment avec le numérique. Les objectifs, eux, restent inchangés. Ce qui n’a pas changé non plus, c’est le fait que ces opérations restent très difficilement attribuables formellement. On ne trouve presque jamais la preuve ultime de l’implication directe de l’appareil d’État russe. Remonter la piste de ces opérations pour découvrir qui est le commanditaire réel demande parfois des années de travail, et ce travail n’aboutit pas toujours.

 

Agents d’influences et idiots utiles

Quels sont les principaux canaux utilisés par Moscou pour véhiculer sa propagande en France ? Est-ce facile pour le régime de Poutine de recruter des « agents » ? Quels sont leurs profils ?

Il faut faire la distinction entre les agents d’influence et les simples idiots utiles. Quand on parle d’idiots utiles, nous faisons référence à ceux qui répercutent la propagande du Kremlin de manière consciente ou non. Eux ne tirent pas de bénéfices de cela de la part de la Russie, mais se reconnaissent dans cette propagande. Il y a un alignement idéologique entre le discours du Kremlin et leurs convictions profondes. Dans notre pays, des gens sont persuadés que les Arabes vont remplacer les Blancs, que l’homosexualité est un signe de la dégénérescence des sociétés occidentales etc. De fait, ils se retrouvent dans les narratifs du Kremlin, et peuvent sincèrement penser que Poutine est un rempart contre une prétendue décadence.

C’est grotesque, évidemment, mais jusqu’à preuve du contraire, être con n’est pas un délit dans ce pays.

Les agents d’influence, par contre, c’est autre chose. Il s’agit d’individus qui tirent bénéfice de la récitation de cette propagande. Les Russes vont essayer de recruter des politiciens, des journalistes, des avocats… Ceux dont la voix porte, et qui, en plus, ont l’avantage d’être un peu mieux protégés que le citoyen ordinaire, dans le sens où il est plus délicat pour un service de renseignement d’enquêter ouvertement sur ce type de profils. On se souvient de l’affaire Jean Clémentin, le journaliste du Canard enchaîné qui était en réalité un vrai agent d’influence payé par les Soviétiques.

 

La France est dans leur viseur

Outre la Russie, quelles sont les principales puissances qui mettent en œuvre des stratégies de désinformation en France ? Dans quels buts ? Ont-elles des manières communes de procéder ?

Les plus actifs en France en matière d’opérations d’influence sont les Russes et les Chinois. On pourrait ensuite citer l’Iran, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Inde… Tous ont un agenda, des objectifs stratégiques qui leur sont propres. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont globalement tous les mêmes méthodes et surtout apprennent des erreurs des uns et des autres. Et c’est bien parce qu’ils apprennent que nous devons adapter et muscler notre réponse.

 

Une prise de conscience (très) récente

Dans son rapport publié le 2 novembre dernier, la délégation parlementaire au renseignement a souligné la « naïveté » et les « fragilités » de la France, notamment face aux ingérences chinoises et russes. À quoi a servi concrètement la dernière commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences de puissances étrangères clôturée en juin 2023, soit quatre mois avant la publication du rapport de la délégation au renseignement ?

Cette commission a été l’occasion d’entendre différents services de l’État s’exprimer en détails sur ce sujet des opérations d’influence étrangères. Je me souviens notamment de l’audition de Nicolas Lerner, à l’époque directeur de la DGSI, et aujourd’hui passé chef de la DGSE, qui avait été particulièrement offensif contre les élus qui se rendaient dans le Donbass pour observer des processus électoraux fantoches. Il n’a pas hésité à déclarer qu’« accepter de servir de caution à un processus prétendument démocratique et transparent revient à franchir un cap en termes d’allégeance ».

On peut, bien sûr, regretter les ambitions cachées des parlementaires qui ont participé à cette commission. De son côté, le Rassemblement national voulait se blanchir de ses liens avec la Russie de Poutine, et d’autres voulaient profiter de cette occasion pour les enfoncer sur le même sujet. Mais bon. On ne va pas reprocher aux politiques de faire de la politique quand même !

À mon sens, cette commission a surtout été l’occasion d’imposer le sujet des opérations d’influence étrangères dans le débat public. En cela, elle a été très utile, et ce même travail s’est poursuivi avec le rapport de la DPR qui avait aussi pour sujet central ces opérations.

 

Être ou ne plus être une démocratie libérale

Comment les démocraties libérales peuvent-elles s’adapter à cette nouvelle menace sans tomber dans l’autoritarisme ?

La lutte contre les opérations d’influence a un point en commun avec la lutte contre le terrorisme. Dans les deux cas nous sommes face à un conflit asymétrique dans lequel les démocraties libérales sont contraintes dans leur réponse par des limites éthiques, morales et juridiques. Des limites que n’ont évidemment pas les dictatures qui mènent ces opérations d’influence.

En menant ces mesures actives, leur but est de détruire le modèle des démocraties libérales et de saper notre État de droit. Partant de ce principe, on ne protège pas l’État de droit en le sabordant nous-mêmes, et il faut veiller à ce qu’aucune ligne rouge ne soit franchie.

En réalité, le meilleur moyen de lutter efficacement contre ces opérations d’influence est au contraire de renforcer notre modèle démocratique. Cela passera par de grandes politiques publiques d’investissement pour renforcer les moyens de la Justice, de l’Éducation Nationale… Il faut aussi s’atteler sérieusement à répondre à la crise de défiance des citoyens envers l’État, les politiques et les médias.

Ce sera long, coûteux et difficile, mais ce n’est pas comme si nous avions le choix.

 

Les canards de l’infox 

Mercredi 24 janvier 2024 un avion russe s’est écrasé dans l’oblast de Belgorod, près de la frontière ukrainienne. Une semaine après le crash, le président russe Vladimir Poutine affirmait publiquement que ce dernier avait été abattu « à l’aide d’un système Patriot américain ». Dans la foulée et sans vérifications, cette version a été reprise par de très nombreux journaux français. Quelle est la responsabilité de la presse dans la diffusion d’intox ?

Sauf erreur de ma part, nous ne sommes toujours pas au courant des raisons de ce crash. Je garderai alors une certaine prudence sur ce point. Un autre exemple, peut-être plus adapté car nous avons plus de recul à son sujet, est celui des étoiles de David dans les rues de Paris. Les médias, surtout télévisuels, se sont jetés dessus et ont spéculé pendant des jours en y voyant une preuve de la montée de l’antisémitisme en France après les attaques terroristes du 7 octobre en Israël. Seul problème, nous avons appris dans les jours qui suivirent qu’il s’agissait en réalité d’une opération d’influence perpétrée par un couple de Moldaves avec un commanditaire de la même nationalité, connu pour ses positions très proches de la Russie.

Cet événement a pointé très directement les failles de notre système médiatique. L’immédiateté de l’information couplée à la course à l’audience sont de vrais fléaux. Cela pousse des gens pourtant compétents à commettre des erreurs qui viennent décrédibiliser par la suite ces mêmes médias auprès de leur audience, et en bout de chaîne cela vient encore accroître la défiance envers notre profession.

Si cette opération d’influence a particulièrement bien fonctionné, ce n’est pas parce que les Russes ont essayé d’amplifier l’histoire sur les réseaux sociaux avec des faux comptes, c’est parce que les médias se sont jetés dessus sans prendre de précautions.

 

La désinformation au stade industriel

La guerre hybride menée par la Russie pour déstabiliser les démocraties libérales et diffuser un discours anti-Occidental n’a pas commencé le 24 février 2022. Avez-vous cependant constaté un changement d’échelle, d’intensité, dans les tentatives d’ingérences « discrètes » à partir de février 2022 ?

Il est difficile de donner un chiffre ou une tendance sur des opérations qui sont par nature secrètes. On peut supposer sans prendre trop de risques de se tromper qu’il y a une hausse de ces opérations depuis le début de l’invasion de l’Ukraine du 24 février 2022 car il y a un enjeu stratégique pour Moscou à faire cesser le soutien des Occidentaux à Kyiv.

À titre personnel, je pense que l’on va voir dans un avenir proche une multiplication des opérations d’influence qui se reposent sur les outils numériques, car il est aujourd’hui bien plus facile de créer des discours ou des faux sites web grâce à l’intelligence artificielle générative. Créer un deepfake il y a quelques années pouvait prendre des semaines et nécessitait de solides compétences. Aujourd’hui, les outils d’IA permettent d’industrialiser ce type de productions, cela ne prend pas plus que quelques minutes, et il n’y a pas besoin de compétences particulières pour y arriver.

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Écrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Paris vaut mieux qu’un coup de comm’

Une fois de plus, Anne Hidalgo a transformé deux bonnes idées en un échec cinglant. Les Parisiens expriment depuis longtemps leur souhait d’être écoutés par leurs élus sur des enjeux locaux au cours du long mandat municipal de six ans. C’est particulièrement vrai pour les enjeux de densification et de mobilité qui sont au cœur du dynamisme d’une ville comme le rappelle Alain Bertaud, urbaniste de renommée mondiale et directeur de recherche à l’Université de New York. Il n’était a priori pas absurde de solliciter les Parisiens sur ces sujets.

La consultation sur le coût du stationnement des véhicules lourds a pourtant fait un flop avec 78 000 votes sur 1,3 million d’inscrits, soit 30 % de suffrages exprimés en moins que pour la consultation sur les trottinettes. 42 415 voix en faveur de la proposition, c’est presque deux fois plus de bulletins que pour Anne Hidalgo à la présidentielle. Ce nombre de votes reste néanmoins ridicule à l’échelle de la capitale. Chaque bulletin dans l’urne a coûté plus de cinq euros au contribuable parisien dans ce scrutin à 400 000 euros.

Rappelons-nous que cette idée de consultation est sortie du chapeau municipal en pleine tempête du Tahiti Gate. Malgré la tragédie du 7 octobre libérant une vague effrayante d’actes antisémites à Paris, la maire de Paris était partie en Afrique, puis en catimini à l’autre bout du monde, le tout pour quasiment quatre semaines (du 11 octobre au 6 novembre). Son service de comm’ avait tenté de maquiller son absence par la reprise d’une vieille vidéo sur les berges. Il avait ensuite déroulé des justifications confuses, variant les versions au fil de révélations sur cette odyssée à six pour un coût de 60 000 euros se terminant par des vacances familiales pour la maire. Il est probable que la formulation de la question a été improvisée dans l’urgence sur un coin de table pour détourner de toute urgence l’attention des médias.

La mairie n’avait évidemment pas eu le temps de réaliser une étude d’impact préalable, ni de réfléchir à une proposition pertinente et conforme à la loi. Il fallait communiquer fort et vite. Les habitants se sont sentis floués par l’ineptie de la question. Dans le viseur se trouvait le poids des véhicules (ce qui semble illégal, au passage) et pas du tout les émissions de CO2 ou les seuls SUV, comme annoncé. Le surcoût punitif prévu, jusqu’à 225 euros de stationnement pour six heures, visait aussi les véhicules hybrides et électriques. Le débat, réduit à quelques semaines d’échanges sur les réseaux sociaux et son lot d’intox, a tout de même révélé que la mesure allait faire mal aux familles possédant ces fameux véhicules disposant de cinq, six ou sept sièges, souvent lourds (monospaces ou SUV).

La gauche espérait réactiver la lutte des classes en opposant les riches aux classes populaires, et ajouter une dimension d’écologie punitive également clivante. Elle a très partiellement atteint son but en soulignant l’opposition entre l’ouest parisien majoritairement opposé, et l’est favorable à ce triplement tarifaire. Mais en ne mobilisant que 3 % des inscrits en faveur de sa mesure, le score de 54,5 % n’a rien d’un plébiscite. Anne Hidalgo doit admettre qu’elle s’est plantée.

Après avoir ignoré le résultat de sa consultation du 17 avril au 28 mai 2023 sur la fermeture d’une voie du périph’ qui avait révélé 85 % d’opposition, elle gâche une fois de plus un bel outil de démocratie directe. L’enjeu de la mobilité méritait mieux qu’une mesure gadget pour un simple coup de communication.

Nous sommes plusieurs à réfléchir à l’instauration d’un outil de vote en ligne pour consulter les Parisiens. Des questions claires concernant Paris et les arrondissements pourraient ainsi être adressées régulièrement aux habitants inscrits sur les listes électorales. Un tel cadre devrait laisser le temps nécessaire au débat entre la question posée et le vote afin que chacun puisse écouter les différents arguments et creuser le sujet pour se constituer une opinion.

La Suisse pourrait nous aider dans la mise en place d’un tel outil de démocratie directe en complément de la démocratie représentative municipale. Le taux de participation à ses votations oscille entre 40 et 60 % selon l’intérêt des sujets soumis à l’appréciation des électeurs.

Cet outil nous semble important pour affiner la politique parisienne de circulation qui nous préoccupe tant. Les habitants sont nombreux à souhaiter une réduction de la place de la voiture, mais tous souffrent des désagréments dus au chaos découlant du dogmatisme de la mairie de Paris et de ses plans infernaux de circulation. Les aspirations contradictoires deviennent explosives par le stress général qu’elles génèrent, par leurs conséquences sur l’activité sociale et économique de la capitale. Des consultations seront probablement nécessaires pour détricoter ces injonctions contradictoires et élaborer un plan de mobilité d’ensemble avant de le dérouler en fonction des exigences dominantes quartier par quartier. Axes circulants, quartiers protégés, rues piétonnisées pour préserver un marché alimentaire ou une école, stationnement en surface articulé avec celui des parkings souterrains, les aspects liés à traiter ensemble sont nombreux.

Bref, l’enjeu de la mobilité ne peut se réduire à des mesures gadgets promises au rejet par la justice administrative, d’autant que le dogmatisme et l’improvisation font très mauvais ménage. L’absence de vision d’ensemble, d’évaluation et de concertation mène la capitale et la petite couronne à la catastrophe. Le seul espoir est de changer de trajectoire aux prochaines municipales en 2026.

La stratégie de Bruxelles sur l’IA bénéficiera-t-elle d’abord au Royaume-Uni ?

Par : Jason Reed

Voilà maintenant quatre ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne. Depuis le Brexit, la Grande-Bretagne a connu trois Premiers ministres, et d’innombrables crises gouvernementales. Néanmoins, malgré le chaos de Westminster, nous pouvons déjà constater à quel point les régulateurs du Royaume-Uni et de l’Union européenne perçoivent différemment l’industrie technologique. Le Royaume-Uni est un pays mitigé, avec quelques signes encourageants qui émergent pour les amateurs de liberté et d’innovation. L’Union européenne, quant à elle, poursuit une réglementation antitrust agressive sur plusieurs fronts.

 

La Déclaration de Bletchley

Cette tendance apparaît clairement dans le domaine de l’intelligence artificielle, peut-être le domaine d’innovation technologique le plus attrayant pour un organisme de réglementation. Rishi Sunak, Premier ministre britannique, est un féru de technologie et se sentirait comme un poisson dans l’eau dans la Silicon Valley. On le retrouve d’ailleurs régulièrement en Californie où il passe ses vacances. Cette vision du monde se reflète dans l’approche du gouvernement britannique en matière d’IA.

En novembre 2023, Rishi Sunak a même accueilli le premier sommet mondial sur la sécurité de l’IA, le AI Safety Summit. À cette occasion, des représentants du monde entier – y compris des États-Unis, de l’Union européenne et de la France – ont signé au nom de leur gouvernement ce qu’on appelle la « Déclaration de Bletchley ».

Sur la Déclaration de Bletchley, le gouvernement britannique adopte un ton modéré.

Le communiqué officiel indique :

« Nous reconnaissons que les pays devraient tenir compte de l’importance d’une approche de gouvernance et de réglementation pro-innovation et proportionnée qui maximise les avantages et prend en compte les risques associés à l’IA ».

En d’autres termes, la Grande-Bretagne n’a pas l’intention de laisser libre cours à l’IA sur un marché non réglementé, mais ne considère pas non plus l’innovation comme une menace. Elle reconnaît que ne pas exploiter les opportunités de l’IA reviendrait à faire une croix sur les bénéfices que les générations actuelles et futures pourraient en tirer. La Déclaration de Bletchley incarne une approche réfléchie de la réglementation de l’IA, qui promet de surveiller de près les innovations afin d’en détecter menaces liées à la sécurité, mais évite de laisser le gouvernement décider de ce que l’IA devrait ou ne devrait pas faire.

 

Rishi Sunak, Elon Musk et l’avenir de la Grande-Bretagne

La position britannique adopte donc un ton très différent de celui des régulateurs du reste du monde, qui semblent considérer toute nouvelle percée technologique comme une occasion de produire de nouvelles contraintes. Dans l’Union européenne, par exemple, ou aux États-Unis de Biden, les régulateurs sautent sur l’occasion de se vanter de « demander des comptes aux entreprises technologiques », ce qui signifie généralement freiner la croissance économique et l’innovation.

La Grande-Bretagne est sur une voie qui pourrait, si elle reste fidèle à sa direction actuelle, l’amener à devenir un des principaux pôles technologiques mondiaux. Rishi Sunak a même profité du sommet pour interviewer Elon Musk. « Nous voyons ici la force la plus perturbatrice de l’histoire », a déclaré Musk à Sunak lors de leur discussion sur l’IA. « Il arrivera un moment où aucun emploi ne sera nécessaire – vous pourrez avoir un travail si vous le souhaitez pour votre satisfaction personnelle, mais l’IA fera tout. »

De SpaceX à Tesla en passant par Twitter, Elon Musk, bien qu’il soit souvent controversé, est devenu un symbole vivant du pouvoir de l’innovation technologique et du marché libre. En effet, demander à un Premier ministre, tout sourire, de venir le rejoindre sur scène avait sûrement vocation à envoyer un signal au monde : la Grande-Bretagne est prête à faire des affaires avec l’industrie technologique.

 

Bruxelles, Londres : des stratégies opposées sur l’IA

L’approche britannique plutôt modérée de l’IA diffère radicalement de la stratégie européenne. Bruxelles se targue avec enthousiasme d’avoir la première réglementation complète au monde sur l’intelligence artificielle. Sa loi sur l’IA, axée sur la « protection » des citoyens fait partie de sa stratégie interventionniste plus large en matière d’antitrust. Le contraste est limpide.

Si la Grande-Bretagne, en dehors de l’Union européenne, a réussi à réunir calmement les dirigeants mondiaux dans une pièce pour convenir de principes communs raisonnables afin de réglementer l’IA, le bloc européen était plutôt déterminé à « gagner la course » et à devenir le premier régulateur à lancer l’adoption d’une loi sur l’IA.

 

Les résultats de la surrèglementation de l’UE

La Grande-Bretagne post-Brexit est loin d’être parfaite, mais ces deux approches opposées de la gestion de l’IA montrent à quelle vitesse les choses peuvent mal tourner lorsqu’une institution comme l’Union européenne cherche à se distinguer par la suproduction normative. Une attitude qui tranche avec le comportement adopté par les ministres du gouvernement britannique à l’origine du projet de loi sur la sécurité en ligne, qui ont récemment abandonné leur promesse irréalisable d’« espionner » tout chiffrement de bout en bout.

Les résultats de la surrèglementation de l’Union européenne sont déjà évidents. OpenAI, la société à l’origine de ChatGPT soutenue par Microsoft, a choisi de placer sa première base internationale à Londres. Au même moment, c’est Google, autre géant de la technologie mais également leader du marché dans la course aux pionniers de l’IA via sa filiale DeepMind, qui a annoncé son intention de construire un nouveau centre de données d’un milliard de dollars au Royaume-Uni. Ces investissements auraient-ils été dirigés vers l’Union européenne si Bruxelles n’avait pas ainsi signalé aux entreprises technologiques à quel point le fardeau réglementaire y serait si lourd à porter ?

 

Se rapprocher de Washington ?

Malgré des discours d’ouverture et des mesures d’encouragement spécifiques destinés à attirer les startupeurs du monde entier, les bureaucrates européens semblent déterminés à réglementer à tout-va. En plus d’avoir insisté sur la nécessité de « protéger » les Européens de l’innovation technologique, ils semblent également vouloir recueillir l’assentiment d’officiels Américains sur leurs efforts de réglementation.

Le gigantesque Digital Markets Act et le Digital Services Act de l’Union européenne semblaient bénéficier de l’approbation de certains membres de l’administration Biden. La vice-présidente exécutive de la Commission européenne, Margrethe Vestager, a été photographiée souriant aux côtés des fonctionnaires du ministère de la Justice, après une visite aux États-Unis pour discuter de ses efforts antitrust.

 

Un scepticisme partagé à l’égard de la technologie

Lors du voyage transatlantique de Margrethe Vestager, il s’est révélé évident que l’Union européenne et les États-Unis adoptaient une approche similaire pour attaquer la technologie publicitaire de Google par crainte d’un monopole. Travaillaient-ils ensemble ? « La Commission [européenne] peut se sentir enhardie par le fait que le ministère de la Justice [américain] poursuive pratiquement la même action en justice », a observé Dirk Auer, directeur de la politique de concurrence au Centre international de droit et d’économie.

Lina Khan, la présidente de la Federal Trade Commission des États-Unis, connue pour avoir déjà poursuivi des entreprises technologiques en justice pour des raisons fallacieuses, a également indiqué qu’elle partageait le point de vue de l’Union européenne selon lequel la politique antitrust doit être agressive, en particulier dans l’industrie technologique.

Elle a récemment déclaré lors d’un événement universitaire :

« L’une des grandes promesses de l’antitrust est que nous avons ces lois séculaires qui sont censées suivre le rythme de l’évolution du marché, des nouvelles technologies et des nouvelles pratiques commerciales […] Afin d’être fidèles à cette [promesse], nous devons nous assurer que cette doctrine est mise à jour. »

 

Les électeurs européens sanctionneront-ils la stratégie de Bruxelles sur l’IA en juin prochain ?

La volonté de Bruxelles d’augmenter de manière exponentielle le fardeau réglementaire pour les investisseurs et les entrepreneurs technologiques en Europe profitera au Royaume-Uni en y orientant l’innovation.

Malgré son immense bureaucratie, l’Union européenne manque de freins et de contrepoids à son pouvoir de régulation. Des membres clés de son exécutif – comme les dirigeants de la Commission européenne, telle qu’Ursula von der Leyen – ne sont pas élus. Ils se sentent toutefois habilités à lancer des croisades réglementaires contre les industries de leur choix, souvent technologiques. Peut-être, cependant, seront-ils surpris et changeront-ils d’attitude à la vue des résultats des élections européennes qui auront lieu en juin prochain.

Quand la fiscalité prend l’eau : focus sur la « taxe inondation »

Depuis plusieurs mois, de nombreux départements subissent des inondations particulièrement destructrices. Mais nos impôts sont censés protéger leurs habitants.

En effet, depuis 2014 existe une nouvelle taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, aussi intitulée GEMAPI ou « taxe inondation ».

La particularité de cette taxe facultative est de relever de la compétence exclusive des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ne votent pas un taux mais un produit final attendu réparti entre les contribuables des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la contribution foncière des entreprises. Le taux de la taxe est ensuite déterminé en divisant le produit attendu par les bases nettes des quatre taxes. Ce qui revient à augmenter les impôts locaux d’une taxe additionnelle prélevée en même temps qu’eux et destinée à gérer les milieux aquatiques et prévenir les inondations.

La taxe connaît un succès tellement foudroyant qu’aujourd’hui plus de la moitié des communes et plus de la moitié de la population sont soumis à cette taxe. En 2017, elle rapportait 25 millions d’euros. En 2022, ce sont 380 millions d’euros de recettes fiscales qui sont entrées dans les caisses des collectivités locales pour, entre autres, prévenir les inondations. Pourquoi cette augmentation ? De plus en plus d’intercommunalités ont recours à cette taxe qui permet d’augmenter les impôts locaux tout en annonçant ne pas augmenter la taxe foncière, mais aussi parce qu’une fois en place, les taux, faibles au début, grimpent progressivement. Insensiblement, l’augmentation est parfois exponentielle. Quand le taux des Hauts-de-Seine passe de 0,01 % à 0,07 %, cela peut paraître dérisoire mais représente une multiplication par 7 de la taxe. Des collectivités sont d’ailleurs inquiètes car le montant de la taxe est plafonné à 40 euros par habitant et… certaines approchent ce seuil. Preuve que le montant est de moins en moins insignifiant.

Au cumul, c’est aujourd’hui plus d’un milliard d’euros que les propriétaires et entreprises ont dû débourser depuis la création de la taxe. Les crues récentes conduisent pourtant à s’interroger sur son efficacité. Au vu du nombre de déclarations de sinistres, on peut légitimement se demander où est passé l’argent. Certains répondront qu’avec le dérèglement climatique, le résultat aurait été encore pire sans la taxe. Pourtant, la détresse des habitants et des services de secours suffit à en douter.

Dans le cas des départements du Nord et du Pas-de-Calais, durement touchés par les inondations, on peut d’autant plus s’inquiéter du poids de la fiscalité anti-inondation, que la taxe GEMAPI est en fait venue s’ajouter à une ancestrale taxe sur les wateringues. Ces dernières sont des canaux artificiels destinés à drainer l’eau excédentaire vers la mer, et éviter ainsi les inondations consécutives au fait que certains territoires côtiers du nord de la France se situent au-dessous du niveau de la mer. L’entretien de ces canaux est assumé par l’Institution Intercommunale des Wateringues et financé par une taxe acquittée notamment par les propriétaires de terres agricoles encadrées par les wateringues et qui rapporte environ 5 millions d’euros par an.

La taxe ayant été maintenue malgré l’apparition de la taxe GEMAPI, celle-ci semble maintenant faire double emploi. À la rigueur, un financement supplémentaire aurait pu se justifier s’il avait conduit à une efficacité accrue du dispositif. Or, la Chambre Régionale des comptes des Hauts-de-France a publié quelques semaines avant les premières crues automnales un rapport alertant sur le « difficile exercice de la coordination des compétences GEMAPI » né, entre autres, d’un partage des tâches qui semble parfois incompris entre le syndicat des wateringues et les autres intercommunalités.

Les dernières crues du Pas-de-Calais semblent montrer qu’avant de créer de nouvelles taxes, il serait utile de savoir comment les dépenser utilement.

Souveraineté énergétique française : autopsie d’un suicide

Entre désamour de son parc nucléaire, illusions renouvelables, pressions allemandes et injonctions de l’Europe, la France, dont le puissant parc de production d’électricité était décarboné avant l’heure, a lentement sapé la pérennité du principal atout qu’il représentait. Après des fermetures inconsidérées de moyens pilotables, l’apparition du phénomène de corrosion sous contrainte qui a affecté les réacteurs d’EDF dès 2021 a cruellement révélé l’absence de renouvellement du parc depuis que l’ASN en avait exprimé la nécessité, en 2007. En entraînant une flambée inédite du marché du MWh, une dépendance historique des importations, la détresse des ménages et le marasme de l’industrie, l’année 2022 a imposé un électrochoc.

Un retour en arrière est nécessaire pour appréhender les tenants et les aboutissants du projet de loi sur la souveraineté énergétique présenté à la presse le 8 janvier 2024.

 

Souveraineté énergétique et contraintes européennes

La souveraineté d’un État dépend intimement de son accès à l’énergie. À ce titre, les traités de fonctionnement de l’Union européenne garantissent « le droit d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique », ainsi que le rappelle l’article 194 du traité de Lisbonne.

Pour autant, le Parlement européen et le Conseil ont introduit dans son article 192 des « mesures affectant sensiblement le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique », en vue de réaliser les objectifs environnementaux énoncés dans l’article 191, qui visent à protéger la santé des personnes et améliorer la qualité de l’environnement.

C’est dans ce cadre que la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, dans ce même article 194, « à promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables »

 

Le principe de subsidiarité

Le principe de subsidiarité consiste à réserver à l’échelon supérieur – en l’occurrence, l’Union européenne – ce que l’échelon inférieur – les États membres de l’Union – ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. C’est au nom de ce principe que l’Union européenne a fixé aux États membres des objectifs contraignants de parts d’énergies renouvelables dans leur consommation, c’est-à-dire des objectifs en termes de moyens, supposés permettre collectivement aux États membres une plus grande efficacité dans la décarbonation de l’économie européenne et la réduction de ses émissions de polluants.

L’exemple allemand montre les difficultés et les limites de ce principe, appliqué aux émissions de CO2, surtout lorsqu’il concerne la France dont l’électricité est déjà largement décarbonée depuis un quart de siècle.

 

2012-2022 : autopsie d’un suicide

La France est historiquement le plus gros exportateur d’électricité. Depuis 1990 elle a été numéro 1 MONDIAL chaque année jusqu’en 2008, et reste parmi les trois premiers depuis. Le confort de cette situation, renforcé par des aspirations d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique, a nourri des velléités visant à remplacer des moyens pilotables par les énergies intermittentes que sont l’éolien et le solaire, contrairement à la prudence élémentaire de notre voisin allemand.

Les chiffres de puissance installée diffèrent, selon les sources, en fonction des critères retenus. Parfois même selon la même source en fonction des années, notamment RTE qui agrège différemment les unités de production supérieures à 1MW avant et après 2018 sur son site.

C’est pourquoi la rigueur exige de retenir la même source pour comparer l’évolution des capacités installées en France et en Allemagne selon les mêmes critères, en l’occurrence ceux de l’Entsoe, chargé de gérer le réseau européen. Ces chiffres Entsoe 2012 font état de 128680 MW installés en France (Net generating capacity as of 31 december 2012) dont 7449 MW éoliens et 3515 MW solaires et 145 019 MW installés en Allemagne, dont 28 254 MW éoliens et 22 306 MW solaires. Les chiffres du même Entsoe pour 2022 mentionnent 141 029 MW installés en France, dont 19 535 MW éoliens et 13 153 MW solaires, ainsi que  223 118 MW installés en Allemagne dont 63 076 MW éoliens et  57 744 MW solaires.

C’est ainsi qu’entre 2012 et 2022, l’Allemagne augmentait de 7839 MW son parc pilotable, parallèlement à une augmentation de 70 260MW d’énergies intermittentes, quand la France se permettait de supprimer 9376 MW pilotables parallèlement à une augmentation de 21 725 MW d’intermittence, tout en échafaudant officiellement des scénarios « 100 % renouvelables » qui réclamaient une accélération de l’éolien et du photovoltaïque pour faire miroiter une sortie du nucléaire.

 

La prudence allemande

Dans leur rapport de 2020 sur la période 2018-2022, les quatre gestionnaires de réseaux allemands constatent en effet que 1 % du temps, l’éolien ne produit que 1 % de sa puissance installée et constatent l’éventualité d’« une indisponibilité de 99 % pour la réinjection de l’éolien », en considérant diverses études qui montrent que l’apparition d’une période froide et sans vent (Dunkelflaute) n’est pas improbable et doit être prise en compte.

C’est notamment la raison pour laquelle l’agence des réseaux allemands (Bundesnetzagentur) vient d’interdire en décembre dernier toute fermeture de centrale à charbon jusqu’à avril 2031.

Il serait trompeur d’occulter la présence de ces centrales, comme le font certains bilans, au prétexte qu’elles ne vendraient pas sur le marché alors qu’elles sont rémunérées pour rester en réserve du réseau, prêtes à produire à la moindre sollicitation.

 

L’optimisme français

Malgré ce contexte, la loi du 17 aout 2015 avait prévu « De réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 », et interdisait, par l’article L315-5-5 du Code de l’énergie, « toute autorisation ayant pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts », soit sa puissance de l’époque.

La date ubuesque de 2025 avait été repoussée à 2035 dans la PPE de 2018, qui actait néanmoins la fermeture de six réacteurs, dont ceux de Fessenheim, d’ici 2028, et 14 réacteurs d’ici 2035.

 

Les illusions perdues

L’année 2022 a précipité la crise, inéluctablement en germe dans ces lois, en raison du phénomène de « corrosion sous contrainte », découvert en août 2021, qui a affecté le parc nucléaire. Ce phénomène est rare dans le circuit primaire, et ne peut se détecter qu’une fois les fissures apparues. Ce qui a demandé de nombreuses découpes de tronçons de tuyauteries pour réaliser des examens destructifs, entraînant l’indisponibilité d’un grand nombre de réacteurs, tandis que d’autres étaient déjà arrêtés pour une longue période de « grand carénage » destinée à en prolonger l’exploitation au delà de 40 ans.

On ne peut mieux illustrer l’avertissement de l’ASN qui écrivait en 2007 :

« Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »

En effet, TOUS les moyens de production font l’objet de maintenances programmées, même en plein hiver ainsi que d’incidents fortuits.

RTE en tient la comptabilité et mentionne notamment 58 indisponibilités planifiées dans la seule production hydraulique au fil de l’eau et éclusée affectant le mois de janvier 2024. L’éolien en mer n’est pas épargné, avec une indisponibilité planifiée de 228 MW du parc de Guérande entre le 21 décembre 2023 et le 13 janvier 2024.

Mais la France aura préféré réduire la puissance de son parc pilotable sans qu’aucun nouveau réacteur n’ait été mis en service depuis l’avertissement de 2007. Ceux de Fessenheim ayant même été fermés alors que leurs performances en matière de sûreté nucléaire « se distinguaient de manière favorable par rapport à la moyenne du parc » selon les termes de l’ASN.

 

2022 : l’électrochoc

Pour la première fois, en 2022, la France aura dépendu de ses voisins pour se fournir en électricité, comptabilisant son premier solde importateur net sur l’année et entraînant de fait la défiance des marchés européens sur ses capacités de production, exposant particulièrement le pays à la flambée des cours.

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) en confirme les termes :

« Bien que les incertitudes aient été généralisées en Europe, le prix français a réagi plus fortement que ses voisins européens, du fait des indisponibilités affectant le parc nucléaire. […] Le marché pourrait ainsi avoir anticipé des prix extrêmement élevés sur certaines heures, supérieurs au coût marginal de la dernière unité appelée (fixation du prix par les effacements explicites ou l’élasticité de la demande, voire atteinte du plafond à 3000 euros/MWh sur l’enchère journalière). Ce record de 3000 euros/MWh aura effectivement été atteint en France le 4 avril 2022, relevant automatiquement le plafond à 4000 euros/MWh pour l’ensemble des pays européens. »

 

Quand la pénurie d’électricité se répercute sur l’activité économique

La puissance historique du parc électrique français, sa structure nucléaire et hydraulique et le recours à la possible flexibilité de nombreux usages, tels que le chauffage des logements et de l’eau sanitaire, prédisposaient le pays à surmonter, mieux que tout autre, la crise du gaz liée à l’invasion de l’Ukraine. Au lieu de quoi, la pénurie d’électricité et l’envolée de son cours ont frappé de plein fouet les ménages et, plus encore, l’activité économique, ainsi que l’expose RTE dans le bilan 2022.

« La baisse de consommation a d’abord été observée dans l’industrie, plus exposée aux variations des prix en l’absence de protection tarifaire. Les secteurs industriels les plus intensifs en énergie, tels que la chimie, la métallurgie et la sidérurgie, ont été les plus touchés (respectivement -12 %, -10 % et -8 % sur l’année et -19 %, -20 % et -20 % entre septembre et décembre ».

 

Le discours de Belfort : une prise de conscience ?

Le discours de Belfort du 10 février 2022 a marqué la prise de conscience de la nécessité de pouvoir piloter la production d’électricité sans dépendre des caprices de la météo et du bon vouloir des pays voisins.

Ce revirement officiel s’est rapidement traduit par loi LOI n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

Celle-ci abroge l’article L. 311-5-5 du Code de l’énergie qui interdisait le dépassement du plafond de 63,2 GW, et impose, dans son article 1er, une révision, dans un délai d’un an, de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) adoptée par le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020, afin de prendre en compte la réorientation de la politique énergétique de la présente loi. Notamment pour y retirer la trajectoire de fermeture des 14 réacteurs existants.

 

Vers un retour de la souveraineté énergétique ?

Ce n’est que dans ce contexte qu’on peut appréhender la logique du projet de loi relatif à la souveraineté énergétique dévoilé ce 8 janvier.

Concernant les émissions de CO2, son article 1 remplace prudemment trois occurrences du mot réduire dans les objectifs de l’article 100-4 du Code de l’énergie par « tendre vers une réduction de ». Si l’ambition des objectifs à atteindre est renforcée, pour respecter les nouveaux textes européens, et notamment le « paquet législatif fit for 55 »,  cette précaution sémantique tend à protéger l’exécutif de la jurisprudence climatique ouverte en 2012 par la fondation Urgenda. En effet, selon un rapport de l’ONU de janvier 2021, pas moins de 1550 recours de ce type ont été déposés dans le monde en 2020. Et l’État français avait lui-même été condamné à compenser les 62 millions de tonnes « d’équivalent dioxyde de carbone » (Mt CO2eq) excédant le plafond d’émissions de gaz à effet de serre fixé par son premier budget carbone pour la période 2015-2018.

Notons que le 30 novembre 2023, l’Allemagne a été condamnée par la Cour administrative de Berlin-Brandebourg pour n’avoir pas respecté ses propres objectifs climatiques… après que, le 29 avril 2021, la Cour constitutionnelle fédérale a retoqué ses précédents objectifs en raison de leurs exigences insuffisantes.

Sans mettre l’État français à l’abri du juge administratif, les précautions du projet de loi semblent tenir compte de ces dux expériences.

Ce même article 1 stipule :

Les 4e à 11e du I et le I bis (de l’article 100-4 du Code de l’énergie) sont supprimés. C’est-à-dire les objectifs chiffrés de part d’énergies renouvelables, notamment 33 % de la consommation à horizon 2030, dont 40 % de celle d’électricité (4e) l’encouragement de l’éolien en mer (4e ter) de la production d’électricité issue d’installations agrivoltaïques (4e quater) et l’objectif de parvenir à 100 % d’énergies renouvelables dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Ces suppressions ne sont remplacées par aucun objectif chiffré en termes d’énergies renouvelables pour la production d’électricité.

 

La France et les directives de l’UE

Les États membres sont tenus de transcrire en droit national les Directives européennes.

Pour autant, le plan d’accélération des énergies renouvelables, voté par le Parlement européen, en septembre 2023, portant à 42,5 % l’objectif européen en 2030, tout comme le précédent cadre d’action en matière de climat et d’énergie à horizon 2030, qui se contentait de 27 % ne présentaient de caractère contraignant qu’au niveau européen et non pour chaque État, contrairement aux objectifs pour 2020 pour lesquels un contentieux subsiste, pour n’avoir atteint que 19,1 % de part renouvelable de la consommation au lieu des 23 % prévus dans la DIRECTIVE 2009/28/CE. C’est-à-dire globalement la même part que l’Allemagne (19,3 %), qui, elle, ne s’était engagée qu’à une part de 18 %.

En 2021, la part française était d’ailleurs plus importante en France (19,3 %) qu’en Allemagne (19,2%).

Mais, selon Le Monde, la France refuserait d’acheter les garanties d’origine (ou MWh statistiques) permettant d’atteindre les 23 % qui étaient fixés pour 2020.

Tous les électrons étant mélangés sur le réseau, ces garanties d’origine (GO), gérées par EEX peuvent être délivrées pour chaque MWh renouvelable produit, et sont valables une année. Elles se négocient indépendamment des MWh qu’elles représentent, y compris à l’international, et attestent de la quantité d’EnR consommée.

En 2e, le projet de loi fixe clairement le cap :

« En matière d’électricité, la programmation énergétique conforte le choix durable du recours à l’énergie nucléaire en tant que scénario d’approvisionnement compétitif et décarboné. »

 

Le fonctionnement du parc nucléaire historique

Les revenus du parc nucléaire historique sont régulés dans le chapitre VI « Contribution des exploitants nucléaires à la stabilité des prix » qui comprend la production du futur EPR de Flamanville, en tant qu’installation dont l’autorisation initiale a « été délivrée au plus tard le 31 décembre 2025 ». L’exploitant se voyant confier la mission de réduction et stabilisation des prix de l’électricité par le reversement d’une quote-part de ses revenus annuels calculée sur deux taux lorsque leur revente dépasse deux seuils :

  1. Un seuil S0, qui correspond à l’addition du coût comptable et des coûts encourus pour la réalisation des installations.
  2. Un seuil S1 qui ne peut être inférieur à 110 euros/MWh.

 

Le taux appliqué au delà du premier est de 50 %, et le taux additionnel au-delà du second est de 40 %.

Un dispositif de « minoration universelle », limité dans le temps d’au plus une année, est prévu dans la sous-section 1 pour toute fourniture d’électricité, afin de préserver la compétitivité du parc français.

Une volonté de surveillance des marchés se traduit notamment dans l’article 7 qui prévoit « Pour l’exercice de ses missions, le ministre chargé de l’énergie ou son représentant a accès aux informations couvertes par le secret professionnel détenues par la Commission de régulation de l’énergie sur les personnes soumises à son contrôle ».

 

Épilogue

À peine mis en consultation, cet avant projet viendrait, selon différentes sources, d’être vidé de tout objectif chiffré, tant en termes climatiques que de choix des énergies par une « saisine rectificative au projet de loi », provenant du ministère de l’Économie, désormais chargé de l’énergie depuis le remaniement ministériel du 11 janvier. Répondant au tollé provoqué au sein des associations environnementales par ce retrait, Bruno Le Maire aurait déclaré qu’il en assumait la décision, au nom du temps nécessaire à l’élaboration d’une loi de cette importance.

Selon le ministère de la Transition écologique, la loi de 2019 avait créé l’obligation de publier, avant le 1er juillet 2023, une mise à jour des objectifs en matière d’énergie, par une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC). Il apparaissait déjà que ce délai ne serait pas tenu.

Émirats arabes unis, Inde, Israël : bientôt dans le club spatial mondial ?

Alors qu’une collaboration stratégique a été annoncée le 7 janvier 2024 entre la NASA et les Émirats arabes unis, pour participer à la construction d’une station orbitale au-dessus de la Lune dans le cadre du programme Artemis, les Émirats arabes unis semblent plus que jamais déterminés à promouvoir leur leadership spatial.

Déjà les 5 et 6 décembre 2022 Abou Dhabi accueillait le Abu Dhabi Space Debate qui regroupe les leaders mondiaux du secteur privé et public aérospatial. Organisé par l’Agence spatiale des EAU, ce débat a offert une plateforme unique dans la région au sein de laquelle des chefs d’entreprises et des dirigeants politiques se sont rencontrés pour rechercher un consensus sur les questions relatives à la croissance de l’innovation spatiale et son empreinte environnementale.

L’objectif de ces rencontres était notamment d’initier un dialogue multinational identifiant les besoins en matière de capacités stratégiques, d’infrastructures, de cadres réglementaires et de moyens associés. Et la session inaugurale du 5 décembre 2022 réunissait pas moins que les présidents des EAU, d’Israël et le Premier ministre indien. Ce dernier a notamment déclaré en amont du forum que la coopération entre l’Inde et les EAU dans le secteur spatial était sur le point d’opérer une grande percée dans la péninsule arabique.

Les deux pays ont notamment signé dès 2016 un protocole d’accord sur la coopération dans l’exploration spatiale et l’utilisation de l’espace atmosphérique. Lors de la cérémonie d’ouverture, le président israélien a lui aussi rappelé l’étroite coopération entre son pays et les EAU dans le partage des données scientifiques notamment, et le rôle que peuvent jouer les trois États dans l’ouverture à de nouveaux partenaires.

 

Les Émirats arabes unis, fer de lance du spatial dans le Golfe

En accueillant ce forum, les EAU affichaient dès lors leur volonté d’apparaître comme un acteur clé du développement de l’économie spatiale mondiale, tout en forgeant un consensus solide sur le cadre dans lequel doit s’insérer le secteur pour rester durable.

Les EAU cherchent en effet à se positionner comme le fer de lance dans la région arabe dans le secteur, et sont notamment les initiateurs de la création de l’Arab Group Space Cooperation, qui veut favoriser la coopération dans le domaine spatial et se doter d’un satellite d’observation commun. Le pays investit massivement et souhaite créer un effet d’entraînement sur les autres États arabes en se positionnant en leader de la conquête spatiale arabe. Le pays présente donc un modèle original car il entremêle politique publique et développement commercial privé, dans un souci de présence, tant sur le marché mondial que d’influence sur la scène régionale.

Les EAU sont le premier pays du Golfe à avoir développé un programme spatial, débuté en 2006 par le développement, en coopération avec la Corée du Sud, du satellite d’observation de la Terre DubaiSat 1. Les EAU ont par la suite adopté une stratégie spatiale plus ambitieuse, la National Space Strategy 2030, avec pour but de diversifier leur économie. C’est aussi aux Émirats qu’est née la première agence spatiale de la région avec la UAE Space Agency qui s’est rapidement dotée d’un cadre réglementaire attractif pour favoriser le développement de l’écosystème spatial commercial qui peut aussi s’appuyer sur la puissance financière du pays. À date, le pays investit en effet trois fois plus que ses voisins du Golfe, et notamment son voisin Saoudien avec 6 milliards de dollars investis contre 2,1 milliards pour l’Arabie Saoudite.

Le pays a par ailleurs récemment annoncé la création d’un fonds de 800 millions de dollars destiné à la conquête spatiale. Ce fonds contribuera notamment au développement d’une nouvelle constellation de satellites appelée Sirb prévue pour 2026, et qui utilisera de l’imagerie radar en complément des capacités existantes en imagerie optique, un projet justifié par sa capacité à mieux contrôler ses frontières et de détecter d’éventuels déversements d’hydrocarbures. Sirb pourra notamment compléter les capacités duales du programme FalconEye qui répond à la fois aux besoins des forces armées du pays, mais peut aussi fournir des images au marché commercial. Sur ce segment de l’imagerie satellite, le pays peut notamment compter sur la société Bayanat, spécialiste de l’analyse de données géospatiales et appartenant aujourd’hui à Group42, puissant groupe national d’intelligence artificielle.

Enfin, sur le plan de la R&D publique, les Émirats peuvent compter sur le Centre spatial Mohamed ben Rachid (MBRSC) qui, depuis janvier 2024 a signé un accord avec la NASA pour la conception d’un sas destiné au module lunaire Lunar Gateway qui orbitera la Lune dans les années à venir. Pour contribuer à son développement, le MBRSC pourra s’appuyer sur une forte expertise technique développée depuis plusieurs années par une implication dans plusieurs programmes satellites emiriens.

L’ensemble de ces capacités institutionnelles, financières et techniques a permis au pays un certain nombre d’avancées remarquées ces dernières années, et notamment, dès 2021, l’envoi d’une sonde en orbite autour de Mars pour étudier son atmosphère et son climat. De même, en 2019, l’envoi du spationaute Hazaa Al Mansoori, récemment nommé ministre, à bord de l’ISS a également été un temps fort pour le pays, galvanisant le peuple émirati et offrant au monde l’image d’un pays moderne. Il a été suivi en 2023 de son compatriote Sultan Al Neyadi.

Avec ces missions, les EAU ont rejoint le club très fermé des pays ayant fait voyager un de leurs ressortissants en orbite autour de la terre, soit une vingtaine de membres seulement

 

Pour Israël, le spatial est un outil de défense nationale mais aussi un outil de soft power croissant

Certains États comme Israël surveillent de près les acquisitions de leurs voisins dont les Émirats et l’Égypte. Pour Israël, l’espace est rapidement devenu un enjeu de sécurité nationale, comme le rappelle notamment l’incident survenu début novembre au cours duquel Israël a abattu, dans l’espace, un missile ennemi grâce à leur missile Arrow-3. Le pays garde donc un œil attentif au développement du spatial dans le Golfe sous le prisme non seulement des accords diplomatiques qu’il a pu nouer avec les pays de la région, mais aussi des vastes capacités d’investissements de la région qu’Israël ne peut pas suivre, faute de moyens similaires. Pour son programme spatial, Israël prévoit de dépenser environ 180 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour soutenir l’industrie spatiale civile et militaire, s’ouvrant par ailleurs récemment aux investissements privés dans le domaine spatial.

Israël soutient par ailleurs un certain nombre de startups prometteuses dans le domaine des technologies spatiales comme Ramon.space, une société qui construit des systèmes de supercalculateurs pour le secteur spatial ou Helios. Cette dernière s’est notamment alliée en août 2022 avec Eta Space, entreprise aérospatiale américaine basée en Floride, pour le développement des procédés de création d’oxygène sur la Lune.

De manière plus générale, parmi les objectifs présentés par l’Agence spatiale israélienne figurent le doublement du nombre d’entreprises spatiales israéliennes et le quadruplement du nombre de personnes employées dans l’industrie spatiale, une ambition qui devrait aider le pays à relier le secteur spatial civil au secteur high-tech israélien actuellement en plein essor.

Le spatial est aussi un outil au service du soft power israélien, en témoigne par exemple l’accord passé entre Israël Aerospace Industries (IAI) et le Maroc pour la construction d’un centre technique de R&D et de formation en partenariat avec l’Université de Rabat, qui se couple à une commande de satellites d’observation de la Terre par le Maroc à IAI, damant ainsi le pion au précédent consortium français Airbus Defense & Space / Thales Alenia Space.

 

L’Inde est déjà un poids lourd du spatial mondial

L’Inde possède l’un des programmes spatiaux les plus anciens au monde et, après un alunissage historique en 2023, elle a intégré le club spatial des cinq pays à avoir réussi à poser un engin sur la surface lunaire, le dernier en date étant le Japon, le 19 janvier dernier. Et la cinquième puissance économique mondiale compte bien poursuivre ses ambitions spatiales, avec une mission habitée de conception entièrement domestique prévue pour 2040.

Chaque année, l’Inde investit 1,8 milliard de dollars dans le spatial, et bénéficie d’une très grande expertise technique, des coûts de R&D et de développement plus faibles qu’un grand nombre de ses compétiteurs grâce à de faibles coûts de main-d’œuvre, ce qui se traduit sur les coûts de fabrication et de lancements à des prix compétitifs. La capacité de lancer des missions à bas prix avec un fort taux de succès des lanceurs indiens en font aujourd’hui un argument de vente de poids pour l’Organisation indienne de recherche spatiale (ISRO), même si elle est désormais remise en question par les capacités réutilisables et bon marché développées par un acteur SpaceX qui a notamment volé la vedette à ISRO pour le lancement de quatre satellites européens Galileo.

Dans son plan vision 2025, l’Inde a notamment rappelé son intention de se doter d’une capacité spatiale tous azimuts comprenant des composantes publiques duales civiles et militaires, mais aussi commerciales grâce à un écosystème de startups riche aussi bien dans le développement de services satellites que dans le domaine de l’accès à l’espace et des lanceurs.

En soutien à ce développement commercial, l’Inde a notamment engagé un large processus de mise à jour et de développement de ses réglementations spatiales. Cette réforme vise notamment à rattraper le niveau réglementaire des États-Unis et de l’Europe qui offrent des cadres juridiques compétitifs et fiables pour les opérateurs.

 

Comment voir ces développements depuis l’Europe ?

À condition de savoir saisir les opportunités offertes par ces nouveaux acteurs du spatial, l’émergence de nouvelles puissances, notamment les Émirats et Israël, peut être une chance pour l’Europe, et ce de plusieurs manières.

D’abord parce que ces nouveaux acteurs du spatial vont avoir besoin d’une capacité accrue d’accès à l’espace, et donc de commandes de lancements. Si l’Europe parvient à régler ses problèmes internes de développement de capacités d’accès à l’espace autonomes, elle pourra dès lors bénéficier de nouveaux débouchés, de pays qui sont par ailleurs proches géographiquement et diplomatiquement. Seul ombre à ce tableau néanmoins, la présence de l’Inde comme partenaire de choix lors du Abu Dhabi Space Debate pourra augurer d’une préférence pour des lancements depuis l’Inde plutôt que l’Europe. C’est donc désormais le travail de nos opérateurs de lancements et des différents partenariats techniques et institutionnels de garantir des débouchés aux lanceurs européens.

Car en effet l’émergence de nouvelles puissances spatiales est aussi l’occasion pour l’Europe de démontrer ses capacités techniques. Les partenariats entre l’Inde et le CNES pour la France sont légion, citons par exemple le satellite Megha-Tropiques d’observation de la météo et des océans. Ces partenariats techniques peuvent poser les jalons d’une coopération étendue au spatial commercial. Aux Émirat arabes unis, par exemple, la France est historiquement très présente dans le spatial, Thales Alenia Space ayant contribué à la conception de plusieurs satellites nationaux, et le MBRSC est aussi un partenaire historique de l’Agence spatiale européenne.

Se profilent donc de nouveaux partenariats fructueux pour le progrès de la conquête spatiale dans la continuité de coopérations existantes, mais ils impliqueront un effort considérable de structuration de la réponse Européenne qui faut aujourd’hui face à un certain nombre de défis internes, et s’insérer plus globalement dans une politique d’aller vers l’Europe et la France en matière spatiale qui doit être constamment renforcée face à l’émergence de nouveaux acteurs dont les capacités et l’expérience augmentent de jour en jour.

Industrie française : une récession est imminente – Entretien avec Charles-Henri Colombier (Rexecode)

Charles-Henri Colombier est directeur de la conjoncture du centre de Recherche pour l’Expansion de l’Économie et le Développement des Entreprises (Rexecode). Notre entretien balaye les grandes actualités macro-économiques de la rentrée 2024 : rivalités économiques entre la Chine et les États-Unis, impact réel des sanctions russes, signification de la chute du PMI manufacturier en France, divergences des politiques de la FED et de la BCE…

 

Écarts économiques Chine/États-Unis

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Selon les statistiques du FMI, le PIB de la Chine ne représenterait aujourd’hui que 66 % du PIB des États-Unis, contre 76 % en 2021. Comment expliquez-vous ce décrochage ? Est-il symptomatique d’une tendance durable ?

Charles-Henri Colombier (Rexecode) – Depuis l’avant-covid fin 2019, le PIB chinois en volume et en monnaie nationale a augmenté de 18 %, tandis que le PIB américain a progressé de 7 %. En d’autres termes, la croissance chinoise n’a pas à rougir en comparaison de la croissance américaine, loin s’en faut.

L’explication du comparatif transpacifique des niveaux de PIB défavorable à la Chine depuis 2021 vient plutôt d’un effet de change, et plus spécifiquement de la dépréciation du yuan face au dollar. Le billet vert s’échange actuellement contre 7,10 yuans, quand il en valait seulement 6,35 fin 2021. Le taux de change dollar/yuan dépend pour une bonne part du différentiel de taux d’intérêt entre les deux pays, or la Fed a opéré une brutale remontée de ses taux, sans équivalent en Chine où l’inflation est restée très atone.

 

Sanctions russes : un effet boomerang ?

Y-a-t-il un effet boomerang des sanctions russes sur les économies européennes ? L’Europe est-elle en train de rentrer en récession à cause de l’embargo sur le gaz et le pétrole russe ?

L’interruption de l’approvisionnement énergétique de l’Europe depuis la Russie, concernant le pétrole mais surtout le gaz, a généré un choc d’offre négatif dont les effets ne se sont pas encore dissipés. En témoigne le fait que le prix de marché du gaz naturel coté à Rotterdam est toujours deux fois plus élevé qu’en 2019, tandis que la cotation Henry Hub aux États-Unis est à peu près inchangée.

Une énergie plus chère a trois types de conséquences principales : des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, un prélèvement sur les marges des entreprises, et un déficit de compétitivité prix préjudiciable à l’industrie notamment énergo-intensive. Les Etats-Unis et l’Asie n’ont pas eu à subir les mêmes chocs.

 

Comment la Russie contourne les sanctions commerciales

Les sanctions économiques n’ont pas mis fin à la guerre de la Russie en Ukraine. Pourquoi sont-elles aussi inefficaces ? Depuis 2022, les importations de pays proches géographiquement de la Russie (Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Turquie) ont explosé, et leurs exportations en Russie aussi. Doit-on y voir une stratégie de détournement des sanctions ? Quels pays européens (et quelles industries) participent à ce phénomène ?

L’inefficacité des sanctions occidentales contre la Russie tient d’abord au fait que certains pays tiers se sont substitués aux achats européens d’hydrocarbures russes. Au-delà des relations bien connues de la Chine avec la Russie, l’Inde absorbe désormais près de 40 % des exportations de pétrole russe, contre 5 % seulement en 2021. La manne des hydrocarbures, clé pour les finances publiques russes, a ainsi été préservée.

Par ailleurs, les mesures aboutissant à un retrait des entreprises occidentales de Russie ont parfois eu un effet de stimulation pour les entreprises russes, pouvant se saisir d’actifs bon marché et de nouvelles parts de marché domestiques. Enfin, il est vrai que certaines entreprises européennes contournent les sanctions, amenuisant leur efficacité. Certains pays comme la Turquie jouent un rôle de transit pour les flux commerciaux en question. Pour ne citer que quelques exemples, les exportations allemandes vers des pays comme le Kazakhstan, le Kirghizistan ou la Géorgie ont connu un décollage plus que suspect.

 

Industrie française : une récession est imminente

On constate une chute de l’indice PMI manufacturier en France. Que représente cette dégringolade pour l’économie française ?

L’indice PMI manufacturier mesure le climat des affaires à la lumière du sentiment exprimé par les directeurs d’achats. Le niveau de 42,1 qu’il a atteint en décembre (50 représente le seuil d’expansion) laisse peu de doute quant à l’existence d’une situation récessive pour l’industrie, en France mais aussi en Europe plus largement.

La dépense en biens des ménages avait déjà été décevante en 2023, celle des entreprises devrait désormais emboîter le pas en 2024, la hausse des taux d’intérêt et la contraction du crédit exerçant une pression croissante sur leur situation financière.

 

L’hypothèse d’un découplage économique avec la Chine

Les marchés américain et européen peuvent-ils se passer de la Chine ? Quelles seraient les conséquences d’une hypothétique rupture des relations commerciales entre la Chine et les marchés américain et européens ? Faut-il s’y préparer ?

Une rupture soudaine des relations économiques entre la Chine et l’Occident serait à n’en pas douter catastrophique pour les deux camps, tant les chaînes de valeur sont imbriquées. La Chine est devenue un fournisseur irremplaçable de nombreux intrants industriels, comme les problèmes d’approvisionnement apparus lors de la pandémie l’ont illustré.

Compte tenu des tensions entourant Taïwan, il faut se préparer à un tel scénario de rupture pour en minimiser l’impact. Mais il paraît illusoire d’imaginer que l’Europe puisse se passer de la Chine à court terme.

 

Les conséquences du statu quo de la BCE sur les taux directeurs

Contrairement à la FED, la BCE n’envisage pas de baisse des taux et affiche une ligne dure. Comment expliquez-vous cette divergence ? Quelles répercussions ces décisions auront-elles sur les échanges entre les économies de la zone euro et les États Unis ? Sur la croissance de leurs marchés respectifs ?

Le discours assez rigide de la BCE quant à l’éventualité d’une prochaine baisse des taux paraît surprenante au vu de la situation quasi-récessive de l’économie européenne. De récents travaux de la BCE montrent par ailleurs que l’essentiel de l’inflation observée ces dernières années est venu de facteurs liés à l’offre plutôt que d’un excès de demande qu’il faudrait briser.

Deux éléments permettent toutefois d’expliquer la prudence de la BCE.

Premièrement, le marché du travail européen, dont le degré de tension détermine en partie le dynamisme de l’inflation sous-jacente (l’évolution des prix hors composantes volatiles comme l’énergie), affiche toujours un niveau d’emplois vacants élevé malgré la faiblesse de l’activité. La disparition des gains de productivité du travail et le ralentissement démographique aboutissent au paradoxe que des difficultés de recrutement substantielles peuvent coexister avec une absence de croissance.

Deuxièmement, le contexte géopolitique reste très incertain. Les tensions récentes en mer Rouge ont déjà abouti à un doublement des taux de fret maritime sur les conteneurs, ce qui à terme pourrait souffler de nouveau sur les braises de l’inflation.

 

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Lyon-Turin : un projet ferroviaire titanesque, des opposants à couteaux tirés – Entretien avec le délégué général de la Transalpine

Stéphane Guggino est le délégué général du comité pour la Transalpine, association réunissant les défenseurs du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Aux premières loges d’un chantier qui bouleversera les relations commerciales entre la France et l’Italie et le quotidien de millions d’individus sur les deux versants des Alpes, il a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

« En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie »

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le projet de ligne ferroviaire transalpine Lyon-Turin a été lancé il y a plus de 30 ans. Pourquoi n’a-t-il pas encore vu le jour ? Où en est-on de l’avancée des chantiers ? 

Stéphane Guggino, délégué général de la Transalpine – Ces retards ne sont pas propres au Lyon-Turin. À l’échelle européenne, la construction des grandes infrastructures de transport affichent en moyenne 15 ans de retard. Nous sommes un peu en dessous. Il faut réaliser que c’est un projet d’une grande complexité sur les plans technique d’abord, mais aussi juridique, financier, politique et diplomatique. La particularité du Lyon-Turin est d’être un projet binational. Les procédures juridiques et financières sont différentes entre les deux pays. Et puis au gré des alternances politiques des deux côtés des Alpes, des dissymétries se créent dans la dynamique globale du projet. Quand la France accélère, l’Italie ralentit, et inversement. Les priorités nationales peuvent évoluer épisodiquement.

À cette complexité s’ajoute le fait que l’Europe intervient massivement dans la mise en œuvre du projet, à travers notamment ses financements. Cela fait un étage de plus dans un processus décisionnel qui, dans chaque pays, va des plus hautes autorités de l’État jusqu’aux élus locaux, en passant par l’enchevêtrement peu lisible des administrations qui ont trop souvent une lecture franco-française du projet alors que c’est un programme éminemment européen.

Il y a quelques mois, un Conseil d’orientation a produit un rapport pour éclairer le gouvernement sur la programmation des investissements dans le domaine des transports. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les analyses concernant le Lyon-Turin s’arrêtaient nette à la frontière franco-italienne, sans se soucier du projet différent développé par nos voisins de leur côté. Or, le Lyon-Turin est un programme conçu comme un ensemble composé de sections interdépendantes les unes des autres. Cela exige nécessairement une approche globale et cohérente.

Contrairement à l’époque des grands projets d’avenir structurants, certaines administrations d’État sont rétives aux grands investissements de long terme dans un contexte où l’on recherche des rentabilités rapides. Or, les projets ferroviaires sont très longs à mettre en œuvre et leur rentabilité socio-économique s’inscrit fatalement dans la durée.

Pour autant, il ne faut pas non plus noircir le tableau. Sur le terrain, les choses avancent, en particulier en ce qui concerne le tunnel de 57,5 km sous les Alpes en cours de creusement. Ce tunnel est la clé de voute du programme Lyon-Turin. Sa réalisation orchestrée par le maître d’ouvrage public TELT est désormais irréversible et la montée en puissance du chantier est spectaculaire. 100 % des contrats de génie civil ont été attribués. 22 % du projet global ont été réalisés. 34 km de galeries ont été creusées, dont 13 km du tunnel définitif. Plus de 2500 salariés sont déjà mobilisés sur le chantier en Savoie. Les sept tunneliers vont arriver progressivement à partir de 2024, et le rythme va sérieusement s’accélérer. L’ouvrage devrait être livré en 2032. Ce qui nous préoccupe davantage aujourd’hui, c’est l’aménagement des indispensables voies d’accès au tunnel. En France, nous sommes très en retard par rapport à l’Italie.

Forage du tunnel de la Transalpine. Crédits @ValentinCitton

« Le principal axe ferroviaire qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle »

Quel impact aura le lancement de la Transalpine sur les échanges économiques entre la France et l’Italie ?

Les enjeux économiques attendus dépassent la France et l’Italie pour s’inscrire dans une véritable vision européenne. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne a fait depuis longtemps du Lyon-Turin une priorité stratégique. Avec ce grand programme structurant reliant la péninsule ibérique et l’Europe centrale, il s’agit de rééquilibrer l’économie de l’espace européen au profit de l’Europe du Sud. Le Lyon-Turin doit un peu jouer pour l’Europe du Sud le même rôle qu’a joué le tunnel sous la Manche pour l’Europe du Nord.

La France et l’Italie seront naturellement les premières concernées par ces retombées économiques. En 2022, la valeur des échanges entre les deux pays s’est élevée à 132 milliards d’euros. La France et l’Italie sont respectivement le second partenaire commercial de l’autre. Ils représentent près de 30 % des habitants et 30 % du PIB de l’UE. Or, le principal axe ferroviaire fret et voyageurs qui relie deux des plus grands pays d’Europe date du XIXe siècle.

Avec cette nouvelle liaison moderne, il s’agit donc de replacer cet axe au cœur de flux créateurs de valeurs. Pour les voyageurs, la réduction des temps de trajet favorisera les échanges culturels, universitaires, touristiques…

Ce qui est valable pour les voyageurs l’est encore plus pour les marchandises. Mais avec l’objectif impérieux de réconcilier l’économie et l’écologie. Aujourd’hui, la quasi-totalité des marchandises entre la France et l’Italie sont transportées par poids lourds. En proposant aux entreprises un mode de transport de masse décarboné, rapide et fiable sur un axe européen stratégique, l’enjeu est de faire évoluer la chaine logistique vers un modèle plus efficace et plus respectueux de l’environnement.

 

« Localement, les électorats de LFI et d’EELV sont majoritairement favorables à la Transalpine »

La Transalpine est régulièrement présentée comme un projet controversé, pourtant un sondage IFOP révélait l’année dernière une large adhésion des habitants des départements de la région Auvergne Rhône-Alpes concernés par le projet (81 % des sondés étaient favorables au projet). Comment expliquez-vous ce décalage ?

Oui, c’est assez curieux. Le Lyon-Turin est le fruit de trois traités internationaux ratifiés à chaque fois à une large majorité au Parlement. Depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République, quelle que soit leur couleur politique, ont soutenu sans ambiguïté le projet. La quasi-unanimité de collectivités locales concernées par le projet le soutiennent également. Même écho du côté des syndicats de salariés et des organisations patronales.

Le sondage régional réalisé par l’IFOP pour la Transalpine en juin dernier est à cet égard assez illustrant. L’adhésion des populations au Lyon-Turin est non seulement très forte mais relativement homogène par tranche d’âge, par CSP et par sensibilité politique, y compris dans les électorats LFI et EELV qui sont les deux seuls partis à s’y opposer. Contrairement aux cadres de ces partis, leurs électorats sont favorables au projet à plus de 80 %. Sur ce sujet comme sur d’autres, ces résultats démontrent un net décalage entre les sympathisants et les élites partidaires.

Pour autant, aussi minoritaires qu’ils soient, les opposants au Lyon-Turin sont bruyants et attirent l’attention des médias qui reprennent en boucle l’idée du « projet contesté ». Aucun projet ne fait l’unanimité.

Manifestation des Soulèvements de la Terre contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

« Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition au Lyon-Turin s’est nettement radicalisée »

Du côté français, un certain nombre d’associations et de mouvements radicaux (Attac, les Soulèvements de la Terre, Sud Rail, Non au Lyon Turin…) se mobilisent pour bloquer l’avancement de la transalpine. Quel impact ont leurs actions ? Celles-ci se sont-elles intensifiées récemment ? Sont-elles plus violentes en France ? En Italie ? Quels partis et personnalités politiques se font les relais de ces activistes ? 

Il faut bien comprendre que l’opposition au projet est née en Italie, au début des années 2010. Le Mouvement 5 Étoiles, créé par l’humoriste Beppe Grillo, en a fait un étendard et s’est fortement appuyé sur cette contestation locale pour progresser au niveau national. Dans une logique « antisystème », certains diraient populiste, cette opposition s’est cristallisée en partie sur les grands projets d’infrastructure. Par son ampleur, le Lyon-Turin était donc un bon sujet de mobilisation.

Dans les cortèges, ont trouvait des écologistes sincères, des public animés par le syndrome NIMBY et aussi beaucoup de mouvements de la gauche radicale, avec même certains éléments issus des Brigades rouges. Les premiers affrontements avec les forces de l’ordre sur le chantier ont été très violents. Mais au fil du temps, le mouvement s’est essoufflé. Aujourd’hui, ils sont beaucoup moins nombreux, mais ils se sont radicalisés. Régulièrement, des petits groupes encagoulés attaquent le chantier, protégé en permanence par des policiers et l’armée, avec des pierres et des feux d’artifice.

Les activistes recrutent principalement dans les milieux anarchistes de Turin et de Milan en jouant de la rhétorique de l’intersectionnalité des luttes. Il y a quelques semaines, un rassemblement près du chantier a vu débarquer des éco-féministes, des activistes LGBT et des militants de la cause palestinienne dont on peine à comprendre le lien avec le Lyon-Turin.

En France, l’opposition a commencé à éclore au début des années 2010 mais de manière plus pacifique et confidentielle. Face à la mobilisation des Italiens, les écologistes n’ont pas voulu être en reste. Après avoir soutenu et porté le projet pendant plus de 20 ans, les écologistes ont fait un virage à 180 degrés en 2012. Du jour au lendemain, le Lyon-Turin est passé du statut de projet essentiel à celui de projet dévastateur de l’environnement. Les théoriciens de cette opposition se comptaient pourtant sur les doigts d’une main. Mais ils sont petit à petit parvenus à essaimer leurs arguments dans les réseaux écologistes et de la gauche radicale.

Ce virage a été initié localement par une nouvelle génération de cadres écologistes annonciateurs des mouvements d’activistes plus radicaux que l’on connaît aujourd’hui. En juin dernier, il y a eu une manifestation des Soulèvements de la Terre. De l’aveu même des organisateurs, ils ne connaissaient pas le dossier. Mais au même titre que le nucléaire, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou plus récemment les bassines de Sainte-Soline, le Lyon-Turin est devenu un totem qui mobilise une base d’activistes radicaux. Avant le départ du cortège des Soulèvement de la Terre, les participants ont scandé « Nous sommes tous antifascistes ». Là encore, difficile de comprendre le lien avec le Lyon-Turin. Toujours est-il que cette manifestation, émaillée de violences, était officiellement soutenue par les élus Verts de la région dont beaucoup étaient présents sur place aux côtés de la France Insoumise. Depuis que les Insoumis sont entrés en force à l’Assemblée nationale en 2022, l’opposition sur le Lyon-Turin s’est nettement radicalisée. Jean-Luc Mélenchon lui-même évoque régulièrement le sujet dans ses meetings et interviews.

Certains activistes locaux cherchent à importer en France les éléments radicaux italiens, pour l’instant en vain. Cet été, pour la première fois, deux engins de chantier ont été incendiés. Mais pour l’heure, l’opposition en France reste marginale et non violente, même si on observe des signes de structuration.

Manifestation des activistes italiens de No Tav contre le projet Lyon-Turin, juin 2023 Crédits : SG

 

 

« Ces 15 dernières années, trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin ont été inaugurés en Suisse »

Dans un reportage publié en avril 2023, le think tank « citoyen » Mr Mondialisation qualifiait la transalpine de « TGV écocidaire » et d’« aberration écologique et sociale ». Il se trouve qu’en novembre dernier le crime d’écocide a été ajouté à la liste des infractions pénales de l’UE. Les travaux liés aux forages des tunnels sont-ils réellement assimilables à un crime contre l’environnement, à la destruction complète d’un écosystème ? 

Il faut être clair, un chantier de cette envergure a forcément des impacts sur l’environnement. Mais il faut évidemment en mesurer les bénéfices sur le long terme. De ce point de vue, toutes les études démontrent que l’équilibre coûts-bénéfices sera positif. Les effets sur la nature et sur la biodiversité sont très surveillés et relativement limités, puisqu’il s’agit de construire un tunnel sous la montagne. Les Suisses, qu’on peut difficilement accuser de mépriser l’environnement, ont inauguré ces 15 dernières années trois grands tunnels alpins identiques au Lyon-Turin. Leurs performances en matière de report modal de la route vers le rail sont exceptionnelles. Les écolos suisses y étaient au départ opposés, mais aujourd’hui ils en sont très fiers.

En vérité, le discours écologiste des opposants semble n’arriver qu’au second rang. Pendant la manifestation des Soulèvement de la Terre, la plupart des participants interrogés par les médias étaient incapables d’avoir une argumentation structurée au-delà de quelques poncifs. Le vrai sujet semble être politique. C’est celui de la décroissance et de la lutte contre le capitalisme. Une myriade de mouvements plus ou moins importants s’agrègent autour de cette vision du monde : Sud Rail, Les Amis de la Terre, Extinction Rébellion, Attac… Pour eux, le Lyon-Turin va favoriser les échanges commerciaux en Europe. Et il est trop tard pour attendre les bénéfices du Lyon-Turin qui arriveront dans plusieurs années, bien après le grand effondrement qu’ils prédisent à court terme. Les termes les plus anxiogènes de la novlangue des activistes du climat sont abondamment utilisés. Par exemple, on ne parle plus de « sabotage » mais de « désarmement » des chantiers.

Il est normal que cette opposition s’exprime en démocratie. Ce qui est plus contestable, c’est de désinformer l’opinion en niant l’expertise des scientifiques et de tous les professionnels du rail qui sont unanimes sur l’utilité du Lyon-Turin. D’ailleurs, il est frappant de constater que les opposants ne comptent dans leurs rangs aucun expert du sujet. Leur dernière trouvaille consternante est d’affirmer que le tunnel du Lyon-Turin va « vider l’eau des Alpes qui tombe dans le trou qu’on creuse ».

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est la perméabilité grandissante de ces mouvements à des discours radicaux comme celui du sociologue suédois Andreas Malm, devenu une véritable référence dans ces milieux. Selon lui, les manifestations pacifiques ont montré leur inefficacité. L’urgence climatique légitime donc les actes de désobéissance civile, voire de violence et de sabotages. Entendre des élus de la République valoriser ce type de discours, par ailleurs rejeté par une immense majorité de l’opinion, est quand même très inquiétant.

 

« 92 % des marchandises échangées entre la France et l’Italie transitent par la route et 8 % par le rail »

Le rail est le mode de transport dont l’empreinte carbone est la plus légère. Il ne contribue qu’à 1,2 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports au niveau mondial, alors que le transport routier représente trois quarts des émissions de GES. Selon l’Agence International de l’Énergie « Doubler le transport ferroviaire équivaudrait à supprimer 20 000 poids lourds sur le réseau routier, pour une économie de 450 000 tonnes de CO2 chaque année. ». Combien de tonnes de CO2 pourraient être économisées par la Transalpine, dès la première année de sa mise en service ? 

Le train est non seulement le mode de transport terrestre le moins émetteur de gaz à effet de serre (neuf fois moins que le transport routier), mais il est aussi celui qui génère le moins de pollution aux particules fines. Il est en outre le moyen de transport le plus sobre en énergie, ce qui sera l’une des grandes problématiques des années à venir.

Le Lyon-Turin est une ligne mixte. Il transportera des passagers, mais 80 % de la ligne sera dédiée au fret ferroviaire. 47 millions de tonnes de marchandises franchissent chaque année la frontière entre la France et l’Italie. Seulement 8 % sont transportés par le rail sur une ligne obsolète héritée de Napoléon III, et 92 % par la route.

Cela représente trois millions de poids lourds par an, la moitié par les Alpes du nord et l’autre moitié par la côte méditerranéenne. Avec de bonnes mesures d’accompagnement, l’objectif est de basculer dans un premier temps un million de camions sur le rail et d’éviter le rejet de plus d’un million de tonnes de CO2 par an. Le bénéfice en CO2 devrait être atteint environ 15 ans après la mise en service de la ligne. Cela peut paraître long, mais à l’échelle d’une infrastructure dont l’utilisation sera de plus d’un siècle, c’est avant tout une manière de préparer l’avenir.

 

Vous souhaitez réagir à cet entretien ? Apporter une précision, un témoignage ? Ecrivez-nous sur redaction@contrepoints.org

Le vrai niveau de nos dépenses sociales

La DREES a publié le 14 décembre dernier une étude qui révèle, que pour la septième année consécutive, la France est championne européenne des dépenses sociales. Celles-ci représentent 32,2 % du PIB, alors que la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 21 %.

Mais, dans le même temps, le taux de pauvreté augmente dans notre pays : entre 2004 et 2021 le nombre de pauvres (seuil à 50 % du niveau médian) est passé de 4,2 à 5,2 millions de personnes. Pourquoi nos dépenses sociales sont-elles aussi élevées ? Comment continuer à les financer ?

En janvier 2020, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, avait déclaré sur France 2 : « La France, à elle toute seule, représente 15 % des dépenses sociales dans le monde, alors qu’elle constitue 1 % de la population mondiale ». Les dépenses sociales seraient totalement démesurées, et ont atteint un tel niveau que le redressement des comptes sociaux est un souci permanent pour les pouvoirs publics.

Leur tâche est ardue : le journal Le Figaro du 13 décembre dernier titrait : « La dette de la sécu, prochain dossier explosif de l’exécutif ». Il faut donc examiner les chiffres avec raison, et procéder à des comparaisons avec l’étranger qui aient du sens. Nous en sommes, pour la dernière année connue, à 850 milliards d’euros, avec la ventilation  suivante :

Dépenses sociales, en 2022, en milliards d’euros

Pour financer ces dépenses, quatre types d’organismes interviennent :

  1. La Sécurité sociale publique
  2. Les régimes complémentaires
  3. L’UNEDIC
  4. L’aide sociale (État et départements)

 

La Sécurité sociale est au centre du dispositif. À elle seule, elle a en charge environ 80 % des dépenses sociales du pays. Cette année, le déficit de ses comptes s’élèvera à plus de 8,8 milliards d’euros, et on estime qu’il ne pourra qu’aller en s’aggravant : les experts évoquent probablement la somme de 17,5 milliards en 2027.

 

Le vrai niveau de nos dépenses sociales

Les organismes officiels expriment toujours les dépenses sociales des pays en pourcentage de leur PIB. Cette manière de procéder est relativement trompeuse, car se référer au PIB pour mesurer les dépenses sociales, c’est mesurer l’effort que consentent les pouvoirs publics pour faciliter la vie de leur population, faire « du social », et corriger les inégalités. En ce domaine, la France est le pays qui effectivement fait le plus de sacrifices. Son indice de Gini est d’ailleurs excellent.

Pour procéder à des comparaisons internationales correctes, il convient d’examiner les dépenses sociales calculées par habitant au regard du PIB/capita des pays (en dollars) :

Dépenses sociales/habitant et PIB/capita (Source : OCDE et PIB de la BIRD)

Ces chiffres montrent que les dépenses sociales françaises n’ont rien d’anormal : des pays moins riches ont des dépenses sociales par habitant beaucoup plus faibles ; et des pays beaucoup plus riches ont des dépenses bien plus élevées.

Les dépenses sociales françaises par habitant sont celles de pays aux PIB/capita 40 % à 50 % supérieurs au nôtre. En soi, elles ne sont pas anormales, c’est le PIB français qui est en cause, il est très en retard. Nos dépenses sociales ont augmenté au même rythme que dans les autres pays, sous la pression notamment des syndicats. Depuis de nombreuses années, l’économie française est en effet très poussive.

Référons-nous à une étude de la Division des statistiques des Nations Unies qui a examiné la façon dont les économies des pays ont évolué sur une longue période. L’étude a porté sur la période 1980-2017. Ci-dessous, les résultats pour quelques pays européens, en prolongeant les données de l’ONU jusqu’à la période actuelle, et en ajoutant le cas d’Israël, qui est exemplaire :

PIB/tête en dollars courants (Source : ONU, Statistics Division)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur toute cette période, les performances économiques de la France ont été déplorables.

Le PIB/capita aurait du être multiplié par au moins 4,2, ce qui aurait placé les dépenses sociales à 23,6% du PIB, soit à peine au-dessus de la moyenne OCDE qui se situe à 21 %.

Ces mauvaises performances économiques proviennent de l’effondrement du secteur industriel. En effet, nos dirigeants ont mal interprété la loi des trois secteurs de l’économie de Jean Fourastié dont le livre Le grand espoir du XXe siècle, avait connu à l’époque un succès considérable. Ils en ont conclu qu’un pays moderne donne la priorité aux activités tertiaires. Ils ont donc laissé se dégrader et se réduire le secteur industriel, voyant dans cet amenuisement le signe de la modernisation du pays.

C’est ainsi qu’aujourd’hui, notre secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB, alors que celui de l’Allemagne ou de la Suisse sont à 23 % ou 24 %. La France est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, Grèce mise à part. La crise de la Covid-19 a permis la prise de conscience de la très grave désindustrialisation du pays. Il était temps. De toute part, il est à présent question de cette urgente nécessité.

 

De combien nos dépenses sociales sont-elles en excès ?

Une approche économétrique simple permet d’évaluer de combien les dépenses sociales sont en excès : elle consiste à se référer aux PIB /capita des pays que l’on prendrait comme variable explicative.

L’équation de la droite de corrélation indique que pour le PIB/capita qui est le nôtre aujourd’hui, les dépenses sociales par habitant devraient se limiter à 9976 dollars, alors que nous en sommes à 12 555 dollars, ce que permet, normalement, un PIB/capita de 40 963 dollars. L’excès de dépenses sociales françaises se chiffre donc à 175 milliards de dollars (soit 160 milliards d’euros). On en serait, alors, à un taux de 23,5 % de dépenses sociales par rapport au PIB, un taux tout à fait normal.

La Cour des comptes ne procède pas de cette manière. Elle semble ignorer les approches économétriques qui sont, pourtant, les plus valables pour effectuer des comparaisons internationales. Elle procède plutôt à partir de scénarios. Dans son rapport de juillet 2023 sur les dépenses publiques, elle énonce :

« Une action puissante sur les dépenses publiques est nécessaire […] ll faut trouver chaque année 12 milliards d’économies, soit un cumulé, d’ici à 2027, de 60 milliards ». Elle s’inquiète de ce que les pouvoirs publics paraissent incapables d’y parvenir.

Dans une note du 4 juillet 2023 l’iFRAP s’interroge : « Où sont les économies ? On aurait aimé que la Cour des comptes livre une liste concrète de pistes d’économies pour documenter les 60 milliards qu’elle identifie d’ici à 2027 ».

Nous en sommes donc à espérer une économie de 60 milliards d’euros sur l’ensemble des comptes publics pour les cinq prochaines années, en craignant que l’objectif soit inatteignable. Pour les seules  dépenses sociales, il faudrait rechercher 160 milliards d’euros d’économies !

En matière d’économies à faire sur l’ensemble des comptes publics de la Nation, les préconisations de la Cour des comptes sont totalement hors de proportion avec ce qu’il conviendrait de faire. Mais déjà craint-elle que ce soit trop en demander à l’exécutif.

La France est très loin de pouvoir ramener ses dépenses sociales à un niveau aligné sur celui des autres pays européens, elle n’en prend guère le chemin. Certes, ces dépenses sont extrêmement difficiles à comprimer, les réactions du public étant immédiates et violentes. Les pouvoirs publics ont en mémoire l’épisode des Gilets jaunes. Il faudra donc attendre que le PIB du pays progresse très fortement et bien plus rapidement que celui de nos voisins, un rêve utopique.

Sans doute, pour le moins, faudrait-il commencer par s’attaquer sérieusement aux fraudes sociales que le député Olivier Marleix, président des députés LR à l’Assemblée nationale, chiffre à 30 milliards d’euros. Ce serait la moindre des choses ! Ne rien faire, c’est laisser le pays continuer à s’endetter un peu plus chaque année. Les grandes agences de notation, qui dans leur dernière revue n’ont pas voulu faire reculer la France d’un cran, ont trop cédé aux propos lénifiants de Bruno Le Maire.

Pour Patrick Artus, conseiller économique chez Natixis, la France a une bonne technique de gestion de la dette. Mais celle-ci est sans cesse en progression.

L’islamisation de l’Europe : qu’en est-il vraiment ?

À New York comme au Parlement belge, je rencontre de plus en plus d’interlocuteurs qui se disent convaincus que l’islamisation de Bruxelles — et de Londres, ajoutent-ils fréquemment — est désormais inéluctable et n’est plus qu’une question de temps. C’est un pronostic qui paraît audible, mais qui mérite plus que des nuances.

Commençons par relever, sans nous perdre dans les chiffres, que la progression de la population musulmane, à Bruxelles, est aussi massive que fulgurante. Depuis cinquante ans, le nombre de musulmans ne cesse de croître, et vu l’abaissement des frontières européennes, en fait quand ce n’est pas en droit, le mouvement ne semble pas prêt de s’enrayer.

 

Les chiffres

Toutefois, les chiffres ne sont pas aisés à établir. Si l’on veut rester scientifique et factuel, ce n’est pas en constatant la popularité du prénom Mohamed que l’on avancera. C’est là une fallace statistique classique — dénoncée à juste titre par Nassim Nicholas Taleb : la popularité du prénom Mohamed reste très élevée parmi les musulmans, donc à populations égales il y aura plus de Mohamed que de Pierre, Jan et Eric. Ce qui ne « prouve » strictement rien.

La dernière étude fiable sur le sujet date malheureusement de 2015/2016. C’est l’étude du Pr. Jan Hertogen, généralement considérée comme fiable et reprise par le Département d’État américain. Selon cette étude, le pourcentage de musulmans à Bruxelles était en 2015 de 24 %. Des chiffres plus récents sont fournis par le Pew Research Center, mais seulement pour la Belgique dans son ensemble, sans détail par ville. En 2016, 29 % des Bruxellois se revendiquaient musulmans. Si l’on contemple la courbe de progression, on peut estimer que le pourcentage de musulmans à Bruxelles se situe très probablement aujourd’hui en 2023 au début des 30 %.

Les chiffres n’attestent donc en rien une majorité musulmane à Bruxelles — ni sa réalité ni son imminence. Contrairement aux fantasmes d’une certaine droite qui réfléchit aussi mal que la gauche, en Europe, le taux de fécondité des femmes musulmanes s’est effondré, suivant en cela la courbe générale (même s’il reste plus élevé que chez les « natifs » : la faute à qui ?). Le fantasme d’une fécondité musulmane explosive en Europe est un pur mythe. Les préventions légitimes à l’égard de l’islam comme doctrine politique ne doivent pas nous éloigner des catégories élémentaires du raisonnement.

 

L’immigration

Bruxelles n’est pas majoritairement musulmane, et rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle le deviendra. Car l’immigration n’est pas une donnée invariable, à l’instar de la gravitation universelle. Force est de constater que, dans l’ensemble de l’Europe sauf la Wallonie, nous assistons à l’ascension au pouvoir de partis et personnalités qui tendent vers l’immigration zéro, à tout le moins un moratoire sur l’immigration. Qu’on approuve ou pas cette tendance, c’est un fait.

Car, en dépit des allégations de la gauche, qui présente l’immigration vers l’Europe comme inéluctable, l’immigration n’a strictement rien d’inéluctable. C’est la jurisprudence de la CEDH qui a créé le chaos migratoire actuel, en combinaison avec le Wir Shaffen Das de Angela Merkel.

L’immigration n’est pas une sorte de catastrophe naturelle qui s’abattrait sur l’Europe, inévitablement, à l’instar d’une invasion de sauterelles ou d’un orage d’été. Le chaos migratoire que nous connaissons, en Europe, est un phénomène purement humain, causé par des politiques et des juges.

Or, ce qui a été fait peut être défait. L’afflux de migrants que nous connaissons actuellement peut s’interrompre — après-demain, en neutralisant la CEDH. De ce point de vue, il sera intéressant d’observer ce que fera aux Pays-Bas Geert Wilders, qui a certes mis de l’eau dans son vin, mais qui souhaite mordicus mettre un terme au déferlement migratoire que connaît son joli pays. Sortir de la CEDH est une option — parmi d’autres.

 

La tentation de l’essentialisation

L’implantation massive de populations musulmanes en Europe — 50 millions de personnes en 2030, selon le Pew Research Center — est vécue de façon douloureuse et même dramatique quand dans le même temps une fraction notable de ces populations se radicalise. Par exemple, à la faveur du conflit israélo-palestinien. En France, l’écrasante majorité des actes et agressions antisémites est le fait de musulmans. En Belgique, les préjugés antisémites sont nettement plus répandus parmi les musulmans. Les défilés propalestiniens depuis le 7 octobre sont, trop souvent, le prétexte de slogans antisémites haineux comme nos rues n’en ont plus connu depuis les meetings du NSDAP dans les années trente et quarante du XXe siècle.

Pour autant, il faut se garder de la tentation de cette essentialisation tellement répandue à gauche : l’islam n’est pas une race, ni une fatalité. L’islam est une doctrine politique. On en sort comme on sort du socialisme, de l’écologisme, ou de la religion catholique. Je ne prétends pas que la majorité des musulmans d’Europe reniera l’islam — rien ne permet de le présager — ni que l’islam en Europe se pliera aux normes et valeurs de la civilisation occidentale : là encore, rien ne l’annonce.

Mais considérer que l’islam est une sorte de bloc infrangible, de Sphinx face au temps, qui se maintiendra immuable dans la courbe des siècles, abrogeant tout autre facteur, écrasant toute autre considération, revient à raisonner comme un islamiste, pour qui l’Univers se réduit à l’islam et selon lequel sortir de l’islam est un crime indicible.

Dis autrement, considérer dès à présent que Bruxelles — Paris, Londres — deviendra immanquablement islamique a fortiori islamiste revient à commettre une erreur de fait, et offrir par avance la victoire aux pires extrémistes parmi les musulmans. C’est le type par excellence de cette pensée défaitiste, dont Churchill enseignait dans sa somme magistrale Second World War qu’elle était, dès 1939, plus menaçante que l’ensemble des divisions nazies.

Taxation des sociétés d’autoroutes, attention au retour de bâton

Un article de l’IREF.

L’article 15 du projet de loi de finances pour 2024 prévoit l’instauration d’une nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance affectée à l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) de France.

Cette taxe vise les exploitants qui affichent une rentabilité supérieure à 10 %, et son montant est déterminé par l’application d’un taux de 4,6 % aux revenus d’exploitation qui excèdent 120 millions d’euros. Le produit annuel prévisionnel de la taxe serait de 600 millions d’euros, réparti entre les sociétés concessionnaires d’autoroutes (pour environ 450 millions d’euros) et les principaux aéroports (pour environ 150 millions d’euros).

L’objectif affiché ? Participer au financement de la transition écologique du secteur des transports. Initialement, seules les sociétés d’autoroutes devaient être mises à contribution. Mais l’État avait alors oublié que la création d’une taxation spécifique aux sociétés autoroutières l’obligerait à compenser les conséquences financières, au titre de la clause de stabilité fiscale prévue par les contrats de concessions autoroutières. Pour éviter d’être soumis à cette obligation, les aéroports ont, dans un second temps, été placés dans le champ d’application de la taxe.

Cela sera-t-il suffisant pour éviter une longue et coûteuse procédure contentieuse avec, à la clef, une issue défavorable à l’État, c’est-à-dire aux contribuables ?

Rien n’est moins sûr. Dans un avis rendu le 8 juin 2023, le Conseil d’État a en effet précisé :

« Toute nouvelle contribution qui, sans viser explicitement les sociétés concessionnaires d’autoroutes, aurait pour effet pratique, compte tenu de ses modalités, de peser exclusivement ou quasi exclusivement sur elles pourrait […] ouvrir à ces sociétés un droit à compensation ».

Au regard des intentions initiales du gouvernement, il n’est pas exclu que la juridiction administrative considère que cet « effet pratique » est ici caractérisé. De son côté, le juge constitutionnel estime que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Or, d’après l’avis rendu par le Conseil d’État, les différents motifs invoqués par le gouvernement ne permettraient pas d’éviter une censure par le Conseil constitutionnel…

 

La hausse des tarifs dans les ports (Le Havre et Marseille) et aéroports (ADP notamment) visés par cette taxe aura pour effet de les rendre moins compétitifs

Si cette compensation financière venait à être obtenue des juridictions saisies, elle se traduirait sans doute par une autorisation donnée aux concessionnaires  de répercuter cette taxe nouvelle dans les tarifs des péages, pénalisant ainsi les usagers du réseau autoroutier.

De la même manière, la hausse des tarifs dans les ports (Le Havre et Marseille) et aéroports (ADP notamment) visés par cette taxe aura pour effet de les rendre moins compétitifs, en un mot de les affaiblir.

Cédant à un réflexe taxateur, les décideurs publics semblent de surcroît oublier que, concomitamment aux investissements publics, la transition écologique du secteur des transports appelle des investissements privés qu’un cadre juridique instable et peu prévisible n’est pas de nature à favoriser…

Sur le web.

Loi européenne sur les métaux critiques : moins de dépendance mais des questions en suspens

Les auteurs : Lucas Miailhes est doctorant en Science Politique/Relations Internationales à l’Institut catholique de Lille (ICL). Andrew Glencross est le Directeur d’ESPOL, Professeur de Science Politique à l’Institut catholique de Lille (ICL).

 

Les préoccupations de l’Union européenne concernant le risque d’approvisionnement en matières premières critiques (ou critical raw materials, CRM en anglais) se sont considérablement accrues au cours de la dernière décennie en raison de leur importance croissante pour la transition numérique et écologique.

En effet, la production de CRM reste actuellement largement concentrée géographiquement en dehors de l’Europe, notamment en Chine, ce qui expose l’Union européenne à des risques d’approvisionnement majeurs. Consciente de sa dépendance à l’égard de sources extérieures pour ces matériaux, Bruxelles prend désormais des mesures pour relever ce défi, et ainsi se protéger contre d’éventuelles restrictions d’exportations de pays tiers.

L’Europe n’a pas de temps à perdre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de CRM devrait quadrupler d’ici 2040, sous l’effet d’une multiplication par 42 de la demande de lithium et d’une multiplication par 7 de la demande en terres rares d’ici 2050. Essentielles à la fabrication des batteries, les terres rares et le lithium sont au cœur de la mobilité et du stockage de l’énergie, ce qui rend la sécurité du CRM vitale pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de décarbonation.

Cependant, la Chine possède actuellement un quasi-monopole des exportations de terres rares, le cobalt et le lithium, constituant ainsi la source de plus de 90 % des importations européennes. Pékin est bien conscient de l’importance de ce levier de puissance, et s’en sert déjà dans son bras de fer technologique avec les États-Unis.

Pour relever ces défis, la Commission européenne a proposé en mars 2023 la loi sur les matières premières critiques (CRMA), qui vise à garantir l’accès de l’Union européenne aux matières premières essentielles. Cette législation vise à réduire la dépendance des vingt-sept en encourageant l’augmentation de la production européenne, le recyclage et le raffinage des matières premières critiques.

La CRMA établit une liste de 16 matières premières stratégiques et critiques et fixe des objectifs pour augmenter la contribution de l’Union européenne (10 % pour l’extraction, 40 % pour la transformation et 15 % pour le recyclage). La proposition comprend des mesures visant à rationaliser les processus administratifs d’extraction, à surveiller les chaînes d’approvisionnement et à investir dans la recherche et l’innovation.

Néanmoins, les critiques ont soulevé des inquiétudes quant à l’absence de fonds dédiés, remettant en cause la viabilité financière et l’efficacité de la législation. L’extraction, le traitement et le recyclage des CRM nécessitent en effet des investissements importants et les possibilités de financement actuelles de l’UE sont dispersées et complexes. En réponse, le Parlement européen a proposé la création d’un Fonds européen pour les matières premières stratégiques en septembre 2023.

 

« Club d’acheteurs bruxellois »

Un autre sujet de discorde concerne les risques potentiels liés à l’acceptation des projets stratégiques par les populations locales, qui peuvent s’inquiéter des impacts environnementaux et sociaux. Dans le texte européen, les projets stratégiques sont définis comme des projets relatifs aux matières premières qui renforcent de manière significative la sécurité de l’approvisionnement de l’Union européenne en matières premières stratégiques. Les entreprises dont les projets seront reconnus comme stratégiques bénéficieront de procédures d’autorisation simplifiées et d’un accès plus facile aux possibilités de financement. Cela soulève des inquiétudes quant à l’équilibre entre l’accélération des projets et la mise en place de garanties environnementales et sociales solides.

En outre, les discussions mettent en évidence le manque de dispositions concrètes sur la circularité de la CRMA. Les critiques soutiennent que la loi n’offre pas suffisamment d’orientations pour renforcer le rôle du secteur de la réparation dans l’extension du cycle de vie des produits contenant des CRM. La loi se concentre sur l’exploitation des déchets, l’amélioration des processus de recyclage et l’augmentation de la réutilisation des produits et des CRM secondaires, mais elle n’aborde pas la législation sur le droit à la réparation.

Enfin, les dispositions de la CRMA relatives à l’achat groupé, qui visent à encourager le regroupement de la demande intérieure de l’Union européenne par la constitution de stocks stratégiques, ont suscité certaines craintes. Le chercheur américain Cullen S. Hendrix a par exemple exprimé des inquiétudes concernant un « club d’acheteurs bruxellois », soulignant le risque d’effets néfastes sur les économies en développement. En faisant baisser les prix de vente, la pratique d’achat groupé par les pays de l’Union pourrait en effet entraver la capacité des pays en développement à bénéficier de leur dotation en CRM pour financer leur transition énergétique.

 

Et pour la France ?

Du point de vue français, le CRMA répond à deux attentes politiques complémentaires sur le moyen et long terme.

Premièrement, le texte de loi vient en appui à l’exécutif, qui cherche depuis longtemps à voir la Commission européenne accepter plus de souplesse en ce qui concerne les aides d’État. Ces dernières représentent en effet un levier privilégié pour favoriser le développement territorial dans l’hexagone, comme en témoignent les subventions à la hauteur d’un milliard et demi d’euros attribuées au projet d’usine de batteries à Dunkerque. En outre, le CRMA offre des perspectives intéressantes pour favoriser des projets industriels à l’instar de la mine de lithium dans l’Allier – qui d’ailleurs suscite les inquiétudes des habitants.

Le deuxième point fort de cette législation européenne est qu’elle démontre la valeur ajoutée de l’action de l’Union européenne en tant qu’acteur à l’échelle mondiale. Ceci est une conception très française de l’Europe, qui voit en la construction européenne un moyen non seulement de peser dans les affaires internationales mais aussi de s’affranchir de la puissance américaine.

La logique « gaulliste » de cette vision consiste à penser la base industrielle en lien avec les capacités de défense. Ce n’est donc pas une coïncidence que le Conseil européen, sous la présidence française en 2022, a appelé à œuvrer à la construction d’une base économique plus solide en même temps que le renforcement des capacités de défense européennes.

 

Répondre aux préoccupations

Actuellement en phase de trilogue, les négociations entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen sont presque terminées. La prochaine étape de la procédure législative de l’Union européenne est l’approbation et l’adoption formelle par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. L’accord provisoire sur le CRMA conclu avec le Parlement européen le 13 novembre 2023 doit en effet encore être approuvé et formellement adopté par les deux institutions.

La CRMA jouera un rôle essentiel dans la capacité de l’Union européenne à atteindre ses objectifs en matière de transition écologique et à renforcer son autonomie stratégique. Cependant, la CRMA a suscité de nombreux débats et a soulevé des inquiétudes parmi les différentes parties prenantes. Bien qu’elle soit susceptible de répondre aux défis de l’Union européenne en matière d’accès sûr et durable aux CRMA, il est essentiel d’examiner attentivement les préoccupations soulevées par les critiques et d’y répondre afin de garantir l’efficacité des dispositions prises au sein du CRMA.

Vous pouvez retrouver cet article sur le site de The Conversation France.

La France face à la menace terroriste : vers un État policier ?

Par : h16

Les autorités redoutent un attentat d’ici la fin de l’année. Elles l’ont d’ailleurs très médiatiquement fait savoir, tant du côté européen que du côté français, afin que toute la population soit correctement saisie d’inquiétude et de méfiance pour la période des fêtes.

Et donc, que ce soit le résultat d’une action préparée de longue date restée discrète voire secrète au point d’échapper aux renseignements policiers, ou qu’il s’agisse d’un événement quasiment improvisé, selon toute vraisemblance, les prochaines semaines ou, plus probablement, les prochains mois verront un nouvel événement terroriste en France.

Notons que tout aura été fait pour, et qu’on pourra raisonnablement écarter tout hasard dans la préparation des consciences, tant est difficile à cacher la volonté pour une bonne partie des politiciens d’importer avec gourmandise le conflit israélo-palestinien en France. Ici, on comprend bien évidemment la mécanique politique à l’œuvre : toute nouvelle tension, toute nouvelle bouffée d’horreur en France servira essentiellement à augmenter les prérogatives de l’État, et de ceux qui le gouvernent, et tout événement violent sera prétexte à accroître les possibilités offertes à ces derniers de pressurer la population, la museler et la contraindre dans le sens qui leur plaira.

Il n’y a guère besoin d’extrapoler. Même quelque chose de relativement bénin (voire festif selon certains) comme les Jeux Olympiques d’été permet d’illustrer le point : ces célébrations dispendieuses, largement coupées des préoccupations directes de l’écrasante majorité de la population, servent déjà à passer nombre de lois et de décrets afin de transformer la capitale en véritable enfer carcéral pour ses habitants, et à mettre en place des mesures (notamment numériques) dont on sait qu’elles perdureront bien au-delà de leur raison initiale.

Dans ce contexte, il est facile de comprendre que n’importe quel attentat un peu plus large qu’un simple échange de coups de couteaux (qui ne ferait qu’attiser ce que la classe jacassante appelle maintenant hypocritement l’ultradroite) pourra servir d’une part à terroriser la population (ou tout faire dans ce but) ; et d’autre part à renforcer le contrôle policier… sur ceux qui pourraient trouver la situation un peu saumâtre et vouloir se défendre (encore l’ultradroite, comme par hasard).

Il semble donc évident qu’un événement majeur, avec à la clé plusieurs (dizaines de ?) morts aura lieu dans les prochains mois, disons pour donner une idée, d’ici Noël 2024. Quelque chose comme ce qui s’est passé en Israël où des villages entiers furent attaqués par de petites troupes de terroristes.

Cela n’a absolument rien de farfelu puisque l’ébauche a déjà germé dans les cerveaux manifestement sous-dimensionnés de quelques individus qui ont, fort heureusement, réussi à se faire gauler : « On passe à quatre ou cinq, armés, tu tues tout le village en une seule nuit, c’est facile, je te dis que tu peux faire ça, c’est facile ! »…

On devra se demander pourquoi les autorités ont jugé bon de faire connaître médiatiquement ces projets d’attentats de ces soi-disant « réfugiés », mais il est clair que ce faisant, outre disséminer encore un peu plus l’idée, cela permet d’établir un précédent, à toutes fins utiles. Dès lors, on peut imaginer que d’autres, un peu plus finauds que ces pieds nickelés du djihadisme, s’organisent déjà avec une meilleure discrétion. Peut-être ceux-là acquièrent-ils lentement des armes personnelles, chacun dans son coin, la filière ukrainienne servant sans nul doute à les fournir et, un petit matin, ou un soir, ils choisiront de passer à l’action de manière individuelle selon un plan préparé à l’avance, et discuté hors des réseaux numériques les plus écoutés.

On imagine sans mal qu’ils débouleront dans l’un de ces villages tranquilles où la gendarmerie est sous-équipée et en sous-effectif chronique d’autant plus que la commune, sans barres HLM, sans racailles et sans gentils clandestins, est très calme et ne nécessite donc que peu de services de proximité que l’État n’a de toute façon aucune volonté de maintenir localement. Les dégâts (en nombre de morts, en blessés) y seront logiquement élevés.

Ce n’est qu’un scénario possible, mais compte tenu du nombre de candidats potentiels à ce genre d’actions, de l’état général des services de renseignements en France, de la compétence moyenne de nos autorités, avouons que ce n’est pas le scénario le plus fou fou non plus.

On peut aussi garantir que l’action des forces de l’ordre sera spectaculairement foireuse pendant un bon moment avant de pouvoir les stopper. Peut-être même une partie des perpétrateurs pourra – comme par hasard – s’enfuir dans la nature.

Pour donner un ordre d’idée, une poignée d’attaquants, cinq ou six (soit seulement trois de plus qu’au Bataclan) peut faire des dizaines de morts et de blessés dans une poignée de villages. À quelques dizaines, le massacre serait rapidement monstrueux face à des populations qui ont été volontairement et largement habituées à dépendre totalement de l’État pour leur sécurité, et dont les dents et les griffes ont été patiemment limées ; de lois scélérates, en (dé)moraline en baril distribuée chaque soir sur les ondes, et prunages vexatoires pour la moindre hausse de sourcil un peu trop rapide, ces populations ont abandonné toute envie de combattre, et leur capacité d’auto-défense

Ici, parier sur l’incompétence totale des autorités françaises à réagir rapidement et efficacement dans ce genre de terrible contexte n’est même pas un pari osé, c’est malheureusement le moins risqué. Du reste, les attentats du 13 novembre 2015 ont amplement démontré la désorganisation des forces d’intervention et des autorités. Qui imagine que l’équipe actuelle serait soudainement plus affûtée que celle d’alors ?

En revanche, on peut garantir la bonne compétence de la même brochette pour la récupération d’un tel événement, afin de poser les derniers jalons, les plus sévères, les plus lourds et les plus définitifs d’un véritable État policier, c’est-à-dire une dictature parfaitement étanche. Cela ne fait aucun doute.

En réalité, c’est précisément pour cela que la menace d’attentats a été clairement annoncée urbi & orbi par nos autorités, l’apeurement des populations étant un des effets directs recherchés. C’est pratique, une population apeurée : bien préparée à une horreur quasiment vendue comme inévitable, elle sera à point lorsque l’horreur surviendra.

Quelques centaines de morts d’un côté, un pouvoir quasi-illimité de l’autre : pour des élites parasitaires et parfaitement dénuées de tout scrupule, le calcul est vite fait et la question de la marche à suivre, « elle est vite répondue » pour des dirigeants qui sentent leur fin inéluctable sans la mise en place d’une poigne de fer contre le peuple.

En fait, il n’y a guère lieu d’épiloguer. Gérard Collomb, dans un rare moment de lucidité que permet l’abandon de la politique, expliquait au sujet de certaines populations que nous vivions actuellement côte à côte, et risquions vite « de se retrouver face à face ».

Nous y sommes.

Sur le web.

Libéralisme et sexualité : qu’en disaient les libéraux du XIXe siècle ?

Le libéralisme classique français a été porté par des auteurs presque exclusivement masculins, et qui pour certains des plus fameux (Turgot, Bastiat, Tocqueville) n’ont pas laissé de postérité : ce qui devrait engager à ne pas rechercher leur opinion sur la sexualité. C’est pourtant ce que je ferais, et la démarche n’est peut-être pas vaine.

 

Les premières conceptions religieuses

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la sexualité, incomprise, est déifiée : des autels sont dressés devant des pierres d’apparence phallique, où l’on s’agenouille avec dévotion, et où les filles viennent se frotter lascivement le ventre. Étant source des plus grands plaisirs, elle devient aussi l’objet de pratiques sacrificielles, soit par l’abstinence et la privation, soit par des mutilations dont la circoncision juive et l’excision africaine sont vraisemblablement des formes (Benjamin Constant, De la religion, t. I, 1824, p. 257).

Supposément pleine d’impureté, l’union des sexes est exclue des conceptions vraiment sublimes. Les Égyptiens tiennent que le dieu Apis est le fruit d’une jeune vache encore vierge, fécondée par le Soleil. En Inde, Krishna naît sans accouplement, mais par l’intervention d’un cheveu abandonné par Vishnu. Chez les chrétiens, Jésus, fils de la vierge Marie, est conçu du Saint-Esprit. C’est qu’en s’incarnant la divinité ne saurait se rabaisser à naître d’un acte tenu pour honteux (Idem, t. IV, 1831, p. 283-285).

Le commerce charnel est une souillure, et la faute en est placée principalement sur la femme. C’est toujours elle, dans les religions, qui pousse l’humanité à sa perte, et qui comme Ève corrompt l’homme. Sur elle pèse une double réprobation morale (Idem, t. III, 1827, p. 147).

 

La liberté de la sexualité récréative

À rebours, le libéralisme doit se conduire, non par les préceptes religieux, mais par les faits. Il n’a pas besoin de recommander le passage devant un prêtre pour que l’accouplement ne soit pas obscène et immoral, ou d’éloigner la nouvelle épouse de son milieu pour rejeter dans un lointain commode la faute qu’on vilipende (Yves Guyot, Études sur les doctrines sociales du christianisme, 1873, p. 119).

Le désir sexuel répond à un besoin immédiat de l’espèce : la nature a besoin que les êtres soient doués d’une force d’expansion surabondante, et que leurs penchants à la reproduction soient très développés. C’est ensuite à eux à en régler l’accomplissement, d’après leurs désirs et leurs forces.

Pour limiter la mise au monde d’une tourbe de misérables, Malthus (un prêtre anglican) recommandait dignement la contrainte morale, c’est-à-dire l’abstinence, et le mariage tardif. Au sein du libéralisme français, Joseph Garnier et Charles Dunoyer (plutôt libres-penseurs) réclament autre chose encore : la substitution de la morale de la responsabilité et du plaisir innocent au dogme du renoncement chrétien. La sexualité récréative, disent-ils, n’est ni immorale ni coupable : elle entre dans la catégorie des actes vains, si l’on veut, mais non des actes nuisibles, les seuls dont la morale et les lois doivent s’occuper (Charles Dunoyer, Mémoire à consulter, etc., 1835, p. 177 ; Joseph Garnier, Du principe de population, 1857, p. 93).

Pratiquer, en termes savants, l’onanisme ou coitus interruptus, et l’acte solitaire, n’est pas répréhensible. Mais pour tous ces auteurs, l’avortement reste un crime, car il interrompt la vie d’un être en développement. Partout, il faut équilibrer la liberté par le consentement et la responsabilité.

 

La question du consentement

La sexualité libre ne peut être fondée, en toute justice, que sur le consentement des parties. Elle ne peut pas non plus s’émanciper des contrats et des promesses verbales, et par conséquent l’adultère est répréhensible.

Le mariage se fonde sur un contrat, qui doit être respecté. C’est un consentement global à une union de vie, et il emporte avec lui une certaine acceptation tacite de rapports, qu’il est difficile de définir. Mais les actes individuels qui sont refusés, ne peuvent être accomplis.

La difficulté pratique de fixer les bornes du consentement sexuel est très réelle. L’union des sexes se fait par acceptation non verbale, comme aussi par étapes, et sans contrats. Une difficulté plus grande s’élève même quand il s’agit de sanctionner les infractions commises. Car les actes qui se passent dans l’intérieur du foyer échappent presque toujours à l’atteinte des magistrats, sauf s’ils conduisent à des marques de violences graves, par lesquelles on peut distinctement les reconnaître (Charles Comte, Traité de législation, t. I, 1826, p. 478).

La question de l’âge est aussi très embarrassante. À l’évidence, la limite numérique des dix-huit ans, par exemple, n’est pas plus rationnelle qu’une autre. Mais tant qu’une limite numérique subsiste, et tant qu’elle n’a pas été remplacée par une autre fondée sur les faits et les individus, cette limite doit être respectée.

 

Les contrepoids de la responsabilité

La liberté sexuelle a besoin d’être contenue par la responsabilité individuelle ; mais les moyens pour cela doivent être bien entendus. Jusqu’à une époque récente, des lois ont existé pour interdire le mariage à l’indigent, sous le prétexte qu’il fallait endiguer le paupérisme (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 177-180.). C’est le principe de précaution appliquée à la procréation.

La responsabilité bien entendue suit les actes, et ne les précède pas. Quand un chétif commerçant se donne douze enfants pour lui succéder, c’est à lui, et pas à d’autres, à fournir les moyens de les élever : les contribuables n’ont rien commandé, rien acquiescé de tel. Une responsabilité légale pèse sur lui, par suite de ses actes. Il peut la partager par l’assurance et l’assurance et la mutualité, mais non l’éteindre (Edmond About, L’Assurance, 1866, p. 112).

Celui qui cherche à échapper à cette responsabilité doit y être ramené par la loi. C’est la question de la recherche de la paternité, qu’ont soulevée avec beaucoup d’ardeur les libéraux classiques français (voir notamment Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877.). Car on ne peut pas faire impunément banqueroute de ses obligations.

 

Les industries de la prostitution et de la pornographie

Chaque individu est propriétaire de lui-même, et si les mots ont un sens, ils signifient le droit d’user et d’abuser de notre propre corps, de nos facultés (Jules Simon, La liberté, 1859, t. I, p. 308). La prostitution, la pornographie, ne sont pas répréhensibles tant qu’elles s’exercent dans le respect des contrats, avec le consentement total des parties.

Fût-elle libre, on pourrait encore réprouver moralement l’industrie de la prostitution, mobiliser l’opinion contre elle, et même demander qu’elle soit classée dans la catégorie des industries dangereuses et insalubres, et soumise à des règles spéciales de localisation, de publicité, etc (G. de Molinari, La Viriculture, 1897, p. 239). Les mêmes impératifs de discrétion dans l’espace public peuvent être étendus à la pornographie (Frédéric Passy, réunion de la Société d’économie politique du 5 septembre 1891).

 

L’homosexualité

L’homosexualité, quoique dans la nature, n’est pas dans l’intérêt de l’espèce. On peut à la rigueur la réprouver moralement, sur cette base (G. de Molinari, La morale économique, 1888, p. 413). Mais sa pratique étant inoffensive pour les tiers, elle doit être tolérée par les lois. Et si ce n’est pas l’enseignement des anciens auteurs, c’est la suite logique de leurs principes.

Car encore une fois, pour traiter de ces questions, il ne faut pas autre chose que des principes.

La surveillance devient le prix à payer pour vivre en France

Article disponible en podcast ici.

Jadis, seuls les criminels se retrouvaient sur écoute. La traque du citoyen par les bureaucrates était une exception. Les surveillances de masse étaient réservées aux régimes totalitaires, impensables dans nos démocraties.

Or depuis le 11 septembre, nos gouvernements nous considèrent tous comme des potentiels criminels qu’il faut espionner constamment. Et toute comparaison aux régimes totalitaires fera glousser nos fonctionnaires devant une telle allusion.

J’ai déjà longuement commenté cette dérive à travers les dernières actualités comme la volonté d’interdire les VPN, de mettre un mouchard dans nos navigateurs, d’interdire le chiffrement, de l’égaliser la reconnaissance faciale, d’interdire les cryptomonnaies.

Tous ces abandons de nos droits ont été faits en 2023, vous pouvez constater l’imagination sans limites de nos bureaucrates dans nos privations de liberté.

 

Une nouvelle dérive de surveillance à la française

Aujourd’hui j’aimerais porter l’attention sur une nouvelle dérive de surveillance à la française. L’État français profite de nos nombreux impôts, taxes, redevances, cotisations, charges pour justifier une surveillance afin d’éviter les fraudes.

D’un côté, on va créer un impôt inquisiteur, pour de l’autre mettre en place une surveillance pour cet impôt. Double punition pour le citoyen.

L’impôt sur le revenu permet de légitimer une surveillance de notre train de vie sur les réseaux sociaux par le fisc.

La taxe sur les piscines permet de légitimer une surveillance par satellite des maisons françaises par le fisc.

L’URSAFF peut demander vos conversations de votre téléphone professionnel, si elle juge son usage trop personnel, votre téléphone devient un avantage en nature dissimulé, et vous êtes bon pour un redressement.

L’impôt sur la fortune permet à l’État de connaître tous nos comptes bancaires y compris à l’étranger, ainsi que tous nos biens immobiliers et mobiliers.

Vous devez maintenant déclarer les occupants de vos logements, directement aux impôts, pour vérifier l’impôt sur le revenu de l’immobilier.

Et si par miracle, toute cette surveillance ne suffit pas, je rappelle que le fisc analyse toute transaction supérieure à 1000 euros à travers tracfin, sachant que l’État a par ailleurs rendu illégale toute transaction en espèces supérieure à 1000 euros. L’État interdit donc toute transaction non traçable par lui au-dessus de cette somme.

 

Deux poids, deux mesures

Fort heureusement, il existe encore des moyens d’éviter la surveillance.

Si vous continuez de louer une HLM alors que vous ne remplissez plus les critères, vous pouvez dormir tranquille. L’État ne semble pas inquiet, d’ailleurs il souhaite 25 % de HLM partout, plutôt que de réguler l’existant.

Si vous réclamez votre chômage depuis vos vacances à l’étranger, là aussi, soyez rassuré, il ne se passera rien.

L’État est capable de repérer les piscines par intelligence artificielle depuis l’espace, mais ne parvient pas à bloquer le site pôle-emploi aux adresses IP en dehors de France.

Si vous fraudez la sécurité sociale, ne vous troublez pas. Aux dernières nouvelles, il y a 2,6 millions de cartes vitales actives de plus qu’il y a d’inscrits à la sécurité sociale.

Le mieux est encore d’être dans l’État. Mon patrimoine intrigue le fisc, mais après avoir été banquier d’affaires durant quatre années, le maigrichon patrimoine de Macron n’a déclenché aucune investigation.

Savoir quel locataire habite chez moi semble hautement important. Mais Cahuzac, qui proposait ses services de consultant à BigPharma à travers son EURL Cahuzac Conseil, tout en travaillant au ministère de la Santé, ne semble pas choquer. Cette double activité, en plein conflit d’intérêts, ne lui a pas été reprochée, seul un compte en banque suisse alimenté par ses « missions » auprès de BigPharma lui a valu condamnation. Il n’a passé qu’un an en prison, il est à l’heure actuelle médecin en Corse.

En résumé, être innocent ou coupable ne dépend plus de vos agissements. Vous serez constamment innocent si vous participez au pillage de l’État.

Mais si vous vous tenez à l’écart de l’État, alors vous voilà un citoyen présumé coupable à perpétuité. Afin de vous disculper du terroriste, pédophile, trafiquant, fraudeur qui sommeille en vous, une surveillance de tous vos faits et gestes devient nécessaire.

La nouvelle idée du gouvernement pour dépenser 46 milliards d’euros supplémentaires

Connaissez-vous les « territoires zéro non-recours » ? C’est une expérience destinée à lutter contre le non-recours aux droits sociaux. En gros, il s’agit de dépenser plus puisque, dans le même temps, il n’est pas annoncé un accroissement de la lutte contre les fraudes.

C’était une des « grandes idées » d’Emmanuel Macron lors de la campagne de 2022 : le versement automatique des prestations sociales – prime d’activité, revenu de solidarité active (RSA), minimum vieillesse, etc.

 

Un tiers des Français ne demanderaient pas les aides auxquels ils ont droit

Cette promesse électorale s’appuyait sur un constat : plus de 30 % des Français ne font pas les démarches pour avoir accès aux droits auxquels ils peuvent prétendre. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) des ministères sociaux, le taux de non-recours aux principales aides et prestations sociales s’élève à :

  • 39 % pour la prime d’activité ;
  • 34 % pour le revenu de solidarité active (RSA) ;
  • 50 % pour le minimum vieillesse (ASPA) ;
  • 30 % pour l’assurance chômage ;
  • 32 % pour la complémentaire santé solidaire gratuite (CSS) ;
  • 72 % pour la CSS contributive.

 

Afin de remédier à cette situation, après le vote de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 (art. 133) relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, le gouvernement s’est mis au travail sous la houlette de son ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Jean-Christophe Combe a commencé, en janvier 2023, par installer un comité de coordination pour l’accès aux droits. C’est ce qui s’appelle « démarrer sur les chapeaux de roues » chez les politiques français !

En mars, le ministre a lancé un appel à projets qui s’est concrétisé par la sélection, cet été, d’une quarantaine de « territoires zéro non-recours » chargés « d’expérimenter de nouvelles façons de détecter et de lutter contre le non-recours aux droits ». Onze « territoires » devraient se lancer d’ici la fin de cette année, pour une durée de trois ans.

L’obligation qui est faite aux entreprises, depuis juillet 2023, de mentionner, sur les fiches de paie, un « montant net social » s’inscrit dans ce dispositif, puisque cette nouvelle information est censée faciliter l’accès à la prime d’activité ou au RSA.

 

46 milliards d’euros de dépenses supplémentaires

Le contribuable suspicieux se demande immédiatement combien ce projet va coûter. L’État lui consacre six millions d’euros, auxquels il faut ajouter des financements locaux. Cette somme servira, par exemple, à financer la mise à jour des systèmes informatiques ou à créer un poste de chef de projet, à recruter des travailleurs sociaux complémentaires, des assistantes sociales itinérantes, ou encore des agents administratifs polyvalents pour accompagner les publics.

Le même contribuable s’inquiètera aussi de l’usine censée « piloter » le dispositif. Elle est composée de comités locaux de pilotage des expérimentations, réunis au sein d’une instance nationale ; d’un comité national de suivi dont la vocation est de garantir le bon déroulement de l’expérimentation ; d’un comité d’évaluation qui rendra deux rapports, l’un à mi-parcours et l’autre à l’issue de l’expérimentation ; enfin, nous l’avons vu, du comité de coordination pour l’accès aux droits (COCOAD). Voilà qui promet beaucoup de réunions !

Surtout, le contribuable sera saisi d’effroi quand il comprendra que les sommes non versées à ceux qui pourraient y avoir droit représentent, à la louche, 46 milliards d’euros pour les seules prestations citées au début de cet article : + 6 milliards pour la prime d’activité ; + 15 milliards pour le RSA ; + 4 milliards pour l’ASPA ; + 15 milliards pour l’assurance chômage et + 6 milliards pour la CSS.

Le contribuable, toujours lui, en vient à souhaiter un échec cuisant de l’expérience. Tant pis pour les 6 millions qui y seront consacrés !

D’ailleurs, les Français ne sont pas favorables à une généralisation des « territoires zéro non-recours ». Une enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop montre que ce que l’on appelle aussi l’administration proactive devrait d’abord se concentrer sur le repérage des situations potentiellement dangereuses, afin que soit facilitée une intervention précoce des services sociaux (30 % des réponses) – sans doute les Français pensent-ils aux cas de maltraitance, d’inceste, de violences intra-familiales, etc. La proposition de prendre les devants pour verser des prestations sociales n’est choisie que par 14 % des sondés.

 

Pour une allocation unique

La voie choisie par le gouvernement ne nous semble pas la bonne. Elle n’est pas la bonne car elle ne s’attaque pas aux maquis des aides, principale explication au non-recours comme le montre la dernière enquête de la DREES à ce sujet : le manque d’information (39 %) et la complexité des démarches (23 %) expliqueraient les deux tiers des non-recours.

Pour mettre fin au foisonnement des aides, parfois difficiles à comprendre, l’IREF préconise la mise en place d’une allocation unique, versée en fonction du revenu et à titre de complément de celui-ci.

Comme l’écrivait Jean-Philippe Delsol, il ne s’agirait pas d’une « allocation universelle qui ferait croire que l’argent tombe du ciel et que chacun peut se dispenser de l’effort du travail pour exiger des autres le paiement d’une dette qu’ils n’ont jamais contractée, ce qui renforcerait un État déjà omnipotent, joyeux d’avoir trouvé le moyen d’infantiliser encore un peu plus le peuple et pressé de dévorer ceux qu’il nourrit ».

Il s’agirait plutôt d’une allocation de base versée sous condition de ressources, et rehaussée en fonction de diverses situations telles que les enfants à charge, le coût du logement, l’existence d’un handicap, l’âge… Quoi qu’il en soit, elle devrait être limitée pour inciter ceux qui le peuvent à travailler.

Facile à comprendre, facile à calculer, facile à mettre en œuvre, cette allocation unique devrait permettre de réduire considérablement le taux de non recours. Le dispositif devrait également viser à coûter moins qu’aujourd’hui, ce qui est loin d’être le cas du versement automatique dont rêve le gouvernement.

Il nous semble aussi que le plan gouvernemental oublie la lutte contre la fraude, estimée, selon les sources, à 20, 50, voire 70 milliards par an. Elle n’est aucunement une priorité des pouvoirs publics comme l’a montré Charles Prats dans ses livres.

Pourtant, étant donné l’état calamiteux des finances publiques, il serait plus judicieux de limiter la fraude que le non-recours aux aides sociales.

 

Cet article est à retrouver sur le site de l’IREF

Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle

L’auteur : Yoann Nabat est enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux

Dans quelle mesure les différentes générations sont-elles plus ou moins sensibles à la notion de surveillance ? Un regard sur les personnes nées au tournant des années 1980 et 1990 montre que ces dernières abandonnent probablement plus facilement une part de contrôle sur les données personnelles, et n’ont sans doute pas eu totalement conscience de leur grande valeur.

Peut-être qu’à l’approche des Jeux olympiques de Paris, avez-vous vaguement protesté lors de la mise en place d’un fichier vidéo algorithmique ? Et puis avez-vous haussé les épaules : un fichier de plus. Peut-être par résignation ou par habitude ? Comme d’autres, vous avez peut-être aussi renseigné sans trop vous poser de questions votre profil MySpace ou donné votre « ASV » (âge, sexe, ville) sur les chats Caramail au tournant des années 1990-2000, et encore aujourd’hui vous cliquez quotidiennement sur « valider les CGU » (conditions générales d’utilisation) sans les lire ou sur « accepter les cookies » sans savoir précisément ce que c’est.

En effet, peut-être faites-vous partie de ce nombre important d’individus nés entre 1979 et 1994 et avez-vous saisi au vol le développement de l’informatique et des nouvelles technologies. Et ce, sans forcément vous attarder sur ce que cela impliquait sur le plan de la surveillance des données que vous avez accepté de partager avec le reste du monde…

 

World Wide Web

Pour se convaincre de l’existence de cette habitude rapidement acquise, il suffit d’avoir en tête les grandes dates de l’histoire récente de l’informatique et d’Internet : Apple met en 1983 sur le marché le premier ordinateur utilisant une souris et une interface graphique, c’est le Lisa.

Puis le World Wide Web est inventé par Tim Berners-Lee en 1989, 36 millions d’ordinateurs sont connectés à Internet en 1996, Google est fondé en 1998 et Facebook est lancé en 2004. L’accélération exponentielle, d’abord des machines elles-mêmes, puis des réseaux, et enfin du partage de données et de la mobilité a suivi de très près les millennials.

La génération précédente, plus âgée, a parfois moins l’habitude de ces outils ou s’est battue contre certaines dérives initiales, notamment sécuritaires. La suivante, qui a été plongée immédiatement dans un monde déjà régi par l’omniprésence d’Internet et des réseaux, en connaît plus spontanément les risques (même si elle n’est pas nécessairement plus prudente).

Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ?

Notre nouvelle série « Le monde qui vient » explore les aspirations et les interrogations de ceux que l’on appelle parfois les millennials. Cette génération, devenue adulte au tournant du XXIe siècle, compose avec un monde surconnecté, plus mobile, plus fluide mais aussi plus instable.

 

Un certain optimisme face à l’informatique

Probablement du fait de ce contexte, la génération née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990 est aussi celle qui est la plus optimiste face au développement des technologies.

Cet état de fait apparaît d’autant plus clairement que la « génération Z », plus jeune, est marquée généralement par une plus grande apathie, voire un certain pessimisme, notamment quant au devenir des données personnelles.

En effet, aujourd’hui, les plus jeunes, déjà très habitués à l’usage permanent des réseaux sociaux et aux surveillances de toute part, se trouvent très conscients de ses enjeux mais font montre d’une forme de résignation. Celle-ci se traduit notamment par le « privacy paradox » mis en lumière par certains sociologues et qui se traduit par une tendance paradoxale à se réclamer d’une défense de la vie privée tout en exposant très largement celle-ci volontairement par l’utilisation des réseaux sociaux.

A contrario, cette confiance en la technologie se manifeste spécialement par une forme de techno-optimisme, y compris lorsqu’il s’agit de l’usage de données personnelles. Cet état d’esprit se traduit dans de nombreux domaines : lorsqu’il s’agit de l’usage des données de santé, par exemple, ou plus généralement quant à l’utilisation des technologies pour régler des problèmes sociaux ou humains comme le réchauffement climatique.

 

La priorisation de valeurs différentes

Cet optimisme est aussi visible lorsqu’il s’agit d’évoquer les fichiers policiers ou administratifs.

S’il n’existe pas de données précises sur l’acceptation des bases de données sécuritaires par chaque tranche d’âge, il n’en demeure pas moins que la génération des 30-45 ans n’est plus celle de l’affaire Safari dont l’éclatement, après la révélation d’un projet de méga-fichier par le ministère de l’Intérieur, a permis la naissance de la CNIL.

Au contraire, cette génération a été marquée par des événements clés tels que les attentats du 11 septembre 2001 ou la crise économique de 2009.

 

La CNIL fête ses 40 ans

D’après les études d’opinion récentes, ces événements, et plus généralement le climat dans lequel cette génération a grandi et vit aujourd’hui, la conduisent à être plus sensible aux questions de sécurité que d’autres. Elle entretient ainsi un rapport différent à la sécurité, moins encline à subir des contrôles d’identité répétés (qui sont bien plus fréquents chez les plus jeunes), mais plus inquiète pour l’avenir et plus sensible aux arguments sécuritaires.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une encore plus grande acceptation des fichiers et des dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, par exemple à l’occasion de l’organisation des futurs Jeux olympiques et paralympiques en France, ou rendus utiles pour permettre la gestion d’une pandémie comme celle du Covid-19.

 

De l’acceptation à l’accoutumance

Les deux phénomènes – optimisme face au développement des technologies et sensibilité à la question sécuritaire – sont d’autant plus inextricables qu’il existe un lien important entre usages individuels et commerciaux des technologies d’une part, et usages technosécuritaires d’autre part. En effet, les expériences en apparence inoffensives de l’utilisation récréative ou domestique des technologies de surveillance (caméras de surveillance, objets connectés, etc.) favorisent l’acceptabilité voire l’accoutumance à ces outils qui renforcent le sentiment de confort tant personnel que sécuritaire.

La génération actuelle des trentenaires et quadra, très habituée au développement des technologies dans tous les cadres (individuels, familiaux, professionnels, collectifs, etc.) et encore très empreinte du techno-optimisme de l’explosion des possibilités offertes par ces outils depuis les années 1990 est ainsi plus encline encore que d’autres à accepter leur présence dans un contexte de surveillance de masse.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une encore plus grande acceptation des fichiers et aux dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité.

La pénétration très importante de ces dispositifs dans notre quotidien est telle que le recours aux technologies même les plus débattues comme l’intelligence artificielle peut sembler à certains comme le cours normal du progrès technique. Comme pour toutes les autres générations, l’habituation est d’autant plus importante que l’effet cliquet conduit à ne jamais – ou presque – remettre en cause des dispositifs adoptés.

 

L’existence de facteurs explicatifs

Partant, la génération des 30-45 ans, sans doute bien davantage que celle qui la précède (encore marquée par certains excès ou trop peu familiarisée à ces questions) que celle qui la suit (davantage pessimiste) développe une forte acceptabilité des dispositifs de surveillance de tous horizons. En cela, elle abandonne aussi probablement une part de contrôle sur les données personnelles dont beaucoup n’ont sans doute pas totalement conscience de la grande valeur.

Au contraire, les réglementations (à l’image du Règlement général sur la protection des données adopté en 2016 et appliqué en 2018) tentant de limiter ces phénomènes sont parfois perçues comme une source d’agacement au quotidien voire comme un frein à l’innovation.

Sur le plan sécuritaire, l’acceptabilité de ces fichages, perçus comme nécessaires pour assurer la sécurité et la gestion efficace de la société, pose la question de la confiance accordée aux institutions. Or, là encore, il semble que la génération étudiée soit moins à même de présenter une défiance importante envers la sphère politique comme le fait la plus jeune génération.

Demeurent très probablement encore d’autres facteurs explicatifs qu’il reste à explorer au regard d’une génération dont l’état d’esprit relativement aux données personnelles est d’autant plus essentiel que cette génération est en partie celle qui construit le droit applicable aujourd’hui et demain en ces matières.

Vous pouvez retrouver cet article ici.

Record historique du CAC 40 : pas de raison de vendre pour autant

Par Alexis Vintray.

Alors que depuis 2000 le CAC 40 évoluait sous son record historique, il bat record sur record et est aujourd’hui 14 décembre pour la première fois au-dessus des 7600 points. Même si l’économie mondiale résiste bien malgré l’inflation, on peut s’interroger sur le fait que la bourse soit ainsi au plus haut dans un contexte qui reste anxiogène.

Alors faut-il prendre ses bénéfices ? Pas si simple…

 

Le CAC 40, un indice sans dividendes

Le premier point à garder à l’esprit est que le rendement d’une action provient de l’évolution de son cours, mais aussi des dividendes versés. Il est donc essentiel, en regardant un indice boursier, de savoir s’il inclut les dividendes ou non. Le CAC 40 tel qu’on le connait généralement ne les inclut pas, seul le CAC 40 GR le fait.

Le CAC 40 « usuel » minore donc largement la création de valeur réalisée par les sociétés qui y sont cotées. En regardant le CAC 40 GR, la hausse est impressionnante :

 

Rendez-vous compte : en mars 2021 d’après les calculs du Revenu : le CAC 40 GR gagnait 25 % sur trois ans, 63 % sur cinq ans, et 124 % sur dix ans contre respectivement +17 %, +53 % et +106 % pour le Dax.

Le S&P 500 américain dividendes réinvestis reste largement devant sur toutes ces périodes. Sur 10 ans, la hausse est de… 265 %. En performances annualisées, le CAC 40 GR a rapporté 8,4 % par an sur dix ans. C’est presque deux fois plus que le CAC 40 classique (+4,3 %). En 2023, la tendance n’a pas changé et les chiffres sont dans la même veine.

De quoi laisser songeur devant les 0,5 % du livret A qu’on connaissait encore il y a peu, et qui sont le bon benchmark sur la période. Même face au 3 % actuels, l’indice boursier écrase la concurrence. Avec un niveau de risque différent évidemment.

 

Le record historique du CAC 40, c’est fréquent en fait !

Si cette hausse pourrait laisser songeur sur la valorisation des marchés boursiers, il ne faut pas oublier que les marchés financiers sont bien souvent sur leurs points hauts. Le record de 2000 a en fait été battu déjà en 2007. Puis celui de 2007 a été battu en 2015. Et depuis battu chaque année.

Février 2020 était déjà un plus haut historique pour le CAC 40 dividendes réinvestis, à près de 16 500 points. Ce record a été battu dès mars 2021, malgré la crise du covid, à la faveur des espoirs apportés par la vaccination. Depuis, l’accélération de la croissance mondiale l’a porté encore bien plus haut, à plus de 22 000 points désormais, un record comme pour le CAC 40 hors dividendes, évidemment. Lors de notre dernier article sur le plus haut historique du CAC, en 2021, nous n’étions qu’à moins de 20 000, et c’était déjà un plus haut.

Cette tendance des marchés boursiers à toujours battre leur record et à évoluer la majeure partie du temps sur des niveaux record est particulièrement visible sur le graphique ci-dessous, repris de engaging-data.com.

Les bourses comme le CAC 40 au plus haut historique, c'est fréquent !

En vert les jours où le S&P 500 (principal indice américain) était à moins de 1 % du dernier plus haut historique. En bleu à moins de 5 %, en jaune à moins de 10 % , en orange à moins de 20 % et en rouge à plus de 20 %. Vous l’aurez remarqué, le vert prédomine, et le rouge ne dure pas. Surtout, les marchés retombent très rarement à leurs plus bas d’avant la phase de croissance.

 

Attention aux biais psychologiques quand on investit

Il est humain de vouloir acheter au meilleur prix. Craindre d’investir quand on est proche d’un point haut est un biais psychologique compréhensible. Mais, on l’a vu, c’est un biais très coûteux si l’on se fie au passé.

L’explication en est simple : prédire le marché est impossible, même pour des professionnels qui y consacrent leurs journées, avec des moyens bien supérieurs à ceux de l’épargnant lambda.

Ainsi, l’étude SPIVA, qui fait référence, a montré une fois de plus en 2020 que 90 % des gérants de fonds n’ont pas réussi à faire mieux que l’indice boursier qu’ils suivent ! En cause très fréquemment, l’envie des gérants de « timer le marché ». Cela signifie parier sur l’évolution future de la bourse, généralement à la baisse. Vu que le marché est tendanciellement haussier, ne pas investir devient vite très coûteux si le marché ne baisse pas. Au final, comme le dit l’adage boursier : « Time in the market is better than timing the market ». Même en achetant au plus haut.

Le lecteur curieux pourra par exemple regarder cette vidéo intéressante de Zone Bourse :

La meilleure façon d’investir en bourse

Dans ces conditions, on comprend pourquoi il est inutile voire néfaste d’essayer d’investir « au meilleur moment ». Comme le dit un autre adage boursier, le meilleur moment pour investir c’était lors du dernier krach. Le deuxième meilleur moment, c’est maintenant.

Mais investir au plus haut peut inquiéter, et l’investisseur prudent pourra vouloir limiter son risque. L’approche consensuelle dans ces conditions est de faire un investissement progressif si vous avez une grosse somme à placer, par exemple étalé sur six mois. Si c’est le fruit de votre épargne, avec un versement mensuel régulier, encore mieux !

À lire aussi :

 

Et si vous n’avez pas déjà de PEA

Les banques en ligne sont toujours bien plus avantageuses que les banques classiques et proposent toutes le PEA. En plus, on vous donnera de l’argent pour le faire en plus des économies de frais bancaires, comme Boursorama qui aura l’offre boursière la plus complète. En termes de frais de courtage si vous investissez en bourse, Fortuneo sera probablement le meilleur choix pour vous.

Sur le web

Contrepoints peut être rémunéré en cas de souscription à l’un de ces produits.

2.13.0.0
2.13.0.0
2.13.0.0
2.13.0.0
2.13.0.0
2.13.0.0
2.13.0.0
2.13.0.0

Conflits d’intérêts et politiques de dépenses : le dessous des cartes économiques

La plateforme Spotify annonce le licenciement de 1500 employés, soit le sixième du total. Twilio, la plateforme d’hébergement de sites web, annonce le licenciement de 5 % de ses salariés. En plus de baisses des cours depuis deux ans, les entreprises perdent l’accès à des financements pour les pertes sur les opérations. Les levées de fonds, à travers le monde, baissent de 100 milliards de dollars par rapport aux niveaux de 2021.

Ainsi, les entreprises ont moins de moyens à disposition. Les gérants gagnent moins de primes. Les actionnaires subissent des pertes en Bourse. Un dégonflement de bulle a lieu depuis le début de hausse des taux.

À présent, l’espoir du retour à l’assouplissement par les banques centrales remet de l’air dans les marchés. La bulle reprend de l’éclat. Selon Reuters, le marché s’attend à une baisse de taux par la Banque centrale européenne de 1,40 % à fin 2024.

En France, le rendement sur les obligations du Trésor baisse depuis octobre. Sur les emprunts à dix ans de maturité, les taux passent d’un sommet de 3,6 %, le 4 octobre, à 2,8 % à présent.

Un retour des assouplissements plaît aux entreprises et aux marchés. Le Nasdaq prend 12 % depuis le sommet pour les taux, en octobre. Le CAC 40 grimpe de 9 %. Les autorités remettent en marche la création d’argent. Pourtant, selon les communications dans la presse, le gouvernement continue la lutte contre les hausses de prix.

Il annonce à présent le gel des tarifs de trains. Il a pris le contrôle des tarifs d’électricité. Il empêche les hausses de prix des péages.

Des ONG demandent davantage de contrôles sur les prix en magasins, avec des limites sur les marges. Les autorités – à l’origine de la création d’argent – prennent le rôle de sauveteurs contre les hausses de prix !

 

Plans de relance : retour des assouplissements

Les plans de relance ont de nouveau la cote autour du monde.

Les taux sur les obligations américaines à dix ans passent de 5 % en octobre, à 4,1 % à présent, en réponse aux déclarations de la Fed sur l’évolution de la politique de taux.

Autour du monde, les autorités préparent des incitations à l’endettement. En Chine, le gouvernement augmente le déficit à 4 % de la taille du PIB, et fournit davantage de garanties au secteur de l’immobilier. Selon la société d’analyse Gavekal, les promoteurs de projets d’immobilier chinois ont des impayés à hauteur de 390 milliards de dollars – envers des sous-traitants, fournisseurs, ouvriers, et créanciers.

La perspective d’un emballement de la dette du gouvernement – en raison des soutiens à l’immobilier – pousse Moody’s à une dégradation de la note de crédit.

Bloomberg donne des détails :

« L’économie de la Chine cherche à reprendre pied cette année, durant laquelle le rebond de l’économie – après la levée des restrictions du zéro covid – a déçu les attentes, et la crise de l’immobilier sème le doute. Les données économiques montrent que l’activité, à la fois dans les services, et l’industrie, chutent sur le mois de novembre, ce qui augmente les chances d’une politique de soutien de la part du gouvernement.

[…]

En octobre, le président chinois, Xi Jinping, a signalé qu’un ralentissement soudain de la croissance, et les risques de déflation, ne vont pas être tolérés, ce qui mène le gouvernement à tirer le déficit au niveau le plus élevé en trois décennies. »

Après un peu de répit à la dévaluation des devises, les autorités mettent à nouveau en marche les planches à billets, via les déficits et l’enfoncement des taux d’intérets.

 

Conflits d’intérêts sur les programmes de dépense

Le gouvernement français vient en aide à l’immobilier. Les ministres créent des mesures d’aide aux emprunteurs. La presse les présente comme un sauvetage du secteur face à la crise.

Vous ne verrez pas beaucoup de questions sur la nécessité de mesures. Peu de gens remettent en cause les programmes de dépenses. En effet, les mesures créent des conflits d’intérêts, en particulier dans la presse, les entreprises, et Think Tanks.

Les entreprises de bâtiment gagnent de l’argent sur la construction de logements. Des promoteurs font des bénéfices sur les volumes de vente aux particuliers. Les journaux font de la publicité et attirent des lecteurs sur le thème de l’investissement en immobilier. Les banques et courtiers génèrent des frais sur l’émission de crédits. Les sociétés de conseil proposent des études et rapports – sur l’impact des mesures – au gouvernement. Les particuliers voient dans l’accès au crédit une forme d’aide à l’achat.

Le même genre de conflit d’intérêts touche la plupart des programmes et interventions. Par exemple, la cybersécurité et l’IA créent des opportunités pour des contrats avec le gouvernement, et des sources de revenus pour les entreprises.

La société CapGemini publie un rapport au sujet de l’entrée en vigueur des normes de l’UE sur les services digitaux.

Dans l’introduction :

« En somme, le règlement DORA est prévu pour résoudre les risques de cybersécurité et de défaillances informatiques, en mitigeant la menace des activités illégales, et la disruptions aux services digitaux, avec des conséquences directes sur l’économie et la vie des gens. »

CapGemini n’ose pas les critiques de la loi. En effet, la société tire beaucoup d’argent des programmes du gouvernement. Selon Le Monde, la société de conseil a tiré 1,1 milliard d’euros de revenus grâce aux contrats avec le gouvernement, de 2017 à 2022 ! Elle ne veut pas courir le risque de perdre des contrats avec les autorités à l’avenir. Le groupe a ainsi un conflit d’intérêts dans l’analyse des décisions par les gouvernements.

De même, avec le projet d’un cadre de normes autour de l’IA, les entreprises et la presse ont des conflits d’intérêts. Elles les passent en général sous silence. Par exemple, Les Échos publie une tribune en soutien à la création de normes sur l’IA.

Selon l’auteur, le projet de loi crée « un cadre nécessaire à la protection et l’innovation ».

Il précise :

« Grâce au projet de règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act), le législateur européen a l’opportunité de doper les investissements dans les secteurs de la culture et de l’innovation en Europe, et de montrer au monde la manière dont les entreprises d’IA peuvent prospérer au bénéfice de tous. »

L’auteur présente la loi comme une protection des artistes et créateurs de contenus contre la réutilisation par des IA, sans rémunération. Les régulations reviennent à bloquer l’activité des gens sous couvert de leur protection, incluant les consommateurs et les artistes.

L’auteur de la tribune, Robert Kyncl, a le même genre de conflit d’intérêts que les sociétés de conseil au sujet des projets du gouvernement. Il occupe le poste de PDG chez Warner Music Group. La société détient les droits d’auteur des catalogues de groupes comme Daft Punk ou David Bowie. Le groupe travaille aussi sur l’exploitation de l’IA pour tirer davantage de revenus des catalogues d’artistes. Il a en préparation un film sur la vie de la chanteuse, Édith Piaf, à base d’IA.

Les règles sur l’usage de l’IA, et la possibilité de barrières à l’entrée, présentent donc un intérêt pour M. Kyncl. Il a un avantage à la création de complications pour la concurrence. Les géants de la musique mettent à profit l’hystérie de la presse autour de l’IA – et l’envie de contrôle de la part des bureaucrates et représentants.

 

Climat : enjeux de centaines de milliards d’euros

L’Ademe publie une étude sur les coûts des dégâts faits à l’économie en raison de la hausse du carbone dans l’atmosphère. Ils estiment le bilan à 260 milliards d’euros par an à l’avenir. Comme le rapporte la presse, l’étude fait partie d’une commande du gouvernement.

Elle revient à une forme de communication en faveur des programmes – et des dépenses à hauteur de 110 milliards d’euros par an, selon les estimations du gouvernement, après 2030.

Une info-lettre que je reçois, au sujet du climat, effectue une campagne de dons. Des journalistes sont présents aux Émirats pour la COP28.

Dans la missive, de la part de Inside Climate News, l’auteur écrit : « Les journalistes sont des témoins. Nous sommes des diseurs de vérités. »

Sur le sujet du climat, les journalistes rapportent les décisions des dirigeants sans beaucoup de scepticisme. L’argent des programmes remplit beaucoup de poches.

(Suivez mes idées du moment sur la Bourse et les placements. Cliquez ici.)

Le déclin de l’aide à l’Ukraine est un danger pour les démocraties

Il y a un coup de mou dans l’aide à l’Ukraine : des armes promises ne sont pas livrées. La France fait un jeu comptable pour surévaluer artificiellement l’aide apportée. Le Comité olympique accepte que les athlètes russes participent aux jeux. L’élan citoyen, si fort dans nos démocraties occidentales au printemps 2022, semble retombé. Et si les Ukrainiens ont réussi à reprendre une partie des terres volées par les armées de Vladimir Poutine, la contre-offensive patine désormais, faute d’obtenir toutes les armes promises. L’Ukraine est loin d’avoir reçu le million d’obus promis par les Européens. Et la Russie est en mode économie de guerre. Le président ukrainien met en garde : tout retard dans l’aide militaire à Kyiv est un rêve devenu réalité pour Poutine. Et pendant ce temps, les diplomates de Moscou espèrent une victoire de Donald Trump aux USA, qui pourrait mettre un coup d’arrêt au financement de la résistance ukrainienne…
En Afrique, les régimes pro-russes pullulent au Mali comme en Centrafrique. Et plus discrètement au Cameroun, où le président Paul Biya, traditionnel allié de la France, a incité son équipe nationale à affronter la Russie en match amical à Moscou (dans des conditions de voyage rocambolesques). Ou plus significativement en Afrique du Sud, où le gouvernement a autorisé des manœuvres conjointes des soldats russes et de son armée nationale.Et cela n’est rien comparé à l’accueil spectaculairement amical sur la péninsule arabique qui a été réservé à la visite de Vladimir Poutine. Et partout en Europe pointent des forces soutenant par le Kremlin, soutenues par le Kremlin. Parfois repoussées comme Éric Zemmour ou Marine Le Pen en France, elles sont parfois victorieuses comme le SMER en Slovaquie. Paradoxe, nombre de ces forces s’opposent à l’immigration, alors que Moscou est souvent soupçonné d’utiliser les migrations comme une arme contre l’Europe afin, c’est sa vision, de faire monter le mécontentement.Dans le monde, du Nicaragua au Niger, des putschistes, nombre de régimes non démocratiques, sous le couvert certes louable au départ de ne pas être victimes d’ingérences (on sait à quel point Ortega fut attaqué par les réseaux de Reagan), portent aujourd’hui atteinte aux droits humains avec la protection politique, économique et militaire de la Russie. Au nom de l’anti-occidentalisme.Un comble quand on sait les liens de la Russie avec des partis se réclamant de la défense de l’Occident avec Zemmour et Le Pen, ou en Allemagne avec l’AfD.
Si l’Ukraine tombe, les armes que nous avons fournies iront à une puissance, la Russie, qui fait tout pour affaiblir l’Europe. Si l’Ukraine tombe, l’influence du modèle démocratique dans le monde sera mise à mal. Taïwan sera plus que jamais sous la menace de Pékin. Et de plus en plus de dictateurs pourront continuer ou commencer leur œuvre en se sachant impunis.Au-delà de l’aide morale à une démocratie agressée par un voisin plus puissant, des enfants enlevés, des femmes violées, des villes ravagées, aider l’Ukraine n’est pas seulement un acte altruiste. C’est une nécessité pour qu’un ordre mondial plus injuste, plus violent ne surgisse pas des cendres martyrisées de Kyiv…

Déclaration de biens immobiliers et embrouilles fiscales : amateurisme ou filouterie ?

Année après année, mesure après mesure, étape par étape, technologie après technologie, le fisc augmente son pouvoir, sa surface de jeu, et son « efficacité » de collecte pour l’État, toujours en manque d’argent.

 

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

Souvenons-nous du prélèvement automatique des impôts sur le revenu, une mission dont l’ambitieux Gérald Darmannin s’est brillamment acquitté, confortant ainsi l’État dans son assurance d’être payé, dans le coût de sa collecte (maintenant déléguée aux employeurs qu’il ne rémunère pas pour cela), dans la gestion de son cash-flow (maintenant plus rapide de plusieurs mois par rapport à avant). Qui plus est, il a eu le mérite, pour les tenants du pouvoir, de faire passer cela pour un bénéfice pour le contribuable : c’est un souci de moins. Enfin, pour les prêteurs à l’État, qui lui font notamment confiance grâce à la capacité supposée de ponctionner l’argent du peuple, par un coup de force si besoin le jour venu (attention, assurance vie sans doute dans le viseur), il a magistralement montré qu’en effet, l’État savait plumer un peu plus l’oie contribuable sans qu’elle crie.

Et pourtant, malgré l’argument selon lequel cela se fait déjà ailleurs, on peut avoir une opinion radicalement différente de celle des pouvoirs en place et de ceux qui lui prêtent de l’argent à gaspiller ; on peut voir dans cette affaire une privation supplémentaire de liberté, et une mise en danger du citoyen, contraire à l’esprit de la démocratie (le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple).

En effet, avec un prélèvement automatique, on enlève au citoyen l’occasion de calculer avec attention ce qu’il doit, on dote le pouvoir d’un accès permanent et incontrôlable au cash flow individuel (ouvrant ainsi une brèche universelle, une pompe permanente et continue d’accès aux salaires, pour y prélever une somme arbitraire par loi ou décret si besoin un jour), on anesthésie le citoyen dans son énergie de vigilance et contestation.

Par expérience des pratiques de facturation et prélèvement des diverses administrations, je suis plutôt de l’avis des méfiants. Vous verrez plus en détail pourquoi dans ma dernière mésaventure.

 

Un espion dans mon jardin

Autre exemple de prouesse du fisc : l’emploi de l’intelligence artificielle pour trouver des biens à taxer qui lui auraient échappé.

Un cas a fait couler pas mal d’encre ces derniers mois : la détection de piscines par traitement d’images, à partir des photos satellite. Une piscine de plus de 10 m2 est en effet taxable, au titre de la taxe foncière (celle qui subsiste et explose). Et le montant de la taxe se calcule comme la valeur nominale (250 euros/m2 en 2023), multipliée par la surface, multipliée par un taux communal – 4 % en moyenne entre 1 % et 5 %), et un taux départemental -1,5 % en moyenne (quand la soupe est bonne, tout le monde y vient ; la région devrait sans doute suivre un jour – il n’y a pas de raison). Soit, pour 20 m2, 275 euros par an.

Or, avec le traitement par intelligence artificielle, les services fiscaux reportaient mi 2022 la détection de 20 000 piscines non déclarées dans neuf départements, pour un montant de plus de 10 millions d’euros de taxes, et annonçaient que le dispositif allait être généralisé.

Il l’a été en effet, avec des effets retard remarqués pour la Corse et l’Outre-mer, territoires dont on a pu se demander s’ils bénéficiaient d’une faveur pour une raison inavouable, ou juste, comme l’a prétendu le gouvernement, d’un délai à obtenir les photos nécessaires… Par contre, pas un mot sur les éventuels constats de piscines déclarées dans le passé et ayant disparu, converties par leurs propriétaires à d’autres usages. Un phénomène rare peut-être, mais pas inexistant, puisque je connais un citoyen qui a couvert en dur sa piscine pour en faire une terrasse. Il n’a jamais été informé par le fisc qu’il ne devait plus rien, et qu’il serait même remboursé pour les années passées (trois ans rétroactifs, me semble-t-il).

Le fisc aurait-il cette vertu spontanée, ou attendrait-il que le contribuable s’en aperçoive enfin de lui-même ? Quand on est ministre des Finances ou dirigeant des services fiscaux, la réponse à cette question révèle une considération particulière du rapport entre le pouvoir et le peuple, et de qui doit être au service honnête de l’autre. On attend de savoir, peut-être un jour.

En attendant, un incident récent laisse à soupçonner que peut-être, hélas…

 

La chasse aux biens immobiliers

Tous les contribuables ont en effet vu récemment que leur patrimoine immobilier faisait soudain l’objet d’une attention redoublée et très détaillée.

À l’origine de ce nouveau coup de zoom, sans doute le désarroi d’un État affolé par la montée du coût de la dette et son incapacité à maîtriser les vraies dépenses (pas cellles, ironiquement classées ainsi par les calculateurs de Bercy, des remises d’impôts/ niches fiscales, mais les vrais coûts des actions des gouvernants, toutes ces politiques jamais ou mal évaluées, où se sont engouffrés des milliards sans résultat) et l’effet de l’intenable promesse démagogique d’Emmanuel Macron de la suppression de la taxe d’habitation, promesse dont l’effet boomerang continue d’engendrer des pompages dérivatifs dans d’autres poches du budget, des usines à gaz de calculs compensatoires, et une explosion de la taxe foncière, dernière ressource autonome significative des communes.

De fait, comme pour les piscines, un des premiers usages de ce recensement de la population immobilière est la chasse aux biens qui pourraient « bénéficier » d’une taxe d’habitation perdue lors de la prise de pouvoir par En Marche.

Et, à ce titre, un citoyen que je connais a eu la surprise de recevoir cette année, pour la première fois depuis des années, un avis de taxe d’habitation de près de 1000 euros pour un bâtiment situé à la même adresse que sa résidence principale, une ancienne maison de gardien reconvertie en gîte rural, pour lequel il est loueur professionnel, et paye à ce titre des impôts sur les sociétés comme la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises). Or :

  • On ne saurait être à la fois imposé comme une entreprise (CFE) et comme un particulier (taxe d’habitation) pour le même bien.
  • Le fisc est toujours le premier bénéficiaire de toutes les avancées techniques possibles pour améliorer le service public. En particulier, il paraît certain que toutes ses bases de données sont connectées entre elles, et qu’un bien donné avec une adresse connue doit pouvoir sans problème être détecté comme déjà soumis à la CFE.

 

Aussi cette taxe d’habitation d’un bien, connu comme soumis à la CFE, pose clairement question.

Ce citoyen taxé, plus éveillé et moins docile sans doute que beaucoup d’entre nous, a soulevé la question auprès des services fiscaux qui ont reconnu une erreur, et l’ont invité à faire une demande d’annulation. On se demande bien comment, avec tous les moyens dont il dispose, le fisc a pu commettre cette erreur. Oubli involontaire de contrôle dans les bases de données disponibles (une erreur de débutant en science des données) ou oubli volontaire/conscient pour aller à la pêche ?

 

Les erreurs des citoyens/entrepreneurs dans leurs déclarations au fisc, URSSAF ou autres sont en général surtaxées de 10 %, sauf (depuis peu) en cas d’erreur de bonne foi (dont l’appréciation revient au collecteur).

Alors on pourrait aussi attendre que l’agent du fisc qui reconnaît l’erreur fasse lui-même les démarches de demande d’annulation/rectification, et que le fisc soit pénalisé d’une amende de 10 % du montant demandé, sauf si le citoyen considère qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi (ce qui en l’occurrence paraît soit incertain, soit inacceptable compte tenu des accès aux données dont le fisc dispose).

 

Alors, nos services fiscaux, amateurs ou filous ? Monsieur le ministre, exprimez-vous et convainquez-nous. En attendant, citoyens, contribuables, à vous de juger.

Les écoles privées ont sauvé l’enseignement en Suède

Un article de l’IREF.

Dès la fin des années 1980, une première série de réformes a été opérée en Suède par le gouvernement social-démocrate, transférant aux municipalités la responsabilité des écoles et leur laissant une grande liberté pour l’affectation et l’utilisation des ressources en fonction du contexte et des besoins locaux. Puis au cours des années 1990, le gouvernement conservateur-libéral a voulu donner aux parents la liberté de choisir l’école de leurs enfants et favoriser la concurrence entre les établissements pour notamment améliorer la qualité de l’enseignement public.

Ainsi, en 1992, il a institué le chèque éducation alloué aux familles pour qu’elles le remettent à l’école, privée ou publique, de leur choix tout en interdisant que ces écoles leur prélèvent des frais de scolarité. Les écoles privées, qui recevaient initialement 85 % de la dotation par élève du public, reçoivent depuis une décision des sociaux-démocrates en 1994 la même dotation que celle des écoles publiques. Parallèlement, des règles libérales ont permis qu’au cours des années 2000 de nombreux établissements privés soient ouverts.

Figure 1. Proportion d’élèves dans les établissements privés (« libres ») dans l’enseignement obligatoire et l’enseignement secondaire supérieur en Suède et à Stockholm, 1999-2017 (en %)

Source : Statistics Sweden

Toute personne physique ou morale peut créer une école sous réserve de remplir les conditions requises par l’inspection scolaire suédoise et d’être agréée par l’Agence nationale de l’éducation. Les premières écoles libres, les friskolor, ont été ouvertes localement par des associations, des parents ou des enseignants. Puis des entreprises ont investi de plus en plus dans ce secteur de l’éducation. En 2017, 68 % des établissements privés d’enseignement obligatoire et 86 % des établissements secondaires supérieurs privés étaient gérés par des sociétés à responsabilité limitée (Alexiadou et al., 2019).

Face à l’ampleur de ce développement a été mis en place un contrôle accru de la performance et de la qualité par l’État. Aujourd’hui, environ 16 % des élèves en primaire et collège et 30 % de ceux du lycée fréquentent des écoles privées alors qu’il n’y en avait que 1% il y a trente ans.

 

La dégradation du système éducatif

La gauche européenne, qui ne comprend pas comment un pays social-démocrate a pu favoriser ainsi les écoles privées, dénonce la qualité de ces écoles libres et affirme que les mauvais résultats PISA des années 2010 sont dus à la privatisation. En réalité c’est l’inverse.

Aux scores PISA, la Suède avait des résultats honorables en 2000 : de 516 (10e au classement général) en compréhension de l’écrit, 510 (16e) en mathématiques et 512 (11e) en sciences.

Ces scores se sont dégradés en 2012 : 483 (37e) en compréhension de l’écrit, 478 (38e) en mathématiques et 485 (38e) en sciences.

Mais ils se sont relevés en 2018 : 506 (11e) en compréhension de l’écrit, 502 (18e) en mathématiques et 499 (20e) en sciences.

Au score Pisa 2022, les résultats sont en baisse à respectivement 482, 487 et 494, comme ceux de presque tous les pays du monde, mais la Suède est 19e, quatre places devant la France

La baisse de qualité de son système éducatif est due principalement à l’immigration massive que la Suède a accueillie sans compter, notamment depuis la fin du siècle dernier. Le nombre d’immigrés non occidentaux en Suède était d’environ 1 % de la population dans les années 1970 et de plus de 10 % en 2015, voire 15 % en incluant les demandeurs d’asile.

Selon l’OCDE, « en 2014-2015, la Suède a vu le plus grand flux de demandeurs d’asile par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE ».

Corrélativement, le nombre d’immigrés sans emploi y était extrêmement important. En 2015, 82,9 % des natifs et 59,6 % des personnes nées à l’étranger, dans la tranche d’âge 20/64 ans, avaient un emploi rémunéré. Ce taux n’était que de 53,6 % chez les immigrés extra-européens.

 

Les vertus de la concurrence

Il est reproché aux entreprises qui gèrent des écoles privées de faire du profit avec l’argent public qui leur est remis par les familles. Mais si elles font du profit, c’est parce qu’elles réussissent à attirer des élèves qui ont le choix d’aller dans des écoles publiques. Si elles y parviennent, c’est parce qu’elles sont meilleures, et si elles font du profit, c’est parce qu’elles sont mieux gérées. La concurrence joue en effet un rôle efficace pour améliorer les résultats. Certes, les écoles publiques communales sont obligées d’accepter des élèves moins bons, notamment les nombreux immigrés ayant afflué en Suède ces dernières années, mais n’est-ce pas aux pouvoirs publics qui ont favorisé cette immigration massive d’en supporter les conséquences ?

Des écoles privées font faillite ou sont obligées de fermer parce qu’elles ne respectent pas leurs obligations. Au demeurant, les écoles privées sanctionnées ne sont pas si nombreuses. Selon Le Monde, l’Inspection scolaire en aurait fermé 25 au cours des cinq dernières années. Un chiffre modeste au regard du nombre d’écoles. En France aussi, nombre d’écoles publiques mériteraient d’être fermées, mais la carte scolaire oblige les élèves à les fréquenter, et l’argent public couvre leurs dépenses quoi qu’il en coûte. C’est précisément la vertu d’un système privé de contraindre les écoles inaptes à fermer.

Pour remédier à l’effondrement de son système scolaire, pourquoi la France n’engagerait-elle pas une vraie privatisation de ses écoles, avec allocation de bons scolaires ?

L’ancien maire conservateur d’Upplands Väsby, Oskar Weimar, cité par M le magazine du Monde, observe :

« Le principe d’une école uniforme ne fonctionne pas. Les enfants ne se ressemblent pas, ils apprennent différemment. Nous avons besoin de diversité et de permettre aux élèves et à leurs parents de choisir l’école qui leur convient le mieux et d’éliminer celles qui ne leur plaisent pas. »

Sur le web.

Des compteurs Linky « intelligents »… pour préparer la pénurie d’électricité ?

Par : Michel Gay

Maintenant que le déploiement du compteur électrique Linky présenté comme « intelligent » est quasiment terminé, le rationnement imposé de l’électricité va pouvoir débuter… après plus de 20 ans d’impéritie.

 

C’est « intelligent »

Un projet de décret prévoit d’effectuer, dès cet hiver, un premier test en condition réelle au cours duquel la consommation d’électricité de 200 000 Français notifiés « par voie postale », et équipés d’un compteur Linky, sera plafonnée à 3 kilowatts (kW) au lieu de 6 kW (l’abonnement des particuliers en général) pendant quelques heures.

Avec ce test, le gouvernement souhaite « déterminer » s’il est « techniquement possible de mettre en œuvre un nouvel outil pour sauvegarder le réseau électrique en cas de tension extrême, pour éviter des coupures ».

Et c’est « intelligent » parce que cela aurait pu être pire…

En effet, l’entreprise ENEDIS ne limitera que la puissance délivrée au domicile des particuliers, alors qu’il aurait pu (ou dû) la couper complètement par défaut de production d’électricité !

Il faudrait se réjouir que la puissance de certains soit limitée temporairement (quelques heures pour 200 000 « cobayes ») afin d’éviter une coupure totale et généralisée… Soyons « solidaires » !

Jusqu’à récemment, avant l’ère des ruineuses énergies renouvelables intermittentes, le réseau électrique (pas intelligent) apportait à tous, à un prix raisonnable, toute l’électricité répondant au besoin de chacun, y compris en hiver lors des pointes de froid. C’était à la production électrique, notamment nucléaire, de s’adapter à la demande.

Dorénavant, ce sera à la demande (les clients) de s’adapter aux capacités de production restreintes, surtout en l’absence de vent et de soleil…

 

Idéologie verte, quand tu nous tiens

Avec de meilleures décisions politiques et moins d’idéologie verte antinucléaire peu judicieuse (idiote ?) focalisée sur le vent, le soleil, l’électricité serait toujours vendue aux particuliers aujourd’hui environ 12 centimes d’euros par kilowattheure (12 c€/kWh).

Sous la pression de la Commission européenne, des médias et de puissantes organisations écologistes infiltrées jusqu’au sommet de l’État, le prix de l’électricité augmentera jusqu’à 30 ou 40 c€/kWh… comme en Allemagne.

Cette folle tendance issue de mauvais choix stratégiques ruinera l’industrie (obligée de partir s’installer ailleurs) et les PME, et donc aussi les Français, dont beaucoup peinent déjà à régler leurs factures de chauffage et d’électricité.

Augmenter de 1000 euros (et plus) par an le prix des factures d’énergie par famille (alors que l’ouverture à la concurrence devait réduire les factures, juré promis…), puis distribuer ensuite des chèques de 100 euros ici et là pour amortir le choc des factures en prétendant faire du social est aberrant. Cela revient à appuyer sur l’accélérateur d’une voiture fonçant vers une falaise et prétendre sauver des vies en distribuant quelques airbags juste avant de s’écraser.

Dans les années 1940 jusqu’à 1949, il existait des tickets de rationnement (pas encore qualifiés d’intelligents) pour distribuer la nourriture devenue rare.

Aujourd’hui on qualifie de « smart » ou « d’intelligent » le réseau ainsi que le compteur Linky qui permettra dorénavant le rationnement… parce que de mauvaises décisions ont été prises depuis 20 ans par les gouvernements successifs.

« On n’arrête pas le progrès ! »

Il aurait peut-être été plus « smart » et « intelligent » de ne pas fermer les deux réacteurs nucléaires de 900 mégawatts (MW) de la centrale de Fessenheim en parfait état de fonctionnement ?

Les 1800 MW manquant de cette centrale représentent une puissance d’un kW pour presque 2 millions de familles… ou 3 kW pour 600 000 foyers.

 

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Après la fermeture politique de trois réacteurs nucléaires en parfait état de fonctionnement (Superphénix en 1997 et les deux réacteurs de Fessenheim en 2020) et le retard à l’allumage de l’EPR de Flamanville, la France se prépare maintenant à gérer une pénurie d’électricité devenue rare et chère, alors qu’il aurait fallu mettre en service au moins quatre réacteurs depuis 20 ans.

En 2022, grâce à la fonctionnalité prévue à cet effet dans le compteur Linky, le gouvernement avait déjà voulu tenter de couper l’électricité à 10 000 Français, à distance, et sans leur demander leur avis.

Mais les tests effectués à « petite échelle » ont été désastreux : mécontentement de la clientèle, et surtout échec technique.

En effet, sur les 10 000 compteurs Linky coupés à distance par Enedis, 500 compteurs ne se sont pas réenclenchés automatiquement en fin de coupure volontaire d’électricité.

Résultat : 500 déplacements d’agents Enedis chez les clients concernés pour remettre le courant manuellement.

Ces réenclenchements manuels à distance n’ayant pas fonctionné dans 5 % des cas environ, Enedis n’aurait donc pas pu gérer ces coupures volontaires pour des millions de clients.

Enedis a donc abandonné (semble-t-il) cette méthode et veut maintenant en expérimenter une autre « plus douce », dont la possibilité technique est également offerte par le « compteur intelligent » Linky.

Au lieu de couper totalement le courant, il s’agit cette fois de brider à 3 kilowatts (kW) pendant deux heures la puissance du compteur Linky pour 200 000 abonnés, au moment d’une pointe de froid pendant l’hiver prochain 2023/2024.

Le test obligera les « cobayes » (qui seront, paraît-il, dédommagés de 10 euros) à couper leurs radiateurs électriques pour se limiter à 3 kW afin d’alimenter leurs autres appareils (réfrigérateur, congélateur, pompe de circulation du chauffage central, ordinateur, lumières, et une seule plaque électrique de cuisson).

 

Vous avez dit « équilibrage » ?

Actuellement, l’équilibrage du réseau repose entièrement sur les seules énergies « classiques » (nucléaire, gaz et hydraulique en France).

Le solaire photovoltaïque et l’éolien disposent d’une priorité d’accès au réseau sans rien payer pour gérer leur variabilité aléatoire ou leur intermittence : ni frais de stockage ou d’effacement lorsqu’il n’y a pas de demande, ni le renforcement du réseau nécessaire pour absorber les surplus, ni parfois les prix négatifs en cas de folles surproductions.

Aujourd’hui en France, c’est donc principalement le nucléaire qui paie la facture de l’intermittence de ces sources d’électricité.

Cela revient à faire payer à mon voisin les factures d’entretien de ma voiture, puis de me vanter ensuite que ma voiture me coûte moins cher que la sienne ! C’est bien sûr une situation biaisée.

Mais à mesure que les énergies renouvelables intermittentes (EnRI) se développent, ce coût de gestion croît, et il devient de plus en plus lourd à assumer par les Français !

Si ces EnRI devaient payer la totalité des frais inhérents à cette intermittence, alors elles deviendraient une ruine pour leurs promoteurs dans un marché non faussé par les subventions publiques.

 

Une manne dont certains se gavent

Mon voisin est très heureux de la rentabilité de ses panneaux solaires photovoltaïques sur son toit (3 kWc installés en 2010 qui lui ont coûté 10 000 euros). La revente de son électricité solaire représente pour lui un gain de 2000 euros par an environ au tarif de… 62 c€/kWh indexé sur l’inflation pendant 20 ans ! (EDF vend son électricité 4,2 c€/kWh à ses concurrents).

C’est donc pour lui un excellent placement financier qui rapporte 20 % par an (il s’agit en outre d’un revenu non imposable, sans CSG), beaucoup plus rentable qu’un placement sur un livret A (d’environ 3%)…

Mais ces 2000 euros par an représentent une perte du même montant pour ENEDIS (obligé de lui acheter à ce prix). Ce dernier la répercute sur la facture des Français qui paient dans leur tarif électrique (en augmentation) cette subvention à travers une lourde taxe intérieure sur la consommation de produits pétroliers (TICPE, ex CSPE), elle-même en constante augmentation puisque de plus en plus de Français s’équipent en panneaux photovoltaïques.

C’est aussi une perte pour l’entreprise EDF obligée de diminuer d’autant la production de ses centrales électriques (nucléaires ou non).

Mais EDF est toujours obligée de maintenir autant de centrales « classiques » (nucléaires ou autres) en activité qu’avant ces hérésies, car les jours (et les nuits) sans soleil et sans vent, le besoin d’électricité est souvent aussi important, voire davantage.

Les EnRI avec priorité d’accès au réseau enrichissent des producteurs tout en étant une perte pour la collectivité et les distributeurs. Il y a de gros gagnants malins et beaucoup de petits perdants pigeons.

Bientôt, il n’y aura peut-être plus que de gros perdants

Les punis seront-ils choisis parmi les clients des énergies dites renouvelables (ce qu’elles ne sont pas, car les matières premières qui les composent ne le sont pas), intermittentes (ce qu’elles sont) qui polluent le réseau d’électricité ?

Heureusement qu’EDF réussit encore à alimenter le réseau, principalement avec le nucléaire, pour satisfaire les besoins des clients…

 

Seul Linky doit-il être intelligent ?

Le déploiement du compteur Linky « intelligent » a coûté quasiment le prix d’un réacteur nucléaire EPR.

Or, limiter la puissance électrique de 200 000 clients permettra de gagner au mieux 600 mégawatts (MW), et probablement moins de 400 MW, soit moins du quart de la puissance d’un EPR (1650 MW).

Il aurait été plus… « intelligent » de conserver les deux réacteurs nucléaires de Fessenheim (1800 MW) et de construire plusieurs EPR… plus tôt !

Les Français subissent depuis plus de 20 ans, contraints et forcés, le cruel manque de vision pour la France de nos dirigeants politiques indignes de leur confiance.

Paternalisme et centralisation : les bons remèdes de monsieur Attal

Jeudi 5 décembre 2023. L’ange Gabriel (Attal) descend sur la France, porteur d’une bonne et d’une mauvaise nouvelle.

Commençons par la mauvaise : les conclusions de la dernière étude PISA pointent les résultats catastrophiques des petits Français, en particulier en mathématiques. Une « baisse historique » des performances, peut-on lire çà et là. Rien de surprenant pourtant : l’enseignement public est en piteux état depuis des décennies. Il ne se relèvera pas spontanément de cette longue maladie.

Heureusement – et voilà la bonne nouvelle ! – Gabriel Attal apporte des remèdes. Une thérapie à base d’électrochocs : « le choc des savoirs ». « Pour chaque élève, il y aura un avant et un après » assure-t-il. On se prend à croire aux miracles…

À sa décharge, M. Attal n’est ministre de l’Éducation nationale que depuis peu. Ce n’est pas à lui mais à ses prédécesseurs qu’il faut imputer la déroute de l’école publique. Enfin… n’oublions quand même pas que c’est ce gouvernement qui a permis à M. Pap Ndiaye d’imposer ses lubies écologico-sexuelles et à M. Jean-Michel Blanquer de se déguiser en réac afin d’amadouer la droite tout en interdisant l’instruction en famille et en instaurant l’obligation scolaire à 3 ans…

Monsieur Attal se voit en homme providentiel : grâce à des mesures qu’il présente lui-même comme « de bon sens », il s’engage à renflouer une institution à la dérive et à réformer un corps professoral de 860 000 personnes, coiffé d’une administration pléthorique.

N’écoutant que son courage, il souhaite « lever un tabou » en permettant aux enseignants de décider du redoublement des élèves. Notons au passage que le redoublement est généralement demandé par des parents, et refusé par les enseignants… Bref. Il promet aussi de créer des groupes de niveaux « dans chaque collège ». Il a bien insisté sur le fait qu’aucun collège n’échapperait à cette mesure. Cela me rappelle le bon temps où Najat Vallaud-Belkacem jurait que 100 % des élèves seraient dotés d’une tablette dans 100 % des classes, elles-mêmes équipées de tableaux numériques interactifs. Le démon uniformisateur habite nos ministres, et passe de l’un à l’autre sans perdre de sa puissance.

Gabriel Attal annonce aussi qu’il mettra très vite au travail le Conseil supérieur des programmes pour que ceux-ci s’articulent autour de quatre priorités : clarté, exigence, sciences et culture générale. Après « l’école de la confiance » et « l’école de l’engagement », on comprend qu’il veut un revirement à 180 degrés. Et d’ailleurs, est-ce bien le même homme qui nous promettait des cours d’empathie ?

 

Juste constat, fausses solutions

Avec ce retournement, il marque des points : l’école souffre en effet de ne plus transmettre de connaissances, de privilégier le bien-être plutôt que l’effort.

Mais elle pâtit surtout d’un manque d’autonomie. Ses acteurs réclament davantage de liberté et de responsabilité : comment accepter que le remplacement d’une chaudière prenne des semaines, en plein hiver, alors que des lycéens grelottent en doudounes ? Comment supporter que tous les écoliers soient évalués avec un livret scolaire unique (le LSU) obligeant des centaines de milliers d’enseignants à jongler entre compétences et pastilles de couleurs ?

Pourtant, lorsqu’on écoute attentivement monsieur Attal, on entend un ministre fier de tenir en sa main le sort de 12 millions d’élèves.

« Je suis à la tête de la plus grosse administration européenne » a-t-il rappelé avec un sourire satisfait lors d’un récent reportage télévisé1. Il est issu d’un établissement privé renommé. Pourtant, à aucun moment il n’a évoqué la liberté pour les parents de choisir la meilleure école. Il ne remet pas en cause la sectorisation qui assigne à résidence les familles les plus modestes. Il n’est plus question d’autonomie des chefs d’établissements mais, au contraire, de faire labelliser des manuels par le ministère. Par qui seront-ils rédigés ? Les enseignants ne souhaitant pas utiliser ces manuels d’Etat devront-ils se justifier auprès des inspecteurs ? Quid de l’innovation pédagogique dont font preuve les éditeurs privés ?

Il souhaite que les professeurs aient le dernier mot quant au redoublement. Mais – faut-il le rappeler ? – la France est signataire de conventions internationales affirmant que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Plutôt que « lever le tabou du redoublement » monsieur Attal pourrait mettre en place un nouveau certificat d’études. Seuls les heureux détenteurs de ce « certif » accéderaient au collège, ce qui rendrait caduques les tractations privées.

 

Opposition du corps enseignant

Il a à peine évoqué la formation des enseignants.

Elle constitue pourtant un problème crucial : on confie aujourd’hui sans vergogne des cohortes d’enfants à des professeurs n’ayant que de vagues connaissances disciplinaires et qui, pour nombre d’entre eux, embrassent cette carrière pour décrocher le statut de fonctionnaire, Graal moderne.

Il faut revoir d’urgence le contenu des formations délivrées par les Inspections dont les sites vantent « l’appropriation de l’éducation à la sexualité » (Inspection de Lille) ou les formations sur les « inégalités de genre » (Inspé de Toulouse), en écriture inclusive bien sûr. Il faut redonner aux enseignants des raisons d’être fiers : enseigner est le plus beau métier du monde à condition de l’exercer librement, dans un pays qui valorise la transmission d’un patrimoine, la responsabilité individuelle, et non l’engagement à tout prix.

Monsieur Attal se montre tour à tour paternaliste et autoritaire. Malheureusement, il ne suffira pas de repeindre l’école de 2023 en école de la Troisième République pour résoudre les graves problèmes auxquels elle fait face.

Ce que refusent de voir les ministres successifs, et Gabriel Attal n’échappe pas à la règle, c’est d’abord leur impuissance face à un corps professoral fortement syndiqué, formé dans des centres où règne sans partage une idéologie gauchiste, et à une administration tentaculaire. Rappelez-vous monsieur Blanquer exigeant que l’on rétablisse la méthode syllabique, et se heurtant à l’inertie du corps professoral. Quatre années plus tard, la méthode semi-globale est encore très largement utilisée dans les classes de CP… Voyez la façon dont le « pacte » proposé aux enseignants a été écarté d’office par la plupart des syndicats, suivis par leurs ouailles. Les réactions aux annonces de ce jour ont été immédiates : les mêmes organisations syndicales dénoncent un ministre « loin des réalités », inconscient des conséquences de ses annonces, en particulier celle de l’organisation de classes de niveaux qui nécessite une réorganisation complète du collège.

 

La fuite vers l’enseignement privé

Les occupants de la rue de Grenelle ignorent aussi superbement la fuite des élèves vers les écoles privées dites hors contrat, libres de la tutelle étatique. Elles sont pourtant souvent plus chères car les salaires des enseignants, les locaux, l’ensemble des dépenses y sont couvertes par les parents. Alors, qu’est-ce qui les rend si séduisantes ? N’ayant pas adhéré au fameux contrat avec l’État, elles peuvent recruter, former (et licencier !) leurs professeurs car ceux-ci ne sont pas fonctionnaires ; elles sont aussi libres de leurs horaires et de l’affectation de leurs budgets. Elles doivent atteindre les objectifs de fin de cycle, mais ne sont pas tenues d’appliquer les programmes ni de se laisser envahir par les nouvelles technologies, l’écologie, l’idéologie… Elles évaluent leurs élèves comme bon leur semble. Cette liberté s’exerce dans le respect de l’ordre public bien sûr : elles sont inspectées bien plus souvent et minutieusement que les écoles publiques. Elles scolarisent environ 120 000 élèves, soit 1 % des effectifs, nombre encore jamais atteint en France, et en croissance constante.

Autrefois réservées aux riches et aux initiés, elles se démocratisent largement grâce à des fondations, comme Excellence ruralités qui bataille pour recréer des écoles dans les déserts français, et des projets personnels originaux. Au cours Candelier par exemple, dans le Nord, les enfants apprennent la grammaire « à l’ancienne », le dessin académique, les mathématiques avec la fameuse méthode Singapour que vient de découvrir M. Attal, le chant choral et la calligraphie. On n’y enseigne ni les écoquartiers ni les dangers d’internet, et on n’oblige pas les élèves à ramasser des mégots ou à reboiser le pays pour servir l’État. Depuis sa création en 2010, cette école joue à guichets fermés. Rigueur, exigence, responsabilité : les parents, les professeurs et leurs élèves en redemandent.

Devant le gaspillage de l’argent public, 56 % des Français souhaitent que l’État finance l’école de leur choix2, quel que soit son statut. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire eux-mêmes, alors qu’ils paient régulièrement leurs impôts : ils « double-paient » donc pour échapper à la mainmise du ministère, pour sauver leurs enfants du naufrage. Comme l’écrit Chantal Delsol : « on n’entre pas dans le public parce qu’il est meilleur, mais parce qu’il est monopolistique. »3

 

L’enseignement à la peine en Occident

Ne nous y trompons pas : nous sommes loin d’être les seuls à rencontrer des difficultés pour instruire nos enfants.

Les ravages du covid, l’hétérogénéité des élèves, la concurrence des écrans et l’abandon d’un certain modèle transmissif ne sont pas spécifiques à la France. De nombreux pays occidentaux voient leurs résultats régresser. Il faudra nous montrer créatifs et cesser d’appliquer à des problèmes modernes des solutions anciennes (qui n’ont parfois jamais vraiment fonctionné). Il faudra ouvrir le système à la concurrence, favoriser la transparence, permettre aux enseignants de se former vraiment, en Inspé ou ailleurs si ceux-ci ne s’acquittent plus de leur office.

Souhaitons que les mesures qu’envisage M. Attal portent leurs fruits. Espérons qu’elles permettent de gommer un peu les inégalités que l’école française reproduit et amplifie plus que les autres. En attendant, ne sacrifions pas plus longtemps des millions d’enfants sur l’autel de l’égalitarisme. Permettons-leur de bénéficier des meilleures pratiques, d’où qu’elles viennent, sans a priori politique.

  1. « Zone interdite » du 12 novembre 2023. M6
  2. Sondage IFOP de mai 2023 sur « l’égalité d’accès à une éducation de qualité en France ».
  3. La Détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire.

Ne sacrifions pas l’Occident pour combattre l’islamisme : réponse à Marion Maréchal

Samedi soir, un terroriste islamiste a semé la mort au pied de la Tour Eiffel. Armand Rajabpour-Miyandoab avait déjà été condamné en 2018 pour association de malfaiteurs terroristes, condamnation qui lui a valu d’être fiché S.

Ce n’est pas le premier terroriste à être passé à l’acte en France alors qu’il était déjà suivi pour ses accointances avec l’islamisme et l’entreprise terroriste. Cette répétition doit évidemment nous interroger sur l’efficacité de notre système de surveillance des individus dangereux, et en particulier des islamistes. S’engouffrant dans la brèche, Marion Maréchal a appelé dans les colonnes du journal Le Figaro à ce que tous les islamistes fichés S soient arrêtés et incarcérés immédiatement. 

 

On ne peut défendre l’Occident en détruisant son génie

S’il est vrai que la grande majorité des terroristes étaient fichés S, tous les fichés S ne sont pas des terroristes.

Marion Maréchal le sait, et ce n’est pas une erreur de logique qu’elle commet. Mais elle propose ni plus ni moins d’abandonner le droit à la sûreté, c’est-à-dire la protection contre les arrestations arbitraires, consacrée aux articles 2 et 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, inspiré de l’Habeas Corpus anglais qui fut la première pierre de la tradition juridique libérale qui caractérise l’Occident. Cette pensée juridique originale née en Occident a illuminé le monde et continue de rayonner auprès de tous les peuples opprimés, y compris par l’islamisme. 

Nous ne défendrons pas l’Occident contre ses ennemis en détruisant son génie. Abandonner la démocratie libérale qu’abhorrent les islamistes et autres illibéraux à la culture viriliste et adulescente qui voient la culture humaniste, non comme une sagesse mais une faiblesse, c’est leur donner la victoire.

En ne protégeant que les clochers, Reconquête! s’enferme dans une vision folklorique de la civilisation occidentale. À l’inverse, dans son chemin vers la « dédiabolisation », le Rassemblement national semble avoir intégré à son discours la défense des minorités sexuelles et des femmes comme partie intégrante de la tradition occidentale. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la gauche abandonne de plus en plus cette défense inconditionnelle du droit à la différence à l’extrême droite, comme elle a abandonné l’hymne et le drapeau, cédant devant la culture intolérante ce qu’elle voit comme les nouveaux damnés de la Terre. 

Par ailleurs, nous ne rappellerons jamais assez que toutes les lois d’exception ont fini par être détournées de leur objectif initial.

 

Les risques de dérives d’une telle mesure

Combien de fois les lois antiterroristes ont-elles été instrumentalisées pour intimider des individus qui n’avaient rien en commun avec le terrorisme islamisme, comme les militants de la ZAD de Notre-Dame des-Landes ? Réprimer les manifestations ? Peut-être devrait-on rappeler à Marion Maréchal que parmi les manifestants de l’ultra-droite descendus dans les rues pour protester contre la mort du jeune Thomas à Crépol, on comptait probablement des fichés S ? Combien de sympathisants de Reconquête! pourraient être inquiétés à la veille d’une élection au simple motif qu’ils ont pu approcher de près ou de loin une idéologie radicale ?

Rappelons que le simple fait de côtoyer sans le savoir un fiché S peut faire de vous un fiché S. Dès lors, la mécanique d’enfermement généralisé pourrait très facilement s’emballer, ou être instrumentalisée par le politique qui n’aurait alors plus aucune limite dans son pouvoir. Consentir à l’arbitraire, même dans l’objectif noble de lutter contre le terrorisme, est la voie la plus sûre vers la tyrannie.

Ce serait d’autant plus une trahison envers notre civilisation que ce serait une solution simpliste adoptée au détriment d’une autre facette du génie occidental : sa capacité de séduction.

 

La plus belle arme de l’Occident : sa capacité de séduction

Notre démocratie libérale, longtemps considérée comme un horizon indépassable de la modernité, ne séduit plus. Non seulement l’Occident n’est plus le phare du monde, mais il est remis en cause en son sein, que ce soit par les descendants d’immigrés qui adoptent l’islamisme que leurs parents ont fui, ou les tenants d’un Occident fantasmé qui voient dans Poutine le « salut de la blanchitude ».

Notre démocratie libérale, qui permet à chaque individu de s’émanciper et de se déterminer, peine à produire une métaphysique commune qui soit accessible au plus grand nombre, qui se tourne alors vers les prêts-à-penser que constituent les idéologies radicales, que ce soit au sein de l’islam politique, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.

Pour se défendre, la démocratie libérale doit se réarmer intellectuellement. Le refus de la radicalité et du populisme, s’il n’est pas justifié pour soi, ne sera jamais à même de peser face aux idées faciles. Mais elle doit aussi être cohérente et défendre cet idéal occidental à chaque fois qu’il est attaqué, comme en Ukraine, et non pas comme en Arménie qui, malgré quelques prises de paroles sentencieuses, a été abandonnée au profit de nos intérêts gaziers.

Enfin, il faut rappeler que si la première mission de l’État doit être d’assurer la sécurité des citoyens et qu’il est indispensable que nous perfectionnions sans cesse notre appareil sécuritaire, seul un régime tyrannique pourrait approcher le risque zéro. Personne ne doute que la Corée du Nord connaît un taux d’homicides (non gouvernementaux) plus faible que le nôtre. En définitive, nous devons assumer que dans une société libre, le risque zéro n’existe pas, et que nous aurions bien davantage à perdre en sacrifiant notre État de droit.

L’Europe populiste nous salue bien

On s’habitue sans se résigner, ni peut-être comprendre.

Jadis qualifiées de séisme suscitant la sidération, les victoires de partis qualifiés de populiste, ou d’extrême droite (nationaliste-conservateur serait plus exact) par analystes et commentateurs deviennent habituels en Europe. Une tendance inquiétante, vu la faible appétence de la plupart d’entre eux pour les libertés, ou leur complaisance envers le Kremlin. Mais qui devrait surtout pousser dirigeants et relais d’opinion, au lieu d’évoquer rituellement le « retour aux heures les plus sombres », à se poser LA question fondamentale ; « qu’est-ce qu’on a foiré grave pour que ça tourne ainsi ? ».

La dernière déflagration en date est évidemment venue des Pays-Bas où le parti PVV a triomphé lors des législatives du 22 novembre dernier, avec 24 % des voix, neuf points de plus que le second de centre gauche. Un choc pour une société néerlandaise longtemps prise pour exemple de la « coolitude cosmopolite ». Mais la coolitude, visiblement, on en revient.

Le PVV s’ajoute à une liste qui commence à être impressionnante dans l’Union européenne. Les partis dits populistes figurent désormais, selon les sondages, ou les dernières élections nationales, à la première ou la deuxième place, avec 20 à 25 % des voix, dans plus de la moitié des pays de l’Union européenne, regroupant les trois quarts de la population de l’ensemble. Alors qu’il y a quinze ans ils se trouvaient dans les tréfonds électoraux, sauf en France et en Autriche.

 

L’extrême droite aux deux premières places dans la moitié des pays de l’Union

Ils sont premiers, donc, aux Pays-Bas, mais aussi en France, avec le Rassemblement national, en Italie, où Giorgia Meloni est même chef du gouvernement depuis quatorze mois, en Pologne (PiS, au pouvoir jusqu’aux dernières législatives), en Belgique (N-VA), Slovaquie (Smer), Croatie (HDZ), Autriche (FPO), Hongrie (Fidesz au pouvoir). Et au deuxième rang en Finlande (où ils participent à la coalition au pouvoir), Suède (soutien sans participation), Estonie, Slovénie, Tchéquie, et surtout en Allemagne, où l’AfD, avec 22 % des voix selon les sondages et les dernières élections partielles dans des Länder, n’est plus qu’à 4 points du parti historique, la CDU-CSU. Impensable il y a quatre ans.

Ces quinze pays concentrent exactement 78 % de la population de l’Union européenne.

Les douze pays échappant au phénomène sont Malte, Chypre, Grèce, Irlande, Bulgarie, Lituanie, Lettonie, Danemark, Roumanie et Espagne. Et encore, Madrid n’a-t-il dû de ne pas figurer dans la première liste qu’à l’effondrement durant la dernière campagne des législatives du parti Vox, qui a terminé troisième, alors que les sondages lui laissaient entrevoir une deuxième place aisée.

De quoi cet essor, qui ne semble pas encore avoir atteint son apogée et laisse présager d’élections européennes… dévastatrices au printemps, est-il le signe ?

 

Le populisme, concept intellectuellement paresseux

Le concept de populisme, tout d’abord, n’est pas dénué (tout comme son cousin le complotisme, mais c’est une autre histoire) d’une certaine paresse intellectuelle, et semble surtout servir à discréditer les trublions et tout nouvel entrant sur le marché politique qui menaceraient « les gens en place et les corps en crédit », comme disait Beaumarchais.

Attention à ne pas dénoncer la « populace » avec trop de condescendance, car il ne faut pas oublier que populo désigne le peuple par lequel et pour lequel on gouverne en démocratie (même s’il faut admettre, comme disait Churchill qu’« aucun sentiment démocratique ne peut sortir complètement indemne de cinq minutes de conversation avec un électeur ordinaire »). Certes, populo, qui vient du latin, est moins chic que le grec démos, racine de démocratie, mais ne pas oublier que, à l’inverse, on retrouve démos dans « démagogie », gouverner en jouant sur les peurs et des solutions simplistes qui ne marchent pas.

Or, si les partis dont il est question ici sont clairement démagogues, ils n’ont pas l’exclusivité de la chose, les partis dits mainstream ne rechignant pas à promettre que demain on rase gratis, que le système de retraite par répartition est insubmersible, ou que ce n’est pas bien grave d’aligner 50 exercices budgétaires dans le rouge…

« Parti voulant renverser la table, ou critiquant de manière virulente la classe politique traditionnelle » semblerait donc plus pertinent, quoiqu’un peu long. À moins qu’il ne faille tout simplement les désigner comme « nationaliste », ou « souverainiste ».

 

Contre l’immigration, Bruxelles et la classe politique en place

Au-delà de différences logiques, vu leur diversité géographique et historique (certains sont impeccablement atlantistes, comme la formation de Giorgia Meloni, d’autres admirent Vladimir Poutine, comme les chefs du PVV, du RN, ou de Fidesz), ces partis semblent avoir trois points communs : un rejet viscéral de la classe politique actuelle, de l’immigration, et de l’Union européenne.

Un rejet, dangereuse déclinaison de l’éternel « tous pourris », et injuste envers une bonne partie des élus. Mais cela aiderait si la classe politique en place tendait moins le bâton pour se faire battre par certains discours condescendants, ou déconnectés de ce que vivent « les gens ».

Juste deux exemples parmi mille : le « sentiment d’insécurité contraire aux chiffres » mis en avant par le ministre français de la Justice pour estimer qu’en fait la sécurité est satisfaisante, et la dénonciation d’une « récupération » après le meurtre du jeune Thomas à Crépol, comme s’il devait être interdit aux politiques de s’exprimer sur un fait de société, en l’occurrence l’existence de bandes prêtes à tuer parce qu’elles se sont vu refuser l’entrée à un bal.

Ces partis fustigent aussi l’Union européenne, mais ne vont pas, ou plus, jusqu’à en prôner la sortie. Seul le PVV veut un référendum en vue d’un équivalent néerlandais du Brexit, et il n’est pas certain que ce projet survive aux tractations pour former une coalition.

Il faut toutefois admettre que le projet européen tel qu’il se tricote depuis Maastricht voudrait se faire détester qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Pondant interdits et obligations tatillonnes avec une régularité de poule en batterie, comme si Bruxelles était désormais en roue libre sous le contrôle désinvolte des gouvernements.

Saluons la dernière trouvaille, la tentative d’interdire les boîtes à camembert en bois. Les technocrates et férus de fédéralisme pourraient se douter que cela risque de mal finir, et qu’un jour les électeurs jettent le bébé (la respectable construction européenne de 1957-1992) avec l’eau du bain des règlementations tatillonnes donnant envie de crier « mais foutez-nous la paix ! », alourdie depuis quelques temps par une écologie punitive (qui a suscité l’essor en quelques mois, aux Pays-Bas encore, du parti anti écolo BBB devenu première formation du pays aux sénatoriales, avant de s’écrouler aux législatives de mi novembre, faute de programme national) à l’impact désastreux sur prospérité et emplois.

Mais on dirait que c’est plus fort qu’eux : interdisons, règlementons, imposons, encore et toujours.

 

Trop tard, trop peu

Enfin, et surtout, l’essor des partis nationalistes, ou d’extrême droite, illustre un rejet désormais majoritaire, parfois massif dans l’opinion (et pas seulement à droite), de l’immigration extra-civilisationnelle, c’est-à-dire appelons un chat un chat, en provenance de pays musulmans. Une immigration sur-représentée, malheureusement, dans la délinquance et la violence politique, comme l’illustrent les meurtres, ou attentats commis au cris d’Allah Akbar en France, ou en Allemagne.

Les partis de gouvernement ont compris le message, qui durcissent depuis quelques années leur politique, en mode un pas en avant deux en arrière, à l’image du parti du Premier ministre Mark Rutte, aux Pays-Bas. Trop tard, trop peu aux yeux des Néerlandais, ce qui explique qu’il ait perdu le pouvoir. Noter, toutefois, qu’on peut être dur sur l’immigration sans être « facho » pour autant, comme l’illustre la politique suivie par la coalition de centre gauche au Danemark. Pays où, sans doute pas un hasard, l’extrême droite n’existe quasiment pas. Et un parti de gauche anti-immigration vient d’être lancé en Allemagne.

Enfin, les partis anti-système profitent de l’exaspération générale sur le niveau des impôts (sans proposer eux-mêmes grand-chose de convaincant sur ce point) pour des services publics déficients et l’appauvrissement de la classe moyenne, ou du moins la stagnation en Europe du revenu net disponible hors dépenses contraintes. Selon le cabinet GFk, le revenu brut moyen par habitant dans l’Union européenne était équivalent l’an dernier à 43 245 euros, soit 31 % de plus, inflation déduite, qu’au début du siècle. Une progression d’à peine 1,15 % par an. Aucune autre grande zone économique au monde n’a enregistré un résultat aussi piteux.

 

Le brun n’est malgré tout pas à l’ordre du jour

Tout cela augure-t-il d’une « vague brune », comme le redoutent les éditorialistes ? Encore faudrait-il pour cela qu’ils soient authentiquement « bruns », c’est-à-dire fascistes. Si les mots ont encore un sens, cela impliquerait qu’ils cochent peu ou prou les six principales cases de la définition du fascisme reconnue par les historiens :

  1. Endoctrinement de masse
  2. Chef charismatique
  3. Fusion État/Parti
  4. Refus du multipartisme
  5. Économie au service de l’État/nation
  6. Projet d’expansion territoriale, avec en option l’antisémitisme (le parti de Mussolini ne l’était toutefois pas jusque vers 1935).

 

À peu près aucun des partis concernés ne correspond à cette définition.

S’il n’y a pas lieu de craindre un retour du fascisme, concept hyper dévoyé par des gens à la culture historique quasi nulle, en revanche, cette vague a des aspects inquiétants.

Tout d’abord, s’il est légitime de critiquer les politiques d’immigration, ou de croire très aventureux une société multi-civilisationnelle, ces partis « populistes » s’appuient généralement sur un vieux fond xénophobe. Le racisme affleure derrière les discours devenus policés. En outre, ils sont pour la plupart, hormis en Italie, très indulgents envers le Kremlin, qui n’a clairement pas que la prospérité et la stabilité de l’Europe comme priorité.

Enfin, leurs programmes ne tiennent pas debout sur le plan économique, sauf là encore en Italie (dont le gouvernement Meloni ne s’est pas révélé être fasciste, au grand dam de Libé). En raison de l’insatisfaction légitime des citoyens devant le délabrement des services publics, ou la concurrence des industries étrangères, ils proposent simplement… davantage d’argent pour les services publics, sans s’interroger sur management, concurrence, etc, c’est-à-dire davantage d’impôts et de dette, comme si on n’était pas déjà au taquet là-dessus. Et succombent aux sirènes du protectionnisme sans visiblement réaliser que les pays protectionnistes, généralement, s’appauvrissent.

Bref, il n’existe pas encore de populiste libertarien européen à la sauce Javier Milei, élu président en Argentine, qui viendrait au moins dépoussiérer le débat, voire donner un coup de pied dans la fourmilière…

Innovation : les technologies de rupture, ça n’existe pas

Le monde du management est noyé sous les mots-valises, les expressions à la mode et les concepts creux. C’est un problème parce que mal nommer un phénomène, c’est s’empêcher de pouvoir l’appréhender correctement, et donc de pouvoir le gérer.

Un bon exemple est celui de l’expression technologie de rupture, très trompeur.

Je discutais récemment avec le responsable innovation d’une grande institution, qui me confiait :
« La grande difficulté que nous avons est d’identifier parmi toutes les technologies nouvelles celles qui sont vraiment les technologies de rupture. »

Car la course aux technologies de ruptures est lancée, celles qui vont vraiment faire la différence sur le terrain, qu’il soit économique, social ou militaire.

Or, cette course repose pourtant sur une erreur, car la technologie de rupture ça n’existe pas.

 

La différence réside dans son utilisation

Ce qui fait qu’une technologie va avoir un effet de rupture, c’est la façon dont elle est utilisée. Une technologie peut être radicalement nouvelle et n’avoir aucun impact de rupture.

Par exemple, lorsque les médecins sont passés du carnet à spirales au micro-ordinateur dans leur cabinet, il y a eu un changement technologique important, qui a entraîné une amélioration de leur efficacité. Mais il n’y a eu aucun changement dans leur modèle de fonctionnement (façon dont le cabinet est organisé, le modèle économique, la structure des acteurs impliqués, etc.).

En substance, c’est la même chose, en plus efficace. C’est une amélioration dite de soutien (sustaining), au sens où elle soutient et renforce le modèle existant. Inversement, on peut entraîner une rupture très importante dans un secteur sans technologie nouvelle. EasyJet, par exemple, est un pionnier du low cost dans le domaine aérien. La rupture que cette compagnie a créée ne repose sur aucune technologie propriétaire ou nouvelle : mêmes avions, mêmes pilotes, mais un modèle de fonctionnement différent.

Ce qui va faire la différence, c’est donc la façon dont la nouvelle technologie est utilisée.

Dans le domaine militaire, le char était une invention majeure qui a émergé à la fin de la Première Guerre mondiale. L’Armée française l’a mis au service de l’infanterie, le dispersant dans les unités, en soutien de son organisation existante. Les Allemands, eux, ont constitué des unités spéciales (De Gaulle avait la même idée mais n’a pas été suivi). Ils ont repensé leur modèle tactique autour de cette nouvelle technologie. Ils en ont fait une innovation de rupture, par la façon dont ils l’ont utilisée, avec les résultats que l’on sait. Autrement dit, une technologie est de rupture en fonction du modèle qu’on développe autour d’elle pour en tirer parti.

 

La tentation du bourrage

Lorsqu’une nouvelle technologie émerge, la tentation est toujours de la mobiliser autour du modèle existant, considéré comme un invariant. C’est ce qu’on appelle le bourrage : on la force, en quelque sorte, à entrer dans le modèle existant. Ce modèle devient alors une forme de prison intellectuelle qui empêche l’innovation.

On a des chars, mais la façon dont on les utilise fait qu’on n’en tire qu’une toute petite partie du potentiel. Pour faire entrer le carré dans le rond, il faut couper tous les coins. Autrement dit, pour qu’une nouvelle technologie entre dans le modèle, il faut ignorer tout ce qui pourrait servir à créer un modèle différent.

Cela explique aussi pourquoi une nouvelle technologie est plus facilement mobilisée par un nouvel entrant pour créer une rupture : le nouvel entrant n’est pas enfermé par les modèles existants, il n’a pas d’activité historique à défendre, il n’a pas de rond dans lequel il faudrait faire entrer le carré. Il construit le rond autour du carré précisément de façon que le rond soit une rupture.

Google travaille depuis des années sur l’IA mais ne veut pas risquer son rond (son activité liée à son moteur de recherche). OpenAI, une jeune startup créée initialement comme une association à but non lucratif, le prend par surprise en utilisant l’IA de façon tout à fait différente.

L’obsession pour les technologies de rupture a des conséquences importantes : on se concentre davantage sur la technologie que sur ses applications possibles, on se consacre à l’art pour l’art. On oublie que les Allemands n’avaient pas inventé les chars, mais ce sont eux qui ont compris comment en tirer parti.

La véritable innovation ne réside donc pas dans la technologie, même si celle-ci est fondamentale. Elle réside dans la façon dont on l’utilise pour créer un avantage. Il s’agit de contester les modèles existants pour en inventer de nouveaux. Moins qu’une capacité d’invention, c’est donc l’adoption d’une posture entrepreneuriale qui permet la création d’une rupture.

Voir sur le web.

Comment réconcilier les irréconciliables ?

Un récent article sur l’islam m’a valu quelques critiques, et cette question ironique, si j’avais d’autres articles aussi curieux à proposer. Hélas oui, la mine n’en est pas épuisée.

Un jour les Israéliens seront à nouveau en paix avec leurs voisins palestiniens. Ils auront, on l’espère, exercé dans les bornes les plus strictes leur droit à la légitime défense, et employé avec mesure le dangereux appareil de la guerre. Mais la paix est un idéal négatif, qui n’évoque qu’un monde sans violence. Ne peut-on pas au surplus se respecter, s’entendre, se réconcilier ?

La géographie et l’histoire se mêlent pour dresser devant nous des situations difficiles. Lorsque les républicains chinois sont chassés du pouvoir, ils se réfugient sur une petite île à 160 kilomètres des côtes qu’ils doivent quitter, et ils y fondent un gouvernement de sécession. L’île de la Grande-Bretagne est séparée d’à peine 20 kilomètres des côtes d’Irlande, de sorte que par temps clair on en aperçoit les falaises. Français et Allemands ne sont séparés que par un fleuve de 200 mètres de largeur, bien faible rempart contre les velléités d’une armée. Il y a par le monde beaucoup de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas.

Sur un même territoire (les États-Unis), les descendants de colons européens ont dû aussi apprendre à vivre au milieu des descendants d’esclaves qu’ils avaient transportés, opprimés puis émancipés, de même qu’avec les indigènes dont ils avaient accaparé les terres.

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

 

Les différents moyens de réconciliation

À les en croire, la première condition à obtenir est la suppression des barrières légales qui empêchent les peuples de s’unir d’eux-mêmes.

En Irlande, il fut un temps interdit à tout Anglais d’adopter le costume et jusqu’à la moustache irlandaise, de même que d’épouser une Irlandaise catholique. Un catholique ne pouvait occuper un emploi public, ni acquérir une propriété. Des barrières douanières s’assuraient que l’industrie textile irlandaise ne prospérait pas (Gustave de Beaumont, De l’Irlande, 1863, t. I, p. 43, 99, 111.). Il fallait donc, en priorité, obtenir l’abolition de ces lois.

La pratique stricte de la justice est, elle, essentiellement pacificatrice.

Aux États-Unis, écrit Charles Comte, ce n’est pas l’oubli de l’histoire, l’abolition des couleurs et des races, qu’il faut ambitionner, mais l’installation d’une justice impartiale et de l’égalité réelle devant la loi.

« Il faut faire, autant que cela se peut, que tous les hommes jouissent d’une protection égale ; il faut que les mêmes qualités ou les mêmes services obtiennent les mêmes récompenses, et que les mêmes vices ou les mêmes crimes soient suivis de peines semblables. » (Traité de législation, 1827, t. IV, p. 496).

L’orgueil de race, cependant, est lent à mourir. Pour le vaincre, il n’est peut-être guère d’autre recours que la liberté des mariages.

À son retour d’Amérique, Gustave de Beaumont soutient que « les mariages communs sont à coup sûr le meilleur, sinon l’unique moyen de fusion entre la race blanche et la race noire » (Marie ou de l’esclavage aux États-Unis, 1835, t. II, p. 317). Mais il faut pour cela vaincre à la fois l’opinion, qui réprouve ces unions, et la loi, qui parfois les interdit ou les déclare nulles.

La mobilisation de l’opinion publique contre les haines nationales, raciales, religieuses, est fortement appuyée par Frédéric Bastiat dans sa défense de la liberté des échanges. Ce sont pour lui des sentiments « pervers » et « absurdes », qu’il est plus encore utile d’éradiquer que le protectionnisme lui-même (Œuvres complètes, t. VI, p. 382 ; t. I, p. 167). Les deux maux se tiennent cependant : le libre-échange est pacificateur et unificateur de son essence, car il fait de l’étranger un ami (Idem, t. II, p. 271).

 

Ne pas céder au découragement

Les haines nationales, religieuses, raciales, paraissent toujours insurmontables aux générations qui les constatent et les combattent. Mais aussi elles meurent, ou faiblissent. L’Anglais et l’Irlandais ne forment pas une union fraternelle, mais le temps n’est plus où le premier enfermait des prisonniers dans des cavernes et y mettait le feu pour les enfumer, où l’autre exprimait sa vengeance en organisant le rapt et le viol des femmes ou des filles des propriétaires anglais qu’il voulait punir. De même la cohabitation des Noirs et des Blancs aux États-Unis a progressé.

Le libéralisme est porteur d’un idéal dont l’application est difficile, les victoires lentes et jamais acquises. Ce n’est pas un motif pour se décourager, mais pour œuvrer à un progrès qu’à peine peut-être nous entreverrons. La liberté, disait Édouard Laboulaye, est une œuvre qui ressemble à ces cathédrales qu’élevait le Moyen Âge : ceux qui les commençaient n’ignoraient pas qu’ils n’en verraient pas la fin. Ou, pour reprendre une autre image, empruntée à Edmond About, nous faisons la cuisine de l’avenir. Nous vidons les poulets et nous tournons la broche, pour que nos arrière-neveux n’aient plus qu’à se mettre à table et à dîner en joie.

À ce titre, combattre les haines nationales, raciales et religieuses, et accompagner les réconciliations, est une œuvre de la plus grande utilité.

Tensions sociales en France : l’étatisme à l’origine du chaos

Alors que la France est aujourd’hui confrontée à des tensions sociales et ethniques d’une ampleur inédite dans son histoire contemporaine, la principale réponse politique consiste à réclamer un renforcement du rôle de l’État. Cet automatisme étatiste est pourtant ce qui a conduit le pays dans son impasse actuelle.

 

Depuis la fin des années 1960, l’État a construit un arsenal sans précédent de politiques sociales censées corriger les inégalités et prévenir les conflits supposément inhérents à la société française. Las, non seulement ces politiques n’ont pas empêché la montée des tensions, mais elles les ont largement alimentées.

Tout d’abord, l’augmentation significative du salaire minimum en France, initiée en juin 1968 et poursuivie au cours des quatorze années suivantes, a eu des répercussions notables sur l’accès des jeunes issus de l’immigration au marché du travail légal. Dès les années 1970, le niveau élevé du SMIC a rendu coûteuse leur embauche pour les employeurs, poussant ainsi ces jeunes vers l’économie souterraine et ses divers trafics.

Après un certain âge, les jeunes des quartiers qui parvenaient finalement à accéder à l’emploi bénéficiaient de contrats subventionnés, financés par des milliards alloués aux réductions de charges sociales. Cette stratégie visait à atténuer le risque d’un chômage de masse, conséquence directe du niveau élevé du salaire minimum.

 

Parallèlement, les politiques de logement de masse en faveur des immigrés, amorcées elles aussi au cours des années 1960, ont créé une incitation puissante à la venue et au maintien sur le territoire français de nouveau immigrés, surtout d’Afrique du Nord. L’État s’est trouvé pris au piège de ces politiques dès les années 1970, étant donné l’impossibilité de procéder à des expulsions massives face à des grèves de loyers généralisées dans les logements sociaux.

Pire, l’État a, involontairement, encouragé les activités illicites et la violence en dirigeant des financements vers les quartiers sensibles. Ces fonds, alloués à travers diverses allocations et programmes sociaux, tels que des salles de sport, des maisons de jeunes et des programmes d’éducation prioritaire, ont représenté des milliards de francs, puis d’euros. Autrement dit, plus un quartier générait de désordres et de violences, plus il recevait de subsides de la part de l’État.

Difficile dans ces conditions de s’étonner que la délinquance et les comportements violents soient enracinés au sein de communautés vivant depuis des décennies, non pas de l’échange marchand librement consenti, mais de trafics illicites et de l’extorsion des subventions étatiques.

 

Certes, diront certains, l’État a largement échoué dans ses politiques sociales.

Mais maintenant qu’il est question d’insécurité croissante, ne revient-il pas à ce même État d’intervenir énergiquement ? Là encore, le bilan des dernières décennies devrait inciter à la prudence. Même dans le domaine de la sécurité, l’État a failli à assurer un degré élevé de protection des personnes et des biens, et a parfois même aggravé la situation.

Ainsi l’État s’est-il lancé dans les années 1970 dans une politique migratoire visant à restreindre les mouvements de personnes, que rendaient pourtant inéluctables les révolutions dans les transports et les communications à l’échelle mondiale, sans parler des incitations créées par les politiques sociales elles-mêmes. Cette politique migratoire restrictive a surtout eu pour effet de grossir les rangs des migrants clandestins.

Ces derniers, ayant souvent dépensé toutes leurs économies pour payer les réseaux criminels facilitant leur passage irrégulier, se retrouvaient endettés et parfois contraints à la criminalité par ces mêmes réseaux. Face à cette situation, l’État a opté pour des régularisations périodiques des clandestins, tentant ainsi de les intégrer, de les éloigner de la marginalité et de la criminalité, mais consolidant paradoxalement un circuit d’immigration irrégulière.

En opposition à la criminalité ainsi alimentée par les politiques publiques, n’oublions pas que la majorité des services de sécurité est assumée par des acteurs privés, via les installations anti-intrusion, les sociétés de surveillance, ou les instruments de défense personnelle. Autant de preuves que le marché libre est souvent plus efficace que l’État pour répondre à ce type de besoins.

Ces observations conduisent à un constat clair : les politiques étatiques des dernières décennies ont échoué à atténuer les tensions sociales et ethniques ainsi que l’insécurité. Loin de réduire les inégalités, ces politiques n’ont fait que renforcer la spirale de la violence dans les quartiers en confortant indirectement les comportements délinquants.

Il est urgent de tirer les leçons de l’échec manifeste des politiques actuelles et de rompre avec l’illusion étatiste. Cela implique, à terme, de renoncer à des politiques migratoires inefficaces et contreproductives. Mais plus immédiatement cela nécessite de mettre fin à l’excès de réglementations, d’allocations et de programmes sociaux qui, sous couvert de justice sociale, ont mené à l’exclusion et à la mauvaise utilisation des fonds publics.

Seul un changement de paradigme, avec un désengagement de l’État au profit du marché libre, permettra de restaurer les incitations positives à la responsabilité individuelle et de renforcer le lien social. C’est de cette manière que la France retrouvera cohésion, stabilité et prospérité.

Les multinationales françaises : des pépites à choyer

Un article de Philbert Carbon.

 

L’Insee dresse un portrait des multinationales françaises dans une note récente. Par firme multinationale française, l’institut désigne un groupe de sociétés (hors services non marchands et filiales bancaires) dont le centre de décision est situé en France et qui contrôle au moins une filiale à l’étranger.

 

Les multinationales françaises réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires à l’étranger

En 2021 (année sur laquelle porte la note), elles contrôlaient 51 000 filiales dans plus de 190 pays. Ces filiales employaient 6,9 millions de salariés, ce qui représentait 56 % des effectifs des firmes dont elles font partie. Elles réalisaient un peu plus de la moitié (52 %) du chiffre d’affaires consolidé total des firmes multinationales françaises, ce qui représentait 1566 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel consolidé. Précisons qu’il s’agit du chiffre d’affaires généré par les filiales présentes à l’étranger et non pas des ventes réalisées par la firme multinationale à l’étranger.

Le document nous apprend, par ailleurs, que les grandes firmes (celles qui emploient au moins 5000 personnes en France ou réalisent un chiffre d’affaires annuel consolidé sur le territoire national supérieur à 1,5 milliard d’euros) regroupent 43 % des filiales à l’étranger, emploient 76 % des effectifs et réalisent 83 % du chiffre d’affaires consolidé total.

Si l’Insee précise que les autres multinationales – de taille intermédiaire et de taille petite ou moyenne– réalisent la majorité de leur chiffre d’affaires en France, il n’indique pas le pourcentage exact du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger pour chacune des catégories d’entreprises. Nous ne savons pas non plus quel est le nombre de ces multinationales. Deux informations pourtant essentielles pour bien appréhender le sujet !

La note de l’Insee datée du 13 décembre 2019, qui traite des données de 2017, était à cet égard plus complète. Nous savions alors que notre pays comptait 4600 multinationales, dont 160 grandes firmes et 1510 entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les 3230 restantes étaient donc des sociétés dites de taille petite ou moyenne (c’est-à-dire employant moins de 250 personnes en France et réalisant un chiffre d’affaires annuel consolidé sur le territoire national inférieur à 50 millions d’euros).

Il faut se tourner vers le cabinet de conseil EY et son « Profil financier du CAC 40 » pour apprendre que l’activité internationale des entreprises composant l’indice phare de la bourse de Paris a représenté, en 2022, plus de 78 % de leur chiffre d’affaires. Certes, le chiffre ne porte que sur 40 entreprises et il ne mesure pas la même chose, mais il permet de comprendre que nos grandes entreprises n’ont besoin que marginalement de la France pour faire des affaires.

 

Les multinationales françaises sont surtout présentes en Europe

La note de l’Insee nous apprend également que les filiales des multinationales françaises sont, contrairement à ce que l’on croit souvent, essentiellement implantées dans les pays développés. Les trois premiers pays d’implantation, qui regroupent un quart des filiales, sont les États-Unis (10,2 % avec 5200 filiales), l’Allemagne (8 % avec 4100 filiales) et le Royaume-Uni (7,3 % avec 3700 filiales). La Chine occupe la cinquième place avec 5,5 % des filiales. Le top 10 – dans lequel figurent, outre les quatre pays déjà cités, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse et le Canada – abrite 54,3% des filiales. Plus de la moitié des filiales sont implantées en Europe.

En termes d’effectifs, le classement est quelque peu différent, même si les Etats-Unis restent à la première place avec 10,9 % (et 754 000 salariés). Dans le top 10, nous voyons, en effet, apparaître des pays où le coût de la main-d’œuvre est réputé bas : l’Inde (7,5 % des effectifs, soit 520 000 personnes), le Brésil (7,5 %), la Pologne (3,4 %) et la Russie (2,8 %, mais c’était avant la guerre en Ukraine et l’embargo).

C’est sans doute ce qui explique que le coût salarial par tête dans les filiales implantées à l’étranger est en moyenne de 38 900 euros par an, contre 63 300 euros pour les établissements implantés en France.

Enfin, en ce qui concerne le chiffre d’affaires, les États-Unis occupent encore la tête du classement avec 325 milliards d’euros générés, soit 20,8 % du total. Ils sont suivis par l’Allemagne (8,8 % et 135 milliards), le Royaume-Uni (6,8 % et 107 milliards), l’Italie (6,4 % et 101 milliards), la Chine (6,1 % et 96 milliards). Les dix premiers pays – dans lesquels figurent aussi l’Espagne, la Belgique, la Suisse, le Brésil et les Pays-Bas – génèrent 68 % du chiffre d’affaires. Les filiales implantées dans l’UE ne produisent que 36,5 % du chiffre d’affaires à l’étranger des multinationales françaises (soit 572 milliards).

On remarquera, en rapprochant les différentes données, que le meilleur « rendement » est réalisé par les filiales américaines qui, avec moins de 11 % des effectifs, génèrent presque 21 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des implantations françaises à l’étranger.

 

Où sont réalisés les bénéfices ?

En ce qui concerne les profits, la note de l’Insee est muette. C’est regrettable, car nous aurions pu ainsi apprécier si les multinationales françaises gagnent autant d’argent qu’on le dit dans les pays à bas coûts.

Néanmoins, nous pouvons nous référer à une étude de la Banque de France sur la contribution des investissements directs à l’étranger des groupes du CAC 40. Même si elle date de 2013 et qu’elle porte sur la période 2005-2011, elle est riche d’enseignements. Elle révèle, en effet, qu’en 2011, 60 % des résultats nets des groupes du CAC 40 étaient réalisés à l’étranger (alors que la proportion était d’environ 50 % en 2005). Douze groupes réalisaient même plus de 75 % de leurs profits à l’étranger (contre dix en 2005).

Plusieurs raisons expliquent cette hausse selon la Banque de France : bien sûr, l’augmentation des investissements à l’étranger ; probablement, une recherche d’optimisation fiscale qui a pu conduire certains groupes à enregistrer une part croissante de leurs profits dans des pays à fiscalité avantageuse ; et, raison la plus inquiétante, l’écart de compétitivité croissant entre la France et le reste du monde. Cet écart s’étant encore agrandi depuis 2011, il est ainsi probable que la part des bénéfices réalisés à l’étranger par les grands groupes français ait aussi augmenté. Si Total Énergies est accusé de ne payer que peu d’impôts en France (à peine 2 milliards d’euros sur les 30 milliards d’impôts et taxes acquittés au total), c’est bien parce que le groupe réalise la quasi-totalité de ses bénéfices à l’étranger

Même si investir et produire à l’étranger rapporte plus qu’en France, ces multinationales restent françaises. Cependant, le risque qu’elles transfèrent un jour leur centre de décision hors de France n’est pas nul. C’est pourquoi, le Gouvernement devrait les choyer. Au lieu de cela, il préfère les vilipender.

Dernièrement, Bruno Le Maire, le ministre des Finances, ne s’en est-il pas pris aux grands industriels de l’agroalimentaire qui font « des marges indues » ? Il y a un an, le président Macron ne montrait-il pas du doigt Total Énergies qui fait des « profits importants », distribue « beaucoup d’argent » aux actionnaires mais traîne des pieds pour ouvrir des négociations sur les salaires ? Le gouvernement n’a-t-il pas cherché à taxer les « superprofits » de l’armateur CMA-CGM, ou les raffineries de Total Énergies ?

Attirer à Paris les banques londoniennes ou le siège de la FIFA avec un régime de faveur est une chose, comme subventionner les usines de batteries (1,5 milliard d’euros pour ProLogium à Dunkerque). Il ne faudrait pas oublier nos pépites nationales. Rappelons-nous des déconvenues récentes de Bridor en Bretagne ou du groupe Duc en Bourgogne. Ces entreprises ne demandent pas l’aumône, mais simplement de pouvoir investir aussi en France et y gagner de l’argent !

Sur le web.

[Enquête II/II] Les victimes de Wagner au Mali souhaitent le retour de Barkhane

Cet article constitue la seconde partie de mon enquête sur le double ethnocide des Touareg et des Peuls au Mali, dont le premier volet a été publié le 20 novembre. Pour mieux comprendre l’effondrement sécuritaire et humanitaire que traversent les populations peules et touarègues du nord du Mali, j’ai interrogé les victimes de Wagner sur l’évolution de leurs conditions d’existence depuis le départ des Français.

Depuis deux ans, le régime putschiste installé à Bamako ne cesse d’accuser la France, tantôt de « néocolonialisme », tantôt d’« abandon », mettant en avant le slogan de la « souveraineté retrouvée du Mali ». Dans les faits, la junte de Bamako a transféré son autorité aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, et s’aligne publiquement sur les positions du Kremlin.

Au nord du Mali, les témoins Peuls et Touareg ont constaté une « amplification de l’insécurité » depuis le départ de Barkhane. Tous, à leur manière, m’ont confirmé que « les jihadistes ont repris du terrain » et que leurs attaques se sont « multipliées ». D’autre part, ils ont fait la connaissance des « monstres » de Wagner.

 

Les Forces Armées du Mali (FAMa) sous commandement russe ?

Sur le terrain en tout cas c’est limpide. Les témoins des crimes de Wagner ont pu observer à de nombreuses reprises la subordination des soldats maliens aux paramilitaires russes. Si les forces armées maliennes participent aux crimes de guerre des Wagner, il semble que les soldats maliens soient aussi victimes d’exactions de la part des paramilitaires russes.

Lorsque j’ai demandé aux victimes de Wagner de se souvenir comment ces derniers se comportaient avec les FAMa au moment des massacres et des pillages, j’ai entendu des réponses plus ou moins détaillées mais qui allaient toutes dans le même sens que celle donnée par ce berger peul : « les FAMa sont aux ordres des Wagner ».

Certains témoins ont décelé de la « frustration » parmi les militaires maliens tenus à l’écart lors des réunions de commandement ou forcés à obéir sous peine d’être torturés ou exécutés. Le 9 octobre 2023, à Anéfis, plusieurs civils ont vu 6 soldats maliens se faire égorger ou fusiller par des éléments de Wagner à la suite d’un désaccord sur le partage des biens pillés et sur le sort à réserver aux populations locales.

Le régime de Bamako n’a pas retrouvé sa souveraineté en rompant ses accords de coopération militaire avec la France. Il l’a transférée à une milice paramilitaire qui dirige, dans les faits, son armée régulière.

 

« Ne comparez pas Barkhane et Wagner. Ils sont comme l’eau et le lait » 

Les témoins Peuls et Touareg avec lesquels j’ai pu échanger ont vécu à proximité de bases militaires françaises qui ont été investies par le groupe Wagner et les Forces Armées Maliennes (les FAMa) à la fin de l’opération Barkhane. Ils décrivent l’arrivée de Wagner comme un changement de monde. Le professionnalisme de l’armée française a cédé la place à la barbarie des paramilitaires russes :

« La force Barkhane était respectueuse des gens, ils sont bien éduqués, polis. Barkhane aidait les gens. Wagner n’est comparable qu’avec l’armée malienne ou les terroristes. C’est des gens sans foi ni loi. »

« Barkhane ne s’attaque pas aux civils sans armes. Wagner attaque les civils et les animaux. Barkhane respect les droits de l’homme contrairement à Wagner à qui le gouvernement du Mali a donné carte blanche pour exterminer les touaregs et les arabes. »

« Wagner tue à sang froid, alors que barkhane au pire ils arrête et emmène les gens dans leur hélicoptère »

« Wagner et barkhane c’est ni le même comportement ni le même mode opératoire ni la même mission. Barkhane cherchais des terroristes. Tout ceux qui ont des liens avec les terroristes peuvent être arrêtés avec l’espoir de si aucune preuve irréfutable n’as été trouvé ils serrons remis en liberté mais Wagner c’est tout as fait le contraire. Tout ceux qu’elle croise en brousse sont des terroristes ou des rebelles qu’il faut abattre à tout prix. Tels sont les ordres qui leurs ont été donné par les militaires aux pouvoirs. »

« Barkhane donnait des médicaments et finançait des projets. Mais par contre Wagner brûlent, volent et torturent. »

 

Une armée régulière respectueuse des droits de l’Homme : avant son départ, l’armée française avait bâti des liens de confiance avec les populations locales

Au nord du Mali, le démantèlement de Barkhane a entraîné une hausse du chômage et de l’insécurité. Ceux qui ont côtoyé les soldats français témoignent de rapports respectueux et d’actions de solidarité qui contrastent considérablement avec les exécutions, les arrestations arbitraires et les pillages menés par le groupe Wagner :

« Barkhane respectait le DIH [Droit International Humanitaire] en t’arrêtant ils cherchaient d’abord les pièces d’identification, ils passaient tes doigts dans leurs machines ce qui permettait de t’identifier facilement, dès que cela est fait il te posait des questions de routines sur ton voyage, ta personne rien de compliqué. Mais c’est carrément tout le contraire avec Wagner qui est au service du gouvernement, il est en quelques sortes la Main de Guerre de ce gouvernement de Transition qui tue avec lâcheté les paisibles citoyens pour qui leurs seules crimes est l’appartenance au nord du Mali »

« Barkhane chez nous dans région Menaka et contribuait à la stabilite sociale. Elle faisait des patrouilles hors la ville et la ville était bien sécurisée. Ils organisaient des tournois entre eux et les quartiers et les quartiers entre eux même. Au faite l’idée de les chassés était une décision irréfléchie ils ont laissé un grand vide sur tout les plans »

« Les forces barkhane étaient présentes et avaient quelque interactions avec les populations en intervenant dans plusieurs domaine dont le principal était la sécurité mais aussi en faisant des programmes d’aide sociale. »

« Barkhane était dans notre zone. J’étais dans la zone de Bir Khan de 2014 à 2019, et je n’ai vu aucun mal de Barkhane envers les habitants. Au contraire, j’y vois un soulagement et une sécurité pour la zone. Par exemple, il a sécurisé la voie publique, et je ne l’ai jamais vu arrêter un innocent. Je les ai également vus effectuer des patrouilles d’infanterie à Birr presque la nuit. Il était 3 heures du matin, mais aucun d’eux ne m’a parlé. »

« Chez nous a douentza, barkhane finançait les projets, ils sont humains »

« Les forces barkhane nous soutenait, ils nous apportait les nourritures et médicaments »

 

La grande majorité des victimes de Wagner interrogées souhaitent le redéploiement de Barkhane au Mali

Les réponses des victimes de Wagner tranchent singulièrement avec la propagande anti-française de la Russie, et avec les mots durs de la junte bamakoise sur la coopération militaire entretenue ces dix dernières années avec la France.

À la question fermée « êtes-vous favorable à une intervention de l’armée française et des armées européennes pour neutraliser Wagner » je n’ai pas reçu une réponse négative. La grande majorité des témoins que j’ai interrogés m’ont répondu « oui » (« oui, que Dieu fasse », « Oui et dans le plus vite », « Oui, oui, oui, oui, oui », « oui, à 1000 % et je les soutiendrai de toutes mes forces », « totalement, oui »…) sans distinction d’ethnie ni de classe sociale. Qu’ils soient Peuls ou Touaregs, notables en exil, chômeurs, bergers, mères au foyer, les victimes de Wagner et de la junte bamakoise sont favorables au redéploiement de la mission anti-terroriste de Barkhane et ont vécu son retrait comme une « erreur » et un « abandon ». Sur l’ensemble des témoins que j’ai consultés sur cette question, je n’ai pas entendu une réponse négative. Un jeune commerçant et une mère au foyer Touareg ont apporté des nuances à l’élan d’enthousiasme que ma question suscitait chez leurs coreligionnaires. Le premier m’a confié douter que la France n’intervienne. Selon lui « Le problème est que Wagner représente la Russie et aucun pays du monde n’osera s’attaquer au Wagner car s’attaquer au Wagner c’est s’attaquer à la Russie « . La seconde m’a confié qu’elle était plus favorable à une solution diplomatique qu’à la « voie des armes et de la force ».

Il ne s’agit bien sûr que d’un symbole, leurs témoignages (rapportés, qui plus est) ne pouvant servir de mandat. Cependant leurs réponses permettent de nuancer la propagande anti-française déployée par les juntes sahéliennes, par les médias africains anciennement financés par la galaxie Prigogine et par les discours de Moscou présentant la France comme une puissance coloniale en Afrique.

Depuis 2016, la Russie a réinvesti le continent africain en se présentant comme une alternative à l’« impérialisme français » en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso… En instaurant un régime de terreur au nord du Mali, les paramilitaires de Wagner ont contribué à faire renaître un sentiment pro-français. La présence militaire française au Sahel n’a pas été sans bavures, mais contrairement à Wagner, les soldats français respectaient, soutenaient et protégeaient les populations locales. Et elles s’en souviennent.

Dissolution des Soulèvements de la Terre : les décroissantistes mènent la danse jusqu’au Conseil d’État

Le 25 mars 2023, s’est déroulée une sorte de répétition du 29 octobre 2022 à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres : une manifestation de protestation – interdite – contre les réserves de substitution baptisées « méga-bassines » avec trois cortèges, dont un réputé « familial » et un autre équipé pour une guérilla campagnarde.

Entretemps, le 10 décembre 2022, une opération de sabotage a causé d’importants dégâts contre la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air, près de Marseille. Cette action de sabotage, non revendiquée par un groupe, aurait été « soutenue » par les Soulèvements de la Terre.

Le 22 avril 2023, une manifestation contre la future (ou ex-future ?) autoroute A69 Castres-Toulouse à Saïx, a eu lieu dans le Tarn. Elle fut calme et bon enfant, peut-être parce que le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer avait annoncé le 28 mars 2023, lors des questions au gouvernement, qu’il engageait la procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre.

Le 7 mai 2023, s’est tenue une manifestation contre le contournement est de Rouen à Léry-Poses (Eure) ; elle aurait été « folklorique » avec, par exemple, le creusement d’un trou censé être une mare à tritons, n’eût été une opération de cloutage d’arbres susceptible de mettre en péril à l’avenir l’intégrité physique des bûcherons et autres travailleurs du bois, et le blocage de l’autoroute A13.

Le 11 juin 2023, s’est tenue une manifestation dans la région nantaise contre « l’extension des carrières de sable », « le maraîchage industriel » et « la surconsommation de béton ». Des cortèges passaient, sans doute par hasard (ironie), près des parcelles expérimentales en agroécologie de la Fédération des Maraîchers Nantais. Les bâches des serres ont été lacérées, les tableaux électriques et les systèmes de goutte-à-goutte détruits, les cultures arrachées. La police n’est pas intervenue. Une autre action quelques kilomètres plus loin a consisté à arracher une parcelle de muguet chez un producteur, et à la remplacer par des semences (dites) paysannes de sarrasin. C’est ce que Pleinchamp a appelé « Les saccages au nom de l’écologie ». Pas sûr… la grande cause a peut-être été instrumentalisée pour assouvir des animosités et ressentiments personnels. Et c’est l’avenir, précisément écologique, qu’on a saccagé.

Il y eut, le 17 juin 2023, une manifestation – interdite – contre le chantier d’une nouvelle ligne ferroviaire avec un tunnel de base entre Lyon et Turin ; elle aurait été calme s’il n’y avait eu une brève occupation de l’autoroute A43 et des échauffourées au niveau de Saint-Rémy-de-Maurienne, en Savoie.

À partir du 18 août 2023, un « convoi de l’eau », était censé constituer une mobilisation contre les « méga-bassines ». Parti de Sainte-Soline il devait arriver à Paris le 27 août 2023. Ayant été dissout entre-temps, les Soulèvements de la Terre n’en était plus co-organisateur. En cours de route, cependant, le 20 août 2023, un green du golf de Beaumont-Saint-Cyr a fait l’objet d’un acte de vandalisme signé du logo des Soulèvements de la Terre, paraît-il non planifié. Les gendarmes ont dispersé les intrus, sans procéder à des interpellations.

Il y eut, le 21 octobre 2023, une nouvelle manifestation contre l’autoroute A69 Castres-Toulouse. À la clé : des grilles arrachées, un déluge de jets de pierres sur les façades vitrées d’une société de terrassement, Bardou Promotion, et un début d’incendie chez le cimentier Carayon, occasionnant des dégâts sur une cabine de chantier, trois camions-toupies et un engin de travaux publics.

 

Prudence ou tergiversations gouvernementales ?

Annoncé le 28 mars 2023, lors des questions au gouvernement, le décret de dissolution s’est fait attendre, et on peut prendre cela tant comme le résultat de la complexité juridique du dossier que comme une hésitation – un problème de « en même temps » – au sein du gouvernement. 

Poussé par le président de la République lors du Conseil des ministres du 14 juin 2023, le gouvernement a tablé un projet lors de la session du 21 juin. Le décret a été signé le même jour.

Il se fonde principalement sur l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure : 

« Sont dissous, par décret en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». 

 

Il est longuement motivé, avec une description détaillée – bien plus que notre résumé ci-dessus – des faits et gestes invoqués à l’appui de la décision.

Par exemple, après une description détaillée des actes de vandalisme dans la région nantaise :

« … que ces faits de dégradation, méthodiquement planifiés et exécutés, confirment que la violence loin d’être fortuite ou accidentelle, constitue un mode d’action parfaitement théorisé et assumé de la part du groupement, quel que soit le lieu de la manifestation ou la cible visée ».

 

Le Conseil d’État au secours des Soulèvements de la Terre

Le décret a fait, bien évidemment, l’objet d’une procédure contentieuse devant le Conseil d’État. Le référé suspension a prospéré le 11 août 2023 (communiqué de presse du Conseil d’État). En bref, il a été estimé, d’une part, que la dissolution des Soulèvements de la Terre porte atteinte à la liberté d’association et crée pour les requérants une situation d’urgence (ce qui rendait la requête admissible).

Et d’autre part que :

« Au stade du référé, les éléments apportés par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer pour justifier la légalité du décret de dissolution des Soulèvements de la Terre n’apparaissent pas suffisants au regard des conditions posées par l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure ». 

 

Les Soulèvements de la Terre a également gagné dans la procédure quant au fond le 9 novembre 2023 – contrairement à trois associations (GALE, Alvarium et CRI) ; on peut dire doublement gagné, le Conseil d’État n’ayant pas suivi le rapporteur public qui recommandait la confirmation de la dissolution.

Isolons-le du chapô du communiqué de presse :

« Une dissolution est justifiée […] si une organisation incite, explicitement ou implicitement, à des agissements violents de nature à troubler gravement l’ordre public. Peut constituer une telle provocation le fait de légitimer publiquement des agissements d’une gravité particulière ou de ne pas modérer sur ses réseaux sociaux des incitations explicites à commettre des actes de violence. »

 

Il faut déduire de cette considération que le Conseil d’État n’a pas jugé suffisamment graves les faits portés dans l’exposé des motifs du décret du gouvernement ni, peut-être, les autres faits qui sont de notoriété publique. Selon sa décision, s’agissant des provocations à la violence contre les personnes et de Sainte-Soline :

« … Par ailleurs, si, […] plusieurs dizaines de membres des forces de l’ordre ont été blessés lors de heurts avec les manifestants, cette seule circonstance, alors même que certains des auteurs de violence se seraient réclamés des Soulèvements de la Terre, ne constitue pas une provocation imputable au groupement au sens des dispositions citées au point 3. »

 

Et, à propos des atteintes aux biens :

« 12. la décision de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait […] ne peut être légalement prononcée que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public par ses agissements. Si des provocations explicites ou implicites à la violence contre les biens […] sont imputables au groupement de fait Les Soulèvements de la Terre, et ont pu effectivement conduire à des dégradations matérielles, il apparaît toutefois, au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu’elles ont pu avoir, que la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public. »

 

Il est sans doute permis de penser que les Soulèvements de la Terre doit peut-être son salut à l’action des forces de l’ordre qui ont empêché un saccage à Sainte-Soline ! Et que cette décision constitue une autorisation de vandaliser, pourvu que les « effets réels » restent dans des limites non précisées, sans être nuls.

De fait, au considérant 10, après une longue énumération de faits et de prises de position :

« Si le groupement soutient que ces prises de position participeraient d’un débat d’intérêt général sur la préservation de l’environnement et s’il en revendique la portée « symbolique« , ces circonstances sont, par elles-mêmes, sans incidence sur leur qualification de provocation à des agissements violents contre les biens. »

 

À l’Assemblée nationale le constat est différent et implacable 

L’organisation les Soulèvements de la Terre est coresponsable du déferlement des violences de Sainte-Soline.

Parallèlement, faisant suite à une proposition de résolution déposée par les présidents des groupes Renaissance et Horizons, l’Assemblée nationale a mis en place le 10 mai 2023 une « commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements ».

La Commission a clôturé ses travaux le 7 novembre 2023 – deux jours avant l’arrêt quant au fond du Conseil d’État – sur un rapport d’une portée générale mais particulièrement fourni sur une constellation particulière.

Le communiqué de presse est particulièrement clair :

« Au terme des travaux de la commission d’enquête, le rapporteur conclut à la responsabilité écrasante des trois organisateurs – les Soulèvements de la Terre, Bassines non merci! et la Confédération paysanne dans le déferlement des violences constaté à Sainte-Soline le 25 mars 2023. 

Le rapporteur relève, dans les jours ayant précédé le rassemblement, les préparatifs et actions peu conformes à l’ambition affichée d’un rassemblement apaisé et pacifique. Tous les éléments recueillis par la commission d’enquête indiquent au contraire que les organisateurs de la manifestation de Sainte-Soline se sont pensés avant tout comme des soldats d’une cause intégrant pleinement l’enjeu et la nécessité de la radicalité violente

En outre, les trois organisations ont refusé le dialogue avec les services de l’État, rendant impossible la formalisation d’un véritable dispositif prévisionnel, tant en matière de maintien de l’ordre que d’évacuation des blessés. Le bilan humain dressé par le procureur de la République est lourd : 48 gendarmes blessés dont deux en urgence absolue ; trois manifestants en urgence absolue ; deux journalistes en urgence relative. »

 

Citons deux phrases du rapport d’enquête :

« L’enchainement des évènements préalables au rassemblement de Sainte-Soline met également en lumière une dégradation progressive du climat politique et psychologique quelques jours avant la date prévue du rassemblement, donnant lieu à des préparatifs et des actions peu conformes à l’ambition affichée d’un rassemblement apaisé et pacifique.

[…]

Au total, la responsabilité des trois organisateurs dans le déferlement de violences constaté à Sainte-Soline est absolument écrasante. Votre rapporteur, compte tenu des éléments recueillis par la commission d’enquête, a acquis la conviction que loin d’être un tragique dérapage, les violences commises le 25 mars, en particulier contre les forces de l’ordre, s’inscrivent dans une démarche assumée de confrontation, au risque d’atteintes à des vies. »

 

Ce sont les idées décroissantistes qui posent problème, bien plus que les organisations qui les portent

On peut gloser sur la pertinence et l’opportunité d’une dissolution des Soulèvements de la Terre, une sorte de holding à l’évidence bien structurée mais informelle de la contestation et de l’activisme. 

Une dissolution ne sert à rien si on ne s’attaque pas aux idées. Et c’est un ensemble de compétences et de savoir-faire qui trouverait sans aucun doute à s’exprimer et se valoriser sous une autre forme. 

Ou se faire instrumentaliser car, ne nous leurrons pas, toutes les causes promues ne s’inscrivent pas dans le grand idéal du « sauver la planète ». Ainsi, dans la région maraîchère nantaise, l’accès à la terre est notoirement difficile pour certains…

Ou encore se faire déborder ainsi qu’en témoignent des actes de sabotage frappant l’ensilage de maïs, actes dénoncés par… la Confédération Paysanne, un partenaire majeur des Soulèvements de la Terre.

C’est sur le fond que la décision du Conseil d’État nous paraît constituer un problème fondamental pour notre société. Que faut-il déduire, par exemple, du constat suivant qu’il a fait, sinon que le positionnement ainsi décrit est admissible en droit, puisqu’il ne l’a pas sanctionné ?

 

« … il ressort des pièces du dossier que le groupement de fait Les Soulèvements de la Terre s’inscrit, à travers ses prises de position publiques […] dans le cadre d’une mouvance écologiste radicale promouvant non seulement ce qu’il appelle « la désobéissance civile » mais aussi les appels à ce que le groupement dénomme « désarmement » des infrastructures portant atteinte à l’environnement… »

 

Cela s’inscrit dans un contexte plus général de banalisation d’une pseudo-désobéissance civile et du vandalisme, et de légitimation de la violence. Notons que cette forme de complaisance n’est pas nouvelle. En témoigne la grande tolérance, y compris judiciaire, pour les « faucheurs volontaires d’OGM » (de plantes qui ne sont pas génétiquement modifiées).

Les actions militantes, y compris délinquantes, bénéficient du soutien de personnes plus ou moins en vue, en mal de notoriété, ou atteintes du beson compulsif de « s’indigner ». Ainsi que de différents milieux – politiques (voir par exemple les élus paradant avec leur écharpe tricolore dans des manifestations interdites…), médiatiques (voir les articles et reportages d’une grande complaisance… ou la discrétion quasi généralisée sur le rapport d’enquête parlementaire précité), associatifs (pensez par exemple à certaines entités censées défendre les Droits de l’Homme…), etc.

Faisons une mention particulière de certains rapporteurs spéciaux de la Commission des Droits de l’Homme qui, à l’évidence, ont perroquété les thèses des opposants aux « méga-bassines », ainsi que le secrétariat de la Commission. « La France doit respecter et promouvoir le droit de réunion pacifique, déclarent des experts de l’ONU », après Sainte-Soline ?

Une mention, aussi, aux membres du monde académique et scientifique qui contribuent à alimenter ce cercle vicieux. Certains, regroupés ou non dans des structures militantes, produisent des appels et tribunes assorties de nombreuses signatures, la plupart de personnes sans aucune qualification pour le sujet abordé. D’autres agissent à titre individuel, le cas échéant en faisant valoir explicitement ou implicitement une appartenance à un organisme prestigieux comme le GIEC, lequel est ainsi instrumentalisé comme caution du militantisme et garant de la justesse de la cause (mais il est vrai qu’il a aussi dérapé sur ce plan).

On ne saurait leur dénier le droit de s’investir en soutien d’une cause qu’ils estiment noble, d’exercer leur « droit à la liberté d’expression, comme scientifique, comme citoyenne ». Encore faut-il que leur action soit de bonne foi – en particulier que les qualités de scientifiques et les affiliations soient revendiquées légitimement et ne soient pas galvaudées, et que l’on ne produise pas indûment un argument d’autorité. 

Face à cette situation, il y a de quoi avoir un haut-le-cœur.

« Gravité », c’est le mot que l’on peut choisir pour décrire la situation actuelle. On ne saurait, en même temps, rejeter « toute forme de violence » et prendre la défense, grâce à des litotes, de « mouvements sociaux pour la justice climatique, qui prennent, dans les régions rurales comme dans les centres urbains, de nouvelles formes d’actions de résistance non violente, parfois perturbatrices ».

« Quelle est la menace la plus grave ? », s’était interrogée Mme Valérie Masson-Delmotte dans un meeting en soutien des Soulèvements de la Terre. À notre sens que ces mouvements dérivent vers une forme de luddisme destructeur. Qu’a-t-on par exemple tagué en juin dernier sur les bâches abritant des parcelles expérimentales en agroécologie, à la Fédération des Maraîchers Nantais ? « Que brûle l’agro-industrie ! ». Ou (non exclusif) qu’une majorité de citoyens excédés finissent par investir un parti se réclamant de l’ordre.

Il faut donc réagir. Démonter les argumentaires ineptes ou fallacieux. Expliquer… Oui, par exemple, les « méga-bassines » sont aussi une réponse au changement climatique… Non, l’autoroute A69 Castres-Toulouse n’est pas un crime climaticide…

Haut les cœurs !

Plus les dettes augmenteront et plus les taux à long terme vont croître

L’influent économiste Olivier Blanchard (ancien économiste principal au FMI) avait prévu, un peu imprudemment, que les taux d’intérêt (réels) allaient rester faibles et inférieurs aux taux de croissance réels pour les 20 prochaines années, et cela pour tous les pays (cf. PIIE, Reexamining the economic costs of debt, O. Blanchard, Nov. 2019). Donc inutile de procéder à un ajustement, la dette publique allait décliner par enchantement.

Pour M. Blanchard, les taux étaient sur une tendance séculaire à la baisse depuis le XIVe siècle… Dans un monde à taux nul (lower bond), la seule politique possible est une politique budgétaire expansive (ce qui a été fait). Dans un nouvel article, Olivier Blanchard reconnaît qu’il n’avait pas prévu la hausse des taux longs.

 

Plusieurs explications ont été données à la baisse des taux

Dans les livres de macroéconomie, le taux d’intérêt est le résultat de l’épargne et de l’investissement. La baisse des taux provenait d’un surplus d’épargne par rapport à l’investissement désiré. La croissance est insuffisante (stagnation séculaire, Gordon, Summers) pour absorber l’épargne existante. Il y a trop d’épargne dans certains pays (la Chine), ce qui se traduit par des surplus externes (ce qui est faux à l’heure actuelle). Mais comment alors expliquer la hausse des taux ? Y aurait-il brusquement une baisse de l’épargne par rapport à l’investissement, ou une hausse anticipée des investissements par rapport à l’épargne ? Ça semble improbable.

Certains économistes utilisent le concept de taux d’intérêt neutre, soit le taux d’équilibre qui n’entrave pas la croissance, taux d’intérêt et croissance étant liés. Est-ce que la croissance potentielle de l’économie aurait soudain augmenté ?

Cela semble d’autant plus curieux quand le FMI projette une croissance mondiale toujours plus faible. Pour le FMI, le taux de croissance réel pour les pays développés doit passer de 2,7 % en 2022 à 1,5 % en 2023 et 2024. On ne voit pas très bien pourquoi il y aurait un changement soudain dans la courbe de la croissance… (l’intelligence artificielle semble encore bien incertaine et limitée pour justifier des taux de croissance plus élevés).

Apparemment, le marché ne fait pas partie de la boîte à outils de nos professeurs.

 

Les déficits budgétaires expliquent largement la hausse des taux 

Si les taux augmentent, c’est peut-être dû à trois facteurs :

  1. Les taux longs reflètent les anticipations des marchés sur l’évolution des taux directeurs des banques centrales qui ont augmenté à cause de l’inflation.
  2. Les taux sont liés aux déficits budgétaires.
  3. Les déficits ne sont plus financés par les banques centrales à travers la politique du quantitative easing.

 

Les taux longs reflètent les anticipations des marchés sur l’évolution des taux directeurs des banques centrales et de la Fed en particulier.

Or, les taux directeurs ont augmenté rapidement à partir de la mi 2022, pour la Fed, de 1,7 % à 5,3 % en octobre 2023. Les taux du marché (10 yr US bond yield) ont suivi avec un décalage, ils s’élèvent aujourd’hui (le 27 novembre) à 4,46 %.

Étant donné la détermination du président de la Fed à ramener l’inflation à sa cible, les marchés ont intégré que le taux directeur va rester à un niveau élevé (higher for longer), la décennie 2010 où les taux étaient proches de zéro est terminée. Des taux de la banque centrale à 5 % ne sont pas anormaux, ils sont anormaux pour les traders qui ne sont sur le marché que depuis 2009.

Lors des deux crises, la crise financière de 2008 et celle du covid, les déficits budgétaires ont explosé pour la France, l’Italie, l’Espagne, et surtout les États-Unis. Leur augmentation ne s’est pas limitée aux années de récession, 2009 et 2020, mais a continué toutes les années. C’est-à-dire qu’au lieu de faire du keynésianisme (du déficit budgétaire en période de récession) ces pays ont continué à faire du déficit en période de croissance. Pour les États-Unis, le déficit budgétaire moyen après la crise de 2008 a continué au rythme de -6 % par an sur la période 2010-19 et -8 % après la crise liée au covid de 2020, pour la période 2021-23 ; or, le pays n’avait besoin d’aucune impulsion budgétaire.

Les déficits budgétaires se traduisent par l’accroissement de la dette publique (on rappelle que l’augmentation de la dette publique en t est égale au déficit global la même année).

Ces déficits ne sont plus financés par les banques centrales à travers la politique du quantitative easing. L’État ne peut plus financer ses déficits par l’émission d’obligations publiques comme à l’époque du covid. Il entre en compétition avec les autres agents privés pour accéder à un niveau de liquidité qui n’augmente pas autant qu’à l’époque artificielle du quantitative easing (crowding out).

Cette compétition entre des besoins de financement de l’État et du secteur privé explique largement la hausse des taux. Or, si les banques centrales sont insensibles au rendement de leurs bons, ce n’est pas le cas des institutions financières qui demandent un term premium (une prime de risque) plus élevée.

Plus les dettes augmenteront et plus les taux à long terme vont croître, ou du moins ne pas diminuer. Il est grand temps pour les États de commencer à réduire leurs déficits, dans les faits, pas en parole.

 

Les taux vont-ils continuer à augmenter ? Vont-ils baisser ?

Difficile de répondre. Une hausse trop élevée des taux peut entraîner une récession, et les banques centrales devront intervenir pour baisser leurs taux directeurs (à condition que le taux d’inflation ait atteint sa cible de 2 %). Les taux directeurs vont sans doute progressivement baisser néanmoins, le monde des taux zéro est terminé ; elle était dominée par la grande distorsion due au quantitative easing. 

Le niveau des taux longs va dépendre du déficit des États-Unis. Aujourd’hui, il tourne autour de 7 % du PIB sur une base annuelle. L’Office of Budget ne prévoit pas de réduction des déficits sur les prochaines années, ce qui ne peut qu’augurer des taux élevés pour longtemps.

Si Trump était réélu, le déficit ne serait pas réduit et les États-Unis se dirigeraient vers une dette incontrôlable. On aura une hausse de l’offre de bons du Trésor pour financer des déficits énormes, une demande pour la dette américaine réduite de la part des pays étrangers qui sont sceptiques sur les bons américains, et un arrêt de la politique du quantitative easing, tous ces facteurs militent en faveur de taux longs élevés et durables.

La Justice sous Macron : l’impuissance ridicule, la grandiloquence grotesque

Par : h16

Les tensions du Proche-Orient semblent déborder largement et atteignent sans mal certaines localités de notre petit pays : le gouvernement constate, un peu effaré, l’explosion soudaine du nombre d’actes antisémites sur le sol français depuis le 7 octobre dernier.

La Behète Immonheudeu au ventre fécond de bruits de bottes n’est pas morte : les factions d’extrémistes de droite, de suprémacistes blancs et autres nationalistes forcenés se sont tous donné le mot pour multiplier les actes et les propros réprimés par la loi, ce qui n’a pas manqué de faire monter au créneau Darmanin, l’actuel miniministre de l’Intérieur. Oups. On me souffle à l’oreillette que ces actes ne sont pas majoritairement dus à des suprémacistes blancs d’extrême droite.

Peu importe : le gouvernement ne se laissera pas déborder, quelle que soit la tendance politique de l’extrême droite (qui pourrait bien être très à gauche cette fois-ci, cela ne change rien) et quelle que soit la couleur des suprémacistes en question qui seront de toute façon blancs à la fin du compte. Il faut comprendre que la République, laïque, une, indivisible et toujours à l’écoute via un numéro vert, ne s’en laissera pas compter, Gérald vous l’assure.

Du reste, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas croire que les paroles de Darmanin ne seront pas suivies d’effets percutants et du retour, en fanfare, de l’ordre républicain le plus strict. Il n’est qu’à voir la façon dont les forces de police et de gendarmerie sont actuellement mobilisées partout en France pour comprendre qu’on ne mégottera pas : les responsables de ces actes et de ces discours seront poursuivis et traînés devant une justice qu’on sait au taquet.

D’ailleurs, c’est bien simple, les exemples abondent à présent de la fermeté retrouvée de la justice en France. Fini, le temps des atermoiements, des demi-mesures et d’un laxisme un peu trop vaste. Accompagné par un gouvernement à l’écoute du peuple, le pouvoir judiciaire a compris qu’il ne pouvait plus se laisser aller, et la reprise en main est déjà palpable.

Ainsi, un jeune présenté comme néonazi par notre exceptionnelle presse nationale vient de se prendre neuf ans de prison pour ses propos antisémites et sa velléité de préparation d’attentats.

Fini de rire en République d’Enmarchistan : les choses sérieuses commencent !

D’ailleurs, à bien y réfléchir, plutôt qu’avoir des opinons qui puent, des discours rances ou délirer sur des plans d’attentats, il vaut clairement mieux traîner au sol un policier sur une vingtaine de mètres en conduisant sans permis à bord d’un véhicule et en refusant d’obtempérer : en la jouant finement, on s’en sort avec quelques travaux d’intérêt général, ce qui est nettement plus rigolo que neuf ans de prison.

Présenté ainsi, certains pourraient croire que la justice française n’est pas encore tout à fait au point en matière de peines, alors que semble se lever une ère nouvelle qui réclame davantage de sévérité.

C’est une erreur de penser ainsi : la justice française peut et sait faire rapide et efficace. Comme dans bien d’autres domaines, tout est affaire de motivation.

Prenez l’exemple récent d’une triste affaire de vol avec violences en rue à Paris, dans le XVIIe arrondissement – rassurez-vous, c’est presque aussi rare dans la capitale que d’y croiser un surmulot en goguette – dans laquelle la victime a failli se faire dérober sa montre de luxe et son téléphone : alors que pour d’autres cas similaires, les malandrins courent toujours, on apprend que cette fois-ci, les quatre suspects ont été rapidement interpellés et mis en garde à vue. Le fait que la victime soit le fils d’une magistrate du tribunal judiciaire de Paris ne joue sans doute pas beaucoup dans le zèle des équipiers de la compagnie de sécurisation et d’intervention de police de la capitale…

Maintenant qu’il est raisonnablement acquis que la justice est donc aussi aveugle que ferme et implacable, on comprend mieux pourquoi cette même justice française a lancé un mandat d’arrêt international contre le président syrien Bachar Al-Assad, après l’avoir accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques perpétrées à l’été 2013 en Syrie.

Voilà qui ne manque pas de panache, n’est-ce pas. Reste à savoir quelle quantité de travaux d’intérêt général le pauvre Bachar devra exécuter, à moins bien sûr que la justice française considère que « un Bachar mérite plus qu’un chauffard » et qu’on envisage alors de lui coller quelques années de prison, sans sursis.

La juxtaposition de ces différents éléments laisse cependant un sentiment étrange : d’un côté, on observe les actes empreints de gravité d’épitoges froufroutantes qui confinent à la grandiloquence grotesque pour de l’autre constater des décisions d’un ridicule achevé ou en décalage si violent avec le besoin réel de justice et d’un minimum de cohérence d’ensemble qu’on ne peut qu’être envahi d’une impression persistante de foutage de gueule.

D’un côté, pilotée par un gouvernement dont le garde des Sceaux est actuellement en procès (ce qui est une première ahurissante dans l’histoire de ce pays), la justice française prétend traîner en justice le dirigeant d’un pays étranger ; de l’autre, cette même justice multiplie les exemples d’un système qui n’est favorable qu’à une petite caste, ultra-démissionnaire lorsqu’il s’agit de faire preuve d’une élémentaire fermeté et complètement disproportionnée dès qu’on parle idéologie.

D’un côté, la justice semble totalement débordée pour assurer des procès en temps raisonnable aux justiciables français, ou même de garantir que les OQTF seront appliquées en nombre autrement que purement symbolique ; de l’autre, elle trouve amplement le temps de se lancer dans des mandats d’arrêt internationaux qui ont absolument tout de la posture et qui, de surcroît sur le plan diplomatique, ne seront qu’une nouvelle erreur à ajouter aux myriades déjà empilées avec gourmandise par nos différents gouvernants depuis Sarkozy.

D’un côté, on voit les petits avortons à la Darmanin se multiplier comme du chiendent sur tous les plateaux télé pour expliquer à ceux qui veulent l’entendre (heureusement de moins en moins nombreux) qu’il va mettre en place ceci ou cela, que ça ne va pas se passer comme ça, que la justice saura se montrer ferme et patin couffin ; de l’autre on constate que la violence, les crimes et délits, l’insécurité et les incivilités (pourtant du ressort direct de l’avorton en question) explosent partout sur le territoire.

Et pas de doute, d’un côté, on note clairement la grandiloquence grotesque de nos dirigeants. De l’autre, on ne voit que l’impuissance ridicule d’un État en pleine déliquescence.

Sur le web.

Adoption de la vidéosurveillance algorithmique : un danger sur les libertés

Le 23 mars 2023, l’Assemblée nationale approuvait l’article 7 du projet de loi olympique, qui se fixait entre autres buts d’analyser les images captées par des caméras ou des drones, pour détecter automatiquement les faits et gestes potentiellement à risques.

Pour être plus précis, l’article adopté prévoyait « l’utilisation, à titre expérimental, de caméras dont les images seront analysées en temps réel par l’IA. Ces caméras pourront détecter, en direct, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler des actes de violence, des vols, mais aussi de surveiller des comportements susceptibles d’être qualifiés de terroristes. »

Un article extrêmement controversé.

 

De la vidéosurveillance algorithmique

Il existe de nombreuses solutions technologiques permettant d’analyser et d’exploiter les données vidéo pour des applications de sécurité, de surveillance et d’optimisation opérationnelle. La vidéosurveillance algorithmique (VSA) est ainsi conçue pour extraire des informations significatives à partir de grandes quantités de données vidéo.

Ces solutions offrent des fonctionnalités telles que : la recherche vidéo avancée, la détection d’événements, l’analyse des comportements, et d’autres outils permettant aux utilisateurs de tirer des insights exploitables à partir de leurs systèmes de vidéosurveillance…

Comme l’indique sur son site la Société BriefCam, évoquant l’une de ses solutions VSA :

« Vidéo synopsis » : « La fusion unique des solutions VIDEO SYNOPSIS® et Deep Learning permet un examen et une recherche rapides des vidéos, la reconnaissance des visages, l’alerte en temps réel et des aperçus vidéo quantitatifs. »

Dans le cadre des JO 2024, de nombreux groupes étaient alors dans l’attente de la promulgation de cette loi pour se positionner, des groupes connus comme Thales et Idemia, et d’autres moins connus, comme XXII, Neuroo, Datakalab, Two-I ou Evitech. Il ne faut pas oublier que dans la fuite en avant du capitalisme de la surveillance (de masse), outre la sécurité promise de façon récurrente, pour ne pas dire fantasmée, des lobbys font pression et il y a des enjeux financiers. En 2022 « l’État projetait ainsi d’investir près de 50 millions d’euros pour les caméras de vidéoprotection, ce qui correspond à 15 000 nouvelles caméras ». En mai 2023, l’appel d’offres était lancé  par le ministère de l’Intérieur.

 

La VSA, une technologie très controversée et des lois expérimentales ?

L’usage de la Vidéo Surveillance Algorithmique censée détecter automatiquement, via une intelligence artificielle, un comportement « dangereux ou suspect », a suscité la réaction de nombreux défenseurs des libertés publiques et d’experts en tout genre. Les arguments sont multiples :

  • La VSA n’est pas infaillible et peut commettre des erreurs liées à des biais algorithmiques.
  • Les agences gouvernementales qui déploient des systèmes de VSA peuvent tout à fait ne pas divulguer pleinement la manière dont les technologies sont utilisées.
  • Aux problèmes du manque de transparence (qu’est-ce qu’un comportement suspect ?), viennent s’ajouter des « difficultés » liées à la vie privée, la discrimination, la surveillance de masse et à d’autres implications éthiques…
  • Par-delà le cadre officiel supposé cadrer son usage (cf. La publication fin août 2023 au Journal officiel du décret fixant les conditions de mise en œuvre) cette expérimentation sera possible jusqu’en 2025.

 

La vidéosurveillance change de nature, franchit un nouveau cap attentatoire aux libertés publiques. Elle nie une fois de plus toutes les études démontrant qu’elle est une sécurité fantasmée qui a été vendue aux citoyens. Il ne faut pas perdre de vue que le capitalisme de la surveillance est avant tout un véritable business fondé sur la peur.

Combien de fois faudra-t-il répéter (réécrire) que c’est un misérable leurre ?

Même une étude commanditée par la gendarmerie nationale conclut « à un apport très marginal de la vidéosurveillance dans la résolution des enquêtes judiciaires, mais aussi dans la dissuasion ».

De telles études ne sont pas médiatisées : « There’s no business like fear business ».

Et c’est ainsi qu’une surveillance de masse de plus en plus inacceptable poursuit sereinement son chemin… offrant aux pouvoirs s’autoproclamant démocratiques des outils terrifiants s’ils sont un jour dévoyés.

Pour autant, le mercredi 12 avril 2023, le Sénat adoptait définitivement la « LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses diverses autres dispositions » !

Et le 24 mai 2023, par-delà les alertes de nombreux acteurs, comme la Quadrature du Net, et la saisie du Conseil constitutionnel par plus d’une soixantaine de députés, la vidéosurveillance intelligente aux JO était déclarée conforme à la Constitution. Cette validation figure désormais dans l’article 10 de la Loi relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024, autorisant à titre expérimental l’utilisation de la vidéosurveillance intelligente, notamment au moyen de drones. (cf. LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions)… : Chapitre III … (Articles 9 à 19) NDLA.

L’histoire de cette loi et de cet article très polémique n’est peut-être pas encore finie… En effet cette décision pourrait ne pas être en conformité avec le futur « Artificial Intelligence Act », en cours de discussion au Parlement européen.

 

Déploiement de systèmes de reconnaissance faciale depuis 2015 ? Vers un scandale d’État ?

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a annoncé le 15 novembre 2023 engager « une procédure de contrôle vis-à-vis du ministère de l’Intérieur suite à la publication d’une enquête journalistique informant d’une possible utilisation par la police nationale d’un logiciel de vidéosurveillance édité par Briefcam et de fonctionnalités de ses solutions strictement interdites sur le territoire français : la reconnaissance faciale ».

Le 20 novembre 2023, réagissant à la publication d’informations du site d’investigation Disclose qui  affirme s’être appuyée sur des documents internes de la police, a révélé – sans conditionnel – l’usage par ces derniers d’un système de vidéosurveillance dit « intelligent » répondant au nom de « vidéo synopsis » depuis… 2015.

Du côté de la place Beauvau, s’il n’y a pas eu de démenti formel, quelques jours plus tard, pour donner suite aux révélations de Disclose, le 20 novembre 2023 le ministre de l’Intérieur déclarait sur France 5 avoir lancé une enquête administrative. Ce dernier a par ailleurs déclaré à Ouest-France « qu’un rapport avait été réclamé aux directeurs de l’administration pour qu’on lui confirme l’absence de reconnaissance faciale couplée à la vidéoprotection.

Notons que si Gérald Darmanin a toujours prôné l’usage de systèmes VSA comme outil de surveillance… il a toujours affirmé être opposé à la reconnaissance faciale !

Il avait ainsi déclaré en 2022 devant le Sénat :

« Je ne suis pas pour la reconnaissance faciale, un outil qui relève d’un choix de société et qui comporte une part de risque » et d’ajouter : « car je crois que nous n’avons pas les moyens de garantir que cet outil ne sera pas utilisé contre les citoyens sous un autre régime ».

Après avoir voulu intégrer la VSA dans la loi Sécurité Globale, puis dans la LOPMI, sans y parvenir, les JO 2024 ont été un nouveau prétexte… Et le pouvoir en place est arrivé à ses fins. Sans revenir sur les éléments que j’ai pu évoquer, sur l’efficacité discutable d’une surveillance de masse qui ne cesse de s’accroître en changeant de nature avec l’arrivée du VSA, et qui, pour reprendre les propos du ministre, comprend également une part de risque pour les citoyens, il ne faudrait pas oublier que :

« La VSA et la reconnaissance faciale reposent sur les mêmes algorithmes d’analyse d’images et de surveillance biométrique. La seule différence est que la première isole et reconnaît des corps, des mouvements ou des objets, lorsque la seconde détecte un visage ».

Quant à la part de risque qu’évoque le ministre, si l’affaire soulevée par Disclose est avérée, usage de fonctionnalité prohibée par des serviteurs de l’État dont les valeurs sont de « faire preuve de loyauté envers les institutions républicaines et être garant de l’ordre et de la paix publics »… ?

 

Et si c’était vrai…

La situation du ministre de l’Intérieur est dans cette affaire pour le moins extrêmement délicate.

En tant que « premier flic de France » comme il aime à se définir, en reprenant – pour l’anecdote – Clemenceau – le Premier ministre de l’Intérieur à s’être qualifié ainsi – il serait pour le moins dérangeant, pour ne pas dire grave, que les affirmations de Disclose soient confirmées, et que ces faits se soient déroulés dans son dos. Cela acterait un dysfonctionnement majeur et inacceptable place Beauveau, puisque ne garantissant plus un fonctionnement démocratique dont il est le garant. Ce scénario serait grave, et il serait encore plus terrible que l’enquête démontre que le ministre, contrairement à ses allégations, en ait été informé.

À ce jour une enquête administrative, lancée par ce dernier est en cours.

Pour rappel, ce type d’enquête « vise à établir la matérialité de faits et de circonstances des signalements reçus et ainsi dresser un rapport d’enquête restituant les éléments matériels collectés auprès de l’ensemble des protagonistes. Sur la base de ces éléments, la collectivité décide des suites à donner au signalement ».

Dans le même temps, le groupe LFI a indiqué le 21 novembre être en train de saisir la justice au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale et a réclamé une commission d’enquête parlementaire sur le « scandale de la reconnaissance faciale » ! Enfin, La CNIL, autorité indépendante gardienne de la vie privée des Français, a annoncé le 22 novembre le lancement d’une procédure de contrôle visant le ministère de l’Intérieur.

Au milieu de cette effervescence et de cet émoi légitime, que cela soit le ministère de l’intérieur, une partie de l’opposition, la CNIL… chacun est dans son rôle !

La sagesse est donc de patienter. Toutefois, il me semble que la seule porte de sortie du ministère dans la tourmente soit que les faits reportés soient faux ou au moins pire, extrêmement marginaux. Il serait fâcheux pour notre démocratie et pour reprendre les propos du ministre que « cet outil (sa fonctionnalité de reconnaissance faciale) ait été utilisé contre les citoyens ».

Ce serait encore plus dramatique si la reconnaissance faciale avait été utilisée en connaissance et avec l’aval des plus hautes instances. Alors se poserait une effroyable question – pour reprendre à nouveau les propos du ministre de l’Intérieur –  « aurions-nous changé de régime ? ».

L’assimilation, ce concept antilibéral

Dans un article précédent, j’ai montré que l’immigration libre était un point du programme des libéraux français classiques, et que pour marcher dans leurs pas, il nous fallait penser les contours de cette politique, plutôt que la rejeter.

J’examinerai aujourd’hui le principe de l’assimilation, pour voir s’il peut être reconnu par le libéralisme.

 

Le droit d’être minoritaire

C’est un principe fondamental du libéralisme que le respect des opinions et des actions inoffensives des minorités, et de tout ce qui peut être défini comme la sphère propre de l’individu (Benjamin Constant, Œuvres complètes, t. IV, p. 643 ; t. XIII, p. 118). En d’autres termes, chaque individu a le droit d’avoir ses goûts, ses opinions ; on n’exige guère de lui que sa soumission aux lois, c’est-à-dire qu’il ne blesse pas la liberté égale de son voisin, et ne détruise pas ses propriétés.

D’ordinaire, l’individu qui est né sur le sol et qui acquiert la nationalité par la naissance n’est pas inquiété par les prétentions coercitives de quelconques majorités. L’opinion commune ne le contraint pas : il adopte les tenues vestimentaires qu’il a choisi ; il a ses opinions ; en bref, il mène sa vie selon son propre règlement.

Mais on voudrait que les immigrés, en tant que nouveaux venus, se conforment aux opinions majoritaires, ou couramment admises. D’abord, il faudrait pouvoir les définir, et d’ordinaire, on s’en garde bien. Mais sans doute la chose est assez claire : il faut pour eux s’habiller « comme tout le monde », penser « comme tout le monde », et en somme vivre la vie de tout le monde.

Ce projet a le grave défaut de s’opposer à la nature de l’homme. La nature a voulu l’inégalité : les individus naissent inégaux, leurs expériences de vie sont différentes, et les instruments par lesquels ils produisent leurs émotions et leurs idées, sont différents (Ch. Dunoyer, Nouveau traité, etc., 1830, t. I, p. 92-93). On n’est pas maître d’aimer la musique de la majorité, ou les plats dont se régale la majorité, par un simple acte de la volonté (G. de Molinari, Conversations sur le commerce des grains, 1855, p. 159 et suiv.). Tocqueville était convaincu de l’importance de la religion, mais il n’était pas libre de croire ce qu’il ne croyait pas.

Faire adopter des modes vestimentaires, des opinions et des modes de vie, se fait ou par la conviction, ou par la contrainte. Dans le cas de l’assimilation, on rejette d’avance la conviction, car ce serait admettre le droit d’être innocemment minoritaire, et c’est ce dont précisément on ne veut pas. Il faudra donc édicter et faire respecter certaines opinions, des manières de se vêtir, de vivre. Il y aura des sanctions pour ceux qui y contreviendront.

De ce point de vue, l’assimilation, si elle veut dire adopter certains modes de vie, n’est pas conforme aux principes du libéralisme, et elle prépare aux confins de la grande société une petite société qui est à l’opposée de son idéal.

 

Le paradoxe de l’enfant

L’immigrant, dira-t-on, est un nouveau venu : par conséquent, il n’a pas les mêmes droits, il ne mérite pas la même liberté. Il vient dans une société déjà formée, dont il doit respecter les susceptibilités. Il ne peut pas marcher à sa guise son propre chemin.

Cependant, tout nouvel enfant qui naît en France se présente aussi essentiellement comme un nouvel arrivant. Or qui dira qu’il a le devoir absolu de s’assimiler ? Au contraire, vous le verrez bientôt avoir ses opinions, ses goûts, ses penchants. De la société dont il a hérité, il fera, avec d’autres, ce qu’il voudra et ce qu’il pourra. Il renversera peut-être les opinions reçues, lancera de nouvelles modes dont les plus anciens s’offusqueront. Tout cela est dans l’ordre. Car chaque nouvelle génération remplace celle de ses parents et grands-parents, dans un grand-remplacement continuel qui est de l’essence des sociétés humaines.

Cette évolution naturelle est d’ailleurs la condition du progrès. Il ne faut pas en avoir peur. La prétention de fixer le cadre social des générations futures est au contraire profondément antilibérale, et rappelle les charges que Turgot lançait jadis contre les fondations pieuses prétendument immortelles (Article « Fondation » de l’Encyclopédie).

De ce point de vue encore, la prétention à l’assimilation ne paraît pas conforme aux principes du libéralisme.

 

L’assimilation vraie et fausse

À en croire les auteurs libéraux classiques, l’assimilation est de toute manière, dans notre pays, une véritable utopie. Sur un même sol, les Français se feront plutôt arabes que les Arabes ne se feront français ; laissés à leur propre impulsion, certains retourneront à la vie sauvage, plutôt que de pousser les populations indigènes à suivre leurs pratiques civilisées. (Édouard Laboulaye, Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 53 ; Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, 1874, p. 154)

La vraie assimilation se fait par la conviction, le libre débat, l’influence d’une culture supérieure qui produit des merveilles éclatantes et qu’on admire. Elle se fait aussi par la nature imitative de l’homme, par son goût pour la tranquillité, par son conservatisme. Enfin, elle procède des unions de l’amour.

L’assimilation légale, je ne vois pas qu’un libéral des temps passés l’eût vanté ni même surtout pratiqué. Au contraire, je les vois tous à l’envie se conduire dans tous les pays fidèles à leurs propres usages, avec un sans-gêne qui n’étonne pas encore à l’époque. Réfugié aux États-Unis, le physiocrate Dupont de Nemours, par exemple, n’a jamais pris la peine d’apprendre l’anglais, et il continuait à dater ses lettres selon le nouvel almanach de France (voir ses Lettres à Jefferson, et Dupont-De Staël Letters, 1968, p. 60). Il était venu sans passeport, avec des opinions monarchistes très célèbres, puisqu’il les avait répandues dans des livres et brochures pendant plus de quarante ans. Il a fondé en toute liberté une entreprise de poudre, c’est-à-dire d’explosifs, qui aujourd’hui emploie 34 000 personnes et produit un résultat net de quelques 6,5 milliards de dollars. Il a vécu là-bas paisiblement les dernières années de sa vie.

Pour définir une position libérale moderne sur la question de la liberté d’immigration, l’assimilation est donc une première chimère à écarter.

Bureaucratie : les aveux partiels d’un responsable

Un article d’Alain Mathieu

 

Il est difficile de trouver un Français plus représentatif de nos hauts fonctionnaires que Jean-Pierre Jouyet.

Son CV accumule les plus hauts postes financiers : directeur du Trésor, la plus prestigieuse direction du ministère des Finances, chef du service de l’Inspection des Finances, le corps de fonctionnaires le plus influent, président de l’Autorité des marchés financiers, qui règlemente la Bourse, directeur général de la Caisse des dépôts et président de la Banque Publique d’Investissement, les « bras armés » de l’État dans l’économie.

Il a été en outre chef de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors, directeur du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, secrétaire général du président de la République et ami François Hollande, ministre de Nicolas Sarkozy. Il a joué un rôle important dans l’ascension d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, notamment en dénonçant une prétendue intervention de François Fillon pour faire accélérer par l’Élysée les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy. Il en fut d’ailleurs remercié par Emmanuel Macron qui le nomma en 2017, à 63 ans, ambassadeur de France au Royaume-Uni.

« Catholique de gauche », il se livre, sous le titre Est-ce bien nécessaire, Monsieur le ministre ? (Albin Michel-octobre 2023), à une étonnante et méritoire confession publique :

« J’étais plus intéressé par les règles qui s’appliquaient aux relations entre les administrations centrales que par celles qui s’appliquaient aux administrés […]. Je minimisais l’importance de la bureaucratie et son rôle souvent néfaste sur la bonne marche du pays […]. Maintenant que j’affronte seul la machine administrative je mesure l’astuce et la ténacité dont doivent faire preuve les usagers des services publics ».

Sa confession va jusqu’à signaler les mauvaises décisions qu’il a prises ou suscitées dans ses différents postes :

Pour assurer le succès de l’introduction de l’euro, il a recommandé des « augmentations de salaires aveugles et préventives » accordées aux salariés des imprimeries de la Banque de France qui menaçaient de faire grève.

Sur les 23 régions existant en 2015, 17 ont subi des fusions qui ont réduit leur nombre à sept. Par la suite, « les dépenses de ces sept régions fusionnées ont augmenté trois fois plus vite que celles des six autres régions non fusionnées ».

 

Les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des hauts fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir

La fusion des directions des Impôts et de la Comptabilité publique « supposait de mettre fin aux doublons entre directeur départemental des impôts et Trésorier-payeur général. Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui ces deux fonctions coexistent toujours ».

Sa longue expérience administrative lui a fait constater de nombreux gaspillages de l’argent public.

« L’État dépense un « pognon de dingue » ». Pour le gouvernement d’Élizabeth Borne, 565 conseillers, soit 13 par ministre, alors qu’en 2017 Emmanuel Macron n’en voulait pas plus de cinq par ministre. Ils sont assistés par 2200 huissiers, secrétaires, chauffeurs, cuisiniers […] Il suffirait de 15 ministres à temps plein. En matière sociale, un ministre suffirait au lieu de cinq. Un ministère des Rapatriés a été instauré en 1995, trente-trois ans après la fin de la guerre d’Algérie […]. Quand je suis nommé secrétaire d’État aux Affaires européennes, je comprends que je dois composer avec quatre autres administrations françaises qui en sont chargées ».

Il remarque que « la France est le pays le plus centralisé d’Europe » :

« Pourquoi ne pas donner plus de pouvoirs aux départements et aux régions dans la gestion des écoles, collèges, lycées, universités, hôpitaux ? […]. Les ARS (agences régionales de santé) devraient être confiées aux régions ; les chefs d’établissement de l’enseignement public devraient recruter eux-mêmes leur personnel enseignant […]. En finir avec le droit des préfets sur les projets d’urbanisme menés par les communes ».

Il constate avec effroi qu’il y a 1800 pages pour la réglementation thermique des établissements scolaires, 4300 pages d’instructions aux ARS pour la collecte de données chiffrées, que 40 % du marché locatif privé seront vraisemblablement interdits à la location du fait de leur classement énergétique, que 68 % des élus sont confrontés à des normes contradictoires.

Il a vu que le président de la République passait trop de temps à de trop nombreuses nominations.  L’Élysée est devenu une « agence de casting permanent ».

« Comme secrétaire général de l’Élysée, j’ai consacré beaucoup de temps aux nominations ». De nombreuses nominations sont qualifiées par lui de « nominations de circonstance » (des nominations par copinage).

De ce fait la réforme de l’État est négligée.

« Emmanuel Macron n’a pas engagé en 2017 une grande transformation de l’État […]. Je n’ai jamais senti chez les quatre derniers présidents de la République le moindre intérêt pour ce sujet pourtant essentiel, la réforme de l’État […]. Pendant les trois ans où j’ai été secrétaire général de l’Élysée, jamais le thème de la réforme de l’État n’a été abordé […]. La simplification est toujours confiée à des membres du gouvernement de second rang ».

Il reproche à la réforme Balladur des retraites en 1993 d’avoir « épargné la fonction publique » ; comme celle de Macron en 2023.

Le titre de son livre illustre le fait que les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des hauts fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir, d’autant plus que les principaux ministres sont issus de leurs rangs, et y retournent après leur carrière politique.

 

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel, mais l’aveu d’une caste

Jean-Pierre Jouyet sait que de profondes réformes sont nécessaires.

Il critique Emmanuel Macron, qui « s’était engagé à baisser de 120 000 les effectifs publics, mais en a créé 120 000 ». Il écrit qu’il faut « en finir avec les sureffectifs et les doublons » et qu’« il reste à réduire la masse salariale globale » de la fonction publique.

Il admire les dirigeants de pays qui l’ont réalisé : Paul Martin, premier ministre du Canada, « qui a diminué de 20 % les dépenses publiques canadiennes, et qui a obtenu en dix ans une baisse de ces dépenses de 48,8 % à 37,1 % du PIB canadien » ; Franco Bassanini, ministre italien de la Réforme de l’État, « qui a fait passer le coût du personnel public de 12,6 % du PIB en 1990 à 10,5 % en 2000… et supprimé près de 200 types d’autorisations administratives ».

Il sait que les syndicats sont un frein aux réformes :

« En Italie, les principaux syndicats du secteur public représentent les travailleurs des secteurs public et privé, alors qu’en France ils ne représentent que ceux de l’administration publique ». Pour faciliter les réductions d’effectifs, il propose de « renforcer la mobilité entre administrations, développer la polyvalence des agents ».

Il approuve les privatisations de Lionel Jospin (France-Telecom, Renault, etc), qu’il a orchestrées comme directeur de son cabinet et « qui ont fait passer le déficit public à 1,3 % du PIB en 2000 ».

Bref, Jean-Pierre Jouyet connaît les défauts de nos administrations et une partie des remèdes.

Pour sortir la France de son déclin économique, il devrait tirer toutes les leçons de ses observations :

  • obliger à la démission de la fonction publique les fonctionnaires entrant en politique ;
  • contrôler les subventions aux syndicats ;
  • privatiser toutes les entreprises publiques, y compris la Caisse des dépôts, la BPI, EDF et SNCF (cf Japon, Royaume-Uni, Italie), ainsi qu’une partie des HLM, hôpitaux, écoles, assurance-maladie ;
  • fixer un objectif de 20 % de baisse des dépenses publiques ;
  • geler les embauches de fonctionnaires, aligner leurs horaires de travail sur ceux des Allemands ;
  • rendre les hauts fonctionnaires responsables de leur gestion devant le Parlement ;
  • règlementer le droit de grève ;
  • décentraliser la gestion de l’Éducation, de la Santé, de la Culture, du Sport, du Tourisme, etc.

 

Bien qu’il prétende que son livre est « une sorte de confession qui met à plat les moyens du redressement », il ne propose presque rien de tout cela. Car des haus fonctionnaires lui diraient :

« Est-ce bien nécessaire ? ».

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel. C’est l’aveu d’une caste.

Achetez le livre

Sur le web.

Bonus réparation vêtements : la bureaucratie française hors de contrôle

Il fût un temps, pas si éloigné, où les mamans avaient investi dans une aiguille et un rouleau de fil pour réparer un vêtement déchiré ou endommagé. Moi-même, je l’ai fait de nombreuses fois, même si j’étais loin du « meilleur ouvrier » de France.

Il fallait donc que notre administration s’en offusque et mette à la disposition des mamans et des papas français un de ces « miracles administratifs « dont elle seule a le secret.

Faire quelques kilomètres, en voiture bien évidemment, pour apporter un vêtement endommagé à réparer pour obtenir une réduction de : 7 euros pour faire repriser un trou, un accroc, une déchirure, 10 euros pour une doublure, 8 euros pour un zip, 6 euros dans le cas d’une couture défaite (8 euros si la couture est doublée).

Je vous épargnerai le « tarif applicable » pour d’autres « sauvetages » de chaussures et autres désagréments dans la vie d’un vêtement. Pour ce « délire », notre gouvernement se dit prêt à investir 150 millions d’euros dans la labellisation d’au moins 500 couturiers et cordonniers, ce qui fait en gros cinq par département.

Me concernant, le plus proche sera à une vingtaine de kilomètres que je devrai donc effectuer deux fois l’aller et retour, un pour apporter le vêtement et un pour le rechercher, soit 80 km au total !

L’indemnisation kilométrique de ma voiture étant fixée par l’état à 0,60 euro, mon petit gain d’une dizaine d’euros me coûtera réellement… 48 euros, sans compter les deux heures perdues. Cherchez l’erreur !

Mais ce délire ne s’arrêtera pas là, car pour notre administration, ce serait trop simple ! C’est compter sans les contraintes imposées au pauvre professionnel pour se faire, sans aucune garantie, rembourser la remise qu’il m’aura concédée. Ce que François Lenglet nomme « le Michel-Ange de la bureaucratie » qui en dénonce sur RTL& TF1 la folie de la taxation prévue pour financer ce « chef d’œuvre » : pas moins de 104 niveaux de taxes pour chaque type de vêtement défini au centième de centime d’euro, par exemple les bas pour homme seront taxés à 0,0231 euro.

Bonus réparation vêtements: "On n'a jamais vu un tel chef d'oeuvre de complexité. C'est le Michel-Ange de la bureaucratie. Les fonctionnaires créent des normes. Les normes créent des fonctionnaires. C'est ce qu'on appelle le mouvement perpétuel…"
Chronique à voir de F. Lenglet pic.twitter.com/4LhSnQEHRU

— Jean Louis (@JL7508) November 19, 2023

 

Cela me conforte dans mon combat pour une réduction drastique du nombre de fonctionnaires, soit proportionnellement quatre millions de plus qu’en Allemagne, selon une étude d’Alain Mathieu, mais surtout ceux affectés aux administrations.

Quand on arrive à ce niveau d’incompétence, c’est la théorie de Joseph Schumpeter sur la « destruction créative » qu’il faut appliquer à notre administration, soit en supprimer un grand nombre pour gagner en efficacité, en n’en conservant qu’un petit nombre.

Car le mal français réside bien dans cette démonstration : plus on augmente le nombre de fonctionnaires, plus ils nous pondent des « âneries »… et plus il faut de nouveaux fonctionnaires pour les gérer ! Le cycle infernal est ainsi enclenché sans aucune limite.

Mais le plus inquiétant dans cette farce, c’est que de nombreux Français vont approuver et, si aucune rupture dans cette dérive n’est envisagée, il est fort à parier que la prochaine proposition sera la création d’une subvention par mètre, voire centimètre, de papier toilette utilisé par personne au sein d’une même famille.

Réveille-toi, peuple français !

Refusons fermement de tomber dans le piège du régime iranien, qui essaie d’échapper à son inévitable renversement

Il est évident que les kilomètres de tunnels souterrains complexes et coûteux, les arsenaux de missiles et les usines de fabrication de drones ne sont pas l’œuvre du Hamas seul. Pourtant, les partisans de la politique complaisance vis-à-vis du régime iranien ont initialement tenté de nier toute implication de ce dernier dans le conflit, malgré les preuves accablantes.

Dans cette guerre où des enfants innocents sont victimes, le grand bénéficiaire jusqu’à maintenant est Ali Khamenei, et non Israël. Indépendamment de son auteur, chaque crime de guerre renforce Khamenei qui l’utilise pour éviter l’effritement de ses forces, motiver ses troupes et attiser la haine dans la région. Le mollah Hamid Rassaei a même admis que la mort de milliers de personnes à Gaza servirait les intérêts du régime des mollahs.

 

Téhéran se nourrit de la souffrance des innocents

Malgré ses efforts, Israël risque de perdre face à une menace bien plus grande : le terrorisme issu de Téhéran, qui sévit depuis quarante ans. Tel un Dracula, ce régime se nourrit de la souffrance des innocents, y compris celle des enfants iraniens envoyés sur les champs de mines durant la guerre Iran-Irak.

Le terrorisme et la bellicosité ont été institutionnalisés sous le gouvernement des Mollahs, notamment avec la création de la Force Al-Qods pour diriger des milices à l’étranger. La guerre actuelle offre un choix critique : celui de la paix ou de la guerre prolongée. La paix nécessite la reconnaissance mutuelle d’Israël et de la Palestine, conformément à la résolution 222 de l’ONU, tandis que la guerre risque de s’étendre et de causer davantage de pertes.

L’éradication du Hamas pourrait être possible, mais cela ne fera qu’alimenter des groupes encore plus radicaux, soutenus par Téhéran. Le véritable enjeu reste la propagation de l’antisémitisme, y compris dans les pays occidentaux.

 

Khamenei tire profit des hostilités entre Israël et le Hamas

Le régime des mollahs craint l’expansion de la guerre et évite d’impliquer le Hezbollah pour ne pas aggraver la situation. Cependant, il continue de soutenir les hostilités entre Israël et le Hamas, sans vouloir déclencher un conflit majeur. Khamenei cherche à maintenir cette tension, la transformant en un affrontement entre le monde islamique et l’Occident. Dans son discours, il a souligné que le monde islamique doit soutenir les Palestiniens.

Il tente de détourner l’attention de la menace de renversement de son propre régime, exacerbée par des émeutes en Iran depuis 2017. La prétendue destruction d’Israël n’est qu’un prétexte pour alimenter la guerre et mobiliser des forces dans la région. Khamenei n’a jamais eu l’intention réelle de déclarer la guerre à l’Amérique ou de s’opposer directement à Israël, car cela signifierait sa chute.

En Iran, les mollahs n’ont pas réussi à mobiliser la population contre Israël. Les Iraniens, écrasés par des décennies de guerre et de terrorisme, ainsi que par la faim et la pauvreté, refusent d’être manipulés par Khamenei.

 

Le régime des mollahs a des pieds d’argile

Malgré les apparences, le régime des mollahs est dans un état de faiblesse extrême. Alejo Vidal Quadras, un ex-député européen critique du régime iranien, a récemment été la cible d’une tentative d’assassinat à Madrid, attribuée aux mollahs de Téhéran. Le régime, acculé par une insurrection sans issue, est contraint de faire face aux conséquences de ses actes.

Ali Khamenei, à l’instar d’autres dictateurs, a récemment limité son cercle de pouvoir en écartant certains députés. Le régime est confronté à une révolte persistante, alimentée par des facteurs économiques et culturels profonds. Selon un rapport interne divulgué, Khamenei envisage de créer une crise hors des frontières pour détourner l’attention, notamment en ciblant les pays arabes en vertu de l’accord d’Abraham, tout en intensifiant la répression interne.

La véritable guerre au Moyen-Orient est celle entre le régime iranien et sa population. C’est un combat pour libérer l’Iran des griffes des fascistes religieux et pour apporter la paix dans une région en proie au chaos et à la crise. Nous devons nous concentrer sur ce conflit crucial.

Qui paye l’inflation importée ?

Un article de , économiste – Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po

 

Le retour de l’inflation en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’importations lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subi les effets ?

Sous l’effet, d’abord de la forte reprise post covid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des composants industriels et des matières premières, notamment énergétiques et agricoles, a fortement augmenté. Le prix des importations s’est ainsi accru de 20 % en l’espace d’un an, conduisant à un choc de grande ampleur sur l’économie française.

Une part de cette inflation importée s’est diffusée dans l’économie domestique, à travers la hausse du prix des intrants, des revenus du travail et du capital. Entre septembre 2021 et 2023, l’indice des prix à la consommation a augmenté de près de 11 %. Sur la même période, les seuls prix de l’énergie ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %. Ces deux composantes, qui représentent environ un quart de la consommation totale des ménages, ont contribué à près de 60 % à l’inflation au cours des deux dernières années.

En parallèle, le besoin de financement de l’économie nationale vis-à-vis de l’extérieur est passé de un point à deux points de PIB entre le second semestre 2021 et la mi-2023… mais celui-ci a atteint jusque 4,6 points de PIB au 3e trimestre 2022. Si le reflux des prix de l’énergie et des matières premières à partir de la fin 2022 a conduit à réduire le besoin de financement extérieur, celui-ci a donc connu une hausse de plus de trois points de PIB en un an, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973.

Deux après le début de l’épisode inflationniste, il est possible de tirer un premier bilan sur la diffusion d’un tel choc dans l’économie, et d’avoir une idée de qui paye cette inflation importée.

 

Une inflation différenciée selon les ménages

En raison du recours plus important des déplacements en voiture et d’une facture énergétique liée au logement plus élevée, la hausse des prix de l’énergie a frappé en premier lieu les habitants des communes rurales et périurbaines, et dans une moindre mesure ceux des grandes agglomérations. Alors que les ménages vivant en dehors des unités urbaines ont vu le coût de la vie augmenter de 9 % entre la mi-2021 et la fin 2022, ceux résidant en agglomération parisienne ont subi un choc inflationniste plus modéré, de l’ordre de 6 %.

Au cours des douze derniers mois, l’inflation a cependant changé de nature, la contribution de l’énergie à la hausse de l’indice des prix à la consommation s’est réduite au profit de l’alimentaire. Depuis un an, les ménages les plus impactés par l’inflation sont ainsi les plus modestes, car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible. L’inflation actuelle du premier quintile de niveau de vie (les 20 % des messages les plus modestes) est près de 1 % supérieure à celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).

L’analyse du choc inflationniste ne peut cependant pas s’arrêter là. Il est nécessaire également de comprendre la réaction des revenus à cette hausse brutale des prix. Salaires, prestations sociales et revenus du capital se sont-ils élevés d’autant ?

 

Un tassement des salaires vers le bas

Du côté des revenus du travail, le salaire mensuel de base a augmenté de près de 8 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Certes, une telle hausse n’a jamais été vue depuis plus de trente ans mais elle reste insuffisante pour compenser l’inflation. Autrement dit, le salaire réel a diminué de près de 3 % en deux ans.

Avec une hausse de 12 % depuis octobre 2021, le smic a connu, lui, une progression plus rapide que la moyenne en raison de son mécanisme d’indexation sur l’inflation. Si ce mécanisme permet de protéger les travailleurs les plus modestes de l’inflation, rien ne garantit que cette hausse dynamique du smic bénéficie également aux salaires juste au-dessus. De fait, la proportion de salariés touchant ce salaire minimum est passée de 12 % en 2021 à près de 15 % en 2022. Cela confirme l’idée d’un tassement de la grille des salaires vers le bas, de même que la forte hausse des exonérations de cotisations sociales patronales, bien supérieure à la croissance de la masse salariale.

Les prestations sociales, elles, augmentent pour faire face à la hausse des prix. Cela se fait néanmoins avec retard en raison d’une réévaluation annuelle, en janvier ou en avril, calculée sur l’inflation passée. Ainsi, depuis fin 2021, les pensions de retraite n’ont augmenté que de 6 % mais celles-ci seront revalorisées de 5,2 % en janvier 2024. Les autres prestations ont augmenté significativement seulement à partir d’août 2022 avec une augmentation globale de 7,3 % au cours des deux dernières années. Une nouvelle revalorisation de 4,8 % est attendue au 1er avril 2024.

Les revenus du patrimoine financier ont, de leur côté, fortement grimpé, de 35 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Cela s’est fait sous l’impulsion de la remontée des taux d’intérêt et de la forte hausse des dividendes versés. Si le pouvoir d’achat par unité de consommation a crû de 0,5 % entre la mi-2021 et la mi-2023, résistant au choc inflationniste, c’est d’ailleurs en partie dû au fort dynamisme des revenus du capital et à la baisse de fiscalité. L’analyse macroéconomique du pouvoir d’achat, bien qu’indispensable, n’est cependant pas suffisante pour comprendre celle par niveau de vie, avec des ménages dont les revenus ont évolué très différemment sur la période récente.

 

Les entreprises tirent leur épingle du jeu

Au cours des huit derniers trimestres, les entreprises ont vu leur revenu réel (déflaté des prix de valeur ajoutée) s’accroître de 4,3 %, et le taux de marge des sociétés non financières a augmenté de 1,2 point de valeur ajoutée pour atteindre 33 % de la valeur ajoutée, son plus haut niveau depuis 2008 si l’on exclut les années exceptionnelles (2019 l’année du double CICE ou la période covid marquée par des aides exceptionnelles).

Enfin les administrations publiques, en mettant en place des dispositifs pour limiter la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires…) ont vu leur déficit se dégrader malgré la fin des mesures d’urgence liées à la crise covid. Il est ainsi passé de 4,5 % du PIB fin 2021 à 5,9 % fin 2022, avant de se réduire à 4,6 % à la mi-2023 avec la fin du bouclier tarifaire du gaz et de la remise carburant.

Pour résumer, face à l’inflation importée, les entreprises ont jusqu’à présent bien tiré leur épingle du jeu, même si les situations sont très hétérogènes selon les secteurs et les entreprises. Les ménages ont vu leur pouvoir d’achat résister, mais cela masque des dynamiques très différentes entre les revenus du travail et du capital. Enfin, en absorbant une partie du choc inflationniste, les administrations publiques ont vu leur situation financière se dégrader.

Lire sur le site de The Conversation

Comment l’humain réagit-il face à l’inimaginable ?

La prise de conscience qu’on se trouve face à un phénomène inédit est extrêmement difficile car celui-ci n’entre pas dans nos modèles mentaux. L’adaptation de ces derniers, nécessaire pour rendre compte de la nouvelle réalité et lui donner un sens, peut prendre longtemps, ce qui retarde notre réponse.

Cette difficulté est très bien illustrée par la réaction de deux journalistes qui commentaient en direct les attentats du 11 septembre 2001.

La chaîne de télévision NBC New York démarre sa couverture en direct dix minutes seulement après le premier impact sur une des tours du World Trade Center. Pendant les douze premières minutes de la retransmission, les deux journalistes décrivent ce qu’ils voient. Ils savent qu’un avion a percuté la tour, mais ils n’envisagent pas une attaque.

Puis quelque chose d’hallucinant se produit : à la douzième minute, un avion apparaît en haut à droite de l’écran et vient percuter la seconde tour. S’ensuit une énorme explosion à 12 min 30 s. Les journalistes commentent alors cette explosion, mais ne semblent pas avoir vu l’avion, masqué par la première tour. Ils continuent à parler et, là encore, ne pensent pas un instant que la seconde explosion, dans une tour séparée, à quelques minutes d’intervalle, alors qu’on sait que la première est due à un avion, est probablement elle aussi due à un avion, et que ça ne peut donc pas être un accident. Ils continuent de parler d’explosion. La lenteur de prise de conscience est stupéfiante.

À 15 min 22 s, l’un des journalistes repasse la vidéo, mais seulement les quelques secondes qui précèdent l’explosion, ce qui fait qu’on ne voit pas l’avion arriver (il est masqué par la première tour déjà touchée). Pour la première fois, il envisage la possibilité d’un second avion, mais ne poursuit pas.

Puis à 17 min, un auditeur intervient par téléphone et fait remarquer aux deux journalistes que leurs propres images montraient bien un second avion. La chaîne repasse donc l’enregistrement plus en amont, et cette fois, l’avion apparaît sans aucun doute.

À 18 min 32 s, l’un des journalistes envisage une attaque délibérée.

Pourtant, à 26 min, en résumant ce qu’elle sait, l’autre journaliste précise aussitôt : « Je ne devrais pas appeler cela une attaque. »

En apprenant que le FBI vient d’annoncer une enquête sur le détournement de deux appareils, le premier journaliste, avec beaucoup d’hésitation, répète « attaque terroriste », mais sa collègue le reprend en précisant qu’on n’en sait pas assez, et qu’il n’est pas certain que les deux faits soient liés.

Donc, deux avions percutent chacun une tour à 20 minutes d’intervalle, deux témoins assurent que les avions volaient très bas et sont directement allés percuter les tours, mais l’idée d’une attaque semble toujours inimaginable aux deux journalistes.

À 29 min, le journaliste cite à nouveau le FBI, suggérant une attaque délibérée, mais là encore, avec une grande prudence.

À 38 min, les journalistes interrogent à l’antenne un pilote professionnel, témoin de la première attaque. Le pilote précise que l’avion est allé directement vers la tour, et qu’il ne montrait aucun signe de problème technique ou de détresse. Puis il est interrompu par la déclaration du président Bush qui évoque clairement une attaque terroriste. La journaliste résume cependant l’intervention en parlant d’une attaque terroriste présumée. L’entretien avec le pilote reprend. Celui-ci précise qu’en aucune façon un avion commercial n’aurait dû se trouver dans cette zone et à cette altitude. Il ajoute qu’un pilote en difficulté aurait pu éviter les tours sans aucun ­problème.

Il conclut : « Quiconque était aux commandes a foncé délibérément dans la tour. »

Pourtant, les deux journalistes évoquent encore une « probable » attaque terroriste, plus de 40 minutes après le début du reportage, 50 minutes après le ­premier impact.

Et puis, à 52 min, l’annonce de l’attaque du Pentagone intervient, et clôt le débat.

Il a fallu près d’une heure aux deux journalistes pour admettre sans réserve qu’il s’agissait d’une attaque terroriste, alors que les faits étaient sans ambiguïté dès le deuxième impact.

Il ne s’agit pas de mettre en cause les deux journalistes, mais de bien souligner une fois encore la difficulté qui était la leur d’admettre qu’ils étaient face à une situation totalement inédite. Rien n’est plus triste que la mort d’une illusion, remarquait Arthur Koestler. Rien n’est plus difficile non plus à abandonner.

 

Les surprises ne sont ainsi pas des situations binaires, où il y aurait un avant – aveuglement – et un après – réaction – bien nets.

Il y a un entre-deux, qui peut se révéler extrêmement long, de prise de conscience durant lequel on sent que quelque chose se passe, mais ce quelque chose n’entre pas dans nos modèles mentaux. Il ne peut donc pas être correctement pris en compte. Cet entre-deux peut durer quelques minutes, comme dans l’exemple des deux journalistes, quelques jours, comme au tout début de la crise liée au covid quand les experts nous rassuraient en expliquant qu’il n’était qu’une mauvaise grippe, ou quelques années, comme dans le cas des ruptures que vivent les organisations.

Sans qu’il y ait de solution facile à cette difficulté, une sensibilité accrue aux anomalies rencontrées qui ne cadrent pas avec notre modèle est indispensable. Elle se développe par un travail explicite sur nos modèles mentaux, et sur la création de mécanismes organisationnels destinés à faire de ce travail une habitude. Les anomalies ne doivent ainsi pas être ignorées comme des aberrations, mais étudiées comme des signaux possibles d’une faiblesse de nos modèles.

Sur le web.

Le libertarien Javier Milei, nouveau président de l’Argentine

Il l’a fait. Javier Milei, ce candidat excentrique qui, il y a quelques mois encore, apparaissait comme un outsider en qui personne ne croyait, tant son profil et son discours étaient loufoques, a remporté le second tour de l’élection présidentielle avec 55,6 % des voix, et devient donc le nouveau président d’Argentine.

Pourtant, les résultats du premier tour et les sondages qui ont suivi laissaient croire à une probable victoire de son adversaire, Sergio Massa. La stratégie de modération pour lisser son image, ainsi que le soutien de la droite et du centre-droit, ont très certainement participé à la victoire de Milei. Il faut croire que les Argentins, lassés du péronisme et assaillis par une situation économique désastreuse et une inflation qui n’en finit pas, ont décidé d’enfin tourner le dos au dirigisme, au protectionnisme et à l’étatisme. Il était temps !

Qu’on enterre des méthodes politiques et économiques dont le seul mérite est d’avoir fait preuve de constance dans l’échec devrait, logiquement, nous réjouir. Cependant, un rapide coup d’œil au traitement médiatique de l’élection de Javier Milei nous fait rapidement déchanter…

Mais par-delà la réception de son élection en France, nous connaissions le « candidat Milei », qui sera et qu’attendre du futur « président Milei » ?

 

Un traitement médiatique caricatural qui manque le sujet principal

La presse française, en général peu prolixe sur le sort de l’Amérique latine, qui subit pourtant depuis des décennies les affres de l’illibéralisme, ne manque pas de qualificatifs pour s’indigner de l’élection du nouveau président argentin. En effet, un vent de panique souffle depuis ce matin sur les rédactions, persuadées d’assister à un nouvel épisode de l’avancée de l’extrême droite populiste dans le monde : après Donald Trump, Boris Johnson, Jair Bolsonaro ou encore Viktor Orbán, Javier Milei rejoint la liste des infréquentables réactionnaires faisant progresser l’extrême droite dans le monde.

Le journal Le Monde annonce par exemple l’élection d’un « candidat d’extrême droite », et Guillaume Erner, au micro de France Culture, parle d’un « économiste ultralibéral fan de Donald Trump ». Sur France Info, c’est encore l’association à Donald Trump qui est mise en avant dans le chapô de l’article. Et l’on pourrait multiplier les exemples.

À nouveau, l’étiquette libérale est associée à tout un tas d’idées qui ont comme dénominateur commun de porter une connotation péjorative : « ultralibérale », « populiste », « polémiste », « climato-sceptique », « anti-avortement », « antisystème ». Cette nébuleuse de représentations négatives permet de construire un homme de paille facile à délégitimer, tout en négligeant de mentionner le vrai sujet : l’avenir de l’Argentine et des Argentins.

Dénoncer ce traitement malhonnête et caricatural ne signifie pas que les libéraux soutiennent sans réserve Javier Milei. La réalité est même tout autre : le « camp libéral » se trouve divisé face à l’interprétation à donner du personnage, de ses idées, et de sa capacité à résoudre les crises qui frappent l’Argentine. Une majorité de libéraux n’est pas dupe des faiblesses de Milei, et ont peu de difficultés à garder un regard critique sur son côté démagogique et excentrique, sur ses positions sur l’avortement, ou encore sur son climato-scepticisme. En revanche, quelle que soit notre opinion sur le personnage et son discours, il apparaît clairement comme la moins mauvaise alternative.

Le péronisme et ses méthodes ont ruiné l’Argentine, et la victoire de Milei est avant tout une sanction (certes tardive…) de ce bilan catastrophique. Que l’économiste soit « libéral », « ultralibéral », « libertarien » ou « anarcho-capitaliste » importe finalement peu, et dissimule l’enjeu principal, c’est-à-dire la nécessité d’une rupture profonde avec le dirigisme économique et politique qui règne sur le pays depuis des années. C’est par exemple le sens du tweet de Ferghane Azihari, qui reconnaît sans difficultés que « le scepticisme à l’endroit de Milei est justifié », mais qui invite surtout les commentateurs à se demander pourquoi « l’un des pays jadis les plus riches de l’humanité est sorti de l’histoire ».

https://twitter.com/FerghaneA/status/1726488502638874869

La confusion des genres entretenue par le traitement médiatique de l’élection de Javier Milei passe donc complètement à côté du sujet principal, au profit d’un récit dans lequel l’Argentine tomberait dans les mains de l’extrême droite et de « l’ultralibéralisme » antisocial. On reconnait ici l’abécédaire des mauvaises critiques du libéralisme.

Faut-il rappeler à tous ces commentateurs peu rigoureux qu’il existe pourtant une contradiction profonde entre les idées libérales et les idées d’extrême droite, caractérisées par un fort dirigisme et protectionnisme économique et des idées fondamentalement étatistes ? Ou encore, que la pensée libérale et la pensée libertarienne ne se confondent pas, et qu’il est donc absurde de qualifier Milei d’être à la fois libertarien, libéral, anarcho-capitaliste, d’extrême droite, réactionnaire…

Le RN, étatiste et dirigiste, est considéré comme d'extrême-droite. Le nouveau président argentin Javier Milei, libertarien, est aussi considéré par nos commentateurs comme d'extrême-droite. Cette contradiction ne dérange personne? Je n'ai guère de sympathie pour Milei mais…

— Laetitia Strauch-Bonart (@LStrauchBonart) November 20, 2023

Bref, le sort des Argentins n’intéresse toutes ces bonnes âmes que lorsqu’elles peuvent l’instrumentaliser pour tenir un discours antilibéral. La véhémence des jugements portés sur Milei contraste avec la faiblesse des condamnations du péronisme, prouvant à nouveau qu’en matière de morale et de politique, l’indignation à géométrie variable règne en maître.

 

Du candidat Milei au président Milei : qu’attendre ?

Alors, qu’attendre de cette victoire ? Quel type de président Javier Milei sera-t-il ?

Il est évidemment difficile de répondre de manière définitive à ces questions. Si le fait que Javier Milei soit un Objet Politique Non Identifié, on peut néanmoins postuler que (et c’est normal) le « président Milei » ne se confondra pas avec le « candidat Milei ».

Le « candidat Milei » était définitivement libertarien plus que libéral, et c’est pour cette raison que son populisme assumé n’entrait pas en contradiction avec le reste de son discours. En effet, le libéralisme classique s’accommode peu d’un discours populiste, en ce que la philosophie libérale est, depuis John Locke, une pensée de l’État ancrée dans le réel, cherchant à concilier la protection de l’individu des excès de l’arbitraire et du pouvoir avec la naissance des États modernes.

En revanche, la pensée libertarienne est une philosophie profondément utopiste qui assume défendre un idéal et des positions principielles, en faisant peu de place à la question de la possibilité de son avènement dans le réel.

Comme l’explique Sébastien Caré dans son ouvrage La pensée libertarienne :

« La valeur de l’utopie libertarienne est essentiellement négative, et s’éprouve dans la fonction critique que Ricœur assignait à toute doctrine utopique » (p. 337).

Cette utopie libertarienne remplit une « fonction heuristique salutaire dans le débat démocratique ainsi que dans la discussion philosophique contemporains » (p. 338).

Autrement dit, les idées et la posture libertariennes s’accommodent parfaitement des exigences électorales qu’impose le statut de « candidat », et sa victoire finale ce dimanche 19 novembre vient nous le confirmer. De plus, la dimension subversive, antisystème et anti-élite du libertarianisme s’accorde assez bien avec une posture politique populiste. C’est ce qu’incarnait le candidat Milei.

Le « président Milei », lui, sera certainement contraint par la réalité du pouvoir d’abandonner les habits confortables de l’utopie pour enfiler ceux du réalisme politique.

Perdant de sa radicalité et de sa pureté intellectuelle, il se rapprochera certainement, dans sa méthode de gouvernement, des positions d’un libéralisme classique, davantage armé pour répondre aux exigences de la responsabilité du pouvoir. Cette interprétation rend encore plus ridicules les inquiétudes partagées par l’ensemble de la presse française, qui juge davantage le candidat que le président.

Car sur le plan économique et politique, on ne peut qu’accueillir positivement son programme, et on espère qu’il réussira à libéraliser l’Argentine. Des questions restent toutefois en suspens, notamment sur sa capacité à pouvoir tout appliquer.

Par exemple, il est probable que sa volonté de dollariser l’économie se heurte à la réalité du déficit massif du pays et à l’absence de réserves suffisantes dans le cas de l’adoption du dollar comme monnaie légale. L’inflation subirait un coup d’arrêt, mais l’économie argentine n’aurait plus de marge de manœuvre pour lutter contre la déflation. En outre, sa politique monétaire dépendrait entièrement des décisions de la Fed pouvant être contradictoires avec les besoins des marchés argentins.

Enfin, son libéralisme et son antiétatisme sont difficilement conciliables avec sa volonté d’être intraitable sur les questions sécuritaires. Si ce positionnement est compréhensible tant la criminalité et la corruption sont des poisons en Argentine, on est en droit de s’interroger sur le rôle qui sera donné à l’État dans cette quête sécuritaire.

 

Cela explique certainement pourquoi les libertariens adhèrent, dans l’ensemble, au discours et au personnage du « candidat Milei », quand les libéraux classiques le soutiennent avec davantage de réserves, et ont le regard tourné vers ce qu’accomplira le « président Milei » confronté au réel.

Révolution libérale, populaire et démocratique en #Argentine

Il était temps de tourner la page du kirchnerisme qui a plongé la moitié de la population dans la pauvreté et lègue un pays au bord d'une des pires crises économiques de son histoire.

La tâche de #Milei est titanesque pic.twitter.com/ZLVU5JvzRX

— Maxime Sbaihi (@MxSba) November 20, 2023

Il nous reste donc à rappeler que non, malgré son excentricité et son populisme, Javier Milei n’est pas plus un Trump Bis qu’il n’est d’extrême droite. Il est simplement le visage d’un ras-le-bol, contre le péronisme et l’étatisme, et d’une volonté, celle d’enfin libéraliser un pays qui en a bien besoin. Pour ces raisons, on est en droit de considérer que dans ce contexte, Javier Milei est la meilleure chose (ou la moins mauvaise) qui puisse arriver à l’Argentine.

Mais cet optimisme doit être raisonné et lucide, et les libéraux seront les premiers à rappeler à l’ordre Javier Milei s’il n’est pas à la hauteur du rendez-vous : rien de plus que l’avenir du pays.

2.13.0.0

Le septennat : les 150 ans d’une loi provisoire

Aujourd’hui 20 novembre, le septennat fête ses 150 ans. Bien qu’il ait été remplacé depuis plus de vingt ans par le quinquennat, il suscite toujours des nostalgies. Or, l’idée singulière de confier le pouvoir à quelqu’un pendant sept ans, ce qui est long dans une démocratie, est le résultat d’une loi conçue comme provisoire. Un provisoire qui devait durer 127 ans !

L’adoption du quinquennat en 2000 a pourtant laissé des inconsolables du septennat si on en juge par des propositions récurrentes de le rétablir sous la forme d’un mandat présidentiel unique. Mais d’où sortait donc ce septennat ?

En 1873, la présidence était en France une institution mal établie et peu identifiée avec la république. La Première République n’avait connu aucun président mais, sur son déclin, le consulat décennal avec la Constitution de l’an VIII. La Seconde République avait établi une présidence à l’américaine et un mandat de quatre ans non renouvelable. Un certain Louis-Napoléon ne pouvant s’en contenter fit le coup d’État que l’on sait. Cela ne contribua pas à donner beaucoup de confiance dans cette magistrature suprême. Adolphe Thiers réussit à relever la présidence pour son compte personnel en 1871.

Voilà pour le contexte. Voyons le texte.

 

Un septennat personnalisé

Cette loi, très brève, ne compte que deux articles dont seul le premier nous importe ici :

« Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de président de la République et dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles. »

Comme on le comprend à la lecture de cet article très surprenant, il s’agit d’un texte de circonstance et d’une loi provisoire. On n’instaure pas une présidence de la République de sept ans, mais on confie à Mac Mahon le pouvoir exécutif pour sept ans avec le titre de président de la République. Croyant établir une régence sous une apparence républicaine et préparer une restauration, la majorité monarchiste fondait sans le savoir la République par le septennat.

 

Organiser la présidence pour la rendre puissante et durable

Depuis le Manifeste du comte de Chambord affirmant son attachement au drapeau blanc, les monarchistes, majoritaires à l’Assemblée nationale, se trouvent dans l’impasse.

Ils ne sont donc pas pressés de sortir du provisoire dans lequel vit la France depuis 1871 et souhaitent ainsi maintenir le statu quo le plus longtemps possible dans l’espoir d’une mort prochaine de l’encombrant dernier Bourbon de France.

L’Assemblée avait contraint Adolphe Thiers à la démission, le 24 mai 1873. Se posait la question non pas de sa succession, le maréchal de Mac Mahon prenant la relève, mais de la fonction présidentielle. Thiers tenait son pouvoir de l’Assemblée, cumulant les fonctions de chef d’État et du gouvernement, et il en allait de même du maréchal. Il devenait nécessaire d’organiser cette magistrature pour la rendre puissante et durable.

 

La réconciliation des Bourbons et des Orléans

Mais il convient de revenir sur cette période qui va de l’été à l’automne 1873 pour mieux comprendre les enjeux du septennat.

Début août, le comte de Paris s’était rendu à Frohsdorf et avait fait acte d’allégeance au comte de Chambord. La réconciliation des Bourbons et des Orléans n’ouvrait-elle pas la voie de la restauration ? C’était, une fois de plus, une chimère. « Henri V » fidèle à lui-même, se trouvait en complet décalage avec son temps et le pays sur lequel il songeait vaguement à régner.

Partout dans les campagnes, républicains et bonapartistes battaient le tambour du retour de l’Ancien Régime honni. Ils agitaient le spectre des dîmes, du droit de cuissage et la remise en question des biens communaux. Tout cela était absurde mais diantrement efficace.

 

L’insondable bêtise du comte de Chambord

Comme l’écrit caustique Daniel Halévy :

« les peuples acceptent assez bien d’être conduits, mais c’est à condition qu’on les conduise quelque part. »1

Or les monarchistes naviguaient à l’aveuglette, vivant dans le déni de l’impossibilité de leurs espérances. La majorité dont disposait le duc de Broglie n’était guère solide et dépendait de la bonne volonté d’un « centre gauche » indécis et d’une poignée de bonapartistes à l’appui douteux.

Mi-octobre, l’ultime tentative de Chesnelong, envoyé par le duc de Broglie auprès du comte de Chambord fut aussi vaine que les précédentes. « Jamais je ne renoncerais au drapeau blanc » répéta le prince. Comme les monarchistes faisaient toujours mine de n’avoir pas compris, et laissaient entendre qu’il accepterait le drapeau tricolore malgré tout, « Henri V » fit publier dans L’Union du 30 octobre un démenti des plus formel : « Je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse ».

Les légitimistes furent partagés entre l’accablement et la révolte devant l’insondable bêtise de leur chef.

 

Coupons la poire en deux et faisons le septennat

Le duc de Broglie comprit qu’il ne restait plus qu’une chose à faire : mettre l’État sous la garde durable du Maréchal.

Le 5 novembre, il lut à l’Assemblée un message présidentiel. Jugeant insuffisante la définition de ses pouvoirs, le maréchal réclamait leur prolongation pour dix ans. Aussitôt, une commission se constitua, présidée par une figure du centre gauche, Édouard de Laboulaye. Ce dernier proposa un mandat de cinq ans. Broglie rétorqua en coupant la poire en deux, sept ans à mi-chemin du décennat et du quinquennat. Laboulaye voulait bien, mais à condition que soient votées des lois constitutionnelles pour sortir du provisoire.

Broglie reparut à la tribune avec un second message du maréchal. Le septennat « serait plus en rapport avec les forces que je puis consacrer encore au pays » déclarait-il. Mais il exigeait un vote rapide, menaçant de démissionner. Jules Grévy monta à la tribune pour dénoncer le septennat contraire à toutes les traditions du pays. Cela ne devait pas l’empêcher d’être le premier président à terminer un septennat quelques années plus tard.

Le duc de Broglie finit par rallier sa majorité :

« Défenseurs de l’ordre social, défenseurs de l’ordre moral, n’abandonnez pas votre chef ; ne diminuez pas ses forces quand vous accroissez son fardeau ; ne détruisez pas son ouvrage avant de l’avoir commencé… »

 

Le septennat satisfait tout le monde

Le septennat fut voté avec une majorité de 70 voix. Les monarchistes y voyaient l’avenir préservé. Pour les bonapartistes, c’était un instrument utile pour un retour à l’Empire. Le centre gauche estimait que la République serait garantie pendant sept ans dans les mains d’un soldat légaliste. La gauche était partagée. Les uns criaient tout haut à la dictature, les autres tout bas se consolaient. La république n’entrait-elle pas par cette petite porte ?

Cette loi de circonstance deviendra définitive et coulée dans le bronze par la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Ce septennat, surgi de nulle part, s’imposera comme la norme républicaine en France sous trois républiques avant que l’on ne revienne au décennat consulaire, déguisé sous la forme du quinquennat renouvelable.

Mais c’est une autre histoire…

  1. La république des ducs, Pluriel 1995, p. 36

[Enquête] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Le Mali du colonel Assimi Goïta est devenu une colonie de Moscou. Depuis bientôt deux ans, le groupe Wagner, bras armé de l’impérialisme russe en Afrique, y sème la terreur et ne cesse de monter en puissance. Ses actions destructrices ont des conséquences désastreuses pour la stabilité des pays du golfe de Guinée, du Maghreb et du sud de l’Europe.

Cet article représente le premier volet d’une enquête au long cours destinée à être publiée en 2024 sous une forme beaucoup plus exhaustive. L’actualité récente de la prise de Kidal par les terroristes de Wagner le 14 novembre dernier m’a conduit à bouleverser mon calendrier pour sensibiliser le grand public au sujet d’un double ethnocide qui a lieu en ce moment même au sud des frontières européennes, dans le grand voisinage de l’Europe.

 

Pourquoi enquêter sur les victimes de Wagner au Mali

Depuis le retrait de la force Barkhane, le régime putschiste installé à Bamako s’appuie sur le groupe paramilitaire russe Wagner pour se maintenir au pouvoir et régler des comptes historiques avec deux groupes ethniques : les Peuls et les Touareg.

Moura, Hombori, Logui, Tachilit, Ber, Ersane, Kidal, Tonka… ces noms de lieux sont devenus synonymes de carnages pour des milliers de civils issus de ces deux ethnies. Tout se passe exactement comme si le régime d’Assimi Goïta avait planifié et mis en œuvre le massacre systématique de tout individu targui et peul. Hommes, femmes et enfants sont ciblés sans distinction, pourvu qu’ils soient des Touaregs ou des Peuls.

Ces six derniers mois, j’ai pris contact avec des centaines de victimes de Wagner pour recueillir leurs témoignages. Ces témoins sont majoritairement des hommes originaires de Tessalit, Tombouctou, Gossi, Gao, Kidal et Ménaka, communes du nord du Mali qui étaient sécurisées par l’armée française jusqu’en 2021/2022. La plupart d’entre eux ont fui leurs villes et leurs villages pour se réfugier dans des pays limitrophes en Afrique de l’Ouest (Mauritanie, Niger), en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie) et même en Europe du Sud (France). Ceux qui sont restés vivent dans l’épouvante au quotidien. Tous sont polytraumatisés. Leurs récits nous renseignent sur les méthodes sanguinaires de l’impérialisme russe en Afrique. Les citations rapportées sont directes, il n’y a aucune reformulation. J’ai aussi laissé les fautes d’orthographes, lorsqu’elles proviennent de témoignages écrits. Les prises de parole que j’ai retranscrites ou restituées ici émanent toutes d’individus qui ont pris des risques en dialoguant avec moi et en acceptant que leurs récits soient publiés. Il ne s’agit que d’une petite partie des témoignages que j’ai recueillis. Je n’ai volontairement donné aucune indication précise sur les identités et les lieux de vie des témoins, pour ne pas les exposer ni exposer leurs familles à des représailles certaines.

 

Exécutions sommaires, tortures, pillages, viols : récits des premiers actes commis par les Wagner à leur arrivée dans des communes peuplées de Peuls ou de Touareg

Les Wagner dominent par la terreur. Les témoignages de leurs arrivées dans une commune Peule ou Targui comportent de nombreuses récurrences sur leurs modes opératoires. De nuit ou de jour, ils commencent par épouvanter la population locale en tuant des innocents sous couvert de lutte contre le terrorisme. Ensuite, ils détruisent les ressources locales et procèdent à des pillages et à des viols :

« Le jour de leur arrivée ils ont commencé par exécuté 9 personnes dont 3 vieux et 2 enfants. Les autres jours ils entrent dans les maisons pillent les commerces , chaque [jour] ils abattent parmi nos animaux pour leur cuisine. »

« Ils sont venus avec les militaires maliens. Sans chercher à comprendre, ils ont tués des innocents. Ça a été tellement rapide ! Les hommes ont été envoyés loin du village, ensuite les femmes ont été choisies comme des mangues au marché, uniquement pour nous violer. J’ai été violée par 5 hommes pendant 2 h de temps . Mon époux était parmi les personnes tuées. »

« Ils sont venus chez nous après une attaque contre l’armée malienne. Suite aux interrogations, ils ont amenés 14 personnes, des peuls, Touaregs et arabes et jusqu’à présent personne d’entre eux n’est jamais revenu. Bientôt un an Sans aucune nouvelle d’eux. Ils ont des familles, des épouses et des enfants. C’est vraiment déplorable. »

« Ils sont rentrés dans mon village pendant le jour du foire hebdomadaire avec des hélicoptères et chasseurs de DJENNÉ sur les motos , ils ont cernés le village, commencé a tiré sur tout le monde au marché. Ceux qui ont fuit pour se réfugier dans la brousse ont croisés les chasseurs et Wagner et militaires, ils ont été tués immédiatement. Ceux qui se sont réfugiés au village ont été capturés vivants, brûlés vivants sans motif. Chez nous, l’état avait abandonné le lieu pendant 9 ans , tout le monde était sous Influences des djihadistes. Au lieu de nous protéger, ils ont tués des gens comme des animaux. Après avoir tués les gens, ils ont tout pillé et abandonnés les corps dans la brousse et dans les rues. C’était désastreux ! Ceux [Ce] qu’ils disent à la télé n’est que la moitié du nombre de personnes tuées. »

« Quand les wagner sont tombés dans une embuscade sur la route principale de niono , après qu’il y’a eu des morts parmi eux , un convoi s’est dirigé à Ségou pour amener les blessés à l’hôpital et dépose les cadavres a la morgue et le second convoi s’est dirigé dans notre village. Ils ont fait une descende musclée chez un marabout peul qui enseigne les élèves coraniques, après avoir rentré , ils n’ont parler à personne. Ils ont fait le tour de la maison , fouiller les chambres et finit par enlevé 4 élèves coraniques ,tous des peuls , j’ai grandi avec eux au village. Deux ont été amenés à Ségou jamais retourner, et les corps sans vies de deux autres abonnés à la sortie de la ville. C’était la PANIQUE au village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous , ils disaient que notre communauté informait les djihadistes mais c’était faux. Tous les jeunes et vieux ont été ramenés a 3 km de la ville , pour poser des questions que nous n’avons pas eu de réponse . Ils demandaient pourquoi nous informait les djihadistes ? Nous avons répandu que nous ne connaissons pas de djihadistes. Ils ont tiré avec une arme sur les pieds de 3 personnes dont un a succombé après quelques jours, un à perdus son pied et le troisième n’est toujours pas guéri. Ils m’ont frappé avec un bâton, j’ai des cicatrices sur ma tête actuellement. Après leurs auditions, ils n’ont pas laissé un seul animal, ils ont tous pris ».

« Mon ami tamachec à été tué chez lui et sa femme à été violée par les hommes de Wagner. Il n’a rien fait, son seul tord est d’être né avec la peau blanche. Ils l’ont soupçonné d’être en contact avec les djihadistes. C’était faux. »

« Après avoir été attaqués par les djihadistes qui a causés des pertes de vies dans leur rang , ils sont venus pour se venger des peuls sans motif . Brûlés nos champs, nos maisons et emportés nos animaux. »

« Wagner est arrivé dans mon village, ils cherchaient quelqu’un qui avait été indiqué mais absent depuis 6mois. Après avoir finit de questionnés les Villageois, ils voulaient amenés les femmes dans une maison et les violés. Quand nous nous sommes opposés, ils ont abandonnés l’idée en s’attaquant aux jeunes pourqu’ils disent s’ils ont vues l’intéressés. Moi étant le fils du chef de village, ils m’ont amené en brousse, me torturé et me laisser pour mort et continue leur route. Trois jours plutard, nous avions appris qu’ils arrivent, nous avons fuit en laissant tout derrière nous. Ils sont rentrés au village avec les militaires maliens et brûlés le village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous, ils nous ont d’abord demander de nous écarté des animaux. c’etait en brousse ! Lorsqu’ils ont commencés à poser des questions, l’un d’entre nous par peur à voulut s’enfuir, et sans hésiter, ils l’ont tirer à bout portant au dos. Il est mort sur place. Ensuite ils ont demandé à mon frère aîné Mohamed  [le prénom a été changé] de se déshabiller, lui voulait savoir pourquoi, ils ont mis une balle en tête. Je tremblait jusqu’à ce que j’ai pissé sur moi. Ils ont embarqué tous les animaux, et me mettre une balle au pied droit. Comme ce n’était pas loin de la ville, je me suis débrouillé Pour rentré en ville, mais j’avais perdu tellement de sang que je me suis évanoui et me réveiller à l’hôpital. Nos parents ont enterrés les corps. »

« Ma Femme à fait une fausse couche et elle a perdue notre bébé de 4 mois. Plusieurs personnes ont été blessés parce qu’elles voulaient au moins récupéré leurs bien dans les maisons qui étaient entrain d’être brûlés par les Wagner »

 

Vivre sous le joug de Wagner : « la peur est devenue notre quotidien »

Avant l’arrivée de Wagner, les témoins que j’ai interrogés avaient une profession ou étudiaient. Ils étaient bergers, commerçants, comptables, réparateurs de motos, vendeurs en boutique, transporteurs, gardiens, étudiants. Aujourd’hui ils ont perdu leurs emplois et leurs ressources. Les étudiants ne vont plus à l’université. Leurs familles sont détruites : ils ont vu des proches se faire assassiner, violer, torturer. Certains éduquent les « bébés Wagner », ces enfants qui sont nés après les viols.

Voici comment ils décrivent leur quotidien :

« Je n’ai plus de vie, je n’arrive pas à faire enlever les mauvais souvenirs en tête. J’ai vu mes parents et amis brûlés vivants par les hommes blancs, militaires maliens et chasseur. »

« Toujours dans la peur de se faire massacrer. Les Wagner tuent des gens partout où ils passent. »

« Les mercenaires ont changé notre train de vie, Tu ne peux plus penser à voyager à l’intérieur de la Région sans que tu ne crains pour ta vie, ils sont devenu les cauchemar des populations depuis leurs arrivés à Ber dans la région de tombouctou »

« Ma vi cest la dépression, des sentiments de nostalgie, la souffrance psychique »

« L’élément majeur c’est l’asile de tous mon village en Mauritanie. »

« Nous avons souffert de l’expulsion de nos familles vers des camps de réfugiés par peur de l’oppression financière et de l’oppression de Wagner. Nous avons perdu nos emplois, nos villes et nos vies auxquelles nous étions habitués, tout comme nos enfants ont perdu leur éducation. »

« A cause de wagner, notre communauté à été obligée de fuir. Nous sommes victimes de racisme sans nom par ce que nous sommes des Touaregs»

« L’image de la Scène est toujours devant mes yeux. Mon meilleur ami et collaborateur à été tué et sa femme violée. C’est terrible ! »

« Nous n’avons plus de travail, animaux et maisons à cause de Wagner. Ils ont bafoués notre dignité en Violant nos sœurs et épouses sous nos yeux »

« Ils m’ont pris des amis et à cause d’eux les peuls de notre village qui ont cohabiter avec nous pendant plusieurs générations ont fuit. Ce n’était pas des djihadistes. »

« Ils nous ont tout pris. Celui qui brûle ton village t’a humilié et détruit ta vie. »

« Ils m’ont rendus rancunier et fou»

« Wagner à détruit notre avenir. Jamais nous ne pardonnons »

 

Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako

J’ai demandé à tous les témoins que j’ai consultés si pour eux, la Russie était responsable des actions de Wagner. Bien que les sociétés militaires privées soient interdites en Russie, le groupe Wagner a bien été créé pour servir les intérêts de Moscou de façon officieuse. Cette ambiguïté n’existe plus depuis que le président Poutine a signé un décret contraignant les groupes paramilitaires à jurer « fidélité » et « loyauté » à l’État russe, deux jours après la mort du chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine. Il restait à savoir si elle subsistait sur le terrain. Elle n’existe pas. Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako d’être responsables de la terreur qu’elles endurent. Certains témoins ont été informés du rattachement officiel du groupe Wagner à l’État russe publicisé en août 2023. D’autres n’ont tout simplement jamais fait la différence entre les deux :

« La Russie est le premier responsable mais surtout le gouvernement malien. »

« Oui le premier responsable c’est la Russie qui veut transférer sa guerre géopolitique contre l’Occident sur notre territoire, une guerre qui ne nous profite en aucun cas. Le kremlin influence beaucoup sur la gestion du pouvoir au mali »

« Bien sûr récemment avec l’actuel réorganisation de l’organisation après la mort de Prigojine. »

« malheureusement, Wagner est la main de la Russie en Afrique et en est responsable. »

« La politique étrangère de Moscou est lamentable et par ailleurs la Russie y sera toujours pour quelques choses »

« Oui parce que ce sont des russes »

 

« Pas d’avenir autre que la mort » : quel futur pour les Peuls et les Touareg au Mali ?

Pas une victime de Wagner ne pense que justice lui sera rendue. Les témoins ne font état d’aucun espoir et n’envisagent aucune issue à la situation actuelle, si ce n’est l’exil (lorsque c’est possible) :

« L’avenir est vraiment ambigu, très effrayant et sombre. Nous ne pouvons rien attendre de l’horreur de ce que nous voyons et de ce que nous voyons d’injustice et de tyrannie et du silence du monde sur ce qui se passe. »

« Un avenir incertain et plein d’embûches avec la volonté de la junte à faire la guerre utiliser ses drones contre le Peuple Touaregs et peulhs »

« Aujourd’hui l’avenir pour nous est incertain, il est presque sans issue. Je n’ai pas de travail. »

« Nous avons besoin d’assistance sur le plan sécuritaire car le Mali le Niger et le Burkina ce sont donner la main pour tuer tout ceux qui ne sont pas avec eux au sahel »

« L’avenir est incertain, nos maisons sont brûlés et nous n’avons plus de boeuf. »

« Je ne crois plus à l’avenir. J’ai besoin que mes enfants étudient et avoir une vie meilleure »

Non, tout n’est pas relatif !

Depuis Einstein, la théorie de la relativité a rejoint l’univers des métaphores pseudo-analytiques des sciences sociales. Aujourd’hui abondant, cet univers fait passer des images pour des raisonnements, et des procédés stylistiques pour des démonstrations intellectuelles solides. Souvent, ce sont des vues de l’esprit. Si elles n’étaient assises que sur du vent, ce ne serait pas un problème.

Mais ces petits jeux avec les concepts scientifiques ne reposent pas uniquement sur des ambitions littéraires. Ils sont fréquemment les instruments de défense de visions du monde que l’on appelle communément « idéologies ». Ainsi du relativisme, utilisé à tort, à travers et à contresens, pour défendre une cause un jour, et son opposé le lendemain.

À l’instar de Darwin qui ne projetait strictement aucun projet eugénique, Einstein n’augurait pas de la conversion sociologique de sa théorie. Pourtant, pas un jour ne passe sans que responsables politiques et chercheurs n’en fassent usage. Certes, on ne cite plus nommément Albert Einstein pour appuyer ses convictions. Mais on souscrit aisément à l’aphorisme populaire selon lequel « tout est relatif ».

Un citoyen sur 182 000 marcheurs contre l’antisémitisme exprime à la télévision « qu’il y a une importance aujourd’hui de prendre conscience du problème de l’islamisation » ?

Je n'y étais pas, je ne dirais pas que c'était représentatif du public mais à coup sûr il avait bien compris à quoi sert de manifester avec Zemmour, Le Pen, Ciotti ou Meyer Habib… https://t.co/6lmcC0o5Xg

— Aurélien Saintoul (@A_Saintoul) November 12, 2023

 

Cela permet à Antoine Léaument de justifier l’absence active de membres de La France Insoumise à la manifestation du 12 novembre :

« Défendre les juifs en attaquant les musulmans, c’est ça le projet ? ».

https://twitter.com/ALeaument/status/1723715520644432184

Dans un autre genre, le relativisme permet à Aymeric Caron de trouver matière à disserter, à relativiser sur la séquence filmée des attentats commis par le Hamas :

« Il faut quand même aussi avoir conscience que c’est un film qui est réalisé par l’armée israélienne et qu’il y a un but ».

Bientôt, les négationnistes de La France Islamiste vont nous expliquer que les films sur les camps de concentrations nazis sont à prendre avec précaution parce qu’ils ont été tournés par l’armée américaine. 🤮 https://t.co/zXTT6tM0lC

— Bertrand Martinot (@BMartinot) November 15, 2023

 

Le même qui, quelque temps plus tôt, ne voyait aucun inconvénient à comparer les moustiques à des mères qui risquent leur vie pour leurs enfants.

Toute perspective étant équivalente par ailleurs, l’usage du relativisme permet à n’importe qui de dire n’importe quoi. Il est surtout un moyen utile de défendre un agenda politique.

Un sociologue, aujourd’hui oublié de ses pairs, avait proposé en son temps une réflexion qui peut nous éclairer. Raymond Boudon distinguait deux sortes de relativisme : cognitif et culturel.

Le premier dissout la vérité objective dans la (métaphorique) construction sociale. Exemple : Louis Pasteur n’est pas l’inventeur du vaccin contre la rage. Il a été construit comme tel, car il a emporté la victoire dans la guerre (une fois encore métaphorique) qui l’opposait à ses détracteurs. Grace au dénominateur commun du « construit », les différences objectives disparaissent. Comme écrivait Boudon : « Il s’agit d’une banalité si l’on s’en tient à cette proposition ou d’une contre-vérité si on y lit un message relativiste[1] ».

Le relativisme culturel poursuit en ce sens. Il horizontalise les pratiques sociales. Toutes les cultures se valent et subséquemment, tous les types de gouvernement. De cette façon, on peut relativiser la différence entre la démocratie et la dictature, l’inscrire sur un continuum, comparer Emmanuel Macron à Caligula, et l’abaya à un symbole de respect de la femme.

Boudon s’interrogeait sur le succès de ces deux postures dans les sciences sociales.

Selon lui, « le relativisme représente l’une des thèses fondamentales de la sociologie et de l’anthropologie contemporaine[2] ».

Ce constat est encore vrai de nos jours. La littérature académique est parsemée de pièges relativistes dont il faudrait réaliser l’inventaire à la Prévert.

Bruno Latour indiquait être en désaccord avec ceux qui le considéraient comme un relativiste. Il se disait « relationniste ». La différence apparait comme purement intellectuelle. Dans La science en action, il écrivait :

« Puisque les humains doués de parole aussi bien que les non-humains muets ont des porte-parole je propose d’appeler actants tous ceux, humains ou non-humains, qui sont représentés afin d’éviter le mot d’acteur trop anthropomorphique ».

Voilà qu’à travers le mot actant, Aymeric Caron pourra quelques années plus tard, dans le plus grand des calmes, ne voir aucune différence entre une larve et un nouveau-né. Le latourisme est un relativisme. Signataire d’une tribune de soutien à Éric Piolle, repris (malgré les débats qu’il peut y susciter) par une large partie de la gauche insoumise, Bruno Latour est une de ces illustrations de la conversion du relativisme intellectuel en relativisme vulgaire.

Le 13 mai 2020, il amorçait un entretien accordé à Libération par une idée pour le moins surprenante :

« On ne peut encore cerner le virus, socialement, politiquement, collectivement. Il est une construction extrêmement labile… ».

Pourquoi ne pas s’arrêter à la première proposition ? Un virus est-il une construction ? Ou est-il d’abord ce que les autorités scientifiques disent qu’il est ?

Pour Raymond Boudon, le succès du relativisme était dû à la radicalisation du principe du tiers exclu.

Celui-ci « érige des termes contraires en termes contradictoires[3] ». Autrement dit, « si un objet n’est pas blanc, c’est qu’il est noir[4] ». Ou encore pourrait-on dire si un parti ne suit pas la ligne des Insoumis, c’est qu’il est fasciste. Le tiers exclu nous invite au manichéisme et à la simplification de la réalité entre les gentils et les méchants.

Boudon ajoutait que « l’utilité » d’une théorie, c’est-à-dire son adéquation avec les préoccupations intellectuelles du moment, était un autre facteur de succès du relativisme. Aujourd’hui, c’est un outil qui semble effectivement « utile » à un certain nombre de factions, lorsqu’il s’agit par exemple de qualifier une marche contre l’antisémitisme de manifestation d’extrême droite.

On peut raisonnablement penser que, d’un point de vue éthique ou a minima philosophique, il est utile de chercher à se mettre à la place d’une personne distincte de la nôtre pour pouvoir la comprendre. Un pas est franchi à partir du moment où cette posture est dévoyée pour en faire un sortilège de post-verité.

Boudon ne disait pas autre chose :

« Le bon [relativisme] nous permet de comprendre l’Autre. Le mauvais met tous les comportements, tous les états de choses et toutes les valeurs sur un même plan[5] ».

On pouvait difficilement rétorquer à Boudon de ne pas voir les similitudes entre de nombreux phénomènes sociaux. Il était loin de nier par exemple que la science et la religion procèdent toutes deux de croyances de la part des individus[6]. Mais il n’en inférait pas pour autant qu’aucune différence n’existait entre les deux. Faire un bon usage du relativisme, c’est en faire un usage en raison, c’est-à-dire en gardant sa capacité de juger. C’est surtout ne pas oublier que si expliquer, ce n’est pas excuser, relativiser peut parfois tendre à tolérer…

[1] Raymond Boudon, Essais sur la théorie générale de la rationalité, PUF, 2007

[2] Boudon, Raymond. Renouveler la démocratie. Éloge du sens commun. Odile Jacob, 2006

[3] Boudon, Renouveler la démocratie

[4] Ibid.

[5] Boudon, Raymond. Le relativisme. Presses Universitaires de France, 2008

[6] Boudon, Essais sur la théorie générale de la rationalité

Il faut interdire les déficits publics

Un article de l’IREF.

En 2022, pour alimenter un fonds pour le climat et la transformation énergétique  – KTF – de 212 milliards d’euros, le gouvernement allemand avait puisé à due concurrence dans les réserves non utilisées d’un autre compte, constitué en 2021 pour contribuer à l’amortissement de l’impact du coronavirus. Mais celui-ci avait bénéficié d’une suspension des règles du « frein à l’endettement », en raison de la pandémie. Ce qui ne pouvait plus être le cas du fonds KTF.

La CDU/CSU, les conservateurs dans l’opposition, ont dénoncé un « tour de passe-passe » pour contourner le frein à l’endettement du pays, inscrit dans la Constitution allemande, qui limite le déficit budgétaire fédéral à un maximum de 0,35 % du PIB.

La Cour constitutionnelle de Karlsruhe leur a donné raison au motif qu’un recours exceptionnel à l’emprunt sans application de la règle du frein à l’endettement doit être « objectivement et précisément imputable » et que les fonds correspondants doivent être utilisés dans l’exercice pour lequel ils ont été prévus. À défaut, le détournement de la règle serait trop simple !

 

Le frein à l’endettement

Selon la Loi fondamentale (ou constitutionnelle) allemande de 1949, les recettes et les dépenses du budget de l’État doivent être équilibrées (article 110).

Elle dispose en outre que, sauf « perturbation de l’équilibre économique global », « le produit des emprunts ne doit pas dépasser le montant des crédits d’investissements inscrits au budget » (article 115). Cette règle d’or n’a pas toujours été respectée.

Mais après la réunification de l’Allemagne en 1989, et l’absorption dans les budgets publics de la RFA des dettes de la RDA, la dette publique allemande est passée de l’équivalent de 623 milliards d’euros en 1991 à 1040 milliards d’euros en 1995 (+ 67 %) et a poursuivi sa croissance. Pour stopper cette course en avant, sur proposition de la commission allemande du fédéralisme (Föderalismuskommission), la Loi fondamentale a été amendée le 1er août 2009. Selon les termes des articles modifiés (109 et 115) de la Constitution, au niveau fédéral comme au niveau des Länder, les dépenses publiques doivent être couvertes par des recettes publiques, un endettement public étant toléré dans les cas exceptionnels au niveau fédéral pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un déficit structurel supérieur à 0,35 % du PIB.

 

Le respect des règles budgétaires

Par sa décision du 14 novembre 2023, la Cour constitutionnelle allemande a rappelé qu’on ne badinait pas avec la Loi fondamentale. Ce frein à l’endettement est sans doute l’une des causes de la vigueur de l’économie du pays depuis quinze ans, même si elle est mise à mal en ce moment par les bêtises de Mme Merkel sur l’immigration et le nucléaire.

L’Europe a, elle aussi, édicté un frein à l’endettement. En effet, depuis 2013 au sein de l’Union, et sauf circonstances exceptionnelles selon le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance aussi appelé pacte budgétaire, « la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent » (article 3). Le problème est qu’elle ne sait pas faire respecter ce qu’elle a elle-même décidé. Sa règle d’or prévoit que le déficit public structurel, hors éléments conjoncturels, d’un pays ne doit pas dépasser 0,5 % de son PIB.

Le déficit structurel correspond au déficit public. Il concerne les dépenses courantes de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale. Hélas, les tribunaux européens se montrent impuissants à faire appliquer la règle.

 

Et la France en profite pour s’endetter à tout-va

L’Agence France Trésor (AFT), la Direction du Trésor en charge des levées de dette publique sur le marché, annonce 285 milliards d’euros d’émission à moyen et court terme en 2024, un record historique après les 270 milliards de 2023, et les 260 milliards de 2022.

Sauf que le taux d’emprunt pour les obligations à dix ans est estimé à 3,4 %, alors qu’on était encore en territoire négatif il y a à peine plus de deux ans. La charge de la dette française montera à 52 milliards d’euros en 2024, 56 milliards en 2025, 61 milliards en 2026, et plus de 70 milliards en 2027. Le gouvernement prévoit que la dette passe de 111,8 % du PIB en 2022 à 108,1 % du PIB en 2027, un niveau très élevé en Europe. Mais les prévisions de l’État sont, d’un avis commun, très optimistes.

Lors de l’examen de la Loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, la commission des Affaires sociales du Sénat n’a pas caché ses doutes sur la sincérité de ce budget qui prévoit une croissance continue du déficit à 11,2 milliards en 2024, après 8,8 milliards en 2023.

Les recettes de l’État continuent d’augmenter et les prélèvements obligatoires se stabilisent, tout au plus, à près de 45 % du PIB. Selon les chiffres d’Eurostat, on serait même plutôt à 47 %, un record au sein de l’OCDE. Mais le gouvernement ne cesse de multiplier les dépenses nouvelles sans jamais en réduire d’autres, sinon à la marge. L’augmentation de la dette et des intérêts pèse aussi. Ainsi, le déficit public se maintient à un niveau de 4,4 % du PIB, très supérieur (de 2,4 %) à celui d’avant covid, malgré la fin de celui-ci. Le déficit, hors dépenses exceptionnelles de crise, augmente : de 72 milliards d’euros en 2022 à 118 milliards d’euros en 2024 !

Puisque les hommes politiques ne savent plus être raisonnables, il faut les forcer à le devenir comme les Allemands y sont parvenus.

Il faut insérer dans la Constitution française une règle d’or pour interdire les déficits publics. Il faut, sauf cas très exceptionnels, interdire tous les déficits, car il n’y a pas d’un côté les bons (déficits d’investissement), de l’autre les mauvais (déficits de fonctionnement) : sur la masse du budget d’un pays comme la France, l’investissement annuel peut trouver sa place sans avoir recours à l’emprunt qui pèse toujours sur les générations futures. Une telle obligation réduirait le poids de l’État et libèrerait l’initiative privée. La croissance en serait favorisée. L’État lui-même pourrait ainsi obtenir à terme de meilleures recettes. Gagnant/gagnant.

Sur le web.

En marge de la guerre à Gaza : hommage à Philippe Simonnot

Il y a tout juste un an Philippe Simonnot disparaissait. Il laisse une œuvre variée, forte et atypique. Économiste libéral et journaliste mordant, il fit découvrir les tours et détours de l’économie aux lecteurs du quotidien Le Monde. Il fut brutalement licencié du journal en 1976 pour avoir crûment dévoilé comment de grands commis de l’État jouaient au mécano industriel avec des entreprises nationales comme Elf Aquitaine, ce groupe pétrolier public qui fut ensuite absorbé par Total en 1999 !

Heureusement, cette triste rebuffade agit sur Simonnot comme un stimulant : il publia une trentaine d’essais, aussi divers qu’originaux, jusqu’à sa mort. L’un de ses derniers ouvrages1 jetait une lumière crue sur les relations d’Israël avec les grandes puissances, abordant sans fard les migrations juives, le sionisme et la colonisation israélienne de la Palestine2.

Précis et clairvoyant, son diagnostic mérite d’être rappelé aujourd’hui car il éclaire bien l’imbroglio Israélien actuel !

Le 2 novembre 1917, Arthur Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, transmit à lord Rothschild une brève lettre dactylographiée dont les termes engagèrent le processus politique qui aboutit plus tard à la naissance d’Israël.

La promesse sibylline du ministre Balfour préparait le mandat que l’Angleterre exerça sur la Palestine de 1920 à 1948 ; exprimant une sympathie pour les « aspirations juives sionistes », elle promettait d’établir en Palestine « un Foyer national pour le peuple juif » (sic). Cette déclaration répondait donc à la fois aux ambitions des sionistes juifs et au mondialisme du président américain Wilson qui prôna, devant le Sénat des États-Unis en janvier 1917 : « une paix sans victoire et sans annexion » pour l’après-guerre !

 

L’imbroglio sioniste 

Parfaitement officieuse, cette « déclaration » d’un membre du gouvernement britannique endossait donc le projet sioniste porté par Theodor Herzl depuis 1896 : en butte à des persécutions chroniques, des Juifs polonais ou russes venaient s’établir en Allemagne, en France, en Angleterre et aux États-Unis.

Quitte à émigrer, pourquoi ces populations ne pousseraient-elles pas jusqu’en Palestine, une destination mythique définie, un peu cavalièrement, comme une « terre sans peuple pour un peuple sans terre »3.

Cette hypothèse trouva un écho favorable chez les juifs d’origine russe, ukrainienne ou polonaise4; elle soulevait en revanche de fortes réticences chez les Juifs assimilés d’Europe occidentale (allemands, britanniques ou français), ainsi que parmi les Américains qui étaient plutôt antisionistes à cette époque.

En rappelant les politiques des uns et des autres (Américains, Anglais et Français, en particulier) Simonnot dévoilait les intentions et les propagandes de chacun. Sur le dossier de la Palestine et du Proche-Orient, les puissances coloniales furent progressivement ravalées, comme ailleurs, au rang de puissance moyenne. Et l’Amérique sacrée (pour un temps !) comme gendarme du monde et comme tuteur du Levant : en ce mois de novembre 2023, c’est effectivement la sixième flotte américaine qui croise au large de Gaza !

 

Collaborations franco-israéliennes

Dans ce Proche-Orient où rien n’est jamais simple ni univoque, que fit la France ?

Première étape : quelques mois avant la déclaration de Balfour en 1917, le sioniste Nahum Solo reçut une lettre (secrète !) de Jules Cambon5 qui lui promettait la sympathie de la France et s’engageait à soutenir « la renaissance […] de la nationalité juive sur cette terre dont le peuple juif a été chassé depuis tant de siècles » (cité par Simonnot p. 34). Le Quai d’Orsay prenait donc position.

Seconde étape : soucieux de contrer le désir britannique de « remplacer la France à Damas et à Beyrouth6 », Charles de Gaulle activa en 1941 une collaboration franco-sioniste qui se prolongea bien au delà du second conflit mondial : « ennemis des Anglais, ils deviennent des amis de la France » (id. p. 134) !

La France soutint donc la résistance juive dont le terrorisme sapait la présence britannique en Palestine (Groupe Stern, Haganah, Irgoun) avant leur départ définitif. Et l’émigration vers la Terre promise de ceux qui fuyaient les pogroms de Pologne, de Roumanie et de Hongrie, après l’armistice de 19457.

La France vota à l’ONU pour la partition de la Palestine entre Juifs et Arabes (novembre 1947) ;  une coopération militaire consolida ensuite le complexe militaro-industriel israélien dont la clef de voûte fut l’arme nucléaire tactique de l’État d’Israël. Cynique de part et d’autre, la collaboration entre Français et Israéliens dura longtemps : dans les domaines des armes, du renseignement, de la tactique et de la stratégie, depuis Ben Gourion jusqu’à Begin et Shamir…

 

Cynisme aussi, côté britannique !

À l’époque de Balfour, l’épine dorsale de l’Empire britannique allait de l’Inde à la Grande-Bretagne.

Cet axe maritime essentiel impliquait de contrôler le canal de Suez et l’Égypte. Il fallait donc chasser les Turcs qui occupaient ces territoires8.

Un important contingent britannique (400 000 hommes plus autant de supplétifs arabes et indiens) tentait de soumettre la Mésopotamie depuis 1914, pendant que la bataille de Verdun épuisait les troupes françaises qui auraient bien apprécié d’être épaulées par leurs alliés anglais !

Pour se faire pardonner cette guerre du Levant qui limitait l’engagement anglais en Europe, les Britanniques associèrent finalement les Français au partage du Proche-Orient. Les accords proposés par Mark Sykes à François Georges-Picot prirent forme en mai 1916 : ils allouaient aux Français le Liban et la Syrie, tandis que la Grande-Bretagne s’attribuait le Koweït, l’Irak, la Jordanie, la Palestine, le port de Haïfa et Saint-Jean-d’Acre. Jérusalem aurait une administration internationale9 !

En définitive, Balfour, Sykes, Georges-Picot ou Paul Cambon, ambassadeur français à Londres au moment des accords Sykes-Picot, concevaient encore le monde dans des termes du XIXe siècle : les Anglais confortaient l’implantation de leur Empire ; et la France radicale, laïque et républicaine, s’affirmait comme  protectrice des saints et des communautés chrétiennes du Levant ! Et la Couronne britannique contrecarrait en coulisses les positions françaises, en cultivant simultanément amitiés arabes et espoirs sionistes10 : bien difficile de démêler cet écheveau qui préparait les troubles d’aujourd’hui : rien de nouveau sous le Soleil !

 

L’Amérique, convergence des sionismes !

Depuis 1917, le soutien de l’Amérique à Israël est un lieu commun politique : bon an mal an, et de Wilson à Trump et Biden, l’Oncle Sam suit une politique sioniste que soutiennent à la fois des lobbies chrétiens et des groupes de pression juifs.

Le « sionisme chrétien » remonte loin dans l’histoire : il prolonge le millénarisme de nombreuses sectes du Moyen Âge11. Les protestants qui contribuèrent à peupler le Nouveau Monde en gardent des traces ; des politiques comme Jimmy Carter ou George W. Bush en furent imprégnés. Cela explique que Balfour, Shaftesbury, Lloyd George ou Sykes se convertirent au sionisme et que d’autres s’affirmèrent sionistes « en tant que membre de l’Église d’Angleterre » (id. p. 69).

Winston Churchill fut un « sioniste cynique » : pour lui, Anglais et Juifs avaient une même défiance envers les Arabes ; en Palestine, les juifs seraient donc, pensait-il, un facteur de sécurité pour les Britanniques. Il justifiait donc la déclaration Balfour à laquelle il n’avait pris aucune part. Pour les Anglais, Israël cantonnerait l’influence arabe au Proche-Orient, afin d’exploiter les ressources mésopotamiennes, et de mettre en culture les terres laissées en friche par les Arabes12 !

Comme la Grande-Bretagne avant elle, l’Amérique est encore prisonnière de ses paradoxes. Elle ne choisit pas entre des engagements incompatibles entre eux : alliance avec les monarchies du Golfe, d’un côté ; alliance israélienne, de l’autre ; alliance militaire avec les turcs qu’on ménage parce qu’ils verrouillent l’empire russe au Bosphore ; et alliance septentrionale dont la Norvège est le chaînon qui verrouille l’empire russe au nord13 !

 

Quelques mots de synthèse

De tels paradoxes sont légion dans le jeu levantin.

De plus, personne ne peut occulter ni le fait religieux ni le communautarisme, ni le clanisme qui participent à l’opacité politique dans cette région, comme au Caucase et aux Balkans14.

Philippe Simonnot soulignait à raison toutes ces subtilités qui rendent l’action politique levantine illisible pour un esprit rationnel !

Ceux qui ont vécu en Orient le savent : en Russie, en Arabie,  ainsi qu’en Extrème-Orient, l’intérêt personnel, la manœuvre et le double langage sont de règle ; aucune promesse n’est durable, sauf si une force incontestable vous impose de la respecter, ce que tente de faire la Sixième Flotte devant Gaza, et, peut-être, la dissuasion nucléaire d’Israël !

Herzl, inspirateur du sionisme moderne, est l’idéal-type de ce dossier. Jamais ses interventions aux congrès sionistes n’évoquèrent la « question arabe ».

Au contraire, il soulignait sans fard que : « faire disparaître les Arabes (de Palestine) est au cœur du rêve sioniste » (Simonnot, p. 84). Dès les années 1930, Ben Gourion affirmait aussi que les sionistes ont déplacé les populations arabes afin que la Palestine devienne une « terre sans peuple », afin d’y installer son « peuple sans terre », venu d’Europe centrale !

Weizmann, premier président du nouvel Israël, condensa son dessein dans un dicton que personne n’oserait prononcer aujourd’hui : « L’Arabe, fils du désert ? Il faudrait plutôt l’appeler : le père du désert ! »

Sur quoi débouche cette aventure tragique, vieille de plus d’un siècle ?

Simonnot notait qu’il a toujours existé, en France et ailleurs, des Juifs pour s’opposer au sionisme, et que ce dernier n’a pas eu la meilleure part dans la politique internationale : le drame actuel de la bande de Gaza le rappelle avec force !

Le déplacement des populations palestiniennes se poursuit : Simonnot le rapprochait des « épurations ethniques » au sein de la Yougoslavie des années 1990 ; que dire à Gaza ? Depuis 1947, le déplacement des populations continue. Est-ce la face sombre du sionisme contemporain ?

Sa face claire, que nous admirons, est séculière : depuis Tel Aviv, de nombreuses start-up participent au progrès de notre temps, biologique ou numérique, en liaison étroite avec les plus grandes universités et avec les réseaux du monde contemporain !

En rasant des immeubles gazaouis, les canons d’Israël ont-ils déclenché l’Apocalypse ? J’hésite à citer le mot du Christ sur sa croix : « Tout est accompli ! » (Jean 19-30) : s’il s’applique en l’espèce, la Palestine peut avoir un avenir !

Article rédigé en novembre 2023, inspiré d’une note de lecture publiée par l’auteur en 2020.

  1. Le Siècle Balfour, 1917-2017, P.-G. De Roux ed. (2018). La rédaction de la revue Communication de l’université Laval à Québec m’a aimablement permis de reprendre ici un partie de l’article que j’ai consacré à cette étude dans le n° 37 – 1 (2020).
  2. Voir, par exemple : « L’antisionisme n’est pas un anti-sémitisme » , Contrepoints du 7 mars 2019
  3. Formule attribuée à Salisbury, oncle de Balfour : n’était-ce pas aussi une façon élégante de « résoudre la question juive en supprimant son support, le judaïsme » s’interrogeait Simonnot (p. 65-66 de son livre sur Balfour).
  4. Der Judenstaat (l’État des juifs) affirmait que les Juifs sont un peuple à qui il faut un État. Cette affirmation hérissa des rabbins de Vienne ou de Munich et prit à revers de nombreux Juifs intégrés en Angleterre, en Hollande, en France ou en Italie ; Simonnot remarquait : « Herzl trouve le gros de sa clientèle en Europe centrale et orientale et non en Europe occidentale » (p. 59 de son livre sur Balfour).
  5. Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, frère cadet de l’ambassadeur de France à Londres qui prépara les accords Sykes-Picot !
  6. Citation des Mémoires de guerre, t. I, p. 205 (cité par Simonnot, p. 133.
  7. Récit de l’affaire Exodus pendant l’été 1947 (id. p. 134-147).
  8. L’Angleterre avait remplacé le coke par le mazout comme carburant des bateaux ; l’Amirauté voulait  donc« extraire, raffiner et transporter » l’huile d’Irak, selon les mots de Churchill aux Communes, en juillet 1913 (id.p. 28).
  9. Les Anglais firent aux Arabes des promesses parfaitement contraires à l’esprit des accords franco-anglais !
  10. Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d’Arabie entraîna ses légions arabes à se battre contre leurs co-religionnaires loyaux aux occupants turcs (id. p. 31) !
  11. Citation de Benyamin Nétanyahou, encore Premier ministre d’Israël, mise en exergue de l’essai de Simonnot : « Le sionisme chrétien précède le sionisme juif moderne (il) lui a permis d’exister » (8 mars 2010).
  12. Même vision des stratèges français et américains à propos de l’armement d’Israël, notamment nucléaire!
  13. Jens Stoltenberg, ancien premier ministre socialiste de Norvège est Secrétaire général de l’OTAN depuis dix ans !
  14. Ce fut de tous temps le cas du Liban ; c’est aujourd’hui aussi le cas d’Israël et des monarchies du Golfe qui sont actuellement prises au piège de leur double allégeance : à l’Occident que représente en partie Israël de nos jours ; et à l’Islam dont le projet n’a cessé d’être celui que révèle son nom : soumission !

Droits de l’Homme : le double discours de Juan Branco

Les questions des droits de l’Homme et de la morale en matière de politique internationale ont été particulièrement instrumentalisées ces dernières années. Les commentateurs et acteurs de la vie politico-médiatique ne sont pas rares à s’être contredits sur ces questions, invoquant alternativement la morale universelle et la rhétorique réaliste des intérêts, fonction des belligérants d’un conflit.

Cas particulièrement exemplaire de cette disposition d’esprit fallacieuse, l’avocat Juan Branco s’est ainsi illustré par de constants et fréquents discours humanitaires concernant diverses situations de politique internationale, tout en s’affranchissant des principes qu’il professait pour d’autres cas.

 

Ukraine : l’angle mort de l’hypocrisie tiers-mondiste

Ainsi, en août 2022, dans un entretien accordé à VA+, il affirmait dans son style toujours grandiloquent que le soutien français à l’Ukraine allait contre nos intérêts nationaux, demandant aux spectateurs de s’interroger sur les raisons qui poussaient notre pays à aider Kiev à défendre sa souveraineté nationale face à l’invasion russe.

Sur son propre site, on peut aussi retrouver un texte de mars 2022 où il affirme la même chose :

« … La question qui se pose aujourd’hui, ce sont les intérêts de la France, la défense des intérêts de la population française et le rôle que l’État français doit jouer afin de protéger ses concitoyens, et que la zone dont nous parlons n’est pas une zone d’intérêt stratégique primordiale pour la France, contrairement à ce qui a été beaucoup affirmé et ne justifie pas du tout le dispositif qui a été mis en place face aux participants au conflit, avec une posture moralisante. »

Si l’objet de cet article n’est pas de démontrer que la France a intérêt à défendre les frontières légales d’un pays limitrophe de l’Union européenne ainsi que de divers États-membres de la zone OTAN, le problème du propos de Juan Branco est qu’il entre en contradiction totale avec la plupart de ses points de vue.

Aujourd’hui célèbre pour ses gesticulations sénégalaises, en tenue traditionnelle locale s’il-vous-plait, l’avocat germanopratin ne manque pas de fustiger l’État français quand il défend ses intérêts en Afrique, au Levant ou partout ailleurs.

Désormais avocat de l’opposant Ousmane Sonko, panafricaniste qui défendait d’ailleurs la junte malienne sous emprise russe en août 2022, au moment même où Juan Branco ne trouvait rien à redire aux bombardements visant des civils à Marioupol ou Bakhmut, il ne manque jamais une occasion de fustiger le Sénégal et la CEDEAO.

 

Les gesticulations sénégalaises de l’avocat Juan Branco

Serait-il dans notre intérêt que le pays le plus stable de la région, qui affiche selon le rapport 2022 de l’Economic Intelligence Institute un des meilleurs indices de démocratie des institutions parmi les pays francophones d’Afrique, tombe entre les mains d’un révolutionnaire ami des régimes sahéliens qui ont chassé l’armée française pour y installer la milice Wagner dont les exactions nombreuses sont parfaitement documentées, le tout pour satisfaire l’appétit d’une puissance prédatrice ?

Ou alors, faudrait-il considérer que la question des droits humains ne concerne que les pays occidentaux ?

De la même manière, on constate qu’Israël subit une attention toute particulière. Israël peut commettre des crimes de guerre et doit, comme tous les États du monde, se soumettre au droit international. Il est néanmoins permis de s’interroger sur le fait que ses actions suscitent bien plus de protestations que celles, par exemple, d’un Bachar Al Assad qui a employé des armes chimiques et même assiégé le camp palestinien de Yarmouk avec une brutalité sans pareille.

 

L’Ordre international est l’intérêt de la France

De tels crimes n’ont alors dérangé personne, et surtout par nos belles âmes plus promptes à salir la France, dont les intérêts semblent selon eux se limiter à s’aligner sur la Russie et ses alliés.

Disons-le donc tout net : ils ne s’intéressent pas plus aux intérêts de la France bien pensés qu’aux droits de l’Homme, mais ont un agenda qui colle étrangement aux obsessions anti-occidentales du « sud global » dont l’objectif final tient dans l’instauration d’une prétendue « multipolarité » qui mettra à bas un Ordre International patiemment construit, au service exclusif des Empires revanchistes et des irrédentismes.

Notre ordre est certes imparfait, mais il vaut mieux que l’anarchie et la multi-conflictualité. Les Juan Branco et autres agités sont donc des agents du désordre et des propagateurs de la guerre du tous contre tous, bien plus que des humanistes. Ce n’est pas être idéaliste que de vouloir défendre l’Ordre international contre ceux qui entendent le saccager. Ce n’est pas non plus contraire au devoir d’humanité qui est le nôtre.

❌